Mère MECTILDE 1614-1698
Il faudrait tout revoir de près sur les sources imprimées à partir de µ page 31 du présent tome soit le début des « Documents historiques » - ce qui ne me semble pas prioritaire compte tenu d’un intérêt ...historique. Le chercheur peut les retrouver en bibliothèques. L’état actuel du dossier est suffisant pour les recherches érudites.
L’important de nature mystique est regroupé dans les deux premiers tiers du tome I ! µ
On y joindra les lettres de ce présent tome II à corriger lors de leur saisie.
NIHIL OBSTAT Rouen, le 10 mai 1979
P. MALANDRIN IMPRIMATUR Rouen, le 12 mai 1979 M. DEVIS, vs.
J.DAOUST
Docteur ès Lettres avec la collaboration des Bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen
CATHERINE DE BAR
MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT (1614-1698)
Fondatrice de l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement
TEQUI 82, RUE BONAPARTE 75006 PARIS
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
Alors que beaucoup de nos contemporains s'intéressent aux « maîtres spirituels » du passé et notamment à ceux du Grand Siècle, il nous a semblé répondre à leur souhait en leur offrant un aperçu de la vie et de la doctrine de Catherine de Bar, en religion Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698), qui fonda, à l'ombre de Saint-Germain-des-Prés, l'Institut toujours florissant de l'Adoration perpétuelle.
Nulle existence n'a été plus mouvementée que la sienne. Non seulement elle passe d'un couvent d'annonciades à un monastère de bénédictines que dirigeaient des moines de Saint-Vanne, pour créer finalement sa propre congrégation, mais la guerre de Trente Ans, puis la Fronde et ensuite ses diverses fondations obligent cette moniale, rivée par profession à son cloître, à s'exiler de sa Lorraine natale pour se réfugier à Paris et en Normandie, et enfin, à partir de la capitale, sillonner les grands chemins afin d'implanter ou de visiter ses monastères. On a fixé aux environs de 1680 le passage de la stabilité au mouvement : un demi-siècle plus tôt, Mère Mectilde avait inauguré une série de pérégrinations qui ne s'achevèrent qu'à sa mort.
Cette moniale, dont la vie, bien malgré elle, ne fut qu'un continuel voyage, compte parmi les grands auteurs spirituels de la Contre-Réforme catholique au XVIIe siècle. Son rayonnement fut des plus intenses, non seulement dans l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, qu'elle établit pour compenser, par l'adoration réparatrice, les impiétés et les sacrilèges
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des calvinistes ou des libertins, mais aussi chez les âmes pieuses les plus nobles de son époque. En témoignent, outre un petit livre, près de quatre mille de ses lettres : elles sont d'une exceptionnelle qualité, tant par le style que par l'élévation et la cohérence de la pensée. Elles sont adressées, non seulement à ses religieuses ou à d'humbles « demoiselles », mais aux reines de France, de Pologne et d'Angleterre, à la duchesse d'Orléans, épouse de Monsieur, frère de Louis XIII, aux comtesses de Châteauvieux et de Rochefort, ou encore à des mystiques authentiques comme Jean de Bernières ou Henri Boudon.
« Ce qui est remarquable chez elle, écrit Louis Cognet, c'est cette espèce d'union constante du sens surnaturel le plus profond... et du solide bon sens le plus terre à terre. Elle avait vraiment le tempérament d'une grande fondatrice... Ce n'était pas une femme à phénomènes spectaculaires, mais c'était simplement une âme chez laquelle certainement l'idéal canfeldien d'union de la volonté à la volonté divine a été réalisé à un incroyable degré, à tel point qu'elle est parvenue à ce sommet de la vie mystique, où vraiment elle agit en Dieu avec la plus entière liberté. C'est évident par toute sa correspondance : il y a un équilibre chez elle... entre l'élément mystique et l'élément le plus strictement raisonnable... qui est rarement trouvé à un pareil degré ! ' ».
Les « morceaux choisis » que nous publions ici à la suite de la biographie de Mère Mectilde confirmeront l'exactitude de ce jugement.
1. L. Cognet, Conférence donnée à l'Institut catholique de Paris, le 8 février 1958 et I éditée dans Catherine de Bar, documents historiques, Rouen, 1973, p. 29 sq.
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UNE JEUNE ET PIEUSE BOURGEOISE DE SAINT-DIE (1614-1631)
Née le 31 décembre 1614 à Saint-Dié, baptisée le même jour en l'église Sainte-Croix et prénommée Catherine, la future Mère Mectilde était la troisième des six enfants de Jean de Bar et de Marguerite Guillon, fille unique d'un notaire du lieu. La famille, qui appartenait à la noblesse de robe, professait une foi catholique ardente et, dans cette Lorraine qu'avaient déchirée les guerres de Religion, s'attachait notamment au dogme de l'Eucharistie, rejeté par les Huguenots. Aussi, dès sa tendre enfance, Catherine aimait-elle s'agenouiller devant les autels et façonner de petits oratoires que dominait l'image du Saint Sacrement. Elle multipliait les prières, se mortifiait avec des instruments de pénitence et se montrait charitable envers les pauvres. Comme oraison favorite, elle avait choisi la formule de voeux que prononçaient les membres du tiers ordre de saint François.
A neuf ans, elle eut la douleur de perdre sa mère. Alors que celle-ci agonisait, l'enfant s'approcha de son lit : « Je vous prie, ma bonne maman, dit-elle, quand vous serez en paradis, après que vous aurez fait la révérence à la Sainte-Trinité, de lui demander la grâce que je sois religieuse ; ensuite, vous vous tournerez vers la Sainte Vierge et la supplierez qu'elle me prenne sous sa protection et qu'elle me serve de mère. » Piété eucharistique, piété mariale : cette double dévotion inspirera toute la carrière de Catherine de Bar.
Vers sa dixième année, elle commume pour la première fois. Elle n'a plus qu'un désir : reproduire les vertus de Jésus, victime dans le sacrement de l'autel. Cependant, son père décide de donner à sa fille, dont il apprécie l'intelligence pénétrante, l'éducation que recevaient à cette époque les jeunes bourgeoises : dessin, musique, peinture, travaux à l'aiguille, mais aussi les langues, dont le latin. « Si je m'applique à tout cela, estimait-elle, j'oublierai Dieu ; il vaut mieux que je pense à lui et que je néglige le reste ». Attirée depuis longtemps par le cloître, elle attend toutefois sa dix-huitième année pour déclarer sa vocation à son confesseur : « Vous ne resterez pas huit jours », lui rétorque celui-ci. « Huit jours ! réplique-t-elle ; eh ! n'est-ce rien que d'être huit jours à Dieu ? »
Son père la destinait à un gentilhomme fortuné et plein de qualités, mais qui périt à la guerre. Un noble Lorrain sollicita ensuite sa main. Catherine lui parla avec tant de flamme de la vie religieuse que le soupirant entra au couvent, où il mourut en odeur de sainteté.
Jean de Bar ne pouvait se résoudre à laisser partir son enfant chérie. Catherine s'adressa alors à sa soeur aînée, Marguerite, épouse de Dominique Lhuylier de Spitzemberg, colonel dans les troupes de Charles IV de Lorraine, gardien du château et des portes de Saint-Dié. Pour obtenir l'aide de sa soeur, elle proposa de lui céder les droits à la succession de sa mère, à la seule condition de payer sa dot de religieuse et ses frais de profession. Marguerite refusa le marché. Enfin, comme sa fille ne cessait de la harceler et tombait dans une langueur alarmante, le père se laissa arracher son consentement et lui désigna comme couvent un monastère d'annonciades, moniales dites aussi des Dix Vertus de la Vierge, qui se trouvait à Bruyères, au diocèse de Toul, à six lieues de Saint-Dié.
Entrée en novembre 1631 dans l'ordre créé jadis par sainte Jeanne de Valois, fille de Louis XI (1464-1505), Catherine de Bar se soumit volontiers à l'observance d'une maison naissante et dans sa première ferveur, que régissait d'une poigne assez rude la Mère Angélique du Saint-Esprit. Cette supérieure remarqua vite l'accablement de sa postulante et lui en demanda la cause : « Je ne puis aimer Dieu autant que je voudrais », avoua son interlocutrice. L'« ancelle », c'est-à-dire la prieure, la rabroua vertement, la traitant d'orgueilleuse. La jeune fille se réfugia alors dans sa cellule ou dans une sorte de grotte plàcée sous la protection d'un saint. Chaque religieuse disposait d'un ermitage de ce genre. Catherine l'avait mis sous le patronage de Marie. Un jour, dégoûtée de sa solitude, elle se jeta aux pieds de la Vierge. La tentation disparut et, depuis, elle aspira toujours à vivre en recluse.
Au début de 1632, elle reçut solennellement l'habit, en présence de toute sa famille. Hautbois et violons l'accompagnèrent jusqu'à l'autel. Mais le père s'évanouit quand sa fille franchit la grille pour se claustrer à jamais dans le couvent. Catherine de Bar était devenue soeur Saint-Jean-l'Évangéliste.
Peu de jours après, passa un cordelier, le père Etienne, qui proposa aux religieuses trois moyens infaillibles pour atteindre à la perfection : « N'avoir en vue que Dieu et faire tout pour lui seul ; ne considérer dans tous ses actes que la volonté de Dieu ; ce qu'on fait, le faire naturellement, promptement et gaiement ». Cette voie parut « toute divine » à soeur Saint-Jean.
Tout en s'occupant d'une douzaine de jeunes pensionnaires, la novice s'appliquait à garder le silence, à pratiquer l'obéissance totale envers ses supérieures, la pauvreté allant jusqu'au parfait dépouillement, l'humilité au point de se livrer à une confession générale et publique en plein réfectoire, enfin des austérités qui nous semblent aujourd'hui désuètes : cilice, fréquentes disciplines, ceintures de fer.... Elle combattait ses deux défauts essentiels : la vivacité et un amour-propre qui la rendait trop sensible au point d'honneur.
Elle affectionnait la dévotion au Saint Sacrement : « Est-il donc un moyen plus efficace de s'unir à Dieu aue la sainte Eucharistie ? se demandait-elle. La sainte Eucharistie, n'est-ce
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pas Dieu même ? » Tombée dans un état affreux de sécheresse, intérieurement désolée, elle supplia Marie : « Je ne sais pas prier et je ne sais pas à qui recourir pour m'instruire. Je suis perdue si vous ne daignez pas me servir vous-même de maîtresse, comme vous m'avez servi jusqu'à présent de mère. » Exaucée, elle déclarera plus tard : « Je puis vous assurer que c'est de la très sainte Vierge que j'ai appris tout ce que je sais ; elle a toujours été depuis ma maîtresse, et elle n'a cessé de m'instruire de mes devoirs dans toutes les situations où je me suis trouvée pendant ma vie ».
La supérieure avait pu juger des qualités de sa novice lors d'une épidémie de fièvre maligne qui sévit dans le monastère. Bravant le danger et les fatigues, soeur Saint-Jean n'hésita pas à remplacer toute seule les infirmières atteintes par la contagion. Admise à la profession en 1633, elle s'y prépara par une retraite de quarante jours que suivit, selon l'usage de l'ordre, une autre retraite de dix jours appelée « le silence de l'Épouse ». Désormais, elle portera la robe blanche, le scapulaire rouge et la ceinture bleue des annonciades.
Mais voici que la sévère Mère Angélique et sa sous-prieure ou vice-gérante, qui étaient venues fonder la maison de Bruyères, durent regagner leur monastère de profession, une fois écoulé leur temps de supériorité. Comme « ancelle », on choisit une jeune religieuse sans expérience, dont la plus insigne vertu était d'être la nièce du provincial, cependant que Mère Saint-Jean devenait vice-gérante. Jalouse de son auxiliaire, la supérieure la prit en haine, l'accabla d'humiliations et la démit finalement de sa charge. Mère Saint-Jean subit en silence ces avanies. Tant d'abnégation finit par amadouer l'ancelle. Mortellement atteinte par la contagion, elle désigna sa victime comme seule capable de lui succéder. L'année même de sa profession, Mère Saint-Jean, âgée de vingt ans, dut, en qualité de vice-gérante, prendre en charge les vingt religieuses de Bruyères.
La guerre de Trente Ans alors faisait rage et, depuis 1629, une lutte implacable opposait la France à la Maison d'Autriche, soutenue par le brouillon Charles IV de Lorraine. Appelé par Richelieu, Gustave-Adolphe de Suède avait envahi l'Allemagne avec trente-six mille hommes et remporté, en 1631, une éclatante victoire à Leipzig, avant de succomber, l'année suivante, sur le champ de bataille de Lutzen. Furieux, les Suédois avaient juré de venger le défunt. Ils vainquirent les Impériaux, puis s'attaquèrent aux Lorrains. D'abord battu près de Hagueneau, Charles IV triompha des Suédois le 28 novembre 1634 près de Strasbourg et, le 6 décembre suivant, à Nordlingen. Mais, dès mars 1632, les Français avaient pénétré en Lorraine. En 1635, ils vinrent à l'aide des Suédois, qui firent irruption dans le duché, pillèrent et saccagèrent la bourgade de Bruyères.
Secourue par son beau-frère, le colonel Lhuylier, Mère Saint-Jean et ses religieuses se réfugièrent à Saint-Dié chez M. de Bar, puis à Badonviller dans un couvent d'annonciades, hors les murs d'abord, ensuite au château, dans un logis dénommé l'Hôtel du Prince, où se regroupèrent les deux communautés, en tout quarante moniales.
Surgirent les Suédois avec leur chef, le comte de Briegfeld, un luthérien fanatique et cruel. Ils saccagèrent Badonviller et firent irruption dans la salle transformée en oratoire, où les religieuses, terrifiées, étaient en adoration devant l'hostie. Mère Saint-Jean, impassible, se présenta devant le comte en furie. Calmant soudain sa rage, celui-ci promit sa protection aux annonciades. Plus tard, il se convertira et mourra très pieusement.
Après les Suédois, ce furent les soudards indisciplinés de Charles IV qui achevèrent de ruiner le pays. Parmi les officiers, se trouvait un jeune gentilhomme de Saint-Dié, qui avait jadis recherché Catherine de Bar en mariage. La sachant à Badonviller, il exigea de la revoir. Elle refusa. Devant les menaces de l'ancien prétendant, les supérieures firent sortir Mère Saint-Jean et Mère Agnès de la place. En habits masculins, les deux moniales se confièrent à un vivandier, qui les dissimula dans sa charrette entre des ballots. Mais l'officier, averti de leur fuite, lança ses reîtres à leur poursuite. Ils arrêtèrent le vivandier, transpercèrent ses ballots à grands coups de rapières. Mère Saint-Jean et sa compagne, qui ne cessaient d'implorer la Vierge, échappèrent au danger.
Au plus fort de l'hiver, elles se cachèrent dans un grenier, à Épinal. Au printemps de 1636, elles gagnèrent Commercy, où
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le marquis des Armoises les logea dans son château et fit venir toutes les religieuses de Bruyères. Élue prieure, Mère Saint-Jean accueillit des novices et des jeunes pensionnaires. Mais la peste et la famine, qu'accompagna une reprise des hostilités, réduisit à cinq la vingtaine d'annonciades.
A la fin de 1637, les supérieurs leur demandèrent de se rendre à Saint-Dié où M. de Bar offrait un asile à la communauté. En route, la petite troupe séjourna trois semaines à Épinal chez les religieuses de la congrégation de Notre-Dame, fondée en 1618 par saint Pierre Fourier. Par Bruyères, où leur maison n'était plus qu'un amas de cendres, on atteignit enfin Saint-Dié. Quelle consolation pour le vieux Jean de Bar ! Dans l'espoir de toucher une forte rançon, les Suédois l'avaient emprisonné à Obernai dans un cachot plein d'eau. Il venait en outre de perdre l'une de ses filles et son fils unique.
Dans la demeure paternelle, Mère Saint-Jean tomba, si on l'en croit, dans « un grand relâchement » provoqué par le « commerce du monde ». Elle se croyait « tout à fait abandonnée de Dieu » quand un cordelier l'incita à quitter l'ordre des Annonciades pour entrer dans une congrégation réformée.
Cependant, une dame de Rambervillers et le colonel Lhuylier avaient parlé de nos religieuses à la prieure des bénédictines de Rambervillers, Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Son monastère, crée en 1629, était issu de la réforme de Dom Didier de la Cour, fondateur de la congrégation lorraine des Saints-Vanne-et-Hyduiphe. Mère Bernardine invita les annonciades à s'installer dans une partie de son cloître. Au cours de leur séjour, qui dura une année (1638-1639), la prieure proposa à Mère Saint-Jean d'embrasser la Règle de saint Benoît. Dom Antoine de l'Escale, alors visiteur de la congrégation de Saint-Vanne, encouragea cette translation, de même que les grands vicaires de Toul. En revanche, les cordeliers s'y opposèrent farouchement. Mère Saint-Jean en référa à Rome, mais sa lettre n'arriva jamais à destination. Ce n'est que le 20 septembre 1660 qu'un bref du pape Alexandre VII approuvera ce passage à l'ordre bénédictin.
Après avoir placé ses cinq annonciades en des maisons de leur congrégation, Mère Saint-Jean revêtit l'habit noir des bénédictines le 2 juillet 1639 et prit le nom de soeur Catherine de Sainte-Mectilde, auquel elle ajoutera, après la fondation de son institut, le vocable « du Saint-Sacrement ». Sa maîtresse des novices était une veuve de quelque trente ans, Mère Benoite de la Passion de Brem, moniale d'une haute valeur spirituelle mais qui encouragea un peu trop le goût de sa postulante pour les mortifications corporelles. Pour l'éprouver, elle lui laissa le voile blanc comme aux novices ordinaires, ne lui permit que la lecture de la Règle et d'un eucologe, et, pour l'exercer à une obéissance aveugle ainsi qu'à une profonde humilité, elle ne lui confia que de basses besognes : lessive, jardinage, cuisine et transport de fumier. Accablée de scrupules, la novice ne s'en libéra qu'avec l'aide de la Vierge.
En la fête de la Translation de saint Benoît, le 11 juillet 1640, soeur Mectilde, alors âgée de vingt-cinq ans, prononça ses voeux. Durant la cérémonie, étendue sous le drap mortuaire, elle comprit qu'elle était définitivement morte au monde et qu'elle ne devait vivre que de la vie de Jésus-Christ.
Rambervillers ne relevait pas du duché de Lorraine mais de l'évêché de Metz, rattaché à la France. En 1632, Charles IV avait assiégé et emporté la place. Il lui avait épargné le pillage, mais contre une rançon exorbitante. Retranché dans les environs, le duc tenait en échec le maréchal de la Force, qui reçut bientôt le renfort du duc Bernard de Weimar, général au service de la Suède. Celui-ci attaqua Rambervillers et massacra la garnison lorraine. Toutefois, s'il protégea les bénédictines, il en exigea une telle somme qu'il plongea leur couvent dans la misère.
En septembre 1640, les grands vicaires de Toul et les supérieurs bénédictins, afin d'alléger les charges de la maison, décidèrent d'envoyer à Saint-Mihiel les Mères Benoîte de la Passion, Bernardine de la Conception et Mectilde. Elles s'y établirent dans un « hospice », c'est-à-dire dans un couvent urbain où, durant les guerres, se réfugiaient les religieuses, et elles y ouvrirent une école. Mais Saint-Mihiel avait été enlevé
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d'assaut en 1635 par Louis XIII en personne qui avait accablé la cité de très lourdes contributions. Aussi bien, c'était toute la malheureuse Lorraine, ruinée par les combats depuis une décennie, qui était en proie à la famine et à la peste. Ému par tant de détresse, saint Vincent de Paul avait envoyé dix Lazaristes dans le duché afin de secourir les plus deshérités. Leur supérieur, le père Guérin, s'intéressa aux trois bénédictines de Saint-Mihiel et pensa regrouper avec elles les neuf autres religieuses de Rambervillers. Mais comment assurer leur subsistance ? Deux d'entre elles furent envoyées à Juvigny à la demande de l'abbesse du lieu, Madame de Livron. Sur les entrefaites, le père Guérin avait parlé à Marie de Beauvillier, abbesse de Montmartre, des pauvres soeurs de Saint-Mihiel. Tandis que Mère Mectilde était allée en pèlerinage jusqu'à la Vierge de Benoîte-Vaux, le 1" août 1641, pour lui demander de fléchir en leur faveur la réformatrice de Montmartre, voici qu'arriva un messager de M. Vincent, Matthieu Renard, qui venait chercher deux moniales pour les conduire à Paris. D'abord réticente, Marie de Beauvillier avait accepté de recevoir chez elle Mère Mectilde, qu'elle avait nommément désignée, et une autre soeur, au choix de la prieure.
Elles arrivèrent dans la capitale au soir du 29 août et logèrent chez Mademoiselle Le Gras, fondatrice des Soeurs de la Charité. Le lendemain, après avoir reçu la bénédiction de M. Vincent, elles gravirent les pentes de Montmartre, navrées d'avoir été séparées de leurs compagnes, qu'on avait réparties en diverses maisons, mais reconnaissantes envers Mme de Beauvillier. A Paris, Mère Mectilde se lia d'amitié avec l'historiographe du monastère, Charlotte Le Sergent, une religieuse de haute valeur.
Envoyée à la Trinité de Caen, l'une des moniales de Rambervillers, Mère Angélique, était tombée dangereusement malade et réclamait sans trève la visite de Mère Mectilde. De plus, les monastères de Vignats et d'Almenèches, proches de Caen, consentaient à accueillir deux autres religieuses lorraines, en résidence à Saint-Cyr. Enfin, on offrait un « hospice » en Basse-Normandie aux réfugiées de Montmartre. Mère Bernardine, prieure de Rambervillers, demanda à Mère Mectilde de conduire les deux sueurs en Normandie, où elle tâcherait de reconstituer une communauté autonome. Le 10 août 1642, après avoir arraché la permission de Marie de Beauvillier, elle prit le coche et, quatre jours plus tard, atteignit Caen. Elle fut reçue avec chaleur par Mme de Budos, abbesse de la Trinité, et, à Vignats, par l'abbesse Marie-Françoise de Médavy de Grancey. Déception : l'« hospice » de Bretteville, qu'on lui destinait, n'était qu'une masure, dépourvue de mobilier. C'est alors qu'un gentilhomme du pays, M. de Torp, et sa fille, Mme de Montgommery, lui proposèrent une maison à Barbery, où s'élevait une abbaye cistercienne, réformée et dirigée par Dom Louis Quinet, champion d'une spiritualité à caractère mysticisant. Par M. de Torp, Mère Mectilde connut les mystiques normands, qui allaient exercer sur elle une influence considérable : MM. de Roquelay, de Renty et surtout Jean de Bernières. Ce trésorier général de France, alors âgé de quarante ans, était un contemplatif, mais qui ne négligeait pas les oeuvres charitables. On l'avait vu soigner les malades au cours des épidémies qui désolaient la région caennaise, catéchiser les carriers, les paysans et les prisonniers. Lié avec M. Vincent, saint Jean Eudes et M. Boudon, archidiacre d'Évreux, il avait créé l'Hermitage, un cénacle dévôt où l'on s'exerçait à l'oraison. « L'amour de la vie pauvre et abjecte, écrit M. Boudon, était comme sa principale grâce ; il voulait vivre dans l'abjection et inconnu des hommes ». Par la mortification, le renoncement, la souffrance, le détachement et l'anéantissement de sa volonté propre, il s'efforçait de se perdre en Dieu.
Il ne manquait pas de visiter les quatre moniales de Barbery : Mère Bernardine, la prieure, et les Mères Mectilde, Angélique et Louise qui, le dimanche et les jours de fêtes, enseignaient les rudiments de la religion à quelque quatre-vingts femmes et filles de la contrée.
C'est alors qu'un jésuite, le père Bonnefonds, signala à nos religieuses une vaste maison située à Saint-Maur-des-Fossés, dans la région parisienne, où l'on pourrait enfin réunir toute la communauté lorraine. En juin 1643, les Mères Bernardine et Mectilde partirent pour Paris. C'est là que Mère Mectilde connut le père Chrysostôme de Saint-Lô, religieux du tiers ordre de saint François et provincial de France, à qui Bernières l'avait adressée. Pour lui, elle rédigea un mémoire autobiogra-
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phique qui révèle son caractère profondément mystique et montre par quelle nuit douloureuse passait alors sa vie intérieure. Pendant trois ans, jusqu'à sa mort, survenue le 26 mars 1646, le père Chrysostôme sera son guide, se faisant l'écho des conseils que lui donnait déjà le mystique de Caen. Il lui prêchait l'oraison « de pur abandon d'elle-même aux mouvements sacrés de son divin Époux », et, pour tendre à la perfection, il lui recommandait « le silence, la retraite, la vie cachée, l'anéantissement, l'abjection, l'obéissance, la croix ». Il lui imposait de terribles mortifications : trois heures seulement de sommeil, les disciplines, la haire et une ceinture de fer armée de pointes. M. Boudon, avec qui Mère Mectilde entra alors en relation, ne faisait que confirmer ces leçons.
Tout en lui prédisant nombre d'épreuves et de tentations, le père Chrysostôme ajoutait : « Dieu, par une providence toute spéciale, vous oblige à honorer le Saint Sacrement avec une dévotion particulière. Or, c'est dans ce sacrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ vit et vivra jusqu'à la consommation des siècles d'une vie toute cachée ». Il permettait à sa dirigée la communion quotidienne, pratique fort rare à cette époque.
A toute la communauté, réunie peu à peu à Saint-Maur à partir d'août 1643, le père Chrysostôme, accompagné de ses philothées, rendait de fréquentes visites. C'est qu'il trouvait « dans ce petit réduit plus de l'esprit de Dieu que dans toute la ville de Paris ».
Largement aumônées par la princesse de Montmorency, dame de Saint-Maur, par Madame de la Mailleraye, abbesse de Chelles, par Marie de Beauvillier et par le Grand Condé, nos bénédictines, dont le supérieur était M. du Saussay, grand vicaire de Paris et futur évêque de Toul, ouvrirent un pensionnat où furent élevées notamment Marguerite Chopinel, fille de Mère Benoîte de la Passion, et Marguerite de l'Escale, nièce du visiteur de Saint-Vanne.
A la fin de juin 1646, Mère Bernardine, profitant de la tranquillité qui régnait provisoirement en Lorraine, regagna Rambervillers, après avoir confié à Mère Mectilde l'« hospice » de Saint-Maur.
Mais voici qu'on réclamait celle-ci à Caen. En 1639, la marquise de Mouy, avait fondé à Pont-l'Évêque le couvent de Notre-Dame-du-Bon-Secours avec quatre bénédictines réformées de l'abbaye de Montivilliers, près du Havre. Puis, à cause des troubles qui agitaient la Normandie, elle l'avait transféré à Caen, rue de Geôle, en 1644. La communauté se composait alors de six religieuses de choeur et de deux converses, mais leur ignorance avait vite corrompu l'observance : la supérieure interdisait toute lecture aux moniales et ne leur concédait d'autre livre que le crucifix. Sur le conseil de Dom Quinet, Mme de Mouy fit appel à Mère Mectilde. En contrepartie, elle aiderait à la restauration de Rambervillers. La Mère Bernardine donna son accord, mais exigea que Mère Mectilde promît de ne jamais quitter son monastère de profession. Celle-ci s'y engagea par écrit le 23 mai 1647 et, le 28 juin suivant, arriva à Caen en qualité de prieure. La communauté était fort divisée : la fermeté de la supérieure, tempérée par une infime douceur, finit par lui gagner l'affection des plus récalcitrantes.
Son triennat achevé, le 28 août 1650, Mère Mectilde revint à Rambervillers où on la rappelait. Grâce aux largesses de Mme de Mouy, la maison était florissante, mais la guerre se ralluma bientôt avec la Fronde et la lutte contre l'Espagne, à laquelle s'était rallié le fantasque Charles IV. Entré en Lorraine sur ordre de Turenne, alors passé dans le camp espagnol, le comte de Lignéville envoya des Hessois qui pénétrèrent dans le monastère de Rambervillers sous prétexte que des bourgeois du lieu pouvaient s'y dissimuler. Puis sévirent les Français du duc de La Ferté. Ils reprirent la ville, soupçonnée d'être favorable à Charles IV et l'accablèrent de contributions. La misère devint plus effroyable qu'au temps de l'invasion suédoise. Suspectes à M. de La Ferté à cause de leurs liens avec le colonel Lhuylier, Mère Mectilde et Mme Lhuylier durent s'exiler pendant deux mois en Alsace. Là, sur le conseil de Bernières, la Mère repartit pour Saint-Maur-des-Fossés, le ler mars 1651. Quatre jeunes religieuses l'accompagnaient, cependant que les six anciennes, dont Mère Bernardine, restaient à Rambervillers, que prirent et reprirent plusieurs fois les belligérants.
Paris était alors en pleine révolte. N'ayant pu atteindre Saint-Maur, Mère Mectilde et ses soeurs entendaient la messe en l'église Saint-Nicolas-des-Champs, quand une pieuse paroissienne, Mme Butin, les remarqua. « N'êtes-vous pas reli-
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gieuses ? demanda-t-elle. Que faites-vous ici ? » — « Nous sommes de pauvres religieuses de Lorraine, répondit la Mère, que les horreurs de la guerre ont forcé de quitter leur monastère ; nous ne savons où aller. » — « Eh bien, venez chez moi », reprit leur interlocutrice. Quelques jours plus tard, Mère Mectilde apprit que les soeurs de Saint-Maur s'étaient réfugiées rue du Bac, au faubourg Saint-Germain. Elle les rejoignit avec ses quatre moniales et elles se retrouvèrent au nombre de dix dans cet « hospice », un réduit qui n'était autre qu'une ancienne maison de prostitution. C'est là que va naître l'Institut de l'Adoration perpétuelle.
Tandis que Paris s'agitait, que Condé, allié à l'Espagne en 1651, soulevait le Midi et allait battre l'armée royale sur la Loire en avril 1652, avant de s'enfermer dans la capitale, où la Grande Mademoiselle fera tirer le canon de la Bastille contre les assiégeants fidèles à la Régente, les religieuses lorraines vivaient dans le pire dénuement. Pour subsister, elles en arrivèrent à vendre leurs effets et leurs pauvres meubles. Elles ne disposaient pas même d'une botte de paille pour dormir. Mère Mectilde, quant à elle, songeait à s'exiler à la Sainte-Baume afin d'y mener la vie érémitique, mais, dans la nuit de Pâques de 1651, une voix intérieure lui prescrivit : « Renonce, adore et te soumets à mes desseins ». Un jour que le pain manquait, la communauté s'agenouilla pour réciter le Pater. Un instant plus tard, arriva à la maison du Bon Ami M. de Margueil, qui, ému devant tant de misère, parla des religieuses à leur compatriote Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans. Cette princesse, soeur de Charles IV, était, depuis 1631, l'épouse de Gaston d'Orléans frère de Louis XIII. Quand Mère Mectilde tomba dangereusement malade, Margueil lui envoya le médecin de la Maison d'Orléans. Celui-ci brossa à la princesse et à son entourage un tel tableau de la pitoyable détresse des religieuses que plusieurs dames arrivèrent pour les aider : la marquise de Boves, la marquise de Cessac, Mme Mangot, femme d'un maître des requêtes, la présidente de Herce et surtout Marie de La Guesle, comtesse de Châteauvieux. Entre cette pieuse dame et Mère Mectilde devait naître une indéfectible amitié. De cette mondaine, la Mère réussit à faire une âme d'une vie intérieure des plus intenses. Cependant que la comtesse gardera précieusement les lettres que lui adressa la moniale. Elle en donnera l'essentiel dans un recueil qu'elle appelait son bréviaire, que diffusèrent de nombreuses copies.
De son côté, le père Bonnefonds, ce jésuite qui avait naguère trouvé la maison de Saint-Maur, prêcha en faveur des religieuses et recueillit une somme assez considérable, tandis que l'évêque de Babylone, leur voisin, les fit connaître aux paroissiens de Saint-Sulpice, dont elles reçurent un secours efficace. L'avenir matériel de la petite communauté était assuré.
C'est alors que l'abbé Gontier, trésorier de la Sainte-Chapelle de Dijon et vicaire général de Langres où il institua l'amende honorable au Saint Sacrement, incita Mère Mectilde à établir l'adoration perpétuelle. Sans penser aucunement à créer une congrégation nouvelle, elle en parla aux nobles dames devenues ses amies. Elles approuvèrent ce dessein et promirent leur concours financier. Une condition essentielle : renoncer à Rambervillers, son monastère de profession, et rester toujours auprès d'elles à Paris.
L'établissement d'une maison voire d'une congrégation vouée spécialement à l'adoration de l'hostie et à la réparation des sacrilèges commis à son égard, tant par les Huguenots ou les libertins que par les sorciers qui en abusaient dans leurs opérations magiques, hantait alors bien des âmes pieuses. En 1625, Jeanne Chezard de Matel avait fondé l'Institut du Verbe incarné, destiné en premier chef à honorer le sacrement de l'autel. A Avignon, en 1632, M. d'Authier avait, dans la même Intention, crée une congrégation de prêtres. A Marseille, en 1639, le dominicain Antoine le Quieu avait inauguré l'Institut de l'Adoration perpétuelle. A Paris, Condren, supérieur de ffiratoire, avait demandé à M. Olier de faire du séminaire de Saint-Sulpice, établi en 1642, une société d'adorateurs du Saint Sacrement. Et il était à l'origine de la fameuse Compagme du Saint-Sacrement. De son côté, Port-Royal avait, en 1633, voué à l'adoration perpétuelle une maison sise à Paris, rue Coquil-
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lière. Ce couvent, Zamet, évêque de Langres, l'avait confié à la Mère Angélique Arnauld, mais, dès 1638, celle-ci regagnait la vallée de Chevreuse. Les Messieurs voulurent renouveler cette tentative en 1652 au faubourg Saint-Marcel et songèrent à Mère Mectilde pour diriger le monastère. Hostile au jansénisme, elle refusa. Port-Royal la priva désormais de toute aumône et multiplia contre elle de sournoises attaques.
Cependant, dès 1633, Barbe, une humble servante que dirigeait Condren, avait prédit : « Le temps viendra qu'il y aura des religieuses tout appliquées à adorer le très Saint Sacrement. » Et M. de Renty « Bientôt viendra un institut de religieuses qui seront entièrement appliquées au culte du Saint Sacrement : ce seront des âmes d'élite. » Enfin, à Paris, Marie de Gournay, veuve de David Rousseau, un des principaux marchands de vin de la capitale, avait, après une vision, assigné sa mission au futur institut et ajouté : « Et voilà le travail de ma servante Catherine ! »
Mère Mectilde, pour son compte, n'avait cessé, depuis sa tendre enfance, de témoigner de la plus vive piété eucharistique. Combien l'avaient bouleversée les sacrilèges commis envers elle durant la guerre de Trente Ans ! Et le père Chrysostôme, comme Jean de Bernières, l'avait encouragée dans cette dévotion.
Elle venait de décliner la direction d'un couvent où l'on regrouperait les nombreuses religieuses qui erraient et mendiaient dans Paris, y travaillaient chez des particuliers ou vivaient dans leur famille. D'autre part, les soeurs de Rambervillers et les supérieures de Lorraine exigeaient qu'elle ne se séparât sous aucun prétexte de son monastère de profession. Mme de Châteauvieux, pour la retenir près d'elle, proposa d'installer dans la capitale un « hospice » dépendant de Rambervillers, mais qui aurait pour objet l'adoration perpétuelle. Mère Mectilde accepta d'y résider, mais comme simple religieuse, la supérieure en étant Mère Saint-Jean, de l'abbaye de Montmartre. Celle-ci échoua au bout de six semaines et, après son départ, Mère Mectile consentit à la remplacer. Mme de Châteauvieux demanda des lettres patentes à M. Molé, garde des Sceaux, pour l'établissement d'un nouveau couvent à Paris et, sur l'invitation de celui-ci, signa un contrat de fonda tion le 14 août 1652. La comtesse, Mesdames de Boves, de Cessac et Mangot s'engageaient à verser ensemble 31 000 livres pour créer un monastère de bénédictines réformées qui « seraient incessamment occupées de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, en sorte qu'il y eût toujours une religieuse en adoration. »
Restait à obtenir l'autorisation des supérieurs ecclésiastiques, et d'abord de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, le duc de Verneuil, évêque de Metz. Celui-ci voulut qu'on en référât à la Régente, Anne d'Autriche. La Fronde était alors à son paroxysme et, le 2 juillet 1652, les troupes royales avaient dû battre en retraite au faubourg Saint-Antoine. Inquiète, la reine demanda à M. Picoté, prêtre de Saint-Sulpice, de faire un voeu propre à rétablir la paix dans le royaume. Le sulpicien ne connaissait ni Mère Mectilde, ni Mme de Châteauvieux. Mais, ému par les profanations qui accompagnaient la révolte, il promit d'ériger un monastère exclusivement consacré à l'Eucharistie et à la réparation des outrages infligés à ce mystère. Le même mois, le royaume revint dans l'obéissance et, le 21 octobre 1652, Louis XIV entra triomphalement à Paris. Sur les entrefaites, M. Picoté connut le projet de Mère Mectilde et, le 8 décembre, au Val-de-Grâce, en parla à la Régente. Anne d'Autriche accorda l'autorisation. M. de Verneuil renvoya alors l'affaire à son vicaire général, Dom Roussel, prieur de Saint-Germain-des- Prés.
C'était un moine austère mais têtu : il ne voulait pas de nouveaux couvents qui végéteraient dans une indigence nuisible à l'observance. Il multiplia les exigences : il fallait acheter un terrain pour édifier le monastère, on devait recueillir des fonds bien plus importants pour l'entretien de cinq religieuses. Mme de Châteauvieux, une fois de plus, promît de l'argent et obtint du rigide prieur l'autorisation d'exposer le Saint Sacrement dans l'oratoire de la rue du Bac. Le 25 mars 1653, en la fête de l'Annonciation, eut lieu la première exposition. L'Institut regarde ce jour comme la première solennité de l'adoration perpétuelle.
De son côté, en Lorraine, Dom de l'Escale arracha, non sans peine, à l'évêque de Toul et aux religieuses de Rambervillers la permission, pour Mère Mectilde, de s'installer à Paris.
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Mme de Châteauvieux, elle, obtint des lettres patentes du roi en mai 1653, mais l'Hôtel de Ville n'agréa l'établissement que le 8 juillet. Enfin, au début de novembre, la communauté, à l'étroit rue du Bac, se transporta rue Férou, dans le même quartier, en une plus vaste demeure, propriété de la comtesse de Rochefort.
Dom Roussel revint encore à la charge : les fondatrices devaient verser au plus vite l'argent promis, sinon il refuserait la clôture et renverrait les nonnes en Lorraine. Mme de Châteauvieux intervint encore en faveur de ses chères bénédictines. Le jeudi 12 mars 1654, Dom Roussel, qui venait visiter la maison et les sept religieuses, se résigna à établir la clôture, à fixer la croix sur la porte d'entrée et à exposer le Saint Sacrement. Un carme des Billettes, le père Léon, prononça le sermon et, au salut solennel, Anne d'Autriche, agenouillée devant l'autel, un flambeau à la main et corde au cou, lut l'acte de réparation. A partir de ce moment, débuta l'adoration perpétuelle et les moniales prirent le nom de Filles du Saint-Sacrement. Au soir de ce 12 mars, Mère Mectilde se consacra par écrit à ce divin mystère.
Dès lors, Dom Roussel se montra très bienveillant à l'égard du jeune établissement, qui était surtout l'oeuvre de la comtesse et du comte de Châteauvieux. Le prieur ordonna qu'à l'avenir l'hostie serait exposée tous les jeudis depuis la grand-messe jusqu'au salut, où l'on prononcerait une amende honorable pour les outrages infligés au sacrement de l'autel. Réparatrices et victimes à l'exemple du Christ, les religieuses observeraient strictement la Règle de saint Benoît, mais solenniseraient spécialement la Circoncision, la fête de la Grande Réparation au jeudi de la Sexagésime, le jeudi saint et la Fête-Dieu.
Le 22 août 1654, Mère Mectilde proclama Marie seule abbesse et supérieure perpétuelle de l'Institut. Délégué par le prieur de Saint-Germain, M. Picoté bénit la statue de la Vierge tenant son Enfant sur le bras gauche et une crosse dans la main droite. Le lendemain, la Mère plaça l'image de Notre-Dame dans tous les lieux réguliers, afin qu'elle présidât en quelque sorte à tous les exercices. Au réfectoire, matin et soir, lui serait offerte la première portion, qu'on donnerait ensuite aux pauvres. Les fêtes de la Vierge seraient célébrées avec éclat, tandis que des prières étaient instituées à la gloire de son Sacré-Coeur et de son Immaculée Conception. Bref, si elle visait à ce que ses Filles fussent d'abord des victimes de réparation à la gloire du Christ insulté dans le sacrement de l'autel, elle voulait qu'elles s'offrent et s'immolent par l'entremise de Marie.
La maison était à peine installée que la fondatrice fut l'objet d'odieuses calomnies et d'injures sans nombre. Elle résolut de ne jamais se justifier, de ne jamais se plaindre, mais de redoubler de douceur et d'humilité. Voici un exemple entre cent des persécutions qu'elle subit. Un beau jour se présenta une soi-disant princesse étrangère qui sollicita son entrée au couvent. Elle allait apporter ses innombrables malles, bref de quoi meubler tout le monastère. Au dernier moment, la prieure subodora la ruse : la princesse n'était qu'un individu déguisé en femme et ses caisses étaient farcies de gens armés qui se proposaient de saccager le logis. Un instant découragée, Mère Mectilde allait abandonner la direction de l'Institut. MM. Vincent, Olier et Boudon lui enjoignirent de tenir ferme.
La demeure de la rue Férou n'avait nullement été conçue pour servir de monastère. M. Picoté invitait la Mère à construire un authentique couvent et lui signala un vaste terrain libre en bordure de la rue Cassette. Elle s'y rendit avec Mme de Châteauvieux et planta un bâton en terre : « C'est donc ici, prononça-t-elle, que le Seigneur sera loué et adoré ». La comtesse notera que c'était l'endroit exact que l'architecte choisit plus tard pour édifier l'église.
A la suite d'une fluxion de poitrine, en avril 1657, Mère Mectilde dut se rendre aux eaux de Plombières, qu'elle jugea d'ailleurs « bien vilaines et bien puantes ». En route, elle fit halte à Nancy, chez les soeurs de la Congrégation de Notre-Dame où vivaient ses deux nièces, puis à Rambervillers, où elle proposa aux moniales de s'agréger à l'Institut, enfin à Épinal où elle secourut les annonciades.
En janvier 1658, toujours avec l'aide de Mme de Châteauvieux, elle acquit pour 25 000 livres le terrain de la rue Cassette, et l'architecte Gitard, celui-là même qui travailla à l'église Saint-Sulpice, établit un devis de 39 000 livres pour la construction du monastère. On commença par l'église. Mère
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Mectilde désirait faire poser les premières pierres par trois pauvres représentant la Sainte Famille. Finalement, au jour de l'Ascension, le comte de Châteauvieux scella la première pierre au nom de saint Joseph, la comtesse et son petit-fils, figurèrent la Vierge et l'Enfant Jésus pour la pose de la deuxième et de la troisième. Le 21 mars 1659, en la fête de saint Benoît, les religieuses prirent possession de leur nouveau domicile, que bénit, le 25 mars, M. de Maupas, évêque du Puy. La communauté comprenait alors dix-huit professes et trois novices.
Cependant, les cordeliers ne cessaient de revendiquer la fondatrice comme une de leurs Filles : elle était passée à l'ordre bénédictin sans autorisation romaine ; tous ses actes pouvaient donc paraître illicites, voire invalides, et son monastère appartenait aux annonciades. En juin 1659, Mère Mectilde chargea le frère Luc de Bray, pénitent de saint François, d'obtenir à Rome la confirmation de son changement d'ordre et l'approbation de sa fondation. Par bref du 20 septembre 1660, Alexandre VII agréa la requête et, le 26 juin 1662, des lettres patentes autorisèrent la publication de ce document. Le provincial des cordeliers s'inclina.
En 1661, la santé de Mère Mectilde s'était si sérieusement altérée à la suite d'une hydropisie aux jambes que l'on désespéra pour sa vie. On manda le président Gobelin, expert à soigner ce genre d'affection, qui imposa une cure. Avant de l'entreprendre, la patiente demanda un répit afin de suivre une retraite de six semaines, depuis le 21 novembre, fête de la Présentation de la Vierge, jusqu'à l'Épiphame de 1662. C'est alors qu'elle esquissa les dix-neuf chapitres d'un ouvrage qui, résumé de toute sa spiritualité, s'intitula : Le véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Saint Sacrement. Ses moniales l'éditeront en 1683.
A cette époque, pour affermir son institut encore embryonnaire, elle conçut l'idée d'établir une véritable congrégation. Dom Ignace Philibert, nouveau prieur de Saint-Germain et supérieur de l'institut, l'encouragea, ainsi que Dom Audebert, supérieur général des mauristes, Dom Brachet, son assistant, et l'abbé de Citeaux. Mais, ajoutèrent-ils, le Saint-Siège ne donnerait son approbation que si deux ou trois monastères s'agrégeaient à celui de la rue Cassette. Le 10 mars 1662, Mme de Châteauvieux offrit 12 000 livres pour la fondation d'une seconde maison. La donatrice allait prendre l'habit bénédictin dix jours plus tard, sans toutefois devenir religieuse. En 1675, la comtesse de Rochefort, mère de l'archevêque d'Auch, s'affiliera à son tour à la congrégation. Quant au comte de Châteauvieux, il s'éteignit pieusement le 6 novembre 1662. Mère Mectilde avait passé deux jours à son chevet pour le préparer à l'éternité.
Fondation de Toul (1664)
Plusieurs évêques réclamaient des Filles du Saint-Sacrement, mais les divers projets échouèrent. C'est alors que la Mère se sentit intérieurement poussée à fonder une maison à Toul. Elle s'adressa à M. du Saussay, l'évêque du lieu, jadis supérieur de Saint-Maur-des-Fossés. En mars 1664, il obtint l'autorisation de la ville et, à la prière d'Anne d'Autriche, Louis XIV concéda des lettres patentes. Mère Mectilde arriva à Toul le 24 septembre et fut accueillie entre autres par Mlle Charbonnier, future religieuse du Saint-Sacrement. L'oncle de celle-ci, lieutenant-général de Metz, ouvrit sa maison à la fondatrice, mais le chapitre de la collégiale Saint-Gengoult s'y opposa : le logis se trouvait sur un territoire soumis à sa juridiction. L'abbé d'Étival apaisa l'ire canoniale. On finit par s'installer chez M. du Barail, lieutenant du roi, et le nouveau couvent fut béni le 7 décembre 1664. En janvier suivant, la Mère regagna Paris, après avoir confié le monastère à Mère Bernardine de la Conception.
Divers sacrilèges émurent alors la fondatrice. Le 10 avril 1665, chez les religieuses du Chasse-Midi, mitoyennes de la rue Cassette, des malfaiteurs avaient, en plein jour, forcé le tabernacle, volé le ciboire et jeté les hosties sur l'autel. Mère Mectilde acheta un nouveau ciboire, que ses Filles accompagnèrent en procession chez leurs voisines, corde au cou et cierge à la main, tout en psalmodiant le Miserere. Puis on lut l'amende honorable devant une foule considérable. Vers la
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même époque, on déroba trois ciboires et trois boîtes d'hosties à Saint-Sulpice et, l'année suivante, un ciboire chez les Filles de l'Ave Maria.
A la fin de 1665, la duchesse douairière d'Orléans, posa la première pierre d'un nouveau corps de logis, rue Cassette.
Agrégation de Rambervillers (1666)
Mère Mectilde se souciait d'affilier une troisième maison à son institut. Elle songea à Rambervillers, dont la prieure était Mère Benoîte de la Passion, mais elle se heurta à un groupe d'opposantes, dont la plus farouche était la Mère Scolastique Gérard. S'étant fracturé le crâne en des circonstances singulières, celle-ci changea brusquement d'attitude, et sa conversion entraîna les autres récalcitrantes. Le 29 avril 1666, Mère Mectilde avait la joie d'agréger son monastère de profession.
Le cardinal de Vendôme approuve la Congrégation (1668)
Depuis l'installation à la rue Cassette, en 1659, la fondatrice souhaitait que le Saint-Siège approuvât son institut. Plusieurs évêques plaidèrent en sa faveur. Mais éclata le différend entre la France et Rome, à la suite de bagarres entre la garde corse pontificale et les gens de notre ambassadeur, le duc de Créquy. Louis XIV saisit le Comtat et expédia des troupes en Italie. Alexandre VII s'inclina au traité de Pise (12 février 1664) et son neveu, le cardinal Chigi, vint présenter d'humbles excuses au Roi-Soleil.
Mère Mectilde jugea le moment d'autant plus délicat pour présenter sa requête à l'envoyé du pape que les synodes et les conciles provinciaux proscrivaient depuis une vingtaine d'années l'exposition fréquente du Saint Sacrement. Par bref du 11 août 1664, Chigi permit de célébrer l'office du Saint Sacrement tous les jeudis. Pour l'approbation de l'Institut lui-même, il renvoyait à la Congrégation romaine des Evêques et Réguliers.
Anne d'Autriche sollicita Alexandre VII à ce sujet, mais elle trépassa le 20 janvier 1666. Marie-Thérèse et la duchesse douairière d'Orléans intervinrent à leur tour, mais le pontife rendit l'âme le 22 mai 1667. Louis XIV avait demandé à Clément IX, le nouveau pape, d'être le parrain du dauphin. Le Souverain Pontife envoya alors comme légat en France le cardinal Louis de Vendôme, muni des pouvoirs les plus étendus. Le 29 mai 1668, le prélat approuva la Congrégation de l'Adoration perpétuelle, dont la maison-mère serait le monastère de la rue Cassette. Le 8 octobre 1669, M. Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, approuva la bulle du cardinal de Vendôme et accepta d'être le premier supérieur de la nouvelle congrégation. En juillet 1670, le Roi délivra des lettres patentes entérinant la décision du cardinal et décernant à l'Institut le titre de fondation royale.
Agrégation de Notre-Dame de Consolation, à Nancy (1669)
Depuis 1651, Mère Mectilde connaissait la duchesse d'Orléans. Bientôt, elle dirigea sa compatriote avec une fermeté qui n'excluait pas la délicatesse : elle lui imposait un quart d'heure d'oraison quotidienne, lui suggérait des thèmes de méditation pour les fêtes, l'exhortait à la fréquente communion, la consolait dans ses épreuves. La duchesse conçut même le projet d'entrer en religion, mais sa mauvaise santé l'en empêcha. Du moins, c'est à cette princesse lorraine qu'est due l'agrégation du monastère de Nancy, où elle avait été élevée.
Fondé en 1624 par sa parente, Catherine de Lorraine, abbesse de Remiremont, l'abbaye de Notre-Dame de Consolation était tombée dans la misère. Mère Mectilde hésitait à l'accepter quand, le 25 avril 1667, la grosse cloche s'écrasa au sol. On lut sur le bronze : « Loué et adoré à jamais soit le très Saint Sacrement de l'autel ! » La Mère vit là un signe du ciel et, le 8 avril 1669, agrégea le monastère à l'Institut. Elle y plaça huit religieuses de Paris ou de Toul pour former les anciennes aux pratiques de l'adoration perpétuelle et rentra à Paris le 18 juillet, après avoir rendu visite au cardinal de Retz, en son château de Commercy. Quelques jours plus tôt, on avait déposé dans la chapelle de la Vierge, rue Cassette, tout près du sépulcre de M. de Châteauvieux, le coeur de sa fille, la duchesse de La Vieuville.
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Les Constitutions de l'Institut (1675)
Dès qu'elle eut résolu de fonder une congrégation, Mère Mectilde avait demandé à Dom Philibert d'en rédiger les Constitutions. Il achevait son travail, inspiré par les normes suivies par les Mauristes, quand il mourut, en 1667. De son côté, elle mit en chantier un Cérémonial, où se manifeste son amour pour l'office divin et, en 1668, elle en publia la première partie, qui traite de la vêture et de la profession. La même année, elle fit approuver par le cardinal de Vendôme le Propre des fêtes et offices de la Congrégation et, la première, obtint qu'on célébrât la fête du Saint Coeur de Marie, fixée au 8 février. En outre, elle se fit la propagatrice de cette dévotion, sans doute à la suggestion de saint Jean Eudes. M. Nivers, organiste du Roi, composa la musique des nouveaux offices.
Cependant, les religieuses ne trouvaient pas dans l'oeuvre de Dom Philibert l'esprit de sacrifice et d'anéantissement sur lequel insistait sans relâche la fondatrice. A leur demande, Mère Mectilde retoucha les Constitutions de 1673 à 1675 et, après les avoir présentées aux moniales, les fera imprimer en 1677.
Les épreuves néanmoins s'abattaient sur elle. Elle perdait notamment ses plus fidèles amies : la duchesse d'Orléans, morte le 3 avril 1672, Madame de Châteauvieux, qu'une embolie, le 8 mars 1674, foudroya dans la cellule de Mère Mectilde. La comtesse expirante n'eut que le temps de s'écrier : « Jésus ! Jésus ! » La fondatrice elle-même, à la fin de 1675, reçut le viatique des mains de l'abbé d'Étival. Alors qu'on attendait son dernier soupir, il lui sembla qu'elle comparaissait devant le tribunal de Dieu. Soudain, le 8 décembre, en la fête de l'Immaculée Conception, elle retrouva la santé.
Un an plus tard, elle savourait enfin une immense joie. Par la bulle Militantis Ecclesiae, datée du 10 décembre 1676, Innocent XI, confirmant l'acte du cardinal de Vendôme, érigeait en congrégation les monastères de l'adoration perpétuelle et les exemptait de toute juridiction épiscopale. Néanmoins, le 3 juillet 1696, Innocent XII devait les replacer sous l'autorité des évêques.
Fondation de Rouen (1676-1678)
Le document papal arrivait alors que Mère Mectilde connaissait de nouveaux tracas avec la fondation de Rouen. Des lettres patentes avaient été délivrées pour cette maison dès 1663, mais Madame de Châteauvieux avait désapprouvé cette création. Or, en janvier 1676, la Mère crut voir en songe la défunte comtesse qui la pressait d'établir l'adoration perpétuelle dans la seconde ville du royaume. Pourvue de l'argent nécessaire, la fondatrice acquit un peu à la légère un vieux couvent dont se débarrassait Madame Colbert, soeur du ministre et abbesse de Saint-Louis de Rouen. Quand elle arriva en cette cité en mars 1677, Mère Mectilde s'aperçut que la vétuste masure, hantée par les rats, était inhabitable. Elle dut dénicher un autre logis où, sous la direction de la sous-prieure, Mère Anne du Saint-Sacrement Loyseau, s'organisa la vie conventuelle. Le 1er novembre 1677, débuta l'adoration perpétuelle et, le 4 du même mois, on exposa le Saint Sacrement au milieu d'un grand concours de peuple. La fondatrice consacra le monastère à l'Immaculée Conception et, le 8 décembre, y fit reconnaître la Vierge comme abbesse perpétuelle. Après avoir séjourné quatre mois à Rouen, elle regagna Paris le 8 février 1678. Elle laissait cinq consignes à ses moniales : garder un silence inviolable qui porte à une sainte présence de Dieu et à un parfait recueillement ; observer ponctuellement la Règle ; obéir sans réserve ; se faire petites et humbles, persuadées qu'on n'est que poussière ; s'ouvrir enfin sincèrement à la supérieure, en qui on verra Dieu lui-même. Le 26 juin 1684, les bénédictines se transporteront en l'Hôtel de Mathan, édifié dans l'enceinte du château de Philippe Auguste, où Jeanne d'Arc avait été incarcérée. Depuis 1681, la maison était sagement gouvernée par la Mère Françoise de sainte Thérèse du Tiercent du Ruellan.
Fondation d'un second monastère à Paris (1684)
En 1674, alors que la guerre avait repris en Lorraine, Mère Mectilde avait fait venir à Paris des jeunes religieuses de Toul, qu'elle destinait à la fondation de Dreux. Le projet ayant échoué, l'archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, demanda la création d'un second monastère dans la capitale.
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D'abord installées rue Monsieur, puis, vers 1680, rue Saint-Marc, près de la porte Richelieu, les moniales lorraines se fixèrent en 1684, rue Neuve-Saint-Louis, au Marais, en l'Hôtel de Turenne, que léur avait cédé la duchesse d'Aiguillon. L'année suivante, Mère Marie de Saint-François de Paule — dans le monde, Mademoiselle Charbonnier — remplaça Mère Bernardine de la Conception comme prieure de ce couvent.
Agrégation du Bon-Secours de Caen (1685)
La fondatrice entretenait toujours des rapports avec les monastères de Caen. Lors de son séjour à Rouen, elle avait reçu les Dames de Blémur, religieuses de la Trinité, dont la Mère de Saint-Benoit, auteur d'une excellente Année bénédictine. Elle pensait les envoyer à la maison de Châtillon que souhaitait ouvrir leur parente, la princesse de Mecklembourg. Ce dessein n'ayant pu alors se réaliser, les deux moniales vécurent jusqu'à leur mort à la rue Cassette.
Mère Mectilde correspondait aussi avec la Mère Catherine de Jésus, fille du seigneur de la Bernardière et, depuis 1675, prieure à Caen de Notre-Dame du Bon-Secours. Elle et ses religieuses souhaitaient s'engager dans l'adoration perpétuelle. Elles furent exaucées le ler juin 1684. Le 30 septembre suivant, devant l'évêque de Bayeux, M. de Nesmond, elles prononcèrent les voeux de l'Institut.
Fondation de Varsovie (1687-1688)
Pendant que son mari, Jean III Sobieski, guerroyait contre les Turcs, sur lesquels il devait remporter à Vienne, en 1683, une éclatante victoire, Marie-Casimire, reine de Pologne, promit à Dieu d'établir dans sa capitale un monastère d'adoratrices. Elle chargea sa soeur, la marquise de Béthune, et l'évêque de Beauvais d'en parler à Mère Mectilde, mais l'affaire traîna en longueur. Enfin, le 2 septembre 1687, douze religieuses de la rue Cassette s'embarquèrent à Rouen pour aborder à Dantzig le 4 octobre. A Varsovie, la reine les installa provisoirement dans son palais où, le ler janvier 1688, commença l'adoration perpétuelle. Le 27 juin, elles prirent possession de leur monastère définitif sous la direction de Mère de la Présentation de Beauvais. Celle-ci, à son retour en France, sera reçue par Louis XIV, qui, en son honneur, fera jouer les grandes eaux de Versailles.
Fondations de Châtillon (1688) et de Dreux (1696)
La princesse de Mecklembourg — une Montmorency — ne cessait de harceler Mère Mectilde afin qu'elle créât un monastère dans son duché de Châtillon-sur-Loing, alors au diocèse de Sens. Dès le 31 août 1677, la princesse avait obtenu les lettres patentes du roi. A peine remise d'une attaque d'apoplexie, la fondatrice se rendit sur place en 1688 et, le 21 octobre suivant, présida à la bénédiction du couvent.
A Dreux aussi, les obstacles s'aplanirent. On acheta une maison en 1695 et, le 23 février 1696, se déroula la première exposition du Saint Sacrement. Toutefois, les lettres patentes, délivrées en 1701, ne furent homologuées que trois ans plus tard.
La fin d'une sainte vie (avril 1698)
Les incessants tracas que donnaient à Mère Mectilde l'implantation et la surveillance de ces monastères s'accompagnaient pour cette grande âme vouée à l'état de victime d'humiliations et de souffrances continuelles. Certes, elle bénéficiait de fidèles amitiés et de puissants soutiens, tel celui de Madame d'Aiguillon, nièce de Richelieu. Et Marie d'Este, épouse de Jacques II d'Angleterre, détrôné par son gendre Guillaume d'Orange, vint à la rue Cassette en 1688 pour demander son affiliation à l'Institut. Mais aux ennuis qui l'assaillaient du dehors s'ajoutaient les infirmités de l'âge et les chagrins que lui causaient parfois ses propres filles. Ainsi, la belle-soeur d'une religieuse de son propre monastère n'hésita pas à la traîner devant les tribunaux pour obtenir restitution d'une forte somme que la Mère avait, disait-elle, extorquée à son mari défunt. La religieuse prit, hélas, le parti de sa belle-soeur. Durant plusieurs années, ce fut pour l'honnête et scrupuleuse fondatrice une cruelle écharde qui la fit beaucoup gémir.
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Malgré tout, elle ne cessait d'encourager ses moniales à progresser dans leur vocation de victimes et d'adoratrices, abandonnées sans réserve à la Providence.
En février 1698, elle annonça sa mort prochaine. Elle n'en assista pas moins à tous les offices du carême et de la semaine sainte. Le mardi de Pâques, elle se traîna jusqu'à l'oratoire dédié, dans le jardin, à la Vierge afin de lui confier ses religieuses. Le jeudi suivant, en proie à une fièvre violente accompagnée de vomissements, elle ne put descendre à l'église. Elle reçut les derniers sacrements et, le lendemain, se confessa encore au père Paulin, pénitent de Saint-François. Le dimanche de Quasimodo, 6 avril 1698, elle reçut une dernière fois l'hostie : « J'adore et me soumets », prononça-t-elle. Et elle recommanda une dernière fois à ses filles de se jeter avec confiance dans les bras de la Sainte Vierge. A deux heures de l'après-midi, elle s'éteignit paisiblement, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, trois mois et six jours. Un masque mortuaire émouvant nous permet, aujourd'hui encore, d'admirer la sublime noblesse de ses traits.
On exposa dans le choeur sa dépouille mortelle. Le lendemain, après le premier service funèbre, où officièrent les bénédictins de Saint-Germain-des-Près, on l'inhuma dans l'église qu'elle avait édifiée. Puis les cordeliers célébrèrent le deuxième service et les prémontrés vinrent chanter le troisième. Un mois plus tard, Mère Anne du Saint-Sacrement succédait à Mère Mectilde.
Avec quelle joie n'eût-elle pas présidé à la fondation d'un monastère à Rome même ! Le 6 septembre 1702, six moniales quittaient la rue Saint-Louis et, dix jours plus tard, s'embarquaient à Marseille pour Livourne. Après une courte escale, elles prirent place sur les galères pontificales et abordèfent à Civita Vecchia. Arrivées à Rome le 6 octobre, elles furent présentées au pape au couvent de Sainte-Cécile du Transtévère. A la veille de la Fête-Dieu de 1703, Clément XI en personne leur rendit visite et, le ler août 1705, confirma les Constitutions de l'Institut, qu'avait déjà approuvées un an plus tôt la Congrégation des Évêques et Réguliers. L'autorité suprême de l'Église authentifiait, sinon la sainteté de la fondatrice, du moins l'excellence et la parfaite orthodoxie de son oeuvre.1
1. Pour ce chapitre, nous nous sommes inspirées de la préface de Louis Cognet aux Écrits spirituels à la comtesse de Châteaurieux (1965), une causerie inédite donnée par le P. André Rayez, S.J., à Rouen-les-Essarts, le 5 mai 1977, sur la spiritualité du XVIP siècle, où le conférencier étudiait les influences des divers auteurs de l'époque sur mère Mectilde, enfin d'un article de dom Jean Leclercq, Une école de spiritualité bénédictine datant du XVIIV siècle : les bénédictines de l'Adoration perpétuelle, in Studia Monastica, vol. 16, 1976, fasc. 2, Abadia di Montserrat, p. 433-452.
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Dans sa préface aux Écrits spirituels (de Mère Mectilde) à la comtesse de Châteauvieux, Louis Cognet voit, dans la fondatrice de l'Institut du Saint Sacrement, non seulement « une âme exceptionnelle, une personnalité hors de pair », mais aussi « un des grands auteurs spirituels de notre XVIIe siècle, digne de figurer aux côtés de Marie de l'Incarnation ». La publication récente d'une partie de ses lettres ne fait que confirmer ce jugement.
Cependant, elle n'a jamais cherché à forger une doctrine originale et systématique, se bornant à puiser aux diverses sources du puissant courant mystique qui a fait du XVIIe siècle le siècle d'or de la spiritualité en France, de même que l'âge antérieur avait été le siècle d'or du mysticisme espagnol. Mais la classification en écoles se révèle tout artificielle : en fait, il n'existait pas de cloisons étanches entre les diverses traditions spirituelles, qui, au surplus, utilisaient un vocabulaire commun. Et c'est ainsi que la tradition bénédictine ne fut nullement la seule à influencer Mère Mectilde, surtout dans la période itinérante de sa vie. En effet, elle a appartenu à des congrégations différentes, elle a sillonné la France depuis les confins de la Lorraine jusqu'à Paris - et jusqu'à la Manche, elle a rencontré des mystiques très divers : Marie de Beauvillier, l'abbé cistercien de Barbery, dom Louis Quinet, et surtout Jean de Bernières et dom Epiphane Louys. Ceux-ci, comme les autres, choisissaient les guides qui leur convenaient le mieux, notamment les grands Espagnols du XVIe siècle : Ignace de Loyola (1 1552), Thérèse d'Avila
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(+ 1582), Jean de la Croix (+ 1591), ou encore l'Italien Philippe Neri (+ 1595) et, enfin, François de Sales (+1622). Mère Mectilde butinera autant chez ses contemporains que chez leurs modèles.
Tous, d'ailleurs, prônaient une contemplation christocentrique et une mystique eucharistique. Ces deux traits essentiels de l'école française se retrouvent chez notre fondatrice.
C'est le Moyen Age finissant qui était passé du Christ en gloire ou docteur au Christ enfant, puis travaillant, souffrant, mourant, et enfin vainqueur de la mort, au Christ, homme comme nous tous. Au XVIIe siècle ainsi qu'à l'époque médiévale, la dévotion se concentre notamment sur trois pôles : l'Enfance, la Passion et l'Eucharistie.
Mais la piété, dès la fin du Moyen Age, est surtout attirée par la Passion et les instruments de souffrance. C'est qu'alors et jusqu'au XVIIe siècle, la vie n'est tissée que d'épreuves, d'épidémies, de pestes et de famines. L'Homme-Dieu et l'homme pécheur se rencontrent : ainsi naissent le chemin de croix, les offices et les horloges de la Passion, les dévotions à la croix, aux plaies et au sang du Christ. Prédicateurs et mystiques, qu'il s'agisse de Tauler (t 1361) de Gerson (t 1429), de Gertrude (t 1302), de Mectilde (t 1299), de Catherine de Sienne (t 1380), de l'auteur de l'Imitation, demandent au fidèle de pénétrer « dans l'intimité de Jésus, qui atteint le sommet dans l'amour de la croix ». « Pourquoi cette contemplation du Christ ? demande A. Kempis. Pour compatir, l'imiter, se conformer à lui. »
Cette « voie royale » se développe encore au XVIIe siècle, sous l'influence des mystiques espagnols, que cite souvent Mère Mectilde. En effet, Thérèse d'Avila (t 1582), convertie par la scène de l'Ecce Homo, considère l'humanité du Christ comme le chemin de toute grâce dans le domaine de la foi et de la contemplation. Pour Jean de la Croix (t 1591), à la mort du Christ doit répondre la mort et l'anéantissement de l'âme au sensible, voire au spirituel.
Des Espagnols procède en particulier Jean de Bernières (1602-1659), que Mère Mectilde rencontra souvent en Normandie entre 1642 et 1650. Elle le consultera quand elle songera à fonder son Institut et ne cessera d'entretenir avec lui des échanges spirituels. A Caen, ce laïc avait créé l'Hermitage, qui était à la fois le siège de toutes les oeuvres charitables de la ville, dont la Compagme du Saint-Sacrement, inaugurée en 1630 par Gaston de Renty, une maison de retraite, un foyer de vie eucharistique et de doctrine spirituelle. Chef du mouvement mystique en Normandie, Bernières avait pour ami celui que Mère Mectilde appellera le « bon Père Eudes » (1601-1680), à qui elle restera toujours très attachée et à qui elle empruntera la dévotion aux Coeurs de Jésus et de Marie, ainsi que diverses prières. Le grand spirituel normand eut aussi pour disciples des personnalités comme Henri Boudon, archidiacre d'Evreux, et des prélats comme Lambert, évêque de Cochinchine, et François de Montmorency-Laval, évêque de Québec. Il enseignait le dégagement des créatures jusqu'à ce qu'il nommait « l'abjection », le « néant », la mort « mystique ». Il faut, disait-il à la suite de Chrysostôme de Saint-Lô — un familier de Mère Mectilde —, il faut « consentir à n'être rien ». Et sa devise que reprendra Boudon, était : « Dieu seul ! ». Telle était la doctrine que développe son ouvrage posthume : Le chrétien intérieur (1660).
Bernières a certainement parlé à Mère Mectilde de la célèbre Marie de l'Incarnation (t 1672), qui s'embarqua à Dieppe pour la mission du Canada. Plusieurs de ses manifestations mystiques eurent lieu tandis qu'elle faisait oraison devant le Saint-Sacrement. Ainsi, à Dieppe, où elle se trouvait, en mai 1639, avec Bernières. Comme beaucoup de dévots du XVIIe siècle, elle se plaisait à prier devant l'hostie. Au surplus, les nombreuses lettres, longues de quinze à seize pages [perduess!], qu'elle ne cessa d'envoyer à son ami caennais depuis la Nouvelle-France, ne traitaient d'ordinaire que de l'oraison.
A cette influence joignons celle du prémontré dom Epiphane Loujys (1614-1682), abbé d'Etival, près de Rambervillers, depuis 1663. C'est pour nos bénédictines qu'il a écrit sur la mort mystique, la contemplation du simple regard, et l'adoration réparatrice du Saint-Sacrement. Ses oeuvres seront publiées avec le « privilège du Roi », concédé en 1671 à Mère Mectilde. Dans La Nature immolée par la grâce ou Pratique de la mort mystique... pour l'instruction et la conduite des religieuses consacrées à l'adoration perpétuelle du Saint-
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Sacrement (1674), l'abbé nous fait connaître la doctrine qui est la sienne et celle de la fondatrice. Christocentrique, sa spiritualité insiste sur l'adoration de l'hostie (« Vous êtes consacrées pour adorer [le Christ] en la divine Eucharistie »), sur la réparation (« Avec le Fils de Dieu réparateur..., il faut que nous soyons des victimes… ( jusqu'à) la mort mystique ») et sur l'apostolat (« Souhaitez de pouvoir conquester (conquérir) les coeurs pour en faire un trophée à « la gloire de Jésus »). Cette « contemplation nous transforme en une belle image de Jésus-Christ ».
Émule de dom Louys, le récollet Archange Enguerrand (+ 1695), qui avait été le confesseur de Madame Guyon à Montargis vers 1668 et gardien du couvent de Saint-Denis de 1670 à 1672, dédia son Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement (1673 ; 4e édition 1702) à nos religieuses2. Lui aussi leur assignait comme « mission » de faire « réparation d'honneur et amende honorable à Jésus-Christ sur les autels ».
Enfin, Mère Mectilde a dû feuilleter les très nombreux ouvrages qui, destinés aux simples fidèles ou aux personnes vouées à la contemplation, exposaient la doctrine soit de façon très accessible pour les premières soit de façon plus didactique et théologique pour les autres /2.
Toutes ces influences diffuses sont éclipsées chez Mère Mectilde par l'inspiration bénédictine. Certes, chez les annonciades, elle a d'abord connu la spiritualité rhéno-flamande que prônait notamment Benoit de Canfeld. Elle la retrouvera à Montmartre auprès de Marie de Beauvillier, dont Canfeld fut le directeur. On y insistait sur l'intériorité et la vie mystique.
Voici quelques titres cités par le P. Rayez :
2/ L'occupation intérieure pour les âmes associées à l'adoration perpétuelle du T.S. Sacrement de l'autel, 1651 (abrégé du manuel des religieuses adoratrices). J.J. Olier, La Journée chrétienne, 1655.
J. de Machault, Le Trésor des grands biens de la Sainte Eucharistie, 3 vol., 1661. H. Boudon, L'Amour de Jésus au T.S. Sacrement de l'autel, 1662.
J. de Machault, La Semaine dédiée à l'Eucharistie, 1667 (pour les associés).
A. Godeau, évêque de Vence, Méditations sur le T.S. Sacrement de l'autel pour servir à toutes les heures du jour et de la nuit aux adorateurs perpétuels de ce mystère, 1674.
E. Louys, Horloge pour l'adoration perpétuelle du T.S. Sacrement, 1674 (à la suite de La Vie sacrifiée et anéantie, p. 309 à 362.
J. Richard, curé de Triel, près de Pontoise, Pratiques de piété pour honorer le S. Sacrement, tirées de la doctrine des conciles et des Saints Pères, Cologne, 1683. Pratiques de piété pour honorer et adorer le Sacrement de l'autel, 1695.
Mais, au monastère de Rambervillers, Catherine s'était trouvée dans le rayonnement de la congrégation bénédictine de Saint-Vanne, dont le fondateur, Dom Didier de La Cour, avait eu pour disciple Dom Antoine de Lescale, qui, supérieur des religieuses, avait favorisé l'entrée de Catherine de Bar dans l'ordre de saint Benoît. Les trois piliers de la réforme vanniste, qu'avait adoptée Rambervillers, étaient le retour à la Règle pure, un soin particulier de l'étude et une digne célébration de l'office divin. A peine arrivée dans le faubourg Saint-Germain, Mère Mectilde reconnut ces mêmes normes chez les mauristes de l'abbaye voisine, issus de Saint-Vanne. Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés (+ 1667), prit en mains les intérêts des bénédictines du Saint-Sacrement et « fit instituer une commission de douze membres, ... qui furent d'avis qu'une congrégation était absolument nécessaire pour faire subsister l'adoration perpétuelle et chargèrent la Mère Mectilde d'en rédiger les statuts ». Prié par la fondatrice de s'acquitter de cette tâche, dom Philibert les calqua sur ceux de Saint-Maur. Et ce fut lui sans doute qui suggéra une dévotion jadis en usage dans certains monastères : regarder la Vierge comme supérieure de l'Institut.
Un autre mauriste qui ne fut pas sans inspirer la jeune fondatrice, c'est Dom Claude Martin (+ 1696), par ailleurs dépositaire de la pensée et des expériences de sa mère, l'ursuline Marie de l'Incarnation. En 1686, Mère Mectilde fit imprimer pour ses Filles les Exercices spirituels ou Pratiques de la Règle de saint Benoit, livre qui n'est guère qu'une réédition de la Pratique de la Règle, publiée par Dom Martin en 1680. Cet ouvrage, déclare la fondatrice dans l'épître liminaire, c'est « la morale bénédictine... ; il pourrait nous conduire à la perfection de notre état ». Ainsi la préfacière attestait l'identité d'interprétation de la Règle chez les mauristes et chez les moniales. Enfin, en 1696, c'est Mabillon lui-même qui, au nom de Mère Mectilde, rédigea une longue lettre circulaire sur la mort de la Mère de Blémur, religieuse de la rue Cassette.
La spiritualité que l'Institut hérita des bénédictins présente trois caractères. D'abord un christocentrisme authentique, que Mère Mectilde discernait déjà chez le Patriarche des moines, qui avait voulu expirer devant l'autel, après avoir reçu son
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Dieu dans l'hostie. C'est ensuite un indéfectible attachement à la Règle, interprétée de la façon la plus stricte. Enfin, Mère Mectilde, imprégnée de la tradition de l'Ordre, a instinctivement retrouvé des pratiques en vigueur dans le monachisme médiéval : l'élection de Notre-Dame comme abbesse ; la dévotion à saint Jean, associé à Marie au pied de la croix ; la vêture ad succurrendum, qui permettait aux personnes du siècle de « mourir dans l'habit de l'Ordre » ; le symbolisme aussi de cet habit, signe de « vie cachée au monde et séparée du monde », en même temps que rappel de la mort du Christ.
Les bénédictins, comme les autres auteurs spirituels, ne faisaient que suivre la tradition constante de l'Église, qui, surtout depuis le XIIIe siècle, où fut instituée la solennité du Corps du Christ, n'avait cessé de développer le culte du Saint-Sacrement. Dès le XIVe siècle, s'était créé, près d'Assise, une congrégation cistercienne « del Corpo di Cristo ». Les reclus et les recluses du bas Moyen-Age, telle sainte Colette de Corbie (t 1477), se voulaient avant tout adorateurs de l'hostie. Et le quatrième livre de l'Imitation, le plus brillant fleuron du courant rhéno-flamand, célébrait la contemplation adoratrice du Saint-Sacrement. A la suite des mystiques espagnols du XVIe siècle et de François de Sales, les plus humbles fidèles du Grand Siècle devenaient de fervents adorateurs, à qui les Journées chrétiennes et les livres d'heures proposaient des thèmes de méditations eucharistiques. Enfin, pour riposter aux négations des réformés et réparer les profanations sacrilèges toujours plus nombreuses, des confréries s'étaient assigné pour but le culte de l'hostie. La plus célèbre fut la Compagnie du Saint-Sacrement (1630-1660) : « L'esprit de la Compagnie, lit-on dans ses Annales, c'est de s'unir à Jésus-Christ au Saint-Sacrement, pour, en sa grâce et en sa force, travailler en concours et en soumission à l'honorer et à le faire honorer partout ». A Paris, les confrères participaient en foule aux cérémonies eucharistiques, soit aux Billettes, soit à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ou enfin chez les Filles de l'Adoration perpétuelle, fondées en 1633 par Sébastien Zamet et Angélique Arnauld, mais dont l'existence fut éphémère.
C'est dans ce climat d'adoration réparatrice et sous les influences que nous venons d'étudier que s'est formée la doctrine spirituelle de Mère Mectilde et qu'est né l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, qu'elle n'a cessé jusqu'à la fin d'animer de son esprit /3.
La formation de ses Filles fut, en effet, son constant souci. Elle les instruisait sans trêve par l'exemple, par les entretiens de chaque jour et par d'innombrables lettres, mais sans s'astreindre à composer un ouvrage suivi. En 1682, elle consentit à laisser publier anonymement le Véritable Esprit des religieuses adoratrices du Saint-Sacrement /4, approuvé par l'un de ses familiers, le jésuite Guilloré (1615-1684), et qui exprime ses vues sur l'Institut. Les premières pages insistent sur l'état de victime où doivent entrer les âmes vouées à l'Eucharistie. Des formules rappellent celles de Condren : « Elles sont victimes de Jésus fait sacrement, pour, en s'immolant elles-mêmes, rendre un hommage infini, .si c'était possible, à l'état sacramentel de Jésus, qu'il détruit tous les jours dans nos poitrines à la gloire de son Père ». Un admirable chapitre montre ensuite les rapports entre l'Eucharistie et la vie de Jésus dans le sein de -
/3. Il reste peu d'autographes de mère Mectilde. Le recueil le plus précieux, aux archives du monastère de Paris, contient 107 lettres, écrites de 1654 à 1698. La bibliothèque du grand séminaire d'Êvreux conserve 11 lettres à M. Boudon, et le monastère de Varsovie possède 10 autographes. Les autres manuscrits sont des copies, d'ailleurs très fidèles.
Et voici le classement des écrits subsistants :
— lettres aux religieuses : 2.000
— lettres à la comtesse de Châteauvieux : 260
— lettres à la duchesse d'Orléans : 112
— lettres à M. de Bernières : 137
— lettres à M. Boudon : 11
— lettres à Mme de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours : 331.
— Lettres diverses (aux reines de France, de Pologne et d'Angleterre, aux évêques, abbesses et à d'autres personnes) : 169.
— Conférences et chapitres : 300.
— Entretiens familiers : 70.
— Écrits divers : 160.
Cette quantité d'écrits renouvelle le portrait de Mère Mectilde et permet de mieux apprécier l'élévation et la remarquable cohérence de sa pensée.
/4. Outre le Véritable Esprit, édité en 1682, voici les quatre volumes parus récemment, qui nous offrent une partie des textes conservés dans les archives des monastères de l'Institut :
Catherine de Bar, Documents historiques et biographiques, (un volume de 334 pages avec héliogravures en hors texte). C'est une biographie de Mère Mectilde rédigée par une amie très intime qui était aussi sa collaboratrice. Ce manuscrit relate en outre les fondations jusqu'en 1670, date de la mort de la narratrice. Des pièces justificatives ont été jointes en annexe. Une centaine de pages reproduisent des textes de toute première importance pour comprendre l'esprit de la fondatrice. Ils ont été choisis par la narratrice, ce qui leur donne une plus grande valeur. Et ce n'est pas un choix factice, mais la façon dont l'oeuvre était comprise par les plus proches collaboratrices de la Mère Mectilde.
Un second volume : Catherine de Bar, Lettres inédites, lui fait suite (450 p. et de très nombreuses gravures). On distingue deux parties dans ce livre. D'abord des lettres à Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans. Cette correspondance avec la belle-soeur de Louis XIII est d'une grande beauté spirituelle. La Mère n'hésite pas à entrainer sa correspondante vers les voies de l'oraison et de la sainteté. Elle lui fait goûter les mystères du Christ, célébrés tout au long de la liturgie. La deuxième partie est réservée aux monastères lorrains. Les Annales de la maison de Toul retracent avec réalisme et sans emphase les débuts très difficiles de ce monastere.
Les lettres adressées aux jeunes religieuses sont pleines de compréhension et d'enseignements. La correspondance avec la Mère Prieure et les moniales de Rambervillers, son monastère de profession, sont d'un tout autre ton. Pour les préparer à l'agrégation de leur maison à l'Institut, elle les instruit de leurs obligations, ce qui nous vaut un traité sur les principes fondamentaux de notre Institut. Dg plus, elle s'adresse ici à des religieuses très avancées dans les voies spirituelles ; aussi leur laisse-t-elle découvrir souvent des profondeurs cachées de sa vie intérieure. L'union à l'Institut du monastère de Notre-Dame-de-Consolation, à Nancy, que lui offrit Marguerite de Lorraine, constitue une phase difficile mais fructueuse de son oeuvre. On a joint à cette correspondance quelques lettres de Mère Mectilde à sa famille et des pièces officielles concernant les monastères lorrains.
Enfin, à l'occasion du troisième centenaire de leur fondation, les moniales de Rouen ont édité un volume intitulé : Catherine de Bar, Fondation de Rouen et lettres aux moniales et amis normands. Le récit des dix premières années de ce couvent est écrit par l'une des fondatrices elle-même, dont le manuscrit a été heureusement conservé. L'histoire est pleine de saveur, d'humour souvent, faite d'obstacles quasi-insurmontables et de ferveur, joyeuse. Mère Mectilde a séjourné à Rouen : aussi voit-on, à travers ce récit et les lettres qui suivent, la fondatrice à l'oeuvre, son abandon à la volonté de Dieu, sa compréhension pleine de bonté et de fermes encouragements pour les âmes qu'elle veut mener aussi près de Dieu que celui-ci le désire. Elle redresse, elle apaise, elle réconforte, en un mot elle aime de tout son coeur et de toute son intelligence. En 1685, elle enverra deux moniales, l'une de Paris, l'autre de Rouen, à Notre-Dame-de•Bon-Secours, à Caen, pour préparer les moniales (dont elle fut prieure de 1647 à 1650) a s'unir à notre Institut. Là encore les conseils donnés sont toujours actuels. Un certain nombre de lettres sont aussi adressées à des amis ou bienfaiteurs rouennais (qui ne le cèdent en rien, sur le chapitre de la vie intérieure, aux moniales du monastère) et, en annexe, est offert un aperçu de la correspondance qui s'échangera pendant dix ans entre Mère Mectilde et Jean de Berniéres-Louvigny, le saint laïc de Caen, ainsi qu'avec Henri-Marie Boudon, l'archidiacre d'Evreux, ou la famille de Laval-Montigny (Mgr de Laval, le premier évêque de Québec, sera un ami de mère Mectilde et un fils spirituel de Jean de Bernières). Ce volume de 400 pages, présente de nombreuses illustrations et 8 pages d'héliogravures.
Le quatrième ouvrage est un ensemble de textes de mère Mectilde commentant la Règle et l'esprit de saint Benoît.
Ce recueil est édité en hommage au patriarche des moines d'Occident et prend place parmi les travaux qui paraîtront durant l'année du XVe centenaire de la naissance de saint Benoît.
La préface de dom Jean Leclercq étudie la spiritualité bénédictine de la fondatrice. J'ai présenté dans ce volume la vie de Catherine de Bar.
Ces quatre tomes sont édités par les bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen.
Marie. C'est un écho de Bérulle et de M. Olier, conseiller de la fondatrice. Ailleurs, les pages sur l'abandon total à Dieu évoquent Bernières.
Dans le Véritable Esprit, comme dans sa correspondance, Mère Mectilde se révèle un écrivain né. Elle a le don du style, de la formule nette et heureuse et, de surcroit, le charme d'une pointe d'archaïsme, qu'elle doit à l'époque Louis XIII, celle de son éducation. Elle ne cherche pas la métaphore pittoresque et n'évite ni la prolixité, ni les répétitions. Mais sa phrase vigoureuse, bien balancée et au rythme précis, lui mérite une place honorable dans la galerie si fourme des auteurs du grand siècle.
S'il faut un jugement pour conclure, nous le demanderons à un connaisseur, qui n'est autre que Fénelon. Lors du décès de Mère Mectilde, il adressa ce mot à une moniale :
J'ai l'honneur de vous écrire, ma Révérende Mère, mais ce n'est point pour vous persuader de la douleur où je suis de la perte que nous venons de faire : Vous connaissez assez mon coeur pour ne pas douter de mes paroles. Mon dessein est donc de me consoler avec vous, en vous remettant devant les yeux ce qui peut consoler une douleur aussi juste que la vôtre. Je sais tout ce que vous perdez, et j'arrête même ma vue pour n'en point trop voir, et pour faire une attention plus vive à ce que la foi vous présente. Elle vous découvre, ma Fille, un Dieu tout sage et tout bon qui frappe lui-même ce coup, qui devrait, ce semble, vous accabler. Je vous montre dans celle que vous pleurez une vertu consommée, un amour si épuré par les souffrances, un coeur si détaché de toutes les créatures qu'elles n'étaient plus dignes de la posséder. Il était temps qu'elle allât jouir des récompenses que la bonté de Dieu lui avait préparées. Si nous l'aimons pour elle-même, voilà notre consolation. Vous perdez une vraie Mère, votre ange visible, l'appui de votre Institut ; mais vous ne l'aviez reçue que pour un temps. Il est fini, il faut se soumettre à Dieu. Cette soumission sans réserve, cet abandon entre les mains de Dieu a fait le caractère particulier de cette sainte fille. Elle me disait, elle m'écrivait, qu'elle ne sentait pas la moindre révolte contre l'ordre de Dieu, pas le moindre murmure, que la seule vue de sa Sainte Volonté dans les états les plus renversants, et les plus terribles la calmait.
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« Je sens, m'écrivait-elle l'année passée, en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu'aussitôt qu'il m'y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon coeur éclate en bénédictions et est content d'être détruit et écrasé sous toutes ces opérations, pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée.
Vous trouverez dans ce peu de paroles le soulagement de votre affliction. J'ai mieux aimé vous les écrire que de me servir des miennes afin que ce fût d'elle-même, de sa vertu et de sa foi, que vous receviez votre consolation. Vous l'aviez pour Mère, elle ne cesse pas de l'être parce que la charité, qui lui donnait cette qualité à votre égard, est plus pure que jamais. Vous n'aviez en elle pour appui qu'une faible créature, et vous avez à présent dans sa personne une sainte revêtue de la puissance de Dieu-même, car vous avez tout lieu de présumer qu'il est à présent sa possession : il faut seulement, pour en ressentir les effets, animer votre foi. C'est la grâce que je demanderai à Notre-Seigneur de tout mon coeur, en vous priant d'être persuadée que mon zèle et ma tendresse pour votre Institut ne finiront qu'avec ma vie. Vous ne pouvez me faire plus de plaisir que de me mettre en état de pouvoir vous en donner des preuves. Faites-le en toute confiance et continuez les prières que votre charité vous inspire de faire pour moi. Je prierai de mon côté Notre-Seigneur qu'Il conserve en vous son Esprit, car, si vous Lui êtes fidèle, si vous conservez la simplicité, le renoncement, l'obéissance, et l'éloignement du monde que notre Chère Mère vous a enseignés, vous verrez une protection de Dieu toute visible sur vous et sur votre Institut. .. ..
Je suis dans le Saint Amour avec une très indigne et cordiale affection.
Le témoignage de ce prélat, à la piété si ardente et à la vertu peu commune, qui fut le théoricien du pur amour de Dieu et le directeur de tant d'âmes d'élite, nous garantit l'excellence de la doctrine que Mère Mectilde, écho fidèle des grands mystiques du passé et de son époque, n'a cessé d'enseigner et de pratiquer.
[photos omises:]
Monastère de Varsovie (Pologne), gravure du XVIlle siècle
Monastère de Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne), cloître
Présentée par Mère Marie-Véronique [ANDRAL] bénédictine du Saint-Sacrement
Publié dans J. Daoust, Catherine de Bar / Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Téqui, 1979, pages 49-86
Déplacé dans le tome premier pour rassembler les deux écrits de Mère Andral (et pour alléger le présent tome).
(inédite)
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Tous les chrétiens sont appelés à la sainteté, mais très particulièrement les âmes consacrées à Dieu. Écoutez bien cette parole que Dieu -vous adresse : « Soyez saints parce que je suis saint ». Qu'est-ce que la grâce de la sanctification ? C'est de travailler à la sainteté. Qu'est-ce que la sainteté, c'est-à-dire la séparation ? De quoi faut-il se séparer ? De tout ce qui vient de nous, de toutes nos productions. Il faut se séparer de tout péché, non seulement des grands péchés, mais des moindres péchés véniels volontaires et même des premiers mouvements, de peur que les seconds ne nous fassent tomber dans l'imperfection.
On pourrait faire une fête de la sainteté de Dieu en lui-même. Elle est assez grande et le mériterait bien, mais on ne le fait point ; celle-ci est la fête de la sainteté de Dieu dans les saints. Il faut les congratuler de leur bonheur et nous en réjouir.
Marchez en la présence de Dieu : elle vous fera connaître tout ce qui est opposé à la sainteté de Dieu en vous, elle ne souffrira en vous rien d'humain, car cette présence de Dieu est une émanation de la sainteté de Dieu.
Interrogez les saints sur ce qui les a rendus saints sur la voie qui les a conduits à la sainteté. Ils vous répondront qu'ils y sont parvenus par la mort, le sacrifice et la séparation de tout le créé.
Ah ! Que nous sommes malheureuses de nous amuser à des riens, à des niaiseries, pendant que nous avons à nous occuper de si grandes choses. Oui, je le répète, que nous sommes
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malheureuses de perdre ainsi notre temps au lieu de travailler à notre sainteté. Je voudrais pouvoir le dire et le répéter de manière à m'en pénétrer moi-même.
Priez le Saint-Esprit de vous donner la force nécessaire pour vous séparer de tout. Adressez-vous aussi à votre puissante Protectrice, la Sacrée Mère de Dieu ; vous lui appartenez tout particulièrement puisque l'Institut est à elle. Elle a la plénitude de la sainteté, puisque l'ange en la saluant lui dit qu'elle est pleine de grâce et que le Seigneur est avec elle. Elle a en elle la source de la sainteté par Jésus-Christ, depuis qu'elle a porté dans son chaste sein le Verbe Éternel. Demandez-lui donc de vous donner votre part à la sainteté divine. Adorez cette sainteté dans tous les saints : « Tu solus Sanctus ». Sacrifiez tout afin de mériter d'y avoir part, et après tout, dites-moi, je vous prie, que gagnez-vous à suivre vos humeurs, à satisfaire votre curiosité ou quelque autre petite passion qui vous prive de la sainteté ?
Pour moi, je ne veux que la sainteté, je veux tout donner pour l'acquérir. Vous me direz peut-être qu'elle est trop rigoureuse et trop difficile à contenter. Hélas, qu'est-ce donc que ces sacrifices qu'elle exige de nous ? Que nous lui donnions de l'humain pour le divin, y a-t-il à balancer ? Chaque âme est appliquée à quelque attribut particulier, mais qu'heureuses et mille fois heureuses sont celles qui portent les effets de la sainteté, qui y sont vouées et consacrées.
Laissez à cette divine sainteté la liberté d'opérer en vous, et elle vous divinisera, et je vous puis dire comme saint Paul que vous verrez et éprouverez ce que la langue ne peut expliquer, ce que l'esprit ne peut concevoir, ce que la volonté et le coeur ne peuvent espérer ni oser désirer. Mais personne ne veut des opérations de cette adorable sainteté. Presque toutes les âmes s'y opposent. Dès qu'elles se trouvent dans quelque état de sécheresse ou de ténèbres, elles crient, elles se plaignent, elles s'imaginent que Dieu les oublie ou les abandonne.
Ah ! quelque désir que vous ayez de votre perfection, Dieu en a un désir infiniment plus grand, plus vif et plus ardent. Sa divine volonté ne peut souffrir vos imperfections. Sacrifiez-les donc toutes à toute heure et à tout moment, et vous deviendrez toute lumineuse. Mais l'on veut se donner la liberté d'aller partout, de tout dire, tout voir, tout entendre, tout censurer, juger celle-ci, contrarier celle-là : ainsi l'on s'attire bien des sujets de distraction et de dissipation dont on ne se défait point si facilement. On sort de son intérieur, on ne veut point de captivité, point de recueillement. Faisons un sacrifice de tout cela à Notre-Seigneur. Oui, sacrifions-lui tout, et que ce soit pour sa pure gloire et pour lui plaire uniquement. Rendez service à la créature, et regardez-la si vous le voulez, mais que ce soit pour plaire à Dieu qui est en elle. D'abord les sacrifices sont rudes et difficiles à faire, mais cela n'est que pour les commencements ; après ils deviennent faciles et même aimables. On y court, on s'y porte avec joie et ardeur.
Transportez-vous dans le Paradis, mes soeurs, je vous le permets. Voyez-y la gloire des saints, remerciez-en Notre-Seigneur et priez ces âmes bienheureuses de vous rendre participantes de leur bonheur et de leur sainteté.
Il n'y a pas de plus ou de moins en Dieu, cela n'est que selon notre manière de voir les choses, mais pour parler notre langage, on peut dire que la sainteté de Dieu est la plus abstraite de ses adorables perfections. Elle est toute retirée en elle-même. Si nous n'avons pas de grandes lumières, des pénétrations extraordinaires et que nous ne soyons même pas capables de ces grâces éminentes, aimons notre petitesse et demeurons au moins dans l'anéantissement, sans retour sur nous-mêmes pour le temps et pour l'éternité. Ce n'est pas moi qui vous parle, je ne le fais pas en mon nom, je ne suis rien, et je suis moins que personne, mais je le fais de la part de mon Maître qui m'a mise dans la place où je suis. Finissons ; je ne sais pas ce que je vous dis. Priez Notre-Seigneur pour moi.
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(inédite)
Nous célébrerons demain la fête de l'Épiphanie, qui veut dire la manifestation de Jésus aux saints Rois Mages qui furent le chercher dans l'étable de Bethléem pour lui rendre leurs respects et leurs adorations. Cette fête, mes soeurs, nous doit donner une singulière dévotion puisqu'elle nous convient plus particulièrement qu'à aucune autre, selon l'esprit de notre vocation qui nous destine à adorer comme eux le même Jésus-Christ dans l'auguste Sacrement de l'Autel, qui renferme tous les autres mystères de sa sainte vie. C'est pourquoi vous pouvez l'y adorer Enfant dans sa crèche avec les saints Rois et vous pouvez dire comme eux, mes soeurs : « Nous avons vu son étoile et nous sommes venues l'adorer ». Votre appel dans l'Institut a été votre étoile, et quoique vous n'en ayez point eu une visible comme les Mages, vous avez eu l'inspiration intérieure de la grâce, qui est encore bien plus sûre que les signes extérieurs.
Vous avez donc vu son étoile et vous êtes venues pour l'adorer. Mais de quelle durée et de quelle étendue doit être cette adoration ? Dans tous les moments de nos vies et de toute l'étendue de notre être. On nous appelle les Filles de l'Adoration perpétuelle. Ô mes soeurs, ne portons pas ce beau nom en vain. Ne soyons pas des fantômes d'adoratrices ; répondons de tout notre pouvoir à cet appel et à ce choix divin que Dieu a fait de nous pour l'adorer continuellement. A-t-il besoin de nous pour cela et en sommes-nous capables, pauvres et misérables créatures qui ne pouvons rien faire de bon de nous-mêmes si
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nous ne sommes animées de sa grâce ? N'a-t-il pas des millions d'anges et d'esprits célestes qui lui rendraient incessamment des adorations parfaites, même dans nos églises qui en sont toutes remplies ? Quoique nous ne les voyions pas, cela ne laisse pas d'être véritable. Cependant il nous choisit et veut que nous ayons l'avantage de l'adorer aussi bien qu'eux et d'être ses adoratrices perpétuelles. 0 mes soeurs, nous devrions être saintement glorieuses d'une vocation si élevée.
Mais il ne suffit pas, pour remplir ce devoir, d'être seulement une heure ou quelque temps en sa présence au choeur. Il faut que notre adoration soit perpétuelle, puisque le même Dieu que nous adorons au saint Sacrement nous est continuellement présent en tous lieux. Il faut que nous l'adorions en esprit et en vérité : en esprit, par un saint recueillement intérieur ; en vérité, en faisant que tous nos exercices soient une adoration continuelle par notre fidélité à nous rendre à Dieu en tout ce qu'il demande de nous, car dès que nous manquons de fidélité, nous cessons d'adorer.
L'Institut, mes soeurs, n'a été fait que pour nous rendre des adoratrices perpétuelles. Vous y êtes appelées. C'est donc à vous à en remplir la grâce et la sainteté, en vous rendant de véritables adoratrices qui adorent en esprit et en vérité.
Oui, mes soeurs, voilà tout votre soin et votre étude d'adorer ce Dieu de majesté en esprit et en vérité pour répondre au choix qu'il fait de vous : en esprit, par la certitude de votre foi, le croyant tout ce qu'il est en lui-même sans le comprendre, ses grandeurs et perfections divines qui méritent que vous lui rendiez vos hommages, vos respects et vos adorations ; en vérité, l'adorant de tout votre être, qu'il n'y ait rien en vous que vous ne vouliez lui rendre et sacrifier pour l'adorer aussi parfaitement que vous en êtes capables et de tout votre coeur.
O mon Dieu, quel honneur vous nous avez fait de nous appeler pour vous adorer ! Accordez-nous la grâce de répondre à cet appel. Nous vous la demandons par l'entremise de votre très sainte Mère, que nous prions de nous obtenir de votre bonté que nous nous acquittions fidèlement de cette obligation de vous adorer, mais que ce soit en esprit et en vérité, de tout nous-même, immolant tout ce que nous sommes à votre grandeur.
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Monastère de Dumfries (Écosse)
Monastère de Peppange (Grand-Duché du Luxembourg)
Monastère de Noire-Dame d'Orient (Aveyron)
Monastère Sainte-Anne, Ottmarsheim (Haut-Rhin)
Concevons-nous bien cette grâce que Notre-Seigneur nous a faite, je vous le répète encore, de nous choisir pour l'adorer toujours, nous qui à peine pouvons penser à lui et qui sommes en sa présence comme de faibles mouches ? Quand nous pensons un peu à nous élever à Dieu par la contemplation, nous retombons aussitôt. L'égarement de notre esprit et de notre imagination, nos ténèbres, notre propre misère sont si grands, quelque bonne volonté que nous ayons, qu'il nous est impossible de tenir toujours notre esprit également élevé à Dieu, et nos adorations ne sont que momentanées, pour ainsi dire, sur la terre, en comparaison de celles qui se font dans le ciel par les anges et les bienheureux.
Pourquoi, donc, ô mon Dieu, nous choisir nous autres, pauvres misérables créatures ? N'êtes-vous point content de ces adorations si saintes et si parfaites que vous recevez des anges et des saints ? Et si vous n'en avez pas assez, n'en pouvez-vous pas créer encore une infinité d'autres comme ceux que vous avez crées, qui vous rendraient des adorations dignes de votre Majesté divine ? Non, mon Dieu, vous voulez que nous partagions cet honneur avec eux de vous adorer perpétuellement et de commencer en ce monde ce que nous devons continuer pendant toute l'éternité. d mes soeurs, encore une fois que cette grâce est grande ! Je vous assure que nous ne la connaîtrons que dans l'éternité. Ne pensez pas que ce soient des bagatelles, que je vous dis pour vous amuser et vous entretenir. Non, non, mes soeurs, ce sont des vérités solides et vous le connaîtrez à la mort. C'est une vérité de foi, selon l'Évangile, que Dieu doit avoir des adorateurs qui l'adorent en esprit et en vérité, et il est aussi très certain que c'est là votre vocation particulière; et si c'est votre vocation, il est encore de foi que Dieu nous en a donné la grâce. Il ne tient donc qu'à nous, mes soeurs, de la mettre en usage par notre fidélité.
Il n'est pas nécessaire pour adorer toujours de dire : « Mon Dieu, je vous adore », il suffit que nous ayons une certaine tendance intérieure à Dieu présent, un respect profond par hommage à sa grandeur, le croyant en vous comme il y est en vérité, la très Sainte Trinité y faisant sa demeure, le Père y agissant et opérant par la puissance, le Fils par sa sagesse et le Saint Esprit par sa bonté. C'est donc dans l'intime de votre
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âme, où ce Dieu de majesté réside, que vous devez l'adorer continuellement. Mettez de fois à autre la main sur votre coeur, vous disant à vous-même « Dieu est en moi. Il y est non seulement pour soutenir mon être, comme dans les créatures inanimées, mais il y est agissant, opérant, et pour m'élever à la plus haute perfection, si je ne mets point d'obstacle à sa grâce ». Imaginez-vous qu'il vous dit intérieurement : « Je suis toujours en toi, demeure toujours en moi ; pense par moi et je penserai pour toi et aurai soin de tout le reste. Sois tout à mon usage comme je suis au tien, ne vis que pour moi, ainsi qu'Il dit dans l'Écriture : « Celui qui me mangera vivra pour moi, il demeurera en moi et moi en lui ».
Oh ! heureuses celles qui entendent ces paroles et qui adorent en esprit et en vérité le Père, le Fils et le Saint-Esprit et Jésus Enfant dans sa sainte naissance avec les saints Mages !
Si vous voulez que nous retournions au mystère de l'Épiphanie, ces saints Rois suivent donc l'étoile qui les conduit pour aller chercher Jésus et l'adorer. Ils vont en Jérusalem où Hérode était, qui ayant su leur dessein feignit de le vouloir adorer, mais ce n'était que pour lui ravir la vie et le dévorer. Voilà, nies soeurs, ce qui se passe tous les jours dans notre intérieur. Notre amour-propre est cet Hérode, qui n'a en vue que ses propres intérêts et non point ceux de Jésus-Christ ; il feint même souvent de le vouloir adorer, mais au fond il ne tend qu'à détruire son règne et à étouffer en nous les saints mouvements de sa grâce, nous portant sans cesse à adhérer à nos passions et à la satisfaction de nos sens.
Nous pourrions parcourir de la même sorte tout le reste du mystère, mais cela nous mènerait trop loin : j'en aurais pour deux heures à vous entretenir et je n'ai ce temps. C'est pourquoi j'en demeure là pour revenir à vous dire que vous devez donc être, par votre profession et vocation, les véritables et perpétuelles adoratrices de Jésus-Christ. Voilà à quoi, mes soeurs, vous devez vous appliquer. Voilà où votre zèle se doit étendre. Vous ne devez point avoir de plus grande ardeur que de vous acquitter parfaitement de cette qualité d'adoratrice.
Mais quelqu'une me pourra dire : « Je ne sens point ce grand zèle ; je n'ai point de sentiment de cet amour ardent qui me porte à adorer Jésus-Christ de la manière que vous nous dites ». Il n'importe, mes soeurs, pourvu que vous agissiez en foi, rendant vos respects et vos hommages à Jésus-Christ au-dessus de vous-mêmes. Les goûts et les sensibilités ne sont point nécessaires. Votre adoration en sera plus pure et parfaite, car l'âme qui a une foi vive et non sensible s'élève plus purement à Dieu, se persuadant au-dessus de ses sens de ce qu'il est en lui-même, dans sa grandeur, sainteté et excellence.
Ne vous arrêtez donc pas, mes soeurs, à ce que vos sens vous font sentir et goûter, mais à ce que la foi vous oblige et vous fait croire, et suivez cette foi qui est une lumière pour vous éclairer et vous faire connaître ce Dieu qui vous a appelées par un amour infini pour l'adorer incessamment. Oh ! Quelle grâce, mes soeurs, il vous a faite, vous préférant à tant de saintes âmes qui en sont plus dignes que vous et qui s'en acquitteraient mieux, si Notre-Seigneur leur faisait cette miséricorde comme à vous, et si elles entendaient sa voix qui leur dit : « Venez m'adorer, venez être mes adoratrices perpétuelles ». N'y accourraient-elles pas ? Et vous-mêmes, mes soeurs, si vous entendiez une voix pareille qui vous dit verbalement ces paroles, ne seriez-vous pas toutes transportées de joie et hors de vous-mêmes ? Il vous les a pourtant dites plus véritablement au fond du coeur par l'appel de sa grâce que si vous les aviez entendues grossièrement par le son d'une voix qui pouvait être sujette à l'illusion et à la tromperie. Mais par le mouvement de sa grâce et l'inspiration de son Esprit en vous il vous les a dites et tous les jours il vous les renouvelle et_il vous dit à tout moment : « Adorez-moi en esprit et en vérité ».
Mes soeurs, quel avantage Dieu nous a fait de nous choisir ! Je ne saurais assez dire. Nos coeurs en devraient être dans une continuelle reconnaissance envers ce Dieu de bonté. Tout notre soin devrait être de lui plaire, le servir et le contenter. Et n'est-il pas juste, puisque nous nous devons toutes à lui, que nous nous y rendions par une fidélité continuelle à nous dégager de nous-mêmes et des créatures pour ne nous occuper que de lui seul ? C'est là votre obligation, mes soeurs, c'est la perfection où Dieu nous appelle. Mais je veux vous dire pour votre consolation, si vous ne l'avez point encore acquise, qu'il suffit que vous y tendiez de tout votre coeur. Car nous ne sommes pas obligées d'être tout d'un coup parfaites, mais nous
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sommes obligées sous peine de péché mortel d'y tendre, et même tous les chrétiens, au sentiment de quelques théologiens ; si cela est, oh ! qu'il y en a peu de sauvés, puisqu'il y en a si peu qui y pensent ! Mais faisons réflexion sur nous-mêmes, qui y sommes doublement obligées par notre profession.
Travaillons-nous solidement à nous rendre fidèles à ce que nous avons promis à Dieu ? C'est à nous à le voir et à nous examiner là-dessus. 0 mes soeurs, commençons tout de bon à adorer Jésus-Christ en esprit et en vérité, à être de véritables adoratrices perpétuelles. Adorons-le partout et en tout ce que nous faisons. Il n'y a pas une action qui nous en doive exempter. Vous me direz : « Quoi, en mangeant ? » Oui, mes soeurs, puisque vous ne le faites pas comme un animal, pour vous satisfaire, mais par hommage et soumission à la volonté de Dieu et pour prendre des forces pour vous sacrifier de nouveau à sa majesté. Le faisant avec ces intentions, vous sanctifiez cette action et les autres semblables, qui d'elles-mêmes ne sont que naturelles, et vous continuez par là cet esprit d'adoration, lequel, si vous êtes fidèles, vous conduira à la plus haute sainteté, en vous portant à un sacrifice perpétuel de vous-même, qui vous fera mourir à vos passions, inclinations déréglées et enfin à tout ce qui est opposé à votre sanctification, et vous rendra en même temps de véritables victimes toujours immolées à sa gloire et à son honneur. Amen.
composées par mère Mectilde
Ô mon Dieu,
Faites-vous connaître,
augmentez la foi,
contraignez les âmes à se rendre à Vous,
qu'elles ne vous offensent plus.
ÉLÉVATION A NOTRE SEIGNEUR CRUCIFIÉ
Ô amour crucifié, qui vous a ému à endurer et souffrir une mort si cruelle pour moi dans la croix ?
Ô mon Jésus, faites-moi la grâce de détacher mon âme de moi-même et l'attacher avec vous dans cette croix.
Ô mon Jésus, que mes mains soient clouées avec les vôtres, que mon coeur soit navré du coup de lance comme le vôtre, soyez dedans moi et que je sois dedans vous et que je meure dedans cette sainte croix avec vous.
O mon Jésus, faites-moi la grâce de languir et de mourir de votre saint amour et du regret de vous avoir offensé.
ORAISONS A NOTRE-SEIGNEUR
Je vous adore, mon Seigneur Jésus-Christ, et toutes les inclinations saintes de votre esprit pendant votre vie sur la terre. Je me donne à vous pour y entrer et je renonce à toutes les miennes, et je veux avec le secours de votre grâce vivre désormais dans les mêmes intentions et dispositions en toutes les oeuvres que j'aurai à faire toute ma vie, et je veux que mon âme soit ume à la vôtre et en un même amour, en un même vouloir et un même esprit et dispositions vers toutes choses.
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O Jésus, j'anéantis toutes mes volontés et inclinations à vos pieds : j'adore, j'aime et je loue de tout mon coeur votre très sainte et aimable volonté, et, malgré toutes mes répugnances et sentiments contraires, je veux vous aimer, bénir et glorifier en tout ce qu'il vous plaira. Ordonnez sur moi et sur ce qui me touche, en temps et en l'éternité. Vive Jésus ! Vive la très sainte volonté de mon Jésus ! Que la mienne soit détruite et anéantie pour jamais et que la sienne règne et soit accomplie éternellement en la terre comme au ciel ! Amen.
Je m'expose à vous, mon Seigneur, pour entrer dans votre sainteté, qui est par-dessus toutes pensées, dans votre amour qui surpasse toute science et dans vos saintes intentions, telles quelles sont dans elles-mêmes, et que je ne suis pas digne de concevoir ; c'est en la manière que vous aime, adore et honore l'âme sainte de Jésus-Christ que vous méritez d'être honoré, adoré et aimé, et c'est ainsi qu'en elle, je vous aime et vous adore dans les louanges et dans son amour.
A NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS POUR DEMANDER LA FIDÉLITÉ À LA PRÉSENCE DE DIEU
Mon adorable Sauveur Jésus-Christ, attirez-moi, s'il vous plait, par votre infime miséricorde dans ce fond intime où vous faites votre demeure en moi, pour n'être plus séparée de vous ni être plus vagabonde parmi les créatures qui m'éloignent de vous par des infidélités continuelles ; donnez-moi la grâce, pour l'amour de vous-même, que je puisse demeurer en vous, que je vive de vous, en vous, par vous et pour vous et que tout le créé soit en moi un pur néant où je ne puisse prendre désormais aucune vie. Amen.
ACTES DE CONTRITION
Mon Dieu, je vous offre la contrition de votre Fils, mon Seigneur Jésus-Christ, pour le supplément de celle qui me manque. Il a été contrit pour moi ; c'est pourquoi je m'unis à la grâce et à la sainteté de sa contrition.
Divin Jésus, je m'unis à la grâce de votre divin sacrifice. Vous êtes mon Hostie et je suis la vôtre, ou, pour mieux dire, je suis une même hostie avec vous. Je vous offre à votre Père éternel pour moi ; et je m'offre et me consacre à vous pour vous rendre grâce infime de toutes les miséricordes que je reçois de votre adorable bonté dans ce mystère auguste de la sainte messe.
Mon Dieu, je veux ce que vous voulez, je veux aimer ce que vous aimez, je veux vivre uniquement pour vous, je renonce et désavoue tout ce qui vous est contraire en moi.
OBLATION DE TOUT SOI-MÊME
A NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
Jésus, mon Seigneur et mon très divin Maître, je sais que je vous appartiens nécessairement par mille titres, mais je désire aussi de tout mon coeur vous appartenir volontairement. C'est pourquoi je vous offre, vous donne et vous consacre, sans aucune réserve, mon corps, mon âme, mon coeur, ma vie et mon esprit, toutes mes pensées, paroles et actions, avec toutes les dépendances et appartenances de mon être et de ma vie, désirant que tout ce qui a été, est et sera en moi, vous appartienne totalement, absolument, uniquement et éternellement ; et je vous fais cette oblation et donation de tout moi-même non seulement de toute ma force et puissance, mais, afin de la rendre plus sainte et plus efficace, je m'offre et me donne à vous par la force et vertu de votre grâce avec la toute-puissance de votre esprit et avec toute la force de votre divin amour, et je vous supplie, mon très adorable Sauveur, que par votre très grande miséricorde vous employiez vous-même la force de votre bras et la puissance de votre esprit et de votre amour pour me ravir à moi-même et à tout ce qui n'est point vous, et que vous seul me possédiez parfaitement et pour jamais à la plus grande gloire de votre saint nom. Ainsi soit-il.
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AU GRAND SAINT JOSEPH
OFFRANDE A LA TRÈS SAINTE VIERGE MARIE
Très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, je vous prends aujourd'hui pour mère, maîtresse, patronne et avocate, mettant entre vos mains mon corps et mon âme, ma vie, ma mort et ma volonté et mon éternité, et tout ce qui est mien en quelque façon que ce soit. Recevez-moi, ô glorieuse Vierge, reine des cieux, pour votre très humble servante et esclave, et faites que je sois et demeure à jamais servante et esclave de votre cher Fils Jésus-Christ. Ainsi soit-il.
Très sainte et très immaculée Vierge, Mère de Dieu, je me donne à vous selon tous mes devoirs, selon tous mes pouvoirs, et selon tous les vouloirs de Jésus, votre Fils. Amen.
PRIÈRE
Sainte Vierge, Mère de Dieu, Temple du Seigneur, modèle incomparable des âmes consacrées à Dieu, je vous honore en ce jour, et je révère tout ce que le Saint-Esprit a opéré dans votre coeur et ce que votre coeur a fait pour Dieu, pour vous consacrer à sa souveraine majesté d'une manière digne de sa grandeur et de votre amour.
Présentez-moi et donnez-moi à votre cher Fils, afin qu'il m'offre et me donne à son Père, et que je me donne et consacre moi-même à lui de tout mon coeur, en qualité de victime adoratrice et réparatrice.
Que je commence véritablement à servir Dieu sur la terre selon toute l'étendue de mes obligations, pour pouvoir être présentée au jour de ma mort au temple de sa gloire et l'y adorer avec vous dans toute l'éternité. Ainsi soit-il.
Glorieux saint, je vous révère et vous honore comme le premier adorateur de l'humanité sacrée de mon sauveur Jésus-Christ. Donnez-moi l'esprit de mon saint institut et toutes les vertus nécessaires à une victime pour dignement remplir mes obligations, et la grâce de vivre dans le pur abandon de tout moi-même au divin plaisir de Jésus-Christ, et que son saint amour fasse ma consommation par un total anéantissement de moi-même. Amen.
A SAINT BENOIT
Glorieux Père et saint protecteur de mon âme, vous êtes mon père et je suis votre enfant.
Conduisez-moi dans les sentiers que vous m'avez enseignés par votre sainte Règle.
Faites-moi la grâce de m'en donner l'esprit, avec celui d'une véritable victime de Jésus-Christ, comme vous l'avez été vous-même en consommant votre vie en parfait holocauste au pied de l'autel, par le feu adorable du même Jésus-Christ. Amen.
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Appendice I Appendice II
L'INSTITUT DES BÉNÉDICTINES DU SAINT-SACREMENT AUJOURD'HUI
Au Ier janvier 1978, l'Institut fondé par Mère Mectilde comprenait 1 484 moniales, réparties en 49 monastères. Ils sont groupés en six fédérations.
— Fédération française (12 monastères, 332 moniales) : Rouen, Caen, Bayeux, Tourcoing, Craon (Mayenne), Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne), Notre-Dame d'Orient (Aveyron), Rosheim (Bas-Rhin), Peppange (Luxembourg), Dumfries (Écosse), Ottmarsheim (Haut-Rhin, Erbalunga (Corse).
— Fédération polonaise (4 monastères, 113 moniales) : Varsovie, Siedlce, Wroclaw, Gosciecin.
— Fédération allemande (8 monastères, 258 moniales) : Trèves, Osnabruck, Bonn-Endenich, Winnenberg, Maria-Hamicolt, Cologne, Kreitz, Johannisberg.
— Fédération hollandaise (7 monastères, 195 moniales) : Rumbeke (Belgique), Tegelen, Valkenburg. Driebergen, Breda, Heesch, Tororo (Ouganda).
— Fédération italienne de Ronco-Ghiffa (13 monastères, 450 moniales) : Ronco-Ghiffa, Catania, Sortino, Piedimonte-Matese, Modica, Ragusa Ibla, Grandate, Teano, Alatri, Lucca, Gallarate, Noto, Genova.
— Fédération italienne de Milan (5 monastères, 136 moniales) : Milan, Tarquinia, Montefiascone, Rome, Laveno-Monbello.
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5 h — Lever.
5 h 30 — Office des Vigiles
6 h 30 — Oraison
7 h — Laudes, Tierce, Messe chantée.
8 h 30 — Petit déjeuner, travail et, à certains jours, réunions de la communauté en chapitre.
11 h 40 — Sexte chantée, repas, détente et travaux divers, surtout à Magdala (biscuiterie)
14 h — Temps de grand silence : adoration au choeur, lectio divina en cellule ou au jardin.
15 h — None chantée, travail ou conférences
16 h 45 — Vêptres chantées, oraistin
17 h 45 — Repas
18 h 30 — Récréation en commun
19 h 15 — Lecture en communauté, suivie des Complies chantées. Deux fois par semaine et aux grandes fêtes, l'office des Vigiles se dit la nuit à 1 h, le lever est alors fixé à 6 h. Chaque religieuse doit assurer une heure d'adoration devant le Saint-Sacrement chaque jour, soit dans la journée, soit la nuit, selon les possibilités de chacune.
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VIE DE CATHERINE DE BAR - HISTOIRE
1614 31 décembre Naissance et baptême - 1614 Louis XIII déclaré majeur
1618 Commencement de la guerre de Trente Ans
1623 Première communion
1625 Fondation des lazaristes par saint Vincent de Paul
1629 Guerre de Trente Ans en Lorraine
Mort du cardinal de Bérulle.
1631 novembre Entrée au monastère des annonciades rouges de Bruyères
1631 Mariage de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, avec
Marguerite de Lorraine, soeur de Charles IV de Lorraine.
Victoire de Leipzig
1633 Profession aux annonciades de Bruyères - 1633 Occupation de la Lorraine par Louis XIII
1634 Victoire de Nordlingen
1635 mai Exode (Badonviller, Épinal, Commercy) - 1635 Sac de Bruyères
1638 Exode (séjour à Saint-Dié) - 1636 Corneille : Le Cid
1639 2 juillet Entrée au monastère des bénédictines de Rambervillers.
1640 11 juillet Profession aux bénédictines de Rambervillers.
1640 septembre Départ pour Saint-Mihiel.
1641 1er août Pèlerinage à Benoîte-Vaux (Meuse) - 1641 Secours apporté à la Lorraine par Monsieur Vincent
1641 29 août Arrivée à Paris
1642 10 août Départ de l'abbaye de Montmartre - 1642 Monsieur Olier fonde Saint-Sulpice
1642 Séjour en Normandie - Mort de Richelieu
1643 23 août Saint-Maur-des-Fossés - Mort de Louis XIII
Anne d'Autriche, régente
Saint Jean Eudes fonde les Eudistes
Saint Jean Eudes fonde la congrégation de Jésus et de Marie
1644 Élection du pape Innocent X
1647 juin Priorat au Bon-Secours de Caen
1648 Traité de Wesphalie, fin de la guerre de Trente Ans
La Fronde (1648-1653)
1650 28 août Retour à Rambervillers comme prieure.
1651 24 mars A Paris (rue du Bac).
1652 14 août Premier contrat de fondation de l'Institut. - juillet Défaite de l'armée royale au fg Saint-Antoine
octobre Voeu de la reine Anne d'Autriche.
Entrée triomphale de
1653 25 mars Première exposition du Saint-Sacrement, rue du Bac - Louis XIV dans Paris
1654 12 mars Consécration de l'église et première exposition du Saint-Sacrement, rue Férou
Pose de la croix sur la porte du monastère
22 août Election de la Sainte Vierge, abbesse perpétuelle de tous les monastères
1655 Election du pape Alexandre VII
1657 Mort de Jean-Jacques Olier
Paix des Pyrénées
1659 Fondation de la société des Missions étrangères de Paris
1660 Mort de Louise de Marillac et de saint Vincent de Paul
Mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Espagne ; leur entrée dans Paris
1667 Election du pape Clément IX
1670 Election du pape Clément X Décès de la duchesse d'Orléans.
1672 3 avril Apparition du Sacré-Coeur à Marguerite-Marie Alacoque
Louis XIV entre en lutte avec le Saint-Siège
1673
Acquisition du terrain de la rue Cassette
Bénédiction de l'église et du monastère de la rue Cassette
Fondation du monastère de Toul (7 décembre 1664)
Agrégation du monastère de Rambervillers (29 avril 1666)
Agrégation de l'abbaye NotreDame-de-Consolation de Nancy (8 avril 1669).
Approbation des Constitutions par le cardinal de Vendôme, légat en France de Clément IX
Lettres patentes de Louis XIV
Bref d'Innocent XI : érection de la congrégation.
Première exposition du Saint-Sacrement au monastère de Rouen
Achat de l'hôtel de Turenne, rue Neuve-Saint-Louis, au Marais, pour le second monastère de Paris Union du monastère du Bon-Secours de Caen à l'Institut. Fondation du monastère de Varsovie (Pologne) (1" janvier 1688). Fondation du monastère de Châtillon-sur-Loing
Fondation du monastère de Dreux La bulle d'Innocent XII place les monastères sous la juridiction des évêques, à la demande de Mère Mectilde
Etc…….
Docteur d'Etat ès Lettres, professeur depuis plus de trente ans à l'Université catholique de Lille, l'abbé Joseph Daoust était tout désigné par ses travaux antérieurs ainsi que par une existence passée à l'ombre de cloîtres bénédictins pour présenter l'une des grandes figures du XVII° siècle religieux, Catherine de Bar, plus connue sous le nom de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698).
Pas de vie plus heurtée que celle de la fondatrice de l'Institut du Saint-Sacrement. Jeune moniale, alors qu'elle ne songe qu'à prier en paix en un obscur couvent de Lorraine, la guerre de Trente ans l'oblige à errer de refuge en refuge à travers le duché, puis à gagner Paris. Bientôt, elle doit se rendre en Normandie et s'établit enfin à Paris dans le faubourg Saint-Germain. Cédant aux instances de nobles et pieuses femmes, elle ouvre un monastère de Bénédictines vouées au culte de l'Eucharistie. Pour développer son oeuvre, elle ne cessera de sillonner le royaume. A son décès, la jeune congrégation est en plein essor. Aujourd'hui, une cinquantaine de prieurés, disséminés à travers l'Europe et jusqu'au coeur de l'Afrique, vivent selon l'esprit de Mère Mectilde, en suivant rigoureusement la Règle bénédictine.
Cette moniale si active compte parmi les principaux auteurs spirituels du grand siècle. Elle a parfaitement assimilé les leçons de mystiques qui l'ont précédée, et elle est en relations avec les maîtres de l'Ecole française. Guidée par eux, Mère Mectilde parvint au sommet de la vie mystique et fit bénéficier une quantité d'âmes de son exceptionnelle expérience. Un petit volume et surtout des milliers de lettres de la plus haute qualité nous permettent de connaître son enseignement et de le mettre encore à profit de nos jours.
Grâce au livre de J. Daoust, rédigé en collaboration avec les Bénédictines de Rouen, nous suivons Mère Mectilde dans ses multiples pérégrinations. De judicieux morceaux choisis, nous initient à sa doctine, à la fois traditionnelle et originale.
Couverture : Cuivre gravé par Drevet (XVII' siècle)
I. — Portrait de Mère Mectilde, appartenant aux descendants de la famille de Bar.
Mère Mectilde du Saint-Sacrement
Fondatrice
de l'Institut des bénédictines de l 'AdorationPerpétuelle
du Très Saint-Sacrement de l'Autel
Document Biographique
ÉCRITS SPIRITUELS
1640 -1670
BÉNÉDICTINES DU SAINT-SACREMENT
ROUEN
1973
PRÉFACE
On doit féliciter les religieuses de la congrégation de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement de consacrer de nouvelles recherches à l'oeuvre de leur fondatrice, la mère Mechtilde, cette religieuse qui, chassée par les guerres, dut quitter en 1641 et 1651 son pays la Lorraine pour la France, et, après d'extraordinaires tribulations, créa à Paris, en 1653, une congrégation nouvelle dans l'ordre bénédictin.
Nous possédons peu de livres imprimés sur la fameuse mystique. Une première esquisse avait été donnée de sa vie et de son oeuvre dans le chapitre consacré à la congrégation des Mères de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement au tome VI, paru en 1721, de l'Histoire des Ordres monastiques du père Hélyot (p. 370-390). En 1775, l'abbé Duquesne, auteur de l'Evangile médité et de quelques autres ouvrages, publia à Nancy une Vie de la vénérable Mère, volume très dense de 474 pages de format in-12, où aucune division ne vient aider le lecteur pour suivre une existence mouvementée. C'est un récit continu où sont insérées toutefois des citations de documents, lettres qu'elle écrivit ou qu'elle reçut, mémoires rédigés par elle ou par son entourage, qui avaient été conservés dans les couvents des religieuses du Saint-Sacrement de la rue Cassette ou d'ailleurs. Ce sont ces textes qui font saillies et qui permettent au lecteur de retrouver l'image de la mystique et de deviner son milieu ou plutôt les milieux que sa flamme irradia. Mais cet essai était encore bien imparfait et sans vigueur.
Au xixe siècle, un aumônier du couvent du Saint-Sacrement d'Arras, le chanoine N. Hervin, avec la collaboration de l'un de ses confrères, l'abbé M. Marie Dourlens, curé d'Haravesnes, reprit l'étude de cette vie, et lui consacra un fort volume in-8° de xxxii-748 pages, cette fois mieux ordonné, où les étapes d'une extraordinaire odyssée sont mises en lumière. L'ouvrage était nourri d'abondants documents et pourvu de références plus précises. Les fonds des monastères des religieuses du Saint-Sacrement avaient été exploités plus amplement.
« Nous avons été assez heureux, dit le chanoine Hervin, pour retrouver un très grand nombre de lettres, d'instructions, de conférences de la mère Mechtilde, plusieurs vies manuscrites, des mémoires très complets rédigés à la fin du xvne siècle et au commencement du xvine siècle par des auteurs contemporains ou par les premières religieuses de l'Institut ».
Nous ne saurions assez remercier M. Pierre MAROT, qui a bien voulu présenter ce livre.
Notre gratitude va aussi à tous ceux, qui nous ont dirigées et conseillées en ce travail : prêtres et religieuses, spécialistes, historiens, archivistes et bibliothécaires. Ils sont trop nombreux pour que nous puissions les nommer tous.
Nous voulons cependant mentionner particulièrement le révérend Père dom Jean LAPORTE (de l'abbaye de Saint-Wandrille) qui, avec une patience et une érudition vraiment bénédictines nous a beaucoup aidées à rédiger les notes et les a toutes revues.
Nous assurons ces amis de notre prière, demandant à Notre-Dame, Notre Abbesse de les bénir.
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Il utilisa « le compte rendu que fit la mère en 1643 au père Jean Chrystome, son confesseur, de ses premières années dans le monde et dans le cloître ». Il examina plus de deux mille lettres de la mère, ses exhortations, ses instructions recueillies par son entourage. C'est surtout en fonction de ce livre consciencieux, mais un peu limité dans ses perspectives, que la personnalité de la mère Mechtilde a été révélée aux historiens : ceux-ci n'avaient jusqu'à ces dernières années que peu recouru aux sources manuscrites pourtant abondantes qui nous permettent de la découvrir.
Le chanoine Hervin avait publié par ailleurs un abrégé de son ouvrage. En 1922, une religieuse du couvent de Rosheim donna une biographie, fondée essentiellement sur l'ouvrage du chanoine, mais nourrie aussi de la substance de quelques vies manuscrites utilisées au reste par son devancier (Catherine de Bar..., publication bénédictine « Pax », Montauban ; J. Prunet, in-8°, 204 pages).
La richesse de la correspondance que révélait le chanoine Hervin avait été confirmée par le livre du chanoine H. Boissonnot, La Lydwine de Touraine, Anne-Berthe de Béthune, abbesse de Beaumontlez-Tours (1637-1689). Etudes mystiques (Tours-Paris, 1912). Pour faire revivre cette religieuse, le chanoine Boissonnot avait surtout utilisé les lettres (plus de trois cents), que Mechtilde avait adressées à l'abbesse, « petits chefs-d'oeuvre, dit-il, dictés par une de ces amitiés exquises dont nous ne conservons que de rares exemples ». La publication de longs extraits révèle mieux peut-être que ceux qu'avait produits le chanoine Hervin la qualité du style, la finesse de la pensée et l'ardeur de la mère Mechtilde.
Lorsque l'abbé Henri Bremond brossa de main de maître le tableau du mysticisme dans son Histoire littéraire du sentiment religieux, il évoqua Mechtilde à plusieurs reprises « à pas pressés », un peu trop rapidement sans doute. Il reconnaît qu'elle mériterait « une longue esquisse » (t. IV, p. 265-266). « Si je commence à parler d'elle, dit-il, ainsi que de Berthe de Béthune, je ne saurais plus m'arrêter... La seule mention des personnages qui paraissent dans ces deux vies nous demanderait plusieurs pages » (t. VI, p. 386).
Toutefois, il revient plus longuement sur la « sublime mission » de la mère Mechtilde et analyse ses constitutions ainsi que « l'horloge pour l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement » (t. IX, p. 207 et sq.)
Depuis une quarantaine d'années, les études sur le mysticisme du xvlle siècle se sont développées. Dans un ouvrage publié sous le titre Priez sans cesse, en 1953, à l'occasion du tricentenaire de l'Institut des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, de savants bénédictins et le chanoine G. A. Simon ont retracé la vie de la mère Mechtilde, les vicissitudes et le développement de l'Institut qu'elle avait créé.
Les écrits spirituels de la mère destinés à la comtesse de Château-vieux, la fondatrice de l'Institut, étaient publiés en offset par les
Bénédictines du Saint-Sacrement en 1965 ; extraits de ce que l'on est convenu d'appeler le Bréviaire de la comtesse, regroupés en fonction de leur objet, ils offrent un spécimen de ce que contiennent les dossiers des couvents des Bénédictines du Saint-Sacrement. C'est le regretté abbé Louis Cognet, l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire du mysticisme, qui présenta ces morceaux choisis, en montrant à travers les étapes de la vie et de l'action de la mère Mechtilde les sources et le développement des sentiments qui l'animaient.
On trouvera, du reste, en introduction au présent ouvrage, une évocation de la mère Mechtilde que l'abbé Cognet avait présentée dans une conférence donnée par lui à Paris, au monastère des bénédictines du Saint-Sacrement, le 15 mars 1958 (1).
De l'immense correspondance de la mère Mechtilde, de trop rares spécimens ont été publiés. On nous en donne ici un état qui en suggère la richesse, en même temps qu'il précise la tradition et le mode de conservation. Nous sommes heureux de savoir que les religieuses ont entrepris non seulement le récolement de ces lettres, mais leur transcription en vue d'une éventuelle édition, du moins d'une publication partielle.
Aujourd'hui on nous offre l'édition d'un manuscrit constitué par un ensemble de mémoires accompagnés de textes concernant la fondation de l'Institut de l'Adoration perpétuelle. La rédaction de cet ensemble de mémoires a été terminée au moment où les lettres-patentes de Louis XIV de juillet 1670 que l'on a pu insérer in fine venaient sanctionner la création de la congrégation du Saint-Sacrement. Ces morceaux qui se complètent ou se juxtaposent ont été mis au point, semble-t-il, pendant une assez brève période. On fait allusion au cours de la dernière partie de ces mémoires à la mort de Clément IX « qui n'a pas encore de successeur quand cela se trouve écrit ». Or, Clément IX mourut le 9 décembre 1669. A la fin du dernier mémoire, on donne l'élection de son successeur comme un fait accompli. « A présent que Dieu a donné un chef à son Eglise, on espère que celui-ci ne tardera pas à accorder les bulles que l'on souhaite » : l'élection de Clément X est du 29 avril 1670, trois mois avant que ne fussent données les lettres-patentes du roi confirmant la « congrégation ». A quelques dizaines de pages de distance la rédaction n'a pas été unifiée.
La narration est établie d'une manière précise. La chronologie est assez serrée. Les nombreux personnages cités sont mentionnés exactement. Les intentions de la mère Mechtilde sont évoquées, ses désirs comme les contrariétés qu'elle subit. On ne mentionne pas seulement que les actions sanctionnées par des réalisations concrètes. Il s'ensuit donc que ces mémoires ont été rédigés à partir des
(1) Signalons les notices consacrées à la mère Mechtilde par dom P. Séjourné dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, t. VI (1932), col. 534-537 et par M. Henri Tribout de Morembert dans le Dictionnaire de biographie française, t. V (1951), c. 111-113.
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confidences de la mère, et probablement avec quelque participation de sa part. Mais elle est présentée avec tant d'éloges comme un être d'exception, instrument de la volonté divine, que l'on ne peut croire qu'elle a inspiré, au sens strict, l'élaboration de sa biographie. Les antécédents de Mechtilde, comme ceux des premières institutions auxquelles elle appartient, sont révélés : il y a une volonté de ne rien laisser dans l'ombre, notamment pour ce qui est des événements relatifs à la Lorraine.
C'est à Paris que cet ensemble de mémoires a été rédigé, dans les perspectives de l'histoire de la création du monastère de la rue Cassette. Le milieu parisien est parfaitement connu ; de ce point de vue, ce document est précieux. Il fait revivre une société dans ses élans de mysticisme, mais aussi dans la rigueur d'un « juridisme » parfois étroit que la charité ne tempère pas toujours ; il nous montre aussi ce que pouvaient être les oppositions, les rivalités entre clans pourtant animés des intentions les plus pures, les égoïsmes de maisons rivales défendant leur personnel et leurs moyens d'existence. Il nous révèle aussi les intrigues qu'il fallait mener pour faire aboutir les créations que l'on avait conçues.
Ces récits nous donnent l'image d'une époque traversée par les guerres entre Etats, les troubles intérieurs ; ils nous montrent comment ces misères engendrèrent dans les âmes de haute spiritualité les aspirations au renoncement, le désir de réparer toutes les turpitudes humaines et les insultes commises à l'endroit de Dieu. Certes l'ouvrage du chanoine Hervin ne laissait pas ignorer tous ces traits grâce aux sources dont il avait pu user, spécialement grâce aux vies anciennes, postérieures aux mémoires, qu'il avait pu connaître. Il nous semble que la narration publiée ici, plus proche des événements, est plus significative encore. Il est vraisemblable que les auteurs des Vies ont puisé dans ces mémoires. Inversement d'ailleurs, on trouve parfois dans ces vies, si nous en jugeons par les références du chanoine Hersent, des informations qui manquent ici (notamment pour ce qui est de la fondation du monastère de Toul).
Comme les religieuses le déclarent, elles ont voulu maintenir le souvenir des faits qui constituent la trame de la fondation de leur congrégation. Elles ont entendu aussi édifier le lecteur. Elles se sont employées à révéler tout ce qui prouvait les « interventions » de la Providence.
La succession de ces mémoires, des différentes parties qui constituent ce recueil, s'ordonne en fonction de la création de la congrégation selon le développement de la vie de la mère Mechtilde. Les deux premières parties sont consacrées aux vicissitudes de la religieuse depuis son exode en France et à l'établissement de l'institut de l'Adoration perpétuelle, la troisième au rôle qu'eut dans la création de cette institution la comtesse de Châteauvieux que l'on peut considérer comme la fondatrice, avec son mari, de la maison de Paris qui se fixa rue Cassette, la quatrième à l'évocation rapide de la fondation du monastère de Toul, et à l'histoire plus détaillée du monastère de
Notre-Dame de la Conception de Rambervillers et de celui de Notre-Dame de la Consolation de Nancy et leur réunion à l'institut, prémices de l'érection de la congrégation. L'histoire des deux derniers monastères nous introduit dans le milieu lorrain qui fut celui des débuts de la mère Mechtilde, de telle sorte que l'on y trouve de nombreuses notions qui expliquent le déroulement de sa vie à ses débuts et éclairent sa formation.
Cette dernière partie comporte, en conclusion, les informations et les documents concernant l'érection de la congrégation auxquels ont été ajoutées des indications sur les tentatives de création de monastères à Rouen et à Saint-Dié.
Pour comprendre le développement de la vie de la mère Mechtilde, il faut avoir présent à l'esprit ce qu'était son pays. Elle a été profondément marquée par lui, elle y a vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans, elle lui est restée très attachée (2). Elle a donné à la congrégation qu'elle a créée à Paris de solides assises en Lorraine. Les mémoires publiés ici présentent divers éléments d'information. Il convient au reste de les situer dans un contexte plus large.
La Lorraine correspondant en gros aux trois diocèses de Metz, Toul et Verdun faisait corps avec l'Empire. La maison de Lorraine-Anjou régnait sur les duchés de Lorraine et de Bar. Les Trois-Evêchés (qu'il ne faut pas confondre avec les diocèses) de Metz, Toul et Verdun, indépendants des duchés, étaient occupés par le roi de France depuis 1552 et devaient être réunis au royaume par les traités de Westphalie de 1648.
La mère Mechtilde était née le 31 décembre 1614, à Saint-Dié, dans le duché de Lorraine, à l'orée des montagnes vosgiennes, en un pays de forte tradition chrétienne, où les ordres religieux s'étaient très solidement implantés dès le haut moyen-âge ; les grandes abbayes vosgiennes avaient une influence prépondérante. Saint-Dié était le siège d'un puissant chapitre.
La dynastie ducale s'était instituée le champion du catholicisme au temps des guerres de religion. Entraîné par les Guises, ses cousins, le duc Charles III, époux d'une fille du roi de France Henri II, avait participé à la Ligue. Il se disait héritier de Godefroy de Bouillon dont on faisait alors un duc de Haute-Lorraine et affirmait ses devoirs pour la défense de la chrétienté.
(2) Les histoires de Lorraine ont fait une place à la mère Mechtilde. Dom Calmet lui a naturellement consacré une notice dans le Bibliothèque lorraine (1751), col. 651-652. Christian Pfister a présenté sa vie et son oeuvre dans son Histoire de Nancy, t. II (1909), p. 733-757 (ce chapitre est la reproduction d'une conférence donnée à la Faculté des lettres de Nancy le 30 janvier 1897 qui avait été publiée dans le Bulletin de la Société philomatique vosgienne, année 18961897, p. 215-238). Il convient aussi de signaler les pages qui lui sont consacrées par Mgr Eugène Martin dans son Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié, t. II (1901). p. 255-264.
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La Lorraine fut un centre essentiel de la Contre-Réforme. Les évêques du pays soutenus par la maison ducale s'attachèrent à faire prévaloir les décisions du Concile de Trente. Ce qui exprime le mieux ce puissant mouvement est la création, en 1572, de l'Université de Pont-à-Mousson due à l'action conjointe de Charles III et de son cousin le cardinal de Lorraine. Les Jésuites qui en furent les maîtres ont exercé une action considérable qui dépassa les bornes de la région et rayonna en terre de France et d'Empire. L'Université contribua au renouveau religieux. Les anciens ordres furent réformés : des ordres nouveaux s'implantèrent, et pourtant le pays était déjà peuplé de nombreux couvents. Le fils du duc Charles III, le cardinal Charles de Lorraine, évêque de Strasbourg, primat de Lorraine, légat du pape, fut un appui efficace de ce renouveau.
Dans le diocèse de Toul, l'évêque Jean des Porcelets de Maillane (1608-1624) favorisa cette action. La réforme de l'ordre bénédictin, la création de la congrégation de Saint-Vanne en 1603-1604 grâce au zèle de dom Didier de La Cour, la réforme des prémontrés due à Servais de Lairuelz, sanctionnée par une bulle de 1617, celle des chanoines réguliers conçue par saint Pierre Fourier, approuvée par une bulle de 1628, sont les exemples les plus expressifs du renouveau de l'Eglise. Une princesse lorraine, fille de Charles III, tenta, sans succès, la réforme du fameux chapitre de dames nobles de Remiremont, ancienne fondation bénédictine ; ayant pris l'habit bénédictin à Paris au Val-de-Grâce, monastère que Marguerite d'Arbouse venait de ramener à une stricte discipline, elle créa à Nancy, en 1625, l'abbaye bénédictine Notre-Dame de la Consolation qui devait tenir une place importante dans l'oeuvre de Mechtilde (3).
Pierre Fourier, chanoine régulier, qui avait réformé son ordre, nous l'avons dit, curé exemplaire de Mattaincourt, près de Mirecourt, chef-lieu du bailliage de Vosge, avait trouvé, en la mère Alix, une vosgienne de Remiremont, le concours nécessaire pour la fondation d'un ordre qui était appelé à un grand essor, la congrégation Notre-Dame, née en 1597 et confirmée par le pape en 1615-1616. C'était de Remiremont qu'était originaire l'extraordinaire Elisabeth de Ranfaing, la « possédée » que de fameux exorcismes (1621) délivrèrent du diable et qui fonda à Nancy la maison Notre-Dame du Refuge en 1627.
On ne peut trop insister sur la vitalité du sentiment religieux dont l'art nous a laissé pour cette époque en Lorraine tant d'émouvants témoignages : faut-il rappeler l'oeuvre du peintre lunévillois Georges de La Tour ?
C'est dans ce climat de ferveur religieuse que Catherine de Bar (ce nom est orthographié Barre sans particule dans le registre où est inscrit l'acte de son baptême) (4) vécut ses jeunes années. Née en
µ 1614…… manque le haut de la page 15 qui comporte la note (5) Sur Dominique...
(3) Cf. Christian Pfister, Histoire de Nancy, t. II, p. 733-774.
(4) Cf. Léon Germain, Note sur le nom de « Catherine de Bar » dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 1891-1892, p. 41-44.
(5) Sur Dominique Lhuillier et sa famille, cf. dom Ambr Nobiliaire de Lorraine, Nancy, 1758, p. 492-493. Lhuillier avait ér rite de Bar, soeur de la mère Mechtilde. Colonel dans les armées qui l'anoblit par lettres patentes données à Bruxelles le 27 ja reconnaissance de treize années de service. Contre les Français, i le colonel des Pilliers le siège de Bar en 1652, mais finalement 1 rendre (cf. Alphonse Schmitt, Le Barrois mouvant au XVIP sièc 1929, p. 133-135, 169). On le trouve en 1659 à Landstoul (Henri l'organisation et les institutions militaires de la Lorraine, Paris, 1 1671 à Bitche (Archives de Meurthe-et-Moselle, B 3186). Il fut î Bitche, Hombourg, Neufchâteau, Landstoul. Il reçut à titre héréd tainerie de Spitzemberg. Son fils Nicolas, seigneur de Spitzembei ordinaire de la duchesse d'Orléans. Il épousa en 1670, Charlott Castres. (Le fils Nicolas, Charles-Léopold, eut six enfants, do religieuse du Saint-Sacrement). La fille du colonel Lhuillier ép Claude Gauthier, maître ès arts, licencié en droit, en faveur duq en 1664, en fief noble, sa maison de Vienville (Vosges, cant. Com de Saint-Dié) et ses dépendances (Archives de Meurthe-et-Moselle, 23). Il avait remplacé son beau-père comme capitaine-prévôt de 5 même année ; il porta le titre de gentilhomme ordinaire du duc fille, religieuse du Saint-Sacrement, fut la biographe de sa grande Dourlens, p. XXVII). Les relations qu'entretint la mère Mechtilde rite de Lorraine, duchesse d'Orléans, dont nous soulignerons l'im illustrées par les titres qui furent octroyés aux neveux de la rd Maison d'Orléans.
(6) Eugène Martin, Les trois ordres de saint François dans raine, Paris, 1930, Extr. des Etudes franciscaines, p. 69-70. La Phalsbourg Henriette, soeur du duc Charles IV et de Marguerite d future duchesse d'Orléans, dont nous aurons l'occasion de parler, ragé plusieurs de ces fondations, les couvents de Pont-à-Mousson, N Saint-Nicolas-de-Port. Deux soeurs de cette maison établirent ur leur ordre à Bruyères.
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La politique d'intrusion du roi sur ces marches était dans la ligne d'une politique qui s'était progressivement affirmée. L'occupation des duchés de Lorraine et de Bar, après celle des Trois-Evêchés, devait assurer la protection du royaume. La Lorraine, région pour la plus grande partie, de langue française, de moeurs françaises, malgré la loyauté de ses habitants pour la dynastie ducale et son particularisme, était considérée comme une zone d'extension naturelle pour le royaume.
Charles IV avait inquiété Louis XIII par les intrigues qu'il avait nouées avec les ennemis de la couronne. Accueillant dans ses Etats Gaston d'Orléans qui complotait contre son frère, il mit le comble à l'indignation du roi en favorisant le mariage de « Monsieur », en 1632, avec sa soeur Marguerite qui eut lieu en secret à Nancy, dans l'église du monastère des Bénédictines, fondé par Catherine de Lorraine. Cette union devait avoir dans les entreprises de la mère Mechtilde de grandes conséquences. La religieuse trouva à Paris, au milieu du siècle, auprès de la duchesse d'Orléans, l'appui le plus sûr pour le développement de son oeuvre, comme nous le dirons.
Les troupes de Louis XIII et celles de ses alliés suédois envahirent la Lorraine. Nancy dut capituler en 1633. La résistance lorraine, les incursions des armées de Charles IV et de ses alliés dans les duchés, la réoccupation temporaire de certaines villes par ce prince ne firent qu'aggraver encore les misères du pays. Si les duchés furent dans le principe temporairement rendus par le traité de Nimègue au duc qui avait mené une vie de condottiere, Charles IV dut abandonner Nancy en 1670. Il mourut à Consarbrück six ans plus tard. C'est au petit-neveu de Charles, Léopold, que furent rendus les duchés en vertu du traité de Ryswick de 1697, au moment où mourut la mère Mechtilde.
Bruyères, siège du monastère des Annonciades où Catherine de Bar avait fait profession, avait été dévasté, le couvent anéanti en 1635 (7), comme on le lira dans les mémoires ; les religieuses dont elle était devenue la supérieure émigrèrent au début de 1636 à Commercy, siège d'une principauté, qui fut sévèrement marquée par l'invasion et la peste : Mechtilde n'y put demeurer (8). Elle regagna Saint-Dié qui avait subi aussi de nombreux ravages (9). Elle décida alors de passer chez les bénédictines de Rambervillers, dont le couvent issu de celui de Saint-Nicolas-de-Port, avait été récemment fondé. La rigueur de la réforme vanniste la séduisit sans doute. A l'âge de vingt-quatre ans, en 1639, elle devint bénédictine sous le nom de Mechtilde de Helfède (Saxe), mystique fameuse du mye siècle, favorisée de nombreuses apparitions, dont la « vie admirable » et les
(7) Henri Lepage, Notice historique sur la ville de Bruyères dans Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1878, p. 142-204.
(8) C. E. Dumont, Histoire de la ville et des seigneurs de Commercy, Bar-le-Duc, 1843, t. II, p. 27.
(9) Georges Beaumont, Saint-Dié des Vosges. Origines et développement, Saint-Dié, 1961, p. 46.
« oeuvres excellentes », traduites en français, avaient été publiées à Paris, chez Michel Joly, par Jacques Ferraige en 1623 (10).
Rambervillers, du diocèse de Toul, mais qui faisait partie du temporel de Metz, donc normalement occupé par le roi de France, fut emporté par le duc Charles IV en 1635, puis repris par les Français en 1637. Les Lorrains revinrent l'année suivante, puis en 1639 les Français réoccupèrent la ville (11) ; les religieuses, dans la plus grande détresse, abandonnèrent le monastère et se rendirent à Saint-Mihiel, ville du Barrois où d'ailleurs la misère était extrême (12). Mechtilde et ses compagnes n'y purent rester. Bientôt elle gagna le royaume.
Les ravages commis par les troupes françaises et leurs alliés en Lorraine avaient ému saint Vincent de Paul : il envoya des prêtres de la Mission pour soulager ces misères ; il favorisa l'émigration vers Paris en constituant dans la capitale des centres de réfugiés (13). L'un de ses prêtres, le père Julien Guérin, ancien soldat, avait suggéré à la mère Mechtilde de se rendre à Paris pour être accueillie au fameux monastère de Montmartre dont l'abbesse Mme de Beauvillers avait fait un foyer de spiritualité exemplaire. Celle-ci consultée ne donna pas d'abord son agrément.
Il fallut attendre : Mechtilde et ses soeurs se rendirent le 1" août 1641 au sanctuaire vénéré de la Vierge de Benoîte-Vaux, à quelques lieues de Saint-Mihiel, dont la statue miraculeuse avait été mise à l'abri de la soldatesque par l'« écuyère lorraine » Mme de Saint-Balmont, pour obtenir aide et conseil de la Mère de Dieu. Les bourgeois de Nancy étaient allés en juillet dans un grand pélerinage faire amende honorable à Marie (14). Mechtilde demanda à la Vierge d'éclairer l'abbesse de Montmartre. Or, celle-ci, mieux inspirée, décida de l'accueillir. Ce pélerinage dans ce haut lieu de la piété lorraine fixa le destin de Mechtilde. C'est dans ces conditions que les bénédictines lorraines gagnèrent Paris.
(10) Ferraige publia ultérieurement une vie de la soeur de sainte Mechtilde, sainte Gertrude. L'amie de la mère Mechtilde, la mère Bouette de Blémur (cf. infra, n. 22) a longuement parlé de sainte Mechtilde dans l'Année bénédictine ou les vies de saints de l'ordre de saint Benoit pour tous les jours de l'année, t. XI novembre, p. 396-420 (19 novembre).
(11) A. Fournier, Rambervillers au XVIIe siècle dans Annales de la Société cl'Emulation des Vosges, 1879, p. 143-179. Cet auteur donne des témoignages significatifs sur les misères qui frappèrent les habitants de la ville.
(12) C. E. Dumont, Histoire de la ville de Saint-Mihiel, Paris, 1860-1862, t. II, p. 65 et sq.
(13) Sur l'action de saint Vincent de Paul en Lorraine, cf. abbé J.-F. Deblaye. La charité de saint Vincent de Paul en Lorraine, Nancy, 1886, spécialement p. 74 et 95 sq.
(14) Mgr Charles Aimond, Notre-Dame dans le diocèse de Verdun, Paris, 1945, p. 86-89 et du même, Notre-Dame de Benoite-Vaux, Bar-le-Duc, 1937. C'était les prémontrés qui assuraient le service du pélerinage. La statue de la Vierge, mise à l'abri par Mme de Saint-Balmont au château de Neuville-en-Verdunois en 1638, avait été ramenée en mars 1641 à Benoîte-Vaux.
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Mechtilde allait commencer une vie nouvelle qui, après bien des vicissitudes, devait aboutir à la création dans la capitale de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. L'adaptation des religieuses lorraines à la vie française se fit assez aisément. Si les Lorrains dans le principe restaient fidèles à leurs princes, ils n'avaient pas grand effort à accomplir pour s'assimiler au milieu français ; les contacts entre Lorrains et Français étaient constants. C'est de France, au reste, qu'étaient issus la plupart des mouvements religieux qui imprégnèrent la Lorraine au cours des âges. Les franciscains qui marquèrent si profondément le pays, constituant la vicarie de Lorraine, dépendaient de la « province de France ». Inversement, les réformes ou créations lorraines produisirent leurs effets au-delà des frontières des duchés. La réforme vanniste se développa en Champagne. Celle des Prémontrés, due à Servais de Lairuelz, « l'Antique Rigueur », trouva en Normandie un terrain favorable.
Ainsi, la mère Mechtilde fut une fleur du mysticisme lorrain qui s'épanouit en France, mais ses racines demeurèrent vigoureuses en Lorraine. Elle trouva dans son pays conseil et appui. Elle resta toujours en contact avec dom Antoine de Lescale (15), le disciple de dom Didier de La Cour, le fondateur de la congrégation de Saint-Vanne, qui avait favorisé son entrée dans l'ordre bénédictin, dont la nièce vint la rejoindre à Saint-Maur en 1643 et fit profession sous le nom de Marguerite de la Conception. Celle-ci lui fut si attachée qu'elle écrivit sa biographie. Elle trouva constamment appui auprès de Jean Midot (16), vicaire général de Toul pendant le longues années, au cours de la vacance prolongée du siège épiscopal, qui lui accorda les « obédiences » nécessaires à ses déplacements, de même, malgré quelques réticences lors de premiers contacts, auprès de son successeur, François Caillier.
Bien entendu, nous ne sous-estimons pas l'influence qu'exercèrent sur elle les milieux français, les conséquences de son séjour en l'abbaye de Montmartre (1641-1642), de son établissement temporaire à la Sainte-Trinité de Caen (1643), l'importance des relations étroites qu'elle noua avec les mystiques normands de la Compagme du Saint-Sacrement, de Bernières en particulier, pour ne citer que lui. Elle passa plusieurs années fructueuses à Saint-Maur avec les religieuses réfugiées (1643-1646) et fut supérieure du monastère de NotreDame-de-Bon-Secours de Caen (1647-1650). Mais elle était toujours attachée au monastère de Rambervillers. Elle y revint, en 1650, après neuf années d'absence, fut désignée comme prieure. Elle pensait y trouver, avec ses compagnes, un asile de recueillement où elle pourrait s'anéantir dans la prière. Mais à peine était-elle arrivée, que les
(15) Sur Antoine de Lescale (1617-1667), cf. Jean Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, Ligugé-Paris, 1925, p. 128.
(16) Sur Jean Midot, cf. dom Calmet, Bibliothèque lorraine, col. 651-652 et Eugène Martin, Histoire des diocèses de Toul, t. II, passim.
troupes du duc Charles IV s'emparèrent de la ville et que le pays retomba dans les troubles les plus inouïs (17). Elle fit part, en 1651, à Bernières de son désarroi :
« Il faut une grâce toute particulière pour vivre recolligée et conserver l'esprit d'oraison en ces pays. Les alarmes y sont si fréquentes que notre maison est toujours remplie de monde qui s'y jette pour éviter les premiers coups de furie que les soldats déchargent sur ceux qu'ils rencontrent. Hélas ! mon très cher frère, vous me disiez quelquefois qu'il fallait retourner à Rambervillers pour y mourir solitaire, c'est ici une étrange solitude... »
Elle quitta donc Rambervillers à nouveau avec quelques-unes de ses soeurs. L'« obédience » qui lui était accordée constatait que « la Lorraine était réduite à la plus affreuse disette et ses habitants forcés de quitter leur malheureuse patrie ». Dans le temps de la Fronde, en mars 1651, elle retrouva ses compagnes de Saint-Maur dans une maison de la rue du Bac, aux prises avec les plus grandes difficultés. La précarité des petites soeurs lorraines suscita la charité de pieuses personnes, et spécialement de la comtesse de Châteauvieux dont l'appui fut décisif pour la fondation de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Il fallait réparer les insultes infligées à l'Eucharitie, ce sentiment la mère l'avait conçu depuis de longues années : les sacrilèges, les profanations étaient nombreux et les soldats, « les hérétiques » en particulier, les avaient multipliés pendant la guerre que Mechtilde avait vécue en Lorraine : la « grande église » de Saint-Nicolas-de-Port en avait été en particulier le théâtre dans le temps où Bruyères avait été saccagé. Le pillage et l'incendie de ce sanctuaire demeuraient un des actes les plus odieux de l'invasion du pays (18). Il n'y avait point seulement à réparer les profanations des gens de guerre, mais aussi celles que les sorciers commettaient ; or nul n'ignore la crise de sorcellerie qui éprouva la Lorraine.
La fondation d'un monastère à Paris ne devait pas détacher Mechtilde de son pays. Redoutant de la perdre à jamais, les soeurs de Rambervillers mettaient des entraves à son installation définitive dans la capitale du royaume : « Je vous assure, disait Mechtilde à ses anciennes compagnes, que mon désir n'est point de me séparer et de me désunir d'avec vous », mais elle voulait simplement accomplir ce qu'ordonnait la Providence. Dom de Lescale la soutint, la défendit : il donna même aux religieuses de Rambervillers le modèle de leur consentement au transfert de leur ancienne prieure ; le vicaire général Caillier acquiesca. Le contrat de fondation du premier monastère de l'Institut était signé le 14 août 1652. Le couvent fut établi grâce aux générosités de bienfaiteurs, mais sa création fut le résultat du
(17) Dr A. Fournier, Un épisode de la guerre de Trente ans : les Allemands à Rambervillers dans Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1875-76, p. 248 et sq.
(18) Sur le vandalisme à Saint-Nicolas, cf. Pierre Marot, Saint-Nicolas-dePort, la « grande église » et le pélerinage, Nancy, 1963, p. 63-65.
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voeu qu'au nom de la reine fit M. Picoté pour le rétablissement de la paix dans le royaume. Le couvent fut établi d'abord rue Férou. C'est là que la veuve du roi dont les troupes avaient envahi la Lorraine vint le 12 mars 1654 assister à la mise en clôture des religieuses chassées de leur patrie et à la pose de la croix. Anne d'Autriche, se passant la corde au cou, lut l'amende honorable. On comptait dans la communauté plusieurs religieuses de Rambervillers. Deux autres en arrivaient : la mère Bernardine et la mère Marie-de-Jésus.
Le couvent devait être bientôt transféré rue Cassette. Au moment où il était question d'acheter le terrain où le monastère devait être élevé, elle fut contrainte d'aller prendre les eaux ; on lui proposait Bourbon ou Plombières, ce fut Plombières qu'elle choisit à cause de la proximité de Rambervillers :
« J'ai trop aimé, disait-elle, la maison de Rambervillers et je l'aime encore trop pour l'oublier. Dieu sait comme je courrai à Rambervillers, c'est là que je ferai mes remèdes, si Dieu voulait, mon cercueil, sans avoir la peine de revenir... »
Elle partit en avril, séjourna à Nancy chez les religieuses de la congrégation Notre-Dame où elle comptait deux nièces religieuses, revint à Rambervillers dont la mère Benoîte de la Passion qui lui avait succédé était prieure. Accomplissant un voeu de Mme de Châteauvieux qu'elle avait intéressée à son ancien couvent, elle remit au monastère une somme de deux cents louis destinée à la fondation d'une messe du Saint-Sacrement tous les jeudis. Après avoir passé quelques jours chez les Annonciades d'Epinal, elle prit les eaux à Plombières pour obéir à ses médecins (19). Elle revint à Paris afin de négocier l'acquisition du terrain de la rue Cassette qui fut conclue en janvier 1658 et bâtir le nouveau couvent qui fut inauguré en mars 1659.
Pour mener à bien toutes ses entreprises, pour vaincre les nombreux obstacles qu'elle trouva sur son chemin, elle bénéficia d'appuis : celui d'Anne d'Autriche et de bien d'autres. Parmi les protections dont elle jouit, celle de la duchesse d'Orléans doit être mise au premier rang. Il faut faire une place spéciale au rôle que tint cette princesse, aux liens qui l'unissaient à la mère Mechtilde. Marguerite de Lorraine (20), dont nous avons parlé à l'occasion de son mariage avec
(19) L'année suivante, en septembre 1658, elle fit conduire dans cette station thermale une religieuse malade de la pierre qui, au cas où elle ne serait pas guérie, resterait à Rambervillers. En retour, elle demandait que le couvent de Rambervillers envoyât à Paris une soeur « capable de nous servir, disait-elle, et de nous soulager pour le choeur ». (Cf. la lettre de la mère Mechtilde publiée dans le Mémorial du XIV° centenaire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Revue de l'histoire de l'Eglise de France, 1957, p. 227). On voit que les échanges entre le couvent de Rambervillers et celui de Paris étaient constants.
(20) Sur Marguerite de Lorraine, cf. vicomte Lucien de Warren, Marguerite de Lorraine duchesse d'Orléans (1615-1672), dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 1882-1883, p. 137-175, G. Morizet, La princesse Marguerite de Lorraine de 1613 à 1643 dans Annales de l'Est, 1859, p. 337. Georges Dethan, Gaston d'Orléans, conspirateur et prince charmant, Paris, 1959, p. 105-107, 127129, 327-336, 445 et passim.
Gaston d'Orléans, en 1632, resta très attachée à la Lorraine et fut souvent considérée par les Lorrains privés de leurs princes comme leur protectrice naturelle. Longtemps tenue éloignée de Paris, résidant à Bruxelles du fait que Louis XIII ne voulait point reconnaître son mariage, son union ayant été finalement admise et confirmée en 1643, elle fut autorisée enfin à s'installer en France. La vie qu'elle avait menée avait transformé la jeune fille enjouée. Elle était devenue très réservée, quelque peu apathique si l'on en croit certains mémorialistes. Elle était fort pieuse, ayant vécu naguère dans l'intimité de sa tante Catherine de Lorraine dont elle avait été la coadjutrice au chapitre de Remiremont ; elle avait été très mêlée à la fondation de l'abbaye Notre-Dame-de-Consolation de Nancy. Catherine qui, chassée de Nancy, s'était retirée à Remiremont, accepta en 1641 de se rendre auprès de sa nièce à Paris : elle pensait pouvoir obtenir du roi la restitution des biens que les Français avaient saisis sur lesquels étaient assises les rentes de l'abbaye de Notre-Dame de Consolation (ce qu'elle n'obtint que tardivement et partiellement). C'est au Palais du Luxembourg où elle avait vécu comme une religieuse qu'elle mourut le 7 mars 1648. Marguerite était son exécutrice testamentaire.
Ainsi paraît-il naturel que celle-ci ait apporté son concours aux fondations de Mechtilde d'autant que la rue Férou et la rue Cassette étaient à deux pas du Palais du Luxembourg, où elle résida jusqu'à sa mort, en 1672, sauf pendant les dernières années de Gaston qu'elle avait suivi à Blois où il décéda en janvier 1660. Elle avait connu Mechtilde en 1651. En 1668, elle scella la première pierre d'un nouveau bâtiment du monastère de la rue Cassette. Elle aida la mère pour l'érection de l'institut en congrégation ; elle contribua plus spécialement à l'agrégation à la congrégation du monastère NotreDame-de-Consolation de Nancy (1669).
Il fallait pour obtenir l'érection d'une congrégation que plusieurs couvents donnassent leur adhésion aux constitutions de l'Adoration perpétuelle. Mechtilde s'était tournée vers la Lorraine. Elle avait reçu du duc Charles IV l'autorisation de fonder un monastère au lieu de sa naissance, à Saint-Dié ; mais cette création se heurta aux résistances du chapitre de cette ville et de son grand prévôt François de Riguet (21). Malgré l'appui de Claude Gauthier de Vienville, gendre du colonel Lhuillier, son neveu par conséquent, malgré des lettres de jussion octroyées par le prince le 26 avril 1663, mère Mechtilde dut abandonner ce dessein.
(21) Sur cette tentative nous avons le témoignage de François de Riguet, grand prévôt de Saint-Dié, hostile au projet qu'il a rapporté dans son ouvrage demeuré manuscrit, « Des grands prévôts de l'insigne église de Saint-Diez » (cf. Augustin Digot, Eloge historique de François de Riguet dans Mémoires de la Société royale des sciences, lettres et arts de Nancy, 1845, p. 11) et N. F. Gravier, Histoire de la ville de Saint-Dié, Epinal, 1836, p. 269-272. Hervin-Dourlens, Vie de la mère Mechtilde, p. 435-437, d'après la vie de la mère Mechtilde par Mlle de Vienville. Le dernier mémoire donne aussi in fine quelques informations sur cette création avortée. Il paraîtrait que les soeurs du Saint-Sacrement furent finalement elles-mêmes très réticentes.
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Elle fut plus heureuse à Toul. Elle s'y rendit en septembre 1664, y demeura quatre mois et réussit à créer un monastère, malgré des résistances qui furent vaincues grâce notamment à l'intervention de l'évêque André Du Saussay, ancien vicaire général de Paris, qui avait été supérieur du Refuge de Saint-Maur. Au début d'avril 1666, elle repartit en Lorraine, passa par Toul, gagna Rambervillers où l'association du monastère des bénédictines à l'Institut fut agréée et sanctionnée par une très belle cérémome le jeudi de l'octave de Pâques 29 avril.
Répondant aux instances de la duchesse d'Orléans, Mechtilde négocia ensuite l'intégration de Notre-Dame-de-Consolation à la congrégation. Marguerite avait vu dans cette mesure un moyen de maintenir l'abbaye qui avait été rudement éprouvée par les guerres dans la discipline qu'avait voulue sa tante Catherine qui l'avait fondée.
Mechtilde repartit donc en Lorraine en décembre 1668 : s'arrêtant d'abord à Toul, elle gagna Nancy où elle fut reçue avec honneur par le duc Charles IV alors dans son palais, se retira ensuite à Rambervillers, puis revint à Nancy pour prendre en avril possession du monastère où elle demeura jusqu'en juillet 1669. Ainsi, les voeux de Catherine qui avait demandé dans son testament qu'on tînt la main à tout ce qui concernait les bénédictines de Nancy « affyn que ces pauvres filles ayent toujours plus de moyens de fayre leur salu (sic) et que le grand ordre du gloryeux saint Benoyst soyt toujours honnoré » (22).
Il convient d'insister aussi sur le concours qu'elle trouva auprès du prémontré Epiphane Louys, abbé d'Etival dans les Vosges, à 12 km de Saint-Dié (23). Ce religieux lorrain, né à Nancy, avait été envoyé en Normandie pour enseigner la théologie dans les abbayes qui avaient adhéré à l'antique Rigueur de Servais de Lairuelz. Mystique, il s'était lié avec Bernières. On peut penser qu'il avait rencontré la mère Mechtilde à Caen dès 1643-1646. Il tint une grande place dans son ordre et devint abbé en 1663. En 1664, il aide la mère Mechtilde à vaincre les résistances des bourgeois de Toul, opposés à la création d'une abbaye dans leur ville. Il chante le Te Deum lors de l'installation du couvent. Deux ans plus tard, il se rend à Rambervillers à l'occasion de l'affiliation de l'abbaye à la congrégation où il officie, il se trouve aussi à Nancy en 1667, lorsque Mechtilde introduit ses constitutions chez les religieuses de Notre-Dame-de-Consolation. Quand, en 1670, 1674-1675, il fut chargé de la direction de la Résidence du Saint-Sacrement, fondée en 1662 par les prémontrés au faubourg de la Croix-Rouge, donc à deux pas de la rue Cassette, il entretint des relations constantes avec la mère Mechtilde. Il publia en
(22) Cf. supra n. 3.
(23) Sur Epiphane Louys, cf. frère François Petit, Le révérend père Epiphane Louys abbé d'Etival dans Analecta Premonstratensia, XXIV, 1948, p. 132-157, Marc-Antoine Georgel, L'abbaye d'Etival, ordre Prémontré du XII° au XVIIP siècle, Averbode, 1962, Bibliotheca analectorum Praemonstratensium, fasc. I, p. 123-141.
1674 deux ouvrages intéressant la congrégation qui en sont comme l'expression : d'une part, La nature immolée par la grâce ou la pratique de la mort mystique pour l'instruction et la conduite des religieuses bénédictines consacrées à l'adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement, d'autre part, La vie sacrifiée et anéantie des novices. Méditation sur les festes et offices qui sont proposés à l'Institution de l'Adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement.
Il fut pour la mère Mechtilde un véritable directeur, ainsi qu'en témoignent les lettres spirituelles qu'il lui adressa, publiées après sa mort. Lorsqu'elle fut terrassée par une terrible crise et qu'elle était à toute extrémité en décembre 1675, c'est lui qui lui porta le viatique ; après avoir communié, elle reprit vie : Dieu, dit-elle, lui avait révélé sa guérison prochaine au moment où elle recevait l'hostie.
Epiphane Louys était devenu le confesseur de Marguerite de Lorraine. Celle-ci était de plus en plus engagée dans la piété. La mère Mechtilde l'incita à entrer dans la voie du renoncement, comme le prouvent les belles lettres qu'elle lui écrivit et que nous avons la bonne fortune de conserver. La duchesse n'avait jamais participé aux frivolités des cours. Elle était restée la digne nièce de Catherine.
Tous ces traits nous montrent la permanence du milieu lorrain chez les mères de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Le couvent de la rue Cassette comptait toujours des religieuses lorraines. D'ailleurs, il arrivait que celles qui n'étaient pas du pays nouaient des liens avec lui. La mère Jacqueline Blouette de Blé-mur (24) en religion mère Saint-Benoît, une parisienne qui avait fait profession à la Sainte-Trinité de Caen, puis, à la demande de la mère Mechtilde, s'était intégrée au monastère de la rue Cassette, fécond auteur que Mabillon célébra, publia, chez Louis Billaine, en 1678 une vie de saint Pierre Fourier, le grand saint lorrain dont elle avait entendu souvent parler par les mères lorraines de son couvent.
Invité par les mères de l'Adoration perpétuelle du Très-SaintSacrement à présenter, en qualité de Lorrain, l'édition de ces précieux mémoires, nous avons tenu à rappeler l'importance de la tradition lorraine dans l'oeuvre de Mechtilde qui, chassée par l'invasion des troupes de Louis XIII, mais protégée par l'apôtre français de la charité, Vincent de Paul, fit fructifier ses vertus à Paris et enrichit le patrimoine spirituel de la France.
Paris, rue Cassette Mars 1973
Pierre MAROT.
(24) Cf. l'article consacré à la mère Bouette de Blémur par dom P. Schmitz dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique. Le père Jean Bedel avait publié une Vie du révérend père Fourier dès 1645 qu'il réédita en 1656, 1666 et 1674. André Du Saussay, évêque de Toul, avait préparé la cause de la béatification du religieux et envoya à Rome en 1675 le dossier pour l'instruire.
CONFÉRENCE FAITE A L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS LE SAMEDI 8 FÉVRIER 1958
par M. l'Abbé Louis COGNET, Doyen de la Faculté de Théologie
Ce que je veux faire devant vous, c'est essayer de situer plus exactement Mère Mectilde du Saint-Sacrement dans l'histoire religieuse du xvir siècle et de voir quelle est sa place ou, si vous voulez, comment sa personnalité se dessine, sur le fond de ce milieu de la Contre-Réforme catholique du xvir siècle.
Il est bien évident que, à l'issue des guerres de religion, au début du xvir siècle, un des problèmes les plus aigus qui se posaient au milieu catholique, a été la lutte contre l'influence protestante et la reconquête sur le protestantisme d'un grand nombre d'âmes ; l'effort aussi pour rendre aux catholiques français une vie spirituelle qui soit comparable à la vie spirituelle des Réformés.
Si nous essayons de deviner un peu l'évolution de sa personnalité, il y a quelques traits de sa formation spirituelle qui nous apparaissent.
Chose étrange, vous savez que sa vie a commencé par une orientation très différente, puisqu'en novembre 1631, elle devient, au monastère de Bruyères, Annonciade, sous le nom de soeur Saint-Jean l'Evangéliste.
Il serait intéressant de rechercher avec plus de précision que n'a pu le faire monseigneur Hervin, ce que son passage aux Annonciades a pu lui donner. Ce n'est pas facile à démêler, parce que les documents sur les Annonciades du couvent de Bruyères sont très rares et ne nous apportent pas grand chose sous ce rapport. Si on fait la comparaison avec d'autres maisons d'Annonciades, la question se complique encore parce qu'on s'aperçoit qu'entre les différents monastères d'Annonciades, il y avait très peu d'unité de vie et que d'autre part au cours du xvir siècle elles ont constamment remanié et retravaillé leurs Constitutions et sans grande unité.
J'ai trouvé, par exemple, de vieux livres ayant appartenu à des monastères d'Annonciades, à caractère nettement mystique, très, inspirés en particulier des mystiques du Nord ou dans la mouvance
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du fameux Benoît de Canfeld, qui est un des grands mystiques du début du xvir siècle ; et j'ai l'impression que ce genre de direction a été assez bien représenté chez les Annonciades.
Donc, rien d'impossible à ce que la mère Mectilde ait, dès les premières années de sa vie religieuse, reçu une empreinte d'une spiritualité très intérieure, de forme nettement mystique.
Vous savez, d'ailleurs, que sa vie d'Annonciade ne va pas durer très longtemps. En dépit de sa jeunesse, elle exercera très tôt les fonctions de Prieure (1633) puis dès 1635, voilà de nouveau la guerre qui traverse les régions de l'Est ; les Annonciades contraintes d'abandonner le monastère de Bruyères, de se réfugier à Commercy, sous la responsabilité naturellement de la malheureuse soeur Saint-Jean, qui est obligée de faire face aux pires événements ; la peste s'en mêle comme il était d'usage dans ces tristes périodes, les soeurs meurent en grand nombre, la presque totalité de la communauté qui est avec elle disparaîtra, et finalement de chaos en chaos, elle aboutira chez les Bénédictines de Rambervillers.
Là, chez les Bénédictines de Rambervillers, elle a d'abord retrouvé pour quelque temps, oh ! pas pour longtemps malheureusement, un calme relatif ; elle va trouver surtout le contact avec l'idéal bénédictin qu'elle n'avait jamais connu jusque là. Et vous savez que ce contact sera sur elle décisif, en ce sens que, peu de temps après, exactement le 2 juillet 1639, après avoir demandé les dispenses d'usage — ces dispenses qui, plus tard, feront l'objet d'âpres contestations — elle devient novice bénédictine et prend le nom de Catherine de Sainte-Mectilde. Elle a 24 ans.
Elle paraît avoir été parfaitement heureuse dès son entrée dans cette communauté bénédictine et il est bien certain que c'est sans l'ombre d'une arrière-pensée qu'elle a prononcé ses voeux, le 11 juillet 1640.
Elle les prononce à un bien mauvais moment, car alors la guerre étend ses ravages encore plus loin. Rambervillers est d'abord menacé, puis finalement les troupes s'infiltrent dans la région à l'entour, les routes sont coupées, la communauté connaît des semaines de misère, de disette et finalement la pauvreté la contraint à se séparer en septembre 1640.
Vous connaissez son odyssée. Elle se réfugie d'abord à Saint-Mihiel. A Saint-Mihiel elle vit, elle et les quelques religieuses qui sont avec elle, dans des conditions matérielles lamentables : enfin, un ami commun réussit à apitoyer sur elles la grande abbesse de Montmartre, Mme de Beauvilliers, qui lui offre une place, à elle et à ses compagnes, et un beau jour de 1641, le 21 août exactement, elle part pour Montmartre où elle va résider presque un an dans la célèbre abbaye bénédictine de la région parisienne, si bien réformée par l'abbesse, Marie de Beauvilliers.
Autre période importante dans sa vie. Là encore (la guerre est relativement loin, dans cette région parisienne) elle retrouve un cadre religieux tranquille, fervent, des amitiés très vives et très affectueuses l'entourent. Elle va donc connaître quelques mois de tranquillité extrêmement féconde. Et, à priori, on peut penser que la découverte qu'elle vient de faire de cette grande abbaye de la région parisienne, où il y a un mouvement de gens, et de gens du plus haut intérêt, extrêmement intense, va lui apporter du nouveau.
Qu'a-t-elle pu trouver à Montmartre ? Le milieu nous est beaucoup mieux connu, parce que les documents sont beaucoup plus abondants et que la personnalité de l'abbesse, Mme de Beauvilliers a déjà suscité quelque curiosité.
Mme de Beauvilliers est une grande figure. Elle appartient à une famille de l'aristocratie élevée ; la condition sociale des Beauvilliers est évidemment très supérieure à celle de Catherine de Bar. Vous savez qu'ils seront ducs un peu plus tard et le petit neveu de l'abbesse sera le propre gouverneur du duc de Bourgogne et l'intime de Fénelon (1). Nous savons que Marie de Beauvilliers a été très intime avec des capucins, avec des oratoriens, et parmi les capucins, en premier lieu naturellement Benoît de Canfeld.
Benoît de Canfeld est surtout connu comme l'auteur d'un ouvrage de spiritualité qui s'appelle « La Règle de Perfection réduite à ce seul point de la Volonté de Dieu ». C'est un ouvrage très mal écrit malheureusement, car Canfeld était d'origine anglaise et parlait et écrivait un français très approximatif, mais d'une doctrine extrêmement riche et qui a traversé tout le xvlle siècle. Cet ouvrage comme beaucoup d'oeuvres mystiques, a été mis à l'index au moment de la lutte contre le Quiétisme, oeuvres mystiques que l'on s'accorde aujourd'hui à reconnaître irréprochables, mais contre lesquelles, évidemment, il a fallu se prémunir au moment de la crise quiétiste.
Les idées de Canfeld sont des idées dont le schéma est assez simple : pour lui, toute la vie de piété se résume à l'union à Dieu de la volonté. Dieu est essentiellement la « Volonté Divine », donc tout l'effort de l'homme doit être de se conformer et de s'unir à cette Volonté Divine, d'arriver, si vous le voulez, à perdre sa propre volonté dans la Volonté Divine. Et il pousse cela très loin, puisqu'il conclut son oeuvre par une partie proprement mystique celle-là, où il envisage ce qu'il appelle « La Vie Suréminente » et cette vie suréminenté c'est, pour lui, le moment où la volonté humaine se perd dans ce qu'il appelle la Volonté essentielle de Dieu, c'est-à-dire, au fond, dans l'Essence Divine elle-même. Donc un schéma très mystique, assez abstrait d'ailleurs ; et, il faut bien le reconnaître, la faiblesse des vues de Canfeld, c'est d'être une sorte de mystique de l'Essence Divine dans laquelle le Christ tient assez peu de place, si peu même que les éditions postérieures de l'ouvrage de Canfeld seront corrigées
(1) Dans une lettre écrite quelques jours après la mort de Mère Mectilde, à la Mère Prieure du monastère de la rue Cassette, Fénelon retrace le portrait spirituel de la fondatrice (cf. fin de cette conférence).
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sous ce rapport et qu'on éprouvera le besoin pour corriger justement ce mysticisme trop abstrait, d'y ajouter à la fin, des chapitres sur le Christ et sur la Passion.
Ce mysticisme a dû être accentué par ses relations avec une autre religieuse de Montmartre que nous connaissons bien, la mère Charlotte Le Sergent. Ce que nous savons de sa vie nous la montre plus douce et plus attachante que Mme de Beauvilliers. Elle présentait tous les caractères d'un mysticisme très élevé ; elle mériterait qu'une étude lui soit consacrée. Nous savons que mère Mectilde a été très intime avec la mère Le Sergent et qu'elle a subi son influence pendant son séjour à Montmartre. Plus tard, mère Mectilde recevra d'autres influences, se les assimilera pour en faire une synthèse personnelle.
Après un séjour d'environ un an à Montmartre, mère Mectilde tente de fonder ailleurs une sorte de succursale de Rambervillers, ou, au moins de trouver une maison indépendante où elle puisse regrouper les religieuses ; on lui offre quelque chose d'assez vague à Caen. Elle y part le 7 août 1642 ; elle s'arrête quelques jours au monastère de la Trinité, où elle a dû connaître l'abbesse Mme de Budos, elle-même très canfeldienne de tendances, puis elle s'installe dans ce qu'on appelait un « hospice », sorte de grande maison assez mal meublée, bien humide et bien délabrée, toute proche de l'abbaye de Barbery.
L'abbé de Barbery est bien connu, c'est un certain Louis Quinet qui, lui-même, avait eu déjà une carrière assez mouvementée. En particulier il avait été quelque temps confesseur de l'abbaye de Maubuisson. Là il s'était heurté à une abbesse très anti-mystique, très ascétique de tendances, qui avait été formée par l'abbesse de Port-Royal, la célèbre mère Angélique ; et, entre Louis Quinet et l'abbesse Marie des Anges, il y avait eu des éclats assez violents dont un certain nombre de récits nous sont parvenus. Or, il est très curieux de voir que les idées mystiques que les gens de Port-Roye reprochent à dom Louis Quinet, sont en fait très exactement celles de Canfeld. Dom Louis Quinet devait être imbu de la mystique de Canfeld, et aussi d'ailleurs de la mystique de l'école du Nord, de Ruysbroek, Tauler, Suso, Harphius, etc. Il paraît les avoir beaucoup pratiquées et en avoir tiré une synthèse très personnelle.
Mère Mectilde va aussi être mise en relations avec un autre groupe et un autre personnage.
A Caen, à cette époque, vit un certain Jean de Bernières-Louvigny, trésorier de France. C'est un homme d'une grande piété, une sainte et belle âme, qui a réuni, petit à petit, autour de lui un groupe assez important de disciples. Il a d'ailleurs — une de ses soeurs est devenue ursuline à Caen, la mère Jourdaine de Bernières — fondé, dans le voisinage du monastère des ursulines, une maison de retraite qui s'appelle « l'Hermitage », et cette maison de retraite devient le centre d'un groupe mystique qui va bientôt rayonner à travers toute la Normandie ; ceci d'autant que Jean de Bernières est en relations avec à peu près tous les grands spirituels de son époque et que, d'autre part, il passe pour un véritable directeur laïc. Bien que simple laïc, des quantités de religieux, de prêtres et de religieuses lui demandent des conseils de direction, et il entretient de ce chef une très abondante correspondance spirituelle.
Or, il me paraît à peu près certain, que la mère Mectilde a subi très profondément l'influence de Bernières. Elle ne le connaîtra pas tellement longtemps, mais ils demeureront ensuite en correspondance jusqu'à la mort de Bernières. La personnalité de celui-ci était à la fois très forte et très attachante, et d'autre part, la mère Mectilde qui avait déjà certainement subi l'influence canfeldienne était toute prête à la compléter par les aspects, plus centrés sur le Christ, de la piété de Bernières, et cela explique qu'elle y entre si facilement. Et il n'y a pas de doute que, pour qui étudierait de très près les textes de mère Mectilde, on y trouve beaucoup de traces de l'influence de Bernières, et, à travers Bernières, de l'influence aussi du Père de Condren. Des rapports également avec le Père de Saint-Jure elle a dû lire les textes du Père de Saint-Jure, en particulier ce fameux livre « De la connaissance et de l'amour de Jésus-Christ » qui a été si répandu à cette époque, et que tout le monde avait lu — et, naturellement, elle entrera très spontanément dans cette mouvance.
En 1643, nous retrouverons mère Mectilde à Saint-Maur-des-Fossés où elle fonde un petit monastère, doublé d'un pensionnat, et où elle commence à avoir d'intimes relations avec la bonne société, la société même la plus aristocratique de Paris, qui commence à fréquenter le monastère de Saint-Maur. Elle aura comme directeur pendant un an à peine, un capucin du nom de Chrysostome de Saint-Lô, qui a été le propre directeur de Bernières et qui certainement est imprégné des mêmes tendances que lui, ce qui n'a pu que la renforcer dans cette direction.
En 1647, elle va de nouveau passer trois ans à Caen comme supérieure des bénédictines du Bon-Secours qu'elle doit réformer. Autant de raisons pour que de plus en plus elle s'imprègne à sa manière, mais d'une manière très profonde aussi, de la spiritualité du groupe Bernières.
Vous savez alors la suite des événements. Après avoir quitté Caen, en dépit d'ailleurs des tentatives qu'on avait faites pour la retenir, elle devient prieure de Rambervillers. Là encore la guerre va troubler le priorat qui aurait pu être extrêmement fécond. La voilà de nouveau chassée de Rambervillers, obligée de s'établir à Paris. Elle s'installe, oh ! d'une manière bien précaire, rue du Bac. A ce moment-là, Dieu merci, les amitiés très solides qu'elle a conquises dans la meilleure et dans la plus pieuse société de Paris sont là pour lui faciliter les choses et c'est dans le groupe qui l'entoure que va naître alors l'idée de la fondation du Saint-Sacrement.
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Dire que ce soit une idée nouvelle, non. Dès les origines de ce mouvement de Contre-Réforme catholique, de cette lutte des catholiques pour reconquérir leurs positions sur les Réformés, c'est autour de l'Eucharistie que s'est centrée une partie du problème. Car, évidemment, un des reproches les plus véhéments que feront les catholiques aux calvinistes, c'est de ne pas reconnaître la Présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Non seulement au temps des guerres de religion mais même après il y eut quelques affaires pénibles, certainement douloureuses pour les catholiques.
Dans le milieu catholique a germé très tôt l'idée de fonder des associations pieuses, voire même des congrégations, destinées à compenser, si l'on ose dire, par leurs adorations et par leurs hommages l'impiété et les sacrilèges des calvinistes.
C'est donc d'abord et surtout, à l'origine, une idée de réparation qui colore la piété eucharistique du XVII' siècle. Très tôt on voit apparaître des fondations de ce genre. L'inventaire est loin d'en être fait : il y a des fondations diocésaines d'associations du Saint-Sacrement, ou d'associations adoratrices qui apparaissent dès le temps d'Henri IV ; l'étude en reste à faire.
C'est ce qui explique, parmi ces gens de grande valeur qui entourent la mère Mectilde que beaucoup, les uns après les autres, lui suggèrent l'idée de la fondation d'une congrégation qui garderait le cadre bénédictin, mais qui introduirait dans ce cadre qui s'y prête admirablement étant donné l'orientation liturgique de sa piété, l'Adoration du Saint-Sacrement.
Vous vous souvenez des événements : la fondation signée officiellement le 14 août 1652, met longtemps à se réaliser, il y a bien des difficultés de part et d'autre — il y a toujours des difficultés autour des fondations sérieuses — c'est seulement le 25 mars 1653 que la fondation est définitive. De la rue du Bac on se transporte rue Férou chez Mme de Rochefort (cette Mme de Rochefort qui est une très belle figure et une grande amie de la mère Mectilde) et c'est rue Férou, le 12 mars 1654, qu'aura lieu le premier Salut avec Amende Honorable de Réparation : l'Amende Honorable prononcée par Anne d'Autriche avec le cérémonial de l'époque : poteau, corde au cou, etc., cela correspond bien à ce climat du xvrie siècle très sensible à un certain nombre de formes extérieures. Vous savez comme moi combien est magnifique le texte de consécration et de réparation composé par la mère Mectilde.
A ce moment, devenue prieure et fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement, la mère va connaître le maximum de son rayonnement. Elle est en relations avec ce que la France compte de meilleur à cette époque. Sa correspondance est immense. Ce qui en reste est loin, je crois, d'avoir encore été tout inventorié et certainement on en retrouvera dans des endroits auxquels personne ne pense actuellement.
Je suis rempli de stupéfaction en voyant l'intensité de la correspondance qu'elle a entretenue, et aussi de l'exceptionnelle qualité de ses lettres, car, chaque fois qu'il m'a été donné d'en voir une que je ne connaissais pas, je l'ai trouvée admirable. Dire qu'elles sont toutes de la même valeur, non, ce serait un miracle et je ne le prétendrais pas. Cela dépend de ses correspondants. Il y a des correspondants auxquels elle peut parler sur un certain ton et d'autres avec lesquels elle est obligée de dire des choses beaucoup plus banales, mais elle ne le dit jamais d'une manière banale. Elle a un style magnifique, et l'élévation et la cohérence de sa pensée sont quelque chose d'extrêmement remarquable.
Ce qui est également remarquable, chez elle, c'est cette espèce d'union constante du sens surnaturel le plus profond et le plus absolu, et en même temps du solide bon sens le plus terre à terre. Elle avait vraiment le tempérament d'une grande fondatrice. Les qualités qu'on trouve chez une Sainte Thérèse, c'est-à-dire l'équilibre entre les dons mystiques et les dons naturels les plus réalistes, est chez elle, réalisé à un niveau incomparable, et même, je dois le dire, car on ne pose pas quelquefois la question comme il le faudrait, avec une santé physiologique qu'on ne trouve pas chez Sainte Thérèse. II y a, dans les perpétuelles maladies de Sainte Thérèse, dans les douleurs dans lesquelles elle a vécu, dans les aspects un peu spectaculaires de ses extases, un certain côté si vous voulez, de défaillance du tempérament dont il n'y a pas trace chez la mère Mectilde. Son mysticisme à elle s'est situé dans une région bien trop élevée pour connaître, disons, ces faiblesses. Ce n'était pas une femme à phénomènes spectaculaires, mais c'était simplement une âme chez laquelle certainement l'idéal canfeldien d'union de la volonté à la Volonté divine a été réalisé à un incroyable degré, à tel point qu'elle est parvenue à ce sommet de la vie mystique où vraiment elle agit en Dieu avec la plus entière liberté. C'est évident par toute sa correspondance : il y a un équilibre chez elle entre l'élément naturel et l'élément surnaturel, entre l'élément mystique et l'élément le plus strictement raisonnable, j'oserais presque dire raisonneur à certains égards, qui est rarement trouvé à un pareil degré et qui, évidemment, mériterait une étude très approfondie.
Il y a dans cette correspondance de très grands noms. La duchesse d'Orléans — Darricau signale 105 lettres à la duchesse, ce qui est énorme — les reines Aime d'Autriche, Marie-Thérèse, qu'elle a toujours traitées avec, à la fois, le respect le plus total et la liberté la plus absolue. Elle a connu de grandes dames, elle en a connu en quantité... elle leur a donné le respect qu'exigeait le cadre social et la stricte politesse, mais aussi elle a gardé une liberté totale pour dire ce qu'elle pensait sans l'ombre d'une hésitation. Elle est elle-même très grande dame sous ce rapport. Elle a parfaitement conscience du devoir qu'elle a comme religieuse de dire en certains cas la vérité, de la dire et de la bien dire, de remettre aussi parfois les choses à leur place. Elle est capable de sommer une grande dame qui arrive au parloir d'aider les religieuses à faire la lessive, et l'autre le fera, ce qui est admirable, et montre quel ascendant elle pouvait avoir sur ce genre de personnes.
A partir du 21 mars 1659, date à laquelle mère Mectilde installe sa communauté rue Cassette, le rayonnement du monastère du Saint-Sacrement sur le milieu parisien va s'intensifier.
Mère Mectilde fut alors en relations constantes avec la fameuse abbaye bénédictine de Saint-Germain-des-Prés, qui possédait, vous le savez, des sujets de première valeur. Dom Philibert, prieur en 1666, la guide dans la rédaction des premières Constitutions. A en juger par le style, il n'a pas dû ajouter grand'chose au travail de la mère.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler ses nombreuses fondations, qui après sa mort essaimeront encore en des monastères bien plus nombreux et bien plus éloignés (2). Tout le milieu parisien a vu en elle véritablement une sainte et même en certains cas, n'a pas craint de le dire.
Et lorsqu'elle disparaîtra, le 6 avril 1698, bien âgée déjà, l'oeuvre qu'elle laissera derrière elle, sera une oeuvre immense. Elle aura à souffrir, comme toutes les autres hélàs, au xvIIIe siècle, de la Révolution, mais il n'y a pas de doute, l'impulsion que mère Mectilde a donnée, impulsion de piété eucharistique, d'une piété eucharistique réparatrice très imprégnée du volontarisme canfeldien, très imprégnée de l'idée d'anéantissement de Bernières, et en même temps centrée sur une ardente piété envers l'Incarnation, est évidemment quelque chose d'une couleur très spéciale et en même temps d'un sens chrétien extrêmement riche dont la trace se retrouve à travers tous ses écrits.
Je souhaite ardemment qu'il soit possible de collationner ses écrits, de les réunir et ensuite d'en assurer l'édition. Il n'y a pas de doute, ils doivent trouver un public, et surtout remettre la mère Mectilde du Saint-Sacrement, dans la galerie des grandes figures religieuses et mystiques du xviie siècle, à sa place qui est, je n'hésite pas à le dire, l'une des premières.
(2) Paris 1653, Toul 1664, Rambervillers 1666, Nancy 1669, Rouen 1677, Second de Paris 1680, Caen 1685, Varsovie en Pologne 1687, Châtillon-sur-Loing 1688, Dreux 1696.
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« Lettre de Fénelon, Archevêque de Cambray sur la mort de notre très honorée Mère Institutrice. A une religieuse.
« J'ai l'honneur de vous écrire, Ma Révérende Mère, mais ce n'est point pour vous persuader de la douleur où je suis de la perte que nous venons de faire, vous connaissez assez mon coeur pour ne pas douter de mes paroles, mon dessein est donc de me consoler avec vous en vous remettant devant les yeux ce qui peut consoler une douleur aussi juste que la vôtre. Je sais tout ce que vous perdez, et j'arrête même ma vue pour n'en point trop voir, et pour faire une attention plus vive a ce que la foi vous présente. Elle vous découvre, ma Fille, un Dieu tout sage et tout bon qui frappe lui-même ce coup, qui devrait ce semble vous accabler, je vous montre dans celle que vous pleurez une vertu consommée, un amour si épuré par les souffrances, un coeur si détaché de toutes les créatures qu'elles n'étaient plus dignes de la posséder. Il était temps qu'elle allât jouir des récompenses que la bonté de Dieu lui avait préparées. Si nous l'aimons pour elle-même voilà notre consolation. Vous perdez une vraie Mère, votre Ange visible, l'appui de votre Institut ; mais vous ne l'aviez reçue que pour un temps. Il est fini, il faut se soumettre à Dieu. Cette soumission sans réserve, cet abandon entre les mains de Dieu a fait le caractère particulier de cette sainte fille. Elle me disait, elle m'écrivait, qu'elle ne sentait pas la moindre révolte contre l'ordre de Dieu, pas le moindre murmure, que la seule vue de sa Sainte Volonté dans les états les plus renversants, et les plus terribles, la calmait. « Je sens » (m'écrivait-elle l'armée passée), en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu'aussitôt qu'il m'y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon coeur éclate en bénédictions et est content d'être détruit et écrasé sous toutes ces opérations pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée.
« Vous trouverez dans ce peu de paroles le soulagement de votre affliction. J'ai mieux aimé vous les écrire que de me servir des miennes afin que ce fut d'elle-même, de sa vertu et de sa foi que vous receviez votre consolation. Vous l'aviez pour Mère, elle ne cesse pas de l'être parce que la Charité qui lui donnait cette qualité à votre égard, est plus pure que jamais. Vous n'aviez en elle pour appui qu'une faible créature, et vous avez à présent dans sa personne une sainte revêtue de la Puissance de Dieu-même, car vous avez tout lieu de présumer qu'il est à présent sa possession, il faut seulement pour en ressentir les effets animer votre foi. C'est la grâce que je demanderai à Notre-Seigneur de tout mon coeur en vous priant d'être persuadée que mon zèle et ma tendresse pour votre Institut ne finiront qu'avec ma vie. Vous ne pouvez me faire plus de plaisir que de me mettre en état de pouvoir vous en donner des preuves. Faites-le, en toute confiance, et continuez les prières que votre charité vous inspire de faire pour moi, je prierai de mon côté Notre-Seigneur qu'Il conserve en vous son Esprit, car si vous Lui êtes fidèle, si vous conservez la simplicité, le renoncement, l'obéissance, et l'éloignement du monde que notre Chère Mère vous a enseigné vous verrez une protection de Dieu toute visible sur vous et sur votre Institut.
« Je suis dans le Saint Amour avec une très indigne et cordiale affection ».
LES ÉCRITS DE MÈRE MECTILDE
Il reste relativement peu d'autographes de mère Mectilde. Le recueil le plus précieux est sans doute celui de Paris : 107 lettres de 1659 à 1698. A la bibliothèque du grand séminaire d'Evreux, on trouve 11 lettres à M. Boudon. Notre monastère de Varsovie possède 10 autographes.
Les archives de nos monastères ne renferment le plus souvent que des copies. Nous n'avons retenu pour étude que celles faites au xviie siècle, et donc du vivant même de mère Mectilde, ou au tout début du xviiie siècle, par celles qui ayant été formées par la fondatrice elle-même devaient en transmettre mieux l'esprit. Nos recherches nous ont conduites aussi à la Bibliothèque nationale, à la Sorbonne, dans plusieurs archives diocésaines ou départementales. Mlle Vieillard, maître de recherche au département des textes du xviie siècle au Centre National de la Recherche Scientifique nous a guidées dans le dépouillement et le classement des écrits.
Dans nos seuls monastères nous avons retrouvé environ 120 manuscrits. Il ne nous est pas possible de donner ici l'étude approfondie de tous ces volumes. Mais l'équipe de moniales qui travaille depuis 15 ans sur ces textes espère pouvoir en donner bientôt une description détaillée et aussi précise que possible.
Signalons toutefois aux archives du monastère de Paris :
— le volume coté P 1. Il provient de la première fondation de mère Mectilde, rue Cassette et contient 107 lettres autographes ; 40 sont adressées à la mère Saint-Placide, moniale de Rambervillers, puis du second monastère de Paris (ancien hôtel de Turenne, au Marais) ; autant à la « très chère mère » Bernardine de la Conception que nous rencontrerons souvent au cours des mémoires qui vont suivre. Ce manuscrit contient aussi des lettres autographes très intéressantes de dom de l'Escale, prieur de Saint-Mansuy de Toul et visiteur de Lorraine de la congrégation de Saint-Vanne, de MM. Midot et Caillié, vicaires généraux de l'évêché de Toul (nous donnons ces lettres en appendice de ce volume) ;
— les manuscrits cotés 104 bis et 110, de toute première valeur, contenant la correspondance (du moins celle qui nous reste car il est probable qu'une partie en a été perdue ou dort au fond de quelques cartons d'archives ou de bibliothèques) de mère Mectilde à la duchesse d'Orléans, Marguerite de Lorraine, et à la comtesse de Rochefort (l'auteur présumé des mémoires que nous publions). Le 104 bis s'ouvre sur une lettre de Fénelon à la révérende mère prieure qui a succédé à mère Mectilde au gouvernement du monastère de la rue Cassette. Le ton de cette lettre fait penser que Fénelon a bien connu notre fondatrice, et qu'il y aurait eu entre eux échange de correspondance. Malheureusement rien n'a été retrouvé.
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Le monastère de Bayeux est celui dont les archives sont le mieux fournies en manuscrits. En plus de son propre trésor il a reçu ce que les monastères lorrains ont pu sauver de leurs propres archives après la révolution et les guerres des siècles derniers, soit environ une centaine de manuscrits dont plus de la moitié peuvent être considérés comme les meilleures copies que nous possédions.
En présence de toutes ces copies et pour rétablir avec autant de certitude que possible le texte primitif, alors que nous ne possédons pas l'original, nous avons eu recours à la méthode de comparaison des textes et à la critique interne. L'étude des divers manuscrits nous a permis d'identifier plusieurs copistes, et en particulier mère Monique des Anges de Beauvais, dont nous savons par une lettre, qu'elle soumettait, autant que possible, ses copies à l'approbation de mère Mectilde. Nous sommes donc à peu près certaines d'avoir là des textes extrêmement fidèles. Il a été fort instructif de collationner le même texte recopié par trois, quatre, ou même davantage de personnes, originaires de divers monastères, en particulier : Paris, Toul, Rouen et de constater que les variantes sont des « fautes de fragilité » ou d'inattention car il faut bien penser que copier un texte manuscrit est un travail difficile et pénible.
Le classement par genre donne à peu près ceci :
Lettres aux religieuses, 2 000 ;
Lettres à la comtesse de Châteauvieux, 260 ;
Lettres à la comtesse de Rochefort, 130 ;
Lettre à la duchesse d'Orléans, 112 ;
Lettres à M. de Bernières, 137 ;
Lettres à M. Boudon, 11 ;
Lettre à Mme de Béthune, abbesse de Beaumont-les-Tours, 331 ;
Lettres diverses, allant des reines de France, de Pologne, d'Angle-
terre, des évêques, abbesses et autres célébrités, aux plus hum-
bles lettres à une « personne » ou à une « demoiselle » demeu-
rées inconnues, 169 ;
Conférences et Chapitres, 300 ;
Entretiens familiers, 70 ;
Ecrits divers, 160.
Cette très grande quantité d'écrits nous fait pénétrer dans un monde à la fois un et divers que celles qui ont participé à ce recensement commencent à peine à soupçonner. Ils renouvellent très heureusement le portrait officiel de mère Mectilde et donnent l'impression de la découverte d'un trésor caché et d'une source de vie comme seuls les saints ont su en faire jaillir dans l'Eglise.
CATHERINE DE BAR. 1614-1639
Le manuscrit que nous publions relate la vie de mère Mectilde de 1640 à 1670. Pour aider à mieux discerner la personnalité de la vénérable Mère, nous donnons ci-dessous des extraits d'un autre manuscrit, rapportant les premières années de sa vie. Ce manuscrit, coté N 248, appartient aux archives de notre monastère de Bayeux. Il a été rédigé par la mère Marguerite de la Conception de l'Escale qui avait vécu de nombreuses années dans l'intimité de mère Mectilde. Sa rédaction est de plusieurs années postérieure à celle du manuscrit que nous publions.
