Jean de la Croix Vive Flamme B & Cantique A & Poèmes & Lettres





JEAN DE LA CROIX

VIVE FLAMME B & CANTIQUE A

& POEMES & LETTRES




On remonte ici le temps chronologiquement : la Vive Flamme B révisée en 1591, dernière année de vie de Jean de la Croix, est suivie du Cantique A rédigé vers 1584 peu après la sortie de la prison Tolédane. J’oublie ce qui précède : Montée et Nuit.

L’espagnol de la Vive flamme B figure en pages gauches paires, sa traduction figure en pages droites impaire. Ainsi la lecture de l’espagnol est sous le même coup d’oeil guidée par la traduction qui lui fait face.

J’ai eu recours aux traductions-adaptations de Marie du Saint-Sacrement (1937) pour la Vive Flamme B et de René Gaultier (1622) pour le Cantique A.1 . Les présentations sont de Marie du Saint-Sacrement pour la Vive Flamme et pour le Cantique, et de Max de Longchamp pour le Cantique. On boucle la Vive flamme en retrouvant sa première strophe de la Vive flamme B sous deux formes : traduite par Cyprien de la Nativité (1641) puis par Max de Longchamp (2010).






VIVE FLAMME B


Extraits des introductions par la Mère Marie du Saint-Sacrement

Introduction à la Vive Flamme d’amour2

Ce Traité est le plus sublime de tous ceux qui sont sortis de la plume de notre Saint. Ce n'est d'un bout à l'autre que le transport d'amour, le cri éperdu d'admiration de l'âme transformée en la flamme divine, qui est l'Esprit, Saint lui-même. « Celui qui est l'amour du Père et du Fils, et l'unité et la suavité, et le trésor et le baiser, et l'embras­sement et tout ce qui peut être commun, à l'un et à l'autre en cette suprême Vérité et Unité, Celui-là même devient en une certaine manière à l'égard de l'homme par rapport à Dieu ce que, dans l'Unité substantielle, il est au Fils par. rapport au Père, ou au Père par rapport au Fils. Et ainsi, d'une manière ineffable et inconcevable, l'homme mérite d'être non pas Dieu, niais divin, en sorte que ce que Dieu est par nature, l'homme le devient par grâce. » Ainsi parle saint Bernard3.

Notre saint docteur, grâce à l'expérience qu'il avait de ces merveilles, les a condensées dans l'ouvrage intitulé Vive Flamme d'amour. Le P. Jean l'Évangéliste, son com­pagnon et son intime ami, dans une attestation qui se garde manuscrite à la Bibliothèque nationale de Madrid, déclare l'avoir vu écrire cet ouvrage à Grenade, en quinze jours seulement et au milieu de multiples occupations. Il nous dit aussi que le livre fut composé à la demande de Da Anne de Perñalosa. C'est au reste ce que porte le titre. Cette sainte femme vivait, on peut le dire, de la doctrine et de la direction du bienheureux Père, et le fait que l'ouvrage s'adresse à elle, fut composé pour elle, nous donne une idée de l'élévation de ses voies intérieures et mystiques. Lorsqu'elle se fut transportée de Grenade à Ségovie, notre Saint continua, nous dit la tradition, à déployer pour la conduite de son âme la plus vive sollicitude. On rapporte que quand le saint prieur descendait du couvent des Carmes Déchaussés jusqu'à la ville, pour confesser Da Anne et sa nièce, ses religieux se plaisaient à dire : « Voilà saint Jérôme qui va trouver Paula et Eustochium. »

Ainsi que le titre l'indique, la Vive Flamme d'amour fut composée en 1584, la même année par conséquent que le Cantique spirituel en sa première rédaction, mais postérieurement à celle-ci. Le Cantique cite la Vive Flamme et la Vive Flamme cite le Cantique, ce qui n'a rien qui doive surprendre, étant donné l'existence d'un double Cantique.

Au Prologue, l'auteur nous dit avoir traité dans des Strophes précédentes de la transformation de l'âme en Dieu. Il traitera ici « de l'amour le plus exquis et le plus achevé qui se rencontre dans ce même état de transformation ». Ces mots : « Les Strophes que nous avons précédemment expliquées » visent clairement les Strophes du Cantique spirituel. C'est une fois parvenue au degré d'amour brûlant que l'âme nous parle, alors qu'elle expérimente non seulement que ce feu fait un avec elle, mais qu'il jette en son sein de vives flammes. C'est une fois consumée dans cette flamme qu'elle représente en ces Strophes quelques-uns des merveilleux effets qu'elle expérimente.

Nous n'ignorons pas que le P. André de l' Incarnation et, après lui, le P. Gérard, ont écrit que les Strophes auxquelles notre Saint fait allusion sont celles de la Nuit obscure.

Mais un examen attentif de la question ne nous permet pas d'être de leur avis. Les Strophes du Cantique spirituel, tant de la première que de la seconde rédaction, traitent trop clairement de la transformation de l'âme en Dieu pour que, selon nous, il puisse y avoir de doute à ce sujet.

[...]

Le Saint commence par nous prévenir que dans les matières qu'il est sur le point d'aborder il restera, en tout ce qu'il dira, au-dessous de la réalité. « Rien d'étonnant », nous fait-il remarquer, « que Dieu accorde des grâces élevées, sublimes, extraordinaires aux âmes qu'il lui plaît de favoriser. Si nous songeons qu'il est Dieu, qu'en ceci il agit en Dieu, avec une bonté et un amour infinis, nous ne verrons rien là que de très raisonnable. N'a-t-il pas déclaré lui-même que si quelqu'un l'aimait, le Père, le Fils et l'Esprit-Saint viendraient en lui et feraient en lui leur , demeure ? Ce qui revient à dire qu'à celui-là il sera donné de demeurer et de vivre dans le Père, dans le Fils et dans l'Esprit-Saint, ce qui est précisément l'heureuse vie chantée par l'âme dans les Strophes dont il s'agit. »

Notre Saint aborde la Strophe Ire. Il y décrit les assauts à la fois véhéments et ineffablement suaves par lesquels l'Esprit d'amour achemine une âme déjà transformée en Dieu et hautement possédée de lui, vers la glorification entière et parfaite de la vie éternelle. Ses opérations en elle sont « des jets de flamme et des embrasements d'amour ». Chaque fois que le feu céleste l'assaille ainsi, la faisant aimer d'une manière divine et dans un goût divin, il semble à cette âme qu'on verse en elle l'éternelle vie et que le faible tissu de son existence mortelle va se briser.

[...]

A la Strophe lIe, Jean de la Croix expose comment les trois Personnes de la sainte Trinité opèrent dans l'âme l'oeuvre de l'union. Arrêtons-nous un moment à ce qu'il appelle le « cautère spirituel », […] :

« Ce cautère et la plaie qu'il cause, tels que nous les décrivons, constituent le plus haut sommet de l'état d'union. Dieu, en effet, a beaucoup d'autres manières de cautériser une âme, mais elles n'arrivent pas jusque-là et sont bien différentes de celle dont nous parlons. Celle-ci est un pur contact de la Divinité, accordé à une âme sans forme ni figure, soit intellectuelle, soit imaginaire. Il existe cependant un cautère d'amour accompagné de forme intellectuelle, qui est très sublime aussi. Voici comment il se produit.

« Une âme se trouvera enflammée d'amour pour Dieu, en un degré moindre que nous ne venons de dire, mais fort élevé aussi. Tout à coup un séraphin l'attaquera d'une flèche ou d'un dard embrasé à l'extrême du feu d'amour, et, transperçant de son dard cette âme qui est déjà à l'état de braise de feu, ou pour. mieux dire, à l'état de flamme ardente, il l'en cautérisera en un moment. Sous l'action du cautère que produit ce dard de feu, voici que la flamme de cette âme s'élance soudain et monte avec violence. Tel un fourneau ou une forge embrasée dont on remue et retourne le feu, afin d'en activer l'ardeur.

« Sous la, blessure de ce dard enflammé, la plaie de l'âme abonde en souveraines délices. Tandis que, par la violente et délicieuse agitation causée par cette attaque du séraphin, l'âme se liquéfie tout entière en ardent amour, elle sent, à la pointe de la blessure, le venin d'amour qui empoisonne l'extrémité du dard pénétrer dans la substaRce de son esprit et de son coeur transverbéré. C'est à cette pointe de la blessure, qui a percé, ce lui semble, le centre de son coeur, que l'âme perçoit les plus exquises délices... Au sein de cet incendie, l'ardeur atteint un degré si élevé, et clans cette ardeur l'amour monte, à un tel degré qu'il forme comme des océans de feu d'amour qui remplissent les hauteurs et les profondeurs de l'âme, déversant partout l'amour. Il semble alors à cette âme, en cette ardeur qui va croissant sans mesure, que l'univers n'est plus qu'un océan d'amour, dans lequel elle-même est engloutie. Cet amour lui paraît sanÉ limite et sans fin, et elle sent en elle-même, comme je viens de le dire, la vive pointe cen- trale qui lui donne naissance...

« Peu de personnes atteignent un état aussi élevé ; quelques- unes cependant y sont parvenues. Ce sont spécialement celles dont l'esprit et les vertus sont destinés à se répandre dans une postérité spirituelle. »

Si nous plaçons cette page en regard de celle que sainte Thérèse a consacrée au trait d'amour dont un esprit céleste transperça son coeur, nous noterons.aussitôt une différence. La Sainte dit expressément que le messager de la divine blessure se montra sous une forme corporelle ; il tenait à la main un dard matériel, qu'il lui enfonça jusqu'aux entrailles. Saint Jean de la Croix, toujours fidèle au rejet des faveurs extraordinaires perçues par les sens,. parle d'un cautère d'amour accompagné de forme intellectuelle », par suite moins élevé que celui qui est « sans forme ni figure », mais très sublime aussi ». Il ne fait pas entrer en ligne de compte un cautère d'amour accompagné de vision corporelle.

[...]

Passons à la Strophe IIIe.

Au dire de saint Jean de la Croix, cette Strophe me renferme un sens particulièrement profond. L'âme y expose comment l'union divine a été pour elle la source d'admirables connaissances, qui ont illuminé et enflammé ses puissances et son sens lui-même, auparavant obscur et plongé dans les ténèbres. Maintenant les puissances illuminées et enflammées renvoient lumière et amour à celui qui les a éclairées et embrasées. Or, affirme notre Saint, « le vrai bonheur de celui qui aime est de rendre à son Bien-Aimé tout ce qu'il est, tout ce qu'il vaut, tout ce qu'il a, tout ce qu'il reçoit, et plus tout cela a de prix, plus il goûte de joie à lui en faire hommage ».

Chose surprenante, au milieu de l'Explication du 3e vers, Jean de la Croix s'interrompt soudain et laisse une matière si sublime pour aborder un sujet tout différent : celui des. obstacles qui peuvent arrêter les âmes au début de la voie contemplative, qu'ils viennent du directeur, du démon ou de l'âme elle-même. A voir l'insistance qu'y déploie notre Saint, la véhémence surtout avec laquelle il apostrophe les maîtres spirituels ignorants et présomptueux, on comprend que la question revêt à ses yeux la plus grande importance et qu'il entend ne la point quitter qu'il n'ait convaincu ses lecteurs.

Ce n'est qu'au bout de près de quarante pages qu'il renoue le fil de son discours et reprend l'explication de la Strophe IIIe.

Il passe ensuite à la Strophe IVe, qui décrit merveilleusement le « réveil de Dieu » en l'âme, puis la toute divine « spiration » qui a lieu lors de cette notion de la Déité à laquelle il donne le nom de « réveil ». Cette spiration par laquelle l'Esprit-Saint attire l'âme en lui-même, l'inonde de richesse et de gloire. Elle produit une immersion en Dieu qui correspond à ce qu'il lui a été donné de découvrir en lui. De là un enivrement d'amour qui surpasse tout ce qui se peut exprimer et sentir.

Saint Jean de la Croix nous a conduits à la plus haute cime de l'union mystique. Il nous assure qu'il est impuissant à en dire davantage. Qu'il nous suffise de savoir que l'âme est ici « merveilleusement glorifiée, merveilleusement embrasée d'amour », et, pour tout dire, que « ceci a lieu dans les profondeurs mêmes de Dieu, à qui soit honneur dans les siècles sans fin. Amen ». Ainsi se termine la Vive Flamme.

Sept années se sont écoulées depuis que le texte en a été remis à Anne de Peñalosa. En septembre 1591, Jean de la Croix, disgracié, diffamé, au point qu' « être son ami est un péché », s'est retiré dans la solitude de la Peñuela, portant avec lui la transcription du dernier de ses écrits. Tout proche qu'il est de sa fin, persuadé qu'il doit aux âmes son enseignement mystique aussi complet que possible, il entreprend de retoucher et d'amplifier son chef-d'oeuvre. C'est ce qu'affirment des contemporains dont le témoignage est irrécusable. Nous nous réservons d'en donner le détail dans notre Avant-Propos à la seconde Vive Flamme d'amour [donné infra].

Les pages que saint Jean de la Croix avait retouchées et transcrites à la Peñuela, il les prit avec lui dans son douloureux voyage vers Ubeda, suprême acheminement à son Calvaire. Une fois étendu sur son lit de douleur et tandis que, presque mourant, il poursuivait encore sa correspondance spirituelle, il se préoccupait également de faire bénéficier de son enseignement écrit ceux qui l'approchaient, dès lors qu'il les voyait aptes à en recueillir la sève mystique.

Nous en voyons un exemple en la personne du licencié Ambroise de Villareal, qui le traitait à Ubeda durant sa dernière maladie. Jean de la Croix lui fit don du texte de la Vive Flamme, qu'il venait de remanier. Ceci est attesté par deux dépositions, l'une de Villareal lui-même, donnée à Ubeda au plus tard entre 1607 et 1610, dans laquelle il atteste posséder un livre du P. Jean de la Croix intitulé Vive Flamme d'amour ; l'autre de la mère Marie de la Croix, donnée à Ubeda également, le 3 mars 1628, et attestant la même chose.

Nous avons dit dans notre Introduction au Cantique spirituel que ce don fait par notre Saint à son médecin d'Ubeda n'indique pas, comme l'insinue le P. Louis de la Trinité, que le saint auteur « retenait volontiers ses cahiers manuscrits après les avoir laissé transcrire par des mains amies, puisque sur son lit de mort il en pouvait encore disposer ». Jean de la Croix ne laissait pas transcrire ses manuscrits, il en ordonnait positivement la transcription, après quoi il apparaît comme certain qu'il les livrait lui-même à la destruction. Le cas du texte de la Vive Flamme remanié est exceptionnel. A la Peñuela et à Ubeda, notre Saint était simple religieux et déjà sur le bord de la tombe vraisemblablement il n'eut ni la facilité ni le temps de recourir à un copiste pour faire transcrire son texte. De là, pour Villareal la bonne fortune de recevoir du saint docteur lui-même « une partie du livre de la Llama : quatre Strophes expliquées par lui, écrites de sa main ».

La lecture qu'il en fit, jointe à l'émouvant spectacle qu'il avait sous les yeux en la personne de son patient, changea Villareal, déjà chrétien, en un autre homme. Son esprit s'ouvrit aux merveilles de l'ordre surnaturel. Parfois, lorsqu'il venait voir son malade et qu'il le trouvait ravi en une haute contemplation, il disait aux religieux qui se trouvaient là : « Laissons le Saint prier. Lorsqu'il aura terminé et qu'il reviendra à lui, nous le soignerons. »

Non seulement d'après les données de son art, mais à plusieurs signes d'ordre mystique, le praticien comprenait que le bienheureux Père ne tarderait pas à voir « se rompre le dernier tissu de sa vie mortelle », et que lui-même allait avoir sous les yeux le spectacle décrit dans les pages de la Vive Flamme qu'il avait entre les mains. « Les amis de Dieu meurent dans des transports sublimes et au milieu des assauts déli­cieux que leur livre l'amour. Tel le cygne qui chante avec plus de douceur lorsqu'il va mourir, C'est pour cela que David nous assure que la mort des justes est précieuse. »

Il crut devoir avertir lui-même le saint malade de l'immi­nence de sa fin, à quoi celui-ci répondit joyeusement : Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi : in domum Domini ibimus.

Le 14 décembre 1591, à minuit, ainsi qu'il l'avait annoncé, le premier des Carmes Déchaussés quittait l'exil.

[...]

Il est d'un haut intérêt assurément de se demander quelles furent les retouches apportées par Jean de la Croix à son dernier chef-d'oeuvre dans ce moment solennel, où brillaient déjà sur lui les premières lueurs de la patrie.

[...]

L'existence d'une seconde rédaction de la Vive Flamme a donné lieu, comme pour le Cantique — niais de façon beaucoup moins accentuée — à des doutes relatifs à l'authenticité du second texte, spécialement de la part de M. Jean Baruzi, dans son récent ouvrage sur saint Jean de la Croix. Le P. Silverio, y répond longuement, avec toute sorte d'égards et de courtoisie, on peut voir à l'introduction du R. P., de la p. xiv à la p. xxii, toute sa pensée sur ce point.

[...]

Passons à la publication du traité qui nous occupe. Si l'Édition princeps de 1618 donna la Vive Flamme d'amour selon la première rédaction, c'est sans doute parce que l'éditeur, le P. Diego de Salablanca, ne connaissait pas l'existence de la seconde.

[...]

L'Édition princeps de la Vive Flamme se permit de très nombreuses retouches des phrases du docteur mystique. On y remarquait en particulier l'élimination de tout ce qui indiquait clairement l'état de divinisation. Quelques paragraphes étrangers à la plume du Saint furent intro­duits. Ce fut donc un réel service rendu aux admirateurs de saint Jean de la Croix que la publication par le Père Gérard dans son Édition critique (1912-1914) des deux rédactions de la Vive Flamme d'après les manus­crits.

[...]

Avant-Propos à la seconde Vive Flamme d’amour4

Comme saint Jean de la Croix avait retouché, perfectionné son Cantique spirituel, de même il retoucha, perfectionna sa Vive Flamme d’amour. Ce fut dans la solitude de la Peñuela et à l’extrême limite de sa précieuse existence, alors que, sous le poids de la disgrâce et de la persécution, il luttait déjà contre les atteintes du mal inexorable qui devait mettre fin à ses jours, on le vit entreprendre de retoucher et d’amplifier son chef-d’œuvre.

Au rapport de plusieurs religieux ses compagnons, nous dit le P. Jérôme de Saint-Joseph, son premier historien, ce fut à cette époque et en ce lieu qu’il perfectionna le plus sublime de ses traités mystiques1. Le P. Joseph de Jésus-Marie parle de même2. Quant au P. François de Saint-Hilarion, témoin oculaire, il précise en disant : « Tandis qu’il faisait séjour en ce couvent, il se levait avant le jour et se rendait au jardin. Là, au milieu de quelques saules et sur le bord d’une pièce d’eau, il se tenait à genoux et ne s’éloignait qu’au moment où le soleil était déjà brûlant. Il allait alors dire la messe ; après quoi il rentrait dans sa cellule, où il restait en oraison ou bien écrivait de petits livres qu’il a laissés sur certaines Strophes3.

Nul doute que ces petits livres ne fussent les cahiers de la «   » le plus court de ses grands ouvrages

1 Historia del V. P. Juan de la Cruz. Lib. VIII. cap. VII.

2 Vida, Lib. III, cap. XIV.

3 Ms 12 738 de la Bibl. nat. de Madrid (cité par le P. Silverio).

composé depuis plusieurs années déjà, mais auquel il mit la dernière main dans cette suprême période de son existence.

En septembre 1591, Jean de la Croix, en proie à une fièvre continue, prenait la route d’Ubeda, emportant avec lui le manuscrit retouché de la Vive Flamme d’amour. Quand fit-il prendre copie de ce manuscrit, ce qu’il n’omettait jamais, ce semble, pour chacun de ses ouvrages ? Sur ce point nous ne pouvons qu’émettre des conjectures.

Une donnée assez curieuse nous était fournie en 1931 par le P. Silverio, dans son tome IV, Introduction à la Llama de amor viva, p. xxvii. Énumérant les transcriptions de la seconde Vive Flamme aujourd’hui existantes, il nous décrit en premier lieu un volume qui se trouve à la Nationale de Madrid sous le n° 17 950 et se compose de 170 pages. Il est relié en cuir noir repoussé, avec quelques ornements et, au centre de la couverture, une image de la très sainte Vierge avec l’Enfant Jésus ; il a eu deux fermoirs, qui ne s’y trouvent plus aujourd’hui. La Vive Flamme va jusqu’à la p. 141. Le frontispice porte : J. H. S. 1584.

« L’écriture », nous dit le P. Silverio, “est celle d’une femme, bien tracée et fort nette. Le manuscrit n’a aucune correction, ni d’une main étrangère ni de la main de la copiste. Rien n’est dit relativement à l’auteur de l’ouvrage. Mais, d’après les renseignements donnés par le P. André de l’Incarnation, il est certain que la transcription a été en la possession des Carmélites déchaussées de Séville.

« Probablement, ajoute le P. Silverio, cette transcription a été exécutée par une religieuse de cette communauté. La copie dénote une plume andalouse par la manière dont certains mots sont écrits. Au XIXe siècle le manuscrit appar­tenait à Gayangos. Il a passé depuis à la Bibliothèque nationale. Le Prologue porte la signature du Saint, chose que nous n’avons point vue dans les autres manuscrits.

La transcription semble avoir été faite avec un grand soin. On n’y trouve ni omissions ni retouches, à peine quelques fautes matérielles de copie. Sûrement la religieuse a transcrit avec une entière fidélité le codex qui lui a servi, et comme cette copie andalouse — les spécialistes de la Nationale disent qu’elle est de l’époque du Saint — mérite une grande confiance, je crois qu’elle est digne de servir de base à cette édition de la seconde Rédaction de la Vive Flamme.

Sommes-nous en présence d’une copie exécutée sur l’autographe du Saint et par son ordre ? On le croirait presque. Cette particularité d’une signature apposée par lui au Prologue retint notre attention et nous résolûmes d’approfondir ce dernier point.

Arrivé au couvent de la Peñuela au commencement d’août, Jean de la Croix, se sentant mortellement atteint, part pour Ubeda le 22 septembre. Il se trouve à l’extrémité dès le commencement de décembre, et le 14 il retourne à Dieu.

Il y avait à Ubeda deux époux profondément chrétiens et liés de longue date avec notre Saint. Ils se nommaient Fernando Diaz et Marie de Molina, et avaient deux filles : Catherine et Inès de Salazar, dont l’une devint dans la suite Carmélite déchaussée, l’autre religieuse Béate. Fernando Diaz, sachant notre Saint à la Peñuela, s’y rendait souvent pour le visiter. Lorsqu’il apprit que Jean de la Croix venait d’arriver malade à Ubeda, il alla le voir chaque jour et même plusieurs fois par jour. Sa femme et ses filles voulurent se charger de laver les bandes de toile qui servaient aux pansements et elles ont maintes fois affirmé qu’elles se sentaient embaumées des parfums qui s’en exhalaient1.

Étant donné l’intimité qui unissait cette famille à notre

1Dép. de Fernando Diaz, donnée à Ubeda l’année 1627.

Saint docteur, serait-il téméraire de supposer que la plume féminine qui transcrivit la Rédaction de la Vive Flamme pourrait être celle de l’une des sœurs, à laquelle le Saint aurait remis à cet effet son manuscrit ?

La mère Marie de la Croix, dans sa Déposition du 3 mars 1628, dit ceci : « Le médecin qui le soigna possédait comme insignes reliques un diurnal qui lui avait servi et quelques feuilles du Livre de la Llama. »

Il faudrait peut-être inférer de là que le Saint ne donna d’abord à Villareal que les premières feuilles de la Vive Flamme, c’est-à-dire celles qui étaient déjà transcrites, tandis que les autres demeuraient encore entre les mains de la copiste andalouse dont nous parle le P. Silverio.

Nous aurions désiré savoir si Catherine de Salazar, que son père, dans sa déposition, dit avoir embrassé la vie des Carmélites déchaussées sous le nom de Catherine de Saint-Albert, appartenait au monastère de Séville. Dans ce cas, il eût été tout simple qu’après la mort du Saint elle y ait porté le manuscrit de la Vive Flamme, qui n’avait pu être terminé du vivant de celui-ci. Le R. P. Silverio voulut bien, à notre demande, confronter l’écriture de la copie de la seconde Vive Flamme, trouvée par lui à la Nationale de Madrid, avec une lettre autographe de Catherine de Salazar gardée à la même Bibliothèque. 11 nous écrivit que l’écriture n’était pas la même. Poursuivant notre conjecture, nous nous dîmes qu’il restait encore possible que l’écriture fût celle d’Inès, sœur de Catherine.

Quoi qu’il en soit, le fait que la copie porte à la page du Prologue la signature de saint jean de la Croix — c’est le P. Silverio qui l’atteste dans son Introduction à la Llama de amor viva — restait à éclaircir. Nous avons recouru pour cela à M. l’abbé Don Pedro Longàs, conservateur des manuscrits de la Nationale, qui avec la plus grande obli­geance fit l’examen que nous désirions. Il nous répondit qu’il s’était fait un plaisir de nous satisfaire, mais que la firma del Santo al fin del prôlago no es en manera alguna autôgrafa. La réponse était catégorique. Elle nous fut confirmée peu à près par le R. P. Silverio, qui nous écrivit à la date du 21 octobre 1935 :

« Dans la copie de la seconde Vive Flamme à laquelle vous vous référez, la signature du docteur mystique n’est pas autographe, mais elle pouvait l’être dans le manuscrit sur lequel elle fut prise. »

Et le Révérend Père ajoutait : « Sans vouloir l’affirmer, je regarde comme certains que la copiste n’a pas mis par hasard le nom du Saint. Elle a transcrit ce qu’elle a trouvé dans l’original qu’elle copiait. En tout cas, il est sûr qu’elle considérait l’original sur lequel elle travaillait comme étant du saint Docteur. »

Nous l’avons dit dans notre Introduction à la première Vive Flamme d’amour, l’existence d’une seconde rédaction de l’ouvrage a donné lieu comme pour le Cantique spirituel — de façon moins accentuée toutefois — à des doutes relatifs à l’authenticité du second texte, spécialement de la part de M. Baruzi dans son ouvrage sur saint Jean de la Croix. (Voir seconde Édition : Les Textes.)5

Le P. Silverio, dans son tome IV, a répondu tout au long et avec grande courtoisie à M. Baruzi. Nous ne ferons que toucher légèrement quelques-unes des objections de celui-ci et des réponses que leur fait le P. Silverio. Ceux de nos lecteurs qui désireraient des données plus détaillées pourront se reporter à l’Introduction du Révérend Père à la Vive Flamme d’amour.

M. Baruzi avait noté dans le second texte de la Vive Flamme un certain refroidissement de l’enthousiasme lyrique, certaines atténuations de la pensée et de l’expres­sion : divergences qui lui paraissaient fondamentales. Le P. Silverio ne pense pas que l’élévation lyrique de l’ouvrage ait rien perdu aux très légers adoucissements que le saint auteur, en revoyant à tête reposée un écrit rédigé sous une inspiration aussi rapide — on nous dit que la Vive Flamme fut composée en quinze jours, — crut devoir apporter à son premier texte. Il fait remarquer qu’on ne peut rejeter aucune des modifications et amplifications comme indigne de notre Saint, comme contraire à la mani­festation habituelle de sa pensée. Ce qui frappe dans les retouches, dit-il, c’est la préoccupation d’expliquer certaines conceptions exprimées avec une concision vigoureuse, mais susceptibles de plus de clarté. Saint Jean de la Croix, en vue de cette clarté plus grande et d’un développement plus complet de sa pensée, a jeté quelques gouttes d’eau sur l’enthousiasme mystique de son premier texte. Devons-nous le regretter ? C’est bien peu de chose pour amortir un feu aussi actif et aussi véhément. Ainsi s’exprime le P. Silverio.

M. Baruzi avait fait remarquer aussi, comme divergence selon lui fondamentale, que la seconde Rédaction rappelle avec fréquence que les états mystiques, même les plus élevés, ne sont qu’une image imparfaite de l’état béatifique, et que seule la vie de l’au-delà peut apporter l’union parfaite, et il s’étonnait de la coïncidence de ces additions avec beaucoup de celles que nous offre le second Cantique.

[...]

Dans le travail à la fois émouvant et ardu qu’impliquait la confrontation attentive et la soigneuse discrimination des deux textes, nous nous sommes demandé s’il est tout à fait exact de voir dans la seconde Rédaction « un refroi­dissement de l’enthousiasme lyrique, des atténuations de la pensée et de l’expression ». Cela peut être vrai en quelques cas, mais non en tous. À notre avis, si le saint Docteur, dans la première Rédaction de son chef-d’œuvre s’est surpassé lui-même, on est selon nous, autorisé à dire que dans certaines additions de la seconde il s’est élevé plus haut encore. Ce n’est plus le langage de la terre, si sublime soit-il, que l’on entend, on croit surprendre les accents d’une âme déjà glorifiée, déjà initiée aux tranquilles splendeurs de l’au-delà. Aussi bien, saint Jean de la Croix nous dit-il que dans l’état décrit par lui, « le fruit et l’opération de l’amour croissent à tel point, qu’ils ont grande ressemblance avec ce qu’ils sont dans l’autre vie ».

Notons, à l’Explication de la Strophe III, ce qu’il nous dit à propos des obombrations [obombrer : couvrir d’une ombre] des lampes divines qui sont les attributs de Dieu, et de la lampe par excellence qui est le Verbe : « Cette lampe est à la fois toutes les lampes, parce qu’elle brille et brûle de la lumière et de l’ardeur de toutes les lampes. L’âme comprend très bien que cette seule lampe lui est toutes les lampes. En effet, étant une, elle peut tout, elle a toutes les vertus et embrasse tous les esprits. »

Qu’est-ce en définitive que cette illumination de splen­deurs dans laquelle l’âme resplendit au sein des ardeurs de l’amour ? Ce sont les amoureuses connaissances que les lampes des attributs de Dieu lui envoient. Au milieu de ces connaissances, cette âme, unie à Dieu selon ses puis­sances, resplendit comme les lampes elles-mêmes en amou­reuses splendeurs.

Et mettant un dernier accent sur la transformation de l’âme en Dieu, le saint émet une ultime affirmation, qui résume et dépasse, dans sa paisible sérénité, tout ce qu’on a pu décorer du nom de « lyrisme ».

« Cette transformation de l’âme en Dieu est inexprimable. Tout sera dit en un seul mot : l’âme est devenue Dieu de Dieu, en participation de son Être et de ses attributs. »

En achevant sa première Rédaction, Jean de la Croix s’était déclaré impuissant à rien dire de plus, parce qu’en tentant de préciser davantage l’état de l’âme glorifiée, il craindrait de rester par trop au-dessous de son sujet. Ici, il donne une raison de plus de son abstention : on pourrait croire que ses paroles seraient l’expression de la vérité, alors que les merveilles de l’union divine surpassent comme à l’infini, même sur cette terre, tout ce que l’entendement humain peut concevoir, tout ce que le langage de l’homme peut exprimer. Tel saint Paul descendu du troisième ciel, déclarant qu’il est des paroles qu’il n’est point permis à l’homme de prononcer.

Llama de amor viva - Vive Flamme d’amour traduite par Marie du Saint-Sacrement

DECLARACIÔN DE LAS CANCIONES QUE TRATAN DE LA MUY êNTIMA Y CALIFICADA UNIÔN Y TRANSFORMACIÔN DEL ALMA EN DIOS, POR EL MISMO QUE LAS COMPUSO, A PETICIÔN DE DOÑA ANA DE PEÑALOSA.


PRÔLOGO


1. Alguna repugnancia he tenido, noble y devota señora, en declarar estas cuatro canciones que vuestra Merced me ha pedido, porque, por ser de cosas tan interiores y espirituales, para las cuales comùnmente falta lenguaje (porque lo espiritual excede al sentido) con dificultad se dice algo de la sustancia; porque también se habla mal de las entrañas de espîritu si no es con entrañable espîritu. Y, por el poco que hay en mî, lo he diferido hasta ahora que el Señor parece que ha abierto un poco la noticia y dado algùn calor; debe ser por el santo deseo que Vuestra Merced tiene, que quiz como se hicieron para Vuestra Merced querr Su Majestad que para Vuestra Merced se declaren. Me he animado, sabiendo cierto que de mi cosecha nada que haga al caso diré en nada, cunto mâs en cosas tan subidas y sustanciales. Por eso no ser mîo sino lo malo y errado que en ello hubiere; y por eso lo sujeto todo al mejor parecer y al juicio de nuestra Madre la Iglesia Catôlica Romana, con cuya regla nadie yerra. Y con este presupuesto, arrimndome a la Escritura divina, y como se lleve entendido que todo lo que se dijere es tanto menor de lo que allî hay, como lo es lo pintado que lo vivo, me atreveré a decir lo que supiere.


EXPLICATION DES STROPHES QUI TRAITENT DE LA TRÈS INTIME ET TRÈS HAUTE UNION DE L’ÂME AVEC DIEU ET DE SA TRANSFORMATION EN LUI, PAR LE P. JEAN DE LA CROIX, À LA DEMANDE DE D. ANNE DE PENALOSA. CES STROPHES ONT ÉTÉ COMPOSÉES DANS L’ORAISON PAR LE MÊME. L’ANNÉE 1584.

PROLOGUE

J’ai d’abord éprouvé quelque répugnance, très noble et très dévote Dame, à expliquer ces quatre Strophes, ainsi que vous m’en avez fait la demande. En matières si inté­rieures et si spirituelles, les paroles font ordinairement défaut, parce que les choses de l’esprit surpassent le sens et qu’on n’en peut guère parler selon ce qu’elles ont de substantiel que dans un intime élan de ferveur. Voyant si peu de cette ferveur en moi, j’ai différé jusqu’ici de vous satisfaire. En ce moment le Seigneur m’ouvre, ce me semble, quelque peu l’intelligence et communique quelque chaleur à mon âme. Je le dois sans doute au saint désir qui vous anime, et comme les Strophes ont été composées à votre intention, Notre-Seigneur veut probablement que l’expli­cation vous en soit due. j’ai donc pris courage, sachant fort bien d’ailleurs que de mon propre fonds je suis incapable de traiter comme il convient quelque sujet que ce soit, moins encore des matières si élevées et si substantielles. Ce qui s’y trouvera d’inexact et de défectueux devra donc m’être attribué. Aussi je soumets ce que je vais dire à tout meilleur avis, quel qu’il soit, et au jugement de la sainte Église romaine, notre Mère. Sous sa règle, en effet, l’erreur est impossible.

Ceci posé, et en prévenant le lecteur que je resterai toujours au-dessous de la réalité, parce qu’une peinture ne reproduit jamais que très imparfaitement l’original, je prendrai la hardiesse de parler, en m’appuyant toujours sur les divines Écritures.

2. Y no hay que maravillar que haga Dios tan altas y extrañas mercedes a las almas que él da en regalar; porque si consideramos que es Dios, y que se las hace como Dios, y con infinito amor y bondad, no nos parecer fuera de razôn; pues él dijo (Jn. 14, 23) que en el que le amase vendrîan el Padre, Hijo y Espîritu Santo, y harîan morada en él; lo cual habîa de ser haciéndole a El vivir y morar en el Padre, Hijo y Espîritu Santo en vida de Dios, como da a entender el alma en estas canciones.

3. Que, aunque en la canciones que arriba declaramos, hablamos del mâs perfecto grado de perfecciôn a que en esta vida se puede llegar, que es la transformaciôn en Dios, todavîa estas canciones tratan del amor ya mâs calificado y perfeccionado en ese mismo estado de transformaciôn. Porque, aunque es verdad que lo que éstas y aquéllas dicen todo es un estado de transformaciôn, y no se puede pasar de allî en cuanto tal, pero puede con el tiempo y ejercicio calificarse, como digo, y sustanciarse mucho mâs el amor; bien asî como, aunque, habiendo entrado el fuego en el madero, le tenga transformado en sî y est ya unido con él, todavîa, afervorndose mâs el fuego y dando mâs tiempo en él, se pone mucho mâs candente e inflamado hasta centellear fuego de sî y llamear.

4. Y en este encendido grado se ha de entender que habla el alma aquî, ya tan transformada y calificada interiormente en fuego de amor, que no sôlo est unida en este fuego, sino que hace ya viva llama en ella. Y ella asî lo siente y asî lo dice en estas canciones con ÔNtima y delicada dulzura de amor, ardiendo en su llama, encareciendo en estas canciones algunos efectos que hace en ella. Las cuales iré declarando por el orden que las dems: que las pondré primero juntas, y luego, poniendo cada canciôn, las declararé brevemente; y después, poniendo cada verso, lo declararé de por sî.

Rien d’étonnant d’ailleurs que Dieu accorde des grâces élevées, sublimes, extraordinaires, aux âmes qu’il lui plait de favoriser. Si nous songeons qu’il est Dieu, qu’en ceci il agit en Dieu, avec une bonté et un amour infinis, nous ne verrons rien là que de très raisonnable. N’a-t-il pas déclaré lui-même que si quelqu’un l’aimait, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint viendraient en lui et feraient en lui leur demeure1 ? Ce qui revient à dire qu’à celui-là il sera donné de demeurer et de vivre dans le Père, dans le Fils et dans l’Esprit-Saint, ce qui est précisément l’heureuse vie chantée par l’âme dans les Strophes dont il s’agit.

Dans celles que nous avons précédemment expliquées2, nous avons parlé du plus haut degré qui se peut atteindre en cette vie, à savoir la transformation en Dieu. Dans celles-ci il est question de l’amour le plus exquis et le plus achevé qui se rencontre dans ce même état de transfor­mation. À la vérité, il n’y a qu’un seul état de transfor­mation et l’on ne peut passer au-delà. Néanmoins, avec le temps et l’exercice, cet état peut s’épurer encore, et l’âme peut se transformer toujours davantage en l’Amour divin. Il en va de même pour le bois que le feu a transformé en soi et qui se trouve uni au feu. Plus le feu s’active, plus il agit sur le bois et plus celui-ci s’embrase, devient incan­descent, au point qu’on lui voit jeter des étincelles et des flammes.

C’est une fois parvenue à ce degré d’amour brûlant que cette âme nous parle. Elle est si hautement tranformée au feu d’amour, que non seulement ce feu ne fait qu’un avec elle, mais jette en elle de vives flammes. L’âme expérimente intérieurement qu’il en est ainsi dans une intime et très exquise suavité d’amour, et elle l’exprime dans son chant. Elle se sent consumée dans cette flamme et elle représente dans ces Strophes quelques-uns des effets opérés en elle.

Je suivrai en les exposant l’ordre que j’ai suivi dans l’explication des Strophes précédentes. Je les donnerai d’abord toutes ensemble, puis j’expliquerai brièvement chaque Strophe à part. Je ferai ensuite de même pour chaque vers en particulier.

1 Jn 14, 23.

2 Le Cantique Spirituel A, strophes 15-24, 27-28, 33-34 et CS B strophes 22-35. (Ed.)

CANCIÔN 1


Oh llama de amor viva,

que tiernamente hieres

de mi alma en el mâs profundo centro!

Pues ya no eres esquiva,

acaba ya, si quieres;

Árompe la tela de este dulce encuentro!


DECLARACIÔN


1. Sintiéndose ya el alma toda inflamada en la divina uniôn, y ya su paladar todo bañado en gloria y amor, y que hasta lo ÔNtimo de su sustancia est revertiendo no menos que rîos de gloria, abundando en deleites (Cant. 8, 5) sintiendo correr de su vientre los rîos de agua viva que dijo el Hijo de Dios (Jn. 7, 38) que saldrîan en semejantes almas, parécele que, pues con tanta fuerza est transformada en Dios y tan altamente de él poseîda, y con tan ricas riquezas de dones y virtudes arreada, que est tan cerca de la bienaventuranza, que no la divide sino una leve tela.

Y como ve que aquella llama delicada de amor, que en ella arde, cada vez que la est embistiendo, la est como glorificando con suave y fuerte gloria, tanto que, cada vez que la absorbe y embiste, le parece que le va a dar la vida eterna, y que va a romper la tela de la vida mortal, y que falta muy poco, y que por esto poco no acaba de ser glorificada esencialmente, dice con gran deseo a la llama, que es el Espîritu Santo, que rompa ya la vida mortal por aquel dulce encuentro, en que de veras la acabe de comunicar lo que cada vez parece que la va a dar cuando la encuentra, que es glorificarla entera y perfectamente. Y asî, dice:

STROPHE 1

Ô Flamme d’amour ! Vive Flamme !

Qui me blesse si tendrement

Au plus profond centre de l’âme !

Tu n’es plus amère à présent.

Achève donc, si tu le veux.

Romps enfin le tissu de cet assaut si doux !


EXPLICATION.

L’âme se sent toute enflammée dans la divine union, toute baignée de gloire et d’amour. Du plus intime de sa substance jaillissent de véritables fleuves de gloire et de délices, de son sein coulent les courants d’eau vive dont le Fils de Dieu a parlé1. Puissamment transformée en Dieu, hautement possédée par lui, enrichie de trésors de dons et de vertus, il lui semble être toute proche de la béatitude, au point de n’en être plus séparée que par un léger tissu.

Alors, cette exquise flamme d’amour qui brûle en son sein vient-elle à l’envelopper, cette âme se sent comme glorifiée et d’une glorification aussi suave que puissante. Chaque fois donc que cette flamme l’assaille et l’absorbe en soi, il lui semble qu’elle va la mettre en possession de la vie éternelle et briser le tissu de sa vie mortelle. Il lui semble qu’il ne s’en faut que d’un point, et que ce point seulement est ce qui la sépare de la glorification essentielle. Aussi, s’adressant avec d’ardents désirs à cette flamme, qui n’est autre que l’Esprit-Saint, elle la supplie de briser

1Jn 7, 38.

sa vie mortelle par son assaut plein de douceur, et d’achever ainsi de la mettre en possession de ce que chacun de ses assauts semble devoir lui conférer, à savoir la glorification entière et parfaite. Elle dit donc :


Oh llama de amor viva!


2. Para encarecer el alma el sentimiento y aprecio con que habla en estas cuatro canciones, pone en todas ellas estos términos: "Oh!" y "cun", que significan encarecimiento afectuoso; los cuales, cada vez que se dicen, dan a entender del interior mâs de lo que se dice por la lengua. Y sirve el "Oh!" para mucho desear y para mucho rogar persuadiendo, y para entrambos efectos usa el alma de él en esta canciôn, porque en ella encarece e intima el gran deseo, persuadiendo al amor que la desate.


3. Esta llama de amor es el espîritu de su Esposo, que es el Espîritu Santo, al cual siente ya el alma en sî, no sôlo como fuego que la tiene consumida y transformada en suave amor, sino como fuego que, dems de eso, arde en ella y echa llama, como dije; y aquella llama, cada vez que llamea, baña al alma en gloria y la refresca en temple de vida divina.


Y ésta es la operaciôn del Espîritu Santo en el alma transformada en amor, que los actos que hace interiores es llamear, que son inflamaciones de amor en que unida la voluntad del alma, ama subidîsimamente, hecha un amor con aquella llama. Y asî, estos actos de amor del alma son preciosîsimos, y merece mâs en uno y vale mâs que cuanto habîa hecho en toda su vida sin esta transformaciôn, por mâs que ello fuese. Y la diferencia que hay entre el hbito y el acto, hay entre la transformaciôn en amor y la llama de amor, que es la que hay entre el madero inflamado y la llama de él: que la llama es efecto del fuego que allî est.


L’âme, pour exprimer la chaleur de sentiment et d’estime qui la fait parler clans ces quatre Strophes, répète les inter­jections : « Oh » et « Combien ! » Amoureuses exclamations, qui, chaque fois qu’on les profère, donnent à entendre que le cœur sent beaucoup plus que la langue ne peut exprimer. L’interjection : Oh ! marque un vif désir et une persuasive instance. L’âme, dans la Strophe qui nous occupe, s’en sert en ces deux sens à la fois, car elle déclare à l’Amour son ardent désir d’être détachée de la chair mortelle, et elle cherche à lui persuader de l’en détacher en effet.

Cette flamme d’amour, nous l’avons dit, c’est l’Esprit de son Époux, c’est l’Esprit-Saint que l’âme sent en elle-même, non seulement comme un feu qui la consume et la transforme suavement en amour, mais comme un brasier qui jette des flammes. Or, toutes les fois que ce brasier lance des flammes, il inonde cette âme de gloire et en même temps la rafraîchit par un souffle de vie divine.

Telle est l’opération de l’Esprit-Saint dans l’âme parvenue à la transformation d’amour. Les actes qu’il produit en elle sont des jets de flamme et des embrasements d’amour. La volonté, en s’y unissant, aime d’une façon sublime, parce qu’elle ne fait plus qu’un par l’amour avec la flamme divine.

De pareils actes d’amour sont d’un prix inestimable, et l’âme mérite plus par un seul de ces actes que par tout ce qu’elle a fait le reste de sa vie, si excellent qu’il fût, en dehors de cette transformation. Il y a entre la transfor­mation d’amour et l’acte d’amour la différence qui distingue l’acte de l’habitus. Cette différence existe également entre le bois enflammé et la flamme qu’il projette : la flamme naît du feu qui brûle là.

4. De donde, el alma que est en estado de transformaciôn de amor, podemos decir que su ordinario hbito es como el madero que siempre est embestido en fuego; y los actos de esta alma son la llama que nace del fuego de amor, que tan vehemente sale cuanto es mâs intenso el fuego de la uniôn en la cual llama se unen y suben los actos de la voluntad arrebatada y absorta en la llama del Espîritu Santo, que es como el ngel que subiô a Dios en la llama del sacrificio de Manué (Jc. 13, 20).

Y asî, en este estado no puede el alma hacer actos, que el Espîritu Santo los hace todos y la mueve a ellos; y por eso, todos los actos de ella son divinos, pues es hecha y movida por Dios. De donde al alma le parece que cada vez que llamea esta llama, haciéndola amar con sabor y temple divino, la est dando vida eterna, pues la levanta a operaciôn de Dios en Dios.

5. Y éste es el lenguaje y palabras que trata Dios en las almas purgadas y limpias, todas encendidas como dijo David (Sal. 118, 140): Tu palabra es encendida vehementemente; y el profeta (Jr. 23, 29): Por ventura mis palabras no son como fuego?

Las cuales palabras, como él mismo dice por san Juan (6, 64) son espîritu y vida; la cual sienten las almas que tienen oîdos para oîrla, que, como digo, son las almas limpias y enamoradas; que los que no tienen el paladar sano, sino que gustan otras cosas, no pueden gustar el espîritu y vida de ellas, antes les hacen sinsabor.

On peut dire que l’âme en cet état de transformation d’amour, c’est l’âme dans l’habitus de cette transformation, de même que le bois enflammé, c’est le bois constamment pénétré par le feu. Quant aux actes de cette âme, ce sont les flammes qui naissent de l’embra­sement de l’amour, et celui-ci les projette avec d’autant plus de véhémence que le feu de l’union se trouve avoir atteint sa plus haute intensité. Alors les actes de la volonté, ravie et absorbée dans la flamme de l’Esprit-Saint, s’unissent à la flamme et s’élèvent avec elle. Tel l’ange qui s’éleva vers Dieu dans la flamme du sacrifice de Manué1.

En cet état, ce n’est pas l’âme, à proprement parler, qui produit des actes, c’est l’Esprit-Saint qui les produit en l’âme par sa motion divine. Il est donc vrai de dire que tous les actes de cette âme sont divins, puisque l’âme est mue et actuée de Dieu pour les produire.

Aussi chaque fois que le feu divin jette en elle des flammes, la faisant aimer dans un goût, dans un souffle tout divin, il semble à cette âme qu’on verse en elle l’éternelle vie. Et par le fait, chaque fois elle se trouve élevée à une opé­ration divine, exercée en Dieu même. C’est là le langage que Dieu parle, ce sont les paroles qu’il prononce, dans les âmes parfaitement purifiées. Ces paroles, selon l’expression de David, sont réellement enflammées. Votre parole, dit-il à Dieu, est puissamment enflammée2. Et par le prophète Jérémie Dieu pose cette question : Mes paroles ne sont-elles pas comme du feu3 ? Ces paroles, Jésus-Christ lui-même

1Judith, XIII, 20.

2 Ignitum efoquium tuum vehementer. (Ps. 118, 140.)

3 Numquid non verbe mea surit quasi ignis ? (Jeremie, 23, 29.)

nous le dit en saint Jean, sont esprit et vie1. Elles en font l’expérience, les âmes qui ont des oreilles pour entendre ces divines paroles ; mais ces âmes sont des âmes pures et embrasées d’amour. Quant à celles dont le palais est malade, celles qui goûtent autre chose, elles sont incapables de goûter l’esprit et la vie qui s’y trouvent.


Y por eso, cuanto mâs altas palabras decîa el Hijo de Dios, tanto mâs algunos se desabrîan por su impureza, como fue cuando predicô aquella sabrosa y amorosa doctrina de la Sagrada Eucaristîa, que muchos de ellos volvieron atrs (Jn. 6, 60-61, 67).


6. Y no porque los tales no gusten este lenguaje de Dios, que habla de dentro, han de pensar que no le gustan otros, como aquî se dice, como las gustô san Pedro (Jn. 6, 69) en el alma cuando dijo a Cristo: Dônde iremos, Señor, que tienes palabras de vida eterna? Y la Samaritana olvidô el agua y el cntaro por la dulzura de las palabras de Dios (Jn. 4, 28).


Y asî, estando esta alma tan cerca de Dios, que est transformada en llama de amor, en que se le comunica el Padre, Hijo y Espîritu Santo, qué increible cosa se dice que guste un rastro de vida eterna, aunque no perfectamente, porque no lo lleva la condiciôn de esta vida? Mas es tan subido el deleite que aquel llamear del Espîritu Santo hace en ella, que la hace saber a qué sabe la vida eterna.


C’est pour cela que plus les paroles du Fils de Dieu étaient sublimes, plus elles causaient de dépit à certains de ses auditeurs, à cause de l’impureté de leurs âmes. Témoin ce qui arriva lorsqu’il prêchait la savoureuse et très amoureuse doctrine de la sainte Eucharistie : beaucoup se retirèrent2.

Mais parce que ces cœurs mal disposés ne goûtent point ce langage de Dieu, qui est tout intérieur, il n’en faut pas conclure que d’autres ne le goûtent point. Nous lisons que saint Pierre le goûta dans son âme, puisqu’il dit à Jésus-Christ : Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle3. De son côté, la Samaritaine, ravie de la douceur des divines paroles, en oublia et son eau et sa cruche4.

L’âme dont nous parlons étant si proche de Dieu qu’elle est transformée en flamme d’amour et qu’elle reçoit les communications du Père, du Fils et du Saint-Esprit, est-il incroyable de dire qu’elle reçoit un avant-goût de la vie éternelle ? Avant-goût imparfait sans doute, puisque la condition de cette vie ne comporte pas davantage, niais néanmoins délectation sublime, puisque ce jet de flammes de l’Esprit-Saint en elle, lui donne la saveur de l’éternelle vie.


1 Jn 6, 64.

2 Jn 6, 60-61, 67.

3 Jn 6,69.

4 Jn 4, 28.



Que por eso llama a la llama "viva"; no porque no sea siempre viva, sino porque le hace tal efecto, que la hace vivir en Dios espiritualmente y sentir vida de Dios, al modo que dice David (Sal. 83, 3): Mi corazôn y mi carne se gozaron en Dios vivo. No porque sea menester decir que sea vivo, pues siempre lo est, sino para dar a entender que el espîritu y sentido vivamente gustaban a Dios, hechos en Dios, lo cual es gustar a Dios vivo, esto es, vida de Dios y vida eterna. Ni dijera David allî: "Dios vivo", sino porque vivamente le gustaba, aunque no perfectamente, sino como un viso de vida eterna. Y asî, en esta llama siente el alma tan vivamente a Dios, que le gusta con tanto sabor y suavidad, que dice: Oh llama de amor viva!



C’est pour cela qu’elle appelle « Vive Flamme » la flamme qui la consume, non que cette flamme ne soit toujours vive, mais c’est qu’elle fait vivre cette âme spirituellement en Dieu, qu’elle lui fait expérimenter ce qu’est la vie de Dieu. Mon cœur et ma chair, nous dit David, se sont réjouis dans le Dieu vivant1. Non qu’il soit besoin de nous apprendre que Dieu est vivant, puisque c’est une qualité qu’il ne perd jamais, mais le prophète veut nous faire comprendre que son esprit et ses sens goûtaient Dieu comme vie et se sentaient transformés en Dieu, car c’est là goûter le Dieu vivant, goûter la vie de Dieu, la vie éternelle. David n’emploierait pas non plus cette expression de « Dieu vivant », s’il ne goûtait Dieu dans une vive plénitude, bien qu’encore imparfaitement et selon une ébauche de l’éternelle vie.

Ainsi, dans cette flamme, l’âme goûte Dieu d’une manière si vive et avec tant de suavité, qu’elle s’écrie : « Oh ! Flamme d’amour ! Vive Flamme ! »


1 Ps 83, 3



Que tiernamente hieres.


7. Esto es: que con tu ardor tiernamente me tocas. Que, por cuanto esta llama es llama de vida divina, hiere al alma con ternura de vida de Dios; y tanto y tan entrañablemente la hiere y enternece, que la derrite en amor, porque se cumpla en ella lo que en la Esposa en los Cantares (5, 6), que se enterneciô tanto, que se derritiô, y asî dice ella allî: Luego que el Esposo hablô, se derritiô mi alma; porque el habla de Dios es el efecto que hace en el alma.

8. Mas cômo se puede decir que la hiere, pues en el alma no hay ya cosa por herir, estando ya el alma toda cauterizada con el fuego de amor? Es cosa maravillosa que, como el amor nunca est ocioso, sino en continuo movimiento, como la llama, est echando siempre llamaradas ac y all; y el amor, cuyo oficio es herir para enamorar y deleitar, como en la tal alma est en viva llama, estle arrojando sus heridas como llamaradas ternîsimas de delicado amor, ejercitando jocunda y festivalmente las artes y juegos del amor, como en el palacio de sus bodas, como Asuero con la esposa Ester (Est. 2, 17 ss.), mostrando allî sus gracias, descubriéndola sus riquezas y la gloria de su grandeza, porque se cumpla en esta alma lo que él dijo en los Proverbios (8, 30-31), diciendo: Deleitbame yo por todos los dîas, jugando delante de él todo el tiempo, jugando en la redondez de las tierras, y mis deleites estar con los hijos de los hombres, es a saber, dândoselos a ellos. Por lo cual estas heridas, que son sus juegos, son llamaradas de tiernos toques que al alma tocan por momentos de parte del fuego de amor, que no est ocioso. Los cuales, dice, acaecen y hieren,

Qui me blesse si tendrement

C’est-à-dire, toi dont l’ardeur me touche si tendrement. » Comme cette flamme est une flamme de vie divine, elle blesse l’âme avec la tendresse qui est propre à la vie de Dieu. Elle la blesse puissamment et l’attendrit profon­dément, au point de la liquéfier tout entière en amour. Alors se réalise en elle ce qu’expérimenta l’Épouse des Cantiques lorsqu’elle s’attendrit au point de se fondre. Dès que l’Époux eut parlé, dit-elle, mon âme s’est fondue2. C’est bien là l’effet que la parole de Dieu produit sur l’âme.

2 Ct 5, 6

Mais comment cette âme peut-elle dire que la flamme la blesse, alors qu’il n’y a plus rien en elle à blesser, puis­qu’elle est entièrement cautérisée par le feu d’amour

Chose merveilleuse ! L’amour ne reste jamais oisif, il est dans un mouvement continuel, comme la flamme qui lance continuellement ses jets de tous côtés, et d’autre part le propre de l’amour est de blesser, afin de faire naître l’amour et la délectation. L’âme dont il s’agit est déjà tout en flammes, et l’amour lui lance ses blessures comme des jets de nouvelles flammes, flammes exquises de l’amour le plus tendre. C’est ainsi que l’amour, en joie et en fête, se livre aux jeux et aux passes de l’amour, dans le palais même de l’amour et des noces spirituelles, ainsi qu’il est écrit d’Assuérus et d’Esther, son épouse1. L’amour en cet instant révèle tous ses charmes, il découvre toutes les richesses de ses trésors, afin que s’accomplisse en cette âme ce qui est dit dans les Proverbes : J’étais tous les jours dans les délices, me jouant sans cesse en sa présence, me jouant dans l’orbe de la terre, car mes délices sont d’être avec les enfants des hommes2, c’est-à-dire de leur communiquer mes délices.

Ces blessures, ou autrement ces jeux de l’amour sont des jets de flammes, et des touches pleines de tendresse qu’imprime sur l’âme, à certains moments, ce feu d’amour qui ne connaît pas l’oisiveté. Il est dit ici que ces jets de flammes atteignent et blessent


De mi alma en el mâs profundo centro.


9. Porque en la sustancia del alma, donde ni el centro del sentido ni el demonio puede llegar, pasa esta fiesta del Espîritu Santo; y, por tanto, tanto mâs segura, sustancial y deleitable, cuanto mâs interior ella es; porque cuanto mâs interior es, es mâs pura; y cuanto hay mâs de pureza, tanto mâs abundante y frecuente y generalmente se comunica Dios. Y asî, es tanto mâs el deleite y el gozar del alma y del espîritu porque es Dios el obrero de todo, sin que el alma haga de suyo nada. Que, por cuanto el alma no puede obrar de suyo nada si no es por el sentido corporal, ayudada de él, del cual en este caso est ella muy libre y muy lejos, su negocio es ya sôlo recibir de Dios, el cual solo puede en el fondo del alma, sin ayuda de los sentidos, hacer obra y mover al alma en ella. Y asî, todos los movimientos de la tal alma son divinos; y aunque son suyos, de ella lo son, porque los hace Dios en ella con ella, que da su voluntad y consentimiento. Y, porque decir hiere en el mâs profundo centro de su alma da a entender que tiene el alma otros centros no tan profundos, conviene advertir cômo sea esto.

Au plus profond centre de l’âme.


C’est au centre de l’âme6, là où le sens n’atteint point, là où le démon ne saurait pénétrer, qu’a lieu cette fête de l’Esprit-Saint, d’autant plus sûre, plus substantielle, plus délicieuse, qu’elle est plus intérieure. La raison en est que plus elle est intérieure et délicieuse, plus elle est pure, et plus grande est la pureté, plus abondante, plus fréquente

1 Est 2, 17ss.

2 Pr 8, 30-31

et plus universelle est la communication divine ; plus aussi grandissent la jouissance et la délectation de l’esprit, car ici c’est Dieu qui fait tout et l’âme n’opère rien d’elle­même. L’âme en effet ne peut agir que par l’entremise et avec le secours du sens ; or, elle est ici totalement affranchie du sens, bien éloignée du sens. Elle ne fait donc autre chose que recevoir de Dieu, c’est-à-dire de Celui qui peut agir dans le fond et dans l’intime de l’âme sans le secours des sens, Celui qui peut mouvoir l’âme au dedans d’elle-même.

De là vient que tous les mouvements de cette âme sont divins, et bien qu’ils soient de Dieu, ils sont aussi de l’âme, car Dieu opère en elle avec elle, puisqu’elle y donne sa volonté et son consentement.

En disant que la flamme blesse son centre le plus profond, l’âme donne à entendre qu’elle a d’autres centres moins profonds. Il convient d’entrer ici en quelques explications.



10. Y, cuanto a lo primero, es de saber que el alma, en cuanto espîritu, no tiene alto ni bajo, ni mâs profundo, ni menos profundo en su ser, como tienen los cuerpos cuantitativos; que, pues en ella no hay partes, no tiene mâs diferencia dentro que fuera, que toda ella es de una manera y no tiene centro de hondo y menos hondo cuantitativo; porque no puede estar en una parte mâs ilustrada que en otra, como los cuerpos fîsicos, sino toda en una manera, en mâs o en menos, como el aire que todo est de una manera ilustrado y no ilustrado en mâs o en menos.


11. En las cosas, aquello llamamos centro mâs profundo que es a lo que mâs puede llegar su ser y virtud y la fuerza de su operaciôn y movimiento, y no puede pasar de allî; asî como el fuego o la piedra que tiene virtud y movimiento natural y fuerza para llegar al centro de su esfera, y no pueden pasar de allî ni dejar de llegar ni estar allî, si no es por algùn impedimento contrario y violento. Segùn esto, diremos que la piedra, cuando en alguna manera est dentro de la tierra, aunque no sea en lo mâs profundo de ella, est en su centro en alguna manera, porque est dentro de la esfera de su centro y actividad y movimiento; pero no diremos que est en el mâs profundo de ella, que es el medio de la tierra; y asî siempre le queda virtud y fuerza e inclinaciôn para bajar y llegar hasta este mâs ùltimo y profundo centro, si se le quita el impedimento de delante; y, cuando llegare y no tuviere de suyo mâs virtud e inclinaciôn para mâs movimiento, diremos que est en el mâs profundo centro suyo.

Il faut savoir en premier lieu que l’âme, en tant que pur esprit, n’a en son être ni haut, ni bas, ni profondeur plus ou moins grande, comme les corps susceptibles d’éva­luation. N’ayant pas en elle de parties, n’ayant ni dehors, ni dedans, puisqu’elle est une, elle ne peut avoir de centre plus ou moins profond. Elle ne peut être plus illuminée en une partie qu’en une autre, comme le sont les corps physiques. Elle l’est plus ou moins, mais uniformément, de même que l’air est uniformément éclairé, en un degré supérieur ou en un degré moindre.

Dans les choses terrestres, nous appelons centre le plus profond, le dernier degré auquel peut atteindre un être, ou auquel peut s’étendre sa capacité, la force de son opé­ration et de son mouvement, le degré qui ne saurait être dépassé. Le feu et la pierre, par exemple, ont une activité, un mouvement naturels, une force qui les porte vers le centre de leur sphère, centre qu’ils ne peuvent dépasser et auquel ils atteignent nécessairement si un obstacle ne vient pas s’y opposer. Nous dirons donc que la pierre enfoncée dans le sol, sans être au plus profond de la terre, est en quelque manière dans son centre, parce qu’elle est dans la sphère de son activité et de son mouvement. Cependant nous ne pouvons pas dire qu’elle est dans son centre le plus profond, lequel n’est autre que le centre de la Terre. Il lui reste donc toujours activité, force et inclination pour descendre davantage et atteindre ce dernier centre, ce centre le plus profond, qu’elle atteindra effectivement si l’on fait disparaître l’obstacle qui la retient. Lorsqu’elle l’aura atteint et qu’il ne lui restera plus ni activité ni inclination à se mouvoir, nous dirons qu’elle est dans son centre le plus profond.


12. El centro del alma es Dios, al cual cuando ella hubiere llegado segùn toda la capacidad de su ser y segùn la fuerza de su operaciôn e inclinaciôn, habr llegado al ùltimo y mâs profundo centro suyo en Dios, que ser cuando con todas sus fuerzas entienda, ame y goce a Dios. Y cuando no ha llegado a tanto como esto, cual acaece en esta vida mortal, en que no puede el alma llegar a Dios segùn todas sus fuerzas, aunque esté en este su centro, que es Dios, por gracia y por la comunicaciôn suya que con ella tiene, por cuanto todavîa tiene movimiento y fuerza para ms, no est satisfecha, aunque esté en el centro, no empero en el mâs profundo, pues puede ir al mâs profundo en Dios.


13. Es, pues, de notar que el amor es la inclinaciôn del alma y la fuerza y virtud que tiene para ir a Dios, porque mediante el amor se une el alma con Dios; y asî, cuantos mâs grados de amor tuviere, tanto mâs profundamente entra en Dios y se concentra con él. De donde podemos decir que cuantos grados de amor de Dios el alma puede tener, tantos centros puede tener en Dios, uno mâs adentro que otro; porque el amor mâs fuerte es mâs unitivo, y de esta manera podemos entender las muchas mansiones que dijo el Hijo de Dios (Jn. 14, 2) haber en la casa de su Padre.

Le centre de l’âme, c’est Dieu. Une fois qu’elle l’a atteint selon toute la capacité de son être, selon toute la force de son opération ET INCLINATION, le dernier et le plus profond centre de l’âme sera atteint, alors de toutes ses forces elle aimera, connaîtra Dieu et jouira de lui. Tant qu’elle n’en sera pas arrivée là — ET C’EST LE PROPRE DE CETTE VIE MORTELLE, Où L’ÂME NE PEUT ATTEINDRE DIEU SELON TOUTE SA CAPACITÉ. — elle aura beau être en Dieu, son centre, par la grâce et la communication qu’il lui fait de lui-même, il y a en elle un mouvement vers quelque chose de plus, des forces pour atteindre quelque chose de plus, en sorte qu’elle n’est pas satisfaite. Elle est bien dans son centre, mais non dans son centre le plus profond, puisqu’elle peut aller plus loin EN DIEU.

IL EST A REMARQUER EN EFFET QUE L’AMOUR EST L’INCLI­NATION, LA FORCE, LA CAPACITÉ QUE L’ÂME POSSÈDE EN ELLE-MÊME POUR ALLER A DIEU, PUISQUE C’EST PAR LE MOYEN DE L’AMOUR QUE L’ÂME S’UNIT A DIEU. Plus donc l’âme a de degrés d’amour, plus elle entre profondément en Dieu, plus elle se concentre en lui. Par suite, nous pouvons dire que plus l’âme atteint de degrés d’amour

plus elle atteint de centres en Dieu, tous plus profonds
les uns que les autres, CAR PLUS L’AMOUR EST FORT, PLUS IL EST UNITIF. Aussi NOUS POUVONS ENTENDRE EN CE

SENS les nombreuses demeures que le Fils de Dieu nous déclare se trouver dans la maison de son Père7.

Jn 14, 2


De manera que para que el alma esté en su centro, que es Dios, segùn lo que habemos dicho, basta que tenga un grado de amor, porque por uno solo se une con él por gracia. Si tuviere dos grados, habr unîdose y concentrdose con Dios otro centro mâs adentro; y si llegare a tres, concentrarse ha como tres; y si llegare hasta el ùltimo grado, llegar a herir el amor de Dios hasta el ùltimo centro y mâs profundo del alma, que ser transformarla y esclarecerla segùn todo el ser y potencia y virtud de ella, segùn es capaz de recibir, hasta ponerla que parezca Dios. Bien asî como cuando el cristal limpio y puro es embestido de la luz, cuantos mâs grados de luz va recibiendo, tanto mâs de luz en él se va reconcentrando, y tanto mâs se va él esclareciendo; y puede llegar a tanto por la copiosidad de luz que recibe, que venga él a parecer todo luz, y no se divise entre la luz, estando él esclarecido en ella todo lo que puede recibir de ella, que es venir a parecer como ella.


14. Y asî, en decir el alma aquî que la llama de amor hiere en su mâs profundo centro, es decir que, cuanto alcanza la sustancia, virtud y fuerza del alma, la hiere y embiste el Espîritu Santo. Lo cual dice, no porque quiera dar a entender aquî que sea ésta tan sustancial y enteramente como la beatîfica vista de Dios en la otra vida, porque, aunque el alma llegue en esta vida mortal a tan alto estado de perfecciôn como aquî va hablando, no llega ni puede llegar a estado perfecto de gloria, aunque por ventura por vîa de paso acaezca hacerle Dios alguna merced semejante; pero dîcelo para dar a entender la copiosidad y abundancia de deleite y gloria que en esta manera de comunicaciôn en el Espîritu Santo siente. El cual deleite es tanto mayor y mâs tierno, cuanto mâs fuerte y sustancialmente est transformada y reconcentrada en Dios;

En résumé, pour qu’une âme se trouve en son centre qui est Dieu, il suffit, NOUS L’AVONS DIT, qu’elle ait un degré d’amour, parce qu’un degré d’amour suffit pour qu’une âme soit en Dieu par la grâce. Si elle a deux degrés d’amour, elle sera concentrée en Dieu selon un autre centre plus intérieur. Si elle atteint trois degrés, elle péné­trera en Dieu trois fois davantage. Si elle atteint le dernier degré, l’amour de Dieu blessera cette âme en son centre le plus profond. En d’autres termes il la transformera et l’illuminera en tout son être, selon toute sa capacité et toute sa puissance, jusqu’à ce qu’elle en uienne à paraître Dieu même.

Voyez le cristal pur et limpide. Plus il reçoit de degrés de lumière, plus la lumière se concentre en lui et plus il resplendit. Et la lumière peut en venir à se concentrer si abondamment en lui, qu’il en vienne à paraître entièrement lumière, à ne plus se distinguer de la lumière. Lorsqu’il en a reçu autant qu’il est capable d’en recevoir, il devient tout semblable à la lumière.

En disant que la flamme la blesse en « son centre le plus profond », l’âme déclare donc que l’Esprit-Saint la blesse selon toute l’étendue de sa substance, de sa force et de
sa capacité. NON QU’ELLE VEUILLE DONNER A ENTENDRE QUE CETTE OPÉRATION SOIT SUBSTANTIELLEMENT CELLE QUI A LIEU DANS LA VISION BÉATIFIQUE DE DIEU EN L’AUTRE Vie. UNE ÂME A BEAU ATTEINDRE EN CETTE VIE : MORTELLE UN ÉTAT AUSSI ÉLEVÉ QUE CELUI DONT NOUS PARLONS, ELLE N’ATTEINT NI NE PEUT ATTEINDRE L’ÉTAT PARFAIT DE LA GLOIRE, BIEN QU’IL SOIT VRAI DE DIRE QUE DIEU PEUT LUI ACCORDER, COMME EN PASSANT, UNE FAVEUR QUI S’EN RAPPROCHE. Mais elle parle ainsi pour donner à entendre l’extraordinaire abondance de délices et de gloire qu’elle expérimente en cette communication de l’Esprit-Saint. Ces délices sont d’autant plus abondantes et plus exquises, que l’âme est plus puissamment et plus substantiellement transformée et concentrée en Dieu.


que, por ser tanto como lo mâs a que en esta vida se puede llegar (aunque, como decimos, no tan perfecto como en la otra), lo llama el mâs profundo centro. Aunque, por ventura, el hbito de la caridad puede el alma tener en esta vida tan perfecto como en la otra, mas no la operaciôn ni el fruto; aunque el fruto y la operaciôn de amor crecen tanto de punto en este estado, que es muy semejante al de la otra; tanto que, pareciéndole al alma ser asî, osa decir lo que solamente se osa decir de la otra, es a saber: "en el mâs profundo centro de mi alma".


15. Y porque las cosas raras y de que hay poca experiencia son mâs maravillosas y menos creîbles, cual es lo que vamos diciendo del alma en este estado, no dudo sino que algunas personas, no lo entendiendo por ciencia ni sabiéndolo por experiencia, o no lo creern, o lo tendrn por demasîa, o pensarn que no es tanto como ello es en sî.

CECI ÉTANT CE QUI SE PEUT ATTEINDRE DE PLUS ÉLEVÉ EN CETTE VIE, — SANS ÊTRE, RÉPÉTONS-LE, AUSSI PARFAIT QU’EN L’AUTRE, — L’ÂME L’APPELLE LE CENTRE LE PLUS PROFOND. PEUT-ETRE CEPENDANT, L’ÂME PEUT AVOIR L’HABITUS DE LA CHARITÉ AUSSI PARFAIT QUE DANS L’AUTRE VIE, MAIS NON L’OPÉRATION ET LE FRUIT DE LA CHARITÉ, BIEN QU’IL SOIT VRAI DE DIRE QUE LE FRUIT ET L’OPÉRATION DE L’AMOUR CROISSENT À TEL POINT EN CET ÉTAT, QU’IL Y A GRANDE RESSEMBLANCE AVEC CE QU’ILS SONT DANS L’AUTRE VIE. L’ÂME, EN AYANT LE SENTIMENT, S’ENHARDIT DONC A PRONONCER CE QUE L’ON N’OSE AVANCER QUE DE L’AUTRE VIE, ET ELLE DIT MON CENTRE LE PLUS PROFOND.

ET COMME LES CHOSES RARES ET DONT L’EXPÉRIENCE NE SE RENCONTRE GUÈRE PARAISSENT EXTRAORDINAIRES ET PEU CROYABLES, COMME SONT CELLES QUE NOUS DISONS DE L’ÂME ARRIVÉE JUSQU’ICI, JE NE M’ÉTONNERAIS PAS SI CERTAINES PERSONNES QUI NE LES SAVENT POINT DE SCIENCE ACQUISE ET N’EN ONT PAS NON PLUS LA CONNAIS­SANCE EXPÉRIMENTALE. N’Y DONNENT POINT CRÉANCE OU LES TAXENT D’EXAGÉRATION EXCESSIVE, OU, TOUT AU MOINS, SE DISENT QU’IL FAUT EN RABATTRE.


Pero a todos estos yo respondo, que el Padre de las lumbres (Sant. 1, 17), cuya mano no es abreviada (Is. 59, 1) y con abundancia se difunde sin aceptaciôn de personas do quiera que halla lugar, como el rayo del sol, mostrndose también él a ellos en los caminos y vîas alegremente, no duda ni tiene en poco tener sus deleites con los hijos de los hombres de mancomùn en la redondez de las tierras (Pv. 8, 31). Y no es de tener por increîble que a un alma ya examinada, purgada y probada en el fuego de tribulaciones y trabajos y variedad de tentaciones, y hallada fiel en el amor, deje de cumplirse en esta fiel alma en esta vida lo que el Hijo de Dios prometiô (Jn. 14, 23), conviene a saber: que si alguno le amase, vendrîa la Santîsima Trinidad en él y morarîa de asiento en él; lo cual es ilustrndole el entendimiento divinamente en la sabidurîa del Hijo, y deleitândole la voluntad en el Espîritu Santo, y absorbiéndola el Padre poderosa y fuertemente en el abrazo abismal de su dulzura.

À TOUTES CES PERSONNES, JE RÉPONDS CECI : LE PÈRE DES LUMIÈRES8, DONT LA MAIN N’EST POINT RACCOURCIE ET QUI SE VERSE ABONDAMMENT, SANS ACCEPTION DE PERSONNES, PARTOUT IL TROUVE UN LIEU FAVORABLE, — TEL LE RAYON DE SOLEIL QUI SE MONTRE JOYEUSEMENT PAR LES VOIES ET LES CHEMINS, — LE PÈRE DES LUMIÈRES, DIS-JE, NE SE REFUSE POINT ET MÊME TROUVE PLAISIR À PRENDRE SES DÉLICES AVEC LES ENFANTS DES HOMMES RÉPANDUS SUR LE GLOBE DE LA TERRE9. IL NE FAUT DONC POINT REGARDER COMME INCROYABLE QUE, RENCONTRANT UNE ÂME EXAMINÉE, ÉPROUVÉE, PURIFIÉE PAR LE FEU DES TRIBULATIONS ET DES PEINES, AINSI QUE PAR DE MUL­TIPLES TENTATIONS, UNE ÂME RECONNUE FIDÈLE DANS L’AMOUR, IL RÉALISE DÈS CETTE VIE EN CETTE ÂME FIDÈLE CE QUE LE FILS DE DIEU NOUS A PROMIS : À SAVOIR QUE SI QUELQU’UN L’AIME, LA TRÈS SAINTE TRINITÉ VIENDRA EN LUI ET Y FIXERA SA DEMEURE10. CE QUI REVIENT A DIRE QU’ELLE ILLUMINERA DIVINEMENT SON ENTENDEMENT DE LA SAGESSE DU FILS, QU’ELLE COMBLERA DE DÉLICES SA VOLONTÉ DANS L’ESPRIT-SAINT, QU’ENFIN LE PÈRE L’ABSOR­BERA PUISSAMMENT DANS SON ÉTROIT EMBRASSEMENT ET DANS L’ABÎME DE SA DOUCEUR.


16. Y si esto usa con algunas almas, como es verdad que lo usa, de creer es de que ésta de que vamos hablando no se quedar atrs en estas mercedes de Dios; pues que lo que de ella vamos diciendo, segùn la operaciôn del Espîritu Santo que en ella hace, es mucho mâs que lo que en la comunicaciôn y transformaciôn de amor pasa; porque lo uno es como ascua encendida, y lo otro, segùn habemos dicho, como ascua en que tanto se afervora el fuego, que no solamente est encendida, sino echando llama viva. Y asî, estas dos maneras de uniôn -solamente de amor, y uniôn con inflamaciôn de amor- son en cierta manera comparadas al fuego de Dios, que dice Isaîas (31, 9) que est en Siôn, y al horno de Dios que est en Jerusalén; que la una significa la Iglesia militante, en que est el fuego de la caridad no en extremo encendido, y la otra significa visiôn de paz, que es la triunfante, donde este fuego est como horno encendido en perfecciôn de amor. Que, aunque, como habemos dicho, esta alma no ha llegado a tanta perfecciôn como ésta, todavîa en comparaciôn de la otra uniôn comùn, es como horno encendido, con visiôn tanto mâs pacîfica y gloriosa y tierna, cuanto la llama es mâs clara y resplandeciente que el fuego en el carbôn.

ET SI DIEU EN USE AINSI AVEC QUELQUES ÂMES, COMME TRÈS VÉRITABLEMENT IL LE FAIT, ON DOIT CROIRE QUE CELLE DONT NOUS PARLONS NE SERA PAS PRIVÉE DE CES DIVINES PRÉROGATIVES, PUISQUE NOUS DISONS QUE L’OPÉ­RATION DE L’ESPRIT-SAINT EN ELLE DÉPASSE DE BEAUCOUP CE QUI A LIEU DANS L’ORDINAIRE COMMUNICATION AMOU­REUSE ET DANS L’ORDINAIRE TRANSFORMATION D’AMOUR. EN EFFET, CE QUI A LIEU DANS L’ORDINAIRE COMMUNI­CATION ET TRANSFORMATION PEUT SE COMPARER A LA BRAISE ENFLAMMÉE. ET CE QUE NOUS DÉCRIVONS À PRÉSENT DOIT S’ASSIMILER A LA BRAISE QUI SE TROUVE AU MILIEU D’UN FEU SI VIOLENT, QUE NON SEULEMENT ELLE EST ENFLAMMÉE, MAIS QU’ELLE EST DEVENUE UNE FLAMME DE FEU.

AINSI, LA SIMPLE UNION D’AMOUR ET CELLE D’AMOUR ENFLAMMÉ PEUVENT EN QUELQUE FAÇON SE COMPARER, LA PREMIÈRE AU FEU DU SEIGNEUR11, NON EMBRASÉ A L’EXCÈS, dont Isaïe nous dit qu’il se trouve dans Sion12, laquelle figure l’Église militante ; la seconde à ce fourneau de Dieu qui était à Jérusalem, laquelle signifie vision de paix13 et représente l’Église triomphante, où LE FEU EST EMBRASÉ A L’EXCÈS, OU AMOUR PARFAIT14.

BIEN QUE, REDISONS-LE ENCORE, L’ÂME ICI N’AIT PAS ATTEINT LA PERFECTION D’AMOUR QUI EST CELLE DE L’AUTRE VIE, CEPENDANT, EN COMPARAISON DE L’UNION ORDINAIRE, SON AMOUR EST UN FOURNEAU15 VIOLEMMENT EMBRASÉ, donnant lieu à une vision d’autant plus






17. Por tanto, sintiendo el alma que esta viva llama del amor vivamente le est comunicando todos los bienes, porque este divino amor todo lo trae consigo, dice: Oh llama de amor viva, que tiernamente hieres!, y es como si dijera: Oh encendido amor, que con tus amorosos movimientos regaladamente ests glorificndome segùn la mayor capacidad y fuerza de mi alma, es a saber: dândome inteligencia divina segùn toda la habilidad y capacidad de mi entendimiento, y comunicndome el amor segùn la mayor fuerza de mi voluntad, y deleitândome en la sustancia del alma con el torrente de tu deleite (Sal. 35, 9) en tu divino contacto y junta sustancial segùn la mayor pureza de mi sustancia y capacidad y anchura de mi memoria! Y esto acaece asî, y mâs de lo que se puede y alcanza a decir, al tiempo que se levanta en el alma esta llama de amor.


Que por cuanto el alma, segùn su sustancia y potencias, memoria, entendimiento y voluntad, est bien purgada, la sustancia divina, que, como dice el Sabio (Sab. 7, 24), toca en todas las partes por su limpieza, profunda y sutil y subidamente con su divina llama la absorbe en sî, y en aquel absorbimiento del alma en la sabidurîa, el Espîritu Santo, ejercita los vibramientos gloriosos de su llama, que, por ser tan suave, dice el alma luego:

paci­fique, plus glorieuse et plus exquise, que la flamme de ce fourneau est plus embrasée que ne l’est le feu ordinaire.




L’âme donc, sentant que cette vive flamme d’amour lui communique une plénitude de biens — et par le fait ce divin amour apporte avec lui tous les biens, — elle s’écrie : Oh ! flamme d’amour ! Vive flamme ! Toi qui blesses si tendrement ! » Comme si elle disait : Oh ! amour embrasé ! qui me glorifies délicieusement par tes touches amoureuses, selon toute ma capacité et toute la force dont je suis capable ! Tu me donnes une intelligence divine selon toute la capacité de mon entendement ; tu me commu­niques l’amour selon la toute-puissance de ma volonté ; tu combles d’un torrent de délices l’essence de mon âme par ton divin contact et ton union substantielle, selon la suprême pureté de mon être et selon toute l’étendue de ma mémoire !

C’est là ce qui se produit — sans parler de tout ce qui ne peut s’exprimer — au moment où cette flamme d’amour jaillit dans une âme. Cette âme est selon son essence et selon ses puissances, mémoire, entendement et volonté, parfaitement purifiée. Aussi la Sagesse divine qui, selon l’expression de l’écrivain sacré, atteint partout â cause de sa pureté16, l’absorbe en soi d’une manière aussi profonde que subtile et sublime, par l’opération de sa divine flamme.

Dans cette absorption de l’âme en la Sagesse, l’Esprit Saint imprime à la flamme des vibrations glorieuses d’une suavité telle, que l’âme ajoute aussitôt :


Pues ya no eres esquiva.


18. Es a saber, pues ya no afliges, ni aprietas, ni fatigas como antes hacîas; porque conviene saber que esta llama de Dios, cuando el alma estaba en estado de purgaciôn espiritual, que es cuando va entrando en contemplaciôn, no le era tan amigable y suave como ahora lo es en este estado de uniôn. Y el declarar cômo esto sea nos habemos de detener algùn tanto.


19. En lo cual es de saber que, antes que este divino fuego de amor se introduzca y una en la sustancia del alma por acabada y perfecta purgaciôn y pureza, esta llama, que es el Espîritu Santo, est hiriendo en el alma, gastândole y consumiéndole las imperfecciones de sus malos hbitos; y ésta es la operaciôn del Espîritu Santo, en la cual la dispone para la divina uniôn y transformaciôn y amor en Dios.


Porque es de saber que el mismo fuego de amor que después se une con el alma glorificndola, es el que antes la embiste purgndola; bien asî como el mismo fuego que entra en el madero es el que primero le est embistiendo e hiriendo con su llama, enjugndole y desnudândole de sus feos accidentes, hasta disponerle con su calor, tanto que pueda entrar en él y transformarle en sî. Y esto llaman los espirituales vîa purgativa.




Tu n’es plus amère à présent.


Ce qui revient à dire : tu ne m’affliges plus maintenant, tu ne produis plus en moi la souffrance et l’angoisse, comme tu le faisais autrefois. En effet, quand l’âme se trouvait dans l’état de purgation spirituelle qui marque l’entrée à la contemplation, cette flamme divine ne lui était ni bienveillante ni suave, comme dans l’état présent d’union. Ceci demande quelque explication et nous nous y arrê­terons un moment.


Remarquons-le, avant que cette divine flamme d’amour s’introduise dans la substance de l’âme, avant qu’elle s’unisse à elle dans une parfaite purgation, dans un état de pureté entièrement achevée, cette même flamme, qui n’est autre que l’Esprit-Saint lui-même, frappe des coups sur cette âme, afin de détruire et de consumer ses imper­fections et ses mauvaises habitudes. Telle est l’opération par laquelle l’Esprit-Saint la dispose à la divine union et à la transformation substantielle en Dieu par amour.


Ce feu d’amour, qui dans la suite s’unit à l’âme en la glorifiant, est le même qui l’assaille d’abord en la purifiant. Prenons la comparaison du bois. Le feu qui va le pénétrer est celui qui l’attaque d’abord et l’enveloppe de sa flamme. pour le dessécher et le dépouiller de ses accidents fâcheux. Lorsqu’il l’aura disposé par sa chaleur, il pourra pénétrer en lui et le transformer en soi. LES PERSONNES SPIRI­TUELLES DONNENT A CECI LE NOM DE VIE PURGATIVE.


En el cual ejercicio el alma padece mucho detrimento, y siente graves penas en el espîritu, que de ordinario redundan en el sentido, siéndole esta llama muy esquiva. Porque en esta disposiciôn de purgaciôn no le es esta llama clara, sino oscura, que, si alguna luz le da, es para ver sôlo y sentir sus miserias y defectos; ni le es suave, sino penosa, porque, aunque algunas veces le pega calor de amor, es con tormento y aprieto; y no le es deleitable, sino seca, porque, aunque alguna vez por su benignidad le da algùn gusto para esforzarla y animarla, antes y después que acaece, lo lasta y paga todo con otro tanto trabajo; ni le es reficionadora y pacîfica, sino consumidora y argŸidora, haciéndola desfallecer y penar en el conocimiento propio; y asî, no le es gloriosa, porque antes la pone miserable y amarga en luz espiritual que le da de propio conocimiento, enviando Dios fuego, como dice Jeremîas (Lm. 1, 13), en sus huesos, y enseôndola, y como también dice David (Sal. 16, 3), examinndola en fuego.


20. Y asî, en esta sazôn padece el alma acerca del entendimiento grandes tinieblas, acerca de la voluntad grandes sequedades y aprietos, y en la memoria grave noticia de sus miserias, por cuanto el ojo espiritual est muy claro en el conocimiento propio. Y en la sustancia del alma padece desamparo y suma pobreza, seca y frîa y a veces caliente, no hallando en nada alivio, ni un pensamiento que la consuele, ni aun poder levantar el corazôn a Dios, habiéndosele puesto esta llama tan esquiva, como dice Job (30, 21) que en este ejercicio hizo Dios con él, diciendo: Muddoteme has en cruel. Porque, cuando estas cosas juntas padece el alma, verdaderamente le parece que Dios se ha hecho cruel contra ella y desabrido.

Sous l’emprise de cette opération, l’âme souffre à l’extrême, elle endure dans l’esprit des peines violentes, qui, d’ordi­naire, ont leur répercussion dans le sens. Cette flamme lui est singulièrement pénible, parce qu’en cet état de purgation, au lieu de l’éclairer, elle la met dans l’obscurité, au lieu de lui être douce, elle lui est amère. Si parfois elle lui com­munique quelque chaleur d’amour, cette chaleur est accompagnée d’angoisse et de tourment. Au lieu de lui être délectable, elle lui apporte de la sécheresse ; au lieu de la fortifier et de la pacifier, elle la consume et l’accuse ; au lieu de la glorifier, sous l’influence d’une lumière spiri­tuelle qui lui donne la connaissance d’elle-même, elle la plonge dans la misère et l’amertume.

Alors, selon l’expression de Jérémie, Dieu lui envoie un feu dans les os, afin de l’instruire17. Et, comme parle David, il l’examine par le feu18.

L’âme dans ce temps-là, endure de profondes ténèbres dans son entendement, des séche­resses amères et des angoisses violentes dans sa volonté, une très pénible connaissance de ses misères dans sa mémoire, parce que son œil spirituel est grand ouvert pour se connaître. Dans son essence l’âme souffre un pro­fond délaissement et une extrême indigence. D’ordinaire elle se sent sèche et froide, parfois brûlante ; elle ne trouve de soulagement nulle part. Aucune pensée consolante ne s’offre à elle. Elle est impuissante à élever même son cœur vers Dieu.

C’est à ce point que la divine flamme est amère à cette âme. Job en proie à la même épreuve disait à Dieu : Vous m’êtes devenu cruel19. Oui, en vérité, quand l’âme souffre toutes ces peines à la fois, IL LUI SEMBLE QUE DIEU SE MONTRE A SON ÉGARD CRUEL ET IRRITÉ.

21. No se puede encarecer lo que el alma padece en este tiempo, es a saber, muy poco menos que en el purgatorio. Y no sabrîa yo ahora dar a entender esta esquivez cunta sea ni hasta dônde llega lo que en ella se pasa y siente, sino con lo que a este propôsito dice Jeremîas (Lm. 3, 1-9) con estas palabras: Yo varôn que veo mi pobreza en la vara de su indignaciôn; hame amenazado y trjome a las tinieblas y no a la luz: tanto ha vuelto y convertido su mano contra mî. Hizo envejecer mi piel y mi carne y desmenuzô mis huesos; cercôme en rededor, y rodeôme de hiel y trabajo; en tenebrosidades me colocô como muertos sempiternos; edificô en derredor de mî, y porque no salga; agravôme las prisiones; y, dems de esto, cuando hubiere dado voces y rogado, ha excluido mi oraciôn; cerrôme mis caminos con piedras cuadradas, y trastornô mis pisadas y mis sendas. Todo esto dice Jeremîas, y va allî diciendo mucho ms. Que, por cuanto en esta manera est Dios medicinando y curando al alma en sus muchas enfermedades para darle salud, por fuerza ha de penar segùn su dolencia en la tal purga y cura, porque aquî le pone Tobîas el corazôn sobre las brasas, para que en él se extrique y desenvuelva todo género de demonio (Tb. 6, 8), y asî, aquî van saliendo a luz todas sus enfermedades, poniéndoselas en cura, y delante de sus ojos a sentir.


22. Y las flaquezas y miserias que antes el alma tenîa asentadas y encubiertas en sî, las cuales antes no veîa ni sentîa, ya con la luz y calor del fuego divino las ve y las siente; asî como la humedad que habîa en el madero no se conocîa hasta que dio en él el fuego y le hizo sudar, humear y respendar, y asî hace el alma imperfecta cerca de esta llama.

Il est impossible de représenter ce qu’elle endure alors. Par moments, ses peines sont peu inférieures à celles du purgatoire. Je ne saurais mieux dépeindre l’amertume à laquelle cette âme est en proie et l’extrémité de ses tourments, qu’en citant les paroles de Jérémie sur le même sujet :

Je suis un homme qui voit sa pauvreté sous la verge de l’indignation du Seigneur. Il m’a conduit et amené dans les ténèbres, et non dans la lumière. Il n’a fait que tourner et retourner sa main contre moi tout le jour. Il a fait vieillir ma peau et ma chair ; il a brisé mes os. Il a bâti un mur tout autour de moi ; il m’a environné de fiel et de douleur. Il m’a placé dans les ténèbres, comme les morts éternels. Il a construit autour de moi, afin de me fermer toute issue ; il a appesanti mes fers. Quand je pousserai vers lui mes cris et mes supplications, il a d’avance rejeté mes prières. Il a fermé mes voies avec des pierres carrées, il a défoncé mes sentiers20. À quoi Jérémie ajoute bien d’autres plaintes encore. Comme c’est alors Dieu même qui soumet l’âme à une cure souve­rainement douloureuse, afin de la guérir de ses nombreuses infirmités, elle doit nécessairement souffrir ce que comporte la gravité de son mal et la rigueur du traitement. Ici On place le cœur sur les brasiers, afin d’en expulser tous les genres de démons21. Ici toutes les maladies de l’âme sont mises en pleine lumière. Sous cette cure divine, elles sont placées devant ses yeux pour qu’elle les discerne clai­rement. Les faiblesses, les misères étaient enracinées dans l’âme, et si bien couvertes qu’elle ne les apercevait pas. Maintenant, sous l’action de la lumière et de la chaleur du feu divin, elle les voit, elle les sent.


De même l’humidité dont le bois était imprégné demeurait invisible, tant que le feu n’était pas venu l’attaquer, tant qu’il ne l’avait pas fait transpirer et fumer, pour le faire ensuite resplendir. Telte l’action de la flamme divine à l’égard de l’âme : ELLE LA REND EN QUELQUE SORTE IMPARFAITE.

Porque, Oh cosa admirable!, levntanse en el alma a esta sazôn contrarios contra contrarios: los del alma contra los de Dios, que embisten el alma, y, como dicen los filôsofos, unos relucen cerca de los otros y hacen la guerra en el sujeto del alma, procurando los unos expeler a los otros por reinar ellos en ella, conviene a saber: las virtudes y propiedades de Dios en extremo perfectas contra los hbitos y propiedades del sujeto del alma en extremo imperfectos, padeciendo ella dos contrarios en sî.


Porque, como esta llama es de extremada luz, embistiendo ella en el alma, su luz luce en las tinieblas (Jn. 1, 5) del alma, que también son extremadas, y el alma entonces siente sus tinieblas naturales y viciosas, que se ponen contra la sobrenatural luz y no siente la luz sobrenatural, porque la tiene en sî como sus tinieblas, que las tiene en sî, y las tinieblas no comprehenden a la luz (Jn. 1, 5). Y asî, estas tinieblas suyas sentir en tanto que la luz las embistiere porque no pueden las almas ver sus tinieblas si no embistiere en ellas la divina luz, hasta que, expeliéndolas la divina luz, quede ilustrada el alma y vea la luz en sî transformada, habiendo sido limpiado y fortalecido el ojo espiritual con la luz divina. Porque inmensa luz en vista impura y flaca, totalmente le era tinieblas, sujetando el eminente sensible la potencia; y asî, érale esta llama esquiva en la vista del entendimiento.

Admirable spectacle ! Il s’élève alors dans l’âme adver­saires contre adversaires : les combattants de l’âme contre les combattants de Dieu. Ces derniers envahissent l’âme, et, comme disent les philosophes, la présence des uns fait surgir les autres. Les combattants de Dieu attaquent ceux de l’âme ; ils tâchent de s’expulser les uns les autres, afin de régner seuls en elle. Je veux dire que les vertus et les attributs très parfaits de Dieu se dressent contre les défectuosités et les habitudes très imparfaites de l’âme, et celle-ci souffre au dedans d’elle-même la lutte de ces opposants.

Comme la flamme est extrêmement lumineuse, au moment où elle fait irruption sa lumière brille dans les ténèbres de l’âme, qui sont aussi extrêmement profondes. L’âme alors, sent très vivement ces ténèbres naturelles et vicieuses qui s’opposent à la lumière surnaturelle. D’autre part, elle ne perçoit plus la lumière surnaturelle qui ne réside pas au dedans d’elle, elle perçoit au contraire les ténèbres qui résident en elle et qui ne peuvent comprendre la lumière22. Elle sent donc d’autant plus les ténèbres, que la lumière fait plus d’efforts pour l’envahir, car c’est un fait que les âmes ne voient leurs ténèbres que lorsqu’elles sont envahies par la lumière. Quand la divine lumière aura expulsé les ténèbres, alors l’âme se trouvera illuminée, transformée. Elle discernera en elle-même la lumière, parce que son œil spirituel aura été purifié et fortifié par ses rayons.

Si une immense lumière vient frapper une vue faible et impure, elle la plonge totalement dans les ténèbres, parce que la puissance visuelle est surmontée par l’excès de la lumière. La divine flamme, de même, était d’abord pénible à la vue de l’entendement.




23. Y porque esta llama de suyo es en extremo amorosa y tierna, y amorosamente embiste en la voluntad, y la voluntad de suyo es seca y dura en extremo, y lo duro se siente cerca de lo tierno, y la sequedad cerca del amor, embistiendo esta llama amorosa y tiernamente en la voluntad, siente la voluntad su natural dureza y sequedad para con Dios; y no siente el amor y ternura de la llama, estando ella prevenida con dureza y sequedad, en que no caben estos otros contrarios de ternura y amor, hasta que, siendo expelidos por ella, reine en la voluntad amor y ternura de Dios. Y de esta manera era esta llama esquiva a la voluntad, haciéndola sentir y padecer su dureza y sequedad.


Y, ni mâs ni menos, porque esta llama es amplîsima e inmensa y la voluntad es estrecha y angosta, siente su estrechura y angostura la voluntad en tanto que la llama la embiste, hasta que, dando en ella, la dilate y ensanche y haga capaz de sî misma.


Y porque también esta llama es sabrosa y dulce, y la voluntad tenîa el paladar del espîritu destemplado con humores de desordenadas aficiones, érale desabrida y amarga y no podîa gustar el dulce manjar del amor de Dios. Y de esta manera también siente la voluntad su aprieto y sinsabor cerca de esta amplîsima y sabrosîsima llama, y no siente el sabor de ella, porque no la siente en sî, sino lo que tiene en sî, que es su miseria.

Comme elle est par elle-même souverainement amoureuse et tendre, c’est ten­drement et amoureusement qu’elle assaille la volonté. Mais la volonté étant par elle-même extrêmement sèche et dure, et d’autre part la dureté se sentant davantage au contact de la tendresse, et la sécheresse au contact de l’amour, au moment où la flamme assaille amoureusement et tendre­ment la volonté, celle-ci sent très vivement sa dureté et sa sécheresse naturelles à l’égard de Dieu. Elle ne sent pas l’amour et la tendresse de la flamme, parce qu’elle-même est entachée de dureté et de sécheresse, conditions incom­patibles avec la tendresse et l’amour. Quand la dureté et la sécheresse auront été chassées par leurs contraires, alors la tendresse et l’amour divin régneront dans la volonté. Ainsi donc, c’est parce qu’elle lui faisait doulou­reusement sentir sa dureté et sa sécheresse, que cette flamme était amère à la volonté.


De même, comme la divine flamme est pleine d’ampleur et d’immensité, et que la volonté au contraire est étroite et resserrée, la volonté, alors que la flamme l’investit, sent vivement son resserrement et son étroitesse. En donnant sur elle, la flamme la dilatera et l’élargira ; elle la rendra capable de recevoir son action.


La flamme est suave et délicieuse, tandis que le palais spirituel de l’âme est corrompu par l’humeur maligne des affections déréglées. Par suite, la divine flamme lui paraît amère et désagréable le palais de l’âme ne saurait goûter le doux aliment de l’amour divin. C’est donc précisément parce que la volonté n’a point de douceur et n’est rempli que de misères, qu’elle éprouve tant d’amertume et tant d’angoisses en présence de la flamme très ample et très délicieuse du divin amour.


Y, finalmente, porque esta llama es de inmensas riquezas y bondad y deleites, y el alma de suyo es pobrîsima y no tiene bien ninguno ni de qué se satisfacer, conoce y siente claramente sus miserias y pobrezas y malicia cerca de estas riquezas y bondad y deleites, y no conoce las riquezas, bondad y deleites de la llama, porque la malicia no comprehende a la bondad, ni la pobreza a las riquezas, etc., hasta tanto que esta llama acabe de purificar el alma y con su transformaciôn la enriquezca, glorifique y deleite. De esta manera le era antes esquiva esta llama al alma sobre lo que se puede decir, peleando en ella unos contrarios contra otros: Dios, que es todas las perfecciones, contra todos los hbitos imperfectos de ella para que, transformndola en sî, la suavice y pacifique y establezca como el fuego hace al madero cuando ha entrado en él.


24. Esta purgaciôn en pocas almas acaece tan fuerte; sôlo en aquellas que el Señor quiere levantar a mâs alto grado de uniôn, porque a cada una dispone con purga mâs o menos fuerte, segùn el grado a que la quiere levantar, y segùn también la impureza e imperfecciôn de ella, y asî, esta pena se parece a la del purgatorio; porque asî como se purgan allî los espîritus para poder ver a Dios por clara visiôn en la otra vida, asî, en su manera, se purgan aquî las almas para poder transformarse en él por amor en ésta.

Enfin, cette flamme renferme une richesse, une bonté, une jouissance infinies, et l’âme n’a par elle-même qu’indi­gence absolue, elle ne possède aucun bien qui puisse la satisfaire. Elle connaît donc clairement sa misère, sa pau­vreté, sa malice, au regard de la richesse, de la bonté, des délices divines. Elle ne perçoit pas cette richesse, cette bonté, ces délices de la flamme, parce que la malice ne comprend pas la bonté, que la pauvreté ne comprend pas la richesse, et ainsi du reste. Mais une fois que la flamme l’aura purifiée, elle l’enrichira, elle la glorifiera, elle la comblera de délices, en la transformant. En résumé, cette flamme était indiciblement amère à l’âme, parce que des contraires se combattaient en cette âme. Dieu, qui est toute perfection, luttait contre les habitudes imparfaites de l’âme. Mais ensuite, il transformera l’âme en soi, et par là, il l’adoucira, il la pacifiera, il l’éclairera, comme le feu en agit à l’égard du bois dont il s’est emparé.

Il est peu d’âmes qui subissent une purgation aussi intense. Celles-là seulement l’endurent que Dieu à dessein d’élever à un très haut degré d’union. Dieu, en effet, dispose chaque âme, par une purgation plus ou moins forte, au degré d’union auquel il se propose de la faire monter, je le répète, les peines auxquelles il les soumet ont du rapport avec celles du purgatoire. De même que les âmes se purifient dans le purgatoire pour devenir capables de la claire vision de Dieu dans l’autre vie, ainsi elles se purifient en cette vie par les tourments que nous venons de dire, afin de pouvoir se transformer ici-bas en Dieu par l’amour.


25. La intensiôn de esta purgaciôn y cômo es en mâs y cômo en menos, y cundo segùn el entendimiento y cundo segùn la voluntad, y cômo segùn la memoria, y cundo y cômo también segùn la sustancia del alma, y también cundo segùn todo, y la purgaciôn de la parte sensitiva y cômo se conocer cundo lo es la una y la otra, y a qué tiempo y punto y sazôn de camino espiritual comienza, porque lo tratamos en la noche oscura de la Subida del Monte Carmelo, y no hace ahora a nuestro propôsito, no lo digo. Basta saber ahora que el mismo Dios, que quiere entrar en el alma por uniôn y transformaciôn de amor, es el que antes est embistiendo en ella y purgndola con la luz y calor de su divina llama, asî como el mismo fuego que entra en el madero es el que le dispone, como antes habemos dicho. Asî, la misma que ahora le es suave, estando dentro embestida en ella, le era antes esquiva, estando fuera embistiendo en ella.


26. Y esto es lo que quiere dar a entender cuando dice el alma el presente verso: Pues ya no eres esquiva, que en suma es como si dijera: Pues ya no solamente no me eres oscura como antes, pues eres la divina luz de mi entendimiento, que te puedo ya mirar; y no solamente no haces desfallecer mi flaqueza, mas antes eres la fortaleza de mi voluntad con que te puedo amar y gozar, estando toda convertida en amor divino; y ya no eres pesadumbre y aprieto para la sustancia de mi alma, mas antes eres la gloria y deleites y anchura de ella, pues que de mî se puede decir lo que se canta en los divinos Cantares (8, 5), diciendo: Quién es ésta que sube del desierto abundante en deleites, estribando sobre su Amado, ac y all vertiendo amor? Pues esto es asî,

Nous avons traité au long dans la Nuit obscure de la Montée du Carmel, de cette purgation et de son intensité plus ou moins grande. Nous avons décrit la purification de l’entendement, celle de la volonté, celle de la mémoire, celle de l’essence de l’âme ; nous avons parlé de la puri­fication générale des puissances et de l’essence. Nous avons parlé également de la purification de la partie sensitive, et nous avons dit comment on distingue la purification sensitive et la purification spirituelle. Nous avons indiqué enfin en quel temps et à quel degré de la voie spirituelle cette purgation commence. Comme tout cela n’est pas du sujet qui nous occupe actuellement, je ne m’y arrêterai pas. Qu’il nous suffise pour l’instant de bien retenir ceci. Le même Dieu qui veut pénétrer dans l’âme par l’union et la transformation d’amour commence par l’assaillir et la purifier par la lumière et la chaleur de sa divine flamme, de même que le feu qui s’empare du bois est le même qui le dispose à son action, comme il a été dit. Donc cette flamme, qui est si douce à l’âme maintenant qu’elle l’a complètement investie, est la même qui lui était si dou­loureuse lorsque, encore au-dehors, elle travaillait à l’envahir.

C’est là ce que l’âme veut donner à entendre quand elle dit : « Tu n’es plus amère à présent. » Comme si elle disait : Non seulement tu ne me plonges plus dans l’obscurité, mais tu es devenue la lumière de mon entendement, au moyen de laquelle je puis contempler mon Dieu. Non seulement tu ne fais plus défaillir nia faiblesse, mais tu es devenue la force de ma volonté, et par cette force, je suis capable d’aimer et de goûter mon Dieu, toute transformée que je suis en amour divin.

Non seulement tu ne causes plus angoisse et tourment à mon essence, mais tu es sa gloire, ses délices, sa dilatation. Oui, l’on peut dire de moi ce que chantent les divins Cantiques : Quelle est celle-ci qui monte du désert, comblée de délices, appuyée sur son Bien-Aimé23, répandant l’amour de tous côtés ?

Puisqu’il en est ainsi,


Áacaba ya si quieres!


27. Es a saber: acaba ya de consumar conmigo perfectamente el matrimonio espiritual con tu beatîfica vista. Porque ésta es la que pide el alma, que, aunque es verdad que en este estado tan alto est el alma tanto mâs conforme y satisfecha cuanto mâs transformada en amor y para sî ninguna cosa sabe, ni acierta a pedir, sino para su Amado, pues la caridad, como dice san Pablo (1 Cor. 13, 5), no pretende para sî sus cosas, sino para el Amado; porque vive en esperanza todavîa, en que no se puede dejar de sentir vacîo, tiene tanto de gemido, aunque suave y regalado, cuanto le falta para la acabada posesiôn de la adopciôn de hijos de Dios, donde, consumndose su gloria, se quietara su apetito. El cual, aunque ac mâs juntura tenga con Dios, nunca se hartar ni quietar hasta que parezca su gloria (Sal. 16, 15), mayormente teniendo ya el sabor y golosina de ella, como aquî se tiene. Que es tal, que, si Dios no tuviese aquî favorecida también la carne, amparando al natural con su diestra, como hizo a Moisés en la piedra (Ex. 33, 22), para que sin morirse pudiera ver su gloria, a cada llamarada de éstas se corromperîa el natural y morirîa, no teniendo la parte inferior vaso para sufrir tanto y tan subido fuego de gloria.

Achève donc, si tu le veux.


En d’autres termes, achève de consommer en moi le mariage spirituel par ta vision héatifique, CAR C’EST CETTE VISION BÉATIFIQUE QUE L’ÂME DEMANDE. Il est vrai que dans l’état sublime où elle se trouve, étant parfaitement conforme à la divine volonté24, parce qu’elle est parfaitement transformée dans l’amour, elle n’a rien à demander pour elle-même, elle n’a de désir qu’à l’égard de son Bien-Aimé. La charité, dit saint Paul, ne considère pas ses intérêts25. Elle a cependant des désirs par rapport à son Bien-Aimé, puisqu’elle vit encore dans l’espérance et que, par conséquent, elle sent un vide qui demande à être comblé. Elle pousse donc des gémissements suaves et délicieux, à proportion de ce qui lui manque encore pour atteindre l’adoption parfaite des enfants de Dieu, cette absorption dans la gloire26, où son appétit trouvera enfin le repos. En attendant, il aura beau être comblé d’union divine, il ne saurait être rassasié que lorsque la gloire apparaîtra27. Sa faim est encore excitée par la saveur de gloire qui lui est ici accordée. Cette saveur est telle, que si Dieu ne prenait soin de la chair en protégeant de sa droite la vie naturelle — comme il le fit pour Moïse dans la caverne du rocher, afin qu’il pût voir sa gloire sans mourir28, — à chacun de ces jets de flamme, la vie naturelle céderait et la mort devrait s’ensuivre, parce que notre partie inférieure est trop fragile pour porter une telle abondance, une telle sublimité de feu divin.

28. Y por eso, este apetito y la peticiôn de él no es aquî con pena, que no est aquî capaz el alma de tenerla, sino con deseo suave y deleitable, pidiendo la conformidad de su espîritu y sentido. Que por eso dice en el verso: acaba ya si quieres, porque est la voluntad y apetito tan hecho uno con Dios, que tiene por su gloria cumplirse lo que Dios quiere. Pero son tales las asomadas de gloria y amor que en estos toques se trasluce quedar a la puerta por entrar en el alma, no cabiendo por la angostura de la casa terrestre, que antes serîa poco amor no pedir entrada en aquella perfecciôn y cumplimiento de amor.


Porque, dems de esto, ve el alma que en aquella deleitable comunicaciôn del Esposo la est el Espîritu Santo provocando y convidando con aquella inmensa gloria que le est proponiendo ante sus ojos, con maravillosos modos y suaves afectos, diciéndole en su espîritu lo que en los Cantares (2, 10-14) a la Esposa, lo cual refiere ella, diciendo: Mirad lo que me est diciendo mi Esposo:


levntate y date priesa, amiga mîa, paloma mîa, hermosa mîa, y ven; pues que ya ha pasado el invierno, y la lluvia se fue y alejô, y las flores han parecido en nuestra tierra, y ha llegado el tiempo del podar. La voz de la tortolilla se ha oîdo en nuestra tierra, la higuera ha producido sus frutos, las floridas viñas han dado su olor. Levntate, amiga mîa, graciosa mîa, y ven, paloma mîa en los horados de la piedra, en la caverna de la cerca; muéstrame tu rostro, suene tu voz en mis oîdos, porque tu voz es dulce y tu rostro hermoso.

Ce désir de l’âme et la demande qu’il inspire ne sont pas accompagnés de peine, car ici l’âme est inca­pable d’en ressentir. C’est un désir suave et délicieux, qui révèle la conformité dont sont animés et l’esprit et le sens. Aussi l’âme dit-elle : « Si tu veux. » Sa volonté et son appétit sont tellement une seule chose avec Dieu, qu’elle fait toute sa béatitude d’accomplir sa volonté.

Il reste vrai cependant qu’au milieu des rayons de gloire et d’amour qui, sous l’action de ces divines touches, appa­raissent à la porte de l’âme et sont hors de toute proportion avec l’étroitesse de la demeure terrestre, l’âme montrerait peu d’amour si elle ne demandait pas à être introduite dans l’amour parfait et consommé. D’ailleurs, elle comprend qu’au milieu de ces souveraines délices et de ces commu­nications de l’Époux, l’Esprit-Saint la provoque et l’invite à entrer dans cette immensité de gloire qu’il lui met devant les yeux. Cette invitation revêt de suaves et merveilleux accents, tels que l’Épouse les énonce au Cantique des Cantiques :


Voici mon Bien-Aimé qui me parle. Lève-toi, hâte-loi, mon amie, ma colombe, ma toute belle, et viens. Voici que l’hiver est passé, que la pluie a fui bien loin. Les fleurs ont paru sur notre terre. Le temps de tailler la vigne est venu, la voix de la tourterelle s’est fait entendre sur notre terre. Le figuier a donné ses fruits ; les vignes en fleurs ont répandu leur parfum. Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens : ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne du mur d’enclos, montre-moi ton visage, que tu voix retentisse et mes oreilles, car ta voix est douce et ton visage est plein de charmes29.


Todas estas cosas siente el alma y las entiende distintîsimamente en subido sentido de gloria, que la est mostrando el Espîritu Santo en aquel suave y tierno llamear, con gana de entrarle en aquella gloria. Y por eso ella aquî, provocada, responde diciendo: acaba ya si quieres. En lo cual le pide al Esposo aquellas dos peticiones que él nos enseôô en el Evangelio (Mt. 6, 10), conviene a saber: Adveniat regnum tuum; fiat voluntas tua. Y asî es como si dijera: "acaba", es a saber, de darme este reino, "si quieres", esto es, segùn es tu voluntad. Y, para que asî sea,

L’âme entend ces invitations, elle en perçoit très distinc­tement le sens sublime qui est celui de la gloire, de cette gloire que l’Esprit-Saint lui découvre. Dans ces jets, de flammes remplis de tendresse et de suavité, il lui témoigne le désir qu’il a de l’introduire dans cette divine gloire. C’est à cette amoureuse provocation qu’elle répond : « Achève donc, si tu le veux. » Par où elle adresse à l’Époux deux demandes : celles-là même qu’il nous a enseignées en saint Mathieu : Adveniat regnum tuum. Fiat voluntas tua30. En d’autres termes : Si telle est ta volonté, achève de me donner ton royaume ! Et pour en venir là,



rompe la tela de este dulce encuentro.


29. La cual tela es la que impide este tan grande negocio. Porque es fcil cosa llegar a Dios, quitados los impedimentos y rompidas las telas que dividen la junta entre el alma y Dios. Las telas que pueden impedir a esta junta, que se han de romper para que se haga y posea perfectamente el alma a Dios, podemos decir que son tres, conviene a saber: temporal, en que se comprehenden todas las criaturas; natural, en que se comprehenden las operaciones e inclinaciones puramente naturales; la tercera, sensitiva, en que sôlo se comprehende la uniôn del alma con el cuerpo, que es vida sensitiva y animal, de que dice san Pablo (2 Cor. 5, 1): Sabemos que si esta nuestra casa terrestre se desata, tenemos habitaciôn de Dios en los cielos.

Las dos primeras telas de necesidad se han de haber rompido para llegar a esta posesiôn de uniôn de Dios, en que todas las cosas del mundo estân negadas y renunciadas, y todos los apetitos y afectos naturales mortificados, y las operaciones del alma de naturales ya hechas divinas.


Todo lo cual se rompiô e hizo en el alma por los encuentros esquivos de esta llama cuando ella era esquiva; porque en la purgaciôn espiritual que arriba hemos dicho, acaba el alma de romper estas dos telas, y de ahî viene a unirse con Dios, como aquî est, y no queda por romper mâs que la tercera de la vida sensitiva.

Romps enfin le tissu de cet assaut si doux !


Ce tissu » est l’obstacle qui s’oppose à la grande affaire dont il s’agit. En effet, une fois les obstacles levés, une fois les tissus qui empêchent l’union de l’âme et de Dieu définitivement rompus, il devient facile à l’âme d’atteindre Dieu.

Nous pouvons dire que les tissus qui empêchent cette union, et qu’il faut nécessairement briser pour qu’elle s’accomplisse, sont au nombre de trois. Le premier est temporel : il comprend tous les objets créés. Le second est naturel : il embrasse les opérations et les inclinations de la nature. Le troisième est sensitif : c’est l’union de l’âme et du corps, c’est-à-dire la vie sensitive et animale dont-saint Paul disait : Nous savons que lorsque notre demeure terrestre se dissoudra, nous avons une autre habitation, que Dieu nous a préparée dans les cieux31.

Il faut de toute nécessité que les deux premiers tissus soient rompus pour que l’âme arrive à posséder l’union divine. Il faut renoncer à toutes les choses du monde, il faut mortifier toutes les inclinations et tous les appétits naturels32 ; il faut enfin que toutes les opérations de l’âme soient rendues divines.

Toutes ces ruptures ont été accom­plies par les assauts de la divine flamme alors qu’elle était amère. C’est la purgation spirituelle, nous l’avons dit plus haut, qui rompt ces deux premiers tissus. L’union divine en est résultée. Il ne reste plus à rompre que le troisième, celui de la vie sensitive.

Que por eso dice aquî "tela", y no "telas"; porque no hay mâs que ésta que romper, la cual, por ser ya tan sutil y delgada y espiritualizada con esta uniôn de Dios, no la encuentra la llama rigurosamente como a las otras dos hacîa, sino sabrosa y dulcemente. Que por eso aquî le llama dulce encuentro, el cual es tanto mâs dulce y sabroso, cuanto mâs le parece que le va a romper la tela de la vida.


30. Donde es de saber que el morir natural de las almas que llegan a este estado, aunque la condiciôn de su muerte, en cuanto el natural, es semejante a las dems, pero en la causa y en el modo de la muerte hay mucha diferencia. Porque, si las otras mueren muerte causada por enfermedad o por longura de dîas, éstas, aunque en enfermedad mueran o en cumplimiento de edad, no las arranca el alma sino algùn împetu y encuentro de amor mucho mâs subido que los pasados y mâs poderoso y valeroso, pues pudo romper la tela y llevarse la joya del alma.

Aussi l’âme ne parle pas de plu­sieurs tissus, mais d’un seul.

Ce dernier tissu, le seul qui reste â rompre, est si subtil et si léger, l’union divine l’a tellement spiritualisé, que la flamme ne l’assaille pas avec rigueur et d’une façon pénible, comme elle assaillait les deux autres, mais d’une façon délicieuse et remplie de suavité. Aussi L’ÂME PARLE ICI D’UN DOUX ASSAUT, ET IL LUI PARAÎT D’AUTANT PLUS DOUX ET PLUS DÉLICIEUX, QU’IL VA, ELLE LE SENT, ROMPRE LE TISSU DE SA VIE.

QU’ON LE SACHE BIEN, POUR LES ÂMES ARRIVÉES A CET ÉTAT, LA MORT NATURELLE, BIEN QUE SEMBLABLE EN SES CIRCONSTANCES A CELLE DES AUTRES HUMAINS, PRÉSENTE EN SA CAUSE ET EN SON MODE UNE TRÈS GRANDE DIFFÉ­RENCE. CHEZ LES AUTRES, LA MORT EST CAUSÉE PAR LA MALADIE OU PAR LA VIEILLESSE. MAIS POUR CES PERSONNES, BIEN QU’ELLES MEURENT ÉGALEMENT DE MALADIE OU PAR L’EFFET DU DÉCLIN DE CAGE, CE N’EST POINT LA CE QUI LEUR ARRACHE L’ÂME, C’EST UN TRANSPORT ET UN ASSAUT D’AMOUR BEAUCOUP PLUS ÉLEVÉ QUE LES PRÉCÉDENTS, PLUS PUISSANT AUSSI ET PLUS FORT, PUISQU’IL A LE POUVOIR DE ROMPRE LE TISSU ET D’EMPORTER LE JOYAU, JE VEUX DIRE, L’ÂME QUI RETOURNE A DIEU.


Y asî, la muerte de semejantes almas es muy suave y muy dulce, mâs que les fue la vida espiritual toda su vida; pues que mueren con mâs subidos împetus y encuentros sabrosos de amor, siendo ellas como el cisne, que canta mâs suavemente cuando se muere. Que por eso dijo David (Sal. 115, 15) que era preciosa la muerte de los santos en el acatamiento de Dios, porque aquî vienen en uno a juntarse todas las riquezas del alma, y van allî a entrar los rîos del amor del alma en la mar, los cuales estân allî ya tan anchos y represados, que parecen ya mares; juntândose lo primero y lo postrero de sus tesoros, para acompañar al justo que va y parte para su reino, oyéndose ya las alabanzas desde los fines de la tierra, que, como dice Isaîas (24, 16), son gloria del justo.


31. Sintiéndose, pues, el alma a la sazôn de estos gloriosos encuentros tan al canto de salir a poseer acabada y perfectamente su reino, en las abundancias que se ve est enriquecida (porque aquî se conoce pura y rica y llena de virtudes y dispuesta para ello, porque en este estado deja Dios al alma ver su hermosura y fîale los dones y virtudes que le ha dado, porque todo se le vuelve en amor y alabanzas, sin toque de presunciôn ni vanidad, no habiendo ya levadura de imperfecciôn que corrompa la masa) y como ve que no le falta mâs que romper esta flaca tela de vida natural en que se siente enredada, presa e impedida su libertad, con deseo de verse desatada y verse con Cristo (Fil. 1, 23), haciéndole lstima que una vida tan baja y flaca la impida otra tan alta y fuerte, pide que se rompa, diciendo: Rompe la tela de este dulce encuentro.

Aussi, pour de telles âmes, la mort est-elle pleine de douceur et de suavité, et cette douceur surpasse toutes celles que la vie spirituelle leur a jamais fait goûter au cours de leur existence. Ces amis de Dieu meurent dans des transports sublimes et au milieu des assauts délicieux que leur livre l’amour. Tel le cygne, qui chante avec plus de douceur lorsqu’il va mourir. C’est pour cela que David nous assure que la mort des justes est précieuse DEVANT DIEU33. Les fleuves d’amour de cette âme sont sur le point d’entrer dans l’océan, et ils sont si larges, si abondants qu’ils ressemblent à des mers. Tant de trésors accu­mulés se rassemblent depuis le premier jusqu’au dernier pour accompagner le juste qui va prendre possession de son royaume. Les louanges, dont nous parle Isaïe, reten­tissent des extrémités de la terre, chantant les gloires du juste34.

L’âme, à l’heure de ces glorieux assauts, se sent sur le point d’être mise en pleine jouissance de son royaume et elle se voit, à l’instant de ce départ, enrichie d’une abon­dance de trésors, pure, remplie de vertus et ornée des dispositions requises. À ce moment en effet, Dieu permet à l’âme de voir sa beauté ; il lui confie la connaissance des dons et des vertus qu’il a mis en elle, parce que tout se change en amour et en louange, sans aucune trace de vanité ou de présomption, car il n’y a plus ici de levain d’imperfection, capable de corrompre cette âme.

Voyant donc qu’il ne reste plus à rompre que le faible tissu de l’humaine condition de la vie naturelle dont elle se sent liée et captive, elle souhaite avec ardeur d’êtr délivrée de ces liens et d’être avec Jésus-Christ35. Elle se plaint qu’une vie si basse et si faible fasse obstacle à une vie si haute et si puissante : elle en demande donc la rupture : « Romps enfin le tissu de cet assaut si doux ! ».



32. Y llmale "tela" por tres cosas: la primera, por la trabazôn que hay entre el espîritu y la carne; la segunda, porque divide entre Dios y el alma; la tercera, porque asî como la tela no es tan opaca y condensa que no se pueda traslucir lo claro por ella, asî en este estado parece esta trabazôn tan delgada tela, por estar ya muy espiritualizada e ilustrada y adelgazada, que no se deja de traslucir la Divinidad en ella. Y como siente el alma la fortaleza de la otra vida, echa de ver la flaqueza de estotra, y parécele mucho delgada tela, y aun tela de araña, como la llama David (Sal. 89, 9), diciendo: Nuestros años como la araña meditarn. Y aun es mucho menos delante del alma que asî est engrandecida; porque, como est puesta en el sentir de Dios, siente las cosas como Dios, delante del cual, como también dice David (Sal. 8, 4), mil años son como el dîa de ayer que pasô, y segùn Isaîas (40, 17), todas las gentes son como si no fuesen. Y ese mismo tomo tienen delante del alma, que todas las cosas le son nada, y ella es para sus ojos nada. Sôlo su Dios para ella es el todo.

Elle donne à la vie mortelle le nom de tissu » pour trois raisons : d’abord à cause de l’étroit rapport qu’il y a entre la chair et l’esprit, ensuite, à cause de la séparation qu’elle met entre Dieu et l’âme ; enfin parce qu’un tissu n’est pas d’ordinaire si opaque et si serré, qu’il ne laisse passer un peu de jour. Or, dans le cas dont il s’agit, le canevas est extrêmement léger. L’âme s’est à tel point spiritualisée, illuminée, affinée, que la Divinité transparaît au travers.

De plus, l’âme, ayant le sentiment de la plénitude de force que renferme l’autre vie, comprend mieux toute l’infirmité de la vie présente. Aussi le tissu dont il s’agit lui paraît-il singulièrement léger. Ce n’est plus pour elle qu’une toile d’araignée, pour employer l’expression de David : Nous comparerons le cours de notre vie à l’araignée36. Aux yeux d’une âme élevée â cette hauteur. c’est même beaucoup moins encore. Voyant les choses comme Dieu les voit, elle les apprécie comme Dieu les apprécie. Or. devant Dieu, nous assure David. mille ans sont comme le jour d’hier, qui n’est plus37. Et, comme parle Isaïe, les nations sont devant lui comme si elles n’étaient pas38. Cette âme en juge de même. Toutes les choses créées lui paraissent un néant, elle-même n’est rien à ses propres yeux : pour elle, son Dieu seul est tout.


33. Pero hay aquî que notar: por qué razôn pide aquî mâs que "rompa" la tela, que la "corte" o que la "acabe", pues todo parece una cosa? Podemos decir que por cuatro cosas.


La primera, por hablar con mâs propiedad; porque mâs propio es del encuentro romper que cortar y que acabar.


La segunda, porque el amor es amigo de fuerza de amor y de toque fuerte e impetuoso, lo cual se ejercita mâs en el romper que en el cortar y acabar.


La tercera, porque el amor apetece que el acto sea brevîsimo, porque se cumple mâs presto, y tiene tanta mâs fuerza y valor cuanto es mâs espiritual, porque la virtud unida mâs fuerte es que esparcida. E introdùcese el amor al modo que la forma en la materia, que se introduce en un instante, y hasta entonces no habîa acto sino disposiciones para él;


y asî, los actos espirituales como en un instante se hacen en el alma, porque son infusos de Dios, pero los dems que el alma de suyo hace, mâs se pueden llamar disposiciones de deseos y afectos sucesivos, que nunca llegan a ser actos perfectos de amor o contemplaciôn, sino algunas veces cuando, como digo, Dios los forma y perfecciona en el espîritu. Por lo cual dijo el Sabio (Ecl. 7, 9) que el fin de la oraciôn es mejor que el principio, y lo que comùnmente se dice que la oraciôn breve penetra los cielos.


On peut se demander pourquoi l’âme exprime ici39 le désir que le tissu soit rompu, plutôt que tranché ou usé, puisque tout cela semble revenir au même. Nous répondons qu’elle emploie cette expression pour quatre motifs. D’abord, afin de s’exprimer d’une manière plus exacte, parce que dans l’assaut du tournoi, on rompt effectivement le tissu de la bannière ; on ne le tranche40 et on ne l’use pas. En second lieu, parce que l’amour est ami de tout ce qui est fort et impétueux, et l’impétuosité s’exerce davantage dans la rupture que dans la coupure et l’usure. En troisième lieu, parce que l’amour requiert la brièveté et l’opération prompte, car il est d’autant plus fort que son opération est plus rapide et plus spirituelle. Les forces réunies sont plus puissantes que les forces dispersées. D’autre part, l’amour s’introduit de la même manière que la forme s’introduit dans la matière, à savoir instantanément. Tant qu’il n’en est pas ainsi, il n’y a pas d’acte à proprement parler, il y a seulement disposition à l’acte.

C’est ainsi que les actes spirituels s’opèrent instanta­nément dans l’âme, parce qu’ils sont infus de Dieu. Quant aux actes que l’âme produit d’elle-même, ils doivent plutôt s’appeler des dispositions, des désirs et des affections successives. Ces actes personnels ne sont presque jamais des actes parfaits d’amour ou de contemplation. Quant aux actes spirituels, c’est Dieu qui les forme et les perfec­tionne très rapidement dans l’esprit. En ce sens, le Sage nous déclare que la fin de l’oraison vaut mieux que le commen­cement41, et il est dit communément que l’oraison brève pénètre les cieux.

De donde el alma que ya est dispuesta, muchos mâs y mâs intensos actos puede hacer en breve tiempo que la no dispuesta en mucho; y aun, por la gran disposiciôn que tiene, se suele quedar harto tiempo en acto de amor o contemplaciôn. Y a la que no est dispuesta todo se le va en disponer el espîritu; y aun después se suele quedar el fuego por entrar en el madero, ahora por la mucha humedad de él, ahora por el poco calor que dispone, ahora por lo uno y lo otro; mas en el alma dispuesta, por momentos entra el acto de amor, porque la centella a cada toque prende en la enjuta yesca. Y asî, el alma enamorada mâs quiere la brevedad del romper que el espacio del cortar y acabar.


La cuarta es porque se acabe mâs presto la tela de la vida; porque el cortar y acabar hcese con mâs acuerdo, porque se espera a que la cosa esté sazonada o acabada, o algùn otro término, y el romper no espera al parecer madurez ni nada de eso.


34. Y esto quiere el alma enamorada, que no sufre dilaciones de que se espere a que naturalmente se acabe la vida ni a que en tal o tal tiempo se corte; porque la fuerza del amor y la disposiciôn que en sî ve, la hacen querer y pedir se rompa luego la vida con algùn encuentro o împetu sobrenatural de amor.


Sabe muy bien aquî el alma que es condiciôn de Dios llevar antes de tiempo consigo las almas que mucho ama, perfeccionando en ellas en breve tiempo por medio de aquel amor lo que en todo suceso por su ordinario paso pudieran ir ganando.

De là vient que l’âme pourvue des dispositions requises peut produire en peu de temps des actes plus nombreux et plus intenses, que l’âme non disposée en beaucoup de temps. De même, la disposition très parfaite où elle se trouve lui permet de demeurer longtemps dans l’acte d’amour ou de la contemplation. L’âme au contraire qui n’est pas disposée passe tout son temps à préparer son esprit, et après cela le feu n’arrive pas à s’emparer du bois, soit qu’il ait trop d’humidité, soit que la chaleur soit trop faible, soit pour ces deux motifs réunis.

Dans l’âme disposée, l’acte d’amour se produit en un instant, parce qu’à chaque contact l’étincelle enflamme l’amadou bien sec. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’âme embrasée d’amour préfère la rupture instantanée à la coupure et à ! » usure, qui réclament plus de temps.

En quatrième lieu, il y a le désir que le tissu de la vie se brise prématurément. Lorsqu’il s’agit de couper on d’user, on y met de la réflexion, on attend que l’objet à couper soit dans les conditions voulues, qu’il soit usé ou prêt d’une autre manière. Quand il s’agit de rompre, il n’y a pas, ce semble, de moment favorable à attendre, ou toute autre chose.

