Marie des ValléesLe Jardin de l'Amour divin, Textes choisis et présentés et édités par
Dominique et Murielle Tronc
Arfuyen, Collection "Les Carnets Spirituels", 2013, 207 pages, 12.5 euros.
La Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire [.]:
« Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous,
je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l'ordonnait ».
Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire !
[.] Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d'égal à égal,
et elle a l'air d'avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort.
(Julien Green )
Les dits que l'on va aborder utilisent des images vives, voire luxuriantes.
Ils traduisent une culture visuelle typique de qui n'est pas intellectuel,
en utilisant la représentation médiévale du monde qui perdure dans les campagnes.
Ces images demeurent ici très bien organisées et veulent assurer la fonction enseignante
de paraboles mystiques.
Hors image, le dit demeure sobre, une « flèche de feu » comme chez Catherine de Gênes -
sûr indice de la véritable vie mystique opposée à la seule imagination visionnaire :
si la « sour Marie » rapporte un songe c'est pour l'interpréter allégoriquement
en vue d'un enseignement spirituel. Et ses réactions vis-à-vis de clercs,
ses interactions sociales, etc., révèlent un solide bon sens et même un sens
souvent critique : ne travaille-t-elle pas pour venir en aide aux ensorcelés
de toutes origines ?
La sainte de Coutances.
Marie des Vallées naît dans un village de Basse Normandie de parents pauvres. Orpheline de père à douze ans, elle devient servante. Demandée en mariage, elle refuse et se trouve victime, au plan du vécu psychologique, d'un sort jeté sur elle. On la conduit à Rouen auprès de l'archevêque pour des exorcismes solennels :
« On lui fit faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu'on lui ordonna d'apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre quantité de soufre mêlé avec de la rüe hachée menue, et qu'on lui commanda de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait et lors qu'on lui faisait boire des douze verres d'eau bénite tout de suite ».
La rüe, plante médicinale d'un goût âcre et amer, à l'odeur très persistante, était en effet utilisée contre les ensorcellements.
« Ensuite de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l'après-midi, il vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des chirurgiens en la présence desquelles elle fut dépouillée pour la seconde fois ; et ce fut alors qu'elle fut piquée par tout le corps avec des aiguilles et des alènes » .
L'absence de douleur était un signe suspect :
telle était la pratique d'époque des procès en sorcellerie.
Rouen héritait d'une Inquisition rodée. Après six mois de prison vécus dans des conditions atroces, elle est déclarée vertueuse et devient servante au service de l'évêché de Coutances. Elle se croit toujours possédée, car « à son époque, dans le contexte de la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d'une possession pouvait être interprété comme un manque de foi ». On devine l'effet pervers qui peut s'ensuivre.
A vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle accepte héroïquement un « échange de volonté » (ce qui peut être comparé à la prise en charge par Surin d'âmes en perte). Trop volontaire, elle vit le désespoir des damnés qui sont les objets de « l'Ire de Dieu » et connaît deux épisodes terribles qu'elle nomme « l'Enfer » (1617-1619) et « le Mal de douze ans » (1622-1634) : « Elle dit qu'une des plus grandes peines des damnés, c'est l'ennui qui est si grand que les heures leur semblaient des siècles ». (V 2.4 )
Sortant lentement de cette nuit, elle vivra encore vingt-deux années.
Sur ordre de l'évêque, le père Eudes l'exorcise « en grec » en 1641.
Puis elle deviendra la conseillère d'un grand nombre de visiteurs.
Ainsi « l'an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir
la soeur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu'ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour. »
D'une grande sagesse, elle évoque pour eux la diversité des chemins spirituels :
« Ce n'est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C'est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n'en doit parler à personne pour la leur enseigner car si on y fait entrer des personnes qui n'y soient point attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s'égarer et de se perdre [.] Il ne faut point s'imaginer qu'il n'y ait que ce chemin qui conduise à l'anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l'action, les autres par les croix, les autres par d'autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. »
« Comme ils voulaient continuer à lui parler, elle leur dit : La porte est fermée, je n'entends plus rien à ce que vous me dites. » , faisant ainsi écho à un Ruusbroec (1293-1381) qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu'il sentait la grâce d'inspiration absente.