Catherine de Bar vint au monde dans la ville de Saint-Diez en Lorraine le 31e de descembre 1614, elle fut baptisée le même jour sous le nom de Catherine. Sa famille honorable par ses alliances et ses qualités l'était encore plus par sa piété. Son père se nommait Jean de Bard [dans les documents de l'époque on trouve le nom orthographié : Bar, Barre, Bars. cf. Bulletin de la revue philomatique vosgienne, 1890-1891-1892] et sa mère Marguerite Guion, ils vécurent dans la crainte de Dieu, et prirent un soin particulier d'y élever leurs enfants, entre lesquels Dieu se choisit Catherine, et la favorisa dès ses plus tendres années de grâces singulières... Notre petite dévote avait tant d'inclination pour la retraite qu'elle passait quelque fois une partie du jour dans un petit oratoire qu'elle s'était fait, où était la figure du Très Saint-Sacrement, devant laquelle, elle allumait des petites bougies, et puis les soufflait, pour de la fumée, faire un espèce d'encens. Son aïeule qui était une personne de vertu, la surprit dans ce pieux exercice, cette bonne dame lui fit faire aussitôt un petit encensoir, lui donna de l'encens, et les autres petites choses nécessaires pour contenter sa dévotion...
... Sa mère étant tombée dangereusement malade, notre petite s'approcha de son lit, et lui dit : « Je vous prie, ma bonne maman, lorsque Dieu vous aura fait miséricorde, et que vous entrerez dans le paradis, faites hommage à la Sainte Trinité pour moi, et la priez qu'elle me fasse la grâce d'être religieuse, et puis adressez-vous à la Sainte Vierge, priez-la qu'elle me serve de mère, et qu'elle me prenne sous sa protection ». Sa mère ne mourut pas de cette maladie ; on verra dans la suite comment sa demande lui fut accordée. Dieu qui voulait préparer le coeur de la petite Catherine pour être la semence d'un culte de réparation pour les impiétés qui se commettent contre la sainte Eucharistie la prévient par une vision toute mystérieuse. Il lui sembla qu'on lui avait donné sept soleils dans chacun desquels était la sainte Hostie, alors toute ravie de posséder ce trésor qui faisait l'objet de ses plus tendres adorations, elle s'écria d'une
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manière enfantine : « Hé, voir le Saint Sacrement que j'ai ». Cette vision était un présage des sept maisons de l'Institut qu'elle a fondées avant que de mourir qui sont les deux de Paris, celle de Toul en Lorraine, celle de Rouen, celle de Châtillon, celle de Varsovie en Pologne, et celle de Dreux, quoiqu'il y en eut un plus grand nombre, elle n'a néanmoins établi que ces sept, les autres n'étant qu'agrégées à l'Institut. Elle a toujours assuré qu'elle n'en établirait que sept, et qu'à la septième elle s'en irait, ce qui s'est trouvé véritable, puisqu'elle est morte en établissant la septième.
A l'âge de 7 à 8 ans, elle eut une fluxion sur les yeux qui la rendit entièrement aveugle, ce qui dura bien six mois. Sa mère étant extrêmement affligée de cet accident, employa tous les remèdes humains, mais voyant qu'il n'y avait plus rien à espérer du côté des créatures, elle s'adressa à Dieu, lui fit plusieurs voeux, et une veille de la fête de l'Ascension que l'on fait à Saint-Diez une procession générale, comme c'est la coutume tous les ans, cette dévote mère prit pour ses intercesseurs près de Dieu, les Saints dont on portait les Reliques (1), et suivit avec sa fille la procession, animée d'une foi qui fut récompensée de l'effet de ses désirs. La procession n'était pas encore fime que cette chère enfant avait déjà recouvert la vue, mais une vue si bonne qu'à l'âge de 83 ans elle lisait, et écrivait encore sans lunettes. Peu de temps après elle fut attaquée d'une fièbvre quarte, dont elle attribua la guérison à une image du Saint Nom de Jésus, qu'elle porta sur elle, par le conseil d'un religieux Capucin, en effet la fièvre l'avait quittée aussitôt qu'elle eut mis ce saint reméde en usage.
Un Père du même ordre qui est mort en odeur de sainteté, la voyant un jour avec plusieurs de ses compagnes, et la distinguant entre toutes, prédit qu'elle serait une sainte religieuse, et une très bonne supérieure peu après sa profession. Ce qui s'est vérifié dans la suite...
... A 9 ans, elle fit sa première communion avec des sentiments que l'on ne devait point attendre de son âge, et la grâce qu'elle y reçu fut comme un germe sacré qui en produisit une infinité d'autres dans la suite...
... La dévotion qu'elle avait pour la Sainte Vierge lui fit entreprendre d'aller tous les matins à une petite chapelle qui était dédiée sous le nom de Notre-Dame d'Ortimont, située sur une colline à un quart de lieue de la ville de Saint-Diez. Elle avait permission d'aller à la messe aux Capucins qui n'étaient pas éloignés de chez elle, et se servant de cette occasion elle courait en diligence à cette chapelle, la balayait, l'ornait du mieux qui lui était possible, puis elle revenait entendre la messe ; en sorte que personne ne s'apercevait chez elle de cette action de piété, cela a duré plus d'un an. C'est elle-même qui l'a raconté depuis, blâmant son propre
(1) Bulletin de la Société philomatique Vosgienne, 8a année, 1882-1883, p. 110.
zèle d'une dévotion qu'elle condamnait d'imprudence, par le danger où elle s'exposait, sans que néanmoins il lui soit rien arrivé de fâcheux, ce qu'elle attribuait à la protection de la Mère de Dieu, qui a toujours été son bouclier et sa fidèle conservatrice.
A mesure qu'elle croissait en âge elle faisait de nouveaux progrès dans la vertu, sa douceur et sa modestie, un air noble et grand, un coeur généreux qui ne souhaitait d'avoir que pour faire du bien à tout le monde, ces belles qualités jointes à sa piété la faisaient admirer et estimer de tous ceux qui la voyaient, ses discours remplis de sagesse insinuaient l'amour de la vertu dans le coeur de ceux à qui elle parlait. Elle n'avait que 14 ans qu'elle persuada à un homme de qualité, qui la voyait quelque fois, de faire voeu de chasteté, et de fréquenter les sacrements, et cela avec un si heureux succès qu'il est mort saintement...
... Le Seigneur qui la voulait retira à lui sa mère. Ce fut un coup terrible ; car elle l'aimait tendrement. Elle ne l'eut pas plus tôt perdue qu'elle alla se jeter aux pieds de la Sainte Vierge, pour la conjurer de lui servir de Mère et de tenir la place de celle que Dieu lui venait d'ôter.
Quoiqu'une partie de ses chaînes fussent rompues par cette mort, elle fut encore quelque temps devant que de pouvoir fléchir son père. Elle était sa consolation dans la perte qu'il venait de faire, il ne pouvait se rendre à la laisser aller. Dans cet espace de temps sa mère lui apparut en songe, lui tendit la main, et lui dit en lui serrant le bras, que la demande qu'elle l'avait priée de faire pour elle quelques années auparavant était exaucée, qu'elle serait religieuse mais qu'elle aurait une grande maladie avant que d'entrer en religion. Ce qui se trouva vrai, car peu de temps après elle fut saisie d'une violente fièvre qui la réduisit à l'extrémité ; enfin le mal cessa, et ses forces commencèrent à revenir. Dès que sa santé fut rétablie elle recommença ses instances auprès de son père, lequel craignant de s'opposer aux desseins de Dieu, lui donna le consentement après lequel elle avait tant soupiré ; alors [dans] l'ardeur de sa soif, sans s'arrêter à considérer de quelle eau elle voulait boire, ou pour mieux dire dans le désir qu'elle avait de la solitude et de l'éloignement du monde, elle ne fut pas plus tôt maîtresse de sa liberté, que sans aucun choix, elle court en faire un sacrifice à son Dieu, dans le monastère de France, dites des dix Vertus de la très Sainte Vierge, nouvellement établi dans le bourg de Bruyères, à quatre lieues de Saint-Diez, dirigé par les Pères Cordeliers...
... Catherine entra dans ce lieu au mois de novembre de l'année 1631 en la dix septième année de son âge... Elle était si courageuse, que plus les choses lui paraissaient difficiles, plus elle se sentait portée à les entreprendre, animée par ces paroles qu'un religieux de Saint François lui dit, qu'elle entra en religion : « ayez un courage invincible, et un coeur aussi grand que toute la terre pour ne rien refuser à Dieu de ce qu'il demandera de vous ». Ces paroles lui firent dans l'âme une si forte impression que jamais elles ne s'effacèrent... Elle
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devançait toujours ses compagnes du noviciat et rien n'était égal à sa fidélité. Elle disait qu'il y aurait un ange dans tous les lieux réguliers qui bénissait celles qui s'y rendaient les premières et qu'elle connaissait une personne qui l'avait vu souvent. Il est à présumer qu'elle parlait d'elle-même et que c'était là le motif du saint empressement qu'elle avait d'être toujours la première...
... Son mérite était connu de toutes les personnes qui la voyaient ; sa piété brillait aux yeux de tout le monde ; il n'y avait qu'à elle à qui tous ces trésors étaient cachés, son humilité était un voile qui lui ôtait la vue de ses propres talents et de sa grande vertu. Elle avait un sentiment si bas d'elle même, qu'elle ne croyait pas avoir fait là même, la première démarche dans le chemin de la perfection, ainsi elle ne pouvait pas se résoudre à faire ses voeux, se croyant si imparfaite, dans l'appréhension qu'elle avait de l'être toute sa vie, ayant ouï dire que telle on avait été novice, telle on était professe. Dans cette pensée elle pria instamment sa supérieure de vouloir bien retarder sa profession, afin de lui donner du temps pour travailler plus efficacement à acquérir quelques habitudes de vertu...
... La nuit de devant sa profession, s'étant retirée à l'heure ordinaire pour prendre un peu de repos, elle se vit conduite en esprit par deux anges aux pieds de la Sainte Vierge, qu'elle voyait comme dans un trône. Elle fut présentée à cette Reine du ciel par ces esprits angéliques lui offrant humblement ses voeux, cette Mère d'amour les reçut, et les présenta à la Très Sainte Trinité, qui les eut si agréables que Jésus-Christ les signa de son précieux sang. Etant revenue de cette vision elle alla passer le reste de la nuit à l'église, où son coeur semblait se consommer d'amour en attendant l'heureux moment de son sacrifice.
L'heure étant venue de la cérémonie, elle se trouva si pénétrée de la grandeur de l'action qu'elle faisait, que ne se possédant plus, l'esprit de Dieu prit soin de l'extérieur, lui faisant faire tout ce qui était de son devoir, sans qu'elle s'y applique, l'abstraction où elle était l'en rendait entièrement incapable.
Lorsqu'elle prononça ses voeux, il parut sur sa tête une couronne de grande clarté, soutenue par deux mains un peu élevées. Les rayons de cette couronne rejaillissaient contre les murailles du choeur, aux rapports de plusieurs personnes dignes de foi qui furent témoins de cette merveille tant à l'église au dehors des grilles, où l'on entendit le grand cri d'admiration, que dans le choeur du côté des religieuses, ce qui fut vu de plusieurs d'entre elles. Dès que la cérémome fut finie, le curé du lieu qui y avait servi de diacre, et qui avait vu ce prodige, alla au château en faire le récit à M. Boudon, grand archidiacre d'Evreux, parlant de cette admirable circonstance, et ajouta que c'est une marque des grâces extraordinaires que Dieu devait faire à cette sainte fille, et des glorieuses récompenses qui les devaient suivre...
... Pendant qu'elle était sous le drap mortuaire et que toute l'église retentissait d'acclamations sur ce qui venait de paraître, elle fut ravie hors d'elle-même. Il lui sembla que le Ciel était ouvert, et selon qu'elle a dit à un de ses directeurs, ce qui avait [faisait] l'étonnement du monde au dehors n'était rien en comparaison de ce qui s'était passé entre Dieu et elle. Elle ajouta qu'elle y reçu des grâces qu'elle n'oublierait jamais, qu'elles étaient si grandes qu'il lui était impossible de les exprimer. Ce céleste époux l'avait amenée là comme dans un cellier mystique, où il lui fit boire à longs traits le vin de ses divines faveurs, afin de la fortifier et de la rendre capable de porter le fardeau des croix qu'il lui préparait. Enfin elle trouva sous ce drap de mort, le principe de la vie, et elle aurait bien pu dire en se relevant : « Je suis morte, il est vrai, mais je vis de la vie de mon bien-aimé »...
Deux ans après sa profession mère de Saint-Jean fut élue supérieure... Elle n'avait alors que vingt ans. Son mérite et sa vertu fit que l'on eut aucun égard à sa jeunesse, on ne fut pas trompé, car elle s'acquitta de cette charge avec une sagesse et une vigilance admirables. Elle ne se croyait au-dessus des autres que pour les soulager. Si elle était obligée quelque fois de reprendre quelqu'une de leurs défauts, c'était toujours avec une douceur si engageante qu'elle se rendait maitresse du coeur aussi bien que de l'esprit. Elle était fort attendrie à tous les besoins de ses religieuses. Sa charité parut singulièrement envers une d'entre elles qui se trouvant [malade] et craignant que ce ne fut la peste comme plusieurs autres l'avaient eue, ne se pouvant résoudre à le déclarer ; mais après l'avoir caché le plus qu'il lui fut possible, elle dit à la mère Saint-Jean qu'elle se trouvait mal. La mère connu aussitôt que c'était la peste et lui dit avec une extrême bonté : « Vous voilà prise aussi bien que les autres, mais ne vous mettez pas en peine, j'aurai soin de vous et ne vous abandonnerai point, je ferai en sorte de vous voir, et de vous panser sans que personne s'en aperçoive ». Cette religieuse avait cinq pestes. La mère Saint-Jean lui tint fidèlement sa parole. Elle l'allait voir en entrant secrètement par une fenêtre, et prenant la malade entre ses bras, la pansait avec une bonté et une charité qui ne se peut exprimer, sans craindre de prendre le mal, ne se rebutant ni de la puanteur, ni de la fatigue. Elle allait ensuite dans le jardin pour chasser le mauvais air, de peur de la communiquer aux autres. Elle continua ainsi ses soins jusqu'à ce que la religieuse fut parfaitement guérie, sans qu'il arriva rien de mal, ni pour elle, ni pour d'autres, excepté qu'un jour elle se ressentit pendant cinq ou six heures d'un air de peste, qui la fit changer de plusieurs couleurs ; en cet espace de temps, elle devint jaune puis verte, rouge, bleue, ses religieuses s'en aperçurent et eurent beaucoup d'inquiétudes, mais elle les rassura, leur disant que ce ne serait rien ; en effet elle se promena longtemps dans le jardin pour prendre l'air, et tout cela se dissipa.
... Au commencement du mois de mai de l'année 1635, l'on fut averti qu'une puissante armée suédoise approchait du bourg de Bruyères, et menaçait de le brûler. La Divine Providence envoya à
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la mère de Saint-Jean un religieux Capucin pour l'avertir de veiller aussitôt à la sûreté de sa personne, et à celle de ses religieuses, qu'il ne croyait point en assurance dans ce petit bourg. Il lui conseilla d'en sortir s'offrant à les conduire dans quelque ville plus forte. Elles profitèrent de cet avis, sortant le même jour avec ses filles accompagnées de ce bon père. Le premier gîte qu'elles firent fut chez le père d'une de ses religieuses qui demeurait assez près de Bruyères. Le lendemain, elle rencontra sur la route le colonel l'Huilier, qui la croyant encore à Bruyères, venait avec escorte la chercher pour la conduire avec sa communauté dans quelque lieu où elle fut moins exposée. Il les fit toutes habiller en homme pour les faire sauver avec moins de danger. Ce commandant était le beau-frère de la mère de Saint-Jean, ayant épousé sa soeur aînée. Il était brigadier des armées du duc de Lorraine et colonel d'un régiment. Il fut depuis gouverneur de Bar et de plusieurs autres places... Le monastère et le bourg furent pillés et brûlés entièrement. Elles furent conduites à Saint-Diez chez M. de Bar, père de la mère de Saint-Jean, où elle ne demeura que peu de jours... elles furent contraintes d'en sortir pour aller dans un monastère de leur ordre établi à Badonvillers, qui est encore une petite ville éloignée de Saint-Diez d'environ une journée... Elles y furent reçues avec beaucoup de charité... mais elle ne fut pas plutôt arrivée à ce monastère qu'il en fallut partir. Les supérieurs ne les croyant pas en sûreté parce qu'il était hors de la ville, jugèrent à propos d'en faire sortir toutes les religieuses pour les faire entrer dans cette ville où elles n'étaient plus guère sûrement. Ce fut dans l'octave du Saint-Sacrement qu'elles sortirent de ce monastère. Les deux communautés ensemble étaient au nombre de quarante religieuses, elles suivaient le Saint-Sacrement que leur chapelain portait... Sitôt qu'elles furent arrivées au lieu qui leur était préparé, qui fut une grande salle dans le palais du duc de Lorraine, l'on posa le Très Saint-Sacrement sur une table dressée en forme d'autel, autour duquel ces saintes filles se tenaient jour et nuit, en larmes et en prières, ne sachant où rien prendre pour leur nourriture... Peu de jours après que nos pauvres réfugiées furent arrivées en ce lieu, leurs supérieurs ayant appris que les troupes approchaient de Badonvillers, envoyèrent un ordre pour faire sortir en diligence ces deux communautés. A peine l'eurent-elles reçu qu'on entendit l'alarme et qu'on leur cria de descendre au plus vite pour se sauver ; ce que chacune se mit en devoir de faire avec beaucoup de précipitation, excepté la mère de Saint-Jean qui ne pouvait se résoudre d'abandonner le Très Saint-Sacrement à la rage des soldats ; et se tenait sur la porte un pied dedans et l'autre dehors pressée d'un côté par l'obéissance, et la nécessité de se retirer, et retenue de l'autre par l'amour. Elle se tourna vers celui dont elle ne pouvait se séparer, et s'écria, dans l'excès de sa douleur : « Dites-moi donc, mon Dieu, que vous plaît-il que je fasse ? » En même temps elle entendit un grand bruit au bas de l'escalier, et s'étant avancée pour en apprendre le sujet, elle vit toutes les religieuses qui retournaient disantes : « il n'est plus temps de se sauver, les soldats ont déjà investi la ville ». Etant toutes rentrées elles s'enfermèrent, et se mirent en prière devant le Très Saint-Sacrement, demandant à leur divin époux la force de souffrir tous les tourments imaginables, plutôt que de consentir à rien de tout ce qui pourrait blesser leur pureté. Elles remplissaient ce lieu de leur sang par de rudes disciplines. Elles n'attendaient que le moment de leur mort, ne croyant pas la pouvoir éviter que par un miracle de la main toute-puissante de Dieu. Il avait entendu leurs prières, et il leur donna un secours en effet tout miraculeux. Ces soldats hérétiques, car ils étaient des luthériens, s'étant rendus maîtres de la ville, et ayant fait souffrir aux habitants des cruautés terribles, ils apprirent qu'il y avait des religieuses dans ce lieu. Soudain ils y accoururent comme des loups ravissans, pensant faire leur proie de ces innocentes brebis, et ayant trouvé la porte fermée, le plus téméraire l'enfonça, mais après s'avoir jeté dans la porte de ce sanctuaire, il fut précipité d'une manière si surprenante que jamais on n'a pu savoir ce qu'étaient devenus ces malheureux. Voulant tous entrer, ils demeurent à la porte de la chambre arrêtés par une puissance qui leur était inconnue, et regardant ces saintes religieuses autour du Saint-Sacrement. Ce spectacle les épouvanta si fort, c'est que tous remplis de terreur ils se retirèrent mais si précipitament et avec tant de confusion qu'ils se renversaient les uns sur les autres du haut de l'escalier en bas. Ils avouèrent qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire. Cependant nos pauvres filles s'étaient renfermées du mieux qu'elles avaient pu, en attendant de nouveaux secours de la divine providence qui était alors toute leur ressource...
... [A quelque temps de là, un officier qui avait recherché la mère de Saint-Jean avant qu'elle ne soit religieuse reçu le commandement des troupes de Badonvillers]... ayant su que la mère était dans cette ville il employa toutes ses adresses pour la retrouver... Il court, il cherche inutilement... Les supérieurs ne trouvent pas de moyen plus sûr pour la sauver que de la faire sortir de la ville déguisée en homme. Ils lui donnèrent pour compagne la mère Agnès de Saint-Pierre, qui était aussi professe du monastère de Bruyères. Etant ainsi travesties toutes les deux on les fit monter sur une charrette de marchandises, et l'on cacha la mère de Saint-Jean entre les deux ballots et deux religieuses les suivaient. Elles rencontrèrent un parti de soldats qui se mirent autour de cette charrette, donnèrent plusieurs coups d'épée dans les ballots sans qu'aucun put atteindre la mère de Saint-Jean par une protection singulière de la Très Sainte Mère de Dieu qu'elle invoquait continuellement... Elles furent obligées de rester quelques jours dans une hôtellerie où le diable qui ne cherchait qu'à traverser notre pauvre fugitive, mit dans le coeur de la fille du logis une passion si forte pour elle, qu'elle vint lui proposer de l'épouser.
La mère de Saint-Jean ne voulait se découvrir, et d'un autre côté n'osant rebuter cette fille, de peur de s'attirer quelque nouvelle persécution lui répondit que n'étant qu'un valet de chartier, cela ne
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convenait pas. La fille persista malgré cette raison, et obligea la mère de Saint-Jean de prendre d'elle une bague. Elle la prit à dessein de lui renvoyer. Ce qu'elle fit aussitôt qu'elle fut sortie de ce lieu, et joignant une lettre qui lui déclarait ce qu'elle était, les raisons qui l'avaient obligée de se déguiser ainsi, ce qui toucha si fort cette fille qu'elle prit la résolution de se donner entièrement à Dieu. En effet on a su depuis qu'elle s'est faite religieuse, et a vécu très saintement.
La mère de Saint-Jean continua sa route pour aller à Commercy qui était le lieu que les supérieurs lui avaient marqué, mais en passant par Epinal, elle se trouva obligée d'y rester avec sa compagne, pour éviter autant qu'elle le pourrait la rencontre des troupes...
... Ces pauvres religieuses furent quatre ans dans le monde ne trouvant point de monastère qui fut en état de les recevoir, tant la misère était générale dans cet infortuné pays. C'était un fardeau bien difficile à soutenir que la supériorité d'une maison réduite à un état si déplorable. Elles étaient errantes tantôt d'un côté tantôt d'un autre pour chercher de quoi subsister. Néanmoins leur plus grand et plus ordinaire séjour fut à Commercy...
La suite de ce récit est rapportée dans le manuscrit que nous publions en la quatrième partie qui relate la fin de son exode et son entrée au monastère de Rambervillers.
AU LECTEUR*
L'utilité que l'Eglise a toujours reçue et reçoit tous les jours encore de la lecture des vies des saints, et des grandes oeuvres qu'ils ont entreprises pour Dieu, a fait prendre la méthode de n'en guère laisser passer sans en faire le recueil pour le donner au public.
Les Ordres religieux, surtout, se sont rendus curieux d'observer cette maxime, à cause que la durée et leur affermissement dépendent beaucoup de bien faire connaître l'excellence de leur source, la confirmation de leurs statuts, et la grande sainteté où sont parvenus ceux et celles qui ont fait une fidèle et exacte profession.
Si bien que nos Supérieurs, comme les autres, s'étant laissé toucher à ces considérations nous ont fait commandement de rédiger par écrit tout ce qui s'est passé en l'établissement de notre Institut
(*) Le manuscrit que nous publions se trouve aux archives de notre monastère de Bayeux et provient du monastère de Saint-Nicolas-de-Port. Ce manuscrit est coté N 249. De 492 pages, en format 259 x 172, il est relié en parchemin, dans une feuille d'un vieil évangéliaire. La reliure et l'écriture permettent d'assurer que ce manuscrit est du xvite siècle. Il semble avoir été copié par plusieurs personnes. Des pages 240 à 361 la pagination a été grattée et changée. Nous n'en connaissons pas l'auteur. Rien jusqu'à ce jour n'a permis de l'identifier avec certitude.
On peut cependant faire quelques observations : les dates ne sont parfaitement exactes qu'à partir de 1650, ce qui précéde semble le récit, non d'un témoin, mais d'une personne qui rapporte ce qui lui aurait été dit. L'auteur paraît avoir écrit son ouvrage en plusieurs fois à la manière d'un « journal ». L'auteur est parfaitement au courant des tractations, démarches, contrats qui ont permis la fondation de l'Institut ; mais il ne parle ni des moniales, sauf en de très rares occasions, ni des petits ou grands événements de la vie de communauté.
Ces quelques observations nous invitent à penser, comme l'a montré R. Darricau dans le n° 133 (janvier 1958) de la Revue d'Ascétique et Mystique, que l'auteur du N 249 pourrait être la comtesse de Rochefort.
Catherine de la Croix de Chevrières, née en 1614, épouse en 1633 Anne de la Baume de Suze, comte de Rochefort. Elle est veuve en 1640 avec quatre enfants.
Des procès interminables l'obligent à demeurer à Paris. Installée rue du Bac, elle rencontre mère Mectilde en 1651. Très vite, Mme de Rochefort confie ses désirs de perfection à son amie. A travers les Lettres de mère Mectilde à la comtesse nous voyons les dépouillements et la montée d'une âme vers Dieu.
Rappelée en Dauphiné par de graves difficultés familiales en 1661, elle doit briser ses projets de vie religieuse à peine entrevus. Elle meurt sur ses terres de Savoie en 1667 assistée par son fils qui vient d'être sacré archevêque d'Auch.
La comtesse était donc bien placée pour connaître les circonstances de la fondation de l'Institut, mais aussi la pensée de la mère Mectilde sur son oeuvre.
Pour faciliter la lecture de ce manuscrit nous avons rétabli l'orthographe selon les règles actuelles, mais nous avons conservé intactes les tournures de phrases propres au xvrle siècle.
En cours de texte les mots entre parenthèses appartiennent au manuscrit, mais la lecture est plus claire si ces mots sont supprimés ; les mots entre crochets [] sont ajoutés par nous pour faciliter la compréhension d'une phrase difficile.
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de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, pour que nous en puissions retirer tous ces mêmes avantages.
µIci j’arrête provisoirement les corrections compte tenu de l’intérêt purement historique. A reprendre sur la source imprimée si nécessaire. Du moins on peut s’informer en lisant...
Ce n'est pas qu'ils aient dessein d'en publier à présent l'histoire, quoique cela se puisse faire avec le temps. Mais on le fait pour en conserver les mémoires et les pouvoir communiquer aux personnes qui auront embrassé cette pieuse Institution, qui, sans doute, y seront plus confirmées quand elles en connaîtront l'origine.
C'est donc ce commandement qui nous met la plume à la main, et qui ne nous permet pas [de] réfléchir sur notre peu de capacité pour un ouvrage comme celui-là, [mais] ne nous laisse envisager que la bénédiction qu'il y a toujours de se rendre à l'obéissance.
Que le lecteur ne s'attende pas, après la déclaration qui lui est ainsi faite que c'est une fille qui écrit, de rencontrer dans cet ouvrage les ornements qui accompagnent d'ordinaire ceux de cette qualité, pour bien disposer les choses en leur jour. Il sait aisément que la plume toujours faible de notre sexe ne saurait s'élever jusque là. Mais de plus il doit savoir que ce n'est point ce que nous avons entrepris de faire, et qu'on ne s'est proposé que de rapporter naïvement et exactement les circonstances nécessaires pour bien établir la vérité des faits que nous allons avancer, comme : le temps auquel [ces] choses sont arrivées, les lieux où elles se sont passées, et les personnes par qui elles ont été faites ; et montrer que cette oeuvre est une oeuvre vraiment de Dieu. Et plus le narré lui en paraîtra naïf, plus il doit demeurer persuadé, quelque merveille qu'il y voie, que tout ce qu'on lui en dit est très vrai. Il pourra même se confirmer dans cette persuasion s'il daigne faire attention sur les remarques qu'il y peut faire, qui sont les caractères naturels de toutes les oeuvres procédant du divin Esprit, et qui se voient bien évidemment en celle-ci.
Nous mettrons pour la première : la vocation de la personne. Celle-ci est toujours la principale, puisque le Verbe Incarné nous apprend que nul ne peut venir à Lui si son Père ne l'attire.
Pour la deuxième nous donnons la petitesse dans les commencements, par rapport au grain de moutarde de l'Evangile, auquel le Royaume des cieux est comparé.
Pour la troisième : les ouvertures de providence dans les moyens, au-dessus des moyens ordinaires à la conduite des hommes, puisque Dieu s'en fait entendre par la bouche de son Prophète, que ses pensées ne sont pas les pensées des hommes.
Pour la quatrième : les contradictions dans le progrès, puisque le monde a toujours été et sera toujours opposé à Dieu : « le monde me hait, dit le Sauveur, parce que je ne suis pas du monde et qu'il n'aime que les siens ».
Et pour la cinquième et dernière nous mettrons l'heureux succès dans la consommation. Ainsi le Grand Prêtre Ananias voulant émouvoir les Juifs de Jérusalem de persécuter les Apôtres, à l'ouverture de la publication de l'Evangile, leur donnait pour une maxime certaine que si l'oeuvre était de Dieu, ils auraient beau faire, elle ne manquerait pas de réussir.
Et ces cinq marques se voient bien distinctement dans cette oeuvre ; suivons les. C'est où il veut une plus signalée vocation, que celle de la personne par qui notre établissement est fait, que Dieu la soit allé chercher, comme l'on verra, dans le fond de son monastère hors le Royaume, cachée aux yeux du monde, pour l'amener à Paris ; et qu'il ait employé au ministère de cet appel non pas des moyens communs et ordinaires, mais les plus puissants de ses fléaux : la peste, la guerre et la famine. Car si pour bien exprimer le grand pouvoir des Roys de la terre l'on dit qu'ils parlent par la bouche de leurs canons, ne peut-on pas mieux dire que le Roi du ciel s'explique par ces fléaux qui ne sont pas moins une marque de sa toute puissance, et qui donnent tellement à connaître ses volontés, qu'il n'est pas du pouvoir de l'homme de résister.
Ça été ainsi que notre élue a appris à les connaître en ce qui la regardait, bien que ce mystère ne lui ait pas été développé d'abord ; d'autant que, quand elle vint en France, elle n'avait d'autre vue que de chercher un refuge pour elle et pour ses compagnes. Mais le séjour que la nécessité, ou ses fléaux, l'a contrainte d'y faire, lui en a donné la parfaite intelligence.
Passons au second caractère, examinant la petitesse de nos commencements. Il est vrai qu'il semble ne s'en pouvoir jamais voir de si bas et si petits en toutes façons : tout ceci a été fait par une jeune religieuse étrangère, réduite dans les plus grands dénuements de biens, d'appui, de considération, et généralement de toutes choses qui se puissent jamais rencontrer, ne vivant que d'aumônes, n'étant escortée en son voyage que d'un pauvre Frère distributeur des aumônes, accompagnée d'une seule religieuse, ne connaissant personne en France où elle venait. Et cependant elle a réussi en un dessein que d'autres religieuses, qui se faisaient aussi nommer les Filles du Saint Sacrement (1) — très bien pourvues de tout ce qui manquait à celle-ci — avaient entrepris dans Paris en l'an 1630, et n'en purent venir à bout, n'ayant pas subsisté trois ans. Comme aussi [ainsi] il parait en tous les événements les effets d'une prudence [Providence] qui faisait tout réussir par les mêmes moyens qui semblaient en devoir faire désespérer.
Et pour les contradictions il sera malaisé d'en voir jamais de si intriguées que celles que Notre Mère a surmontées, puisque même
(1) Il semble bien qu'il y ait ici une allusion à la fondation de Port-Royal du Saint-Sacrement, entreprise par Mgr Sébastien Zamet, évêque de Langres. Installées rue Coquillière, près du Louvre, ces religieuses jouissaient de nombreux appuis à la Cour. C'est Mgr Zamet, lui-même, évêque très pieux et d'une immense charité, qui avait introduit Saint-Cyran au monastère pour donner des conférences aux religieuses. Cette présence n'est pas étrangère à l'échec de la fondation. Fernand Mourret, Histoire Générale de l'Eglise ; L'Ancien Régime, t. VI, p. 359, Bloud et Gay 1914. 9 vol.
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elles ont eu relation aux révolutions de plusieurs Etats, ni des issues plus inopinées comme le lecteur verra.
Et enfin le succès, qui est la cinquième marque, n'en pouvait pas être plus grand, ni plus glorieux, puisque nous voyons cette Mère, dans moins de quatorze ans, avoir quatre maisons de son Institut, et être elle-même à la fin établie comme une sage Déborah jugeant le peuple de Dieu, c'est-à-dire ayant le Régime et la Supériorité sur tous ces monastères et sur tous ceux qu'elle pourra faire à l'avenir.
Et si cette Providence adorable a voulu ainsi dans les commencements, si particulièrement accompagner sa maison, comme l'apostolat de Saint Paul, de travaux, de patience et d'anéantissement, c'était pour lui donner du rapport au Mystère qu'elle devait faire glorifier, qui est un mystère de mort et d'anéantissement, et l'en rendre en quelque façon plus digne par cette conformité.
Ainsi que le lecteur ne murmure pas s'il voit d'abord des conduites si rigoureuses sur elle, puisqu'il verra dans la suite que, si Dieu n'en eut usé de la sorte, elle ne serait jamais venue vers nous, car elle a souvent déclaré que si seulement elles eussent pu avoir un quarteron de pain bis par jour d'assuré pour soutenir leur languissante vie, elle ne se serait pas résolue de quitter sa maison de profession pour quelque avantage qui se put être. Mais Dieu le lui refusa pour la contraindre de venir dans la ville où il avait dessein de la substanter abondamment, la faisant le chef de cette compagme célèbre de vierges dévouées à l'adorer nuit et jour sans interruption, mais encore du pain matériel, l'en ayant très avantageusement pourvue, de façon que ces grandes rigueurs apparentes étaient de grandes douceurs, en effet, comme l'événement l'a montré.
Il n'est qu'à finir ce mot d'avis pour donner le temps au lecteur d'en prendre lui-même connaissance par la lecture de nos cahiers, dont voilà le plan à peu près. Qu'il nous aide, s'il lui plaît, à louer et à adorer à jamais ce très saint et très auguste sacrement de nos autels.
PREMIÈRE PARTIE
MÉMOIRES
1631-1651
MÉMOIRES. 1631-1651
En l'année mil six trente et un, la Reine Mère du Roy Louis treizième sortit secrètement de France pour quelque mécontentement, et s'étant réfugiée en Flandre auprès de l'Archiduchesse, Monsieur, duc d'Orléans, son second fils, qui était dans son parti, s'évada pareillement et se retira auprès de Monseigneur le duc de Lorraine, à Nancy.
La retraite de cette Altesse royale ne manqua pas d'attirer la guerre à la Lorraine, car le Roy s'en sentant offensé, et n'osant pour les respects maternels, poursuivre la Reine sa Mère à main armée, tourna ses armes contre cet infortuné pays, et fut assiéger Nancy en 1633 avec une armée de trente mille hommes, sous prétexte que ce Duc avait refusé passage à l'armée qu'il voulait envoyer en Allemagne contre l'Empereur.
Et prenant la ville au dépourvu il en fut bientôt le maître, Son Altesse ayant été obligé de la lui remettre entre les mains pour composition. Et déjà Sa Majesté s'était rendu le maître de presque tout le pays, qui ne tarda guère à succomber sous le faix d'une si grande puissance, sinon quelques places fortes, quoique cette conquête ne se fit pas sans coups, parce que l'Empereur et les Princes d'Allemagne, prenant jalousie du progrès des armes de Sa Majesté, qu'ils ne voulaient pas avoir pour voisin, ne manquèrent point de donner du secours à ce Duc.
Il ne servit qu'à achever de désoler son Etat, puisqu'il se trouva également foulé tant par les amis que par les ennemis, car les Croates, qui étaient à la solde de l'Empereur, y commirent toutes sortes d'excès et d'insolences.
La première ville qui sentit la fureur des armées françaises fut la ville de Saint Nicolas, à deux lieues de Nancy. Sa réputation d'être riche, à cause de ses belles foires, lui ayant attiré ce malheur. Et en ce lieu, les Suédois qui étaient joints à l'armée de France, ne commirent pas moins de cruautés et d'insolences que les Croates qui étaient dans l'armée de l'Empereur. En sorte qu'il se peut dire que tout ce que la fureur de l'hérésie dont ils sont sectateurs a accoutumé de s'armer contre les églises, se vit pratiquée avec horreur en ce lieu-là par ces malheureux soldats, qui n'ont épargné ni les personnes consa-
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DOCUMENTS HISTORIQUES 51
crées à Dieu, ni les vases dédiés à ses autels ; pillèrent indifféremment les sanctuaires sacrés comme les autres maisons, brûlant, violant, et saccageant entièrement sans exception cette infortunée ville.
Cet exemple ayant porté la terreur et l'effroi dans le pays d'alentour, toutes les maisons religieuses éparses par la campagne se retirèrent promptement dans les villes ou grands faubourgs fermés.
A dix lieues par delà Nancy, dans le pays Messin, Evêché de Toul, est la ville de Remberviller, qui est assez considérable comme l'on en peut juger de ce qu'elle avait souffert deux sièges pendant les guerres d'Allemagne avant celle de Lorraine. L'un : de son Altesse de Lorraine, faisant chemin pour s'en aller en Allemagne, en 1629, à la tête d'une armée de 10.000 hommes qu'il menait au secours de l'Empereur contre le Prince Palatin, en laquelle arriva cette fameuse bataille de Brague ; l'autre : du duc Bernard de Vuimar, commandant les troupes suédoises. Et bien que l'un et l'autre la prirent, ce ne fut pas sans s'être bien défendue, ayant souffert le canon, ce qui fut cause que les Suédois la pillèrent entièrement.
Dans cette ville il y a un monastère de religieuses de l'Ordre de Saint Benoit, qui se nomme : de la Conception Notre Dame, dans lequel, lorsqu'il était florissant, il y avait jusqu'à trente deux religieuses du choeur sans les converses. Mais elles n'étaient plus que vingt huit au temps dont nous allons parler, en étant mortes de peste et d'autres misères pendant les guerres de leur pays.
C'étaient d'excellentes filles, vivant saintement dans une admirable union de charité entre elles, une étroite observance de leur Règle, et un parfait accomplissement de leurs voeux. Et c'est de ce monastère duquel sont sorties, comme un essaim d'une très excellente ruche, les personnes dont nous avons à traiter, ainsi que nous en parlerons souvent ; et c'est pour cela qu'il a fallu donner la connaisance que nous venons d'en donner.
Et comme cette ville avait déjà beaucoup souffert dans ces deux sièges, la guerre des français, dans la Lorraine dont elle est si avoisine, acheva de la ruiner, lui ayant attiré de nouvelles afflictions, parce que les français ayant ravagé tous leurs champs et enlevé leurs bestiaux, pendant le siège qu'ils mirent devant le château de Moyen-[moutier], qui tenait pour Son Altesse de Lorraine, lequel n'en n'est qu'à trois lieues, leurs terres demeurèrent sans culture et leurs richesses leurs furent ravies. Ainsi les vivres y devinrent si chers et l'argent si rare que les plus accommodés eurent beaucoup à souffrir dans un temps comme celui-là, et le peuple y endura une famine incroyable qui fut suivie d'une furieuse peste.
Ce monastère comme les autres ne manqua pas de se sentir de la misère publique, et après avoir souffert constamment pendant sept ans une disette absolue de tout ce qui est nécessaire à la vie pour le vivre, les vêtements et les autres besoins, — n'ayant à peine, sur la fin, qu'un quarteron de pain bis à manger par jour, chacune, pour tout aliment, et généralement tous autres leur défaillaient, encore ce pain leur manquait-il quelquefois, — elles reçurent commandement de leur Supérieur, qui était Monsieur Midot, grand'vicaire de Monseigneur l'Evêque de Toul, de se séparer en deux troupes, dont l'une demeurerait et l'autre sortirait pour soulager la maison, et tâcher de leur donner du secours se retirant en quelque refuge assuré, et par ce moyen subsister mieux et les unes et les autres.
Leur extrême pauvreté leur était sans doute une grande peine. mais ce commandement leur sembla encore plus dur parce qu'il fallait se séparer, et il ne se peut dire les larmes qui furent versées de part et d'autre, dans l'appréhension où elles étaient de ne se revoir jamais. Il fallut obéir. Ainsi elles sortirent jusqu'à onze, à savoir : les Mères Catherine Mechtilde (2) du Saint Sacrement, Anne de Ste Magdelaine, Marie de Ste Scholastique, Angélique de la Nativité, Marie de St Alexis, Benoîte de la Passion, Louise de l'Ascension, Dorothée de Ste Gertrude, Elisabeth de la Présentation, Gabriel de l'Annonciation et Jeanne de la Croix, sous la conduite de la Révérende Mère Bernardine de la Conception, leur Prieure ; et demeurèrent les plus âgées, à savoir : les Mères Placide de St Benoît, Claude de Ste Marguerite, Gertrude de la Trinité, Barbe du Saint Esprit, Anne de St Paul et quelques converses.
Et ayant consulté leurs amis sur le lieu où elles pourraient se réfugier, ils leur conseillèrent tous de venir en France. Mais elles ne purent pas lors s'y résoudre, parce qu'il leur sembla que c'était trop s'éloigner de leur monastère ; et choisirent plutôt la ville de Saint Mihiel, de l'Evêché de Verdun, quoiqu'aussi fort pauvre, sur la proposition qui leur en fut faite par une demoiselle de ce lieu, fort amie de la Mère Mechtilde du Saint Sacrement, qui lui écrivit d'y aller parce que, s'approchant de la France, elles pourraient être secourues des aumônes que la ville de Paris envoyait incessamment sur cette pauvre frontière, par les Prêtres de la Mission de Saint Lazare qui en faisaient la distribution.
Ainsi elles s'y acheminèrent au commencement de l'année 1642 (3), et furent reçues avec une extrême affection de tous les habitants de cette ville, qui avaient bien plus de coeur que de moyens pour les secourir, car ils n'étaient guère moins ruinés que le pays d'où elles venaient. Aussi la nécessité que ces pauvres réfugiées eurent à souffrir à St Mihiel ne fut guère moindre que celle qu'elles avaient souf ferte à Remberviller tant que les aumônes de France tardèrent à venir, en sorte que d'aussi affligés qu'elles, leur portaient grande compassion parce qu'elles avaient la peine de plus, qu'étant renfermées, elles ne pouvaient aller par le monde comme eux pour chercher
(2) La troisième partie du manuscrit raconte le début de la vie religieuse de mère Mectilde. Ce récit, commence en 1641, quelques mois avant que mère Mectilde ne quitte la Lorraine.
(3) Le manuscrit a une erreur de date et anticipe d'une année depuis 1642 (en réalité 1641) jusqu'en 1651, date du retour de mère Mectilde à Paris. A partir de ce moment la chronologie du manuscrit est exacte.
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de quoi se nourrir. Car dès l'abord qu'elles furent en cette ville, au lieu de vivre en vagabondes, comme tant d'autres religieuses faisaient en ce temps-là, elles se mirent en clôture et dans les mêmes observances que dans leur maison de Remberviller, avec autant d'édification que Monsieur le grand'vicaire de Verdun (4) leur accorda bientôt le Saint Sacrement, de même que si ce fut été un établissement fait dans les formes, et non pas un simple refuge comme c'était.
Si bien qu'un chacun les estimant grandement la bonne odeur en vint jusqu'à Madame l'Abbesse de Juvigny (5), dont l'Abbaye n'est pas fort éloignée de St Mihiel, laquelle, pour les soulager, en envoya quérir deux, qui furent les Mères Jeanne de la Croix et Alexis de Jésus, lesquelles y ont vécu si exemplairement qu'elles ont mérité d'y être associées et y sont demeurées jusqu'à leur mort.
Ainsi il n'en resta que neuf au refuge de St Mihiel, et de ces neuf : fut envoyée la Mère Benoîte de la Passion à leur monastère de Remberviller pour y être Supérieure et commander en l'absence de la Mère Bernardine, Prieure, qui demeura à St Mihiel. Toutefois les restantes n'en furent guère mieux pour cette petite décharge parce que, comme elles vivaient d'aumônes, quand on les vit moins en nombre on leur donna moins. Ces aumônes étaient si incertaines qu'elles se trouvèrent souvent dans une extrême nécessité de faim.
Dieu permit que dans ce temps les Pères de la Mission, dont nous avons déjà parlé, y allèrent faire leurs charitables courses, et les plus honnêtes personnes du lieu firent d'abord entendre au Supérieur de la troupe, qui se nommait Monsieur Guérin (6), homme de très sainte vie, l'extrémité où étaient ces saintes filles, ce qui l'obligea [de] les aller visiter. Et quand il les eût vues, il jugea par la pâleur de leur visage et le mauvais état de leur habit qu'on ne lui avait pas encore assez dit. Il admira de les voir si contentes dans leur pauvreté et si observantes, conservant une tranquillité d'esprit angélique, ce
(4) L'évêque de Verdun était alors François de Lorraine, évêque de 1622 à 1661. François de Lorraine-Chaligny était le troisième fils de Henri de Lorraine comte de Chaligny et de Claude de Mouy. Nous retrouvons la famille de Mouy près de mère Mectilde en 1651 en la personne de Madeleine de Moges, marquise de Mouy. François de Lorraine avait succédé à son frère, Charles, comte de Chaligny, évêque de Verdun en 1616, qui était entré dans la Compagme de Jésus en 1622. Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, Berger-Levrault, 1925.
(5) Scholastique-Gabrielle de Livron, 1608-1662, abbesse de Sainte-Scholastique de Juvigny-sur-l'Oison, arrondissement de Montmédy (Meuse), fille de M. de Vauvillars et de Gabrielle de Bassompierre. Elle établit la réforme à Juvigny, y fut religieuse 62 ans, dont 54 comme abbesse. Gallia Christiana, XIII, p. 617618, noue. éd.
(6) Supérieur des Prêtres de la Mission, établis à Saint-Mihiel (Meuse). Saint Vincent de Paul recueillit des sommes considérables pour aider ces malheureuses populations, mais la misère était telle que ses aumônes atténuaient à peine les souffrances. Les premières Dames de Charité ont donné peu à peu toute leur fortune. La reine Anne d'Autriche offrait jusqu'à ses bijoux quand sa bourse personnelle était vide. C'est alors que Vincent de Paul eut l'idée de faire imprimer les relations que ses missionnaires lui adressaient et de faire vendre ces feuilles aux portes des églises. Il est ainsi l'ancêtre de nos périodiques... ! Louis Abelly, Vie de Saint Vincent de Paul, Debecourt, Paris 1839. Rohrbacher, Histoire Universelle de l'Eglise catholique, Paris 1881, t. X, p. 553.
qui lui fit concevoir une si haute estime de leur vertu qu'il forma dès lors dessein de s'employer à bon escient, à son retour à Paris, pour leur procurer un secours plus abondant, et de plus de durée, que celui qu'elles pouvaient recevoir de la part qu'il avait à leur faire des aumônes qu'il venait distribuer, laquelle ne pouvait suffire au moindre de leurs besoins, à cause qu'il était contraint d'en faire part à plusieurs pauvres honteux du pays. Et il continua les visiter et consoler de tout son possible jusqu'à ce qu'il fut rappelé par Monsieur Vincent, son général, qui fut tôt après. Avant son départ il leur communiqua la pensée qu'il avait de proposer à Madame l'Abbesse de Montmartre comme avait fait Madame l'Abbesse de Juvigny : d'en prendre chez elle un bon nombre — si du moins elle ne pouvait les prendre toutes — pour les garder jusqu'à la paix.
En effet il n'y manqua point, car aussitôt qu'il fut arrivé à Paris, il s'en alla à Montmartre faire sa proposition à Madame l'Abbesse, qui était Madame Marie de Beauvillier (7), la conjurant les larmes aux yeux, de donner secours à ces vertueuses affligées, qui étaient religieuses d'un même Ordre qu'elle. Mais il eut beau lui remontrer tout ce qui en était, et tout ce que la charité lui en sût faire exagérer, jamais il ne put toucher le coeur de cette Abbesse : c'était un coup réservé à Dieu seul, elle, l'en ayant refusé si absolument qu'elle lui dit même, avec assez de rudesse, qu'elle était de serment de ne jamais recevoir de religieuses étrangères dans sa maison ; ainsi elle le renvoya avec une affliction extrême.
Ce bon écclésiastique ne pouvant se consoler de ne se voir plus de moyens d'assister ces pauvres filles, ne sachant même comment leur annoncer cette mauvaise nouvelle, il jugea qu'il fallait bien les en avertir, ce qu'il fit, afin que, ne s'attendant à ce secours, elles tâchassent de prendre d'autres mesures.
(7) Fille du comte de Saint Aignan, naquit en 1574, au château de la FertéSaint-Hubert en Sologne. Orpheline, elle fut élevée dès l'âge de dix ans par sa grand-tante Arme Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-les-Tours (l'Abbaye qui reviendra plus tard à Anne de Béthune, sa nièce ; la « chère Victime » de mère Mectilde). Elle fit profession à seize ans à Beaumont. Ayant reçu l'abbaye de Montmartre en bénéfice elle y entre comme abbesse, le 7 février 1598. L'abbaye avait alors 2 000 livres de revenu et 10 000 de dettes ; la crosse elle-même était engagée pour 200 écus et son frère dut lui fournir son mobilier « jusqu'au lit et à la batterie de cuisine ». Le spirituel était à l'avenant. Il fallut un courage héroïque à lajeune abbesse pour vaincre les résistances et gagner les coeurs. Elle y mit... neuf ans, soutenue par deux religieux éminents : Benoit de Canfeld et le Père Ange de Joyeuse, puis par des moines envoyés par Dom Didier de la Cour, auteur de la réforme de Saint Vanne ; Dom Laurent Bénard, promoteur de la Congrégation de Saint Maur, l'assista aussi beaucoup. Plus de cinquante religieuses sortirent de ce monastère pour « aller réformer, établir ou gouverner des maisons de l'Ordre ». Elle décéda le 21 avril 1657 sur les 7 h 30 du matin, la veille de l'invention du corps de Saint Denis. Elle était âgée de 83 ans et en avait employé cinquante neuf à la réformation et au gouvernement de Montmartre. Elle a donné le voile à 227 Filles et a l'honneur d'être la première réformatrice de l'Ordre de Saint-Benoit en France. Madame de Blémur, Eloges, t. II, p. 175 et 184. Dom Philibert Schmitz, Histoire de l'Ordre de Saint Benoit, éd. Maredsous 1956, t. VII, p. 160. Henri Brémond, Histoire Littéraire du Sentiment Religieux en France, Bloud et Gay, Paris 1916, t. II, chap. VI, p. 442.
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Cette nouvelle ne les surprit point. L'abandon actuel et continuel dans lequel elles vivaient depuis si longtemps à la divine Providence,
fit que leur coeur ne s'en trouva nullement ébranlé. Au contraire,
s'affermissant de nouveau en Dieu, elles se résolurent d'avoir recours à la Sainte Vierge en sa chapelle de Benoistevaux (8), à trois lieues
de Saint Mihiel, où elles entendaient dire qu'il se faisait tous les jours
tant de miracles. Et pour cet effet elles dressèrent au nom de toutes une dévote requête — qu'ils nomment supplique en ce pays-là -
par laquelle elles lui demandaient quatre choses. La première, de connaître les volontés de Dieu sur elles en leur état présent, pour s'y conduire selon ses desseins ; la deuxième, de garantir leurs personnes des outrages des soldats ; la troisième, de toucher le coeur de quelque Abbesse pour les retirer chez elle ; la quatrième, que ce fut dans des monastères où elles puissent continuer leurs observances accoutumées. Et députèrent pour porter cette requête les Mères Catherine Mechtilde du Saint Sacrement, Marie Scholastique et Louise de l'Ascension, qui se rendirent à pied à cette sainte chapelle le premier jour d'août 1642, et y passèrent toute la nuit en prière, après avoir fait mettre par un prêtre leur supplique sur l'autel, ne cessant d'importuner cette Mère de miséricorde d'exaucer leurs humbles voeux, jusque sur les quatre heures du matin, jour de Notre Dame des Anges, qu'ayant ouï la sainte Messe et communié, elles s'en retournèrent à Saint Mihiel ; mais si remplies des grâces qu'elles avaient reçues cette nuit qu'elles ne purent s'empêcher, quelques soins qu'elles y apportassent, qu'il n'en regorgeât au dehors assez pour qu'on s'en aperçut.
Et l'on croit même que Dieu fit connaitre quelque chose cette nuit-là à notre très chère Mère des desseins qu'il avait sur elle pour notre Institut. Chose admirable et bien avérée, car elle a été insérée comme un miracle dans les registres des miracles qui se sont faits en cette sainte chapelle.
La même nuit, sur les deux ou trois heures après minuit qui était le plus fort de leur prière, le coeur de cette Abbesse de Montmartre, qui avait si rudement refusé de les recevoir, s'amollit et se trouva si fort changé que, s'éveillant en sursaut et avec une frayeur extrême, elle éveilla la Mère Agnès de Chaulnes et Soeur de St Gatien, qui couchait d'ordinaire dans sa chambre à cause de son grand âge, leur
(8) A 24 km de Verdun et 33 km de Bar-le-Duc (Meuse). La tradition dit que des concerts angéliques attirèrent en ce lieu des bûcherons qui travaillaient dans les forêts voisines. Ils trouvèrent dans un fourré une statue de la Vierge tenant dans la main droite une pomme d'or et l'Enfant Jésus sur son bras gauche. La grande dévotion mariale des Prémontrés, installés en ce lieu dès 1140 peut être aussi l'origine du pélerinage. Benoite-Vaux dépendait de l'évêché de Verdun. A l'époque des guerres en Lorraine, le sanctuaire et la vénérable statue furent défendus et préservés par une femme étonnante Mme de SaintBalmont, dont l'histoire fait un peu penser aux héroïnes antiques Judith, Esther et à sa compatriote Jeanne d'Arc. Mère Mectilde a connu Mme de SaintBalmon qui tint à honneur de visiter les religieuses à Saint-Mihiel et de les secourir. Dans : Un sanctuaire vénéré au pays lorrain, E. de Bar, Bar-le-Duc 1892, on rapporte tout au long le pélerinage de mère Mectilde et ses conséquences, p. 56 et suiv.
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disant tout épouvantée qu'il lui semblait que la Sainte Mère de Dieu et son divin Fils courroucés, lui faisaient de terribles reproches du refus qu'elle avait fait de recevoir ces pauvres religieuses de St Mihiel, et qu'ils la menaçaient rudement de lui en demander un compte très exact si elles venaient à périr. Ajoutant que, pour elle, elle se disposerait volontiers à les recevoir, mais qu'elle craignait que sa communauté n'y voudrait pas consentir. Et sans plus pouvoir se rendormir tant elle se trouva agitée, elle attendit le jour avec une extrême impatience pour en dire autant aux principales de sa maison. Si bien que le jour étant venu, et les ayant fait assembler dans sa chambre, elle leur fit le même récit de tout ce qui s'était passé. Mais bien loin d'y trouver de la répugnance de leur part, au contraire toutes l'exhortèrent d'exécuter sans délai ce bon dessein ; ce qui fit qu'elle écrivit sur l'heure même à ce bon Monsieur Guérin, à Saint Lazare, lui envoyant un des siens pour lui déclarer ce qui venait de se passer, et la résolution où elle était de prendre de ses religieuses. Ce qui réjouit si fort ce bon Monsieur qu'il ne pouvait se contenir, ni se rassasier de louer Dieu qui avait opéré un changement si subit.
Sa joie fut un peu modérée de ce qu'elle lui marquait qu'elle n'en voulait que deux. Encore voulait-elle qu'on lui envoyât la liste auparavant, afin de choisir celles qui lui reviendraient le mieux ; comme si leur nom simple lui pouvait donner à connaître les qualités d'une personne qu'elle n'avait jamais vue, ni entendu parler ! Et ce bon écclésiastique, encore trop aise, n'eût garde d'y trouver rien à redire, lui voulant complaire en tout, pourvu qu'il vint à bout de soulager ces bonnes filles ; dans l'espérance où il était que, quand ces deux seraient placées, Dieu lui donnerait quelque nouveau moyen de secourir les autres. Si bien qu'il usa de diligence pour avoir cette liste, qu'il eut bientôt recouvrée, et sur laquelle cette digne Abbesse choisit sans hésiter la Mère Mechtilde du Saint Sacrement, et laissa dans l'indifférence sa compagne, contre ce qu'elle avait dit qu'elle la choisirait aussi.
Mais Dieu, par elle, faisait ce choix, car la Mère Mechtilde était celle que la divine Providence avait choisie pour faire l'établissement de l'Adoration perpétuelle dans Paris, où il la voulait amener par cette voie. Ainsi elle fut satisfaite comme fixée sur celle-ci, parce que ce divin Esprit qui mouvait son coeur, ne regardant qu'elle, par une vocation particulière pour son oeuvre, fit que cette Abbesse ne se mit pas en peine quiconque fut sa compagne pour venir avec elle, pourvu qu'elle eût celle-là.
Tout ce que nous disons ici de ce miracle se trouve amplement déduit dans la vie de cette illustre Abbesse qui a été donnée au public par la Mère de Blémur (9), religieuse de l'Abbaye de la Trinité
(9) Née le 8 janvier 1618, elle est donnée dès l'âge de 5 ans à une de ses parentes, moniale de la Trinité de Caen. Professe, Maîtresse des Novices, puis Prieure de la célèbre abbaye normande, elle demande à mère Mectilde de la recevoir dans son institut et, avec sa soeur, rejoint notre mère institutrice à
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de Caen, de notre même Ordre, laquelle par ce travail admirable de l'Année Bénédictine, qu'elle a fait en six volumes de deux mois le chacun, s'est acquis une renommée immortelle et a grandement orné l'Ordre de Saint Benoît, et a rangé ce miracle de Notre Dame de Benoistevaux parmi les événements les plus remarquables de cette vie qu'elle décrit.
Ce choix étant ainsi fait, ce bon écclésiastique ne pouvant aller lui-même les quérir comme il aurait bien voulu, il y envoya Frère Mathieu, de la Mission, avec de l'argent pour leur voyage.
Ce Frère s'étant rendu dans peu de jours à St Mihiel, apporta par son arrivée bien de la joie à ces pauvres réfugiées se voyant ainsi secourues, mais elle ne leur cause guère moins d'affliction en ce qu'il leur annonça qu'il fallait se séparer ; car celles qui devaient venir ne cessaient de se lamenter, se voyant obligées de quitter ; les autres qui les aimaient uniquement se réjouissant de les voir à la veille de trouver le repos ; elles s'affligeaient aussi de les voir se séparer d'elles. C'était une chose pitoyable qu'entendre leurs gémissements et leurs larmes, de voir les divers mouvements de leurs esprits. De façon que, si Dieu n'eut fait connaitre par avance à Notre Mère, dans la chapelle de Benoistevaux, quelque chose des desseins qu'il avait sur elle l'amenant en France, et qu'elle n'y eût vu qu'elle pourrait par ce moyen secourir ses soeurs, jamais elle ne s'y serait résolue. Mais enfin elle partit avec Soeur Louise de l'Ascension qui lui fut donnée pour compagne, ayant pour conducteur ce vertueux Frère Mathieu. Elles vinrent par le coche à Paris.
Le vingthuitième aout suivant 1642, nos deux religieuses et le bon Frère arrivèrent heureusement à Paris. Mais si tard que, ne pouvant se rendre le même jour à Montmartre, il les mena coucher chez Mademoiselle Legras (10), dans le faubourg Saint Martin, laquelle exerçait volontiers l'hospitalité. Aussi était une personne très sainte
Rouen en 1678. Mère Mectilde emmène les deux soeurs à Paris où elles n'hésitent pas à devenir novices à 60 ans. Elles étaient parentes de la princesse de Mecklenbourg qui aurait désiré les mères de Blémur pour la fondation du monastère érigé sur ses terres de Châtillon-sur-Loing, offertes par elle à mère Mectilde. Mais la fondation n'ayant pu se faire qu'en 1688, les deux soeurs étaient trop âgées pour une maison naissante. La mère de Blémur est morte au monastère de la rue Cassette, le 24 mars 1696. Ses principales oeuvres sont : L'Année Bénédictine ou les Vies des Saints de l'Ordre de St Benoit pour tous les jours de l'année, L. Billaine, Paris 1667, 7 vol. ; Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l'ordre de St Benoit, L. Billaine, Paris 1679, 2 vol. ; Les grandeurs de la Mère de Dieu, L. Billaine, Paris 1681, 2 vol. ; Vie des Saints, tirées des auteurs ecclésiastiques anciens et modernes, L. Billaine, Paris 1689, 4 vol. ; Dom Mabillon a consacré une circulaire à leur vie ; Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, t. III, p. 80 ; Notes historiques sur Châtillonsur-Loing, par Eugène Tonnelier (communiquées par M. l'abbé Verdier).
(10) Louise de Marillac, fille de Louis de Marillac et de Marguerite Camus ou Le Camus (on écrivait indifféremment les deux), naquit le 12 août 1591 à Paris sur la paroisse Saint-Paul. Fondatrice des Filles de la Charité avec Vincent de Paul. Dans Sa vie, par Mgr Baunard, on note ce passage de mère Mectilde et de sa compagne accompagnées de frère Mathieu Renard chez Mlle Legras, le 29 août 1641. Mgr Baunard, Louise de Marillac, de Gigord 1921, p. 277 ; Abelly, op. cit., t. II ; Pierre Coste, Monsieur Vincent, DDB 1932, t. II, 3 vol.
et très renommée pour les grandes oeuvres de piété qu'elle faisait ; et elles en furent reçues avec beaucoup de charité.
Le lendemain matin, le bon Monsieur Guérin les allant voir leur fit saluer Monsieur Vincent, son général, à Saint Lazare, et le même jour les mena à Montmartre, où il ne se peut dire combien elles furent agréablement accueillies par Madame l'Abbesse qui, les regardant comme des personnes que le ciel lui envoyait, tâchait de réparer en tout ce qu'elle pouvait, le désagréable refus qu'elle en avait fait au commencement.
De même toutes ses religieuses à l'envi pour lui plaire en firent autant, ne témoignant pas moins de compassion qu'elle du pitoyable état où elles les voyaient, en façon qu'il y avait presse à qui les assisterait, l'une leur apportant une robe, l'autre une tunique, l'autre un voile, ainsi du reste qu'il leur fallait, si bien qu'elles furent dans peu de temps fort honnêtement équipées, auprès de ce qu'elles étaient à leur arrivée, car elles n'avaient que le pauvre Habit qu'elles portaient sur leur corps, lequel était tout déchiré.
Environ deux mois après leur arrivée, les religieuses de Montmartre s'étant aperçues beaucoup de fois que la Mère Mechtilde, au lieu de manger quand elle était à table au réfectoire, ne faisait autre chose que pleurer, en avertirent leur Abbesse. Et comme elle l'aimait déjà tendrement, elle la manda venir un jour pour apprendre d'elle la cause de ses larmes, lui demandant avec une extrême bonté si c'était qu'on lui eut fait quelque déplaisir dans sa maison, qu'elle le lui dise franchement, qu'elle y mettrait bon ordre, enfin qu'elle lui fit connaître ce qu'il fallait faire pour faire cesser ses pleurs : qu'elle le ferait. Mais Notre Mère Mechtilde, pleurant de nouveau, lui répondit d'une façon très touchante que le sujet de ces larmes était de ce qu'elle était trop bien, ne pouvant manger de tant de mets qu'on lui servait quand elle venait à penser qu'elle était dans l'abondance, et que les Mères du refuge de St Mihiel, ses compagnes, manquaient d'un morceau de pain. Ces paroles animées de l'ardeur d'une charité si parfaite ne manquèrent pas de porter leur effet, puisque cette bonne Abbesse s'en trouvant toute pénétrée lui répliqua : « Allez ma fille, allez leur écrire tout à l'heure de venir incessamment toutes, nous trouverons bien où les loger. A Dieu ne plaise que je les laisse plus longtemps dans cette grande extrémité, et vous dans cette douleur ».
Bien plus, elle-même sans différer d'un moment, étant assistée de ce bon Monsieur Guérin, prit la plume pour écrire à Mesdames les Abbesses de Jouarre (11), d'Almenèches, de Vignas et de la Trinité
(11) L'Abbaye était née en 630 du mouvement colombanien et avait essaimé à Chelles, en 640. A cette époque, l'abbesse en était mère Marguerite de la Trémoille-Rohan, nommée en janvier 1638, décédée en 1655. Elle avait fait reprendre le bréviaire romain et l'habit noir. Jeanne de Lorraine, moniale de Fontevrault, y avait introduit l'habit blanc et le bréviaire de Fontevrault. Pour l'histoire complète de cette abbaye, voir : L'Abbaye Royale de Notre-Dame de Jouarre, P. Lethielleux, Paris 1961.
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de Caen, de notre Ordre, d'en prendre aussi chez elles, les en priant instamment. Ce qu'elles firent après à son exemple. Et cependant Notre Mère Mechtilde ne manqua pas d'écrire de son côté à ses compagnes de venir tout au plus tôt. Toutefois ce ne fut guère qu'environ six semaines après qu'elles arrivèrent à Paris, qui fut la veille de Saint Thomas devant Noël, même année 1642, ayant passé en venant par Jouarre pour y laisser les Mères Scholastique et Marie Gabriel de l'Annonciation, suivant l'ordre qu'elles en avaient reçu.
Ainsi elles n'étaient plus que cinq quand elles arrivèrent à Montmartre pour se joindre à notre Mère Mechtilde et à Soeur Louise de l'Ascension. Ces cinq étaient : la Révérende Mère Bernardine de la Conception, Prieure, les Mères Angélique de la Nativité, Dorothée de Sainte Gertrude, Elisabeth de la Présentation et Anne de Sainte Magdelaine. Elles furent très bien reçues de Madame l'Abbesse et de toute la Communauté, à cause de la bonne opinion qu'on avait déjà conçue d'elles sur les saints déportements de la Mère Mechtilde et de sa compagne, dont elles admiraient la conduite depuis quatre mois qu'elles les avaient parmi elles.
Mais elles n'y demeurèrent en ce nombre que depuis les fêtes de Noël jusqu'aux Rois seulement, s'étant après dispersées en ces autres maisons religieuses dont nous avons parlé, savoir : Mère Anne de Sainte Magdelaine et Angélique de la Nativité, à la Trinité de Caen, Elisabeth de la Présentation à St Cyr avec Dorothée de Sainte Gertrude, et les Mères Bernardine et Mechtilde et Soeur Louise de l'Ascension demeurèrent à Montmartre.
Les deux qui allèrent à Saint Cyr (12) n'y demeurèrent pas longtemps, à cause que l'abstinence des viandes ne s'observant pas en cette maison elles y vivaient en scrupule, si bien qu'elles furent mises depuis à Vignas et à Almenèches en Normandie, où l'on suivait l'observance comme nous dirons tantôt.
Pour les trois qui demeurèrent à Montmartre elles y passèrent un an, qui aurait semblé bien doux à des personnes comme elles, puisqu'elles y vivaient dans les mêmes observances que dans leur monastère de Remberviller, car la Règle se garde très exactement dans cette sainte maison, si le souvenir de leurs Mères de Remberviller qui
(12) Diocèse de Chartres au 'mie siècle, à présent détruit. Se trouvait dans le parc de Versailles (vivarium). Régi par Catherine Desportes, qui avait pris en 1630 l'observance du Val-de-Grâce, elle travailla en vain à établir la réforme. Elle céda le siège abbatial en 1651 à Elisabeth d'Aligre, fille d'Etienne d'Aligre et de Jeanne L'Huillier décédée en 1669. Un manuscrit en partie parallèle à celui-ci :
N 248, a été annoté par Dom Pothier O.S.B., abbé de Saint-Wandrille, Seine-Maritime (décédé le 8 décembre 1923). Quelques notes ne portent pas de références parce qu'il avait fait ce travail pour son propre compte et non en vue d'une édition. L'érudition de Dom Pothier ne pouvant être mise en doute nous avons cru pouvoir utiliser ses notes telles quelles. Il n'est pas impossible qu'il ait relevé ses renseignemnts dans la Gaina Christiana car il cite expressément cet ouvrage en plusieurs cas ; ainsi que du Révérend Père Le Lasseur S.J. (1814-1881) le dictionnaire ecclésiastique du xviie et xvine siècles, manuscrit non édité. (Cet ouvrage sera désormais désigné sous le nom : Le Lasseur).
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étaient dans la souffrance et dans le péril n'eût traversé leur repos. Elles n'en témoignaient rien, parce qu'elles voyaient bien qu'on ne pouvait plus apporter d'autres remèdes à leurs maux. Mais soit ce déplaisir secret, soit le changement d'air et de climat, ou qu'elles trouvassent dans le repos ce qu'elles avaient amassé dans la misère, la Mère Mechtilde fut saisie d'une fièvre lente, accompagnée d'un flux lianthérique très fâcheux, et d'une fluxion sur la poitrine qui la faisait tousser quelquefois si violemment et si continuellement qu'elle en demeurait pâmée. Toutefois elle ne voulut point s'aliter ; au contraire, dissimulant le plus qu'elle pouvait son mal, elle suivait toutes les observances, et cela le rengrégeait, faisant même qu'on n'y prenait pas assez garde pour y apporter les remèdes qu'il fallait. D'où il arriva encore que l'on ne s'opposa point assez, lorsqu'elle parla d'aller à Caen, quérir la Mère Angélique qui le désirait, pour la placer ailleurs, à cause qu'étant malade du poumon, l'air de la mer dont Caen est proche l'altérait par sa salure et subtilité.
Si bien qu'après en avoir eu congé de Madame de Montmartre, elle partit pour Caen avec les deux qui étaient revenues de Saint Cyr, pour les laisser en revenant à Vignas et à Almenèches. Ce congé ne fut pourtant fort facile à obtenir, parce que Madame l'Abbesse avait conçu pour Notre Mère tant d'estime et tant de confiance qu'elle avait grand peur de la perdre. Elle voulait l'associer et la Révérende Mère Bernardine, leur faisant mille caresses à cet effet, si bien que, comme si elle eut prophétisé qu'elle ne reviendrait plus, comme il arriva, elle avait de la peine à se résoudre de la laisser sortir. Se rendant enfin sur ce que la Révérende Mère Bernardine lui demeurerait, se figurant qu'elle obligerait toujours la Mère Mechtilde de revenir ; sur cette pensée le congé fut obtenu. Prenant son chemin droit à Caen avec ses deux compagnes, partit par le coche, le jour [de] St Laurent, dixième d'aout mil six cent quarante trois, après avoir demeuré un an à Montmartre.
Elles arrivèrent à Caen (13) la veille de Notre Dame, et y furent si bien reçues par Madame l'Abbesse qui était Madame Laurence de Budos (14), de sorte qu'elle surpassa Madame de Montmartre en ce
(13) L'Abbaye de la Sainte-Trinité de Caen avait été fondée par la princesse Mathilde de Flandre, femme de Guillaume, duc de Normandie. La première abbesse en avait été Mathilde, de la famille royale de Normandie. Une première dédicace est faite le 18 juin 1066. L'église n'est terminée que vers 1130. Elle sert actuellement, en partie, d'église paroissiale. C'est peut-être en cette abbaye que mère Mectilde connut Jean Eudes pour qui l'abbesse avait la plus grande vénération. Lors d'une peste célèbre en la ville de Caen, le Père Eudes couchait dans un tonneau au milieu des champs pour ne pas risquer de contaminer ses collègues ; car il soignait les pestiférés sans aucun ménagement. C'est Mme de Budos qui lui faisait porter chaque jour sa nourriture dans ce « logement » tout spartiate. de Blémur, Eloges, t. II.
(14) Mme Laurence de Budos de Porte, fille du vicomte des Portes et de Catherine de Clermont de Montoison et soeur du marquis des Portes, vice-amiral de France. Née en 1585, elle avait été moniale de Chelles. Nommée à Caen en 1599, instituée en 1603. Elle établit des statuts en 1623 approuvés par le Cardinal Barberini en 1625. Elle resta abbesse 48 ans et mourut le Z3 juin 1650. Elle était tante maternelle des Bourbon et des Montmorency. Le Lasseur, op cit. ; La Chenaye, Dict. de la noblesse, t. IV, fol. 472.
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qu'elle ajouta, à toutes ses marques de bonté, la cérémome et la magnificence, les faisant toujours manger avec elle en une table à part, son dessein étant de gagner le coeur de Notre Mère pour en faire sa Prieure, et se reposer sur elle de tout le spirituel de son abbaye. Mais elle ne put la retenir plus longtemps que trois semaines, quelques instances qu'elle lui en fit, parce que Notre Mère fuyait les honneurs partout. Néanmoins, quoiqu'elle parût fâchée de ce refus, elle eut bien la charité lui prêter son carosse pour la mener à Vignas, et lui donner de l'argent pour son desfray par les chemins ; de plus, de garder encore la Mère Anne de Sainte Magdelaine.
Ainsi Notre Mère partit, emmenant avec elle la malade et les deux autres religieuses qu'elle avait menées pour les placer ailleurs.
A l'Abbaye de Vignas (15) il en arriva tout de même qu'à Caen. Madame l'Abbesse qui se nommait Anne de Médavy de Grancey, ne savait quelle bonne réception faire à notre Mère Mechtilde, tant elle avait d'empressement de la voir et de désir de la posséder. Il se peut dire même qu'elle l'emporta encore sur les deux autres Abbesses, en ce qu'elle paraissait avoir une certaine ouverture de coeur plus grande et tout à fait obligeante pour elle. Mais elle ne la garda guère plus, pour cette première fois, que Madame de la Trinité de Caen, parce qu'il fallut que Notre Mère se rendit au plus tôt à Almenèches (16) mener l'une des deux qu'elle avait amenées de St Cyr, et chercher aux environs quelque endroit propre à placer sa malade pour lui faire changer d'air. Il est vrai que, pour l'engager à revenir, cette Abbesse lui bailla son carosse, avec ordre à ses gens de ne la point laisser mais la ramener.
(15) Le château des comtes de Bélesmes, près Falaise, vit se fonder au mi. siècle au plus tard, une abbaye sur ses terres. Elle relevait primitivement de Saint-Sulpice de Rennes. Mme Louise de Médavy, abbesse d'Almenèches, était prieure de Vignats. Elle céda son titre de prieure de Vignats à sa soeur, Arme de Médavy, qui était moniale d'Almenèches, en 1617. Celle-ci remit en ordre le temporel, rebâtit l'église, augmenta le nombre des religieuses et fit les mêmes réformes qu'à Almenèches. Le prieuré fut érigé en abbaye en 1625. Elle mourut le 24 janvier 1655, à 55 ans. Sa nièce Marie-Françoise de Médavy, fille du Maréchal de Grancey lui succéda. De ses sept soeurs, cinq furent abbesses dont Marie-Louise et Marie-Magdeleine à Almenèches. Médavy est sur l'Orne, entre Argentan et Séez, près d'Almenèche (Orne).
(16) Près d'Argentan, sur l'Orne, diocèse de Séez. Cette abbaye avait été fondée par saint Evroult vers 700. Détruite par les Normands, elle est donnée par Richard II, duc de Normandie, à l'Abbaye de Fécamp qui rétablit la vie monastique à Almenèches en 1026. En 1508, le monastère brûla complètement, en 1534, l'abbesse Louise de Silly, entreprit de rebâtir l'église et les clôtures. Les guerres de religion ralentirent les travaux qui ne se terminèrent qu'au xvIIc siècle. En 1623, les moniales fondaient à Argentan un prieuré où toute la communauté se regroupa en 1736. Tous les bâtiments abbatiaux d'Almenèches ont été détruits par la Révolution. Reformée à Vimoutiers en 1822, la communauté rentre à Argentan en 1930. De nouveau détruite par la guerre en 1944, l'Abbaye est reconstruite en bordure de la ville.
Louise de Médavy, fille du baron de Médavy et de Charlotte de Hautemer, abbesse en 1598 à 5 ans ; réforma son monastère avec l'aide de trois moniales de la Trinité de Poitiers, transféra son monastère à Argentan pour aider à le réformer. Sa nièce fut abbesse de 1652 à 1674 : Marie-Louise de Médavy (soeur de Marie-Françoise de Médavy de Grancey, abbesse de Vignats et de Scholastique de Médavy de Grancey, abbesse de Verneuil-surAvre). Dom Oury o.s.b.
Elle alla donc à Almenesches où elle ne fut pas moins bien reçue de l'Abbesse qui était soeur de celle de Vignas, de la même maison de Médavy. Mais elle n'y demeura que trois ou quatre jours, à cause des engagements qu'elle avait de s'en retourner auprès de Madame de Vignas de qui elle avait l'équipage. Si bien qu'après y avoir laissé en partant, l'une des deux religieuses revenues de St Cyr elle s'en retourna à Vignas, où ensuite elle fit un séjour d'environ six semaines, pendant lesquelles Madame d'Almenèches ne manqua pas de la réclamer souvent, se formalisant beaucoup de ce qu'elle y demeurait si longtemps ayant été si peu chez elle, ce qu'elle réputait à affront, en façon que ces deux soeurs pensèrent en demeurer brouillées.
Mais la jalousie cessa après quelques jours, quand elle apprit que Madame de Vignas avait elle-même été contrainte de céder aux très instantes prières de Notre Mère de la laisser en aller, car elle ne voulut point absolument arrêter en pas une de ces abbayes, quelque offre qu'on lui en fit, à cause que la maladie de Mère Angélique se pouvait communiquer. Toutefois pour satisfaire en quelque façon cette Abbesse en la quittant ainsi contre son gré, elle fit arrêter une maison dans un bourg proche de Vignas qui se nomme Bretteville (17) très chétive et misérable comme nous dirons bientôt, sans qu'elle eut le temps d'aller elle-même reconnaître le lieu, lui ayant suffi qu'on l'avait assurée que l'air y était extrêmement bon, et qu'elles seraient passablement bien du reste ; ce qui se trouva très faux.
Auparavant que de partir de Vignas elle fut obligée de faire une petite course jusqu'à deux lieues de là, y visiter une maison qu'on lui proposait pour s'y établir en hospice. Et comme pour y aller il fallait passer tout contre l'Abbaye de Villars Canivet (18), Notre Mère se crut obligée d'aller saluer en passant l'Abbesse de ce lieu qui se nommait Madame Louise de Mauger, laquelle en reçut une joie tout à fait extraordinaire, parce qu'elle en avait fort ouï parler, ayant grande ardeur pour la voir. Elle ne fut point si retenue que Madame d'Almenèsches puisque la tenant, elle ne voulut point la laisser aller si tôt. Au contraire elle se résolut de la garder de gré ou de force, le plus de temps qu'elle pouvait ainsi, sans se mettre en peine de ce qu'en dirait Madame l'Abbesse de Vignas.
(17) Il y a plusieurs bourgs de ce nom au diocèse de Bayeux. Celui de Mère Mectilde doit être Bretteville-sur-Laize (Calvados) à moitié chemin de Caen à Falaise, près de la forêt de Cinglais au bord de laquelle se trouvait Barbery, chef-lieu de canton.
(18) Ou Villers-Canivet, près de Falaise (Calvados). De la Congrégation de Savigny en 1127 par Roger de Montbray. Cisterciennes en 1147. La Gallia dit que l'abbesse était Louise de Maurey, nièce et coadjutrice de Hélène de la Moricière qui y avait rétabli la discipline. Mais ne serait-ce pas Louise de Mauger (famille normande connue). Nos manuscrits portent tantôt Maurey, tantôt Mauger. C'est elle qui reçut mère Mectilde. Marguerite Bernardine Le Bourgeois lui succéda 1647-1669. Le Lasseur, op. cit.
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Elle lui renvoya sans compliment son carosse avec tous ses gens qui l'avaient accompagnée, ne leur disant autre chose, sinon qu'elle la ferait ramener, sans qu'il fut nécessaire qu'ils revinssent la quérir. Mais la chose ne se passa pas sans bruit, car Madame de Vignas se prétendant offensée d'un procédé qui paraissait si hautain, renvoya dès le lendemain son carosse pour la ramener à quelque prix que ce fût. Néanmoins il fut encore renvoyé par Madame de Villars qui se cachait pour le faire de Notre Mère, de peur qu'elle n'y voulut consentir. Et Madame de Vignas se piquant au jeu de plus fort, renvoya de nouveau son carosse accompagné de bien plus de monde qu'auparavant, avec ordre à tous ses gens de ne point revenir qu'ils ne l'amenassent avec eux ; que pour cela ils se cachassent plutôt proche de l'Abbaye de Villars pour épier le temps qu'elles iraient à la promenade hors le monastère — car c'était une abbaye dans les champs — et l'enlevassent de force si les religieuses ne la voulaient pas laisser aller de gré. Ils se cachèrent ainsi qu'il leur était ordonné, mais ils ne surent si bien faire qu'ils ne fussent aperçus de l'abbaye, étant assez difficile qu'un carosse et bien des gens ne fussent découverts dans les champs, de sorte que Madame de Villars en étant aussitôt avertie, ne pensa qu'au moyen de les en faire retourner vide comme auparavant. De peur que Notre Mère Mechtilde ne le voulut pas souffrir, elle trouva l'invention de l'enfermer dans sa chambre sans qu'elle s'en aperçut, se saisissant de la clé, afin qu'elle ne put rien découvrir de tout ce qui se passait à son sujet, jusqu'à ce que le carosse fût parti, comme il fut bien contraint de le faire après avoir guetté en vain tout un jour.
A cette troisième fois, Madame de Vignas, qui ne manqua point de s'offenser, écrivit une lettre très piquante à Madame de Villars qui se choqua terriblement. Les choses prenaient un train à avoir de fâcheuses suites si celle qui était l'innocente cause de ce désordre n'eût tâché de les rapatrier ; pour ce sujet elle fit de fortes instances pour obtenir son congé, ce que Madame de Villars ne lui pouvait plus refuser. Elle retourna à Vignas d'où elle partit bientôt, après être venue heureusement à bout de réconcilier ces deux Abbesses, et amena avec elle sa malade à Bretteville.
Notre chère Mère se vit libre à la fin et maitresse d'elle-même. La précipitation qu'elle avait apportée pour s'acquérir cette liberté en se dépétrant des empressements de ces Abbesses qui lui étaient fort à charge, fut cause qu'elle ne se donna pas le temps d'aller elle-même à Bretteville pour voir à leur accommodement. Car comme elle avait bien reconnu que toutes ces caresses ne lui étaient faites que pour le dessein que les unes et les autres avaient de la gagner, de même que l'avait prétendu Madame l'Abbesse de Caen, pour en faire leur Prieure, et lui remettre entièrement le soin du spirituel de leur maison, qui était la cause de tant de contestations entre elles, voulant l'éviter à quelque prix que ce fut, si bien qu'elle rencontra dans ce chétif bourg des incommodités si étranges qu'elle n'aurait jamais pu se l'imaginer, car la maison qu'on leur avait arrêtée n'était qu'une méchante chaumine, ouverte de toutes parts, sans meubles aucuns, ni autres commodités que celle d'un four qu'il y avait dans ce trou de maison, dans lequel elles firent leur garde-robe pour serrer leurs hardes, leur garde manger et leur cuisine, y faisant cuire si peu qu'elles avaient à manger.
Mais comme il ne pouvait pas leur servir de lit et qu'il n'y en avait point, ni choses aucunes pour en faire, elles furent réduites à
telle extrémité que, pour se coucher, elles arrangèrent les bûches en forme de couche — qu'elles avaient ramassées — sur lesquelles elles étendirent un peu de paille pour y prendre leur repos ; bien plus en danger sans doute d'y geler que brûler, car il faisait déjà froid les nuits. Cependant elles n'avaient aucune couverture, ni choses aucunes pour se couvrir. Ce lit était encore très étroit pour les trois. Il fallait que Notre Mère et une séculière de son pays qui les était venue joindre à Caen, se couchassent tour à tour, la malade étant si mal que, quelque mauvais que fut ce lit, elle ne se levait point du tout, ne pouvant se soutenir. Ainsi quand l'une se levait l'autre se couchait. C'était le repos qu'elles prenaient.
Cette incommodité ne leur était rien en comparaison de la frayeur continuelle où elles étaient de se noyer. Pour comble de maux cette chétive maison était bâtie sur le bord d'un ruisseau fort sujet à déborder aux moindres pluies, ce qui arrivait souvent, particulièrement les nuits, et inondait tout ce qui se trouvait sur les bords. De quoi les habitants du lieu les avertirent, sans leur donner d'autre remède que leur présenter la clé de l'église qui n'en n'était pas bien éloignée, pour s'y sauver au cas qu'elles vissent venir l'eau. Ainsi il fallait qu'il y en veillât toujours une pour se garder d'être surprise.
Il est vrai qu'elles ne demeurèrent que quinze jours en cet état, parce que ces trois dernières Abbesses en ayant eu connaissance, envoyèrent promptement, à l'envi l'une de l'autre, les quérir. Mais Notre Mère les remercia toutes trois pour ne plus se rengager dans des embarras pareils à ceux où elle s'était trouvée, et préféra les offres d'un très vertueux gentilhomme nommé Monsieur de Torp (19), père de Madame la comtesse de Mongommery, qui se présenta pour les assister. Il vint les prendre dans son carosse, et les mena dans le bourg de Barberie, assez proche de celui de Bretteville, mais beaucoup meilleur que celui-là, où il les logea très bien, et les assista lui-même de tout ce qu'elles eurent besoin le temps qu'elles y demeurèrent ; leur procurant de plus la connaissance de Monsieur l'Abbé de
(19) Ou de Torpes. Sans doute descendant de Claude de Saulx (des Saulx Tavannes) Seigneur de Ventoux et de Torpes et de Chrétienne de Vergy qui vivaient en 1552-1558. Ils eurent pour fils : Pierre de Saulx et Gaspard, vivant en 1570. Ils étaient alliés aux Lenoncourt, famille Lorraine, par Henriette de Saulx, leur soeur, qui épousa en 1570, Claude de Lenoncourt seigneur de Loches. Le Lasseur, P. Anselme, Histoire Généalogique de la Maison de France ; Abbé G.-A. Simon, Dom Louis Quinet, Abbé de Barbery (1595-1665), L. Jouan et R. Bigot, éd. Caen 1927.
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Barberie (20), Seigneur du lieu, personne d'une très grande piété et d'un savoir qui n'était pas moindre.
Il leur donna de même la connaissance de Monsieur de Bernières (21), Trésorier de France à Caen, lequel était fort renommé pour sa sainte vie, et l'a été davantage après sa mort, à cause de cet excellent livre : « Le Chrétien intérieur » qu'on a publié depuis, ce qui l'a encore mieux fait connaitre — pour être un recueil des lumières de son oraison faite pendant sa vie — par les soins de ses Directeurs qui lui avaient commandé de les donner par écrit.
Ces trois grands serviteurs de Dieu se lièrent d'une si étroite amitié avec Notre Mère, par les rapports qui se trouvèrent à leur grâce, qu'il n'y a eu que leur mort qui y ait pu mettre fin. Si bien qu'ils n'eurent garde de les laisser avoir aucun besoin. Mais si elles n'eurent plus de pauvreté à souffrir, les maladies en échange recommencèrent à les attaquer. Le mal de la Mère Angélique de la Nativité s'étant tellement empiré par les mésaises qu'elle avait soufferts à Bretteville, qu'elle fut condamnée des médecins et reçut l'extrême onction. Elle en revint avec le secours de Dieu.
(20) Barbery, situé sur la route de Caen à Falaise, près du village de Bretteville, était une abbaye cistercienne. En 1641, l'abbé en était Dom Louis Quinet, religieux, jeune encore et de grande piété. Vers 1620, il avait joué un rôle important dans les incidents qui avaient agité l'abbaye de Maubuisson dont il était confesseur. Cette abbaye avait été réformée par la mère Angélique Arnauld 1618-1622 (qui avait succédé à la soeur de la trop fameuse Gabrielle d'Estrée ; laquelle jugeait scandaleuse la conduite de sa soeur abbesse, ce qui est tout dire) à laquelle avait succédé la mère Marie des Anges Suireau venant elle aussi de Port-Royal. Jeanne de Chantal et François de Sales exercèrent une influence apaisante et pleine de mesure à Maubuisson. Dom Quinet avait dû lui aussi s'élever contre les vues trop strictement ascétiques des abbesses. Il s'était fait le champion d'une spiritualité à caractère plus mystique. En 1614, Dom Quinet avait été nommé Prieur de l'abbaye de Royaumont. Il mit tous ses soins à former lui-même ses novices et, sous son supériorat, l'abbaye, bien que souffrant du fait de son abbé commendataire Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, vit peu à peu refleurir les vertus monastiques. Un hôte de marque venait souvent à Royaumont : le Cardinal de Richelieu. Il choisit Dom Quinet pour confesseur. Le 14 août 1639, Dom L. Quinet recevait la bénédiction abbatiale et devenait abbé de Barbery. Ce grand moine mériterait d'être mieux connu. Abbé Simon, op. cit.
(21) Né en 1602 à Caen, du baron de Bernières, maire de Caen, et de Mme de Lion-Roger. Ses parents sont d'une piété exemplaire. Trésorier général à Caen, il entre dans la Compagme du Saint-Sacrement dont il devient le chef incontesté dans sa province. D'une activité et d'une charité inlassables, toutes les oeuvres charitables font appel à son zèle et à son expérience. Il soutient les missions de Chine, du Canada, en particulier mère Marie de l'Incarnation qui fondera le premier monastère d'Ursulines à Québec. (Son fils Dom Claude Martin O.S.B. a été un familier du monastère de mère Mectilde, rue Cassette). Jean de Bernières est une âme mystique. Il ouvre à Caen une maison de retraite pour laïcs « L'Ermitage ». Tant qu'il en assurera la direction, on y gardera la discrétion et la mesure. Il est l'ami et le conseiller de bien des spirituels de son temps : J. Eudes, M. Boudon, par exemple. Homme d'une simplicité admirable, il a beaucoup soutenu mère Mectilde dans la fondation ch, notre Institut et la conseille après la mort du Père Jean-Chrysostome de Saint-Lo, capucin.
Jean de Bernières-Louvigny, meurt à Caen le 3 mai 1659. Le livre qui réunit ses écrits : « Le Chrétien Intérieur », n'a été publié qu'après sa mort, par le Père Louis-François d'Argentan, capucin. Ce livre a été mis à l'Index dans sa traduction italienne en 1689. Actuellement les historiens imputent au Père d'Argentan plus qu'à Bernières, certaines imprécisions et outrances de langage
Elle ne fut pas si tôt convalescente que Notre Mère Mechtilde s'alita d'une grande fièvre continue, causée sans doute par les mêmes
mésaises passés, et peut-être encore par la peine qu'elle avait prise à servir la Mère Angélique lors de sa maladie. Celle-ci qui ne se sentait pas assez forte pour lui rendre les mêmes soins écrivit promptement à Montmartre pour avertir Notre Révérende Mère Bernardine de venir à son secours. En effet elle s'y disposa aussitôt ; mais il fut très difficile d'obtenir son congé de Madame de Montmartre qui commença de soupçonner tout de bon qu'il y avait en cela quelque déguisement, et que tous ces bruits ne se faisaient que pour avoir un prétexte de se tirer de chez elle de même que sa compagne ; que, si elle s'en allait, la Mère Mechtilde ne reviendrait plus. Ainsi elle résista fortement, disant que la Sainte Vierge les ayant amenées par un miracle chez elle, si elles venaient à quitter sa maison elles emporteraient tout le bonheur ; et c'était pour cela même qu'elle avait un extrême désir de les associer.
Enfin, pressée des torrents de larmes de la Révérende Mère Bernardine, à quoi se mêlait encore l'amour qu'elle conservait pour la malade, elle consentit à ce départ qui fut quelques jours avant Noël en l'année 1643, l'an révolu de son séjour à Montmartre ; emmenant pour sa compagne Mère Louise de l'Ascension.
Ce fut de cette sorte qu'il ne resta plus du tout de nos Mères en cette célèbre abbaye. De quoi généralement toutes les religieuses ont toujours depuis témoigné et témoignent encore de la douleur, se plaignant que Madame leur Abbesse ne devait jamais consentir à leur sortie, mais les garder à quel prix que ce fut.
Notre Mère Bernardine se rendit en diligence à Barberie. Sitôt
qu'elle fut arrivée elle mit si bon ordre à faire traiter la pauvre mou-
rante que ses soins, ou la grande joie qu'elle eut de la revoir, la remit
sur pied en moins d'un mois ; non pour être entièrement quitte, car la fièvre lente, sa toux et sa lianterie ne la quittèrent point et ne l'ont fait de plus de vingt années après. Mais ne laissant pas d'agir comme auparavant ce surcroit de maladie, si bien qu'elle se trouva en état de partir pour Paris quand elles en reçurent l'avis du Père Bonne-fond (22), Jésuite, qui les avait connues à Montmartre. — Il les
qui ont motivé ce décret. La cause la plus sérieuse, au dire de Brémond, en est la violente réaction antiquiétiste de la fin du xvir.
Nos archives possédent 145 lettres de mère Mectilde à Bernières.
Brémond, op. cit., VI, p. 229 et suiv. ; Maurice Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVII. siècle. — Rebelliau, La Compagme secrète du Saint-Sacrement, H. Champion 1908. — M. D. Poinsenet, 0.P., France religieuse au XVII. siècle, Castermann, Paris 1952. — Heurtevent, L'ceuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchêne, Paris 1938. — R. P. du Chesnay, in « Notre Vie», juillet-août 1952. — Revue d'Histoire de l'Eglise, La Doctrine spirituelle de Jean de Bernières et le quiétisme, 1940, t. 36, p. 19 à 30 ; D. S., fascicule V. col. 1301-1311 et 1522.
(22) Le Père Amable Bonnefond, né à Riom en Auvergne, entra dans la Compagme de Jésus en 1618, à 18 ans. Il s'occupa de l'éducation chrétienne et composa une multitude de livres spirituels qui ont eu cours en leur temps. Il vécut longtemps dans la maison professe, à Paris, et y mourut le 19 mars 1653. Bibliot. des Ecrivains de la Compagme de Jésus, 1" série, I, p. 109, col. 1853, VII, p. 123.
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aimait extrêmement — leur ayant trouvé une maison où elles seraient très bien. Ce qui obligea ces deux Mères de s'y rendre en diligence pour examiner de près ce que c'était de cette proposition, car leurs amis et amies de Paris n'avaient cessé pendant leur absence de songer à les établir quelque part où elles puissent vivre toutes ensemble, sans aller mendier, ainsi dispersées, leur pauvre vie dans des maisons différentes. D'où vint que la Mère Sainte Marguerite de Meaux, religieuse de Montmartre, avait disposé Mademoiselle de Villiers, sa mère, de leur prêter gratuitement, et leur donner même en pur don si elles voulaient s'établir tout à fait, une fort jolie maison qu'elle avait dans le bourg de St Maur des Fossés, aux portes de Paris, qui était celle-là même dont le Père Bonnefond écrivait. Et lui, de son côté, avait donné ordre aux meubles et à tout le reste de sorte que nos religieuses ne pouvaient qu'y être fort bien.
Mais comme l'on proposait aussi de les établir à Barberie, elles jugèrent à propos de ne pas quitter toutes à la fois ce lieu-là, qu'elles ne vissent auparavant lequel des deux partis vaudrait le mieux. Ce fut pourquoi elles y laissèrent les Mères Angélique et Louise de l'Ascension avec la séculière ; et elles deux s'en allèrent prendre le coche de Paris à Caen, où Monsieur de Torp les mena dans son carosse, leur faisant paraitre partout une amitié de vrai père, le leur témoignant encore en effet en cette occasion, ne les laissant partir sans les bien pourvoir d'argent, non seulement pour les frais de leur voyage, mais aussi pour leur subsistance de quelque temps à Paris, en attendant qu'elles pussent voir ce que deviendrait cette proposition de Saint Maur. Il versa même beaucoup de larmes quand elles lui dirent à Dieu.
Elles arrivèrent à Paris au commencement de juillet mil six cent quarante quatre, et s'en allèrent loger chez des personnes d'honneur que le R. Père Bonnefond leur avait adressées, où elles demeurèrent environ quinze jours, pendant lesquels elles eurent tout loisir d'aller à Saint Maur visiter cette maison qu'elles trouvèrent bien commode, et d'examiner à fond tout ce qui se pouvait espérer de cette proposition. Ayant reconnu qu'elle leur était plus avantageuse que tout ce qu'on leur pourrait procurer du côté de Barberie, quand ce n'eût été que pour la considération de se tenir proche de Paris, qu'elles voyaient être le lieu de grandes ressources ; aussi, sans plus différer, elles s'y rangèrent en peu de jours, et mandèrent venir bientôt leurs compagnes de Barberie et de toutes les abbayes. Si bien qu'elles se trouvèrent dans peu, à Saint Maur, les mêmes qu'elles étaient au refuge de St Mihiel, la séculière de plus, bénissant Dieu en pleurant de joie de se revoir ainsi heureusement rassemblées après avoir été si ballotées et couru de si différentes fortunes pendant deux années.
Dans cet hospice de St Maur elles y passèrent trois ans, avec plus de repos et commodités qu'elles n'eussent osé s'en promettre de leur fortune présente, étant comme nous venons de dire, très agréablement logées, dans un air très pur et très sain, ne manquant de rien pour le vivre, non plus que pour leurs autres besoins, par les grandes assistances qu'elles recevaient de plusieurs endroits, mais principalement par la protection de Madame la princesse Marguerite de Montmorency (23) qui était dame de ce lieu, et qui, par dessus les aumônes qu'elle leur faisait elle-même voulait encore bien faire des quêtes pour elles aussitôt qu'elle prévoyait qu'elles pouvaient être dans le besoin.
Elle était assistée de Madame de la Meilleraye, Abbesse de Chelles (24), qui leur envoyait régulièrement toutes les semaines, quelque temps qu'il fit, autant de pain et de poisson qu'elles en pouvaient manger.
Madame de Montmartre, après quelque froideur parce qu'elles n'avaient pas voulu retourner chez elle leur envoyait du secours ; à quoi étaient ajoutées d'autres aumônes de plusieurs personnes de Paris, en sorte qu'elles-mêmes, de si pauvres qu'elles étaient, devinrent bientôt en état d'assister considérablement leur maison de Remberviller qu'elles regardaient toujours comme leur chef et maison principale.
Mais à la fin de ces trois ans, il arriva que notre Révérende Mère Bernardine, Prieure de Remberviller, fut obligée de s'en retourner, avec la Mère de Sainte Magdeleine, pour la vêture de quelques filles qui demandaient d'y prendre l'Habit. Car, comme nous venons de dire, le secours que nos réfugiées leur donnait, avec ce que la guerre avait un peu cessé en leur quartier, faisait qu'elles se remettaient peu à peu.
Notre Mère Mechtilde du Saint Sacrement ne tarda pas longtemps après elles de partir pour Caen, où elle se trouvait appelée par Madame la marquise de Mouy (25), pour établir la réforme et la
(23) Marguerite Alexandrine de Ligne, fille de Philippe de Ligne, prince d'Aremberg et du Saint-Empire, et de Claire-Isabelle de Barlaymont, épousa Eugène de Montmorency, prince de Robecque, en 1649 et mourut en 1651.
(24) Madeleine de la Porte de la Meilleraie, fille de Charles de la Meilleraie et de Claude Champlais de Courcelles, de la famille de Lusignan (Soeur du Duc, Maréchal de France), était cousine germaine de Richelieu. Née dans le protestantisme, convertie par les exhortations de Richelieu, elle était entrée d'abord chez les Bénédictines du Calvaire. Nommée Abbesse de Saint-Jean-aux-Bois en Picardie, puis de Chelles en 1629. Elle mit son abbaye sous la direction des moines de la Congrégation de Saint Maur. Elle avait une très grande dévotion au Saint-Sacrement et obtint de l'archevêque de Paris l'autorisation de le faire exposer tous les jeudis et d'en faire l'office quand ce jour ne serait pas occupé par une fête double, ce qui était une innovation liturgique. La plupart des Conciles provinciaux interdisaient même les saluts du Saint-Sacrement en dehors des très grandes fêtes. Blémur, II, p. 400. — Dom Paul Denis, Le Cardinal de Richelieu et la réforme des monastères bénédictins, H. Champion, Paris 1913, p. 178 et suiv.
(25) Madeleine de Moges, veuve du marquis de Mouy, seigneur de la Meilleraye, chambellan de Gaston d'Orléans et Officier des armées de Louis XIII. Les de Mouy étaient issus des ducs de Mercœur. Henri I de Lorraine, comte de Chaligny, marquis de Mouy (fils de Nicolas de Lorraine, duc de Mercœur) avant épousé Claude de Mouy le ler septembre 1585, fille unique du marquis de Mouy et veuve en premières noces de Georges de Joyeuse. Madeleine de Mogés
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paix dans un monastère de l'Ordre qui se nommait Notre Dame de Bon Secours, que cette dame avait fondé depuis environ trente ans. Et Notre Mère n'ayant pu se défendre d'y aller, quelque résistance qu'elle y eut faite pendant plus de dix huit mois, parce que les Directeurs de sa conscience et ses bons Messieurs de Normandie ses plus chers et fidèles amis — l'exigèrent absolument d'elle. Ce qu'il leur semblait — comme en effet cela se trouva — que cette oeuvre serait grandement à la gloire de Dieu et à l'édification de tout l'Ordre de Saint Benoit, si bien qu'elle s'y en alla, accompagnée de la Mère Dorothée de Sainte Gertrude, et par ce moyen ne restèrent plus que cinq au refuge de St Maur, dont la Mère Angélique de la Nativité demeurant Supérieure, comme étant la plus ancienne des cinq.
Mais nous ne devons point finir cet article sans faire mention que les deux premières années que Notre Mère Mechtilde demeura dans ce lieu de St Maur, elle eut pour directeur de sa conscience ce grand contemplatif et très austère pénitent, Père Jean Chrysostome, du tiers-ordre de Saint François (26), qui a vécu dans l'estime d'une très haute sainteté, lequel était lors Prieur à leur couvent de Nazareth dans Paris. Mais au bout de ce temps-là il mourut, ayant toujours fait un état fort particulier d'elle, et ne se pouvait lasser de s'entretenir de la vie intérieure qu'il trouvait qu'elle entendait mieux qu'aucune personne qu'il eut vue. Aussi avait-il accoutumé de dire, quand il venait de la voir, qu'il venait d'un petit lieu où il se rencon-
trait plus de spiritualité renfermée qu'il n'y en avait dans toute la grande ville de Paris.
Suivons le fil de notre discours, et disons que cette bonne marquise de Mouy et une partie de sa communauté ne manqua pas de recevoir notre Mère Mechtilde avec une joie et empressement extrême ; mais comme le détail de cet événement n'appartient point à ce narré, il suffira de dire qu'elle y demeura trois années entières, qu'elle y établit la réforme solidement, qu'elle y réunit parfaitement les esprits, et que sa vertu l'avait fait respecter et aimer de telle sorte que quand il fallut qu'elle partit, toutes également criaient les hauts cris, pleurant amèrement. Et comme malgré leur résistance étant sur le point de sortir, elles s'allèrent toutes coucher de leur long par terre devant la porte de clôture, se rangeant les unes auprès des autres, plus de trente qu'elles étaient, afin de couvrir tous les lieux par où il fallait qu'elle passât pour, disaient-elles en pleurant, que du moins si elle sortait, il lui fut reproché d'avoir été inhumaine pour avoir marché sur le corps de ses soeurs pour s'ouvrir le chemin à les quitter. On eut bien de la peine à les faire relever.
L'affliction de cette marquise fut incomparable sur toutes les autres, puisqu'elle en fut malade à la mort, par des accidents les plus extrêmes du monde, qui ne lui étaient causés que par l'excès de sa douleur de ne pouvoir retenir cette Mère quelque offre qu'elle lui eusse faite : soit de la rendre Supérieure perpétuelle pour sa vie, soit de lui donner telle pension qu'elle voudrait, en sorte que, comme ses religieuses de Remberviller l'avaient souvent répété pendant ces trois ans, à chaque fois qu'elles la demandaient, elle leur avait fait des présents assez considérables pour les apaiser, puisqu'ils se montent à plus de 400 écus droits, pour les 3 ans qu'elle y demeura.
Mais avec tout cela nos Mères de Remberviller ne voulurent plus consentir de la laisser, ne faisant point état de l'argent auprès du bonheur de la posséder, l'élurent pour Prieure afin que l'on ne put plus éviter de la leur rendre. Si bien qu'il fut force de la leur rendre aussitôt qu'elle eut achevé son triennal à Caen. Elle partit pour Remberviller ensuite de son élection (27).
Elle ne fut pas arrivée que, comme si Dieu se fut courrouçé de ce qu'elle quittait la France où il l'avait appelée, la guerre se ralluma plus fort que jamais en ce quartier, et les premières misères y recommencèrent, sans doute — comme nous verrons — pour les chasser de nouveau. Et ces mêmes religieuses qui l'avaient si ardemment demandée furent les premières à la prier de s'en retourner à l'hospice de Paris, et d'emmener avec elle les plus jeunes, comme celles qui étaient le plus en danger dans un temps si malheureux. La même chose lui fut commandée par Monsieur Midot, grand'vicaire
avait fondé en 1639 un monastère à Pont-l'Evêque, sous le vocable de Notre-Dame de Bon-Secours, avec quatre religieuses venant de l'abbaye bénédictine de Montivilliers. Elle espérait y prendre l'habit si sa santé le lui avait permis. Les troubles de la Fronde, la mauvaise situation du lieu, portèrent la marquise à transférer son abbaye à Caen, rue de Geole, en 1644. Les lettres patentes sont de janvier 1644. La mère Félicité Vion, de Montivilliers, en était prieure, elle était animée des meilleures intentions, mais peu propre au gouvernement. C'est alors que la marquise de Mouy après d'innombrables démarches et supplications, finit par vaincre mère Mectilde et obtenir qu'elle vienne à Caen pour trois ans. Elle date son acceptation du 23 mai 1647. Les moniales demandèrent leur agrégation à notre Institut en 1684. Archives du monastère des bénédictines du Saint-Sacrement, Caen. — Archives départementales du Calvados. — Abbé Gilbert Décultot, Histoire de Montivilliers à travers les siècles (chez l'auteur), 1973. — P. Anselme, op. cit.
(26) Né à Frémont, diocèse de Bayeux. Il étudia à Rouen sous le P. Caussin S.J. A 17 ans, il entre au couvent de Picpus, près de Paris. Professeur de philosophie et de théologie à 25 ans, définiteur de la province de France à 28, définiteur général de son Ordre et gardien du couvent de Picpus à 31, il est Provincial de la province de France à 40, en résidence au couvent de Nazareth, à Paris. Il eut la confiance de Louis XIII et de Richelieu qui lui confièrent souvent des affaires épineuses qu'il termina à leur satisfaction ; et des reines Marie de Médicis et Anne d'Autriche. D est l'ami de J. de Bernières qui le fait connaître à mère Mectilde. Il meurt le 26 mars 1646. D'après certaines lettres de mère Mectilde à J. de Bernières (30 avril, 12, 26 mai 1646), il semble que l'austérité et le très grand zèle du père Jean lui aient attiré bien des inimitiés, même dans son couvent. Aussi lorsque mère Mectilde après la mort du père, désirera obtenir un portrait de lui et surtout ses écrits, elle sera obligée à de longues et diplomatiques tractations, accompagnée de son amie Mme de Brienne. Elle n'obtiendrajamais les écrits qui ne seront publiés que plus tard. Chanoine Henri Boulon, L'Homme intérieur, Mequignon, Paris 1758. — D.S., fasc. II, col. 1125. — Archives de nos monastères.
(27) Père J. Rogié, Histoire du Bienheureux Pierre Fourier, Verdun 1887. Le Lasseur, op. cit., Annexe I, p. 294.
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de Monseigneur l'Evêque de Toul, leur prélat, qui lui donna pour cet effet une obédience des plus extraordinaires qui se voient, qui montrait bien d'un côté l'extrême péril où était ce monastère, et de l'autre la haute estime qu'il faisait de celle à qui il la confiait, lui donnant pouvoir de changer ou transporter le monastère en tel lieu qu'il lui plairait, de disposer des sujets comme elle le trouverait à propos, pour les renvoyer ailleurs ou les y laisser, enfin de faire tout ce que lui-même aurait pu faire en personne.
Ainsi elle partit emmenant avec elle quatre des plus jeunes religieuses, ne laissant que celles qui, pour leur âge, ne pouvaient courre de hasard ; n'ayant demeuré que huit mois ou environ à Remberviller. Elle prit la route de Paris croyant se rendre à Saint Maur. Mais elle fut bien étonnée, apprenant par les chemins que leurs religieuses avaient été contraintes de l'abandonner pour se retirer dans Paris, à cause des guerres civiles qui régnaient pour lors, qui avaient attiré tant de troupes autour de cette grande ville que la campagne s'en trouvait entièrement couverte, où ils commettaient toutes les insolences qu'on ne saurait imaginer. Mais s'étant informée de leur demeure, elle apprit que c'était dans le faubourg Saint Germain, en une petite rue qui rend dans le Pré aux Clercs, proche les Petits Jacobins, dans une maison qui se nommait : « Le Bon Amy », où elle les alla joindre avec sa petite troupe ; y étant arrivée la veille de Notre Dame de Mars mil six cent cinquante un, dix ans après leur sortie de Remberviller pour Saint Mihiel, et le trente sixième de l'âge de Notre Mère Mechtilde du Saint Sacrement.
Paris étant au plus fort de ses mouvements puisque c'était au temps que la noblesse demandait l'Assemblée des Etats Généraux du Royaume, le Parlement la sortie de Messieurs les Princes, qui étaient détenus prisonniers dans le Hâvre de grâce par l'ordre de la Reine Régente. Toutes choses étaient dans une si générale émotion que Monsieur le Cardinal Mazarin, qui tenait le gouvernail des affaires comme principal Ministre de la Régente, fut contraint de l'abandonner et se dérober de nuit de Paris pour s'enfuir hors du Royaume, se retirant à Sedan.
Ensuite de quoi, le Roi même, pour se libérer de la garde des bourgeois qui le tenaient comme assiégé sous prétexte de le garder, fut obligé de se déclarer majeur dès le premier mois de sa quatorzième année, à cause que sa minorité leur servait de prétexte de le tenir comme bloqué dans son Palais Royal.
Sa Majesté, après avoir été au Parlement pour cette cérémonie, sortit lui-même à l'improviste de Paris avec la Reine Mère, et y revint l'année suivante se présenter aux portes pour y rentrer. Mais elles lui furent refusées, pendant qu'on les ouvrait aux troupes espagnoles que les Princes, qui s'y étaient rendus les maîtres, avaient appelées à leurs secours. D'où s'en suivit la bataille donnée à la Porte Saint Antoine, le deuxième de juillet 1652, pendant laquelle le canon de la Bastille fut lâché sur l'armée où le Roi était en personne (28).
Et huit jours après, l'on vit l'incendie de l'Hôtel de Ville, où plus de six cents des plus notables personnes de la ville pensèrent être consumées par le feu qui y fut mis par l'ordre des révoltés, pour intimider ceux — lesquels tenant encore pour le Roi — empêchaient que Paris ne signât la ligue offensive et défensive avec les Princes contre Sa Majesté.
De sorte que nos religieuses ne pouvaient pas être venues dans un temps plus propre à leur donner une ample moisson de souffrances ; aussi la recueillirent-elles avec très grande bénédiction, comme nous allons rapporter à la Seconde Partie.
(28) On sait que ce fut la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans et de la Duchesse de Montpensier qui fit tirer le canon de la Bastille. « Mademoiselle » n'a jamais beaucoup gouté l'influence de mère Mectilde sur sa belle-mère la duchesse douairière, bien qu'à cette date elle ait eu depuis longtemps sa « maison personnelle ». Le désordre et la misère s'étendaient sur une grande partie de la France. Le burin d'un Callot a conservé le souvenir de ces calamités en Lorraine avec un réalisme cruel mais vrai, hélàs. Les labours avaient cessé presque partout et on rapporte que l'on compta jusqu'à 7 700 pauvres le même jour, venus demander l'aumône à Paris au cimetière des Innocents. Edouard Gérardin, op. cit.
DEUXIÈME PARTIE
SUITE DES MÉMOIRES
1651-1655
SUITE DES MÉMOIRES. 1651-1655
Jusqu'ici nous n'avons discouru que de la venue de la Mère Catherine Mechtilde du Saint Sacrement en France, et des détours par lesquels Dieu l'a fait passer devant que de l'établir dans Paris, l'ayant suivie pas à pas depuis la sortie de son monastère, exprès pour faire remarquer que sa vie a toujours été très sainte, que son esprit et sa conduite ont passé par l'examen de plusieurs grands serviteurs et servantes de Dieu, et ont toujours été non seulement approuvés, mais estimés être dans une haute élévation et de nature et de grâce ; que la divine Providence l'a toujours regardée d'un regard tout singulier, qu'elle s'y est toujours très fidèlement abandonnée, qu'elle a toujours été accompagnée de souffrances qui sont la marque des prédestinés, et qu'ainsi c'était un sujet très disposé à recevoir toutes les impressions de l'Esprit de Dieu et à accomplir toutes ses volontés. D'autant que, comme nous avons à élever un grand édifice, il est à propos de faire connaitre la valeur de la pierre sur laquelle il est fondé, pour montrer que le fondement en est bon. A présent nous l'allons faire paraître jetant dans Paris les fondements de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.
Mais pour dire les choses comme elles sont, il ne faut pas s'attendre de lui voir faire pour cela de grandes actions au dehors. Non, ce n'a pas été son caractère. Et pour bien faire comprendre quel a été son travail et sa façon de procéder, il faut dire qu'elle a plus consisté à pâtir qu'à l'agir, et qu'elle a été dans les mains de Dieu comme l'instrument entre les mains de l'ouvrier, vu que, de sa part, elle n'a travaillé à cette entreprise que précisément sous les ordres de la divine Majesté qui lui étaient manifestés par les événements extérieurs de la Providence, et par les mouvements intérieurs de la grâce, sans vouloir employer son industrie naturelle en rien, mais s'appliquant seulement à regarder agir Dieu, pour ne faire ni plus ni moins que ce qui lui était dicté par ces deux voies. En sorte que, comme elle n'aurait pas voulu les devancer d'un moment, aussi n'aurait-elle pas voulu en différer d'un moment l'exécution ; d'où il se peut dire avec fondement que son esprit propre n'a point eu de part à cette oeuvre, et que Dieu seul a tout fait.
Ce n'est pas qu'il ne faille reconnaitre que les riches talents dont le ciel l'a favorisée n'aient été les principaux instruments desquels ce divin ouvrier s'est servi pour accomplir son ouvrage, puisque ce
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fut sa majestueuse douceur et ses excellents discours qui attirèrent les personnes qui ont coopéré avec elle en ce dessein, et sa prudence qui évita les brouilleries qui se seraient rencontrées entre eux, à cause du peu de rapport de leurs humeurs, de même que sa fermeté à les soutenir quand les difficultés les étonnaient. Mais le peu d'usage qu'elle faisait par elle-même de ses rares qualités, ne caressant ni recherchant jamais personne, ni ne se produisant point au dehors sans un véritable besoin, nous fait dire qu'elle en pâtissait les effets plutôt qu'elle n'agissait par elles.
Il est vrai qu'elle s'est trouvée puissamment secondée dans les affaires, d'une excellente séculière qui lui fut sans doute un don de la main de Dieu, puisqu'elle était si avantageusement partagée de toutes les qualités qu'il fallait pour réussir, par le grand bien, le grand crédit, l'habileté et le courage qui se trouvaient assemblés en sa personne, à l'aide desquels notre Révérende Mère est venue à bout de notre établissement.
Comme nous verrons à la suite, et pour ne plus celer plus longtemps au lecteur le nom de cette digne personne qui se peut avec justice qualifier : la coadjutrice de celle qui a formé l'Institut, comme par ses bienfaits elle est reconnue pour Fondatrice de notre maison de Paris, c'est Madame Marie de la Guesle (1), lors épouse, et maintenant veuve, de Messire René de Vienne, comte de Châteauvieux.
Nous ne devons pas désavouer qu'il n'y ait eu d'autres dames qui ont contribué aussi de leurs biens à cet établissement, comme : Dame
(1) Marie de la Guesle, dame de la Chaux, fille de Jean de la Guesle, fut mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux. Les Châteauvieux étaient alliés aux Coligny. Ils eurent pour unique héritière (leur fils mourut jeune) Françoise Marie de Vienne, comtesse de Châteauvieux qui épousa Charles H de la Vieuville en 1649 (cf. note Vieuville p. 110). Ceux-ci eurent un fils René-François, marquis de la Vieuville (petit-fils de la comtesse) qui épousa Anne-Lucie de la Mothe, fille d'honneur de la reine, le 12 janvier 1676 et mourut à Versailles, le 22 février 1689.
En 1954 on fit des fouilles aux n.. 10-12-14 de la rue Cassette pour moderniser les bâtiments, et on obtint de rechercher dans les caves avoisinantes. On n'a pas retrouvé le corps de mère Mectilde comme on l'espérait, mais celui du comte de Châteauvieux dans son cercueil sur lequel une plaque de cuivre indiquait qui y reposait. Quelques ossements de moniales et c'est tout (cf. récit des fouilles : circulaire du monastère de Paris et Archives).
Le comte et la comtesse de Châteauvieux ont pu être appelés, avec vérité, les fondateurs de notre Institut. C'est leur générosité et leur inlassable activité, qui a permis d'obtenir toutes les autorisations officielles, et les maisons destinées à recevoir les premières religieuses, comme la suite du récit l'expliquera. La comtesse a été une des plus intimes confidentes de mère Mectilde, et sa docilité à suivre sa sainte amie, a fait de cette mondaine de bonne volonté, une âme profondément abandonnée à Dieu. Après la mort du comte de Châteauvieux, elle entrera au monastère de la rue Cassette où sa vie exemplaire lui gagnera l'affection et la vénération de toutes. La comtesse avait rassemblé à son usage personnel des lettres ou des conférences de mère Mectilde portant sur les différentes fêtes liturgiques, d'où le nom de « Bréviaire » donné ensuite à ce manuscrit. Mère Mectilde en a revu elle-même la copie et a permis que celles de ses filles qui le désiraient le reproduisent à leur usage. Nous avons là le plus riche et le meilleur recueil d'écrits de notre mère institutrice. Les copies en sont très nombreuses, dont une à la Bibliothèque Nationale. Les deux meilleures versions sont aux Archives des Monastères : de Dumfries (Ecosse), manuscrit coté D. 10 et de Bayeux coté N. 260.
Anne Courtin marquise de Bauves (2), Marie de Choiseul, marquise de Cessac (3), Hélène de la Flèche veuve de Monsieur Mangot (4), Maître des Requêtes ; et la première beaucoup plus, toute seule, que les deux autres ensemble. Mais il n'y a pas de comparaison à faire d'elles trois à notre Dame comtesse, soit pour les dons, soit pour les soins, les autres n'ayant point agi ni donné — soit encore en ce que les autres ne se sont données que mortes à la maison, y ayant voulu être enterrées, et celle-ci s'est donnée vivante, avec tant de fidélité que ce fut dans le moment que la mort lui a enlevé ce cher mari. Car à peine lui eut-elle fermé les yeux, que sans avoir égard à ses intérêts temporels, elle vint s'immoler sur l'autel qu'elle s'était aidée à dresser, où elle achève de se consummer dans les flammes d'une charité parfaite vers ce Dieu fait Victime pour nous dans cet adorable Sacrement, et par l'exercice d'une vie toute sainte ; ainsi son sacrifice ne peut recevoir de comparaison.
Nous aurions à dire aussi de très excellentes choses de ce vertueux Seigneur son mari, à qui Dieu donna, les dernières années de sa vie, un zèle pour cet Institut qui ne cédait point à celui de sa pieuse femme ; et qui ne s'étant pas contenté de consentir à tout ce qu'elle avait donné de son bien, — sans quoi elle ne l'aurait pu faire — a donné des siens propres, et s'est donné lui-même à la maison comme il s'y est pu donner, en y élisant sa sépulture par préférence au magnifique tombeau que ses prédecesseurs lui ont laissé dans leurs terres et seigneuries ; mais nous ne le pouvons pas en cet endroit. Ce sera dans la quatrième partie que nous en parlerons plus au long, et toutefois nous en disons déjà assez, disant, comme nous faisons ici, qu'il a été reconnu Fondateur de cette maison avec Madame sa femme, puisque cette qualité suppose nécessairement beaucoup de foi, de zèle pour Dieu, et de libéralité chrétienne.
Reprenons notre narré.
Paris étant donc en l'état que nous avons montré à la fin de la première partie, Notre Révérende Mère Prieure se trouva fort dénuée dans cette petite maison du « Bon Ami », n'ayant rien du tout pour
(2) Epouse 2 marquis de Boves. Son testament est aux Archives Nationales L. 763. Il est signé : de Boves de Moy, comtesse de Guivy ; ce qui donne à penser que Mme de Bauves et la marquise de Mouy (orthographe Mouy ou Moye selon les documents) étaient parentes. (Archives de nos monastères).
(3) Chanoinesse de Remiremont, dame de Clermont, femme de François de Cazillac, marquis de Cessac, décédé en 1669. Sa mère était Marie de Vienne, fille de Nicolas de Vienne. Elle était donc parente, par sa mère, de la comtesse de Châteauvieux et cousine de Mme de Montgomery, fille de M. de Torps.
(4) La famille Mangot vient de Loudun (Vienne). Claude Mangot, célèbre avocat, vint à Paris en 1554 et fut anobli en 1555. Son petit-fils Anne Mangot, conseiller d'Etat et directeur des finances, mourut doyen des requêtes le 10 juin 1655. Sa femme, Marie Phelipeaux, fille de Paul Phelipeaux, seigneur de Pont-Chartrain, conseiller d'Etat et d'Anne de Beauharnais, mourut le 15 avril 1670. Elle avait une fille religieuse à Saint-Denis, une autre fut abbesse au Val-de-Grâce. Plusieurs de ses filles furent mariées dont l'une Marie-Thérèse à Antoine d'Ambray, le frère de la marquise de Brainvilliers.
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subsister — et cependant elle avait sept religieuses avec elle à nourrir — car cette ville n'était plus ce qu'elle l'avait vue quand elle était à Saint Maur en 1648, par les barricades, et qui n'avaient point cessé depuis, desquelles cette grande ville avait toujours été le principal théâtre, l'ayant tellement appauvrie qu'à peine pouvait-elle suffire de nourir ses propres citoyens qui étaient tombés à milliers dans la misère par la cessation du commerce et par les hostilités qu'y commettaient les gens de guerre sur leurs biens à la campagne.
Outre que toutes les maisons religieuses de filles, même des villes de trente lieues à la ronde, s'y étaient réfugiées pour la sûreté de leurs personnes, sans avoir pu apporter de quoi y subsister, et celles qui y étaient de tous temps établies étaient devenues très pauvres pour la même cause. Si bien que, comme il est fort naturel d'aimer plus des patriotes que des étrangers, l'on courrait plutôt à les secourir que celles qui n'étaient pas du royaume comme nos religieuses. Ainsi les trouva-t-on quelquefois en telle extrémité que leur meilleur met était des pois cuits, sans aucun assaisonnement, et pas un pauvre morceau de pain pour leur aider à manger ce pauvre potage. D'autres fois même elles n'avaient du tout rien ; et pour les coucher que le plancher a cru, sans seulement de la paille ; moins encore de couvertures pour se couvrir quoique les nuits fussent encore bien froides. Et quand elles voulaient dormir elles s'asseyaient proche la muraille pour s'appuyer dans leur sommeil.
Cependant notre Mère Prieure retomba si malade en ce temps-là qu'on ne lui espérait pas vie, et durant toute sa maladie elle n'eut pour s'assister que les bouillons de la charité des pauvres de la paroisse, dont on lui emportait deux par jour.
Enfin la pauvreté où elle se trouvait réduite était si grande que Monsieur l'Evêque de Babylone (5) qui logeait au voisinage, étant venu dire la sainte Messe dans un petit réduit de chapelle — qu'on leur avait permis d'avoir dans cette chétive maison — pour lui porter la sainte Communion, ne put jamais retenir ses larmes la voyant ainsi couchée sur une chétive paillasse, toute vêtue, sans couverture, ni sans rien. Et de compassion qu'il en eut, quand il fut de retour à son logis, il lui envoya en aumône un matelas de son lit.
Toutefois ce que nous disons ici n'est qu'un léger crayon de leurs souffrances auprès de ce qu'il en était, jusqu'à ce qu'elles furent connues de ceux qui les assistèrent depuis. Mais comme ce n'est plus le récit que nous avons entrepris de faire, n'en n'ayant parlé que
(5) Dom Bernard de Sainte-Thérèse, carme O.C.D., avait été réellement évêque de Babylone, car au xvir siècle les carmes ont eu une très grande part dans l'activité missionnaire de l'Eglise. De retour à Paris, il achète, avec l'aide de la Compagme du Saint-Sacrement, un grand terrain rue de Sèvres, où s'éleva plus tard le séminaire des Missions Etrangères. Gallia Christiana, Province de Paris. — L. Prunel, La Renaissance Catholique en France au XVII° siècle, D.D.B. 1921.
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pour donner une idée générale de l'état où elles étaient lorsque cette entreprise de l'Institut se fit, nous n'entrerons pas plus avant dans ce détail pour en venir à notre fin principale qui est le discours de ce qui s'est passé en notre établissement.
Elles ne furent dans cet état si pitoyable qu'environ deux mois, après lesquels Madame la marquise de Bauves les vint voir et les assista déjà fort, parce qu'elle connaissait notre Révérende Mère Prieure depuis Saint Maur, pour avoir négocié avec elle d'aller réformer cette Abbaye de Notre Dame de Bon Secours de Caen, à la prière de la marquise de Mouys sa parente.
Cela fit que, quand elle apprit son arrivée, — ce qui ne put être si tôt — elle ne manqua pas de l'aller visiter et commença à la secourir.
De même fit la marquise de Cessac. Mais la connaissance de celle-ci ne fut qu'après que Notre Mère l'eût prévenue par un acte signalé de charité, à la prière de la comtesse de Mongomery, dont le père, comme nous avons vu, les avait tirées du bourg de Bretteville pour les mener à celui de Barberie, s'étant exposée avec un extrême péril de sa vie pour faire servir la seconde fille de cette marquise qu'elle aimait uniquement, laquelle avait la petite vérole et le pourpre, et ne se trouvant point en état de la faire servir elle-même à cause de l'excès de son affliction ; et lui en étant demeuré une extrême reconnaissance pour notre Révérende Mère, elle tâcha de la lui témoigner par ses charités.
Pour Madame Mangot, elle la connut par une autre rencontre aussi de Providence. Outre que Messieurs de la paroisse qui visitaient les pauvres vinrent les voir et leur donnèrent l'aumône toutes les semaines durant quelque temps. De même Messieurs du Port-Royal les assistaient beaucoup, car son esprit était fort goûté de tous ; et ceux qui la connaissaient étaient également charmés de ses excellents discours de la vie intérieure, de son grand désinteressement, de sa pauvreté — car elle ne demandait jamais rien — ; son port majestueux qui lui attirait le respect, et cette douceur et paix angélique qui parait sur son visage plus remarquablement encore dans ses souffrances extrêmes, si bien qu'ils étaient tous surpris de trouver une personne si extraordinaire dans un si déplorable état.
Elle devint fort connue, estimée et recherchée, et par conséquent : soulagée, mais non pas assez pour pouvoir dire qu'elles ne manquaient plus de rien. Il faut bien des aumônes pour subvenir de tous points à une famille religieuse de huit à neuf personnes, et payer leur logement. Aussi ne furent-elles pas pour cela exemptes de souffrances.
Le pis était que la santé de Notre Mère ne pouvait se rétablir, sa toux ne la quittait point, sa fièvre lente, non plus que cet extrême flux lientérique qui la mettait au mourir, et qui eut demandé un bien
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meilleur traitement que celui qu'elle pouvait recevoir de ce secours incertain des aumônes, sur lequel il est impossible de prendre de mesure juste.
L'on fera réflexion, peut-être, que Madame de Montmartre, que nous avons fait voir l'aimer si fort, l'aurait secourue sans doute si elle eût été dans l'extrémité que nous disons, mais il faut se souvenir que Paris était investi des troupes du Roi, et qu'ainsi le passage n'était pas libre, si bien qu'elle ne pouvait du tout envoyer.
Ce ne fut pas là encore toutes les connaissances que Dieu destinait dans les secrets de sa Providence à Notre Mère, la principale y manquait. C'était celle de notre chère Fondatrice de laquelle nous avons déjà parlé, qui la fut voir, non pas sur aucune prévention de son mérite comme les autres, car n'étant pas de la même paroisse, elle n'en avait point ouï parler ; mais ce fut par un pur effet de hasard — selon le monde — et d'une très particulière Providence, selon Dieu, puisqu'il s'en est ensuivi de si excellentes choses à la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel.
Enfin, un jour se rencontra que la Présidente de Herse (6) vint prendre cette comtesse pour aller de compagme visiter les pauvres dans le faubourg Saint Germain, et la mena droit à cette petite rue du Bon Ami, visiter auparavant de pauvres religieuses Jacobines réfugiées qui y étaient aussi logées ; et de là elle la conduisit chez les petites religieuses de Lorraine — ainsi nommait-on nos Mères, et les a-t-on nommées jusqu'à notre établissement.
Pour cette première fois notre comtesse ne s'arrêta guère à parler à Notre Mère, s'étant contentée de lui donner son aumône, sans avoir pris garde à rien. Mais il lui en resta un je ne sais quoi qui la poussa à y retourner, comme elle fit huit ou dix jours après, se trouvant de loisir. Elle se fit mener là en forme de promenade, ayant dans son carosse avec elle une demoiselle de ses voisines, personne de grande piété, qui était fort amie de Notre Mère.
A la vérité, cette seconde fois, elle ne s'en retourna pas indifférente comme à la première. Le trait de l'élection divine sur sa personne pour travailler à son oeuvre darda son coeur si profondément qu'il n'en est jamais sorti depuis. Aussi elle a bien aimé à le conserver, ayant fidèlement correspondu à cet appel. Si bien qu'en
(6) Charlotte de Ligny, présidente de Herse, parente de M. Olier, avait été formée par François-de-Sales qui « l'aimait comme son âme ». Elle seconda ardemment M. Vincent dans l'établissement des Exercices des Ordinands et la fondation des Séminaires. Elle figure sur la liste des Dames présentes dès la seconde assemblée des Dames de Charité : juillet 1634. C'est Vincent de Paul qui fit connaître mère Mectilde aux Dames de l'assemblée qui, plus tard, l'aidèrent largement de leurs deniers et par leurs relations. En particulier la duchesse d'Aiguillon, nièce de Richelieu, qui n'est mentionnée que dans les lettres de mère Mectilde (nos Archives possèdent 3 lettres de mère Mectilde à la duchesse). Mgr Baunard, op. cit. — Broutin, La Réforme pastorale en France au XVII° siècle, 1956, p. 215-232. — Coste, op. cit. — Année Sainte de la Visitation, I, p. 627.
cette visite, s'étant mise à parler de discours spirituels dont elle était extrêmement curieuse, Dieu permit que Notre Mère vint à lui dire là dessus quelque chose qui lui revint si fort que lui prenant la main elle lui dit : « Ma Mère, vous avez touché au but. Jamais personne encore ne m'en a tant su dire ! » et dès lors elle commença d'avoir pour elle une si grande estime et une si parfaite confiance qu'elle ne cherchait plus que les occasions de la voir pour lui découvrir son âme sans réserve, ce qui s'accrut de jour en jour au point que nous la voyons à présent qu'elle s'est venue ranger entièrement sous sa conduite.
Mais rien ne saurait mieux faire connaitre que cette connaissance était l'oeuvre de Dieu que la différence extrême qu'il y avait entre leurs naturels et leurs humeurs, qui n'auraient autrement jamais pû compatir, si Dieu ne les eut unies. Notre Mère étant une personne absolument abandonnée entre les bras de la divine Providence, qui faisait qu'elle n'avait que le seul regard de Dieu, sans aucune réflexion sur elle-même et sur ses intérêts propres, ni sur rien du monde qu'elle avait presque mis en oubli ; et la comtesse étant d'un esprit prévoyant, vif et actif, pénétrant, curieux, se réfléchissant incessamment sur toutes choses, cherchant ses intérêts spirituels, aimant son opération et souffrant quelque peine quand elle n'était suivie de succès ou seulement quand il était retardé. Et son esprit étant assurément au dessus de son sexe, elle avait si peu d'estime de la conduite des filles, qu'elle en avait du dégoût, et même de l'opposition à toutes les religieuses, qu'elle ne visitait point ; et ne croyait pas même que d'en établir fut une fort bonne oeuvre, comme elle a souvent confessé, tout son attrait étant pour les hôpitaux.
Aussi cette opposition d'humeur et de procédés faisait que dans le commencement notre Mère Prieure, qui d'ailleurs était grandement désintéressée, n'avait pour elle de correspondance qu'autant que la bienséance et la reconnaisance pour ses charités l'exigeaient. Précisément encore s'en acquittait-elle avec beaucoup de négligence, mais au contraire cette bonne dame supportait ses froideurs avec un respect admirable sans jamais s'en rebuter, ni relâcher de ses aumônes ; si bien qu'il ne se peut dire autrement, sinon qu'il y avait de la merveille de voir une personne si opposée, si dégoûtée, si méprisante de la conduite des filles, se rendre dès la seconde ou troisième visite à une religieuse, qu'à peine connaissait-elle encore, prendre ses avis sur les difficultés de son âme, admirer sa conduite, et plus s'attacher à elle que moins elle s'en trouvait flattée et caressée ; lui donnait avec cela si absolument sa confiance qu'elle alla jusqu'à son temporel, dont elle lui mit entre les mains plus de quarante mille écus pendant les séditions fréquentes de Paris, qui menaçaient de pillage les riches maisons, quoique Notre Mère fut logée dans un petit taudis. C'est pourquoi pour avoir plus d'occasion encore de la voir souvent, sous prétexte de ses affaires, et quoiqu'il y eut, ce semble, peu de prudence en cette action, toutefois Dieu qui tramait tout cela parce que cette fréquentation servait à son oeuvre, la bénit en sorte qu'elle
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n'eut point sujet de s'en repentir, puisque ce dépôt lui fut rendu fidèlement.
Ne faut-il pas dire qu'après un changement si grand et si extraordinaire l'on ne saurait douter que ce ne fut Dieu qui eut fait cette liaison puisque lui seul est le maitre des coeurs, et qu'il appartient à lui seul d'unir les choses contraires. Ce ne seront pas ici les seuls effets de cette liaison, il en paraît bien d'autres à la suite, mais il faut dire auparavant que, comme la pauvreté a toujours la dépendance comme compagne inséparable, celle de notre Mère Prieure fut encore accompagnée de cette incommodité par les importunités que la dépendance lui attira, et les souffrances qui lui revinrent de son refus.
Ce fut que tous ceux qui lui faisaient l'aumône se figuraient avoir droit de disposer d'elle et de l'appliquer aux emplois que bon leur semblait ; c'est pourquoi plusieurs différents emplois lui furent proposés en ce temps-là.
Premièrement par Monsieur Mangot, Maître des Requêtes, qui voulait l'envoyer dans un couvent du même Ordre de Saint Benoit, où il avait une soeur Prieure perpétuelle, pour le réformer ; et lui faisait céder sa supériorité sa vie durant, et avec cela il lui laissait par son testament une rente de mille livres sur ses biens, au capital de seize mille livres, pour en jouir tant qu'elle vivrait. Et comme il fut prêt à mourir, qui fut bientôt après, il fallut, pour qu'il mourut en repos, que Notre Mère lui promit qu'elle accomplirait son intention, quoique ce ne fut pas sa pensée ; aussi ne l'a-t-elle pas fait par la répugnance qu'elle a eue de tout temps à commander et elle renonça ce legs tout aussitôt qu'il fut mort.
Après celui-là, Messieurs du Port Royal la voulurent mettre pour directrice dans une maison de filles de ce même Ordre du Port Royal, qu'ils voulaient établir à la porte Saint Marceau. Et lui offraient six cents écus de pension pour cela, outre sa nourriture ; mais ils voulaient qu'elle reconnut pour supérieur un prêtre de parmi eux, nommé Monsieur de Saint Glin (7) qui était l'un des principaux prédicateurs de leurs nouvelles opinions. Et comme ils s'en virent éconduits, ils se retirèrent absolument d'elle, lui retranchant les aumônes qu'ils lui faisaient qui étaient fort considérables, et de plus, la persécutèrent depuis, parce qu'ils reconnurent par ce
(7) M. de Singlin, d'origine modeste, avait fait des études sommaires ; cependant grâce à Vincent de Paul il est ordonné prêtre de bonne heure. Il est attiré par Saint-Cyran, qui en 1638, en fait son suppléant comme directeur de Port-Royal. Il le restera jusqu'à la fin de sa vie, même à Port-Royal des Champs, où il sera, de fait, le supérieur des « Solitaires ». Il est réputé à la fois comme prédicateur et comme directeur spirituel. Mourret écrit qu'il fut le grand orateur du parti janséniste. En réalité, Singlin n'était ni brillant, ni théologien. Sans doute était-il persuasif dans ses sermons. Les religieuses en l'écoutant prenaient des notes qui furent éditées plus tard sous le nom « d'Instructions Chrétiennes ». Il n'est pas moins apprécié comme directeur spirituel. Pascal
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refus qu'elle avait de l'éloignement de leur doctrine ; comme en effet il était vrai, et qu'elle se trouvait fort choquée de la proposition qu'ils lui firent de prendre un autre Supérieur que Monsieur l'Archevêque de Paris qui était le Supérieur légitime.
Il arriva encore qu'une personne très considérable pour sa rare piété la demanda en prêt pour la faire supérieure d'une maison de Refuge qui se faisait dans ce faubourg Saint Germain, pendant le fort des troubles, pour retirer cette quantité de religieuses de toutes sortes d'Ordres que la guerre ayant chassé de leurs maisons, roulaient dans les rues de Paris avec bien du hasard pour leurs personnes, à cause de l'extrême nécessité où elles se trouvaient, et bien du scandale pour le saint Habit qu'elles portaient, étant contraintes de s'accoster et d'accompagner de toutes sortes de gens pour vivre ; et parce qu'elle ne lui fut pas accordée il lui retrancha une aumône d'une bonne quantité de pain et de sept écus d'argent qu'il leur donnait par mois depuis assez de temps.
Madame la comtesse, de laquelle nous avons parlé, voulait aussi en disposer à son gré, voulant qu'elle fit un hospice à Paris pour sa maison de Remberviller, et offrait douze mille francs pour cela. Et encore quelques autres faisaient diverses propositions qui, ne pouvant leur être accordées, se rebutaient d'elle et la délaissaient après.
Mais pour tout cela sa confiance ne s'ébranla point, et ne désista point de se laisser conduire à l'aveugle par obéissance, car c'étaient ses supérieurs qui, à la sollicitation de ses religieuses, faisaient ces refus et non pas elle. Mais Dieu le permettait ainsi pour la conserver à notre Institut qu'elle n'aurait pu entreprendre si elle se fut trouvée engagée. Il est vrai qu'ils avaient assez de considération pour elle pour n'en pas disposer sans la consulter quelquefois, mais elle se découvrait si peu et s'abandonnait si fort à leur sentiment qu'ils n'avaient su reconnaitre de quel côté elle penchait, sinon lorsqu'on en vint à la proposition de l'engager dans le parti qui était accusé d'erreur, car alors elle ne fit point de difficulté d'en témoigner sa répugnance, et le soupçon qu'elle avait de ce qu'ils se voulaient soustraire de l'autorité légitime de Monsieur l'Archevêque de Paris pour se soumettre à un supérieur à leur mode, et elle n'y voulut point aller.
Sur ce temps-là il lui fut fait une autre offre, dont il ne devrait pas être fait mention parmi toutes celles que nous venons de rap-
s'adressa quelque temps à lui, avant de devenir le dirigé de M. de Saci. Mme de Guéméné, princesse de Rohan était dirigée par M. de Saint-Cyran mais elle consultait aussi Singlin. Ce fut d'ailleurs un « débat de conscience » entre elle et son amie la marquise de Sablé, conseillée par le père de Sesmaisons, S.J., qui est à l'origine de la réponse d'Arnault : De la Fréquente Communion (1643) qui fit tant de bruit. Cependant M. Singlin fit toujours preuve de modération. S'il ne réussit pas à calmer la fougue de Pascal ou du grand Arnault, il obtint la soumission de beaucoup de religieuses de Port-Royal des Champs. F. Mourret, op. cit. — Dict. théol. cathol., t. XIV 2, col. 2164.
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porter, parce que celle-ci paraît ridicule, mais il n'y a point moyen de s'en taire, puisque c'est de celle-là, comme du grain de moutarde de l'Evangile, qu'est sorti le Royaume de Dieu, la divine Majesté ayant pris plaisir de faire produire de ce petit germe notre Institut.
Ce fut celle que lui fit la bonne marquise de Bauves : celle-ci offrait un écu par mois si notre Mère Prieure voulait entreprendre de faire quelque chose considérable pour honorer le Saint Sacrement.
Une personne moins morte à elle-même l'aurait renvoyée bien loin, et traité sa proposition de moquerie, d'autant qu'en effet elle en était digne, car que se pouvait-il faire d'un écu par mois ? Mais elle au contraire l'écouta et témoigna la goûter, parce qu'elle n'y voyait que la bassesse et pauvreté qui étaient sa tendance intérieure, et qu'elle y voyait ouverture de faire honorer notre auguste Sacrement d'un culte particulier.
Seulement elle lui représenta avec respect qu'il n'y aurait pas là assez de quoi la faire subsister avec les religieuses qu'il faudrait pour cette entreprise — vu qu'elle n'avait rien du tout d'ailleurs et Dieu, favorisant l'humilité de Notre Mère, changea le coeur de cette vertueuse marquise de sorte que, de son mouvement, elle vint un jour sans plus tant marchander lui offrir jusqu'à une rente de 500 livres par an, rachetable de 10 000 livres, et tous les meubles d'église qu'il nous faudrait, si la chose pouvait réussir.
De quoi la comtesse ayant eu le vent proposa de joindre à cette rente les douze mille livres qu'elle voulait donner pour son dessein de l'hospice, afin que, l'un aidant à l'autre, la chose put se faire ; tout lui étant également bon, pourvu qu'elle retint à Paris cette bonne Mère à laquelle elle était si attachée, quoique depuis elle ait bien su rectifier son intention.
De façon que notre Mère Prieure voyant ces deux offres arriver à peu près à une somme assez raisonnable pour commencer quelque chose, consentit qu'elles travaillassent auprès des Supérieurs et de la Cour pour en avoir la permission, se voyant, de plus, assurée de deux mille écus que la marquise de Cessac lui avait promis si elle pouvait s'établir, et de mille écus de Madame Mangot. Tout cela ensemble faisant environ dix mille écus.
Ensuite elle commença de projeter l'entreprise de l'Adoration perpétuelle dont elle fit l'ouverture à ces deux dernières, pour savoir si elles consentiraient que leurs dons fussent employés à cela, ce qu'elles firent avec joie, et convinrent de n'agir que de concert et de travailler fortement à cet établissement avec la marquise et la comtesse.
Quoiqu'elles fussent les mieux intentionnées du monde, elles ne savaient pourtant pas trop prendre les moyens pour arriver à leurs fins. C'est à dire : la comtesse, car pour la marquise de Bauves elle n'agissait point du tout, à cause de son grand âge qui la rendait incapable de travailler, n'ayant guère moins de quatre vingt ans ; pour les deux autres : elles n'étaient pas si portées à se donner de la peine.
Mais Dieu, pour leur en ouvrir le chemin, se servit de l'accident arrivé au Chevalier de la Vieuville, — frère du marquis, depuis fait duc et premier chevalier d'honneur de la Reine de France, beau-fils de notre comtesse, — lequel fut blessé à mort d'une mousquetade au siège d'Etampes que le Roi en personne assiégea sur les Princes pour qui cette ville tenait.
Ainsi notre comtesse fut obligée, à cause de leur alliance, de se rendre auprès de ses père et mère qui étaient inconsolables de la perte qu'ils allaient faire. Si qu'elle s'achemina à Melun où ils étaient avec la cour, avec les députés du Parlement qui y allaient trouver le Roi pour traiter des affaires publiques.
C'était sur la fin de mai ou au commencement de juin de l'année 1652. Et là, après avoir contribué beaucoup par ses soins à la très chrétienne mort que fit ce jeune seigneur, laquelle fut accompagnée d'une édification merveilleuse, elle ne mit point en oubli son cher établissement. Mais croyant que ce ne serait qu'une affaire de crédit, elle comptait déjà que rien n'oserait lui être refusé, à cause de celui où était Monsieur de la Vieuville, le père, qui était surintendant des Finances. Cela fit que, sans y chercher d'autre façon, elle s'en alla droit à Monsieur le Garde des Sceaux Molé (8), lui demander des Lettres Patentes pour nous ; mais il lui fit considérer que ces choses ne se faisaient pas de la sorte, qu'il ne lui en pouvait accorder sans voir auparavant un contrat de Fondation qui fut suffisant pour son entreprise, et qu'il ne lui parut aussi de la permission du Supérieur écclésiastique du faubourg Saint Germain, car c'était dans ce faubourg où, déjà, elle proposait de faire cette maison, lui promettant au surplus que, quand elle lui apporterait ces deux choses, il lui donnerait toute sorte de contentement en ce qui dépendait de lui.
Après cela elle s'en revint à Paris, où ayant communiqué de tout à notre Mère Prieure et à ces deux marquises, elles arrêtèrent toutes ensemble qu'il serait travaillé incessamment à ce contrat, puisqu'aussi bien il ne se trouvait pas moins nécessaire pour obtenir la permission de Monsieur l'Abbé de Saint Germain, Supérieur, que pour avoir les Lettres Patentes.
(8) Fils d'Edouard Molé, célébre magistrat au Parlement de Paris. Pour être resté attaché à Henri IV et avoir défendu la cause royale contre la Ligue, le roi lui donna la place de Président à Mortier 1602 qui resta dans la famille jusqu'à la Révolution. Son fils, Mathieu, celui de notre récit, né en 1584, mort en 1656, après avoir été conseiller au Parlement 1606, procureur général 1614, premier président 1641, fut enfin garde des sceaux en 1650. Il a toujours fait preuve d'une grande fermeté et il a su concilier les devoirs d'un grand citoyen à l'obéissance absolue au pouvoir royal. En 1649, il est député à Rueil près d'Anne d'Autriche pour proposer un accommodement entre la Cour et la Fronde et réussit sa difficile négociation. Garde des sceaux, il sut garder une grande équité et un remarquable désintéressement. Bouillet, Dict. Univ. d'Hist. & Géograp., 1850 (cet ouvrage sera désigné désormais sous le sigle D.H.G.).
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Il fut arrêté encore que, dans ce contrat, les sommes que la marquise de Cessac et Madame Mangot avaient promises seraient mises pour grossir la fondation, quoiqu'elles ne les donnassent qu'après leur mort.
Mais la peine fut après à notre comtesse de résoudre les maris, et le sien tout le premier, à consentir à ces donations. Et dès lors commencèrent pour elle les fatigues presque incroyables qu'elle a souffert depuis dans notre établissement, lesquelles n'ont pas peu duré puisqu'elles continuèrent l'espace de deux ans et plus. Toutefois elle vint à bout de ce premier pas, mais ce fut après deux mois pour le moins d'allées et de venues parce que, quand l'un était de commodité, l'autre ne se trouvait ou feignait de ne l'être pas, car, comme ils ne faisaient pas la chose volontiers, mais seulement pour complaire à leurs femmes, ils se rendaient fort négligents à se trouver aux heures prescrites.
A la fin elle parvint à les assembler au parloir de nos religieuses, à savoir : le comte son mari, et les marquis de Bauves et de Cessac, car pour Madame Mangot, comme elle était déjà veuve elle était en liberté ; et ce dernier marquis n'en n'aurait rien fait du tout, sans la considération, parce qu'il n'était guère complaisant à Madame sa femme. Mais comme il était parent à notre comtesse, et qu'il l'estimait beaucoup, il se résolut à la fin de faire comme les deux autres : d'autoriser sa femme à la passation de ce contrat.
Pourtant ils se gardèrent bien tous trois de permettre qu'il y fut mis aucuns termes qui puissent tant soit peu obliger leurs biens propres à faire valoir ces donations, comme aurait pu faire la qualité de Fondateur qu'ils ne voulurent jamais accepter, quoique par honneur elle leur fut offerte. Ainsi ce contrat fut passé le quatorzième jour d'aout mil six cent cinquante deux, par devant Carré et Marreau Notaires au Châtelet de Paris, ces quatre Dames ayant fait ensemble la somme de trente et une mille livres, à savoir : la marquise de Bauves : dix mille, la comtesse de Châteauvieux : douze mille, la marquise de Cessac : six mille, et Madame Mangot : trois mille. Etant déclaré que leur volonté était que ces sommes fussent employées à la fondation d'un monastère de Bénédictines réformées, sous la conduite de la Révérende Mère Catherine de Barre dite Mechtilde du Saint Sacrement, qui seraient incessamment occupées à l'adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, en sorte qu'il ne fut jamais seul dans leur église, mais qu'il y eut toujours des religieuses du moins une — en adoration.
Et comme il ne se peut faire de donation valide qu'il n'y ait une acceptation, celle-ci fut acceptée par Notre Mère, en qualité de Prieure de la maison de Remberviller — comme elle l'était encore parce qu'elle ne le pouvait pas faire en son nom propre à cause de ses voeux de Religion qui l'en rendaient incapable.
Pour cet effet il fut porté par des articles séparés, qui sont aussi couchés dans les registres de céans avec ce premier contrat, qu'il ne serait pris, pour cette fondation, que des religieuses de ce monastère de Remberviller, ou que du moins elles seraient préférées à toutes autres. Ainsi c'était former un hospice pour cette maison et la soulager.
Il y a plusieurs autres conditions dans ce même contrat, dont nous ne ferons point mention pour éviter la longueur, parce qu'elles se peuvent voir quand on voudra dans les registres dont nous avons parlé, sinon qu'il ne faut pas omettre ici celle que Notre Mère fut chargée de faire les diligences nécessaires pour obtenir les pouvoirs et permissions qu'il fallait pour cet établissement dans deux ans de délai qu'on leur donna pour cela.
Il nous faut parler de ce qui se passa en conséquence de cette clause.
Ce contrat n'a pas eu lieu tout seul. Il en a fallu d'autres à la suite pour le faire valoir, d'autant que celui-là seul ne fut pas trouvé suffisant par les Supérieurs pour cette fondation, à cause que ces dames bienfaitrices ayant porté plus haut leurs pensées, au lieu d'un hospice pour Remberviller, elles se proposèrent par la suite l'entier établissement dans Paris. Ainsi il fallut pour y parvenir qu'elles donnassent de plus grandes sommes et passassent par conséquent d'autres contrats par addition à celui-ci.
Quoique par ce contrat Notre Mère se fut chargée, comme nous venons de dire, de toutes les diligences qu'il y avait à faire pour cet établissement, notre comtesse ne lui en voulut pas laisser la peine, et si elle avait consenti à cette clause, ce n'était pas qu'elle ait dessein de s'en reposer là-dessus, mais ce qu'elle en faisait n'était que pour contenter ces autres dames qui voulaient s'exempter de la fatigue. Car pour elle, la chose lui était trop chère selon son estime pour se vouloir rapporter à autre qu'à elle-même des soins qu'il fallait prendre pour la faire réussir. Et elle aimait trop tendrement la personne qu'elle voulait établir pour ne lui faire la grâce entière en la relevant de tout.
Seulement Notre Mère écrivit à Monsieur Pelot, secrétaire de Monsieur de Metz, Abbé de St Germain (9), lequel se rencontrait être de longue main son ami, pour le prier de pressentir si ce Prince, son
(9) Henri de Bourbon, évêque de Metz, prince du Saint-Empire, marquis de Verneuil, fils légitimé de Henri IV et de Catherine Henriette de Balzac-d'Entraigues. Il obtient à Saint-Denis au mois de juillet 1652 des lettres portant érection du marquisat de Verneuil en pairie. Ces lettres font mention de sa fidélité à Louis XIII et des services rendus pendant la Fronde. Né en 1601, il est nommé par Louis XIII abbé de Saint-Germain-des-Prés en 1623. Il consentit à l'introduction de la réforme de Saint Maur dans son monastère 1630-1631. Il abdique le 12 octobre 1669 et meurt en 1682. Gallia Christiana, VII. — Dom Bouillart, Histoire de l'Abbaye Royale de Saint-Germain-des-Prés, Paris 1724, p. 221 sq. Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, Archives de la France Monastique, vol. 33, Ligugé 1929.
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maitre, voudrait bien admettre cet établissement, car notre comtesse n'avait pas jugé à propos de hasarder une requête sans sonder auparavant si elle serait favorablement reçue.
Monsieur Pelot lui manda qu'il n'y avait rien à espérer, à moins que la Reine, mère du Roi, ne s'employa pour cela, d'autant que Monsieur de Metz lui avait déclaré, quand il lui en avait parlé, que Sa Majesté avait tiré parole de lui de n'en point du tout permettre. Qu'il voyait bien aussi que ce serait une grande folie de permettre de nouveaux établissements dans ce faubourg, en un temps où les anciens ne pouvaient subsister à cause des misères des guerres.
Il est vrai que, dans ce temps-là, il y avait six maisons religieuses qui avaient abandonné leur monastère, et s'étaient, la plupart, retirées chez leurs parents : Bellechasse, Chasmydy, les Dix Vertus, les Bernardines, les Filles de St Nicolas de Lorraine du scapulaire rouge, et celles de Notre Dame de Liesse ; quelques-unes desquelles se sont bien remises depuis (10).
C'en fut bien assez à notre Mère Prieure et sa fidèle coadjutrice, pour juger qu'il n'y avait rien à faire de ce côté à moins que d'un puissant appui. Cela les obligea de tourner toutes leurs pensées du côté de la Cour, pour l'obtenir de la Reine Mère ; la grande piété de
(10) BELLECHASSE. — Les Bénédictines du Saint-Sépulcre acquirent un enclos rue de Bellechasse.
CHASSE-MIDY. — Une lettre de mère Mectilde à mère Bernardine, alors prieure à Toul, du 11 avril 1665, raconte la cérémome de réparation accomplie par les Filles de mère Mectilde lors d'une profanation survenue au couvent des Religieuses du Chasse-Midi, dont le mur était mitoyen avec celui de la rue Cassette.
DIX-VERTUS. — On appelait habituellement de ce nom les Filles de Jeanne de France : les Annonciades.
FILLES DE SAINT-NICOLAS DE LORRAINE DU SCAPULAIRE ROUGE. — Installées en 1626, elles venaient de Pont-à-Mousson (maison fondée par la princesse Henriette de Phalsbourg, soeur du duc Charles IV de Lorraine). En 1635, elles sont contraintes de fuir Saint-Nicolas-de-Port, après la dévastation de la ville par les suédois. Quelques-unes s'installent à Paris, rue du Bac, puis rue de Vaugirard. Leur maison vendue par décret en 1656, elles reviennent à Saint-Nicolas en 1659. Lettre de M. P. Gérard, Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.
NOTRE-DAME DE LIESSE. — Fondé à Rethel, diocèse de Reims en 1631, régugiées à Paris en raison des guerres en 1636, l'abbé de Saint-Germain-des-Prés le Révérend Père Riassant leur permet de s'installer rue du Vieux-Colombier. Elles obtiennent leurs lettres patentes en 1638. Les fondatrices étaient Anne de Montaffié, comtesse de Soissons et Louise de Bourbon, comtesse de Longueville. En 1683, le relâchement étant quasi général, la prieure appela les Filles du Saint-Sacrement. Plusieurs lettres de mère Mectilde à divers correspondants font allusion à cette demande et montrent qu'elle n'acquiéça qu'avec une réelle répugnance. La communauté commença le noviciat en 1685 et prononça les voeux de l'Institut en août 1686. Mais la mère prieure mourut peu après et les deux mères envoyées par mère Mectilde durent revenir rue Cassette 1688. Un peu plus tard, le Père de Roncherolles, oratorien, supérieur de ce monastère et grand ami de notre mère, obtient de l'archevêque de Paris, Mgr de Harlay, une nouvelle obédience pour les Filles du Saint-Sacrement. Mais l'âge et les infirmités du Père de Roncherolles ne lui permettaient pas de seconder les religieuses autant que cela aurait été nécessaire. Il semble que l'archevêque de Paris, malgré tout son désir de voir réussir l'affaire, n'y ait pas mis toute la diligence voulue. Après beaucoup d'humiliations et de souffrances elles durent rentrer rue Cassette. Archives du Monastère de Paris.
laquelle leur donnait lieu de tout espérer, parce qu'elle se rendait la protectrice de toutes sortes de bonnes oeuvres.
D'ailleurs notre comtesse se promettait d'y trouver tout accès par le moyen de Monsieur de la Vieuville, son allié, surintendant des Finances, qui s'employa en effet, et bien d'autres personnes encore. Mais tout cela fut en vain, en ayant tous été éconduits par Sa Majesté, par les mêmes considérations qui touchaient Monsieur de Metz, desquelles elle daigna bien s'expliquer à eux, qui étaient la décadence de tant de maisons religieuses, qui lui faisait dire qu'il n'y avait nulle apparence d'en établir de nouvelles en un temps où l'on voyait les anciennes bien rentées se détruire. Et si elle avait tiré parole de ce Prince qu'il n'accorderait point de semblable permission sans son consentement particulier, elle lui avait réciproquement promis de ne l'en prier jamais tant que les guerres dureraient.
Si bien que Notre Mère et la comtesse voyant qu'il n'y avait que le temps qui leur fit obstacle, elles ne se découragèrent point, seulement elles jugèrent à propos de le laisser couler doucement, sans faire davantage d'instances pour ne se rendre importunes à la Reine, de laquelle elles voulaient ménager les bontés pour une meilleure conjoncture. Ainsi se passa sans plus rien faire de leur part le reste de l'année 1652.
Mais pendant cet intervalle de temps que Dieu avait pris plaisir de les laisser de cette façon travailler inutilement, pour leur faire expérimenter qu'elles n'auraient jamais rien que par lui seul, et qu'il accomplirait son oeuvre, il travaillait en secret plus utilement pour elles. Cela arriva ainsi que vous allez voir.
La Reine Mère se trouvant outrée d'une mortelle douleur de ce que la plus considérable partie du Royaume se voyait révoltée contre le Roi son fils, et que, tout fraîchement, les villes d'Orléans et d'Angers avaient suivi la débauche de Paris et de Bordeaux, ayant refusé d'ouvrir leurs portes au Roi en personne, en sorte que cette dernière se laissa battre à coups de canon devant que de se rendre, elle forma la résolution de s'appliquer puissamment à apaiser l'ire de Dieu par beaucoup de prières et de voeux.
Pour cet effet elle en fit, et en fit faire en son nom par plusieurs personnes de piété en qui elle se confiait, et entre autres par Monsieur Picoté (11), très vertueux ecclésiastique de Saint Sulpice, de
(11) L'un des compagnons de M. Olier. Peu connu. Il est au dire de certains historiens un des meilleurs sujets de cette jeune compagnie. Il avait la confiance de la Reine Mère, pour laquelle il s'employa, avec succès, en plusieurs missions délicates. Confesseur renommé, il était le confesseur de M. Olier, de M. Tronson et d'un grand nombre d'éminents personnages de son époque. C'est lui qui à l'automne 1655, ayant refusé l'absolution, mais non la communion, au duc de Liancourt qui logeait deux jansénistes notoires, se trouva par les conséquences de ce refus, à l'origine des Provinciales de Pascal. M. Faillon, Vie de M. Olier, t. H, Poussielgue 1873, 3 vol. — Brémond, op. cit., III, p. 498-547. — Mouret, op. cit., t. VI.
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qui nous parlerons davantage, lui mandant par Madame la comtesse de Brienne, s'en revenant de la Cour qui était lors à Poitiers, qu'il en fit de tels qu'il le jugerait à propos, et qu'elle les accomplirait.
Ce Monsieur ne manqua pas, et, s'étant donné à Dieu plus particulièrement que de coutume pour connaître ce qu'il lui pouvait offrir
de plus agréable, il fut fortement inspiré de vouer que la Reine établirait une maison de religieuses qui seraient dévouées entièrement à honorer le St Sacrement de l'autel, en réparation des outrages que ce divin Sacrement avait reçus par les soldats et par les mauvais chrétiens pendant la guerre, sans déterminer de quel Ordre ces religieuses seraient.
C'était justement ce qu'il nous fallait pour nous aider à achever notre affaire. Il ne faut pas douter que ce ne fut aussi le dessein de Dieu. Ce bon prêtre n'en eut aucune idée, à ce qu'il a avoué depuis, quoiqu'il connut déjà fort Notre Mère ; car bien qu'après il nous ait fait appliquer ce voeu, il est constant qu'à ce moment ce n'était point sa pensée, et qu'elle ne lui vint que sur ce qu'il apprit à la suite : que notre comtesse avait été refusée de ce qu'elle avait supplié la Reine de s'employer auprès de Monsieur de Metz.
Comme il estimait beaucoup notre Mère Prieure il souhaitait fort la voir établir à Paris. Il lui vint proposer ce moyen : de lui faire appliquer ce voeu, pour savoir si elle et les fondatrices en voudraient bien convenir et consentir que leur fondation y fut destinée. Ainsi, après en avoir parlé ensemble, elles y donnèrent très volontiers les mains, et le prièrent même d'y agir incessamment.
Cependant nous pouvons dire que ce voeu fut à peine fait qu'il se vit un notable changement dans les affaires publiques. Qu'à peine le Roi s'étant approché de Paris jusqu'à Saint Denis, sur les avis qu'on lui avait donnés du mécontentement du peuple sous la domination des Princes, que le Parlement et l'Hôtel de Ville lui envoyèrent des députés pour l'assurer de leur obéissance.
De même firent tous les colonels des quartiers qui furent aussi par devers Sa Majesté pour la supplier très humblement de revenir sans délai dans sa bonne ville, et qu'il y serait reçu avec tout l'amour, le respect et l'obéissance qu'il pouvait jamais attendre de ses plus fidèles sujets.
Dieu ayant ainsi subitement changé le coeur de cette populace, les Princes qui y furent les plus faibles du moment que le peuple leur eut tourné le dos, furent contraints d'en sortir sans différer.
Si bien que le Roi y entra glorieusement, le quatrième jour d'octobre mil six cent cinquante deux, parmi les acclamations publiques, de réjouissances et de grands cris de « Vive le Roi », suivis d'un nombre infini de feux de joie allumés partout, et des lumières en toutes les fenêtres des maisons, en sorte qu'il semblait voir un triomphe.
Et bien que, comme nous l'avons dit, la Reine ait fait faire plusieurs voeux, il semble que nous ne puissions pas attribuer absolu ment à celui-ci seul ce merveilleux évènement, néanmoins il faut avouer qu'il y a bien lieu de dire que ce fut celui qui toucha le plus le coeur de Dieu, parce que c'était celui qui apportait le véritable et pacifique remède au mal que l'on voulait guérir, puisqu'il est certain que la guerre ne déplait pas tant à la divine Majesté par les injustices qui se commettent contre les particuliers, desquels on ravage d'ordinaire les biens, que par les sacrilèges que les soldats commettent dans les églises où l'on a vu très souvent fouler aux pieds le Très St Sacrement de l'autel et le mettre dans la mangeoire des chevaux.
Mais quand la guerre ne causerait d'autre mal que celui de faire cesser, comme elle fait d'ordinaire, le divin service, il ne serait déjà que trop grand, puisque c'est priver la divinité de la gloire infime qu'elle reçoit de ce sacrifice, et le monde de l'oblation qui le concerne, n'y ayant point de doute que sans le sacrifice de la messe, la colère de Dieu incessamment irrité par les péchés des hommes, exterminerait l'univers s'il n'était ainsi apaisé.
D'où nous concluons que, comme il ne se pouvait trouver de satisfaction plus revenante à ce mal de cessation de culte, et de commission de crimes, que l'adoration perpétuelle de ce même Sacrement, notre voeu était le plus propre à apaiser l'ire de Dieu ; ainsi est très probable que ce fut celui-ci qui l'apaisa et produisit ce bon effet de la paix.
Toutefois ce saint homme, pour ne se faire de faste, ne se hâta point d'en aller rendre compte à la Reine incontinent après son retour dans Paris. Il voulut laisser passer la foule et les empressements ordinaires en pareilles occasions, se contentant d'attendre de la voir aux fêtes de Noël suivantes qu'il savait qu'elle allait toujours les passer aux religieuses du Val de Grâce (12), parce qu'il espérait d'y
(12) La Reine Anne d'Autriche avait fait voeu de reconstruire l'église et le monastère du Val-de-Grâce si Dieu lui donnait un fils. Cette abbaye jouissait de la faveur royale depuis Anne de Bretagne (femme de Charles VIII puis de Louis XII). L'abbaye était alors située dans la vallée de la Bièvre et se nommait l'abbaye du Val-Profond. Anne de Bretagne lui substitua le titre d'abbaye du Val-de-Grâce de Notre-Dame de la Crèche. Anne d'Autriche demande, en 1618, à Mme de Montmartre, de lui donner la mère Marguerite de Veyny d'Arbouze qu'elle aimait et vénérait. C'est la nouvelle abbesse, béme le 19 mars 1619 qui transporta son monastère à Paris, à l'emplacement de l'actuel hôpital militaire du Val-de-Grâce. La sainteté faite d'humilité et de douceur de la nouvelle abbesse lui attira de nombreuses et solides vocations. Anne d'Autriche et la famille de Marillac à laquelle elle était apparentée aidèrent à l'acquisition du terrain. La première pierre a été posée le 3 juillet 1624 et la construction de l'église confiée à Mansart. La mère d'Arbouze est décédée en 1626. Elle a été déclarée Vénérable. A l'époque de cette histoire, l'abbesse était Anne de Compars élue en 1650 et qui resta Supérieure quatre triennats. Anne d'Autriche a désiré finir sa vie au Val-de-Grâce, elle y est morte le 20 novembre 1666, assistée par l'évêque d'Auch, Armand-Anne-Tristan de la Baume de Suze, fils de la comtesse de Rochefort amie de mère Mectilde et l'auteur très probable de ce manuscrit. Oeuvres de Marguerite d'Arbouze, Exercice journalier pour les Bénédictines du Val-de-Grâce avec un traité sur l'oraison, faisant suite aux constitutions de l'abbaye du Val-de-Grâce, 1676. — Traité de l'oraison mentale, éd. Maredsous 1934. — Delsart, Marguerite d'Arbouze, abbesse du Val-de-Grâce (1580-1626), Lethielleux 1923. — A.-L. de la Franquerie, La Vierge Marie dans l'Histoire de France, 1939, ch. XIV & XV.
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avoir une plus facile audience. En effet elle fut aussi favorable qu'il l'avait espéré, le jour des Saints Innocents qu'il y fut, Sa Majesté ayant pris plaisir d'apprendre fort au long de sa bouche ce voeu dont il lui rendit compte, et du motif qu'il avait eu de le faire.
Ce bon serviteur de Dieu connaissant la conjoncture être beaucoup favorable à son dessein — qui était à cette heure-là de favoriser le nôtre — ne perdit point de temps de proposer à la Reine le moyen de l'accomplir sans qu'il lui en coûta rien du tout, qui était d'appliquer son voeu pour notre établissement, lui faisant connaitre que les Fondatrices consentiraient volontiers que cette fondation fut destinée à cela.
La Reine se ressouvint fort bien lors, qu'on lui en avait parlé quelques mois auparavant et qu'elle avait refusé de s'employer pour elles ; mais alors, touchée du motif de ce voeu et du bon effet qu'elle en avait ressenti, — et peut-être encore de la facilité qu'elle trouvait à l'accomplir, — elle changea de sentiment et, le ratifiant, promit à ce bon prêtre d'agir en tout ce qui dépendrait d'elle en la meilleure manière qu'il se pourrait pour la faire réussir. De façon qu'elle eût appris de lui que Monsieur de Metz nous était extrêmement contraire, elle lui donna une lettre quelques jours après pour ce prince, (car il était absent), en des termes si pressants qu'il n'eut pas de peine à connaître que c'était véritablement sa volonté que cette maison se fit.
Quinze jours après, Monsieur de Metz étant de retour à Paris, notre Mère Prieure obligea sa bonne comtesse de l'aller voir, pour apprendre ses intentions sur cette lettre de la Reine, qu'on lui avait fait tenir aux champs, et elle le trouva en effet très bien disposé de leur faire tous les plaisirs qu'il pourrait pour le respect de cette recommandation. Mais il lui dit que comme c'était une affaire sujette à quelque examen et à quelques procédures à quoi il ne pouvait s'appliquer, il la priait d'agréer qu'il la renvoyât à Dom Placide Roussel (13), Prieur de l'Abbaye Saint Germain, son vicaire général, auquel il fallut depuis que nos dames s'adressassent.
(13) Moine de la Congrégation de Saint-Maur. Nous le voyons nommé en. 1646 par le chapitre général comme visiteur pour la Champagne et la Bourgogne. En 1656 Mazarin, abbé commendataire de Cluny, demande des religieux au Très Révérend Père Général de Saint-Maur, pour gouverner et réformer les monastères de l'ordre de Cluny. On lui en accorde trois. Dom Ignace Philibert pour Saint-Martin-des-Champs de Paris, Dom Placide Roussel pour Cluny avec pouvoirs de visiteur des autres monastères de l'ordre et Dom Thimothée Bourgeois pour la Charité-sur-Loire. Dom Roussel se heurta aussitôt au mauvais vouloir, voire même à la révolte des moines qui ne désiraient pas la réforme et se jugeaient offensés par les mesures de Mazarin et lésés dans leurs droits. Avec beaucoup de patience, de bonté et de douceur, il parvint à gagner quelques religieux, mais ne réussit pas à unir et réformer la communauté. Il dut quitter Cluny en 1659. Peu de temps après Dom Ignace Philibert et Dom Thimothée Bourgeois se retiraient eux aussi et rentraient dans leur congrégation. Nous retrouvons Dom Placide Roussel à Saint-Germain-des-Prés, ensuite il n'est plus fait mention de lui. Dom Martène, Histoire, op. cit., vol. 33 & 34.
Mais, quoi que ce ne fut pas son intention, il se trouva par l'évènement qu'il ne pouvait plus mal s'adresser, en telle sorte que nous ne saurions dire dans un abrégé comme celui-ci les extrêmes difficultés que ce bon Père leur fit, ni la rudesse extrême dont il usa en tout et partout envers elles ; n'ayant pas même voulu leur accorder le Saint Sacrement qu'elles demandaient bien humblement d'avoir dans leur chapelle, du moins pendant toute cette négociation qu'elles voyaient tirer à longs traits. Et n'ayant égards aucuns à la prière de qui que ce fut là-dessus, bien que plusieurs personnes de haute qualité lui en parlassent, entre les autres : Monsieur le duc d'Aumale, nommé à l'archevêché de Reims ; les traitant en toutes choses dans la dernière rigueur, jusqu'à inventer des conditions dures et fâcheuses qu'il faisait entendre vouloir mettre à cette permission par écrit de s'établir. Car, sans compter qu'il voulait que les Fondatrices ajoutassent à ce contrat de fondation du quatorzième d'août précédent qui était déjà bien fort pour des dames particulières et en puissance de mari, une autre somme assez forte pour faire qu'il y eut vingt cinq mille livres destinées seulement à l'achat d'une maison ; et en fond et principal faisant la rente de mille livres pour la pension des cinq religieuses de Remberviller, notre Mère Prieure comprise, il voulait encore qu'elles s'obligeassent en leur nom qu'il ne serait jamais reçu de fille dans leur maison de Paris qu'elles n'apportassent du moins cent écus droits de pension, au capital de deux mille écus de dot, et plusieurs autres choses.
Il y voulait mettre encore plusieurs autres choses extraordinaires s'il se peut, dont on ne souvient plus parce qu'il s'en relâcha.
De façon que notre comtesse pensa tout de bon perdre courage voyant l'impossibilité qu'il y avait de satisfaire à tout cela, comme elle l'avait déjà assez éprouvé par la peine qu'elle eut d'acheminer la chose seulement jusqu'à ce contrat de trente et une mille livres, après lequel ces autres dames ne voulaient plus ouïr parler de donner. Pour elle, elle aurait volontiers encore fait toute la somme si la chose eut été à son pouvoir. Mais elle était en puissance de mari, duquel il fallait avoir le consentement, et d'un mari qui, dans le commencement, voyait de fort mauvais oeil toute cette conduite.
Néanmoins s'animant elle-même par la sainteté de son objet, elle se mit sagement et courageusement à travailler de bonne heure pour surmonter du mieux qu'elle pourrait tous ces obstacles, avant que ce Prieur les lui eut faits par écrit.
Pour cela elle s'attacha plus particulièrement à la marquise de Bauves qu'aux autres, comme à celle qui avait mieux de quoi donner, étant la plus riche et n'ayant point d'enfants, et qu'elle paraissait d'ailleurs la plus zélée pour cette oeuvre ; et agit si bien auprès d'elle qu'elle la porta, à la fin, de donner encore dix mille livres pour l'achat de la maison.
Et pour les six mille restant qu'il fallait pour cette augmentation, elle-même les donna après ; mais ce fut un évènement de Providence
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un peu fâcheux qui lui ouvrit le chemin d'en obtenir la licence du comte son mari, qui fut une grande maladie que Dieu lui envoya dans les derniers jours du carnaval de cette année 1653. Car dans cette maladie, comme elle croyait mourir, elle s'enhardit de lui parler, le suppliant avec une extrême affliction d'agréer qu'elle fit encore ce bien pour le repos de son âme. Et ce comte se trouvant sensiblement touché de la voir en ce péril, comme aussi de se voir à la veille de perdre la duchesse de la Vieuville, son seul et unique enfant, qui était pareillement malade à l'extrémité dans ce même temps, n'eût garde de s'y opposer. Au contraire il avait lui-même grand recours à Dieu pour obtenir leur guérison, si bien qu'il lui accorda volontiers tout le consentement qu'elle désirait.
Et elle, sans se donner de relâche, bien que d'agir avec sa fièvre la mit en fort grand péril, envoya incessamment quérir Notre Mère, et cette marquise, et le notaire avec elles, pour passer ce second contrat, si peu elle estimait sa vie au prix de notre établissement.
Et par le moyen de cette diligence, ce jour-même, qui fut le cinquième de mars mil six cent cinquante trois, le second contrat fut passé, car l'espérance que la malade avait toujours conservée que Dieu lui applanirait les voies, tournant le coeur de ce Père à leur être favorable, pour les autres conditions, pourvu qu'elles satisfassent à cette augmentation, lui avait fait user d'une prévoyance qui apporta bien de la facilité de le passer si promptement, qui était de le tenir tout prêt et dressé, afin de ne point perdre d'occasion, surtout depuis qu'elle se fut assurée de 10.000 livres de la marquise de Bauves ; et par ce moyen il se trouva qu'il n'y eut que quelques blancs à remplir.
Mais le Père Prieur ne sut rien lors de tout cela, et ne l'apprit que deux ou trois mois après, parce que pendant cette maladie, personne ne travaillant plus à cette affaire, on n'avait pas de commerce avec lui, car pour Notre Mère, comme elle était toute pleine de reconnaissance, elle s'appliquait entièrement auprès de sa bienfaitrice qui la voulait toujours avoir.
Ainsi l'affaire fut conclue à cet égard par le moyen de ce contrat. Et quatre jours après, savoir le neuvième de mars, la requête de nos Mères fut favorablement répondue par Monsieur l'Abbé de Saint Germain, sans pourtant qu'il sut rien non plus de ce contrat, car il était à Verneuil d'où il date son Ordonnance, laquelle porte ce que le même Père Prieur lui avait inspiré, qu'il ne pourrait avoir dans notre maison de Paris plus de quatre religieuses de Remberviller, outre notre Mère Prieure qui ferait la cinquième, et que l'on ne recevrait point de filles qui n'apportassent du moins cent écus droits de pension au capital de deux mille écus ; que des deniers de la Fondation il en serait employé vingt cinq mille livres en l'achat d'une place pour bâtir le monastère.
Mais toutes ces conditions n'empêchèrent point qu'elles ne se trouvassent agréablement surprises de se voir expédiées dans un temps qu'elles n'osaient plus espérer de Lettres vu le retardement
qu'on y avait apporté, car pour tout ce qui leur était ordonné elles y avaient satisfait d'avance sur les menaces du Père Prieur, comme nous venons de voir, par ce contrat du cinquième [de] mars.
Elles ne le furent pas moins, quinze jours après, que ce même Père Prieur leur envoya dire d'exposer le Saint Sacrement le lendemain, jour de Notre Dame de Mars, dans leur petite chapelle. Aussi la chose ne se passa-t-elle point non plus sans merveille, comme nous l'avons toujours cru, — nous en dirons quelque chose en la troisième partie, — car il leur avait toujours été fort opposé, et leur avait souvent refusé de moindres grâces que celle-là, puisque l'Exposition du Saint Sacrement leur était comme une mise en possession, sans qu'elles eussent encore ni la croix ni la clôture.
Nos Fondatrices ne voulurent point se prévaloir de cette grâce pour en abuser, au contraire, elles se mirent à satisfaire de bonne foi aux choses qu'elles avaient promises, surtout notre comtesse qui était l'âme de cette affaire, laquelle n'eut pas sitôt rétabli ses forces, qui fut environ les fêtes de Pâques suivant, qu'elle s'en alla voir le même Père Prieur, et lui rendre compte de ce contrat qu'elle avait passé dans sa maladie dont il ne savait rien du tout. Il lui en témoigna une joie toute particulière, vu que son coeur, depuis ce jour-là, se changeait visiblement en leur faveur.
Et comme par tous ces moyens que nous venons de voir l'affaire se trouvait entièrement consommée en ce qui regardait les supérieurs écclésiastiques, elle ne souffrit pas après de si grandes difficultés à l'égard des supérieurs séculiers, car la Reine Mère voulant absolument que cette maison se fit, ils n'osèrent y résister.
Ainsi Monsieur le Garde des Sceaux nous accorda les Lettres Patentes sans qu'il en coûta plus de peine à notre comtesse qu'une visite à la Reine pour la supplier de lui en envoyer parler, et une à Monsieur le Garde des Sceaux pour lui porter les contrats de fondation qu'il désira voir auparavant. Ainsi il les scella et les délivra le mois de mai de cette même année mil six cent cinquante trois.
Par ces Lettres la Reine nous fait l'honneur de prendre la qualité de notre Fondatrice et déclare que c'est pour l'accomplissement de son voeu que notre établissement est fait, et que néanmoins la marquise de Bauves et la comtesse de Châteauvieux pourront, comme nos principales bienfaitrices, jouir de tous les honneurs et prérogatives dus aux fondatrices, comme aussi notre monastère pourrait jouir de tous les avantages accordés aux monastères de fondation royale. Et bien que cette grande Reine ne nous ait rien donné, ce n'est pas à dire qu'elle ne soit justement nommée Fondatrice puisqu'il est constant que sans l'application de son voeu notre fondation n'aurait jamais réussi.
Mais nous dirons — ce qu'à peine on pourra croire, — que pendant ce grand progrès que nous voyons, nos religieuses souffraient encore de la nécessité. Cependant il est très vrai, et que ce mal vint
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de l'éclat de notre fondation. Car comme elle se trouvait accompagnée de toutes ces grandes circonstances, le monde se persuada que le fond répondait à cette belle superficie, si bien que les plus considérables aumônes qu'on leur faisait auparavant cessèrent presque tout d'un coup, et notre comtesse, qui n'en savait rien, n'avait garde d'y suppléer, parce que notre Mère Prieure considérant les choses qu'elle faisait pour elles, apportait un soin tout particulier à lui cacher ses besoins ; avec ce qu'elle n'était que trop aise d'avoir recouvré son aimable pauvreté qu'elle aimait si chèrement qu'elle prenait plaisir de la caresser ainsi en secret. Mais il y eut bientôt remède parce qu'elle ne sut si bien faire qu'à la fin on ne s'en aperçut, et surtout les bienfaitrices, qui y pourvurent pleinement jusqu'à ce qu'à la suite elles entrèrent en jouissance des revenus de la fondation.
Il leur resta de passer par devant un autre magistrat, qui ne leur fut pas si favorable que Monsieur le Garde des Sceaux. Ce fut Monsieur le Procureur Général du Parlement qui était lors Monsieur Fouquet (14), duquel il fallait avoir nécessairement les conclusions favorables pour faire homologuer leurs Lettres au Parlement.
Et celui-là leur fit des difficultés si étranges qu'il fut besoin de faire intervenir l'autorité absolue de la Reine sans laquelle il n'en n'aurait du tout rien fait. Encore trouva-t-il moyen de l'éluder au commencement, n'osant se raidir contre ; ce fut en renvoyant notre requête aux Maires et Echevins, quoique cela ne se fut jamais guère pratiqué, mais il disait pour son excuse que, depuis cette guerre civile, il s'était jeté tant de communautés religieuses dans Paris pour y chercher leur refuge qu'il y en avait plus de cent, et toutes extrêmement nombreuses, et qu'à cet exemple il leur prendrait envie à toutes de s'y établir, ce qui serait une grande foule de peuple. Et comme il croyait que cette raison serait encore de plus grand poids dans la bouche des Echevins qui en sont comme les Pères, il leur renvoyait le tout, se promettant qu'ils n'y consentiraient jamais et qu'ainsi il aurait ce qu'il prétendait sans que le mauvais gré lui en fut su.
Mais il en arriva bien autrement puisque Dieu le permit que cet écueil contre lequel il prétendait nous faire échouer nous servit de port assuré, en façon que ce fut par cet endroit-là que notre affaire se fit, parce que la Reine ayant fait savoir à l'Hôtel de Ville par le Maréchal de l'Hopital, gouverneur de Paris, que sa volonté était que cet établissement se fit pour l'accomplissement de son voeu, il n'y eut du tout personne qui osât y contredire, particulièrement au temps que l'autorité royale venait tout récemment se rétablir si hautement ;
(14) Né à Paris en 1615, appelé en 1653 par la protection d'Anne d'Autriche à l'administration des finances, il réussit quelque temps à faire face à un budget déjà obéré, mais le déficit devenant considérable il fut accusé de dilapider les fonds de l'Etat d'autant plus qu'il avait fait des constructions somptueuses en son château de Vaux. Condamné par Louis XIV, il mourut à la citadelle de Pignerol en 1680, après dix-neuf ans de captivité. Bouillet, D.H.G.
au contraire, tous y donnèrent les mains avec joie à cause de la sainteté de ce voeu, disant qu'il était bien raisonnable de faire quelque chose pour ces bonnes filles qui faisaient tant pour eux et pour tout le monde, que de réparer leurs manquements de respect au Très Saint Sacrement de l'autel, ajoutant qu'après cela ils les pourraient bien nommer leurs filles puisqu'elles étaient les seules qu'ils avaient reçues en corps de ville, et que si elles manquaient de pain ils seraient obligés de leur en donner.
De même Monsieur le Maréchal de l'Hopital leur voulut donner aussi des Lettres d'établissement comme gouverneur de Paris, quoiqu'il ne fut pas nécessaire, mais il voulut témoigner par là sa déférence à la Reine, et l'estime qu'il faisait de nos Mères qu'il connaissait de plus loin, et fut le premier à les expédier pour animer les Echevins d'en faire autant, ce qu'ils firent deux jours après, les siennes étant du sixième et septième juillet, et les leurs du neuvième et dixième du même mois.
Mais ce ne fut pas la seule marque que ce bon seigneur leur donna de sa bonne volonté : le témoignage qu'il rendit d'elles à la Reine leur fut bien aussi avantageux, car s'étant rencontré auprès de Sa Majesté à Fontainebleau quand on vint prier d'envoyer à Monsieur le Procureur Général pour avoir ces conclusions, comme il les entendit nommer, il lui dit que c'étaient de très saintes filles, qu'il les connaissait de réputation depuis qu'il était gouverneur de Lorraine. Qu'une fois, étant allé lui-même conduire un convoi de blé du côté de Remberviller, il apprit qu'il y avait plus de 3 ans qu'elles ne vivaient que de pain de blé noir, n'ayant du tout que cela pour toute nourriture, sans que pour cela elles eussent en rien relâché de toutes leurs observances, ni rompu leur clôture, comme tant d'autres religieuses avaient fait ; et que, par tout le pays, on les avait en très bonne odeur. De sorte que ce témoignage confirma beaucoup la Reine dans la bonne volonté où elle était déjà de les établir.
Ainsi ce nouvel avantage, joint au consentement des Echevins, fit bien voir la vérité de ce qu'on dit, que tout tourne à bien pour ceux que Dieu aime, car si Monsieur le Procureur Général n'eut pas entrepris de les traverser, tout cela ne serait pas arrivé. Outre que, comme par ce moyen elles eurent le consentement des Echevins, il ne lui fut pas libre après de leur refuser le sien parce qu'il s'était fait la loi en leur renvoyant la requête, si bien qu'il fut forcé de les leur donner.
Mais comme après avoir ces consentements l'arrêt d'homologation ne leur pouvait être refusé parce qu'elles n'avaient plus de parties, elles ne se hâtèrent pas de l'obtenir, jugeant qu'il valait mieux s'appliquer pour lors aux autres choses plus pressées, ainsi il ne fut rendu qu'au mois de juillet de l'année suivante mil six cent cinquante trois.
A ces traverses s'en était jointe une autre qui serait trouvée bien importante si elle eût eu son effet, puisqu'elle ébranlait l'affaire en son fondement. C'était que le marquis de Bauves, qui s'était montré
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au commencement fort ami de nos religieuses, dans l'espérance qu'il avait qu'en considération de ses bons offices notre Mère Prieure
s'emploierait auprès de Madame sa femme pour la disposer à lui donner tout son bien (car elle était grandement riche), et voyant à la suite qu'il avait affaire à une fille qui ne voulait point s'intriguer dans les affaires du monde et qui se rapportait du tout à Dieu, il tourna absolument contre elle, mais secrètement toutefois ; et crut qu'il lui serait bon à ce défaut, de se concilier l'amitié des héritiers naturels de sa femme avec lesquels il prévoyait bien qu'il aurait un jour des affaires à déméler.
Cela fit que, pour y avoir accès, il leur fit valoir comme un grand service l'avis qu'il leur donna de la bonne volonté qu'avait cette
marquise sa femme pour notre établissement, comme si elle y eut
voulu donner tous ses biens, et leur proposa les moyens de l'en empêcher qui étaient de la faire déclarer incapable de contracter -
à cause de son grand âge — lequel en effet passait 80 ans. Mais elle ne laissait pas d'avoir le sens très bon et l'esprit fort vigoureux. Et il le leur sut si bien tourner, qu'ils en prirent tout de bon l'alarme, se résolvant de la prévenir en prenant l'expédient qu'il leur proposait de la faire interdire.
Mais comme lui se cachait en tout cela de nos Mères qu'il payait cependant de mine, il les voulut amuser jusqu'à ce point que de
mander un jour à notre comtesse qu'elle n'avait qu'à venir quand il lui plairait avec notre Mère Prieure, qu'il leur ferait compter les 20.000 francs que sa femme leur avait donnés.
Sur cela elles ne manquèrent point de s'y rendre quelques jours après, et il se rencontra que c'était le propre jour que les parents
avaient arrêté pour s'assembler là-dedans sur la délibération qu'ils devaient prendre touchant cette interdiction. De sorte qu'elles se trouvèrent bien surprises de voir qu'au contraire de les payer, on n'était là que pour prendre les moyens de leur faire perdre leur donation, la faisant casser.
Mais Dieu permit que cette bonne Dame se trouva si sensiblement touchée de l'affront qu'on lui voulait faire qu'elle leur parla d'une force admirable, accompagant son discours de beaucoup de pleurs ; si bien que s'en voyant tous confus ils se retirèrent sans rien faire et se déportèrent de cette honteuse entreprise, reconnaissant assez qu'il n'y avait pas lieu d'y persister.
Mais comme elle avait reconnu par cette action que son mari traversait tout de bon son dessein, elle se cacha dorénavant de lui ; et quelques jours après, Notre Mère l'étant allée voir, la fit approcher de son lit, et lui coula doucement dans ses mains, sans que personne le vit, quatre mille livres en rouleaux de pistoles, pour en créer une rente applicable à l'entretien du luminaire du Saint Sacrement. Ainsi passa cette tempête, et notre comtesse en fut quitte pour la peur, car Notre Mère ne s'en était pas plus émue que de coutume, demeurant toujours constamment abandonnée à la divine Providence.
Notre Mère voyant que notre établissement prenait le train de réussir avec éclat ne pensa plus que de s'en soustraire, non pour fuir le travail — elle était trop savante des volontés de Dieu là-dessus pour ne connaître que de s'en retirer du tout c'eût été plutôt une infidélité horrible qu'une vraie humilité, — mais pour la supériorité qu'elle voulait éviter, à cause de l'honneur qui lui en pouvait revenir (15).
Là-dessus elle fit son possible pour introduire à sa place une religieuse de Montmartre qui était fort de nos amies, fille au reste de beaucoup d'esprit et de vertu, mais qui n'avait pas tant de répugnance qu'elle à la supériorité, de façon qu'elle se rendit fort volontiers, à la première semonce, dans leur petite maison où elle fut bien six semaines à se laisser fort patiemment instruire par cette humble Mère de tout le projet de la chose, comme si elle en eut déjà été le chef. Mais avec tout cela, cette vraie humble eut beau faire et beau dire, jamais les fondatrices ne voulurent prendre le change. La comtesse voyant que cette prétendue Prieure ne voulait pas connaitre à leur mine le chagrin qu'elle leur faisait d'oser se promettre d'occuper un jour cette place, s'en expliqua à la fin avec elle, en termes si clairs et si précis qu'elle fut contrainte de se retirer bien vite dans son monastère ; et Notre Mère de baisser le col sous le joug de la supériorité qu'elle avait voulu éviter avec tant de soins, à moins qu'elle n'eut voulu voir détruire cette oeuvre, ce qu'elle ne pouvait en conscience après ce qui s'était passé.
Ce fut dans ce temps qu'elle forma le dessein, qu'elle a exécuté depuis, de faire reconnaître dans son monastère, la Sainte Vierge pour Supérieure ; car elle mit tout son appui en la protection de cette Reine des grâces pour réussir en la conduite de son monastère, tant elle avait un bas sentiment d'elle-même, qu'elle croyait qu'il fallait des miracles pour lui acquérir ce don, et pour cela elle voulait référer tous les honneurs, même les extérieurs, à cette divine Abbesse, comme nous dirons en son lieu, parce que, disait-elle : comme cette Reine des cieux est Mère de ce Verbe Dieu anéanti sous les espèces de ce Sacrement, et que c'est de son sang virginal qu'a été formée cette chair divine que nous y adorons, il appartient à elle seule de porter le nom et la qualité de chef de la maison du Saint Sacrement, et d'y être seule reconnue (16).
(15) Annexe Ecrit remis à Vincent de Paul, M. Olier, M. Boudon, II, p. 295.
(16) Ce texte répond à ceux qui ont accusé mère Mectilde de n'avoir choisi la sainte Vierge comme Abbesse perpétuelle de ses Monastères que par crainte de la commande. Voici comment l'abbé Duquesne rapporte la cérémome d'élection de « la Divine Abbesse » : on fit faire une statue de la Très Sainte Vierge tenant sur le bras gauche son divin Fils et ayant une crosse dans la main droite... L'office fut chanté avec la plus grande solennité... L'acte en fut dressé et inscrit après celui de la fondation... Il fut ensuite statué que dans toutes les maisons qui voudraient embrasser l'Institut on ferait la même cérémome et que l'acte en serait pareillement inscrit à la tête des registres immédiatement après celui de fondation... Dès le lendemain... on fit placer l'image de la Très Sainte Vierge dans tous les lieux réguliers du Monastère... Tout le plan général
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Toutefois pour ne pas laisser en arrière les appuis humains selon la prudence chrétienne, elle manda venir, — en vertu du pouvoir qu'elle avait encore comme Prieure de son monastère de Remberviller, — la Révérende Mère Bernardine de la Conception, de laquelle nous avons parlé en la première partie, pour partager avec elle les honneurs et les charges de sa maison, la faisant sa Sous Prieure.
Aussi pouvons-nous remarquer qu'elle n'aurait su faire un choix plus digne et plus conforme à ses intentions que celui-là, puisque le solide jugement de cette Mère et sa constante ferveur en tous les exercices de sa Règle l'ont toujours rendue un parfait modèle de religion ; comme l'exercice de quatorze ans de la charge de supérieure, qu'elle a fait tout ce temps-là, lui avait acquis une très grande suffisance au gouvernement, de manière que toutes ces bonnes qualités lui avaient acquis l'amour, le respect et la confiance de toutes les religieuses, mais surtout de notre Mère Prieure qui la regardait comme sa mère de religion parce que c'est elle qui la reçut dans l'Ordre de Saint Benoit. Et cette Mère ne manqua pas de lui obéir, s'en étant venue au plus tôt avec la Révérende Mère Anne de Sainte Magdelaine dont nous avons aussi parlé en la première partie, fille de grande observance, pour la faire Maitresse des Novices.
Elles arrivèrent à Paris un peu après les fêtes de Noël 1653 que nos religieuses étaient encore à la rue du Bac, chez Monsieur Pinon, où elles s'étaient logées depuis le terme de St Jean 1652, pour être un peu plus au large qu'elles n'étaient dans cette chétive maison du Bon Ami ; et deux de celles de Remberviller qui étaient à Paris y furent renvoyées pour leur faire place.
Nous n'avons pour rien conté jusqu'ici l'une des principales difficultés qu'eût à surmonter notre vigilante comtesse, cependant c'était bien la plus importante, puisque c'était la résistance de nos Mères de Remberviller à nous céder notre Mère Prieure ; car comme elle était leur professe, elles étaient en droit de la rappeler. Elles se sont mises quelquefois en devoir de le faire, si bien qu'il ne se peut dire ce qu'on a eu à combattre là-dessus devant que de les pouvoir gagner. Encore elles n'y consentirent que tacitement, en ne la rappelant pas, mais jamais, quoi qu'on y eût su faire, elles n'ont voulu passer d'acte pour cela ; ni Notre Mère non plus n'a point voulu renoncer par écrit à leur maison, en sorte que s'il ne se fut agi de la gloire de Dieu, jamais on n'aurait rien pu obtenir d'elles. Mais comme ce sont de saintes filles, elles n'ont osé s'opposer à cette bonne oeuvre, et ont sacrifié à Dieu leur propre satisfaction jusqu'à présent, puisqu'il est
du nouvel Institut était que celles qui s'y consacraient fussent des victimes de réparation à la gloire du Jésus-Christ... par l'entremise de Marie.
Duquesne, Vie de mère Mectilde, éd. Nancy, 1775, p. 254. — Annexe : Lettres à Dom Placide Roussel, III, IV, V, page 296.
vrai qu'elles honorent et aiment si tendrement cette digne Mère que l'on ne le saurait exprimer (17).
Nos Pères de la Congrégation Saint Vanne même nous y faisaient de grands obstacles, mais en secret, par l'amour de leur patrie, où ils auraient bien voulu conserver une si digne personne ; et il n'est sortes de choses qu'ils ne fissent, sous-main, pour la dissuader de cette entreprise, parce qu'ils n'auraient jamais cru qu'elle eut réussi comme elle a fait.
Ils n'étaient pas les seuls de cette opinion. Mais Dieu s'est moqué de la prudence des hommes et a fait son oeuvre au dessus de leur conseil (18).
Quand notre Mère Prieure eut donné ce bon ordre pour la conduite du dedans de sa maison, elle s'appliqua toute entière au dehors à chercher cette place que le Père Prieur leur avait ordonné d'acheter pour bâtir le monastère.
Mais la principale fatigue en fut pour notre comtesse, puisque nous pouvons dire avec vérité que pendant cinq mois entiers il ne se passa guère de jour qu'elle ne les vint prendre dans son carosse à cette extrémité du faubourg Saint Germain où elles logeaient, pour les mener quelquefois jusqu'aux extrémités du faubourg Saint Martin, Saint Jacques, Saint Antoine, Saint Marceau et Saint Victor, et d'autrefois par delà, suivant ce que leur indiquaient plusieurs serviteurs de Dieu de leurs amis qui tâchaient de leur aider dans cette pénible recherche ; s'étant départi à cet effet tous les quartiers de Paris, afin qu'après qu'ils auraient remarqué quelque lieu qui leur semblait convenable, ils vinssent les en avertir pour qu'elles y allassent voir.
Mais de ce soin même d'où elles espéraient recevoir tant de soulagement il leur arriva au contraire un très grand embarras, parce que chacun devenant amoureux de son idée voulait en toute façon que l'on se tienne à sa proposition, et cela faisait souvent naître de la contestation entre eux, et par conséquent donnait bien de l'exercice à notre Mère Prieure pour les satisfaire tous.
(17) Euphrasie de Hautoy et Barbe de Hulces alliées aux Princes de Salm et de plusieurs grandes familles Lorraines avaient été formées par Dom Didier de la Cour à l'abbaye Saint-Vanne de Verdun, puis à Saint-Nicolas-près-Nancy. Ce sont elles qui fondèrent le monastère de Rambervillers. Dix jours après leur arrivée, elles recevaient au postulat Mlle Gromaire qui deviendra mère Bernardine de la Conception, prieure de ce monastère, qui à ce titre recevra la jeune mère de Saint-Jean à la profession le 11 juillet 1640. Elle restera la collaboratrice et l'amie la plus fidèle de mère Mectilde et ne la quittera plus de Noël 1652 jusqu'à sa mort. A Montmartre, mère Mectilde connut aussi l'influence de la réforme de Saint-Vanne. Marie de Beauvillers avait choisi comme confesseurs et conseillers des Pères de la Congrégation de Saint-Maur (formés au début de cette réforme à l'abbaye de Saint-Vanne). L'abbaye Saint-Germain-des-Prés dont mère Mectilde dépend rue Férou et rue Casette, est mauriste.
Mgr Hervin, Vie de mère Mechtilde du Saint-Sacrement, de Bray et Retaux, 1883.
(18) Annexe : Lettres de M. Caillié, vicaire général de Toul, de Dom de l'Escale, de la Communauté de Rambervillers, VI, VII, VIII, IX, X, XI, p. 298.
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Ce qui dura, comme j'ai déjà dit, quatre ou cinq mois, parce que par dessus la place pour y bâtir qu'il leur fallait trouver, elles étaient obligées encore de chercher une maison à louer pour s'y mettre en clôture, en attendant que le bâtiment fut fait ; d'autant qu'il ne se trouvait point de maison à vendre qui leur fut propre, qui ne fut d'un prix au dessus de ce qu'elles avaient à y mettre, si bien qu'elles avaient de la peine au double. Et le plus fâcheux fut qu'après avoir parcouru généralement tout Paris, elles ne trouvèrent point cette place à bâtir, ni cette maison à louer, ce qui ne leur apporta pas une médiocre inquiétude car elles ne pouvaient rien faire ni espérer pour la clôture qu'elle ne fussent raisonnablement logées.
Il fallait qu'il en arriva ainsi afin de faire paraître partout une conduite de Providence sur elles, puisque Dieu fit en un quart d'heure et par un mouvement subit ce qu'elles n'avaient su faire en cinq mois avec une fatigue étrange, avec bien de la consultation.
Ce fut qu'un jour, sur la fin de tant de courses, notre Mère Prieure
venant de laisser sa comtesse à son logis, après avoir cherché encore tout ce jour-là, se servant de son carosse pour se retirer chez elle,
se fit descendre chez une dame de ses amies qui logeait dans la rue Férou, au même faubourg Saint Germain, et la trouva qui déménageait de son logis pour aller loger dans la rue Vaugirard qui est tout contre.
Contant son ennui, cette dame lui proposa brusquement de prendre la maison d'où elle sortait, qu'en effet était assez belle. Et ce fut
celle-là même qu'elles prirent à la suite. Cette parole ne fut pas
plutôt prononcée que l'esprit de Notre Mère, — comme elle l'a confessé depuis, — se trouva dans une parfaite correspondance à
cette proposition, demeurant comme toute arrêtée sur cette maison, et lui semblant en avoir vu en un clin d'oeil la disposition avec tous les accommodements qui se pouvaient rencontrer pour y avoir clôture.