Or, c’est précisément ce que réclame l’âme embrasée. d’amour. Elle ne peut se résoudre à attendre la fin natu­relle de sa vie, ou telle ou telle circonstance, pour voir opérer la rupture de ses liens. La véhémence de son amour et la disposition qu’elle voit en soi lui font désirer et demander qu’un assaut d’amour, qu’une impétuosité surna­turelle rompe soudain la trame de sa vie. Elle sait que Dieu se plaît à rappeler à lui avant le temps les âmes qui lui sont chères, et qu’il opère alors rapidement en elles, par le moyen de l’amour, la perfection qu’autrement elles n’auraient pu acquérir qu’en beaucoup de temps.


Porque esto es lo que dijo el Sabio (Sab. 4, 10-14): El que agrada a Dios es hecho amado, y, viviendo entre pecadores, fue trasladado, arrebatado fue porque la malicia no mudara su entendimiento, o la aficiôn no engañara su alma. Consumido en breve, cumpliô muchos tiempos; porque era su alma agradable a Dios, por tanto, se apresurô a sacarle de medio, etc.

Hasta aquî son palabras del Sabio, en las cuales se ver con cunta propiedad y razôn usa el alma de aquel término "romper"; pues en ellas usa el Espîritu Santo de estos dos términos: "arrebatar" y "apresurar" que son ajenos de toda dilaciôn. En el apresurarse Dios da a entender la priesa con que hizo perfeccionar en breve el amor del justo; en el arrebatar se da a entender llevarle antes de su tiempo natural. Por eso es gran negocio para el alma ejercitar en esta vida los actos de amor, porque, consumndose en breve, no se detenga mucho ac o all sin ver a Dios.

C’est ce que nous déclare le Sage : Celui qui a plu au Seigneur, dit-il, a été chéri de lui ; et tandis qu’il vivait au milieu des pécheurs, il a été transféré. Dieu l’a enlevé de peur que la malice ne séduisît son intelligence ou que la fiction ne trompât son âme… Consommé en peu de temps il a rempli une longue carrière. Son âme était agréable à Dieu : c’est pourquoi il s’est hâté de le retirer du milieu de l’iniquité, etc42.

TELLES SONT LES PAROLES DU SAGE. ELLES MONTRENT AVEC COMBIEN DE RAISON L’ÂME EMPLOIE LE TERME DE ROMPRE. L’ESPRIT-SAINT SE SERT DES MOTS « ENLEVER » ET « SE TER », QUI EXCLUENT TOUT DÉLAI. PAR LE TERME DE « SE HÂTER », DIEU NOUS DONNE À ENTENDRE LA RAPIDITÉ AVEC LAQUELLE IL PERFECTIONNE L’AMOUR DANS L’ÂME DU JUSTE, ET PAR LE MOT « ENLEVER », IL MARQUE QU’IL LA RAVIT PRÉMATURÉMENT. Il est donc très important pour une âme d’exercer en cette vie les actes de l’amour, parce que, se consommant rapidement, elle ne tarde guère à voir Dieu, soit en ce monde, soit en l’autre.



35. Pero veamos ahora por qué también a este embestimiento interior del Espîritu le llama encuentro mâs que otro nombre alguno. Y es la razôn porque sintiendo el alma en Dios infinita gana, como habemos dicho, de que se acabe la vida y que, como no ha llegado el tiempo de su perfecciôn, no se hace, echa de ver que para consumarla y elevarla de la carne, hace él en ella estos embestimientos divinos y gloriosos a manera de encuentros, que, como son a fin de purificarla y sacarla de la carne, verdaderamente son encuentros con que siempre penetra, endiosando la sustancia del alma, haciéndola divina, en lo cual absorbe al alma sobre todo ser a ser de Dios.


Y la causa es porque la encontrô Dios y la traspasô en el Espîritu Santo vivamente, cuyas comunicaciones son impetuosas, cuando son afervoradas, como lo es este encuentro; al cual, porque en él el alma vivamente gusta de Dios, llama dulce; no porque otros muchos toques y encuentros que en este estado recibe dejen de ser dulces, sino por eminencia que tiene sobre todos los dems; porque le hace Dios, como habemos dicho, a fin de desatarla y glorificarla presto. De donde a ella le nacen alas para decir: Rompe la tela, etc.

Mais examinons pourquoi l’âme donne à cet envahis­sement intérieur du Saint-Esprit le nom d’assaut, plutôt que tout autre nom. En voici la raison. L’âme découvre en Dieu un désir infini de voir sa vie mortelle prendre fin, et elle voit que s’il la prolonge, c’est que la perfection de l’âme n’est pas encore consommée. Elle le comprend, c’est en vue d’opérer cette consommation et de la dégager de la chair, qu’il l’assaille d’une manière si divine et si merveil­leuse. Ce sont de véritables assauts qu’il lui livre, afin de la purifier et de la détacher de la chair. Par là, il pénètre toujours plus avant et va jusqu’à diviniser l’essence de cette âme. Sous cette divine opération, l’âme, de son côté, s’assimile toujours davantage l’être de Dieu.

C’est par la force de l’Esprit-Saint que Dieu assaille et presse si vivement cette âme. Or, les communications de l’Esprit-Saint, quand elles sont enflammées, sont essentiellement impétueuses. Il en est ainsi dans l’assaut dont il s’agit. L’âme cependant l’appelle « doux », parce qu’elle y goûte puissamment Dieu lui-même. Non que beaucoup d’autres des touches et des contacts qu’elle expérimente en cet état ne soient également pleins de douceur, mais celui-ci se distingue au-dessus de tous les autres par l’émi­nence de sa suavité. En l’opérant, Dieu a en vue de dégager l’âme et de la glorifier promptement. D’où vient que se sentant des ailes pour voler vers Dieu, elle s’écrie : « Romps enfin le tissu ! »



36. Resumiendo, pues, ahora toda la canciôn, es como si dijera: Oh llama del Espîritu Santo, que tan ÔNtima y tiernamente traspasas la sustancia de mi alma y la cauterizas con tu glorioso ardor! Pues ya ests tan amigable que te muestras con gana de drteme en vida eterna, si antes mis peticiones no llegaban a tus oîdos, cuando con ansias y fatigas de amor, en que penaba mi sentido y espîritu por la mucha flaqueza e impureza mîa y poca fortaleza de amor que tenîa, te rogaba me desatases y llevases contigo, porque con deseo te deseaba mi alma, porque el amor impaciente no me dejaba conformar tanto con esta condiciôn de vida que tù querîas que aùn viviese; y si los pasados împetus de amor no eran bastantes, porque no eran de tanta calidad para alcanzarlo, ahora que estoy tan fortalecida en amor, que no sôlo no desfallece mi sentido y espîritu en ti, mas antes, fortalecidos de ti, mi corazôn y mi carne se gozan en Dios vivo (Sal. 83, 2), con grande conformidad de las partes, donde lo que tù quieres que pida, pido, y lo que no quieres, no quiero ni aun puedo ni me pasa por pensamiento querer; y pues son ya delante de tus ojos mâs vlidas y estimadas mis peticiones, pues salen de ti y tù me mueves a ellas, y con sabor y gozo en el Espîritu Santo te lo pido, saliendo ya mi juicio de tu rostro (Sal. 16, 2), que es cuando los ruegos precias y oyes, rompe la tela delgada de esta vida y no la dejes llegar a que la edad y años naturalmente la corten, para que te pueda amar desde luego con la plenitud y hartura que desea mi alma sin término ni fin.


Résumons à présent la Strophe tout entière. L’âme semble dire : Oh ! Flamme de l’Esprit-Saint, qui transperces si intimement et si vivement ma substance et qui la cauté­rise de ta glorieuse ardeur ! Puisque tu te montres si favo­rable que de vouloir te donner à moi dans l’éternelle vie, exauce ma prière ! Jusqu’ici mes demandes semblaient n’être pas entendues de toi, lorsqu’au milieu des angoisses et des peines d’amour où mon sens et mon esprit étaient plongés par suite de ma faiblesse et de mes souillures, je te suppliais de briser mes liens et de m’appeler à toi. Je te désirais avec ardeur, et l’impatience de mon amour ne me permettait pas de me conformer absolument à ton bon plaisir, qui était de prolonger encore mon existence. Les premiers élans de mon amour n’étaient pas assez élevés pour m’obtenir la faveur que je sollicitais. Mais à présent l’amour a tellement grandi en moi, que non seulement mon sens et mon esprit ne défaillent plus en toi, mais que, fortifiés par toi-même, mon cœur et ma chair exultent dans le Dieu vivant43, entièrement conformes dans leurs aspi­rations. Désormais je demande ce que tu veux que je solli­cite, et pas autre chose ; je ne veux ni ne puis vouloir, et il ne me vient même pas à l’esprit de vouloir ce que tu ne veux pas. Mes demandes sont à présent plus puissantes et plus agréables à tes yeux, parce qu’elles viennent de toi, que tu me portes toi-même à les faire, et que je te les adresse avec joie et saveur dans l’Esprit-Saint.

Mon sort dépend de ton visage44. Le temps est venu où tu reçois favorablement et avantageusement les prières. Brise enfin le léger tissu de la vie présente. N’attends pas que le cours du temps et le nombre des années viennent le trancher naturellement. Accorde-moi de t’aimer dès maintenant avec la plénitude et le rassasiement sans fin auquel j’aspire.


CANCIÔN 2


Oh cauterio suave!

Oh regalada llaga!

Oh mano blanda! Oh toque delicado,

que a vida eterna sabe,

y toda deuda paga!

Matando, muerte en vida la has trocado.



DECLARACIÔN


1. En esta canciôn da a entender el alma cômo las tres personas de la Santîsima Trinidad, Padre e Hijo y Espîritu Santo, son los que hacen en ella esta divina obra de uniôn. Asî la mano, y el cauterio, y el toque, en sustancia, son una misma cosa; y pôneles estos nombres, por cuanto por el efecto que hace cada una les conviene. El cauterio es el Espîritu Santo, la mano es el Padre, el toque el Hijo. Y asî engrandece aquî el alma al Padre, Hijo y Espîritu Santo, encareciendo tres grandes mercedes y bienes que en ella hacen, por haberla trocado su muerte en vida, transformndola en sî.

STROPHE II



Oh ! cautère vraiment suave !

Oh ! plaie toute délicieuse !

Oh ! douce main ! touche légère !

Qui a le goût d’éternité !

Par toi toute dette est payée.

Tu me donnes la mort : en vie elle est changée.



EXPLICATION


L’âme expose dans cette Strophe comment ce sont les trois Personnes de la très sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, qui opèrent en elle cette œuvre divine de l’union. La « main », le « cautère » et la « touche » dont elle nous parle sont en substance une même chose. Si elle leur donne ces noms, c’est pour marquer les effets propres à l’action de chacune des divines Personnes. Le « cautère » représente l’Esprit-Saint ; la « main », le Père ; la « touche », le Fils de Dieu. L’âme exalte donc ici le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et elle décrit trois grandes faveurs dont ils l’ont gratifiée, faveurs qui ont changé sa mort en vie et opéré sa divine transformation.


La primera es llaga regalada, y ésta atribuye al Espîritu Santo; y por eso le llama cauterio suave. La segunda es gusto de vida eterna, y ésta atribuye al Hijo, y por eso le llama toque delicado. La tercera es haberla transformado en sî, que es la deuda con que queda bien pagada el alma, y ésta atribuye al Padre, y por eso se llama mano blanda.


Y aunque aquî nombra las tres, por causa de las propiedades de los efectos, sôlo con uno habla, diciendo: En vida la has trocado, porque todos ellos obran en uno, y asî todo lo atribuye a uno, y todo a todos. Sîguese el verso:

L’âme l’attribue à l’Esprit-Saint, à qui elle donne le nom de « cautère vraiment suave »45. La seconde est « le goût d’éternité ». Elle l’attribue au Fils de Dieu, à qui elle donne le nom46 « touche légère. La troisième est la divine transformation47, don par lequel l’âme se déclare très avantageusement rémunérée. Elle attribue cette faveur au Père, à qui elle donne le nom de « douce main ».


Après avoir nommé sous ces symboles les trois divines Personnes, à cause des effets propres à l’action de chacune, elle s’adresse à un seul Dieu en disant : « Tu me donnes la mort, en vie elle est changée », Comme les trois Personnes agissent de concert, elle attribut toutes les opérations à chacune et à toutes à la fois. Voici le premier vers :


Oh cauterio suave!


2. Este cauterio, como habemos dicho, es aquî el Espîritu Santo, porque, como dice Moisés en el Deuteronomio (4, 24): nuestro Señor es fuego consumidor, es a saber, fuego de amor; el cual, como sea de infinita fuerza, inestimablemente puede consumir y transformar en sî el alma que tocare. Pero a cada una la abrasa y absorbe como la halla dispuesta: a una ms, y a otra menos y esto cuanto él quiere y cômo y cuando quiere. Y como él sea infinito fuego de amor, cuando él quiere tocar al alma algo apretadamente, es el ardor de ella en tan sumo grado de amor que le parece a ella que est ardiendo sobre todos los ardores del mundo. Que por eso en esta junta llama ella al Espîritu Santo cauterio, porque asî como en el cauterio est el fuego mâs intenso y vehemente y hace mayor efecto que en los dems ignitos, asî el acto de esta uniôn, por ser de tan inflamado fuego de amor mâs que todos los otros, por eso le llama cauterio respecto de ellos. Y, por cuanto este divino fuego, en este caso, tiene transformada toda el alma en sî, no solamente siente cauterio, mas toda ella est hecha cauterio de vehemente fuego.



Oh ! cautère vraiment suave !


Ici, nous l’avons dit, le cautère représente l’Esprit-Saint. Moise, en effet, dit au Deutéronome : Le Seigneur notre Dieu est un feu consumant48, c’est-à-dire un feu d’amour d’une puissance infinie, capable en conséquence de consumer merveilleusement et de transformer en soi l’âme qu’il touche. Il est à noter cependant qu’il embrase et absorbe les âmes selon qu’il les trouve disposées, les unes plus, les autres moins, et cela autant qu’il lui plaît, quand et comment il lui plaît. Mais comme il est un infini brasier d’amour, lorsqu’il lui plaît de presser une âme un peu vivement, l’ardeur de cette âme s’embrase à tel point, qu’il lui semble brûler avec une violence qui surpasse tous les brasiers de ce monde.

C’est pour cela qu’à l’heure de son contact avec l’amour infini, elle donne à l’Esprit-Saint le nom de « cautère ». On appelle cautère l’endroit où la pointe de feu est plus intense, plus véhémente et plus active qu’aux autres parties de la brûlure. Et c’est parce que l’acte de l’union dont il s’agit est produit par un feu d’amour plus embrasé que les autres, que l’âme se sert du mot de cautère, afin de distinguer cette union des autres unions.

Comme ici le divin feu a déjà transformé l’âme en soi, non seulement elle sent la brûlure d’un cautère, mais elle est devenue en tout son être un cautère de feu brûlant.

3. Y es cosa admirable y digna de contar, que con ser este fuego de Dios tan vehemente consumidor, que con mayor facilidad consumirîa mil mundos que el fuego de ac una raspa de lino, no consuma y acabe el alma en quien arde de esta manera, ni menos le dé pesadumbre alguna, sino que antes, a la medida de la fuerza del amor, la endiosa y deleita, abrasando y ardiendo en él suavemente. Y esto es asî por la pureza y perfecciôn del espîritu con que arde en el Espîritu Santo, como acaeciô en los Actos de los Apôstoles (2, 3), donde, viniendo este fuego con grande vehemencia, abrasô a los discîpulos, los cuales, como dice san Gregorio, interiormente ardieron en amor suavemente.


Y esto es lo que da a entender la Iglesia, cuando dice al mismo propôsito: Vino fuego del cielo, no quemando, sino resplandeciendo; no consumiendo, sino alumbrando. Porque en estas comunicaciones, como el fin de Dios es engrandecer al alma, no la fatiga y aprieta, sino ensnchala y deléitala; no la oscurece ni enceniza como el fuego hace al carbôn, sino clarifîcala y enriquécela, que por eso le dice ella cauterio suave.



Chose admirable et digne d’être attentivement pesée ! Ce feu divin, violent et consumant à l’excès, qui dévorerait mille mondes avec plus de facilité que le feu d’ici-bas, ne consume un lambeau d’étoffe de lin, ne dévore ni ne détruit l’âme qu’il consume. Il ne lui cause même aucune souf­france ; au contraire, à proportion qu’il est plus actif, il la divinise plus suavement et le comble de plus pures délices. C’est ce que nous lisons aux Actes des Apôtres. Le feu divin, arrivant avec une véhémence extraordinaire, embrasa les disciples49. Sur quoi saint Grégoire fait remar­quer qu’ils brûlaient intérieurement d’amour, mais avec une grande suavité50.


L’Église elle-même nous le donne à entendre lorsqu’elle dit sur le même sujet : Il vint un feu du ciel, qui ne dévorait pas, mais resplendissait, qui ne consumait pas, mais illuminait51.

Comme le but que Dieu se propose dans ces commu­nications est d’élever une âme à un état sublime, il ne l’afflige ni ne la resserre ; il la réjouit au contraire et la dilate. Il ne la plonge pas dans les ténèbres, ni sous la cendre, comme fait le feu à l’égard du charbon, mais il l’éclaire et l’enrichit. Aussi l’âme lui donne-t-elle le nom de « cautère suave ».



4. Y asî, la dichosa alma que por grande ventura a este cauterio llega, todo lo sabe, todo lo gusta, todo lo que quiere hace y se prospera, y ninguno prevalece delante de ella, nada le toca; porque esta alma es de quien dice el Apôstol (1 Cor 2, 15): El espiritual todo lo juzga, y de ninguno es juzgado. Et iterum (1 Cor 2, 10): El espîritu todo lo rastrea, hasta lo profundo de Dios. Porque ésta es la propiedad del amor: escudriñar todos los bienes del Amado.


5. Oh gran gloria de almas que merecéis llegar a este sumo fuego, en el cual, pues hay infinita fuerza para os consumir y aniquilar, est cierto que no consumiéndoos, inmensamente os consuma en gloria! No os maravilléis que Dios llegue algunas almas hasta aquî, pues que el sol se singulariza en hacer algunos efectos maravillosos; el cual, como dice el Espîritu Santo, de tres maneras abrasa los montes (Sal. 82, 15), esto es, de los santos. Siendo, pues, este cauterio tan suave como aquî se ha dado a entender, Ácun regalada creeremos que estar el alma que de él fuere tocada! Que, queriéndolo ella decir, no lo dice, sino quédase con la estimaciôn en el corazôn y el encarecimiento en la boca por este término, "oh" diciendo:

L’âme bienheureuse qui a l’insigne avantage de se voir gratifiée de ce cautère sait tout, elle goûte tout, elle fait tout ce qui lui plaît, elle réussit à tout. Nul ne prévaut contre elle, nul ne peut lui préjudicier. C’est d’elle que parle saint Paul lorsqu’il dit : Le spirituel juge de tout et n’est jugé de personne52. Et ailleurs : L’esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu53. EN EFFET, LE PROPRE DE L’AMOUR EST DE SCRUTER TOUS LES BIENS DE L’AIMÉ54.

Oh ! gloire incomparable des âmes qui ont mérité d’arriver à ce suprême embrasement ! Il a une force infinie pour vous consumer et pour vous anéantir, et cependant, il ne vous dévore point, mais il vous engloutit dans sa glorieuse immensité.

Il n’y a pas lieu de s’étonner que Dieu élève certaines âmes à une pareille hauteur. Si le soleil matériel fait des effets si surprenants, pourquoi le soleil divin n’embra­serait-il pas les montagnes — COMME L’ASSURE L’ESPRIT-SAINT, — je veux dire les âmes des justes ?55

Ce cautère d’amour avant l’excessive suavité que nous indiquons, quelles délices, je le demande, ne goûtera pas une âme qui s’en verra touchée ? Elle voudrait les exprimer, mais, impuissante à le faire, elle se borne à cette excla­mation :


Oh regalada llaga!


6. Habiendo el alma hablado con el cauterio, habla ahora con la llaga que hace el cauterio. Y, como el cauterio era suave, segùn ha dicho, la llaga, segùn razôn, ha de ser conforme el cauterio. Y asî llaga de cauterio suave ser llaga regalada, porque, siendo el cauterio de amor, ella ser llaga de amor suave, y asî ser regalada suavemente.


7. Y para dar a entender cômo sea esta llaga con que aquî ella habla, es de saber que el cauterio del fuego material en la parte do asienta siempre hace llaga, y tiene esta propiedad: que si sienta sobre llaga que no era de fuego, la hace que sea de fuego. Y eso tiene este cauterio de amor, que en el alma que toca, ahora esté llagada de otras llagas de miserias y pecados, ahora esté sana, luego la deja llagada de amor; y ya las que eran llagas de otra causa, quedan hechas llagas de amor.

Oh plaie toute délicieuse !


APRÈS S’ÊTRE ADRESSÉE AU CAUTÈRE, L’ÂME S’ADRESSE MAINTENANT A LA PLAIE CAUSÉE PAR LE CAUTÈRE. ET COMME LE CAUTÈRE, NOUS L’AVONS DIT, ÉTAIT SUAVE, LA PLAIE DOIT NÉCESSAIREMENT ÊTRE CONFORME AU CAUTÈRE. LA PLAIE DUE AU CAUTÈRE DE SUAVITÉ SERA DONC UNE PLAIE DÉLICIEUSE. LE CAUTÈRE ÉTANT D’AMOUR SUAVE, ELLE SERA UNE PLAIE D’AMOUR SUAVE, UNE PLAIE SUA­VEMENT DÉLICIEUSE.

POUR BIEN COMPRENDRE LA NATURE DE CETTE PLAIE À LAQUELLE L’ÂME S’ADRESSE, IL FAUT SAVOIR QUE LE CAUTÈRE DE FEU MATÉRIEL, LÀ OÙ ON LE POSE, FAIT TOU­JOURS UNE PLAIE, ET IL A CETTE PROPRIÉTÉ QUE S’IL S’IMPRIME SUR UNE PLAIE QUI N’ÉTAIT PAS CAUSÉE PAR LE FEU, IL LA REND UNE PLAIE DE FEU. IL EN EST DE MÊME DE CE CAUTÈRE D’AMOUR. SI L’ÂME QU’IL TOUCHE PORTE D’AUTRES PLAIES, DES PLAIES DE MISÈRES ET DE PÉCHÉS, OU BIEN SI ELLE EST SAINE, IL LUI LAISSE DES PLAIES D’AMOUR, ET LES PLAIES QUI VENAIENT D’UNE AUTRE CAUSE DEVIENNENT DES PLAIES D’AMOUR.



Pero en esto hay diferencia de este amoroso cauterio al del fuego material; que éste la llaga que hace no la puede volver a sanar, si no se aplican otros medicables, pero la llaga del cauterio de amor no se puede curar con otra medicina,


sino que el mismo cauterio que la hace la cura, y el mismo que la cura, curndola la hace; porque, cada vez que toca el cauterio de amor en la llaga de amor, hace mayor llaga de amor, y asî cura y sana ms, por cuanto llaga ms;


porque el amante, cuanto mâs llagado est, mâs sano; y la cura que hace el amor es llagar y herir sobre lo llagado, hasta tanto que la llaga sea tan grande que toda el alma venga a resolverse en llaga de amor.

MAIS IL Y A CETTE DIFFÉRENCE ENTRE CET AMOUREUX CAUTÈRE ET LE CAUTÈRE DE FEU MATÉRIEL, QUE LES PLAIES CAUSÉES PAR CELUI-CI NE PEUVENT SE GUÉRIR QUE PAR L’APPLI­CATION DE REMÈDES VENANT D’AILLEURS, TANDIS QUE LA PLAIE DU CAUTÈRE D’AMOUR NE SE PEUT GUÉRIR PAR DES REMÈDES ÉTRANGERS.


LE MÊME CAUTÈRE QUI A FAIT LA PLAIE EST ALORS CELUI QUI LA GUÉRIT, ET EN LA GUÉRISSANT, IL L’AUGMENTE. EN EFFET, CHAQUE FOIS QUE LE CAUTÈRE D’AMOUR TOUCHE LA PLAIE D’AMOUR, IL AGRANDIT LA PLAIE D’AMOUR ET IL GUÉRIT DAVANTAGE À PROPORTION QU’IL BLESSE DAVANTAGE.


C’EST QUE L’AMANT EST D’AUTANT PLUS SAIN QU’IL PORTE PLUS DE BLESSURES, ET LE REMÈDE QU’APPORTE L’AMOUR EST D’IMPRIMER, DE CREUSER PLUS PROFONDÉMENT LA BLESSURE, JUSQU’À CE QU’ENFIN LA PLAIE AIT UNE TELLE ÉTENDUE QUE L’ÂME EN VIENNE A N’ÊTRE PLUS QU’UNE PLAIE D’AMOUR. 56


Y de esta manera ya toda cauterizada y hecha una llaga de amor, est toda sana en amor, porque est transformada en amor.


Y en esta manera se entiende la llaga que aquî habla el alma, toda llagada y toda sana. Y porque, aunque est toda llagada y toda sana, el cauterio de amor no deja de hacer su oficio, que es tocar y herir de amor, por cuanto ya est todo regalado y todo sano, el efecto que hace es regalar la llaga, como suele hacer el buen médico.


Por eso dice el alma bien aquî: Oh llaga regalada! Oh, pues, llaga tanto mâs regalada cuanto es mâs alto y subido el fuego de amor que la causô, porque habiéndola hecho el Espîritu Santo sôlo a fin de regalar, y como su deseo de regalar sea grande, grande ser esta llaga, porque grandemente ser regalada!



8. Oh dichosa llaga, hecha por quien no sabe sino sanar! Oh venturosa y mucho dichosa llaga, pues no fuiste hecha sino para regalo, y la calidad de tu dolencia es regalo y deleite del alma llagada! Grande eres Oh deleitable llaga!, porque es grande el que te hizo; y grande es tu regalo, pues el fuego de amor es infinito, que segùn tu capacidad y grandeza te regala. Oh, pues, regalada llaga!, y tanto mâs subidamente regalada cuanto mâs en el infinito centro de la sustancia del alma tocô el cauterio, abrasando todo lo que se pudo abrasar, para regalar todo lo que se pudo regalar.



Et comme dans cette âme tout est blessé et tout est sain, l’office de l’amour, QUI EST CELUI DU BON MÉDECIN, est d’adoucir la plaie.






C’est pour cela que l’âme dit avec raison : “Oh ! plaie toute délicieuse ! Oh ! heureuse plaie ! causée par Celui qui ne sait que guérir ! Oh ! plaie d’autant plus délicieuse, que l’amour qui la cause est plus sublime et plus divin57 ! Comme l’Esprit-Saint n’a fait cette plaie à l’âme que pour la combler de délices, et que son désir, sa volonté de l’en combler est immense, immense sera la plaie, immense sera la jouis­sance dont cette plaie est la source.


Oh ! heureuse et bienheu­reuse plaie, qui n’a été faite que pour caresser ! Le mal que tu causes est un comble de délices pour l’âme ainsi blessée. Tu es immense, ô plaie de suavité ! parce que Celui qui t’a faite est immense. Immenses sont les délices que tu causes, parce que c’est le feu d’amour, feu infini, qui te rend abondante en délices autant que tu es capable de les transmettre. Oui, encore une fois, plaie toute de suavité, et d’autant plus sublime en suavité que le cautère d’amour s’est imprimé plus profondément au centre intime de la substance même de l’âme, consumant tout ce qui se peut consumer, afin de verser la suavité autant qu’elle se peut verser.


Este cauterio y esta llaga podemos entender que es el mâs alto grado que en este estado puede ser; porque hay otras muchas maneras de cauterizar Dios al alma que ni llegan aquî ni son como ésta; porque ésta es toque sôlo de la Divinidad en el alma, sin forma ni figura alguna intelectual ni imaginaria.



9. Pero otra manera de cauterizar al alma con forma intelectual suele haber muy subida y es en esta manera: acaecer que, estando el alma inflamada en amor de Dios, aunque no esté tan calificada como aquî habemos dicho, (pero harto conviene que lo esté para lo que aquî quiero decir), que sienta embestir en ella un serafÔN con una flecha o dardo encendidîsimo en fuego de amor, traspasando a esta alma que ya est encendida como ascua, o por mejor decir, como llama, y cauterîzala subidamente; y entonces, con este cauterizar, transpasndola con aquella saeta; apresùrase la llama del alma y sube de punto con vehemencia, al modo que un encendido horno o fragua cuando le hornaguean o trabucan el fuego. Y entonces, al herir de este encendido dardo, siente la llaga del alma en deleite sobre manera; porque, dems de ser ella toda removida en gran suavidad al trabucamiento y mociôn impetuosa causada por aquel serafÔN, en que siente grande ardor y derretimiento de amor, siente la herida fina y la yerba con que vivamente iba templado el hierro, como una viva punta en la sustancia del espîritu, como en el corazôn del alma traspasado.

Ce cautère et la plaie qu’il cause, tels que nous les décri­vons, constituent le plus haut sommet de l’état d’union. Dieu, en effet, a beaucoup d’autres manières de cautériser une âme : mais elles n’arrivent pas jusque-là et sont bien différentes de celle dont nous parlons. Celle-ci est un pur contact de la Divinité accordé à une âme sans forme ni figure, soit intellectuelle, soit imaginaire.


Il existe cependant un cautère d’amour accompagné de forme intellectuelle, qui est très sublime aussi. Voici comment il se produit.

Une âme se trouvera enflammée d’amour pour Dieu, en degré moindre que nous ne venons de dire, mais fort élevé encore, et il faut qu’il le soit pour constituer ce que je vais dépeindre.

Tout â coup un séraphin l’attaquera d’une flèche ou d’un dard embrasé à l’extrême du feu d’amour, et trans­perçant de son dard cette âme qui est déjà à l’état de braise de feu, ou pour mieux dire, â l’état de flamme ardente, il l’en cautérisera de façon sublime. Sous l’action du cautère que produit ce dard de feu, voici que la flamme de cette âme s’élance soudain et monte avec violence. Tel un fourneau ou une forge embrasée, dont on remue et retourne le feu, afin d’en activer l’ardeur.

Sous la blessure de ce dard enflammé, la plaie de l’âme abonde en souveraines délices. Tandis que par la violente et délicieuse agitation causée par cette attaque du séraphin, l’âme se liquéfie tout entière en ardent amour, elle sent à la pointe de la blessure le venin d’amour qui empoisonne l’extrémité du dard, pénétrer dans la substance de son esprit et de son cœur transverbéré58.



10. Y en este ÔNtimo punto de la herida, que parece queda en la mitad del corazôn del espîritu, que es donde se siente lo fino del deleite, quién podrà hablar como conviene? Porque siente el alma allî como un grano de mostaza muy mÔNimo, vivîsimo y encendidîsimo, el cual de sî envîa en la circunferencia vivo y encendido fuego de amor. El cual fuego, naciendo de la sustancia y virtud de aquel punto vivo donde est la sustancia y virtud de la yerba, se siente difundir sutilmente por todas las espirituales y sustanciales venas del alma segùn su potencia y fuerza, en lo cual siente ella convalecer y crecer tanto el ardor, y en ese ardor afinarse tanto el amor, que parecen en ella mares de fuego amoroso que llega a lo alto y bajo de las mquinas, llenndolo todo el amor. En lo cual parece al alma que todo el universo es un mar de amor en que ella est engolfada, no echando de ver término ni fin donde se acabe ese amor, sintiendo en sî, como habemos dicho, el vivo punto y centro del amor.







11. Y lo que aquî goza el alma no hay mâs decir sino que allî siente cun bien comparado est en el Evangelio (Mt. 13, 31-32) el reino de los cielos al grano de mostaza, que, por su gran calor, aunque tan pequeño, crece en rbol grande; pues que el alma se ve hecha como un inmenso fuego de amor que nace de aquel punto encendido del corazôn del espîritu.

C’est à cette pointe de la blessure qui a percé, ce lui semble, le centre de son cœur, que l’âme perçoit les plus exquises délices. Qui en pourra dignement parler ?

L’âme, en effet, sent au point que je viens de dire comme un grain de sénevé59 presque imperceptible, mais d’une vivacité et d’une ardeur inexprimables, qui jette autour de lui un feu d’amour embrasé. Ce feu naît de la vitalité et de la puissance de cette vive pointe où se trouve réunie toute la substance, toute la vertu du venin d’amour. Il se répand subtilement, selon toute sa puissance, toute sa capacité de brûler, par toutes les veines spirituelles de l’essence de l’âme, et y fait croître à l’excès l’ardeur.

Au sein de cet incendie, l’âme sent l’ardeur atteindre un degré si élevé et dans cette ardeur l’amour monte â un si haut degré, qu’il forme comme des océans de feu d’amour, qui remplissent les hauteurs et les profondeurs de l’âme, déversant partout l’amour.

IL SEMBLE ALORS A CETTE ÂME QUE L’UNIVERS N’EST PLUS QU’UN OCÉAN D’AMOUR, DANS LEQUEL ELLE-MêME EST ENGLOUTIE. CET AMOUR LUI PARAÎT SANS LIMITE ET SANS FIN, ET ELLE SENT EN ELLE-MÊME, COMME JE VIENS DE LE DIRE, LA VIVE POINTE CENTRALE QUI LUI DONNE NAISSANCE.

Quant à la jouissance dont déborde cette âme, on n’en peut rien dire, sinon que l’âme comprend alors toute la justesse de la comparaison que fait l’Évangile entre le royaume de Dieu et le grain de sénevé, ce grain très petit, mais dont la chaleur est si vive qu’il devient un grand arbre60. Ainsi l’âme est devenue un immense incendie d’amour, né de ce point enflammé qui se trouve au centre de son esprit61.


12. Pocas almas llegan a tanto como esto, mas algunas han llegado, mayormente las de aquellos cuya virtud y espîritu se habîa de difundir en la sucesiôn de sus hijos, dando Dios la riqueza y valor a las cabezas en las primicias del espîritu, segùn la mayor o menor sucesiôn que habîa de tener su doctrina y espîritu.


13. Volvamos, pues, a la obra que hace aquel serafÔN, que verdaderamente es llagar y herir interiormente en el espîritu. Y asî, si alguna vez da Dios licencia para que salga algùn efecto afuera en el sentido corporal al modo que hiriô dentro, sale la herida y llaga afuera, como acaeciô cuando el serafÔN llagô al santo Francisco, que llagndole el alma de amor en las cinco llagas, también saliô en aquella manera el efecto de ellas al cuerpo, imprimiéndolas también en él, y llagndole como habîa llagado su alma de amor. Porque Dios, ordinariamente, ninguna merced hace al cuerpo que primero y principalmente no la haga en el alma. Y entonces, cuanto mayor es el deleite y fuerza de amor que causa la llaga dentro del alma, tanto mayor es el de fuera en la llaga del cuerpo; y, creciendo lo uno, crece lo otro. Lo cual acaece asî porque, estando estas almas purificadas y puestas en Dios, lo que a su corruptible carne es causa de dolor y tormento, en el espîritu fuerte y sano le es dulce y sabroso; y asî, es cosa maravillosa sentir crecer el dolor en el sabor.

Peu de personnes atteignent un état aussi élevé ; quelques-unes cependant y sont parvenues. Ce sont spécialement celles dont l’esprit et les vertus62  sont destinés à se répandre dans une postérité spirituelle. Dieu, dans ce cas, se plaît à enrichir de ses trésors ceux dont il fait les chefs d’une race ; il met en eux les prémices de l’esprit, et cela plus ou moins, selon la succession plus ou moins étendue qu’il a dessein de donner à leur doctrine et à leur esprit.

Mais revenons à l’opération du séraphin. Très vérita­blement l’esprit céleste fait une blessure et une plaie inté­rieure à l’esprit. Parfois Dieu permet que des effets se produisent au-dehors et affectent le sens corporel d’une manière conforme à la blessure intérieure. Alors la blessure et la plaie paraissent à l’extérieur, comme il advint à saint François lorsqu’il fut blessé par un séraphin. Ce saint reçut en son âme une blessure d’amour, qui parut au-dehors sous la forme de cinq plaies imprimées sur son corps, en sorte que la blessure de l’âme se trouva en quelque façon reproduite sur les membres.

Dieu, d’ordinaire, n’imprime pas corporellement un effet de grâce, sans l’imprimer d’abord et plus excellemment dans l’âme. Dans ce cas, plus la jouissance, plus l’effet d’amour que la plaie cause dans l’âme sont intenses, plus vive est la douleur que fait éprouver la blessure extérieure imprimée sur le corps, et l’une croît à proportion de l’autre. Cela vient de ce que de telles âmes étant parfaitement purifiées et affermies en Dieu, ce qui est douleur et tour­ment à leur chair corruptible est délices et jouissance à leur esprit fort et entièrement sain.


La cual maravilla echô bien de ver Job (10, 16) en sus llagas, cuando dijo a Dios: Volviéndote a mî, maravillosamente me atormentas. Porque maravilla grande es y cosa digna de la abundancia de la suavidad y dulzura que tiene Dios escondida para los que le temen (Sal. 30, 20), hacer gozar tanto mâs sabor y deleite cuanto mâs dolor y tormento se siente.


Pero cuando el llagar es solamente en el alma, sin que se comunique fuera, puede ser el deleite mâs intenso y mâs subido; porque, como la carne tenga enfrenado el espîritu, cuando los bienes espirituales de él se comunican también a ella, ella tira la rienda y enfrena la boca a este ligero caballo del espîritu y apgale su gran brîo, porque si él usa de su fuerza, la rienda se ha de romper. Pero hasta que ella se rompa, no deja de tenerle oprimido de su libertad, porque, como el Sabio (Sab. 9, 15) dice: el cuerpo corruptible agrava el alma, y la terrena habitaciôn oprime al sentido espiritual que de suyo comprehende muchas cosas.


14. Esto digo para que entiendan que el que siempre se quisiere ir arrimando a la habilidad y discurso natural para ir a Dios no ser muy espiritual. Porque hay algunos que piensan que a pura fuerza y operaciôn del sentido, que de suyo es bajo y no mâs que natural, pueden venir y llegar a las fuerzas y alteza del espîritu sobrenatural; al cual no se llega sino el sentido corporal con su operaciôn anegado y dejado aparte.

Chose admirable, en vérité, de sentir la douleur grandir à proportion de la jouissance ! Job expérimentait cette merveille lorsque, couvert de plaies, il disait à Dieu : Quand vous vous retournez sur moi, vous me tourmentez d’une manière admirable63. Oui, c’est une grande merveille et un effet digne de l’abondance des suavités et des douceurs que Dieu tient en réserve pour ceux qui le craignent64, que de verser les délices et la jouissance à proportion de la douleur et des tourments.


Toutefois, quand la plaie n’est produite que dans l’âme seulement et qu’elle ne paraît pas au-dehors, la jouissance peut être plus intense et plus élevée. La chair en effet, réfrène l’esprit, et lorsqu’elle reçoit communication des biens spirituels, elle raccourcit les rênes du léger coursier de l’esprit et resserre son mors, diminuant par là quelque chose de son excessive ardeur. À vrai dire, si le coursier usait de toute sa force, il briserait ses rênes : mais il reste vrai qu’en pareil cas, la chair lui ravit une partie de sa liberté. Le Sage ne dit-il pas que le corps corruptible appe­santit l’âme et que l’habitation terrestre opprime l’esprit qui de lui-même perçoit de grandes choses ?65


Je dis ceci pour bien faire comprendre que ceux qui, pour aller à Dieu, s’attachent à l’activité du discours naturel, ne feront jamais grand progrès dans la spiritualité. Il est en effet des personnes qui se figurent pouvoir arriver à la hauteur et à la puissance de l’esprit surnaturel par la seule opération du sens, si basse et purement naturelle, tandis qu’on n’y parvient qu’en renonçant au sens naturel et à son opération, en les laissant entièrement de côté.


Pero otra cosa es cuando del espîritu se deriva efecto espiritual en el sentido, porque cuando asî es, antes puede acaecer de mucho espîritu, como se ha dado a entender en lo que habemos dicho de las llagas, que de la fuerza interior salen afuera; y como en san Pablo, que, del gran sentimiento que tenîa de los dolores de Cristo en el alma, le redundaba en el cuerpo, segùn él daba a entender a los de Galacia (6, 17), diciendo: Yo en mi cuerpo traigo las heridas de mi Señor Jesùs.


15. Del cauterio y de la llaga basta lo dicho. Los cuales siendo tales como aquî se han pintado, cul creeremos que ser la mano con que se da este cauterio y cul el toque? El alma lo muestra en el verso siguiente, mâs encareciéndolo que declarndolo, diciendo:

Quand un effet surnaturel dérive de l’esprit dans le sens, c’est toute autre chose. Dans ce cas l’influence spirituelle peut atteindre une grande intensité : nous l’avons montré à propos de la plaie intérieure que la véhémence de l’action divine fait passer au-dehors. Saint Paul en est un exemple. Le sentiment intense qu’il avait des douleurs de Jésus — Christ dans son âme passait jusqu’à son corps. Lui-méme le donne à entendre aux Galates, lorsqu’il dit : Je porte dans mon corps les stigmates de mon Seigneur Jésus66.

Si tel est le cautère spirituel et telle la plaie d’amour, quelle sera, je le demande, la main qui imprime ce cautère, quel le contact de cette main ? L’âme, impuissante à l’expli­quer, cherche à le faire comprendre par l’exclamation qui occupe le vers suivant :



Oh mano blanda! Oh toque delicado!


16. La cual mano, segùn habemos dicho, es el piadoso y omnipotente Padre. La cual habemos de entender que, pues es tan generosa y dadivosa cuanto poderosa y rica, ricas y poderosas ddivas da al alma, cuando se abre para hacerla mercedes; y asî llmala mano blanda, que es como si dijera: Oh mano tanto mâs blanda para esta mi alma, que tocas asentando blandamente, cuanto si asentases algo pesada hundirîas todo el mundo, pues de tu solo mirar la tierra se estremece (Sal. 103, 32) las gentes se desatan y desfallecen y los montes se desmenuzan! (Hab. 3, 6). Oh, pues, otra vez grande mano, pues asî como fuiste dura y rigurosa para Job (19, 21), tocndole tan mala vez speramente, para mî eres tanto mâs amigable y suave que a él fuiste dura, cuanto mâs amigable y graciosa y blandamente de asiento tocas en mi alma! Porque tù haces morir y tù haces vivir, y no hay quien rehuya de tu mano (Dt. 32, 39). Mas tù Oh divina vida!, nunca matas sino para dar vida, asî como nunca llagas sino para sanar. Cuando castigas, levemente tocas, y eso basta para consumir el mundo; pero cuando regalas, muy de propôsito asientas, y asî del regalo de tu dulzura no hay nùmero.

Oh ! douce main ! Touche légère


LA MAIN NOUS L’AVONS DIT, REPRÉSENTE LE MISÉRICORDIEUX67 ET TOUT-PUISSANT. OH ! DOUCE MAIN qui étant68 aussi généreuse et aussi libérale qu’elle est puissante et qu’elle est riche, il est clair que lorsqu’elle s’ouvrira pour répandre sur une âme ses faveurs, elle la comblera de dons aussi précieux que magnifiques.

Oh ! main d’autant plus douce â sentir quand tu veux manifester ta suavité que sous cette même main, si tu voulais en faire sentir quelque peu le poids, le monde entier s’effondrerait en ruines ! N’es-tu pas celui-là méme dont le seul regard fait trembler la terre69 et défaillir les nations, qui réduit en poudre les montagnes70 ?

Oui, encore une fois, « douce main » ! Toi si rigoureuse et si dure à Job lorsque tu le touchais avec quelque rudesse, que tu es pour moi favorable et suave ! Tu le traitais avec rigueur, et pour moi, pleine de grâce et d’amabilité, tu me touches avec une amoureuse douceur. Ah ! c’est que, Seigneur, tu donnes la mort comme tu donnes la vie, et personne ne peut s’échapper de ta main71. Mais, ô Vie divine, tu ne tues que pour donner la vie et tu ne blesses que pour guérir.


Llagsteme para sanarme Oh divina mano!, y mataste en mî lo que me tenîa muerta sin la vida de Dios en que ahora me veo vivir. Y esto hiciste tù con la liberalidad de tu generosa gracia, de que usaste conmigo con el toque que me tocaste de resplandor de tu gloria y figura de tu sustancia (Hb. 1, 3), que es tu Unigénito Hijo, en el cual, siendo él tu Sabidurîa, tocas fuertemente desde un fin hasta otro fin (Sab. 7, 24); y este Unigénito Hijo tuyo, Oh mano misericordiosa del Padre!, es el toque delicado con que me tocaste en la fuerza de tu cauterio y me llagaste.


17. Oh, pues, tù, toque delicado, Verbo Hijo de Dios, que por la delicadez de tu ser divino penetras sutilmente la sustancia de mi alma, y, tocndola toda delicadamente, en ti la absorbes toda en divinos modos de deleites y suavidades nunca oîdas en la tierra de Canan, ni vistas en Temn! (Bar. 3, 22). Oh, pues, mucho, y en grande manera mucho delicado toque del Verbo, para mî tanto mâs cuanto, habiendo trastornado los montes y quebrantado las piedras en el monte Horeb con la sombra de tu poder y fuerza que iba delante, te diste mâs suave y fuertemente a sentir al profeta en silbo de aire delgado! (3 Re. 19, 11-12). Oh aire delgado!, como eres aire delgado y delicado, di: cômo tocas delgada y delicadamente, Verbo, Hijo de Dios, siendo tan terrible y poderoso?


Oui, tu m’as blessée pour me guérir, ô divine main ! Tu as donné la mort à ce qui me tenait dans la mort, à ce qui me privait de cette vie divine dont je vis maintenant. Ce fut le don de cette grâce généreuse dont tu m’as prévenue, en m’admettant au contact de la splendeur de ta gloire et de la figure de ta substance72, c’est-à-dire de ton Fils unique, de cette Sagesse par laquelle tu atteins73 fortement d’une extré­mité à l’autre, à cause de ta pureté74. Ô MAIN MISÉRICORDIEUSE DU PÈRE, TU M’AS TOUCHÉE DE TON CONTACT LÉGER DANS LA FORCE DU CAUTÈRE DONT TU M’AS BLESSÉE !75


O. Verbe, Fils de Dieu, touche exquise qui par la déli­catesse de ton Être divin pénètre subtilement la substance de mon âme ! tu l’absorbes avec une suavité infinie tota­lement en toi-même, au milieu d’une abondance de divines délices, dont on n’a pas entendu parler dans la terre de Chanaan, et qu’on n’a jamais vue dans Téman76.

Ô légère et infiniment légère touche du Verbe ! D’autant plus légère pour moi qu’après avoir sur l’Horeb renversé les montagnes et brisé les rochers par l’ombre seule de ta puissance et de la force qui marchait devant toi, tu t’es révélée au prophète dans le souffle d’une brise légère77. O brise légère, dis-moi comment tu peux être une brise légère, comment tu peux toucher avec tant de légèreté et de délicatesse, alors que tu es si terrible en ta puissance !



Oh dichosa y mucho dichosa el alma a quien tocares delgada y delicadamente, siendo tan terrible y poderoso! Di esto al mundo; mas no lo quieras decir al mundo, porque no sabe de aire delgado y no te sentir, porque no te puede recibir ni te puede ver (Jn. 14, 17); sino aquellos, Oh Dios mîo y vida mîa!, vern y sentirn tu toque delgado, que, enajenndose del mundo, se pusieren en delgado, conviniendo delgado con delgado, y asî te puedan sentir y gozar; a los cuales tanto mâs delgadamente tocas cuanto por estar ya adelgazada y pulida y purificada la sustancia de su alma, enajenada de toda criatura y de todo rastro y de todo toque de ella, ests tù escondido morando muy de asiento en ella. Y en eso los escondes a ellos en el escondrijo de tu rostro, que es el Verbo, de la conturbaciôn de los hombres (Sal. 30, 21).


18. Oh, pues, otra vez y muchas veces delicado toque, tanto mâs fuerte y poderoso, cuanto mâs delicado, pues que con la fuerza de tu delicadez deshaces y apartas el alma de todos los dems toques de las cosas criadas, y la adjudicas y unes sôlo en ti, y tan delgado efecto y dejo dejas en ella, que todo otro toque de todas las cosas altas y bajas le parece grosero y bastardo, y le ofenda aun mirarle y le sea pena y grave tormento tratarle y tocarle!


19. Y es de saber que tanto mâs ancha y capaz es la cosa, cuanto mâs delgada es en sî, y tanto mâs difusa y comunicativa es, cuanto es mâs sutil y delicada. El Verbo es inmensamente sutil y delicado, que es el toque que toca al alma; el alma es el vaso ancho y capaz por la delgadez y purificaciôn grande que tiene en este estado.

Oh ! heureuse et bienheureuse l’âme que tu touches si légèrement, ô Dieu puissant et terrible ! Âme bénie, dis-le78 au monde. Ou plutôt non, ne le lui dis pas, car le monde ne connaît pas cette brise légère, il ne te croirait point, parce qu’il est incapable de la recevoir et d’en faire estime79. Ô mon Dieu ! ô ma Vie ! Ceux-là te connaîtront, ceux-là recevront80 et sentiront ton contact léger, qui seront devenus légers eux-mêmes et par là te seront devenus conformes. Tu les toucheras avec d’autant plus de légèreté que, caché dans la substance de leur âme totalement affinée et purifiée parce qu’ils seront devenus entièrement étrangers à la créature et à tout le créé, tu pourras les cacher dans le secret de ta face, c’est-à-dire de ton divin Fils, pour les mettre à couvert de tous les troubles que peuvent causer les hommes81.


Ah ! redisons-le et répétons-le encore, touche infiniment délicate, qui, par la force même de ta délicatesse, détaches et sépares une âme de tout contact des créatures et te l’adjuges uniquement à toi-même ! Tu laisses en elle un effet si subtil, un vestige si léger, que tout autre contact des choses hautes ou basses paraît à cette âme entachée de souillure, que son seul aspect l’offense, que sa seule approche, son seul attouchement lui est souffrance, intolé­rable tourment.


Or, il faut savoir que plus une substance est déliée, plus elle a d’étendue et de capacité, et que plus elle est subtile et légère, plus elle est diffuse et communicative. LE VERBE EST IMMENSÉMENT SUBTIL ET DÉLICAT, ET C’EST SON CONTACT QUI SE FAIT SENTIR A L’ÂME. L’ÂME EST UN VASE LARGE ET PLEIN D’AMPLEUR, À CAUSE DE LA PURETÉ ET DE LA DÉLICATESSE QU’ELLE A EN CET ÉTAT.


Oh, pues, toque delicado!, que tanto copiosa y abundantemente te infundes en mi alma, cuanto tù tienes de mâs sustancia y mi alma de mâs pureza.


20. Y también es de saber, que tanto mâs sutil y delicado es el toque y tanto mâs deleite y regalo comunica donde toca, cuanto menos tomo y bulto tiene el toque. Este toque divino ningùn bulto ni tomo tiene, porque el Verbo que le hace es ajeno de todo modo y manera, y libre de todo tomo de forma y figura y accidentes, que es lo que suele ceôir y poner raya y término a la sustancia; y asî este toque de que aquî se habla, por cuanto es sustancial, es a saber, de la divina sustancia, es inefable. Oh, pues, finalmente, toque inefablemente delicado del Verbo, pues no se hace en el alma menos que con tu simplicîsimo y sencillîsimo ser, el cual, como es infinito, infinitamente es delicado, y, por tanto, tan sutil y amorosa y eminente y delicadamente toca,


Redisons-le donc encore : Oh ! touche du Verbe ineffa­blement légère ! Tu te répands d’autant plus, que tu es plus légère et que le vase de mon âme82 est devenu par ton contact plus simple et plus pur, plus délié et plus ample !


83 Oh ! touche légère ! si légère que ton contact est d’autant plus puissant et divinise d’autant plus mon âme, que ton Être divin, auteur de cette touche, est étranger à tout mode, à toute forme et à toute figure ! Répétons-le en terminant, touche légère et plus que légère, qui vient de ton Être très simple, qui, par là même qu’il est infini, est infiniment léger ET PAR SUITE, TOUCHE SI SUBTILEMENT SI AMOUREUSEMENT, AVEC TANT D’ÉMINENCE ET DE DÉLI­CATESSE ! Et pour cela aussi,



que a Vida eterna sabe!


21. Que, aunque no es en perfecto grado, es, en efecto, cierto sabor de vida eterna, como arriba queda dicho, que se gusta en este toque de Dios. Y no es increible que sea asî, creyendo, como se ha de creer, que este toque es toque de sustancia, es a saber, de sustancia de Dios en sustancia del alma, al cual en esta vida han llegado muchos santos. De donde la delicadez del deleite que en este toque se siente es imposible decirse; ni yo querrîa hablar en ello, porque no se entienda que aquello no es mâs de lo que se dice, que no hay vocablos para declarar cosas tan subidas de Dios, como en estas almas pasan; de las cuales el propio lenguaje es entenderlo para sî y sentirlo y gozarlo y callarlo el que lo tiene. Porque echa de ver el alma aquî en cierta manera ser estas cosas como el clculo que dice san Juan (Ap. 2, 17) que se darîa al que venciese, y en el clculo un nombre escrito, que ninguno le sabe sino el que le recibe;

Il a le goût d’éternité !


Sans aucun doute, cette divine touche84 fait goûter à l’âme la saveur de la vie éternelle, non toutefois en un degré parfait. Ceci n’aura rien d’incroyable, si nous réflé­chissons à cette vérité très certaine : que la touche dont il s’agit est une touche substantielle, je veux dire un divin contact85 entre la substance de Dieu et la substance de l’âme, faveur dont bien des saints ont été gratifiés en cette vie. De là vient que l’exquise jouissance que procure cette touche divine est entièrement inexprimable. Aussi je préférerais n’en rien dire, tant je crains qu’on ne se figure qu’elle peut se rendre par des paroles. En réalité, il n’y a pas de termes pour exprimer, ponr nommer même, des effets aussi sublimes et aussi divins. Il faut se borner à les goûter par expérience et à en jouir au dedans de soi-même dans le silence.

L’âme qui se voit ainsi gratifiée comprend parfaitement qu’il en est ici comme du caillou dont parle saint Jean, et que celui-là recevra qui aura vaincu. Sur ce caillou sera inscrit un nom que personne ne connaît, sinon celui qui le reçoit86.

y asî sôlo se puede decir, y con verdad, que a vida eterna sabe. Que, aunque en esta vida no se goza perfectamente como en la gloria, con todo eso, este toque, por ser toque de Dios, a vida eterna sabe.



Y asî, gusta el alma aquî de todas las cosas de Dios, comunicndosele fortaleza, sabidurîa y amor, hermosura, gracia y bondad, etc. Que, como Dios sea todas estas cosas, gùstalas el alma en un solo toque de Dios, y asî el alma segùn sus potencias y su sustancia goza.


22. Y de este bien del alma a veces redunda en el cuerpo la unciôn del Espîritu Santo, y goza toda la sustancia sensitiva, todos los miembros y huesos y médulas, no tan remisamente como comùnmente suele acaecer, sino con sentimiento de grande deleite y gloria, que se siente hasta los ùltimos artejos de pies y manos. Y siente el cuerpo tanta gloria en la del alma, que en su manera engrandece a Dios, sintiéndole en sus huesos, conforme aquello que David (Sal. 34, 10) dice: Todos mis huesos dirn: Dios, quién semejante a ti?


Y porque todo lo que de esto se puede decir es menos, por eso baste decir, asî de lo corporal como de espiritual: que a vida eterna sabe,

Tout ce que l’on peut dire, et avec vérité, de cette divine touche, c’est qu’elle a le goût d’éternité. En cette vie ce goût ne saurait être parfait comme dans la gloire ; néanmoins, la touche étant divine, elle a très réellement la saveur de la vie éternelle.


L’âme ici perçoit le goût de tous les attributs de Dieu : elle reçoit communication de sa force, de sa sagesse, de son amour, de sa beauté, de sa clémence, de sa bonté, etc. Comme Dieu est tout cela, l’âme goûte tout cela dans cette seule touche divine, et elle le goûte à la fois selon ses puis­sances et selon son essence. Parfois une partie de cette jouissance de l’âme se déverse sur le corps, par suite de l’union qu’il a avec l’esprit. La partie sensitive, les membres, les os et la moelle des os sont imbibés de jouissance, non à un degré médiocre comme en d’autres effets de grâce, mais avec des impressions de délices et de gloire si intenses, qu’elles se font sentir jusqu’aux dernières articulations des pieds et des mains.

Le corps participe ici très abondamment à la béatitude de l’âme. Alors il glorifie à sa manière le Dieu qu’il sent jusque dans ses os, suivant cette parole de David : Tous me os diront : Seigneur qui est semblable à vous87 ?

Mais comme tous les discours qu’on pourrait en faire resteraient au-dessous de la vérité, qu’il suffise de dire qu’au sens corporel comme au sens spirituel, cette divine touche a « le goût d’éternité ».



y toda deuda paga.


23. Esto dice el alma porque en el sabor de vida eterna, que aquî gusta, siente la retribuciôn de los trabajos que ha pasado para venir a este estado; en el cual no solamente se siente pagada y satisfecha al justo, pero con grande exceso premiada, de manera que entiende bien la verdad de la promesa del Esposo en el Evangelio (Mt. 19, 23) que darîa ciento por uno. De manera que no hubo tribulaciôn, ni tentaciôn, ni penitencia, ni otro cualquier trabajo que en este camino haya pasado, a que no corresponda ciento tanto de consuelo y deleite en esta vida, de manera que puede muy bien decir el alma: y toda deuda paga.


24. Y para saber cômo y cules sean estas deudas de que aquî el alma se siente pagada, es de notar que, de vîa ordinaria, ningùn alma puede llegar a este alto estado y reino del desposorio, que no pase primero por muchas tribulaciones y trabajos; porque, como se dice en los Actos de los Apôstoles (14, 21), por muchas tribulaciones conviene entrar en el reino de los cielos, las cuales ya en este estado son pasadas, porque de aquî adelante, porque el alma est purificada, no padece.

Par toi toute dette est payée !


Il convient d’expliquer ici quelles sont ces dettes dont l’âme se déclare payée.

L’ÂME PARLE AINSI PARCE QUE DANS CETTE SAVEUR DE VIE ÉTERNELLE QU’IL LUI EST DONNÉ DE GOÛTER, ELLE SE SENT RÉTRIBUÉE DE TOUTES LES PEINES QU’ELLE A SOUFFERTES POUR ARRIVER A CET ÉTAT ET NON SEU­LEMENT ELLE SE SENT EXACTEMENT PAYÉE ET RÉTRIBUÉE, MAIS RÉCOMPENSÉE AVEC EXCÈS. ELLE ENTEND BIEN LA VÉRITÉ DE LA PROMESSE FAITE PAR L’ÉPOUX, DANS L’ÉVAN­GILE, QU’IL RENDRA CENT POUR UN88, CAR IL N’Y A TRIBULATION, TENTATION, PÉNITENCE, PEINE QUELCONQUE ENDU­RÉE EN CE CHEMIN, À LAQUELLE NE CORRESPONDE UN CENTUPLE DE CONSOLATION ET DE DÉLICES EN CETTE VIE, DE FAÇON QUE L’ÂME PEUT DIRE AVEC VÉRITÉ : « TOUTE DETTE EST PAYÉE. »

D’ordinaire, on n’arrive pas89 au sublime royaume spirituel sans avoir passé par des peines et des tribulations sans nombre. C’est en effet, comme il est dit aux Actes des Apôtres, par beaucoup de tribulations qu’il convient d’entrer dans le royaume des cieux90. Ces épreuves ont pris fin et l’âme désormais ne souffre plus.


25. Los trabajos, pues, que padecen los que han de venir a este estado, son en tres maneras, conviene a saber: trabajos y desconsuelos, temores y tentaciones de parte del siglo, y esto de muchas maneras; tentaciones y sequedades y aflicciones de parte del sentido; tribulaciones, tinieblas, aprietos, desamparos, tentaciones y otros trabajos de parte del espîritu, porque de esta manera se purifique segùn las partes espiritual y sensitiva, a la manera que dijimos en la declaraciôn del cuarto verso de la primera canciôn.


Y la razôn de por qué son necesarios estos trabajos para llegar a este estado es que asî como un subido licor no se pone sino en un vaso fuerte, preparado y purificado, asî esta altîsima uniôn no puede caer en alma que no sea fortalecida con trabajos y tentaciones, y purificada con tribulaciones, tinieblas y aprietos; porque por lo uno se purifica y fortalece el sentido y por lo otro se adelgaza y purifica y dispone el espîritu. Porque, asî como para unirse con Dios en gloria los espîritus impuros pasan por las penas del fuego en la otra vida; asî para la uniôn de perfecciôn en ésta han de pasar por el fuego de estas dichas penas. El cual en unos obra mâs y en otros menos fuertemente; en unos mâs largo tiempo, en otros menos, segùn el grado de uniôn a que Dios los quiere levantar y conforme a lo que ellos tienen que purgar.

Les peines que doivent soutenir ceux qui sont appelés à l’union avec Dieu sont91 des adversités et des tentations de bien des genres dans la partie sensitive ; des tribulations, des ténèbres, des angoisses dans la partie spirituelle. L’âme, en effet, a besoin d’être purifiée dans ses deux parties, la spirituelle et la sensitive, ainsi que nous l’avons indiqué en expliquant le quatrième vers de la Strophe.

Voici la raison pour laquelle ces épreuves sont nécessaires. DE MÊME QU’UNE LIQUEUR EXCELLENTE NE SE VERSE QUE DANS UN VASE SOLIDE, BIEN PRÉPARÉ ET BIEN PURIFIÉ, AINSI CETTE TRÈS HAUTE UNION NE PEUT SE VERSER QUE DANS UNE ÂME FORTIFIÉE PAR LES PEINES ET LES TENTA­TIONS, PURIFIÉE PAR LES TRIBULATIONS, LES TÉNÈBRES ET LES ANGOISSES. Les adversités et les amertumes purifient et dégagent le sens, les ténèbres et les angoisses spiritua­lisent et disposent l’esprit. L’âme doit donc passer par là pour devenir capable de se transformer en Dieu, de même que les âmes qui doivent le voir dans l’autre vie ont à passer par le purgatoire. L’intensité et la durée des tribu­lations varient suivant le degré d’union auquel Dieu à dessein d’élever une âme et suivant ce que les âmes ont à purger.


26. Por estos trabajos, en que Dios al alma y sentido pone, va ella cobrando virtudes, fuerza y perfecciôn con amargura, porque la virtud en la flaqueza se perfecciona (2 Cor. 12, 9), y en el ejercicio de pasiones se labra. Porque no puede servir y acomodarse el hierro en la inteligencia del artîfice si no es por fuego y martillo, segùn del fuego dice Jeremîas (Lm. 1, 13) que le puso en inteligencia, diciendo: Enviô fuego en mis huesos y enseôôme. Y del martillo dice también Jeremîas (31, 18): Castigsteme, Señor, y quedé enseñado. Por lo cual dice el Eclesistico que el que no es tentado, qué puede saber?; y, el que no es experimentado, pocas cosas conoce (34, 9-11).


27. Y aquî nos conviene notar la causa por que hay tan pocos que lleguen a tan alto estado de perfecciôn de uniôn de Dios. En lo cual es de saber que no es porque Dios quiera que haya pocos de estos espîritus levantados, que antes querrîa que todos fuesen perfectos, sino que halla pocos vasos que sufran tan alta y subida obra; que, como los prueba en lo menos y los halla flacos (de suerte que luego huyen de la labor, no queriendo sujetarse al menor desconsuelo y mortificaciôn) de aquî es que, no hallndolos fuertes y fieles en aquello poco que les hacia merced de comenzarlos a desbastar y labrar, eche de ver lo sern mucho mâs en lo ms, y mucho no va ya adelante en purificarlos y levantarlos del polvo de la tierra por la labor de la mortificaciôn, para la cual era menester mayor constancia y fortaleza que ellos muestran.

C’est au milieu de ces peines auxquelles Dieu soumet l’âme et le sens, que s’acquièrent dans l’amertume les vertus, la vigueur et la perfection, car la vertu se perfec­tionne dans la faiblesse92, elle atteint son fini dans le creuset de la souffrance. Le fer ne prend la forme conçue dans l’intelligence de l’artisan que sous l’action du feu et du marteau, qui le dépouille de sa forme première. Jérémie nous dit que c’est de cette façon que Dieu l’instruisit. Le Seigneur, dit-il, a envoyé un feu dans mes os, et il m’a instruit93. Il fait allusion au marteau quand il dit : Vous m’avez châtié, Seigneur, et j’ai été instruit94. De son côté, l’Ecclésiastique demande : Celui qui n’a pas été tenté, que sait-il ? Et il ajoute : Celui qui n’a pas été éprouvé sait peu de chose95.

On peut se demander pourquoi il y a si peu d’âmes qui atteignent ce haut degré de perfection96. La volonté divine, sachons-le bien, n’est pas que ces âmes élevées soient en petit nombre. Dieu désire au contraire voir toutes les âmes en venir là, mais il en rencontre peu de capables de soutenir une œuvre si haute et si sublime. La plus légère épreuve les trouve lâches. Elles fuient le travail, elles ne peuvent accepter la moindre désolation, la moindre morti­fication ; elles ne savent ce que c’est que la vraie patience. Dieu qui voulait bien commencer à les dégrossir, cesse de les purifier, de les soulever au-dessus de la terrestre poussière. Il faudrait pour cela plus d’énergie, plus de constance.


Y asî, hay muchos que desean pasar adelante y con gran continuaciôn piden a Dios los traiga y pase a este estado de perfecciôn, y, cuando Dios los quiere comenzar a llevar por los primeros trabajos y mortificaciones, segùn es necesario, no quieren pasar por ellas, y hurtan el cuerpo, huyendo el camino angosto de la vida (Mt. 7, 14), buscando el ancho de su consuelo, que es el de la perdiciôn (ib. 7, 13), y asî no dan lugar a Dios para recibir lo que le piden cuando se lo comienza a dar. Y asî, se quedan como vasos inùtiles (ib. 6, 15) porque, queriendo ellos llegar al estado de los perfectos, no quisieron ser llevados por el camino de los trabajos de ellos, pero ni aun casi comenzar a entrar en él, sujetândose a lo que era menos, que era lo que comùnmente se suele padecer.


Puédese responder a éstos aquello de Jeremîas (12, 5), que dice: Si corriendo tù con los que iban a pie, trabajaste, cômo podrîas atener con los caballos? Y, como hayas tenido quietud en la tierra de paz, qué hars en la soberbia del Jordân? Lo cual es como si dijera: Si con los trabajos que a pie llano, ordinaria y humanamente acaecen a todos los vivientes, por tener tù tan corto paso, tenîas tù tanto trabajo, que te parecîa que corrîas, cômo podrîas igualar con el paso de caballo, que es ya trabajos mâs que ordinarios y comunes, para que se requiere mayor fuerza y ligereza que de hombre? Y si tù no has querido dejar de conservar la paz y gusto de tu tierra, que es tu sensualidad, no queriendo armar guerra ni contradecirla en alguna cosa, cômo querîas entrar en las impetuosas aguas de tribulaciones y trabajos del espîritu, que son de mâs adentro?

AINSI DONC, IL Y EN A BEAUCOUP QUI DÉSIRENT PASSER PLUS AVANT, QUI DEMANDENT CONTINUELLEMENT À DIEU DE LES FAIRE ARRIVER A L’ÉTAT DE PERFECTION, ET QUAND DIEU VEUT LES CONDUIRE, COMME IL EST NÉCESSAIRE, PAR LES PREMIÈRES ÉPREUVES, LES PREMIÈRES MORTIFICATIONS, ILS REFUSENT, ILS SE DÉROBENT. ILS FUIENT LE CHEMIN ÉTROIT QUI CONDUIT A LA VIE, ILS CHERCHENT LEURS AISES, LEUR CONSOLATION, C’EST-A-DIRE LE CHEMIN DE LEUR PERDITION, ET AINSI NE LAISSENT PAS A DIEU LE MOYEN DE LEUR DONNER CE QU’ILS DEMANDENT, ALORS CEPENDANT QU’IL S’APPRÊTAIT A LE FAIRE. PAR SUITE, ILS RESTENT LA COMME DES VASES INUTILES. ILS VOUDRAIENT ATTEINDRE L’ÉTAT I) ES PARFAITS, MAIS ILS REFUSENT D’ÊTRE MENÉS PAR LA VOIE DES SOUFFRANCES, QUI EST CELLE DES PAR­FAITS, ILS NE VEULENT MÊME PAS Y FAIRE LES PREMIERS PAS EN SE SOUMETTANT AUX ÉPREUVES LÉGÈRES ET COMMUNES.

À ceux-là on pourrait adresser ces paroles de Jérémie : Si vous avez eu tant de peine à suivre les piétons., comment pourrez-vous vous adapter d l’allure des cavaliers ? Si vous avez craint de perdre le repos dans la terre de la paix, comment tiendrez-vous tête à l’orgueil du Jourdain97 ? Ou en d’autres termes, vous croyiez courir alors que vous traversiez d’un pas égal les épreuves communes à tous les mortels, et qui ne réclament qu’un courage médiocre et tout humain. Comment pourrez-vous vous modeler sur l’allure des che­vaux, quand il s’agira d’épreuves au-dessus de l’ordinaire et du commun, exigeant une énergie et une vitesse plus qu’humaines ? Si vous avez voulu conserver la paix et la satisfaction en votre propre terre, qui est la sensualité, si vous avez refusé de faire la guerre à cette sensualité et de la contredire en petites choses, que ferez-vous en face de l’orgueil du Jourdain ? En d’autres termes, affron­terez-vous les eaux impétueuses des tribulations et des souffrances, qui sont propres à la région plus intérieure de l’esprit ?


28. Oh almas que os queréis andar seguras y consoladas en las cosas del espîritu! Si supiésedes cunto os conviene padecer sufriendo para venir a esa seguridad y consuelo, y cômo sin esto no se puede venir a lo que el alma desea, sino antes volver atrs, en ninguna manera buscarîades consuelo ni de Dios ni de las criaturas; mas antes llevarîades la cruz, y, puestos en ella, querrîades beber allî la hiel y vinagre puro (Jn. 19, 29), y lo habrîades a grande dicha, viendo cômo, muriendo asî al mundo y a vosotros mismos, vivirîades a Dios en deleites de espîritu y,


si sufriendo con paciencia y fidelidad lo poco exterior, merecerîades que pusiese Dios los ojos en vosotros para purgaros y limpiaros mâs adentro por algunos trabajos espirituales mâs de dentro, para daros bienes mâs de dentro.


Porque muchos servicios han de haber hecho a Dios, y mucha paciencia y constancia han de haber tenido por él, y muy aceptos han de haber sido delante de él en su vida y obras a los que él hace tan señalada merced de tentarlos mâs adentro, para aventajarlos en dones y merecimientos, como leemos del santo Tobîas (Tob. 12, 13), a quien dijo san Rafael: Que, porque habîa sido acepto a Dios, le habîa hecho aquella merced de enviarle la tentaciôn que le probase ms, para engrandecerte ms. Y asî, todo lo que le quedô de vida después de aquella tentaciôn, lo tuvo en gozo, como dice la Escritura divina (14, 4). Ni mâs ni menos vemos en el santo Job que, en aceptando que aceptô Dios sus obras delante de los espîritus buenos y malos, luego le hizo merced de enviarle aquellos duros trabajos para engrandecerle después mucho ms, como hizo multiplicndole los bienes en lo espiritual y temporal (Job 1, 2; 42, 12).

Ô âmes qui voulez parcourir avec consolation et sécurité la carrière spirituelle, si vous saviez combien il vous est bon de souffrir, combien il vous est avantageux, pour atteindre ces biens élevés, d’être affligées et mortifiées, vous ne chercheriez la consolation ni en Dieu ni dans les créatures, mais vous ambitionneriez la croix, le fiel et le vinaigre tout purs98. Les obtenir serait à vos yeux le comble du bonheur, parce que, renonçant ainsi au monde et à vous-mêmes, vous vivriez à Dieu dans les délices de l’esprit.


Si vous saviez endurer ainsi avec patience les épreuves extérieures, vous mériteriez que Dieu jette les yeux sur vous pour vous soumettre à une purification plus inté­rieure, celle des épreuves spirituelles plus intimes.



C’est que pour obtenir la faveur signalée d’être soumis à ces épreuves tout intérieures, en vue d’être enrichi de dons et de mérites spéciaux, il faut avoir rendu au Seigneur de grands services, il faut avoir fait preuve de beaucoup de patience et de constance, il faut s’être rendu très agréable à ses yeux en sa vie et en ses œuvres. C’est ce que nous lisons du saint homme Tobie. L’ange Raphaël lui déclara que parce qu’il était agréable au Seigneur, il fallait que la tentation l’éprouvât pour le rendre apte à recevoir davan­tage99. Aussi, au témoignage de l’Écriture, il passa ensuite le reste de sa vie dans la joie100. Nous voyons de même que Dieu, après avoir loué Job, en présence des bons et des mauvais anges, comme son fidèle serviteur, lui envoya, dans sa bonté, de très dures épreuves, en vue de l’exalter ensuite bien davantage au spirituel et au temporel101.


29. De la misma manera lo hace Dios con los que quiere aventajar segùn la ventaja principal, que los hace y deja tentar para levantarlos todo lo que puede ser, que es llegar a la uniôn con la sabidurîa divina, la cual, como dice David (Sal. 11, 7), es plata examinada con fuego, probada en la tierra, es a saber, de nuestra carne, y purgada siete veces, que es lo mâs que puede ser. Y no hay para qué detenernos mâs aquî en decir qué siete purgaciones sean éstas y cul cada una de ellas para venir a esta sabidurîa, y cômo las responden siete grados de amor en esta sabidurîa, la cual todavîa le es al alma como esta plata que dice David, aunque mâs uniôn en ella tenga; mas en la otra le ser como oro.


30. Conviénele, pues, al alma mucho estar con grande paciencia y constancia en todas las tribulaciones y trabajos que la pusiere Dios de fuera y de dentro, espirituales y corporales, mayores y menores, tomndolo todo como de su mano para su bien y remedio, y no huyendo de ellos, pues son sanidad para ella, tomando en esto el consejo del Sabio (Ecle. 10, 4), que dice: Si el espîritu del que tiene la potestad descendiere sobre tî, no desampares tu lugar (esto es, el lugar y puesto de tu probaciôn, que es aquel trabajo que te envîa); porque la curaciôn har cesar grandes pecados, esto es, cortarte ha las raîces de tus pecados e imperfecciones, que son los hbitos malos, porque el combate de los trabajos y aprietos y tentaciones apaga los hbitos malos e imperfectos del alma y la purifica y fortalece. Por lo cual el alma ha de tener en mucho cuando Dios la envîa trabajos interiores y exteriores, entendiendo que son muy pocos los que merecen ser consumados por pasiones, padeciendo a fin de tan alto estado.

Dieu en agit de même envers les âmes qu’il veut conduire à une perfection éminente. Il permet qu’elles soient tentées, en vue de les diviniser ensuite par l’union avec la divine Sagesse. Cette union, nous dit David, est un argent éprouvé par le feu, éprouvé en la terre — c’est-à-dire en notre chair, mortelle, — éprouvé jusqu’à sept fois102, ou en d’autres termes, éprouvé jusqu’à la dernière limite.

Il est inutile de nous arrêter à spécifier quelles sont ces sept purifications qui conduisent à la Sagesse, disons seulement qu’en cette vie, si élevée que soit l’union pour elle, c’est l’argent dont parle David, non l’or de l’autre vie. Ce qui importe, c’est de soutenir avec une patience et une fermeté invincibles toutes les tribulations103, toutes les peines spirituelles et corporelles, grandes et petites, les recevant de la main de Dieu pour son avantage et pour son bien. Qu’elle se garde de s’y soustraire, car elles lui apportent la santé ; mais qu’elle se souvienne du conseil du Sage Si l’esprit de Celui qui a la puissance s’aère contre vous, demeurez ferme à votre place, car ce remède vous guérira des plus grands péchés104. En d’autres termes, ce remède coupera en vous la racine de vos péchés et de vos imper­fections, en un mot, il vous guérira de vos habitudes mau­vaises. Les peines, les angoisses éteignent et purifient les tendances au péché, tous les maux de l’âme. Celle-ci doit donc regarder comme une spéciale faveur de Dieu d’être éprouvée à l’intérieur et à l’extérieur, parce qu’ils sont en très petit nombre ceux qui ont mérité, en vue d’être con­duits à un état si élevé, d’être consommés par les souffrances.



MAIS REVENONS A NOTRE EXPLICATION. L’âme reconnaît ici que toutes ses peines passées lui sont très heureusement payées, que sa lumière est maintenant à proportion de ce qu’ont été ses ténèbres105, qu’ayant eu part à la tribulation, elle a part à présent aux consolations106, en un mot que les trésors divins correspondent exactement, pour sa partie spirituelle et sa partie corporelle, aux souffrances inté­rieures et extérieures qu’elle a endurées, sans qu’un seul tourment manque d’une immense rétribution correspon­dante. Elle se déclare donc parfaitement satisfaite et dit : « Toute dette est payée. »

Elle rend grâce à Dieu, à l’imitation de David, qui disait au Seigneur : Quelles tribulations terribles et sans nombre vous avez déchaînées sur moi ! Mais de toutes vous m’avez délivré. Vous m’avez retiré des abîmes de la terre, vous avez multiplié à mon égard vos magnificences, et, vous retournant vers moi, vous m’avez consolé107.

Cette âme reproduit d’une manière frappante le sort de Mardochée. Assis à la porte du palais, revêtu d’un cilice et refusant le vêtement que lui offrait la reine Esther, il se lamentait sur les places publiques de Suse pour le péril qui menaçait ses jours, frustré par ailleurs de toute récompense pour les services qu’il avait rendus au roi, pour sa fidélité à défendre son honneur et sa vie. En un seul jour, il se voit payé de toutes ses peines et de tous ses services108. Ainsi en est-il de cette âme. Non seulement on l’introduit à l’intérieur du palais, revêtue d’habits royaux, et on la présente au monarque, mais on lui met la couronne sur la tête, le sceptre entre les mains, on la fait asseoir sur le trône, on la met en possession de l’anneau royal. Elle fera dans le royaume de son Époux tout ce que bon lui semblera, elle sera libre de s’abstenir de ce qui ne lui agréera point, et par le fait, les âmes parvenues à cet état d’union obtiennent tout ce qu’elles souhaitent. Ainsi cette âme voit ses dettes entièrement payées. Ses ennemis, les appétits qui voulaient lui ôter la




Matando, muerte en vida la has trocado.


32. Porque la muerte no es otra cosa sino privaciôn de la vida, porque, en viniendo la vida, no queda rastro de muerte. Acerca de lo espiritual, dos maneras hay de vida: una es beatîfica, que consiste en ver a Dios y ésta se ha de alcanzar por muerte corporal y natural, como dice san Pablo (2 Cor. 5, 1), diciendo: Sabemos que si esta nuestra casa de barro se desatare, tenemos morada de Dios en los cielos. La otra es vida espiritual perfecta, que es posesiôn de Dios por uniôn de amor, y ésta se alcanza por la mortificaciôn de todos los vicios y apetitos y de su misma naturaleza totalmente; y hasta tanto que esto se haga, no se puede llegar a la perfecciôn de esta vida espiritual de uniôn con Dios, segùn también lo dice el Apôstol (Rm. 8, 13) por estas palabras, diciendo: Si viviéredes segùn la carne, moriréis; pero si con el espîritu mortificredes los hechos de la carne, viviréis.


33. De donde es de saber que lo que aquî el alma llama muerte es todo el hombre viejo, que es uso de las potencias, memoria, entendimiento y voluntad, ocupado y empleado en cosas del siglo, y los apetitos y gustos de criaturas. Todo lo cual es ejercicio de vida vieja, la cual es muerte de la nueva, que es la espiritual. En la cual no podrà vivir el alma perfectamente si no muriere también perfectamente el hombre viejo, como el Apôstol lo amonesta (Ef. 4, 22-24), diciendo que desnuden el hombre viejo y se vistan el hombre nuevo, que segùn Dios es criado en justicia y santidad.

vie, ont été mis à mort. Elle-même vit à présent en Dieu. Aussi ajoute-t-elle immédiatement :


Tu me donnes la mort : en vie elle est changée.


La mort n’est autre chose que la privation de la vie. Quand la vie survient, il n’y a plus trace de mort. Au point de vue spirituel, il y a deux sortes de vie. L’une est la vie béatifique, qui consiste dans la vision de Dieu, elle s’obtient par la mort corporelle et naturelle, selon la parole de saint Paul : Nous savons que lorsque notre demeure terrestre se dissoudra, nous avons une autre habitation que Dieu nous a préparée dans les cieux109. L’autre est la vie spirituelle parfaite, ou la possession de Dieu par union d’amour ; elle s’obtient par la totale mortification de tous les vices, de tous les appétits et de toutes les inclinations naturelles. Tant que ce travail n’est pas accompli, l’âme ne peut arriver à la perfection de la vie spirituelle d’union avec Dieu, suivant cette parole du même Apôtre : Si vous vivez selon la chair, vous mourrez : mais si vous mortifiez par l’esprit les œuvres de la chair, vous vivrez110.

Il faut le bien savoir, ce que l’âme appelle ici mort, c’est la destruction complète du vieil homme, c’est-à-dire l’usage des puissances — mémoire, entendement et volonté — à l’égard des choses de ce monde, ce sont les appétits appliqués au goût des choses créées. Tout cela est l’exercice de l’ancienne vie, c’est la mort de la vie nouvelle ou de la vie spirituelle. De cette vie l’âme ne peut vivre parfai­tement si elle ne meurt parfaitement au vieil homme. C’est à quoi nous exhorte l’Apôtre, lorsqu’il dit : Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau qui est créé selon Dieu dans la justice et la vérité111.


En la cual vida nueva, que es cuando ha llegado a esta perfecciôn de uniôn con Dios, como aquî vamos tratando, todos los apetitos del alma y sus potencias segùn sus inclinaciones y operaciones, que de suyo eran operaciôn de muerte y privaciôn de la vida espiritual, se truecan en divinas.


34. Y como quiera que cada viviente viva por su operaciôn, como dicen los filôsofos, teniendo el alma sus operaciones en Dios por la uniôn que tiene con Dios, vive vida de Dios, y asî se ha trocado su muerte en vida, que es su vida animal en vida espiritual.

Porque el entendimiento, que antes de esta uniôn entendîa naturalmente con la fuerza y vigor de su lumbre natural por la vîa de los sentidos corporales, es ya movido e informado de otro mâs alto principio de lumbre sobrenatural de Dios, dejados aparte los sentidos; y asî se ha trocado en divino, porque por la uniôn su entendimiento y el de Dios todo es uno. Y la voluntad, que antes amaba baja y muertamente sôlo con su afecto natural, ahora ya se ha trocado en vida de amor divino, porque ama altamente con afecto divino, movida por la fuerza del Espîritu Santo, en que ya vive vida de amor; porque, por medio de esta uniôn, la voluntad de él y la de ella ya sôlo es una voluntad.

Y la memoria, que de suyo sôlo percibîa las figuras y fantasmas de las criaturas, es trocada por medio de esta uniôn a tener en la mente los años eternos que David dice (Sal. 76, 6).

El apetito natural, que sôlo tenîa habilidad y fuerza para gustar el sabor de criatura, que obra muerte, ahora est trocado en gusto y sabor divino, movido y satisfecho ya por otro principio donde est mâs a lo vivo, que es el deleite de Dios y, porque est unido con él, ya sôlo es apetito de Dios.

Dans cette vie nouvelle, qui résulte de l’union parfaite avec Dieu dont nous traitons, tous les appétits de l’âme, toutes ses puissances selon leurs inclinations et leurs opé­rations — opérations qui par elles-mêmes sont des opé­rations de mort, de privation de vie spirituelle — se trouvent transformées divinement.


Au dire des philosophes, tout vivant vit par son opé­ration. Or, comme l’âme dont il s’agit, par suite de son union avec Dieu, a son opération en Dieu, il s’ensuit qu’elle vit la vie de Dieu. Sa mort est donc devenue une vie véritable.

Son entendement qui avant cette union entendait naturellement, par la puissance et la vigueur de sa lumière naturelle, est maintenant mû et informé par un autre principe, plus élevé, celui de la lumière surna­turelle de Dieu. D’entendement humain, il est devenu divin, parce que l’entendement de l’âme et celui de Dieu ne font plus qu’un. La volonté, qui auparavant aimait d’une manière entachée de mort et d’une façon très basse par les seules affections naturelles, se trouve transformée au divin amour, elle aime à présent d’une manière sublime et par des affections divines, parce qu’elle est mue par l’Esprit-Saint, en qui elle vit, la volonté de l’âme et celle de Dieu ne faisant plus qu’une seule et même volonté.

La mémoire, qui d’elle-même ne percevait que les formes et les images des créatures, en vient à ne retenir plus que les années éternelles112.

Quant à l’appétit naturel qui n’était capable que de goûter la saveur des objets créés, saveur opérant la mort, il se trouve maintenant transformé en saveur et en goût divin, parce qu’il est mû et attiré par un autre principe, qui l’actionne bien plus puissamment, je veux dire la jouissance de Dieu. D’où il suit que l’appétit de l’âme est désormais un appétit divin113.


Y, finalmente, todos los movimientos y operaciones e inclinaciones que antes el alma tenîa del principio y fuerza de su vida natural, ya en esta uniôn son trocados en movimientos divinos, muertos a su operaciôn e inclinaciôn y vivos en Dios. Porque el alma, como ya verdadera hija de Dios, en todo es movida por el espîritu de Dios, como enseña san Pablo (Rm. 8, 14), diciendo que los que son movidos por el espîritu de Dios, son hijos del mismo Dios.


De manera que, segùn lo que est dicho, el entendimiento de esta alma es entendimiento de Dios; y la voluntad suya, voluntad de Dios; y su memoria, memoria eterna de Dios; y su deleite, deleite de Dios; y la sustancia de esta alma aunque no es sustancia de Dios, porque no puede sustancialmente convertirse en él, pero, estando unida, como est aquî con él y absorta en él, es por participaciôn Dios, lo cual acaece en este estado perfecto de vida espiritual, aunque no tan perfectamente como en la otra. Y de esta manera est muerta el alma a todo lo que era en sî, que era muerte para ella, y viva a lo que es Dios en sî. Y por eso, hablando ella en sî, dice bien en el verso: Matando, muerte en vida la has trocado.


De donde puede el alma muy bien decir aquî aquello de san Pablo (Gl. 2, 20): Vivo yo, ya no yo, mas vive en mi Cristo. De esta manera est trocada la muerte de esta alma en vida de Dios, y le cuadra también el dicho del Apôstol (1 Cor. 15, 54), que dice: Absorta est mors in victoria, con el que dice también el profeta Oseas (13, 14) en persona de Dios, diciendo: Oh muerte! yo seré tu muerte, que es como si dijera: Yo, que soy la vida, siendo muerte de la muerte, la muerte quedar absorta en vida.

Finalement, tous les mouvements, toutes les opérations, toutes les inclinations de cette âme qui tiraient leur prin­cipe de sa vie naturelle, sont devenus dans cet état d’union des mouvements divins114. En vraie fille de Dieu, elle est totalement mue par l’Esprit de Dieu, selon cette parole de saint Paul : Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu115.


Pour résumer, l’entendement de cette âme est l’enten­dement de Dieu, sa mémoire116 est l’éternelle mémoire de Dieu, sa jouissance est la jouissance de Dieu. À la vérité, la substance de cette âme n’est pas la substance de Dieu, parce que l’âme ne peut être changée en Dieu, mais étant au point où elle l’est unie à Dieu et absorbée en Dieu, elle est Dieu par participation. Merveille qui est propre à cet état parfait de la vie spirituelle, bien que toujours au-dessous de ce qui est propre à l’autre vie.


Ainsi la vie de cette âme, qui était pour elle une vraie mort, a été changée en vie. Elle est en droit de s’approprier cette parole de saint Paul : Je vis, non, ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi117. C’est ainsi que la mort de cette âme s’est changée en vie divine, afin que s’accomplisse en elle cette autre sentence de l’Apôtre : La mort a été absorbée dans la victoire118, et celle-ci du prophète Osée, qui nous dit parlant au nom de Dieu : O. mort, je serai ta mort119.

35. De esta suerte est el alma absorta en vida divina, ajenada de todo lo que es secular, temporal y apetito natural, introducida en las celdas del rey, donde se goza y alegra en su Amado, acordândose de sus pechos sobre el vino, diciendo (Ct. 1, 3-4): Aunque soy morena, soy hermosa, hijas de Jerusalén, porque mi negrura natural se trocô en hermosura del rey celestial.


36. En este estado de vida tan perfecta siempre el alma anda interior y exteriormente como de fiesta, y trae con gran frecuencia en el paladar de su espîritu un jùbilo de Dios grande, como un cantar nuevo, siempre nuevo, envuelto en alegrîa y amor en conocimiento de su feliz estado. A veces anda con gozo y fruiciôn, diciendo en su espîritu aquellas palabras de Job (29, 20) que dicen: Mi gloria siempre se innovar, y como palma multiplicaré los dîas (29, 18), que es como decir: Dios que permaneciendo en sî siempre de una manera, todas las cosas innova, como dice el Sabio (Sab. 7, 27), estando ya siempre unido en mi gloria, siempre innovar mi gloria, esto es, no la dejar volver a vieja, como antes lo era, y multiplicar los dîas como la palma, esto es, mis merecimientos hacia el cielo, como la palma hacia él envîa sus enhiestas.

Cette âme est réellement absorbée dans la vie divine, étrangère à tout ce qui est du siècle, du temps, de l’appétit naturel désordonné. Elle a été introduite dans la demeure secrète du roi, où elle se réjouit et tressaille d’allégresse en son Bien-Aimé. Au souvenir de ses mamelles supérieures au vin, elle s’écrie : Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem120, car ma noirceur naturelle a été changée en la beauté du roi céleste.121

Dans cet état de perfection, l’âme est toujours en fête. Il lui est d’ordinaire d’éprouver au plus intime d’elle-même une divine jubilation, qui lui fait entonner un chant toujours nouveau, débordant de joie et d’amour, par la connaissance qu’elle a de son heureux état. Parfois elle redit dans son allégresse cette parole de Job : Ma gloire ira se renouvelant et je multiplierai mes jours comme le palmier122. Ce qui revient à dire que Dieu, suivant l’oracle du Sage, étant immuable en lui-même, renouvelle toutes choses123. Sa présence continuelle en moi et son union avec moi renouvellera toujours ma gloire et ne me laissera pas retourner à la vieillesse de mon premier état. Je multi­plierai mes jours, j’enverrai vers le ciel mes mérites, comme le palmier élève ses branches.


Porque los merecimientos del alma que est en este estado son ordinariamente grandes en nùmero y calidad, y también anda comùnmente cantando a Dios en su espîritu todo lo que dice David en el salmo que comienza: Exaltabo te, Domine, quoniam suscepisti me, particularmente aquellos dos versos postreros que dicen: Convertisti planctum meum in guadium mihi; conscidisti saccum meum, et circumdedisti me laetitia. Para que te cante mi gloria y ya no sea compungido, Señor, Dios mîo, para siempre te alabaré (Sal. 29, 12-13).


Y no es de maravillar que el alma con tanta frecuencia ande en estos gozos, jùbilos y fruiciôn y alabanzas de Dios, porque, dems del conocimiento que tiene de las mercedes recibidas, siente a Dios aquî tan solicito en regalarla con tan preciosas y delicadas y encarecidas palabras, y de engrandecerla con unas y otras mercedes, que le parece al alma que no tiene él otra en el mundo a quien regalar, ni otra cosa en que se emplear, sino que todo él es para ella sola. Y, sintiéndolo asî, lo confiesa como la Esposa en los Cantares, diciendo: Dilectus meus mihi et ego illi (2, 16 y 6, 2).

Cette âme chante124 intérieurement à Dieu toutes les louanges dont David a rempli le Psaume 29, spécialement les deux derniers versets que voici :

Vous avez changé mes pleurs en joie. Vous avez déchiré le sac qui me tenait captive et vous m’avez environnée d’allé­gresse, afin que ma gloire seule vous chante et que je ne sente plus l’aiguillon de la componction. Seigneur mon Dieu, éternellement je vous adresserai mes louanges125.


Rien d’étonnant que l’âme soit si fréquemment dans cette allégresse, cette jubilation, cette jouissance et ces louanges de Dieu. En effet, outre la connaissance qu’elle a de tant de faveurs dont il l’a comblée, elle expérimente en lui une inexprimable tendresse. Son Bien-Aimé lui adresse des paroles si hautes, des éloges si exquis et si pleins d’amour, il l’enrichit de tant d’autres grâces, qu’il semble en vérité que Dieu n’ait ici-bas nulle autre à caresser et que ce soit sa seule occupation, l’unique objet de son attention. Alors elle s’écrie comme l’Épouse des Cantiques : Mon Bien-Aimé est à moi et je suis à lui.126




CANCIÔN 3


Oh lmparas de fuego,

en cuyos resplandores

las profundas cavernas del sentido,

que estaba oscuro y ciego,

con extraños primores

calor y luz dan junto a su Querido!


DECLARACION


1. Dios sea servido de dar aquî su favor, que cierto es menester mucho, para declarar la profundidad de esta canciôn. Y el que la leyere habr menester advertencia, porque, si no tiene experiencia, quiz le ser algo oscura y prolija, como también, si la tuviese, por ventura le serîa clara y gustosa.


En esta canciôn el alma encarece y agradece a su Esposo las grandes mercedes que de la uniôn que con él tiene recibe, por medio de la cual dice aquî que recibe muchas y grandes noticias de sî mismo, todas amorosas, con las cuales, alumbradas y enamoradas las potencias y sentido de su alma, que antes de esta uniôn estaba oscuro y ciego, pueden ya estar esclarecidas y con calor de amor, como lo estân, para poder dar luz y amor al que las esclareciô y enamorô. Porque el verdadero amante entonces est contento, cuando todo lo que él es en sî y vale y tiene y recibe lo emplea en el amado; y cuanto mâs ello es, tanto mâs gusto recibe en darlo. Y de eso se goza aquî el alma, porque de los resplandores y amor que recibe pueda ella resplandecer delante de su Amado y amarle. Sîguese el verso:

STROPHE III



Oh ! lampes de feu très ardent

Au sein de vos vives splendeurs,

Mon sens avec ses profondeurs,

Auparavant aveugle et sombre.

En singulière excellence

Donne à la fois chaleur, lumière au Bien-Aimé.


EXPLICATION.

Je prie Dieu de me donner ici son assistance, dans l’extrême besoin que j’en ai pour expliquer le sens profond de cette Strophe. Au lecteur, je demande une grande attention. S’il est dépourvu d’expérience, cette Strophe pourra lui sembler un peu obscure. Si au contraire il a de l’expérience, elle lui paraîtra pleine de lumière et de saveur.

L’âme relève ici les grands biens qui découlent pour elle de l’union divine, et elle en rend grâce à son Époux. Elle expose comment cette union a été pour elle la source de nombreuses et admirables connaissances de Dieu, tout imprégnées d’amour, qui ont illuminé et enflammé ses puissances spirituelles et même son sens, auparavant aveugle et plongé dans l’obscurité par des amours étrangers. Maintenant ses puissances spirituelles, illuminées et enflam­mées d’amour, sont en état de renvoyer lumière et amour à Celui qui les a éclairées et embrasées. Effectivement, le vrai bonheur de celui qui aime est de rendre à son Bien-Aimé tout ce qu’il est, tout ce qu’il vaut, tout ce qu’il a, tout ce qu’il reçoit, et plus tout cela a de prix, plus il goûte de joie à lui en faire hommage. DISONS D’ABORD QUE LES LAMPES ONT DEUX PROPRIÉTÉS : ELLES ÉCLAIRENT ET ELLES ÉCHAUFFENT. VOICI MAINTENANT LE VERS :




Oh lmparas de fuego!


2. Cuanto a lo primero, es de saber que las lmparas tienen dos propiedades, que son lucir y dar calor.


Para entender qué lmparas sean éstas que aquî dice el alma y cômo luzcan y ardan en ella dândole calor, es de saber que Dios, en su ùnico y simple ser, es todas las virtudes y grandezas de sus atributos: porque es omnipotente, es sabio, es bueno, es misericordioso, es justo, es fuerte, es amoroso, etc., y otros infinitos atributos y virtudes que no conocemos. Y siendo él todas estas cosas en su simple ser, estando él unido con el alma, cuando él tiene por bien abrirle la noticia, echa de ver distintamente en él todas estas virtudes y grandezas, conviene a saber: omnipotencia, sabidurîa, bondad, misericordia, etc. Y como cada una de estas cosas sea el mismo ser de Dios en un solo supuesto suyo, que es el Padre, el Hijo, el Espîritu Santo, siendo cada atributo de éstos el mismo Dios y siendo Dios infinita luz e infinito fuego divino, como arriba queda dicho, de aquî es que en cada uno de estos innumerables atributos luzca y dé calor como Dios, y asî cada uno de estos atributos es una lmpara que luce al alma y da calor de amor.





Oh l lampe de feu très ardent !


Pour bien comprendre127 ce vers, il faut savoir qu’en son Être unique et très simple, Dieu est toutes les vertus et toutes les magnificences de ses attributs. Il est tout-puissant, il est sage, il est bon, il est miséricordieux, il est juste ; sans parler d’autres attributs infinis, d’autres vertus infinies, qui nous sont inconnus tant que nous sommes ici-bas.

Comme Dieu est tout cela, si, dans son union avec l’âme, il trouve bon de lui ouvrir l’intelligence, cette âme connaît distinctement tous ces attributs et toutes ces grandeurs, à savoir la toute-puissance, la sagesse, la bonté, la misé­ricorde, etc. en son Être très simple. Elle sait que chacun de ces attributs est l’Être même de Dieu en un seul suppôt soit le Père, soit le Fils, soit le Saint-Esprit. Chacun de ces attributs est Dieu même. Or, Dieu étant lumière infinie et feu infini, comme nous l’avons dit, il resplendit et brûle divinement en chacun de ses attributs, qui, encore une fois, sont sans nombre. Or, en une seule touche d’union, l’âme reçoit connaissance de tous les attributs divins. On peut donc dire avec vérité que Dieu est pour l’âme une multitude de lampes, qui versent chacune en elle la lumière de la sagesse et l’ardeur de l’amour, car elle a une connaissance distincte de chacune, et chacune produit en elle un embrasement d’amour.


3. Y, por cuanto en un solo acto de esta uniôn recibe el alma las noticias de estos atributos, juntamente le es al alma el mismo Dios muchas lmparas, que distintamente la lucen y dan calor, pues de cada una tiene distinta noticia, y de ella es inflamada de amor. Y asî, en todas las lmparas particularmente el alma ama inflamada de cada una y de todas ellas juntamente, porque todos estos atributos son un ser, como habemos dicho. Y asî, todas estas lmparas son una lmpara que, segùn sus virtudes y atributos, luce y arde como muchas lmparas.



Por lo cual el alma en un solo acto de la noticia de estas lmparas ama por cada una, y en eso ama por todas juntas, llevando en aquel acto calidad de amor por cada una, y de cada una, y de todas juntas, y por todas juntas. Porque el resplandecer que le da esta lmpara del ser de Dios en cuanto es omnipotente, le da luz y calor de amor de Dios en cuanto es omnipotente, y, segùn esto, ya Dios le es al alma lmpara de omnipotencia y le da luz y noticia segùn este atributo. Y el resplandor que le da esta lmpara el ser de Dios, en cuanto es sabidurîa, le hace luz y calor de amor de Dios en cuanto es sabio; segùn esto, ya le es Dios lmpara de sabidurîa. Y el resplandor que le da esta lmpara de Dios en cuanto es bondad, le hace al alma luz y calor de amor de Dios en cuanto es bueno, y, segùn esto, ya le es Dios lmpara de bondad. Y, ni mâs ni menos, le es lmpara de justicia, y de fortaleza, y de misericordia y de todos los dems atributos que al alma juntamente se le representan en Dios. Y la luz que juntamente de todos ellos recibe, la comunica en calor de amor de Dios con que ama a Dios, porque es todas estas cosas. Y de esta manera, en esta comunicaciôn y muestra que Dios hace de sî al alma, que a mi ver es la mayor que él le puede hacer en esta vida, le es innumerables lmparas que de Dios le dan noticia y amor.

Ainsi, au milieu de ces lampes divines, l’âme se trouve enflammée par chacune en particulier et par toutes réunies ensemble, car, répétons-le, tous ces attributs ne forment qu’un seul Être divin. Toutes ces lampes ne sont donc qu’une seule lampe, c’est-à-dire le Verbe, qui, selon la parole de saint Paul, est la splendeur du Père. CETTE LAMPE EST À LA FOIS TOUTES LES LAMPES. PARCE QU’ELLE BRILLE ET BRUI.E DE LA LUMIÈRE ET DE L’ARDEUR DE TOUTES LES LAMPES. L’ÂME COMPREND TRÈS BIEN QUE CETTE SEULE LAMPE LUI EST TOUTES LES LAMPES EN EFFET, ÉTANT UNE, ELLE PEUT TOUT, ELLE A TOUTES LES VERTUS ET EMBRASSE TOUS LES ESPRITS.

De là vient que, par un seul acte de connaissance des lampes divines, l’âme aime selon chacune d’elles et aime selon toutes ces lampes à la fois. En un même acte, elle exerce envers chacune l’amour spécial à chacune et elle reçoit l’amour par chacune en particulier et par toutes ensemble. En effet, la splendeur que lui communique l’Être de Dieu en qualité de toute-puissance, lui verse lumière et amour en tant que tout-puissant. Sous ce rap­port, Dieu est à l’âme une lampe de toute-puissance qui lui verse lumière, amour et plénitude de connaissance selon cet attribut. La splendeur que lui communique l’Être de Dieu en tant que sagesse, lui verse lumière et amour en tant qu’infiniment sage, et sous ce rapport Dieu est à l’âme une lampe de sagesse. La splendeur que lui commu­nique l’Être de Dieu en tant que bonté, lui verse lumière et amour en tant qu’infiniment bon, et sous ce rapport Dieu est à l’âme une lampe de bonté. De même, il lui est une lampe de justice, une lampe de force, une lampe de miséricorde, et ainsi de tous les autres attributs que l’âme connaît en Dieu. En même temps, cette lumière que l’âme reçoit de tous les attributs réunis lui communique un embrasement d’amour qui lui fait aimer Dieu comme étant ces mêmes attributs.

Cette communication et cette révélation que Dieu fait de lui-même à une âme est, selon moi, la plus haute qu’il puisse faire en cette vie. On peut très justement la com­parer à une multitude de lampes qui donnent à cette âme lumière et amour.


4. Estas lmparas vio Moisés (Ex. 34, 5-8) en el monte Sinaî, donde, pasando Dios, se postrô en la tierra y comenzô a clamar y decir algunas de ellas diciendo asî: Emperador, Señor, Dios, misericordioso, clemente, paciente, de mucha miseraciôn, verdadero y que guardas misericordia en millares, que quitas los pecados y maldades y delitos, que ninguno hay inocente de suyo delante de ti. En lo cual se ve que Moisés, los mâs atributos y virtudes que allî conociô en Dios fueron los de la omnipotencia, señorîo, deidad, misericordia, justicia, verdad y rectitud de Dios, que fue altîsimo conocimiento de Dios. Y, porque segùn el conocimiento, fue también el amor que se le comunicô, fue subidîsimo el deleite de amor y fruiciôn que allî tuvo.


5. De donde es de notar que el deleite que el alma recibe en el arrobamiento de amor, comunicado por el fuego de la luz de estas lmparas, es admirable e inmenso, porque es tan copioso como de muchas lmparas, que cada una abrasa en amor, ayudando también el calor de la una al calor de la otra, y llama de la una a la llama de la otra, asî como también la luz de la una da luz a la otra, porque por cualquier atributo se conoce el otro; y asî todas ellas estân hechas una luz y un fuego, y cada una, una luz y un fuego. Y aquî el alma, inmensamente absorta en delicadas llamas, llagada sutilmente de amor en cada una de ellas, y en todas ellas juntas mâs llagada y viva en amor de vida de Dios, echando ella muy bien de ver que aquel amor es de vida eterna, la cual es juntura de todos los bienes, como aquî en cierta manera lo siente el alma conoce bien aquî el alma la verdad de aquel dicho del Esposo en los Cantares cuando dijo que las lmparas del amor eran lmparas de fuego y de llamas (8, 6). ÁHermosa eres en tus pisadas y calzado, hija de prÔNcipe! (Ct. 7, 1). Quién podrà contar la magnificencia y extraôez de tu deleite y majestad en el admirable resplandor y amor de tus lmparas?

Ce sont ces divines lampes128 que Moïse vit sur le mont Sinaï, alors que Dieu passa devant lui. Se prosternant en hâte contre terre, il se mit à en proclamer quelques-unes, en disant : Souverain Monarque, Seigneur Dieu, miséri­ cordieux, clément, patient, enclin à la compassion, véritable, qui exercez votre miséricorde sur des milliers de générations, qui effacez les péchés, les malices et les iniquités du monde, devant qui nul n’est innocent par lui-même129.

On voit que les principaux attributs que Moïse connut alors en Dieu sont ceux de la toute-puissance, de la souve­raineté, de la déité, de la miséricorde, de la justice, de la vérité, de l’équité. Ce fut une très haute révélation de Dieu, une sublime délectation d’amour.

D’où il est à remarquer que la jouissance dont le ravis­sement d’amour causé par le feu de ces lampes inonde une âme, est merveilleux et immense ; elle a l’abondance que peut communiquer une multitude de lampes, dont chacune produit un incendie d’amour. Or, la chaleur de l’une vient se joindre à la chaleur de l’autre, la flamme de l’une à la flamme de l’autre, de même que la lumière de l’une à la lumière de l’autre, car un attribut divin en révèle un autre, en sorte que toutes ces lampes ne forment qu’une seule lumière et un seul embrasement.

L’âme se trouve comme engloutie dans un océan de flammes légères, dont chacune la blesse subtilement d’amour. Blessée par toutes ces lampes réunies, elle ne vit plus que d’amour au sein de la vie de Dieu. Elle voit très bien que cet amour est l’amour même de la vie éternelle, c’est — à-dire l’assemblage de tous les biens, dont elle a comme un avant-goût. Aussi entend-elle la vérité de cette parole de l’Époux au Cantique des Cantiques : Les lampes de l’amour sont des lampes de feu et de flamme130. Et encore : Que vos démarches sont belles en vos chaussures. Ô fille du prince131 ! Qui pourra décrire, ô Dieu, la munificence de votre majesté et la surabondance de vos délices, dans la merveilleuse splendeur et le brûlant amour de vos lampes ?

6. Cuenta la Escritura divina que una de estas lmparas pasô delante de Abrahn antiguamente, y le causô grandîsimo horror tenebroso, porque la lmpara era de la justicia rigurosa que habîa de hacer adelante de los cananeos (Gn. 15, 12-17). Pues todas estas lmparas de noticias de Dios, que amigable y amorosamente te lucen a ti, Oh alma enriquecida!, cunta mâs luz y deleite de amor te causarn, que causô aquélla de horror y tiniebla en Abrahn? Y cunto y cun aventajado, y de cuntas maneras ser tu deleite, pues en todas de todas recibes fruiciôn y amor, comunicndose Dios a tus potencias segùn sus atributos y virtudes?


Porque cuando uno ama y hace bien a otro, hcele bien y male segùn su condiciôn y propiedades; y asî tu Esposo, estando en ti, como quien él es te hace las mercedes: porque, siendo él omnipotente, hcete bien y mate con omnipotencia; y siendo sabio, sientes que te hace bien y ama con sabidurîa; y siendo infinitamente bueno, sientes que te ama con bondad; y siendo santo, sientes que te ama y hace mercedes con santidad; y siendo él justo, sientes que te ama y hace mercedes justamente; siendo él misericordioso, piadoso y clemente, sientes su misericordia y piedad y clemencia; y siendo fuerte y subido y delicado ser, sientes que te ama fuerte, subida y delicadamente; y como sea limpio y puro, sientes que con pureza y limpieza te ama; y, como sea verdadero, sientes que te ama de veras; y como él sea liberal, conoces que te ama y hace mercedes con liberalidad sin algùn interese, sôlo por hacerte bien; y como él sea la virtud de la suma humildad, con suma bondad y con suma estimaciôn te ama, e igualndote consigo, mostrndosete en estas vîas de sus noticias alegremente, con este su rostro lleno de gracias y diciéndote en esta uniôn suya, no sin gran jùbilo tuyo: Yo soy tuyo y para ti, y gusto de ser tal cual soy por ser tuyo y para darme a ti.

L’Écriture nous dit qu’une de ces lampes passa autrefois devant Abraham et le remplit d’une excessive et ténébreuse horreur. Cette lampe, en effet, était celle de la rigoureuse justice que Dieu se préparait à exercer sur les Chananéens132.

Toutes ces lampes de connaissance divine qui t’éclairent si favorablement et si amoureusement, ô âme ! t’apportent infiniment plus de lumière et de jouissance que celle dont nous parlons n’apporta jamais à Abraham d’horreur et de ténèbres. Que tes délices sont multipliées, qu’elles sont précieuses, puisque chacune de ces divines lampes t’apporte fruition et amour, et qu’il n’en est pas une par où Dieu lui-même ne se communique à tes puissances selon ses attributs ! Une personne qui en aime une autre et qui lui fait du bien, l’aime et lui fait du bien selon ses qualités, selon ses propriétés personnelles. Ainsi ton Époux résidant en toi en tant que tout-puissant, il t’aime et te fait du bien selon sa toute-puissance. Infiniment sage, il t’aime et te fait du bien selon l’étendue de sa sagesse. Infiniment bon, il t’aime et te fait du bien selon l’étendue de sa bonté. Infiniment saint, il t’aime et te fait du bien selon l’étendue de sa sainteté. Infiniment juste, il t’aime et t’accorde ses grâces selon l’étendue de sa justice. Infiniment miséri­cordieux, clément et compatissant, il te fait éprouver sa clémence et sa compassion. Fort, exquis, sublime en son Être, il t’aime d’une manière forte, exquise et sublime. Infiniment pur, il t’aime selon l’étendue de sa pureté. Souverainement vrai, il t’aime selon l’étendue de sa vérité. Infiniment libéral, il t’aime et te comble de grâces selon l’étendue de sa libéralité, sans aucun intérêt propre et dans la seule vue de te faire du bien. Souverainement humble133, il t’aime avec une souveraine humilité et fait de toi une souveraine estime. Il t’élève jusqu’à lui, il se découvre dans la seule vue de te faire du bien. Souverainement humble, il t’aime avec une souveraine humilité, et fait de toi une souveraine estime. Il t’élève jusqu’à lui, il se découvre à toi joyeusement et avec un visage plein de grâce dans cette voie de sa connaissance. Et tu l’entends te dire : Je suis à toi et pour toi ; je me réjouis d’être ce que je suis, afin de me donner à toi et d’être tien à jamais.

7. Quién dir, pues, lo que sientes, Oh dichosa alma!, conociéndote asî amada y con tal estimaciôn engrandecida? Tu vientre, que es tu voluntad, es, como el de la Esposa, semejante al montôn del trigo que est cubierto y cercado de lirios (Ct. 7, 2), porque en esos granos de pan de vida que tù juntamente ests gustando, los lirios de las virtudes que te cercan, te estân deleitando. Porque éstas son las hijas del rey que dice David (Sal. 44, 9-10) que te deleitaron con la mirra y el mbar y las dems especies aromticas. Porque las noticias que te comunica el Amado de sus gracias y virtudes son sus hijas, en las cuales ests tù tan engolfada e infundida, que eres también el pozo de las aguas vivas que corren con împetu del monte Lîbano (Ct. 4, 15), que es Dios. En lo cual eres maravillosamente letificada segùn toda la armonîa de tu alma y aun de tu cuerpo, hecha toda un paraîso de regadîo divino, porque se cumpla también en ti el dicho del salmo (45, 5) que dice: El împetu del rîo letifica la ciudad de Dios.


8. Oh admirable cosa, que a este tiempo est el alma rebosando aguas divinas, en ellas ella revertida como una abundosa fuente, que por todas partes rebosa aguas divinas! Porque aunque es verdad que esta comunicaciôn que vamos diciendo es luz y fuego de estas lmparas de Dios, pero es este fuego aquî, como habemos dicho, tan suave, que, con ser fuego inmenso, es como aguas de vida que hartan la sed del espîritu con el împetu que él desea. De manera que estas lmparas de fuego son aguas vivas del Espîritu, como las que vinieron sobre los Apôstoles (Act. 2, 3); aunque eran lmparas de fuego, también eran aguas puras y limpias, porque asî las llamô el profeta Ezequiel (36, 25-26) cuando profetizô aquella venida del Espîritu Santo, diciendo: Infundiré, dice allî Dios, sobre vosotros aguas limpias y pondré mi espîritu en medio de vosotros.

Qui pourra exprimer ce que tu éprouves, ô âme bienheu­reuse, en te voyant à ce point chérie, en te voyant tenue en pareille estime par ton Dieu ? Ta volonté est devenue, suivant la parole du Cantique, semblable à un monceau de blé, couvert et environné de lis134. En effet, dans ces grains de pain de vie que tu goûtes tous ensemble, tu jouis des lis des vertus dont tu es environnée. Ce sont ces filles du Roi qui te réjouissent par les parfums des essences aroma­tiques135. Tu es tellement plongée, abîmée dans ces divines connaissances, que tu deviens le puits des eaux vives qui descendent avec impétuosité du Liban136, c’est-à-dire de Dieu même.En cet état, tu es inondée de joie selon l’économie de toutes tes parties, et ton corps même y participe. En toi se vérifie cette parole du Psalmiste : L’impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu137.


Merveilleux spectacle de voir une âme tout inondée des eaux divines ! Elle est comme une fontaine abondante qui déverse de toutes parts ces eaux célestes138. Il est vrai, la communication dont nous parlons est une communication de lumière et de feu, mais ce feu est si suave dans son immensité, qu’on peut le comparer à des eaux vives, qui désaltèrent la soif de l’esprit selon toute la plénitude avec laquelle il y aspire. Ces lampes de feu, comme celles qui descendirent sur les apôtres139, sont en même temps les eaux vives de l’Esprit-Saint. Le prophète Ézéchiel, lorsqu’il annonçait la venue de ce divin Esprit, appelait ses feux des eaux pures et limpides. Je verserai sur vous, disait-il au nom de Dieu, je verserai sur vous une eau pure, et je mettrai mon Esprit au milieu de vous140.


Y asî, aunque es fuego, también es agua; porque este fuego es figurado por el fuego del sacrificio que escondiô Jeremîas en la cisterna, el cual en cuanto estuvo escondido era agua, y cuando le sacaban afuera para sacrificar era fuego (2 Mac. 1, 20-22; 2, 1-12). Y asî, este Espîritu de Dios, en cuanto est escondido en las venas del alma, est, como agua suave y deleitable, hartando la sed al espîritu; y en cuanto se ejercita en sacrificio de amor a Dios, es llamas vivas de fuego que son las lmparas del acto de la dilecciôn y de llamas que arriba alegamos del Esposo en los Cantares (8, 6). Y por eso aquî el alma las nombra llamas, porque no sôlo las gusta en sî como aguas, sino también las ejercita en amor de Dios como llamas. Y por cuanto en la comunicaciôn del espîritu de estas lmparas es el alma inflamada y puesta en ejercicio de amar, en acto de amor, antes las llama lmparas que aguas, diciendo: Oh lmparas de fuego!


Todo lo que se puede en esta canciôn decir es menos de lo que hay, porque la transformaciôn del alma en Dios es indecible. Todo se dice en esta palabra: que el alma est hecha Dios de Dios, por participaciôn de él y de sus atributos, que son los que aquî llama lmparas de fuego.

Ce feu est donc en même temps une eau. Il est figuré par ce feu du sacrifice, que Néhémias cacha dans une citerne. Tant qu’il était dérobé aux regards, c’était de l’eau, lorsqu’on le retira pour servir au sacrifice, c’était du feu141.

De même cet Esprit de Dieu, tant qu’il est caché dans les veines de l’âme, est unç eau suave et délicieuse qui, dans la substance même de l’âme, désaltère la soif spirituelle, et lorsqu’il s’exerce en sacrifice d’amour, il devient de vives flammes de feu, c’est la multitude des lampes de l’acte de la dilection, de ces lampes que l’Époux dans les Cantiques déclare être des lampes de feu et de flamme142. L’âme ici leur donne ce nom, çar non seulement elle s’en désaltère comme des eaux de la Sagesse, mais elle les goûte comme des flammes d’amour, dans l’acte de l’amour. Elle s’écrie donc : Oh ! lampes de feu !

Tout ce qui se peut exprimer ici reste au-dessous de la réalité, PARCE QUE CETTE TRANSFORMATION DE L’ÂME EN DIEU EST INEXPRIMABLE. TOUT SERA DIT EN UN SEUL MOT : L’ÂME EST DEVENUE DIEU DE DIEU, EN PARTICIPATION DE SON ÊTRE ET DE SES ATTRIBUTS. CE SONT CES ATTRIBUTS QUE L’ÂME APPELLE ICI DES LAMPES DE FEU.



En cuyos resplandores.


9. Para que se entienda qué resplandores son éstos de las lmparas que aquî dice el alma y cômo el alma resplandece en ellos, es de saber que estos resplandores son las noticias amorosas que las lmparas de los atributos de Dios dan de sî al alma, en los cuales, ella unida segùn sus potencias, ella también resplandece como ellos, transformada en resplandores amorosos. Y esta ilustraciôn de resplandores, en que el alma resplandece con calor de amor, no es como la que hacen las lmparas materiales, que con sus llamaradas alumbran las cosas que estân en derredor, sino como las que estân dentro de las llamas, porque el alma est dentro de estos resplandores. Que por eso dice: En cuyos resplandores, que es decir, dentro. Y no sôlo eso, sino, como habemos dicho, transformada y hecha resplandores. Y asî, diremos que es como el aire que est dentro de la llama, encendido y transformado en la llama; porque la llama no es otra cosa que aire inflamado, y los movimientos y resplandores que hace aquella llama ni son sôlo del aire, ni sôlo del fuego de que est compuesta, sino junto de aire y del fuego, y el fuego los hace hacer al aire que en sî tiene inflamado.

Au sein de vos vives splendeurs,


AFIN DE FAIRE COMPRENDRE QUE CES SPLENDEURS SONT LES COMMUNICATIONS DES DIVINES LAMPES143 DONT L’ÂME NOUS PARLE ICI ET COMMENT CETTE ÂME RESPLENDIT AU MILIEU D’ELLES, IL FAUT SAVOIR CECI. CES SPLENDEURS SONT LES AMOUREUSES CONNAISSANCES QUE LES LAMPES DES ATTRIBUTS DE DIEU ENVOIENT A L’ÂME. AU MILIEU DE CES CONNAISSANCES, CETTE ÂME, UNIE A DIEU SELON SES PUISSANCES, RESPLENDIT COMME LES LAMPES ELLES — MÊMES, TRANSFORMÉE QU’ELLE EST EN CES AMOUREUSES SPLENDEURS.

Cette illumination de splendeurs, AU SEIN DESQUELLES L’ÂME RESPLENDIT DANS LES ARDEURS DE L’AMOUR, est fort différente de l’illumination des lampes matérielles, qui, par la lumière qu’elles projettent, éclairent et échauffent les objets environnants. Ici l’illumination a lieu au milieu des flammes qui résident en l’âme elle-même. C’est ce qui lui fait dire : « Au sein de vos vives splendeurs. » Elle n’est pas auprès de ces splendeurs, mais au milieu de ces splen­deurs, au milieu des flammes de ces lampes, transformée elle-même en splendeur. On peut donc la comparer à l’air qui est dans la flamme : il est enflammé, il est transformé en feu. La flamme, en effet, n’est autre chose que de l’air enflammé, tellement que les mouvements de la flamme et les splendeurs qu’elle jette ne doivent pas être attribués à l’air seulement, ni seulement au feu dont la flamme est composée. Ils sont produits par l’air et le feu réunis le feu les fait produire à l’air enflammé qu’il renferme en soi.


10. A este talle entenderemos que el alma con sus potencias est esclarecida dentro de los resplandores de Dios. Y los movimientos de estas llamas divinas, que son los vibramientos y llamaradas que habemos arriba dicho, no las hace sola el alma transformada en las llamas del Espîritu Santo, ni las hace sôlo él, sino él y el alma juntos, moviendo él al alma, como hace el fuego al aire inflamado. Y asî, estos movimientos de Dios y el alma juntos, no sôlo son resplandores, sino también glorificaciones en el alma. Porque estos movimientos y llamaradas son los juegos y fiestas alegres que en el segundo verso de la primera canciôn decîamos que hacîa el Espîritu Santo en el alma, en los cuales parece que siempre est queriendo acabar de darle la vida eterna y acabarla de trasladar a su perfecta gloria, entrndola ya de veras en sî. Porque todos los bienes primeros y postreros, mayores y menores que Dios hace al alma, siempre se los hace con motivo de llevarla a vida eterna; bien asî como la llama todos los movimientos y llamaradas que hace con el aire inflamado son a fin de llevarle consigo al centro de su esfera, y todos aquellos movimientos que hace es porfiar por llevarlo mâs a sî. Mas como, porque el aire est en su propia esfera, no le lleva, asî, aunque estos motivos del Espîritu Santo son eficacîsimos en absorber al alma en mucha gloria, todavîa no acaba hasta que llegue el tiempo en que salga de la esfera del aire de esta vida de carne y pueda entrar en el centro del espîritu de la vida perfecta en Cristo.

C’est de la même manière, comprenons-le bien, que l’âme, avec ses puissances, se trouve illuminée au sein des splendeurs divines. Les mouvements de la divine flamme — ces vibrations, ces jets de feu dont nous avons parlé — ne doivent pas être attribués seulement à l’âme transformée dans les flammes de l’Esprit-Saint, ni à l’Esprit. Saint seulement : ils sont produits par l’Esprit-Saint et par l’âme réunis. C’est l’Esprit-Saint qui meut alors cette âme, de même que le feu meut l’air enflammé.

Ces mouvements, qui sont tout à la fois et de Dieu et de l’âme, ne sont pas seulement des splendeurs, ce sont aussi des glorifications. Ce sont ces jeux et ces fêtes joyeuses que l’Esprit-Saint célèbre dans l’âme, et dont nous avons parlé en expliquant le second vers de la Strophe I. Dieu, disions-nous, semble continuellement sur le point de donner à l’âme la vie éternelle et de la transférer dans la gloire totale, en l’introduisant définitivement en lui.

Toutes les grâces que Dieu accorde à une âme de plus grande ou de moindre valeur, soit au début, soit à la fin de la carrière spirituelle, lui sont accordées en vue de la conduire à la vie éternelle. De même, tous les mouvements, tous les jets de feu que la flamme produit au moyen de l’air enflammé, sont destinés à l’entraîner au centre de sa sphère. Ce sont comme des défis que Dieu adresse à cette âme en vue de l’attirer davantage à lui. Tant que l’air se trouve dans sa propre sphère, la flamme ne l’emporte pas. De même ces mouvements de l’Esprit-Saint, quoique d’une merveilleuse efficacité pour absorber l’âme dans la gloire. n’opèrent l’absorption totale que lorsque le temps est venu pour l’âme de sortir de la sphère de cette vie et d’entrer dans le centre parfait de son esprit, c’est-à-dire d’entrer parfaitement en Jésus-Christ.


11. Pero es de saber que estos movimientos mâs son movimientos del alma que movimientos de Dios, porque Dios no se mueve. Y asî, estos visos de gloria que se dan al alma son estables, perfectos y continuos, con firme serenidad en Dios. Lo cual también ser en el alma después sin alteraciôn de mâs y menos y sin interpolaciôn de movimientos; y entonces ver el alma claro cômo, aunque le parecîa que ac se movîa Dios en ella, en sî mismo no se mueve, como el fuego tampoco se mueve en su esfera; y cômo, por no estar ella perfecta en gloria, tenîa aquellos movimientos y llamaradas en el sentimiento de gloria.


12. Por lo que est dicho, y por lo que ahora diremos, se entender mâs claro cunta sea la excelencia de los resplandores de estas lmparas que vamos diciendo, porque estos resplandores por otro nombre se llaman obumbraciones. Para inteligencia de lo cual es de saber que obumbraciôn quiere decir tanto como hacimiento de sombra, y hacer sombra es tanto como amparar y favorecer y hacer mercedes; porque cubriendo la sombra es señal que la persona, cuya es, est cerca para favorecer y amparar. Y por eso aquella merced que hizo Dios a la Virgen Marîa de la concepciôn del Hijo de Dios la llamô el ngel san Gabriel (Lc. 1, 35) obumbraciôn del Espîritu Santo, diciendo: El Espîritu Santo vendr sobre ti y la virtud del Altîsimo te har sombra.

Remarquons-le, ces mouvements de la flamme sont plus celui de Dieu. Ces avant-goûts de gloire que Dieu accorde à l’âme ne sont ni stables ni parfaits. L’âme144 en jouira un jour sans vicissitudes de plus et de moins, et sans mouvement. Alors elle verra clairement que si Dieu lui semblait se mouvoir en elle, en réalité il restait immuable, de même que le feu est immobile dans sa sphère, ET QUE SI ELLE ÉPROUVAIT CES MOUVEMENTS ET CES JETS DE FLAMME GLORIFICATEURS, C’EST QU’ELLE N’ÉTAIT PAS ENCORE PARFAITEMENT GLORIFIÉE. ET CEPENDANT, PAR CE QUI A ÉTÉ DIT ET CE QUE NOUS ALLONS DIRE, ON VERRA PLUS CLAIREMENT QUE CES SPLENDEURS SONT D’INES­TIMABLES FAVEURS QUE DIEU ACCORDE A UNE ÂME.

On peut145 leur donner aussi le nom d’obombrations.

Pour me faire comprendre, je dirai qu’obombrer veut dire couvrir de son ombre, ce qui a le sens de protéger et de favoriser. Du moment que l’on couvre de son ombre, c’est un signe que l’on est tout proche pour favoriser et pour défendre. De là vient que la faveur insigne accordée à la Vierge Marie de concevoir le Fils de Dieu fut appelée par l’ange saint Gabriel une obombration de l’Esprit-Saint, lorsqu’il dit : L’Esprit-Saint viendra en vous et la Vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre146.

Pour bien entendre cette projection de l’ombre de Dieu, ou cette obombration de splendeurs, ce qui est tout un, remarquons que çhaque objet produit une ombre en rapport avec ses proportions et sa nature. Si l’objet est opaque et obscur, il produira une ombre obscure : si l’objet est lumineux, il produira une ombre lumineuse et légère.


13. Para entender bien cômo sea este hacimiento de sombra de Dios, u obumbramientos de grandes resplandores, que todo es uno, es de saber que cada cosa tiene y hace la sombra conforme al talle y propiedad de la misma cosa. Si la cosa es opaca y oscura, hace sombra oscura; y si la cosa es clara y sutil, hace la sombra clara y sutil; y asî la sombra de una tiniebla ser otra tiniebla al talle de aquella tiniebla, y la sombra de una luz ser otra luz al talle de aquella luz.

14. Pues, como quiera que estas virtudes y atributos de Dios sean lmparas encendidas y resplandecientes, estando tan cerca del alma, como habemos dicho, no podrân dejar de tocarla con sus sombras, las cuales también han de ser encendidas y resplandecientes al talle de las lmparas que las hacen, y asî, estas sombras sern resplandores. De manera que, segùn esto, la sombra que hace al alma la lmpara de la hermosura de Dios, ser otra hermosura al talle y propiedad de aquella hermosura de Dios; y la sombra que hace la fortaleza, ser otra fortaleza y talle de la de Dios; y la sombra que le hace la sabidurîa de Dios, ser otra sabidurîa de Dios al talle de la de Dios; y asî de las dems lmparas, o, por mejor decir, ser la misma sabidurîa y la misma hermosura y la misma fortaleza de Dios en sombra, porque el alma ac perfectamente no lo puede comprehender. La cual sombra, por ser ella tan al talle y propiedad de Dios, que es el mismo Dios en sombra, conoce bien el alma la excelencia de Dios.

15. Segùn esto, cules sern las sombras que har el Espîritu Santo a esta alma de las grandezas de sus virtudes y atributos, estando tan cerca de ella, que no sôlo la toca en sombras, mas est unido con ellas en sombras y resplandores, entendiendo y gustando en cada una de ellas a Dios, segùn la propiedad y talle de él en cada una de ellas? Porque entiende y gusta la potencia divina en sombra de omnipotencia; y entiende y gusta la sabidurîa divina en sombra de sabidurîa divina; y entiende y gusta la bondad infinita en sombra que le cerca de bondad infinita, etc. Finalmente, gusta la gloria de Dios en sombra de gloria, que hace saber la propiedad y talle de la gloria de Dios, pasando todo esto en claras y encendidas sombras de aquellas claras y encendidas lmparas, todas en una lmpara de un solo y sencillo ser de Dios, que actualmente resplandece de todas estas maneras.

Ainsi, L’OMBRE D’UNE TÉNÈBRE SERA UNE AUTRE TÉNÈBRE, TOUTE CONFORME A LA PREMIÈRE ET L’OMBRE D’UNE LUMIÈRE SERA UNE AUTRE LUMIÈRE ENTIÈREMENT CONFORME A LA PREMIÈRE.

Par suite, ces vertus ou attributs de Dieu, qui sont
lampes enflammées et resplendissantes. se trouvant, comme nous l’avons dit, si près de l’âme, ne pourront manquer de la toucher de leur ombre, et ces ombres seront forcément enflammées et resplendissantes, conformément aux lampes qui les projettent. Ces ombres seront donc des splendeurs. Quelle sera l’ombre projetée par la beauté de Dieu ? Ce sera une autre beauté, toute conforme à la beauté de Dieu. Quelle sera l’ombre projetée par la force de Dieu, sinon une autre force, conforme à celle de Dieu.