Si bien qu'elle se détermina d'abord, ce qui ne lui était guère ordinaire, car elle se laissait toujours aller à l'avis d'autrui comme
nous avons dit ailleurs ; et elle dit à cette dame qu'elle la voulait fort bien, la priant même d'en parler au plus tôt au propriétaire qui était de ses amis, comme de son côté elle en avertit sa comtesse qui ne manqua pas le lendemain de la venir prendre pour la voir ensemble.
Cette comtesse l'ayant vue n'en fit pas de même, n'en convenant point du tout, au contraire elle, et avec elle plusieurs de leurs amis ne pouvaient la goûter à cause qu'il n'y avait qu'un très petit jardin, et que tous les lieux bas n'étaient point propres pour en faire des lieux réguliers. Toutefois ils s'y rangèrent à la fin après avoir considéré que s'il s'y trouvait des incommodités, aussi s'y trouvait-il bien des commodités qui les balançaient, comme le bon marché de la maison, le bon air, le bon quartier, et celui du palais d'Orléans, le voisinage de plusieurs personnes de qualité qui produisait pour elles une grande sûreté, la proximité de l'église paroissiale pour avoir des prêtres pour les Messes et le Salut, et celle de plusieurs maisons religieuses d'hommes pour avoir des confesseurs, et enfin qu'elles étaient proches de la place au marché pour leurs vivres. Mais le principal était qu'elles se rencontraient fort proches du logis de leur bonne comtesse d'où venait leur plus grand secours, d'où il arriva qu'elles s'arrêtèrent à celle-là sans plus chercher davantage. Aussi comme Dieu en avait fait le choix, les hommes auraient eu beau faire il y aurait toujours fallu venir.
Pourquoi douterait-on que Dieu n'en eut fait un choix tout particulier et qu'il n'eut pas daigné s'appliquer à faire trouver une maison pour son Fils caché dans ce divin Sacrement, puisqu'il nous donne pour un article de foi qu'un cheveu ne tombe pas de notre tête et un moineau ne se vend pas au marché sans l'ordre exprès de sa providence. A plus forte raison devons-nous croire qu'il s'appliqua de pourvoir à la maison dans laquelle un Institut si saint et si extraordinaire devait prendre naissance ; aussi les effets l'ont bien confirmé, puisque nos religieuses qui la vinrent habiter ont souvent dit qu'elles y ont été comblées d'une infinité de grâces et qu'entre les autres il leur semblait sentir toujours une présence de Dieu très intime.
Ceux même qui en sortaient déclarèrent à Notre Mère qu'un peu avant qu'elles y vinsent il leur semblait y goûter un je ne sais quoi de Dieu qui opérait en leurs âmes de merveilleux effets pour leur conversion, et qu'ils n'avaient pas senti depuis, lui demandant ce que ce pourrait être ? Qu'eût-ce été sinon grâces avant-courrières de celles dont l'Institut se devait trouver un jour inondé, et quelque exhalaison de la bonne odeur du paradis qui s'ouvrait déjà pour y venir habiter avec le Dieu de la gloire quand les religieuses y seraient.
Il n'est pas jusqu'aux personnes du dehors qui n'eussent part à cette largesse divine, sentant dans leur chapelle une très particulière dévotion, ce qui fit que le concours y fut d'abord si grand que ne pouvant tous tenir dedans il y en avait toujours au découvert jusqu'à la rue, malgré la pluie et les autres incommodités de l'air qui se rencontraient souvent.
Mais concluant le discours de notre marché, nos amis et amies furent tout d'avis de s'arrêter à cette maison ; le contrat en fut passé le quatrième de novembre 1653 pour quatre ans, au prix de huit cent livres par an ; à quoi s'obligèrent le comte et la comtesse nos fondateurs, parce que Monsieur de Saint Pont, le propriétaire, ne voulut pas se contenter de la seule obligation de nos religieuses.
Le prix fait des réparations pour la mettre en clôture fut incontinent donné pour y travailler incessamment, afin qu'elles y puissent aller loger aux fêtes de Noël suivant.
Comme la clôture était un grand acheminement à l'accomplissement entier de la fondation, notre Mère Prieure et Madame la com-
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tesse s'en allèrent aussitôt porter la bonne nouvelle de ce bail à Madame la marquise de Bauves qui, bien languissante dans son lit à cause de son extrême vieillesse, ne laissait pas de conserver un désir tout à fait ardent que cette affaire s'achevât. Quand elles lui présentèrent les clés de la maison en signe de la vérité qu'elles lui annonçaient, elle les prit dévotement dans ses mains et les baisa d'une façon si respectueuse et si tendre qu'elle tira des larmes de leurs yeux.
Les voici ce semble arrivées au port, car il ne leur restait plus rien à faire, et il ne leur manquait plus rien de ce qu'on leur avait ordonné, puisqu'elles avaient satisfait à tout ce que les Supérieurs spirituels et laïques en avaient demandé. Toutefois il va venir un coup de mer qui les en va jeter bien loin. Ce coup fut la mort de cette bonne marquise qui décéda la surveille de Noël de cette même année 1653, avant que la croix fut plantée et que nos religieuses fussent dans la maison ; car on n'avait pas manqué de faire les préparations nécessaires. Et comme elle mourait sans enfants, sa succession fut à partager entre plusieurs de ses neveux et nièces qui entrèrent en de grands différends pendant lesquels nos religieuses ne savaient à qui s'adresser pour être payées des 20.000 livres que la défunte leur avaient données, vu même que, quand notre comtesse en voulut parler à quelques uns, ils lui faisaient entendre que cette donation pouvait bien être débattue à cause du grand âge de la donatrice, qui faisait présumer qu'elle était dans l'imbécillité et dans l'incapacité de contracter lorsqu'elle l'avait fait.
Ce qui fut de plus fâcheux fut que ce bruit n'étant point secret, vint aux oreilles du Révérend Père Prieur de l'Abbaye qui entra de nouveau dans de grandes considérations de leur donner la clôture ; ne croyant pas devoir renfermer des filles sans rentes et sans revenus ; à cause que ces 20.000 livres, qu'il croyait être perdues, faisaient presque la moitié de la plus claire fondation ; l'autre moitié, qui se trouvait composée des sommes que ces autres dames donnaient, n'était payable pour la plupart qu'après leur mort.
Ainsi il regardait que nos religieuses n'auraient point de biens pour vivre et ne pourraient plus espérer les aumônes du passé parce que tout le monde les croyait fort bien fondées.
Il lui fâchait aussi de rompre une affaire d'où l'on était venu si avant, et de renvoyer nos religieuses qu'il commençait d'aimer par la connaissance que leur fréquentation lui avait acquise de leurs vertus. Si bien que, dans ce combat, il prit ce temps de faire proposer à notre comtesse que si elle voulait répondre des 10.000 francs que la défunte avait promis pour l'achat de la maison, et de faire la rente ou bien donner en argent comptant une partie des sommes qu'elle-même ne donnait qu'après sa mort, il leur accorderait la croix ; mais que, si elle ne le pouvait faire, il ne fallait plus l'espérer et qu'il fallait au contraire que nos religieuses s'en retournassent au plus tôt à leur pays.
Cette proposition à la vérité lui fut un peu surprenante, mais son zèle, déjà aigri à surmonter tous les obstacles qui s'étaient présentés,
ayant pris un nouvel accroissement dans ce pénible exercice, sur-
monta bientôt celui-ci, s'étant résolue de faire tout ce que le Père demandait. Il est vrai qu'elle y eut bien moins de peine que les autres fois, parce que Monsieur le comte son mari commençait à s'affectionner tellement à notre établissement qu'il n'avait pas de plus
grand plaisir que d'y voir travailler sa femme ; et nous pouvons dire en passant que ce changement ne fut par la moindre des merveilles que nous avons remarquées en cette affaire, parce qu'il n'y avait que Dieu seul qui en put être l'auteur, vu son opposition naturelle, qui était encore plus grande que celle de sa femme, pour tous les monastères de filles, et qu'il la voyait beaucoup donner, ce qui d'ordinaire, n'est guère agréable aux maris qui n'ont point le coeur aux bonnes oeuvres ; mais lui, tant s'en faut que depuis qu'il eut commencé de s'y affectionner il se lassa de leur donner ! que plus il leur donnait plus il leur voulait donner.
Ainsi cette bonne dame, sa femme, répondit des 10.000 livres promises par la défunte pour l'achat de la maison, et en compta 13.000 de son bien, par le moyen de quoi la croix leur fut accordée. Le jour fut pris pour la poser le douzième du mois de mars suivant, à huit ou dix jours de là, parce que par bonheur les réparations de la maison se trouvèrent faites.
Le 12e mars 1654 étant venu, le Père Prieur fit la cérémonie. La Reine Mère y fut invitée par nos religieuses de leur faire l'honneur d'y assister comme leur principale Fondatrice, ce qu'elle fit avec beaucoup de marques de bonté, fit poser la croix en sa présence sur le haut de la muraille, car comme le fond n'était pas à nos Mères, n'étant qu'une maison de louage, on ne la put poser que sur la muraille de la porte.
La cérémome fut conclue par un acte signalé de piété de cette grande Reine, qui fut de prendre en main le flambeau pour faire la première Réparation au Très Saint Sacrement, en présence de tout le monde, les rideaux des grilles ouverts, devant le Saint Sacrement exposé ce jour-là pour la prise de possession.
Ainsi cette grande Reine nous mit la première en possession de l'exécution de son voeu, par son autorité et par son exemple ; et nous pouvons dire qu'elle réparait plutôt pour les irrévérences et profanations d'autrui que pour les siennes propres, puisque jamais il n'y a eu de princesse plus profondément respectueuse à ce divin Sacrement qu'elle, ni posséder à un plus haut degré la vertu de religion.
C'est de quoi elle a donné une infinité de preuves, et entre autres deux illustres, les dernières années de sa vie : la condamnation du Jansénisme, dont l'Eglise a l'obligation à ses soins, l'ayant poursuivie incessament auprès des Papes Innocent 10° et Alexandre 7e, qui l'honoraient grandement pour sa rare piété ; et d'avoir apaisé le Roi son fils, et l'avoir rendu capable de donner au respect qu'un prince
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catholique doit au Saint Siège Apostolique, le très vif ressentiment qu'il avait de l'outrage qu'il avait reçu en la personne du duc de Créqui, son Ambassadeur à Rome, de qui les gens furent assassinés à la portière de son carosse par les domestiques de quelques cardinaux, pendant le règne de notre Saint Père Alexandre 7e.
Et cette excellente vertu, qui est le fondement de toutes les vertus, se trouvait jointe en elle à celle de clémence en un point de si grande perfection que, bien qu'elle ait été la princesse — et peut-être la personne du monde — la plus outragée en sa réputation pendant les guerres civiles arrivées durant sa Régence, et pendant la vie du Roi Louis 13' son époux, — comme l'histoire du siècle ne manquera pas de remarquer — elle n'a jamais voulu se venger, quoiqu'elle en eut le pouvoir ; et surtout depuis qu'elle fut déclarée Régente. Au contraire elle maintint dans leurs emplois ses plus âpres persécuteurs.
Ces deux royales vertus unies à sa charité immense qui lui faisait donner par milliers aux pauvres nécessiteux feront vivre sa mémoire jusqu'au siècle à venir (19).
Donc cette célèbre journée finit par la dévotion du Salut, après lequel tout le monde se retira pour laisser jouir nos religieuses d'un peu de repos, et goûter tout à leur aise la joie de tant de bonheur dont elles venaient d'être mises en possession, et ont joui depuis, qui est d'avoir le Saint Sacrement exposé tous les Jeudis à titre d'un article principal de notre Institut, et d'être nommées de ce nom glorieux de Filles du Saint Sacrement ; car c'est par une ordonnance expresse du Révérend Père Prieur — en parchemin — que nous devons avoir cet auguste Sacrement exposé tous les Jeudis à perpétuité, qui est une chose tout à fait particulière, puisque partout ailleurs on est obligé de recourir à chaque fois au Supérieur pour en avoir la permission.
Après cela l'Institut répandit d'abord une si bonne odeur qu'aussitôt qu'elles eurent la clôture, une des filles d'honneur de Madame
(19) Duquesne qui a écrit la vie de mère Mectilde moins de 100 ans après la mort de celle-ci, nous donne un portrait de la Reine, telle qu'elle devait être connue dans les milieux dévots et en particulier parmi les amis du monastère de la rue Cassette.
Nous sommes en 1651, en pleine guerre civile. « La Reine était désolée de tant de désordres auxquels ni la prudence de ses ministres, ni l'habileté de ses généraux n'avaient encore pu apporter de remèdes efficaces... Anne d'Autriche était une des plus vertueuses princesses qui eussent occupé le trône. Un éloge surtout qu'on ne peut lui refuser, c'est d'avoir toujours constamment sacrifié ses affections, ses ressentiments et l'intérêt de Sa Maison à la gloire et au bien de l'Etat. Il serait injuste de la rendre responsable de la fomentation qui agitait les esprits longtemps avant elle... elle fit pour la calmer tout ce que l'on pouvait attendre de l'administration la plus sage. Ferme à propos pour ne point trahir les droits de la Couronne, elle ne rougissait point de plier à l'occasion pour épargner les peuples. Elle réussit enfin, mais elle en renvoya toujours toute la gloire à Dieu, à qui Seul, elle s'en croyait redevable ». Duquesne, op. cit., p. 221-223.
la duchesse d'Orléans (20), nommée Mademoiselle d'Ucelle, d'une illustre maison de Bourgogne, y prit l'Habit. Mais elle n'y a point fait profession à cause que sa faible santé n'a pu supporter les austérités de la Règle. Plusieurs autres furent reçues, il n'en sera pas fait mention parce qu'il y a un Livre exprès.
Après cette heureuse conclusion notre Mère Prieure trouva bon de laisser reposer quelques mois notre comtesse, devant que de la remettre à chercher de nouveau cette place pour y bâtir, dont elle devait avoir dorénavant toute seule la fatigue, parce que Notre Mère ne sortait plus que par permission expresse du Révérend Père Prieur, encore bien rarement.
Mais au bout de ce temps-là, cette comtesse reprit courageusement le travail, se remettant à chercher avec le même zèle qu'auparavant. Il est vrai, comme elle avait déjà parcouru tout Paris dans ce dessein, elle n'avait plus guère à faire qu'à se déterminer entre un petit nombre de places, sur lesquelles — comme les plus propres elle avait jeté les yeux, dont celle où le monastère est bâti présentement était l'une.
Notre Révérende Mère répugnait à celle-là à cause du mauvais renom de la rue, ce qui fut cause qu'on ne la prit pas pour lors. Et à celle-là était concurremment proposée, par un vertueux écclésiastique de leurs amis, une autre, tout devant Saint Lazare, hors la porte Saint Denis, où il n'y avait point de bâtiment.
Ces diverses propositions firent naître une contestation un peu fâcheuse entre lui et la comtesse. C'était un homme fort arrêté à son sens, il s'était tellement imprimé cette place de la porte Saint Denis qu'il ne pouvait du tout souffrir qu'on le contredit là-dessus. Il voyait que la comtesse inclinait plus à cette autre du faubourg Saint Germain : ce n'était que pour les avoir plus proches d'elle afin de les avoir plus à sa commodité ! et non pas qu'elle y considérât leur avantage, ni l'augmentation de la gloire de Dieu, laquelle à son compte — n'était qu'à cette place de Saint Lazare.
Cependant la vérité est que celle-là, bien qu'en effet elle fut assez jolie, ne nous convenait point du tout, tant à cause de l'excessive cherté pour le quartier que c'était : on en demandait 10.000 écus
(20) Marguerite de Lorraine, soeur de Charles IV duc de Lorraine, épouse secrètement Gaston d'Orléans en 1632. Son fils meurt en bas âge, sa fille aussi en 1652. Sa seconde fille, Françoise-Madeleine (1648-16M) épouse, en 1663, Charles Emmanuel, duc de Savoie. Il nous reste une importante correspondance entre mère Mectilde et la duchesse. La duchesse avait eu beaucoup à souffrir non seulement de la part de son mari, mais du fait de Richelieu qui n'avait jamais accepté son mariage. La Lorraine était alors alliée aux ennemis de la France et la duchesse faisait un peu figure d'étrangère à la Cour. Mère Mectilde a dû la comprendre aussi sur ce point. Le duc d'Orléans était mort à Blois en 1680, sans laisser de fils, ni de son premier mariage avec la duchesse de Montpensier, ni de son second avec Marguerite de Lorraine, le frère de Louis XIV devenait duc d'Orléans. On comprend les allusions de mère Mectilde dans les lettres à la duchesse sur « la perte » de sa maison.
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droits seulement pour la place nue, — qu'à cause de l'extrême éloignement de toutes choses qui aurait absolument empêché le progrès de l'Institut.
Pour le convaincre et le ramener il fut nécessaire que notre Mère Prieure à qui cette contestation ennuyait infiniment — elle avait bien du respect pour ce serviteur de Dieu, mais elle était de l'avis de Madame la comtesse — le suppliant d'agréer que la décision de ce choix fut remise à la pluralité des voix de leurs amis, afin que la chose fut conclue au consentement de tous ; n'ayant pu qu'y consentir, l'assemblée se tint, et fut composée d'un bon nombre de personnes de prudence et de piété. Notre comtesse ne s'y voulut pas trouver pour laisser plus de liberté d'opiner ; pourtant elle ne laissa de gagner sa cause, tous ayant trouvé qu'en effet le quartier du faubourg Saint Germain était meilleur et plus propre que l'autre, qu'il n'y avait nulle apparence de nous aller mettre si loin que le faubourg Saint Denis.
Ce bon monsieur eut encore de la peine à se résoudre, il le témoigna assez par les discours qu'il tint à notre comtesse, lui rapportant à son logis le résultat de l'assemblée — de quoi il voulut bien prendre la commission pour avoir l'occasion de lui décharger l'amertume de son coeur, — en lui disant que Dieu et les hommes s'étaient à la fin accommodés à sa faiblesse et avaient adhéré à son amour propre ; mais qu'aussi il fallait absolument que dans la semaine elle concluât le marché ou de cette place qu'elle proposait ou de quelqu'autre, qu'on ne lui donnait que ce temps-là.
La chose se fit en effet, mais non pas si vite. Les affaires de cette nature ne se font pas aisément. Nos Mères répugnaient toujours à cette rue ; pour les contenter il fallut voir s'il se pourrait trouver quelque autre place. Le marché de celle-ci ne fut conclu qu'au mois de janvier 1658. Elle coûta 25.000 livres d'achat, et deux mille ou environ pour les droits des laods (21) à Monsieur l'Abbé de Saint Germain, ou pour les frais du décret qu'il y fallut faire passer pour la sûreté de leurs deniers. Ainsi on ne put bâtir plus tôt qu'au mois d'avril 1658, que le contrat de prix fait fut donné par nos Mères et par la comtesse, au sieur Gestar, Maistre entrepreneur, pour le rendre fait et parfait dans un an, au prix de ? ? ? ?
Cet entrepreneur leur tint parole, en sorte que la translation de la Communauté se fit de leur maison de la rue Férou au bâtiment neuf au jour de la fête de notre B.P. Saint Benoit, sans aucune cérémonie, les religieuses s'y étant rendues la veille, sans bruit, dans des carosses de quelques dames de leurs amies.
Et le jour de la fête de l'Incarnation du Verbe, l'église et le monastère furent bénis par le Révérend Prieur en Dieu. Monseigneur
(21) Droits dus à un seigneur pour les acquéreurs de biens dans sa censive (propriété féodale).
Henry de Maupas du Tour (22), lors Evêque du Puy et présentement d'Evreux fit la cérémome le matin (23) et l'après dîner, le même jour, il donna le voile à Damoiselle Marie Hardy, nommée de son nom de religion Marie Hostie du Saint Sacrement à laquelle, entre les autres louanges qu'on lui doit, celle-là lui est due de ce beau rétable de notre église qui est une production de ses riches conceptions, et qui a été acheminé à la perfection où nous le voyons à moins d'un an, par son habile conduite et par sa merveilleuse intelligence en toutes les belles choses. Mais ce qu'il y a de remarquable c'est que, bien qu'il coûte plus de 8.000 livres, il n'en a presque rien coûté à la maison, tant elle a su ménager la bonne volonté de nos amies, aussi bien que de plusieurs autres personnes de piété qui ont contribué avec plaisir pour dresser cet autel si magnifique à la gloire de notre auguste Sacrement ; et ces deux cérémonies concourrant avec la solennité du jour attirèrent tant de gens de qualité dans le monastère qu'il ne saurait guère voir de plus belle assemblée que celle-là.
Nous serions ici au bout de notre narré puisque la translation du monastère semblerait le devoir clore comme étant le dernier de tous les grands actes de notre établissement. Mais nous sommes très obligées de retourner sur nos pas pour ramener plusieurs notables circonstances de cette conclusion, que nous avons laissées en arrière pour ne les avoir pu amener dans le fil de notre discours, lesquelles sont pourtant trop dignes de mémoire pour les omettre.
(22) Descendant des barons du Tour en Champagne. Né en 1606 d'une famille illustre, il est tenu sur les fonts baptismaux par Henri IV. Après ses études en Sorbonne, il reçoit le gouvernement de l'abbaye de Saint-Denis de Reims (où il introduit en 1636 la Congrégation de Sainte-Geneviève). Vicaire général de Reims pendant dix ans, il est ensuite premier aumônier d'Anne d'Autriche. En 1641, il est nommé évêque du Puy et sacré dans la maison des profès Jésuites par Charles de Mouchal, évêque de Toulouse, asssisté de François Fouquet, évêque d'Agde et d'Antoine Godeau, évêque de Grasse. Grand ami de François de Sales et de Jeanne de Chantal ; il travailla avec François de Sales à l'institution des Visitandines. Député deux fois à Rome par le clergé de France pour obtenir la béatification du saint évêque, il eut le bonheur de voir ses démarches couronnées de succès par le pape Alexandre VII. Ces affaires retardèrent sa prise de possession de son evêché d'Evreux. Il n'y vint qu'en 1664, le 24 mars. Il meurt le 12 août 1680 des suites d'un accident de voiture. En 1664, il fonde le séminaire, qu'il complète en 1673 par l'érectibn des « Conférences écclésiastiques » dans son diocèse, à l'imitation de celles de M. Vincent de Paul à Saint-Lazare. En 1676, il érige une communauté de « petites filles pauvres » sous la direction de Mlle de Bouillon (à l'imitation de l'Institut de la maison du Saint-Esprit, fondé en 1654). Il écrit la vie de Mme de Chantal en 1644 et de saint François de Sales en 1657. Une oraison funèbre de saint Vincent de Paul en 1669. Le Brasseur, Hist. Civile et Ecclésiastique du Comté d'Evreux, Paris 1722. — François-Xavier de Feller, Biographie Dict. historique, Paris 1833.
(23) Les châsses placées près du tabernacle renfermaient les corps des martyrs : saint Denis, sainte Candide, sainte Benoîte, sainte Emilienne, rapportés de Rome par un religieux minime et par M. Fermanel, l'un des fondateurs du séminaire des Missions Etrangères. Un nombre important des ossements de sainte Candide se trouvent actuellement dans notre monastère de Rouen. L'année suivante mère Mectilde reçut de la duchesse douairière d'Orléans, le corps de sainte Ide qui, inhumé d'abord au prieuré de Saint-Waast près Boulogne, était à l'abandon. A la Révolution, ces ossements échappèrent aux profanations et le corps de sainte Ide repose encore en entier en notre monastère de Bayeux. Vie anonyme de mère Mectilde. — Chanoine Van Drival, Légendaire de la Morinie, p. 111.
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La première : que, quand il fallut poser la pierre fondamentale du bâtiment, l'on fut longtemps à délibérer si l'on prierait la Reine de leur faire encore cet honneur, et le temps que l'on mettait à délibérer là-dessus, la Cour s'en alla dehors. Ainsi il ne s'en fit rien.
L'on proposa ensuite de prier Monsieur le prince de Conti ; et comme on se disposait à cela, il fut pareillement obligé de s'en aller à son gouvernement.
Comme si Dieu eût voulut ôter tous les empêchements que l'on mettait à l'exécution du dessein qu'il avait inspiré à notre Mère Prieure qui n'avait osé le découvrir, et n'aurait encore fait sans cette ouverture de providence. C'était de faire poser les trois premières pierres par trois pauvres, aux trois endroits plus considérables du bâtiment, au nom et à l'honneur des trois personnes qui composent la sacrée famille du Verbe Incarné sur terre : Jésus, Marie, Joseph.
Ce dessein étant connu du comte, notre bienfaiteur, il demanda instamment de représenter Saint Joseph en cette cérémonie, et sa dévote femme : la Sainte Vierge ; de laquelle elle avait déjà l'honneur de porter le nom, et le petit comtin de la Vieuville (24) leur petit-fils, qui était de deux ans, le divin Enfant Jésus. Ce qui leur fut accordé avec éloge de la part de notre Révérende Mère Prieure et de la communauté pour leur grande dévotion.
Ainsi ces pierres furent posées après avoir été bénites par Monsieur l'abbé Mélian (25) qui fit la cérémome ; la première : là où est la grande porte de l'église, la deuxième où est la chapelle de ce comte, la troisième : à l'endroit où commence le corps du monastère ; et sous chacune fut mise une boite de reliques avec des plaques de cuivre marquées d'un Saint Sacrement au pied duquel est écrit le mois et l'année qu'elles ont été posées dans cette fondation.
La deuxième circonstance est pour les deniers qu'il fallut employer au bâtiment. Les principaux sortirent de la bourse de ce vertueux comte, par une rencontre encore de providence qui n'était nullement prévue. Ce fut qu'après que la comtesse eut employé les 6.000 Livres qu'elle avait données pour avoir une maison, et les 10.000 livres dont
(24) Charles, marquis de la Vieuville, né à Paris en 1582, mort en 1653. Il se fit beaucoup d'ennemis par son caractère emporté et présomptueux. Enfermé au château d'Amboise en 1624, il parvient à s'enfuir à l'étranger. Il rentre en France en 1628, intrigue contre Richelieu et doit s'enfuir à Bruxelles en 1631. Il revient en France sous Mazarin et obtient de Louis XIII le rétablissement de ses droits le 11 juillet 1643. Il est nommé surintendant des finances, duc et pair de France 1651-1653. Son fils, Charles II du nom, épouse la fille de la comtesse de Châteauvieux en 1649. Le petit « Comtin » doit être leur troisième fils, né en 1656-57 et donc âgé de 2 ans le jour de l'Ascension, pose de la première pierre rue Cassette. Il sera abbé de Savigny le 3 février 1676 et mourra à Paris en avril 1689. Le Père Rapin, S.J., a écrit sa vie. La famille est originaire de Bretagne. Dezobry, Dict. Géographie et Histoire, Delagrave 1876.
(25) Augustin Mélian ou Méliand, fils de Blaise Méliand, avocat au parlement et de Geneviève Hurault, chargée des aumônes d'Anne d'Autriche. Mgr Méliand eut des difficultés à Gap où il fut nommé évêque en 1679 et sa santé lui fit donner sa démission. Il se retira à Paris au séminaire des Bons-Enfants. Gallia Christiana.
elle avait répondu pour la défunte marquise de Bauves, et encore bien d'autres sommes, l'argent manquant il fallut aller aux emprunts ; et Dieu permit qu'elles furent refusées de toutes part afin qu'elles fussent contraintes de recourir encore à ce comte, des mains duquel il prenait tant de plaisir de recevoir, qu'il semblait ne vouloir presque rien que de lui, et l'avoir consacré par un choix tout particulier, lui et toute sa famille, à procurer la gloire de son Fils au Très Saint Sacrement de l'autel ; et ce comte, toujours de plus en plus fervent, leur prêta avec une extrême joie jusqu'à 25.000 livres sans en vouloir prendre d'intérêt. Il est vrai que, bientôt après, elles lui rendirent douze mille livres, et les treize mille restant, il nous les a laissées après sa mort.
Ces sommes n'étant pas encore suffisantes, car ce premier bâtiment a coûté 63.000 livres compris la place et l'amortissement, Madame de Vassan, leur ancienne amie, leur donna 3.500 livres, Madame de l'Esseville 700 écus, Madame Guilebert, ou Madame Poulet sa mère : plus de 10.000 livres. Celle-ci avait déjà voulu donner à notre Mère Prieure 20.000 livres et une très belle maison dans Saint Maur des Fossés en 1647, si elles avaient voulu s'y arrêter pour s'y établir tout à fait. Et Mademoiselle Loiseau, fille de feu Monsieur Loiseau, Conseiller au Parlement de Paris, laquelle a depuis pris l'Habit sous le nom de Sr Anne du Saint Sacrement, leur en donna 3.900.
Elle était depuis longtemps l'une de leurs principales bienfaitrices, ne se passant pas d'année que les aumônes qu'elle leur faisait n'arrivassent à plus de 500 livres, car elle avait la jouissance de ses biens n'étant plus en puissance de personne.
Et depuis, en prenant l'Habit, elle a apporté une dot très considérable et une pension viagère très forte avec tout cela. Il faut dire que le don qu'elle nous a fait de sa personne vaut encore infinimen t mieux, puisque c'est un de nos plus forts et plus dignes sujets.
Ainsi peu à peu le bâtiment s'acheva sans qu'elles s'endettâssent. Mais comme le nombre des filles s'était grandement accru depuis, il nous a fallu entreprendre de bâtir l'autre aile, du côté du couchant, qui est la plus belle. Et celle-ci nous a coûté 36.000 livres et davantage. Cela a été sur la fin de l'année 1665 que nous l'avons entrepris, et commencé d'habiter en 1667.
Son Altesse Royale Madame Douairière d'Orléans, Marguerite de Lorraine, en ayant posé la première pierre avec grand apparat et magnificence ; ça été sous le grand angle où cette pierre a été mise. Et monsieur l'abbé Jaloux, très digne écclésiastique, notre ami particulier, fit la cérémome avant laquelle notre Mère Prieure avait, de ses propres mains, enterré dans la fondation une grande boite de fer blanc où il y a une grande figure de la très Sainte Vierge faite d'une pâte de reliques avec le mémoire du nom des saints de qui les reliques sont, et une grande plaque de cuivre, marquée comme
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les autres dont nous avons parlé ci-devant ; étant descendue elle-même par une échelle, au plus profond du fossé de la fondation pour les y mettre — afin que là-dessus l'on bâtit pour faire monter la muraille jusqu'au rez de chaussée — pour que Madame n'eût pas la peine de descendre à cause qu'il fallait, pour la cérémonie, qu'elle tint ses mains sur la pierre.
Mais il ne faut pas achever le récit de cet évènement sans toucher un mot des éminentes qualités de cette grande princesse, en reconnaissance de ses extrêmes bontés pour nous.
Elle est soeur de Monsieur le duc de Lorraine Charles IV, Prince souverain de nos Mères qui sont venues de ce pays-là. Dans sa
jeunesse elle était douée d'une excellente beauté dont il lui reste encore de grandes marques, ayant, avec cet avantage, un esprit doux, accort, sage et modeste au dernier point, et un discours merveilleusement éloquent et disant.
Elle épousa en la 16ème année de son âge Monsieur le duc d'Orléans, frère unique du feu Roi très chrétien Louis 13ème, et oncle du Roi Louis 14ème à présent régnant. Et vécut au milieu de cette Cour la plus grande et la plus galante du monde, comme une hermine, sans jamais contracter de tache en sa réputation, qui a toujours demeuré dans une intégrité si parfaite que les langues les plus médisantes n'ont osé entreprendre de l'attaquer non pas même du soupçon ; aussi ne s'est-il rien vu d'égal à sa retenue et son extrême dévotion qui allait à faire de sa Cour un vrai cloître.
Et tant de rares vertus — très rares en effet aux personnes de son rang — lui avaient tellement acquis l'amour et le respect de Monsieur qu'il s'estimait le plus heureux prince du monde de la posséder. Nous lui pouvons justement attribuer après Dieu la conversion des moeurs de ce prince, lesquelles étaient extrêmement dépravées dans sa jeunesse, par son grand jeu qui le portait à beaucoup jurer, sans les autres débauches dont nous pouvons dire qu'il n'était pas moins coupable.
Mais la sage conduite de cette belle princesse, et sa constante fermeté à lui remontrer librement ses devoirs de chrétien sans jamais se rebuter, le gagnèrent à la fin si absolument à Dieu, qu'il a passé les cinq dernières années de sa vie dans la plus haute perfection où un chrétien puisse atteindre, et a fait une mort convenant à cette vie ayant tout le royaume embaumé de l'odeur de ses vertus. Depuis sa mort cette admirable princesse s'est adonnée à une plus grande retraite comme à la vertu la plus conforme à l'état de viduité, venant très souvent dans cette maison, et passant des journées entières avec notre Mère Prieure, à l'entretenir du mépris des grandeurs mondaines et du bonheur qu'il y a de servir Dieu, elle a accoutumé de dire en quoi consiste la vraie félicité.
Tant s'en faut que ces fréquentes visites aient apporté du relâche à la ferveur des religieuses par la communication de l'esprit du monde, qu'au contraire ce nous est tous les jours un nouveau sujet d'édification, nous ayant dit beaucoup de fois, pour montrer l'estime qu'elle fait de la vie religieuse, que si sa santé, qui est très faible, le lui pouvait permettre, elle préfèrerait d'être Soeur religieuse converse dans la maison du Saint Sacrement, à toutes les grandeurs de la terre.
Après cela il ne faut pas demander la raison pour laquelle nos Mères la prièrent de leur faire cet honneur de poser cette première pierre.
Cette disgression nous a portées un peu loin des circonstances que nous avons entrepris de remarquer. Cependant il y en a une 4ème qu'il ne faut pas oublier : c'est que nous achetâmes au mois de juillet 1659 la maison et le jardin du fleuriste qui nous coûta 14.000 livres ; que les héritiers de la défunte marquise de Bauves rembour sèrent en l'année 1660 notre comtesse des 10.000 livres qu'elle avait avancées pour eux au bâtiment, et payèrent encore les autres 10.000 livres que la défunte avait données.
Comme aussi Mesdames de Cessac et Mangot étant mortes depuis, leurs héritiers ont pareillement payé toutes les sommes qu'elles avaient données. Et le tout a été heureusement consommé sous le sage ministère et heureuse conduite de notre très Révérende et très digne R. M. Catherine Mechtilde du Saint-Sacrement, secondée de la prudente Sous Prieure, la R. M. Bernardine de la Conception, et de la très fervente et libérale comtesse de Châteauvieux, Fondatrice.
Que le tout soit en l'honneur et gloire du Très Saint Sacrement de l'Autel.
TROISIÈME PARTIE
ÉCRITS
NOTE SUR LES ÉCRITS DE MÈRE MECTILDE,
RAPPORTÉS CI-APRÈS
Le premier de ces textes est considéré comme une ébauche des Constitutions. C'est un des plus soigneusement recopiés dans nos Manuscrits. Nous en possédons vingt et une copies dans les seuls manuscrits du XVII° et XVIII' siècle.
Le deuxième écrit qui avait été inséré ici par l'auteur de cette biographie était le texte avec quelques variantes, de la Préface des Constitutions, imprimées en 1677. Tel qu'il se présentait au N. 249, nous n'en possédons que cinq copies. Or nous savons par des lettres de mère Mectilde, des entretiens avec ses Filles, que ce texte a été écrit en collaboration avec Dom Ignace Philibert, le Prieur de Saint-Germain-des-Prés. Quelle était la part exacte de mère Mectilde dans ces pages ? il a été impossible de l'établir. Nous avons donc préféré remplacer ce texte incertain par celui que la Vénérable Mère a écrit seule et dont, quelques mois avant sa mort elle fait mention dans une lettre à la Mère Prieure du second monastère de Paris. Nous ne possédons que de rares copies manuscrites de ce texte et aucun exemplaire imprimé. En effet lors de l'approbation des Constitutions en 1705, Rome a préféré renouveler l'approbation déjà donnée en 1677 plutôt que d'approuver un texte nouveau.
Cette préface écrite à la fin de la vie de Mère Mectilde, alors qu'elle avait atteint la plénitude de son expérience du gouvernement et des âmes, nous est apparue comme plus représentative de sa pensée, en notant bien toutefois qu'elle a été rédigée trente ans après les textes que nous rapportons ensuite.
Le troisième écrit est connu dans notre Institut, sous ce titre : Retraite de 1662. Nous en avons relevé douze copies dans les meilleurs manuscrits, les variantes sont négligeables.
Le quatrième texte de « l'amour du mépris » est souvent copié dans nos manuscrits du XVII. siècle et — fait à noter — il l'est toujours parmi les conférences ou les textes importants sur l'Institut (Juillet 1662).
Le cinquième texte « de la Sainte Communion » se retrouve à peu près identique dans la plus ancienne édition (1683) du Véritable Esprit des Filles du Saint-Sacrement ; petit volume composé par mère Mectilde pour donner à ses Filles les bases essentielles de leur vocation. Cependant des remaniements dans le déroulement de la pensée donnent à croire, que le texte rapporté ici est plus ancien que celui du « Véritable Esprit », peut-être antérieur aux querelles autour du quiétisme.
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Enfin « L'Esprit de Saint Benoit » se trouve lui aussi parmi les conférences et au « Véritable Esprit ».
On peut difficilement, à partir de ces quelques textes, qui sont parmi les plus forts et les plus ardus, se faire une idée de la pensée de Mère Mectilde, et surtout de sa personne tellement plus humaine, vivante et accessible dans sa correspondance. Tout au plus peut-on poser quelques jalons pour éviter au lecteur d'être trop dérouté par un vocabulaire familier aux seuls spécialistes du grand siècle. Bérulle, Condren, Olier sont partout présents dans ces pages, mais à l'arrière fond seulement d'une synthèse bien personnelle et marquée par d'autres courants, comme l'a si bien vu l'abbé Cognet. L'apport de la sainte Ecriture, particulièrement de saint Paul, est nettement plus important que les autres. Il faudrait faire ici mention de sa formation bénédictine qui a équilibré, si on peut dire, l'influence des courants dans lesquels elle baignait avec son temps.
On sera frappé de l'abondance du vocabulaire « sacrificiel » de l'emploi du terme de « victime », de la place du « rien » ou de « l'anéantissement », et surtout des deux mots-clef qui reviennent sans cesse au fil du texte — et font même l'objet des deux chapitres principaux de la Retraite : « Mort-Vie ». « Que Dieu tient l'âme dans la mort avant que de lui donner la vie » et « De la vie cachée en Jésus-Christ ». Il serait à souhaiter qu'une étude approfondie de l'oeuvre permette à Mère Mectilde de s'expliquer elle-même sur ces sujets. Mais déjà ces quelques pages peuvent nous guider.
Relevons ce qu'on pourrait appeler son « christocentrisme eucharistique ». « Jésus dans son état d'hostie et de victime » est le Christ
dans son mystère pascal. Les motifs de la vocation de bénédictine du Saint-Sacrement sont ceux mêmes du Christ dans son Incarnation et son Sacrifice : son « double regard » : « la gloire de son Père et le salut des hommes ». « Vous faites ce que Jésus-Christ a fait ». Elle l'explique tout au long. « Jésus est dans ce Sacrement pour nous faire vivre de sa vie divine et de la même vie qu'il vit en lui-même », « mais cette vie divine est un don de Dieu, elle n'est achetée que par la mort ». « Vous êtes mortes et votre vie est cachée en Jésus-Christ ». Cette « mort » n'est pas une destruction, elle est le passage à une autre vie, la vraie. Elle est le mystère de Pâques. « Le baptême nous conforme à la mort et à la vie nouvelle de Jésus-Christ, ce qui est la grâce même du christianisme », dit-elle ailleurs.
En effet le baptême en nous incorporant au Christ nous rend capables de participer à son Sacerdoce, à sa « qualité de prêtre et de victime ». Dans le sacrifice eucharistique, le Christ s'offre et nous nous offrons avec lui et en lui. C'est là l'exercice du sacerdoce royal des fidèles que Vatican II a remis en lumière.
Voilà, semble-t-il, le fond de sa doctrine — et c'est celle même de l'Eglise — exprimée à la manière de son temps, et avec une constance remarquable. Elle a grand soin de faire remarquer que cette qualité de « victime » qu'elle donne à ses Filles « n'est pas une qualité nou velte, c'est un titre que Jésus-Christ vous a imprimé au baptême ». Nous l'avons vu, c'est le sacerdoce des fidèles. L'adoration perpétuelle n'est pas seulement pour elle un hommage à la Présence eucharistique, elle doit être « un renouvellement universel de toute notre vie et de toutes nos actions » elle la nomme aussi « actuelle adoration ». C'est la mise en pratique, le moyen et le signe de cette vie pascale, fruit de l'Eucharistie. Et cela « pour l'extension de la grâce du Sacrifice » en nous et dans le monde. C'est ainsi qu'elle lie adoration et réparation. Car, remarquons-le, la « réparation » adressée au Christ dans l'Eucharistie est toujours présentée par elle comme une participation au mystère de la Rédemption, à notre petite place de créatures rachetées, de membres de l'Eglise qui continue ce travail rédempteur « jusqu'à ce qu'Il vienne ». Elle y insiste spécialement : « Il n'y a qu'un Jésus-Christ qui puisse réparer sa gloire et celle de son Père ». Tout est là : « devenir des Jésus-Christ ».
ÉCRIT
DE NOTRE RÉVÉRENDE MÉRE SUPÉRIEURE
Puisque les religieuses de cette sainte maison sont toutes dédiées et immolées à la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel, il faut qu'elles fassent effort pour être très ponctuelles à lui rendre leurs respects et leurs adorations sans relâche, prenant soin de s'acquitter dignement de tous leurs devoirs envers cette auguste Majesté anéantie, sans en omettre ou négliger aucun.
Cette fondation les y obligeant d'une manière très particulière, il faut qu'elles demandent à Notre Seigneur la grâce de s'y employer généreusement dans toute l'étendue de ses desseins.
1. — La première chose qu'il faut faire, c'est de reconnaître devant Dieu la grâce de cette occupation, à laquelle la sainte providence nous a destinées, d'être en actuelle adoration ; et que tout notre être et toutes nos opérations soient référées à l'honneur de ce divin Sacrement.
Les religieuses de cette maison ne pouvant se dispenser d'être les victimes de Jésus dans l'hostie, il faut donc nécessairement qu'elles fassent tout leur possible pour lui rendre tout ce qu'il prétend d'elles, et surtout de vivre de sa vie cachée et toute anéantie, puisqu'il leur a fait la grâce de les choisir à l'exclusion d'une infinité d'autres qui s'en acquitteraient plus dignement.
2. — Après avoir pesé cette grâce et cette obligation, il faut se donner à Jésus anéanti dans son divin Sacrement pour, par lui-même, tendre à la sainteté de cet état avec une détermination irrévocable de n'en jamais désister quelque peine, tentation, répugnance, qui nous survienne : par le monde, par nous-même, et par le démon. Et il ne faut pas croire y parvenir sans combat et sans souffrance, cette perfection n'étant autre chose que l'anéantissement de nous-même, on n'y peut parvenir sans souffrance. Donc que chacune de nous s'immole à la conduite secrète de Dieu sur son âme pour la faire entrer dans sa destruction.
3. — Il faut que les religieuses de cette maison se résolvent d'être et de passer dans l'esprit du monde pour très abjectes, et elles doivent être dans une très grande affection d'être inconnues à qui
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que ce soit, qu'à Dieu seul. Et pour demeurer plus cachées, à l'imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ dans son très adorable Sacrement, elles se tiendront le plus qu'il leur sera possible dans une profonde solitude qu'elles n'interrompront que dans le besoin et par obéissance.
4. - Elles se plairont autant qu'il leur sera possible à être pauvres de corps et d'esprit, c'est à dire : à être dans la pauvreté extérieure, aussi bien qu'intérieure, par hommage à Jésus très pauvre dans le Très Saint Sacrement ; et quand il plaira à Notre Seigneur les faire souffrir quelque chose de cette pauvreté, elles l'en remercieront très humblement comme d'une faveur très singulière.
5. — Leur occupation la plus ordinaire doit être la sainte oraison. L'on ne doit vivre dans cette sainte maison que de cette céleste nourriture. Mais chacune en sera nourrie selon sa grâce et son état ; donc il faut recevoir ce pain quotidien de la main adorable de Notre Seigneur qui le donne selon les besoins des âmes, aux unes plus abondamment et aux autres moins, selon les apparences. Mais chacune doit être contente de sa portion puisque c'est notre Père céleste qui nous la départ. Il faut nous en confier à sa conduite, étant certain qu'il nous donne le tout par un amour infini de notre sanctification ; et nous ne devons point nous réfléchir sur le peu ou beaucoup, mais continuer toujours de nous laisser à la disposition divine, nous contenter de tout, et même avoir de la joie d'être très pauvre intérieurement ; puisque nous ne pouvons pas souffrir de plus grande croix, par hommage à celle que Notre Seigneur a souffert et souffre, en une autre manière, pour nous, dans le Très Saint Sacrement.
6. — La principale de nos applications dans notre oraison doit être de nous tenir devant la grandeur et majesté suprême de Dieu dans le Très Saint Sacrement, avec un respect très profond, avec une confiance et un abandon total, avec une soumission et simple agrément de toutes les dispositions de la providence divine, chacune selon le degré de sa grâce, soit en faisant quelque acte ou autrement.
Avec ces trois dispositions nous pourrons toujours faire une oraison très excellente et très agréable à Notre Seigneur, et quand il semblera qu'elle nous manque, la foi supplée à tout dans un simple abandon à la peine et à toute privation.
7. — Toute la tendance de nos coeurs et de nos esprits doit être d'adorer ce divin Sacrement, de lui rendre hommage pour toutes les créatures qui ne l'adorent point, et pour toutes celles qui le déshonorent par tant de crimes et d'impiétés.
Et si nous concevons bien notre obligation, nous verrons que nous devons être immolées à la Justice du Père éternel pour tous les pécheurs qui offensent Jésus Christ dans le Très Saint Sacrement, et que ce doit être sur nous que doivent tomber tous les opprobres et les humiliations qu'il y souffre encore aujourd'hui, et y souffrira jusqu'à la consommation des siècles.
Ce doit être sur nous que la Justice doit être exercée dans l'amour et l'affection que nous avons de réparer sa gloire, en lui faisant autant qu'il nous est possible, amende honorable pour tous les pécheurs et plus particulièrement pour ceux qui le déshonorent plus criminellement et dans ce très auguste Sacrement.
8. — La Réparation d'honneur faite au Très Saint Sacrement, le Cierge en main, est une action d'humiliation, nous confessant criminelles, mais elle ne peut être reçue du Père que par Jésus-Christ.
Donc en cette sainte action nous nous unirons très particulièrement à Jésus-Christ Notre Seigneur pour, par lui, réparer la gloire de son Père et la sienne dans son divin Sacrement. Cela fait il faut nous laisser en foi dans cette véritable croyance qu'il réparera en nous et nous rendra dignes, par lui, de le glorifier. Il faut demeurer simplifiées dans cette union de soi à Jésus.
9. — Puisque notre vie est toute appliquée et consacrée à un si auguste, si adorable et si digne Mystère, il faut que tout notre être y corresponde.
Premièrement : il ne le faut profaner par l'affection d'aucune chose créée.
2. N'avoir plus aucune tendance à l'estime et à l'élévation de créatures.
3. Aimer, et tendre de tout son coeur au néant.
Et quand la sainte Providence nous fournira des occasions d'abjection, nous les devons recevoir avec grand respect, comme les trésors les plus précieux que Dieu réserve pour gratifier ses élus. Si le monde nous méprise, nous devons croire que nous sommes dans le véritable état où Dieu veut cette maison, car il ne serait pas juste ni raisonnable qu'un Dieu anéanti dans le Très Saint Sacrement étant l'unique objet de nos adorations et le modèle de notre vie, nous soyons dans l'applaudissement.
Lorsqu'il demeure tout caché dans l'abîme d'un anéantissement qui est incompréhensible aux anges et qu'ils ne peuvent assez adorer ni admirer dans leur étonnement, il faut que les victimes soient anéanties ; et s'il est permis de prendre la qualité d'épouses de Jésus-Christ, ne faut-il pas qu'elles soient conformées en toutes manières à leur divin Epoux.
Nous ne nous étonnerons donc point quand nous serons en rebut, désapprouvées, humiliées, blâmées et toutes anéanties dans l'esprit humain ; cela doit être notre paradis terrestre, notre félicité, et notre unique joie et consolation, au lieu que l'estime et les honneurs doivent être notre douleur éternelle et plus sensible crucifixion.
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PRÉFACE DES CONSTITUTIONS
LA VOCATION
DES RELIGIEUSES DU TRÈS SAINT SACREMENT (*)
Si St Bernard a pu dire avec vérité que la profession religieuse est très haute en son excellence qu'elle éléve au-dessus des Cieux et
qu'elle pourrait entrer en parallèle avec la condition des anges que l'on peut dire en quelque façon que cet Institut est d'une éminence vraiment divine et que les religieuses qui le professent ne doivent pas seulement être douées d'une pureté et d'une sainteté plus que céleste et qui égale celle des anges. Car outre les grands avantages qu'il y a avec les autres ordres religieux il leur donne avec cela une élévation toute particulière, et si nous devons croire qu'il n'y a point de pouvoir au-dessus de celui que leur caractère donne aux prêtres sur le Corps et le Sang de Jésus au Très St Sacrement de l'autel nous pouvons dire des religieuses du Très St Sacrement qu'il n'y a que la sainteté et la pureté du Fils de Dieu qui doivent être au-dessus de celle à laquelle leur profession les engage.
Les ordres religieux selon St Bernard ont beaucoup de rapport à la première école de vertu et de sainteté que Notre Seigneur a tenu en ce monde. Ce sont eux qui imitent le plus parfaitement ses premiers disciples et leurs saints exercices sont une rénovation de la vie évangélique mais les religieuses du St Sacrement semblent entrer dans une alliance toute particulière avec la personne même du Fils de Dieu. Elles partagent avec lui sa propre qualité d'hostie et de victime et se rendent en lui et par lui les véritables réparatrices des injures et des irrévérences qu'il peut recevoir des hommes dans le Très St Sacrement.
Mais pour vivre en état d'hostie et pour exercer dignement les fonctions de réparatrices, il est encore nécessaire qu'elles sachent que leur profession les rend redevables au Très St Sacrement de deux choses, sans lesquelles il est impossible qu'elles lui fassent jamais de réparation parfaite.
La première est : de lui rendre toute la gloire qu'on lui a ravie en le profanant.
La seconde est que les religieuses du St Sacrement ne doivent pas seulement faire état de rendre autant d'honneurs à Jésus-Christ renfermé dans la sainte hostie qu'il y souffre de mépris et d'irrévérences ; mais aussi elles se doivent résoudre de satisfaire pour toutes les peines temporelles dont les détestables profanateurs de son Sacré
Corps et de son Précieux Sang se rendent coupables ; à l'exemple de notre adorable Sauveur qui ne s'est pas contenté en prenant notre nature, de restituer à Dieu son Père toute la gloire que les pécheurs lui avaient ravie par leurs crimes, mais qui a voulu encore se sacrifier et souffrir tous les châtiments qu'ils auraient mérités en rigueur de justice.
Cette première obligation d'honorer et de glorifier le Très St Sacrement, autant qu'il est méprisé et profané par les impies et infidèles demande des religieuses qui lui sont consacrées en qualité de victimes :
Premièrement : une consommation entière et continuelle de tout elles-mêmes à la gloire de Jésus-Christ qui se consomme si souvent tout lui-même pour elles c'est à dire qu'elles doivent être comme des holocaustes que le feu sacré de l'amour du Très St Sacrement doit totalement consumer et comme des vases sacrés qui ne peuvent servir qu'à l'autel sans profanation, ou comme les lumières de ces flambeaux, dont elles se servent pour faire amende honorable, qui ne brûlent et ne se consomment jamais qu'en l'honneur du Très St Sacrement.
Secondement il faut que cette consommation paraisse en leur vie et leurs actions, par une intention toute déiforme (1) qui les tienne sans cesse élevées au-dessus de toutes les impressions des sens et de la nature, et qui les transforme si universellement en Jésus-Christ voilé sous les Espèces, que non seulement elles soient toujours en lui comme il est en elles, mais aussi qu'elles ne vivent et n'agissent qu'en lui, se voyant sans cesse et toutes choses en lui.
En troisième lieu que cette intention soit suivie d'une vie de pure foi, qui n'ait de commerce avec la vie des sens et avec les raisonnements de l'esprit humain ; parce que les bêtes et les hommes qui nous sont représentés par les sens et par la raison, qui auraient la témérité d'approcher de la sainte montagne où le Dieu du ciel est venu habiter dans la nuée des Espèces sacramentelles, n'ont pour eux que des feux, des éclairs et des foudres, et ils seront lapidés et écrasés sous le poids de celui qui est la pierre angulaire et mystique d'où découlent en nous les eaux de la vie éternelle.
Il faut donc entrer dans l'obscurité de la foi, et dans les brouillards de la seule révélation divine, à l'imitation de Moïse, pour pouvoir jouir de la réelle Présence, et participer aux divines communications de ce soleil inaccessible de la divinité cachée au Très St Sacrement ; c'est pourquoi les âmes qui voudront glorifier cet auguste Mystére ne doivent point consulter d'autres oracles ou emprunter d'autres lumières que celles de la foi et de la révélation divine, puisqu'il n'y a qu'elle seule qui puisse leur faire connaitre la vérité
(*) Constitutions sur la Règle de Saint Benoit en provenance de la Bibliothèque Municipale de Nancy : Manuscrit coté (546) 60.
(1) Déiforme : barré dans le texte, au-dessus et d'une autre écriture = pure.
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des grandeurs et des perfections incompréhensibles qui y sont renfermées.
Mais cette obligation d'honorer Jésus-Christ au Très St Sacrement demande en quatrième lieu : que la vie de pure foi soit accompagnée d'un amour unitif qui ne fasse pour ainsi dire qu'une même chose du Corps et du Sang, de l'âme et de la divinité de Jésus avec les religieuses qui sont dévouées à sa gloire ; de façon que comme le pain et le vin se transubstantient au Corps et au Sang de Jésus-Christ — et les Saintes Espèces n'ont point d'autre substance que celle du Fils de Dieu — de même, elles perdent tout leur être naturel, qu'elles ont tiré de la corruption du vieil homme, et se transforment en l'être divin qu'elles ont reçu du nouvel homme, pour n'avoir jamais d'autres inclinations, d'autre esprit, d'autres pensées, d'autres paroles et d'autres actions, que les siennes et celles que sa grâce et son divin Esprit leur inspirent.
Enfin cette obligation demande une vie d'oraison continuelle par laquelle, imitant les deux chérubins de l'Arche, elles puissent avoir toujours la face de leur esprit et de leur coeur tourné vers ce divin propitiatoire du Nouveau Testament, d'où elles doivent recevoir tous leurs oracles, et d'où elles se doivent persuader que Dieu leur parle et leur fait entendre ses divines volontés le plus ordinairement et le plus familièrement.
C'est cet esprit d'oraison qui leur donnera la clef des trésors de la science et de la gloire de Dieu, renfermée et cachée au Très St Sacrement ; qui leur donnera l'entrée de la cave du vin délicieux de l'adorable Epoux pour y boire à longs traits et s'y ennivrer de ses douceurs et consolations inneffables. C'est l'esprit de cette oraison qui leur donnera la prérogative et le privilège de toutes ces vierges qui suivent l'Agneau partout où il se rencontre dans tous les tabernacles.
Voilà les obligations des religieuses du St Sacrement : elles seront dans l'état que leur vocation demande d'elles si elles ont l'esprit d'oraison, si elles tendent à l'amour divin, si elles vivent de foi, si elles ont l'intention toute pure, si tout leur être est véritablement consommé avec Jésus-Christ à la gloire de son Père. L'esprit d'oraison les dispose à l'amour d'union, à la pure foi et à la pureté d'intention. La foi vive et l'amour unitif en feront des victimes pour réparer par leur destruction la gloire que les sorciers et les magiciens ravissent à la personne du Fils de Dieu, quand ils consumment si abominablement les hosties consacrées dans leurs sortilèges et dans leurs magies ; pour réparer par leur pureté d'intention, le culte que les mauvais prêtres dérobent au Très St Sacrement quand ils font servir cet auguste Sacrement à l'intérêt et à mille autres desseins criminels ; pour réparer par leur vive foi, l'honneur qui est dû à la personne réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ que les infidèles et hérétiques lui ôtent par leurs blasphèmes et par leurs sacrilèges et par leurs profanations ; pour réparer par leur union d'amour, le respect que les pécheurs ont perdu pour le Saint des
Saints quand ils s'en approchent avec l'affection du crime, et qu'ils veulent unir Jésus-Christ à Bélial, et Dagon avec l'Arche dans un temple profané et un coeur souillé ; pour réparer enfin par leur oraison, la révérence que les libertins et la plupart des chrétiens refusent ou négligent d'apporter aux sacrés mystères ou ils assistent sans oraison et sans dévotion.
Heureuse l'âme qui sera trouvée digne de faire une telle réparation au Très St Sacrement ; plus heureuse encore si elle sait, comme elle doit, s'acquitter de la grande obligation qui la rend coupable de toutes les profanations du Corps et du Sang de Jésus-Christ, et par conséquent sujette à souffrir les châtiments et toutes les peines que méritent tous ceux qui l'ont profané et qui le profaneront jusqu'à la fin des siècles.
Cette seconde obligation demande un état et des dispositions tout à fait contraires à la précedente. Si la première oblige une « hostie » de se regarder comme consacrée à la gloire du Très St Sacrement, la seconde l'oblige de se considérer comme sacrifiée pour toutes les profanations de cet adorable Mystère. Si la première demande qu'une vraie réparatrice donne, et fasse tout, pour lui rendre l'honneur qu'il mérite, la seconde demande qu'elle perde tout et qu'elle souffre tout, pour expier les outrages et les indignités qu'il reçoit.
Si donc une religieuse du St Sacrement veut comprendre l'esprit de sa vocation, qu'elle se tienne toujours en état d'hostie en sa sainte Présence, et si elle veut vivre en état d'une véritable victime, qu'elle s'estime tantôt comme un objet d'amour et de complaisance envers son divin Seigneur, qui reçoit volontiers la réparation qu'elle lui fait de sa gloire, et tantôt comme un objet d'horreur et d'indignation devant son Souverain Juge, qui exige en justice l'expiation qu'elle lui doit de tant de profanations. Qu'elle se croit d'une part appelée à tout ce qu'il y a de plus saint et divin dans la vie spirituelle ; et de l'autre à tout ce qu'il y a de plus mortifiant et de plus crucifiant, de plus anéantissant dans la vie de pénitence ; et enfin qu'elle fasse état d'éprouver toujours indifféremment les effets de la Miséricorde et de la Justice divine que sa profession l'oblige d'honorer également au Très St Sacrement de l'autel ; et qu'il n'y ait jamais de croix, de mépris, de souffrances, de morts, et d'anéantissement que le zéle de la Justice divine ne lui fasse embrasser avec joie pour l'expiation de tous les péchés des profanateurs du Très St Sacrement ; comme il n'y a point de vertus, de grâces, de mérites, de perfections, de saintetés, de bénédictions, de louanges et d'adorations, de prières et de bonnes oeuvres, que l'amour et la piété ne lui fassent rechercher avec ardeur pour la réparation de l'honneur et de la gloire infinie, des grandeurs et des excellences du même Saint Sacrement.
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RETRAITE DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE
DU SAINT SACREMENT — EN 1662 —
Dieu ayant fait ce monastère pour la gloire de son Fils dans les abaissements infinis qu'il porte dans la divine Eucharistie, il faut nécessairement que les âmes qui y sont appelées y vivent en esprit d'un très profond abaissement et anéantissement de soi, et dans une pureté angélique, par une séparation totale d'elles-mêmes.
Quand une fille entre en religion elle peut avoir pour motif son salut, et la béatitude éternelle pour son objet.
Mais dans l'Institut du Très Saint Sacrement l'on n'y peut avoir d'autres intentions que les purs intérêts de la gloire de ce Mystère. C'est pourquoi les Religieuses du St Sacrement sont appelées ses victimes, puisqu'elles n'ont point d'autres motifs en toutes leurs actions que de glorifier ce Pain mystique, ce Dieu immolé et continuellement anéanti sous les Espèces.
Elles sont victimes de Jésus fait Sacrement pour, en s'immolant elles-mêmes, rendre un hommage infini — si cela se pouvait — à l'être sacramentel de Jésus qu'il détruit tous les jours à la gloire de son Père dans nos poitrines.
Tous êtres créés retournent au néant dans la succession des siècles et confessent par leur destruction qu'il n'y a que Dieu qui soit et qui existe par lui-même ; mais au Très Saint Sacrement, Jésus-Christ s'y anéantit tous les jours pour y confesser et y exalter l'être infini de son Père.
Peu d'âmes s'appliquent à y adorer cet abaissement infini. Non seulement il consumme son être sacramentel par respect et hommage à Dieu son Père, mais c'est d'une manière la plus humiliante qu'il pouvait jamais choisir et qui surpasse de beaucoup les humiliations de la Croix, puisqu'à la Croix il était attaché au bois qui ne portait en soi-même aucune malignité contre Jésus-Christ ; mais par le Sacrement de l'Autel il descend dans des poitrines abominables, pleines de l'infection du péché ; il se loge dans le lieu le plus infâme qui se puisse jamais imaginer, puisque rien ne lui est plus en horreur que le crime.
Oui, il y descend et y fait sa demeure (autant que les Espèces durent) dans des estomacs détestables ; et pour bien concevoir quelque chose de l'humiliation effroyable qu'il reçoit dans le coeur des impies qui communient indignement, il faudrait concevoir quelque chose de sa pureté et sainteté, ce qui ne se peut.
Cependant ce n'est que le premier pas de ses abaissements dans ce Mystère. Passons par nos méditations aux autres si nous pouvons.
Il y en a qui semblent plus proportionnés à nos sens qui les pourront toucher davantage (quoiqu'il soit vrai que celui que nous venons de dire est déjà très effroyable et très humiliant pour Jésus-Christ), ce sont les profanations extérieures que les impies, les magiciens, et autres méchantes personnes font des adorables Hosties.
Il y aurait de quoi en mourir au seul souvenir de ces choses ; et, sans miracle, il y a des âmes qui ne pourraient soutenir la vue des horribles malices que ces exécrables font sur mon divin Sauveur Jésus-Christ.
Oui, je le puis dire, et voudrais que mon coeur se fendit en le disant, que pour la charité incompréhensible de Jésus-Christ, et, si je l'ose dire, pour l'amour passionné qu'il porte aux hommes, ils l'arrachent de son trône selon leur pouvoir et en font ce qui ne se sache exprimer, avec des rages pires que celles de l'enfer même ; se ruant sur les divines Hosties avec une insatiabilité inexplicable pour dévorer Jésus-Christ et le réduire dans des opprobes que l'on pourrait dire infinies, eu égard à leurs excessives malices. Il n'en faut pas davantage pour donner la mort à un coeur qui aime Jésus-Christ. Voilà tout au moins de quoi le navrer à n'en jamais guérir.
Mais combien y a-t-il d'autres excès que nous pourrions rapporter. Laissons-les aux soins de l'amour, qui les ira mieux rechercher que nous, et disons que, pour tous ceux que Jésus-Christ souffre dans la sacrée Eucharistie, lesquels nous ne comprendrons jamais dans toute leur étendue, il est bien juste qu'il y ait des âmes qui se consacrent à ce Mystère divin en esprit de victimes pour y souffrir, si elles pouvaient — du moins en désirs, — tout ce que Jésus-Christ y souffre, afin de l'en garantir.
Ainsi pourra-t-on trouver étrange que l'Esprit de Dieu ait donné mouvement de faire un monastère pour la gloire de ce Jésus, dans lequel les personnes qui y seront reçues, ramassent dans leurs coeurs par leurs désirs et leur bonne volonté, toute la reconnaissance que les pécheurs doivent à ce doux Sauveur ; s'exposant sans cesse à la Justice divine pour ces malheureux, et pour réparer l'honneur et la gloire qu'ils prétendent lui dérober, afin d'en obtenir miséricorde pour ces misérables et faire pénitence de leurs crimes ?
Pourra-t-on blâmer une petite étincelle de la Charité de Jésus-Christ qui s'est écoulée dans les coeurs de ses victimes, qui produit par respect et rapport à Jésus-Christ, ces effets qui ont paru en sa mort ?
Jésus-Christ meurt pour satisfaire à la Justice de son Père, pour réparer sa gloire, et au même temps pour le salut du monde. Voilà ce que cette petite troupe tâche de faire en esprit et en volonté, quoiqu'infiniment incapable d'y suffire, mais par union à Jésus-Christ duquel nous tirons le mérite et la vie de toutes les oeuvres que nous faisons.
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Voilà quelles sont les Filles du Saint Sacrement, et voilà en abrégé quelle est leur vocation. Que si quelques unes ne se trouvent point avoir ces dispositions qu'elles ne prétendent point à cette belle qualité de victime du Saint Sacrement.
Mais expliquons-le davantage pour la satisfaction de celles qui ont le zèle de s'en acquitter parfaitement.
Plusieurs ne comprennent point d'abord ce que c'est que de cette qualité de victime, et c'est aussi ce qui ne peut être facilement compris par les esprits qui n'ont pas encore goûté des conduites de la grâce.
Il n'y a que celles à qui Dieu fait la grâce de les associer par état à son Fils victime de sa Justice pour le péché, qui en savent quelque chose, plus par expérience encore que par lumière, et il n'est pas même à propos que celles-là s'expliquent de telles et si prodigieuses conduites ; il suffit [de dire] que, bien que cet état soit rigoureux, il est soutenu par une grâce divine, qui souvent est inconnue à l'âme
qui le porte, et qui ne laisse pas de la fortifier. Mais comme cet état si extrême n'est pas ordinaire, n'étant que pour quelques unes
desquelles Dieu se joue et prend ses complaisances en elles comme il a fait en son Fils — si je l'ose parler ainsi, — arrêtons nous à parler de ceux qui sont plus ordinaires, et qu'il faut se résoudre à porter, ou du moins y tendre de toutes ses forces.
Nous avons dit ci-dessus que l'on ne peut être religieuse dans ce monastère pour l'intérêt propre et par retour sur soi, puisque ce serait manquer à la pureté d'intention avec laquelle il faut se rendre victime. Combien donc une Fille du St Sacrement se doit-elle séparer d'elle-même, et par conséquent du monde et de tout ce que la nature recherche de plaisir et de vanité.
Cette pureté d'intention est le premier pas qu'elle doit faire, c'est le premier ornement dont son âme doit être parée pour se présenter devant son Dieu ; mais d'une manière pleine et non à demi : se rendant à lui de toute la capacité de son être — du moins de toute sa volonté — en attendant que la lumière du soleil divin ait éclairé le fond de son âme, pour lui faire connaître de quelle sorte elle se doit rendre et vivre en Jésus-Christ uniquement.
Mais de quelle vie vivra-t-elle en ce lieu saint ? D'une vie que l'on doit nommer une mort perpétuelle, puisque son obligation l'engage à se séparer continuellement des créatures et de soi-même, prenant, dès ce premier moment, l'exemple de ce divin prototype : Jésus-Christ dans l'adorable Eucharistie ; et il faut qu'elle [s']étudie si soigneusement à observer les états et dispositions qu'il y porte, qu'elle ne soit jamais un moment de sa vie sans rendre hommage à quelqu'un, soit par rapport d'état, ou par tendance d'amour et d'union.
Nous avons montré ailleurs comme les âmes appelées à ce sacré Institut doivent avoir, autant qu'il leur est possible, cette précieuse ressemblance à leur Dieu et leur Epoux Jésus-Christ dans ce divin Sacrement. Reste à dire ce que c'est, par pratique, d'en être victime ; et en quoi consiste cette perpétuelle immolation que les Filles du St Sacrement sont obligées de faire tous les jours, puisqu'elles vont imitant, selon leur possible, Jésus-Christ immolé à son Père incessamment.
Cette immolation continuelle, mes soeurs, demande deux choses. La première : le regard pur de Dieu partout, comme Jésus regarde toujours son Père. La seconde : l'oubli de nous-mêmes par une sainte négligence d'une infinité de bagatelles qui nous appliquent à nous en diverses manières : tantôt de tendresse pour nous, tantôt de quelque désir, puis de crainte de quelque humiliation, ou d'inquiétude pour quelque privation, tantôt par des retours sur les actions d'autrui, et mille autres choses pareilles qui nous appliquent tout à nous, nous y tenant quelquefois si occupées et attachées que nous en perdons l'attention intérieure à Dieu. Et cette malheureuse pente que nous portons vers nous-même a tant de malignité en soi qu'elle nous rend incapables : et du regard divin, et de la ressemblance à Jésus dans l'Hostie. Car il ne faut pas s'éloigner de notre adorable objet, puisque c'est notre divin modèle ; il faut toujours l'avoir devant les yeux et faire ce qu'il fait lui-même, puisque nous devons marcher sur ses pas.
Ce n'est point ici une chimère ou un état d'une fantaisie qui forme des idées sans raison, non, c'est l'obligation du christianisme, mais doublement celle d'une fille du Très Saint Sacrement, de se rendre autant qu'elle le peut, semblable à son Père.
Continuez donc à regarder ce que Jésus-Christ fait dans cet auguste Mystère ; voyez comme il n'a en vue que la gloire de Dieu, comme il s'oublie de ses propres intérêts. Cela se vérifie en ce qu'il est à l'abandon des impies et même des bêtes, et pour l'ordinaire logé dans des églises très indécemment — pour ne pas dire honteusement —, hélas tout seul, sans suite ou rarement, et le reste dont nous avons déjà dit quelque chose.
Voyez donc qu'il ne se considère point, et qu'il n'y est fait victime que pour y être immolé, et rendre à Dieu son Père dans chaque âme qui le reçoit à la sainte communion, les hommages et adorations infinies qui sont dues à sa divine Majesté, et que l'âme ne lui peut rendre à cause de sa capacité fime et de son indignité.
Oui, mes soeurs, ceci est admirable : Jésus-Christ entre dans nos coeurs pour y célébrer un sacrifice divin, éternel, et infini en son mérite ; et c'est ce qui doit nous donner de l'amour pour la sacrée communion, puisqu'il fait en nous l'office de Grand'Prêtre et de souverain Sacrificateur en s'immolant soi-même pour l'âme qui le reçoit, et rendant par son sacrifice divin un hommage d'une gloire infime à Dieu son Père.
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Nous aurions de quoi faire un petit volume sur ce précieux et très digne sujet qui me parait si important pour encourager les âmes timides à la sacrée communion, et leur enseigner la manière simple et très aisée de s'y comporter.
Mais laissons là ce discours pour continuer à faire voir les deux actions continuelles de Jésus dans l'Hostie. Nous venons de dire que la première est un regard actuel vers Dieu son Père, et la seconde le salut des hommes ; et ce sont les motifs de notre vocation dans notre Institut, savoir : la gloire de Dieu et le zèle pour la conversion des pécheurs, surtout des profanateurs de ce sacré Mystère.
Quelle fin plus auguste, mes soeurs, pouvez-vous jamais avoir que celle-là même de Jésus, qui n'a eu en vue, en tous les moments de sa très sainte vie, que ces deux motifs que nous venons de dire. Une âme qui n'a que cela devant les yeux et dans son coeur, est bien séparée d'elle-même ; et sans doute, si elle y persévère, elle deviendra un petit Jésus-Christ, c'est à dire une sainte copie de ce divin original.
Je ne m'éloigne point de mon sujet quoique je fasse quelques répétitions qui semblent m'en écarter. Achevons donc, et disons que si la victime ancienne qu'on immolait eut été capable de raison et qu'on lui eût demandé son motif en tout ce qu'elle faisait, soit en se nourrissant ou autrement, elle aurait répondu que, comme victime, elle était destinée au sacrifice, et par conséquent qu'elle ne vivait que pour mourir, qu'elle ne respirait en tous ses moments que la mort. Et pourquoi la mort ? pour protester par ma destruction, dirait-elle, de la Souveraineté infime de l'Etre divin.
Et voilà ce que Jésus-Christ fait dans l'Hostie et ce que nous devons toutes faire à son imitation. Voilà son état et sa disposition au regard de la Majesté suprême de l'Etre infini de Dieu son Père.
Et, il n'y a point de mal de le répéter encore pour nous le mieux imprimer, oui, il s'est rendu l'esclave des pécheurs. Il s'est fait leur caution et leur pleige, il s'est réduit comme dans un double néant, se revêtant des misères de l'homme. Et pour le dire en un mot : en se chargeant de nos crimes, il s'est fait comme criminel, sans s'être voulu exempter en rien de tout ce que le péché mérite de douleurs et d'humiliation.
Voyons donc là-dessus, mes soeurs, vous et moi, qui devons nous rendre des copies, qu'est-ce que nous ne devons point faire ! Sans doute, des abaissements si étranges en Jésus, nous doivent faire écrier dans un profond étonnement, qu'il est bien vrai ce que St Jean dit : que Dieu a bien aimé le monde de lui donner son Fils unique, non seulement comme son libérateur, mais aussi comme son esclave, puisqu'il le réduit à porter le poids effroyable du péché ; et que par cette charge il se soit donné en proie à la Justice divine jusqu'à ce qu'elle soit pleinement rassasiée en lui.
Oh ! si l'on pouvait comprendre ce que c'est que l'abomination du péché ! Il faut bien qu'il soit terrible, puisqu'il a fallu, de néces sité, qu'un Dieu s'anéantît pour le détruire, et nous mériter la grâce de nous en séparer et rentrer dans son amitié.
Voilà ce qu'il est venu faire sur la terre, et ce qu'il continue de faire dans le Très Saint Sacrement. Il y est adorant, il y est aimant, il y est exaltant Dieu son Père ; mais disons qu'il y est souffrant, qu'il y est méprisé, qu'il y est oublié de la plupart des hommes, qu'il y est profané, et trop souvent réduit à la puissance de ses ennemis, qui le traitent, dans ce Mystère, d'une façon épouvantable. Il n'y dit mot, il ne s'y plaint point, il y souffre les indignités des pécheurs, les exécrations des impies, et pourquoi ? C'est qu'il y est en qualité de victime, qu'il y est mort, et mourant tous les jours, par la continuation de son divin Sacrifice.
Voilà donc quel est l'état que nous devons porter aussi par un abaissement de tout nous-même devant l'infime Majesté de Dieu, et par la reconnaissance de notre double néant, et des humiliations, hontes et confusions que nous devons porter pour nos péchés et pour ceux de nos frères.
Ce dernier point nous chargerait de toutes sortes de douleurs, d'abjections, et de tout ce que le crime mérite, si nous le pouvions porter ; or voyons jusqu'à quelle destruction nous devrions être réduites : cela ne se peut exprimer. Quelle perte de nous-même ! quel rebut à soutenir du côté de Dieu ! Car, étant pécheresses, chargées de nos propres crimes et de ceux des autres pécheurs, devrions-nous attendre un traitement gracieux ?
Oh ! celles-là ne l'entendent pas, qui s'attendent de trouver sous le titre glorieux de victime, des délices de la vie intérieure ; qui croient qu'elles n'ont qu'à avoir la corde au col et la torche en main pour être reçues en amour et admises à la table du Seigneur ; qui croient qu'elles ne sont pas dans la disposition qu'il faut être, si elles ne se sentent favorisées de quelques goûts, ou lumières, qui les assurent que leur affaire est en bon ordre, et que Dieu se plait dans leurs dévotions ; qu'il les agrées et y prend ses complaisances, ou du moins ne leur témoigne point de mécontentement.
Oh ! vous vous trompez ! Depuis que vous avez pris la résolution d'être victime, que vous avez mis la corde au col, n'attendez plus de la part de Dieu que des foudres, des tonnerres, des orages, et des traitements rigoureux.
Vous êtes pécheresses, mes soeurs, en vous et en vos frères. Vous vous êtes sacrifiées pour en obtenir le pardon et réparer, s'il est possible, la gloire qu'ils dérobent à Dieu. Vous faites ce que Jésus a fait, quoique sans doute d'une manière infiniment dissemblable, vous devez donc vous résoudre d'être traitées comme lui. Ce ne sera pas dans l'infini — vous n'en n'êtes pas capables — mais selon le plaisir de Dieu et jusqu'au degré qu'il faudra pour satisfaire sa Justice.
Voilà ce qu'il faut soutenir ! De l'exprimer : cela serait difficile, il faudrait faire autant d'états différents qu'il y a d'âmes qui lui sont
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consacrées, parce que chacune en porte des effets particuliers. Et quoique dans la maison du Très Saint Sacrement toutes les religieuses y soient vouées en qualité de victimes, il est vrai — et je le puis dire — qu'aucune n'a ressemblance d'état ; chaque âme a la part que Jésus-Christ lui donne ; et cela se fait selon sa sagesse divine, qui sait et connaît la portée et la force de chacune, qu'il a destinée de toute éternité à porter cette petite portion de ses sacrés et douloureux états. Il est même — dans la divine Eucharistie — appliqué actuellement aux âmes qui lui sont ainsi consacrées, pour leur en mériter la grâce, pour les y faire entrer et pour les y soutenir, et c'est ce qu'il fait incessamment.
Oh ! que si l'on savait les secrets des voies de Dieu dans la conduite des âmes ! l'on se garderait bien de murmurer, de se plaindre et de s'inquiéter des dispositions de peines, de souffrances, de tentations et d'humiliations ; que si l'on y portait un peu de foi et de patience, cela ferait découvrir des merveilles infinies que je pourrais nommer « mystères » ; et pour en parler un peu à fond, il faudrait autant de volumes qu'il y a de conduites, tant il est vrai que tout y est différent, et que Jésus-Christ s'y fait adorer et participer à ses états en une infinité de manières, et toutes très sanctifiantes, quoique très humiliantes.
Il ne m'appartient pas d'en dire davantage. Il ne faut pas que les hiboux parlent de la lumière, puisqu'ils ne savent ce que c'est ; ainsi une âme qui n'a point d'entrée ou de vie en Jésus-Christ ne doit point parler de son amour souffrant, sanctifiant et jouissant dans les âmes.
ELLE POURSUIT LE MEME SUJET
S'ADRESSANT TOUJOURS A SES RELIGIEUSES
Quand je considère le bonheur infini, mes soeurs, d'être filles de l'adorable Eucharistie, je n'en puis revenir comment cela s'est pu faire par les mains impures de la plus chétive créature de la terre !
Plus je considère cet ouvrage très petit aux yeux des hommes, plus je le trouve grand dans la lumière de Dieu. Penserez-vous pas que je l'exagère à cause qu'il semble que j'y aie quelque part ? Non, non, je le puis dire avec sincérité : toute la grandeur de cet ouvrage tire son excellence et son prix de Jésus anéanti sous l'Hostie. C'est une production de son amour, une émanation de l'état qu'il y porte, qui doit produire dans nos coeurs des effets admirables, mais que nous ignorons, faute de nous rendre à ce divin Mystère dans la pureté d'un saint dégagement. Oh ! que de choses merveilleuses Jésus prétend faire dans les âmes qu'il a choisies pour ses victimes !
Une des plus prodigieuses c'est, mes soeurs, de nous faire vivre de sa vie. Il est dans ce Sacrement pour y être mangé de nous, et pour nous nourrir et substanter de lui ; et son dessein est de se rassasier de nous pour son plaisir.
Comment est-ce qu'il s'en nourrit ? En le mangeant mes sœurs : il nous mange, et étant dans nos poitrines nous sommes dedans son coeur.
Il vit en nous selon la vie que nous lui donnons ; car de même que nous pouvons lui donner la mort par le péché, de même nous lui donnons la vie par notre fidélité ; et nous voyons par expérience — selon la différence des états et des dispositions des âmes — qu'il est vivant admirablement en quelques unes et languissant en quelques autres.
Donc notre soin, notre vigilance, notre amour et notre fidélité, le fait vivre plus ou moins vigoureusement. Il est donc à notre pouvoir, mes soeurs, de faire vivre Jésus en nous ? Oui, par sa grâce.
Mais il y a encore une autre sorte de vie dont il est vivant en ses chers amis, de laquelle vie je voudrais ardemment qu'il vécut en nous, parce que cette vie lui est infiniment glorieuse, et qu'il reçoit plus de gloire d'une âme dans laquelle il vit de cette vie, que dans les royaumes entiers où telles âmes ne se rencontrent point.
Quelle est donc cette précieuse vie ? Je ne la puis exprimer, mes soeurs. Et quoique les Pères en disent ce qu'ils peuvent, en montrant l'union étroite qui se fait de Dieu en nous par ce divin Sacrement, la manière et les effets de cette vie sont trop ineffables pour s'en
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pouvoir bien expliquer. Ce que je puis dire sans exagérer, ni sans être soupçonnée de faiblesse et d'imagination : c'est de cette vie, mes soeurs, sans m'en expliquer davantage, que Jésus mon Sauveur demanderait de vivre en vous. Je sais bien que c'est un effet de sa puissance et que les serviteurs de Dieu la tiennent pour miraculeuse quand ils la rencontrent dans un sujet.
Ce miracle n'est pas rare en Jésus-Christ, puisque c'est son dessein et qu'il n'a institué son auguste Sacrement que pour cela. Et l'admiration de ces grands hommes devrait être principalement de trouver, après cela, sur la terre si peu d'âmes qui se veuillent rendre capables de la recevoir en se séparant totalement de la terre et d'elles-mêmes.
Mais pour moi je regarde une âme séparée d'elle-même comme un prodige, comme une merveille de la grâce, comme un chef d'oeuvre de la main puissante de Dieu. Et pourquoi ? Parce que je vois tous les jours davantage que nous tenons si fort à nous-mêmes, que l'on ne trouve quasi personne assez généreux et assez adhérent aux desseins de son Dieu pour se crucifier et renoncer jusqu'à ce point.
Pleurons, mes soeurs, pleurons ce malheur extrême, pleurons de voir une vie divine négligée dans la sainte Eucharistie. Pleurons de ce que Jésus ne trouve personne pour la recevoir. Mais pleurons sur nous-mêmes, puisqu'étant ses enfants et les héritiers de cette divine vie, nous ne nous mettons point en état de lui donner ce contentement de la produire en nous.
0 si nous en savions la dignité et l'excellence ! nous mourrions de douleur et de regret d'avoir jamais employé nos mouvements, nos soins, et nos respirs à autre chose qu'à aspirer ardemment et continuellement à ce bien infini.
Il me semble que j'entends la voix adorable de ce divin prisonnier d'amour qui nous crie du fond du tabernacle : c'est à vous mes enfants à qui je dois laisser mes trésors en héritage. C'est à vous, qui êtes consacrées à mon amour et pour porter les intérêts de ma gloire, d'entrer en partage des opprobres et des mépris que je reçois. Vous vous donnez à moi en me sacrifiant vos vies, et je veux me donner à vous, pour vous faire vivre de moi-même.
Oui, mes soeurs, il me semble que Notre Seigneur, dès cette vie présente, veut nous récompenser de ce très chétif sacrifice que nous lui faisons de nos vies, pour l'honneur de son divin Sacrement. Il nous fait la grâce de nous admettre à sa table — et je dis plus dans son sein paternel, et ne veut point que nous ayons d'autres richesses que lui.
0 que trop est avare à qui Jésus ne suffit dans la sacrée Eucharistie ! Si je vous demande, mes soeurs, si vous voulez d'autres trésors, vous me direz de bon coeur que vous méprisez tout le reste, et que, pourvu que vous mangiez la chair d'un homme-Dieu, vous ne craignez pas de mourir de faim. Mangeons, mes soeurs, ce pain adorable, mais après en être rassasiées ne demandons plus les grasses marmites de l'Egypte.
C'est un Pain qui contient la vie en soi. Or celui qui ne le mange que pour la vie ne cherche pas le plaisir du goût en le mangeant. Je ne dis pas que vous ne savouriez ce pain divin puisqu'il est d'un goût et d'une saveur admirables, mais ne le savourez pas de vos sens. Ils sont incapables de la délicatesse de ce goût précieux. Savourez-le par la foi pure et nue et vous expérimenterez qu'il a le goût de Dieu vivant.
Le mangeant de cette sorte vous aurez la vie en vous ; mais il la faut conserver en vivant dans toute la perfection qu'il vous sera possible, et singulièrement en ces points suivants où la faiblesse nous traîne plus ordinairement :
Ne jamais contrarier, contester, ni soutenir son sens.
Ne jamais se préférer à qui que ce soit, ni rechercher l'estime, ni d'être considérée ou honorée d'aucune créature.
N'admettre aucune affection dans son coeur qui nous puisse séparer un moment de Dieu. Il y a des affections, mes soeurs, qui nous lient à Jésus-Christ, et celles-là ne sont point préjudiciables. Mais ne vous y trompez pas, car pour bien connaître si une amitié est sainte : elle ne doit causer aucun mauvais effet dans l'esprit, ni trouble, ni inquiétude.
N'avoir jamais volontairement le moindre rebut ou mépris pour personne. Aimer chèrement les faibles et les pécheurs, puisqu'ils coûtent doublement à Jésus-Christ.
Aimer tendrement votre prochain et singulièrement vos soeurs. Mais avec une sainte et cordiale affection, avec une sainte tendresse, vous souvenant du commandement de Jésus, de vous aimer les unes les autres du même amour qu'il vous aime et que vous l'aimez, afin que sa prière soit efficace en vous. Qui sera la malheureuse qui s'opposera à la grâce de cette prière ! C'est un Dieu qui prie un Dieu — si cela se peut dire —. Enfin : ce sont les souhaits de Jésus-Christ, et comme vous êtes choisies pour porter en vous d'une manière particulière les effets de son Sacrement, le plus important est que ses paroles divines soient reçues en vous et qu'elles soient, par vos fidélités, rendues efficaces.
Puis donc mes soeurs, que vous êtes les Filles de l'Eucharistie, je vous conjure par ce glorieux titre de ne vous en point démentir. Ne soyez point indifférentes à ce bonheur, mettez-vous en état de contenter votre Père et de lui donner le plaisir de verser sa vie dans vos coeurs. Donnez-lui ce que presque tout le monde lui déme : la souveraineté sur tout ce que vous êtes, par un empire absolu, mais sans compliments ! Etudiez-vous à le servir et à lui complaire, chassez les créatures hors de vous.
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Vous êtes des Filles Royales, mais qui ne tirent leur gloire que de Jésus caché dans l'Hostie et comblé de honte et de mépris. Oui, mes soeurs, votre magnificence royale sont les opprobres de votre divin Père. Vous savez comme il est tous les jours traité dans ce sacré Mystère, et combien il est profané, négligé et inconnu. Très peu de personnes l'y adorent, très peu lui croient solidement. La foi est presque morte dans les coeurs. Vous en voyez très peu qui en soient animés.
Cependant Jésus-Dieu est là tous les jours et les nuits. Pourquoi donc, mes soeurs, si ce n'est pour vous qui l'y êtes allé chercher, croire et adorer ? Oui, pour vous, et je puis dire avec certitude de vérité qu'il est dans ce tabernacle plus pour vous que pour tout le monde, puisque ce monastère s'est fait pour vous y recevoir, et qu'il veut (y) être l'objet de vos continuelles adorations.
Et peut-être aucune de vous ne serait pas religieuse si elle n'était Fille du Saint Sacrement. O ! mes soeurs, cette grâce ne se peut assez estimer ! gardez-vous bien de la mépriser, voire de la tant soi peu négliger, elle est d'un prix et valeur infinis. Heureuse l'âme qui en connait l'excellence et qui la reçoit avec l'amour et le respect qu'elle doit.
Mais si vous êtes les Filles de ce Mystère divin, où sont, mes soeurs, où sont les rapports que vous avez à votre Père ? Où sont vos appartenances ? vos dépendances et vos relations ? Un enfant tient tout de son père : les moeurs, les inclinations et le reste. Voyez si vous les trouvez en vous ?
Quelles sont les inclinations de Jésus ? O mes soeurs, vous les savez : la soif brûlante des mépris, des pauvretés et des souffrances, voilà ce qui paraît le plus dans sa sainte vie. Mais dans la sainte Eucharistie, hélas quelle pauvreté ! quelle douleur et mépris ! Car, quoique d'une manière il soit impassible, de l'autre disons qu'il ne laisse pas d'y souffrir un traitement effroyable des pécheurs par leur mépris.
Pour la pauvreté : elle y est manifeste, et vous le savez sans qu'il soit besoin de l'exprimer ici. Disons seulement, mes soeurs, que notre principale obligation est d'y avoir liaison et rapport et qu'il nous est impossible d'être victime de sa Justice pour ses profanateurs, sans avoir relation à sa vie souffrante et abjecte.
Accomplissez ces choses avec courage, fidélité et persévérance, et vous serez bientôt ornées des autres admirables perfections que Dieu donne à l'âme pour la rendre capable de recevoir sa vie divine et de vivre de la même vie qu'il vit en lui-même.
O profondité inouïe ! Il s'en faut taire, et me renfoncer dans mon silence. J'en ai trop dit, mais j'abandonne le tout à la sacrée Providence de Jésus-Christ.
SUITE DE LA MÊME RETRAITE
O quel abîme ! Il n'y a rien de si surprenant ! Tout parait perdu. Rien, Rien, Rien, Rien, et tout Rien ! La nudité est si grande qu'on s'étonne comme l'âme se peut soutenir.
Si elle était sensible, elle mourrait de douleur. Mais elle ne se peut mouvoir, ni désister, ni vouloir aucune chose.
Tout parait mort et tout dépend du souffle de Jésus-Christ.
Il est impossible à l'âme de trouver en sa vertu et capacité un souffle de vie. Ce sont des morts éternelles qui attendent leur résurrection de la pure puissance et bonté de Jésus-Christ, sans que l'âme y puisse contribuer à la moindre chose. L'âme voit cette mort clairement, et d'autres fois elle est capable de trouble ; mais quoiqu'il lui arrive différentes dispositions, la mort est toujours en fond.
Il y a ici quelque chose de semblable au grain de froment qui tombe en terre, y meurt et y pourrit. Mais dans le fond de sa propre pourriture il y a une vie végétante qui s'y conserve et qui n'est point aperçue car le grain paraît pourri. Cette vie végétante est une vertu productive qui se trouve dans toutes les plantes et qui leur donne vie. Il est encore plus vraisemblable dans une âme morte et comme toute pourrie et abîmée dans sa propre infection — je n'entends point parler des âmes mortes par le péché, ains de celles dont il est dit dans l'Ecriture « Beati mortui in Domino... » — elle est morte, elle n'a plus de vie, mais plus elle pourrit, plus elle est corrompue et par conséquent infecte et insupportable (ô secret merveilleux que je vois comme le jour qui m'éclaire !) : dans le fond de cette mort, pourriture et infection, il y a un germe de vie que l'on pourrait dire « un fond de vie » qui, en vérité, n'est point par la vertu de l'âme, ni par quoi que ce soit de sa production ou capacité, mais par la pure miséricorde divine : et ce germe ou fond de vie, n'est autre chose que Jésus-Christ lui-même. Ce n'est point une grâce, ou participation de quelque faveur. Il faut dire que c'est Jésus-Christ, qui est, dans ce fond misérable comme vie et centre de vie, mais vie, essentiellement vie ! Je dis : vie, et ne puis dire autrement, parce que je n'ai pas de terme pour mieux exprimer ce que je comprends.
Et je dirais volontiers une chose surprenante à plusieurs, que, comme le grain de froment ne fait aucune coopération à sa renaissance ou à sa nouvelle vie que de se laisser en terre et pourrir, de même, l'âme doit demeurer ainsi ensevelie dans la terre de son néant et de sa propre corruption, attendant avec une patience éternelle — c'est à dire : prodigieuse — le point de la Résurrection. Car ce germe de vie caché en elle — sans qu'elle le découvre en ce
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temps-là — ne peut perdre sa vie dans cette terre parce qu'il est Vie « Ego sum vita » et essentiellement vie ; et que si l'âme, par le péché, n'étouffe et n'arrache ce germe précieux de vie, il poussera et fera une naissance prodigieuse en l'âme.
Mais il faut remarquer que le grain de froment est demeuré pourri dans la terre, et qu'il n'y a eu que son germe qui a produit. De même, l'âme demeure comme ensevelie, pourrie et perdue dans la terre de son néant ; et ce germe de vie, Jésus-Christ, pousse et produit en l'âme, choses ineffables et qui ne se peuvent dire.
Il faut donc que l'âme demeure toujours dans sa mort, jusqu'à ce qu'elle soit passée en Jésus-Christ comme en la source de sa vie. Le grain de froment est la comparaison que le Fils de Dieu nous a donné en l'Evangile, et il se l'approprie à lui-même.
Il n'y a donc rien à faire ici qu'à souffrir sa mort et sa pourriture. Voilà tout le secret de la vie intérieure, qui donne tant d'emploi aux esprits, qui fait composer tant de livres et qui, le plus souvent demeurent courts dans leurs lumières et productions, chargeant les âmes de mille pratiques ou intelligences humaines qui les éloignent de la simplicité de Jésus-Christ.
Je crois qu'une âme ferait bien, quand elle le peut, d'adorer Jésus-Christ comme vie en elle, comme sa vraie vie et le centre de sa vie ; et qu'elle s'expose à ce soleil divin pour qu'il échauffe cette terre, afin qu'elle produise ; et qu'elle dise avec l'Eglise : « Rorate coeli desuper... et aperiatur terra... »
Je dis ceci pour celles qui ne sont point encore dans la totale perte et mort d'elles-mêmes. Mais, quand l'âme est ensevelie dans sa pourriture, il n'y a plus de loi à lui donner ; tout dépend de la pure bonté et miséricorde de Jésus-Christ.
Elle n'a plus de puissance, plus de désirs, plus d'ardeurs, plus d'inclinations, plus de volonté, plus de prétention, plus de mouvements ; si je l'ose dire : tout paraît réduit à la mort. Jésus-Christ fait en cette âme ce que son divin Esprit fit dans la vision du prophète — qui souffla sur ces ossements de morts et chacun fut animé d'une nouvelle vie. De même si son plaisir est de souffler et de produire, dans cette âme — comme il est en vérite — vie, elle sera heureusement ressuscitée. Mais il ne faut pas qu'elle soit ardente pour sa résurrection. C'est l'ouvrage de la Toute Puissance de Dieu de ressusciter les morts.
C'est donc la pure bonté et miséricorde de Jésus-Christ qui fera ce coup, quand et comment il lui plaira, et sans que l'âme y puisse contribuer du moindre respir, sinon de ne le point empêcher, demeurant fidèlement dans la mort : voilà ce qu'elle peut pour opérer et avancer sa résurrection.
J'ai cru souventes fois que ces paroles que Notre Seigneur dit en son Evangile « In patientia vestra... » étaient appliquées à cette mort.
Il faut une patience terrible, parce que, comme cette résurrection dépend de la pure miséricorde de Dieu, il lui plait quelquefois de la différer, [tellement] que l'âme perd quasi l'espérance de la jamais recevoir. Je crois même qu'elle ne s'opèrera qu'à la mort corporelle en de certaines personnes ; et cela par une sagesse admirable, pour le bien de telles âmes, qu'il faut tenir dans ces cachots ténébreux, autrement elles se perdraient si elles apercevaient ce grand jour. Ce soleil en son brillant et cette clarté éternelle leur ferait perdre la vue. Elles ne le pourraient soutenir ayant trop de faiblesse.
Cela est vrai qu'il y a des âmes qui demeurent [de] longues années dans la mort, quelquefois cela vient de ce que la mort n'est point achevée, qu'il n'y a que des morts apparentes en quelques points, et non pas au total ; et comme la nature est effroyable dans sa propre vie, et qu'elle a des adresses presque infinies, il faut longtemps souffrir ces assauts et ces combats, premier que de la pouvoir réduire.
Je voudrais que chaque âme qui, par la grâce de Notre Seigneur, sent en elle-même cette loi de mort, portât gravé dans son coeur et sur son bras : PATIENCE. Il la faut si grande que, quand je dis des années entières, on ne me croirait point.
Quant à la vie divine que Jésus-Christ produit en ces âmes ainsi mortes et pourries, elle est au degré qu'il lui plait de le manifester : à quelques unes plus, à d'autres moins. Mais pour peu qu'Il se donne, c'est trop, et infiniment plus qu'on n'oserait espérer jamais ; car les moments de la plus petite parcelle de cette vie sont si précieux, qu'il faudrait souffrir tous les martyres imaginables pour avoir la grâce de la posséder au plus petit point que Notre Seigneur la voudrait donner. Mais sachez pour toujours que c'est le don de Dieu, et qu'il n'est acheté que par la mort ; il n'y a point de monnaie sur la terre capable de son prix et de sa valeur.
Demeurons donc dans cette absolue nécessité de mort, et mourons de nuit, de jour, et en toutes occasions ; mais plus encore au dedans de nous-mêmes, où notre propre vie tient son soutien d'une étrange sorte.
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SUR LA VIE CACHÉE EN JÉSUS-CHRIST
Il est vrai, vous ne l'ignorez point, que votre condition vous oblige à vivre désormais dans un perpétuel état de mort, vous en avez fait un serment solennel et irrévocable. Il n'y a point de rappel ni de dispense de cette obligation.
Il faut vous assujettir à la sentence que St Paul vous énonce de la part de Dieu : VOUS ÊTES MORTES ET VOTRE VIE EST CACHÉE EN JÉSUS-CHRIST. Si votre vie est ensevelie dans Jésus, vous ne devez plus paraître avoir aucun mouvement de vie. Jésus seul doit paraître vivant en vous, puisqu'en vérité II est l'unique vie et source de vie. Et c'est faire un affront à ce principe de vie et une injure insupportable et qui mérite des châtiments infinis, que d'empêcher un moment cette divine vie. Il vaudrait mieux descendre aux enfers que de la faire cesser un instant.
Cela supposé, il est question de savoir comment votre âme doit demeurer cachée et toute ensevelie en Jésus-Christ, et vivre de cette vie de mort ? Je ne suis pas capable de parler de cet état, mais je vous dirai simplement, pour m'acquitter de mon obligation, que vous devez porter un esprit d'anéantissement en tout et partout, sans choix, sans désirs, sans affections, sans desseins, et sans aucune volonté que d'être uniquement à Jésus-Christ. Mais sans activité, sans empressement, sans inquiétude et sans impétuosité de votre propre esprit ; portant actuellement dans l'intime de votre coeur une propension et épanchement, et une possession amoureuse de Jésus en vous par une disposition de pure foi, vous laissant abîmer en Lui comme un petit ruisseau qui s'écoule dans l'océan, vous laissant ainsi ensevelie et comme toute engloutie sans ressource.
Vous perdant vous-même de cette sorte, vos intérêts se perdront aussi, et rien de créé ne vous pourra tirer de ce bienheureux centre.
Vous êtes mortes parce que Jésus-Christ est vivant ! La vue continuelle de votre rien vous tient dans la mort très facilement, si vous êtes fidèles à suivre le trait qui se fait ressentir dans le fond de l'âme. Et vivant ainsi, l'on peut dire que vous ne vivez point.
O heureuse mort qui donne la vie à Jésus ! Jamais il n'est si glorieux en nous — quelqu'amour que nous ressentions pour lui qu'en le faisant vivre de cette sorte. L'âme dans cet état porte tout et soutient tout, Jésus vivant uniquement en elle. Et il suffit pour tout : de mourir incessamment.
Il faudrait réduire cet état à quelque simple pratique qui puisse faciliter l'âme à y demeurer actuellement. Je prie Notre Seigneur qu'il donne lumière à quelque personne pour en dresser un règlement à cet effet, pour celles que Dieu y appelle. Je me contenterai de dire que : [1] vous devez faire un fréquent usage d'un saint recueillement ; non seulement un silence de la partie extérieure, mais un silence d'esprit avec vous-même et les créatures.
2e Un abandon de tous vos intérêts, tant intérieurs qu'extérieurs, à Jésus-Christ, vous remettant de tout ce qui vous regarde à son aimable Providence.
3e Une exactitude à toutes vos observances. 4° Ne jamais rien faire par votre esprit.
5e Ne vous jamais soutenir en vous-même ni en autrui, s'il n'y va de la pure gloire de Dieu. Ce point est délicat, et la nature s'y trouve souvent couverte des intérêts de Dieu.
6e Ne tenez rien de créé dans votre esprit volontairement, si la charité du prochain ou l'obéissance ne vous y oblige, pour vous acquitter, de ce qu'elle vous ordonne, fidèlement.
7. Conserver votre paix. Ne jamais, ni pour qui, ni pour quoi que ce soit, ne vous laisser préoccuper d'une chose qui peut troubler tant soit peu le calme de votre intérieur.
8` Chercher toutes les occasions de vous sacrifier à Notre Seigneur, en toutes les croix et contradictions de Providence ; ne vous justifiez point si vous n'y êtes obligées ; mourrez toujours avec Jésus-Christ.
9e Lorsque ceux ou celles que Dieu établit sur votre conduite, vous demanderons l'état de votre intérieur, répondez leur fort simplement et sans crainte ou considération humaine.
***
Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.
C'est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes, par des impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent l'esprit humain n'y pourrait voir goutte pour les comprendre par lui-même.
Ce « Rien » dont Notre Mère parle avec tant d'admiration se trouve de cette nature. C'est, sans doute, un dépouillement de l'âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et en vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter.
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Mais nous pouvons dire encore que la nature, par elle-même, ne peut arriver à cet état. Il n'appartient qu'à Celui qui a su, du rien, faire quelque chose, la réduire de quelque chose comme à Rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre, où il la peut mettre.
Mais comme ce n'est pas ce dont nous devons parler ici, et qu'après ce qu'elle en explique il serait même ridicule de l'entreprendre ; soit parce qu'il n'appartient pas — comme on dit — aux aveugles de juger des couleurs, [soit] que, parce qu'elle en dit tout ce qui s'en pourrait jamais dire, nous nous arrêterons seulement à faire faire une réflexion au lecteur, en suite de tous ces beaux Ecrits.
C'est : s'il pourrait douter encore, après tout cela, que cette grande maladie de la personne qui les a faits, ne fut une maladie surnaturelle. En vérité, voit-on en une mourante de mal naturel, cette force, cette netteté, et cette sublimité d'esprit ? Lui voit-on la vigueur d'écrire tant et si longtemps ? La voit-on se guérir, naturellement, par une privation générale — comme cela — de tous soulagements humains, par une application entière de son esprit à des choses fort élevées : par oraison continuelle, par un jeûne absolu, et par une absolue solitude, comme celle-ci ? Cela ne se pourrait pas, sans doute, puisque les maladies naturelles ont besoin d'une conduite toute opposée à celle-là ; et comme elles affaiblissent entièrement le corps, elles réduisent en même temps l'esprit, duquel il est l'organe, dans une impuissance entière d'agir, et dans un désir extrême de recevoir du secours, et non pas de s'en éloigner, comme cette Mère fit.
Et nous devons encore faire remarquer que, pendant cette longue maladie, elle ne cessa jamais d'agir aux affaires ; en faisant plus à elle seule que quatre personnes ensemble, en bonne santé, n'eussent su faire car ce fut dans ce temps-là que l'Institut commença, ce qui lui taillait bien de l'ouvrage, comme nous avons déjà vu.
Que donc le lecteur conclue avec nous que cette maladie était une opération divine, et que Dieu tout puissant l'associait en effet par état à l'état de notre Rédempteur, son Fils, fait victime de sa Justice, comme nous avons vu encore ailleurs. Par conséquent, que l'on respecte cet Institut, le regardant comme l'oeuvre du Seigneur, et que l'on ne doute pas que cette Mère n'ait eu mission et vocation très expresse pour l'entreprendre.
Voyez comme elle parle dignement de cet état de mort où ce mystérieux « rien » réduit l'âme ! Ensuite : de la vie divine qui en résulte, vie cachée en Jésus-Christ et qui transforme la créature en Lui.
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REFLEXION
Voici un autre Ecrit de la même Mère, que nous allons mettre, bien qu'il ne soit pas une suite des précédents. Mais, comme en celui-ci elle donne, en une manière un tableau raccourci, ce que c'est que d'être victime du Saint Sacrement, le renfermant dans l'amour du mépris, nous avons jugé qu'il serait grandement utile, parceque, par sa brièveté, il peut faire plus d'impression dans les esprits, et peut être plus facilement emporté par la mémoire.
Elle le fit à la prière d'une de ses filles qui désirait la perfection. Et nous pouvons dire, en passant, que cette idée de victime qu'elle leur donne partout a produit ce bon effet de les guérir, ou plutôt, de les préserver, de deux tentations très ordinaires aux filles, qui retardent souvent leur avancement spirituel : la tendresse sur elles-mêmes et la conservation de leur santé, et l'amour d'être flattées et applaudies ; parce que comme celles-ci n'ont à se proposer que la destruction d'elles-mêmes par la mortification, les pénitences, et l'amour du rebut, pour remplir dignement leur perfection de victime ; et bien loin de s'arrêter pour ces choses, qu'au contraire elles les regardent comme les vrais moyens pour les faire arriver à leur fin. Si bien qu'on les voit toujours contentes, passant par dessus tout. Cela est courir incessamment dans la voie pour ne s'arrêter qu'à Dieu seul.
DE L'AMOUR DU MÉPRIS
IV et V. — Lettre de Mère Mectilde à Mère François de Paule, Prieure du second monastère de Paris, rue Neuve-Saint-Louis. Mademoiselle Corneil dont parle la lettre est la fille de Pierre Corneille qui ne put faire profession qu'en 1718 au monastère de Rouen.
Lettre autographe aux archives du monastère de Paris.
Le propre de l'inclination de la créature est de paraître, et le propre de la grâce c'est de se cacher et de s'anéantir.
L'amour propre veut être considéré et faire quelque chose qui occupe les esprits et le fasse admirer ; et la grâce des victimes du Saint Sacrement c'est de fuir et s'abîmer dans la petitesse, le mépris et le néant.
Quelle apparence qu'une victime voie son Dieu sacramenté foulé aux pieds, inconnu et caché, et vouloir être estimée, et paraître ce qu'elle n'est point !
Jamais une victime ne doit chercher sa louange, sa satisfaction, ni sa justification quand on la méprise.
Une Fille du Saint Sacrement ne doit point savoir ce que c'est : d'honneur, de louange, de gloire, estime, élévation, etc... d'elle-même. Elle ne doit jamais avoir plus grande honte que lorsqu'on la tire de son néant, qu'on la produit et qu'on l'exalte ; car comme sa vie est
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d'être inconnue, oubliée et cachée à toutes les créatures comme Jésus-Christ l'est dans l'Hostie, de même, elle ne peut et ne doit porter le contraire qu'avec une extrême crucifixion.
Que pensez-vous que ce soit d'une victime du Très Saint Sacrement ? C'est une pauvre condamnée, qui n'attend que la mort ; son arrêt est prononcé au moment qu'elle se fait victime. Elle n'a plus rien parmi les créatures, que la honte et l'opprobre, et tout ce qu'il y a d'humiliation lui doit appartenir.
La plus cruelle croix d'une vraie victime c'est d'être tirée de son cachot, et d'être mise en honneur parmi les peuples. Fuyons donc, nous autres qui avons la grâce d'être les victimes de Jésus, fuyons toutes les élévations de la terre. Réjouissons-nous quand les autres sont louées, estimées, et qu'elles sont sur le trône de gloire et d'exaltation ; mais pleurons des larmes de sang si nous étions assez malheureuses que d'être en quelque considération dans les créatures.
Il ne faut jamais sortir du néant où Jésus anéanti dans l'Hostie nous a fait l'honneur de nous introduire.
Fuyons la réputation, fuyons la gloire, fuyons tout ce qui peut faire tort à la grâce du sacré et précieux état que nous portons. Il ne faut point de prétexte, il ne faut point d'excuse ; fuyons, fuyons les créatures si nous voulons devenir une même chose avec Jésus. Leur plus petit souffle est un poison pour nous.
0 que la pureté de l'amour divin est délicate ! peu de chose lui fait obstacle, et malheur à l'âme qui s'oppose à la sainteté de son opération ! Ne croyez pas qu'il se communique facilement à toutes sortes de personnes. Non, non, il faut être solitaire, non du corps seulement, car plusieurs le sont et vivent imparfaitement, mais solitaire de coeur, qui n'est autre chose qu'une séparation entière.
Fuyons donc les créatures, mais fuyons-nous nous-même : fuyons nos humeurs, fuyons nos inclinations, fuyons nos propres pensées, fuyons nos désirs, fuyons nos affections. Fuyons nous nous-même en tout, comme une peste qui étouffe en nous l'amour divin. Fuyons notre raisonnement, fuyons notre propre esprit, fuyons nos sens.
Et j'atteste aux pieds du Seigneur que nous le trouverons pleinement, qu'il se communiquera à nous sans réserve, et que nous n'aurons plus de sujet de nous plaindre de nos ténèbres, de nos impuissances et de nos pauvretés.
Voici la devise que cette très digne Mère avait prise pour elle-même, comme l'Epouse des Cantiques, car elle ne nous enseigne rien qu'elle ne pratique la première :
OPPROBRIIS ME FULCITE PUDORE CONFUSIONE QUE ME STIPATE QUIA AMORE LANGUEO
SUR LA SAINTE COMMUNION
Il serait à désirer que quelque personne voulut parler du sacrifice adorable et ineffable que Jésus-Christ Notre Seigneur exerce dans une âme au temps de la Sainte Communion, de ce qui se passe dans ce fond infini et des dispositions qu'elle doit avoir pour n'être point opposée à ce précieux Mystère qu'il opère si divinement.
Pour moi, je n'ai pas la grâce et la lumière d'en parler. Il faudrait avoir été introduite dans le Sancta Sanctorum de l'âme, où ce Dieu de Majesté réside et fait ses prodigieux effets. Tout ce qui s'en peut dire, c'est que je crois qu'il y a des mystères qui se passent dans la Sainte Communion que les âmes même qui communient n'entendent point.
Ce n'est pas que, s'il faut parler des préparations nécessaires, j'avoue qu'il en faut faire et qu'il faut exhorter surtout ces âmes qui commencent d'entrer dans la vie intérieure, à s'y bien disposer ; mais, s'il est permis de raisonner sur ce que nous pouvons faire, qu'est-ce que nos dispositions, nos désirs, nos ardeurs, nos affections, nos souhaits et tout le reste, quoiqu'ils paraissent bons ? Hélas ! disons que tout cela est bien indigne de la pureté et sainteté de Jésus-Christ ; que tout ce que nous produisons est souillure et part d'un fond corrompu et puant. Mais, quand il serait plus pur et plus excellent, qu'est-ce que nous sommes pour parler, pour nous produire et paraître devant l'infime grandeur de Dieu ?
Pour moi, sans désapprouver le sentiment des autres, je crois que tout ce que pouvons faire, c'est de nous abaisser et abîmer profondément dans le fond de notre rien, l'avouer en foi — si nous ne le pouvons sentir —, et nous tenir éloignée à l'infini si cela se pouvait de cette suprême Majesté.
Ma pensée est que l'âme doit se tenir comme retirée dans son indignité, et comme si elle n'osait paraître à cause de ce qu'elle est par le péché, et se tenir ainsi perdue dans son néant, pendant que Jésus-Christ entre en elle, et qu'il y descend comme un Souverain dans son domaine, et comme celui à qui tout appartient ; le laissant, dis-je, entrer de cette sorte, et nous retirer, comme quand un Souverain monarque doit passer, chacun se retire pour lui faire place.
Ce retirement en nous-même se fait quand l'esprit s'abaisse, se confond, et se tient dans la vue de son rien et dans un sentiment d'une indignité infinie. Et les sens, de même que cet esprit ainsi abaissé et abîmé, sont interdits et n'osent s'approcher de cette auguste Majesté.
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Sur quoi vous ferez cette remarque avec moi, que tout ce qui nous gêne dans nos communions, c'est que l'esprit et les sens n'y sont point rassasiés, que le goût n'y est pas satisfait, et qu'on ne les mène point à la fête, qu'ils ne sont point introduits dans la salle du banquet, et que, pour l'ordinaire, l'esprit n'en aperçoit rien.
Mais ceci est merveilleux, quoique pénible à soutenir à l'âme qui, n'ayant encore vécu que d'une vie sensible et animale, ne sait ce que c'est que (de) la vie divine qui lui est communiquée par la sacrée Communion ; car elle se persuade que ce Pain divin est sensible, qu'il doit avoir un goût céleste, et qu'elle le doit sentir et s'ennivrer des délices qu'il contient en soi, et que tant de belles âmes en ont savouré et reçu. Et, comme cela, elle s'y trouve étonnée quand elle n'y goûte rien.
Il faut ici un discernement, pour ne point faire de confusion à ce que nous devons dire. Il est vrai qu'il y a des âmes qui communient suavement et avec plaisir, et qui, pourtant, n'ont presque encore rien souffert pour Jésus-Christ. Celles-là sont de deux classes.
La première : est une innocence conservée depuis le Baptême, qui fait goûter quelques délices en recevant Jésus-Christ ; mais délices passagères, qui ne font quasi point d'autre effet que de conserver l'âme de tomber dans le crime.
La seconde : est des âmes qui ne peuvent servir Dieu que par ses goûts, sans lesquels elles ne satisferont point à leur amour ; comme : les pécheurs convertis et revenus dans la grâce, lesquels, ayant été voluptueux, il leur y faut du goût et du plaisir pour attirer leur ferveur, et ce Dieu tout bon leur en donne, mais ceux-là sont mercenaires.
Après ces deux classes, il y en a une troisième qui goûte aussi, mais avec bien de la pureté : ce sont les âmes toutes épurées, et qui ont passé par les fournaises des très rigoureuses conduites de Dieu, qui les ont purifiées par des excessives souffrances, peines, tentations. Et, en celles-ci, après que telle purgation est faite pleinement, Jésus-Christ produit dans leur fond et répand alors dans leurs sens des délices inexplicables.
Mais hélas ! hélas ! Avant que d'en être là, combien d'effroyables morts, et combien d'années d'agome et de cruelles souffrances doivent-elles supporter ! Celles que Dieu a ressuscitées des morts peuvent bien vivre de la vie divine de Jésus-Christ. Mais croyez-vous que ces âmes soient bien communes ? Pour moi, je dirai volontiers qu'elles sont aussi rares que le phénix entre les oiseaux.
Pourquoi si rares ? Parce que l'on ne trouve personne qui veuille soutenir la rigueur du feu dévorant qui les doit purifier ; les extrêmes pauvretés, rebuts, destructions, et le reste qu'il faut porter, leur font peur.
Laissons là ces âmes ainsi consumées, pour parler de l'état plus ordinaire. Dans celui-ci je vois presque la plupart des âmes s'attrister,
se plaindre, se tourmenter, qu'elles ne font rien à la Communion, et qu'elles ne profitent point d'une telle grâce. Et si on leur demande
la cause elles diront : je n'en sais rien, je me confesse souvent, je fais une partie de ce que je puis, et néanmoins je suis toujours très misérable.
Cet état se pourrait encore partager en différents étages de ces âmes peinées en la sainte Communion ; mais il faudrait faire autant
d'états divers qu'il y a d'âmes qui communient ; car les unes sont sèches par leurs infidélités, les autres sont pauvres par ignorance, et d'autres ne veulent pas prendre la peine de lire et de remplir leur esprit de bonnes pensées pour le tenir occupé.
Mais nous les devons toutes en général avertir d'une chose bien importante, c'est que, pour bien communier, il faut sans doute que l'âme fasse des diligences de sa part, et surtout se garde, autant qu'elle peut, non seulement des péchés mortels mais des véniels volontaires ; faisant son possible, de plus, pour arracher ses mauvaises habitudes d'orgueil, de vanité, etc... Qu'elle tâche de se tenir en recueillement durant la journée, se rendant fidèle aux exercices réguliers ; et qu'elle ne se laisse échapper aux occasions que la providence divine lui envoie pour pratiquer les vertus.
Observant bien ces trois points, elle se trouvera toujours très suffisamment préparée. Je ne dis pas qu'elle n'y puisse manquer quelquefois, car notre fragilité est grande, mais il faut que ce soit là son fond, et que, quand elle y aura manqué, elle y rentre au plus tôt.
Mais à ces premières, qui se plaignent de leur sécheresse, pauvretés, impuissances à la sainte Communion, et qui, faisant assez ce qu'elles peuvent, gémissent néanmoins sous la révolte de leurs sens et la faiblesse de leurs facultés intérieures, qui les laissent comme opprimer par les scrupules, peines et tentations, qui les troublent et inquiètent, leur fournissant un million de pensées terribles de toutes manières — même de réprobation et de désespoir — quel conseil leur donnerons-nous ?
Oh ! qu'il serait aisé de les soulager, si elles avaient un peu de docilité d'esprit pour croire ce qu'on leur dit, et si elles voulaient faire ce qu'on leur enseignerait ! Je ne doute point que, quoique ce ne fût pas du premier jour, ni peut-être du second, qu'elles ne trouvassent des grâces merveilleuses cachées dans le fond de leurs pauvretés et souffrances !
0 si elles voulaient un peu se négliger dans cet état, et un peu s'éloigner d'elles-mêmes ! Non en s'y prenant de force, mais par une patience qui tâche de laisser passer toutes ces extravagantes pensées, impressions et tentations.
Et si elles me disent : « je ne m'en puis défaire », je ne leur dis point de s'en défaire, — car cela n'est pas quelquefois en leur pouvoir —, mais je dis d'avoir patience, parmi tant d'insolences qui se passent en elles, soit de blasphème ou d'impiété, il n'importe ! Qu'elles laissent tout cela sans l'examiner.
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Mais, me direz-vous : « je ne le puis. Je suis comme tirée à m'en occuper, et je ne puis aucunement m'en séparer ». Je veux bien que vous ne puissiez vous empêcher d'entendre leurs cris, de voir leur malice, et de sentir leurs tyrannies ; mais vous ne faites en cela que les souffrir, et ne voulez-pas vous en occuper.
« Il me semble, me direz-vous, que ma volonté semble y être engagée », mais sachez que vous avez deux volontés : la supérieure qui réside dans l'esprit, et l'inférieure : que nous appelons « appétit », et qui est bien distinguée de l'autre par les âmes qui se possèdent en fond de paix.
Ainsi il faut qu'elles aient patience, et qu'elles croient simplement ce qu'on leur dit. O ! si elles savaient le grand mal qu'elles font, de ne se point soumettre d'esprit et de jugement en la conduite des supérieures ! Elles mourraient plutôt à la peine que d'y manquer.
Il faut qu'elles s'abandonnent simplement ; et quand la tempête est extrême, et que tout est renversé et perdu ce semble, il faut trouver son repos dans sa propre perte. Comment donc, dans l'enfer ? Oui, dans l'enfer ; et il faut croire que Dieu fera justice, et vous lier à ses intérêts laissant mourir les vôtres, qui ne peuvent souffrir une séparation éternelle de Dieu, bien que ce ne soit pas par son pur amour mais plutôt par amour propre. Laissez-vous donc, abandonnez-vous au bon plaisir de Dieu en justice ou miséricorde comme il lui plaira. Car tant que l'âme demeure dans ce point de ne pas passer, comme je viens de dire, au sacré abandon, elle n'avance point, et ne peut remplir le dessein de Jésus-Christ sur sa purgation intérieure.
Oh ! mes soeurs, ce que Jésus-Christ fait dans ces pauvres âmes peinées et désolées, et qui n'ont point d'entrée dans la chambre royale, ni comme point de part au festin, est le mystère des mystères ! Il se cache dans l'obscurité de leur peines, comme dans des ténèbres, pour leur dérober la vue de ses opérations, afin qu'elles n'y prennent de la complaisance ; car elles croiraient peut-être avoir bien contribué, par leurs diligences, à préparer cet appartement royal et à lui avoir ouvert le Sancta Sanctorum où il se retire en entrant dans nos poitrines ; ainsi elles s'en rendraient indignes.
Comme cela, il s'introduit de lui-même — comme à leur insu dans ce sacré sanctuaire de l'intime portion de nos âmes, où il renouvelle tous ses adorables mystères, et singulièrement celui du sacrifice ; mais d'une façon infiniment avantageuse pour nous, en ce que, lui-même étant uni de substance à substance par la divine Eucharistie avec nous, nous ne faisons — au sentiment des Pères qu'une même chose avec lui, puisque nous sommes os de ses os, chair de sa chair, et tellement unis en lui que cette union remplit d'étonnement toute l'Eglise qui ne la peut comprendre ni assez admirer.
Cela est de foi, et nous le devons croire. Or, je vous prie, quand vous communiez, est-ce vous qui faites cette union ou transforma- tion ? Non, certainement, c'est Jésus-Christ, par la vertu de son divin Sacrement. Il suffit donc, de votre part, que vous soyez en grâce, et le reste se fait par l'amour infini de Jésus-Christ.
Cela étant vrai de foi, pourquoi n'apprend-on point aux âmes la manière de s'y bien comporter, et ce qu'elles ont à faire dans ce commerce divin ? Je dis qu'elles n'y ont quasi rien à faire, que deux choses : la première, d'être adhérentes à Jésus-Christ en fond de volonté. La seconde : qu'elles ne se brouillent point pour entrer et connaître ce qui se passe, pour le sentir, et pour s'en assurer.
Il faut seulement se tenir en recueillement — si l'âme le peut et consentir simplement en ce qui se passe en elle, par la visite divine et personnelle de Jésus-Christ ; et si elles ne peuvent se tenir paisibles, ni avoir aucun respect et attention, qu'elles disent de tout leur coeur, avec toute l'Eglise : AMEN.
Ce mot est mystérieux. C'est un aveu et consentement que l'âme donne à tout ce que Dieu fait dans son Eglise, et à tout ce que l'Eglise fait au regard de Dieu. Il est bon de le dire souvent dans cette intention, puisque c'est pour cela que la même Eglise le fait répéter tant de fois dans l'Office divin et à la Messe.
Il a pris son origine dans l'Eglise triomphante, comme Saint Jean nous l'apprend dans son Apocalypse, où il dit que les quatre animaux et les vingt quatre vieillards, prosternés devant le trône de l'Agneau, ne répondaient qu'AMEN, à tous les éloges, adorations, louanges et bénédictions qui étaient donnés au Dieu vivant, et à celui qui avait seul la puissance d'ouvrir le Livre fermé à sept sceaux, qui n'est autre que Jésus-Christ, ce divin Agneau immolé dès le commencement du monde.
Non ! Il n'est point dit que ces vingt quatre vieillards de l'Apocalypse disent autre chose en cette divine présence que ce précieux mot : AMEN. Aussi, il contient en soi un acquiescement et consentement à tous les desseins de Dieu sur Jésus-Christ, et de Jésus-Christ sur l'âme.
Qu'elles le disent donc de coeur ou de bouche, ne pouvant porter leur esprit à un consentement plus simple et plus uni aux opérations de Jésus-Christ en elles, qui leur sont inconnues.
Que devient donc cette âme, dira-t-on, par la Communion ? Elle devient : un Jésus-Christ. Mais comment un Jésus-Christ ? Je n'en sais rien, je n'en vois rien !
Non, parce que cette transformation se fait en la substance de l'âme : vous ne pouvez ni voir, ni goûter cette divine opération — si Dieu ne vous la révèle, comme je sais qu'il a fait à quelque personne —, et quoique vous ne la voyiez et sentiez point, elle est pourtant véritable et infaillible. Il faut le croire, et c'est le bonheur de l'âme que de se tenir en foi, et de vivre en cette ignorance, pour avoir une plus profonde soumission à ces mystères incompréhensibles.
152 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 153
Mais pourquoi en douteriez-vous parce que vous ne le sentez pas ? Avez-vous senti en vos sens l'effet de votre Baptême, quand vous l'avez reçu ? Et sentez-vous encore tous les jours l'effet de l'absolution quand vous allez à confesse ? Pourtant vous ne doutez point que vous ne soyiez devenue enfant de Dieu par ce premier Sacrement, et que vous ne soyiez absoute de vos fautes, par le second. Pourquoi voulez-vous donc douter des effets de la Communion parce qu'ils ne vous sont sensibles ?
Oui, oui, vous devenez un Jésus-Christ par cette transformation. Et si vous voulez savoir ce que ce divin Sauveur fait dans votre âme ? et où est-ce qu'il se retire quand il y est ? je l'ai dit. Il se retire dans le « Sancta Sanctorum » de l'âme, — qui est l'intime du fond —, qui sert à ce Grand-Prêtre de sanctuaire et de temple, à célébrer son divin et redoutable Mystère du Sacrifice de tout lui-même à son Père, qu'il veut renouveler dans le fond de cette âme ainsi que dans le temple sacré qu'il a sanctifié au jour de notre Baptême.
Oui, ô merveille inconcevable ! Jésus-Christ descend dans nos coeurs pour s'y immoler, et dire la Messe solennellement quoiqu'en un profond silence.
Tout se tient à recoi [en quiétude] dans ce temple. Les Anges et les Saints admirent et adorent les abaissements de Jésus-Christ, et le Père éternel y prend sa divine complaisance.
Mais ce sacrifice de quoi sert-il à l'âme ? Il lui sert à la sacrifier elle-même, car étant ume de substance à Jésus-Christ, elle n'en peut être séparée : elle est immolée avec lui et par lui-même dans ce temple. Elle fait partie de son Sacrifice, ce qu'elle ne pourrait jamais faire que par la sainte Communion.
Et voilà une invention prodigieuse et admirable que Jésus-Christ a trouvée, pour donner moyen à l'âme de s'offrir par lui, dignement, au Père éternel ; car dans ce mystère — ou sacrifice divin — l'âme n'est point séparée de Jésus-Christ. Et comme le Père éternel reçoit son Fils avec une satisfaction et complaisance infinies, on peut dire qu'il reçoit de même l'âme qui lui est unie, puisqu'il n'y a point de séparation de Jésus-Christ d'avec elle par le Très Saint Sacrement.
Cette vérité supposée, pourquoi se tant tourmenter qu'on ne fait rien à la sainte Communion ? En vérité, tout ce que nous pouvons faire peut-il approcher de ce que Jésus-Christ y fait pour nous ? Vous n'avez donc qu'à vous y unir et y consentir, l'adorer en silence, ou en peu de paroles pleines de respect, et vous soumettre.
O ! si on savait le bien que l'âme en retirerait ! Cela ne se peut dire ! la sainte Communion lui serait très agréable en tous temps, puisqu'elle connaîtrait que c'est un Mystère qui s'opère en elle, et que tout s'y fait par Jésus-Christ.
O ! si on pouvait se rendre à cette simple pratique ! L'âme recevrait des effets admirables de ce sacrifice. Elle se trouverait changée sans y penser ; elle sentirait un je ne sais quoi de force divine, qui la retirerait d'elle-même et des créatures, des imperfections, et du reste. Cela ne se peut comprendre, je ne puis suffisamment m'expliquer, et je prie celles qui verront ce brouillon de le corriger.
Il ne serait pas hors de propos de montrer ici la structure de ce temple mystérieux, où Jésus-Christ et l'âme ne font qu'un même sacrifice, ne sont qu'une même hostie et une même oblation. Je ne finirais point ! Il faut laisser cela à quelqu'autre qui l'entende mieux que moi. Il me suffit d'avoir montré qu'une âme qui est, par la grâce de Dieu, quitte du péché mortel, est participante de Jésus-Christ en cette manière ; or, de dire que celles qui tâchent de se tenir en plus grande pureté de vie, ne reçoivent des effets plus sensibles et plus admirables que les autres, il n'en faut nullement douter.
Deux ou trois choses sont à observer sur cet écrit, pour ne point produire de mauvais effets en quelques âmes immortifiées qui le pourraient voir, disant que, puisque Jésus-Christ fait, lui seul, toute cette divine transformation, elles n'ont pas besoin de tenir leur esprit en recueillement, ni même se mettre en peine de se préparer à la sainte Communion, selon ce qu'elles peuvent de leur part.
Il faut qu'elles sachent que cette opération divine demande une fidélité correspondante — de notre part — à cette grâce, selon nos forces, par une vigilance merveilleuse pour vivre dans la pureté et sainteté d'une telle grâce ; et, par conséquent, une pratique continuelle de mortification et de destruction de soi-même. Autrement cette prodigieuse faveur n'opérerait point en nous la sanctification qu'elle y doit apporter, et que Jésus-Christ prétend, par les effets de ce sacrement adorable.
Ce n'est donc pas assez d'être ume à Jésus-Christ. Il faut porter les effets de cette union. Ils se voient à une âme qui commume comme ,je viens de dire, par les vertus qu'elle pratique dans les occasions, comme : de patience. de douceur, d'obéissance, de charité, de condescendance pour le prochain, d'humilité, de bienveillance et le reste.
Il est encore à propos de savoir que le silence observé — ainsi que je l'ai exprimé — au temps de la sainte Communion et après, n'est pas un silence oiseux, puisqu'il contient en soi un respect profond de la grandeur de Dieu ; et quoique ce respect ne frappe point les sens, il ne laisse pas d'être et de porter son effet. De plus, il est adorant, car si vous prenez garde au mouvement intime de ce recueillement, tout le fond de l'âme est à Dieu, l'adorant, se rendant à lui et l'aimant. Mais, quand la pauvre âme est troublée de peines et de tentations, elle n'est pas capable de le discerner, et c'est ce qui lui fait dire et assurer qu'elle n'y fait rien que perdre le temps, ou déshonorer cette Majesté infinie.
154 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 155
Pour les âmes qui ont des productions en abondance et qui sont remplies de bons sentiments, à la bonne heure ! qu'elles les épanchent devant le trône du Seigneur. Je le trouve fort bon.
Mais celles qui sont dans les impuissances, ténèbres, pauvretés, stupidités, peines et tentations, qu'elles suivent simplement ce qui est contenu en cet écrit, et elles trouveront dans la suite que l'usage leur en sera très utile. Mon dessein n'étant que d'instruire et de consoler ces pauvres petites âmes timides qui, par la violence de leurs peines, ou par scrupule, ne croiraient point assez opérer dans ce temps précieux. Et il se peut faire même quelquefois, qu'elles seront bornées par un effet de grâce, sans qu'elles le connaissent.
Qu'elles se laissent donc à Jésus-Christ opérant et sacrifiant en elles, se contentant du consentement et de la simple adhérence à ce qu'il y fait, selon que nous avons expliqué ; et, petit à petit, si l'âme qui le pratiquera n'est point revêche et abondante à son sens, elle trouvera du changement dans son intérieur : plus de calme et plus de clarté — quoique cet exercice paraisse obscur, tenant l'entendement captif et assujetti, — sans souffrir qu'il se tourmente pour voir et pour connaître. Il vaut bien mieux qu'il soit éclairé par la lumière de la foi, qui rayonne de ce soleil divin, que par ses propres intelligences, qui ne sont, pour l'ordinaire, qu'erreurs et mensonges.
SUR L'ESPRIT DE SAINT BENOIT
ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE
Je ne [n'en] pourrais, mes soeurs, que je (n')admirasse incessamment l'adorable Providence d'un Dieu infiniment sage et ineffable en sa conduite, d'avoir choisi les religieuses du grand Patriarche St Benoit pour les rendre Filles du Très Saint Sacrement de l'Autel, et les destiner non seulement à lui rendre des hommages continuels, mais pour être gardiennes de ce sacré dépôt qu'il a confié à son Eglise.
Mais j'entrevois la raison de ce mystère du choix et de l'élection que Dieu a fait des enfants de ce grand Patriarche, qui fait que je ne m'en étonne point ; car, quoi que ce soit quelque chose d'incompréhensible, de caché, et de profond, que l'état que ce glorieux saint a porté sur la terre, et qu'il a inspiré à ses enfants, nous voyons qu'il a tant de relation à la divine Eucharistie, que je ne puis que je ne dise qu'elle est la portion et l'héritage des religieuses de Saint Benoit ; et que je m'étonnerais plutôt de quoi tant de siècles se sont passés, sans que les enfants de ce Bienheureux Père se soient mis en devoir d'entrer en possession de ce trésor inestimable que l'infime bonté de Dieu leur réservait.
Si vous me demandez, mes soeurs, où je prends ce que je viens de dire, j'ose vous assurer que c'est un secret qui m'est découvert en la mort de notre illustrissime Patriarche, lequel, voulant témoigner l'amour qu'il portait au Très Saint Sacrement de l'autel, ne le put mieux qu'en expirant en sa sainte Présence, rendant ainsi les derniers respirs de son coeur à cette adorable Hostie, et renfermant dans le sacré ciboire ses sentiments, pour y produire, dans le temps, des enfants de son Ordre qui lui rendront jusqu'à la fin du monde des adorations, des respects et des devoirs d'amour et de réparation continuels.
Oui ! C'est aux enfants de ce glorieux Père, qu'il appartient d'avoir une application singulière à ce divin Mystère ; d'y avoir même une relation qui n'est point commune à tous les autres Ordres de l'Eglise.
Car si quelques uns adorent Jésus-Christ dans les états différents de sa sainte vie, les religieuses de St Benoit portent le titre des morts : c'est comme en parle le bienheureux Monsieur de Condren, général de l'Oratoire. Ainsi, ne puis-je pas dire que leur état et condition de mort va honorant, par rapport et relation, Jésus mort dans l'Eucharistie ? Les Pères nous apprennent qu'il y est en état de mort. Un enfant de St Benoit, vivant d'une vie de mort, n'a-t-il pas liaison et rapport à Jésus dans l'Hostie ?
156 CATHERINE DE BAR DOCUMENTS HISTORIQUES 157
S'il m'était permis de rapporter en détail, l'esprit et les dispositions que doit avoir une Bénédictine, vous verriez que, par la fidèle pratique de sa sainte Règle, elle serait toute semblable à une hostie, et elle entrerait dans des rapports merveilleux à Jésus dans l'adorable Eucharistie.
Mais, laissant une multitude de preuves qui vous confirmeraient la vérité que je vous expose, jugez, mes soeurs, si ce n'a pas été par un choix tout divin que, de Religieuses de St Benoit, nous soyons devenues Filles sacramentalles ? Et si nous ne sommes pas redevables de cette grâce au grand Saint Benoit, de nous l'avoir méritée par sa précieuse mort, comme nous l'avons déjà dit ? Si ce n'était pas là le gage de l'amour qu'il portait à ce sacré Mystère, auquel il semblait promettre que, dans les derniers siècles, son Ordre produirait dans l'Eglise, des victimes immolées à cet auguste Sacrement ; qui non seulement l'adoreraient jour et nuit, mais qui seraient, selon leur possible, les réparatrices de sa gloire profanée par les impies dans ce Sacrement d'amour ?
Voyez-vous point, mes soeurs, que Saint Benoit meurt debout, pour nous donner à entendre qu'il pousse, avec effort d'amour, le sacré Institut que nous professons ? Il le conçoit dans l'Eucharistie pour être produit plus de douze cents ans après !
O ! mes soeurs, que notre Institut est divin ! Combien de siècles a-t-il été caché et enseveli avec Jésus dans l'Hostie ? Combien de temps a-t-il été dans les sacrées entrailles d'un Dieu sacramenté ! Il sanctifiait, mes soeurs, et l'Institut et les âmes qu'il y voulait appeler. O ! que je vois de choses admirables, et qui donnent de grandes consolations !
Non, non, mes soeurs, ce n'est point un dessein de l'esprit humain, ce n'est point la créature qui l'a ordonné, qui l'a institué et choisi : c'est Jésus dans l'Hostie, qui l'a reçu du coeur de St Benoit ; et je puis dire, mes soeurs, qu'il n'a jamais été pris ailleurs que dans le Tabernacle où ce grand Saint l'avait mis en dépot au dernier instant de sa vie.
O merveille que Dieu ait voulu confier cet ouvrage à la plus indigne, non des enfants de St Benoit, mais à un avorton ! A une âme qui n'en n'avait ni l'esprit ni la grâce ! A une pauvre créaturé qui n'avait rien de considérable, sinon qu'elle était plus criminelle que toutes les créatures de la terre, et qui avait plus profané cet auguste Mystère ! Dieu a choisi cette pécheresse, pour servir, comme d'un instrument, le plus vil et abject, à un si excellent ouvrage, et confondre par ce moyen l'esprit humain qui se perd lorsqu'il voit des coups de cette sorte ! C'est un Dieu qui l'a fait. Il n'y a rien à dire, sinon qu'il faut s'abîmer, et craindre qu'après qu'il se sera servi de ce méchant outil, il ne le jette sans ressource dans les enfers.
L'ESPRIT DE L'INSTITUT DE L'ADORATION PERPÉTUELLE
DU TRÈS SAINT SACREMENT DE L'AUTEL,
DANS DIVERS ÉCRITS DE L'INSTITUTRICE,
AVEC QUELQUES BRÈVES ANNOTATIONS
POUR DONNER INTELLIGENCE DE PLUSIEURS CHOSES
TRÈS REMARQUABLES
Nous apprenons que, pendant les grandes guerres d'Allemagne qui commencèrent en l'année 1629 et 30, que les soldats prirent tant de villes, pillèrent tant d'églises, et ravagèrent tant de couvents, notre Révérende Mère Supérieure, qui se nommait au monde Catherine de Bar, native de la ville de St Diéz [le 31 décembre 1614] — comme nous avons dit ci-devant —, et professe du monastère de la Conception Notre Dame, de la ville de Remberviller, ayant ouï un jour raconter les effroyables sacrilèges que ces malheureux hérétiques avaient commis sur le Saint Sacrement de l'autel, elle en conçut une si grande douleur que, portée de l'amour de Dieu, elle s'offrit à la divine Majesté pour victime, en réparation des outrages qui étaient faits à ce Dieu d'amour ; et les souffrances qu'elle a toujours portées depuis, en son corps et en son esprit, jointes à l'établissement effectif de l'Adoration Perpétuelle qui s'en est ensuivi, nous sont une marque évidente que Dieu l'avait prise dès lors au mot et avait accepté son sacrifice.
Nous avons déclaré que, lorsqu'elle fut à la chapelle de Benoistevaux, proche St Mihiel, elle eut quelque connaissance des desseins que Dieu avait sur elle pour sa gloire, mais ce ne fut pas fort distinctement.
Quand elle eut achevé son trienne, à l'Abbaye de Bon Secours de la ville de Caen, en Normandie, où elle fut mettre la réforme, suivant l'ordre et l'obéissance qui lui en fut donnée de ses supérieurs (2), s'étant rendue à son monastère de Remberviller, en suite de l'élection qu'on y avait faite de sa personne pour y être Prieure, elle n'y fut pas sitôt entrée, que ce calme profond que son intérieur possédait depuis longtemps, lui fut subitement ôté, et en la place succéda une captivité d'esprit, avec une inquiétude si grande, qu'elle ne peut l'exprimer ; dans laquelle pourtant il lui était donné à connaître que cette peine procédait de ce qu'elle avait quitté la France, où Dieu l'avait appelée, et qu'il ne la voulait pas en ce lieu.
(2) Avant de rentrer en son monastère, elle se rendit au Mont-de-Saint-Michel en pélerinage avec la permission de ses supérieurs tant monastiques qu'ecclésiastiques. Cf : Annexe I, p. 294.
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En effet, quand elle en sortit — qui fut au bout de huit mois pour s'en revenir à Paris, elle retrouva à la porte du monastère ce calme qu'elle y avait perdu en entrant, tous ses troubles s'étant absolument apaisés ; et son esprit posséda depuis, la même tranquillité qu'il faisait auparavant, et qui ne la quitta plus.
Et cet état intérieur se rapporte parfaitement à ce qui se passait au dehors ; parce qu'à peine fut-elle arrivée à ce monastère-là, que la guerre recommença, plus fort que jamais, du côté de Remberviller, et les premières misères revinrent. Qui ne croirait après cela que c'était pour l'en chasser et pour un témoignage certain de ce que nous venons de dire.
Ses religieuses attestent que, pendant ces huit mois qu'elle demeura parmi elles, elles n'en purent quasi tirer une bonne parole,
tant elle paraissait plongée dans une extrême peine d'esprit jusqu'à ce point que s'étant plaintes à elle de ce qu'elle ne leur parlait plus tant de Dieu comme les autres fois, et elle leur avoua qu'elle s'en trouvait dans une impuissance absolue ; ajoutant que, bien souvent, l'on croyait faire les choses par l'esprit de Dieu, que ce n'était qu'amour propre — ce qu'elle disait au sujet de son élection qui l'avait rappelée, parce que toutes les religieuses l'aimaient très fort c'est ce qu'elles nous ont assuré.
Et celles même qui servaient d'obstacle à son retour en France furent contraintes à la fin d'être les premières à la presser de s'y en revenir, pour fuir les désordres de cette guerre qui les menaçaient de toutes sortes de malheurs ; et d'emmener avec elle le plus grand nombre de religieuses qu'elle pourrait, pour décharger la maison, à cause de la famine ; et les plus jeunes : à cause de l'insolence des soldats. Ainsi elle s'en retourna, comme il est déjà marqué.
Le jour de Pâques 1651, à Paris où elle était arrivée, se trouvant plus pressée qu'elle n'avait encore été, du violent désir d'une absolue solitude qui occupait son âme depuis longtemps — et qui lui a fait dire souvent que sa plus grande fortune serait de se perdre dans les bois, sans que jamais on entendit parler d'elle, — étant donc plus pressée de ce désir, le matin, après s'être levée de dessus sa pauvre couche, elle se mit à genoux pour adorer la nouvelle vie de Notre Seigneur Jésus-Christ en sa Résurrection, et il lui fut dit d'une voix intelligible dans l'intérieur : REÇOIS ET ADORE LES DESSEINS DE DIEU QUE TU NE CONNAIS PAS ENCORE ». Et, dans ce moment, ce désir de s'enfuir au désert s'effaça entièrement de son esprit ; et au contraire elle se trouva dans une disposition stable et arrêtée sur Paris, qui la portait de plus à adorer à l'aveugle cette divine volonté en tous ses ordres, et y demeurer absolument abandonnée.
Depuis la proposition que les dames lui firent de s'établir à Paris, Dieu se manifesta davantage à elle, et lui fit connaître clairement qu'il la destinait à cette oeuvre ; et cela avec tant de certitude et de clarté qu'il lui montra même beaucoup de choses qui sont arrivées depuis, pour la préparer, l'animer et l'inviter à l'entreprendre ; car, si elle n'eût été bien convaincue que c'était la divine volonté, elle n'était pas fille à entreprendre une chose de si grand éclat (3).
Voici ce que nous en avons appris, par le moyen d'un vertueux écclésiastique de St Sulpice, nommé Monsieur Picotté, à qui elle se confessait en ce temps-là, et à qui elle s'en confiait hors de la confession pour s'en conseiller, étant si remplie de ce qu'elle avait vu et entendu qu'il lui était malaisé de s'en cacher ; et depuis qu'elle a vu que nous le savions elle a été contrainte de l'avouer ; sans cela nous ne l'aurions pu tirer de sa bouche.
Il dit donc que, le 2ème Dimanche de Carême, neuvième jour de mars 1653, — le jour des Cendres échéant cette année-là le 26 de février —, Madame la comtesse de Châteauvieux et Madame la duchesse de la Vieuville, sa fille unique, étant toutes deux malades en sorte qu'on n'en n'espérait pas vie, notre Révérende Mère Supérieure mit en prière la communauté, et elle encore plus que toutes s'appliqua avec ferveur à demander à Dieu leur guérison.
Comme elle était ainsi attentive, il lui fut dit par une puissante parole intérieure : « DE QUOI TE METS-TU EN PEINE ? LAISSES-EN MOI LE SOIN. Tu FERAIS MIEUX DE DEMANDER L'ESPRIT DE L'INSTITUT ET DE TRAVAILLER A MON ŒUVRE ». Ce qui lui était reproché sans doute parce que, depuis que cette Dame comtesse était malade, il ne s'y faisait plus rien, à cause que personne ne se voulait donner la peine d'y agir ; et qu'il n'y avait qu'elle qui se fut chargée de ce soin.
Et dès lors le rideau lui fut ouvert, non plus comme les autres fois à demi et par des connaissances obscures, mais entièrement et tout à découvert, Dieu lui ayant départi l'entière connaissance de l'excellence de l'ouvrage qu'il voulait faire par elle, la grande gloire qui lui en reviendrait, et les complaisances particulières qu'il y prendrait, jusque là même qu'il lui prescrivit la façon de faire la Réparation devant le Saint Sacrement, en forme d'amende honorable comme nous faisons à présent —, la corde au col, la torche à la main, et le corps prosterné en la façon la plus humble qu'il se peut ; à quoi elle n'avait point pensé, quoiqu'elle eût eu déjà la pensée de l'adoration perpétuelle.
Et tout cela se passa avec tant de majesté et de splendeur que, touchée d'un étonnement profond, elle lui dit : Seigneur, puisqu'il en va ainsi, que c'est votre oeuvre, et que c'est une chose si admirable, que ne la faites-vous réussir par vous-même, car quelle est la créature digne d'y travailler, moins encore moi, la plus chétive.
Et toutefois, se voyant assurée que Dieu voulait qu'elle le fit, elle baissa le col et se soumit à cette adorable volonté, acceptant dès lors d'y travailler, et de se consumer en holocauste à ce Dieu d'amour, qui daigne ainsi se glorifier en ses créatures.
(3) Dans une lettre à la mère sous-prieure de Rambervillers, elle exprime son état d'âme devant la mission qui lui est confiée. Annexe XVI, 10 août 1652, p. 310.
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Nous devons remarquer que ce fut le même jour que Monseigneur de Metz, de son propre mouvement, répondit favorablement à une requête, — sans qu'on l'en sollicitât —, que notre Révérende Mère Prieure lui avait fait présenter pour l'établissement du monastère de Paris il y avait bien du temps, sans qu'il lui eût rien donné à connaître de la bonne volonté qu'il en avait.
Dix jours après, qui fut le jour de la fête de St Joseph, cette même vue lui revint, et avec plus de clarté et de véhémence de l'Esprit de Dieu pour l'animer. Il y eut cela de particulier, qu'il lui fut montré que St Joseph serait le protecteur spécial et le pourvoyeur de la maison du Saint Sacrement, comme il l'avait été de la sainte Famille du Verbe Incarné sur terre.
Et comme Notre Seigneur lui faisait entendre sa complaisance particulière sur cette oeuvre, par ces mots, qu'il lui répéta plusieurs fois : « C'EST MON ŒUVRE, ET JE LA FERAI » elle prit la hardiesse de lui dire : « Seigneur, si c'est votre oeuvre, donnez-en moi donc le signe : que le Saint Sacrement nous soit accordé, et vous, grand St Joseph, employez-vous pour cela ». Et, à la sortie de son oraison, elle alla écrire un billet au Père Prieur de l'Abbaye de St Germain, pour l'en prier. C'est la seule fois qu'on ait pu remarquer qu'elle a fait, en cette affaire, quelque chose d'elle-même ; sa conduite ayant toujours été de suivre en tout l'ordre de Dieu, qu'elle a estimé lui être marqué avec plus de pureté et plus de dégagement, dans les occasions et dans la volonté des autres, que par ses mouvements propres, appréhendant que son esprit naturel et ses intérêts particuliers ne prissent part à l'oeuvre de Dieu. Ainsi elle a été sans cesse dans la pratique pénible d'une entière démission d'elle-même, et d'une soumission totale au jugement et à la volonté d'autrui, ne pouvant porter cette oeuvre dans un esprit de mort plus profond, ni dans un plus grand anéantissement qu'elle a fait (4).
Six jours après ce billet écrit, la veille de Notre Dame de Mars, celle de qui nous parlons s'étant rendue, à son ordinaire, auprès de sa bienfaitrice, Madame la comtesse de Châteauvieux qui était encore extrêmement malade, comme elle était à la ruelle de son lit, on la vint avertir qu'un ecclésiastique la demandait de la part du Père Prieur ; et l'ayant invité d'entrer, il se trouva qu'il lui apportait la permission d'exposer le Saint Sacrement le lendemain dans leur chapelle, qui était plus qu'elle n'avait osé espérer, à cause que leur affaire n'était pas en état de cela ; parce que cette Exposition était un acte de très grande conséquence en toutes façons pour leur établissement, puisque c'était comme une mise en possession ; et, cependant, elle n'avait point encore la clôture ni la croix, ni même n'était pas en maison propre pour l'avoir, qui sont pourtant des choses
(4) En annexe : lettre à la mère Marie-de-Saint-Joseph, carmélite de Reims. Annexe XXIV, 23 janvier 1648. Annexe XXV, 30 novembre 1654, p. 320.
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qui doivent, selon les formes, nécessairement précéder l'Exposition du Saint Sacrement.
Ce n'est pas qu'elle n'eusse demandé de l'avoir, mais non pas pour l'exposer publiquement, car elle n'y voyait pas d'apparence.
Ainsi donc, qui ne croira que si Dieu n'eût attaché à ce billet quelque attrait de cette grâce par laquelle il sait si doucement gagner notre volonté, cet homme rigide et si formaliste — qui l'était jusqu'à l'excès — eût été pour venir si tôt du blanc au noir, que d'accorder, sans un nouveau sujet, sur le simple billet d'une fille, une chose contre toutes les formes, qu'il avait si obstinément refusée à des ducs et pairs, à des archevêques, et à tant d'autres personnes qui s'y étaient employées, et à cette religieuse au nom de laquelle l'on en avait tant de fois sollicité sans en avoir rien pu obtenir.
Si bien que Notre Mère et Madame la comtesse ne pouvant assez admirer comment Dieu avait accordé si précisément le signe que la première lui avait demandé, pour connaître si l'Institut était vraiment selon sa volonté, n'en doutèrent plus du tout, et se dévouèrent toutes deux avec plus de ferveur que jamais.
Et de cet évènement particulier, de même que de tout ce qui est arrivé de l'Institut à la suite, nous disons qu'il le faut regarder comme une exécution de la promesse que Dieu avait faite à Notre Mère, que, comme l'Institut était son oeuvre, il l'accomplirait.
De ces deux dernières visites divines il en demeura à cette très digne Mère comme elle l'a confessé, d'admirables effets pour son âme, entre autre : une occupation intérieure très élevée, qui lui dura plus d'un an. C'étaient les vestiges sacrés de cet Esprit Saint, qui ne laissent point de doute qu'il n'eût passé par là d'une manière ineffable.
L'année d'après, et le jour que l'on leur donna la croix, Notre Mère parut tout ce jour-là dans une sainte gaieté qui brillait dans ses yeux, et colorait d'un agréable vermillon son visage d'ordinaire pâle et défait, à cause de ses austérités et de sa mauvaise santé. Et comme tout le monde avait la permission d'y entrer ce jour-là, une dame de ses amies lui en demandant la raison, avec la liberté que lui donnait leur amitié, elle lui répondit : « O ma soeur, que j'en ai bien raison, puisque Dieu daigne tant agréer cette oeuvre, qu'il nous veut donner une très particulière protection ». Puis, tout d'un coup, elle se tut, de peur de se trop découvrir. C'est ce que nous avons appris de cette dame.
Mais elle ne s'en tût pas à la Fondatrice, à laquelle elle ne cachait rien, lui écrivant le lendemain une lettre — qui sera mise après ces vues avec d'autres fragments de ses Ecrits — par laquelle elle lui découvre fort au long ce qui s'était passé en elle ce jour-là, et les sentiments qui produisaient dans son coeur cette gaieté, lesquelles seront trouvées d'une grande suite [cf. p. 186-193].
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Pendant que l'on travaillait à cette affaire, et que les choses se trouvaient tellement en balance que quelquefois elles semblaient être faites et d'autres fois tout paraissait déséspéré, notre Mère Prieure avait eu tout le temps d'envisager l'entreprise qu'elle allait faire ; et considérant l'excellence, dans la lumière de Dieu qui lui en donnait des impressions fortes, il lui prenait souvent des envies de s'enfuir, tant elle se trouvait indigne de s'en mêler.
Si bien que, s'étant exposée plusieurs fois devant la divine Majesté pour en recevoir les ordres, il lui arriva 5 à 6 fois qu'après la Communion, elle se sentit arrêtée, comme si deux mains d'une pesanteur extrême l'eussent prise par les épaules pour la retenir. Et cet arrêt n'était point dans l'imagination, mais réellement et de fait. Elle était quelquefois une heure, et d'autres fois davantage, à ne pouvoir se remuer d'une place, non plus que si elle eût été clouée au plancher, et qu'elle eût été chargée de chaînes d'une pesanteur étrange. D'où elle vint à comprendre qu'il ne fallait plus qu'elle pensât à s'enfuir, et que Dieu la voulait absolument à Paris, pour faire par elle cette oeuvre ; ce qui l'obligea depuis de patienter. Et, de ceci, il y a plus de six témoins, qui tiennent la chose toute extraordinaire. Ce fut en l'année 1652.
Une autre fois, comme elle était dans la maison de la rue Férou, Notre Mère se trouva surprise d'une frayeur extrême, sur les onze heures, qu'elle gardait le Saint Sacrement suivant sa coutume ; car n'ayant pas encore le nombre suffisant de filles pour remplir les 24 heures du jour, pour les soulager elle y demeurait toujours depuis les onze heures du soir jusqu'à quatre du matin.
Ce soir-là donc, elle entendit un grand bruit derrière leur maison, du côté du jardin qui était attenant leur choeur ; ce qui lui fit appréhender que ce ne fussent des mauvaises gens qui vinssent par d'autres jardins qu'il y avait joignant le leur, pour dérober le Saint Sacrement. Si bien qu'elle se tenait aux écoutes avec beaucoup d'inquiétude, pour le peu de moyens où elle se voyait d'y résister, ne sachant même si elle devait sonner la cloche pour éveiller les religieuses. Et sur ce temps-là elle entendit une voix, venant du côté du tabernacle, qui lui dit distinctiment : « DE QUOI TE METS-TU EN PEINE, PETIT AVORTON, EST-CE ICI TON ŒUVRE, ET N'EST-CE PAS LA MAISON DE JÉsus ET MARIE ? » Et cette voix la rassurant, elle ne laissa pas de s'humilier si profondément, qu'elle avoue qu'il lui semblait aller être réduite au néant.
C'est la conduite que Dieu a toujours tenue sur elle : de la mener par la voie d'un anéantissement très profond ; et en effet il ne lui arriva nul accident.
Le jour de Notre Dame de Mars 1659, que le monastère fut béni par Monseigneur l'Evêque du Puy, elle vit la Sainte Vierge présenter cette maison à son divin Fils, qui lui sembla la recevoir fort agréablement des mains de sa sainte Mère ; mais [la] regardant, elle (qui se voyait la dernière) d'un regard si anéantissant, qu'elle en fut pénétrée de douleur jusqu'au point qu'elle en pleura plus de 8 jours.
Elle a cru que ce regard voulait dire qu'elle devait bien se garder de prendre aucune complaisance à cette oeuvre comme à son oeuvre, et qu'elle la devait laisser purement à Dieu.
En l'année 1664, un avis très important lui ayant été donné pour le donner à la Reine Mère, — de laquelle, apparemment, il devait être bien reçu — elle ne le voulut pas faire sans en consulter premièrement Dieu ; et s'étant beaucoup appliquée pour cela, elle vit un jour Notre Seigneur Jésus-Christ au Très Saint Sacrement de l'autel, comme dans son trône eucharistique — ce sont ses propres termes — qui faisait deux cercles ou enceintes : l'un plus éloigné, dans lequel il comprenait tout le monastère en général, et semblait en vouloir faire comme une espèce de clôture contre le monde ; l'autre, moins grand et plus proche de lui, dans lequel il n'enfermait que la personne des religieuses, lesquelles lui paraissaient comme toutes rassemblées à l'entour de lui comme les brebis à l'entour de leur Pasteur qui les aime et qui les caresse ; et elle entendit qu'il disait : « JE SUIS LE ROI DES FILLES DU SAINT SACREMENT ET MA MÈRE EN EST LA REINE ». De là elle comprit que Dieu ne voulait point qu'elle donnât cet avis, pour qu'elle ne prit point d'appui du côté de la terre, mais se reposât absolument en lui de tout ce qui concerne cette maison ; et elle s'y rendit si fidèle, bien que la Reine vint quelques jours après la voir, qu'elle ne lui en dit pas un mot.
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DE QUELQUES PARTICULARITÉS REMARQUABLES CONCERNANT MADAME LA MARQUISE DE BAUVES L'UNE DES FONDATRICES
Madame la marquise de Bauves, bien qu'engagée dans les embarras du monde et du mariage, avait été appelée de Dieu aussi par des connaissances extraordinaires, pour travailler à cette oeuvre. C'est ce qu'elle déclara confidemment à notre Mère Prieure qui nous l'a rapporté depuis sa mort.
Lui disant un jour, qu'il y avait plus de 40 ans, qu'étant mariée en premières noces à un gentilhomme de Bourgogne, nommé le marquis de Bauves (duquel elle eût le marquisat, qu'elle apporta après en dot à Monsieur de Riberpré son second mari, qui en prit le nom), elle était dans un extrême désir de lui donner des enfants.
Et faisant de grandes dévotions pour en obtenir de Dieu, elle eut un jour une vision, ayant les yeux bien ouverts — disait-elle —, où il lui fut montré une fort petite chapelle, mais très dévote, dans laquelle il y avait un autel, et, en l'un des côtés de cet autel : un religieux, et en l'autre : une religieuse, qu'elle ne reconnut point. Ensuite, il lui sembla ouïr une voix qui sortait du tabernacle, qui lui dit : « Tu n'auras point d'enfant, (comme, de fait, elle n'en n'a jamais eu) mais le Saint Sacrement doit être ton enfant, et tu en recevras une très grande gloire dans le ciel.
Ajoutant que, depuis ce jour-là, il lui était resté du respect beaucoup plus grand — qu'elle n'avait pas eu jusqu'alors — pour ce Mystère ; et que, se croyant obligée par cette vue de le faire honorer de tout son pouvoir, elle ne perdait point d'occasions pour voir, à chaque rencontre, si ce n'était point cela que Dieu lui demandait.
Ce fut dans cette vue qu'elle travailla la première à introduire dans Paris, la dévotion des Dames qui vont successivement passer une heure en adoration devant le Saint Sacrement, dans leurs paroisses ; ce qui ne se faisait point auparavant. Laquelle dévotion est étendue depuis jusque dans les provinces, à la très grande gloire de Dieu, et louange de cette vertueuse Dame, puisque le Saint Sacrement n'est, par ce moyen, jamais seul pendant le jour. Et il y avait déjà là un léger crayon de l'adoration perpétuelle, sans qu'elle connut, en ce temps là, que c'était quelque partie de ce tout où Dieu la destinait.
Mais, oyons là parler encore, cette bonne Dame, sur ce sujet. Elle disait quelquefois à notre Mère Prieure, les larmes aux yeux de tendresse et de respect, que si elle voyait, par malheur, tomber
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dans la boue une Hostie consacrée, elle s'y mettrait avec joie jusqu'au col s'il le fallait, pour lui tenir compagnie, même à l'éternité si cette Hostie y demeurait autant, que pour cela elle renoncerait sans peine à la félicité du ciel.
Mais revenant à sa vision, il se passa une chose bien remarquable nous concernant. Ce fut que, la première fois que nos Mères eurent le Saint Sacrement, dans la chapelle de leur maison de la petite rue du Bac, comme elles tâchèrent de la préparer tout autant bien que leur pauvreté le permettait, il se trouva qu'elles n'eurent rien de plus beau à y mettre, que deux tableaux, fort grossiers, qu'elles avaient : l'un de St Benoit et l'autre de Ste Scholastique, (lesquels sont encore céans), qu'elles placèrent aux deux côtés de l'autel ; et mirent dessus l'autel un fort petit tabernacle que cette dame marquise leur avait donné, sans pourtant qu'elle eût vu ces préparatifs.
Et elle, venant les voir le lendemain, entrant dans la chapelle, tout d'un coup elle recula trois pas en arrière, et comme toute surprise s'écria parlant à notre Mère Prieure qu'elle tenait par le bras : « Ah ! ma Mère ! que vois-je ! lui dit-elle, c'est là justement la petite chapelle qui me fut montrée en Bourgogne il y a plus de 40 ans ! » Assurant que c'était toute la même chose, et que ce religieux et cette religieuse qu'elle avait vus lors, sans les connaître, devaient être ce St Benoit et cette Ste Scholastique qui étaient représentés dans ces 2 tableaux aux deux côtés de l'autel.
Nous n'apprenons pas de la troisième personne dont Dieu s'est servi pour la même oeuvre — qui est Madame la comtesse de Château-vieux — qu'elle ait été marquée par de ces signes extraordinaires pour y travailler, ni qu'il lui en ait été donné des connaissances avancées. Mais nous pouvons bien assurer qu'elle s'y trouvait préparée pour la très excellente vie qu'elle menait déjà dans le monde, qui, sans doute, lui mérita pour récompense l'emploi qui lui en fut donné de Dieu ; puisqu'elle pratiquait très exactement les vertus les plus solides du christianisme, étant fidèle à ne prendre conduite, pour le spirituel, que de son pasteur légitime, homme de doctrine et de sainteté, auquel elle obéissait ponctuellement.
Elle honorait et chérissait grandement Monsieur le comte son mari, avec lequel elle a toujours vécu dans une parfaite union et une entière soumission à toutes ses volontés ; qu'elle était dans une si grande rectitude pour ses moeurs que cela allait jusqu'à l'austérité, et pour elle et pour les autres, où elle ne voulait rien voir qui ne fut parfait.
Elle observait une merveilleuse équité à l'endroit de tous ceux avec qui elle avait des affaires, payant bien et sans retardement ceux à qui elle devait, et premièrement ses domestiques ; réglant parfaitement sa maison, en sorte que le vice en était banni et le service de Dieu observé ; et donnant avec largesse de ses biens aux pauvres, les visitant de plus elle-même avec beaucoup de soin.
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Aussi fut ce parmi les haillons des pauvres qu'elle trouva la perle évangélique, puisque ce fut la visite des pauvres qui lui procura la connaissance de cette digne Mère, dont son âme a tiré tant de profit.
Toutefois nous allons voir qu'à la suite, il s'est passé aussi en elle quelque chose d'approchant, et qui revient bien à ce que nous avons déjà dit : que Dieu a voulu faire cette oeuvre comme immédiatement, par lui-même. C'est qu'elle avoue que, les premières années, se voyant prendre beaucoup de peines sans succès pour les affaires de la maison de Paris, et pensant un jour plus particulièrement à cela, elle fut instruite intérieurement que c'était parce qu'elle ne donnait pas assez à Dieu, donnant trop à son activité naturelle et s'appuyant trop sur son sens particulier.
Et suivant l'ordinaire de ces paroles de Dieu, cette répréhension eut son effet, puisque, de ce pas, elle s'en alla trouver Notre Mère entre les mains de laquelle elle se démit entièrement de son sens et de sa volonté propre, par un acte qu'elle écrivit, et voulut signer de son sang. Promettant ne faire dorénavant, en cette affaire, aucune chose par son élection propre, mais de dépendre en tout et partout, des ordres de cette digne Mère qui lui représentait Dieu sur terre en cette oeuvre, et les exécuter fidèlement, fussent-ils les plus répugnants du monde à sa raison.
Et, pour un plus grand dégagement d'elle-même, elle voulut encore passer plus avant : renonçant, comme elle fit, par ce même acte, à tous ses droits, privilèges et prérogatives, qu'elle avait comme Fondatrice dans cette maison pour les entrées ou autrement ; et s'en démettant entièrement, comme par une espèce de voeu d'obéissance entre les mains de Notre Mère, pour n'en n'user que sous son bon plaisir et par ses ordres ; ce qui était, sans doute, un acte de très grande perfection et qui doit être considéré pour n'être pas un médiocre effet de la grâce, considérant la qualité de son esprit naturel. Et elle a avoué depuis qu'elle s'aperçut visiblement, bientôt après, que Dieu répandait plus de bénédictions sur son oeuvre qu'il ne faisait auparavant.
QUELQUES SERVITEURS ET SERVANTES DE DIEU
ONT EU DES VUES SUR CET INSTITUT,
QU'IL NE FAUT PAS NÉGLIGER DE METTRE ICI
PUISQU'ELLES SONT DE GRANDE ÉDIFICATION
Pendant que notre Révérende Mère Prieure était à l'Abbaye de Vignas, en Normandie, Soeur Dorothée de Ste Gertrude, sa compagne, étant un jour au réfectoire, elle fut ravie en esprit ; et dans ce ravissement elle la vit à genoux — ce lui sembla fort dévotement devant Notre Seigneur Jésus-Christ, qui lui paraissait être au milieu du réfectoire, entouré d'une merveilleuse clarté, le corps a demi couvert d'un manteau couleur de pourpre, le visage infiniment doux, mais qui paraissait affligé comme s'il eût eu quelque sujet d'un grand déplaisir. Lequel, portant sa main sur le front de notre Mère Prieure, la marqua d'une façon à faire concevoir qu'il la destinait à quelque chose de grand, et que l'accomplissement de la chose pour laquelle il la marquait ferait cesser le sujet de sa tristesse.
Et comme la chose parut à Soeur Dorothée être grandement glorieuse à Notre Mère, la pensée lui vint, en revenant à elle, si elle ne ferait point mal de la lui communiquer, de peur qu'elle n'en tira de la vanité ; mais il lui fut dit en son intérieur : « Ne crains point, dis-le lui seulement, elle n'en sera que plus anéantie ». Et cela lui fut répété jusqu'à deux fois, parce que son doute n'avait pas cessé par la première.
Et depuis qu'elle a vu l'Institut de l'Adoration perpétuelle établi, elle n'a point douté que ce ne fut la chose pour laquelle Notre Mère avait été ainsi désignée, par cette croix rouge qui lui fut marquée sur le front.
Notre Révérende Mère Prieure avait eu une vision fort approchante de celle-là, plusieurs années auparavant ; qu'un jour, étant tombée, comme on croyait, dans un accident d'apoplexie, dans lequel elle demeura plus de 15 heures sans connaissance — ce semblait —, elle vit, pendant sa suspension, ce doux Sauveur en la même manière que nous venons d'écrire, qui, la regardant d'un oeil amoureux, lui mit sa main sur la tête, et la poussa doucement comme lui disant : retourne au monde. En effet elle revint. C'est tout ce qu'on en a pu savoir d'elle. Elle n'avait alors que 22 ans.
Un an après l'établissement de Paris, au mois d'avril, notre Révérende Mère Prieure étant allée à notre monastère de Remberviller, la même religieuse — qui est de cette communauté — vit le Père éternel tenant les bras ouverts sur ce monastère-là et sur celui de
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Paris, comme s'il les eût voulu embrasser pour les renfermer dans son sein. Et comme elle n'avait nulle pensée alors, de l'union qui s'est faite depuis entre nos deux maisons, elle appliqua sur ce qui la touchait le plus : qui était l'appréhension où elle était, de même que toute la communauté, de perdre Notre Mère pour toujours, à cause de notre Institut qui l'attachait à Paris, ce qui les affligeait grandement. Et cette peur lui ayant fait produire sur l'heure un acte de résignation à la divine volonté, elle entendit une voix qui lui dit, :
« NE CRAINS POINT TOUT IRA BIEN ».
Elle ne comprit pas en ce temps-là ce que cela voulait dire, mais six ou sept ans après, l'évènement lui en a donné l'intelligence, qui est : que la maison de Remberviller ayant reçu notre Institut de l'Adoration perpétuelle, et par ce moyen s'étant uni au monastère de Paris, cette union nous conserve également cette chère Mère.
Le Père Marin Jomart, religieux Minime, personnage de très grande considération dans son Ordre, ayant été plusieurs fois Provincial, se rencontrant à Paris, malade, eut peur que la mort ne le prévint devant qu'il pût faire part à notre Révérende Mère Prieure d'une chose qu'il jugea devoir lui être extrêmement agréable ; si bien qu'il lui envoya un de ses religieux le lui dire. Qui était que la bonne Barbe, de Compiègne (5), avait prédit notre Institut de l'Adoration perpétuelle, ainsi qu'il voyait bien par l'évènement — disait-il — et qu'il l'avait entendu dire au Père de Condren, général de l'Oratoire, quelques années avant sa mort, sans qu'il eût dit ce que ce pourrait être. Ce général lui disant que cette fille l'entretenant un jour du respect dû au Saint Sacrement de l'autel lui avait dit : « Le temps viendra qu'il y aura des religieuses qui seront toutes appliquées à l'adorer », et que ce seraient des vraies réparatrices ; mais que la chose n'était pas encore prête.
Cette bonne Barbe était une pauvre servante de Compiègne, mais très riche des trésors de la grâce, dans laquelle elle était fort élevée par un très haut degré d'oraison et par le don de prophétie.
Elle était venue à Paris exprès pour avertir de la part de Dieu, Monsieur le Cardinal de Richelieu d'une conspiration qui se faisait contre sa personne. Et la chose examinée, il se trouva que son avis était vrai. Il est parlé d'elle fort amplement et fort honorablement dans la vie de ce Père général qui était son directeur.
(5) D'abord simple bergère puis servante chez un honnête marchand de Picardie, Barbe avait passé quelques 15 ans sans autre directeur que J.-C., lorsqu'elle connut le Père de Condren. Le Père Marin-Jomart dirige le petit groupe auquel appartient la soeur Barbe et qui sera illustré surtout par Antoinette Vivenel (mère Antoinette de Jésus lorsqu'elle entrera à l'abbaye SaintePerrine et que Brémond compare aux meilleurs mystiques de son temps). Cette âme éminement mystique a trouvé dans la direction du Père Marin l'aide dont elle avait besoin. Ce Père avait été formé chez les Minimes de la place Royale à Paris. Dans ce même couvent, nous rencontrons aussi le Père Le Sergent,
rfrère de la mère Charlotte Le Sergent, mystique rayonnante de l'abbaye de Montmartre qui aura une grande influence sur mère Mectilde lors de son passage dans la célèbre abbaye. Abbé L. M. Pin, Vie du Père Charles de Condren, Lecoffre, Paris 1855. — Brémond, op. cit., t. VI, p. 342 & suiv.
Monsieur le baron de Renty (6), l'honneur de la noblesse française pour sa rare piété, avait prédit pareillement l'Institut ; car une fois, discourant avec quelqu'un de la dévotion à l'Enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ, — à laquelle il était très particulièrement porté, — cette personne lui disait qu'il s'étonnait comment il ne s'appliquait pas plutôt à la dévotion au Très Saint Sacrement de l'autel, dans lequel se trouvait réellement ce Jésus-Enfant ? Il répondit qu'il trouvait cette dévotion trop forte pour lui, mais qu'il viendrait bientôt un Institut de religieuses qui y seraient entièrement appliquées. et que ce seraient des âmes d'élite ».
Une simple femmelette du faubourg St Germain, très favorisée de Dieu par beaucoup de connaissances qu'il lui départait — de laquelle même on rapporte qu'elle n'avait jamais perdu la divine présence pendant 14 ans qu'elle tint hostellerie —, nous prédit, devant que nous eussions le Saint Sacrement, que nous l'aurions, quoiqu'il n'y eut nulle apparence pour lors. Et après que nous l'eûmes eu, le jour de Notre Dame de Mars 1653 — comme nous avons dit ci-devant —, elle assura encore que nous l'avions pour toujours, de quoi l'on doutait fort pour lors.
C'est la même à qui Dieu avait donné connaissance du Séminaire de St Sulpice, avant qu'il fut entrepris par Monsieur l'abbé Olier, qui daigna déférer beaucoup, en cette entreprise, aux sentiments de cette âme de grâce (7).
Une autre femme, de même qualité que celle-là, et pareillement gratifiée de Dieu avait vu, plus de 20 ans auparavant, notre établissement. Ainsi qu'elle assure avoir vu notre monastère de Paris, tel qu'il se voit à présent, avec deux rangs de chaises au choeur — mais vides — pour signifier que c'était une chose à venir, et laquelle n'étant pas encore faite, les sièges ne pouvaient être remplis et que Dieu tirerait une très grande gloire de cet établissement.
Elle est encore pleine de vie, de même que la précédente, c'est pourquoi nous ne les nommerons point. Elle a eu diverses autres connaissances sur l'Institut qui se manifesteront avec le temps.
Le mari de cette dernière, qui n'est pas moins pieux que sa femme, ni moins favorisé de Dieu, assure avoir vu aussi Notre Seigneur Jésus-Christ sur cette maison, chargé de la croix, et plusieurs
(6) Né en 1611, au château de Bény, près de Bayeux. Il voulait entrer chez les Chartreux, mais ses parents l'obligèrent à embrasser la carrière des armes, c'est ainsi qu'il servit dans les guerres de Lorraine avec le duc de Weimar. Il épousa Mlle Elisabeth de Balzac d'Entraigues et se retira de la Cour 5 ans après, en 1638, pour se consacrer entièrement à la religion : secours aux catholiques anglais réfugiés, missions, sociétés d'artisans vivant en commun (tailleurs et cordonniers subsistèrent jusqu'à la Révolution). Il travailla à ces sortes de confréries artisanales avec celui que l'on a appelé le Bon Henri. Il est mort le 11 avril 1649. Hoefer, Bibliographie Générale, 1865. — J.-B. Saint-Jure, S. J., Vie de M. de Renty, Pierre le Petit, Paris 1664. — Père François Giry, Vie des Saints, supplément, Victor Palmé, Paris 1860.
(7) Ne serait-ce pas Marie de Gournay, veuve de David Rousseau ?
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Anges à l'entour, empressés à pourvoir aux besoins temporels des religieuses ; et particulièrement il leur voyait amasser du pain et du vin, pour signifier sans doute que Dieu l'assisterait toujours d'une spéciale providence pour le temporel, mais que ce pain et ce vin étaient la marque que ce serait la maison spéciale de ce divin Sacrement, qui s'opère sur ces deux principaux aliments de l'homme ; qu'ainsi ce serait la maison du pain de froment des élus et du vin qui fait germer les vierges.
Monsieur Gontier, trésorier de la Sainte Chapelle de Dijon, et Vicaire général de Monsieur l'Evêque de Langres, fort ami de notre Révérende Mère Prieure, l'étant un matin allée visiter, accompagné d'un bon religieux qui demanda de dire la Messe ; et quand il l'eût achevée il s'en vint dire à notre Révérende Mère, en présence de ce bon Monsieur Gontier : « Ma Mère, Dieu veut faire quelque chose de grand par vous pour faire honorer le Saint Sacrement de l'autel. Réjouissez-vous et préparez-vous y, il me l'a fait connaître à la Messe ».
Et ce même religieux, y retournant une autre fois, lui dit qu'il avait encore vu depuis leur maison comme un très beau parterre, dans lequel le Fils de Dieu se promenait avec un extrême plaisir, et semblait y prendre ses délices, comme si les âmes des religieuses lui étaient de très belles fleurs et de très bonne odeur ; et que ce doux Sauveur, le regardant, l'avait assuré qu'il ne laisserait manquer de rien à ces religieuses.
Il eut encore d'autres connaissances là-dessus, dont il ne nous souvient pas à présent.
Mais ce bon Monsieur Gontier faisait un si grand état de notre Révérende Mère Prieure qu'à son exemple, depuis l'Institut, il a introduit dans Dijon la dévotion de la Réparation au Très Saint Sacrement de l'autel pour tous les Jeudis de l'année, le soir, à l'heure du Salut public dans la grande église, où le prêtre même qui doit faire le Salut met la corde à son col et prononce, en présence du Très Saint Sacrement, devant tout le peuple, une oraison approchante de celle qui se dit céans (8).
Un religieux de l'Abbaye St Victor de Paris, nommé le Père de Troye, homme de grande oraison et d'une vie tout à fait austère et pénitente, lequel est mort en odeur de sainteté, assura pareillement un jour à notre Mère Prieure, qu'il avait vu la maison entourée d'une merveilleuse gloire, et que le Saint Sacrement y serait grandement honoré, et que cela arriverait infailliblement. Elle n'avait pas encore obtenu la permission de l'exposer ni de s'y établir.
(8) Cette coutume était aussi observée en l'église Saint-Sulpice avant la fondation de notre institut.
Une religieuse d'un autre Ordre, étant à l'oraison il lui fut dit en latin quelque chose de très grand de notre Institut ; et bien qu'elle n'eût aucune intelligence de cette langue, la parfaite explication lui en fut donnée pour entendre ce que ces paroles voulaient dire ; elle les écrivit après à notre Révérende Mère Prieure, par un billet qu'elle lui envoya, et qu'elle n'a pas pris soin de conserver.
Pendant que l'on bâtissait l'église de notre monastère de Paris, en l'an 1658, l'entrepreneur du bâtiment ayant négligé de visiter les carrières sur lesquelles elle est bâtie — quoiqu'il en fût averti par le bail à prix fait — se fussent [fut] chargé de faire à leur dépens les reprises qu'il y croirait nécessaire —, il arriva que, comme l'église fut achevée et que le couvent fut jeté, lui-même s'aperçut que tout s'en allait par terre, à faute de n'être pas soutenu par les fondements si bien que tout épouvanté, car la chute en paraissait tellement prochaine qu'il semblait même que l'on voyait branler les murailles ; il courut en avertir notre Mère Prieure qui, d'abord, fit faire de grandes prières et voua de faire dire plusieurs Messes pour les âmes du Purgatoire et en l'honneur des Saints Anges ; parce que l'on ne pouvait faire entrer des ouvriers dans ces carrières pour reprendre les piliers sans un péril évident d'y demeurer accablés.
Et dans ce temps-là, la Mère Benoîte de la Passion, Prieure dans notre maison de Remberviller — qui est morte depuis en très grande odeur de sainteté —, laquelle ne savait rien de ce péril, en étant éloignée de plus de soixante ou quatre vingt lieues, écrivit en ce même temps, qu'elle avait vu les Saints Anges et les âmes du Purgatoire soutenir un chantier de l'église qui était — selon que l'on peut juger de la manière dont elle l'écrivit — tout ce côté dangereux. Et le succès montra bien qu'il y avait eu un secours bien spécial du ciel, puisque tout ce travail qui dura plus de six semaines, et coûta plus de quatre mille livres, s'acheva sans qu'il en arriva le moindre accident du monde aux ouvriers.
Nous n'avons mis cette vision que pour montrer la protection particulière de Dieu sur notre maison de Paris. Il s'en pourrait rapporter encore bien d'autres de la qualité de celle-là, mais puisque celle-ci suffit à notre dessein, le surplus ne ferait qu'en vain grossir ce volume et ennuyer le lecteur.
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DE QUELQUES PERSÉCUTIONS SECRÈTES SOUFFERTES
PAR NOTRE TRÈS DIGNE MÈRE
Quand nous ne ferions pas mention que notre Révérende Mère a été persécutée, il n'est personne qui ne le supposât bien, puisque l'on sait assez que c'est l'ordinaire à toutes les oeuvres de Dieu d'être accompagnées de souffrances, et que c'est leur caractère essentiel, (au respect des oeuvres du monde).
Cela vient de ce que l'esprit malin, prince du monde et ennemi du règne de Jésus-Christ sur la terre — comme il (se) l'a déclaré dès le commencement dans le ciel, ne manque point de s'opposer quand il voit que ce règne peut recevoir de l'accroissement, parce qu'il va à la destruction du sien ; et leurs maximes se trouvant si différentes qu'il est absolument impossible de jamais les concilier, il faut de nécessité que l'un l'emporte sur l'autre, ce qui ne peut se faire sans combat. Ainsi les amis de Dieu, ou plutôt, ses fidèles sujets, qui soutiennent ses intérêts, ont toujours beaucoup à souffrir car ils ne sont pas les plus forts en nombre.
Nous avons déjà vu les assauts que Notre Mère a soutenus avant l'établissement de l'Institut ; il s'agit à cette heure de parler de quelques-uns, qu'elle a eu à soutenir en secret depuis. Et, en ceux-ci, cet esprit d'iniquité qui l'avait attaquée sous tant de différentes formes au commencement, pour la détourner de sa sainte entreprise, s'étant vu vaincu partout ne se rendit pas pourtant ; il se résolut de se mieux travestir à l'avenir, pour n'être plus reconnu, et prendre de nouvelles armes, plus propres pour attaquer sa patience et la faire du moins trébucher puisqu'il n'avait pu la détourner de son entreprise.
Pour faire cela il emprunta le zèle indiscret et immodéré de plusieurs serviteurs de Dieu, qui lui firent en effet ressentir cette sorte de persécution que le Fils de Dieu, parlant à Sainte Thérèse, nommait : la plus cuisante de toutes les persécutions, c'est à dire : celle venant des gens de bien — souvent vrais amis de Job par leur peu de prudence —, plus propres, sous prétexte de leurs bonnes intentions, de désoler l'affligé que de le consoler.
Et, ce qui en est de fâcheux, c'est que contre ces sortes de personnes l'on n'a rien du tout à dire, parce que la prévention où est tout le monde de leurs bonnes intentions fait que l'on n'écoute pas même les justifications. Ainsi l'on ne saurait éviter de demeurer dans l'humiliation profonde quoique l'on soit innocent.
Du moins, en celles qui viennent de la part des méchants, a-t-on la consolation que les gens de bien sont pour nous, et qu'il est glorieux de souffrir pour la justice — ce qui n'est pas un petit appui —, mais en l'autre, l'on n'a rien à s'appuyer qu'en Dieu seul, et il n'y a qu'à demeurer dans le silence.
L'occasion de celles dont nous avons à parler, vient de l'éclat que commença d'avoir notre Institut, sa nouveauté, et ce, qu'en effet c'est une chose tout à fait extraordinaire à des Filles que d'entreprendre d'être jour et nuit en adoration devant le Très Saint Sacrement, quelque temps qu'il fasse, et quelque rigoureux que soit le chaud ou le froid ; leur persuada qu'il y avait de l'illusion, ou tout au moins une témérité épouvantable, jugeant du tout impossible que des personnes d'un sexe si faible et si délicates puissent soutenir longtemps cette entreprise.
Si bien qu'ils venaient quelquefois examiner Notre Mère, et d'autres fois, seul à seul, l'interrogeant sur les mouvements qu'elle avait eus d'entreprendre cette grande oeuvre : et comment c'était ? et d'où lui en était venue la mission ? Comme si chacun d'eux eût (eu) droit de l'éprouver, ajoutant à toutes ces interrogations des remontrances très mortifiantes.
Et elle endurait tout cela volontairement, car, si elle eût eté moins humble, il lui eût été bien aisé de se défaire de ces importunités ; puisqu'étant établie — comme elle était — par l'autorité du Roi et des Supérieurs écclésiastiques, elle n'avait plus que faire d'en rendre compte à personne. Ainsi elle n'avait qu'à leur répondre avec un peu de fermeté qu'elle avait satisfait ses légitimes Supérieurs, qu'après cela elle n'était point obligée d'en instruire le reste du monde.
Ou bien, elle pouvait refuser d'aller à ces grilles leur parler ; ou bien encore, elle pouvait les rendre : de ses censeurs, ses admirateurs, en leur découvrant les excellentes choses qui s'étaient passées et se passaient encore en elle là-dessus.
Mais comme son esprit a toujours été un esprit de mort et de sacrifice, elle ne voulut faire ni l'un ni l'autre, mais voulut obéir à tout le monde ; se laissant, comme une pauvre victime, dévorer à qui le voulait sans leur résister en rien. Au contraire, leur rendant avec respect compte de sa conduite, par toutes les raisons que la prudence humaine lui permettait d'alléguer, et puis elle se taisait respectueusement après avoir achevé. Même, quand ils semblaient n'en être pas tout à fait convaincus, elle endurait leurs censures sans répliquer davantage, quoiqu'ils les fissent souvent avec bien de la chaleur.
Cependant cette importunité ne dura pas seulement des mois entiers, mais encore des années, car elle fut près de trois ans comme cela inquiétée ; et dans ces trois ans, souvent des trois et quatre heures par jour, sans que jamais, au sortir de ces ennuyeux entretiens, on l'entendit s'en plaindre ni murmurer tant soit peu, ni seulement en paraître altérée ou ennuyée ; quoique, bien des fois, elle était prête à s'évanouir de fatigue ou de rompement de tête, ou de l'excès du
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chaud ou du froid extrême qu'elle avait enduré au parloir. Bien plus, quand ses religieuses lui voulaient remontrer pour quoi elle endurait tout cela ? qu'elle ne les congédiât ! qu'après tout c'était une honte pour la communauté qu'on usât de la façon sur elle ! elle répondit doucement qu'elle était si abjecte et si misérable que tout le monde avait droit de la gourmander.
Il y eût même un Père, d'un Ordre fort considérable, qui lui vint dire un jour que c'était par l'esprit du diable qu'elle avait fait tout ce qu'elle avait fait, et qu'il n'y avait qu'orgueil en tout cela.
Il est vrai qu'à ce mot de : diable, elle dit à celui-ci : « Mon Père, puisque votre Révérence croit que l'esprit du démon est l'auteur de cette maison il est juste de la détruire. A Dieu ne plaise que je lui adhère un moment ». Et comme il lui répartit qu'elle n'avait garde de le faire, elle se fit tout à l'heure apporter une échelle sur laquelle elle monta pour aller détacher la croix qui était posée sur leur porte de clôture. Elles étaient lors à la rue Férou. Mais comme ce Père vit, qu'en effet, elle commençait d'y monter, il admira cette grande démission d'elle-même et cette grande obéissance, pareille à celle de St Siméon Stylite, qui s'apprêtait de descendre de sa colonne au commandement que lui en faisaient, pour l'éprouver, plusieurs serviteurs de Dieu, quoiqu'ils ne fussent pas ses supérieurs, et lui cria de cesser, lui commandant de descendre, ce qu'elle fit aussitôt sans réplique et sans qu'il parût ni en son visage ni en son discours la moindre altération du monde.
Et ce Père demeura si édifié d'elle qu'il fut toujours, depuis, son ami et son admirateur, ne cessant de publier ses louanges.
De même que firent tous ses autres persécuteurs, qui furent à la fin vaincus de son humilité profonde et de la sagesse qui paraissait en tous ses discours ; et changèrent leur censure en estime et en respect, et lui furent, après, tout autant affectionnés qu'ils lui avaient été contraires.
Une autre chose encore lui attira bien de la persécution dans ce même temps : ce fut quand il se présenta des filles.
L'envie des uns et le mépris des autres lui donnèrent bien de l'exercice, pour les contes que l'on faisait d'elle et de sa maison, pour détourner les prétendantes de s'y rendre.
Les uns allaient dire aux parents s'ils pensaient bien à ce qu'ils faisaient, de souffrir que leurs filles eussent ce dessein ! Que c'était une maison faite depuis quatre jours seulement ! qu'on ne voyait point clair dans leurs affaires ! qu'il y avait, à la vérité, des contrats de fondation, mais qu'il y pouvait avoir des contre-lettres en faveur des prétendues Fondatrices ! qu'il n'y avait point de plaisir de faire la planche en semblable occasion, qu'il faisait bon de la laisser faire aux autres ! Que, de plus, c'étaient des étrangères dont l'esprit, les moeurs et les humeurs ne convenaient point avec les moeurs et les humeurs de France ; que l'Ordre en était trop austère, que c'était un Institut tout nouveau et qui, apparemment, ne pouvait se maintenir, à cause de cette grande sujétion de l'adoration perpétuelle ; et cent autres choses que l'on remontrait aux pères et mères, et aux filles mêmes.
D'autres survenaient là-dessus, leur dire comme en dérision : Quoi ! c'est à ces petites filles de Lorraine, à qui, il n'y a pas encore deux ans que nous faisions l'aumône, où vous voulez aller ? Elles mourraient de faim il y a si peu de temps ! comment pourraient-elles avoir amassé assez de biens depuis ce temps-là pour avoir fait une maison où il fit bon s'aller rendre ? C'est se moquer seulement que d'en avoir la pensée, et ce serait grande folie à vos parents de le souffrir !
Tout cela était rapporté à cette humble Mère, ou par les tilles ou par leurs parents, qui, se trouvant souvent échauffés par ces beaux donneurs d'avis, lui venaient dire à elle-même d'un ton fort désobligeant que toutes ces choses les tenaient en considération ; et que tous leurs amis n'étaient point du tout d'avis qu'ils donnâssent leur consentement à leurs filles.
Quelques uns en vinrent à lui demander à voir les contrats de fondation et l'exécution qui s'en était ensuivie, et même leurs livres de comptes, et enfin les papiers les plus secrets de leur maison. Et ensuite, l'interrogeaient : de son nom ? de sa naissance ? de ses amis ? du sujet qui l'avait fait venir en France ? et depuis quand elle y était venue ? et comment ? et pourquoi ? et avec qui ? Et telles autres importunités et impertinences qui n'altéraient non plus sa paix et sa douceur que ces premiers importuns.
Même, comme il se trouva une fille, bien apparentée, assez courageuse pour se déterminer à venir malgré tous ces ridicules contes, les parents obligèrent un prélat de grande piété, de qui elle était fort connue, de l'en détourner absolument — comme il fit —. Et afin que la chose fût plus amère à notre vraie patiente, il voulut lui-même se charger de dégager la parole de cette fille, et au lieu de le faire avec quelque honnêteté, — puisqu'il lui venait annoncer une chose fort désagréable sans doute, car la fille était un très bon sujet, et pouvait apporter bien du bien, — il le prit sur un ton de réprimande, comme si notre pauvre Mère eût paru trop téméraire d'avoir osé seulement écouter cette pensée, lui disant qu'elle en devait dégager son coeur, et la rendre à Dieu sans y prendre plus de part.
Et, de fait, depuis ce jour-là, cette fille fut trois ans sans y revenir. Mais au bout de ces trois ans, il fallut qu'elle cédât à l'esprit de Dieu qui la voulait dans cet Ordre, et qui n'avait cessé de l'en solliciter tout ce temps-là. Si bien qu'après plusieurs combats rendus contre le monde et contre elle-même, elle s'en vint courageusement au monastère, où elle fut bientôt reçue parce que — comme nous avons dit — elle était déjà connue pour être assortie de toutes les
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qualités que l'on pouvait désirer et lesquelles la persévérance couronnait. Aussi a-t-elle très bien réussi, et réussit-elle encore, de l'heure que nous écrivons. Ceci pour une récompense que Dieu donna à notre très digne Mère de l'humiliation qu'elle lui avait fort innocemment causée.
D'autres filles après cela y vinrent, et quelques autres avaient été reçues auparavant.
Ainsi la maison commença de devenir en assez grande considération pour que la persécution cessât quant à ces deux points.
Mais, quand on les vit ainsi accroître et éclater, quelques maisons religieuses commencèrent aussi à se soulever contre elle, par envie.
Il y eut même une Supérieure qui lui écrivit fort aigrement qu'elle usurpait sur son Ordre le titre de Religieuse du Saint Sacrement, qu'elles en étaient en possession les premières, et qu'elles s'y feraient bien maintenir, la menaçant de procès.
Mais si la charité est cause que l'on n'a pas gardé cette lettre, l'humilité a fait découvrir la réponse que lui fit notre Mère Prieure, parce que, bien qu'elle s'en cachât beaucoup, comme toute la communauté avait eu le vent de cette bravade, elles étaient tellement aux aguets pour voir cette réponse — à cause qu'elles se méfièrent qu'elle s'abaisserait trop selon sa coutume, devant celle qui la prenait si légèrement à partie —, qu'elles surprirent sa lettre, et la trouvèrent en effet du style qu'elles avaient appréhendé, si bien qu'elles la retinrent secrètement ; et par ce moyen elle est demeurée entre les mains de quelqu'unes comme un monument éternel de sa constante humilité en toutes rencontres ; et elles nous l'ont prêtée pour la mettre ici en témoignage de la vérité que nous disons. Et le silence dans lequel nos Soeurs sont demeurées à la suite a mis fin à cette jalousie.
RÉPONSE DE LA MÈRE PRIEURE
Il n'y a rien de plus véritable que je suis indigne du titre glorieux de Fille du Très Saint Sacrement. Peut-être que celles qui me blâment de l'avoir usurpé ne pénètrent pas si profondément que moi les raisons qui m'en rendent indigne ? Le monde parle en sa lumière ténébreuse, qui procède des raisons humaines et souvent d'un fond imparfait, mais Dieu, qui est la Lumière éternelle, ne se trompe point dans les raisons qu'il envoie dans l'intime de nos âmes pour nous faire connaître et confesser notre néant à sa pure gloire.
Oui, j'avoue que j'ai pris ce titre glorieux de : Fille du Très Saint Sacrement, et celles qui me le veulent ôter exercent en cela un acte de justice que j'adore en Dieu, me réjouissant de voir que l'on se revêt de ses intérêts, et que l'amour de sa gloire m'en prive, et me dépouille de ce que je tiens de plus précieux et de plus auguste, et dont je tire toute la mienne.
Puisque j'ai profané ce titre en des manières infinies j'en dois une restitution qui surpasse ma capacité, et que Dieu seul se doit rendre à lui-même, comme étant, dans ce divin et adorable Mystère, notre Réparateur aussi bien que notre avocat, et que notre Juge Souverain Seigneur.
C'est pourquoi je remets ce titre au pied du trône de sa suprême grandeur, avec protestation de souffrir que l'on m'en prive, avec
honte et ignomime de l'avoir usurpé ; puisqu'il est vrai de dire et de prouver qu'il n'y a créature sur la terre qui le mérite moins que moi, d'autant que je suis une profanatrice de ce Mystère adorable, et que le mésusage que j'en ai fait toute ma vie me condamne absolument, sans que je puisse rappeler de ma sentence.
Dans ce sentiment de vérité je dois souffrir tout ce que ma présomption mérite de châtiments ; et je les reçois, dès à présent,
tels qu'il plaira à sa divine providence de me l'imposer, sans que je voulusse me défendre, ni soutenir mon droit apparent ; je l'anéantis au pied du Saint Autel en hommage et réparation de ma superbe qui souffrira sa dégradation.
Et qu'elle soit confondue devant le ciel et la terre ! Et ce sera d'autant plus justement qu'elle sera trouvée vide des saintes qualités
et dispositions que doivent avoir les filles du Très Saint Sacrement, ne le suis-je pas plus de me dire sa victime sans doute le prenant de moi-même mais il me semble qu'en celui-ci je serai moins coupable que de l'autre, puisque Jésus-Christ lui-même me le donne et qu'au dire de Saint Paul nous sommes immolées avec Lui.
Tous les chrétiens doivent être des victimes, et ils le sont par la grâce du baptême. Je n'usurperai rien donc en cette qualité, puis-
que Jésus-Christ même me l'impose, et qu'elle m'est commune avec
tous les chrétiens, dont la plupart ignorent leur grandeur et la parfaite union qu'ils ont en Jésus-Christ. Les créatures, ni l'enfer
même ne m'ôtera pas ce sacré caractère de victime de Jésus puisque
le saint baptême que j'ai reçu me l'a gravé et imprimé jusqu'au centre de mon âme et dans toute la substance de mon être. O titre glorieux ! O qualité sacrée, je dois vous recevoir et vous porter
avec amour et respect puisque Dieu Lui-même me l'a donné avec
Lui, et me commande même de vivre de cette vie et de cet esprit, en sorte que je remplisse cette qualité de victime comme Lui-même l'a
remplie en Lui-même et par Lui-même autant que la créature en est capable, le monde donc me dépouillera de celle de fille du Très Saint Sacrement et Jésus me revêtira de celle de sa victime.
Je puis dire qu'il est la mienne aussi et que s'immolant sans cesse à son Père pour mes crimes, je dois être immolée à sa sainteté
et à sa justice. C'est le voeu que nous faisons et que nous devons fidèlement observer par toutes les fidélités que cet état demande indispensablement ; quoique j'ai ouï ingénuement que je ne l'ai point encore remplie comme je devais.
QUATRIÈME PARTIE
SUITE DES MÉMOIRES
1633-1663
CHANGEMENT D'ORDRE DE LA MÈRE PRIEURE
Voici donc un de ces faits desquels nous avons promis d'informer notre lecteur, pour lui donner une connaissance entière de toute la vie de cette digne religieuse, dont tous les endroits sont si beaux, qu'il serait à souhaiter que quelque excellente plume en entreprit l'histoire ; et toutefois, quiconque l'entreprenne, ce lui sera toujours chose fort malaisée de s'en acquitter avec le succès que la chose mériterait, par les soins qu'elle a apportés de cacher aux yeux du monde ce qu'il y avait de plus admirable ; car le narré n'en saurait paraître que dénué de ses principaux ornements.
Ce que nous en devons dire à présent, c'est que, bien que religieuse depuis presque son enfance, elle n'a pas toujours été Bénédictine. La première Religion où elle avait fait profession est celle de la Bienheureuse Jeanne de France, sous le titre de l'Annonciation de la Sainte Vierge, autrement : des dix vertus, qui sont vêtues de gris avec un scapulaire rouge.
Ce fut en 1632, dans le bourg de Bruyère, proche St Diéz, lieu de sa naissance, vers les montagnes de Lorraine, qu'elle prit l'Habit dans une maison de cet Ordre, étant âgée d'environ 17 ans, et y fit profession l'année suivante, sous le nom de Soeur Catherine de Saint Jean.
En cette action il se passa plusieurs choses merveilleuses ; et, entre les autres, une qui fait trop à notre sujet pour que, bien que nous n'ayons pas dessein d'approfondir jusqu'aux circonstances de la vie, nous [ne] puissions nous empêcher de la rapporter. C'est que dans cet Ordre ils observent une cérémome : qu'après les voeux faits, le prêtre qui fait la solennité met au doigt de la nouvelle professe une bague, en signe de ses épousailles avec Dieu, laquelle les parents ont accoutumé de donner des plus belles qu'ils puissent trouver. Mais elle ne la porte que les dix jours du silence sponsal — qu'ils appellent — qui sont 10 jours qu'elle demeure en retraite, après la profession, sans parler à personne du monde ; bien que les religieuses ne laissent pas d'aller tour à tour dans sa chambre pour la saluer.
Et, dans les 10 jours de notre Soeur Catherine de St Jean, un jour, en présence de quelques unes qui se rencontrèrent dans sa cellule, son anneau s'ouvrit de soi-même par le côté sans qu'elle y eût seulement touché, ni même fait chose aucune de cette main qui l'eût pu forcer ; ce qui paraissant fort extraordinaire à toutes celles
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qui la virent, elle s'en alla tout éplorée le montrer à la Supérieure, se jettant à genoux devant elle sans lui dire mot, mais lui mettant cette bague entre les mains ; et la Supérieure, la voyant ainsi ouverte, après avoir bien examiné le tout, lui répondit en soupirant : « Cela signifie, ma Soeur, que vous ne mourrez pas dans l'Ordre ».
Elle prophétisa mieux que peut-être elle ne pensait, puisque sa prophétie s'accomplit assez peu de temps après, qu'elle en changea en effet, par des évènements tout à fait de providence.
Car il arriva que, trois mois après sa profession, la guerre s'alluma tellement en ce quartier, que le bourg de Bruyère ne pouvant éviter d'en sentir la fureur, les religieuses se résolurent de fuir de bonne heure. Comme cela elles vinrent chercher refuge à la ville de Badonviller, à cause d'une des maisons de S.A. de Lorraine, dans laquelle elles furent logées ; et d'où, après un séjour assez court, à cause du peu de sûreté qu'elles y trouvaient, elles s'en vinrent à Commercy, chez Monsieur des Armoises (1) qui est co-seigneur de ce lieu-là avec la maison de Retz, lequel leur prêta la moitié de son château, où elles demeurèrent assez longtemps, parce qu'elles y étaient en une très grande assurance.
Et pendant qu'elles y firent séjour, notre Soeur de St Jean fut élue Supérieure, quoiqu'elle n'eût pas encore trois ans de profession et vingt et un d'âge (2), tant son mérite éclatait déjà.
Mais, la guerre continuant, ce lieu ne put éviter de s'en sentir à la fin comme tous les autres ; si bien qu'elles furent contraintes d'en partir, et s'en vinrent dans la ville d'Epinal, se réfugier ; où pareillement, ayant demeuré quelque temps en maison bourgeoise, elles furent conseillées de s'en venir dans la ville de Remberviller qui valait encore un peu mieux ; et où les parents de notre Mère de St Jean l'y désiraient fort
Monsieur le Colonel Lhuyliers (3), son beau-frère, qui la chérissait beaucoup, étant allé lui-même faire la proposition à la Mère Bernardine qui était Prieure de notre maison de ce lieu, de la prendre en pension, ce qu'elle lui accorda, à cause de la grande considération où il était dans l'armée de Lorraine. Si bien qu'elles la mandèrent venir pour voir elle-même si elle pourrait s'y accommoder, ce
(1) Un Antoine des Armoises, baron d'Autren et de Basville s'est marié à Matilde Catherine du Mesnil de Vaux. Dict. de la Noblesse, la Chesnaye Desbois, t. II, p. 210.
(2) Il ne faut pas trop s'étonner de voir nommer supérieure une si jeune religieuse. La plupart des abbayes étaient alors gouvernées par de très jeunes abbesses. Ce sont des jeunes filles de 20 ans, et parfois moins qui ont réformé
les grandes abbayes de France au xvii'. Blémur, Eloges. Brémond, op. cit.,
t. II.
(3) Il avait épousé la soeur aînée de mère Mectilde, Marguerite. Le N 248 dit de lui : « Il était brigadier des armées du duc de Lorraine et colonel d'un régiment. Il fut depuis gouverneur de Bar et de plusieurs autres places. Le colonel L'Huillier faisait partie des armées du Duc de Lorraine et bien qu'il ait reçu de flatteuses propositions des armées de France, il resta fidèle à Charles IV ». Dom Pelletier, Nobiliaire de Lorraine, p. 492. — Bulletins de la Société Philomatique Vosgienne, Saint-Dié.
qu'elle fit. En étant demeurées également satisfaites de part et d'autre
— après un séjour de trois semaines qu'elle y fit avec une compagne
— elles convenaient fort qu'il ne fallait plus se séparer.
Mais il y avait l'obstacle que la Mère de St Jean ne pouvait du tout se résoudre d'abandonner sa petite communauté, de sorte que la Mère Bernardine, qui l'avait beaucoup goûtée, lui offrit pour remédier à cela que, si elle voulait revenir avec toute sa communauté, elle lui ferait vider un quartier du monastère pour tout le temps qu'elle voudrait, où elles pourraient vivre à part, dans toutes leurs observances.
Et lui promit [de] les aider de tout ce que leur pauvreté leur pourrait permettre, car les guerres les avaient rendues aussi très pauvres ; sans cela elle aurait entrepris de les nourrir, plutôt que de n'avoir pas notre Mère de St Jean ; laquelle, accep tant des offres si charitables de la Mère Prieure et de la communauté, promit de revenir au plus tôt, si on lui permettait d'aller quérir le reste de sa petite troupe, et leurs pauvres hardes, qui consistaient à bien peu.
Elle le fit, et demeura comme cela un an entier dans notre monastère de la Conception, pendant lequel la M. Bernardine ayant encore plus de temps de découvrir les grands trésors de nature et de grâce qui se trouvaient renfermés dans la M. de St Jean, ne songeait plus qu'aux moyens de l'acquérir tout à fait à sa maison.
Si bien que, se servant du mauvais état de sa fortune présente, elle se hasarda de lui en faire la proposition un jour, lui remontrant qu'elle ne pouvait plus du tout espérer retourner dans son monastère, puisqu'il était absolument détruit dans les ruines de ce bourg de Bruyère, comme en effet il fut brûlé et démoli peu de temps après que la M. Catherine de St Jean avec sa communauté en furent sorties. Qu'elle ne pouvait pas espérer non plus, dorénavant, de se rétablir en corps de communauté en aucune ville du pays, — d'autant que toutes étaient hors de défense, et par conséquent toujours dans l'appréhension d'être prises et saccagées —, qu'aussi, d'aller comme cela rôdant parmi le monde, en habit religieux, elle se trouverait exposée à de grands inconvénients, étant jeune et bien faite comme elle était. Ajoutant à cela encore qu'il était permis par les saints canons aux personnes religieuses de passer dans un Ordre plus austère que celui où elles avaient fait profession pour trouver leur perfection, et que l'Ordre de St Benoit était, sans difficulté, plus austère que celui dans lequel elle vivait.
Et toutes ces considérations si fortes, jointes à la très pressante sollicitation que Dieu lui faisait dans son coeur d'en venir à ce changement, firent qu'après une longue et mûre délibération, suivie de plusieurs consultations de docteurs et autres gens de piété desquels elle prit avis, la Mère de St Jean se résolut à la fin à cela.
Mais auparavant elle ne manqua pas de pourvoir à placer les religieuses qui lui restaient de sa communauté, qui n'étaient en tout que cinq, parce que, dans ces fréquentes alarmes et dans tant de
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changements de demeures qu'elles avaient été contraintes de faire, plusieurs s'étaient retirées chez leurs parents et les autres étaient mortes. Et pour les cinq, elle les plaça dans diverses maisons de leur Ordre, avec la permission des Supérieurs, auxquels elle fit aussi de grandes instances de lui permettre ce changement. Ce qui, lui étant absolument refusé, elle fut conseillée pourtant de ne pas laisser de passer outre à prendre l'Habit de Saint Benoit, puisqu'elle avait assez suffisamment fait ses diligences pour obtenir son congé.
Comme cela elle prit notre saint Habit, sous le nom de Catherine Mechtilde au lieu de celui de Catherine de St Jean. Ce fut au mois de juillet 1639, et elle fit profession au bout de l'an du Noviciat, sans avoir voulu être dispensée de le faire à la rigueur, quoiqu'elle eût rempli les premières charges de l'Ordre dont elle sortait. Et il n'y avait que 7 ou 8 mois qu'elle y avait fait ses voeux quand elles vinrent à St Mihiel, et de St Mihiel à Montmartre [cf. p. 51-56] ; Dieu l'ayant toujours chassée de toutes parts, par le moyen de la guerre, jusqu'à ce qu'à la fin elle eût pris la résolution de s'arrêter à Paris, où il la destinait pour sa gloire.
Nous avons de son changement d'Ordre un Bref de notre Saint Père le Pape Alexandre 7ème, du 20 octobre 1660.
Cependant nous dirons quelle a été l'occasion qui a obligé cette Mère de l'obtenir. Ce fut que les Pères Cordeliers de Lorraine, directeurs de ce premier Ordre, voyant l'éclat de notre établissement et la grande estime où était l'Institut, se faisaient déjà entendre [disant] que le tout leur appartenait, puisqu'il avait été fait par une personne de leur Ordre et dépendant de leur juridiction ; que, comme son passage dans l'Ordre de St Benoit n'avait pas été autorisé par le Pape, tout ce qu'elle avait fait dans cet Ordre était de nulle valeur.
Par ce moyen ils prétendaient que le leur devait être réintégré et de la personne et des biens, et demeurer légitimes possesseurs de tout ce que nous avons vu qui a été fait en faveur de Notre Mère ; car, disaient-ils, elle n'était pas capable, à cause de ses voeux de religion, de rien acquérir à son profit particulier et rien recevoir que pour son Ordre.
En façon que ces menaces étant venues jusqu'à nos Mères, elles résolurent de les prévenir, quoiqu'elles fussent bien assurées que la conduite de notre Mère Prieure pouvait être soutenue, d'autant que les empêchements invincibles que la guerre, qui régnait lors si cruellement en son pays et qui n'a cessé de longtemps après — avec l'extrême pauvreté où la même guerre l'avait réduite —, l'avaient assez dispensée des choses qu'elle eût été obligée de faire en un autre temps à l'égard de la Cour de Rome ; et qu'elle n'avait rien fait qu'avec l'autorité des Seigneurs Evêques diocésains. Mais il fut trouvé meilleur de couper chemin à cette occasion de persécution, que d'attendre d'avoir la peine, après, de s'aller défendre à Rome par les voies de la justice.
Depuis ce temps-là, soit que ce Bref ait été connu de ces Pères, ou soit qu'eux-mêmes ayant reconnu qu'ils ne seraient pas bien fondés, ils n'ont plus parlé de rien.
Mais il faut regarder les choses venir de plus haut et reconnaître qu'il y avait, en son passage d'un Ordre à l'autre, un mystère qui ne paraissait pas alors, et qu'il n'y avait que l'Institut de l'Adoration perpétuelle qui nous l'ait pu découvrir : il fallait que, pour appartenir si étroitement — comme elle fait à présent — au Saint Sacrement de l'autel, elle fût fille de St Benoit. C'en devait être la porte et le vrai chemin pour y arriver.
Le rapport et convenance qui se trouve de la Règle de ce grand Patriarche avec l'Institut de l'Adoration perpétuelle, demandait que cette sainte Règle en fut la base et le fondement ; puisque celles de l'Institut devaient mener une vie austère, pénitente, et fort séparée du monde pour être des vraies victimes et dignes réparatrices, et cette sainte Règle contient éminemment tout cela, comme nous avons vu dans l'un des Ecrits de notre dite Mère Prieure.
Nous remarquerons seulement une autre espèce d'alliance ou de liaison que Notre Mère a su faire encore, de son premier Ordre à celui de St Benoit. C'est ce respect tout particulier qu'elle fait rendre dans sa maison à la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, de la faire reconnaître pour ABBESSE ; parce que l'on en fait de même dans cet Ordre des dix vertus, et cela ne se fait pas dans les maisons de St Benoit. Comme aussi elle en a apporté la dévotion à St Jean l'Evangéliste, duquel l'on fait commémoration céans comme d'un patron spécial, en qualité de fils adoptif de la très sacrée Vierge. Ainsi, en quittant l'Ordre, elle en a su conserver l'esprit principal, sans altération de celui de St Benoit.
Dominique L'Huillier, né à Moyemont, épousa Marguerite de Bar, soeur de Mère Mectilde. Il était lieutenant-colonel d'infanterie dans les troupes de Lorraines lorsqu'il fut annobli le 17 janvier 1646. Il fut successivement gouverneur de Bitche, Hambourg, Neufchâteau et Landsthul. Il obtint de Son Altesse de Lorraine l'hérédité de la capitainerie de Spitzemberg, en indemnité de ce qu'il avait été fait prisonnier trois fois à son service, et s'était racheté à grands frais.
Les armes parlantes de L'Huillier portent d'azur, à une bande d'argent, chargée de trois olives de sinople ; et pour cimier un dextrochère tenant une branche d'olivier au naturel.
(Extrait du « Nobiliaire de Lorraine » de Dom Pelletier, p. 492, communiqué par le Président du Cercle généalogique Lorrain).
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DIVERSES LETTRES DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DU SAINT SACREMENT,
ÉCRITES A MADAME LA COMTESSE DE CHATEAUVIEUX
LETTRE PREMIÈRE.
Ne voulez-vous pas bien, ma bien aimée fille, que je verse la douleur de mon âme dans votre coeur, en l'aveu profond de mes extrêmes indignités qui me mettent aujourd'hui en privation de la plus glorieuse possession que je puisse avoir sur la terre.
Vous voyez, mon enfant ; et vous pouvez pénétrer sans peine très profondément jusqu'au point où l'abîme de ma misère me réduit.
Je suis touchée, je l'avoue, mais d'une touche qui m'anéantit ; Ce n'est point une douleur passagère ou simplement sensible, mais c'est un je ne sais quoi qui fait des effets en moi très particuliers, qui me retire dans l'essence divine, qui me fait voir mon indignité, et qui m'y fait prendre plaisir, voyant que le procédé de Dieu est si saint et si juste, que toute mon âme se trouve fondue et liquéfiée d'amour et de respect au regard de sa divine conduite.
Ne voulez-vous point me consoler, mon unique enfant ? Vous me laissez dans la privation, et ne m'en dites mot.
Hélas ! peut-on consoler une âme privée de son Dieu ? ô rigoureuse privation ! ô soustraction insupportable à une âme qui aime, et qui n'est point encore morte !
Mais, si je vous parle selon ma petite lumière, ô qu'il fait bon perdre Dieu dans Dieu même, et porter un état de mort à tout.
Mon âme s'étant retirée dans un profond silence s'est rendue, selon sa grâce et sa capacité, une victime d'amour, où j'apprends une loi plus étroite de retraite, d'abjection, de bassesse, de rebuts, de pauvreté et de néant. J'apprends de grands mystères sur cette privation, et comme la foi pure et nue est mon précieux sacrement, comme j'y dois être ume et consommée par le très pur et dévorant feu du divin amour.
O que Dieu veut que je sois petite en toutes manières devant les créatures, que je n'y trouve point de place, point de rang, ni d'affection !
Il n'y a qu'à vous, très chère et unique, à qui je veux parler ; mais en vous écrivant les dispositions de mon âme il me vient un doute. Si vous persévérez dans la fidélité que vous m'avez si solennellement promise, vous pouvez-vous retirer de nous en secouant le joug de l'obéissance et de la soumission ? Cette pensée n'a pas eu la force d'arrêter le courant de mon esprit qui s'épanche dans votre âme.
Parce que je n'ai point recherché ni l'ouverture de coeur, ni l'union, Celui qui en est l'auteur la conservera pour sa gloire en la manière qu'il lui plaira ; je ne m'en veux point mettre en peine.
Dieu est bon, je dois agréer qu'il m'anéantisse, et continuer à vous parler comme j'ai commencé ; ne m'en pouvant dédire je vous garderai cette sincérité que rien ne vous sera caché de ce que la Providence fera tomber dans mon souvenir, ou que vous pourrez désirer, tant il est vrai que nous n'avons qu'un coeur en Jésus.
Je n'avais pas dessein de vous dire toutes ces choses, mais seulement vous prier de me dire votre pensée touchant la somme que Madame de Bauves m'a mise en mains ? Je suis fort pressée intérieurement de la rendre demain qu'elle viendra céans ; car il ne faut tromper personne dans leurs intentions, puisque nous n'avons point le Très Saint Sacrement il faut lui rendre ce qu'elle avait donné pour l'orner ; et même le tabernacle, car je ne puis agir autrement.
Il me semble que je touche si peu toutes les choses de la terre, que la privation d'icelles m'est comme la possession ; et mourir dans l'extrême pauvreté m'est la même chose, voire — si je l'ose dire —, infiniment plus précieux que de mourir dans l'abondance et dans l'éclat. Jésus notre divin Maître nous a donné un admirable exemple de cette suprême pauvreté.
O ma bonne fille ! ne serons-nous jamais pénétrées et consommées ? n'aurons-nous jamais de vie [qu'] en Jésus [seul] ? O ! que cette vie-ci est pleine d'impuretés et de malignités, qui nous retirent sans cesse de notre bienheureuse union à Jésus !
0 que mon pauvre coeur vous dit de choses ! et pourquoi veut-il parler à vous, après s'être tu tant d'années ? Non ! je ne veux point lui donner l'essor, il faut anéantir la satisfaction que j'y pourrais prendre, pour m'abîmer dans le bon plaisir de Dieu en qui nous devons prendre nos délices.
A Dieu ma très chère, je vous embrasse en l'amour divin par lequel je suis, comme vous savez, plus à vous qu'à moi-même.
LETTRE DEUXIÈME.
Ma doublement vraie et unique fille,
Je vous viens dire bonjour dans un transport de joie très grand que je ressens dans le fond de mon âme, au regard de la possession aimable du Très Saint Sacrement de l'autel.
O ! que je me sens infiniment votre obligée, de m'avoir donné tout ce que le paradis aime et adore, et qui est l'objet béatifique des Saints ! O ! que de mystères pleins d'étonnement !
C'est à vous, ma chère fille, à qui je dois cet honneur et cette grâce. Il me semble que je vous ai engendrée et produite intérieure-
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ment à Jésus-Christ, et il a voulu que je réveille en vous son amour, et l'adoration de ce saint et sacré Mystère. Je vous ai donc, en une certaine manière, produite à Jésus, et vous mon enfant, vous me produisez aujourd'hui en qualité de victime du Très Saint Sacrement. Vous êtes donc ma mère et mon enfant, et je suis votre mère et votre fille ! Vous me produisez extérieurement à Jésus dans le Saint Sacrement, car l'oeuvre qu'il a faite par vous nous immole et nous sacrifie toutes à sa grandeur dans la sainte Hostie.
Voilà six victimes que vous donnez au Très Saint Sacrement ! Je suis la plus impure et la plus indigne de toutes, et j'en ressens si fort mon indignité qu'hier au soir, approfondissant la sainteté de cette oeuvre, je me trouvais toute saisie d'étonnement : comment y consentir ! et j'ai sujet de douter si Dieu versera ses divines bénédictions sur cette oeuvre, tant que j'occuperai la place que je tiens si indignement.
Priez Jésus, mon enfant, que sa sainteté me purifie, et qu'il me rende digne d'être consommée avec vous en amour et adoration éternelle du Très Saint Sacrement.
Ne vivons plus que pour le glorifier. Nous ne sommes plus à nous ; nous voilà toutes dévouées et toutes immolées : tout notre être, notre vie, nos mouvements, nos pensées et nos opérations sont à Jésus dans la sainte Hostie. Il vous a fait faire des victimes de son divin Sacrement ; mais il faut que vous la soyiez vous-même, afin que celles que vous avez produites et produirez comme cause seconde, soient plus agréables à Dieu parce que vous les aurez choisies, par son Esprit Saint, qui dans la grâce de sacrifice et de victime vous animera à ne rien faire que pour lui.
Je m'en vais communier en reconnaissance de l'honneur et de la grâce que vous nous avez faite. Priez Dieu que je ne détruise point la sainteté de cette oeuvre... Je ne finirais point si je suivais mon sentiment. C'est assez !
Dites-moi maintenant comme vous vous portez, et si vous n'êtes pas bien harassée de la journée d'hier qui fut fort pénible pour vous ? Donnez-moi aussi des nouvelles de Madame votre fille.
A Dieu, bon jour.
Je suis très humble servante à Monsieur le Comte ; je veux bien être sa caution s'il daigne prendre créance en ma parole que sa piété et ce qu'il donne au Très Saint Sacrement sera glorieusement récompensé et cette oeuvre lui sera payée très avantageusement dans l'éternité ; il verra l'effet de ce dont j'ose vous assurer.
[Cette lettre est probablement de mars 1653].
LETTRE TROISIÈME.
Je n'ai pu ce matin vous faire réponse, ma chère fille, nous allions faire la sainte communion.
J'ai connu ce que Dieu veut de vous sur une chose que vous me proposâtes hier, et sur laquelle j'hésitais de vous répondre, et vous me dites que je verrai ce que Dieu m'en ferait connaître.
De plus j'ai trouvé mon âme dans l'impuissance de demander de l'or ou de l'argent à Dieu ; ce n'est pas que je m'en défie : si il donne le plus il peut bien donner le moins. Mais j'ai trouvé cela si indigne de l'occupation d'une âme qui ne doit plus avoir de vie, que je n'ai pu y avoir d'occupation. Même, ce que vous me proposâtes hier sur toutes ces choses, m'a tellement passé de l'esprit que je n'en n'ai aucune idée, et il me semble que je ne le compris point.
Mon trait intérieur me porte si loin, que je ne puis voir tout cela qu'avec quelque effort. Ne me donnez point de quoi nourrir ma vanité et mon amour-propre, lequel serait possible [peut-être] bien aise de trouver le moyen, sous [un] bon prétexte, de se tirer de la dépendance et de la captivité. Laissez-moi dans ma misère, ne me tirez point de ma pauvreté. Ne voyez-vous pas que c'est ma voie ? pourquoi me lier à des biens ?
Il me semble que, représentant ces choses à Dieu, mon âme s'en est enfuie et s'est perdue en Dieu, renonçant à toutes les possessions de la terre. Dieu, Dieu me suffit, mais d'une suffisance éternelle. Mon âme ne peut recevoir ce que l'on accepte [propose] et quand il faut penser à donner mon nom cela me donne du rebut. Il me semble que je ne puis m'y résoudre, et que j'ai bien d'autres possessions que les choses de la terre. Je crains même que les dernières diminuent quelque chose des autres, qui me causent tant de bonheur et tant de contentement que je ne vois rien au monde capable de l'ôter.
0 ! que Dieu est grand, que Dieu est saint, qu'il est puissant ! Il est la richesse éternelle. Il faut pour le posséder pleinement être vide de tous les biens de la terre. Avec Dieu j'ai toutes choses. C'est son bon plaisir que je sois toute pauvre et sans appui. Mon âme prend ses délices dans cette pauvreté et le plus grand malheur qui lui puisse arriver c'est d'avoir des richesses.
Pauvreté ! ô disette ! ô privation ! que tu m'es précieuse puisque je ne puis posséder ton contraire sans me rendre indigne de Dieu.
Dieu ! Dieu ! et rien plus, mon enfant !
Je ne puis adhérer à la proposition de votre lettre ni au sentiment de NN... Pourquoi me faut-il tirer de la mort et du néant ? Laissez-moi, ma chère fille, ne me redonnez point la vie que j'ai tâché de quitter, et qui m'a coûté beaucoup, pour me la ravir. J'en ai encore trop ! Que je souhaite tout anéantir ! J'ai retenu pour partage le néant et la mort, c'est ma portion, on ne me la peut ôter sans injustice.
Je me suis bien plus étendue sur ce point que je n'espérais... que dis-je à vous ! Je m'emporte parce que j'ai la liberté sans retour.
[Cette lettre est probablement de juillet 1652].
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LETTRE QUATRIÈME.
J'ai reçu vos chères lettres ma chère fille, et j'ai porté une petite mortification de n'y pouvoir répondre : de petits embarras m'en ont empêchée.
En la première, je vous vois toute pleine d'étonnement et admiration des bontés de Notre Seigneur en votre endroit. Vous goûtez par expérience qu'il fait bon s'abandonner à Dieu.
0 mon enfant ! si vous pouviez pénétrer ce que Dieu opère dans le fond d'une âme abandonnée, vous en seriez encore plus touchée ! C'est Dieu qui tient les coeurs et qui en dispose comme il lui plait ; mais je puis dire qu'il fait la plus grande partie de ce que vous désirez. Il dispose toutes choses suavement et d'une manière ineffable.
Enfin votre coeur a tressailli de joie dans l'espérance et le désir que nous fissions une petite retraite. Faites tout ce que Dieu vous fera faire, je consens à tout ce qu'il veut de moi ; mais je vois des espèces de miracles, cela étant plus qu'humain. J'entre avec vous en admiration sur toutes ces choses et j'adore la main de Dieu qui conduit tout.
Je ne trouve aucune répugnance en mon fond pour tout ce que vous désirez de moi ; mais, ma chère fille, je vous prie pour l'amour de Jésus-Christ, aidez-moi à sortir de la supériorité, afin que les choses se fassent avec plus de bénédictions et plus à la gloire de Notre Seigneur. Sa gloire vous doit obliger à cela.
Nous ne pourrons demain aller voir le banquier parce que j'attends des nouvelles du Saint-Sacrement. Monseigneur l'archevêque de Reims en doit parler à Monsieur de Metz et nous a mandé que s'il pouvait, il nous en viendrait lui-même donner des réponses, ou nous les envoyer.
Sans cela, je serais allée avec vous communier à Saint-Victor (4), c'était ma pensée si la Providence ne m'en détournait point. Il faut faire quelque autre jour cette dévotion. On dit en effet qu'il y a grande dévotion.
(4) Autrefois prieuré bénédictin dépendant de l'abbaye Saint-Victor, de Marseille. Au début du xne siècle, le roi Louis VI, à la demande de Guillaume de Champeaux, l'ancien adversaire d'Abélard, a transformé le Prieuré en abbaye confiée aux chanoines réguliers de Saint-Augustin. Le premier supérieur fut Hugues de Saint-Victor. On dit que saint Bernard aimait se retirer à Saint-Victor lorsqu'il venait à Paris. Il y aurait laissé sa coule en signe d'amitié. Quand Simon Gourdan demanda son admission, le 25 janvier 1661, l'abbaye était bien loin de sa ferveur et de son rayonnement primitif. Le religieux eut beaucoup à souffrir de la part de ses pères ; son renom de sainteté et la puissance de sa prière attirèrent quantité de personnes à Saint-Victor qui devint un centre de prière et un pélerinage. Le père Gourdan pour se soustraire à la faveur populaire essaya, mais en vain, de se faire admettre à la Trappe. Né en 1646 il est mort à Saint-Victor le 10 mars 1729. Ses grandes dévotions étaient le Saint Sacrement et la Très Sainte Vierge. Sa soumission absolue au Souverain Pontife lui fut une cause de persécutions pénibles de la part de ses supérieurs dans l'affaire de la bulle Unigenitus. Les chanoines de Saint-Victor étaient gallicans pour la plupart. — Vie du Vénérable Père Simon Gourdan, chanoine régulier de Saint-Augustin en l'abbaye de Saint-Victor de Paris, 1755.
CINQUIÈME LETTRE.
Chère et très aimée en Jésus,
i
Je viens de faire la sainte communion, où j'ai reçu tant de miséricordes de la bonté ineffable de Notre Seigneur que je ne le saurais exprimer. O que Dieu est bon ! mais d'une bonté infinie...
O heureuse, et mille fois heureuse l'âme qui a l'honneur et la grâce d'être toute à Dieu ! Ce ne sont point des extases ni des révélations que j'ai reçues, ce sont des miséricordes, que je chéris davantage puisqu'elles me lient plus purement et plus fortement à Dieu.
O, ma bonne fille, si mon coeur pouvait s'ouvrir, pour vous faire ressentir ce que je goûte ! Que vous seriez bien de mon sentiment, et que vous diriez de bon coeur que le pur amour nous est toutes choses !
Dieu est amour, et vous ne pouvez être en pureté d'amour que vous ne soyiez toute en Dieu et toute remplie de Dieu.
O qu'une âme touchée de ce pur et divin amour méprise facilement toutes les créatures, qu'elle à peu d'inclination pour les choses de la terre ! Le monde lui est crucifié, et elle est crucifiée au monde, n'y pouvant plus prendre aucun goût et plaisir.
Dieu ! Dieu ! Dieu tout seul ! « Trop est avare à qui Dieu ne suffit » ! Contentez-vous de Dieu, trouvez votre suffisance en lui, n'estimez rien, tout le reste. Un jour viendra que vous serez pénétrée en fond des vérités que je vous dis. Voyez tous les grands accidents que la Providence nous fait voir tous les jours : ce sont des leçons très puissantes pour nous affermir dans cette vérité qu'il n'y a que Dieu seul qui soit, — tout le reste est sujet aux inconstances —, et vous serez permanente, rien ne vous ébranlera.
Mon Dieu ! mon Tout ! ne serons-nous pas un jour tout abîmées dans le saint amour ? quand sera-ce que nous en serons consommées et que Dieu seul régnera en nous ? « Nous gémissons après notre délivrance de cette chair de péché, » dit St Paul. Oui ma fille, nous soupirons après la liberté des enfants de Dieu, nous demandons avec l'Apôtre : « qui nous délivrera de ce corps de mort ? » : ce sera la grâce et l'amour de Jésus-Christ Notre Seigneur.
Vivons et mourons tout ensemble ; vivons à Dieu et mourons à tout le reste. O que la mort me serait douce et désirable, — s'il m'était permis d'avoir un désir, je ne fais aucun choix, ni de la vie ni de la mort — mais je désire que Dieu soit glorieux et en vous et en moi !
Voyez les saillies d'une autre vous-même qui les verse dans votre coeur pour y être anéantie comme Dieu veut que je le sois. Pardonnez-moi, chère enfant, et jetez la présente dans le feu après l'avoir lue.
Je le dis et je le proteste devant le ciel et la terre, que je ne veux plus rien dans aucune créature. Dieu seul ! Dieu seul ! Dieu seul !
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Bon jour chère enfant, ne vivons plus que pour Dieu seul, en Dieu seul, avec Dieu seul et dans Dieu seul, et par Lui seul à jamais. Amen.
SIXIÈME LETTRE.
Ma chère fille ;
Je sors du Chapitre touchée de me rendre plus fidèle à Jésus-Christ. C'est à ce coup-ci qu'il faut que je commence, avec vous, d'être toute à Dieu. Ne nous amusons plus. Le temps de nos sanctifications est bref, souffrons et mourons continuellement.
Je m'en vais recevoir les Cendres dans le désir que la vertu des paroles que l'Eglise dit sur ma tête, fasse en moi effet d'anéantissement. Priez, ma chère fille, pour la destruction de mon orgueil qui est bien épouvantable. Il me semble que je vais être toute renouvelée à la sainte communion. Je vous y porterai entre mes bras pour vous sacrifier avec moi, et avoir part aux miséricordes qu'il plaira à Dieu me communiquer. Y consentez-vous ? Car, ce que j'appelle : faveur et miséricorde c'est : la croix, la pauvreté, l'anéantissement, les privations, les ténèbres, etc... Car cela serait-il bienséant que l'esclave soit en délices tandis que son divin Maître souffre dans les déserts, la disette, les mésaises, les tentations, et qu'il n'a pas où reposer son sacré chef.
0 ma fille ! il le faut suivre dans la solitude, dans le silence et dans la mortification, c'est à dire dans les privations.
Réjouissons-nous d'avoir quelque chose à souffrir pour [nous] présenter [à lui] dans notre solitude et dans le désert, plus séparées des créatures. Demeurez avec Jésus, vous êtes bien en sa compagnie. Séparez-vous encore de vous-même pour être toute adhérente à Lui.
SEPTIÈME LETTRE.
Si la Providence ne m'obligeait à vous faire ces mots pour obéir à N..., laquelle a trouvé une maison proche La Charité, qu'elle vous prie de voir, je vous aurais laissée ce matin dans votre silence pour demeurer dans celui que je possède intérieurement.
Lundi, à votre sortie de notre chambre, je me trouvai toute renfermée dans Notre Seigneur, et j'y suis — ce me semble — restée, voire encore plus abîmée à la sainte communion que je fis hier. Et toute la journée se passa dans cette disposition où l'âme est si ume et liée à son Dieu qu'on dirait volontiers qu'elle n'a plus d'être ni de vie qu'en lui, étant pour lors impuissante de se pencher vers les créatures.
0 qu'il est bon à l'âme de demeurer perdue en Dieu !
0 que l'anéantissement est saint, qui fait des effets si divins Heureuse perte ! et mille fois heureuse l'âme qui se laisse toute anéantir !
J'ai vu Monsieur de Bernières qui était tout plein de grâces et de ferveur, et moi toute plongée dans le néant. Et plus je vois de grandes choses en ces âmes, plus je suis dans le silence et renfermée dans mon cher anéantissement, où je trouve Dieu caché dans la plénitude et sainteté de lui-même ; et, là, je goûte en silence ma petite félicité, sans que les créatures y aient de part.
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PRISE D'HABIT DE MADAME LA COMTESSE FONDATRICE
Il faut donc savoir que, dès l'année 1652, cette dame avait fait une expérience si convaincante du profit que son âme recevait de la conduite de notre Mère Prieure, qu'elle crut en devoir cette reconnaissance à Dieu, qui la lui avait envoyée, comme au jeune Tobie l'ange Raphaël, que de vouer de lui obéir [et désira lui vouer obéissance] pour se rendre plus fidèle à correspondre à cette grâce. Elle le fit donc, mais avec assez de résistance de la part de Notre Mère, qui ne voulut l'accepter qu'avec bien des conditions.
Et quelque temps après, elle lui donna en signe de plus grande liaison le scapulaire de St Benoit qu'elle a toujours porté depuis.
Cependant son âme s'avançant de jour en jour dans la perfection, elle se trouvait toujours plus désireuse du bien. Ce qui fit que, quelques années après, ayant ouï dire que dans l'Ordre de notre grand Patriarche, ils avaient accoutumé, pour reconnaître leurs signalés bienfaiteurs, de leur accorder la grâce de mourir dans l'Habit de l'Ordre ; mais — parce qu'on n'est guère, dans l'extrémité de mort, en état de le recevoir avec les cérémonies requises, — on le leur donnait pendant leur vie, pour ne s'en servir toutefois qu'à la mort, demeurant néanmoins participants à tous les biens de la Religion. Comme cela elle conçut un extrême désir de le recevoir, et le demanda instamment à Notre Mère.
Mais, bien que cette Mère ne désirât pas mieux que de lui témoigner sa reconnaissance en lui accordant cette grâce, néanmoins, comme c'est une fille fort prudente et qui n'entreprenait rien sans consulter Dieu auparavant, elle ne se laissa pas aller si vite à le lui permettre. Au contraire, elle fut la première à lui former de grandes difficultés là-dessus, soit pour lui en donner plus d'estime et de dévotion, ou soit encore par ce qu'en effet la chose en recevait de soi, [quelques difficultés] dont l'une était : qu'il fallait avoir le consentement des Supérieurs et de toutes les religieuses de la maison, et l'autre : celui de Monsieur le comte son mari.
Hélas, le bon seigneur ! Il ne faisait pas réflexion que par cette même action, il venait d'acquérir un rival puissant et jaloux, qui veut posséder les coeurs sans partage et sans compagnon, et que pour cela il lui en coûterait bientôt la vie ! car il est vrai qu'il mourut trois mois après, quoiqu'alors il se portât extrêmement bien.
Mais comme si, en effet, Dieu n'eût pu souffrir plus longtemps qu'il eût part à un coeur qui venait de lui être dédié, il lui envoya [1662] une maladie, au mois d'octobre suivant, qui l'enleva de ce monde le 6 novembre d'après ; sans doute pour aller jouir au ciel de la récompense que méritait ce dépouillement volontaire qu'il avait fait sur la terre, pour l'amour de Lui, de la possession entière de ce coeur qui lui appartenait par les droits du mariage ; et sa mort toute sainte et parfaitement tranquille, nous confirme dans cette croyance, puisque ce Dieu de magnificence n'a pas accoutumé de se laisser vaincre en libéralité par ses créatures. Et il ne faut point douter qu'il voulut bien se donner lui-même à celui qui lui avait comme cédé un autre soi-même.
Ce n'est pas que, d'ailleurs, [cette action] ne soit assez [autorisée] par des exemples tirés de la plus profonde antiquité, puisqu'elle a un parfait rapport au conseil que le grand Tertullien, dans son traité « de la Virginité et du célibat », donnait aux femmes mariées et à la sienne propre : de vouer chasteté au cas que son mari vint à mourir avant elles, afin — disait-il — que par ce voeu anticipé elles puissent jouir dans le mariage du mérite de la chasteté.
Mais nous parlerons encore de ces voeux, et cependant nous devons [dire ici] que, comme cette dame ne prenait l'Habit que pour pouvoir s'en revêtir à l'heure de la mort, il ne fut pas nécessaire qu'il en demeurât aucune marque sur elle que le scapulaire, qu'elle avait déjà sous sa robe, sinon qu'elle voulut ajouter la tunique de serge sous ses habits, pour coucher ainsi vêtue selon la Règle de Notre Père St Benoit, à quoi elle n'eut pas besoin du consentement du bon seigneur son mari, puisque déjà leur piété les avait séparés de lit il y avait assez longtemps, et fait vivre dans une manière toute sainte.
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DISCOURS DE LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE
A LA MÊME DAME COMTESSE EN LUI DONNANT L'HABIT
Ma chère Soeur,
Je sais votre dessein. Vous venez chercher Dieu, et désirez vous consacrer toute à lui par le voeu de victime que vous prétendez faire. Je connais les ardeurs de votre coeur, je sais ses désirs.
O ma chère Soeur ! que la grâce que Dieu vous prépare est bien plus grande que vous ne la sauriez concevoir ! Quoi ! vous recevoir
pour victime, et victime de sa Justice ! C'est l'état que son Fils unique a porté dans tout le cours de sa sainte vie, voire il l'a porté dès l'éternité dans le sein de son divin Père.
Et depuis la naissance du monde c'est cet Agneau sans macule qui a été immolé et occis en figure par tous les sacrifices de l'Ancienne Loi, et qu'il a consommés réellement en sa Personne dans tous les divers états de sa vie.
Il est mort dès sa conception, il meurt en naissant, il est mort dans tous les moments de sa vie. Bref : il est mort en mourant, et dans la divine Eucharistie il meurt à tous moments. Et cela pour la gloire de Dieu son Père et pour le salut de ses frères.
Et c'est votre obligation, ma très chère. Il ne faut pas aimer le voeu de victime pour sa grandeur et son excellence seulement, -
car l'esprit humain aime les choses relevées et extraordinaires, et souvent l'on en demeure là, — mais il faut passer à la pratique. Autrement c'est se moquer de Dieu, et il vaudrait beaucoup mieux ne point faire de voeux que les négliger après les avoir faits.
Oui, mes Soeurs, le voeu de victime demande une perfection consommée ; cela demanderait un discours fort étendu, mais le temps ne le permet pas.
Disons seulement deux mots de votre obligation de victime. Ma chère Soeur, je la trouve renfermée dans l'Evangile d'aujourd'hui,
où Notre Seigneur étant interrogé d'un docteur de la Loi de ce qu'il devait faire pour être sauvé, il lui répond qu'il faut aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, et le prochain comme soi-même. Voilà ce qu'il vous dit à présent, dans le désir que vous avez d'être parfaite.
Et pour cela, je vous annonce de sa part l'obligation que vous avez de mourir incessamment à toutes choses sans aucune réserve :
mourir à votre propre esprit et à ses raisonnements, curiosités, désirs de savoir, d'entendre, de voir ; mourir aux désirs de votre perfection
pour l'amour de vous-même, mourir à vos sens, à vos passions, à tous désirs d'être aimée, estimée, et le reste ! Ne prétendant plus dans la vie : ni plaisir, ni satisfaction, vivant dans le monde comme n'y
étant pas, et seulement pour la nécessité de votre condition qui vous y retient, mais que ce soit de corps seulement et que le coeur et l'affection soient tout à Dieu. Que vous portiez en tout et partout une disposition de mort qui ne doit avoir plus part au monde ni à soi-même, puisqu'elle est dévouée et consacrée à Dieu.
Je vous demande si un criminel que l'on mènerait au supplice garroté de chaînes, pourrait être capable de quelque plaisir ? et ce qu'il répondrait à une personne qui lui offrirait des honneurs, des plaisirs et des richesses ? Sans doute qu'il ne répondrait rien, sinon : il faut mourir, mon arrêt est prononcé.
Mes chères Soeurs, toutes autant que vous êtes ici qui portez un voile sur vos têtes, sachez qu'à même temps que vous avez fait voeu de victime du Saint Sacrement, l'on vous a prononcé arrêt de mort C'est une nécessité à la victime de mourir.
Que devrait donc répondre une Fille du Très Saint Sacrement à qui l'on présenterait des empires — si vous voulez — sinon : je suis morte et ne suis plus capable d'être touchée de vos offres.
Voyez une personne aux abois de la mort ! comme elle est incapable de prendre aucune satisfaction à tous les plaisirs de la vie ! O, point du tout ! elle ne songe qu'à rendre ses derniers soupirs avec son esprit à Dieu son Souverain juge, et ce serait hasarder son salut de s'occuper de quelque chose du monde dans ses derniers moments.
De même c'est un crime à une victime de désister de mourir incessamment et à tout. Si l'on lui fait quelque tort ou affront, elle doit dire : ce n'est pas la peine d'y songer, il faut mourir.
Mourez donc, ma chère Soeur, à toutes les lumières et raisonnements de votre esprit propre, aux attaches à votre sens, à vos dispositions. Il faut vous résoudre à n'avoir désormais autres lumières que les ténèbres, et demeurer en captivité, impuissance et pauvreté.
La seule foi nue sera votre flambeau. Voyez que Notre Seigneur Jésus-Christ a opéré ses plus grands mystères la nuit : sa sainte Conception a été à minuit, sa Nativité à même heure, notre divin Sacrement a été institué le soir. Bref il est mort sur la croix au milieu des ténèbres, ne voulant pas même dans son sacrifice avoir la joie de la lumière. Tout s'opère dans les ténèbres ! L'impuissance de la petitesse doit être votre partage ; vous devez être très petite à vos yeux et aux yeux du monde ; en un mot vous ne devez être rien, en tout.
Je vous le réitère, ma chère Soeur, le voeu de victime que vous allez promettre à Dieu demande une perfection consommée. C'est quelque chose de plus que faire voeu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. L'on peut encore, ayant fait ces voeux, se réserver quelque désir de sa perfection, de son éternité, etc... mais par le voeu de victime tout est immolé à Dieu. Non seulement nos corps, nos biens, nos volontés, nos actions et nos pensées, mais tout notre être sans réserve quelconque ; et cela dans la pure vue de Dieu seul, pour sa seule gloire et pour le salut de nos frères.
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Et c'est une seconde obligation en qualité de victime du Très Saint Sacrement. Il faut donc que vous ayez une charité parfaite pour votre prochain ; car de croire que vous aimerez Dieu parfaitement sans aimer, mais avec tendresse, votre prochain, c'est un abus.
Celui qui dit qu'il aime Dieu et n'aime point son frère, dit St Jean, c'est un menteur. Cela ne se peut ! L'amour de Dieu et du prochain est inséparable.
Voyez Jésus dans la divine Eucharistie s'immolant sans cesse à la gloire de Dieu son Père, et à [de] même pour le salut de ses frères. Dieu ne peut pas agréer nos sacrifices s'ils ne partent d'un coeur plein de charité pour nos frères. Aimez-les donc ; réparez pour eux devant Dieu, et surtout aimez et ayez de la tendresse pour toutes les religieuses de cette maison et pour toutes celles qui seront dans l'Institut.
Voyez l'obligation que vous avez à Notre Seigneur de vous avoir choisie pour son établissement ! Car bien qu'en quelque façon l'on vous en ait, pour l'affection avec laquelle vous y avez contribué de vos biens et de vos soins, je vous dis, ma chère Soeur, que vous en avez infiniment à sa bonté, qui, sans doute, a fait cette maison pour votre sanctification.
Vous savez que c'est le sentiment de quelque serviteur de Dieu. Et il aurait pu se servir d'une infinité d'autres pour son oeuvre, qui le méritaient mieux que vous, et qui feraient encore mieux à présent.
Cependant voilà, pour reconnaissance de vos bienfaits, que la Religion vous honore aujourd'hui du saint Habit du grand St Benoit. Grâce très grande, et extraordinaire faveur qui s'est faite aux Rois, qui l'ont reçu autrefois avec tant de vénération que, comme ils ne le pouvaient porter publiquement, à raison de leurs conditions qui les attachaient dans le gouvernement de leurs royaumes, il y en eut un qui enferma cet Habit précieux dans une cassette d'or, qu'il tenait sous le chevet de son lit, et ce bon Roi en portait la clé à son col, et il ordonna dans son testament que l'on l'enterrât dans ce saint Habit qu'il préférait à la pourpre et aux diadèmes.
Nous allons donc, ma chère Soeur, vous honorer de cette faveur. Recevez-la en esprit de mort. Cet Habit noir vous l'annonce, ce voile noir que nous vous mettrons sur le chef vous dit que vous êtes voilée, c'est à dire : cachée au monde et séparée du monde. Le bandeau vous dénote qu'il faut mettre un bandeau sur les yeux de votre esprit, pour condamner toutes ses curiosités, pour vous cacher à vous-même, en un mot pour ne rien voir que Dieu. En vous mettant le scapulaire vous endossez le joug du Seigneur, vous vous chargez de la sainte croix ; c'est pourquoi, lorsque nous nous habillons tous les jours nous le baisons pour marquer que nous acquiesçons et agréons toutes les croix dont il nous voudra honorer, et conduite des peines par lesquelles il lui plaira nous mener ; car, ma chère Soeur, vous n'êtes pas seulement victime d'amour pour recevoir de Dieu ses faveurs et consolations, — quoique les âmes qui sont menées par cette voie ont leurs croix, l'amour leur en fournit assez ! — mais vous êtes aussi victime de la divine Justice et ainsi destinée à la croix. La ceinture : c'est vos liens qui vous captivent comme criminelle, ou bien : qui ceint vos reins pour marquer que vous ne devez plus avoir de part à la terre.
Mettez-vous donc en état de recevoir cette grâce et priez la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous obtienne de son cher Fils les dispositions d'une véritable victime.
MORT DE MONSIEUR LE COMTE DE CHASTEAUVIEUX,
FONDATEUR (5)
Ce vertueux seigneur était extrêmement sujet à la goutte et à la colique néphrétique, et il était peu d'années qu'il n'en fût extrêmement travaillé. Cependant presque toute l'année 1662 se passa sans qu'il en eût eu, que de très légères atteintes. Mais au mois d'octobre de cette même année, la fièvre double tierce le prit, et de double tierce après cela elle se changea en tierce, puis en quarte, double quarte, triple quarte, et à la fin en continue.
Depuis qu'il connaissait notre Révérende Mère Prieure, c'est à dire depuis qu'il avait eu connaissance particulière de son mérite et de sa vertu par sa fréquentation, il avait conçu tant d'estime pour elle, et tant de confiance dans ses prières, qu'il lui arrivait très souvent de dire qu'il demandait ardemment à Dieu cette consolation qu'elle lui pût fermer les yeux à sa mort.
Dieu, qui accomplit volontiers les désirs de ceux qui l'aiment, lui accorda ses souhaits, contre toute apparence du monde ; car enfin, il semblait que c'était rêverie d'espérer qu'une religieuse cloîtrée pût sortir de sa clôture rien que pour aller assister une personne à la mort, puisque ce n'est pas affaire aux femmes, moins aux religieuses qui ne doivent jamais sortir de leur cloître, mais aux pasteurs de l'Eglise, d'assister en ce passage.
Toutefois la chose arriva ainsi, et elle lui ferma les yeux, sans violer aucun de tous ses devoirs, tant la conduite de l'esprit de Dieu est sage, suave et douce.
Ce bon Monsieur renouvelant son désir quand il vit sa maladie si opiniâtre qu'au lieu de s'amender les remèdes l'aigrissaient, — et ce pendant ses forces se diminuaient, — employa fortement son crédit auprès du Père Prieur de l'Abbaye St Germain, notre supérieur, pour
(5) L'orthographe actuellement reçue est : Châteauvieux, mais les manuscrits anciens portent Chasteauvieux.
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obtenir cette grâce : qu'elle vienne le voir ; mais ce fut toujours en vain, ce bon Père se choquant seulement bien fort de la simple proposition, quoique d'ailleurs il eût désiré avec passion de lui plaire en toutes choses, en reconnaissance des grands bienfaits qu'il avait faits à cette maison, qui ne lui étaient pas inconnus.
Mais, outre que cela était absolument contre l'ordre, il craignait la conséquence. Toutefois, heureusement, pendant qu'on pressait ainsi, il s'alla ressouvenir que, quelques temps auparavant, on nous avait demandées à lui pour aller établir à St Germain en Laye.
Si bien que, ne désirant pas mieux que de pouvoir faire plaisir à ce comte sans blesser sa conscience, il envoya dire à notre Révérende Mère qu'elle prit cette occasion de sortir pour aller voir cette maison avec quelques unes de ses religieuses, et qu'elle allât voir en passant le malade, pour lui donner la satisfaction qu'il souhaitait.
Elle sortit donc, accompagnée de 3 de ses religieuses, le dimanche 5ème de novembre. Et ce fut si à propos, par un ordre de Providence, que ce fut la veille de la mort de ce seigneur, contre l'opinion toutefois des médecins, et de Madame la comtesse même, car bien qu'ils l'estimassent être en danger, pourtant ils ne croyaient point que ce fût pour mourir si tôt, et pensaient que tout au moins, il avait encore huit ou dix jours à vivre.
Notre Révérende Mère s'en alla donc premièrement chez lui, devant que de partir pour St Germain, et il était averti qu'elle était prête à sortir. Il voulut que Madame la comtesse sa femme la vienne prendre elle-même dans son carosse, au monastère, pour l'amener, se préparant de son côté à la recevoir avec des prévoyances admirables pour empêcher qu'il ne fût interrompu dans l'entretien qu'il se proposait d'avoir avec elle ; ayant ordonné pour cela que personne du monde n'entrât dans sa chambre dans ce temps-là, non pas même Madame la duchesse de la Vieuville sa fille unique, — qui était presque incessamment auprès de lui pour lui rendre ses services, — qu'il fit occuper ailleurs, afin que, sans qu'elle s'en aperçut, elle ne vint point l'interrompre.
Tout cela se fit ainsi, et ce premier entretien ne dura guère moins de deux heures, à la sortie duquel il parut aussi consolé, content et satisfait qu'il parut empressé à son abord ; témoignant sa confiance et son estime au dessus même de toute la tendresse qu'il pouvait avoir pour Madame sa femme et Madame sa fille.
Et de chez lui, ce même jour, notre Révérende Mère fût coucher à St Germain, où le peu d'apparence qu'elle trouva à l'établissement proposé nous a fait voir depuis que cette proposition n'était qu'un moyen que la Providence avait disposé de loin, pour donner satisfaction à son très dévot serviteur, car cette maison ne s'est point faite.
Et le lendemain, notre Révérende Mère s'en revenant à Paris, retourna voir son malade, et le trouva fort empiré, en façon qu'il
n'était plus en état de l'entretenir. Si bien que, si elle ne lui eût parlé le jour de devant, sa sortie lui eût été inutile. C'est ce qui fait bien connaître que Dieu avait conduit cette sortie et ménagé jusqu'au moment pour la consolation de ce comte.
Il parlait pourtant encore, mais peu ; mais il entendait et voyait fort bien, et il jetait souvent ses regards sur notre Révérende Mère Prieure qui demeurait debout au pied de son lit, sans s'avancer, que rarement, pour lui parler, par respect qu'elle portait à un évêque qui était là présent, et à Monsieur le curé de la paroisse qui l'assistait.
Pourtant, elle sollicita si puissamment, qu'à la fin il reçut l'Extrême-onction qu'elle lui avait conseillée à sa première visite de demander, et qu'en effet il avait demandée. Mais les médecins ne voulaient pas permettre qu'on la lui apportât, sur ce qu'ils soutenaient qu'il n'en n'était pas encore temps. Mais à la fin il la reçut : ce fut sur les 5 heures du soir, et à 7 heures il mourut, après avoir fait avec une dévotion merveilleuse tous les actes de foi, d'espérance et d'amour de Dieu, de pardon des ennemis, (voilà ce que l'on pouvait désirer d'un parfait chrétien !) sans jamais avoir voulu demander, ni consentir que l'on demandât à Dieu pour lui la vie ni la santé, mais seulement et uniquement l'accomplissement de son bon plaisir.
Et il expira si doucement que son visage ne se changea point du tout, en sorte que pour connaître si c'était qu'il sommeillait, ou bien s'il était passé, il fut nécessaire d'avoir recours à un miroir qu'on lui mit contre la bouche, comme on a accoutumé de faire en pareilles occasions, et alors l'on connut qu'il était mort.
Même au bout de deux ou trois heures, son visage redevint si vivant et coloré, avec un certain air doux et dévot si extraordinaire que tous ceux qui le virent en entrèrent en admiration, et on envoya quérir un peintre pour le tirer, pour la consolation de sa veuve.
Et bien que son corps fût ouvert pour en avoir le coeur, (qu'il avait donné céans pour être mis de notre côté), cette beauté de visage ne se changea pas, — ce qu'il eût pourtant dû faire selon sa maladie, — car on lui trouva un abcès au foie et toutes les entrailles gangrenées de l'humeur de la goutte remontée.
Aussi les saintes dispositions dans lesquelles il mourut, ajoutées à sa très vertueuse vie, nous donnent tout sujet de croire que cet air tout céleste était une marque visible de la gloire invisible dont son âme jouissait déjà ; et que Dieu avait bien daigné remplir la confiance dans laquelle il paraissait dans ses dernières années, qu'il lui ferait miséricorde en considération de la maison du Saint Sacrement.
Mais il ne faut pas priver ceux qui liront ces mémoires de l'édification qu'ils peuvent tirer de ses saintes dispositions, et de l'utilité que chacun en peut recevoir. C'est pourquoi nous allons mettre ici au long, ce que notre Révérende Mère Prieure en écrivit pour l'instruction de celui qui fit l'oraison funèbre.
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Aussi personne n'en pouvait savoir tant de particularités qu'elle, puisque c'était elle qui les lui avaient inspirées ; et depuis qu'elle l'eût fait, on le voyait fréquemment jeter les yeux sur un crucifix qu'on lui avait attaché au pied de son lit et proférer doucement cette parole : AMEN. Ou bien, quand il ne pouvait pas la prononcer et que Madame la comtesse l'en faisait ressouvenir, comme il l'en avait priée, il le faisait par des oeillades amoureuses sur ce même crucifix.
Dans ce même écrit il est encore dit quelque unes de ses vertus.
LETTRE DE NOTRE MÈRE PRIEURE
Monsieur,
Je m'oubliais hier de vous dire que feu Monsieur le comte de Châteauvieux n'ayant pu recevoir, le dernier jour de sa vie, le Très Saint Sacrement en viatique, à cause d'un hoquet et vomissement continuels, il témoigna sa foi, son amour et son respect vers ce divin Mystère, disant qu'il aimait mieux se priver de la consolation de le recevoir que de profaner son Dieu.
Il a donné souventes fois des marques de cette vertu de foi et de respect, ne voulant jamais entrer dans le sanctuaire de notre église, quoiqu'il fût notre Fondateur, et donnant par là un exemple à tous les peuples, de sa retenue et du respect et vénération qu'on doit envers cet auguste Sacrement, n'en approchant pas témérairement, comme font plusieurs, qui par outrecuidance entrent jusqu'au pied des autels sans crainte et sans tremblement à l'aspect de ce redoutable Mystère.
On peut dire qu'il a signalé encore sa dévotion envers ce divin Sacrement par son assiduité incomparable, dont nous avons été les témoins oculaires, ne manquant jamais, s'il n'était malade, de lui venir rendre tous les Jeudis de l'année et Fêtes solennelles, où il est exposé dans notre église, les hommages et adorations avec une édification publique.
Quant à l'Institut de ce monastère, duquel ce bon Monsieur était Fondateur, il suffit de vous dire sommairement que l'unique motif qui lui a fait établir cet ouvrage est le désir de réparer, autant qu'il est au pouvoir de sa créature, les irrévérences, impiétés, sacrilèges et profanations qui se font incessamment contre l'honneur dû au Très Saint Sacrement de l'autel. Ce qui nous oblige, suivant le voeu qui en a été fait et qui a donné commencement à cette oeuvre, d'être jour et nuit en sa sainte présence, en qualité de ses victimes, lui faisant amende honorable pour tous les déshonneurs qu'il reçoit, [et] conti nuant toutes les autres actions de la journée dans ces mêmes motifs de religion vers Jésus-Christ anéanti dans ce divin Mystère.
J'ajoute que feu Monsieur le comte avait une affection si ardente pour cette oeuvre que, ne pouvant contenir son zèle pour cette seule maison, il souhaitait ardemment de la voir multipliée. On peut dire qu'il est mort dans ce désir, et qu'il témoignait une merveilleuse joie quand la divine Providence faisait quelque augmentation de biens et de sujets. Il semble qu'il ait laissé comme par succession ce même esprit aux personnes qui lui appartenaient, ayant hérité quelque chose du zèle qui l'animait vers la divine Eucharistie.
Durant sa dernière maladie dont il est mort, il élevait quasi incessamment ses yeux et son coeur sur l'image d'un crucifix qu'il avait fait mettre au pied de son lit, lui disant d'un coeur pénétré : « O mon Sauveur ! O mon Sauveur ! » réitérant par forme d'aspiration souventes fois ces deux mots avec un esprit de confiance et de retour à Jésus-Christ.
Lui ayant plusieurs fois demandé s'il désirait qu'on fit instance à Dieu pour obtenir sa santé, il a toujours dit que non, et qu'il préférait la volonté de Dieu à toutes choses, et même à sa propre vie ; mais qu'il suppliait ardemment qu'on pria Dieu qu'il n'entra point en jugement contre son serviteur. Il a dit plusieurs fois qu'il aimait mieux mourir plutôt que de continuer une vie qui ne glorifierait point Dieu. Une de ses plus grandes peines était de ne point pouvoir tenir son esprit élevé à Dieu incessamment.
Il n'a jamais manqué de faire faire les prières du soir à tous ses domestiques, même dans sa dernière maladie, voulant qu'elles se fissent dans sa chambre en sa présence, répondant aux Litanies et autres dévotions. Il y fut encore appliqué très dévotement la veille de sa mort.
Il proférait souventes fois, durant sa dernière maladie, ce mot mystérieux que les vieillards de l'Apocalypse prononçaient avec tant d'anéantissement : AMEN. Prétendant par ce beau mot consentir et acquiescer à tous les desseins de Dieu sur son âme, sur son être, et sur tout ce qui lui appartenait ; d'entrer en union à toutes les adorations, amour, foi, vertus, qui se pratiquent dans l'Eglise militante et triomphante.
Il s'unissait par ces paroles aux louanges qu'on donne par toute la terre au Très Saint Sacrement et à tous les actes de religion qui se font et qu'il est possible de faire par les hommes, les anges et les saints.
Il entrait en société avec tout ce que l'Eglise fait, souffre, pour Dieu, et par ce mot il consentait que Dieu l'anéantisse par la mort, qu'il fit de lui selon son bon plaisir, prétendant n'avoir point d'autre volonté que la sienne, à laquelle il s'immolait du meilleur de son coeur.
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Durant sa vie il avait grand soin que le pauvre, la veuve et l'orphelin ne fussent point oppressés étant sur ses terres. Il y apportait un soin si grand qu'il se fâchait contre Madame sa femme quand elle les faisait attendre et qu'elle ne les expédiait [recevait] pas promptement.
Il avait un talent particulier pour réconcilier les différends c'était son grand emploi —, et de solliciter pour les personnes qui étaient mal traitées en justice et qui manquaient de connaissance et d'appui.
Il ne manquait jamais d'entendre la sainte Messe tous les jours, s'il n'était alité par maladie. Ce bon Monsieur disait pendant sa vie, qu'il faisait son capital de la maison du Saint Sacrement, y ayant une parfaite confiance, disant toujours qu'il espérait obtenir son salut par les prières, pénitences et autres bonnes oeuvres que l'on faisait dans l'Institut du Saint Sacrement.
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Nous devons encore ajouter à ce qui vient d'être dit que ce bon seigneur avait un zèle si pur pour Dieu qu'il ne voulut jamais consentir qu'une soeur qu'il avait, de l'Ordre de St Benoit ; (laquelle ne vivant pas contente dans son monastère pour quelque cause très juste, désirait de se mettre en pension dans un autre monastère de l'Ordre), il ne voulut jamais, dis-je, consentir qu'elle vienne à celui-ci ; à cause qu'il voyait bien que notre Mère Prieure lui voudrait céder la supériorité à sa considération ; ou bien avoir des déférences pour elle, qu'il croyait pouvoir altérer la régularité de la maison. Si bien qu'il fut du tout impossible de le vaincre là-dessus. Il s'en trouve peu dans un si grand désintéressement !
Son heureuse mort donc, étant arrivée le 6ème de novembre 1662, à 7 heures du soir, à la soixante et onzième année de son âge, sa désolée veuve passa la nuit dans la maison ; pour donner air aux premiers mouvements de sa violente douleur, car cette mort l'avait tout à fait surprise et notre Mère Prieure avec les religieuses qui étaient avec elle n'eurent garde de la quitter dans ce déplorable état.
Mais dès le lendemain, à dix heures du matin, avant que le corps fut enlevé pour être porté en terre, elle voulut courageusement le devancer et venir elle-même s'ensevelir toute vivante dans la maison du Saint Sacrement où il devait être enterré, la choisissant pour sa demeure pour le reste de ses jours, sans avoir aucun égard en ce rencontre à ses intérêts temporels qui ne pouvaient que recevoir du préjudice de quitter ainsi sa maison dans une conjoncture de cette importance.
Comme cela notre Mère Prieure s'en revint emportant une double dépouille sur le monde, puisqu'elle amena avec elle la veuve pour se dédier à Dieu, après avoir mis le mari dans le ciel.
Et le jeudi, sur le soir, aux flambeaux, après que le corps eût demeuré exposé tout le jour à sa paroisse, il fut apporté céans avec une magnificence digne de sa qualité et du respect et amour que Madame sa femme avait pour lui, laquelle avait donné ordre qu'on n'épargna rien pour cela.
Et fut inhumé dans le caveau de sa chapelle qui est vis à vis de notre choeur ; et son coeur fut mis de notre côté, sous les pieds de la statue de la Ste Vierge où il repose à présent ; ce convoi ayant été suivi d'une harangue funèbre par un des premiers prédicateurs du temps.
Deux jours après, Madame la comtesse, sa veuve, voulant se consacrer à Dieu encore plus particulièrement qu'elle n'avait fait pendant la vie de Monsieur son mari, car il était assez malaisé — quelque détachement de coeur qu'elle s'étudia d'avoir — elle eut encore bien de l'attache à sa personne, qui la retenait de s'élever si purement au ciel, prononça ses voeux de Victime et d'obéissance à notre Révérende Mère [Prieure], auxquels elle ajouta celui de chasteté perpétuelle.
Et cela se passa de la même sorte, avec les mêmes cérémonies que la première fois, sinon qu'elle fut revêtue d'une façon d'Habit fort approchant du nôtre, lequel elle n'a pas quitté depuis, n'en étant différent qu'en ce qu'elle n'a pas de scapulaire, ni de bandeau, mais elle est voilée de deux voiles comme nous.
Nous disons que la cérémome de cette vêture se passa comme la première fois. Nous avons été contraintes de ranger ce petit évènement ici, afin d'unir vêture et profession.
Pour en revenir à notre nouvelle religieuse nous pouvons dire que si elle ne prononça pas lors de bouche le voeu de pauvreté avec les trois autres, elle l'avait par effet auparavant, en se dépouillant le même mois de son entrée parmi nous, d'une partie très considérable de ses biens, par le don qu'elle nous fit d'une somme de trente trois mille livres en deniers comptant ou contrats de constitution de rentes, (outre tout ce qu'elle nous avait déjà donné), remettant cette somme entre les mains de notre Révérende Mère [Prieure] pour être employée, non plus comme les autres, pour la maison de Paris, mais où elle se trouverait inspirée de l'appliquer, à l'augmentation de l'Institut de l'Adoration perpétuelle, suivant le premier mouvement qu'elle eût lorsqu'elle nous vint apporter ces 12.000 francs dont nous avons parlé ailleurs ; lui semblant — à ce qu'elle dit encore présent — que ce zèle ardent qu'elle avait au commencement pour notre établissement de Paris se trouvait changé et étendu, de sorte qu'elle ne pouvait plus du tout s'arrêter sur cette seule maison, mais était doucement forcée lui laisser prendre un plus grand essor, qui revenait toujours plus approchant aux desseins de la Congrégation, comme nous voyons bien à présent.
Et bientôt après qu'elle nous eût fait ce nouveau don, l'on nous demanda à Rouen pour y aller établir ; parce que Monsieur de Saint
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Vincent, père de notre Soeur Thérèse de Jésus, promettait de nous y aider aussi très considérablement.
Et il y avait lieu de croire que, joignant ce qu'il voulait donner aux 24.000 livres que l'on y destina, des 33.000 que Madame la comtesse venait de donner, cet établissement serait fort avantageux. Aussi travailla-t-on incessamment d'en obtenir les Lettres Patentes, et la Reine Mère, notre Protectrice nous les fit accorder les plus authentiques qui se puissent. Elles [sont] du mois de juillet 1663, qualifiant la maison qui s'allait faire de Fondation royale, pour qu'en suite elle put jouir de toutes exemptions, privilèges, immunités, honneurs et prérogatives qui sont attribuées à telles sortes de Fondations.
Et ces Lettres furent présentées au Parlement de Rouen, où nous eûmes d'abord les conclusions favorables de Messieurs les Gens du Roi, du mois de juillet 1664. La permission de Monseigneur l'Archevêque de la même ville ayant précédé : du 30ème mars 1663.
Ainsi notre Révérende Mère Prieure crut y devoir aller elle-même pour y mettre la dernière main et choisir une maison, l'affaire paraissant si proche de sa conclusion ; mais avec tout cela cette Fondation n'a pas réussi jusqu'ici, étant demeurée en cet état par un ordre de Providence dont nous ignorons encore la cause, car selon l'humain tout était parfaitement disposé et nous ne pouvions rien faire de mieux.
Aussitôt après cette fondation de Rouen, il en fut proposé une pour la ville de St Dié (6), en Lorraine, où Mad. L'Huillier, soeur de notre digne Mère, faisait sa demeure ordinaire, à cause que la plus grande partie de ses biens en sont tout autour ; et elle avait promis de donner pour cela des héritages considérables.
Là-dessus les Lettres Patentes de Son Altesse de Lorraine nous furent expédiées avec toutes les autres permissions et consentements nécessaires ; même, deux de nos religieuses y furent envoyées pour voir de près tous les accommodements qu'on y offrait, et examiner si ils seraient suffisants pour nos besoins.
Mais la mort de cette très vertueuse dame, arrivée là-dessus, rompit ce dessein.
Ce n'est pas que, depuis sa mort, Monsieur de Vienville son beau-fils n'ait offert de donner lui-même une seigneurie en toute justice, consistant en fort bon droit, de laquelle il envoya ici la donation signée pour montrer que son offre était bien effective et qu'il y avait plus que du compliment. Mais, la rudesse du lieu, — qui est dans les montagnes des Vosges —, et la considération de l'éloignement de tout commerce et de toutes commodités nous avait déjà assez dégoûtées, en sorte qu'il n'y avait que le seul respect de cette très bonne Dame défunte, unique soeur de notre très digne Mère,
qui nous balançât encore. Mais sa mort faisant cesser cette considération, nous n'y voulûmes plus penser.
Cependant cette Fondation, avec celle de Rouen, nous servirent d'entrée en cour de Rome pour demander l'érection de la Congrégation, car, bien que ces deux maisons ne fussent pas effectivement accomplies — en ce qu'il n'y avait point de religieuses actuellement résidentes sur les lieux ni qui eussent pris possession d'un monastère, — toutefois il ne laissait pas de sembler, par les contrats de Fondation et par les Lettres Patentes, que le tout était consommé ; et comme on espérait encore d'effectuer celle de Rouen, nous crûmes qu'il n'était que bon d'avancer cependant le plus que l'on pourrait l'affaire de la Congrégation à Rome, si bien que ces deux maisons, avec celle ici de Paris, faisaient nombre de trois, qui était requis pour commencer la Congrégation (7).
(6) Pièces concernant cette tentative d'établissement aux Archives du département des Vosges, Epinal, liasse : 40 H.
(7) En annexe XXVI : lettre à la Reine Anne d'Autriche, p. 323.
CINQUIÈME PARTIE
LES FONDATIONS
1663-1670
LES FONDATIONS. 1663-1670
REMARQUE
Nous allons voir le progrès de l'Institut en la fondation d'une maison dans la ville de Toul, en l'union et agrégation de celles de Remberviller, et de Notre Dame de la Consolation de Nancy, à notre même Institut, et enfin en l'érection de nos quatre maisons en corps de Congrégation, sous le titre de : l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, faite par la Bulle d'érection de Notre Saint Père le Pape, et précédée par celle d'un Légat Apostolique, par laquelle nos Constitutions, tant du Régime que de tout l'Ordre, sont approuvées ; le tout accompagné d'autres choses fort remarquables.
Et ce progrès si surprenant renouvelant nos admirations, nous fait dire que la figure que l'Ecriture Sainte propose de la grandeur à laquelle devait être élevée la Reine Esther, — de cette petite source qui devient un très grand fleuve, — ne convient guère moins bien au sujet que nous avons à traiter qu'à cette Reine, puisque notre Congrégation a été comme cela dans ses commencements : une très petite source, de laquelle aussi, à la suite, s'est ensuivi un succès assez considérable pour le comparer à un fleuve.
Car si, dans son origine, cette grande Reine n'était qu'une pauvre fille juive, amenée captive en Assyrie pendant les guerres qui désolaient sa nation, et, qu'en son progrès, elle devient la Reine du pays même où elle était en captivité, notre Congrégation pareillement, dans le sien, n'était qu'une troupe de cinq ou six pauvres religieuses étrangères du royaume, chassées aussi de leur pays par les malheurs des guerres, et réfugiées dans Paris, mais dans une sorte de refuge que nous pouvons bien nommer : captivité, eu égard à la dépendance dans laquelle la pauvreté extrême qui les accablait les tenait au respect de tout le monde. Et enfin, dans son progrès nous la voyons aussi s'accroître par l'établissement d'une maison très florissante dans cette même ville de Paris où ces réfugiées avaient vécu en si grand dénuement.
Et nous voyons encore que ces trois autres maisons que nous venons de nommer se sont unies et agrégées à elle pour former ce corps de Congrégation, avec cette circonstance considérable que,
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contre la nature des choses, ce fleuve a remonté contre sa source pour la grossir. ! Je veux dire que notre maison de Paris a donné l'Institut à celle de Remberviller, de laquelle elle tire sa première origine, puisqu'elle nous a donné l'Institutrice.
Et nous voyons aussi [que] cette Institutrice, qui nous a paru dans la première partie si dépourvue de biens, d'amis et de protection pour parvenir à quelque chose, a si avantageusement réussi qu'elle se trouve, en temps bien court auprès du progrès qu'elle a fait, avoir plusieurs maisons de son Institut sous sa conduite, être estimée des Souverains Pontifes, de leurs Légats, et de plusieurs Cardinaux, protégée et aidée avec empressement par des reines et des princesses souveraines, en sorte qu'il y a eu de l'émulation entre elles à qui lui rendrait service en cette affaire.
Et le tout s'est fait dans des conjonctures les plus contraires du monde à ce dessein : soit des rigoureux édits que le Roi a fait publier contre les Corps Religieux pour en empêcher la multiplication et l'augmentation, soit encore, qu'outre les premières guerres qui nous ont amené en France cette digne Mère, et comme cela se peut dire : avoir produit l'Institut, c'est qu'elle ne fut pas plus tôt partie de Paris cette dernière fois pour Nancy, tout étant en bonne paix lors de son départ, que le Roi déclara la guerre à Son Altesse de Lorraine pour lui faire mettre bas les armes qu'il avait prises contre le Palatin du Rhin.
Mais tout cela se vit pacifié d'une manière qu'il semblât que la divine Majesté n'avait pris plaisir de permettre tous ces troubles, que pour faire de nouveau triompher son Sacrement de toutes les puissances du monde et de l'enfer, après les avoir tant de fois terrassées depuis qu'elles s'étaient opposées à la naissance de l'Institut, ayant en tout cela procédé par des moyens ou des temps les plus contraires aux temps et aux moyens communs et ordinaires du monde, afin de confondre la prudence humaine, et par là, faire connaître que c'est ici véritablement son oeuvre.
Mais si nous voyons à cette digne Mère de l'éclat dans ce Royaume, nous ne lui en verrons pas moins en Lorraine, son pays natal, d'où elle est appelée pour rétablir le premier et plus considérable monastère de filles de cet Etat, dans la ville capitale du pays. C'est l'Abbaye Notre Dame de la Consolation, de Nancy, qui, dans ses commencements était accompagnée d'une grande splendeur, parce que c'était Madame Catherine de Lorraine, Abbesse de Remiremont, tante de Son Altesse de Lorraine (1), qui l'avait fondée et y faisait sa demeure ; que nous pouvons dire avec vérité que les religieuses de notre monastère de Remberviller eussent à peine osé se mêler avec elles ! Du moins eussent-elles reçu pour un honneur tout à fait grand d'être seulement regardées de cette princesse Abbesse.
(1) Mme Douairière Duchesse d'Orléans était Altesse Royale par son mariage avec Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. Soeur du Duc Charles IV de Lorraine, elle était la nièce de Mme Catherine de Lorraine.
Cependant, de cette maison de Remberviller est sortie cette petite religieuse — petite, eu égard à la grandeur de celle à qui elle va succéder —, par laquelle l'ouvrage d'une si illustre princesse est redressé. Ainsi, ce que la grandeur et la puissance mondaine n'a pu achever, la petitesse et la faiblesse le vont faire. Et pourquoi ? Parce que Dieu [agit] particulièrement avec les petits et triomphe de la fastueuse grandeur du monde par l'infirmité.
Et pour signaler de tous points cet emploi, c'est Son Altesse Royale Madame Douairière, soeur de ce duc et nièce de cette illustre Abbesse qui l'y envoie, et c'est ce même Prince souverain du pays qui l'y appelle ; et regardant l'un et l'autre comme une grâce qu'elle ait voulu y aller, après plusieurs années qu'ils l'en ont sollicitée sans qu'elle ait pensé s'y résoudre, tant elle a de répugnance à l'élévation et à paraître dans le monde.
Mais à la fin elle y va, de façon que nous la verrons retourner dans sa patrie d'une manière bien différente de celle dont elle en sortit la première fois pour s'envenir à St Mihiel ; puisqu'alors [nulle] âme du monde ne s'aperçut de sa sortie, tant elle était inconnue et cachée par la mauvaise fortune ; et qu'à présent il n'est pas depuis le Souverain jusqu'au moindre de ses sujets qui ne sache son retour, tant il fait de bruit et reçoit d'applaudissements.
Que faut-il dire à cela ? Sinon que ce sont de ces sortes de renversements qui n'appartiennent qu'à la dextre du Très Haut, qui dépose quand il lui plait les puissances de leurs sièges pour y établir les humbles ; qui élève les pauvres de la poussière pour les faire asseoir avec les princes, et qui détruit les choses qui sont, par celles qui ne sont point ; ce qui ne peut convenir qu'à un Dieu.
Mais nous ferons mieux d'entrer en matière par le récit des choses, que de tenir davantage le lecteur sur ce discours, parce qu'il lui sera bien plus agréable de voir les évènements que nous lui promettons, que de s'arrêter si longtemps sur la vue de l'échantillon que nous lui en montrons ici.
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MÉMOIRE DE LA NAISSANCE DE L'INSTITUT
DE L'ADORATION PERPÉTUELLE
DU TRÈS ST SACREMENT DE L'AUTEL,
ET DE L'ÉTABLISSEMENT
DE LA MAISON DANS LA VILLE DE TOUL -1664-
Depuis que l'établissement de Paris fut fait, notre Révérende Mère Supérieure ne songea plus qu'au moyen de le maintenir. Et pour cela elle vit bien qu'il n'y avait rien de meilleur que d'en faire d'autres maisons qui s'agrégeassent à celle-ci ; car elle jugeait assez qu'il était à craindre que les monastères n'étant pas unis, et n'agissant pas d'intelligence, il dépendrait absolument d'une Supérieure de maintenir l'Adoration perpétuelle ; et que, s'il en venait quelqu'une moins fervente elle ne laissât éteindre cette dévotion, à cause de la sujétion qu'il y a, qui demande une ferveur qui ne soit pas commune. Mais que s'il y avait plusieurs maisons congrégées, il ne se trouverait pas de Supérieure qui osât rien altérer, ou du moins, y pourrait-on remédier bientôt, en la changeant et mettant une autre à la place, outre [que] en plusieurs, il serait moralement impossible qu'il n'y eût toujours quelque religieuse de l'Institut en adoration devant le Saint Sacrement, en sorte que la fin pour laquelle l'Institut a été fait ne manquerait jamais d'avoir son accomplissement.
Toutefois elle ne s'en déclarait à personne, ayant porté plus de 2 ans devant Dieu cette pensée, attendant toujours, à son ordinaire, que la Providence lui ouvrit les moyens d'en parler et de connaître si c'était sa volonté, pour ne rien faire par son propre esprit.
A la fin Dieu permit que le Révérend Père Dom Ignace Philibert (2), un vrai saint, Prieur de l'Abbaye Saint Germain, la fut voir un jour, plein des mêmes pensées pour les lui communiquer, — ce fut en 1662 —, ignorant jusque là ce qui se passait en elle, et l'ayant appris de sa bouche avec bien du plaisir.
(2) Lorrain, né à Hermeville, diocèse de Verdun en 1602. Il fit profession au monastère de Saint-Vanne le 13 avril 1621. Il est maître des Novices, puis Grand Prieur. En 1630, il est envoyé à Saint-Martin-des-Champs de Paris de l'Ordre de Cluny poury mettre la réforme. Nommé abbé de Saint-Vincent du Mans, puis Prieur de Saint-Denis de 1651 à 1657, enfin de Saint-Germain-des-Prés en 1660 et 1663. Il meurt le let septembre 1667. Dom Martène dit qui« il fut l'un des plus grands supérieurs de la Congrégation et auquel il n'a manqué que d'être français pour devenir général ». Dom Martène, La Vie des Justes, édité par Dom Heurtebise, 1924, t. I, p. 113 et suiv. — Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, op. cit.
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D'autre part il se rencontrait que Madame la comtesse de Château-vieux, notre Fondatrice, était allée, 7 ou 8 mois auparavant, porter à notre Révérende Mère Prieure une somme de 12.000 livres pour employer comme il lui plairait à l'augmentation de la gloire du St Sacrement ; témoignant néanmoins qu'elle serait bien aise que ce fut pour commencer une nouvelle maison hors Paris, car Dieu lui donnait déjà un certain instinct, fort rapportant, aux pensées de notre digne Mère, — sans qu'elle eût rien connu non plus de ce qui se passait dans son esprit —, d'où venait qu'au lieu d'avoir, comme auparavant, tout son zèle et son ardeur arrêtés sur cette première maison, en façon que, qui eût prétendu lors, de lui proposer autre chose il n'aurait pas été le bienvenu, son coeur se trouvait plus élargi, et lui faisait déjà embrasser en esprit avec cette maison plusieurs autres qu'elle voyait qui se pourraient faire. Et là-dessus, notre Révérende Mère et toute la communauté de Paris avait passé avec elle des articles qui tendaient, dès lors, comme l'on verra, à faire une Congrégation ; et cette dame leur avait dès ce temps-là compté et délivré cette somme de 12.000 livres.
Si bien que ces deux évènements si considérables et si imprévus touchèrent grandement notre digne Mère, ne lui laissant plus lieu de douter que c'était la volonté de Dieu qu'elle travaillât à cette oeuvre, puisqu'il s'en expliquait si clairement et même efficacement au spirituel et au temporel, et par des voies si légitimes puisque c'était par la bouche du Supérieur. Aussi elle pria ce bon Père, à la seconde visite qu'elle en reçut, qu'il voulut donc s'appliquer à lui aider en cette entreprise, et qu'à cet effet il lui plût d'assembler assez bon nombre de Docteurs et gens d'expérience pour, avec lui, digérer la chose à loisir et lui prescrire comme elle aurait à s'y conduire.
Il le fit, en ayant assemblé jusqu'à douze, lui compris, tous gens de mérite, d'expérience et piété, entre lesquels nous nommerons : le Très Révérend Père Dom Audebert (3), général de la Congrégation, le Révérend Père Brachet (4), son compagnon, Monsieur l'abbé de
(3) Né à Bellac dans le Limousin en 1600, il entra tout jeune dans la congrégation de Saint-Maur et fit profession à 20 ans, en 1620, au monastère de Nouaillé. Après avoir rempli de nombreuses charges en divers monastères, il est nommé en 1645 prieur de Saint-Denys ; en 1648 assistant du très révérend père général Dom Jean Harel, en 1654 prieur de Saint-Germain-des-Prés, en 1660 général de la congrégation, charge qu'il exerça onze ans. Il encouragea Dom Claude Martin (le fils de la Vénérable Marie-de-l'Incarnation, l'Ursuline de Québec) à écrire des méditations sur les dimanches et fêtes, ainsi qu'une « Pratique de la Règle de saint Benoît ». Homme de pénitence et d'oraison, c'était aussi un homme de gouvernement. Presque aveugle, il fut déchargé de la direction de sa congrégation en 1672, mais demeura à Saint-Germain-des-Prés à la demande de son successeur Dom Marsolles qui appréciait beaucoup ses conseils. C'est là qu'il est mort le 29 août 1675. — Dom Martène, op. cit., t. II, p. 16 et suiv.
(4) Né en 1608, originaire d'une grande famille d'Orléans, il entra à 12 ans à Saint-Benoit-sur-Loire. Le monastère était alors si relâché que le jeune homme décide de solliciter son admission dans la congrégation de Saint-Maur. Il fait profession le 6 juin 1627 au monastère de Saint-Faron. Jusqu'en 1639 il enseigne les jeunes novices en plusieurs maisons. En 1639, il est prieur de Saint-Germain-des-Prés, malgré son jeune âge : 30 ans. Très apprécié non seulement de sa
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Prierez (5), général de la Congrégation réformée de Citeaux que l'on nomme : les abstinents, un des premiers et des plus excellents hommes du siècle en toutes sortes d'affaires, mais surtout en celles-là. Pour les autres nous n'en n'avons pas retenu les noms.
Et ce bon Père Ignace leur ayant exposé ce de quoi il s'agissait, avec les raisons que nous venons de toucher, et plusieurs autres encore qu'il ajouta, tous unanimement furent de ce même avis, qu'il fallait sans hésiter travailler à ce dessein, et qu'il ne se pouvait rien faire de mieux. Que cela était même tellement nécessaire, qu'à moins que la chose réussit, il ne fallait point du tout attendre que notre Institut subsistât.
La question fut, après cela, qui est-[ce] qui dresserait les Statuts de cette nouvelle Congrégation ? Notre Révérende Mère eût beau s'en défendre, elle ne put éviter qu'il ne lui fut commandé d'y travailler, sous la censure de Dom Ignace.
Mais ce ne fut pourtant pas par où elle commença, car ce qu'il y avait de plus pressant était de faire de nouvelles maisons, parce que les Messieurs de cette assemblée avaient trouvé qu'il n'y avait pas d'apparence de rien demander à Rome que nous n'eussions du moins trois maisons, et que jamais, sur une unité, on n'accorderait des Bulles de Congrégation. C'est à quoi donc elle s'appliqua, toutefois à sa manière ordinaire, c'est à dire attendant d'en voir, dans la rencontre des évènements, les ordres de la divine Providence.
Il lui en arriva bientôt un qui lui fit une grande ouverture à ce dessein, ce fut la mort de Monsieur le comte, Fondateur du monastère de Paris, parce que sa pieuse veuve s'étant retirée avec les religieuses pour le reste de ses jours, y porta assez de biens pour entreprendre une maison plus considérable qu'elles n'eussent pu faire avec ces premières douze mille livres.
congrégation, mais aussi du Roi et du Parlement, il est plusieurs fois chargé par la Cour de régler des contestations entre communautés. Les évêques et abbés désireux d'établir la réforme en leurs monastères s'adressent à lui. Il parvient avec succès à réformer ainsi 60 maisons. Il avait même l'estime de son abbé commendataire M. de Metz qui voulait en faire son coadjuteur, il refusa. En 1645, il est élu assistant du très révérend père Dom Grégoire Tarisse. Elu général de la congrégation en 1681 et réélu en 1683. Il meurt le 7 janvier 1687. Dom Martène, op. cit., t. II, p. 94 et suiv.
(5) Prière, commune de Billiers, canton d'Auzillac, arrondissement de Vannes, Morbihan. L'abbé en était Jean VI (Jouand) élu en 1631, décédé le 2 juin 1673. Conseiller de Mazarin qui l'avait chargé de promouvoir la réforme de Cluny, il s'employa à cette tâche avec Dom Ignace Philibert, Dom Placide Roussel et Dom Thimothée Bourgeois qui était à l'époque de cette nomination prieur de l'abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime). De 1656 à 1667, l'abbé de Priez et les trois prieurs nommés s'efforcèrent d'établir la réforme, de faire des constitutions et d'unir Cluny à la congrégation de Saint-Maur selon le désir de Mazarin qui était abbé commendataire de Cluny, mais ils ne purent y parvenir. Gallia Christiana, t. XIV, col. 967. — Dom Martène, Histoire, op. cit., Ligugé 1930.
ARTICLE
Nous : Soeur Mectilde du St Sacrement, Prieure, Bernardine de la Conception, Sous-Prieure, Anne de Ste Magdelaine, Marie de Jésus, Anne de la Présentation, Marie du St Enfant Jésus, Marie de St Joseph, Marie de St Benoit, Magdelaine de Ste Gertrude, Mectilde de la Croix, Marie Hostie du St Sacrement, et Anne Victime de Jésus, étant toutes assemblées capitulairement, au son de la cloche, à la manière accoutumée, pour entendre les propositions à nous faites par Madame la comtesse de Châteauvieux, notre digne Fondatrice, disant que Dieu lui ayant donné un ardent désir de le faire honorer dans [la] divine Eucharistie, pour réparer, selon le pouvoir de la créature, les outrages qu'il y reçoit par les impies, elle aurait reçu un mouvement très particulier de contribuer à un second établissement, du même Institut que celui de ce monastère, où l'on pratiquerait les mêmes devoirs vers le Très Saint Sacrement de l'autel, hors la ville et fauxbourg de Paris, et pour cet effet, ladite dame prie vouloir accepter la somme de 12.000 livres, payables dès à présent, aux charges et conditions suivantes :
Premièrement : que la Mère Prieure et toute la communauté consentent et acceptent l'union de ce nouveau monastère, et tous autres qu'il plaira à Dieu établir du même Institut, et où les mêmes Constitutions seront observées.
Et comme il a plu à Notre Seigneur se glorifier en celui-ci lui donnant les prémices de grâce et en faire comme la source des autres, l'on désire que les susdits monastères qui en proviendront et qui seront désormais établis, y demeureront étroitement liés et unis, s'entre-soulageant les uns les autres, tant pour les Supérieures qu'autres Officières, pour les bonnes conduites s'ils en ont besoin, pour les conserver et maintenir dans la force et vigueur de leurs observances.
Deuxième : que, dans le dit monastère, on y recevra à perpétuité une pauvre fille, damoiselle ou autre, de bonne vocation, qui sera comme une victime immolée au Très Saint Sacrement de l'autel en réparation des irrévérences et autres manquements de devoirs, commis par la dite dame, ses ancêtres et sa famille ; et la dite fille venant à décéder, une autre lui succédera, et ainsi pour toujours se succèderont l'une l'autre, la place ne restant vide que le temps nécessaire pour trouver un sujet capable de la dignement remplir.
Troisième : que le monastère du Saint Sacrement de Paris se chargera de la dite somme de 12.000 livres pour employer en fond ou rente, avec déclaration pour la sûreté des dits deniers, desquels le
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monastère sera responsable et garant, et sera tenu de fournir la dite somme toutefois et quand la Révérende Mère Prieure et son Conseil le requerrons lorsqu'elles auront choisi un lieu dans quelque bonne ville, sans exception des Provinces, pour faire commodément à petits frais le dit établissement ; ou, si elle aime mieux pour la sûreté des deniers, en payer seulement la rente, en attendant que l'on voie si le dit établissement réussira.
Quatrième : que la rente des dites 12.000 livres sera employée tous les ans, en attendant le dit établissement proposé, savoir 500 livres pour la subsistance et entretien de la dite victime, que le monastère du Saint Sacrement de Paris sera obligé de prendre dès à présent, et d'en avoir toujours une jusqu'au dit établissement. Lequel ayant son effet, le dit monastère de Paris s'en déchargera et en chargera le nouveau.
Et le surplus de la dite rente sera employé pour faire la Cène le Jeudi Saint, et contribuer à l'aumône des Jeudis, comme il est dit et porté par la Fondation du 24 de février 1661, dont la dite dame sera déchargée jusqu'au dit établissement proposé, lequel ayant son effet, la dite dame donnera sa vie durant tous les ans la somme de 100 livres.
Cinquième : que le dit établissement proposé ne pourra se faire que lorsque ce monastère [sera] en état de se priver de cette somme de 12.000 livres sans incommoder la communauté, car en ce cas il faudrait différer le dit établissement ; et, lorsqu'il aura son effet le dit monastère du Saint Sacrement de Paris ayant fourni la dite somme il demeurera déchargé de toutes les choses et conditions qui le pourraient charger, à la réserve de l'union.
Sixième : que le dit établissement ne se pourra faire que par l'ordre, le choix et l'entremise de la Mère Mectilde du St Sacrement, à présent Prieure de ce monastère, lorsque Notre Seigneur lui en donnera le mouvement et que la Providence lui en fournira l'occasion. La dite Dame comtesse lui en laisse entièrement le pouvoir, la priant même très instamment d'en vouloir prendre le soin et d'y vaquer pour la décharge de sa conscience ; et, en cas que le dit établissement ne se fasse point du vivant de la dite Mère Prieure, celle qui sera élevée Prieure après sa mort, assistée de son Conseil, en prendra le soin.
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Nous : Prieure et religieuses du dit couvent, ayant mis l'affaire en délibération, et voyant que ma dite Dame comtesse n'a d'autre motif en ses prétentions que de faire adorer, connaître et aimer, autant qu'elle peut, l'auguste Sacrement de l'autel, et que ce zèle dont elle est animée la porterait — s'il était à son possible — à faire un nombre considérable de monastères consacrés à la gloire et adoration perpétuelle de ce Mystère d'amour. Autant qu'il sera de notre pouvoir de le faire honorer, et pour comble d'une éternelle mémoire la piété et singulière dévotion de ma dite Dame, nous avons toutes, d'un commun consentement, agréé, accepté, agréons et acceptons la dite Fondation, aux conditions et charges que dessus.
Le tout sous le bon plaisir du Révérend Père Prieur de l'Abbaye de St Germain des Prés, Vicaire général de Monseigneur Henry de Bourbon, Abbé commendataire de la dite Abbaye. En foi de quoi nous avons signé le présent acte, à notre dit monastère du Très Saint Sacrement, le premier jour de mars de l'année 1661.
Signé : Sr Mectilde du St Sacrement, Prieure, Sr Bernardine de la Conception, Sous-Prieure, Sr Anne de Ste Magdelaine, Sr M. de J., Sr Anne de la Présentation, Sr M. du St Enft J., Sr M. de St Joseph, Sr M. de St Benoist, Sr M. de Ste G., Sr Mectilde de la Croix, Sr M. Hostie du St St, Sr M. Victi. de J., et Marie de la Guesle.
Nous, Frère Ignace Philbert, humble Prieur de l'Abbaye de St Germain des prés, dépendant immédiatement du Saint Siège, et grand Vicaire d'icelle, ayant vu, lu et examiné l'acte capitulaire écrit ci-dessus, et de l'autre part à nous présenté dans l'acte de la Visite par la Supérieure et [les] religieuses du Saint Sacrement, sis dans notre faubourg et ressort de notre juridiction spirituelle, pour être de nous approuvé, l'avons lu et approuvé, louons et approuvons, en tant qu'à nous appartient, pour être exécuté selon sa forme et teneur ; et néanmoins ne pourra la dite Supérieure, celles qui lui succéderons dans sa charge de Supérieure du dit monastère, traiter d'aucun établissement, en quelque lieu que ce soit, y envoyer aucune religieuse, ni y faire aucun transport des deniers du monastère du Saint Sacrement de notre dit faubourg, sans en avoir premièrement communiqué avec nous, ou nos successeurs grand'vicaires, et en avoir obtenu notre consentement par écrit.
Fait le 10ème jour de mars 1661.
Signé : F. Ignace Philbert, humble prieur et v.g. (avec paraphe).
Notre très digne Mère Prieure ayant jeté les yeux sur la ville de Toul (6), fort voisine de la Lorraine pour faire la première maison qui se pouvait entreprendre, par bien des considérations, dont l'une était la proximité de Toul à Paris et à Remberviller ; car nous espérions déjà que nos Mères de Remberviller recevraient l'Institut de l'Adoration perpétuelle, et s'uniraient à la Congrégation, — comme elles ont fait depuis —, si bien que la chose fut arrêtée que l'on y travaillerait incessamment, et qu'on y appliquerait 10.000 écus des
(6) L'histoire de la fondation du monastère de Toul sera rapportée avec les lettres que mère Mectilde écrivit aux religieuses de ce monastère qui fut l'un des plus florissants de notre institut.
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sommes que notre libérale comtesse avait données pour des nouveaux établissements, savoir : les 4.000 écus que nous avons vus ci-devant, pour raisons desquels nous avons rapporté les premiers articles ci-dessus ; 7.000 livres, prises sur les 24.000 qui avaient été destinées pour la fondation de Rouen qui n'avait pas réussi ; et 11.000 livres que cette pieuse Dame donna en deniers comptants. Comme du tout il appert par les contrats de fondation, faisant le tout la somme de 30.000 livres.
Et, pour le paiement de partie de cette somme, nous cédâmes des contrats de constitution de rentes au profit de ce nouvel établissement, parce que nous avions touché les deniers que Madame la comtesse avait destiné à cet emploi.
Il fut arrêté que, comme ces sommes procédaient de sa libéralité, elle serait reconnue pour Fondatrice de cette nouvelle maison, et que le tout se ferait aux conditions portées par les articles ; qu'elle demeurerait ume à celle de Paris, et au Corps de notre Congrégation.
DE L'ORIGINE DU MONASTÈRE
DE NOTRE DAME DE LA CONCEPTION
DE LA VILLE DE REMBERVILLER, DIOCÈSE DE TOUL,
ET DE SON UNION
A LA CONGRÉGATION DU SAINT SACREMENT
Ce monastère se doit regarder comme un riche rejeton de ce grand et fructueux arbre : la très ancienne et très célèbre Abbaye de St Maur de Verdun.
Nos Pères de St Nicolas, de la Congrégation St Vanne, jaloux que la Lorraine fut le seul pays privé de l'avantage d'avoir des religieuses de St Benoit, s'adressant à cette Abbaye pour aller faire un établissement dans la même ville de St Nicolas ; en suite de quoi ils obtinrent leur demande, et deux religieuses professes y furent envoyées pour cet effet, qui furent : Mesdames Eufraise du Hautoy (7) et Barbe de
(7) Les princes de Salm sont issus d'une ancienne maison princière d'Allemagne qui remonte au Ix. siècle. En 1040, les états du prince furent partagés entre ses deux fils : la branche aînée, Ober Salm qui avait juridiction sur le Haut-Salm dans les Vosges aux frontières de l'Alsace et de la Lorraine et pour ville principale Senones ; la branche cadette, comté de Nieder-Salm ou BasSalm (qui devinrent les ducs de Limbourg) était situé sur les frontières des provinces de Liège et du Luxembourg avec la ville de Salm ou Vielsalm, dans les Ardennes Belges pour chef-lieu. Les mères du Hautoy et de Hulce sont originaires de la branche aînée. Bouillet, op. cit. — Archives de Meurthe-et-Moselle, H 2414, fol. 44-56.
Hulce (8), qui étaient de très grande vertu, de très grande maison : appartenant d'alliance aux princes de Salm et à plusieurs grands de Lorraine et d'Allemagne.
Elles vinrent donc à St Nicolas et s'y établirent avec un succès autant heureux qu'elles le pouvaient souhaiter, car leur sainte vie et l'appui de nos Pères leur attirèrent bientôt plusieurs bons sujets qui leur apportèrent du bien ; en sorte qu'au bout de quatre ans elles se trouvèrent en état d'écouter la proposition qui leur fut faite, d'aller faire un autre établissement dans la ville de Remberviller, qui n'est qu'à sept lieues de St Nicolas.
Les principaux du lieu les en sollicitaient pressamment, si bien que la Mère Eufraise s'y transporta, accompagnée de trois professes de St Nicolas, et y fut reçue avec un applaudissement d'autant plus général qu'il n'y avait point d'autres religieuses qu'elles seulement.
La ville ajouta cette condition à leur réception, qu'elles tiendraient une espèce d'école pour l'instruction des jeunes filles, de sorte que, comme elles acceptèrent cette condition, elles furent reçues sans difficultés le 29 mars 1629.
Et dix jours ne se passèrent point qu'il ne s'y présenta aussi plusieurs filles à l'Habit, dont celle qui paraissait la plus [apte] était notre Mère Bernardine de la Conception, de laquelle nous avons parlé ci-devant et en parlerons encore. Aussi fut-elle la première admise au voile blanc et ensuite à la profession, étant âgée de 23 ans. Mais comme elles n'avaient encore point d'église dans la ville à sa vêture, elles furent contraintes de faire la cérémome dans l'église paroissiale du lieu, et la chose se fit en la forme que nous allons mettre.
La prétendante fut conduite en cette église par ses parents et par les principaux de la ville qui la suivaient. Devant elle, marchaient quantité de jeunes filles de bon lieu, bien parées, portant la croix, la couronne d'épines, et les Habits de religion dans des bassins d'argent, marchant deux à deux, modestement, en bel ordre.
Comme ils furent arrivés dans l'église, les religieuses qui les y étaient allées attendre, entonnèrent le Veni Creator, et ensuite chantèrent la grand'Messe qui fut célébrée par le curé du lieu, après laquelle le Père Gardien des Capucins de ce lieu-là prêcha.
Et après le sermon fini, la fille fut voilée avec les cérémonies ordinaires, en présence d'un si grand concours et affluence de monde qui accourait de toute part, n'ayant jamais vu une chose pareille, qu'on eut bien de la peine d'en venir à bout.
Après la cérémome faite et le « Pange lingua » chanté, le même curé prit le Saint Sacrement dans le soleil, et conduisit processionnellement les religieuses en leur nouveau monastère, pour les en mettre
(8) Barbe de Hulce de Villaune, on trouve trois abbesses portant ce nom à l'abbaye de Verdun : la première en 1631-1634 ; la deuxième, 1637-1640 ; la troisième, 1643-1648. Ce doit être la même réélue pour des triennats successifs.
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en possession. La Novice marchant seule la première après le Très Saint Sacrement, ayant le crucifix à la main et la couronne d'épines sur la tête ; et après elle, allaient deux à deux [les] jeunes demoiselles, les religieuses, ayant chacune un cierge blanc à la main ; et plusieurs dames et demoiselles avec un nombre infini de peuple terminaient la procession, qui alla ainsi jusqu'à leur chapelle, où, quand la Bénédiction fut donnée, le Saint Sacrement leur fut laissé dans leur tabernacle ; et la procession s'en retourna comme elle était venue, sinon que les religieuses demeurèrent dans leur clôture et ne retournèrent plus à l'église. Et tout le monde resta grandement content et édifié de ce nouvel établissement.
Mais trois mois après cela la Mère Eufraise du Hautoy fut contrainte de s'en retourner à son monastère de St Nicolas avec une de celles qu'elle avait amenées, laissant dans ce nouveau monastère qui fut nommé : de la Conception Notre Dame, la Mère Barbe de Hulce pour Prieure, qu'elle avait fait venir exprès de St Nicolas.
Et celle-ci y demeura plus de deux ans pendant lesquels elle reçut aussi à l'Habit plusieurs Filles ; mais comme c'était une personne d'un rare mérite elle ne tarda pas d'être rappelée par les religieuses de l'Abbaye de St Maur, son premier monastère, et laissa en partant un regret extrême de sa perte à cette communauté naissante, qui se trouva obligée par ce moyen de procéder à l'élection d'une autre Prieure, sous le bon plaisir de l'Evêque diocésain qui était Monseigneur de Sity [Charles Chrétien de Gournay].
Ainsi, au mois de novembre 1631, fut élue la Mère Dorothée, professe de St Nicolas, laquelle était si profondément humble qu'elle mourut un mois après son élection, de douleur de se voir élevée à cette charge tant elle s'en estimait indigne.
Et Mère Agnès, professe du même monastère St Nicolas, et venue aussi à cet établissement lui succéda par le suffrage de toutes et gouverna la maison jusqu'à 1637, qu'elle s'en retourna aussi à son couvent ; de façon qu'il n'y resta plus du tout des Mères de St Nicolas qui étaient venues les établir ; et par ce moyen les religieuses se virent obligées d'en choisir une d'entre elles pour les gouverner.
Ce fut notre Mère Bernardine (9), première Novice, première Pro-
(9) L'abbaye de Rambervillers avait été fondée en 1625 par Barbe de Hulces et Euphrasie du Hautoy. Formées toutes deux à l'abbaye de Saint-Maur au diocèse de Verdun et parties à Rambervillers sur la demande des Bénédictines de Saint-Nicolas, à 2 lieues de Nancy, de la réforme de Saint-Vanne. Dix jours après l'arrivée des deux fondatrices, une postulante se présentait : Mlle Gromaire qui sera mère Bernardine de la Conception. Formée aux plus pures traditions vannistes, mère Bernardine qui recevra mère Mectilde en qualité de prieure en 1640, restera prieure du monastère jusqu'à l'élection de mère Benoite de la Passion de Brem en cette charge, le 31 aout 1653. Mère Bernardine sera la fidèle compagne et le bras droit de mère Mectilde jusqu'à sa mort : comme sous-prieure de sa maison, puis comme prieure de la jeune fondation de Toul, en 1669, elle passe quelque temps à Nancy pour préparer l'union de l'abbaye de Notre-Dame de Consolation avec notre institut ; puis au second monastère parisien rue Saint-Marc en 1674 et ensuite rue Saint-Louis. En 1685, elle
fesse de la maison, qui fut encore première Prieure de ce monastère de celles du plant du lieu, celles qui l'avaient précédé en cette charge en étant étrangères et passagères.
Et bien valut à celle-ci de se trouver douée de courage et d'entendement, car elle prit les rênes du gouvernement dans un temps où le couvent se voyait déjà dans la décadence, par le désordre des guerres qui avaient commencé de s'allumer tout à l'entour de ce lieu dès l'année de son noviciat, c'est à dire en 1629, premièrement par les troupes de l'empereur, commandées par le général Mercy — qui vinrent ravager tout l'évêché de Metz —, puisque les troupes du Roi, qui bien qu'elles vinssent comme amies dans cet évêché et dans Remberviller ne laissèrent pas de les rencontrer ; et y demeurèrent jusqu'à 1631, que le duc de Lorraine vint aussi assiéger cette pauvre ville qui n'est pas de ses Etats, avec une armée de 30.000 hommes, commandés par Jean du Vert, Gassion et Picolomini (10), et le même Mercy, cette armée étant composée de plusieurs nations étrangères qui avaient été envoyées par leurs Princes comme troupes auxiliaires [à] l'Empereur.
Et ce siège dura onze jours, où, après avoir souffert le canon et les assauts, la ville se rendit à composition le jour de la St Laurent, 10ème d'août 1634. En suite de quoi l'armée demeura campée tout autour près de trois mois, et les officiers logés dedans.
Mais la composition n'empêcha pas qu'on ne rendit bientôt du déplaisir aux habitants (11), — sinon en leurs femmes et filles, desquelles l'honneur fut soigneusement conservé —, du moins en leurs biens, les mettant sans quartier à une rançon de 200.000 francs, pour laquelle payer, les principaux leur baillaient leur vaisselle d'argent, dont ils étaient tous bien fournis en ce temps-là, et étaient contraints de la leur laisser à bas prix parce qu'ils étaient les maîtres.
Puis les Lorrains en furent chassés par les troupes du duc Bernard de Vaymard, lui-même y étant en personne, qui enchérirent sur
retourne rue Cassette. A partir de 1692 on ne trouve plus de mention de son nom, on peut supposer qu'elle est morte un peu avant mère Mectilde qui eut encore ce sacrifice, bien dur à son coeur, à offrir sur la fin de sa vie.
(10) Généraux des armées qui assiègent Rambervillers, alliés du duc de Lorraine. Gassion : fils de Jacques de Gassion (ancienne maison de Béarn) et de Marie d'Esclaux, il est né à Pau le 20 août 1609. Il va en Allemagne où Gustave-Adolphe de Suède lui confie le commandement de la compagme destinée à sa personne. C'était un admirable soldat, mais un chef d'armée très dur qui réprime cruellement la révolte justifiée des populations de l'Avrenchin (les Nu-Pieds). A la mort de Gustave-Adolphe 1632, Gassion retourne en France avec son régiment et rejoint l'armée du maréchal de La Force en Lorraine où il sème la terreur. Il est de tous les combats : Charmes, Neufchâteau, Bayon, Saint-Nicolas. Blessé à Thionville, il reçoit le bâton de maréchal de France la même année 1643. Blessé au siège de Lens il meurt huit jours après à Arras le 2 octobre 1647. Il est enterré au temple protestant de Charenton. La Chenaye, Dict. de la Noblesse, t. IX, col. 22-24. — Vie par l'Abbé de Pure. P. Anselme, op. cit. Piccolomini : né à Sienne en 1599. Mort à Vienne en 1656. Général de l'armée impériale pendant la guerre de Trente ans, commande une armée à Lutzen-Nordlingen. L'Empereur le fait Prince d'Empire. Dezobry, Dict. Géograp. et Hist., Delagrave 1876.
(11) Lire : bien que la ville se soit rendue cela n'empêcha pas.
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toutes autres en cruauté, faisant souffrir à ces pauvres habitants des tortures inouïes pour leur faire déclarer les caches dans lesquelles ils avaient sauvé le reste de leurs effets et les meubles des églises.
Mais ce monastère fut toujours préservé, — tant en ce temps-là qu'encore en 1648 et jusqu'en 1660, que les hessiens et les français vinrent attaquer cette ville, — de l'insolence des soldats, par des miracles continuels.
Entre les autres : une fois (c'était en 1648), les hessiens entreprirent de forcer la porte de clôture, sous prétexte que les plus riches bourgeois s'étaient cachés dans le couvent, et travaillant pour cela, notre Révérende Mère Prieure [Mère Bernardine de la Conception], — qui l'était lors de Remberviller, — vint se ranger à genoux, à la tête de toute la communauté, derrière cette porte, ayant une image de la Sainte Vierge entre les mains, implorant à chaudes larmes cette Mère de bonté de détourner le malheur dont elles étaient menacées ; et n'en furent pas éconduites, puisque, par un miracle évident, ces tigres l'ayant voulu rompre [elle] revenait toujours en son même état, après cela ils tâchèrent de l'enlever de dessus ses gonds en passant des barres de fer par dessous : la porte s'enlevait en effet, mais elle ne manquait jamais de retomber sur ces mêmes gonds.
Tant qu'à la fin ils commencèrent à s'étonner et à filer doux, demandant bien humblement à nos [Mères], qu'elles en laissassent entrer un seulement, pour voir s'il n'y avait point de bourgeois cachés, et leur assurant que, s'il n'y en trouvait point, ils les laisseraient en repos.
Ce pas était bien dangereux, et pourtant elles furent si hardies que de le leur accorder, tant elles avaient pris de confiance au secours de cette Mère de miséricorde dont elles venaient de voir des miracles si évidents. Si bien que notre Mère Prieure ouvrit la porte, mais ce fut elle toute seule, car toutes les autres religieuses s'enfuirent de peur, se cacher. Et elle-même prit hardiment par le bras le soldat qui se présenta pour entrer, et referma incontinent la porte sur lui, lui disant donc d'aller chercher par la maison. Mais un nouveau miracle : ce soldat si furieux auparavant devint tremblant et effrayé, d'une sorte qu'il la pressa aussitôt de le mettre dehors, disant ne vouloir pas regarder davantage. Elle au contraire, l'encourageant plutôt, le poussa par les épaules le faisant marcher devant elle comme un enfant, tant il paraissait épouvanté, jusqu'à ce qu'il eut fait tout le tour du cloître sans qu'il osât seulement lever les yeux ; puis elle le fit sortir, et aussitôt après ils se retirèrent sans leur faire nul déplaisir.
Une autre fois le Colonel revenant avec 5 ou 6.000 hommes pour assiéger cette pauvre ville, il partit de demi-lieue près, sur le soir, avec la plus grande partie de ses troupes, ayant envoyé le reste devant à la sourdine, l'attendre pour user de surprise. Mais après avoir marché toute la nuit il se trouva le lendemain au matin à plus
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de 14 lieues loin, ce qui l'effraya si fort qu'il se désista de son entreprise et se retira. Ce pauvre lieu fut préservé.
Ce général avait bien d'autres desseins en ce siège que d'avancer les affaires de son parti. Il était passionnément amoureux d'une de nos religieuses, dont la beauté l'avait charmé devant qu'elle prit le voile, et il venait pour tâcher de l'enlever ; et comme elle savait ce dessein, elle et toute la communauté, firent tant de prières et tant de pénitences que Dieu détourna ce coup.
Une autre fois encore, Monsieur le maréchal de la Ferté venant pour piller la ville, nos Mères se mirent aussi en prières, et son canon s'embourba par les chemins quoique la terre était extrêmement gelée partout, et en cet endroit comme ailleurs. Elle se ramollit seulement sous le canon, en forme d'abîme, mais point en aucun autre endroit ; en sorte que plus de 400 hommes que l'on avait mis après pour l'en retirer n'en purent venir à bout, lors, ni depuis, car on tient qu'il y est encore ; et ce maréchal ne vint point.
Aussi la ville de Remberviller avait accoutumé de dire que ce monastère était leur meilleur boulevard [rempart]. Enfin il ne se peut dire ce que ce pauvre lieu souffrit de la guerre. Mais la peste qui survint en ces entretemps affligea et fatigua étrangement nos religieuses qui, ou pour ce sujet ou pour la guerre, furent souvent contraintes de tenir les bois, parce que leurs Supérieurs les obligeaient de fuir ; et comme tout le voisinage était pareillement empesté ou tout désolé par les troupes, elles n'avaient pas d'autre retraite.
Une fois entre les autres, elles se rendirent dans une forêt voisine, à pied, tout de nuit secrètement, pour la crainte des soldats, avec l'effroi et l'appréhension que Dieu sait ! et prirent leur logement dans un bâtiment abandonné qui se nommait « la scie aux corbeaux » où l'on sciait les planches et autres bois à bâtir.
Là elles demeurèrent dix jours, sans dormir presque et sans manger rien que quelques herbes sauvages bouillies dans l'eau, exposées à la pluie et au serein, à la merci des loups et autres bêtes carnassières qui étaient plus acharnées en ce temps-là sur la chair humaine, à cause que la peste — qui faisait abandonner les corps morts leur donnait le moyen de s'en paître ; et souvent entourées de couleuvres qui venaient avec des sifflements horribles leur céder tout alentour ; qui plus est et dans des affres continuelles que les soldats ne les découvrissent.
Si bien que, ne pouvant résister davantage à de si grandes extrémités, elles n'eurent pas de meilleur parti à prendre que celui de retourner dans leur maison ; ce qui n'était pas une moindre extrémité puisqu'en effet aussitôt qu'elles y furent rentrées il y en eut sept frappées de peste qui en moururent.
En suite de quoi, la famine les attaqua comme tout le reste du pays, presque personne n'en étant exempt. Et ce fut en ce temps-là qu'elles se virent réduites à ce quarteron de pain de blé noir par
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jour, dont nous avons déjà fait mention en la première partie. Encore en manquaient-elles souvent.
Si bien donc que notre nouvelle élue, la Mère Bernardine, n'eut pas peu d'affaires à tout soutenir, ayant toujours à combattre entre la misère du temps et l'abattement de coeur où pouvait se trouver lors le troupeau qu'elle avait à gouverner, parmi de si longues et de si étranges calamités que leur patience n'était guère moins à bout que leurs biens.
Pourtant, elle tint bon très longtemps, et fit que sa communauté ne se relâcha jamais de toutes les observances, non pas même dans les bois, qu'elles allaient aux pieds des arbres — comme à des oratoires — s'acquitter de leurs prières.
Mais à la fin elle fut contrainte de céder à cette misère extrême, sortant en 1641, avec la majeure partie de ses religieuses, par commandement de Monseigneur l'Evêque de Toul, leur supérieur, pour venir se réfugier à St Mihiel, puis de St Mihiel à Montmartre et à St Maur, comme nous avons dit ailleurs (12).
Mais auparavant — cela fut au mois de juillet précédent, — elle eut le bonheur de donner l'Habit de St Benoit à notre même Révérende Mère et Supérieure de la Congrégation, qui est notre Mère Catherine Mechtilde du St Sacrement, et de lui voir faire entre ses mains les sacrés voeux de la Religion dans notre même Ordre, le onzième de juillet 1640, un an environ devant qu'elles vinssent à St Mihiel.
Mais nous ne dirons plus rien de ce qui s'est passé pendant la supériorité de la Mère Bernardine depuis le temps qu'elle fut venue en France, parce que nous en avons assez parlé dans les première et seconde parties, où nous avons rapporté exactement ce que notre Révérende Mère et toutes les autres de sa troupe devinrent ou sont devenues, jusqu'à l'établissement de l'Institut de l'Adoration perpétuelle, et où partout sa conduite a paru très excellente.
Seulement il est nécessaire de remarquer à l'égard de la maison dont nous parlons, que la Mère Benoîte de la Passion en fut élue Prieure (13) après notre Mère Bernardine, et a rempli depuis elle très dignement cette place pendant 15 ans sans interruption, succédant à notre Révérende Mère Supérieure générale, la Mère Catherine Mechtilde, qui fut élue Prieure de Rembervilller pendant qu'elle était
(12) Pour l'histoire de Saint-Mihiel à cette époque, on peut consulter les archives paroissiales de Saint-Mihiel incluses dans les archives de l'abbaye bénédictine de Saint-Mihiel aux archives départementales de Bar-le-Duc.
(13) Née à Saarbourg en 1609. Mariée à 17 ans pour plaire à ses parents bien qu'elle désirât beaucoup la vie religieuse. Elle eut une fille et perdit son mari après trois ans de mariage. A 23 ans, elle se retire chez les Bénédictines de Rambervillers. Sa fille est élevée à l'alumnat du monastère. Ses riches qualités naturelles, surtout sa piété profonde, un attrait peut-être un peu excessif pour les mortifications corporelles, inciteront ses supérieurs à lui confier assez vite des charges importantes dans le monastère. C'est elle qui sera la maîtresse des novices de soeur Catherine de Sainte-Mectilde. Après le départ de la mère encore à Notre Dame de Bon Secours de Caen ; mais, depuis la supériorité, qu'elle fut toujours absente, n'ayant pu demeurer que huit mois dans son monastère à cause des guerres — comme nous avons dit ailleurs, — et que la dite Mère Bernardine était sa Sous Prieure à Paris, que nous pouvons dire que son gouvernement a été de 15 ans sans interruption.
La très miraculeuse vie de cette dernière et sa précieuse mort ayant mérité des mémoires à part, nous n'en dirons rien au long. Seulement nous en faisons mention en cet endroit, pour un enrichissement à ce que nous avons entrepris de rapporter de cette maison, car, comme nous en tirons notre origine, il nous est infiniment glorieux de montrer qu'elle a toujours été une pépinière de sainteté, vu qu'en elle se sont formées tant et de si grandes âmes ; et continue tous les jours, non pas par des curiosités subtiles dont se nourrissent la plupart des dévotions du temps, mais à la faveur d'une simplicité parfaite sous la sûreté de laquelle (14) et des extrêmes souffrances par lesquelles Dieu les a fait passer comme nous avons déduit.
Il les a établies dans une très solide vertu, à quoi n'a pas peu servi cette absolue retraite dans laquelle elles vivent en ce petit recoin du monde, qui les tient dans l'éloignement du mélange de tant de directions et d'amusements spirituels, et leur cache à elles-mêmes les riches dons des grâces que Dieu y répand, et par ce moyen les laisse appliquées à la pratique sérieuse et fidèle d'une véritable mortification ; différant encore [en] cela de tous ces spirituels qui ne s'occupent qu'à connaître, semblant épuiser toute leur ferveur dans ces connaissances, puisqu'on remarque avec douleur que, sachant parfaitement la définition de toutes les vertus, ils n'en pratiquent que très peu, et encore bien légèrement.
Mais, passons à l'union de cette maison à la Congrégation de l'Adoration perpétuelle.
Nous avons vu ci-devant que notre Institut a pris naissance depuis que notre Mère Prieure a été obligée de sortir de ce monastère pour se venir réfugier à Paris, à cause des guerres de Lorraine. Et il n'est pas difficile de comprendre qu'après la notable différence que cet établissement mettait entre elles, cette maison ici et celle-là ne pouvaient plus être une même chose comme auparavant. Les coeurs demeuraient bien unis par les liens d'une charité sincère, mais les esprits et les intérêts ne pouvaient pas se trouver de même.
Bernardine de la Conception, rejoignant mère Mectilde à Paris en 1653, mère Benoite sera élue prieure du monastère de Rambervillers : 31 août 1653 et le restera jusqu'à sa mort. C'est sous son priorat que se fera l'agrégation de son monastère à l'institut. Sa fille sera d'abord élève du pensionnat tenu par les Bénédictines de Rambervillers à Saint-Maur-des-Fossés. Elle fera plus tard profession au monastère rue Férou (puis rue Cassette) sous le nom de soeur Marie de Jésus. Il nous reste de nombreuses lettres de mère Mectilde à soeur Marie-de-Jésus. Elle est morte, encore très jeune, rue Cassette, entourée d'une véritable vénération. Blémur, op. cit. — Vie manuscrite de la mère Benoite de la Passion aux archives du monastère du Saint-Sacrement de Paris.
(14) Lire : laquelle est une voie bien plus assurée ainsi que les extrêmes souffrances.
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Si bien que cette espèce de séparation donnant beaucoup de douleur à nos Mères [de Paris] qui étaient leurs filles, elles tâchèrent de tout leur pouvoir de les porter à concourir avec elles à cette même entreprise, en recevant l'Institut, pour ensuite procurer la Congrégation de l'Adoration perpétuelle que l'on projetait déjà.
Et nos Mères y étaient aidées par cinq ou six de leur maison qui avaient passé quelques années en celle-ci [rue Férou, puis rue Cassette] mais qui, n'en étant pas professes, avaient été obligées de s'en retourner dans leur couvent. Et comme il leur en était resté une haute estime, elles brûlaient du désir que leur maison le reçut, de sorte qu'elles y travaillaient de tout leur mieux.
Tout cela pourtant se trouvait fort inutile, parce que le plus grand nombre était contre, et qu'elles étaient appuyées de l'autorité de leur supérieure, la Mère Benoîte, qui toute sainte qu'elle était, ne laissait pas de nous être fort opposée, par des motifs qui lui semblaient aussi saints que ceux qui faisaient agir nos Mères ; en façon qu'elles ont été six ans devant que de se rendre et (le) recevoir (l'Institut].
A la fin, Dieu, dont la gloire se trouvait intéressée par leurs trop longues résistances, se mêla de la partie et trouva bien les moyens de les ranger à sa volonté, quand les créatures ne purent plus rien. Pour cet effet il frappa deux coups de sa puissance sur les deux têtes qui lui résistaient le plus, et ne manqua point de les fléchir.
Le premier, fut sur la Mère Scholastique Girard (15), qui consent bien qu'on la nomme pour la gloire du Saint Sacrement, laquelle il terrassa comme un St Paul, par une main invisible au plus fort de sa résistance. Celle-ci était si fort opposée à ce dessein qu'elle a confessé depuis qu'elle ne pouvait pas même souffrir la vue de notre Révérende Mère, et que l'ouïr seulement nommer la faisait frémir, quoiqu'auparavant elle l'aimait tendrement.
Un jour donc, — c'était dans le mois d'octobre 1665, — cette religieuse passant devant la porte du choeur pour aller en un endroit là tout proche, la pensée lui vint de faire une génuflexion pour adorer le Saint Sacrement, puis, s'allant se souvenir que ce serait nous imiter — parce que cela ne s'observait pas fort auparavant —, elle se repentit de le faire, et comme hochant la tête de dépit, elle voulut passer outre ; mais, tout à l'instant même, elle sentit qu'une puissance invisible l'enleva et la jeta si rudement contre terre, la tête en bas, qu'elle en eut le crâne cassé et notablement ouvert.
(15) Elle avait beaucoup connu mère Mectilde et avant le départ de celle-ci pour Paris en 1651, elles étaient très unies. Par ailleurs le frère de mère Scholastique avait épousé une nièce de mère Mectilde. Mais depuis l'établissement de l'institut la mère Scholastique avait conçu une antipathie secrète, devenue bientôt une aversion déclarée pour son ancienne amie. Aussi était-elle décidée à user de tout son crédit, qui était grand au monastère et au dehors, pour empêcher l'agrégation. Elle signe habituellement Gérard et non Girard. Mgr Hervin, op. cit.
DOCUMENTS HISTORIQUES
Il ne faut pas demander si elle demeura pâmée de ce coup, puisqu'elle en perdit l'usage de tous ses sens et qu'elle jetait du sang par le nez, les yeux, la bouche et par les oreilles, ne donnant autre signe de vie que celui de la respiration.
On la prend, on l'emporte à l'infimerie en cet état, et le chirurgien étant appelé fut étrangement épouvanté de ce coup qu'il trouva bien extraordinaire, ne pouvant comprendre comme elle avait pu se casser ainsi le haut de la tête, à moins que de s'être précipitée de haut en bas, — ce qu'elle n'avait pas fait —. Car, d'être comme cela tombée de sa hauteur, elle ne pouvait tomber qu'en devant, ou en derrière, ou sur les côtés, de laquelle de ces façons qu'elle l'eût été elle ne pouvait que s'être atteinte au visage, ou au derrière, ou aux côtés de la tête, mais point du tout au dessus. Cependant c'était là le coup ! et cela nous aurait bien, dès lors, persuadées qu'il y avait en cette chose, quelque chose hors du commun quand nous n'en n'aurions eu que cette évidence.
Mais nous en eûmes la preuve entière bientôt après, de la bouche de la mourante ; car, après avoir demeuré quatre jours en ce pitoyable état que nous avons dit, qu'elle ne parlait ni voyait et qu'on n'attendait que le moment de la voir expirer, tout d'un coup : elle se lève en son séant et commence d'une voix forte, comme dans une espèce de transport, à demander un cierge, une corde, et sa supérieure.
Dieu sait quelle surprise ce fut aux religieuses qui la gardaient ! et quels en furent les cris ! Néanmoins comme elles crurent que c'était un dernier effort de nature et que la mourante rêvait, elles tâchèrent de la remettre, sans se mettre fort en peine de lui donner ce qu'elle demandait. Mais elle, persistant toujours en ses demandes, l'on courut en avertir la Mère Benoite qui, ayant déjà été [alertée] par les grands cris et clameurs qu'elle avait entendus de ce côté-là, ne tarda pas de s'y rendre ; et comme elle fut présente, la malade lui réitéra humblement sa demande de cette corde et de ce cierge, qu'elle lui accorda bientôt, et s'étant à même temps [tout aussitôt] passé la corde à son col, avec le cierge allumé en ses mains, elle commença de faire amende honorable au Très Saint Sacrement, de s'être opposée à l'amplification de son culte, mais avec tant de larmes, de sanglots, et en des termes si touchants qu'elle faisait fondre en pleurs toute l'assistance.
Et ce fut lors qu'elle déclara ce que nous venons de dire de sa chute, et ajouta qu'encore — comme St Paul — pendant que ses yeux corporels étaient fermés, ceux de son âme furent ouverts avec tant de lumière sur la majesté de cet auguste Sacrement et sur la gloire qu'il reçoit de notre Institut , qu'elle disait que, si elle pouvait dicter tout ce qu'elle en avait vu, il y aurait pour occuper un grand nombre d'écrivains pour bien des années.
Ensuite elle fut remise au lit et pansée avec tant de soins — ou plutôt tant de bénédictions de Dieu qui la réservait sans doute par un témoignage non suspect, de la gloire de notre Institut —, qu'elle en
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guérit, quoique ce coup en cet endroit semblait n'être pas curable à cause que le crâne était tout à fait ouvert, qu'encore à présent il n'est pas bien refermé pour marquer de la merveille, puisque du reste elle se porte très bien et agit comme auparavant.
Cet évènement si étrange ne manqua pas de toucher la Mère Benoîte, qui, après celle-là, nous était la plus opposée, quoiqu'avec bien plus de modération.
Pourtant nous pouvons dire que le coup ne fit qu'effleurer, vu qu'elle ne parlait pas pour cela de nous recevoir. Mais c'était que Dieu se réservait de la toucher aussi à son tour, pour mieux faire connaître que cette affaire était son oeuvre.
Il le fit en effet au mois de décembre suivant, le jour de l'Immaculée Conception de la Ste Vierge, qui est la grande fête de ce monastère, parce que c'en est le titre. L'ayant si fort pénétrée de la gloire que ce Dieu immolé sous les espèces du Saint Sacrement reçoit d'être ainsi perpétuellement adoré, et qu'il y eût des personnes dévouées à cet effet, (qu)'aussitôt que la Communauté fut assemblée, après l'Office divin, elle parut en leur présence — sans en avoir communiqué à personne —, (où) : la corde au col, le cierge ardent à la main, et les yeux tout pleins de larmes, elle vint se mettre à genoux pour faire pareille Réparation au Saint Sacrement de s'être aussi opposée à ce que la maison n'en reçut pas l'Institut, confessant à la compagme tout ce qu'elle avait vu et senti au coeur de reproches de la part de Dieu là-dessus.
Il n'en fallut pas davantage pour enlever le consentement de tout le reste de la troupe, qui se trouvait déjà beaucoup ébranlée depuis l'accident de la Mère Scholastique, vu que, — comme nous avons dit —, il y en avait déjà quatre ou cinq qui le désiraient si ardemment que même, elles en avaient fait le voeu en leur particulier. Si bien que, se jettant toutes à genoux aussi, en pleurant de dévotion, c'était à qui crierait plus fort qu'il était temps de se rendre et de ne plus résister à Dieu, tâchant ainsi de témoigner à l'envi l'une de l'autre une extrême ardeur pour cela.
Et après que ces premiers feux furent un peu exhalés, elles ne tardèrent pas de délibérer sur les moyens d'appeler au plus tôt notre Révérende Mère Prieure, pour y aller faire l'établissement, lui en écrivant pour cet effet à l'heure même, et récrivant plusieurs fois depuis, devant qu'elle voulut s'y transporter ; car, comme elle est beaucoup prudente, elle voulut laisser rassoir ce grand zèle, pour leur donner le temps de considérer ce qu'elles demandaient, et comprendre la faute qu'elles avaient faite de le refuser lorsqu'on leur avait offert.
Mais à la fin, comme elle ne demandait pas mieux, non plus que cette maison ici et celle de Toul aussi, elle se rendit au mois de mars 1666, et en prit possession au nom de la Congrégation le mois d'avril suivant, sur les ordres de Monseigneur l'évêque de Toul, évê que diocésain de Remberviller (de même qu'il l'est de Toul et de Nancy), mais qui agissait en cela comme premier Supérieur nommé de notre même Congrégation, lequel avait commis notre Révérende Mère Prieure pour supérieure et directrice de l'Institut, et, en cette qualité, donné pouvoir de prendre possession des maisons qui s'y voudraient unir (16).
Et cette possession fut prise au nom de la Ste Vierge, l'image de laquelle notre Révérende Mère Prieure portait, allant ainsi processionnellement par tous les lieux réguliers, pour la faire reconnaître Dame et Maitresse de la maison ; comme elle est reconnue de tout l'Institut pour la seule et unique Abbesse et Générale.
Tout cela s'étant passé avec un excès de satisfaction incroyable de part et d'autre tant les coeurs étaient touchés.
Et après, notre Révérende Mère s'en revint à Paris au mois de mai suivant, sans avoir rien innové dans cette nouvelle maison, que l'usage de nos Constitutions, qui sont plutôt le perfectionnement de la Règle de St Benoit — s'il est permis d'user de ce mot —, qu'elles n'en sont une innovation ; je veux dire : elle ne changea rien dans les charges, ni dans le train ordinaire de la maison parce que tout y allait parfaitement bien et à la même manière que nous tenons.
Et depuis encore, elles ont reçu la Bulle de Monsieur le Légat concernant la Congrégation, qui leur a été publiée au voyage que fit notre Révérende Mère l'année 1669 pour Nancy. Si bien que, par cette union, nous avons vu évidemment expliquer la vision qu'une religieuse de leur maison, nommée Dorothée de Ste Gertrude, avait eue douze ans auparavant, — ainsi que nous l'avons déjà rapporté en la 3ème partie, — où le Père éternel lui fut montré embrassant tendrement et mettant comme dans son sein ces deux maisons de Paris et de Remberviller ; mais ce qu'elle ne pouvait comprendre lors, parce qu'il n'y avait nulle apparence en notre union, lui a paru depuis, et à tous les autres, bien intelligible, par le succès.
Que le tout soit à l'honneur et gloire du Très Saint Sacrement de l'autel, et qu'il soit loué et adoré à jamais.
(En annexe quelques lettres de la Mère Mectilde).
(16) En annexe le récit et l'acte de prise de possession du monastère au nom de l'institut par mère Mectilde, XII, XIII, XIV, p. 304.
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SUITE DE L'ENTREPRISE DE LA MÊME CONGRÉGATION
ET DES BULLES ACCORDÉES POUR CET EFFET
PAR LE CARDINAL DE VENDOME (17),
LÉGAT A LATERE DU SAINT SIÈGE
ET AUTRES CHOSES TOUCHANT CE SUJET
Après l'heureux succès de cet établissement et de cette union, notre Révérende Mère Prieure se trouva encore plus encouragée de poursuivre avec ardeur à Rome les Bulles pour la Congrégation ; car, en ayant rendu compte à la Reine, Mère du Roi, Sa Majesté l'approuva fort et lui promit sa protection en tout et partout. Pour cet effet elle lui donna des Lettres de recommandation pour Notre Saint Père le Pape et pour quelques Cardinaux, dont voici la teneur :
LETTRE DE LA REINE-MÈRE AU PAPE. TRÈS SAINT PÈRE,
Comme j'ai été très sensiblement touchée des désordres dont il a plu à Dieu permettre qu'une grande partie de la chrétienté ait été affligée par les dernières guerres, principalement à cause de la profanation des temples du Très Saint Sacrement qui y repose, j'ai aussi embrassé avec bien de la joie la Fondation, que des personnes de singulière piété m'ont fait proposer, d'un monastère en cette ville de Paris, de religieuses, lesquelles, outre l'observance étroite de St Benoit, font une profession particulière d'adorer continuellement jour et nuit ce très auguste Sacrement, d'exécuter [de réparer] par leurs prières publiques et cette adoration, et de s'offrir en sacrifice à Dieu comme victimes pour l'expiation de tant de sacrilèges et impiétés qui se sont commis et qui se commettent encore tous les jours.
Et j'ai quelque confiance que la divine Providence a eu acquiescé cette dévotion, puisque le prompt et le grand progrès qu'elle a déjà fait en ce Royaume ne peut être qu'un effet sensible de la bénédiction du ciel.
(17) Légat a latere pour le baptême du Dauphin, mars 1668. Louis duc de Vendôme, fils aîné du duc César de Vendôme et donc petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées. Né en 1612, il porta le nom de duc de Mercœur jusqu'à la mort de son père 1665. En 1649, il était vice-roi de Catalogne pour la France et épouse en 1651 Laure Mancini, nièce de Mazarin. Il commande en Provence puis en Lombardie. Après la mort de sa femme, il se fait prêtre et devient cardinal en 1667, et légat de Clément IX en France. Il eut deux fils : Louis Joseph, duc de Penthièvre né en 1654, célèbre général, mort en 1712 et Philippe dit le Prieur de Vendôme né en 1655, mort en 1727, grand Prieur en France de l'Ordre de Malte ; avec lui s'éteignit la maison de Vendôme. Bouillet, D.H.G.
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Mais comme il y a quelques monastères de cet Institut fondés sur le modèle de ce premier, et beaucoup d'autres anciens du même Ordre de St Benoit qui demandent d'y être agrégés, et de former tous ensemble une Congrégation sous le titre de : a L'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement », laquelle étant conduite et dirigée par les mêmes Supérieurs, aussi animées d'un même esprit, à l'exemple des religieuses bénédictines du Calvaire, Je supplie très humblement et très instamment votre Sainteté, d'accorder la même grâce à ces religieuses du Saint Sacrement, que le Pape Urbain 8ème, de très sainte mémoire, a fait à celles du Calvaire, les érigeant en Congrégation.
Y ayant lieu d'espérer que Dieu en sera glorifié, les peuples édifiés, et les ennemis de l'Eglise excités à leur conversion, et pour (moi) Très Saint Père, comme j'en recevrai une consolation très particulière, ce me sera un nouveau sujet d'obligation que je lui en aurai... etc...
LETTRE DE LA REINE-MÈRE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL GINETTI (18).
Monsieur mon cousin,
J'ai très humblement supplié notre Très Saint Père le Pape, d'ériger en Congrégation les monastères de religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement ; mais, parce que j'ai été informée que cette affaire doit être examinée dans la Congrégation des Réguliers où vous présidez, je la recommande de toute mon affection à la protection de votre Eminence, étant persuadée qu'après tant de profanations, de sacrilèges et d'impiétés que les dernières guerres ont causés, la divine Providence a inspiré (à) ce saint Institut pour lui en faire quelque réparation.
En effet, cette dévotion a été si reçue des peuples et a eu un si heureux succès, qu'elle est désirée en plusieurs villes de ce Royaume.
Je joins à ces considérations l'exemple d'une favorable Congrégation des religieuses Bénédictines du Calvaire, érigée par le Pape Urbain 8ème, laquelle a produit des fruits très utiles et très glorieux à l'Eglise.
Je prie encore votre Eminence que cette recommandation que je lui fais serve aussi pour Messieurs les Cardinaux de la Congrégation, que je ferai solliciter de ma part de cette expédition.
**
Et ces lettres furent appuyées des trois certificats suivants : de trois évêques de mérite et de piété.
(18) Préfet de la Congrégation des religieux. Créé cardinal le 19 septembre 1626. Il est légat à Ferrare, puis légat a latère en Allemagne, évêque d'Albano, Sabine et Porto, vicaire du pape pour Rome, enfin sous-doyen du Sacré-Collège. Il meurt le 1" mars 1671. Dictionnaire des Cardinaux.
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CERTIFICAT DE MONSEIGNEUR L'EVÊQUE D'EVREUX (19).
Nous, HENRY DE MAUPAS du Tour, Evêque du Puy, nommé à l'évêché d'Evreux, ayant pris une particulière connaissance de l'état des religieuses nommées : du Très Saint Sacrement, établies en cette ville de Paris, du faubourg St Germain, lesquelles sous la grande Règle de St Benoît ; et même ayant fait le premier Office Solennel et la première prédication dans la nouvelle église des dites religieuses, nous avons remarqué une conduite si régulière et si louable dans le dit monastère, que nous avons jugé à propos d'en rendre ce témoignage par écrit, pour la plus grande gloire de Dieu et pour l'édification publique de tous les fidèles.
L'esprit de cette communauté est très fidèlement pratiqué par les sujets qui la composent. Les religieuses de ce monastère, non seulement suivent la Règle de St Benoit dans sa plus exacte rigueur, mais, bien plus, elles ont établi parmi elles l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel. Elles s'appliquent successivement, les unes après les autres, en qualité de victime, pour faire amende honorable à la sainte Eucharistie, en réparation de toutes les injures qui lui ont été [faites] dans la licence des guerres, et dans tous les autres temps où la fureur des hérétiques et impiété des libertins ont déshonoré ce sacré Mystère.
C'est par cette considération que nous estimons qu'en réparation de tant de sacrilèges qui ont profané la Sainteté des Autels, il serait à désirer de pouvoir établir, sous l'autorité du Saint Siège, une Congrégation pour maintenir cette Adoration perpétuelle dans tous les monastères du même Institut, ou autres couvents du même Ordre qui voudront s'y agréger.
En foi de quoi nous avons signé le présent certificat, et fait contresigner notre secrétaire, avec apposition du sceau de nos armes, pour servir aux dites religieuses partout où elles aviseront bon être.
Fait à Paris, ce 12ème mars 1663.
HENRY, du Puy
Par le commandement de Monseigneur, nommé A. d'Evreux, signé :
Bachelier (avec paraphe).
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CERTIFICAT DE MONSEIGNEUR DE SOISSONS (20).
Nous, CHARLE, par la grâce de Dieu Evêque de Soissons, certifions à tous qu'il appartiendra, que les Religieuses du Très Saint Sacrement, établies au faubourg St Germain de Paris, vivent, non seulement dans une louable et étroite observance de la Règle de St Benoit sous laquelle elles sont établies, mais encore ont établi parmi elles
(19) C'est lui qui avait béni l'église et les lieux réguliers du monastère rue Cassette, le 25 mars 1659.
(20) L'évêque de Soissons était alors Mgr Charles de Bourlon qui occupa le siège de 1656 à 1685. Gallia Christiana, IX, 380-381.
l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'Autel, à laquelle elles s'appliquent jour et nuit successivement, les unes après les autres, en qualité de victime, pour amende honorable à la sainte Eucharistie, en réparation de toutes les injures qui lui ont été faites dans la licence des guerres, et dans tous les autres temps ou la fureur des hérétiques et impiété des libertins ont déshonoré ce sacré Mystère.
C'est pourquoi nous estimons qu'en réparation de tant de sacrilèges qui ont profané la Sainteté des Autels, il serait à désirer de pouvoir établir, sous l'autorité du Saint Siège, une Congrégation pour maintenir cette adoration perpétuelle dans tous les monastères du même Institut, ou autres couvents du même Ordre qui voudront s'y agréger.
En foi de quoi nous avons signé le présent certificat, après y avoir fait apposer le scel de nos armes, pour servir aux dites religieuses partout où elles aviseront bon être.
Fait à Soissons, en notre palais épiscopal, ce dix-neufvième jour du mois de juin, l'an mil six cens [soixante] trois.
Signé : CHARLE, Evêque de Soissons.
Par commandement de Monseigneur l'illustrissime et révérendissime Evêque de Soissons : C. Baublan.
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CERTIFICAT DE MONSEIGNEUR L'EVÊQUE DE RENNES (21).
Nous CHARLE François de la Vieuville, par la grâce de Dieu et du Saint Siège Apostolique, Evêque de Rennes, certifions qu'ayant une particulière connaissance des religieuses nommées : du Très Saint Sacrement, établies en cette ville de Paris, fauxbourg St Germain, nous avons remarqué en elles un zèle conforme à l'excellence de leur Institut.
Ce sont des Filles qui font revivre l'ancienne Règle de St Benoit et la première rigueur de son observance, — et il plait à Dieu de susciter de temps en temps des religieuses qui aspirant à une sainte réformation de leur Ordre servent d'instrument à la procurer —. On doit aussi estimer ces Filles pour des personnes qui sont autant de flambeaux à celles de leur sexe, et qui pourront par leurs exemples les attirer à les suivre.
Mais, ce qu'elles ont de plus remarquable, est l'attache particulière qu'elles ont à la sainte Eucharistie, à qui elles rendent une adoration continuelle, ne cessant jour et nuit sans discontinuer de s'y offrir en qualité de victime.
Et comme les saints autels sont les lieux où l'on sacrifie pour les péchés des hommes, ce leur semble avoir une prérogative plus singu-
(21) Il prit possession de son siège de Rennes en 1664. Il est mort en 1676. Gallia Christiana, XIV, col. 763-764.
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lière en ce qu'il est encore destiné pour qu'on y fasse une amende honorable de toutes les profanations et sacrilèges qui se commettent, sur les autres.
C'est pourquoi Nous estimons qu'on ne saurait assez augmenter le nombre de si saintes filles, et que, pour cet effet, il est expédient de les régler et établir en une Congrégation, par l'autorité du Saint Siège, ne doutant point qu'en ayant obtenu la grâce et la permission, plusieurs couvents ne s'agrègent à elles.
En foi de tout ce que dessus nous avons signé les présentes, fait contresigner par notre secrétaire, et y apposer le sceau de nos armes. Fait à Paris ce 10ème juillet 1663.
Signé : CHARLE FRANÇOIS, Evêque de Rennes.
Par commandement de Monseigneur l'illustrissime et révérendissime Evêque de Rennes : de Galleron.
*9(
Si bien que cette dépêche produisit que Monseigneur le Cardinal SACHETI se chargea de notre requête, pour en faire le rapport à la Sacrée Congrégation des Réguliers. Toutefois, comme le procédé de cette Cour est de mener toujours les affaires dans une longueur extrême, la Requête fut bien rapportée, mais elle ne fut pas pour cela répondue. Ainsi, par des remises de jour à autre, l'affaire fut portée si loin que cette pieuse Reine et ce Saint Père Alexandre 7ème vinrent à mourir avant qu'il y eut rien de fait. Comme cela ce fut à recommencer, ce qui ne fut pas chose aisée, vu que nous étions en hasard que la protection nous manquât. Il est vrai que la jeune Reine nous accorda deux Lettres très affectionnées, pour des Cardinaux et pour Monsieur l'Ambassadeur, qui méritent bien aussi de trouver place en cet endroit pour le très grand honneur qui nous en revient.
LETTRE DE LA REINE, ÉCRITE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL FARNESE.
Mon cousin,
La feue Reine Madame ma belle-mère, s'étant rendue Fondatrice du monastère des religieuses du Très Saint Sacrement, établies à Paris, et les ayant toujours assistées de sa protection, je suis bien aise de [leur] donner la mienne et favoriser leur Institut en toutes occasions. Celle qui se présente de la supplique qu'elles ont fait présenter à notre Saint Père le Pape pour obtenir l'érection de leur Congrégation, sous trois Supérieurs généraux, m'oblige à vous en écrire et à vous recommander, comme je fais bien particulièrement et avec beaucoup d'affection, les dites religieuses qui méritent par leur vie exemplaire d'être protégées dans l'avancement de leurs pieuses et vertueuses
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intentions, pour la plus grande gloire de Dieu, que je prie de bon coeur vous avoir, mon cousin, à sa sainte et digne garde.
Ecrite à St Germain en Laye, le 30ème Janvier 1667.
MARIE-THÉRÈSE :
de Brisacier.
LETTRE DE LA REINE, ÉCRITE A MONSIEUR LE DUC DE CHAULNES, Ambassadeur à Rome.
Mon cousin,
Les religieuses du Très Saint Sacrement, établies au faubourg St Germain à Paris sous la faveur et protection de la feue Reine Madame ma belle-mère, poursuivent à Rome un Bref pour l'érection de leur Congrégation sous trois Supérieurs généraux ; et parce que je désire les assister dans leur pieux dessein, connaissant comme elles sont dans une conduite merveilleuse et dans une suite continuelle d'actions de vertu et de sainteté, je vous écris bien volontiers en leur faveur, pour vous dire que vous ferez chose qui me sera très agréable en donnant vos soins pour le succès de ce qu'elles souhaitent.
C'est l'affection que j'ai pour elles qui m'engage à y prendre intérêt, et d'autant plus que je crois que c'est pour la gloire de Dieu, que je prie vous avoir, mon cousin, en sa sainte garde.
Ecrite à St Germain en Laye, le 30ème janvier 1667.
MARIE THÉRÈSE
** et : de Brisacier.
Mais celle qui a le plus travaillé à cela, c'est Madame Douairière ; car Dieu, qui a pris plaisir de se manifester en cet ouvrage jusque dans les moindres choses, disposa son coeur de sorte qu'elle commença à venir céans fort fréquemment en ce temps-là, ayant pris en si grande amitié notre Révérende Mère Prieure qu'elle ne feignait pas de dire publiquement qu'elle regrettait le temps qu'elle avait vécu sans la connaître.
Il paraissait qu'elle voulait en quelque façon recouvrer ce temps perdu, en ce qu'elle la venait voir presque tous les jours, et souvent deux fois par jour, pour verser dans son coeur, en confiance, les secrets les plus intimes du sien ; et soulager la douleur de sa viduité par le récit de la sainte vie et de l'heureuse mort de Monsieur.
Comme cela elle vint à savoir notre affaire et s'offrit de la protéger. Aussi sa rare vertu ayant toujours été vénérée très particulièrement dans la Cour de Rome, depuis les persécutions que lui avait fait souffrir le cardinal de Richelieu sur le sujet de son mariage [sa vertu l'y] avait mise en très grande considération. Si bien qu'elle donna des Lettres à notre Révérende Mère Prieure pour plusieurs
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Cardinaux, et chargea par exprès Monsieur l'abbé de Jambulle son agent, de poursuivre cette affaire comme si c'était la sienne propre.
Ce ne fut pas encore là tout. Elle obligea Monsieur le duc de Florence et Monsieur le Prince de Toscane son fils, qui a épousé Mademoiselle d'Orléans, fille aînée de cette Altesse royale, d'envoyer des exprès la solliciter aussi. Ils n'ont pas manqué de le faire plusieurs fois, non plus que Son Altesse royale d'écrire et réécrire tout autant de fois qu'il l'a fallu. Mais sans effet jusqu'à présent.
Cependant elle nous servit beaucoup encore en une autre rencontre qui survint en ce même temps, laquelle ne nous était guère moins importante.
Ce fut que notre Révérende Mère Prieure (que le P. Dom Ignace avait chargée de faire les Constitutions de la Congrégation), ne pouvant y travailler à cause des fréquents voyages qu'elle était obligée de faire pour des établissements de l'Institut, — comme nous venons de voir — et de l'application qu'elle était contrainte de donner à la conduite de sa communauté le peu de temps qu'elle y arrêtait, fut dans la nécessité de le prier lui-même de les faire ; vu d'ailleurs qu'il avait bien plus d'intelligence à ces sortes de choses qu'elle n'en pouvait avoir, parce qu'il avait la pratique de leur Congrégation de St Maur, dans laquelle il avait même gouverné très longtemps plusieurs de leurs premières maisons.
Et il [le] lui avait accordé ; mais il arriva que, bientôt après qu'il eût commencé de mettre la main à la plume, les six ans de sa supériorité à l'Abbaye de St Germain expirèrent, et leur Chapitre étant mandé à Fleury, l'on songeait de l'envoyer plus loin commander, ainsi il ne se trouvait plus en état de continuer, et cela affligeait fort notre Mère Prieure.
Mais Madame y remédia bientôt, ayant envoyé un gentilhomme exprès à Fleury de sa part, chargé de lettres pour le Révérend Père général et pour les principaux Pères de l'assemblée, pour le faire revenir à Paris, le demandant pour son confesseur — comme il l'était déjà pendant qu'il était Prieur à l'Abbaye St Germain —, et ils n'osèrent l'en refuser.
Ainsi il y revint aussitôt, et continua deux ans son travail avec un zèle et une application admirable, car il avait grand amour et grand respect pour notre Institut, et bien de l'estime pour l'institutrice.
Mais ces deux ans ne lui auraient pas suffi peut-être, à cause de ses autres occupations s'il ne fut arrivé — sans doute par un ordre de Providence — que, s'étant trouvé plus indisposé que de coutume, et étant vieux et cassé, on fut obligé de l'envoyer changer d'air à l'Abbaye St Denis, avec le consentement de Madame ; et St Denis étant un lieu bien moins sujet aux visites, il y avança plus son ouvrage en six mois qu'il y demeura, qu'il n'avait fait en dix-huit mois à Paris.
Mais comme si Dieu ne lui eut prolongé la vie que pour ce sujet, aussitôt qu'il l'eût achevé — c'est à dire quinze jours ou trois semai- nes après —, il mourut d'une fort légère maladie, au mois de septembre 1667, au très grand regret de notre Institut pour les étroites obligations que nous lui avions, et particulièrement de notre Révérende Mère Prieure, qui l'honorait comme un saint et le chérissait comme son bon père, son conseiller et son appui (22).
Mais nous pouvons dire encore que cette même Providence, toujours favorable pour nous, nous aida peu de temps après d'un autre secours, plus inopiné encore, contre les longueurs ennuyantes de Rome, où, après la création du Pape Clément 9ème, Son Altesse Royale avait encore écrit, et obligé le duc de Florence et le Prince de Toscane de renvoyer des exprès, d'où il s'en suivit que, de nouveau, notre requête fut mise entre les mains du Cardinal pour la rapporter, et toutefois sans effet.
Mais ce secours dont nous allons parler nous donna plus de moyens d'attendre en patience la fin de tant de remises.
Cela a été que le Roi, désirant faire achever les cérémonies du Baptême de Monseigneur le Dauphin, que le Pape devait nommer, Sa Sainteté dépêcha pour cela en cette Cour, le Cardinal de Vendôme, en qualité de Légat à latere du Saint Siège, auquel elle expédia un pouvoir pour six mois, si ample, pour honorer davantage cette fête, qu'il a semblé qu'elle ne s'était rien réservé.
Le mois de mars 1668, ce Prince étant arrivé à Paris, ses facultés furent vérifiées et enregistrées au Parlement le 12 du même mois.
Ensuite la cérémome se fit au château de St Germain, avec une magnificence royale.
Puis, Monseigneur le Légat étant revenu à Paris, tout le Corps écclésiastique, tant séculier que régulier de l'un et l'autre sexe, ne manquèrent pas de le reconnaître par leurs soumissions comme ils auraient fait le Saint Père même ; et estimèrent se devoir prévaloir de son séjour et de son pouvoir, pour faire confirmer leurs anciens privilèges, ou en obtenir de nouveaux [et] même terminer les différends qu'ils avaient ensemble. Comme : les Pères Jacobins pour la séparation des provinces de leur réforme, les Pères Cordeliers pour d'autres sujets.
De même plusieurs Congrégations ou Instituts réguliers nouvellement faits, demandèrent des Bulles d'approbation, comme : les Religieuses de Notre Dame de la Miséricorde, les Bernardines du Précieux Sang (23) pour leur réforme, les religieuses nommées : les
(22) Dom Martène dit que dom Ignace Philibert eut toujours une santé délicate et que sa dernière maladie, fort douloureuse, dura près d'une année. Il est mort le 1er septembre 1667 à 66 ans. Le fait rapporté ici est aussi noté par dom Martène. Dom Martène, op. cit.
(23) Les religieuses de Notre-Dame de la Miséricorde : fondées par la vénérable mère Marie Magdelaine de la Trinité et le père Yvan dans la ville d'Aix. Le nouvel institut était destiné à recevoir les jeunes filles pauvres n'ayant pas une dot suffisante pour être acceptées dans d'autres monastères. A. Piny, La vie de la vénérable mère Marie Magdelaine de la Très-Sainte-Trinité, Lyon, 1680. — Les Bernardines du Précieux Sang : Louise-Blanche-Thérèse de Ballon
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Filles du Père éternel, la Congrégation des Prêtres réguliers de Notre Dame de l'Ermitage, en Auvergne, dont le chef et instituteur se nomme Monsieur Plance, et quelques autres dont on ne se souvient
pas du nom.
Ce ne fut pas que toutes ses facultés ne furent trouvées pouvoir s'étendre à choses plus grandes et plus importantes, puisque, de l'agrément du Roi, on se pourvut à lui pour la dissolution du mariage du Roi du Portugal et de Marie de Savoie de Nemours (24) comme nul ; et permettre à cette princesse d'épouser le prince, frère de ce Roi ; pour raison de quoi la princesse poursuivait en Cour de Rome il y avait déjà du temps pour en avoir la dispense, étant appuyée sur la faveur du Prince qui ne désirait pas moins qu'elle ce mariage, depuis qu'elle avait déclaré devant les Grands de Portugal que le Roi n'avait point été son mari, et que pour ce sujet elle s'était retirée dans un monastère de Lisbonne. Et à cause de son imbécillité, ce Roi fut dépouillé de son royaume par les Etats généraux, qui ne lui laissant que le titre de Roi et le duché de Bragance de son ancien domaine, élurent le Prince pour Régent.
Si bien que notre Révérende Mère ayant vu de si notables exemples du pouvoir de son Légat, duquel elle n'avait pas lieu de douter, prit conseil si elle ne ferait pas bien elle-même d'y avoir recours, et d'en prendre des Bulles de confirmation de nos Constitutions de la Congrégation, en attendant celles qu'elle espérait avoir de Rome ; et il lui fut répondu qu'elle ferait très bien de ne pas laisser échapper une si belle occasion, vu même que ces Bulles suffiraient seules si on n'en pouvait pas obtenir de Rome.
Suivant ce conseil nous présentâmes notre requête, et obtînmes un Décret autant favorable que nous le pouvions souhaiter, puisqu'en suite, les Bulles de confirmation de la Congrégation et des Constitutions du Régime de la même Congrégation, nous furent expédiées telles que nous les demandions.
naquit le 5 juin 1591 au château de Vauchy, entre Annecy et Genève. Elle entra à 7 ans au monastère cistercien de sainte Catherine d'Annecy et y fait profession le 4 mars 1607. Dirigée par François de Sales elle envisage avec lui la possibilité d'une réforme qui prend corps à partir de 1622, à Rumilly (Savoie). L'oeuvre prospère et à sa mort en 1668, la mère de Ballon avait établi neuf monastères de son observance. Sa formation salésienne l'incita à donner à sa réforme une spiritualité beaucoup plus proche de celle de saint François de Sales que de l'esprit cistercien primitif. Elle s'était d'ailleurs soustraite à la juridiction de l'abbé de Cîteaux pour placer ses monastères sous celle des évêques diocésains. Dict. spir., fascicule IV.
(24) L'une des deux filles de Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, aîné des fils et chef de sa famille, qui fut tué en duel par Beaufort 1652. Marie de Savoie avait épousé Alphonse VI, roi de Portugal. Mais Pierre II, le frère du roi, entrant dans les intérêts de Marie de Savoie contribua à faire déclarer Alphonse VI incapable de régner. D'abord régent, puis roi du Portugal en 1683. Dès 1667, il enlève à son frère Alphonse, tout en lui laissant son titre de roi, sa couronne, sa liberté et sa femme. Il fait casser le mariage d'Alphonse VI et de Marie de Savoie (mariage qui n'avait jamais été consommé) et épouse sa belle-soeur en 1668. Dict. de biographies, d'histoire et géographie. — De Feller, op. cit.
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Ce fut le 4ème des calendes de juin 1668, c'est à dire au mois de mai, par l'abbé Bonfils, auditeur et secrétaire de la Légation, et fort ami de notre Révérende Mère. Elles sont couchées tout au long dans nos Registres, outre l'expédition originale en parchemin, avec le sceau, qui en est demeuré parmi nos titres, parmi lesquels il est bon de faire remarquer qu'il s'y en trouve encore une du Cardinal Chigi neveu du Pape Alexandre 7ème, qui était venu Légat en France, en l'année (précédente ?) 1664, pour faire satisfaction au Roi du mauvais traitement qu'il avait reçu à Rome, en la personne du duc de Créqui, son ambassadeur, de qui on avait assassiné les domestiques à la porte de son carosse ; et comme le Légat était sur le point de s'en retourner, quelques personnes conseillèrent notre Révérende Mère de prendre des Bulles de lui.
Mais elle fut si mal servie que ces Bulles ne servent bonnement à rien, ne portant autre chose que confirmation du pouvoir que nous avions d'avoir le Saint Sacrement exposé tous les Jeudis, comme faisant partie de notre Institut. Pourtant c'est quelque chose d'avantageux en ce que, si ce n'est directement, c'est du moins indirectement que ce Légat a approuvé et confirmé notre Institut.
Mais Monseigneur le Cardinal de Vendôme en accorde encore trois autres, à savoir : une, pour l'association des fidèles à l'Adoration perpétuelle ; une pour l'union de l'Abbaye de la Consolation, et dispense de l'austérité qu'elles avaient professée par delà la grande Règle de St Benoit qui s'observe par les réformées de France ; et une pour faire Office et Mémoire de plusieurs saints particuliers.
De plus, il se nomma lui-même, sur la requête qui lui fut présentée en notre nom, pour être l'un de nos Supérieurs.
Et nos Bulles d'érection et approbation étant présentées le 25 d'août suivant au Révérend Père Prieur de l'Abbaye St Germain, notre Supérieur Ordinaire comme grand'Vicaire de Monseigneur l'abbé, il a donné son consentement à ce qu'elles aient leur plein et entier effet.
Le 17ème octobre elles furent de même présentées à Monseigneur l'Evêque de Toul qui a donné le même consentement. En suite de quoi, par Acte capitulaire du Sème décembre de la même année 1668, nous avons déclaré accepter la Congrégation ; ayant pris auparavant lecture, durant plusieurs jours, des Constitutions du Régime ou gouvernement que notre Révérende Mère nous communiqua plusieurs fois, nous assemblant pour cela, pour nous donner pleine et entière connaissance (et) des obligations que nous contracterions en l'acceptant.
Nous en avions même de plus loin une parfaite intelligence, parce qu'il y avait deux ans que ces Constitutions étaient faites, sur quoi l'on projetait de plus loin encore de se mettre en Congrégation. Et déjà, le 19ème de mai précédent 1667 notre communauté de Paris avait donné un pouvoir en bonne forme à notre Révérende Mère Prieure de poursuivre, tant à Rome que partout ailleurs, l'érection de
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cette Congrégation. Ainsi rien n'empêcha que cette Bulle ne fut publiée dans notre monastère de Paris, le 18ème du mois de mai, par : de Blois, Notaire royal et apostolique, en présence de témoins considérables. Car notre Révérende Mère, désirant d'y apporter toute la solennité possible, afin qu'à la suite du temps on ne put douter [penser] qu'il y avait eu de la surprise, la Bulle nous ayant été expliquée mot à mot : de latin en français, toutes les religieuses allèrent signer pour marquer de leur acceptation ; mais parce qu'il se trouva que, par mégarde, on y avait mis que la maison de Paris serait le chef de la Congrégation — quoique ce ne fut point l'intention —, elles passèrent de bonne foi et volontairement un acte, le lendemain de cette publication, par lequel elles déclarent que, bien que cela fut porté dans la Bulle, toutefois leurs intentions n'étaient nullement de s'en prévaloir, qu'au contraire elles y renonçaient pour elles et pour celles qui [leur] succéderaient à l'avenir ; car elles comprirent fort bien que de faire un chef de la Congrégation était plutôt faire un titre de Bénéfice qu'une Congrégation, et s'exposer à souffrir d'avoir des abbesses par nomination du Roi ; si bien que ce fut très librement que nous nous déportâmes de ce droit.
Comme cela à l'égard de notre maison de Paris ce fut une affaire consommée, puisqu'il y avait une Bulle d'un Légat apostolique, obtenue à notre poursuite, consentie par les Supérieurs Ordinaires, et que nous l'avons acceptée de nouveau ; comme bientôt après firent nos maisons de Toul et de Remberviller. Car notre Révérende Mère Supérieure étant allée en Lorraine au mois de janvier de cette présente année 1669, passant par Toul y fit publier la même Bulle avec les mêmes solennités qu'à Paris, et de même les religieuses l'acceptèrent comme l'ayant aussi poursuivie, ou donné pouvoir de ce faire à notre Révérende Mère Supérieure par acte du 4ème avril 1668.
Et de là notre Révérende Mère alla à Remberviller devant que de se rendre à Nancy, leur fit faire la même publication, qui fut suivie de même acceptation, comme elle avait été précédée de même pouvoir pour l'obtenir.
Mais, pour la maison de Toul, elle se trouvait doublement engagée à y subir, puisqu'elle l'était par son propre établissement qui porte que, si cette maison venait à se séparer de la Congrégation et de l'union à la maison de Paris, les dix mille écus que Madame la comtesse leur Fondatrice leur donne, reviendraient à cette même maison de Paris.
Pourtant sur [ce] que nos amis avaient trouvé qu'il ne fallait pas négliger — pour celle du Légat — d'avoir de Rome une même Bulle d'érection, parce que la Congrégation en serait plus affermie, nous ne laissâmes pas d'y travailler, et y fûmes encore plus conviées par la rencontre du voyage qu'y allait faire l'abbé Bonfils, de la part de Monseigneur le Cardinal Légat, pour faire ratifier par le Pape tout ce qu'il avait fait à sa Légation, car cet abbé nous promettait de s'employer fortement pour nous faire avoir ce que nous demandions.
Aussi il se chargea très volontiers de notre affaire, et en effet il porta la chose à ce point qu'il avait eu parole d'une Bulle conforme à notre demande ; mais c'était avec cette condition que tout se ferait sous le bon plaisir de Monseigneur l'Archevêque de Paris ! Ce qui était nous donner et nous ôter à même temps, puisque c'est chose incompatible que d'être en Congrégation et dépendre des Ordinaires. Et il n'y avait nulle apparence que Mr de Paris, ni aucun autre Prélat, voulussent consentir qu'il fût fait que, dans leur diocèse, des religieuses eussent d'autres Supérieurs qu'eux.
Nous ne fûmes pas conseillées de faire expédier cette Bulle qui nous aurait coûté bien de l'argent et ne nous aurait de rien servi ; et nous demeurâmes à espérer toujours du bénéfice du temps, ou pour mieux parler : de la divine Providence, qui ne nous a pas manqué en cette occasion non plus qu'en toutes les autres, comme nous dirons en son lieu, car, auparavant il faut que nous parlions d'un évènement qui, ayant beaucoup de relation à ce que nous traitons ici, nous engage nécessairement d'en faire mention.
C'est que : ce grand procès, qui durait depuis si longtemps entre les Archevêques de Paris et les Abbés de St Germain des Prés, pour raison de la juridiction écclésiastique de ce faubourg, fut terminé par transaction du 20ème [de] septembre 1668. Et la juridiction se trouva cédée par Mr l'Abbé [de St Germain des Prés] à Monseigneur l'Archevêque sur tout le faubourg St Germain à la seule réserve de l'Abbaye, qui seule en demeure exempte (25).
Comme cela il ne pouvait arriver une conjoncture moins favorable pour nous, pour avoir son consentement. Car, quelle apparence y avait-il d'espérer que, dans le temps qu'il se mettait en possession d'une autorité qui lui avait été — et à ses prédécesseurs — si longtemps disputée, il voulut y déroger aussitôt en nous permettant sur l'heure de nous (en) soustraire de lui, pour nous soumettre à d'autres Supérieurs que lui-même ? Mais Dieu peut tout et il le montra bien.
(25) Antoine Espinasse. né en 1600 à Bagnols, diocèse de Clermont, d'abord avocat au barreau de Toulouse, il fait profession à Saint-Augustin de Limoges le 19 janvier 1626. Il est prieur dès 1630 à Bordeaux. Visiteur de la province de Toulouse de 1636 à 1660. Premier puis second assistant du révérend père général de 1660 à 1666. Prieur de Saint-Germain-des-Prés 1666-69. Il est envoyé à La Grasse (Aude), son action près de l'archevêque de Paris, relatée ci-dessous, ayant déplu aux supérieurs de sa congrégation. Il meurt à La Réole, le 21 novembre 1676. Religieux fervent, très austère il pratiquait de rudes mortifications. Alors qu'il était prieur de Saint-Germain-des-Prés, les rapports constants qu'il devait avoir avec les curés des paroisses dépendant de l'abbaye, la gestion des intérêts temporels des territoires sous la juridiction de Saint-Germain-des-Prés lui étaient tellement à charge qu'il chercha comment diminuer le fardeau pour lui et ses successeurs. Depuis plusieurs siècles l'abbaye de Saint-Germain avait juridiction spirituelle et temporelle sur le territoire du faubourg Saint-Germain et les archevêques de Paris avaient depuis plusieurs années entamé un procès avec l'abbaye pour reprendre leurs droits sur cette partie de leur diocèse. Pensant ainsi alléger sa tâche temporelle, le prieur, dom Antoine Espinasse, en accord avec l'abbé commendataire Mgr de Metz, duc de Verneuil, rendit à l'archevêché de Paris tous ses droits sur le faubourg. Dom Martène,
op. cit.
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Cependant il arriva que Casimir, Roi de Pologne, par un exemple mémorable à la postérité, méprisant les grandeurs mondaines, renonça à sa couronne après la mort de la Reine Marie de Nevers de Mantoue, son épouse (26). Et comme il est des alliés de la France, et qu'il donnait au Roi les suffrages de ses créatures pour l'élection du Roi son successeur à ce qu'il fût de nos amis, Sa Majesté en reconnaissance lui donna toute la dépouille des Bénéfices de Henry de Bourbon, duc de Verneuil, son oncle naturel, ci-devant notre Abbé, lequel, à l'âge de 68 ans [s'est] marié, après avoir possédé toute sa vie des biens d'Eglise.
L'Abbaye St Germain, entre les autres, est échue à ce Roi. Mais nos Pères de cette Abbaye — qui n'étaient nullement contents de la transaction, qui se trouvait passée devant qu'il fût pourvu de l'Abbaye, — en prirent l'occasion de revenir contre, faisant naître des difficultés à l'homologation de Rome [pour] faire remettre l'affaire en contestation, et, ce pendant, suspendre cette homologation jusqu'à laquelle Mr de Paris ne pouvait prendre possession ; en façon qu'en effet, il ne la put prendre si tôt (27).
Ce retardement produisit ce bon effet que notre Révérende Mère eut tout le temps qu'il lui fallait pour faire ce voyage de Nancy, qu'elle se trouvait obligée de faire au sujet de l'union de l'Abbaye N.D. de la Consolation à notre Congrégation, et d'en revenir, devant que Mr de Paris ait été en droit de nous venir visiter et prendre possession de la qualité de Supérieur céans ; car plusieurs mois se sont passés devant que ces difficultés de Rome aient été levées.
Mais Mr de Paris ayant obtenu arrêt au Grand Conseil, qui le maintient — au refus de l'homologation de Rome —, dans la posses-
(26) Henriette duchesse de Clèves et petite-fille de François de Clèves, duc de Nevers et pair de France, épousa en 1565, Louis de Gonzague, tige des derniers ducs de Mantoue. Les deux duchés furent réunis pendant un siècle. En 1660, le Cardinal Mazarin acheta le duché de Nevers aux ducs de Mantoue pour son neveu Philippe Mancini-Mazarini. A partir de 1572, la couronne de Pologne devint élective. Tout noble avait droit de vote et un seul veto empêchait l'élection. Les pouvoirs du souverain étaient de plus en plus limités. Jean Casimir ou Jean II Wasa est le cinquième prince élu par la diète. Il a régné de 1648 à 1669. Fils de Sigismond III, il est né en 1609. Il avait d'abord été religieux dans la Compagme de Jésus, puis cardinal. Relevé de ses voeux par le Pape pour pouvoir succéder à son frère Wladislas VII dont il épousa la veuve. Prince faible il était mal préparé pour lutter contre les plus redoutables périls que sa nation ait jamais courus. Ayant perdu sa femme en 1667, il abdiqua et se retira en France où le Roi lui donna l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, la Trinité de Fécamp et Saint-Martin de Nevers. Il mourut à Nevers en 1672. Alors qu'il était roi de Pologne, il avait confié la direction de l'armée à Jean Sobieski. Celui-ci montera sur le trône en 1674. C'est lui qui délivrera Vienne assiégée par les Turcs. C'est en reconnaissance de la protection divine sur son mari et sur son pays que la reine Marie Casimir fonda le premier monastère de l'institut en Pologne. Mouret, op. cit., t. VI. — Bouillet, D.H.G. — Archives de nos monastères de Pologne.
(27) Texte peu clair : l'auteur du manuscrit semble dire que les Pères de Saint-Germain-des-Prés n'étaient pas satisfaits de voir leur échapper la juridiction sur le faubourg Saint-Germain. Ils prirent occasion de la transaction de Louis XIV, donnant leur abbaye en bénéfice au roi de Pologne, pour faire opposition à Rome à l'homologation du procès gagné par l'archevêque de Paris, comme il a été dit ci-dessus. Cet archevêque était Mgr Hardouin Beaumont de Péréfixe.
sion des choses accordées par la transaction, il n'a pas manqué ensuite de l'exécuter, commençant par l'église paroissiale et par tous les couvents d'hommes et quelques uns de filles.
En façon qu'il semblait que nous n'avions plus de moyen d'échapper l'une de ces deux extrémités très grandes : de souffrir qu'il fit acte de possession en faisant sa Visite céans en qualité d'archevêque de Paris — ce qui était déroger absolument, et annuler entièrement ce qui avait déjà été fait pour établir la Congrégation, soit de la Bulle de Mr le Légat, soit de l'union de nos autres maisons, et perdre l'espérance d'y jamais plus revenir ; ou bien : de lui refuser l'entrée, actualisant, verbalisant et protestant contre lui. Et ensuite se résoudre de le plaider ; [ce] qui eût été une chose très fâcheuse et n'eût pas même été si favorable en l'état que nous nous trouvions : sans Bulle de Rome d'érection en Congrégation, ni Lettres Patentes du Roi, quoique nous ne fussions pas sans titres, puisque nous avions la Bulle du Légat et le consentement de nos précédents Supérieurs.
Si bien que nous étions fort angoissées dans ce détroit ; mais Dieu donna tant d'efficacité à la prière que lui [Mgr l'Archevêque] fit pour nous Madame Douairière, notre illustre Protectrice, que, contre toutes les apparences humaines, après qu'il eût pris une entière connaissance de ce qu'il y avait déjà de fait pour la Congrégation, il nous accorda le consentement que nous désirions si fort et que nous osions si peu espérer.
Nous pouvons faire état assuré d'avoir de Rome, quand nous voudrons, notre Bulle d'érection, puisque rien ne nous en avait empêchées que le défaut de ce consentement. Aussi nous y aurions travaillé d'abord après l'avoir obtenu, sans qu'il est arrivé la mort de notre Saint Père le Pape Clément 9ème, qui n'a pas encore de successeur créé quand ceci se trouve écrit.
Même, Monseigneur de Paris s'est nommé pour être l'un de nos Supérieurs à la place de Monseigneur le Cardinal de Vendôme qui est mort au mois d'août 1669, au très grand regret de tout notre Institut qui lui avait des obligations infinies pour la Bulle d'érection qu'il nous accorda si favorablement pendant sa légation, et par la protection que nous espérions à la suite, puisqu'il avait bien voulu accepter d'être l'un de nos supérieurs et notre Protecteur spécial.
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Nous, HARDOUIN DE PEREFIXE, Archevêque de Paris, etc...
Ayant vu et considéré les très humbles et instantes suppliques à nous faites, par les Prieures et religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, des monastères de Paris, Toul, Remberviller et Nancy, de vouloir agréer et approuver l'usage des Bulles à elles données, et des Constitutions confirmées par Mr le Légat de Vendôme, Légat Apostolique, pour agréer et unir en Congrégation les dits monastères ci-dessus nommés, et d'en vouloir
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être le premier et principal Supérieur Protecteur, Nous, voulant bénignement favoriser un dessein qui nous parait d'autant plus excellent qu'il ne tend, par tous ses emplois et fonctions, qu'à honorer incessament le Fils de Dieu dans le plus auguste de nos Mystères, et à réparer par des hommages continuels la gloire que le crime lui ravit tous les jours ; et pour témoigner à Madame la duchesse d'Orléans le zèle et (le) respect avec lequel nous accomplissons ses désirs, nous avons par ces présentes agréé et agréons, approuvé et approuvons, l'usage et pratique des Bulles et Constitutions susdites, données et confirmées par Mr le Cardinal de Vendôme, Légat Apostolique, VOULONS ET CONSENTONS que les dites Prieures et religieuses des monastères de Paris, Toul, Remberviller, Nancy, et autres qui pourront à l'avenir s'unir en ladite Congrégation, jouissent des grâces, privilèges et bénédictions (contenues) ès Bulles et Constitutions susdites, acceptant pour effet la qualité de premier Supérieur et protecteur de ladite Congrégation, assurant les dites Prieures et religieuses de notre bienveillance et singulière protection ; et pour confirmer tout ce que dessus et le rendre ferme et stable pour toujours, nous avons signé la présente, à notre palais archiépiscopal et scellé de notre scel, le huitième octobre mil six cent soixante neuf.
HARDOUIN Ar. de Paris
se trouve à gauche le cachet.
APPROBATION
de Monseigneur l'Archevêque de Paris de la bulle d'érection donnée par Monsieur le Cardinal de Vendôme légat pour une congrégation de l'Adoration perpétuelle etc.
Et pour être le premier supérieur de la Congrégation après la mort de Monsieur de Vendôme.
Monseigneur l'Evêque de Toul a de même donné son approbation par écrit — quoiqu'il nous l'eût déjà accordée ci-devant —, mais notre Révérende Mère Supérieure et tous nos monastères ont jugé qu'il était à propos de la faire renouveler, à cause de l'acceptation de Monseigneur l'Archevêque de Paris qui est intervenue depuis, qui consomme entièrement notre affaire et donc le véritable commencement [de] notre Congrégation, parce que nous n'avons plus rien à appréhender, puisqu'il n'y avait que la seule considération qui eût fait naître les difficultés que nous y avons rencontrées en Cour de Rome, où les Cardinaux ne nous voulaient rien accorder que sous cette condition de son bon plaisir.
Mais à présent qu'il veut bien être notre Supérieur, comme personne distincte de sa dignité d'Archevêque, il n'est plus rien qui nous puisse empêcher que nous ne soyions paisibles dans les usages de notre Congrégation et de toutes nos Constitutions.
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Ce fait nouveau nous a semblé mériter que Monseigneur de Toul renouvelât aussi son approbation, parce qu'ayant ces deux approbations là — avec celle de Monseigneur l'Evêque de Sées [Monseigneur François Rouxel de Médavy 1651-1670] que nous espérons à la suite — voilà nos trois Supérieurs établis, et par conséquent le Régime de notre Congrégation en sa forme.
Mais ce très bon Prélat de Toul a accordé la sienne avec une bonté si particulière que nous en devons faire mention, puisque, ne pouvant assez témoigner sa tendre affection envers nous par les termes ordinaires, il a voulu ajouter de sa main, après sa signature, qu'il accordait le tout, à la charge qu'il serait toujours, tant qu'il vivrait, notre Supérieur (quoiqu'il s'agit de cela même dans la requête qu'on lui présenta), comme si son coeur vraiment paternel ne s'était point assez exprimé par le consentement qui résultait de sa signature, et qu'il n'eût pu souffrir l'ombre de la privation des moyens de nous en donner des preuves, ce qui eût pu arriver s'il [ne fût] pas resté notre Supérieur. Et cette réserve obligeante ne nous engage pas moins à une éternelle reconnaissance envers lui, que nous [lui] devions déjà de respect pour les obligations infinies que nous lui avions, puisque sans tout ce qu'il avait fait auparavant pour nous mettre en Congrégation, notre affaire ne [se] serait pas trouvée dans l'acheminement où elle était pour obtenir la Bulle de Monseigneur le Légat, et ensuite le consentement de Monseigneur de Paris, et par conséquent il ne [se] serait rien pu faire.
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DE L'ORIGINE
DE L'ABBAYE DE LA CONSOLATION NOTRE DAME DE NANCY
ET DE SON UNION A LA CONGRÉGATION
DE L'ADORATION PERPÉTUELLE DU TRÈS SAINT SACREMENT DE L'AUTEL
Charles, 3ème du nom, Duc de Lorraine, épousa Madame Claude de France fille du Roi Henry second et de la Reine Catherine de Médicis.
Et de ce mariage lui naquirent trois fils et quatre filles : Henri, François, et Charles — qui fut Cardinal ; et Christine, Elisabeth, Antoinette et Catherine.
Henri — comme l'aîné — succéda aux Etats du Duc son père ; et fut marié à une princesse de la maison de Mantoue, de laquelle il n'eût d'enfants que les princesses : Nicole et Claude. Et mourut ainsi sans laisser de postérité masculine.
François : fut Duc de Vaudémont ; et fut marié avec une fille de la maison de Salm, dont il eut deux fils et deux filles, savoir : Charles, Nicolas-François, Henriette et Marguerite.
Christine, fille aînée de Charles 3ème, fut mariée au Duc de Florence ; Elisabeth : au Prince électeur de Bavière ; Antoinette : au Duc de Clèves ; et Catherine fut Abbesse de Remiremont.
Des deux filles de Son Altesse le Duc Henri et [des] deux fils de François Duc de Vaudémont, son frère, furent faits double mariage, toutefois en divers temps.
Charles — qui était Son Altesse d'aujourd'hui — épousa Madame Nicole (et par ce moyen : Duc de Lorraine) ; et François-Nicolas épousa Madame Claude.
Et des soeurs de ces deux princes : Henriette fut mariée au Prince de Phalsbourg ; et Marguerite, comme nous avons dit ailleurs, à Monsieur, Fils de France, Duc d'Orléans, frère unique du Roi très chrétien Louis 13ème, et oncle du Roi à présent régnant Louis 14.
Il a été nécessaire de commencer ces mémoires par l'établissement de cette généalogie pour donner une intelligence plus claire de ce que nous avons à traiter, parce qu'il y sera parlé beaucoup de fois de tous ces princes et princesses.
Revenons à Catherine, Abbesse de Remiremont, fille du Duc Charles 3ème, qui est la personne dont nous avons le plus à parler.
C'était une princesse grandement bien faite de corps et d'esprit, et ses rares qualités l'avaient fait aimer si chèrement du Duc son père, que c'était un dire commun dans le pays que, si l'on voulait obtenir quelque grâce de Son Altesse, il fallait s'en adresser à
Madame Catherine. Et elle, réciproquement, avait une amitié si tendre et si respectueuse pour ce Prince que, quand il mourut, elle en pensa perdre la vie de douleur. Ne pouvant s'en consoler, du moins mourut-elle au monde, par un renoncement général à toutes ses folles grandeurs et par une conversion entière de toutes ses affections en Dieu pour jamais.
Cette mort, comme cela, enleva deux vies en même temps. La vie naturelle du père : en portant son corps au tombeau, et la vie que la fille prenait dans la jouissance de sa grandeur et de ses richesses, ayant fait que Madame Catherine s'adonna dès lors si fortement à la dévotion que, ne voulant plus ouïr de se marier, elle proposa de se rendre Capucine.
Mais, comme il n'y en avait point dans tout le pays, son dessein ne put être si promptement exécuté, quoiqu'elle entreprit pour cela d'en faire venir à Nancy et de les fonder largement ; ayant [fait] pour ce sujet de très grandes diligences en Cour de Rome et auprès des Pères Capucins par le moyen du Prince Cardinal son frère. Toutefois, lorsque l'affaire paraîssait fort proche de sa conclusion, un événement de Providence le rompit tout à fait.
C'est sans doute que Dieu la réservait pour être quelque jour un des grands ornements de l'Ordre de St Benoit ; et cependant il arriva que Madame la Rhingrave de la maison de Salm, Abbesse de Remiremont, se démit en sa faveur de son Abbaye. Et comme c'est un Bénéfice qui a toujours été rempli par des princesses, Son Altesse frère de Madame Catherine, voyant qu'elle voulait être religieuse l'obligea de l'accepter. Comme cela elle fut voilée et mise en même temps en possession de ce Bénéfice.
Mais comme son coeur aspirait à une très haute perfection, elle ne trouva pas en sa retraite de quoi contenter sa ferveur ; de sorte que sans s'arrêter à posséder mollement et doucement son état religieux, comme avaient fait ses devancières, passant leurs jours dans la pompe et dans l'éclat, elle forma bientôt le dessein de remettre son Abbaye dans l'ancienne discipline de l'Ordre de St Benoit dont elle est issue, quoique ces Dames Chanoinesses ne veulent pas l'avouer.
Elle fit pour cela tracer un monastère dans l'enclos de l'Abbaye de Remiremont, pour y établir des religieuses réformées de notre Ordre, et se retirer parmi elles, appelant à cet effet les Mères Eufraise du Hautoy et Barbe de Hulce, avec encore deux autres religieuses de St Maur de Verdun. Ce sont les mêmes Mères Eufraise et Barbe desquelles nous avons parlé au sujet de Notre-Dame de la Conception de Remberviller où elles allèrent depuis, mais elles étaient venues à Remiremont auparavant.
Et Madame de Remiremont les logea dans son palais abbatial en attendant que le monastère qu'elle leur faisait préparer fût bâti.
Toutefois ce projet se trouva vain, parce que les jeunes Chanoinesses — qui sont toutes Filles de qualité et qui ne se sont pas mises
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V-
là-dedans pour y professer une vie fort austère ! — s'opposèrent fortement à ce dessein. Car, bien que Madame de Remiremont ne leur parlât point de se réformer, elles ne laissaient pas de voir que si, une fois, les réformées y étaient établies, il leur serait assez malaisé d'éviter qu'on ne les y obligeât à la fin ; et cette peur leur fit rechercher toutes sortes de moyens pour traverser ce dessein, soit par dessous main, soit déclarément quand l'astuce n'y put plus rien. En étant venues à ce point que de démolir la nuit ce que les maçons avaient fait le jour au bâtiment du monastère ; et, à la suite, d'aller elles-mêmes de plein jour, détourner les ouvriers leur ôtant : chaux, mortiers et pierres, et les frappant de leurs outils ; et allant sous les fenêtres des réformées leur chanter des injures, les appelant « chiennes bénédictines » et mille autres outrages.
Mais ce ne fut pas encore assez à leur emportement. Comme deux prélats se portèrent sur les lieux pour faire poser des portes de clôture à l'Abbaye seulement, pour la séparer de la ville durant la nuit, et empêcher les conversations et veillées qui se faisaient souvent avec les hommes chez les Chanoinesses, chez qui ils jouaient grand jeu, il y en eut deux qui furent tellement possédées de l'esprit d'iniquité que d'en venir à prendre une cognée et rompre les portes en leur présence [ainsi que de] Madame de Remiremont et des Officiers de la ville qui ne faisaient que de les poser, à la vue de tout le peuple, sans avoir égard à toute autorité ; et — ce qui est de plus effroyable — au mépris d'une excommunication majeure que ces prélats venaient de fulminer dans ce moment, en vertu d'un Bref de Rome, contre toute personne qui serait si hardie que de toucher à ces portes.
Aussi, la punition du mal parût bientôt sur la plus hardie des deux, car Dieu la laissa tomber dans le péché, qui est le châtiment ordinaire de l'orgueilleux. La malheureuse fille s'étant laisser abuser fut dévoilée honteusement, et chassée avec infamie de Remiremont. Et n'a eu d'autre refuge qu'une maison réformée de St Benoit, fort éloignée, dans laquelle elle fut reçue sans la connaître, où elle a fini ses jours avec bien de la misère.
Pour sa complice, elle tomba malade quelque temps après cet attentat et mourut. Il est vrai qu'elle (se) reconnut [sa faute] auparavant, ayant demandé pardon à Dieu et à son Abbesse, et reçu l'absolution de l'excommunication qu'elle avait encourrue.
De sorte que notre princesse, voyant des scandales si horibles et s'étant comme lassée à des furieux procès, tant civils que criminels, qu'il lui avait fallu soutenir contre ses filles révoltées — pendant lesquels elle courut bien des fois hasard de la vie par le poison —, elle jugea que ce serait témérité de pousser plus avant cette entreprise. Comme cela elle s'en déporta [désista] par l'avis même de Son Altesse son frère, qui favorisait assez ces Chanoinesses en considération de leurs parents qui étaient les principaux de sa Cour. Et renvoya les réformées à Verdun en leur Abbaye de St Maur, d'où elles étaient venues.
Cependant son coeur ne demeurait point satisfait. Il aspirait sans cesse à la recherche de la plus grande gloire de Dieu, et ne la pouvant plus procurer en la chose même qui eût été de remettre cette Abbaye dans l'esprit de sa première institution de la Règle de St Benoit, elle se proposa de le faire par supplément, en fondant un monastère de la réforme dans la ville de Nancy (28) et se retirer parmi elles pour y vivre dans les mêmes observances, espérant que son exemple pourrait toucher ces coeurs endurcis.
Et le Duc son frère goûtant beaucoup son dessein lui en fit expédier les Lettres Patentes nécessaires au mois de juin 1624, auxquelles i! voulut ajouter de ses libéralités pour en faciliter l'exécution, ayant fait [un] don par ces mêmes Lettres à ce monastère : qui serait de deux mille livres Barrois de rente annuelle, pour commencer à le doter avec l'assignat le plus favorable qu'il pût choisir, qui est sur la recette du Barrois : la plus nette et la meilleure de tout le domaine des Princes de Lorraine.
Il est vrai qu'il les chargea de recevoir pour rien, une fois seulement, douze pauvres demoiselles bien appellées, mais ce fut sans doute plus pour attirer à cette princesse des bons sujets pour donner commencement à son ouvrage, que pour la surcharger.
En effet il s'y en présenta depuis à la foule, pour recevoir ce double avantage : d'être logées pour rien pour le reste de leurs jours, et d'avoir l'honneur de l'être dans la maison d'une si grande princesse. Comme cela le nombre a été rempli peu à peu, et ces religieuses entrèrent en jouissance de ces deux mille livres de revenu dès l'année 1624, et ont toujours continué d'en jouir paisiblement jusqu'en 1634 que les guerres renversant tout cet Etat les en privèrent.
Mais les Lettres Patentes furent vérifiées et enregistrées par toutes les cours où il fut nécessaire de le faire.
Mais Madame de Remiremont ne leur donna rien, pour lors, par contrat, se réservant de le faire jusqu'à ce qu'elle eût vu le train que cette entreprise prendrait ; comme aussi elle se conservait la propriété de son bien pour faire faire les bâtiments du monastère. et pour mille autres besoins qui ne se rencontrent que trop en pareille occasion.
Même elle ne les a pas dotées depuis, parce qu'elle [s'est] trouvée surprise des guerres qui rompirent toutes ces mesures, sinon qu'en 1631 elle leur fit une donation entre vifs : du monastère, de tous les meubles meublants dont il se trouverait meublé, et de tous les meubles de la sacristie, parce que le tout avait été fait et acquis en son nom.
(28) Le monastère est dédié à Notre-Dame de la Consolation. Archives de Meurthe-et-Moselle, H 2400 et H 2401.
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Toutefois cette maison n'a pas laissé de s'en prévaloir beaucoup, non seulement comme de la dépouille de leur Abbesse, mais de son patrimoine propre, parce qu'elle a fait testament ; suivant la permission qu'elle en avait obtenue de notre Saint Père le Pape, et à la réserve qu'elle en avait fait, du consentement du Duc Henry son frère, devant que de s'engager par les voeux de religion, de pouvoir succéder nonobstant et disposer de ses biens.
Et, par ce testament elle déclare qu'elle applique à la fondation de la Consolation : tous ses biens, noms, raisons et actions.
C'est sur cela que cette maison a droit sur les Rentes de l'Hôtel de Ville de Paris dont elle jouit encore ; ces Rentes étant échues, pour un septième, à Madame de Remiremont pour son partage en la succession de Madame Claude sa mère, à qui elles appartenaient suivant la coutume de Paris où les enfants partagent également ; et encore pour un septième : comme héritière universelle, par testament, de Madame Antoinette, duchesse de Clèves, sa soeur, qui lui avait laissé de bien plus grands biens encore que cela.
De ce même chef aussi a procédé l'opposition que cette Abbaye a formée, sous le nom de Madame sa tante, au décret qui fut mis il y a quelques années, sur l'hôtel de Lorraine en cette même ville de Paris, pour les principaux et les arrérages que Son Altesse devait à Madame de Remiremont. Et bien que le Roi se soit acquis cet hôtel par le traité de 1662 qu'il a fait avec la dite Altesse, leur opposition — de même que leurs droits — ne laisse pas de subsister, à cause que Sa Majesté s'est chargée de payer toutes les dettes du Rang, desquelles cette Abbaye est des premières et des plus privilégiées.
Elles s'en prévalent aussi de la Rente de Chaumont, qui est de dix mille francs en principal, laquelle avait été créée par cette princesse pour la fondation du Prieuré de St Romary destiné à ses religieux réformés. Et comme ce Prieuré est absolument aboli : n'y ayant plus de religieux, cette rente est revenue à la Consolation, en vertu de leur union, et encore en vertu du testament de la Fondatrice.
Pour le Prieuré du Pont St Vincent [Meurthe-et-Moselle] il a été cédé par accomodement par les religieuses [aux] religieux bénédictins de [la] Congrégation [de] St Vanne qui l'occupent présentement, sur ce que ces Pères disaient que le reliquat de cette réforme — consistant en quelques religieux — se trouvait parmi eux. Et là-dessus ils voulaient même leur disputer St Romary ; et pour s'acquérir la paix elles furent conseillées de partager, leur laissant ce Prieuré là et gardant celui de St Romary qui est plus à leur bienséance. De sorte que tous ces droits là se peuvent monter à bien haut si une fois ils sont payés !
Si cette disgression est longue elle n'est pas inutile. Reprenons notre propos.
Madame de Remiremont suivant sa pointe, et pour mettre la dernière main à son ouvrage, se résolut après cela de s'en venir en
France pour s'instruire elle-même de nos observances et essayer à la pratique ; choisissant le Val-de-Grâce par dessus toutes les autres abbayes de notre Ordre, pour la grande régularité où cette maison se trouvait, sous la conduite de la Mère Marguerite d'Arbouze, leur Abbesse, qui vivait en odeur de sainteté.
Mais elle n'y arrêta pas si longtemps qu'elle se l'était proposé, parce que le Duc Henry son frère étant venu à mourir dans ce temps-là, elle se trouva obligée de s'en retourner en Lorraine. Ainsi son séjour ne fut guère que de dix mois ; mais ce temps qui semble si court pour une si grande affaire fut, en échange, extrêmement bien rempli, vu que nous pouvons dire avec vérité qu'elle fit plus de choses en ce petit nombre de mois, qu'une moins fervente qu'elle n'en n'avait su faire en pareil nombre d'années ; puisqu'elle y acquit une très parfaite connaissance de notre sainte Règle, et s'y exerça très fidèlement, jusqu'à ce point de se revêtir de l'humble Habit de Saint Benoit pour se déclarer hautement qu'elle embrassait la réforme et se dépouillait pour toujours de ce fastueux Habit et de ce voile magnifique des Abbesses de Remiremont. Mais pour les voeux : elle les avait faits depuis 1616 qu'elle prit possession de son abbaye.
Et fit encore avec cela prendre le voile blanc à quatre postulantes qu'elle avait amenées exprès avec elle, pour y faire leur noviciat et se dresser aux observances, afin de commencer sa maison avec l'aide de quelques religieuses professes, qu'elle espérait qu'on lui donnerait pour cela.
En effet, la Révérende Mère d'Arbouze lui en avait donné parole. Et comme cela elle arriva à Nancy et se logea d'abord dans le monastère avec ses quatre novices.
Ce fut le 27ème du mois de décembre 1624 qu'elle y entra, l'ayant trouvé tout en état d'y vivre en clôture par la grande diligence qu'elle y avait fait apporter pendant son absence pour que tout fût prêt à son retour. Encore était-ce son propre palais qu'elle voulut dédier à Dieu, pour qu'il n'y eût rien à elle ni en elle qui ne lui fut consacré ; et pour aussi que la chose ne fut nullement retardée parce qu'elle ne pouvait trouver d'autre maison assez grande.
Incontinent après son retour à Nancy elle renvoya son carosse à Paris pour en amener les religieuses du Val-de-Grâce qui lui avaient été promises. Mais elles n'y allèrent pas, à cause de quelques difficultés qui survinrent, par des demandes qu'elles firent alors et qu'elles n'avaient pas faites à Madame de Remiremont, ce qui la surprit assez.
Aussi étaient-elles fort dures et fort hors de temps, puisqu'entre les autres, d'abord elles proposèrent de rendre cette nouvelle maison élective ; et c'était comme lui en vouloir ôter la supériorité, car, bien que la chose ait été faite ainsi à la suite, ce n'était pourtant pas encore le temps de le demander.
Si bien que ceux qui les étaient aller quérir n'ayant pas pouvoir d'en résoudre, l'équipage sans retourna sans elles.
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Et Madame de Remiremont s'en adressa depuis à l'Abbaye d'Ave-net — où notre sainte Règle est aussi fort bien gardée — et n'y rencontra pas tant de difficultés, puisque tout aussitôt on lui accorda deux professes, choisies d'entre leurs meilleurs sujets, à savoir : la Mère Lagnelet et la Mère Elisabeth de Monvoiset, autrement : des Anges, et une novice nommée Soeur Anne Rousseau, autrement : de Saint Maur, qui était un trésor de grâce comme nous dirons en son lieu.
Ces deux dernières y ont persévéré jusqu'à la mort, Soeur Anne y ayant fait profession et apporté tout son bien qui était considérable. Mais la Mère Lagnelet fut contrainte de s'en retourner après un peu de temps, parce qu'on ne put se passer plus longtemps d'elle dans son monastère.
Et le nombre des postulantes croissant tous les jours, Madame de Remiremont fit commencer à bâtir ce beau monastère neuf qui se voit à présent, joignant ce palais où elle avait mis la clôture.
Au mois d'avril de cette même année 1625, notre Saint Père le Pape Urbain 8ème expédia la Bulle d'érection du monastère en Abbaye, sous le titre de : Notre-Dame de la Consolation, nommant Madame de Remiremont pour abbesse perpétuelle durant sa vie, mais ordonnant qu'après elle les abbesses seraient sujettes à l'élection de trois ans en trois ans.
Et quatre mois après la Bulle reçue, qui fut le 7ème de septembre veille de la Nativité Notre-Dame, l'Office divin commença de se chanter publiquement dans l'église du monastère, où la clôture fut mise ce jour-là par Monsieur de Mauléon la Bastide, Official de l'évêché de Toul, à qui la Bulle était adressée pour la faire exécuter.
Ensuite Soeur Anne Rousseau, d'Avenet, fut admise à la profession. Et après elle, le furent aussi les quatre novices qui avaient pris l'Habit au Val-de-Grâce. Et presque toutes les domestiques séculières de Madame l'Abbesse se rendirent religieuses dans cette dévote maison ce qui en rendit bientôt le nombre fort grand.
Mais le zèle de notre princesse s'épurant toujours davantage pour la gloire de Dieu ne put encore s'en arrêter là. Il alla jusqu'à ce point de vouloir faire observer jusqu'à la lettre et sans glose la Règle de Saint Benoit, comme : de ne manger qu'une fois le jour, de porter la tunique sur la chair sans largette entre deux, de ne faire qu'une fois le jour et très peu de récréation, de garder un peu plus grand silence, de ne point loger dans des cellules mais d'avoir leurs lits dans des dortoirs, et plusieurs autres choses qui se voient dans notre sainte Règle, que les constitutions de l'Ordre ont depuis mitigées ou expliquées.
Et pour faire que cette réforme subsistât elle entreprit d'en faire une congrégation dans laquelle il y entrât des monastères d'hommes aussi bien que de filles.
Pour cet effet elle s'en revint en France en 1629, sur l'avis qu'elle avait eu qu'elle pourrait trouver des religieux qui s'entendraient à cela ; mais elle était en négociations avec le Prieur de Saint-Lazare, de l'Ordre de Saint Bernard, à la Ferté-Milon, qui lui faisait espérer de lui bailler de ses religieux pour commencer cette nouvelle réforme, et s'établir partout où elle les voudrait fonder.
Ainsi elle s'en revint à la Ferté-Milon s'aboucher avec lui, et il fut arrêté entre eux qu'il lui enverrait son Sous-Prieur qui se nommait Dom Albin, et cinq autres de ses religieux aussitôt qu'elle aurait les Bulles de Rome qui lui étaient nécessaires pour son dessein.
Et là-dessus elle s'en retourna à Nancy, faire travailler à leur logement et donner ordre à la dépêche de Rome pour les Bulles d'érection. Mais avant que de partir de France, elle voulut visiter toutes les principales abbayes de filles de notre Ordre aux environs de Paris, comme : Montmartre, Jouarre, Chelles, le Pont, et plusieurs autres, pour en recueillir comme la prudente abeille, le suc de tant d'excellentes pratiques qu'elle n'y manqua [pas] d'y voir afin d'en orner sa maison.
En l'année 1631 les Bulles d'érection en congrégation lui furent expédiées, sur l'union de sa maison de la Consolation avec ces deux prieurés de Saint-Romaric et de Saint-Vincent-du-Pont, qu'elle avait fondés pour ce dessein, parce qu'elle n'aurait pu espérer d'érection en congrégation à moins que d'avoir trois maisons qui en fussent.
Et la Bulle la nomma pour Générale de cette congrégation sa vie durant. Mais les abbesses, après elle, n'étaient nommées que sous le titre : « d'Abbesse élective par le Chapitre de l'Abbaye de la Consolation » qui fut comme cela établie pour chef de toutes les autres maisons de cette congrégation.
Ainsi elle fit venir les religieux de Saint-Lazare, qui trouvèrent leur maison prête à y entrer et parfaitement commode, et changèrent aussitôt leur Habit blanc de Saint Bernard au noir de Saint Benoit, par la permission du Pape. Dom Julien Varnier, qui était leur Prieur à Saint-Lazare et qui avait été Visiteur de cette nouvelle réforme, le leur ayant donné publiquement dans l'église de l'abbaye, et laissé pour Prieur Dom Albin qui n'en changea pas encore.
Et pour elle, elle commenca après cela de mettre ses religieuses dans l'exercice de ce nouveau genre de vie : de ne manger qu'une fois le jour et le reste ; à quoi elles acquiescèrent assez volontairement.
Madame de Remiremont demeura en cet état jusqu'à l'année 1633, goûtant doucement les fruits des travaux qu'elle avait soufferts pour procurer la gloire de Dieu et l'exaltation de l'Ordre de notre glorieux Patriarche, par une vie toute sainte qu'elle menait parmi ses religieuses, qui vivaient comme des anges, puisque c'était dans un genre de vie si austère qu'il semblait qu'elles ne tinsent rien de la matière, ne laissant à la nature quasi pas le moyen de subsister.
Mais en cette année-là commencèrent les effroyables malheurs qui la ravirent pour jamais à ses chères filles, et qui ne lui ont plus laissé de repos depuis, jusqu'à sa mort.
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L'occasion fut que Monsieur, Duc d'Orléans, ayant suivi le parti de la Reine sa mère, qui s'était retirée en Flandres, s'était aussi évadé de France et retiré à Nancy.
Il ne fut guère de temps en cette Cour sans être épris de l'excellente beauté et de toutes les rares qualités de Madame Marguerite ; s'en étant trouvé si charmé qu'estimant ne pouvoir vivre heureux sans la posséder, il la demanda en mariage à Son Altesse de Lorraine. Ce Prince n'eut garde de la lui refuser vu le parti que c'était ! puisque le Roi n'avait point d'enfant en ce temps-là, ce qui faisait regarder Monsieur comme successeur de la couronne.
Et Madame de Remiremont ne put qu'elle n'eût grande part en cette affaire, parce que la princesse Marguerite était élevée auprès d'elle et sous ses yeux, à cause qu'elle la destinait à être sa coadjutrice en l'Abbaye de Remiremont, sans que pourtant elle en eut encore pris le voile.
Après cela il eût été malaisé qu'une affaire de cette qualité se put traiter sans lui en donner connaissance ; et son grand coeur se sentant de sa royale naissance, elle ne put s'empêcher de contribuer beaucoup à l'accomplissement d'un mariage si avantageux à la princesse sa nièce. En sorte qu'il fut célébré par ses soins, au mois de janvier 1632, dans l'église de son monastère, par le Père Dom Albin, Prieur de ses religieux réformés ; et l'acte des épousailles, avec le contrat du mariage, lui furent donnés en dépôt, parce qu'il fallait que ce mariage fût tenu extrêmement secret, à cause qu'il était fait sans le consentement du Roi, et par conséquent en danger d'être disputé.
Mais le secret ne pût être si bien gardé que le Roi n'en fût averti. Comme il se sentait déjà offensé de la retraite de Monsieur en Lorraine, ce nouveau sujet de courroux le fit déterminer de déclarer la guerre à Son Altesse, se couvrant pourtant d'autres prétextes. Mais il lui en arriva un, à la suite, qui sembla bien spécieux pour continuer la guerre : ce fut que Madame de Lorraine s'en vint demander à la Cour protection à Sa Majesté pour des mécontentements qu'elle avait contre Son Altesse — qu'il n'est pas nécessaire d'apprendre à notre lecteur, puisque toute l'Europe les a sus ! — et lui céda tous ses droits sur ces Etats.
Ainsi le Roi envoya une puissante armée en ce pays-là, avec ordre d'aller investir Nancy. Et Madame fut conseillée de sortir de la ville avant que la guerre fût davantage allumée, de peur que, si elle attendait davantage, sa personne ne vint à tomber en la puissance du Roi, duquel elle ne devait pas moins attendre — selon toutes les apparences — qu'un cloître pour le reste de ses jours, après avoir vu casser son mariage comme clandestin.
Comme cela, ayant pris résolution de s'évader et de se retirer en Flandres, auprès de la Reine, sa belle-mère, qui avait bien voulu son mariage, elle en sortit le 28ème d'août, même année 1632, travestie en homme pour passer en plus de sûreté l'armée ; car bien que le siège ne fût pas encore formé, pourtant elle ne pouvait manquer de ren-
contrer bien des troupes. De cette façon elle monta à cheval à la première garde du matin, accompagnée de cinq ou six des siens seulement, et, ne marchant que la nuit et par des chemins détournés, elle se rendit heureusement à Bruxelles où elle trouva Monsieur qui l'y attendait.
Cependant Madame de Remiremont ne sortit pas pour cela encore. Mais le Roi, accompagné du Cardinal de Richelieu son premier ministre, étant venu en personne à Nancy après que Son Altesse de Lorraine eût mis — par composition — la ville entre les mains du Roi, comme en dépôt pour certain nombre d'années, le Cardinal se mit à rechercher si sérieusement les preuves du mariage de Monsieur, qu'il vint à découvrir qui était le religieux qui les avait épousés, et envoya pour le faire arrêter. Toutefois il s'évada.
Mais après ce coup d'autorité Madame de Remiremont ne se crût plus en sûreté dans sa maison, parce qu'on l'avait déjà obligée de déclarer le mariage, le Roi (qui) avait été assez averti qu'elle savait plus cette affaire que personne. Et appréhendant qu'on ne la retint elle-même prisonnière, ou qu'on ne lui enleva les actes dont elle était demeurée dépositaire, ou peut-être même, que les soldats ne vinssent mettre le feu dans son couvent, elle s'enfuit un soir à nuit close, et s'en alla pour quelques jours à Besançon, d'où bientôt après elle se rendit en Allemagne, auprès de la duchesse de Bavière sa soeur.
Le malhtur ne s'en arrêta pas là pour cette infortunée princesse, puisqu'au bout de 18 mois qu'elle y demeura, Madame de Bavière mourut ; si bien qu'elle fut contrainte d'aller chercher refuge auprès de l'archiduchesse d'Insbrück, sa nièce, fille de Madame la grande Duchesse de Florence.
Mais, lasse de mener une vie si inquiète et si contraire à sa profession, elle fit pratiquer du côté de la Cour qu'il plût au Roi lui permettre de se retirer dans son Abbaye de Remiremont, et lui accorder la neutralité pour ce lieu-là, et pour Arche, Epinal, et Boussieux, qui sont des villes et prévôtés qui en dépendent. Et fut plus heureuse qu'elle n'espérait, car la colère du Roi étant un peu apaisée Sa Majesté le lui accorda favorablement.