L’ombre de la sagesse de Dieu sera une autre sagesse divine, et ainsi des autres lampes. Ou, pour mieux dire, ce sera la sagesse, ce sera la beauté, ce sera la force même de Dieu en tant qu’ombre, parce que l’âme ici-bas ne peut percevoir parfaitement ces divins attributs.

Cette ombre, si conforme à Dieu qu’elle est Dieu même, donne à l’âme une admirable connaissance de l’excellence de Dieu. Quelles seront, je le demande, ces ombres des divers attributs divins que l’Esprit-Saint projettera sur cette âme lorsqu’il est si proche d’elle ? En effet, non seule­ment il la touche par ces ombres, mais encore il lui est uni en ombre et en splendeurs, de telle sorte que cette âme perçoit et goûte en chacune d’elles Dieu même SELON SES PROPRIÉTÉS ET SA FORME EN ELLES. ELLE PERÇOIT ET ELLE GOÛTE LA PUISSANCE DIVINE SOUS L’OMBRE DE LA TOUTE-PUISSANCE. Elle perçoit, elle goûte la Sagesse divine sous l’ombre de la Sagesse divine ; elle perçoit, elle goûte la bonté infinie sous l’ombre de la Bonté infinie, et ainsi du reste. Enfin elle goûte la gloire de Dieu sous l’ombre de cette gloire, qui lui révèle les propriétés et l’étendue de la gloire de Dieu.

Or, tout ceci a lieu par ombres lumineuses et enflammées, produites par toutes ces lampes lumineuses et enflammées qui ne forment toutes qu’une seule lampe, celle de l’Étre de Dieu, unique et simple, qui resplendit pour cette âme en tant de manières diverses.

16. Oh!, pues, qué sentir aquî el alma experimentando aquî la noticia y comunicaciôn de aquella figura que vio Ezequiel en aquel animal de cuatro caras, en aquella rueda de cuatro ruedas, viendo cômo el aspecto suyo es como de carbones encendidos y como aspecto de lmparas, y viendo la rueda, que es la sabidurîa, llena de ojos de dentro y de fuera, que son las noticias divinas y resplandores de sus virtudes, y sintiendo en su espîritu aquel sonido que hacîa su paso, que era como sonido de multitud y de ejércitos, que significan muchas grandezas de Dios, que aquî el alma en un solo sonido de un paso que Dios da por ella distintamente conoce; y, finalmente, gustando aquel sonido del batir de sus alas, que dice el profeta era como sonido de muchas aguas, y como sonido del Altîsimo Dios, las cuales significan el împetu que habemos dicho de las aguas divinas, que en el alear del Espîritu Santo en la llama de amor, letificando al alma, la embisten, gozando aquî la gloria de Dios en su semejanza y sombra, como también este profeta dice, que la visiôn de aquel animal y rueda era semejanza de la gloria del Señor? (Ez. 1, 1-28).

Oh ! qu’éprouvera donc une âme en recevant ainsi révélation et communication de la vision accordée à Ézéchiel d’un animal ayant quatre faces différentes, et d’une roue composée de quatre roues, dont l’aspect, nous dit l’Écriture, était semblable à des charbons enflammés et à des lampes147 ? Cette roue qui représente la Sagesse de Dieu, était pleine d’yeux au-dedans et au-dehors, figure des connaissances divines et des splendeurs de ses attributs.

Qu’éprouve donc cette âme lorsqu’elle entend en esprit le bruit que font les roues en marchant, ce bruit semblable au bruit d’une multitude et de plusieurs armées en mou­vement, image des grandeurs divines ? Ces grandeurs, l’âme les connaît toutes distinctement dans le son d’un seul des pas de Dieu en elle. Enfin, elle perçoit le battement des ailes des animaux, qui, au dire du prophète, était semblable au bruit des grandes eaux et au son du Dieu Très-Haut : figure de l’impétuosité des eaux divines, qui investissent cette âme au moment où l’Esprit-Saint bat des ailes dans la flamme de l’amour. Elle jouit alors de la gloire des ailes de Dieu en figure et à la faveur de son ombre. C’est l’expression du même prophète, qui nous déclare que la vision des animaux et des roues était la ressemblance de la gloire du Seigneur.

Cun elevada se sienta aquî esta dichosa alma, cun engrandecida se conozca, cun admirada se vea en hermosura santa, quién lo podrà decir? Viéndose ella de esta manera embestida con tanta copiosidad en las aguas de estos divinos resplandores, echa de ver que el Padre Eterno la ha concedido con larga mano el regadîo superior e inferior, como hizo a Axa su padre, cuando ella suspiraba (Jos. 15, 18-19); pues estas aguas el alma y cuerpo, que es la parte inferior y superior, regando penetran.


17. Oh admirable excelencia de Dios, que con ser estas lmparas de los atributos divinos un simple ser y en él solo se gusten, se vean distintamente tan encendida cada una como la otra, y siendo cada una sustancialmente la otra! Oh abismo de deleites, tanto mâs abundante eres cuanto estân tus riquezas mâs recogidas en unidad y simplicidad infinita de tu ùnico ser, donde de tal manera se conoce y gusta lo uno, que no impide el conocimiento y gusto perfecto de lo otro, antes cada cual gracia y virtud que hay en ti, es luz que hay de cualquiera otra grandeza tuya; porque, por tu limpieza, Oh Sabidurîa divina!, muchas cosas se ven en ti viéndose una, porque tù eres el depôsito de los tesoros del Padre, el resplandor de la luz eterna, espejo sin mancilla e imagen de su bondad! (Sab. 7, 26), en cuyos resplandores,


À quelle élévation se sent portée cette âme très heureuse ? Elle se voit avec surprise montée à ce degré de sainte beauté. Qui pourra nous dire ce qu’elle éprouve, quand, noyée dans l’abondance des eaux de ces divines splendeurs, elle reconnaît que le Père Éternel l’a enrichie libéralement des délices supérieures et inférieures comme le père d’Axa le fit pour sa fille qui l’en suppliait148, car effectivement les eaux divines arrosent ici l’âme et le corps, c’est-à-dire la partie supérieure et la partie inférieure.

Oh ! admirable excellence de Dieu ! Ces lampes des attributs divins se réunissent en une seule Essence, très simple, en laquelle elles sont connues et goûtées séparément, l’une aussi embrasée que l’autre, et chacune étant substan­tiellement l’autre. Oh ! abîme de délices ! d’autant plus abondant que tes richesses sont plus parfaitement recueillies dans l’unité et la simplicité de l’Être unique ! Elles se perçoivent et se goûtent de telle façon que l’une ne met point obstacle à la connaissance et au goût parfait de l’autre. Au contraire, chaque grâce et chaque attribut en illumine un autre. C’est à cause de ta pureté, ô divine Sagesse, qu’en voyant en toi une richesse, on en découvre une multitude d’autres, parce que tu es le dépôt des trésors du Père, l’éclat de la lumière éternelle et l’image de sa bonté149.



las profundas cavernas del sentido ...


18. Estas cavernas son las potencias del alma: memoria, entendimiento y voluntad, las cuales son tan profundas cuanto de grandes bienes son capaces, pues no se llenan con menos que infinito. Las cuales, con lo que padecen cuando estân vacîas, echaremos en alguna manera de ver lo que se gozan y deleitan cuando de Dios estân llenas, pues que por un contrario se da luz del otro.


Cuanto a lo primero, es de notar que estas cavernas de las potencias, cuando no estân vacîas y purgadas y limpias de toda aficiôn de criatura, no sienten el vacîo grande de su profunda capacidad; porque en esta vida cualquiera cosilla que a ellas se pegue basta para tenerlas tan embarazadas y embelesadas que no sientan su daño y echen menos sus inmensos bienes ni conozcan su capacidad. Y es cosa admirable que, con ser capaces de infinitos bienes, baste el menor de ellos a embarazarlas de manera que no los puedan recibir hasta de todo punto vaciarse, como luego diremos.

Pero cuando estân vacîas y limpias, es intolerable la sed y hambre y ansia del sentido espiritual; porque, como son profundos los estômagos de estas cavernas, profundamente penan, porque el manjar que echan menos también es profundo, que, como digo, es Dios.


Y este tan grande sentimiento comùnmente acaece hacia los fines de la iluminaciôn y purificaciôn del alma, antes que llegue a uniôn, donde ya se satisfacen. Porque, como el apetito espiritual est vacîo y purgado de toda criatura y afecciôn de ella, y perdido el temple natural, est templado a lo divino y tiene ya el vacîo dispuesto, y, como todavîa no se le comunica lo divino en uniôn de Dios, llega el penar de este vacîo y sed mâs que a morir, mayormente cuando por algunos visos o resquicios se le trasluce algùn rayo divino y no se le comunican. Y éstos son los que penan con amor impaciente, que no pueden estar mucho sin recibir o morir.

Mon sens, avec ses profondeurs,


Ces profondeurs sont les puissances de l’âme, la mémoire, l’entendement et la volonté, d’autant plus vastes qu’elles sont capables de biens plus étendus, car elles ne peuvent être remplies que par l’infini. Par la souffrance qu’elles endurent lorsqu’elles sont vides, nous pouvons juger des délices dont elles jouissent lorsqu’elles sont pleines de Dieu, puisque deux contraires s’éclairent l’un par l’autre.


Remarquons tout d’abord que ces profondeurs des puissances, tant qu’elles ne sont pas affranchies et purgées de toute affection des créatures, ne sentent pas le vide immense de leur vaste capacité ! Chose surprenante ! Elles sont capables de biens infinis, et l’objet le plus insignifiant les embarrasse au point qu’elles deviennent incapables de recevoir les biens infinis, ce qui dure tant qu’elles n’ont pas fait en elles le vide total. Nous y reviendrons plus loin, Sont-elles au contraire pures et dégagées, la faim, la soif ; l’anxiété de leur sens spirituel devient intolérable. La capacité de ces profondeurs étant très vaste, excessif est le tourment qu’elles endurent. C’est que l’aliment qui leur manque est immense, puisque, encore une fois, ce n’est rien moins que Dieu même.


Cette souffrance si intense se fait sentir d’ordinaire vers la fin de l’illumination et de la purification de l’âme, et avant qu’elle atteigne l’union où cette faim trouvera son rassasiement. Comme l’appétit spirituel est à vide, qu’il est purgé de tout le créé et de toute affection au créé, qu’il est dépouillé de son tempérament naturel et revêtu d’un tempérament divin, le vide même où il se trouve lui donne la disposition requise, et cependant les biens divins ne lui sont pas encore communiqués par l’union. Il en résulte que le sentiment du vide et de la soif qu’il endure lui cause une souffrance pire que la mort, surtout quand au moyen de quelque avant-goût et, pour ainsi parler, par quelque tente, un rayon divin pénètre jusqu’à lui, sans que toutefois Dieu se communique. C’est ici l’amour impatient, qui ne peut se prolonger sans amener ou la mort ou la satisfaction de son désir.

19. Cuanto a la primera caverna que aquî ponemos, que es el entendimiento, su vacîo es sed de Dios, y ésta es tan grande, cuando él est dispuesto, que la compara David (Sal. 41, 1) a la del ciervo, no hallando otra mayor a qué compararla, que dicen es vehementîsima, diciendo: Asî como desea el ciervo las fuentes de las aguas, asî mi alma desea a ti, Dios. Y esta sed es de las aguas de la sabidurîa de Dios, que es el objeto del entendimiento.


20. La segunda caverna es la voluntad, y el vacîo de ésta es hambre de Dios tan grande que hace desfallecer al alma, segùn lo dice también David (Sal. 83, 3) diciendo: Codicia y desfallece mi alma a los tabernculos del Señor. Y esta hambre es de la perfecciôn de amor que el alma pretende.


21. La tercera caverna es la memoria, y el vacîo de ésta es deshacimiento y derretimiento del alma por la posesiôn de Dios, como lo nota Jeremîas (Lm. 3, 20) diciendo: Memoria memor ero et tabescet in me anima mea, esto es: Con memoria me acordaré, id est, mucho me acordaré, y derretirse ha mi alma en mî; revolviendo estas cosas en mi corazôn, viviré en esperanza de Dios.

Parlons de la première profondeur, qui est l’entendement. Le vide et la soif de Dieu se font sentir à lui avec une intensité telle, lorsqu’il est convenablement disposé. que David, faute de meilleure comparaison, assimile sa soif à celle du cerf, qui passe pour être excessive. Comme le cerf soupire après la source des eaux, dit-il, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu150. Cette soif est celle des eaux de la Sagesse de Dieu, objet de l’entendement.


La seconde profondeur est la volonté. La faim de Dieu qu’elle endure est si intense, qu’elle fait tomber l’âme en défaillance, comme le dit encore David : Mon âme tombe en défaillance, dans le désir qui la porte vers les tabernacles du Seigneur151. Cette faim est celle de l’amour parfait, objet des désirs de l’âme.


La troisième profondeur est la mémoire. Le vide qui s’y fait sentir est une défaillance et une liquéfaction de l’âme qui aspire à posséder Dieu, selon cette parole de Jérémie : Memoria mentor ero et tabescet in me anima mea. C’est-à-dire : Je me souviendrai avec tant d’ardeur, que mon âme se dessé­chera au dedans de moi-même. Je repasserai dans mon cœur l’objet de mes désirs, et fe vivrai de l’espérance de Dieu152.


22. Es, pues, profunda la capacidad de estas cavernas, porque lo que en ellas puede caber, que es Dios, es profundo e infinito; y asî ser en cierta manera su capacidad infinita, y asî su sed es infinita, su hambre también es profunda e infinita, su deshacimiento y pena es muerte infinita, que, aunque no se padece tan intensamente como en la otra vida, pero padécese una viva imagen de aquella privaciôn infinita, por estar el alma en cierta disposiciôn para recibir su lleno. Aunque este penar es a otro temple, porque es en los senos del amor de la voluntad, que no es el que alivia la pena, pues cuanto mayor es el amor, es tanto mâs impaciente por la posesiôn de su Dios, a quien espera por momentos de intensa codicia.


23. Pero, Ávlgame Dios!, pues que es verdad que cuando el alma desea a Dios con entera verdad, tiene ya al que ama, como dice san Gregorio sobre san Juan, cômo pena por lo que ya tiene? Porque en el deseo, que dice san Pedro que tienen los angeles de ver al Hijo de Dios (1 Pe. 1, 12), no hay alguna pena o ansia, porque ya le poseen. Y asî parece que, si el alma cuanto mâs desea a Dios mâs le posee, y la posesiôn de Dios da deleite y hartura al alma, como los angeles, que estando cumpliendo su deseo en la posesiôn se deleitan, estando siempre hartando su alma con el apetito, sin fastidio de hartura; por lo cual, porque no hay fastidio, siempre desean, y porque hay posesiôn, no penan. Tanto mâs de hartura y deleite habîa el alma de sentir aquî en este deseo, cuanto mayor es el deseo, pues tanto mâs tiene a Dios, y no de dolor y pena.

Nous l’avons dit, la capacité de ces profondeurs est immense, puisqu’elles sont aptes à contenir Dieu même, qui est immense et infini. Leur capacité est donc, en une certaine manière, infinie. Par conséquent la soif de l’âme est infinie, sa faim est immense et infinie, sa défaillance est mortelle et infinie. Ici-bas, il est vrai, la souffrance ne saurait atteindre une intensité semblable à celle de l’autre vie, et cependant il y a ici une image de la privation infinie que souffrent les âmes séparées du corps, parce que l’âme dont il s’agit est en quelque façon disposée à recevoir sa plénitude. Son tourment, il est vrai, est d’une autre nature, car il réside au plus profond de la faculté amative, mais cela ne diminue pas la souffrance, parce que plus l’amour est grand, plus il est impatient de posséder son Dieu, et par instants ses aspirations prennent une intensité inouïe.

Mais, mon Dieu ! puisqu’il est certain que lorsqu’une âme désire Dieu sincèrement, elle possède déjà Celui qu’elle aime, ainsi que le dit saint Grégoire sur l’Évangile selon saint Jean153, comment se tourmente-t-elle ainsi pour obtenir ce dont elle est en possession ? En effet, d’après saint Pierre, le désir qu’ont les anges de voir le Fils de Dieu est sans aucune peine ni anxiété, parce que déjà ils le possèdent154. Il semble donc que plus une âme désire Dieu, plus elle le possède. Or, la possession de Dieu apporte à l’âme délices et rassasiement. C’est ce qui arrive aux anges, qui se délectent dans la possession de ce qu’ils désirent, le rassasiement subsistant toujours en même temps que la faim, sans dégoût ni fatigue. Comme, il n’y a pas pour eux de dégoût, ils désirent sans cesse, et comme ils possèdent ce qu’ils désirent, ils ne souffrent pas. L’âme devrait donc ne pas ressentir de peine, mais au contraire goûter d’autant plus de rassasiement et de jouissance que son désir est plus ardent, puisqu’on nous l’assure, elle possède Dieu à proportion qu’elle le désire.


24. En esta cuestiôn viene bien notar la diferencia que hay en tener a Dios por gracia en sî solamente, y en tenerle también por uniôn; que lo uno es bien quererse, y la otra es también comunicarse; que es tanta la diferencia como la que hay entre el desposorio y el matrimonio.


Porque en el desposorio sôlo hay un igualado sî y una sola voluntad de ambas partes y joyas y ornato de desposada, que se las da graciosamente el desposado; mas en el matrimonio hay también comunicaciôn de las personas y uniôn. Y en el desposorio, aunque algunas veces hay visitas del esposo a la esposa y la da ddivas, como decimos, pero no hay uniôn de las personas, ni es el fin del desposorio.


Ni mâs ni menos, cuando el alma ha llegado a tanta pureza en sî y en sus potencias que la voluntad esté muy pura y purgada de otros gustos y apetitos extraños, segùn la parte inferior superior, y enteramente dado el sî acerca de todo esto en Dios,


siendo ya la voluntad de Dios y del alma una en un consentimiento propio y libre, ha llegado a tener a Dios por gracia de voluntad todo lo que puede por vîa de voluntad y gracia. Y esto es haberle Dios dado en el sî de ella su verdadero sî y entero de su gracia.

Il y a ici une remarque à faire. La différence est grande entre posséder Dieu simplement par la grâce et le posséder de plus par l’union. Dans le premier cas, c’est l’affection mutuelle, dans le second, il y a de plus communication. En un mot, il y a la même différence qu’entre les fiançailles et le mariage.


Dans les fiançailles, il y a un mutuel accord, une seule et même volonté des deux parties, il y a des joyaux et des ornements de fiancée, offerts gracieusement par le fiancé : dans le mariage, il y a union et communi­cation des personnes. Dans les fiançailles, il y a parfois des visites du fiancé à la fiancée, il y a, nous venons de le dire, des présents faits par le fiancé ; mais il n’y a pas encore union des personnes, ce qui mettrait fin aux fiançailles.


Il en va de même pour l’âme, quand elle est parvenue à une si grande pureté en son essence et en ses puissances, qu’elle se trouve entièrement purgée quant à la volonté de tous les goûts et de tous les appétits étrangers, tant selon sa partie inférieure que selon sa partie supérieure, et qu’elle y a entièrement renoncé pour Dieu.


La volonté de Dieu et celle de l’âme ne font plus qu’un par un consentement volontaire et libre ; l’âme en est venue à posséder Dieu autant qu’il se peut par grâce et par union des volontés ; en un mot, Dieu a répondu au oui de l’âme par le oui plein et entier de sa grâce.


25. Y éste es un alto estado de desposorio espiritual del alma con el Verbo, en el cual el Esposo la hace grandes mercedes y la visita amorosîsimamente muchas veces, en que ella recibe grandes sabores y deleites. Pero no tienen que ver con los del matrimonio, porque todos son disposiciones para la uniôn del matrimonio; que, aunque es verdad que esto pasa en el alma que est purgadîsima de toda afecciôn de criatura (porque no se hace el desposorio espiritual, como decimos, hasta esto), todavîa ha menester el alma otras disposiciones positivas de Dios, de sus visitas y dones, en que la va mâs purificando y hermoseando y adelganzando para que esté decentemente dispuesta para tan alta uniôn.

Y en esto pasa tiempo, en unas mâs y en otras menos, porque lo va Dios haciendo al modo del alma. Y esto es figurado por aquellas doncellas que fueron escogidas para el rey Asuero (Est. 2, 2-4; 8, 4), que, aunque las habîan ya sacado de sus tierras y de la casa de sus padres, todavîa antes que llegasen al lecho del rey, las tenîan un año (aunque en el palacio) encerradas, de manera que el medio año se estaban disponiendo con ciertos ungŸentos de mirra y otras especies. Y el otro medio año con otros ungŸentos mâs subidos, y después de esto iban al lecho del rey.


26. En el tiempo, pues, de este desposorio y espera del matrimonio en las unciones del Espîritu Santo, cuando son mâs altos ungŸentos de disposiciones para la uniôn de Dios, suelen ser las ansias de las cavernas del alma extremadas y delicadas. Porque, como aquellos ungŸentos son ya mâs prôximamente dispositivos para la uniôn de Dios, porque son mâs allegados a Dios, y por eso saborean al alma y la engolosinan mâs delicadamente de Dios, es el deseo mâs delicado y profundo, porque el deseo de Dios es disposiciôn para unirse con Dios.

C’est un état très élevé de fiançailles spirituelles entre l’âme et le Verbe. L’Époux fait alors à l’âme de grandes grâces ; il la visite souvent avec beaucoup d’amour. Dans ces visites, l’âme reçoit de grandes faveurs et goûte de merveilleuses délices. Mais tout cela n’a rien à voir avec ce qui a lieu dans le mariage spirituel ; ce n’est qu’une préparation à l’union du mariage. Il est vrai, ces faveurs ne s’accordent qu’à une âme entièrement purgée de toute affection à la créature, car les fiançailles spirituelles, nous l’avons dit, n’ont lieu qu’à ce prix. Néanmoins, pour le mariage, il faut d’autres préparations positives de la part de Dieu, qui ont lieu en des visites et moyennant des dons par lesquels il purifie l’âme, il l’embellit, il la spiritualise, en vue de la disposer convenablement à une union si haute.

Cela demande du temps, pour certaines âmes plus, pour d’autres moins, car Dieu opère suivant que l’âme se dispose. Nous trouvons une figure de ceci dans ce que l’Écriture nous dit des jeunes filles que l’on choisissait pour le roi Assuérus155. On les avait déjà tirées de leur pays et de la demeure de leurs parents ; cependant avant de les conduire dans les appartements du roi, on les gardait une année entière enfermées dans le palais. Pendant la première moitié de cette année, elles usaient de parfums de myrrhe et d’autres aromates ; pendant les six autres mois, elles se servaient de parfums plus relevés. Ce n’est qu’après ces préparatifs qu’elles étaient admises dans la chambre royale.


De même, dans le temps des fiançailles et de l’attente du mariage spirituel, l’âme demeure dans les onctions du Saint-Esprit. Pendant ces dispositions plus élevées à l’union divine, les angoisses des profondeurs de l’âme sont d’ordi­naire extrêmement vives et intenses. La raison en est que les parfums dont il s’agit la disposent d’une manière plus prochaine à l’union divine. Comme ils procèdent plus direc­tement de Dieu, ils attirent l’âme vers Dieu d’une manière plus suave et plus exquise, le désir qu’ils font naître en elle est plus subtil et plus profond. Or, le désir de Dieu est la disposition propre pour s’unir à Dieu.


27. Oh qué buen lugar era éste para avisar a las almas que Dios llega a estas delicadas unciones, que miren lo que hacen y en cùyas manos se ponen, porque no vuelvan atrs!, sino que es fuera del propôsito a que vamos hablando. Mas es tanta la mancilla y lstima que cae en mi corazôn ver volver las almas atrs, no solamente no se dejando ungir de manera que pase la unciôn adelante, sino aun perdiendo los efectos de la unciôn, que no tengo de dejar de avisarlas aquî acerca de esto lo que deben hacer para evitar tanto daño, aunque nos detengamos un poco en volver al propôsito (que yo volveré luego a él), aunque todo hace a la inteligencia de la propiedad de estas cavernas. Y por ser muy necesario, no sôlo para estas almas que van tan prôsperas, sino también para todas las dems que andan en busca de su Amado, lo quiero decir.


28. Cuanto a lo primero, es de saber que, si el alma busca a Dios, mucho mâs la busca su Amado a ella; y si ella le envîa a él sus amorosos deseos, que le son a él tan olorosos como la virgulica del humo que sale de las especias aromticas de la mirra y del incienso (Ct. 3, 6), él a ella le envîa el olor de sus ungŸentos, con que la atrae y hace correr hacia él (Ct. 1, 2-3), que son sus divinas inspiraciones y toques; los cuales, siempre que son suyos, van ceôidos y regulados con motivo de la perfecciôn de la ley de Dios y de la fe, por cuya perfecciôn ha de ir el alma siempre llegndose mâs a Dios. Y asî ha de entender el alma que el deseo de Dios en todas las mercedes que le hace en las unciones y olores de sus ungŸentos, es disponerla para otros mâs subidos y delicados ungŸentos, mâs hechos al temple de Dios, hasta que venga en tan delicada y pura disposiciôn, que merezca la uniôn de Dios y transformaciôn sustancial en todas sus potencias.

Oh ! quelle occasion se présente ici d’avertir les âmes que Dieu élève à ces onctions délicates d’être sur leurs gardes et de bien considérer en quelles mains elles se placent, afin de ne pas s’exposer à retourner en arrière ! Mais ce serait nous écarter du sujet que nous traitons. Et cependant, mon cœur est touché d’une pitié si profonde en voyant les âmes résister à ces divines onctions et en arrêter le progrès, que je ne puis m’empêcher de leur dire ici ce qu’elles ont à faire pour éviter un si grand mal.

Je vais donc m’arrêter quelque peu, quitte à revenir ensuite à mon sujet. Ce que j’en dirai jettera d’ailleurs plus de jour sur les profondeurs de l’âme dont j’ai commencé â parler. Enfin, je vois une telle nécessité à cette digression, non seulement pour les âmes qui sont en si bon chemin, mais pour toutes celles qui sont à la recherche de leur Bien-Aimé, que je vais la faire.


Sachons-le tout d’abord, si l’âme cherche son Dieu, son Bien-Aimé la cherche avec infiniment plus d’ardeur. Si elle lui envoie ses amoureux désirs, aussi odoriférants pour lui que la vapeur de la myrrhe et de l’encens156 Dieu de son côté, lui envoie l’odeur de ses parfums, c’est-à-dire ses inspirations et ses divines touches qui l’excitent à courir après lui157. Ces touches, quand elles sont de Dieu, vont toujours à la perfection de la loi divine et de la foi, parce que cette perfection même est le moyen qui approche l’âme toujours davantage de Dieu. L’âme doit le bien comprendre, ces parfums de plus en plus élevés, ces onctions de plus en plus élevées et exquises, de plus en plus divines, sont destinées à produire en elle une disposition assez exquise et assez pure pour lui mériter l’union avec lui et la trans­formation essentielle en lui selon toutes les puissances.


29. Advirtiendo, pues, el alma que en este negocio es Dios el principal agente y el mozo de ciego que la ha de guiar por la mano a donde ella no sabrîa ir, que es a las cosas sobrenaturales, que no puede su entendimiento ni voluntad ni memoria saber cômo son; todo su principal cuidado ha de ser mirar que no ponga obstculo al que la guîa segùn el camino que Dios le tiene ordenado en perfecciôn de la ley de Dios y la fe, como decimos. Y este impedimento le puede venir si se deja guiar y llevar de otro ciego. Y los ciegos que la podrîan sacar del camino son tres, conviene a saber: el maestro espiritual, y el demonio, y ella misma. Y porque entienda el alma cômo esto sea, trataremos un poco de cada uno.


30. Cuanto a lo primero, grandemente le conviene al alma que quiere ir adelante en el recogimiento y perfecciôn, mirar en cùyas manos se pone, porque cual fuere el maestro, tal ser el discîpulo, y cual el padre, tal el hijo. Y adviértase que para este camino, a lo menos para lo mâs subido de él, y aun para lo mediano, apenas se hallar una guîa cabal segùn todas las partes que ha menester, porque, adems de ser sabio y discreto, ha menester ser experimentado. Porque, para guiar al espîritu, aunque el fundamento es el saber y discreciôn, si no hay experiencia de lo que es puro y verdadero espîritu, no atinar a encaminar al alma en él, cuando Dios se lo da, ni aun lo entender.


31. De esta manera muchos maestros espirituales hacen mucho daño a muchas almas, porque, no entendiendo ellos las vîas y propiedades del espîritu, de ordinario hacen perder a las almas la unciôn de estos delicados ungŸentos con que el Espîritu Santo les va ungiendo y disponiendo para sî, instruyéndolas por otros modos rateros que ellos han usado o leîdo por ahî, que no sirven mâs que para principiantes. Que, no sabiendo ellos mâs que para éstos, y aun eso plega a Dios no quieran dejar las almas pasar, aunque Dios las quiera llevar, a mâs de aquellos principios y modos discursivos e imaginarios, para que nunca excedan y salgan de la capacidad natural, con que el alma puede hacer muy poca hacienda.

Ainsi c’est Dieu, l’âme le doit bien savoir, qui dans cette affaire est le principal agent ; c’est lui qui doit la guider par la main, comme le conducteur de l’aveugle, jusqu’au but qu’elle est incapable d’atteindre d’elle-même : je veux dire les merveilles surnaturelles que ni son entendement, ni sa volonté, ni sa mémoire ne peuvent saisir telles qu’elles sont. Sa grande préoccupation doit donc être de ne pas entraver l’action de l’Esprit-Saint, son guide, qui la mène par une voie, répétons-le, toujours conforme à la loi divine et à la foi.

Le malheur de voir entraver l’action divine sera le partage de l’âme qui se laissera guider par un autre aveugle158. Or, les aveugles qui peuvent égarer une âme sont au nombre de trois. Il y a le maître spirituel, il y a le démon, il y a l’âme elle-même.

Parlons d’abord du premier aveugle. Je viens de le dire, l’âme qui veut avancer et ne pas reculer, doit bien consi­dérer en quelles mains elle se place, car tel maitre, tel disciple, et tel père, tel fils. Or, pour parcourir ce chemin, ou du moins pour atteindre ce qu’il présente de plus élevé, et même de médiocre comme hauteur, elle aura toutes les peines du monde à rencontrer un guide doué de toutes les qualités voulues. Il faut qu’il soit instruit, prudent, expé­rimenté. Quand il s’agit de direction spirituelle, le savoir et la prudence sont des qualités fondamentales ; mais si l’expérience des voies très élevées fait défaut, le directeur ne saura pas conduire l’âme que Dieu y fait entrer, il pourra même lui nuire extrêmement.

Comme ces maîtres spirituels n’entendent rien aux voies de l’esprit, ils font perdre aux âmes ces délicats parfums au moyen desquels l’Esprit-Saint les dispose à son action. Ils les conduisent par des méthodes vulgaires, qu’ils ont trouvées dans les livres, et qui ne sont bonnes que pour des débutants. Comme ils ne savent gouverner que ceux qui commencent — et encore Dieu veuille qu’ils le sachent — ils ne permettent pas aux âmes de dépasser ces premières méthodes discursives et imaginaires, qui n’élèvent jamais au-dessus de la capacité naturelle et ne sauraient mener loin.



Pour éclaircir un peu le sujet, disons ceci. Ce qui convient aux commençants, c’est de méditer, de produire des actes discursifs. Dans ces débuts, l’âme a besoin qu’on lui four­nisse un sujet sur lequel elle puisse s’exercer et tirer profit de la ferveur sensible que présentent les choses spirituelles. Par là, elle habitue ses sens et ses appétits aux choses de l’esprit. Attirés par cette saveur, ils se détachent de ce qui est du siècle.

Lorsque c’est en partie chose faite, Dieu commence à mettre les âmes en état de contemplation. Chez celles qui professent la vie religieuse, ceci a lieu très promptement. Comme elles ont renoncé au monde, leur sens et leur appétit s’adaptent plus facilement à Dieu. Il n’y a donc qu’à passer de la méditation à la contemplation159.

Alors cessent les actes discursifs produits par l’âne, ainsi que les ferveurs sensibles, l’âme ne pouvant plus discourir comme elle le taisait ni trouver aucun appui dans ce qui vient du sens. Celui-ci est plongé dans la sécheresse, parce que c’est maintenant l’esprit qui s’enrichit, et l’esprit n’a rien à voir avec le sens. Comme toutes les opérations que l’âme peut produire ont lieu par le moyen du sens, c’est Dieu qui dans ce nouvel état devient l’agent opérateur et l’âme se trouve être le sujet passif. Désormais, elle se comporte comme recevant en elle-même une action, et Dieu se comporte comme exerçant cette action. Il lui communique les biens spirituels par le moyen de la contem­plation, qui est tout à la fois connaissance et amour de Dieu, autrement dit connaissance amoureuse. L’âme ne produit plus d’actes, elle n’use plus de discours, et elle se trouve impuissante à le faire.


32. Y, para que mejor entendamos esta condiciôn de principiantes, es de saber que el estado y ejercicio de principiantes es de meditar y hacer actos y ejercicios discursivos con la imaginaciôn. En este estado, necesario le es al alma que se le dé materia para que medite y discurra, y le conviene que de suyo haga actos interiores y se aproveche del sabor y jugo sensitivo en las cosas espirituales, porque, cebando el apetito con sabor de las cosas espirituales, se desarraigue del sabor de las cosas sensuales y desfallezca a las cosas del siglo. Mas, cuando ya el apetito est algo cebado y habituado a las cosas de espîritu en alguna manera, con alguna fortaleza y constancia, luego comienza Dios, como dicen, a destetar el alma y ponerla en estado de contemplaciôn, lo cual suele ser en algunas personas muy en breve, mayormente en gente religiosa, porque mâs en breve, negadas las cosas del siglo, acomodan a Dios el sentido y el apetito, y pasan su ejercicio al espîritu, obrndolo Dios en ellos bien asî. Lo cual es cuando ya cesan los actos discursivos y meditaciôn de la propia alma y los jugos y fervores primeros sensitivos, no pudiendo ya discurrir como antes, ni hallar nada de arrimo por el sentido, este sentido quedando en sequedad, por cuanto le mudan el caudal al espîritu, que no cae en sentido.


Y como quiera que naturalmente todas las operaciones que puede de suyo hacer el alma no sean sino por el sentido, de aquî es que ya Dios en este estado es el agente y el alma es la paciente; porque ella sôlo se ha como el que recibe y como en quien se hace, y Dios como el que da y como el que en ella hace, dândole los bienes espirituales en la contemplaciôn, que es noticia y amor divino junto, esto es, noticia amorosa, sin que el alma use de sus actos y discursos naturales, porque no puede ya entrar en ellos como antes.

Par suite, l’âme doit désormais se comporter d’une manière toute différente de la première. Auparavant on lui fournissait un sujet à méditer et elle méditait ; main­tenant il faut le lui ôter et l’empêcher de méditer. Du reste, comme je l’ai dit, elle le voudrait qu’elle ne le pourrait pas, et ne ferait que se distraire. Auparavant, elle cherchait l’amour sensible, la ferveur sensible, et elle les trouvait. Maintenant elle ne doit plus ni les désirer, ni les rechercher, et non seulement ses efforts ne les lui donneront pas, mais ils ne lui apporteront que sécheresse. Elle ne ferait que se détourner du bien tranquille et pacifique qui lui est secrètement versé dans l’esprit pour s’appliquer au travail qui a lieu par le sens. Ce serait perdre beaucoup et ne rien gagner par ailleurs, parce que ce n’est plus par le sens que lui vient désormais le profit spirituel. Ainsi, je le répète, quand l’âme est là, il ne faut en aucune manière l’obliger à méditer et à produire des actes ; elle ne doit plus rechercher la ferveur sensible. Ce serait faire obstacle à l’agent prin­cipal, c’est-à-dire à Dieu, qui infuse secrètement et paisi­blement dans cette âme la Sagesse et une amoureuse connaissance. L’âme doit alors s’abstenir de produire des actes, à moins que Dieu lui-même ne les lui fasse produire avec quelque durée. Elle doit se borner à une amoureuse attention vers Dieu, sans actes particuliers. En un mot, elle doit se comporter passivement, sans effort personnel, se contentant d’une amoureuse et simple attention, à peu près comme une personne qui tient les yeux ouverts pour regarder avec amour.

Dieu se communiquant alors à cette âme en connaissance amoureuse et simple, l’âme, de son côté, doit recevoir la divine communication en simple et amoureuse attention. Ainsi la connaissance répondra à la connaissance et l’amour à l’amour. Il convient en effet que celui qui reçoit conforme sa manière de recevoir au don qui lui est fait, afin de le recevoir et de le retenir tel qu’on le lui communique. C’est un axiome des philosophes que tout ce qui se reçoit prend le mode de celui qui reçoit. Doit il suit que si l’âme ne renonçait pas à son mode naturel actif, elle ne recevrait le don de Dieu que d’une manière naturelle, ce qui équivaut à dire qu’elle ne le recevrait point, parce qu’elle resterait réduite à son opération naturelle et que ce qui est surnaturel ne peut être reçu suivant un mode naturel, n’a même rien à voir avec le naturel.

De donde est claro que, si el alma entonces no dejase su modo activo natural, no recibirîa aquel bien sino a modo natural, y asî, no le recibirîa, sino quedarîase ya solamente con acto natural; porque lo sobrenatural no cabe en el modo natural, ni tiene que ver en ello. Y asî totalmente, si el alma quiere entonces obrar de suyo, habiéndose de otra manera mâs que con la advertencia amorosa pasiva que habemos dicho, muy pasiva y tranquilamente, sin hacer acto natural, si no es como cuando Dios la uniese en algùn acto, pondrîa impedimento a los bienes que sobrenaturalmente le est Dios comunicando en la noticia amorosa. Lo cual al principio acaece en ejercicio de purgaciôn interior en que padece, como habemos dicho arriba, y después, en suavidad de amor.


La cual noticia amorosa, si, como digo y asî es la verdad, se recibe pasivamente en el alma al modo de Dios sobrenatural, y no al modo del alma natural, sîguese que para recibirla ha de estar esta alma muy aniquilada en sus operaciones naturales, desembarazada, ociosa, quieta, pacîfica y serena al modo de Dios; bien asî como el aire, que, cuanto mâs limpio est de vapores y cuanto mâs sencillo y quieto, mâs le clarifica y calienta el sol.


De donde el alma no ha de estar asida a nada: no a ejercicio de meditaciôn, no a sabor alguno, ahora sea sensitivo ahora espiritual, no a otras cualesquier aprehensiones, porque se requiere el espîritu tan libre y aniquilado acerca de todo, que cualquiera cosa de pensamiento o discurso o gusto a que entonces el alma se quiere arrimar, la impedirîa, inquietarîa y harîa ruido en el profundo silencio que conviene que haya en el alma, segùn el sentido y el espîritu, para tan profunda y delicada audiciôn, que habla Dios al corazôn en esta soledad, que dijo por Oseas (2, 14), en suma paz y tranquilidad, escuchando y oyendo el alma lo que habla el Señor Dios como David (Sal. 84, 9), porque habla esta paz en esta soledad.

Si donc, l’âme voulait ici agir d’elle-même, si elle refusait de se borner à l’amoureuse attention passive dont nous avons parlé et de se tenir passive et en repos sans produire d’actes, sinon quand Dieu lui-même l’y incline, elle mettrait obstacle aux trésors que Dieu voulait lui communiquer surnaturellement par cette connaissance amoureuse.

Cette communication se fait d’abord par voie de puri­fication, ainsi que nous l’avons dit plus haut ; ensuite elle a lieu plutôt en suavité d’amour.


Si, commue je l’ai indique, cette connaissance amoureuse est reçue dans l’âme selon le mode de Dieu qui est un mode surnaturel, et non selon le mode de l’âme qui est un mode naturel, il s’ensuit que, pour la recevoir l’âme doit se tenir dégagée, oisive, calme, paisible et dans cette sérénité qui convient à l’action divine. Plus l’air est libre de vapeurs, plus il est pur et tranquille, plus aussi le soleil l’illumine et l’échauffe.


Ainsi l’âme ne doit s’attacher à rien, ni à une méthode de méditation ni à un goût quelconque, soit sensitif, soit spirituel. Il faut que l’esprit soit entièrement libre, dégagé de tout, parce que la moindre réflexion, la moindre opé­ration discursive, le moindre goût sensible, sur lequel l’âme voudrait alors s’appuyer, l’entraverait et l’inquiéterait. Ce serait un bruit importun qui viendrait troubler le profond silence qui doit régner en elle selon le sens et selon l’esprit, afin qu’elle puisse entendre la parole si intime et si délicate que Dieu dans la solitude adresse à son cœur comme il le dit par Osée160. C’est en souveraine paix et en profonde tranquillité que l’âme doit prêter l’oreille à ce que Dieu dit en elle. David nous le déclare, parce que ce sont des paroles de paix que Dieu prononce sur cette âme161.


35. Por tanto, cuando acaeciere que de esta manera se sienta el alma poner en silencio y escucha, aun el ejercicio de la advertencia amorosa que dije ha de olvidar para que se quede libre para lo que entonces la quiere el Señor. Porque de aquella advertencia amorosa sôlo ha de usar cuando no se siente poner en soledad, u ociosidad interior u olvido o escucha espiritual; lo cual, para que lo entienda, siempre que acaece es con algùn sosiego pacîfico y absorbimiento interior.


36. Por tanto, en toda sazôn y tiempo, ya que el alma ha comenzado a entrar en este sencillo y ocioso estado de contemplaciôn, que acaece cuando ya no puede meditar ni acierta a hacerlo, no ha de querer traer delante de sî meditaciones ni arrimarse a jugos ni sabores espirituales, sino estar desarrimada en pie, desasido el espîritu desasido del todo sobre todo eso, como dijo Habacuc (2, 1) que habîa él de hacer para oîr lo que Dios le dijese: Estaré, dice, en pie sobre mi guarda, y afirmaré mi paso sobre mi municiôn, y contemplaré lo que se me dijere. Es como si dijera: levantaré mi mente sobre todas las operaciones y noticias que puedan caer en mis sentidos y lo que ellos pueden guardar y retener en sî, dejndolo todo abajo; y afirmaré el paso de la municiôn de mis potencias, no dejndoles dar paso de operaciôn propia, para que pueda recibir por contemplaciôn lo que se me comunicare de parte de Dios; porque ya hemos dicho que la contemplaciôn pura consiste en recibir.


37. No es posible que esta altîsima sabidurîa y lenguaje de Dios, cual es la contemplaciôn, se pueda recibir menos que en espîritu callado y desarrimado de sabores y noticias discursivas, porque asî lo dice Isaîas (28, 9) por estas palabras, diciendo: A quién enseñar ciencia y a quién har oîr Dios su audiciôn? Y él responde: A los destetados de la leche, esto es, de los jugos y gustos. Y a los desarrimados de los pechos, esto es, de las noticias y aprehensiones particulares.

Lors donc que l’âme se sentira ainsi plongée dans le silence et comme mise aux écoutes de Dieu, elle doit oublier même l’exercice d’amoureuse attention dont j’ai parlé, afin de se trouver entièrement libre pour cc que le Seigneur réclamera d’elle. Elle ne doit user de l’attention amou­reuse que hors le temps où on l’introduit dans l’état de solitude et d’oisiveté intérieure, d’oubli et d’audition spirituelle, lequel se produit toujours dans une certaine absorption intérieure.


Toutes les fois donc que l’âme se sent introduite dans l’obscur et simple repos de la contemplation, elle ne doit pas s’attacher à des méditations ni chercher à s’appuyer sur des goûts et des saveurs sensibles. Elle doit rester privée de tout appui, l’esprit dégagé des sens, comme Habacuc nous dit qu’il le faisait : Je me tiendrai debout sur ma redoute et je m’affermirai sur mon mur de défense, afin de voir ce qui me sera dit162. Comme s’il avait dit : J’élè­verai mon esprit au-dessus de toutes les connaissances qui peuvent me venir par l’entremise des sens, au-dessus de tout ce qu’ils sont capables de recevoir et de conserver. J’affermirai le mur de défense de mes puissances, je leur interdirai toute opération propre, afin que je puisse recevoir par la contemplation ce qui nie sera communiqué, car, nous l’avons déjà dit, la contemplation consiste à recevoir.


Que cette très haute sagesse, ce langage de Dieu, qu’est la contemplation, ne puissent être reçus que dans un esprit silencieux, détaché des goûts sensibles et des notions discursives. Isaïe nous le fait comprendre par cet oracle : à qui enseignerai-le la science ? Et à qui Dieu fera-t-il entendre sa parole ? à ceux qui ont été sevrés de lait, c’est-à-dire des goûts sensibles — à ceux qui ont été détachés des mamelles, — c’est-à-dire des consolations particulières163.


38. Quita, Oh alma espiritual!, las motas y pelos y niebla, y limpia el ojo, y lucirte el sol y vers claro. Pon el alma en paz, sacndola y libertândola del yugo y servidumbre de la flaca operaciôn de su capacidad, que es el cautiverio de Egipto, donde todo es poco mâs que juntar pajas para cocer tierra (Ex. 1, 14; 5, 7-19), y guîala, Oh maestro espiritual!, a la tierra de promisiôn que mana leche y miel (Ex. 3, 8, 17), y mira que para esa libertad y ociosidad santa de hijos de Dios llmala Dios al desierto, en el cual ande vestida de fiesta y con joyas de oro y plata ataviada (Ex. 32, 2-3), habiendo ya dejado a Egipto, dejando los vacîos de sus riquezas, que es la parte sensitiva. Y no sôlo eso, sino ahogados los gitanos en la mar (Ex. 14, 27-28) de la contemplaciôn, donde el gitano del sentido, no hallando pie ni arrimo, se ahoga y deja libre al hijo de Dios, que es el espîritu salido de los lîmites angostos y servidumbre de la operaciôn de los sentidos, que es su poco entender, su bajo sentir, su pobre amar y gustar, para que Dios le dé el suave man, cuyo sabor, aunque tiene todos los sabores y gustos (Ex. 16, 13-25; Sab 16, 20), en que tù quieres traes trabajando el alma, con todo eso, por ser tan delicado que se deshace en la boca, no se sentir si con otro gusto o con otra cosa le juntare.

Secoue donc, âme spirituelle, la poussière, les atomes et les nuages, purifie ton œil intérieur. Alors le soleil versera sur toi sa lumière et ta vue sera nette. Mets-toi en liberté et en repos, affranchis-toi du joug de ton opération person­nelle, qui est pour toi la servitude d’Égypte164. Là tout, ou à peu près tout, se réduisait à ramasser des pailles pour la cuisson des briques. À présent, que l’on conduise cette âme vers la terre de promission, où coulent le lait et le miel.

Et vous, ô maîtres spirituels, songez que c’est pour jouir de la sainte oisiveté des enfants de Dieu que le Seigneur appelle cette âme au désert165. Elle y marchera vêtue d’habits de fête, ornée de joyaux d’or et d’argent ; car, en quittant l’Égypte, elle en a dérobé les richesses166, c’est-à-dire qu’elle a laissé vide sa partie sensitive. Elle a noyé ses ennemis167 dans la mer de la contemplation, où le sens, privé de tout appui et n’ayant plus où poser le pied, a péri et laissé libre le fils de Dieu, qui est l’esprit. Celui-ci, affranchi des bornes et de la servitude des sens, de son entendement limité, de ses sentiments vulgaires, de ses affections et de ses goûts infirmes, est devenu capable de recevoir de Dieu la manne168 de suavité, qui renferme tous les goûts et toutes les saveurs, pour lesquels l’âme se fatigue en vain. Et cependant, qu’elle y songe, la délicatesse de cet aliment est telle, qu’il se fond dans la bouche et perd toute saveur, si on le mêle à d’autres aliments et à d’autres saveurs.


Pues, cuando el alma va llegando a este estado, procura desarrimarla de todas las codicias de jugos, sabores, gustos y meditaciones espirituales, y no la desquietes con cuidados y solicitud alguna de arriba y menos de abajo, poniéndola en toda enajenaciôn y soledad posible; porque, cuanto mâs esto alcanzare, y cuanto mâs presto llegare a esta ociosa tranquilidad, tanto mâs abundantemente se le va infundiendo el espîritu de la divina sabidurîa, que es amoroso, tranquilo, solitario, pacîfico, suave y embriagador del espîritu, en el cual se siente robado y llagado tierna y blandamente, sin saber de quién ni de dônde, ni cômo. La causa es porque se comunicô sin su operaciôn propia.


39. Y un poquito de esto que Dios obra en el alma en este ocio santo y soledad es inestimable bien, a veces mucho mâs que el alma ni el que la trata pueden pensar. Y, aunque entonces no se echa tanto de ver, ello lucir a su tiempo. A lo menos lo que de presente el alma podîa alcanzar a sentir es un enajenamiento y extraôez, unas veces mâs que otras, acerca de todas las cosas, con inclinaciôn a soledad y tedio de todas las criaturas del siglo, en respiro suave de amor y vida en el espîritu. En lo cual, todo lo que no es esta extraôez, se le hace desabrido; porque como dicen, gustado el espîritu, desabrida est la carne.


40. Pero los bienes que esta callada comunicaciôn y contemplaciôn deja impresos en el alma, sin ella sentirlo entonces, como digo, son inestimables; porque son unciones secretîsimas, y por tanto delicadîsimas, del Espîritu Santo, que secretamente llenan el alma de riquezas, dones y gracias espirituales, porque, siendo Dios el que lo hace, hcelo no menos que como Dios.

Efforcez-vous de dégager cette âme de toutes les conso­lations, de toutes les méditations. Ne l’inquiétez par aucune sollicitude ni à l’égard des choses d’en haut ni, moins encore, à l’égard des choses d’en bas, mais qu’on la main­tienne dans une totale abstraction et dans une profonde solitude. Plus complètement et plus promptement elle obtiendra cette paisible oisiveté, plus copieusement aussi elle recevra l’infusion de la divine Sagesse, tranquille, solitaire, pacifique, infiniment suave, enivrante pour l’esprit. Cette âme alors se sentira parfois blessée et doucement ravie, sans savoir par qui ni en quelle manière, parce que cette divine communication lui est faite indépendamment de toute opération personnelle.


La moindre parcelle de cette action de Dieu dans l’âme, en solitude et en sainte oisiveté, est un trésor inappréciable, bien au-dessus de ce que l’âme et son directeur peuvent concevoir. Sa valeur ne se révèle pas entièrement tout d’abord, mais le temps la mettra en lumière. À tout le moins, l’âme se rend compte qu’elle se trouve clans la séparation et l’abstraction de toutes choses, en degré plus ou moins intense, avec l’impression d’une suave respi­ration d’amour qui lui donnera spirituellement la vie, avec une inclination à la solitude, au dégoût des créatures et de tout ce qui est du siècle169. Et, par le fait, quand on commence à goûter l’esprit, la chair devient insipide170.


Les trésors que cette silencieuse contemplation infuse dans l’âme sont, je le répète, inappréciables. Ce sont des onctions de l’Esprit-Saint, très secrètes et infiniment déli­cates, qui le remplissent, en profond mystère, de dons, de richesses et de grâces spirituelles. Et après tout, Celui qui opère tout cela, l’opère en Dieu.


41. Estas unciones, pues, y matices tan delicados y subidos del Espîritu Santo, que, por su delgadez y por su sutil pureza, ni el alma ni el que la trata las entiende, sino sôlo el que se las pone para agradarse mâs de ella, con grandîsima facilidad, no mâs que con el menor acto que el alma quiere tener entonces hacer de suyo memoria, o entendimiento, o voluntad, o aplicar el sentido, o apetito, o noticia, o jugo, o gusto, se deturban o impiden en el alma, lo cual es grave daño y dolor y lstima grande.


42. Oh grave caso y mucho para admirar, que, no pareciendo el daño ni casi nada lo que se interpuso en aquellas santas unciones, es entonces mayor el daño y de mayor dolor y mancilla que ver deturbar y echar a perder muchas almas de estas otras comunes que no estân en puesto de tan subido esmalte y matiz! Bien asî como si en un rostro de extremada y delicada pintura tocase una tosca mano con bajos y toscos colores, serîa el daño mayor y mâs notable y de mâs lstima, que si borrase muchos rostros de pintura comùn. Porque aquella mano tan delicada, que era del Espîritu Santo, que aquella tosca mano deturbô, quién la acertar a sentar?

Ces sublimes et délicates onctions — ou si vous le voulez, ces émaux dont l’Esprit-Saint enrichit l’âme — ont quelque chose de si délicat et de si élevé, que ni l’âme ni celui qui la dirige ne peut s’en faire l’idée. Celui-là seul le comprend, qui, pour se rendre une âme plus agréable, lui prodigue de tels dons. Mais hélas ! rien n’est plus facile que de les laisser perdre et de les réduire à rien. Il suffit pour cela, de la part de l’âme, du moindre effort pour produire un acte de la mémoire, de l’entendement ou de la volonté, de la moindre application du sens ou de l’appétit à une connaissance, à une saveur, à un goût quelconque. Un tel malheur est digne de larmes et d’une douleur profonde.


Oh ! quel désastre ! Quel sujet de stupeur ! Au premier abord, le mal ne paraît rien, et l’obstacle apporté semble imperceptible. Et cependant le mal est plus grand, plus lamentable, que s’il s’agissait de déranger et de ruiner un grand nombre d’âmes communes, incapables de recevoir en elles des émaux si précieux et si riches.

Supposez qu’une main grossière se mette à retoucher un portrait de grand maître, en y superposant des couleurs viles et disparates. Le désastre serait mille fois plus grand et plus déplorable que si l’on gâtait des toiles de peu de valeur. Et quand il s’agit des âmes, qui pourra rétablir en son premier état l’œuvre exquise qu’une main grossière aura ruinée ?171



43. Y con ser este daño mâs grande que se puede encarecer, es tan comùn y frecuente, que apenas se hallar un maestro espiritual que no le haga en las almas que comienza Dios a recoger en esta manera de contemplaciôn. Porque Ácuntas veces est Dios ungiendo al alma contemplativa con alguna unciôn muy delgada de noticia amorosa, serena, pacîfica, solitaria, muy ajena del sentido y de lo que se puede pensar!; con la cual no puede meditar ni pensar en cosa alguna, ni gustar de cosa de arriba ni de abajo, por cuanto la trae Dios ocupada en aquella unciôn solitaria, inclinada a ocio y soledad; y vendr un maestro espiritual que no sabe sino martillar y macear con las potencias como herrero, y, porque él no enseña mâs que aquello y no sabe mâs que meditar, dir: "Anda, dejaos de esos reposos, que es ociosidad y perder tiempo; sino toma y medita y haced actos interiores, porque es menester que hagis de vuestra parte lo que en vos es que esotros son alumbramientos y cosas de bausanes".


44. Y asî, no entendiendo los grados de oraciôn ni vîas del espîritu, no echan de ver que aquellos actos que ellos dicen que haga el alma, y que el quererla hacer caminar con discurso est ya hecho, pues ya aquella alma ha llegado a la negaciôn y silencio del sentido y del discurso; y que ha llegado a la vîa del espîritu, que es la contemplaciôn, en la cual cesa la operaciôn del sentido y del discurso propio del alma, y sôlo Dios es el agente y el que habla entonces secretamente al alma solitaria, callando ella; y que, si entonces el alma, habiendo llegado al espîritu de esta manera que decimos, la quieren hacer caminar todavîa con el sentido, que ha de volver atrs y distraerse; porque el que ha llegado al término, si todavîa se pone a caminar para llegar al término, dems de ser cosa ridîcula, por fuerza se ha de alejar del término. Y asî, habiendo llegado por la operaciôn de las potencias al recogimiento quieto que todo espiritual pretende, en el cual cesa la operaciôn de las mismas potencias, no sôlo serîa cosa vana volver a hacer actos con las mismas potencias para llegar al dicho recogimiento, sino le serîa dañoso, por cuanto le servirîa de distracciôn, dejando el recogimiento que ya tenîa.


Ce malheur, qui dépasse tout ce qu’on en saurait dire, est cependant si répandu et si fréquent, qu’à peine est-il un maître spirituel qui n’y jette les âmes que Dieu com­mence à introduire dans la contemplation.

Combien souvent arrive-t-il que Dieu répand dans une âme une de ces délicates onctions, faite de connaissance amoureuse, sereine, pacifique, solitaire, bien éloignée du sens et du raisonnement, qui prive l’âme du pouvoir de méditer et de réfléchir, qui ne lui laisse goûter ni les choses d’en haut ni les choses d’en bas, parce que Dieu la tient tout occupée de cette onction solitaire qui incline à l’oisi­veté et à l’isolement ! Or, voici que se présente quelqu’un qui frappe et martelle à la manière des forgerons. Comme sa science ne va pas plus loin, il dira : Voyons, laissez tout cela ! C’est pure oisiveté et perte de temps. Prenez un sujet, méditez, produisez des actes. Mettez en œuvre tous les moyens dont vous disposez ; le reste n’est qu’illumi­nisme et fantasmagorie.


Les gens de cette classe172 n’entendant rien aux degrés de l’oraison et aux voies spirituelles, ils ne s’aperçoivent pas que ces actes qu’ils exigent de l’âme, elle les a déjà produits, et que cette voie discursive, elle l’a déjà parcourue, puisqu’elle est parvenue à la négation de tout le sensible. Voici un voyageur qui poursuit sa route et atteint le terme. S’il s’obstine à marcher encore pour arriver, il ne fera que s’éloigner du terme.


45. No entendiendo, pues, como digo, estos maestros espirituales qué cosa sea recogimiento y soledad espiritual del alma y sus propiedades, en la cual soledad asienta Dios en el alma estas subidas unciones, sobreponen ellos o entreponen otros ungŸentos de mâs bajo ejercicio espiritual, que es hacer obrar al alma como habemos dicho. De lo cual hay tanta diferencia a lo que el alma tenîa, como de obra humana a obra divina y de natural a sobrenatural; porque en la una manera obra Dios sobrenaturalmente en el alma, y en la otra solamente ella hace obra no mâs que natural. Y lo peor es que, por ejercitar su operaciôn natural, pierde la soledad y recogimiento interior y, por el consiguiente, la subida obra que en el alma Dios pintaba; y asî, todo es dar golpes en la herradura, dañando en lo uno y no aprovechando en lo otro.


46. Adviertan los que guîan las almas y consideren que el principal agente y guîa y movedor de las almas en este negocio no son ellos sino el Espîritu Santo, que nunca pierde cuidado de ellas, y que ellos sôlo son instrumentos para enderezarlas en la perfecciôn por la fe y ley de Dios, segùn el espîritu que Dios va dando a cada una. Y asî, todo su cuidado sea no acomodarlas a su modo y condiciôn propia de ellos, sino mirando si saben por dônde Dios las lleva, y, si no lo saben, déjenlas y no las perturben. Y, conforme al camino y espîritu por donde Dios las lleva, procuren enderezarlas siempre en mayor soledad y libertad y tranquilidad de espîritu, dândoles anchura a que no aten el sentido corporal ni espiritual a cosa particular interior ni exterior, cuando Dios las lleva por esta soledad, y no se penen ni se soliciten pensando que no se hace nada; aunque el alma entonces no lo hace, Dios lo hace en ella.

Comme ces directeurs, je le répète, ignorent ce que c’est le recueillement et la solitude spirituelle, où Dieu imprime en l’âme les onctions si élevées dont nous traitons, ils y superposent ou y entremêlent des onctions vulgaires, c’est-à-dire des méthodes inférieures qui consistent à faire travailler l’âme. Et cependant, il y a autant de différence de l’un à l’autre, que d’une œuvre humaine à une œuvre divine, du naturel au surnaturel. D’un côté, en effet, Dieu opère surnaturellement dans l’âme, et de l’autre, l’âme opère naturellement. Et le pire est qu’en voulant exercer son opération naturelle, l’âme perd la solitude et le recueil­lement intérieur, et par conséquent l’œuvre sublime que Dieu accomplissait en elle. Ce ne sont plus que des coups frappés sur une enclume. L’âme voit l’opération de Dieu ruinée en elle et ne tire, d’autre part, aucun profit de celle qu’on lui impose.


Ceux qui gouvernent de telles âmes doivent se dire que dans cette affaire l’agent principal, le guide, le moteur, c’est l’Esprit-Saint, et non pas eux. L’Esprit-Saint ne perd jamais ces âmes de vue. Les directeurs ne sont que des instruments chargés de leur indiquer la voie de la perfection, telle que nous la tracent la foi et la loi de Dieu. Leur soin doit donc être, non de les plier à leur propre façon de faire, mais de bien examiner si eux-mêmes con­naissent ! e chemin par ou Dieu conduit ces âmes, et au cas contraire, de les laisser en repos, en se gardant bien de les troubler. Qu’ils s’efforcent, selon la voie que Dieu tient sur elles, de favoriser leur solitude, leur tranquillité, la liberté de leur esprit. Qu’ils les mettent au large, en sorte que dans les temps ou Dieu les places en cette solitude intime, ils n’enchaînent ni leur sens, ni ! tuf esprit à rien de particulier, soit extérieur, soit intérieur.

Qu’ils ne se troublent ni ne s’inquiètent nullement en se disant qu’une telle âme ne fait rien. Si elle n’agit pas, Dieu agit en elle.

Procuren ellos desembarazar el alma y ponerla en soledad y ociosidad, de manera que no esté atada a alguna noticia particular de arriba o de abajo, o con codicia de algùn jugo o gusto, o de alguna otra aprehensiôn, de manera que esté vacîa en negaciôn pura de toda criatura, puesta en pobreza espiritual, que esto es lo que el alma ha de hacer de su parte, como lo aconseja el Hijo de Dios (Lc. 14, 33), diciendo: El que no renuncia a todas las cosas que posee, no puede ser mi discîpulo. Lo cual se entiende no solô de la renunciaciôn de las cosas temporales segùn la voluntad, mas también del desapropio de las espirituales, en que se incluye la pobreza espiritual, en que pone el Hijo de Dios la bienaventuranza (Mt. 5, 3). Y vacando de esta manera el alma a todas las cosas, llegando a estar vacîa y desapropiada acerca de ellas, que es, como habemos dicho, lo que puede hacer el alma de su parte imposible, que deje Dios de hacer lo que es de la suya en comunicrsele, a lo menos secretamente. mâs imposible es esto que dejar de dar el rayo del sol en lugar sereno y descombrado; pues que, asî como el sol est madrugando y dando en tu casa para entrar, si destapas el agujero, asî Dios, que en guardar a Israel no dormita (Sal. 120, 4) ni menos duerme, entrar en el alma vacîa y la llenar de bienes divinos.

Que tout leur soin aille donc à la dégager. à la mettre en solitude et en oisiveté, sans lui permettre ni de s’attacher aux connaissances particulières, qu’elles viennent d’en haut ou d’en bas, ni de désirer les goûts sensibles, ni de s’appliquer à un objet intérieur, quel qu’il soit. Cette âme doit demeurer vide, en négation de tout le créé, en vraie pauvreté spirituelle. Elle n’a pour sa part rien d’autre à faire, suivant le conseil du Fils de Dieu : Si quelqu’un ne renonce à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple173. Ce qui doit s’entendre non seulement du renoncement aux biens matériels et temporels quant à la volonté, mais encore de la désappropriation des biens spirituels, en quoi consiste la pauvreté d’esprit, dont le Fils de Dieu fait une béatitude174.

Lorsqu’une âme renonce ainsi à toutes choses, qu’elle arrive à en être vide et désappropriée — et nous l’avons dit, c’est tout ce que pour sa part elle peut faire, — il est impossible que Dieu de son côté ne se communique pas à elle, au moins en secret et silencieusement. Cela est plus impossible qu’il ne l’est aux rayons du soleil de ne pas donner sur un endroit bien découvert. Voyez l’astre du jour qui se lève et vient frapper sur votre demeure : si vous ouvrez la fenêtre, il entrera certainement chez vous. De même, le Seigneur qui ne dort point lorsqu’il s’agit de garder Israël175, pénétrera dans une âme vide et la remplira de divins trésors.


47. Dios est como el sol sobre las almas para comunicarse a ellas. Conténtense los que las guîan en disponerlas para esto segùn la perfecciôn evangélica, que es la desnudez y vacîo del sentido y espîritu, y no quieran pasar adelante en edificar, que ese oficio sôlo es del Padre de las lumbres, de adonde desciende toda ddiva buena y perfecta (Sant. 1, 17). Porque si el Señor, como dice David (Sal. 126, 1), no edifica la casa, en vano trabaja el que la edifica. Y pues él es el artîfice sobrenatural, él edificar sobrenaturalmente en cada alma el edificio que quisiere, si tù se la dispusieres, procurando aniquilarla acerca de sus operaciones y afecciones naturales, con las cuales ella no tiene habilidad ni fuerza para el edificio sobrenatural, antes en esta sazôn se estorba mâs que se ayuda. Y esa preparaciôn es de tu oficio ponerla en el alma, y de Dios, como dice el Sabio (Pv. 16, 9), es enderezar su camino, conviene saber, a los bienes sobrenaturales, por modos y maneras que ni el alma ni tù entiendes. Por tanto, no digas: "Oh, que no va el alma delante, porque no hace nada!". Porque, si ello es verdad que no hace nada, por el mismo caso que no hace nada, te probaré yo aquî que hace mucho. Porque, si el entendimiento se va vaciando de inteligencias particulares, ahora naturales, ahora espirituales, adelante va, y cuanto mâs vacare a la inteligencia particular y a los actos de entender, tanto mâs adelante va el entendimiento caminando al sumo bien sobrenatural.

Dieu est comme le soleil. Il luit sur les âmes pour se communiquer à elles. Leurs guides doivent donc se borner à les mettre dans les dispositions convenables, conformé­ment â la perfection évangélique, c’est-à-dire dans le dénuement et le vide du sens et de l’esprit. Mais qu’ils ne passent pas plus avant et ne pensent pas à édifier. Ceci, c’est l’office de Celui de qui descend toute grâce excellente et tout don parlait176. Si le Seigneur n’édifie lui-même la maison, celui qui la construit travaille en vain177. Il est l’artisan, il élèvera dans chaque âme l’édifice surnaturel qu’il lui plaira. Pour vous, disposez en elle l’édifice naturel en anéantissant ses opérations naturelles, qui nuisent au. lieu d’aider. Voilà votre office. Celui de Dieu, comme dit le Sage, est de diriger la marche 2, c’est-à-dire de la conduire aux biens surnaturels par des voies et des moyens inconnus à l’âme et à vous-même.

Gardez-vous donc bien de dire : cette âme n’avance pas, puisqu’elle ne fait rien. Et moi, je vous dis que si son entendement se dépouille de ce genre de connaissance et des actes de l’intelligence, plus il s’approche du bien surnaturel.


48. "Oh, -dirs- que no entiende nada distintamente, y asî no podrà ir adelante!". Antes, te digo que, si entendiese distintamente, no irîa adelante. La razôn es porque Dios, a quien va el entendimiento, excede al entendimiento, y asî es incomprehensible e inaccesible al entendimiento, y, por tanto, cuando el entendimiento va entendiendo, no se va llegando a Dios, sino antes apartando. Y asî, antes se ha de apartar el entendimiento de sî mismo y de su inteligencia para allegarse a Dios, caminando en fe, creyendo y no entendiendo. Y de esa manera llega el entendimiento a la perfecciôn, porque por fe y no por otro medio se junta con Dios; y a Dios mâs se llega el alma no entendiendo que entendiendo. Y, por tanto, no tengas de eso pena, que si el entendimiento no vuelve atrs (que serîa si se quisiese emplear en noticias distintas y otros discursos y entenderes, sino que se quiera estar ocioso), adelante va, pues que se va vaciando de todo lo que en él podîa caer, porque nada de ello era Dios, pues, como habemos dicho, Dios no puede caber en él. Y en este caso de perfecciôn, el no volver atrs es ir adelante, y el ir adelante el entendimiento es irse mâs poniendo en fe, y asî es irse mâs oscureciendo, porque la fe es tiniebla para el entendimiento. De donde, porque el entendimiento no puede saber cômo es Dios, de necesidad ha de caminar a él rendido, no entendiendo; y asî, para bien ser, le conviene eso que tù condenas, conviene saber: que no se emplee en inteligencias distintas, pues con ellas no puede llegar a Dios, sino antes embarazarse para ir a él.

Vous direz : Mais cette âme n’a pas de connaissances distinctes ? Je réponds que si elle en avait, elle ne pourrait avancer. En voici la raison. Dieu est incompréhensible et surpasse notre entendement. Par conséquent, pour s’appro­cher de Dieu, il doit se dégager de lui-même et de ses connaissances, et marcher par la foi, en croyant sans comprendre. C’est par cette voie que notre entendement arrive à la perfection, car la foi est le seul moyen adéquat pour l’union divine, et notre âme atteint Dieu, non en comprenant, mais en ne comprenant pas. Ainsi soyez sans inquiétude. Pourvu que l’entendement ne retourne pas en arrière, c’est-à-dire pourvu qu’il ne s’applique pas à des notions distinctes et à des conceptions terrestres, il avance, car dans le cas dont il s’agit, ne pas reculer, c’est avancer, c’est se plonger de plus en plus dans la foi. En effet, l’entendement, incapable de connaître Dieu tel qu’il est en soi, doit nécessairement s’avancer vers lui sans comprendre.178 Par conséquent, ce que vous blâmez ici est précisément ce qu’il y a de plus excellent, je veux dire l’absence des connaissances distinctes qui ne sont pour lui qu’un embarras.



49. "Oh, -dirs- que, si el entendimiento no entiende distintamente, la voluntad estar ociosa y no amar, que es lo que siempre se ha de huir en el camino espiritual! La razôn es porque la voluntad no puede amar si no es lo que entiende el entendimiento". Verdad es esto, mayormente en las operaciones y actos naturales del alma, en que la voluntad no ama sino lo que distintamente entiende el entendimiento. Pero en la contemplaciôn de que vamos hablando, por la cual Dios, como habemos dicho, infunde de sî en el alma, no es menester que haya noticia distinta, ni que el alma haga actos de inteligencia; porque en un acto la est Dios comunicando luz y amor juntamente, que es noticia sobrenatural amorosa, que podemos decir es como luz caliente, que calienta, porque aquella luz juntamente enamora; y ésta es confusa y oscura para el entendimiento, porque es noticia de contemplaciôn, la cual, como dice san Dionisio, es rayo de tiniebla para el entendimiento". Por lo cual, al modo que es la inteligencia en el entendimiento, es también el amor en la voluntad; que, como en el entendimiento esta noticia que le infunde Dios es general y oscura, sin distinciôn de inteligencia, también la voluntad ama en general, sin distinciôn alguna de cosa particular entendida. Que, por cuanto Dios es divina luz y amor, en la comunicaciôn que hace de sî al alma, igualmente informa estas dos potencias, entendimiento y voluntad, con inteligencia y amor; y como él no sea inteligible en esta vida, la inteligencia es oscura, como digo, y a este talle es el amor en la voluntad. Aunque algunas veces, en esta delicada comunicaciôn, se comunica Dios mâs y hiere mâs en la una potencia que en la otra, porque algunas veces se siente mâs la inteligencia que amor, y otras veces mâs amor que inteligencia, y a veces también todo inteligencia, sin ningùn amor, y a veces todo amor sin inteligencia ninguna.

Oh ! direz-vous encore, si l’entendement n’a pas de connaissances distinctes, la volonté sera nécessairement oisive et ne pourra aimer, puisque la volonté ne peut aimer que ce qu’elle connaît. Ceci est vrai lorsqu’il s’agit des actes et des opérations naturelles de l’âme : l’âme ne peut aimer que ce que l’entendement perçoit distinctement. Pour la contemplation dont nous parlons, il en va d’une tout autre manière. Dieu ici verse quelque chose en cette âme. 11 n’est donc pas nécessaire qu’il y ait connaissance distincte ni que l’âme produise des actes d’intelligence. Par une seule touche, Dieu lui communique tout à la fois lumière et amour, en un mot, il lui donne une connaissance surnaturelle imprégnée d’amour, que nous pouvons appeler une lumière enflammée, parce qu’en illuminant, elle fait naître l’amour.

Cette lumière est obscure et confuse pour l’entendement, parce que c’est une notion de contemplation. C’est, suivant l’expression de saint Denis, un rayon de ténèbres pour l’entendement179. Or, ce que cette notion est à l’entendement, l’amour qu’elle fait naître l’est à la volonté. La notion que Dieu infuse ainsi est générale et obscure, sans concep­tion distincte ; de même, la volonté aime d’une manière générale, sans objet distinct, Dieu est lumière et amour. Lorsqu’il se communique à une âme, il infuse dans ses deux puissances : l’entendement et la volonté, l’intelli­gence et l’amour. Mais comme Dieu n’est pas intelligible pour nous en cette vie, cette intelligence et cet amour qu’il verse en nous sont obscurs.

Parfois, clans cette intime communication, Dieu s’adresse davantage à une puissance qu’à l’autre, et blesse davantage une puissance que l’autre. Parfois c’est l’intelligence qui domine, et parfois c’est l’amour. Parfois aussi l’entendement seul est illuminé et la volonté reste sans amour : ou bien seule la volonté aime et l’entendement reste sans lumière.


Por tanto, digo que, en lo que es hacer el alma actos naturales con el entendimiento, no puede amar sin entender; mas en los que Dios hace e infunde en ella, como hace en la que vamos tratando, es diferente, porque se puede comunicar Dios en la una potencia sin la otra; y asî puede inflamar la voluntad con el toque del calor de su amor, aunque no entienda el entendimiento, bien asî como una persona podrà ser calentada del fuego aunque no vea el fuego.


50. De esta manera, muchas veces se sentir la voluntad inflamada o enternecida o enamorada sin saber ni entender cosa mâs particular que antes, ordenando Dios en ella el amor, como lo dice la Esposa en los Cantares (2, 4), diciendo: Entrôme el rey en la cela vinaria y ordenô en mî la caridad.

De donde no hay que temer la ociosidad de la voluntad en este caso; que si de suyo deja de hacer actos de amor sobre particulares noticias, hcelos Dios en ella, embriagndola secretamente en amor infuso, o por medio de la noticia de contemplaciôn, o sin ella, como acabamos de decir, los cuales son tanto mâs sabrosos y meritorios que los que ella hiciera, cuanto es mejor el movedor e infusor de este amor, que es Dios.


51. Este amor infunde Dios en la voluntad, estando ella vacîa y desasida de otros gustos y afecciones particulares de arriba y de abajo. Por eso, téngase cuidado que la voluntad esté vacîa y desasida de sus afecciones, que, si no vuelve atrs, queriendo gustar algùn jugo o gusto, aunque particularmente no le sienta en Dios, adelante va, subiendo sobre todas las cosas a Dios, pues de ninguna cosa gusta. Y a Dios, aunque no le guste muy en particular y distintamente, ni le ame con tan distinto acto, gùstale en aquella infusiôn general oscura y secretamente mâs que a todas las cosas distintas, pues entonces ve ella claro que ninguna le da tanto gusto como aquella quietud solitaria; y male sobre todas las cosas amables, pues que todos los otros jugos y gustos de todas ellas tiene desechados y le son desabridos.

Je dis donc que lorsqu’il s’agit d’actes naturels de l’entendement, l’âme ne peut aimer sans comprendre ; mais quand Dieu lui infuse ses dons, il en est autrement, parce qu’il peut très bien se communiquer à une puissance sans se communiquer à l’autre, il peut enflammer la volonté par une touche d’amour sans illuminer l’entendement, de même qu’une personne peut parfaitement sentir la chaleur du feu sans voir la flamme.


Mais il arrivera souvent que la volonté se sentira attendrie et enflammée d’amour, sans être spécialement illuminée sur tel point particulier. C’est alors Dieu même qui ordonne en elle l’amour, comme l’Épouse le dit dans les Cantiques : Le Roi m’a lait entrer dans ses celliers ; il a ordonné en moi la charité180. Il n’y a donc pas lieu de redouter ici que la volonté demeure oisive. Si elle ne produit point par elle — même (l’actes d’amour sur des connaissances particulières, Dieu les produit en elle. Il l’enivre secrètement d’un amour infus, soit au moyen d’une notion de contemplation, comme nous venons de le dire, soit sans elle. Et ces actes sont d’autant plus savoureux et méritoires, que l’agent qui les infuse est plus excellent, puisque c’est Dieu même.


Cet amour, Dieu l’infuse dans la volonté lorsqu’il l’a trouve vide et détachée de toutes sortes de goûts et d’affections, soit des choses d’en haut, soit des choses d’en bas. Il faut donc prendre grand soin que la volonté se tienne dans ce vide et ce détachement. Le seul fait de ne pas retourner sur ses pas pour chercher à goûter quelque saveur, montre qu’elle avance, même si elle ne perçoit pas en Dieu de goût particulier. Dès lors qu’elle ne goûte rien de créé, elle s’élève au-dessus de tout le créé vers Dieu. Bien qu’elle ne goûte en Dieu rien de distinct et de particulier, et qu’elle ne produise aucun acte d’amour distinct, elle le goûte obscurément et secrètement dans cette infusion générale, au-dessus de toutes les conceptions distinctes, puisqu’aucune ne lui donne tant de satisfaction que le repos solitaire où elle est plongée. Elle l’aime au-dessus de tout ce qu’il y a d’aimable, puisqu’elle rejette tous les goûts et toutes les saveurs et qu’elle n’en a que du dégoût.

Y asî, no hay que tener pena, que, si la voluntad no puede reparar en jugos y gustos de actos particulares, adelante va; pues el no volver atrs abrazando algo sensible, es ir adelante a lo inaccesible, que es Dios, y asî no es maravilla que no le sienta. Y asî, la voluntad para ir a Dios, mâs ha de ser desarrimndose de toda cosa deleitosa y sabrosa, que arrimndose; y asî cumple bien el precepto de amor, que es amar sobre todas la cosas, lo cual no puede ser sin desnudez y vacîo de todas ellas.


52. Tampoco hay que temer en que la memoria vaya vacîa de sus formas y figuras, que, pues Dios no tiene forma ni figura, segura va vacîa de forma y figura, y mâs acercndose a Dios; porque, cuanto mâs se arrimare a la imaginaciôn, mâs se aleja de Dios y en mâs peligro va, pues que Dios, siendo como es incogitable, no cabe en la imaginaciôn.

Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir181. Si la volonté ne s’arrête ni aux saveurs sensibles ni aux actes parti­culiers, elle avance. Du moment qu’elle ne recule pas pour s’attacher à ce qui flatte le sentiment, c’est une preuve qu’elle s’enfonce davantage dans l’inaccessible qui est Dieu. Rien d’étonnant donc qu’elle ne le sente pas.

Pour aller à Dieu, il est évident que la volonté doit se dégager de tout ce qui est savoureux et délectable, et non s’y appliquer. En se dégageant ainsi, elle accomplit véri­tablement le précepte de l’amour qui nous enjoint d’aimer Dieu par-dessus toutes choses, ce qui ne peut s’établir sans le dépouillement et le vide spirituel par rapport à toutes choses.

Il n’y a pas non plus à se troubler de ce que la mémoire est vide de formes et d’images. Puisque Dieu n’a ni forme ni figure, elle est en sûreté lorsqu’elle s’en dégage, et elle s’approche alors davantage de Dieu. En effet, plus elle s’appuie sur l’imagination, plus elle s’éloigne de Dieu et s’expose au danger, puisque Dieu, surpassant toute pensée, ne tombe pas sous le domaine de l’imagination.


53. No entendiendo, pues, estos maestros espirituales las almas que van en esta contemplaciôn quieta y solitaria, por no haber ellos llegado a ella, ni sabido qué cosa es salir de discursos de meditaciones, como he dicho, piensan que estân ociosas, y les estorban e impiden la paz de la contemplaciôn sosegada y quieta, que de suyo les estaba Dios dando, haciéndoles ir por el camino de meditaciôn y discurso imaginario, y que hagan actos interiores; en lo cual hallan entonces las dichas almas grande repugnancia, sequedad y distracciôn, porque se querrîan ellas estar en su ocio santo y recogimiento quieto y pacîfico. En el cual, como el sentido no halla de qué asir, ni de qué gustar, ni qué hacer, persudenlas éstos también a que procuren jugos y fervores, como quiera que les habîan de aconsejar lo contrario.


Lo cual no pudiendo ellas hacer ni entrar en ella como antes (porque ya pasô ese tiempo, y no es su camino), desasosiéganse doblado, pensando que van perdidas, y aun ellos se lo ayudan a creer, y sécanlas el espîritu y quîtanlas las unciones preciosas que en la soledad y tranquilidad Dios las ponîa, y, como dije es grande daño, y pônenlas del duelo y del lodo, pues en lo uno pierden, y en lo otro sin provecho penan.


54. No saben éstos qué cosa es espîritu; hacen a Dios grande injuria y desacato metiendo su tosca mano donde Dios obra. Porque le ha costado mucho a Dios llegar a estas almas hasta aquî, y precia mucho haberlas llegado a esta soledad y vacîo de sus potencias y operaciones para poderles hablar al corazôn, que es lo que él siempre desea, tomando ya él la mano, siendo ya él el que en el alma reina con abundancia de paz y sosiego, haciendo desfallecer los actos naturales de las potencias, con que trabajando toda la noche no hacîan nada (Lc. 5, 5), apacentândolas ya el espîritu sin operaciôn de sentido, porque el sentido, ni su obra, no es capaz del espîritu.

Comme ces maîtres spirituels ne comprennent pas les âmes qui marchent par cette voie de la contemplation paisible et solitaire, parce que l’expérience leur manque, et qu’ils ne savent autre chose que la méthode du discours et des actes, ils pensent qu’elles sont oisives et ils troublent leur repos. En effet, l’homme animal — c’est-à-dire celui qui n’a pas dépassé le sens animal de la partie sensitive — ne perçoit pas, nous dit saint Paul, les choses de Dieu. Ces maîtres donc troublent la paix de cette contemplation passive et reposée que ces âmes recevaient de Dieu. Ils les font méditer, discourir, produire des actes, à quoi elles sentent une grande répugnance, parce qu’elles n’en retirent que sécheresse et distraction. Ils les obligent à chercher des goûts et des ferveurs sensibles, alors qu’ils devraient leur conseiller tout le contraire.

Comme la pauvre âme n’y réussit point, parce que ce n’en est pas le temps et que ce n’est plus sa voie, son inquié­tude redouble et elle se croit perdue. Les directeurs l’encou­ragent à le penser ; ils lui dessèchent de plus en plus l’esprit et lui enlèvent ces onctions précieuses que Dieu imprimait en elle au sein de la solitude et du repos. J’ai déjà dit toute l’étendue de cette perte. Ils affligent et ravalent cette pauvre âme ; car d’un côté on lui fait perdre ce qu’elle a de précieux et de l’autre, on l’oblige à un travail inutile.

Ces gens n’ont aucune idée des voies spirituelles. Ils infligent à Dieu une grande injure et lui manquent singu­lièrement de respect en portant leur main maladroite sur une œuvre divine. ll en a tant coûté à Dieu pour amener une âme jusque-là ! Il met à si haut prix la réussite de son dessein de l’introduire dans cette solitude, de faire le vide dans ses puissances, de la dégager de ses opérations afin de pouvoir lui parler au cœur182, ce qui est l’objet constant de ses désirs ! Il tenait cette âme par la main, il régnait en elle dans la paix et le repos, il avait anéanti les opérations naturelles de ses puissances, par où elle travaillait tout la nuit sans rien prendre183 ; il la nourrissait d’un aliment spirituel sans le travail ni l’effort du sens, car le sens et son opération sont incapables de nourrir l’esprit.

55. Y cunto él precie esta tranquilidad y adormecimiento o ajenaciôn de sentido, échase bien de ver en aquella conjuraciôn tan notable y eficaz que hizo en los Cantares (3, 5), diciendo: Conjùroos, hijas de Jerusalén, por las cabras y ciervos campesinos, que no recordéis ni hagis velar a la amada hasta que ella quiera. En lo cual da a entender cunto ama el adormecimiento y olvido solitario, pues interpone estos animales tan solitarios y retirados.

Pero estos espirituales no quieren que el alma repose ni quiete, sino que siempre trabaje y obre, de manera que no dé lugar a que Dios obre, y que lo que él va obrando se deshaga y borre con la operaciôn del alma, hechos las raposillas que demuelen la flor de la viña del alma (Ct. 2, 15). Y por eso se queja el Señor de éstas por Isaîas (3, 14), diciendo: Vosotros habéis depacido mi viña.


56. Pero éstos por ventura yerran por buen celo, porque no llega a mâs su saber. Pero no por eso quedan excusados en los consejos que temerariamente dan sin entender primero el camino y espîritu que lleva el alma, y, no entendiéndola, en entremeter su tosca mano en cosa que no entienden, no dejndola a quien la entienda. Que no es cosa de pequeño peso y culpa hacer a un alma perder inestimables bienes, y a veces dejarla muy bien estragada por su temerario consejo. Y asî, el que temerariamente yerra, estando obligado a acertar, como cada uno lo est en su oficio, no pasar sin castigo, segùn el daño que hizo. Porque los negocios de Dios con mucho tiento y muy a ojos abiertos se han de tratar, mayormente en cosa de tanta importancia y en negocio tan subido como es el de estas almas, donde se aventura casi infinita ganancia en acertar, y casi infinita pérdida en errar.

Combien le Seigneur estime ce repos, ce sommeil, cette séparation du sens, la supplication qu’il fait dans les Cantiques nous le dit assez : Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les chevreuils et les cerfs des campagnes de ne pas réveiller ma Bien-Aimée et de ne pas la tirer de son repos, jusqu’à ce qu’elle-même le veuille184. En nommant des animaux si amis de la solitude et du désert, l’Époux marque bien clairement combien il chérit ce sommeil et cet oubli solitaire.

Ces prétendus spirituels, au contraire, ne veulent pas que l’âme s’apaise et se repose ; ils la font agir et travailler sans relâche, sans donner lieu à l’action divine, en sorte que l’opération de Dieu est anéantie et ruinée par l’opé­ration de l’âme. Ils deviennent eux-mêmes les renards qui dévastent la vigne fleurie de l’âme185. C’est d’eux que le Seigneur se plaint, lorsqu’il dit par la bouche : Vous avez ravagé ma vigne186.


Mais, dira-t-on, si ces directeurs font fausse route, n’est-­ce point par un bon zèle, et parce que leur science ne va pas au-delà ? Non, cela ne suffit pas à excuser les avis téméraires qu’ils donnent sans se mettre en peine de con­naître la voie spirituelle par laquelle marchent les âmes. S’ils ne la connaissent pas, qu’ils ne s’y entremêlent point maladroitement, et qu’ils laissent le soin de ces âmes à de plus entendu. Ce n’est pas une faute légère de faire perdre à une âme des biens inestimables, et peut-être de ruiner à tout jamais sa voie par leurs imprudents conseils. Celui qui erre par sa faute là où il est obligé de voir clair — et chacun y est obligé en son office, — n’évitera pas le châti­aient, et ce châtiment sera en proportion du mal qu’il aura fait.

Les affaires de Dieu doivent se traiter avec précaution et en sachant ce que l’on fait, surtout lorsqu’elles sont de cette importance, de cette sublimité. De fait, il s’agit d’un gain presque infini si l’on rencontre juste, et d’une perte presque infinie si l’on a le malheur de faire fausse route.



57. Pero ya que quieras decir que tienes alguna excusa, aunque yo no la veo, a lo menos no me podrs decir que la tiene el que, tratando un alma, jams la deja salir de su poder, all por los respetos e intentos vanos que él se sabe, que no quedarn sin castigo. Pues que est cierto que, habiendo aquel alma de ir adelante, aprovechando en el camino espiritual, a que Dios la ayuda siempre, ha de mudar estilo y modo de oraciôn y ha de tener necesidad de otra doctrina ya mâs alta que la suya y otro espîritu. Porque no todos saben para todos los sucesos y términos que hay en el camino espiritual, ni tienen espîritu tan cabal que conozcan de cualquier estado de la vida espiritual por donde ha de ser el alma llevada y regida. A lo menos, no ha de pensar que no le falta a él nada, ni que Dios querr dejar de llevar aquel alma mâs adelante. No cualquiera que sabe desbastar el madero, sabe entallar la imagen, ni cualquiera que sabe entallarla, sabe perfilarla y pulirla, y no cualquiera que sabe pulirla, sabr pintarla, ni cualquiera que sabe pintarla, sabr poner la ùltima mano y perfecciôn. Porque cada uno de éstos no pueden en la imagen hacer mâs de lo que sabe, y, si quisiese pasar adelante, serîa echarla a perder.


Supposez que vous ayez encore quelques excuses à faire valoir — bien que je n’en voie point, — à tout le moins vous ne me persuaderez pas qu’il puisse en présenter de valables celui qui, sous de vains prétextes connus de lui, enchaîne une âme à son autorité. Cette conduite téméraire ne restera pas impunie.

Une fois qu’une âme a fait progrès, sous la continuelle assistance de Dieu, dans la carrière spirituelle, elle doit nécessairement changer son style et sa manière de faire oraison. Il lui faut en conséquence une autre direction, un autre esprit. Tous les directeurs ne sont pas en état d’éclairer tous les doutes qui se présentent dans la voie spirituelle ; il ne peut prétendre savoir diriger et conduire les âmes dans tous les états de la vie intérieure. Peut-il se persuader qu’il est fourni d’une science universelle, ou que Dieu n’a pas le droit de mener une âme au-delà du chemin dont il a connaissance ?

Un ouvrier saura dégrossir un bloc de buis et il ne saura pas en tirer une statue. Un artiste saura le sculpter et il ne saura pas lui donner son dernier fini. Un autre qui saura peindre passablement ne saura pas mettre la dernière main au coloris. Le talent de chacun est limité, et s’il voulait l’outrepasser, il ruinerait l’œuvre qui lui est confiée.



58. Pues veamos si tù, siendo solamente desbastador, que es poner el alma en el desprecio del mundo y mortificaciôn de sus apetitos, o, cuando mucho, entallador, que ser ponerla en santas meditaciones, y no sabes ms, cômo llegars esa alma hasta la ùltima perfecciôn de delicada pintura, que ya no consiste en desbastar, ni entallar, ni aun en perfilar, sino en la obra que Dios en ella ha de ir haciendo?


Y asî, cierto est que si en tu doctrina, que siempre es de una manera, la haces siempre estar atada, o ha de volver atrs, o, a lo menos, no ir adelante. Porque en qué parar, ruégote, la imagen si siempre has de ejercitar en ella no mâs que el martillar y desbastar, que en el alma es el ejercicio de las potencias? cundo se ha de acabar esta imagen? cundo o cômo se ha de dejar a que la pinte Dios? Es posible que tù tienes todos estos oficios, y que te tienes por tan consumado, que nunca esa alma habr nenester a mâs que a ti?


59. Y dado caso que tengas para alguna alma (porque quiz no tendr talento para pasar mâs adelante), es como imposible que tù tengas para todas las que tù no dejas salir de tus manos;

Vous qui ne savez que dégrossir, c’est-à-dire apprendre à une âme à mépriser le monde, à mortifier ses appétits ou tout au plus ébaucher, c’est-à-dire enseigner à faire de saintes méditations, et qui n’en savez pas davantage, comment conduirez-vous une âme à la dernière perfection, au dernier coloris, alors qu’il ne s’agit plus de dégrossir et d’ébaucher, ni même de donner un certain fini, mais de mettre une âme en état de recevoir l’action divine ?


Nul doute que si vous la rivez à votre enseignement qui est toujours le même, elle retournera en arrière, ou tout au moins elle n’avancera pas. Qu’en serait-il, je le demande, de l’exécution d’une statue si l’on ne faisait jamais que marteler et dégrossir, je veux dire, si l’âme en demeurait toujours à l’exercice des puissances ? Quand donc la statue s’achèverait-elle ? Quand et comment Dieu lui donnerait-il le dernier coloris ? Se peut-il que vous soyez apte à remplir tous les offices, et si consommé en tout genre qu’une âme n’ait jamais besoin que de vous ?


Admettons que vous soyez propre à conduire une âme qui peut-être n’est pas appelée à monter bien haut, il est comme impossible que vous ayez les talents voulus pour toutes celles que vous tenez enchaînées.


porque a cada una lleva Dios por diferentes caminos, que apenas se hallar un espîritu que en la mitad del modo que lleva convenga con el modo del otro. Porque quién habr como san Pablo (1 Cor. 9, 22), que tenga para hacerse todo a todos, para ganarlos a todos? Y tù de tal manera tiranizas las almas y de suerte les quitas la libertad y adjudicas para ti la anchura de la doctrina evangélica, que no sôlo procuras que no te dejen, mas, lo que peor es, que, si acaso alguna vez sabes que alguna haya ido a tratar alguna cosa con otro, que por ventura no convendrîa tratarla contigo (o la llevarîa Dios para que la enseñase lo que tù no la enseñaste), te hayas con ella (que no lo digo sin vergŸenza) con las contiendas de celos que tienen entre sî los casados, los cuales no son celos que tienes de la honra de Dios o provecho de aquel alma (pues que no conviene que presumas que en faltarte de esa manera faltô a Dios), sino celos de tu soberbia y presunciôn o de otro imperfecto motivo tuyo.


60. Grandemente se indigna Dios contra estos tales y promételes castigo por Ezequiel (34, 3) diciendo: Comîades la leche de mi ganado y cubrîades os con su lana, y mi ganado no apacentbades; yo pediré, dice, mi ganado de vuestra mano (ib. 10).


61. Deben, pues, los maestros espirituales dar libertad a las almas, y estân obligados a mostrarles buen rostro cuando ellas quisieren buscar mejorîa; porque no saben ellos por dônde querr Dios aprovechar cualquier alma, mayormente cuando ya no gusta de su doctrina, que es señal que no le aprovecha, porque o la lleva Dios adelante por otro camino que el maestro la lleva, o el maestro espiritual ha mudado estilo. Y los dichos maestros se lo han de aconsejar, y lo dems nace de necia soberbia y presunciôn o de alguna otra pretensiôn.

Dieu mène chaque âme par un chemin différent, tellement que les voies spirituelles qui se ressemblent davantage ne se ressemblent pas de moitié. Qui sera capable de se faire, comme saint Paul, tout à tous pour les gagner tous ? Mais vous, vous tyrannisez les âmes, vous en faites des captives, et vous vous appropriez à tel point le monopole de la doctrine évangélique, que nom seulement vous mettez tout en œuvre pour qu’elles ne vous quittent point, mais, cc qui est pire, apprenez-vous que l’une d’elles a recouru aux conseils d’un autre sur un point dont peut-être il ne convenait pas de vous parler, — et peut-être est-ce Dieu même qui l’a voulu pour lui procurer l’enseignement que vous ne lui donniez pas, — vous lui faites, je rougis de le dire, des scènes de jalousie comme en pourrait faire un mari ! Tout cela ne vient pas du zèle de la gloire de Dieu, mais de superbe et de présomption. Que savez-vous si cette âme n’a pas eu besoin de s’adresser à un autre ?


Dieu s’indigne grandement contre ceux qui en agissent ainsi et il les menace de châtiment par le prophète Ézéchiel, disant : Vous ne paissiez pas mon troupeau, mais vous vous couvriez de sa laine et vous vous nourrissiez de son lait. Je redemanderai mon troupeau de votre main187.


Ainsi donc les maîtres spirituels doivent laisser les âmes libres ; ils sont obligés de les laisser s’adresser à d’autres, et quand elles le feront, ils doivent leur montrer bon visage. Savent-ils par quel moyen Dieu a résolu de faire du bien à une âme ? Lorsqu’elle ne goûte plus leur doctrine, c’est que Dieu les mène par une autre voie et qu’elle a besoin d’un autre guide. En pareil cas, les maîtres spirituels doivent eux-mêmes conseiller ce changement. Tout le reste vient d’un sot orgueil et de présomption.


62. Pero dejemos ahora esta manera y digamos otra pestîfera que éstos tienen u otras peores que ellos usan. Porque acaecer que anda Dios ungiendo algunas almas con ungŸentos de santos deseos y motivos de dejar el mundo y mudar la vida o estilo y servir a Dios, despreciando el siglo (lo cual tiene Dios en mucho haber acabado con ellas de llegarlas hasta esto, porque las cosas del siglo no son de voluntad de Dios), y ellos all con unas razones humanas o respetos harto contrarios a la doctrina de Cristo y su humildad y desprecio de todas las cosas, estribando en su propio interés o gusto, o por temer donde no hay que temer, o se lo dificultan, o se lo dilatan, o, lo que es peor, por quitrselo del corazôn trabajan. Que, teniendo el espîritu poco devoto, muy vestido de mundo, y poco ablandado en Cristo, como ellos no entran por la puerta estrecha de la vida, tampoco dejan entrar a los otros.


A los cuales amenaza nuestro Salvador por san Lucas (Lc. 11, 52), diciendo: ÁAy de vosotros, que tomasteis la llave de la ciencia, y no entris vosotros ni dejis entrar a los dems! Porque éstos, a la verdad, estân puestos en la tranca y tropiezo de la puerta del cielo, impidiendo que no entren los que les piden consejo; sabiendo que les tiene Dios mandado, no sôlo que los dejen y ayuden a entrar, sino que aun los compelan a entrar, diciendo por san Lucas (14, 24): Porfîa, hazlos entrar para que se llene mi casa de convidados. Ellos, por el contrario, estân compeliendo que no entren.

Mais laissons cette manière de faire et parlons d’une autre plus pernicieuse encore, qui se rencontre chez de tels gens ou d’autres qui valent moins encore. Dieu favorise certaines âmes de saints désirs d’abandonner le monde, de changer d’état de vie, pour se donner à son service en méprisant le siècle. Il se félicite quand il les a conduites jusque-là, car les choses du siècle ne sont pas selon son cœur. Et voici que pour des raisons tout humaines, dans des vues entièrement opposées à la doctrine de Jésus-Christ, à sa mortification, à son mépris de toutes choses, des directeurs, qui ne consultent que leurs intérêts et leurs goûts personnels, ou qui se forgent de périls imaginaires, opposent à ces âmes mille difficultés et mille délais, ou — ce qui est pire encore — travaillent à déraciner ce désir de leur cœur. Comme l’esprit de ces hommes est peu dévot et tout mondain, ils ne goûtent pas l’Esprit de Jésus-Christ, ils n’entrent point, et ils empêchent les autres d’entrer.


C’est à eux que s’adressent ces menaces de notre Sauveur : Malheur à vous qui vous êtes emparés de la clef de la science, qui n’êtes pas entrés et qui n’avez pas laissé entrer les autres188 ! Ces gens, en toute vérité, sont des barres et des pierres d’achoppement placées devant la porte du ciel. Ils en ferment l’entrée à ceux qui viennent prendre leurs conseils. Et cependant, ils ne peuvent ignorer que Dieu leur a commandé non seulement de laisser entrer et d’aider à entrer, mais même de forcer à entrer, par la porte étroite qui conduit à la vie189.


De esta manera es él un ciego que puede estorbar la vida del alma, que es el Espîritu Santo, lo cual acaece en los maestros espirituales de muchas maneras, que aquî queda dicho, unos sabiendo, otros no sabiendo. Mas los unos y los otros no quedarn sin castigo, porque, teniéndolo por oficio, estân obligados a saber y mirar lo que hacen.


63. El segundo ciego que dijimos que podrîa empachar al alma en este género de recogimiento es el demonio, que quiere que, como él es ciego, también el alma lo sea. El cual en estas altîsimas soledades, en que se infunden las delicadas unciones del Espîritu Santo (en lo cual él tiene grave pesar y envidia, porque ve que no solamente se enriquece el alma, sino que se le va de vuelo y no la puede coger en nada, por cuanto est el alma sola, desnuda y ajena de toda criatura y rastro de ella), procùrale poner en este enajenamiento algunas cataratas de noticias y nieblas de jugos sensibles, a veces buenos, para cebar mâs el alma y hacerla volver asî al trato distinto y obra del sentido, y que mire en aquellos jugos y noticias buenas que la representa y las abrace, a fin de ir a Dios arrimada a ellas. Y en esto facilîsimamente la distrae y saca de aquella soledad y recogimiento, en que, como habemos dicho, el Espîritu Santo est obrando aquellas grandezas secretas. Porque, como el alma de suyo es inclinada a sentir y gustar, mayormente si lo anda pretendiendo y no entiende el camino que lleva, facilîsimamente se pega a aquellas noticias y jugos que la pone el demonio, y se quita de la soledad en que Dios la ponîa. Porque, como ella en aquella soledad y quietud de las potencias del alma no hacîa nada, parécele que estotro es mejor, pues ya ella hace algo. Y aquî es grande lstima que, no entendiéndose el alma, por comer ella un bocadillo de noticia particular o jugo, se quita que la coma Dios a ella toda; porque asî lo hace Dios en aquella soledad en que la pone, porque la absorbe en sî por medio de aquellas unciones espirituales solitarias.

Voilà comment un directeur peut, en véritable aveugle, barrer le passage à l’Esprit-Saint qui voudrait guider une âme. il y aurait bien d’autres choses à dire sur les fautes que l’on commet en ce point, les unes avec connaissance de cause, les autres par ignorance. Mais ni les unes ni les autres ne resteront sans châtiment, parce que ceux qui ont un office sont tenus de connaître leur devoir et de s’en acquitter avec circonspection.


Le second aveugle qui, nous l’avons dit, pourrait entraver l’âme dans le recueillement dont nous parlons, c’est k démon : aveugle lui-même, il cherche à l’entraîner dans les ténèbres. Quand il voit une âme dans ces sublimes solitudes où s’impriment les onctions exquises de l’Esprit-Saint, il est rongé de jalousie et de chagrin, non seulement parce que cette âme s’enrichit de grands trésors, mais parce qu’elle lui échappe et se trouve entièrement hors de sa portée. Il cherche alors à la tirer de sa nudité et de son abstraction en soulevant des nuages de connaissances distinctes et des goûts sensibles, et pour l’amorcer davan­tage, pour la ramener aux notions distinctes et à l’opération du sens, il fera en sorte que l’objet de ces connaissances soit bon. Son but est qu’elle s’occupe de ces saveurs et de ces connaissances bonnes en elles-mêmes, qu’elle les embrasse, qu’elle s’appuie sur elles pour aller à Dieu.

Par ce moyen, il la distrait très aisément et la tire de cette solitude, de ce recueillement, au sein desquels l’Esprit-Saint opérait secrètement en elle des merveilles. L’âme, qui est naturellement portée à sentir et à goûter — plus encore si elle y aspire volontairement, — s’attache aux connaissances et aux goûts sensibles que le démon lui présente et elle sort de la solitude où Dieu fait son œuvre. Dans cette solitude, elle croyait ne rien faire ; elle s’imagine donc gagner au change, puisque maintenant elle fait quelque chose.

Malheur déplorable, en vérité, qu’une âme, pour ne comprendre pas sa voie et pour vouloir prendre une bouchée de connaissance particulière, refuse à Dieu de l’absorber tout entière dans cette solitude où il l’avait introduite, car c’est la merveille qui a lieu par le moyen des onctions spirituelles et solitaires dont il s’agit.


64. De esta manera, por poco mâs que nada, causa gravîsimos daños, haciendo al alma perder grandes riquezas, sacndola con un poquito de cebo, como al pez, del golfo de las aguas sencillas del espîritu, adonde estaba engolfada y anegada en Dios sin hallar pie ni arrimo. Y en esto la saca a la orilla dândola estribo y arrimo, y que halle pie, y vaya por su pie, por tierra, con trabajo, y no nade por las aguas de Siloé, que van con silencio (Is. 8, 6), bañada en las unciones de Dios.


Y hace el demonio tanto caso de esto, que es para admirar; que, con ser mayor un poco de daño en esta parte que hacer muchos en otras almas muchas, como habemos dicho, apenas hay alma que vaya por este camino que no la haga grandes daños y haga caer en grandes pérdidas. Porque este maligno se pone aquî con grande aviso en el paso que hay del sentido al espîritu, engañando y cebando a las almas con el mismo sentido, atravesando, como habemos dicho, cosas sensibles. No piensa el alma que hay en aquello pérdida, por lo cual deja de entrar en lo interior del Esposo, quedândose a la puerta a ver lo que pasa afuera en la parte sensitiva.


Todo lo alto ve, dice Job (41, 25), el demonio, es a saber, la alteza espiritual de las almas para impugnarla. De donde, si acaso algùn alma se le entra en el alto recogimiento, ya que de la manera que habemos dicho no puede distraerla, a lo menos con horrores, temores o dolores corporales, o con sentidos y ruidos exteriores, trabaja por poderla hacer advertir al sentido, para sacarla fuera y divertirla del interior espîritu, hasta que, no pudiendo ms, la deja.

C’est ainsi que le démon, par un obstacle insignifiant, cause à l’âme un trés grand dommage et la prive de richesses immenses. De même que le pécheur attire un poisson par un imperceptible appât, l’ennemi attire cette âme hors des eaux limpides de l’Esprit-Saint, alors qu’elle était plongée et immergée en Dieu, sans trouver pied ni rencontrer d’appui. Il l’amène sur le rivage, où il lui fournit un soutien afin de lui faire prendre pied et cheminer ensuite péniblement sur la terre, au lieu de nager dans les courants de Siloë, qui coulent en silence190, et de se baigner au milieu des onctions divines.


Le démon attache à cette tactique un prix surprenant. C’est que le moindre tort fait à une âme de cette classe lui importe beaucoup plus que des dommages bien plus considérables causés à d’autres âmes. Aussi, à peine s’en rencontre-t-il une seule à qui il ne nuise à l’extrême sous ce rapport et à qui il ne fasse subir des pertes incalculables, Cet esprit malin se place perfidement à la limite qui sépare le sens de l’esprit. Là, il trompe cette âme et l’amorce par des objets sensibles, afin qu’elle s’y attache et tombe en son pouvoir. Cette âme, dans son ignorance, s’arrête aisément à cet appât, sans se douter de la perte qu’elle subit. Elle croit y gagner et recevoir une visite de Dieu. En réalité, elle cesse de pénétrer en son Époux, et demeure à la porte, à regarder ce qui se passe au-dehors.


Le démon, dit Job, voit tout ce qui est élevé191. En d’autres termes, il considère l’élévation des âmes afin de s’y opposer. En aperçoit-il une entrer dans un haut recueillement et voit-il échouer ses efforts pour la distraire, alors il met en œuvre les épouvantes et les douleurs physiques, ou bien les bruits et les fracas extérieurs, afin de ramener son attention vers les objets sensibles et de la faire descendre de la région intérieure, de le tirer en un mot de son occu­pation intime. Il ne la laisse que si tous ses efforts restent vains.

Mas es con tanta facilidad las riquezas que estorba y estraga a estas preciosas almas, que, con preciarlo él mâs que derribar muchas de otras, no lo tiene en mucho por la facilidad con que lo hace y lo poco que le cuesta.

Porque a este propôsito podemos entender lo que de él dijo Dios a Job (40, 18), es a saber: Absorber un rîo y no se maravillar, y tiene confianza que el Jordân caer en su boca, que se entiende por lo mâs alto de la perfecciôn. En sus mismos ojos la cazar como en anzuelo, y con aleznas le horadar las narices; esto es, con las puntas de las noticias con que la est hiriendo, la divertir el espîritu, porque el aire, que sale por las narices recogido, estando horadadas, se divierte por muchas partes. Y adelante (41, 21) dice: Y abajo de él estarn los rayos del sol, y derramar el oro debajo de sî como el lodo; porque admirables rayos de divinas noticias hace perder a las almas ilustradas, y precioso oro de matices divinos quita y derrama a las almas ricas.



Mais hélas ! c’est d’ordinaire avec la dernière facilité qu’il ravage ces âmes si précieuses au Seigneur, et qu’il a plus d’intérêt à renverser qu’un grand nombre d’autres. Je le répète, il n’a pas grand effort à faire et il en vient à bout avec une désolante facilité.

Nous pouvons appliquer à notre sujet ce que Dieu dit à Job : Il absorbera le fleuve sans s’étonner et il se persua­dera que le Jourdain — c’est-à-dire ce qu’il y a de plus élevé en fait de perfection — pourra couler dans sa bouche. Ses yeux saisiront leur proie comme avec un hameçon, et il lui percera les narines comme avec un poinçon192. Ce qui revient à dire : par les pointes des connaissances dont il frappera sa victime, il distraira son esprit ; en effet, l’air entré dans les narines en sort par de nombreuses ouvertures si elles viennent à être perforées.

Il dit encore : Les rayons du soleil seront sous lui, et il répandra l’or au-dessous de lui comme de la boue193. Ou en d’autres termes, il fait perdre aux âmes illuminées de Dieu d’admirables rayons de divines connaissances ; il enlève aux âmes riches des biens spirituels l’or précieux des émaux divins.



65. Oh, pues, almas! Cuando Dios os va haciendo tan soberanas mercedes que os lleva por estado de soledad y recogimiento, apartândoos de vuestro trabajoso sentir, no os volvis al sentido. Dejad vuestras operaciones, que, si antes os ayudaban para negar al mundo y a vosotros mismos que érades principiantes, ahora que os hace ya Dios merced de ser el obrero, os sern obstculo grande y embarazo. Que, como tengis cuidado de no poner vuestras potencias en cosa ninguna, desasiéndolas de todo y no embarazndolas, que es lo que de vuestra parte habéis de hacer en este estado solamente, junto con la advertencia amorosa, sencilla, que dije arriba, de la manera que allî lo dije, que es cuando no os hiciere desgana el tenerla, porque no habéis de hacer ninguna fuerza al alma si no fuere en desasirla de todo y libertarla, porque no la turbéis y alteréis la paz y tranquilidad. Dios os las cebar de refecciôn celestial, pues que no se las embarazis.

Ames à qui Dieu fait la grâce souveraine de marcher par cette voie de solitude et de recueillement, bien loin de votre pénible travail personnel, ah ! ne retournez pas aux choses sensibles, laissez de côté votre opération propre. Elle vous aidait à renoncer au inonde et à vous-même lorsque vous étiez au début de la carrière spirituelle ; mais à présent que Dieu lui-même daigne agir en vous, elle ne vous serait qu’un obstacle et un embarras. Dégagez entiè­rement vos puissances, mettez-les en liberté, C’est ici tout ce que vous avez à faire. Après cela, tenez-vous dans l’attention amoureuse et simple dont j’ai parlé, toutes les fois que vous en sentirez l’attrait. Ne vous violentez aucunement, ne songez qu’à vous dégager, à vous libérer de tout, sans vous troubler, sans laisser n’altérer en rien votre paix et votre tranquillité. Dès que vous serez libres, Dieu vous nourrira d’un aliment céleste194.


66. El tercer ciego es la misma alma, la cual, no entendiéndose, como habemos dicho, ella misma se perturba y se hace el daño. Porque, como ella no sabe obrar sino por el sentido y discurso de pensamiento, cuando Dios la quiere poner en aquel vacîo y soledad donde no puede usar de las potencias ni hacer actos, como ve que ella no hace nada, procura hacerlo, y asî se distrae y se llena de sequedad y disgusto el alma, la cual estaba gustando de la ociosidad de la paz y silencio espiritual en que Dios la estaba de secreto poniendo a gesto.

Y acaecer que Dios esté porfiando por tenerla en aquella callada quietud, y ella porfiando también con la imaginaciôn y con el entendimiento a querer obrar por sî misma; en lo cual es como el muchacho, que, queriéndole llevar su madre en brazos, él va gritando y pateando por irse por su pie, y asî ni anda él ni deja andar a la madre, o como cuando, queriendo el pintor pintar una imagen y otro se la estuviese maneando, que no se harîa nada, o se borrarîa la pintura.


67. Ha de advertir el alma en esta quietud que, aunque entonces ella no se sienta caminar ni hacer nada, camina mucho mâs que si fuese por su pie, porque la lleva Dios en sus brazos; y asî, aunque camina al paso de Dios, ella no siente el paso. Y, aunque ella misma no obra nada con las potencias de su alma, mucho mâs hace que si ella lo hiciese, pues Dios es el obrero. Y que ella no lo eche de ver no es maravilla, porque lo que Dios obra en el alma a este tiempo no lo alcanza el sentido, porque es en silencio; que, como dice el Sabio (Ecle. 9, 17), las palabras de la sabidurîa ôyense en silencio. Déjese el alma en las manos de Dios y no se ponga en sus propias manos ni en las de esotros dos ciegos, que, como esto sea y ella no ponga las potencias en algo, segura ir.

Le troisième aveugle est l’âme elle-même. Faute de se rendre compte de son état, elle se jette elle-même dans le trouble et se nuit sans le savoir. Elle ne sait se conduire qu’au moyen du sens. Lors donc qu’il plaît à Dieu de l’introduire dans ce vide et cette solitude, où l’on ne peut plus faire usage de ses puissances ni produire des actes, elle se figure être oisive et s’efforce d’agir, ce qui n’aboutit qu’à la distraire, à la remplir de sécheresse et de dégoût, elle qui jouissait auparavant d’une paix pleine de repos et d’un silence spirituel où Dieu même lui infusait secrè­tement une intime douceur.

Dieu fera des tentatives pour la ramener à ce repos silencieux, et elle luttera contre lui pour mettre en mou­vement son imagination et son entendement. Tels les petits enfants que leur mère veut porter dans ses bras, et qui s’agitent et crient pour marcher d’eux-mêmes. D’où il résulte qu’ils ne marchent pas et qu’ils empêchent leur mère d’avancer. Tel encore le peintre qui veut se mettre au travail et voit remuer sa toile : il ne pourra rien faire.


L’âme doit bien savoir ceci. Elle a beau ne pas sentir qu’elle marche, elle avance beaucoup plus que si elle mettait ses pieds en mouvement, parce que c’est alors Dieu lui-même qui la porte dans ses bras. Si elle ne s’aperçoit point des pas qu’elle fait, c’est que Dieu marche et non pas elle. Ses puissances n’agissent pas, mais une autre opération, bien plus puissante, a lieu, et Dieu même en est l’auteur. Qu’elle ne s’en aperçoive point, ce n’est pas merveille, puisque cette divine opération échappe au sens. Que cette âme s’abandonne195 entre les mains de Dieu et se confie en lui, qu’elle renonce à toute autre conduite et à sa propre opération. Cela fait, tout ira bien. Il n’y a péril pour elle que si elle applique ses puissances à quelque chose.


68. Volvamos, pues, ahora al propôsito de estas profundas cavernas de las potencias del alma en que decîamos que el padecer del alma suele ser grande cuando la anda Dios ungiendo y disponiendo con los mâs subidos ungŸentos del Espîritu Santo para unirla consigo. Los cuales son ya tan sutiles y de tan delicada unciôn, que, penetrando ellos la ÔNtima sustancia del fondo del alma, la disponen y saborean, de manera que el padecer y desfallecer en deseo con inmenso vacîo de estas cavernas es inmenso.


Donde habemos de notar que si los ungŸentos que disponîan a estas cavernas del alma para la uniôn del matrimonio espiritual con Dios son tan subidos como habemos dicho, cul pensamos que ser la posesiôn de inteligencia y amor y gloria que tienen ya en la dicha uniôn con Dios el entendimiento, voluntad y memoria? Cierto que, conforme a la sed y hambre que tenîan estas cavernas, ser ahora la satisfacciôn y hartura y deleite de ellas, y conforme a la delicadez de las disposiciones, ser el primor de la posesiôn del alma y fruiciôn de su sentido.



Mais revenons à ce que nous disions de ces profondeurs de l’âme, qui sont ses puissances. L’âme, nous le faisions remarquer, endure ordinairement de très vives souffrances au temps où Dieu la dispose à l’union avec lui par de sublimes onctions. Les parfums divins sont parfois si sublimes et si exquis, qu’ils pénètrent le fond le plus intime de la substance de l’âme, et ce qu’ils opèrent en elle la fait défaillir dans d’ardents et douloureux désirs, et dans le sentiment d’un vide immense.


Il y a ici une observation à faire. Si les parfums qui disposent les puissances de l’âme à l’union du mariage spirituel sont par eux-mêmes si élevés, quels seront, je le demande, les biens dont elle entre alors en possession ? Nul doute que la jouissance, le rassasiement, les délices qui deviendront alors leur partage ne soient proportionnés à la faim et à la soif que ces profondeurs des puissances auront endurées. Nul doute que la sublimité des biens dont l’âme entrera en possession, que la fruition qui deviendra le partage du sens ne réponde aux exquises dispositions qui auront précédé. Par le sens de l’âme. j’entends la capacité qu’a la substance de l’âme de goûter les biens qui sont l’objet de ses puissances.

69. Por el sentido del alma entiende aquî la virtud y fuerza que tiene la sustancia del alma para sentir y gozar los objetos de las potencias espirituales con que gusta la sabidurîa y amor y comunicaciôn de Dios. Y por eso a estas tres potencias, memoria, entendimiento y voluntad, las llama el alma en este verso cavernas del sentido profundas, porque por medio de ellas y en ellas siente y gusta el alma profundamente las grandezas de la sabidurîa y excelencias de Dios. Por lo cual harto propiamente las llama aquî el alma cavernas profundas; porque, como siente que en ellas caben las profundas inteligencias y resplandores de las lmparas del fuego, conoce que tiene tanta capacidad y senos, cuantas cosas distintas recibe de inteligencias, de sabores, de gozos, de deleites, etc., de Dios. Todas las cuales cosas se reciben y asientan en este sentido del alma, que, como digo, es la virtud y capacidad que tiene el alma para sentirlo, poseerlo y gustarlo todo, administrndoselo las cavernas de las potencias, asî como al sentido comùn de la fantasîa acuden con las formas de sus objetos los sentidos corporales, y él es receptculo y archivo de ellas. Por lo cual este sentido comùn del alma, que est hecho receptculo y archivo de las grandezas de Dios, est tan ilustrado y tan rico, cuanto alcanza de esta alta y esclarecida posesiôn.


C’est très justement qu’elle nomme ses puissances des profondeurs, car elle expérimente qu’elles contiennent les profondes connaissances auxquelles nous avons donné le nom de lampes de feu, elle connaît que leur capacité égale toutes les notions, toutes les saveurs, toutes les jouissances, toutes les délectations qu’elle goûte en Dieu.

Ces divines merveilles sont reçues et viennent se fixer dans ce que j’appelle le sens de l’âme, c’est-à-dire dans la capacité qu’elle a de les posséder, de les goûter et (« en jouir lorsqu’elles lui ont été fournies par les profondeurs des puissances ; de même, le sens de la fantaisie reçoit les formes des objets extérieurs que lui fournissent les sens corporels, et elle en devient en quelque sorte le réceptacle et le dépôt. Or, ce sens de l’âme devenu le réceptacle des merveilles de Dieu se trouve illuminé et enrichi à proportion des sublimes et resplendissants trésors dont il est fait le possesseur.



Que estaba oscuro y ciego.


70. Conviene saber, antes que Dios le esclareciese y alumbrase, como est dicho. Para inteligencia de lo cual es de saber que por dos cosas puede el sentido de la vista dejar de ver: o porque est a oscuras, o porque est ciego.


Dios es la luz y el objeto del alma. Cuando ésta no le alumbra, a oscuras est, aunque la vista tenga muy subida. Cuando est en pecado o emplea el apetito en otra cosa, entonces est ciega; y, aunque entonces la embista la luz de Dios, como est ciega, no la ve. La oscuridad del alma, es la ignorancia del alma, la cual, antes que Dios la alumbrase por esta transformaciôn, estaba oscura e ignorante de tantos bienes de Dios, como dice el Sabio (Ecli. 51, 26) que lo estaba él antes que la sabidurîa le alumbrase, diciendo: Mis ignorancias alumbrô.



Auparavant aveugle et sombre.


C’EST À DIRE AVANT QUE DIEU L’ÉCLAIRE ET L’ILLUMINE, COMME IL A ÉTÉ DIT. POUR L’INTELLIGENCE DE CECI, il faut savoir que deux choses peuvent nous priver de la faculté de voir : l’obscurité ou la cécité. Dieu est à la fois l’objet de la vue de notre âme et la lumière qui lui permet de voir. Lorsque cette divine lumière ne brille pas pour elle, notre âme est dans l’obscurité, quelle que soit d’ailleurs la puissance de sa faculté visuelle. Notre âme est-elle en état de péché ou poursuit-elle quelque chose en dehors de Dieu, alors elle est aveugle. La lumière de Dieu a beau l’envelopper, cette âme aveugle ne perçoit pas la divine lumière.

L’obscurité de l’âme, c’est son ignorance, et tant que Dieu ne l’a pas illuminée, transformée, elle reste dan » l’ombre et dans l’ignorance des biens de Dieu. Le Sage confesse qu’il était dans cette nuit, avant que la Sagesse l’eût éclairé : Elle a, dit-il, illuminé mes ignorances196.


71. Hablando espiritualmente, una cosa es estar a oscuras y otra estar en tinieblas. Porque estar en tinieblas es estar ciego, como habemos dicho, en pecado; pero el estar a oscuras, puédelo estar sin pecado. Y esto en dos maneras, conviene saber: acerca de lo natural, no teniendo luz de algunas cosas naturales; y acerca de lo sobrenatural, no teniendo luz de las cosas sobrenaturales. Y acerca de estas dos cosas dice aquî el alma que estaba oscuro su sentido antes de esta preciosa uniôn.


Porque, hasta que el Señor dijo: Fiat lux (Gn. 1, 3), estaban las tinieblas sobre la haz del abismo (1, 2) de la caverna del sentido del alma; el cual, cuanto es mâs abisal y de mâs profundas cavernas, tanto mâs abisales y profundas tinieblas hay en él acerca de lo sobrenatural cuando Dios, que es su lumbre, no le alumbra; y asî, esle imposible alzar los ojos a la divina luz, ni caer en su pensamiento, porque no sabe cômo es, nunca habiéndola visto.

Dans le langage spirituel, autre chose est se trouver dans l’obscurité, et autre chose être plongé dans les ténèbres. Être plongé dans les ténèbres, c’est se trouver dans l’aveuglement que cause le péché. Mais on peut être dans l’obscu­rité sans péché, et cela de deux manières : ou bien par rapport aux choses naturelles, lorsqu’on n’est pas éclairé à leur sujet, ou bien par rapport aux choses surnaturelles lorsqu’on manque de lumière sur certaines vérités de l’ordre surnaturel. L’âme nous dit ici qu’avant d’avoir atteint la précieuse union divine, son sens était plongé dans l’ombre sous ces deux rapports. Effectivement, tant que le Seigneur n’a pas dit : Fiat lux !197 les ténèbres règnent sur la face de l’abîme198, c’est-à-dire sur les profondeurs du sens de l’âme. Plus cet abîme est profond, plus profondes sont les ténèbres ou ses profondeurs sont plongées par rapport aux biens surnaturels, et ces ténèbres durent tant que Dieu, qui est la lumière de l’âme, ne l’éclaire pas. Or il est impossible à cette âme de lever les yeux vers la divine lumière ; elle n’a même pas la pensée de le faire, parce que n’ayant jamais vu cette lumière, elle n’en a aucune idée et ne peut par conséquent la désirer.199


Y por eso, ni la podrà apetecer, antes apetecer tiniebla, porque sabe cômo son, e ir de una tiniebla en otra, guiado por aquella tiniebla. Porque no puede guiar una tiniebla sino a otra tiniebla, pues, como dice David (Sal. 18, 3): El dîa rebosa en el dîa, y la noche enseña ciencia a la noche. Y asî un abismo llama a otro abismo (Sal. 41, 8), conviene saber: un abismo de luz llama a otro abismo de luz, y un abismo de tiniebla a otro abismo de tiniebla, llamando cada semejante a su semejante y comunicndosele. Y asî, la luz de la gracia que Dios habîa dado antes a esta alma, con que le habîa alumbrado el ojo del abismo de su espîritu, abriéndosele a la divina luz y haciéndola en esto agradable a sî, llamô a otro abismo de gracia, que es esta transformaciôn divina del alma en Dios, con que el ojo del sentido queda tan esclarecido y agradable a Dios, que podemos decir que la luz de Dios y del alma toda es una, unida la luz natural del alma con la sobrenatural de Dios, y luciendo ya la sobrenatural solamente; asî como la luz que Dios criô se uniô con la del sol, y luce ya la del sol solamente sin faltar la otra (Gn. 1, 14-18).

Ses désirs la porteront plutôt vers les ténèbres, parce qu’elle les connaît. Ainsi, elle ira de ténèbres en ténèbres, guidée par les ténèbres, car les ténèbres ne peuvent conduire qu’aux ténèbres, selon cette parole de David : Le jour annonce la parole au jour et la nuit enseigne la science à la nuit200. C’est ainsi qu’un abîme en appelle un autre201 : un atome de ténèbres appelle un autre abîme de ténèbres, et un abîme de lumière appelle un autre abîme de lumière, parce qu’un semblable appelle son semblable et se com­munique à lui. La lumière de la grâce que Dieu a donnée à cette âme et dont il a éclairé l’abîme de son esprit, l’a ouverte à la lumière divine et l’a rendue agréable à ses yeux. Cette lumière de la grâce a appelé un autre abîme de grâce, je veux dire la transformation de l’âme en Dieu202, laquelle illumine à tel point le sens de l’âme et le rend si agréable à Dieu, que la lumière de Dieu et la lumière de l’âme ne font plus qu’un. La lumière naturelle de l’âme est alors unie à la lumière surnaturelle, en sorte que la lumière surnaturelle brille seule ; de même qu’à l’origine du monde la lumière créée par Dieu vint se joindre à la lumière du soleil, en sorte que la lumière du soleil brilla seule sans toutefois anéantir la première.


72. Y también estaba ciego en tanto que gustaba de otra cosa. Porque la ceguedad del sentido racional y superior es el apetito, que, como catarata y nube, se atraviesa y pone sobre el ojo de la razôn, para que no vea las cosas que estân delante. Y asî, en tanto que proponîa en el sentido algùn gusto, estaba ciego para ver las grandezas de riquezas y hermosura divina que estaban detrs de la catarata. Porque asî como, poniendo sobre el ojo una cosa, por pequeña que sea, basta para tapar la vista que no vea otras cosas que estân delante, por grandes que sean, asî un leve apetito y ocioso acto que tenga el alma, basta para impedirla todas estas grandezas divinas, que estân después de los gustos y apetitos que el alma quiere.


73. Oh, quién pudiera decir aquî cun imposible le es al alma que tiene apetitos juzgar de las cosas de Dios como ellas son! Porque, para acertar a juzgar las cosas de Dios, totalmente se ha de echar el apetito y gusto fuera, y no las ha de juzgar con él; porque infaliblemente vendr a tener las cosas de Dios por no de Dios, y las no de Dios por de Dios. Porque, estando aquella catarata y nube sobre el ojo del juicio, no ve sino catarata, unas veces de un color y otras de otro, como ellas se le ponen; y piensa que la catarata es Dios, porque, como digo, no ve mâs que catarata que est sobre el sentido, y Dios no cae en el sentido.


Y de esta manera el apetito y gustos sensitivos impiden el conocimiento de las cosas altas. Lo cual da bien a entender el Sabio (Sab. 4, 12) por estas palabras, diciendo: El engaño de la vanidad oscurece los bienes, y la inconstancia de la concupiscencia trastorna el sentido sin malicia, es a saber, el buen juicio.

Nous avons dit que l’âme était aveugle tant qu’elle goûtait autre chose que Dieu203. C’est que l’appétit inférieur frappe de cécité le sens raisonnable supérieur. Il couvre la raison comme d’un nuage, de façon qu’elle ne voit plus les objets qui se trouvent devant elle. Ainsi, tant que le sens se proposait un goût quelconque, il était aveugle, et ne pouvait voir les merveilles des richesses et de la beauté divine que ce nuage lui dérobait. Un objet fort petit suffit pour empêcher l’œil de voir les objets qui sont devant lui, si grands qu’ils puissent être. De même, un léger appétit, une intention imparfaite suffit pour priver une âme des merveilles divines qui résident au-delà des goûts et des appétits qu’elle recherche.204


Oh ! qui pourra faire comprendre combien il est impos­sible à une âme qui suit ses appétits, de juger des choses divines telles qu’elles sont en elles-mêmes ! Pour en porter un jugement sain, il lui est indispensable de se défaire totalement de ses goûts et de ses appétits et de ne s’en pas servir, car par cette voie on en viendrait infailliblement à estimer comme n’étant pas de Dieu ce qui est de Dieu, de même on attribuerait à Dieu ce qui ne vient pas de lui, En voici la cause. Le nuage de l’appétit est venu se placer sur la raison, en sorte que celle-ci ne voit plus que lui, et tantôt il sera d’une couleur, tantôt d’une autre, selon la nature de l’appétit. Or, Dieu ne tombe pas sous le domaine du sens.


C’est ainsi que l’appétit et les goûts sensitifs font obstacle aux notions élevées concernant les choses divines. Le Sage nous le fait comprendre quand il dit : La fascination de la bagatelle obscurcit les vrais biens et la mobilité des désirs renverse le sens le plus dépourvu de malice205.