Ce fut donc par ce moyen qu'elle s'en alla à Remiremont, où elle continua de vivre paisiblement depuis ce temps-là jusqu'en 1644 que Madame l'envoya quérir, pour partager avec elle la joie de se voir rappelée auprès de Monsieur, qui venait de déclarer publiquement son mariage, et l'avait fait venir auprès de lui, en France, du consentement de la Reine Régente, aussitôt après le décès du feu Roi, arrivé au mois de mai 1643 ; comme aussi le Cardinal de Richelieu était mort six mois auparavant. Son Altesse Royale trouvant juste que, comme Madame de Remiremont avait extrêmement contribué à sa satisfaction en contribuant à son mariage, et qu'elle avait beaucoup souffert à son occasion, elle la rendit aussi participante de son bonheur et de sa gloire.
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Et Madame de Remiremont s'en venant la trouver, passa par Nancy ; mais elle ne put arrêter que trois jours dans son monastère, à cause que le peuple qui l'aimait extraordinairement accourant de toutes parts en foule pour la voir, le gouverneur de la ville pour le Roi appréhenda une sédition, et pour cela il la pria d'en partir tout au plus tôt, ce qu'elle fut contrainte de faire au bout de ces trois jours. Et c'est là tout le temps qu'elle y a demeuré depuis qu'elle fut contrainte d'en sortir la première fois.
Mais la douleur qu'elle en reçut lui fut adoucie par le bon accueil que leurs Altesses Royales lui firent à son arrivée à Paris, lui donnant toutes sortes de témoignages d'amitié et la logeant dans leur Palais d'Orléans, où elle demeura toujours depuis cette même année 1644 qu'elle y arriva, jusqu'en 1648 qu'elle mourut, âgée de 68 ans, sans avoir pu retourner à sa chère maison de Nancy, quoiqu'elle l'eut extrêmement souhaité.
Il ne serait pas nécessaire d'en dire davantage que ce que nous en avons dit pour en faire tirer la conséquence que ce grand ouvrage de la congrégation, que Madame de Remiremont avait entrepris échoua — ou peu s'en fallut — puisqu'il est évident que, depuis 1632 qu'elle en obtint la Bulle, jusqu'en 1633 ou 1634, qu'elle fut obligée de quitter sa maison, cet arbre n'avait pu prendre d'assez fortes racines pour résister aux orages dont il se trouva battu.
Le bouleversement général de toute la Lorraine par une si longue et si rude guerre, l'éloignement pour tant d'années de la Fondatrice, et la dissipation que les désordres généraux apportèrent aux biens dont elle faisait subsister sa fondation, y causèrent un tel changement que, non seulement tous les bâtiments cessèrent, mais de cinq religieux qui restaient de son monastère d'hommes, quatre, pressés de la misère, passèrent dans la congrégation Saint-Vanne, et le cinquième s'en alla où il voulut.
Pour le monastère de filles : il n'alla pas mieux que cela. Il ne s'en présenta plus pour être reçues à l'Habit, et celles qui étaient reçues souffrirent des pauvretés inconcevables.
Bien plus, Madame de Remiremont se vit elle-même quelquefois réduite à cette extrémité : de dépouiller sa sacristie de partie de précieux ornements dont elle l'avait décorée. Car elle l'avait enrichie en un point qu'il ne se voyait rien de plus magnifique.
Seulement le Soleil pour exposer le Saint Sacrement valait plus de 40 000 francs du pays. Il est bien encore en nature, mais les façons des ouvrages ayant fort changé depuis en diminuent un peu le prix. Il est tout d'or, pesant onze marcs, et tous les rayons sont enrichis de diamants ; avec une croix au haut, d'une fort bonne grandeur, dont les diamants sont fort beaux. Et pour servir comme de niche à ce beau Soleil il y a un grand manteau ducal d'argent ciselé, dont tous les plis et toutes les extrémités sont aussi enrichis de diamants moins gros pourtant que ceux du soleil. Et au dessus de ce manteau il se voit un pélican d'or, les ailes couvertes de diamants, qui ouvre sa poitrine qui est toute de rubis avec son bec pour donner nourriture à ses petits.
Le reste de la sacristie répondait à cette magnifique pièce. Mais cette infortunée princesse fut souvent contrainte après, par la nécessité de ses affaires — comme nous venons de dire —, d'en tirer tantôt une pièce et tantôt une autre pour s'assister. Comme cela elle ne se voit pas à présent au même état qu'elle était au commencement ; joint que les abbesses qui sont venues après elle n'étant pas plus accommodées qu'elle, s'en sont servies aussi pour faire subsister la maison et subvenir à leurs procès.
Nous voici maintenant au point, au sujet duquel nous nous sommes engagées de conter cette longue histoire. C'est l'union de cette même abbaye à notre congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.
Nous venons de voir la décadence de cette maison, et nous allons voir bientôt son entier rétablissement.
C'est Son Altesse Royale Madame la Douairière à qui l'honneur en est dû. Elle était exécutrice, conjointement avec Monsieur le duc de Lorraine son frère, du testament de Madame leur tante, abbesse de Remiremont, et par ce moyen se trouvait engagée à pourvoir à la Fondation ; et ce fut ce qui donna la hardiesse aux religieuses, se voyant dans les extrémités que nous avons dites, de l'importuner souvent par leurs lettres, que — suivant cette qualité — il lui plut de regarder à leurs besoins.
Comme c'était dans le temps que Madame s'adonna à venir fréquemment céans, et qu'elle commencait d'avoir pour notre très digne Mère cette grande estime et cette affection tendre qu'elle lui témoigne encore, la pensée lui vint qu'elle pouvait bien faire deux bonnes oeuvres à la fois, et par une même affaire satisfaire tout d'un temps à deux pieuses intentions qu'elle avait.
Car il faut savoir que, dès le mois de mai 1664, désirant augmenter la gloire du Très Saint Sacrement, elle avait fait une donation à la maison céans d'une somme de dix mille écus après sa mort, pour être appliquée à l'établissement d'une maison de notre Institut dans la ville de Nancy, lieu de sa naissance.
[Il] lui vint à penser qu'en procurant l'union et agrégation de cette abbaye à nous, et y appliquant les dix mille écus qu'elle donnait pour un établissement au lieu d'en entreprendre un autre, elle rétablirait cette abbaye et n'augmenterait pas moins notre Institut, nous donnant une nouvelle maison toute faite, de notre Ordre, réformée, et dans la ville de Nancy, où sa dévotion la portait de nous établir.
Si bien qu'elle en fit l'ouverture à notre Révérende Mère, qui y répugna d'abord et s'en est défendue longtemps ; parce qu'en effet il s'y rencontrait des difficultés qui semblaient insurmontables, puis-
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que c'était une abbaye : et il en fallait supprimer le titre, car nous n'en voulions point recevoir. Il n'y avait point d'apparence d'en pouvoir venir à bout parce qu'il y avait une abbesse, personne de qualité, qui en était pourvue et dont on n'osait espérer la démission ; outre qu'il fallait avoir le consentement du Prince pour cette suppression parce que la nomination lui en appartenait.
Et, d'ailleurs, il y avait une quantité très grande de dettes dont il se fallait charger, quatorze religieuses à nourrir, et une église à bâtir ; qui étaient des obligations qu'il fallait contracter et y satisfaire sans remise en acceptant cette union. Et c'était là-dessus que notre Révérende Mère et toute la communauté, à qui elle en communiqua souvent, faisaient de grandes considérations.
Pourtant comme Madame se chargea d'obtenir la démission de cette abbesse et le consentement du Prince, et que les dix mille écus qu'elle donnait après sa mort pouvaient plus que suffire à l'acquittement des dettes, nous commençâmes à prêter l'oreille à cette proposition, parce que d'autre part nous considérions que puisque, par la donation de Madame, nous nous trouvions chargées de faire un établissement dans Nancy, ce serait beaucoup d'avance de prendre ainsi un des plus beaux monastères qui se voient, tout fait et tout meublé, et une très riche sacristie ; ce que nous n'aurions pu faire pour deux cent mille francs peut-être ; que, pour les quatorze religieuses à entretenir, elles avaient encore environ onze ou douze cent livres de rente. Outre cela : le nombre en pouvait diminuer avec le temps, et qu'après tout, aussi bien, nous fallait-il des sujets pour faire un nouvel établissement ; que ceux-là se trouvaient tout faits et nous épargnaient d'en faire d'autres, car aussi bien, peut-être en aurions-nous manqué, à cause que notre Institut ne fait bonnement que de naître, n'étant né pour ainsi dire que depuis que nous sommes dans une maison qui nous appartient, qui n'est que depuis le mois de mars 1659. Et encore, depuis ce temps-là, nous avons fait entièrement notre maison de Toul et reçu l'union de celle de Remberviller.
Si bien que, toutes ces considérations pesées de part et d'autre, il fut conclu que nous l'accepterions à ces conditions. Mais tout cela se passa verbalement. Et néanmoins les religieuses, à qui Son Altesse Royale en donna avis aussitôt, écrivirent comme d'une chose faite, tant elles le désiraient, à notre Révérende Mère, une lettre en forme de requête dont nous mettrons ici la teneur.
LETTRE
Loué soit le Très Saint Sacrement de Nancy le 9ème Février 1667
Notre Très Révérende Mère,
Nous étant aujourd'hui assemblées capitulairement pour lire la lettre qu'il a plu à l'Altesse Royale de Madame de nous faire la grâce de nous écrire après l'avoir fait voir à Son Altesse qui en a agréé et approuvé le contenu, qui est : que leurs Altesses veulent et entendent et souhaitent que nous cherchions les moyens de faire subsister notre monastère et communauté, dedans la pratique de notre Sainte Règle, et au plus approchant qu'il se pourra aux saintes intentions de feu l'abbesse, de Madame notre Illustre Fondatrice et première abbesse, nous n'en n'avons point trouvé de plus expédient que de supplier très humblement votre Révérence, comme nous faisons, de nous vouloir faire l'honneur de nous recevoir à l'union et agrégation de votre saint Institut et congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel ; moyennant que toutes les conditions nécessaires à une chose de cette nature s'effectuent.
Si cette grâce nous est accordée par votre saint zèle, charité, et affection, très honorée et révérende Mère, nous recevrons par même moyen toute la satisfaction dont nous sommes capables, d'être parties augmentantes une si juste, nécessaire et pieuse occupation.
De quoi nous aurons à jamais autant de reconnaissance et de gratitude que nous en imprimera la qualité respectueuse, notre Très Révérende Mère, vos très humbles, très obéissantes et très obligées filles et servantes :
Soeur Catherine de Sainte-Agnès, Prieure, Soeur Elisabeth de Jésus, Sous-Prieure, Soeur Marie de Sainte-Gertrude, dépositaire, Soeur Marie du Saint-Esprit, Soeur Anne de la Croix, Soeur Anne de Saint-Joseph, Soeur Jeanne de Saint-Anselme, Soeur Louise de l'Annonciation, Soeur Christine de Sainte-Scholastique, Soeur Anne de Sainte-Anne, Soeur Marguerite de Saint-Bernard, Soeur Toussaine de la Trinité, Soeur Claude de l'Incarnation, Soeur Marie de Saint-Joseph.
Et au dos est écrit :
A la Très Révérende Mère, la Très Révérende Mère des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, rue Cassette, à Paris. Avec un sceau autour duquel est écrit : Notre-Dame de la Consolation de Nancy. Le dit sceau représente une Vierge tenant son Fils assis sur des nuées et adoré par une Dame de piété qui est à genoux en terre.
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Toutefois il se passa plus d'un an et demi devant que d'en pouvoir venir à l'exécution, parce qu'il fallut bien du temps pour disposer les choses ; à avoir le consentement de l'abbesse, qui était Madame Anne-Marie de Livron, fille de M. le marquis de Ville, l'un des principaux seigneurs du pays ; laquelle avait succédé à cette abbaye à Madame de Mauléon, et celle-ci immédiatement à notre Sérénissime princesse Madame de Remiremont.
Encore ! si M. de Lorraine n'eût autant souhaité cette affaire que Madame, on n'en serait pas venu à bout ! Mais comme il avait un zèle extrême pour cela, et que les souverains peuvent tout, il en sut bien prendre les moyens ; toutefois avec des tempéraments justes et doux ; personne n'eut à se plaindre et au contraire tous eurent sujet de s'en louer.
Pour cela Son Altesse prit le temps que Madame de Livron était absente pour faire entendre à ses religieuses qu'il ne voulait plus absolument qu'elle y revint, et qu'elles eussent à en élire une d'entre elles pour supérieure. Que, si elles ne le faisaient pas dans le temps qu'il leur donna, lui même la nommerait de son autorité.
Si bien que les religieuses voyant que la dite Altesse [était] si fermement résolue à cela, n'osèrent plus résister, et procédèrent à l'élection qui tomba sur la Mère Catherine Agnès Rolin, qui était déjà Prieure sous Madame de Livron, laquelle demeura comme cela, faisant la fonction d'abbesse.
Bien plus, quand Madame de Livron, au bruit qu'elle entendit de cette élection, s'en voulut venir en diligence dans son monastère, il lui en [fit] refuser les portes, en sorte qu'elle n'y entra point du tout.
Mais aussi, en même temps il lui envoya pour la récompenser le brevet de Coadjutrice de l'Abbaye de Vergaville, de notre même Ordre, laquelle est sans comparaison plus riche que celle de la Consolation, et dont l'abbesse était mourante — comme en effet elle est morte un an après. — En façon que Madame de Livron, se voyant si bien traitée de ce prince son souverain s'apaisa facilement ; — vu d'ailleurs que de lui résister eût été malaisé — et lui promit de donner sa démission de la Consolation aussitôt qu'elle aurait ses Bulles de Rome pour Vergaville.
Cependant l'on faisait pressentir sous-main si les créanciers ne voudraient point faire quelque composition de leurs dettes, parce que les intérêts avaient presque triplé les sommes principales qui étaient déjà d'elles-mêmes assez fortes ; et on les trouva très disposés à le faire, même avec joie, parce qu'ils désespéraient quasi d'être jamais payés ; vu qu'ils n'avaient pas d'autres biens sur quoi se venger, que le monastère qu'il fallait faire vendre : ce qui était d'un très difficile recours parce que Son Altesse, comme Fondateur, s'y opposait et avait la puissance en mains pour l'empêcher. D'autre part les religieuses encore y formaient opposition pour les dots qu'elles avaient apportées.
Comme cela les choses prenant du côté des créanciers une bien meilleure face qu'elles n'avaient pas paru dans les commencements, et Madame de Livron ayant obtenu ses Bulles pour Vergaville au mois de juin de la même année 1668, notre Révérende Mère, qui était ponctuellement avertie de tout ce qui se passait, commença de disposer ses affaires pour partir à la Toussaint pour Nancy, — Madame ne cessant de l'en venir solliciter — ; mais sa mauvaise santé l'en empêcha en ce temps-là, et fit renvoyer le départ jusqu'aux fêtes de Noël suivantes.
Mais, en attendant, le Révérend Père Prieur lui expédia son obédience pour ce voyage, datée du 10ème décembre 1668, et Madame ses Lettres Patentes du 18ème du même mois — desquelles nous allons mettre à la suite — et lui fit toucher une somme de dix mille francs : ou pour les frais de son voyage ou pour les faux frais qu'il fallait nécessairement faire en entrant dans l'abbaye, comme : de faire habiller toutes les religieuses à notre façon, et mettre leurs dortoirs en cellules selon notre usage, et plusieurs autres très urgentes nécessités qui ne manquaient pas de se rencontrer dans cette délabrée maison.
Et le 23ème du même mois la communauté de céans passa procuration à notre Révérende Mère pour accepter l'union de cette abbaye toute puissante, pour gérer en notre nom partout où besoin serait pour les affaires de la congrégation, comme firent aussi nos maisons de Remberviller et de Toul.
FRÈRE ANTHOINE ESPINASSE, humble Prieur de l'Abbaye de Saint-Germain des Prés lès Paris, Ordre de Saint Benoît, Congrégation de Saint Maur, dépendant immédiatement du saint Siège Apostolique, et Vicaire général de la dite Abbaye, le siège Abbatial vacant,
A la Révérende Mère Catherine Mectilde du Saint Sacrement supérieure des religieuses Bénédictines du monastère du Saint Sacrement, sis dans le ressort de la juridiction spirituelle de la dite abbaye,
Salut en Notre Seigneur.
Etant obligée nécessairement de vous transporter en Lorraine pour les affaires présentes de votre congrégation, et pour pourvoir aux besoins des monastères de votre Institut, et spécialement à l'agrégation à votre dite congrégation du Saint Sacrement, du monastère de Notre-Dame de Consolation, Ordre de Saint Benoît, sis dans la ville de Nancy, que les religieuses du dit monastère demandent et prétendent faire, ainsi que vous nous avez remontré,
A CES CAUSES, et étant bien et dûment informé de votre bonne conduite dans la vie religieuse, et fidélité dans la foi catholique apostolique et romaine, nous vous avons permis, et par ces présentes
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permettons, de vous transporter en Lorraine pour y pourvoir aux besoins des monastères de votre Institut et spécialement pour vaquer à l'agrégation [à] votre congrégation du Saint Sacrement du monastère de Notre-Dame de Consolation, Ordre de Saint Benoît, sis dans la ville de Nancy. Et à cet effet vous donnons pouvoir de faire traiter : concords, transactions, et passer tous contrats que vous jugerez nécessaires ; le tout du consentement de tous ceux à qui il appartiendra.
Et pour vous accompagner dans le dit voyage, nous vous avons désigné la soeur Marie Anne du Saint Sacrement, religieuse professe de votre dit monastère, et un ecclésiastique dont la probité nous est connue.
Et vos affaires faites vous ferez vos diligences et serez tenue de revenir dans votre dit monastère incessamment.
Donné à Paris, dans l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, sous notre scel et le signe de notre secrétaire, le 10ème jour de décembre 1668.
Ainsi signé : F. Antoine Espinasse (avec paraphe).
Et plus bas : F. Arsène Monseau, secrétaire (aussi avec paraphe). Avec le sceau des armes de la dite abbaye.
Nous, MARGUERITE DE LORRAINE, Duchesse Douairière d'Orléans,
Considéré la très humble requête ci-attachée, à nous faite par les religieuses : abbesse, prieure et convent du monastère de Notre-Dame de la Consolation, de l'Ordre de Saint Benoit, fondé en la ville de Nancy, par Sérénissime Princesse Madame Catherine de Lorraine, notre tante, d'heureuse mémoire ; de vouloir introduire en leur dit monastère et couvent l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, et pour cet effet, de les faire agréger et incorporer, sous le bon plaisir du saint Siège, à la congrégation des religieuses Bénédictines qui en font une particulière profession,
DÉSIRANT contribuer de tout notre pouvoir à l'entérinement de la dite requête, et favoriser dans nos grâces spéciales le dit monastère de la Consolation, et faire goûter aux religieuses d'icelui les effets avantageux de leurs pieux désirs, POUR CES CAUSES, et autres importantes considérations, sous l'agrément de Son Altesse de Lorraine, mon très honoré frère, que je le supplie de le vouloir donner comme étant Fondateur du dit monastère conjointement avec nous, AVONS prié et exhorté la Révérende Mère Soeur Mectilde du Saint Sacrement, présentement Prieure du monastère des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, en cette ville de Paris, et Supérieure des monastères de la dite Congrégation, de se transporter en la dite Abbaye de Notre-Dame de la Consolation à Nancy, pour faire la dite union et agrégation d'icelle abbaye à la dite Congrégation, y établir les Constitutions et Règle d'icelle, et faire toutes les autres choses requises et convenables pour l'entière perfection de ce pieux et louable dessein. Lui donnant, en tant que besoin est ou serait, tout notre pouvoir et autorité en la dite qualité de Fondatrice du dit monastère de la Consolation. Et prions la dite Altesse mon frère, de lui donner aussi son consentement, et même d'interposer son autorité, si besoin est, pour faire réussir et donner l'achèvement à cette union et agrégation, qui ne peut être qu'avantageuse pour le bien spirituel et temporel du dit monastère de la Consolation, et procurer davantage la plus grande gloire de Dieu et l'édification du prochain.
C'est pourquoi NOUS PRIONS et exhortons en outre, tous ceux à qui il appartiendra d'y contribuer, chacun à leur égard, de leur pouvoir et autorité. Et exhortons particulièrement les supérieurs et religieuses du dit monastère de la Consolation, de recevoir et agréer tout ce qui sera fait et réglé par la dite Révérende Mère Mectilde, Supérieure de la dite Congrégation, pour leur consolation commune et la
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LETTRES PATENTES
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nôtre, qui n'est que de leur procurer un plus grand bien, après la gloire de Dieu que je prie de faire réussir le tout pour le mieux ; et me recommande aussi à leurs saintes prières.
Donné à notre Palais d'Orléans, à Paris, sous notre signe et le sceau de nos armes, et fait contresigner par notre secrétaire, le 18 décembre 1668.
Signé : Marguerite de Lorraine.
scellé de sceau en placart des armes de la dite Dame Marguerite de Lorraine, Duchesse et Douairière d'Orléans, et contresigné : Desprez (avec paraphe).
***
Donc, le 26ème [de décembre] 1668, seconde fête de Noël (29), notre très digne et très chère Mère partit de la maison de Paris pour Nancy en carosse, accompagnée de la Mère Anne du Saint Sacrement, d'une séculière, d'un homme à cheval et d'un homme de pied, après avoir été prendre congé de Son Altesse Royale en son Palais d'Orléans, qui voulut à toutes forces lui faire l'honneur de lui donner un de ses carosses avec un de ses écuyers pour la conduire jusqu'à la première traite.
Et prit la route de Toul pour y visiter en passant notre maison, et donner la consolation à nos Mères de ce lieu-là de jouir quelques jours de son aimable et profitable présence. Mais Dieu la retint en ce lieu plus qu'elle ne s'était proposé, car elle n'y fut pas arrivée que le Roi envoya déclarer la guerre à Son Altesse de Lorraine, parce qu'il ne voulait pas désarmer contre le Comte Palatin, quoique sa Majesté — qui s'était rendue l'arbitre de leurs différends — eût pu faire pendant quelques mois pour l'obliger à cela. De sorte que tous les chemins se trouvant couverts de troupe que le Roi envoya incontinent en ce pays-là, Notre Mère se vit contrainte de demeurer à Toul plus d'un mois pour les laisser filer.
Mais tout ce temps-là ne fut pas perdu pourtant pour l'affaire qui l'amenait, car Monsieur de Lorraine lui fit expédier ce pendant les Lettres Patentes pour cette union, le 15ème jour du mois de janvier 1669, qui furent enregistrées en son Conseil Souverain au Parlement de Lorraine le même jour ; si fort ce pieux Prince avait à coeur la bonne oeuvre, que les affaires publiques de son Etat, — aussi importantes comme était celle de la guerre, — n'étaient pas capables de lui en faire perdre le souvenir (30).
(29) La seconde fête signifie probablement le premier jour dans l'octave.
(30) Lire : ce pieux prince avait si fort à coeur cette bonne oeuvre que les affaires publiques de son état, aussi importante que fut celle de cette guerre, n'étaient pas capables...
Et comme il fit bientôt après ce que le Roi voulut, les troupes se retirèrent, et Notre Mère eut les passages libres pour s'acheminer à Remberviller.
Toutefois avant que d'y aller, elle fit un tour jusqu'à Nancy pour saluer la dite Altesse, et jetter la vue en passant sur la maison qu'on lui proposait d'unir. Mais elle n'y voulut pas arrêter plus de cinq à six jours ; encore ne voulut-elle pas loger dans l'abbaye, parce que les affaires n'étaient pas réglées. Seulement elle y entra une fois, et y fut reçue avec tous les honneurs dont ces bonnes religieuses purent s'aviser, jusqu'à lui présenter la crosse d'abbesse, qu'elle refusa bien vite.
Et, avant cela, elle avait été saluer leurs Altesses, dans leur Palais, où elle avait reçu tous les honneurs qui se peuvent imaginer. Monsieur de Lorraine ayant envoyé au devant d'elle un des officiers de ses gardes, jusqu'au bas d'une petite montée du Palais par laquelle il voulut qu'elle passât, parce qu'il crut qu'elle aurait de la répugnance d'être vue de ce grand monde qu'elle aurait rencontré sur le principal escalier.
Même comme elle se mit à genoux devant lui par respect, il la releva avec tant de promptitude qu'il sembla être choqué de cette soumission si grande ; et puis, il l'entretint tout à fait gracieusement, quoique lors la consternation fût grande en cette Cour, à cause de la guerre, et puis lui donna congé.
Notre Mère fut accompagnée en sa visite par Messieurs les abbés de Saint-Michel et d'Estival, et par les Mères Anne du Saint Sacrement et Sainte Magdeleine, Prieure de Toul.
Puis elle s'en retourna à Toul, et de Toul, avec une nouvelle obédience du Prélat de ce lieu — comme l'un des supérieurs de notre congrégation et encore comme évêque de Nancy —, elle prit le chemin de Remberviller où elle arriva le 3ème de février ; parce que cette affaire de Nancy, qui lui avait semblé de loin ne recevoir plus de difficultés, s'en trouvant avoir encore de grandes, elle ne jugea pas à propos de les aller discuter dans la maison même dont il s'agissait ; voulant très prudemment se conserver libre en se tenant à Remberviller — qui n'est pas fort loin de Nancy, — pour disputer plus honnêtement les choses jusqu'à ce que le tout fût réglé.
Ainsi elle se rendit dans notre maison de Remberviller, et y demeura jusqu'à ce qu'elle put retourner pour tout de bon à Nancy.
La plus grande difficulté, et qui accrochait le plus l'affaire, était que Madame de Livron n'avait pas encore ses Bulles pour Verga-ville, quoiqu'elles fussent données dès le mois de juin précédent comme nous venons de dire. Mais : ou l'argent lui avait manqué pour les faire expédier, ou bien elle le faisait à dessein, se figurant que, pour l'envie que Son Altesse ou nous-mêmes, aurions que notre affaire s'achevât, nous donnerions l'argent qu'il fallait pour cela ; si bien qu'elle refusait sa démission jusqu'à ce qu'elle les eût en mains.
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Outre cette difficulté, elle avait bien des affaires à régler avec les religieuses de la Consolation, tant pour certains biens que Madame d'Araucourt, sa soeur, avait donnés là-dedans — qu'il fallait rendre, — que pour les dettes qu'elle même avait faites, que la maison ne voulait pas supporter parce qu'elles soutenaient ne lui avoir pas donné pouvoir de les obliger. Et il fallait nécessairement que tout cela fût réglé devant que Notre Mère put venir prendre possession.
Cependant Madame de Livron ne se hâtait pas, espérant toujours que le grand besoin qu'on avait d'elle — à cause de sa démission ferait qu'on lui passerait toutes choses comme elle voudrait. Mais on n'avait eu garde d'informer Notre Mère Prieure de toutes ces choses avant son départ de Paris, tant on avait envie de l'attirer en ce pays-là ; et comme elle-même n'avait garde non plus de se mêler de ce détail, il fallut qu'elle attendit à Remberviller qu'il fut réglé.
Comme cela elle n'en partit que le 19ème de mars, après qu'elle en eut nouvelle que toutes choses étaient arrêtées et les paroles données ; et arriva à Nancy le 20ème, qui était la veille de la fête de notre glorieux Père Saint Benoît.
Elle y fut reçue des religieuses avec tout le même empressement, plus grand encore s'il est possible, que l'autre fois ; et d'abord elles se rangèrent à notre façon de vivre, mangeant deux fois le jour comme nous, et se conformant à nous en tout, comme se tenant suffisamment dispensées de leur première méthode par la Bulle de Monseigneur le Légat que Notre Mère leur apporta. Car, comme l'uniformité en toutes choses est absolument nécessaire en nos maisons, nous ne voulûmes pas accepter l'union de celle-là qu'à cette condition qu'elles vivraient à notre manière ; comme ne suffisant pas qu'elles fussent de notre Ordre, si elles ne prenaient encore nos Constitutions, de façon qu'il fallut avoir recours au remède d'une Bulle pour les dispenser de leurs anciennes façons, au cas qu'elles en eussent scrupule. Mais pas une d'elles ne fit difficulté d'obéir à la Bulle, et Notre Mère la leur laissa en original.
Cette même Bulle porte aussi l'extinction du titre d'abbesse, et l'union à nous.
Mais le Parlement de Lorraine ne la voulut pas recevoir par jalousie d'Etat, parce qu'elle était émanée d'un Légat venu exprès pour la France, et dont les pouvoirs et facultés n'avaient été vérifiés que par le Parlement de Paris.
A cette fois elle ne fut pas saluer leurs Altesses en leur palais devant que de s'enfermer, parce qu'elle s'était acquittée de ce devoir à son premier voyage, il y avait peu de temps, comme nous venons de dire.
Mais Monsieur de Lorraine la fut visiter le jour de Pâques suivant ; et Madame, avec les princesses de Vaudémont et de Lisbonne y furent aussi peu après, avec mille et mille démonstrations d'estime et d'amitié.
Cependant notre Révérende Mère s'appliquait efficacement à procurer la diligente exécution de ce qui avait été arrêté. Madame de Livron, venue à Nancy exprès, donna le 26ème de mars sa démission de l'abbaye en faveur des religieuses de la Consolation, pour en faire et disposer de qui et comme bon leur semblerait ; et le même jour elle passa un autre Acte, par devant un Conseiller d'Etat de son Altesse et Maître des Requêtes ordinaires de son Hôtel, nommé Monsieur Nicolas Thomas, par lequel elle déclare encore, aux mêmes termes, et encore plus forts s'il est possible, qu'elle ne prétend rien du tout à cette abbaye ni directement ni indirectement, ni aux principaux, ni aux revenus, mais s'en démet de nouveau en tant que besoin serait, en faveur des mêmes religieuses de la Consolation.
Ayant ainsi réitéré cette démission (sur ce qu')elle requit ce Conseiller d'Etat de la mettre en possession de la Coadjutorerie de Vergaville, sur l'Ordonnance qu'elle en avait obtenue de Son Altesse, du mois de février précédent, en suite de ses Bulles qu'elle avait reçues de Rome — et la dite Altesse avait commis par sa requête ce Monsieur Nicolas Thomas — Si bien que, comme elle ne pouvait prendre cette possession sans renoncer absolument à son autre bénéfice, ce fut le sujet pour lequel elle réitéra ainsi la démission qu'elle venait d'en faire par devant un Notaire Apostolique de Nancy.
Et deux jours après, savoir le 28ème du même mois de mars, cette nouvelle Coadjutrice termina par transaction tous les différends qu'elle avait avec les religieuses de la Consolation.
Mais notre Révérende Mère n'y intervint point, parce que tout cela ne nous regardait point ; vu d'ailleurs qu'elle n'avait pas encore pris possession du monastère.
Le premier avril suivant, la Mère Catherine Rolin, de Sainte-Agnès, élue comme nous avons dit pour abbesse, par le commandement absolu de Monsieur de Lorraine, fit semblable Acte de démission de sa supériorité et de tout le droit qu'elle pouvait avoir en cette abbaye, en faveur de notre Institut et Congrégation, notre Révérende Mère l'acceptant en vertu des procurations que nos trois maisons de Paris, de Toul et de Remberviller lui avaient passées pour cela.
En suite duquel, le lendemain, arrêt fut rendu au Conseil de Son Altesse, portant permission à notre Révérende Mère de se mettre en possession de l'Abbaye, comme elle fit le Sème [du même mois] par devant le même M. Nicolas Thomas, Commissaire, député en cette partie. De quoi il dressa son procès-verbal par les formes ; et dans l'instant, notre Révérende Mère s'étant rendue au choeur des religieuses et étant installée dans la chaire de l'Abbesse ou Supérieure, tenant une image de la Sainte Vierge en ses mains, toutes La furent reconnaître pour Abbesse par les soumissions ordinaires en pareilles occasions, en baisant les mains et les pieds de l'image qu'elle tenait ; et après le Te Deum fut chanté.
De laquelle reconnaissance il en fut fait acte particulier par Petit Jean, Notaire et Tabellion du dit Nancy. Et ensuite il fut procédé
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incessamment à l'inventaire des meubles meublants, biens et effets, papiers et titres de la maison, selon qu'ils se sont trouvés, la Mère Agnès les délivrant et Notre Mère les recevant ; comme aussi on fit la dépèche de Rome pour l'extinction du titre de l'Abbaye, que Son Altesse appuya de beaucoup de lettres, qu'il écrivit pour cela aux personnes à qui il en fallait écrire, et chargea son agent à Rome de la poursuivre en son nom.
De plus les contrats de prix faits furent donnés pour travailler au bâtiment de l'église, où l'on commença de travailler ; et l'on fit fondre quatre cloches pour qu'il y eût de l'uniformité en toutes choses entre toutes nos maisons.
Et Notre très digne Mère appela, ou de Paris ou de Remberviller ou de Toul, jusqu'à huit de nos religieuses, sans la compter ni la Mère Anne du Saint-Sacrement.
Ainsi dès le commencement toutes choses se trouvèrent dans cette maison en un état non moins parfait que si c'eût été une maison faite depuis longtemps, car les religieuses de là-dedans s'étant volontairement jointes à nous, il y eut de quoi remplir toutes les heures du jour et de la nuit pour l'adoration, et de quoi soutenir le choeur de nos chants ordinaires avec édification.
Enfin : tout fut mis en très bon ordre par [notre] Révérende Mère avant qu'elle partit de là ; ce qu'elle ne fit qu'au bout de trois mois, après y avoir établi une Supérieure très capable de maintenir ce bon ordre. C'est notre Révérende Mère Bernardine de la Conception qui est demeurée pour Prieure, et la Mère Anne de Montigny de Saint-Joseph, — l'une des deux venues de Paris —, pour sa Sous-Prieure et Maîtresse des Novices.
Le jeudi treizième jour du même mois d'avril 1669, pour la première fois, nos Mères firent exposer le Saint Sacrement à notre façon ordinaire ; où se trouvèrent les Princes, avec un si grand concours de peuple que c'était chose admirable à voir ; tout le monde applaudissant à merveille à cette dévotion et témoignant un respect extrême pour notre Institut.
Aussi Notre Mère fut visitée généralement de toutes les personnes de marque de Nancy, et de la part de tous les Corps Religieux, et d'hommes et de filles, à l'envi, en ayant reçu tous les honneurs qu'on aurait pu faire à une princesse.
Le peuple surtout était charmé de se voir si bien payé de ce qu'il faisait pour la maison, de laquelle il y avait si longtemps qu'il ne (se) voyait point du tout sortir d'argent. Mais si le peuple était touché de cette joie, les créanciers que l'on commença de payer le furent bien davantage.
Quoique tout alla ainsi extrêmement bien dans cette maison, pourtant notre Révérende Mère voyait assez que, pour la mettre à son aise, il ne suffisait pas que les bâtiments s'avançâssent ni que les dettes se payassent, et qu'il fallait du revenu pour nourrir les reli gieuses. Cependant tout le fond qu'elle avait s'épuisait à ces deux choses ; si bien que, fort prudemment, elle fit connaître sa pensée à Madame la comtesse, qui, secondant toujours son zèle en toutes choses, ne manqua pas d'entrer dans son sentiment et proposa de leur appliquer les quinze mille francs qui restaient des vingt-quatre mille de la Fondation de Rouen qui n'avait pas réussi. Les sept mille pour faire la somme entière des vingt-quatre mille livres ayant été appliqués à la Fondation de Toul.
Et Notre Mère ayant goûté sa pensée, cette bonne dame, à qui la liberté était auparavant demeurée de faire cette application du consentement de la Communauté de céans par acte capitulaire au mois de décembre 1668, passa un acte de déclaration de sa main au profit de cette maison de Nancy, qu'elle leur appliquait cette somme de quinze mille livres et y en ajouta encore trois mille du sien, ayant envoyé le tout à Notre Mère en ce pays-là devant qu'elle s'en revint. Cet acte est du 29ème de mai 1669, et fut accepté par cette même communauté avec mille joies. Aussi c'est un grand secours, car cette somme est destinée pour leur acheter des fonds et héritages pour leur subsistance ; c'est-à-dire que pour cette somme de dix-huit mille livres, elles auront des terres et seigneuries de ce pays-là.
Pendant le séjour de notre Révérende Mère à Nancy elle fut honorée des fréquentes visites de Monsieur et de Madame de Lorraine, et des princes et princesses qui la venaient voir fort souvent ; et pour la voir plus à leur aise ils entraient dans le monastère. Surtout Son Altesse prenait plaisir de l'entretenir seul à seule, des heures entières, de ses plus intimes affaires ; témoignant au reste une très grande approbation et estime de tout ce qu'il voyait faire dans la maison, et une joie tout à fait grande de la voir si bien rétablie.
Il avait de la peine même, à consentir que Notre Mère s'en revint ; et quand elle fut prendre congé de lui pour partir, il lui fit tous les honneurs imaginables, la faisant asseoir à ses côtés et quittant son fauteuil pour se mettre sur un siège égal au sien, où il l'entretint plus d'une heure. Et après, il lui donna un de ses carosses pour la mener jusqu'à Paris, et quatre de ses gardes l'accompagnèrent jusque sur la frontière de ses Etats.
Ainsi notre Révérende Mère partit de la maison de Nancy le 7ème juillet 1669 pour revenir à Paris.
Mais son chemin s'adressant [passant] par Commercy elle se crut obligée d'aller saluer en passant Monseigneur le Cardinal de Retz (31)
(31) Paul de Gondi fit de solides études au collège de Clermont et conquiert le bonnet de docteur en théologie en Sorbonne. C'est un élève brillant qui couvre de sa science une vie licencieuse et une ambition dévorante. Il eut pour précepteur Vincent de Paul et fit sa retraite d'ordination à Saint-Lazare. Il suivait assidûment les conférences données par Vincent de Paul aux prêtres les plus zélés de Paris, en sorte que son saint précepteur se laissa prendre lui-même à la dévotion apparente du jeune Gondi. Coadjuteur de son oncle Jean-François de Gondi, archevêque de Paris depuis 1643, il soutient le clergé contre Mazarin
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qui y fait sa demeure ordinaire comme principal seigneur du lieu, car elle en était déjà connue. Et cette Eminence la reçut merveilleusement, avec des honneurs tout à fait grands, l'ayant fait asseoir auprès de lui pendant la visite qui dura plus d'une heure, dans un fauteuil comme le sien, et lui fit instance extraordinaire pour y coucher.
Mais Monsieur des Armoises, co-seigneur de ce même lieu, ancien ami de Notre Mère, l'emporta, et obtint de la mener coucher dans son château qui est au bout de la même ville.
Toutefois cette même Eminence lui donna le lendemain son carosse en relais pour jusqu'à huit lieues de là, où le carosse de Son Altesse qui les menait les étaient allé attendre pendant le temps qu'elles s'arrêtèrent à Commercy, pour être plus frais le lendemain.
Puis Notre Mère prit la route de Notre-Dame de Liesse (32), par Châlons, Reims et Laon, pour une dévotion qu'elle y avait.
Et arriva à Paris le 18ème de juillet, Madame la comtesse lui étant allée au devant jusqu'à Notre-Dame des Anges (33) et l'amena
et devient en 1648 chef incontesté de la Fronde « maître du pavé de Paris ». S'il chercha à se concilier les pieux solitaires de Port-Royal c'est afin de renforcer le côté dévot de son personnage et pour se faire des alliés contre la cour. Il est créé cardinal au consistoire du 18 février 1652 malgré l'opposition violente de Mazarin ; • cependant ses intrigues l'entraînent si loin que le tout-puissant ministre le fait arrêter au Louvre le 19 décembre 1652. Les curés de Paris, jansénistes en très grand nombre firent faire des prières publiques pour obtenir sa libération. A la mort de son oncle en cette même année 1652, il devient, bien qu'incarcéré, archevêque de Paris et il semble bien jouir de l'attachement d'une grande partie du clergé parisien ainsi que de certains milieux dévots. Evadé de la prison de Nantes où il avait été transféré, il sera exilé 6 ans ; errant de Rome à la Hollande et l'Angleterre. Le let juin 1655 Alexandre VII lui accorde le palium. Enfin, las des complots et des intrigues, déconsidéré en cour de Rome, il accepte de remettre sa démission d'archevêque de Paris, à Louis XIV, en 1662. Il se retire alors à Commercy dans la seigneurie qui lui vient de sa mère Marguerite de Silly. Il y vécut fastueusement, entretenant une ménagerie dans un parc magnifique. Très cultivé, il possédait une bible en 4 langues : italien, latin, grec, hébreu, qu'il lisait aussi facilement les unes que les autres. Il recevait beaucoup, le roi Louis XIV s'arrêta lui-même à Commercy. L'abbé de Saint-Mihiel, Dom Hennezon, mort en 1689, était devenu un familier du cardinal, il eut sur ce dernier une influence profonde et très heureuse. Rancé, le réformateur de la Trappe resta en correspondance avec lui après l'avoir visité à Commercy. Il meurt assisté par dom Hennezon le 24 août 1679.
(32) Le pélerinage semble commencer vers le début du xlle siècle. Les rois Louis XIII et Louis XIV y feront plusieurs visites. C'était un pélerinage marial très fréquenté et très fervent, il dépendait du chapitre de la cathédrale de Laon. Nous retrouvons une congrégation de pieux laïques, associés à Notre-Dame de Liesse, à Paris et ayant leur centre au monastère des bénédictines réfugiées de Rethel et installées rue du Vieux-Colombier. Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés a autorisé cette confrérie en 1662 (cf. note 10, p. 88). Cette association deviendra si florissante que l'archevêque de Paris, Mgr de Harlay devra la scinder en deux et établir le siège d'une seconde congrégation en la paroisse Saint-Sulpice, en 1672. Villette, Histoire de Notre-Dame de Liesse, Laon, chez F. Meunier, 1728.
(33) A 3 km de Livry-Gargan (Seine-et-Marne) autrefois Livry-en-Aulnois se trouve une petite chapelle dédiée à Notre-Dame des Anges. Bâtie en reconnaissance pour la protection que Marie avait accordée à trois marchands attaqués par des bandits en forêt de Bondy en 1212 elle devint un lieu de pèlerinage assez fréquenté. Détruite sous la Révolution, elle est réédifiée en 1808, agrandie en 1864 par les soins de Mgr Dupanloup. Cette chapelle existe toujours. Guide religieux de la France, Hachette 1967. coucher à Montmartre, pour satisfaire Madame l'Abbesse et toute la Communauté qui le désiraient ardemment.
En suite de quoi, le lendemain 19ème, nous eûmes le bonheur de la recevoir dans sa chère maison de Paris, après qu'elle eût été une couple d'heures auprès de Son Altesse Royale, en son Palais, lui rendre compte de son voyage en lui allant rendre ses très humbles respects. Mais comme elle affecte toujours de fuir l'éclat et la pompe, elle ménagea si bien le temps, en consummant le reste de sa journée à la visite de quelques maisons religieuses de nos amies, qu'elle ne put arriver en son monastère qu'à l'entrée de la nuit, parce qu'elle était avertie que nous nous préparions à lui faire une réception conforme à l'excès de la joie que nous avions de la revoir.
lc.
LETTRES PATENTES DE SON ALTESSE DE LORRAINE
POUR NANCY
CHARLES par la grâce de Dieu Duc de Lorraine, Marquis Duc de Calabre, Bar, Gueldres, Marquis du Pont à Mousson et de Nomény, Comte de Provence, Vaudemont, Blasmont, Zutphen, Saruvenden, Salm, etc.
A tous ceux qui ces présentes verront : Salut.
Sur ce qui nous a été représenté de la part des Abbesse, Prieure, religieuses et convent du monastère de Notre-Dame de la Consolation, de l'Ordre de Saint-Benoit, fondé en notre ville de Nancy par feu notre très chère et très aimée tante, Madame Catherine de Lorraine, Princesse et Abbesse de Remiremont,
que : la Révérende Mère Mectilde du Saint Sacrement, religieuse Bénédictine de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, en la ville de Paris, et Supérieure des monastères de la dite Congrégation, NOUS AYANT présenté requête le 8ème mai dernier, à ce qu'il nous plut consentir et agréer l'union qu'elle tâche de procurer de la dite abbaye et couvent de Notre-Dame de la Consolation, à la Congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, nous aurions bon de renvoyer la dite requête à notre très chère et très aimée soeur, Madame la Duchesse Douairière d'Orléans, Fondatrice, conjointement avec nous, de la dite abbaye de la Consolation, afin d'apporter et disposer les choses nécessaires à la dite union, pour l'exécution de quoi nous avions promis de faire expédier nos Lettres Patentes à ce convenable.
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En suite duquel renvoi, la dite Dame Duchesse Douairière d'Orléans avait donné ses Lettres Patentes le 18ème décembre en suivant ; par lesquelles elle déclare que, souhaitant contribuer de tout son pouvoir à la dite union et de favoriser [de] sa grâce spéciale le dit monastère de la Consolation, et [faire] connaître aux religieuses d'icelui les effets avantageux de leur pieux dessein ; elle aurait exhorté la dite Mère Mectilde du Saint Sacrement de se transporter en ce lieu de Nancy, pour faire avancer la dite union et agrégation d'icelle Abbaye à la dite Congrégation des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel ; et y établir, sous notre bon plaisir, les règles et constitutions d'icelle, et faire toutes les choses requises pour l'entière perfection de ce pieux et louable dessein.
Nous priant aussi de donner notre consentement, et même d'interposer notre autorité pour le faire réussir et lui donner l'achèvement. A quoi inclinant favorablement, et désirant avec zèle et affection seconder les dévotes et louables intentions de notre très chère et très aimée soeur Madame la Duchesse Douairière d'Orléans, considérant d'ailleurs que cette incorporation sera avantageuse à la gloire de Dieu et à l'édification des peuples ; que, même, le revenu de la dite Abbaye de la Consolation était fort modique, il est nécessaire de les secourir et de leur donner moyen de subsister avec plus de facilité, NOUS, POUR CES CAUSES et autres bonnes considérations à ce nous mouvant, AVONS consenti, agréé et permis, consentons, agréons et permettons à la dite Mère Mectilde du Saint Sacrement de faire les poursuites en la meilleure forme et manière que faire se pourra, pour parvenir à l'union et incorporation de l'Abbaye de Notre-Dame de la Consolation de Nancy à la Congrégation des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel ; à charge et condition que le dit monastère du Saint Sacrement demeurera dans la dépendance et soumission immédiate du Saint Siège, ainsi et comme il est porté dans l'établissement et fondation du dit monastère de la Consolation.
VOULONS en outre que les mêmes religieuses jouissent des mêmes franchises, privilèges, immunités, honneurs et grâces que les autres couvents, monastères et abbayes de maisons ducales.
Sy donnons et mandons à nos très chers et féaux : les Présidents et Conseillers de notre Cour Souveraine de Lorraine et Barrois, Conseillers et Présidents et gens tenant notre Chambre des Comptes de Lorraine, Bailli de Nancy, Procureur Général, leurs lieutenants et substituts, et tous autres : nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, que, de l'effet des présentes, ils fassent et souffrent jouir les dites religieuses pleinement et paisiblement, sans leur faire mettre ou donner, ni souffrir leur être fait, mis ou donné, aucun trouble ou empêchement au contraire.
CAR AINSI NOUS PLAIT.
En foi de quoi nous avons aux présentes signé de notre main, et contresigné par l'un de nos Conseillers Secrétaire d'Etat, Commandements et Finances. Fait mettre et appendre notre grand scel.
DONNÉ A NANCY le 15ème janvier 1669. Signé : CHARLES.
et sur le repli : « par Son Altesse » Mengin (avec paraphe) et plus bas : Regta Cordier (aussi avec paraphe) et scellé du Grand Scel de Son Altesse (en cire rouge).
le*
Aux dites Lettres est annexé l'arrêt d'entérinement de la Cour Souveraine de Lorraine et Barrois, en la forme qui s'en suit :
CHARLES, par la grâce de Dieu Duc de Lorraine, Marquis Duc de Calabre, Bar, Gueldre, Marquis du Pont à Mousson et de Nomény, Comte de Provence, Vaudemont, Blasmont, Zutphen, Saruvenden, Salm, etc.
A tous ceux qui ces présentes verront : Salut.
Savoir faisons que, vu par notre Cour Souveraine de Lorraine et Barrois, la requête à elle présentée par les Abbesse, Prieure, religieuses et convent de Notre-Dame de la Consolation de notre ville de Nancy, contenant que, dans l'espérance qu'elles ont de prévenir à l'union et incorporation de la dite abbaye à la Congrégation des religieuses Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel, nous leur aurions octroyé les dites Patentes, par lesquelles nous consentons que la dite union ou incorporation se fasse, requérant à ce qu'elles soient homologuées et registrées pour y avoir recours au besoin ; le décret de notre dite Cour apposé à la dite requête, en date du 8ème du présent mois de février, portant qu'elles seraient communiquées à notre Procureur général, pour y dire et requérir ce qu'il trouverait au cas appartenir, nos dites Lettres Patentes d'agrément et consentement du 15 janvier dernier, et les conclusions du dit Procureur général, tout considéré :
NOTRE DITE COUR a entériné et entérine les dites Lettres Patentes selon leur forme et teneur ; ordonne qu'elles seront registrées au greffe d'icelle pour y avoir recours au cas de besoin, à charge de présenter à la dite Cour les Bulles d'union, lorsqu'elles auront été obtenues.
Et jusqu'à ce, ne pourront les impétrantes, jouir du bénéfice d'icelle.
Fait à Nancy, sous le Grand Scel de la dite Cour, le 16ème février 1669, et signé par la Cour : Cordier (avec paraphe) et scellé du Grand Scel de la Cour (en cire rouge).
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* *
Par le retour du carosse de Son Altesse — qui avait amené Notre Mère —, s'en alla à notre maison de Nancy : Soeur Anne de la Passion, novice de cette maison, née d'une des plus anciennes maisons de noblesse du Royaume, savoir la maison de Beuil (34).
Quoiqu'elle ait pris l'habit céans son attrait a toujours paru être pour nos maisons de Lorraine, faisant de grandes instances pour y être envoyée. Elle les renouvela si fort, quand elle vit la commodité de ce carosse et ce nouvel établissement de Nancy, qu'il fut impossible à Notre Révérende Mère de l'en plus éconduire.
Comme cela elle partit de céans pour Nancy au mois de juillet 1669, du consentement du marquis de Laval son oncle.
Elle apportera à cette maison, où elle prétend faire profession, de dix à douze mille écus de France de dot, ce qui ne contribuera pas mal à son parfait établissement.
Quelques mois après le retour de notre très digne Mère, Son Altesse Royale Madame Douairière l'étant venue visiter à son ordinaire, elle prit la liberté de lui remontrer qu'elle avait satisfait entièrement à toutes ses intentions par l'affaire qu'elle venait de consommer à Nancy ; que, cependant, elle ne laissait pas de se trouver encore chargée par un contrat public d'un autre établissement ; puisque par ce contrat de donation qu'il lui avait plu faire, pour ce sujet à cette maison, de la somme de dix mille écus, en 1664, il était dit que c'était aux conditions d'aller établir à Nancy une maison de l'Institut, la suppliant très humblement de vouloir déclarer là-dessus par écrit ce qu'elle avait déclaré verbalement quand elle nous avait proposé cette union ; savoir que : moyennant que nous y donnassions les mains, elle nous déchargerait de tout autre établissement, et appliquerait à cette maison les dix mille écus qu'elle avait destinés pour l'autre qu'elle avait dessein de faire.
Et Son Altesse Royale trouvant la demande de Notre Mère très juste ne fit point de difficulté de déclarer toutes ces choses par un nouveau contrat qu'elle passa avec nous le 19ème décembre année dernière 1669, qui a été insinué au Châtelet le 27ème février de cette même année 1670, portant que, se tenant pour satisfaite de cet établissement, elle nous décharge de tout autre, et applique à notre maison de Nancy cette somme de dix mille écus qu'elle déclare donner de nouveau ; et même en termes plus avantageux qu'elle n'avait
(34) La famille de Beuil est en effet une très illustre famille. Un ancêtre Jean de Beuil, comte de Sancerre, surnommé le Fléau des Anglais, était aux côtés de Jeanne d'Arc à Orléans et au sacre de Charles VII. Le marquis de Racan (Honorat de Beuil, peut-être le père de la soeur Anne) né en 1589 en Touraine, mort en 1670 ; d'abord officier dans l'armée du roi, se livre aux lettres ; devient ami de Malesherbes et membre de l'Académie Française dès sa fondation 1635. La maison de Laval remonte au lx° siècle et doit son nom à son origine : Laval en Mayenne. Le titre éteint au xIIIe est passé par mariage dans les maisons de : Montmorency, Retz, Chateaubriand, Luxembourg. Bouillet, D.H.G.
fait par la première, en ce qu'elle nous donne des préférences pour le paiement, qu'elle ne donnait pas ci-devant, et une somme de douze cents livres annuellement pour aliment aux religieuses, à cause que sa donation n'est payable qu'après sa mort, et que cependant nous aurions eu de la peine à soutenir la dépense de leur entretien.
Le premier jour de cette année, les mêmes religieuses de la maison de Nancy en renouvelant leurs voeux selon la règle de Saint Benoit ont fait avec nous le voeu de l'adoration perpétuelle, quoique le titre de l'abbaye ne soit pas encore éteint. Il est vrai qu'elles voient bien que c'est une chose infaillible puisqu'il n'y a que Monsieur de Lorraine d'intéressé en cette suppression, — à cause que la nomination de ce bénéfice lui appartient —, et c'est lui-même qui la demande. Ainsi il est infaillible qu'aussitôt que nous aurons un Pape cette suppression se fera.
* *
Voici la réponse de Notre Mère à la lettre que ces bonnes Mères lui écrivirent pour lui demander la permission de faire ce voeu. Elle est de grande édification.
LOUÉ SOIT LE TRÈS SAINT SACREMENT Ce 4 Xbre 1669
Je suis ravie, mes Révérendes et très chères Mères, que l'amour du Fils de Dieu dans l'auguste Eucharistie s'allume si avant dans vos coeurs qu'il vous presse de vous y consacrer en qualité de ses victimes pour lui rendre vos hommages jour et nuit, et vivre de son esprit d'hostie et de sacrifice.
J'ai une sensible joie que sa gloire soit augmentée par votre zèle et que vous tâchiez de nous en donner des marques.
Permettez-moi de vous supplier, mes très honorées Mères et très chères Soeurs, de bien poser le voeu que vous prétendez faire. Ce n'est pas assez qu'il vous engage à l'adoration perpétuelle, et qu'il vous incorpore à une Congrégation qui lui est consacrée, mais il faut prendre l'esprit de notre saint Institut.
Il faut travailler à la mort de nous-même pour n'être plus animées que de la vie de Jésus. Il faut lui demander incessamment de vivre désormais uniquement de lui et pour lui, comme il vit de son Père et pour son Père. Nous lui devons sacrifier tous nos désirs et nos affections. Nous devons même prendre à tâche de mourir aux inclinations de la nature et des sens et de n'agir plus par humeur naturelle.
Ce voeu de l'adoration perpétuelle doit être un renouvellement universel de toute votre vie et de toutes vos actions. Il doit opérer une nouvelle ferveur, un nouveau désir de perfection et surtout une fidélité inviolable.
Il renferme en soi celui de victime, qui vous oblige à soutenir jusqu'à l'épanchement de votre sang et la perte de votre vie, les
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intérêts de la gloire de Jésus en ce mystère d'amour ; mais ce n'est pas comme le commun des chrétiens qui se contentent de faire un peu honorer Notre Seigneur en faisant quelque oeuvre extérieure à sa gloire ; il faut, mes très chères Mères, que nous ayons un zèle ardent d'arracher de nos coeurs tout ce qui l'empêche de régner souverainement en nous et d'y avoir ses complaisances.
Ce n'est pas assez : il faut porter son amour dans les coeurs de ceux qui le profanent et contribuer à leur salut en réparant pour eux. Il faut même abréger [pour s'acquitter de] vos devoirs à cette auguste Eucharistie : que vous tendiez à une si haute pureté de coeur et d'opération que le Fils de Dieu trouve un supplément en nous, de gloire et de plaisir pour ce que les profanateurs de son divin Sacrement lui dénient par leurs crimes.
Il faut de plus qu'il n'y ait pas un respir en nous qui ne soit consacré à son honneur, nous persuadant bien sérieusement que nous n'avons plus aucun droit sur nous, ni de disposer de quoi que ce soit en nous.
Jésus par le voeu de victime rentre dans tous ses droits en nous ; et nous devons, de moment en moment, mourir pour lui dans les occasions de sacrifice, afin d'être en état de mourir uniquement pour sa gloire quand il lui plaira nous appeler au combat pour soutenir ses intérêts. Mais soyons certaines que nous ne les soutiendrons jamais par l'épanchement de notre sang que nous ne les ayons soutenus intérieurement en mourant à nous-même.
C'est en nous qu'il faut commencer de réparer la gloire de cet aimable Sauveur, c'est en nous qu'il faut premièrement établir son empire.
**
Nous allons à cette heure toucher certaines choses remarquables sur cette union, que nous avons triées de la matière générale que nous venons de déduire pour les mettre à part, parce que le sujet nous a semblé le demander tenant de l'extraordinaire.
Premièrement : nous remarquons la grande dévotion qu'avait cette Princesse Abbesse au Très Saint Sacrement de l'autel ; qui semblait être comme un signe que cette maison lui appartiendrait un jour, et que Dieu en faisait le choix dès lors, afin de la dédier à l'adoration perpétuelle.
Quand elle fit sa Congrégation de réformés, elle voulait déjà la faire nommer : la Congrégation du Saint Sacrement. Mais Dieu réservait ce glorieux titre à la nôtre et ne permit pas que cela fût, certaines considérations lui ayant fait changer de sentiment et la nommer : la Congrégation des réformés de l'étroite Observance.
De plus, elle obtint que l'on en ferait l'office tous les jeudis qui ne seraient pas occupés d'offices de douze leçons ; et on l'exposait [le Saint Sacrement] du côté des religieuses, où elle fit pour cela
préparer un lieu exprès avec une grande glace devant, où il demeurait tout le jour. Et après vêpres immédiatement, depuis l'Exaltation de la Sainte Croix jusqu'au Carême, la bénédiction s'y donnait au peuple ; et depuis le Carême jusqu'à l'Exaltation on la donnait après complies.
Les religieuses ce pendant, tour à tour, allant tout le long du jour passer une heure devant en adoration, suivant le rôle qu'en faisait Madame l'Abbesse. Et cette dévotion a continué 35 ans sans dessaisir et jusqu'au temps que nos Mères y sont allées, nonobstant les guerres et les autres mauvais temps.
Elle fit fondre de belles cloches, et fit mettre pour inscription sur la plus grosse : « Loué et adoré soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel à la Consolation de Nancy ».
Mais ceci ne s'est découvert que par une espèce de merveille, car jusque là les religieuses même l'ignoraient absolument. Ce fut que cette cloche vint à tomber du haut du clocher, dans le plus fort que l'on parlait d'y envoyer nos Mères. La hauteur du lieu d'où elle tombait et sa propre pesanteur devaient avoir effondré tout ce qu'elle rencontrait en son chemin jusque sur la terre, cependant elle ne rompit qu'une poutre qui même n'était guère grosse, et s'arrêta sur un lambris de simples ais, attachés avec des clous, qui ne semblait pas capable de soutenir de plus petits fardeaux ; en sorte que .1a chose paraissant si merveilleuse qu'il semblait qu'une main invisible la soutenait, y attira toutes celles de la maison qui y accoururent avec bien des ouvriers appelés pour l'ôter, et lors on vint à lire avec étonnement — à cause de la rencontre de la venue de nos Mères —, cette inscription que nous disons ; la cloche ne s'étant arrêtée en cet état, ce semblait, que pour la faire lire et comme inviter nos Mères à y venir, leur disant que dès son commencement cette maison se trouvait dédiée à cet auguste Sacrement de nos autels.
Comme Madame de Remiremont passa par Besançon en 1634. s'en allant en Allemagne auprès de Madame l'Electrice sa soeur, elle y fit rencontre d'un très excellent religieux de l'Ordre de Cîteaux, nommé Dom Pierre Marmet, lequel vivait en odeur de sainteté ; et l'envoya à ses chères filles de Nancy pour prêcher le Carême pour les consoler de son absence.
Ce bon père étant un jour tout revêtu, dans la sacristie, pour aller dire la messe, comme il allait prendre le calice — ayant fait une élévation d'esprit en le prenant — il demeura ravi, les yeux au ciel et les mains jointes plus de trois quart d'heures durant, sans que jamais on put le faire revenir quoiqu'on le tira fortement par sa chasuble, et que l'on fit force bruit autour de lui pour cela même.
A la fin on fut contraint de congédier le peuple qui attendait et qui était venu au son de la cloche, leur disant que le prêtre [se] trouvait mal.
Et dans ce ravissement, — à ce qu'il avoua depuis avec une extrême peine, à la Mère Anne de Saint-Maur, lors Prieure, qui l'en
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pressait extraordinairement —, Dieu lui fit voir qu'il avait de grands desseins sur cette maison, qu'elle souffrirait beaucoup de misères et serait grandement persécutée, mais qu'au bout d'un temps, il y viendrait des religieuses, — comme un essaim d'abeilles —, qui y feraient des merveilles, et qu'une grande Dame leur ferait beaucoup de bien, en sorte que la maison aurait sujet de se nommer : la maison de la Providence.
La Mère de Saint-Maur l'ayant appris aux religieuses, elles le mirent en [un] mémoire qui se voit encore aujourd'hui. C'est une marque que ce n'était point chimère.
Ce bon père a prédit plusieurs autres choses à diverses personnes, qui leur sont arrivées.
Toute la même chose que celle que nous venons de dire fut dite en songe à Renée Imblot, tourière de dehors au monastère de la Consolation, qui était une sainte fille, laquelle s'en découvrit à la Mère Anne de la Croix, tourière du dedans, ajoutant de plus : « Vous, ma Mère, serez de celles qui verront ces religieuses, mais toutes ne les verront pas ».
En effet, cette Mère de la Croix a vu nos Mères car elle est encore vivante, et est l'une des plus ferventes pour notre Institut, comme aussi il en est mort [un] très grand nombre dans les 35 ans qui se sont écoulées depuis ce songe mystérieux. C'est de cette même Mère qu'on a appris ce fait-là.
Cette bonne fille n'était pas un songe-creux. En voici encore deux preuves bien évidentes, puisque les événements répondant à ses visions ne laissent pas lieu de douter de leur vérité ; et ceux-ci autorisent cet autre qui nous regarde.
Elle vit en songe quand Monsieur de Lorraine fut délivré du plus grand péril où il s'est jamais trouvé engagé. Ce fut lorsqu'il alla avec son armée au secours de la ville de Brisach en Alsace, que le duc de Vaymard avec l'armée suédoise assiégeait ; car cette Altesse ayant été trahie, se trouva tellement investie de toutes parts par les ennemis que, naturellement, il ne pouvait échapper d'être tué ou d'être pris. Néanmoins il se sauva heureusement et ne fut point blessé.
Mais, dans cette extrémité, Marie Imblot qui venait de se coucher, — car c'était sur les huit heures du soir, — le voyant en esprit, fut entendue par sa compagne crier avec grande angoisse : « Non, il ne sera pas tué, il ne sera pas tué ! » ce qu'elle répétait toujours. Et comme on l'eût éveillée à force de lui corner aux oreilles, elle en témoigna une extrême douleur, disant qu'on lui avait empêché de voir la plus belle chose du monde, et déduisit [raconta] tout au long aux religieuses, le lendemain, qu'elle voyait la Sainte Vierge, d'une beauté ravissante, vêtue d'un manteau d'un bleu céleste, qui voltigeait comme en l'air sur la ville, et qu'elle conservait Son Altesse, détournant les coups de lui en le dérobant des ennemis.
Et, en effet, ce Prince après s'être échappé comme nous avons dit, étant venu voir Madame sa tante à Remiremont, où elle était déjà lors, jouissant de la neutralité que le Roi lui avait accordée à son retour d'Allemagne, elle lui fit le récit de ce songe, et il confessa que tout était vrai jusqu'aux moindres circonstances ; ayant même eu la curiosité de voir cette fille à cause de cela, ce qui obligea Madame de Remiremont de l'envoyer quérir à Nancy.
Dans le commencement des guerres il lui fut montré en la même manière, des processions qui ne se firent que plus de six ans après par toute la Lorraine, de filles vêtues de blanc qui allaient à pied faire des pélerinages pour apaiser l'ire de Dieu, qui eurent cette marque étonnante que toutes les personnes qui étaient de la procession ou qui l'accompagnaient, se voyaient couvertes de croix de Lorraine à double croissant. Sur le blanc elles étaient noires, pour être vues, et sur le noir elles étaient blanches.
La même fille avait expérimenté en elle-même, par un miracle bien évident, le doux regard de Dieu sur elle.
Elle demeurait à Boussiers dans le commencement des guerres. Un jour, en plein midi, étant dans l'église avec beaucoup de peuple, il y entra huit détestables suédois, l'épée au poing, qui la voulurent ravir.
Et personne n'osant s'avancer pour s'opposer à leur violence, la fille se va jetter aux pieds de l'image de la Sainte Mère de Dieu qu'on appelle Notre-Dame de Boussiers ; et la tenant fortement embrassée, jamais ces malheureux ne purent l'ôter de là, quoiqu'un seul, naturellement, en aurait emporté quatre comme elle ; mais elle leur semblait immobile bien qu'ils s'efforçâssent plusieurs fois de l'ébranler.
A la fin tout le peuple ayant crié au miracle, ils commencèrent à s'effrayer et s'enfuirent, l'ayant laissée en repos.
En l'année 1635, l'aile droite du monastère de la Consolation étant bâtie tout à neuf, en sorte qu'on attachait encore les ardoises sur le couvert, il vint un jour un grand vent qui la jet ta par terre tout d'un coup, à la vue des religieuses, car c'était de jour, sans qu'il en restât rien du tout sur pied, au grand étonnement de toutes ; et la Mère Anne de Saint-Maur, d'Avenet, alla dire à la Mère des Anges, Monvoiset, et aussi d'Avenet : « Ma Mère, la réforme que Madame de Remiremont a entreprise sera bientôt renversée comme ce bâtiment là ». L'on crut qu'elle en avait eu connaissance par une lumière extraordinaire ou par quelque parler intérieur, dont Dieu la gratifiait souvent, au dire de son confesseur qui l'a déclaré.
Mais l'événement l'a mieux prouvé encore, puisqu'il est vrai que cette réforme a vu sa fin presqu'aussitôt que son commencement ; car cet excès, pour les filles, de ne manger qu'une fois le jour, et de
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ne point se récréer, en faisait tant de malades qu'il fallait incessamment les en dispenser. Ainsi la dispense devenait la règle, parce que le plus grand nombre était toujours de ce côté.
Et toutes ces différences ne faisaient qu'amasser des noises et des divisions ; d'autant mieux que la plupart ne s'y estimaient point obligées, parce qu'elles avaient fait les voeux devant qu'elle fût établie. Si bien qu'elles allaient (se) plaider pour cela quand nos Mères y sont allées, qui ont remis toutes choses dans le bon train.
Il n'est pas mal de dire ici que cette pieuse Princesse avait laissé aller son zèle si loin que de vouloir, devant que de demander des religieuses d'Avenet, en faire venir d'Espagne, qu'on lui avait fait entendre observer à la lettre notre sainte règle, comme elle se le proposait. Mais Dieu permit que, quand elle y envoya, elles venaient d'être mises à l'Inquisition, comme suspectes d'erreurs à cause de leur singularité de vie, de sorte qu'elle en perdit le dessein.
Pendant les années 1665 et 1666, que Madame de Livron leur Abbesse, poursuivait à Paris ce grand procès contre le marquis de Coligny, pour les intérêts de son abbaye, elle faisait faire (à) force prières pour en avoir bon succès.
Et, entre les autres, elle fit faire une neuvaine par un bon paysan, nommé Claude, du village de Saussure, proche Nancy, qui était grandement favorisé de la Sainte Vierge par plusieurs connaissances avancées, suivant lesquelles il a prophétisé quantité de choses qui sont arrivées.
Et comme ce bon homme avait accoutumé de se mettre en oraison tous les soirs, pendant que sa femme allait à la cragne, selon la coutume du pays, avec les autres villageoises filer la quantité de fusées qu'elles se proposent de faire par jour, y demeurant tout autant que la femme demeurait dehors, c'est-à-dire souvent quatre heures de suite, un soir, pendant la neuvaine, cette très Sainte Mère de Dieu et Notre Sauveur s'apparut à lui dans un éclat merveilleux, accompagnée de Sainte Thérèse, à laquelle Madame de Livron était aussi fort dévote, — sans que cet homme en sût rien, ce qui fit même qu'il s'étonna de voir cette sainte parce qu'il ne l'avait pas invoquée, — et la Sainte Vierge lui dit avec une grande démonstration de bonté : « Oui, je sais qu'il faut quelque chose pour la subsistance de mes servantes, parlant des religieuses de la maison de la Consolation et j'y pourvoierai ».
Elle ne lui parla point du tout de ce procès qui se poursuivait, aussi le perdit-elle. Mais cette promesse de pourvoir à leurs besoins ne peut être prise que pour leur union à notre Institut, qui leur a pourvu en effet de tout, comme nous venons de voir.
Il vint en suite de cela, à Nancy, le déclarer à Madame de Livron, paraissant si pénétré de dévotion par les douces larmes qu'il versait qu'il persuadait aisément qu'il y avait eu de l'extraordinaire, assurant cette Abbesse, dans un doux transport, que jamais cette Reine du ciel ne lui était apparue si pleine de majesté et de bonté, pour dénoter qu'elle avait la puissance de les assister et la volonté de le faire ; en sorte que, de la grande consolation qu'il en avait reçue, son âme ayant attiré toutes ses forces au dedans, son corps en était demeuré épuisé et languissant, et que c'était ce qui l'avait retardé quelques jours de lui venir en apporter ces heureuses nouvelles.
L'année passée 1669 que notre Révérende Mère prit possession de cette abbaye, comme elle entrait au choeur pour être mise en cette possession, il fut dit par une parole intérieure, à une personne très grande servante de Dieu qui lui est parfaitement intime, que Dieu avait très agréable sa venue, et qu'elle lui avait fait grand plaisir de venir. Ce ne furent pas tout à fait les mêmes termes, mais c'est le même sens, car ces paroles ici ne l'altèrent point du tout, au contraire, les autres paroles étaient plus fortes et plus avantageuses pour l'Institut.
Le désir de notre union qui se voyait dans le coeur de la plupart des religieuses de cette maison, doit être pris aussi pour une marque que Dieu la voulait bien, puisque tant d'effets semblables se rencontrant ne peuvent être attribués qu'à une cause générale influant également. Mais, surtout Dieu avait imprimé ce désir dans celle qu'[il] était plus nécessaire d'en toucher, parce qu'étant comme chef de la troupe elle y aurait pu apporter plus d'obstacles que pas une, si elle n'eût pas été fortement touchée : c'est la Mère Catherine de Sainte-Agnès Rolin que nous avons déjà vue Prieure dans l'abbaye sous une très jeune Abbesse, c'est-à-dire qu'elle gouvernait tout. Aussi il faut dire la vérité : elle en est extrêmement capable. Nous n'avons qu'à l'ouïr parler sur le sujet de cet Institut, elle s'en fera mieux entendre que nous, par une lettre qu'elle en écrivit à notre très Révérende Mère Supérieure, dès l'année 1665, laquelle nous rapporterons pour cela. Aussi a-t-elle mérité de Dieu l'avantage qu'une affaire dont il tire tant de gloire se soit consommée entre ses mains ; puisque nous venons de voir que c'est elle qui a reçu nos Mères dans l'abbaye de la Consolation, et qui s'est démise entre leurs mains, avec beaucoup de ferveur et d'humilité de sa supériorité, pour se rendre leur inférieure et soumise comme l'une d'entre nous.
C'est [d] elle principalement de qui nous avons appris tout ce que nous rapportons de cette abbaye ; son témoignage ne pouvant être que d'un très grand poids, parce qu'elle a toujours été élevée auprès de cette princesse, de qui elle avait l'honneur d'être filleule et fille de sa nourrice, puis sa domestique, jusqu'à ce que la congrégation se commençât, elle se rendit sa religieuse, et a toujours été fort chérie d'elle et eu grande part à son secret.
Depuis elle a passé par toutes les charges de cette maison et s'en est fort bien acquittée.
Ad Majorem Gloriam Dei Ma Très Révérende Mère,
Vous avez fait bonne expérience que la divine Providence a des ressorts merveilleux par lesquels elle nous conduit au but qu'elle
De l'Abbaye Notre-Dame, à Nancy, le 2ème X 1665
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prétend et qu'elle a déterminé de toute éternité. Il y a longues années que je les admire sans les connaître, par les orages divers et continus dont la petite barque de notre maison est attaquée avec tout ce qui lui appartient.
Ce n'est mon dessein de vous en faire le dénombrement quant à présent, puisque vous n'en pouvez ignorer la plupart, mais bien de vous faire connaître que, depuis quelques années j'ai de fortes pensées que notre monastère et communauté doivent être incorporés à votre congrégation et très saint Institut.
Il semble que le temps est venu qu'il y faut travailler ; si vous agréez cette première proposition que j'ai pris résolution de vous en faire, — et m'accordez la très humble supplication qu'elle soit entre vous et moi pour cette fois, — et qu'il vous plaise prendre la peine de me faire réponse sincère sur les points suivants, qui me semblent pouvoir apporter quelque obstacle à l'exécution.
Savoir : si vous ne pourriez pas souffrir que l'on demande à Rome un Bref de dispense sur le point que l'on dit être en vos constitutions, de ne pouvoir unir à votre congrégation aucune abbaye où les abbesses soient perpétuelles, c'est-à-dire à vie. Et ce, seulement pour Madame notre Abbesse moderne, à cause que nous la tenons comme insigne bienfaitrice. Après laquelle il serait dit, par le même Bref, que nous serions obligées de tenir la clause de notre première Bulle ou Bref qui rend les abbesses triennales.
Que, si Sa Sainteté la rendait à ces autres points exécutoire, il nous serait permis, sans autres cérémonies, de choisir tel Institut que nous voudrions d'une maison réformée de l'Ordre de Saint Benoit.
Il n'y a rien si facile à obtenir puisque nous avons avis qu'elle se pourrait faire sans avoir recours à Rome, moyennant que nos Fondateurs le veuillent ; présupposé que notre seconde Bulle n'a point eu d'effet et n'a jamais valablement été exécutée en l'érection d'une congrégation de l'étroite observance de la règle de Saint Benoit
ad literam » à laquelle elle unissait notre abbaye. A faute de quoi il est bien clair qu'elle peut et doit reprendre son premier Institut de la vie commune des autres religieuses réformées du même Ordre.
Ainsi il conviendrait seulement s'adresser au Saint Père pour la dispense ci-devant mentionnée, selon les avis ci-dessus, qui pourront encore être examinés davantage si cette proposition est agréée de vous, ma Révérende Mère, et par vous proposée à l'Altesse Royale de Madame d'Orléans qui j'espère l'agréera facilement et la protégera, nous accordant la grâce de son consentement et celle d'y employer son grand crédit à Rome ; moyennant quoi, je me promets que nous viendrons à bout de faire que Madame notre Abbesse s'y accorde, et finisse ses jours avec nous ; les avantages qu'elle nous a apportés et que Madame la marquise d'Haraucourt, sa soeur, prétend d'augmenter. Nous demeurons...
***
Nous avons interrompu le fil de la relation que nous avons entreprise de ce qui regarde la congrégation, pour traiter plus amplement et avec plus de netteté ce qui touchait l'union de cette abbaye. Il faut maintenant la reprendre pour dire ce qui nous reste à rapporter sur ce sujet de la même congrégation.
Nous dirons donc que, sur le même temps que l'on parlait d'aller à Nancy, il fut proposé à notre Révérende Mère l'union et agrégation de l'Abbaye Saint-Antoine, de la ville de Domfront, au diocèse du Mans, de notre Ordre. La ville nous ayant député le principal magistrat pour traiter avec nous, à cause que ce monastère étant en division pour raison de la supériorité, ils ne trouvaient point de moyen de les unir que celui de nous y appeler, parce que les deux parties des religieuses divisées le demandaient également, et promettaient de s'y soumettre.
Monseigneur l'Evêque vint lui-même en parler aussi à notre Révérende Mère, mais quoique les conditions qu'on nous offrait fussent fort avantageuses et que cette maison soit bonne et bien rentée, nous ne la voulûmes pas accepter parce qu'elles ne voulurent pas se ranger à l'abstinence de la viande ni quitter le linge.
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MORT DE LA DUCHESSE DE LA VIEUVILLE
Le retour de notre Révérende Mère de son voyage de Nancy fut hâté par le triste événement de la mort de la duchesse de la Vieuville, fille unique de notre chère Fondatrice et toute la joie de son coeur.
Elle mourut le 7ème de juillet, — le propre jour que Notre Mère partait de Nancy pour venir, — car, comme sa maladie avait été
fort longue et très périlleuse depuis deux mois, nous en avions averti notre Révérende Mère, pour qu'elle se hâta de venir assister la désolée mère, qui ne pouvait manquer d'avoir besoin de force et de consolation en une occasion comme celle-là.
Mais cette mort prévint le retour de Notre Mère, la divine Majesté ayant voulu que cette bonne comtesse portât comme cela sa croix toute seule, sans appui ; ce qu'elle fit très dignement quoiqu'elle fut extraordinairement touchée.
Mais, si la fille bien-aimée voulut, pour marquer de sa tendresse, laisser son coeur à sa triste mère pour sa consolation, — ayant ordonné par son testament qu'il serait apporté céans pour être placé de notre côté auprès de celui du comte son père, — cette mère comme vraiment chrétienne et parfaitement soumise à la volonté de Dieu, se trouva assez forte et courageuse pour l'aller recevoir de ses propres mains à nos grilles de l'église, — où il fut apporté par un grand convoi de prêtres, avec bien de la cérémonie, — et de le porter elle-même aux pieds de l'image de la Sainte Vierge où elle le fut poser, [non] sans verser quelques larmes qui furent arrachées à sa constance par la force de son bon naturel, sans pourtant l'avoir ébranlée.
Et ensuite elle s'alla prosterner sur sa face devant le Très Saint Sacrement pour en renouveler le sacrifice, nous avouant que la joie qu'elle sentait dans l'assurance présumée, avec tant de raisons, du salut de son enfant, avait beaucoup aidé à la soutenir en cette occasion et en la privation de cette chère personne.
Il est impossible de passer ainsi cet endroit sans toucher quelque chose des rares qualités d'une Dame qui nous était d'aussi grande considération que celle-là, en reconnaissance des extrêmes obligations de celle à qui elle devait la naissance ; et encore des bontés particulières qu'elle-même nous témoignait.
Elle était avantagée d'une très grande beauté, d'une haute taille, d'un port fort majestueux et d'un esprit admirable, soutenu par un coeur si ferme et si généreux qu'il ne savait ce que c'était que de fléchir, sinon sous ses devoirs.
Dieu, voulant couronner ses dons en elle, et voyant que la malice du monde lui en pouvait ravir la possession à la fin, — parce que tant
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de belles qualités la rendaient un grand ornement de la Cour et la faisaient beaucoup rechercher de toutes sortes de personnes, — l'afligea depuis quelques années de maladies continuelles, qui la retenaient presque toujours dans un lit. Et sa très chrétienne mort, qui s'est trouvée d'une édification si grande que depuis beaucoup d'années il ne s'en est pas vue de pareille dans Paris parmi les personnes de son sexe, — a bien montré que c'était le dessein de Dieu de la sauver, et que c'était une âme vraiment prédestinée.
Elle nous a laissé par testament, pour marque de son affection, une somme de quinze cent livres, que la comtesse nous compta huit jours après, et un fil de perles qu'elle aimait fort, valant quarante louis d'or, pour être mises autour de l'hostie à notre soleil du Saint Sacrement, en signe qu'elle déposait à ses pieds tous ses ornements de mondanité ; et pour marquer que c'était de fort bon coeur, elle a ordonné qu'il ne pourrait jamais être vendu ni employé à autres usages.
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Nous avons parlé ailleurs de la considération que Son Altesse de Lorraine témoigne avoir pour notre Révérende Mère. En voici encore une preuve qu'il en donna.
C'est qu'au mois de janvier de cette présente année 1670, que Monsieur le duc François est mort, Monsieur de Lorraine adressa à notre Mère le courrier qu'il envoyait pour en porter la nouvelle à Son Altesse Royale Madame Douairière, leur soeur, avec ordre exprès à ce courrier de venir droit à Notre Mère lui apporter la dépêche devant que de voir personne ; et ne faire pas un pas que par ses ordres, jugeant, selon son estime, que la douceur de la main dont cette grande Princesse recevrait ce coup, en amoindrirait l'amertume et la soutiendrait par les saints motifs de consolation qu'elle lui donnerait, en même temps qu'elle la frapperait.
Aussi Madame témoigna, par la réponse qu'elle fit de sa propre main, sur le champ, à la lettre par laquelle cette très digne Mère lui annonçait cette funeste nouvelle, que c'étaient là ses vrais sentiments, et qu'elle en avait ressenti tous ces bons effets quoiqu'elle se trouvait extrêmement touchée de cette perte.
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Au mois de juillet 1670 notre congrégation a trouvé le moment heureux de sa consommation parfaite, par les Lettres Patentes qu'il a plu au Roi nous accorder.
Cette grâce est très grande et extraordinaire, eu égard à tous les édits et ordonnances que Sa Majesté a fait publier contre les Corps Religieux.
Cependant il autorise en notre faveur, par ces Lettres, la formation — si l'on peut parler ainsi — et l'établissement d'un Corps de
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Congrégation, qui est bien quelque chose de plus important que de simples établissements de maisons, comme ceux qu'il a réglé d'empêcher.
Sans ces Lettres il est chose constante et assurée que nous n'aurions su réussir dans notre dessein, puisque pour faire [ce] Corps [de Congrégation] avec qui l'on puisse traiter, contracter, et tenir les Assemblées de nos Chapitres, il nous fallait le caractère [le sceau] du Prince. Car, sans cette autorité, toutes Assemblées dans le royaume sont tenues pour suspectes de monopole, et tous Actes passés en qualité de Corps Public sont réputés pour nuls.
C'est un coup si merveilleux que de les avoir obtenues en un temps si contraire, qu'il semble tenir du miracle.
Son Altesse Royale Madame la Douairière se peut regarder comme la cause seconde dont Dieu s'est voulu servir pour l'opérer, sa recommandation nous ayant beaucoup servi auprès de Monsieur le Chancelier.
Mais la considération de notre Révérende Mère Prieure n'y a pas peu servi aussi, parce que Monsieur le Chancelier (35) en fait une estime très singulière dès longtemps, et Madame la Chancelière a pour elle une confiance très intime. Il semble que Dieu ayant laissé venir ce Grand Chancelier à cet âge si avancé de quatre vingt cinq ans où nous le voyons qu'il lui ait prolongé la vie, afin de lui procurer l'avantage de rendre encore ce service à son Fils caché sous le voile de notre très auguste Sacrement ; comme il lui a rendu celui de défendre l'Eglise du trouble où la voulaient jeter les nouvelles opinions du siècle, pour achever par là ce qui avait manqué à arrondir sa couronne dans le ciel.
Et bien qu'il ait usé de précautions fort exactes, devant que de nous accorder nos Lettres, toutefois nous n'avons pas moins de sujet de nous louer de lui, soit parce que le résultat de ses soins nous a été glorieux, soit encore parce qu'il pouvait, s'il eût voulu, nous en refuser absolument sans nous rendre raison de son refus, au lieu de se donner la peine qu'il a prise. Car il faut savoir que, voyant que nous mettions dans l'exposé de nos lettres que nous avions quatre maisons de notre Institut, il s'est bien donné la peine d'envoyer secrètement, à ses frais, l'un des siens sur les lieux pour vérifier si cet exposé était vrai, et prendre en même temps connaissance de notre forme de conduite, comme aussi du gouvernement de notre Révérende Mère à l'égard de toutes ces quatre maisons.
(35) Chancelier Pierre Séguier. Né à Paris en 1588, mort en 1672. D'abord intendant de Guyenne, puis sous Richelieu garde des sceaux en 1633 et chancelier en 1635. Il s'opposa parfois au ministre et à la régente Anne d'Autriche. H fut privé quelque temps de ses fonctions, mais on les lui rendit en 1653 et il les garda jusqu'à sa mort. Il eut un des premiers l'idée de l'Académie Française. Mère Mectilde connut la femme du chancelier Séguier par Louise de Marillac. Mme Séguier faisait partie des toutes premières Dames de Charité réunies par Vincent de Paul autour de Mile Legras. Le soutien de Mme Séguier n'a jamais manqué depuis à mère Mectilde. Mgr Baunard, op. cit. — Bouillet, D.H.G.
Se peut-il rien de plus glorieux pour l'Institut que de voir qu'après une recherche comme celle-là il nous ait accordé ces Lettres ? N'est-ce point dire qu'il est très bien établi, et que partout il est dans toute la bonne odeur que l'on saurait désirer ?
Ce n'est pas qu'à la rigueur ces Lettres nous fussent absolument nécessaires, puisque les facultés de Monseigneur le Légat ayant été vérifiées au Parlement de Paris, notre Bulle, — comme tout ce qu'il avait fait en conséquence de ses pouvoirs —, prenait assez de force de cet enregistrement pour n'en avoir pas besoin d'un autre. Mais en ces temps-ci, si contraires aux religieux, on nous l'aurait pu disputer ; au lieu qu'à cette heure il n'est personne qui nous y puisse troubler, sinon qu'à la vérité, a l'homologation des Lettres au Parlement, Monsieur le Procureur général nous y pourrait traverser ; mais il y a lieu d'espérer qu'il ne le fera pas et qu'il se laissera toucher, comme les autres, à la sainteté de cette oeuvre.
Nous aurions encore à désirer, — s'il s'agissait de rendre nos souhaits accomplis —, d'avoir la Bulle de Rome portant érection en Congrégation ; mais c'est de quoi nous pouvons beaucoup mieux nous passer que nous n'aurions pu faire des Lettres Patentes ; car, ayant Bulle de Monseigneur le Légat, consentie par les Supérieurs qui se pouvaient trouver intéressés à son exécution, [nous] pouvons, sous l'autorité du Roi, l'exercer de longues années et même toujours, sans que Rome nous y puisse apporter de l'empêchement.
Mais vu ce que nous avons dit ailleurs, et de plus ; à présent que Dieu a donné à son Eglise un chef par la création de notre Saint Père le Pape Clément 10ème, nous ne devons pas douter que nous ne l'obtenions, parce qu'il ne s'y présente plus de difficultés (36).
Enfin nous ne pouvons plus authentiquement et plus glorieusement clore et sceller nos mémoires, que de les finir, comme nous faisons, par ce fameux événement qui nous est arrivé du Grand Sceau de France. Après cela, rien n'est digne d'être avancé, et il faut condamner au silence notre plume.
Et si ceux qui liront ceci daignent prendre la peine de conférer le commencement de l'établissement de l'Institut avec sa consommation, ils se verront obligés d'admirer avec nous ce progrès, et de reconnaître que la main de Dieu est très visiblement sur cet ouvrage, pour l'augmentation de la gloire de Jésus-Christ son Fils résidant dans notre très auguste Sacrement.
(36) La fin du manuscrit est donc rédigée, après l'élection de Clément X, 29 avril 1670. La bulle d'érection de la congrégation ne fut accordée que le 10 décembre 1676 par le Pape Innocent XI.
LETTRES PATENTES DU ROI
POUR L'ÉRECTION DE LA CONGRÉGATION
Louis, par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre, à tous : présents et à venir : SALUT.
Comme il n'y a rien qui attire plus fortement la colère de Dieu que la profanation des choses sacrées, la feue Reine, notre très honorée Dame et Mère de glorieuse mémoire, ayant fait un voeu [de réparer] autant qu'il lui serait possible les offenses, sacrilèges et impiétés qui s'étaient commis durant les guerres, en aucuns lieux de notre Royaume, nous avait demandé de fonder à cet effet un monastère de religieuses de l'Ordre réformé de Saint Benoit, lequel fût singulièrement et spécialement établi à cette unique fin, pour être le lieu des réparations, adorations et hommages continuellement rendus par les âmes consacrées à Dieu en icelui, au très saint et adorable Sacrement de l'autel ; selon qu'il est expressément porté par nos Lettres Patentes du mois de mai 1653, régistrées et vérifiées en notre Cour de Parlement et Chambre des Comptes, à Paris, le 17ème juillet et 2ème septembre 1654, ci-attachées sous le contrescel de notre Chancellerie.
Par lesquelles nous aurions permis à la Mère Catherine de Bar, dite du Saint-Sacrement, religieuse du dit Ordre de Saint Benoit, ci-devant Prieure du monastère de la Conception Notre-Dame de Rembervillers, diocèse de Toul, d'établir un couvent de son dit Ordre au faubourg Saint-Germain de notre bonne ville de Paris ; ce qui aurait été heureusement exécuté, avec la bénédiction de Dieu, au grand contentement des personnes pieuses et à l'édification du public.
Depuis lequel temps, les Prieures et religieuses des monastères du même Ordre de Saint Benoit, fondés ès villes de Toul et Remberviller, voulant introduire, pour une plus grande perfection, une pareille observance dans leurs maisons, auraient souhaité d'entrer dans une union avec les dites religieuses du monastère de Paris, en sorte que de ces trois maisons il en fût fait une Congrégation, sous les mêmes statuts et titres de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.
A l'effet de quoi, sous le bon plaisir du Saint Siège et le nôtre, présenté leur requête a feu notre très cher et très aimé cousin, le Cardinal de Vendôme, a latere en France, de feu notre Saint Père le Pape Clément Sème, il leur en aurait octroyé les Bulles, du 4ème des Calendes de juin 1668, avec pouvoir d'unir et agréger à la dite
Congrégation tous les monastères du même Ordre Saint Benoit qui voudront y entrer volontairement, sous l'obligation aux mêmes statuts, régime et constitutions.
Mais, parce qu'il est de notre zèle et autorité royale d'appuyer toutes les bonnes actions qui concernent le plus grand culte de Dieu et de la religion, les dites Prieures [et] religieuses nous auraient très humblement supplié de vouloir prendre en notre protection et sauvegarde la dite Congrégation, et agréer, confirmer et autoriser l'érection qui en a été faite par notre dit cousin le Cardinal de Vendôme, en la dite qualité de Légat a latere du Saint Siège apostolique, et leur en accorder nos Lettres sur ce nécessaires, A CES CAUSES, et pour d'autant plus seconder les bonnes intentions de la feue Reine Mère, notre très honorée Dame et Mère, à la plus grande gloire de Dieu, et pour maintenir la dite adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel que les dites religieuses observent si exactement à l'édification du public, NOUS, de l'avis de notre Conseil qui a vu les dites Lettres Patentes et Bref ci-attachés, sous le contre-scel de notre Chancellerie, ensemble : les consentements des Seigneurs Archevêque de Paris et Evêque de Toul, et du Grand Vicaire de l'Abbaye Saint Germain des Prés, NOUS, de notre certaine science, pleine puissance, et autorité royale, AVONS, par ces présentes signées de notre main, mis et mettons sous notre protection spéciale, et des Rois nos successeurs, la dite Congrégation érigée sous le titre de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l'autel.
Et approuvons, confirmons et autorisons la dite érection faite par notre dit cousin le Cardinal de Vendôme, Légat a latere du Saint Siège ; voulons et nous plait qu'elle ait sa pleine et entière exécution touchant l'union de la dévotion et adoration du très adorable Saint Sacrement seulement, sans qu'en conséquence de la dite union, la dite : du Saint Sacrement puisse prétendre aucune juridiction sur les monastères qui y sont unis et s'uniront à l'avenir à la dite dévotion, que pour faire observer les règlements et statuts ordonnés pour icelle ; les dits monastères qui seront unis [et] s'uniront à l'avenir à icelle demeurant sous la juridiction des Supérieurs.
Ci ORDONNONS EN MANDEMENT à nos amis et féaux Conseillers, les gens tenant notre Cour de Parlement à Paris, et à tous autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, que, ces présentes, ils aient à faire lire, publier et enregistrer selon leur forme et teneur ; et d'icelle faire jouir et user les supérieurs et religieuses des dits monastères, et autres unis et ainsi érigés en Congrégation, et qui pourront ci-après s'unir et s'agréger à icelle, pleinement, paisiblement et à toujours ; c'estant et faisant cesser tous troubles et empêchements qui pourraient leur être faits, et ce, nonobstant toutes choses à ce contraire, auxquelles pour ce regard nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes.
Car tel est notre bon plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre le scel à ces dites présentes.
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Donné à Saint Germain en Laye, au mois de juillet, l'an de grâce 1670 et de notre règne le vingt huit.
Louis
Par le Roi : Philipeaux (37). Et à côté il y a : Séguier.
Pour servir aux Lettres de confirmation de l'adoration du très auguste Saint Sacrement, ainsi qu'il est porté par les Lettres.
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Si faut-il pourtant, pour éternelle mémoire du bienfait que nous avons reçu en ces Lettres de ce Grand Chancelier, que nous fassions connaître à la postérité à qui c'est que nous les devons, et qui nous les a données, car de dire seulement : Chancelier, ne désigne pas la personne.
C'est à Monseigneur Pierre Séguier, duc de Saint-Liébaut, personnage d'un rare mérite, l'un des plus grands hommes qui aient jamais rempli cette charge de Chancelier : grand en science, grand en capacité, et de plus grand catholique encore, et très âpre ennemi de toutes nouvelles opinions en matière de religion.
Il y a 38 ans passés qu'il possède glorieusement cette haute charge qui est la première du Royaume pour le fait de la Justice.
Et le Secrétaire d'Etat qui a signé nos mêmes Lettres, c'est Monsieur de la Vrillière, de la maison des Phélipeaux.
Nous sommes bien obligées de prier Dieu pour eux, et surtout pour le premier.
REMARQUES CONSIDÉRABLES
Après cela nous devons faire les observations qu'il y a sujet de faire sur ces Lettres, puisqu'elles sont très utiles et fort considérables.
La première : est que le Roi reconnaît et déclare que notre maison de Paris est un voeu de la défunte Reine sa mère ; comme cela c'est rendre notre établissement ferme et stable à jamais, et le mettre à couvert de toutes les recherches qui se font en conséquence de ces Edits et nouvelles Ordonnances, sous le prétexte desquels l'on inquiète, depuis quelques années, plusieurs maisons religieuses plus anciennes même que nous ; outre qu'il nous est infiniment glorieux qu'il paraisse au public par un texte si authentique le choix que fit, de la personne de notre Révérende Mère, une si auguste Reine, pour l'accomplissement d'un si grand et si saint voeu.
La seconde : est que Notre Mère se trouve établie pour sa vie, par ces mêmes Lettres, pour chef de notre Congrégation puisqu'elle y est dénommée par son nom comme chef, sans qu'il soit nécessaire pour cela d'une élection des Chapitres.
Il est vrai que ce n'est que pour le spirituel, mais nous ne demandons que cela ; n'ayant au contraire jamais rien tant appréhendé ni tant voulu éviter que tout ce qui pourrait sentir la crosse et le titre d'abbaye.
Et comme toute exception confirme la règle, cette restriction au spirituel nous est une nouvelle confirmation pour notre Congrégation.
Et la troisième remarque : est que ces mêmes Lettres peuvent servir à jamais pour tous les monastères qui voudront s'unir à nous sans qu'il soit nécessaire d'en prendre d'autres.
Qu'à jamais le Très Saint Sacrement y soit aimé, loué, servi et adoré avec toute perfection.
LAUDETUR SACROSANCTUM ET AUGUSTISSIMUM SACRAMENTUM
(37) De Phelipeaux de la Vrillière. Secrétaire d'état de Louis XIV. La charge est restée dans la maison des Phelipeaux (ou Phelippeaux) de 1610 à 1775, c'est-à-dire pendant 165 ans. Le marquis Phelipeaux de la Vrillière a bâti son hôtel en 1620 dans l'actuelle rue de la Victoire à Paris, c'est aujourd'hui la Banque de France. Un des côtés de la Banque de France est rue de la Vrillière. Entrée principale, rue Croix-des-Petits-Champs.
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ANNEXE I
Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen.
Nous, Jean Midot, docteur en théologie et aux lois, grand archidiacre et chanoine de Toul, vicaire général de 1'Eglise du dit Toul, député par icelui le siège épiscopal vacant, à notre chère et bien aimée Soeur Mechtilde du Saint-Sacrement, religieuse professe du monastère de la Conception de l'ordre réformé de Saint-Benoit en la ville de Rambervillers et de ce diocèse, salut.
J'açois que nous avons il y a trois ans vous donner permission de vous transporter au monastère de Notre-Dame de Bon Secours de votre dit Ordre en la ville de Caen en Normandie, diocèse de Bayeux pour aider à y établir une bonne discipline et parfaite observance et de présent étant dûment averti tant de l'expiration de votre dite charge pour la Saint Jean prochaine que dans la grande nécessité que votre communauté a de votre personne, Nous vous commandons et enjoignions par les présentes, en vertu de la sainte obédience et sous peine d'excommunication, de sortir du lieu où vous êtes présentement, incontinent après le dit terme expiré, sans aucun délai, ni tergiversation, pour retourner à votre dite maison de profession dudit Rambervillers. Et afin d'ôter tous sujets et prétextes de vous arrêter et retenir davantage par delà, nous vous défendons très expressément en même vertu et sous la même peine de consentir à aucune élection que l'on voudrait ou pourrait faire de votre personne par delà ni d'accepter ni d'exercer plus aucune charge ni fonction de quelqu'office que ce puisse être hors de votre dit monastère de profession après le dit terme achevé ni ayant rien qui vous puisse dispenser en conscience de votre voeu solennel fait au dit monastère de Rambervillers sous notre juridiction, sans notre consentement et celui de votre dite communauté. Au reste nous vous faisons ces commandements si rigoureux non que nous doutons de votre vertu et prompte obéissance mais pour prévenir et obvier à tous les inconvénients qui pourraient arriver pour vous tenir plus longtemps absente de votre dit monastère auquel vous êtes absolument nécessaire. Et d'autant que l'ingratitude et méconnaissance est la mère de tous vices, ayant appris qu'il y avait plusieurs personnes de condition qui avaient conféré quelques bienfaits, tant à votre personne qu'à votre dit monastère de profession et quelqu'unes d'icelles avaient la dévotion de vous mener en pèlerinage au Mont de Saint-Michel avant que de vous laisser sortir de la province pour ce est-il, qu'en vertu des dites présentes nous vous permettons de faire le dit pélerinage et d'aller visiter, et remercier toutes les dites personnes, vos bienfaitrices, tant en votre nom qu'au nôtre et celui de votre communauté et les assurer que nous prenons part à toutes les charités faites à votre dit monastère réduit pour le présent à sa grande pauvreté par les seuls malheurs de nos longues guerres et continuels passages et logement des armées et que nous prions Dieu de leur en donner la récompense ; mais avant que de sortir de votre présente résidence vous prendrez l'obéissance et la bénédiction de Monseigneur de Bayeux ou de Monsieur son Vicaire Général et
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en tous vos voyages vous serez toujours accompagnée de votre compagne Soeur Dorothée, professe de votre dit monastère et de quelques honnêtes matrones et ne séjournerez en vos dites visites qu'autant que la simple nécessité et la bienséance le requêreront et icelles achevées vous reviendrez tout droit en votre dite maison de profession.
Nous vous recommandons à cet effet, à tous Seigneurs et hommes ecclésiastiques et séculiers, par où vous passerez les suppliant de vous aider et assister en toutes vos nécessités spirituelles et corporelles comme une bonne et fidèle servante de Dieu lequel nous prions de vous donner un heureux retour.
En foi de tout ce que dessus nous avons aux dites présentes, soussigné de notre main propre et contresigné par notre secrétaire, apposé notre cachet ordinaire armoyé de nos armes.
Fait en notre Hôtel à Toul, ce vingt huitième d'avril mil six cens cinquante. Obédience de Monsieur le Vicaire Général de l'Evêché de Toul pour la Révérende Mère du Saint-Sacrement, religieuse Bénédictine du Monastère de Rambervillers dudit Evêché.
Autographe aux Archives du monastère de Paris, n° 34.
ANNEXE II
ÉCRIT DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE
QUI EXPRIME SES SENTIMENTS SUR SON INDIGNITÉ
A FAIRE L'OEUVRE QUE NOTRE SEIGNEUR
A VOULU QU'ELLE AIT FAITE POUR SA GLOIRE
DANS LE TRÈS SAINT SACREMENT
Nous supplions très humblement les serviteurs de Dieu que la divine Providence assemble ici, de nous vouloir donner leurs conseils selon les lumières que le Saint-Esprit leur communiquera, sur cette maison et particulièrement sur ce que Notre-Seigneur veut de moi au regard d'icelle, portant un grand désir de la remettre entre les mains de quelques âmes qui aient la capacité d'y établir la pure gloire de Dieu, me trouvant absolument incapable de le faire pour les raisons suivantes : la première est que je n'ai point les grâces, ni les talents nécessaires pour y agir de la manière qu'il faut ; la seconde est que me trouvant fort impuissante, stupide et ténébreuse, je ne puis m'appliquer sans violence d'esprit à la conduite, n'ayant que des ignorances extrêmes. Troisièmement, je connais par expérience que ma conduite n'y établira jamais le bien en sa perfection, n'ayant pas, comme j'ai déjà dit, ce qu'il faut pour cela, perdant la mémoire, mon entendement étant hébété et plein de ténèbres causées par un fond d'orgueil épouvantable qui est en moi et par lequel je suis toute opposée à Jésus-Christ, cet orgueil faisant de si mauvais effets en moi que toutes mes opérations en sont corrompues. Je le crois la source de tous mes maux puisqu'il me rend indigne des miséricordes de Dieu pour moi et pour les autres.
Au regard de ce monastère, voici mes petits sentiments : premièrement je conçois un si grand malheur de faire une oeuvre de telle conséquence qui ne soit point l'oeuvre du pur esprit de Dieu, qu'il vaudrait mieux qu'elle s'abîmat dans le néant que de subsister un moment hors de cette pureté.
Le dessein de cette fondation étant très saint en apparence, il est fort à douter que l'excellence extérieure d'icelle n'épuise la grâce et la substance intérieure, à moins que Notre-Seigneur y donne des sujets capables de la maintenir par une très grande fidélité.
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La principale pensée sur ladite fondation a été de la recevoir pour un petit nombre d'âmes qui veulent se donner à Dieu sans réserve, oubliant la conversation avec les créatures autant qu'il est possible, les religieuses devant vivre en icelle comme des recluses ; l'on n'y devrait rien connaître que la vie et les états de Jésus-Christ. Point de parloirs que pour la pure nécessité des affaires.
Le motif le plus important de ladite fondation est d'y vivre de la vie cachée et anéantie du Fils de Dieu dans le Très Saint Sacrement selon les degrés de grâce d'une chacune, d'y être pauvres, abjectes, inconnues et rebutées par hommage et union à Jésus Notre-Seigneur dans la sainte Hostie.
La difficulté étant de trouver des âmes assez généreuses pour entrer dans ces saintes dispositions, mon âme en souffre une douleur extrême.
Je souffre au regard de cette maison, tant d'amertume dans l'âme et des angoisses si crucifiantes que je suis dans un regret continuel de cet établissement et voudrais donner mille vies pour l'anéantir s'il n'est pas dans l'esprit et dans les desseins de Jésus-Christ et je prie ardemment les serviteurs de Dieu d'en examiner les circonstances et de voir si c'est l'oeuvre de Dieu et ce qui se doit faire pour la mettre dans un état où il la veut pour sa gloire.
Pour moi, je confesse derechef qu'il m'est impossible d'y réussir, ayant toujours cru et assuré plusieurs fois que je ne ferai point le plus important de cette oeuvre, et connu que je n'en avais point les talents, mon trait intérieur me portant à la solitude pour me rendre à Dieu, sortant du tracas des charges que j'ai exercées depuis plus de dix ans sans discontinuation, mon âme gémit sous le poids de ses misères et je crois ne me pouvoir sauver qu'en quittant tout et me retirant en profond silence et en lieu inconnu pour y faire mourir mon orgueil naturel duquel je ne puis me défaire et qui prend vie dans les grandes occupations. J'ai toujours cru que Notre-Seigneur voulait que je me retirasse puisque j'ai fait, ce me semble, ce qui m'était donné à faire en cette oeuvre et jusqu'à présent je n'avais point eu la liberté de la quitter, mais depuis quelques mois il me semble que je puis me retirer sans en porter aucun scrupule et mon âme a une pente si grande et profonde à me jeter dans un trou caché, gardant un profond silence, que la seule pensée me donne une nouvelle vie. Je ne vois pas lieu de rendre à Notre-Seigneur ce que je lui dois, ri de me sauver que par là.
Pour augmenter mon incapacité, j'ai perdu l'ouïe d'un côté et commence à être fort étourdie de l'autre.
Dans les affaires il me faut une si grande attention pour les comprendre que j'en souffre violence. Mon âme ne voudrait être captive de rien comme elle n'est capable de rien que de s'abaisser devant Dieu, gémir sa vie pleine de crimes, demander miséricorde et tâcher de me séparer du péché.
Archives du monastère de Paris.
ANNEXE HI
LETTRE AU RÉVÉREND PÈRE PRIEUR DE SAINT-GERMAIN
Bénédictines du Saint Sacrement Août 1654, ce mardi à midi
Mon très Révérend Père,
Nous supplions humblement votre Révérence nous donner la permission de faire bénir un des jours de cette semaine une grande image en relief de la Mère de Dieu, à laquelle nous avons toutes une dévotion et une confiance toute particulière et croyons qu'elle sera la Mère et la protectrice de cette petite maison. Nous la regardons comme telle et comme notre Supérieure. Et nous la prierons qu'elle vous comble de ses plus saintes grâces et qu'elle nous rende digne d'être, en l'amour de son Fils.
Mon Très Révérend Père,
Votre très humble et très obéissante fille et servante. Soeur Mectilde du Saint-Sacrement.
Archives Nationale, Seine, L 763, n° 98.
ANNEXE IV
AU TRÈS RÉVÉREND PÈRE PRIEUR
Bénédictines du Saint Sacrement 14 août 1654
Mon Très Révérend Père,
Voici l'acte que nous avons fait pour nous dédier à la Sainte Mère de Dieu et cette petite maison. Nous supplions votre Révérence d'y ajouter tout ce que le Saint Esprit vous inspirera pour le rendre plus saint et plus solennel. Nous désirons beaucoup que ce soit pour demain, si toutefois un écclésiastique que j'ai fait prier de nous prêcher est en état de le pouvoir faire. Nous aurions besoin d'un de vos pontifical pour faire la bénédiction, on le rendra aussitôt. J'eusse bien désiré que votre Révérence l'ait fait, mais comme c'est un jour très solennel je n'ai osé espérer cette consolation. Je vous supplie, mon Très Révérend Père, prendre la peine de voir le dit acte aujourd'hui et que votre bonté nous le renvoie, s'il vous plaît.
J'attendrai les ordres et sentiments de votre Révérence, lesquels je veux suivre de même coeur que je dois être avec tout respect en Notre-Seigneur,
Mon Très Révérend Père,
Votre très humble et très obéissante fille et servante en Jésus. Soeur du Saint-Sacrement,
R. I.
Archives Nationales Seine, L 763, n° 99.
ANNEXE V
COPIE DE L'ACTE FAIT PAR LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES DU SAINT SACREMENT, PAR LEQUEL ELLES ONT DÉDIÉ LEUR MAISON A LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU
POUR EN ÊTRE LA SUPÉRIEURE.
Au NOM DE LA SAINTE TRINITÉ,
DU PÈRE, DU FILS, ET DU SAINT-ESPRIT.
AINSI SOIT-IL.
Nous, Soeur du Saint Sacrement, indigne religieuse bénédictine, tenant la place de Supérieure dans cette maison establie à l'honneur et gloire du Saint Sacrement de l'Autel, prosternée humblement devant le trône adorable de la Majesté divine, en ce très auguste Sacrement, en la face du ciel et de la terre, confesse et déclare, au nom de toute la Communauté présente et à venir, que la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, est pour jamais choisie, nommée et reconnue, pour la très digne et très éminente Mère Abbesse et Supérieure en chef de cette petite maison du
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Très Saint Sacrement, suppliant très humblement sa bonté la vouloir prendre en une singulière et spéciale protection et rendre toutes les religieuses d'icelle des pures victimes dans le Très Saint Sacrement, offrant aussi très particulièrement toutes les personnes qui ont contribué et contribuent à l'établissement parfait de ce petit monastère qui est pour adorer continuellement ce très auguste Sacrement de l'Autel, et réparer autant que l'on peut sa gloire si souvent profanée par les impies qui n'adorent point Dieu dans ce Très Saint Sacrement. Recevez-nous donc très Sainte et très aimable Mère de Jésus, comme vos esclaves, vos filles et servantes. Usez de vos droits et pouvoirs sur nous, et sur le temporel et spirituel de cette maison ; nous vous acceptons et avouons pour notre Souveraine Dame, Mère et Supérieure, voulant par cet acte que nous faisons aujourd'hui solennellement devant toute la Cour céleste, nous obliger à dépendre à jamais de votre sainte conduite, et pour cet effet nous renouvelons nos obligations de baptême et nos voeux de religion entre vos mains, en qualité de victime du Très Saint Sacrement. 0 très sainte Mère de Dieu, nous vous supplions avec toute l'humilité possible que vous daigniez vous-même prendre sur nous toute l'autorité que nous vous pouvons donner et sur toute cette maison qui relèvera à jamais de vous. C'est la protestation irrévocable que nous en faisons. En foi de quoi nous signons ce présent acte, le vingt-deuxième d'août, mille six cent cinquante quatre, et voulons qu'il soit gardé à perpétuité dans le monastère et renouvelé tous les ans, le jour de l'Assomption Notre-Dame ou le jour que dessus. Soeur du Saint-Sacrement R.I.
Le Révérend Père Dom Bernard Audebert, Prieur de ce monastère, et Grand Vicaire de Monseigneur de Metz, a permis que l'offrande ci-dessus et rénovation d'icelle, se fit tous les ans, le jour de l'Assomption de la sacrée Vierge, non par obligation, mais seulement par dévotion, et que pour cet effet les religieuses du Saint Sacrement en dresseront un acte qui serait inséré dans leur livre des actes capitulaires par lequel il serait fait connaître à la postérité que cette rénovation était une pure dévotion et sans aucune autre obligation de péché en cas d'omission.
Frère Ludovic Belot, Secrétaire.
Archives Nationales Seine, L 763, n° 7.
ANNEXE VI
Pax Xti Saint-Mansuy, le le' mars 1653
Ma Révérende et très honorée Mère,
J'ai amplement entretenu Monsieur Cailler, le nouveau Vicaire Général de la patente que vous désirez. Il lui a fallu bien expliquer tout avant que de rien accorder. C'est un grand homme de bien et partant ne veut rien faire qu'avec connaissance de cause. Je l'en loue et espère que tout l'évêché en peu d'années prendra une autre face, et que...
Après m'avoir bien entendu, il m'a répondu qu'il ne pourrait en conscience vous donner la décharge et l'absolution des obligations que vous avez à votre maison de profession sans le consentement de votre Communauté. Beaucoup moins vous pourrait-il accorder le pouvoir de tirer de votre dite maison toutes telles religieuses que vous jugerez capable pour contribuer à une si sainte fondation et à une si haute et glorieuse entreprise, parce que (dit-il) vous en pourriez tirer toutes les meilleures, sans en laisser aucune qui pu ou voulu bien gouverner votre maison, et qu'il n'était pas raisonnable que l'on découvrit Saint Paul pour couvrir
Saint Pierre ; que la charité bien ordonnée commence par soi-même ; qu'il était bien aise et très joyeux de ce qu'en son district on avait trouvé une religieuse digne et capable d'être employée à une oeuvre si sainte et si glorieuse, et qu'il y consentait très volontiers pour la gloire de Dieu pourvu que votre maison demeura pourvue suffisamment d'une autre personne capable de la gouverner, etc.
Je lui ai répondu pour le premier point, que vous demandez vous-même le dit consentement, et que sans cela vous pourriez vous pourvoir à Rome par une [lettre] de la Reine. Et pour le second point, je lui ai dit que l'on pouvait modérer le dit pouvoir en y ajoutant la restriction et l'exception de quelqu'une ou de quelques unes de vos religieuses, mais qu'il fallait auparavant ouïr toute votre Communauté là-dessus qui savait mieux que nous ce qu'il était nécessaire.
A quoi il a acquiéscé.
J'ai donc ce matin envoyé un messager exprès à Rambervillers et écrit amplement toute l'affaire à la Communauté et les ai priées et pressées de vous accorder ce que vous désirez et de vous en dresser une belle et bonne patente parce que le tout tendrait et servirait non seulement à leur profit temporel mais aussi à leur réputation et honneur. Je leur ai donné aussi à entendre l'intention de Monsieur le Vicaire Général afin de ne le point mécontenter. Car il me dit, que le Pape même ne vous accorderait votre demande sans entendre les parties, et que s'il le faisait, ce serait par surprise, et que l'on n'y serait pas obligé d'y déférer. Il vaut donc mieux (comme vous avez très bien jugé vous-même) passer par les voies ordinaires et faire le tout avec la participation de tous ceux et celles qui y ont de l'intérêt, ni qu'il n'y ait rien à redire.
Le dit messager doit revenir ici mercredi prochain et le lendemain (s'il plait à Dieu) j'irai retrouver Monsieur le Vicaire Général et lui ferait voir la patente que vos religieuses vous auront expédiée afin qu'il ne fasse plus de difficultés de vous donner la sienne, de laquelle cependant je dresserai une minute la plus conforme à votre intention que faire se pourra, afin qu'il n'ait qu'à la faire décrire, et que nous vous puissions envoyer le tout aujourd'hui en huit jours. Car je serai contraint de partir le lendemain pour un voyage en Alsace qui durera bien un mois, c'est-à-dire jusqu'au dimanche des Rameaux. Et n'était cette affaire je vous assure que je partirais dès demain ainsi suis-je pressé par nos confrères de diverses maisons de faire le dit voyage de peur que je n'ai assez de temps pour revenir pour la Sainte Semaine. Il n'est pas besoin de me répondre à la présente, puisque la réponse ne me trouverait plus ici. Je me donnerai l'honneur de vous écrire encore quand je vous enverrai vos patentes, cependant je me recommande humblement à vos saintes prières, priant aussi Dieu pour vous afin qu'il lui plaise vous faire la grâce de réussir heureusement en ce pieux et glorieux dessein de la Reine et demeurant toujours ma très Révérende et honorée Mère
Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur.
A. de l'Escale.
Autographe aux Archives du monastère de Paris.
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siez par des autres meilleures raisons convaincre l'esprit de vos bonnes filles et le mien, me semblant que cette entreprise avec les susdites conditions servirait plutôt à la risée du monde qu'à la gloire de Dieu puisque sans un miracle manifeste on ne la pourra jamais continuer un ou deux ans. Voici le conseil que vous donne selon sa conscience
Ma Très Révérende et Très honorée Mère
Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur.
A. de l'Escale.
Autographe aux Archives du monastère de Paris.
ANNEXE VIII
De notre Maison de Rambervillers 16 mars 1653
Notre Révérende et chère Mère,
Notre Révérende Mère Sous-Prieure nous a fait part des nouvelles que vous lui avez écrites touchant votre établissement, ce qui nous à toutes touchées sensiblement, ne pouvant nous résoudre qu'avec une peine extrême de nous voir pour un si long temps privées du cher bien de vous posséder ici en votre pauvre maison. Nous nous jettons toutes à vos pieds pour vous supplier et conjurer votre bonté par tout ce qui la peut émouvoir à compassion, de nous faire la grâce de nous venir encore voir avant que vous fussiez engagée. Il ne semble que ce n'est pas contre les volontés de Dieu que vous entrepreniez ce voyage vu qu'il y a nécessité de faire non seulement de votre part mais la nôtre. C'est, ma chère Mère, que Monsieur Caillier le Grand Vicaire de Toul, notre Supérieur à présent, a dessein de faire la visite dans tous les monastères de son diocèse, incontinent après Pâques, et à cet effet, veut obliger toutes les Supérieures d'être présentes pour rendre compte tant du spirituel que du temporel de leur maison. Il juge tout à fait nécessaire que pour bien s'acquitter de ces visites, les supérieures y soient présentes pour plusieurs causes qu'il spécifiera dans les obédiences qu'il enverra tant à vous qu'à toutes les supérieures absentes.
Ma chère Mère, cela nous console un peu dans l'espérance que nous aurons encore le cher bien de vous posséder un moment et de vivre ensemble les moyens de vous rendre les devoirs que vous désirez de nous.
Nous avons appris que le Révérend Père Prieur de Saint-Germain a dessein de choisir d'entre notre Communauté celle qu'il jugera plus propre pour vous accompagner et servir pour la gloire de Dieu à votre établissement. Son zèle est véritablement louable mais nous lui supplions de croire qu'après Dieu, ma chère Mère, c'est à vous à qui nous voulons obéir en cette occasion là, et nous soumettre au choix que vous ferez sachant bien que votre bonté y procédera charitablement et que vous considérerez que pour établir une maison, il n'en faut pas ruiner une autre. Nous ne saurions faire à la vérité une plus notable perte que celle de votre chère personne cela est connu de tout le monde. Il n'y a personne qui sachant notre affaire n'estime avec nous qu'en vous cédant pour peu de temps que ce soit nous rendons à la France plus qu'elle ne nous a jamais donné, quoique nous nous estimions y être très obligées.
Mais s'il faut mettre en comparaison les biens spirituels avec les temporels, il est aisé à juger que c'est rendre plus que l'on ne nous peut donner cela et notre estime pour ce que le dit Révérend Père veut taire information de votre vie, nous en avons parlé à des Prieures et principales Supérieures de notre Ordre qui s'étonnent extrêmement de cela. Le bon exemple de votre vertu rend a ce témoignage de votre vie
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ANNEXE VII
Pax Xti A Rambervillers, ce 15 mars 1653
Ma Très Révérende et Très chère Mère,
J'ai voulu passer par ici expressement en faisant mon voyage d'Alsace, afin de tirer le consentement à cette prétendue fondation que vous désirez
de votre vénérable et dévote communauté. Mais il faut avouer franchement que vos bonnes filles ont été plus éloquentes que moi, puisque non seulement je ne leur ai pu persuader de donner le dit consentement mais qu'elles m'ont détourné pour de bonnes et solides raisons de le leur plus demander.
Jusqu'à ce qu'elles et moi soyons plus éclairés et mieux informés des moyens et conditions de la dite fondation ; car elles m'assurent que pour
les moyens on ne donnait que 20 000 livres pour l'achat d'une maison et 30 000 livres pour la fondation d'icelle ; et que pour les conditions elles étaient très onéreuses tant pour l'adoration continuelle et perpétuelle, tant de nuit que de jour du très Saint et très auguste Sacrement de l'autel, que pour sept grands services annuels et autres charges semblables.
Si cela est ainsi, véritablement, ma Très Révérende Mère, non seulement je ne demanderai plus leur consentement à cette sainte entreprise
pour votre personne ains au contraire si elles le voulaient donner je le leur dissuaderais autant que je le pourrais, autrement je croirais offenser Dieu et votre sainte maison et de vous faire un très grand tort en vous laissant charger d'un fardeau insupportable. Car foncièrement, n'est-ce pas tenter Dieu de vouloir avec 25 000 livres acheter ou bâtir et meubler une église et une maison pour un monastère de l'ordre de Saint Benoit. N'est-ce pas se moquer de vouloir avec 30 000 livres faire un fond suffisant pour nourrir et entretenir autant de personnes qu'il sera nécessaire pour continuer la dite Adoration !
Et secondement pour pouvoir comprendre combien les dites conditions sont odieuses et onéreuses, il ne faut que considérer la peine que l'on a et les désordres que cause en une maison pour la seule nuit du Jeudi Saint et pour les jours de l'Octave du Saint-Sacrement qu'il faut toujours avoir des personnes devant le dit Saint-Sacrement. Hélàs, ma très honorée Mère, je vous assure que si on m'offrait cent mille écus pour une semblable grande entreprise je songerais et compterais plus de dix et dix fois avant que de les accepter. Il faut bien des personnes et certes un très grand nombre pour continuer une telle adoration de nuit et de jour, vous savez de plus qu'en toutes communautés il y en a toujours des malades et infirmes qui ne peuvent vaquer aux fonctions ordinaires et que partant il en faut un nombre tant plus grand.
Je ne parlerai des autres charges parce que celle-ci seule est trop grande et trop onéreuse. Dès que je parlais de cette fondation à Monsieur le Vicaire Général de cet évéché, comme à votre Supérieur, il me dit sur le champ que pour une telle continuelle adoration il fallait un terrible tond. Et moi je lui répliquais aussitôt que c'était aussi une entreprise royale et que sans doute la Reine y pourvoirait suffisamment, croyant véritablement que pour une si sainte oeuvre Sa Majesté emploierait au moins 100 000 écus à bâtir, à meubler l'église et le monastère et 100 autre mille à fonder le dit monastère. Je me trouve bien trompé en mon opinion et frustré en mon espérance.
C'est pourquoi si vous continuez en votre dessein d'avoir le susdit consentement je vous conseille et vous prie de faire un tour par deçà vous-même puisque les coches vont et viennent librement afin que puis-
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outre cela, ils sont tous près d'en donner attestation quand on voudra.
Ma chère Mère nous supplions en toute humilité votre Révérence de prendre le temps de votre voyage plus à propos pour votre santé, pendant que les chemins sont libres des gens de guerre ; mais toutes les villes voisines comme Epinal, Remiermont, Miercourt, en sont fort incommodées ; que cela n'empêche pas que vous fassiez votre voyage pendant que les soldats ne sont pas encore en campagne. Nous vous attendons toutes avec désir de nous voir bientôt à vos pieds pour vous témoigner nos soumissions en qualité de notre Révérende et très chère Mère.
Vos très humbles et très obéissantes Filles et très obligées servantes.
Soeur Bernardine
Soeur Benoite
Soeur Placide
Soeur Gertrude
Soeur Marie Joseph
Soeur Magdeleine-Scholastique
Soeur Dorothée
Soeur Saint-Paul
Soeur Jeanne de la Croix
Soeur Magdeleine de Saint-Joseph Soeur Catherine-Thérèse
A la Révérende Mère du Saint-Sacrement Prieure des Bénédictines de Rambervillers de présent, à Paris.
Autographe aux Archives du monastère de Paris.
ANNEXE IX
LETTRE DE MONSIEUR CAILLIER, VICAIRE GÉNÉRAL DE TOUL
A MÈRE MECTILDE, LE 30 MARS 1653
Ma chère Soeur en Notre-Seigneur,
On m'a communiqué un grand dessein que l'on dit être de la Reine qui est d'établir une maison de religieuses dont l'établissement eût pour fin la perpétuelle adoration du Saint Sacrement, et que pour en faire les commencements plus solidement, il serait nécessaire que vous quittiez votre monastère de Rambervillers, afin de demeurer quelque temps dans la dite maison qu'on m'a dit que Sa Majesté vous fait bâtir et fonder royalement dans Paris. C'est, ma Soeur, une chose laquelle ne peut que m'être très agréable, puisqu'elle a pour but la pure gloire de Dieu et la vénération du plus auguste de nos Sacrements. Mais avant que vous procurer le consentement de vos Soeurs de Ramberviller et vous donner la permission de quitter votre monastère pour vaquer à une oeuvre si sainte, il est tout-à-fait besoin que je sois pleinement informé de toutes les conditions et des moyens d'une si haute entreprise, afin de ne rien faire à la légère en une affaire si importante. C'est pourquoi à présent que les coches sont libres à aller et venir, je désire que vous veniez en personne pour en donner tous les éclaircissements nécessaires, tant à moi qu'à vos filles. Et si je vois que les conditions de cet établissement et fondation nous puissent faire espérer que cette affaire réussisse et que les fidèles en puissent être chrétiennement et solidement édifiés, alors je porterai vos filles à consentir à votre éloignement d'avec elles et moi-même le permettrai pour participer aux mérites et au bien qui reviendra d'un si saint établissement. Je vous attendrai donc au plus tôt pour
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m'en entretenir avec vous et pour vous assurer de vive voix de l'estime particulière que je fais de votre vertu et du désir que j'ai d'être toute ma vie, ma chère Soeur
Votre bien humble et très affectionné serviteur. Caillier, vic. général de l'Evêché de Toul. A Toul, ce 30 mars 1653.
(La lettre a été pliée et cachetée selon l'usage de l'époque. Voici l'adresse) :
t
A la Révérende Mère du Saint Sacrement prieure des religieuses bénédictines de Rambervillers, réfugiées au faubourg Saint-Germain rue du bac près les petits Jacobins
A Paris
Texte original aux Archives du monastère de Paris, n° 6.
ANNEXE X
LETTRE DE M. CAILLIER, VICAIRE GÉNÉRAL DE TOUL A MÈRE MECTILDE, 22 AVRIL 1653
Ma très chère Soeur en Notre-Seigneur,
Je suis très joyeux d'apprendre que la très sainte et toute royale intention de la Reine qu'elle désire effectuer par le ministère de votre vertu et la sage conduite de l'Esprit dont vous êtes redevable à Dieu, réussira à la gloire de Notre-Seigneur, lequel comme j'en conjure son infime bonté en sera la digne récompense de Sa Majesté et de tous ceux et celles qui coopéreront à la dévotion d'une si pieuse Princesse. Je vous envoie la permission que vous avez désirée de moi, qui vous supplie d'avoir toujours une affection toute maternelle pour vos filles de Rambervillers, dont l'extrême nécessité vous doit faire pitié, et de donner tous les jours quelque part dans vos prières à,
Ma chère Soeur
Votre très humble et plus affectionné serviteur. Caillier, vic. général.
A Toul, ce 22e avril 1653.
(Adresse au dos) :
A la Révérende Mère
La Mèrei Mectilde du Sainct Sacrement,
Supérieure des Religieuses bénédictines de Ramberviller
A Paris
Autographe aux Archives du monastère de Paris, n° 7.
ANNEXE XI
Pax Christi A Saint-Mansuy, le 22 avril 1653
Ma très Révérende et très chère Mère,
Je reviens seulement hier soir de mon voyage d'Alsace qui a été de quinze jours entiers plus long que je ne l'avais compté. On me donna aussitôt à mon arrivée les deux vôtres des 4 et 5 du mois courant avec celle qu'il vous a plu écrire à Monsieur le Vicaire général, laquelle, je lui ai portée moi-même incontinent après un dîner et ensuite l'ai tellement prié et pressé de vous donner le consentement désiré, qu'il vient de m'en envoyer la dépêche pendant nos Complies, pour vous la faire tenir par le
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courrier de demain matin. Voilà donc une lettre de Monsieur, pour servir de réponse à celle que vous lui avez écrite et sa permission que vous avez demandée conformément au modèle que vous avez renvoyé.
Quant au consentement, permission et décharge, que vous désirez de vos filles je leur en ai aussi dressé un modèle le 17 du courant en repassant à Rambervillers. Il y a cinq jours qu'elles ont approuvé et agrée et ensuite m'ont promis de le faire rescrire par la meilleure plume d'entre elles pour vous l'envoyer aussi. Et si elles ne l'ont encore fait, elles le feront au plus tôt, autrement elles me tromperaient, en feraient contre leurs promesses, ce que je ne peux et ne dois croire d'elles.
Car dès que la Mère Sous-Prieure me montra la vôtre du 26 du passé
par laquelle vous leur mandiez que l'affaire était déjà faite dès le jour précédent, je leur dis à toutes qu'il n'y avait plus moyen de reculer ni
aucune raison à tarder davantage à vous procurer le consentement et congé désiré et ensuite leur fis le dit modèle. C'est pour vous faire savoir
que j'ai procuré ce consentement et permission pour vous, avant que j'ai
l'honneur de recevoir vos dites deux dernières et que si je fusse revenu plus tôt, je vous aurais aussi plus tôt envoyé ce que je vous envoie présentement.
Il est vrai qu'en passant à Rambervillers, au commencement de mon dit voyage, vos filles m'en dirent tant contre cette fondation, que n'en sachant le contraire, je fus obligé de les croire. Mais [vu que] du depuis, j'ai été mieux informé de l'affaire, j'ai aussitôt travaillé pour vous procurer votre obédience selon votre désir. Voyez si en autre chose je vous pourrais servir et commandez-moi librement mais faites moi l'honneur de m'écrire le titre sous lequel il vous faudra dorénavant adresser les lettres et je prierai Dieu qu'il bénisse vos travaux en cette pieuse fondation pour sa Gloire, l'honneur de votre maison, le salut des âmes et l'accroissement de vos mérites et demeurerai toujours
Ma très Révérende et très chère Mère
Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur. de l'Escale
Autographe aux Archives du monastère de Paris.
ANNEXE XII
ACTE CAPITULAIRE DES RÉVÉRENDES MÈRES DE RAMBERVILLER QUI CONCERNE CE MONASTÈRE DE PARIS
9 août 1661
A NOS RÉVÉRENDES, ET TRÈS HONORÉES MÈRES, ET CHÈRES SŒURS,
LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES DU MONASTÈRE DU TRÈS SAINT SACREMENT ÉRIGÉ A PARIS, SALUT, PAIX, UNION, A L'AMOUR DE JÉsus CRUCIFIÉ.
Nous soussignées Prieure, et religieuses du Monastère de la Conception de Notre-Dame, de l'étroite observance de l'ordre de Saint Benoit, érigé en la ville de Ramberviller Diocèse de Toul, capitulairement assemblées au son de la cloche, pour traiter des affaires importantes de notre dit Monastère, pour bonne considération, nous avons donné, et donnons, notre consentement par cet acte, savoir que la Révérende Mère Mectilde du Saint-Sacrement, la Révérende Mère Bernardine de la Conception, et les deux autres religieuses Professe de notre Maison, pourront demeurer en votre Monastère du Très Saint-Sacrement, tant qu'elles y verront de besoin et nécessaire pour la plus grande gloire de Dieu, vous pourrez voir nos très chères Mères et Soeurs, comme nous sommes reconnaissantes de vos bontés, de nous priver pour un temps, de celles qui nous sont les plus
chères en ce monde, pour vos satisfactions, et contentements, nous espérons aussi que vous nous honorerez de la continuation de vos saintes prières, que nous demandons avec instance et humilité, En foi de quoi et de tout ce que dessus, nous avons signées le présent Acte et consentement et y apposé le scel de notre Monastère le neuvième d'août mil six cent soixante et un.
Soeur Benoite Brem prieure, Soeur Dorothée Heurelle sous-prieure,
Soeur Placide Gérard, Soeur Gertrude de Vomecourt,
Soeur Marie Joseph Sommier, Soeur Paul Pierre,
Sœur Marguerite de la Conception de Lescale,
Soeur Jeanne de la Croix Parmontel,
Soeur Magdelaine de Saint Joseph Maire,
Soeur Catherine Thérèse Bagnerelle,
Soeur Magdeleine de Saint Michel Bellet,
Soeur Benoiste de Saint Prospere d'Arconas,
Soeur Anne-Marie de Jésus Lambert,
Soeur Marie de Saint Dominique Rambault,
Soeur Marie Mecthilde du Très Saint Sacrement Philippe.
Autographe au monastère de Rouen.
ANNEXE XIII
A LA RÉVÉRENDE
La très Révérende Mère Mectilde du Sainct-Sacrement
Prieure de Monastère des Religieuses Bénédictines
du très St Sacrement de Paris,
et Supérieure par commission des Monastères
de Linstitut de l'adoration perpétuelle
du Trs St Sacrement de Lautel,
REMONSTRENT TRES HUMBLEMENT LES
Religieuses Prieure et Convent de L'ordre de saint Benoist establies a Ramberviller Diocese de Toul, que depuis plusieurs années elles ont beny Dieu de la grande pensée qu'il vous avait donnée de faire honnorer le tres Saint Sacrement de Lautel avec un culte perpetuel, et de la Vigueur avec laquelle vous en aves faict voir depuis l'ontemps la pratique en vostre Monastere de Paris, Et depuis un an et demy en celuy de Toul, quelles auroient souhaité de vous suivre en un sy genereux et sy eslevé desseins, sy la conoissance de leur propre misere ne leur avoit persuadé quelles n'avoient pas les dispositions que les qualités dadoratrices perpetuelles et de reparatrices semblent demander : que nonobstant que cette pensée de leur abjection les retirast. Elles se sont s'enties souvent attirées par des touches quelles peuvent croire raisonnablement venir du Fils de Dieu qui veut estre adoré en la Divine Eucaristie, ce qui les auroit obligé a entreprendre L'adoration pendant le jour avec la reparation de puis vingt sept mois, que dans la continue de cet exercice elles ont receu des graces merveilleuses qui leur ont faict reconoistre que la Majesté cede a L'amour en ce tres auguste Sacrement, Et que le Fils de Dieu ne se rebutte point des miseres auquelles nre fragilité nous assuijettis, et se contente que nous ayons une volonté constante perpetuelle, et infime de l'honnorer par tout ce que nous sommes, et par tout ce que nous pouvons : qu'en fin Elles ne veulent pas que le Fils de Dieu leur reproche plus l'ontemps que pendant que tant de sacrileges portent avec des efforts sy injurieux l'infamie Jusques sur les autels elles demeurent dans
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une indiferance honteuse, sans avoir aucun zele pour la d'effence de son honneur. Ce qui leur auroit donne un desir tres ardant de sunir avec vos Monastères de Paris et de Toul, Et de sincorporer avec eux en vue mesme congrégation sil plaist au Saint Siege d'en eriger une : qu'en execution de ce desir elles vous ont escrit plusieurs fois, tant les particulieres que toute la Communauté afin quil vous pleut les recevoir en cette union et incorporation : quelles ont demandé les permissions nécessaires grand parloir du monastère de l'étroite observance de l'ordre de St Benoist a Ramberviller la Rde mere Benoiste de la passion prieure du dict monastere, la Rde mere Bernardine de la Conception Superieure de la maison du très St Sacrement de Toul religieuse professe de ce monastere, la mere Catherine Therese souprieure, la Mère Placide Gerard, la mere Gertrude de vomecourt, la mere Marie Joseph, la mere Anne de Ste Magdeleine Maistresse des Novices de la maison de Toul et religieuse professe de ce monastere de Ramber, la mere Scholastique, la mere Bernardine de la presentation, la mere Catherine Dorothée, la mere Angelique de la Nativité, la mere paul-pierre, la mere Marguerite de la Conception, Soeur Anne Magdeleine de St Joseph, Sr Marie Magdeleine de St michel, Sr Benoiste de St prospere, Sr anne Marie de l'enfant Jesus, Sr Marie de St Dominique, Sr Marie Mectilde du St Sacrement toutes ces religieuses du choeur et Sr Marie Marthe, Sr Bastienne et Sr Libaire Converses, lesquelles nous ont dict qu'ayant faict quantité d'assemblées capitulaires depuis plusieurs années pour veoir si elles uniroient leur monastere a l'institut de l'adoration perpetuelle du tres St Sacrement estably a Paris au fauxbourg St Germain enfin le quinziesme Décembre dernier, elles resolurent de prendre les Constitutions des monasteres du St Sacrement establys a Paris et a Toul, et d'entrer en congregation avec eux, qu'en mesme temps elles prierent par une lettre missive signée d'elles toutes la très Reverende mere prieure du St Sacrement de Paris de vouloir les recepvoir au nombre des adoratrices du tres St Sacrement de l'autel et de prendre la peine de se transporter a Rambr pour establir son institut dans leur monastere. Que du depuis elles s'éstoient addressées a Monseigneur L'illustrissime et Reverendissime ANDRE DU SAUSSAY Evesque et Comte de Toul Prince du St Empire leur Superieur pour avoir les permissions necessaires en cette occasion, lesquelles il leur auroit donné par son decret du troisiesme apvril mil six cent soixante six Que par diverses lettres reiterées elles avoient sollicité la dte très Rde mere prieure du St Sacrement de Paris de venir promptement satisfaire aux ardents désirs qu'elles avoient d'honorer le très St Sacrement en son institut, la quelle après tant d'instance seroit arrivée en cette ville et en leur monastere dés le seiziesme du courant : que depuis sa venue elles se seroient encor assemblées capitulairement et auroient faict diverses conferences sur le mesme subject de l'institut qui auroient toutes reussy a les affermir de plus en plus en leur dessein ce qui les auroit porté a prier la dte tres Reverende mere par une requeste signée d'elles toutes de vouloir les unir, associer et aggreger a l'institut de Fado-ration perpetuelle du tres St Sacrement pour estre incorporées avec les autres monasteres en la Congregation qu'on espere du St Siege et en suitte de cette union vouloir prendre possession du spirituel et du temporel de leur monastere adjoustant qu'à fin que les choses se fissent avec plus de fermeté et de solennité et en la meilleure forme qu'il se peut, elles m'ont prié de me transporter expres du lieu de ma residence ordinaire d'Hablenville en cette ville et en leur dict monastere pour reiterer en ma presence les mesmes prieres a la dicte tres Rde mere, comme elles ont faict, la suppliant en ma presence a deux genoux de ne vouloir point differer davantage les dictes unions et prises de possession.
MONSEIGNEUR ANDRE du SAUSSAY EVEQUE Sur quoy la tres Rde mere Catherine Mectilde du St Sacrement prieure susdicte des religieuses Benedictines du monastere du tres St Sacrement de St Germain de Paris presente au mesme parloir bien cogneue aux tesmoings soubscripts avec moy, à dict, qu'après avoir prit toutes les précautions necessaires a une affaire de cette importance, elle condescend avec toute la joye de son coeur aux Sts desirs des dtes Rdes meres les
et comte de Toul leur superieur par la requeste quelles luy ont presentée a cet effect et qu'il a decretée favorablement, tesmoignant Agreer leur dessein, et leur donnant sa benediction pour lheureux sucés d'une entreprise qu'il estime fort louâble. C'est pourquoy, MA TRES REVERENDE MERE lesdittes Religieuses Prieures et convent vous reconnoissant en qualité de superieure des Monasteres du Sainct Sacrement vous supplier instamment de vouloir les Recevoir a l'adoration pertuelle en reparation des outrages qui se commettent contre le Fils de Dieu en la Divine Eucaristie de les unir a vos deux autres Monasteres sous le mesme institut du Très Saint-Sacrement ; déclarant qu'elles prétendent estre incorporées avec eux et avec tous les autres Monastères qui seront cy apres establis, en la congregation que le saint Siege erigera, voulant mesme que des apresent leur nom soit employes a Rome, sil en est besoin, en qualité d'adoratrices pour en impetrer l'erection de sa Saincteté ; Et que pour c'est effect vous prenies incessamment possession de leur Monastere dans les formes ordinaires et particulierement pour lestablissemet. effectif de L'adoration perpetuelle de jour et de nuit, sous les mesmes constitutions, loix et pratiques qui sobservent es deux autres Monasteres, autant que la bien seance et la difference des Lieux le pourront permettre, dont elles se remettent a vostre Prudence. En foy de quoi, et pour tesmoignage asseuré de leur volonté elles ont signées en leur Monastere de Ramberviller, et faict capitulairement. ce 19 Avril 1666.
Sr Benoiste de la passion prieure,
Sr Bernardine de la conception prieur a toul,
Sr Catherine de Ste Therese souprieure, Sr Marie de St Placide,
Sr Marie de Ste Gertrude, Sr Marie Joseph,
Sr Scolastique De lAssomption, Sr Bernardine de la presentation,
Sr Dorothee, Sr M de la Nativité, Sr Marie Anne de St Paul,
Sr M de La Conception, Sr M. Anne Madelene de St Joseph,
Sr Marie Magdelaine de St Michel, Sr Benoiste de St Prospere,
Sr Anne Marie de Jesus, Sr Marie de St Dominique,
Sr Marie M. du très St Sacrement,
Sr Marie Marthe, Sr Marie de St Sebastien, Sr Marie Libaire de
St Jean, ces trois converses n'ayant l'usage d'escrire elles m'ont
prie de signer pour elles Sr Marie Magdelaine de sainct Michel secretaire du chapitre.
Request a Madame la Superieure du St Sacremen par les Religieuses de Ramberviller diocese de toul. Autographe aux Archives du monastère de Rouen.
ANNEXE XIV
t
Le vingt huietiesme apvril de l'an de nostre Seigneur Jésus Christ mil six cent soixante six du Pontificat de nostre St Père le Pape Alexandre Septiesme l'année onziesme indiction quattriesme comparurent par devant moy nottaire apostolique Prestre, Curé d'Habtenville Diocèze de Toul au
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prieure et religieuses du dict monastere de Ramber que de l'authorité qui lui est commise specialement, elle les unit, associe et aggrege avec les
monasteres de Paris et de Toul en l'institut de l'adoration perpetuelle du
tres St Sacrement soub les mesmes loix et observances autant que la difference des lieux et la situation du monastere le pourront permettre et
pour estre incorporées avec toutes les autres religieuses qui sont desja dans l'institut ou qui y seront cy apres en la Congregation que le St Siege exigera et desirant de rendre cette union effective et accomplie par la prise de possession, elle nous a dict que c'est un poinct principal dans l'institut de recognoistre la très Ste vierge pour abbesse de tous les monasteres, et qu'ainssy elle pretend que la très Ste Vierge prenne possession de ce monastere de Rambr ne voulant agir en aucune façon que soub son nom nous priant de vouloir entrer dans le monastere pour etre present a toutes les solemnités, où estant entré avec les tesmoings nommés cy dessous, nous l'avons trouvé dans le choeur avec l'image de la très Ste Vierge entre ses mains accompagnée de deux porte cierges et l'ayant faict asseoir en la première place les dtes Rdes meres prieure et religieuses sont allées baiser les pieds de la tres Ste vierge entre ses mains en tesmoignage de leur obeissance, de là nous l'avons conduict en chapitre où en presence de toute la communauté, elle a posé l'image de la Ste vierge au lieu principal où par apres nous l'avons faict asseoir elle mesme, elle à sonné la cloche du dortoir, arraché de l'herbe au jardin et allumé du feu a la grande chambre de l'infirmerie, elle s'a faict representer l'estat du temporel de la maison que nous avons veu en destail consistant és fonds de terre, constitutions, obligations, cedules, debtes actives et passives, et receptes et despenses ordinaires et extraordinaires, en mesme temps elle à estably l'adoration perpetuelle de jour et de nuict a commencer dés le jour de demain ayant ordonné que le très St Sacrement serait exposé le mesme jour qui sera le jeudy dans la sepmaine de Pasques avec toute la magnificence possible pour une marque plus solennelle de l'établissement de l'institut Et parce que les dtes Rdes meres chascune pour soy nous a prie de faire un ou plusieurs actes de ces union et prise de possession pour les servir a ce que de raison nous l'avons redigé en cette forme, faict au dt monastere de Rambr le jour et an que dessus en presence du Rd Pere EPIPHANE LouY Docteur en theologie et Abbé regulier du monastere d'Estival de l'ordre de premonstrés, en présence du Rd Pere CHARLE RAMBEAU prieur du Convent des Peres Prescheurs de L'angres et Monsieur françois Chappelain ordinaire des dictes Religieuses
Sr MECTILDE du st Sacrement Indigne par commission
Supérieure des Monastères de la Congregation,
Sr Benoiste de la passion prieure de Ramberviller,
Sr Bernardine de la conception Prieure de toul,
Sr Catherine Therese Sousprieure de Ramberviller,
Sr Placide Gerard,
Sr Gertrude de vomecourt, Sr Marie Joseph,
Sr M Arme de Ste Magdelaine,
Sr Scolastique, Sr Bernardine de la Presentation huel,
Sr Catherine Dorothée, Sr Angélique de la Nativité,
Sr Arme de St Paul,
Sr Marguerite de la Conception, Sr Magdelaine de St Joseph,
Sr Marie Magdelaine de St Michel, Sr Benoiste de St Prospere,
Sr Anne Marie de Lamfans Jesus, Sr Marie de St Dominique,
Sr Marie M. du très St sacrement,
Sr Marie Marthe, Sr Bastienne, Soeur Libaire. DOCUMENTS HISTORIQUES 309
L L LOUYS
Abbé d'Etival témoin
Brouchenz Notaire
C Rambault Prieur temoing
Claude françois preste tesmoin
Prise de possession de la Rde M. Mectilde du St Sacrement du Monastere des Rses Benedictines et de Rembervillier pour s'unir et aggreger a l'institut de l'adoration perpetuelle le vingt huictme avril 1666
3° Piece De la 4eme liasse du ler.
Autographe aux Archives du Monastère de Rouen.
LETTRE AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS
1646? Mes très chères Mères,
L'esprit pur et saint de Notre Seigneur Jésus-Christ, soit votre lumière, votre vertu, et votre sanctification et je le supplie qu'il le répande en vous comme il a fait sur ses Apôtres : qu'il vous remplisse de l'onction de la grâce, et qu'il vous fasse agir en toutes choses pour les purs intérêts de Sa gloire, Je vous supplie mes très chères Mères de vous revêtir de ses intérêts et de vous anéantir dans les vôtres afin de donner lieu a Son Esprit qui veut opérer dans vos coeurs, Je Le prie vous unir toutes en son amour. C'est la plus grande grâce que je vous désire, sachant bien que où est l'union, la charité régne, et la charité est Dieu DEUS CARITAS EST. Dilattez vos coeurs et recevez le Saint Esprit qui unit et qui transforme nos âmes en Jésus-Christ.
Je vous écris, mes très chères Mères de trouver bon que je vous témoigne le désir que j'ai de vous voir toutes à Dieu par Jésus-Christ et comme je sais que nous n'y pouvons pas être que par Lui, je le supplie posséder vos âmes et vous donner toutes les grâces qui vous sont nécessaires pour arriver à la consommation de votre perfection et sachant que Notre Seigneur veut que vous vous aidiez l'une l'autre a porter son Joug. C'est pourquoi je vous prie et vous ordonne en Sa Sainte Présence de vous entre-soulager l'une l'autre avec dilection, amour et charité, mais très particulièrement que vous tendiez les bras de votre affection à notre très bonne Mère, à laquelle vous et moi avons des obligations infinies, pour tant de soins et de peines qu'elle continue de prendre, pour le bien de toutes en particulier, et pour le général de la maison, sans jamais désister ni manquer d'une admirable fidélité, qui nous doit rendre éternellement redevable à sa bonté, et pour moi je vous avoue que j'en ai de très grands sentiments, et que je voudrais bien les pouvoir dignement reconnaître. Je voudrais être avec vous pour y faire ce que Notre Seigneur me donnerait de grâce et de capacité pour La secourir. Mais puisque Sa Providence m'en prive, je vous prie d'y suppléer et de continuer votre bon zèle et sainte affection pour le bon rétablissement de notre maison.
Il semblait vous en avoir fourni un moyen humain, mais lui même L'a détruit, Il faut s'abandonner à Sa Sainte conduite et adorer les desseins cachés de son Amour, sur notre Communauté. Le temps n'est pas encore venu, il le faut attendre en humilité et patience, et cependant nous rendre à Dieu dans une entière fidélité, anéantissant tout autre dessein ou prétention que nous pourrions avoir. Mes très chères Mères les heures et les moments se consomment, mais il faut tâcher que ce ne soit
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point inutilement, en nous amusant a beaucoup de pensées et de retour, marchons pendant que nous avons la Lumière, allons à Dieu c'est notre principal dessein et notre unique fin.
Mais comment irons nous à Dieu, dans les tempêtes, dans les orages, dans les renversements, dans les humiliations, et dans toutes sortes de peines et de contradictions, voilà la voie, mais après avoir outrepassé ces choses l'âme trouve Dieu d'une manière ineffable, nous en avons l'exemple en l'Ecriture Sainte ; sur cette montagne d'Oreb, Elie trouva Dieu dans le doux zéphyr, mais ce ne fut qu'après les tourbillons de vents, d'éclairs, de tonnerres, et de tempêtes. Il faut souffrir avant que d'avoir le repos. Il faut anéantir nos sens et notre esprit humain avant que de goûter la suavité de la mort mystique. Enfin, mes très chères Mères nous n'avons que Dieu pour toutes choses, tout le reste nous doit être insipide et notre vie ne doit point avoir d'autre but que d'être consommée en l'amour de Son bon plaisir.
Je suis en lui, mes très chères Mères votre très affectionnée et fidèle servante.
Archives du Monastère de Tourcoing.
ANNEXE XVI
LETTRE A LA RÉVÉRENDE MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION SOUS-PRIEURE DES RELIGIEUSES DE RAMBERVILLER
A Paris, jour de Saint-Laurent 1652
Ma très chère Mère,
J'ai reçu votre chère lettre commencée du jour de Sainte-Marguerite et achevée le jour de Sainte-Anne par laquelle je vois les excès de bonté que vous avez pour moi et combien les peines que vous croyez que je souffre vous sont sensibles. O ma très chère Mère, je suis bien indigne d'en souffrir ; vous aurez appris de la bouche de nos Soeurs que nous n'avons point encore souffert d'extrémités. Je ne sais ce que la Providence nous garde il s'y faut tout abandonner et se résoudre à la mort. Je suis bien en peine non de la misère que je puis souffrir, mais de bien faire les volontés de Dieu. Je suis arrêtée ici par un ressort de la divine Providence sous quelque apparence importante à la gloire de Dieu, mais le grand mystère c'est d'y bien discerner l'ordre de Dieu et ce qu'il veut de moi. Des Dames, touchées de très grande piété, assemblent ce qu'elles peuvent pour faire un petit fond pour assembler nombre de religieuses vouées et consacrées au Très Saint Sacrement de l'Autel pour l'adorer nuit et jour. Elles se sont mises en devoir d'en dresser quelques articles et de faire un concordat. Je les laisse agir, abandonnant le tout à la Providence, me tenant passive, dans aucune volonté, néanmoins le règne où nous sommes nous fait considérer beaucoup de choses et me fait vous supplier, ma très chère Mère, avec toute l'instance que je peux, de faire faire des prières, beaucoup de prières pour cet ouvrage et à l'intention de cette petite fondation qui est de réparer les outrages, les injures, mépris, sacrilèges, rendus au Très Saint Sacrement de l'Autel, non seulement par les soldats et par les malheurs de la guerre, mais plus méchamment et abominablement par les magiciens, sorciers et autres malicieuses personnes qui déshonorent volontairement le Très Saint Sacrement et qui foulent un Dieu dans la sainte hostie. Je vous avoue que l'intention est si sainte qu'elle me touche beaucoup, car je m'estimerais bien heureuse de mourir dans ce travail et d'y souffrir quelque chose, mais comme je suis moi-même sacrilège et abomination, je me vois tout à fait indigne d'y
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travailler, ni coopérer en aucune sorte, et je crains de déshonorer Jésus-Christ dans son Saint Sacrement au lieu de l'y glorifier et réparer la gloire qu'on lui ôte tous les jours, car il se fait par les guerres, mais plus particulièrement par les sorciers et magiciens des exécrations si abominables qu'on ne les peut entendre sans mourir. Je ne doute donc point de la sainteté et excellence de l'oeuvre, mais mon indignité, insuffisance et le reste de mes misères font de très grandes oppositions et ne sais comme y consentir. Je suis pressée en deux manières, la première de ne point empêcher la gloire de Dieu dans le Très Saint Sacrement, parce que si je n'accepte l'affaire, elle ne se fera point ; l'autre, les incapacités et misères qui sont en moi que je touche si palpablement que j'en suis toute environnée et quelquefois submergée, et je me trouve comme en presse de ce que je dois faire, car dans mon fond je ne veux que le bon plaisir de Dieu, sa pure gloire et l'accomplissement de ses desseins sur moi. Je n'ai aucun intérêt propre, ce me semble, à cet ouvrage, d'avoir son effet ou de ne l'avoir pas, cela m'est très indifférent, m'étant impossible d'avoir aucun désir particulier, ni de m'attacher à aucune chose. C'est pourquoi je ne m'en occupe pas et au dedans et au dehors j'en possède un repos et calme très grand. Ce n'est point l'oeuvre des créatures, c'est celle de Jésus, il la fera comme il lui plaira.
Dans votre chère lettre, ma très chère Mère, vous me pressez de retourner, voilà ce qui me lie et me retient, ne pouvant former une résolution, de crainte d'agir contre les ordres de Dieu. Je suis prête de retourner quand Notre Seigneur me le permettra mais l'on me fait scrupule de négliger cette oeuvre qui n'aura point d'effet si je m'en retire ; si je n'envisageais que mon repos et mes intérêts, je saurais bien ce que j'aurais à faire, mais il ne se faut point considérer dans les affaires de Dieu ; nous n'y devons voir que sa pure gloire et nous perdre et abîmer dans le néant.
Je vous supplie de communiquer la présente à notre bonne Mère Benoîte, à la Mère Gertrude, Mère Placide, Mère Madelaine et à ma Soeur Dorothée et les suppliez de ma part de beaucoup prier que Dieu se glorifie comme il lui plaira et que je ne souille point son ouvrage, priez-le toutes qu'il en fasse à sa volonté et que je n'y aie point d'autre part que la profond néant. Faites aussi prier le bon frère Jean et lui parlez de cette affaire. Pour moi je la remets en Dieu et proteste devant le Ciel et la terre que je n'y prétends rien, pourvu que Dieu soit glorifié, il me suffit ; la Providence ne m'a jamais présenté aucune affaire où je sois plus morte et dégagée qu'en celle-là. Je prie Notre Seigneur que je n'y aie jamais de vie, mais que lui seul y soit vivant et glorieux. Si le Révérend Père de l'Escale était de retour, il serait très bon de lui en conférer, et c'est le sujet qui a retardé mes lettres à son égard, voulant avoir plus d'intelligence du fond de l'affaire pour lui mander, mais je n'ai pu l'avoir plus tôt que mardi dernier où ces Dames s'assemblèrent et me donnèrent leurs paroles et demain ou lundi elles signeront le concordat. Cela n'est-il pas surprenant dans le temps des malheurs et des misères où nous sommes pendant que tout le monde s'enfuit de Paris et qu'on croit absolument sa ruine, l'occasion se présente pour s'y établir, cela est assez particulier, et ne peut être sans mystère si la chose réussit.
Voilà donc le sujet qui m'a fait vous supplier de faire ici un voyage pour en conférer avec vous, et j'aurais bien désiré pouvoir être en puissance de vous aller trouver pour ne vous donner cette peine, mais je ne le puis. Voyez donc avec nos très chères Mères ce que vous croyez qu'il faut faire.
Il faut des âmes bien abandonnées à la croix pour commencer et
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perfectionner cet ouvrage, car le démon et les créatures y livreront de furieux combats, mais il ne se faut plus considérer que comme les victimes du Très Saint Sacrement qui doivent être consommées en amour. Il se faut perdre en Jésus-Christ et vivre de sa vie pauvre, cachée, et anéantie dans l'hostie.
Voilà pour cette affaire ce que je vous en puis dire, je prie nos chères Mères qui verront la présente ou sauront la substance d'icelle de m'en écrire leurs sentiments et de beaucoup prier pour la gloire du Très Saint Sacrement de l'Autel.
Au reste, j'ai appris avec joie et consolation de mon âme l'heureuse profession de ma chère Soeur de Saint-Joseph, je m'en réjouis et remercie Dieu de tout mon coeur de toutes les grâces et miséricordes que Notre Seigneur lui a faites je le supplie les lui continuer en abondance et lui donner la grâce de persévérer en son amour. Nous ne l'avons point oubliée bien que je n'ai pu lui écrire comme j'aurais désiré. Dieu, Dieu, ma très chère Mère, supplée abondamment à l'indigence des créatures ; il ne faut que recourir en foi à sa bonté et s'y fortement abandonner.
J'apprends avec douleur comme il a plu à Dieu vous visiter des fléaux de sa très sainte et adorable justice, ma très chère Mère, voilà des accidents bien effroyables, l'on en sait bien les nouvelles à Paris et beaucoup de personnes en sont touchées. Je prie Notre Seigneur qu'il console ceux qui sont dans la mer d'affliction, je ne sais si ma soeur ne sera point submergée, car on dit qu'à Saint-Dié la foudre et l'orage fut extrême. Je la donne à Notre Seigneur : pourvu qu'elle soit morte de la mort des justes, c'est tout le bonheur que je lui désire.
Je crois que je vous en dis trop si vous n'aviez la charité que Dieu vous a donnée pour moi. Je le prie qu'il s'en glorifie, peut-être que bientôt vous direz que mes lettres vous sont importunes ce sera un sujet de me remettre plus profondément dans mon abjection, sans pourtant me tirer jamais de l'étroite union que Dieu me fait avoir avec vous, adieu je vous laisse toute à lui et suis par lui toute à vous.
Archives de l'Abbaye Saint-Louis du Temple, Limon.
ANNEXE XVII
LETTRES AUX RÉVÉRENDES MÈRES
LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES
DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLER
Mes Révérendes et mes très chères Mères, Le 2è avril 1653.
La paix et l'amour de Jésus dans le Très Saint Sacrement de l'autel soit le lien indissoluble de nos coeurs pour le temps et pour l'éternité.
J'écrivis samedi dernier une lettre à notre très chère et révérende Mère Sous-Prieure, par laquelle je vous exprimais les sentiments que les vôtres m'obligeaient d'avoir, mais la crainte que j'ai de vous avoir causé quelque peine par icelle, me fait vous réitérer la présente, par laquelle je vous assure que mon désir n'est point de me désunir d'avec vous. Je chéris trop la grâce et l'honneur que vous m'avez fait de m'admettre en votre sainte compagme et de m'y avoir souffert avec tant de bonté, qu'éternellement j'eu aurai de la reconnaissance et je vous proteste que le consentement que je vous demande n'est que pour éviter la renonciation et je vous supplie mes très chères Mères me le donner ; ce n'est pas seulement pour raison de l'établissement, quoiqu'il soit nécessaire de bienséance, mais c'est pour parer les coups d'une très grande persécution qui s'élève et laquelle fera avec la grâce de Jésus-Christ quelque bon effet de destruction en moi. Je dois éviter les occasions de faire parler si je peux. Votre consentement par écrit en bonne forme avec les témoignages de votre sainte affection y fera beaucoup ; cela fera taire ceux qui croient que je suis mal avec vous ou que je vous aurais obligées de me chasser, car, mes très chères Mères, si la Reine et quelques autres personnes me supportent, il y en a un très grand nombre qui tâchent de m'abattre (1) ; je souffre avec grand repos et paix d'esprit leurs discours. Hélas ! s'ils me connaissaient devant Dieu telle que je suis, ils en feraient bien davantage. Je dois donc envisager l'ordre de Dieu dans leur conduite et y prendre ma complaisance et ma satisfaction. Il faut que les desseins de Dieu s'accomplissent.
Je ne veux pas vous assurer absolument que cette oeuvre soit la volonté de Dieu, mais nous avons grand sujet de croire que son ordre nous y tient ; car il est impossible de désister présentement, il faut suivre les ouvertures que Dieu donne et abandonner le tout à sa sainte Providence. Je n'y suis point plus ardente que du passé et ne poursuis point l'accomplissement parfait d'icelle. Il me suffit de posséder le Très Saint Sacrement, le reste n'entre point dans ma pensée. J'ai même fait différer de planter la croix, afin de ne point tant éclater. Je ne sais point si Notre Seigneur me rendra digne d'avoir part à cette oeuvre, il me la fait connaître si sainte et si pleine de bénédictions, que je ne la puis regarder qu'en respect. Je ne m'y suis jamais trouvée, ni au commencement ni maintenant ; dans sa poursuite ce n'est point à moi d'y vouloir ou n'y vouloir point être, puisque je ne dois faire aucun usage de ma volonté. Si Dieu l'achève, à la bonne heure, s'il l'anéantit, il en soit à jamais béni. Tout ce que j'ai tâché de faire jusqu'ici ç'a été de n'y point prendre de vie, elle est entre les mains de la divine Providence, mais quoiqu'il en arrive, je ne serai jamais séparée de vous, mes très chères Mères, car si c'est Dieu qui m'a donnée à vous et qui nous a unies en son saint amour, il peut m'appliquer à ses ouvrages sans interrompre notre chère union et je vous assure que de ma part, elle sera inviolable. J'espère que de la vôtre il en sera autant et que pour confirmation d'icelle vous me donnerez en toute diligence le consentement que je vous demande et pour vous témoigner que je n'ai aucun dessein de vous quitter, ni me retirer de vous, bornez ma demeure en ce pays pour le nombre d'années que vous jugerez à propos après lesquelles vous désirez que je retourne si Dieu ne me retient absolument en ce lieu par les règles de l'obéissance, pour sa gloire, plus longtemps.
Je vous supplie et conjure mes très chères et mes très bonnes Mères, de ne me point presser à faire un acte de renonciation. Si vous craignez quelque chose de ma part et que je vienne à faire un trop libre usage de vos bontés, je vous promets ne retourner jamais dans votre sainte Maison, que par l'agrément de toute la Communauté. Je ne ferai rien à son désavantage, je vous en ferai telle protestation qu'il vous plaira par écrit si vous voulez et en présence de témoins. Je vous avoue que j'ai une répugnance très grande de rompre par le renoncement et me séparer de vous ; ce n'est pas que je veuille avoir la liberté de retourner quand il me plaira et de vous tenir en impuissance de me refuser. Non, mes très chères Mères, je vous proteste devant Notre Seigneur que je renonce de tout mon coeur à cette liberté et que je vous remets le droit, le pouvoir
(1) Persuadés que ma mauvaise conduite vous a obligées de me renvoyer de chez vous (variante d'un manuscrit du monastère de Paris).
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et la liberté de me chasser et refuser la porte comme indigne de votre sainte compagnie.
Hélas ! je vois très bien que je ne mérite pas cette grâce, puisque Dieu me retient. Sa très sainte volonté soit faite, mais je crois qu'il veut bien que vous me donniez pour sa gloire le consentement que je vous demande. Je vous assure que je ne l'exigerais point s'il n'était nécessaire pour montrer l'union qui est entre vous et nous, et pour faire voir que ce n'est point les considérations humaines de mes intérêts qui m'ont fait venir en ce pays-ci et pour d'autres raisons encore plus fortes que je ne vous puis dire. Si vous me le refusez, je dois prendre ce refus comme une marque assurée de vos volontés pour former l'acte de renonciation. Je vous supplie, mes très chères Mères, ne me point obliger à cela ; je vous en serai infiniment obligée.
Quant à l'importance de cette oeuvre, je vous puis dire qu'elle est autant épluchée et examinée qu'elle le peut être et que, nonobstant que je ne lui ai point donné l'être, elle ne laisse pas de nous causer d'assez grandes persécutions et quelque jour je vous en écrirai le détail qui vous fera admirer la conduite de Dieu et les ordres de sa sagesse sur moi, sa très indigne créature. Ce m'est une horrible humiliation d'être employée à cette oeuvre. Hé ! quel moyen d'être en réparation devant le Très Saint Sacrement pour tant de monde, moi qui l'ai plus profané que tous les plus méchants de l'univers. C'est un abîme où je me perds.
Je vous supplie, mes très chères Mères, de réparer pour moi et de m'obtenir du Ciel l'esprit et la grâce d'une telle oeuvre, si la Providence nous y attache. Je vous supplie aussi de croire que je ne serai pas moins affectionnée à vous servir en tout ce qui sera de mon petit pouvoir. Je vous témoignerai partout ma fidélité qui sera inviolable et qui me tiendra en une actuelle disposition de vous faire connaître par effet que je suis plus à vous qu'à moi-même et que je porterai à jamais la très chère qualité, mes très Révérendes et mes plus chères Mères,
De votre très humble, très obéissante, très fidèle et très parfaitement obligée servante en Notre Seigneur
Soeur du Saint Sacrement R.I.
Archives de l'Abbaye Saint-Louis-du-Temple à Limon.
ANNEXE XVIII
LETTRE A UNE RELIGIEUSE DU MONASTÈRE DE LA RUE CASSETTE
Mon enfant, si vous voulez m'en croire, vous vous mettrez au-dessus de plusieurs petites choses qui choquent votre sens et dont la vie est quasi toujours remplie par mille petits événements qui nous contrarient. Je vous conseille de n'être point esclave de cela ni des façons de faire et d'agir d'autrui parce que nous ne les pouvons pas changer. L'expérience nous doit persuader que ce sont de certaines choses qu'il faut souffrir, mais pour en faire bon usage, ne vous appliquez point volontairement à regarder la manière ou la conduite des créatures parce qu'il est du tout impossible que leur façon de faire vous puisse toujours agréer, mais tenez-vous en Dieu ; ne voulez en aucune chose que Dieu, ne vous souciez que de lui plaire et abandonnez le reste à sa divine Providence et vous posséderez un plus grand repos dans votre coeur. Notre-Seigneur a permis comme vous dites que le démon vous ait surprise, mais pour vous en garantir une autre fois faites ce que je vous dis.
Souvenez-vous du passage de l'Evangile : laissez les morts ensevelir les morts, suivez-moi. C'est ce que Notre-Seigneur répondit à un jeune
homme qui demandait d'aller ensevelir son père. Laissons les créatures dans les créatures, mais nous, allons à la suite de Notre-Seigneur. Il vous y appelle comme moi, et je puis dire plus fortement que moi qui ne suis plus qu'un tronc sans vigueur et sans fidélité. Relevez-vous promptement de votre faute et vous remettez en Dieu par le secours de sa très sainte Mère qui ne vous le refusera jamais. Priez-le pour moi qui suis en son amour toute à vous.
Ne vous troublez point de vos défauts mais tâchez de vous en humilier plus profondément par une plus grande expérience de votre faiblesse et du besoin actuel de la grâce de Dieu pour vous soutenir. Réparez par l'humilité les avantages que le démon a pris sur vous. S'il ne vous avait pas trouvée hors du sacré anéantissement, vous n'auriez pas été attaquée. Relevez votre courage et votre fidélité.
Archives du monastère de Bayeux.
Novembre 1662.
Ma chère soeur,
Je viens vous tirer de votre retraite et solitude ; je viens vous ôter de votre paradis ; je ne doute pas que vous n'ayez quelque crainte en sortant du repos où vous êtes ; mais vous savez que Notre-Seigneur ne vous l'a donnée que pour y acquérir de la force et les lumières dont vous avez besoin pour vivre en véritable religieuse. C'est pour quoi vous devez sortir de votre retraite comme un soldat sort de la ville où il a été en garnison pour se reposer, et être disposée à combattre les ennemis. Vous ne devez pas douter que vous n'ayez de puissants combats ; soit des démons, des créatures, et plus encore de vous-même afin de vous supporter dans vos misères, et souffrir votre corruption avec grande patience, sans jamais vous décourager ; et c'est la chose que je vous recommande le plus, et si j'osais je vous le commanderais, aimez vous petite et chérissez votre abjection, car c'est l'ordre de Dieu sur votre âme, et c'est une nécessité qu'il faut pourir.
Je songeais à cela après la sainte communion, et je le voyais plus clairement que je ne vous le saurais exprimer ; mais cela vous doit servir de grande consolation, c'est pourquoi lorsque vous vous verrez tomber dans quelques imperfections, relevez vous aussitôt, et en quelque méchante humeur que vous soyez, ne perdez jamais le courage ; dites avec le saint homme Job au dessus de vous même : « Quand Dieu m'aurait précipité dans les abîmes, j'espérerais encore à sa bonté ».
Ayez donc une grande espérance à la miséricorde de Dieu, et soyez donc certaine qu'il fait son ouvrage en vous, et qu'il se sert de vos pauvretés pour cela. Nous en avons besoin pour ne pas tomber dans de plus grands maux, et attendez avec respect et soumission à sa divine volonté, qu'il vous en délivre. Vous ne savez quel sera le moment, et afin de ne pas perdre cette grâce qui sera peut-être annexée à la ponctualité à une de vos observances, et peut être à celle qui vous semblera la moindre, soyez fidèle et ne cessez de mourir à vous même, nous vous l'avons dit il y a quelque temps dans une conférence.
ANNEXE XIX
A UNE RELIGIEUSE (RUE CASSETTE)
EN LA FAISANT SORTIR DE RETRAITE
A QUI ELLE DONNE PLUSIEURS INSTRUCTIONS
POUR SA PERFECTION
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Rendez donc un hommage continuel à l'être infini de Dieu, en lui sacrifiant tout ce que vous êtes, et tout ce qui n'est pas lui, puisque lui
seul doit régner. Vivez donc en continuel sacrifice ; l'autel est votre coeur, les trois divines personnes sont dessus, et toutes les créatures qui se présenteront à votre esprit, allez les brûler et dites à Notre-Seigneur : « Mon Dieu, je vous immole ces créatures, cette curiosité, cette parole que l'on m'a dite qui me choque, ce désir de plaire, et d'être estimée, enfin, mon Dieu, je vous prie de l'accepter, puisqu'il n'y a que vous qui devez avoir vie en moi ».
Vous ne devez pas seulement sacrifier ce que je viens de dire, mais ma soeur, il faut sacrifier le fond d'ardeur que vous avez de votre
perfection, puisqu'en vérité, c'est souvente fois plus tôt notre élévation
que nous recherchons que la gloire de Dieu ; brûlez donc de ce désir de votre éternité, et laissez en le soin à Dieu ; et pour vous n'en ayez aucun
que celui de lui tout immoler par rapport à Jésus au Très Saint Sacrement : conformez donc votre vie à la sienne, et pratiquez tout doucement et petit à petit les vertus dont il vous donne de si fréquents exemples, et ne vous étonnez pas de vous voir si impuissante, car c'est le propre de la créature.
Les avis que j'ai à vous donner, c'est d'agir avec toutes vos soeurs dans une grande douceur, et un grand respect, ne les contrariant point.
Faites vos efforts pour ne les point contrister, et si par hasard il vous
échappe quelques mots qui leur puissent donner de la peine, faite leurs en excuse ; ne dites jamais vos sentiments sur quoi que ce soit, à moins
que ce soit quelques choses qui ne porte point de conséquence ; ne
trouvez à redire ni à l'humeur ni aux actions d'aucunes. Tous les mouvements qui vous en viendront, portez les aussitôt au feu, et sacrifiez les,
soyez ponctuelle au silence, soit la nuit ou le jour, et moins vous parle-
rez ce sera le mieux, et vous aurez plus de tranquilité d'esprit, que vous devez chérir comme votre bonheur, puisque l'on ne peut trouver
Dieu que dans le calme intérieur, et il vous fait faire votre possible pour le conserver dans tous les événements de la vie qui n'est remplie que de troubles.
Si l'on ne sais se ménager, et rentrer dans la solitude du coeur, très souvent et insensiblement, vous reconnaîtrez la grâce et la force que vous en tirerez ne vous ingérez à faire quoi que ce soit qui n'est point de votre charge, et laissez toutes les choses dont vous n'avez que faire, et vivez autant que vous pourrez dans un saint dégagement de tout ce qui n'est point Dieu ; vous n'avez que Lui à contenter ; et référez Lui toutes vos actions, les faisant dans la plus grande pureté que vous le pourrez, sans mélange des créatures, et de vous même, et tenez pour suspect toutes vos pensées, et tout ce qui provient de vous même comme étant le plus grand ennemi que vous ayez sur la terre, puisque rien ne met tant d'obstacles entre Dieu que nous même.
Tâchez donc ma chère soeur à faire usage de tous ces petits avis et j'espère que Dieu vous bénira.
Archives du monastère de Ghiffa (Italie).
ANNEXE XX
LETTRE A UNE RELIGIEUSE DE LA RUE CASSETTE
Ma très chère fille en Jésus, Nancy, 20 mai 1664 (1).
Le retardement de la présente ne vous doit point jeter dans la pensée que je néglige de répondre à celle que vous avez pris la peine de m'écrire. Je vous en suis très obligée. Ce m'est une joie singulière d'apprendre de vos nouvelles et que tout soit comme vous me mandez en bonne disposition. Tout va bien quand Dieu règne dans les coeurs souverainement et tout est soumis à sa sainte conduite.
Mon Dieu ! qu'il y a de plaisir de voir une communauté qui marche à grands pas à la sainte perfection ! Je désire de tout mon coeur que toutes celles [les religieuses] de Paris soit aussi saintes que Notre-Seigneur le désire. Celle-ci fait son possible pour le devenir. Je voudrais que vous vissiez la douceur et l'union de tous les esprits. Cela va autant bien qu'on le peut souhaiter pour le présent. Dieu leur veuille donner s'il lui plaît la grâce de persévérance !
Je sais bien, très chère, que de votre part vous en voulez faire autant et que vous ne désirez rien avec plus d'ardeur que de remplir le dessein de Dieu sur votre âme. Qu'il soit à jamais béni de toutes les grâces qu'il nous donne en général et en particulier à tout l'Institut. Si mes péchés ne s'y opposent j'espère qu'il s'en glorifiera.
La maison de Rambervilliers va bien aussi et dans une grande ferveur et union. C'est le principal dans une communauté que cette belle union. Sans cela c'est un lieu de misère. Je vous dirai à mon retour tout ce que nous avons fait dans cette maison de Rambervilliers et comme Notre-Seigneur a béni notre voyage en donnant un beau et saint commencement à notre Institut en ce lieu. Toute la communaté l'a reçu avec respect et grande reconnaissance d'une telle grâce qu'elle estime merveilleusement. Je vous ai souhaitée de la partie, sachant que vous aimez cette maison. Je vous assure qu'elle vous aime aussi très chèrement et toute la communauté de Paris qu'elles estiment comme des anges sur terre, animées de la première grâce et ferveur de l'Institut. On ne parle à Rambervilliers de la maison de Paris qu'en vénération. Au reste, vous m'avez tant pressée pour laisser aller à Paris une de mes petites nièces que je souffre que ma Soeur Catherine vous emmène une telle que notre Révérende Mère Sous-Prieure l'a choisie. Vous voyez comme j'adhère à vos volontés. Je voudrais vous pouvoir témoigner en meilleure occasion que je suis toute vôtre en Jésus.
Je salue toute votre chère famille sans en oublier aucun, et Madame N. tâchez de la voir et de l'en assurer et de me recommander à ses saintes prières. Je salue aussi Monsieur et Mademoiselle Lemoine, Baptiste, et François, et Madame Barbe qu'il faut embrasser de ma part, à
otre loisir, et quand vous n'aurez plus rien à faire, et Catherine, la tourière.
Archives du monastère de Bayeux.
(1) En regard de cette lettre, Monseigneur Hervin note ceci : « La date m'embarrasse : les « vies » de Mère Mectilde disent que vers les fêtes de Pâques 1663, elle alla à Rambervillers (avec la Mère Bernardine) où elle prépara les esprits à recevoir l'Institut. Il est certain que Mère Mectilde n'alla a Toul pour la fondation de ce monastère que vers la fin de septembre 1664, ainsi j'incline à croire que cette lettre est de 1663. Je laisse cependant 1664 comme le porte le manuscrit de Saint-Nicolas-de-Port, car je puis me tromper dans mes conjec-
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ANNEXE XXI
A LA COMMUNAUTÉ DE LA RUE CASSETTE
Toul, fin novembre 1664.
J'ai reçu avec grande joie les témoignages de vos affections vers ma grande patronne sainte Catherine, et les marques de votre souvenir en me régalant de tant de jolis bouquets et autres belles choses. Je vous assure qu'en défaisant votre boîte à dix heures du soir pour être plus en repos, nous avons dit pour le moins cent fois : les pauvres enfants, elles ont trop de bonté, elles s'incommodent pour m'envoyer leur présent. Je les reçois donc, mes très chères, du même coeur que je sais que vous me les envoyez, et vous en rend un million de grâces, et payerai le port fidèlement. Mais vous seriez bien étonnées si je vous le portais moi-même ; l'ardeur que vous me témoignez toutes pour mon retour me fait croire que vous n'en serez pas fâchées.
Soyez certaines que je l'avancerai de tout mon possible, et qu'il n'y aura que N. qui le pourra retarder, incontinent après que nous aurons exposé dans la petite chapelle que nous avons dressée en ce lieu le très saint et très auguste et très adorable Sacrement de l'autel le jour de l'Immaculée Conception de la très sacrée Vierge. Comme c'est le jour que la fondation a pris naissance ou pour mieux dire a été conçue dans l'esprit de ceux que Dieu a choisis pour y travailler.
Voici donc, mes enfants, une production de la maison du Très Saint Sacrement. Voici ce qu'elle a présenté à Dieu par les mains de sa très sainte Mère et je vous conjure de joindre vos voeux et prières à celles que nous tâchons de faire ici et que la dédicace s'en fasse de tout nos coeurs, avec même zèle et même sentiments dans la vue d'une entière union pour la gloire de Jésus-Christ, dans ce mystère d'amour et auguste Eucharistie, que nous faisons profession publique d'honorer de toutes les manières qui nous sont possibles. Mon Dieu, que j'aurais de joie dans la naissance de cette oeuvre si mes indignités et infidélités ne s'opposaient à la complaisance que Notre-Seigneur y prendrait s'il était fait dans la pureté qu'il désire. Je ne puis comprendre comme cet ouvrage vient à son effet, je croyais en moi-même que Notre-Seigneur l'anéantirait à cause de mes crimes. J'en ai souffert en sa sainte présence des confusions très grandes et n'en peux revenir. Cependant les choses sont fort avancées et apparemment tout réussira. Après cela je voudrais être abîmée dans un cachot pour toujours, et n'était la tendresse que Dieu m'a donnée pour vous toutes, je n'aurais pas la force de retourner. Mais l'affection donne des ailes pour voler où elle ne peut marcher.
Puis donc, mes chères filles, que Notre-Seigneur fait une seconde maison à l'honneur de sa personne adorable dans le Très Saint Sacrement renouvelons notre zèle pour l'aimer plus constamment, et pour souffrir pour son amour je vous invite de redoubler votre fidélité pour vous rendre de vraies victimes. Mes très chères soeurs, ce n'est point une qualité nouvelle que je vous donne, c'est un titre que Jésus vous a imprimé au baptême, avec obligation de la rendre efficace. Je vous conjure que ce soit dès ce moment que vous entriez dans les usages de cette précieuse qualité par une simplicité d'esprit, une obéissance de coeur, et une profonde humilité. O mes enfants, la superbe n'a point de part aux communications divines et ineffables de Jésus au Très Saint Sacrement. C'est pourquoi l'on trouve peu d'âmes qui portent les sacrés effets de ce divin mystère. Notre-Seigneur s'en est plaint à la bienheureuse Angèle de Foligno.
Vidons nous, mes très chères soeurs, de mille petites délicatesses d'esprit, du petit point d'honneur, de la petite présomption d'esprit, du petit dédain que nous avons du prochain, et surtout de la secrète estime de nous-mêmes ; c'est notre malheur et c'est cette propre excellence qui fait tout le désordre et qui empêche la tranquillité de l'âme. Sacrifions tout cela et nous serons de véritables victimes, capables d'être consommées au feu du divin amour que Jésus est venu apporter en terre, et qui veut qu'il brûle absolument. Ne l'empêchons pas, et quand nous ne travaillons pas à la mortification de ces choses ne nous étonnons pas de nos pauvretés, de nos désolations, et de nos misères. Si la superbe fait le trouble de nos esprits, comme l'humilité en fait le calme, c'est assez dire à des âmes qui veulent contenter Dieu uniquement.
Je vous crois toutes dans cette disposition, et le prie de vous y maintenir, autrement je mourrais de douleur et d'affliction, parce que Notre-Seigneur n'aurait pas en vous sa joie et sa complaisance. Vous savez qu'il ne demande que cela d'être tout à vous, et vous d'être toutes à lui sans réserve. Ainsy soit-il.
Archives du monastère de Craon.
ANNEXE XXII
LETTRE A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT (RUE CASSETTE)
Toul, 28 décembre 1664.
Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis.
C'est, très chère, cette précieuse paix que Jésus a apportée sur la terre au moment de sa naissance que je vous souhaite. Jésus est un fruit de paix ; il l'envoie annoncer aux pasteurs et dans sa résurrection il l'apporte lui-même : « PAX vOBIS ».
C'est, ma très chère, où je finis cette année, puisque voici la dernière lettre que vous recevrez avant la prochaine. Finissez-la en paix et commencez-la de même ; que la paix soit toujours dans votre coeur et qu'il ne soit jamais privé de cette bénite paix sans laquelle rien n'est agréable en cette vie et même pour les choses de Dieu. Je prie ce divin et adorable Enfant qu'il vous tienne dans sa paix, que vous n'ayez que des pensées de paix pour Dieu et pour les créatures, que des paroles de paix, que des oeuvres de paix.
« PAX, PAX » en tout et partout dans la maison et dans le coeur des filles du Saint Sacrement. Hélas ! pourquoi ne fait-on pas l'impossible pour être toujours en paix puisqu'il n'y a rien de si doux, ni de plus aimable à Jésus et aux hommes. Paix au ciel de votre âme, paix en la terre de votre coeur, paix partout. Je vous la désire pour étrenne et si je pouvais vous la mettre dans le coeur je l'y graverais profondément comme un bien infini. Hors de la paix c'est un enfer. Toutes les choses de la terre ne doivent pas nous ôter la paix, n'étant que des ombres et des figures qui passent. Dieu seul est, tout le reste n'est qu'un pur néant qui sera avec le temps abîmé dans le rien, et pourquoi donc nous en occuper ?
Vivez, très chère, dans la vérité, et ne vous repaissez pas de mensonges. Attachez-vous à Jésus le Prince de la Paix. Je crois qu'il en a fait quelque impression en moi en sa sainte naissance, priez qu'il me la conserve pour son pur amour et pour votre édification.
Archives du monastère de Dumfries (Ecosse).
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ANNEXE XXIII
A UNE RELIGIEUSE DE LA RUE CASSETTE
J'interdis, ma fille, tous les voeux qui se prononcent en vous qui ne sont pas soumis et purement dépendant de la sainte obéissance ; il faut toujours que vous disiez, je veux m'engager à tout ce que l'obéissance me permettra. Gardez vous bien de faire autrement, crainte que l'illusion ne se mêle avec la grâce, vous savez que quand le démon ne peut faire le mal directement il le déguise et le couvre de l'apparence du bien.
Je comprends bien ce que l'on veut de vous c'est une captivité en toutes choses et un garotement si étroit que vous ne puissiez échapper de part ni d'autre. C'est un grand ouvrage que cet enchaînement ; c'est être libre et esclave. C'est la force divine qui terrasse l'enfer en vous, c'est gagner en perdant, comme c'est vivre en mourant. Ne faites donc aucun voeu que dans la probation et confirmation de l'obéissance, du reste n'appréhendez rien ; celui qui vous lie, vous mène par la main et si vous ne pouvez marcher, il vous portera sur ses sacrées épaules ; vous trouverez en lui des forces dans votre faiblesse et dans le désespoir une secrète confiance. Votre qualité sera pour toujours victime d'obéissance, voilà votre nom par hommage à celui que l'obéissance immole tous les jours, ce mot comprend tout.
A Dieu jusqu'au moment que je vous pourrai voir. Priez Dieu pour moi et me croyez en lui toute à vous.
Archives du monastère de Dumfries (Ecosse).
ANNEXE XXIV
A LA SŒUR MARIE DE SAINT-JOSEPH,
NOVICE DU DÉVOT MONASTÈRE DES CARMÉLITES DE RHEIMS
Du Monastère de Notre-Dame de Bon-Secours, Caen, 23 janvier 1648 Ma très chère et honorée Soeur,
Jésus-Christ soit l'Unique tout de notre coeur et notre consommation.
Il y a longtemps que je désire de vous donner des nouvelles des effets de la Divine Providence en notre endroit ; elle a permis que je sois 'envoyée en Normandie à une maison de notre saint ordre pour y établir la réforme ; il y aura bientôt un an que cette croix me fut endossée sur les épaules, laquelle j'ai trouvée si lourde et insupportable que je n'y pensais pas subsister jusqu'à présent.
Si vous saviez ma très chère fille la rébellion des esprits dans les commencements et les résistances qu'ils nous ont fait, un bon coeur comme le vôtre aurait eu compassion de nous ; mais la Sagesse Éternelle ne nous a pas laissé longtemps dans cette douleur, elle a eu pitié de moi et en trois ou quatre mois elle rendit tous les esprits dans une telle souplesse que je puis dire avec vérité que l'on en fait quasi ce que l'on veut, et sont à présent dans un grand désir de perfection. Tout leur malheur est d'être tombé entre les mains d'une pécheresse indigne de recevoir grâce et très incapable de les aider au chemin de la sainte vertu, en étant moi-même si dépourvue, et dans une si grande pauvreté que je n'ai jamais vu une telle abjection que celle que je porte et que j'ai portée.
Par surcroît, depuis trois mois je suis tellement malade et languissante, que j'ai souvent pensé n'en pouvoir relever. Je ne sais si c'est l'air du pays, mais la fièvre ne me quitte que très peu avec un dévoiement d'estomac. Voilà ma toute chère où l'adorable Providence me tient depuis quel- que temps, durant lequel j'ai été honorée d'une de vos chères lettres que j'ai reçue fidèlement et mon âme s'est très aouïe du bonheur et des miséricordes que Dieu verse dans la vôtre.
Courage ma très aimée Soeur, il faut être sans réserve à Jésus-Christ, mais dans la pure fidélité de vertu et dans un total abandon à sa divine
conduite. Tout le secret de la sainte perfection, c'est d'être purement adhérente à la grâce, et pour bien pratiquer ce point, il faut le silence et la vigilance, et l'attention sur les mouvements de son coeur. J'ai une consolation si grande de vous savoir en un lieu si saint que je n'en puis assez remercier la Divine Bonté qui vous y a conduit, et qui a donné une char:té si entière à votre sainte Communauté de vous y recevoir. N'avez-vous pas des preuves suffisantes de la miséricorde éternelle de Dieu en votre endroit, et après une telle grâce pouvez-vous jamais désister de l'aimer ? Non ma très chère fille, je réponds pour vous que vous voulez être à Jésus-Christ sans réserve et que vous êtes toute déterminée d'y mourir à la peine. Continuez donc avec une humble confiance, apprenez de bonne heure à vous anéantir et à laisser régner Dieu en vous. Je Le prie de tout mon coeur vous remplir de sa grâce et de son Esprit, afin que vous puissiez dignement persévérer. Faites un saint usage des saintes instructions que votre digne mère maîtresse vous donne, soyez candide dans la découverte de votre âme, estimez autant qu'il vous est possible la sainte obéissance et n'opérez jamais aucune chose qu'en esprit d'amour et de soumission. Ne trompez point mon espérance, ma chère fille, il m'a toujours semblé que Dieu veut quelque chose de vous, laissez-vous toute à Lui afin que sa toute-puissance l'opère.
Cependant, priez-le pour moi et pour la mission à laquelle il nous a envoyé. Ma Soeur Dorothée de Sainte-Gertrude est ici avec nous qui vous salue de tout son coeur, elle continue d'être très fidèle à Dieu, elle a un peu plus de santé qu'à Saint-Maur. Il y a longtemps que je n'ai rien appris de Remberviller, je ne sais si vous avez su qu'une bonne vieille Soeur Anne que vous y avez vue est morte. Je ne sais rien de ce pays-là, sinon que la bonne Mère Benoîte de la Passion a été voir l'Abbaye de Saint-Jean-desChoux, c'est une abbaye de religieuses bénédictines mitigées en Alsace où l'on veut mettre la réforme, mais je ne sais point la conclusion de son voyage. Nous recevons des lettres : la croix de la guerre y est toujours, je ne sais si vous me comprenez bien. Je serais bien aise d'entendre quelquefois de vos nouvelles si votre Révérende Mère Supérieure le trouve bon, que si elle juge à propos de vous en priver, je le veux de tout mon coeur. Je vous prie de lui présenter mes très humbles obéissances et de lui témoigner l'extrême désir que j'aurais de la servir si Notre-Seigneur avait mis en nous quelque capacité pour cela ; obligez-moi de lui marquer mon affection, de l'assurer que je reçois comme à moi-même la grâce et l'honneur qu'elle vous a fait, et toute ma vie j'en demeurerai fort obligée, et d'autant que ma pauvreté ne me fournit aucun moyen de reconnaître dignement ses bontés. Je veux faire prier Dieu pour elle, non tellement par cette Communauté et la nôtre de Lorraine, mais encore par les bonnes âmes que la Divine Providence nous a fait connaître ; suppliez-la d'avoir pour agréable ma bonne volonté et de souffrir mon impuissance qui m'est d'autant plus chère et aimable qu'elle me rend abjecte dans les créatures ; recommandez-nous à ses saintes prières et de toute la sainte communauté et m'excusez si j'ai continué de vous écrire avec franchise, vous savez à quel point je vous ai toujours aimée et combien vous m'êtes chère devant Notre-Seigneur ; je Le prie derechef de vous combler de ses miséricordes et de vous sanctifier. Suis en Lui plus que jamais toute votre fidèle et intime servante Soeur du Saint Sacrement.
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ANNEXE XXV
SECONDE LETTRE A LA MÈRE MARIE DE SAINT-JOSEPH Des Bénédictines du Saint-Sacrement de Paris.
Le jour de Saint-André 1654 Ma très chère Soeur,
Loué soit Notre-Seigneur Jésus-Christ au Très Saint Sacrement de l'Autel,
J'ai reçu deux de vos chères lettres quasi en même temps, et je vous y fais ce mot de réponse assez en hâte, mais pour vous témoigner le déplaisir que j'ai de ne vous pouvoir moi-même rendre le petit service que vous désirez. Plût à Dieu être digne de vous en faire un plus grand, mais vous savez comme la Sainte Providence m'a rendue en votre endroit tout à fait inutile, nonobstant la continuation de ma très sincère affection qui ne pourra jamais être anéantie ; je vous supplie de votre part qu'elle demeure en son entier autant que Notre-Seigneur vous le permet, afin que par le secours que j'attends de vos saintes prières, je me rende à Jésus-Christ et qu'il me fasse la miséricorde de me remplir de l'esprit et de la grâce de cette fondation, laquelle est faite en l'honneur du Très Saint-Sacrement de l'Autel, par voeu de la Reine, pour réparer autant que l'on pourra tous les outrages, sacrilèges, et impiétés qui se sont commis et se commettent contre ce très auguste et adorable Sacrement, devant la majesté duquel nous sommes obligées d'assister jour et nuit pour lui rendre nos hommages et très chétifs adorations.
Mon temps, outre l'office divin et l'oraison ordinaire, est depuis minuit jusqu'à deux heures que je sonne Matines et continue avec la Communauté, une autre y demeure une heure, ainsi chacune à son tour. Je vous ai dit la mienne afin que vous vous en souvenant quelquefois vous m'aidiez à réparer les irrévérences et les restes des méchancetés qui se commettent contre cet adorable Sacrement et que j'ai moi-même commis et commets tous les jours. Il n'y a que huit mois que nous avons la Croix plantée, j'ai eu de grandes répugnances à cet établissement, tant par les vues de mon insuffisance que d'autres bien particulières, mais enfin je puis vous dire en confiance que Dieu a fait son oeuvre sans moi et que je n'y ai contribué en aucune chose, y apportant un esprit d'anéantissement et de simple adhérence, m'ayant été défendu d'y faire opposition, et dans l'impuissance où j'étais aussi de l'accepter, je l'ai laissée à Dieu le plus entièrement qu'il m'a été possible ; ce n'est pas que je ne l'aie bien souillée depuis qu'elle est faite et y ferai encore bien des oppositions à sa sainteté, c'est ma douleur et qu'il faut que je la souffre dans ma profonde abjection.
Vous serez bien aise de savoir que ma Soeur Louise et sa compagne ont reçu le voile et deux autres bonnes filles, mais croyez qu'il faut une vocation bien particulière pour entrer ici, nous devons vivre de la vie toute anéantie de Jésus dans l'Hostie, très retirées ; nous n'y voyions quasi personne, et jamais les grilles ouvertes qu'aux pères et mères ou quelque personne de considération, comme l'évêque, etc. Nous sommes aussi solitaires dans Paris que nous serions dans un village. Il faudrait du temps pour vous en dire plus de particularité et les rencontres de la Providence avec ses effets miraculeux.
La bonne Mère Bernardine de la Conception qui était autrefois prieure à Ramberviller est ici avec nous et est notre Supérieure, la Mère Madeleine de la Résurrection et la Mère Angélique de la Nativité y sont aussi, et Sœur Marie de Jésus et deux autres professes qui n'ont pas l'honneur d'être connues de vous.
DOCUMENTS HISTORIQUES 323
Si vous n'étiez pas dans le Saint Ordre où vous êtes, j'aurais un sensible regret que vous ne soyez pas du nombre, mais j'ai tant d'amour et d'estime pour les saintes Carmélites que si je n'étais ce que Dieu a voulu que je sois, ma douleur serait de n'en être point. Il faut nous rendre fidèles, chacune dans notre vocation. Ce qui nous console c'est que c'est le même Dieu qui est notre divin Père, notre Maître, notre Seigneur et notre Tout, et que nous pouvons être dans une union inséparable par son amour. Priez-le qu'il soit en moi comme je le désire en vous, afin que nous soyions éternellement une en Lui.
Soeur du Saint Sacrement.
Archives du monastère de Bayeux.
ANNEXE XXVI
A LA REINE ANNE D'AUTRICHE
De Votre monastère du Très Saint-Sacrement de Paris, ce 28 juillet 1664
Madame,
Pour éviter de me rendre importune à Votre Majesté par la longueur de mes lettres, j'ai prié le Révérend P. Paulin de se transporter à Fontainebleau pour vous très humblement supplier, Madame, de vous souvenir que votre bonté m'a fait l'honneur de m'assurer qu'elle prendrait la peine d'écrire à Notre Saint Père, pour obtenir l'érection d'une congrégation des monastères de notre Institut.
Voici, Madame, l'occasion de Monsieur le Légat qui tiendra à faveur d'accorder à votre Majesté la grâce qu'elle lui demandera pour nous (ou pour mieux dire) pour la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel par la confirmation de l'adoration perpétuelle de ce divin mystère que nous avons professée comme il est exprimé au mémoire ci-joint. Ce bon Père l'expliquera à votre Majesté et l'assurera de notre part que l'on continue de prier Dieu pour la conservation du Roi et de toute la famille Royale, mais singulièrement pour la vôtre, Madame, qui est si nécessaire à l'Eglise pour y soutenir les intérêts de Jésus Christ qui est quasi abandonné de tout le monde, c'est pour sa gloire qu'il vous fait vivre et pour la consolation de tout le Royaume et particulièrement de celle qui est avec très profonds respects, Madame,
De votre Majesté la très indigne et très fidèle servante. Sr. M. du Saint Sacrement, R.I.
Autographe au monastère de Bayeux.
DOCUMENTS HISTORIQUES
CHRONOLOGIE DE LA VIE DE MÈRE MECTILDE
Profession au monastère des Annonciades rouges de Bruyères.
Exode : séjour à Saint-Dié, Badonvillers, Epinal (6 mois).
Exode : séjour à Commercy. Exode : séjour à Saint-Dié.
Entrée au monastère des bénédictines de Rambervillers.
Profession au monastère des bénédictines de Rambervillers.
Départ pour Saint-Mihiel. Arrivée à Paris.
Départ de l'abbaye de Montmartre.
Séjour en Normandie : Caen, Alrnenèches, Vignats, Barbery.
Saint-Maur-des-Fossés.
Priorat au Bon-Secours de Caen.
Retour à Rambervillers comme Prieure. Retour à Paris (rue du Bac).
Premier contrat de fondation de l'Institut.
Première exposition du Saint Sacrement, rue du Bac.
Consécration de l'église et première exposition du Saint Sacrement, rue Férou.
Election de la Sainte Vierge, abbesse perpétuelle de tous les monastères.
Bénédiction de l'église et du monastère, Ille Cassette.
Fondation du monastère de Toul. Agrégation du monastère de Rambervillers.
1614 31 décembre Naissance.
1631 novembre Entrée au monastère des Annonciades de Bruyères.
1633
1635 mai
1636-1638
1638-1639
1639 2 juillet
1640 11 juillet
1640 septembre 1641 28 août
1642 10 août
1642 août - 1643 juin
1643 23 août 1647 juin 1650 1650 28 août 1651 24 mars 1652 14 août 1653 25 mars
1654 12 mars 1654 22 août 1659 25 mars
1663-1665
1665-1666
326 CATHERINE DE BAR
1667-1669 Agrégation de l'abbaye Notre-Dame-de-Consolation
de Nancy.
1668 mai Approbation de nos constitutions par le Cardinal
de Vendôme, Légat en France de Clément IX.
1676 10 décembre Bref d'Innocent XI : érection de la congrégation.
1677 4 novembre Première exposition du Saint Sacrement au monastère de Rouen.
1684 Achat de l'hôtel de Turenne, rue Neuve-Saint-Louis
au Marais pour le second monastère de Paris.
1685 30 septembre Union du monastère du Bon-Secours de Caen à l'Institut.
1687 27 juin Fondation du monastère de Varsovie (Pologne).
1688 21 octobre Fondation du monastère de Châtillon-sur-Loing.
1696 23 février Fondation du monastère de Dreux.
1696 3 juillet La bulle d'Innocent XII place les monastère sous
la juridiction des évêques, à la demande de mère Mectilde.
1698 6 avril Dimanche de Quasimodo, mort de mère Mectilde.
On peut se procurer cet ouvrage dans les monastères ci-dessous :
12380 Notre-Dame d'Orient, Saint-Sernin-sur-Rance (Aveyron).
14000 1, rue des Fosses, Caen (Calvados).
14400 48, rue Saint-Loup, Bayeux (Calvados).
20222 Erbalunga, Bastia (Corse).
53400 16, rue de la Libération, Craon (Mayenne).
59200 18, rue Faidherbe, Tourcoing (Nord).
67560 28, rue du Couvent, Rosheim (Bas-Rhin).
68490 Ottmarsheim (Haut-Rhin).
75005 33, rue Lhomond, Paris.
76000 14, rue Bourg-l'Abbé, Rouen (Seine-Maritime).
82700 Mas-Grenier par Montech (Tarn-et-Garonne).
G rand-Duché de Luxembourg : Peppange-les-Bettembourg. Ecosse : Dumfries.
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-- Histoire de l'Institution de la Fête-Dieu avec la vie des bienheureuses Julienne et Eve qui en furent les premières promulgatrices suivi de l'abrégé historique de l'Institution des illustres confréries de l'Adoration Perpétuelle de l'Auguste Sacrement des Autels à Liège chez Jacques Antoine Gerlach 1781 ; pp. 187-191.
Pages Pages
7 Préface. Livre-manuscrit
23 Introduction. 1
35 Avant-propos.
43 Avertissement au lecteur
Sortie de Rambervillers.
Pélerinage à Benoite-Vaux.
Acceptation de l'abbesse de Montmartre de recevoir Mère
Mectilde ; arrivée à Paris, 1641.
Séjours en Normandie.
Premières relations avec Bernières.
Saint-Maur.
Caen, priorat.
Rambervillers, priorat.
Retour à Paris, 1651 .. . 56
Quelques mots sur la « voie » de Mère Mectilde .. 57
Le « Bon Ami » et les premières amitiés.
Premier projet de l'Adoration Perpétuelle.
Premier contrat, 1652.
Voeux d'Anne d'Autriche ; Monsieur Picoté.
Deuxième contrat, 1653 ; les autorisations, recherche d'une
maison.
La succession de la marquise de Bauves.
Pose de la Croix, 12 mars 1654.
Installation rue Férou.
Quelques mots sur Madame d'Orléans 147
Première ébauche des Constitutions . 250
Préface aux Constitutions, 1697.
La retraite de 1662.
Exégèse du texte par la narratrice.
De l'amour du mépris.
Sur la sainte Communion.
Sur l'esprit de Saint-Benoit ..
Reprise du récit de la vie de Mère Mectilde (aperçu de la vie de Mère Mectilde, de sa naissance à 1651) ..
Paroles de Notre-Seigneur, lui enjoignant de fonder l'Institut :
mars 1653, 19 mars, mars 1652, mars 1659, 1664.
Sur la marquise de Bauves.
Vues de quelques serviteurs de Dieu sur notre Institut. Persécutions secrètes.
Première profession, départ de Bruyères .. Rambervillers. . 293
Lettres à Madame de Châteauvieux . . 317
Prise d'habit de Madame de Châteauvieux Discours de notre Mère Mectilde.
Mort du comte de Châteauvieux.
Fondation de Toul, 1663-1665 .. . 349
Agrégation de Rambervillers précédée de l'histoire du monastère, 1665-1666.
Bulles d'approbation de l'Institut .. . 375
Les Constitutions, approbations jusqu'en 1669.
Nancy, histoire du monastère Notre-Dame de Consolation 396 Agrégation, 1667-1669.
Voyage de Mère Mectilde en Lorraine, Nancy - Toul.
Mort de la duchesse de la Vieuville .. . . 459
Erection de l'Institut en Congrégation.
Hors-texte (in fine), Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, fondé à Paris, le 25 mars 1653, par Catherine de Bar (Mère Mectilde du Saint-Sacrement).
Imprimerie AMELOT, Brionne 27 - Brionne (France)
Dépôt légal : 4° trimestre 1973.
jr/stitut De5 13ènéeines Ou SSacre-rnent
fonbéi paris le 95 eb,rs 1(153
par 641-4rine ae):3‘'ir (nb-e Lee& Su S Sacrement
1680 ettio
Sorttno
1999 Benoit
4996
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1996
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1954
à Catri
1956
4 994 itlodiva
1965
Quatrième
« Tous les commentaires de la Règle de saint Benoît ont été marqués, et limités, par la personnalité de leur auteur et la mentalité de leur temps et de leur milieu... Celui de Catherine de Bar est l'un d'eux et non des moins riches.
...Ce qui confère à sa doctrine une valeur permanente et universelle, c'est l'intensité de l'expérience personnelle dont elle fait part. Elle est moniale, mais comme elle aimera le dire la vie monastique authentique se doit d'abord d'être chrétienne».
Dom Jean Leclercq (Introduction)
A l'occasion de « l'Année de saint Benoît », une anthologie de commentaires de « la Règle des moines» a été recueillie parmi les textes manuscrits encore inédits à ce jour. Les moniales témoignent de la pensée toujours vivante et actuelle de Mère Mectilde, par la présence de leurs cinquante monastères en Europe et en Afrique.
(CATHERINE DE BAR
A VECOUTE
DE SAINT BENOIT
Mère Mectilde
du Saint Sacrement
a
l'écoute
de
Saint Benoit
Bénédictines du Saint Sacrement
ROUEN
TÉQUI - 82 RUE BONAPARTE - 75006 PARIS
'''''.1111114111.4111111113
INTRODUCTION
Tous les commentaires de la Règle de saint Benoît - et de tout autre texte - ont été marqués, et limités, par la personnalité de leur auteur et la mentalité de leur temps et de leur milieu. Aussi a-t-on projeté sur la Règle, au IXe siècle, les conceptions issues de la réforme carolingienne ; au XIIe siècle, celles des ordres monastiques nouveaux ; au XVIe siècle, celles du Concile de Trente. Il en fut de même lors du XIXe siècle finissant, puis dans les premières décennies du XXe. De nos jours, l'application de la méthode philologique apporte un complément, voire un contrôle scientifique, à ces explications qui, si elles étaient parfois dénuées de fondement historique, n'en constituaient pas moins des témoignages spirituels et culturels. Celui de Catherine de Bar est l'un d'eux et non des moins riches.
I. UNE BENEDICTINE EN SON SIECLE
En dépit des conditionnements propres au XVIIe siècle français, et qui se manifestent partout dans le langage, Mère Mectilde formule, avec une lucidité inexorable, les exigences fondamentales de toute spiritualité chrétienne.
Les extraits présentés ici ne constituent pas, en effet, un commentaire suivi du texte complet de la Règle, dans lequel on se croit obligé de trouver une explication à tout, voire de tout admirer. Ceci évite le caractère caduc de bien des interprétations données à des pratiques d'autres temps. Ici, il ne s'agit que de données essentielles, de questions vitales posées par l'existence elle-même. Il n'y a guère de ces détails insolites qui, parfois, détournent l'attention de ce qui seul compte. Les archaïsmes du style sont moins nombreux que l'on aurait pu l'attendre ; ils sont en moindre proportion qu'en d'autres-
8 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 9
écrits du même temps. Ils obscurcissent rarement la pensée ; plus souvent, ils ajoutent du charme à l'exposé. L'occasion se présentera bientôt d'en signaler quelques-uns. Ils confirment que Mère Mectilde fait réellement partie de son époque. Mais ce qui confère à sa doctrine une valeur permanente et universelle, c'est l'intens.ité de l'expérience personnelle dont elle fait part. Elle est moniale, mais, comme elle aimera le dire, la vie monastique authentique se doit d'abord d'être chrétienne. Comme un Dom Marmion et un Dom Delatte, elle se plaît à citer les textes où saint Paul dit l'essentiel sur notre participation au mystère pascal.
Après cela, elle a le droit d'être «bénédictine», et elle l'est étonnamment. Elle se réfère sans cesse à la Règle de saint Benoît : ceci pourrait n'être qu'un procédé artificiel. Mais on la devine formée par toute la tradition monastique d'Occident, et par les sources mêmes auxquelles avait renvoyé saint Benoît. Des rapprochements, des parallèles, des dépendances possibles devront être indiqués à propos de plusieurs points de son enseignement. Toutefois, les similitudes les plus proches sont celles qui existent entre celui-ci et la doctrine des meilleurs maîtres de son temps, qui fut, en spiritualité comme en d'autres domaines, un «grand siècle». Elle pense et écrit en France - singulièrement à Paris et en Normandie - et en Lorraine, ces régimes où deux Congrégations, celle de Saint-Maur et celle de Saint-Vanne, issues de la récente réforme générale de l'Église, arrivent alors à leur plein épanouissement, produisent leurs plus purs modèles vivants de sainteté et leurs meilleurs livres, avant les scléroses qui suivront. Elle a surtout beaucoup reçu de ces Mauristes dont un Dom Guéranger tiendra à se déclarer, lui aussi, l'héritier .
Elle est aussi contemporaine d'un spirituel éminent, mais qui dut, lui, accomplir sa réforme, au lieu d'en cueillir les fruits mûrs : Rancé, dont l'influence durable atteste qu'il était porteur d'un message de haute valeur, en dépit de traits de caractères personnels qui marquent son oeuvre. Mais heureusement, elle n'est pas, comme lui, une personne «convertie» : elle n'en a ni les complexes ni les défoulements.
Elle n'a pas eu à passer d'une existence très mondaine à une autre qui fût très austère. Elle a simplement les réflexes d'une moniale qui a grandi paisiblement dans sa vie chrétienne et sa vocation religieuse. Aussi peut-elle aider d'autres personnes - moniales ou non - à croître également dans la paix, sans violence, mais sans faiblesse. Il est déli-
cat d'introduire en son enseignement un ordre dont, nulle part, elle n'a indiqué le plan. Cependant, à la lire, on constate bientôt que certaines pensées la dominent. Elle y revient avec une insistance qui ne laisse aucun doute sur celles de ses convictions qui sont prioritaires. Ce sont elles qu'il faudra tenter de dégager ici, tout le reste étant du domaine des conséquences et des applications pratiques.
II. OUVERTURE
Presque tous les thèmes qui reviendront dans le reste du volume se trouvent déjà dans ce qui concerne le Prologue. Aussi ces textes méritent-ils qu'on leur prête d'abord attention. Ils introduiront aux suivants. Dès le début, Mère Mectilde a perçu que le mot de perfection est l'un des termes-clef du langage de saint Benoît, et qu'il exprime, non un résultat que l'on puisse obtenir une fois pour toutes, mais un but vers lequel on ne doit jamais cesser de tendre. Cet effort implique que l'on persécute toute forme de retour sur soi, spécialement en se contentant de «petites choses» et de «petites grâces» ; en faisant de «petites actions». Comment ici ne pas évoquer Pascal ? «Faire les petites choses comme grandes, à cause de la majesté de Jésus Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie ; et les grandes choses comme petites et aisées, à cause de sa toute puissance». Comment ne point penser aussi à cette jeune moniale de Normandie qui, près de notre époque, devait remettre en lumière la «petite voie» ? Ici comme chez Thérèse de Lisieux, tout n'est que «pure simplicité», «simple abandon», oeuvre du Saint Esprit qui «touche les âmes». L'Évangile et la liturgie ne disent-ils point qu'il est le «doigt de Dieu» ?
Avec réalisme, Mectilde part de l'expérience que nous faisons, en notre coeur charnel, du «fond pécheur qui est en nous», et dont la tentation nous fait prendre conscience. Aussi la tentation est-elle utile, comme tout le monachisme antique et médiéval l'avait enseigné avec une insistance qui nous étonne ; car tout ceci est plein de sève monastique, tout en étant très XVIIe siècle : il n'est pas jusqu'à une formule comme celle de «moyen court» qui ne nous le rappelle. Henri Bremond, s'il avait eu connaissance de ces manuscrits, eùt certainement joui d'expressions comme celle-ci : «être pressés et réduits en liqueur» pour que l'amour de Dieu sorte de nous. «Sortir de soi»
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tel est le sens de cette vocation d'Abraham dont Cassien avait fait le symbole de la conversion monacale jamais achevée. «Tendre toujours vers Dieu», c'est le moyen de conserver confiance et de garder persévérance. Mectilde est aussi optimiste qu'elle est réaliste. En un langage déjà moderne, et qui reste classique, elle nous enseigne à «sacrifier ce nous-même - ce «moi», dit-on aujourd'hui - qui seul est opposé à Dieu en nous». Tel est le rôle des «croix» ; Mectilde fera rarement, comme ici, usage de ce pluriel, alors qu'il est devenu ensuite si fréquent. Ce qui importe est la Croix, celle du Seigneur : ce mystère de souffrance et de victoire auquel nous sommes associés, comme «membres vifs de Jésus Christ, incorporés à son humanité déifiée, vivant de sa vie et de son Esprit», par la grâce de notre baptême. «Je ne vis plus, c'est Jésus Christ qui vit en moi». Il faut seulement «être fidèle à l'attrait de la grâce qui nous tire de notre néant... Laissez-vous tomber dans le rien... » Alors nous connaissons la consolation d'être «en ce bienheureux néant qui fait peur à notre nature» : le tout et le rien coïncident - todo y nada -, le tout de Dieu emplissant notre vide.
Mectilde, ici, s'élève au niveau des plus hauts mystiques. Ce prologue au reste de l'oeuvre en donne déjà le ton. Tout sera grave et exigeant, agrémenté de quelques archaïsmes, et de touches de poésie, qui suffiront à faire sourire. Tout restera centré sur Jésus et sur son Esprit, qui nous conduit au Père. Ce que saint Benoît dit de Dieu est, ici, précisé, et, si l'on peut ainsi s'exprimer, personnalisé. La Vierge Marie, elle aussi, est toujours tournée vers son Fils, elle nous oriente vers lui, elle le prie pour nous. L'idée même, si traditionnelle, de la paternité de saint Benoît - thème qui fut aussi appliqué aux autres fondateurs d'ordres religieux - est mise en relation non seulement avec le Seigneur, mais avec l'Eucharistie : selon saint Grégoire, en effet, «le Législateur» expira au pied de l'autel, «ravi à lui-même» par Jésus pour être enlevé au ciel. L'adoration du Saint Sacrement fait ici l'objet d'une mention explicite, associée à cette idée de «réparation» à laquelle des théologiens de renom, aujourd'hui, reconnaissent une profonde signification 2 . Mais aucune dévotion ne reçoit un accent exagéré. Nous sommes ici en présence de ce que Dom Vonier appelait «le christianisme classique», et c'est par là que ce message a valeur non seulement pour le XVIIe siècle, pour les bénédictines, mais pour les chrétiens de tous les temps, et du nôtre.
III. LE FOND
Faut-il encore, maintenant, relever, avec plus de détail et d'insistance, certains des points d'application de la doctrine qui vient d'être résumée ? Si le but d'une introduction est de préparer le lecteur à saisir le sens d'un ouvrage et de l'aider à le juger avec équité, il semble qu'il ne soit pas hors de propos d'attirer l'attention, d'une part, sur la cohérence de l'ensemble qui suit le Prologue, et, d'autre part, sur certains problèmes relatifs à la mise en pratique d'une telle doctrine. Car il y a ici une authentique spiritualité, qui ne manque pôint d'un caractère concret, toujours actuel.
L'une des convictions les plus vives de Mectilde lui fait souvent parler de ce qu'elle appelle «le fond», «notre fond», et employer les mots «profond», «profondément». Ceci rappelle ce que les mystiques rhénans - dont l'influence sur l'École Française est bien connue - avaient nommé le Grund : ce centre de nous-même où se situe notre égoïsme et qui, vidé, purifié, peut devenir le lieu de la présence divine. Il est alors rendu à sa véritable nature, à laquelle il nous faut revenir : c'est ce que Mectilde appelle «le retour au fond». C'est là cette «connaissance de nous-même» qui occupe, dans sa doctrine, autant de place que dans celle d'un saint Bernard. «Revenons à notre coeur», avait-il écrit plus d'une fois, en citant un Psaume : Redire ad cor, ou la parole du fils prodigue : ad se reversus, revenu à lui-même. «Rentrez chez vous, dans votre intérieur, vous tenant aux pieds de la majesté de Dieu ; c'est là que vous le trouverez». Tout ceci n'est point théorique. Ainsi que Bernard, Mectilde part de «l'expérience», elle aime ce mot et celui d'«expérimenter». Elle connaît nos amusements - Pascal disait nos divertissements. Elle sait que l'opposé «du fond» est «l'élévation», «ce sentiment de la propre excellence. L'orgueil fait qu'bh s'élève. Il faut descendre». Et comment ? Remplacer ce pôle d'attraction qu'est l'amour propre au fond de nous par cet autre qu'est Jésus Christ, «ce centre divin où nous devons rentrer». Substituer son «règne», son «empire» - selon le vocabulaire du siècle de Louis XIV 3 - à l'intérêt que nous portons à nous-même. «L'Esprit de Jésus Christ», «notre Seigneur et son divin Esprit» doivent s'établir eh nous, et y dominer tout. Il nous faut «désirer ce règne», puis juger de tout «par rapport à Lui». Une fois seulement, le «Sacré Coeur» est mentionné. Le style est différent de celui de Marguerite Marie Alacoque ; il n'est pas moins fervent. Certaines pages, très pauliniennes, trahissent une obsession amoureuse de Jésus
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Christ : un résumé n'en rendrait pas le ton (par exemple le n° 1757).
Le retour au Père dans le Christ et par son Esprit ne peut être en nous qu'un effet de la grâce, celle de la foi, déposée en nous, en germe, lors de notre baptême, et qui ne cesse de nous guider. D'où l'insistance sur la souplesse, en tout, aux mouvements - plus exactement : à la mouvance - de la grâce : «Dieu donne mouvement à l'âme..., priez à la manière qu'on vous donne mouvement». «Un trait de grâce, un coup de la miséricorde de Dieu, le mouvement du Saint Esprit...». Faire tout «en foi» : ceci conduit d'abord à la prière, conçue comme continuelle. Avant de s'exprimer en certaines activités intérieures - bien qu'elle soit également favorisée par celles-fi -, la prière est une attitude de présence à Dieu «d'adhérence à Dieu». Mectilde a aimé ce jeu de mots : «adorer et adhérer». Une de ses pages les plus denses se laisse résumer en deux mots : «attendre Dieu» (chap. LII, n° 267). De cette vie de prière, les activités de prière découleront d'elles-mêmes, simplement, c'est-à-dire sans complication. Quand elle en parle, Mectilde reprend les thèmes - parfois même les termes - de la tradition monastique du temps des Pères et du Moyen-Age, et peut-être surtout du XIIe siècle : ainsi quand elle caractérise comme «des prédicateurs muets» les textes qui font l'objet de la lectio divina ;4 ainsi lorsqu'elle décrit l'office divin comme prière intégrale, engageant l'être tout entier, à commencer par les sens ; ou quand elle montre dans l'adoration perpétuelle une façon de continuer la laus perennis. Ainsi surtout lorsqu'elle commente, en termes exquis, le peu que saint Benoît a dit de «l'oraison». Pour pratiquer «l'oraison simple», «laissez les diverses méthodes... Évitez une manière de faire oraison qui fasse mal à la tête...». L'oraison est comme un désert mystique «où l'on rencontre l'Époux». Rester fidèle au «souvenir de Dieu», auquel le P. I. Hausherr a consacré tant de pages. Garder «la douce habitude d'opérer en amour non sensible, mais en foi». Ceci toujours en relation avec les fêtes et les mystères que célèbre la liturgie. Il n'est pas jusqu'à ces prières jaculatoires, brèves, mais fréquentes, recommandées par saint Benoît, qui n'aient ici leur équivalent charmant : «Faire un petit retour amoureux...», «l'esprit jette une oeillade vers Dieu...». Les pages que Mectilde écrit sur l'oraison sont sans doute les plus belles de toute son oeuvre. Elle s'y exprime en spécialiste. Sa compétence est garantie d'abord par ce qu'elle a elle-même éprouvé, mais également par sa conformité avec la tradition spirituelle la plus ancienne et la plus constante de l'Église.
IV. LA VOIE DE PETITESSE
Pour traiter de l'humilité, Mectilde a trouvé un langage qui est de l'Évangile et qui anticipe sur celui de Thérèse de Lisieux. Le vocabulaire qu'elle préfère est celui de la petitesse et de toutes les variations auxquelles il se prête : comme saint Grégoire et les Pères, elle connaît la «componction». Mais à ce terme à consonance latine, elle préfère des mots de son temps, combien plus expressifs pour le XVIIe siècle et le nôtre : «Se laisser consumer, demeurer exposée au Saint Sacrement, être abîmée en Dieu» - et l'image de l'abîme évoque celle «du fond». Etre en «un dégagement entier, continuel». Elle n'emploie qu'une fois les mots de «sainte indifférence», mais elle parle de «simple regard» porté sur Dieu, par conséquent sans «recherche de nous-même». Avec saint Paul, elle dit : «Mourir à nous et vivre à Dieu». «Se désapproprier», sans secrète complaisance en soi. Vivre comme en exil, en terre étrangère, dans la pauvreté : tout attendre, désirer Dieu, même quand il garde le silence. «Si votre fond est crucifié...» «Etre anéanti à soi-même pour être uni à Dieu», «être une capacité de Dieu», «lui qui aime les âmes petites, humbles, basses, anéanties», et «la profonde petitesse». «N'être propriétaire de rien, ne rien posséder avec attachement». Bien plus «n'être rien» (saint Bernard disait : annullari), «tout perdre», en vue de l'union, de la présence à Dieu, de la «possession de Dieu». Vivre «dans une simplicité d'enfant», parce que l'on connaît la vérité sur soi : une fois de plus s'impose le rapprochement avec le traité de saint Bernard Sur les degrés d'humilité. Rester dans «une profonde petitesse», et là, au plus bas, goûter Dieu, sa miséricorde... Etre «investie de Dieu jusqu'à des pénétrations inexprimables». Le Magnificat de Marie fut le chant de son abaissement et de son exaltation. Cette mosaïque de vigoureuses formules pourrait être largement étendue. Toutes ces citations reçoivent leur pleine signification de leur contexte : une mystique d'anéantissement, marquée par la patience et la tranquillité.
Patience dont celle de Jésus est le modèle et la source. Elle est une forme de cet «esprit d'enfance» que la dévotion du XVIIe siècle français à «l'Enfant-Roi» favorisait et exprimait 5 . Mectilde non seulement utilise la formule «esprit d'enfance», mais il lui arrive d'en associer l'idée à Jésus d'une façon qui nous est peu habituelle, bien qu'elle ait des antécédents dans la tradition patristique et la Règle de saint Benoît : «Allez à Notre Seigneur comme un petit enfant. C'est
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votre Père qui vous aime en toute vérité...». Il a toujours été de christologie correcte d'attribuer au Fils de Dieu les sentiments d'un père qui attend le retour de ses enfants 6 . Et aussitôt, Mectilde montre qu'elle possède une vue exacte du mystère pascal, lorsqu'elle parle «d'être toute revêtue de l'Esprit de Jésus Christ, parce que toute anéantie en lui».
Par rapport . à ces profondeurs, les souffrances quotidiennes ne sont, pour ainsi dire, que des incidents de surface. Non qu'elles ne soient vivement ressenties. Mais elles ne sont jamais recherchées pour elles-mêmes, et comme provoquées. En tel commentaire de la Règle qui fut composé à l'époque baroque en forme «d'emblèmes» surmontés chacun d'une brève légende, le coeur meurtri est l'un des symboles les plus fréquents : on le voit écrasé entre une enclume et un marteau, transpercé de flèches, couronné d'épines, endolori de toutes les façons possibles . Rien de semblable chez Mectilde, aucune complaisance dans la souffrance, mais acceptation, silence, obéissance, et, à ce prix, tranquillité, affabilité, douceur, joie, consolation, action de grâces, bonheur de l'âme qui «s'élance vers Dieu». Présence à Dieu, plus que volontarisme ; et cependant, point de trace de quiétisme : une sereine acceptation de tout ce que Dieu veut. La pénitence ne peut être qu'une participation «au délaissement de Jésus» en sa Passion. Lorsque l'on est «stabilisé en Dieu», en un «dénuement prodigieux», on peut garder en toutes circonstances la paix du Christ ressuscité. «Dieu est tranquille et tranquillise tout», avait déclaré saint Bernard. Et Mectilde peut écrire de «l'âme possédant cette tranquillité» : «Dieu se contemple dans le fond de cette âme. Il y fait une impression de ses perfections divines».
V. SPIRITUALITÉ PRATIQUE
Deux observances fondamentales de la vie monastique font l'objet de mentions insistantes, sinon fréquentes : le silence et l'obéissance. Du premier, Mectilde retient surtout, comme de tout le reste, le sens «profond» : il est une participation au silence de Jésus, celui que Jésus gardait avant de naître, en Marie, puis en sa Passion. Et de citer, comme Bossuet, la courte phrase en l'Évangile : «Mais Jésus se taisait, Ipse autem tacebat». Quant à la conception de l'obéissance, elle peut soulever aujourd'hui un problème qui ne se présentait point jadis ; en effet, la formule d'«obéissance aveugle» est à bien entendre, et plu- sieurs textes nous y aident. Selon l'enseignement de saint Benoît, que reprend Mectilde, l'obéissance est don de Dieu : «C'est Dieu qui vous donne la force de vous soumettre». Or, se soumettre est une activité ; ce n'est pas une passivité, le fait d'une oppression subie. Quand Mectilde déclare : «Je n'ai plus de volonté», tout le contexte prouve qu'elle a de la volonté ; mais elle veut dire qu'elle n'agit plus que «par rapport à Jésus Christ». Les observances, dit-elle encore, sont «porteuses de grâce», non en elles-mêmes, mais si on les pratique «en vue de Jésus Christ». Aussi les formules qui louent la «liberté entière» sont-elles aussi énergiques que celles qui prônent l'obéissance.
A propos de toutes les observances particulières, Mectilde considère, plutôt que l'exactitude superficielle, la profondeur. Ne négligez jamais «un petit reproche intérieur», il vous ouvre à la grâce. «Rectifiez vos intentions» ; en ce domaine il n'y a point de limites aux exigences de Dieu et de celle qui conseille en vue de lui. Puis tout le reste est modération. Autant Mectilde a son franc parler quand l'abnégation manque, autant elle sait alors rappeler, non seulement la bonté, la miséricorde de Dieu, mais aussi sa justice et sa vérité, autant elle sait prêcher la joie, la sécurité et la paix, libérer ses moniales et ses amies de tout souci excessif de l'austérité. Elle a le sens des faiblesses physiques : «Ne vous privez pas de fruits, vous avez besoin d'un peu de rafraîchissement. Prenez aussi du vin avec votre eau. Mangez, et vous tenez joyeuse, car pour servir Dieu, il faut une sainte liberté, qui procède d'un coeur dégagé...» Et à propos d'une autre religieuse, elle écrit à sa supérieure : «Consultez les médecins pour son carême, je ne la crois pas capable de le faire».
Avec la modération vont de pair la miséricorde, l'indulgence, la compassion : «Soyez tendre aux souffrances du prochain» et encore : «Vous ne gagnerez rien, qu'en cédant toujours». Ce sens aigu des limites de toutes et de tous fait trouver à Mectilde une traduction charmante du multorum servire moribus de saint Benoît : «se proportionner aux humeurs» de chacune et de toutes. Enfin, le sentiment du «besoin des âmes», qui s'exprime si intensément dans les volumes de correspondance, n'est point absent de ce que dit Mectilde, à l'occation de la Règle, à propos de la prière, des conversations au parloir, des lettres à écrire.
Son sens pratique, son désir de servir apparaissent dans les efforts qu'elle entreprend pour faire supprimer la dot, alors condition d'ad-
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mission pour les moniales de choeur ; mais elle a bien conscience que libérer l'Église de cette fâcheuse tradition «ne peut ê,tre qu'une faveur de Dieu». Elle a été maintenant obtenue, du moins presque partout. Mectilde était en avance de trois siècles.
VI. ENVOI
En rédigeant cette introduction, la tentation était constante de citer de plus nombreux et plus larges extraits des textes qui vont suivre. Mais le choix était difficile, car beaucoup s'imposaient à l'admiration. Mieux valait laisser au lecteur la surprise de découvrir des trouvailles inattendues - parfois dignes de figurer dans un recueil de ces Apophtegmes qu'ont laissé non seulement les Pères du Désert, mais, au Moyen Age, un saint Bernard 8 , et, plus tard, les Mauristes 9 . Mectilde fait parfois allusion aux textes des Pères qu'on lisait en communauté, à l'office : n'oublions pas qu'à l'arrière-plan de ses écrits se trouve l'érudition des Mauristes. Elle cite rarement des noms d'auteurs comme Augustin et Condren. Mais elle en connaît d'autres, soit de première main, soit parce qu'ils sont ceux que fréquentaient les milieux monastiques de son temps. Parmi les modèles bibliques, elle va d'emblée à ceux auxquels la tradition avait reconnu une signification spéciale pour les moines et les moniales : Abraham, saint Jean, saint Paul, la Madeleine.
Dans la direction spirituelle que, comme tant d'autres femmes, elle a exercée dans l'Église, elle a excellé à donner des conseils très pratiques, pleins de pénétration psychologique et de bon sens.
Mais il y a en ses écrits beaucoup plus que cela : un authentique enseignement spirituel. Ce qui la distingue pourrait se caractériser en très peu de mots : une mystique de la présence continuelle à Dieu grâce à la pauvreté du coeur. Non que ceci lui soit propre ; elle l'a en commun avec les plus grandes parmi les témoins de la théologie spirituelle. Cependant, pour en parler, elle trouve, un accent de foi intense qui rend son message à la fois utile à ses contemporains et valable pour nous. Une foi qui va jusqu'à lui faire «congratuler» une défunte enfin arrivée, «parvenue», comme dit saint Benoît dans le dernier mot de sa Règle. Tel est le but vers lequel tend cette «conversion des moeurs» à laquelle tant d'interprètes de la Règle ont fait de grands efforts pour trouver un sens acceptable. Elle dit simplement que saint Benoît, spécialement au chapitre IV, Sur les instruments des bonnes oeuvres, nous «apprend à réprimer nos moeurs par les vertus». Et à la fin, à propos du dernier chapitre de la Règle, elle rapprochera encore une fois, en une synthèse magnifique, toutes les grandes réalités qui doivent pénétrer notre vie : l'Incarnation, l'Évangile, l'Esprit, l'Église, l'Eucharistie (n° 2636).
«Tout le monde veut être spirituel, et encore de la plus fine spiritualité». Mectilde attribue à ce vieux terme du langage chrétien l'authentique signification selon laquelle il désigne ce qui s'oppose, non à la matière ou à la «corporalité» - on a vu qu'elle se soucie des santés -, mais à la vie selon la chair, c'est-à-dire la nature en tant qu'inclinée au péché. Au XVIIe siècle, on abusait parfois de termes comme «spiritualité», «mystique», «amour», au point que certains auteurs se croyaient obligés de les faire précéder de qualificatifs : «pur amour», «vraie mystique». Mectilde sourit discrètement de cette sorte de mode, et c'est sans doute parce qu'elle est avertie de ses dangers qu'elle n'emploie guère ce vocabulaire. Pour elle, conformément au langage de saint Paul, la «fine spiritualité» consiste à vivre selon l'Esprit du Christ, et voilà ce qu'elle exige d'un bout à l'autre de ces textes, avec une simplicité qui ne laisse pas de doute sur la qualité d'expérience qui sous-entend le message: Point de rhétorique inutile : «L'humilité ne consiste pas à avoir des pensées humbles, mais à soutenir le poids de sa vérité, qui est l'abîme de notre extréme misère quand il plaît à Dieu de nous la faire connaître...». Tel est vraiment le charisme de Mère Mectilde : «Dieu m'a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes peinées et affligées, en sorte que je les ai toujours présentes d'esprit... Il me semble que Dieu m'ait faite pour de telles âmes...». N'est-ce point pourquoi nous la sentons si proche de nous ?
J. LECLERCQ Moine de Clervaux
NOTES
1.- Sur le contexte historique dans lequel écrit Mère Mectilde, sur certaines sources, et sur d'autres points auxquels il ne sera possible ici que de faire allusion, j'ai donne des indications sous les titres : Une école de spiritualité bénédictine datant du XV& siècle :les Bénédictines de l'Adoration Perpétuelle dans Studio monastica, 18 (1977), p. 433-453, et Lumières nouvelles sur Catherine de Bar, ibid. 20 (1978), P. 397-409.
18 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 19
2.- Par exemple A. Chapelle, S.J., L'adoration eucharistique et la réparation dans Vie consacrée, 46 (1974), p. 338-354.
3.- Sous le titre La royauté du Christ dans la spiritualité française du XVIle siècle, dansLa vie spirituelle, Supplément, I (1947), p. 216-229 et 291-307, j'ai cité des textes.
4.- Cf. L Gougaud, Muta praedicatio, dans Revue bénédictine, 42 (1930), p. 170-171.
5.- Cf. La royauté du Christ, loc. cit.
6.- Ceci a éte montré par A. Borias, Le Christ dans la Règle de saint Benoît, dans Revue bénédictine, 82 (1972), p. 109-132.
7.- B. Gallner, Regula emblematica S. Benedicti, Vienne, 1780.
8.- B. Ward, Apophetegmata Bernardi, dans The Influence of St. Bernard, Oxford, 1976, p. 134-143, et J. Leclercq, dans Collectanea Cisterciensia, 40 (1978), p. 147-149.
9.- La Vie des Justes, Dom Martène, dans Archives de la France monastique, vol. XXVII à
XXX, Ligugé, 1924 -1926. VIE
DE CATHERINE DE BAR
1614 - 1698
DE L'ENFANCE AUX CLOITRES DANS LA TEMPETE
(1614 — 1639)
Catherine de Bar - la future Mère Mectilde - naquit à Saint-Dié, au duché de Lorraine, le 31 décembre 1614, dans une famille de robe fort pieuse et qui, à cette époque de la Contre-Réforme catholique, manifestait une ardente dévotion envers l'Eucharistie. Très jeune, elle perdit sa mère. Son père dirigea alors son éducation et fit donner à l'enfant, dont il appréciait l'intelligence pénétrante, une solide instruction.
Dès son âge le plus tendre, Catherine fut attirée par la vie religieuse. Repoussant de beaux partis qui s'offraient à elle, elle arracha finalement l'autorisation d'entrer, en novembre 1631, au monastère des Annonciades de Bruyères, à six lieues de Saint-Dié.
Admise à la profession en 1633 sous le nom de Mère Saint-Jean l'Evangéliste, elle se fit remarquer par son obéissance, son humilité et ses austérités, au point qu'à l'âge de vingt ans, elle fut désignée pour diriger le couvent. Deux ans plus tard, les tribulations commençaient : les troupes françaises, accourues au secours des Suédois lors de la guerre de Trente Ans, envahirent la Lorraine, saccagèrent
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Bruyères et le monastère. Les Annonciades cherchèrent refuge à Saint-Dié, à Badonviller, à Epinal et à Commercy, pour revenir finalement à Saint-Dié, où Jean de Bar offrit à sa fille et à ses religieuses un asile provisoire en sa propre maison.
C'est alors que mère Bernardine de la Conception, prieure des Bénédictines réformées de Rambervillers, proposa aux exilées une partie de son cloître. Au cours de leur séjour (1638-1639), la prieure suggéra à Mère Saint-Jean d'embrasser la Règle de Saint-Benoît. Notre religieuse, approuvée par le Visiteur de la Congrégation réformée de Saint-Vanne, dom de l'Escale, abandonna la blanche robe des Annonciades pour revêtir l'habit noir des Bénédictines, le 2 juillet 1639, et prendre le nom de Soeur Catherine de Sainte-Mectilde.
Avec Mère Bernardine, sa prieure, Mère Mectilde vint s'y fixer en août 1643, et les religieuses, aumônées par de nobles dames, y ouvrirent un pensionnat.
Mais voici que, sur le conseil de dom Quinet, on réclamait Mère Mectilde comme prieure du monastère des Bénédictines du Bon-Secours, à Caen. Elle y séjourna du 28 juin 1647 au 26 août 1650. Après avoir- réorganisé cette maison au cours de son triennat, elle regagna Rambervillers, son monastère de profession. Les troupes françaises l'en expulsèrent une nouvelle fois. Avec quatre autres moniales, elle rejoignit Paris, où, rue du Bac, en mars 1651, elle retrouva les Soeurs de Saint-Maur, chassées de leur cloître par les troubles de la Fronde.
LA BENEDICTINE ERRANTE (1640 - 1651)
A peine avait-elle prononcé ses voeux, le 11 juillet 1640, que Rambervillers fut dévasté par les Suédois, qui exigèrent de la ville une rançon si exorbitante que le monastère fut plongé dans la misère. En septembre 1640, afin d'alléger les charges de la communauté, Mère Mectilde et deux autres religieuses furent envoyées à Saint-Mihiel, mais elles y connurent, là encore, une détresse qui émut un lazariste, délégué par M. Vincent pour secourir la malheureuse Lorraine. Grâce à ce charitable messager, Marie de Beauvillier, abbesse réformatrice de Montmartre, accepta de recevoir Mère Mectilde en son abbaye (30 août 1641).
Le 10 août 1642, Mère Mectilde partit pour la Normandie, où elle pensait rassembler les moniales de Rambervillers, chassées de leur pays par les combats et la disette. Quatre Bénédictines lorraines vinrent donc s'installer à Barbery, non loin de Caen, près d'une abbaye cistercienne que dirigeait dom Louis Quinet. C'est là que la Mère connut les mystiques normands : MM. de Rocquelay, de Renty, Jean de Bernières surtout, mais aussi saint Jean Eudes et l'archidiacre d'Evreux, M. Boudon.
Bientôt, un jésuite, le Père Bonnefonds, signala à nos moniales une vaste maison sise à Saint-Maur-des-Fossés, dans les environs de Paris.
L'ADORATION PERPETUELLE (1651 - 1661)
Dans ce couvent improvisé, les religieuses lorraines vivaient dans un affreux dénuement, quand leur compatriote, Marguerite de Lorraine, soeur du duc régnant Charles IV et épouse de Gaston d'Orléans, apprit leur présence dans la capitale. Des grandes dames de l'entourage de la princesse, dont la comtesse de Châteauvieux, vinrent à leur aide. C'est alors que l'abbé Gontier, trésorier de la Sainte-Chapelle et vicaire général de Langres, suggéra à Mère Mectilde d'établir dans son logis l'Adoration perpétuelle. La création d'une congrégation vouée au culte du Saint-Sacrement et à la réparation des sacrilèges commis à son égard par les Huguenots, les libertins et les sorciers, hantait alors bien des âmes pieuses. Mme de Châteauvieux et ses amies pressèrent la Mère de fonder, à Paris même, un monastère de Bénédictines réformées qui «seraient incessamment occupées à l'Adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, en sorte qu'il y eût toujours une religieuse en adoration». La comtesse obtint des lettres patentes, recueillit l'argent nécessaire, et le contrat de fondation fut signé le 14 août 1652.
Une fois satisfaites, les exigences des moines de Saint-Germain-des-Prés, l'appui d'Anne d'Autriche, à la suite d'un voeu formulé sur sa demande, lors de la Fronde, par M. Picoté, curé de Saint-Sulpice, triompha des dernières difficultés. Le 25 mars 1653, en la fête de
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l'Annonciation, eut lieu, rue du Bac, la première exposition du Saint-Sacrement. L'Institut regarde ce jour comme la première solennité de l'Adoration perpétuelle. Mais ce fut seulement le jeudi 2 mai 1654, que, rue Férou, où les religieuses s'étaient transportées, fut établie la clôture. Le soir, au salut, Anne d'Autriche, agenouillée devant l'autel, lut l'acte de réparation. Alors débuta vraiment l'Adoration perpétuelle, cependant que les moniales prenaient le nom de Bénédictines du Saint-Sacrement. Le 22 août suivant, Mère Mectilde proclama la Vierge Marie seule abbesse et supérieure perpétuelle de l'Institut.
En janvier 1658, toujours secondée par Mme de Châteauvieux, la Mère Prieure acquit un vaste terrain rue Cassette et y construisit un monastère digne de ce nom. Les religieuses en prirent possession le 21 mars 1659, en la fête de Saint-Benoît. La communauté comprenait alors dix-huit professes et trois novices.
LES DÉBUTS D'UNE CONGRÉGATION (1661 - 1698)
Pour affermir son oeuvre, Mère Mectilde conçut l'idée d'établir une véritable congrégation. Les supérieurs de Saint-Germain-des-Prés lui conseillèrent alors d'agréger à son Institut ou de créer deux ou trois monastères. C'est ainsi que, le 7 décembre 1664, elle fonda une maison à Toul et que, le 24 avril 1666, elle eut la joie d'agréger son cher monastère de Rambervillers. Le 25 mai 1668, le cardinal de Vendôme, légat en France de Clément IX, approuva la nouvelle Congrégation de l'Adoration perpétuelle. En juillet 1670, Louis XIV délivra les lettres patentes et décerna à l'Institut le titre de fondation royale.
Le 8 août 1669, Mère Mectilde avait agrégé le monastère de Notre-Dame de Consolation, à Nancy. Pendant ce temps, dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain, rédigeait, en s'inspirant du modèle mauriste, les Constitutions, que la Mère retoucha de 1673 à 1675 avant de les faire imprimer en 1677. Le 10 décembre 1676, par la bulleMilitantis Ecclesiae, Innocent XI avait confirmé l'acte du cardinal de Vendôme et érigé officiellement en congrégation les monastères de l'Adoration perpétuelle.
Après avoir installé la maison de Rouen le 1 er novembre 1677, Mère Mectilde, en 1684, ouvrit un second monastère parisien, en l'hôtel de Turenne, au Marais. Puis elle agrégea le Bon-Secours de Caen (1685) et, peu avant sa mort, envoya ses Filles à Varsovie (1688), à Châtillon-sur-Loing (1688) et à Dreux (1696).
Les tracas que donnait à la fondatrice l'implantation et l'animation de toutes les maisons s'accompagnaient, pour cette âme vouée à l'état de victime, d'humiliations et de souffrances continuelles. Aux ennuis qui l'assaillaient de partout s'ajoutaient les infirmités de l'âge. Pourtant, elle ne cessait d'encourager ses religieuses dans leur vocation d'adoratrices et de réparatrices et de leur donner l'exemple jusqu'au bout.
Le dimanche de Quasimodo, 6 avril 1698, elle reçut le viatique : «J'adore et me soumets», murmura-t-elle. Et elle recommanda une dernière fois à ses Filles de se jeter avec confiance dans les bras de la Sainte Vierge. Puis elle s'éteignit paisiblement, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Un masque mortuaire émouvant nous permet, aujourd'hui encore, d'admirer la sublime noblesse de ses traits.
Durant toute sa vie religieuse, Mère Mectilde, tant par sa stricte observance de la Règle que dans ses écrits, s'était révélée une parfaite disciple de Saint-Benoît.
J. Daoust
Docteur ès Lettres
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NOTE PRÉLIMINAIRE
Au mois de juin 1978, les Mères Prieures des monastères français de l'Institut des Bénédictines du Saint Sacrement, au cours de leur réunion fédérale, avaient envisagé, à l'occasion du quinzième centenaire de la naissance du Patriarche des moines d'Occident, d'éditer un certain nombre de textes de Mère Mectilde commentant la Règle de saint Benoît.
Le volume que nous publions est l'oeuvre de tous les monastères. Les textes de Mère Mectilde se rapportant à la Règle ont été distribués entre les différentes Maisons qui les ont étudiés, le plus souvent en communauté.
Au début de 1979, nous recevions les résultats de ce travail. Chaque texte retenu avait été relevé en fonction du chapitre ou du verset de la Règle auquel il se rapportait.
«L'équipe des Écrits» a ensuite rassemblé, classé, collationné tous ces passages, ne conservant que les meilleurs commentaires. Il reste donc beaucoup d'autres passages de Mère Mectilde ayant trait à la Règle et qui ne se trouvent pas dans cet ouvrage, soit parce qu'ils ne sont que des redites, soit parce qu'ils n'ajoutent rien d'essentiel à ce qui est déjà dit ici même.
Nous avons voulu montrer combien Mère Mectilde était imprégnée de l'esprit de saint Benoît, à quel point elle l'avait compris et comment elle s'était assimilé sa pensée, y apportant cependant la note de son propre charisme. C'est pourquoi nous n'avons pae fait figurer dans ces commentaires tous les passages des Constitutions ou du Coutumier qui ne sont qu'une adaptation de la Règle à l'usage des moniales et, portant la marque du XVIIe siècle, ont perdu beaucoup de leur valeur aujourd'hui.
La traduction de la Règle est celle qu'a éditée l'abbaye de Maredsous. Nous la reproduisons ici avec la bienveillante autorisation du Révérendissime Père Abbé. Nous ne donnons d'ailleurs que les chapitres correspondant aux commentaires retenus et, dans ces chapitres, nous avons omis les versets non commentés. Ce ne sont donc que des extraits de la Règle, reproduits ici pour faciliter la compréhension du texte de Mère Mectilde.
A la suite de chaque commentaire, nous avons indiqué :
1.— le numéro du texte entier dans le fichier alphabétique des oeuvres de Mère Mectilde, fichier qui permet de retrouver rapidement le texte intégral.
2.— la destinataire ou la nature du texte, ainsi que sa date, dans la mesure du possible.
Plusieurs passages sont extraits des Constitutions manuscrites, mises en application par Mère Mectilde elle-même, ainsi que du Cérémonial, lui aussi manuscrit. Pour ce dernier nous avons utilisé celui qui était en usage dans les monastères lorrains et que conserve actuellement le monastère de Bayeux ; il en est de même pour le Coutumier.
La Journée religieuse manuscrite porte en tête : «Pensées et intentions de notre très Révérende Mère Institutrice sur notre Institut, qu'elle mit par écrit pour en donner quelque idée à celles qui s'y engageraient, en attendant qu'elle eût dressé les Constitutions». Nous ne possédons plus le document autographe, mais nous en gardons deux copies, à peu près identiques, conservées, l'une dans notre monastère de Rouen, l'autre au monastère de Bayeux.
Tous les textes imprimés dans cet ouvrage sont inédits, à l'exception de deux courts extraits du Véritable Esprit des Religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint Sacrement de l'autel (Edme Couterot, Paris, 1684) et d'un fragment d'une lettre, adressée à Mère Marie de Sainte Agnès Camuset à Rouen, parue
\dans le volume : Catherine de Bar, fondation de Rouen (Rouen, 1977, p. 195). Cet ouvrage est le troisième que nous avons donné au public, concernant Mère Mectilde, ce qui porte présentement à 535 le nombre des lettres éditées.
Pour composer cet ensemble de commentaires, nous avons parfois utilisé plusieurs parties d'un même texte. Pour permettre, le cas échéant, de reconstituer le texte complet ou partiel, nous avons dressé une table numérique, indiquant les citations, non pas dans l'ordre des chapitres de ce livre, mais telles qu'elles se présentent dans le manuscrit.
La table analytique regroupe sous un même chef les différents aspects d'une pensée très riche et qui ne se laisse jamais enfermer dans des catégories trop étroites. Nous pouvons ainsi mieux saisir les divers points de vue de Mère Mectilde sur les fondements de la vie monastique et les éclairer l'un par l'autre. Comme dans les deux ouvrages précédents, cette table voudrait surtout inviter à une étude plus complète. Le travail accompli déjà dans nos monastères, notamment à l'occasion de la préparation en commun de ce livre, nous est une preuve de l'intérêt puissant que peut susciter aujourd'hui encore la pensée de notre fondatrice et montre bien quelle riche sève monastique circule dans tous ses écrits.
SAINT BENOIT ET SA REGLE
ai vu que notre glorieux Père saint Benoît était une vive image et expression de la sainteté de Jésus Christ, et que tous ses enfants glorieux avaient puisé en lui une grâce singulière de sainteté ;
que Dieu avait communiqué sa sainteté à saint Benoît pour lui et pour ses enfants, et qu'il a eu une plénitude de l'esprit de Jésus Christ, qui est l'esprit de tous les justes ; qu'une religieuse bénédictine devait puiser en saint Benoît une plénitude de grâce parce qu'il l'avait reçue pour la communiquer à ses enfants.
qu'aucune ne se perfectionnerait que par un secours particulier de ce grand saint ;
qu'il avait coopéré avec le Saint Esprit à la sainteté de tous les saints de son Ordre.
n 848 A la comtesse de Châteauvieux, 13 novembre.
t
La vie de saint Benoît a été si conforme à celle de Jésus Christ que l'on, peut dire qu'elle en a été une des plus dignes copies, et qu'il a pu dire avec saint Paul : fie ne vis plus, mais c'est Jésus Christ qui vit en moi)...
Représentez-vous, mes Soeurs, voir ce petit saint sortant de la maison paternelle, méprisant tons les avantages de sa naissance, prévenu d'une lumière et d'une grâce si forth qu'il reconnaît que rien ne doit être préféré à Dieu ; il quitte toutes les grafitleurs, les richesses, sans y faire de réflexion, et sans y avoir même depuis audin retour, prévenu qu'il est que rien n'est grand que Dieu. Tout le reste, en cofilparaison, lui paraît si peu de chose qu'il compte tout pour rien, hors le bcifiheur de posséder Dieu. C'est ce qui l'oblige à prendre la fuite et le chettli@t dans la solitude. Il sort de sa maison et s'abandonne à la Providence sans avoir égard à ce qu'il deviendra, ni savoir où il ira. Si on lui eût demandé pour lors ce qu'il cherchait et ce qu'il prétendait, il eût sans doute répondu qu'il cherchait Dieu et qu'il pouvait seul contenter ses désirs. Admirez son courage, et non seulement les avantages et les grandeurs qu'il quitte, mais encore l'oubli qu'il fait de lui-même, et la guerre qu'il se déclare par les veilles,
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les jeûnes, les austérités qu'il a pratiqués dans cette affreuse solitude dans sa plus tendre jeunesse, dont Dieu seul a été témoin. Ah ! si nous pouvions pénétrer dans la profondeur de ce rocher pour voir ce qu'il fait, quelles sont ses occupations et de quoi il s'entretient dans son profond désert, nous n'en sortirions que remplies d'admiration ! Ce n'est pas sans raison qu'il porte ses enfants et qu'il les exhorte en toutes rencontres à la solitude. Il en connaît mieux que personne les avantages, ayant été un parfait solitaire.
n° 2291 Conférence sur la fête de notre glorieux Père saint Benoît.
Ce n'est pas une petite grâce d'avoir un Père si saint. Et comme les pères qui aiment leurs enfants sont réjouis de leur bonheur et le leur procurent autant qu'ils peuvent, nous ne devons pas douter que ce grand saint ne favorise ses enfants... II faut donc vivre dans l'esprit de sainteté de notre Père. Dieu ne nous dit-il pas aussi : «Soyez saints comme je suis saint) ? Ne sentons-nous pas cette grâce en nous qui nous dit sans cesse ces mêmes paroles : «Soyez saints parce que je suis saint) ?
n 3129 Conférence de la veille de la fête de notre glorieux Père saint Benoît.
Nous ne parlons point ici de la dévotion que nous devons avoir à notre glorieux Père saint Benoît ; c'est assez de savoir qu'il est notre Père et que nous lui appartenons singulièrement, puisque nous militons sous sa sainte Règle, et qu'il nous apprend d'une manière admirable le parfait anéantissement. Nous y ferons un progrès merveilleux si nous l'imitons en sa vie et si nous observons ses préceptes, si bien exprimés en sa sainte Règle.
Journée religieuse.
Pour notre glorieux Père saint Benoît, dont nous faisons lundi la fête, il est saint par excellence, ayant été rempli de l'esprit de tous les justes. C'est l'éloge que lui donnent les saints Pères. Que disent-ils ? Lisez la Règle de saint Benoît ; elle contient toute la perfection et la perfection par éminence. On la nomme tout court dans Rome : la sainte Règle. Tous les autres instituteurs y ont puisé quelque chose. Il ne s'en trouve point où l'on n'ait diminué ou augmenté ; il n'y a que celle de saint Benoît qui soit demeurée dans sa première institution ; elle a été composée par le Saint Esprit. Quel honneur pour vous, mes Soeurs, d'être les enfants d'un si digne Patriarche ! Que vous ne le soyez pas seulement de nom et d'habit, mais par imitation ! Vous ne pouvez mieux honorer notre bienheureux Père qu'en pratiquant sa sainte Règle... Ce n'est point assez de la porter dans vos pochettes, de la mettre sur vos coeurs, il en faut prendre l'esprit... Elle est toute fondée sur l'Évangile et sur l'Écriture. Se peut-il rien de plus saint ? Ce sont les paroles de Jésus Christ...
Quand je vous dis que saint Benoît est dans un degré de gloire très excellent et éminent, ne croyez pas que j'exagère. Non, mes Soeurs, il est reconnu de toute l'Église comme le plus grand Législateur et Patriarche... Que vous êtes obligées à Dieu de vous avoir fait les filles d'un si digne Père !
no 3128 Chapitre.
Je ne vous dirai pas, mes Soeurs, avec quelle ferveur nous devons célébrer la fête de notre grand Patriarche. Il suffit bien pour nous exciter à l'honorer de savoir qu'il est notre Père et notre Législateur, que le mystère de l'adorable Eucharistie auquel nous avons le bonheur d'être dévouées a fait tout l'amour de son saint coeur sur la terre, tellement que c'est Jésus Hostie qui l'a ravi à lui-même pour l'enlever au ciel. Saint Benoît, expirant au pied de l'autel comme une victime immolée au très Saint Sacrement, a légué son âme au pied de l'autel et lui a en même temps dévoué tout son Ordre. Ne peut-on pas dire que c'est à la grâce de cette consécration que ses disciples ont dù de combattre si généreusement les ennemis de ce sacré mystère et d'être les hérauts de la gloire du très Saint Sacrement ? Mais il ne suffisait pas à ce saint Patriarche que ses Fils publiassent hautement les merveilles du Sacrement adorable de l'Eucharistie, il fallait encore que ses Filles y fussent consacrées, en esprit d'hommage et de réparation, et que la dévotion de ce grand saint se perpétuât ainsi dans son Ordre jusqu'à la consommation des siècles. Conservons avec amour et reconnaissance l'héritage et la bénédiction qu'il a daigné nous laisser en mourant.
no 1234 Conférence pour la fête de notre Père saint Benoît.
Notre sainte Règle renferme la perfection des commandements de Dieu, des conseils et du saint Évangile, et qui la méditera comme il faut, trouvera qu'elle contient l'abrégé de la perfection.
"no 372 Chapitre.
Méditez votre sainte Règle, et croyez que la moindre chose qu'elle vous ordonne c'est la volonté de Dieu qu'elle vous prescrit jusqu'à un point. Pratiquez-la dans cette vue et tout vous sera facile.
no 2812 Chapitre, 25 septembre 1671.
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Surtout, je vous prie, soyez exactes à l'observance de votre sainte Règle, n'estimez rien de petit, afin que par votre fidélité en tout vous receviez la grâce que Dieu a attachée à tous les exercices de la sainte Religion. Faites grand cas du silence et de l'obéissance tant recommandés par notre glorieux Père saint Benoît, et sachez que ce sera sur la Règle que vous serez examinées au jour du Jugement. On vous demandera si vous avez observé la Règle et rempli la grâce de votre vocation... Lisez donc notre sainte Règle, méditez-la souvent, et je vous assure que, si vous l'observez, vous serez parfaites.
n° 1776 Chapitre.
[Voyez] quelle estime on a des Règles et Constitutions, et si l'on est soigneuse de les lire avec application pour tâcher d'en pénétrer le véritable esprit avec un désir sincère de les pratiquer, ou si, au contraire, on les lit par coutume et sans attention, et si par négligence ou mépris on manque de les lire.
Journée religieuse.
Elles prieront surtout notre glorieux Père saint Benoît pour lui demander l'esprit de notre sainte Règle.
PROLOGUE
Écoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l'oreille de ton coeur. Reçois volontiers l'enseignement d'un si bon père et mets-le en pratique ; afin de retourner par l'exercice de l'obéissance à celui dont t'avait éloigné la lâcheté de la désobéissance. C'est à toi donc maintenant que s'adresse ma parole, à toi, qui que tu sois, qui renonces à ta volonté propre et prends les fortes et nobles armes de l'obéissance, pour combattre sous l'étendard du Seigneur Christ, notre véritable Roi.
Avant tout, demande-lui par une très instante prière qu'il mène à bonne fin tout bien que tu entreprends, en sorte que, après avoir daigné nous admettre au nombre de ses enfants, il n'ait pas sujet, un jour, de s'affliger de notre mauvaise conduite. Car, en tout temps, il faut avoir un tel soin d'employer à son service les biens qu'il a mis en nous, que non seulement il n'ait pas lieu, comme un père offensé, de priver ses fils de leur héritage, mais encore qu'il ne soit pas obligé, comme un maitre redoutable et irrité de nos méfaits, de nous livrer à la punition éternelle, tels de très mauvais serviteurs qui n'auraient pas voulu le suivre pour entrer dans la gloire.
Journée religieuse. es religieuses bénédictines, aussi bien que les religieux, peuvent apprendre et reconnaître clairement l'excellence de leur sainte vocation par la lecture de ce prologue et l'étroite obligation que toutes ont d'y correspondre fidèlement, en s'avançant de jour en jour [dans] en la perfection où Dieu les appelle par l'exacte observance de leur sainte Règle.
n° 2082 Pensées sur l'Institut
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Voilà les effets de la malignité du péché originel qui nous a détournées de Dieu et converties à nous-mêmes, en telle sorte qu'il faut faire une étrange violence pour nous en détourner. Mais avec tout cela, courage ! Il ne faut pas s'étonner pour nous voir pleines d'oppositions. La grâce de Notre Seigneur Jésus Christ triomphera en nous. Elle nous est donnée au saint baptême pour cet effet.
n 345 et 561 A la comtesse de Châteauvieux.
Il faut donc désormais que vous fassiez tout le contraire de ce que vous avez fait par le passé. La vanité, votre propre esprit vous ont retirée de Jésus et, par conséquent, séparée de Jésus : il faut que 4 fidélité à l'observance régulière et à l'obéissance vous y attache inviolablement ; il ne faut rien négliger et n'estimer rien de petit ; tout est grand, tout est saint dans la Religion, il n'y a pas une observance, une action, pour petite qu'elle paraisse, qui ne porte sa grâce et sa bénédiction lorsqu'elles sont faites comme il faut.
n° 3059 Chapitre à novice, Soeur Marie du Saint Sacrement Hardy, rue Cassette, 26 mars 1660.
Je dirais volontiers une chose surprenante à plusieurs, que comme le grain de froment ne fait nulle coopération à sa renaissance, ou à sa nouvelle vie, que de demeurer en terre, et de pourrir ; que l'âme doit aussi demeurer ensevelie dans la terre de son propre néant, et de sa propre corruption, attendant avec une patience éternelle (c'est-à-dire prodigieuse) le point de sa résurrection ; car ce germe de vie cachée en elle-même, sans qu'elle le découvre en ce temps-là, ne peut perdre sa vie dans cette terre, parce qu'il est vie ; Ego sum vita, et essentiellement vie, et que si l'âme par le péché n'étouffe et n'arrache ce germe précieux de vie, il poussera et fera une renaissance admirable en l'âme ; mais il faut remarquer que le grain de froment est demeuré pourri dans la terre, et qu'il n'y a eu que son germe qui a produit ; de même l'âme demeure comme ensevelie et perdue dans la terre de son néant, et ce germe de vie, Jésus Christ, pousse et produit en l'âme des choses ineffables, et qui ne se peuvent dire : Il faut donc que l'âme demeure toujours dans la mort, jusqu'à ce qu'elle soit passée en Jésus Christ comme en la source de la vie, et qu'elle attende qu'il se produise lui-même en elle comme vie : Le grain de froment est la comparaison que le Fils de Dieu nous a donné en l'Évangile, et il se l'appioprie à lui-même.
Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar, Véritable Esprit, Paris, 1684.
Nous voulons que Dieu fasse des miracles pour nous rendre parfaites, sans qu'il nous en coûte rien ! Non, non, il ne le fera pas ! Il nous a donné des Règles; c'est à nous de les suivre, sans prétendre de voler sans [elles]. L'on s'étonne de tant de personnes qui souhaitent la perfection ; il y en a si peu qui y arrivent ; c'est qu'elles la souhaitent d'une autre manière que Dieu ne veut et, comme nous nous faisons une voie selon notre propre esprit, tout notre travail n'étant pas secondé de la grâce, il est inutile. Exemple : Dieu vous veut petite, et vous voulez être élevée ; il vous veut dans le combat d'une passion, d'une habitude, et vous voudriez en être affranchie sans travailler. Que celles qui sont dans les combats aient patience et prennent courage, c'est trop de bonheur pour elles de mourir ainsi. Ayons pour ce sujet recours au Saint Esprit, c'est son ouvrage que la sanctification des âmes.
no 414 a Conférence pour le jour de la Pentecôte.
Il faut recourir à Dieu, lui demander son secours, sans lequel nous ne sommes capables de rien. Le besoin que nous avons de Dieu pour remplir nos devoirs est si grand qu'il nous est impossible d'être fidèles sans une grâce particulière.
no 950 Conférence, 1695.
Levons-nous donc, enfin, l'Écriture nous y invite : «L'heure est venue. dit-elle, de sortir de notre sommeil». Ouvrons les yeux à la lumière qui divinise. Ayons les oreilles attentives à l'avertissement que Dieu nous adresse chaque jour : «Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs», et ailleurs : «Que celui qui a des oreilles, entende ce que l'Esprit dit aux Églises». Et que dit-il ? «Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Courez, pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent».
Le Seigneur cherchant son ouvrier dans la multitude du peuple à laquelle il fait entendre ces appels, dit encore : «Qui est celui qui désire la vie et souhaite de voir des jours heureux ?» Que si. à cette demande, tu lui réponds : «C'est moi», Dieu te réplique : «Si tu veux jouir de la vie véritable et éternelle, garde ta langue de tout mauvais discours et tes lèvres de toute parole trompeuse ; détourne-toi du ma! et fais le bien ; cherche la paix avec ardeur et persévérance. Et lorsque vous agirez de la sorte, mes yeux veilleront sur vous et mes oreilles seront attentives à vos prières, et avant méme que vous ne m'invoquiez, je vous dirai : Me voici». Quoi de plus doux, mes très chers frères, que cette voix du Seigneur qui nous invite ? Voyez comme le Seigneur lui-même, dans sa bonté, nous montre le chemin de la vie.
Ceignons donc nos reins de la foi et de la pratique des bonnes oeuvres ; sous la conduite de l'Évangile, avançons dans ses chemins, afin de mériter de voir un jour Celui qui nous a appelés dans son royaume. Si nous voulons habiter dans le tabernacle de ce royaume, sachons qu'on n'y parvient que si l'on y court par les bonnes actions.
Mais interrogeons le Seigneur en lui disant avec le prophète : «Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle ? Qui reposera sur votre montagne sainte ?» Après cette demande, mes frères, écoutons la réponse du Seigneur ; il nous montre la route de ce tabernacle en disant : «C'est celui qui marche sans tache et accomplit la justice ; celui qui dit la vérité du fond de son coeur, qui n'a pas commis le dol par sa langue, qui n'a pas fait de tort à son prochain, ni accueilli des discours injurieux contre lui». C'est celui qui rejette loin des regards de son coeur l'esprit malin qui le tente, et les suggestions qu'il lui souffle, les réduit à rien, saisit les premiers rejetons de la pensée diabolique et les brise contre le Christ. Ce sont ceux qui, craignant le Seigneur, ne s'enorgueillissent pas de leur bonne observance. mais qui, reconnaissant que le hien qui se trouve en eux vient de Dieu et non d'eux-mêmes, glorifient le Seigneur qui opère en eux, et lui disent avec le prophète : «Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à votre nom donnez la gloire». De même l'apôtre saint Paul ne s'est rien attribué du succès de sa prédication, mais disait : «C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis», et encore : «que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur».
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Soyez attentive à sa divine voix, écoutez ses inspirations et sacrifiez-vous à lui pour tout ce qu'il lui plaira.
n° 1166 A Mademoiselle Loyseau.
Gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs, ainsi qu'il est dit dans notre sainte Règle. Oui, mes Soeurs, négliger une inspiration ou un petit reproche intérieur de nos consciences qui nous dit de ne point faire telles choses, c'est endurcir nos coeurs et fermer nos yeux à l'étoile de la grâce, et c'est le dernier malheur.
ri° 431 Conférence pour la fête de l'Épiphanie, 5 janvier 1663.
Je disais tantôt qu'il fallait sortir de chez soi, de l'amour et estime de soi-même, et vous, je vous dis que vous rentriez chez vous dans votre intérieur, vous tenant aux pieds de la majesté de Dieu ; c'est là où vous le trouverez. Apprenez de saint Augustin que tout le temps qu'il a cherché Dieu dans les créatures, il ne l'a point trouvé, et rentrant en son fond intérieur, il trouve qu'il y fait sa demeure. Appliquez-vous sérieusement à ne plus être vagabonde. Si vous y prenez peine, je ne doute pas que Dieu ne vous donne beaucoup de gràces.
n° 1711 Chapitre, à une jeune Professe.
Soyez toujours bien généreuse pour Dieu, ne faites aucun cas des créatures qu'en Dieu et pour Dieu mais ne vous y engagez point, conservez votre liberté entière, et vous souvenez que Dieu vous l'a donnée pour lui en faire un présent, et non pour la captiver sous la tyranme de votre amour-propre. Allons, allons, que rien ne vous arrête plus en ce monde. Dieu seul nous doit suffire. Courez dedans les plaies de notre adorable Sauveur, et gardez votre paix au-dessus de toutes choses.
n° 1099 A une Religieuse de l'Institut. aimons donc notre petitesse et nos misères, et les regardons toujours dans l'ordre de Dieu sur nous. Demandez-en la grâce à la sainte Mère de Dieu pour vous et pour moi.
n° 659 Conférence.
L'expérience nous apprend assez que l'on n'arrive pas au dégagement parfait tout d'un coup, sans miracle d'une grâce extraordinaire. Aussi notre bon Dieu ne demande pas de nous que nous soyons parfaitement maître et que nous jouissions d'une liberté entière dès le premier moment qu'il nous appelle, mais il veut que nous soyons, et que nous nous exercions sans cesse, dans la volonté d'y parvenir et qu'en effet nous y travaillions par les actes particuliers selon les occasions qui se présentent, afin que nous ayons quelque jour, en effet, ce que nous n'avons, au commencement, qu'en désir et en vue.
n° 2479 Maximes spirituelles.
Portons donc cette sentence de mort et mourons toujours pour vivre un jour de la vie de Jésus Christ. C'est l'ouvrage de son amour en nous et de sa divine miséricorde. Ayez courage, cet ouvrage sera accompli en vous ; demeurez en paix et en pur abandon à Notre Seigneur, sans retours et sans aucune défiance, quoique vous ayez mérité l'enfer. Demeurez dans l'amour de Jésus Christ. II vous y attire. Ne croyez pas qu'une saillie d'orgueil ou d'amour-propre vous fasse sortir de ce bonheur. Non, non, mais quand cela vous arrive, ne faites autre chose que de vous laisser doucement rentrer dans la paix ; et si cette faute vous laisse quelque temps dans la peine ou dans quelque petite agitation de coeur, portez cela sans inquiétude et sans autre intention que de la souffrir en esprit de pénitence...
Je vous dis encore que votre cœur est à Dieu par la grâce et non pas naturellement par vous-même.
n° 1331 Conférence.
Rien ne charme Dieu comme une personne humble. Il se précipite dans cette âme avec la même vitesse comme vous voyez l'éclair qui précède le tonnerre ou un trait d'arbalète, et même Dieu tient cette conduite sur les âmes sur qui il a dessein de perfection, leur laissant un poids d'humiliation... qui les tient toujours bas afin de conserver ses dons en elles, et cela parce que nous sommes si légères que la moindre grâce nous élève et nous fait oublier ce que nous sommes ; et cette peine, cette tentation ou cette abjection que Dieu nous laisse rabaisse notre orgueil, nous tient petites... nous apprenant ce que nous sommes. Nous avons des exemples de ceci dans les saints mêmes. Voyez un saint Paul : Notre Seigneur permettait qu'il soit souffleté par le démon. Aimons, mes Soeurs,
Oh ! que celles qui sont peinées, troublées, affligées, viennent chercher la paix et le calme de toutes leurs passions aux pieds de cet adorable Enfant qui s'appelle Princeps pacis. Croyons pour une vérité indubitable que la paix que nous ressentons souvent au fond de notre intérieur nous marque que Notre Seigneur en approche pour le posséder. Mais, mes Soeurs, souvent nous lui en refusons l'entrée, en ne nous abandonnant pas assez à la conduite de son divir Esprit.
n° 3060 Conférence.
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Souvent Notre Seigneur nous laisse les peines et les tentations dont il ne veut pas nous délivrer. Pourquoi, mes Soeurs, sinon parce qu'elles servent à nous purifier et à disposer nos âmes aux grâces et aux faveurs qu'il a dessein de nous communiquer, si nous sommes fidèles à le laisser opérer en nous notre destruction et la mort de tout ce qui lui est contraire.
n° 1767 Conférence du jour de sainte Thérèse, 1687.
Aussi le Seigneur dit dans son Évangile : «Celui qui écoute mes paroles et les accomplit, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; les fleuves ont débordé, les vents ont soufflé et l'ont battue avec violence, mais elle n'est point tombée, parce qu'elle était fondée sur la pierre».
Pour achever, le Seigneur attend de nous que nous répondions chaque jour par nos oeuvres à ses saintes leçons. S'il prolonge comme une trêve les jours de notre vie, c'est pour l'amendement de nos péchés, selon cette parole de l'Apôtre : «Ignores-tu que la patience de Dieu te convie à la pénitence ?» Car ce doux Seigneur affirme : «Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive».
Lorsque nous avons demandé au Seigneur, mes frères, qui habitera dans son tabernacle, nous avons appris ce qu'il faut faire pour y demeurer. Puissions-nous accomplir ce qui est exigé de cet habitant !
Il faut donc préparer nos coeurs et nos corps aux combats de la sainte obéissance à ses commandements. Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d'ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d'éviter les peines de l'enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu'il en est temps encore et que nous sommes en ce monde et que nous pouvons accomplir toutes ces choses à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l'éternité.
C'est à cette fin que nous voulons fonder une école où l'on serve le Seigneur. Dans ' cette institution, nous espérons ne rien établir de rude ni de pesant. Si, toutefois, il s'y rencontrait quelque chose d'un peu rigoureux, qui fût imposé par l'équité pour corriger nos vices et sauvegarder la charité, garde-toi bien, sous l'empire d'une crainte subite, de quitter la voie du salut dont ies débuts sont toujours difficiles. En effet, à mesure que l'on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le coeur se dilate, on court dans la voie des commandements de Dieu, rempli d'une douceur ineffable de dilection. Ne nous écartant donc jamais de son enseignement, et persévérant jusqu'à la mort dans la pratique de sa doctrine au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ et méritons d'avoir une place dans son royaume. Amen.
La foi sans les oeuvres est une foi inanimée, parce qu'elle n'a pas devant les yeux son unique objet qui est Dieu seul.
n° 2654 Entretiens familiers, août 1694.
C'est pour l'ordinaire que nous faisons nos actions par notre propre esprit et que nous n'avons en vue que nos inclinations. Ainsi il ne faut pas s'étonner si nous les faisons si imparfaitement et si nous avançons si peu à la vertu. Je vous le disais il n'y a pas longtemps : que je ne demanderais à une religieuse pour être bientôt parfaite que d'envisager uniquement et en toutes ses actions, voire aux plus petites, que la très sainte volonté de Dieu. Notre Seigneur dit un beau mot à ce propos dans l'Évangile : «Si votre oeil est simple, etc.» Oui, mes Soeurs, si l'oeil de votre âme est simple, regardant uniquement Dieu en tout ce qu'elle fait, sans retour sur soi ni sur les créatures, tout votre corps sera lumineux, c'est-à-dire toutes les puissances de votre âme, toutes ses facultés seront éclairées de ce beau soleil éternel, Jésus Christ, que vous avez en vue et en objet, à la faveur duquel [vous] connaîtrez jusque à vos moindres défauts.
n° 196 Chapitre, septembre 1662.
Vous pouvez même souffrir beaucoup par les impressions fâcheuses qui se font sentir quand il plaît à Notre Seigneur vous laisser à la puissance des ténèbres ; mais il n'y a de péché que lorsque notre volonté y adhère... Il est bon, il est très bon de connaître le fond pécheur qui est en nous. Il est même nécessaire d'en ressentir les mauvaises productions ; c'est ce qui nous ren&vigilantes à nous tourner vers Dieu pour demander la grâce de n'y point adhérer... Marchez en pure simplicité, et devenez comme un petit enfant entre les bras de votre bon Père qui est Dieu.
n° 1331 Conférence.
FIN DU PROLOGUE
Dieu ne manque jamais aux âmes qui entendent sa divine voix. Il vous donnera l'intelligence des sacrées paroles portées dans l'Évangile de ce jour : «Seigneur, voici que nous avons tout quitté...y, et comme ce n'est pas sans mystère que l'Église les approprie à tous les saints de notre Ordre, lesquels peuvent dire avec les saints Apôtres : «Ecce nos reliquimus)), c'est, mes Soeurs, ce qui fait aujourd'hui le sujet de leur triomphe et félicité dans le paradis.
n° 883 Conférence de la veille de tous les Saints de l'Ordre, 1663.
Jésus Christ [est] notre divin Maître. Il a triomphé pour nous du diable, du monde' et de- nous-mêmes qui sont nos plus cruels ennemis. Unissons-nous à sa vertu divine et nous rendons à lui afin qu'il triomphe en nous, qu'il terrasse nos ennemis, et surtout l'orgueil de la vie comme le plus malin.
n° 1757 Pour le premier dimanche de Carême.
Ne vivez pas comme cela dans la négligence : prenez quelques sujets de piésence de Dieu, afin que, quand les tentations ou autres mauvaises pensées viendront, vous ne soyez pas trouvées au dépourvu et que vous ayez de quoi
ti
38 CATHERINE DE BAR
les repousser : voyant ce qu'un Dieu a souffert pour vous, cela vous encouragera à souffrir pour son amour.
n° 377 Entretiens familiers, 4 septembre 1694.
Vous ne sauriez assez faire état des plus petites grâces [dit-elle], quand ce ne serait qu'une bonne pensée, parce que Dieu ne vous les doit point.
n° 3124 Entretiens familiers, 13 août 1696.
Vous ne serez pas parfaite tout d'un coup, mais petit à petit la grâce perfectionnera son ouvrage... Il est vrai que vous êtes encore bien faible et très peu établie dans les solides principes de la vie vraiment chrétienne, et que votre lumière est éteinte au moindre souffle des contradictions ou même des événements moins sensibles ; mais ne vous ébranlez pas pour voir une si grande misère; tenez-vous fermement attachée au tronc qui est Dieu, dans l'immensité, puissance et vertu duquel vous êtes réellement et actuellement. Et dans les occasions, recourez intérieurement et amoureusement à sa bonté, le suppliant de vous soutenir et de faire ou soutenir en vous telles peines ou telles actions. Et, en même temps, abandonnez-vous à sa grâce et à son esprit, pour le laisser opérer en vous le courage, la force ou la patience, et l'humilité, etc. qui vous sont nécessaires.
re 1387 A la comtesse de Châteauvieux.
Car Jésus Christ, lui seul étant la perfection, quand l'âme s'abandonne entièrement à lui, il s'établit dans l'âme, il y vit et règne, et voilà la perfection ; or, de cette sorte l'âme n'a rien à faire qu'à se laisser dans un simple abandon, sans se troubler de ses défauts, de ses misères et du reste, parce qu'elle ne peut être meilleure par elle-même, et ainsi elle attend en patience la venue de Jésus en soi, pour y vivre sa vie et y établir son empire.
n° 165 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.
Tâchez à vous surmonter aux occasions de Providence et à ne point vous laisser aller aux saillies de la nature : on n'emporte de victoire qu'en combattant.
n° 1711 Chapitre à une jeune Professe.
J'ai connu aujourd'hui qu'il n'y avait point de moyen plus court et assuré pour aller à Dieu que la croix, c'est-à-dire les souffrances de corps ou d'esprit.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 39
Les peines intérieures sont plus efficaces parce qu'elles détruisent en nous ce qui est impur et opposé à Dieu, mais celles du corps sanctifient aussi lorsque l'on en fait un bon usage.
te 976 Diversités spirituelles.
Les saints ne sont remplis de Dieu qu'autant qu'ils se sont vidés d'eux-mêmes. Hélas ! si l'on nous pressait et que l'on nous réduisît en liqueur, l'on ne verrait qu'amour de nous-même. Il y avait un serviteur de Dieu qui disait que, si l'on le pressait, il ne sortirait que de l'orgueil. Ne sortirons-nous jamais de nous-même, de notre propre terre ? Ah ! mes Soeurs, il faut une force toute divine ; demandez-la bien à Dieu ; vous n'en pouvez sortir sans secours. Quand nous oublierons-nous nous-même ? Quand ne nous soucierons-nous plus de nos intérêts ? D'où vient que la moindre parole nous choque si fort ? Dieu permet quelquefois que l'on exerce notre patience par des événements fâcheux et qui contrarient notre volonté, mais il faut dans ces rencontres lui montrer notre fidélité et notre amour pour lui.
n° 1075 Conférence pour la fête de la Toussaint.
Je sens bien que le démon fait tout son possible pour vous accabler... Il faut attendre en patience la conversion des âmes... C'est à son divin esprit de faire cette opération, et vous et moi la devons attendre en vous avec une très grande patience, sans nous lasser...
Pour toutes ces sortes de tentations que vous avez, c'est fort peu de chose. Dieu vous les envoie pour vous purifier... Quand il plaira à Notre Seigneur, il vous les ôtera ou vous donnera la grâce d'en faire l'usage qu'il désire... Tendez toujours à Dieu, quelque éloigné qu'il vous paraisse, car enfin il viendra, car cela est certain ; mais ne désistez point de gémir à ses pieds toujours, dans la confiance et en patience. Il faut une longue et très longue persévérance.
ri 1415 A une Religieuse, rue Cassette.
Je vous prie, soyez déterminée, n'écoutez point la tentation ; il faut, malgré vous-même, que vous soyez à Dieu. Vous y ressentirez de la peine dans les commencements, mais la suite sera plus douce et plus accompagnée de grâces ; Notre Seigneur ne vous manquera pas. Entreprenez donc hardiment un généreux combat contre vous-même.
n° 1007 A Mademoiselle Loyseau.
40 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 41
Portez votre croix comme un présent du ciel et en bénissez le Seigneur. n° 2639 Sentence.
Un grand mal dans la vie spirituelle, c'est qu'on n'a quasi point de persévérance ; l'on fait bien aujourd'hui et demain l'on quitte tout, on ne veut pas assujettir l'esprit sous les conduites pénibles et crucifiantes de la main de Dieu. Nous voudrions la vertu sans peine et posséder Dieu en nous possédant nous-mêmes ; mais nous nous trompons, car Dieu ne peut régner en nous avec nous, il veut être absolu et ne point partager son empire.
Que celui-là est avare à qui Dieu ne lui suffit pas ! Il faut avouer que nous sommes dans des ignorances et ténèbres épouvantables, la seule vérité nous est inconnue parce que nous ne voulons pas nous séparer de nos sens, nous ne voulons point sacrifier ce nous-même qui seul est opposé à Dieu en nous. '
no 2438 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre, 18 mars 1695.
11 y en a assez qui veulent entrer dans le palais de la perfection tout d'un coup, comme des larrons ; par tout ce qu'il y a de plus haut et de plus sublime, ils veulent monter par-dessus le toit, mais Dieu les humilie et les confond : Jésus, pour nous tirer de cette ignorance, a fait tout le contraire ; il ne nous a proposé d'abord que des croix et des souffrances, qu'il a lui-même supportées pour l'amour de nous, pour nous donner l'exemple et pour nous encourager à le suivre.
n° 2479 Maxime spirituelle.
Si la croix vous fait trop peur et que vous préfériez l'amour, aimez. n° 2401 Entretiens familiers.
Si vous voulez trouver le royaume de paix et le paradis en terre, soyez fidèle à l'attrait de la grâce qui vous tire dans le néant. C'est une très grande miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous la présenter ; ne la refusez pas, si vous voulez être heureuse. Laissez-vous tomber dans le rien. O Dieu ! si l'on pouvait connaître le bien infini qui s'y rencontre, tout le monde s'y voudrait plonger. Résolvez-vous, très chère Mère, d'y entrer solidement, mais tout de bon donnez ce plaisir à Notre Seigneur, et à moi la consolation de vous voir dans ce bienheureux néant qui fait peur à la nature, mais avançant dans le chemin tout devient plus facile. Votre expérience vous fera croire cette vérité.
n° 752 A Mère Saint Placide, 4 mars 1685.
Il n'est pas besoin de chercher Dieu par quantité de pratiques. Qui cherche n'a pas, mais il faut jouir avec paix et douceur d'esprit de ce trésor infini, puisque nous le possédons aussi véritablement comme les saints le possèdent dans le ciel. 0 bonheur infini, mais trop peu connu de la plupart des chrétiens qui ignorent le trésor qu'ils possèdent et qui leur a été donné au baptême par Jésus Christ !
n° 2641 Chapitre durant l'Avent, 1663.
Soyez toutes revêtues de Jésus Christ. Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n'y vivez que pour lui. Sa bonté aura soin de tout ce qui vous regarde, si vous avez un soin unique de lui plaire et de ne désirer que lui, en travaillant à sa gloire. Je puis vous assurer que vos fatigues seront bien récompensées ; relevez toujours votre courage, ne vous rebutez point des diffibiltés. Les oeuvres de Dieu ne s'établissent que par la croix.
n° 117 A la Communauté de Varsovie (Pologne), 8 septembre 1687.
Il faut la persévérance à ne point se rebuter pour les difficultés qui s'y rencontreront. Il ne faut pas oublier qu'un des plus grands secrets de la vie spirituelle est que le Saint Esprit nous conduit, non seulement par les lumières, consolations, douceurs, tendresses, facilités, mais aussi dans les obscurités, insensibilités, tristesses, révoltes des passions et autres peines intérieures. Je dis bien plus, cette voie crucifiée est la meilleure et la plus assurée, et qui fait que l'âme arrive plus tôt à la sainte perfection.
n° 544 Conférence.
Je ne prétends pas que vous soyez parfaite dès à présent, non, mais que vous ayez un grand courage pour y tendre de toutes vos forces. Je vous avoue qu'il faut une grande grâce et une généreuse résolution pour en venir là. Pour la grâce, elle nous est donnée avec la vocation, reste à en faire un fidèle usage, croyez-moi, ne vous épargnez point, mourez sans compassion de vous-même, et ne trouvez point étrange si la sainte Religion qui est notre mère travaille à vous arracher de vous-même pour vous rendre tout à Jésus Christ... Si vous avez la sainte haine de vous-même tout cela vous sera doux, puisqu'il faut mourir pour vivre, mourir à nous, pour vivre à Dieu et de Dieu. Si j'avais le loisir, je vous ferais voir comme la sainte Religion est un beau verger, où les âmes sont mises, comme de belles plantes pour être l'objet des complaisances des trois Divines Personnes.
n° 1776 Parlant à une Fille qui devait prendre le saint habit.
42 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 43
Priez la très sainte Vierge qu'elle nous favorise de sa protection, afin que nous fassions un fidèle usage de la grâce renfermée dans l'exacte observance de nos saintes Règles et Constitutions.
no 1760 Chapitre, 18 août 1662.
Jésus Christ est tout ce que nous pouvons attendre de la charité immense de Dieu et tout ce que Dieu attend et exige de nous. Tout ce que nous pouvons attendre de Dieu, tout ce qui est enclos dans l'immensité de son amour vers nous, c'est que nous soyons dieux et enfants de Dieu, c'est que nous vivions de la vie des enfants de Dieu, c'est que nous jouissions de son royaume comme ses enfants et ses héritiers.
Or tout cela est enfermé en Jésus Christ son Fils, de telle sorte que nous n'y pouvons parvenir qu'en tant que nous sommes membres vifs de Jésus Christ, incorporés à son humanité déifiée, vivant de sa vie et de son esprit. Dieu nous a rendus consors de sa nature divine, mais saint Pierre nous apprend que c'est par Jésus Christ, son Fils. Dieu nous a élevés à la dignité de ses enfants : «Dedit eis potestatem filios Dei fieri), mais c'est en tant que nous sommes liés et adhérents à son Fils Jésus Christ par une vive foi, qui nous fait être quelque chose de lui. Dieu nous a appelés à vivre en lui de la vie sainte et bienheureuse dont il est vivant en soi-même ; mais nous n'en pouvons vivre que par Jésus Christ et comme ses membres, et l'apôtre saint Paul nous dit tantôt que nous sommes morts et que notre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu, tantôt que nous vivons à Dieu et de Dieu en Jésus Christ, et mille choses semblables, qui confirment cette vérité.
no 1524 A la comtesse de Châteauvieux. CHAPITRE PREMIER
DES ESPECES DE MOINES
Il est manifeste qu'il y a quatre espèces de moines.
La première est celle des cénobites, c'est-à-dire de ceux qui vivent en commun, dans un
monastère, et combattent sous une Règle et un Abbé.
La deuxième est celle des anachorètes ou ermites...
La troisième espèce est celle des sarabaites...
La quatrième espèce de moines est celle des gyrovagues...
Laissons donc ces diverses espèces de moines ; et, avec l'aide du Seigneur, venons-en à
organiser l'état des cénobites, la plus forte espèce de moines.
otre glorieux Patriarche saint Benoît a établi, dans le premier chapitre de sa Règle, l'état de vie le plus parfait, qui est de ceux qui observent une même Règle en communauté, qu'il nomme très fort, très assuré, pour être garanti de tous hasards, sous l'abri de l'obéissance et du concours mutuel de plusieurs personnes qui aspirent à une même fin.
no 2277 Maxime.
Nous pouvons inférer dans ce premier chapitre que rien n'est plus avantageux aux religieuses que de vivre en commun sous la conduite d'une Supérieure douée des qualités requises pour tenir, dans le monastère, la place de Notre Seigneur et de sa très Sainte Mère, et conduire les âmes à la perfection de leur état. Cet esprit de communauté régnait parmi les Apôtres : les premiers chrétiens en faisaient profession, et c'était leur joie ët leur délice de ne posséder aucune chose. C'est de ces premières plantes du champ de l'Église que nous devons apprendre la pratique d'un saint dégagement et, à leur exemple, n'avoir toutes qu'un coeur, qu'une volonté, et qu'un même esprit, retranchant toute singularité pour nous conformer en
toutes choses à la règle commune du monastère.
Constitutions.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 45
CHAPITRE II
DES QUALITES QUE DOIT AVOIR L'ABBE
L'abbé qui est jugé digne de gouverner le monastère doit se souvenir sans cesse du nom qu'il porte et réaliser par ses actes le titre de supérieur. On le regarde, en effet, comme tenant la place du Christ dans le monastère ; c'est pourquoi il porte le nom même donné au Seigneur, selon ces paroles de l'Apôtre : "Vous avez reçu l'esprit des enfants d'adoption, qui crie en nous : Abba, c'est-à-dire Père ".
L'abbé ne doit donc rien enseigner, établir ou commander qui s'écarte des préceptes du Seigneur ; mais ses ordres et ses instructions doivent se répandre dans les âmes de ses disciples, comme un levain de la divine justice. L'abbé doit se souvenir sans cesse qu'au redoutable jugement de Dieu il devra rendre un compte exact de deux choses : de sa doctrine et de l'obéissance de ses disciples. Qu'il sache que l'on imputera à la faute du pasteur tout ce que le Père de famille trouvera de mécompte dans ses brebis. Au contraire, c'est pour autant qu'il aura consacré toute sa sollicitude pastorale à un troupeau turbulent et indocile, et dépensé tous ses soins pour guérir leurs maladies spirituelles, que lui-même, absous au jugement du Seigneur, pourra lui dire avec le prophète : "Je n'ai point caché votre justice, dans mon coeur : je leur ai dit votre vérité et votre salut, mais ils n'en ont fait aucun cas et ils m'ont méprisé". Alors, en punition, la mort frappera ces brebis qui ont été rebelles aux soins de leur pasteur.
Celui qui accepte la dignité d'abbé doit donc gouverner ses disciples par un double enseignement, c'est-à-dire qu'il lui faut inculquer ce qui est bon et saint par des actes plus encore que par des paroles. A ceux qui sont intelligents, il enseignera par ses discours les préceptes du Seigneur ; aux durs de coeur et aux simples, il les fera voir par son exemple. C'est aussi par ses actes qu'il apprendra à ses disciples à éviter ce qu'il leur aura dénoncé comme contraire à la loi divine, de peur qu'après avoir préché aux autres, il ne soit lui-même réprouvé et que Dieu ne lui dise un jour à cause de ses péchés : "Pourquoi annonces-tu mes justices et déclares-tu mon alliance par ta bouche, toi qui hais la discipline et qui rejetais mes paroles ?" Et encore : "Toi qui apercevais un fétu dans l'oeil de ton frère, tu ne voyais pas la poutre dans le tien."
Que l'abbé ne fasse point acception des personnes dans le monastère. Qu'il n'aime point l'un plus que l'autre, si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance. L'homme libre ne sera pas préféré à celui qui sera venu de la servitude, à moins qu'il n'y ait à cela une autre cause raisonnable. Si l'abbé juge, pour un juste motif, pouvoir faire cette distinction qu'il en use ainsi à l'égard de chacun, de quelque condition qu'il soit ; hormis le cas susdit, que chacun garde sa place ! car, libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ, et nous portons tous les mêmes armes au service d'un même Seigneur. "Auprès de Dieu, en effet, il n'y a pas acception de personnes ." La seule chose qui nous distingue à ses yeux, c'est le fait d'être plus riches que d'autres en bonnes oeuvres et en humilité. L'abbé témoignera donc à chacun une égale charité ; et il n'y aura pour tous qu'une même discipline, appliquée selon les mérites de chacun.
Dans son enseignement, l'abbé doit suivre toujours le modèle que lui donne l'Apôtre quand il dit : "Reprends, supplie, menace ." Ainsi il doit varier sa manière selon les circonstances mêlant douceurs et menaces, montrant tantôt la sévérité d'un maître, tantôt la tendresse d'un père. Ainsi, encore, reprendra-t-il plus durement les indociles et les turbulents, tandis qu'il se contentera d'exhorter au progrès ceux qui sont obéissants, doux et patients. Quant aux négligents et aux rebelles, nous l'avertissons de les réprimander et de les corriger.
CATHERINE DE BAR
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Qu'il ne ferme pas les yeux sur les péchés des délinquants. Mais qu'il les retranche autant qu'il le pourra, jusque dans leurs racines, aussitôt qu'il les verra nattre, se souvenant du malheur d'Héli, grand-prêtre de Silo . Pour ce qui est des âmes plus délicates et intelligentes, il lui suffira de les reprendre une fois ou deux par des admonitions, tandis qu'il doit punir par des verges et autres châtiments corporels les méchants, les opiniâtres, les superbes et les désobéissants, et cela dès qu'ils commenceront à mal faire, sachant qu'il est écrit : "L'insensé ne se corrige point par des paroles " ; et encore : "Frappe ton fils de la verge et tu délivreras son âme de la mort ."
L'abbé doit toujours se rappeler ce qu'il est, se rappeler le nom qu'il porte ; savoir qu'il est exigé davantage de celui à qui plus a été confié. Qu'il considère combien difficile et laborieuse est la charge qu'il a reçue de conduire les âmes et de s'accommoder aux caractères d'un grand nombre. Tel a besoin d'être conduit par les caresses, tel autre par les remontrances, tel encore par la persuasion. L'abbé doit donc se conformer et s'adapter aux dispositions et à l'intelligence de chacun, en sorte qu'il puisse, non seulement préserver de tout dommage le troupeau qui lui est confié, mais encore se réjouir de l'accroissement de ce bon troupeau.
Avant tout, qu'il se garde de négliger ou de compter pour peu le salut des âmes qui lui sont commises, donnant plus de soin aux choses passagères, terrestres et caduques. Qu'il pense sans cesse que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire et qu'il devra en rendre compte. Et, de peur qu'il ne se préoccupe à l'excès de la modicité éventuelle des ressources du monastère, il se rappellera qu'il est écrit : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice : le reste vous sera donné par surcroft " ; et encore "Rien ne manque à ceux qui craignent Dieu ."
Qu'il sache donc bien que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire : qu'il soit prêt à en rendre compte. Quel que soit le nombre des frères placés sous sa garde, qu'il tienne pour certain qu'au jour du jugement il répondra devant le Seigneur de toutes ces âmes, et de plus, sans nul doute, de la sienne propre. Vivant ainsi dans la crainte constante de cet examen qui attend le pasteur au sujet de ses brebis, c'est le souci même des comptes dus pour autrui qui le rendra attentif sur lui-même, et, en amendant les autres par ses avis, il se corrigera de ses 9ropres défauts.
Ma très chère fille, si mes lettres pouvaient avancer votre âme dans la sainteté où Dieu l'appelle, tous les jours et à toute heure, je vous écrirais, mais je me sens bien indigne d'y contribuer. Hélas ! mon enfant, que je suis téméraire de vous parler ainsi ! C'est à Jésus Christ et à la puissance de sa grâce de vous faire faire un grand progrès à la sainte vertu ; ce n'est pas la créature qui sanctifie, bien que Notre Seigneur s'en serve pour nous enseigner ses divines volontés, et c'est pourquoi nous sommes obligées à une très grande fidélité à distribuer ce que Dieu donne pour les âmes, le donner purement dans un esprit très désintéressé et dans une profonde humilité.
n 2706 A la comtesse de Châteauvieux.
Je me trouve intérieurement chargée de vous d'une manière très particulière, et que je ne vous puis exprimer qu'en vous disant qu'il me semble vous offrir à Dieu actuellement, dans un désir de vous voir toute à lui ; et les fautes que vous commettez volontairement, j'en suis chargée et en doit faire pénitence pour vous, puisque je me suis sacrifiée (quoiqu'indigne) pour vous. Jugez combien je suis obligée de vous presser d'être fidèle, en ce que vous avez promis, j'ai répondu pour vous, et promis à Dieu que vous serez toute à lui, autant qu'il aura agréable de vous en faire la grâce, et j'ai engagé, sur ce sujet, mon âme pour la vôtre.
n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.
Il n'y a dans la charge que Dieu nous impose, et à vous, très chère Mère, que d'établir une régularité parfaite et de conduire les âmes dans un entier dégagement de toutes choses, les faisant marcher dans les voies d'une humilité profonde, d'une grande simplicité et dans la soumission.
no 105 A une Prieure de l'Institut, 13 juin 1695.
La Mère Prieure prêchera la régularité bien plus par ses exemples que par ses paroles. Elle sera fidèle à toutes les prescriptions de la Règle et des Constitutions, à toutes les pratiques de la sainte Religion ; elle sera la première à toutes les observances, soit à l'oraison, soit à l'Office, soit au travail, afin d'animer les autres par sa présence. Un bon pasteur n'est-il pas toujours à la tête de son troupeau ? Or, la Mère Prieure tient la place du pasteur dans le monastère.
Coutumier.
Gardez-vous bien de faire naître de la jalousie en lui témoignant plus de confiance et d'affection qu'aux autres. Vous savez qu'il faut ménager les esprits pour conserver la paix. Les Supérieures doivent avoir une grande prudence.
n 797 A une Prieure de Pologne, 23 septembre 1695.
Il faut donc, comme dit la sainte Règle, que la Mère Prieure corrige celles qui sont légères et inquiètes, qu'elle console celles qui sont faibles et infirmes, et qu'elle soit douce et patiente à l'égard de toutes.
Coutumier.
Il faut que la Mère Prieure, selon que le demande la sainte Règle, s'efforce de gagner toutes les âmes à Dieu, les unes par caresses et amitiés, les autres par réprimandes et corrections, les autres par remontrances et exhortations. Qu'elle
48 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 49
se proportionne tellement aux humeurs, qu'elle se mette tellement à la portée de chacune de ses Filles que son troupeau ne se détériore en rien, qu'il s'améliore, qu'il se perfectionne, qu'il prenne chaque jour sous sa garde des accroissements nouveaux.
Coutumier.
La charge me serait un poids insupportable si Dieu ne me soutenait. Je ne sais pas comme font les autres, mais, pour moi, je porte le faix de tous les intérieurs de mes Soeurs. Les faiblesses des esprits, les infidélités, tout cela me charge devant Dieu. Dieu m'a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes peinées et affligées, en sorte que je les ai toujours présentes d'esprit et n'en [puis] quitter le soin tant que leur peine dure. Il me semble que Dieu m'ait faite pour de telles âmes.
no 1944 A la comtesse de Châteauvieux.
C'est à une Supérieure de juger des choses qu'elle doit permettre ou non, accordant aux unes ce qu'elle refuse aux autres.
no 1965 Entretiens familiers, ler mai 1695.
La Mère Prieure usera envers les esprits faibles de quelque condescendance, se rappelant qu'après tout c'est spécialement des âmes qu'elle est chargée, comme parle la sainte Règle, qu'elle doit les soigner préférablement à tout ce qui n'est que temporel, terrestre et périssable, et que, cherchant premièrement le royaume de Dieu et sa justice, tout le reste lui sera accordé, à elle et à ses Soeurs, comme par surcroît.
Coutumier.
Vous vous devez sans réserve à Jésus-Christ et ne croyez pas que vous possédiez aucun véritable repos que dans ce centre divin où vous devez rentrer, et où je voudrais vous avoir remis au prix de mon sang et de ma vie, ne sachant pas une peine plus sensible dans l'état où Dieu nous tient que de voir une âme qui ne tend point de la bonne manière à sa fin.
no 3006 A une Religieuse, rue Cassette.
Désirez ardemment Jésus et vous l'aurez ; il viendra en vous. Que ce désir soit l'unique qui vous occupe. Priez la très sainte Vierge qu'elle vous fasse la grâce de n'en avoir point d'autre, et d'entrer dans la pureté de ses saints désirs. Mais, me direz-vous, la nécessité présente nous oblige à en avoir d'autres. Quelque grande qu'elle puisse être, il ne faut désirer que Jésus et son règne en nous. Plût à Dieu que ce fut là notre principal soin ! Nous n'aurions que faire de craindre que quelque chose nous manquât. C'est lui-même qui le dit et qui nous le promet ; vous devez le croire : «Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné en surcroît».
no 2381 Conférence, 17 décembre 1694.
Ma chère Enfant, Dieu vous attend, il est à la porte de votre coeur avec une infinité de grâces qu'il a dessein de vous faire, il attend que vous lui donniez entrée, il le désire avec un amour incroyable ; ne le refusez pas. Il y a longtemps que vous lui fermez la porte de votre coeur dont il veut être le maître, il y veut régner tout seul. Retournez à lui, ma chère enfant, mais de tout votre coeur ; ayez confiance en sa bonté et en son amour, et je vous donne parole et assurance qu'il vous recevra à bras ouverts, comme un bon père, son enfant ; ne différez plus, car vous augmenterez toujours votre peine ; prenez donc une résolution forte et généreuse de vouloir être à Dieu sans aucune réserve, quoi qu'il vous en doive coûter. Je vous prie, faites cette résolution tous les jours le matin, et la renouvelez souvent du meilleur de votre coeur, protestant à Dieu que vous voulez pour son amour vous faire toutes les violences qu'il sera nécessaire de vous faire pour lui conserver la fidélité que vous lui devez dans les plus petites choses et, quand il vous en devrait coûter la vie, que vous ne désisterez jamais, avec confiance qu'il vous en donnera la grâce. C'est un acte intérieur qui se peut faire en peu de temps ; je voudrais que vous le puissiez faire à tous moments. Je suis certaine que vous ne le ferez pas longtemps sans en ressentir les effets, et que vous y trouverez une force et une grâce particulières pour vous retirer de la disposition où vous êtes, qui est plus dangereuse que vous ne la croyez. Tâchez tous les jours de rendre une visite exprès au très Saint Sacrement, et plus si vous pouvez ; et, vous prosternant, dites-lui, avec tout l'amour et toute la confiance qui vous sera possible, que vous venez à lui pour lui demander secours contre ses ennemis et les vôtres, qui font effort pour vous retirer de lui, et que vous venez exposer à la porte de son tabernacle toutes les rebellions, oppositions, répugnances et malignités de votre nature et de votre esprit humain, afin qu'il envoie de cette demeure adorable une petite étincelle du feu qu'il y renferme, pour consommer en vous toutes les choses qui ne sont point lui et qui vous empêchent d'être à lui. Protestez-lui avec sincérité que vous le désirez et que vous attendez cette miséricorde de son amour, et demeurez exposée à sa toute puissance pour qu'il fasse et opère ces effets en votre âme. Soyez fidèle à cela, ma chère enfant, ne'vous rebutez pas s'il n'arrive pas si tôt, attendez en patience sans vous décourager, ne vous étonnez pas des fautes que vous ferez, relevez-vous promptement par un retour vers Dieu pour lui demander pardon et par un renouvellement de votre résolution et après n'y pensez plus. Prenez à coeur, dans tout ce que vous ferez intérieurement et extérieurement, de le faire avec le plus de perfection que vous pourrez pour plaire à Dieu, et vous souvenez que son dessein est que vous soyez sainte. Il ne faut pas prétendre rien moins que cela. Je sais qu'il vous en doit coûter, mais pourtant il n'est pas si difficile que la tentation, jointe à la nature, vous persuade. Courage donc, ma chère enfant. Priez bien la sainte Mère de Dieu pour moi, soyez persuadée que je vous désire à Dieu du même coeur et
50 CATHERINE DE BAR
de la même affection que moi-même. A Dieu, ma chère enfant, je vous laisse et vous abîme en lui ; demeurons-y ensemble et, par ce moyen, nous ne serons jamais séparées.
n • 1958 A une Religieuse.
Je suis bien aise de vous dire, mes Soeurs, que l'intention pour laquelle nous disons tous les jours à la très sainte Vierge, avant la lecture que nous faisons ici le matin, la prière Ave Maria Filia Dei Patris, etc. est pour nous mettre sous la protection de cette Auguste Mère de Dieu ; pour lui demander son secours et les grâces dont nous avons besoin pour être fidèles à remplir les devoirs de notre état, la priant qu'elle soit notre Mère, qu'elle nous gouverne et conduise dans le chemin de la perfection, qu'elle nous donne les vertus qui nous sont nécessaires pour y arriver, remettant cette maison entre ses bénites mains qu'elle en prenne soin aussi bien que de tout l'Institut, afin qu'elle le protège et soutienne pour la gloire de son divin Fils, qu'elle nous attire de lui toutes sortes de bénédictions pour que nous en remplissions la sainteté.
n • 1442 Conférence pour le deuxième jour de l'an 1694.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 51
CHAPITRE III
COMMENT IL FAUT PRENDRE L'AVIS DES FRERES
Toutes les fois qu'il y aura dans le monastère quelque affaire importante à décider, l'abbé convoquera toute la communauté et exposera lui-même ce dont il s'agit. Après avoir recueilli l'avis des frères, il délibérera à part soi et fera ensuite ce qu'il aura jugé le plus utile. Ce qui nous fait dire qu'il faut consulter tous les frères, c'est que souvent Dieu revole à un plus jeune ce qui est meilleur.
Les frères donneront leur avis avec toute humilité et soumission. Ils n'auront donc pas la présomption de soutenir effrontément leur manière de voir, mais il dépendra de l'abbé de décider ce qui vaut le mieux ; et tous alors devront s'y soumettre. Cependant, tout comme il convient que les disciples obéissent au martre, ainsi Put-il également que le maître dispose tout avec prévoyance et équité.
En toutes ces choses donc, tous suivront la Règle comme un martre, et personne ne se permettra de s'en écarter à la légère. Que nul dans le monastère ne suive la volonté de son propre coeur ; que nul n'ait la hardiesse de contester avec son abbé insolemment, ou hbrs du monastère. Si quelqu'un avait cette témérité il serait soumis à la correction régulière.
L'abbé, toutefois, doit faire toutes choses dans la crainte de Dieu et selon la Règle, persuadé que, sans doute aucun, il aura à rendre compte de toutes ses décisions à Dieu, ce juge souverainement équitable.
Pour les affàires moins importantes qui intéressent le bien du monastère, l'abbé prendra seulement le conseil des anciens, selon ce qui est écrit , "Fais tout avec conseil, et, après coup, tu ne t'en repentiras pas ."
Il faut s'accommoder, comme dit la sainte Règle, et croire que Notre Seigneur fait quelquefois connaître ses volontés par les plus jeunes. Rien ne plaît tant à Dieu que le coeur humble ; défiez-vous de vos propres sentiments.
n 949 A Mère Marie de Jésus, Prieure du monastère de Varsovie, ce 4 juillet 1695.
Il n'y a point de bonheur plus grand que de voir une maison religieuse bien réglée... Ce qui fait la perfection des maisons, c'est que chacune voit ce qu'elle doit faire dans l'emploi que la Religion lui donne et, par ce moyen, il n'y a point tant de paroles ni de diversité de sentiments. L'on n'a qu'à suivre ce qui est écrit,
conforme aux Constitutions, qui ne peuvent être bien observées que par la fidèle pratique des règlements. Je ne doute pas que, si on veut les pratiquer, que vous ne demeuriez d'accord que votre maison sera dans une grande perfection par l'union et conformité de pratiques qui la maintiennent. Pour bien établir une maison religieuse, il faut établir les observances qui doivent la bien régler en tout, et, dès les commencements, il faut établir les choses si l'on veut réussir, avant que l'on ait pris des habitudes que l'on ne peut après réformer qu'avec de très grandes peines.
no 801 A trois Religieuses de Pologne, 1695.
ATIIISIN1.. DE BAR A L'ECOUTE DE SAINT BLNOIT 53
Paf 41é11,,444 4. 41'4.114.-incine et de ses propres lumières, la Mère Prieure ne fera
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CHAPITRE IV
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES
Avant tout aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force.
Ensuite, le prochain comme soi-même.
Honorer tous les hommes.
Ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît.
Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
Aimer le jeûne.
Soulager les pauvres.
Vêtir qui est nu.
Visiter les malades.
Ensevelir les morts.
Secourir ceux qui sont dans la tribulation.
Consoler les affligés.
Rompre avec les manières du siècle.
Ne rien préférer à l'amour du Christ.
Ne point se mettre en colère.
Ne point se réserver un temps pour la vengeance.
Ne pas nourrir de fausseté dans son coeur.
Ne point donner une fausse paix.
Ne jamais perdre la charité.
Ne point jurer de peur de se parjurer.
Dire la vérité de coeur comme de bouche.
Ne point rendre le mal pour le mal.
Ne faire injure à personne, mais supporter patiemment celles qu'on nous
Aimer ses ennemis.
Ne pas maudire ceux qui nous maudissent mais plutôt les bénir.
Souffrir persécution pour la justice.
N'être point orgueilleux.
Mettre en Dieu son espérance.
Si l'on voit en soi quelque bien, le rapporter à Dieu et non à soi-même.
Se reconnaître, au contraire, toujours comme auteur du mal qui est en soi et se l'imputer.
Craindre le jour du jugement.
Redouter l'enfer.
Désirer la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme.
Avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort.
Veiller à toute heure sur les actions de sa vie.
Tenir pour certain qu'en tout lieu Dieu nous voit.
Briser contre le Christ les pensées mauvaises sitôt qu'elles naissent dans le coeur, et les
découvrir à un père spirituel.
Garder sa langue de tout propos mauvais ou pernicieux
Ne pas aimer à beaucoup parler.
Ne pas dire de paroles vaines ou qui portent à rire.
Ne point aimer le rire trop fréquent ou aux éclats.
Entendre volontiers les saintes lectures.
S'appliquer fréquemment à la prière.
Confesser chaque jour à Dieu dans la prière avec larmes et gémissements ses fautes pas-
sées, et, de plus, se corriger de ces maux.
Ne pas accomplir les désirs de la chair.
Haïr sa volonté propre.
* Ces instruments ou outils sont des formules pratiques du bien. Presque tous les versets de ce "catéchisme de perfection" sont empruntés à la Sainte Ecriture, plus ou moins littéraienent.
54 CATHERINE DE BAR E A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 55
Obéir en tout aux ordres de l'abbé, si même, ce qu'à Dieu ne plaise, il agit autrement ; se
souvenant du précepte du Seigneur : "Faites ce qu'ils disent, mais ce qu'ils font, gardez-vous
de le faire ."
Ne pas vouloir passer pour saint avant de l'être, mais le devenir d'abord, en sorte qu'on
soit estimé tel avec plus de vérité.
Accomplir, tous les jours, par ses oeuvres les préceptes du Seigneur.
Aimer la chasteté.
Ne haïr personne.
Ne pas avoir de jalousie.
Ne pas agir par envie.
Ne pas aimer à contester.
Fuir l'élèvement.
Vénérer les anciens.
Aimer les plus jeunes.
Par amour du Christ, prier pour ses ennemis.
Se réconcilier, avant le coucher du soleil, avec qui est en discorde avec nous.
Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.
Voilà quels sont les instruments de l'art spirituel, Si, jour et nuit, sans relâche, nous nous
en servons, quand, au jour du jugement, nous les remettrons, le Seigneur nous donnera la
récompense qu'il a promise lui-même : "Ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas
entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment ."
Or, l'atelier où nous devons travailler diligemment avec tous ces instruments, c'est le
cloître du monastère avec la stabilité dans la communauté.
Dieu vous doit être uniquement toute chose et rien ne doit être préféré à son amour, car le respect et la crainte de Dieu vous doit pénétrer jusqu'à la moelle des os. Concevez donc une haute estime de Dieu par la foi, afin que votre esprit le préfère à toutes choses et que vous puissiez demeurer dans la fidélité que je vous propose de sa part.
no 1511 A la comtesse de Châteauvieux.
Heureuse l'âme qui a trouvé Dieu en soi ; elle est plus heureuse que d'avoir conquis toute la terre.
Aime Dieu et puis fais ce que tu voudras, dit saint Augustin.
n 2015 Maximes.
Laissez tomber toutes les contradictions qui vous arrivent : ne vous détournez point de Notre Seigneur pour vous amuser à les regarder et à y réfléchir par les retours de votre esprit. Que rien ne soit capable d'empêcher votre regard vers lui ; il vous suffit. Si vous avez Dieu, qu'on vous mette haut, qu'on vous mette bas, qu'on vous dise une chose, qu'on vous en dise une autre qui vous mortifie, ni peine, ni affection, rien ne vous détournera de votre divin objet.
n • 176 Entretiens familiers, dimanche de Quasimodo, 1694.
Vouloir Dieu de tout son coeur, que pouvons-nous vouloir de meilleur ? Celle-là serait bien avare à qui Dieu ne suffirait pas. Ne soyez pas de ce nombre, mais soyez fidèle à vos saintes Règles et Constitutions ;c'est cela qui vous sanctifiera. Séparez-vous de tout ce qui trouble le repos de votre âme. Liez-vous à toute la Communauté pour l'amour de Jésus Christ, comme aux membres de son corps mystique, dont vous faites partie.
n • 1260 A une Religieuse, rue Cassette ; de Toul, 28 décembre 1664.
On aime Dieu très facilement, mais que l'on ait cette union pour son prochain, cela est rarissime. L'on dit : «Oui, je l'aime et lui veux du bien», et l'on ment souvent, car cela n'est pas véritable. C'est ce que je demande le plus à Dieu. pour vous, mes Soeurs, et la chose que je vous recommande le plus.
n 1526 Diversités spirituelles.
Vous m'avez quelquefois demandé comment il faut prier pour le prochain. Les uns prient vocalement, et d'autres en esprit pur et simple. L'âme prie pour son prochain selon son degré d'oraison ; quelquefois Dieu donne mouvement à l'âme de prier pour les misères d'autrui et, quand vous sentez en vous cette disposition, vous devez prier en la manière qu'on vous donne le mouvement. La plus ordinaire façon en laquelle vous devez prier, c'est en foi, par un simple regard vers Dieu qui connaît les besoins de ses créatures ; vous le priez qu'il les sanctifie toutes, et si votre prochain a des besoins particuliers qui soient à votre connaissance, vous les pouvez offrir à Notre Seigneur sans beaucoup vous en remplir, crainte que, sous prétexte de charité, vous ne jetiez votre esprit dans la dissipation et dans les égarements de votre imagination... Aimez votre prochain comme Dieu l'aime, et en l'état où sa sagesse éternelle le réduit ou le tient.
n 33 A la comtesse de Châteauvieux.
Pour être uni à Jésus Christ, il faut nous désunir de nous-même, mourir à tous moments à tout ce qui n'est point Jésus Christ et, pour lors, il vaincra et règnera en nous.
n° 1828 Chapitre à des Novices.
Nous commençons quelquefois très bien, mais nous n'allons guère loin. Et cela vient de ce que nous ne voulons pas mourir à nous-mêmes et donner vie à Jésus Christ en nous. Perdez-vous, ma très chère Soeur, et vous assurez que la meilleure et plus haute fortune que vous puissiez faire, c'est de vous perdre vous-même et toutes les créatures, car jamais Dieu ne se communiquera pleinement à votre âme que vous n'ayez tout perdu. Accoutumez-vous à vous contenter de Dieu seul, et vous expérimenterez qu'il est infiniment suffisant pour vous satisfaire.
no 1645 Chapitre.
Je vous vis autrefois si persuadée que tout ce qui n'était pas Dieu n'était que vanité et ne pouvait donner de véritable joie et satisfaction à votre coeur, qu'il n'est pas possible que vous voulussiez vous arrêter et attacher à quoi que ce soit de créé. Notre propre expérience est plus que suffisante pour nous rendre savante là-dessus, et pour nous convaincre qu'il n'y a point de bonheur pour une âme qu'en Dieu... Heureuse l'âme qui ne vit que de lui et pour lui, et, pour y arriver, je ne crois pas qu'il y ait d'autre voie que la mort.
n 1855 A une Religieuse de l'Institut.
56 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 57
Pour acquérir la véritable sagesse chrétienne, il faut nécessairement nettoyer notre coeur des indispositions qui pourraient contrarier son inestimable pureté et empêcher les progrès que vous prétendez faire en son amour.
no 2479 Maximes spirituelles.
Vous demandez ce qu'il faut faire pour que tous les moments de votre vie soient pour Dieu. Je ne sais rien autre chose, sinon qu'ils ne soient plus à vous-même et que vous ne viviez plus pour vous. Si vous me demandez comment, je vous répondrai que c'est par l'abnégation de vous-même en tout et partout, sans aucune recherche, sans aucune relâche. Si vous dites que cela est bien rude, je vous dirai qu'il faut bien que cela soit. J'ai toujours ouï dire que la vie chrétienne était une continuelle abnégation de toutes choses ; sans cela, ce n'est qu'une ombre et un amusement. Vous trouverez Jésus parfaitement en vous perdant, en vous éloignant de vous-même.
no 1565 Billet à une Religieuse, rue Cassette.
Et comment ferons-nous des sacrifices, si nous voulons en éviter les occasions ? Puisque vous avez tant de choses à retrancher, hâtez-vous et commencez une bonne fois à sortir de vous-même pour vivre de la vie de Jésus Christ. Demandez-lui cette grâce par l'intercession de sa sainte Mère.
no 2387 Conférence pour les premiers jours de l'an.
Vous m'apprenez la mort d'une prédestinée, ma très chère Mère, et je ne doute pas qu'elle ne soit en possession d'un souverain bonheur duquel je la congratule...
Si vous n'avez point de cave bénite, il faudra la mettre dans la cave de votre église, en attendant que vous ayez un caveau. On dit que vous avez plusieurs caves, vous pourrez en destiner une pour cela. Monsieur de Rabaumont * obtiendra permission de la bénir ou Monsieur votre Supérieur ira la bénir. Cela sera fait dans une bonne heure de temps. Il faut emprunter un Pontifical pour faire cette cérémonie, nous n'en avons point. Voici ses voeux, dont la Mère Sous-Prieure tire une copie pour vous envoyer, que vous ferez écrire en parchemin, avec l'âge de la défunte et le jour de sa mort. Il y faut aussi insérer les années de Religion et de profession, et puis vous mettrez ce mémoire avec les voeux dans une boîte de plomb ou de fer blanc bien soudée, que l'eau n'y puisse entrer et avec un fil d'archal, vous attacherez cette boîte au bras de la défunte, cachée dans la manche de son habit.
Prêtre, peut-être originaire de Lorraine. Il fut toujours un ferme soutien de notre Institut et paraît avoir rempli des fonctions ecclésiastiques près de plusieurs de nos maisons. Une lettre de Mère Mectilde le signale à Rouen, le 1er mars 1678, puis elle lui écrit le 30 septembre suivant pour lui demander d'aller rendre les mêmes services près des religieuses, encore en «Hospice», rue Saint-Marc, à Paris. On sait qu'il retourna en Lorraine vers 1691. Il continua, sans doute, ses bons offices près des monastères de cette région, puisque nos archives ont conservé le texte de l'oraison funèbre de Mère Mectilde, que Monsieur de Rabaumont prononça dans l'église du monastère de Toul, le 11 juin 1698. cf. C. de Bar, fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 155 - 174 - 175.
Nous ne mettons plus les mortes dans le brancard ; l'on a trop de peine de les en tirer pour les mettre dans leur cercueil. Nous les mettons d'abord directement dans le cercueil où elles doivent être enterrées. L'on y met des chevets fort élevés étant comme demi-assises.
Voilà le petit Saint Sacrement que vous mettrez entre les mains, et vous ferez faire une petite croix de bois que vous mettrez sur son coeur, en ôtant le Saint Sacrement d'entre ses mains. Vous ne faites cela que lorsqu'on la va mettre en terre, que vous lui couvrirez le visage d'un linge. Nous vous envoyons de l'étoffe noire pour entourer son cercueil, étant exposée... Si ma présence vous était utile, quoique misérable, j'irais de tout le coeur.
no 3072 A la Révérende Mère de Saint François de Paule, Prieure, mercredi 15 mars 1690. (autographe)
En recevant votre charité, de laquelle je vous rends grâce très humble, j'ai appris l'indisposition de Monsieur votre frère, dont je suis très touchée, sachant bien que vous l'êtes, mais sensiblement, puisque c'est la personne du monde qui vous est la plus chère. Je prends part à votre douleur et vous supplie me donner des nouvelles de sa santé et de la vôtre. La longue privation de votre présence me fait douter qu'elle soit bonne.
Toute la petite Communauté a commencé une neuvaine pour Monsieur votre frère. C'est un petit coup que la main de Dieu frappe sur votre coeur ; il en tirera sa gloire.
no 395 A Mademoiselle Loyseau, 14 mars.
Je vous compatis, et vous dis de ne point faire tant de violence pour vous empêcher de pleurer et de ressentir votre douleur ; laissez couler doucement vos larmes, elles dureront encore un peu de temps ; après cela, Notre Seigneur vous tirera imperceptiblement dans sa force divine, et vous unira à lui avec l'âme de ce cher défunt, qui est en Dieu, je vous prie de le croire. Selon l'humain, vous avez raison de le regretter, mais, selon le divin, il est heureux, et vous entrerez quelque jour dans son bonheur ; mais courage donc, ne vous troublez pas de votre douleur, Dieu la bénira ; tâchez seulement de ne vous laisser point accabler, faites votre possible pour dormir et manger. Il ne faut point vous laisser abattre.
n 2969 A Mère Saint Placide, rue Saint-Louis, mars 1694.
J'ajouterai encore un mot, mes Soeurs, pour vous recommander les misères et les nécessités publiques, et tant de pauvres âmes qui souffrent et qui gémissent dans leurs maux. Priez Dieu de les soulager et de leur faire faire de leurs peines un saint usage pour l'éternité, car c'est à quoi ils négligent de penser dans leur accablement ; et ainsi leurs souffrances leur sont inutiles. Il me souvient d'avoir connu un serviteur de Dieu qui me disait qu'il parcourait toutes les souffrances de la terre pour les offrir à Notre Seigneur, au défaut de ceux qui ne pensent pas à les lui offrir, ni à en profiter pour leur salut. Faites de même, mes Soeurs ; offrez à Notre Seigneur les souffrances de tous les affligés, lui demandant de les faire servir à leur sanctification, en leur accordant la grâce de les porter patiemment avec amour et soumission à ses divines volontés, et aussi en esprit de péni-
58 CATHERINE DE BAR
tente pour leurs péchés. Ainsi, ne pouvant exercer la charité envers eux d'une autre manière, vous les soulagerez par ce moyen. C'est à quoi je vous exhorte, et aussi à prier Notre Seigneur pour moi.
no 1752 Chapitre, vendredi, surveille de la Toussaint, 1693.
Examinez si l'on compatit aux infirmités et faiblesses du prochain, et si on les supporte avec esprit de charité, comme dit la sainte Règle.
Journée religieuse.
Une âme dépouillée de toutes choses est le lieu où Dieu fait sa demeure et prend ses délices avec elle. Aspirons à ce bienheureux état et ne nous soucions de rien que d'aller à Dieu.
n 2859 A une Religieuse de Rambervillers.
Ne rien préférer à son amour, mais être prête à donner votre vie à tout moment pour la pure gloire de sa majesté, sans retour, sans recherche et sans récompense.
no 1645 Chapitre.
Soyez fidèles et courageuses pour aller au-dessus de vous-mêmes, car vous ne pouvez être exactes aux observances sans mourir beaucoup. Mais si ce terme vous déplaît et vous semble trop rude, disons, [alors] sans sacrifier à tout moment. Mais, sans aller plus loin sur ce voeu de conversion des moeurs et m'étendre davantage à vous l'expliquer, vous pouvez vous en tenir au chapitre de la Règle qui traite assez long de cette matière. Des instruments des bonnes oeuvres, qui nous apprend à réprimer nos moeurs par les vertus qu'il nous enseigne de pratiquer. Vous y trouverez plusieurs pratiques, entre autres une que je vais vous dire, qui seule suffirait si elle était bien observée pour nous rendre parfaites, qui est de ne rien préférer à Jésus Christ. Voilà une grande parole, mais qui est-ce qui peut dire : «Je ne préfère ricn à Jésus Christ» ; il n'en faudrait pas davantage pour être sainte.
no 950 Conférence, 1695.
Ne prenez le parti de personne... Ne vous mêlez que de votre obligation ; gardez-vous de donner à la complaisance quelque parole moins charitable qu'il ne faut.
no n 1260a A une Religieuse, rue Cassette ; de Toul, 28 décembre 1664.
Les paroles de railleries doivent être entièrement bannies de vos discours, étant absolument opposées à l'esprit de notre sainte Règle, à la charité et à l'humilité, qui ne nous permettent pas de mépriser personne que nous-même.
Journée religieuse.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 59
Vous voyez qu'il faut porter sa croix de quelque part qu'elle nous arrive. Il faut tâcher de la souffrir avec douceur et patience, c'est-à-dire qu'il ne faut pas s'emporter contre celle qui vous fait de la peine, mais la souffrir patiemment à l'exemple de Notre Seigneur, qui doit être notre modèle partout et dans toutes les occasions de pratiquer la vertu.
n°1300 A toute la Communauté de la maison de Pologne, 5 août 1695.
Aimons le prochain, puisque Dieu nous le commande, et même nos ennemis, rendant le bien pour le mal, parce que ce prochain lui est cher comme la prunelle de l'ceil... Vivons de foi, agissons par la foi, et nous nous comporterons bien envers notre prochain, parce que nous regarderons toujours Dieu en lui qui nous empêchera dans les occasions de le condamner ou censurer.
no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.
On ne se fait aucun scrupule de juger des sentiments, des actions et souvent même des intentions, à tort et à travers et fort mal à propos, quoique Dieu y soit toujours offensé, car c'est anticiper sur ses droits à qui seul il appartient de juger.
no 950 Conférence, 1695.
Il nous faut seulement nous abandonner en toutes choses à son aimable volonté, sans nous mettre en peine d'autre chose... A quoi bon se tant inquiéter pour l'avenir ? Il n'arrivera rien que par la permission de son adorable Providence.
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n 2654 Entretiens familiers, août 1694.
Ne vous inquiétez de rien, laissez tout à la Providence qui en aura soin, et si elle veut que nous souffrions il faut le vouloir. Ce n'est pas si grande chose, pourvu que Notre Seigneur soit content et que nous fassions son plaisir cela doit nous suffire. Ne pensons qu'à lui plaire et il pensera pour nous, ainsi qu'il le disait un jour à sainte Catherine de Sienne : «Ma fille pense pour moi et je penserai pour toi». Patience, patience, je vous dis : encore un peu de patience vous verrez les bontés de Dieu et qu'il ne nous abandonnera pas, mais confiez-vous en lui comme des enfants aux soins de leur Père.
no 2242 Entretiens familiers.
C'est une vérité de foi que nous ne pouvons rien faire de nous-même ; tout le bien que nous faisons, nous devons le rapporter à Dieu qui en est l'auteur. Si nous réussissons à quelque chose, si nous avons une bonne pensée, si nous nous trouvons dans utie bonne disposition, tout cela ne vient pas de nous et n'est pas de nous ; il n'y faut pas faire de fond, car Dieu l'ôte et le donne comme il lui plaît.
no 2640 A une novice en particulier.
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60 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 61
Vous connaissez votre faiblesse, et avez assez d'expérience de l'inconstance et de la misère humaine. C'est pourquoi je vous conseille, dans les bonnes dispositions que vous ressentez, de les écouler toutes en Dieu, c'est-à-dire remettez-les en Dieu, afin que sa grâce et son amour le glorifient en vous selon son bon plaisir ; et, si vous êtes fidèle à ce point, vous vous garantirez de certaine secrète complaisance que l'âme prend quelquefois en ses bonnes dispositions et, les remettant en Dieu, elle s'en désapproprie.
no 1664 A la comtesse de Châteauvieux.
Il y en a quelquefois qui disent : «Si Dieu savait le désir que j'ai de lui plaire !» Ah ! pauvres Enfants, peut-il ignorer quelque chose, et ce désir peut-il vous être naturel ? Non, non, il ne vient que de sa pure miséricorde. C'est lui qui en est l'auteur, aussi bien que de tout le bien qui est en nous.
no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.
Je suis bien consolée de la résolution que vous prenez, mais donnez-vous à la force et à la puissance de Jésus Christ pour persévérer. Nous commençons souvent, mais le courage nous manque pour continuer ; c'est pourquoi il se faut donner plusieurs fois par jour à l'Esprit Saint de Jésus Christ pour obtenir la grâce de fermeté, afin de ne point désister du bien à la première occasion un peu difficile.
no 1448 A Mère Sainte Mectilde ('heuret. de Rouen.
Que nous aurons de regret à la mort de n'avoir pas rempli les desseins de Jésus Christ ! N'attendons pas à ce moment, mes Soeurs, où il n'y aura plus de temps. Faisons à présent ce que nous voudrions avoir fait. Ah mais, me direz-vous, une telle m'a dit une parole qui m'a choquée et cela m'occupe. Laissez-la tomber. Voilà une belle bagatelle, et qu'est-ce que c'est qu'une parole : c'est un vent et un néant ; cela mérite-t-il bien qu'on y pense ? Allons, allons au-dessus, méprisant ces choses et les négligeant comme des mouches qui passent, et attachons-nous à Dieu et nous occupons de sa sainte présence, suivant avec fidélité sa sainte volonté partout et en toutes choses, selon nos Règles et Constitutions. Ce sera le moyen de devenir sainte par la sainteté de Notre Seigneur et de son divin Esprit.
no 2663 Chapitre.
Mon Dieu ! que nous serons surprises à l'heure de notre mort, lorsque la vérité nous sera découverte. de voir de quelle manière nous avons consommé le temps et la vie !
Certainement, nous faisons tout autre chose que ce que nous devrions faire. Commençons à être tout à Jésus Christ. Cette parole est bientôt dite, mais elle n'a pas si tôt son effet !
n" 2695 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre.
Il n'y a qu'une seule chose qui puisse me donner de la joie, c'est si je me voyais sur le point de m'aller reconcentrer en Dieu. Il n'y a que cela seul qui puisse me réjouir, mais j'avoue que j'en aurais une grande joie. Toutes les beautés du Paradis même ne me frappent point ; je n'y suis pas sensible, et je ne désire de mourir que pour retourner à Dieu et m'abîmer en lui...
Comment voudriez-vous que nous nous réjouissions, étant hors de notre patrie dans une terre étrangère ? La seule chose qui peut adoucir notre peine est l'espérance de sortir de cet exil pour retourner à Dieu.
n° 374 l'ntret iCtlti familiers, 20 octobre 1694.
Le plus pressant est ma conversion et la grâce de bien mourir ; c'est le grand pas et le plus important de notre vie, et vous voyez qu'il ne faut pas attendre au moment pour s'y préparer.
re 2273 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre. 1664
Parlant sur la mort d'une religieuse, elle dit : «Voilà ce que c'est que la vie ; ne songeons plus qu'à nous y préparer, nous n'avons point de moment assuré. 11 faut toujours se tenir prête. Pour moi, je suis entièrement dans la mort ; j'en approche de près... Commençons donc à vivre sur la terre d'une manière libre et dégagée, sais attache à quoi que ce puisse être, nous élançant de temps en temps vers Dieu, nous tenant toujours prêtes. Faisons y tout ce que nous pour-
rons, et ce que nous ne pourrons pas, prions Notre Seigneur qu'il le fasse en nous pour sa gloire».
no 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.
Dites doucement et confidemment à cette jeune professe que vous voyez devant Dieu qu'elle ne remplit pas ses devoirs. Dites-lui que la Religion peut bien, dans les maladies, dispenser des austérités de la Règle, mais non jamais de l'obligation de tendre à la perfection de son état, c'est-à-dire de sa profession. Ramenez doucement son esprit, en parlant des devoirs d'une religieuse infirme, afin que, si le corps est incapable de remplir les obligations extérieures, l'esprit demeure appliqué à Dieu et soumis à sa conduite.
no 359 A une Religieuse du second monastère de Paris.
Faisons usage du présent, de crainte que nous ne possédions point l'avenir. C'est une grande importance dans la vie intérieure, pour faire en peu de temps un grand progrès, d'être attentive au moment présent, et c'est où la plupart des âmes manquent, car notre esprit naturel, souvent poussé par la tentation, aspire à ce qu'il ne possède pas, afin de n'être point appliqué à ce que la Providence lui présente dans le moment.
Voyons donc ce que Notre Seigneur veut de nous présentement ; soyons toujours en sa sainte présence, avec une disposition de respect, d'amour et de sou-
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A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 63
mission. Jamais ne la quittons sous prétexte d'en prendre de plus élevée, et, en cet état, laissons-nous agir par Jésus Christ, laissons-le opérer en nous à sa mode, qu'il renverse, qu'il détruise, qu'il crucifie, qu'il tue, qu'il consomme, il ne fera rien que de très bien à sa gloire et à la sanctification de ses élus.
n" 2438 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre, 18 mars 1695.
Je ne fais pas grand fond sur nos résolutions, car notre faiblesse nous empêche de les tenir, mais ce que nous avons à faire pour nous rendre fidèles et nous garantir de nos imperfections, c'est de nous tenir proches de Dieu, de l'avoir le plus que nous pouvons en vue, de le regarder toujours présent. Voyez même qu'il le dit à Abram avant qu'il eût fait son sacrifice : «Marche en ma présence et tu seras parfait». C'est véritablement aussi le moyen le plus court et le plus facile pour se perfectionner car une âme qui a toujours Dieu présent se garde bien de rien faire qui lui puisse déplaire.
no 1081 Entretiens familiers.
Pour rectifier vos intentions, il est nécessaire que vous tâchiez de vous conserver en présence de Dieu, en vous souvenant que vous êtes environnée de son immensité, de telle sorte que vous n'en pouvez sortir. Un souvenir de Dieu bien fréquent fait un très grand bien à l'âme. C'est de cette présence que l'on tire la règle de perfection à laquelle Dieu nous appelle. Si vous la pratiquez, vous serez heureuse... Tâchez de tendre à Dieu et de vous remplir de sa présence : vous en serez plus forte et votre âme en recevra plus de consolation.
no 1025 A une Religieuse, rue Cassette.
Le plus grand de vos maux, c'est que vous ne vous tenez pas ferme en la présence de Dieu, et que, vous occupant de cent choses que vous ne devez pas, vous tombez dans les tentations. Retournez, retournez vers Notre Seigneur, et voyez votre obligation intérieure... Du reste, allez à Dieu par les voies d'une profonde humilité et d'une action de grâce continuelle de ses miséricordes. Il permet vos dégoûts pour le bien, afin que vous conceviez qu'il faut une vocation bien forte pour remplir les obligations d'une profession religieuse.
no 2900 A une Religieuse, Paris, 13 février 1683.
Ne sortez jamais de la vue adorable de Dieu présent, si vous ne voulez pas vous exposer au péril. Vous êtes une enfant, qui ne pouvez marcher seule. Appuyez-vous sur cette divine présence, qui vous accompagne partout. Cette vue règlera votre esprit et vous empêchera de vous empresser.
Pour moi, je ne sais point faire de résolution. Mais ce que je fais, c'est de me tenir près de Notre Seigneur. C'est le seul moyen que je sais trouver pour m'empêcher de tomber. Je vous conseille de vous en servir, et vous verrez que vous vous en trouverez bien.
no 2854 Entretiens familiers.
Si le Saint Esprit se sert de nos méditations, Dieu se sert souvent des lectures pour nous éclairer. C'est pour cela que les Règles de la sainte Religion ordonnent si expressément l'usage des lectures spirituelles : ce sont des prédicateurs muets
qui ne laissent pas de frapper le coeur et d'éclairer l'esprit. De quelque façon qu'elles puissent venir en nous, je les vois comme des effets de très grandes grâces. C'est pourquoi je vous exhorte de les bien suivre.
no 469 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis (autographe).
Quand vous ne savez que faire, pensez que Dieu est en vous, et occupez-vous à le remercier de toutes les grâces qu'il vous fait actuellement ; vous en recevez une infinité auxquelles vous ne pensez pas, et que vous ne connaissez même point.
no 2829 Entretiens familiers.
Prenez l'habitude de vous rendre souvent à Dieu en esprit, et, dans les rencontres fâcheuses, le renouvellement de votre sacrifice vous servira de force pour triompher de vous-même et de vos ennemis. Je prie Notre Seigneur Jésus Christ qu'il vous imprime au fond du coeur, l'obligation que vous avez de vivre de sa vie.
n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.
Ne faisons plus d'infidélités volontaires. Pour les faiblesses, nous en aurons toujours, car si le juste tombe sept fois le jour, combien tomberons-nous davantage, nous qui ne le sommes pas ? Il n'est pas en notre pouvoir de nous empêcher de faire des fautes, mais au moins tâchons qu'elles ne soient que de pure fragilité, . c'est-à-dire involontaires : et. aussitôt que nous en avons commis quelqu'une, retournons à Notre Seigneur, pour nous en humilier devant lui et nous réunir à lui
no 3157 Conférence, 11 mai 1695.
Il faut avoir du regret de ses infidélités et du peu d'usage que l'on a fait du sang de Jésus Christ, mais sans aucune défiance de sa miséricorde, qui est infinie...
Ces âmes humiliées sont agréables à Notre Seigneur, pourvu qu'elles se gardent de l'inquiétude et de l'empressement, mais qu'elles demeurent seulement dans l'esprit de componction.
n 1862 A la comtesse de Châteauvieux.
Journée religieuse.
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Si vous n'avez pas vécu jusqu'à présent conformément à la sainteté de votre état, soit pour n'en avoir pas compris la grandeur ou manque de fidélité, humiliez-vous en devant Dieu, et lui en demandez pardon.
1.10 950 Conférence, 1695.
Gardez-vous bien de regarder la créature en la Supérieure ; c'est un grand malheur dans la Religion. Il est de foi que c'est Jésus Christ qui gouverne en leur personne ; c'est pourquoi nous le devons honorer en eux, puisqu'il dit lui-même en parlant des Supérieurs : «Qui vous obéit, m'obéit ; qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise». Et comme il y en a d'imparfaits, il dit ailleurs : «Faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font». Quand vous auriez un ange, il y a toujours beaucoup de bénédiction d'envisager Dieu uniquement et nous détourner de la créature autant que nous le pouvons.
n 527 Chapitre.
Vivez de foi, ne vous laissez point conduire par la raison humaine ; mais que la foi pure soit votre lumière et qu'elle vous éclaire partout...
Pensez souvent que Dieu est votre commencement et votre dernière fin. Soyez tout à lui sans réserve ; rien au monde n'est capable de nous séparer de Dieu, que nous-même ; toutes les puissances de la terre et de l'enfer n'en ont pas le pouvoir. Voyez ce que saint Paul en dit.
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n 2640 A une novice en particulier.
Il y en a quelquefois qui disent : «Dieu fait bien plus de grâces à celui-ci, à celle-là, qu'à moi». Jamais il ne faut regarder les grâces que Dieu fait aux autres pour les envier, ni vous contrister de ce que vous en avez moins ; au contraire, vous devez vous réjouir que Dieu soit glorifié dans ces âmes. Il y a plusieurs demeures en la maison de Dieu.
n 547 Entretiens familiers.
N'ayez jamais rien à démêler avec personne ; cédez partout ; mettez-vous toujours au-dessous de tout ; croyez que vous ne serez jamais aussi bas que vous devez être et que Notre Seigneur s'est abaissé pour vous.
Prenez bien garde que toutes vos intentions soient pures et que Dieu soit votre unique motif en toutes choses.
n 1955 A une jeune Religieuse.
Si nous nous observions un peu, nous remarquerions en nous ce penchant malheureux qui tend toujours à l'élévation. La moindre apparence d'humiliation nous met au désespoir, et vite nous cherchons les moyens de l'éloigner de nous. L'on ne veut point être reprise, ni censurée, ni contredite, enfin l'on veut toujours être approuvée, et l'on s'éloigne bien de la vérité.
Faites votre fort du néant, car si une fois vous pouvez vous [y] plonger, vous trouverez le Paradis en terre, et nulle créature ne pourra troubler votre paix.
no 416 Sentence.
Puisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l'outrage que vous lui faites en vous défiant de sa bonté. 11 se tient moins offensé d'un crime que de la défiance en sa miséricorde... Modérez vos sentiments et gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur. Regardez-le en ces qualités, et non comme un tyran, ainsi qu'il paraît que vous faites. A quoi bon se retirer de la confiance pour se jeter dans le désespoir ? ... Quelque méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père, et il a plus de bonté pour vous que vous n'avez de malice.
n 2004 Entretiens familiers, 1er avril 1694.
Le pauvre a besoin de demander souvent l'aumône pour soulager son indigence. De même notre âme, pauvre de Dieu, qui est son trésor et sa richesse éternelle, doit souvent gémir au pied du trône de sa miséricorde sans jamais s'en rebuter, quoiqu'il semble quelquefois qu'on ne vous écoute pas. La persévérance gagne souvent ce que nous ne méritons pas d'obtenir.
no 2016 A la comtesse de Châteauvieux, décembre 1662.
Notre consolation dans notre misère est que Notre Seigneur n'est point venu pour les justes, mais pour les pécheurs. Confions-nous en lui, non d'une confiance téméraire, mais nous confiant sur sa bonté infinie. Pour moi, j'en ai plus besoin que personne, et si saint Michel ne fait un bon poids sur ma balance, j'ai tout lieu de craindre par le grand compte que j'ai à rendre.
no 374 Entretiens familiers, 20 octobre 1694.
Le jour de la Présentation de Jésus au temple, à la récréation, elle dit à une de nous : «Soyez fidèle à vos pratiques extérieures ; soyez fidèle à la présence de Dieu ; soyez fidèle à ne point communiquer vos sentiments pour vous contenter ; soyez fidèle à conserver votre paix intérieure, car, quand on l'a perdue, on ne voit goutte, on ne sait où l'on va».
no 1986 Entretiens familiers, 2 février 1696.
L'attention à Dieu, le regard de Dieu simple, l'adhérence à Dieu, tous trois sont quasi mêmes choses. 11 ne faut que la fidélité à ces choses pour être bientôt parfaite. Heureuse l'âme qui a trouvé Dieu en soi ! Elle est plus heureuse que d'avoir conquis toute la terre.
n 621 Diversités spirituelles.
n 2215 Conférence.
66 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 67
Une âme humble est le trône de Dieu, mais pour être son trône, il faut avoir un esprit stable, car, comme une personne ne pourrait être assise sur un siège mouvant, ainsi Dieu ne peut pas se plaire dans une âme mouvante qui veut aujourd'hui le bien et demain plus, qui est à point quiète et tantôt dans le trouble ; il faut donc être stable pour être le trône de Dieu.
C'est le propre d'une âme humble d'être paisible, tranquille, affable, douce, toujours dans une égalité d'esprit ; une personne humble gagne les coeurs de tout le monde.
n 458 Conférence.
CHAPITRE V
DE L'OBEISSANCE
L'obéissance sans délai est le premier degré de notre état d'humilité . Elle convient à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ. Mus par le service sacré dont ils ont fait profession, ou par la crainte de l'enfer, ou par le désir de la gloire éternelle, dès que le supérieur a commandé quelque chose, ils ne peuvent souffrir d'en différer l'exécution, tout comme si Dieu lui-même en avait donné l'ordre. C'est d'eux que le Seigneur dit : "Dès que son oreille a entendu, il m'a obéi". Et il dit encore à ceux qui enseignent : "Qui vous écoute m'écoute." Ceux qui sont dans ces dispositions, renonçant aussitôt à leur propres intérets et à leur propre volonté, quittent ce qu'ils tenaient à la main et laissent inachevé ce qu'ils faisaient. Ils suivent d'un pied si prompt l'ordre donné que, dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu, il n'y a pas d'intervalle entre la parole du supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment. Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle.
C'est pour cela qu'ils entrent dans la voie étroite dont parle Notre Seigneur, lorsqu'il dit : "Étroite est la voie qui conduit à la vie ." Aussi, ne vivant plus à leur gré et n'obéissant plus à leurs désirs ni à leurs inclinations, ils marchent au jugement et au commandement d'autrui, et souhaitent de se soumettre à un abbé dans un monastère. Assurément les hommes de cette trempe imitent l'exemple de Notre Seigneur qui dit : "Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé ."
Mais cette obéissance ne sera bien reçue de Dieu et agréable aux hommes, que si l'ordre est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmure, sans parole de résistance. Car l'obéissance rendue aux supérieurs, c'est à Dieu qu'on la rend, puisqu'il a dit : "Qui vous écoute m'écoute ." Et c'est de bon coeur que les disciples doivent obéir parce que "Dieu aime celui qui donne joyeusement ."
Si, au contraire, le disciple obéit, mais s'il le fait de mauvais gré, s'il murmure non seulement de bouche mais encore dans son coeur, même s'il exécute l'ordre reçu, cet acte ne sera pas agréé de Dieu, qui voit dans sa conscience le murmure. Bien loin d'en être récompensé, il encourt la peine des murmurateurs, s'il ne se corrige et ne fait pénitence.
Oh ! le bonheur d'une âme de se reposer en Dieu et s'oublier d'elle-même !... Regardez-le donc toujours pour suivre son esprit, pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu'il veut, pour nous y soumettre, pour qu'il nous attire tout à lui. «Trahe me post te.) Il n'y a que deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : adorer et adhérer toujours, donc adorer et adhérer à tout ce qu'il fait, à tout ce qu'il permet, à tout ce qu'il veut, l'aimant, le voulant et l'agréant par soumission à ses ordres. Voilà le moyen que tout ce qui peut arriver en la vie ne nous puisse troubler.
no 1875 Entretien familier.
Je ne vois rien de plus nécessaire à une âme que l'obéissance, après avoir bien considéré ce qui est écrit de Jésus Christ : qu'ail a été obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix). L'on ne fait pas tant de mention de ses adtres vertus comme de son obéissance : «obéissance jusqu'à la mort de la croix). Aussi est-ce jusqu'à ce point où notre bienheureux Père la met dans sa sainte Règle, puisqu'il la porte jusques aux choses impossibles.. Si nous concevions bien cela, nous serions plus ponctuelles, non seulement à obéir aux supérieures et à toutes sortes de personnes pour l'extérieur, mais à Dieu, selon son degré. Que cette obéissance est grande et qu'elle est d'une longue étendue !...
Quand je vous dis que vous suiviez les mouvements de la grâce selon toute son étendue, je n'entends pas que vous fassiez quelque chose d'extraordinaire
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68 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 69
sans congé exprès... C'est le seul et unique point qui nous est nécessaire pour arriver en peu de temps à la vraie perfection.
n° 1218 Conférence sur l'obéissance.
Le plus grand sacrifice que nous puissions faire est l'obéissance, puisqu'en obéissant on renonce au pouvoir que l'on a [de] disposer de sa propre volonté, de son jugement et de la raison pour en faire un sacrifice, en les assujettissant aua volontés de Dieu et aux personnes qui nous tiennent sa place...
Mais l'obéissance a trois conditions, sans lesquelles elle ne peut être parfaite :
1°) Elle doit être prompte et sans retardement, quittant tout ce que l'on fait... aussitôt qu'on entend l'ordre de l'obéissance, et c'est par cette promptitude que se fait le sacrifice de la propre volonté...
2°) L'obéissance doit être aveugle, ne se donnant jamais la liberté d'examiner... ce qui est plus ou moins proposé puisque, si l'on raisonnait, ce serait seulement obéir à la raison humaine...
3°) L'obéissance doit être entière... Celles qui manqueront volontairement à une de ces trois conditions ne rendront point parfait le sacrifice qui rend Dieu le Maître absolu de notre volonté... ; et l'obéissance étant défectueuse et imparfaite ne peut lui être entièrement agréable.
Journée religieuse.
L'Apôtre, considérant l'abondance des grâces que nous avons reçues par Jésus Christ, les attribue à son obéissance, et dit que, comme nous sommes devenus pécheurs par la désobéissance du premier homme, nous sommes purifiés par l'obéissance de Jésus Christ. C'est ce qui doit porter nos Soeurs à demander tous les jours à Dieu le véritable esprit d'obéissance et la grâce de bien pénétrer ce que dit la sainte Règle : qu'il faut regarder et obéir à la Supérieure comme à Dieu même, de peur que, manquant à ce devoir, il ne soit offensé en sa personne.
Journée religieuse.
Jésus Christ nous est venu enseigner l'obéissance par son exemple... Qui nous empêchera de nous y rendre fidèle à son exemple et à celui de sa très sainte Mère, qui n'y a jamais manqué d'un seul point ? En vérité mes Soeurs, il faut y travailler. Je me sens pressée de vous l'ordonner en vertu du pouvoir que Jésus Christ me donne sur vos âmes ; c'est lui qui vous le commande. Que chacune y prenne garde et se rende attentive intérieurement à ses mouvements, pour les exécuter fidèlement et courageusement, sans plus tarder. Dieu vous le demande.
no 1218 Conférence sur l'obéissance.
Je vous conjure d'être fidèle à vos exercices, à l'obéissance, à vos Règles, à la charité du prochain. Si votre fond est crucifié, il en deviendra plus pur. Si vous êtes humiliée, c'est ce qui vous est nécessaire pour vous approcher de Dieu.
Ma Soeur, je vous dis aujourd'hui de la part de Dieu... que vous preniez à coeur l'obéissance, faisant tout ce qu'elle vous ordonne.
n • 1711 A une jeune Professe.
Soyez un peu généreuse et vous oubliez de vous-même, pour vous abandonner à la conduite de Dieu et de l'obéissance ; ne dites point qu'il ne vous connaît pas, simplifiez votre sens naturel, et soyez certaine que vous ne risquez rien de vous soumettre aux avis et conseils de vos supérieures ; nous ne voyons personne qui ait jamais péri pour avoir obéi. Saint Bernard dit : qu'il n'y a point d'obéissant en enfer ; saint François de Sales dit : qu'on peut être saint sans contemplation, mais non jamais sans obéissance. Attachez-vous, ma chère fille, à cette sainte vertu pour votre perfection intérieure et extérieure, bref pour toute votre conduite, vous assurant que Notre Seigneur donnera précisément tout ce qu'il faut de lumière et de grâce à vos supérieures pour vous faire marcher dans les voies de votre sanctification, mais il faut que vous ayez de la foi, de la confiance et du respect.
n • 1312 A Mère Saint François de Paule Charbonnier, à Toul.
Je vous exhorte de toutes mes forces à tendre de plus en plus à la fidélité. Étudiez et examinez la sainte Règle pour en prendre l'esprit ; vous trouverez qu'elle ne porte qu'à la soumission et à la dépendance.
L'obéissance est donc votre principale obligation en qualité de religieuses de saint Benoît ; elle ne l'est pas moins en qualité de Filles du très Saint Sacrement, qui vous oblige à un rapport de conformité avec Jésus Christ, lequel a été obéissant jusqu'à la mort de la croix, obéissance qu'il continue encore sur l'autel... Ne cherchez pas de raisons pour vous dispenser d'obéir. Lisez souvent votre sainte Règle pour vous en imprimer l'esprit ; vous y trouverez toutes de quoi vous sanctifier, si vous êtes fidèles à suivre ses maximes ; les infirmes aussi bien que les autres, quoique dispensées des austérités, ne le sont pas de tendre à la perfection qu'elle renferme. Les austérités et les pratiques, étant bien observées, suffisent pour vous faire des saintes ; n'en cherchez pas davantage.
n° 2402 Entretiens familiers.
Entrons donc dans la pratique solide. Ce n'est pas assez d'être convaincue des vérités, mais il les faut mettre en effets et, pour cela, je trouve deux choses très nécessaires, qui est le silence intérieur et extérieur, une obéissance très exacte à tout ce que Dieu demande de nous par notre Sainte Règle et par nos règlements.
no 2862 Conférence, 1663.
Quittez donc tout pour vous rendre à une observance, et ne dites pas : «Je fais oraison !». Cette oraison est illusion, si elle vous retire de l'observance et de l'obéissance qui vous appelle.
n 1310 A une Religieuse, rue Cassette. n° 1776 Chapitre.
70 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 71
Je vous en prie, ayez un grand amour pour la vie commune ; aimons le commun et nous y conformons. Car tout ce que la Règle et les supérieures ordonnent, c'est Dieu qui le veut. Dites donc quand la cloche sonne : «C'est mon Dieu qui m'appelle, et je veux lui obéir». Ainsi, quand vous faites une observance suivant la Communauté, dites hardiment : «Mon Dieu, je fais votre sainte volonté ; mais donnez moi la grâce de la faire comme vous voulez, avec les dispositions que vous désirez». C'est un secret admirable de la vie intérieure, et nous appelons cela trouver Dieu partout par un amoureux acquiescement à ses ordres. C'est le coeur qui fait cette disposition, sans gêne ni contrainte, car il est le siège de l'amour. «Am et fac quod vis» (Dilige et quod vis fac. St Augustin : Commentaire de la
épitre de St Jean. S.C., Cerf 1961, Traité VII, 8, p. 328).
no 669 A la Communauté, rue Cassette, 1664.
Pour obéir parfaitement, il faudrait être entre les mains de ses supérieures comme l'outil est entre les mains de l'ouvrier, qui s'en sert à quel usage il lui plaît, sans y trouver la moindre résistance. Un vrai obéissant est de même entre les mains de ses supérieurs, prêt à faire indifféremment tout ce qu'ils voudront, sans témoigner la moindre répugnance aux emplois où on le met...
Nous ne pouvons rien donner de plus grand à Dieu que ce que nous lui donnons par le voeu d'obéissance, parce qu'il est celui qui nous captive davantage, et que naturellement nous n'avons rien de si cher que notre liberté... A la vérité, on ne peut être chrétienne par nature et encore moins religieuse ; ce n'est que par grâce, parce que l'on ne peut être ni l'une ni l'autre sans sacrifier à tout moment. L'obéissance perfectionne le sacrifice, et le sacrifice perfectionne l'obéissance.
no 950 Conférence, 1695.
Ah ! mes Soeurs, soyons bien fidèles à nos Règles et Constitutions et à toutes les observances de la sainte Religion, principalement au silence et à l'obéissance. Notre Règle, cette Règle sainte nous dit qu'«ils n'auront pas même leur volonté à leur disposition». Que ce dégagement est grand et qu'il va loin ! Par vos voeux, mes Soeurs, vous avez tout quitté ; par la pauvreté, vous avez renoncé aux biens de la terre ; mais vous avez renoncé à votre volonté en faisant le voeu d'obéissance. Vous n'y avez plus de droit ; vous êtes entre les mains de la Religion et de vos supérieures pour faire ce qu'il leur plaira vous ordonner de la part de Dieu, puisqu'ils vous tiennent sa place.
no 2362 Chapitre à des novices, 1687.
La principale vertu, c'est la sainte obéissance, sans quoi nous ne pouvons être vraies religieuses ni faire aucune chose qui soit agréable à Dieu... La Religion établit des supérieures dans chaque monastère pour donner lieu aux religieuses d'obéir. Il les faut regarder comme celles que Dieu a choisies pour tenir sa place et pour lui confier son autorité ; c'est pourquoi il faut les respecter et leur obéir simplement et sincèrement comme à Dieu même ; ce sont les paroles de notre sainte Règle, c'est le moyen de conserver le bon ordre dans une maison religieuse et d'y vivre de la sainteté que nous y professons, car, sans l'obéissance, il n'y a rien dans une religieuse qui puisse plaire à Dieu.
no 1300 A toute la Communauté de la maison de Pologne, 5 août 1695.
Un vrai et parfait obéissant obéit en simplicité et ne fait pas comme certaines personnes qui s'informent jusqu'à quel degré on est obligé d'obéir sous peine de péché, afin de ne pas passer plus loin. Il est bien à craindre que ces personnes, qui ont si peur d'en trop faire, ne tombent petit à petit dans des fautes, sur cette matière, considérables. Il y faut prendre garde, car souvent des petites on en vient aux grandes.
n 950 Conférence, 1695.
Vous avez bien fait de nous dire vos sentiments, en remettant le tout à Notre Seigneur, qui ne permet les contradictions que pour nous sanctifier. Je n'ai eu aucun dessein de vous troubler, mais bien de vous toucher un peu pour Dieu, réveillant en vous le souvenir de vos obligations et l'esprit de notre sainte Règle, qui veut que l'on obéisse promptement et simplement. Tout notre mal, c'est que nous sommes bien vivantes dans nos propres sens et jugements, et que nous avons bien de la peine de nous en sortir.
Il ne faut pourtant pas se décourager... c'est un Dieu qui vous appelle, ce n'est pas moi. Je ne vous presse que pour le contenter, et sanctifier votre âme en la faisant jouir d'une paix et tranquillité divines.
no 3006 A une Religieuse, rue Cassette.
Il faut que vous abandonniez entièrement à Dieu tous vos plaisirs, toutes les satisfactions de la nature, tous vos intérêts, votre âme, votre vie. votre santé. que vous soyez dans une telle disposition qu'il ne faille que vous dire ce qu'il faut faire et que l'on vous trouve toujours très prête à le faire.
no 2479 Maximes spirituelles.
Ne refusez rien à Dieu et dites en vous-même : «Je suis créée pour Dieu, c'est pourquoi tout ce que je suis est à Dieu ; je ne dois donc plus vivre pour moi, mais être petite partout, céder partout».
no 2998 Diversités spirituelles.
Vous devez être persuadée d'une vérité fondamentale : que vous n'êtes point à vous-même, que vous êtes l'ouvrage d'un Dieu par votre création et le prix du sang de Jésus Christ par votre rédemption. Donc vous n'êtes rien à vous et ne
devez avoir rien pour vous, vous n'avez pas un souffle de vie, ni un moment, ni un respir, ni la faculté de quoi que ce puisse être qui ne vous soit acheté par le sang d'un Dieu incarné...
Dieu demande de vous une enfance si grande que vous soyez sans aucune résistance, toujours prête à tout ce que l'on veut de vous... Soyez toujours en état d'être ou n'être pas, de faire ou ne point faire tout ce que la sainte obéissance voudra, laquelle obéissance vous devez rendre indifféremment à toutes celles qui sont établies sur vous et même à toutes personnes, pourvu que leur volonté ne préjudicie point à celles des supérieures.
no 629 A une Religieuse, rue Cassette.
72 CATHERINE DE BAR t A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 73
C'est une belle chose de voir tout en Dieu et Dieu en toutes choses. Dieu m'ordonne-t-il cela ? Veut-il cette autre ? Me prive-t-il de celle-ci ? Permet-il celle-là ? Je suis prête à tout, je n'ai point de volonté, je ne veux rien que ce qu'il lui plaît.
n 868 A une Religieuse de Toul.
Il ne faut point faire de violence à votre vue, cela la gâterait tout à fait. Il la faut ménager, c'est une perte trop considérable ; ayez soin de la conserver, et, pour cet effet, le maigre vous est contraire ; je suis assurée que le médecin ne le permettra pas. Laissez-vous tout simplement à l'obéissance ; je vous le conseille, c'est le plus parfait. Si nous pouvions ne jamais faire ce que nous voulons, nous ferions plus souvent la volonté de Dieu.
n0 1070 A une Religieuse, rue Cassette, 7 août 1679.
Je bénis Dieu de tout mon coeur qu'il vous donne la force de vous soumettre. L'obéissance est un remède à tous nos maux, ce me semble, car là où nous ne voyons goutte et que nous'serions dans l'erreur, l'obéissance nous soutient, nous redresse et nous assure. Il n'y a point de péril d'obéir, et jamais aucune âme n'a mal fait d'obéir. Tâchez de vous tenir là. C'est le soulagement de votre esprit qui s'embarrasse facilement et qui se peine de toutes choses... Quand vous vous soumettez, prenez donc tâche de ne plus tant raisonner, ni répliquer. Quoique vous croyiez avoir bonne raison, vous devez croire que l'obéissance est encore meilleure, puisque nous ne vous commandons que ce que nous voyons que Dieu veut de nous.
no 903 A une Religieuse de Toul.
Formez une sainte résolution de croire en simplicité ce que l'on vous dit ; votre Supérieure est choisie de Dieu pour votre conduite et pour vous énoncer
- ses adorables volontés. Vous devez vous soumettre à ses conseils, qui sont saints et qui sont de l'esprit de Dieu. Vous devez l'écouter comme si lui-même vous parlait.
no 1607 A Mère Scholastique de Jésus d'Ambray à Rouen, ce 4 juillet 1692.
Vous ferez ce que Notre Seigneur voudra. Je ne peux souffrir des âmes qui disent qu'elles seront bien aises de ceci ou de cela. Il ne faut être bien aise que de faire la volonté de Dieu et de souffrir pour lui.
n 2003 Entretiens spirituels, ler avril 1698, mardi de Pâques. Dernière parole de Mère Mectilde à une religieuse.
Dieu nous assemble. Je dis que Dieu assemble cette petite compagme et que nous devons être comme les apôtres dans le cénacle, qui étaient à l'attente du Saint Esprit. Et vous, mes Soeurs, vous êtes dans l'attente des volontés de Dieu sur vous, qui vous seront manifestées non par un ange mais par vos supérieures. Je suppose que vous êtes venues dans cette assemblée avec esprit et dans trois
dispositions : la première, de dégagement ; la seconde, de simplicité ; la troisième, de docilité. De dégagement, pour n'avoir aucun choix, ne voulant pas plutôt un office qu'un autre, mais s'estimer indigne d'occuper ceux que Dieu vous ordonnera. De simplicité, ne raisonnant pas pourquoi cet office plutôt qu'un autre, sans murmurer ni condamner le choix qui en sera fait. Que si vous avez quelque lumière que les choses soient mieux à votre sens d'une autre manière, étouffez ces pensées, et croyez que Dieu ne les a pas données à votre Supérieure à la façon que vous les avez. qui n'a rien fait qu'elle n'ait pesé devant Dieu pour le faire en son Esprit. De docilité, les exerçant avec soumission et fidélité. Tout dépend de vos fidélités, et vous devez exercer les offices qui vous seront imposés comme la chose qui vous est manifestée de Dieu pour vous sanctifier.
n 350 Chapitre.
Vous savez, comme autrefois je vous ai dit, que la désobéissance nous avait tirés du paradis terrestre et privés de la grâce de Dieu. Il est de foi, ma très chère fille, que nous n'y pouvons retourner, ni recouvrer la perte que nous avons faite de l'amitié de Dieu (c'est-à-dire de sa grâce) que par l'obéissance ; et Notre Seigneur demande de certaines âmes une si grande fidélité au regard de cette sainte vertu qu'il semble y attacher toute leur sanctification et que. hors de la pratique d'icelle, elles sont environnées de naufrages et d'étranges précipices...
C'est un moyen pour vous acheminer plus promptement à la sainte perfection, et c'est par cette sincère obéissance que vous êtes faite semblable à Jésus Christ, lequel s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix. C'est donc dans l'obéissance qu'il faut consommer votre sacrifice.
L'obéissance vous garantira des pièges du démon et des illusions malignes. L'obéissance donnera un mérite actuel à toutes vos actions, même indifférentes.
L'obéissance vous séparera de vous-même pour vous rendre à Jésus Christ. L'obéissance soutient la grâce dans votre âme.
L'obéissance vous fait persévérer et consommer en amour pour Jésus Christ, bref, le vrai obéissant ne peut périr, puisque l'obéissance nous sanctifie. Elle est la marque de l'esprit de Dieu dans une âme. Le diable ne peut tromper le vrai obéissant, d'autant qu'elle détruit tout ce qui soutient en nous son malheureux empire. Voulez-vous être promptement anéantie ? Soyez parfaitement obéissante. En un mot, voulez-vous être ume à Dieu ? Convertissez-vous sans réserve à lui par l'obéissance. Voyez donc l'efficace et la vertu de l'obéissance ; elle chasse les démons ; elle fait les choses impossibles. La Sainte Écriture est toute pleine de ses merveilles.
n 993 A la comtesse de Châteauvieux.
Notre sainte Règle ne parle positivement que du voeu d'obéissance. Les autres sont enfermés dans celui d'obéissance. Toute la substance de notre sainte Règle n'est qu'obéissance, et je ne m'en étonne pas, puisque notre bienheureux Père saint Benoît était rempli de l'esprit de tous les justes, qui n'est autre que Jésus Christ Notre Seigneur, modèle d'une parfaite obéissance, de laquelle il a fait voeu dès le moment de son incarnation. C'est l'état qu'il a porté dans sa vie humainement divine, et c'est celui qu'il porte encore dans sa vie eucharistique,
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là où il s'est engagé d'être et d'y demeurer jusqu'à la fin des siècles. Oh ! mes Soeurs, quel amour devrions-nous avoir pour l'obéissance dans la vue d'un Dieu obéissant ! Mais quelle fideté à cette sainte vertu, puisque notre sainte Règle, qui nous l'enjoint si expressément, n'est qu'une émanation du coeur de Jésus dans celui de notre Père saint Benoît. C'est l'obéissance du même Jésus qui sanctifie les nôtres et qui donne grâce et force pour obéir, et je vous donne ma parole que, si vous vous exercez fidèlement à la sainte obéissance selon nos saintes Règles, vous acquerrez toutes les vertus, puisque l'obéissance donne la mort à notre volonté propre. Malheur ! A peine une religieuse vraiment obéissante passe-t-elle par le purgatoire au sortir de ce monde, tant l'obéissance pacifie une âme et l'orne de toutes les vertus. Il se faut attacher à l'obéissance indispensable-ment et au nom de Dieu, mes Soeurs, ne demandez jamais de dispense de l'obéissance sous prétexte de choses qui vous semblent plus parfaites. Croyez-moi, votre perfection est dans l'ouéissance, mais je ne vous réponds pas qu'elle soit dans les choses que vous proposez, quoiqu'elles vous semblent saintes. Exemple : vous voudrez faire oraison lorsque l'obéissance est de vous coucher ; je vous dis que votre oraison, pour sublime qu'elle soit, n'est pour lors qu'une illusion. Ce sont, pour l'ordinaire, productions de notre superbe, qui nous tire de l'obéissance à l'obéissance, pour nous rendre singulières, et il y a des contemplatifs superbes comme des démons. Oui, mes Soeurs, j'ai vu des âmes très élevées dans des états d'oraison éminents, qui sont tombées comme des étoiles du ciel, et cela pour s'être retirées de l'obéissance. Cela fait trembler, car ne vous imaginez pas que, pour demander de telles permissions à vos supérieures, vous soyez déchargées devant Dieu. Point du tout, à moins que ce ne soit quelque chose pour votre santé. Alors je vous le permets de grand coeur, mais nulle autre chose que vous pouvez faire ; au nom de Dieu, n'en demandez point d'exemption, et sachez que les Règles et observances de la sainte Religion sont très saintes. Je puis vous exempter des jeûnes et abstinences, mais non de l'obéissance, parce que c'est un voeu pour Notre Seigneur. Qu'il vous donne part à son obéissance, et le priez pour nous à ce qu'il me fasse la grâce d'obéir avant que de mourir.
no 1761 Chapitre, 1662.
Tâchons en toutes choses de contenter le bon plaisir de Dieu, d'en faire le nôtre, de préférer ses volontés aux nôtres pour nous y soumettre, pour les agréer, quoiqu'elles soient crucifiantes. C'est pourquoi il faut toujours être prêtes à les recevoir, faisant notre plaisir du plaisir de Dieu. C'est une espèce de sacrement que la volonté divine. Entendez-vous bien cela ? Oui, c'est une espèce de sacrement, quoique pourtant il n'en soit point parlé dans l'Évangile, mais Notre Seigneur l'entend bien. Nous le recevons souvent, car toutes les fois que cette divine volonté nous envoie quelques peines, croix, souffrances, humiliations et le reste, qui nous crucifient, ce sacrement nous est donné.
no 1443 Conférence pour le second jour de l'an 1694.
Il faut que nous soyons comme une capacité de Dieu, c'est-à-dire que nous soyons tellement conformes aux volontés de Dieu en nous et sur nous que nous n'ayons plus d'autres volontés et d'autres désirs que ceux de Jésus.
no 537 Entretiens familiers.
CHAPITRE VI
DE LA RETENUE DANS LES PAROLES
Faisons ce que dit le Prophète : "J'ai résolu de surveiller toutes mes voies, pour ne pas pécher par ma langue ; j'ai placé une garde à ma bouche, je me suis tu et humilié, et je me suis abstenu même de parler de choses bonnes ". Le Prophète nous montre par là que, si l'on doit quelquefois s'interdire de bons discours par amour du silence, à plus forte raison faut-il retrancher les paroles mauvaises pour éviter la peine due au péché.
C'est pourquoi, etant donnée l'importance du silence, on n'accordera que rarement aux disciples, fussent-ils parfaits, la permission de parler même de choses bonnes, saintes et édifiantes. Il est écrit, en effet : "Tu n'éviteras pas le péché en parlant beaucoup ". De fait, s'il appartient au maître de parler et d'enseigner, il sied au disciple de se taire et d'écouter.
En conséquence, s'il faut adresser quelque requête au supérieur, on le fera en toute humilité, soumission et respect. Quant aux bouffonneries, aux paroles oiseuses et qui portent à rire, nous les bannissons pour jamais et en tout lieu, et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos.
Notre glorieux Père saint Benoît nous fait assez connaître que le silence est absolument nécessaire pour maintenir la discipline régulière et que, dans les monastères où il ne sera point exactement observé, il n'y aura jamais aucune solide spiritualité. Et l'expérience fait assez voir qu'il ne faut point chercher le véritable esprit de piété et d'oraison dans une communauté qui n'a point de récollection.
C'est pourquoi notre grand Patriarche veut même que les plus parfaits gardent le silence, quoique leurs paroles soient pleines de grâce et d'édification. Le Fils de Dieu leur doit servir d'exemple : pendant les trente premières années de sa vie sur la terre, l'Évangile remarque qu'il n'a parlé qu'une fois et qu'il s'est tu au temps de sa Passion, quand les Juifs l'ont chargé d'outrages, qu'il a été interrogé par les juges et que son saint Corps a été navré de plaies et baigné dans son sang «ipse autem tacebat». Mais son silence nous paraît encore plus admirable dans la divine Eucharistie, si l'on considère les injures qu'on lui fait.
no 2278 Conférence.
Le soin que prend notre glorieux Père saint Benoît de recommander si souvent le silence dans sa Règle, et en tant de différentes manières, nous fait bien voir qu'il l'a crû très nécessaire pour la perfection de ses enfants, qui sont appelés à une vie solitaire et intérieure. Notre saint Patriarche veut donc que cette sainte vertu du silence soit si exactement pratiquée dans son Ordre, qu'il ordonne expressément que, non seulement ses religieux bannissent les discours mauvais et inutiles, mais qu'il leur soit rarement permis de parler même de choses bonnes et d'édification ; qu'ils ne parlent que quand ils sont interrogés, et qu'ils le fassent en peu de mots ; et qu'il ne soit permis à qui que ce soit de dire un seul mot après Complies ; que si quelqu'un y manque, il soit grièvement puni, si ce n'est qu'il le fasse par l'ordre de l'Abbé. Ce sont les paroles de la Règle.
Journée religieuse.
Si elles ne sont fidèles [au silence], elles ne conserveront jamais la grâce, la sainteté et le véritable esprit de l'Institut ; elles doivent donc, par rapport à
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Jésus Christ et pour obéir à la sainte Règle, donner en toutes occasions des marques de l'amour et du respect qu'elles ont pour le silence.
Journée religieuse.
Gardez bien le silence. Que l'on n'entende point parler haut dans la maison. Vous savez comme la Règle l'ordonne.
no 430 Entretiens familiers.
Nos Soeurs étant de retour à leurs cellules après Complies prendront bien garde d'y faire du bruit, comme de tirer leurs lits, remuer leur chaise, etc., tant pour le respect qu'elles doivent à leurs Soeurs qui sont proches d'elles, qu'à cause du grand silence de la nuit, si fort recommandé dans notre sainte Règle.
Journée religieuse.
La Mère Maîtresse affectionnera beaucoup au silence, si fortement recommandé par notre glorieux Père qu'il a semblé à plusieurs qu'il le voulait perpétuel. Elle exigera que ses novices ne parlent que dans les moments marqués par les Constitutions. Si elles avaient indispensablement besoin de le faire en d'autres temps, que ce soit à voix basse et en peu de mots. En ce point comme en tous les autres, que la Mère Maîtresse se souvienne de prêcher d'exemple.
Cérémonial.
Nous devons nous attacher à la pratique fidèle de notre sainte Règle, si nous voulons avancer dans la perfection de notre état ; il ne faut pas se persuader d'y arriver par d'autres voies ; c'est un abus et une perfection imaginaire ; elle en est le fondement ; comme de vouloir faire un bâtiment sans poser le fondement, ce serait travailler en vain. Soyons donc exactes au silence, à la retraite intérieure qui nous tiendra en la présence de Dieu. D'où croyez-vous que naissent tant d'infidélités que nous commettons ? C'est faute de récollection. Nous n'avons rien dans l'intérieur ; notre esprit s'égare et s'épanche en mille inutilités.
no 2345 Chapitre.
Il faut apprendre à se taire au dedans et au dehors. Le silence est si nécessaire que, sans lui, la grâce n'aurait pas de lieu pour opérer dans une âme. Cessez donc de parler ; apprenez à vous taire, et vous entendrez la voix divine qui vous donnera une joie inconcevable.
0, la riche chose que le silence ! J'expérimente bien que la profonde solitude est un rare moyen pour posséder et goûter Dieu.
no 2567 Diversités spirituelles.
Le silence intérieur et extérieur est un très grand secret et un excellent moyen pour parvenir à l'union de Jésus.
no 2998 Diversités spirituelles.
N'allez pas si vite, posez vos pas dans le sentier de la paix ; il ne faut point pourtant de bruit, il ne faut que le silence et le néant pour tenir tout en calme.
no 426 Sentences.
Je ne puis assez vous exhorter au silence ; et je trouve que ce n'est pas sans raison que saint Benoît le recommande dans la Règle si expressément ; c'est parce qu'il est impossible de parler beaucoup sans faire bien des imperfections. Car, pour peu que l'on parle, à grand'peine peut-on l'éviter ; c'est pourquoi, en parlant beaucoup, il est bien difficile de s'exempter de bien des fautes, et la charité du prochain s'y trouve souvent blessée. Si l'on pouvait retrancher tant de discours et de babils, l'on ne se ferait pas tant d'affaires. Si notre esprit n'était pas occupé de tant de bagatelles et d'inutilités, il serait plus rempli de Dieu.
no 950 Conférence, 1695.
Quel est notre silence ? Est-il conforme à celui de Jésus Christ ? Lorsqu'on nous choque ou qu'on nous contredit, l'on ne le peut souffrir. Il faut s'excuser. Et l'on se donne aussi la liberté de parler en toutes rencontres sans aucune nécessité. L'on veut tout voir et tout savoir, l'on s'ingère de mille choses dont l'on n'a que faire. Allons au très Saint Sacrement apprendre à nous taire.
no 1193 Chapitre.
Ne soyez pas si prompte de vous exposer hors de vous-même ; tenez-vous dans la solitude intérieure, occupée de Dieu qui est en vous. Dieu en nous, le Père, le Fils et le Saint Esprit ! Tout ce qui fait la gloire et la joie des bienheureux est en vous, et cependant nous nous y appliquons si peu que cela est digne de compassion de voir notre aveuglement et nos amusements.
no 1218 Conférence.
Je vous vois dans un grand désir de silence. J'espère que Notre Seigneur vous l'accordera quelque jour, mais je vous donne avis qu'il faut une longue persévérance à sa poursuite. Il ne se faut jamais rebuter pour voir en soi une infinité d'oppositions à ce bienheureux silence ; il contient tant de grâces et de bonheur qu'il mérite bien la peine que l'on prend de l'acquérir ; n'en désistez jamais,
• quelque tentation qui vous pût arriver.
no 1664 A la comtesse de Châteauvieux.
Quoiqu'il soit permis de parler davantage quand on est à l'infirmerie que lorsqu'on suit les observances, nos Soeurs tâcheront de conserver toujours un grand respect pour le silence, qui est si expressément recommandé dans notre sainte Règle, surtout pour le grand silence de la nuit.
Journée religieuse.
Ne parlez point toute la journée, quoique vous soyez malade : je vous puis ôter les austérités de la Règle, mais vous dispenser de la sainteté où vous êtes
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silence le mieux qu'il m'est possible ; je ne parle que dans l'ordre et quand il faut ; je me tiens retirée dans notre cellule et si, pour tout cela, je ne suis pas fille d'oraison !» Cela se peut faire. Mais vous savez que le silence a plusieurs degrés. 11 y en a, à la vérité, qui gardent le silence de la parole, lesquelles font un babil et tintamare dans leurs intérieurs qui les empêchent d'entendre cette parole éternelle, qui ne peut se représenter dans ces âmes non plus qu'il ne vous serait possible de vous voir dans un miroir que l'on renverserait continuellement. Il y a donc le silence extérieur, qui est une très bonne chose, pourvu qu'il soit accompagné du silence intérieur, qui arrête le babil de l'esprit, nous éloigne de toutes les créatures et de nous-même. Il y a un troisième silence, plus intime et parfait, qui fait entrer l'âme en union avec Dieu ; silence des puissances, etc.
Entrons donc dans la pratique des deux premiers, et nous irons bien loin. Retirons-nous de l'application des choses qui ne sont point de notre obligation ; tenons notre esprit recueilli, et, lorsqu'il s'égare, rappelons-le sans que quasi il s'en aperçoive. Il y en a qui se fâchent contre elles-mêmes et qui s'invectivent, voyant leur légèreté, qui disent : «Oh ! que je suis misérable !». Non, croyez-moi, mes Soeurs, il n'en faut pas user ainsi, mais s'habituer tout doucement à la récollection et actuelle présence de Dieu, et, vous voyant distraite et dissipée, changez d'objet, c'est-à-dire laissez la créature et regardez Dieu comme qui retournerait une médaille, et dites : «Mon Dieu» ou «Mon Tout», et vous laissez ainsi emporter sans violence à ce divin objet, et vous verrez qu'avec un petit peu de fidélité, vous arrêterez la légèreté de cet esprit et vous habituerez au silence et récollection intérieure. J'en sais qui, pour s'être servis de cette petite pratique, ont fait grand progrès en l'oraison.
no 219 Chapitre, 31 décembre 1661.
appelée, je ne le puis, pas même le Pape ; cela est vilain de parler toujours ; et ce Dieu qui vous attend, vous n'y allez point, vous n'y songez seulement pas.
no 377 Entretiens familiers, 4 septembre 1694.
Quel respect devons-nous avoir au sacré silence et à toutes les ordonnances divines sur nous, que nous apprenons par nos Règles et nos supérieures ! Souffrez en silence, priez en silence, faites tout en silence, et voyez comme Jésus se tait en une infinité de rencontres où il aurait des sujets importants à parler. Si un Dieu garde le silence, la créature devrait-elle parler ? Tenons-nous à ses pieds, adorons ce mystérieux silence, et le prions de nous fermer la bouche, afin que la parole de saint Jacques soit véritable en nous : «Que celui qui n'offense point par la parole est parfait».
no 2016 A la comtesse de Châteauvieux, décembre 1662.
Je me trouve dans une si extrême pauvreté, mes Soeurs, que je n'ai pas un mot à dire ; ne serait-il pas meilleur de vous laisser dans la solitude et, dans le silence, écouter Dieu, puisqu'il est plus utile à l'âme de parler à Dieu que de parler de Dieu ? O mes Soeurs, que c'est une chose sainte que le silence ! Si je regarde Jésus au sein virginal de sa glorieuse Mère, je le trouve observant un profond silence. La parole éternelle se fait muette, pour nous faire estimer le silence et concevoir en lui quelque chose de grand, puisqu'un Dieu même, qui ne peut rien dire que de très excellent, est venu en terre pour garder un si prodigieux silence. Au moment qu'il s'incarne et dans le temps de sa solitude en Marie, il ne parle point...
Croyez-vous pas que notre Père saint Benoît a honoré la solitude et le silence de Jésus lorsqu'il se renferma dans la grotte de Sublac Et son profond silence a produit les merveilleux effets de son Ordre, Dieu le préparait à recevoir les éminentes grâces que l'on remarque en lui et le remplissait de l'esprit de tous les justes. C'est dans cette chère solitude qu'il a appris les secrets divins, qui ne peuvent être exprimés par nos paroles.
no n -1013 Conférence du jour de notre Père saint Benoît, 4 décembre 1662.
Bienheureuse l'âme qui peut se confier et abandonner à Dieu ! Elle fera plus de progrès que celles qui parlent tant. Ce n'est pas le discours qui perfectionne, mais la vraie humilité et la bonne mortification. Exposez-vous à Notre Seigneur dans vos impuissances et dans votre ignorance. C'est assez savoir que de croire Dieu et Jésus Christ, son Fils, et vous abandonner à leur sainte conduite.
no 2248 A la comtesse de Châteauvieux.
Je n'ai rien trouvé en retraite de plus saint que le silence, et saint Jacques a eu raison de dire que «qui ne pèche pas par la langue est juste». Oui, mes Soeurs, je dis que c'est une chose très sainte que le silence. Le silence dissipe les nuages et chasse les ténèbres de l'intérieur ; il calme une âme et la met en possession d'une sainte paix par le moyen de quoi elle entre en union de Jésus Christ, qui se représente dans le fond de cette âme et se communique d'une manière ineffable. Le silence dispose lime à l'oraison. Quelqu'une (peut-être) me dira : «Je garde le
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A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 81
CHAPITRE VII
DE L'HUMILITE
La divine Ecriture, mes frères, nous crie "Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé " En parlant ainsi, elle nous apprend que tout élèvement est une espèce d'orgueil ; et c'est ce dont le Prophète déclare se garder, lorsqu'il dit : "Seigneur, mon coeur ne s'est point exalté et mes yeux ne se sont pas élevés : je n'ai point marché dans les grandeurs ni dans des merveilles au-dessus de moi." Mais que m'arriverait-il "si je n'avais pas eu d'humbles sentiments, si j'avais exalté mon âme ? Vous me traiteriez comme l'enfant qu'on enlève du sein de sa mère ".
Si donc, mes frères, nous voulons atteindre au sommet de l'humilité parfaite, et parvenir rapidement à cette grandeur céleste, à laquelle on monte par l'abaissement dans la vie présente, il faut, par l'ascension même de nos actions gravir cette échelle qui apparut en songe à Jacob. Il y voyait des anges descendre et monter. Cette descente et cette montée assurément ne signifient pas autre chose sinon que l'on descend par l'élèvement et que l'on monte par l'humilité. L'échelle en question, c'est notre vie en ce monde, que le Seigneur dresse vers le Ciel, si notre coeur s'humilie. Les deux côtés de cette échelle figurent notre corps et notre âme ; sur ces côtés, l'appel divin a disposé divers échelons d'humilité et de perfection à gravir.
Efforcez-vous, mes Soeurs, de vivre conformément à cette vertu d'humilité, que notre saint Patriarche nous demande dans notre sainte Règle avec tant de perfection. Le roi Prophète dit : «Mon coeur ne s'est point élevé plus qu'il ne devait». Travaillons, mes Soeurs, à nous connaître ; ce sera le moyen de demeurer dans notre place... Que si nous sommes quelque chose et si nous avons quelque chose de bon en nous, reconnaître que ce n'est point de nous, mais de Dieu qui nous fait cette grâce, et lui en rendre la gloire, et lui rendre tout comme à son principe.
no 212 Entretien familier, décembre 1687.
Il faut commencer par la sainte humilité et connaissance de notre néant. Une âme humble ne voit pas les défauts d'autrui, ne sait ce que c'est que de répliquer à l'obéissance... Donc, étant bien persuadées de notre néant, nous entrons dans la vérité, nous venons de la vérité : vérité qui nous donne la connaissance de nous-même et nous fournit de véritables lumières de Dieu. Et c'est ce qui nous est signifié par cette échelle mystique que notre bienheureux Père saint Benoît nous fait voir dans la sainte Règle, où les anges «descendaient et montaient», qui est la connaissance de Dieu et de nous-même. Oh ! mes Soeurs, si nous pouvions dire en vérité les paroles du saint prophète David, portées dans ce même chapitre, qui disait : «Seigneur, je n'ai point marché en magnificenct% qui excèdent ma portée» ! Vous me direz : «Mais David, qui était un grand roi, il agissait en roi, avec toute la magnificence d'un grand monarque». Cela est vrai, il commandait en roi, il était servi et honoré comme roi, mais cela par ordre de Dieu et, en sa présence, il s'estimait un néant, ainsi qu'il dit lui-même. Il faut être humble en vérité. Qui peut dire qu'elle marche devant Dieu en vérité, sans élévation qui excédât sa portée ? Si nous étions vraiment humbles, nous serions parfaitement obéissantes à nos saintes Règles, Constitutions, règlements et saintes coutumes de la sainte Religion.
n° 1761 Chapitre, 1662.
82 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 83
Vivez dans un véritable esprit d'humilité' qui vous tienne toujours dans la vue de votre rien, car, quelle chose horrible de voir une Fille du Saint Sacrement et de saint Benoît, superbe ! Ce grand saint,, qui nous enseigne tant l'humilité dans sa sainte Règle.
n 194 Conférence, 9 juillet 1694.
Saint Augustin, exhortant un de ses amis à la perfection chrétienne lui en apprend les règles et les plus importantes maximes. Voici ce qu'il dit : «La première c'est l'humilité ; la seconde c'est l'humilité ; la troisième c'est l'humilité. Et si vous me pressez de vous dire derechef le précepte de la perfection, laquelle nous sommes obligés d'acquérir, je vous répondrai toujours : l'humilité, l'humilité, l'humilité». Si vous savez bien ce seul point là, vous saurez tout.
no 1938 Diversités spirituelles.
Il faut une grande simplicité et une profonde humilité. Jamais vous n'aurez de perfection tandis que ces deux vertus vous manqueront. Demandez-les à la sainte Vierge : qu'elle vous les obtienne de son Fils.
Hâtez, mes Soeurs, hâtez-vous de vous défaire de vous-mêmes et de vos imperfections. Il vous reste peu de temps, et ce vous sera bien de la douleur à l'heure de la mort de voir que vous avez négligé la grâce qui vous est donnée ; il ne sera plus temps à ce moment ; faites usage du présent.
no 2812 Chapitre, 25 septembre 1671.
Pour ce qui est de vos défauts, vous les pouvez remarquer pour y donner ordre et vous corriger, mais je crois que la simple vue de Dieu ou connaissance de ces mêmes manquements, que vous voyez par la lumière de sa sainte présence, se corrigeront plus de cette sorte que par les résolutions. Détestez-les dans la lumière de la foi.
no 354 •1 la comtesse de Rochefort, 25 octobre 1661.
Tenu ‘ou, toujours en Lui : sa continuelle présence fait des merveilles dans les âmes : il n'a point donné d'autre règle de perfection à Abram que de marcher en sa présence pour être parfait : « Ambula coran? me ; estent, perfedi
1 3069 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mercredi 8 octobre 1692.
Entendez ce qui est dit dans l'Écriture, que «Dieu détourne ses yeux de ce qui est grand et élevé, mais qu'il regarde ce qui est bas». Pour nous faire entendre qu'il ne peut souffrir les âmes qui s'élèvent par l'orgueil, par la bonne opinion d'elles-mêmes, se croyant bien capables, pleines d'esprit et de science. Dieu a en horreur tout cela ; il n'y a que les âmes petites, humbles, basses, anéanties qui se croient incapables de tout... sur qui Dieu jette ses divins regards et qui font l'objet de ses complaisances.
n 2466 Conférence, 13 octobre 1687.
0 mes Soeurs, la vie intérieure n'est pas ce que l'on pense et imagine ; elle ne
consiste point à avoir de belles lumières, à dire de belles choses, à être à l'oraison divine sans pensée ni application, comme étant bien élevée. Tout cela n'est
souvent que fantaisie de l'imagination et dispositions chimériques. Elle est dans les pratiques solides de la mortification, dans l'amour de la petitesse et le total dégagement de soi et des créatures...
Ne nous a-t-on pas dit cent fois que Dieu résiste aux superbes, qu'il est impossible qu'il se communique à une âme orgueilleuse, que le royaume des cieux est pour les petits ? Ce sont les paroles de Jésus Christ même et, cependant, en sommes-nous plus humbles ? Vous me direz que je fais consister toute la perfection à l'humilité, et ne faut-il pas pratiquer les autres vertus ? Mes Soeurs, la sainte humilité, étant dans une âme, y introduit toutes les vertus. C'est une racine céleste qui porte les fruits de toutes les vertus. Un saint Père dit admirablement que l'humilité est une plante qui porte sa racine jusque dans l'enfer, et ses branches et ses fleurs et ses fruits dans le paradis...
Pour moi, je ne sais rien de meilleur que la profonde petitesse. Si vous voulez autre chose, demandez-le au Saint Esprit.
no 2721 Chapitre, 1663.
Qui peut s'élever à Dieu par l'élévation ? Ne faut-il pas s'abaisser et rentrer dans son néant ? C'est là uniquement où l'on trouve Dieu, quand on sait s'anéantir et ne vouloir rien être. Mais c'est que le penchant de la créature est l'orgueil et l'élévation.
n 2059 Entretiens spirituels, 16 octobre 1697.
Jamais une âme ne saura par expérience combien Dieu est suave et délicieux, si elle ne- descend dans la véritable connaissance d'elle-même et dans la sainte humilité, parce qu'il ne se communique [pas] aux superbes, et qu'il se rend inaccessible à leur esprit , mais qu'il se repose sur le coeur humble.
n 3156 A la comtesse de Châteauvieux.
Le premier degré d'humilité consiste à se remettre toujours devant les yeux la crainte de Dieu et à fuir toute négligence, se rappelant sans cesse tout ce que Dieu a commandé. On repassera constamment dans son esprit, d'une part, comment la géhenne brûle, pour leurs pechés, ceux qui méprisent Dieu, et comment, d'autre part, la vie eternelle récompense ceux qui le craignent. Se gardant, à toute heure, des péchés et des vices de la pensée. de la langue, des mains, des pieds et de la volonté propre, ainsi que des désirs de la chair. l'homme estimera que Dieu, du haut du ciel, le voit à tout moment, qu'en tout lieu le regard de la divinité atteint ses actes, sans compter que les saints anges ne cessent de les lui rapporter.
Le Prophète nous fait entendre ces vérités, lorsqu'il affirme que nos pensées sont toujours présentes à Dieu : "Dieu scrute les reins et les coeurs " et de même : "Le Seigneur connaît les pensées des hommes .., et encore : "La pensée de l'homme vous sera découverte ... Aussi, pour être vigilant sur ses pensées perverses, le vrai moine répétera toujours dans son coeur : "Je serai sans tache devant lui, si je me tiens en garde contre mon iniquité ":
Pour ce qui est de notre volonté propre, il nous est défendu de la suivre par ces termes de l'Ecriture : "Renonce à tes volontés ", et, de plus, nous demandons à Dieu dans l'oraison dominicale que sa volonté s'accomplisse en nous.
C'est donc avec raison qu'on nous enseigne de ne pas faire notre volonté. Par là nous prenons garde à ce que dit l'Ecriture : "Il y a des voies qui semblent droites aux hommes
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et dont le terme aboutit au fond de l'enfer " ; par là encore nous nous préservons de ce qui est écrit des négligents : "Ils se sont corrompus et se sont rendus abominables par leurs passions ". Quant aux désirs de la chair, croyons aussi que Dieu 11OUS est toujours présent, suivant la parole du Prophète au Seigneur : "Tous mes désirs sont exposés à vos yeux ".
Il faut, par conséquent, se garder du désir mauvais parce que la mort est placée à l'entrée même du plaisir. C'est pourquoi l'Ecriture nous donne ce commandement : "Tu ne suivras pas tes convoitises ".
Si donc, les yeux du Seigneur considèrent les bons et les méchants, si, du haut du ciel, le Seigneur regarde continuellement les enfants des hommes, pour voir "s'il en est un qui ait l'intelligence et qui cherche Dieu ", si, enfin, les anges, commis à notre garde, lui rapportent quotidiennement, jour et nuit, nos actions, concluons mes frères, qu'à toute heure nous devons être vigilants. Craignons, en effet, que, selon la parole du Psalmiste, Dieu ne nous surprenne à quelque moment dévoyés dans le péché et devenus bons à rien . S'il use d'indulgence en ce temps-ci, parce qu'il est bon et attend que nous nous corrigions, redoutons qu'il ne nous dise un jour : "Tu as fais cela et je me suis tu ".
Le premier pas que vous devez faire dans la vie intérieure, c'est d'avoir la crainte de Dieu, mais une crainte amoureuse, qui vous imprime une grande estime de sa majesté. Voilà ce que vous avez à faire pour le présent, tâchant en tout et partout de ne lui point déplaire. Puis, quand elle sera bien imprimée dans votre esprit, pour lors vous direz avec saint Paul : «Seigneur, que vous plaît-il que je fasse . Me voici pour exécuter vos volontés».
n' 3015 Chapitre : Parlant à deux postulantes, 1677.
Dieu est de soi, indépendant de toutes les créatures, et la créature n'est rien de soi et ne doit rien être pour soi. Dieu est, et vous n'êtes point. C'est la leçon qu'il fit un jour à la glorieuse Catherine de Sienne, lorsqu'elle lui demanda simplement et amoureusement : «Qui êtes-vous Seigneur ?» «Je suis celui qui suis, et tu es celle qui n'est point». Cette précieuse parole fit un si prodigieux effet au coeur de cette sainte que jamais, depuis, elle ne sortit de son néant. Il me semble que Jésus nous dit dans l'intime de notre coeur la même chose : «Je suis le tout, et tu es le rien». Écoutez cette voix et portez croyance à ce qu'elle nous prononce. Suivez cette vérité, et vous vivrez au-dessus de toutes choses. Rien ne pourra plus altérer la tranquillité de votre esprit, rien ne pourra troubler votre coeur.
no n 340 A Mademoiselle Charbonnier, de Toul, juillet 1662.
Je ne sais rien de plus avantageux pour arrêter votre esprit et éviter les fautes qu'il nous fait faire que de marcher en la présence de Dieu autant qu'on le peut.
no 2126 Entretien familier, 26 février 1694.
Demandez la grâce de croire Dieu en vous, non pas de l'y trouver, car si une fois on le croit comme il faut, on le trouvera infailliblement.
no 317 Entretiens familiers.
Soyez fidèle à la présence de Dieu : la perfection est renfermée dans cette sainte pratique. Allons toujours à lui ; il connaît notre coeur et la sincérité avec laquelle nous le cherchons et le désirons. Cette présence de Dieu consiste à tâcher de ne rien faire, rien dire, rien vouloir, qu'en l'esprit de Dieu et pour Dieu. Cette pureté d'intention retranche les respects humains et les intérêts d'amour-propre. Il ne faut jamais se décourager, car Notre Seigneur connaît notre faiblesse et nous attend avec une patience divine. Quand vous seriez toute votre vie à tâcher de vous tenir en sa présence, c'est une pratique très efficace : la persévérance gagne tout.
no 296 A une Religieuse, rue Cassette.
Je voudrais que l'on eût assez de courage pour voir sa misère, ses chutes et son impuissance à tous biens, sans s'en troubler ni perdre la paix, s'exposant doucement à Dieu qui nous est présent pour trouver en lui le remède à nos maux : tout ainsi que l'on blâmerait une personne, laquelle, étant mouillée et crottée depuis les pieds jusqu'à la tête, s'amuserait à crier et à se plaindre, se voyant en cet état, sans vouloir s'approcher d'un bon feu pour se sécher, de même, quand nous tombons et que nous voyons nos misères, nous nous tempètons, nous nous jetons dans l'inquiétude ; c'est à se plaindre, à s'affliger ; ce n'est pas là le remède à nos maux. Il faut s'approcher de cette fournaise ardente de la charité de Jésus Christ et attendre en patience le secours de sa grâce. Pour nous tirer de nos misères, il n'y a rien de si facile : un acte de foi et d'abandon fait notre affaire.
no 1651 Diversités spirituelles.
Je n'ai en vue que le moment présent ; celui qui suit, je le laisse à Dieu et n'ai garde de m'en occuper. La raison est que je perdrais, non seulement la grâce qui est enfermée dans le moment présent, n'en faisant point d'usage, mais de plus je m'exposerais à mille inquiétudes, embarras et troubles d'esprit que la vue de quantité d'affaires me causerait et, ensuite, je n'agirais qu'en esprit de nature, ce qui serait un grand malheur. Ce n'est [pas] qu'il ne me vienne des distractions sur ce que j'ai à faire, mais je m'en divertis adroitement et me coule tout doucement, tout ainsi qu'une personne qui se retirerait d'une grande foule, et, laissant à Dieu toutes les affaires, je les vois en lui et les lui laisse gouverner selon sa sainte volonté. C'est un grand secret dans la vie intérieure d'en user ainsi, car, faisant autrement, l'on perd sa paix et la grâce enfermée dans le moment que nous possédons et dans l'action que nous faisons ; pour lors, bref, on ne fait rien qui vaille.
no 1021 Diversités spirituelles.
Que servent les belles pensées que nous avons de l'humilité et de la petitesse et du néant de la créature, si nous n'en venons à la pratique ? Les hautes idées et les grandes lumières ne nous sauveront pas, si nous ne sommes petites en nous-même, à nos yeux et en nos oeuvres. C'est aux petits que Dieu se communique et révèle ses secrets, qu'il cache aux sages du monde. On ne comprend pas cette grande vérité ; on ne fuit rien tant que l'humilité... : personne n'en veut. Qu'il est malaisé de trouver une âme humble et petite à elle-même ! On estime la vertu d'humilité, mais on n'en veut point pour soi ; on se veut maintenir dans l'esprit des créatures ; on fait voir qu'on a raison de dire ou faire telle chose ; on ne peut
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souffrir une petite parole qui nous touche. Que la pauvreté de la créature est grande ! Qu'est-ce qui nous revient de tout cela ? Qu'importe que l'on nous estime ou non ? Quel mal nous en peut-il venir si une personne nous aime ou si elle nous méprise ?... Je souhaiterais que vous comprissiez bien aujourd'hui cette vérité : que jamais nous n'arriverons à l'union avec Dieu que par l'humilité. Vous aurez toutes les autres vertus, si vous avez de l'humilité ; point de vertu sans l'humilité. Mais comment faut-il faire pour acquérir l'humilité ? C'est se laisser tomber et anéantir dans les occasions. On improuvera ce que vous aurez fait : ne vous justifiez pas. Laissez tomber cette parole qui semblera vous choquer. Tant de petites rencontres qui se présentent où on satisfait son amour-propre ! II faut tout anéantir aux pieds de Jésus Christ, voulant plaire à lui seul.
n 1711 A une jeune Professe.
Vous voyez donc qu'il n'y a rien. de bon, de saint, ni de parfait que Dieu, et que la bonté et sainteté des âmes n'est qu'une émanation ou une participation de la sainteté de Dieu... Prenez bien garde de vouloir autre chose que sa sainte volonté : demeurer paisible en la présence de Dieu, ne point adhérer au trouble de votre esprit. Portez ce trait qui vous simplifie et demeurez dans ce cher abandon... La pensée que vous avez d'opérer toute chose en la vue de Dieu, très simplement, sans avoir d'autre attention ou intention, est bonne. Suivez-la, et si vous voyez que votre satisfaction et vos intérêts vous en retirent, il faut vous y remettre par un simple regard ou souvenir de Dieu. Que votre intention soit l'intention que Jésus Christ a pour vous, et, d'autant que vous ne la connaissez pas, il faut vous tenir anéantie en sa sainte présence, afin que Notre Seignéur fasse en vous et de vous ce qu'il lui plaira, et que vous laissiez vos actions en sa sainte disposition.
n 704 A Mère Marie de Jésus Chopinel, 1650.
Votre maladie présente est un chagrin de vous voir si pleine de misères que votre amour-propre ne trouve pas de lieu où poser le pied de son élévation ; cela le fait enrager... Ce que vous avez à faire présentement, est de vous soumettre à Dieu dans votre pauvreté et de trouver bon qu'il vous tienne où vous devez être sans perdre courage, vous soutenant par la foi, qui vous doit persuader que Dieu veut faire son oeuvre en vous qui est son règne et sa gloire sur la ruine du vôtre... Il faut vous rendre capable des conduites de la divine Providence et sans vous arrêter aux raisonnements humains vous abandonner à Dieu sans réserve ; voilà par où vous entrerez dans la voie de la sainteté et vous rendre digne que Dieu vous sanctifie.
n 306 A une Religieuse, rue Cassette.
Nous avons grande obligation à nos saints anges ; remercions-les bien, aujourd'hui et tous les jours de notre vie, des grâces que Dieu nous confère par leur ministère, prenant un soin tout particulier de la personne qu'il garde, tant pour la préserver des ennemis qui l'environnent que pour la faire avancer à la perfection. Cela nous oblige à avoir un amour très tendre pour nos saints anges, étant toujours avec nous, nous suivant partout, que nous marchions, que nous dormions, que nous mangions, que nous priions, que nous conversions ; ils nous tiennent fidèle compagme toujours proches de nous. Il les faut bien prier, mes Soeurs, et leur porter une singulière dévotion. Si nous nous rendions attentives à leur avertissement, nous ne tomberions pas dans tant de défauts. Demandez-leur la grâce de fidélité dans les occasions. Ils ne manquent jamais à nous avertir, mais nous manquons à' la fidélité.
n 2314 Chapitre du 2 octobre 1671.
Je vous recommande aussi fort l'obéissance, comme le fondement principal de la Religion, et une humilité profonde pour ne point suivre son esprit, ni ses propres lumières, qui souvent nous égarent beaucoup.
n 2000 Entretiens familiers, 30 avril 1695.
Il ne faut pas tant s'écouter, mais s'abandonner à la divine Providence, mépriser notre propre sens et cette fausse raison humaine, à qui l'on se fie si fort ; croyez-moi, mes Soeurs, elle est aveuglée par le cours impétueux de nos passions ; leurs brouillards sont trop épais pour qu'elle puisse nous conduire sûrement ; il faut suivre les très pures lumières de la foi : elle ne se trompe jamais.
n 1075 Conférence.
J'ai souvent expérimenté cela, et j'ai remarqué que si j'avais suivi dans de certaines rencontres mon zèle, je n'aurais pas agi selon Dieu, et j'aurais fait bien des fautes. Il est aisé de prendre le change. Ce que nous croyons être un effet de l'Esprit de Dieu n'est qu'un effet de l'esprit humain.
n 417 Entretiens familiers, 17 avril 1695.
Le second degré d'humilité consiste à ne pas aimer sa volonté propre, ni à se complaire dans l'accomplissement de ses désirs, mais bien plutôt à se conformer dans sa conduite, à cette parole du Seigneur : "Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m'a envoyé ". N'est-il pas écrit encore : "Le plaisir encourt la peine, l'effort procure la couronne ?"
Ne dites rien que vous ne l'eussiez bien pesé auparavant ; ayez une grande condescendance les unes pour les autres, ce qui se fera sans peine si vous considérez que Notre Seigneur dit : «Je ne suis point venu faire ma volonté mais celle de mon Père». Notre Père saint Benoit l'avait bien compris et médité lorsqu'il écrivait dans sa Règle que nous n'accomplissions point nos volontés, mais celles de celui qui nous a envoyé .
n 2170 Chapitre, 14 août.
Je n'ai choisi ni la vie ni la mort ; je me suis contentée de dire : «Il en sera tout ce que Dieu voudra».
n 2918 Entretiens familiers, 20 mai 1695.
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Suivre son humeur, cela est indigne d'une âme religieuse et d'une Fille du très Saint Sacrement. Lisez votre Règle, voyez ce qu'elle vous dit dans le degré
d'humilité. Vous me direz que je vous fasse faire l'abstinence ; ce n'est pas en cela qu'elle consiste, non, mais à mortifier votre esprit et votre humeur. Je peux vous dispenser des austérités corporelles, mais non de la sainteté, ni empêcher le trait de la grâce en vous.
n° 1711 A une jeune Professe.
Je sais bien que les infirmités, qui rendent les personnes incapables d'agir, sont fort avantageuses : elles retirent des embarras des créatures, mais il faut une grâce pour la solitude et l'amour de Dieu seul ; sans cela, la solitude est dure. Heureuse l'âme qui a la grâce d'y être, et plus heureuse encore celle qui a perdu sa volonté dans celle de Dieu, et qui ne sait plus rien que son seul bon plaisir ! Sans cela, il est impossible de conserver la paix de l'âme dans les contradictions de la vie. Je voudrais vous élever dans le Sacré Coeur de Jésus, mais je ne le puis mieux faire qu'en vous conjurant d'être fidèle à vos saintes Règles et de vous rendre la fidèle victime de la volonté divine. Je la trouve si admirable que si vous la voulez suivre constamment elle vous fera mourir à vous-même et vivre à Dieu de la vie de Jésus.
n0 214 A une Religieuse, rue Cassette.
N'oubliez pas le dégagement qu'il faut avoir pour tout état et pour toutes dispositions, portant le plus que vous pourrez une sainte indifférence dans le fond de votre coeur, qui vous fasse recevoir du même amour tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur appliquer à votre âme.
Il faut s'abandonner le plus souvent et le plus cordialement qu'il vous sera possible, vous remettant sans réserve à la disposition divine, renonçant à toutes les prétentions de votre amour-propre. Dieu n'aime et ne se complaît que dans les petits, dans les humbles.
n 1213 A une Religieuse, rue Cassette.
C'e qui vous trouble quelquefois, c'est le désir que vous avez d'être parfaite. Vous voudriez ne point tomber, parce qu'il vous semble que tant de misères en vous causent votre retardement. Ayez patience que Notre Seigneur vous ait purifiée et, en attendant, demeurez humiliée sous le poids de vos imperfections. 11 faut même se résigner d'être toute sa vie imparfaite. Vous faites consister la plus haute perfection à la pratique de quelques vertus. Elles sont toutes bonnes et nécessaires, mais la consommation de la vraie perfection consiste à la perte totale de notre volonté dans la volonté divine, de sorte qu'une âme est plus ou moins parfaite qu'elle est plus ou moins soumise et ume au bon plaisir de Dieu. Une âme qui veut ce que Dieu veut est contente ; et tous nos mécontentements viennent d'une volonté propre et des attaches secrètes que nous avons à nos propres inclinations.
no 2248 A la comtesse de Châteauvieux.
Le troisième degré d'humilité réclame la soumission au supérieur en toute obéissance, pour l'amour de Dieu, à l'imitation du Seigneur, dont l'Apôtre dit : "Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort ."