74. Por lo cual, los que no son tan espirituales que estén purgados de los apetitos y gustos, sino que todavîa estân algo animales en ellos, crean que las cosas que son mâs viles y bajas al espîritu, que son las que mâs se llegan al sentido, segùn el cual todavîa ellos viven, las tendrn por gran cosa; y las que son mâs preciadas y mâs altas para el espîritu, que son las que mâs se apartan del sentido, las tendrn en poco y no las estimarn, y aun a veces las tendrn por locura, como lo da bien a entender san Pablo (1 Cor. 2, 14), diciendo: El hombre animal no percibe las cosas de Dios; son para él locura, y no las puede entender. Por hombre animal entiende aquî aquel que todavîa vive con apetitos y gustos naturales; porque, aunque algunos gustos nacen del espîritu en el sentido, si el hombre se quiere asir a ellos con su natural apetito, ya son apetitos no mâs que naturales. Que poco hace al caso que el objeto o motivo sea sobrenatural, si el apetito sale del mismo natural, teniendo su raîz y fuerza en el natural para que deje de ser apetito natural, pues que tiene la misma sustancia y naturaleza que si fuera acerca de motivo y materia natural.

De là vient que les personnes médiocrement avancées dans la vie Spirituelle, qui ne sont pas encore purgées de leurs appétits et de leurs goûts propres, qui par conséquent ont encore quelque chose d’animal, donnent dans leur appréciation beaucoup de valeur à ce qui est bas et de peu de prix ; au contraire, elles estimeront fort peu ce qui est de haute valeur au point de vue spirituel, parce que très éloigné du sens, elles le regarderont même comme une folie. C’est ce que nous dit saint Paul : L’homme animal ne perçoit pas les choses de Dieu, elles sont pour lui une folie, et il est incapable de les comprendre206.

Par homme animal il faut entendre ici celui qui vit selon ses appétits naturels. Or, il faut savoir qu’il y a des goûts qui naissent dans l’esprit et descendent ensuite dans le sens. Si l’homme s’y attache naturellement, ce ne sont plus que des appétits naturels. Peu importe que l’objet soit surnaturel. Dès lors que l’appétit est purement naturel, qu’il plonge ses racines dans la nature et en tire sa vigueur, ce n’est qu’un appétit naturel, puisqu’il est de même nature que si son objet était naturel.


75. Dirsme: "Pues, luego sîguese que, cuando el alma apetece a Dios, no le apetece sobrenaturalmente, y asî aquel apetito no ser meritorio delante de Dios".

Respondo que verdad es que no es aquel apetito, cuando el alma apetece a Dios, siempre sobrenatural, sino cuando Dios le infunde, dando él la fuerza de tal apetito, y éste es muy diferente del natural, y, hasta que Dios le infunde, muy poco o nada se merece. Y asî, cuando tù, de tuyo, quieres tener apetito de Dios, no es mâs que apetito natural, ni ser mâs hasta que Dios le quiera informar sobrenaturalmente. De donde, cuando tù de tuyo quieres apegar el apetito a las cosas espirituales, y te quieres asir al sabor de ellas, ejercitas el apetito tuyo natural, y entonces cataratas pones en el ojo y animal eres. Y asî no podrs entender ni juzgar de lo espiritual, que es sobre todo sentido y apetito natural.

Y si tienes mâs dudas, no sé qué te diga, sino que lo vuelvas a leer, quiz lo entenders, que dicha est la sustancia de la verdad y no se sufre aquî en esto alargarme ms,


76. Este sentido, pues, del alma que antes estaba oscuro sin esta divina luz de Dios, y ciego con sus apetitos y afecciones, ya no solamente con sus profundas cavernas est ilustrado y claro por medio de esta divina uniôn con Dios, pero aun hecho ya como una resplandeciente luz él con las cavernas de sus potencias.

Vous me direz : ALORS SI, EN DÉSIRANT DIEU, L’ÂME NE LE DÉSIRE PAS SURNATURELLEMENT, SON DÉSIR NE SERA PAS MÉRITOIRE DEVANT DIEU ?

Je réponds que très réellement le désir de Dieu n’est pas toujours un désir surnaturel. Il n’est surnaturel que lorsqu’il est infusé de Dieu, lorsque c’est de Dieu qu’il tire sa vigueur. Un tel désir est fort différent de l’appétit naturel ET TANT QUE LE DÉSIR N’EST PAS INFUSÉ DE DIEU, IL MÉRITE FORT PEU OU POINT DU TOUT. Si donc vous désirez de vous-même avoir le désir de Dieu, ce n’est qu’un appétit naturel, et ce ne sera rien davantage tant qu’il ne plaira pas à Dieu d’informer ce désir. D’où il suit que lorsque vous faites effort de vous-même pour appliquer votre appétit aux choses spirituelles, lorsque vous en recherchez la saveur, vous couvrez d’un nuage les yeux de votre âme ; en un mot vous êtes animal. Par conséquent, vous êtes incapable de comprendre et d’apprécier ce qui est spirituel, ce qui surpasse totalement le sens et l’appétit naturel.207

Avez-vous encore quelque objection à faire ? Pour moi, je ne sais plus que vous dire. Je ne puis que vous conseiller de relire ce qui précède : peut-être l’entendrez-vous mieux à la seconde lecture. J’ai conscience d’avoir dit sur ce point la substance de la vérité, et il ne m’est pas possible de m’y arrêter davantage.


AINSI DONC, LE SENS DE L’ÂME, AUPARAVANT OBSCUR, PARCE QUE PRIVÉ DE LA LUMIÈRE DE DIEU, AVEUGLÉ PAR SES APPÉTITS ET SES AFFECTIONS, EST MAINTENANT AVEC SES IMMENSES PROFONDEURS ÉCLAIRÉ, ILLUMINÉ PAR SON UNION AVEC DIEU ; BIEN PLUS, IL EST DEVENU AVEC LES PROFONDEURS DE SES PUISSANCES UNE RESPLENDISSANTE LUMIÈRE.



Con extraños primores calor y luz dan junto a su Querido.


77. Porque, estando estas cavernas de las potencias ya tan mirîficas y maravillosamente infundidas en los admirables resplandores de aquellas lmparas, como habemos dicho, que en ellas estân ardiendo, estân ellas enviando a Dios en Dios, dems de la entrega que de sî hacen a Dios, esos mismos resplandores que tienen recibidos con amorosa gloria, inclinadas ellas a Dios en Dios, hechas también ellas unas encendidas lmparas en los resplandores de las lmparas divinas, dando al Amado la misma luz y calor de amor que reciben.


Porque aquî, de la misma manera que lo reciben, lo estân dando al que lo ha dado con los mismos primores que él se lo da; como el vidrio hace cuando le embiste el sol, que echa también resplandores; aunque estotro es en mâs subida manera, por intervenir en ello el ejercicio de la voluntad.


78. Con extraños primores, es a saber: extraños y ajenos de todo comùn pensar y de todo encarecimiento y de todo modo y manera. Porque, conforme al primor con que el entendimiento recibe la sabidurîa divina, hecho el entendimiento uno con el de Dios, es el primor con que lo da el alma, porque no lo puede dar sino al modo que se lo dan. Y conforme al primor con que la voluntad est unida en la bondad, es el primor con que ella da a Dios en Dios la misma bondad, porque no lo recibe sino para darlo.

En singulière excellence

Donne à la fois chaleur, lumière au Bien-Aimé.


Les profondeurs des puissances si hautement, si merveil­leusement pénétrées des admirables splendeurs des lampes dont nous avons parlé, outre la remise qu’elles font d’elles-mêmes à Dieu, renvoient à Dieu, en Dieu même, les splen­deurs qu’elles reçoivent de lui. Tout cela se passe dans une gloire pleine d’amour. Les puissances, inclinées vers Dieu, en Dieu, sont devenues d’autres lampes enflammées au milieu des splendeurs des lampes divines. Elles donnent au Bien-Aimé la même lumière et la même chaleur d’amour qu’elles reçoivent de lui ; elles les donnent de la même manière qu’elles les reçoivent à Celui de qui elles les reçoivent, et avec les mêmes excellences.


Ainsi la vitre jette des splendeurs quand la lumière du soleil la pénètre. Mais ici tout se passe d’une façon bien plus sublime, parce que la volonté humaine s’exerce ici.


Et elle le fait en singulière excellence », c’est-à-dire en excellence au-dessus de toute expression, en excellence au-dessus de tout mode créé. C’est que l’excellence avec laquelle l’âme donne ici lumière et chaleur à Dieu, est proportionnée à l’excellence du mode suivant lequel l’enten­dement humain reçoit la Sagesse divine, tandis qu’il ne fait plus qu’un avec l’entendement de Dieu. Effectivement l’âme ne peut donner autrement qu’elle ne reçoit. C’est donc selon toute l’excellence avec laquelle la volonté est unie à la bonté divine, qu’elle renvoie à Dieu cette même bonté, car elle ne la reçoit que pour la renvoyer.


Y, ni mâs ni menos, segùn el primor con que en la grandeza de Dios conoce, estando unida en ella, luce y da calor de amor. Y segùn los primores de los atributos divinos que comunica allî él al alma de fortaleza, hermosura, justicia, etc., son los primores con que el sentido, gozando, est dando en su Querido esa misma luz y calor que est recibiendo de su Querido. Porque, estando ella aquî hecha una misma cosa en él, en cierta manera es ella Dios por participaciôn; que, aunque no tan perfectamente como en la otra vida, es, como dijimos, como sombra de Dios.



Y a este talle, siendo ella por medio de esta sustancial transformaciôn sombra de Dios, hace ella en Dios por Dios lo que él hace en ella por sî mismo, al modo que lo hace; porque la voluntad de los dos es una, y asî la operaciôn de Dios y de ella es una. De donde, como Dios se le est dando con libre y graciosa voluntad, asî también ella, teniendo la voluntad tanto mâs libre y generosa cuanto mâs unida en Dios, est dando a Dios al mismo Dios en Dios, y es verdadera y entera ddiva del alma a Dios.

De même, selon toute l’excellence avec laquelle l’âme connaît la grandeur de Dieu dans l’union qu’elle a avec cette divine grandeur, elle donne à Dieu lumière et chaleur d’amour. Telle l’excellence des autres attributs commu­niqués à cette âme : la force, la beauté, la justice, etc. ; telle l’excellence avec laquelle le sens, dans sa fruition, donne son Bien-Aimé à son Bien-Aimé, en lui-même. En d’autres termes, cette âme renvoie à son Bien-Aimé la lumière et la chaleur qu’elle reçoit de lui, parce qu’étant ici une même chose avec lui, elle est en certaine manière Dieu par participation. Cette transformation n’est pas aussi parfaite qu’elle le sera dans la vie future, et cependant on peut dire que l’âme est devenue comme l’ombre Dieu.


Par suite de cette transformation, l’âme, devenue l’ombre de Dieu, fait en Dieu pour Dieu ce que Dieu fait en elle pour lui-même, et de la manière dont il le fait, parce que leurs deux volontés ne font qu’un. L’opération de Dieu et l’opération de l’âme ne sont plus qu’une seule opération. En conséquence, Dieu se donnant par un don libre et gracieux, l’âme, dont la volonté est également libre et généreuse puisqu’elle est unie à celle de Dieu, donne Dieu à Dieu même, en Dieu. Et le don que l’âme fait à Dieu est un don véritable et entier.



Porque allî ve el alma que verdaderamente Dios es suyo, y que ella le posee con posesiôn hereditaria, con propiedad de derecho, como hijo de Dios adoptivo, por la gracia que Dios le hizo de drsele a sî mismo, y que, como cosa suya, le puede dar y comunicar a quien ella quisiere de voluntad; y asî dale a su Querido, que es el mismo Dios que se le dio a ella. En lo cual paga ella a Dios todo lo que le debe, por cuanto de voluntad le da otro tanto como de él recibe.


79. Y porque, en esta ddiva que hace el alma a Dios, le da al Espîritu Santo como cosa suya con entrega voluntaria, para que en él se ame como él merece, tiene el alma inestimable deleite y fruiciôn, porque ve que da ella a Dios cosa suya propia que cuadra a Dios segùn su infinito ser. Que, aunque es verdad que el alma no puede de nuevo dar al mismo Dios a sî mismo, pues él en sî siempre se es el mismo, pero el alma de suyo perfecta y verdaderamente lo hace, dando todo lo que él le habîa dado para ganar el amor, que es dar tanto como le dan. Y Dios se paga con aquella ddiva del alma (que con menos no se pagarîa), y la toma Dios con agradecimiento, como cosa que de suyo le da el alma, y en esa misma ddiva ama él de nuevo al alma, y en esa reentrega de Dios al alma ama el alma también como de nuevo.

L’inestimable bonheur de l’âme est de voir qu’elle fait à Dieu, de ce qui lui appartient à elle-même, un don propor­tionné à l’infinité de l’Être divin.

Il est bien vrai qu’elle ne peut, à proprement parler, donner Dieu à Dieu, puisqu’il reste toujours à lui-même ; et cependant on peut dire qu’autant qu’il est en elle, elle lui fait ce don d’une manière réelle et parfaite. Elle lui donne tout ce qu’elle a reçu de lui, afin de payer la dette de l’amour, qui veut rendre autant qu’il reçoit. Et Dieu consent à être payé par ce don de l’âme, et il ne peut être payé autrement, et il reçoit cette rémunération avec recon­naissance, comme un don que l’âme lui fait volontairement ; et dans cette remise faite à Dieu de Dieu même, l’âme se trouve investie d’un nouvel amour.




Y asî, entre Dios y el alma est actualmente formado un amor recîproco en conformidad de la uniôn y entrega matrimonial,

en que los bienes de entrambos, que son la divina esencia, poniéndolos cada uno libremente por razôn de la entrega voluntaria del uno al otro, los poseen entrambos juntos, diciendo el uno al otro lo que el Hijo de Dios dijo al Padre por san Juan (17, 10), es a saber: Omnia mea tua sunt, et tua mea sunt et clarificatus sum in eis, esto es: Todos mis bienes son tuyos, y tus bienes mîos y clarificado soy en ellos.


Lo cual en la otra vida es sin intermisiôn en la fruiciôn perfecta; pero en este estado de uniôn acaece cuando Dios ejercita en el alma este acto de la transformaciôn, aunque no con la perfecciôn que en la otra. Y que pueda el alma hacer aquella ddiva, aunque es de mâs entidad que su capacidad y ser, est claro; porque lo est que el que tiene muchas gentes y reinos por suyos, que son de mucha mâs entidad, los puede dar a quien él quisiere.


80. Esta es la gran satisfacciôn y contento del alma: ver que da a Dios mâs que ella en sî es y vale, con aquella misma luz divina y calor divino que se lo da; lo cual en la otra vida es por medio de la lumbre de gloria, y en ésta por medio de la fe ilustradîsima. De esta manera, las profundas cavernas del sentido, con extraños primores calor y luz dan junto a su Querido. Junto, dice, porque junta es la comunicaciôn del Padre y del Hijo y del Espîritu Santo en el alma, que son luz y fuego de amor en ella.

De son côté, Dieu se livre librement à cette âme, en sorte qu’il se forme entre Dieu et l’âme un nouvel amour réciproque, résultant de l’union et du don mutuel que comporte le mariage.

Ici les biens des deux Époux, qui sont ceux de la divine Essence, sont librement possédés par chacun, à raison du don mutuel qu’ils se sont faits ; et ils sont possédés par tous deux ensemble, chacun disant à l’autre cette parole que le Fils de Dieu adresse à son Père en saint Jean : Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi, et j’ai été glorifié en eux208.


Cette possession mutuelle aura lieu sans intermission et en fruition parfaite dans la vie future ; dans l’état d’union, Dieu l’opère au moyen de cette touche de transformation, non toutefois d’une manière aussi parfaite que dans l’autre vie. Que l’âme puisse faire un don d’une telle immensité et qui dépasse absolument la capacité et les proportions de son être, c’est chose indubitable. Prenons une compa­raison. Celui qui possède en propre des nations et des royaumes qui surpassent en immensité ce qu’il est lui — même, n’est-il pas libre d’en faire présent à qui bon lui semble ?


Telle est la source de l’incomparable jouissance de cette âme : elle voit qu’elle donne à Dieu beaucoup plus qu’elle n’est elle-même et beaucoup plus qu’elle ne vaut, lorsqu’elle donne librement à Dieu, Dieu même, comme un bien qui lui est propre, et cela dans la même lumière divine, dans le même embrasement d’amour au sein desquels elle l’a reçu. Ce qui a lieu dans la vie future au moyen de la lumière de gloire, a lieu en celle-ci au moyen de la foi surilluminée. De cette façon « le sens, avec ses profondeurs, donne à la fois chaleur, lumière au Bien-Aimé ».

L’âme dit « à la fois », parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui sont à la fois lumière et feu, se commu­niquent ensemble à elle.


81. Pero los primores con que el alma hace esta entrega hemos de notar brevemente. Acerca de lo cual se ha de advertir que, como quiera que el alma goce cierta imagen de fruiciôn causada de la uniôn del entendimiento y del afecto con Dios, deleitada ella y obligada por esta tan gran merced, hace la dicha entrega de Dios y de sî a Dios con maravillosos modos. Porque acerca del amor se ha el alma con Dios con extraños primores, y acerca de este rastro de fruiciôn, ni mâs ni menos, y acerca de la alabanza también, y por el semejante acerca del agradecimiento.


82. Cuanto a lo primero, tiene tres primores principales de amor. El primero es que aquî ama el alma a Dios, no por sî, sino por él mismo; lo cual es admirable primor, porque ama por el Espîritu Santo, como el Padre y el Hijo se aman, como el mismo Hijo lo dice por san Juan (17, 26), diciendo: La dilecciôn con que me amaste esté en ellos y yo en ellos. El segundo primor es amar a Dios en Dios, porque en esta uniôn vehemente se absorbe el alma en amor de Dios, y Dios con grande vehemencia se entrega al alma. El tercer primor de amor principal es amarle allî por quien él es, porque no le ama sôlo porque para sî misma es largo bien y glorioso, etc., sino mucho mâs fuertemente, porque en sî es todo esto esencialmente.

Mais il nous faut indiquer brièvement avec quelle excellence l’âme fait un tel don. Remarquons-le, l’âme jouit ici d’une certaine image de la fruition céleste, à cause de l’union de son entendement et de sa volonté avec Dieu. Au milieu des intimes délices qui l’inondent et de la gratitude dont elle est pénétrée pour une telle faveur, elle fait don de Dieu et d’elle-même à Dieu d’une admirable manière. Sous le rapport de l’amour, l’âme se comporte ici envers Dieu en singulière excellence et il en est de même sous le rapport de la fruition commencée, sous le rapport de la louange, sous le rapport de la gratitude.


Les excellences de l’amour sont au nombre de trois. D’abord l’âme aime Dieu, non par elle-même, mais par lui-même, ce qui est une merveilleuse excellence209. Elle aime en effet par l’Esprit-Saint, comme s’aiment le Père et le Fils, suivant ce que le Fils lui-même dit en saint Jean : Que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et moi en eux210.

Ensuite, elle aime Dieu en Dieu même. De fait, le propre de cette union est d’absorber l’âme très puissamment en l’amour divin ; et Dieu, de son côté, se livre à l’âme très puissamment.

Enfin, elle aime Dieu pour lui-même. Elle ne l’aime pas seulement parce qu’il est infiniment bon, libéral et généreux envers elle, mais parce qu’il est tout cela essen­tiellement en lui-même.



83. Y acerca de esta imagen de fruiciôn tiene otros tres primores maravillosos, preciosos y principales. El primero, que el alma goza allî a Dios por el mismo Dios; porque, como el alma aquî une el entendimiento en la omnipotencia, sapiencia, bondad, etc., aunque no claramente como ser en la otra vida, grandemente se deleita en todas estas cosas entendidas distintamente, como arriba dijimos. El segundo primor principal de esta delectaciôn es deleitarse ordenadamente sôlo en Dios, sin otra alguna mezcla de criatura. El tercer deleite es gozarle sôlo por quien él es, sin mezcla alguna de gusto propio.


84. Acerca de la alabanza que el alma tiene a Dios en esta uniôn, hay otros tres primores de alabanza. El primero, hacerlo de oficio, porque ve el alma que para su alabanza la criô Dios, como lo dice por Isaîas (43, 21), diciendo: Este pueblo formé para mî; cantar mis alabanzas. El segundo primor de alabanza es por los bienes que recibe y deleite que tiene en alabarle. El tercero es por lo que Dios es en sî, porque, aunque el alma ningùn deleite recibiese, le alabarîa por quien él es.


85. Acerca del agradecimiento tiene otros tres primores. El primero, agradece los bienes naturales y espirituales que ha recibido y los beneficios. El segundo es la delectaciôn grande que tiene en alabar a Dios, porque con gran vehemencia se absorbe en esta alabanza. El tercero es alabanza sôlo por lo que Dios es, la cual es mucho mâs fuerte y deleitable.

Sous le rapport de la fruition, nous nous trouvons en présence de trois autres excellences merveilleuses et d’un prix inestimable. D’abord, l’âme jouit ici de Dieu par Dieu même. Comme son entendement est uni à la toute-puissance, à la sagesse, à la bonté divine — moins clairement toutefois que dans la vie future, — elle goûte dans toutes ces merveilles, séparément connues, des délices immenses. Ensuite elle se délecte, comme il est juste, en Dieu seul, sans aucun mélange de délectation créée. Enfin, elle jouit de Dieu purement à cause de lui-même, sans aucun mélange de goût propre.


Sous le rapport de la louange donnée à Dieu dans cette union, nous rencontrons également trois excellences : D’abord, l’âme loue Dieu par office, car elle voit que pieu l’a créée pour le louer, selon cette parole d’Isaïe : J’ai formé un peuple pour moi ; il chantera mes louanges211. » Ensuite, elle le loue non seulement à cause des biens qu’elle en reçoit, mais pour la jouissance qu’elle trouve à le louer. Enfin, elle loue Dieu à cause de ce qu’il est en lui-même. N’en reçut-elle aucun bienfait, elle le louerait parce qu’il mérite d’être loué.


Sous le rapport de la gratitude, nous nous trouvons en face de trois autres excellences : D’abord, l’âme rend grâce à Dieu pour les biens matériels et spirituels qu’elle en reçoit, en un mot, pour tous les bienfaits dont elle lui est redevable. Ensuite, elle goûte une très vive délectation dans cette Action de grâces, qui l’absorbe profondément. Enfin, elle lui rend grâce et elle le loue à cause de ce qu’il est en lui-même, ce qui rend la louange plus intense et plus délicieuse.

CANCION 4


ÁCun manso y amoroso

recuerdas en mi seno,

donde secretamente solo moras,

y en tu aspirar sabroso,

de bien y gloria lleno,

cun delicadamente me enamoras!


DECLARACION

1. Conviértese el alma aquî a su Esposo con mucho amor, estimndole y agradeciéndole dos efectos admirables que a veces en ella hace por medio de esta uniôn, notando también el modo con que hace cada uno y también el efecto que en ella redunda en este caso.

2. El primer efecto es recuerdo de Dios en el alma, y el modo con que éste se hace es de mansedumbre y amor. El segundo es de aspiraciôn de Dios en el alma, y el modo de éste es de bien y gloria que se le comunica en la aspiraciôn. Y lo que de aquî en el alma redunda es enamorarla delicada y tiernamente.

3. Y asî, es como si dijera: El recuerdo que haces, Oh Verbo Esposo!, en el centro y fondo de mi alma, que es la pura e ÔNtima sustancia de ella, en que secreta y calladamente solo, como solo Señor de ella, moras, no sôlo como en tu casa, ni sôlo como en tu mismo lecho, sino también como en mi propio seno, ÔNtima y estrechamente unido, Ácun mansa y amorosamente le haces!, esto es, grandemente amoroso y manso. Y en la sabrosa aspiraciôn que en ese recuerdo tuyo haces, sabrosa para mî, que est llena de bien y gloria, Ácon cunta delicadez me enamoras y aficionas a ti !

En lo cual toma el alma la semejanza del que cuando, recuerda de su sueño, respira; porque, a la verdad, ella aquî asî lo siente. Sîguese el verso:

STROPHE IV


Oh ! combien doux et combien tendre,

Tu te réveilles dans mon sein,

Où seul en secret tu demeures !

Par ta douce spiration

Pleine de richesse et de gloire,

Combien suavement tu m’enivres d’amour !


EXPLICATION.

L’âme ici se tourne avec beaucoup d’amour vers son Époux, et le remercie de deux effets admirables qu’il produit en elle par le moyen de l’union. Elle dit d’abord de quelle manière ces deux effets s’opèrent ; elle indique ensuite les conséquences qui en résultent pour elle.

Le premier de ces effets est le réveil de Dieu dans l’âme ; il a lieu par un mode plein de douceur et d’amour. Le second est la spiration de Dieu dans l’âme. Son mode est une effusion de richesse et de gloire commu­niquées à l’âme. Il en résulte pour elle un embrasement d’amour, plein d’une exquise tendresse.

L’âme dans cette Strophe semble dire : Qu’il est doux, qu’il est rempli d’amour, ô Verbe, mon Époux, ton réveil dans le centre, dans le fond de mon âme, c’est-à-dire en son essence toute pure, où tu résides seul, en silence, en mystère et en qualité d’unique maître, alors que mon sein est devenu ta demeure, ton vrai lit de repos, clans notre intime et infiniment tendre union. Que ta spiration, au moment de ce réveil, est délicieuse à mon cœur ! Qu’elle est abondante en richesse et en gloire ! Avec quelle infinie tendresse tu gagnes et attires tout mon amour !

L’âme se sert ici de la comparaison d’une personne qui respire fortement au moment où elle sort du sommeil, figure qui représente fort bien ce qui se passe ici :



ÁCun manso y amoroso

recuerdas en mi seno!


4. Muchas maneras de recuerdos hace Dios al alma, tantos, que, si hubiésemos de ponernos a contarlos, nunca acabarîamos. Pero este recuerdo que aquî quiere dar a entender el alma que la hace el Hijo de Dios es, a mi ver, de los mâs levantados y que mayor bien hacen al alma.

Porque este recuerdo es un movimiento que hace el Verbo en la sustancia del alma, de tanta grandeza y señorîo y gloria, y de tan ÔNtima suavidad, que le parece al alma que todos los blsamos y especias odorîferas y flores del mundo se trabucan y menean, revolviéndose para dar su suavidad, y que todos los reinos y señorîos del mundo y todas las potestades y virtudes del cielo se mueven. Y no sôlo eso, sino que también todas las virtudes y sustancias y perfecciones y gracias de todas las cosas criadas relucen y hacen el mismo movimiento, todo a una y en uno.

Que, por cuanto, como dice san Juan (1, 3), todas las cosas en él son vida, y en él viven y son y se mueven, como también dice el Apôstol (Act. 17, 28), de aquî es que, moviéndose este tan grande Emperador en el alma, cuyo principado, como dice Isaîas (9, 6) trae sobre su hombro, que son las tres mquinas: celeste, terrestre e infernal (Fil. 2, 10), y las cosas que hay en ellas, sustentândolas todas, como dice san Pablo (Hb. 1, 3) con el Verbo de su virtud, todas a una parezcan moverse, al modo que al movimiento de la tierra se mueven todas las cosas materiales que hay en ella, como si no fuesen nada; asî es cuando se mueve este prîncipe, que trae sobre sî su corte y no la corte a él.




Oh ! combien doux et. combien tendre,

Tu te réveilles dans mon sein !


Il existe bien des réveils de Dieu dans l’âme. Ils sont même si nombreux que si nous entreprenions de les énumérer tous, nous n’y arriverions pas. Le réveil du Fils de Dieu dont l’âme nous parle ici est, à mon avis, l’un des plus sublimes, l’un de ceux qui apportent à une âme le plus d’avantages.

Ce réveil est un mouvement que fait le Verbe dans l’essence de l’âme. Il est plein de grandeur, de majesté et de gloire. Il a une douceur si intime, qu’il semble à cette âme que tous les baumes, toutes les essences aromatiques, en même temps que toutes les fleurs qui sont dans le monde, s’agitent et se remuent pour répandre leur suavité. Il lui semble que tous les royaumes et tous les empires du monde, que toutes les puissances et toutes les vertus des cieux se mettent en mouvement. Il y a plus. Il lui semble que tout ce qu’il y a dans le monde de créatures, tout ce qu’il y a de forces, de substances, de perfections, d’agréments et de charmes resplendit séparément, et que toutes ensemble s’unissent à ce mouvement.

En effet, selon la parole de saint Jean, toutes choses sont
dans le Verbe212, et, comme le dit saint Paul, toutes ont en
lui la vie, le mouvement et l’être213. Il s’ensuit qu’au moment
ce souverain monarque se meut dans l’âme, lui qui,
au dire d’Isaïe, porte sur son épaule la marque de sa puissance214, c’est-à-dire les cieux, la terre et les enfers, les soutenant, comme parle saint Paul, par la vertu de sa parole215, il s’ensuit, dis-je, que toutes les créatures semblent se mouvoir avec lui.


5. Aunque esta comparaciôn harto impropia es, porque ac no sôlo parecen moverse, sino que también todos descubren las bellezas de su ser, virtud y hermosura y gracias, y la raîz de su duraciôn y vida.





Porque echa allî de ver el alma cômo todas las criaturas de arriba y de abajo tienen su vida y duraciôn y fuerza en él, y ve claro lo que él dice en el libro de los Proverbios, diciendo: Por mî reinan los reyes y por mî gobiernan los prîncipes, y los poderosos ejercitan justicia y la entienden (8, 15-16).

Y, aunque es verdad que echa allî de ver el alma que estas cosas son distintas de Dios, en cuanto tienen ser criado, y las ve en él con su fuerza, raîz y vigor, es tanto lo que conoce ser Dios en su ser con infinita eminencia todas estas cosas, que las conoce mejor en su ser que en las mismas cosas.

Y éste es el deleite grande de este recuerdo: conocer por Dios las criaturas, y no por las criaturas a Dios; que es conocer los efectos por su causa y no la causa por los efectos, que es conocimiento trasero, y esotro esencial.

Ainsi, quand la terre se meut, toutes les créatures qu’oie renferme se meuvent avec elle, comme ne comptant pour rien. Elles se meuvent de même quand se meut le prince qui porte sur lui sa cour et n’est point porté par elle.

La comparaison, il est vrai, est très imparfaite, car ici non seulement les créatures semblent se mouvoir, mais elles font paraître les excellences de leur être, leur force, leur beauté, leurs agréments divers, les bases de leur durée et de leur existence.

L’âme, en effet, connaît ici comment toutes les créatures, soit célestes, soit terrestres, tirent du Verbe leur vie et leur durée. Elle entend clairement la vérité de cette parole du Livre de la Sagesse : Les rois règnent par moi, c’est par moi que les princes commandent, que les puissants exercent la justice et qu’ils en ont l’intelli­gence216.

Elle voit, il est vrai, que toutes ces choses sont distinctes de Dieu en tant que créatures, et elle les contemple en lui avec toutes leurs forces et la racine de leur vigueur. Et cependant elle voit que Dieu, en son Être infini, est toutes ces choses en suprême éminence, et elle les connaît mieux en l’Être de Dieu qu’en elles-mêmes.

Telle est la délectation propre à ce réveil divin : connaître les créatures par Dieu, au lieu de connaître Dieu par les créatures, ce qui est connaître les effets par leur cause, et non plus la cause par ses effets. Cette dernière connais­sance est déductive, la première est essentielle.


6. Y cômo sea este movimiento en el alma, como quiera que Dios sea inamovible, es cosa maravillosa, porque, aunque entonces Dios no se mueve realmente, al alma le parece que en verdad se mueve. Porque, como ella es la innovada y movida por Dios para que vea esta sobrenatural vista, y se le descubre con tanta novedad aquella divina vida y el ser y armonîa de toda criatura en ella con sus movimientos en Dios, parécele que Dios es el que se mueve y que toma la causa el nombre del efecto que hace,


segùn el cual efecto podemos decir que Dios se mueve, segùn el Sabio dice: Que la sabidurîa es mâs movible que todas las cosas movibles (Sab. 7, 24). Y es no porque ella se mueva, sino porque es el principio y raîz de todo movimiento; y, permaneciendo en sî estable, como dice luego, todas las cosas innova.


Y asî, lo que allî quiere decir, es que la Sabidurîa mâs activa es que todas las cosas activas. Y asî debemos aquî decir, que el alma en este movimiento es la movida y la recordada del sueño, de vista natural a vista sobrenatural. Y por eso le pone bien propiamente nombre de recuerdo.


Qu’un tel mouvement ait lieu dans l’âme, alors que Dieu est immuable, il y a lieu de s’en étonner. Dieu en réalité, ne se meut pas, et cependant il semble à l’âme qu’il se meut. En fait, c’est l’âme qui est mue de Dieu pour être rendue capable de cette vue surnaturelle, pour être mise en état de découvrir d’une manière si extraor­dinaire cette vie divine renfermant en elle-même l’être de toutes choses et l’harmonie des créatures, avec le mou­vement qu’elles ont en Dieu217. Et malgré tout, il semble à l’âme que c’est Dieu qui se meut, en sorte que la cause prend le nom de l’effet qu’elle produit.

Suivant cet effet, nous pouvons dire que Dieu se meut. Le Sage nous déclare que la Sagesse est plus mobile que les choses les plus mobiles218. Ce n’est pas à dire qu’elle se meuve, mais elle est la racine et le principe de tout mou­vement, et comme l’écrivain sacré l’ajoute, demeurant stable en elle-même, elle renouvelle toutes choses219. Ce qui signifie qu’elle est plus active que les choses les plus actives.

Nous devons donc dire que dans ce mouvement, c’est l’âme qui est mue, c’est elle qui s’éveille du songe de la vie naturelle à la réalité surnaturelle. C’est donc très juste­ment qu’elle emploie le terme de « réveil ».



7. Pero Dios siempre se est asî, como el alma lo echa de ver, moviendo, rigiendo y dando ser y virtud y gracias y dones a todas las criaturas, teniéndolas en sî virtual y presencial y sustancialmente, viendo el alma lo que Dios es en sî y lo que en sus criaturas en una sola vista, asî como quien, abriendo un palacio, ve en un acto la eminencia de la persona que est dentro, y ve juntamente lo que est haciendo.



Y asî, lo que yo entiendo cômo se haga este recuerdo y vista del alma es que, estando el alma en Dios sustancialmente, como lo est toda criatura, quîtale de delante algunos de los muchos velos y cortinas que ella tiene antepuestos para poderle ver como él es, y entonces traslùcese y viséase algo entreoscuramente (porque no se quitan todos los velos) aquel rostro suyo lleno de gracias; el cual, como todas las cosas est moviendo con su virtud, parécese juntamente con él lo que est haciendo, y parece moverse él en ellas y ellas en él con movimiento continuo; y por eso le parece al alma que él se moviô y recordô, siendo ella la movida y la recordada.

Quant à Dieu, il demeure toujours en son même état — l’âme en a la vue claire, — imprimant le mouvement, donnant l’être, la vigueur, les charmes, les dons divers à toutes les créatures, les portant toutes en lui-même virtuellement et essentiel­lement. L’âme voit alors d’une seule et même vue ce que Dieu est en lui-même et ce qu’il est dans ses créatures. Ainsi quelqu’un à qui l’on ouvre un palais voit d’un même coup d’œil le grand personnage qui l’habite et ce qu’il y fait.


Voici ma pensée sur ce réveil et sur cette vue accordée à l’âme. L’âme se trouve en Dieu essentiellement, comme y sont toutes les créatures. À un moment donné, il plaît au Seigneur de lever quelques-uns des nombreux voiles, des nombreux rideaux qui le dérobent aux yeux de cette âme, afin qu’elle puisse le voir tel qu’il est. L’âme entrevoit alors obscurément — car tous les voiles ne sont pas levés — la face divine toute pleine de charmes et de beauté. Elle voit en même temps ce que fait ce grand Dieu qui meut toutes choses par sa puissance ; elle croit le voir se mouvoir en ses créatures et les créatures se mouvoir en lui par un mouvement continuel. En réalité, dans cette vue du mouvement et du réveil de Dieu, c’est l’âme elle-même qui est mue et réveillée.



8. Que ésta es la bajeza de esta nuestra condiciôn de vida, que, como nosotros estamos, pensamos que estân los otros, y como somos, juzgamos a los dems, saliendo el juicio y comenzando de nosotros mismos y no de fuera. Y asî, el ladrôn piensa que los otros también hurtan; y el lujurioso piensa que los otros lo son; y el malicioso, que los otros son maliciosos, saliendo aquel juicio de su malicia; y el bueno piensa bien de los dems, saliendo aquel juicio de la bondad que él tiene en sî concebida; el que es descuidado y dormido, parécele que los otros lo son. Y de aquî es que, cuando nosotros estamos descuidados y dormidos delante de Dios, nos parezca que Dios es el que est dormido y descuidado de nosotros, como se ve en el salmo cuarenta y tres (v. 23), donde dice David a Dios: Levntate, Señor, por qué duermes?, levntate, poniendo en Dios lo que habîa en los hombres, que, siendo ellos los caîdos y dormidos, dice a Dios que él sea el que se levante y el que despierte, como quiera que nunca duerme el que guarda a Israel (Sal. 120, 4).




9. Pero, a la verdad, como quiera que todo bien del hombre venga de Dios (Sant. 1, 16) y el hombre de suyo ninguna cosa pueda que sea buena, con verdad se dice que nuestro recuerdo es recuerdo de Dios, y nuestro levantamiento es levantamiento de Dios. Y asî, es como si dijera David: Levntanos dos veces y recuérdanos, porque estamos dormidos y caîdos de dos maneras. De donde, porque el alma estaba dormida en sueño de que ella jams no pudiera por sî misma recordar, y sôlo Dios es el que le pudo abrir los ojos y hacer este recuerdo, muy propiamente llama recuerdo de Dios a éste, diciendo: Recuerdas en mi seno.

Telle est en effet la bassesse de notre condition : nous nous figurons les autres dans l’état où nous sommes, nous jugeons d’eux par nous-mêmes, parce que notre jugement procède de nous-mêmes avant d’évoluer au-dehors. Ainsi le larron se figure que les autres dérobent comme lui ; l’impudique se figure que les autres ont ses penchants vicieux ; le méchant croit les autres mal intentionnés. Le jugement qu’ils portent vient de leur malice. L’homme juste, au contraire, pense bien de tout le inonde et ce juge­ment part de la bonté de son cœur. Par contre, le négligent et le paresseux jugent des autres par eux-mêmes. De là vient que lorsque nous vivons dans la négligence et l’engour­dissement à l’égard de Dieu, il nous semble que Dieu nous néglige et nous oublie.220

C’est ce que nous voyons au Psaume 43. David dit à Dieu : Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous 221? transférant à Dieu ce qui est réel chez les hommes. Ainsi, ceux qui dorment étendus à terre disent à Dieu de se réveiller et de se lever, alors qu’il ne dort jamais, Celui qui garde Israël222.



Et cependant, comme tout le bien qui est en l’homme vient de Dieu et que de lui-même l’homme est incapable de rien de bon, on peut dire avec vérité que notre réveil est le réveil de Dieu, et notre lever le lever de Dieu. C’est donc comme si David disait : Relevez-vous deux fois, Seigneur, et réveillez-vous, car nous sommes endormis, étendus à terre d’une double manière.

Comme donc notre âme était incapable de se réveiller d’elle-même de ce double sommeil, comme Dieu seul pou­vait lui ouvrir les yeux et la réveiller, c’est à bon droit qu’elle appelle ce réveil le réveil de Dieu et qu’elle dit : « Tu te réveilles dans mon sein. »

ÁRecuérdanos tù y alùmbranos, Señor mîo, para que conozcamos y amemos los bienes que siempre nos tienes propuestos, y conoceremos que te moviste a hacernos mercedes y que te acordaste de nosotros!



10. Totalmente es indecible lo que el alma conoce y siente en este recuerdo de la excelencia de Dios, porque, siendo comunicaciôn de la excelencia de Dios en la sustancia del alma, que es el seno suyo que aquî dice, suena en el alma una potencia inmensa en voz de multitud de excelencias de millares de virtudes, nunca numerables, de Dios. En éstas el alma estancada, queda terrible y sôlidamente en ellas ordenada como haces de ejércitos (Ct. 6, 3) y suavizada y agraciada con todas las suavidades y gracias de las criaturas.


11. Pero ser la duda: cômo puede sufrir el alma tan fuerte comunicaciôn en la flaqueza de la carne, que, en efecto, no hay sujeto y fuerza en ella para sufrir tanto sin desfallecer? Pues que, solamente de ver la reina Ester al rey Asuero en su trono con vestiduras reales y resplandeciendo en oro y piedras preciosas, temiô tanto de verle tan terrible en su aspecto que desfalleciô, como ella lo confiesa allî (Est. 15, 16), diciendo, que por el temor que le hizo su grande gloria, porque le pareciô como un ngel y su rostro lleno de gracias, desfalleciô;


porque la gloria oprime al que la mira, cuando no glorifica (Prov. 25, 27).

Réveillez-nous, très doux Seigneur, et faites briller sur nous votre lumière, afin que nous connaissions et que nous aimions les biens que vous nous tenez constamment préparés. Alors nous connaîtrons que vous vous êtes souvenu de nous et que vous vous êtes mis en mouvement pour nous faire du bien.

Ce que l’âme expérimente dans ce réveil, ce qu’elle découvre des excellences de Dieu est au-dessus de toute expression. C’est une communication des excellences divines qui a lieu dans la substance de l’âme, qu’elle appelle ici son sein. C’est une voix d’une immense puissance qui résonne dans l’âme pour proclamer d’innombrables excel­lences, des milliers et des milliers d’attributs qui défient toute énumération. Appuyée sur ces excellences et sur ces attributs divins, l’âme devient terrible comme les escadrons d’une armée rangée en bataille ; et en même temps, elle est pénétrée de toutes les suavités, embellie de toutes le beautés qui se trouvent dans les créatures.

On peut se demander comment une âme encore dans la chair peut porter sans défaillir une si puissante commu­nication, et, en effet, elle n’a en elle ni force ni vigueur qui suffise. La seule vue du roi Assuérus sur son trône, revêtu des ornements royaux, tout resplendissant d’or et de pierres précieuses, jeta la reine Esther dans une telle frayeur, qu’à cet aspect redoutable elle tomba en défaillance. Elle-même avoua qu’une telle gloire l’avait fait défaillir, car le roi lui avait fait l’effet d’un ange et son visage lui était apparu plein de beauté223.

La gloire, en effet, opprime celui qui la considère sans être glorifié par elle.

Pues, cunto mâs habîa el alma de desfallecer aquî, pues no es ngel al que echa de ver, sino Dios, con su rostro lleno de gracias de todas las criaturas, y de terrible poder y gloria y voz de multitud de excelencias? De la cual dice Job (26, 14), que cuando oyésemos tan mala vez una estila, quién podrà sufrir la grandeza de su trueno?; y en otra parte (23, 6) dice: No quiero que entienda y trate conmigo con mucha fortaleza, porque por ventura no me oprima con el peso de su grandeza.




12. Pero la causa por que el alma no desfallece ni teme en aqueste recuerdo tan poderoso y glorioso, es por dos causas.


La primera, porque estando ya el alma en estado de perfecciôn, como aquî est, en el cual est la parte inferior muy purgada y conforme con el espîritu, no siente el detrimento y pena que en las comunicaciones espirituales suele sentir el espîritu y sentido no purgado y dispuesto para recibirlas. Aunque no basta ésta para dejar de recibir detrimento delante de tanta grandeza y gloria, por cuanto, aunque esté el natural muy puro, todavîa, porque excede al natural, le corromperîa, como hace el excelente sensible a la potencia; que a este propôsito se entiende lo que alegamos de Job.

Sino que la segunda causa es la que hace al caso, que es la que en el primer verso dice aquî el alma, que es mostrarse manso.

Combien l’âme dont il s’agit aura-t-elle plus de sujet de défaillir, puisque ce n’est pas un ange qu’il lui est donné de contempler, mais Dieu même, le visage rayonnant du charme de toutes les créatures, terrible en son pouvoir et en sa gloire, alors que la voix de ses innombrables excellences résonne de toutes parts. Job demandait comment l’homme pourrait soutenir l’éclat de son tonnerre, puisque le seul murmure de sa voix nous fait trembler. Ailleurs, il conjurait le Seigneur de ne pas agir avec lui dans toute sa force, parce qu’il craignait d’être opprimé du poids de sa grandeur.


Si l’âme ne défaille pas lors de ce réveil de puissance et de gloire, c’est pour deux raisons.


En premier lieu, elle est parvenue à un état de perfection, sa partie infé­rieure est entièrement purifiée et rendue conforme à la partie spirituelle ; de là vient qu’elle ne sent pas la lésion et la peine que les communications spirituelles font d’ordi­naire éprouver à l’esprit et au sens imparfaitement purifiés, imparfaitement disposés à les recevoir. Toutefois ceci ne suffit pas encore à expliquer l’absence de toute faiblesse en présence de tant de gloire et de grandeur.

L’âme a beau avoir atteint une grande pureté, un effet qui excède à ce point la nature devrait la faire défaillir, ainsi que la parole de Job alléguée plus haut nous le donne à entendre.

Il y a donc une autre raison, qui est la princi­pale, et l’âme en fait mention au premier vers : c’est que Dieu se montre ici plein de douceur et de tendresse.


Porque, asî como Dios muestra al alma grandeza y gloria para regalarla y engrandecerla, asî la favorece para que no reciba detrimento, amparando el natural, mostrando al espîritu su grandeza con blandura y amor a excusa del natural, no sabiendo el alma si pasa en el cuerpo o fuera de él (2 Cor. 12, 2). Lo cual puede muy bien hacer el que con su diestra amparô a Moisés (Ex. 33, 22) para que viese su gloria. Y asî, tanta mansedumbre y amor siente el alma en él, cuanto poder y señorîo y grandeza, porque en Dios toda es una misma cosa; y asî es el deleite fuerte y el amparo fuerte en mansedumbre y amor, para sufrir fuerte deleite; y asî, antes el alma queda poderosa y fuerte que desfallecida. Que, si Ester se desmayô, fue porque el rey se le mostrô al principio no favorable, sino, como allî dice (Est. 15, 10), los ojos ardientes, le mostrô el furor de su pecho. Pero, luego que la favoreciô extendiendo su cetro y tocndola con él y abrazndola, volviô en sî, habiéndola dicho que él era su hermano, que no temiese (15, 12-15).

Comme il découvre à l’âme ses merveilles et sa gloire en vue de la combler de délices et de joie, il la couvre de sa protection afin qu’elle n’en reçoive pas de détriment. Il garantit sa faible nature, il ne découvre ses grandeurs qu’avec amour et suavité, et comme à l’insu de la nature inférieure, l’âme ignorant alors si elle est dans son corps ou hors de son corps. Il est facile de le faire à Celui qui couvrit Moïse224 de sa droite afin qu’il pût contempler sa gloire. L’âme alors expérimente en Dieu autant de douceur et d’amour que de puissance, de souveraineté et de grandeur. En Dieu tous les attributs ne sont qu’un, en sorte que la jouissance qu’ils procurent est puissante, la protection qu’ils offrent est à la fois puissante et douce, elle permet de porter des délices pleines de puissance.

L’âme se sent donc forte, plutôt que défaillante. Si Esther s’évanouit, c’est que de prime abord le roi son époux ne. lui témoigna pas de bienveillance ; au contraire, elle-même le fit remarquer, ses yeux enflammés faisaient paraître l’indignation qui remplissait son cœur225. Mais dès que, s’apaisant, il étendit son sceptre et l’en toucha, dès qu’il l’embrassa en l’assurant qu’il était son frère et qu’elle n’avait rien à craindre226, elle reprit ses sens.


13. Y asî, habiéndose aquî el Rey del cielo desde luego con el alma amigablemente, como su igual y su hermano, desde luego no teme el alma; porque, mostrndole en mansedumbre y no en furor la fortaleza de su poder y el amor de su bondad, la comunica fortaleza y amor de su pecho, saliendo a ella de su trono del alma como esposo de su tlamo (Sal. 18, 6), donde estaba escondido, inclinado a ella, y tocndola con el cetro de su majestad, y abrazndola como hermano.


Y allî las vestiduras reales y fragancia de ellas, que son las virtudes admirables de Dios; allî el resplandor del oro, que es la caridad; allî lucir las piedras preciosas de las noticias de las sustancias superiores e inferiores; allî el rostro del Verbo lleno de gracias, que embisten y visten a la reina del alma, de manera que, transformada ella en estas virtudes del Rey del cielo, se vea hecha reina, y que se pueda con verdad decir de ella lo que dice David de ella en el salmo (44, 10), es a saber: La reina estuvo a tu diestra en vestidura de oro y cercada de variedad.


Y porque todo esto pasa en la întima sustancia del alma, dice luego ella:

Ici le Roi du ciel se montre à l’âme dès le premier abord rempli de bienveillance, il se fait son égal et son frère. L’âme met donc, dès le premier instant, toute crainte de côté. Dieu, effectivement, lui fait paraître avec douceur et non avec indignation, l’étendue de son pouvoir, l’immen­sité de son amour et de sa bonté. Il épanche tout à la fois en elle sa puissance et sa tendresse. Il descend de son trône, qui est cette âme elle-même où il était caché, comme un époux qui sort de la chambre nuptiale. Il s’incline vers elle, il la touche du sceptre de sa majesté, il l’embrasse comme le ferait un frère.


Voici que les vêtements royaux qui sont les attributs divins répandent leurs parfums ; voici que resplendit l’or de la charité ; voici que brille comme des pierres précieuses la connaissance des substances supérieures et inférieures voici le rayonnement de la face du Verbe plein de grâce' qui enveloppe et revêt cette âme devenue comme reine. Transformée dans les attributs du Roi du ciel, l’âme est réellement reine, et l’on peut justement lui appliquer Cette parole de David dans un Psaume : La Reine siège à votre droite, vêtue d’or et entourée d’une admirable variété227.

Et comme tout cela se passe dans la plus intime substance de l’âme, elle ajoute aussitôt :



Donde secretamente solo moras.


14. Dice que en su seno mora secretamente, porque, como habemos dicho, en el fondo de la sustancia del alma es hecho este dulce abrazo.

Es de saber que Dios en todas las almas mora secreto y encubierto en la sustancia de ellas, porque, si esto no fuese, no podrîan ellas durar. Pero hay diferencia en este morar, y mucha. porque en unas mora solo y en otras no mora solo; en unas mora agradado, y en otras mora desagradado; en unas mora como en su casa, mandândolo y rigiéndolo todo, y en otras mora como extraño en casa ajena, donde no le dejan mandar nada ni hacer nada.


El alma donde menos apetitos y gustos propios moran, es donde él mâs solo y mâs agradado y mâs como en casa propia mora, rigiéndola y gobernndola, y tanto mâs secreto mora, cuanto mâs solo. Y asî, en esta alma, en que ya ningùn apetito, ni otras imgenes y formas, ni afecciones de alguna cosa criada moran, secretîsimamente mora el Amado con tanto mâs ÔNtimo e interior y estrecho abrazo, cuanto ella, como decimos, est mâs pura y sola de otra cosa que Dios.


Y asî est secreto, porque a este puesto y abrazo no puede llegar el demonio, ni el entendimiento del hombre a saber cômo es. Pero a la misma alma en esta perfecciôn no le est secreto, la cual siente en sî este ÔNtimo abrazo; pero, segùn estos recuerdos, no siempre, porque cuando los hace el Amado, le parece al alma que recuerda él en su seno, donde antes estaba como dormido; que, aunque le sentîa y gustaba, era como al amado dormido en el sueño; y, cuando uno de los dos est dormido, no se comunican las inteligencias y amores de entrambos, hasta que ambos estân recodados.

Où seul, en secret, tu demeures.


L’âme dit que le Bien-Aimé demeure en son sein en secret parce que, nous venons de le dire, c’est dans le fond de l’essence de l’âme qu’a lieu ce doux embrassement.

Or, il faut savoir que Dieu réside en secret dans toutes les âmes, caché dans leur essence : sans quoi leur existence ne pourrait se soutenir. Mais il y réside de manières bien différentes. Chez les uns, il est seul ; chez les autres, il ne l’est pas. Chez les uns, il réside avec plaisir ; chez les autres, avec répugnance. Chez les uns, il est chez lui, il commande, il dirige en maître ; chez les autres, il est comme un étranger dans une maison d’emprunt où on ne le laisse ni commander ni agir.

C’est dans l’âme la plus dénuée d’appétits et de goûts personnels qu’il habite plus seul et plus volontiers, qu’il est plus chez lui, qu’il commande et gouverne plus libre­ment. Et il y est d’autant plus en secret, qu’il y est plus seul. Ainsi dans une âme totalement dénuée d’appétits, d’images et de formes étrangères, d’affections aux choses créées, le Bien-Aimé réside dans un très profond secret, et l’embrassement dont il la fait jouir est d’autant plus intime et plus étroit, que cette âme est plus pure et plus dépouillée de tout ce qui n’est pas Dieu.

Il y réside en secret, en ce sens aussi que le démon est impuissant à pénétrer le mystère de la résidence de Dieu en cette âme, et l’embrassement dont il la fait jouir. L’entendement humain n’en a pas non plus la connais­sance. Mais pour l’âme parvenue à cet état de perfection, la présence du Bien-Aimé n’est point cachée. Cette âme expérimente sans interruption au plus intime d’elle-même son divin embrassement. Quant à ses réveils, ils sont intermittents. Lorsqu’ils se produisent, il semble réellement à cette âme que le Bien-Aimé se réveille en son sein, où il était auparavant comme endormi. Elle sentait bien sa présence et elle jouissait de lui, mais comme plongé dans le sommeil. Supposez deux personnes dont l’une est endormie : le commerce d’intelligence et d’amour ne reprendra entre elles que lorsque l’une et l’autre seront éveillées.

15. Oh, cun dichosa es esta alma que siempre siente estar Dios descansando y reposando en su seno! Oh, cunto le conviene apartarse de cosas, huir de negocios y vivir con inmensa tranquilidad, porque aun con la mâs mÔNima motica o bullicio no inquiete ni revuelva el seno del Amado!


Est él allî de ordinario como dormido en este abrazo con la Esposa, en la sustancia de su alma, al cual ella muy bien siente y de ordinario goza. Porque si estuviese siempre en ella recordado, comunicndose las noticias y los amores, ya serîa estar en gloria. Porque, si una vez que recuerda mala vez abriendo el ojo, pone tal al alma, como habemos dicho, qué serîa si de ordinario estuviese en ella para ella bien despierto?


16. En otras almas que no han llegado a esta uniôn, aunque no est desagradado, porque, en fin, estân en gracia, pero por cuanto aùn no estân bien dispuestas, aunque mora en ellas mora secreto para ellas; porque no le sienten de ordinario, sino cuando él les hace algunos recuerdos sabrosos, aunque no son del género ni metal de éste, ni tienen que ver con él, ni al entendimiento y demonio les es tan secreto como estotro, porque todavîa podrîan entender algo por los movimientos del sentido (por cuanto hasta la uniôn no est bien aniquilado) que todavîa tiene algunas acciones y movimientos acerca de lo espiritual, por no ser ello totalmente puro espiritual.



Mas, en este recuerdo que el Esposo hace en esta alma perfecta, todo lo que pasa y se hace es perfecto, porque lo hace él todo; que es al modo como cuando uno recuerda y respira. Siente el alma un extraño deleite en la espiraciôn del Espîritu Santo en Dios, en que soberanamente ella se glorifica y enamora, y por eso dice los versos siguientes:

Oh ! heureuse âme qui sent continuellement son Dieu résider en elle et prendre son repos clans son sein ! Comme elle doit se séparer de tout, fuir les affaires et vivre dans une immense tranquillité, de peur que le moindre atome, que le plus léger mouvement ne vienne troubler ou agiter le sein du Bien-Aimé !

Je le répète, il est ordinairement comme endormi dans l’embrassement de l’Épouse, au plus profond de l’essence de l’âme. Celle-ci en a le sentiment très vif et elle en jouit d’une manière habituelle. S’il était toujours éveillé, s’il lui communiquait sans intermission les notions de l’intel­ligence et de l’amour, ce serait déjà la gloire. Pour une fois qu’il s’éveille à demi, qu’il ouvre en partie les yeux, cette âme entre dans le merveilleux état que nous avons dit. Que serait-ce s’il était toujours en elle parfaitement éveillé ?

Il y a des âmes qui n’ont pas atteint ce degré d’union et où il réside sans répugnance, PARCE QUE, APRÈS TOUT, ELLES SONT EN ÉTAT DE GRÂCE. Mais comme elles sont imparfaitement disposées, il ne leur révèle pas sa présence, toute réelle qu’elle est. Elles n’en ont le sentiment que lorsque le Bien-Aimé opère en elles quelque réveil savoureux, non toutefois de la nature et de la valeur de celui dont nous parlons et, par le fait, il n’y a entre l’un et l’autre nulle comparaison à établir. Ce genre de réveil n’est pas secret pour l’entendement ; il n’est pas non plus dérobé au démon qui peut en découvrir quelque chose par les mouvements qui se produisent dans le sens. Avant l’état d’union, en effet, le sens n’est pas si anéanti qu’il ne soit susceptible de quelque agitation lorsqu’un effet de grâce se produit dans la partie spirituelle : ce qui provient de ce qu’il n’est pas entièrement spiritualisé.

Mais en ce réveil de l’Époux dans les âmes parfaites, tout est parfait, tout a lieu avec perfection, parce qu’ici c’est l’Époux qui fait tout.

L’aspiration qui suit le réveil divin peut très justement se comparer à la respiration d’une personne qui sort du sommeil. IL S’AGIT ICI D’UNE ASPIRATION DE L’ÂME PAR L’ESPRIT-SAINT EN DIEU MÊME, ASPIRATION QUI L’INONDE D’INEXPRIMABLES DÉLICES, QUI LA GLORIFIE MERVEILLEU­SEMENT ET L’EMBRASE MERVEILLEUSEMENT D’AMOUR. Aussi prononce-t-elle les vers suivants :


Y en tu aspirar sabroso,

de bien y gloria lleno,

Ácuan delicadamente me enamoras!


17. En la cual aspiraciôn, llena de bien y gloria y delicado amor de Dios para el alma, yo no querrîa hablar, ni aun quiero; porque veo claro que no lo tengo de saber decir, y parecerîa que ello es menos si lo dijese. Porque es una aspiraciôn que hace al alma Dios, en que, por aquel recuerdo del alto conocimiento de la deidad, la aspira el Espîritu Santo con la misma proporciôn que fue la inteligencia y noticia de Dios, en que la absorbe profundîsimamente en el Espîritu Santo, enamorndola con primor y delicadez divina, segùn aquello que vio en Dios. Porque, siendo la aspiraciôn llena de bien y gloria, en ella llenô el Espîritu Santo al alma de bien y gloria, en que la enamorô de sî sobre toda lengua y sentido en los profundos de Dios. Al cual sea honra y gloria in saecula saeculorum. Amén.

Par ta douce spiration,

Pleine de richesse et de gloire,

Combien suavement tu m’enivres d’amour !


CETTE SPIRATION EST POUR L’ÂME TELLEMENT PLEINE DE RICHESSE, DE GLOIRE ET D’EXQUISE TENDRESSE DE LA PART DE DIEU, QUE J’AIMERAIS MIEUX N’EN POINT PARLER ET MÊME JE ME REFUSE A LE FAIRE. JE VOIS EN EFFET QUE JE SUIS INCAPABLE DE L’EXPRIMER ET L’ON POURRAIT CROIRE QUE CE QUE J’EN DIRAIS SERAIT L’EXPRESSION DE LA VÉRITÉ. EN FAIT, IL S’AGIT D’UNE ASPIRATION228 DE L’ÂME PAR DIEU, EN LAQUELLE, EN VERTU DE CE RÉVEIL DE SUBLIME CONNAISSANCE DE LA DÉITÉ, ELLE EST ABSORBÉE TRÈS PROFONDÉMENT EN L’ESPRIT-SAINT, À PROPORTION DE LA SUBLIMITÉ D’INTELLIGENCE ET DE NOTION DE DIEU QUI LUI A ÉTÉ COMMUNIQUÉE. L’EXQUISE TENDRESSE QUI LUI TÉMOIGNÉE EST A LA MESURE DE CE QU’ELLE. A VU EN DIEU. CETTE ASPIRATION ÉTANT PLEINE DE RICHESSE ET DE GLOIRE, L’ESPRIT-SAINT Y COMBLE L’ÂME DE RICHESSE ET DE GLOIRE, IL L’ENIVRE DE SON AMOUR PAR-DESSUS TOUTE EXPRESSION ET TOUT SENTIMENT, ET CELA DANS LES PROFONDEURS MÊMES DE DIEU, A QUI SOIT HONNEUR ET GLOIRE. AMEN.

Strophe première de la main de Cyprien (1641)

La vive flamme d'amovr qui traite de la plus intime vnion & transformation de l'Ame en Dieu.


Cette reprise229 veut corriger l’omission de la publication de Jean de la Croix dans la « Bibliothèque Européenne »  annoncée comme « Oeuvres complètes traduites de l’espagnol par le R. P. Cyprien de la Nativité » !

Voir ma note attachée à la traduction précédente du ms. de Pontoise. J’aime la transformation affirmée de l’âme, l’optimisme et la joie du texte tel qu’il est restitué par Cyprien...

Je transcris ici sur mon édition sans moderniser certains « i » en « j », les innombrables « f » en « s », « u » en « v » etc. D’où : «  ie foufmets » pour « je soumets », « vu » pour « un » (ambiguité levée par le contexte). Je corrige lorsque la lecture semble moins évidente au premier regard, et modernise alors l’orthographe. Travail à poursuivre pour restituer cette approche du texte majeur du grand mystique chrétien.

§

349 [page de l’édition de 1665]


Par le V. P E R E JEAN D E LA CROIX, premier Religieux Déchaussé de la Reforme de Nostre-Dame du Mont-Carmel, & Coadjuteur de la Saincte Mere Therefe de IESVS.


Traduites d Espagnol en François, & nouvellement reveuës & tres-exactement corrigées sur l'original pour la cinquiémé edition, par le R.P. CYPRIEN de la Nativité de la Vierge, Carme Déchaussé.


PROLOGVE DE L'AVTHEVR.

J'AY eu quelque repugnance à declarer ces quatre Cantiques qu’on m'a demandés, pour estre de chofes fi interieures & fi fpirituelles, que le plus fouuent la parole & la langue fe trouuent courtes & impuiffantes à les exposer & donner à entendre ; car ce qui est fpirituel, excede & outrepasse le sens, & il est mal-aisé de traîtter des fecrets de l'efprit, fi ce n'eft vn efprit profond. C'est pourquoy ne trouuant gueres en moy que de la fuperficie ; ie l'ay différé iufques à prefent : Maintenant qu'il me femble que Noftre Seigneur m'a donné vn peu de connoissance, & quelque chaleur d'efprit, ie me fuis encouragé à le faire, (sachant bien que de mon cru ie ne diray rien à propos en quoy que ce foit, à plus forte raifon en des chofes fi releuées & fi fubftantielles. Partant, s'il y a quelque chofe d’vtile, il ne proviendra pas de moy ; mais s'il y a des fautes & des manquemens, i'en feray la caufe & l'origine, d'où vient que ie foufmets le tout à vu meilleur aduis, & au jugement de nostre Mere Sainte Eglife auec laquelle on ne peut errer. Et cela prefuppofé,m'appuyant fur la Sainte Efcriture, & aduertissant que tout ce que ie diray,est beaucoup moins que tout ce qui fe paffe en cette intime vnion auec Dieu, ie prendray le [sic] hardiesse d'en dire ce que i'en fçay.


Or il n'y a dequoy s'étonner que Dieu fasse de fi hautes & fi estranges faueurs aux ames qu'il veut caresser ; parce que fi nous confiderons qu'il est Dieu, qu'il les fait comme Dieu, & auec vne amour & bonté infinie, cela ne femblera point hors de raifon puifqu'il a dit que le Pere,le Fils,& le saint Efprit

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viendront chez celuy qu'ils aymeront & y feront leur demeure, ce qui doit eftre le faisant viure & demeurer dans le Pere,le Fils & le saint Efprit auec vue vie divine, comme l'ame le donne à entendre dans ces Cantiques : car quoy qu'en ceux que nous auons déja expliquez, nous parlions du plus haut degré de perfection, auquel on puisse paruenir en cette vie, qui est la transformation en Dieu, fi est-ce que ces Cantiques traittent de l'amour plus qualifié & plus perfectionné en ce meme estat de transformation ; parce que bien qu'il foit vray, que ce que les vns & les autres contiennent, ne foit qu'vn eftat de transformation, & qu'on ne puisse palier plus auant que cet estat, entant que tel : neantmoins auec le temps & l'exercice on fe peut perfectionner & concentrer beaucoup dauantage en l'amour, de mefme que le feu mis dans le bois, encore qu'il l’aye transformé en foy, & foit déja vny auec luy, neantmoins le feu s'allumant dauantage & le penetrant plus long-temps, il deuient plus ardent & plus enflammé, iufques à eftincelles, & ietter des flammes : Et c'est en ce degré enflammé qu'on doit entendre que l'ame parle icy déja transformée & con-fommée interieurement au feu d'amour, car non feulement elle est vnie auec ce feu diuin ; mais auffi il luy fait déja lancer vne vive famme, ce qu'elle fent de la sorte, & ledit ainsi en ces Cantiques auec vne intime & delicate douceur d'amour, brûlant en fa flamme, & pefant icy quelques effets merueilleux qu'elle opere en elle lefquels i'expliqueray par ordre, comme i'ay fait és precedens les mettant premierement tous enfemble, puis i'expliqueray chaque couplet fuccinctement, & en fuitte i'expoferay chaque Vers en particulier.


CANTIQVE QVE CHANTE l'Ame en l'intime vnion auec Dieu.

I.

O llama de amor vina !

Que tiernamente hieres

De mi alma en el mas profundo centro:

Pues ya no eres efquiva,

Acaba ya, si quieres,

Rompe la tela deste dulce encuentro.

I.

O vive flamme, ô sainste ardeur!

Qui par cette douce blessure,

Perce le centre de mon coeur :

Maintenant ne m'eftant plus dure,

Acheue & brife fi tu veux

Le fil de ce rencontre heureux.

II.230

O cauterio suave!

O regalada llaga!

O mano blanda, O toque delicado !

Que à vida eterna sabe,

I toda deuda paga

Matando, muerte en vidado ha trocado.

II.

O playe d'extreme douceur,

Plaie toute delicieufe

Mignarde main ! toucher flateur,

Qui fent la vie bien-heureuse!

Qui fais nostre acquit en payant :

Qui donne la vie en tuant.

III.

O lamparas de fuego

En cuyos refplandores

Las profundas cabernas del sentido,

Que eftana efcura i ciego.

Con eftranos primores

Calor, y luz danjunfo à fu querido.

III.

O Lampes des feux lumineux!

Dans vos splendeurs les grottes creuses,

Du sens aveugle & tenebreux,

Par des saveurs avantageufes,

Donnent lumiere et chaleur

A l'objet chéry de leur coeur.

IV.

Cuan manfo y amorofo

Recuerdas en mi feno,

Donde fecretamente solo moras :

I en tu afpirar fabroso

De bien i gloria lleno

Quan delicademente en amoras!

IV.

Combien suave et plein d'amour,

Dedans mon sein tu te réueilles,

Ou en fecret ton beau feiour :

Ton refpirer doux à merveille,

De biens et de gloire accomply,

Doucement d'amour m'a rempli.


EXPLICATION DV I. COVPLET,


L'Ame fe sentant defia toute enflammée en l'vnion Divine, & transformée

par amour en Dieu231, & fentant courir de fon ventre les fleuves d'eau vive que notre Seigneur Iefus - Chrift disoit devoir sortir de femblables ames, il luy femble que puis qu'elle est transformée en Dieu auec vne fi grande force, et fi hautement def-appropriée, & ornée de si grandes richeffes de dons & de vertus, qu'elle eft fi pres de la beatitude, qu'il n'y a qu'une toile legere & deliée entre deux. Et comme elle voit que cette flamme delicate d'amour qui brufle en elle, chaque fois qu'elle la faifit & l'investit, la va comme glorifiant auec des fuaues premices de gloire, fi bien que toutes les fois qu'elle

l'abforbe, il luy femble qu'elle luy va donner sa vie eternelle, & rompre la toile de la vie mortelle, elle dit auec vn grand defir à la flamme qui est le faint Efprit, qu'il rompe maintenant la vie mortelle en ce doux rencontre, où il acheue de luy communiquer veritablement ce qu'il femble qu'il luy va donner, qui eft la glorifier entierement & parfaitement : & partant elle dit, O vive flamme d'amour! O sainte ardeur!


I. VERS.

O vive flamme d'amour! O sainte ardeur!

L’ame pour exaggerer l’estime & le fentiment anec lequel elle parle en ces

quatre couplets, elle met en tous, ces termes, O ! & combien,lefquels chaque fois qu'on les prononce, donnent plus à entendre de l'interieur que la langue n'en exprime & l'O, sert pour desirer beaucoup, pour prier fort en perfuadant, & l'ame en vfe pour ces deux effets en ce Couplet,car elle y exaggere, & intime son grand defir, perfuadant à l'amour de délier le nœud de fa vie. Cette flamme d'amour eft l’efprit de son Efpoux, qui est le sainct232 Esprit que l'ame sent defia en soy, non feulement comme feu qui la tient confommée en suave amour, mais aussi comme vn feu, lequel bruflant en elle jette de la flamme, & cette flamme baigne l'ame en gloire, & la rafraifchit d'vn temperament de la vie naturelle.


Or c'eft là l'operation du sainct Efprit dans l'ame transformée en fon amour, car les actes interieurs qu’elle faict, c'eft de brufler & de flamboyer, qui font des inflammations d'amour, auec lequel la volonté vnie ayme très hautement,

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étant faite vne chose par amour auec cette flamme. Et ainsi ces actes d'amour de

l’ame font tres-precieux,& elle mérite plus en vn seul qu'en beaucoup d'autres qu'elle a fait fans cette transformation. Et la difference qu'il y a entre l'habitude & l'acte, se trouve aussi entre la transformation en amour, & la flamme d'amour,qui est celle qui est entre le bois enflammé & fa flamme,car la flamme est vn effet du feu qui est là. D'où vient que nous pouuons dire de l’ame qui est en elle de transformation d'amour, que fon habitude ordinaire eft femblable au bois qui en tousiours investy, penetré & allumé du feu, & ses actes qui naissent du feu d’amour,font la flamme, laquelle est d'autant plus vehemente, que le feu d'vnion est plus intenfe & que la volonté est plus ravie & absorbée en la flamme du sainct Esprit, à l'exemple de cet Ange lequel du facrifice de Manué233 monta à Dieu dans la flamme. Et ainfi en cet eftat actuel l’ame ne peut faire ces actes, si le sainct Efprit ne l'y pousse tres-particulierement ; c'est pourquoy, tous ses actes sont diuins,entant qu’elle est meuë de Dieu avec cette particularité. D’où vient qu'il luy femble qu'à chaque fois que cette flamme flamboye, la faisant aimer auec saveur & temperament diuin, on luy donne la vie eternelle qui l’esleve à l'operation diuine en Dieu. C'eft le langage que Dieu parle, & dont il se sert avecles ames purgées & nettes,qui est de paroles toutes embrafées, comme dit Dauid234 ; Vos difcours font grandement ardens, & le Prophete Ieremie235, Peut eftre que mes paroles ne sont pas comme du feu,lefquelles comme le mesme Seigneur dit en sainct Jean236 font efprit et vie, desquelles sentent la vertu & l'efficace, les ames qui ont des oreilles pour les entendre, qui sont les ames pures & efprifes d'amour car celles qui n'ont pas le palais sain, mais qui savourent d'autres choses, ne peuvent gouster l'efprit & la vie qui est en elles. C'eft pourquoy tant plus le Fils de Dieu parloit hautement,tant moins quelques-vns y prenoient de gouft à caufe de leur impureté comme quand il prescha cette tant fauoureuse & amoureufe doctrine de la sacrée Euchariftie,plusieurs se retirerent237 : Et parce que telles perfonnes ne goustent pas ce langage de Dieu qui parle qui parle si fort en l'interieur, elles ne doiuent toutefois penfer que d'autres ne les fauoureront pas comme sainct Pierre les goufta bien, quand il repondit à Iesus-Christ238,

Seigneur à qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle. Et la Samaritaine oublia l'eau & fa cruche pour la douceur des paroles de Dieu.


Ainsi l'ame estant fi pres de fa Majefté diuine, qu'elle est transformée en flamme d'amour, où le Pere, le Fils, & le fainct Efprit luy font communiquez, est-ce vnc chose incroyable de dire qu'en cette inflammation du fainct Esprit, elle goufte vn peu de la vie eternelle, bien que ce ne foit parfaitement, parce que la condition de cette vie ne le permet pas ? C'eft pour quoy elle appelle cette flamme vive, non qu'elle foit jamais autre,mais pource qu'elle luy caufe un tel effet,qu’il la fait vivre en Dieu fpirituellement,& gouster la vie de Dieu, à la maniere que dit Dauid239 : Mon coeur et ma chair se sont resjouys au Dieu vivant, non qu'il soit besoin de dire vivant, car Dieu l'eft toufiours, mais pour donner à entendre que l'efprit & le sens gouftoient viuement Dieu, & cela c'eft se refjouyr en Dieu vivant : Et ainfi l'ame en cette flamme fent vivement Dieu, & ie gouste fi fauoureufement qu'elle dit ; O Vive flamme, O saincte ardeur!

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II. VERS.

Qui par cette douce blessure ?

C’est à dire qui me touchez tendrement de votre amour ; cette flamme de vie diuine blesse l’ame avec tendresse de vie en Dieu, elle la frappe & attendrit si cordialement qu'elle la liquefie en amour : pour accomplir cc que dit l'Espouse és Cantiques240, qu'elle s'attendrit jusqu’à se fondre & liquefier,auffi-tost que l'Espoux parla, car tel est l'effet de la parole de Dieu en l'ame.


Mais comment peut on dire qu'il la frappe, puisqu'il n'y a rien dans l'ame à

blesser,estant defia toute cauterifée du feu d'amour? C'est vne chofe merueilleufe ; parce que comme le feu n'eft jamais oisif, mais en vn mouuement perpetuel,testant toufiours des flammes deçà & delà,ainfi l'amour diuin dont l'office est de bleffer pour rendre amoureux, & pour delecter, residant en cette

ame defia en viue flamme luy decoche, ou luy lance ses blessures, comme de

tendres flammes d'un delicat amour exerçant fuauement,& ioyeufement l’art

& les inuentions d'amour,comme dans le Palais de fes nopces(de même

qu’Assuerus envers la belle Esther) monftrant là fes richesses & la gloire de fa grandeur pour accomplir dans cette ame ce qu'il dit és Proverbes241. Et ie m’esbattois tous les jours jouant sur la rondeur de la terre, & mes délices sont d’estre avec les enfans des hommes242: c'est à fçauoir leur en faifant largesse, c'est pourquoy ces blessures qui font les ieux de la fagesse diuine, font des élans de flammes de tendres attouchemens qui touchent l'ame par momens de la part du feu d'amour qui n'ai point oisif, lefquels elle dit arriuer, & frapper au plus profond de fon ame.


III. VERS.

Perce le centre de mon ame.

D’Autant que cette feste du sainct Efprit fe passe dans la fubftance de l'ame,

où le diable ny le monde, ny le sens ne sçauraient arriver,elle est d'autant

plus asseurée, substantielle & delicieufe qu'elle est plus interieure : car tant plus elle est interieure, tant plus elle est pure: & tant plus elle a de pureté, tant plus Dieu fe communique fouuent, abondamment & generalement, ainfi le contentement & la iouyssance de l'ame & de l’esprit font plus grands ; car c'est Dieu qui opere tout, sans que l'ame fasse rien du sien, dans le sens que nous dirons tantost. Et dautant que l'ame ne fçauroit operer naturellement & par fon induftrie, si ce n'est par le moyen & par l'aide du sens corporel, du­quel en ce cas elle est tres-libre & tres-esloignée, de là vient que toute fon oc­cupation eft feulement de receuoir de Dieu qui seul dans le fonds ou centre de l'ame peut la mouuoir, & y operer fans l'entremife des fens. Et ainfi tous les mouuemens de cette ame font diuins, & quoy qu'ils soient de Dieu, ils le font aussi d'elle, parce que Dieu les fait en elle, auec elle qui y contribue la vo­onté & fon confentement.


Et dautant qu'en difant, qu'il frappe au plus profond centre de fon ame, elle donne à entendre qu'elle a d'autres centres qui ne font pas fi profonds, il nous faut voir comment cela fe passe. Or premierement il faut fçauoir que l'ame entant qu'esprit, n'a haut, ny bas ny rien de plus ou moins profond en son estre, comme ont les corps qui ont de la quantité : car veu qu'il n'y a point de parties

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en elle, ny plus de difference dedans que dehors, puis qu'elle est toute d'vne façon, elle n'a point de centre plus, ou moins profond, ny ne peut eftre plus esclairée en vne part qu'en l'autre, comme les corps naturels, mais feulement d'vne mefme maniere. Mais laissant cette acception de centre & de profondeur materielle : Nous appellons ce centre le plus profond, là où fon eftre & fa vertu peut atteindre, & la force de fon opération & mouvement et d'où elle ne peut paffer outre : de mesme que le feu ou la pierre qui ont le mouuement naturel & la force de parvenir au centre de leur sphere, & ne peuuent aller plus auant ny manquer d'eftre là, fi ce n'eft par quelque empefchement contraire.


Suivant cela nous dirons que la priere, quand elle est dans la terre, elle eft comme en fon centre, parce qu’elle eft dans la fphere de fon actiuité & de fon mouvement qui est l’Element de la terre, mais elle n'eft pas au plus profond qui eft le milieu de la terre, parce qu'elle a encore la force de defcendre iufques-là,fi on oste les empefchemens qui font entre deux; & quand elle y fera arriuée, & qu'elle n'aura plus de fa part la vertu de fe mouuoir, nous dirons qu'elle fera au plus profond centre. Or Dieu eft le centre de l'ame, auquel eftant paruenuë selon fon estre, & felon toute la force de fon operation, elle fera arriuée à fon dernier & plus profond centre,qui fera quand auec toutes fes forces elle aymera,entendra & iouyra de Dicu: & lors qu'elle n'a encore atteint iufques là,bien que par grace & par communication diuine,elle fois en Dieu qui est toutefois son centre, fi elle a force & mouuement pour dauantage, et qu'elle ne soit fatisfaite quoy qu'elle soit au centre, elle n'eft pas au plus profond,puis qu'elle peut encore passer plus auant. L'amour vnit l'ame auec Dieu, & tant plus elle aura de degrez d'amour,elle entrera plus profondement en Dieu, & se concentrera dauantage auec luy : de forte que nous pouuons dire fuivant cette façon de parler,que felon le nombre des degrez d'amour de Dieu,il y a plus de centres de l’ame en Dieu, qui font les diuerfes demeures que noftre Seigneur dit etre en la maifon de fon Pere : de maniere que fi elle a vn degré d'amour, elle eft defia en Dieu qui eft fon centre car vn seul degré d'amour suffit pour estre en Dieu par grace : fi elle en a deux degrez, elle fera concentrée avec Dieu dans vn centre plus intime, fi elle en a trois tout de mefme: & fi elle paruient à vn tres-haut degré, l'amour de Dieu viendra à frapper dans ce que nous appellons icy le plus profond centre del'ame: laquelle fera transformée & illuftrée en vu tres-haut degré, felon fon estre, & fa puissance,& fa vertu,iufqu'à la rendre tres-femblable à Dieu : De mesme qu'au cristal, qui est pur & net, car tant plus il va receuant de degrez de lumiere,d'autant plus cette lumiere se va concentrant en luy, & il s'efclaircit dauantage, iusqu'à ce point qu'elle fe concentre en luy fi abondamment qu'il paroift tout lumiere, estant clarifié en elle tout autant qu'il en est capable,qui eft de paroiftre comme elle. De façon que quand l'ame dit que la flamme donne & frappe au plus profond centre, c’est dire qu'elle la bleffe, touchant tres-profondement fa substance, fa force & sa vertu : ce qu'elle dit pour faire entendre l'abondance de fa gloire et delectation, qui est d'autant plus grande & plus tendre qu'elle est plus fortement & plus fubstantiellement transformée & concentrée auec Dieu ; ce qui est beaucoup plus que ce qui se passe en la commune vnion d’amour

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à cause de la plus grande force & ardeur du feu,lequel, comme nous auons dit, jette & lance icy vue viue flamme, car cette ame qui jouyt defia d'vne gloire fi fuave, & celle qui iouyt feulement de la commune vnion d'amour, font aucunement comparées au feu de Dieu qu'Ifaye dit estre en Sion, qui fignifie l’Eglife militante, & à la fournaife de Dieu qui eftoit en Ierusalem, qui fignifie vifion de paix: dautant que l'ame est en cet eftat comme dans vn fourneau ardent & embrazé en vnion,d'autant plus paifible, plus glorieuse, & plus ten­dre, comme nous difons que la flamme de ce fourneau eft plus ardente que le feu commun, de maniere que l'ame sentant que cette viue flamme luy communique viuement tous les biens, parce que cet amour diuin les porte quand & foy,elle dit.

O viue flamme, ô saincte ardeur!

Qui par cette douce blessure

Perce le centre de mon coeur.

Voulant dire: ô amour embrazé qui me glorifie tendrement auec tes mouuemens amoureux en la plus grande force & capacité de mon ame ; c'eft à fçauoir me donnant intelligence diuine, selon toute l'habilité de mon entendement, & me communiquant l'amour selon la plus grande eftenduë de ma volonté, c'eft à dire éleuant tres hautement aucc intelligence diuine la capacité de mon entendement, en vne ferueur tres-intenfe de ma volonté & en l'vnion fubftantielle cy-dessus declarée. Cc qui arriue de la forte, & plus qu'on ne fçauroie exprimer, lors que cette flamme s'eleue en l'ame:car d'autant que l'ame est toute purgée & tres pure,la sageffe l'abforbe en soy auec sa flamme tres-profondement,tres-subtilement, tres-hautement, laquelle fageffe penetre par fa pureté d'vn bout à l'autre, & en cet abforbement de sagesse, le faint Efprit exerce les glorieux eflancemens de la flamme que nous auons,laquelle eft fi fuaue que l’ame auffi-toft adjoufte.


IV. VERS.

Maintenant ne m'eftant plus dure.

C'Eft à dire, puis que vous n'affligez, ne pressez & ne tourmentez plus, comme vous faifiez auparauant. Car cette flamme quand l'ame estoit en eftat de purgation spirituelle, qui eft lors qu'elle entroit en la contemplation, ne luy eftoit pas fi fuaue & fi paifible, comme elle est à prefent en cet eftat d'vnion : C’est pourquoy il faut fçauoir qu'auparavant que ce feu d'amour diuin s'introduise & s'vnisse dans le plus intime de l'ame par vne purgation & pureté parfaite, cette flamme frappe dans l'ame deftruifant & confommant les imperfections de fes mauuaifes habitudes : & c'eft là l'operation du sainct Esprit en laquelle il la difpofe pour l'vnion diuine & transformation en Dieu par amour. Car le mefme feu d'amour qui s'vnit depuis auec elle en cette gloire d'amour, c'eft celuy qui l'a investie auparauant, la purgeant comme le mes­me feu qui prend au bois, c'est celuy qui le saisit & le bat de sa flamme le sechant & denuant de ses froids accidens, iufqu'à la difpofer par fa chaleur, à pouuoir estre penetré de luy & transformé en fa nature, dans lequel exercice l'ame souffre beaucoup, & sent de grandes peines en l'efprit, lefquelles par fois redondent auffi au sens, cette flamme luy estant tres-afpre & tres-facheuse,

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comme nous en auons amplement discouru au traité de la Nuit obfcure, & de la Montée du Mont-Carmel : ce qui m'empefche d'en dire davantage. Il suffit maintenant de fçauoir que le mesme Dieu qui veut entrer en l'ame par vision & transformation d'amour, c'eft celuy qui l’inveftissoit auparauant, & la purgeoit auec la lumiere & chaleur de sa flamme diuine, de forte que celle-là mesme qui luy eft à prefent fuave, luy estoit cy-deuant penible ; & partant c’est comme fi elle difoit, puis que non feulement vous ne m'eftes plus obscure comme auparauant, mais que vous estes la lumiere diuine de mon entendement auec laquelle ie vous peux regarder, & que non feulement vous ne faites plus défaillir ma foibleffe, mais qu'au contraire vous estes la force de ma volonté, par le moyen de laquelle, ie vous peux aimer & iouyr de vous, estant toute convertie en amour diuin : & vous n'estes plus fardeau ny preffure à mon ame, mais au contraire que vous en estes la gloire, les delices & la liberté, puis qu’on peut dire de moy ce qui est és Cantiques, Qui eft celle-là qui monte au defert, abondante en delices, appuyée sur son bien-aimé, de çà & de là refpandant de l'amour.


V. VERS.

Acheve, et brise si tu veux.

C'Eft à dire, Achevez donc maintenant de confommer auec moy parfaitement le mariage fpirituel par voftre vifion beatifique: car encore qu'il foit veritable,qu'en cet eflat fi fublime l'ame eft d'autant plus conforme qu'elle est plus transformée, par ce qu'elle ne fait ny ne demande aucune chose, se cherchant foy-mesme, mais en tout feulement fon amy (dautant que la charité ne pretend que le bien & la gloire de fon bien-aimé) neantmoins ayant enco­re l'efperance, où l'on fent toufiours du vuide, elle a autant de gemiffemens (quoy que fuaue & plaifant) qu'il luy manque & defaut encore pour la poffeffion accomplie de l'adoption de Fils de Dieu, où fa gloire fe confommant, fon appetit ceffera, lequel en quelque maniere qu'il soit icy conjoint à Dieu, ne fe rassafie jamais iufqu'â ce que cette gloire paroid, principalement en ayant defia le goust & les premices, comme on en iouyt icy, qui font telles, que fi Dieu ne tenoit & fouftenoit de fa droite la foibleffe de la nature (comme il fit à Moyfe en la pierre, afin qu'il peuft voir fa gloire fans mourir, auec laquelle droite la nature reçoit plustost refection & contentement, que du dommage) il femble qu'à chaque atteinte de ces flammes elle prendroit fin, la partie inferieure n'ayant pas les forces de fupporter vu fi grand feu & fi fublime : pourquoy cet appétit n'est icy auec peine; puis que l'ame n'eft en estat de trauail, au contraire elle le demande avec grande fuauité, delectation & conformité : D'où vient qu'elle dit, fi tu veux, à cause que la volonté & l'appétit font telle­ment faits vne chose auec Dieu, chacun à fa mode, qu'ils tiennent à gloire que ce que Dieu veut, fe fasse & s'accomplisse.

Mais ces indices & ces essais ou avant-goust de gloire & d'amour, sont tels que ce seroit pluftoft manquer d'amour, de ne demander l'entrée en cette perfection & accompliirement d'amour. Car outre cela l'ame voit là qu'en cette force de communication delectable, le sainct Efprit la conuie & provoque auec des merueilleux moyens & fuaues affections, à cette gloire immense qu'il luy propofe deuant ses yeux, difant ce qu'il dit à l'Efpoufe és Cantiques,

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Lève toy,haste toy m'amie, ma colombe, ma belle,et t'en viens : car l’Hyver est desia passé, la pluye s'en est allée & s’est retirée, les vignes fleurissantes ont donné leur odeur, leue toy m'amie, ma belle, & viens ma colombe és trous de la pierre,en la caverne de la masure, monstre moy ta face, que ta voix refonne à mes oreilles car ta voix eft douce & ta face belle : L'ame entend le sainct Efprit qui luy dit tout cela en cette fuaue et tendre flamme ; c'eft pourquoy elle respond icy, achevez fi vous voulez ; enquoy elle fait ces deux demandes que Nostre Seigneur commanda de faire en fainct Matthieu, Vostre Royaume advienne, votre volonté soit faite, comme fi elle difoit : acheuez donc de me donner ce Royau­me ; comme vous le voulez & afin que cela fait ainsi, rompez la toile de ce doux rencontre.


VI. VERS.

Achève & brise si tu veux.

Le fil de ce rencontre heureux.

Car c'est ce qui empefche cette grande affaire, parce qu'il eft facile d'arriuer ­à Dieu, ayant osté les empefchemens & les toiles qui nous diuifent lefquelles fe reduifent à trois, qu'il faut rompre pour posséder parfaitement Dieu : l'vne est le temporel qui comprend toute creature; l'autre est le naturel, en quoy font comprises toutes les operations & toutes les inclinations purement naturelles ; & la troisième eft le fenfitif qui comprend feulement l'union de l'ame auec le corps qui est la vie fenfitiue & animale, dont sainct Paul dit243 : Car nous sauons que si notre maison terrestre de cette habitation se dissoult, nous avons une habitation de Dieu,une maison qui n’est pas faite par la main des hommes, eternelle dans les Cieux : Il faut par necessité auoir rompu les deux premières toilles pour paruenir à cette possession de Dieu par vision d'amour, où tou­tes les chofes du monde font renoncées, les appetits & les atfections mortifiées, & les operations de l'ame faites divines; ce qui a efté rompu par les rencontres de cette flamme, quand elle eftoit afpre & penible, car l’ame en la purgation spirituelle, acheue de rompre ces deux toiles, & de s'vnir comme elle eft icy, ne refte plus à rompre que la troifieme dela vie fenfitive ; c'eft pourquoy elle parle en fingulier & ne dit pas les toiles,mais la toile, car il n'y a plus que celle-là, laquelle la flamme ne heurte point rigoureufement ny rudement comme elle faifoit les autres, mais doucement & amoureufement.

Et ainsi la mort de telles ames leur eft tres-fuaue,& tres-douce, & plus que ne leur a esté toute leur vie, dautant qu'elles meurent auec des impetuofitez & des fauoureufes rencontres d'amour, comme le cygne qui chante plus melodieusement, quand il approche de la mort. C'eft pourquoy Dauid a dit que la mort des iustes est precieufe, parce que là les riuieres de l'amour de l'ame vont entrer dans l'Ocean de l'aimer, & font là fi vaftes, & fi calmes qu'elles parroissent defia des mers, là fe ioignans le commencement & la fin, le premier & le der­nier pour accompagner le iufte qui part & qui va dans fon Royaume, s'entendans les Louanges des extremitez de la terre, c'est à fçauoir la iuste gloire du iuste, & l'ame fe fentant lors avec ces glorieufes rencontres, fur le point de sortir & d'entrer dans les abondances à posseder parfaitement le Royaume : parce qu'elle se voit pure & riche (autant que la Foy & l’eftat de cette vie le peuvent compatir) & s'apperçoit difpofée pour cela ; Car Dieu en cet estat luy

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laisse defia voir sa beauté, luv confie les dons & les vertus dont il l’a enrichie, vu qu'en elle tout se tourne en amour & louanges, n'y ayant plus de leuain qui corrompe la paste. Et comme l’ame voit qu'il ne reste plus que de rompre la foible toile de cette condition humaine de vie naturelle où fa liberté est enveloppée, retenue, & empefchée, defirant d'estre deftachée & de se voir auec lesus Chrift, cette tissure d’esprit & de chair (qui font d’un estre si différent) desia desfaite & destruite, & chacun receuant son sort à part,c’est à sçauoir la chairdemeurant en fa terre, & l’esprit s'enuolant à Dieu qui l'a donné244: (Car la chair mortelle, comme dit sainct Iean, ne profite de rien,au contraire elle empesche ce bien de l'efprit) & regrettant qu'vne vie fi abjecte la destourne d'vn autre fi haute : Elle prie qu'on en rompe la trame, laquelle vie elle appelle toile pour trois raisons, l'vne à cause de la liaifon qu'il y a entre l’efprit & la chair : l'autre parce qu'elle met vne feparation entre Dieu & l'ame : la derniere dautant que comme la toile n’est pas fi opaque & fi ferrée qu'on ne puisse voir la clarté au trauers : de mesme en cet estat, cette liaifon paroift vne toile fi deliée, a caufe qu'elle eft defia fort fpiritualifée, illustrée,affinée ou fubtilifée, que la diuinité ne laisse de luire au trauers, & commel'ame fent la force de l'autre vie, elle voit la ioibleffe de celle-cy, & la toile luy femble tres delicate, voire mesme vne toiled 'araignée, comme dit Dauid : Nos années méditeront comme une araignée. Et encore elle est bien moindre és yeux de l'ame qui efl defia grandie. Car estant eleuée à vne maniere diuine de sentir,elle fent & juge les choses à la façon de Dieu, deuant lequel, comme dit le mesme Prophete, mille ans font comme le jour d'hier qui est passé, & seon Isaye, tous les peuples sont comme s’ils n’étaient point. :& tout eft deuant l'ame en ce prix & en cette estime: parce que toutes choses ne luy font rien, & elle encore à ses yeux n'eft rien, Dieu feulement luy eft toutes choses.

Mais il faut icy remarquer pour quelle raifon elle demande plustost qu'on rompe la toile, que de la couper ou acheuer, ce qui femble vue mesme choie: nous en pouvons assigner quatre caufes. La premiere, pour parler plus proprement,parce qu'il est plus propre à vne rencontre de rompre, que de couper ou achever. La seconde,dautant que l'amour eft amy de vehemence, & vne touche forte & impetueufe,qui s'exerce mieux à rompre qu'a couper& acheuer.La troifieme, parce que comme son amour est fi grand,elle defire que cet acte de rompre la toile, soit tres court, afin qu'il s'accompliffe promptement, & il a d'autant plus de force & de valeur qu'il est plus court & plus fpirituel : car la vertu d'amour est icy plus vnie, & plus forte, & la perfeCtion de l'amour transformatif, s'introduit à la façon de la forme en la matiere, qui est introduite en vn instant, parce que jusqu'alors il n'y auoit point d'acte d'information transformatiue, mais feulement des difpofitions à fçauoir des defirs & des affections fuccinctement reïterées, qui en fort peu de perfonnes arriuent à l’acte parfait de transformation. D'où vient que l'ame qui est bien difposée, peut faite beaucoup plus d'actes & plus intenses en peu de temps, que celle qui n'eft point dispofee en vn long temps : parce qu'en celle-la, tout va a disposer l’esprit, & mesme le feu apres a couftume de demeurer fans penetrer totalement le bois: mais en celle qui eft difpofée, l'amour y entre en des momens, & l'allume du premier coup en la meche qui est seiche. De

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façon que l'ame esprife d'amour, aime mieux la courte durée qui est à rompre, que le temps de couper & d'attendre qu'on acheue. La quatrieme caufe, pour laquelle, elle demande qu'on rompe la toile, c'eft pour finir plus promptement le cours de la vie,car pour couper & acheuer, on vfe de plus grande retenuë, à fçauoir, attendant que la chofe soit mieux preparée, & il femble que cela defire plus de maturité & de loifir, là où pour rompre, on n'attend point de maturité, ny rien de tout cela. Et cette ame voudroit qu'on n'attendist point que la vie s'acheuast naturellement, par ce que la force d'amour, & la difpofition qu'elle voit en foy l'incline à defirer auec refignation,qu’elle se rompe, par quelque rencontre & impetuofité furnaturelle d’amour; d’autant que l'ame fçait fort bien que c'eft la couftume ou le propre de Dieu d'appeller ces perfonnes avant le temps pour leur donner les biens, & les tirer des maux, les confommant en peu de temps & leur donnant par le moyen de cet amour ce qu'ils acquerroient à la longue, comme le dit le Sage par ces termes: Celuy qui plait à Dieu, est fait amy, et vivant entre les pecbeurs, il a été transporté, il a été ravy de peur que la malice ne changeast son entendement, ou que la feintise n'abusast son ame : eftant promptement confommé, il a accomply beaucoup de temps: Car son ame était agréable à Dieu, pour cela il s’est hasté de le tirer du milieu des iniquites.C'eft pourquoy c’est vne atfaire de grande importance d'exercer beaucoup l'amour, afin que l’ame se confommant icy, ne s’arrefte gueres ny çà ny là, fans le voir face à face.

Mais voyons maintenant pourquoy l'ame appelle rencontre cette investiture interieure du sainct Efprit. La raifon est, parce qu'encore que l'ame sente vne grancde enuie,que fa vie prenne fin; neantmoins le temps n'estant pas encore ve-nu,cela ne s'accomplit point, & ainfi Dieu pour la confommener & éleuer dauantage de la chair fait en elle des inuestitures glorieufes & diuines à guife & forme de rencontres,qui le font veritablcment,par lesquelles il penetre tousjours, déifiant la fubftance del'ame, & la rendant comme diuine. Enquoy l’estre de Dieu abforbe l'ame,comme ainfi fois qu'il l'a rencontrée tranfpercée viuement au S. Efprit, duquel les communications font impetueufes, quand elles font feruentes,comme celle-là l'eft, en laquelle par ce que l'ame goutte viuement de Dieu, elle l'appelle douce,non parce que les autres attouchemens & rencontres qu'elle reçoit,en cet eftat, ne soient doux & fauoureux mais à caufe de l’eminence, que ce rencontre a par dessus tous les autres, car Dieu le fait afin de la détacher parfairement,& de la glorifier, d'où luy naissent des ailes pour dire confidemment, Rompez la toile de ce doux rencontre.

Partant le sens de tout ce Cantique, c'eft comme si elle difoit : ô flamme du S. Esprit, qui tranfpercez si tendrement & si intimement la fubftance de mon ame,& la cauterirez de vostre ardeur; puis que vous eftes déjà si douce & si amiable, que de montrer que vous auez enuie de vous donner à moy en la vie naturelle confommée : fi mes requeftes ne paruenoient pas cy-deuant à vos oreilles, lors qu'auec des angoisses & travaux d'amour où la foibleffe de mon sens et de mon esprit peinoit, à caufe de la grande debilité & impureté d'ame que j’avois, lors dis-je qu'en cet estat je vous priois de me détacher : (parce que mon ame vous fouhaittoit paffionnément lors que l'amour impatient me laissoit tant conformer auec cette forte de vie que vous defiriez que ie menasse, & que les precedentes impetuositez d'amour n'estoient pas suffisantes deuant vous, parce qu'elles n’estoient d’une telle fubstance) à present que

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je fuis fortifiée d'amour, de forte que non feulement mon esprit & mon sens ne défaillent point en vous, mais au contraire que mon cœur & ma chair que vous avez renforcez, s'esjouyssent en Dieu vivant, auec vne grande conformité des parties, où ie fais les demandes qu'il vous plaist que je fasse, & celles que vous n'aggreez, je ne les veux pas aussi,& me femble mefme ne le pouuoir vouloir; en quoy ie n'ay pas la moindre penfée d'en faite aucune inftance : & puifque mes requeftes font défia deuant vous plus raifonnables, & plus confiderables, puis qu'elles fortent de vous, & que vous les voulez, & que le vous les présente auec saveur & joye au fainct Esprit, mon jugement sortant defia de voftre face, qui est quand vous prisez & exaucez les prieres: rompez la toile delicate de cette vie,afin que ie vous puisse aimer dés à prefent, avec plenitude & fatieté que desire mon ame, fans terme & fans fin.

Strophe première traduite par Max Huot de Longchamp (2010)


Saint Jean de la Croix

VIVE FLAMME D'AMOUR (Version B)245

Explication des strophes qui traitent de l'union et transformation la plus intime et la plus développée de l'âme en Dieu par le Père Frère Jean de la Croix, carme déchaux, à la demande de Dame Ana de Perialosa, composée en l'oraison par le même, l'an 1584.


Prologue

1. J'ai quelque peu résisté, très noble et très dévote Dame, à expliquer ces quatre strophes, comme Votre Grâce me l'a demandé. En effet, il s'agit de choses trop intérieures et trop spirituelles, pour lesquelles communément il n'y a pas de langue, car le spirituel excède le sens, et c'est avec difficulté que l'on dit quelque chose de la substance ; et aussi parce que l'on parle mal des profondeurs de l'esprit si ce n'est avec un esprit profond. Et du fait du peu qu'il y a en moi, j'ai différé cela jusqu'à maintenant. Cependant, maintenant que le Seigneur semble m'en avoir ouvert un peu la connaissance, et m'avoir donné un peu de chaleur — ce doit être pour le saint désir qu'en a Votre Grâce : comme elles ont été faites pour Votre Grâce, peut-être Sa Majesté veut-elle qu'elles soient expliquées pour Votre Grâce! — je m'y suis mis, sachant bien que pour ce qui vient de moi, je ne saurais rien dire qui vaille sur rien, et encore moins sur des choses si élevées et substantielles. Pour autant, il n'y aura de moi que ce que l'on y trouvera de mauvais et d'erroné, et c'est pourquoi je le soumets à meilleur avis et au jugement de notre Mère l'Église Catholique Romaine, en la règle de laquelle personne ne s'égare.

Ceci dit, m'appuyant sur l'Écriture divine, étant entendu que la distance de tout ce que l'on dira à ce qu'il y a là, est celle qui sépare une peinture de son modèle, je me risquerai à dire ce que je saurai.

2. Et il n'y a pas à s'émerveiller de ce que Dieu fasse des dons si relevés et si merveilleux aux âmes qu'il a en faveur; car si nous considérons qu'il est Dieu, et qu'il les fait comme Dieu et avec amour et bonté infinis, cela ne nous paraîtra pas hors de raison. Lui-même a dit qu'en celui qui l'aimerait, viendraient le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, et qu'ils demeureraient en lui ; ce qui serait en le faisant vivre et demeurer dans le Père, le Fils et l'Esprit-Saint en vie de Dieu, comme l'âme le donne à entendre en ces strophes.

1. Cf. Jn 14, 23.

3. En effet, quoique dans les strophes que nous avons expliquées plus haut 1, nous parlions du plus parfait degré de perfection auquel on peut arriver en cette vie, qui est la transformation en Dieu, toutefois, ces strophes-ci traitent de l'amour plus développé et perfectionné à l'intérieur de ce même état de transformation. En effet, même s'il est vrai que ce que disent celles-ci et celles-là ne sont qu'un seul état de transformation, et que l'on ne peut passer au-delà en tant que tel, toutefois, celui-ci peut, avec le temps et l'exercice, beaucoup se développer, pour parler ainsi, et beaucoup se renforcer en amour ; tout comme le feu qui est entré dans la bûche : il la maintient transformée en lui et il est uni à elle, mais lorsque le feu s'attise davantage et que le temps passe, la bûche devient beaucoup plus incandescente et embrasée, au point de jeter elle-même des étincelles de feu et de flamboyer.

4. Et il faut comprendre que l'âme ici parle en ce degré incandescent, tandis qu'elle se trouve transformée et qu'elle s'est intérieurement développée en feu d'amour, au point que non seulement elle se trouve unie à ce feu, mais qu'il produit en elle une flamme vivante. Et elle le sent ainsi, et elle le dit ainsi en ces strophes avec une intime et délicate douceur d'amour, alors qu'elle est ardente de sa flamme, faisant valoir en ces strophes quelques uns des effets qu'elle produit en elle. Je les expliquerai en suivant le même ordre que pour les autres : je les prendrai d'abord ensemble ; puis je les prendrai une par une en les expliquant brièvement ; et après je prendrai chaque vers et l'expliquerai pour lui-même.

fin du prologue

1. Il s'agit du Cantique Spirituel.



Ô vivante flamme d'amour,

Qui blesses tendrement

Le centre le plus profond de mon âme,

Puisque tu n'es plus cruelle,

Achève maintenant, si tu le veux;

Déchire la toile de cette douce rencontre!

Explication

1. L'âme se sentant toute embrasée en l'union divine, et sentant son palais tout baigné en gloire et amour, sentant que jusqu'à l'intime de sa substance, elle reverse pas moins que des fleuves de gloire et abonde en délices, sentant se répandre de ses entrailles les fleuves d'eau vive dont le Fils de Dieu 1 dit qu'ils jailliraient de ces âmes, il lui semble que, puisqu'elle est transformée en Dieu avec tant de force, et si profondément possédée par lui, et dotée de telles richesses et de tels dons et vertus, qu'elle est si proche de la béatitude, que rien ne l'en sépare, sinon une toile légère.

Et comme elle voit que cette flamme délicate d'amour qui brûle en elle, chaque fois qu'elle l'investit, se met comme à la glorifier d'une gloire suave et forte, au point qu'à chaque fois qu'elle l'absorbe et l'investit, il lui semble qu'elle va lui donner la vie éternelle et déchirer la toile de la vie mortelle, et qu'il s'en faut de fort peu, et que pour ce peu elle n'achève pas d'être glorifiée essentiellement, elle déclare avec un grand désir à la flamme, qui est l'Esprit-Saint, de rompre maintenant la vie mortelle par cette douce rencontre, ce en quoi véritablement elle achèvera de lui communiquer ce qu'à chaque fois il semble qu'elle va lui donner lorsqu'elle la rencontre, ce qui est de la glorifier complètement et parfaitement. Et ainsi dit-elle :


Ô vivante flamme d'amour!


2. Pour faire valoir le sentiment et l'estime avec lesquels elle parle en ces quatre strophes, l'âme use de ces termes en chacune d'elles :

1. Cf Jn 7, 38.

« ô! » et « comme! », qui signifient une affectueuse insistance. Ces mots, toutes les fois qu'on les dit, donnent à entendre à propos de l'intérieur, plus que ce qui se dit par la langue. Le « ô » sert à dire que l'on désire beaucoup, et que l'on prie beaucoup et en voulant persuader ; et l'âme l'utilise pour ces deux effets en cette strophe, car elle fait valoir en elle et vante un grand désir, persuadant l'amour qu'il la détache.

3. Cette flamme d'amour est l'esprit de son Époux, qui est l'Esprit-Saint. L'âme le sent maintenant en elle, non seulement comme un feu qui la maintient consumée et transformée en suave amour, mais comme un feu qui, en plus de cela, brûle en elle et lance sa flamme, comme je l'ai dit; et cette flamme baigne l'âme de gloire et la rafraîchit en une manière d'être de vie divine.

Telle est l'opération de l'Esprit-Saint en l'âme transformée en amour, que les actes intérieurs qu'elle produit est de flamboyer ; et ce sont des embrasements d'amour, dans lesquelles la volonté de l'âme étant unie, elle aime de façon très élevée, devenue un même amour avec cette flamme. Et ainsi, ces actes d'amour de l'âme sont très précieux, et elle mérite davantage et vaut davantage en un seul, que pour ce qu'elle a opéré en toute sa vie sans cette transformation, aussi grand cela soit-il, etc. Et entre la transformation d'amour et la flamme d'amour, il y a la même différence qu'entre l'habitus et l'acte, qui est la même qu'entre la bûche embrasée et sa flamme : la flamme est effet du feu qui est là.

4. Aussi, cette âme en état de transformation d'amour, nous pouvons dire que son habitus ordinaire est comme la bûche qui se trouve toujours assaillie par le feu ; et les actes de cette âme sont la flamme qui naît du feu d'amour, sortant avec d'autant plus de force que le feu de l'union est intense: en cette flamme s'unissent et s'élèvent les actes de la volonté emportée et absorbée en la flamme de l'Esprit-Saint, comme l'ange qui montait vers Dieu en la flamme du sacrifice de Manué 1. Et ainsi, en cet état, l'âme ne peut pas produire d'actes, car c'est l'Esprit-Saint qui les produit tous et la meut en

1. Cf Jg 13, 20.

eux; et pour autant, tous ses actes sont divins, puisqu'elle est actuée et mûe par Dieu. Aussi paraît-il à cette âme que toutes les fois que flamboie cette flamme, la faisant aimer avec saveur et manière d'être divines, elle lui donne la vie éternelle, puisqu'elle l'élève à une opération de Dieu en Dieu.

5. Et ce sont là le langage et les paroles dont Dieu traite dans les âmes purgées et nettes, paroles tout enflammées, comme disait David : «Ta parole est violemment enflammée» ; et le prophète : «Mes paroles ne sont-elles pas comme un feu ? » Ces paroles, comme lui-même le dit par saint Jean 2, sont esprit et vie. Cette parole est entendue par les âmes qui ont des oreilles pour l'entendre, à savoir, comme je dis, les âmes nettes et amoureuses ; et celles dont le palais n'est pas sain, mais qui goûtent d'autres choses, ne peuvent en goûter l'esprit et la vie. Au contraire, elles leur semblent insipides. C'est pourquoi, plus les paroles dites par le Fils de Dieu étaient hautes, plus elles semblaient désagréables à certains du fait de leur impureté, par exemple lorsqu'il prêchait cette doctrine savoureuse et pleine d'amour de la sainte Eucharistie, et que beaucoup d'entre eux se retirèrent 3.

6. Et ce n'est pas parce qu'ils ne goûtent pas ce langage de Dieu qui parle de l'intérieur, que ceux-là doivent penser que d'autres ne le goûtent pas, comme l'on dit ici, comme saint Pierre l'a goûté 4 en son âme lorsqu'il a déclaré au Christ : « Où irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle! » Et la Samaritaine oublia l'eau et la cruche à cause de la douceur des paroles de Dieu 5.

Ainsi, cette âme étant si proche de Dieu qu'elle se trouve transformée en flamme d'amour, ce en quoi lui est communiqué le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, serait-il incroyable de dire qu'elle goûte une esquisse de vie éternelle, quoique non parfaitement, parce que la condition de cette vie ne le supporte pas ? Mais les délices que pro-

1. Ps 118, 140.

2. Jn 6, 64.

3. Cf. Jn 6, 60-61; 67.

4. Jn 6, 69.

5. Cf Jn 4, 28.

duit en elle ce flamboiement de l'Esprit-Saint sont si relevés, qu'ils lui font savourer la saveur de la vie éternelle. C'est pourquoi elle appelle la flamme «vivante », non qu'elle ne soit toujours vivante, mais parce qu'elle produit un tel effet qu'elle la fait vivre en Dieu spirituellement, et sentir la vie de Dieu de la façon dont parle David 1: « Mon coeur et ma chair se réjouissent dans le Dieu vivant. » Ce n'est pas qu'il soit nécessaire de dire qu'il est vivant, car il l'est toujours, mais c'est pour donner à comprendre que l'esprit et le sens goûtaient Dieu de façon vivante, rendus en Dieu, ce qui est goûter le Dieu vivant, c'est-à-dire la vie de Dieu et la vie éternelle. Dans ce passage, David n'aurait pas dit « Dieu vivant », s'il ne le goûtait pas de façon vivante, quoique non parfaitement, mais comme une vue de vie éternelle. Et ainsi, en cette flamme l'âme sent Dieu de façon si vivante, qu'elle le goûte si savoureusement et si suavement, qu'elle dit: « Ô vivante flamme d'amour! »


Qui blesses tendrement


7. C'est-à-dire : qui me touches si tendrement par ton amour. En effet, pour autant que cette flamme est flamme de vie divine, elle blesse l'âme avec la tendresse de la vie de Dieu ; et elle la blesse et l'attendrit tellement et si profondément, qu'elle la consume en amour, pour que s'accomplisse en elle la même chose qu'en l'Épouse des Cantiques 2, laquelle s'est attendrie au point de se consumer, et elle le dit ainsi dans ce passage: «Lorsque l'Époux a parlé, mon âme s'est consumée » ; parce que la parole de Dieu est l'effet qu'il produit en l'âme.

8. Mais comment peut-on dire qu'elle la blesse, vu qu'il n'y a plus rien à blesser en l'âme, puisqu'elle est maintenant tout entière cautérisée par le feu d'amour ? Chose merveilleuse que l'amour flamboie toujours de ci de là, ne restant jamais en repos, mais en mouvement continuel, comme la flamme ; et l'amour, dont l'office est de blesser pour produire amour et délices, étant flamme vivante en cette âme, lui décoche ses traits comme des flamboiements très

1. Ps 83, 3.

2. Ct 5, 6.

tendres d'amour délicat, exerçant gaiement les arts et les jeux de l'amour en fête, comme dans le palais de ses noces, tel Assuérus avec son épouse Esther 1, montrant là ses grâces, lui découvrant ses richesses et la gloire de sa majesté, pour que s'accomplisse en cette âme ce qu'il dit dans les Proverbes 2 par ces mots : « Mes délices tous les jours étaient de jouer tout le temps devant lui, de jouer à la surface du globe, et mes délices étaient d'être avec les enfants des hommes », à savoir, en se donnant à eux. C'est pourquoi ces traits, qui sont ses jeux, sont des flamboiements de tendres attouchements qui touchent par moment l'âme et qui viennent du feu d'amour qui ne reste pas au repos. L'âme dit que ces attouchements se produisent et qu'ils blessent


Le centre le plus profond de mon âme.


9. En effet, c'est en la substance de l'âme, où ni le centre du sens ni le démon ne peuvent arriver, que se passe cette fête de l'Esprit-Saint ; et pour autant, elle est d'autant plus sûre, substantielle et pleine de délices qu'elle est plus intérieure, car plus elle est intérieure, plus elle est pure, et plus il y a de pureté, plus Dieu se communique abondamment, fréquemment et généralement.

Et ainsi, les délices et la jouissance de l'âme et de l'esprit sont d'autant plus grands que Dieu est celui qui opère tout, sans que l'âme fasse rien d'elle-même. En effet, pour autant que l'âme ne peut rien opérer d'elle-même si ce n'est par le sens corporel et aidée par lui, ce dont ici elle se trouve très libre et très éloignée, son affaire est alors seulement de recevoir de Dieu, lequel seul peut agir dans le fond de l'âme sans l'aide des sens, et y mouvoir l'âme. Et ainsi, tous les mouvements de cette âme sont divins ; et quoiqu'ils soient de Dieu, ils sont d'elle aussi, parce qu'Il les produit en elle avec elle, qui donne sa volonté et son consentement. Et parce que dire qu'Il blesse le centre le plus profond de son âme donne à entendre qu'elle a d'autres centres moins profonds, il nous faut faire attention à la façon dont cela est.

1. Cf. Est 2, 17 ss.

2. 8, 30-31.

10. Quant au premier, il faut savoir que l'âme, en tant qu'esprit, n'a ni haut, ni bas, ni plus profond, ni moins profond en son être, comme en ont les corps quantifiables ; et puisqu'en elle il n'y a pas de parties, elle n'a pas non plus de différence entre l'intérieur et l'extérieur, elle n'a pas de centre plus ou moins profond quantitativement. En effet, elle ne peut être plus illuminée en une partie qu'en une autre, comme le sont les corps physiques, mais elle l'est tout d'une même manière, sans plus ni moins, comme l'air est tout entier illuminé ou non illuminé d'une même manière, sans plus ni moins.

11. Dans les choses, nous appelons centre le plus profond le point auquel peut arriver leur être et leur énergie, et la force de leur opération et de leur mouvement, sans pouvoir passer au-delà. Par exemple, le feu ou la pierre ont énergie et mouvement naturels pour arriver au centre de leur sphère, et ils ne peuvent passer au-delà, ni laisser d'y arriver et de s'y tenir, sinon par quelque empêchement contraire et violent. À partir de cela, nous dirons que la pierre, lorsqu'elle se trouve en quelque manière dans la terre, quoiqu'elle ne soit pas en son plus profond, se trouve en quelque manière en son centre, puisqu'elle se trouve à l'intérieur de la sphère de son centre, de son activité et de son mouvement ; cependant, nous ne dirons pas qu'elle se trouve en son plus profond, qui est le centre de la terre, et ainsi toujours il lui reste de l'énergie, de la force et de l'inclination pour descendre et arriver jusqu'à ce centre ultime et le plus profond, si on lui ôte l'empêchement qui la retient ; et quand elle y sera arrivée et ne trouvera plus d'énergie et d'inclination en elle-même pour davantage de mouvement, nous dirons qu'elle se trouve en son centre le plus profond.

12. Le centre de l'âme, c'est Dieu ; lorsqu'elle y sera arrivée selon toute la capacité de son être et selon la force de son opération et inclination, elle sera arrivée à son centre ultime et le plus profond, ce qui sera lorsqu'avec toutes ses forces elle saisira et aimera Dieu, et en jouira. Et tant qu'elle ne sera pas arrivée à autant que cela — ce qui arrive en cette vie mortelle, en laquelle l'âme ne peut arriver à Dieu selon toutes ses forces — , quoiqu'elle soit en son centre, qui est Dieu, par la grâce et par la communication qu'il a avec elle, pour autant qu'elle a encore du mouvement et de la force pour davantage et qu'elle n'est pas satisfaite, quoiqu'elle soit au centre, elle n'est cependant pas au centre le plus profond, puisqu'elle peut aller au plus profond en Dieu.

13. Il faut donc remarquer que l'amour est l'inclination de l'âme, sa force et son énergie pour aller à Dieu, parce que moyennant l'amour, l'âme s'unit à Dieu. Et ainsi, plus elle aura de degrés d'amour, d'autant plus profondément elle entrera en Dieu et se concentrera en lui. D'où nous pouvons dire que l'âme peut avoir autant de centres en Dieu, chacun plus intérieur que l'autre, qu'elle peut avoir de degrés d'amour de Dieu, car plus l'amour est fort, plus il est unitif: Et ainsi pouvons-nous comprendre les nombreuses demeures dont le Fils de Dieu a dit qu'elles étaient en la maison de son Père 1. De cette manière, pour que l'âme soit en son centre, qui est Dieu, selon ce que nous avons dit, il suffit qu'elle ait un degré d'amour, car pour un seul, elle s'unit à lui par grâce. Pour deux degrés, elle sera unie et concentrée en Dieu selon un autre centre plus intérieur ; si elle arrive à trois, elle se concentrera pour trois ; et si elle arrive au degré ultime, l'amour de Dieu la touchera jusqu'au centre ultime de l'âme, ce qui sera la transformer et la rendre claire selon tout son être, toute sa puissance et son énergie, selon qu'elle est capable de le recevoir, jusqu'à la faire paraître Dieu. Il en va comme lorsque le cristal net et pur est investi par la lumière: plus il reçoit de degrés de lumière, plus la lumière se concentre en lui et plus il devient clair, et l'abondance de la lumière qu'il reçoit fait qu'il peut en venir à paraître tout entier lumière, et il en est inséparable, devenu clair en elle selon toute sa capacité à la recevoir, ce qui est arriver à paraître comme elle.

14. Et ainsi, en disant ici que la flamme d'amour blesse son centre le plus profond, l'âme dit qu'autant qu'elle atteint la substance — énergie et force de l'âme — l'Esprit-Saint la blesse et l'investit. Elle ne dit pas cela parce qu'elle voudrait donner ici à entendre que cela se passe aussi substantiellement et complètement que dans la vision de Dieu des bienheureux en l'autre vie: en effet, même si en cette vie mortelle l'âme arrive à un état de perfection aussi élevé que celui dont nous parlons ici, elle n'arrive ni ne peut arriver à l'état parfait de la gloire

1. Cf Jn 14, 2.

— même si d'aventure il se fait qu'en passant Dieu lui fasse quelque faveur de ce genre. Mais elle dit cela pour donner à entendre l'abondance des délices et de la gloire qu'elle sent en l'Esprit-Saint en cette manière de communication. Ces délices sont d'autant plus grandes et plus tendres qu'elle se trouve plus fortement et substantiellement transformée et concentrée en Dieu. Et parce qu'ils atteignent au plus fort qu'il se peut en cette vie (même si, comme nous avons dit, cela n'est pas aussi parfait que dans l'autre), elle l'appelle «le centre le plus profond». Même si d'aventure l'âme peut posséder l'habitus de la charité aussi parfait en cette vie qu'en l'autre, elle ne le peut pour son opération et son fruit, même si le fruit et l'opération d'amour croissent tellement en cet état, qu'il est très semblable à celui de l'autre vie, au point que paraissant à l'âme qu'il en est ainsi, elle ose dire ce que seulement l'on ose dire de l'autre, à savoir : «au centre le plus profond» de mon âme.

15. Et parce que les choses rares et dont il n'y a que peu d'expérience sont plus merveilleuses et moins croyables — comme celle dont nous sommes en train de parler au sujet de l'âme en cet état — je ne doute pas que quelques personnes, ne le comprenant pas par science ni ne le sachant par expérience, ou bien ne le croiront pas, ou bien le tiendront pour une exagération, ou encore penseront que cela n'est pas autant qu'en réalité. Et pourtant, moi je réponds à tous ceux-là que le Père des lumières 1, dont la main n'est pas diminuée et qui se répand sans acception de personnel partout où il y a de la place, comme le rayon du soleil, et se manifestant aussi lui-même aux enfants des hommes avec allégresse sur les chemins et dans les rues, n'hésite pas à trouver ses délices avec eux sur la surface de la terre, et ne considère pas cela peu de chose 3.

Et il ne faut pas tenir pour incroyable que pour une âme déjà examinée, éprouvée et purgée dans le feu des tribulations, des épreuves et de tentations variées, et qui a été trouvée fidèle en amour, qu'en cette âme fidèle s'accomplisse en cette vie ce que le Fils de Dieu a promis, à savoir que si quelqu'un l'aime, la très sainte Trinité viendrait en lui et demeu-

1. Je 1, 17.

2. Ep 6, 9.

3. Pr 8, 31.

rerait en lui; ce qui se fait en lui illuminant divinement l'entendement en la Sagesse du Fils, en lui délectant la volonté en l'Esprit-Saint, et le Père l'absorbant puissamment et fortement en l'embrassement abyssal de sa douceur.

16. Et s'il en use ainsi avec quelques âmes — comme en vérité il le fait —, il faut croire que celle dont nous sommes en train de parler ne restera pas en arrière dans ces faveurs de Dieu. En effet, ce que nous sommes en train d'en dire — selon l'opération du Saint Esprit qui agit en elle — est beaucoup plus que ce qui arrive dans la communication et transformation d'amour, car l'une est comme la braise incandescente, tandis que l'autre (selon ce que nous avons dit) est comme la braise en laquelle le feu s'attise tellement, que non seulement il est incandescent, mais il envoie une flamme vivante. Et ainsi, ces deux manières d'union — d'amour seulement, et union avec embrasement d'amour — sont en quelque sorte comparées au feu de Dieu dont parle Isaïe, qui se trouve en Sion, et à la fournaise de Dieu qui se trouvait à Jérusalem : l'une signifie l'Église militante, en laquelle le feu de la charité n'est pas incandescente à l'extrême, et l'autre signifie «vision de paix », qui est la triomphante, où ce feu est comme une fournaise incandescente en perfection d'amour. Et quoique, comme nous avons dit, cette âme ne soit pas arrivée à autant de perfection que celle-ci, toutefois, en comparaison de l'autre commune union, elle est comme une fournaise incandescente, avec une vision d'autant plus pacifique, glorieuse et tendre, que la flamme est plus claire et resplendissante que le feu à l'intérieur du charbon.

17. Pour autant, l'âme sentant que cette vivante flamme de l'amour est en train de vivement lui communiquer tous les biens, parce que cet amour divin porte tout avec lui, elle dit :

O vivante flamme d'amour,

Qui blesses tendrement...

ce qui est comme de dire : « Ô amour enflammé! De tes mouvements amoureux tu me glorifies de façon caressante selon la plus grande capacité et force de mon âme! » A savoir : «Tu me donnes une intelligence divine selon toute la capacité de mon entendement, tu me communiques l'amour selon la plus grande force de ma volonté, et tu me délectes en la substance de l'âme par le torrent de tes délices en ton contact divin et ta jonction substantielle, selon sa plus grande pureté et la capacité et amplitude de ma mémoire. » Et cela arrive ainsi au temps où en l'âme cette flamme d'amour s'élève, et au-delà de ce que l'on peut et de ce que l'on réussit à dire.

Pour autant que l'âme, selon sa substance et ses puissances, mémoire, entendement et volonté, se trouve bien purgée, la substance divine — qui, comme dit le Sage, atteint partout du fait de sa netteté 1 —profondément, subtilement et de façon relevée l'absorbe en elle par sa flamme divine, et en cette absorption de l'âme en la sagesse, l'Esprit-Saint exerce les glorieuses vibrations de sa flamme. Ce qui est si doux, que l'âme dit ensuite :


Puisque tu n'es plus cruelle.


18. À savoir: « puisque maintenant tu n'affliges plus, ni n'opprimes, ni ne fatigues comme auparavant. » En effet, il faut savoir que cette flamme de Dieu, lorsque l'âme se trouvait en état de purgation spirituelle, ce qui est lorsqu'elle entre en contemplation, ne lui était pas si aimable et douce que maintenant en cet état d'union. Et il nous faut nous attarder quelque temps pour expliquer comment cela se fait.

19. En cela, il faut savoir qu'avant que ce divin feu d'amour s'introduise en la substance de l'âme et s'unisse à elle par une purgation et pureté achevée et parfaite, cette flamme, qui est l'Esprit-Saint, produit des blessures en l'âme, détruisant et consumant les imperfections de ses mauvais habitus. Et c'est là l'opération de l'Esprit-Saint, en laquelle il la dispose pour l'union divine et la transformation d'amour en Dieu. Il faut savoir en effet, que le feu d'amour qui s'unit à l'âme en la glorifiant, est le même que celui qui d'abord l'investit en la purgeant ; tout comme le feu qui pénètre en la bûche est le même que celui qui commence par l'investir et la blesser de sa flamme, l'asséchant et la dépouillant de ses accidents impurs, jusqu'à

1. Cf. Sg 7, 24.

ce qu'il l'ait disposée par sa chaleur au point qu'il puisse entrer en elle et la transformer en lui. Et les spirituels appellent cela voie purgative. En cet exercice, l'âme souffre de grands maux, et elle ressent de graves peines en l'esprit, qui d'ordinaire rejaillissent dans les sens, cette flamme lui étant très cruelle. En effet, en cette disposition de purgation, cette flamme ne lui donne pas clarté, mais obscurité ; et si elle lui donne quelque lumière, c'est seulement pour voir et sentir ses misères et ses défauts. Et elle ne lui donne pas de la douceur, mais de la peine, parce que, si parfois elle provoque chaleur d'amour, c'est avec tourment et oppression. Et elle n'est pas pour elle pleine de délices, mais sèche, parce que, si parfois, par sa bonté, elle lui accorde quelque goût pour lui donner force et courage, avant et après que cela n'arrive, elle l'acquitte et le paie d'une épreuve égale ; elle ne lui procure pas récréation et paix, mais elle la consume et l'accuse, la faisant défaillir et peiner en connaissance d'elle-même ; et ainsi, elle ne lui est pas glorieuse, parce qu'elle la rend plutôt misérable et amère en la lumière spirituelle de connaissance de soi qu'elle lui donne, Dieu envoyant le feu en ses os, comme dit Jérémie 1, l'enseignant et l'examinant par le feu, comme dit aussi David 2.

20. Et ainsi, en cette période, l'âme souffre aussi de grandes ténèbres pour ce qui est de l'entendement, de grandes sécheresses et de l'oppression pour ce qui est de la volonté, et une pénible connaissance de ses misères en la mémoire, pour autant que l'oeil spirituel est [alors] très clair dans la connaissance de soi. Et en la substance de l'âme, elle souffre délaissement et suprême pauvreté, elle est sèche et froide, et parfois chaude, ne trouvant soulagement en rien, pas même une pensée qui la console, ne pouvant même élever son coeur à Dieu, cette flamme s'étant comporté envers elle de façon aussi cruelle que Dieu envers Job dans le même exercice, selon qu'il dit: «Tu es devenu cruel avec moi ! 3 » En effet, lorsque l'âme souffre toutes ces choses à la fois, véritablement il lui semble que Dieu s'est rendu cruel et désagréable envers elle.

1. Cf. Lm 1, 13.

2. Cf Ps 16, 3.

3. Jb 30, 21.

21. On ne peut évoquer ce que l'âme souffre alors, à savoir à peine moins que le purgatoire, et pour ma part, je ne saurais comment faire comprendre combien cela est, ni jusqu'où va ce qui se passe en elle et qu'elle sent, sinon par ce que Jérémie dit à ce propos avec ces paroles : « Je suis homme qui vois ma pauvreté en la verge de son indignation ; il m'a conduit et il m'a porté aux ténèbres, et non à la lumière, tant il a tourné et retourné sa main contre moi. Il a fait se dessécher ma peau et ma chair, et broyé mes os ; il a mis le siège contre moi, et m'a entouré de fiel et d'épreuves; il m'a établi dans les ténèbres, comme ceux qui sont morts pour toujours ; il a élevé un mur autour de moi pour que je ne sorte pas ; il a rendu pesantes mes chaînes. Et en plus de cela, lorsque j'ai élevé la voix et l'ai supplié, il a repoussé ma prière ; il a barré mes chemins avec des pierres de taille, et il a dévié mes traces et mes sentiers 1.

Jérémie dit tout cela, et il continue en disant beaucoup plus. Et pour autant que de cette manière Dieu est le médecin de cette âme et qu'il la soigne de ses nombreuses maladies afin de lui donner la santé, il faut bien qu'elle peine selon son infirmité dans cette purgation et dans cette cure, car là son coeur est posé sur la braise, pour qu'en soit extirpé et dégagé toute sorte de démon 2 ; et ici toutes ses infirmités viennent à la lumière et sont mises sous ses yeux pour qu'elle les sente et les soigne.

22. Et les faiblesses et misères qui étaient auparavant installées et recouvertes en elle, elle les voit et les sent maintenant dans la lumière et la chaleur du feu, alors qu'auparavant elle ne les voyait pas ni ne les sentait; tout comme l'on voit l'humidité et la froideur qui étaient dans la bûche par l'eau et la fumée que le feu en fait sortir, alors qu'auparavant on ne les connaissait pas. Mais maintenant, en présence de cette flamme, l'âme voit et sent clairement ses misères. En effet, ô merveille! en cette période, des contraires s'affrontent en elle, ceux de l'âme contre ceux de Dieu qui l'investissent, et, comme disent les philosophes, ils se combattent, se faisant la guerre dans le sujet qu'est l'âme, les uns tâchant d'expulser les autres pour régner en elle;

1. Lm 3, 1-9.

2. Cf Tb 6, 8.

à savoir : les vertus et les propriétés de Dieu parfaites à l'extrême, contre les habitus et les propriétés du sujet de l'âme imparfaits à l'extrême, elle-même souffrant deux contraires. En effet, comme cette flamme est d'une extrême lumière, investissant l'âme, sa lumière brille dans les ténèbres de l'âme, qui elles aussi sont extrêmes ; et alors l'âme sent ses ténèbres naturelles et vicieuses s'opposer à la lumière surnaturelle, et elle ne sent pas cette lumière surnaturelle, car elle ne l'a pas en elle comme elle a ses ténèbres, et les ténèbres ne la reçoivent pas 1. Et ainsi sentira-t-elle ces ténèbres, pour autant que la lumière l'investira, car les âmes ne peuvent voir leurs ténèbres sans être investies de la lumière divine, jusqu'à ce que la lumière les ayant expulsées, l'âme voie la lumière et reste illuminée, transformée en elle, son oeil spirituel désormais nettoyé et fortifié par la lumière divine; car une lumière immense est totalement ténébreuse pour une vue impure et faible, et elle soumet la puissance [visive] à son éminente sensation. Ainsi cette flamme était-elle cruelle à l'âme pour la vue de l'entendement.

23. Et parce que cette flamme est en elle-même amoureuse à l'extrême et qu' elle investit tendrement et amoureusement la volonté, et que la volonté est en elle-même sèche et dure à l'extrême, et que le dur se sent en présence du tendre, et la sécheresse en présence de l'amour,

et que cette flamme investit amoureusement et tendrement la volonté,

la volonté sent sa dureté naturelle et sa sécheresse envers Dieu, et elle ne sent pas ce qui est amour et tendresse de la flamme, étant disposée selon la dureté et la sécheresse en lesquelles n'entrent pas ces deux contraires que sont la tendresse et l'amour, jusqu'à ce qu'étant expulsées par eux, l'amour et la tendresse de Dieu règnent en la volonté. Et de cette manière cette flamme était cruelle pour la volonté, lui faisant sentir et souffrir sa dureté et sa sécheresse. Et ni plus ni moins, parce que cette flamme est très abondante et immense et que la volonté est étroite et resserée, la volonté sent son étroitesse et son ressèrement pour autant que la flamme l'investit, jusqu'à ce qu'en s'attaquant à elle, elle la dilate, lui donne de l'ampleur et la rende capable d'elle. Et parce que cette flamme est aussi savoureuse et douce, et que la volonté avait déréglé le palais de l'esprit par des humeurs d affections désordonnées, elle lui était désa-

1 . Cf Jn 1, 5.

gréable et amère, et il ne pouvait goûter la douce nourriutre de l'amour de Dieu. Et de cette manière aussi, la volonté sent son oppression et le manque de saveur de cette flamme très abondante et très savoureuse ; et elle n'en sent pas la saveur parce qu'elle ne la sent pas en elle-même, mais bien ce qui est en elle et qui est sa misère. Et finalement, parce que cette flamme contient d'immenses richesses, bonté, délices, tandis que l'âme en elle-même est très pauvre et n'a aucun bien ni de quoi se satisfaire, celle-ci connaît et sent clairement sa misère, sa pauvreté et sa malice en présence de ces richesses, de cette bonté et de ces délices, et elle ne connaît pas les richesses, la bonté et les délices de la flamme. En effet, la malice ne reçoit pas la bonté, ni la pauvreté, les richesses, etc., jusqu'à ce que cette flamme achève de purifier l'âme, et que par sa transformation, elle l'enrichisse, la glorifie et la délecte. De cette manière, la flamme était auparavant cruelle à l'âme, plus que l'on ne peut dire, les contraires se combattant : Dieu qui est toutes les perfections, contre tous les habitus imparfaits de l'âme, pour que, la transformant en lui, il la rende douce, paisible et claire, comme fait le feu avec la bûche quand il est entré en elle.

24. Une purgation aussi forte n'arrive qu'en peu d'âmes, seulement en celles que le Seigneur veut élever au plus haut degré d'union, parce qu'il dispose chacune par une purgation plus ou moins forte, selon le degré auquel il veut l'élever, et aussi selon son impureté et son imperfection. Et ainsi cette peine ressemble à celle du purgatoire, parce que, comme les esprits y sont purgés pour pouvoir voir Dieu en une claire vision dans l'autre vie, de même et à sa manière, les âmes sont purgées ici-bas en cette vie pour pouvoir se transformer en lui.

25. Quant à l'intensité de cette purgation, ce qu'elle est en plus et en moins, à quel moment elle est selon la volonté, à quel moment selon l'entendement, comment elle est selon la mémoire, quand et comment aussi selon la substance de l'âme, et quand aussi selon l'ensemble, quelle est celle de la partie sensitive et comment connaître que le moment est venu de l'une et de l'autre, le temps, le point ou la période où elle commence dans le chemin spirituel, parce que nous en avons traité en la Nuit Obscure de la Montée du Mont Carmel et que cela ne touche pas ici notre propos, je n'en dis rien. Il suffit de savoir ici que le Dieu qui veut entrer en l'âme par union et transformation d'amour, est le même que celui qui l'investissait auparavant et la purgeait par la lumière et la chaleur de sa flamme divine, tout comme le feu qui entre dans la bûche est le même que celui qui la dispose avant d'entrer, comme nous avons dit. Et ainsi, la même flamme qui lui est maintenant suave pour l'avoir investie et se trouver en elle, lui était auparavant cruelle tandis qu'elle était en train de l'investir de l'extérieur.

26. Et c'est ce que l'âme veut donner à entendre en disant ce vers : «Puisque tu n'es plus cruelle. » En résumé, c'est comme si elle disait : « Maintenant, donc, non seulement tu ne m'es plus obscure comme auparavant, mais tu es la lumière divine de mon entendement et je peux te regarder ; et non seulement tu ne fais plus défaillir ma faiblesse, mais tu es plutôt la force de ma volonté, avec laquelle je puis t'aimer et jouir de toi, toute convertie en divin amour ; et tu n'es plus épreuve et oppression pour la substance de mon âme, mais tu es plutôt sa gloire, ses délices et son bien-être, car on peut dire de moi ce qui est chanté dans les Cantiques divins : « Qui donc est celle qui monte du désert, dans l'abondance des délices, appuyée sur son Bien-Aimé 1», dans un cas comme dans l'autre déversant l'amour ? Puisqu'il en est ainsi,


Achève maintenant, si tu le veux.


27. C'est-à-dire : Achève maintenant de consommer avec moi parfaitement le mariage spirituel par ta vision béatifique — c'est elle, en effet, que l'âme demande. Car même s'il est vrai qu'en cet état si haut, l'âme est aussi accordée et satisfaite qu'elle est transformée en amour, et elle ne sait ni ne réussit à demander rien pour elle-même, mais tout pour son Bien-Aimé — car « la charité, comme dit saint Paul, ne recherche pas ses intérêts, mais ceux de l'Aimé 2» — , néanmoins, comme elle vit encore en espérance, en laquelle il ne se peut que l'on ne sente du vide, elle gémit, quoique de façon douce et caressante, autant qu'il lui manque pour la possession achevée

1. Cté, 5.

2. 1 Co 13, 5.

de l'adoption de fils de Dieu 1, en laquelle, sa gloire se consumant, son appétit trouvera le repos. Celui-ci, aussi conjoint soit-il à Dieu ici-bas, ne se rassasiera ni ne se reposera jamais jusqu'à ce que paraisse sa gloire, surtout lorsqu'il en a déjà, comme ici, la saveur et l'avant-goût. C'en est au point que, si Dieu ne donnait pas ici sa faveur aussi à la chair, protégeant le naturel de sa droite (comme il fit pour Moïse dans le rocher pour qu'il puisse voir sa gloire sans mourir 2), le naturel se corromperait et mourrait à chacun de ces flamboiements, la partie inférieure [de l'âme] n'ayant pas de quoi souffrir un feu de gloire si fort et si relevé.

28. Et pour autant, cet appétit et sa demande ici ne sont pas avec peine, car l'âme ici n'est pas capable d'en éprouver, mais avec un désir suave et plein de délices, son esprit et ses sens étant accordés à sa demande. C'est pourquoi il est dit dans ce vers: « achève maintenant, si tu le veux », car la volonté et l'appétit ne font tellement qu'un avec Dieu, qu'elle tient pour sa gloire que s'accomplisse ce que Dieu veut. Cependant, telles sont les apparitions de la gloire et de l'amour qui transparaissent en ces attouchements et reste à la porte sans entrer en l'âme, à cause de l'étroitesse de la demeure terrestre, que ce serait plutôt peu d'amour que de ne pas demander l'entrée en cette perfection et cet accomplissement d'amour. En effet, en plus de cela, l'âme voit ici que dans cette force de communication délicate de l'Époux, l'Esprit-Saint est en train de la provoquer et de la convier avec cette gloire immense qu'il lui met sous les yeux, en de merveilleuses façons et de douces affections, lui disant à l'esprit ce qu'il dit à l'épouse du Cantique des Cantiques et qu'elle rapporte par ces mots: « Lève-toi, hâte-toi, mon amie, ma colombe, ma soeur, et viens ! Voici que l'hiver s'en est allé et s'est éloigné, et les fleurs sont apparues sur notre terre. Le temps de la taille est arrivé, et la voix de la tourterelle s'est fait entendre sur notre terre ; le figuier a produit ses figues, et les vignes fleuries ont donné leur parfum. Lève-toi, mon amie, ma toute-belle, et viens, ma colombe, au creux du rocher et dans la

1. Cf. Rm 8, 23.

2. Cf. Ex 33, 22.

caverne de la muraille ; montre-moi ta face, et que ta voix retentisse à mes oreilles, car ta voix est douce et ton visage est beau 1 !»

Tout cela, l'âme le sent très distinctement en une sensation de gloire très relevée, que l'Esprit-Saint est en train de lui montrer en ce flamboiement suave et tendre, avec l'envie de l'introduire en cette gloire. Et c'est pourquoi, provoquée, elle répond ici : « Achève maintenant, si tu le veux. » En cela elle fait à l'Époux les deux demandes qu'il nous a ordonné de faire en l'Évangile, à savoir: « Adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua 2. » Et ainsi, c'est comme si elle disait : «Achève », à savoir, de me donner ce royaume; « comme tu le veux », c'est-à-dire: selon que cela est ta volonté.

29. Et pour qu'il en soit ainsi,


Déchire la toile de cette douce rencontre!


Cette toile étant ce qui empêche cette si grande affaire. En effet, c'est chose facile que de s'unir à Dieu une fois ôtés les empêchements et déchirées les toiles qui séparent dans la conjonction entre l'âme et Dieu. Les toiles qui peuvent empêcher cette conjonction et qu'il faut déchirer pour qu'elle se fasse et que l'âme possède Dieu parfaitement, nous pouvons dire qu'elles sont trois, à savoir : la temporelle, en laquelle sont comprises toutes les créatures ; la naturelle, en laquelle sont comprises les opérations et les inclinations purement naturelles ; et la troisième est sensitive, en laquelle est comprise seulement l'union de l'âme et du corps. Il s'agit de la vie sensitive et animale dont saint Paul dit: «Nous savons que si notre maison terrestre actuelle se défait, nous avons la demeure de Dieu dans les cieux'. »

Il est nécessaire que les deux premières toiles aient été déchirées pour arriver à cette possession d'union à Dieu; en cela, toutes les choses du monde ont été niées et l'on y a renoncé; tous les appétits et attachements naturels ont été mortifiés, et les opérations de l'âme, de naturelles, ont été rendues divines. Tout cela a été déchiré et s'est fait en l'âme par les cruelles rencontres de cette flamme tant

1. Ct 2, 10-14.

2. Mt 6, 10.

3. 2 Co 5, 1.

qu'elle était cruelle, parce qu'en la purgation spirituelle, dont nous avons parlé plus haut, l'âme achève de rompre avec ces deux toiles, et de là elle vient à s'unir à Dieu comme c'est ici le cas ; et il ne reste plus à déchirer que la troisième, celle de la vie sensitive. C'est pour cela qu'elle dit ici « toile », et non pas « toiles », car il n'y en a plus d'autre que celle-ci à déchirer, laquelle, se trouvant maintenant si fine, si déliée et spiritualisée par cette union à Dieu, la flamme ne la rencontre pas de façon rigoureuse, comme elle le faisait pour les deux autres, mais de façon savoureuse et douce. C'est pourquoi elle l'appelle ici « douce rencontre », d'autant plus douce et savoureuse, qu'il lui semble qu'elle va déchirer la toile de la vie.

30. D'où il faut savoir que le mourir naturel des âmes qui arrivent à cet état, même si la condition de leur mort est semblable à celle des autres quant à la nature, est très différent cependant pour ce qui est de la cause et du mode de cette mort. En effet, si les autres meurent d'une mort causée par l'infirmité ou par la durée des jours, celles-ci, même si elles meurent en infirmité ou au terme de l'âge, rien ne leur arrache l'âme, sinon quelque élan et rencontre d'amour beaucoup plus relevé que ceux d'avant, plus puissant et valeureux, car il aura pu déchirer la toile et emporter le joyau de l'âme.

Et ainsi, la mort de telles âmes est toujours très suave et très douce, plus que ne leur aura été la vie spirituelle toute leur vie, car elles meurent en des élans plus relevés et de savoureuses rencontres d'amour, étant comme le cygne qui chante plus suavement lorsqu'il se meurt. C'est pourquoi David dit que la mort des justes est précieuse en la soumission à Dieu 1, car ici toutes les richesses de l'âme viennent à se réunir, et les fleuves de l'amour de l'âme vont alors se jeter dans la mer, et ils sont alors si larges et si gonflés, qu'ils semblent déjà la mer, le commencement et la fin de ses trésors se rassemblant alors pour accompagner le juste qui s'en va et part pour son royaume, tandis que des confins de la terre s'entendent les louanges qui sont la gloire du juste, comme le dit Isaïe 2.

1. Ps 115, 15.

2. Cf Is 24, 16.

31. L'âme se sentant donc, à la saison de ces glorieuses rencontres, si proche de passer à la possession achevée et parfaite de son royaume, alors qu'elle voit l'abondance dont elle est enrichie — car elle se connaît ici pure et riche, pleine de vertus et disposée pour lui, car en cet état Dieu fait voir à l'âme sa beauté, et il lui confie les dons et les vertus qu'il lui a donnés, car tout se tourne pour elle en amour et louanges, sans touche de présomption ni de vanité, n'y ayant plus désormais de levure pour corrompre la masse —, et comme elle voit qu'il ne lui manque plus que la rupture de la faible toile de cette condition humaine de la vie naturelle, en laquelle elle se sent enlacée et prisonnière, empêchée d'être libre dans son désir d'être détachée et de se voir avec le Christ 1, ce qui déferait cette chaîne retenant l'esprit à la chair — qui sont de conditions très différentes —, l'un et l'autre recevant son sort pour sa part, la chair restant en sa terre et l'esprit retournant à Dieu qui l'a donné 2, se lamentant de ce qu'une vie si basse et si faible la retienne d'une autre si relevée et si forte, elle demande qu'elle se déchire en disant : Déchire la toile de cette douce rencontre.

32. Et il l'appelle « toile » pour trois raisons. La première, à cause de l'imbrication qu'il y a entre l'esprit et la chair ; la seconde, parce qu'elle divise entre Dieu et l'âme ; la troisième, parce que, tout comme la toile n'est pas si opaque et dense que la clarté ne puisse transparaître à travers elle, en cet état, ce tissu semble une toile si fine — du fait qu'il se trouve maintenant très spiritualisé, illuminé et affiné — que la divinité ne laisse pas de transparaître en lui. Et comme l'âme sent la force de l'autre vie, elle fait voir la faiblesse de celle-ci, qui semble une toile très fine, et même une toile d'araignée, comme l'appelle David en disant : « Nos ans sont considérés comme l'araignée ! 3 » Et elle est même beaucoup moins pour l'âme qui se trouve ainsi dilatée, car se trouvant établie dans le sentir de Dieu, elle sent les choses comme Dieu, devant lequel, comme dit encore David, « mille ans sont comme le jour d'hier qui s'en est allé 4 ». Et

1. Cf Ph 1,23.

2. Cf Qo 12, 7.

3. Ps 89, 9.

4. Ps 89,4.

selon Isaïe, tous les peuples sont comme s'ils n'étaient pas 1, et ils ont la même consistance pour l'âme, car toutes les choses ne lui sont rien, et elle-même n'est rien à ses propres yeux : son Dieu seul est tout pour elle.

33. Cependant, il faut ici remarquer ce qui suit : pour quelle raison l'âme demande-t-elle que Dieu déchire la toile, plutôt qu'il ne la coupe ou l'achève, puisque tout cela semble la même chose ? Nous pouvons dire qu'il y a quatre raisons à cela. La première, pour parler plus proprement, car il est plus propre à cette rencontre de déchirer, que de couper ou d'achever. La seconde, parce que l'amour est ami de la force d'amour, et d'un choc fort et impétueux, lequel s'exécute davantage dans l'acte de déchirer que dans celui de couper ou d'achever. La troisième, parce que l'amour désire que l'acte soit très rapide, car il s'accomplit plus vite et il a d'autant plus de force et de valeur quand il est plus rapide et plus spirituel, l'énergie rassemblée étant plus forte que la dispersée: l'amour s'introduit de la même façon que la forme dans la matière, laquelle s'introduit en un instant, et jusque là, il n'y avait pas d'acte, mais des dispositions à l'acte ; et ainsi, les actes spirituels se font comme en un instant en l'âme, parce qu'ils sont infusés par Dieu, tandis que les autres, que l'âme produit par elle-même, se peuvent davantage appeler dispositions de désirs et d'affections successives, qui jamais n'arrivent à être des actes parfaits d'amour ou de contemplation, si ce n'est parfois lorsque (comme je dis) Dieu les forme et perfectionne en l'esprit avec grande rapidité. C'est pourquoi le Sage a dit que la fin de l'oraison est meilleure que son début 2 ; et l'on dit communément que la prière courte pénètre les cieux 3. C'est pourquoi l'âme désormais [bien] disposée peut faire en peu de temps des actes bien plus nombreux et intenses, que celle qui ne l'est pas en beaucoup. Et même, du fait de sa grande disposition, elle demeure habituellement beaucoup en acte d'amour ou de contemplation, tandis que celle qui n'est pas disposée, tout est pour lui disposer l'esprit, et même après, le feu habituellement ne pénètre pas

1. Cf 1s 40, 17.

2. Cf. Qo 7, 8.

3. Cf Si 35, 21.

la bûche, soit du fait de sa grande humidité, soit du fait de son peu de chaleur, soit du fait de l'un et de l'autre; tandis qu'en l'âme disposée, l'acte d'amour pénètre instantanément, parce que l'étincelle prend à chaque choc dans l'amadou quand il est sec. Ainsi l'âme énamourée préfère-t-elle la rapidité de l'acte de déchirer, que le temps nécessaire à couper et à attendre l'achèvement.

La quatrième raison, c'est pour que s'achève plus vite la toile de la vie, car on consent plus facilement à ce qu'elle soit coupée et achevée, parce qu'alors on attend que la chose soit en sa saison, ou achevée, ou un autre terme de ce genre, tandis que déchirer ne semble attendre ni maturité, ni rien de semblable.

34. Et c'est ce que veut l'âme énamourée, et elle ne supporte aucun délais, comme d'attendre que la vie s'achève naturellement, ou qu'elle soit coupée à tel ou tel moment, car la force de l'amour et la disposition qu'elle voit en elle, font qu'elle veut et demande que la vie soit déchirée tout de suite par quelque rencontre et élan surnaturel d'amour. En effet, l'âme ici sait très bien que Dieu a l'habitude de prendre avant terme avec lui les âmes qu'il aime beaucoup, perfectionnant en elles en peu de temps au moyen de cet amour ce qu'elles pourraient gagner durant tout le temps où elles marcheraient de leur pas ordinaire. Car c'est cela que dit le Sage: «Celui qui se rend agréable à Dieu a été aimé ; vivant parmi les pécheurs, il a été enlevé et emporté, pour que la malice ne change pas son intelligence, et que la ruse ne trompe pas son âme. Arrivé au terme en peu de temps, il a accompli les oeuvres de beaucoup ; parce que son âme était agréable à Dieu, il s'est hâté de le retirer du monde, etc. 1.»

Telles sont les paroles du Sage : on y voit que l'âme utilise au sens propre et avec raison ce terme de « déchirer », car en elles l'Esprit-Saint utilise ces deux termes de « emporter » et de « hâter », étrangers à tout délais. Dans le « se hâter », on donne à entendre la hâte avec laquelle Dieu a perfectionné rapidement l'amour du juste ; et dans le « emporter », on donne à entendre le fait de l'enlever avant son moment naturel. Pour autant, c'est une grande affaire pour l'âme d'exercer en cette vie les

1. Sg 4, 10-14.

actes d'amour, de telle sorte qu'en se consumant rapidement, elle ne s'attarde pas beaucoup ici-bas ou là-haut sans voir Dieu.

35. Voyons maintenant aussi pourquoi elle donne le nom de « rencontre », plutôt que tout autre, à cet assaut intérieur de l'Esprit. La raison est que l'âme sentant en Dieu, comme nous avons dit, une envie infinie de ce que la vie s'achève, et comme cela ne se fait pas parce que le moment de sa perfection n'est pas encore arrivé, elle fait voir que pour la consumer et l'élever de la chair, il produit en elle ces assauts divins et glorieux à la manière de rencontres, qui, comme ils sont pour la purifier et la tirer de la chair, véritablement sont des rencontres par lesquelles toujours il pénètre la substance de l'âme et la rend divine. En cela, il absorbe l'âme au-dessus de tout ce qui est, et [il l'élève] à l'être de Dieu. La cause en est que Dieu la rencontre et la traverse avec vivacité en l'Esprit-Saint, dont les communications sont aussi impétueuses que ferventes, comme l'est cette rencontre. Celle-ci, parce que l'âme goûte Dieu de façon vivante, elle l'appelle « douce ». Ce n'est pas que bien d'autres touches et rencontres qu'elle reçoit en cet état ne seraient pas douces, mais c'est à cause de l'éminence de celle-ci au-dessus de toutes les autres ; car Dieu produit cela, comme nous avons dit, afin de la détacher et de la glorifier rapidement. D'où il lui vient des ailes pour dire : « Déchire la toile, etc. »

36. Résumant donc maintenant toute la strophe, c'est comme si elle disait : « Ô flamme de l'Esprit-Saint, si intimement et tendrement tu traverses la substance de mon âme et la cautérises par ton ardeur glorieuse! Puisque maintenant tu es si aimable que tu te montres avec l'envie de te donner à moi en pleine vie éternelle, si auparavant mes demandes ne parvenaient pas à tes oreilles, tandis que dans les transes et les fatigues d'amour — ce en quoi peinaient mes sens et mon esprit du fait de ma grande faiblesse et impureté, et du peu de force de mon amour — je te priais de me détacher [de cette vie] et de m'emporter avec toi parce que mon âme te désirait d'un grand désir, parce que l'amour impatient ne me laissait pas m'accorder beaucoup à cette condition de vie que tu voulais que je vive encore, et si les élans d'amour passés n'étaient pas suffisants, car ils n'étaient pas d'une qualité telle qu'ils puissent obtenir cela, maintenant que je suis fortifiée en amour au point que non seulement mes sens et mon esprit ne défaillent pas en toi, mais plutôt, fortifiés par toi, « mon coeur et ma chair se réjouissent en Dieu vivant », avec un grand accord entre les partis, ce qui fait que je demande ce que tu veux que je demande, et ce que tu ne veux pas, je ne le veux pas, ni même je ne le puis, et il ne me passe pas par la pensée de le vouloir — et puisque mes demandes sont maintenant devant tes yeux plus fortes et estimées, puisqu'elles viennent de toi et que, tu me portes à elles, et je te le demande avec saveur et goût en l'Esprit-Saint, « mon jugement sortant désormais de ton visage 1 », ce qui est quand tu apprécies et entends les prières : déchire la fine toile de cette vie, et ne la laisse pas arriver à ce que l'âge et les années la coupent naturellement, pour que je puisse t'aimer tout de suite, avec la plénitude et la satiété que mon âme désire, sans terme ni fin.

1. Ps 16, 2.

CANTIQUE A



Iprésentation par Max Huot de Longchamp246

AVANT-PROPOS

Le lecteur français de saint Jean de la Croix pense le plu souvent avoir un accès simple et fiable à son oeuvre à travers les éditions qui se sont multipliées depuis quatre siècles. Nous avons montré ailleurs les présupposés théologiques qui ont conduit les traducteurs anciens et modernes à gauchir les textes, pour leur conférer une porté moralisante qu'ils n'ont pas dans l'original. Pour ce qui est du Cantique Spirituel, une seule édition française, la première, parfaitement introuvable aujourd'hui, semble échapper à cette dérive générale : celle de René Gaultier, étroitement liée à l'arrivée en France du Carmel thérésien. Plus ancienne que toutes les éditions espagnoles du même texte, elle constitue par ailleurs un témoin unique et décisif d'un état aujourd'hui perdu de sa rédaction. Ajoutons que selon toute vraisemblance, Gaultier aura travaillé sur l'exemplaire personnel d'Anne de Jésus, compagne de sainte Thérèse, pour laquelle Jean de la Croix rédigea le ui dans sa version initiale.

On aura deviné que le texte que nous rééditons aujourd'hui est absolument capital pour quiconque s'intéresse à la mystique en général, à celle du XVIe siècle espagnol et du XVIIe siècle français en particulier. Nous sommes sûr que beaucoup, lecteurs français, mais espagnols aussi, puisque privés de l'original en leur langue de cet état primitif du Cantico, se diront après l'avoir lu : le Cantique Spirituel, enfin !

INTRODUCTION

1 - Du " Cantique Spirituel " au " Cantique d'Amour divin "

René Gaultier (1560-1638) 1 était l'un de ces pieux laïcs plus ou moins ligueurs jusqu'à la conversion d'Henri IV, qui, la paix religieuse enfin revenue, assureront l'intendance de "l'invasion mystique" chère à Brémond. À ce titre, il fera partie de l'expédition commanditée par le cercle de Madame Acarie pour aller chercher en Espagne le greffon thérésien d'où naîtront les dizaines de carmels réformés de France 2 : nous sommes en 1604, et le prestige de Thérèse, béatifiée deux ans plus tôt, semble faire du Carmel le remède à tous les maux du Royaume à peine remis des guerres de religion. En ces années, la mémoire de Jean de la Croix est encore enfouie dans la véritable persécution dont il fut victime à la fin de sa vie, ce qui aura les plus fâcheuses conséquences pour la transmission de ses textes. Cependant, quelques uns échappent à cette règle générale, et notamment ceux que les carmélites emporteront dans leurs bagages, en France d'abord, en Flandres ensuite.

Et parmi eux, bien certainement, le précieux autographe du Cantique Spirituel que Jean de la Croix avait rédigé en 1584 pour Anne de Jésus, la plus proche collaboratrice de Thérèse, son héritière spirituelle, et qui prendra la tête du petit groupe que Gaultier installera à Paris.

1 La figure de René Gaultier n'a guère été étudiée comme elle l'aurait mérité. On trouvera quelques éléments biographiques dans la notice — qui semble ignorer le texte que nous éditons ici — que lui consacre le Dictionnaire de Spiritualité, vol. 6, col. 144-147.

2 Sur l'ensemble de la question de l'arrivée du Carmel réformé en France, cf. Stéphane-Marie Morgain, Pierre de Bérulle et les Carmélites de France, Paris, 1995.

Au service de l'Espagne mystique, Gaultier ne sera pas qu'un homme d'affaire : il sera aussi un traducteur infatigable. C'est ainsi qu'en 1621, Jean de la Croix sortant enfin de l'oubli, il sera le premier à donner ses textes en français : Les oeuvres spirituelles pour acheminer les âmes à la parfaite union avec Dieu. Il y manquait le Cantique Spirituel, tout comme dans la première édition espagnole (Alcalà,1618), puisqu'il faudra attendre 1627 pour que celui-ci paraisse dans sa langue originale, mais à Bruxelles.

Bruxelles : on sait qu'Anne de Jésus n'admettant pas la mainmise de Bérulle sur le Carmel français, poursuivra jusque là sa route de fondatrice. Elle y mourra en 1621, et quelques mois plus tard, au printemps 1622, Gaultier édite en français à Paris le Cantique d'Amour divin tel que nous le rééditions aujourd'hui.

Ce travail était-il prêt depuis longtemps, d'évidentes raisons de discrétion interdisant de le publier du vivant d'Anne de Jésus ? Il est sûr que Gaultier devait se sentir très proche de la fondatrice, et déjà très âgé, en 1636, c'est encore lui qui traduira sa biographie par Ange Manrique247. On sait aussi que bien avant de quitter l'Espagne, Anne de Jésus faisait circuler son manuscrit du Càntico, et comme tous ses familiers, Gaultier le connaissait sans doute fort bien. Cependant, " ce dernier labeur " au service " de ce religieux tant estimé de la Sainte Mère Thèrèse ", comme il le déclare dans sa dédicace, est marqué par une évidente précipitation : traduit à la hâte, imprimé n'importe comment, de plus en plus mal et donc de plus en plus vite au fur et à mesure que l'on tourne les pages, tout se passe comme s'il s'agissait d'abord d'occuper un terrain contesté. Dans la même dédicace, Gaultier fait allusion à une polémique de la part " de beaucoup de gens qui s'entremettent le plus de ce qu'ils entendent le moins. " S'agit-il des difficultés nées en Espagne autour de ce texte, et qui y retarderont sa parution jusqu'en 1630 ? Peut-être. Il est en tout cas significatif que le Père Archange de Pembroke (1558-1632) soit le dédicataire du travail de Gaultier : capucin bien en cour, proche de son compatriote Benoît de Canfield et du tout-Paris mystique, grand réformateur de la vie religieuse féminine, sa caution pouvait être précieuse. N'oublions pas qu'en 1628 encore, le carme Quiroga sera disgrâcié par ses frères en religion pour avoir publié, toujours à Bruxelles, son Histoire de la Vie et des Vertus de Jean de la Croix 3.

2 - L'enjeu de ce texte

Voilà le peu que nous pouvons savoir de l'origine du tout premier texte imprimé du Cantique Spirituel. Les éditeurs, traducteurs et commentateurs l'ont toujours négligé, déclarant un peu vite qu'il ne valait rien. Certes, un regard superficiel, s'arrêtant aux gros caractères plus qu'aux petits, c'est-à-dire au poème plus qu'à son commentaire, remarquera son défaut le plus visible : le poème lui-même est traduit en vers de mirliton avec la plus totale fantaisie. Mais pour ce qui est de la prose, nous avons déjà souligné son importance et son exactitude de fond, même lorsque Gaultier traduit en condensant, et même si l'imprimeur ici s'est montré incroyablement négligent, coupant les phrases n'importe où, omettant ou lisant n'importe comment les références bibliques et prenant manifestement un mot pour un autre Quoi qu'il en soit, si Gaultier procède parfois " à la diable ", son exceptionnelle pénétration spirituelle — on ne va pas chercher les carmélites en Espagne sans un minimum de sensibilité contemplative ! — lui donne de toujours rester dans l'axe de la pensée de Jean de la Croix, et c'est cela qui nous est précieux. En effet, si l'on considère que cette édition témoigne

3 Cf. José de Jesùs Marîa Quiroga, Apologia Mîstica, éd. Max Huot de Longchamp, Paris, 1990. Sur la pénétration de Jean de la Croix en France, cf. André Bord, " Le rayonnement de saint Jean de la Croix au XVIIe siècle français ", Teresianum, 42, 19911, pp. 5-45.

4 Le Père Silverio, dans son édition critique des oeuvres du saint à Burgos en 1930, avoue ne pas avoir pu examiner le texte de Gaultier (t. III, p. LIV), et nous pensons que le Père Eulogio Pacho dans son édition de Madrid de 1981 (San Juan de la Cruz, Càntico espiritual), l'a grandement sous-évalué. Cf. Max Huot de Longchamp, " Autour de la perfection spirituelle selon saint Jean de la Croix ", in Juan de la Cruz, Espîritu de Llama, Roma-Kampen, 1991, pp. 599-603.


de l'état initial du Cantique, elle lève toute hésitation sur la vision johannicrucienne de la vie chrétienne en général, et de la perfection spirituelle en particulier.

Arrêtons-nous un instant sur ce point. Les connaisseurs de saint Jean de la Croix savent avec quelle prudence il faut aborder les différentes versions du Cantique Spirituel : tandis que les versions primitives (conventionnellement : Cantique A), seules bien attestées, sont parfaitement homogènes avec le reste de l'oeuvre de Jean de la Croix et avec l'ensemble de la tradition mystique chrétienne, les versions dérivées (Cantique B), curieusement privilégiées par les éditeurs modernes, vident de toute substance le mariage spirituel, n'y voyant qu'une vague anticipation d'une béatitude réservée à l'au-delà. On voit l'intérêt de saisir ici à sa source la pensée du saint : à tous les amoureux de Dieu, c'est bien le bonheur total qu'il promet, tout de suite et complètement, pour peu qu'ils se laissent aimer jusqu'au bout par le Christ. Et tout le reste n'est que "fausse et trompeuse contemplation que le démon à introduite chez les personnes vaniteuses et orgueilleuses", dirait Quiroga 5 , faisant allusion à la falsification de la doctrine de son maître, en cours au moment même où Gaultier publiait notre texte.

Il n'est pas sans intérêt de remarquer à ce propos que 1622 est l'année de la rupture entre Pembroke et sa dirigée Angélique Arnault, au moment même où Gaultier salue en l'illustre capucin un connaisseur de Jean de la Croix. Désormais, Port-Royal se tournera d'un autre côté. Tel est bien l'enjeu de notre texte : en attestant un Cantique Spirituel purement mystique, il dénonce d'avance toutes les transformations jansénisantes qui marquent, à notre avis (contesté !), ses versions plus tardives, ainsi que les traductions françaises postérieures à celles de Gaultier.

Sans rouvrir ici le dossier énorme de la transmission du Cantique Spirituel, il nous semble donc légitime d'ajouter ce Cantique d'Amour divin, même si l'original espagnol en semble définitivement perdu, aux

5 Apologia Mistica, prologue.

oeuvres complètes de Jean de la Croix : les amateurs de littérature mystique le découvriront avec enthousiasme, tandis que les spécialistes auront à leur disposition une pièce essentielle de ce dossier difficile.

3 - Caractéristiques de cette édition

Nous avons pu travailler sur l'exemplaire aimablement mis à notre disposition par l'Istitutum Carmelitanum de Rome. Il s'agit d'un petit volume de 248 pages in 8°, d'un format de 11 X 17, 5 cm, dont seules 232 sont paginées, celles qui correspondent au commentaire en prose. La première page porte le titre complet :

CANTIQUE D'AMOUR DIVIN,

ENTRE IESUS-CHRIST ET L'AME DEVOTE.

COMPOSE EN ESPAGNOL, par le B. Pere IEAN DE LA CROIX,

premier Religieux de l'Ordre des Carmes deschaussez,

& Coadiuteur de la saincte Mere TEREZE.

Traduit par M. RENE GAULTIER

Conseiller d'Estat.

A PARIS,

Chez ADRIAN TAUPINART, ruê sainct lacques à la Sphere.

M. DC. XXII.

Avec Privilege du Roy.

Le service qu'il nous fallait rendre était de publier avec un minimum de retouches ce texte fiable, mais déjà trop ancien pour être lu sans difficulté par un lecteur moderne, et affreusement mal servi par son imprimeur. Aussi avons-nous pris le parti suivant :

Nous avons corrigé et modernisé l'orthographe et la ponctuation, parfaitement fantaisistes dans l'édition originale ; mais aucun mot n'a été changé. Nous avons également explicité les abréviations. [...]248

Cantique d’Amour divin traduit par René Gaultier (1622)249



Cantique d’amour divin entre Jésus-Christ et l’Âme dévote [...]250



EXPOSITION DE L'ODE D'ENTRE L'ÉPOUSE ET L'ÉPOUX


[Premier couplet]

Où vous êtes-vous caché,

Ami, qui m'avez laissée ?

Fuyant comme un cerf chassé,

Après m'avoir blessée,

Vous en êtes ainsi allé.


En ce premier couplet, l'âme amoureuse du Verbe, Fils de Dieu son Époux, désirant s'unir à lui par une claire et essentielle vision, propose ses angoisses d'amour, se plaignant à lui de son absence, même qu'étant navrée [blessée] de son amour, pour lequel elle s'est distraite de toutes choses, voire de soi-même, ce nonobstant elle se voit privée de la présence de son Ami, qui ne la veut délivrer de la prison mortelle pour jouir de lui éternellement en la gloire. Elle dit ainsi : " Où vous êtes-vous caché ? ", voulant dire : " Ô Verbe, mon Époux ! Montrez-moi le lieu où vous êtes caché ! ", en quoi elle requiert la manifestation de sa divine essence.

Le lieu où le Fils de Dieu se cache, dit saint Jean, [Jn 1, 18] c'est le sein du Père, qui est l'essence divine, laquelle est éloignée et cachée aux yeux des mortels et à tout entendement. C'est ce que veut dire Isaïe : Véritablement, vous êtes un Dieu caché. Où il faut remarquer [Is 45, 15] que quelques grandes communications et présences, quelques hautes et sublimes notions [connaissances] qu'une âme puisse avoir en cette vie, cela n'est pas essentiellement Dieu, et n'approche en rien de lui, parce que toujours en vérité il est caché à l'âme, et il est convenable qu'elle le tienne caché sur toutes choses et grandeurs, et le cherche disant : " Où vous êtes-vous caché ? ". Car ni la haute communication et présence sensible ne témoigne pas plus sa présence, que l'aridité et défaut de tout cela en l'âme argue [prouve] son absence. Voilà pourquoi Job disait : S'il vient à moi, je ne le verrai point, et s'il s'en retire, je n'en saurai rien.

Où il faut entendre que si l'âme ressent une grande communication ou notion [connaissance] de Dieu, ou a quelque autre sentiment, elle ne se doit pourtant persuader que cela soit être plus ou mieux en Dieu, et encore moins que ce qu' [elle] sent ou entend soit essentiellement Dieu, tant [grand cela soit-il] ; que si toutes ces communications sensibles et intelligibles lui manquent, [elle] ne doit penser pour cela d'être moins en Dieu, attendu qu' [elle] ne peut savoir certainement par l'un si [elle]est en sa grâce, ni par l'autre si [elle] en est dehors. Le Sage dit [Eccl. 9, 1] que pas un ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. De manière que l'intention de l'âme en ce verset n'est pas seulement de demander la dévotion affectée [affective] et sensible, où il n'y a aucune certitude ni clarté de la possession gracieuse de l'Époux en cette vie, mais aussi la présence et claire vision de son essence, dont elle désire être certifiée et satisfaite en la gloire.

C'est ce que l'Épouse dit ès [dans les] Cantiques, lorsque souhaitant la jonction et union de la divinité du Verbe son Époux, elle l'a demandée au Père, disant [Cant 1, 6]: Enseignez-moi où vous paissez, où vous reposez sur le midi. C'était le prier qu'il lui montrât l'essence du Verbe divin, car le Père ne se glorifie ni repaît en autre chose qu'au Verbe son Fils unique. Et le priant de lui montrer où il se couchait à midi, ce n'était qu'une même demande, car le Père ne se couche ni range en autre lieu qu'en son Fils, auquel il se repose lui communiquant toute son essence, au midi qui est l'éternité où il l'engendre toujours. Ce repas, donc, duquel le Père se repaît, et ce lit fleuri du Verbe divin où il se couche caché à toute créature mortelle, est demandé par l'Épouse quand elle dit : " Où vous êtes-vous caché ? ".

Il faut remarquer que pour pouvoir trouver cet Époux, autant qu'on le peut en cette vie, que le Verbe avec le Père et le Saint-Esprit est essentiellement caché dans le fond de l'âme. Par ainsi [C'est pourquoi], l'âme qui le doit trouver par union de l'amour de Dieu, sedoit cacher à toutes les choses créées, selon la volonté, se recueillir et rentrer dans soi-même, se communiquant là à Dieu d'un trait affectif [commerce affectueux] et amoureux, ne faisant non plus de cas de tout ce qui est au monde, que s'il n'était point. C'est pourquoi saint Augustin s'écrie en ses Soliloques : Seigneur, je ne vous trouvais point dehors, parce que je vous cherchais mal hors de vous, qui étiez au dedans. Dieu est donc caché en l'âme, où le bon contemplatif le doit chercher disant : " Où vous êtes-vous caché, Ami qui m'avez laissée ? ".

Elle l'appelle " Ami " pour l'émouvoir davantage et l'incliner à sa prière, car quand on aime vraiment Dieu, il exauce franchement les prières de l'amant ; et lors on le peut à bon titre dire Ami, quand l'âme est entièrement avec lui, n'ayant son coeur qu'en lui seul. D'où vient que d'aucuns appellent l'Époux " Ami ", encore qu'il ne le soit pas au vrai, à cause qu'ils n'ont pas leur coeur entier en lui, et leur prière n'est pas aussi de telle efficace en la présence de l'Époux.

Et en ce qu'elle ajoute : " qui m'avez laissée ", est à noter que l'absence de l'Ami est un continuel gémissement au coeur de l'amant, car n'aimant rien que lui, il n'a aucun soulagement ni repos. C'est où l'on connaît si quelqu'un aime véritablement Dieu, quand il se contente de quelque chose qui est moins que Dieu. Saint Paul explique bien ce gémissement [Ro 8, 23]: Nous pleurons en nous-mêmes attendant l'adoption des enfants de Dieu ; comme s'il eût dit : dans notre coeur où nous gardons les gages, nous sentons ce qui nous travaille, à savoir l'absence. C'est donc le gémissement que l'âme a toujours, ressentant l'absence de son Ami, principalement après avoir goûté quelque douce et savoureuse communication de lui, et qu'il la laisse aride et seule ; ce qu'elle ressent si vivement, qu'elle dit :


Fuyant comme un cerf chassé.


Remarquez que l'Épouse ès [dans les] Cantiques compare son Époux au cerf et à la chèvre sauvage, à cause de sa promptitude à paraître et à se cacher, comme fait l'Ami lorsqu'il visite les âmes, desquelles il se détourne et absente aussitôt, à leur très grand regret et sentiment, ce qu'elles donnent à entendre disant : " Après m'avoir bien blessée, je n'avais pas assez de la douleur et de la peine que j'endure ordinairement en votre absence, sans que vous me perçassiez du trait de votre amour, redoublant le désir de votre vue, fuyant plus vite qu'un cerf,sans vous laissser tant soit peu comprendre [saisir]. "

Pour expliquer plus amplement ce verset, sachez qu'outre plusieurs[beaucoup] autres différences de visites que Dieu fait en l'âme, dont il la blesse et élève en amour, il use de certaines ardentes flèches d'amour qui, comme rayons de feu, transpercent l'âme et la laissent toute cautérisée du feu d'amour. Cela s'appelle proprement " plaies d'amour ", dont l'âme parle ici. Elles enflamment la volonté d'une telle affection, que l'âme est toute éprise de feu et flamme d'amour, de manière qu'elle semble se consommer dans cette flamme, [qui semble] la faire sortir hors de soi et la renouveler entièrement, et [qu'elle semble] se changer en une nouvelle manière, comme le phénix qui se brûle et renaît de nouveau. Mon coeur, dit David, est enflammé, mes reins sont changés, et moi je suis devenu à rien, et [je] n'ai su. [Ps 72, 21-22]

Les appétits et affections que le Prophète entend ici par les reins s'émeuvent [tous], et deviennent [divins] en cette amoureuse inflammation du coeur, et l'âme par l'amour se résout en rien, ne sachant rien que le seul amour. Et en cette amoureuse saison, ce changement des reins et appétits de [la] volonté est un extrême tourment et angoisse de voir Dieu, en sorte que l'âme tient pour une insupportable rigueur ce dont l'amour use envers elle, non parce qu'il l'a blessée, estimant telles blessures d'amour salutaires, ains [mais] à cause qu'il l'a ainsi laissée languissante, au lieu d'achever de la faire mourir, afin qu'elle se pût unir avec lui en la vision d'un parfait amour. C'est pourquoi, exagérant [soulignant] la douleur de sa plaie d'amour à cause de l'absence, elle dit :


Après m'avoir bien blessée.


Cette griève pensée tombe ainsi dans l'âme, d'autant qu'en cette plaie d'amour que Dieu fait en elle, la volonté de l'âme passe à l'instant en la possession de l'Ami qu'elle a senti près d'elle par son amoureux attrait ; et avec même promptitude, [elle] en ressent l'absence et en gémit aussitôt, d'autant qu'en ce même moment [il] disparaît, se cache, la laissant vide, avec autant ou plus de douleur et de gémissement qu'elle avait plus grand appétit de le comprendre [saisir] ; car ces visites de flèches d'amour ne ressemblent pas à celles dont Dieu recrée et contente l'âme, la réduisant en une paisible suavité et repos, parce qu'il fait celles-ci seules plus pour blesser que pour guérir, plus pour affliger que pour satisfaire, attendu qu'elles ne servent que pour rendre la notion [connaissance] plus vive, augmenter l'appétit, et par conséquent la douleur.

Elles se nomment " plaies d'amour ", qui sont très savoureuses à l'âme, si [si bien] qu'elle voudrait mourir toujours de mille morts à ce coup-là, qui la font sortir hors de soi et rentrer en Dieu, ce qu'elle donne à entendre au verset suivant :


Vous en êtes ainsi allé.


Ès [dans les] plaies d'amour, il n'y peut avoir de remède, sinon de la part de celui qui a fait le coup. Voilà pourquoi elle s'écrie après celui qui l'avait blessée, demandant qu'il la médecine [soigne]: la force du feu qui sort de la plaie la fait crier si haut ! Or, il faut savoir que sortir s'entend en deux façons : l'une, sortir de toutes choses en les abhorrant et méprisant, l'autre, sortant de soi-même par un oubli et négligence de soi, ce qui se fait par une sainte haine de soi en l'amour de Dieu, qui élève tellement l'âme qu'il l'attire hors de soi, de ses gonds [limites] et moyens naturels, criant après Dieu. L'âme entend ici ces deux manières de sorties qui sont nécessaires pour courir et entrer en Dieu, comme si elle disait : " Mon Époux, en ce [vôtre] attouchement et blessure d'amour, vous ne m'avez pas seulement tirée des choses, m'en étrangeant du tout [éloignant], mais vous m'avez aussi fait sortir de moi-même — car à la vérité, il semble que Dieu tire complètement alors l'âme du corps — et m'avez élevée en vous, criant après vous, étant déjà [maintenant] dénuée de tout pour m'unir à vous, et vous en étiez allé. Alors que je voulais contempler votre présence, je ne vous ai plus trouvé, et suis demeurée vide et dénuée de tout pour l'amour de vous. Et sans me tenir à vous, je pirouette [je suis suspendue] en l'air d'amour, sans être soutenue de vous ni de moi. " C'est ce que l'âme appelle ici sortir pour aller à Dieu. L'Épouse dit ès [dans les] Cantiques qu'elle se lèvera et cherchera par les rues et places de ville [Cant 3, 2] l'Ami de son âme, qu'elle l'a cherché et ne l'a point trouvé. Ce lever s'entend ici du bas en haut : c'est sortir de soi, d'un amour bas, à l'amour relevé de Dieu ; mais elle donne à entendre en quelle peine elle fut de ne l'avoir point trouvé.

Voilà pourquoi celui qui aime Dieu peine toujours durant cette vie, d'autant qu'il s'est déjà [maintenant] livré à Dieu, espérant d'être satisfait en même monnaie, à savoir de la claire jouissance et vision de Dieu, criant après elle, et on ne la lui donne point durant cette vie ; et s'étant déjà [maintenant] perdue d'amour pour Dieu, elle ne peut trouver le gain de sa perte, étant privée de la possession de l'Ami pour qui elle s'est perdue. Partant, celui qui peine pour Dieu, c'est signe qu'il s'est donné à Dieu et qu'il l'aime.

Cette douleur et ressentiment de l'absence divine est telle d'ordinaire en ceux qui approchent de plus près de la perfection lors de ces plaies divines, qu'ils en mourraient si Notre-Seigneur n'y remédiait ; car ayant le palais de la volonté [et] l'esprit sain et net, bien disposé à Dieu, et alors qu'ils savourent quelque peu de la douceur d'amour qu'ils appètent sur [convoitent au dessus de] toutes choses, ils au-dessus de souffrent extrêmement, voyant à travers les fentes un souverain bien qui ne leur est octroyé, ce qui rend leur peine et tourment indicible.



[Deuxième couplet]

Pasteurs, si par aventure,

Menant paître vos troupeaux,

Vous le voyez ès [dans les] lieux hauts,

Dites-lui combien j'endure

Pour lui de peines et travaux.


L'âme se veut ici servir de médiateurs envers son Ami, les priant de lui faire entendre ses peines et douleurs ; car c'est une propriété de l'amant, lorsqu'il ne se peut communiquer à raison de l'absence, de le faire par les meilleurs moyens à lui possibles. De façon que l'âme emploie ici ses désirs, affections et gémissements, comme autant de divers messagers qui savent bien ex p. 18 pliquer les secrets de son coeur. Voilà pourquoi il s'adresse aux " pasteurs, si par aventure... " : ce sont les affections et désirs qui repaissent l'âme de biens spirituels —" pasteur ", c'est celui qui fait paître —, par le moyen desquels Dieu se communique à elle, et nullement sans eux. Il dit : " vous qui irez d'aventure " : [cela] s'entend de ceux qui sortent de pur amour, parce que tous ne marchent pas de ce pied-là.

Menant paître vos troupeaux.

Il appelle " troupeaux " les choeurs des anges, par lesquels nos gémissements et oraisons vont de choeur en choeur jusques à Dieu, qu'il appelle " lieu haut " ; car tout ainsi que la colline est élevée, de même Dieu est la souveraine hauteur, et d'autant qu'en Dieu comme dessus une haute montagne l'on voit toutes choses, les anges y portent nos oraisons. Quand tu priais à chaudes larmes, dit l'ange en Tobie, et que tu ensevelissais les morts, j'offrais tes prières à Notre-Seigneur. [Tb 12, 12]

L'on peut aussi entendre par ces pasteurs les anges, qui ne portent pas seulement nos requêtes à Dieu, mais rapportent aussi les dépêches de Dieu à nos âmes, les repaissant comme bons pasteurs de douces inspirations et communications de Dieu qui les fait par leur entremise ; et ils nous défendent des loups qui sont les diables, nous servant de bons pasteurs.

Vous le voyez ès [dans les] lieux hauts.

C'est-à-dire, si par bonne rencontre et aventure vous [vous] trouvez en sa présence en sorte qu'il vous voie et entende. Où il faut remarquer : encore qu'à la vérité Dieu sait et entend tout, pénétrant jusqu'aux moindres pensées de l'âme, alors nous disons qu'il voit ou écoute nos nécessités quand il y remédie ou pourvoit ; car toute sorte de requêtes ne sont pas ouïes de Dieu pour les accomplir, jusqu'à ce que le temps et la saison soit venue de les entériner, selon que nous apprenons de l'Exode, où quatre cents ans après que les enfants d'Israël étaient demeurés en la servitude d'Egypte, Dieu dit à Moïse : J'ai vu l'affliction de mon peuple en Ègypte, j'ai entendu leurs clameurs et suis descendu pour le délivrer [Ex 3, 7-8], quoiqu'il l'eût toujours vu ; mais il est dit qu'il l'a vu alors qu'il y a voulu remédier. Et saint Gabriel dit aussi à Zacharie : Ne crains point, car ta prière a été exaucée, tu auras un fils selon que tu as demandé depuis tant d'années [Lc 1, 13]. Et toute âme doit savoir, encore que Dieu n'exauce promptement, néanmoins, si la chose le mérite, il y satisfera en temps et lieu. Il aide, dit David, bien à propos en la tribulation [Ps 9, 10] . L'âme veut donc dire : " Si par aventure vous le voyez, si à la bonne heure le temps est venu que Dieu veuille entériner ma requête, dites lui — c'est à savoir, à celui, parlant parfaitement, que j'aime mieux que toutes choses ". Ce que l'âme peut dire lorsqu'elle n'est retenue ni empêchée d'aucune chose d'endurer pour lui quoi que ce soit. Elle envoie donc à son bien-aimé pour messagers ses désirs avec l'avis de ses peines et nécessités.

Dites-lui combien j'endure

Pour lui de peines et travaux.

L'âme représente ici trois sortes de nécessités, de maladie, de peines et de mort. Car l'âme qui aime vraiment, au ressentiment de l'absence de Dieu, endure de ces trois façons, selon les trois puissances de l'âme, l'entendement, la volonté et la mémoire. Elle a l'entendement malade, parce qu'elle ne voit pas Dieu qui est le salut de l'entendement ; elle peine en la volonté, manquant de la possession de Dieu qui est le repos, le souhait et le rafraîchissement de la volonté ; la mémoire meurt, se souvenant qu'elle est privée de tous les biens de l'entendement qui est de voir Dieu, et de tous les délices de la volonté qui est de le posséder, joint [ajouté à] la crainte d'en être privée à jamais. Elle souffre comme une mort en cette mémoire.

Jérémie représente ces trois nécessités à Dieu : Souvenez-vous de ma pauvreté, de l'absinthe et du fiel. [Ieremi. 8.] La pauvreté se réferre à l'entendement, auquel appartient les richesses de la sagesse de Dieu, [Lam 3, 19] où, selon saint Paul, tous les trésors de Dieu sont enclos ; l'absinthe, [Col 2, 3] qui est une herbe très amère, se rapporte à la volonté, parce que cette puissance a la douceur de la possession de Dieu, dont étant privée elle demeure en amertume, ainsi que l'ange dit à saint Jean en l'Apocalypse : Prends et dévore le livre qui te remplira le ventre d'amertume [Apo 10, 9]. Le ventre se prend là pour la volonté ; le fiel s'attribue à la mémoire, qui signifie la mort de l'âme, ainsi que Moïse donne à entendre au Deutéronome parlant des damnés : Le fiel des dragons sera leur vin, et le venin incurable des aspics [Dt 32, 33], ce qui signifie la privation de Dieu, qui est la mort de l'âme. Ces trois peines et nécessités sont fondées ès [dans les] trois vertus théologales, foi, charité et espérance, qui se rapportent à ces trois puissances : entendement, volonté et mémoire.

Remarquez, s'il vous plaît, que l'âme en ce verset ne fait que représenter sa nécessité, afin que l'Ami en use comme il voudra, comme quand la Vierge dit aux noces de Cana : II n'y a plus de vin [Jn 2, 3], et les soeurs du Lazare l'avertirent que son ami était malade, sans le prier [Jn 11, 3] de le guérir. Il est plus expédient de représenter à l'Ami ses nécessités, que de le presser du remède, pour trois raisons : l'une, parce que Notre-Seigneur les sait mieux que nous-mêmes ; l'autre, à cause que l'ami a plus de compassion de la nécessité de son ami qu'il voit ainsi résigné ; la dernière, à raison que l'âme est plus assurée de l'amour propre et propriété, représentant ce qui lui manque, qu'à demander ce dont il lui semble avoir besoin. Ni plus ni moins que l'âme représente ici ces trois nécessités, qui est autant que d'en désirer le remède, car de dire : " Je suis malade ", cela s'entend : " et lui seul est ma guérison " ; " je suis en peine ", " et lui seul est mon repos " ; " je meurs ", " et lui seul est ma vie : qu'il me donne donc le repos et la vie ! ".


[Troisième couplet]

Cherchant donc mes amours,

J'irai sans cueillir les flours [fleurs]

Par monts, par vaux et rivages,

Malgré les bêtes sauvages,

Les boulevards et les tours.

Il ne suffit pas à l'âme de prier, désirer et interposer des médiateurs pour trouver l'Ami, comme [elle] [orig. Ils] a fait ci-devant, ains [mais] elle-même se met en quête, s'exerçant ès [dans les] vertus et mortifications en la vie contemplative et active. C'est pourquoi elle ne veut admettre aucun bien ni récréation, se promettant de vaincre toutes les embûches et efforts de ses trois ennemis, le monde, le diable et la chair.

" Cherchant donc mes amours,c'est-à-dire mon Ami, j'irai par monts et vaux. "

Elle appelle les vertus " montagnes ", tant à cause de leur hauteur, que de la difficulté et travail d'y parvenir, pratiquant la vie contemplative ; elle appelle " rivages " les mortifications, soumissions et mépris de soi, s'exerçant aussi pour ce regard [aspect] en la vie active, car il se faut servir de l'une et de l'autre pour acquérir les vertus ; comme si elle disait: " Cherchant mon Ami, pratiquant les hautes vertus, et m'humiliant ès [dans les] mortifications et choses basses ", à cause que le chemin de trouver Dieu, c'est de faire le bien en Dieu, et mortifier en soi le mal.

Sans cueillir les fleurs...

De tant que pour chercher Dieu, il faut avoir un coeur fort, dénué et libre de tous maux et biens qui ne sont pas purement de Dieu, l'âme déduisant [expliquant] en ce couplet avec quelle force et franchise elle veut le chercher, se proposant de ne recueillir les fleurs qu'elle rencontrera en ce chemin, par où elle entend tous les goûts, contentements et délices qui se peuvent offrir en cette vie pour traverser [obstruer] son chemin. Si elle les voulait admettre, il y en a de trois sortes, de temporels, sensuels et spirituels. Or, d'autant que les uns et les autres occupent le coeur et empêchent la nudité spirituelle qui est requise au droit chemin de Jésus-Christ si on s'y arrêtait ou retenait tant soit peu, elle dit qu'en le cherchant, elle ne cueillera toutes ces fleurs. Cela s'entend qu'elle ne mettra son coeur ès [dans les] richesses, ni ès biens du monde, ne recevra les contentements et délices charnels, ne s'amusera aux suavités et consolations spirituelles qui l'empêchent de chercher ses amours par les montagnes et rivages des vertus et travaux. Ce qu'elle propose suivant le conseil du Prophète à ceux qui tiennent cette route : Si vous abondez en richesses, n'y mettez pas votre coeur [Ps 61, 11] . Ce qui s'entend aussi des goûts sensuels, des biens temporels, et des autres consolations spirituelles, qui empêchent la voie de Dieu si on [se] les approprie. Partant, celui qui a hâte ne se doit arrêter à cueillir ces fleurs, et de plus, il doit avoir le courage de passer malgré les bêtes sauvages, les boulevards et les tours.

[Ce] sont les trois ennemis de l'âme, le monde, le diable et la chair, qui rendent le chemin difficile : par les bêtes, le monde ; les boulevards, le diable ; les tours, la chair. Car quand l'âme s'achemine vers Dieu, il lui semble que le monde se représente à lui en guise de bêtes sauvages, qui le menacent et intimident en diverses façons, soit qu'il manquera de la faveur du monde, qu'il perdra ses amis, la faveur, le crédit, la valeur, voire même les biens ; ou bien, qui pis est, qu'il n'aura jamais de plaisir ni de contentement au monde ; bref, que chacun le montrera au doigt, le méprisera, et se moquera de lui, ce qui est si vivement représenté à d'aucunes âmes qu'il leur est très malaisé, non seulement de résister à ces bêtes, mais aussi d'avancer un pas. Les âmes plus résolues trouvent d'autres bêtes intérieures et obstacles spirituels, toutes sortes de tentations, tribulations et travaux qu'il leur faut surmonter, que Dieu envoie à ceux qu'il veut élever à la haute perfection, les éveillant et éprouvant comme l'or en la fournaise. Les justes sont grandement affligés, dit David, mais Dieu les en délivrera.[Ps 33, 20]. Quant à l'âme éprise de son Ami, se confiant en son amour et faveur plus qu'en toute autre chose, elle ne craint point ces bêtes.

Les boulevards et les tours.

Les diables, seconds ennemis, sont les boulevards, d'autant qu'ils empêchent fortement le passage de ce chemin, parce aussi que leurs tentations et astuces sont plus malaisées à vaincre et à découvrir que celles du monde et de la chair ; joint [ajouté] que les deux autres ennemis, le monde et la chair, s'accompagnent d'eux pour guerroyer furieusement l'âme. David parlant d'eux, dit que les forts ont attaqué son âme [Ps 53, 5]; de fait Job tient qu'il n'y a point de force sur la terre comparable à celle du diable, lequel a été bâti pour ne rien craindre [Jb 41, 24], cela s'entend qu'il n'y a point de pouvoir humain approchant du sien. Il n'y a que le seul pouvoir divin qui le puisse vaincre, et défaire toutes ses menées. Voilà pourquoi l'âme ne saurait vaincre sa force ni ses ruses sans l'oraison, ni les découvrir sans l'humilité et mortification pour résister aux aguets du diable, dit saint Paul, car ce n'est pas lutter contre la chair et le sang [Éph 6, 11-12]; de sorte qu'il y faut employer les armes divines, et la Croix de Jésus-Christ [Ga 5, 17]. L'âme dit aussi qu'elle franchira les tours, c'est-à-dire la chair qui convoite contre l'esprit, résistant au chemin spirituel : l'âme doit passer ces tours et difficultés, jetant par terre avec la force et résolution d'esprit tous les appétits sensuels et affections naturelles, lesquelles étant dans l'âme, l'empêchent de passer à la vraie vie, ainsi que saint Paul nous apprend [Ro 8, 13]: Vous vivrez si vous mortifiez avec l'esprit les inclinations charnelles. Voilà donc le style de l'âme en ce couplet pour chercher son Ami, de ne s'abaisser à cueillir les fleurs, et franchir tous les obstacles avec l'entendement, marchant par les monts des vertus, ainsi qu'il a été dit.


[Quatrième couplet]

Ô bois que mon bien-aimé

A tout planté de ses mains,

Ô pré de fleurs émaillé,

Dites, fidèles témoins,

S'il a point par vous passé !

Après que l'âme a déduit [développé] la manière de se disposer à cette voie, renonçant à toute sorte de plaisirs, et se fortifier pour vaincre les tentations et difficultés, en quoi consiste la connaissance de soi-même, qui est le premier pas de l'âme pour parvenir à celle de Dieu, à présent elle s'achemine par la considération des créatures à reconnaître son Ami qui en est le créateur ; d'autant qu'après l'exercice de se connaître soi-même, cette considération des créatures est la première en ordre au chemin spirituel pour connaître Dieu, considérant sa grandeur et excellence en elles, selon que dit l'Apôtre [Ro 1, 20]: Les créatures du monde connaissent les choses invisibles par l'intelligence des visibles. Elle parle donc ici aux créatures, les enquérant de son Ami. Remarquez, avec saint Augustin, que la demande de l'âme aux créatures, [Confessions, X, 6] c'est la considération où elle entre de leur créateur. Par ainsi [C'est pourquoi] ce couplet contient les éléments et autres créatures inférieures ; les cieux, bref toutes les choses matérielles que Dieu y a créées, comme aussi les esprits célestes.

Ô bois que mon bien-aimé...

Elle nomme les éléments " bois ", à cause qu'ils sont composés de terre, d'eau, d'air et de feu, qui sont peuplés comme des bois délicieux, de diverses créatures, dont chaque élément est peuplé. La terre, d'innumérables animaux, l'eau, de tant de poissons, l'air, d'infinis [d'une infinité d’] oiseaux, et le feu qui concourt avec tous pour les animer et conserver. Chaque sorte d'animaux vit dans son élément et y est colloquée [placée] comme dans un bois ou région, où elle s'élève et nourrit suivant le commandement de Dieu lors de leur création : il commanda à la terre de produire les plantes et les animaux, à la mer les poissons, à l'air la demeure des oiseaux. Il dit, et cela fut fait [Gn 1]; c'est pourquoi elle ajoute :

A tout planté de ses mains,

considérant que la seule main de l'Ami, de Dieu, a pu faire ces différences et grandeurs. Elle parle expressément de la main de l'Ami, car encore que Dieu fasse plusieurs [beaucoup de] autres choses par les mains d'autrui, des anges ou des hommes, si est-ce [cependant] qu'il ne crée jamais que par sa propre main, ce qui incite fort l'âme à l'amour de Dieu, son Ami, voyant qu'il a mis lui-même la main à ces créatures.

Ô pré de fleurs émaillé...

C'est la considération du ciel qu'elle appelle " pré verdoyant ", à cause que ce qui y est créé ne flétrit point avec le temps, où les justes se délectent comme en de fraîches verdures, ce qui comprend aussi les différentes beautés des étoiles et autres planètes célestes. L'Église use du nom de verdure, lors qu'elle prie que Dieu range les âmes des défunts parmi les agréables verdures, lequel pré est "de fleurs émaillé ", s'entend d'anges et d'âmes saintes, desquelles ce lieu est paré et embelli comme d'un gracieux émail sur un excellent vase d'or.

Dites, fidèles témoins,

S'il a point par vous passé !

Cette demande est comme une enquête des excellences [perfections] qu'il a créées en eux.


[Cinquième couplet]

11 a couru vilement [rapidement]

Par ces collines remplies

De ses grâces en le voyant,

Et les a toutes enrichies

De mille beaux ornements.

Les créatures répondent à l'âme et rendent, dit saint Augustin [Confessions, X, 6] au même lieu, témoignage en elles de la grandeur et excellence de Dieu. La substance de ce couplet, c'est que Dieu a créé facilement toutes choses, laissant en chacune quelque vestige [trace] de ce qu'il est, non seulement leur donnant l'être de rien, mais les dotant d' innumérables [innombrables] grâces et vertus, les embellissant d'un admirable ordre et [dépendance251] infaillible qu'elles ont les unes des autres, le tout procédant de la sagesse avec laquelle il les a créées, qui est le Verbe, son fils unique.

Par ces collines remplies

De ses grâces en le voyant...

Cela s'entend de l'indicible multitude des créatures, désignées par le grand nombre de " mille " ; il les appelle " grâces ", à raison de celles dont chaque créature est douée, qui sont répandues par tout le monde, qui en est peuplé.

Il a couru vitement [rapidement]

Par ces collines remplies...

Passer par les collines, c'est créer les éléments, qu'il appelle de ce nom, où il a passé versant mille grâces, en la diversité des créatures qu'il a enrichies de plusieurs [beaucoup de] grâces de pouvoir concourir avec la génération et conservation entière d'icelles.

Elles disent qu'il a passé, d'autant [pour autant] que les créatures sont les traces des pas de Dieu qui désignent sa grandeur, sa puissance, sagesse et autres vertus divines ; ce pas fut léger, attendu que les créatures sont les moindres oeuvres de Dieu qui les a faites comme en passant ; celles où il a le plus paru et résidé sont l'Incarnation du Verbe et les mystères de la foi chrétienne, à l'égard desquelles toutes les autres sont faites en courant.

Et les a toutes enrichies

De mille beaux ornements.

Saint Paul dit que le Fils de Dieu est la splendeur de sa gloire et la figure de sa substance [Hb 1, 3]. Il faut donc savoir que Dieu regarda toutes choses avec cette seule figure de son Fils, [ce] qui fut leur donner l'être naturel, leur communiquer plusieurs* [beaucoup de] grâces et dons naturels, les rendant parfaites, selon qu'il est porté dans la Genèse : Dieu regarda tout ce qu'il avait fait, qui était très bon [Gn 1, 31]; son regard les rendait très bonnes au Verbe son Fils. Il ne leur communiqua pas seulement l'être et les grâces naturelles en les regardant, comme nous avons dit, mais aussi, avec cette seule figure de son Fils, il les embellit, leur communiquant l'être [surnaturel252], et [ce] fut lors qu'il se fit homme, l'exaltant à une beauté divine, et par conséquent [ 253] toutes les créatures en lui, s'étant uni à la nature de toutes en l'homme. C'est pourquoi il dit [Jn 12, 32] : Si je suis élevé de terre, je tirerai tout après moi. Par ainsi [C’est pourquoi] en cette levée de l'Incarnation de son Fils, et de sa glorieuse Résurrection, le Père n'embellit pas seulement en partie les créatures selon la chair, mais nous pouvons plutôt dire qu'il les revêtit entièrement de beauté et dignité.

Davantage [De plus], parlant à présent selon le sens et affection de contemplation et connaissance des créatures, l'âme voit clairement qu'il y a une telle abondance de grâces et vertus dont Dieu les a douées, qu'elles lui semblent toutes revêtues d'une admirable beauté naturelle, dérivée de cette beauté infinie de la figure de Dieu, dont le regard remplit tous les cieux et le monde de joie, de même qu'en ouvrant sa main, dit David [Ps 144, 16], il remplit tous les animaux de bénédiction. Partant, l'âme blessée d'amour par ce trait qu'elle a reconnu ès [dans les] créatures de la beauté de son Ami, désireuse de voir cette beauté invisible, chante ainsi :




[Sixième couplet]

Pour guérir donc mes yeux,

Qu'il se daigne à moi livrer !

J'entends que parmi ces jeux,

Il n'envoie un messager

Qui ne sait ce que je veux.

Les créatures ayant donné à l'âme des marques de son Ami par l'ombre restée en elle de sa beauté et excellence [perfection], réchauffent son amour, et par conséquent le regret de l'absence ; car tant plus l'âme a de connaissance de Dieu, plus elle souhaite de le voir, et ne pouvant guérir son mal que par la vue et présence de son Ami, se défiant de tout autre remède, elle requiert sa présence, ne se voulant plus entretenir de telles quelles notions [n'importe quelles connaissances] et communications qui ne satisfont aucunement à son désir et volonté, qui ne demande rien moins que sa vue et présence. Partant, que ce soit son bon plaisir de se livrer du tout [complètement ]à elle d'un parfait amour.

Pour guérir donc mes yeux,

Qu'il se daigne à moi livrer !

C'est-à-dire qu'entre tous les plaisirs et contentements du monde, tous goûts des sens et suavités de l'esprit, rien ne me pourra guérir ni satisfaire ; et par ainsi [c'est pourquoi] achevez de vous livrer à moi ! Où il faut remarquer que l'âme qui aime vraiment ne se peut satisfaire qu'en jouissant de Dieu, parce que tout le reste l'affame au lieu de la contenter. De sorte que toutes les visites qu'elle reçoit de son Ami, de connaissance, de sentiment, ou de quelque autre communication, qui sont comme des messagers qui apportent des paquets de ce qu'il est, lui réveillent et redoublent l'appétit, ainsi que les miettes durant la faim. S'ennuyant d'être entretenue de si peu, elle le prie de se livrer du tout [complètement] à elle, parce que tout ce que l'on saurait connaître de Dieu en cette vie n'est qu'une notion [connaissance] très éloignée, au prix de la connaissance essentielle que l'âme souhaite ici, disant :


J'entends que parmi ces jeux

Il n'envoie un messager...

Ne me baillez [donnez] plus de connaissance si limitée par ces messagers des sentiments qu'ils m'apportent, si éloignés de vous et du désir de mon âme car les messages à ceux qui souhaitent la présence, vous savez bien, mon cher Époux, qu'ils augmentent la douleur, tant à cause qu'ils renouvellent la plaie avec ce peu qu'ils apportent, aussi qu'ils ne font que dilayer[retarder] la venue. Ne m'envoyez donc plus ces telles quelles [n'importe quelles] notions , attendu que si je m'en suis contentée jusqu'ici, ne vous connaissant ni aimant guère, maintenant l'excessif amour que je vous porte ne se repaît plus de remises [délais]. Partant, livrez-vous à moi ! Comme qui dirait : " Mon Seigneur et Époux, qui vous faites voir à demi à mon âme, que ce soit entièrement ! Et ce que vous montrez comme à travers des chassis, faites-le voir clairement ; et ce que vous communiquez par moyens, que ce soit au vrai, vous communiquant par vous-mime. Il semble parfois en vos visites que vous nous allez mettre en pleine possession, et quand mon âme s'est bien regardée, elle n'y trouve rien, sinon que vous Ivousl cachez d'elle. N'est-ce pas se moquer ? Livrez-vous donc sans feintise [feinte] à toute mon âme qui vous possède entièrement, et ne m'envoyez plus de messagers qui ne savent ce que je veux. Je vous veux tout, et il n'y a chose du ciel et de la terre qui puisse notifier à l'âme ce qu'elle désire savoir de vous. Soyez donc vous-même le messager et le message."

[Septième couplet]

Tous ceux qui me vont contant

Les grâces où il s'égaye,

Me blessent bien plus avant

En ce peu qu'on en bégaye,

Et me laissent ja [maintenant] mourant.

Au couplet précédent, l'âme a montré qu'elle était malade et blessée de l'amour de son Époux, à cause de la connaissance que les créatures irraisonnables lui en avaient donnée. Maintenant, elle exprime une autre blessure, à raison d'une plus haute notion [connaissance] qu'elle a reçue de l'Époux par le moyen des créatures raisonnables, qui sont beaucoup plus nobles que les autres, à savoir les anges et les hommes, disant qu'elle meurt d'amour à cause de ce qui lui a été découvert par ces créatures, sans dire quoi, sinon qu'il est assez capable de la faire mourir d'amour.

D'où nous pouvons inférer qu'en ce trafic d'amour il y a trois sortes de peine à l'amant, touchant les trois notions [connaissances] qu'on peut avoir de lui. La première se nomme blessure qui est plus lâche, et ne dure pas plus que la plaie. D'autant qu' [comme] elle provient de la notice [connaissance] que l'âme reçoit des créatures, qui sont les moindres oeuvres de Dieu, cette plaie s'appelle maladie. Je vous conjure. Filles de Jérusalem, dit l'Épouse, si vous trouvez mon Ami, de lui dire que je languis d'amour... [Cant 5, 8] : ces filles sont les créatures. La seconde se nomme blessure qui pénètre plus avant dans l'âme, par la notion [connaissance] des oeuvres de l'Incarnation du Verbe et mystères de la foi, qui sont les principales oeuvres de Dieu remplies d'amour ; lesquelles font un plus grand escarre dans l'âme, de manière que si la première a fait une cicatrice, celle-ci fera un ulcère : Ma soeur; vous avez blessé mon coeur d'un clin d'oeil, dit l'Époux ès [dans les] Cantiques, et d'un cheveu de votre col [Cant 4, 9]. L'oeil signifie ici l'Incarnation de l'Époux, et le cheveu l'amour d'icelle.

La troisième manière de peiner en amour, c'est comme mourir étant frappé d'un ulcère incurable ; et l'âme devenue toute gangrenée ne respire qu'à demi, jusqu'à ce que l'amour la tuant la fasse vivre en amour en l'y transformant. Et cet amour est engendré d'amour en l'âme par le trait d'une sublime notion [connaissance] de la divinité, qui est ce je ne sais quoi qu'elles bégayent ; lequel attouchement n'est pas continuel ni de durée, parce que l'âme se détacherait du corps, mais cela passe vitement [rapidement], et ainsi elle demeure mourant d'amour. Et ce qui lui est plus triste que la mort, c'est de ne pouvoir achever de mourir d'amour. Cette impatience d'amour est dépeinte en Rachel, qui disait à Jacob : Je mourrai si vous ne me faites des enfants. [Gn 30, 1]. Ô que celui qui a commencé, dit Job, n'achève-t-il de m'écraser ! [Jb 6, 9]. Ces deux sortes de genre d'amour, à savoir la plaie et mourir, sont causées par les créatures raisonnables, la plaie en ce qu' [elles254] lui déduisent [développent] mille grâces de l'Ami ès [dans les] mystères et sagesse de Dieu qu'elles lui enseignent de la foi, le mourir en ce qu'elles bégayent de la notion [connaissance] et sentiment de la divinité, qui se découvre parfois à l'âme en ce qu'elle entend dire de Dieu.

Tous ceux qui me vont contant...,

sont les créatures raisonnables, anges et hommes, lesquels seuls s'emploient et vaquent à Dieu, les uns le contemplant au ciel et jouissant de lui, les autres l'aimant et le désirant en la terre. Et d'autant que [comme] l'âme connaît mieux Dieu par ces créatures raisonnables, soit à cause de leur excellence par-dessus toutes les choses créées, soit à raison de ce qu'elles nous enseignent de Dieu, les unes intérieurement par inspirations secrètes, les autres par les vérités de l'Écriture Sainte, elle dit :

Les grâces où il s'égaye...,

me faisant entendre des choses admirables de sa grâce et miséricorde ès [dans les] oeuvres de l'Incarnation et vérités de la foi, m'en éclaircissant de plus en plus. Car tant plus ils en disent, ils en découvrent encore davantage.

... Me blessent bien plus avant,

parce qu'en tout ce que les anges m'inspirent et les hommes m'enseignent, ils me rendent plus amoureux de vous et me blessent plus avant,

Et me laissent là mourant.

Outre la plaie que je reçois de ces créatures au récit qu'[elles255] me font de mille de ses grâces, il y a un je ne sais quoi qui reste à dire, on sent une certaine chose qui ne se peut découvrir et un vestige [trace] de Dieu qui se manifeste à l'âme, un très haut sentiment de Dieu indicible : un je ne sais quoi. Que si ce que j'entends me blesse d'amour, ce que je ne peux entendre me tue. Ce qui advient parfois aux âmes illuminées à qui Dieu fait la faveur de donner en ce qu'elles ouïent [entendent], ou sans ouïr, une notion [connaissance] relevée de la grandeur divine, qu'elle entend [que l'âme comprend] si clairement, lequel sentiment ou intellect est si profond, qu'il ne se peut entièrement expliquer. Et l'une des plus grandes faveurs que Dieu fasse à l'âme durant cette vie, c'est de lui donner en passant une si haute notion [connaissance] de Dieu, qu'elle comprenne que cela ne se peut accomplir du tout, parce que c'est aucunement [de quelque façon] à la manière de ceux qui le voient au ciel, où ceux qui le connaissent davantage entendent plus distinctement l'infini qui leur reste à entendre ; car ceux qui le voient le moins ne reconnaissent pas si clairement ce qui leur reste à voir, comme aux plus clairvoyants. Je crois que celui qui ne l'aura expérimenté pourra malaisément comprendre ceci, mais l'âme qui en est pratique, voyant qu'elle ne peut assez entendre [comprendre] ces hautes pensées, elle appelle cela un " je ne sais quoi ". Comme on ne l'entend pas, on le saurait aussi peu dire, encore qu'on le sente bien : c'est ce que les créatures bégayent ne se pouvant expliquer.

Touchant les autres créatures, il arrive aussi en l'âme certaines lumières, comme nous avons dit, encore qu'elles ne soient pas toujours si sublimes, quand Dieu fait la faveur à l'âme de lui en exprimer le sens spirituel ; lesquelles font entendre les grandeurs de Dieu sans achever de les comprendre, comme ceux qui expliquent à demi et n'achèvent pas tout : c'est un je ne sais quel bégaiement. Par ainsi [C'est pourquoi] l'âme continue sa plainte, et parle ainsi avec la vie de son âme :

[Huitième couplet]

Mais comment persévérez,

Ô vie, là où vous vivez,

Quoique les flèches mortelles

De l'Époux vous rendent telle

En ce que vous concevez ?

L'âme mourant d'amour, et ne pouvant mourir pour jouir librement de ses amours, se plaint de la trop longue vie corporelle, qui lui diffère d'autant la vie spirituelle ; ce qui la fait arraisonner [discuter] ici avec la vie de son âme, exagérant [soulignant] la douleur qu'elle lui cause, en ces ter mes : " Ô vie de mon âme, comment peux-tu persévérer en cette vie corporelle, qui est ta mort et privation de cette vraie vie de ton Dieu, auquel tu vis plus véritablement qu'au corps, par essence, amour et désir ? Et quand bien cela ne serait cause de te faire sortir du corps de cette mort pour vivre et jouir de la vie de ton Dieu, comment [peux-tu256] demeurer en ce corps ? Attendu même que les flèches amoureuses que [tu y reçois] suffisent seules pour t'arracher la vie, ces traits des grandeurs que l'Ami te communique, et ce fervent amour de ce que tu sens et entends de lui, sont autant de plaies mortelles. " Il dit donc :

Mais comment perséverez,

Ô vie, là où vous vivez ?

Pour entendre ceci, il est certain que l'âme vit plus en ce qu'elle aime qu'au corps qu'elle anime ; car elle n'a pas sa vie au corps, au contraire : c'est elle qui la donne au corps, et pour son regard [pour ce qui la concerne], elle vit en ce qu'elle aime. Mais outre cette vie d'amour, dont l'âme vit quoi qu'elle aime, l'âme naturellement et radicalement a sa vie en Dieu, comme à semblable [de façon semblable] toutes les choses créées. Selon saint Paul [Ac 17, 28], nous vivons, nous mouvons et nous sommes en lui, et saint Jean dit que ce qui a été fait en lui était vie [Jn 1, 4]. Et l'âme qui voit qu'elle a sa vie en Dieu par l'être qu'elle a en lui, comme aussi sa vie spirituelle par l'amour dont elle l'aime, elle se plaint de rester si longtemps en la vie corporelle qui l'empêche de vivre où elle a sa vraie vie par essence et par amour, comme nous avons dit ; ce que l'âme exagère [souligne] ici fort par l'antipathie de la vie naturelle au corps et de la vie spirituelle en Dieu, qui sont deux contraires en même objet.

Et elle vivant ès [dans les] deux ne peut manquer de tourments, parce que la vie naturelle lui est une mort qui la prive de la spirituelle, où elle déploie tout son être, vie et opérations par l'amour et l'affect [affection].


.. Quoique les flèches mortelles

De l'Époux vous rendent telle

En ce que vous concevez ?

" Comment peux-tu demeurer au corps, vu que les seuls traits d'amour te peuvent ravir la vie ? J'entends : ces flèches que l'Ami darde dans ton coeur, qui le rendent si intelligent et amoureux de Dieu, qu'il peut bien dire qu'il conçoit sa beauté, sa grandeur, sa sagesse et les vertus qu'il entend [comprend] de lui. "


[Neuvième couplet]

Puisque vous avez touché

Ce coeur à vous attaché,

Ne laissez point votre prise

Du larcin encommencé [commencé],

Poursuivez cette entreprise !

Elle parle à son Ami sur le sujet de sa douleur

— d'autant que l'amour impatient, tel que l'âme fait ici paraître, ne souffre aucun loisir ni repos à sa peine —, proposant ses angoisses en toutes façons, jusqu'à ce qu'elle y ait trouvé remède. Et se sentant blessée, et seule, n'ayant autre médecine que son Ami, qui est celui qui a blessé son coeur de l'amour de sa connaissance, pourquoi il ne la veut guérir par la vue de sa présence ? Et puisqu'il le lui a aussi ravi par l'amour, le tirant de son pouvoir, pourquoi il l'a ainsi laissé — car celui qui aime ne possède plus son coeur qu'il a donné à l'[ami257] — et ne l'a pas logé dans le sien, le prenant pour soi par une entière et accomplie transformation d'amour en gloire ? [Elle] dit donc :

Puisque vous avez touché

Ce coeur à vous attaché...

Elle ne se plaint pas de la blessure, car tant plus l'amant est navré [blessé], plus il est content ; mais bien de ce qu'ayant blessé son coeur, il ne l'a pas guéri, l'achevant de tuer. Car les plaies d'amour sont si douces et savoureuses, que si on n'en meurt, on ne la saurait satisfaire ; et néanmoins, elles lui sont si agréables qu'elle voudrait en être frappée jusqu'au mourir : " Puisque vous avez blessé ce coeur, pourquoi ne l'avez-vous pas guéri ? " Comme si [elle] disait : " Puisque vous l'avez navré à sang et plaie, [pourquoi] ne le guérissez-vous, l'achevant de tuer d'amour ? Attendu que vous êtes cause de la plaie en maladie d'amour, soyez cause de la guérison par une mort d'amour. En ce faisant, le coeur qui est outré [transpercé] de la douleur de [votre258] absence, guérira par les délices et la gloire de [votre] douce présence. [Elle] ajoute :

Ne laissez point votre prise

Du larcin encommencé [commencé]...

Dérober n'est autre chose que depriver le maître de la possession dont on s'approprie. L'âme fait ici sa plainte : puisqu'il a dérobé son coeur, le retirant de son pouvoir et possession, pourquoi il l'a ainsi laissé sans le prendre en la sienne et le retenir pour soi, comme le larron jouit de son larcin ?

C'est pourquoi on dit que l'amoureux a le coeur ravi par celui qu'il aime, à cause qu'il est tout hors de soi, fiché en la chose aimée, en sorte qu'il n'a point de coeur à soi, ains[mais] pour ce qu'il aime ; d'où l'âme pourra bien connaître si elle aime Dieu, ou non, car si elle l'aime, son coeur sera à Dieu, non pas à elle : tant plus elle le retient à soi, tant moins il est en Dieu.

Et l'on voit si le coeur est bien ravi, quand il est en souci de son Ami, et qu'il ne prenne plaisir en autre chose qu'en lui, comme l'âme montre ici. D'autant que le coeur ne peut être en paix et repos sans sa possession, et lorsqu'il est affectionné, il n'est plus à soi et ne possède rien ; que s'il ne jouit non plus de ce qu'il aime, il ne manquera pas de malaise, jusqu'à ce qu'il en jouisse, d'autant qu'il demeure comme un vaisseau vide qui attend qu'on le remplisse, et comme [l'affamé259] qui déorig. : la femme sire à manger, ou le malade qui attend la santé, ou comme celui qui est suspendu en l'air et n'a où s'appuyer. Le coeur amoureux est tout de même, ce que l'âme ayant ressenti par expérience, se plaint de quoi il a ainsi laissé ce coeur vide, affamé, seul, navré [blessé] et malade d'amour, suspendu en l'air.

Poursuivez cette entreprise...

"Prenez ce coeur pour le remplir et l'attacher, l'accompagner et guérir, lui donnant un siège et repos accompli en vous." L'âme amoureuse ne peut qu'elle ne désire le salaire et loyer de son amour, pour lequel elle sert l'Ami, car autrement ce ne serait pas un vrai amour ; récompense qui n'est autre chose, et l'âme n'en saurait désirer d'autre, que d'aimer de plus en plus jusqu'à la perfection, amour qui ne se paye que de soi-même, ainsi que Job dit [Jb 7, 2] : Tout ainsi que le cerf cherche l'ombre et le mercenaire attend la fin de son ouvrage, de même j'ai eu des mois vides et compté des nuits pénibles et ennuyeuses. Si je me couche je suis en souci quand il me faudra lever, le matin j'attendrai le soir et serai comblé de douleurs jusqu'aux ténèbres de la nuit. De même [que] l'âme éprise de l'amour de Dieu désire l'accomplissement et perfection d'amour pour s'y rafraîchir entièrement, comme le cerf cherche l'ombre en été et le journalier la fin de la journée, ainsi l'âme attend l'issue de la sienne. Où il faut remarquer que Job ne dit pas que le mercenaire attend la fin de son travail, ains [mais] de son oeuvre, pour donner à entendre ce que nous disons, à savoir que l'âme qui aime n'attend pas la fin de son travail, mais bien de son oeuvre, qui est aimer ; et [elle 260] espère la fin qui est la perfection et accomplissement d'aimer Dieu, et jusqu'à ce que cela advienne, l'âme sera comme Job dit, les jours et les mois vides, les nuits longues et fâcheuses. Ce qui donne à entendre que l'âme qui aime Dieu ne doit espérer autre chose de lui que la perfection d'amour.


[Dixième couplet]

Éteignez donc mes ennuis [impatiences]

Que vous seul pouvez défaire,

Éclairant mes yeux les nuits

Où je tache à vous complaire,

Qui sans vous sont tout ternis.

Elle prie l'Ami de terminer son angoisse, puisqu'il n'y a que lui seul qui le puisse faire, et que ce soit en sorte que les yeux de son âme le puissent voir, puisqu'il est seul la lumière qu'ils regardent. Et elle ne les veut employer ailleurs qu'en lui disant :

Apaisez donc mes ennuis [impatiences] ...

La concupiscence d'amour a cette propriété que tout ce qu'elle ne fait ou dit qui convient à ce que la volonté aime, la lasse et ennuie, avec un dégoût de ne voir accomplir ce qu'elle veut. Elle nomme cela et la peine qu'elle a de [ne pas] voir Dieu, " ennuis [impatiences] ", qui ne peuvent être apaisés que par la possession de l'Ami. C'est pourquoi [elle] le convie de les assoupir par sa présence, et les rafraîchir comme l'eau refait ceux qui sont matés [épuisés] de la chaleur. C'est pourquoi elle use du mot " éteindre ", pour signifier qu'elle brûle du feu d'amour.

Que vous seul pouvez défaire…

L'âme, pour mieux persuader l'Ami d'accomplir sa demande, dit que, lui seul pouvant satisfaire à sa nécessité, qu'il doit amortir ses ennuis [apaiser ses impatiences]. Où vous noterez que Dieu est alors bien disposé à consoler l'âme, quand elle ne prétend aucune consolation que de lui ; par ainsi [c’est pourquoi] l'âme qui n'a rien que Dieu, ne demeurera guère sans être visitée de son Ami.

... Éclairant mes yeux les nuits...

C'est-à-dire, que je vous voie face à face avec les yeux de mon âme,

Qui sans vous sont tout ternis.

Outre que Dieu est la lumière surnaturelle des yeux de l'âme, sans laquelle elle est en ténèbres, l'âme l'appelle ici par affection " lumière de ses yeux ", nom que l'amant donne à ce qu'il aime pour signifier l'amour qu'il lui porte ; comme s'il disait : " Puisque mes yeux n'ont point d'autre lumière, ni par nature, ni par amour, que mes yeux vous voient, attendu que vous êtes leur lumière en toutes façons ! David en était privé lorsqu'il se plaignit [Ps 37, 11], et cette lumière de mes yeux n'est point avec moi : Qui sans vous sont tout ternis ! "

L'âme vient de dire que ses yeux seront en ténèbres, ne voyant son Ami qui est leur seule lumière, où il l'oblige à lui donner cette lumière de gloire. Maintenant, pour le gratifier [flatter] davantage, elle proteste ne s'en vouloir servir que pour lui ; car, comme l'âme est justement privée de cette lumière divine lorsqu'elle veut jeter les yeux de sa volonté sur quelque chose hors de Dieu — d'autant que cela empêche de le recevoir —, de même elle mérite qu'on la lui octroie quand elle ferme les yeux en toutes choses et ne les ouvre qu'à Dieu seul.


[Onzième couplet]

Ô source d'eau cristalline,

Si dans celle onde argentine,

Je pouvais y contempler

Ces yeux qui me font trembler

Jusqu'au fond de la poitrine !

L'âme si désireuse de l'union de l'Époux, ne trouvant aucun moyen ni expédient en toutes les créatures, s'abouche avec la foi, lumière de son Ami qui la peut [le] plus soulager, l'interposant à cet effet, parce qu'à la vérité il n'y a point d'autre moyen de parvenir à l'union divine, ainsi que l'Époux dit en Osée : Je t'épouserai en foi [Os 2, 20]. Ce qu'[elle261] dit avec un grand désir : " Ô foi de mon Époux Jésus-Christ, si les vérités que tu as infuses en mon âme de mon bien-aimé, sous des ténèbres et obscurités, tu les manifestais à cette heure clairement, découvrant ces formes et notions [connaissances] contenues en la foi, te retirant promptement d'elles, elles tourneraient en gloire ! "

Ô source d'eau cristalline...

Elle nomme la foi " cristalline " pour deux raisons. La première, pour ce qu'elle est de son Époux Jésus-Christ. La seconde, à cause qu'elle a les propriétés du cristal, d'être pure ès [dans la] vérité, forte, claire, nette d'erreurs et formes naturelles ; elle l'appelle " source " à cause qu'elle influe [verse] à l'âme les eaux de tous les biens spirituels. D'où vient que Notre-Seigneur Jésus-Christ parlant à la Samaritaine l'appelle " fontaine ", disant que ceux qui croiront en lui boiront d'une eau qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle : cette eau, c'est l'esprit que les croyants reçoivent en sa foi.

Si dans cette onde argentine...

Elle appelle les articles de la foi " ondes " ou " regards argentins ". Pour l'intelligence de ceci et de tout le couplet, notez que la foi est comparée à l'argent ès [dans les] propositions qu'elle nous enseigne, et les vérités et substance qu'elle contient [sont] accomparées [comparés] à l'or, d'autant que ce que nous croyons à présent couvert de l'argent de la foi, nous le verrons et en jouirons en l'autre vie à découvert, [l'or de la foi étant dénudé262]. Si vous dormez, dit David [Ps 67, 14], entre les deux choeurs des ailes de la colombe, elles seront argentées, et l'extrémité du col sera pâle comme l'or. C'est-à-dire que si nous fermons les yeux de l'entendement aux choses d'en haut et d'en bas, ce qu'il appelle " dormir ", nous demeurerons au milieu seulement en foi, qu'il nomme " colombe " dont " les ailes ", qui sont les vérités qu'elle nous dit, " seront argentées ", d'autant que la foi nous les propose en cette vie obscures et couvertes ; mais à la fin de cette foi, que le voile d'argent sera levé, elle se trouvera de couleur d'or. De manière que la foi nous donne et communique Dieu, mais couvert de l'argent de la foi, et ne laisse pourtant de nous le donner avec la même vérité qu'il est ; un vase d'or argenté, encore qu'il soit couvert d'argent, ne laisse pas d'être d'or. D'où vient que l'Épouse ès [dans les] Cantiques, désirant jouir de Dieu qui le lui promettait, autant qu'il se peut en cette vie, il lui dit qu'il lui ferait des pendants d'oreille d'or, néanmoins émaillés d'argent : c'était se donner à elle en foi, couvert. L'âme dit donc ici à la foi : " Or si [Si donc] en cette eau argentine dont tu couvres l'or des rayons divins,

Je pouvais y contempler ces yeux... "

" Ces vérités divines que la foi nous propose enveloppées et informes, si vous me les montriez à découvert comme je désire ! " Elle appelle ces vérités " yeux ", à cause de la présence qu'elle sent de l'Ami, qui semble la regarder toujours,

... Ces yeux qui me font trembler

Jusqu'au fond de la poitrine ...,

c'est dire en son âme, selon l'entendement et la volonté. D'autant que ces vérités lui sont si avant infuses par la foi, quoique la notion [connaissance] soit imparfaite, comme le crayon [esquisse] d'une peinture attend la dernière main, ainsi les vérités que la foi imprime en l'âme, suivant le dire de l'Apôtre : quand le tout sera réduit à la perfection de la claire vision, la connaissance de la foi cessera. [I Cor 13, 10]

Par dessus ce crayon [esquisse] de la foi, il y en a un autre d'amour en l'âme de l'amant, qui est selon la volonté, où la figure de l'Ami est si vivement empreinte [imprimée] lorsqu'il y a union d'amour, qu'on peut dire avec vérité que l'amant vit dans l'Ami, et l'Ami dans l'amant ; et l'amour fait une telle semblance [ressemblance] en la transformation des amants, qu'on peut dire que l'un est l'autre, et que les deux ne font qu'un par métamorphose d'amour. C'est ce que saint Paul dit : qu'il vit, non pas lui, ains [mais] que [Ga 2, 201 Jésus-Christ vit en lui, car la vie qu'il menait n'était pas de lui, ains [mais] de Jésus-Christ auquel il était transformé.Sa vie était plus divine qu'humaine, de manière que nous pouvons dire que sa vie et celle de Jésus-Christ n'était qu'une même vie par union d'amour ; ce qui s'accomplira parfaitement au ciel en la vie divine, en tous ceux qui mériteront de se voir en Dieu, qui auront la vie de Dieu, non pas la leur, encore que ce sera bien leur vie. D'autant que la vie de Dieu sera la leur, alors ils pourront bien dire : nous vivrons, non pas nous, parce que Dieu vit en nous. Combien que cela puisse être dès cette vie, comme il était en saint Paul, toutefois ce n'est pas si parfaitement, quoique l'âme parvienne à une telle transformation d'amour que ce soit un mariage spirituel, qui est le plus haut état où on saurait aspirer en cette vie ; car tout se peut appeler crayon [esquisse] d'amour, en comparaison de cette parfaite figure de transformation de gloire. Néanmoins, quand on peut parvenir à ce portrait durant cette vie, c'est un très grand bonheur, et l'Ami s'en contente fort. Voilà pourquoi il désire que l'Épouse le mette en son âme comme un cachet [sur le coeur] ou une marque sur le bras. [Cant 8, 6]. Le coeur signifie l'âme où Dieu est en cette vie comme un crayon [esquisse] de la foi, le bras se met pour la volonté forte, où il est comme un signe et portrait d'amour.



[Douzième couplet]

Détourne-les, cher Ami !

Reviens, ma colombe, ici :

Car le cerf montre sa plaie

Sur la colline, assoupi,

Au zéphyr qui la balaie.


Ès [Dans les] grandes ferveurs et désirs d'amour que l'âme a jusqu'ici témoignées, l'Ami a de coutume de visiter son Épouse hautement, mignardement et amoureusement, avec un tel effort [force] d'amour, que d'ordinaire, selon les ferveurs et angoisses qui ont [précédé263] dans l' âme, les faveurs et visites de Dieu sont pareilles. L'âme qui avait tant souhaité ces yeux divins, reçoit maintenant de l'Ami quelques rayons de sa grandeur et divinité selon son désir, qui la ravissent en extase ; ce qui arrive [au264] commencement avec une grande crainte et détriment de la nature, en sorte que ne pouvant supporter l'excès en un si faible sujet, elle prie son Ami de détourner ses yeux divins qui la font sortir des gonds en une contemplation relevée par dessus le naturel, pensant que l'âme quittait le corps comme elle eût bien voulu. C'est pourquoi elle le prie de détourner les yeux, c'est-à-dire de ne les lui plus communiquer en la chair où elle ne les peut souffrir et en jouir à son plaisir, ains [mais] de les lui montrer dans le ravissement où elle était hors de la chair. Désir que l'Époux retranche aussitôt, disant :

Reviens, ma colombe, ici !

[Douzième couplet]

Détourne-les, cher Ami !

Reviens, ma colombe, ici :

Car le cerf montre sa plaie

Sur la colline, assoupi,

Au zéphyr qui la balaie.


Ès [Dans les] grandes ferveurs et désirs d'amour que l'âme a jusqu'ici témoignées, l'Ami a de coutume de visiter son Épouse hautement, mignardement et amoureusement, avec un tel effort [force] d'amour, que d'ordinaire, selon les ferveurs et angoisses qui ont [précédé265] dans l' âme, les faveurs et visites de Dieu sont pareilles. L'âme qui avait tant souhaité ces yeux divins, reçoit maintenant de l'Ami quelques rayons de sa grandeur et divinité selon son désir, qui la ravissent en extase ; ce qui arrive [au266] commencement avec une grande crainte et détriment de la nature, en sorte que ne pouvant supporter l'excès en un si faible sujet, elle prie son Ami de détourner ses yeux divins qui la font sortir des gonds en une contemplation relevée par dessus le naturel, pensant que l'âme quittait le corps comme elle eût bien voulu. C'est pourquoi elle le prie de détourner les yeux, c'est-à-dire de ne les lui plus communiquer en la chair où elle ne les peut souffrir et en jouir à son plaisir, ains [mais] de les lui montrer dans le ravissement où elle était hors de la chair. Désir que l'Époux retranche aussitôt, disant :

Reviens, ma colombe, ici !

" Rentre, ma colombe, car la communication que tu reçois à présent de moi n'est pas encore de l'état de gloire que tu prétends ; retourne à moi qui suis celui que tu cherches [navrée267 : blessée] d'amour : car moi aussi, comme le cerf blessé de ton amour, je commence à me montrer à toi par la haute contemplation où je me recrée et rafraîchis en ton amour. "

L'âme dit donc à l'Époux : " Détourne les, mon Ami ! ", car la misère de notre naturel en cette vie est telle, que ce qui est vie à l'âme et ce qu'elle désire le plus, qui est la communication et connaissance de l'Ami quand on la lui accorde, elle ne la peut recevoir qu'avec

hasard [au risque] de sa vie. De façon que les yeux qu'elle a recherchés si soigneusement et par tant de voies, les sentant, [elle] est contrainte de dire : " Détournez-les, cher Ami ! ", à cause qu'en ces visites elle reçoit parfois de tels tourments, qu'il semble que tous les os se disloquent ès [dans les] extases ; et la nature est réduite en telle extrémité, que si Dieu n'y pourvoyait, ce serait la fin de la vie. Et l'âme qui est ainsi ravie à cette opinion, [elle sent268] arracher l'âme du corps qui ne peut recevoir ces faveurs, car l'esprit est élevé pour communiquer avec la divinité qui vient dans l'âme, et abandonne pour cet effet aucunement [de quelque manière] le corps, lequel souffre par une telle absence, [ce] qui est une très douloureuse séparation de l'âme d'avec le corps ; ce qui lui fait dire : " Détourne-les, mon Ami ! " Non que l'âme le voulût, mais c'est par une crainte et appréhension naturelle, parce que quand elle devrait tout perdre, elle recherchera toujours ces visites de son Ami, où, si la nature pâtit, l'esprit vole au recueillement [surnaturel269] de jouir de l'Ami, selon son désir. Elle ne voudrait pas le recevoir en ce corps, qui n'en est que fort peu capable ; mais quand l'âme laissera le corps elle en pourra jouir librement, et c'est ce qui lui fait dire : " Détourne-les, cher Ami ! "; à savoir : " Ne me les communique pas en cette vie, que je ne me sois envolé de la chair hors de laquelle vous pourrez m'en faire part, d'où j'en sors pour cela ! ", pour nous faire entendre quel est ce vol. Il est à noter qu'en cette visite du Saint-Esprit, l'âme est fortement ravie pour communiquer avec lui, laissant le corps détruit sans aucune fonction, qu'elle a toutes en Dieu. C'est pourquoi saint Paul ignore s'il était ravi en corps. L'âme pourtant n'abandonne pas la vie naturelle, ores qu’[quoiqu’] elle n'y ait ses actions, ce qui rend le corps [insensible270] en ces ravissements, quelque plaie et douleur qu'on lui fasse. Ce n'est pas comme les convulsions et pâmoisons naturelles, où l'on rappelle les esprits à force de tourments. Les illuminés [progressants] qui n'ont encore atteint l'état de perfection reçoivent ces sentiments en leurs visites, car ceux qui ont toute leur communication en paix et suave amour, ne sont plus sujets à ces ravissements, qui les disposaient à une entière communication.

Ce lieu était convenable pour traiter des différences des ravissements, extases et autres vols subtils de l'esprit qui arrivent d'ordinaire aux contemplatifs ; mais d'autant que mon intention est d'expliquer succinctement cet ode, je m'en rapporte à ceux qui en pourront mieux parler que moi. Notre sainte mère Thérèse de Jésus en a dignement écrit des livres, qui sortiront, comme j'espère, bientôt en lumière.

Le vol se prend ici pour extase en Dieu. " Rentre dans toi ! ", il me dit : l'âme s'envolait très volontiers du corps en ce vol spirituel, pensant être au bout de sa vie, et qu'elle pourrait jouir de son Époux à jamais, demeurant avec lui à découvert. Mais l'Époux l'arrête court : " Rentre dans toi ! ", comme voulant dire : " Ma colombe, en ce haut vol que tu prends de contemplation, en l'amour dont tu brûles et en la simplicité dont tu procèdes — ce sont les trois propriétés de la colombe —, retire-toi de ce haut vol où tu prétends me posséder vraiment ; parce que le temps de cette haute connaissance n'est pas encore venu, accomode-toi à ce médiocre que je communique, présent en cet excès.

Car le cerf montre sa plaie...

L'Époux se compare au cerf et s'entend sous ce nom. La propriété du cerf, c'est de se tenir en haut lieu, et quand il est blessé, il court vitement [rapidement] se rafraîchir dans les eaux froides ; et s'il entend la biche se plaindre et ressent qu'elle soit blessée, il s'en va aussitôt avec elle la chérir et caresser. L'Époux en use à présent de même : voyant l'Épouse navrée [blessée] de son amour, il accourt à sa plainte étant aussi blessé de son amour ; parce qu'en matière d'amoureux, les blessures de l'un sont communes aux deux, qui n'ont qu'un même sentiment. C'est comme s'il disait : " Retourne-t-en, mon Épouse, vers moi, car si tu es frappée de mon amour, j'accours comme le cerf, aussi blessé. "

Sur la montagne, assoupi...

C'est-à-dire par la hauteur de ta contemplation que tu as en ce vol. La contemplation, c'est une haute montagne où Dieu commence dès cette vie à se communiquer aux âmes et se montrer à elles ; mais il n'achève pas de paraître, car quelques hautes notions [connaissances] que Dieu donne de soi à l'âme durant cette vie, ce ne sont que des assoupissements et apparences légères. S'ensuit la troisième propriété du cerf :

... Au zéphyr qui la balaie.

Par le vol, elle entend l'extase de la contemplation, comme nous avons dit, et par le vent zéphyr, l'esprit d'amour qui cause en l'âme le vol de cette contemplation. Il appelle ici cet amour causé par le vol " vent " assez proprement, d'autant que le Saint-Esprit, qui est amour, s' accompare [est accomparé] en l'Écriture au vent qui est soufflé par le Père et le Fils. Tout ainsi que là c'est un vent du vol, c'est-à-dire qui procède de la contemplation et Sagesse du Père et du Fils, et est respiré, de même il appelle ici cet amour de l'âme " vent " à cause qu'il procède de la contemplation et notion qu'elle a pour lors de Dieu.

Notez que l'Époux ne dit pas ici qu'il vient au vol, sinon " au vent du vol " ; car Dieu ne se communique proprement à l'âme par le vol de l'âme, qui est, comme nous avons dit, la connaissance qu'elle a de Dieu, ains [mais] par l'amour de la connaissance. Et tout ainsi que l'amour, c'est l'union du Père et du Fils, de même il l'est de l'âme avec Dieu. D'où vient qu'encore qu'une âme ait de très hautes notions271 de Dieu, qu'elle connaisse tous les mystères, si elle n'a de l'amour, cela ne sert de rien, comme dit saint Paul, pour s'unir à Dieu. Ayez de la charité, dit-il ailleurs [1 Co 13, 2], qui est le lien de la perfection. Cette charité, [Col 3, 14] donc, et amour de l'âme, fait accourir l'Époux pour boire de cette fontaine d'amour de son Épouse, ainsi que le cerf échauffé cherche l'eau fraîche pour rafraîchir sa plaie.

Tout ainsi que le vent rend de la fraîcheur a celui qui est [épuisé] de chaleur, de même ce vent d'amour recrée celui qui brûle du feu d'amour ; lequel a cette propriété, que le vent dont il se rafraîchit, c'est un plus grand feu d'amour ; car en l'amant l'amour est une flamme qui brûle, avec une ardeur de brûler davantage, ainsi que fait la flamme du feu naturel. Il appelle donc ici l'accomplissement de son désir de brûler davantage en l'ardeur d'amour de son Épouse, qui est le vent de son vol : " prendre le frais " ; comme s'il disait : " Elle brûle plus fort à l'ardeur de ton vol ", attendu qu'un amour enflamme l'autre. Où vous noterez que Dieu ne met sa grâce et amour en l'âme qu'à proportion de la volonté et amour d'icelle. C'est pourquoi le franc [véritable] amoureux doit procurer de n'y manquer, puisque par ce moyen il émeuvra davantage Dieu à l'aimer — si cela se peut dire — et à se recréer dans son âme. Pour continuer cette charité, il en faut pratiquer ce que dit l'Apôtre : elle est patiente, bénigne, sans ennui, sans malice, sans orgueil ni ambition ; elle ne cherche point ce qui est de son intérêt, elle ne se mutine, ne pense en aucun mal, ne se réjouit point ès [dans l'] adversité d'autrui, se plaît en la vérité, endure tout ce qu'il faut souffrir, croit ce que l'on doit croire, espère tout, supporte tout, à savoir I Cor. 18 [1 Co 13, 4-7] ce qui convient à la charité.


[Treizième couplet]

Mon Ami est les hauts monts,

Et les vallées solitaires,

Et les îles étrangères,

Les bruyants fleuves profonds,

Le souffle des vents amoureux.


[Quatorzième couplet]

Sa nuit est plus belle encore

Que la blancheur de l'aurore ;

C'est le son harmonieux

D'une solitaire corde,

La cène qui réjouit l'amoureux.


Avant d'expliquer ces deux couplets pour les mieux entendre, et ceux qui suivent, [il] faut remarquer qu'en ce vol spirituel, il y a un haut état et union d'amour, où après une longue pratique, Dieu élève ordinairement l'âme, qu'on appelle mariage spirituel avec le Verbe Fils de Dieu. La première fois que cela se fait, Dieu communique à l'âme de grandes choses de foi, l'embellissant d'une grandeur et majesté, l'ornant de dons et de vertus, la revêtant de la connaissance et honneur de Dieu, ainsi qu'une mariée le jour de ses noces. Et en ce bienheureux jour, l'âme termine non seulement ses anxiétés et plaintes amoureuses, mais aussi, étant parée comme je dis, elle commence un état de paix, de délices et de suavité d'amour, ainsi qu'il est porté dans ces couplets où elle raconte les grandeurs de son Ami, qu'elle connaît et dont elle jouit toute en lui par ladite union des épousailles. Tout de même ès [dans les] couplets suivants, elle ne parle plus de ses travaux comme auparavant, ains [mais] de l'exercice et communication d'un doux et paisible amour avec son Ami, parce qu'en cet état tous les ennuis [impatiences] finissent. Notez que ces deux couplets contiennent ce que Dieu a de coutume de communiquer en ce temps-là à une âme, non que toutes celles qui parviennent à cet état en aient autant qu'[elle272] en dit ici, ni d'une même façon ou mesure de connaissance et sentiment : d'aucunes en ont plus, les autres moins, aux unes en certaine manière, aux autres en l'autre, encore que l'un et l'autre puisse être en cet état du mariage spirituel. Elle dit ici tout le plus qui puisse arriver pour comprendre tout.

Or, comme cette colombe de l'âme volait sur les vents d'amour, par dessus les eaux du déluge des peines et travaux de son amour, dont nous avons discouru jusqu'ici, ne trouvant où se reposer, à ce dernier vol, comme nous avons dit, le pitoyable père Noé étendit la main de sa miséricorde, et la remit en la barque de sa charité et amour ; ce fut lors qu'il lui dit : " Reviens, ma colombe !"

Tout ainsi qu'il y avait plusieurs [beaucoup de] logettes dans l'arche de Noé, comme dit l'Ecriture Sainte [Gn 6-7], selon la diversité des animaux, et toutes les viandes [nourritures ] dont ils pouvaient manger, de même l'âme au vol qu'elle fait dans cette barque divine de la poitrine de Dieu, non seulement elle y voit les diverses demeures que sa Majesté dit en saint Jean qu'il y avait en la maison de son Père,mais aussi elle y reconnaît toutes sortes de viandes, c'est-à-dire toutes les grandeurs que l'âme saurait goûter, qui sont contenues en ces deux couplets, et signifiées par des mots communs.

L'âme en cette divine union, voit et goûte l'abondance et les inestimables richesses, y trouve tout le repos et récréation qu'elle désire, entend des secrets de Dieu et intelligences étrangères, [ce] qui est une autre viande de ceux qui le savent bien. Elle ressent en Dieu une force et [un] pouvoir qui efface tous les autres pouvoirs, et savoure là une admirable suavité et délice spirituels ; elle trouve un vrai repos, une lumière divine, et goûte hautement de la Sagesse de Dieu qui reluit en l'harmonie des créatures et des faits de Dieu ; elle se trouve remplie de biens, vide et éloignée de maux, et surtout elle jouit d'une inestimable réfection d'amour qui la confirme en amour. Voilà la substance de ces deux couplets, èsquels [dans lesquels ] l'Épouse dit que son Ami est toutes ces choses en soi, et les espère pour elle. Car en ce que Dieu a coutume de communiquer en semblables excès, l'âme sent et connaît la vérité de ce que dit saint François : " Mon Dieu et mon tout ! " D'où vient que Dieu qui est tout à l'âme, et le bien de toutes, déclare [explique] la communication de cet excès par la similitude de la bonté des choses ès [dans les] susdits couplets, selon que nous expliquerons en chaque verset, où il faut entendre que tout ce qui est ici expliqué est éminemment en Dieu, et d'une manière infinie. Ou pour mieux dire, chacune de ces grandeurs, c'est Dieu, et toutes ensemble sont Dieu. Et d' autant qu'en ce cas l'âme s'unit à Dieu, elle sent que Dieu lui est tout en un simple être, selon saint Jean qui dit que ce qui a été fait en lui était vie. Ioa. 1. [Jn 1, 3]. De sorte qu'il ne faut pas entendre en ce qu'il dit ici que l'âme sent, soit comme voir les choses. Il ne faut non plus entendre, à cause que l'âme sent si hautement de Dieu en ce que nous traitons, qu'elle voie Dieu clairement et essentiellement, car ce n'est qu'une forte communication et demi lumière de ce qu'il est en soi, où l'âme sent ce bien des choses que nous déduirons [développerons] ici.

Mon Ami est les montagnes...

Les montagnes sont hautes, abondantes, amples, belles, gracieuses, florissantes, odoriférantes : ces montagnes, c'est mon Ami à moi. Les vallées solitaires sont coites [tranquilles], gracieuses, fraîches, ombrageuses, abondantes en eaux douces, en diversité de bocages et en la mélodie des oiseaux qui chatouille les oreilles, raffraîchissent et délassent en leur solitude et silence : c'est mon Ami à moi. Les îles étrangères sont entourées de la mer, fort écartées et éloignées de la communication des hommes, qui produisent plusieurs [beaucoup de] choses toutes différentes de celles d'ici, d'étranges façons et vertus inouïes des hommes, qui font émerveiller ceux qui les voient pour les grandes et admirables nouveautés et notions [connaissances] étranges, éloignées du sens commun, que l'âme voit en Dieu. Elle l'appelle " îles étrangères ", car nous appelons quelqu'un " étrange " pour l'une de ces deux causes : qu'il se retire du monde, ou parce qu'il est excellent et particulier entre les autres hommes en ses oeuvres et déportements [comportements].

L'âme pour ces deux causes appelle ici Dieu " étrange ", parce qu'il n'est pas seulement plus étrange que les îles désertes, mais ses voies, ses gestes et conseils sont fort étranges et nouveaux, et admirables aux hommes. Et ce n'est pas de merveille que Dieu soit étranger aux hommes qui ne l'ont pas vu, puisqu'il l'est aux anges et aux âmes qui le voient sans se pouvoir lasser de le voir ; et jusqu'au dernier jour du jugement, ils y voient tant de nouveautés selon ses nouveaux jugements, et touchant les oeuvres de sa miséricorde et justice qui sont toujours si nouvelles, qu'on s'en émerveille de plus en plus. De manière que non seulement les hommes, mais aussi les anges le peuvent nommer " îles étrangères " : il n'est point étrange ni nouveau à lui seul.

Les bruyants fleuves profonds...

Les fleuves ont trois propriétés. La première, d'envelopper tout ce qu'ils rencontrent et le noyer ; la seconde, de remplir tous les lieux bas et vides qui se trouvent en leur voie ; la dernière, qu'ils bruissent si fort qu'ils étourdissent tous les autres bruits. Et d'autant qu'en cette communication de Dieu, l'âme sent très savoureusement en lui ces trois propriétés, elle dit que son Ami est les fleuves bruyants. Quant à la première propriété que l'âme sent, il faut savoir que l'âme est tellement investie du courant de l'Esprit de Dieu en ce cas, et avec tant de force, qu'elle pense être submergée de tous les fleuves du monde, et sent noyer toutes ses occasions et passions qui l'agitaient auparavant. Néanmoins, tout ce grand effort [force] ne fait point de tourment à cause que ces fleuves sont fleuves de paix, disant en Isaïe : J'envelopperai l'âme comme un fleuve de paix, Isa.66. [Is. 66, 12] et comme un torrent qui regorge de gloire. Ainsi cet investissement que Dieu fait de l'âme comme un fleuve bruyant, la remplit de paix et de gloire.

La seconde propriété que l'âme sent, c'est que cette eau divine remplit alors les vaisseaux de son humilité, et comble les vides de ses appétits, selon que dit saint Luc : Il a exalté les humbles, et gorgé de biens les affamés. Cap. 11. [Lc 1, 52-53]

La troisième propriété que l'âme sent en ces fleuves bruyants de son Ami, c'est un son et voix spirituelle qui est par dessus toute voix et harmonie, laquelle surpasse toutes celles du monde. Arrêtons-nous y un peu. Cette voix et ce son bruyant de ces fleuves dont l'âme parle ici, c'est une si abondante réplétion de biens et un si puissant pouvoir qui la possède, qu'il ressemble [semble] plutôt de furieux éclats de tonnerre que des gazouillis de rivières. Mais cette voix est une voix spirituelle qui n'a rien des sons corporels, ni le bruit, ni la peine, ains [mais] grandeur, force, pouvoir, délice et gloire. C'est comme une voix et son intérieur qui revêt l'âme de pouvoir et de force.

Cette voix et son spirituel se fit en l'esprit des Apôtres, lorsque le Saint-Esprit avec un torrent véhément descendit sur eux : on ouït ce son extérieur d'un vent sifflant, pour donner à entendre la voix spirituelle qui se faisait intérieurement. Ce fut entendu par toute la ville de Jérusalem, pour démontrer celui que les Apôtres reçurent lors, [Ac 2, 2], qui était un comble [une plénitude] de pouvoir et de force.

Quand Notre-Seigneur pria son Père en l'angoisse qu'il souffrait de ses ennemis, saint Jean dit qu'il lui vint une voix du ciel et intérieure le réconforter selon l'humanité, dont le son bruyant fut entendu par les Juifs, si [si bien] que les uns disaient qu'il avait tonné, les autres qu'un ange avait parlé à lui Cap. 1. [Jn 12, 28] : la voix qu'on ouït au dehors dénotait la force et le pouvoir qu'on donnait intérieurement à Jésus-Christ selon l'humanité.

Il ne faut pourtant présumer que l'âme laisse de recevoir le son de la voix spirituelle : où remarquez que la voix spirituelle, c'est l'effet qu'elle opère en l’âme, ainsi que la corporelle frappe l'oreille et [imprime] l'intelligence en l'esprit. Il donnera à sa voix, dit David Psal.67.[Ps 67, 34], une voix de vertu : c'est la voix intérieure, voulant dire qu'à la voix extérieure qu'on entend par l'oreille, il donnerait la voix de la vertu qu'on sent en l'intérieur. Apprenez que Dieu est une voix infinie, et se communiquant en l’âme en la manière susdite, la voix immense opère.

Saint Jean ouit cette voix dans l'Apocalypse, comme de plusieurs [nombreuses] eaux ramassées, et comme la voix d'un éclat de tonnerre. Cap 19[Apoc. 14. 21]. De peur qu'on ne crût que cette voix forte fût rude et pénible, il ajoute que cette même voix était si suave qu'elle ressemblait à la mélodie des instruments. Et Ezéchiel dit [Ez. 1, 24] que ce son de plusieurs eaux était quasi le son du grand Dieu, tant il se communiquait hautement et suavement. Cette voix est infinie, parce que c'est Dieu même qui se communique se faisant voix en l'âme ; et s'unissant à chacune, il lui donne voix de vertu, selon qu'elle lui convient, et caresse grandement l’âme. C'est pourquoi l'Épouse dit ès [dans les] Cantiques [Cant 2, 14] : Que ta voix sonne en mes oreilles, parce qu'elle est douce !

S'ensuit le dernier vers :

Le souffle des vents amoureux.

L'âme dit ici deux choses : les vents, le sifflement. Par les vents amoureux, elle entend les venus et les grâces de l'Ami, qui investissent l'âme par le moyen de l'union de l'Époux, se communiquent amoureusement ont ses et touchent à sa substance. Le souffle de [ces] vents signifie une très éminente et savoureuse intelligence de Dieu et de ses vertus, qui redonde [rejaillit] en l'entendement de l'effet que font ces vertus de Dieu en la substance de l'âme. C'est k plus agréable plaisir qui soit en tout le reste, que l'âme goûte ici.

Pour mieux entendre ceci, notez que comme on entend deux choses en l'air, l'attouchement, et le souffle ou le son, de même en cette communication de l'Époux on sent deux autres choses, à savoir les délices et l'intelligence. Et tout ainsi que le vent tombe sous le sens de l'attouchement [toucher], et son souffle sous l'ouïe, de même l'âme jouit des venus par l'attouchement de l'Époux qui se fait en sa substance, et l'intelligence de ces vertus de Dieu est entendue par l'oreille de l'âme qui est dans l'entendement. Davantage [De plus], elle dit que le vent amoureux vient lorsqu'il souffle doucement et contente l'appétit de celui qui désirait ce rafraîchissement et récrée l'attouchement [le toucher], comme aussi l'ouïe est chatouillée du son et sifflement du vent bien plus que l'autre, parce que le sens de l'ouïe est plus spirituel, ou pour mieux dire, en approche davantage que l'attouchement.

Or, d'autant que cet attouchement divin satisfait grandement la substance de l'âme, rassasiant suavement son appétit, qui était de jouir de cette union, elle la nomme " attouchement, vents amoureux ", parce qu'ils lui inspirent doucement les vertus de l'Ami, d'où dérive en l'entendement le souffle de l'intelligence. Elle l'appelle " souffle " à cause que tout ainsi que le souffle du vent entre subtilement dans l'oreille, de même cette très subtile et délicate intelligence se coule savoureusement dans le fond de la substance [de l'âme], entendue et dénuée d'accidents et fantômes [fantasmes], parce qu'elle est donnée à l'entendement que les philosophes appellent " passif ", ou [" possible "273]. d'autant qu'elle [la] reçoit passivement, sans agir ni opérer aucunement de sa part ; [ce] qui est le souverain plaisir de l'âme, à cause qu'il est dans l'entendement, où consiste la fruition, comme parlent les théologiens, qui est de voir Dieu.

Cette intelligence substantielle pour signifier [étant signifiée par] ce sifflement, fait penser à certains docteurs que notre père Élie vit Dieu en ce sifflement de vent délicieux dans la montagne, à l'entrée de la grotte. L'Écriture [le] nomme [I R 19, 12] le souffle d'un vent délicat, parce que de la subtile et délicate communication de l'esprit naissait l'intelligence dans l'entendement ; l'âme l'appelle ici " souffle de vents amoureux ", à cause qu'il redonde [rejaillit] en l'entendement de l'amoureuse communication des vertus de son Ami

Ce souffle divin qui entre par l'oreille de l'âme, est non seulement substance, comme il dit, entendue, mais aussi une découverte des vertus de la divinité et révélation de ses plus rares secrets ; car ordinairement, quand on trouve dans l'Écriture Sainte quelque communication de Dieu qu'on dit qui entre par l'oreille, c'est une manifestation de ces vertus dénuées [dénudées] en l'entendement, ou révélation des secrets de Dieu, qui sont des visions purement spirituelles, qui sont données à l'âme sans l'aide ni ministère des sens. De sorte qu'il est certain, ce que l'on dit que Dieu communique par l'oreille. Saint Paul voulant exprimer la grandeur de sa révélation dit I Cor. 12[II Co 12, 14], non avoir vu, mais qu'il a ouï des paroles secrètes qu'il n'est permis à l'homme de révéler, où l'on présume qu'il vit Dieu, comme fit notre père Élie dans le souffle ; car comme la foi, dit le même saint Paul, [Ga 3, 2] vient de l'ouïe corporelle, de même ce que la foi nous dit, qui est la substance intelligible, entre par l'ouïe spirituelle. Ce que Job explique fort bien parlant à Dieu qui se découvrit à lui : Je vous ai ouï de [mon oreille274], et maintenant je vous vois de [mon oeil275], où il faut prendre qu'il l'a ouï de l'oreille de l'âme et vu de l' oeil de l'entendement passif. C'est pourquoi il ne met pas en pluriel les oreilles et les yeux, ains [maix] " de mon oreille et de mon oeil ", qui est l'entendement. Donc [cet] ouïr de l'âme, c'est voir avec l'entendement.

Ne pensez pas que ce que l'âme entend, à cause que c'est une substance nue, comme nous avons dit, soit une claire et parfaite fruition comme au ciel ; car encore qu'elle soit dénuée d'accidents, elle est néanmoins obscure : c'est contemplation, laquelle en cette vie, dit saint Denis [Théo. myst. 1, 1], est un rayon de ténèbres. De façon que nous pouvons dire que c'est un rayon ou image de fruition, en tant qu'il est dans l'entendement, où consiste la fruition et jouissance entière.

Cette substance entendue que l'âme nomme ici " souffle " sont les yeux désirés, que l'Époux lui ayant montrés, elle le pria de les détourner, parce qu'elle ne les pouvait supporter [ès276] sens

Il y a un passage en Job, qui confirme tout ceci, que je vous déduirai [développerai], encore que cela nous retienne un peu : Or il me fut dit une parole cachée, mon oreille [ ] reçut comme à la dérobée les vents de son murmure et avec l'horreur d'une vision de nuit au premier sommeil des hommes. Je fus tout effrayé et tremblant : mes os craquèrent de peur, et lorsque l'esprit passa devant moi, les peaux de ma chair en eurent horreur. Il se présenta quelqu'un dont je ne reconnaissais point la face, une image devant mes yeux, et j'ouïs la voix comme d'un vent doux. Cela comprend quasi tout ce que nous avons dit jusqu'au point de ce ravissement depuis le douzième couplet. Car en ce qu'Eliphas Thémanite rapporte qu'il lui fut dit un mot caché, il signifie ce secret donné à l'âme, laquelle ne pouvant supporter cette grandeur, s'écrie : " Détourne-les, mon Ami ! " Et que son oreille reçût les vents du bruit comme à la dérobée, cela s'entend de la substance nue que l'entendement reçoit ; car les vents désignent ici la substance intérieure, et le murmure signifie cette communication et attouchement des vertus, par où ladite substance entendue se communique à l'entendement. Il l'appelle " murmure " à cause de la suavité de cette communication, ainsi qu'il [le] nomme " vents amoureux " à raison qu'ils inspirent amoureusement ; et [il] dit les avoir reçus comme à la dérobée, car tout ainsi que ce qu'on dérobe est d'autrui, de même ce secret est étranger à l'homme, parlant naturellement, à cause qu'il a reçu ce qui n'était pas de son naturel. De façon qu'il ne lui était pas licite de le recevoir, non plus qu'il n'était pas permis à saint Paul de [II Co 12, 2] dire le sien, ce qui a fait répéter par deux fois à un prophète [Is 24, 16]: Mon secret est à moi !

Quand il parle de l'horreur de la vision nocturne lorsque le sommeil endort les hommes, que la peur et la frayeur le saisirent, il donne à entendre la crainte naturelle de l'âme ès [dans les] ravissements que la nature ne peut supporter en la communication de l'esprit de Dieu. Ce prophète montrant qu'alors que les hommes entrent en leur premier sommeil, ils sont saisis et opprimés d'une vision appelée pesanteur [cauchemar] entre la veille et le dormir qu'ils commencent à reposer, de même au temps de ce trépas spirituel, entre le sommeil de l'ignorance naturelle et la veille de la connaissance surnaturelle, qui est l'entrée du ravissement et extase, la vision spirituelle qui leur est lors [alors] communiquée les épouvante et intimide. Il ajoute plus, que tous ses os se disloquèrent, c'est-à-dire s'émurent et se déboîtèrent de leurs places ; en quoi il exprime le grand tremblement des os qu'on endure lors [alors], ce que Daniel déclare : Seigneur, en votre vision, les jointures de mes os se sont relâchées et ouvertes. Dan. 10. [Dn 10,16]. Et quand l'esprit passa devant [moi277] , à savoir faisant franchir au mien ses limites et voies naturelles par le ravissement, les peaux de ma chair se retirèrent, c'est-à-dire que le corps en cet extase demeure froid, et la peau retirée comme un mort.

S'ensuit : Il y en eut un que je ne connaissais pas de visage, qui était une image devant moi. C'était Dieu qui se communiquait en cette sorte ; il ne connaissait pas sa face, dit-il, pour donner à entendre qu'en cette vision, ores qu’ [quoique] elle soit très haute, on ne voit ni connaît la face et essence de Dieu. Il dit seulement que c'était une image devant ses yeux, car, comme nous avons dit, cette intelligence de paroles cachées était très haute, comme une image et face de Dieu, mais ce n'est pas voir essentiellement Dieu.

Je conclus aussitôt : et j'entendis une voix d'un vent délicat. C'est le souffle des vents amoureux, que l'âme prend ici pour son Ami.

Ne pensez pas que ces visites arrivent toujours avec ces frayeurs et détriments naturels ; ce n'est qu'à ceux qui commencent d'entrer en la voie illuminative et en ce genre de communication, parce qu' [elles278] viennent

ès [dans les] autres fort suavement.

Sa nuit est plus belle encore...

En ce sommeil spirituel que fait l'âme dans le sein de son Ami, elle goûte et jouit de toute la tranquillité, repos et quiétude d'une paisible nuit, et reçoit conjointement en Dieu une obscure intelligence divine. C'est pourquoi elle dit que son Ami est une nuit coite [tranquille]

... Que la blancheur de l'aurore.

Elle dit que cette nuit calme n'est pas obscure, ains [mais] qu'elle approche du lever de l'aurore ; car Dieu n'est pas ce repos et quiétude à l'âme totalement obscure, comme une nuit, ains une tranquillité en la lumière divine et nouvelle connaissance de Dieu, où l'esprit est suavement calme. Il nomme ici proprement cette divine lumière " lever d'aurore ", c'est-à-dire le matin, car tout ainsi que l'autre chasse l'obscurité de la nuit [et] découvre la lumière du jour, de même cet esprit coi [tranquille] et calme en Dieu est élevé des ténèbres de la connaissance naturelle, à l'aurore de la connaissance surnaturelle de Dieu, non claire, mais obscure, comme de nuit.




... Que la blancheur de l'aurore.