J'ai toujours connu que Dieu voulait de vous trois choses : un simple abandon de tout vous-même à la conduite de l'obéissance, regardant les supérieures comme les lieutenants de Jésus Christ, ne permettant pas à votre raison de s'élever contre les volontés de l'obéissance, qui doit être votre vrai sacrifice, votre holocauste. Votre amour ne sera point pur s'il n'est réglé sous les lois de vos Règles et Constitutions. Prenez donc à tâche la soumission, l'humilité et l'exactitude ; et ce qui doit enrichir par-dessus, c'est une amoureuse confiance en Jésus Christ et sa très sainte Mère.
no 2684 A une Religieuse, rue Cassette.
Vraiment, vous êtes bien éloignée de la simplicité religieuse et de l'esprit de votre sainte Règle, qui vous ordonne d'obéir simplement et de soumettre votre jugement à celui de vos supérieures. Je ne m'étonne point que vous ayez tant de peines, car vous les fomentez et attirez en vous par l'attache à votre propre sens. Il faut nécessairement vous abandonner en toute simplicité à la sainte obéissance, et faire un effort à votre raisonnement et aux lumières naturelles de votre propre esprit, pour vous y assujettir. Voilà ce que Dieu veut de vous et absolument ; il faut vous résoudre à cela , autrement, vous serez encore très longtemps comme vous êtes, et peut-être toute votre vie, à moins d'un coup de la miséricorde de Dieu, qu'il peut faire par sa miséricorde toute puissante, mais qu'il ne fera point miraculeusement de la sorte, puisque vous avez la grâce ordinaire et actuelle pour cela.
no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.
Toute votre tendance doit être de sortir de votre propre esprit, par une abnégation et renoncement fidèle à vos propres pensées et propres lumières. Devenez comme un petit enfant dans la soumission, et laissez en arrière vos craintes, qui ne vous servent que d'obstacles à vous avancer. Laissez votre perfection à la conduite de l'obéissance, pour faire exactement ce qui vous est ordonné. Si vous pouviez comprendre le bonheur inexprimable de n'être rien en tout et partout, vous trouveriez et possèderiez un bien qui n'est connu que des âmes qui veulent tout perdre pour jouir d'une paix éternelle, qui procède de la possession de Dieu.
no n 2390 A une Religieuse, rue Cassette.
Le quatrième degré d'humilité est la patience qu'embrasse la conscience. au point d'obéir silencieusement, quelque durs et contrariants que soient les ordres reçus, et ffit-on même vie. time de toutes sortes d'injustices . tenant bon, sans se lasser ni reculer, car l'Ecriture dit "Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé ", et ailleurs : "Prends courage et attends le Seigneur ". Et pour nous montrer que le serviteur fidèle doit supporter pour le Seigneur toutes choses, même les adversités, l'Ecriture dit, au nom de ceux qui souffrent "C'est pour vous, Seigneur, que nous SOMPPle, livrés à la mort durant tout le jour . nous sommes considérés comme des brebis destinées à être tuées" . Et ceux qu'anime l'espoir assuré de la récompense divine, ajoutent avec joie "Mais en toutes ces épreuves nous remportons la victoire, grâce à Celui qui nous a aimés". L'Ecriture dit encore en un autre endroit : "Vous nous avez éprouvés, Seigneur, vous nous avez fait passer par le feu, comme l'argent clans le
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creuset ; vous nous avez pris dans le filet, vous avez amassé les tribulations sur nos épaules " Et pour nous apprendre que nous devons vivre sous un supérieur, elle ajoute : "Vous avez établi des hommes sur nos têtes ".
Ainsi par la patience dans les adversités et les injures, les humbles pratiquent le précepte du Seigneur : si on les frappe sur une joue, ils tendent l'autre ; si on leur ôte leur tunique, ils abandonnent leur manteau ; si on les contraint de faire un mille, ils en font deux ; avec l'apôtre Paul, ils supportent les faux frères, et ils bénissent ceux qui les maudissent
Il faut bien de la patience pour se souffrir soi-même, sans compter toutes les rencontres de Providence qu'il faut soutenir. Vous dit-on une grosse injure ? Vous fait-on un bon affront ? C'est pour lors qu'il faut que vous disiez à vous-même : «Patience !» La pratique de la patience est en tous temps nécessaire.
no 1055 Entretiens familiers.
L'âme qui ne veut que Dieu est heureuse ; l'âme qui vit séparée d'elle-même vit en Dieu.
Si vous vous armez de patience, vous triompherez de toutes les contrariétés de la vie. Par Jésus Christ, en la force de sa grâce, on surmonte tout.
no 2458 Maximes.
Vous avez besoin de deux choses, si on vous accorde la grâce que vous demandez. La première : une grande patience , la seconde : une simplicité d'enfant. La patience, pour souffrir avec peine et douceur tout ce qui contrariera votre esprit, vos sens, vos inclinations ; la simplicité, pour se soumettre, faisant les choses en la manière qu'elles vous seront commandées... Faites tout simplement, sans voir s'il vous est nécessaire ou non, et ainsi de tout le reste.
Nous voyons dans les anciens Pères qu'ils exerçaient les novices dans une simplicité prodigieuse : aux uns, on faisait porter et reporter des pierres d'un endroit dans un autre, sans utilité ; aux autres, on leur faisait planter des choux la racine en haut. Si on faisait faire ces choses à présent, combien de fois ne dirait-on pas : «Il ne doit pas être ainsi, je sais comme cela se fait», et cent raisons que l'on donnerait. C'est qu'à présent on veut être à Dieu à sa mode. Les esprits sont si délicats qu'on n'ose pas les toucher ; que si on dit quelque petite parole pour le bien et avancement des âmes, on ne le peut souffrir, on se retire en soi-même, on y vit, on y meurt. Voilà le malheur des âmes ! Pensez, ma Soeur, que vous venez en Religion pour faire pénitence ; non pas une pénitence de discipline et d'austérité. la vraie pénitence est celle de l'esprit. Nous le voyons en la personne de Job. Ce grand saint, dans la perte de tous ses biens, de ses enfants, et même tout ulcéré sur son fumier, louait et bénissait Dieu de toutes ces choses, mais, lorsqu'il fut blessé en son intérieur, ah ! il gémit et ne put le supporter. 11 n'offensa point Dieu, bien qu'il fût dans la dernière douleur ; il nous figurait Jésus Christ. Voilà, mes Soeurs, un beau tableau de la vie intérieure : nous supportons volontiers des pénitences extérieures, nous les demandons - et on ne peut assez nous en accorder -, mais si Dieu, par lui-même, ou s'il se sert des créatures pour faire mourir notre esprit, nous laisse dans l'amertume et dans la douleur, on veut tout quitter, ne pouvant supporter une telle privation. C'est cependant le plus agréable à Dieu. Vous diriez, à voir la conduite que sa bonté tient sur nous, voulant entièrement nous détacher des créatures, qu'il a grand besoin de nos personnes.
Non, non, mes Soeurs, il n'a que faire de nous, ne nous trompons pas. Il n'en sera pas moins glorieux quand nous serions réduites au néant. C'est où vous devez tendre.
no 3015 Chapitre à une Postulante qui demandait le saint habit, 1677.
Dégagez-vous de vous-même, travaillez à bien mourir dans les occasions, et surtout à la tendresse sur vous-même. La nature veut qu'on la plaigne et compasionne dans les souffrances ; raidissez-vous contre vous-même, et, si vous aimez les mépris, vous aurez une paix profonde, car il n'y a que la vraie humilité qui met un coeur dans le calme et qui le rend capable d'être le trône immuable de Dieu.
n 710 A une jeune Religieuse de Toul.
Je voudrais jamais conseiller de demander des croix, mais je voudrais que
chacune se rende fidèle au mouvement du Saint Esprit en son intérieur, qui nous presse à mille sacrifices par jour, tantôt de patience, tantôt d'humilité, tantôt de privations, tantôt d'entendre chose qui nous déplaît, tantôt de souffrir l'humeur de notre prochain, quelquefois de l'excuser, autres fois de rompre son humeur et sa propre inclination, sacrifier sa volonté et ses affections, etc.
Tout cela et beaucoup d'autres choses font de bons sacrifices et sont de continuelles souffrances à une âme généreuse qui veut aimer Jésus Christ.
no 1708 A une Religieuse, rue Cassette.
La possession d'un Dieu dans toute l'éternité mérite bien ce qu'il y a à souffrir dans le chemin de la vertu. Croyez-moi, il y a plus de plaisir à mourir pour Dieu qu'à vivre pour la nature. Rien en vérité de si heureux qu'une âme qui se jette à corps perdu et sans réserve dans cette sainte pratique de mort et de sacrifice, et rien de plus malheureux que l'âme qui veut vivre de la vie de la nature. Elle souffre des gênes incroyables de ses passions ; elle ne peut avoir de paix intérieure ; elle est toujours dans la recherche des satisfactions qu'elle ne rencontrera jamais. Tout la fait souffrir. J'estime qu'elle fait son enfer où les âmes véritablement tendantes à la mort commencent leur paradis dès cette vie par l'union qu'elles ont avec Dieu.
no 1855 A une Religieuse de l'Institut.
Ne vous étonnez pas des événements de cette vie. Ne vous ai-je pas dit qu'il faut souffrir ? C'est une nécessité, car la vie chrétienne est toute parsemée de croix, et vous êtes baptisée par la Croix.
Envisagez vos croix dans la vue de Dieu et vous serez plus forte à les porter.
no 2990 A une Religieuse de l'Institut.
On trouvera dans le bréviaire de notre Mère Mectilde un petit papier écrit de sa propre main qui contenait ce qui suit :
Le premier voeu est de ne me justifier jamais d'aucune accusation que l'on ferait de moi.
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Le second, de ne me plaindre jamais, quelque mauvais traitement qu'on me fît ».
n° 2026 Billet.
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Le cinquième degré d'humilité consiste à découvrir à son abbé, par un humble aveu, toutes les pensées mauvaises qui viennent à l'âme ainsi que les fautes qu'on aurait commises en secret. L'Ecriture nous exhorte à cette pratique lorsqu'elle dit : "Révèle ta conduite au Seigneur et espère en lui" ! et encore : "Confessez-vous au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais". De même le Prophète : "Je vous ai fait connaître mon péché, et je n'ai pas caché mon iniquité ; j'ai dit : je proclamerai contre moi mes transgressions au Seigneur, et, du coup, vous m'avez pardonné I impiété de mon coeur".
Je sais aussi que Dieu m'a donné deux qualités : l'une de mère, pour vous toutes et pour avoir les tendresses et l'amour d'une bonne mère ; l'autre de Supérieure, pour avoir la force et le zèle de vos perfections. Aussi, de votre part, vous devez être bien aises que tous les petits manquements que vous faites viennent à notre connaissance. Si vous avez un vrai désir de vous rendre à Dieu, comme je ne doute pas, vous devez souhaiter que votre Supérieure connaisse toutes vos petites faiblesses. Ayez donc une grande liberté envers vos supérieures, car les choses que vous lui cacherez, vous en répondrez au jour du jugement, et elle n'en sera pas responsable, ne le pouvant pas être de ce qu'elle n'aura pas su.
n 350 Chapitre.
Si nos Soeurs ont un sincère désir de faire progrès dans les voies de la perfection, elles seront soigneuses de pratiquer fidèlement ce saint exercice.
Elles déclareront donc en simplicité à leur Supérieure leurs dispositions intérieures.
Journée religieuse.
L'humilité ne consiste pas à avoir des pensées humbles, mais à soutenir le poids de la vérité, qui est l'abîme de notre extrême misère, quand il plaît à Dieu de nous la faire ressentir.
no 1700 A Mère Marie de Jésus Chopinel.
Quand nous exposons nos pensées et notre intérieur à nos supérieures, ne nous occupons point tant à faire des retours sur ce que nous avons à dire et à faire des excuses de notre manière de parler. Disons simplement, et puis laissons le reste et le succès à la Providence, qui ne manquera pas de leur donner les dispositions et les lumières qu'elles doivent avoir à notre égard, soit de rigueur ou de douceur. Cherchons Dieu en pureté.
Ne nous peinons point lorsque nous ne pourrons pas nous faire entendre en fond et clairement. On ne demande que notre fidélité à Dieu, et de dire ce que nous pourrons, et si, dans les entretiens, il nous donne la pensée de quelque chose nécessaire que nous pourrions avoir oubliée, nous en pouvons dire deux mots, mais toujours en la vue pure de Dieu.
no 2570 A la comtesse de Châteauvieux.
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Je suis bien aise quand quelquefois on fait des fautes, parce que cela sert à humilier. I lumiliez-vous donc, mes Soeurs, et ce sera un bon fumier dans votre terre... Que si vous tombez, mettez-vous encore plus bas, et avouez votre misère devant Notre Seigneur, et croyez que c'est là ce dont vous êtes capables.
Criez à lui et il vous pardonnera, et si vos fautes sont volontaires, il faut crier plus haut, et il ne laissera pas de vous les pardonner. Notre Seigneur est si aisé à contenter ! Je ne l'aurais jamais cru, mais je l'ai appris. Il m'a fallu pourtant faire quelques sacrifices un Peu durs et sensibles, mais ils ont été adoucis par la bénignité de Notre Seigneur.
n 2286 Entretiens familiers, 28 mars 1694.
Le sixième degré d'humilité est atteint lorsqu'un moine se trouve satisfait de tout ce qu'il y a de vil et de bas ; lorsqu'en toutes les occupations qu'on lui donne, il s'estime indigne et incapable d'y réussir, disant avec le Prophète : "J'ai été réduit à rien et je ne sais rien ; je suis devenu comme une bête de somme devant vous et je suis toujours avec vous ".
Le premier pas que vous devez faire, c'est de vous humilier très profondément et d'apprendre, non seulement par lumière mais par expérience, ce que vous êtes et ce que vous méritez.
n 1645 Chapitre.
En toutes rencontres, mettez-vous au-dessous de tous. Heureuse l'âme qui n'est plus rien dans les créatures et dans elle-même et qui n'a plus d'appui sur la terre ! Un tel dénuement fait peur à la nature, mais, à la vérité, je ne connais rien de meilleur. Rien n'est capable d'altérer la tranquillité d'une âme en cet état.
no 1996 Entretiens familiers, 25 mars 1695.
L'amour-propre nous est plus nuisible que tout l'enfer, et cependant nous renversons tout pour nourrir cet ennemi qui ne cherche qu'à nous perdre. Ne croyez pas que l'amour-propre se contente de nous faire tomber dans le péché, comme ces gros pécheurs qui sont enfoncés jusqu'au-dessus de la tête. Non, non, l'amour-propre a ses vertus qu'il prétend acquérir, mais c'est pour soi, et il s'y complaît, il s'y mire comme le paon dans ses ailes. Ces âmes ainsi aveuglées, vous jugeriez qu'elles sont possédées du pur amour de Dieu et des seuls intérêts de sa gloire et, en vérité, elles se regardent et ne travaillent que pour s'établir dans les créatures et dans leur estime. Cela se connaît dans les moindres occasions de souffrance et d'humiliation, où elles éclatent en plaintes, chagrins et murmures : marque d'orgueil d'un fond immortifié car une âme qui a un peu de
vraie humilité ne souffre rien... Tenons-nous donc bien bas, et ce sera le moyen de tuer notre amour-propre.
no 1876 Chapitre, 18 juillet 1658.
Le septième degré d'humilité consiste non seulement à se proclamer des lèvres le dernier et le plus vil de tous, mais aussi à le croire du fond de son coeur, s'humiliant et disant avec le Prophète : 'Pour moi je suis un ver et non un homme ; je suis l'opprobre des hommes et le rebut du peuple ; j'ai été élevé, puis humilié et couvert de confusion ." Et ailleurs : "Il m'est bon d'avoir été humilié par vous, afin que j'apprenne vos commandements ."
Surtout, soyez humbles, car Dieu repose chez les humbles ; Jésus Christ ne fait sa demeure que chez ceux qui sont humbles de coeur. Soyez toujours au-dessous de tous et n'estimez personne au-dessous de vous. Tenez-vous la dernière en toutes choses ; c'est le moyen de demeurer en Dieu et de faire demeurer Dieu en vous.
no 2664 Chapitre.
Se soutenir, c'est l'effet de l'orgueil. Voilà un beau chef-d'oeuvre d'avoir emporté le dessus à l'endroit de votre Soeur ! Qu'avez-vous gagné de vous être soutenue ? Qu'auriez-vous perdu en cédant ? Que l'aveuglement est grand ! Cédez en toutes rencontres, et n'ayez jamais plus de joie que [de] laisser tomber et anéantir vos petits sentiments.
n 1711 Chapitre à une jeune Professe.
C'est manquer d'humilité que de contester, car une âme humble cède à tous et ne se soutient jamais. Étant persuadée de ce qu'elle est, elle se tient au-dessous de tout le monde sans jamais s'élever. Tâchez, mes Soeurs, de pratiquer cette sainte vertu, et vous n'aurez pas de peine à vous déférer les unes aux autres, et à l'abaissement, à ne vouloir être rien en tout et partout.
Tant que vous suivrez votre misérable orgueil, Dieu se retirera de vous. Dieu ne s'approche et ne donne ses grâces qu'aux humbles et aux pauvres. Si vous voulez les avoir, il faut vous humilier.
n 194 Conférence, 9 juillet 1694.
Humiliez-vous, ne jugez personne, tenez-vous toujours en-dessous de tout le monde... Ah ! la belle vertu que de se mépriser soi-même, en sorte que l'on s'estime indigne des moindres grâces !
n 377 Entretiens familiers, 4 septembre 1694.
Ne vous rebutez pas de me trouver parfois un peu sévère : c'est que je voudrais que vous fussiez vraiment à Dieu, tout à Dieu. Ayez une entière confiance à la sacrée Mère de Dieu, sans vous chagriner de vous voir environnée de tentations ; un peu d'humilité confondra vos ennemis. Ne vous désolez point de voir tant de misères... abaissez-vous toujours. Notre Seigneur prendra plaisir dans votre petitesse et vous donnera des grâces que vous n'attendez pas.
n 2257 A une Religieuse, rue Cassette, 5 avril 1695.
Que la connaissance de nous-même est nécessaire à une âme qui veut faire quelque progrès dans la vertu, car, si elle est une fois persuadée : «Je ne suis rien», aucune chose ne lui fera peine et ne la troublera. Une parole, une réprimande, un mépris, un rebut des créatures, tout cela ne fera aucune impression sur son esprit. Pourquoi ? Parce que : «Je ne suis rien, et que l'on ne me doit
96 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 97
rien». Travaillez, mes Soeurs, à méditer ces vérités et à vous y bien établir, mais efficacement, pour les pratiquer dans les rencontres. Je ne suis que néant : ah, que voilà une grande leçon, et que l'on va loin lorsqu'on lui donne toute l'étendue que la grâce demande !
no 2362 Chapitre à des novices, 1687.
Croyez que tout le monde a droit de vous reprendre, de vous blâmer et de vous humilier. Soyez en esprit au-dessus de tout ; que chacun soit ce qu'il voudra être. f Pour vous], ne sortez pas de cette lumière de vérité : hors de là, l'âme n'est que ténèbre et vanité ; mais, dans ce bienheureux néant, elle est éclairée d'une lumière divine et elle commence à vivre de Jésus Christ.
Vivez donc en ce repos sans sortir du néant où vous devez, si vous y êtes fidèle, trouver votre paradis.
no 1509 A une Religieuse, rue Cassette.
Tout ce que vous avez à faire dans votre état présent est d'en supporter humblement la vue et le sentiment d'être bien aise que le fond de malice soit découvert qui, jusqu'à présent, vous a été caché et qui vous a tenue dans une superbe secrète, ignorant ce que vous êtes en vérité et vous persuadant d'être le contraire. Goûtez donc la vérité, au lieu du mensonge qui vous a nourrie et occupée dans votre vie passée.
Soyez bien aise d'être détrompée et, voyant votre fond très méchant, ne vous en étonnez pas ; vous ne le connaissez pas encore dans son étendue. Entrez dans le dessein de la conduite de Dieu, et vous abandonnez à ce qu'il veut de vous en cette vue, et le laissez opérer ses volontés sur vous et détruire la propre excellence et estime secrète de vous-même. Présentez-vous en cet état à la très sainte Mère de Dieu et dites de temps en temps en son honneur :Magnificat, pour, par son humilité, triompher de votre orgueil, et attendez en patience les effets de sa miséricorde.
no 2822 A une Religieuse.
Estimez que toutes les conduites de Dieu sur vous, pour crucifiantes qu'elles puissent être, ne sont que des effets de sa bonté qui vous épargne et ne vous met dans ces états que pour humilier votre superbe, qui est effroyable. Otez donc ces plaintes, ces gémissements et tendresses sur vos propres misères, et sachez que vous ne connaissez pas l'ombre de ce que vous en portez ; croyez-les sans troubles et vous en humiliez.
no 3132 Diversités spirituelles.
Quand vous tomberiez dans quelque grand péché ou dans quelque faute considérable, bien loin de vous en troubler, il faudrait remercier Dieu de la grâce qu'il vous fait de vous connaître : il y a des âmes à qui Dieu laisse des défauts pour les humilier. Si Dieu se fâche contre vous, abaissez-vous. Si vous sentez ses coups, mettez-vous encore plus bas. S'il vous rebute, mettez-vous de plus en plus bas. Et quand vous serez descendue aussi bas que vous le devez, il viendra vous combler de grâces et de miséricorde, avec tant d'abondance que vous en serez surprise.
no 1214 Entretiens familiers, 12 avril 1694.
I,e huitième degré d'humilité demande qu'un moine ne fasse rien que ce qui est prescrit par la règle commune du monastère ou conseillé par les exemples des supérieurs.
Elles fuiront toute singularité comme une très grande et très dangereuse imperfection qui détruit la simplicité religieuse, mais elles se conformeront en tout et partout à la Règle commune du monastère, comme dit notre Père saint Benoît... [et aux coutumes] qui sont prescrites par les Règles, Constitutions et règlements de la sainte Religion, qu'on est obligée d'observer par la sainte profession qu'on en a faite.
Journée religieuse.
Au lieu des grandes austérités que Notre Seigneur n'exige pas de vous, soyez humble et faites les actions selon vos forces, avec l'agrément de l'obéissance. Chérissez les observances communes mille fois plus que tout ce que votre propre esprit vous porte à faire dans le particulier. De même à la récréation, à moins que l'obéissance ne vous en fasse sortir, n'en demandez pas la dispense. N'affectez rien de singulier, quoique le motif qui vous y porte fût bon ; souvenez-vous que Notre Seigneur aime mieux l'obéissance que le sacrifice ; ne préférez rien à cette précieuse vertu.
no 41 A Mère Sainte Thérèse du Tiercent, rue Cassette, 1672.
Si vous aimez votre vocation faites-le paraître en travaillant à votre sainteté par la mortification, par l'humiliation, par l'exactitude aux observances et règlements de la sainte Religion, n'omettant aucune chose, pour petite qu'elle soit, au temps, au lieu ordonné. C'est là aimer sa vocation qu'aimer et observer tout ce qui est prescrit par la sainte Religion. Ne vous y trompez pas, mes Soeurs, vous verrez bien des choses à l'heure de la mort, bien des grâces perdues que vous aurez négligées et dont on vous demandera compte. Ayez beaucoup d'estime des petites choses, s'il y en a de petites ; tout est grand aux yeux de Dieu. Si vous aviez conçu une haute estime de Dieu, que vous agiriez bien autrement que vous ne faites ! Sa grandeur, sa Majesté, vous tiendraient toujours recueillies en sa présence, et vous introduirait à l'oraison, toujours nécessaire. Elle vous ferait entrer en union avec Dieu. Ayez tant de belles et sublimes lumières qu'il vous plaira, des idées relevées et des plus ravissantes, si vous n'êtes humble et si vous n'entrez dans la véritable mortification, je les appelle toutes : illusions. Tout le monde veut être spirituel, et encore de la plus fine spiritualité, et personne ne veut prendre la voie qui y conduit. Si vous aspirez à ces états sublimes, prenez-en le sentier qui est une profonde humilité.
n 1932 Conférence, 1672.
98 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 99
Je fais tant état d'un acte de communauté que, quoique j'aie des affaires par dessus la tête, je quitte tout pour venir à la récréation, car je suis sûre que je trouverai Dieu et je ne suis pas certaine de le trouver à l'écart, et puis je tâche d'avoir un petit morceau de la grâce qui est renfermée dans les exercices réguliers. La récréation en est du nombre : ainsi il s'y faut rendre autant qu'on le peut.
n° 2998 Recueil de différentes pensées.
Le neuvième degré d'humilité fait que le moine défende à sa langue de parler et, pratiquant la retenue dans ses paroles, garde le silence jusqu'à ce qu'on l'interroge. Selon l'enseignement de l'Ecriture, en effet, "on ne saurait éviter le péché en parlant beaucoup ", et "le bavard ne marche pas droit sur la terre ."
Le dixième degré d'humilité veut qu'on ne soit ni enclin ni prompt à rire, car il est écrit : " Le sot, en riant. élév(. la voix
Le onzième degré d humiliié c'est que le moine, dans ses propos, s'exprime doucement et sans rire, humblement et avec. gravité, brièvement et raisonnablement, évitant les éclats de voix, ainsi qu'il est écrit : "On reconnaît le sage à la sobriété de son langage ".
Dieu est feu... Voulez-vous que je .vous dise ce qui empêche que ce feu sacré n'opère en vous ? C'est la dissipation, car si nous savions nous occuper de Dieu en nous et garder le silence, cela nous attirerait bien des grâces, étant certain qu'on ne peut être spirituelle ni intérieure quand on n'est pas silencieuse et que l'on aime à se répandre et à parler facilement. Ne vous flattez pas, cela est impossible. Une personne intérieure n'aime pas à parler, et l'on n'en a point vu qui n'aient été fort retenues en ce point.
Tâchez donc d'observer le silence, afin que, vous conservant toujours dans un saint recueillement, rien ne vous empêche, soit dans votre cellule, soit en montant et descendant, d'avoir toujours en vous ce feu sacré.
no 2384 Conférence, 1693.
Elles prendront garde de ne point crier ni faire d'éclat de ris immodérés, et de ne pas parler toujours.
Il ne faut jamais interrompre celle qui parle...
Surtout nous devons être fort retenues dans nos paroles, pour n'en dire jamais qui puissent déplaire.
Journée religieuse.
Le douzième degré d'humilité comporte qu'un moine non seulement possède cette vertu dans son coeur, mais encore la manifeste au dehors par son attitude. A l'OEuvre de Dieu, à l'oratoire, dans le monastère, au jardin, en chemin, aux champs, qu'il soit assis, en marche, ou debout, il aura toujours la tête inclinée, les yeux baissés : se sentant à toute heure chargé de ses péchés, il se voit déjà traduit devant le tribunal redoutable de Dieu, et répète dans son coeur ce que le publicain de l'Evangile disait, les yeux fixés à terre : "Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux vers le ciel ", et encore avec le Prophète : "Je me tiens courbé et humilié de toute manière ." sement. S'il opère par sa lumière et par sa grâce au dedans, faites que le dehors soit de même par votre fidélité. Ne dites point que vous ne le pouvez ; je dis que si ; quand vous le voudrez, vous le ferez, car il y a grâce en vous pour cela. Mon enfant, ne prenez point l'apparence pour le vrai ; soyez fidèle.
no 2722 A une Religieuse, rue Cassette.
La Madeleine se jette aux pieds du Sauveur et les lave de ses larmes. L'humilité est une excellente pénitence... Nous n'avons en nous aucun mérite : il n'y a
que la sainte humilité qui nous approche et nous fait trouver grâce devant Dieu. Vous vous troublez et lamentez sans raison : toutes vos plaintes et gémissements ne procèdent que d'une superbe cachée, qui ne peut supporter que Dieu la rebute. Je ne demande qu'une seule chose de vous, avec l'observance de vos voeux et de vos Règles : abaissez-vous, mais, je le dis, de la bonne manière . Tenez-vous aux pieds du Sauveur comme le Publicain au bas du Temple, et dites : « Ayez pitié de moi, mon adorable Seigneur. Je ne suis pas digne de vos miséricordes, mais je les attendrai humblement autant de temps qu'il vous plaira...» Ne doutez pas, si vous faites de cette sorte avec patience et humilité,
que vous y soyez longtemps sans recevoir une effusion de grâces divines. Nous ne
savons pas, ou nous ne voulons pas savoir le secret de ravir le coeur de Dieu.
Abaissez-vous et méprisez-vous en vous-même, non en paroles niais en fond de
vérité. Si vous faites ce que je vous dis, tout le ciel viendra fondre sur votre inté-
rieur, et vous regorgerez de tant de grâces que vous en aurez pour convertir le
monde entier. Personne ne connaît ni ne goûte Dieu qu'«humblement». Deve-
nez-le, et vous verrez, par expérience, que je dis vrai.
no 3158 A une Religieuse, rue Cassette.
Le temps de l'oraison venu, il faut la commencer par le souvenir simple de Dieu et la continuer en cette même façon, et il faut dire ses prières vocales, entendre la sainte messe et même faire l'examen de conscience, puisque cette même lumière de foi qui nous tient attentive à Dieu nous fera découvrir nos moindres imperfections et en concevoir un grand déplaisir. Aller au réfectoire avec le même esprit de simplicité qui nous rendra plus attentives à Dieu qu'au manger et qui nous laissera la liberté, ne nous attachant à rien, attachées à Dieu seul. Il se faut récréer ensuite pour donner au corps et à l'esprit quelque soulagement, sans se dissiper néanmoins l'intérieur à entendre des nouvelles curieuses et à des ris immodérés, mais conserver son intérieur par des retours simples et amoureux vers Dieu, se souvenant que l'on est en sa sainte présence et qu'il ne veut pas que nous nous séparions de sa sainte volonté... L'on se doit comporter de la même façon et avec le même esprit en toutes autres choses, comme au travail, au souper et à la récréation ainsi que dessus, enfin l'on se couchera dans la vue de la présence de Dieu et l'on s'endormira avec cette attention amoureuse. S'il est possible, l'on entrecoupera son sommeil de quelque parole dévote comme : «Mon Dieu, soyez moi toutes choses, je ne veux que vous pour le temps et l'éternité».
Je prie Notre Seigneur de vous vouloir établir dans une profonde humilité, non de spéculation mais de pratique. [Autrement], vous n'arriverez jamais à ce que Dieu demande de vous ; vous êtes bien persuadée qu'il veut votre anéantis-
no 544 Conférence.
100 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 101
Après avoir gravi tous ces degrés d'humilité, le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu, qui, s'il est parfait, bannit la crainte. Grâce à cette charité, il accomplira sans peine, comme naturellement et par habitude, ce qu'auparavant il n'observait qu'avec frayeur. Il n'agira plus sous la menace de l'enfer, mais par amour du Christ, sous I effet d'une sainte accoutumance et de l'attrait délectable des vertus. C'est la grâce que Notre Seigneur daignera manifester par le Saint Esprit dans son serviteur purifié de ses défauts et de ses péchés.
L'humilité est le fondement de la vie spirituelle. Autant que vous aurez d'humilité, autant vous aurez de sainteté, et non plus.
no 1845 A la comtesse de Châteauvieux.
C'est l'humilité qui est, à mon sens, la plus rare de toutes les vertus ; mais quand une âme est parvenue au point de la posséder sincèrement, elle est au comble d'un bonheur qui ne se peut assez estimer, tant elle possède de richesses et de grâces dont une des plus admirables est une paix si profonde que rien de ce monde ne la peut troubler. Vous serez heureuse si vous pouvez soutenir tous les sacrifices qu'il faut faire pour y parvenir solidement ; je vous conseille de vous y appliquer de la bonne manière et,pour cet effet,de demander un grand courage à la plus humble de toutes les créatures.
no 3038 A une Religieuse, rue Cassette.
Oh ! si vous saviez que c'est une bonne chose de savoir bien s'abaisser devant Dieu ! Autrefois, je prenais plaisir à considérer et à m'appliquer à cela : ces personnes qui vont dans les mines chercher l'or et l'argent, elles descendent toujours de plus bas en plus bas pour le chercher, il en faut faire de même pour trouver Dieu, descendez, descendez toujours de plus bas en plus bas dans la profondeur de votre bassesse, allez tout jusqu'où l'on peut aller et je vous assure que dans ce lieu si bas et si abject de votre misère Dieu vous y viendra chercher et trouver. Oui, il y viendra fondre, bien plus, je vous dis qu'il vous y viendra faire la cour. Je [le] sais d'expérience, vous me pouvez croire . Oui, ce Dieu de bonté s'unira à vous, vous comblera de ses grâces , et dans la profonde petitesse vous goûterez ses infinies miséricordes. Il n'y a qu'à se savoir abaisse! pour l'attirer tout en nous.
no 314 Entretien familier. CHAPITRE XIX
DES DISPOSITIONS A APPORTER A LA PSALMODIE
Nous avons foi que Dieu est présent partout et que ses yeux considèrent en tout lieu les bons et les méchants. Mais surtout, il faut être fermement assuré qu'il en est ainsi lorsque nous assistons à l'office divin. Ajons donc toujours dans la mémoire ce que dit le Prophète : «Servez le Seigneur dans la crainte.» Et encore : «Psalmodiez avec sagesse.» Et : «Je vous chanterai en présence des Anges.» Considérons donc comment nous devons nous tenir en la présence de la Divinité et de ses Anges, et conduisons-nous dans la psalmodie de manière que notre esprit concorde avec notre voix.
'apprends, ma très chère Mère, que le Verbe éternel, cette Parole adorable, devenu muet au sein de sa glorieuse Mère, vous a fait perdre la parole aussi bien que la voix ; je vous prie, très chère fille, de prier sa très sainte Mère de vous rendre l'une et l'autre, pour l'amour de son divin Fils au très Saint Sacrement, où il est aussi dans cet auguste mystère un Dieu sans parole ; mais il veut que nous en ayons
pour l'adorer et chanter ses louanges. Je vous prie, très chère, de prier humblement le Fils et la Mère de vous donner la faculté de parler et de chanter ; demandez-leur cette grâce par obéissance, afin que, tenant la voix de leur souveraine bonté, vous puissiez les honorer en chantant leurs louanges et en apprenant à vos novices à les aimer et servir fidèlement. Ne m'oubliez pas auprès de la sainte famille de Bethléem ; je suis si accablée de menus tracas que je ne puis que vous assurer que je suis de coeur tout à vous.
no 867 A Mère Marie de Jésus Chopine!, Paris, 5 décembre 1683.
Pour rendre le sacrifice de louange agréable à Dieu, il est absolument nécessaire que, suivant l'avertissement de notre glorieux Père saint Benoît, les Soeurs se considèrent toujours en sa sainte présence, accompagnées des bienheureux Esprits, afin qu'en psalmodiant, leurs coeurs et leurs affections soient d'intelligence avec leurs langues et leurs voix.
Cérémonial.
102 CATHERINE DE BAR
Quand on récite l'Office divin seule et en particulier, on doit s'en acquitter avec autant de respect, de révérence, d'attention et de dévotion que si on le récitait en commun, prononçant distinctement toutes les paroles, sans se trop précipiter, étant bien raisonnable que, traitant avec Dieu, on ne lui parle pas avec moins de respect que lorsqu'on parle à quelque personne de considération.
Journée religieuse.
Mes Soeurs, c'est l'oeuvre de Dieu que l'Office divin. Ne croyez pas que ce soit une chose dont il faille s'acquitter négligemment. On peut dire : «Qu'est-ce que dire un bréviaire ?» C'est ce qu'on peut faire depuis le matin jusqu'au soir. 11 n'y a rien de si saint, mes Soeurs, et où il y ait moins d'humain qu'au récit de l'Office divin. Tout est employé pour honorer Dieu : l'esprit, les sens. L'esprit, par application ; les oreilles, pour écouter ; les yeux, pour regarder ; la langue, pour parler ; tout le corps, par les prostrations : tout est employé à ce saint exercice. Nous ne devons jamais aller à l'Office qu'avec grand respect, avec zèle et un saint recueillement il faut se préparer par ces trois choses : respect, zèle, recueillement. C'est l'oeuvre de Dieu par excellence. Dans l'Église romaine, on ne l'appelle point autrement que : l'Œuvre de Dieu. Nous faisons ici-bas ce que les anges font dans le ciel, où ils chantent sans cesse les louanges de Dieu par leur Sanctus...
Souvenez-vous que c'est à Dieu que vous parlez. Notre glorieux Père saint Benoît, que vous dit-il dans sa Règle ? Ne vous avertit-il pas de la présence de Dieu let] avec quel respect vous devez psalmodier ?
no n 31 28 Chapitre.
11 faut aller à l'Office divin, il faut s'y comporter avec une profonde révérence, une grande modestie, et il est bon, entrant au choeur, de renouveler notre foi sur la réalité de Dieu présent. Voyez les saints anges : avec quel respect et révérence ils assistent en sa sainte présence ! Nous le possédons aussi véritablement qu'eux, à la réserve qu'ils le voient à découvert, et nous ne le voyons qu'à travers le voile de la foi.
no n 3059 Chapitre, en parlant à une Novice.
Si la Religion est l'image du paradis dans toutes ses pratiques, elle l'est plus particulièrement par la psalmodie et le chant de l'Office divin, qui est notre principal exercice...
Et comme l'Office divin est proprement ce qui s'appelle l'Oeuvre de Dieu, il faut tâcher que notre esprit s'unisse et réponde .toujours à notre voix, et faire en sorte que les louanges que nous donnons à Dieu sortent plutôt du coeur que des lèvres, et que nos désirs de le louer et glorifier s'étendent à l'infini, s'il était possible.
Journée religieuse. A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 103
Je vous dirai aussi, en passant, que nous avons reçu [de notre bienheureux Père] l'adoration perpétuelle, qui est un «laus perennis» intérieur. Au commencement de l'Ordre, il y en avait un extérieur, et il serait à souhaiter qu'il durât encore. Mais nous le faisons mentalement, adorant nuit et jour, et nous succédant les unes les autres. Faisons donc bien cet exercice que nous avons reçu du coeur de notre bienheureux Père saint Benoît.
n 31 29 Conférence pour la fête de saint Benoît.
Elles entreront dans le lieu sacré, où cette majesté adorable réside, avec un très profond respect, s'unissant à la compagme des anges qui l'y adorent incessamment avec des dispositions si saintes que cette seule réflexion serait suffisante pour élever leur coeur à Dieu, et entrer dans ce respect si profond, qui nous doit tenir en sa sainte présence, et psalmodier saintement, mais, quoiqu'il faille tâcher de se rendre au Choeur des premières, il faut néanmoins y aller modestement, sans courir ni faire de bruit.
journée religieuse.
Comme le divin Office est ce qu'il y a de plus saint dans toutes les actions de la vie religieuse et auquel notre bienheureux Père saint Benoît défend de ne rien préférer, la Mère Prieure donnera la charge de Maîtresse des Cérémonies à une ancienne, capable de s'en bien acquitter et à laquelle toutes les Soeurs déféreront avec une sainte condescendance touchant les choses qui sont de son office.
Cérémonial.
Quant à l'Office divin, vous pouvez renouveler l'attention en disant le Gloria Patri. L'esprit jette son oeillade vers Dieu sans peine ni sans inquiétude, un petit penchant de coeur, une petite adhérence à Dieu en simplicité de coeur ; il ne faut point d'embarras.
no n 31 36 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mardi soir, 2t février 1696.
104 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 105
CHAPITRE XX
DE LA REVERENCE A GARDER DANS LA PRIERE a
Pour votre oraison, vous la commencerez par la foi, vous tenant en silence, et, faisant cesser tout babil et raisonnement, vous vous tiendrez en simplicité au-dessous de Dieu.
Si, lorsque nous avons une requête à présenter aux puissants de la terre, nous ne l'osons faire qu'avec humilité et respect, à plus forte raison faut-il supplier le Seigneur Dieu de l'univers en toute humilité et pureté de dévotion. Sachons bien que ce n'est pas l'abondance des paroles, mais la sincérité du ccei,r et la componction qui nous rendront dignes d'être exaucés. La prière doit donc être brève et pure, à moins que peut-être la grâce de l'inspiration divine ne nous incline à la prolonger. Mais en communauté, la prière sera très courte, et, sur le signal du supérieur, tous se lèveront en même temps .
Soyez fidèle à demeurer en la présence de Dieu sans vous mettre en peine de ne pouvoir rien faire. Jésus Christ est celui qui vit en nous, nous n'avons qu'à adhérer à lui en humilité et simplicité de coeur et d'esprit... N'ayez point de répugnance d'être en la présence de Dieu sans rien faire, puisqu'il ne veut rien de vous que le silence et l'anéantissement, vous ferez toujours beaucoup lorsque vous vous laisserez et abandonnerez sans réserve à sa toute puissance. Soyez fidèle en ce point, ne vous affligez point de vos distractions, laissez-les passer et demeurez humblement aux pieds de Jésus, vous estimant indigne de ses grâces.
n 1746 A Mère Marie de Jésus Chopinel, Caen, 24 mai 1649.
Notre saint Législateur, qui sans doute était un homme d'oraison, ordonne à
ses disciples de s'appliquer à ce divin exercice avec pureté et componction de coeur, en sorte pourtant que dans la Communauté l'oraison soit courte, si ce n'est que quelqu'un en particulier la prolonge par un spécial mouvement de l'Esprit
de Dieu, qui se communique à qui il lui plaît. Cérémonial.
L'humilité, mes Soeurs, vous donnera entrée à l'oraison, qui est la nourriture de l'âme. Dieu se communique aux âmes petites.
no 1711 A une jeune Professe.
L'oraison n'est pas si pénible que vous pensez. Il y faut aller dans le dessein de se laisser tout à Jésus Christ et se soumettre à sa très sainte volonté, dans l'agrément de tout ce qu'il lui plaira vous y donner, soit ténèbres, soit impuissances,
soit inquiétude, soit tentation. Humiliez-vous et demeurez contente du bon plaisir de Dieu.
no 2248 A la comtesse de Châteauvieux.
a Saint Benoît emploie le mot oratio : il désigne ici la prière privée, distincte de la prière vocale liturgique.
n 638 Entretien familier.
Vous mettant à genoux pour faire votre oraison, vous la commencerez par un acte de foi de Dieu présent. Vous l'adorerez en abaissant votre esprit devant sa très sainte majesté... en sa présence, avec résolution de vous y tenir dans un pro-
fond respect et dans une volonté toute soumise et tout abandonnée à la sienne très adorable. Et lorsque les distractions se rendront importunes, en les méprisant seulement, tourner votre regard intérieur vers Dieu, vous remettant simplement dans le souvenir de sa souveraine majesté.
n 3106 A la comtesse de Châteauvieux.
L'oraison du coeur n'est autre chose que de croire Dieu dans son coeur, de l'y adorer et de se laisser amoureusement à lui. Cette oraison ne demande point d'autre instruction que les inventions que le Saint Esprit inspire à l'âme. C'est l'amour divin qui en est le maître et le directeur, et voilà le secret ; les créatures ne doivent point s'ingérer de faire son office.
Cette oraison porte amour et respect des grandeurs de Dieu ; l'âme n'a qu'à se recueillir et s'occuper doucement de Dieu, voilà tout ce que j'en sais. Chacun en reçoit des effets différents selon les voies et les conduites de Dieu. Cette sorte d'oraison, quand l'âme est fidèle, doit opérer une profonde humilité, une grande simplicité. Douceur, charité, résignation, toutes les vertus s'y trouvent renfermées ; l'usage vous le fera expérimenter.
Ne gênez point votre esprit ; suivez Jésus Christ en humilité et simplicité.
n 2032 A la comtesse de Châteauvieux.
Il y a un certain regard vers Dieu qui tient lieu de toutes choses à l'âme..., pour la tenir appliquée à Dieu seul et sans chercher autre chose que de l'adorer
et de lui rendre en silence tous les hommages possibles, qui tient l'âme simplement élevée et attachée à Dieu des heures entières, sans chercher autre chose que Dieu en Dieu, et Dieu pour lui-même.
n° 1957 A une Religieuse de l'Institut.
J'ai lu, ma très chère Soeur, le billet qui explique quelque chose de vos dispositions intérieures. Je vois que votre esprit se gène trop pour l'oraison, il faut le conduire doucement, sans le rebuter pour les distractions qu'il y souffre, et, pour bien réussir, tâchez de ne le point trop multiplier ; puisque vous avez attrait et amour pour Notre Seigneur Jésus Christ méprisé, envisagez-le en esprit de foi et tenez-vous en sa sainte présence. Le petit livret de L'oratoire du coeur * vous
* Maurice Le Gall de Querdu, L'oratoire du coeur ou méthode très facile pour faire oraison avec Jésus Christ dans le fond du coeur, Paris, 1682.
106 CATHERINE DE BAR 1 A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 107
serait utile et cette méthode d'oraison ferait un bon effet dans votre intérieur, tant pour réformer la légèreté de l'esprit que pour la pratique solide des saintes vertus, ce bandernent de tête vous nuira si vous ne le modérez. L'occupation de votre intérieur doit être de regarder Notre Seigneur dans quelque état de sa passion, l'adorer et vous y unir, quelquefois en silence de respect, autre fois en pro-
duction amoureuse, courte et souvent réitérée. La vue de vos infidélités est utile, si vous savez la ménager, mais si cette vue vous cause de l'inquiétude, c'est une marque que vous ne vous connaissez pas et que le fond est plein de superbe et d'estime de vous-même. 11 ne se faut pas étonner des tentations ; c'est l'impossible de s'en dispenser, mais elles nous doivent rendre vigilante pour n'y point adhérer.
il° 710 A une jeune Religieuse de Toul.
Persévérez dans l'oraison simple, sans vous rebuter de vos faiblesses ou par le trop peu de progrès que vous faites dans la vertu ; ce n'est point ce motif qui doit vous faire agir, mais Dieu uniquement pour lui-même... Vous faites demeurer la volonté en Dieu, sans discours, ni raisonnements, vous demeurez de la sorte en lui, et il fait en l'âme ce qu'il lui plaît.
n° 2239 A Mère Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent, à Paris, 1674.
C'est une grande miséricorde de Dieu et une marque qu'il vous veut tout à lui et appliquée à lui seul, par un regard simple et amoureux... Il veut de vous deux choses : le silence intérieur qui renferme en soi l'attention simple et, l'adhérence à Dieu. C'est ce qui s'observe dans ce regard silencieux et respectueux que vous pratiquez qu'il faut continuer, quelque sécheresse ou incapacités de demeurer en la présence de Dieu que vous puissiez ressentir. Ne désistez point de votre fidélité, ne regardez jamais le profit qui vous en revient... J'espère que dans la suite de ses miséricordes, il vous fera entrer dans un plus grand dégagement de vos propres pensées et de vos craintes. Courage, allez à lui avec confiance et amour, non sensible, mais de foi et d'abandon.
n° 2217 A une Religieuse, rue Cassette.
11 est bien juste que nous reconnaissions l'amour que Jésus Christ nous porte. Une des plus intimes dispositions que vous pourriez prendre serait de vous tenir dans un profond respect devant cette adorable majesté, de demeurer en sa sainte présence avec un silence d'étonnement, d'être le plus que vous pourrez dans ce saint recueillement, qui vous tient quasi toujours dans une disposition d'adoration, d'admiration et de reconnaissance, et qui vous porte à vous réduire amot.t.; reusement dans le néant, dans la douceur et dans la fidélité aux occasionS.
no 3037 A une Religieuse, rue Cassette.
Dieu ne vous doit rien. Si vous sentez des rebuts à l'oraison, s'il vous semble que Dieu vous méprise et ne vous écoute pas, gardez-vous bien de murmurer comme si Dieu vous devait quelque chose. Au contraire, humiliez-vous, ne faites point comme celles qui, lorsqu'elles ne sentent point de douceur ou leur petit attrait, se découragent, se chagrinent, comme si tout était perdu. Ces personnes-là se recherchent elles-mêmes et non pas Dieu.
Mais, me direz-vous, je me chagrine parce que je crois que ma sécheresse vient à cause de nies infidélités et qu'elles sont la marque de la disgrâce de Notre Seigneur. Ces raisons-là ne sont qu'amour-propre. Si c'est vos infidélités qui vous les ont attirées, vous les devez souffrir comme une pénitence que vous avez méritée. Il ne faut pas tant se réfléchir, il faut s'abandonner. Marchons dans les pures lumières de la foi et non point dans la vanité de nos sens. Laissons-là, ne pensons qu'à contenter Dieu, admirons cette bonté qui nous souffre, cet amour infini qu'il a pour nous ; ne pensons qu'à l'aimer, qu'à le contenter. Voilà l'unique nécessaire, tout le reste n'est rien.
n° 2548 A une Religieuse en particulier.
Ce n'est pas les belles lumières ni les goûts qui font une bonne oraison, mais c'est la conformité à la volonté de Dieu. Allez à l'oraison pour contenter Dieu, et non point pour y chercher votre satisfaction : ... «Me voici pour vous adorer, vous êtes la grandeur infime et c'est ma joie ; et moi, l'extrême pauvreté et misère, j'en suis contente». Ah ! la belle oraison de se réjouir de ce que Dieu est ce qu'il est ! ... Prenez part au plaisir que Dieu prend en lui-même, adorez ses divines perfections, réjouissez-vous de ce qu'il sera toujours le même durant toute l'éternité.
n 607 Untretiens Familiers, 29 septembre 1694.
Il nous faut établir dans la foi pure de Dieu en nous, non seulement comme soutenant notre être, mais comme opérant et concourant à tout ce que nous faisons. 11 ne faut point d'imagination pour le croire, mais la foi toute simple suffit, pourvu qu'elle soit continuelle. Si elle s'amortit, il faut la réveiller doucement jusqu'à ce qüe l'habitude en soit formée et que l'âme se voie plus en Dieu qu'en elle-même. 11 me semblé que cette vérité de Dieu essentiellement en nous fait un admirable effet porir ilbtis faire voir notre dépendance de sa bonté, et pour nous soutenir en respeci, i l ainour en sa sainte présence. Car si, au dedans, il semble que les organes de l'âhle soient obscurcis et comme impuissants de s'élever pour trouver Dieu, la vérité le fait posséder en foi puisqu'il est vrai qu'il nous environne, qu'il est tout hotte être plus nous que nous-même. Et si l'âme dit : «Je ne puis être ume à Dieu à cause de mes impuretés», je lui réponds qu'elle est en Dieu, qu'elle vit en liii et que, si elle doute avoir quelque crime en sa conscience, qu'elle le déteste et se tienne en Dieu par la foi : elle en recevra de très grands avantages.
Si on savait le bien que l'âme reçoit de cette présence quand elle s'y exerce en foi à toute heure ! Elle se trouve investie de Dieu jusqu'à des pénétrations inexplicables. Tout notre mal est que nous ne voulons pas nous captiver sous cette loi d'amour et de simple application à Dieu présent.
no 592 Chapitre.
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Il faut accoutumer votre esprit à se nourrir de la présence de Dieu en foi, et s'en contenter dans l'oraison. Si d'abord il s'occupe de cette divine présence, il faut qu'il s'en laisse remplir et posséder. Tant que la mouche à miel voltige sur les fleurs, elle ne fait ni miel ni cire ; de même, tant que votre esprit se remplit de multiplicités, il n'est pas capable de goûter Dieu ni de le posséder.
Il faut qu'il apprenne à se taire et à demeurer avec respect et attention amoureuse à sa sainte présence, y portant acquiescement au bon plaisir de Dieu et à toute sa sainte conduite sur vous, demeurant en cette posture d'abandon autant de temps qu'il vous sera possible, mais du moins une petite demi-heure le matin et quelque quart d'heure le soir.
n0 1325 A la comtesse de Rochefort.
Aimons bien Dieu, adorons-le, louons-le incessamment, nous n'avons que cela à faire et à penser: Que la créature est misérable de s'occuper d'autre chose que de Dieu, je ne le saurais dire ; oui je voudrais avoir une voix assez forte pour le crier à toutes les créatures, qui fût comme le rugissement d'un lion ou le bruit d'un taureau pour faire entendre d'un bout du monde à l'autre le malheur d'une âme qui est désoccupée de Dieu d'un moment.
n 13 Diversités spirituelles.
CHAPITRE XXI
DES DOYENS DU MONASTERE
Si la communauté est nombreuse, on choisira quelques-uns d'entre les frères qui soient de bonne réputation et de sainte vie et on les établira doyens. Ils veilleront en tout sur leurs décanies, conformément aux commandements de Dieu et aux ordres de l'abbé. On choisira pour doyens ceux des moines avec lesquels l'abbé puisse en toute sécurité partager son fardeau. On ne les nommera pas selon leur ancienneté dans la communauté, mais selon le mérite de leur vie et la sagesse de leur doctrine.
Si, par hasard, l'un d'eux, enflé de superbe, mérite répréhension, on le corrigera une première, une seconde et une troisième fois. S'il ne veut pas s'amender on le déposera et on mettra à sa place un autre qui en soit digne. Nous établissons la même règle au sujet du prieur.
1 faut que les discrètes [conseillères] s'appliquent à bien comprendre tout ce qui est de l'Institut, à connaître parfaitement la Règle, les Constitutions et les règlements des offices et qu'elles concourent avec la Mère Prieure à faire observer toutes ces choses le plus parfaitement possible.
Cérémonial.
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CHAPITRE XXVII
DE LA SOLLICITUDE QUE L'ABBE DOIT AVOIR A L'EGARD
DES EXCOMMUNIES
L'abbé doit s'occuper en toute sollicitude des frères qui ont failli, parce que "ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades ." C'est pourquoi il doit, comme un sage médecin, user de tous les moyens. Il enverra des frères anciens et sages qui, comme en secret, consoleront le frère qui est dans le trouble et l'engageront à faire une humble satisfaction : ils le soutiendront de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse ; niais, comme dit lApôtre, "Il faut redoubler de charité envers lui ", et tous prieront à son intention.
L'abbé, en effet, doit avoir un soin tout particulier et s'empresser , avec toute son adresse et toute son industrie, pour ne perdre aucune des brebis à lui confiées. Il doit savoir qu'il a reçu la charge de conduire des âmes faibles et non d'exercer sur des âmes saines une autorité tyrannique. Qu'il craigne donc la menace du Prophète, par la bouche duquel Dieu dit : "Les brebis qui vous paraissaient grasses, vous les preniez pour vous, et celles qui étaient débiles, vous les rejetiez ." Qu'il imite plutôt l'exemple de tendresse du bon Pasteur qui, avant laissé dans les montagnes quatre-vingt-dix-neuf brebis, se mit en quête de l'unique brebis qui s'était égarée ; il eut de sa faiblesse une si grande compassion qu'il daigna la charger sur ses épaules sacrées et ainsi la rapporter au troupeau.
Je vous réponds, très chère Mère, que vous devez décharger votre conscience à Monsieur de Rabaumont pour les communions de la Soeur converse, et dire sa conduite et la peine qu'elle fait à ses Soeurs ; puisqu'il est son confesseur, il y doit donner ordre, autant qu'il pourra.
Vous ne pouvez enjeux faire, pour éviter les tracas, que de passer doucement les choses. Mais si elle était capable de correction, elle en mériterait de bonnes. Soulagez les autres comme vous pourrez, et croyez que vous, dans vos emplois, ni moi dans les miens, nous ne ferons pas tout ce que nous voudrions pour le bien, la paix et la perfection, car nous ne sommes pas maîtresses des esprits ni des coeurs. Il faut beaucoup de patience ; et pour cela prenez courage, sans vous inquiéter. Vous ne pouvez empêcher cette personne d'offenser Dieu, si elle veut mal faire. ,lais consolez celles qu'elle fait souffrir par ses emportements. Vous n'avez pas besoin de vous confesser d'avoir toléré le vice, puisque vous n'y pouvez point mettre de remède. Il faut beaucoup prier Dieu pour elle.
Vous ne ferez point contre la charité de faire connaître au confesseur de la Soeur converse les manquements qu'elle fait et la peine qu'elle donne aux autres, afin qu'il tâche de la corriger, si elle en est capable.
no 1 790 A Mère Saint Placide, Paris, mercredi 18 mai 1690, (autographe).
Demandez donc sans cesse la conversion des pécheurs ; adressez-vous à la sainte Vierge *, lui représentant vos besoins ; vous y serez toujours bien reçues. Elle a grande compassion de nos misères et faiblesses.
Vous direz qu'ayant été prévenue elle ne les a pas expérimentées ; je crois que c'est ce qui lui donne plus de compassion pour nos infirmités ; elle est le refuge des pécheurs et la Mère de miséricorde.
no 1932 Conférence, 1672.
* Le dimanche dans l'octave de l'Assomption 1654, Mère Mectilde établissait la sainte Vierge, Abbesse perpétuelle de chaque monastère de son Institut. Cette "élection de Notre Dame Abbesse" se renouvelle chaque année dans nos maisons.
Connaissez par votre propre expérience le besoin que vous avez d'une profonde humilité. Prenez vos applications intérieures sur les souffrances et les humiliations de Notre Seigneur. Voyez-le dans les états de sa Passion et dans les mauvais traitements des pécheurs dans le très Saint Sacrement. Adressez-vous à la très sainte Vierge, demandez-lui humblement son secours, dites tous les jours le Magnificat les genoux nus en terre pour obtenir la force de vous abaisser et de vous corriger de votre attache à votre sens et de votre opiniâtreté ; vous verrez qu'elle vous donnera un grand secours.
n°283 A une Religieuse, rue Cassette.
Je ne saurais assez vous exciter à l'amour et à la confiance que vous devez avoir au très saint Coeur de la très sainte Mère de Dieu, sans crainte d'en être mal reçues, car elle ne rebute personne. Et ce qui doit le plus l'augmenter en nous c'est parce que l'Institut est sorti' de son saint Coeur.
La très sainte Mère de Dieu est la cause du salut d'une infinité de pécheurs que ne l'eussent jamais été sans elle. Vous devez chacune lui demander la conversion d'un pécheur... Je vous raconterai à ce propos qu'un jour je vis un tableau fort grand où la très sainte Mère de Dieu était peinte à plusieurs endroits ; dans l'un, il y avait autour d'elle des petits moutons houssés, crottés, qu'elle décrottait ; dans un autre endroit, elle savonnait et blanchissait ces mêmes moutons qu'elle avait décrottés ; et dans un autre elle les parait et les enjolivait, ensuite elle les présentait à son Fils. Je vous laisse à penser si après cela ils n'étaient pas bien reçus !
C'est la gloire de Dieu qu'il y ait des pécheurs en qui il exerce son infime miséricorde. Ce n'est pas que je veuille dire qu'il faille offenser Dieu pour le glorifier, ni autoriser les pécheurs dans leurs crimes, c'est seulement pour leur faire voir la bonté de Notre Seigneur, qui tire sa gloire de leur pardonner et qui est toujours prêt à les recevoir, quelque misérables et chargés de péchés qu'ils puissent être, afin qu'en étant persuadés ils ne désespèrent pas après être malheureusement tombés, mais qu'ils recourent à lui pour recevoir les effets de ses miséricordes infinies dans une amoureuse confiance. En cela je ne dis rien contraire aux sentiments de l'Église qui, considérant les grands biens que nous avons reçus par Jésus Christ, chante tous les ans le Samedi Saint : «O feux culpa), ô heureuse faute qui a mérité d'avoir un si grand Rédempteur ! 0 péché d'Adam que l'on peut dire, avec vérité, avoir été nécessaire, puisqu'il a été effacé par la mort de Jésus Christ !
le 1200 Conférence du 7 février 1695. Même conférence et textes parallèles in, J. Daoust, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint Sacrement, Téqui, Paris, 1979.
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CHAPITRE XXXI
CHAPITRE XXVIII
DE CEUX QUI APRES AVOIT ETE SOUVENT REPRIS,
NE SE CORRIGENT POINT
Si un frère, après avoir été fréquemment repris pour quelque faute et même après avoir été excommunié, ne s'amende pas, on lui infligera une correction plus rude, c.-à-.d. on procédera contre lui par le châtiment des verges. Que s'il ne se corrige pas encore, ou que, peut-être, enflé d'orgueil, ce que Dieu ne permette pas, il veuille même défendre sa conduite, l'abbé devra faire alors ce que fait un sage médecin : s'il a employé les fomentations et les onguents des exhortations, les remèdes des divines Ecritures, enfin la brûlure de l'excommunication et les coups de verge, et s'il voit que toute son industrie n'a rien obtenu, il devra employer alors un moyen plus efficace, sa prière et celle de tous les frères pour lui, afin que le Seigneur qui peut tout, rende la santé à ce frère malade. Mais si ce remède n'aérait point la guérison, l'abbé prendra alors le fer qui retranche, selon la parole de l'Apôtre : "Otez le mal d'entre vous ." Et encore : "Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille ", de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau.
Mes Soeurs, souvenez-nous de cette vérité effroyable qu'à l'heure de la mort, le Père Éternel nous dira : «Rends-moi compte de mon Fils». Hélas ! que répondrons-nous ? Rendre compte d'un Dieu à Dieu même ; non seulement de ses grâces, de ses dons et faveurs continuelles, mais de Dieu, des usages que nous
avons faits de Jésus Christ, son Verbe. Ah ! mes Soeurs, il faut se pâmer de honte et mourir de douleur dans la vue du peu d'usage que nous en avons fait ! Car tous, tant que nous sommes, soyons dans la lumière de vérité : quel a été le profit de tant de communions ? Il n'en faut qu'une pour faire d'un grand pécheur un Jésus Christ. Oui, en somme, nous sommes, nous, des Jésus Christ...
11 se trouvera que nous l'avons rendu captif, empêchant par nos résistances ce qu'il opère en nous, ses desseins adorables que nous avons méprisés, son divin regard, pour nous regarder nous-même, négligé ses inspirations, faute d'application sur notre intérieur, nous amusant à regarder les actions d'autrui, à censurer celle-ci, à improuver cette autre. Bref, que nous l'aurons égorgé, nous opposant à sa vie divine dont il voulait nous faire vivre, pour vivre en nous-même, pour nous-même, de nos humeurs, de nos caprices. Choses effroyables, en vérité, faire froid à une de nos Soeurs, avoir de l'aversion pour l'une, de l'amitié pour l'autre. Et quoi ? le coeur de Jésus Christ que ,vous possédez par la sainte communion, n'est-il pas tout amour ? N'embrasse-t-il pas tout chacune ? C'est une chose que je ne puis comprendre, et je mourrai dans cette surprise qu'après une communion on puisse vivre de la sorte et que la force de la présence de Dieu ne puisse nous tirer de nos humeurs et de nos passions. Je le réitère en la présence de mon Maitre et vous le dis en son nom et de sa part : souvenez-vous que c'est une chose terrible de rendre compte à Dieu vivant de Dieu même. Faites-y de sérieuses réflexions car, après une vérité de cette force, il ne faudrait jamais plus avoir sujet de Chapitre ;si cela n'est capable de corriger, je dirai : «Si vous voulez croupir sur votre fumier, enfoncez-vous y ! Que celui qui est souillé, se souille encore plus !». Ce sont des paroles terribles de la Sainte Écriture.
no 2954 Chapitre. DES QUALITES QUE DOIT AVOIR LE CELLERIER DU
MONASTERE
On choisira pour cellérier du monastère un des frères qui soit sage, d'esprit mûr, sobre, pas grand mangeur, ni hautain, ni turbulent, ni porté à l'injure, ni lent, ni prodigue, mais craignant Dieu, et qui soit comme un père pour toute la communauté.
Qu'il ait soin de tout ; qu'il ne fasse rien sans l'ordre de l'abbé ; qu'il exécute ce qui lui est commandé, qu'il ne contriste pas les frères. Si l'un d'eux vient à lui demander quelque chose qui ne soit pas raisonnable, qu'il ne l'attriste pas en le rebutant avec mépris, mais qu'il lui refuse avec raison et avec humilité ce qu'on lui demande mal à propos.
Qu'il veille à la garde de son âme, se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : "Celui qui aura bien administré, s'acquiert un rang élevé ."
Il prendra un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres, dans la conviction qu'au jour du jugement il devra rendre compte pour eux tous.
Il regardera tous les meubles et tous les biens du monastère comme les vases sacrés de l'autel. Qu'il ne tienne rien pour négligeable. Qu'il ne soit ni avare, ni prodigue, ni dissipateur des biens du monastère. Il fera plutôt toutes choses avec mesure, et conformément aux ordres de l'abbé.
Avant tout qu'il ait l'humilité et, s'il ne peut accorder ce qu'on lui demande, qu'il donne au moins une bonne réponse selon qu'il est écrit : "Une bonne parole vaut mieux qu'un don excellent ."
Il aura soin de tout ce que l'abbé lui aura prescrit, et il ne s'ingérera pas dans ce qu'il lui aura défendu. Il servira aux frères, sans hauteur ni délai, la portion qui leur revient, afin de ne pas les scandaliser, se souvenant du châtiment dont la parole divine menace celui qui aura scandalisé un des plus petits.
Si la communauté est nombreuse, il recevra des aides, afin que, assisté par eux, il puisse remplir sa charge l'âme en paix ! On donnera et on demandera aux heures convenables ce qui doit être donné et demandé, afin que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu.
La cellérière aura soin de lire souvent le chapitre de la Règle et des Constitutions qui traite de son emploi, et elle tâchera de s'y conformer fidèlement. Cérémonial.
S'il était permis à nos Soeurs de se dispenser de charges que la Religion impose, sans doute elles préféreraient le bonheur de se consommer; au pied de l'autel aux offices les plus honorables qu'on leur pourrait présenter. Mais comme notre saint Législateur établit différents emplois pour le bon règlement du monastère, elles sont obligées de recevoir celui que la volonté divine, signifiée
par l'obéissance, leur imposera, et sans écouter les répugnances de la nature, s'y soumettre humblement en s'abandonnant à la discrétion de la Mère Prieure, qui
les distribuera avec tant de prudence qu'aucune n'en demeure accablée.
Elle choisira pour cellérière celle qu'elle jugera capable de cette charge, et comme la Règle donne au cellérier la qualité de Père commun du monastère, elle
doit porter celui de Mère, non par autorité ni élévation, mais par les vertus qui doivent accompagner ses actions. Elle ne se départira jamais des ordres et volontés de la Mère Prieure et tâchera d'y avoir en toutes choses un parfait rapport, n'entreprenant jamais quoi que ce soit sans sa permission.
Elle sera douce et affable en ses paroles, prévenante et de facile accès aux Soeurs et à toutes les personnes qui auront à traiter avec elle, se gardant bien
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d'en rebuter aucune, ou leur donner sujet de plaintes, ni de mal édifier qui que ce soit. Et pour bien réussir dans cet office et répandre partout la bonne odeur de Notre Seigneur Jésus Christ, la charité, l'humilité et l'obéissance seront la règle et la conduite de toutes ses actions.
Elle usera discrètement des biens qui seront confiés à ses soins pour l'entretien des Religieuses, et se gardera de l'esprit d'avarice et de celui de prodigalité, l'un et l'autre étant contraires à la sainteté de l'état religieux.
Constitutions.
Compatissez à celles qui souffrent dans leurs offices. Si elles excèdent leurs forces, vous pourrez bonnement avertir la Mère Prieure, mais n'entrez pas dans de petites compassions humaines, qui vous fassent trouver à redire à la conduite de l'obéissance. Elles ont plus de liberté que vous d'exposer leurs peines à la Mère Prieure. Pour vous, ne vous embarrassez point ; il ne faut point considérer ce qui [est] agréable dans les offices selon l'humain, mais plutôt le regarder dans l'ordre [de] Dieu et le recevoir humblement. Saint François de Sales dit : qu'«une bonne religieuse ne doit rien demander en fait de charge, ni ne rien refuser». Tenez-vous dans une sainte liberté d'esprit, sans vous empresser de rien : la paix de votre intérieur vous doit être plus précieuse que toutes les choses du monde.
Recevez donc humblement, sans rien dire, ce que l'obéissance vous donnera, comme si vous voyiez visiblement Notre Seigneur qui vous impose cette charge. Ne la considérez ni honorable, ni méprisable : tout est également excellent dans la volonté de Dieu.
no 3163 A Mêre Saint Placide, rue Saint Louis, Paris, 1685 (autographe).
Si la Mère Prieure ne jugeait pas à propos d'accorder les demandes extraordinaires, la cellérière s'efforcera d'ôter à ce refus tout ce qu'il pourrait y avoir de pénible pour ses Soeurs. Elle leur dirait que ce n'est pas qu'on manque de charité, que ce n'est pas non plus qu'on ne croit pas à leur besoin, mais que c'est parce que la Règle, les Constitutions ou l'état présent de la maison ne permettent pas de faire tout ce qu'on voudrait bien.
Ainsi doit toujours se conduire la cellérière lorsqu'elle est obligée de refuser. Quand même on lui demanderait des .choses peu raisonnables, il faudrait encore qu'elle fût bonne, qu'elle se gardât d'attrister, de rebuter ses Soeurs. Elle devrait en pareil cas leur faire entendre avec humilité que ce qu'elles demandent ne peut être accordé. «Quand la cellérière ne peut pas donner ce qu'on lui demande, dit la sainte Règle, qu'elle donne au moins une réponse douce et agréable, parce qu'il est écrit qu'une parole douce agrée et plaît plus qu'un grand don».
Cérémonial.
La Mère Prieure donnera à la cellérière une ou deux Soeurs de choeur pour l'aider en sa charge...
La dépositaire doit avoir les biens du monastère en sa charge et en prendra soin comme un patrimoine de Jésus Christ, par lequel il fait subsister celles qui lui sont dévouées en qualité d'épouses et de victimes, qui ne vivent que pour l'adorer. Elle le conservera soigneusement pour en rendre compte premièrement à Dieu, et puis à la Mère Prieure.
Constitutions.
Sur toutes choses, en faisant l'aumône, séparez-vous de vous-même et de vos intérêts. N'envisagez jamais la récompense ; faites votre oeuvre pour le respect de Dieu et pour obéir à ses ordres ou à ses saintes inspirations ; et la meilleure disposition pour la bien faire, c'est de la faire en vue de Dieu et en son Esprit.
n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.
Ne faites jamais aucunes affaires comme vôtres, mais faites-les comme les affaires de Jésus Christ, auxquelles vous êtes appliquée par son ordre et pour ses intérêts. Anéantissez tous les vôtres et, agissant dans cet esprit de dégagement, de déférence et d'adhérence à Jésus, vous trouverez votre sanctification au milieu de vos embarras et de toutes vos occupations ; et jamais vous ne serez empressée, parce que vous ne serez plus intéressée. Je vous supplie de bien peser cette vérité.
no 1862 A la comtesse de Châteauvieux.
J'ose vous assurer que Dieu est content de vos tracas, qui sont dans l'ordre de l'obéissance. Ne vous troublez plus d'aucune chose : Notre Seigneur vous bénira. Vous portez le poids et le joug de la sainte Religion par un travail continuel, qui est bien violent. C'est une bonne croix et une rude pénitence. Notre Seigneur en tirera sa gloire et votre sanctification. Tenez seulement votre intention vers lui, faisant tout parce qu'il le veut de la sorte. Évitez de tout votre possible le trouble et l'inquiétude ; c'est la chose qui vous nuit davantage et où vous devez travailler doucement.
n 1790 A Mère Saint Placide, Paris, mercredi 18 mai 1690 (autographe)
Nous enjoignons les officières d'être exactes à donner fidèlement aux pauvres ce qui aura été servi à l'honneur de la très sainte Vierge, parce que l'intention des institutrices de l'Institut a engagé les monastères, dès leur établissement, à faire cette aumône à l'honneur de la Mère de Dieu, qui la saura bien rendre au centuple. Et si Elle ne le rend pas en bénédictions, comme une chose qui lui est agréable, tenez pour certain que le manquement en viendra des officières, qui, sous prétexte d'épargner quelque chose, auront retranché ou diminué cette charité.
no 2349 Billet sur l'aumône du réfectoire.
116 CATHERINE DE BAR
CHAPITRE XXXIII
SI LES MOINES DOIVENT AVOIR
QUELQUE CHOSE EN PROPRE
Il faut particulièrement retrancher du monastère jusqu'à la racine ce vice de la propriété. Que personne n'ait donc la témérité de rien donner ou recevoir sans l'autorisation de l'abbé ; ni de rien posséder en propre, quoi que ce puisse être, ni livrls, ni tablettes, ni stylet pour écrire, en un mot absolument rien : puisqu'il n'est même plus licite aux moines de disposer eux-mêmes ni de leur corps ni de leur volonté. Ils doivent espérer et attendre du père du monastère tout ce qui leur est nécessaire. Et personne ne pourra avoir quelque chose que l'abbé n'ait donné ou permis d'avoir.
Que tout soit commun à tous, ainsi qu'il est écrit . Que personne ne dise que quelque objet lui appartient, ni n'ait la témérité de se l'approprier. Si quelqu'un se complaisait en ce vice détestable, on l'admonesterait une et deux fois ; s'il ne s'amendait pas,-on le corrigerait.
Notre bienheureux Père fait assez connaître dans le trente troisième chapitre de sa Règle que son dessein est de former ses enfants sur le modèle de Jésus Christ, pauvre et dénué de toutes choses... L'on peut dire que notre grand Patriarche possédait parfaitement l'esprit de pauvreté, cette vertu évangélique, puisqu'il défend à ses enfants d'avoir quoi que ce soit en propre.
Journée religieuse.
Nos Soeurs feront souvent réflexion qu'ayant fait voeu solennel de pauvreté
en se consacrant à Jésus Christ, elles ne doivent avoir aucune chose en propre, pour petite qu'elle soit.
Journée religieuse.
Pour moi, je vous assure que j'aime beaucoup à remercier Dieu des grâces, et l'on croirait quelquefois à me voir, à cause de cela, que je suis à la noce, lorsque je n'ai pas seulement de pain. Mais c'est que peu de choses me contente, et, pour
mieux dire, je le suis toujours, car si ce n'est d'une façon c'est d'une autre, j'ai toujours sujet de remercier Dieu.
no 3124 Entretiens familiers, 13 avril 1696.
La véritable pauvreté est celle de l'esprit, dans laquelle Notre Seigneur fait consister notre bonheur et à laquelle il promet le royaume des Cieux. Saint Benoît ne pouvait mieux faire comprendre combien la pauvreté de ses enfants doit être parfaite et entière, lorsqu'il dit, dans sa sainte Règle, que le religieux ne doit pas même avoir son corps et sa volonté propre à sa disposition.
La religieuse qui n'a plus de volonté ne désire rien, ne demande rien et se contente de tout ce que la Religion lui donne, et, comme Dieu lui tient lieu de toutes choses, si elle a des désirs, c'est de faire sa sainte volonté et d'être la plus pauvre du monastère, pour avoir plus de rapport à Jésus pauvre et indigent sur la terre et d'être plus parfaitement dans l'esprit et la pratique de notre sainte Règle. Journée religieuse.
Mourez à tous vos petits désirs, à la propriété que vous pouvez avoir à des petites choses, qui ne sont pas mauvaises mais qui ne sont pas assez bonnes pour
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 117
vous attacher, au préjudice... d'un dénuement total que vous devez avoir de
vous-même, qui ne peut mieux réussir que sous les lois de la sainte obéissance.
n°581 A Mère Marie de Jésus Chopine', rue Cassette.
Toutes choses, selon la Règle, seront en commun dans le monastère, et personne n'aura rien en propre pour peu que ce soit, et, afin de bannir entièrement le vice de propriété, qui est l'entière destruction de la Religion, il n'est point permis aux Soeurs de recevoir, donner, prêter, emprunter, changer et disposer d'aucune chose sans la permission de la Mère Prieure.
Journée religieuse.
Gardez-vous bien de vous chagriner de votre extrême pauvreté : c'est un avantage très grand de la bien expérimenter. Cette lumière est si nécessaire qu'il la faut quasi toujours ressentir, pour nous bien persuader de notre néant par nos propres misères. Nous voulons bien les lumières du néant, mais nous refusons ce qui nous y abîme. Les impuissances, les indigences, l'extrême pauvreté sont les richesses du néant, parce que cela nous tire de nous-même pour nous laisser en Dieu.
Oh ! que vous seriez heureuse si vous pouviez bien agréer cette pauvreté, qui nous met dans un si grand dénuement !...
Ne vous affligez donc plus de votre pauvreté, quelque grande qu'elle puisse être.
no 2130 A Mère Saint Placide, rue Saint-Louis, ce lundi, 18 novembre 1686.
Il faut être généreuse pour se laisser mourir. La nature résiste naturellement à la mort, et l'esprit humain répugne de s'anéantir. Or l'anéantissement n'est autre chose qu'une mort mystique, c'est une opération qui détruit l'être corrompu du péché qui est en nous, fait prendre une vie nouvelle en Jésus Christ, comme dit saint Paul. Oh ! que cet anéantissement comprend de merveilles ! Je prie Notre Seigneur qu'il vous rende digne de l'expérimenter. Je finis dans la volonté de vous écrire davantage quand il plaira à Notre Seigneur m'en donner la grâce.
no 1664 A la comtesse de Châteauvieux.
Je vous dirai seulement, comme en passant, qu'une religieuse, par ce voeu, est si pauvre que ceux qui demandent l'aumône ne le sont pas tant, par raison que, si on lui donne un morceau de pain, il est libre, lui, de le donner à qui il veut, mais une religieuse ne peut pas seulement disposer d'une de ses portions pour la donner à une autre sans une expresse permission...
Voilà proprement ce que fait la pauvreté dans une âme : elle rafle tout et la dénue de manière qu'elle n'a plus rien, rien du tout, pas seulement le moindre appui ; autrefois, on avait encore un peu d'estime et de considération pour elle, elle avait quelques amis, mais la pauvreté a fait divorce et l'a dépouillée généralement de tout. Du temps passé de ma jeunesse, je croyais que tout le bonheur d'une âme, sa perfection et son élévation dans l'oraison, consistaient dans ce voeu, car rien ne peut l'arrêter ainsi dégagée, ni l'empêcher d'être toujours élevée à Dieu. Il n'y a plus rien qui l'occupe, Dieu se donne lui-même à ces âmes, et fait leur unique possession. Elles vivent sur la terre comme si il n'y avait que Dieu et elles.
nc) 950 Conférence, 1695.
118 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 119
CHAPITRE XXXV
CHAPITRE XXXIV
SI TOUS DOIVENT RI•-CEVOIR EGALEMENT
LE NF:ci:SSAIRE
On fera comme il est écrit : "On partageait à chacun selon ses besoins .•• Par là. nous ne disons pas qu'on fasse acception des personnes -- ce qu'à Dieu ne plaise - mais qu'on ait égard aux infirmités. Celui qui a besoin de moins, rendra grâces à Dieu et ne s'attristera point celui à qui il faut davantage, s'humiliera pour son infirmité et ne s'élèvera point à cause de la miséricorde qu'on lui fait. Ainsi tous les membres seront en paix.
Avant tout, que jamais n'apparaisse le vice du murmure, pour quelque raison que ce soit, ni en parole, ni en un signe quelconque. Que si quelqu'un en est reconnu coupable, il sera soumis à une correction sévère.
Elles conserveront avec le plus de soin qu'il leur sera possible ce qu'on leur donnera pour leur usage particulier, considérant que toutes ces choses appartiennent à Jésus Christ...
Ce qui néanmoins ne doit pas empêcher qu'elles ne demandent leurs besoins... mais si les choses qu'elles demandent ne se peuvent trouver qu'avec difficulté, ou si on leur refuse tout à fait, elles souffriront ce refus et cette privation avec patience pour l'amour de Notre Seigneur, lui en faisant un sacrifice, se gardant bien de murmurer, ni intérieurement ni extérieurement, mais plutôt qu'elles s'en réjouissent, puisque c'est dans le manquement des choses nécessaires qu'elles sont plus véritablement pauvres et qu'elles ont plus de rapport à Jésus Christ.
Journée religieuse.
Nos Soeurs se souviendront de préndre les soulagements que l'obéissance leur donne dans l'esprit que notre sainte Règle le prescrit, quand elle dit que celui qui a plus besoin s'humilie, etc.
L'on doit désirer de compenser par la fidèle pratique des vertus ce qu'on ne fait pas des austérités de la Règle.
Journée religieuse.
Comme la Règle leur permet de représenter leurs besoins, elles le feront avec humilité, laissant à la Providence divine le succès de leur demande si la nécessité n'est point pressante. Elles feront aussi connaître à la Mère Prieure celles qui, par mortification, cacheraient leurs besoins, afin de donner à chacune ce qui est nécessaire. Mais si quelqu'une désirait quelque chose qui ne se pourrait trouver, elle tâchera d'en porter patiemment la privation pour l'amour de Notre Seigneur.
DES SEMAINIERS DE LA CUISINE
Les frères se serviront mutuellement. Personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sinon pour cause de maladie ou pour quelque occupation de grande utilité. Par cet exercice, en effet, on acquiert plus de mérite et de charité. On donnera des aides à ceux qui sont faibles, afin qu'ils s'acquittent de leur tâche sans tristesse. Tous auront ainsi des aides, selon que le demandera l'état de la communauté ou la situation du lieu.
Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera exempté du service de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des besognes plus utiles ; mais tous les autres se serviront mutuellement avec charité.
Celui qui doit sortir de semaine, fera, le samedi, les nettoyages. Il lavera les linges avec lesquels les frères s'essuient les mains et les pieds. Aidé de celui qui entre en service, il lavera les pieds de tous les frères. Il remettra au cellérier, propres et en bon état, les objets de son office. Le cellérier les passera à celui qui entre en semaine : il saura ainsi ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.
Une heure avant le repas, les semainiers prendront chacun, en sus de la portion ordinaire, un coup à boire et du pain : de cette façon, au moment du repas, ils pourront servir leurs frères sans murmure et sans trop de fatigue. Mais les jours solennels, ils attendront jus-qu'après la messe .
Ceux qui entreront en semaine et ceux qui en sortiront, se prosterneront. dans l'oratoire, à la fin des Laudes du dimanche, aux genoux de tous, et leur demanderont de prier pour eux. Le sortant dira ce verset : "Soyez béni, Seigneur Dieu, qui m'avez aidé et consolé ." L'ayant dit trois fois , il recevra la bénédiction. Celui qui entre en charge lui succédera et dira : "0 Dieu, venez à mon aide, hât,z-vous de me secourir ." Ce verset avant été répété de même trois fois par tous les frères, il recevra la bénédiction et entrera en charge.
Bien que le travail de la cuisine paraisse stérile, n'ayant, ce semble, autre motif que de nourrir le corps humain, on le trouvera néanmoins rempli de grâces, si on le considère dans l'ordre que Dieu l'a établi, se souvenant des paroles de notre divin Maître lorsqu'il dit : «J'ai eu faim, vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, vous m'avez donné à boire.)). Pour avoir part à ce mérite, toutes les Soeurs du choeur serviront au réfectoire et à la cuisine ; aucune ne s'en dispensera sans la permission de la Mère Prieure.
Constitutions.
Non, mes Soeurs, ce n'est point les personnes que vous servez, c'est Jésus Christ. Ne le dit-il pas lui-même ? Donc, quand vous faites cuire la marmite ou que vous faites quelqu'autre chose, croyez fermement que vous apprêtez à manger à Jésus Christ. Quel honneur pour vous, mais quelle joie devez-vous avoir dans votre travail si vous croyez, comme il est véritable, que c'est pour sustenter Jésus Christ ! La très sainte Vierge a tenu à honneur de le servir, et saint Joseph a travaillé pour gagner sa vie... je suis certaine qu'une religieuse qui mourrait dans un acte d'obéissance et d'observance serait sauvée. Oui, si vous servez fidèlement et dans la vue de Dieu seul, vous pouvez lui dire avec justice à l'heure de votre mort : «Mon Seigneur, donnez-moi votre paradis, car je vous ai donné à manger».
Constitutions.
no 2954 Chapitre.
120 CATHERINE DE BAR
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CHAPITRE XXXVI
DES FRERES MALADES
On prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout, les soignant comme s'ils étaient le Christ en personne, puisqu'il a dit : ' j'ai été malade et vous m'avez visité ", et "ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait ."
De leur côté, les malades doivent considérer que c'est en l'honneur de Dieu qu'on les sert. Aussi ils ne contristeront pas par des exigences superflues les frères qui s'occupent d'eux. Eventuellement, il faudrait cependant les supporter avec patience, parce qu'il en revient plus de mérite. L'abbé veillera donc avec très grand soin à ce que les malades ne souffrent d'aucune négligence.
On assignera aux infirmes un logis particulier, et, pour leur service, un frère craignant Dieu, diligent et soigneux.
On permettra aux malades l'usage des bains toutes les fois qu'il sera expédient ; mais on l'accordera plus rarement à ceux qui se portent bien, principalement aux jeunes. On concédera également aux infirmes tout à fait débiles l'usage de la viande afin de réparer leurs forces ; mais lorsqu'ils seront rétablis, ils s'en abstiendront tous, comme à l'ordinaire.
L'abbé veillera avec la plus grande sollicitude à ce que les cellériers et les infirmiers ne négligent pas les malades ; c'est lui-même, en effet, qui est responsable de tout manquement commis par ses disciples.
De tous les lieux de la maison, il n'y en a point où Jésus Christ se trouve plus présent qu'à l'infirmerie. C'est là où il souffre en la personne des religieuses malades, ses épouses.
Je ne parle point du choeur, qui est le «sancta sanctorum» où il réside réellement par le très Saint Sacrement, comme dans son trône. Mais il est à l'infirmerie sur sa croix ; c'est pourquoi il faut s'y comporter avec respect, et n'y rien faire ni dire qui pût tant soit peu l'offenser.
no 328 Pensées sur l'Institut.
J'ai connu aujourd'hui qu'il n'y avait point de moyen plus court et assuré pour aller à Dieu que la Croix, c'est-à-dire les souffrances de corps et de l'esprit. Les peines intérieures sont plus efficaces parce qu'elles détruisent en nous tout ce qui est impur et opposé à Dieu, mais celles du corps sanctifient aussi lorsque l'on en fait un bon usage.
no 2998 Diversités spirituelles.
Les malades et les infirmes prendront garde d'abuser de la charité et du soin que la Règle et les Constitutions recommandent que l'on ait pour elles, se rendant difficiles dans les services qu'on leur rend ou pour la nourriture et les remèdes.
Journée religieuse.
S'il faut que l'infirmière refuse aux malades ce qu'elles lui demandent, elle se rappellera que c'est ici surtout le cas d'observer ce que dit notre glorieux Père dans sa sainte Règle : «que lorsqu'on demande des choses qu'on ne peut pas donner, il faut les refuser avec des paroles douces, honnêtes et charitables, en sorte qu'on puisse se persuader que ce n'est que l'impuissance, la raison ou l'obéissance qui empêche de les accorder».
Cérémonial.
Puisque vos infirmités vous empêchent de faire des austérités et qu'elles ne vous permettent pas même de faire votre Règle, je m'en vais vous donner un moyen qui suppléera à cela, un moyen qui vous dédommagera des pertes que vos
infirmités vous feront faire, si vous les pratiquez avec fidélité : c'est de vous rendre bien petite, bien humble. Tenez-vous au-dessous de tout le monde ; ne vous soutenez en rien ; cédez toujours.
Enfin, dans toutes les occasions pratiquez l'humilité ! Oh ! si vous saviez le plaisir que Dieu prend dans une âme humble, dans une âme qui se met à sa place !
n 2548 A une Religieuse en particulier.
Prenez la sainte patience pour votre exercice pratique ; elle est merveilleusement de saison. L'on doit la tenir dans ses mains parce que l'usage en est fréquent, et l'on peut dire qu'elle est de pratique à toute heure, tant pour les souffrances du corps que celles de l'esprit.
n 2520 Entretiens familiers, 2 mai 1695.
On ne peut, ma très chère Fille, entendre le récit de vos extrêmes douleurs sans verser des larmes ; toute la communauté en est touchée et voudrait vous pouvoir soulager ; elle prie Dieu pour vous de grand coeur, lui demandant sa grâce de soutenir, par sa force divine, les terribles souffrances qu'il lui plaît vous donner. Oui, ma très chère, c'est un ouvrage de sa sainte main, c'est lui qui vous blesse et qui fait une plaie cruelle selon la nature, mais qui vous rend par cette douleur la victime de son amour. Je vous regarde sur la croix, attachée et percée avec votre Époux. C'est par la souffrance que vous y avez rapport ; accompagnez, je vous prie, votre amour douloureux d'une humilité profonde, afin que rien ne manque à la perfection de votre sacrifice, sachant bien que cette précieuse vertu est nécessaire pour attirer les regards de Notre Seigneur sur nous... Tout mon désir est de vous voir au dedans et au dehors un objet de la complaisance divine, et que vous viviez et mouriez dans un si pur abandon de tout vous-même que Dieu seul vive et règne uniquement en vous.
no 2417 A une Religieuse de Toul.
122 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 123
Je suis fort touchée de vous savoir malade. Très chère, qu'avez-vous et qu'est-ce qu'il vous est survenu ? Si vous ne me le pouvez mander, faites-moi écrire au plus tôt, ou agréez, je vous prie, M.B. de vous aller voir pour moi et qu'il m'apprenne de vos nouvelles. Courage, tenez-vous ferme et tout abandonnée à Dieu. Je réponds de votre état, mais, par obéissance, ne croyez rien de ce que vous sentez en vous, sinon que Dieu est bon, que Dieu vous aime, qu'il pense à vous, qu'il est avec vous et qu'il vous tient sur son Coeur adorable : de cela je vous en réponds.
n0 n 1485 A une Darne de ses amies.
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CHAPITRE
DU LECTEUR SEMAINIER
La lecture ne doit jamais manquer à la table des frères. Il ne faut pas que, au hasard, quelqu'un s'empare du livre et fasse la lecture ; mais on désignera pour toute la semaine un lecteur qui entrera en fonction le dimanche. Avant de commencer sa semaine, après la Messe et la Communion, il demandera à toute la communauté de prier pour lui afin que Dieu daigne le préserver de l'esprit de vanité. A cet effet, tous diront trois fois dans l'ora-
toire ce verset après lui : "Seigneur, ouvrez mes lèvres et ma bouche annoncera votre louange ." Et ainsi ayant reçu la bénédiction, il entrera en fonction.
On gardera un silence parfait à table en sorte qu'on n'y entende aucun chuchotement, ni parole, mais seulement la voix du lecteur. Quant aux choses nécessaires pour la nourriture et la boisson, les frères se les serviront mutuellement de façon que personne n'ait besoin de rien demander. Si toutefois il leur manque quelque chose, ils le demanderont plutôt par quelque signe que par la parole. Que personne n'ait la hardiesse de faire à ce moment des questions sur la lecture ou sur quelque autre sujet, de peur de donner occasion (à la dissipation). Toutefois le supérieur pourra dire quelques mots pour l'édification, s'il le juge à propos.
Au reste, les frères ne liront et ne chanteront point chacun a son tour, mais ceux-la seulement qui peuvent édifier les auditeurs.
On fera toujours un peu de lecture avant que de commencer à manger, afin de nourrir l'âme avant le corps...,
prenant garde de ne faire que le moins de bruit qu'elles pourront. Elles s'appliqueront à écouter la lecture autant qu'il leur sera possible, ayant plus de soin de nourrir leurs âmes que leurs corps...
si la divine Providence permet que nos Soeurs manquent de quelque chose, elles doivent se réjouir d'avoir cela à offrir à Notre Seigneur, le remerciant de leur donner cette occasion de se mortifier.
Nos Soeurs d'elles-mêmes peuvent faire signe qu'on leur donne du pain, de l'eau, une cuillère ou couteau, si elles en manquaient ; ces choses étant nécessaires, elles les demanderont par humilité...
Mais si on s'aperçoit que quelqu'une manque de quelque chose, on fera doucement le signe à celle qui sert pour remédier à ce manquement. On observera au réfectoire un silence fort étroit.
Celles qui servent prendront garde d'y observer exactement le silence.
Journée religieuse.
CHANTRE XLII
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QUE PERSONNE NE PARLE APRES COMPLIES
Les moines doivent s'appliquer au silence en tout temps, mais principalement pendant la nuit. C'est pourquoi, en toute saison, soit que l'on jeûne, soit qu'il y ait dîner, si c'est une époque où il y ait dîner, aussitôt après le repas du soir, les frères iront s'asseoir tous ensemble en un même lieu : l'un d'eux lira les Conférences ou les Vies des Pères ou quelque autre chose qui puisse édifier les auditeurs. On ne lira pourtant pas alors l'Heptateuque ou les Livres des Rois parce qu'il ne serait pas bon pour les esprits faibles d'entendre, a cette heure-là, cette partie de l'Ecriture. On pourra la lire à d'autres moments.
Donc, en période de jeûne, après le chant des Vêpres, suivi d'un court intervalle, les frères se rendront promptement a la lecture dont nous avons parlé. On lira quatre ou cinq feuillets, ou autant que l'heure le permettra, tandis que tous s'empressent de rejoindre la réunion pendant la durée de cette lecture, y compris ceux qui auraient été occupés à quelque obédience.
Tous étant ainsi assemblés, on récitera Complies. Au sortir de cette Heure, il ne sera plus permis à personne de dire quoi que ce soit. Si quelqu'un viole cette règle du silence, il sera puni rigoureusement : on excepte les cas urgents d'hospitalité ou un ordre de l'abbé. Mais, même en ces circonstances, tout se fera avec une extrême gravité et une parfaite retenue.
otre bienheureux Père saint Benoît est le premier qui marque distinctement l'Office de Complies...
L'ordre de Complies s'explique de lui-même. La brève leçon a tiré son origine de la lecture à laquelle les religieux s'assemblaient suivant l'ordonnance de la sainte Règle, comme nos Soeurs le font aujourd'hui.
...Les Soeurs tâcheront de prévoir si bien tout ce qu'elles ont à dire aux heures destinées pour cela, qu'elles ne soient pas obligées de dire une seule parole, ni d'en faire dire aux autres par leur faute aux heures indues, surtout pendant le grand silence, qui est depuis Complies jusqu'au ePretiosee de Prime du lendemain, et l'heure qui suit en tout temps la récréation d'après de dîner...
Elles demanderont les choses dont elles auront besoin, tant pour elles que pour leurs offices dans le temps et la manière qu'il est ordonné, et si elles avaient oublié quelque chose nécessaire, elles ne la demanderont point pendant le silence sans permission. Pour les autres temps elles pourront le faire en peu de mots et fort bas...
Quant à l'égard des choses qu'on n'aurait pu prévoir... on pourra le demander même dans les temps du grand silence ; mais il faut se souvenir lorsqu'on sera obligée de parler dans ces occasions de le faire toujours si bas, qu'il n'y ait que celle à qui on parle qui le puisse entendre.
Journée religieuse.
111
Cérémonial.
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126 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT
CHAPITRE XLV
DE CEUX QUI FONT DES FAUTES DANS L'ORATOIRE
CHAPITRE XLIII
DE CEUX QUI ARRIVENT EN RETARD A L'CEUVRE
DE DIEU OU A LA TABLE
A l'heure de l'office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce qu'on a dans les mains, et l'on se hâtera d'accourir, avec gravité néanmoins afin de ne pas donner aliment à la dissipation. Que rien donc ne soit préféré à l'OEuvre de Dieu.
A la table, celui qui n'arrivera pas avant le verset, de façon que les frères puissent le réciter tous ensemble avec la prière et se mettre à table en même temps : si c'est par négligence ou par sa faute qu'il n'est pas arrivé à temps, il sera repris jusqu'à deux fois. Si ensuite il ne s'amende pas, il ne pourra plus participer à la table commune, mais il prendra son repas tout seul, séparé de la compagme de ses frères et privé de sa portion de vin, jusqu'à ce qu'il ait satisfait et qu'il se soit corrigé. On traitera de la même manière celui qui ne se trouvera pas au verset qu'on dit après le repas.
Nul ne se permettra de manger ou de boire quoi que ce soit, avant ou après l'heure fixée pour le repas. S'il arrive que le supérieur offre quelque chose à un frère et que celui-ci ne l'accepte pas, lorsqu'il viendra à désirer ce qu'il avait d'abord refusé ou quelque autre chose, on ne lui accordera absolument rien jusqu'à ce qu'il ait fait une satisfaction convenable.
Lorsque nos Soeurs entendront sonner l'Office divin, elles quitteront tout ce qu'elles font pour s'y rendre promptement, comme l'ordonne notre glorieux Père saint Benoît qui dit qu'on ne doit rien préférer à l'Office divin si l'obéissance ne les en retire.
Journée religieuse.
Rendez-vous fidèles à vos observances ; au premier coup de la cloche quittez tout avec amour et ferveur, car ne croyez pas que celles qui attendent toujours le dernier coup, qui écoutent leur lâcheté, soient récompensées comme celles qui étant fidèles à la voix de Dieu qui les appelle, quittent promptement tout pour lui obéir.
no 1735 Conférence, 1694.
Quant à celle qui manque à se trouver au réfectoire, tant à la première qu'à la seconde table, par pure négligence et par sa faute, elle mériterait d'être privée de bénédiction...
L'on ne doit point manger hors les heures ordonnées sans une permission expresse de la Mère Prieure.
Journée religieuse.
Lorsque quelqu'un se trompe en récitant un psaume, un répons, une antienne ou une leçon, s'il ne s'en humilie point sur place, devant tout le monde, en faisant satisfaction , il sera soumis à une correction plus sévère : c'est qu'en effet il n'a pas voulu corriger par un acte d'humilité la faute qu'il a commise par sa négligence. Les enfants, pour ces sortes de fautes, seront frappés de verges.
Celles qui en chantant, en psalmodiant au Choeur, se méprendront, ou feront quelque faute, qui fera de la confusion ou du désaccord, elles y satisferont conformément à ce qui est ordonné dans la Règle.
Cérémonial.
128 CATHERINE un nrtn
CHAPITRE XLVI
DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE
Lorsque un moine dans un travail quelconque à la cuisine, au cellier, dans un service, à la boulangerie, au jardin, dans l'exercice d'un métier, ou en quelque lieu que ce soit, vient à faillir, à briser ou à perdre quelque chose, ou à commettre un autre délit, il ira aussitôt s'en accuser spontanément devant l'abbé et la communauté . S'il ne le fait pas et que son manquement soit connu par un autre, il subira une peine plus sévère.
Mais s'il s'agit d'un péché secret de l'âme, il le manifestera seulement à son abbé ou aux pères spirituels , qui sachent guérir et leurs propres plaies et celles des autres sans les découvrir ni les publier.
Il faut faire toutes vos actions dans la vue de Dieu. Gardez-vous bien d'en faire aucune par coutume et, quelque petite qu'elle soit à vos yeux, souvenons-nous que tout ce qui est dans la Religion est grand ; et partant l'on doit avoir respect et vénération pour tout, puisque c'est l'esprit de Dieu qui a inspiré toutes ces choses à notre saint Législateur pour notre sanctification. Il n'y a pas une seule observance qui ne porte sa grâce. Le Chapitre, par exemple, est pour nous purger des fautes qui ne sont pas matière de confession, à raison qu'elles ne causent pas une contrition capable d'en recevoir l'absolution... Il faut donc s'en accuser avec douleur en sa sainte présence, puisque c'est lui-même qui y préside, ainsi qu'il le fit voir un jour à sainte Gertrude.
no 527 Chapitre.
Mes Soeurs, le Chapitre vous doit être un renouvellement de vie, et il doit opérer dans vos esprits la grâce d'une nouvelle ferveur pour vous corriger des fautes dont vous vous accusez. Je suppose que vous le faites avec esprit, c'est-à-dire avec douleur d'avoir déplu à Dieu par telles infidélités et, en sa sainte présence. Puisque, comme je vous en ai dit, c'est Notre Seigneur qui préside au Chapitre, ne regardez que lui, mes Soeurs_ Voyez-le uniquement et faites cette action de telle sorte que vous méritiez de sa bonté la grâce de vivre avec plus de pureté.
Je prends grand plaisir de vous entendre accuser des plus petites fautes, non qu'il y ait rien de petit aux yeux d'un Dieu si saint, mais cela marque que vous voulez vous en corriger.
Il est bon à la sortie du Chapitre, de faire une petite réflexion sur les défauts dont vous vous êtes accusées afin d'être plus sur vos gardes pour ne les plus commettre.
Il faut, mes Soeurs, ce renouvellement à tous moments, et entrer tous les jours en nouveauté de vie, comme dit l'Apôtre, et vous souvenir que toutes vos actions sont comptées devant Dieu. Que si elles ne sont trouvées remplies en sa présence, elles vous seront sujet de condamnation.
no 2677 Chapitre du vendredi de la Passion, 1663.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 129
quelles vous tombez, pour vous corriger... Faisons aujourd'hui une sérieuse réflexion sur les fautes auxquelles nous sommes inclinées ; voyons-en la cause, qui ne peut être qu'une superbe qui nous pousse toujours à nous élever et maintenir et nous fait croire que nous avons raison et jamais nous ne nous donnons le tort. Il faut aujourd'hui, mes Soeurs, donner lieu à la grâce d'opérer.
no 1711 Chapitre, à une jeune Professe.
CHAPITRE XLVII
DE LA CHARGE D'ANNONCER L'OEUVRE DE DIEU
La charge d'annoncer l'heure de !'Ouvre de Dieu aussi bien le jour que la nuit, incombe à l'abbé. Il l'exercera lui-même, ou la confiera à un frère si ponctuel que l'office se fasse toujours aux heures prescrites.
Ceux qui en auront reçu l'ordre, entonneront psaumes et antiennes, à leur rang, après l'abbé. Personne n'aura la présomption de chanter ou de lire s'il ne peut s'acquitter de cette fonction de manière à édifier les assistants. Celui qui en aura reçu faculté de l'abbé le fera avec humilité, gravité et crainte de Dieu.
Toutes les Soeurs Professes du Choeur officieront leur semaine, si elles ont capacité de voix pour s'en acquitter à l'édification des assistants, selon le précepte de la sainte Règle...
Les officiantes ne se dispenseront jamais de faire leur devoir pendant leur semaine, se souvenant que rien ne doit être préféré à l'oeuvre de Dieu, au sentiment de notre bienheureux Père.
Vous savez bien ce que Dieu veut de vous. Soyez fidèles aux lumières qu'il vous donne. Voyez en quoi vous manquez et les fautes les plus ordinaires aux-
Cérémonial.
130 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT FIENOIT 131
CHAPITRE XLVIII
DU TRAVAIL MANUEL DE CHAQUE JOUR
L'oisiveté est ennemie de l'âme. Les frères doivent donc consacrer certaines heures au travail des mains et d'autres à la lecture des choses divines. C'est pourquoi nous croyons pouvoir régler l'une et l'autre de ces occupations de la manière suivante :
De Pâques au 14 septembre , les frères sortiront dès le matin pour s'employer aux travaux nécessaires, depuis la première heure du jour jusqu'à la quatrième environ ; depuis la quatrième jusque vers la sixième, ils s'adonneront à la lecture.
Après la sixième heure, leur dîner fini, ils se reposeront sur leurs lits dans un parfait silence. Si quelqu'un veut lire, il pourra le faire, pourvu qu'il n'incommode personne . On dira None plus tôt qu'à l'ordinaire, environ à la huitième heure et demie. Après quoi, ils se mettront de nouveau à l'ouvrage jusqu'aux Vêpres.
Si les frères se trouvent obligés, par la nécessité ou la pauvreté, à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s'affligeront point ; c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains, à l'exemple de nos pères et des Apôtres. Que tout néanmoins se fasse avec modération, par égard pour les faibles.
A partir du 14 septembre jusqu'au commencement du Carême, les frères vaqueront à la lecture (depuis le matin) jusqu'à la fin de la deuxième heure ; puis on dira Tierce. Ensuite, ils travailleront jusqu'à la neuvième heure à l'ouvrage qui leur aura été enjoint. Au premier coup de None, ils quitteront tous leur travail de façon à être prêts quand le second coup sonnera. Après le repas, ils s'appliqueront à leurs lectures ou à l'etude des psaumes.
Durant tout le Carême, ils s'occuperont à la lecture depuis le matin jusqù.'à la fin de la troisième heure ; ils travailleront ensuite jusqu'à la dixième heure entière.
En ces jours de Carême, on donnera à chacun un livre tiré de la bibliothèque, qu'il lira à la suite et en entier. Ces livres seront distribués au début du Carême. On ne manquera pas de nommer un ou deux anciens, qui parcourent le monastère aux heures consacrées à la lecture. Ils examineront s'il ne se trouve pas quelque moine paresseux, perdant son temps à l'oisiveté ou au bavardage, au lieu de s'appliquer à la lecture : et qui ainsi, non seulement se nuit à lui-même, mais dissipe les autres. Que si, à Dieu ne plaise ! un frère est surpris en cette faute, on le reprendra jusqu'à deux fois. S'il ne s'amende point, on le soumettra à la correction régulière, de façon à inspirer de la crainte aux autres.
Un moine ne se joindra pas à un autre aux heures indues.
Le dimanche, tous vaqueront à la lecture, excepté ceux qui sont employés à divers offices. Si toutefois quelqu'un était si négligent et paresseux qu'il ne voulût ou ne pût ni méditer ni lire, on l'appliquera à quelque travail, afin qu'il ne demeure pas oisif Quant aux frères infirmes ou délicats, on leur donnera tel ouvrage ou métier qui les garde de l'oisiveté, sans les accabler ni les porter à s'esquiver. L'abbé doit avoir leur faiblesse en considération.
Voyez si vous n'avez pas plus d'empressement pour le travail que pour votre perfection. En sortant du choeur, n'allez pas vous y mettre avec tant d'activité. N'estimez les choses qu'autant que Dieu en fait cas.
no 315 Conférence.
La Mère Prieure et la Maîtresse des Novices auront égard de donner à chacune des Soeurs un travail proportionné à leurs forces, et mettront si bon ordre que pas une, selon la sainte Règle, ne demeure oisive...
Elles s'y emploieront, par soumission à l'ordre de Dieu, en esprit d'humilité, de pénitence et de pauvreté, pour se conformer à notre adorable Sauveur... les saints Apôtres nous ont laissé le même exemple... les saints Pères des déserts en ont fait de même. Enfin notre glorieux Patriarche nous l'ordonne si expressément que nous n'y pouvons manquer sans infidélité...
Comme nos Soeurs ne doivent rechercher en toutes choses qu'à faire la volonté de Dieu, elles prendront bien garde de suivre leur inclination dans le choix de leur travail, non plus que dans les autres choses, ni d'en faire aucun de leur propre volonté, mais elles s'occuperont à ce qui leur sera marqué par l'obéissance, comme si Dieu même le leur avait ordonné...
Elles se souviendront que le travail corporel est un des principaux exercices de la vie monastique, recommandé expressément dans notre sainte Règle et pratiqué anciennement par tous les Pères des déserts, et encore aujourd'hui dans les monastères bien réglés...
Toutes celles qui auront zèle et affection pour notre sainte Règle contribueront de tout leur possible à ce que toutes les choses nécessaires à l'usage de la Communauté se fassent dans le monastère, comme notre glorieux Père saint Benoît nous le recommande si expressément.
Journée religieuse.
La Mère Prieure, conformément à la sainte Règle, donnera au commencement du Carême des livres de lecture aux Soeurs.
Journée religieuse.
Nos Soeurs s'occuperont plus particulièrement à la lecture les dimanches et les fêtes que l'Église nous oblige de sanctifier. Ce qui ne se fait pas seulement en cessant de travailler, mais en s'occupant davantage de Dieu par de bonnes oeuvres, soit en méditant, ou s'employant à la prière, à la lecture spirituelle...
Il est permis, pendant le travail d'obligation, de lire, une fois ou deux, quelques pages de l'Imitation de Jésus Christ ou dans notre sainte Règle ou autre livre, quand on en a besoin pour se recueillir.
Journée religieuse.
Il ne faut pas négliger la lecture des livres, mais il les faut lire en simplicité et en esprit d'oraison, et non par une recherche curieuse. On appelle lire de cette façon quand on laisse imprimer dans son âme les lumières et les sentiments que la lecture nous découvre et que cette impression se fait plutôt par la présence de Dieu que par notre industrie.
no 544 Conférence.
La lecture est excellente, mais il la faut faire en esprit d'oraison, sans aucune curiosité et sans activité, vous abandonnant à la grâce contenue dans les livres que vous lisez, écoutant plus Dieu dans le fond de votre âme que dans le beau discours des livres. Il y a peu d'âmes qui lisent chrétiennement, mais il y en a beaucoup qui lisent comme les philosophes, curieusement ; n'ayez plus de désir de rien savoir que Jésus Christ.
no 711 A la comtesse de Rochefort.
132 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 133
Le livre de la dévotion du Sacré-Coeur de Jésus est plein d'onction. Je crois qu'il aura opéré de grandes grâces dans votre intérieur. Priez ce Coeur adorable de convertir le mien et que je sois toute à lui avant que de mourir.
n 2930 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce 13 octobre 1692.
Pour votre oraison, ma pensée serait de vous abandonner absolument au trait de la grâce et vous laisser à Jésus Christ pleinement, vous servant pour votre lecture du Chrétien Intérieur, du Trésor spirituel et de la Vie de Monsieur de Condren.
Si vous voulez, avant que d'entrer en solitude, voir le Révérend Père Hayneuve ;
vous le pouvez.
n 1245 A la comtesse de Rochefort.
Jean de Bernières, le Chrétien intérieur. 1672.
Jean Delacroix, Thrésor spirituel, contenant les obligations que nous avons de nous disposer à la mort, et les règles nécessaires pour vivre en parfait confrère de la dévote et illustre confrérie des agonisants. Valenciennes, 1668.
Charles du Bois de Condren, né le 15 décembre 1588 à Vaubuyn près de Soissons, fut ordonné prêtre le 17 septembre 1614. Admis à l'Oratoire le 17 juin 1617, il en était élu supérieur général le 30 octobre 1629. Le Père de Condren mourut le 7 janvier 1641.
Le Père Denis Amelote a écrit une vie du Père de Condren parue en 1645, à Paris (cf. Catholicisme, t. II, col. 1482 - 1484).
Julien Hayneufve naquit le 3 septembre 1588 à Laval (diocèse du Mans). Il entra en 1608 dans la Compagme de Jésus. Après avoir rempli des fonctions de professeur dans divers collèges de la Compagnie, on le trouve à Paris en 1632 jusqu'en 1647, puis de 1659 à sa mort, le 31 janvier 1663. (cf. Dictionnaire de Spiritualité, fasc. XLIV, col. 97 - 107).
Aidez-vous de la lecture, recommençant à lire Le Sacré Palais de l'Amour divin, qui traite du néant. Lisez-le avec attention : il vous sera utile.
n 2354 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, 20 juillet 1685 (autographe).
Laurent de Paris, le Palais d'amour divin de Jésus et de l'âme chrétienne où toute personne religieuse et séculière apprend à aimer Dieu en vérité. Paris, 1602, réédition augmentée en
1626
CHAPITRE XLIX
DE L'OBSERVANCE DU CAREME
La vie d'un moine devrait être, en tout temps, aussi observante que durant le Carême. Mais, comme il en est peu qui possèdent cette perfection, nous exhortons tous les frères à vivre en toute pureté pendant le Carême, et à effacer, en ces jours sacrés, toutes les négligences de l'année. Ce que nous ferons dignement, si nous nous préservons alors de tous dérèglements, si nous nous appliquons avec larmes à la prière, à la lecture, à la componction du coeur et au renoncement.
En ces jours donc, ajoutons quelque chose à la tâche accoutumée de notre service : oraisons particulières, restriction dans les aliments et la boisson. Chacun offrira spontanément à Dieu, dans la joie venant de l'Esprit Saint, quelque pratique surérogatoire ; il retranchera à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, les entretiens, la plaisanterie ; et il attendra la sainte Pâque avec l'allégresse du désir spirituel.
Chacun cependant soumettra à son abbé ce qu'il se propose d'offrir à Dieu et n agira qu'avec son approbation et sa prière : car tout ce qui se fait sans la permission du pére spirituel sera imputé à présomption et à vaine gloire, non à mérite. Partant, que tout se fasse avec l'assentiment de l'abbé.
La sainte Église est si bonne mère qu'elle dispose toutes choses pour le bien
de ses enfants ; et comme elle sait que la connaissance de nous-même nous est tout à fait nécessaire pour aller à Dieu, elle a ordonné très saintement la cérémome qui se pratique aujourd'hui dans l'Église. Elle veut que l'on nous mette des
cendres sur la tête, et que l'on nous avertisse que nous ne sommes que poudre et cendre. Remarquez qu'elle ne se contente pas que cela se fasse une seule fois,
mais veut qu'on la renouvelle tous les ans, tant il est important que nous soyons persuadés que nous ne sommes rien...
La pénitence est un don de Dieu et une grâce qu'il [Jésus] nous a méritée par sa pénitence divine...
Concevez ce que je vous dis sur ce délaissement et privation de Jésus de la part de son Père, duquel il est inséparable quant à la partie supérieure de son âme ; mais pour l'inférieure, elle a porté des privations et délaissements tels que les saints Pères disent que l'on ne connaîtra qu'au jour du jugement les terribles peines qu'il a souffertes dans le désert. Tenons-nous y à ses pieds et le supplions de nous donner part à son esprit de solitude et de pénitence. C'est de sa charité divine que nous devons attendre la grâce d'une véritable pénitence, qui ne consiste pas tant à jeûner et à se macérer, quoique ce soit chose très bonne, comme à mortifier l'esprit propre, attaché à son sens, et à observer un silence exact et garder une profonde solitude.
no 1922 Chapitre du jour des Cendres, 1663.
Ce temps est deStiné à la pénitence : prenez votre état comme celle que Dieu veut de vous : patience en la vue de votre malice... Retenez doucement les rênes de l'inquiétude par l'abandon. Dieu se glorifiera dans votre peine, mais attendez
en patience, faites le signe de la croix fréquemment. J'y ai grande foi et je sais son efficacité en pareilles dispositions.
n 1866 A une Religieuse, rue Cassette.
134 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 135
Ne vous tourmentez point pour les pénitences : la divine Providence y pourvoira suffisamment ; soyez libre, sans attache à rien, mais toujours prête à ce qu'il plaira au Seigneur vous envoyer ; ne recevez rien de la part des créatures, mais comme venant toujours de Dieu, afin que vous demeuriez en lui dans les déplaisirs qui surviennent.
n° 359 A une Religieuse du second monastère de Paris.
Je vous conseille de devenir humble, douce, patiente, en sorte que votre intérieur soit humilié ; cela ne se ressent pas dans votre fond, l'âme a de la propre excellence et de l'élévation, et n'est-ce pas ce que vous devez craindre ? J'approuve la présence de Dieu, mais il faut qu'elle vous porte aux pratiques chrétiennes et morales. Voilà ce que je puis vous dire. La pénitence que Dieu veut de vous c'est que vous deveniez humble.
n° 700 A une Religieuse, rue Cassette.
Je n'ai pas de mouvement de vous donner les pénitences que vous désirez ; j'aimerais bien mieux que vous voulussiez prendre à tâche de vous humilier. Je vous conseille de vous occuper durant ce saint temps des souffrances de Notre Seigneur, de ses états d'abaissement et d'anéantissement ; prenez-en la pratique un peu à tâche, et ne passez aucun jour que vous ne remportiez quelque chose sur votre orgueil.
n 1788 A une Religieuse de l'Institut.
Il faut faire pénitence toute votre vie : pour vous, pour moi, et pour tous les pécheurs. Mais comme vous n'êtes pas capable de faire de grandes choses, il faut vous humilier profondément et unir le peu que l'obéissance vous permettra aux souffrances de Jésus...
Soyez tout à Jésus sans réserve. En vérité, il n'y a que cela à faire : tout le reste n'est rien. Allez à lui le plus généreusement que vous pourrez ; vous n'aurez pas assez de temps pour l'aimer ; prenez-en une sainte habitude et ne vous en désistez jamais.
n 526 A une Religieuse, rue Cassette.
Je veux bien que vous fassiez quelques pénitences, mais discrètement. Vous n'aurez point plus de discipline dans ce saint temps de Carême que la communauté. Je vous ai, ce me semble, réglé quelques pénitences dans votre dernier billet que je vous écrivais il y a peu ; je ne sais si vous l'avez reçu ; vous prendrez les trois jours gras, etc... Ne vous privez point de fruits ; vous avez besoin d'un peu de rafraîchissement, prenez aussi du vin avec votre eau.
no 1237 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis.
Portons toujours avec nous une petite serpette pour couper cette parole, trancher ce regard, vaincre cette saillie, et petit à petit, sans beaucoup de peine, nous viendrons à croître. Il est bien plus aisé de rompre et d'arracher au commencement un petit arbrisseau que d'attendre qu'il ait de fortes racines et un gros tronc.
Je ne vous dis pas de grands mots qui vous éprouveraient, comme : de mort continuelle et de grande mortification. Vous me diriez : «Comment est-il possible de mourir et se renoncer sans cesse ?» Mais il est plus doux de vous dire : «Retranchez, sapez, coupez», et, à la suite, vous verrez que Dieu bénira votre petit travail. C'est à quoi je vous exhorte.
n 2602 Conférence du 26 avril, 4e dimanche après Pâques.
Ma très chère Soeur, je ne puis vous donner de pénitences corporelles, mais je vous ordonne, à leur place, de bien crucifier vos humeurs, vos inclinations et tout ce qui n'est point dans le bon ordre de l'Esprit de Jésus en vous.
Vous lisez des merveilles dans le Chrétien intérieur, et vous voyez qu'elles vous servent. Continuez et en faites le sujet de vos oraisons.
Tâchez de vous guérir par patience, et ne souffrez du froid que le moins que vous pourrez. Mangez et vous tenez joyeuse, car, pour bien servir Dieu, il faut une sainte liberté d'esprit qui procède d'un coeur dégagé.
n 1189 A une Religieuse, rue Cassette, Rouen, octobre 1677.
Je ne vous crois pas en assez bonne santé pour vous permettre les pénitences que vous demandez. C'est pourquoi travaillez à deux ou trois choses nécessaires : la première, à bien connaître votre néant ; la seconde, à bien vous séparer de vous-même et des créatures ; et la troisième, à vous revêtir de Jésus Christ. Je sais bien que ces trois points renferment la perfection, et qu'on ne peut l'avoir tout d'un coup sans miracle. Tendez à les pratiquer de tout votre coeur, édifiant [fortifiant] votre âme par la douceur et l'humilité. Faites-vous petite en toutes choses. Si vous êtes fidèle à cela, vous verrez combien Notre Seigneur vous fera miséricorde.
n 1232 A Mère Marie de la Présentation de Beauvais, Religieuse, rue Cassette.
Nous ne vous donnons aucune austérité corporelle. Prenez les fatigues de vos emplois pour votre pénitence de ce saint temps et votre pratique intérieure doit être la fidélité que vous marquez dans votre billet sur les petites occasions de mortification que la divine Providence vous envoie. Elle ne vous manquera pas. Suivez-la amoureusement et respectueusement en esprit de foi.
Pour votre intérieur, tenez-le recueilli sans adhérer à la curiosité de l'esprit humain. Soyez courageuse pour Dieu et tâchez de vous abandonner toute à lui. Allez à Notre Seigneur comme un petit enfant tout plein de confiance. C'est votre Père et qui vous aime en vérité. Abstenez-vous des paroles inutiles pendant ce saint temps, pendant la journée. Entre-édifiez-vous l'une l'autre et que la charité règne dans votre coeur comme la souveraine de toutes les vertus.
n 1388 A une Religieuse, rue Cassette.
Nous vous permettons telles pénitences... Je vous prie que le tout se fasse avec esprit, sans quoi il n'y aurait pas d'utilité pour votre âme. Je n'y ajoute rien,
136 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 137
sinon la retenue des yeux, des oreilles et de la langue. Quand ces trois choses sont bien mortifiées dans une âme religieuse, elle marche dans le sentier de la sainteté. Souvenez-vous toujours des promesses que vous avez faites à Notre Seigneur ; soyez fidèle à ses divines paroles. Il vous dit : «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur». Vous le serez dans vos paroles et vos actions. Ne vous découragez pas, mais ayez un peu de zèle pour aimer Notre Seigneur, qui vous donne tous les jours des marques de son amour. Marchez en sa présence et vous serez parfaite.
no 3005 A une Religieuse, rue Cassette.
Nous vous permettons de faire telle pénitence qu'il vous plaira, à votre dévotion. Au lieu des grandes austérités que Dieu n'exige pas de vous, soyez humble et faites-en les actions selon vos forces, avec l'agrément de l'obéissance, que vous pouvez demander à votre Mère Maîtresse. Chérissez les observances communes mille fois plus que tout ce que votre esprit vous porte à faire dans le particulier. N'affectez rien de singulier. Souvenez-vous que Notre Seigneur aime mieux l'obéissance que le sacrifice. Ne préférez rien à cette précieuse vertu.
n 2391 A Soeur Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent, rue Cassette, décembre 1674.
La plus grande pénitence que vous puissiez faire dans ce saint temps [de Carême], c'est de porter vos croix avec soumission, avec foi et confiance. Je sais qu'il faut des miracles pour vous tirer de l'abîme terrible où vous êtes, mais la très sainte Mère de Dieu s'en mêlera. Continuez de la prier et d'y avoir une parfaite confiance, par son Immaculée Conception.
n 3136 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mardi soir 28 février 1696.
Le mot de Pâques nous signifie un passage : l'Église fait mémoire de la sortie des enfants d'Israël de leur misérable captivité. C'est donc la fête des âmes régénérées du péché à la grâce, et c'est la fête du passage de Jésus Christ dans notre âme et notre âme en Jésus Christ. C'est dans votre âme qu'il veut opérer ce grand mystère et vous communiquer une vie divine et éternelle pour jamais, si vous êtes fidèle.
Voici comme il faut que vous correspondiez à cette grâce : premièrement, purifiant votre coeur de toutes les imperfections volontaires et de tout ce qui peut faire obstacle à l'effet' de cette grâce. Secondement, il faut dégager votre âme de toutes les recherches, de vos satisfactions, de vos intérêts d'amour-propre, en un mot de toutes les petites vues humaines et de tout ce qui n'est pas produit par l'Esprit Saint en vous, et qui n'a pas uniquement Dieu pour objet. Troisièmement, pour remplir le dessein du Fils de Dieu, il faut que vous demeuriez en lui : cela se fera par la grâce de la sainte communion. Notre Seigneur se ressuscitant en vous, c'est pour vous ressusciter en lui, en sorte que vous n'ayez plus d'autre vie que la sienne, plus d'autre désir, plus d'autre volonté, plus d'autres inclinations, bref que vous soyez toute revêtue de son Esprit, afin que lui seul paraisse en vous, et vous toute anéantie en lui.
no 3039 A une Religieuse, rue Cassette.
CHAPITRE LII
DE L'ORATOIRE DU MONASTERE
L'oratoire sera ce que signifie son nom. On n'y fera et on n'y déposera rien d'étranger à sa destination. Après l'OEuvre de Dieu, tous les frères sortiront dans un profond silence, et ils auront pour Dieu la révérence qui lui est due ; en sorte que, si peut-être un frère veut y prier en particulier, il 'n'en soit pas empêché par l'importunité d'autrui. D'ailleurs, si, à d'autres moments, un moine désire faire secrétement oraison, qu'il entre simplement et qu'il prie : non pas avec des éclats de voix, mais avec larmes et ferveur du coeur. A qui ne se conduirait pas ainsi on ne permettra donc pas de demeurer à l'oratoire après l'Œuvre de Dieu ; de peur, comme il a été dit, qu'il ne gêne autrui.
Le 6 novembre 1697, me parlant sur l'oraison, elle me dit : «Je ne regarde jamais ce qui est plus élevé, ou plus bas, mais seulement l'attrait de Dieu sur les âmes, et où il les attire. Car la plus simple méditation est aussi bonne et aussi sainte pour une âme, quand elle y est appelée, que la plus haute contemplation. Il n'importe, pourvu que nous y soyons comme Dieu nous y veut. Je vous dirais moi-même que quelquefois on me met au commencement de l'oraison, et d'autres fois à la fin. Il ne faut pas tant se tourmenter. Je vous dirai ce que je ne dirais pas à tout le monde, qu'il faut à l'oraison attendre Dieu. Je veux dire qu'il opère en nous selon son plaisir, et le laisser faire notre destruction. La lecture est bonne et utile quand on n'y a rien, et que l'on est distraite. Vous en pouvez faire quelquefois, quoique je vous dirai que pour vous, vous ferez mieux de n'en point faire, et de souffrir en la présence de Notre Seigneur les dispositions pénibles où il vous met, et vos distractions, en vous en détournant doucement, sans vous en troubler et inquiéter. Portez tout en patience et soumission aux conduites de Dieu, vous contentant de n'avoir rien que des misères, pauvretés, impuissances, etc. Humiliez-vous seulement et tout ira bien, car l'humiliation de l'âme attire Dieu en elle. Contentez-vous donc de l'état souffrant que vous portez, et ne voulez rien autre chose».
n 2067 Entretiens spirituels, 6 novembre 1697.
11 ne faut point rechercher nos voies, mais il les faut suivre quand Dieu nous les donne. N'oubliez pas les pratiques des solides vertus, cela se fait sans peine, car si l'oraison est un trait de Dieu, elle porte l'âme à la fidélité ; l'amour de Dieu agit en secret.
n 1744 A une Religieuse, rue Cassette.
Vous ferez autant de progrès dans l'oraison et dans la vie intérieure que vous remarquerez de conformité dans votre intérieur et extérieur à son divin et pur Esprit qu'il a possédé et manifesté par sa doctrine, et plus encore par son exemple. Je le prie de tout mon coeur qu'il le fasse croître dans votre âme autant qu'il me fait la grâce de vous le désirer. C'est en son amour et [en celui] de sa sainte Mère que je suis et serai toute ma vie.
n 463 A la comtesse de Châteauvieux.
138 CATHERINE DE BAR
A L'ECOUTE DE SAINT BENOIT 139
[L'église] est le lieu saint où se doit observer un silence et respect perpétuels. L'on n'y doit jamais parler que quelques mots de nécessité absolue et fort brièvement, à voix basse. Les anges n'osent parler devant cette auguste Majesté, et nous avons souvent la hardiesse d'y commettre des légèretés et d'y prononcer des paroles inutiles et mouvantes à rire. Il faut marcher et fermer les portes doucement.
n 2176 Chapitre.
Voulez-vous bien faire votre oraison ? Conservez-vous en la présence de Dieu, le regardant en vous ; adorez-l'y ; adhérez à lui dans votre intérieur ; ne vous dissipez point à tant de choses inutiles, et, faisant cela, vous serez toujours disposée à faire oraison.
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n 2726 Diversités spirituelles.
Voulez-vous faire une bonne oraison ? Mortifiez-vous sans cesse. Voulez-vous vous mortifier sans cesse ? Faites doucement l'oraison, car vous recevrez par l'oraison fréquente la vertu de force, la vigueur et le zèle pour vous mortifier sans relâche, et de même dans les autres vertus.
n 2998 Diversités spirituelles.
Soyez fidèle à l'intention que Jésus Christ' a eue sur vous dès l'éternité où il a vu et disposé de toutes vos actions jusqu'aux moindres. Dussiez-vous vivre encore cent ans, envisagez-le toujours et en tout. Laissez les diverses méthodes que l'on donne pour dresser ses intentions. La vôtre doit être d'adorer et regarder sans cesse celle de Jésus. Pour votre oraison, elle sera la plus simple que vous pourrez, sans vous embarrasser de pensées et de sujets ; demeurez dans la posture que Dieu vous mettra.
n 1944 A la comtesse de Châteauvieux.
Il faut vous établir dans la foi de Dieu présent en vous... Il ne faut point d'imagination pour le croire, mais la foi simple suffit, pourvu qu'elle soit continue.
Il faut de la fermeté et de l'assiduité en cette simple pratique... Faites un petit retour amoureux et respectueux sur cette auguste Majesté qui nous est si intimement présente. Vous pouvez quelquefois laisser dilater le coeur en l'adorant et lui faisant mille témoignages de soumission, de confiance, d'abandon, enfin te que le Saint Esprit vous donnera mouvement de dire. Ceci, un peu pratiqùé en la manière très simple que je dis, ne vous gênera point et ne vous fera nul mal à la tête, car ce sera le coeur qui produira suavement, et cela vous formera une certaine habitude de Dieu présent [si bien] que vous n'aurez nulle peine à faire oraton ; vous la ferez à toute heure, du moins serez-vous en état de la faire très facilement.
no 345 et 561 A la comtesse de Châteauvieux.
Demeurer simplement attentive à cette présence de Dieu et exposée à ses divins regards... Cette oraison est une union avec Dieu qui contient éminemment toutes les autres dispositions particulières... L'âme lui est semblable en cette oraison ; aussi elle y reçoit de merveilleux effets. Les rayons du soleil naturel font croître, fleurir et fructifier les arbres ; l'âme qui est attentive simplement et exposée en tranquillité, reçoit les divines influences du soleil de justice, qui l'enrichit de toutes sortes de vertus... L'âme d'abord s'imaginera de perdre beaucoup, mais l'expérience lui fera connaître qu'au contraire elle y gagne, puisque la connaissance qu'elle aura de Dieu sera plus grande, son amour plus pur, ses intentions plus droites, l'aversion des imperfections plus grande et sa mortification plus continuelle.
no 544 Conférence.
Le désert de l'âme aimante, c'est l'oraison. Elle y entrera par le silence et l'éloignement de toutes créatures et d'elle-même. Elle fera dans ce désert mystique ce que son divin Époux y a fait. Ce silence étant intellectuel, elle s'occupera de son Dieu par tendance et adhérence actuelle. Le désert suppose éloignement de toutes choses, paix profonde dans l'obscurité de la pure et nue foi.
n • 1757 Conférence pour le premier dimanche de Carême.
Faisons un petit retour amoureux et respectueux sur cette auguste Trinité qui nous est si intimement présente. On peut quelquefois laisser dilater le coeur en l'adorant, en lui faisant mille témoignages de soumission, de confiance, d'abandon, enfin tout ce que le Saint Esprit vous donnera mouvement de dire...
Et quand le trait intérieur manquera et que la foi demeure nue, que l'âme en est comme sèche et rebutée, il faut qu'elle ne fasse point d'autre effet, sinon d'acquiescer en humble patience à toutes les conduites différentes de Dieu.
n 592 Chapitre.
Oui, mes Soeurs, allez vous exposer à ses pieds, tenez-vous y avec respect, amour et confiance, et vous recevrez les dons qu'il veut vous faire.
n • 1936 Entretiêt1 familiers, veille de la fête du Saint Sacrement, 1695.
Soyez bien exactes à toutes les choses de la sainte Règle ; gardez bien aussi le silence. Demeurez toute§ recueillies en vous-mêmes et toujours en Dieu, sans tant vous dissiper dehors patini les créatures, qui vous dérobent le temps et l'attention que vous lui devet et empêchent que vous ne vous remplissiez de lui ; car êtes-vous en état de raire oraison quand vous y allez de la sorte, avec un esprit tout distrait et tethpli de mille inutilités, sans aucune préparation pour la bien faire et y recevoir les grâces et les lumières de Dieu ? Il faut toujours vous y préparer par un saint recueillement en vous-même, regardant toujours Dieu présent. Faisant ainsi, vous ferez toujours bien l'oraison en tout temps.
Mais, pouvez-vous me dire, je ne suis point distraite par ma faute ; je fais ce que je peux pour me recueillir, mais inutilement : mon imagination me forme
140 CATHERINE DE BAR l A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 141
cent idées folles dont je ne puis me défaire. A la bonne heure ! Si c'est malgré vous, elles vous sont un sujet de mérite et de patience, et non de péché. Souffrez ! Votre oraison est bonne quand vous y êtes de cette sorte et en quelque façon crucifiée, dans la peine, la privation et l'obscurité. Il ne faut pas que cette disposition vous la fasse négliger ou retarder. Au contraire, allez-y avec plus d'ardeur et de fidélité, dans un vrai esprit de sacrifice, vous y sacrifiant entièrement à la majesté de Dieu que vous voulez adorer, révérer et respecter par cette
action. •
n 3004 Chapitre, 6 août 1694.
Ne demeurez point à l'oraison si longtemps ; un quart d'heure suffit à la fois, à cause de vos infirmités, et réitérez à votre loisir deux ou trois fois le jour. Ce n'est pas la captivité à demeurer trois ou quatre heures en oraison qui nous perfectionne, mais c'est le souvenir de Dieu, actuel, non par application violente, mais par quelque simple pensée ou élévation, selon le trait de l'Esprit de Dieu en l'âme et une douce habitude d'opérer en amour non sensible, mais en foi.
n 939 A la comtesse de Rochefort, 22 juin 1653.
Cette fête contient des mystères infinis et il y a bien, mes Soeurs, de quoi vous occuper. Il me semble qu'elle appartient plus aux religieuses qu'à tout autre, à raison qu'elles ont beaucoup de rapport à cette sacrée Vierge... Elles sont comme elle dans le temple du Seigneur, elles logent sous un même toit. Quelle consolation de dire qu'à.toute heure nous pouvons l'aller adorer au très Saint Sacrement où il réside réellement ! Et même il n'est pas besoin, étant occupée ailleurs, d'aller à l'église pour lui rendre nos hommages, nous n'avons qu'à dresser notre coeur vers lui : les murailles ne l'empêchent pas de nous voir et de nous entendre.
n 233 Conférence, 21 novembre 1662, fête de la Présentation de Marie au Temple. CHAPITRE LIII
DE LA RECEPTION DES HOTES
Tous les hôtes qui surviennent au monastère seront reçus comme le Christ, car lui-même doit dire un jour : "J'ai demandé l'hospitalité et vous m'avez reçu ." A chacun on rendra l'honneur qui lui est dû, surtout aux "domestiques de la foi" et aux pèlerins . Dès qu'un hôte aura été annoncé, le supérieur et les frères se hâteront au devant de lui avec toutes les marques de la charité. Après avoir fait la prière ensemble, on prendra contact dans la paix. Ce baiser de paix ne se donnera qu'après la prière, pour déjouer les artifices du démon. Dens ce salut, on témoignera à tous les hôtes une profonde humilité et, soit à leur arrivée, sô'it à leur départ, c'est par une inclination de tête ou une prostration du corps qu'on adorera en eux le Christ même qu'on reçoit.
Aussitôt accueillis, les hôtes seront conduits à l'oratoire. Puis le supérieur, ou tel autre qui en aura reçu mandat, s'assiéra en leur compagme et leur lira l'Ecriture Sainte, pour leur édification. Ensuite on les traitera avec toute l'honnêteté que l'on pourra. Le supérieur rompra le jeûne pour manger avec eux, à moins qu'ilVie s'agisse d'un jeûne ecclésiastique qu'on ne puisse enfreindre. Quant aux frères, ils garderont leurs jeûnes accoutumés.
L'abbé versera de l'eau sur les mains des hôtes ; lui-même, aidé de la communauté, leur lavera les pieds. Ce qu'ayant fait, ils diront : "Nous avons reçu, Seigneur, votre miséricorde au milieu de votre temple ." Ce sont les pauvres surtout et les pèlerins qu'on entourera le plus d'attentions parce que c'est principalement en leur personne que l'on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte qu'ils inspirent les fait assez honorer.
La cuisine de l'abbé et des hôtes se fera à part ; ainsi les hôtes, qui ne manquent jamais au monastère et qui surviennent à toute heure, ne troubleront point la vie des moines. Tous les ans on confiera la charge de cette cuisine à deux frères qui puissent bien s'en acquitter. On leur donnera, si besoin, des aides afin qu'ils travaillent sans murmure. Quand ils ne seront pas suffisamment occupés, ils s'emploieront à d'autres ouvrages qu'on leur indiquera.
On observera cette règle, non seulement pour eux mais pour tous les autres officiers du monastère, en leur accordant des aides selon leur besoin et en les envoyant travailler à d'autres devoirs lorsqu'ils ne seront pas occupés au leur.
Pour prendre soin du logement des hôtes on désignera un frère, dont l'âme soit remplie de la crainte de Dieu. Cette hôtellerie renfermera des lits garnis en nombre suffisant. Ainsi la maison de Dieu sera sagement administrée par des gens sages.
Aucun moine n'abordera les hôtes, ni ne leur parlera sans permission. S'il les rencontre ou les aperçoit, il les saluera humblement, comme il a été dit, en prononçant Benedicite , et il passera outre, ajoutant (au besoin) qu'il ne lui est pas permis de s'entretenir avec les hôtes.
Quand on a achevé l'ouvrage que l'obéissance a ordonné, il ne faut point s'occuper à ce que l'on veut, mais en demander d'autre afin d'avoir le mérite
de l'obéissance en tout notre travail. Journée religieuse.
Quant aux pauvres, qui sont les vrais membres de Jésus Christ, on leur fera tous les jours l'aumône, selon les facultés du monastère. La Mère Prieure aura
soin qu'ils soient traités bénignement avec des paroles compatissantes à leurs souffrances, sans jamais user à leur endroit d'aucun terme de mépris, d'autant qu'ils nous représentent vivement la personne de Notre Seigneur.
Constitutions.
142 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 143
CHAPITRE LIV
SI UN MOINE PEUT RECEVOIR DES LETTRES OU
QUELQUE AUTRE CHOSE
II n'est pas licite à un moine, sans autorisation de l'abbé, de recevoir, ni de ses parents ni de qui que ce soit, ni d'échanger avec des confrères des lettres, des eulogies , ou de petits présents quelconques, et pas davantage d'en donner.
Si ses parents lui adressent quelque chose, il n'aura pas la hardiesse de le recevoir avant d'en avertir l'abbé. Celui-ci, s'il permet d'accepter l'objet, pourra le destiner à qui il lui plaira.' Le frère à qui on l'avait envoyé, ne s'en attristera pas, de peur d'ouvrir la porte au malin. Celui qui enfreindra cette règle sera puni des peines régulières.
Le voeu de pauvreté est d'une grande étendue ; il y en a qui font consister toute leur obligation dans la privation des biens du monde et à n'avoir point d'argent, à la vérité c'est l'extérieur de cette vertu évangélique et qui ne se perfectionne dans ce premier pas, ne passera jamais dans l'intérieur ; donc après avoir renoncé aux possessions de la terre, il faut vivre dans un entier dépouillement quant à l'affection des choses que la Règle nous permet.
n 68 Conférence.
Une religieuse ne se doit rien approprier pas même les petits présents que ses parents lui peuvent faire, parce que du moment que quelque chose entre dans la Religion il est le bien de la Religion ; étant le bien de la Religion toutes les autres y ont autant de droit que vous, et vous ne pouvez vous l'approprier sans aller contre votre obligation. Prenez aussi bien garde de ne rien posséder avec attache. Examinez-vous là-dessus... Nous prendrons un jour pour vous lire sur ce voeu ce que les Pères en disent, qui étant bien pratiqué est capable d'élever une âme à la plus haute perfection par le dégagement où il la met intérieurement et extérieurement.
n 950 Conférence sur la rénovation des voeux, 1695. CHAPITRE LV
DES VETEMENTS ET DE LA CHAUSSURE DES FRERES
Pour les habits à donner aux frères, on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu'ils habitent . Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays plus chauds. C'est à l'abbé d'apprécier cette différence. Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule et une tunique suffisent pour chaque moine : coule velue en hiver, en été légère ou usagée ; avec cela, un scapulaire pour le travail ; pour couvrir les pieds, des bas et des souliers .
Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu'on pourra trouver au pays qu'ils habitent ou se procurer à meilleur marché. Et pour couper jusqu'à la racine ce vice de la propriété, l'abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir coule, tunique, souliers, bas, ceinture, couteau, stylet , aiguille, mouchoir, tablettes. De cette façon on ôte toute excuse tirée de la nécessité.
L'abbé cependant doit toujours tenir compte de cette parole des Actes des Apôtres : "On donnait à chacun selon ses besoins ." Il aura donc égard aux besoins des faibles et non à la mauvaise volonté des envieux. Mais qu'en toutes ses décisions, il se souvienne que Dieu lui rendra selon ses oeuvres.
Elles se contenteront de tout ce qui leur sera donné par la Mère Prieure ou par son ordre... se conformant à ce que dit notre glorieux Père, que le religieux se contente de ce que l'on pourra trouver à plus vil prix, voulant non seulement que ses enfants fassent paraître en leurs habits la simplicité et la modestie qu'il faut garder dans la façon, mais encore qu'elles y pratiquent la pauvreté pour le prix des étoffes... Mais elles doivent s'en tenir à ce que la Règle et les Constitutions ordonnent...
Lorsqu'on leur donnera quelque chose de neuf, elles seront soigneuses de rendre ce qu'elles quittent, le mettant à la porte du vestiaire, ou le donnant à l'officière.
Journée religieuse.
144 CATHERINE DE BAR
CHAPITRE LVIII
DE LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES
On n accordera pas facilement l'entrée du monastère à celuiui se présente pour s'y engager dans la vie religieûse ; mais on fera ce que dit l'Apôtre : «Éprouvez les esprits pour discerner s'ils sont de Dieu.» Que si le postulant persévere à frapper à la porte, et qu'il souffre patiemment les injures à lui faites et la difficulté opposée à son entrée, et s'il persiste dans sa demande depuis quatre ou cinq jours, il obtiendra alors la permission d'entrer. Il sera mis pour quelques jours dans le logis des hôtes. Ensuite, il passera dans celui des novices, où ceux-ci s'adonnent aux exercices spirituels, prennent leurs repas et leur sommeil.
On lui donnera, pour le conduire, un ancien qui soit apte à gagner les âmes et qui le surveillera très attentivement, afin d'examiner si le novice cherche vraiment Dieu, s'il a du zèle pour l'OEuvre de Dieu, l'obéissance et les humiliations. On lui fera connaître toutes les choses dures et âpres par lesquelles on va à Dieu.
S'il promet de persévérer en sa résolution, alors, après deux mois, on lui lira cette Règle tout au long, et on lui dira : «Voici la loi sous laquelle tu veux militer. Si tu peux l'observer, entre ; sinon, tu es libre de te retirer.» S'il persiste, on le reconduira au susdit logement des novices, et on se remettra à éprouver de toute manière sa patience.
Au bout de six mois, on lui lira encore la Règle, afin qu'il sache à quoi il s'engage. S'il persévère toujours, après quatre autres mois, on lui relira encore une fois la même Règle. Si enfin, après mûre délibération, il promet de la garder dans tous ses points et d'observer tout ce qui est commandé, il sera reçu dans la communauté : sachant au surplus que, en vertu de la Règle, il ne lui est plus permis, à partir de ce jour, de sortir du monastère, ni de secouer le joug de cette Règle, qu'après une aussi longue délibération il a été à même de refuser ou d'accepter.
Le récipiendaire promettra donc publiquement, dans l'oratoire, stabilité, vie religieuse et obéissance en la présence de Dieu et de ses saints.
Il sait donc que, si un jour il manquait à l'engagement, il serait condamné par Celui dont il se serait joué.
De cette promesse, il redigera une «pétition» au nom des Saints dont les reliques sont en ce lieu, et de l'abbé présent. Il écrira cette cédule de sa propre main, ou du moins, s'il est illettré, il priera un autre de l'écrire pour lui. Le novice lui-même la signera, et de sa main la déposera sur l'autel. Lorsqu'il l'y aura placée, il entonnera aussitôt ce verset : «Recevez-moi, Seigneur, selon votre parole et je vivrai, et ne me confondez pas dans mon attente.» Toute la communauté répétera trois fois ce verset, et conclura par le Gloria Patri. Le novice se prosternera ensuite aux pieds de chacun des frères, leur demandant de prier pour lui. A dater de ce jour, on le tiendra pour membre de la communauté.
S'il possède quelque avoir, ou bien il le distribuera auparavant aux pauvres, ou bien il l'attribuera au monastère par une donation solennelle, sans rien se réserver, car il doit savoir que, dès cet instant, il ne peut plus même disposer de son propre corps.
On le dépouillera donc immédiatement dans l'oratoire de tous les effets personnels dont il était vêtu, et on le revêtira d'habits appartenant au monastère. Les vêtements qu'il aura quittés seront déposés au vestiaire, afin que si, un jour, à l'instigation du diable, il voulait sortir du monastère — ce qu'à Dieu ne plaise — on puisse lui ôter l'habit du monastère et le chasser. On ne lui rendra pas néanmoins sa charte de profession, que l'abbé a prise jadis sur l'autel, mais on la gardera dans le monastère.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 145
e n'est pas peu pour bien avancer que d'avoir un vrai désir d'être à Dieu : voilà le premier pas et le plus important pour nous acheminer dans la vraie perfection, car l'âme qui a faim de Dieu, sans doute elle sera rassasiée, notre aimable Seigneur nous l'assure par sa divine et efficace parole. Ayons de la foi et nous trouverons grâce et force en Jésus Christ pour aller à lui. Puisqu'il vous a fait la miséricorde de vous donner ce désir, gardez-vous bien de le négliger. la grâce perdue ne revient plus.
n" 2438 A une Religieuse de l'abbaye de Montmartre. 18 mars 1695.
Vous avez raison d'ajouter que vous êtes indigne d'obtenir la grâce que vous demandez. La sainte Religion est un si grand bien qu'elle ne s'accordait anciennement qu'à ceux qui savaient porter les affronts, les injures par lesquels on éprouvait leur vocation, ainsi que l'on vient de lire dans la sainte Règle. Peu d'âmes possèdent ce bonheur et très peu le conçoivent: Ceux qui cherchaient vraiment Dieu, au lieu de se rebuter des affronts qu'on leur faisait, demandaient toujours avec plus d'instance d'y être admis, parce qu'ils trouvaient ce qu'il désiraient, et les autres. qui s'en offensaient, se retiraient parce qu'ils se cherchaient eux-mêmes et leurs intérêts. Ainsi si c'est pour être plus à Dieu que vous entrez dans la sainte Religion, entrez-y pour y être sacrifiée à tous moments. La Providence vous en offrira des occasions fort fréquentes. Tout le bien que vous avez pu faire dans le monde n'est rien, parce que vous avez toujours conservé votre Isaac qui est votre volonté, que vous venez immoler dans la sainte Religion où il n'y en a point.
n 3015 Chapitre : Parlant à une postulante qui demandait k saint habit. 1677.
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A LICOUTE DE SAINT BENOIT 147
La douleur actuelle où je vous vois m'oblige de faire une réflexion devant Dieu sur le fond de votre état que vous devez dire à votre confesseur afin que, voyant et pénétrant vos dispositions, il puisse juger plus solidement de votre vocation ou, s'il n'en doute plus, qu'il prenne les temps nécessaires pour vous y bien établir, sans presser votre entrée en Religion croyant que vous pourriez faire quelque délai pour voir si vos peines et vos répugnances se diminueront. Je vous supplie de ne rien précipiter. Voyez votre bon confesseur. J'ai pris la liberté de lui écrire un mot sur ce sujet, afin qu'il vous sondât jusqu'au fond et qu'il s'assurât de votre vocation qui est le principal, le reste devant être sacrifié à Jésus Christ. Et comme cette affaire est de la dernière importance, vous pouvez prendre du temps, et même avis de ceux qui possèdent la pure lumière de Dieu.
n 1848 A Mademoiselle Loyseau, ce 16 avril 1660.
Ma chère Soeur, vous êtes encore toute nouvelle dans la sainte Religion et avant que de passer plus outre, il est bon que vous pesiez bien pourquoi vous y êtes venue. Si je vous le demande vous me répondrez que c'est pour être religieuse. Que veut dire ce mot : religieuse ? Il comprend toute la perfection : car religieuse veut dire cachée en Jésus Christ.
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n 3059 Chapitre : A Soeur Marie du Saint Sacrement Hardy, 26 mars 1660.
Remarquez que dans les commencements l'on (ne) demande [peu] de vous, sinon que vous ayez un désir invariable et une volonté résolue constante de vous quitter en toutes choses pour chercher votre Dieu, mais dans les parfaits... Jésus Christ seul vit et règne dans l'âme, de sorte que ce n'est plus elle qui vit c'est lui seul qui vit en elle.
n 2479 Maximes spirituelles.
Je vous conjure de vous rendre tout à l'amour de Notre Seigneur et de vous désoccuper de tout le reste. C'est trop peu de chose pour un coeur qui est créé pour aimer et posséder son Dieu. C'est le plus grand bonheur que l'on puisse avoir en ce monde, car si l'âme n'est avec Dieu par sa grâce et son amour, elle est misérable. Rien que Dieu, mon enfant, rien que Dieu, et la paix de votre âme sera éternelle. Courage ! réjouissez-vous et vous animez l'une l'autre.
n° 3075 A une Religieuse, rue Cassette, 7 octobre 1664.
L'attention à Dieu, le simple regard de Dieu, l'adhérence à Dieu, tous trois sont quasi même chose : il ne faut que la fidélité à ces choses-là pour être bientôt parfaite.
Une âme qui ne cherche que Dieu ne se peut peiner d'aucune chose, car Dieu lui étant toutes choses, elle ne peut s'appliquer à aucune créature : la mort et la vie lui étant une même chose, pourvu que Dieu soit, il lui suffit. Soyez donc, ô mon Dieu. car vous seul êtes digne d'être «in aeternum». C'est beaucoup que Dieu soit content. Il ne faut point considérer nos souffrances, nous en dût-il coûter la vie.
no 2566 Diversités spirituelles.
Souvenez-vous que notre bonheur consiste dans la très profonde petitesse et séparation des créatures et de nous-même qui nous mettra au-dessus de mille petites choses qui nous occupent et inquiètent ; vous me demanderez s'il faut être insensible. Je vous réponds que non, l'on peut ressentir une peine, un déplaisir, la perte d'un parent ou d'un ami et porter en fond une soumission à Dieu très parfaite et une séparation de soi. Pleurez donc dans telles occasions, je ne vous le défends pas, mais conservez une âme dégagée.
no 883 Conférence, 12 novembre.
Ma Soeur, je vous l'ai déjà dit, je vous le réitère : tel sera votre commencement, tel sera le reste de votre vie. Si vous commencez négligemment, vous courez hasard d'être toujours malheureuse. Il n'y a rien si facile que de contracter des mauvaises habitudes et rien de plus difficile que de s'en défaire... Je vous avoue que je suis surprise et je ne conçois pas d'où vient ce malheur que des filles que Dieu favorise de la plus haute grâce du christianisme qui est la vocation religieuse, grâce infime en son excellence, pour à laquelle correspondre, elles ont quitté père, mère, parents, richesses, avec tous les plaisirs licites qu'elles pouvaient prétendre dans le monde, sont entrées dans la sainte Religion avec des ferveurs et des dispositions de sainteté, et cependant elles n'y sont pas de trois jours qu'elles se ralentissent, donnent lieu à la tentation, et bien loin d'avancer, à tous moments reculent, et souvent avortent la grâce de leur vocation. Quoi ! devenir imparfaite dans le lieu de sainteté ! cela est horrible, mais trop ordinaire. Oh ça, mes Soeurs, je vous prends par vous-mêmes : combien de larmes avez-vous versées, combien d'ardeurs avez-vous témoignées, pour posséder le bien que vous avez en mains, que n'avez-vous pas fait ? Les unes se sont dérobées de la maison de leurs parents, les autres ont quitté généreusement leurs mères éplorées et affligées ; l'on a vu un père se pâmer de douleur diverses fois pour la séparation d'une fille. N'avez-vous point marchandé pour les quitter de leur marcher sur le ventre, ainsi que le conseille saint Jean Chrysostome ? De vous défaire des plaisirs et des richesses du monde pour témoigner à Jésus Christ votre amour et le désir que vous avez de vous immoler à sa gloire ? Se peut-il rien de plus généreux ? Pour moi, cela me ravit, et en voilà assez pour vous faire de grandes saintes, puisque les saints Pères estiment qu'un acte héroïque opère la sanctification d'une âme.
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Cependant nous ne voyons pas que vos actions secondent un si beau commencernent ; mais d'où vient donc ce malheur ? Oh, mes Soeurs, ce n'est pas faute de vocation ; il y en a sans doute, mais bien de fidélité à la grâce de la vocation. Vous nous promettez aux grilles, lorsque vous faites instance pour vos réceptions, que vous ne ferez jamais vos volontés. L'on vous dit qu'il la faut laisser à la porte, et qu'elle ne doit point entrer dans la sainte Religion. Vous êtes déterminées à tout, dans le désir que l'Esprit de Dieu verse dans vos coeurs d'être faites les Épouses de Jésus, et de fait, il ne vous serait pas difficile de vous conserver dans cette ferveur et de vous faire quittes de toutes vos mauvaises habitudes, si vous aviez de la fidélité. Mais bien loin de cela, l'on retombe en nature aussitôt, l'on veut un peu faire sa volonté. O, mes Sœurs, je vous conjure de faire usage de la grâce que Dieu vous met en mains. Ne la négligez pas, et voyez qu'il vous a préférées à une infinité d'autres qui en profiteraient mieux que vous.
n 1760 Chapitre sur la vocation religieuse, 18 août 1662.
La Mère Maîtresse lira souvent le chapitre de la sainte Règle et des Constitutions qui traite de son emploi, afin d'en prendre l'esprit pour la conduite des âmes dont elle est chargée.
Cérémonial.
Que la Mère Maîtresse use de prudence et de discrétion. Qu'elle ne s'expose pas à troubler des esprits faibles encore, ou à les décourager dans la poursuite de la perfection...
Il faut donc se mettre à la portée des esprits, se proportionner à la capacité de chacun. Il faut que la Mère Maîtresse se propose toujours de suivre Dieu, qu'elle dispose peu à peu ses novices à entrer dans ses desseins, qu'elle se conduise aussi diversement que la disposition des âmes est différente.
Cérémonial.
Vous devez faire ce que votre devoir vous oblige, car, s'il faut laisser les novices faire ce qu'elles voudront, il n'est pas besoin de demeurer avec elles ni de leur donner de maîtresse. Vous êtes obligée de les avertir de leurs devoirs, sans craindre votre amour propre qui a peine à les mécontenter. Il faut leur enseigner leur devoir, autrement elles ne le feront jamais. Si je n'avais point la charge de Prieure, je vous exempterais de celle où vous êtes, mais n'y pouvant vaquer entièrement, il faut que quelqu'un y travaille ; et non seulement vous devez les avertir du mal qu'elles font, mais m'avertir moi-même afin qu'elles s'en corrigent. Comment feraient-elles ce qu'elles ne savent point. J'entends que vous les reprendrez en mon absence, et sans y manquer, si vous ne voulez pas être coupable des fautes qu'elles commettent et pour cela, il faut laisser à part votre propre misère et agir par la force de l'obéissance, laquelle vous soutiendra infailliblement.
no 525 A Mère Marie de Jésus Chopine!, Maîtresse des novices, rue Cassette.
Que j'aurais eu de satisfaction, ma chère Soeur, d'assister à votre sacrifice... l'absence du corps n'a point empêché que mon esprit et mon coeur ne vous aient bien accompagnée dans une action si sainte et si agréable à Dieu, car je ne doute pas que vous n'ayez apporté de votre part tout ce qui a été à votre pouvoir pour rendre votre sacrifice parfait et entier... Nous ne faisons qu'une fois profession, mais c'est pour tous les moments de notre vie. Notre Seigneur ne s'est offert en sacrifice à son Père qu'une fois au moment de son Incarnation et il n'a jamais sorti un seul moment de sa vie de la disposition et état de mort et de sacrifice ; c'est l'obligation que nous contractons par l'acte de notre profession qui ne nous peut permettre de vie ni aucun usage de tout ce que nous sommes que pour celui à qui nous nous sommes consacrées... N'oubliez jamais que vous n'êtes plus à vous, gravez -cette vérité bien avant dans votre coeur, afin de vous en souvenir à tous moments ; elle vous sera avantageuse et vous servira pour vous maintenir dans la fidélité de vos promesses et pour ne vous pas reprendre.
no 502 A une Religieuse de l'Institut.
Vous avez dû venir en Religion pour vous perfectionner et vous n'arriverez à cette perfection que par l'exacte observance de vos Règles et de tout ce qui s'y pratique, puisque tout ce qui s'y fait est dans l'ordre de la divine volonté.
n 3012 Conférence.
Je voudrais bien que toutes les âmes qui ont à se vouer à Dieu aient bien approfondi l'importance de leur engagement. Il ne faut se jouer au regard de Dieu. Ce sont des promesses éternelles sur lesquelles est compris notre salut. Il n'y va que de la perte éternelle de l'âme qui est si téméraire que de les enfreindre volontairement.
no 1645 Chapitre.
Notre obligation en qualité de chrétienne est bien grande et nous oblige à vivre saintement... Les voeux solennels que nous avons faits sont tous renfermés dans celui de baptême, car, mes Soeurs, faisant voeux de suivre Jésus Christ, c'est plus que pauvreté, que chasteté, obéissance, puisque c'est de vivre comme Jéstis
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Christ, non que nous le puissions avec la même perfection étant la sainteté même, et nous, portant une nature corrompue ayant perdu la grâce originelle par la désobéissance de notre premier père, Adam, néanmoins Notre Seigneur nous dit dans le saint évangile : «Soyez saint comme je suis saint», et en un autre endroit : «Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait». En voilà assez pour voir l'obligation que nous avons de tendre à la sainteté. La grâce actuelle que nous avons est suffisante ; l'habituelle vient encore au secours.
Nous sommes consacrées à Dieu par le baptême et resacrées par les voeux de Religion. Nous voilà par double obligation faites les temples et la demeure de Dieu. Lui donnons-nous un plein et absolu pouvoir dans son domaine ? Il règne, il est roi et souverain. Non, nous donnons tout à la créature. Ce qui m'étonne c'est de voir qu'étant créées pour chose grande nous mettons toute notre capacité en bagatelle. Nous nous ravalons infiniment. Comme chrétienne et Fille du Saint Sacrement ayant un objet si divin et si aimable nous n'avons pas une assez haute estime de Dieu, ce qui met un grand obstacle à nos perfections.
n° 1240 Chapitre de Paix, dernier jour de 1672.
Il faut, pour bien faire, faire profession en considérant d'un côté la grandeur d'une obligation où nous nous engageons, et de l'autre côté notre incapacité, faiblesse et impuissance, mettre tout notre appui et notre confiance en Dieu, espérant qu'il nous fera la grâce d'être fidèle et de remplir nos devoirs, et ne faire aucun fond sur nous-même.
no 2127 Entretiens familiers.
Ce que je vous demande, c'est la fidélité à vos Règles et Constitutions... C'est à vous de les garder exactement dans toute la fidélité possible, vous n'avez que cela à faire, c'est ce que Dieu demande de vous ; c'est à quoi vous allez vous engager. C'est la Règle que Dieu vous donne et qu'il vous prescrit pour aller à lui.
no 2466 Conférence, du 13 octobre 1687.
Avez-vous bien compris ce que dit la sainte Règle ? Vous êtes-vous rendues bien attentives à la lecture que l'on vient de faire sur la pauvreté et sur le dépouillement qu'elle demande ? C'est quelque chose de quitter des biens, des richesses et des commodités pour se renfermer dans un cloître et n'en plus avoir l'usage : l'on pourrait dire, pourquoi cela ? Ne vaudrait-il pas mieux se les réserver et en faire des aumônes, visiter les hôpitaux et le reste des bonnes oeuvres auxquelles on les peut employer ?...
Si vous vous dépouillez de vos biens parce que vous croyez que vous devez faire ce sacrifice à Dieu dans le désir de vous rendre tout à lui et d'ôter tous les obstacles qui vous en pourraient empêcher, je vous assure que le sacrifice de vos volontés lui est bien plus agréable : c'est peu d'avoir quitté de grands biens, si l'on ne quitte sa liberté ; on la quitte bien en un endroit, mais on se la réserve en bien d'autres : sachez que si vous avez la moindre attache, vous ne donnez rien du tout. H est dur de se renoncer sans cesse, à tous moments, en tout lieu, en tout temps. Je voudrais même que vous disiez à toute heure : c'est pour plaire à Dieu et faire sa volonté. Que dit la sainte Règle ? Elle dit qu'ils ne feront point leur volonté, qu'ils n'auront point leur propre corps à leur propre disposition : perfection très grande et qui veut un dénuement prodigieux. Il y a de la peine au commencement ; mais il ne faut pas désister : la fin en sera douce par une sainte habitude.
no 53 Conférence.
0 mes Soeurs, vous êtes toutes remises en Dieu par vos professions, y avez-vous jamais bien pensé, l'avons-nous cru, en sommes-nous persuadées, nos coeurs sont-ils bien pénétrés de cette vérité que nous sommes toutes remises en Dieu ? Mais y avons-nous demeuré ?... Savez-vous bien que nous ne sommes plus à nous, nous sommes à Dieu par notre création, nous le sommes bien plus par notre baptême, mais doublement par profession religieuse, qui nous relie toute à Dieu et nous remet en Dieu. N'étant plus à nous-même nous n'en devons pas disposer ni nous approprier nous-même à nous-même, il faut que ce nous-même soit reporté en Dieu et qu'il y demeure.
no 1767 Conférence, 1687.
L'état d'une âme religieuse au jour de sa profession est un état de mort. Son année de probation a été une épreuve ou préparation à cette mort mystique, mais réelle et véritable, si l'âme se dispose à recevoir les grâces que Dieu y confère, car l'on tient que c'est un second baptême et que Jésus Christ, pour lors, revêt l'âme de sa vie divine pour être à l'avenir, lui seul, vivant et régnant en elle. Après que vous aurez prononcé vos voeux qui vous font mourir à tous vos sens par celui de chasteté, à toutes les créatures par celui de pauvreté, et à vous-même par celui d'obéissance, c'est par cette profession que vous êtes faite un Jésus Christ... pour laisser vivre Jésus Christ en vous, et pour en obtenir la grâce, unissez-vous bien d'intention et d'amour à la divine Marie ;'offrant à Dieu en sacrifice... Soyez fidèle à vos saintes Règles et Constitutions, c'est cela qui vous sanctifiera ; séparez-vous de tout ce qui peut troubler le repos de votre âme ; liez-vous à toute la communauté pour l'amour de Jésus Christ comme aux membres de son corps mystique dont vous faites une partie.
no 2097 A une novice de l'Institut.
152 CATHERINE DE BAR I A L'ÉCOUTE DE SAINT BEN011 153
J'estime que nous n'avons jamais pesé l'importance de notre voeu de conversion des moeurs qui nous oblige de tendre à la plus haute perfection. Hélas, que l'on sait peu ce que c'est de l'excellence de ce voeu. L'on conçoit quelque chose des voeux de pauvreté, chasteté et obéissance, mais de conversion de moeurs on n'y pense point, et c'est cependant le plus important. Quand on a rompu ou gâté quelque chose, on dit que c'est contre la pauvreté, et pourquoi ne disons-nous pas lorsque nous faisons quelque saillie, que nous adhérons à nos méchantes humeurs, à nos sentiments, que nous péchons contre notre voeu de conversion de moeurs, voeu qui contient une si haute perfection qu'autrefois l'on ne faisait profession que de stabilité et de conversion de moeurs, et ce voeu bien conçu et pratiqué a fait tant de saints...
On ne saurait être vraiment pauvre qu'en convertissant les moeurs, non plus qu'obéissante. Ah, que ce voeu est grand et sublime !...
Que croyez-vous que Notre Seigneur demande de nous lorsqu'il nous dit d'être parfaits comme notre Père céleste est parfait ? Ce n'est pas d'être parfait comme Dieu est parfait en soi-même, dans sa sainteté, son immensité et ses autres perfections, non, cela demande seulement nos adorations. Mais c'est d'être parfaits en notre état, notre vocation et notre grâce comme Dieu est parfait en soi-même et c'est ce que nous pouvons faire dans la pratique fidèle de notre voeu de conversion de moeurs qui ne laisse rien en nous qui ne soit tout converti en Jésus Christ. N'ai-je donc pas raison de dire que quasi personne ne sait en fond et par pratique l'importance de ce voeu ? Prions Notre Seigneur qu'il nous donne un petit rayon de lumière pour entrer dans la véritable pratique de ce voeu. Pourquoi pensez-vous que notre Père saint Benoît l'ait mis quasi le premier de tous et qu'il n'ait fait marcher devant, que celui de stabilité ? Ah ! mes Soeurs, que cela est mystérieux, stabilité, non, non, ne croyez pas pratiquer votre voeu de conversion de moeurs que vous ne soyez stables dans la résolution de faire mourir en vous toutes vos moeurs corrompues. Il faut donc être stabilisée en Dieu, stable dans la bonne mortification, stable et généreuse dans la destruction de notre amour propre.
no 413 Chapitre sur les voeux.
Il y a aujourd'hui tant d'années que vous prononçâtes vos voeux entre nos mains, et vous voudriez bien les renouveler. Faites-le comme si j'étais présente, et comme si c'était la première fois, vous immolant à la divine volonté pour user de ses droits sur vous et en faire ce qu'il lui plaira. Que votre voeu de chasteté soit pour ne point partager votre coeur, ni prendre aucune satisfaction ni complaisance qu'en Dieu seul, vous désappropriant de vous-même. Le voeu d'obéissance vous engage à une dépendance et soumission très grande à Dieu en toutes choses, ne vous laissant pas la liberté de faire aucun choix pour quoi que ce soit. Le voeu de pauvreté vous doit dépouiller de vous-même. Tous les jours quand vous les aurez prononcés, présentez-les à la sainte Mère de Dieu, et les mettez dans son divin coeur qu'elle les garde et vous donne la persévérance, dites-lui quelques prières pour cela, comme : «Sainte Mère de Dieu voilà mes voeux, je vous supplie en être la gardienne et me donner la grâce de persévérance». Que vous soyez donc aujourd'hui toute renouvelée.
no 534 A une Religieuse de Toul.
Je crois, mes Soeurs, que vous n'avez pas attendu à aujourd'hui à penser au renouvellement que vous allez faire de vos voeux, que vous vous y êtes préparées de longue main. Il est établi dans la Religion pour réveiller dans les âmes l'amour, la ferveur et la fidélité à notre vocation. Chacune doit s'examiner sur ses obligations pour voir si elle les a remplies, particulièrement sur les voeux et remarquer
les fautes qu'elle y a pu faire, et ce qui est la cause principale de ses manquements, afin de s'en séparer et retrancher avec courage et fidélité tout ce qui met
obstacle à sa perfection et qui l'empêche de remplir ses devoirs comme chrétienne et religieuse, y étant obligées par les promesses que nous avons faites à Dieu, tapt en notre baptême que par notre profession, où nous ratifions en face de l'Église, aux pieds des saints autels, avec une pleine connaissance, les promesses que nous avons faites à Dieu avant que d'avoir l'usage de raison par nos parrains et marraines. Nous y sommes par là doublement engagées, la vie religieuse est la perfection du christianisme.
n 950 Conférence sur la rénovation des voeux, 29 décembre 1694.
CHAPITRE LIX
DES FILS, SOIT DI. NOBLES, SOIT DI. PAUVRES,
QUI SONT OFFFRTS
Lorsqu'une personne de condition notable veut offrir son fils à Dieu dans le monastère, et si l'enfant est en bas-âge, ses parents rédigeront eux-mêmes la -pétition- dont nous avons parlé. Ils envelopperont cette charte et la main de l'enfant, avec l'oblation (pour k Sacrifice ), dans la nappe de l'autel et ils l'offriront ainsi.
Quant à leurs biens, ils promettront sous serment, dans la "pétition" même, de ne jamais rien lui en donner ni par eux-mêmes, ni par personne interposée, nid'aucune manière, ni même de lui fournir occasion d'en posséder, ou bien, s'ils ne veulent pas agir ainsi, et qu'ils aient cependant l'intention d'offrir quelque chose en aumône au monastère comme rétribution, ils en feront donation à la communauté, s'en réservant l'usufruit durant leur vie, s'il leur plaît. De la sorte, on fermera toute issue (sur le monde), si bien qu'il ne restera à l'enfant aucun espoir, qui ne servirait ce qu'à Dieu ne plaise qu'à le tromper et à le perdre, comme nous l'avons appris par l'expérience.
Les moins fortunés agiront de même. Ceux qui ne possèdent absolument rien, féront simplemen t la Promesse par écrit et offriront leur fils, avec l'oblation, en présence de
Je tâche de trouver un bon sujet qui puisse vous aider au choeur : j'en trouve assez qui chantent, mais quasi point, et je dois dire point, qui soient appelées de Dieu en Religion ; la pauvreté leur donne des vocations de nécessité et, au fond, il n'y a ni grâce, ni bénédiction. Priez Notre Seigneur de m'en faire trouver qui puissent remplir ses desseins, car, pour de l'argent, je ne leur en demande point.
no 921 A Mère Marie de Sainte Agnès Camuset, à Rouen, 12 avril 1679.
J'avais demandé au Seigneur... d'être en pouvoir de recevoir les filles sans exiger rien pour leur dot.
no 1936 Entretiens familiers, veille de la fête du Saint Sacrement, 1695.
154 CATHERINE DE BAR j A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 155
CHAPITRE LXI
COMMENT RECEVOIR LES MOINES ETRANGERS
Si un moine étranger survient d'une région lointaine et demande à demeurer, comme hôte. dans le monastère, on le recevra autant de temps qu'il le voudra, pourvu qu'il se contente de la vie qu'on r inène, et ne trouble pas la communauté par ses vaines exigences, mais simplement s'accommode de ce qu'il trouve.
Si ce moine venait à reprendre ou à remontrer quelque chose, et qu'il le fi't raisonnablement et avec l'humilité de la charité, l'abbé examinera l'avertissement avec prudence : car c'est peut-étre pour cela même que le Seigneur l'a conduit ici.
Que si, dans la suite, il y veut fixer sa stabilité. on ne s'y refusera point, d'autant plus qu'on a pu juger de sa manière de vivre durant son séjour en qualité d'hôte.
Mais si l'on a remarqué, durant ce temps, qu'il est exigeant ou vicieux, non seulement on ne l'agrégera pas au corps du monastère, mais on lui dira honnêtement de se retirer, de peur que sa misère ne contamine les autres. Si, au contraire sa conduite ne lui mérite pas d'être congédié, non seulement on l'admettra dans la communauté, sur sa demande, mais même on lui conseillera de s'y fixer, afin que son exemple édifie les autres ; parce que, en tout lieu, c'est un seul Seigneur que l'on sert, c'est sous un même Roi qu'on milite.
Mais que l'abbé se garde bien d'admettre jamais à demeure en sa communauté un moine d'un autre monastère connu. sans le consentement de son abbé ou sans lettres de recommandation : car il est écrit : "C'e que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui ."
Je puis vous assurer, Madame, que j'aurais la dernière joie si je pouvais contribuer 'a votre :itisfact ion touchant le désir que vous avez pris la peine de me mar-
quer, dans celle qu'il vous a plu m'honorer. Je vois bien que c'est une grande ardeur d'être plus parfaitement à Dieu qui vous fait désirer d'entrer dans une vie
plus austère, mais je doute fort, Madame, si Dieu en veut l'exécution. Il vous a mise dans un lieu si rempli de sainteté, et où vous pouvez si facilement vous sanc-
tifier que je craindrais que vous ne trouvassiez ailleurs bien plus d'obstacles. Ce qui me fait vous supplier, Madame, de ne point pousser votre résolution, d'autant qu'un changement pareil doit être immédiatement un pur effet de la grâce, bien connu et approuvé de Madame votre très illustre Abbesse, en qui Dieu a mis son esprit pour votre conduite, et pour connaître les voies par lesquelles il veut que vous remplissiez ses desseins. Pouvant vous assurer, Madame, que cette manière d'agir est selon l'Ordre et selon nos professions qui nous tient indispen-
sablement aux volontés de nos Supérieures. Cependant, Madame, je ne condamne point votre zèle, j'ai même sujet de l'admirer et de vous assurer que si Notre
Seigneur en veut l'exécution, qu'il en fera naître les moyens à votre consolation. Je continuerai à le présenter à Notre Seigneur, le priant de vous combler de ses grâces et de son Esprit.
no 1329 A une Religieuse d'Abbaye, 5 août 1680. CHAPITRE LXIII
DU RANG A GARDER DANS LA COMMUNAUTT
Les frères garderont dans le monastère le rang que détermine la date de leur entrée en religion, ou le mérite de leur vie et la décision de l'abbé. Celui-ci cependant ne troublera point le troupeau qui lui est confié, et ne prendra aucune disposition injuste comme s'il jouissait d'un pouvoir arbitraire. Il songera sans cesse au compte qu'il devra rendre à Dieu de toutes ses décisions et de tous ses actes.
Ainsi donc, c'est selon le rang qu'il aura établi, ou celui que les frères tiennent de leur entrée. qu'ils iront au baiser de paix et à la communion. cntonncmnt les p,aume, et prendront place au choeur. Nulle part, il n'y aura avantage ou préjudice du simple /ait de Iiige dans l'ordre à garder, puisque Samuel et Daniel, encore enfants, ont jugé di anciens.
Donc, à l'exception de ceu.v que, comme nous I.Q1.0118 dit. 1;abln: aura pruns, pour des motifs supérieurs, ou qu'il aura fait déchoir pour des raisons fondées., tous les autres prendront rang à dater de leur conversion : en sorte que, par exemple, celui qui sera entré au monastère à la seconde heure du jour, se reconnaîtra, quel que soit son àge ou sa dignité, le cadet de celui qui est arrivé à la première heure. Quant aux enfants, ils devront être maintenus dans la règle en tout et par tous.
Les plus jeunes honoreront donc leurs anciens ; et les anciens auront de l'affrction pour les jeunes. Lorsqu'ils se nommeront les uns les autres, il ne sera permis à personne de désigner quelqu'un par son seul nom, niais les anciens donneront aux plus jeunes le nom de Frères, et les jeunes à leurs anciens celui de Nonni , terme qui exprime la révérence à un père.
Quant à l'abbé, parce qu'il est censé tenir la place du Christ, il recevra l'appellation de
Dominus et Abbas, non qu'il se l'arroge de lui-même. mais à cause de l'honneur et de
l'amour dus au Christ. Aussi devra-t-il s'en pénétrer et s( rendre digne d'un pareil honneur.
Quand les frères se rencontreront, le plus jeune saluera son ancien en disant Benedicite . Si un ancien vient à passer, le plus jeune se lèvera, lui fera place pour s'asseoir, et ne se permettra pas de se rasseoir que son ancien ne l'y ait invité. On accomplira ainsi ce qui est écrit : "Se prévenir d'honneur les uns les (luth
Vous saurez ce que dit notre sainte Règle : de se prévenir d'honneur les uns les autres, et ailleurs que se rencontrant le plus jeune demandera la bénédiction à son ancien. Ce mot d'ancien se prend de deux sortes : la première, c'est que nous devons regarder pour ancienne celle qui est entrée en Religion avant nous quand ce ne serait que de deux heures ; l'autre, c'est que nous devons estimer anciennes toutes celles qui nous devancent en vertu. Or, comme nous devons croire qu'il n'y en a pas une qui ne nous surpasse en vertu, aussi il n'y en a point à qui nous ne devions respect comme à nos anciennes.
no 458 Conférence.
157
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT
CHAPITRE LXIV
DE L'ETABLISSEMENT DE L'ABBE
Dans l'établissement de l'abbé, on aura pour régie constante d'établir comme tel celui que toute la communauté, inspirée par la crainte de Dieu, aura élu d'un commun accord, ou même celui qu'aura choisi une partie de la communauté, quoique la moins nombreuse, pourvu que son jugement soit plus sage . Dans cette élection, on aura égard au mérite, à la sagesse et à la doctrine du candidat, quand bien même il occuperait le dernier rang dans la communauté .
L'abbé, une fois établi, devra penser sans cesse à la nature du fardeau qu'il a reçu, et à Celui à qui il devra rendre compte de son administration. Qu'il sache qu'il lui faut servir bien plus que dominer. Il doit donc être docte dans la loi divine, afin de savoir et d'avoir où puiser les maximes anciennes et nouvelles.
Qu'il soit chaste, sobre, indulgent : que toujours il préfère la miséricorde à la justice, afin d'obtenir pour lui-même un traitement semblable. Qu'il haïsse les vices, mais qu'il aime les frères.
Dans la correction même, il agira avec prudence et sans excès de crainte qu'en voulant trop racler la rouille, il ne brise le vase. Il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu'il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté. Et par là nous n'entendons pas qu'il puisse laisser les vices se fortifier, mais qu'il les détruise avec prudence et charité, en adaptant les moyens à chaque caractère, comme nous l'avons déjà expliqué.
Qu'il s'étudie plus à se faire aimer qu'à se faire craindre. Qu'il ne soit ni turbulent, ni inquiet ; qu'il ne soit ni excessif, ni opiniâtre ; qu'il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux sinon il n'aura jamais de repos.
Dans ses commandements, il sera prévoyant et circonspect. Dans les tâches qu'il distribuera, soit qu'il s'agisse des choses de Dieu, soit de celles du siècle, il se conduira avec discernement et modération, et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : "Si je ,fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront tous en un jour ."
Imitant donc cet exemple, et d'autres semblables, de la discrétion, cette mère des vertus, qu'il tempère tellement toutes choses que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne se dérobent pas.
Par dessus tout, qu'il observe tous les points de la présente Règle, afin qu'après avoir bien servi, il s'entende adresser par le Seigneur cette parole au bon serviteur qui avait distribué le froment, en temps opportun, à ses compagnons : "En vérité, je vous le dis, le Maitre l'établira sur tous ses biens ."
Si vous êtes seule dans la souffrance, vous n'êtes pas sans compassion et sans que l'on désire de vous pouvoir aider à soutenir ce que vous supportez. Je suis plus à vous que jamais. Si Notre Seigneur agréait de me rendre digne de vous soulager, ce serait de très bon coeur, usez de moi comme vous voudrez et si l'entretien vous sert de quelque chose, venez, je vous écouterai et vous dirai ce que Dieu me fera la grâce de me donner pour vous.
no 2718 A Mère Marie de Jésus Chopinel, rue Cassette.
Un des principaux devoirs imposés par la charité à la Mère Prieure, c'est, comme dit la sainte Règle,- de corriger ses Soeurs...
Notre glorieux Père veut que les supérieurs, quand ils sont obligés de corriger le fassent avec prudence et sans excès, de crainte, dit-il, que voulant trop ôter la rouille, ils ne viennent à rompre le vase.
Cérémonial.
158 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 159
La Supérieure usera de son autorité avec modération pour la rendre aimable et s'attirer le respect de ses Soeurs. Elle s'efforcera d'adoucir la peine que causent naturellement aux inférieures l'assujettissement et la dépendance.
Cérémonial.
Croyez, ma très chère Mère, que pour être Supérieure il ne faut pas croire qu'on le peut emporter sur les autres. Il faut souvent obéir au lieu de commander. Ne croyez pas vos propres lumières, ne croyez pas même que vos lumières soient de Dieu, vous tomberiez dans une étrange erreur.
Pour bien réussir dans la charge il y faut être sans prendre vie à quoi que ce soit, ne désirant que de faire régner Jésus Christ dans les coeurs, ne parler qu'en son esprit, et toujours se séparer de soi-même. C'est le vrai moyen d'attirer du Ciel les bénédictions sur la Mère et les Filles et sur tout le couvent.
n0 949 A la Mère Prieure de Varsovie, 6 juillet 1695.
L'amour que les religieuses doivent à la sainte Règle et aux Constitutions leur fait un devoir de les regarder comme le moyen le plus puissant qu'elles aient d'acquérir la vertu, d'opérer leur salut et de mériter la vie éternelle. Ce devoir est aussi imposé à la Supérieure ; mais il en est un qui l'emporte encore sur celui-là et qu'on peut regarder comme sa première obligation, c'est de veiller exactement à leur maintien et à leur entière observation. Dans l'ancienne loi, il était commandé à celui qui montait sur le trône d'écrire la loi de sa propre main et de la lire continuellement, afin d'apprendre à craindre le Seigneur et à garder ses ordonnances. C'est ainsi que la Supérieure doit étudier, méditer sans cesse, la Règle, les Constitutions et les règlements de la sainte Religion, et les avoir toujours présents à l'esprit. Qu'elle les regarde comme la lampe qui doit éclairer toute sa conduite, comme le guide qui doit diriger tous ses pas. Qu'elle demande à Dieu les lumières et les grâces nécessaires pour les bien pénétrer et se mettre en état d'en bien instruire les autres.
Elle considérera attentivement si la conduite de ses Soeurs est en tout conforme aux prescriptions de la Règle et des Constitutions, et, quand elle les trouvera en défaut elle sera soigneuse de les corriger avec prudence et charité : tout manquement de ce genre, si l'on n'y remédiait promptement, pourrait attirer beaucoup de mal à la suite.
Cérémonial.
Il est vrai que je ne réponds pas si vite que vous pourriez désirer, mais tôt ou tard, je n'y manquerai point, à moins d'être malade. Vous pouvez représenter vos surcharges à votre Supérieure, comme la sainte Règle le permet. Après, vous, devez vous en remettre à la Providence et, si l'on ne vous soulage pas, confiez-vous en la miséricorde de Notre Seigneur qui vous assistera sûrement, pourvu que vous receviez tout de sa sainte main, sans vous réfléchir sur les causes secondes. Couchez-vous, autant que vous pourrez, à l'heure, dans la vue de la volonté de Dieu et confiez-vous en sa bonté.
Oui, avec permission, vous pouvez vous lever un quart d'heure plus tôt que le couvent, pour un peu avancer le temps de l'oraison, mais quand vous vous trouvez mal, nous ne voulons point cela. Il faut prendre par obéissance ce petit soulagement.
Demandez-moi sur tout ceci ce que j'aurais manqué à vous répondre, car, comme je vous écris à plusieurs reprises, je m'oublie beaucoup. Mais prenez la peine de réitérer et me croyez en Jésus et sa très sainte Mère toute à vous.
no 489 A Mère Saint Placide, rue Saint Marc, Paris, 1683 (autographe).
Ne vous affligez pas de votre incapacité : Notre Seigneur vous fournira selon le besoin des âmes qu'il vous adresse ; ne vous découragez pas : quand il semble que nous ne disons rien qui vaille, c'est quelquefois alors que nous faisons le mieux... Il est vrai, très chère Mère, qu'après nous avoir bien fatiguées à parler, l'entretien n'a servi de rien ; mais nous faisons comme celui qui sème son grain ; il ne lui donne pas l'accroissement, il fait ce qu'il peut et Notre Seigneur fait le reste.
no 1147 A Mère Saint François de Paule, Prieure, Paris, vendredi 2 septembre 1695.
160 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 161
CHAPITRE LXV
DU PRIEUR DU MONASTERE
Il arrive souvent que l'établissement du prieur fasse naître de graves scandales dans les monastères. Il s'en trouve, en effet, qui, enflés d'un méchant esprit de superbe, s'imaginent être de seconds abbés, et qui s'attribuant une autorité sans contrôle, entretiennent des scandales et causent des dissensions dans la communauté. Cela se produit surtout en ces lieux où le prieur est établi par le même évêque ou par les mêmes abbés que l'abbé lui-même.
On voit aisément combien cette manière de faire est absurde. C'est elle qui, dès le moment de sa nomination, donne au prieur matière à s'énorgueillir. Elle lui suggère qu'il est soustrait au pouvoir de son abbé, puisque : "Toi aussi, se dira-t-il, tu as été établi par ceux-là mêmes qui ont institué l'abbé."
De là surgissent des jalousies, des conflits, des détractions, des rivalités, des cabales, les pires désordres. Or, si l'abbé et le prieur sont opposés de sentiments, il est impossible que, dans une telle discorde, leurs âmes ne se trouvent pas en danger. Ceux également qui vivent sous leur conduite, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, sont exposés à se perdre. De ce péril sont responsables au premier chef ceux qui se sont faits les auteurs d'un pareil dérèglement.
C'est pourquoi nous jugeons que, pour conserver la paix et la charité, il faut que le gouvernement de son monastère dépende entièrement de l'abbé. Si faire se peut, toute la marche du monastère sera assurée par des doyens, et cela selon les ordres de l'abbé, comme nous l'avons déjà dit. Les charges étant confiées à plusieurs, un seul n'aura pas l'occasion de s'énorgueillir.
Si toutefois le lieu rend un prieur désirable, ou si la communauté le demande pour un juste motif, et avec humilité, si l'abbé enfin le juge à propos, c'est ce dernier qui établira lui-même pour prieur celui qu'il aura choisi avec le conseil des frères craignant Dieu.
Le prieur exécutera avec respect tout ce que son abbé lui prescrira, sans jamais contrevenir à sa volonté et à ses ordres. Car, plus il est élevé au-dessus des autres, plus il doit observer consciencieusement les préceptes de la Règle.
Si ce prieur tombait dans quelque dérèglement, s'enflait d'orgueil, ou était convaincu de mépris pour la sainte Règle, on l'en reprendrait jusqu'à quatre fois. S'il ne s'amendait pas, on lui ferait subir la correction de la discipline régulière. Si par ces moyens il ne se corrigeait pas encore, on le déposerait de son rang de prieur, et on mettrait en sa place un autre qui en fût digne. Enfin, si après tout cela, il ne se montrait pas tranquille et obéissant dans la communauté, on le chasserait du monastère.
Que l'abbé cependant songe qu'il doit rendre compte à Dieu de toutes ses décisions, de crainte que le feu de l'envie ou de la jalousie ne vienne à brûler son âme.
La Mère Sous-Prieure lira souvent le chapitre LXV de la sainte Règle et la fin du même chapitre des Constitutions, qui parlent des devoirs particuliers de la Sous-Prieure. Elle les méditera devant Dieu, afin de les bien comprendre et de les remplir fidèlement. Elle tâchera d'acquérir par proportion les vertus et les qualités que saint Benoît demande de la Supérieure, et surtout une charité tendre et sincère qui s'étende à toutes ses Soeurs, sans exception, comme sans partialité. Qu'elle se souvienne surtout que, plus elle est élevée au-dessus des autres,
plus elle doit être fidèle à la Règle ; que notre glorieux Père saint Benoît veut qu'elle fasse avec respect les choses que la Mère Prieure lui enjoindra, sans con-
trevenir jamais à ses volontés et ordonnances : et que, comme on l'a déjà dit, c'est à elle à entretenir par son exemple le respect, l'attachement et la soumission que toutes les religieuses doivent à leur Supérieure.
Que jamais donc elle ne donne aucun avis, qu'elle ne fasse aucune proposition, quoique bonne en apparence, qu'elle n'introduise rien de nouveau, sans en avoir conféré avec la Mère Prieure. Lorsqu'elle entendra quelque plainte, qu'elle verra quelque mécontentement, elle se hâtera de l'en avertir, afin de détourner le mal avec elle et de fortifier le bien. On ne saurait dire tous les maux qu'elle prévien-
dra par cette conduite. Il faudrait savoir pour cela combien d'Ordres et de monastères le démon a renversés au moyen d'une conduite contraire.
Cérémonial.
Ainsi ume d'esprit et de coeur avec la Mère Prieure, la Sous-Prieure fermera l'accès à un des plus grands maux qui se puissent glisser dans les communautés. Lorsque les Supérieures d'une maison ne s'entendent pas, qu'elles ont, même innocemment, des sentiments et des inclinations qui diffèrent, que l'une improuve et rejette ce que l'autre affectionne, on voit les Soeurs se diviser à leur exemple, et former des partis différents. L'union des Supérieures prévient ce malheur. Comment en effet les Soeurs formeraient-elles des partis et partageraient-elles leurs affections, lorsqu'elles ne trouvent qu'une même âme dans la Mère Prieure et la Sous-Prieure.
Cérémonial.
Je ne laisse pas de vous plaindre et de vous compatir, je sais que vous souffrez, et la chère Mère Prieure, qui a le pauvre coeur rempli d'une très grande amertume. Je prie sans cesse Notre Seigneur qu'il lui plaise la fortifier ; la croix est assez forte pour la terrasser, si la grâce ne la soutenait. Vous faites bien, très chère, de lui épargner tous les chagrins que vous pouvez. Tâchez de la bien conserver, et consultez les médecins pour son carême, je ne la crois pas capable de le faire, prenez conseil de bonne heure.
n 3136 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, ce mardi soir 28 février 1696.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 163
162 CATHERINE DE BAR
CHAPITRE LXVIII
CHAPITRE LXVI
DU CAS OU L'ON ENJOINDRAIT A UN FRERE DES CHOSES
DES PORTIERS DU MONASTERE
A la porte du monastère on placera un sage vieillard, qui sache recevoir et rendre un message : sa maturité le préservant de courir çà et là.
Le portier devra avoir sa cellule près de la porte, afin que ceux qui surviennent trouvent toujours à qui parler. Et aussitôt qu'on aura frappé ou qu'un pauvre aura appelé, il dira Deo gratias ou Benedic. Puis, dans toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu, il s'empressera de répondre avec une charité fervente.
Si le portier a besoin d'aide, on lui donnera à cet effet un frère plus jeune.
Et nous voulons que cette Règle soit lue souvent en communauté afin qu'aucun frère ne s'excuse sous prétexte d'ignorance.
Nous ne saurions rien ajouter à ce que dit notre glorieux Père saint Benoît des qualités nécessaires au portier. On choisira pour cet emploi des personnes qui puissent remplir ses intentions, qui soient sages et discrètes, qui gardent l'entrée du cloître, comme le chérubin, dont parle l'Ecriture, gardait l'entrée du paradis terrestre.
Coutumier. IMPOSSIBLES
S'il arrive qu'on enjoigne à un frère des choses difficiles ou impossibles, il recevra en toute mansuétude et obéissance le commandement qui lui est fait. Cependant, s'il estime que le poids du fardeau dépasse entièrement la mesure de ses forces, il représentera au supérieur les raisons de son impuissance, mais il le fera avec patience et à propos, et sans témoigner ni orgueil, ni résistance, ni contradiction. Que si après cette représentation le supérieur maintenait son ordre, l'inférieur se persuadera que la chose lui est avantageuse, et il obéira par amour, en mettant sa confiance dans l'aide de Dieu.
n ne contrevient pas au voeu d'obéissance pour représenter ses pensées, ses sentiments et ses difficultés sur les choses ordonnées, comme la Règle le per-
met en la manière marquée au chapitre LXVIII.
Journée religieuse.
Ce qui est impossible à la nature, Dieu le peut, mais par une grâce suprême, il faut que les entre-deux soient ôtés.
no 345 A la comtesse de Châteauvieux.
Le démon nous trompe souvent sous prétexte de perfection. Faisons notre Règle et conformons-nous aux louables coutumes de la Religion. Que dit la Règle ? Que l'on obéira jusqu'à l'impossible, perfection très grânde. Qu'est-ce à dire, Règle ? Cela veut dire que c'est le chemin que vous devez suivre pour vous rendre à Dieu. Exemple : une personne, un maître apprend à écrire à un enfant, si vous voulez ; il lui tire un trait et lui dit : voilà votre règle, suivez-là et vous irez droit ; n'allez pas de côté, mais allez sur votre règle et vous irez bien. Voilà notre chemin, marqué de Dieu pour aller à lui, il le faut suivre sans se détourner ; car de vouloir faire comme les Carmélites, les Récollettes, ainsi des autres, ce serait se fourvoyer, c'est leur sen-
164 CATHERINE DE BAR
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 165
tier par lequel elles se sanctifieront, mais non pas vous qui avez l'honneur d'étre Filles de saint Benoît.
Pourquoi dit-on qu'on a vocation pour une telle Religion ? C'est que Dieu veut attirer cette âme par ce sentier dans la pratique de la Règle qui s'y observe.
n° 2314 Chapitre du 2 octobre ' ,71
•
Abandonnez-vous une bonne fois et surtout détruisez votre amour propre. Demeurez dans la parfaite obéissance ; autrement vous ne ferez rien qui ne soit à la ruine de votre perfection. Obéissez ponctuellement à notre bonne Mère Prieure, quand vous en devriez mourir de répugnance. Voilà la bonne perfection.
n 637 A Mère Marie de Jésus ('hopinel, Caen, ce 21 août 1648.
Si ce que l'on vous donne à faire surpasse vos forces, dites-le bonnement et humblement à la Mère Prieure, sinon recevez tout en silence avec humble soumission à Dieu, qui veut cela de vous.
no 3163 A Mère Saint Placide, rue Saint Louis, Paris, 1685 (autographe).
Si l'on avait inclination ou rebut pour un emploi, une charge, ou office, il n'est pas nécessaire de faire connaître l'attache ou l'inclination que l'on y pourrait avoir, mais se laisser à la divine Providence, et si cette charge que l'on aime vous est donnée, priez Notre Seigneur vous faire la grâce de n'y point suivre votre inclination.
no 817 A Mère Saint Placide, ce 24 juillet 1693.
CHAPITRE LXX
QUE NUL NE SE PERMETTE DE CORRIGER A TOUT PROPOS
Il faut éviter dans le monastère toute occasion de présomption . aussi ordonnons-nous qu'il ne sera permis à personne d'excommunier ou de frapper l'un de ses frères, à moins qu'il n'en ait reçu pouvoir de l'abbé.
Ceux qui commettront des fautes seront repris devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. Les enfants, jusqu'à l'âge de quinze ans, seront sous la garde et la surveillance de tous les frères ; mais cette vigilance s'exercera avec mesure et intelligence. Quant à celui qui se permettrait, sans l'ordre de l'abbé, de réprimander d'une façon quel conque les frères plus âgés, ou qui corrigerait les enfants sans discrétion, il serait soumi. à la discipline régulière, car il est écrit : "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pa: à autrui ".
Comme Jésus Christ doit être notre unique modèle en toutes choses il faut les faire en sa sainte Présence... Nos Soeurs doivent être sociables les unes envers les autres, fort humbles, céder toujours, sans jamais contester. L'on ne doit jamais dire ses sentiments sur l'humeur et les façons de faire des unes des autres ; jamais railler et se moquer de ses Soeurs. Jamais les mépriser, Dieu ne le peut souffrir. Jamais les rebuter, ni contrister... Il ne faut jamais interpréter mal les actions, et les paroles de ses Soeurs, ni en porter jugement. Il faut toujours excuser les autres, et s'accuser soi-même... Il faut que leurs paroles adorent la Parole éternelle, et que parlant entre vous, mes Soeurs, vous parliez comme les anges et les saints, afin que votre conversation soit telle que saint Paul le désire.
Le Véritable Esprit, 1683.
Nos Soeurs ne se reprendront jamais les unes les autres d'aucune faute qu'elles se verront faire, si elles n'en ont ordre ; autrement cela serait contre le respect qu'elles se doivent, et contre l'humilité, qui ne vous permet pas de vous établir les supérieures de vos Soeurs.
Journée religieuse.
A l'orgueilleuse, il ne faut qu'une parole par mégarde, un geste sans dédain, c'est assez, on en fait une pièce de cabinet, on la met dans son coeur ; l'imagination s'en entretient. Voilà une belle pièce précieuse et un bel habillement pour en faire tant de cas ! Ce n'est pas tout, on la conserve dans un coin à part et dans l'occasion on la trouve pour dire qu'on s'en souvient bien. Mes Soeurs, le meilleur secret, c'est d'oublier tout ce qui choque nos sens et notre esprit, ne jamais garder volontairement ce qui nous aura causé quelque peine, oubliez-la et ne vous en souvenez jamais ; que si elle se présente, et vient rôder autour de vous, négligez-en le souvenir. Cela est étonnant qu'on oublie bientôt le bien qu'on nous fait, mais non pas quelque petite déplaisance. Je sais que vous vous aimez toutes ; que vous vous rendriez service si l'occasion se présentait et que vous le faites tous les jours dans les rencontres journalières, néanmoins on oublie tous ces bienfaits et une parole qui blesse en apparence, on la conserve et on en fait
166 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 167
son trésor ; on la met dans son magasin. Que si on s'est tue par vertu lorsqu'elle a été dite, on en fait cent tours et cent détours dans son imagination pour se justifier par après. Il faut faire voir qu'on n'est pas bête, qu'on a du sens, que si l'occasion se présente on se gardera bien (della laisser échapper. On dit : «Je m'en souviens» et je ne l'oublie pas vingt ans après.
Et si Dieu se souvenait ainsi de nos péchés où en serions-nous ? Il dit que nous serons mesurés de la même mesure que nous mesurons les autres. Faites un petit examen là-dessus, et vous trouverez bien des choses à corriger. Dieu dit que le pécheur qui aura un véritable regret de ses péchés qu'il ne s'en souviendra jamais. Il les consume dans le feu de sa charité. Ha ! l'aimable parole ! Qu'il ne s'en souviendra jamais ! C'est lui-même qui le dit : ce ne seront point nos péchés passés qui nous damneront, non, mais les actuels qu'on est en volonté de faire.
n° 1640 Entretiens sur une lecture faite en commun Où il était parlé de l'humilité.
CHAPITRE LXXI
QUI LES I. RF RI. S S'OB l'ISSU N'I 1,1E:TU1..111- MI- NT
Ce n'est pas seulement à l'abbé que tous les frères doivent rendre le hien de l'uhei^sance il faut encore qu'ils s'obéissent les uns aux autres. Ils sauront que c'est par ucti, voie de lbbéissance qu'ils iront à Dieu.
Plaçant ayant tout les ordres de l'abbé et ceux des officiers qu'il a établis ordres au.v-
quels nous ne permettons pas de préférer les directives d'origine privée toit\ le^ plus
jeunes obéiront pour le reste à leurs anciens, en toute charité et empressement.
S'il se rencontre quelqu'un qui ait l'esprit de contention, il sera chatié.
Lorsqu'Io; frère est repris par l'abbé ou par un supérieur quelconque en n'importe quelle manière, et pour une cause même de peu d'importance. s'il s'aperçoit alors tant soit peu que l'esprit de ce supérieur est irrité contre lui ou émoi ffloique légèrement, il se prosternera aussitôt par terre. à ses pieds, pour faire satisfaction jusqu'à ce que la bénédiction qu'on lui donnera ait fait connaître que l'émotion est calmée. Si quelqu'un dédaigne d'en agir ainsi, il sera soumis à un châtiment corporel, et, s'il demeure opiniâtre. il sera expulsé du monastère.
Toutes les fois qu'elles seront reprises par la Supérieure, elles se mettront à genoux sans rien dire.
Journée religieuse.
Et puisque selon les Constitutions, les Conseillères peuvent donner aux Soeurs des avertissements charitables, elles doivent les recevoir avec humilité, se mettant à genoux, comme dit la sainte Règle, ne se relevant pas qu'on ne leur dise.
Journée religieuse.
Saint Benoît pousse l'obéissance si loin qu'il veut que l'on aille jusqu'à l'impossible, et il ne se contente pas que l'inférieur obéisse aux supérieurs, il ordonne de plus que les inférieurs s'obéissent mutuellement.
110 n 950 Conférence sur le renouvellement des vœux, 1695.
Vous devez être comme un morceau de cire dans les mains de l'obéissance pour faire ce que l'on vous dira, non seulement de vos Supérieures, mais de vos Soeurs que vous devez respecter... Souvenez-vous que vous n'êtes plus à vous et que vous ne devez plus rien rechercher pour vous. Marchez donc sans plus vous regarder et sans vous séparer des desseins de Jésus Christ.
no 3024 A une Religieuse, rue Cassette.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 169
CHAPITRE LXXII
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2.fenaellerie etnsjir-e-t-e-
,asele 5 4,-3 Jetairis
DU BON ZELE QUE DOIVENT AVOIR LES MOINES
Comme il y a un zèle d'amertume, mauvais, qui sépare de Dieu et conduit en enfer, de même il y a un bon zèle qui éloigne des vices, et conduit à Dieu et à la vie éternelle. C'est le zèle que les moines doivent pratiquer avec une ardente charité, c'est-à-dire ils s'honoreront mutuellement de leurs prévenances. Ils supporteront très patiemment les infirmités d'autrui, tant celles du corps que celles de l'esprit. Ils s'obéiront à l'envi les uns aux autres. Nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui. Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle. Ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour ; ils auront pour leur abbé une dilection humble et sincère. Ils ne préfèreront absolument rien au Christ, lequel daigne nous conduire tous ensemble à la vie éternelle.
Il faut de la ferveur. Tâchez d'être toutes plus ferventes les unes que les autres. Sans ferveur vous ne ferez rien. Je n'entends pas cette ferveur qui fait courir avec précipitation pour se devancer au choeur ou à l'office ; ce n'est point là la ferveur. Elle consiste en une grande exactitude à l'observance de notre sainte Règle, en une obéissance perpétuelle aux supérieures et en une charité, union, douceur et condescendance entre nous, afin qu'étant toutes membres d'un même corps, nous soyons un en Jésus Christ.
no 3102 Conférence.
Le corps de Jésus Christ est son Église, dont nous sommes membres. Le Père éternel nous a oints de la même onction qu'il a oint son propre fils, et notre baptême est le baptême de Jésus Christ. Par le baptême, nous sommes morts, avec Jésus, transformés en lui de manière que nous ne devons plus paraître, mais être toutes perdues et cachées en Jésus Christ.
Étant convaincues de cette vérité, vous ne devez jamais entre vous, vous regarder humainement...