D'autant que comme la nuit à l'égard de l'aube n'est ni toute nuit ni toute jour, ains [mais] un entre-deux, ainsi cette solitude et calme divin n'est pas entièrement éclairée de la lumière divine, quoiqu'elle en participe aucunement [de quelque manière].

On voit en ce calme l'entendement élevé par une étrange nouveauté dessus tout naturel regarder la lumière divine, comme celui qui après un long sommeil ouvre les yeux au jour qu'il n'attendait pas. J'ai veillé, dit David Ps. 101. [Ps 101, 8], et ressemblé au passereau solitaire au toit. Comme s'il disait : " j'ouvris les yeux de mon entendement, et me trouvai par dessus toutes les intelligences naturelles, solitaire, sans elles, dans le toit ", [ce] qui est sur [au dessus de] toutes les choses d'ici bas.

Il dit qu'il fut fait semblable au passereau solitaire, à cause qu'en cette manière de contemplation l'esprit a les propriétés du passereau. La première, qu'il se met ordinairement au plus haut : de même l'esprit s'emporte en très haute contemplation. La seconde, qu'il a toujours le bec tourné d'où le vent vient, et l'esprit tourne la bouche de l'[affect279] d'où lui vient l'esprit d'amour qui est Dieu. La troisième, il est ordinairement seul, et ne laisse approcher d'autres oiseaux de sa perche [perchoir], s'envolant aussitôt que quelqu'un s'assied auprès de lui : ainsi l'esprit en cette contemplation est en solitude, dénué de toutes choses, et ne consent autre chose en soi que solitude en Dieu. La quatrième propriété, c'est qu'il chante fort mélodieusement : l'esprit fait lors [alors] de même, parce que les louanges qu'il chante à Dieu sont un très suave amour, savoureuses à soi et très précieuses à Dieu. La cinquième, c'est qu'il n'a point de couleur assurée, et l'esprit parfait non seulement en cet excès n'a aucune teinture d'affection sensuelle ni d'amour propre, non pas même de particulière considération en ce qui est supérieur ou inférieur, et n'en saurait dire aucun moyen ni manière, parce que c'est un abîme de notion [connaissance] de Dieu qui [le280] possède.

Et le son harmonieux...

En ce calme silence de la nuit et en cette notion [connaissance] de la lumière divine, l'âme voit une admirable convenance et disposition de la Sagesse ès [dans les] différences de toutes ses créatures et oeuvres, elles toutes et chacune d'icelles douées d'une certaine correspondance à Dieu, où chacune publie en sa manière ce que Dieu est en elle ; de sorte que cela fait une très suave harmonie qui surpasse tous les concerts et mélodies du monde. Elle appelle cela une musique secrète, parce que c'est une intelligence calme et tranquille sans aucun bruit de voix, de sorte qu'on jouit en elle de la douceur de la musique et de la quiétude du silence. Son Ami est donc cette secrète musique, parce qu'il se connaît en lui et goûte de l'harmonie de la musique spirituelle.

Et non seulement cela, mais il est davantage [de plus] " une solitaire corde ". C'est quasi de même que la musique secrète, car encore qu'elle soit telle quant aux sens et puissances naturelles, c'est une solitude fort sonnante aux puissances spirituelles, parce qu'étant seules et vides de toutes les formes et appréhensions naturelles, elles peuvent bien recevoir le son spirituel très harmonieusement en l'esprit de l'excellence de Dieu en soi et en ses créatures, selon la vision de saint Jean dont nous avons parlé, à savoir la voix de plusieurs [beaucoup] de ménestriers qui jouent de leurs harpes et instruments ; ce qui s'entend en esprit, et non des harpes matérielles, ains [mais] une certaine connaissance des louanges des bienheureux, que chacun en sa manière de gloire chante à Dieu incessamment [sans cesse] ; [ce] qui est une belle musique, car, comme chacun possède différemment ses dons, de même il chante diversement ses louanges, et tous en une harmonie d'amour. En cette même façon l'âme voit dans la calme Sagesse en toutes les créatures, tant supérieures qu'inférieures, selon que chacune a reçu de Dieu, porter témoignage de ce que Dieu est, et voit que chacune en sa manière exalte Dieu ayant Dieu en soi selon sa capacité ; et toutes ces voix ne font qu'une voix de musique de la grandeur de Dieu, sagesse et science admirable. C'est ce que le Saint-Esprit veut dire [Sg 1, 7] : L'Esprit de Notre-Seigneur a rempli l'univers, et ce monde qui contient toutes les choses qu'il a faites a la science de voix. — c'est la solitude sonnante. L'âme connaîtra ici que c'est le témoignage qu'elles rendent toutes en elles de Dieu ; et d'autant que l'âme oit cette musique non sans solitude et aliénation de toutes les choses extérieures, elle l'appelle " musique secrète ", et " solitude sonnante ". C'est son Ami, et de plus, c'est son " mets délicieux ".

Le souper recrée et rassasie les amants, et d'autant que [comme] l'Ami cause ces effets en l'âme en cette suave communication, elle l'appelle " mets délicieux ", qui réjouit et enflamme. En l'Écriture Sainte, le nom de " souper " ou " cène " s'entend de la vision divine ; car tout ainsi que le souper est après le travail, et le commencement du repos de la nuit, de même cette notion [connaissance] tranquille fait sentir à l'âme une certaine fin des maux, et la jouissance des biens où elle s'enflamme en l'amour de Dieu plus qu'auparavant. C'est donc sa cène récréative, qui est la fin de ses maux et la rend amoureuse, lui étant la jouissance de tous les biens.


[Quinzième couplet]

Notre lit de paix, bâti

Sur les affreuses cavernes

Des lions, a ressenti

Le pourpre qui les gouverne,

Et les boucliers d'or aussi.

L'Épouse ès [dans les] deux précédents couplets a chanté les grâces et grandeurs de son Ami. En celui-ci elle publie le haut et heureux état auquel elle se voit élevée avec assurance, les richesses de dons et vertus dont elle se voit douée et parée dans le lit de son Époux, parce qu'elle est déjà [maintenant] dans le lit avec l'Ami, avec les vertus fortes de la charité en perfection et paix accomplie, toute parée de dons et beautés, selon qu'on les peut recevoir et en jouir durant cette vie. Elle dit :

Notre lit de paix bâti...

Ce lit fleuri c'est le sein et amour de l'Ami, où l'âme devenue Épouse est déjà [maintenant] unie ; lequel est déjà fleuri pour elle à raison de l'union et conjonction qui est déjà faite entre les deux, moyennant laquelle on lui communique les vertus, grâces et dons de l'Ami, desquels elle se trouve si riche et embellie, qu'elle pense être en un lit parsemé de diverses fleurs odoriférantes, dont l'attouchement réjouit, et l'odeur recrée. C'est pourquoi elle appelle cette union d'amour " lit fleuri " à l'imitation de l'Épouse ès [dans les] Cantiques ; " notre lit ", à cause que les mêmes vertus et un même amour, à savoir de l'Ami, est déjà* entre eux ; ce n'est qu'un même plaisir, suivant le Proverbe : Mes délices sont d'être avec les enfants des hommes. Elle l'appelle aussi " fleuri ", parce que les vertus sont déjà [maintenant] en cet état en l'âme, passées en exercice d'oeuvres parfaites et héroïques ; ce qui n'avait encore pu être jusqu'à ce que le lit fût fleuri en parfaite union avec Dieu.

... Sur les affreuses cavernes

[Des lions...1

À cause de la force et acrimonie du lion, l'âme y compare les vertus qu'elle possède en cet état aux cavernes des lions, qui sont fort sévères et sans crainte de tous les autres animaux ; lesquels redoutant la force et hardiesse du lion qui est dedans, n'osent y entrer ni en approcher. De même chaque vertu, quand l'âme la possède en perfection, ressemble à la caverne d'un lion, en laquelle le fort Époux habite et demeure comme un lion uni à l'âme en cette vertu, et en chacune des autres vertus. Et l'âme unie avec lui ès [dans les] mêmes vertus est comme un fort lion, parce qu'elle reçoit ainsi les propriétés de l'Ami. Et en ce cas l'âme est si munie et forte en chaque vertu, et en elles toutes ensemble jointes en cette union de Dieu qui est le lit fleuri, que non seulement le diable n'ose attaquer cette âme-là, mais non pas même paraître devant elle quand il la voit relevée et hardie par les vertus parfaites dans le lit de son Ami ; parce qu'étant unie à Dieu en transformation d'amour, il [la] craint autant que Dieu, et ne l'ose aborder.

Le diable redoute sur [par dessus] tout une âme parfaite ; c'est ce lit de l'âme entrelacé des vertus, parce qu'en cet état elles sont tellement enchaînées les unes dans les autres, et jointes en une accomplie perfection de l'âme, qu'il n'y a endroit, non seulement par où le diable puisse entrer, mais aussi elle est remparée [munie de remparts] de telle façon que toutes les choses du monde hautes ni basses ne la sauraient inquiéter, molester, ni émouvoir, parce qu'étant déjà [maintenant] délivrée de tous les ennuis [impatiences] des passions naturelles, éloignée de la tourmente et variété des choses temporelles, elle jouit en sûreté de la participation de Dieu. C'est tout ce que l'Épouse désirait : Qui te donnera à moi, mon frère, suçant les mamelles de ma mère, que je te trouve seule dehors pour te baiser à mon aise, et que personne ne me méprise plus ? [Cant 8, 1] Ce baiser est l'union dont nous parlons, en laquelle l'âme s'égale à Dieu par amour. C'est tout ce qu'elle souhaite, disant : " Qui fera que son Ami [soit] son frère ? ", ce qui signifie [l’] égalité, et " qu'il tète les mamelles de sa mère ", c'est-à-dire qu'il consomme toutes les imperfections et appétits de sa nature qu'elle a de sa mère ici-bas, et qu'elle " le trouve seul dehors ", s'unissant à lui seul, dénuée de toutes choses selon la volonté et appétit à icelles. En ce faisant, personne ne la mépriserait, c'est-à-dire que le monde, ni la chair, ni le diable, ne l'oseront attaquer, d'autant que [parce que] l'âme purgée et délivrée de toutes ces choses et unie à Dieu ne peut être endommagée de personne.

D'où vient que l'âme jouit déjà [maintenant] en cet état d'une suavité et tranquillité ordinaire qu'elle ne perd et [qui] ne lui manque jamais, car outre cette paix et satisfaction ordinaire, les fleurs des vertus de ce jardin s'ouvrent en l'âme et la parfument d'odeurs qui la comblent de délices. Il dit que les fleurs des vertus ont accoutumé de s'ouvrir en l'âme, car encore qu'elle soit remplie de vertus en perfection, elle n'est pas toujours en l'acte d'en jouir, encore qu'elle possède ordinairement la paix et la tranquillité qui sont comme des rejetons de fleurs enfermées dans ce jardin ; lesquelles, par l'inspiration du Saint-Esprit, s'épanouissent quelquefois toutes et jettent une admirable odeur, car il arrive que l'âme voit en soi les fleurs des montagnes, qui sont l'abondance, grandeur et beauté de Dieu, et les lys des vallées ombrageuses entremêlés parmi [parmi elles], qui sont le repos, le rafraîchissement et abri, puis les roses des îles étrangères, qui sont les extraordinaires notions [connaissances] de Dieu, et l'odeur des lys blancs des fleuves bruyants, qui sont la grandeur de Dieu, laquelle remplit toute l'âme. La délicate odeur du jasmin s'entremêle parmi [parmi elles] : [ce] sont les souffles des vents amoureux, dont l'âme jouit aussi en cet état, tout de même que des autres vertus de la connaissance [calme281] de la secrète musique, et de la solitude résonnante et de la cène savoureuse et amoureuse. Le sentiment [perception] du bouquet de ces fleurs est quelquefois si suave, que l'âme peut véritablement dire : " notre lit fleuri [est] garni de cavernes de lions. " Heureuse l'âme qui mérite durant cette vie de sentir quelquefois l'odeur de ces fleurs divines !

Et [elle282] dit que ce lit est aussi " teint de pourpre ". En l'Écriture Sainte, le pourpre désigne la charité : c'est le vêtement des rois. L'âme dit donc que ce lit fleuri est teint de pourpre, parce que toutes les vertus, biens et richesses fleurissent seulement en la charité et amour du Roi du Ciel, sans lequel amour l'âme ne saurait jouir de ce lit et de ces fleurs. Par ainsi [C'est pourquoi] toutes ces vertus sont en l'âme comme teintes en écarlate de l'amour de Dieu, comme en un sujet où elles se conservent bien et sont comme imbues d'amour, parce que toutes ensemble et chacune d' icelles [chacune d'elle] à part rendent de plus en plus l'âme amoureuse de Dieu, la portant en toutes ses actions avec amour — et amour, c'est la teinture de pourpre.

Elle dit aussi que ce lit est " bâti de paix ". Chaque vertu de soi est paisible, douce et forte, qui fait conséquemment ces trois effets en l'âme qui la possède : paix, mansuétude et force. Or, d'autant que ce lit est fleuri et orné de fleurs de vertus qui ont toutes ces qualités, de là vient qu'il est bâti de paix, et que l'âme est pacifique, douce et forte, qui sont trois propriétés à la preuve [à l'épreuve] du monde, du diable, et de la chair ; et ces vertus tiennent l'âme si paisible et assurée, qu'elle pense être toute bâtie de paix.

Elle dit en outre que son lit est " couronné de mille boucliers d'or ". Elle appelle les vertus et dons de l'âme " boucliers d'or ", dont le délicieux lit de l'âme est " couronné ", car non seulement les dons et vertus servent de couronne et récompense à celui qui les a acquises, mais aussi de défense, comme de forts boucliers, contre les vices qu'il a vaincus par elles. Voilà pourquoi ce lit fleuri en est couronné et défendu comme un rempart de boucliers d'or, pour dénoter la valeur des vertus qui servent de couronne et de défense. C'est ce que dit l'Épouse, que le lit de Salomon est environné de soixante soldats, les plus valeureux d'Israël, qui ont l'épée au côté à cause des frayeurs de nuit.[Cant 3, 7].

[Seizième couplet]

Sur la piste de vos pas,

Les filles courent çà-bas [ici-bas],

Ressentant l'odeur divine

Du baume et vin, qui les anime

À franchir jusqu'au trépas.

L'Épouse loue l'Ami de trois faveurs que les âmes dévotes en reçoivent, qui les encouragent et élèvent davantage à l'amour de Dieu. Il les rapporte ici à cause qu'elles les expérimentent en cet état. La piste, c'est le pas de quelqu'un qu'on suit à la trace des vestiges [empreintes] : la notion [connaissance] et suavité que Dieu donne à l'âme qui le cherche, c'est la marque par laquelle on connaît et cherche Dieu. Voilà pourquoi l'âme dit ici au Verbe son Époux : " À la piste de votre douceur et odeur que vous répandez, les filles courent çà-bas [ici-bas]... " À savoir : les âmes dévotes, avec une ferveur de jeunesse qu' [elles283] reçoivent de la suavité de votre piste, courent de toutes parts et en plusieurs [beaucoup de] façons, chacune selon l'esprit que Dieu lui donne et l'état, avec différents exercices et oeuvres spirituelles, au chemin de la vie éternelle, qui est la perfection évangélique par laquelle [elles rencontrent284] l'Ami en union d'amour après qu' elles se sont dépouillé285] l'esprit de toutes choses. Cette suavité et trace que Dieu laisse de soi en l'âme la rend fort légère, et fait courir après elle avec peu ou point de peine en ce chemin ; au contraire, elle est émue [mûe] et attirée de cette divine piste de Dieu, non seulement à sortir, mais à courir en plusieurs [beaucoup de] manières en cette voie. C'est pourquoi l'Épouse demande cette divine attraction ès [dans les] Cantiques : Nous courrons après l'odeur de vos onguents, et les jeunes filles l'ayant une fois sentie vous aiment extrêmement. [Cant 1, 3]. Et David reconnaît que Dieu lui ayant ouvert le coeur, il avait couru par la voie des commandements de Dieu. [Ps 119, 32].

... Du baume et vin, qui les anime

À franchir jusqu'au trépas.

Nous avons dit que les âmes courent sur la piste des oeuvres et exercices extérieurs : reste à parler des intérieurs de la volonté émue [mûe] par deux autres faveurs et visites de l'Ami, qu'elle appelle " attouchements ", " vin précieux " et " baume divin " — c'est l'exercice intérieur de la volonté qui résulte de ces visites. L'attouchement que l'Ami fait à l'âme parfois, lorsqu'elle y pense le moins, est très subtil, de manière qu'il embrase le coeur du feu d'amour ; [il] ne semble qu'une étincelle qui a sauté dessus et l'a mis tout en feu. À l'instant, comme celui qui se ressouvient [prend conscience] tout à coup, la volonté est éprise d'amour, de désirs, de louer, de complaire, de révérer, estimer et prier Dieu avec un goût d'amour : ce sont les " odeurs du baume divin ", qui répondent à " l'attouchement de l'étincelle " sortie de l'amour divin. C'est ce baume qui réconforte et guérit l'âme par son odeur et substance.

L'Épouse dit ès [dans les] Cantiques que son bien-aimé passa la main dans un petit trou, et que son ventre trembla quand il y toucha [Cant 5, 4]: c'est l'attouchement d'amour que l'âme reçoit selon son degré de perfection, plus ou moins d'une façon ou d'autre de qualité spirituelle. Son ventre qui frémit, c'est la volonté où se fait l'attouchement ; ce frémissement est des appétits et affections qui s'élèvent à Dieu de l'aimer, louer, etc. : voilà les odeurs qui sortent du baume par cet attouchement.

L'autre plus grande faveur du vin délicieux que Dieu fait quelquefois aux âmes avancées, c'est de les enivrer du Saint-Esprit d'un vin d'amour suave, savoureux et généreux. Ainsi que l'hypocras se fait de sucre et diverses épiceries [épices], de même l'amour que Dieu donne aux parfaits est mixtionné [assaisonné] et rassis [reposé] dans leurs âmes, préparé avec les vertus que l'âme a déjà [maintenant] acquises. Ce mélange de précieuses espèces enivre si doucement et puissamment l'âme ès [dans les] visites que Dieu lui fait, qu'elle entre en des traits [élans] efficaces de louer, aimer et révérer Dieu, avec d'extrêmes désirs de faire et pâtir pour lui.

Cet enivrement ne passe pas si tôt et dure bien plus longtemps que l'étincelle qui touche et passe : son affection demeure quelque temps, et parfois assez, mais le vin mixtionné [assaisonné], qui est délicat amour en l'âme, continue des jours entiers, encore que ce ne soit en un degré d'intention [avec une même intensité], qu'il diminue et s'augmente sans être même intensité au pouvoir de l'âme, laquelle sans agir de sa part sent le fond de sa substance doucement enivrée et éprise de cette liqueur divine, ainsi que David disait que son coeur s'était réchauffé au dedans, et que le feu s'allumerait en sa méditation. [Ps 39, 4]. Les élancements de cet enivrement d'amour continuent autant qu'il dure, parfois, car quelquefois, ores qu' [quoique] il soit dans l'âme, c'est sans ces ébullitions, qui sont plus ou moins évaporées quand il y en a, selon la qualité de l'enivrement. Mais les jaillissements et effets de l'étincelle, d'ordinaire durent plus qu'elle, qui les relaisse [laisse] en l'âme, et sont plus [allumés] que [ceux] de l'enivrement, d'autant que parfois cette bluette [étincelle] divine laisse l'âme toute embrasée et brûlée d'amour.

À cause que nous avons parlé de vin sophistiqué, nous dirons en passant la différence qu'il y a entre le vin mûr, qu'on appelle vieil, et le nouveau, de même qu'elle est entre les vieux et nouveaux amoureux, ce qui sera d'un point de doctrine aux spirituels.

Le vin nouveau n'a point encore bien épuré sa lie, ce qui le fait bouillir par dehors. On ne sait sa bonté jusqu'à ce qu'il ait bien bouilli et jeté sa fureur [son ferment], car jusqu'alors il peut changer ; il a le goût âpre et rude, on n'en peut beaucoup boire sans être dégoûté, toute sa force est dans la lie. Le vin vieil a digéré et rassis [déposé] sa lie, il ne bout plus au dehors, on reconnaît sa bonté qui ne peut empirer [se détériorer], la furie [fermentation] de la lie qui le pouvait altérer étant déjà [maintenant] passée, en sorte qu'un vin bien fait ne se dément guère ; il a le goût suave et la force en la substance du vin, non pas au goût, en sorte qu'il fait bon en boire, et il fortifie ceux qui en usent.

Les bons amoureux sont comparés au vin nouveau : [ce] sont ceux qui commencent à servir Dieu, qui ont encore les ferveurs du vin d'amour au dehors, dans le sens, parce qu'ils n'ont pas digéré la lie des faibles sentiments et imperfections ; et la force de leur amour est en la saveur, parce que ceux-là reçoivent ordinairement la force d'opérer de la saveur sensible qui les fait mouvoir. Par ainsi [C’est pourquoi] il ne se faut pas fier en cet amour jusqu'à ce qu'il ait jeté tout son feu et [ses] grossières humeurs du sens ; car tout ainsi que ces ferveurs et chaleurs du sens le peuvent incliner au bon et parfait amour, et lui servir d'un bon moyen la lie de son imperfection étant évaporée, de même il est facile en ces commencements et nouveauté de goût de manquer du vin d'amour, qui se perd au défaut de la ferveur et goût de nouveau. Et ces nouveaux amoureux ont toujours des angoisses et ennuis [impatiences] sensibles d'amour, auxquels il faut tremper [couper] leur vin, parce que s'ils travaillent beaucoup selon la force du vin, le naturel se corrompera. Ces anxiétés amoureuses sont la saveur du vin nouveau, que nous disions qui sera rude et grossier, sans aucune suavité, non pas même /1 lorsque ces angoisses d'amour cessent.

/1 Traduit une probable faute de l'espagnol. Certains manuscrits des versions ultérieures du Cantique invitent à comprendre : "...le vin nouveau dont nous avons dit qu'il était rude et grossier, parce qu'il n'est pas encore rendu suave quand ces angoisses d'amour cessent. "


Le Sage use de la même comparaison dans l'Ecclésiastique Cap. 9. [Eccl 9, 14) : Un nouvel ami, c'est du vin nouveau, il se mûrira et on le trouvera de bon goût à boire. Les vieux amoureux, qui sont accoutumés et pratiqués [expérimentés] au service de l'Époux, ressemblent au vin vieil dont la lie est bien rassise [déposée], qui n'a plus ces ferveurs sensibles ni ces fumées bouillantes [ébullitions] au dehors ; ains [en revanche], ils goûtent la suavité du vin mûr et assaisonné dans l'âme, non en la saveur du sens comme les nouveaux, ains[mais] avec la substance et le goût d'esprit et de vérité. En effet, ils ne tomberont plus en ces saveurs ni ferveurs sensibles, et ne les voudraient savourer ; car quiconque laisse le goût dans le sens, il y trouvera souvent de la peine et du dégoût. Mais d'autant que [comme] ces vieux amants n'ont point la suavité radicale au sens [enracinée dans les sens], ils n'ont plus ces peines d'amour dans le sens ni dans l'âme. Aussi est-ce merveille quand ces vieux amis manquent à Dieu, à cause qu'ils sont par dessus ce qui les pouvait faire faillir, qui est le sens inférieur ; et [ils] ont le vin d'amour non seulement mûr et rassis [reposé,] mais de plus mixtionné [assaisonné ]de drogues de vertus parfaites, qui ne le laissent tourner comme le nouveau. Voilà pourquoi l'Ecclésiastique nous avertit de ne quitter un vieil ami, car le nouveau ne lui semblera [ressemblera] pas. [Eccl 9, 14].

Donc, en ce vin d'amour épuré et rassis [reposé] de l'âme, l'Épouse s'enivre divinement, comme nous avons dit, et envoie à Dieu ses soupirs : " Alors que l'étincelle tombe dans mon âme, et que vous l'enivrez amoureusement de ce bon vin vieil, elle vous darde ses traits, qui sont les mouvements et les actes d'amour que vous causez en elle. "

[Dix-septième couplet]

J'ai bu dans la cave basse

De mon Ami ; et sortant,

Je me suis trouvée si lasse,

Que j'ai délaissé la chasse

Que j'aimais auparavant.

L'âme raconte en ce couplet la souveraine faveur que Dieu lui a faite de l'introduire en son intime amour, qui est l'union ou transformation en Dieu. Elle déduit [développe] les effets qu'elle en a tirés : l'oubli, l'abnégation de toutes choses du monde, et [la] mortification de ses goûts et appétits.


J'ai bu dans la cave basse de mon Ami.

Pour dire quelque chose de cette cave et expliquer ce qu'elle veut ici entendre, il serait besoin que le Saint-Esprit prît lui-même la plume. Cette cave dont parle l'âme, c'est le sublime et plus étroit degré d'amour où l'âme puisse atteindre en cette vie ; c'est pourquoi elle l'appelle intérieure ou basse. D'où s'ensuit qu'il y en a d'autres qui sont les degrés d'amour par où l'on monte jusqu'à ce dernier, et [nous] pouvons dire que ces degrés ou caves sont au nombre de sept, que l'on a tous quand l'on jouit parfaitement des sept dons du Saint-Esprit, en tant que l'âme est capable de les recevoir. Par ainsi [C'est pourquoi], quand l'âme a en perfection l'esprit de la crainte, elle a au même degré l'esprit d'amour, [par286] autant [pour autant] que cette crainte, qui est le dernier des sept dons, est filiale, et [que] la crainte parfaite d'enfant sort du parfait amour du père. De façon que quand l'Écriture Sainte veut appeler quelqu'un parfait en charité, elle use du nom de " craignant Dieu ". De fait, Isaïe prédisant la perfection de Jésus-Christ, dit [Is 11, 2] que l'Esprit le remplira de la crainte du Seigneur, et saint Luc appelle Siméon homme juste et craignant Dieu [Lc 2, 25] ; de même plusieurs [beaucoup d’] autres passages.

Or, il faut savoir que la plupart des âmes entrent ès [dans les] premières caves, chacune selon la perfection d'amour qu'elle a, mais il n'y en a guère qui parviennent à la dernière durant cette vie, d'autant que c'est orig. : qu'ils une parfaite union avec Dieu, [qui s'appelle287] " mariage spirituel ", dont l'âme parle déjà [maintenant] ici. Et il est du tout [complètement] impossible d'expliquer ni rien dire de ce que Dieu communique à l'âme en cette étroite union, non plus qu'on ne sait [ni ne] saurait proposer aucune chose qui ressemble à Dieu, car c'est lui-même qui se communique à elle avec une admirable gloire de transformation d'elle en lui, étant tous deux en un, comme par exemple la vitre avec le rayon du soleil, ou le charbon avec le feu, ou la lumière des étoiles avec le soleil, non pas toutefois si essentiellement et entièrement comme en l'autre vie. Par ainsi [C’est pourquoi], l'âme pour donner à entendre ce qu'elle reçoit de Dieu en cette cave d'union, elle ne dit n'y pouvoir dire autre chose plus proprement, sinon : "J'ai bu dans la cave basse de mon Ami. "

Car tout ainsi que le breuvage se répand par tous les membres et veines du corps, de même cette communication de Dieu se glisse substantiellement en toute l'âme, ou pour mieux dire, l'âme se transforme plutôt en Dieu ; selon laquelle transformation l'âme boit de son Dieu de la substance d'en haut et suivant les puissances spirituelles, car selon l'entendement elle boit la sagesse et science, et selon la volonté elle boit le très suave amour, et selon la mémoire elle boit la récréation et délices en souvenance et sentiment de la gloire. Quant au premier, que l'âme reçoit et boit des plaisirs substantiellement, elle le dit ainsi ès [dans les] Cantiques : Mon âme s'est liquéfiée et fondue aussitôt que l'Époux a parlé.[Cant 5, 6]. La parole de l'Époux, c'est la communication à l'âme. Et que l'entendement boive de la sagesse, l'Épouse le dit au même livre, lorsque désirant parvenir au baiser de paix — j'entends d'union — qu'elle demandait à l'Époux : Là vous m'enseignerez, à savoir la sagesse et science en amour, et je vous donnerai un breuvage d'hypocras, [Cant 8, 2] c'est-à-dire mon amour mêlé avec le vôtre, transformé au vôtre. Quant au troisième, qui est la volonté que l'amour boit là, il en est parlé ès Cantiques : Le Roi m'a introduit en sa cave au vin, il a ordonné en moi la charité [Cant 2, 4] ; c'est-à-dire : il m'a mis dans la cave secrète et m'a fait boire de l'amour détrempé dans son amour ; ou pour mieux dire : il a ordonné en moi sa charité même, m'accommodant et m'appropriant sa charité même — c'est à l'homme à boire de son Ami son même amour, son Ami [le288] lui versant.

Où il faut savoir, touchant ce qu'aucuns disent que la volonté ne saurait aimer, sinon ce que l'entendement a auparavant compris, [que] cela s'entend naturellement, car il est impossible par nature d'aimer sans savoir [ce] que c'est. Mais Dieu peut bien extraordinairement infuser un amour et l'augmenter sans aucune intelligence distincte, comme l'autorité susdite le fait connaître, ce qui a été expérimenté de plusieurs [par beaucoup de] spirituels, qui se trouvent souvent brûlants de l'amour de Dieu sans en avoir une plus distincte intelligence qu'auparavant ; car ils peuvent entendre peu et aimer beaucoup, ou être fort entendus avec peu d'amour. Même que d'ordinaire, ces spirituels qui ne sont pas des plus intelligents en ce qui est de Dieu, sont les plus avancés en la volonté, et la foi infuse leur suffit pour science d'entendement, moyennant laquelle Dieu leur influe [verse] la charité et la leur augmente, et l'acte d'augmentation, qui est d'aimer davantage. encore que la connaissance ne croisse point, comme nous avons dit. Par ainsi [C’est pourquoi], la volonté peut boire l'amour sans que l'entendement boive de nouvelle intelligence, encore qu'au cas dont nous parlons, où l'âme dit qu' " elle a bu de son Ami ", [en tant] qu'il est aimé en la cave intérieure, [ce] qui est selon toutes les trois puissances de l'âme, elles toutes boivent conjointement.

Et quant au quatrième, que selon la mémoire l'âme boive de son Ami, il est certain qu'étant illustrée [illuminée] de la 'prase de conscience lumière de l'entendement en souvenance [prise de consciene] des biens qu'elle possède et jouit en l'union de son Ami, que ce divin breuvage la déifie, l'élève et l'enivre tellement de Dieu, qu' '' en sortant ", à savoir, cette faveur achevant de passer — car encore que l'âme soit toujours en ce haut état de mariage depuis que Dieu l'a accompli en elle, elle n'est pas pourtant toujours en actuelle union selon les dites puissances, quoiqu'elle y demeure selon la substance de l'âme : néanmoins, en cette union substantielle de l'âme, les puissances s'y unissent aussi souvent et boivent en cette cave, l'entendement entendant, la volonté aimant, etc. Quand l'âme dit donc : en sortant ", cela ne s'entend [pas/2] de l'union essentielle et substantielle qui est déjà [maintenant] son état, ains [mais] de l'union des puissances qui n'est pas continuelle en cette vie, et ne le saurait être. —  " sortant ". donc, c'est-à-dire venant dans l'étendue du mondc, elle ne se souvenait plus de rien, car le breuvage de la très haute Sagesse de Dieu qu'elle avait bu là lui avait fait oublier toutes les choses du monde. Et il semble à l'âme que ce qu'elle savait auparavant, voire même que tout ce que chacun sait, au prix de cette science est une pure ignorance, et cette élévation ou déification où elle demeure comme ravie en Dieu, enivrée d'amour et toute transformée en Dieu, ne lui permet d'avoir égard à chose [aucune chose] du monde. Par ainsi [C’est pourquoi]. elle peut bien dire qu' " elle ne savait plus rien "en cc qu'elle est aliénée de tout, voire hors de soi-même, anéantie et comme fondue en amour, [ce] qui consiste à passer de soi à l'Ami.

L'Épouse exprime cette ignorance ès [dans les] Cantiques, où après avoir parlé de l'union avec son Époux, elle dit qu' " elle n'a su. " [Cant 6, 11]. Cette âme-là ne s'entremettra guère des choses d'autrui, puisqu'elle ne se souviendra pas des siennes propres. Et l'esprit de Dieu a cette propriété en l'âme où il demeure, qu'il lui cause aussitôt un oubli et lui fait ignorer les affaires d'autrui, mêmement [surtout] celles qui lui sont inutiles, parce que l'esprit de Dieu est

/2 Original espagnol probablement confus, la plupart des manuscrits du Cantico portant : " no se entiende que de la uniôn... "


recueilli, qui ne s'entremêle du fait d'autrui, ce qui fait demeurer l'âme en une ignorance de tout. Ce n'est pas à dire que l'âme perde les habitudes de la science et la notion [connaissance] entière des choses qu'elle savait auparavant, encore qu'elle demeure en cette ignorance, ains [mais] elle perd l'acte et la mémoire des choses en ce ravissement d'amour, et cela pour deux raisons : l'une, parce que comme elle demeure actuellement absorbée et enivrée de ce breuvage d'amour, elle ne peut être actuellement ailleurs ; l'autre, à cause que cette transformation en Dieu la [conforme289] tellement à la simplicité et pureté, qu'elle la laisse nette, claire et vide de toutes les formes et figures qui étaient auparavant en elle, comme le soleil pénétrant la vitre la rend claire et efface toutes les taches et pailles qui y paraissaient auparavant ; mais quand le soleil se retire, elles s'y voient comme devant. Pendant que l'effet de cet acte d'amour dure en l'âme, elle ignore tout : Mon coeur a été enflammé, dit David, et mes reins ont été changés, j'ai été réduit à néant, et ai ignoré. [Ps 72, 22]. Ce changement de reins qui procède de l'inflammation du coeur, c'est une mutation de l'âme avec tous ses appétits, en Dieu, en une nouvelle manière, de tout le passé. C'est pourquoi elle se dit réduite à néant et sans savoir les effets de ce breuvage de la basse cave de Dieu, car non seulement tout son premier savoir s'efface et ne lui semble rien au prix de cette souveraine science, mais aussi toute sa vie passée et imperfections s'anéantissent, et [se renouvelle290] tout le vieil homme. D'où s'ensuit ce second effet qui redonde de là :

Que j'ai délaissé la chasse.

Sachez que jusqu'à ce que l'âme soit en cet état de perfection dont nous parlons, tant soit-elle spirituelle, il lui demeure toujours quelque envie de goûts, d'appétits et d'autres imperfections, tant naturelles que spirituelles, qu'on tâche de suivre et d'accomplir. Car il demeure en l'entendement certains désirs de savoir ce qui se passe, la volonté se laisse emporter à de petits goûts et appétits, soit temporels d'avoir quelques choses et s'attacher plus aux unes qu'aux autres, avoir des présomptions, estimes et points où elle regarde [attache de l'importance], et autres choses semblables qui ont le goût du monde ; quant au naturel, choisir au boire et manger ce qu'il y a de meilleur, au spirituel, vouloir goûter de Dieu et autres impertinences qui travaillent les apprentis, en la mémoire, plusieurs [beaucoup de] soins, diversités et égards qui tirent l'âme après eux.

Ils ont aussi ès [dans les] quatre passions de l'âme parfois de belles espérances, des joies, douleurs et craintes inutiles qui traversent l'âme, aux uns plus, aux autres moins ; ce qu'ils suivent jusqu'à ce qu'entrant en cette cave basse pour boire, tout cela se perd, lorsqu'ils sont enivrés d'amour. C'est où se consomment ces imperfections de l'âme, comme le feu mange la rouille des métaux : alors l'âme se sent délivrée de tous ces goûts qui l'embarrassaient, et peut bien dire avoir laissé la chasse de ce qu'elle aimait auparavant.


[Dix-huitième couplet]

Il m'a mis dedans son sein

Et m'a donné la science,

Lorsque de tout mon dessein

j'ai voulu qu'il me fiance,

Et soit mon Époux certain.

L'Épouse raconte la livraison qui s'est faite de part et d'autre en ce mariage spirituel d'elle et de Dieu, disant qu'ils se sont joints en cette cave basse d'amour, et qu'il lui a librement ouvert le sein de son amour, où il lui a appris la sagesse et les secrets, et elle s'est tout à fait abandonnée à lui, sans se réserver aucune chose, ni pour elle ni pour autrui. Là dit-elle,

Il m'a mis dedans son sein.

Quand l'un embrasse l'autre, c'est lui témoigner son amour et lui découvrir ses secrets comme Ami ; c'est-à-dire que là il lui communiqua son amour et ses secrets, ce que Dieu fait à l'âme en cet état. Et en outre,

Il m'a donné la science.

La savoureuse science qu'il lui enseigna, c'est la théologie mystique, qui est une secrète science de Dieu que les spirituels nomment " contemplation ", qui est très savoureuse parce que c'est une science d'amour, qui en est le maître et celui qui assaisonne tout. Et d'autant que Dieu lui apprend cette science et intelligence d'amour dont il se communique à l'âme, elle est savoureuse à l'entendement, puisque c'est celle qui lui appartient ; elle est aussi agréable à la volonté, d'autant que l'amour dépend de la volonté.

Lorsque de tout mon dessein

J'ai voulu qu'il me fiance...

En ce doux breuvage, l'âme s'enivre en Dieu très volontiers, et avec une grande suavité se livre toute à Dieu, [ 291] voyant qu'elle est toute sienne et n'avoir rien en soi qui ne soit à lui, Dieu opérant en cette union la pureté et perfection qui est requise en cela — car en ce qu'il la transforme en soi, il la fait toute sienne et en évacue tout ce qui était éloigné de Dieu. D'où vient que non seulement selon la volonté, mais aussi selon l'effet [l'opération] elle donne tout à Dieu, ainsi qu'il s'est librement baillé [donné] à elle ; de manière que ces deux volontés livrées, demeurent contentes et satisfaites entre elles, en sorte que l'une ne peut manquer à l'autre, avec une foi et lien de mariage. C'est [ce] qu'elle dit :

... Et soit mon Époux certain.

Tout ainsi que l'Épouse met tout son soin et son amour en son Époux, de même l'âme en cet état n'a déjà [maintenant] plus d'affections, de volonté, ni d'intelligences, d'entendement, ni souci, ni action, qui ne soit [tout portés292] à Dieu avec ses appétits, parce qu'elle est comme divine et déifiée, de manière qu'elle n'a pas même les premiers mouvements contraires à la volonté de Dieu en tout ce qu'elle peut entendre. Car tout ainsi qu'une âme imparfaite a d'ordinaire les premiers mouvements selon l'entendement et selon la volonté et mémoire portés au mal et à l'imperfection, de même l'âme de cet état incline en toutes ses parties ses premiers mouvements à Dieu, à cause de l'aide et fermeté qu'elle a déjà [maintenant] en Dieu, et la parfaite [conversion293] au bien ; ce que David signifie : Mon âme ne sera-t-elle pas sujette à Dieu ? Si, [elle le] sera, parce que je tiens de lui tout mon salut, parce que c'est mon Dieu et mon Sauveur qui m'a reçu, [Ps 61, 2-3] donnant à entendre que parce que son âme a été reçue et unie en Dieu, comme nous avons dit, elle n'aura plus de mouvements contre Dieu.

[Dix-neuvième couplet ]

Mon âme s'est employée

Du tout [complètement] à le bien servir,

Quittant troupeaux et brebis,

Les charges et les menées [entreprises],

Pour l'aimer jusqu'au mourir.


L'Épouse a déjà dit qu'elle s'était entièrement livrée à l'Époux sans rien réserver. Elle déduit [développe] à présent le moyen qu'elle tient à l'accomplir, son corps, son âme, ses puissances et toute son habileté étant employés non plus ès [dans les] choses qui la concernent, ains* [mais] en celles qui sont du service de son Époux. Voilà pourquoi elle ne recherche plus son intérêt ni ses appétits, et ne s'occupe en autre chose qui soit hors de Dieu ; elle n'a plus d'autre style ni manière de traitement que l'exercice d'amour, ayant changé et réduit là toutes ses façons de faire.

Mon âme s'est employée...

Elle donne à entendre comment elle s'est livrée à son Ami en cette union d'amour où son âme est demeurée avec toutes ses puissances, entendement, volonté et mémoire, vouée et dédiée à son service, employant l'intellect à entendre les choses de son service pour les faire, et sa volonté à [aimer294] tout ce qui plaît à Dieu et l'affectionner en toutes choses, la mémoire à se souvenir soigneusement de ce qui lui vient le plus à gré.

Du tout [complètement] à le bien servir...

Elle entend ici par tout son pouvoir, ce qui appartient à la partie sensible de l'âme, qu'elle emploie à le servir, comme aussi la partie raisonnable et spirituelle dont nous avons parlé au couplet précédent. En cette partie sensible est compris le corps avec tous ses sens et puissances, tant intérieures qu'extérieures. Elle entend aussi en ce verset toute l'habitude naturelle et raisonnable, à savoir les quatre passions, les appétits naturels et spirituels avec le fonds de l'âme, et dit que tout cela est employé à son service, parce que le corps traite déjà* [maintenant] selon Dieu, les sens intérieurs et extérieurs sont régis et gouvernés selon Dieu, y dirigeant toutes leurs actions ; toutes ses quatre passions sont aussi adressées à Dieu : elle ne se réjouit, n'espère, ne craint et ne se plaint qu'en Dieu ; tous ses appétits sont en Dieu seul, tous ses soucis. Toute sa substance est déjà [maintenant] tellement employée en Dieu, que, sans que l'âme y prenne garde, toutes les parties dès leurs premiers mouvements opèrent en Dieu et pour Dieu. C'est pourquoi l'entendement, la volonté et la mémoire sont toutes portées à Dieu, les affections, les sens, les désirs et appétits, l'espérance, la joie et tout le reste, dès la première instance inclinent à Dieu.

Encore que l'âme ne prenne pas garde qu'elle travaille pour Dieu, qu'elle entend à [s'occupe de] lui et à ce qui le concerne, sans penser ni se souvenir qu'[elle295] le fait pour lui parce que l'usage et l'habitude qu' [elle296] a de procéder en cela lui ôte l'égard et le soin même des actes fervents qu'[elle297] faisait au commencement, et d'autant que tout ce pouvoir est déjà [maintenant] employé en Dieu, ainsi que j'ai dit, de nécessité l'âme,

Quittant troupeaux et brebis,

ne va plus après ses appétits ni ses goûts, parce que les ayant transférés tous en Dieu, [elle] ne les repaît plus et ne les garde à son âme.

Les charges et les menées [entreprises]...

L'âme a plusieurs [beaucoup de] charges inutiles avant qu'elle se donne et se livre entièrement à son Ami, parce que chaque habitude et imperfection sont autant de charges qu'on peut dire qu'elle avait, qui ont accoutumé d'être ès [dans les] paroles, ès pensées et ès oeuvres, dont elle n'usait pas règlément à la perfection. Touchant cela, l'âme a toujours quelque office vicieux qu'elle ne saurait achever de vaincre jusqu'à ce qu'elle s'emploie du tout [complètement] au service de Dieu, où toutes les paroles, pensées et actions sont déjà [maintenant] de Dieu, n'ayant plus l'office de murmurer, ni d'autre imperfection ès paroles ni ès autres puissances. C'est comme si [elle] disait : je ne m'occupe ni ne m'entretiens plus ès passe-temps du monde.

Pour l'aimer jusqu'au mourir.

C'est-à-dire que toutes ces puissances et habiletés de son corps et de son âme qu'elle employait auparavant en d'autres choses inutiles, étaient occupées en l'exercice d'amour, qu'elle ne se mouvoit plus que par amour, faisant et souffrant tout pour l'amour.

Notez que quand l'âme parvient à cet état, tout l'exercice de la partie spirituelle et celui de la partie sensible, tant à agir qu'à pâtir, en quelque manière que ce soit, lui augmente toujours l'amour et les délices en Dieu. Voire même l'exercice d'oraison et communication avec Dieu, qu'elle avait accoutumé de tenir auparavant [en]298 d'autres considérations et moyens, est un entier exercice d'amour, de manière [que], soit qu'elle traite du temporel ou du spirituel, tout son exercice est d' amour.

Heureuse vie, heureux état, et bienheureuse âme qui peut parvenir là où tout lui est substance d'amour, plaisirs et délices ! Mariage auquel l'âme peut véritablement dire à son divin Époux : Je vous ai gardé toutes les pommes vieilles et nouvelles. [Cant 7, 13]. Comme si elle disait : mon Bien-Aimé, je me désire tout ce qui est rude et pénible, et veux pour vous tout ce qui est suave et savoureux. Toutefois, le vrai sens est que l'âme en cet état de mariage spirituel va ordinairement en l'union d'amour de Dieu, qui est une commune et ordinaire assistance de volonté amoureuse en Dieu.


[Vingtième couplet]

Si l'on ne voit plus la trace

De mes pas, qui ja [maintenant] s'effacent,

Dites qu'éperdue d'amour,

[ Je cherche un autre séjour

Où mon âme se refasse.

L'âme répond en ce couplet à un blâme du monde, qui a de coutume de taxer [blâmer] ceux qui s'adonnent du tout [complètement] à Dieu, les estimant étrangement farouches et retirés en leur manière de procéder, disant en outre qu'ils sont inutiles aux choses d'importance, et perdus en ce que le monde prise et estime le plus. C'est à quoi elle repart [répond] hardiment, et à tout ce que le monde lui saurait imposer, attendu qu'ayant donné jusqu'au vif [ayant atteinr au coeur] de l'amour de Dieu, elle ne se soucie guère du reste, comme elle confesse, se glorifiant d'être parvenue jusque là en se perdant au monde et à elle-même pour son Ami. Elle dit donc aux mondains que s'ils ne la voient plus ès [dans les] occupations ordinaires, qu'ils croient qu'elle s'en est retirée et qu'elle s'est voulue perdre cherchant son Ami, dont elle est passionnée ; et pour leur montrer le profit de sa perte, et qu'ils ne l'imputent à folie ou tromperie, elle dit que cette perte a été son gain.

Si l'on ne voit plus la trace...

Si elle ne paraît plus ès promenades et lieux de récréations en public où les mondains prennent leur passe-temps et y repaissent leurs appétits, qu'ils la tiennent perdue à tout cela, [ce] dont elle se réjouit.

... Dites qu'éperdue d'amour...

Celui qui aime ne rougit point de ce qu'il fait pour Dieu, n'a point de honte de ses oeuvres, encore qu'il sache que tout le monde les condamnera ; car celui qui craindra de confesser le Fils de Dieu devant les hommes et de faire ses oeuvres, le même Fils de Dieu dit en [Le 9, 26] saint Luc qu'il aura aussi honte de le confesser devant son Père. Partant, l'âme, d'un esprit d'amour, se prise [se félicite] de ce qu'elle fait pour son Ami, et de s'être perdue pour lui à toutes les choses du monde.

Fort peu de spirituels parviennent à une si parfaite résolution ès [dans les] oeuvres, et bien que d'aucuns y atteignent des premiers, ils n'achèvent jamais de se perdre en certains points du monde ou de la nature, et faire simplement les oeuvres parfaites pour Jésus-Christ, sans regarder à ce que l'on dira ou pensera. Ceux-là ne se vanteront pas d'être perdus, puisqu'ils se trouvent encore en eux-mêmes, et ont honte de confesser Jésus-Christ par leurs oeuvres devant les hommes, ayant plus de respect aux choses vaines qu'à Jésus-Christ, pratiquant les vertus pour l'amour de Dieu.

Le vrai amoureux se perd incontinent à tout pour se trouver en ce qu'il aime. [L'âme299] se laisse ainsi industrieusement perdre en deux façons, à savoir : elle-même ne faisant rien de soi, ains [mais] de la part de l'Ami, se livrant gracieusement à lui, sans aucun intérêt, perdue à elle-même sans se vouloir recouvrer à soi ; l'autre façon est négligeant toutes choses qui ne concernent son Ami. Cette perte est avoir envie qu'on la gagne.

Tel est l'amoureux de Dieu, qui ne prétend aucun profit ni récompense, ains [mais] seulement de perdre tout soi-même pour Dieu, [ce] qui est tout son gain, selon saint Paul : Je gagne à mourir [Phi 1, 21] ; [ce qui] s'entend spirituellement : à toutes choses et à soi-même. Voilà pourquoi elle dit qu'elle s'est gagnée, car celle qui ne sait pas se perdre ainsi ne se trouve, ains s'égare : Celui qui veut gagner son âme la perdra, et celui qui la veut perdre pour moi la gagnera, [Mt 16, 25] dit Dieu en l'Évangile. Quand une âme est allée si avant au chemin spirituel que de se perdre à tous les moyens naturels de procéder avec Dieu, et de ne le chercher plus par considérations, ni formes, ni sentiments, ni par la créature ou les sens, ayant passé par-dessus tout cela, traitant et jouissant de Dieu en foi et amour, alors elle s'est de vrai gagnée à Dieu, à cause qu'elle s'est perdue à tout ce qui n'est pas Dieu, et à ce qu'elle est en soi-même.

[Vingt-et-unième couplet]

Nous ferons de beaux bouquets

De fleurs, et autres affiquets [ornements],

Liés de ma chevelure,

Dessus la fraîche verdure

Pour ton amour apprêtés.

L'Épouse rentre en discours et communication d'amour avec l'Époux, touchant les richesses des vertus et dons, avec la pratique qui s'en fait de l'un à l'autre, dont ils jouissent en union d'amour. Elle fera des bouquets et couronnes des vertus, acquises en temps convenable, embellies et gracieuses en l'amour qu'elle lui porte, et lui à elle. Cette jouissance des vertus sont des bouquets dont ils jouissent tous deux en l'amour qu'ils se portent l'un à l'autre.

Les fleurs sont les vertus de l'âme, les émeraudes et affiquets [ornements] sont les dons qu'elle a de Dieu,

Dessus la fraîche verdure... ;

c'est à savoir : gagnées et acquises en la jeunesse, qui sont les fraîches matinées de l'âge, choisies parce que les vertus qu'on acquiert de bonne heure sont très agréables à Dieu, à cause qu'il y a lors plus de contradiction des vices à les acquérir et de la part du naturel plus enclin en la jeunesse à les perdre, parce aussi que commençant à les cueillir dès ce temps là elles sont plus parfaites. La jeunesse, c'est une fraîche matinée ; car comme la fraîcheur du matin est plus agréable que le reste du jour, de même la vertu de la jeunesse est plus plaisante à Dieu.

L'on peut aussi entendre ces froides matinées pour les actes d'amour où on acquiert les vertus, qui sont plus agréables à Dieu que les fraîches matinées aux enfants des hommes ; on peut aussi entendre les oeuvres faites en aridité et difficulté d'esprit, qui sont dénotées par le froid du matin de l'hiver, et ces oeuvres faites pour Dieu en sécheresse d'esprit sont fort prisées de Dieu, parce qu'on y acquiert fort les vertus et dons. Et celles qu'on gagne de cette façon avec peine, pour la plupart sont plus fermes et illustres que si on les obtenait avec la joie de l'esprit, d'autant que la vertu en la sécheresse, difficulté, travail, et tentation, s'enracine mieux : La vertu s'accomplit en l'infirmité. [II Co 12, 9]. Elle [L'épouse] semble donc vouloir rehausser l'excellence des vertus, dont il faut faire les bouquets et couronnes de l'Époux ; elle dit bien qu'elles sont cueillies la fraîche matinée, parce qu'il ne jouit à plaisir que de ces fleurs des vertus et dons qui font un bouquet ou couronne si admirablement embellie et bigarée d'une précieuse variété.

Pour mieux entendre ceci, sachez qu'à mesure qu'on a cueilli les fleurs matérielles, on les assemble en un bouquet : ainsi les vertus spirituelles s'arrangent dans l'âme en les acquérant, et composent une couronne de perfection qui réjouit l'Époux. C'est le bouquet qu'il faut faire : se ceindre de diverses fleurs et émeraudes de vertus et dons parfaits, pour se présenter avec ce précieux ornement devant la face du Roi qui la mettra à côté de lui comme elle mérite. La reine, dit David, s'est tenue à vos droites en robe d'or de diverse broderie, [Ps 44, 10] c'est-à-dire revêtue d'un parfait amour et couronnée de plusieurs [beaucoup de] dons et excellentes vertus. Elle ne dit pas qu'elle fera les bouquets toute seule, ni lui aussi, mais : " nous les ferons ensemble ", parce que l'âme ne saurait acquérir les vertus sans l'aide de Dieu, lequel ne les opère non plus sans elle. J'avoue bien que tout don parfait descend d'en haut du Père des lumières, comme dit saint Jacques [Jac 1, 17], néanmoins cela ne se reçoit sans l'habileté et aide de l'âme ; d'où vient que l'Épouse dit ès [dans les] Cantiques : Tirez-moi après vous, et nous courrons à l'odeur de vos parfums. [Cant 1, 3]. De manière que le mouvement au bien doit venir de Dieu seul, mais il faut que les deux concourent, c'est-à-dire que Dieu et l'âme opèrent conjointement.

Ce verset s'entend proprement de l'Église et de Jésus-Christ son Époux, auquel l'Église dit : " Nous ferons de beaux bouquets ", entendant par là les âmes saintes engendrées par Jésus-Christ en l'Église, dont chacune est comme une couronne tissue [tissée] de fleurs de vertus et de dons, et toutes ensemble font une couronne au chef de Jésus-Christ leur Époux.

On peut aussi entendre par les beaux bouquets ou guirlandes, trois sortes faites en Jésus-Christ et en l'Église : la première couronne, des blanches fleurs de toutes les vierges, chacune avec le bouquet de virginité, et toutes ensemble ne font qu'une couronne pour mettre sur la tête de Jésus-Christ leur Époux ; la seconde et la troisième, des oeillets rouges des martyrs, chacun avec sa couronne de martyr, et tous ensemble n'en feront qu'une pour leur Époux Jésus-Christ, si gracieux et embelli de voir ce qui se passera au ciel : Sortez, filles de Sion, regardez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l'a couronné le jour de ses fiances [fiançailles] et au jour de la joie de son coeur. [Cant 3, 11]. Ces guirlandes /1, donc, fleuries de votre amour, la fleur des oeuvres vertueuses, c'est

1 Gaultier, ici et au § 9, délaisse sa propre — et fantaisiste — traduction des vers (cf. supra, p. 9), pour suivre l'original, sans lequel le commentaire n'aurait aucun sens : haremos las guirnaldas en tu amor florecidas y en un cabello mio entretexidas.

la grâce et efficace [force] qu'elles ont en l'amour de Dieu, sans laquelle elles demeureraient sèches et brouie [fanées] devant Dieu, encore qu'elles fussent humainement parfaites, mais d'autant [pour autant] que sa grâce fait fleurir les oeuvres en son amour.

" Et les lie d'un cheveu... " : c'est sa volonté et l'amour qu'elle porte à l'Ami, lequel fait déjà [maintenant] l'office du fil au bouquet qui lie les fleurs. Ainsi l'amour attache les vertus dans l'âme et les y entretient, car, comme dit saint Paul, la charité, c'est le lien de la perfection. [Col 3,14]. De façon qu'en cet amour de l'âme, les vertus et dons surnaturels y sont si nécessairement liés, que s'il rompait, manquant à Dieu, aussitôt les vertus manqueraient dans l'âme, comme les fleurs tomberaient du bouquet si le fil se déliait. Il ne suffit donc pas que Dieu nous aime pour nous donner des vertus, si nous ne l'aimons aussi pour les recevoir et conserver. Elle ne parle que d'un cheveu en singulier, pour nous donner à entendre que sa volonté est déjà [maintenant] seule, séparée de tous les autres cheveux, qui sont les amours étrangers : en quoi il extolle [relève] bien la valeur de ces bouquets de vertus, car quand l'amour est unique et solide en Dieu, tel qu'elle dit ici, les vertus sont aussi parfaites et bien fleuries en l'amour de Dieu, d'autant que l'amour qu'[il300] porte lors [alors] à l'âme est inestimable selon qu'elle dit ci-après.

[Vingt-deuxième couplet]

Ce seul cheveu qui ondoie

Dessus mon col [cou], te côtoie,

T'a fortement attaché.

Tu es pris, quoi que l'on voie,

Et mon oeil t'a bien blessé.

L'âme veut dire ici trois choses : la première, que l'amour qui lie les vertus est un amour fort qui doit être véritablement tel pour les conserver ; la seconde, que Dieu a été attaché de ce cheveu d'amour le voyant seul et fort ; la troisième, que Dieu est devenu étroitement amoureux d'elle, voyant l'intégrité et pureté de sa foi.


Ce seul cheveu qui ondoie

Dessus mon col [cou], te côtoie ...

Le col signifie la force où le cheveu d'amour vole, où les vertus sont entrelacées, [ce] qui est amour avec force. [Il] ne suffit qu'il soit seul pour conserver les vertus, mais aussi qu'il soit fort, de peur qu'un vice ne rompe le bouquet de la perfection, d'autant que les vertus de l'âme sont liées avec un tel ordre de ce cheveu d'amour, que s'il rompait en une, toutes les autres manqueraient. Ce cheveu volait sur le col, attendu qu'en la force, qui est le col [cou] de l'âme, cet amour vole puissamment à Dieu sans s'arrêter en aucune chose. Et tout ainsi que le vent fait ondoyer le cheveu sur le col, de même le vent du Saint-Esprit ébranle l'amour fort pour voler à Dieu ; car sans le vent divin qui émeut les puissances par l'exercice d'amour, les vertus qui sont dans l'âme ne feraient leurs effets. De dire que l'Ami a vu voler cecheveu sur le col, c'est pour dénoter combien Dieu aime l'amour fort. Ce regard particulier avec attention et estime, c'est l'amour fort sur lequel Dieu jette les yeux, ce que l'âme dit pour donner à entendre que non seulement Dieu a prisé et fait cas de ce sien amour, mais aussi qu'il l'a aimé le voyant fort ; car le regard de Dieu, c'est son amour, sa considération, c'est estimer ce qu'il considère. Elle dit qu'il a regardé ce cheveu sur son col, c'est pourquoi il l'a tant aimé le voyant fort, sans crainte ni pusillanimité voler légèrement et avec ferveur. S'ensuit :

... T'a fortement attaché.

Ô chose digne d'attention et de joie que Dieu soit lié d'un cheveu ! La cause de cette précieuse capture, c'est de s'être arrêté à la regarder et aimer notre bas être, car s'il ne nous regardait par sa grande miséricorde, et aimait le premier, [I Jn 4, 19] comme dit saint Paul, en s'abaissant, il ne serait pas pris au vol du cheveu de notre amour bas, qui ne vole pas si haut qu'il puisse prendre cet oiseau divin ès [dans les] hauts lieux. Mais parce qu'il est descendu de là pour nous regarder et élever notre vol, faisant valoir notre amour, voilà pourquoi il s'est pris lui-même au vol de ce cheveu, il s'y est attaché avec plaisir. Est-il croyable qu'un oiseau qui vole terre à terre puisse prendre l'aigle royal, si elle ne se laisse volontairement prendre ?

Et mon oeil t'a bien blessé.

L'oeil signifie ici la foi. Elle ne parle que d'un qui l'a blessé, parce que si la foi et la fidélité de l'âme envers Dieu n'était seule, ains [mais] qu'elle se trouvât mêlée de quelque respect ou compliment, elle ne blesserait pas Dieu de son amour. Il ne faut donc qu'un seul oeil pour le navrer [blesser] et un seul cheveu pour le lier, et l'Époux est si ardemment amoureux de l'Épouse en cette fidélité unique qu'il voit en elle, que s'il s'attachait au cheveu d'amour et [à] l'oeil de sa foi, cet étroit lien le blesserait d'amour à cause de la tendre affection qu'il lui porte. Ma sœur, dit l'Épouse, vous avez navré [blessé] mon coeur d'un de vos yeux et d'un des cheveux de votre col [cou], double blessure de l'oeil et du cheveu. Elle remercie ici l'Ami de cette souveraine faveur, et se réjouit d'avoir été si heureuse que d'acquérir ses bonnes grâces, ce qu'elle lui attribue au couplet qui suit.


[Vingt-troisième couplet]

Tes yeux en me regardant,

Imprimaient sur moi ta grâce,

Et les miens en te voyant,

Adoraient ta belle face,

Chérie de tous les amants.

C'est une propriété de l'amour parfait de ne se rien attribuer, ains [mais] tout entièrement à l'Ami, ce qui se pratique même ès [dans les] amours terrestres, à plus forte raison en celui de Dieu où nous sommes obligés en toutes façons. Il semblait ès [dans les] deux précédents couplets que l'Épouse s'attribuait quelque chose, disant qu'elle ferait avec l'Époux des bouquets qui seraient liés d'un de ses cheveux, [ce] qui n'est pas une oeuvre de peu d' importance, et depuis [se vantait]301 que l'Époux était attaché à son cheveu et blessé de son oeillade, en quoi elle paraît s'attribuer beaucoup de mérite. À présent elle s'explique référant le tout à Dieu, et le remerciant de ce qu'il avait daigné la regarder si amoureusement, qu'il l'avait rendue gracieuse et agréable à lui-même et digne de son amour.

Tes yeux en me regardant,

à savoir d'une affection d'amour, car le regard de Dieu est pris ici pour aimer,

Imprimaient sur moi ta grâce...

Les yeux de l'Époux signifient ici sa miséricorde divine, laquelle s'inclinant sur l'âme influe [infuse] et imprime son amour et sa grâce en elle, [ce] qui l'embellit et l'élève à la participation de la divinité. Ce qui lui fait croire qu'elle est doublement aimée par le lien de son cheveu et par l'oeillade, lui donnant l'amour de son cheveu et la foi de son oeil, Dieu mettant en l'âme sa grâce et la rendant digne de son amour, selon le dire de saint Jean, [lui] qui donne grâce pour grâce qu'il a baillée ; [ce] [Jn 1, 16] qui est une double faveur, parce que sans la grâce prévenante on ne saurait mériter sa grâce.

Pour entendre ceci, remarquez que tout ainsi que Dieu n'aime rien hors de soi, de même il ne chérit aucune chose moins que soi, à cause qu'il aime tout pour soi, et l'amour est comme la fin : par ainsi [c'est pourquoi], il n'a aimé les choses pour ce qu'elles sont en soi. D'où vient que quand Dieu aime l'âme, c'est l'introduire en certaine manière en soi-même et l'égaler à soi, de sorte qu'il aime l'âme en soi avec soi du même amour qu'il s'aime. C'est pourquoi chaque action de l'âme mérite l'amour de Dieu, parce qu'étant élevée en cette grâce et grandeur, elle mérite Dieu en toutes ses oeuvres, et cette faveur qu'elle reçoit des yeux de sa miséricorde fait que les siens ont le crédit d'adorer sa belle face.

Voulant dire : " Mon Époux, les puissances de mon âme ont mérité de s'élever à vous contempler, elles qui par la misère de leur condition étaient auparavant si déchues. " Car le pouvoir qu'a l'âme de regarder Dieu, c'est de faire des oeuvres en la grâce de Dieu ; et les yeux de l'âme méritaient déjà [maintenant] d'adorer, parce qu'ils adoraient en la grâce de Dieu ce qu'ils voient en lui, élevés et illuminés de sa faveur à ce qu'ils n'apercevaient pas auparavant à cause de leur bassesse et aveuglement. Quelle abondance de suavité, bonté immense, d'amour et de miséricorde ès [innombrables] bienfaits qu'[ils avaient] reçus de lui, étant en grâce, et lorsqu'[ils n'y étaient] pas encore. Les yeux de l'âme pouvaient adorer tout cela avec mérite, parce qu'ils étaient déjà gracieux, ce qu'auparavant ils n'eussent su voir, ni adorer, ni considérer, à cause que l'âme destituée de la grâce est grandement aveugle et grossière.

[Vingt-quatrième couplet]

Encore que je sois brune,

ni ne me dois mépriser,

Puisqu'il t'a plu distiller

Ta beauté qui n'est commune

Sur mon visage étranger.

L'Épouse s'estimant et prisant [se félicitant] déjà [maintenant] soi-même des arrhes qu'elle a de son Ami, encore qu'elle soit de fort bas prix et de nulle considération de soi, elle mérite qu'on en fasse cas. C'est pourquoi elle prend la hardiesse de dire à son Ami qu'elle n'est plus à mépriser, comme lorsqu'elle était en son naturel souillé par sa faute, mais que depuis qu'il lui a plu la regarder, l'ayant revêtue de sa grâce et beauté, qu'il peut bien la considérer deux et trois fois, l'augmentant de ses dons avec sujet [raison], attendu qu'elle est toute autre que la première fois qu'il la regarda.

Tu ne me dois mépriser...,

c'est-à-dire en l'état où tu m'a mis à présent,

Encore que je sois brune...

" Avant que vous m'eussiez regardée, si vous m'avez trouvée noircie et barbouillée de plusieurs [beaucoup] fautes et imperfections naturelles et de bas aloi, dès votre premier regard vous avez effacé les taches et la mauvaise couleur qui était en moi, et m'avez rendue digne d'être vue souvent et à loisir, m'ayant remplie de grâce et beauté. "

Dieu se plaît merveilleusement en l'âme qu'il a comblée de sa grâce, et y demeure volontiers, ce qu'il ne faisait pas avant qu'il l'eut honorée et enrichie, communiquant à toutes ses oeuvres et effets, parce que l'âme qui est élevée en amour et chérie de Dieu s'accroît toujours en amour et honneur envers Dieu qui donne grâce pour grâce.[Jn 1, 16]. Depuis que tu les devenu glorieux et honorable devant moi, dit Isaïe [Is 43, 4], je t'ai aimé. Comme s'il disait : " Depuis que mes yeux t'ont donné la grâce, te regardant la première fois, ce qui t'a fait paraître avec honneur, tu as mérité de recevoir de plus en plus de mes faveurs. " C'est ce que dit l'Épouse aux filles de Jérusalem : Je suis noire et néanmoins belle ; c'est pourquoi le Roi m'a aimée et introduite dans sa chambre?" [Cant 1, 4]Ne vous émerveillez pas si le Roi céleste m'a tant favorisée que de m'admettre à sa couche, à cause que je suis noire de moi[-même], [ce] dont j'étais indigne ; il m'a rendu belleet aimable d'un seul regard. Vous pouvez bien priser grandement, mon Dieu, l'âme que vous avez envisagée [dévisagée] une fois, car vous y avez laissé des marques qui méritent que vos yeux divins la regardent souvent. " Car celui que le Roi voudra estimer devient digne de cet honneur, comme il est dit en Esther.

[Vingt-cinquième couplet]

Attrapez les renardeaux

Lors du bourgeon de la vigne.

Quand nous ferons des monceaux

De roses jusqu'à la cîme,

Nul ne paraisse ès [sur les] coteaux.

L'Épouse voyant les vertus de son âme en l'état de perfection où elle jouit des délices et suavité d'icelles, comme l'on fait de la vue et odeur des plantes lorsqu'elles sont bien fleuries, désirant continuer cette douceur sans en pouvoir être empêchée, elle prie les anges et ministres de Dieu de détourner tout ce qui peut brouir [faner] la fleur et odeur de ses vertus, comme sont les troubles, tentations, appétits, inquiétudes, imaginations et autres mouvements naturels et spirituels, qu'elle nomme " renardeaux ", qui broutent la fleur de la paix, quiétude, et suavité intérieure de l'âme, lorsqu'elle en jouit plus savoureusement avec son Ami.

Quelquefois l'âme voit en son esprit toutes les vertus que Dieu lui a données par un éclat de lumière ; alors, avec un admirable plaisir et goût d'amour, elle les assemble toutes et les offre à son Ami comme une pyramide de roses, qui les reçoit avec les soumission [hommages] d'autant que l'âme s'offre conjointement avec les vertus, [ce] qui est le plus grand service qu'elle puisse faire ; et c'est une des plus grandes joies qu'elle reçoive ordinairement traitant avec Dieu. Étant donc soigneuse qu'on ne la divertisse de ce plaisir intérieur, qui est la vigne fleurie, elle souhaite une profonde solitude en toutes les puissances et appétits intérieurs et extérieurs, de telle sorte qu'il n'y ait forme, ni image, ni autre chose qui paraisse ou se représente à l'âme qui jouit de ce monceau de fleurs avec son Ami en solitude et union.

Attrapez les renardeaux

Lors du bourgeon de la vigne.

La vigne, c'est la plante de toutes les vertus qui est dans l'âme, dont se fait un vin précieux. Cette vigne de l'âme est fleurie selon que la volonté est unie avec l'Époux, et les deux jouissent de toutes ces vertus ensemble. Alors il vient parfois en [la] mémoire et en la fantaisie, de diverses formes et imaginations, et en la partie sensible divers mouvements et appétits, qui par leur subtilité et vivacité molestent l'âme en ce repos intérieur. Davantage [De plus], les diables envieux de la paix et retraite, jettent dans l'esprit des troubles, craintes et horreurs : [ce] sont les renardeaux, qui en sautant font choir le bourgeon de la vigne lors qu'elle est en fleur. Ainsi les diables rusés et malicieux, par ces mouvements troublent la dévotion des âmes saintes : Prenez, dit l'Épouse ès [dans les] Cantiques, les renardeaux qui abattent les bourgeons, car notre vigne est en fleur [Cant 2, 15]

Ce n'est pas seulement pour cela que l'âme veut qu'on les chasse, mais aussi pour amasser ses roses :

Quand nous ferons des monceaux

De roses jusqu'à la cîme…

Lorsque l'âme jouit de la fleur de cette vigne dans le sein de son Ami, les vertus s'étalent avec une grande suavité que l'âme ressent en soi-même et en Dieu, comme une vigne en fleurs, où tous deux se réjouissent ; et l'âme assemblant ces vertus, fait de très délicieux actes d'amour en chacune d'icelles et en toutes ensemble, qu'elle offre à son Ami tendrement et doucement. À quoi lui-même l'aide, parce que sans sa faveur elle ne saurait assembler et offrir ces vertus à son bien-aimé. C'est pourquoi elle en parle en pluriel : " Quand nous ferons des monceaux de roses ", à savoir mon Ami et moi.

Elle appelle ce ramas de vertus " monceaux ", une perfection de l'âme qui en comprend plusieurs [beaucoup d’] autres, d'autant que [dans la mesure où] tous les dons et vertus conviennent en une solide perfection de l'âme, laquelle s'accomplissant par l'exercice, est offerte par l'âme à l'Ami en esprit d'amour.

Et [il] faut chasser les renardeaux, de peur qu'ils n'empêchent la communication intérieure des deux, et en outre, que

Nul ne paraisse ès [sur les] coteaux.

Pour vaquer à cet exercice divin intérieur, il est

besoin de solitude et éloignement de toutes les choses qui se pourraient représenter à l'âme, tant de la partie inférieure et sensuelle, que de la supérieure et raisonnable, lesquelles deux parties comprennent toute l' harmonie des puissances et des sens de l'homme. Elle dit que

Nul ne paraisse ès coteaux,

à savoir : pas un objet qui dépende d'aucune de ces puissances. Comme voulant dire qu'en toutes les puissances spirituelles, entendement, mémoire et volonté, qu'il ne s'y trouve d'autres considérations ni affections, nidivertissements ; et qu'en tous les sens et puissances corporelles, imagination, fantaisie, et les cinq sens extérieurs, qu'il ne s'y trouve d'autres formes, images, ni figures d'aucuns objets ou opérations naturelles. Ce que l'amour dit ici, parce que lors de la communication avec Dieu, il faut que tous les sens, tant extérieurs qu'intérieurs, soient libres et vides, à raison qu'en tel cas tant plus ils opèrent, tant plus ils détournent l'âme de l'union intérieure avec Dieu, où les puissances spirituelles et corporelles cessent ; comme quand on est parvenu au but, toutes les opérations des moyens sont inutiles. Par ainsi [Cest pourquoi] l'âme pratique lors ce que l'Ami a opéré en elle, qui est d'aimer en continuation d'amour, union de Dieu. Que nul, donc, ne paraisse ès [sur les] coteaux, que la seule volonté assiste à se livrer avec toutes les vertus à l'Ami.


[Vingt-sixième couplet]

Ne soufflez, ô froide bise,

Venez, zéphyr amoureux !

Laissez courir les odeurs

Sur mon Ami qui devise

Au jardin parmi les fleurs.

Mais d'autant que la sécheresse d'esprit pourrait éteindre en l'âme épouse le suc et la suavité intérieure dont nous avons parlé, elle qui craint cela fait deux choses ici : la première, de fermer la porte à l'aridité spirituelle, étant soigneuse de s'entretenir en la dévotion, de peur qu'elle ne se glisse dedans ; la seconde, d'invoquer le Saint-Esprit, continuant [demeurant] en oraison, qui chasse l'aridité et redouble la dévotion, l'âme mettant les vertus en exécution intérieure, afin que son Ami s'y plaise et réjouisse davantage en elles.


Ne soufflez, ô froide bise...

La bise, c'est un vent froid et sec qui flétrit les fleurs : la sécheresse spirituelle produit le même effet en l'âme où elle réside. Elle l'appelle " bise " et " froide " ou morte, d'autant qu’ [dans la mesure où] elle amortit et éteint toute la suavité et suc spirituel de l'âme fervente. Et l'Épouse désirant se conserver en la douceur de son amour, elle dit à l'aridité qu'elle cesse, ce qu'il faut entendre du soin d'éviter ce qui la peut détourner des bonnes occasions.

Venez, zéphyr amoureux !

Le zéphyr est un vent gracieux, pluvieux, qui fait germer les herbes et plantes, épanouir les fleurs et répandre leur odeur, qui est du tout [complètement] contraire à la bise. L'âme entend par le zéphyr le Saint-Esprit, lequel soufflant en l'âme l'enflamme tellement, qu'elle renouvelle toute la volonté et élève les appétits déchus et endormis envers Dieu.

Nous avons déjà dit que l'âme de l'Épouse, c'est la vigne fleurie en vertus ; à présent, c'est un jardin de fleurs, de perfections et vertus. Je mets de la différence entre souffler au jardin, ou par le jardin : quand Dieu aspire en l'âme, c'est y verser de la grâce, des dons, et des vertus ; quand il souffle par l'âme, c'est un attouchement des vertus et perfections acquises, qu'il renouvelle et agite de telle façon qu'elles rendent une admirable odeur et suavité, comme quand on remue les parfums l'air qui ne sentait auparavant en devient tout embaumé, parce que les vertus de l'âme n'ont pas toujours une joie actuelle durant cette vie, où elles demeurent comme des fleurs closes en bouton, ou des parfums couverts dont on ne sent point l'odeur jusqu'à ce qu'on les remue ou découvre, comme nous avons dit. Nonobstant, Dieu fait quelquefois de telles faveurs à l'âme Épouse, que son Saint-Esprit soufflant par ce jardin fleuri, il ouvre tous les boutons des vertus et découvre les parfums de dons, perfections et richesses de l'âme ; et manifestant la substance et trésor intérieur, il fait voir une admirable beauté, et sentir l'agréable douceur de ces fleurs des vertus, dont chacune jette une odeur particulière.

Laissez courir les odeurs...

Lesquelles sont parfois en telle abondance, que l' âme semble être [vêtue] de délices et toute baignée en gloire inestimable, en sorte qu'elle sent cela non seulement au dedans, mais aussi à l'extérieur, visiblement à ceux qui en ont tant soit peu d'expérience. Et cette âme pense être dans un paradis terrestre, parmi les délices et richesses divines ; non seulement quand les boutons sont fleuris, mais ces saintes âmes portent d'ordinaire en elles une certaine grandeur et dignité qui contient [maintient] les autres en devoir par un effet surnaturel qui se répand dans le sujet, par la très proche et familière communication avec Dieu, comme il est dit en l'Exode de Moïse, qu'on ne le pouvait regarder, tant sa face était luisante et vénérable d'avoir conféré tête-à-tête avec Dieu.

En ce souffle ou inspiration du Saint-Esprit en l'âme, qui est une visite d'amour, l'Époux Fils de Dieu se communique hautement ? C'est pourquoi il envoie devant son Esprit, comme aux Apôtres — c'est son maréchal des logis — pour préparer l'habitation de l'âme, son Épouse, qu'il comble de délices dans ce jardin où il ouvre ses fleurs, découvre ses dons et la pare de la tapisserie de ses grâces et richesses. Voilà pourquoi l'Épouse désirait passionnément tout cela, à savoir d'arrêter le vent de bise [et] de faire rouler le zéphyr par son jardin ; en quoi l'âme gagne plusieurs [beaucoup de] choses ensemble, la jouissance des vertus réduites [amenées] au point d'un savoureux exercice. Et [elle] jouit de son Ami en elles plus particulièrement, [lui] qui s'habitue davantage avec elle par la pratique des vertus, [ce] qui est tout son plaisir — [à savoir] de goûter son Ami et d'acquérir une continuation et suavité durable des vertus, qui persévère en l'âme pendant que l'Ami y assiste [est présent] et que l'Épouse le recrée en ses vertus. Le Roi étant [sur sa couche], dit le Cantique, mon nard a jeté une suave odeur à Dieu et à l'âme, tandis qu'il était dedans par une communication substantielle. Partant, les âmes ne sauraient assez désirer que ce vent du Saint-Esprit souffle dans leur jardin et que ces odeurs divines l'embaument, non pour le plaisir et la gloire qu'elles en reçoivent, mais [parce] que l'Époux y prend un singulier plaisir, et [parce que] que c'est une convenable disposition pour attirer le Fils de Dieu.

... Au jardin parmi les fleurs.

Le Fils de Dieu se réjouit en l'âme et y prend plaisir, car [ce] sont ses délices, comme il dit ès [dans les] Proverbes [Pv 8, 31], de converser avec les enfants des hommes ; cela s'entend : quand ils veulent bien demeurer avec le Fils de Dieu. Il se repaît parmi les fleurs, d'autant [pour autant] que sa communication est dans l'âme parée de vertus, dont il se nourrit, transformant l'âme en soi, assaisonnée des fleurs des vertus, des dons et perfections, comme la sauce qui la lui font avaler ; lesquelles, par le moyen du fourrier susdit, donnent à Dieu, avec l'âme, du goût et de la suavité. C'est la condition de l'Époux d'avaler l'âme à l'odeur de ces fleurs. De fait, l'Épouse ès [dans les] Cantiques, qui connaît le naturel de son Époux, dit que son Ami est descendu dans son jardin, dans le carré des parfums, pour s'y repaître et cueillir des lys ; et ailleurs elle dit : Cant. 6. [Cant 6, 1] Mon Ami à moi, et moi à lui ; il se délecte dans le jardin de mon âme parmi les lys [Cant 2, 16] de mes vertus, grâces et perfections.


[Vingt-septième couplet]

Enfin l'Épouse est entrée

Dans le verger désiré,

Et s'est déjà [maintenant] reposée

Sur le col [cou], et embrassée,

De son cher et bien aimé.

L'âme ayant pris le soin de faire chasser les renardeaux et d'exclure la bise, qui étaient autant de détourbiers [obstacles] et d'inconvénients qui empêchaient le comble des délices du mariage spirituel, après avoir invoqué le doux zéphyr du Saint-Esprit ès [dans les] deux précédents couplets, qui est un instrument et disposition propre à la perfection de cet état, maintenant l'Époux appelant l'âme " Épouse ", dit deux choses : la première, qu'après sa victoire elle a été associée à cet état qu'elle avait tant désiré ; en la dernière elle raconte les propriétés de l'union dont l'âme jouit déjà [maintenant], reposant à son aise entre les bras de son cher Époux.

Pour déduire [déveloper] plus ouvertement l'ordre de ce cantique, et donner à entendre celui que l'âme tient d'ordinaire jusqu'à ce qu'elle soit parvenue au mariage spirituel, qui est le plus haut état dont nous dirons un mot avec l'aide de Dieu, notez qu'il se faut premièrement exercer ès [dans les] travaux et amertumes de la mortification, puis passer par les rigoureuses angoisses d'amour, avant que d'entrer ès communications et visites de son Ami, où l'âme s'est entièrement perfectionnée ; de manière que sortant de toutes choses, et de soi-même, elle s'est unie et [a] contracté un mariage spirituel avec lui, où elle a reçu de grandes faveurs, dons, et joyaux de son Époux le Fils de Dieu, par une entière transformation en son [Ami302], où les deux parties se livrent l'une à l'autre en parfaite union d'amour, autant qu'elle peut être en cette vie, où l'âme devenue divine est comme déifiée par participation, [ce] qui est le plus haut degré où on puisse parvenir ici-bas. Car tout ainsi qu'en la consommation du mariage charnel, deux ne sont qu'une chair, [Gn 2, 24] comme dit l'Écriture Sainte, de même ce mariage spirituel étant consommé entre Dieu et l'âme, sont deux natures en un esprit et amour de Dieu, ainsi que la lueur de l'étoile ou de la chandelle étant jointes et unies avec le soleil, c'est lui seul qui éclaire, non pas les autres qu'il efface et contient en soi.

Il parle ici de cet état :

Enfin l'Épouse est entrée...,

à savoir de tout le temporel et de tout le naturel, de toutes les affections, moyens et manières spirituelles mises à part, après avoir aussi oublié toutes les tentations, troubles, peines, soins et sollicitudes, transformée en ce haut embrassement,

... Dans le verger désiré,


c'est-à-dire en son Dieu, qui est le plaisant jardin où l'âme se repose délicieusement, transformée du tout [complètement]. C'est la joie, le plaisir et la gloire du mariage spirituel, où l'on ne saurait parvenir qu'après les fiances [fiançailles] et un amour loyal et réciproque des deux amants ; d'autant qu'après que l'âme a été quelque temps fiancée en un entier et suave amour avec le Fils de Dieu, il la mène par après en ce sien jardin fleuri pour consommer avec soi ce très heureux état de mariage, où il se fait une telle union des deux natures et une telle communication de la divine à l'humaine, que pas une ne changeant son être, chacune semble être Dieu, encore que durant cette vie elle ne le puisse être parfaitement, ores qu[quoique]'elle soit par dessus tout ce qu'on saurait dire ni penser.

L'Époux ès [dans les] Cantiques convie l'âme déjà [maintenant] son Épouse : Viens, ma soeur, en mon jardin, j'ai coupé ma myrrhe avec mes autres parfums. Il l'appelle soeur et Épouse [Cant 5 ,1], à cause qu'elle l'était déjà en l'amour et livraison qu'elle avait faite de soi, avant qu'il l'eut appelée à cet état de mariage spirituel où il dit qu'il a déjà coupé sa myrrhe odoriférante et ses bons parfums, qui sont les fruits déjà mûrs et préparés à l'âme : ce sont les délices et grandeurs qu'il lui communique de soi en cet état, c'est-à-dire en soi-même à elle. Voilà pourquoi il est ce jardin désiré par elle, car tout le désir de l'âme et de Dieu en toutes les actions d'elle, c'est la consommation et perfection de cet état, de façon que l'âme n'a jamais cessé qu'elle n'y soit parvenue, où elle trouve une grande abondance et réplétion de Dieu, avec une paix plus assurée et une plus parfaite suavité, sans comparaison, qu'ès fiances [fiançailles] spirituelles, étant déjà [maintenant] dans le sein d'un tel époux : Je vis, non pas moi, dit saint Paul, mais Jésus-Christ vit en moi. [Ga 2, 20]. L'âme, donc, menant une si heureuse vie comme est la vie de Dieu, que chacun considère le mieux qu'il pourra quelle sera la vie de l'âme, en laquelle, comme Dieu ne peut souffrir aucun dégoût, elle n'en sentira non plus, mais jouira des délices et de la gloire de Dieu en la substance de l'âme transformée en lui. C'est pourquoi elle repose sur son col [cou], qui signifie la force avec laquelle l'âme travaille, opère

les vertus, surmonte les vices ; de sorte qu'il est bien raisonnable que l'âme se repose sur ce qu'elle a travaillé.

Pencher le col [cou] entre les bras de Dieu, c'est être uni à sa force, ou pour mieux dire, plonger sa faiblesse en la force de Dieu. Où l'on remarque aisément cet état du mariage spirituel par ce penchement du col entre les doux bras de son cher Ami, d'autant que déjà [maintenant] Dieu est la douceur et la force de l'âme, où elle est garantie et protégée de tous les maux, et assaisonnée en tous les biens. Voilà pourquoi l'Épouse ès [dans les] Cantiques, désirant cet état, dit à l'Époux : Qui me donnera, mon frère suçant les mamelles de ma mère, que je vous puisse rencontrer seul dehors pour vous baiser; sans que personne me regarde ? [Cant 8, 1] Le nom de frère montre une égalité qui est en la fiance [fiançante] d'amour entre les deux avant que de parvenir à cet état ; auquel il dit qu'il tête les mamelles de ma mère, cela s'entend qu'il éteigne et amortisse en moi les appétits et passions qui sont les mamelles et le lait de la mère Ève en notre chair, qui sont autant d'empêchements à cet état ; et cela fait, que je te trouvasse seul dehors de toutes choses et de moi-même en solitude et nudité d'esprit ; ces appétits étant forclos [épuisés], que je te baisasse seul à seul, dépouillée de toute impureté temporelle, naturelle et spirituelle, avec toi seul et ta nature seule sans aucun autre moyen. Ce qui est seulement mariage spirituel du baiser de l'âme à Dieu, où personne ne s'entremet, d'autant qu'en cet état, ni diable, ni chair, ni monde, ni appétits ne l'importunent, car l'hiver s'en est déjà [maintenant] allé, la pluie a passé, et les fleurs commencent à pousser en notre terre. [Cant 2, 11].


[Vingt-huitième couplet]

Je t'ai donc épousée

Dessous un pommier humain,

En te prenant par la main,

Après t'avoir réparée

Où Ève fut violée.

En ce haut état du mariage spirituel, l'Époux découvre souvent et facilement à l'âme ses merveilleux secrets, et lui fait part de ses oeuvres. D'autant que [Parce que] le vrai et entier amour ne peut rien cacher, principalement elle lui communique les douces matières de l'incarnation, la manière de la rédemption humaine, qui est une des principales oeuvres de Dieu et des plus savoureuses à l'âme. C'est ce que l'Époux chante en ce couplet, où il découvre intérieurement à l'âme ces mystères, lui racontant que par le moyen de l'arbre de la Croix il l'a épousée et lui a fait part de sa miséricorde, voulant mourir pour elle et l'ayant effectué, vu qu'il l'a réparée par le même moyen que la nature humaine fut dépravée en l'arbre défendu, dont notre première mère Ève mangea.

Dessous un pommier humain...

Il entend par le pommier l'arbre de la Croix, où le Fils de Dieu la racheta, et par conséquent fiança [épousa] la nature humaine et chaque âme, lui donnant la grâce et des arrhes par les mérites de sa passion, l'élevant de son misérable état à ce saint mariage. Notre mère la nature humaine fut violée en nos premiers parents sous l'arbre, et a semblablement été réparée sous l'arbre de la Croix, de manière que si notre mère nous a causé la mort sous le premier, l'Époux nous donne la vie sous l'arbre de la Croix. Ainsi Dieu lui va découvrant les ordonnances et dispositions de sa Sagesse, comme il sait dextrement [adroitement] tirer les biens des maux, et disposer à un plus grand bien ce qui a été cause du mal. Ceci est tiré des Cantiques : Je t'ai relevée de dessous le pommier où ta mère fut corrompue, et celle qui t'a engendrée y fut violée. [Cant 8, 5].








[Vingt-neuvième couplet]

Je vous conjure, ô oiseaux,

Lions et cerfs, monts et vaux,

Ô vents, ô bruyants rivages,

Ô frayeurs de nuit qui [ravagez],

Ô torrents qui crevez d'eaux,


[Trentième couplet]

Par la douceur de la lyre

Et par le chant qui attire,

De contenir vos fureurs,

Sans aller heurter le mur

Où l'Épouse dort si dur.

L' Époux donne à entendre en ces deux couplets, que par le moyen des douces lyres, qui signifient la suavité dont on jouit ordinairement en cet état, et par le chant des sirènes, qui sont les délices qui demeurent toujours dans l'âme, pour arrêter toutes les opérations et passions qui empêchaient auparavant l'âme avec un dégoût — il dit que ce sont les digressions de la fantaisie et imaginative, qu'il conjure de cesser. Il met aussi en raison les deux puissances naturelles, l'irascible et concupiscible, qui l'affligeaient quelque peu. Par le moyen de ces lyres et chants, il donne aussi à entendre qu'on met en perfection, autant qu'il est possible en cette vie, les trois puissances de l'âme, volonté, entendement et mémoire ; on tempère aussi les quatre passions, espérance, joie, douleur et crainte, par le moyen de la satisfaction de l'âme signifiée par les lyres et chant de sirènes : tous lesquels inconvénients Dieu fait cesser, afin que l'âme jouisse sans aucun divertissement du plaisir de la paix et suavité de cette union. Il appelle " les oiseaux " les digressions de l'imagination, qui sont légères et subtiles à voler de lieu en autre ; lesquelles, lorsque la volonté jouit paisiblement de la communication savoureuse de l'Ami, elles [la] traversent303 par leur vol subtil, que l'Époux conjure par la lyre, puisque la suavité de l'âme est si abondante, si forte et fréquente, qu'elles ne la sauraient plus empêcher comme elles faisaient auparavant, étant parvenu jusqu'à faire cesser leurs vols inquiets, leurs excès et impétuosités.

[C'est] ce qu'il faut entendre aussi des autres parties, lions, cerfs et daims. Les lions expriment l'acrimonie de la puissance irascible, qui est hardie et fière comme un lion. Par les cerfs et les daims sauteurs, l'on entend l'autre puissance de l'âme, qui est la concupiscible, qui a deux divers effets : l'un, la timidité, l'autre, la hardiesse. Elle pratique les effets de lâcheté lorsqu'elle ne rencontre [n’obtient] pas les choses convenables à soi [qui lui conviennent], ce qui la fait retirer et trembler, en quoi elle est comparée aux cerfs, lesquels ayant cette partie concupiscible par dessus les [supérieure aux] autres animaux, sont fort couards et timides ; les effets de la hardiesse paraissent lorsqu'elle rencontre [obtient] des choses qui lui conviennent, qu'elle appète [désire] hardiment sans crainte ni frayeur : elle est comparée en cela aux daims, qui bondissent impétueusement après ce qu'ils désirent.

De manière que conjurer les lions, c'est brider la colère les excès de l'ire [la colère], conjurer les cerfs, c'est fortifier la dans les concupiscence ès [dans les] craintes et pusillanimités qui la retenaient auparavant, et conjurer les daims sauteurs, c'est amortir l'inquiétude des désirs qui sautent de l'un en l'autre pour satisfaire à la concupiscence, qui est déjà [maintenant] remplie de la suavité des lyres et du chant des sirènes, dont elle se repaît. Notez que l'Époux ne conjure point ici le courroux ni la concupiscence, d'autant que ces puissances ne manquent jamais en l'âme, ains [mais] leurs actions lâches et désordonnées, signifiées par les lions, cerfs et daims, parce qu'il les faut retrancher en un état réglé.

Par ces trois noms, monts, vallées, rivières, l'on entend les actes vicieux des trois puissances de l'âme, mémoire, entendement et volonté : or ils sont tels quand ils tombent en l'une des deux extrémités de hauteur ou abaissement. Par les monts, ceux qui sont trop hauts, par les vallées, les actes de ces trois puissances trop lâches ; et par les rivières, qui ne sont ni hautes ni basses, mais étant agitées, participent aucunement [de quelque manière] de l'une et de l'autre extrémité, l'on signifie les actes des puissances quand ils excèdent ou manquent aucunement du milieu, du plain et juste, lesquels ores qu'[quoique] ils ne soient excessivement déréglés, comme de passer au péché mortel, néanmoins ils le sont en partie, soit au véniel, soit en imperfection quelle qu'elle soit en l'entendement, mémoire et volonté. Elle conjure aussi tous ceux qui surpassent ce qui est juste, de cesser, par les douces lyres et le chant des sirènes qui tiennent les trois puissances de l'âme en leur [point304] [point d’équilibre], les employant en la juste opération qui leur appartient, sans aucun excès.

Par les eaux, vents, ardeurs et craintes nocturnes, s'entendent les affections de la douleur, espérance, joie et crainte. L'eau, c'est la douleur qui afflige l'âme et y entre tout ainsi que l'eau : Sauvez-moi, mon Dieu, dit David, car les eaux ont monté jusque dans mon âme. Psal. 5. [Ps 68, 2]. Les vents désignent l'affection d'espérance qui vole au désir des choses absentes : J'ai ouvert [la305] bouche, dit le psalmiste, de mon espérance, et ai avalé le vent de mon désir, parce que je souhaitais vos commandements. Ps. 131 [Ps 118, 131]. Par les ardeurs, on entend les affections de la passion de la joie qui enflamment le coeur comme un feu : Mon coeur, dit le même, s'est échauffé dans moi-même, et le feu de la joie s'allumera en ma méditation. [Ps 38, 4]. Par les peurs de nuit sont les affections de la passion de crainte, lesquelles en ceux qui ne sont encore parvenus au mariage spirituel dont nous parlons sont quelquefois grandes de la part de Dieu, lorsqu'il leur veut départir de ses faveurs qui intimident et épouvantent l'esprit et resserrent aussi la chair et les sens, leur naturel n'étant encore fortifié, perfectionné et habitué à telles grâces. [Cela] peut être aussi de la part du diable, lequel lorsque Dieu donne du recueillement et de la suavité à l'âme, il envie tellement cette paix de l'âme qu'il tâche à jeter de l'horreur et de la frayeur dans l'esprit pour troubler ce bien, parfois en le menaçant ; et quand il voit qu'il ne peut atteindre jusqu'à l'intérieur de l'âme, qui est fort recueillie et unie en Dieu, il cause par dehors en la partie sensible de la distraction ou variété, des oppressions, douleurs et horreurs au sens, tâchant par ce moyen à retirer l'Épouse de son lit. Cela s'appelle frayeurs nocturnes, parce qu'elles viennent des diables qui tâchent d'obscurcir l'âme et couvrir de ténèbres la divine lumière dont elle jouit.

Ces peurs sont vigilantes à cause qu'elles font veiller et souvenir l'âme de son doux sommeil intérieur, comme aussi parce que les diables qui en sont les auteurs veillent toujours pour les introduire. Or telles frayeurs [ 306] s'ingèrent passivement de la part de Dieu ou du diable dans l'esprit de ceux qui sont déjà [maintenant] spirituels. Je ne parle pas ici des autres peurs temporelles ou naturelles, auxquelles les spirituels ne sont point sujets, comme aux susdites qui leur sont propres. L'Ami conjure donc ces manières d'affections des quatre passions de l'âme, les faisant cesser et apaiser — de tant [d'autant] qu'il donne déjà [maintenant] à l'Épouse de la capacité en cet état, de la force et satisfaction ès [dans les] douces lyres de la suavité et au chant délicieux des sirènes — de peur qu'elles ne règnent en elle ou lui puissent donner quelque dégoût ; d'autant que la stabilité de l'âme est si grande en cet état, que si les eaux de la douleur montaient auparavant jusqu'à elle, de quelque chose, voire de leurs péchés ou de ceux d'autrui que les spirituels ont accoutumé de ressentir plus vivement, encore qu'ils en tiennent compte, la compassion ne leur en cause aucune douleur ni ressentiment, parce que l'âme n'a plus de faiblesse ès [dans les] vertus, ains [mais] tout ce qu'il y a de fort, de constant et de parfait. De même que les anges estiment parfaitement les choses douloureuses sans qu'ils sentent aucune douleur, et pratiquent les oeuvres de miséricorde et compassion sans en avoir, il en arrive tout autant à l'âme en cette transformation d'amour, encore que parfois et en certaines choses Dieu use de dispense en elle, [les307] lui donnant à entendre et la laissant pâtir pour son plus grand mérite, comme il fit à l'endroit de la Vierge Marie ; nonobstant, elle ne porte pas de soi cet état.

Ès [Quant aux] désirs de l'espérance, [elle ne308] s'en travaille [tourmente] aucunement, parce qu'étant déjà [maintenant] satisfaite en l'union de Dieu, autant qu'il se peut en cette vie, elle n'a rien à souhaiter des choses du monde, ni à désirer du spirituel, puisqu'elle se voit comblée des richesses de Dieu, étant à la vie et à la mort conforme et ajustée à la volonté de Dieu.

Quand aux affections de joie qui voulaient croître ou diminuer en l'âme, elle n'en aperçoit le défaut ni l'abondance, d'autant que celle dont elle jouit d'ordinaire est telle, que comme une mer elle ne déchet [diminue] à cause des fleuves qui en sortent, ni augmente par les rivières qui y entrent, parce que cette âme est devenue la source dont l'eau, dit Jésus-Christ en saint Jean, rejaillit jusqu'à la vie éternelle. [Jn 4, 14].

Bref, ni les peurs des nuits veillantes ne peuvent parvenir à elle, qui est si forte, si claire et unie au repos de Dieu, que leurs ténèbres ne la sauraient obscurcir, ni leurs frayeurs intimider, ni leurs impétuosités faire souvenir ; de façon que rien n'y peut déjà [maintenant] arriver ni la troubler, étant entrée dans le jardin désiré où elle jouit d'une profonde paix en toute suavité et délices, autant que l'état et condition de cette vie le peut permettre. [Il] faut entendre de cette âme ce que le Sage dit ès [dans les] Proverbes : Une conscience nette et assurée, c'est un perpétuel banquet [Pv 15, 15]; car comme les festins sont remplis de toutes sortes de viandes délicates au goût et de musiques agréables à l'oreille, ainsi l'âme en ce continuel banquet dont elle se nourrit dans le sein de son Ami jouit d'infinies délices et suavités. Que le lecteur ne pense pas que nous étendons trop en paroles, parce qu'en vérité s'il fallait expliquer ce qui se passe dans l'âme qui est parvenue à cet heureux état, le temps défaudrait et on n'en saurait dire la moitié, d'autant que si l'âme peut entrer en la paix de Dieu qui surpasse tout sens [Phi 4, 7] , les sens demeureront courts et muets à l'expliquer.

" Je vous conjure par les douces lyres et par le chant des sirènes... " : Nous avons dit que les lyres signifient la suavité de l'âme en cet état, car tout ainsi que l'harmonie des lyres remplit l'esprit de douceur et récréation, qui en est tellement abreuvé et suspendu qu'il ne ressent pas les peines et dégoûts, de même cette suavité tient l'âme si recueillie qu'aucun ennui n'en approche. Voilà pourquoi elle conjure toutes les fâcheries des puissances et passions de cesser lors de la suavité, comme aussi le chant des sirènes désigne le plaisir ordinaire que l'âme possède, pour lequel elle est dénuée de tous les contraires et opérations fâcheuses comprises dans ce vers :

De contenir vos fureurs.

Toutes les opérations et affections déréglées s'appellent " fureurs " ou " courroux ", qui est une certaine impétuosité, laquelle outrepasse les bornes de la raison quand elle opère vicieusement. À semblable [De même], toutes les affections et opérations susdites quand elles règnent en l'âme, surpassent les limites de sa paix et tranquillité.

C'est pourquoi elle dit :

Sans aller heurter le mur.

Les murs signifient les retranchements de paix, de vertus et de perfections que l'âme a déjà [maintenant] acquises, où elle est fortifiée : c'est le mur et la défense du jardin de son Ami ; Ma soeur est un jardin clos, dit l'Époux ès [dans les] Cantiques, partant, ne touchez à ce mur, [Cant 4, 12]

Où l'Épouse dort si dur,

afin qu'elle se délecte plus à son aise de la quiétude et suavité dont elle jouit au jardin où elle désire pencher son col [cou] entre les bras de son cher Ami.



[Trente-et-unième couplet ]

Ô nymphes de la Judée,

Tandis que l'ambre s'épand

Ès [parmi les] roses et fleurs sacrées

Demeurez en attendant,

Ès [dans les] faubourgs de la contrée.


C'est l'Épouse qui parle ici, laquelle se voyant enrichie selon la portion supérieure spirituelle de tant de précieux dons et délices de la part de son Ami, désirant se conserver et maintenir en la jouissance que l'Époux lui a délivrée ès [dans les] précédents couplets, voyant que la sensualité, qui est la portion inférieure, pourrait empêcher et traverser [mettre obstacle à] ce grand bien, elle prie ces mouvements et opérations de se retenir en leurs sens et puissances, sans franchir les limites de leur région sensuelle pour troubler et inquiéter la portion supérieure de l'âme, et que leur moindre mouvement ne détourne le bien et suavité dont elle jouit. Car si les mouvements de la part sensible opèrent quand l'esprit jouit, tant plus ils sont vifs et actifs, ils le molestent et inquiètent davantage.

Ô nymphes de la Judée...

La partie inférieure et sensible de l'âme est appellée Judée, à cause qu'elle est faible et charnelle, aveugle de soi, comme est le peuple juif. Toutes les imaginations, fantaisies, mouvements et affections de la partie sont les nymphes, lesquelles par leur affection et grâce attirent à soi les amants : de même [ces309] opérations et mouvements de la suavité tâchent de gagner doucement la volonté de la partie raisonnable, l'attirant de l'intérieur pour vouloir l'inférieur qu'elles désirent et appètent, mouvant aussi l'entendement et l'attirant à se joindre avec elles en sa manière basse et sensuelle, tâchant de conformer la partie raisonnable et l'unir à la sensuelle.

Vous donc, opérations et mouvements sensuels,

Tandis que l'ambre s'épand

Ès rosiers et fleurs sacrées...

Les fleurs sont les vertus de l'âme, les rosiers sont les trois puissances de l'âme, entendement, mémoire et volonté, qui produisent des roses et des fleurs de conceptions divines et actes d'amour et de vertus. L'ambre, c'est l'esprit divin qui habite en l'âme : il parfume les fleurs et rosiers quand il se communique et se répand très doucement ès [dans les] puissances et vertus de l'âme, qu'il embaume d'une suavité divine.

Demeurez en attendant,

Ès [dans les] faubourgs de la contrée.

Ces faubourgs de Judée, où nous avons dit être la partie sensible de l'âme, sont les sens intérieurs, comme la fantaisie, l'imaginative, la mémoire, où se ramassent les fantaisies, imaginations, et formes des choses ; ce qu'elle appelle ici " nymphes ", lesquelles entrent dans ces faubourgs des sens intérieurs par les portes des sens extérieurs : l'ouïe, la vue, l'odorat, le goût, et l'attouchement [toucher]; de manière que tous les sens et puissances de cette part sensible, nous les pouvons appeller faubourgs, qui sont les demeures hors de la ville. Le surplus, qui est la partie raisonnable, est au dedans de l'âme : c'est elle qui a la capacité de communiquer avec Dieu, dont les opérations sont contraires à celles de la sensualité. Mais d'autant qu'il y a une fréquentation naturelle des habitants de ces faubourgs de la partie sensible — ce sont ces nymphes —, de façon que ce qui s'opère d'ordinaire en cette part pénètre en l'autre intérieure, qui est la raisonnable, et conséquemment divertit et inquiète l'oeuvre spirituelle en Dieu, elle dit qu'elles demeurent en leurs faubourgs, c'est-à-dire qu'elles s'accoisent [s’apaisent] en leur sens intérieurs et extérieurs : " N'approchez pas de nos portes par vos premiers mouvements, ne touchez à la partie supérieure ! " ; d'autant que les premiers mouvements de l'âme sont des portes et entrées en elle, et quand ils passent outre, ils engagent le dedans. L'âme dit donc ici que non seulement ceux-là ne la touchent, mais non pas même les regards qui ne servent à la quiétude et au bien dont elle jouit. Par ainsi [C’est pourquoi], cette partie sensible avec toutes ses puissances, forces, et faiblesses en cet état, est déjà [maintenant] soumise à l'esprit, qui mène une vie heureuse, semblable à celle de l'état d'innocence, où toute l'harmonie et habileté de la part sensible de l'homme lui servait de plus grande récréation, d'aide, de connaissance et d'amour de Dieu, en paix et concorde avec la partie supérieure. Heureuse l'âme qui parviendra à cet état ! Mais où est-elle ? Et nous la louerons, parce qu'elle aura fait des merveilles en sa vie. [Eccl 31, 9].

Ce couplet a été mis ici pour donner à entendre la tranquille et assurée paix de l'âme qui arrive à ce haut degré, non pour faire croire que le désir que l'âme témoigne ici d'apaiser ces nymphes soit à cause qu'elles la troublent en cet état, parce qu'elles sont déjà [maintenant] assoupies, comme il a été dit : ce désir appartient plutôt à ceux qui s'avancent qu'aux parfaits, esquels [chez lesquels] les passions et mouvements règnent fort peu ou point du tout.


[Trente-deuxième couplet]

Cache-toi donc, mon très cher,

Regardant vers les montagnes !

Ne le veuillez déceler [révéler]

Mais voyez donc les compagnes

Ès [dans les] îles qui te vont chercher.

Après que l'Époux et l'Épouse ès [dans les] précédents couplets ont mis la bride et le silence aux passions et puissances de l'âme, tant sensibles que spirituelles, qui les pouvaient inquiéter, l'Épouse commence à jouir de son Ami en la retraite intérieure de son âme, où lui et elle sont joints par amour ; et elle en jouit excellemment en cachette avec de si hauts et savoureux mystères qui passent en ce mariage, qu'elle ne les saurait expliquer, et ne le voudrait pas aussi : Je garde mon secret à moi. Isa. cap. 24.[Is 24, 16]. Ainsi elle seule l'entend et en jouit seule, et prend plaisir d'être seule, et désire que cela soit caché et fort éloigné de toute communication extérieure. En quoi elle ressemble au marchand de la perle, ou pour mieux dire, à l'homme qui ayant trouvé le trésor caché dedans le champ, [Mt 13, 44-46], il le couvrit et en jouit à son contentement. C'est ce que l'âme demande à l'Époux en ce couplet en quatre articles : le premier, qu'il lui plaise se communiquer fort au dedans au plus secret recoin de son âme ; le second, qu'il convertisse ses puissances avec la gloire et grandeur de sa divinité ; le troisième, que ce soit si hautement qu'elle ne le veuille ni puisse dire, que l'extérieur et la partie sensible n'en soit capable ; le quatrième, qu'il aime les vertus qu'il a mises en elle, [et qu'il la310] regarde montant par de sublimes et révélées notions [connaissances] de la divinité, et par de fort étranges excès d'amour au prix de l'ordinaire.

Cache-toi donc, mon très cher...

Comme si elle disait : " Mon cher Époux, retirez-vous au plus profond de mon âme, vous communiquant à elle en secret, et lui découvrant vos merveilles, cachées aux yeux de tous les mortels. "

... Regardant vers les montagnes.

La face de Dieu, c'est la divinité, et les montagnes sont les puissances de l'âme, mémoire, entendement et volonté ; comme si elle disait : " Que votre divinité remplisse mon entendement, lui donnant des intelligences divines, et ma volonté, lui communiquant l'amour divin, et ma mémoire soit engloutie d'une divine possession de gloire. "

L'âme n'omet rien en cela à demander, parce qu'elle ne se contente pas de la connaissance et communication de Dieu par les épaules, comme fit Moïse [Ex 33, 23], qui est le connaître par ses effets et ses oeuvres, ains [mais] de la face de Dieu, [ce] qui est une communication essentielle de la divinité, sans aucun autre moyen en l'âme, par un certain attouchement d'elle à la divinité, ce qui est éloigné de tous sens et accidents, d'autant que c'est un attouchement de substances nues, à savoir de l'âme et de la divinité.


Ne le veuillez déceler...

N'en dites rien comme auparavant, quand les communications que vous faisiez en moi étaient de telle sorte que je les racontais aux sens extérieurs, comme choses dont ils étaient capables ; elles n'étaient pas si hautes ni profondes qu'ils ne les pussent bien comprendre, mais à présent elles sont si substantielles et intérieures que je vous prie de ne leur en rien dire, ni de les en rendre capables, d'autant que la substance ne se peut communiquer ès [dans les] sens, et ce qui peut tomber sous les sens n'est pas essentiellement Dieu. L'âme désirant donc ici cette communication de Dieu essentielle, le prie que ce soit en sorte qu'il ne leur en dise rien, c'est-à-dire qu'il ne se communique en si bas terme et tellement au dehors que le sens y puisse communiquer.

... Mais voyez donc les compagnes...

Nous avons déjà dit que le regard de Dieu, c'est aimer ; les compagnes dont [elle311] parle ici, c'est la multitude des vertus, dons, perfections et richesses spirituelles de l'âme, comme [si elle312] disait : " Tournez plutôt votre face au dedans, vous amourachant des compagnes, des vertus et perfections que vous avez mises en mon âme, afin qu'étant amoureux d'elle en elles, vous vous y cachiez et arrêtiez, car c'est la vérité, [qu']encore qu'elles soient vôtres, parce que vous les lui avez données, elles sont aussi siennes. "

... Ès îles qui te vont chercher

Les compagnes de mon âme qui va à toi par d'étranges notions [connaissances] [ 313] de toi, par des voies et moyens extraordinaires, éloignés des sens et de la commune connaissance naturelle ; comme si elle disait : " Puisque mon âme va à vous par des notions étranges et hors des sens, communiquez-vous à elle intérieurement, et si éminem-

ment que vous n'approchiez point du tout d'eux. "

[Trente-troisième couplet]

Déjà [Maintenant] la colombe blanche

Dedans l'arche est de retour

Avec une verte branche,

Et la tourtre [tourterelle] suit autour

Sa compagne qui s'avance.

C'est l'Époux qui parle ici de la pureté de son Épouse en cet état des richesses et récompenses qu'elle a obtenu pour s'être disposée et avoir travaillé à venir à lui. Il chante aussi son bonheur à trouver son Époux en cette union, donnant à entendre l'accomplissement de ses désirs, le raffraîchissement et plaisir qu'[elle314] trouve en [lui315] après avoir dévoré les travaux et angoisses de sa vie passée.

Déjà [maintenant] la colombe blanche...

Il appelle l'âme " blanche " ou " colombine " à cause de la candeur et netteté qu'elle a reçue de la grâce qu'elle a trouvée en Dieu.

... Dedans l'arche est de retour

Avec une verte branche.

Il fait ici comparaison de l'âme à la colombe de l'arche de Noé, prenant pour figure cet aller et retour de la colombe à l'arche, ce qui est arrivé à l'âme en tel cas ; car tout ainsi que la colombe qui sortit de l'arche de Noé retourna avec une branche d'olivier dans le bec, en signe de la miséricorde de Dieu qui avait retiré les eaux de dessus la face de la terre que le déluge avait submergée [Gn 8, 11], de même cette âme sortie de l'arche de la toute puissance de Dieu lorsqu'il la créa, ayant traversé les eaux du déluge des péchés, imperfections, peines, et travaux de cette vie, [ 316] retourne dans l'arche du sein de son créateur avec le rameau d'olivier, qui est la clémence et la miséricorde dont Dieu a usé envers elle, l'attirant à un si haut état de perfection, après avoir tari de la terre de son âme les eaux des péchés, et l'avoir rendue victorieuse des furieuses batteries de ses ennemis qui l'avaient toujours combattue et empêchée. Le rameau signifie victoire des ennemis, et de plus récompense des mérites. Par ainsi [C'est pourquoi] la colombe ne retourne pas seulement à l'arche de son Dieu blanche et nette comme elle en sortit à la création, mais aussi avec l'accroissement de paix qui suit la victoire.

Et la tourtre [tourterelle] suit autour

Sa compagne qui s'avance.

L'âme est aussi appellée tourterelle, parce qu'elle a ressemblé en ce cas [à] la tourterelle quand elle a trouvé sa compagne tant désirée. On dit que quand la tourterelle a perdu sa compagne, qu'elle ne se perche jamais sur une branche verte, ni boit de l'eau claire ni froide, ni se met à l'ombre ; mais l'ayant trouvée, elle jouit de tout cela. Toutes ces propriétés conviennent à l'âme, car avant que de parvenir à cette union spirituelle avec son Ami, elle se prive de tous plaisirs de s'asseoir sur des branches vertes des honneurs du monde, et du goût de l'eau claire et froide des rafraîchissements et [faveurs317] du monde, [ce] qui est de fuir l'ombre sans se vouloir reposer en chose que ce soit, gémissant après la solitude de toutes choses, jusqu'à ce qu'elle ait rencontré son Époux.

Et d'autant que cette âme avant que de parvenir à cet état, alla cherchant son Ami comme la tourterelle, sans vouloir prendre aucune consolation qu'en lui seul, le même Époux chante ici la fin de ses travaux et l'accomplissement de ses désirs, disant que la tourterelle a déjà [maintenant] trouvé son Ami tant désiré sur les verts rivages ; c'est-à-dire qu'elle s'assied déjà sur la branche verte, s'éjouissant [se réjouissant] en son Ami, et qu'elle boit déjà de l'eau claire de la vie contemplative et sagesse de Dieu — et froide : c'est le rafraîchissement qu'elle trouve en lui, se mettant aussi à l'ombre de sa protection et faveur qu'elle avait tant souhaitée, où elle est consolée et réfectionnée savoureusement, comme elle s'en réjouit ès Cantiques : Je me suis reposée à l'ombre de celui que j'avais tant désiré, et ses fruits sont doux à ma gorge. [Can 2, 3].

[Trente-quatrième couplet]

Dans un désert solitaire

Où son Ami la conduit,

Elle a déjà [maintenant] fait son nid,

Et un amoureux repaire

Où il n'est pas éconduit.

L'Époux continue à déclarer le contentement qu'il a de la solitude qui lui pesait avant que l'âme parvint à cette union, après avoir essuyé tant de travaux, fatigues et empêchements, maintenant qu'elle réside assurément [avec sûreté] en son Ami, libre et exempte de toutes ces traverses. Il témoigne aussi se réjouir que cette solitude où est l'âme lui ait servi de disposition pour se laisser guider et conduire par son Époux, ce qui ne pouvait être auparavant qu'elle eût mis son nid en solitude, c'est-à-dire acquis une parfaite habitude et vertu de solitude, en laquelle elle est déjà [maintenant] incitée aux choses divines de l'Esprit de Dieu. Il ne dit pas simplement qu'il la conduit en cette solitude, mais qu'il le fait lui-même seul, se communiquant à elle sans autres moyens d'anges ni d'hommes, ni figure ni forme, étant aussi bien amoureux d'elle comme elle est de lui, navré [blessé] de son amour en cette solitude et liberté d'esprit, d'autant qu'il aime fort la solitude.

Dans un désert solitaire...

La tourterelle, qui est l'âme, vivait en solitude avant que de trouver l'Ami en cet état d'union, parce que l'âme qui désire Dieu ne se console d'autre compagnie et fait tout ce qu'elle peut jusqu'à ce qu'elle l'ait trouvé. La solitude où elle vivait auparavant, c'était d'être privée, pour son Époux, de tous les biens du monde, comme la tourterelle, tâchant de se rendre parfaite en la solitude où l'on parvient à l'union du Verbe, et par conséquent à tout rafraîchissement et repos ; ce qui est ici signifié par le nid, voulant dire : en cette solitude où elle s'exerçait auparavant avec travail et angoisse, à raison qu'elle n'y était pas parfaite, elle [ 318] a y mis son repos, l'ayant entièrement acquise en Dieu, car le passereau, dit David, a trouvé une maison, et la tourterelle un nid pour loger ses petits, un accès en Dieu pour satisfaire ses appétits et puissances.

Où son Ami la conduit...

[Ce qui319] veut dire qu'en cette solitude de toutes choses où est l'âme qui est seule avec Dieu, qu'il la conduise, émeuve [mette en mouvement] et élève aux choses divines ; à savoir, son entendement aux intelligences divines, parce qu'il est déjà [maintenant] seul et dénué d'autres contraires et vagabon-320

[148]

des intelligences ; sa volonté est aisément émue à l'amour de Dieu, à cause qu'elle est déjà [maintenant] délivrée de toutes affections, et sa mémoire remplie de notions [connaisssances] divines, parce qu'elle est déjà seule et vide d'autres imaginations et fantaisies. Car aussitôt que l'âme débrouille [débarrasse] ces puissances et les vide de tout l'inférieur et de la propriété du supérieur, les laissant seules, sans [cela], Dieu les emploie immédiatement en l'invisible et divin. Et Dieu est celui qui la conduit en cette solitude, qui est ce que saint Paul dit des parfaits, qui sont menés par l'Esprit de Dieu. [Ro 8, 14]. Il ne la guide pas seulement en la solitude, mais c'est lui seul qui opère en elle, sans aucun autre moyen. Telle est la propriété de l'union de l'âme avec Dieu en ce mariage spirituel, que Dieu y fasse et s'y communique seul, non par le moyen des anges comme auparavant, ni par le moyen de l'habileté naturelle, d'autant que les sens extérieurs et intérieurs, et toutes les créatures, voire l'âme même, ne servent guère à recevoir ces grandes faveurs surnaturelles que Dieu fait en cet état, qui ne tombent en habileté, oeuvre naturelle, ni diligence de l'âme : lui seul les fait en elle, à cause qu'il la trouve seule et ne lui veut bailler d'autre compagnie, ne se servant ni fiant qu'en lui seul. Il est aussi convenable, puisque l'âme a tout quitté et passé par tous les moyens, s'élevant par dessus tout à Dieu, que lui-même soit le conducteur vers soi ; et l'âme s'étant déjà [maintenant] retirée en la solitude de tout, par dessus tout, et à tout, elle ne s'aide pour monter plus haut que du même Verbe Époux, qui est si amoureux d'elle qu'il veut faire tout lui seul.

Où il n'est pas éconduit.

L'âme s'étant sequestrée [retirée] de toutes choses pour l'amour de lui, il en devient si amoureux en cette solitude, et elle de lui, qu'il ne la veut point quitter, et la guide lui seul en solitude où elle est pour l'amour de lui, accomplissant ses désirs, ce qu'il ne ferait s'il ne l'avait trouvée en la solitude. Je la mènerai au désert, dit Osée, [Os 2, 16] et parlerai à son coeur ; c'est-à-dire qu'il se donnera à elle, car parler au coeur, c'est satisfaire au coeur qui ne se contente de rien moins que de Dieu.


[Trente-cinquième couplet]

Réjouissons-nous, mon coeur,

Et allons sur la colline

D'où sourd l'eau pure et divine ;

Entrons dedans l'épaisseur

De ta beauté qui nous mine.

Après que la parfaite union d'amour entre l'âme et Dieu est faite, l'âme se veut exercer ès [dans les] propriétés d'amour. C'est elle qui parle ici à l'Époux, et lui demande trois choses convenables à l'amour : la première, de recevoir la joie et saveur d'amour ; la seconde, de se rendre semblable à l'Ami ; la dernière, d'éplucher et sonder les secrets de l'Ami.



Réjouissons-nous, mon coeur...,

à savoir, en la douce communication d'amour : non seulement en celle que nous avons en l'union ordinaire des deux, mais aussi en celle qui redonde en l'exercice d'amour affectif et actuellement, soit intérieurement avec la volonté ès [dans les] actes d'affection, soit extérieurement faisant quelque service à l'Ami. Car, comme nous avons dit, l'amour a cela où il s'est fiché [établi], de se vouloir toujours entretenir en ses joies et douceurs qui sont en l'exercice d'amour, [intérieurement321] et extérieurement, ce qu'il fait pour mieux ressembler à l'Ami.

Et allons sur la colline...

Faisons en sorte que par le moyen de cet exercice d'amour, nous nous mirions [voyions] en votre beauté ; c'est-à-dire que nous soyons semblables en beauté, et que votre beauté soit de telle sorte que l'un regardant l'autre vous ressemble en beauté : que je vous voie ainsi, et vous moi en votre beauté, que ma beauté soit la vôtre, et que la vôtre soit la mienne. Telle est l'adoption des enfants de Dieu [Éph 1, 5], qui diront comme le Fils au Père éternel : Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous, m'appartient. Ioan. 17. [Jn 17, 10] ; lui par essence étant fils naturel, nous par la participation étant enfants adoptifs ; et il l'a ainsi dit non seulement pour soi qui est chef, ains [mais] pour tout son corps mystique, qui est l'Église.

Sur la colline : c'est à la notion [connaissance] matinale, selon les théologiens, qui est une connaissance au Verbe divin qu'il entend ici, d'autant que le Verbe est la très haute Sagesse essentielle de Dieu où il nous a aimés ; [ou] à la notion du soir, qui est la Sagesse de Dieu en ses oeuvres et créatures d'une admirable ordonnance, qui est ici signifiée par la colline, qui est plus basse que la montagne. Quand l'âme dit donc: " Allons-nous voir en ta beauté ", [elle veut dire :] " informez-moi, et me rendez semblable en la beauté de la Sagesse divine " — c'est le Fils de Dieu ; " Et allons sur la colline... ", c'est aussi demander qu'il l'informe de sa Sagesse et [de ses] mystères en ses créatures et oeuvres, [ce] qui est une beauté dont l'âme se désire voir illustrée. L'âme ne se peut voir en la beauté de Dieu ni ressembler à lui en elle, qu'en se transformant en la Sagesse de Dieu, où l'on voit et possède ce qui est d'en haut.

... D'où sort l'eau pure et divine...

Il veut dire que là où la notion et Sagesse de Dieu est donnée à l'entendement nette et dénuée d'accidents et fantaisies, claire, sans ténèbres d'ignorance, l'âme a toujours ce désir d'entendre clairement et purement les vérités divines ; [et] tant plus elle aime, de tant plus elle

appète [désire] d'entrer plus avant.

Entrons dedans l'épaisseur...

L'épaisseur de vos oeuvres, merveilleux et profonds jugements, dont la multitude est si différente [diverse] qu'on la peut nommer " épaisseur " ; parce qu'il y a en eux une abondante sagesse, et si remplie de mystères, que non seulement nous la pouvons dire épaisse, mais davantage, caillée : La montagne de Dieu, la montagne grasse. Psal. 67.[Ps 67, 16]. Cette épaisseur de la sagesse et science de Dieu est si profonde et immense, que tant plus l'âme en sait, elle trouve à y entrer encore plus avant, en tant qu'elle est immense et ses richesses incompréhensibles, selon saint Paul : Ô hauteur des richesses de la Sagesse et science de Dieu, que vos jugements et leurs voies sont incompréhensibles ! Psal. 11.[Ro 11, 33]. Néanmoins, l'âme en cette épaisseur et incompréhensibilité de jugements et voies, meurt de désir d'entrer en la connaissance d'iceux et bien avant, parce que ce sont des délices inestimables qui surpassent tout sentiment que de connaître en iceux. Les jugements de Dieu, dit David, sont vrais, justifiés en eux-mêmes, plus désirables que l'or et les pierres précieuses, plus doux que le miel et les gâteaux, tellement que votre serviteur les aime et les garde.[Ps 18, 10-12]. Voilà pourquoi l'âme souhaite grandement de se plonger en ces jugements et d'y pénétrer bien avant. Quand [elle322] devrait servir de moyen à cela, tant fût-[elle] pénible et difficile, l'épaisseur s'entend aussi des travaux et tribulations, esquelles [dans lesquelles] l'âme souhaite d'entrer en tant qu'[elles323] servent à pénétrer l'épaisseur de la délicieuse Sagesse de Dieu ; parce que la plus pure souffrance attire une plus pure intelligence, et par conséquent une jouissance plus relevée et profonde. Voilà pourquoi, non contente de pâtir tellement quellement [d’une manière quelconque], elle veut entrer dans l'épaisseur où Job souhaitait que son désir fût accompli, et que Dieu lui donnât ce qu'il attendait : et que celui qui a commencé achève de m'écraser, qu'il déploie sa main pour me briser; et que j'ai cette consolation qu'en m'accablant de douleurs il ne m'épargne point. [Job 6, 8]

Ô ! si l'on pouvait comprendre qu'on ne saurait entrer dans l'épaisseur de la Sagesse et des richesses de Dieu qu'en souffrant en plusieurs [beaucoup de] manières, l'âme punissant en cela sa consolation et son désir ! Comme celle qui souhaite véritablement la Sagesse, [qu'elle] désire d'entrer auparavant dans l'épaisseur de la croix, qui est le chemin de la vie où fort peu se fourrent ! Car vouloir entrer dans l'épaisseur de la Sagesse, richesses et caresses de Dieu, cela est commun à tous, mais désirer d'entrer dans l'épaisseur des travaux et douleurs pour l'amour du Fils de Dieu, il y en a bien peu ! Chacun se voudrait voir au but, sans passer par le milieu.


[Trente-sixième couplet]

Puis dans la haute caverne

De la pierre si moderne [nouvelle]

Où nous y tiendrons cachés,

Buvant les jus écachés [écrasés]

Des grenades de réserve.

Une des causes qui émeut le plus l'âme à vouloir entrer dans l'épaisseur de la Sagesse de Dieu et de pâtir bien avant en ses jugements, c'est afin de pouvoir venir de là unir son entendement et connaître les hauts mystères de l'incarnation du Verbe, comme à la plus haute et savoureuse sagesse pour elle, dont elle n'a point de claire notion [connaissance] qu'après avoir entré dans l'épaisseur de la sagesse et expérience des travaux. L'Épouse dit donc ici qu'ayant pénétré au plus profond de cette sagesse et afflictions, ils reconnaîtront les hauts mystères de Dieu homme, qui sont de la plus haute sapience, cachés en Dieu, et qu'ils entreront là dedans, l'âme se plongeant et engolfant [enfonçant] en eux ; que l'Époux et elle goûteront et jouiront de la saveur de cette connaissance des vertus et attributs de Dieu, qui se découvrent par eux en Dieu, comme sont la justice, la miséricorde et sapience.

Puis dans la haute caverne

De la pierre si moderne [nouvelle]...

Cette pierre nouvelle, c'est Jésus-Christ, selon saint Paul aux Corinthiens. I Co 10, 4]. Les hautes cavernes sont les profonds et relevés mystères de la Sagesse de Dieu qui est en Jésus-Christ, sur l'union hypostatique de la nature humaine avec le Verbe divin, et la correspondance qu'il y a de l'union des hommes en Dieu à celle-là, et ès [dans les] convenances qu'il y a de la justice et miséricorde de Dieu sur le salut du genre humain pour manifester ses jugements, lesquels sont si relevés et profonds ; car tout ainsi que les cavernes sont profondes et de plusieurs [beaucoup] [seins324], de même chaque mystère de Jésus-Christ est une très profonde sagesse qui a divers [seins] de ses secrets jugements de prédestination et présence ès [dans les] enfants des hommes, ce qui lui fait ajouter :

Où nous y tiendrons cachés.

Quelques merveilles et mystères que les saints Docteurs aient découverts et les saintes âmes entendus en cet état de vie, ils n'en ont pas dit ni même entendu le quart. De façon qu'il y a beaucoup à approfondir en Jésus-Christ, qui est comme une mine fertile avec plusieurs seins de riches trésors qu'on fouille incessamment [sans cesse] sans les pouvoir épuiser, tant s'en faut : en chaque sein on y trouve de nouvelles veines deçà, delà. C'est ce que saint Paul dit de Jésus-Christ, que tous les trésors de la sagesse et science de Dieu sont cachés en lui [Col 2, 3]; esquels [dans lesquels] l'âme ne saurait entrer ni pénétrer jusqu'à eux, si au préalable, comme nous avons dit, elle ne traverse l'épaisseur de pâtir des travaux extérieurement et intérieurement, après que Dieu lui aura fait plusieurs [beaucoup] autres faveurs intellectuelles et sensibles, et après une fort longue pratique spirituelle, car toutes ces choses sont basses et de simples dispositions pour parvenir aux hautes cavernes de la connaissance des mystères de Jésus-Christ, qui est la plus profonde sagesse où l'on puisse atteindre durant cette vie. D'où vient que Moïse, priant Dieu de lui montrer sa gloire, il lui répondit qu'il ne la saurait voir en cette vie, mais qu'il lui montrerait le bien — à savoir, ce qui se peut ici-bas ; et le mettant au trou de la pierre [Ex 33, 18-23], qui est Jésus-Christ, il lui montra ses épaules, lui donnant la connaissance des mystères de ses oeuvres, mêmement [surtout] ceux de l'incarnation de son Fils. L'âme, donc, désire bien entrer dans ces trous pour s'absorber, enivrer et transformer en l'amour de leur connaissance, se cachant dans le sein de son ami qui la convie dans ces trous ès [dans les] Cantiques : Ma mie, lève toi vilement, ma belle, ma colombe ! Viens ès trous de la pierre, et en la caverne de la masure, [Cant 2, 13-14]

Où nous y tiendrons cachés.

Là, c'est à savoir, nous entrerons en la connaissance des mystères divins. Elle ne dit pas " elle seule ", ains [maic] " nous deux ", pour donner à entendre que c'est le fait de l'Épouse et de l'Époux ; et d'autant que Dieu et l'âme sont déjà [maintenant] unis ensemble en cet état de mariage spirituel, l'âme n'entreprend rien sans Dieu. " Nous

entrerons ", c'est-à-dire : nous [nous] transformerons là en de nouvelles notions [connaissances], en de nouveaux actes et communications d'amour. Car encore que véritablement l'âme quand elle dit cela soit déjà [maintenant] transformée en l'état susdit, cela n'empêche pas toutefois qu'elle ne puisse obtenir en cet état de nouvelles illustrations et transformations de plusieurs [beaucoup de] connaissances et lumières divines. Au contraire, les illuminations sont fort fréquentes à l'âme de plusieurs mystères communiqués en la conférence perpétuelle qui est entre Dieu et l'âme ; et communiquant seul en lui-même, elle entre comme de nouveau en lui, selon la notion des mystères qu'il traite, et en cette connaissance elle l'aime derechef très hautement et étroitement, se transformant en lui selon ces nouvelles notions. Le plaisir et le goût qu'elle reçoit aussi lors de nouveau est indicible.

... Buvant les jus écachés [écrasés]

Des grenades de réserve.

Les grenades signifient les divins mystères de Jésus-Christ, les profonds jugements de Dieu, les vertus et attributs qui se connaissent en Dieu par la notion de ceux-ci. Car tout ainsi que les grenades ont plusieurs grains qui sont tous sustantés [nourris] dans une même coque, de même chaque vertu, attribut, mystère et jugement de Dieu, contient en soi une multitude d'effets et ordonnances merveilleuses de Dieu contenues et sustantées dans le sein sphérique et circulaire de la vertu ou mystère auquel ces effets appartiennent. Nous remarquons ici la figure ronde de la grenade, qui s'entend ici pour une vertu et attribut de Dieu, qui est Dieu même signifié par le cercle qui n'a commencement ni fin. Le jus de ces grenades, c'est la fruition que l'âme reçoit en cet état autant qu'elle peut, en la notion et connaissance d'icelles, les délices et amour de Dieu qu'elle savoure en elles ; et comme on ne fait qu'un jus de plusieurs grains de grenades, ainsi il ne sort qu'un moût de toutes ces merveilles et grandeurs de Dieu connues, une seule fruition et plaisir d'amour à l'âme, qu'elle offre aussitôt à Dieu d'une tendre volonté. Ce qu'elle promet à l'Époux s'il la met ès notions sublimes : Là vous m'enseignerez, et je vous donnerai de l'hippocras et du jus de mes grenades ; les nommant siennes encore qu'elles soient à Dieu qui les lui a trouvées, et elle les offre à Dieu comme siennes, parce que l'un et l'autre en goûte, et [elles] demeurent communes entre eux.


[Trente-septième couplet]

Alors vous me ferez voir

Tous les désirs de mon âme ;

Et si [ainsi] me ferez avoir,

Ô ma vie et mon savoir,

Ce qui m'a réduit enflamme.

La fin pour laquelle l'âme désirait entrer dans ces cavernes, c'était pour parvenir à ses prétentions, autant qu'il est possible durant cette vie, d'un entier et parfait amour qui se pratique en cette communication, comme aussi pour obtenir entièrement au spirituel le droit et [la] netteté de l'état de la justice originelle. Elle dit donc ici deux choses : l'une, qu'il lui montrerait là, c'est à savoir en cette transformation de notions [connaissance], ce que son âme prétendait en tous ses actes et intentions, qui était de lui montrer à aimer parfaitement son Époux comme il s'aime, avec ce qu'elle déduit [développe] ci-après ; l'autre, qu'il lui déclare aussi la netteté et pureté qu'il lui avait donnée en l'état originel ou au jour du baptême, achevant de la purger de toutes ses imperfections et ténèbres, comme elle était lors [alors].

Alors vous me ferez voir

Tous les désirs de mon âme...

Cette prétention, c'est l'égalité d'amour que l'âme [naturellement et surnaturellement325] désire toujours, car l'amant ne peut être satisfait s'il ne sait qu'il aime autant et qu'il est aimé ; et l'âme qui voit au vrai l'amour immense que Dieu lui porte, elle ne le veut pas moins aimer. C'est pourquoi elle désire l'actuelle transformation, d'autant que l'âme ne saurait venir à cette égalité et intégrité d'amour qu'en une entière transformation de sa volonté en celle de Dieu, en telle sorte que les deux n'en fassent qu'une, ce qui rend l'amour égal, parce que la volonté de l'âme convertie en celle de Dieu n'est pas perdue, ains [mais] changée en mieux, de façon que l'âme aime Dieu avec une volonté de Dieu qui est aussi la sienne, et l'aimera autant comme elle est aimée de Dieu, puisqu'[elle326] l'aime avec la volonté de Dieu même, au même degré d'amour qu'il l'aime. C'est [là] le Saint-Esprit qui a été donné à l'âme, comme dit saint Paul : Rom. 5. [Ro 5, 5] La grâce est diffuse dans nos coeurs.

Notez que l'âme ne dit pas ici : " vous me donnerez là ", ains [mais] : " alors vous me ferez voir " ; car encore qu'il lui donne son amour, néanmoins elle dit fort proprement qu'il lui montre et fait voir l'amour, c'est-à-dire montre qu'[elle327] l'aime comme il s'aime, parce que Dieu nous aimant le premier, nous apprend à aimer purement et entièrement comme il nous aime. Joint [Ajouté] aussi qu'en cette transformation, Dieu montre à l'âme, [en le] lui communiquant, un entier amour généreux et pur, avec lequel il se communique très amoureusement à elle, la transformant en soi, en quoi il lui donne son même amour dont elle l'aime, comme nous avons dit : c'est lui montrer proprement à aimer, c'est comme lui mettre l'instrument entre les mains et lui dire ce qu'elle doit faire. Par ainsi [C'est pourquoi] l'âme aime Dieu autant qu'elle est aimée de lui, car l'amour des deux n'est qu'un. D'où vient que l'âme n'est pas seulement enseignée à aimer davantage, mais elle devient maîtresse d'aimer avec le même maître, [unie328], et par conséquent, contente, car elle ne l'est point qu'elle ne soit parvenue à ce degré d'aimer Dieu parfaitement, du même amour qu'il s'aime. Néanmoins cela ne se peut entièrement en cette vie, encore qu'en l'état de perfection qui est le mariage spirituel, dont nous parlons, cela soit aucunement [de quelque manière]. De cette manière de parfait amour naît aussitôt en l'âme une intime et substantielle louange à Dieu, d'autant qu'il semble, et avec vérité, que toute la substance de l'âme imbue en gloire exalte Dieu, et sent comme une fruition de suavité intime, qui la fait retourner à louer, révérer et magnifier Dieu très joyeusement, toute confite d'amour. Et cela n'arrive ainsi sans que Dieu ait donné à l'âme une grande pureté en cet état de transformation, telle qu'elle était en l'état d'innocence ou candeur baptismale, que l'Époux devait incontinent donner à l'âme en la même transformation d'amour, disant :

Et si me ferez avoir

Ô ma vie et mon savoir;

Ce qui m'a réduit en flamme.

Il appelle " l'autre jour "/1 l'état de la justice originelle, auquel Dieu lui donna en Adam grâce et innocence, ou le jour du baptême, auquel l'âme a été entièrement purifiée et nettoyée, que l'âme se promet en la même union d'amour.

/1 Les vers espagnols auxquels correspond ce passage du commentaire auraient dû être traduits :

Tu me donnerais là, ô ma vie,

Ce que tu m'as donné l'autre jour.


[Trente-huitième couplet]

Respirer l'air et le chant

Du rossignol, et la grâce

Du bois en la nuit, la face

Du feu toujours consommant [consumant,

Sans qu'aucune peine il fasse.

L'Épouse demandait au précédent couplet deux choses : l'une, la prétention de son âme, l'autre ce qu'il lui avait donné l'autre jour, dont nous venons de parler. Traitons à présent quelle est la prétention de son âme, car ce n'est pas seulement le parfait amour que nous avons dit, mais aussi tout ce qui est contenu en ce couplet qui est l'amour même, et ce qui par ce moyen est communiqué à l'âme. Elle met donc ici cinq choses, qui est toute la prétention qu'elle a voulu donner à entendre : la première, c'est respirer l'air, qui est l'amour, son principal but ; la seconde, c'est le chant du rossignol, qui est la joie ès [dans les] louanges de Dieu ; la troisième, c'est le bois et sa grâce, qui est la connaissance et l'ordre des créatures ; la quatrième, c'est une pure et éminente contemplation ; la cinquième, c'est la flamme qui consomme [consume] sans faire de peine, qui est quasi comprise en la première, d'autant que c'est une flamme de suave transformation d'amour en la possession de toutes choses.

Respirer l'air et le chant...

Cette aspiration de l'air est une habileté du Saint-Esprit, que l'âme demande ici pour aimer parfaitement Dieu. Elle l'appelle respirer l'air, parce que c'est un très délicat attouchement et sentiment d'amour qui en cet état est ordinairement causé dans l'âme en la communication du Saint-Esprit, lequel par forme d'aspirer avec son aspiration divine, élève hautement l'âme et l'informe pour lui faire aspirer en Dieu la même aspiration que le Père respire au Fils, et le Fils au Père, qui est le même Saint-Esprit qu'elle aspire en la susdite transformation. D'autant qu'elle ne serait pas vraie si l'âme ne s'unissait et transformait aussi au Saint-Esprit comme ès [aux] autres deux personnes divines, encore qu'en un bas et manifeste degré à cause de la condition de cette vie ; ce qui est une si grande gloire à l'âme et un [tel] plaisir, qu'on ne saurait dire ni comprendre ce peu qu'on en reçoit. Mais l'âme unie aspire en Dieu à Dieu, la même aspiration divine que Dieu étant en elle, aspire en soi même à elle. C'est ce que saint Paul écrit : D'autant que vous êtes enfants de Dieu, il a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos coeurs, priant le Père [Ga 4, 6]; lequel est comme nous avons dit ès [dans les] parfaits.

Il ne faut s'émerveiller que l'âme puisse une chose si haute, car supposé que Dieu lui fait la grâce de la rendre déiforme et unie avec la très Sainte Trinité où elle est divine par participation, est-ce une chose incroyable qu'elle opère en son entendement une notion [connaissance] et amour en la Trinité conjointement avec elle, comme la même Trinité, par un moyen participé, Dieu l'opérant en la même âme ?

Cela étant, il n'en faut savoir ni pouvoir davantage pour dire, ains [mais] donner à entendre comme le Fils de Dieu nous a acquis ce haut état, et a mérité pour nous, comme dit saint Jean [Jn 1, 12], de pouvoir être enfants de Dieu, dont il a requis son Père : Je veux que ceux que vous m'avez donnés soient avec moi au même lieu où je serai, pour voir la clarté [gloire] que vous m'avez donnée [Jn 17, 24]; à savoir qu'ils fassent par participation en nous la même oeuvre que je fais par nature, qui est d'aspirer le Saint-Esprit. Il dit plus : Mon Père, je ne prie pas seulement pour ces présents, mais aussi pour ceux qui croiront par [leur329] doctrine en moi ; qu'eux tous soient une même chose, de la même façon que vous, Père, êtes en moi, et moi en vous ; ainsi qu'eux soient une même chose en nous. Je leur ai donné la clarté [gloire] que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient une même chose comme nous sommes, moi en eux et vous en moi, afin qu'ils soient parfaits en un, pour donner à connaître au monde que vous m'avez envoyé, et les avez aimés comme vous m'avez aimé [Jn 17, 20-23] , leur communiquant le même amour qu'au Fils — encore que ce ne soit si naturellement — par unité et transformation d'amour. Comme aussi on n'entend ce que le Fils veut dire au Père, que les saints soient une même chose essentiellement et naturellement comme sont le Père et le Fils, ains [mais] qu'ils le [soient330] par union d'amour, comme le Père et le Fils sont en unité d'amour, où les âmes possèdent les mêmes biens par participation que lui par nature. C'est pourquoi elles sont véritablement dieux par participation, égaux et compagnons de Dieu. D'où vient que saint Pierre dit : La grâce et la paix soit accomplie en [vous331], et très parfaite en cette connaissance de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la façon que toutes les choses de sa divine vertu nous sont données à la vie et à la piété par la connaissance de celui qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu, par lequel il nous a fait de très grandes promesses pour nous rendre compagnons de la nature divine.[II Pi 1, 2-4]. C'est que l'âme participe à Dieu, opérant en lui et avec lui les oeuvres de la très sainte Trinité, comme nous avons dit, à cause de l'union substantielle entre l'âme et Dieu. Ores

que [Quoique] cela s'accomplisse parfaitement en l'autre vie, néanmoins, en celle-ci, quand on parvient à l'état de perfection, on en a un très grand goût et vestige [esquisse], qui ne se peuvent expliquer.

Ô âmes crées pour ces grandeurs, et qui y êtes conviées, que faites-vous ? À quoi vous amusez-vous ? Où mettez-vous votre temps ? Ne considérez-vous pas que toutes vos prétentions sont basses, et que vos possessions ne sont que des misères ? Ô déplorable aveuglement ! Ô brouées [brouillard] des yeux de votre âme ! [Vous] qui ne voyez goutte à une si grande lumière, qui êtes sourds à ces hauts cris, ne voyant pas qu'en tant que vous cherchez des grandeurs, des honneurs, et de la gloire, vous demeurez misérables, pauvres, et frustrés de tant de biens que vous ignorez, et dont vous êtes devenus incapables et indignes !

Le chant du rossignol...

Ce qui naît en l'âme de cette aspiration de l'air, c'est le doux chant du rossignol qu'on entend au printemps après les froids et les pluies de l'hiver, qui chatouille l'oreille et recrée l'esprit. Ainsi en cette actuelle [communication332] et transformation d'amour, l'Épouse déjà [maintenant] exempte des troubles et diversités des temps, dénuée et purgée des imperfections et nuages naturels, sent un nouveau printemps en son esprit, qui entend la douce voix de l'Époux — c'est le rossignol — qui rafraîchit et renouvelle la substance de son âme, chantant : Lève-toi vitement [vite], ma mie, ma colombe, ma belle, et viens ! L'hiver s'en va passé, les pluies sont écoulées, les fleurs sont déjà [maintenant] écloses en notre terre, il est temps de tailler, on a déjà ouï chanter la tourterelle.

En cette voix de l'Époux qui parle au dedans de l'âme, l'Épouse sent la fin de ses maux et le commencement des biens ; auquel rafraîchissement, protection, et savoureux sentiment, elle mêle aussi sa douce voix avec un nouveau chant à Dieu, avec celui qui en est cause ; car la voix qu'il adresse à elle, c'est afin qu'elle joigne la sienne avec lui à Dieu. Tel est son désir, comme il témoigne ailleurs : Viens ès [dans les] trous de la pierre et en la caverne de la masure, montre-moi ta face et fais résonner ta voix dans mes oreilles, car ta face est belle, et ta voix, douce. Cant. 2. [Cant 2, 10-12] ; Les oreilles signifient ici les désirs qu'a Dieu que nous le louions parfaitement, car la voix que l'Épouse demande ici, c'est une parfaite louange ; qui retentisse " en la caverne de la pierre " : [ce] sont les intelligences amoureuses des mystères de Jésus-Christ, où elle était unie avec lui, d'autant qu'en cette union l'âme se réjouit et loue Dieu avec lui-même de l'amour. C'est une parfaite louange, parce que l'âme étant en perfection, fait les oeuvres parfaites. Par ainsi [C'est pourquoi] cette voix est très douce à Dieu et à l'âme : " car ta voix est douce ", non seulement à toi seul, mais aussi à moi, parce qu'étant unie avec moi, tu chantes mélodieusement comme un rossignol à moi en moi.

Et la grâce du bois...

La troisième chose que l'âme dit, il la faut démontrer par le moyen de l'amour. " La grâce du bois " : Dieu est ici entendu par le bois avec toutes les créatures qui sont en lui, car tout ainsi que les plantes et les arbres ont leur vie et racine dans le bois, de même les créatures célestes et terrestres ont leur tige en Dieu. L'âme dit donc qu'elle se montrera là à Dieu, en tant qu'il est la vie et l'être de toutes les créatures, les connaissant en leur principe et durée — parce que sans lui l'âme ne s'en soucierait aucunement, et ne se prise [soucie] de les connaître par voie spirituelle. L'âme désirait aussi de voir " la grâce du bois " : c'est la sagesse et gracieuseté que chaque créature tient, non seulement de Dieu, mais aussi la sage et ordonnée correspondance qu'il y a des unes aux autres, tant supérieures qu'inférieures, ce qui se connaît ès [dans les] créatures par voie contemplative, [ce] qui est un grand plaisir, parce que c'est connaître à l'endroit de Dieu.

S'ensuit la quatrième :

En la nuit...

Cette nuit où l'âme désire voir ces choses, c'est la contemplation, qui est obscure. C'est pourquoi on la nomme " théologie mystique ", c'est-à-dire sagesse cachée et secrète de Dieu, en laquelle sans aucun bruit de paroles et sans l'aide du sens corporel ou spirituel, comme en silence et quiétude de la nuit, au déçu [à l'insu] de tout le sensible et naturel, Dieu enseigne très secrètement à l'âme, sans savoir comment ; ce que certains spirituels nomment entendre sans entendre, parce que l'entendement actif ne fait pas cela, lequel opère en formes et fantaisies et appréhensions des choses, mais cela se fait en l'entendement en tant que passible et passif, lequel ne reçoit les dites formes sinon passivement : il reçoit une intelligence substantielle, laquelle les donne sans aucun sien office actif ni oeuvre. Et c'est pourquoi il n'appelle pas seulement cette contemplation " nuit ", mais aussi " sereine " : on nomme la nuit " sereine " quand elle n'est point obscurcie de nuées et vapeurs qui brouillent la clarté de la nuit ; de même cette nuit de contemplation est à la vue de l'entendement nette de toutes nuées, formes, fantaisies et notions [connaissances] particulières qui peuvent entrer par les sens, [et] elle est aussi nette de toute sorte de vapeurs, d'affections et appétits, [ce] qui [rend333] la contemplation sereine au sens et entendement naturel, selon le Philosophe qui dit que tout ainsi que le rayon du soleil est obscur et ténébreux à l'oeil de la chauve-souris, de même les choses hautes et plus claires de Dieu sont obscures à notre entendement.

... du feu toujours consommant [consumant],

Sans qu'aucune peine il fasse.

L'âme dit ici que l'Époux lui baille [accorde] toutes les choses passées avec une flamme qui consomme [consume] sans faire de la peine, laquelle flamme se prend ici pour l'amour de Dieu déjà [maintenant] parfait en l'âme. Car pour l'être, il doit avoir ces deux propriétés, à savoir de consommer [consumer] et transformer l'âme en Dieu, et que l'inflammation et transformation de cette flamme ne fasse aucune peine en l'âme. Par ainsi [C'est pourquoi], cette flamme, c'est un amour suave, parce qu'en la transformation de l'âme en elle, il y a conformité et satisfaction des deux parties ; et partant, cela ne fait peine de variété de plus ou moins, comme avant que l'âme fût parvenue à la capacité de ce parfait amour. D'autant que cette âme [est334] déjà [maintenant] devenue transformée et conforme à Dieu, comme le charbon allumé l'est au feu, sans fumer ni suer comme il faisait avant que de l'être, sans l'obscurité et propres accidents qu'il avait avant que le feu l'eût du tout [complètement] embrasé. Lesquelles propriétés d'obscurité, fumer et suer sont d'ordinaire en l'âme avec quelque peine et fatigue touchant l'amour de Dieu, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à tel degré de perfection d'amour, que le feu d'amour la possède pleinement, entièrement et suavement, sans peine de fumée et de passions et accidents naturels, mais transformée en flamme suave qui l'a consommée [consumée] au regard de tout cela et l' a changée en Dieu, où ses mouvements et actions sont déjà [maintenant] divines. L'Épouse veut que l'Époux la mette en cette flamme et lui donne tout ce qu'elle prétend, à cause qu'elle ne les désire posséder, ni estimer, ni jouir sans le parfait amour de Dieu.


[Trente-neuvième couplet]

Pas un ne le regardait,

Aminadab ne paraissait,

Et Borée plus ne soufflait.

[La cavalerie, sans attendre,

À la vue des eaux descendait.]

En ce dernier couplet, l'âme veut exprimer la disposition qu'elle a déjà [maintenant] pour recevoir les faveurs dont on jouit en cet état, et qu'elle a demandées à l'Époux, lesquelles on ne saurait recevoir sans cette disposition, ni les conserver en elle. Par ainsi [C'est pourquoi] elle propose à l'Ami quatre dispositions, ou convenances, qui sont suffisantes pour ce que dessus, afin de l'obliger davantage de les lui donner : la première, que son âme soit détachée et éloignée de toutes choses ; la seconde, que le diable soit vaincu et surmonté ; la troisième, que les passions de l'âme soient soumises ; la quatrième, que la partie sensible soit purifiée et réformée, conforme au spirituel, en sorte qu'au lieu de détourner, elle soit plutôt unie avec l'esprit, participant de ses biens, ce qu'elle propose.

Pas un ne le regardait...

Comme voulant dire : mon âme est déjà [maintenant] si seule, éloignée et détachée de toutes les choses créées d'en haut et d'abas [d'en-bas], si avant en la retraite avec vous, qu'elles l'ont déjà [maintcnant] perdue de vue, sans la pouvoir ébranler par leur suavité, fâcher ni dégoûter par leur misère et bassesse, parce que mon âme [est335] si éloignée d'elles, qu'on ne les peut plus voir.

Et non seulement cela, mais

Aminadab ne paraissait…

Aminadab en l'Écriture Sainte signifie le diable, ennemi de l'âme Épouse, qui la combattait toujours et la troublait par tant d'embûches et d'innombrables tentations, de peur qu'elle n'entrât dans cette forteresse et cachette du recueillement intérieur avec l'Ami ; auquel état l'âme est si favorisée et avantagée en vertus et victorieuse, que le diable n'ose paraître devant elle, étant donc à l'abri d'un tel bras, joint [ajouté] aussi qu'en la pratique des vertus elle a vaincu le diable si puissamment, qu'elle le tient en fuite par la force de ses vertus.

Et Borée s'apaisait.

Par ce vent, elle entend ici les passions et appétits de l'âme, lesquelles n'étant domptées et mortifiées, l'environnent et combattent de toutes parts ; c'est pourquoi [elle336] les appelle " Borée ", ou bise, qui était aussi calme et apaisée, cela étant qu'il ne doit manquer de lui com-muniquer et départir les faveurs qu'[elle337] lui a demandées, puisque cette bise ne saurait troubler la paix intérieure, qui est requise pour les recevoir, posséder et conserver. Ce qu'elle dit d'autant qu'il est nécessaire en cet état que les passions de l'âme soient assoupies, les appétits et affections réglées, en sorte que pas une ne la fâche ni combatte, [mais] au contraire que tous ces vents avec leurs opérations se conforment à l'esprit intérieur, et qu'[ils338] se recueillent en leur manière à savourer des délices dont [elle339] jouit. [Elle] ajoute :

La cavalerie, sans attendre,

À la vue des eaux [descendait340].

Par les eaux, [elle341] entend ici les biens et délices spirituelles de Dieu, que l'âme possède en cet état ; par la cavalerie, [elle342] entend les puissances de la partie sensible, tant intérieures qu'extérieures, lesquelles l'Épouse dit qu'en cet état elles descendent à la vue de ces eaux spirituelles, parce que cette partie sensible de l'âme est déjà [maintenant] tellement purifiée et en certaine manière spiritualisée, qu'elle avec ses puissances sensibles et forces naturelles s'assemblent pour jouir et participer à leur modedes grandeurs spirituelles que Dieu va communiquant à l'esprit : Mon coeur et ma chair, dit David, se sont réjouis en Dieu vivant. [Ps 83, 3]. Notez que l'Épouse ne dit pas ici que la cavalerie ait descendu à " goûter " des eaux, ains [mais] "  à  leur vue ", d'autant que cette partie sensible avec ses puissances ne peuvent essentiellement et proprement goûter les biens spirituels, n'ayant une capacité proportionnée à cela, non seulement en cette vie, mais non pas même en l'autre, sinon par une certaine redondance d'esprit, recevant la récréation et délices d'iceux. Voilà pourquoi ces puissances et sens corporels sont attribués au recueillement intérieur auquel l'âme reçoit les biens spirituels, ce qui est plutôt descendre à la vue d'iceux que les goûter essentiellement ; néanmoins, comme nous avon dit, ils reçoivent l'exubérance [débordement] qui se communique de l'âme en eux.

L'âme dit ici qu'ils " descendaient ", sans user d'autre terme, pour montrer que toutes ces puissances baissent et descendent de leurs opérations naturelles au recueillement intérieur où elles cessent.

Notre doux Époux Jésus-Christ y veuille mettre tous ceux qui invoquent son très saint Nom, auquel soit honneur et gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, qui règnent ès [dans les] siècles des siècles. Amen.343




Texte établi, introduit et annoté par Max Huot de Longchamp

C Paroisse et Famille, e trimestre 1998 ISBN 2-909271-02-1 Centre Saint-Jean-de-la-Croix

µ


INTRODUCTION

1 - Du " Cantique Spirituel " au " Cantique d'Amour divin "

René Gaultier (1560-1638)1 était l'un de ces pieux laïcs plus ou moins ligueurs jusqu'à la conversion d'Henri IV, qui, la paix religieuse enfin revenue, assureront l'intendance de "l'invasion mystique" chère à Brémond. À ce titre, il fera partie de l'expédition commanditée par le cercle de Madame Acarie pour aller chercher en Espagne le greffon thérésien d'où naîtront les dizaines de carmels réformés de France2 : nous sommes en 1604, et le prestige de Thérèse, béatifiée deux ans plus tôt, semble faire du Carmel le remède à tous les maux du Royaume à peine remis des guerres de religion. En ces années, la mémoire de Jean de la Croix est encore enfouie dans la véritable persécution dont il fut victime à la fin de sa vie, ce qui aura les plus fâcheuses conséquences pour la transmission de ses textes. Cependant, quelques uns échappent à cette règle générale, et notamment ceux que les carmélites emporteront dans leurs bagages, en France d'abord, en Flandres ensuite. Et parmi eux, bien certainement, le précieux autographe du Cantique Spirituel que Jean de la Croix avait rédigé en 1584 pour Anne de Jésus, la plus proche collaboratrice de Thérèse, son héritière spirituelle, et qui prendra la tête du petit groupe que Gaultier installera à Paris.

I La figure de René Gaultier n'a guère été étudiée comme elle l'aurait mérité. On trouvera quelques éléments biographiques dans la notice — qui semble ignorer le texte que nous éditons ici — que lui consacre le Dictionnaire de Spiritualité, vol. 6, col. 144-147.

2 Sur l'ensemble de la question de l'arrivée du Carmel réformé en France, cf. Stéphane-Marie Morgain, Pierre de Bérulle et les Carmélites de France, Paris, 1995.

8 INTRODUCTION

Au service de l'Espagne mystique, Gaultier ne sera pas qu'un

homme d'affaire : il sera aussi un traducteur infatigable. C'est ainsi

qu'en 1621, Jean de la Croix sortant enfin de l'oubli, il sera le premier

à donner ses textes en français : Les oeuvres spirituelles pour acheminer les âmes à la parfaite union avec Dieu. Il y manquait le Cantique Spirituel, tout comme dans la première édition espagnole (Alcalà,1618), puisqu'il faudra attendre 1627 pour que celui-ci paraisse dans sa langue originale, mais à Bruxelles.

Bruxelles : on sait qu'Anne de Jésus n'admettant pas la mainmise de Bérulle sur le Carmel français, poursuivra jusque là sa route de fondatrice. Elle y mourra en 1621, et quelques mois plus tard, au printemps 1622, Gaultier édite en français à Paris le Cantique d'Amour divin tel que nous le rééditions aujourd'hui.

Ce travail était-il prêt depuis longtemps, d'évidentes raisons de discrétion interdisant de le publier du vivant d'Anne de Jésus ? Il est sûr que Gaultier devait se sentir très proche de la fondatrice, et déjà très âgé, en 1636, c'est encore lui qui traduira sa biographie par Ange Manrique. On sait aussi que bien avant de quitter l'Espagne, Anne de Jésus faisait circuler son manuscrit du Càntico, et comme tous ses familiers, Gaultier le connaissait sans doute fort bien. Cependant, " ce dernier labeur " au service " de ce religieux tant estimé de la Sainte Mère Thèrèse ", comme il le déclare dans sa dédicace, est marqué par une évidente précipitation : traduit à la hâte, imprimé n'importe comment, de plus en plus mal et donc de plus en plus vite au fur et à mesure que l'on tourne les pages, tout se passe comme s'il s'agissait d'abord d'occuper un terrain contesté. Dans la même dédicace, Gaultier fait

allusion à une polémique de la part " de beaucoup de gens qui s'entremettent le plus de ce qu'ils entendent le moins. "S'agit-il des difficultés nées en Espagne autour de ce texte, et qui y retarderont sa parution jusqu'en 1630 ? Peut-être. Il est en tout cas significatif que le Père Archange de Pembroke (1558-1632) soit le dédicataire du travail de Gaultier : capucin bien en cour, proche de son compatriote Benoît de Canfield et du tout-Paris mystique, grand réformateur de la vie reli-

INTRODUCTION 9

gieuse féminine, sa caution pouvait être précieuse. N'oublions pas qu'en 1628 encore, le carme Quiroga sera disgrâcié par ses frères en religion pour avoir publié, toujours à Bruxelles, son Histoire de la Vie et des Vertus de Jean de la Croix3.

2 - L'enjeu de ce texte

Voilà le peu que nous pouvons savoir de l'origine du tout premier texte imprimé du Cantique Spirituel. Les éditeurs, traducteurs et commentateurs l'ont toujours négligé, déclarant un peu vite qu'il ne valait rien. Certes, un regard superficiel, s'arrêtant aux gros caractères plus qu'aux petits, c'est-à-dire au poème plus qu'à son commentaire, remarquera son défaut le plus visible : le poème lui-même est traduit en vers de mirliton avec la plus totale fantaisie. Mais pour ce qui est de la prose, nous avons déjà souligné son importance et son exactitude de fond, même lorsque Gaultier traduit en condensant, et même si l'imprimeur ici s'est montré incroyablement négligent, coupant les phrases n'importe où, omettant ou lisant n'importe comment les références bibliques et prenant manifestement un mot pour un autres . Quoi qu'il en soit, si Gaultier procède parfois " à la diable ", son exceptionnelle pénétration spirituelle — on ne va pas chercher les carmélites en Espagne sans un minimum de sensibilité contemplative ! — lui donne de toujours rester dans l'axe de la pensée de Jean de la Croix, et c'est cela qui nous est précieux. En effet, si l'on considère que cette édition témoigne

3 Cf. José de Jestis Marfa Quiroga, Apologia Mistica, éd. Max Huot de Longchamp, Paris, 1990. Sur la pénétration de Jean de la Croix en France, cf. André Bord, " Le rayonnement de saint Jean de la Croix au XVIIe siècle français ", Teresianum, 42, 19911, pp. 5-45.

4 Le Père Silverio, dans son édition critique des oeuvres du saint à Burgos en 1930, avoue ne pas avoir pu examiner le texte de Gaultier (t. III, p. LIV), et nous pensons que le Père Eulogio Pacho dans son édition de Madrid de 1981 (San Juan de la Cruz, Ccintico espiritual), l'a grandement sous-évalué. Cf. Max Huot de Longchamp, " Autour de la perfection spirituelle selon saint Jean de la Croix ", in Juan de la Cruz Espiritu de Llama, Roma-Kampen, 1991, pp. 599-603.

10 INTRODUCTION

de l'état initial du Cantique, elle lève toute hésitation sur la vision johannicrucienne de la vie chrétienne en général, et de la perfection spirituelle en particulier.

Arrêtons-nous un instant sur ce point. Les connaisseurs de saint Jean de la Croix savent avec quelle prudence il faut aborder les différentes versions du Cantique Spirituel : tandis que les versions primitives (conventionnellement : Cantique A), seules bien attestées, sont parfaitement homogènes avec le reste de l'oeuvre de Jean de la Croix et avec l'ensemble de la tradition mystique chrétienne, les versions dérivées (Cantique B), curieusement privilégiées par les éditeurs modernes, vident de toute substance le mariage spirituel, n'y voyant qu'une vague anticipation d'une béatitude réservée à l'au-delà. On voit l'intérêt de saisir ici à sa source la pensée du saint : à tous les amoureux de Dieu, c'est bien le bonheur total qu'il promet, tout de suite et complètement, pour peu qu'ils se laissent aimer jusqu'au bout par le Christ. Et tout le reste n'est que " fausse et trompeuse contemplation que le démon à introduite chez les personnes vaniteuses et orgueilleuses ", dirait Quiroga5, faisant allusion à la falsification de la doctrine de son maître, en cours au moment même où Gaultier publiait notre texte.

Il n'est pas sans intérêt de remarquer à ce propos que 1622 est l'année de la rupture entre Pembroke et sa dirigée Angélique Arnault, au moment même où Gaultier salue en l'illustre capucin un connaisseur de Jean de la Croix. Désormais, Port-Royal se tournera d'un autre côté. Tel est bien l'enjeu de notre texte : en attestant un Cantique Spirituel purement mystique, il dénonce d'avance toutes les transformations jansénisantes qui marquent, à notre avis (contesté !), ses versions plus tardives, ainsi que les traductions françaises postérieures à celles de Gaultier.

Sans rouvrir ici le dossier énorme de la transmission du Cantique Spirituel, il nous semble donc légitime d'ajouter ce Cantique d'Amour divin, même si l'original espagnol en semble définitivement perdu, aux

5 Apologia Mistica, prologue.

INTRODUCTION Il

oeuvres complètes de Jean de la Croix : les amateurs de littérature mystique le découvriront avec enthousiasme, tandis que les spécialistes auront à leur disposition une pièce essentielle de ce dossier difficile.

3 - Caractéristiques de cette édition

Nous avons pu travailler sur l'exemplaire aimablement mis à notre disposition par l'Istitutum Carmelitanum de Rome. Il s'agit d'un petit volume de 248 pages in 8°, d'un format de 11 X 17, 5 cm, dont seules 232 sont paginées, celles qui correspondent au commentaire en prose.6 La première page porte le titre complet :

CANTIQUE D'AMOUR DIVIN,

ENTRE IESUS-CHRIST ET L'AME DÉVOTE.

COMPOSE' EN ESPAGNOL, par le B. Pere MAN DE LA CROIX,

premier Religieux de l'Ordre des Carmes deschaussez,

& Coadiuteur de la saincte Mere TEREZE.

Traduit par M. RENE' GAULTIER

Conseiller d'Estat.

A PARIS,

Chez ADRIAN TAUPINART, rue sainct Iacques à la Sphere.

M. DC. XXII.

Avec Privilege du Roy.

Le service qu'il nous fallait rendre était de publier avec un minimum de retouches ce texte fiable, mais déjà trop ancien pour être lu sans difficulté par un lecteur moderne, et affreusement mal servi par son imprimeur. Aussi avons-nous pris le parti suivant :

— Nous avons corrigé et modernisé l'orthographe et la ponctuation, parfaitement fantaisistes dans l'édition originale ; mais aucun mot n'a été changé. Nous avons également explicité les abréviations.

6 Signalons pour être complet, une édition de prestige de ce texte à 250 exemplaires, à l'Imprimerie Nationale de Paris en 1944, également introuvable, y compris à l'Imprimerie Nationale elle-même.

12 INTRODUCTION

— Dans le doute sur la lecture d'une faute probable, le mot substitué se trouve entre crochets [...] dans le texte, et l'original est reporté dans la marge précédé de la mention : orig.

— Lorsqu'il a fallu supprimer (très rarement) un mot, il est également reporté en marge précédé de : orig. : +, et nous avons laissé son emplacement en blanc entre crochets [ dans le texte.

— Lorsqu'un mot est simplement entre crochets [...] sans report en marge, c'est nous qui l'ajoutons, soit (rarement) parce que la grammaire moderne l'exige, soit parce qu'il a été probablement omis dans l'original.

— Lorsqu'une expression d'ancien français a aujourd'hui disparu, ou a notablement changé de sens, un astérisque* renvoie à son équivalent moderne dans la marge.

— Pour les références scripturaires :

- L'édition de 1622 les indique parfois, dans la marge, à un emplacement approximatif, auquel cas nous les reportons telles quelles, sans les corriger, et en les plaçant à hauteur de fin de citation.

- Indépendamment de ces quelques renvois, nous avons ajouté entre crochets un système complet et moderne de références bibliques.

- Nous avons traité de la même façon quelques rares références non bibliques.

— Enfin, nous avons également reporté en marge un repérage des paragraphes (§) des éditions modernes du Cantique Spirituel, en suivant la numérotation de la Biblioteca de Autores Cristianos, ainsi que la pagination (p.) de l'édition Gaultier de 1622. Lorsque les sauts de paragraphe ou de page ne correspondent pas à un alinéa, nous avons ajouté une barre de séparation () dans le texte.

Nous espérons que ce traitement offrira une lecture agréable et facile à ceux qui attendront de ce texte une nourriture de leur vie intérieure, sans priver pour autant le chercheur d'aucun détail significatif.

CANTIQUE D'AMOUR DIVIN

entre Jésus-Christ et l'Âme dévote

emkstkiemememe

';41gYee*eggPeeèeeye

AV R. PERE ARCHANGE

Gardien du Conucnt des

PcrcsCapucins de Slio-

nord prés Paris.

'IL t'Il. vray , comme te

croy , faut aprli,

quer les chofes oû elles

font les plus côuenables,

ie ne pouuois prefenter à perfonne plus

capable ces hauts difiours damour,en.

uelonee fous l'écorce d'vn Cantique

pour mon regard tresrrnal limé, &

qui aux yeux du monde ne paroifira

qu'une chanpn , fans aucun pic :ny

=male à ceux qui n'auret psi la grace

de le fonder ny approfondir plus auat,

mail vous qui aucK delta pri 5 goufi aux

efcrits du k, P. han de la Croix, ie

m'affeure que vous verre d'aufii bols

ail ce fiépofthume qui n'a point encore

a ij

AU RÉVÉREND PÈRE ARCHANGE

Gardien du couvent des Pères Capucins

de Saint-Honoré, près Paris

S'il est vrai, comme je crois, qu'il faut appliquer les choses où elles sont les plus convenables, je ne pouvais présenter à personne plus capable ces hauts discours d'amour, enveloppés sous l'écorce d'un cantique, pour mon regard* très mal limé*, et qui aux yeux du monde ne paraîtra qu'une chanson, sans aucun suc ni moelle à ceux qui n'auront pas la grâce de le sonder ni approfondir plus avant. Mais vous qui avez déjà pris goût aux écrits du Révérend Père Jean de la Croix, je m'assure que vous verrez d'aussi bon oeil ce sien posthume qui n'a point encore été mis sur la presse, où il se rend fort facile et familier pour la matière qu'il traite. Ceux qui n'ont point expérimenté les grâces et unions mystiques dont il parle, n'en sauraient juger, ce qui fermera la bouche à beaucoup de gens qui s'entremettent le plus de ce qu'ils entendent le moins. Ayant déjà prêté ma plume à la version des oeuvres de ce religieux tant estimé de la sainte Mère Thérèse, je n'ai pu lui dénier ce dernier labeur, pour communiquer aux Français les trésors de sa

rare doctrine. Je le vous offre et le mets à l'abri de votre autorité, pour le défendre des langues de ceux qui sont

plus prompts à médire, qu'habiles à bien faire, étant très aise d'avoir eu cette occasion de vous témoigner, et à tout l'Ordre, que je serai à jamais, Mon Révérend Père, votre serviteur très humble,

R. Gaultier.

15

*à mon avis *travaillé

16 17

ODE ENTRE L'ÂME ET L'ÉPOUX

Approbation des Docteurs

Nous, soussignés Docteurs en Théologie de la Faculté de Paris, certifions avoir vu et lu un livre intitulé Le Cantique d'Amour Divin, par F Jean de la Croix, auquel n'avons rien trouvé contraire à la Foi Catholique, mais rempli d'admirable doctrine et piété. C'est pourquoi nous l'avons jugé digne d'être mis en lumière.

Fait à Paris le 8 d'avril 1622.

F. M. Brachet

E Baltazar L'Anglois

Extrait du Privilège du Roi

Par grâce et privilège du Roi, il est permis à Adrian Taupinart, marchand libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre et débiter un livre intitulé Cantique d'Amour divin entre Jésus-Christ et l'Âme dévote, composé en espagnol par le B. Père E Jean de la Croix, etc., traduit par M. René Gaultier, Conseiller d'État ; et ce pour le temps et espace de dix ans, avec défenses à tous marchands libraires et imprimeurs, et toutes autres personnes de qualité et condition qu'ils soient, d'imprimer ni faire imprimer, vendre ni débiter ledit livre durant ledit temps, si ce n'est du consentement dudit Taupinart, sur peine de six cents livres d'amende et de confiscation des exemplaires, ainsi qu'il est plus long contenu audit privilège.

Donné à Paris le 13e jour du mois d'avril, l'an de grâce 1622, et du règne de sa Majesté le douzième. Signé, par le Conseil,

Poncet

1

Où vous êtes-vous caché,

Époux, qui m'avez laissée ?

Fuyant comme un cerf chassé,

Après m'avoir blessée,

Vous en êtes ainsi allé.

2

Pasteurs, si par aventure,

Menant paître vos troupeaux,

Vous le voyez ès* lieux hauts, *dans les

Dites-lui combien j'endure

Pour lui de peines et travaux.

3

Cherchant donc mes amours,

J'irai sans cueillir les flours* *fleurs

Par monts, par vaux et rivages,

Malgré les bêtes sauvages,

Les boulevards et les tours.

4

Ô bois que mon bien-aimé

A tout planté de ses mains,

Ô pré de fleurs émaillé,

Dites, fidèles témoins,

S'il a point par vous passé !

5 (Réponse des créatures)

a couru vilement* *rapidement Par ces collines remplies

De ses grâces en le voyant,

Et les a toutes enrichies

De mille beaux ornements.

18 ODE

*maintenant

*commencé

*impatiences

6 (L' Épouse)

Pour guérir donc mes yeux,

Qu'il se daigne à moi livrer !

J'entends que parmi ces jeux,

Il n'envoie un messager

Qui ne sait ce que je veux.

7

Tous ceux qui me vont contant

Les grâces où il s'égaye,

Me blessent bien plus avant

En ce peu qu'on en bégaye,

Et me laissent ja* mourant.

8

Mais comment persévérez,

Ô vie, là où vous vivez,

Quoique les flèches mortelles

De l'Époux vous rendent telle

En ce que vous concevez ?

9

Puisque vous avez touché

Ce coeur à vous attaché,

Ne laissez point votre prise

Du larcin encommencé*,

Poursuivez cette entreprise !

10

Éteignez donc mes ennuis* Que vous seul pouvez défaire, Éclairant mes yeux les nuits Où je tache à vous complaire, Qui sans vous sont tout ternis.

11

Ô source d'eau cristalline,

Si dans cette onde argentine,

Je pouvais y contempler

Ces yeux qui me font trembler

Jusqu'au fond de la poitrine !

12

Détourne-les, cher Ami !

Reviens, ma colombe, ici :

Car le cerf montre sa plaie

Sur la colline, assoupi,

Au zéphyr qui la balaie.

13

Mon Ami est les hauts monts,

Et les vallées solitaires,

Et les îles étrangères,

Les bruyants fleuves profonds,

Le souffle des vents amoureux.

14

Sa nuit est plus belle encore

Que la blancheur de l'aurore ;

C'est le son harmonieux

Et la solitaire corde,

La cène qui réjouit l'amoureux.

15

Notre lit de paix, bâti

Sur les affreuses cavernes

Des lions, a ressenti

Le pourpre qui les gouverne,

Et les boucliers d'or aussi.

20 Otx,.

ODE 21

bas

*Complètement

*entreprises

*maintenant

16

Sur la piste de vos pas,

Les filles courent çà-bas *,

Ressentant l'odeur divine

Du baume et vin, qui les anime

À franchir jusqu'au trépas.

17

J'ai bu dans la cave basse De mon Ami ; et sortant, Je me suis trouvée si lasse, Que j'ai délaissé la chasse Que j'aimais auparavant.

18

Il m'a mis dedans son sein

Et m'a donné la science,

Lorsque de tout mon dessein

j'ai voulu qu'il me fiance,

Et soit mon Époux certain.

19

Mon âme s'est employée

Du tout* à le bien servir,

Quittant troupeaux et brebis,

Les charges et les menées*,

Pour l'aimer jusqu'au mourir.

20

Si l'on ne voit plus la trace

De mes pas, qui ja * s'effacent,

Dites qu'éperdue d'amour,

Je cherche un autre séjour

Où mon âme se refasse.

21

Nous ferons de beaux bouquets

De fleurs, et autres affiquets*,

Liés de ma chevelure,

Dessus la fraîche verdure

Pour ton amour apprêtés.

22

Ce seul cheveu qui ondoie

Dessus mon col*, te côtoie,

T'a fortement attaché.

Tu es pris, quoi que l'on voie,

Et mon oeil t'a bien blessé.

23

Tes yeux en me regardant,

Imprimaient sur moi ta grâce,

Et les miens en te voyant,

Adoraient ta belle face,

Chérie de tous les amants.

24

Encore que je sois brune,

Tu ne me dois mépriser,

Puisqu'il t'a plu distiller

Ta beauté qui n'est commune

Sur mon visage étranger.

25

Attrapez les renardeaux

Lors du bourgeon de la vigne.

Quand nous ferons des monceaux

De roses jusqu'à la cîme,

Nul ne paraisse ès* coteaux.

* ornements

*cou

*sur les

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36

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24 ODE

36

Puis dans la haute caverne

De la pierre si moderne*,

Où nous y tiendrons cachés,

Buvant les jus écachés*

Des grenades de réserve.

37

Alors vous me ferez voir

Tous les désirs de mon âme ;

Et si* me ferez avoir,

Ô ma vie et mon savoir,

Ce qui m'a réduit enflamme.

38

Respirer l'air et le chant

Du rossignol, et la grâce

Du bois en la nuit, la face

Du feu toujours consommant*,

Sans qu'aucune peine il fasse.

39

Pas un ne nous regardait,

Aminadab ne paraissait,

Et Borée plus ne soufflait.

La cavalerie, sans attendre,

À la vue des eaux [descendait].

*nouvelle

*écrasés

*ainsi

*consumant

orig. : descendre

EXPLICATION DU CANTIQUE DE

L'AMOUR DIVIN

entre l'âme et Jésus-Christ

Où il est traité de quelques points

et effets de l'Amour

Prologue au Lecteur

D'autant qu'il semble que cet ode soit écrit avec quelque ferveur de l'amour de Dieu, dont la sagesse est si immense, dit la Sapience, qu'elle atteint d'une fin à l'autre, et l'âme qui en est imbue et émue, est aucunement* remplie de cette abondance et impétuosité en ses paroles, je ne me veux à présent étendre sur l'excès que l'esprit fécond d'amour y trouve de fluidité ; car ce serait ignorance de penser que les verves* amoureuses en l'intelligence mystique, comme celles de cet ode, se pussent bien expliquer de paroles ; attendu que l'Esprit de Notre-Seigneur; qui soulage notre faiblesse, comme dit saint Paul, habitant en nous prie pour nous, avec des gémissements indicibles, ce que nous ne saurions assez bien entendre ni comprendre pour le déclarer*. Car qui pourra écrire ce qu'il fait entendre à ses amoureuses où il s'est logé ? Qui pourra déduire* ce qu'il leur fait sentir ? Bref, ce qu'il leur fait désirer ? Pas un ne le saurait faire, ni celles-là mêmes par où il passe. Voilà pourquoi, avec des figures, comparaisons et similitudes, ils dégorgent plutôt quelque peu de ce qu'ils sentent, et crachent de l'abondance de l'esprit des secrets mystiques, qu'ils ne les expliquent par raisons ; similitudes, lesquelles n'étant prises avec la simplicité de l'esprit d'amour en leur intelligence, semblent plutôt des extravagances que discours raisonnables, comme l'on peut voir ès* Cantiques de Salomon, et autres traités de la Sainte Écriture,

P. I

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*de quelque manière

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Textes et études

Saint Jean de la Croix, Cantique d'Amour divin

Dom J. Chapman, Correspondance spirituelle

Jeanne Schmitz-Rouly, Journal

À paraître 1999 :

José de Jesùs Maria Quiroga, Apologie mystique

Max Huot de Longchamp, Pour lire les mystiques

Ancienne collection Spirituels

José de Jesùs Maria Quiroga, Apologie mystique (édition bilingue)

Paul Verdeyen, La Théologie Mystique de Guillaume de Saint-Thierry

Jean de Saint-Samson, Oeuvres Complètes, tomes I et II.

Pacificus Delfgaauw, Saint Bernard, Maître de l'Amour divin

Jean de Saint-Samson, L'Aiguillon

Pour tout renseignement sur nos publications

et sessions de formation spirituelle :

Centre Saint-Jean-de-la-Croix

36230 Mers-sur-Indre

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Saint JEAN DE LA CROIX

CANTIQUE D'AMOUR DIVIN

traduit par René Gaultier (1622)

On sait dans quelles conditions désastreuses nous a été transmise l'oeuvre la plus connue de saint Jean de la Croix, le Cantique Spirituel, publié très tardivement dans sa langue originale (en 1627 à Bruxelles), après l'avoir été en français par René Gaultier dès 1622 sous le titre de Cantique d'Amour divin.

Texte sans cesse retravaillé par le saint, certaines des versions qui nous en sont parvenues ont été manifestement retouchées par des mains étrangères, au nom de positions théoriques absolument incompatibles avec le reste de l'oeuvre.

Le mérite de la traduction de Gaultier est de témoigner de façon indubitable de l'état initial du Cantique Spirituel, en même temps que de nous en fournir la seule version française doctrinalement irréprochable.

Texte pratiquement introuvable, il s'agit d'un document majeur de la tradition du Carmel, à l'aube du Siècle d'Or de la spiritualité française.

Le Centre Saint-Jean-de-la-Croix, consacré à la forma-bon à la vie intérieure, publie des textes et des études propres à nourrir et guider la lectio di vina.


POÉSIES

Introduction aux Poésies

Au jugement de tous les intellectuels de langue espagnole, saint Jean de la Croix est un poète éminent. « I1 a enrichi la lyre castillane, a écrit Mgr Gonzalez y Suarez, archevêque de Quito, de l’élément mystique, et jusqu’ici aucun poète n’y a posé une main aussi délicate 1. » Le célèbre Menendez y Pelayo va plus loin. Il trouve que le lyrisme de Jean de la Croix rivalise avec tout ce que la Renaissance a produit de plus élégant, de plus exquis et de plus savoureux. Il va jusqu’à dire : « On sent courir à travers ses poésies une flamme de sentiment, un incendie d’amour capable de fondre le marbre. » D’après lui, telle est leur divine inspiration, que « les analyser avec l’admiration respectueuse qu’inspire une ode de Pindare ou d’Horace serait de l’irrévérence et de la profanation, et cependant, même au point de vue humain, Jean de la Croix poète est si sublime et si parfait dans son art, qu’il peut soutenir n’importe quelle analyse littéraire et métrique 2 ».

Il est des mystiques — et la Réformatrice du Carmel est du nombre — qui sans aucune connaissance des règles de la poésie composaient des vers pleins de charmes. Il est clair que ce n’est point le cas de saint Jean de la Croix : la parfaite régularité de ses strophes, l’heureuse combinaison des consonances, l’exact assujettissement aux lois de la mesure et de l’accent qu’on y remarque suffisent à le montrer. Du reste, tandis que sainte Thérèse n’abordait point les strophes malaisées, se contentant des très faciles, notre Saint faisait choix des mesures les plus ardues.

1 Hermosura de la naturaleza y sentimiento estético de ella, p. 45.

2 Discours de réception à l’Académie de la langue espagnole.

282

« Jean de la Croix », a écrit M. Baruzi, « a suivi la technique de la nouvelle poésie castillane. Il a inséré en des liras, c’est-à-dire en des strophes d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes combinées, les poèmes qui servent de thèmes à ses écrits. Il adhère donc implicitement à une esthétique qui, à la fin du xvle siècle, avait d’ailleurs presque totalement triomphé 1.

Il est question ici des poèmes utilisés pour la Montée et le Cantique, car le poème de la Vive Flamme est construit sur des strophes de six vers. Au dire du P. Gérard, cette strophe est plus difficile encore.

Saint Jean de la Croix a cru devoir donner des explications sur la structure des strophes adoptées par lui pour la Vive Flamme. On trouve en effet dans toutes les transcriptions anciennes de cet ouvrage, à la suite des Strophes et avant le texte lui-même, la note suivante :

“Ces liras en leur contexture sont semblables à celles que l’on trouve dans Boscán, tournées au sens divin.


« La soledad siguiendo,

“Llorando mi fortuna,

“Me voy por los caminos que se ofrecen, etc.

“Ces Strophes ont six pieds ; le 4e rime avec le 1 er, le 5e avec le 2e, et le 6e avec le 3e.”

M. Baruzi fait remarquer : 1° que les vers allégués par saint Jean de la Croix ne sont pas de Boscán, mais de Garcilaso ; cependant, ajoute-t-il, il est exact de dire qu’ils se trouvent dans Boscán, qui les a empruntés à Garcilaso ; 2° que la véritable lecture du 2vers de Garcilaso est : Rendido á mi fortuna.

1 Saint Jean de la Croix et le Problème de l’expérience mystique. Sa Vie. — La période salmankine, p. 112. (2e éd., Alcan, 1931.)

283

Le sens de ces lignes, qui sont évidemment de saint Jean de la Croix, est celui-ci : les liras de la Vive Flamme sont construites à l’imitation de celles de Garcilaso ; toutefois ici le sujet n’est plus profane, mais divin.

« On ne voit pas d’abord, il est vrai », fait remarquer M. Baruzi, “pourquoi Jean de la Croix, qui ne nous livre jamais la moindre indication sur les éléments de son travail, nous renvoie ici à un modèle. Pourtant il est aisé de deviner la cause de ce scrupule soudain. Le poème de la « Noche oscura » et le poème du “Cantico” sont composés de strophes conformes au type primitif de la “Lira”. Il n’y avait par suite aucune raison de signaler le modèle métrique de ces strophes de cinq vers, où tous reconnaissaient une technique familière. Mais il n’en était pas de même du poème de la “Llama”, bâti sur des strophes de six vers dont l’origine, pour des lecteurs étrangers à la culture esthétique, était moins facilement discernable. Jean de la Croix, qui n’était pas un technicien du vers, pouvait-il, sans invoquer une source indiscutable, construire une strophe de contexture moins claire ? Mais la strophe de six vers, telle qu’il l’établit, ne se trouve pas en fait dans les œuvres de Garcilaso. Jean de la Croix l’obtient en coupant, après le sixième vers, par une sorte de césure strophique, la strophe lyrique de treize vers.”

Mais arrêtons-nous un moment à une intéressante remarque de M. Baruzi.

« Le nom de Boscán », nous fait-il observer, “est allégué d’une manière qui demande, pour le moins, à être expliquée… De dire que ces vers qui sont de Garcilaso : « en Boscán estan — se trouvent dans Boscán » ne constitue pas une proposition dénuée de sens. En effet, les œuvres de Boscán et celles de Garcilaso ont d’abord été publiées dans un volume unique. Garcilaso, tué à la guerre à l’âge

284

de trente-trois ans 1, n’avait pas fait imprimer lui-même ses poèmes. Son ami Boscán les avait réunis et conservés ; puis, la veuve de Boscán, par une édition doublement posthume, avait publié en une sorte d’appendice aux œuvres de son mari, les poèmes de Garcilaso. Les éditions de Boscán, que ce soit l’Édition Princeps parue à Barcelone en 1543, l’Édition de Medina del Campo (1544), ou les deux Éditions de León (1547 et 1549), indiquent bien cette subordination de Garcilaso à Boscán. Las obras de Boscán, disent-elles, y algunas de Garcilaso de la Vega, repartidas en cuatro libros. Il est donc naturel que l’usage ait été de dire au xvisiècle, non sans vulgarité d’ailleurs, “Boscán”, comme pour désigner un recueil.”

M. Baruzi se demande si saint Jean de la Croix ne s’est pas conformé à cet usage. Il aborde ensuite “l’expression inquiétante « vueltas à lo divino » et se demande si Jean de la Croix a été de ceux qui « cherchaient à transformer en ardeurs spirituelles les thèmes d’amour de Boscán et de Garcilaso. Rien, en son œuvre, ne nous montre qu’il ait voulu suivre un Sebastián de Córdoba publiant en 1575 Las Obras de Boscán y Garcilaso trasladadas en materias christianas y religiosas. Qu’il ait lu cependant Córdoba, la chose ne semble pas douteuse. Et l’on n’a d’autre part nul motif d’assurer qu’il n’y a pas éprouvé quelque plaisir ».

M. Baruzi nous fait remarquer aussi que la faute de lecture qui se rencontre dans la note est en réalité une déformation due à Sebastián de Córdoba. Celui-ci remplace en effet le vers de Garcilaso :

Rendido à mi fortuna

‘par ce vers très plat et qui n’est plus de la même qualité affective :

Llorando mi fortuna.

1 Garcilaso a été mortellement blessé, en 1536, à l’assaut du fort de Muy, dans la Campagne de Provence.

285

“La combinaison de l’expression « vueltas á lo divino » et de la déformation que nous trouvons chez Sebastián de Córdoba ne laisse point place à une autre hypothèse : Jean de la Croix a emprunté sa citation à Sébastián de Córdoba. Bien plus, l’expression « vueltas á lo divino » nous avertit sans doute que c’est bien à Sebastián de Córdoba qu’il se réfère. Dira-t-on que la note tout entière est peut-être apocryphe ? C’est bien Jean de la Croix qui a écrit la note et c’est Sébastián de Córdoba qui lui en a fourni le texte. Mais devons-nous conclure qu’il n’ait connu Garcilaso que par les affadissements d’un Sebastián de Córdoba ? Une telle supposition serait absurde. C’est bien avant 1575, et dès la période salmantine, que Jean de la Croix a eu l’occasion de lire Garcilaso. Tout, dans son lyrisme, nous permet de penser qu’il l’a aimé. Ce sont les vers de Garcilaso que Jean de la Croix a goûtés et, en dépit de l’apparence, ce sont eux encore qu’il allègue. Peut-être est-ce par prudence, par crainte des critiques que lui pourraient adresser des lecteurs étrangers à la vie esthétique, qu’il nous les offre en un si trouble mélange. Mais c’est au texte authentique qu’il est venu demander un modèle métrique.

Et M. Baruzi continue : ‘… Nous avons dès lors le droit de supposer une sérieuse lecture d’une « Canción » de Garcilaso. Et si nous n’en pouvons conclure que Jean de la Croix ait étudié de la même manière d’autres poèmes, nous sommes assurés qu’il a assez soigneusement observé l’un d’entre eux pour extraire d’une strophe complexe une combinaison métrique qui n’était pas immédiatement apparente. Jean de la Croix a peut-être non seulement lu, mais étudié techniquement Garcilaso…

‘Le problème que nous avons à nous poser… nous fait nous demander, à l’occasion d’un exemple précis, ce que signifie pour nous cette attachante pensée : Jean

286

de la Croix, lecteur de Garcilaso. Nulle hésitation n’est possible en ce qui concerne le choix de l’exemple. Jean de la Croix rejoint Garcilaso dans la mesure où il est un poète bucolique et, dès lors, il n’est pas arbitraire de considérer d’un même regard les Églogues de Garcilaso et certaines nuances des poésies de Jean de la Croix.

‘Jean de la Croix n’est pas étranger à une subtile esthétique de la pastorale. Il dresse devant nous, en très pure poésie, un jeune berger, seul, malheureux.

Y en su pastora puesto el pensamiento

Y el pecho del amor muy lastimado.

“Ce jeune berger ne se plaint pas de ses souffrances, mais il pleure d’être oublié, de se trouver en une terre étrangère et de sentir que sa présence n’est plus désirée de celle qu’il aime.

« Y á cabo de un gran rato se ha encumbrado

Sobre un arbol do abrió sus brazos bellos,

Y muerto se ha quedado asido de ellos,

El pecho del amor muy lastimado.

‘Cette fois la Pastorale est bien réduite à son essence. Tout ce qui est factice est détruit. Nous trouvons un être seul, que l’amour tragique a pénétré. Mais quelque chose demeure du rêve pastoral et ce souvenir, se rencontrant avec le sentiment chrétien, s’incarne en une beauté plastique.

… se ha encumbrado

Sobre un arbol do abrió sus brazos bellos.

“Si Jean de la Croix a lu attentivement les Églogues de Gacilaso, il les a pénétrées par de là leur apparence,

287

et les plaintes de Nemoroso ne lui ont pas apporté seulement d’artificielles douleurs.

Los valles solitarios nemorosos.

« Jean de la Croix, en insérant dans l’un de ses plus beaux vers l’adjectif nemoroso, dont l’usage n’était pas fréquent au xVle siècle, a-t-il songé à Nemoroso, l’un des bergers de la première Églogue, ou plutôt Garcilaso lui-même en sa plus douloureuse expression 1 ? »

Dans ses poésies détachées, notre Saint a usé de mesures très diverses. Sans nous y arrêter, disons un mot des « Romances », qui sont généralement mises au rang de ses compositions. Les témoins qui ont donné des déclarations juridiques relatives à ses écrits, sont d’accord avec presque tous ses historiens pour lui attribuer des pièces de vers, au nombre de dix, qualifiées de « romances ». De l’avis de plusieurs, ces pièces de vers, d’une étrange pauvreté, peuvent difficilement être regardées comme étant de sa composition. Nous y reviendrons plus loin. Disons ici que la vraie « romance », la « romance classique », est une composition en vers de huit syllabes non rimées, mais offrant aux vers pairs une assonance qui se répète identique d’un bout à l’autre du poème. Les vers n’ont que sept syllabes quand ils se terminent par un mot accentué sur la syllabe finale. Ils en ont neuf s’ils finissent par un mot accentué sur l’antépénultième 2.

À quelle époque peuvent remonter les poésies de saint Jean de la Croix ? Une partie fut composée pendant son

Saint Jean de la Croix et le Problème de l’Expérience mystique. Sa Vie. — La période salmantine, pp. 112-114. (2e éd.)

2 Ce renseignement nous a été gracieusement fourni par le remarquable hispaniste, M. Marcel Bataillon, professeur de littérature espagnole à l’Université d’Alger.

288

emprisonnement chez les Carmes mitigés de Tolède, lequel dura depuis la fin de 1577 jusqu’à la mi-août 1578. Vers la fin de cette détention, un geôlier doux et traitable lui avait été donné ; on le nommait Fr. Jean de Sainte-Marie. Le Saint le pria de lui fournir de quoi écrire « des choses de dévotion », ce que le geôlier lui accorda.

La mère Marie de Saint — Joseph, carmélite de Ségovie, a déposé avoir entendu dire à notre Saint qu’il avait écrit dans sa prison de Tolède les Strophes de la Nuit obscure 1. La mère Marie de l’Incarnation, du monastère de Consuegra, a déclaré la même chose 2. Toutefois, si notre conjecture est exacte, la composition, au moins initiale, de la Montée du Carmel et de la Nuit obscure, qui ne font qu’un, et par conséquent les Strophes sur lesquelles le traité repose, remonterait à une époque antérieure, celle où sainte Thérèse nous parlait de « celui qui avait promis d’écrire 3 ». Ce qui n’empêche nullement de se représenter Jean de la Croix dans sa prison, se redisant à lui-même de mémoire ces Strophes à la louange de la Nuit, si bien adaptées à. l’amère situation où il se trouvait. Nous disons de mémoire, en ne prenant pas à la lettre l’expression dont se sert au bout de longues années la carmélite de Ségovie : las avia escrito en la carcel de Toledo. En effet, nous allons le voir, les Strophes de la Nuit obscure ne sont pas au nombre de celles, tracées dans son cachot, qu’il emporta avec lui lors de son évasion.

Que le saint prisonnier ait écrit des poésies vers la fin de sa détention, la chose est hors de doute. Nous avons à ce sujet un témoignage important, celui de la Mère. Madeleine du Saint-Esprit, carmélite de Beas et fille spirituelle du Saint ; nous l’avons cité en partie dans notre

1 Ms. 13482 de la Bibl. nat. de Madrid.

2 Id., ibid.

3 Château intérieur, VIe Dem., ch. vii.

289

Introduction au Cantique, nous le donnerons ici en entier.

‘Lorsque le saint Père sortit de sa prison, dit-elle, il portait sur lui un cahier qu’il avait écrit durant sa détention : c’étaient plusieurs « romances a sur l’Évangile In principio erat Verbum, puis les Strophes : Je sais une source qui jaillit et s’écoule, enfin les liras qui commencent par : Où t’es-tu caché ? jusqu’à : O vous, les nymphes de Judée 1 Le Saint composa le reste étant recteur au collège de Baëza. Il donna une partie des commentaires à Beas, en réponse aux questions que lui posaient les religieuses, et les autres quand il fut à Grenade. Ce cahier que le saint Père écrivit dans sa prison, il le laissa au monastère de Beas, et l’on m’en fit faire plusieurs copies. »

Que les Strophes de la Nuit obscure ne fussent pas dans le cahier en question, cela ressort du témoignage de Madeleine du Saint-Esprit. Autrement, cette religieuse qui l’a copié, recopié plusieurs fois, et qui signale d’une manière précise ce qui s’y trouvait, n’eût pas manqué de les mentionner. Mais poursuivons son témoignage, relatif au cahier de Tolède.

‘Depuis, il fut emporté de notre cellule, je ne sais par qui. Comme j’étais dans l’admiration de la profondeur, de la beauté, de la subtilité des paroles, je lui demandai un jour si c’était Dieu qui lui fournissait ces expressions d’un sens si étendu et si riche. Il me répondit : « Ma fille, quelquefois Dieu me les fournissait, et d’autres fois je les cherchais moi-même 1. »

Le monastère de Caravaca, avec lequel notre Saint entretenait des relations aussi intimes qu’avec celui de Beas, apporte également son témoignage. « Il nous dit », déclare Marie du Saint Sacrement, « que dans son cachot

1 SERRANO Y SANZ : Apuntes para una Biblioteca de Escritoras espanolas, T. Ier, p. 399.

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il avait composé ce qu’il écrivit sur le Cantique des Cantiques, sur la Très Sainte Trinité et sur le Psaume Super flumina Babylonis 1. »

Le P. Innocent de Saint-André, qui vécut deux ans dans l’intimité de Jean de la Croix, atteste de son côté que son maître composa dans la prison de Tolède les Strophes qui commencent par ces mots : Où t’es-tu caché, Bien-Aimé 2 ?

Ainsi, il est hors de doute que les trente premières Strophes du premier Cantique spirituel furent composées à Tolède en 1578. Les neuf dernières le furent à Baëza, entre 1579 et 1581. Quant à la Strophe additionnelle que l’on trouve au second Cantique (la XIe), elle fut composée à Grenade en 1585 ou 1586.

Les Strophes de la Vive Flamme furent composées à Grenade encore, en 1584, comme le Prologue et le témoignage de Jean l’Évangéliste en font foi.

Il est difficile d’assigner une date précise aux poésies détachées, sauf pour celle qui commence par : Que bien yo sé la fuente, parce que Madeleine du Saint-Esprit nous la signale comme se trouvant au cahier de Tolède, tracé en 1578. Les autres ne peuvent remonter plus tard que 1584-1586, puisqu’elles se trouvaient au manuscrit emporté de Grenade par Anne de Jésus en 1586, ou bien se trouvent encore au borrador de Sanlúcar et au manuscrit de Jaën (1585 ou 1586).

Il est à remarquer cependant que d’après un manuscrit gardé à la Bibl. nationale de Madrid et connu chez les Carmes sous le nom de manuscrit d’Albe de Tormès, saint Jean de la Croix aurait composé à Ségovie, durant une extase, la poésie qui commence par : Entréme adonde no supé. Notre Saint ayant résidé à Ségovie de 1568 à 1591, cette poésie, si la donnée est exacte, remonterait à cette

1 SERRANO Y SANZ, T. 11, p. 176.

2Ms. 1597. (Bibl. nat. de Madrid.) POÉSIES

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époque. Or elle se trouve au borrador de Sanlúcar et au manuscrit de Jaën, ce qui ne permet pas de reculer sa composition au-delà de l’année 1586. On peut faire observer d’ailleurs que le manuscrit d’Albe de Tormès n’a pas l’autorité d’une déposition.

Malheureusement il est sans doute des compositions de saint Jean de la Croix qui ont péri. En effet, le Père Alphonse de la Mère de Dieu nous raconte qu’à la suite d’une extase de douleur, provoquée par une représentation du Christ souffrant, notre Saint composa des vers exprimant l’amour que le Sauveur témoigna aux âmes en versant son sang, et la douleur dont cette vue le pénétrait lui-même 1. Il est clair qu’aucune des poésies venues jusqu’à nous ne répond à ces données.

D’autre part, le P. Joseph de Jésus-Marie a écrit : « Lorsqu’il se sentait triste ou fatigué, c’était pour lui un cordial souverain de se rappeler le souvenir de la Vierge, soit au moyen des versets du Cantique des Cantiques que les saints docteurs appliquent à Marie, soit en composant à sa louange des strophes pleines de sentiment, qui le réjouissaient dans sa solitude ou le délassaient sur les chemins 2. » Le P. François de Sainte-Marie parle de même 3. Ces poésies de leur bienheureux Père en l’honneur de la Mère de Dieu, si tant est qu’elles aient été écrites, eussent été infiniment chères aux enfants du Carmel.

Nombreuses sont les pièces de vers qui ont été, fort à la légère, attribuées à saint Jean de la Croix. Il y a donc lieu de faire passer à un crible sévère celles que l’on admet comme authentiques. Nous considérerons comme telles :

1° Celles qui se trouvent au borrador de Sanlúcar et dont plusieurs sont corrigées de la propre main du Saint.

1 Vida del B. P. Fray Juan de la Cruz, L. 11, cap. 21.

2 Historia del B. P. Fray Juan de la Cruz, L. ler, cap. 42.

3 Reforma de las Descalzos, T. II, L. VI, cap. 15.

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2° Celles que nous offre l’Édition princeps du Cantique, faite à Bruxelles d’après un manuscrit apporté d’Espagne par Anne de Jésus, manuscrit qui n’est autre, ce semble, qu’une transcription prise à Grenade sur la copie exécutée sous les yeux du Saint par le Frère Thomas de la Croix. Les poésies qui dans ce manuscrit font suite au Cantique spirituel ayant été prises d’une transcription vue par le Saint, peuvent être considérées comme authentiques.

3° Celles qui se trouvent au manuscrit de Jaën, de la même écriture que le texte du Cantique, c’est-à-dire de l’écriture de Françoise de Saojossa, qui a pris soin de répéter nombre de fois que les poésies sont du même auteur que le traité. Ces poésies viennent d’un autographe du Saint, et de plus elles ont passé sous ses yeux avant la remise qu’il fit de la transcription à la Mère Anne de Jésus, l’année 1586.

Les poésies données par le borrador de Sanlúcar sont, outre dix Romances, les Strophes du Cantique de la Montée du Carmel et de la Vive Flamme, les poésies suivantes :

Entréme adonde no supé,

Vivo sin vivir en mi,

Ts de un amoroso lance,

Un pastorico solo está penado,

Que bien sé yo la fuente que mana y corre.


Le manuscrit de Jaën, outre les poésies fournies par le borrador, en donne deux qui ne se trouvent pas en celui-ci et ne se trouvaient pas non plus au manuscrit d’Anne de Jésus, puisqu’elles ne sont pas à la suite de l’édition de Bruxelles ; d’où l’on peut inférer qu’elles furent composées en 1585 ou au commencement de 1586. Leur authenticité est attestée aussi par plusieurs manuscrits de la Bibliothèque nationale de Madrid et par d’autres autorités

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encore ; mais surtout elles portent d’une manière frappante le cachet du lyrisme de notre Saint.

Sin arrimo y con arrimo,

Por toda la hermosura.

À la composition de la seconde se rattache un souvenir consigné par une religieuse de Grenade, Marie de la Croix, dans une déposition donnée au Procès Apostolique (Inform. d’Úbeda). Cf. P. Louis de la Trinité : Le Directeur d’âmes :

‘Un jour, dit-elle, que les religieuses (de Grenade) avaient avec le saint Frère Jean de la Croix un entretien fort élevé et qui comme toujours roulait sur Dieu, une Sœur vint à réciter certaine strophe. Elle n’était que d’inspiration humaine cependant. En voici la mesure.

Por toda la hermosura

Nunca yo me perderé,

Sino por un no sé qué,

Que se halla por ventura.

Le Saint en saisit quelque chose et dit : « Que récitez-vous là ? Veuillez le répéter. » La Sœur le fit aussitôt et le Saint, retenant la Strophe par cœur, composa sur elle « quelques couplets très bien tournés et remplis de pur amour de Dieu ».

Revenons au manuscrit de Sanlúcar. La poésie : Vivo sin vivir en mi et le premier des « Romances » sur l’Évangile In principio erat Verbum, portent des corrections de l’écriture de saint Jean de la Croix. Donc les Strophes de la Montée et de la Vive Flamme, ainsi que la poésie Entréme adonde no supé, étant placées avant Vivo sin vivir en mi, se trouvent, pour ainsi parler, authentiquées par le Saint lui-même et conséquemment sont d’une authenticité exceptionnelle.

Le premier « Romance » porte aussi (3e vers de la 10e Strophe) une correction qui semble bien de la main

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de Jean de la Croix. L’authenticité des trois poésies qui suivent Vivo sin vivir en mi et qui précèdent ce « Romance » corrigé, doit donc, elle aussi, être regardée comme exceptionnelle. Quant à celle des autres « Romances », qui se trouvent, au nombre de neuf, après la dernière poésie corrigée, elle n’est pas, rigoureusement parlant, attestée par la borrador 1. Cependant on peut dire d’elles ce que nous avons dit de celles des poésies qui se trouvent dans l’Édition princeps du Cantique et au manuscrit de Jaën : elle est plus que vraisemblable, par le fait que le borrador et ses poésies ont passé sous les yeux du Saint. Du reste, l’authenticité des « Romances » est attestée, nous l’avons vu, par le témoignage de deux religieuses, l’une de Beas, l’autre de Caravaca, auquel nous pouvons ajouter celui de deux autres religieuses du monastère de Tolède 2. Du moins sommes-nous assurés, par la déclaration de Madeleine du Saint-Esprit, qu’ils se trouvaient au cahier emporté par le saint prisonnier lors de son évasion.

Nous voici donc en présence d’un problème très difficile à résoudre et dont M. Baruzi lui-même n’a pas cherché à nous donner la solution, préférant, dit-il, s’en remettre « à l’édition technique de l’avenir 3 ». D’un côté, des témoignages dignes de foi, de l’autre, dans la texture même des « Romances » des défauts choquants, une vulgarité qui déconcerte. Le P. André de l’Incarnation, dont l’opinion a tant de valeur, nous dit l’impression fâcheuse que lui font ces pièces de vers. ‘Il y a une certaine dureté, une certaine dissonance dans la mesure de plusieurs vers, qui montrent clairement qu’ils ne peuvent être dans leur pureté originelle. En vérité, tant de défectuosités métriques

1 Ces détails, qui ont leur importance, nous sont fournis par M. Baruzi, qui a étudié sur place le manuscrit de Sanlúcar. Voir S. Jean de la Croix… Les Textes, p. 49-51. (2e éd.)

2 Constance de la Croix et Isabelle de Jésus. (Dép. au Procès informatif.) P. 52.

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paraissent inacceptables de la part de notre Saint, et si l’on considère les Strophes de son Cantique, celles de la Nuit obscure, de la Flamme d’amour et la poésie du Pastorcico, on est surpris de rencontrer dans ces “Romances” je ne sais quelle rusticité, je ne sais quelle bassesse, bien étrangères à une telle plume. Rien ici de son élégance ordinaire 1.’

Et cependant André de l’ Incarnation, sur la foi des témoignages précités, n’ose nier que les « Romances » soient de la composition de Jean de la Croix, il se réfugie dans la supposition que « peut-être ils ne sont pas dans leur pureté originelle ».

Le P. Joseph de Sainte-Thérèse, auteur de deux tomes de la Reforma de los Descalzos et d’une Vie de saint Jean de la Croix — il a précédé d’un siècle le P. André de l’Incarnation, — est beaucoup plus catégorique. Non seulement il doute beaucoup que les « Romances » soient de notre Saint, mais « il ne peut se persuader qu’ils le soient ». Ce que le P. Gérard qualifie de « véritable audace ».

“On est stupéfait, dit-il, qu’un historien, qui doit avoir consulté tant d’ouvrages pour composer la Vie de saint Jean de la Croix, ait pu écrire pareille chose. Sans doute il n’avait pas lu la déclaration de la mère Madeleine du Saint-Esprit, sans doute il ne connaissait pas le manuscrit de Sanlúcar de Barrameda, corrigé d’un bout à l’autre par le Saint 2 et qui contient dix « Romances » dont il est déclaré, comme d’autres poésies, qu’ils sont du même auteur que le Cantique et son commentaire. Sans doute il n’avait pas vu le manuscrit des Carmélites de Jaën, qui fait autorité en la matière, ni la première édition du Cantique parue à Bruxelles ; sans doute il ignorait l’existence de

1 Cette intéressante note du P. André de l’Incarnation est empruntée au Ms. 3180 de la Bibl. nat. de Madrid.

2 Le P. Gérard va trop loin : le manuscrit n’est pas corrigé d’un bout à l’autre par le Saint. Cependant il est vrai de dire que l’un des ‘Romances a est corrigé par lui.

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manuscrits sans nombre, quelques-uns contemporains du docteur mystique, qui donnent les « Romances » comme authentiquement de lui. Enfin, il ne savait pas que cette même authenticité est affirmée par un historien aussi consciencieux que le P. Jérôme de Saint-Joseph 1.’

À toutes les autorités alléguées par le P. Gérard nous pouvons ajouter le témoignage de Marie du Saint-Sacrement, carmélite de Caravaca, et les déclarations de Constance de la Croix et d’Isabelle de Jésus-Marie, carmélites de Tolède. Et cependant, nous ne craignons pas de dire qu’à notre avis la seule lecture des « Romances » oblige en quelque sorte à les rejeter comme indignes de notre Saint, qui, pour employer les propres paroles du P. Gérard quelques pages plus loin, « écrivait avec la plus grande élégance, surtout en vers 1 ». C’est donc sans hésitation que nous partageons « l’audace » — si audace il y a, — du P. Joseph de Sainte-Thérèse, et déclarons « ne pouvoir nous persuader » que les « Romances » en question soient de saint Jean de la Croix.

En présence de tant de « bassesse » et de « rusticité », comme parle le P. André de l’Incarnation, on se prend à imaginer que le Saint aura eu entre les mains, dans sa prison, quelque Dévotionnaire appartenant aux Pères de l’Observance et, sous prétexte de transcrire quelques-uns des « Romances » qui s’y trouvaient, il aura demandé à son complaisant geôlier du papier et de l’encre para escribir cosas de devoción, les mots sont authentiques. Ensuite il aura consciencieusement transcrit dix « Romances ». Madeleine du Saint-Esprit, qui a copié le cahier, nous énumère, on peut le croire, les pièces de vers dans l’ordre où elles s’y trouvaient, — après quoi, il aura écrit quelques-unes de ses propres compositions. Que ces « Romances »

1 Inlroducciôn â las Poesias, p. 149, note 1.

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fussent réellement de sa main dans le cahier qu’il déposa chez les Carmélites de Beas, il n’y a pas à en douter en présence d’un témoignage si digne de foi. Mais pour les croire de sa composition à lui, il faudrait des preuves entièrement irréfutables.

Nous préférons donc ne pas mêler les dix « Romances » aux poésies qui portent d’une manière indéniable le caractère de ses œuvres lyriques, laissant au temps le soin d’éclaircir davantage la question.

Par ailleurs, on est surpris de trouver parmi les poésies authentiques de saint Jean de la Croix celle qui commence par : Vivo sin vivir en mi, laquelle a toujours été attribuée à sainte Thérèse. M. Baruzi nous dit à ce sujet :

‘La poésie de sainte Thérèse Vivo sin vivir en mi a-t-elle servi de modèle à saint Jean de la Croix ? Est-ce au contraire celui-ci qui en a le premier trouvé les termes ? Il semble bien que la poésie de Thérèse soit antérieure. Quant au thème

Vivo sin vivir en mi

Que muero porque no muero,

« C’est un thème populaire. (Cf. Rodolphe Hoornaert Sainte Thérèse écrivain, 1922, p. 463.) Les difficultés relatives à la présence de Strophes identiques et dans la poésie de sainte Thérèse et dans la poésie de saint Jean de la Croix, ne sont pas insolubles. En effet, le texte de la poésie de Thérèse n’est pas établi de façon sûre. Et la mère Maria de San Alberto, carmélite Déchaussée de Valladolid, rapporte la poésie de Thérèse sans y insérer les Strophes que nous trouvons, avec des variantes, à la fois dans les éditions de sainte Thérèse et dans le manuscrit de Sanlúcar de Barrameda. »

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Et M. Baruzi conclut :

« Ces Strophes ont été introduites, par suite d’une interpolation, dans la poésie de sainte Thérèse 1. »

Une remarque encore, relativement à la poésie : Que yo sé bien la fuente. Le P. Gérard fait observer que dans cette pièce de vers il y a deux Strophes — la 3e et la 11e — qui ne se trouvaient pas dans le manuscrit du Cantique porté en Flandre par la mère Anne de Jésus et manquent également dans la borrador de Sanlúcar, comme dans le manuscrit de Jaën, et qui pourtant se rencontrent dans plusieurs autres manuscrits. Le P. Gérard en infère que ces Strophes ont été ajoutées plus tard par le saint auteur. Nous les donnons sous toute réserve.

Disons un mot maintenant de l’impression des poésies de saint Jean de la Croix.

Les Strophes de la Montée du Carmel et de la Vive Flamme d’amour virent le jour pour la première fois en Espagne, l’année 1618, dans l’Édition princeps des Œuvres du Saint. M. Baruzi nous fait remarquer que c’est à Rome que parurent pour la première fois celles du Cantique spirituel, l’édition italienne de 1627 ayant donné le texte espagnol des Strophes en même temps que le texte italien. Ceci eut lieu un peu avant que la Cantique et ses Strophes vissent le jour à Bruxelles en langue espagnole : l’approbation de l’édition italienne est du 9 décembre 1626 ; celle de l’édition de Bruxelles, du 8 février 1627.

L’Édition princeps de Bruxelles donnait, outre les Strophes du Cantique, celles de la Vive Flamme et quinze poésies détachées. C’étaient d’abord les dix « Romances », puis les cinq poésies qui se trouvent au borrador de Sanlúcar :

Entréme donde no supé,

Vivo sin vivir en mi,

1 Saint Jean de la Croix… Les Textes, p. 50, note 2. (2° éd.)

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Tras de un amoroso lance

Un pastorcico solo está penado,

Qué bien sé yo la fuente.

L’édition latine de Cologne (1639) publia plusieurs poésies ; s’il faut en croire le P. Salvador de la Croix, elles étaient en partie viciées 1. Quant au P. Jérôme de Saint-Joseph, en énumérant les écrits de notre Saint dans la grande Vie qu’il publia en 1641, il ne marqua, en fait d’ceuvres lyriques, que les trois Cantiques qui font partie de ses grands traités et les dix « Romances ».

L’édition de Séville (1703) donna les deux poésies :

Sin arrimo y con arrimo,

Por toda la hermosura,

qui se trouvaient au manuscrit de Jaën seulement et n’avaient pas encore été imprimées.

Une question se posait à nous. Quelle était la meilleure manière de traduire les poésies de saint Jean de la Croix ? Fallait-il, à l’imitation des PP. Cyprien de la Nativité et Maillard, les rendre de très loin en vers français ? Fallait-il, à l’exemple des Carmélites du troisième monastère de Paris, les transposer en prose ? Ni l’un ni l’autre de ces essais ne nous a paru satisfaisant. Pour être en état de serrer de près le texte espagnol et en même temps éviter la fadeur d’une œuvre lyrique mise en prose pure et simple, le meilleur parti nous a semblé d’adopter une traduction en prose bien rythmée, ainsi que nous l’avons fait pour le Cantique spirituel et la Vive Flamme.

On trouvera réunies ici d’abord

Les Strophes de la Montée du Carmel,

Celles du Cantique spirituel,

1 Note placée au manuscrit de Jaén, le 3 février 1670.

300

Celles de la Vive Flamme d’amour ;

puis les poésies suivantes :

1° J’aborde une sphère inconnue,

2° Je vis, mais sans vivre en moi-même,

3° Dans l’élan d’un exploit d’amour,

4° Vois ce berger seul et tout désolé,

5° Je sais une source qui jaillit et s’écoule,

6° Appuyé sans aucun appui,

7° Jamais les beautés de ce monde.

Le texte espagnol des poésies sera donné au bas des pages.

Nous avons dit plus haut que nous ne croyons pas les « Romances » de la composition de saint Jean de la Croix. Toutefois, afin de ne rien laisser à désirer à nos lecteurs, nous avons traduit le troisième, qui a sur les autres l’avantage d’être moins long. Grâce au texte espagnol, on pourra opter plus aisément soit pour l’opinion qui exclut ces compositions comme indignes de notre grand poète, soit pour la docilité qui les admet les yeux fermés, sur les témoignages que nous avons cités.

Poésies





Chant de l’âme dans la nuit obscure.



1. Au milieu d’une nuit obscure

D’angoisses d’amour enflammée,

Oh ! la bienheureuse fortune !

Je sortis sans être aperçue,

Ma demeure étant pacifiée.


2. Je gravis dans l’ombre très sûre,

Déguisée, l’échelle secrète —

Oh ! la bienheureuse fortune ! —

Dans les ténèbres, en cachette,

Ma demeure étant pacifiée.


1. En una noche oscura

Con ansias en amores inflamada,

¡ Oh dichosa ventura l

Sali sin ser notada,

Estando ya mi casa sosegada.


2. A oscuras y segura,

Por la secreta escala disfrazada,

¡ Oh dichosa ventura !

A oscuras y en celada,

Estando ya mi casa sosegada.

3. En la noche dichosa,

En secreto, que nadie me véía,

Ni yo miraba cosa,

Sin otra luz y gula,

Sino la que en el corazón ardía.


3. En cette nuit trois fois heureuse,

En mystère, n’étant point vue,

Moi, ne regardant chose aucune,

J’allais sans lumière, sans guide

Que le feu brûlant en mon cœur.

4. Aquesta me guiaba

Quien ya bien me sabía,

En parte donde nadie parecía.

Más cierto que la luz de medio dia,

A donde nie esperaba


4. Cette lumière me guidait,

Bien mieux que celle de midi,

Où m’attendait déjà Celui

Que dès longtemps je connaissais.

Nul en ce lieu ne paraissait.


5. ¡ Oh noche, que guiaste,

¡ Oh noche amable más que la alborada,

¡ Oh noche que juntaste

Amado con Amada,

Amada en el Amado transformada !



5. Oh ! nuit, qui fus ma conductrice !

Oh ! nuit, qu’à l’aube je préfère !

Oh ! nuit, qui sus si bien unir

L’Amant avec la Bien-Aimée,

L’Amante en l’Amant transformée !


6. Sur mon sein tout couvert de fleurs

Et que pour lui seul je gardais,

Mon Bien-Aimé s’est endormi.

Et moi, je le rafraîchissais,

D’un bois de cèdre l’éventais.


6. En mi pecho florido,

Que entero para él sólo se guardaba,

Allí quedó dormido,

Y yo le regalaba,

Y el ventalle de cedros aire daba.


7. Lorsque le souffle du matin

Faisait voltiger ses cheveux,

De sa main si douce il m’a prise.

Au cou je sentis la blessure :

Mes sens en furent suspendus.


7. El aire de el almena,

Cuando ya sus cabellos esparcía,

Con su mano serena

En mi cuello hería,

Y todos mis sentidos suspendía.

8. Quedéme y olvidéme,

El rostro recliné sobre el Amado.

Cesó tado, y dejéme,

Dejando mi cuidado

Entre las azucenas olvidado.

8. Je restai là, je m’oubliai,

Le visage penché sur lui.

Tout disparut, je me livrai.

J’abandonnai tous mes soucis,

Les oubliant parmi les lis.



Chant d’amour entre l’âme et son Époux.



L’ÉPOUSE.

1. Où t’es-tu caché, Bien-Aimé,

Me laissant toute gémissante ?

Comme le cerf tu t’es enfui,

M’ayant blessée. Mais à ta suite,

En criant, je sortis. Hélas ! vaine poursuite !


2. Pasteurs, vous qui vous élevez

Par les bercails vers la hauteur,

Si par bonheur vous rencontrez

Celui que je préfère à tout,

Dites-lui que je souffre et languis, que je meurs.





ESPOSA

1. A dónde te escondiste,

¿ Amado, y me dejaste con gemido ?

Como el ciervo huiste,

Habiéndome herido,

Sali tras ti clamando, y eras ido.


2. Pastores, los que fuerdes

Allá por las majadas al Otero,

Si por ventura vierdes

Aquel que yo más quiero,

Decidle que adolezco, peno y muero.



3. Cherchant sans trêve

mes amours,

J’irai par ces monts, ces rivages.

Je ne cueillerai point de fleurs,

Je verrai les bêtes sauvages

Sans peur. Je franchirai les forts et les frontières.

3. Buscando mis amores,

Iré por esos montes y riberas,

Ni cogeré las flores,

Ni temeré las fieras,

Y pasaré los fuertes y fronteras.

ELLE INTERROGE LES CRÉATURES.

4. O forêts, très épais massifs,

Plantés de la main de l’Aimé !

Prairies aux gazons verdoyants,

De belles fleurs tout émaillés !

Dites-moi, je vous prie, s’il vous a traversés.


RÉPONSE DES CRÉATURES.

5. Tout ruisselant de mille grâces,

En hâte, il traversa nos bois.

Dans sa course, il les regarda.

Sa figure qui s’y grava

Suffit à les laisser revêtus de beauté.


PREGUNTA A LAS CRIATURAS.

4. ¡ Oh, bosques y espesuras,

Plantadas por la mano del Amado !

¡ Oh, prado de verduras,

De flores esmaltado !

Decid si por vosotros ha pasado !


RESPUESTA DE LAS CRIATURAS.

5. Mil gracias derramando,

Pasó por estos sotos con presura,

Y yéndolos mirando,

Con sola su figura

Vestidos los dejó de hermosura.



L’ÉPOUSE.

6. Ah ! qui donc pourra me guérir ?

Achève enfin de te donner !

Et garde-toi de m’envoyer

Dorénavant de messagers,

Car tout ce qu’on me dit ne peut me

contenter.


ESPOSA

6. ¡ Ay I quién podrá sanarme !

Acaba de entregarte ya de vero,

No quieras enviarme

De hoy más ya mensajero,

Que no saben decirme lo que quiero.








7. Tous ces passants qu’ici l’on voit

Disent des merveilles de toi,

Mais ils ne font que me blesser.

Et ce qui me laisse mourante,

C’est un je ne sais quoi qu’ils vont balbutiant.


8. Comment peux-tu te soutenir,

O ma vie, sans vivre où tu vis ?

Elles devraient t’ôter la vie,

Les flèches qui te sont lancées,

T’apportant de l’Aimé des concepts si exquis !


7. Y todos cuantos vagan

De tí me van mil gracias refiriendo,

Y todos más me llagan.

Y déjame muriendo

Un no sé qué que quedan balbuciendo.


8. ¿ Mas como perseveras,

¡ Oh vida ! no viviendo donde vives ?

Y haciendo porque mueras,

Las flechas que recibes,

De lo que del Amado en tí concibes ?


9. Pourquoi, toi qui blessas mon cœur,

Refuses-tu de le guérir ?

Et puisque tu me l’as volé,

Pourquoi donc ainsi le laisser ?

Eh ! que n’emportes-tu le larcin dérobé ?


10. Éteins, je t’en prie, mes ennuis,

Car nul autre n’en est capable.

Et que mes yeux enfin te voient,

Toi, leur lumière véritable,

Car pour toi seulement j’en veux avoir l’usage.


11. Ah ! découvre-moi ta présence !

Que ta beauté m’ôte la vie !

Tu le sais bien, la maladie

D’amour ne peut être guérie.

Sinon par la présence et la figure aimée.


9. ¿ Porqué, pues has llagado,

Aqueste corazon, no le sanaste ?

Y pues me le has robado,

¿ Porqué así le dejaste,

Y no tomas el robo que robaste ?


10. Apaga mis enojos,

Pues que ninguno basta d deshacellos,

Y véante mis ojos,

Pues eres lumbre de ellos,

Y sólo para ti quiero tenellos.


11. Descubre tu presmeia,

Y máteme tu vista y hermosura.

Mira que la dolencia

De amor no se cura

Sino con la presencia y la figura,

12. Oh ! toi, fontaine cristalline,

Soudain, dans tes traits argentés,

Que ne fais-tu donc apparaître

Les yeux ardemment désirés,

Que je porte en mon cœur déjà tout ébauchés ?


12. ¡ Oh, cristalina fuente !

Si en esos tus semblantes plateados,

Formases de repente

Los ojos deseados,

Que tengo en mis entrañas dibujados !



13. Détourne-les, mon Bien-Aimé,

Je vole…


L’ÉPOUX.

… Reviens, colombe !

Car voici que le cerf blessé

Paraît sur le sommet boisé.

La brise de ton vol lui fait prendre le frais.



13. Apártalos, Amado,

Que voy de vuelo…


ESPOSO

...Vuélvete, paloma,

Que el ciervo vulnerado

Por el otero asoma,

Al aire de tu vuelo, y fresco toma.






L’ÉPOUSE.

14. L’Aimé, c’est pour moi les montagnes,

Les vallons boisés, solitaires,

Toutes les îles étrangères

Et les fleuves retentissants.

C’est le doux murmure des brises caressantes.

ESPOSA14. Mi Amado, las montañas,

Los vallos solitarios, nemorosos,

Las ínsulas extrañas,

Los rios sonorosos,

El silbo de los aires amorosos.














15. Il est pour moi la nuit tranquille,

Semblable au lever de l’aurore

La mélodie silencieuse

Et la solitude sonore,

Le souper qui délasse, en enflammant l’amour.


16. Donnez la chasse à ces renards,

Car voilà notre vigne en fleurs.

De nos roses, en attendant,

Faisons une pomme de pin.

Que sur la montagne, personne ne paraisse.

15. La noche sosegada

En par de los levantes del aurora,

La música callada,

La soledad sonora,

La cena que recrea y enamora.



16. Cazadnos las raposas,

Que está ya florecida nuestra viña.

En tanto que de rosas

Hacemos una piña.

Y no parezca nadie en la montinà.


17. Arrière, aquilon de mort !

Viens, autan, l’éveil des amours !

Souffle au travers de mon jardin,

Et ses parfums auront leur cours.

L’Aimé parmi les fleurs va prendre son festin..


18. O vous, les nymphes de Judée !

Quand, dans les rosiers en fleurs,

L’ambre déverse ses senteurs,

Ne dépassez pas les faubourgs.

De toucher notre seuil, n’ayez pas la pensée.


17. Detente, Cierzo muerto,

Ven, Austro, que recuerdas los amores,

Aspira por mi huerto,

Y corran sus olores,

Y pacerá el Amado entre las flores.


18. ¡ Oh, ninfas de Judea,

En tanto que en las flores y rosales

El ámbar per f umea,

Morá en los arrabáles;

Y no queráis tocar nuestros umbrales.

19. Tiens-toi bien caché, doux ami !

Présente ta face aux montagnes

Et ne dis mot, je t’en supplie.

Regarde plutôt le cortège

De celle qui voyage aux îles étrangères.


L’ÉPOUX.

20. Écoutez-moi, légers oiseaux,

Lions et cerfs, daims bondissants I

Montagnes, vallons et rivages,

Ondes, brises, feux très ardents,

Et vous, frayeurs des nuits dépourvues de sommeil !


21. Par les lyres harmonieuses

Et le chant`si doux des sirènes,

Trêve, à présent, à vos courroux !

Ne touchez pas à notre mur,

Afin que l’Épouse dorme plus sûrement.


19. Escóndete, Carillo,

Y mira con tu haz á las montañas,

Y no quieras decillo,

Más mira las compañas

De la que va por ínsulas extrañas.



ESPOSO

20. A las aves ligeras,

Leones, ciervos, gamos saltadores,

Montes, valles, riberas,

Aguas, aires, ardores,

Y miedos de las noches veladores.


21. Por las amenas liras

Y canto de serenas, os conjuro,

Que cesen vuestras iras,

Y no toquéis al muro,

Porque la Esposa duerma más seguro.







22. L’Épouse vient de pénétrer

Au beau jardin si désiré.

Et elle repose à son gré,

Le cou maintenant incliné,

Avec quelle douceur ! sur les bras de l’Aimé.

22. Entrôdose ha la Esposa

En el ameno huerto deseado,

Y á su sabor reposa,

El cuello reclinado

Sobre las dulces brazos del Amado.


23. Ce fut sous l’ombre du pommier

Que tu devins ma fiancée.

Alors je te donnai ma main,

Et tu fus ainsi réparée

Au lieu même où ta mère avait été violée.

23. Debajo del manzano,

Allí conmigo fuiste desposada;

Allí te dl la mano,

Y fuiste reparada

Donde tu madre filera violada.


L’ÉPOUSE

24. Notre lit tout fleuri s’enlace

À la caverne des lions.

11 est de pourpre tout tendu.

De paix il est édifié.

Mille boucliers d’or viennent le couronner.


ESPOSA

24. Nuestro lecho florido,

De cuevas de leones enlazado,

En púrpura tendido,

De paz edificado,

De mil escudos de oro coronado.











25. Sur tes traces les jeunes filles

Vont légères par le chemin.

Sous la touche de l’étincelle,

Le vin confit engendre en elles,

Des respirs embaumés, d’un arôme divin.

25. A zaga de tu huella

Las jóvenes discurren al camino,

Al toque de centella,

Al adobado vino,

Emisiones de bálsamo divino.


26. Dans le cellier intérieur

De mon Aimé j’ai bu. Sortie

Dans cette plaine immense,

J’étais en complète ignorance.

Je perdis le troupeau dont je suivais les pas.

26. En la interior bodega

De mi Amado bebí, y cuando salía,

Por toda aquella vega,

Ya cosa no sabía,

Y el ganado perdí que antes seguía.




27. C’est là qu’il me donna son sein,

M’enseignant savoureusement.

Moi, je me livrai sans réserve,

En donnant tout, absolument.

D’être son Épouse je lui fis le serment.


27. Allí me dió su pecho,

Allí me enseñó ciencia muy sabrosa.

Y yo le di de hecho

A mí, sin dejar cosa;

Allí le prometí de ser su esposa.

28. Mon âme s’emploie tout entière,

Avec mon fonds, à son service.

Je ne garde plus de troupeau,

Je n’ai plus aucun autre office,

Car l’amour désormais est mon seul exercice

28. Mi alma se ha empleado,

Y todo mi caudal en su servicio.

Ya no guardo ganado,

Ni ya tengo otro oficio,

Qué ya sólo en amar es mi ejercicio.

29. Si dans l’aire je ne suis vue

Dorénavant, ni rencontrée,

Dites que je me suis perdue,

Mon amour m’ayant emportée.

J’ai voulu me perdre : par là je fus gagnée.


29. Pues ya si en el ejido

De hoy más no fuera vista ni hallada,

Diréis que me he perdido,

Que andando enamorada,

Me hice perdidiza y fué ganada.

30. Avec des fleurs, des émeraudes,

Choisies aux fraîches matinées,

Nous irons faire des guirlandes,

Toutes fleuries en ton amour,

Et tenues enlacées d’un seul de mes cheveux.

30. De flores y esmeraldas

En las frescas mañanas escogidas,

Haremos las guirnaldas

En tu amor floridas,

Y en un cabello mío entretéjidas.


31. Ce cheveu tu considérais

Sur mon cou tandis qu’il volait.

Sur mon cou tu le regardas.

I1 te retint prisonnier,

Et d’un seul de mes yeux tu te sentis blessé.


31. En solo aquel cabello

Que en mi cuello volar consideraste,

Mirástele en mt cuello,

Y en el preso quedaste;

Y en uno de mis ojos te llagaste.













32. Tandis que tu me regardais,

Tes yeux gravaient en moi tes charmes ;

C’est pourquoi d’amour tu m’aimais.

Les miens ont mérité par làD’adorer ce qu’en toi, cher Amant, ils voyaient.


32. Cuando tú me mirabas,

Tu gracia en mt tus ojos imprimían,

Por eso me adarvabas,

Y en eso merecían

Los míos adorar lo que en ti vian.



33. Garde-toi de me mépriser !

Mon teint, je l’avoue, est foncé.

Tu peux pourtant me regarder,

Car déjà tu me regardas

Et mis alors en moi la grâce, la beauté.


L’ÉPOUX

34. La blanche colombe est rentrée

Dans l’Arche, portant le rameau.

Et voici que la tourterelle

A sur la verdoyante rive

Trouvé le compagnon ardemment désiré.



33. No quieras despreciarme,

Que si color moreno en mt hallaste,

Ya bien puedes mirarme,

Después que me miraste,

Que gracia y hermosura en mí dejaste.


ESPOSO

34. La blanca palomica

Al arca con el ramo se ha tornado,

Y ya la tortolica

Al socio deseado

En las riberas verdas ha hallado.

316


35. En solitude elle vivait,

En solitude elle a son nid.

En solitude aussi la guide

Seul à seul un Amant chéri,

Lui qui, très seul aussi, vivait d’amour blessé.


35. En soledad vivía,

Y en soledad ha puesto ya su nido,

Y en soledad la guía

A solas su querido,

También en soledad de amor herido.


36. Réjouissons-nous, Bien-Aimé !

Allons nous voir en ta beauté,

Sur la montagne ou son penchant,

D’où jaillit l’onde toute pure.

Dans la masse compacte enfonçons plus avant.


36. Gocémonos, Amado,

Y vámonos á ver en tu hermosura

Al monte y al collado,

Do mana el agna pura,

Entremos más adentro en la espesura.


37. Puis aux cavernes élevées

De la pierre nous monterons.

Ces cavernes sont fort cachées,

Et c’est là que nous entrerons.

Au suc des grenades, tous deux nous goûterons.


37. Y luego á las subidas

Cavernas de la piedra nos iremos,

Que están bien escondidas,

Y alli nos entraremos

Y el mosto de granadas gustaremos.













38. C’est là que tu me montrerais

Ce que mon âme avait en vue.

Sur l’heure tu me donnerais,

Là même, ô Toi qui es ma Vie,

Ce qu’en un autre jour déjà tu me donnas.


38. Allí me mostrarías

Aquello que mi alma pretendía,

Y luego me darías

Allí tú, vida mía,

Aquello que me diste el otro día.


39. Voici le souffle de la brise,

Le chant si doux de philomèle,

Le bois avec ses agréments,

Au milieu de la nuit sereine,

Quand la flamme consume et ne fait pas de peine.


39. El aspirar del aire,

El cantar de la dulce filomena,

El soto y su donaire,

En la noche serena,

Con llama que consume y no da pena.


40. Nul ici ne jetait les yeux.

Aminadab ne paraissait.

Le siège enfin avait cessé,

Et voici que les cavaliers,

Lorsqu’ils voyaient les eaux, maintenant descendaient.


40. Que nadie lo miraba;

Aminadab tampoco parecía,

Y el cerco sosegaba,

Y la caballería

A vista de las aguas descendía.


Chant de l’âme dans son intime union, avec Dieu.

1. Oh ! Flamme d’amour ! Vive Flamme

Qui me blesses si tendrement

Au plus profond centre de l’âme !

Tu n’es plus amère à présent.

Achève donc, si tu le veux.

Romps enfin le tissu de cet assaut si doux !


2. Oh ! cautère vraiment suave !

Oh ! plaie toute délicieuse !

Oh ! douce main ! touche légère !

Qui a le goût d’éternité !

Par toi toute dette est payée.

Tu me donnes la mort : en vie elle est changée.


3. Oh ! lampes de feu très ardent !

Au sein de vos vives splendeurs,

Mon sens avec ses profondeurs,

Auparavant aveugle et sombre,

En singulière excellence,

Donne à la fois chaleur, lumière au Bien-Aimé.


1. ¡ Oh llama de amor viva !

Que tiernamente hieres

De ¡ni alma en el mas profundo centro !

Pues ya no eres esquiva,

Acaba ya, si quieres

Rompe la tela de este dulce encuentro.


2. ¡ Oh cauterio suave !

¡ Oh regalada llaga !

¡ Oh mano blanda ! ¡ Oh toque delicado

Que á vida eterna sabe

Y toda deuda paga !

Matando, muerte en vida la has trocado.


3. ¡ Oh lamparas de fuego !

En cuyos resplandores

Las profundas cavernas del sentido,

Que estaba obscuro y ciego,

Con estraños primores

Calor y luz dan junto d su Querido !


4. Oh ! combien doux et combien tendre

Tu te réveilles dans mon sein,

Où seul en secret tu demeures

Par ta douce spiration,

Pleine de richesse et de gloire,

Combien suavement tu m’enivres d’amour !


4. ¡ Cuan manço y amoroso

Recuerdas en mi seno,

Donde secretamente solo moras !

Y en tu aspirar sabroso

De bien y gloria lleno

Cuán delicadamente me enamoras !



Une sublime contemplation.


J’aborde une sphère inconnue

Et j’y demeure en ignorance,

Mais surpassant toute science.



1. Où étais-je ? Je l’ignorais.

Et cependant, introduit là,

Sans savoir où je me trouvais,

Je compris de très grandes choses.

D’en parler je suis incapable,

Car je restai dans l’ignorance,

Au-dessus de toute science.




Entréme donde no supe,

Y quedéme no sabiendo,

Toda sciencia trascendiendo.



1. Yo no supe donde entraba,

Porque cuando allí me vi,

Sin saber donde me estaba,

Grandes cosas entendi.

No diré lo que sentía,

Que me quedé no sabiendo,

Toda sciencia trascendiendo.



2. De la paix et de la clémence

C’était la parfaite science,

En très profonde solitude,

En merveilleuse rectitude.

Mais c’était chose très secrète ;

Je ne pus que balbutier,

En surpassant toute science.


2. De paz y de piedad

Era la sciencia perfecta,

En profunda soledad,

Entendida via recta.

Era cosa tan secreta,

Que me quedé balbuciendo,

Toda sciencia trascendiendo.





3. J’étais là tellement ravi,

Tout absorbé, si hors de moi,

Que mes sens en sont demeurés

De tout sentiment dépouillés.

Et mon esprit, don merveilleux,

Entendait alors sans entendre,

Et surpassant toute science.



3. Estaba tan embebido,

Tan absorto y ajenado,

Que se quedó mi sentido

De todo sentir privado;

Y el espiritu dotado

De un entender no entendiendo,

Toda sciencia trascendiendo.

4. À mesure que je montais

De moins en moins je comprenais.

C’est là cette nue ténèbreuse

Qui donne lumière à la nuit.

Celui qui par elle est instruit

Reste toujours en ignorance,

Mais surpassant toute science.


4. Cuanto más alto se sube,

Tanto menos entendía,

Que es la tenebrosa nube

Que á la noche esclarecía.

Por eso quién la sabía

Queda siempre no sabiendo,

Toda sciencia trascendiendo.


5. Qui s’élève à cette hauteur

Se sent défaillir à soi-même.

Sa précédente connaissance

N’est plus que bassesse à ses yeux.

Sa science croissant toujours,

Il demeure en cette ignorance,

Qui surpasse toute science.

5. El que allí llega de vero,

De su mismo desfallesce.

Cuanto sabía primero

Mucho bajo le paresce;

Y su sciencia tanto cresce,

Que se queda no sabiendo,

Toda sciencia trascendiendo.



6. Ce haut savoir en ignorance

Est d’une si grande puissance,

Que les savants en arguant

Ne parviendront pas à le vaincre.

Non, leur savoir n’arrive pas

À connaître sans connaissance,

En surpassant toute science.


6. Este saber no sobiendo

Es de tan alto poder,

Que los sabios arguyendo

Jamás le pueden vencer;

Que no llega su saber

A no entender entendiendo,

Toda sciencia trascendiendo.




7. Elle est de si grande excellence,

Cette science en ignorance,

Qu’il n’est science ou faculté

Capable de la surmonter.

Mais si quelqu’un a su se vaincre,

Par ce savoir sans connaissance,

Toujours croîtra sa transcendance.


7. Y es de tan alta excelencia

Aqueste sumo saber,

Que no hay facultad ni sciencia

Que le puedan emprender.

Quién se supiere vencer,

Con este no saber sabiendo,

Irá siempre trascendiendo.






8. Et si tu veux enfin savoir

Quelle est au fond cette science,

C’est une haute notion

De la toute divine Essence.

D’un Dieu, c’est l’ceuvre de clémence ;

Elle tient l’âme en ignorance,

Bien au-dessus de la science.


8. Y si lo queréis oir,

Consiste esta suma sciencia

En un subido sentir

De la divina Esencia.

Es obra de su clemencia

Hacer quedar no entendiendo,

Toda sciencia trascendiendo.




Plainte de l’âme qui aspire à voir Dieu

Ces vers se trouvent au manuscrit de Sanlúcar, corrigés de la propre main de saint Jean de la Croix.


Je vis, mais sans vivre en moi-même

Et mon espérance est si haute,

Que je meurs de ne pas mourir.


1. Déjà je ne vis plus en moi,

Et sans mon Dieu je ne puis vivre.

Privé de lui, loin de moi-même,

Que pourra donc être ma vie ?

Vivo sin vivir en mi,

Y de tal manera espero,

Que muero porque no muero.


1. En mi yo no vivo ya,

Y sin Dios vivir no puedo ;

Pues sin él y sin me quedo,

¿ Este vivir, que será

À mille morts je la compare,

Car j’attends ma vie, ma vraie vie,

En mourant de ne pas mourir.

Mil muertes se me hara,

Pues mi misma vida espero,

Moriendo poque no muero.


2. Je le déclare, vivre ainsi,

En vérité, ce n’est point vivre.

Ah ! c’est rendre l’âme sans cesse

Que d’attendre ainsi ta présence.

Entends, ô mon Dieu, ma demande !

Je ne puis plus porter la vie,

Je me meurs de ne pas mourir !

2. Esta vida que yo vivo

Es privación de vivir,

Y asi, es contino morir

Hasta que viva contigo ;

Oye, mi Dios, lo que digo :

Que esta vida no la quiero,

Que muero porque no muero.





3. Toujours être éloigné de toi,

Ah ! je le demande, est-ce vivre ?

C’est plutôt endurer la mort,

La mort à nulle autre pareille.

Certes, j’ai pitié de moi-même,

Puisqu’à chaque moment, toujours

Je me meurs de ne pas mourir !


3. Estando absente de ti,

? Qué vida puedo tener,

Sino muerte padescer,

La mayor que nunca vi ?

Lástima tengo de mi,

Pues de suerte persevero,

Que muero porque no muero.




4. Le poisson qu’on tire de l’onde

Trouve, lui, son soulagement,

Car la mort lui apporte enfin

Ce qu’il désire éperduement.

Mais quelle mort peut égaler

Ce qu’est pour moi cette existence ?

Vivre encor, c’est encor mourir !


5. Je crois trouver allègement

À te voir dans ton Sacrement.

Mais ma douleur ne fait que croître,

Car de toi je ne puis jouir.

Oui, tout augmente mon tourment,

Car toujours tu restes voilé,

Et je meurs de ne pas mourir !


4. El pez que del agua sale,

Aun de alivio no carece,

Que en la muerte que padesce

Al fin la muerte le vale.

¿ Qué muerte habrá que se iguale

A mi vivir lastimero,

Pues si más vivo, más muero ?


5. Cuando me pienso aliviar

De verte en el Sacramento,

Haceme más sentimiento

El no te poder gozar.

Todo es para más penar

Por no verte como quiero,

Y muero porque no muero.

6. Si je me réjouis, Seigneur,

Dans l’espoir de te voir un jour,

La pensée que je puis te perdre,

Aussitôt double mon supplice.

Vivre dans un pareil effroi

Et me consumer de désir,

C’est mourir de ne pas mourir !




6. Y si me gozo, Señor,

Con esperanza de verte,

En ver que puedo perderte,

Se ¡ ne dobla mi dolor.

Viviendo en tanto pavor,

Y esperando como espero,

Muérome porque no muero.







7. Arrache-moi de cette mort,

O mon Dieu, donne-moi la vie !

Ne me retiens pas davantage

Sous une chaîne si pesante !

Je languis de ne pas te voir,

Et sous cette douleur amère,

Je me meurs de ne pas mourir !




7. Sácame de aquesta muerte,

Mi Dios, y dame la vida.

No me tengas impedida

En este lazo tan fuerte.

Mira que peno por verte,

Y mi mal es tan entero,

Que muero porque no muero.




L’exploit d’amour.

Dans l’élan d’un exploit d’amour,

Pourvu, bien pourvu d’espérance,

Je m’élevai si haut, si haut,

Que je pus atteindre ma proie.


1. Pour pouvoir arriver au but

Au cours de ce divin exploit,

Il me faudra voler si haut,

Qu’enfin je me perde de vue.

Et malgré tout, dans cet élan

Je sentis mon vol défaillir.

Mais l’amour me maintint si haut,

Que je pus atteindre ma proie.


2. Montant à pareille altitude,

Voici que ma vue s’obscurcit,

Et la plus superbe prouesse


Tras de un amoroso lance

Y no de esperanza falto,

Volé tan alto, tan alto,

Que le dí á la caza alcance.


1. Para que yo alcance diese

A aqueste lance divino,

Tanto volar me convino,

Que de vista me perdiese.

Y con todo en este trance

En el vuelo quedé falto ;

Mas el amor fué tan alto,

Que le dl á la caza alcance.


2. Cuando más alto subía,

Deslumbróseme la vista,

Y la mas fuerte conquista

En ténèbres s’exécuta.

Comme c’était exploit d’amour,

D’un bond aveugle et très obscur

Je m’élevai si haut, si haut,

Que je pus atteindre ma proie.


En oscuro se hacía.

Mas por ser de amor el lance,

Di un ciego y oscuro salto

Y fué tan alto, tan alto,

Que le di á la caza alcance.


3. Mais plus je m’élevais en haut,

Au cours de ce sublime exploit,

Plus je me sentais faible et las.

Je dis : Je n’y parviendrai pas !

Et descendant si bas, si bas,

Je m’élevai si haut, si haut,

Que je pus atteindre ma proie.


3. Cuanto más alto llegaba,

De este, lance tan subido,

Tanto más bajo y rendido

Y abatido me hallaba.

Dijé : No habrá quien alcance;

Y abatíme tanto, tanto,

Que fué tan alto, tan alto,

Que le di á la caza alcance.


4. Chose vraiment prodigieuse !

D’un bond, je fis mille lieues.

C’est que la céleste espérance

Obtient tout ce qu’elle espère.

J’espérai faire mon exploit

Et j’affermis ma confiance.

Je montai donc si haut, si haut,

Que je pus atteindre ma proie.


4. Por una estraña manera,

Mil vuelos pasé de un vuelo,

Porque esperanza de cielo

Tanto alcanza cuanto espera.

Esperé sólo este lance,

Y en esperar no fui falto,

Pues fui tan alto, tan alto,

Que le di á la caza alcance.








Le divin Berger.

1. Vois ce berger seul et tout désolé,

Sans nul plaisir, sans nul contentement,.

À sa bergère appartient sa pensée,

Et tout son cœur par l’amour déchiré.


2. Il pleure, non d’être blessé d’amour

Et de se voir en telle affliction.

Au cœur pourtant il a été frappé.

S’il pleure, c’est de se voir oublié.

1. Un pastorico solo está penado,

Ajeno de placer y de contento,

Y en su pastora puesto el pensamiente,

Y el pecho del amor muy lastimado.



2. No llora por haberle amor llagado,

Que no le pena verse asi afligidlo,

Aunque en el corazon está herido,

Mas llora por pensar que está olvidado.

3. À la pensée du très cruel oubli

Où le laisse sa charmante bergère,

Il s’abandonne aux coups des étrangers,

Et par l’amour son cœur est déchiré.

3. Que solo de pensar que está olvidado

De su bella pastora, con gran pena

Se deja maltratar en tierra ajena,

El pecho del amor muy lastimado.












4. Entendez-le : Malheureux que je suis 

Pour ma tendresse, elle n’a que mépris.

Voyez, voyez comment elle me fuit.

De son amour j’ai le cœur déchiré.


4. Y dice el pastorcico : ¡Ay desdiehado !

De aquel que de mi amor ha hecho ausencia

Y no quiere gozar la mi presencia !

Y el pecho por su amor muy lastimado !


5. Le temps s’écoule. Enfin il est monté

Sur un arbre. Ses bras sont grands ouverts

Voyez-le mort, il reste suspendu,

Son cœur, hélas ! d’amour est déchiré.


5. Y á cabo de un gran rato se ha encumbrada

Sobre un árbol do abrió sus brazos bellos,

Y muerto se ha quedado, asido de ellos,

El pecho del amor muy lastimado.




La Fontaine jaillissant dans la nuit ou La Divinité connue dans la foi.

Je sais une source qui jaillit et s’écoule,

Mais c’est au profond de la nuit.


1. Cette source éternelle, elle reste cachée.

Mais je n’ignore pas d’où elle prend naissance,

Et c’est au profond de la nuit.


2. En la nuit obscure qu’on appelle la vie,

Je connais par la foi sa veine fraîche et pure,

Mais c’est au profond de la nuit.


3. Je sais, à dire vrai, qu’elle est sans origine.

Tout en elle pourtant va plonger sa racine,

Mais c’est au profond de la nuit.


4. Jamais il ne sera de beauté qui l’égale.

Le ciel, l’univers vont s’y désaltérer,

Mais c’est au profond de la nuit.


Que bien sé yo la fonte que mana y corre,

Aunque es de noche !


1. Aquella eterna fonte está escondida,

Que bien sé yo do tiene su manida,

Aunque es de noche.


2. En esta noche oscura de esta vida,

Que bien sé por le la fonte frida,

Aunque es de noche.


3. Su origen no lo sé, pues no le tiene,

Mas sé que todo origen de ella viene,

Aunque es de noche.


4. Sé que no puede ser cosa tan bella,

Y que cielos y tierra beben de ella

Aunque es de noche.

5. Elle est, je le sais bien, tout à fait insondable

Et, je le sais aussi, elle n’est pas guéable,

Pas même au profond de la nuit.


5. Bien sé que suelo en ella no se halla,

Y que ninguno puede vadealla,

Aunque es de noche.


6. Jamais son bel éclat ne pourra s’obscurcir.

Toute lumière aussi d’elle seule jaillit,

Mais c’est au profond de la nuit.


6. Su claridad nunca es oscurecida,

Y sé que toda luz de ella es venida,

Aunque es de noche.



7. Je sais bien que ses flots sans cesse débordants

Arrosent l’abîme, la terre et tous les peuples,

Mais c’est au profond de la nuit.


7. Sé ser tan caudelosos sus corrientes,

Que infiernos, cielos riegan, y las gentes,

Aunque es de noche.

8. Or il est un courant qui naît de cette source,

Aussi large et puissant que la source elle-même,

Mais c’est au profond de la nuit.


8. El corriente que nace de esta fuente, B

ien sé que es tan capoz y omnipotente,

Aunque es de noche.












9. Des deux premiers courants, un troisième procède.

Il n’est pas moins ancien que ceux qui l’ont produit.

Mais c’est au profond de la nuit.


9. El corriente que de estos dos procede

Sé que ninguno de ellos le precede,

Aunque es de noche




10. Je sais que tous les trois sont une seule eau vive.

Et que l’un de l’autre vont dérivant sans cesse,

Mais c’est au profond de la nuit.


10. Bien sé que tres en sola una agua viva

Residen, y uno de otro se deriva,

Aunque es de noche.


11. Cette source éternelle est toute rassemblée

En notre Pain vivant pour nous donner la vie ;

Mais c’est au profond de la nuit.


11. Aquesta eterna fonte está escondida

En este vivo Pan por darnos vida,

Aunque es de noche.



12. Bien haut elle convie toutes les créatures,

À s’y désaltérer en profondes ténèbres,

Car il fait sombre, c’est la nuit.


12. Aqui se está Llamando á las criaturas,

Y de esta agua se hartan, aunque á oscuras,

Porque es de noche.









13. Cette source d’eau vive, objet de mes désirs,

En ce vrai Pain de vie je la vois, la contemple,

Mais c’est au profond de la nuit.


13. Aquesta viva fuente que deseo,

En este Pan de vida yo la veo,

Aunque es de noche.



Dieu seul pour appui.

Appuyé sans aucun appui,

Sans lumière, en profonde nuit,

Je vais me consumant sans cesse.

Sin arrimo y con arrimo,

Sin luz y d oscuras viviendo,

Todo me voy consumiendo.

1. Je sens mon âme dégagée

De toutes les choses créées,

Plus haut qu’elle-même élevée,

Menant la vie la plus heureuse,

Sur Dieu seulement appuyée.

Voyez par là, comprenez bien

Ce que j’estime un don sans prix :

Mon âme se trouve, ô merveille !

Appuyée sans aucun appui.


1. Mi alma está desasida

De toda cosa criada,

Y sobre si levantada,

Y en una sabrosa vida,

Solo en su Dios arrimada.

Por eso ya se dirá

La cosa que más estimo,

Que mi alma se ve ya

Sin arrimo y con arrimo.



2. J’endure, il est vrai, les ténèbres,

Durant ma mortelle existence.

Mais, privé que je suis de lumière,

Je mène une céleste vie,

Car l’amour qui régit ma voie,

En m’aveuglant de plus en plus,

Maintient mon âme très soumise

À vivre en si profonde nuit.



2. Y aunque tinieblas padezco

En esta vida mortal,

No es tan crecido mi mal ;

Porque, si de luz carezco,

Tengo vida celestial;

Porque el amor de tal vida,

Cuando más ciego va siendo,

Que tiene el alma rendida,

Sin luz y á oscuras viviendo.




3. Depuis que je connais l’amour,

Depuis que je vis sous sa loi,

Le bien, le mal, quoi que ce soit,

Me procure même plaisir.

Il transforme mon âme en soi.

Dans la délicieuse flamme

Que je sens au dedans de moi,

En hâte et sans nulle réserve

Je vais me consumant sans cesse.




3. Hace tal obra el amor

Despues que le conocí,

Que, si hay. bien 6 mal en mí,

Todo lo hace de un sabor,

Y mi alma transforma en sí.

Y así, en su llama sabrosa,

La cual en mi estoy sintiendo,

Apriesa, sin quedar cosa,

Todo me voy consumiendo.



Le « Je ne sais quoi ».

Jamais les beautés de ce monde

Ne me rendront épris d’amour.

Mais il est un je ne sais quoi

Que mon cœur brûle d’obtenir.


Por toda la hermosura

Nunca yo me perderé,

Sino por un no sé qué,

Que se alcanza por ventura.


1. La saveur de tout bien fini,

Après tout, n’a point d’autre effet

Que de fatiguer l’appétit,

De blesser le palais de l’âme.

Jamais les douceurs de ce monde

Ne me rendront épris d’amour.

Mais il est un je ne sais quoi

Que mon cœur brûle d’obtenir.


1. Sabor de bien que es finito

Lo más que puede llegar,

Es cansar el apetito

Y estragar el paladar;

Y así, por toda dulzura

Nunca yo me perderé,

Sino por un no sé qué,

Que se halla por ventúra.


2. Un cœur vraiment grand, généreux,

Ne se laisse point arrêter,

S’il peut passer, quoi qu’il en coûte,

Si malaisée que soit la route.

Jamais il ne dit : C’en est trop.

Sa foi monte, monte toujours.

C’est qu’il est un je ne sais quoi,

Que son cœur brûle d’obtenir.


2. El corazón generoso

Nunca cura de parar

Donde se puede pasar,

Sino en más dificultoso.

Nada le causa hartura,

Y sube tanto su fe,

Que gusta de un no se qué,

Que se halla por ventura.



3. Celui que l’amour a blessé,

Qu’a touché la divine Essence,

À vu son goût se transformer

Et rien ne le peut satisfaire.

Tel un malade en fièvre ardente

Repousse l’aliment offert.

Il réclame un je ne sais quoi,

Que son cœur brûle d’obtenir.


3. El que de amor adolesce,

Del divino Ser tocado,

Tiene el gusto tan trocado,

Que á los gustos des f allesce ;

Como él que con calentura

Fastidia el man jar que ve,

Y apetece un no sé qué,

Que se halla por ventura.



4. Et pourquoi vous émerveiller

Qu’il ne puisse plus rien goûter ?

D’un tel mal je dirai la cause,

Bien autre qu’on puisse penser.

Ah ! c’est que toute créature

Ne lui est plus qu’une étrangère.

Il réclame un je ne sais quoi, Que son cœur brûle d’obtenir.


4. No os maravilléis de aquesto,Que el gusto se quede tal,

Porque es la causa del mal

Ajena de todo el resto;

Y asi, de toda criatura

Enajenada se ve,

Y gusta de un no sé qué,

Que se halla por ventura.

















5. Lorsque l’humaine volonté

S’est vu toucher de Dieu lui-même,

Rien ne peut plus la contenter,



Qui soit moins que le Dieu qu’elle aime.

Mais cette beauté ravissante

Ne se perçoit que par la foi.

On la goûte en je ne sais quoi,








6. Ah ! dites-moi, d’un tel amant

N’aurez-vous point pitié profonde ?

Car rien pour lui n’a de saveur

En tout ce qu’on voit de créé.

Seul, dépouillé de toute image,

Sans nul appui, sans prendre pied,








Il goûte alors je ne sais quoi

Que le cœur brûle d’obtenir.


6. Pues de tal enamorado,

Decidme si habréis dolor,

Pues que no tiene sabor

Entre todo lo criado;

Solo, sin forma y figura,

Sin hallar arrimo y pie,

Gustando allá un no sé qué,

Que se halla por ventura.


7. Parmi les biens plus intérieurs,

Qui possèdent plus de valeur,

Ce qui sur terre rend heureux

Lui donne-t-il joie et bonheur ?

Non, par-dessus toute beauté,

Tout ce qui fut, est ou sera,

Il savoure un je ne sais quoi,

Que son cœur brûle d’obtenir.


7. No penséis que el interior

Que es de mucha más valía,

Halla gozo y alegría

En lo que acá da sabor ;

Mas sobre toda hermosura,

Y lo que es, y será y fué,

Gusta de allá un no sé qué,

Que se halla por ventura.

8. Si quelqu’un prétend acquérir

Ce qui fait l’objet de ses vœux,

Qu’il suive ce qu’il veut gagner,

Que son cœur brûle d’obtenir.

8. Más emplea su cuidado

Quién se quiere aventajar

En lo que está por ganar

Perdant de vue ce qu’il possède.

Ainsi, pour tout dire en un mot,

Sans cesse je m’appliquerai

À gagner ce je ne sais quoi,

Que mon cœur brûle d’obtenir.









Y así, para más altura

Yo siempre me inclinaré

Sobre todo á un no sé qué,

Que se halla por ventura.

Que en lo que tiene ganado ;












9. Tout ce que l’on peut percevoir

Ici-bas au moyen des sens,

Et tout ce que l’on peut comprendre

De plus sublime et de plus haut,

Ce qui est gracieux et beau,

Ne peut me rendre épris d’amour.

Mais il est un je ne sais quoi,

Que mon cœur brûle d’obtenir.




9. Por lo que por el sentido

Puede acá comprehenderse,

Y todo lo que entenderse,

Aunque sea muy subido,

Ni por gracia y hermosura

Yo nunca me perderé,

Sino por un no sé qué,

Que se halla por ventura.






ROMANCE III

De la création.

1. Je veux te donner, ô mon Fils,

Une Épouse qui te chérisse,

Je veux par toi qu’elle mérite

De vivre en notre compagnie.


1. Una esposa que te ame,

Mi Hijo, darte quería,

Que por tu valor merezea

Tener nuestra compañia.

2. Je veux qu’elle mange à ma table

Le même pain qui me nourrit,

Qu’elle connaisse les grands biens

Que je possède dans mon Fils,

Et se congratule avec moi

De tes charmes, de ma vigueur.


3. Je te rend grâces ; ô mon Père,

A répondu le divin Fils.

À l’Épouse que tu me donnes

Je ferai part de ma clarté.


2. Y comer pan á una mesa

Del mismo que yo comía,

Porque conozca los bienes

Que en tal Hijo yo tenía,

Y se congracie conmigo

De tu gracia y lozanía.


3. Mucho te agradesco, Padre,

El Hijo le respondía;

À la Esposa que me dieres

Yo mi claridad daría.


4. Je veux par là qu’elle connaisse

Les perfections de mon Père,

Comment l’Être que je possède

De son Être je le reçois.

5. Sur mon bras reposant sa tête

Et s’embrasant de ton amour,

Au sein d’éternelles délices,

Elle chantera ta bonté.

4. Para que por ella vea

Cuanto mi Padre valía

Y como el ser que posseo

De su ser le recibía.

5. Reclinarla he yo en mi brazo

Y en tu amor se abrasarla,

Y con eterno deleite

Tu bondad sublimarla.



Lettres et Censure

Introduction aux Lettres de saint Jean de la Croix

Autant saint Jean de la Croix est impersonnel dans ses ouvrages, autant il se peint lui-même au naturel dans sa correspondance Ses qualités de cœur, son aptitude aux affaires, ne s’y révèlent pas moins que la sublimité de perfection qu’il avait atteinte et vers laquelle il poussait les âmes. On ne connaîtrait pas notre grand Saint, si l’on n’envisageait que la sévérité de ses principes de spiritualité. Ses lettres nous le montrent plein de douceur, d’affabilité. Comment ne pas se sentir ému en voyant un homme si épris d’absolu renoncement, sans pitié pour lui-même, témoigner à ses enfants spirituels tant d’intérêt, de sollicitude, et pour tout dire, tant de surnaturelle tendresse ? Aussi la confiance qu’il inspirait aux âmes était-elle sans bornes, et le Seigneur parfois se plaisait à l’accroître en apposant à des relations si saintes le sceau du surnaturel. L’une de ses filles spirituelles du monde, Jeanne de Pedraza, a déposé au Procès apostolique 1 qu’il lui arriva, lors des absences de son directeur, de lui soumettre par lettre ses perplexités ; avant même qu’il eût reçu la missive, la réponse arrivait avec les directions appropriées.

Évidemment il a dû se perdre la presque totalité des lettres de saint Jean de la Croix. C’est la conviction à laquelle on arrive lorsqu’on songe aux nombreuses occasions d’écrire que lui fournissaient ses supériorités au Calvaire, à Baëza, à Grenade, ses fonctions de Provincial d’Andalousie, de membre de la Consulte, la fondation de tant

1 Grenade, 22 septembre 1627.

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de monastères, soit de Carmes, soit de Carmélites, la direction d’un si grand nombre de religieux et de religieuses, qui recouraient à lui tant pour les affaires de leurs communautés que pour la conduite de leurs âmes ; à quoi il faut ajouter la direction de beaucoup de personnes séculières qui lui confiaient leurs intérêts spirituels ; si l’on tient compte enfin des encouragements, des instances à écrire fréquemment qu’il adressait à ses correspondants.

Or, nous nous trouvons en présence d’une Collection de vingt-six lettres seulement, dont huit ne sont que de courts fragments. D’où vient pareille pénurie, alors que la collection des lettres de la sainte Réformatrice du Carmel, malgré des pertes nombreuses, monte à trois-cent-quarante trois ?

On a, non sans raison, attribué une réduction si lamentable des lettres de notre Saint à la persécution que lui suscita, la dernière année de sa vie, le Visiteur général Diego l’Évangéliste. Les informations infâmantes que ce jeune Visiteur eut la hardiesse de faire dans les monastères contre le Père de la Réforme, jeta une terreur si vive parmi ses enfants spirituels, que presque tous ceux qui avaient des lettres de lui les livrèrent aux flammes ; ils firent de même pour les reproductions du portrait qu’on avait réussi à prendre de leur père, à Grenade, pendant une de ses extases. Les Carmélites de cette ville brûlèrent, dit-on, une sacoche entière, remplie de lettres et d’écrits spirituels émanant de lui.

D’autres lettres, qui existaient encore lors des Informations en vue de la Béatification, disparurent on ne sait dans quelles circonstances.

Tout d’abord on serait tenté de faire remonter à ce dernier désastre l’absence de toute lettre de saint Jean de la Croix à la mère Anne de Jésus. Étant donné l’intimité spirituelle qui les unissait, et d’autre part les affaires qu’ils eurent à traiter ensemble relativement aux intérêts des monastères de Grenade et de Madrid fondés par eux, il est impossible que la vénérable Mère n’ait reçu nombre de lettres de son père spirituel, impossible aussi qu’elle ne les ait conservées avec le plus grand soin. Par ailleurs, elle n’était pas d’un caractère à se laisser terroriser par la persécution déchaînée contre lui et à détruire pour ce fait un si précieux dépôt. Dès lors il est permis d’affirmer que de ce côté toute une riche collection a péri.

Toutefois, lorsqu’on réfléchit à l’étrange abstention d’Anne de Jésus au Procès de Béatification de saint Jean de la Croix — abstention volontaire et parfaitement réfléchie, puisque la servante de Dieu refusa positivement de rien découvrir de la sainteté et des dons surnaturels de son Père, parce que, disait-elle, c’eût été révéler sa propre âme 1, — on se prend à penser que c’est Anne de Jésus elle-même qui détruisit les lettres reçues de saint Jean de la Croix, et cela vraisemblablement à l’époque même où s’instruisait le Procès et où les Œuvres du Saint commençant à se publier en Espagne, elle pouvait prévoir qu’on réclamerait, pour les mettre au jour, les lettres qui restaient de lui. Certes, nous respectons l’humilité de la vénérable Mère, mais comment ne pas déplorer et son silence au Procès informatif et la destruction probable d’une correspondance précieuse, qui nous ont ravi d’inappréciables trésors ?

Là, malheureusement, ne se borne pas ce qu’il y aurait à dire de la perte des admirables lettres du docteur mystique.

Le P. Gérard nous signale un acte de pieux vandalisme qu’on voudrait pouvoir passer sous silence. Il s’agit d’une lettre adressée à Éléonore de Saint-Gabriel en 1589 ou

Déposition du P. Hilaire de Saint-Augustin, confesseur de la mère Anne, à Bruxelles, du 10 juillet 1636, et lettre de Béatrix de la Conception, çompagne inséparable de la servante de Dieu, du 8 février 1623.

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1590, et dont l’autographe était en la possession des Carmélites de Sanlùcar-la-Mayor. En vue de l’ajuster à un petit reliquaire de forme ovale, ces religieuses, après l’avoir plié plusieurs fois, en coupèrent les quatre angles ; de plus, elles enlevèrent la partie qui portait la signature, sans doute pour l’offrir à quelque bienfaiteur. En conséquence, le précieux autographe n’est plus qu’un fragment informe et en grande partie illisible 1. Il est telle lettre originale de sainte Thérèse qui a subi de la part de ses dévots un traitement non moins barbare.

Pour atténuer, autant que faire se peut, tant de disparitions, nous avons intercalé en leur lieu chronologique les résumés de bon nombre de lettres perdues, soit que le P. Alphonse de la Mère de Dieu (Vida, virtudes y milagros del S. P. Juan de la Cruz) nous en donne connaissance, soit qu’ils nous arrivent par des dépositions insérées au Procès de Béatification. Dans le premier cas, nous aurons recours au relevé que nous a donné le P. Gérard, en son Édition critique, T. III, p. 76-77 ; dans le second, nous nous référerons aux dépositions citées par le P. Louis de la Trinité dans son article intitulé : « Le Procès de Béatification de saint Jean de la Croix et le Cantique spirituel », ainsi que dans celui qu’on trouve dans la « Vie spirituelle », au numéro de mai 1927, sous le titre de : Le directeur d’âmes.

Y a-t-il quelque espoir de retrouver des lettres de saint Jean de la Croix ? L’apparition en 1927 d’une lettre autographe inédite montre que toute espérance sur ce point ne nous est pas interdite. Le P. Gérard, qui n’a pas eu la joie de jouir de cette découverte, avait quelque espoir

1 Le P. Gérard, qui a constaté avec douleur l’état de cet autographe, nous dit : a Je me suis efforcé de remplir les vides en suppléant par conjectures les mots que j’ai placés entre parenthèses ou que j’ai soulignés. Je me suis servi pour mes conjectures d’une copie qui se conserve dans le couvent et qui remonte à la moitié du xviiisiècle. Il peut se faire que la copiste n’ait pas toujours rencontré juste.

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relativement à trois lettres perdues, qu’il nous signale. Voici comment il détaille ces lettres :

1° Une lettre à une carmélite, dans laquelle le Saint lui rendait compte de deux décrets portés par le Définitoire. La lettre débutait ainsi : En la Junta se determinó.

2° Une lettre à une de ses filles spirituelles, à laquelle il enseigne la nudité de l’esprit.

3° Une lettre à Doña Anne de Peñalosa, différente de celle du 21 septembre 1591, puisqu’il lui annonce son arrivée à la Peñuela ; il y donne des louanges à la solitude et lui enseigne à chercher le repos intérieur, sujets qui ne sont point traités dans la lettre du 21 septembre, venue jusqu’à nous.

La première de ces lettres pourrait avoir été écrite après l’Assemblée des Définiteurs à laquelle le Saint prit part à Valladolid, le 7 mars 1587. Assigner une date, même approximative, à la seconde est hors de question. Quant à la troisième, elle fut évidemment écrite l’un des premiers jours d’août 1591. La seconde et la troisième, note le P. Gérard, étaient manuscrites à la fin d’un exemplaire des Œuvres du Saint, autrefois conservé aux Archives des Carmes Déchaussés de Madrid.

Sur les vingt-six lettres échappées à la destruction ou à l’oubli — plusieurs, nous l’avons dit, ne sont que des fragments, — quatorze sont adressées à des Carmélites, dont deux sont des lettres collectives aux religieuses de Beas — les plus belles peut-être de la collection, — trois à des Carmes Déchaussées et six à des personnes séculières.

La première de toutes — du 6 septembre 1581 — a une importance chronologique. Saint Jean de la Croix, s’adressant à une carmélite de Valladolid, lui dit que depuis l’épreuve de sa captivité, il n’a pas mérité de revoir « la Mère Thérèse et les saints de là-bas ». Rien de plus formel. Cependant il se trouve que les dépositions de deux Sœurs

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converses de Medina del Campo données au Procès informatif, c’est-à-dire entre 1614 et 1618, parlent d’une venue de Jean de la Croix en leur monastère au commencement d’octobre 1578, alors, dit l’une d’elles, que sainte Thérèse s’y trouvait. De là on a cru pouvoir construire, en y ajoutant des détails plus que fantaisistes, une soi-disant entrevue de la sainte Mère avec Jean de la Croix, récemment évadé de sa prison de Tolède, et Germain de Saint-Mathias, depuis longtemps sorti de la sienne 1.

Marie-Évangéliste, la converse sur laquelle on se base principalement, fit profession à Medina le 22 janvier 1581. Était-elle déjà au monastère lors de la prétendue venue de notre Saint en octobre 1578 ? C’est assez douteux, sans être impossible. Sinon, elle ne parlerait que par ouï-dire. Les données qu’elle fournit sont passablement incohérentes et plus qu’improbables. Jean de la Croix, reçu en grand secret dans l’hôpital de Tolède où résidait son bienfaiteur Don Pedro de Mendoza, alors qu’il était réduit à la plus grande faiblesse, presque mourant par suite des mauvais traitements qu’il avait subis, serait sorti de sa retraite, mais pour y rentrer bientôt, puisqu’on nous dit que Pedro de Mendoza le conduisit dans son carrosse à Almódovar del Campo. Il serait monté jusqu’à Medina, en société de son ancien compagnon, Germain de Saint-Mathias, retrouvé on ne sait comment. Ils allaient, dit la Sœur, à la recherche du Provincial. Quel Provincial ? Était-ce le P. Antoine de Jésus ? Était-ce le P. Gratien ? On ne sait trop, tant à ce moment la situation des Supérieurs des Déchaussés était peu claire. Les deux religieux, dit-elle, se tinrent cachés chez les Carmélites ; le Provincial y était caché lui-même. Sainte Thérèse était là également.

Or, la vérité est que le P. Antoine faisait la visite en

1 Cf. R. P. BRUNO : Saint Jean de la Croix, p. 294.

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Andalousie, que le P. Gratien se cachait à Madrid, dans une maison séculière, et que sainte Thérèse ne bougea pas de Saint-Joseph d’Avila de toute l’année 1578. Ce ne fut que I'année suivante qu’elle reprit ses voyages. Le 25 juin et le 30 juillet 1579, ainsi que le mois d’août 1580, la revirent à Medina.

N’oublions pas que les témoins oculaires interrogés soit au Procès informatif de 1614 à 1618, soit au Procès apostolique de 1623 à 1628, sont tous d’un âge avancé ; près d’un demi-siècle, quelquefois davantage, s’est écoulé depuis les événements qu’ils mentionnent. Rien d’étonnant si leurs réminiscences offrent quelques oscillations, si leurs récits manquent de netteté ; si les dates se confondent parfois dans leur mémoire, s’ils appliquent à une situation ce qui se rapporte à une autre. Assurément les dépositions des témoins aux Procès de Béatification et de Canonisation sont de grande valeur relativement aux vertus qu’ils ont vu pratiquer, et c’est principalement sur ce point que portent les interrogations. Mais pour ce qui est des détails corrélatifs, purement extérieurs, qu’ils mentionnent en passant, les historiens auraient tort d’y chercher des données absolument fermes. Si les détails fournis se trouvent confirmés par ailleurs, évidemment nous pouvons et nous devons les recevoir, et il est des cas où ils jetteront une vive lumière sur des points discutés. D’autres fois, nous ferons bien de suspendre notre adhésion formelle. Viennent-ils à contredire des documents incontestables, une lettre authentique du personnage principal par exemple, il est clair qu’ils doivent être mis de côté.

Ici la déposition de Marie-Évangéliste et celle de Françoise de Jésus sont en contradiction formelle avec les paroles de saint Jean de la Croix dans la lettre du 6 septembre 1581 « Depuis que cette baleine m’a avalé, puis vomi en ce port étranger, y lisons-nous, je n’ai plus jamais mérité de la voir

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(la Mère Thérèse) non plus que les saints de là-bas 1. » Il est évident que par « les saints de là-bas » Jean de la Croix n’entend pas ses frères les Déchaussés, puisqu’il les avait tous revus à la fâcheuse assemblée tenue à Almódovar del Campo le 9 octobre 1578, et à laquelle il est avéré qu’il assista. On peut supposer avec toute sorte de probabilité que par « les saints de là-bas » il entend d’abord Catherine de Tolosa, la sainte amie de Thérèse et la mère de la religieuse à laquelle il écrit, puis ses anciennes connaissances à lui : Don Alvaro de Mendoza, alors évêque de Palencia et d’abord évêque d’Avila, François de Salcedo, Gaspard Daza, Julien d’Avila. Quant à sainte Thérèse, rien de plus clair et de plus formel : « Nunca más merecí verla. Je n’ai plus jamais mérité de la voir. »

Sans aucun doute c’est aux paroles de Jean de la Croix que nous devons nous en tenir.

La troisième lettre de la collection, adressée à la mère Anne de Saint-Albert, présente un intérêt spécial. Elle jette une vive lumière sur l’authenticité de la seconde rédaction du Cantique spirituel. Nous avons traité cette question en détail dans notre Introduction au Cantique. Par ailleurs, elle contient un paragraphe assez dur, concernant un litige survenu entre les Jésuites de Caravaca et les Carmélites de la même ville. Le P. Gérard, dans son Édition critique, avait cru devoir le supprimer, faisant remarquer en note que, pour des motifs de charité, il n’avait jamais été publié ; à quoi il ajoutait que l’authenticité du passage était incontestable et pouvait être établie par des documents sans réplique. Le P. Silverio, dans son Tome IV, réintègre le paragraphe dans le corps de la lettre et donne à ce sujet quelques éclaircissements (Appendice I), que nous résumerons avec toute la brièveté possible.

1 Despues que me tragó aquella ballena y vomitó en este estrao puerto, nunca más merecí verla ni á los santas de por allá.

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Don Francisco de la Flor, habitant de Caravaca, avait laissé à sa nièce Doña Florencia Vasquez de la Flor certains bâtiments et jardins qu’il possédait dans la ville. Celle-ci, mariée à D. Alonso de Roblès, les laissa à sa fille, Marie de Saint-Paul 1, professe au monastère des Carmélites, fondé par sainte Thérèse en 1576. Les Jésuites avaient établi un collège à Caravaca en 1570, lequel n’était séparé des Carmélites que par une ruelle. Les bâtiments et jardins laissés par Florencia de la Flor à sa fille carmélite touchaient la ruelle susdite. Les Jésuites, qui avaient besoin de s’agrandir, mirent la main sur ce terrain, alléguant sans doute quelque droit. De là, la faculté donnée par saint Jean de la Croix aux Carmélites, dans sa lettre de juin 1586, d’intenter procès aux Pères Jésuites. On voit par la teneur de cette lettre qu’il avait été question d’un arrangement, mais que notre Saint se fiait peu à la parole donnée. En conséquence il suggérait aux Carmélites d’acheter un autre bâtiment, tout proche de celui dont avait hérité Isabelle (sic) de Saint-Paul, ce qui, ce semble, devait rendre inutile aux Jésuites la possession de celui-ci, parce que cet autre bâtiment se trouvait entre leur collège et les jardins et maisons provenant de Florencia de la Flor. Les contestations et les litiges duraient encore en 1595. Enfin, le 8 mars de cette année, un accord fut signé entre les deux parties, lequel termina cet incident, qui d’ailleurs n’avait pas rompu les relations de bon voisinage entre les deux communautés.

La onzième lettre — dont le texte est autographe — n’est connue que depuis l’année 1927. Elle surgit alors des archives des Carmélites de Bruxelles et fut publiée

1 Le P. Silverio donne à la fille de Florencia de la Flor et d’Alonso de Roblès le nom d’Isabelle de Saint-Paul. Son nom véritable est Marie de Saint-Paul, ainsi qu’on peut le voir par la signature qu’elle apposa le 28 juin 1581 à un Acte d’Élection que saint Jean de la Croix présida au monastère de Caravaca.

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par « Le Carmel » dans son numéro du 15 août. Elle ne porte pas de suscription, mais ce que dit le Saint des places vacantes dans la communauté pourrait donner à penser qu’elle s’adresse à la Prieure de Grenade, qui était alors la mère Béatrix de Saint-Michel 1. Ce monastère, en effet, avait donné en 1585 des fondatrices pour Malaga, en 1586 des fondatrices encore pour Madrid. Le P. Silverio a fait ici une légère méprise. Il intitule rondement la lettre : A la Mère Marie de Jésus, prieure de Cordoue, sans d’ailleurs motiver en aucune façon la destination qu’il admet. Mais il ne remarque pas que cette lettre est du 7 juin 1589 et que la fondation de Cordoue ne se réalisa que le 18 du même mois. Lui-même nous dit, page 274, note 1, que la prise de possession eut lieu à cette date. Or, le contenu de la lettre montre que des questions concernant l’observance avaient été posées au Saint par un monastère déjà établi et fonctionnant régulièrement. Le champ s’ouvre donc très large aux suppositions, mais bien évidemment notre Saint ne s’adressait point à Marie de Jésus, prieure de Cordone.

Au moment où saint Jean de la Croix écrivait cette lettre, il résidait à Ségovie, comme l’un des membres de la Consulte, tribunal nouvellement organisé par le P. Doria pour le gouvernement de la Réforme. C’était lui qui, en qualité de premier Consulteur, présidait cette Consulte pendant les absences du Vicaire Général. Depuis l’établissement de cette forme de gouvernement, ce n’étaient plus les Provinciaux, mais les membres de la Consulte qui s’occupaient des affaires des religieuses. De là vient que le Saint renouvelle à la Prieure les permissions régulières, parce que, dit-il, « ces licences prennent fin quand finit

1 Béatrix de Saint-Michel était une religieuse d’une éminente sainteté. Sa biographie se trouve aux “Figures choisies de Carmélites”, au monastère de Tolède.

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la charge du Supérieur ». Il répond à plusieurs questions touchant la régularité, qui lui avaient été adressées, et lorsqu’il dit les avoir préalablement étudiées avec ces Pères, il parle de ses cinq collègues de la Consulte.

La vingt — cinquième lettre, qu’on ne peut lire sans émotion parce que c’est la dernière, venue tout entière jusqu’à nous, que notre Saint ait tracée de sa propre main, et qu’on le sent déjà sous l’étreinte du mal qui va le terrasser, est datée du 21 septembre 1591. Elle s’adresse à Doña Anne de Peñalosa, cette sainte dame pour laquelle il avait écrit la Vive Flamme d’amour.

Une recommandation à laquelle il répond au début de la lettre : « Vous me dites de bien me garder de me rendre auprès du P. Antoine », a donné lieu à des suppositions peu flatteuses pour le P. Antoine de Jésus. Selon nous, il est invraisemblable et peu digne à la fois de notre Saint et de sa fille spirituelle, que des insinuations irrespectueuses pour un Supérieur aient trouvé place dans leur correspondance. Nous préférons dire : Anne de Peñalosa espérait encore le rétablissement de saint Jean de la Croix dans la charge de Prieur au couvent de Ségovie et elle redoutait, s’il entrait en relation avec le Père Antoine, que celui-ci ne le plaçât ailleurs. Cette interprétation concorde tout à fait avec le contexte : « Soyez sûre, poursuit le Saint, que j’éviterai de tout mon pouvoir le fardeau dont vous parlez et tout autre. » I1 n’en est pas de même des interprétations fâcheuses auxquels on s’est plus d’une fois livré relativement à ce passage.

Cependant le mal dont notre Saint faisait part à Anne de Peñalosa pour la préparer doucement à la séparation suprême, s’aggrava rapidement. Il lui fallut sans plus de délai se mettre en route pour Úbeda.

Parti de la Peñuela le 22 septembre au matin, monté sur un petit mulet que lui a fourni un ami, suivi d’un

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Frère donné et d’un mozo qui prend soin de la monture, le saint malade, après une journée douloureuse à l’excès — car sa jambe enflammée le fait souffrir au point qu’il lui semble qu’on la lui coupe, — arrive à la fin du jour à Úbeda, où une très pauvre et très incommode cellule lui a été préparée. Il est obligé de s’y mettre immédiatement au lit. Quelques jours après, ce semble, il est transporté à l’infirmerie, car un traitement des plus douloureux, avec interventions chirurgicales réitérées, s’impose 1.

D’Úbeda et du mois de novembre nous avons deux fragments de lettres : l’une à la Mère Anne de Saint-Albert, l’autre au P. Jean de Sainte-Anne. Ce qui nous permet de leur attribuer cette date sans hésitation aucune, c’est que les deux fragments se réfèrent, à n’en pouvoir douter, à la dernière tribulation dont Dieu se servit pour le suprême purification de son serviteur : l’information infâmante intentée contre lui par le visiteur Diego l’Évangéliste. Dans sa déposition juridique au Procès apostolique, le P. Alphonse de la Mère de Dieu dit très nettement : « Cette épreuve dura pour le saint Père Jean un mois et demi avant sa mort, car elle commença le Jour des Morts (dia de las ánimas) et le saint mourut le 16 décembre 1591 2. »

Si aveugle et si acharnée était la passion qui animait le persécuteur du doux et humble Jean de la Croix, que la mort du serviteur de Dieu ne la fera point désarmer. Quand la nouvelle en viendra jusqu’à lui, Diego l’Évangéliste s’oubliera jusqu’à dire : « S’il n’était pas mort, on lui ôterait l’habit et on le chasserait de l’Ordre. » Et d’Italie où il s’était rendu, il se livrera, deux ans encore après la mort du Saint, à de nouvelles enquêtes contre lui 3.

1 Cf. P. BRUNO DE JÉSUS-MARIE : Saint Jean de la Croix, ch. xx.

2 Déclaration donnée à Ségovie le 22 décembre 1627.

3 Cf. la même Déposition.

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Cependant Jean de la Croix, cloué sur son lit de souffrances, se servait de l’intermédiaire d’un de ses frères pour communiquer avec quelques-uns de ses correspondants, et c’était pour leur faire savoir que la calice des douleurs était toujours suave à ses lèvres. À Doña Anne de Peñalosa par exemple, « il confiait », au rapport d’un témoin — sans doute le secrétaire lui-même — « la grande joie qu’il éprouvait à souffrir pour Notre-Seigneur 1 ».

C’est malheureusement tout ce que nous savons des lettres dictées par notre Saint pendant les dernières semaines de son existence.

Contrairement à l’opinion du P. Silverio, nous ne mettons point au nombre des lettres de saint Jean de la Croix l’épître, selon nous forgée, à laquelle on a donné la date du 14 avril 1589. Nous en avons parlé avec détail dans notre Introduction à la Montée du Carmel et à la Nuit obscure. Un préambule et une terminaison, avons-nous dit, lui ont été attribués, mais quand l’on y prête attention, on reconnaît aisément que l’un et l’autre sont inventés, tant ils diffèrent de tous ceux que l’on trouve en tête et à la fin des vraies lettres de notre Saint. Voici le préambule.

« La paix de Jésus-Christ soit, mon fils, toujours en votre âme. J’ai reçu la lettre de Votre Révérence, où vous me dites les grands désirs que Notre-Seigneur vous donne de n’occuper votre volonté que de lui, en l’aimant par-dessus toutes choses. Vous me demandez de vous aider à en venir là, en vous donnant quelques avis. Je me réjouis que Dieu vous inspire de si saints désirs, et je me réjouirai bien davantage si vous les mettez à exécution. Dans ce but il est important de vous avertir que tous les goûts, etc. »

Suit le texte, qui est détaché de la Montée du Carmel. Vient ensuite cette terminaison :

1 Déposition du P. Luc du Saint-Esprit au Procès apostolique.

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« Il est donc très important pour Votre Révérence, si vous voulez jouir d’une grande paix en votre âme et atteindre la perfection, de livrer entièrement votre volonté à Dieu pour qu’elle s’unisse à lui, et de ne pas l’appliquer aux choses viles et méprisables de la terre. Que sa Majesté vous rende aussi spirituel et aussi saint que je le désire ! Ségovie, 14 avril 1589. Fr. JEAN DE LA CROIX. »

Le P. Gérard ne sembla pas tout d’abord mettre en doute l’authenticité de la lettre. Et comme d’autre part il regardait le texte comme faisant partie de la Montée du Carmel, il pensa que notre Saint lui-même avait extrait deux chapitres de son ouvrage pour en composer une lettre. Il ne voyait rien là de surprenant, puisque, disait-il, on trouve dans les ouvrages du Saint des paragraphes qui se ressemblent.

Nous avons dit dans notre Introduction à la Montée et à la Nuit qu’il nous était impossible de partager cette première opinion du P. Gérard, d’une part parce que cet emprunt fait à la Montée du Carmel nous semblait invraisemblable, de l’autre parce que le préambule et la terminaison de la lettre nous faisaient l’effet d’une contrefaçon. Aussi ce fut avec une véritable satisfaction que nous vîmes le P. Gérard, à la fin de son Tome III, Appendice IV, Adiciones, Aclaraciones y Enmiendas, revenir sur la question et nous dire qu’après mûre réflexion, la lettre était à ses yeux « une supercherie ».

Une autre remarque se présente naturellement à l’esprit. Comment se fait-il que parmi les lettres de notre Saint échappées à la destruction, il ne s’en trouve pas une seule adressée à sainte Thérèse ? De cette question on passe nécessairement à une autre. Pourquoi dans la collection des Lettres de sainte Thérèse ne s’en rencontre-t-il pas une à l’adresse de saint Jean de la Croix ? Ces deux grands saints, qui avaient reçu la mission de réformer conjoin -

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tement l’Ordre du Carmel et qui professaient l’un pour l’autre une estime, une vénération sans bornes, ne s’écrivaient donc point ?

La correspondance de sainte Thérèse nous fournit une trace, pas davantage, de relation épistolaire avec notre Saint. Nous lisons dans une lettre de la sainte Mère au P. Gratien, du 24 mars 1581 : « Il faut que vous sachiez, mon Père, qu’il y a quelque temps, comme je consolais le P. Jean de la Croix de la peine qu’il ressentait de se voir en Andalousie…, je lui ai dit que lorsque Dieu nous accorderait une province séparée, je ferais en sorte de le rappeler en Castille. À présent, il me demande de lui tenir parole, car il a peur qu’on ne l’élise prieur de Baëza 1. Il m’écrit donc pour que je supplie Votre Paternité de ne pas confirmer une telle élection. »

Notons que lorsque sainte Thérèse emploie ces expressions : « Je consolais le P. Jean de la Croix, je lui ai dit, etc. », il s’agit de consolations et de paroles par correspondance, non d’un entretien de vive voix, ainsi qu’on pourrait le croire à première vue. Thérèse se trouvait alors à Palencia. Jean de la Croix, recteur à Baeza, avait dû se rendre à Alcala pour le mémorable Chapitre de la séparation de la Province, ouvert le 3 mars 1581. Toujours fidèle à ses sévères principes de totale mortification, il n’avait point franchi pour s’entretenir avec la Sainte la distance qui sépare Alcala de Palencia, comme sa lettre à Catherine de Jésus, du 6 septembre suivant, nous en assure, et cependant il n’avait pas revu Thérèse depuis son emprisonnement à Tolède. C’est donc par lettre qu’il la supplia de s’interposer pour qu’il fût rappelé en Castille. Son désir, en fait,

1 Saint Jean de la Croix avait fondé le collège de Baëza le 13 juin 1579. Il s’en trouvait le supérieur par nomination et, prévoyant une élection canonique, il redoutait d’être confirmé dans sa charge.

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ne se réalisa pas. Le nouveau provincial, Jérôme Gratien, le nomma prieur du couvent de Grenade.

Ami comme il l’était de la retraite et de la contemplation, et ne se trouvant point à la tête des affaires de la Réforme, il est à croire qu’il n’écrivait pas fréquemment à la sainte Mère, bien qu’il dût le faire quelquefois. C’est la pensée fort juste du P. Silverio de Sainte-Thérèse dans son Introduction à l’Epistolario de la Sainte. Ce qui est certain, c’est que celle-ci ne conserva point ses lettres.

Quant à saint Jean de la Croix, il gardait les lettres que lui adressait Thérèse, mais l’opinion généralement reçue et confirmée du reste par un témoignage, est qu’il les détruisit un jour par esprit de sacrifice et de dépouillement.

Voici ce qu’écrivait le 18 mai 1632 le P. Jérôme de la Croix, alors ancien dans l’Ordre, au P. Jérôme de Saint-Joseph, historien du bienheureux Père. La lettre est datée du collège de l’Ange Gardien, à Séville.

« J’étais jeune profès et je me trouvais avec notre saint Père à Beas, où nous étions allés pour affaires. C’était l’époque où il écrivait la Montée du Carmel. Il avait avec lui un petit portefeuille contenant des lettres de la Sainte. Il me dit : “Pourquoi est-ce que je demeure chargé de ces lettres ? Ne ferais-je pas bien de les brûler ?” Sans savoir ce dont il s’agissait, je répondis : “Comme Votre Révérence trouvera bon. — Eh bien ! reprit-il, apportez-moi de la lumière.” Et le sacrifice fut consommé. Pour moi il se renouvelle toutes les fois que le souvenir m’en revient à l’esprit. Toujours j’éprouve un regret nouveau de ne pas lui avoir dit de me donner ces lettres, car peut-être était-ce à dessein de provoquer cette demande qu’il me parlait ainsi. »

Qui ne partagera les regrets et la filiale douleur du Père Jérôme de la Croix ?



LETTRES DE SAINT JEAN DE LA CROIX

La première lettre de saint Jean de la Croix dont nous ayons connaissance, sans toutefois en posséder le texte, remonte à son séjour à Avila, entre 1572 et 1577. Elle était adressée à un certain docteur Clément d’Espinosa, présenté de l’église d’Almeira, qui avait consulté le Saint. Au Procès apostolique, le 1er octobre 1627, ce Clément d’Espinosa, devenu chanoine de Malaga, parle dans sa déposition juridique de cette lettre du P. Jean de la Croix. Il y note qu’elle était pleine de doctrine et d’avis salutaires. Cette donnée nous est fournie par le P. Louis de la Trinité, dans un article paru dans la « Vie spirituelle » : Le Directeur d’âmes.

L’existence de deux autres lettres nous est connue par le P. Alphonse de la Mère de Dieu, qui en parle dans sa « Vie » du bienheureux Père. Saint Jean de la Croix s’était évadé de sa prison de Tolède dans la seconde moitié du mois d’août 1578. Réfugié d’abord chez les Carmélites de cette ville, il avait été remis par elles aux soins de D. Pedro Gonzalez de Mendoza, chanoine-trésorier de la cathédrale, qui le garda plusieurs semaines auprès de lui à l’hôpital de la Sainte-Croix, avant de le faire conduire sûrement dans son carrosse, vêtu en prêtre séculier, jusqu’à Almódovar del Campo, où il retrouva ses frères les Carmes Déchaussés. De ces deux missives, l’une était une lettre de remerciement adressée au charitable chanoine, l’autre était écrite aux Carmélites de Tolède, dont il avait reçu tant de marques de

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sympathie lors de son évasion. Ces lettres devaient être du mois d’octobre 15781.

Dans le courant de mars 1581, le Saint écrivit à sainte Thérèse pour lui rappeler la promesse qu’elle lui avait faite quelque temps auparavant d’obtenir son rappel en Castille, dès que la Réforme serait constituée en province séparée, car il craignait d’être confirmé dans les fonctions de recteur au collège de Baëza. (Voir notre Introduction aux Lettres de saint Jean de la Croix.) Cette lettre n’a pas été conservée, mais nous avons celle de sainte Thérèse au P. Gratien, qui en fait mention.

LETTRE I

À Catherine de Jésus 2.

De Beas, 6 juillet 1581 3.

Jésus soit en votre âme, ma fille Catherine. J’ignore où vous êtes, et cependant je veux vous écrire ces lignes, dans la confiance que notre Mère 4 vous les fera parvenir, à supposer que vous ne soyez pas avec elle. Dans ce cas, consolez-vous avec moi, car je suis encore plus seul et plus délaissé par ici.

Depuis que cette baleine m’a avalé, puis vomi en ce port étranger, je n’ai plus jamais mérité de voir notre Mère, non plus que les saints de là-bas. Dieu a raison de me traiter ainsi, car, après tout, le délaissement est une lime précieuse et l’obscurité conduit à une éclatante lumière.

Plaise à Dieu que nous ne marchions pas dans les ténèbres ! Oh ! que de choses j’aurais à vous dire ! Mais

1 Cf. P. ALPH. DE LA MÈRE DE DIEU : Vida, virtueles y milagros del santo Padre Fr. Juan de la Cruz, L. Ier, ch. xxxvi.

2 La Sœur Catherine de Jésus (de Tolosa), professe de Valladolid.

3 D’après le P. André de l’Incarnation, l’original de cette lettre se trouvait chez les Carmélites de Calatayud. On ignore où il se trouve aujourd’hui.

4 Sainte Thérèse. Elle était alors à la fondation de Soria. Saint Jean de la Croix devait la revoir à Saint-Joseph d’Avila le 28 novembre suivant.

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à l’heure où je vous écris, je suis dans l’obscurité à votre sujet, et je nie figure que vous ne recevrez pas ma lettre. C’est ce qui me fait déposer la plume sans achever. Priez pour moi. Je ne vous dirai rien de ce qui se passe ici, parce que je n’en sens pas l’attrait.

Beas, 6 juillet 1581.

Votre serviteur en Jésus-Christ,

Fr. JEAN DE LA CROIX.

Suscription : Pour la Sœur Catherine de Jésus, carmélite Déchaussée, là où elle sera.


Nous savons encore par le P. Alphonse de la Mère de Dieu qu’à la date des 8 et 11 septembre 1581, saint Jean de la Croix écrivit de Beas à deux religieuses de Baëza, Marie de Soto et Isabelle de Soria. Il les exhortait à la persévérance dans leurs exercices religieux et à la fréquentation des sacrements. Il les consolait en même temps de son absence et leur disait que sa présence était plus nécessaire à Beas qu’à Baëza. (Cf. P. Alphonse, L. I I, ch.

À la fin de mars de l’année suivante (1582), il écrivit de Grenade à l’une de ces religieuses, Marie de Soto, l’exhortant à progresser dans la vertu. (Cf. ibid., ch. III.)

Le 3 juillet suivant, le Saint écrivit, de Grenade encore, à une dame de Baëza, pour l’encourager à faire la bonne œuvre de prendre en sa compagnie une personne de la même ville, pauvre et fort vertueuse. (Cf. P. Alphonse, L. II, ch. III.)

LETTRE II (FRAGMENT)

Nous ne possédons que deux lettres et deux fragments à la mère Arme de Saint-Albert. Bien d’autres lettres adressées à la même religieuse nous ont été ravies, car nous avons les lignes suivantes de cette mère, tirées d’une lettre auto-

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graphe, adressée par elle au P. Alphonse de Jésus-Marie, provincial, à la date du 4 novembre 1604 (la lettre autographe d’Anne de Saint-Albert se trouve à la Bibliothèque nationale de Madrid, manuscrit 12738) : « J’avais beaucoup de lettres du P. Jean de la Croix que je chérissais et conservais comme des reliques. Mais, après sa mort je les ai données peu à peu à des religieux qui me les demandaient par dévotion. J’en avais déjà donné une au P. Martin de Saint-Joseph, qui a été prieur ici (Caravaca). Dernièrement il m’a fait supplier de lui en céder une autre, parce qu’il avait donné la première. Il l’avait montrée à un gentilhomme qui n’avait pas voulu la lui rendre, parce qu’il la révérait et la portait sur lui comme une relique 1. »

Jésus soit en votre âme.

En quittant Grenade pour la fondation de Cordoue, j’ai laissé à votre adresse une lettre écrite à la hâte. Depuis, j’ai reçu à Cordoue vos lettres et celles de ces Messieurs, qui partaient pour Madrid et pensaient me trouver à l’Assemblée. Mais celle-ci n’a pas encore eu lieu, parce qu’on attend la fin de ces visites et de ces fondations. Notre Seigneur met en ce moment tant de hâte à les susciter, que nous ne voyons pas comment m’y soustraire.

Une fondation de religieux vient de se faire à Cordoue, à l’applaudissement de toute la ville et avec un déploiement de pompe qu’on n’avait jamais vu pour aucun autre Ordre. Tout le clergé et toutes les confréries de Cordoue s’y trouvaient. On a porté très solennellement le Saint Sacrement depuis la cathédrale. Toutes les rues étaient tapissées et pleines de monde : on se serait cru à la fête du Corpus Christi. Cette entrée a eu lieu le dimanche après l’Ascension.

1 L’autographe de cette lettre se trouvait chez les Carmes de Duruelo. Il est actuellement, nous dit le P. Silverio, en la possession de la Marquise de Reinosa, à Madrid.

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Le seigneur Évêque était présent et a fait un sermon dans lequel on nous a donné de grands éloges. Le couvent se trouve dans le plus beau quartier, celui de la cathédrale.

Je suis maintenant à Séville, où je m’occupe de la translation de nos religieuses. Elles ont acheté de magnifiques bâtiments, qui ont coûté environ quatorze mille ducats et qui en valent plus de vingt mille ; elles y sont installées maintenant. Le jour de saint Barnabé, le seigneur Cardinal a placé le Saint Sacrement avec beaucoup de solennité. Je pense laisser à mon départ un autre couvent de religieux ; ainsi il y aura deux couvents de nos Pères à Séville.

Avant la Saint-Jean, je me rendrai à Écija, où, avec l’aide de Dieu, nous en fonderons un autre. Je compte aller ensuite à Malaga, puis à l’Assemblée.

Que n’ai-je les pouvoirs voulus pour m’occuper de votre fondation, comme j’en ai pour celles-ci ! Je n’y mettrais pas tant de raffinements. Cependant j’espère de la bonté de Dieu que nous en viendrons à bout. Je ferai à l’Assemblée tout ce que je pourrai pour cela. Je le dis à ces Messieurs en leur écrivant. J’ai bien regretté qu’on n’ait point passé immédiatement les actes avec les Pères de la Compagnie, car à mes yeux, ce ne sont pas des gens fidèles à leur parole. Aussi je suis persuadé non seulement qu’ils vont se dérober en partie, mais que, si l’on diffère, ils nous feront faux bond entièrement, pour peu qu’ils y trouvent leur avantage. Faites donc bien attention à ce que je vous dis : sans leur rien dire, ni à eux ni à personne, arrangez-vous avec le seigneur Gonzalve Muñoz pour acheter la maison qui est de l’autre côté, et passez vos actes. C’est parce qu’ils voient qu’ils ont saisi la corde, qu’ils en prennent si à leur aise. Peu importe qu’on se rende compte ensuite que si nous avons fait cette acquisition, c’était uniquement pour échapper au passe-droit dont nous étions les victimes.

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De cette manière nous les amadouerons sans tant nous casser la tête et nous les mènerons plus loin encore : une finesse ne se surmonte que par une autre.

Je vous prie de m’envoyer le petit livre des Strophes de l’Épouse 1. La Sœur de la Mère de Dieu 2 a certainement fini d’en prendre copie.

Cette Assemblée tarde vraiment beaucoup. J’en ai du regret à cause de l’entrée de Doña Catherine, car j’aurai bien désiré lui donner 3…

Votre serviteur,

Fr. JEAN DE LA CROIX.

Séville, juin 1586.

Ne manquez pas de dire mille choses de ma part au seigneur Gonzalve Muñoz 4. Je ne lui écris pas, de crainte de le fatiguer et parce que je compte sur vous pour lui communiquer le contenu de cette lettre.

LETTRE III (FRAGMENT)

À la même. De Grenade, sans date 5.

… Puisque vous ne me dites rien, je veux, moi, vous dire quelque chose. C’est que vous dégagiez votre âme

1 Le Cantique spirituel.

2 Françoise de la Mère de Dieu (de Saojossa), l’une des trois fondatrices du monastère de Caravaca.

3 Il manque ici une quinzaine de lignes. Doña Catherine de Otalora, qui s’apprêtait à recevoir l’habit, était veuve du licencié Alphonse Muñoz, membre du Conseil des Indes, puis de celui de Castille. Françoise de Saojossa, l’une des fondatrices du monastère de Caravaca, était sa nièce. Doña Catherine avait donné deux mille ducats pour la fondation et prêté son appui pour obtenir l’autorisation du Conseil des Ordres. C’est elle qui avait écrit à sainte Thérèse, au nom des fondatrices.

4 Gonzalve Muñoz était un ecclésiastique, bienfaiteur et ami des Carmélites de Beas. Il fit la connaissance de saint Jean de la Croix à l’occasion des visites que celui-ci faisait à Beas, et légua plus tard tous ses biens au Collège de Baeza,, fondé par le Saint, notamment une terre proche du Guadalimar. Les Carmes y élevèrent un ermitage dédié à sainte Anne.

5 Ce fragment a été publié par le P. Jérôme de Saint-Joseph, dans sa Vie de notre Saint. (L. V, cap. v.)

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de ces craintes sans fondement qui jettent votre esprit dans la pusillanimité. Laissez à Dieu ce qu’il vous a donné et ce qu’il vous donne chaque jour. On dirait que vous prétendez le réduire à la mesure de votre capacité, et il ne doit pas en être ainsi. Préparez-vous, car il se dispose à vous faire une grande grâce.

Grenade.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE IV À la même.

De Séville, mi-juin 1581

… Jusqu’à quand, ma fille, vous ferez-vous porter sur des bras étrangers ? Mon désir est de vous voir en parfaite nudité d’esprit et si dégagée de l’appui des créatures, que l’enfer tout entier soit impuissant à porter le trouble dans votre âme. Qu’est-ce que ces larmes déraisonnables, que vous avez versées ces jours-ci ? Quel temps précieux vous avez perdu avec ces scrupules ! S’il vous vient le désir de me communiquer vos peines, allez à ce miroir sans tache du Père Éternel, qui est son Fils. C’est là que chaque jour je regarde votre âme. Sans aucun doute vous vous retirerez consolée et vous n’aurez plus besoin de mendier à la porte des pauvres.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

1 Ce fragment a été publié par le P. Jérôme de Saint-Joseph, dans sa Vie de saint Jean de la Croix, 1. V, ch. v. Il se trouve également, ainsi que le fragment suivant, dans une Déclaration demandée à la mère Anne de Saint-Albert, par le P. Jean l’évangéliste, et signée par cette religieuse. (Ms. 12738, fol. 565.) Le P. Silverio nous dit avoir emprunté les deux fragments à ladite déclaration. Anne de Saint-Albert, professe de Malagoss, avait été emmenée par sainte Thérèse à la fondation de Séville, en 1575. De Séville, la Sainte l’envoya faire la fondation de Caravaca, où elle fut bien des années prieure.

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LETTRE V Aux Carmélites de Beas.

De Malaga, 18 novembre 1586 1.

Jésus soit en vos âmes, mes chères filles.

Me voyant demeurer muet avec vous, vous pensez sans doute que je vous perds de vue. Non, je vois très bien, au contraire, l’entière facilité avec laquelle vous pouvez devenir saintes, les délices et la sécurité avec lesquelles vous pouvez jouir de la présence de votre Époux bien-aimé. Cependant j’irai chez vous, et vous verrez combien peu je vous oubliais. Nous mesurerons ensemble les richesses que vous avez amassées dans le pur amour, le chemin que vous avez parcouru dans les sentiers de la Vie éternelle, les pas bienheureux que vous avez faits en Jésus-Christ, dont ses Épouses sont les délices et la couronne.

Elle mérite, cette couronne, de ne pas rouler sur le sol, mais d’être portée entre les mains des anges et des séraphins, et placée par eux avec toute sorte de révérence sur la tête de leur Seigneur. Mais le cœur vient-il à se traîner à terre, parmi les bassesses d’ici-bas, la couronne tombe à terre, et chacune de ces bassesses la frappe du pied.

Au contraire, quand l’homme, nous dit David, marche dans l’élévation du cœur, alors Dieu est exalté 2. Il est exalté par le diadème du cœur sublime de son Épouse, dont on le ceint au jour de la joie de son cœur et dans lequel il prend ses délices au milieu des enfants des hommes.

Les eaux pures des délices intérieures ne jaillissent point

1 On vénère dans la Collégiale de Pastrana un manuscrit de cette lettre qui provient de l’ancien couvent des Carmes Déchaussés de Pastrana. Le Père André de l’ Incarnation le considérait comme un original. D’autres le regardent comme une copie, nous dit le Père Gérard. Le P. Silverio en parle comme d’un original, non douteux.

2 Accedet homo ad cor altum et exaltabitur Deus. (Ps., LXIII, 8.)

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de la terre. Pour les recevoir, c’est du côté du ciel qu’il faut ouvrir la bouche du désir, vide de toute autre plénitude. Et pour que la bouche du désir ne soit ni rétrécie ni resserrée par un mets de goût différent, il faut tenir la bouche bien vide et bien ouverte du côté de Celui qui a dit : Ouvre ta bouche et je la remplirai 1.

Celui, en effet, qui cherche saveur en autre chose n’est plus vide pour que Dieu le remplisse de son ineffable délectation. Aussi, lorsqu’il se présente devant Dieu, il s’en retourne comme il est venu, parce qu’ayant les mains embarrassées, il n’a pu saisir ce que le Seigneur lui présentait. Dieu nous délivre de ces malheureux embarras, qui entravent une si douce et si délicieuse liberté !

Servez Dieu, mes chères filles en Jésus-Christ, en marchant sur les traces de mortification qu’il nous a laissées, en patience, en silence et en désir de souffrir pour lui. Faites-vous les bourreaux de vos propres satisfactions, et s’il en reste encore qui s’opposent en vous à la résurrection de l’esprit, donnez-leur la mort ! Que l’Esprit du Seigneur réside en vos âmes. Amen.

Malaga, 18 novembre 1586.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

Probablement en mars 1587, le Saint écrivit à une carmélite, sa fille spirituelle, une lettre où il lui rendait compte des décrets portés dans une assemblée des Définiteurs, à laquelle il avait assisté le 4 mars. La lettre commençait ainsi : « En la, Junta se determinó. » Nous devons cette donnée incomplète au P. Gérard. Voir notre Introduction.

1 Dilata os tuum et implebo illud. (Ps., Lxxx, 11.)

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LETTRE VI Encore aux Carmélites de Beas.

De Grenade, 22 novembre 15871.

Jésus et Marie soient en vos âmes, mes chères filles en Jésus-Christ.

Votre lettre m’a causé beaucoup de joie. Que Notre-Seigneur vous le rende ! Si je ne vous ai pas écrit, ce n’a pas été manque de bonne volonté, car je désire vivement votre plus grand bien. Mais il me semble que je vous ai déjà dit fort au long ce que vous avez à pratiquer. Ce qui manque ordinairement — si tant est qu’il manque quelque chose, — ce n’est ni de parler ni d’écrire, ce qu’on ne fait le plus souvent que trop, mais de se taire et d’agir. La parole distrait ; le silence et la mise en pratique recueillent et communiquent la vigueur à l’esprit. Une fois donc qu’une personne a bien compris ce qui lui a été dit pour son avancement, elle n’a plus besoin ni d’écouter ni de parler, mais seulement de pratiquer sérieusement, en silence, avec application, dans l’humilité, la charité, le mépris de soi. Qu’elle ne se remette pas aussitôt en quête de choses nouvelles, qui ne servent qu’à satisfaire l’appétit au dehors — sans néanmoins pouvoir le satisfaire — et laissent l’esprit faible, vide, sans énergie intérieure. Alors rien ne profite, comme il arrive à celui qui mange sans avoir digéré les premiers aliments : la chaleur naturelle se répartit sur trop de nourriture à la fois et n’a pas la force de tout convertir en substance, ce qui engendre les maladies.

C’est un grand point, mes chères filles, de savoir esquiver les pièges que nous tendent le démon et la sensualité.

1 L’original de cette lettre se gardait chez les Carmes Déchaussés de Saragosse. Il a disparu aujourd’hui. Les anciennes éditions des Lettres de saint Jean de la Croix en ont emprunté le texte à cet original.

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Si nous n’y prenons garde, nous reculerons sans nous en rendre compte et finalement nous nous trouverons bien éloignés des vertus de Jésus-Christ. À notre réveil dans l’autre vie, nous découvrirons que notre tâche a été faite à l’envers, et croyant notre lampe allumée, nous la verrons éteinte. Nous aurons soufflé pour la faire luire, et nous n’aurons réussi qu’à l’étouffer.

Pour éviter ce malheur et demeurer bien fervent, il n’y a pas de plus sûr moyen que de souffrir, d’agir et de se taire, en tenant ses sens bien fermés, en aimant et en recherchant la solitude, l’oubli de tout le créé et de tout ce qui passe, quand même le monde viendrait à s’effondrer.

Ne cessez jamais, en bonne ou en mauvaise fortune, d’apaiser votre cœur dans les entrailles de l’amour, prêtes à souffrir en tout événement. La perfection est d’une telle importance et les délices de l’esprit sont d’une si haute valeur, qu’après tout, Dieu veuille que ce soit encore suffisant. Je le répète, il est impossible d’avancer si ce n’est en agissant et en souffrant avec vertu, le tout enveloppé du voile du silence.

On m’a fait comprendre, mes filles, que l’âme toujours prête à parler est fort peu attentive à Dieu. Quand elle a cette attention, elle se sent aussitôt attirée au-dedans à garder le silence, à fuir toute conversation. Dieu préfère que l’âme se réjouisse en lui plutôt qu’en toute créature quelle qu’elle soit et quelque utilité qu’elle lui apporte. Je me recommande à vos prières. Soyez sûres que ma charité, toute faible qu’elle est, vous est toute consacrée. D’ailleurs il m’est impossible d’oublier celles à qui je suis si obligé dans le Seigneur. Qu’il soit avec nous tous. Amen.

Grenade, 22 novembre 1587.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

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Rien ne nous est plus nécessaire que de garder en présence de notre grand Dieu le silence des désirs et celui de la langue. Le langage qu’il entend, c’est le langage silencieux de l’amour.

Pendant qu’il résidait à Grenade (1582-1588), saint Jean de la Croix écrivit aux Carmélites de cette ville une lettre que le P. Alphonse mentionne ainsi : « Durant un véhément transport d’amour qui le tint pendant bien des jours perdu en Dieu, il écrivit au couvent des religieuses de Grenade pour les inviter au profond secret de la solitude, là où Dieu communique son véritable esprit et sa vraie lumière. Les paroles de cet écrit étaient si efficaces, qu’elles entraînèrent les esprits et les cœurs de cette communauté aux profondeurs de la retraite. Toutes, à peu près, répondirent à cette invitation et elles s’abîmèrent en Dieu dans un amour si ardent, que pendant longtemps elles ne purent songer à autre chose. » (L. I, ch. Iv.)

LETTRE VII A Eléonore-Baptiste.

De Grenade, 8 février 15881.

Jésus soit en votre âme.

Ne pensez pas, ma fille en Jésus-Christ, que je manque de compassion pour vous dans vos épreuves et pour celles qui y ont part. Mais je me console en pensant que Dieu vous ayant appelée à la vie apostolique, qui est une vie de mépris, il vous conduit par cette voie. Après tout, Dieu veut que le religieux soit tellement religieux, qu’il soit mort à toutes choses et que toutes choses soient passées pour lui, et cela, parce que lui-même veut être sa richesse, sa consolation, sa gloire délicieuse.

Dieu vous a fait une grande grâce 2, puisque, dans

1 L’autographe se trouve chez les Carmélites de Barcelone. Eléonore-Baptiste, à qui elle est adressée, était professe de Beas.

2 Éléonore-Baptiste venait d’achever son priorat au Carmel de Beas.

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l’oubli complet de toutes choses, vous pourrez jouir largement de lui, seul à seul, indifférente pour son amour à tout ce qu’on voudra faire de vous, puisque vous n’êtes plus à vous, mais à Dieu.

Faites-moi savoir si votre départ pour Madrid est certain et si la mère Prieure doit vous accompagner. Mille choses de ma part à mes filles Madeleine et Anne, ainsi qu’à toutes les autres. On ne me laisse pas le loisir de leur écrire.

Grenade, le 8 février 1588.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE VIII Au P. Ambroise Mariano.

De Ségovie, 9 novembre 1588 1.

Jésus soit en Votre Révérence. Nous avons, vous le savez, grand besoin de religieux, vu la multitude des fondations. Il faut donc que vous preniez patience et que vous permettiez au P. Michel 2 de vous quitter pour aller attendre à Pastrana le Père Provincial, qui se propose de mettre la dernière main à la fondation du couvent de Molina.

Les Pères ont jugé bon également de vous donner sans délai un Sous-Prieur. Ce sera le P. Ange 3. Ils ont confiance qu’il s’entendra très bien avec son Prieur, ce qui est le point le plus important dans une communauté. Veuillez donner à l’un et à l’autre leurs patentes.

Ayez grand soin qu’aucun religieux, prêtre ou non,

1 L’autographe est actuellement en la possession des Carmélites de Saint-Joseph d’Avila. Il avait d’abord appartenu à l’Évêque d’Avila, D. Melchior de Moscoso y Sandoval.

2 Probablement le P. Michel des Anges, qui fut dans la suite Maître des Novices à Grenade. Nous voyons dans la déposition du P. Jérôme de Saint-Joseph, au Procès apostolique, que saint Jean de la Croix apparut plusieurs fois à ce religieux après sa mort.

3 Le P. Ange de Saint-Gabriel.

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ne s’entremêle de traiter avec les novices ; car, vous le savez, rien n’est plus fatal pour eux que de passer par plusieurs mains. Veillez donc à ce que personne n’aille les agiter. D’autre part, comme ils sont nombreux, il est juste d’aider et de soulager le P. Ange. Il est juste aussi de lui donner, comme on vient de le faire, l’autorité de Sous-Prieur, afin qu’on le respecte davantage dans la communauté.

Quant au P. Michel, il ne vous était pas, ce semble, très nécessaire, et il pourra rendre ailleurs plus de services à l’Ordre. Au sujet du P. Gratien il n’y a rien de nouveau. Le P. Antoine est ici.

Ségovie, 9 novembre 1588.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE IX A Jeanne de Pedraza.

De Ségovie, 28 janvier 1589 1.

Jésus soit en votre âme.

Je vous ai écrit dernièrement par le P. Jean (l’Évangéliste), en réponse à votre dernière lettre, que j’ai reçue avec d’autant plus de plaisir qu’elle s’était fait plus longtemps attendre. Je vous disais dans cette lettre que je crois avoir reçu toutes les vôtres, contenant vos gémissements au sujet de vos peines et de vos délaissements, si vivement sentis.

Vos peines portent jusqu’à moi en silence des cris si puissants, que la plume ne saurait en dire autant. Mais ces peines sont des coups de marteau qui frappent sur

1 L’autographe de cette lettre se trouvait au xvute siècle chez les Carmélites de Turin. Il est actuellement en la possession des Carmes Déchaussés de Concessa (Italie). Jeanne de Petraza, fidèle disciple de saint Jean de la Croix, vivait, nous dit le P. Silverio, chez l’Archidiacre de la Cathédrale de Grenade ; elle était vraisemblablement sa sœur ou sa nièce.

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votre âme pour la faire aimer davantage, qui produisent un accroissement d’oraison et des soupirs spirituels, qui montent vers Dieu et l’inclinent à vous accorder ce que vous demandez pour sa gloire.

Je vous ai déjà dit qu’il n’y avait pas lieu de (mots illisibles), mais de faire ce qui vous a été marqué.

Quand vous en serez empêchée, obéissez et faites-moi savoir la chose. Dieu arrangera tout. Il prend soin des affaires de ceux qui l’aiment avec ardeur, et sans qu’ils aient à s’en mettre en peine. Le meilleur moyen pour une âme d’être en sûreté, c’est de ne s’attacher à rien, de ne rien désirer.

Il est très important d’avoir pleine et entière confiance en celui qui vous conduit, autrement ce serait ne pas vouloir de guide. Quand un seul suffit et qu’il est tel qu’il le faut, tous les autres ou ne servent de rien ou sont un obstacle. Je le répète, que votre âme n’ait d’attache à quoi que ce soit. Pourvu que l’union à Dieu ne fasse pas défaut, il prendra soin de ce qui lui appartient, de qui n’a pas d’autre maître que lui et n’en doit pas avoir.

Je l’éprouve moi-même. Plus quelqu’un me touche de près, plus j’y ai l’âme et le cœur appliqués, parce que l’objet aimé ne fait qu’un avec celui qui aime. Ainsi en est-il de Dieu avec ceux qui l’aiment. On ne pourrait oublier ceux que l’on chérit de la sorte, qu’en oubliant sa propre âme. Je dis plus. On oublie sa propre âme pour l’âme que l’on aime, parce que l’on vit plus en l’âme aimée qu’en soi-même. O grand Dieu d’amour ! notre Maître ! Que de richesses vous déposez en celui qui vous aime et qui ne goûte que vous, puisque vous vous donnez vous-même à lui et devenez une même chose avec lui par l’amour ! Vous allez jusqu’à lui donner à goûter et à aimer ce qu’il préfère en vous et ce qui lui est le plus avantageux.

Croyez-le, il est très important pour nous que la croix

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ne nous manque pas, de même qu’elle n’a jamais manqué à notre Bien-Aimé jusqu’à sa mort d’amour. Il ordonne nos souffrances d’après l’amour que nous lui portons, afin de nous donner l’occasion de faire de plus grands sacrifices et de progresser davantage. Mais tout cela est de bien courte durée. 11 ne s’agit que de lever le couteau du sacrifice, et Isaac se trouve vivant, avec la promesse d’une nombreuse postérité.

Patience donc, ma chère fille, dans l’état de pauvreté spirituelle où vous vous trouvez. Elle sert beaucoup à nous tirer de notre propre terre et à nous faire entrer dans la vie où nous jouirons de tous les biens.

Pour l’instant, j’ignore quand aura lieu mon départ. Je me porte bien, mais mon Âme est très lente à progresser. Priez pour moi. Veuillez remettre les lettres que vous m’écrivez aux religieuses, et plus souvent, s’il est possible. En outre, si elles n’étaient pas si brèves, ce n’en serait que mieux.

Ségovie, 28 janvier 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE X A une demoiselle de Madrid.

De Ségovie, lévrier 15891.

Jésus soit en votre âme.

Votre messager est passé par ici en un temps où je ne pouvais vous répondre, et il attend encore. Que Dieu, ma fille, vous accorde toujours sa sainte grâce, afin que vous vous employiez constamment et tout entière à son

1 Cette personne avait connu saint Jean de la Croix à Avila, lorsqu’il était chapelain des Religieuses de l’Incarnation ; elle-même habitait chez doña Oulomar de Ullva, l’amie de sainte Thérèse. Elle continua d’entretenir dcs relations avec notre Saint et finit par entrer au Carmel. où elle porta le nom d’Anne de la Croix.

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amour et à son service, ainsi que vous y êtes obligée, puisque c’est à cette fin qu’il vous a créée èt rachetée !

Il y aurait bien à dire sur les trois points au sujet desquels vous m’interrogez et plus que ne le permet la brièveté d’une lettre. Mais je vous en proposerai trois qui pourront vous être de quelque utilité.

Concernant les péchés, qui causent à Dieu tant d’horreur qu’ils l’ont porté à souffrir la mort, il est très important, pour les bien pleurer et n’y pas tomber, d’avoir le moins de relations possible avec le dehors, de le fuir même et de ne jamais parler plus qu’il n’est nécessaire sur un même sujet. Parler plus qu’il n’est purement nécessaire et raisonnable n’a jamais été avantageux à qui que ce soit, si saint fût-il.

En second lieu, garder la loi de Dieu avec beaucoup de ponctualité et d’amour. Pour honorer la passion de Notre-Seigneur, traiter son corps avec une rigueur discrète ; pratiquer la haine de soi et la mortification ; ne chercher en rien à satisfaire sa volonté et ses goûts, car c’est notre volonté propre qui a causé la mort et la passion de Notre-Seigneur. Ne rien faire sans l’avis de son directeur.

En troisième lieu, pour avoir la béatitude à venir bien présente à l’esprit et la désirer, regarder toutes les richesses et tous les plaisirs de ce monde comme de la boue, de la vanité, un objet de dégoût ; et en réalité, ce n’est pas autre chose. N’estimer aucune chose, si grande et si précieuse soit-elle ; ne souhaiter qu’être bien avec Dieu. Et en effet, tout ce qu’il y a de meilleur ici-bas, comparé aux biens éternels pour lesquels nous sommes créés, est amer et difforme. ll est vrai que cette amertume et cette difformité durent peu, et cependant elles s’impriment pour toujours dans l’âme qui leur accorde son estime.

Je n’oublie pas votre affaire, mais pour le moment, malgré tout le désir que j’en ai, il ne m’est pas possible

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de faire davantage. Recommandez bien la chose à Dieu, et prenez pour avocate Notre-Darne, ainsi que saint Joseph.

Mes souvenirs à votre mère. Qu’elle veuille bien regarder cette lettre comme lui étant adressée ! Priez toutes deux pour moi et demandez à vos amies de le faire par charité. Que Dieu vous donne son esprit !

Ségovie, février 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE XI Peut-être à Béatrix de Saint-Michel, Prieure de Grenade.

De Ségovie, 7 juin 1589 1.

Jésus soit en Votre Révérence et la rende aussi sainte et pauvre d’esprit qu’elle en a le désir. Obtenez-moi la même grâce de la divine Majesté. Voici la licence pour les novices. Veillez à ce qu’elles soient propres au service de Dieu.

Je vais maintenant répondre à vos questions, mais brièvement, car j’ai peu de temps. Je les ai d’abord étudiées avec nos Pères 2 parce que notre Père 3 n’est pas ici, il est en voyage. Que Dieu le ramène !

1° Il n’y a plus de disciplines de verges, même quand on fait l’office de la férie, car ceci a pris fin avec l’office carmélitain 4 ; encore ne se prenaient-elles qu’en certains temps, et les féries étaient rares.

2° Ne donnez pas de licence générale, ni à la communauté ni à aucune en particulier — pour compenser cela ou autre

1 L’autographe de cette lettre se trouve chez les Carmélites de Bruxelles. La lettre elle-même est restée inédite jusqu’en 1927. « Le Carmel » la publia dans son numéro du 15 août.

2 Ses collègues de la Consulte.

3 Le P. Nicolas Doria, Vicaire général.

4 Au Chapitre de Valladolid, tenu en 1586, les membres du Chapitre avaient d’un commun accord voté l’abandon du Bréviaire Carmélitain ou du Saint-Sépulcre et l’adoption du Bréviaire Romain.

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chose — de prendre la discipline trois jours de la semaine. Pour les cas spéciaux, vous verrez ce qu’il y a à faire, comme d’habitude. Tenez-vous à l’usage commun.

3° Qu’en général on ne se lève pas de meilleure heure que ne le marque la Constitution : j’entends la communauté.

4° Les licences prennent fin quand cesse la charge du Supérieur. Je vous les renouvelle ici pour les entrées dans le couvent en cas de nécessité : le confesseur, le médecin, le barbier et les ouvriers.

5° Comme vous avez maintenant beaucoup de places vacantes, vous pourrez, quand deviendra nécessaire ce que vous me dites, vous occuper de ce que désire la Sœur Aldonce. Rappelez-moi à son souvenir et priez Dieu pour moi. Adieu, je ne puis m’étendre davantage.

De Ségovie, le 7 juin 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE XII A Éléonore de Saint-Gabriel.

De Ségovie, 8 juin 15891.

Jésus soit en votre âme, ma fille en Jésus-Christ.

Je vous remercie de votre lettre et je bénis Dieu d’avoir bien voulu se servir de vous en cette fondation. Il l’a fait certainement pour votre plus grand avantage. Plus il veut donner, plus il fait désirer, jusqu’à faire en nous le vide complet, pour nous remplir de ses biens. Il saura vous payer ceux que vous laissez à Séville, je veux dire l’affection de vos Sœurs. Les biens immenses de Dieu ne peuvent être reçus et contenus que dans un cœur vide et solitaire.

1 Le P. Jérôme de Saint-Joseph a inséré cette lettre dans sa Vie de Saint Jean de la Croix (L. VI, ch. vu.). Éléonore de Saint-Gabriel, professe de Malagon, avait été emmenée par sainte Thérèse à la fondation de Séville. Elle venait d’être nommée par saint Jean de la Croix sous-prieure de la fondation de Cordoue.

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Aussi Dieu, qui vous porte beaucoup d’amour, vous veut bien seule, afin d’être lui-même toute votre compagnie.

Veillez donc bien à vous contenter de cette seule compagnie, afin que vous y trouviez un plein contentement. L’âme aurait beau être dans le ciel, si sa volonté n’y met pas sa joie, elle ne sera pas satisfaite. C’est ce qui nous arrive ici-bas avec Dieu. Il a beau être toujours avec nous, si notre cœur s’affectionne à autre chose, et non purement à lui seul, il n’est pas satisfait.

Je suis sûr que les religieuses de Séville se sentent bien seules sans vous ; mais peut-être aviez-vous fait là tout le bien que vous pouviez faire, et Dieu vous en ménage-t-il un autre à réaliser là où vous êtes maintenant. Cette fondation, en effet, sera d’une grande importance. Ayez donc soin d’aider beaucoup la mère Prieure. Mais, je le vois bien, ma recommandation est inutile. Vous avez assez d’âge et d’expérience pour savoir ce qui se présente à souffrir dans les fondations, et c’est précisément pour cela que nous vous avons choisie. Les religieuses ne manquaient point par ici, mais elles n’avaient pas les qualités voulues.

Dites bien des choses de ma part à la sœur Marie de la Visitation et à la sœur Jeanne de Saint-Gabriel 1. Je les remercie de leur souvenir. Que Dieu vous donne son Esprit !

Ségovie, 8 juin 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE XIII (FRAGMENT) A la même, juillet [1589 ou 1590 2].

[Jésus soit en votre âme], ma fille en Jésus-Christ.

J’ai reçu votre lettre et je compatis à votre chagrin.

1 Ces deux religieuses étaient professes de Séville.

2 Voir à notre Introduction, ce que nous avons dit de ce fragment.

J’en ai de la peine, à cause du tort qu’il peut faire à votre âme, comme aussi à votre santé. Je vous dirai que pour moi je ne trouve pas que vous ayez, sujet de tant vous affliger. Je ne [vois pas] que notre Père vous en veuille aucunement, ni qu’il se souvienne [de rien]. Au reste, votre repentir… S’il restait quelque chose, parlez-lui ouvertement.

Ne vous désolez pas à ce sujet et n’y attachez pas tant d’importance, car cela n’en vaut pas la peine…

Je suis persuadé qu’il y a là tentation du démon. L’ennemi vous remet ce souvenir continuellement en mémoire, afin d’en occuper votre esprit, qui devrait n’être occupé que de Dieu.

Courage, ma fille, adonnez-vous beaucoup à l’oraison ; oubliez tout… (Le reste est illisible.)

Madrid, juillet…

LETTRE XIV A Marie de Jésus, Prieure de Cordoue.

De Ségovie, 18 juillet 15891.

Jésus soit en votre âme.

C’est un devoir pour vous et pour vos Sœurs de correspondre aux bontés du Seigneur, à la mesure des applaudissements avec lesquels vous avez été accueillies à Cordoue. Certes, la relation qui m’en a été adressée m’a comblé de joie. Si vous êtes entrées dans une maison si pauvre et par une si accablante chaleur, Dieu l’a voulu ainsi pour que vous donniez quelque édification et que vous fassiez

1 L’autographe de cette lettre se trouve chez les Carmélites de Cordoue. — Marie de Jésus (Godinez y Sandoval) était professe et fondatrice du Carmel de Beas. Sainte Thérèse parle d’elle, en même temps que de sa sœur Catherine, au Livre des Fondations, ch. xxii. On trouve sa Notice aux « Figures choisies de Carmélites ».

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connaître que vous ne cherchez que Jésus-Christ. Ainsi les âmes qui se sentiront appelées sauront dans quel esprit elles doivent venir.

Je vous envoie toutes les licences. Prenez bien garde aux sujets que vous recevrez au début, parce que toutes les autres se modèleront sur celles-là.

Veillez bien aussi à conserver l’esprit de pauvreté et le mépris de toutes choses. Si vous ne voulez pas vous contenter de Dieu seul, sachez que vous tomberez en mille nécessités spirituelles et temporelles. Soyez sûre qu’il n’y aura pour vous et que vous ne sentirez d’autres nécessités que celles auxquelles vous voudrez assujettir votre cœur, parce que le pauvre d’esprit n’est jamais plus content et plus joyeux que quand tout lui manque. O heureux rien ! bienheureuse cachette du cœur, qui a la puissance de s’assujettir toutes choses en ne voulant rien s’assujettir et en abandonnant toute sollicitude, afin de brûler d’un plus ardent amour !

Saluez pour moi toutes vos Sœurs dans le Seigneur. Dites-leur bien que Notre-Seigneur les ayant choisies en qualité de premières pierres, elles doivent se bien pénétrer de ce qu’elles doivent être. Qu’elles se rappellent que les autres auront à se fonder sur elles comme sur les plus fortes ! Qu’elles profitent de ce premier esprit que Dieu donne dans les commencements, pour entrer tout de nouveau dans le chemin de la perfection, en toute humilité, en dépouillement intérieur et extérieur, non pas dans un esprit d’enfant, mais avec une volonté robuste, qui embrasse généreusement la mortification et la pénitence ! Qu’elles veuillent que Jésus-Christ leur coûte quelque chose, bien éloignées de ressembler à ces âmes qui cherchent leur jouissance et leur consolation, soit en Dieu, soit hors de Dieu ! Qu’elles cherchent bien plutôt la souffrance en Dieu ou hors de Dieu, en silence, en espérance et en amoureux souvenir ! Dites-le à Gabrielle 1 et à celles qui viennent de Malaga. J’écris aux autres. Que Dieu vous donne son Esprit ! Amen.

Ségovie, 18 juillet 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

Le P. Antoine et les autres Pères 2 vous offrent leur souvenir. Saluez de ma part le Père Prieur de Guadalcazar.

On voit par la lettre précédente que le Saint écrivait par le même courrier à plusieurs religieuses de cette communauté. Ces lettres, comme tant d’autres, ont péri. Françoise de la Mère de Dieu, religieuse de Beas, a déclaré dans sa Déposition juridique pour la Béatification avoir reçu trois lettres de saint Jean de la Croix. Aucune de ces trois lettres n’est venue jusqu’à nous.

LETTRE XV A Madeleine du Saint-Esprit.

De Ségovie, 28 juillet 1589 3.

Jésus soit en votre âme, ma fille en Jésus-Christ.

J’ai eu beaucoup de joie en voyant les bonnes résolutions que marque votre lettre. Je loue Dieu qui pourvoit à toutes les nécessités. Vous aurez bien besoin de ces résolutions dans ces débuts de fondations, pour supporter la chaleur, l’étroitesse du logement, le travail continuel : pour les supporter, dis-je, sans même prendre garde si vous souffrez ou non. Dites-vous bien que dans ces premiers temps Dieu veut des âmes qui ne soient ni fainéantes ni délicates,

1 La mère Éléonore de Saint-Gabriel, alors sous-prieure du nouveau monastère de Cordoue.

2 Les membres de la Consulte.

3 Cette lettre a été publiée par le P. _Jérôme de Saint-Joseph dans sa Vie du Saint. (L. VI, ch.vll.) — Madeleine du Saint-Esprit était professe de Beas ; elle venait d’être appelée à la fondation de Cordoue. Cette religieuse a donné une déposition importante relativement aux poésies de saint Jean de la Croix. (Voir notre Introduction aux poésies.) Sa Notice se trouve à la Ira Série des « Figures choisies de Carmélites ».

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moins encore amies d’elles-mêmes. Aussi donne-t-il dans ces commencements de monastères une assistance spéciale, en sorte qu’avec quelque diligence on peut avancer dans toutes les vertus. C’est donc un grand bonheur pour vous et une marque de la prédilection de Dieu qu’il ait fait choix de vous de préférence à d’autres.

S’il vous en coûte de quitter ce que vous avez laissé, ce n’est rien, puisque de toute façon vous deviez le laisser sous peu. Pour trouver Dieu en tout, il faut n’avoir rien en toutes choses. Comment le cœur qui appartient à quelqu’un pourrait-il être tout entier à un autre ?

Je dis la même chose à la sœur, Jeanne et je lui demande de prier pour moi. Que Dieu soit en votre âme ! Amen

Ségovie, 28 juillet 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE XVI Au P. Nicolas Doria.

De Ségovie, 21, septembre 1589 1.

Jésus et Marie soient avec Votre Révérence.

Nous avons appris avec beaucoup de joie que Votre Révérence est arrivée en bonne santé et que tout va très bien là où vous êtes. Je me réjouis de la bonne santé de Monseigneur le Nonce. J’espère qu’il prendra soin de cette famille religieuse, qui est sienne. Ici les pauvres vont bien et sont bien vus. Je ferai en sorte de dépêcher promptement les affaires, ainsi que Votre Révérence l’a recommandé. Cependant les religieux attendus ne sont pas encore arrivés.

Sur la question de savoir s’il faut admettre à Gênes des jeunes gens qui n’ont pas étudié la grammaire, nos

1 Le P. Gérard incline plutôt à croire que cette lettre est du 21 septembre 1588. — Une note qui se voit à la Bibliothèque nationale de Madrid (Ms Pp. 79) nous apprend qu’elle a été copiée sur celle qui se trouve, de l’écriture du Saint, chez les Carmes de Valladolid.

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Pères disent qu’il n’est pas nécessaire qu’ils l’aient étudiée, pourvu qu’ils sachent autant de latin que le demande le Concile, c’est-à-dire qu’ils sachent construire convenablement en cette langue. Si l’on se contente de cela pour ordonner à Gênes, il nous semble qu’on peut admettre dans les mêmes conditions. Si au contraire les Ordinaires d’Italie trouvent ce degré de savoir insuffisant, nous croyons qu’il ne répond plus à ce que demande le Concile. D’autre part, il serait bien difficile de les faire venir ici pour les instruire et les faire ordonner. J’ajoute que nos Pères n’aimeraient pas voir venir beaucoup d’italiens.

Les lettres ci-jointes pourront être remises au P. Nicolas, comme le dit Votre Révérence. Que Notre-Seigneur nous conserve Votre Révérence selon le besoin qu’il nous voit en avoir !

Ségovie, 21 septembre 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

À une date incertaine, il écrivit à Marie de l’Incarnation, carmélite de Ségovie, une lettre dans laquelle il lui parlait de l’obéissance, de la charité à l’égard de Dieu et du prochain, de la connaissance de soi. C’est ce qu’a déposé Elvire de Saint-Ange au Procès informatif le 20 novembre 1614. (Cf. P. Louis de la Trinité : « Le Directeur d’âmes. »

LETTRE XVII A Jeanne de Pedraza.

De Ségovie, 12 octobre 15891.

Jésus soit en votre âme.

Grâce soit rendue à Celui qui me la donne pour ne pas oublier les pauvres — comme vous dites — et ne pas déjeuner tranquillement à l’ombre — comme vous le dites encore — et ce qui me fâche le plus est de penser que vous le croyez ainsi. Ce serait bien mal après tant de marques de mon dévouement, et surtout au temps où je le mérite

1 L’original se trouve chez les Carmélites de Valladolid.

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le moins. Il ne me manquait plus vraiment que de vous oublier ! Et comment oublier une personne gravée comme vous l’êtes dans mon cœur ?

Comme vous êtes plongée dans les ténèbres et dans le vide de la pauvreté spirituelle, vous vous figurez que tout le monde et toutes choses vous abandonnent. Et ce n’est pas merveille, puisqu’il vous semble que Dieu lui-même vous fait défaut. En réalité, rien ne vous manque et vous n’avez aucun besoin de demander conseil. Vous n’avez rien à dire, vous ne savez que dire et vous ne trouverez rien à dire, parce que vos craintes sont chimériques.

Celui qui ne veut que Dieu ne marche pas dans les ténèbres, quelque pauvre et privé de lumière qu’il pense être, celui qui est dégagé de toute présomption et de tout goût personnel, soit dans les choses de Dieu, soit dans les choses créées, celui qui ne fait en rien sa volonté propre, n’a rien qui puisse le faire tomber et n’a pas d’avis à prendre.

Vous êtes en bon chemin. Laissez-vous vous-même et réjouissez-vous. Qui êtes-vous pour prendre soin de vous-même ? Vous vous mettriez en bel état ! Vous n’avez jamais été en meilleure situation, parce que vous n’avez jamais été si humble et si assujettie ; vous n’avez jamais eu si basse opinion de vous-même ni tant de mépris des choses du monde ; vous ne vous êtes jamais tenue pour si mauvaise ; vous n’avez jamais regardé Dieu comme si bon ; vous ne l’avez jamais servi d’une manière si pure et si désintéressée. Vous ne marchez plus comme autrefois à la suite de votre volonté imparfaite et de votre intérêt propre.

Que voulez-vous donc ? Quelle existence, quelle manière de procéder vous figurez-vous devoir être les vôtres ici-bas ? En quoi pensez-vous que consiste le service de Dieu, si ce n’est à éviter le mal, à garder ses commandements, à s’occuper de son mieux de ses intérêts ?

Ceci obtenu, quel besoin avez-vous d’autres connais -

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sances, d’autres lumières, de ces goûts sensibles où d’ordinaire se rencontrent bien des pièges et bien des périls, pour l’âme qui se laisse tromper et séduire par ses connaissances et ses appétits, égarer par ses propres puissances ? C’est une grande grâce que Dieu nous accorde, quand il place nos puissances dans l’obscurité, qu’il plonge notre âme dans l’indigence et la misère, et l’empêche ainsi de s’égarer. Dès lors qu’on ne s’égare point, qu’y a — t — il, je vous le demande, tant à chercher ? Il n’y a qu’à marcher par le chemin uni de la loi de Dieu et de l’Église, à vivre en foi obscure et véritable, en espérance certaine, en charité parfaite, à attendre nos biens dans l’autre vie, à marcher ici-bas comme des pèlerins, des pauvres, des exilés, des orphelins, dans la sécheresse, sans chemin tracé, privé de tout, mais espérant tout dans la vie future.

Réjouissez-vous, fiez-vous à Dieu, qui vous a donné des preuves du grand amour qu’il vous porte, et à qui vous êtes obligée de vous confier. Autrement, rien d’étonnant s’il s’irrite de vous voir livrée à des enfantillages, alors qu’il vous conduit par le chemin qui vous est le plus avantageux et vous a placée dans un état si sûr. Ne désirez rien en dehors de la voie par laquelle Dieu vous mène et simplifiez votre âme. Vous allez bien. Communiez selon votre habitude, confessez-vous quand vous aurez quelque chose de clair à dire. Quant à la direction, vous n’en avez que faire. Lorsqu’un besoin se présentera, vous me l’écrirez. Faites-le sous peu et plus souvent. Servez-vous de l’intermédiaire de Doña Anne, lorsque vous n’aurez pas celui des religieuses.

J’ai été indisposé. Je vais bien maintenant ; mais le P. Jean l’Évangéliste est malade. Priez pour lui et pour moi, ma chère fille dans le Seigneur.

Ségovie, 12 octobre 1589.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

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LETTRE XVIII A Marie de Jésus, Prieure de Cordoue.

De Madrid, 20 juin 1590 1

Jésus soit en votre âme, ma fille en Jésus-Christ.

Si je ne vous ai pas écrit durant tout le temps que vous me marquez, cela vient plutôt de la situation très mouvementée où je me trouve que du manque de bonne volonté. Mon dévouement pour vous est toujours le même et j’espère de la bonté de Dieu qu’il ne variera jamais.

J’ai compassion de ce que vous souffrez. Mais pour ce qui est du temporel de votre monastère, je voudrais que vous vous en préoccupiez moins. Sinon, Dieu vous oubliera, et vous tomberez dans toutes sortes de nécessités temporelles et spirituelles, car ce sont nos préoccupations mêmes qui nous jettent dans le besoin. Jetez en Dieu, ma fille, toutes vos sollicitudes, et il aura soin de vous. Celui qui donne et veut donner le plus ne peut manquer de donner le moins.

Veillez bien à ne pas manquer du désir de manquer de quelque chose et d’être pauvre, car autrement, du même coup, la ferveur baissera, les vertus se relâcheront. Si jusqu’ici vous avez désiré la pauvreté, à présent que vous êtes Supérieure, vous êtes obligée de la désirer et de la chérir bien davantage. Vous devez gouverner dans cet esprit et pourvoir votre maison de vertus, d’ardents désirs du ciel, non de sollicitudes pour le temporel et de recherches des choses de la terre. Notre-Seigneur ne nous dit-il pas que nous ne devons nous préoccuper ni de la nourriture ni du vêtement, que nous ne devons point songer au lendemain ?

Ce que vous avez à faire, c’est de tenir votre âme et

1 L’autographe est chez les Carmélites de Cordoue.

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celle de vos religieuses unies à Dieu, plongées en Dieu, en toute perfection et régularité, dans l’oubli des créatures et des vues humaines, toutes passées en Dieu, heureuses avec lui seul. Alors je vous promets tout le reste. Que les autres monastères vous aident, quand vous êtes établie dans une si excellente ville et que vous recevez de si bons sujets, cela me paraît difficile ; cependant, si j’en vois le moyen, je ne manquerai pas de faire ce que je pourrai !

Je souhaite à la mère Sous-Prieure beaucoup de consolations, et j’espère de la bonté du Seigneur qu’il les lui accordera, si de son côté elle s’anime à porter son pèlerinage et son exil pour l’amour de lui. Je lui écris en même temps qu’à vous 1. Mon salut, en notre souverain Bien, à mes filles Madeleine, Saint-Gabriel 2, Marie de Saint-Paul s, Marie de la Visitation 4, Saint-François 5 et toutes les autres. Que Jésus soit toujours en votre esprit, ma fille ! Amen.

Madrid, 20 juin 1590.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

Je pense rentrer bientôt à Ségovie.

LETTRE XIX A une carmélite. Sans date 6.

Jésus, Marie.

Qu’en ce temps-ci votre occupation intérieure soit de soupirer après la venue de l’Esprit-Saint. Durant les jours

1 Cette lettre à Éléonore de Saint-Gabriel n’est pas arrivée jusqu’à nous. Nous en avons une à cette religieuse, écrite de Ségovie le 8 juin 1589.

2 Madeleine du Saint-Esprit et Jeanne de Saint-Gabriel, professes de Beas.

3 Marie de Saint-Paul appartenait au monastère de Caravaca ; elle vint de Malaga pour la fondation.

4 Marie de la Visitation, professe de Séville, vint également à Cordoue lors de la fondation.

5 Bernardine de Saint-François, sœur converse, venue novice de Malaga, avait été reçue à la profession peu après l’arrivée des fondatrices à Cordoue.

6 Contrairement à son habitude, saint Jean de la Croix ne donne à cette lettre ni date ni lieu d’origine. Le P. Silverio pense qu’elle a pu être écrite à Madrid même. L’autographe se garde en ce monastère.

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de la Pentecôte et ceux qui suivront tenez-vous continuellement en sa présence. Que toute votre application, que tous vos désirs soient tellement fixés en cet unique point, que vous méprisiez tout le reste. Ne vous occupez ni de vos souffrances ni de vos souvenirs importuns. Si pendant ces saints jours il se commet des fautes dans votre communauté, supportez-les pour l’amour du Saint-Esprit, et afin de vous donner tout entière à la paix et au repos de l’âme, parce que c’est dans la paix que ce divin Esprit aime à faire sa demeure.

Si vous pouvez vous débarrasser de vos scrupules, ne vous confessez pas pendant ces saints jours. C’est, à mon avis, le meilleur pour votre repos. Quand vous vous confesserez, faites-le de la manière suivante.

Touchant l’advertance donnée aux pensées de jugements téméraires, aux représentations mauvaises de l’imagination, ou aux autres mouvements désordonnés qui se produisent sans que l’âme le veuille et qu’elle y consente, ou qu’elle s’y arrête volontairement, ne vous en confessez pas et ne vous en mettez pas en peine. Le mieux est d’oublier tout, quelque tourment qu’éprouve votre âme à ce sujet. Tout au plus, pourrez-vous dire d’une manière générale l’occasion qui s’est présentée et la négligence que peut-être il y aura eu par rapport à la pureté et à la perfection que Dieu demande des puissances intérieures : mémoire, entendement et volonté.

Au sujet des paroles, vous pouvez dire qu’elles ont été en trop grand nombre, que vous avez manqué de vigilance pour parler selon la vérité et la droiture, conformément à la nécessité et à la pureté d’intention.

Touchant les actions, vous pouvez dire que vous avez manqué de vues droites, dégagées de tout ce qui n’est pas Dieu.

En vous confessant de cette manière, vous pouvez être

391

tranquille. N’accusez en particulier aucune de ces matières importunes, quelque combat qu’elles vous livrent. Vous communierez le jour de la Pentecôte, en plus de vos communions ordinaires. Quand quelque désagrément, quelque peine vous atteindra, souvenez-vous de Jésus Crucifié et gardez le silence.

Vivez en foi et en espérance, bien qu’en sécheresse et en obscurité. Dans ces ténèbres, le Seigneur tient l’âme sous sa protection. Jetez vos inquiétudes en Celui qui a soin de vous et qui ne vous oubliera point. Ne croyez pas qu’il vous laisse seule : ce serait lui faire injure.

Lisez, priez, réjouissez-vous en Dieu, votre trésor et votre salut. Qu’il vous accorde ses biens et qu’il vous les conserve jusqu’au jour de l’éternité ! Amen. Amen.

LETTRE XX (FRAGMENT) Au P. Jean de Sainte-Anne.

De Ségovie, année 1590 ou 1591. 1.

… S’il venait un temps, mon cher frère, où quelqu’un, fût-il ou non Supérieur, voulût vous persuader de mener une vie plus large et plus douce, confirmât-il ses paroles par des miracles, ne le croyez pas ; mais embrassez la pénitence et encore la pénitence, avec le détachement de toutes choses. Et si vous voulez posséder Jésus-Christ, ne le cherchez jamais sans la croix.

1 Le P. Jérôme de Saint-Joseph a donné ce fragment dans son Histoire æ la Réforme (t. 11. L. VIII, ch. xi). On lit en outre dans la Déposition du P. Alphonse de la Mère de Dieu au Procès apostolique : « Le P. Jean de Sainte-Anne, la dernière année de la vie du Saint, lui avait écrit à Ségovie pour le supplier de modérer ses pénitences et de ne pas achever de ruiner le peu de forces qui lui restaient, disant qu’en fils très humble il l’en suppliait pour l’amour de Dieu. Jean de la Croir répondit, en se confondant, que tout ce qu’il faisait n’était rien et l’anima à une vie pénitente. » Le P. Alphonse donnait ensuite le fragment que nous plaçons ici sous le titre de Lettre XX.

392

LETTRE XXI A Anne de Jésus, religieuse de Ségovie.

De Madrid, 6 juillet 1591 1.

Jésus soit en votre âme.

Je vous remercie beaucoup de m’avoir écrit, je m’en estime bien plus obligé envers vous que je ne l’étais. Si les choses n’ont pas tourné comme vous le souhaitiez, au lieu de vous en affliger, il faut plutôt vous en réjouir et en remercier Dieu. Puisque sa Majesté l’a ainsi ordonné, c’est que cela nous convient à tous. Il ne nous reste qu’à unir notre volonté à la sienne, afin que les choses nous paraissent ce qu’elles sont en réalité. Ce qui n’est pas conforme à nos goûts nous semble mauvais et fâcheux, si bon et si convenable qu’il soit. Cette fois, il est bien aisé de voir qu’il n’y a de malheur ni pour moi ni pour personne. Pour moi, rien ne pouvait être plus heureux, puisque, rendu à la liberté et dégagé de la charge des âmes, je puis jouir, si je le veux, avec l’assistance divine, de la paix, de la solitude et des fruits délicieux de l’oubli de soi et de' toutes choses. Pour les autres, il est très avantageux que je sois mis de côté, puisqu’ils seront préservés des fautes que ma misère leur aurait fait commettre.

Ce que je vous demande, ma fille, c’est de prier le Seigneur qu’il daigne dans la suite me continuer cette faveur, car je crains encore qu’on ne nie renvoie à Ségovie et qu’ainsi

1 Les Carmélites du Corpus Christi de Alcala de Henares vénèrent comme un autographe un manuscrit de cette lettre. Le P. Gérard doute que ce soit un original, Anne de Jésus, dans le monde Anne de Jimena, veuve de Franmis de Barros de Bracamonte, était fondatrice du monastère de Ségovie, où elle entra comme religieuse sous le nom d’Anne de Jésus. Sa fille y entra avec elle et s’appela Marie de l’Incarnation. C’est à celle-ci que s’adresse la lettre suivante. Sainte Thérèse parle avec éloge de la mère et de la fille au Livre des Fondations, ch. xxi.

393

je ne sois pas libre de tout fardeau. Je ferai ce que je pourrai pour échapper aussi à celui-là. Que si je ne puis y parvenir, la mère Anne de Jésus ne sera pas délivrée de mes mains — comme elle se le figure, et ainsi elle ne mourra pas avec le chagrin d’avoir, à son opinion, perdu le moyen de devenir une grande sainte.

De toute façon, soit que je m’éloigne, soit que je reste, et où qu’on m’envoie, je ne vous oublierai pas et je ne me départirai nullement de la sollicitude dont vous parlez, parce que c’est très sincèrement que je désire votre bonheur éternel. Pour le présent et en attendant que Dieu nous fasse jouir de ses biens dans le ciel, exercez-vous toujours à la pratique des vertus de mortification et de patience, désirant vous rendre par la souffrance quelque peu semblable à notre grand Dieu humilié et crucifié, car si cette vie ne sert à l’imiter, à quoi est-elle bonne ?

Que le Seigneur vous garde et accroisse en vous sa dilection comme en l’une de ses saintes amantes ! Amen.

Madrid, 6 juillet 1591.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE XXII (FRAGMENT) A Marie de l’Incarnation, religieuse de Ségovie.

De Madrid, 6 juillet 1591 1.

… Ne vous faites pas la moindre peine, ma fille, de ce qui m’est arrivé, cela ne m’en cause aucune à moi-même. Ce qui m’afflige beaucoup, c’est de voir rejeter la faute

1 Ce fragment nous a été conservé par le P. Jérôme de Saint-Joseph dans son Victoire de notre Saint. (L. VII, ch. Ii.) Dans sa déposition juridique au Procès informatif de l’année 1616, la mère Marie de l’Incarnation parle de cette lettre et de l’occasion qui la motiva. Elle y signale les paroles suivantes, qu’elle avait gardées dans sa mémoire. « N’ayez pas cette pensée, mais dites-vous que c’est Dieu qui conduit tout, et là où il n’y a pas d’amour, mettez de l’amour, et vous recueillerez de l’amour. »

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sur qui ne la mérite pas. Ce ne sont pas les hommes qui conduisent ces événements, c’est Dieu. Il sait ce qui nous convient et conduit tout pour notre plus grand avantage. Éloignez donc toute autre pensée, pour vous attacher à celle-ci : c’est Dieu qui ordonne tout. Là où il n’y a pas d’amour, mettez de l’amour, et vous recueillerez de l’amour.

Que le Seigneur vous garde et vous fasse croître en sa sainte dilection ! Amen.

Madrid, 6 juillet 1591.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

Sur la demande qu’il en avait faite au Vicaire Général avant de quitter Madrid, Jean de la Croix se retira en Andalousie. De là, il écrivit au P. Antoine de Jésus, Provincial, qu’il se trouvait dans sa province et lui demanda en quel couvent son bon plaisir était de le voir fixer sa résidence, Le P. Antoine lui écrivit sa joie de le savoir dans sa province en laissant à son choix le couvent où il préférait se rendre. Le Saint, dans une seconde lettre, refusa de choisir et s’en remit à la volonté de ses Supérieurs ; il exprima seulement ses désirs de solitude et de retraite. En conséquence, le couvent de la Peñuela lui fut assigné. (Cf. P. Alphonse, L. II, ch. xxiv.)

L’un des premiers jours d’août, il écrivit à Doña Anne de Peñalosa une lettre qui s’est perdue. Il lui annonçait son arrivée à la Peñuela, faisait l’éloge de la solitude et l’exhortait à chercher le repos intérieur.

LETTRE XXIII (FRAGMENT) A Elvire de Saint-Ange,

carmélite à Medina del Campo,

De la Peñuela, août ou septembre 1591 1.

… Aimez beaucoup ceux qui ne vous aiment pas et vous contrecarrent, parce qu’ainsi l’amour naît dans le

1 Ce fragment nous est connu par la déposition qu’Elvire de Saint-Ange elle-même a donnée au Procès informatif à Medina del Campo, le 20 novembre 1614. (Cf. P. Louis de la Trinité : Le Directeur d’âmes.)

395

cœur qui en était privé. Dieu en agit ainsi avec nous. Il nous aime, afin que nous l’aimions en raison de l’amour qu’il nous porte.

Plusieurs Carmélites de Grenade, notamment Marie de la Mère de Dieu, Catherine du Saint-Esprit et Augustine de Saint-Joseph, ont parlé dans leurs dépositions, données au Procès apostolique, des lettres qu’elles échangeaient avec leur bienheureux Père pendant son séjour à la Peñuela. Ces lettres traitaient des besoins de leurs âmes et de matières spirituelles.

À la même époque, il écrivit à Marie de Saint — Jean, carmélite de Grenade, lui disant entre autres choses la joie qu’il éprouvait à vivre dans cette solitude, dégagé de tout office. (V. Alphonse, L. II, ch. xxiv.)

Le 22 août de cette année 1591 il adressa une lettre à une personne de Baëza. Il y traitait d’abord certains points de spiritualité ; il parlait ensuite des consolations qui remplissaient son cœur. Ces consolations, disait-il, étaient telles, qu’il fallait les goûter seul, sans les communiquer à ses amis. (Ibid.)

De la Peñuela encore, saint Jean de la Croix répondit aux lettres de plusieurs religieux de la province de Grenade, qui s’étaient offerts à l’accompagner dans son voyage aux Indes. Il les remercie de leur charité et leur dit qu’il est venu à la Peñuela en vue de se préparer à une autre traversée que celle des Indes, les Indes du ciel, et qu’il se propose d’employer à ces préparatifs le peu qui lui reste de vie. (L. I 1, ch. xxiv.)

LETTRE XXIV A Anne de Peñalosa.

De la Peñuela, 21 septembre 1591 1.

Jésus soit en votre âme, ma fille.

J’ai reçu à la Peñuela, où je me trouve en ce moment,

1 L’original, quelque peu incomplet, se vénère chez les Carmélites de Salamanque. Les cinq premières lignes font défaut. Heureusement le P. Jéreme de Saint-Joseph avait publié cette lettre dans sa Vie de notre Saint alors qu’elle était intacte, ce qui a permis au P. Silverio de rétablir le texte en toute certitude.

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le pli de lettres que m’a apporté votre serviteur. Je vous suis très reconnaissant d’avoir pensé à moi. Je pars demain pour Úbeda, où je vais aller soigner une petite fièvre. Comme il y a huit jours qu’elle me prend chaque jour sans vouloir me quitter, je crois avoir besoin du secours de la médecine. Mais mon intention est de revenir ensuite ici, car je me trouve on ne peut mieux dans cette sainte solitude. Vous me dites de bien me garder de me rendre auprès du Père Antoine 1. Soyez sûre que j’éviterai de tout mon pouvoir le fardeau dont vous parlez et tout autre.

J’ai eu beaucoup de joie d’apprendre que Don Louis 2 est prêtre du Seigneur. Puisse-t-il exercer le sacerdoce de longues années ! Et que Notre-Seigneur réalise les désirs de son âme ! Offrez — lui mes félicitations. Je n’ose lui demander de porter quelquefois mon souvenir au Saint Sacrifice, mais moi, qui suis son obligé, j’y porterai toujours le sien. Quoique j’aie peu de mémoire, il est si intimement uni à sa sœur, que j’ai toujours présente à mon souvenir, que je ne pourrai l’oublier. À ma fille Doña Inès, offrez tous mes saluts dans le Seigneur. Priez-le toutes deux pour qu’il daigne me mettre dans les dispositions voulues pour aller à lui.

Je ne sais plus que vous dire et, à cause de la fièvre, je dépose la plume. Pourtant j’avais le désir de vous écrire longuement.

La Peñuela, 21 septembre 1591.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

1 Voir à notre Introduction ce que nous avons dit de cette recommandation adressée par Anne de Peñalosa à son père spirituel, d’éviter de se rendre auprès du P. Antoine.

2 Don Louis de Mercado, auditeur de la Chancellerie de Grenade et frère d’Anne de Peñalosa, était entré dans les ordres après la mort de sa femme et devait mourir Évêque de Cordoue. Il avait une fille, doña Inès de Mercado, qu’il avait confiée à sa sœur. Inès de Mercado épousa dans la suite Louis de Mercado, son cousin, et vécut jusqu’à la mort dans les exercices de la plus haute piété. Son mari a déposé au Procès informatif pour la cause de saint, Jean de la Croix.

397

Vous ne me dites rien du procès. Se poursuit-il ou est-il arrêté ?

En novembre 1591, à la suite des informations diffamatoires commencées contre notre Saint par le Visiteur général Diego l’Évangéliste le 2 du même mois — dia de ánimas, — plusieurs religieux lui avaient écrit pour l’engager à porter plainte au Vicaire Général et à son Définitoire. Jean de la Croix leur répondit d’Úbeda qu’il n’était qu’un ver de terre, qu’on ne lui faisait point de tort, que c’était son devoir d’embrasser avec amour les dispositions de son Créateur à son égard, et rien de plus. (Cf. P. Alphonse, L. II, ch. xxix et Déposition du même au Procès apostolique.)

De son côté, le P. Jean l’Évangéliste, son confident et son secrétaire tandis qu’il résidait à Grenade et à Ségovie, lui écrivit de Malaga pour l’avertir de ce qui se tramait contre lui. Le Saint lui répondit qu’il était loin de s’affliger, que tout cela ne faisait qu’accroître son amour pour Dieu et pour son prochain. Il lui citait à ce sujet cette parole de l’Écriture : « Filii matris meœ pugnaverunt contra me. » (Cf. P. Alphonse, Ibid.)

Celui qui refusait de dire un mot pour sa propre défense, alors qu’il était sous le poids des plus infamantes accusations, écrivait un grand nombre de lettres pressantes en faveur du P. Gratien, dont la cause était pendante au tribunal du P. Doria et de ses Consulteurs. On sait qu’il ne s’agissait de rien moins que d’expulser de la Réforme le coadjuteur et le fils de prédilection de sainte Thérèse. Les lettres de Jean de la Croix restèrent sans effet. L’injuste expulsion eut lieu peu après sa mort, le 17 février 1592. Les démarches du Saint en faveur du P. Gratien sont connues par une lettre du P. Jean l’Évangéliste. (Cf. Memorias historiales A, 70, Bibl. nat. de Madrid.)

LETTRE XXV (FRAGMENT) Au P. Jean de Sainte-Anne.

D’Úbeda, novembre 1591 1.

Jésus !

… Mon fils, ne soyez pas en peine de tout ceci. On ne peut m’ôter l’habit que si je suis incorrigible et désobéissant. Or, je suis tout disposé à me corriger de toute faute que j’ai pu commettre et à subir toute pénitence qu’on voudra m’imposer.

Fr. JEAN DE LA CROIX.

LETTRE XXVI (FRAGMENT) A Anne de Saint-Albert.

D’Úbeda, novembre 1591 2.

MA CHÈRE FILLE,

… Vous avez dû apprendre les épreuves que nous subissons. Dieu le permet pour la gloire de ses élus. Notre force sera en silence et en espérance. Recommandez-moi à Dieu. Je lui demande de vous faire sainte.

1 Nous apprenons par la Déposition du P. Luc du Saint-Esprit au Procès de Béatification qu’à Úbeda, étendu sur son lit de souffrances et déjà aux portes du ciel, notre Saint dictait encore des lettres pour ses enfants spirituels. La dernière dont il soit fait mention est celle qu’il adressa par l’entremise de ce religieux à Doña Anne de Peñalosa. Il lui disait la joie que son âme goûtait à souffrir pour Dieu. (Inform. de Jaén.)

1 Ce fragment nous est connu par le P. Joseph de Jésus-Marie, qui l’inséra dans sa Vie de notre Saint, t. 11, L. XX.

2 Ce fragment vient d’une Relation de Marie du Saint-Sacrement, carmélite de Caravaca.


Censure infligée par saint Jean de la Groix aux voies spirituelles tenues par une carmélite

Je crois démêler dans la voie spirituelle tenue par cette âme cinq défauts qui m’empêchent d’y voir le bon esprit.

1° Cette âme marque beaucoup de gourmandise spirituelle et d’esprit de propriété. Le bon esprit, au contraire, produit toujours une grande nudité dans l’appétit.

2° Elle fait paraître beaucoup d’assurance et peu de crainte d’errer dans les voies intérieures. Or, l’esprit de Dieu est toujours accompagné de cette crainte dont le propre est de préserver l’âme du mal, ainsi que le dit le Sage 1.

3° Elle paraît préoccupée de persuader que les grâces reçues par elle sont véritables et fort élevées. Le bon esprit n’a pas cette préoccupation ; au contraire, il imprime le désir d’être l’objet de la mésestime et du mépris, et lui-même cherche à se rabaisser.

4° C'est ici le point le plus à noter. On ne trouve pas dans la voie que tient cette âme les effets de l’humilité. Or, quand les faveurs sont de Dieu — et cette âme affirme que les siennes le sont — elles commencent par anéantir l’âme dans une profonde humilité intérieure. Si les grâces dont cette âme se prétend gratifiée avaient produit sur elle cet effet, elle n’aurait pas manqué d’en noter quelque chose et même de s’y étendre ; car en pareil cas, ces sentiments d’humilité sont les premiers qui se présentent à dire

1 Prov. XIII.

400

et à développer ; ils opèrent si puissamment qu’on ne peut les dissimuler. Il est vrai qu’ils ne sont pas aussi notables dans toutes les communications divines, mais quand il s’agit d’union — et c’est le terme employé ici, — ils ne sont jamais absents. En effet, avant d’être élevé, l’esprit est humilié 1, et il est bon d’avoir été humilié 2.

5° Le style et le langage employés ne paraissent pas en rapport avec les effets surnaturels dont il s’agit. Le bon esprit enseigne un style plus simple, dégagé de l’affectation et des exagérations qu’on remarque ici. Du reste, ces affirmations : J’ai dit à Dieu, et : Dieu m’a dit, sont ridicules.

Mon avis est qu’il ne faut ni commander ni permettre à cette religieuse d’écrire quoi que ce soit, et le confesseur doit se montrer peu disposé à l’entendre sur ce sujet, sinon pour avoir l’occasion de rabaisser et de mépriser ce qu’elle lui dira. Qu’il l’exerce sèchement à la pratique des vertus, spécialement au mépris de soi, à l’humilité et à l’obéissance. Ce sera la pierre de touche de la soumission que doivent avoir produite en cette âme tant de faveurs reçues. Mais les preuves demandent à être solides, car il n’est pas de démon qui, pour sauvegarder son honneur, ne soit prêt à endurer quelque chose.

1 Prov., xviii, 12. 2 Ps. cxviii, 71.

TABLE DES MATIERES

Table des matières

JEAN DE LA CROIX 3

VIVE FLAMME B & CANTIQUE A 3

& POEMES & LETTRES 3

VIVE FLAMME B 6

Extraits des introductions par la Mère Marie du Saint-Sacrement 6

Introduction à la Vive Flamme d’amour 6

Avant-Propos à la seconde Vive Flamme d’amour 13

Llama de amor viva - Vive Flamme d’amour traduite par Marie du Saint-Sacrement 19

PRÔLOGO 20

PROLOGUE 21

CANCIÔN 1 25

STROPHE 1 26

CANCIÔN 2 94

STROPHE II 95

CANCIÔN 3 161

STROPHE III 162

CANCION 4 293

STROPHE IV 295

Strophe première de la main de Cyprien (1641) 323

La vive flamme d'amovr qui traite de la plus intime vnion & transformation de l'Ame en Dieu. 323

PROLOGVE DE L'AVTHEVR. 324

CANTIQVE QVE CHANTE l'Ame en l'intime vnion auec Dieu. 326

EXPLICATION DV I. COVPLET, 328

Strophe première traduite par Max Huot de Longchamp (2010) 345

Prologue 345

CANTIQUE A 371

Iprésentation par Max Huot de Longchamp 372

Cantique d’Amour divin traduit par René Gaultier (1622) 378

POÉSIES 523

Introduction aux Poésies 523

Poésies 541

Chant de l’âme dans la nuit obscure. 543

Chant d’amour entre l’âme et son Époux. 545

Chant de l’âme dans son intime union, avec Dieu. 559

Une sublime contemplation. 561

Plainte de l’âme qui aspire à voir Dieu 565

L’exploit d’amour. 569

Le divin Berger. 571

La Fontaine jaillissant dans la nuit ou La Divinité connue dans la foi. 573

Dieu seul pour appui. 577

Le « Je ne sais quoi ». 579

De la création. 585

Lettres et Censure 587

Introduction aux Lettres de saint Jean de la Croix 587

LETTRES DE SAINT JEAN DE LA CROIX 603

LETTRE I 604

LETTRE II (FRAGMENT) 605

LETTRE III (FRAGMENT) 608

LETTRE IV À la même. 609

LETTRE V Aux Carmélites de Beas. 609

LETTRE VI Encore aux Carmélites de Beas. 611

LETTRE VII A Eléonore-Baptiste. 613

LETTRE VIII Au P. Ambroise Mariano. 614

LETTRE IX A Jeanne de Pedraza. 615

LETTRE X A une demoiselle de Madrid. 617

LETTRE XI Peut-être à Béatrix de Saint-Michel, Prieure de Grenade. 619

LETTRE XII A Éléonore de Saint-Gabriel. 620

LETTRE XIII (FRAGMENT) A la même, juillet [1589 ou 1590 2]. 621

LETTRE XIV A Marie de Jésus, Prieure de Cordoue. 622

LETTRE XV A Madeleine du Saint-Esprit. 624

LETTRE XVI Au P. Nicolas Doria. 625

LETTRE XVII A Jeanne de Pedraza. 626

LETTRE XVIII A Marie de Jésus, Prieure de Cordoue. 628

LETTRE XIX A une carmélite. Sans date 6. 630

LETTRE XX (FRAGMENT) Au P. Jean de Sainte-Anne. 631

LETTRE XXI A Anne de Jésus, religieuse de Ségovie. 632

LETTRE XXII (FRAGMENT) A Marie de l’Incarnation, religieuse de Ségovie. 634

LETTRE XXIII (FRAGMENT) A Elvire de Saint-Ange, 635

LETTRE XXIV A Anne de Peñalosa. 636

LETTRE XXV (FRAGMENT) Au P. Jean de Sainte-Anne. 638

LETTRE XXVI (FRAGMENT) A Anne de Saint-Albert. 638

Censure infligée par saint Jean de la Groix aux voies spirituelles tenues par une carmélite 639

TABLE DES MATIERES 641

Fin 644





Fin

1Les traductions de Marie du Saint-Sacrement ont été rééditées en 2001. Mais partiellement, sans Les épines de l’esprit ni les présentations de la traductrice, et avec des corrections non signalées et discutables.

La traduction par Cyprien a été écartée pour la Vive Flamme (Oeuvres complètes traduites de l’espagnol par le R.P. Cyprien... , Bibliothèque Européenne, v. La note en petit corps de la page 949).

On croyait pouvoir lire nos deux traducteurs spirituels ! Dernier avatar textuel récent : la Vive flamme hors le ‘poème’ n’a pas été retenue en Pléiade (2012) qui regroupe Thérèse et Jean, liés historiquement mais mystiquement différents.

Ce qui justifie le présent travail de retour aux sources. Il faut lire Jean ‘mis à l’envers’ chronologiquement pour ne pas décourager le lecteur. Car sur les quatre exemplaires de Marie du SS. (1933-1937) acquis à prix très raisonnable en occasion, les deux derniers - soit La première Vive Flamme d’amour, Le second Cantique spirituel et La seconde Vvie Flamme d’amour, Oeuvres diverses - n’étaient pas coupés ! Le premier lecteur fatigué, s’arrêtant trop tôt,  n’aurait-il pas réduit Jean à la ‘terrible nuit’ ?

2Oeuvres de Saint Jean de la Croix […] Traduction nouvelle par la Mère Marie du Saint-Sacrement, Tome troisième, La première Vive Flamme […], 7-22.

3 Dans ce choix prélevé dans l’introduction je ne donne pas les notes érudites le plus souvent justificatrices.

4Oeuvres de Saint Jean de la Croix […] Traduction nouvelle par la Mère Marie du Saint-Sacrement, Tome quatrième, La seconde Vive Flamme […], 7-16.

5 Tome III, v. supra.

6 C’est en la substance de l’âme (rééd.)

7

8 Sg 1, 17

9 Pr 8, 31

10 Jn 14, 23

11 Au feu de Dieu (rééd.]

12 Is 31, 9

13 Cf. Hymne de la Dédicace d’une église : « Jérusalem … beata pacis visio ». (note de la rééd.)

14 Ou l’amour est parfait (rééd.)

15 un four (rééd.)

16 Sg 7, 24

17 Lm 1, 13

18 Ps 16, 3

19 Jb 30, 21

20 Lm 3, 1-9

21 Tb 6, 8

22 Jn 1, 5

23 Ct 8, 5

24 Conforme [à la volonté de DieuNote] Note : Glose traditionnelle de traducteurs (Ed.) (rééd.)

25 I Co 13, 5

26 cf. Rm 8

27 Ps 16, 15

28 Ex 33, 22

29 Ct 2, 10-14

30 Mt 6, 10

31 II Co 5, 1 — Ici longue citation latine dans l’édition 1937 (comme ailleurs, cette édition originelle rapporte en note ses sources en latin — heureusement toutes traduites dans la rééd.).

32 Le verbe « falloir » devrait-il être omis ? Remplacé par la passiveté — et non passivité — dans les épreuves de la vie. Ascèse d’époque. (NDE).

33 Ps 115, 5

34 Is 26, 16

35 Ph 1, 23

36 Ps 89, 9

37 Ps 8, 4

38 Is 40, 17 – Et, comme dit Isaïe, Toutes les nations… (rééd.)

39 pourquoi est exprimé ici (rééd.)

40 La réédition « dans l’assaut, on rompt effectivement le tissu ; on ne le tranche pas », omet l’explication d’origine médiévale : « tournoi » et « bannière », des « précisions » au texte  ajoutées par Marie du S.-St. d’origine noble : « La secunda, porque ell amor es amigo de fuerza de amor y de toque fuerte e impetuoso, le cual se ejecuta màs en el romper que en el cortar y acabar. » — L’explication est suggérée par toque, cortar y acabar. Cette note illustre ce que l’on a reproché à une traductriceadaptatrice bonne lectrice de Cervantes et méfiante d’un mot-à-mot à quatre siècles d’écart.

41 Qo 7, 9

42 Sg 4, 10-14

43 Ps 83, 2

44 Ps 16, 2

45 Rééd. : « cautère suave »

46 Rééd. : « Fils de Dieu, qu’elle nomme “touche légère”

47 « es dàdiva con que… » Rééd. : « est la transformation »

48 4 DT, 24

49 Ac 2, 3

50 Homilia 30 in Evang., PL [Patrologie Latine] 76, 1220

51 Breviarium romanum, 1er répons des Matines du jeudi dans l’octave de la Pentecôte.

52 I Co 2, 15

53 I Co 2, 10

54 Rééd. : « du Bien-Aimé ».

55 Rééd. : « Si le soleil a des effets si surprenants, pourquoi, comme l’assure l’Esprit Saint, n’embraserait-il pas les montagnes de trois manières (Si 43, 4), je vaeux dire les saints ? » [trois manières ajouté — justes en saints].

56 « Ajout de la Rééd. (justifié, dont le texte espagnol a été “oublié” par Marie du SS.) :… n’être plus qu’une plaie d’amour. Et ainsi, cautérisée et changée en plaie d’amour, elle est entièrement guérie en amour, parce que transformée en amour. Il faut comprendre que la plaie dont l’âme parle ici est entièrement endolorie et saine. Mais le cautère d’amour ne manque pas de remplir son office qui est de toucher et blesser d’amour. Et comme dans cette âme…

57 Rééd. : « et plus exquis ! »

58 Rééd. : de l’esprit comme dans le cœur de l’âme transpercé.

59 Rééd. : grain de moutarde

60 Mt 13, 31

61 Rééd. : se trouve au cœur de l’esprit.

62 Rééd. : la vertu

63 Jb 10, 16

64 Ps 30, 20

65 Sg 9, 15

66 Ga 6, 17

67 Rééd. (ajout) : le Père miséricordieux

68 Rééd. (omission) : tout-puissant. Cette main

69 Ps 103, 32

70 He 3, 6

71 32 DT, 39

72 He 1, 3

73 Rééd. (modification) : Fils unique, en qui comme il est ta substance tu atteins

74 Sg 7, 24

75 Rééd. (insiste sur la filiation christique) : Pureté. C’est ton Fils unique, ô main miséricordieuse du Père, qui est la touche légère dont tu m’as touchée dans la force de ton cautère et dont tu m’as blessée ! [y este Unigénito Hijo tuyo, ! oh mano misericordiosa del Padre ! Es el toque delicado con que me tocaste en la fuerza de tu cauterio y me llagaste].

76 Ba [Baruch] 3, 22 (Téman : une ville édomite ; près de Pétra ?)

77 I R 19, 11-12

78 Rééd. : terrible ! Dis-le

79 Jn 14, 17

80 Rééd. : O mon Dieu et ma Vie ! Ceux-ci te connaîtront, ceux-ci recevront

81 Ps 30, 21

82 Rééd. (vase omis) : et que mon âme est devenue

83 La « Réédition » transforme ce paragraphe qui devient : « Il faut savoir que plus la touche est légère, plus son contact est délicieux et plus elle apporte la joie. Elle a d’autant moins de grosseur et de lourdeur. Cette touche divine n’a ni grosseur ni lourdeur, par ce que le Verbe qui la produit est étranger à toute lourdeur, libre de forme, de figure et d’accident qui d’ordinaire cernent et limitent la substance. La touche dont nous parlons, si elle est substantielle, est de substance divine et donc ineffable. Ô oui ! Touche ineffablement légère du Verbe qui ne se produit dans l’âme par rien moins que par ta substance très simple et ton être intime. Et comme il est infini, i lest infiniment léger et sa touche est subtile, amoureuse, profonde et délicate. Et pour cela aussi : Elle a le goût d’éternité ! »

[español : « ! O, pues, toque delicado, y tan delicado que, no sintièndose en el toque bulto alguno, tocas tanto mas al alma, y tanto màs adentro tocandola la yndivinas, cuanto tu divino ser con que tocas està ajeno de modo y manera y libre de toda corteza de forma y figura !O, pues, finalmente, toque delicado y muy delicado !, pues no le haces en el alma sino con tu simplicisimo y sencillisimo ser, que, como es infinito, infinitamente es delicado ; y per eso que a vida eterna sabe. »]

84 Rééd. : cette touche de Dieu

85 Rééd. : un contact

Dorénavant j’omettrais de nombreuses variantes « mineures » puisqu’il ne s’agit pas d’achever l’édition critique d’une traduction ! Seulement de souligner l’écart entre source et réédition révisée ; de permettre la reprise exacte de notre traduction préférée. Marie du Saint-Sacrement adapte assez souvent sans mise en note. Le travail mené en Inde puis édité en France ne lui facilitait guère une forme érudite.

Se reporter à l’espagnol  est conseillé. Celui de Jean de la Croix est aussi simple que lumineux (comparez par ex. à la langue difficile d’une autodidacte d’origine rurale, l’admirable Ana de San Bartolome). Jean de la Croix veille à l’économie du vocabulaire et à la clarté d’exposition par souci de ses novices et de ses lectrices.

86 Ap 2, 17

87 Ps 34, 10

88 Mt 19, 23

89 Rééd. (ajout) : « Mais pour comprendre quelles sont ces dettes dont l’âme se déclare ici payée, il faut savoir »

90 Ac 14, 22

91 Rééd. : « sont de trois sortes : des peines et des désolations, des craintes… » (paragraphe réécrit).

92 II Co 12, 9

93 Lm 1, 13

94 Jr 31, 18

95 Si 34, 9-11

96 Rééd. (ajout) : « perfection de l’union avec Dieu.

97 Jr 12, 5

98 Cf. Lc 14, 27 et Jn 19, 29

99 Tb 12, 13

100 Tb 14, 4

101 Jb 1-2 ; 42, 10 et 12

102 Ps 11, 7

103 II Co 6, 4

104 Qo 10, 4

105 Ps 138, 12

106 II Co 1, 7

107 Ps 70, 20-21

108 Est 4, 1-6 et 6, 10-11

109 II Co 5, 1

110 Rm 8, 13

111 Ep 4, 22-24 — Rééd. : « justice et la sainteté. »

112 Ps 76, 6

113 Rééd. : « désormais appétit de Dieu. »

114 Rééd. (ajout) : « des mouvements divins, morts à son opération et à son inclination et vivant à Dieu. En vraie fille…

115 Rm 8, 14

116 Rééd. : (ajout justifié de la volonté, corrigeant un oubli : ...y la volundad suya es volundad de Dios...) : « l’entendement de Dieu, sa volonté est la volonté de Dieu, sa mémoire

117 Ga 2, 20

118 I Co 15, 54

119 Os 13, 14 — la réédition ajoute (absent de l’espagnol) : « comme s’il disait : “Moi qui suis la vie, étant la mort de la mort, la mort sera engloutie par la vie.”

120 Ct 1, 3-5

121 La Rééd. ajoute en note : « Un paragraphe entier [à intercaler entre “… roi céleste.” et « Dans cete état de perfection »]n’a pas été repris ici dans la deuxième rédaction (Ed.) » Paragraphe omis également de la traduction du R. P. Grégoire de Saint Joseph, Seuil, 1964.

En effet ! : il figure comme «  Recopilacion de la cancion ; — ! O, pues, cauterio de fuego [….] porque tu vuelves la muerte en vida admirablemente ! » (ed. Crisogono, p. 927 ; ed. E. Pacho, Editorial Monte Carmelo, p.1030, sans la mention Recopilacion).

122 Jb 29, 20 et 18

123 Sg 7, 27

124 Rééd. : « Parce que les mérites de l’âme en cet état sont ordinairement grands en nombre et qualité, elle s’en va chantant communément à Dieu en son esprit tout ce que dit David dans le psaume qui commence ainsi : » — ce qui est loin de la sobriété textuelle respectée chez Marie du SS. : « Y todo lo que David dice en el Salmo 29 anda cantando a Dios entre si, particularmente aquellos dos versos postreros qui dicen : »

125 Ps 29, 2 et 12-13

126 Ct 2, 16

127 Rééd. (conforme au texte espagnol) : « disons d’abord que les lampes ont deux propriétés : elles éclairent et elles échauffent. Pour bien comprendre… »

128 Rééd. : « et amour de Dieu. Ce sont ces lampes…

129 Ex 34, 6-7

130 Ct 8, 6

131 Ct 7, 1

132 Gn 15, 12-17

133 Gen., xv, 12, 17. (Marie du SS.)

134 Ct 7, 2

135 Ps 44, 9-10

136 Ct 4, 15

137 Ps 45, 5

138 Jn 4, 14

139 Ac 2, 3

140 Ez 36, 25-26

141 2 M [Maccabées] 1, 20-22 ; 2, 1-12

142 Ct 8, 6

143 Rééd. : « des lampes »

144 Rééd. : «  que l’âme, avec ses puissances, se trouve illuminée au sein des splendeurs de Dieu [….] d’inestimables faveurs. On peut… »

145 Reprise de la réédition.

146 Lc 1, 35

147 Ez 1 et 2

148 Jos 15, 18-19

149 Sg 7, 26

150 Ps 41, 1

151 Ps 83, 3

152 Lm 3, 20-21 — La citation latine qui précède en plein texte chez Marie du SS. n’est pas reprise dans la réédition, conformément à sa mise en français de toutes les notes de la traductrice (décision très justifiée de même que leur mise en italique en plein texte de la réédition — que nous appliquons dans notre restitution).

153 Homilia 30 in Evang., PL 76, 1220 (Ed.)

154 I P 1, 12

155 Est 2, 12

156 Ct 3, 6

157 Ct 1, 3

158 Mt 15, 4

159 Passer du sens à l’esprit, Dieu le faisant en elles

160 Os 2, 14

161 Ps 84, 9 — Rééd. : « prononce en cette solitude. »

162 Ha 2, 1

163 Is 28, 9 — Rééd. : « à ceux à qui on a retiré le sein — c’est-à-dire des connaissances et intelligences particulières. »

164 Ex 5, 7-18

165 Ex 5, 1 ; 3, 22

166 Ex 12, 35-36

167 Ex 14, 27-28

168 Ex 16, 14 ss

169 cf. Ph 3, 8

170 Rééd. : «  Cf. L’adage des spirituels : Gustato spiritu, desipit omnis caro. (Ed.) »

171 Rééd. : « de valeur. Et alors qui réussira à appliquer cette main si délicate, qui était celle de l’Esprit saint qu’une main grossière aura détournée ? »

172 Ce paragraphe diffère dans la réédition.

Le §44 est long et absent de l’espagnol : « Ainsi n’entendant rien aux degrés de l’oraison [….] faisant perdre le recueillement déjà atteint. »

Crisogono, 949 ; Pacho, 1075 : « Y asi, no entendiendo [….] volver a alejarse del termino. »

173 Lc 14, 33

174 Mt 5, 3

175 Ps 120, 4

176 Jc 1, 17

177 Ps 126, 1

178 + !

179 Rééd. : cf. MC 2, 8, 6 ; (Ed.)

180 Ct 2, 4

181 +

182 Os 2, 14 (16)

183 Cf. Lc 5, 5

184 Ct 3, 5

185 Ct 2, 15

186 Is 3, 14

187 Ez 34, 3 et 10

188 Lc 14, 23

189 Rééd. : « mais même de les contraindre à entrer, disant en saint Luc : Force-les à entrer, afin que ma maison soit remplie d’invités (Lc 14, 23) ; Eux, au contraire, les contraignent à ne pas entrer. Voilà comment un maître »

190 Is 8, 6

191 Jb 41, 25 [26]

192 Jb 40, 18

193 Jb 41, 21

194 +

195 Rééd. (ajout justifié suite à oubli) : « échappe donc au sens. Comme dit le Sage : Les paroles de la Sagersse s’entendent en silence (Qo 9, 17). Que l’âme s’abandonne »

196 Qo 51, 26 [19]

197 Gn 1, 3

198 Gn 1, 2

199 +

200 Ps 18, 2

201 Ps 41, 8

202 + (l’échelle)

203 « Autre chose [que Dieu] » : correction justifiée.

204 +

205 Sg 4, 12

206 I Co 2, 14

207 +

208 Jn 17, 10

209 +

210 Jn 17, 26

211 Is 43, 21

212 Jn 1, 3

213 Ac 17, 28

214 Is 9, 6

215 He 1, 3

216 Pr 8, 15-16

217 +

218 Sg 7, 24

219 Sg 7, 27

220 +

221 Ps 43, 23

222 Ps 120, 4

223 Est 15, 16

224 Ex 33, 22

225 Est 15, 10 [5, 1]

226 Est 15, 12-15 [1-2]

227 Ps 40, 10

228 Rééd. : « spiration »

    229 Voici un lien pour accéder sur Google books à l’édition première publiée en 1641. J’utilise mon exemplaire augmenté [car doublé en volume par les contributions de Louis de Sainte Therese et de l’excellent Nicolas de Jésus Maria] daté de 1665. Edition utilisée par Mme Guyon dans ses « Justifications »...

    Notez que l’espagnol de Juan de la Cruz est — linguistiquement du moins — aisé par contraste à celui d’une carmélite de la même époque telle que la précieuse Ana de San Bartolomé : courage !

https:books.google.frbooks id=Y4SUoI8_hRMC&printsec=frontcover&dq=les+oeuvres+spirituelles+du+B+pere+Iean+de+la+Croix&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi33JPi1IXmAhWI4IUKHQ3KAW4QuwUILzAA#v=onepage&q=les%20oeuvres%20spirituelles%20du%20B.%20pere%20Iean%20de%20la%20Croix&f=false

230Compte tenu de la beauté de la traductiond je livre les quatre strophes.

231Permet de mieux comprendre « Dieu »

232Petit « s »

233Iudic.13.10 = Juges ch.13.20 : Alors la flamme de l’autel montant vers le ciel, l’ange du seigneur y monta aussi au milieu des flammes ; ce que Manué et sa femme ayant vu, ils tombèrent le visage contre terre. (Sacy).

234Psal.118.40 : Vous savez que j’ai beaucoup désiré vos commandments ; faites-moi vivre dans la justice de votre loi.

235Iere.23.29 = Jérémie 23.29 :Mes paroles ne sont-elles pas comme du feu, dit le Seigneur, et comme un marteau qui brise la pierre ?

236Ioan.6.64 : C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien.Les paroles que je vous dis sont esprit de vie.

237Ibid.67: Dès lors plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite, et n’allaient plus avec lui.

238Ibid.69.

239Psal.83.3

240Cant.5.6.

241Est.2.18.

242Prov.8.31.

243I Cor.5.

244NDE Platon

245Max Huot de Longchamp, Saint Jean de la Croix Pour lire le Docteur mystique, Nouvelle édition, revue et augmentée, suivi de la Vive Flamme d’Amour [Première strophe] Introduction, traduction et commentaire, Sources mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix éditions du Carmel, 2010.

246 Saint Jean de la Croix, Cantique d’amour divin traduit par René Gaultier (1622), Texte établi et présenté par M. Huot de Longchamp, Centre Saint Jean de la Croix, 1998, 7-12.

247 La vie de la vénérable Mère Anne de Jésus disciple et compagne de la Mère saincte Térèse de Iesus. Principale augmentatrice de son ordre & fondatrice d’iceluy en France et en Flandres […], A Bruxelles, Cjhez Godefroy Schoevaerts, au Livre blanc 1639. [bonne édition - v. Son ‘Advertissement pour la traduction’].

248 J’omets la suite ‘technique’ . Elle explique les annotations marginales : pagination de la source, paragraphes, références originelles, équivalences modernes... Ces équivalences très utiles ainsi que les références scripturaires modernes sont ici intégrées entre crochets au fil du texte.

249Saint Jean de la Croix, Cantique d’amour divin traduit par René Gaultier (1622), Texte établi et présenté par M. Huot de Longchamp, Centre Saint Jean de la Croix, 1998, 13-174.

250J’omets les pages 15 à 24 : « Au Révérend Père Archange », « Approbation des Docteurs », « Extrait du Privilège du Roi, » « Ode entre l’âme et l’époux » (les 39 strophes correspondant à la version A que l’on va retrouver commentées).

251 Orig. : indépendance

252 Orig . : naturel

253 Orig. +a

254 orig. : ils

255 Orig. : ils

256 Orig. : pouvez-vous

257 Orig. : amie

258 Orig. : ton… ta

259 Orig. : la femme

260 orig. : il

261 orig. : il

262 Orig. : dénué de l’or de la foi

263 orig. : procédé

264 orig. : du

265 orig. : procédé

266 orig. : du

267 orig. : navré

268 orig. : sentant

269 orig : qui est son naturel

270 orig. : invisible

271 NDE DT je ne reproduis pas toujours « connaissances » dont le sens récent est trop limité.

272 orig. : il

273 orig. : passible ...le

274 orig. : mes oreilles

275 orig. : mes yeux

276 orig. : des *dans les

277 orig. : lui

278 orig. : ils

279 orig. : effet

280 orig. : les

281 orig. : claire

282 orig. : il

283 orig. : ils

284 orig. : elle rencontre

285 orig : s'est dépouillée

286 orig. : car

287 orig. : qu’ils appelent

288 orig. : la

289 orig. : confirme

290 orig. : renouvellent

291 orig. : + lequel

292 orig. : toute portée

293 orig. : conversation

294 orig. : animer

295 orig. : il

296 orig. : il

297 orig. : il

298 orig. : de venir en

299 Orig. : Il

300 orig. : elle

301 orig. : se vanter

302 orig. : amie

303 orig. : le troublent

304 orig. : poing

305 orig. : ma

306 orig. + qui

307 orig. : le

308 orig. : et ne

309 orig. : ses

310 orig. : ce qui le

311 orig. : il

312 orig. : s'il

313 orig.: + et

314 orig. il

315 orig. : elle – Noter l’inversion du sens !

316 orig : + quand elle

317 orig. : saveurs

318 orig. : +

319 orig. : Que

320 NDE DT rupture dans la source éditée de page 147 à 148.

321 orig. : intérieur

322 orig. : il ... il

323 orig. : ils

324 orig. : sons... ...sons

325 orig. : naturelle et surnaturelle

326 orig. : il

327 orig. : il

328 orig. : unique

329 orig. : sa

330 orig. : sont

331 orig. : nous

332 orig. : communion

333 orig. : rendent

334 orig. : étant

335 orig. : étant

336 orig. : il

337 orig. : il

338 orig. : elles

339 orig. : il... il

340 orig. : descendre

341 orig. : il

342 orig. : il

343 [Texte établi et présenté par M. Huot de Longchamp] Textes et Etudes, centre Saint Jean de la Croix ; Cantique d’Amour divin traduit par René Gaultier (1622).

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