Vous ne devez voir que Jésus Christ dans vos Soeurs, les regardant comme ses bien aimées, en qui il prend ses complaisances, destinées à le posséder éternellement dans la gloire. Vous aurez, dans cette vue, les unes envers les autres du respect, de l'estime et de la charité, vous n'y verrez rien humainement.
no 3157 Conférence, 11 mai 1695.
Soyez tendre aux souffrances du prochain et ne pouvant les aider dans leur pauvreté et leur affliction, prions pour eux.
L'esprit de Jésus inspire cette charité, il embrasse tout et veut faire du bien à tous.
Hélas ! si les pauvres affligés savaient bien faire usage de leurs croix, ils se sanctifieraient. Demandez pour eux cette grâce.
no 2749 A une Religieuse de Toul.
Il ne faut autre vie, ni autre coeur dans cette maison que le coeur et la vie de Jésus Christ... Nous ne devons voir en toutes choses que Jésus Christ, c'est notre
170 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 171
exemple et notre modèle. Imitons sa douceur, son humilité, sa condescendance et patience envers le prochain.
n 337 Chapitre, dans une nouvelle maison.
Cédez toujours ! Mais si je cède aujourd'hui il me faudra encore plus céder demain ! Qui se fait la brebis, le loup la mange ! Oh ça ! dites un peu combien de pistoles vous avez gagnées quand vous vous êtes bien soutenue dans les créatures ? Vous me direz : je n'en gagne pas, mais je me satisfais... Croyez-moi, vous ne gagnerez rien, qu'en cédant toujours.
n0 n 74 a Entretiens familiers.
Il ne faut jamais soutenir son sentiment après l'avoir dit. Si l'on persiste, au contraire, il faut céder incontinent.
no n 976 Diversités spirituelles.
Ne vous amusez point à la causerie et à communiquer l'une à l'autre vos scrtiments, vous savez combien cela est contraire à la charité, et aussi comme L4 rapports sont pernicieux et qu'ils la brisent entièrement. Donnez-vous à vous-même la douceur et la satisfaction d'une sainte paix et union.
no 2028 A une communauté (Toul ou Saint Louis).
Ne regardons jamais aux autres ; voici un point de grande importance. Ne méprisons jamais personne, quoique, selon le monde l'on soit de moindre condition que vous, car à présent que vous avez l'honneur d'être professes, il n'y a plus de différence : vous êtes toutes égales, puisque vous êtes toutes remises en Dieu, comme je disais l'autre jour. Et ne jugeons [pas], car cela n'appartient qu'à Dieu qui est le seul qui puisse juger avec vérité, car nous ne voyons que l'extérieur et souvent une action qui paraîtra mauvaise en apparence, ne le sera pas en effet, car il n'y a que l'intention qui fait le péché. Et qu'une âme, à la mort, aura de consolation quand elle dira à Notre Seigneur : «Ne me jugez point parce que je n'ai pas jugé». Ah ! mes Soeurs, quel bonheur pour une âme quand elle peut dire cela avec vérité, et quelle assurance que d'avoir les promesses de Jésus Christ pour caution ! Faisons en sorte que cela soit.
no 2362 Chapitre aux novices, 1687.
Nos Soeurs se parleront toujours fort civilement, sans se tutoyer, ni user de termes trop libres, ni contester entre elles, prenant garde surtout de ne se dire jamais de paroles rudes, ni rien de mortifiant...
Les Soeurs du Noviciat seront fort respectueuses envers les Mères de la Communauté.
La charité que nos Soeurs doivent avoir les unes pour les autres les doit porter à s'entraider.
Journée religieuse.
Je vous conjure et vous exhorte de toutes mes forces de conserver cette union et charité, car, mes Soeurs, si vous êtes dans la charité et que vous vous aimiez les unes les autres Notre Seigneur ne vous délaissera pas, il versera sur vous ses abondantes bénédictions, et vous donnera un grand secours que vous n'espérez pas.
n° 2000 1.intretiens familiers, 30 avril 1695.
L'on a coutume aussi de finir l'année par un exercice d'humilité et de charité, se demandant pardon les unes aux autres, vertu de charité que je vous recommande ou plutôt que Dieu vous ordonne par ma bouche. Ne dites jamais vos sentiments sur l'humeur ni sur la façon de faire de votre prochain directement ni indirectement. car ces sortes de libertés sont la peste de la Religion : cela détruit entièrement la charité et l'union sans laquelle les monastères ne sont plus que désordre et confusion. En matière de charité il n'y a rien de petit, tout est grand et considérable et Notre Seigneur nous l'apprend dans l'évangile lorsqu'il nous
dit que quiconque offense son prochain l'a touché à la prunelle de Ecoutez
la mesure que Notre Seigneur donne à l'amour que nous devons avoir pour notre prochain : c'est de l'aimer comme nous-même en sorte que nous le devons traiter comme nous voulons être traité. Nous lui devons procurer le bien que nous nous souhaitons à nous-même : et quand vous voudrez dire quelque chose de votre prochain, faites réflexion si vous voudriez qu'on en dit autant de vous ;cette pratique vous retiendra infailliblement. Que tout le monde soit en sùreté avec vous. Une autre considération qui vous doit retenir, c'est que les fautes contre le prochain sont presque toujours irréparables, quelque bonne volonté que vous en ayez. Cette parole de mépris, ce sentiment que vous avez communiqué à cette personne s'est imprimé si fort dans son esprit qu'il ne lui est plus possible de l'oublier ni de l'effacer, quoi que vous puissiez dire.
no 2383 Chapitre, dernier jour de l'année.
Ayez un grand amour les unes pour les autres, en sorte que vous ne soyez toutes qu'un coeur et un esprit. C'est la prière que Jésus fit à son Père un peu auparavant sa mort, disant : «Mon Père, faites qu'ils ne soient tous qu'un comme vous et moi sommes un». O union admirable !
Il veut, mes Soeurs, que cette charité soit établie parmi vous. Elle y est déjà, mais pas dans la perfection qu'il souhaite. Travaillez-y, je vous en conjure. Ne dites jamais rien de vos Soeurs qui les puisse tant soit peu altérer. C'est une vertu délicate que la charité : il ne faut souvent qu'une parole pour la blesser.
no 2641 Chapitre du 2e vendredi des Avents, 1663.
Aimez vos Soeurs d'une sainte cordialité et voyez-les toujours en Dieu, jamais ne les contristez, ni contrariez volontairement ; servez-les avec douceur, humilité et charité, et non humainement, mais comme membres de Jésus et comme ses épouses. Portez grand respect à vos supérieures qui vous tiennent la place de Dieu.
no 1955 A une jeune Religieuse, rue Cassette.
172 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 173
Ne rebutez point, soyez douce et condescendante, faisant service à toutes comme à Jésus Christ, et, quoique votre trait semble vous séparer, il ne faut pas se rendre insupportable ni à charge. La raison de ceci est que notre sainte Règle veut qu'on ne soit point la croix de son frère, et que l'on se prévienne l'une l'autre ; que l'on s'entresupporte autant qu'il est possible, parce que vous n'êtes pas érémitique, mais conventuelle. Donc il faut vivre dans la pureté et sainteté de cet état ; et cela se peut sans sortir de notre désert, en vous accoutumant à voir Jésus Christ dans nos Soeurs, à les aimer et servir comme Jésus Christ.
n 456 A une Religieuse, rue Cassette.
Soyez douces et charitables dans les récréations, sans vous choquer l'une l'autre, conservant la paix. C'est ce que je vous recommande. Ne sortez point de la petitesse pour dire des paroles fières, car si vous ne conservez l'humilité vous sortez de l'état de victime et vous vous éloignez de la ressemblance à Jésus Christ immolé, sacrifié et anéanti sur l'autel. Encore une fois, je vous le répète, soyez douces, charitables et humbles : ce sont les vertus d'une victime du Saint Sacrement.
n 2663 entretiens familiers.
Notre disposition pour bien commencer cette année sera de faire une sérieuse réflexion, qu'étant toutes membres d'un corps, une religieuse qui fait une infidélité, blesse toutes ses Soeurs pour la liaison qu'il y a les unes aux autres et une ne peut commettre une faute, sans y intéresser toute la communauté.
Mes Soeurs, concevez bien l'importance de vivre en paix, union et charité, les unes entre les autres ; je le répète souvent..., : «Alter alterius onera portate et sic adimplebitis legem Christi», dit saint Paul. Supportez-vous les unes les autres en la charité de Jésus Christ...
La liaison des membres est si étroite que l'un se ressent de la douleur de l'autre, du moins il s'efforce à la secourir. Si on se blesse au pied, aussitôt le corps se courbe, les yeux le regardent, la main le touche, tous les membres se portent à le soulager et donner leur assistance. Ainsi, si une de nos Soeurs est malade, que chacune l'assiste, l'une pour l'excuser, l'autre pour prier, la compatir, supporter ses faiblesses : c'est ce que vous devez faire. Je parle de la maladie spirituelle comme la plus importante. Allez en paix. Priez bien les unes pour les autres.
n 1240 Chapitre de paix, dernier jour de 1672.
Je vous avoue que je fus touchée le Jeudi Saint entendant comme saint Jean nous décrit l'amour que Jésus recommandait à ses disciples d'avoir les uns pour les autres.
Il semble qu'il n'avait pas tant à coeur, l'amour que l'on doit avoir pour lui, comme celui qu'il veut qu'on ait pour le prochain... Ne vous étonnez donc pas si je réitère si souvent que vous vous aimiez les unes les autres... Oh ! mes Soeurs, il faut que votre amour parte du coeur, c'est peu de l'apparence ; «si votre justice, dit Notre Seigneur, n'excède, ne surpasse celle des pharisiens, vous n'entrerez pas au royaume de Dieu»...
Notre Seigneur hait infiniment le péché, mais il aime le pécheur. Il le reçoit à sa table, il convie au banquet les pauvres, les boiteux, les aveugles, et ainsi nous devons aimer nos Soeurs. Ne nous arrêtons pas à leurs défauts, et à leurs misères. Les plus faibles sont celles pour qui nous devons avoir plus de tendresse à l'exemple de notre divin modèle Jésus Christ au très Saint Sacrement où il exerce une charité infime envers nous.
n 2887 Chapitre d'après Pâques.
Je vous exhorte donc, comme saint Jean faisait à ses disciples, de vous entr' aimer les unes les autres. Je vous avoue que je donnerais volontiers ma vie pour que Notre Seigneur soit glorifié dans cette maison et qu'il y trouve sa complaisance. Moyennant qu'il soit content, tout le reste ne m'est rien et je puis assurer qu'il le sera pleinement lorsque la charité sera bien établie dans nos coeurs.
n 1526 Diversités spirituelles.
Hors d'une vraie et sainte union de coeur et d'esprit l'on ne peut réussir. Je vous prie, mes très chères Mères, de bien tenir la main à cette union, autrement le démon renverserait toujours le bien que vous tâcheriez de faire. Vous commencez et commencez donc en bénédiction par cette parfaite charité qui règne et qui doit régner parmi vous. Prenez bien garde à retrancher les fautes qui se commettent contre la charité, surtout les rapports qui sont des pestes qui détruisent cette sainte vertu.
n 801 A trois Religieuses de Pologne, 1695.
Nous devons examiner (souvent) nos paroles.
Combien en disons-nous contre la charité ? Par la réflexion que nous y ferons, nous verrons que nous avons manqué de circoncire notre langue et à mortifier nos sentiments. Retranchons ces sentiments, mes Soeurs, aussi bien que nos paroles, et que l'on n'entende plus parmi nous [de paroles] opposées à la charité. Ne condamnons et ne biaiuons personne, mais excusons cc gui nous paraît défectueux dans notre prochain. Ce sera le moyen de conserver la paix que je ne saurais trop vous recommander, tant elle est nécessaire. Je ne dis pas la paix avec Dieu comme la possèdent les âmes qui ont la conscience pure (je ne doute pas que vous ne l'ayez), ni même celle dont jouissent les âmes les plus saintes ; mais je dis la paix que nous devons avoir ensemble, qui entretient l'union des coeurs et qui fait que l'Esprit de Dieu nous anime et nous donne véritablement cette paix qui nous fait posséder Dieu dans l'intime de notre âme où il fait sa demeure.
no 2660 Chapitre, 1693.
Demandez-vous donc pardon l'une à l'autre mais avec esprit et de bon coeur. Quelqu'une dira peut-être : «Je ne sache pas avoir offensé une de mes Soeurs». A la bonne heure ! Mais savons-nous bien que l'on offense en diverses manières ? Ce n'est pas toujours en querellant et contestant, cela ne se voit point en Religion, ce serait une chose horrible, nous offensons nos Soeurs lorsque nous ne leur donnons pas bon exemple... Voyez si vous avez un coeur de charité pour vos Soeurs...
174 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 175
Voyez ce que nous devons à nos Soeurs et comme nous avons bien sujet de leur demander pardon pour ne leur avoir point donné bon exemple et d'avoir arrêté par nos infidélités le cours de grâces que Dieu aurait versé sur la Communauté.
n 219 Chapitre, dernier jour de l'année.
C'est une maxime véritable que tout ainsi que nous traitons notre prochain, nous sommes traités de Dieu. Recevez cette parole, non de moi, mais de la vérité éternelle qui dit que : <<Que nous serons mesurés de la même mesure que nous mesurons autrui». Et il est certain que si nous avons de la douceur, de la compassion et de la condescendance pour nos Soeurs, Dieu en aura pour nous... Par des dispositions contraires à la charité, nous nous retirons de l'effet de la prière de Jésus Christ, Notre Seigneur. Car sa prière est toujours efficace, et tout ce qu'il a demandé pour nous à son Père lui est accordé. Or il lui demanda la veille de sa mort que tout, ainsi qu'il n'était qu'un avec Lui, que, de même, tous les siens ne fussent qu'un entre eux ; et c'est dire par nos actions : «Je ne veux point de la prière de Jésus Christ», lorsque nous conservons des sentiments, voire une pensée contre la charité. 11 ne faut donc être qu'une âme et qu'un coeur. Mais quel sera ce coeur ?... Ce sera celui de Jésus Christ qui doit être notre coeur. Vous me direz et pourquoi pas celui de la sainte Mère de Dieu puisqu'elle est notre Mère et Supérieure ? C'est qu'elle n'en a point que celui de son Fils...
Mais si cette union est pour tous les chrétiens, à plus forte raison pour nous qui sommes ou nous disons Filles du très Saint Sacrement qui est un sacrement d'union et de charité.
Nos coeurs sont faits pour aimer ; ils ne sauraient vivre sans amour. Il faut donc renoncer à nous-même et à l'amour de notre propre esprit, pour n'aimer que par la charité de Jésus Christ, et, ce faisant, je vous promets que vous deviendrez des Jésus Christ.
110 217 Chapitre
Je vous recommande toujours la parfaite union qui ne se peut conserver que par une profonde humilité. Si vous avez ces deux points vous triompherez de l'enfer et par conséquent de tous vos ennemis.
Ne soyez donc jamais divisées, quelques choses qui vous puissent arriver, soit par tentation, par antipathie ou par dégoût.
Vivez dans cette paix divine qui vous unit ensemble par l'Esprit Saint de Jésus Christ.
n 117 A la Communauté de Varsovie, 8 septembre 1687.
Entr'aimez-vous les unes les autres, que chacune contribue de son côté à maintenir dans la Communauté la paix et l'union ; comme vous ne faites toutes qu'un corps, qu'il n'y ait de même entre vous qu'un coeur et qu'un esprit, qu'il n'y en ait jamais d'autre qui y règne que celui de Jésus Christ... Prenez toujours tout en bonne part et excusez plutôt que de condamner ; que chacune prenne à tâche de ne plus dire ses sentiments ; la charité y est presque toujours intéressée ; si on pensait bien que le prochain dont on parle est aussi cher à Dieu que la prunelle de qu'il est le prix du sang de Jésus Christ, on prendrait plus garde
à ne rien dire qui lui puisse faire peine, parce que Dieu même s'en tient offensé... L'union des coeurs est la vertu et la grâce de Jésus Christ.
no 950 Conférence, 1695.
Puisque selon l'esprit de notre sainte Règle, les Supérieures tiennent la place de Jésus Christ dans le monastère, nos Soeurs seront très exactes au respect et à la soumission qu'on leur doit. Notre grand Patriarche veut qu'on les aime d'un amour humble et sincère... Nos Soeurs aimeront donc leur Supérieure suivant la sainte Règle, parce qu'elle leur tient la place de Dieu... Il faut enfin que par leur amour et soumission envers la Supérieure, elles tâchent de soulager et adoucir le poids de la charge au lieu de l'augmenter, car elle expose son salut pour celui de ses Filles, et elle travaille incessamment devant Dieu pour leur salut...
Journée religieuse.
Vous avez une bonne Mère Prieure à qui Dieu donne toutes les lumières nécessaires pour vous conduire à la perfection de votre vocation. Suivez ses conseils, ouvrez-lui votre coeur. ayez une entière confiance en sa bonté et charité. Elle aime tendrement votre âme, vous trouverez en elle tout ce que vous aurez besoin pour aller à Dieu.
n 710 A une Religieuse de Toul.
Vos supérieurs ne les regardez jamais humainement. Ne regardez en eux que l'autorité de Dieu duquel ils vous tiennent la place. Obéissez-leur et regardez leur volonté, leur commandement, comme vous feriez ceux de Dieu. Ne les regardez jamais sans regarder Dieu en leur personne, quand bien même vous y verriez mille défauts, que cela ne diminue point le respect et la soumission que vous devez avoir. Si vous pratiquiez ce que je vous dis, Dieu vous bénirait. Vous ne devez pas même regarder leurs vertus si elles en ont, car du moment que vous regardez en elles autre chose que Dieu, ce n'est plus Dieu que vous regardez. Il faut encore moins s'arrêter aux antipathies, à un je ne sais quoi qui nous déplaît et qui nous ôte la cordialité et la confiance que nous y devrions avoir. Voilà ce " qui arrive bien souvent lorsqu'on les regarde humainement comme des créatures, et cela est un des plus grands obstacles que vous puissiez jamais avoir à votre perfection.
n° 2291 Conférence pour la fête de notre glorieux Père saint Benoît.
N'aimez donc que Jésus Christ, ne désirez que lui, n'estimez rien que lui, ne possédez rien que Jésus Christ, ne goûtez rien que lui, ne vous rassasiez de rien que de Jésus Christ, n'espérez rien que lui, ne voulez rien que lui, ne cherchez rien que lui, ne prétendez rien que lui, ne vous plaisez en rien qu'en lui, ne vous reposez en rien qu'en lui et prenez votre satisfaction d'être toute remplie de Jésus Christ.
n° 1757 Pour le premier dimanche de Carême.
176 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 177
CHAPITRE LXXIII
QUE TOUTE LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS
CONTENUE DANS CETTE REGLE
Cette Règle, que nous venons d'écrire, il suffira de l'observer dans les monastères pour faire preuve d'une certaine dignité de moeurs et d'un commencement de vie monastique. Quant à celui qui aspire à la vie parfaite, il a les enseignements des saints Pères, dont la pratique conduit l'homme jusqu'aux sommets de la perfection. Est-il, en effet, une page, est-il une parole d'autorité divine, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, qui ne soit une règle très sûre pour la conduite de notre vie ? Ou encore, quel est le livre des saints Pères catholiques qui ne nous enseigne le droit chemin pour parvenir à notre Créateur ? Et de même, les Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies , ainsi que la Règle de notre saint Père Basile, sont-elles autre chose que les instruments des vertus des moines vraiment bons et obéissants ?
Il y a là pour nous, relachés, inobservants et négligents, de quoi rougir de confusion.
Qui donc que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis avec l'aide du Christ, cette toute petite Règle, écrite pour les débutants. Cela fait, tu parviendras avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus, que nous venons de rappeler.
Il s'agit ici des Conférences et des Institutions de Cassien et des Vies des Pères du désert. Avec les oeuvres de Saint Grégoire le Grand, elles ont été les "manuels" de la vie spirituelle au moyen âge.
ICI FINIT LA REGLE
Les vérités évangéliques sont les choses les plus remarquables du Nouveau Testament, comme les paroles de Notre Seigneur, lesquelles nous devons croire infaillibles, car il a dit de sa propre bouche : «Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point». Et les vérités évangéliques nous font connaître Dieu et nous découvrent les voies pour aller à lui...
C'est notre divin Maître qui nous fait cette leçon. Tâchons de la bien apprendre et de la fidèlement pratiquer.
n 1387 A la comtesse de Châteauvieux.
«Recevez en douceur le Verbe planté en nous lequel peut sauver nos âmes) en saint Jacques, chapitre premier. Parole admirable et qui enferme tout ce qu'il y a de grand dans le christianisme. Parole qui nous devrait occuper toute notre vie. Recevez avec douceur le Verbe enté en vous. Mais quel est ce Verbe, sinon Jésus Christ, enté en nous par le saint baptême, qui nous fait des Jésus Christ mêmes, comme la petite greffe du cerisier change en sa substance, un tronc sauvage et en fait un cerisier. Mais, mes Soeurs, que cela est déplorable ! Ces plants, végétants, feront notre condamnation, un jour. Quoi ! un petit rameau aura la vertu de changer en soi tout autre arbre sur lequel il sera enté et Jésus Christ, Notre Seigneur, enté en nous par le saint baptême et enté derechef par la sainte communion, n'aura pas le pouvoir de nous changer en lui ? D'où vient, mes
chères Soeurs, d'où vient ce malheur ? C'est que nous étouffons ce greffe divin dans son berceau, que, si nous ne le faisons mourir, du moins, nous le coupons si près qu'il n'a pas la force de pousser ses branches, ses feuilles et ses fruits...
Ce n'est pas vivre que de ne point vivre de la vie de Jésus Christ qui est la vie ainsi qu'il dit lui-même : «Je suis la rie». Cette parole procède du Verbe éternel
et partant, elle est infaillible. Lui seul est vie.
En vérité, faisons un peu de réflexion. Entrons chez nous et voyons si Jésus y est. En ce cas nous sommes des Jésus Christ. Est-ce sa vie qui anime nos âmes ? qui forme notre intérieur et qui règle notre extérieur ? Portons-nous Jésus en nos yeux, sur notre langue, dans nos oreilles, en tous nos mouvements ?...
Nous devons concourir avec Jésus Christ pour le former en nous par la pratique de toutes les vertus, nous abandonnant à sa conduite, lui donnant lieu en notre coeur, l'adorant et toutes ses divines perfections et opérations, puisque, sans cesse, il opère pour nous transformer tout en lui comme une greffe divine. Cela étant, son divin Esprit nous introduira dans l'intime de notre âme... C'est pour cela que nous sommes créés. Oh, mes Soeurs, qui pourrait voir et connaître les opérations de Jésus dans une âme ? Cela est incompréhensible*. Mais quels sont les fruits qu'il y produit ? Ce sont les fruits d'un parfait anéantissement, d'humilité, d'abjection, de mépris de toutes les créatures et de nous-même.
Voyons-nous ces fruits en nous ? Je crains fort que non. Une parole contre nos sentiments, l'oubli que l'on fera de nous, une oeillade occupée et voilà des fruits abominables, fruits de péché qui étouffent ce germe sacré. Ah, mes Soeurs, souvenez-vous que tout ce qui n'est point Dieu n'est rien et partant, que nous ne devons pas nous en occueer. Entrons en de justes ressentiments en la présence de Dieu pour l'avoir si mal traité en nous et tâchons de réparer aujourd'hui tant de péchés et infidélités et nous rendons désormais plus fidèles à adhérer et nous unir à ce Verbe divin, enté en nous'. Lorsque nous le recevons par la sacrée communion, ouvrons-lui notre coeur, recevons ce greffe sacré, abandonnons-lui notre liberté et marchons avec une grande attention et respect à toutes ses divines opérations pour devenir enfin des Jésus Christ.
n 2636 Conférence.
Il faut que vous vous rendiez attentive sur vous-même et que vous vous appliquiez à voir le trésor que vous possédez dans votre intérieur, qui n'est autre que les trois divines Personnes. Ah ! qui s'occupe bien de ces vérités ne s'amuserait pas à tant de fadaises. Travaillez-y, je vous en conjure et à former Jésus Christ en vous, car à l'heure de la mort, si vous n'êtes des Jésus Christ, le Père éternel ne vous connaîtra point pour siennes et vous dira : «Nescio vos- . Paroles effroyables, mais ce n'est pas assez de dire «Soyez des Jésus Christ, formez Jésus Christ en vous», on ne s'en revêt point comme d'un habit. Pour s'en nourrir, il faut le prendre par morceaux : notre estomac n'a pas la force de le contenir tout. Les âmes qui sont élevées à une grâce éminente comme un saint Paul, une sainte Madeleine et autres, ont été transformés en Jésus Christ, en un instant mais ceux et celles qui sont par la voie d'une grâce commune, ne doivent point attendre cela, mais s'appliquer à connaître Jésus Christ, à méditer ses vertus et mystères, faire usage de ses grâces, le voir en tout et partout ; le prendre par le détail, chacun selon sa grâce, car, enfin c'est notre unique obligation, tout le reste n'est que vanité et nous aurons à rendre compte de Jésus Christ, de l'usage que nous en avons fait. Rendre compte à Dieu de Dieu même, cela est étonnant.
no 2887 Chapitre d'après Pâques.
LA PAIX BÉNÉDICTINE
ue pensez-vous de cette terre qui est douce aux débonnaires ? C'est la terre de l'anéantissement, car débonnaire veut dire une personne douce, bienfaisante, qui porte la paix partout et la possède en soi-même ! Connaissance qui la met dans le néant où se trouvent toutes sortes de grâces et de bénédictions. C'est là où lui est donnée cette terre fortunée qui renferme Dieu même. Cette béatitude a bien du rapport à cette autre : «Bienheureux sont les pacifiques parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu). Celle-ci a quelque chose de plus particulier comme enfant de Dieu. Elle est logée dans son coeur comme un enfant est logé dans la maison de son père ; le pacifique pacifie toutes choses, porte un grand calme en son intérieur, ce qui lui donne rapport à Dieu qui est un Dieu de paix.
no 2606 A la comtesse de Châteauvieux.
Désirons la paix que Jésus Christ donne aujourd'hui à ses Apôtres qui est le fruit de sa vie glorieuse. Cette paix est un trésor du paradis, il ne se trouve point en la terre, c'est la pré-
- sence de Jésus qui l'opère...
Cette paix divine fait le soutien de l'âme... L'âme possédant cette tranquillité, Dieu se contemple lui-même dans le fond de cette âme et y fait une impression de ses perfections divi-
nes... Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son esprit, il lui donne son amour. C'est une grâce merveilleuse d'avoir cette paix qui calme les troubles de nos intérieurs, qui chasse la crainte, qui tient l'âme dans un simple et amoureux abandon à l'opération divine... Qu'est-ce que cette paix sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos coeurs. C'est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l'assure : «In pace locus ejus,, et si nous l'avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour.
no 325 Conférence, mardi de Pâques, 1665.
Voyez, mes Soeurs, si vous avez participé à la grâce de la Résurrection de Jésus Christ Notre Seigneur, dont l'une que j'estime des plus avantageuses c'est la paix qu'il donne à ses Apôtres. Les évangélistes remarquent qu'il leur donna trois fois, ce qui nous apprend qu'il veut que nous ayons la paix avec Dieu, paix avec le prochain et paix avec nous-même.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 181
Pour l'avoir avec Dieu, il faut faire trois choses : la première, n'avoir aucun péché en l'âme puisqu'entre Dieu et le péché il y a une guerre irréconciliable. Je suis assurée que par la grâce de Notre Seigneur, vous avez toutes cette première ; mais il faut travailler à la seconde qui est de se défaire de certaines imperfections d'habitude qui déplaisent à Dieu et empêchent l'effet de cette paix divine. La troisième est de porter une soumission de volonté à tout ce que Dieu veut de nous, n'ayant ni désirs, ni projets aucuns, puisque pour l'ordinaire nos désirs font le sujet de nos inquiétudes. Je dis même pour les choses intérieures et qui regardent notre perfection et notre éternité.
La seconde paix qui est avec nous-même s'acquiert en travaillant à cette première, car si vous y prenez garde nous ressentons des troubles et des inquiétudes lorsque nous avons offensé Dieu ; la conscience est dans la gêne et les reproches ; comme aussi quand nous nous laissons emporter dans quelque saillie ou humeur naturelle. L'on dira peut-être que suivre ses désirs et volontés c'est le moyen d'avoir la paix en soi-même. Oh, c'est là une paix vicieuse, ce n'est point la paix de Jésus Christ, paix qui ne s'acquiert et ne se conserve qu'en nous renonçant à nous-même.
Il y a une troisième paix avec le prochain, paix si nécessaire à tout chrétien, et plus encore aux âmes religieuses, que j'estime ne pouvoir, sans cette paix, arriver à la perfection chrétienne ou religieuse. Elle est plus difficile à acquérir et à conserver que la paix avec Dieu même. La raison c'est que les remords de conscience et les reproches intérieurs qui suivent ordinairement le péché et les imperfections nous retiennent souvent d'y tomber ; mais pour le prochain notre naturel est si déréglé depuis le péché de notre premier père que nous trouvons de la satisfaction d'adhérer à nos antipathies et aux mauvaises humeurs que nous avons contre notre prochain. C'est à ce point que je vous exhorte, mes Soeurs, de travailler fortement et constamment afin de mériter de Notre Seigneur la grâce de cette troisième paix, si importante à notre perfection.
Si elle est nécessaire à tout chrétien, à plus forte raison à des Filles du très Saint Sacrement qui est un Sacrement de paix et d'union. Aussi voyez-vous que Jésus Christ nous l'envoie de l'autel après que le prêtre a dit : «Dona nobis pacem» . L'on nous apporte la «paix» à baiser, qui est ordinairement la figure du très Saint Sacrement ou d'un crucifix. Il faut faire cette action avec esprit. Les prêtres et officiers s'embrassent à l'autel en signe de paix.
Donc la paix est une participation de Dieu qui est paix par essence, perfection en Dieu si adorable et si permanente que rien au monde ne peut troubler cette paix. Les hommes et l'enfer vomiraient contre Dieu tous les blasphèmes les plus horribles, qu'il ne perdrait rien de sa paix ni de son repos. C'est cette paix qu'il inspire à ses enfants, laquelle ils conservent au milieu de la guerre des tentations et contradictions de la vie, paix qui les rend bienheureux dès cette vie, ainsi que dit Jésus Christ : «Bienheureux les pacifiques parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu» . Heureuse l'âme qui désire cette paix, mais qui la recherche et travaille de l'acquérir puisque par elle, elle entre en possession de Dieu même, lequel lui fait goûter un repos inexplicable. Paix sainte et généreuse. Mettez-vous, mes Soeurs, en état d'y avoir part en ce saint temps de la Résurrection de Jésus, lequel nous la mérite par sa mort, et que la sainte temps confère à ses enfants.
Dites à cet effet un Regina coeli à la sainte Mère de Dieu, pour honorer son Coeur fort généreux et tout de paix.
n° 3167 Chapitre du vendredi de Pâques, 1664.
Une âme qui possède cette paix est trop riche, elle est toujours égale dans les différents événements, parce qu'elle est établie en Dieu. Cette paix divine est le soutien de l'âme. Goûtez-la, très chère, non dans vos sens, mais dans le dénuement de toutes choses. Quand l'âme a perdu les créatures, elle jouit de cette paix précieuse, qui tient tout en repos, en silence et en solitude. L'âme possédant cette tranquillité, Dieu se contemple lui-méme dans le fond de cette âme, et y fait une impression de ses divines perfections. Ceci est meilleur au goût intime de l'âme qu'à la parole qui l'exprime.
n 1478 A la comtesse de Châteauvieux, quelques jours après Pâques, 1659.
Que peut-on dire de la grande sainte Scholastique, sinon que c'est une âme cachée en Jésus Christ, si profonde en oraison, qu'elle a acquis un pouvoir sur les créatures élémentaires. Si Josué a eu la puissance de faire rétrograder le soleil de plusieurs heures, notre glorieuse sainte a eu la puissance de renverser l'ordre des planètes et la sérénité du ciel, puisqu'au seul mouvement de son coeur, il a été contraint d'ouvrir ses cataractes et de donner une telle abondance d'eau, qu'il semblait un petit déluge. Et pourquoi ? pour posséder la joie de parler des grandeurs de Dieu, de ses divines perfections et de ses ineffables mystères, qui sont les mets délicieux dont les saints se rassasient durant toute une éternité, sans dégoût et sans changement. Cette grande sainte, se sentant proche de cette glorieuse possession et toute embrasée de l'amour de son Dieu, demande à son frère de lui parler des choses éternelles, pour soulager son coeur navré par les flammes de ce brasier qui ardait incessamment dans son âme... Ce n'était pas l'affection qu'elle portait à notre glorieux Patriarche, son frère, quoiqu'elle l'aima pour sa rare vertu, qui la faisait le prier avec instance de demeurer avec elle, ce fut pour parler de Dieu et se réjouir de ses grandeurs.
no 2608 A une Religieuse, sur la fête de sainte Scholastique.
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REMERCIEMENTS
Au terme de ces pages nous tenons à exprimer notre profonde reconnaissance à Dom Jean Leclercq qui a accepté, malgré ses travaux, si nombreux et si érudits, de consacrer un peu de son temps à l'étude de la spiritualité de Mère Mectilde. Il a si bien compris, avec son coeur de moine, la pensée de notre fondatrice, que nous ne saurions lui en dire assez notre sincère admiration.
Nos plus vifs remerciements vont aussi à M. l'abbé Joseph Daoust, Docteur ès lettres, dont la compétence et la patience ont sans cesse soutenu notre travail et éclairé notre route.
Nous tenons enfin à redire tout ce que ce volume doit aux moniales de nos monastères qui ont participé si fraternellement à la recherche et au choix des textes que nous présentons ici.
Que Notre Dame, notre abbesse, et notre Père saint Benoît, obtiennent pour chacun d'eux, la Paix de Dieu.
TABLE NUMÉRIQUE
502 p. 149.
525 p. 148.
526 p. 134.
527 p. 128, 64.
534 p. 152.
537 p.74.
544 p.139, 99,131,41.
547 p. 64.
581 p. 116.
592 p.107, 139.
607 p. 107.
621 p. 65.
629 p. 71.
637 p. 164.
638 p. 105. 659 p. 35. 669 p. 70. 700 p. 134. 704 p. 86.
710 p. 105,175,91.
711 p. 131. 752 p. 40. 797 p. 47. 801 p.51, 173.
817 p. 164. 848 p. 27.
867 p. 101 entier.
868 p. 72.
883 p. 36, 147.
903 p. 72.
921 p. 0
1 p. 140.
939 .
949 p.51,158.
950 p. 153, 64, 70, 71, 167, 117, 142,
999763 5ii,3
p, 73,
713703 7
. 397, 59, 174.
39.
1007 p. 39.
1013 p. 78.
1021 p. 85 entier.
1025 p. 62.
1055 p. 90.
1070 p. 72.
1075
1081 pl). 6392: 87.
1099
1147 pi). 314.
159.
13 p. 108.
33 p. 55.
41 p. 97.
53 p. 150.
68 p. 142. 74a p. 170. 105 p. 47. 117 p. 41, 174.
165 p. 38. 176 p. 54.
194 p. 95, 82.
196 p. 37. 212 p. 81. 214 p. 88. 217 p. 174. 219 p. 78, 173.
233 p. 140. 283 p. Ill. 296 p. 84. 306 p. 86.
314 p,101.
315 p. 130.
317 p. 84.
325 p. 179.
328 p. 120 entier.
337 p. 169.
340 p. 84.
345 p. 138, 32, 163.
350 p. 73, 93.
354 p. 82.
359 p.61,134.
372 p. 29.
374 p.61,65.
377 p. 38, 77, 95.
395 p.57.
413 p. 152.
414a p. 33.
416 p. 65.
417 p.59,87,60,61. 426 p. 77.
430 p. 76.
431 p. 34. 456 p. 172.
458 p. 66, 155.
463 p. 131. 469 p.63. 489 p. 158.
1166 p. 34.
1189 p. 135.
1193 p. 77.
1200 p. 111.
1213 p. 88.
1214 p. 96.
1218 p. 67, 77, 68.
1232 p. 135.
1234 p. 29.
1237 p. 134.
1240 p. 149, 172.
1245 p.132.
1260a p. 54,58.
1300 p. 59, 70.
1310 p. 68.
1312 p.69.
1325 p.108.
1329 p.154.
1331 p. 35, 37.
1387 p.47, 63, 38,176, 115.
1388 p. 135. r
1415 p.39.
1443 p. 50, 74.
1448 p. 60.
1478 p.181.
1485 p. 1 22 entier.
1509 p.96.
1511 p.54.
1524 p.42.
1526 p.55, 173.
1565 p. 56.
1607 p.72.
1640 p. 165.
1645 p. 149, 94, 58, 55.
1651 p.85.
1664 p. 60, 77, 117.
1700 p. 89, 93.
1708 p.91.
1711 p. 69, 88, 34, 38, 85, 104, 128, 95.
1735 p. 1 26.
1744 p. 137.
1746 p. 1 04.
1752 p.57.
1757 p. 37, 175, 139 entier.
1760 p. 147, 42.
1761 p.81,74.
1767 p.151, 36.
1776 p.41, 30, 69.
1788 p. 134.
1790 p. 110, 115.
p.55.
p. 67.
p. 94.
1828 1845 1848 1855 1862 1866 1 875 1876 1922 1932 1936 1938 1944 1 955 1957 1 958 1965 1986 1996 2000 2003 2004 2015 2016 2016 2028 2032 2059 2067 2082 2097 2126 2127 2130 2170 2176 2215 2217 2239 2242 2248 2257 2273 2277 2278 2286 2291 2314 2345 2349 p. 100. 2362 2354 2381 2383 2384 2387 2390 2391 2401 2402 2417 2438 2458 2466 2479 2520 2548 2566 2567 2570 2602 2606 2608 2636 2639 2640 2641 2654 2660 2663 2664 2677 2684 2695 2706 2718 2721 2722 2726 2749 281 2 2822 2829 2854 2859 286 2 2887 2900 2918 2930 P. 70, 95, 170. 2954 p. 119, 112.
p. 146. p.132. p. 49. p. 171. p. 98. p. 56. p. 89. p. 136. p. 40. p.69. p. 121. p. 40,145,61. 2969 p.57.
p.55, 91. p.90. 2990 p. 91.
p. 62, 115. p. 150, 82. 2998 p. 138, 98, 71, 76,120 entier.
p. 133. p. 56, 35, 71, 146,40. p. 121. 3004 p. 139.
p. 133. p. 121, 106. 3005 p. 135.
p. 110, 97. p. 146. p. 76. p.93. p. 134. p. 179. p. 181. p. 176. p.40. 3006 p. 71, 48.
p. 139, 153. p. 59, 64. p. 41, 171. p. 37, 59. p.173. 3012 p. 149.
p.82. p. 60, 172. 3015 p. 145, 84, 91.
p.48,138. p.95. p. 1 28. p. 89. p. 60. p.46. p. 157. p. 83. p.98. p. 138. p. 169. p. 29, 82. 3024 p. 167.
p. 64, 171. p.96. p.63. p.63. p.58. p. 69. p. 172, 177. 3037 p. 106.
p. 105. p.50. p.48. p.65. p.62. p. 87. p.132. 3038 p.100.
p. 94. 3039 p.136.
p. 171, 87. 3059 p. 146, 32, 102.
p. 7 2. p.65. 3060 p.35.
p. 54. 3069 p.82.
p. 65, 78. p.92. 3072 p.56.
p. 170. 3075 p. 146.
p.105. 3102 p. 169.
p.83. p.137. 3106 p. 105.
p. 31. 3124 p.38, 116.
p. 151 entier. 3128 p. 102, 29.
p.84. 3129 p. 28, 103.
p. 150. 3132 p. 96.
p. 117. p.87. 3136 p. 161, 136, 103.
p. 138. 3156 p. 83.
p. 64. 3157 p. 63, 169.
p.106. 3158 p. 99.
p. 106. p.59. 3163 p. 114, 164.
p. 78, 104, 88. 3167 p. 179.
p. 95 entier. p.61. CÉRÉMONIAL
p. 43 entier. p. 76, 101, 103, 104, 109, 113, 114,120,
p. 75. 125, 127, 129, 148, 157, 158, 160.
p. 94. CONSTITUTIONS
p. 28, 175. p. 86,163. p. 43,52, 113,114, 118, 119, 141.
p. 76. COUTUMIER p. 47, 48, 52, 162.
p. 115. JOURNÉE RELIGIEUSE
p. 28, 30, 58, 63, 68, 75, 76, 77, 93, 97,
98, 102, 103, 116, 117, 118, 120, 123,
125, 126, 131, 141, 143, 163, 165, 167, 170, 175.
TABLE ANALYTIQUE
Suggestions pour une étude des principaux thèmes abordés par Mère Mectilde dans les textes de ce volume.
ABANDON et confiance en Dieu : en la paternité de Dieu : 59 - à la volonté de Dieu : 59 en la bonté de Jésus Christ : 65 - à la miséricorde de Dieu : 59, 65, 85 - et oubli de soi : 88 - source de paix : 133 - aux conduites purifiantes de Dieu : 96 - nous fait entrer dans les voies de la sainteté : 86 - « comme un petit enfant » : 37, 135 - à la conduite de Dieu dans la prière : 107, 108, 137.
Tout quitter pour Dieu : 36, 147 - et destruction de notre amour-propre : 164 et progrès de l'âme : 78 - à l'amour de Jésus Christ : 35 - à son action sanctifiante : 38 ne pas choisir les emplois : 164.
l'ABBÉ (la Prieure). La paternité spirituelle : 46, 47, 48, 49, 50, 146, 154, 157, 159 - tient la place de Jésus Christ : 64, 70, 72, 175 - tient de lui son autorité : 68 - pèse ses ordres devant Dieu : 73 - cherche à le faire régner dans les coeurs : 158 - prie pour ceux qui souffrent : 161 - ses qualités dans le gouvernement : 48, 52, 93, 134, 154, 158 - son humilité :51, 158 - sa justice : 47 - condescendance envers les imparfaits : 110.
La Mère Maîtresse des novices : ses devoirs : 148 - coupable des fautes non corrigées : 148.
ACTION DE GRACE. 63 - pour les miséricordes de Dieu : 62 - pour les dons de Dieu : 116. AMOUR de Dieu et souffrance : 72 - plus que les contradictions : 54 - n'aimer que Dieu :
65, 146 - par dessus-tout : 54 - amour de Jésus Christ méprisé : 105 - de Jésus et Marie
avec confiance : 89 - adhérer à Dieu dans l'Oraison : 107.
DU PROCHAIN . prier pour le prochain selon notre grâce : 55 - et offrir à Dieu ses peines :57 - consoler ceux qui pleurent :5 7.
AMOUR-PROPRE : plus nuisible que l'enfer : 94 - prend l'aspect de la vertu : 94.
ANGES :aimer nos anges gardiens, être attentives à leurs avertissements : 86.
ASCESE : pour plaire à Dieu : 40 - et humilité préservent des illusions : 97 - corporelle : lui préférer l'humilité et l'obéissance : 97 - mortification des sens et sainteté : 135 - et stabilité en Dieu : 152 - permet à Dieu d'agir en nous : 163 -Carême et souci des santés : 161.
PÉNITENCE : La vraie est celle de l'esprit : 91, 133, 135 - don de Dieu : 133 - en quoi elle consiste : 133 - préférer celle envoyée par Dieu : 1 33, 134 - celle que Dieu veut : l'humilité : 134 - renoncement continuel : 134 - et obéissance : 134 - dans le travail : 135 - porter sa croix avec soumission et foi :1 36.
ATTENTION à Dieu : dans le silence : 7 7, 78 - et adhérence à Dieu : 65, 99, 146 - et présence de Dieu : 63 - y revenir par un simple regard : 86 - malheur de l'âme désoccupée de Dieu : 108.
CHERCHER DIEU : 28, 50, 76, 10S - ne chercher que lui : 34, 105, 175, 54, 146 sans se rebuter : 145 - en pureté : 93 - humilité : 83.
192 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 193
AUTORITÉ : respecter les Supérieures : 70, 167, 171, 175 - aimer les Supérieures : 175 alléger leur charge :175 - suivre leurs avis : 69 - leur être soumise comme à Dieu : 77.
BAPTEME : nous transforme en Jésus Christ : 146, 169 - voeu de vivre de Jésus : 149 - et profession : 153 - nous sommes baptisés dans la Croix : 91.
SAINT BENOIT : rempli de l'esprit de tous les justes : 27, 28, 29, 30, 74 - coopère à la sainteté de ses fils : 78, 113, 128 - lui demander son esprit, imiter sa vie : 28, 30, 43 son silence : 78 - son esprit de pauvreté : 116 - nous a légué l'adoration, et la «Laus perennis» : 29,103 - son estime du travail : 130.
BONHEUR de posséder Dieu : 65, 117 - et pauvreté : 74, 91, 95, 117, 135, 147 - et humilité :146 - et silence : 77 - de l'union à Dieu : 77, 107, 108, 116.
CHARITÉ FRATERNELLE : 58, 65, 87, 170, 171, 172, 173, 174 - comment la pratiquer : 52, 58, 59, 64, 121, 155, 165, 169, 170, 171, 172, 173, 174 - et silence :77 - et humilité : 81, 95,165, 170 - faire l'aumône en vue de Dieu :115 - Dieu regarde le « prochain» comme la prunelle de son oeil :59.
COEUR : secret pour ravir le coeur de Dieu : 99 - dilater son coeur dans la présence de Dieu : 138 - le soumettre à Dieu dans nos peines : 147 - conversion du coeur : 145 - « ne pas endurcir nos coeurs» : 34 - le purifier pour recevoir la vie de Jésus Christ : 35, 136.
COMBAT SPIRITUEL : 33 - avec courage : 50 - contre soi-même : 38, 39 - et présence de Dieu : 62 - et chapitre des coulpes : 128.
COMMUNAUTÉ : Corps Mystique du Christ : 54, 151 - soutien du moine : 43 - porteuse de grâces : 98 - amour de la vie commune : 43,70, 97 - sa part dans la gestion des affaires : 51 , 52.
CONVERSION : pour 'suivre Jésus : 32 - dans la foi : 82 - sans retard : 34 - du coeur : 58, 63, 85, 132, 145 - et grâce de bien mourir : 61.
CROIX : don de Dieu : 40, 91 - en faire bon usage :41,169 - moyen le plus court pour aller à Dieu : 39,41,120 - fait peur :40 - user fréquemment du signe de la croix : 133.
DÉTACHEMENT : pour Dieu seul : 34, 46, 58, 60, 88, 139, 150 - source de paix : 84, 94, 179 - et voeux de chasteté : 152.
ANÉANTISSEMENT : sa nature : 65, 94, 96, 117 - pour trouver Dieu : 83, 96, 98, 100 - et douceur : 77, 106 - tue l'amour-propre : 94 - vraie pénitence : 133, 135. DIEU : est Père : 65, 135 - feu : 98 - est : 84 - Dieu seul : 55, 64, 97 - vie de la Trinité en nous : 7, - 'ne refuse rien à ceux qui l'aiment : 181 - aime les humbles : 35, 96 - son action en nous : 98, 105 - nous demandera compte de Son Fils : 112 - notre adoption divine : 42 - faire sa volonté : 37, 98 - dans l'oraison : 106 - dans les choses impossibles : 163 - se contemple dans les âmes pacifiées :179.
FOI : tenir ferme au tronc qui est Dieu : 37, 38, 64 - en sa Parole : 107 - 145 - en son action en nous : 107 - et conversion : 82, 99, 138 - voir Dieu dans le prochain : 59 - à l'office divin et à l'oraison : 102, 108, 140 - se fier aux lumières de la foi : 87, 106.
FIDÉLITÉ : à Dieu : 54, 65 - à la grâce : 34, 50, 98, 128, 145, 147, 153 - aux observances : 98 - participation à la sainteté de Jésus : 60 - par charité :51, 65, 173 - et obéissance : 32 - et paix : 88 - source de sanctification : 54, 160 - et mortifications de Providence : 135.
INFIDÉLITÉ : et humilité : 63, 105, 121.
GLOIRE de DIEU : donner sa vie pour : 41,58 - de Jésus et de Marie en chantant leurs louanges : 101 - et Office divin : 102 - l'humble rend gloire à Dieu : 81.
ADORATION : de Dieu en ses perfections : 107 - sans cesse : 108, 140 - et la «Laus perennis» :103 - tient l'âme attachée à Dieu : 105 - et oraison : 105, 139.
HUMILITÉ : source de paix : 91, 100, 179 - de vérité : 37, 64, 81, 83, 87, 93, 94, 96, 97 de bonheur : 100 - qualités de l'âme humble : 66, 74, 81, 82, 95, 100 - comment la pratiquer : 39, 59, 64, 85, 88, 95, 96, 97, 99, 100, 114, 134,135, 136 - la préférer aux austérités : 97, 121, 134 - détruit l'amour-propre : 35, 96 - règle de perfection : 82, 83, 100, 135 - humilité et vie fraternelle : 64, 82, 95, 171 - indispensable pour l'union à Dieu : 68, 85, 95, 99, 100 - pour l'oraison : 97, 104, 105 - Dieu aime les humbles : 35, 82, 83, 88 - se repose en eux : 66, 91, 137 - la demander de Marie : 96, 100.
INFIRMES : Jésus Christ présent à l'infirmerie : 120 - la maladie ne dispense pas de la sainteté : 69, 77 - comment se comporter dans la maladie : 72, 88, 120, 121 - et envers les malades : 120 -garder le silence 77.
JÉSUS CHRIST : vivre de lui, l'imiter : 112, 116, 136, 169, 175 - notre incorporation à lui : 41, 42, 104, 112, 135, 136 - notre unité en lui : 169, 171, 172, 174 - le servir dans nos Sœurs : 172 - nous abandonner à lui : 37, 65, 86, 106 - ne rien lui préférer : 37,58 l'attendre en patience :85 - s'unir à ses souffrances :59, 134 - avoir foi en sa Parole : 176 - la Résurection et l'Eucharistie, sources de paix :179 - l'obéissance de Jésus : source de la nôtre : 67, 68, 74 - son silence : 75, 76, 78 - ses abaissements pour nous : 64, 120, 149, 174 - sa puissance sur le diable : 37 - sa patience : 35, 39 - oraison et conformité à l'Esprit de Jésus : 137.
JOIE :de ce que Dieu est : 107 - des bienheureux, déjà nôtre : 77 - se réjouir de la gloire de Dieu dans les âmes : 64 - d'entendre la voix de Dieu : 76 - de l'âme reconnaissante : 116 - silence, source de joie : 77 - et pauvreté :116, 118 - de céder en toute rencontre : 95 - et liberté d'esprit nécessaire pour servir Dieu :135.
194 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 195
LECTURE : et esprit d'oraison : 131, 132 - « prédicateurs muets» :63 - au réfectoire : 123 au travail : 131 - les livres de Carême : 131 - et sanctification du dimanche : 131.
LIBERTÉ : de l'âme occupée de Dieu seul : 117 - don de Dieu : 34 - sacrifiée dans l'obéissance : 70 - effet du renoncement : 35 - de l'humilité : 84.
MARIE : le coeur de Jésus et de Marie : 101, 174 - son obéissance, exemple de la nôtre : 68 lui demander la conversion des pécheurs : 110, 111 - l'humilité : 96, 100, 111 - Notre Dame abbesse : 43, 50, 110, 111, 115, 174 - nous confier en son Immaculée Conception : 152 - lui confier la vie de Jésus en nous : 151 - et notre persévérance : 152.
MORT au péché et vie à Dieu : 35, 88, 91,117, 121, 149 - par la fidélité aux observances : 58 - pour gagner la paix : 91 - mort et regret des grâces perdues : 97, 112 - ne pas se laisser surprendre : 60, 61 - la désirer pour être «reconcentrée» en Dieu : 61 - Dieu récompense ses serviteurs :119 - coutumes pour l'ensevelissement : 56.
OBÉISSANCE : à Dieu par la Règle et les Supérieurs : 69, 70, 72, 73, 74, 89 - aux Supérieurs :169 - comme à Dieu :68,69,71,72,73,77,89,167, 171, 175 - de saint Benoît : 30 - fondement de la vie monastique : 87 - sa puissance : 148 - nous rend agréables à Dieu : 70, 136 - assure le moine dans la vie parfaite : 43 - à l'imitation de Jésus et de Marie : 67, 73 - ses qualités : 69, 70, 71, 72, 73, 74, 78, 89, 91 - jusqu'à l'impossible : 68 - et pauvreté : 97, 114, 116 - y être fidèle : 68 - obéissance mutuelle : 71, 167, 170 et travail manuel : 141.
PECHE : nous détourne de Dieu : 32 - pas de péché sans adhésion de la volonté : 37 - appelle la miséricorde : 111 - pardon de Dieu et pardon mutuel : 165 - à sa source dans l'orgueil et l'entêtement : 128, 165 - les fautes font pratiquer l'humilité : 94 - avoir regret de ses imperfections : 99 - ne pas commettre d'infidélités volontaires : 63 - et chapitre des coulpes : 112.
PERFECTION y tendre est une obligation du baptême : 149 - la rechercher constam-
ment : 61, 150 - ses «sentiers» : 37, 40, 41, 65, 78, 82, 83, 88, 89, 95,135,146,149, 152, 164 - s'acquiert peu à peu : 38, 40, 135.
PERSÉVÉRANCE : sa puissance : 84 - fruit de la grâce et de l'Esprit Saint : 60 - la confier à Marie : 152 - exigence de la vie intérieure : 41.
PLAIRE à DIEU : 50, 72 - écouter sa voix : 34 - y trouver sa suffisance : 59 - le rechercher à tout heure : 150 - et ascèse : 40.
PRÉSENCE de DIEU : conditions de la vie en présence de Dieu : 61, 65, 76, 78,84, 97, 99,
104, 106, 107,128, 138,140 - ses effets : 38,41,60, 62, 63, 82, 84, 85,112,128,131 - en quoi elle consiste : 62, 84, 134, 135 - y être fidèle : 65, 104 - à l'Office divin :102 à l'oraison : 107, 108, 139 - et oraison du coeur : 105.
PRIERE : comment faire oraison : 104, 105, 106, 107, 137, 139, 140 - commencer par la foi : 105 - et adoration : 104, 105, 139 - et humilité : 83,105, 139 - et obéissance :69, 74 - et mortification : 138 - et silence : 75, 78,105,107 - en simplicité et abandon : 102,
105, 132, 138 - dans le combat spirituel : 50, 104, 106, 107, 137, 139 - nourriture de l'âme : 104, 108 - désert de l'âme aimante : 139 - prière de demande : 101, 110, 111, 121 - Office divin :101,102,103,126,127,129,153.
PROFESSION : nous conforme à Jésus Christ : 149, 151, 153 - accomplissement de notre baptême : 149, 151, 153 - engage notre vie éternelle : 149 - nous dépouille de. nous-même : 151, 152, 153 - renouveler nos voeux fréquemment : 152, 153.
PURETÉ :du coeur : 179 - d'intention : 115, 128 - n'avoir que celle de Jésus Christ : 138.
PAIX : fruit de la charité : 170, 172, 173 - de l'union à Dieu : 65, 67, 71, 85, 91, 146, 179 de l'humilité et du renoncement : 65, 77, 89, 91, 94, 100, 114, 179 - ses conditions : 84, 88, 139 - nécessaire à la perfection : 179 - la conserver dans le travail : 77, 115 don de Jésus Christ : 35, 179 - don de l'Esprit : 174 - fait posséder Dieu : 89, 173, 179 oeuvre de chacune dans la communauté : 174 - l'abbé en est le gardien : 47.
PATIENCE : pour attendre la venue de Jésus en soi : 38 - la conversion des âmes : 39 pour se supporter soi-même : 39 - et confiance en Dieu : 59 - dans les contrariétés : 39, 91 - et vie intérieure : 88, 99, 121, 134.
PAUVRETÉ : tout quitter : 70, 71, 116, 117, 142 - à l'exemple de Jésus : 116, 118 - ne jamais se justifier : 92 - pauvreté de l'âme : 65, 74, 86, 90, 116, 117 - vertu évangélique : 116, 142 - source de sainteté : 142 - et de joie : 116 - dans la réception des sujets : 153 les pauvres, images du Christ : 141.
RECUEILLEMENT : adhérer à la présence de Dieu 106 - en foi : 107 - goûter Dieu dans l'abandon et la foi : 108 - le garder pour être attentive à Dieu : 34, 139 - dispositions pour s'y tenir : 106 - dans le travail : 130.
REGLE : contient l'Évangile : 29 - l'estimer, en pénétrer l'esprit : 29, 30, 41, 97, 139, 169 aimer ses observances : 97, 136 - source de perfection : 29, 31, 33, 68, 70, 76, 150, 151, 163 - et obéissance : 89, 148 - celle de saint Benoît est la plus parfaite : 29 - la Supérieure doit veiller à son observance : 113, 114, 158.
RENONCEMENT : pour vivre la vie de Jésus Christ : 55, 56, 136 - pour posséda Dieu : 28, 40, 54, 146 - pour plaire à Dieu : 40, 137 - n'aimer que Jésus : 167, 174 - pour appartenir à Dieu seul : 106, 145 - pour posséder la paix : 179 - perfection de l'âme : 78, 121 - source de bonheur et de sagesse : 56, 147 - oubli de soi : 35, 67, 71, 87, 88, 89 - par notre consécration : 149 - meilleure que les pénitences corporelles :135.
196 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 197
REPOS EN DIEU notre repos en «Son Centre» : 48 - par l'abandon à sa conduite : 35 en simplicité dans les bras de Dieu : 37 - en se tenant dans notre néant : 96 - par le renoncement :67.
UNION à DIEU : 97,134, 146 - lui appartenir sans réserve :134 - et silence :78.
DANS LA COMMUNAUTÉ : 174 - entre les Supérieures : 161 - par la fidélité aux observances : 51 - oeuvre de chaque Soeur : 174.
VIE INTÉRIEURE : oeuvre du Saint Esprit : 41 - vie en Jésus Christ : 60, 112, 136, 146 et silence : 75, 76, 98 - et renoncement : 83, 85, 86, 91, 96, 117 - et humilité : 100 chapitre des coulpes, renouvellement de vie :128.
VOCATION : et appel de Dieu : 146 - tout y sacrifier : 146 - l'aimer en travaillant à notre sainteté : 59, 97 - doit être forte : 62, 145 - épreuves du noviciat : 146, 148.
VOLONTÉ : de Dieu : espèce de sacrement : 74 - mesure de la perfection : 88 - ne chercher que la volonté de Dieu : 84, 86, 87, 88, 99 - source de paix : 88 - lui offrir notre volonté propre : 145, 147, 150 - y faire demeurer notre volonté à l'oraison : 105, 106, 107.
SAINT ESPRIT s'abandonner à sa conduite : 35, 91, 139 - la vie intérieure est son oeuvre : 41 - n'agit en nous que par le recueillement : 98 - son rôle dans l'oraison : 105, 138.
SAINTETÉ : Jésus Christ l'opère en nous : 61 - oeuvre du Saint Esprit : 33 - participation à la bonté de Dieu : 86 - par l'abandon à Dieu : 86 - en quoi elle consiste : 60, 88, 97, 100, 152 - dans les peines de l'âme et du corps : 39, 69, 120 - et travail manuel : 115 la Règle nous y conduit : 128.
SILENCE : de Jésus : 75, 77 - pour goûter Dieu : 76, 77, 78, 107, 139 - et vie intérieure : 69, 75, 76, 77, 78, 98, 105, 138 - et charité : 75, 77, 170 - amour du silence : 75, 76, 77, 78, 164 - et vie régulière : 30, 75, 76, 77, 123, 125, 138 - dans les choses impossibles : 164.
SIMPLICITÉ : dans l'obéissance : 91 - à l'oraison : 105, 106.
SOLITUDE : don de Dieu : 88 - pour goûter Dieu : 76 - demander à Jésus son esprit de solitude : 133 - oraison et solitude : 139.
SOUMISSION à DIEU : à la volonté de Dieu, source de vie intérieure : 61, 63, 67, 70, 74, 134 - aux Supérieurs et aux anciens : 69, 167 - et pauvreté intérieure : 86, 147 - pour être en paix : 179 - à l'oraison : 104, 139 - dans les choses impossibles : 164.
STABILITÉ : en Dieu : 152 - de l'esprit qui demeure en présence de Dieu : 84 - nécessaire pour que Dieu demeure en l'âme humble : 66 - dans le combat spirituel : 40.
TEMPS PRÉSENT : grâce du moment présent : 85 - et volonté actuelle de Dieu : 86 - attention au moment présent : 61 - en faire bon usage : 82.
TENTATION : vivre en présence de Dieu pour lutter contre les tentations : 62 - ne pas les craindre, s'appuyer sur l'humilité : 95 - du bon usage des tentations : 39.
TRAVAIL MANUEL : Notre Seigneur le bénit : 115 - dans quel esprit l'accomplir : 93, 113, 114, 115, 130, 131 - en pureté d'intention : 115 - dans l'obéissance : 141 - la cellerière : 113,114 - travail de la cuisine : 119.
A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 199
résentez-moi, sainte Mère de Dieu, et dormez-moi à votre cher Fils, afin qu'il in Offre' et me dorme à son Père. Je me donne et me consacre moi-même à Lui de tout mon coeur.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Couverture : SAINT BENOIT, monastère de Rouen.
Page 4 : Médaille de saint Benoît et sainte Scholastique.
Subiaco, grotte de saint Benoît 6
Saint Benoît (miniature du XVè siècle), abbaye de Clervaux 18
Cloître, monastère de Notre Dame d'Orient 26
Revers, médaille de saint Benoît (miniature du XVè siècle) 30
Notre Dame Abbesse (onyx), provenant du monastère d'Arras, monastère de Tourcoing 44
Saint Benoît (gravure ancienne) 50
Abbaye du Mont Cassin 52
Corridor dit «des Dominicains» (XVIlè siècle), monastère de Craon 66
Notre Dame Abbesse, monastère d'Erbalunga 79
Saint Benoît (granit X11è siècle) 80
Mère Mectilde du Saint Sacrement de Bar 92
Sceau, monastère de Paris 100
Concélébration eucharistique, abbaye de Saint Wandrille 108
Piéta (1)0i• polychromé). niona.tère de Rolicim 122
Manuscrit tic. Saint Gall - 914, fol. 25 v. (l'original mesure 22 x 16 cm) 124
Autel, monastère de Mas Grenier 127
Saint Benoît donnant sa Règle (gravure du XVIlè siècle) 132
Monastère de Notre Dame des Affligés, Peppange les Bettembourg 140
Cachet garni au centre d'une Vierge à l'Enfant, monastère de Caen 142
Gravure (Règle de saint Benoît, 1689) 143
Saint Benoît (peinture émail, 13 x 10 cm), monastère de Rouen 156
Sainte Scholastique soeur cte Saint Benoît (gravure ancienne) 159
Saint Benoît sur Loire (Fleury) 161
Entrée, monastère d'Ottmarsheim 162
Saint Benoît du cloître (bois), monastère de Rouen' 166
Saint Benoît (gravure) 168
Sainte Scholastique (bois polychromé, h. 0,65 m., 1681), monastère de Bayeux 178
Monastère de Dumfries 181
Mère Mectilde, portrait appartenant aux descendants de la famille de Bar
(Mme de Blic) 182
Gravure ancienne provenant d'un bréviaire 184
Vitrail (vie de saint Benoît), église du monastère de Rouen 186
Vue du monastère de Rouen, prise du clocher de l'église 190
200 CATHERINE DE BAR A L'ÉCOUTE DE SAINT BENOIT 201
Monastère de Subiaco 200
Cachet, cuivre monté sur bois, 1830, monastère de Caen 202
Saint Benoît (miniature du XIè siècle) 205
Reliquaire de saint Benoît, monastère de Bayeux 204
Antiphonaire prioral : 23, 42, 103, 11,123, 129, 144, 154, 155, 164,197.
Règle de saint Benoît enluminée : 27, 31, 43, 111, 109, 125, 145, 163, 179, 198.
Introduction, Dom Jean Leclercq 7
Vie de Catherine de Bar (1614-1698), M. l'abbé J. Daoust 19
Note préliminaire 24
Saint Benoît et sa Règle 27
PROLOGUE 31
- Des espèces de moines 43
II - Des qualités que doit avoir l'Abbé 45
III - Comment il faut prendre l'avis des Frères 51
IV - Quels sont les instruments des bonnes oeuvres 53
V - De l'obéissance 67
VI - De la retenue dans les paroles 75
VII - De l'humilité 81
XIX - Des dispositions à apporter à la psalmodie 101
XX - De la révérence à garder dans la prière 104
XXI - Des doyens du monastère 109
XXVII - De la sollicitude que l'Abbé doit avoir à l'égard des excommuniés 110
XXVIII - De ceux qui après avoir été souvent repris, ne se corrigent point 112
XXXI - Des qualités que doit avoir le cellérier du monastère 113
XXXIII - Si les moines doivent avoir quelque chose en propre 116
XXXN - Si tous doivent recevoir également le nécessaire 118
XXXV - Des semainiers de la cuisine 119
XXXVI - Des Frères malades 120
XXXVIII - Du lecteur semainier 123
XLII - Que personne ne parle après Complies 125
XLIll - De ceux qui arrivent en retard à l'oeuvre de Dieu ou à la table 126
XLV - De ceux qui font des fautes dans l'oratoire 127
XLVI - De ceux qui manquent en quelque autre chose 128
XLVll - De la charge d'annoncer l'oeuvre de Dieu 129
XLVIII - Du travail manuel de chaque jour 130
XLIX - De l'observance du Carême 133
LII - De l'oratoire du monastère 137
202 CATHERINE DE BAR
LIII - De la réception des hôtes 141
LIV - Si un moine peut recevoir des lettres ou quelque autre chose 142
LV - Des vêtements et de la chaussure des Frères 143
LVIII - De la manière de recevoir les Frères 144
LIX - Des fils, soit de nobles, soit de pauvres, qui sont offerts 153
LXI - Comment recevoir les moines étrangers 154
LXIII - Du rang à garder dans la communauté 155
LXIV - De l'établissement de l'Abbé 157
LXV - Du prieur du monastère 160
LXVI - Des portiers du monastère 162
LXV III - Du cas où l'on enjoindrait à un Frère des choses impossibles 163
LXX - Que nul ne se permette de corriger à tout propos 165
LXXI - Que les Frères s'obéissent mutuellement 167
LXXII - Du bon zèle que doivent avoir les moines 169
LXXIII - Que toute la pratique de la justice n'est pas contenue dans cette Règle 176
La paix bénédictine 179
Monastères contemporains 183
Table numérique 187
Table analytique 191
Table des illustrations 199
Table des matières 201
OUVRAGES DÉJÀ PARUS
Catherine de Bar
Documents historiques et biographiques, 1973 Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen
Catherine de Bar Lettres inédites, 1976
Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen
Catherine de Bar
Fondation de Rouen, Tricentenaire, 1977 Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen
Mère Mectilde du Saint-Sacrement A l'écoute de saint Benoît, 1979
Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen (épuisé)
Catherine de Bar (J. Daoust)
Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Téqui 1979
Mère Mectilde du Saint-Sacrement (J. Daoust)
Le message eucharistique de Catherine de Bar, Téqui 1980
Catherine de Bar
En Pologne, avec les bénédictines de France, Téqui 1984
Préfacer l'édition critique des lettres de Mère Mechtilde ne devrait être confié qu'à un historien familier de longue date de l'Institut que fonda Catherine de •BAR. Un Pierre MAROT, par exemple, ou mon regretté confrère d'études au Séminaire des Carmes (cette maison si proche de l'endroit où se bâtit le monastère de la rue Cassette), Louis COGN ET, ont su écrire ainsi en tête du volume naguère publié des «Documents historiques» concernant Catherine de BAR.
Pour introduire le présent ouvrage - les Lettres de Mère Mechtilde si on a sollicité l'actuel évêque de Saint-Dié, c'est sans doute parce que, dans ce diocèse tel qu'il est délimité depuis 200 ans, se trouvent, outre la ville natale de Catherine de BAR, les bourgs de Bruyères, où elle se fit «Annonciade», et de Rambervillers, où elle devint «bénédictine». Sans oublier l'importante abbaye d'Etival, dont l'Abbé de l'époque eut une telle influence sur Mère Mechtilde ; ni Remiremont, foyer historique - depuis l'époque des religieuses du «Saint Mont» - de la chrétienté dans la montagne des Vosges, le Remiremont des «Dames Chanoinesses» ensuite, tellement lié, par Mère Alix Le CLERC, à l'oeuvre réformatrice et à la fondation religieuse de saint Pierre FOU-RIER, peu avant que naisse Catherine.
Il m'est souvent advenu de réfléchir sur ce que fut le puissant mouvement de renouveau catholique qui, dès les lendemains du Concile de Trente, souleva cette région de Lorraine, dont une partie est devenue, plus tard, l'actuel diocèse de Saint-Dié. - Contre-Réforme ? - L'expression ne me plaît guère. Mais élan spirituel et pastoral, provoqué par le grand Concile réformateur que la Lorraine - qui n'était pas la France alors - put mettre en pratique, sans trop d'entraves et rapidement, sous l'influence d'évêques et de prêtres lucides et actifs, puissamment aidés en cela par des hommes et des femmes d'Eglise que l'Esprit suscita, en temps opportun, vigoureux et saints, pour que revive, en une sorte de printemps, un catholicisme à la sève féconde. En ce terreau spirituel naquit, grandit, pria, se forma à la vie chrétienne cette petite fille de Saint-Dié que fut Catherine de BAR.
Mais chaque pas de ce renouveau post-conciliaire à la fin du XVIe siècle comme dans la première moitié du XVI le, fut compromis - humainement - par les ravages de la guerre... Et voilà pourquoi Mechtilde, hormis un bref retour à Rambervillers, ne vécut plus en ce pays qui
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CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 7
l'avait vue accéder à la vie consacrée. Néanmoins nous savons - et la présente édition des lettres le révèle abondamment - combien demeurèrent forts les liens de Mère Mechtilde avec le courant religieux de cette terre lorraine.
Aujourd'hui, il n'y a plus de monastère à Saint-Dié, ni à Etival, ni à Bruyères, ni à Rambervillers, pas plus d'ailleurs qu'à Remiremont ou à Epinal. Et trois fois encore. dans les cent dernières années, la guerre a ravagé cette région besogneuse et paisible. Quant à la décenme qui s'achève, elle a vu les premières applications du Concile «pastoral» (sinon réformateur) que fut Vatican II. Ayant moi-même vécu la participation à ce Concile comme une grâce initiale de mon épiscopat, je mé suis souvent référé, depuis, à cette époque des lendemains du Concile de Trente en Lorraine. La vie et l'oeuvre spirituelle de notre compatriote, Catherine de BAR, ainsi que tout son environnement, m'apparaissent en parallèle frappant avec les temps d'aujourd'hui. Non pas qu'il faille attendre une réédition littérale de l'histoire, mais du moins celle-ci est-elle maîtresse de vie et surtout signe de Dieu ou «signe des temps».
* *
Tel est l'état d'esprit avec lequel j'ai parcouru les lettres de Mère Mechtilde qui vont être éditées. Je dis avoir «parcouru» ce volume comme on parcourt les salles d'un musée lorsqu'on n'est pas un intime connaisseur... et lorsque l'on est pressé par le temps. On est alors impressionné par une certaine atmosphère : on se prend à s'arrêter devant un tableau, un détail. Est-ce le meilleur aux yeux des connaisseurs ? Peut-être pas. C'est du moins ce qui a retenu un instant le visiteur avide et attentif.
Les documents que voici m'ont frappé par ce que Mère Mechtilde y révèle de son sens de l'union à Dieu, simple, paisible, en quelque sorte permanente, profondément mystique sans pour autant planer à des hauteurs qui seraient inaccessibles.
Evidemment son secret est (si j'ose ainsi m'exprimer) la «médiation» de la rencontre entre l'âme et Dieu qu'est l'Eucharistie. Sans doute devrons-nous, pour transposer à notre temps, faire la part du langage de l'époque. La part aussi de l'influence de la Contre-Réforme, qui explique l'insistance sur la «réparation» due au Saint-Sacrement après les affres des luttes de la Réforme. On ne pourrait non plus se permettre aujourd'hui de parler d'un Jésus «enfermé dans le ciboire» et d'un appel à l'union à Lui en s'y enfermant 'avec Lui. Et je ne pense pas qu'il faille accepter sans nuance ce qu'on lit dans telle lettre à la duchesse d'Orléans, à savoir : contempler en l'Enfant Jésus supportant les souffrances normales d'un bébé, celui qui expie ainsi afin d'apaiser la colère de Dieu son Père envers l'humanité pécheresse. II en va de même d'une certaine insistance sur la coupure radicale avec un monde corrompu, batailleur et corrupteur. Ce langage ne peut exprimer exactement aujourd'hui la pleine signification de la vie contemplative et adoratrice, au coeur d'une Eglise présente par vocation à un monde dont «rien ne peut lui être étranger». (Vatican II, G audium et Spes, n" 1).
Toute époque a son langage, ses schèmes et ses images,• opportuns certes, ou tolérables dans leur contexte culturel, mais évidemment relatifs comme le sont, à nos yeux, par exemple, les naivetés des miniatures du Moyen-Age ou les faux-reliefs de la Renaissance.
Mais ceci dit, quelle aide puissante nous trouverons à lire et à relire les conseils spirituels de Mère Mechtilde tant à ses filles qu'aux grands et aux grandes de ce monde. Ses consignes de vie spirituelle fondées sur l'expérience, sont tout autant, me semble-t-il, du Vincent de Paul que du Marie de l'Incarnation ou, plus tard, du Caussade ou du Lallemand. Contemplation prolongée de Dieu présent à notre existence ; abandon à sa volonté ; union à Lui tant dans la contemplation par état que dans la vie active et charitable.
«Il y a trois demeures ou maisons de Dieu : le ciel, l'église et l'intime de l'âme chrétienne écrit Mère Mechtilde à la duchesse d'Orléans. Il faut espérer d'aller un jour au ciel pour n'en jamais sortir. Dans l'église, on n'y peut pas toujours demeurer, mais dans l'intime de nous-même il faut tâcher de ne point sortir puisque Dieu Trine et Un y réside continuellement.»
Les saints, les mystiques de ces siècles qu'on appelle «les temps modernes» n'ont cessé de nous apprendre à concilier ainsi l'inconciliable : vivre intensément uni à Dieu, au milieu même des affaires de ce monde et des relations avec les autres auxquelles nul n'échappe, fût-il cloîtré, puisque la vie sociale, comme la vie sociétaire en Eglise, en font la condition universelle.
Mère Mechtilde était élue de Dieu pour nous réapprendre, en quelque sorte, que le lieu privilégié de cette rencontre avec Dieu à aimer et avec nos frères les hommes à aimer et à servir pour Dieu, c'est le Fils, l'Unique, toujours vivant près du Père pour intercéder pour nous, toujours présent dans l'Eucharistie.
La théologie et le renouveau liturgique suscités par Vatican Il ont rappelé aux chrétiens que le Christ est présent à son Eglise et à chaque frère croyant, par sa Parole et dans la communauté des frères. Puissions-nous ne pas oublier qu'il l'est aussi par son Eucharistie ! D'une messe à l'autre, dans le temps et l'espace, la Présence réelle fait signe au croyant et à toute l'Eglise. Elle rappelle et actualise l'Incarnation, la mort et la Résurrection du Seigneur. Elle est comme ce point de rencontre, unique, entre la Trinité Sainte et le peuple des hommes en qui Dieu s'est choisi son Eglise. Elle est foyer de contemplation, livre ouvert pour le croyant sur la Parole unique qui taille, purifie, éclaire et transforme. Elle est le lieu de convergence et le ciment de toute communauté de
baptisés. où se trouve, vivante et agissante, l'unique Eglise sainte, catholique et apostolique (cf. Vat 11, Décret Christus Dominus, n"11).
Le mystère eucharistique est surtout «source et terme» de tout ce qu'annonce l'Eglise (cf. Const. sur la Liturgie n" 7,10), de ce qu'elle vit, de ce qu'elle fait, de ce qu'elle est, de ce qu'elle prie, de ce vers quoi elle tend.
Comme Mère Mechtilde aurait -été heureuse - j'imagine - de monnayer à. temps et à contretemps pour ses filles, ses soeurs, ses amies, ses correspondantes, cette doctrine, traditionnelle certes dans l'Église, mais comme ravivée par Vatican I I ! C'est la charge et la vocation de son Institut de continuer son oeuvre spirituelle pour notre temps.
19 mars 1976 INTRODUCTION
Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, fut une protectrice insigne de l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Les lettres de la prieure à la duchesse dont la copie est conservée aujourd'hui par les Bénédictines révèlent l'étroitesse des liens qui unissaient Marguerite à Catherine de Bar. Marguerite, comme la Mère Mechtilde, avait vécu les heures douloureuses de la Lorraine éprouvée par la guerre et la peste. Toutes deux avaient émigré, dans des conditions très différentes certes, et se retrouvèrent à Paris, toutes proches, puisque la rue Cassette où les religieuses du Saint-Sacrement s'étaient installées se trouvait à proximité du palais du Luxembourg où résidait la duchesse.
Née le 22 juillet 1613, Marguerite était le cinquième et dernier enfant de François de Vaudémont, frère du duc de Lorraine Henri II, et de Christine de Salm. Elle fut confiée aux soins de sa tante Catherine de Lorraine, fille du duc Charles III, qui s'était vouée à l'Eglise de la Contre-Réforme, de cette réforme dont la Lorraine donna l'exemple. Marguerite fut profondément marquée par Catherine. Celle-ci, depuis 1611 abbesse de Remiremont dont elle était la coadjutrice dès 1609, avait vainement essayé de réformer le fameux chapître de dames nobles, mais elle fonda à Nancy l'abbaye bénédictine de Notre-Dame de la Consolation elle avait pris l'habit, en 1624, au Val-de- Grâce où elle s'était pénétrée de la réforme de Marguerite d'Arbouze et entra dans son monastère en 1625, gardant toutefois son titre abbatial de Remiremont en se donnant comme coadjutrice Marguerite de Lorraine. Elle devait obtenir en 1631 la création d'une nouvelle congrégation bénédictine de l'Etroite observance. Marguerite, comme sa tante, avait l'âme mystique.
La confusion dont la Lorraine allait être le théâtre devait perturber considérablement la vie de la jeune princesse. Le duc de Lorraine Henri II, son oncle, était mort en 1624. Il n'avait eu que deux filles : l'aînée Nicole avait épousé son cousin germain Charles, frère de Marguerite. Il avait été convenu que Charles et Nicole règneraient conjointement, mais, au nom de la masculinité, le père de Charles, François, revendiqua la couronne et abdiqua, après quelques semaines de règne, en faveur de son fils. Charles IV, bon soldat, ambitieux, mais piètre politique, versatile et débauché, se montra d'une folle imprudence à l'endroit du roi de France, qui, installé dans les Trois Evêchés depuis
évêque de Saint-Dié
SAINT-D1É
Notre-Dame de Galilée Vierge à la rose - X I Ve
LETTRES INÉDITES I 1
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1552, était un voisin redoutable. Charles pactisa avec les ennemis du roi et de son ministre Richelieu. C'est ainsi qu'il accueillit, en août 1629, Gaston d'Orléans, frère de Louis XI I I, qui s'était brouillé avec celui-ci. rompre son mariage. En juillet, Gaston envoyait à Nancy un agent pour réclamer son épouse. Ce qu'apprenant, le roi envahit la Lorraine et, pensant s'assurer la personne de Marguerite, mit le siège devant Nancy à la fin du mois d'août. Le 4 septembre, Catherine réussit à faire évader sa nièce ; déguisée en page, celle-ci s'échappa à travers les lignes françaises et, par Thionville, gagna Namur où elle retrouva Monsieur, Se rendit à Bruxelles à la cour de l'Infante Isabelle, repaire des ennemis de Richelieu où résidait sa belle-mère Marie de Médicis.
La cour de France était traversée d'intrigues auxquelles participait continuellement le frère du roi ; des factions divisaient le royaume. On sait les difficultés qu'éprouvait Richelieu et le rôle que devait avoir la reine-mère, Marie de Médicis. Louis XIII n'ayant pas eu jusque-là d'enfants d'Anne d'Autriche, Gaston était l'hél'itier présomptif ; son mariage avec Marie de Montpensier avait été l'occasion de graves querelles. La jeune femme était morte en donnant naissance à celle qui devait devenir la grande Mademoiselle (1626). Marie de Médicis et Louis XIII voulaient le remarier, d'où de nouvelles cabales qui se muèrent en « conspirations ». Gaston s'opposait à son frère et à Richelieu, sa mère jouait un rôle douteux. Il passa la frontière du royaume. A Nancy, Charles IV le reçut avec honneur. Il donna des fêtes brillantes auxquelles participèrent les princesses lorraines. Un favori de Gaston, Puylaurens, séduisit la soeur aînée de Marguerite, Henriette, qui avait épousé contre son gré le prince de Phalsbourg. Gaston, ce viveur, apprécia les charmes pudiques de Marguerite, cette jeune fille de seize ans. Puylaurens, soutenu par Henriette, le poussa au mariage. Marguerite demeura d'abord réservée. Nancy tomba sans résistance aux mains du roi et, par le traité de Charmes, le 28 septembre 1633, Charles IV souscrivit à l'annulation du mariage qui devait être obtenu « par voies légitimes et valables » et s'engageait à livrer sa soeur à Louis XIII. Gaston affirma de son côté que Marguerite était sa femme ; mais, ménageant en quelque manière son frère, il ne répondit pas au manifeste que le roi de France venait d'adresser au Parlement sur la nullité du mariage que devait déclarer cette cour le 5 septembre 1634.
Bientôt, d'ailleurs, le duc d'Orléans regagna la France où il renoua avec son frère. Mais il revint en Lorraine en avril 1631, après s'être mis en rebellion ouverte contre Louis X III. Charles IV était au service de l'empereur tout prêt à entrer en lutte avec les ennemis du roi de France. La Lorraine se trouvait dans une situation périlleuse, par surcroît la peste décimait ses habitants. C'est alors que Gaston revint à l'idée d'un mariage. lorrain. Monsieur se montra très épris de Marguerite et celle-ci ressentit une véritable passion pour lui. La reine-mère Marie de Médicis, alors en exil, approuva le projet de cette union contre le gré du roi et de Richelieu. Emu de ces conjonctures, Louis XIII vint à Metz et menaça la Lorraine. Charles IV, en hâte, regagna le duché et fit sa soumission au roi en signant le 6 janvier 1632, à Vic, un traité par lequel il s'engageait à se départir de toute action qui pourrait porter préjudice au souverain. Or, le 3 janvier à Nancy, dans l'abbaye qu'avait fondée Catherine de Lorraine, en secret, Gaston avait épousé Marguerite, avec les dispenses qui lui avaient été accordées par le cardinal Nicolas-François de Lorraine, évêque de Toul, frère du duc et de la princesse. Au début d'octobre, Monsieur quitta Bruxelles. Marguerite était seule désormais. Elle fit face avec beaucoup de dignité et de courage pendant huit années à la situation qui lui était faite. Elle trouva sans doute dans l'éducation chrétienne qu'elle avait reçue la force d'âme dont elle donna la preuve. Elle réussit à faire ajourner par le Saint-Père la ratification de l'annulation de son mariage par le Parlement, malgré la pression de Richelieu et les propositions de l'Assemblée du clergé de France. Elle était dans une situation matérielle précaire. Comme elle le disait alors à son frère Charles IV, elle « mendiait son pain », sans aide et sans une bonne parole de Gaston. Celui-ci vivait en Frande dans l'agitation et la dissipation. Elle avait conservé cependant son attachement à cet homme volage qui, s'il se refusa toujours à l'annulation de son mariage, ne fit pas grand effort pour que sa femme pût le rejoindre. Les lettres qu'elle lui écrivit nous révèlent sa grande détresse :
Les nouveaux époux se séparèrent rapidement. Gaston, qui redoutait la proximité de Louis XIII, gagna les Pays-Bas et poursuivit une vie de dissipation à Bruxelles ; Marguerite était abandonnée par son mari et aussi par son frère. Gaston traversa furtivement la Lorraine où il rencontra sa femme en juin. Marguerite devait subir longtemps l'ostracisme de la cour de France qui s'employa par tous les moyens à faire « Je plains plutôt mon malheur que de me plaindre de vous, car vous jugerez facilement, avec le reste des personnes, que je suis la plus malheureuse des femmes... Il y a tant d'années que je suis en état le plus chétif qui ait jamais été, ne sachant à qui me tourner, à qui m'adresser, sinon à Dieu et à mes larmes ; ce qui m'afflige davantage, c'est que cette vie préjudicie à votre honneur..., car enfin je vous ayme et vous honore du fond du coeur ; je sais aussi que vous m'aimez bien ; certes, vous en avez sujet ; faites-le donc paraître..., afin que je sois bientôt auprès de vous pour me faire une vie selon Dieu et qui soit d'édification au monde (19 mars 1638) ».
Elle menait une vie exemplaire ; sa constance eut finalement raison des oppositions, des passivités qu'elle subissait. Elle avait essayé de fléchir Richelieu qui mourut en 1642 ; elle s'adressa ensuite à Mazarin. Le 4 avril 1643, Louis XIII lui permit enfin de venir en France. Le
12 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 13
5 mai, il donna le consentement qu'il avait promis, «y étant convié, déclarait-il, par l'estime très particulière que nous avons eue par le mérite et la piété singulière de notre belle-soeur ». Le 26 mai, à proximité de Paris, elle rencontra Gaston. Louis XIII était mort le 14 mai ; elle, parut pour la première fois dans une cérémome à l'occasion des obsèques du souverain. Le même jour, l'archevêque de Paris, Jean-François de Gondy, avait béni une seconde fois son union avec le duc d'Orléans. Elle eût aimé donner au jeune homme la main de sa fille Marguerite-Louise, à laquelle Louis XIV imposa le mariage avec le grand duc de Toscane. Pendant un temps, elle abrita au palais du Luxembourg Nicolas-François et son fils.
Elle allait résider désormais au palais de Luxembourg, ce somptueux édifice que Catherine avait• légué à Gaston. Ainsi commençait pour elle une vie nouvelle. Gaston à la mort de son frère, devint lieutenant général du royaume, il participa arix campagnes de 1644, 45 et 46, non sans succès, mais il eut la faiblesse d'intringuer comme il l'avait fait naguère et se rangea parmi les frondeurs au service desquels se mit le duc Charles IV. Au retour de Louis XIV à Paris, il se retira dans son château de Blois (le comté de Blois constituait son apanage). La duchesse l'y rejoignit en janvier 1653 et y demeura jusqu'à la mort du prince (2 février 1660). Elle se fixa ensuite au Luxembourg. Elle avait donné cinq enfants à son mari : à sa mort, ne survivaient que deux filles, l'aînée était la grande duchesse de Toscane, la cadette la duchesse de Guise. Peu après son arrivée à Paris, en 1644, elle avait recueilli dans ce palais sa tante Catherine qui avait fui pour l'Allemagne, la Lorraine occupée par le roi, avait regagné ensuite Remiremont et avait finalement abandonné le duché. L'abbesse vécut auprès d'elle ses dernières années, se consacrant à la prière. Marguerite avait donc recouvré l'appui et le conseil de celle qui l'avait guidée. Après la mort de sa tante, le 9 mars 1648, recommandant sa fille Elisabeth, âgée d'un an et demi (!) aux chanoinesses de Remiremont pour qu'elles en fissent leur abbesse en remplacement de Catherine, la duchesse rappelait « la passion qu'elle avait toujours eue pour leur maison et la nourriture qu'elle y avoit pris pendant tant d'années ». Elle retrouva une décenme après la mort de Catherine le soutien d'une autre mystique, la Mère Mechtilde.
Marguerite se mêla peu, semble-t-il, à la vie de cour. A son retour en France, elle n'était plus la gracieuse princesse dont le peintre Van Dyck nous a laissé le souvenir dans un tableau qui se trouve aujourd'hui aux Offices, à Florence. Sa belle-fille, l'altière Mlle de Montpensier, qui lui causa tant de tracas, dit que « la manière dont elle était habillée ne contribuait pas à réparer le tort que ses chagrins lui avaient causé ». Mme de Motteville nous la montre timorée et chagrine : Nous ne savons pas exactement les circonstances dans lesquelles Marguerite encouragea la fondation de l'Institut du Saint-Sac curent. La Mère Mechtilde qui était restée fidèle à la Lorraine devait toue. naturellement rechercher l'appui d'une princesse de la famille ducale réputée pour sa piété. Lorsque fut établi le monastère de la rue Férou en 1654, Marguerite vivait encore à Blois. Mais nous savons qu'une fille d'honneur de la princesse, Mlle d'Urcelle, entra au couvent peu après sa fondation. Lorsque Marguerite revint au palais du LuxembsSurg, en 1660, le couvent était transféré depuis deux ans rue Cassette. C'est alors sans doute que des relations plus étroites se nouèrent entre la duchesse et la prieure. En 1664, Marguerite décida de léguer à l'Institut du Saint-Sacrement 10.000 écus et d'en servir les intérêts, sa vie durant, pour aider à l'établissement d'une abbaye à Nancy.
« Elle étoit belle par les traits de son visage... mais elle n'étoit point agréable et toute sa personne manquait d'un je ne sais quoi qui plaît... On a toujours dit de cette princesse qu'elle étoit belle sans l'être ; qu'elle avoit de l'esprit et n'en paraissoit point avoir, parce qu'elle n'en faisoit nul usage... ». En 1665, la duchesse scellait la première pierre de l'aile nouvelle du couvent de la rue Cassette que nécessitait l'accroissement du nombre des religieuses. Elle convainquit la Mère Mechtilde d'appliquer la donation qu'elle avait faite à l'abbaye Notre-Dame de Consolation fondée par sa tante. à Nancy, qui périclitait, et d'intégrer ce monastère à l'Institut du Saint-Sacrement.
Monsieur qui lui était cependant attaché semble l'avoir plus d'une fois brocardée. Elle lé convertit finalement, aidée de sa dame d'honneur, Anne-Marie de Saujon. Il devait prendre comme confesseur Armand-Jean Bouthillier de Rancé. Ainsi, après avoir établi un monastère à Toul et associé celui de Rambervillers à son oeuvre, la mère Mechtilde réunit à son institut celui de Nancy. Sur les cent douze lettres de la prieure à la princesse que nous conservons, trois seulement sont datées, expédiées de Ramber-villers et Nancy (1667, 1669) où sont évoquées les cérémonies de la première exposition du Saint-Sacrement dans les couvents de ces villes.
Elle souffrit beaucoup des intrigues qui infestaient la cour. Elle était restée très lorraine de coeur et soutint le duc Charles, celui qu'elle appelait dans sa jeunesse son « frérot » ; elle essaya de le détourner de passions honteuses. Elle ressentit cruellement les querelles qui opposaient celui-ci à leur frère Nicolas-François qui, pour assurer le destin de la famille avait renoncé à l'Eglise et souffrit de la jalousie sordide que le duc témoignait au fils de celui-ci, le prince Charles qu'elle affectionnait. Les lettres de la Mère Mechtilde à Marguerite sont des exhortations d'une. « mère maîtresse » qui s'exprime avec liberté et déférence à la fois. Elles ont été écrites entre les fréquentes visites que faisait la
CATHERINE DE BAR
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duchesse au couvent de la rue Cassette, pour continuer des conversations
ou pour remplacer celles qui n'avaient pu avoir lieu, notamment du fait de la santé de la princesse.
Il est, en effet, souvent question de la santé de la duchesse, de ses
« incommodités, des « vapeurs qui la tourmentent », de son « mal ». Constamment aussi il est question de ses « chagrins », de ses « afflictions », des « contradictions » qui « l'environnent », de « conjectures d'affaires qui touchent [sa] maison », d'« étranges épreuves que Dieu donne à sa vertu ». La Mère Mech tilde parle de l'« héroïsme » de la princesse, reconnaît qu'elle est une « femme forte », mais parfois déclare qu'elle « ne combat pas assez son chagrin ». « Permettez-moi de vous dire, remontre-t-elle, que vous demeurez trop accablée. Prenez courage ». Elle lui montre que toutes ses difficultés, ses mortifications la conduiront au salut et constituent autant « d'échelles pour monter au ciel ».
La duchesse doit s'abîmer en Dieu. Mechtilde lui conseille de se livrer à la prière. Elle devait trouver le réconfort en venant adorer le Très-Saint-Sacrement le jeudi, à l'église du couvent. Tout cela est dit «dans un style magnifique », où l'on apprécie, pour reprendre les mots de l'abbé Cognet « l'élévation et la cohérence de la pensée ».
A travers les propos de la Mère, de la « Mère maîtresse », on a parfois l'impression que la princesse se montrait quelque peu dolente, ainsi que le constatait non sans désinvolture Mme de Motteville. Mais, quand on mesure toutes les difficultés qu'au cours de sa vie subit Marguerite, on éprouve pour elle non seulement un sentiment de compassion, mais aussi d'admiration. Elle avait conservé toute sa pureté au milieu d'inextricables intrigues et d'insondables turpitudes ,
qu avaient exacerbées les troubles du temps. Elle aspirait au renoncement complet. Elle le dit « beaucoup de fois » à la Mère Mechtilde et à ses compagnes : « si sa santé qui était très faible, [le lui avait permis], elle [eut] préféré d'être soeur religieuse converse dans la maison du Saint-Sacrement ». Marguerite mourut le 3 avril 1672.
Pierre MAROT
Membre de l'institut
Président de la Société'
d'archéologie lorrain
et du Musée
historique lorrain
La description des manuscrits employés pour cette édition : voir fin du volume.
[photo omise]
SUR LES DÉSIRS DE JÉSUS: POUR LE SAINT TEMPS DE L'AVENT
M_ARGVERITE DE L o f), RAINE
DVS CHE S SE DE OIR.LEANS
Moileolvect- ex aili'C priailcy
ous avez trop de bonté et de soin, de ma santé. Elle est si grande que je vous la souhaite aussi entière et parfaite (1), et vous supplie très humblement de ne vous point fâcher pour un si chétif sujet. Je mange des oeufs et j'ai pris des bouillons gras pour vous obéir et contenter notre Mère Sous-Prieure qui se tient forte comme une citadelle, de vous avoir de son parti. J'espérais hier l'honneur de vous voir pour nous bien entretenir et vous réveiller doucement. Voici, Madame, le temps des désirs. L'Eglise en est toute remplie et elle le manifeste par les saints offices. Unissons-nous à elle et crions avec les Justes : RORATE CCELI DE SUPER ET NUBES PLUANT JUSTUM(2). Réjouissons-nous de la venue du Verbe éternel revêtu de notre chair -; préparons-nous à le recevoir et à lui donner un pouvoir absolu sur nous. Comme il vient pour y régner, et son Règne ne doit point avoir de fin non plus que de borne, ne lui en donnons point. O quel bonheur d'être sujette d'un Roi qui donne sa vie pour ses sujets et qui les associe à sa gloire ! Mais plus il nous fait ses enfants et nous communique ses saintes dispositions, mérites, perfections et mystères, mais surtout sa vie divine, plus sommes-nous obligées d'y correspondre. O quels dons et quelles faveurs ! Une âme serait bien dégoûtée qui les refuserait ou qui ne voudrait pas s'abandonner toute à lui. Donnons-lui tout pour le tout. Heureuse l'âme qui possède son aimable Jésus et qui ne cherche, qu'à lui complaire ! Aimez, Madame, aimez, c'est le plus doux et le plus facile et même le plus conforme à sa grâce en vous. Nous dirons le reste quand nous aurons l'honneur de vous voir. J'ai une grande joie de la bonne espérance que vous me donnez. J'ai vu l'écclesiastique que vous connaissez. Il ne faudrait rien négliger. Je dois le voir demain, je vous en écrirai (3).
J'embrasse vos pieds avec profond respect.
ir 3021
(1) Le Ms N267 s'arrête à : parfaite et ne reprends qu'à : j'espérais hier.
(2) Isaïe X LV - 8.
(3) Le Ms N267 omet depuis : j'ai une grande joie, jusqu'à : je vous en écrirai.
LE. I I Kr...3 IIVGUI I C. Z. I
DISPOSITION POUR L'AVENT
ous me donnez une nouvelle que je chéris de tout mon coeur,
de quoi je rends grâce du profond de mon âme à Dieu, de ce qu'il
vous conserve la santé. Vous êtes excessive en bonté pour une créature qui ne le peut mériter et voudrait être le reste de sa vie à vos pieds, pour me sacrifier avec vous, Madame, à celui qui s'immole tous les jours sur l'autel à son Père pour nous. Je suis pressée de me rendre à Jésus en la manière la plus parfaite qu'il le veut de moi.
Il me semble que nous n'avons quasi plus de temps et qu'il ne faut plus retarder. L'âge avance et l'éternité approche. Si je suivais mes petits sentiments, je m'enfuirais dans les déserts pour n'être plus dans le monde. Mais je ne prends pas garde que la principale affaire c'est de sortir de moi-même pour donner vie à Jésus.
Donnez-moi Madame un peu de part à vos saintes prières, et faites l'acte de charité que vous savez, pour honorer la naissance du Saint Enfant Jésus, dans votre très cher et très aimable coeur. C'est la très humble prière de celle qui est plus intimement à vous qu'elle ne peut dire, toute en Jésus.
n" 3093
SUR LA NATIVITÉ DE NOTRE SEIGNEUR
e viens de recevoir les ci-jointes que je vous envoie promptement
en vous désirant le bon jour et demandant des nouvelles de votre
santé, que je souhaite parfaite, afin que votre âme puisse plus facilement s'élever à Dieu. Comme c'est présentement toute votre occupation, je désire qu'elle vous soit continuée et vous supplie de ne plus différer d'être toute à lui. Vous avez un bon père-maître qui vous y conduira, incomparablement, mieux qu'une mère-maîtresse [et vous trouverez tout en lui] (1). C'est beaucoup quand on peut dire : Ego te... La mère-maîtresse ne le peut dire. Mais puisque votre humilité le veut, elle prendra la liberté d'exciter votre âme, de fois à autre, pour aller toujours plus fermement à son centre.
Ce saint temps est admirable pour nous y faire avancer. Les mystères de l'enfance de Notre Seigneur sont si pleins de douceur et d'amour que les âmes s'y appliquant en demeurent tout enivrées. .Goûtez la suavité d'un Dieu anéanti dans le sein virginal de sa bénite Mère. Attachez-vous à ses pieds et ne les quittez pas. Entrez dans les dispositions de son très saint Coeur : d'abaissement très profond devant cette grandeur infinie, abîmée et comme perdue, devant le néant et l'infirmité de la nature humaine ; de reconnaissance de son amour qui le réduit en cet état, pour nous relever de notre misère et nous ouvrir le paradis ; la tendresse et l'amour d'une bonté qui s'oublie de soi-même pour nous combler de grâces. Ne vous éloignez point de sa sainte Présence. Tâchez d'y entrer lorsque vous sortez des occasions, qui, par la nécessité des affaires, vous ont obligée d'en sortir. Entretenez-vous avec cette auguste Mère, et la suppliez qu'elle vous fasse entrer dans les dispositions que vous devez avoir pour participer aux grâces que le renouvellement des divins mystères doit opérer en votre âme. Croyez que tant plus vous serez à Dieu, plus vous aurez de bénédictions dans vos affaires, et plus de joie et contentement dans le coeur.
Commencez, pour ne plus finir, à communier tous les samedis et fêtes. Je n'aurai jamais de consolation, quelque grâce que vous me fassiez de m'honorer de votre amitié, que je ne voie votre âme dans cette sainte pratique. Je vous le demande avec autant d'instance qu'un ambitieux ferait la plus haute fortune, et j'ose dire que je vous le demande de la part de mon Dieu qui veut cela de vous. Il veut venir à vous et cependant vous ne le recevez pas. Vous avez plusieurs petites faiblesses qui ne seront anéanties que par l'usage de ce pain Eucharistique. Pourquoi priver votre âme d'un bien infini ? Ecoutez la voix de cet adorable Sauveur qui crie au fond de votre coeur : « Aperi, aperi, mihi soror, mea sponsa» (2) ouvrez-moi, ouvrez-moi, ma soeur, mon épouse, ma bien-aimée votre coeur pour y faire ma demeure éternelle et y prendre mon repos. Il veut s'unir à vous, pour vous faire une même choe avec lui. Ne refusez point ce que les anges s'estiment infiniment heureux et indignes de recevoir. Certes, si vous n'écoutez cette divine voix, je m'en affligerai mille fois plus que si j'étais condamnée à la mort. Je vois que les moments passent, les semaines et les mois, et que, par je ne sais quelle tentation, vous retardez votre bonheur éternel. Je vous supplie que cela ne soit plus, de crainte que, quand vous le voudrez, vous ne le puissiez plus ; et cependant vous privez votre âme de la vie divine.
Pardon, Madame, et vous dis ma coulpe de ma témérité, mais je ne vous promets pourtant pas de m'en corriger, car j'ai trop de tendresse pour votre âme. Elle m'est trop chère et précieuse, pour ne lui souhaiter pas, avec passion, le plus grand bien qu'elle puisse jamais posséder.
n"1580
(1) Variante du manuscrit P110 p. 306.
(2) Cant. V.2.
Lt I I Ktb I Nt.L)I !Lb
SUR LE SAINT ENFANT JÉSUS ,
urons-nous l'honneur d'être consolée de votre très honorée
présence ? Si je pouvais rompre les liens qui me tiennent dans
ma chère prison, je ne tarderais pas de me rendre à vos pieds pour m'assurer de votre santé et vous demander des nouvelles de ce Dieu-enfant, que nous pouvons nommer le roi nouveau-né, dans un Louvre où tout l'ornement qui s'y trouve est une extrême pauvreté, un berceau tapissé de foin, paré de toiles d'araignée, avec un délaissement universel de toutes les créatures. Jésus, Marie et Joseph sont seuls dans l'étable, en un oubli général de tout le monde, après la visite des pasteurs, et dans une solitude admirable. Jésus enfant, dans sa captivité et son silence, s'immole à son Père, comme victime, pour réparer sa gloire et réconcilier les hommes [à son Père] (1) : Marie, sa précieuse Mère, entre dans les dispositions de son cher Fils et se rend une même hostie avec lui, par un amour et transformation incompréhensibles ; Joseph est adorant et contemplant dans un mystérieux silence, ce que l'esprit humain ne peut comprendre.
Trois choses sont communes entre les personnes sacrées de Jésus, Marie et Joseph : le silence, l'oraison et le sacrifice ; or ces trois choses nous sont nécessaires pour nous rendre conformes à leurs dispositions et pour que nous leur soyons agréables ; demandez-les pour moi comme de tout mon coeur je le fais pour vous. Voilà la grande Messe qui m'oblige de finir.
n°47
(I) Variante du manuscrit P 110 p. 317.
SUR LE SAINT ENFANT JÉSUS
e n'ai point réveillé votre chère personne, parce que je ne l'ai
point crue endormie. Le désir d'être à Dieu et de l'aimer m'a
paru animer votre coeur, plusieurs fois. Il voudrait bien s'élever au-dessus de soi-même, pour demeurer en Dieu ; mais le poids de la misère humaine ne lui permet pas de jouir sans intermission de ce bonheur en cette vie. Il faut souffrir en patience la durée de notre exil. Il nous sera plus doux à supporter, si nous regardons le Verbe • Eternel sous la figure de notre chair, qui se vient aujourd'hui faire compagnon de notre pélerinage.
Il vient au monde, et le monde ne l'a pas reçu. Il vient chez les siens, et ils ne l'ont pas connu. Voilà donc Jésus sur la terre, comme un
étranger, il n'a pas où loger ni reposer son chef. C'est l'amour qu'il nous porte qui le réduit à cette indigence. Mais, mon Dieu, que cet amour est grand, de mettre Jésus dans le néant ! Il est parmi ses sujets comme esclave, et toutes ses conduites ne sont que dés inventions merveilleuses de son amour, pour nous attirer à lui : C'est pour gagner nos coeurs, et nous donner la liberté de converser avec lui, de ne plus douter de ses bontés vers nous ; et afin que nous n'adhérions plus à des pensées de défiance et de crainte qui gênent et inquiètent nos esprits. Le Père Eternel a donné son Fils à la Sainte Vierge, et cette bénite Mère nous l'a donné aujourd'hui. Réjouissons-nous d'un tel don, dans lequel toutes choses sont comprises. Trouvons en lui tous nos besoins. Nous en recevrons secours, si nous tâchons d'entrer dans sa nouvelle vie. Mais quelle est cette vie ? C'est le sacrifice, la mort, l'anéantissement. Il n'est pas plutôt sur la paille qu'il est fait la victime de la justice et sainteté divine. Toutes ses grandeurs sont ensevelies dans la bassesse, et ses forces dans l'impuissance.
n" 1040
SUR LE SAINT ENFANT JÉSUS
uoique votre bonté, Madame, m'ait fait la grâce .de me faire Q avertir que votre indisposition n'était pas de conséquence, je n'ai pu m'empêcher d'en être fort en peine et (que je n') j'ai fait redoubler les prières demandant à Dieu, plus ardemment que jamais, votre conservation. Nous allons toutes faire la communion pour ce sujet et pour tous vos besoins spirituels et temporels. Si Notre-Seigneur daigne écouter mes gémissements, il vous comblera de grâce et .de l'esprit du Sacré Mystère que nous révérons aujourd'hui. Si ce Dieu Enfant se manifeste dans l'intime de votre coeur, sa présence vous réjouira et son amour vous fortifiera.
Il n'y a rien de plus doux que d'aimer et connaître (et d'aimer) Jésus, c'est le prophète qui nous l'assure. Aimez, aimez cet aimable Sauveur qui vous aime si tendrement et qui vous applique ses mérites et tout ce qu'il est en lui-même. Possédez-le et trouvez en sa plénitude tout ce qui vous manque. Servez-vous de ses vertus et de son amour pour suppléer à tout et vous reposer en sa bonté par une confiance filiale. Et vous expérimenterez que votre espérance ne sera pas vaine, ni votre confiance confondue. Prenez donc courage, Madame, et tâchez de vivre pour les intérêts de Dieu, et la consolation de votre pauvre et indigne sujette, mais très respectueuse et fidèle servante, qui est en esprit à vos pieds et y souhaiterait être d'effet, pour un peu vous parler
24 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 25
du règne de notre Petit Roy Jésus et comme il est venu en ce monde, pour régner dans le coeur de ses élus et singulièrement dans le vôtre Madame. Mais il faut souffrir ma captivité et me contenter d'y être en esprit.
n" 2631
JÉSUS NAISSANT
e prie Notre Seigneur Jésus Christ de vous remplir de la grâce
c..) et sainteté de sa divine Enfance, et que votre pauvre coeur soit
un peu dilaté de l'amour de cet ineffable mystère, qui nous imprime les tendresses du Coeur de Dieu et l'excès de sa charité divine. Je tâche de l'adorer pour vous, Madame, mais c'est si indignement, que je n'ose paraître en la présence de cette auguste et suprême Majesté abaissée, quoique son état d'enfant, voile sa grandeur infinie, et nous donne la liberté d'approcher de lui. Ce qui me donne plus de confiance, c'est qu'il est venu pour faire miséricorde aux pécheurs, et qu'il est déjà la victime de la justice et sainteté de Dieu, pour les réparer. Il est immolé dans la crêche, comme sur l'autel et sur la croix. Ses. larmes et ses petits cris apaisent la colère de son Père, et sans parler et sans agir, il nous mérite le paradis. Nous n'avons qu'à le contempler dans son mystérieux sacrifice et nous unir à son Coeur, à ses intentions et aux desseins de son amour pour nous ; nous insinuant doucement et suavement dans la grâce de sa sainte Enfance, qui renferme des merveilles infinies qui feront l'admiration éternelle des anges et l'étonnement des hommes. O Dieu Enfant, que vous êtes aimable et incompréhensible à l'esprit humain ! Il faut vous adorer en silence, et nous perdre dans l'abîme de vos sacrés abaissements, en nous anéantissant de tout notre possible en sa divine présence.
C'est ce que vous faites, Madame, d'autant plus efficacement que cette belle disposition est accompagnée de souffrance, et c'est ce qui vous fait entrer en conformité d'état avec ce Dieu Enfant, qui n'est point exempt de douleur dans sa crêche. Je le supplie. néanmoins de diminuer les vôtres, et de couronner votre patience par l'augmentation de votre amour vers sa bonté, avec une pleine confiance qu'il fera tout bien pour sa gloire et votre sanctification, demeurant en paix dans cette ferme croyance que l'esprit de Dieu imprime dans votre coeur. Courage, allons à Dieu par les voies qu'il lui plaira, pourvu que nous arrivions à notre fin bienheureuse, c'est assez, le reste sera tôt ou tard anéanti.
Je 'prie Notre Seigneur qu'il vous fortifie, et vous donne la grâce de ne rien négliger de ce que vous lui devez : UN DIEU ET RIEN DE PLUS. Si il écoute ma prière, il vous soutiendra et vous fera demeurer en lui, par une grâce singulière. Tout ce que je vous prie, c'est de demeurer dans votre cher et aimable abandon, laissant agir Dieu en vous, et surtout demeurez ferme dans la confiance que tout réussira pour votre bien et salut, portant la marque de ses élus, puisque vous êtes crucifiée avec lui.
n" 1314
POUR I.A FÊTE DE NOËL
unique l'occupation de ce Saint Jour soit grande. je ne puis Qempêcher d'envoyer apprendre de votre santé, le Père N... m'ayant dit que vous étiez mal. J'en suis en peine et doublement touchée, à cause de la dévOtion de cette nuit, où vous ne pourrez assister, ce qui vous mortifiera d'autant plus, que vous avez coutume d'y faire la sainte Communion, par laquelle votre âme participe à la grâce et sainteté du mystère ineffable de la naissance du Fils de Dieu en notre chair
C'est une fête que vous aimez tendrement et qui est bien conforme aux dispositions de votre coeur qui ne veut que le pur amour. Il y a de quoi se ravir en cette naissance adorable et se transporter d'une sainte ardeur, voyant son Dieu s'anéantir sous la figure d'un enfant, qui n'a pour tout apanage que la pauvreté, la douleur et l'impuissance où l'amour qu'il a pour vous le réduit. Faites s'il vous plaît comme sainte Térèse, ne voyez que Jésus et vous dans cet excès d'amour, étant certaine de foi que le mystère est uniquement pour vous, quoiqu'il soit appliqué encore à d'autres. Si vous vous considérez comme l'objet de l'amour et de la miséricorde d'un Dieu, qui l'a fait descendre du ciel en terre pour se donner tout à vous et vous attirer toute à lui, vous sentirez votre coeur si animé d'une humble reconnaissance et d'un sincère désir de vous rendre toute à lui que. sans quasi vous en apercevoir, il se fera un divin incendie qui vous tirera hors de vous-même, vous brûlera sans y penser. Oh, Madame, que votre âme sera heureuse si elle brûle de ce feu sacré ! Gardez-vous bien de le laisser éteindre. Conservez-le par une sainte et profonde humilité, vous assurant que plus vous vous abaisserez, plus Dieu s'approchera de vous, et il n'est pas croyable combien Dieu se communique aux âmes anéanties. Hélas!si nous avions le courage de nous laisser à Jésus comme son domaine, il ferait de grandes choses chez nous, mais nous ne demeurons pas dans un saint abandon, en foi. Nous voulons tout faire, tout
CATHERINE DE BAR
26
I 11r-FRI'S 27
savoir et tout sentir ; mais l'âme anéantie demeure en Dieu, devient un même esprit avec lui. Tâchez, Madame, de communier pour recevoir cette grâce. Rendez-vous à Jésus naissant. Vous êtes son domaine, il est votre roi et votre souverain, ne lui refusez pas vos hommages, ni vos soumissions. Promettez-lui une nouvelle fidèlité à dépendre de sa conduite et à ne désister jamais de faire ce que vous croyez qu'il veut de vous. Obéissez à sa lumière en celui qui vous tient sa place.
Mon Dieu que j'aurais de choses à vous dire, mais voilà Vêpres, et je vous quitte pour vous trouver tantôt, dans l'étable, adorant un Dieu Enfant. Je me tiendrai aux pieds de la Sainte Vierge pour apprendre d'elle comme je me dois comporter dans un prodige si surprenant, d'un Dieu devenu enfant sur un peu de foin entre deux bêtes. Tenez-vous y prosternée pour y adorer tout ce qu'il y dit à son Père pour vous, et tâchez de vous faire sa victime comme il s'est fait la vôtre dans la crèche. Adhérez à tous ses desseins. Il faut finir voilà le dernier coup. et son très Saint Coeur est toujours plein de miséricorde pour les recevoir et les réconcilier à Jésus Christ. Toute notre fortune est entre ses bénites mains. Nous sommes assurés d'un heureux succès quand elle se mêle de nos affaires. Je la prie de prendre soin des vôtres et que par son moyen vous ayez toutes les bénédictions que je vous souhaite.
Demandez à ce Saint Coeur tous vos besoins. Nous n'oublierons point M... - et nous le prierons qu'il soit votre force, votre lumière et votre protection ; que vous trouviez en lui tout ce qui vous manque pour vos affaires et pour votre sanctification. Je vous suis, en lui, plus que moi-même. Avec profond respect...
n" 1202
n" 2629
POUR LE TEMPS DE CARÊME
POUR LA FÊTE DU SAINT COEUR DE LA MÈRE DE DIEU
(8 février)
e ne saurais passer en repos cette nuit, sans vous désirer le bon soir, espérant que demain nous aurons l'honneur de vous voir, si le temps est raisonnable, pour solenniser la précieuse fête du très Saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu.
C'est une fête toute d'amour, puisque ce Coeur très aimable en a été la fournaise dans laquelle le Père éternel a jeté son Verbe, pour y être revêtu de notre nature, et par son incarnation dans ce sacré Coeur, devenir notre victime et nous aimer d'un amour infini. O Coeur admirable ! O Coeur brûlant du pur amour ! Donnez-nous part à vos divines flammes ! Consommez-nous en holocauste avec vous en odeur de suavité. Heureuse l'âme qui pourrait pénétrer dans ce Coeur virginal, et plus heureuse encore si elle recevait de cette Mère de grâce quelque liaison à ses saintes dispositions.
Mon esprit me représente ce très délicieux Coeur comme le sacré cabinet où sont renfermés tous les dons de Dieu. Toutes les vertus s'y rencontrent dans une souveraine perfection. Si nous y cherchons de la douceur, il en est tout rempli ; si de l'humilité, il est tout anéanti ; si de la soumission aux volontés divines, elle prononce un mystérieux «flat» qui la rend esclave du vouloir divin ; si de la patience, nous en avons assez de preuves dans sa sainte conduite. Mais où je m'arrête le plus, c'est à sa charité et bonté pour les pécheurs, dont elle est le refuge, dua Providence m'a voulu priver hier de l'honneur de vous écrire pour vous rendre mille humbles grâces de la peine que vous avez prise de me donner exactement des nouvelles de votre mal ; c'est la seule consolation que je reçois en la longue absence de votre présence. Il faut que je souffre cette peine dans ce saint temps, en esprit de pénitence et de sacrifice, en mortifiant mon ardeur ; la vôtre ne doit pas être si grande, considérant ce que je suis en toute manière. Mais je veux faire comme vous, m'en remettant tout à Dieu, prenant toute ma complaisance dans son bon plaisir, quoique vous ayez l'avantage en tout, et notamment au bonheur d'avoir rapport à Notre Seigneur Jésus Christ souffrant, étant sur la croix avec lui, et dans son sacré désert, où il n'a pas à reposer son divin Chef. Vous honorez effectivement cet aimable Sauveur dans ses états douloureux, et peut-être d'esprit aussi bien que de corps. Courage, courage! Soyez victime de son pur amour, et vivez pour lui seul. C'est votre dessein et mon désir de vous voir toute à lui et pour cet effet il faut demeurer en Lui : «CELUI QUI N'EST PAS AVEC MOI EST CONTRE MOI » (1), ce sont ses divines Paroles. Soyons donc toute en lui. Ne nous mouvons et n'agissons que par son esprit et pour son plaisir et nous possèderons une paix admirable, qui n'est connue que de ceux qui la possèdent.
O bonheur infini, que tu es rare ! D'où vient cela ? C'est que la créature ne se sait pas laisser dans le saint abandon de tout elle-même à Dieu, qu'elle n'a pas assez de confiance en sa bonté, ni de patience à l'attendre. Heureux abandon où l'âme est divinement soutenue ! Dieu
(I) Mt.XII-30.
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LETTRES INÉDITES 29
est sa vie, sa force et son soutien sans qu'elle le sache, mais si le commencement de cet état est ténébreux, la suite en devient toute lumineuse. Dieu se donnant à l'âme et tirant cette âme toute à Soi, elle devient une même chose avec lui ; j'ai donc raison de dire qu'elle possède un bonheur infini.
En voilà assez, je ne sais ce que je dis, c'est pour un peu vous divertir, car vous en expérimentez bien plus que moi. Je suis en impatience de savoir comme vous avez passé cette nuit.
n" 1910
IMMOLATION ÀJÉSUS SOUFFRANT
e ne puis passer ce jour sans vous témoigner que je suis fort
en la douleur de la continuation de votre mal ; et j'en suis d'autant
plus touchée que j'ai désir de vous en délivrer sans toutefois vous diminuer du mérite et des avantages que votre âme en reçoit. Il fallait encore ce surcroît pour rendre votre croix accomplie, c'est-à-dire que le dedans et le dehors fût en souffrance présentement, afin d'être immolée avec Jésus, sur le calvaire et sur l'autel, par conformité d'état. Je vois bien que c'est toute sa complaisance de vous appliquer à son amour douloureux et vous en faire porter les marques. Oserais-je dire Madame que je les souffre avec vous et prends part à vos anuoisses de corps et d'esprit vous recardant comme victime sur votre bûcher. Jetez vos amoureux reuards sur le divin soleil qui doit allumer son feu et consommer votre être. Je vous vois Madame dans votre douceur ordinaire. édifier tous ceux qui sont auprès de vous et qui n'ont autre soulagement à vous donner que la compassion. O quelle peine de voir souffrir ce que l'on aime ! Il serait mille fois plus doux de souffrir soi-même. Hélas ! que je m'estimerais heureuse d'attirer vos douleurs en moi ! Si je savais dignement et saintement porter les croix comme vous j'espèrerais que Dieu me ferait la grâce de partager les vôtres, mais je suis trop pécheresse ; c'est pourquoi il n'exauce pas mes désirs. Je le prie du moins qu'il augmente ses grâces avec tant d'abondance que votre coeur soit tout enivré de son amour, et que vos sens soient si charmés par la douceur de ses délices et ineffables communications que vous en soyez submergée. C'est le souhait d'une pauvre impuissante qui est en Jésus toute à vous. Avec les profonds respects...
n" 1122 SUR JÉSUS SOUFFRANT
J'appréhende fort Madame que votre incommodité et le mauvais temps ne me privent de l'honneur de vous voir, mais il vaut mieux que je sois mortifiée, que d'augmenter un moment votre mal. Voilà Madame comme Notre Seigneur vous fait entrer dans ce saint temps de pénitence, en l'union de ses états. Priez-le qu'il le sanctifie en vous. Nous avons pris ici trois dispositions ou états de notre divin Sauveur pour l'honorer et nous conformer à lui durant ces quarante jours. Je crois qu'il vous sera bien aise d'y avoir part et d'en faire quelques pratiques. .
La première c'est la solitude de Jésus dans le désert et dans le Saint Sacrement de l'autel ;
la seconde est sa pénitence ;
et la troisième est sa mort douloureuse.
Il faut honorer ces trois états en Jésus qui sont renfermés dans sa pénitence. Mais comme vous êtes toute pleine de ces bonnes pensées et toujours occupée saintement, c'est assez d'un petit mot pour vous donner matière d'un entretien intérieur sur ce sujet. Si j'ai la grâce de vous voir demain nous dirons le reste.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne une meilleure santé, et toutes les bénédictions que je vous souhaite.
n° 854
CONFORMITÉ À JÉSUS SOUFFRANT
otre incommodité me donne bien de l'inquiétude ; cependant
ma peine ne vous en peut exempter. Dieu qui vous veut sanc-
tifier, vous fait part de la croix, tantôt d'une sorte et après de l'autre. Il se joue ainsi avec les élus, et un auteur dit que : « les souffrances sont les jeux de l'Amour Divin », et que « Dieu prend ses délices et ses complaisances dans une âme qui souffre, et jamais il ne détourne ses regards de cet aimable objet ». Voyez l'avantage que la croix vous donne. Elle vous purifie, elle vous rend digne des approches de Dieu, et vous ouvre le paradis. Heureuses souffrances qui produisent de si admirables effets! Notre Seigneur vous fait part des siennes, et quoique j'en connaisse un peu l'excellence, je voudrais les pouvoir tirer dans mon coeur pour en délivrer le vôtre, sans néanmoins vous priver du mérite.
Je vois bien qu'il se faut résoudre à être privée de l'honneur de vous voir et qu'il ne m'appartient pas d'aspirer à une faveur si avantageuse.
30 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 31
Il faut que je demeure dans mon néant et que je me contente de vous protester avec mille profonds respects, que je suis indigne de toutes vos bontés.
n" 2982
CONFORMITÉ ET ABANDON A DIEU DANS LES CROIX
Je suis ravie de voir que vous prenez toujours le bon parti : Servir à Dieu et l'aimer c'est régner. Il est vrai que vous sacrifiez beaucoup, mais aussi vous trouverez une ample récompense. Si votre naissance n'est pas accompagnée de tous les avantages qu'elle mérite sur la terre, le Ciel lui rendra au centuple. Ne vous affligez point, mais liez-vous à Jésus Christ de plus en plus ; entrez de coeur dans tous ses desseins sur vous et sur votre maison. Je ne puis croire qu'il la laisse périr. Il en relèvera la gloire. Il faut en attendre les moments, tout est en Dieu. Vous le voyez, les soins et les empressements des créatures n'y avancent guère.
Ayons toujours notre recours vers l'auguste Mère de Dieu; c'est la souveraine de vos Etats, elle ne souffrira pas qu'ils soient anéantis. Remettez-lui en le soin totalement, et vous, cachez-vous dans son très Saint et Sacré Coeur avec vos chers enfants. C'est un asile qui vous sera toujours très favorable et vous obtiendrez de ce saint lieu tout ce que vous demanderez à Jésus Christ, et cette précieuse solitude vous sera un lieu de repos et de délices. L'amour divin y sera votre force et rien ne pourra ébranler votre courage, tandis que vous serez sous les ailes de cette aimable Mère. Mais souffrez que je vous supplie que nous en renouvelions la dévotion, afin que vous lui protestiez de nouveau votre confiance. Dieu nous donne selon notre foi et, comme il vous a fait la grâce de préférer sa très Sainte Volonté, par tout elle aura soin de tout ce qui vous touche. Mais faites ce que vous pouvez pour ne vous point abattre dans les évènements contraires à vos désirs. Soyez ferme sur votre croix où le bon plaisir de Dieu vous lie; son amour y doit faire votre consommation, comme sa grâce y fera votre soutien. C'est dans ce sacrifice actuel où vous vous sanctifiez et où vous deviendrez une même hostie avec Jésus Christ. Je ne laisse pas de le prier de tout mon coeur d'en adoucir l'amertume et la peine, car je ressens ce qui vous touche jusqu'au centre de mon coeur.
n" 1490 SUR LES SOUFFRANCES DE JÉSUS
e ne doute point, Madame, que vous ne soyez dans une nouvelle ferveur d'amour en ces Saints Jours, et que la vue de Jésus souffrant ne soit le cher objet qui occupe toutes vos pensées. Je le prie qu'il comble de grâces et de bénédictions votre chère solitude. Nous lui offrirons, de notre part, la privation que nous portons de votre chère présence, comme une très rigoureuse pénitence. J'espère que Notre Seigneur l'agréera, étant rude à un coeur qui a reçu du vôtre, Madame, trop de marques et témoignages de vos bontés d'en être si longtemps séparée. Je ne vous perdrai pas de vue et tâcherai de vous voir en esprit au Cénacle et sur le Calvaire où je crois que vous serez plus que nulle autre part.
J'embrasse vos pieds avec un profond respect, en attendant une sainte Résurrection qui me rendra plus digne de posséder votre présence. Voyez comme je ne puis m'empêcher de vous en témoigner mon déplaisir. En celà vous jugerez que je ne suis pas morte et connaitrez mon imperfection et que je tiens si fort à vous, Madame, que je ne m'en puis séparer qu'avec une peine extrême.
n" 1077
SOUFFRONS AVEC JÉSUS
Je serai bien consolée Madame si j'ai l'honneur de vous voir, étant en peine de votre indisposition. Je voudrais de tout mon coeur avoir tous vos maux, pour un peu vous soulager dans les croix qui renaissent tous les jours. Certes il faut conclure que Dieu vous veut dans une haute sainteté, puisqu'il tient sur vous une conduite si crucifiante, qu'on peut dire que c'est sans relâche et sans fin. Votre consolation doit être toute en Notre Seigneur qui a été souffrant dès le premier moment de son Incarnation, et vous Madame par ressemblance d'état, êtes du nombre de ceux qui ont porté le joug du Seigneur dès la jeunesse. Prenez donc courage, le paradis consommera tous les maux de cette vie et là vous n'aurez point de plus grande joie que d'avoir souffert en ce monde par amour et conformité à Jésus Christ Notre Seigneur.
n° 1424
LCI I MC.) IINCIJI I Ca
SUR LA Fi FF. 1)r 1)À(,)1 I S
Je ne pus hier au soir vous rendre réponse sur ce que vous me Cites l'honneur de m'écrire, et n'en puis faire la lecture que je n'en sois dans une nouvelle admiration, ne pouvant comprendre vos bontés. Hélas ! si vous recevez quelquefois de bons effets de nos entretiens, c'est la récompense de votre humilité qui s'abaisse jusqu'à ce point
de souffrir [à vos pieds], une pécheresse ses pieds) que la terre devrait
abîmer. Ce ne sont point les choses que je dis qui vous fortifient, mais la grâce de celui qui est caché en vous, comme le levain de la parabole de l'Evangile, caché sous les trois mesures de farine. C'est Jésus l'unique tout de votre coeur qui vous soutient et qui vous anime de son esprit, et vous attire toute à lui, par son opération divine, dans le secret de votre intérieur ; qui vous tient lieu de retraite et de solitude, en attendant qu'il vous sépare entièrement des créatures. Il sait que ce sont les plus tendres sentiments de votre coeur, et qu'il a déjà pris son vol dans les trous de la pierre, qui sont les plaies adorables de l'humanité sainte de Jéstfs, et dans ces précieuses cavernes, où vous gémissez incessamment après la jouissance de celui qui a blessé votre coeur par les flèches de son divin amour, et qu'il ne peut se réjouir d'aucune chose sur la terre hors de cette délicieuse union.
« Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux et suave » (1). Je le prie qu'il vous fasse porter l'effet de ses divines paroles que l'Evan-gile nous donne aujourd'hui pour sujet de notre méditation. Cet aimable Sauveur nous dit : « Si je suis une fois élevé de terre, j'attirerai toute chose à moi » (2). 0 bienheureux ravissement qui nous arrachera de la terre de nous-même, pour nous unir et transformer toute en Jésus ! Prions-le, Madame, qu'il s'exalte en nous, afin qu'il nous tire tout à lui. Je lui ai demandé cette grâce ce matin à la communion, pour vous, et crois qu'il vous la donnera abondamment et amoureusement, étant conforme à vos désirs et à l'ardeur qui vous dévore intérieurement.
Je retiens ma plume qui serait importune par l'abondance de ce que je ressens pour vous. Je dois vous laisser adorer ce sacré calvaire où est la croix de mon divin Maître et Sauveur, puisque demain j'aurai l'honneur de vous le voir adorer sur son trône eucharistique, où l'amour l'immolera pour vous et vous tirera dans son sacrifice, pour être faite une même hostie avec lui. C'est dans ce mystère de gloire et d'humiliation que je suis à vous d'un coeur très sincère.
Avec profond respect...
n0 1 145
( 1) Ps XXX111 -9. (2) in X11 32.
SUR LA FÊTE DE PÂQUES
Je vous rends mille actions de grâces de l'honneur que vous me fîtes hier. Je vous souhaite aujourd'hui une glorieuse résurrection et vous la désire telle, en qualité de membre de Jésus Christ, qui participe aux avantages de ce divin chef et qui ne doit plus être animée que de sa vie. NON QUAE SUPER TERRAM. Il n'est plus sur la terre, c'est pourquoi il ne s'y faut plus arrêter.
Allons le chercher dans lui-même, au Très Saint Sacrement de l'autel, où il renouvelle tous les jours ses sacrés et adorables mystères. Je le prie de tout mon coeur en faire porter les effets à votre âme, comme je les voudrais avoir en moi-même. Que cet aimable Sauveur vous fasse entrer dans sa vie nouvelle qui vous sépare de la vieille créature, pour vivre en lui. Mon Dieu quand sera-ce que Jésus règnera en nous en plénitude, qu'il y trouvera son repos et qu'il sera triomphant de tout notre être ? Il n'y a ni bien, ni joie, ni consolation hors de cette disposition : ÊTRE SOUMIS À JÉSUS, C'EST RÉGNER GLORIEUSEMENT. Nous sommes ses conquêtes, il nous a rachetés de son prix infini, c'est de justice qu'il nous possède absolument. Il ne lui faut désormais, plus rien refuser, tout est à lui. Mais aussi nous pouvons dire qu'il est tout à nous, et qu'en lui, rien ne nous peut manquer. VIVE JÉSUS GLORIEUX ET TRIOMPHANT DANS NOTRE COEUR! AMEN.
n" 407
SUR LA RÉSURRECTION
J'ai reçu avec bien de la joie l'honneur que vous m'avez fait, me donnant des nouvelles de votre santé, en étant fort en peine, pour la fatigue de ces Saints Jours. Je vous remercie de la continuation de vos bontés pour nos affaires de Rome (1). Si elle a quelque heureux succès, après Dieu, c'est à vous que j'en dois toute la reconnaissance. Je suis assurée que le Très, Saint Sacrement paiera votre zèle. C'est pour sa gloire que vous travaillez incessamment. Si je suis exaucée en mes pauvres prières, vous serez comblée de bénédictions divines ; sachant bien que celles de la terre n'ont plus de charmes pour votre coeur qui
( 1 ) *Ceci est peut être une allusion aux sollicitations faites par la duchesse d'Orléans par l'entremise de son ambassadeur en Cour de Rome, afin d'obtenir l'approbation des Constitutions. (Cf Catherine de Bar, Documents historiques. p. 237 et sv).
34 CATHERINE DE BAR
ne veut plus vivre que de la vie de Jésus réssuscité et qui ne goûte plus que les choses du ciel.
Je prie cet adorable Sauveur de vous attirer si puissamment que vous entriez en lui, pour y Vivre de son amour et consommer en vous la grâce et la sainteté de ses adorables mystères. Je vous suis avec un respect qui m'anéantit à vos pieds...
SUR L'ÉVANGILE DU BON PASTEUR
Je demande des nouvelles de votre santé et si l'Evangile de ce jour n'a pas dilaté votre coeur, se voyant sous la conduite d'un si bon Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis, dont votre âme est du nombre.
Je vous supplie, donnez liberté à l'amour d'opérer des transports de joie et de reconnaissance, des soins, des tendresses et des bontés infinies de ce bon Pasteur qui vous garde depuis tant d'années, vous préservant de tomber entre les pattes du démon. Jetez les yeux sur le Coeur adorable de ce divin Pasteur: vous le verrez tout regorgeant d'amour pour vous, tout appliqué à vous. et tout immolé à son Père pour vous. Ecoutez sa sainte voix dans l'intime de votre coeur; intérieurement il vous dit qu'il est la voie, la vérité et la vie. Nous n'avons besoin que de cela. Suivons cet aimable Pasteur: Ses brebis entendent sa voix et le suivent ; si nous l'écoutons nous l'entendrons et si nous sommes fidèles, nous le suivrons. O le bonheur de suivre Jésus Christ ! Il est la voie et le sentier où nous devons marcher ; la vérité que nous devons croire et la vie qui nous doit animer. Plût à Dieu que ces trois vérités fussent imprimées dans nos coeurs et que nous en portassions les effets! O que nous serions heureuses de marcher en Jésus et de croire Jésus en tous ses sacrés mystères et ses divines paroles, et vivre de Jésus. Goûtez ce bonheur ; vous le pouvez et vous le devez comme une fidèle brebis du troupeau de notre bon Pasteur.
Une âme qui vit de l'esprit de notre saint Evangile n'a que de la joie et du repos en Dieu. Nourrissez-vous de Jésus Christ ; et pour son amour ne me refusez pas un quart d'heure que je vous demande, pour vous exposer en sa sainte Présence, tous les jours, afin de recevoir en vous les impressions de sa grâce et entrer dans une disposition de foi, d'amour et de respect sur cette infaillible et puissante vérité qui renferme tout : Dieu est, et cela suffit à une âme chrétienne. Si vous voulez vous assujettir à cette petite pratique tous les jours, je prendrai la liberté de vous écrire comme vous vous y comporterez (1). Je suis assurée que votre âme en recevra de grandes bénédictions, et que si vous continuez, vous pourrez sans peine faire plusieurs heures d'oraison. Accordez-moi cette grâce et que votre humilité souffre que je lui en demande compte quelquefois, pour voir si Notre Seigneur fait impression sur votre intérieur. Si vous y entrez comme il faut, vous vous jouerez du monde et de tout ce qu'il contient.
Pardonnez à mon zèle ; je dirais volontiers que vous êtes plus dans mon coeur que moi-même, mais c'est pour vous donner incessamment à Jésus et à sa sainte Mère.
n" 741
SUR LA RÉSURRECTION
Je suis dans l'impatience d'apprendre ( I ) des nouvelles de votre santé Madame, et si votre rhume continue. J'en serais d'autant plus mortifiée qu'il nous priverait de la consolation d'embrasser vos pieds, et de l'honneur de vous voir dîner dans la petite maison du Saint Sacrement qui réjouirait beaucoup de sa très honorée présence ses petites servantes, qui aspirent après ce bonheur et moi plus que les autres ; désirant savoir si vous êtes entrée dans ce mystère de vie que nous adorons, et qui est rempli de tant de grâces que je ne puis m'empêcher de vous en souhaiter la plénitude. Mon zèle est toujours grand pour votre âme et sa sanctification. Et je puis dire que je voudrais donner ma propre vie pour vous établir dans la plus haute sainteté que Dieu demande de vous, qui n'est autre que l'effet du mystère de la Résurrection, qui nous fait vivre de la vie nouvelle de Jésus Christ.
Oh ! que cette vie est divine ! Plût à Dieu que nous en fussions tout animée ; notre coeur et notre esprit agiraient bien d'une autre manière. Jésus en serait le principe et nous ne pourrions plus rien voir, ni désirer hors de lui ; mais pour recevoir cette faveur il faut être fidèle à l'opération du Saint Esprit. Il faut demeurer cachée en Jésus Christ comme il dit lui-même par ces sacrées paroles : « Celui qui demeure en moi et moi en lui portera beaucoup de fruit » (2). Voilà des paroles de vie. Demeurons donc en Jésus, et que nous y soyons si cachées qu'on ne nous trouve plus, afin que nous puissions dire avec vérité : « Non quae super terram ». Certes il faut penser de la bonne sorte à être toute à Dieu par Jésus Christ.
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LETTRES INÉDITES 35
(1) Le Ms N 267 s'arrête ici et reprends à: savoir si vous êtes entrée... complété par le P110. (I) Lire : Je prendrai la liberté de vous écrire comment vous devrez-vous y comporter.
(2) Jn XIV - 5.
LE 1 I KES I NEDI I ES 37
SUR L'ASCENSION prie faites un peu de lecture sur le mystère de l'Ascension dans le Père Bourgoing ou Hayneuve (1), afin d'en remplir votre esprit et que votre amour se renouvelle. Oh ! quand serons-nous séparées du monde et des créatures ? Quand irons-nous dans notre céleste patrie ? Nous sommes de pauvres bannies sur la terre et en un pays étranger. Mais réjouissons-nous dans l'espérance que nos maux finiront quelque jour, et que nous irons dans la maison de notre Père pour l'aimer et le posséder éternellement. O quelle joie de voir Dieu et d'être transformée en lui à jamais !
Soyons donc fidèles et courageuses. Vivons uniquement pour Jésus. C'est en lui que je vous suis...
Agréez que je vous dise de vous tenir prête pour partir demain avec notre aimable Sauveur qui s'en retourne à son Père. Il n'y a point d'apparence de le laisser aller seul. Il faut faire notre possible pour l'accompagner en esprit, et renfermer notre coeur dans le sien, pour ne plus vivre que de sa vie.
C'est aujourd'hui que vous pouvez dire avec vérité que « Votre royaume n'est pas de ce monde », que vous le quittez de bon coeur pour suivre Jésus Christ et retourner avec lui dans votre céleste patrie. Vous êtes sortie de Dieu, il y faut retourner. Voilà votre devise, souvenez-vous en toujours, et prenez garde que rien ne vous empêche de rentrer dans ce centre glorieux.
Comme le membre suit le chef, ainsi devons-nous suivre Notre Seigneur dans le ciel. Hélas ! qui pourrait demeurer sur la terre sans lui ? C'est le gémissement des saints en cette vie, et ce leur est un vrai enfer d'être un moment Séparé de 'ce divin objet. •Soupirons avec les bonnes âmes, et désirons être, comme dit Saint Paul, «déliés des liens de notre captivité». Oh ! qu'il ferait bon mourir demain ! Le ciel est ouvert, et Jésus y faisant son entrée triomphante on peut facilement y entrer avec lui. Les miséricordes sont abondantes, et le Père éternel étant si occupé à se complaire en la gloire de son Fils, il ne rebutera point ceux qui entreront avec lui.
Je ne sais si vous viendrez demain adorer notre bon Maître et recevoir sa bénédiction à l'heure qu'il monta au ciel ; je l'espère de votre piété, si le temps est beau pour votre santé. Je le désire du même coeur que je suis avec profond respect...
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( 1 ) Bourgoing François, 1585 - 1662. né à Paris d'une célèbre famille de robe. Un des
premiers compagnons du Cardinal de Bérulle, il lui succèdera comme 3e général de l'Oratoire : 1641 - 1662. Il fonde 10 maisons en France et en Flandre. 11 écrit plusieurs ouvrages, celui que cite Mère Mectilde doit être : Vérités et excellences de Jésus Christ Notre Seigneur disposées en méditations pour tous les jours de l'année. D.T.C. fasc. XII I col. 1099.
Hayneuve Julien, 1588 - 1663. né à Laval, entre au noviciat de la Compagme de Jésus le 31 mai 1608. Théologien ascétique, il fut un des maîtres de la vie spirituelle au XVI le siècle. L'ouvrage cité doit être : Méditations sur la vie de Jésus Christ pour tous les jours de l'année et les fêtes des saints. 4 Tomes in 4" Paris 1611-1642. D.T.C. fasc. X LV 111 col. 2069.
POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE
n,, 7 Je n'ose espérer l'honneur de vous voir aujourd'hui; c'est pourquoi je vous envoie la lettre que je viens de recevoir, demandant des nouvelles de votre santé et si le quart d'heure continue. Il ne le faut quitter pour quoi que ce soit. C'est pour Dieu et à Dieu que vous le donnez directement, et c'est ce qui vous doit obliger à y être fidèle. Employez-le, s'il vous plaît, cette octave, pour vous rendre à la puissance et amour du Saint-Esprit ; simplifiant vos pensées pour demeurer en simple attention et abandon à sa grâce et à son opération ; l'adorant en silence. Recevez passivement ce qu'il lui plaira d'opérer, et vous rendez flexible à ses impressions ; il ne manquera pas de vous en donner, et d'éclairer votre esprit sur les vérités évangéliques, et d'échauffer votre volonté pour les pratiquer généreusement.
Mon Dieu que cette vie est dure à supporter lorsque l'on voit les périls dont nous sommes environnés, et combien il est facile de se séparer de Dieu ! Il m'a pris une grande envie de mourir pour ne le plus offenser,
POUR L'ASCENSION
Si je ne mortifiais mon inclination vous seriez souvent importunée de votre petite servante, pour savoir des nouvelles de votre santé et si le quart d'heure n'est point oublié. Vous avez promis d'y être fidèle. De temps en temps, je vous en ferai souvenir. Il ne faut pas se rebuter : si la facilité n'est pas si grande au commencement, la suite adoucira la peine.
Je vous supplie que ces trois jours nous servent de préparation pour suivre notre aimable Sauveur dans le ciel. Il ne faut plus demeurer sur la terre. Le membre doit toujours accompagner le chef. Je vous
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et pour avoir la grâce de me nourrir dans l'éternité de ces beautés et excellences des mystères de Jésus Christ. Oh ! qu'il fait bon s'en occuper, et encore bien meilleur d'en porter les effets en nous ! Rien ne nous peut contenter en cette vie parce qu'elle n'a rien en soi digne d'une âme créée pour être éternellement occupée de Jésus, et consommée en son amour ; prenons Madame la résolution, en attendant la délivrance de notre captivité, de ne plus vivre qu'en l'amour, de l'amour, et pour l'amour de Jésus. Puisque nous avons reçu le Dieu de l'amour, qui est le Saint-Esprit, ne vivons plus que de l'amour qui nous unit et nous transforme tout en Jésus, pour le temps et l'éternité.
n" 1274
POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE
Si j'avais reçu le Saint-Esprit, j'aurais le don de vous réjouir en vous embrasant de son feu tout divin. Il n'en faudrait qu'une étincelle pour consommer tout ce qui fait sa douleur et nous ravir dans le Coeur de Dieu ; pour n'avoir plus qu'un même respir et une même volonté avec ce Coeur adorable, dans lequel vous devez trouver force et courage dont vous avez besoin, pour soutenir tant de coups que la divine Providence décharge incessamment sur vous Madame ; et s'il vous blesse, il vous peut guérir, et s'il mortifie, il vivifie. Ayons de la foi et de la confiance. Quand il abîmerait et consommerait tout nous-même, nous ferons comme saint Augustin, car notre foi deviendrait plus vigoureuse. Et quand tout serait perdu sans ressources, c'est lors que l'on doit croire plus constamment, parce que la foi n'est pas pure quand il y a de l'apparence ; mais elle est pure et nue lorsque tout l'humain est anéanti ; et c'est en vertu et respect de cette foi vers Dieu que Notre Seigneur fait des miracles. Nous les devons espérer de sa bonté, au temps qu'il lui plaira les opérer pour sa gloire.
Soyez, Madame, ferme et constante, dans un simple regard amoureux en Dieu. Attendez ces moments. Si vous pouvez modérer l'activité naturelle, vous aurez un peu de repos. Je vous souhaite un comble de repos et de grâces, avec un parfait assujettissement au règne de Jésus Christ.
POUR LA SAINTE TRINITÉ
Je prends la liberté de vous avertir que c'est demain la fête de votre intérieur, où les Trois Personnes Divines reposent comme dans leur Temple. Souvenez-vous de renouveler à la sainte Communion vos saints voeux de baptême et de lui rendre grâce de votre vocation à la foi. Je vous supplie que cette auguste fête soit dignement solennisée, renouvelant la dédicace que Jésus en a faite [de vous-même] à la Sainte Trinité. Vous remarquerez donc que vous n'êtes point à vous ni à vos usages, que vous êtes à Dieu par Jésus, et que vous n'avez pas un respir qui ne lui soit consacré. Vivez dans cet esprit de foi et tendez plus que jamais à vous séparer de vous-même. Remettez tout en Dieu. Pensez à l'aimer et il s'appliquera à tous vos besoins, car il veut que vous soyez à lui sans réserve, vous reposant en son amour.
Je vous demande pardon de ma trop grande liberté, mais votre bonté en est la cause. Je suis avec le dernier respect tout à vous.
n° 1296
Béni soit Dieu d'apprendre que votre santé est meilleure ! Il faut la bien conserver pour jeudi célébrer la fête des Epuisements de l'amour de Jésus vers les hommes. Oh ! que ce mystère est grand et profond pour les âmes chrétiennes ! Celui que nous célébrons demain est ineffable ; il faut l'adorer sans le comprendre, se soumettant avec une profonde humilité à la vérité proposée de l'auguste et individue (1) Trinité. Mais comme cette fête est mieux solennisée au ciel que sur la terre, nous appliquerons notre coeur et notre esprit pour la célébrer magnifiquement dans notre intérieur. C'est la fête de la Dédicace du temple mystique.
Nous savons de foi que le coeur du chrétien est le temple du Dieu vivant : l'Apôtre nous en assure, et l'Eglise nous apprend que ce temple intérieur est dévoué et consacré au baptême à la Sainte Trinité par Jésus Christ et que les Trois Divines Personnes : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sont continuellement résidentes dans ce temple, et jamais n'en sortent, quoiqu'il puisse arriver durant le cours de cette vie. Cette vérité étant de foi, il ne faut donc que se recueillir en soi-même pour adorer en nous l'auguste Trinité, lui présenter nos hommages et nos sacrifices, dont le plus excellent est de nous immoler à sa gloire, incessamment, par Jésus Christ qui nous présentera à son Père.
(1) Qui ne peut être divisée. Ne s'emploie qu'en parlant de la sainte Trinité. M. Bescherelle, Diction-
naire universel, Paris, 1851.
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La première réflexion, c'est de voir la dignité de notre âme et comme elle appartient irrévocablement à la Très Sainte Trinité.
La seconde sera que, comme elle est toujours en nous, nous devons toujours être en elle, et effectuer en nous les paroles de Jésus à la Samaritaine, lorsqu'il lui dit que « le temps était venu que le Père aurait des adorateurs qui l'adoreraient en esprit et vérité » (1), non plus en Jérusalem seulement, mais partout et surtout en nous-même ; en esprit par la foi, et en vérité du fond du coeur par amour et profond et sincère anéantissement de nous-même devant cette Suprême Majesté.
La troisième sera de demander à notre âme quels sont ses devoirs devant cette ineffable déité ; si elle la croit en soi ; si elle l'y adore, et s'y réfère elle-même et toutes ses opérations ; si elle se regarde et se voit actuellement dépendante du- secours divin, source intarissable de grâce et de sainteté cachée en elle. En suite de ces petites considérations et réflexiôns vous connaîtrez si vous rendez à Dieu les hommages et les devoirs que vous lui devez dans son temple intérieur ; et si vous remarquez y avoir manqué, faites-en amende honorable à la Très Sainte Trinité, et renouvelez les voeux et promesses faites au baptême pour vous obliger à une plus exacte fidélité.
Vous voyez que je tâche de faire ce que je vous ai promis, de vous réveiller de temps en temps et exciter à une nouvelle ferveur. Je crois que vous en savez mille fois plus que moi, qui ne suis qu'une pauvre misérable, qui mérite d'être éternellement anéantie. En parlant, j'obéis à ce que vous m'avez commandé et vous donne occasion d'exercer votre humilité et patience et devenir une grande sainte ; c'est ce que je vous désire et vous souhaite avec ardeur et respect.
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(I) Jn IV-23.
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de la malice pour outrager sa bonté. On se perd en la vue de cet abîme de miséricorde, et on n'en peut plus parler. Oh ! que ne pouvons-nous mourir par l'amour de l'amour de cet infiniment aimable, Dieu d'amour !
Cette grande et admirable fête ne se peut dignement solenniser que par l'amour, que je partage en deux actes :
L'amour reconnaissant les grâces infinies que Dieu a mises pour nous dans la divine Eucharistie et singulièrement du don ineffable qu'il nous y fait de tout lui-même.
Et l'amour unissant et transformant l'âme en Jésus Christ, qui s'épuise tout en amour dans ce glorieux Sacrement, qui est la fin de son institution.
Il nous y donne tout sans aucune réserve. Dieu n'a rien en soi qu'il ne nous donne dans la sacrée Communion, aussi ne devons-nous rien avoir en nous, ni hors de nous, que nous ne lui donnions en le recevant. Il entre en nous pour nous faire entrer en lui. 11 consomme son être sacramentel en nous, pour consommer notre propre vie en lui. Il s'abaisse pour nous élever. Il se sacrifie en nous pour nous sacrifier en lui. Il veut vivre en nous afin que nous vivions en lui et par lui. Vous êtes toute remplie des lumières de ce grand Mystère, il ne me reste seulement qu'à prier Notre Seigneur Jésus Christ qu'il vous en fasse porter les effets ; c'est à lui de les opérer et c'est ce qu'il veut faire si nous ne l'empêchons.
Je prends l'humble hardiesse de me recommander à vos saintes prières. Il me semble que je sens une petite émulation intérieure pour commencer à mieux faire ; mais je sais que si l'esprit est prompt la chair est faible, ainsi j'ai besoin d'être soutenue. J'espère que cette sainte octave ne se passera pas que nous n'ayons l'honneur d'embrasser plusieurs fois vos pieds. En attendant je vous souhaite toutes les bénédictions de l'adorable Eucharistie.
POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT
Je n'ai pas besoin d'exciter votre coeur à l'amour de notre adorable et très auguste Mystère ; je sais trop bien que c'est votre vie et la félicité de votre âme, laquelle n'a point de plus grande joie que de se consommer en sa sainte Présence, par amour et adoration, faisant ici-bas ce que les anges et les bienheureux font au ciel. O quel don le Père éternel nous a fait ! O quelle bonté en Jésus de vouloir demeurer avec nous jusque la consommation des siècles ! Un Dieu avec nous, sans jamais s'en retirer, quoique l'ingratitude des hommes l'obligerait de les abandonner : O grande et excessive charité ! Il faut être bien transporté d'amour pour demeurer avec des pécheurs qui n'ont que
POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT
Est-il possible qu'au milieu de vos souffrances, votre bonté puisse penser à sa très indigne servante ? J'en suis dans l'étonnement. C'est un effet d'une charité très grande. Plût à Dieu pouvoir attirer dans mon coeur tous les maux que vous souffrez ; j'en aurais une singulière satisfaction.
Mon Dieu, qu'il y a de plaisir d'aimer le Fils de Dieu dans le Très Saint Sacrement ! Mon âme semble se ravir d'admiration de ses ineffables bontés qui souffrent non seulement qu'on lui dise qu'on l'aime,
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mais qui veut être notre aliment, qui descend en nous pour nous élever en lui et nous combler de ses plus délicieuses faveurs. Je ne puis que je ne m'écrie : o mon adorable Sauveur que vous êtes bon, d'une bonté infime ! Vous le savez, Madame, et vous le goûtez plus purement que moi. Je sais que ce sont vos délices et les charmes de votre coeur, qui n'a point de plus grande joie en ce monde que de lui rendre, aux pieds de ses autels, ses adorations. Ce m'est une joie bien sensible quand j'ai l'honneur de vous y voir céans. Il me semble que Notre Seigneur reçoit avec complaisance les hommages que vous lui rendez et je les lui offre souvent en réparation de mes négligences et indé-votions. Continuez-les, Madame, vous en recevrez de grandes bénédictions.
Celui-là ne sera jamais sans gloire dans le Ciel, qui aura honoré et confessé Jésus Christ en terre sous les espèces sacramentelles. Je vous regarde comme une prédestinée et la bien aimée de Notre Seigneur dans le Très Saint Sacrement. Aimez-le de tout votre possible dans ce Mystère puisque c'est celui où il souffre plus d'humiliation. Cachez-vous dans ce sacré ciboire avec lui, et soyez ensevelie sous les accidents par un effet d'amour qui vous y tienne unie, vivant de la vie cachée de Jésus, en lui-même, pour la gloire de son Père. Vivez pour lui uniquement ; c'est son dessein dans la divine Eucharistie, et c'est pour cela qu'il vient à nous. Je le prie qu'il vous tire de plus en plus dans son sacré amour, et qu'aucune créature ne vive plus en vous. Que Jésus seul y soit vivant et y puisse avoir la plénitude. C'est le souhait de celle qui sait que vous n'estimez rien en ce monde que Jésus Christ, dans lequel je vous suis avec profond respect...
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donner les moyens de nous approcher de lui. et de trouver un paradis en terre . en attendant le bonheur d'entrer dans le ciel, pour le posséder avec les bienheureux, par la vision béatifique. Il faut achever votre pénitence dans la captivité où vous êtes, espérant qu'il vous ouvrira la porte du sacré repos, où votre âme aspire avec tant d'ardeur.
Je prie Notre Seigneur Jésus Christ que ce soit bientôt, afin que vous puissiez goûter, avant la mort, les délices d'un coeur qui jouit de Dieu, et qui le possède, et qui en est possédé, et qui, par cette divine union, se voit tout séparé des créatures. Il me semble que c'est l'état où votre désir tend et où vous voudrez être établie solidement. C'est une grande grâce d'en connaître la grandeur, l'excellence et le mérite, et encore plus grande d'y aspirer de toutes ses forces, autant que Dieu le veut ; du moins s'y affectionner et désirer y tendre, par une sainte désoccupation de ce qui n'est point Dieu, se séparant doucement de ce qui embarrasse l'esprit, pour conserver la paix et la tranquillité du coeur, si nécessaires pour jouir suavement de la présence de Dieu. Le souvenir de la précieuse personne que Dieu a mise en son paradis, et les sensibilités présentes ne vous empêcheront point de devenir une grande sainte. C'est de quoi faire des sacrifices à Dieu qui lui seront très agréables. C'est ce que vous faites, avec une sainte humilité. Il faut l'accompagner de persévérance.
Je vous demande mille pardons de la trop grande liberté que je prends de vous écrire de la sorte. Etant avec très profond respect...
n" 1514
SUR NOTRE INSTITUT
POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT
Je suis très en peine de votre santé. Si vous eussiez pu venir adorer le Très Saint Sacrement qui était exposé dans notre église, vous auriez reçu une force divine, pour soutenir la douleur et les déplaisirs continuels de la vie. Je désirerais la consolation et l'honneur de vous y voir plus ardemment que de coutume, me semblant que votre âme y devait beaucoup recevoir de grâces et de miséricorde.
Dans l'état où la divine Providence vous tient présentement, qui a besoin d'être soutenu de Dieu - les créatures n'ayant pas en elles-mêmes la vertu pour y subvenir - Dieu seul, et vous l'expérimentez bien, peut réjouir et consoler votre coeur. Vous le trouverez pleinement dans l'adorable sacrement de l'autel, où l'amour le renferme, l'Our nous
J'ai toujours cru que Dieu voulait se servir de vous pour faire honorer Jésus Christ, son Fils, dans notre Institut, et qu'il veut vous couronner dans le ciel, pour la gloire que vous lui procurez en terre, stabiliant l'Adoration perpétuelle que nous avons professée, et qui ne peut subsister [del longues années que par le soutien de notre Congrégation.
Si Notre Seigneur accomplit les paroles qu'il vous a données, nous serons trop heureuses ; mais ce sera à votre seule bonté et piété que nous en aurons l'obligation et que nous en devrons des éternelles actions de grâces. Il [y] fallait un zèle aussi grand que le vôtre, et une autorité aussi puissante. Je prie Dieu qu'il nous rende dignes de reconnaître, en sa Présence, mais efficacement, ces signalées grâces. Nous ne cesserons de prier Notre Seigneur Jésus Christ au divin Sacrement de l'autel, qu'il vous donne toutes les bénédictions que je vous souhaite depuis longtemps, et surtout une confiance toute filiale et amoureuse vers
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Jésus Christ qu'il vous fasse ressentir les tendresses de son divin
Coeur et qu'il attire puissamment le vôtre, par la force de son pur amour, en sorte que vous preniez votre repos dans un doux abandon à son bon plaisir ; que votre âme soit comme un petit enfant de sa sainte Providence, sans soin et sans empressement qu'une simple adhérence à son amour.
Voilà ce que Notre Seigneur veut de vous et où vous trouverez la parfaite paix du coeur et un saint dégagement de tout ce qui le peut troubler. Je ne sais si j'oserais demander des nouvelles du quart d'heure et s'il est encore en usage ?
Si vous souffrez mes importunités, je vous réveillerai quelquefois pour un peu vous divertir, en attendant que Notre Seigneur vous
inspire de nous honorer de votre présence. En attendant cette grâce, je me dirai avec profond respect...
n"836
SOLITUDE DE JÉSUS AU SAINT SACREMENT
l est vrai. Madame, qu'à votre respect Monsieur N nous a accordé
notre demande. C'est une grâce que nous devons à votre bonté. Sans votre autorité jamais nous ne l'aurions osé espérer. N ... ira vous en faire nos humbles remerciements. Nous sommes étroitement obligées de redoubler nos prières pour votre conservation et la prospérité de vos pieux desseins. Si nous étions dignes d'être exaucées les vapeurs qui vous tourmentent seraient bientôt dissipées ; mais elles sont d'une qualité qu'il n'y a que le soleil éternel qui les puissent consommer. J'en suis d'autant plus persuadée que les remèdes humains ne les ont pu guérir jusqu'à présent. C'est donc à Jésus d'opérer ses adorables effets sur l'âme et sur le corps et d'allumer le feu divin qu'il dit lui-m'aie avoir apporté du ciel en terre pour brûler et consommer les coeurs de ses élus.
Vous êtes heureuse Madame si vous brûlez de ses précieuses flammes. Je vous supplie de n'y faire aucune opposition, et puisque l'infirmité vous tient solitaire, que l'amour de Jésus soit votre occupation ; et pour y réussir avantageusement, abaissez-vous devant cette Majesté infinie, jusqu'à l'abîme du néant. Plus votre âme sera petite en sa Présence, plus il prendra de complaisance en vous, et ses grâces seront plus abondantes. Honorez par votre captivité Madame celle de Jésus en l'Eucharistie. Renfermez-vous en esprit dans le sacré ciboire avec lui. 'Fâchez de ne le quitter jamais en ce monde, puisque vous devez être éternellement avec lui. Il faut apprendre à l'aimer en la terre pour continuer dans le ciel.
Je le prie vous donner une bonne nuit et une nouvelle vie de grâce et sainteté ; j'embrasse vos pieds avec profond respect.
n" 486
ABANDON ET CONFIANCE EN DIEU
Oh ! que Dieu est bon, qu'il est adorable et tout amour pour vous ! Voyez par ces conduites qu'il ne vous traite point comme les grands du monde, mais comme la chérie de son coeur et comme une de celles qu'il a choisies sur la terre pour honorer, par état, les dispositions de son Fils. Oh ! que vous dites vrai que Dieu réveille votre foi par ce dernier coup, que sa sainte Providence vous envoie.
Je suis ravie de voir les sentiments que la grâce divine épanche dans votre coeur. Vous voyez le soin que Notre Seigneur a de vous tirer dans sa sainteté. Il VOLIS sépare de l'appui des créatures, pour vous faire trouver en lui seul les secours dont vous avez besoin. O les belles et divines paroles que vous dites de tout votre coeur à Dieu, et que vous exprimez si suavement dans votre chère lettre : « Mon Père qui est aux cieux »; dites-les souvent avec foi et confiance amoureuse, vous en ressentirez d'admirables effets et expérimenterez qu'il est véritablement votre Père, votre Epoux et votre Tout. Ce n'est point mes prières qui ont attiré sur votre âme tant de forces et de bénédictions. C'est que votre foi s'est renouvelée, et que Dieu vous fait la miséricorde de faire un saint usage de votre affliction, en la recevant de sa main adorable et vous soumettant à son bon plaisir. Continuez je vous supplie, ma très chère, de vous abandonnez toute à Jésus Christ! Conservez les grâces qu'il vous présente et jamais ne faites plus de fond ni d'appui sur aucune créature. Trop est avare à qui Dieu ne suffit. Voilà votre devise, adieu tout le reste ; il ne vaut pas un soupir de votre bon coeur, qui doit être consommé dans les flammes du pur amour. comme un parfait holocauste en odeur de suavité.
Quant à la demande que vous faites à Dieu, je ne sais quel esprit vous pousse. Je suis pécheresse et trop opposée à la sainteté où Dieu vous attire. Je craindrais de faire obstacle à votre âme. Mais comme c'est une saillie de votre profonde humilité et votre amour pour la solitude, si votre bonté m'y souffrait à ses pieds, j'avoue que j'aurais la plus sensible joie du monde, dans lequel je ne puis rien trouver d'agréable que d'être toute à Dieu et à votre service.
n° 2422
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tlentandhe .t Dieu en la sainte ( oininunion que VOUS puissiez laite un saint ti.tge des &plaisirs que vous lecevei en l'affaire dont il est question. L'est a la veille une chose bien touchante (I) selon le monde mais il la tant legarder d'un autre oeil que celui du monde.
I a toi nous .Ippi end que le bien et le mal. ôté le peché, vient de Dieu ll tain don,- adorer ses conduites et tiotiver en ses volontés
la glace de s cons(Oer. Vous n*atlI el pas tant de peine, par la longue
habitude que vous as e, de souffrir Cent t evc'rs, a toute heure, et de vous t etourner vers I Wu. pour trouver en lui la force de les supporter. Mais ce Hua" N qui n'est pas bien stylé dans cette pratique, aura encore bien de la peine a (4(1 er ce morceau. Je le plains et prie Notre ,seirneui de le console, ( )h ! qu'une âme spirituelle comme la vôtre tirera de belles leçons de cet accident ! Qu'elle apprendra sien qu'il ne faut pas inclue sa confiance au\ hommes, et que les caresses des puissances
de la tel t e sont rom tintait e sans effet : « NOLI 1 L CON FI DERE
N PR1Nt il'1liUS( 2 ). niais nous pouvons dire le contraire au regard de la supréme inaleste de Dieu. Plus votre foi et votre confiance sont pantles en lui, plus ses dons sont excellents. Soyez une bonne fois bien pcisuadee que le monde n'a plus que des cérémonies et appa-renes,
Pont vous. cachez-vous en Jésus ( hrist puisque le baptême vous .1 ensevelie en lui, comme saint Paul vous l'assure lorsqu'il dit : « VOUS t I LS MORTS ET VOrl RIi VIE LSI' CACHÉE EN JÉSUS o FIRISTs (11. Qu'une âme est heureuse de n'être plus du monde et n'avoir plus d'appui en lui et de laisser les morts ensevelir les morts !
ourage ! ne ‘.ous affligez plus, mais dites à Dieu avec Jésus Christ : - NON Nit \ SI I) 1 VA FIÂT VOLUNTAS s (4). Ne perdez votre paix inteneuie pour quoi que ce soit, et après avoir fait ce que vous avez pu, dites avec le prophète : « NISI DOMINUS AEDIFICA-\ t tt1T DOMUM TUAM IN VANUM LABORAVERUNT QUI
DIFICANT EAM s (5). Et cependant il faut trouver bon que Dieu nous anéantisse selon son plaisir. Consolez ceux qui sont mortifiés mais pour s.ous, souvenez-vous que Notre Seigneur vous appelle à la saintete et qu'il vous faut chercher en Dieu toute consolation. Il n'N, a plus guère chez les ereatures pour \ ous, mais vous le trous erei pleinement en J e sus Chrisi,Je vous suis en lui avec profond respect...
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LETTRES INÉDITES 47
SUR L'INCERTITUDE DE LA VIE
Il faut un coeur aussi ferme que le vôtre pour ne se point troubler des événements si subits et si surprenants de la divine Providence. Un coeur bien uni a Dieu est inébranlable, et je serai ravie si le vôtre est dans cette disposition. Cela n'empéche pas qu'on ne fasse un peu de réflexion sur la brièveté de la vie et l'incertitude du temps. Notre Seigneur dit qu'il viendra comme un larron. par surprise. pour nous obliger d'étre sur nos gardes et nous tenir toujours prétes à partir. C'est la meilleure disposition d'une belle âme qui vit dans un saint dégagement. Rien ne la retient sur la terre. sachant bien qu'elle y est en exil, et que le Ciel est sa maison paternelle et son palais éternel. où elle doit aspirer sans relâche. et demandant d'y retourner comme faisait le roi prophète. Ce que nous voyons arriver aux autres, peut de même s'éxécuter en nous, et bienheureuse l'âme que le Seigneur trouvera veillante. C'est le plus ardent désir que j'ai pour vous, à qui je suis, avec tous les respects profonds que je dois.
n"552
COMME IL FAUT VIVRE ET AIMER DIEU SLR LA TERRE
Hélas ! que l'honneur de votre souvenir m'est d'une douceur merveilleuse ! J'espère que jeudi, s'il fait beau. vous nous ferez la grâce de venir pour vous y divertir, en parlant de Celui qui fait les délices de votre coeur, et que vous aimez si parfaitement. Oh ! qu'il fait bon parler de cet adorable objet, qui fait la félicité des Saints ! Venez. venez. Madame. vous saintement divertir dans les bontés de Jésus. Ce discours charmera vos ennuis. et augmentera son amour en votre âme. Apprenons comme il faut connaître et aimer celui que nous devons adorer toute une éternité.
En vérité, il n'y a que Jésus capable de consoler un coeur. et de lui donner une véritable joie. Tout le créé n'est rien. Hélas. le monde est un lieu de malédiction ! C'est une terre étrangère aux enfants de Dieu qui gémissent en la vue de leur exil. Mon Dieu quand sortirons-nous de cette horrible captivité ? Soupirons après notre patrie. il est permis à tin enfant de désirer de retourner en la maison de son père. et d'en regretter le retardement. Le prophète demandait à Dieu. très instamment. de demeurer dans sa maison tous les jours de sa vie. Or il y a trois demeures ou maisons de Dieu : le Ciel. l'église et l'intime de l'âme chrétienne. 11 faut espérer d'aller un jour dans le Ciel pour
4$ CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES
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n'en jamais sortir. Dans l'église, on n'y peut pas toujours demeurer : mais dans l'intime de nous-même, il faut tâcher de ne point sortir, puisque Dieu Trine et Un y réside continuellement. C'est là où l'âme doit faire une stable et ferme demeure, et où elle trouvera le paradis en terre. Je prie Notre Seigneur qu'il vous y attire suavement et puissamment de sorte que vous y puissiez prendre le repos, la force et la _joie que je vous souhaite.
n" 446
COMME IL SE FAUT RETIRER DU MONDE
Je vous laisse à penser si le courrier m'a donné de la crainte. En le voyant venir si promptement, il m'a donné sujet de croire qu'il ne vous fût arrivé quelques nouvelles afflictions, sachant bien que notre Bon Dieu ne laisse pas un petit moment de votre vie, qui ne soit remplie de sa croix. C'est le chemin royal par lequel il vous faut marcher. A mon avis, il ne faut pas que vous en cherchiez d'autre. C'est la conduite de son aimable Providence sur votre âme. Il faut l'adorer et s'y soumettre aveuglément, car Notre Seigneur veut que vous ayez le repos d'esprit par la solitude, en vous séparant [du monde I totalement.
Je suis plus persuadée que jamais que vous devez vous retirer avec Jésus Christ, et mettre fin à une vie tracassée que vous menez depuis longtemps. Pour vous y préparer, je vous dirai ingénuement que vous ne devez rien espérer, de-par, de-ça, de l'aîné, ni du cadet. Cherchez et trouvez votre repos de vous-même et ne l'espérez qu'en Dieu. Il ne faut plus se flatter dans l'attente des créatures. Regardez toujours
Dieu, sa gloire, et votre salut, et celui de Mlle N 1 I les faut préférer
à tout le reste, qui n'est que passage et que vanité. L'éternité le doit emporter par-dessus le temps, et Dieu par-dessus les créatures, qui ne sont que des néants. Continuez vos sollicitations à Rome pour l'office du très Saint Coeur ( I). Cependant nous ferons prier Dieu pour vous faire connaître sa très sainte Volonté. Il le faut bien consulter, et puis suivre constamment ce qu'il vous aura fait connaître. Je suis de ma part dans un ardent désir de vous voir en repos sur ce sujet. Tout mon zèle, après la gloire de Dieu, est d'attirer du Ciel sur vous, et sur tout ce qui vous touche, l'abondance des bénédictions que je vous souhaite, et que vous avez besoin pour être une pure victime de son divin amour. Je suis à vous, toute en lui, avec profond respect...
n°1763
(I) l'office du très Saint Cœur de Marie, composé par saint Jean Eudes a été édité en 1648. Saint
Jean Eudes. Oeuvres complètes, i X I.
POUR LA FÊTE DE SAINTE ELISABETH (1)
J'ai prié de tout mon coeur la Sainte Vierge de vous visiter aussi efficacement pour l'achèvement de votre sanctification et consommation, qu'elle fit à sainte Elisabeth. Je ne sais si vous aurez reçu les bénédictions que je vous ai souhaitées. Oh ! qu'il fait bon recevoir de cette sorte la Mère et l'Enfant !
Nous avons bien sujet de dire avec étonnement : « UN DE HOC MIH I » ? (2). Après une telle visite, il ne faut plus nous soucier de rien, d'autant que nous avons en Jésus et Marie tout ce que l'on peut désirer. Un coeur serait bien avare, à qui Jésus et sa bénite Mère ne suffirait pas. Heureuse l'âme qui ne s'en sépare jamais ; qui conserve leur présence, et qui les sait renfermer dans son intérieur pour s'en souvenir à tout moment, et s'enflammer par leur doux entretien, des plus ardentes flammes du saint amour ! C'est leur dessein et le motif de leur précieuse visite. Nous y voyons comme saint Jean dans le sein de sa mère a été embrasé. C'est par ce divin feu que sainte Eli-sabeth a prophétisé, et par la même visite, dans la sainte Communion que nous devons être changées et transformées en Jésus.
Apprenons, apprenons bien, Madame, les usages de ce bel amour qui a tant de puissance qu'on permet à celui qui aime de faire ce qu'il veut. C'est saint Augustin qui nous l'assure. Si mon souhait avait lieu, certes nous brûlerions de cet amour, et nous dirions avec saint Paul : « Nous ne vivons plus nous-mêmes, mais c'est Jésus qui vit en nous ». O quel bonheur si cela était ! Nous serions au-dessus de la Fortune et du temps, au-dessus du créé et de tout ce qui peut être. Nous serions en Dieu, avec Jésus et en Jésus. Nous vivrions de sa vie, et serions animées de son esprit. Qu'aurions-nous plus à craindre et à désirer en ce monde ? Tout nous serait indifférent, nous laisserions les morts ensevelir les morts, et Dieu nous serait tout en toutes choses.
Il y a grand plaisir de penser aux avantages d'une âme qui vit de cette sorte ou pour mieux dire qui est passée en Jésus Christ. C'est cependant où vous devez humblement et ardemment aspirer. Toute votre tendance doit être de rentrer dans votre centre qui est Dieu et ne devez souffrir et agir que pour cet effet, faisant fort peu de cas de tout le reste. Tenez votre esprit libre et dégagé, en telle sorte que rien n'empêche son vol vers l'unique objet de son amour.
C'est assez de cette petite leçon jusqu'à la chère entrevue, qui sera quand il plaira à la divine Providence et que la santé le permettra. Vous protestant que je serai toujours avec profond respect...
n" 738
(I) Le Ms N258 dit : Pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge.
(2) Lc 1, 40 et sv.
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MANIÈRE DE S'ABANDONNER À DIEU
Je viens de faire la sainte Communion où vous avez été si présente devant Notre Seigneur que je ne puis m'empêcher de vous écrire les mouvements que j'ai reçus pour vous.
Il m'a semblé que l'esprit de Jésus se plaignait que votre foi et votre abandon vers sa bonté n'étaient pas entiers, et qu'il voulait de vous une remise de tout vous-même en lui ; et qu'il voulait prendre un soin paternel de vous et de tout ce qui vous touche ; et que si vous saviez bien vous laisser toute à lui et au soin de son amoureuse Providence, vous verriez, des merveilles de sa bonté. Faites-le donc de tout votre coeur au lieu de vous arrêter à vos pensées et réflexions, pleines d'angoisses et de douleurs. Il y a longtemps que je vous en supplie très instamment. Il .ne faut plus différer. La sainteté de Jésus veut opérer en votre âme ; c'est pourquoi il faut qu'elle se sépare de ses propres pensées, pour adhérer fortement à son amour. Ne vivons plus que de cet amour qui nous transforme toute en Jésus. J'ai un grand désir de me voir à vos pieds pour en parler, et par ce doux entretien, chasser vos ennuis. Courage, continuez le quart d'heure avec plus de soins que jamais.
n° 1576
QU'IL NE FAUT PAS SE RETIRER DE LA COMMUNION
Permettez-moi de vous dire que vous demeurez trop accablée et écoutez trop le mal. Vous n'avez pas assez de retour vers Dieu. Ne savez-vous pas qu'il n'y a que sa bonté qui vous puisse protéger et qu'il ne faut rien espérer que par sa très Sainte Mère, qui peut obtenir tout ce que vous avez besoin. Vous ne prenez pas assez de force où elle est. La communion fréquente vous est absolument nécessaire et vous ne la faites pas assez souvent. Vous vous noyez et abîmez dans la réflexion, et ce n'est pas là où vous trouverez la force et le remède. Il fait bon recourir à Dieu et le recevoir. Il ne faut plus s'en dispenser si vous ne voulez perdre infiniment. Où prendrez-vous des lumières que dans ce divin sacrement ? Et la grâce d'agir comme il veut, dans l'esprit de ce divin Jésus ? Vous ne le pouvez qu'en communiant souvent, et votre coeur ne devrait respirer qu'après ce pain Eucharistique. Vous expérimentez assez votre besoin. Je vous assure que Dieu veut cela de vous, et que si vous y êtes fidèle, vous recevrez des effets de grâce qu'on ne peut exprimer. Je vous les souhaite du même coeur que je suis en tout respect...
n" 2464
PETITE MÉDECINE SPIRITUELLE
Je ne puis attendre jusqu'à ce soir d'envoyer savoir de votre santé et si votre sirop vous aura profité. Je le désire avec bien de l'ardeur, mais je ne sais s'il aura la vertu de purger et évacuer l'humeur qui engendre les vapeurs. J'estimerais qu'il y faudrait mettre une certaine drogue qui ne se trouve point dans la boutique d'apothicaire ; il la faut prendre dans le Coeur de Jésus qui est un non-souci de tout ce qui n'est point Dieu et une dragme (1) d'abandon à son amour, avec un scrupule de la sacrée indifférence à toutes les conduites de Dieu qui font un calme et une sérénité merveilleuse.
Souffrez, Madame, que je vous dise ce mot que la tendresse ne peut retenir sans sortir du respect ; qu'il n'y a plus moyen de rompre le cordon qui lie mon coeur avec le vôtre en Jésus. Pardonnez à ma trop grande liberté que l'amour ne peut cacher, quoique je tâche de le renfermer en Jésus Christ pour le purifier en lui, et n'avoir pour vous aucune chose hors de lui, sachant bien que vous ne voudriez pas une affection purement naturelle, parce que vous ne pouvez pas vous contenter de l'amitié qu'un sujet doit à son souverain ; mais qu'elle soit pure, sainte et divine, qu'elle parte du ciel pour y retourner ; et j'ose vous assurer qu'elle est telle et que pour avoir pris racine dans le Coeur de Jésus, elle n'en est pas moins forte et inviolable. L'amitié du monde est une paille qui se consomme au premier feu d'une légère contradiction, mais la dilection sainte qui prend sa source en Dieu, rien d'humain ne la peut rompre. C'est de cette sorte que la liaison de nos coeurs est faite. C'est Notre Seigneur qui les a unis ; la chair ni le sang n'y ont point de part, c'est pourquoi elle sera inébranlable et d'une durée éternelle.
Je l'espère de votre bonté qui le veut bien souffrir et qui me fera justice de croire que je suis d'une manière que Dieu seul connaît, toute à vous.
n° 1096
(1) Mesures de poids au XV 11e siècle :
1 livre = 16 onces. 1 once = 8 dragmes ou gros.
1 dragme = 3 scrupules ou deniers.
I scrupule = 24 grains. 1 grain = 24 carats.
LETTRES INÉDITES
52 CATHERINE DE BAR 53
IL FAUT DEMEURER EN JÉSUS
Je vous prie que je puisse savoir comme vous vous portez, et si votre coeur demeure toujours ferme et uni à Jésus Christ, pour ne faire qu'un même esprit, même amour et un même sacrifice avec Lui. Si votre volonté ne s'en sépare point, vous trouverez toujours une force secrète, et une grâce intime au fond de votre coeur qui soutiendra tout. Je ne doute point de sa protection. Par Dieu, Madame, conservez votre âme dans le calme, et c'est ce que vous ferez facilement si vous demeurez en Jésus que vous avez reçu ce matin, [ce] dont j'ai ressenti une fort grande joie. Tâchez doucement et fortement de vous mettre au-dessus de tous les objets de la terre. Vous êtes citoyenne du Ciel, soyez donc un ange du Paradis, en ne vivant que de Jésus, en Jésus et pour Jésus. Je suis en son amour toute à vous.
n° 1778-
IL NOUS FAUT RÉSIGNER À DIEU DANS L'ADVERSITÉ
J'étais hier si en gronderie contre vous, que je n'osais vous écrire, crainte de sortir du respect, et ma fâcherie était que vous vous faites mourir, et avancez vos jours par votre chagrin que vous ne combattez pas assez, ne regardant pas les choses du côté de Dieu et de sa Providence, sans vous laissez accabler, ce qui ne se peut faire sans imperfection. Vous aurez la bonté de souffrir que je vous en fasse chapitre, et que je vous dise, avec autant de respect que de zèle pour votre sainteté, que vous ne faites pas ce que Dieu veut, vous laissant trop pénétrer des choses qui choquent l'esprit et sont contraire à vos volontés.
Il faut un peu plus d'abandon à Dieu, de soumission à ses conduites, et de foi à ses bontés, autrement vous ne ferez pas ce qu'il veut. Je vous supplie de penser à ceci. C'est une petite leçon que je prends la liberté de vous donner, très cordialement, mais à condition que vous y travaillerez doucement et sans inquiétude. Voulez-vous rendre les grâces de Dieu inutiles en votre âme, et négliger les moyens qu'il vous donne de devenir une grande sainte ? 11 est temps de rendre les desseins de Dieu efficaces en vous. Il vous veut toute à lui, mais en amour et par la voie d'amour, et non par la tristesse et la crainte, qui est la ruine du pur amour et qui le chasse d'un coeur quand on lui donne l'entrée. Certes, si la novice voulait croire la mère maîtresse, elle sortirait bientôt de ses chagrins, et goûterait la joie du Saint Esprit, et la paix des enfants de Dieu qui vivent en foi et en espérance certains des promesses de Notre Seigneur qui sont infaillibles.
Plût à Dieu que l'on pût tenir de près cette chère novice : on ne lui
permettrait pas de s'accabler par tant de réflexions inutiles, et des
• retours qui sont sans fruits. Votre expérience vous doit rendre plus dépendante du bon plaisir de Dieu, et augmenter votre foi, sans troubler un moment votre paix. Mais disons que cette aimable novice fuit la mère maîtresse pour ne point sortir de la douleur et de la peine qui détruit sa santé et qui afflige puissamment ceux qui l'honorent et estiment parfaitement...
n" 1549
IL FAUT SE CONFIER ET ABANDONNER TOUTE À DIEU
Mon âme se trouve en la présence de Notre Seigneur Jésus Christ toute remplie de vos intérêts, qui fait que, sans cesse, nous offrons à Dieu nos humbles prières pour vos intentions , mais d'une manière toute particulière pour votre sainteté, ne pouvant penser aux conduites
de la Providence divine sur votre Maison, que je crois que Dieu
.
a dessein de la sanctifier , et que s'il l'a prive sur la terre de la gloire et du repos, la renversant comme celle du saint homme Job, il la relèvera un jour dans le Ciel plus glorieusement. Et ce qui me console dans tous ces événements fâcheux, c'est de voir votre Maison s'élever saintement au-dessus de toutes choses, pour ne rien estimer que la possession de Dieu.
Oh ! que vous êtes heureuse de vous savoir tenir ferme parmi les tempêtes de cette mer orageuse, dans le sacré abandon de tout vous même à Dieu. C'est dans cette confiance et cette foi admirable que vous goûterez la paix et la tranquilité, tandis que les créatures se perdent et se consomment dans les embarras de la vie humaine.
Je vous supplie humblement de vous tenir intérieurement le plus dégagée que vous pourrez, afin de conserver votre âme et la tenir dans une sainte liberté, par laquelle vous jouirez de la douce et amoureuse union avec Dieu d'une manière très facile, et expérimenterez ses bontés infinies et les soins qu'il prendra pour le bon succès de vos affaires. Vous verrez qu'il en fera plus en une heure que tous les hommes avec toutes leurs industries et empressements. C'est une très haute grâce qu'il vous fait de ne faire aucun cas des choses de ce monde. Cette disposition vous tient séparée de la corruption. aussi n'êtes-vous pas du monde. Vous êtes à Dieu, créée pour Dieu, sortie de Dieu, et obligée indispensablement de retourner à Dieu. Tous les moments de votre vie vous y doivent rendre. Je le prie, Madame.
LETTRES INÉDITES 55
54 CATHERINE DE BAR
de vous y attirer si fortement, par les chaînes sacrées de son Divin amour, que vous en soyez toute embrasée, et que dans la durée de l'éternité, vous le glorifiez avec les bienheureux.
C'est le plus ardent désir de mon coeur pour vous, à qui je suis avec profond respect ...
n" 2187
IL FAUT DEMEURER DEVANT DIEU DANS L'ABÎME DE SON NÉANT
les contradictions de la vie qui sont ordinairement inévitables. C'est l'impossible de passer la vie en repos dans tant de fâcheuses vicissitudes si l'on a son retour à Dieu et qu'on ne se retire en lui-même.
C'est ce que vous tâchez de faire, Madame, et ce que je prie Notre Seigneur d'accomplir en vous par sa grâce et par son amour. Pardonnez à ma témérité, c'est sans sortir du profond respect avec lequel je suis...
n" 1097
DIEU EST SANS CHANGEMENT
Je ne puis attendre l'honneur de vos lettres, étant dans l'inquiétude de votre santé. Je crois que mes plus fréquentes applications, après Jésus Christ et sa très sainte Mère, sont à votre très honorée personne, ne vous oubliant pas même la nuit.
Nous prions et adorons Dieu ensemble pour vos affaires, vos intérêts étant les miens ; et si j'osais vous parler comme aux personnes du commun, je dirais qu'il se fait en Jésus, par Jésus, des liaisons intimes entre nous ; mais je ne vous parle pas de la sorte, je serais trop hardie. C'est assez dire que Notre Seigneur fait ce qu'il lui plaît, et comme il lui plaît. Je sais que je ne suis rien et jamais je ne perds la vue de mon néant et le sentiment de mon indignité ; c'est ce qui me tient devant Dieu qui connaît tout, et cela me suffit ; il sait ce qu'il imprime en moi pour vous. Quand je serai bien à Dieu, vous expérimenterez ce que je vous suis en son amour et en son divin Esprit.
Prenez courage, et remettez-vous en Dieu, en son bon plaisir. Adorez les conduites de son aimable Providence qui retarde les moments heureux de votre chère et précieuse solitude. Tâchons de la faire au milieu et fond de notre coeur, en attendant que nous puissions fuir les créatures pour nous aller ensevelir toutes vivantes, où nous n'aurons plus d'autre occupation que d'aimer et contempler celui qui doit être l'objet éternel de notre amour et de notre félicité. O Madame, un peu de pain et un verre d'eau suffisent pour rendre une âme parfaitement heureuse quand elle a Dieu ! Oh ! quand serons-nous en ce bienheureux séjour où Dieu seul sera notre unique vie ? Hors de là ce n'est que langueurs, soupirs et larmes. Le coeur de l'homme ne peut être satisfait que de Dieu, et quand il est privé de cette délicieuse possession, il ne ressent que de l'amertume, et c'est le paiement que nous recevons dedans le tracas des créatures, si notre âme n'a pris cette sainte habitude de se retirer en Dieu, laissant tout le crée dans le néant, pour se tenir cachée en Jésus-Christ, chez Dieu. Si nous n'apprenons à faire cette douce retraite, nous serons en hasard d'être souvent troublées par
Si j'avais le don d'agilité, je me trouverais souvent à vos pieds pour apprendre de votre santé. Laissez tout chagrin, et mettez tout en oubli, et négligez les créatures ; Oh ! qu'il fait bon être à Dieu qui ne change point et est toujours lui-même ! Vous le savez par l'expérience que vous en faites incessamment.
Tenez-vous ferme et fortement attachée à sa bonté, par une confiance inébranlable - QUI A DIEU A TOUT, et qui ne veut que sa très sainte volonté trouve son repos et sa joie partout. Je ne puis m'empêcher de me désirer à vos pieds pour vous protester comme je vous suis sans aucune réserve, avec respect...
n" 2682
DE LA PATIENCE ET CONFORMITÉ À DIEU
Pourvu que je sois assurée de votre santé, il me suffit. Ce mot est pour vous en demander ; ne voulant vous importuner, mais seulement assurer votre chère personne que je pense à ses maux et aux moyens de vous en délivrer. Je l'espère de celui à qui rien n'est impossible, et qui ne peut éconduire l'âme qui se confie_ entièrement en lui, comme vous tâchez de faire. Il y faut persévérer et dire avec le saint homme Job : «Quand il m'aurait tué, j'espérerais en sa bonté». Voilà la foi vive et animée qui transporte les montagnes et qui opère des miracles. C'est de cette foi pure que le juste doit vivre, et qui vous doit agir puisque vous êtes écrite au livre de vie, et que vous êtes du précieux nombre des prédestinés. Réjouissez-vous dans cette amoureuse confiance; vos maux finiront un jour et la joie et le repos éternel succè-deront sans fin, et cela sera bientôt. Courage, souffrons avec amour
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LETTRES INÉDITES 57
CATHERINE DE BAR
dans cette belle espérance qui a tant donné de force et courage aux martyrs, et qui les faisait chanter- délicieusement au milieu des flammes et de leur plus violent supplice : « DOMINUS ILLUMINATIO MEA ET SALUS MEA QUEM TIMEBO ? DOMINUS PROTECTOR VITAE MEAE, A QUO TREPIDABO ?» (l). Que peut-on craindre quand Dieu est notre protecteur, notre lumière et notre salut ?
n" 2510
(I) •I's XXVI,I-3
POUR LA FÊTE DE SAINT DENIS
Oui Madame, le Saint Sacrement est exposé demain en notre église par fondation de N . qui a été faite fille de l'Eglise ce jour-là.
Je rends grâce à Notre Seigneur de votre meilleure santé, et le prie instamment vous l'augmenter jusqu'au point que je le désire, afin que vous la puissiez employer à la gloire de Dieu et à votre sanctification. Je crois que vous y pensez tous les jours, et ne passez aucun moment de la vie que vous n'aspiriez à la sainteté où la grâce de Jésus Christ vous appelle et vous a destinée. Je prie le grand saint Denis vous donner un peu de part à son esprit d'oraison, et au parfait amour qui consomma son coeur, et 'qui l'a rendu capable d'un très rigoureux sacrifice de martyr. C'est la joie et le plaisir des saints de souffrir et de mourir pour Dieu, et se voir une victime ume au sacrifice de Jésus Christ.
Je crois que si j'avais l'honneur de vous voir que je ne vous connaîtrais plus, tant vous avez fait de progrès dans les voies de la grâce, et ne vous trouverais plus parmi les créatures, mais en Dieu, où vous vous êtes retirée, pour converser intérieurement, comme dans un Ciel avec lui où les Trois Personnes de l'auguste Trinité habitent incessamment, et y faites votre Paradis. En terre c'est la vie de pure foi qui vous met dans ce bienheureux séjour, que je nomme l'avant courrier de celui de la gloire.
Si vous y êtes je me réjouis infiniment plus de ce bonheur que de vous voir comblée de toutes les fortunes de la terre, qui ne sont en toutes leurs grandeurs qu'une fumée et affliction d'esprit. Mais en Dieu servir (à lui) c'est régner et être au-dessus de toutes les disgrâces des temps : «GUSTATE ET VIDETE QUONIAM SUAVIS EST DOMINUS>k Ps XXXIII,9.
n°2439
(1) PS. XXX1I1- 9.
Le Ms P110 ajoute en finale : A Dieu, Madame, je vous laisse à Dieu pour jamais.
LA VOLONTÉ DE DIEU TIENT LIEU DE TOUTES CHOSES
Notre Seigneur, par sa conduite Madame, fait connaître à votre âme qu'il prend plus de plaisir aujourd'hui que vous l'adoriez sur la croix que sur l'autel. C'est pourquoi il la met dans l'impuissance de venir dans la pauvre petite maison et solitude du très Saint Sacrement. Il faut aimer sa très sainte volonté et s'immoler à son bon plaisir. En quelque état que son aimable Providence nous mette, servons-lui à sa mode, et non selon nos inclinations. Tous les accidents qui rompent nos desseins, nous donnent moyen de mourir à nos désirs, en sacrifiant incessamment tous nos petits projets. Je crois que vous en faites souvent. De même, les occasions ne manquent point à votre personne; il faut tâcher de bénir Dieu en tout, et s'accoutumer doucement à ses conduites. C'est ainsi qu'il agit pour perfectionner ses élus. J'entre en conformité de disposition avec vous sur ce sujet, souffrant la privation de votre chère personne, qui m'est la plus sensible du monde, puisqu'il le veut. Je le prie de tout mon coeur que votre mal n'augmente pas. Je m'en vais prier Notre Seigneur pour cet effet.
n" 2294
L'ÂME Ume À DIEU EST INCAPABLE DE CHANGEMENT
Je fus- hier au soir bien consolée de la lettre qu'il vous a plu m'honorer. La sainte résolution d'être de plus en plus à Dieu que jamais a réjoui mon pauvre coeur, étant certaine que si vous êtes fidèle, la moitié de vos affaires se consommeront en Dieu par les pures flammes de son amour, sans quasi les ressentir. Mais il faut un peu tenir ferme, si vous voulez vous délivrer de mille petites amertumes que les vicissitudes de la vie causent à tout moment ; il s'en faut défendre, en se tenant fortement attachée à Dieu, par une foi vive, adorant son immutabilité divine qui le rend toujours égal à lui-même, et incapable d'aucun changement. L'âme qui vit de Dieu, en Dieu, participe à ses adorables qualités, elle devient immuable, se tenant étroitement ume à Dieu, disant avec le prophète : « Que veux-je au ciel, ni en la terre ? Sinon, vous, mon Dieu ». Je sais bien que le monde n'a rien d'aimable et qu'il n'a aucun charme pour Nous' y lier; vous n'y voulez pas même avoir aucune part. Mais quoiqu'on ne l'aime pas, il ne laisse pas de vous produire mille sujets d'inquiétude, si nous ne savons bien nous tenir cachées en Jésus Christ, en Dieu ; car il faut tâcher de n'en jamais sortir, afin que les choses humaines ne nous séparent point de notre
58 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 59
amoureuse union avec Dieu, que le démon ne peut souffrir. J'attends de vos nouvelles avec confiance en la bonté de Dieu que nous prions sans cesse.
n" 978 Cette lettre est donnée selon le Ms : DR p 669.
LAISSER RÉGNER JÉSUS, DIEU SEUL
de le connaître en simplicité de grâces. Quand on fait ce que l'on peut, il n'en demande pas davantage. Je le prie de vous tirer au-dessus des créatures et de vous lier et attacher et abandonner tout à lui ; et vous verrez que la paix s'établira dans votre coeur et que vous jouirez en terre d'un paradis. Je vous le souhaite du même coeur que je suis avec un profond respect...
n" 2958 Ms : P110 Les lettres suivantes sont toutes prises dans ce manuscrit.
J'ai reçu hier au soir une grande joie, lorsque j'appris par celle dont il vous a plu m'honorer que votre santé est meilleure et que nous aurons l'honneur de vous voir demain. J'éconduirai toutes choses et dirai mes Patenôtres dès le matin, afin d'avoir un grand loisir. Oh, qu'il y a longtemps que je n'ai possédé cette grâce ! J'en suis dans l'impatience, et j'apprends que le mauvais temps me joue un tour, vous empêchant de m'écrire. J'ai depuis de longues années expérimenté que tout ce que je désire avec grande ardeur, la Providence ne me le donne pas. Si j'avais moins de tendresse, je serais moins ardente, je n'en perds pas pourtant l'espérance. Si vous avez beaucoup de choses à nous dire, j'en ai aussi de ma part. Si la Providence me mettait dans un coin à vos pieds, nous parlerions de Dieu tout à notre aise, et prendrions les moyens de bien faire ses aimables volontés, et de ne nous occuper que de lui. O heureuse vie qui se passe de Dieu en Dieu et pour Dieu ! Elle n'est point remplie d'amertume comme la vie du monde, elle participe à la paix du paradis et à la joie du Saint Esprit, qui est dans l'intime de l'âme et du coeur, qui opère en amour ce qui ne s'exprime point, mais qui est plus suave que toutes les délices de la terre. Aimons donc vite vitement Celui qui est seul si uniquement aimable. Je vous supplie très humblement de l'aimer et adorer pour moi.
n" 763 Cette lettre est donnée selon le Ms : DR p 673
EXHORTATION A LA PATIENCE
Votre chère lettre me navre le coeur. Mon Dieu, que la conduite des hommes est différente de celle de Dieu ! Quand sera-ce que son divin Esprit sera notre guide et que les créatures ne le contrarieront plus ? Madame, prenez courage, je vous promets que Dieu prendra un soin tout particulier de vous et de toutes vos affaires. Prenez une bonne résolution de bien faire ce que Dieu demande de vous, et tâchez
La Providence ne me donna pas hier un petit moment de temps pour achever une lettre que j'avais commencé de vous écrire après Matines. J'en fus fort mortifiée. Mon esprit se trouve souvent à vos pieds, Madame, et je pense souvent à vos affaires, plus qu'aux miennes propres. Votre salut m'est précieux, mais mon souhait serait que vous tendiez généreusement à la sainte perfection, puisque Notre Seigneur nous dit : « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (1). Je vous conjure humblement Madame d'y travailler, et commencez tout de bon ce Carême à vous rendre à Dieu, et de profiter en son amour.
Nous en reparlerons jeudi, si vous venez au Saint Sacrement.
n" 1912
(1) Mt V-48.
REMERCIEMENTS D'UNE RELIQUE
QUI LUI AVAIT ÉTÉ DONNÉE
C'était bien mon dessein de rendre aujourd'hui à votre chère personne mes très humbles actions de grâce, du précieux trésor que nous possédons par votre autorité (1). J'espère que vous viendrez visiter cette sainte relique qui a rempli, en entrant dans cette maison, toute la communauté d'une joie toute extraordinaire. C'est une consolation infinement grande de posséder un si rare dépôt. Je ne doute point que votre âme n'en reçoive de grandes grâces. Nous prierons cette Sainte de vous faire part du grand amour qu'elle avait pour Dieu et que vous puissiez marcher sur les vestiges de ses excellentes vertus. Mon Dieu, que les
(I) En 1660, la duchesse d'Orléans fit don à Mère Mectilde du corps entier de sainte Ide. mère de Godefroy de Bouillon, qui se trouvait dans l'église abandonnée de Saint-Waast à quelques kilomètres de Boulogne-sur-Mer. A la révolution, les ossements de sainte Ide purent-être transportés en notre monastère de Bayeux où ils sont toujours en vénération. Cf. Hervin Vie de Mère Mectilde. p. 400, et aussi : Catherine de Bar, Documents historiques, p. 109.
60 CATHERINE DE BAR
saints sont aimables ! Heureuses les âmes qui aspirent à la sainteté, qui oublient les créatures pour se souvenir du Créateur, et qui se séparent de la terre pour converser au Ciel. Dieu me fasse la grâce de vous y voir.
J'embrasse vos pieds et vous souhaite une bonne nuit.
n" 225
ELLE TÉMOIGNE LE PLAISIR QU'ELLE AVAIT À LUI ÉCRIRE
Si je suivais mon inclination, vous seriez trop souvent importunée de mes lettres ; mais je fais autant de sacrifices que je me prive de cette consolation, sachant bien que je ne puis rien dire qui soit capable de vous réjouir si ce n'est de lui parler de la félicité des saints, dont vous grossirez un jour le nombre.
Je voulais, quoique très indigne, vous en écrire samedi quelque chose ; mais le souvenir que le bon père N... vous pouvait entretenir sur ce ravissant sujet, plus efficacement que je ne pouvais faire, je lui en laissais la commission, croyant qu'il vous en ferait participante. Je remarque des mystères ineffables dans la conduite que Dieu tient sur votre âme. Si vous y faites un peu de réflexion, vous verrez visiblement que votre coeur doit être tout séparé de la terre, qu'il doit tellement tout remettre en Dieu que vous ne vous y trouviez que par son ordre. Il faut faire place à l'esprit de Jésus qui veut occuper le fond de votre âme. Si vous pouvez le laisser faire, vous verrez comme il vous mènera dans les voies de la sainteté ; c'est votre vocation. Il vous commande d'y aspirer lorsqu'il vous dit : « Soyez saint, parce que je suis saint » (1). Il ne faut pas douter que ce commandement soit sans grâce, et sans moyen d'y parvenir, et comme Notre Seigneur demande nôtre sanctification infiniment, il nous donnera tout ce que nous aurons besoin pour nous sanctifier. Commençons d'être fidèle à correspondre aux desseins de Dieu sur nous ; nous ne pouvons nous en dédire. Je crois que vous le voulez de tout votre coeur. Le petit livre de la contemplation vous mènera droit à Dieu pour vous reposer dans son Sacré Coeur. Or le Coeur de Dieu n'est autre chose que la divine volonté, mais d'une façon toute pleine d'amour et de confiance : « Gustate et videte quoniam suavis est Domine ».
Nous attendions le Gardien (2) pour savoir s'il voudra loger le P.N..., mais au nom de Dieu avant que de l'arrêter, voyez devant Dieu si Notre Seigneur met de l'onction dans ses paroles pour élever votre âme en l'amour de notre Divin Sauveur. J'attendrai votre volonté.
LETTRES INÉDITES 61
Ne vous gênez point, gardez votre paix intérieure et sainte liberté que Notre Seigneur vous a donnée, et „tâchez de l'aimer du pur amour avant que de mourir.
n" 2689
(1) Lév. XI, 45.
(2) Le Père Gardien : Supérieur d'un couvent de frères mineurs de l'Ordre de Saint-François.
SUR SES CROIX CONTINUELLES
J'ai lu la lettre du Père N... où je vois quasi toujours la même chose. Je veux dire qu'elles sont toujours assaisonnées du goût de la croix. Vous n'en recevez guère de ce côté qui ne porte ce caractère. Vous en seriez accablée si vous étiez accoutumée à digérer de tels morceaux ! Mais, Dieu merci, vous êtes la femme forte dont l'Ecriture parle. Vous ne vous troublez point de tout ce que les hommes disent, ni de ce qu'ils font. Vous avez fixé l'ancre de votre espérance en Dieu, rien ne vous peut ébranler.
Dieu est ! c'est une grande vérité, ce qui donne une merveilleuse consolation aux âmes de foi qui se reposent en lui et qui attendent tout de sa bonté. Ne perdez point votre repos, n'altérez point votre paix. Dieu est, et c'est tout dire à qui le peut entendre. Il est non seulement ce qu'il est en lui-même, mais il est en vous ; il est avec vous ; il est pour vous. Il est en vous pour soutenir et animer votre être ; il est avec vous pour agir et opérer ; il est pour vous défendre et protéger. Il est votre lumière, il est votre conseil, il est votre force et votre vertu.
Mais il est votre Père. Si vous demeurez en lui, il demeurera en vous. Croyez donc d'une foi certaine et qui n'hésite point, qu'il prend un soin singulier de tout ce qui vous touche ; que non seulement il pense à vous sanctifier, mais qu'il s'applique jusqu'à un cheveu de votre tête, qui ne tombe point sans sa permission. O si notre Père céleste a soin d'une si petite chose, que n'aura-t-il point pour tout le reste ? Et si vous savez bien tout lui remettre entre ses divines mains, que ne fera-t-il pas en faveur d'une âme si elle se confie en lui de la bonne manière, sans tant de retour sur l'indignité de sa créature? Hélas il sait bien que l'homme est pécheur et cependant il ne refuse point son secours. Nul ne connaît expérimentalement les bontés de Dieu qui ne s'abandonne totalement entre ses mains, remettant tous ses intérêts à son aimable Providence. Où est celui qui s'est confié en lui et a été confondu ? Là où les moyens humains manquent, sa puissance ne manquera pas, si sa sagesse infime juge que les choses soient utiles à sa gloire et au salut de'ses créatures.
62 CATHERINE DE BAR
C'est ici où vous pouvez exciter une foi toute divine, appuyée sur les bontés de Dieu, sur son infallibilité en ses ouvrages, et sur son amour en sa conduite sur vous et sur ce qui vous touche. Dépouillez-vous autant que vous pourrez des vues humaines, vous attachant uniquement au bon plaisir de Dieu, afin que les embarras de la vie ne troublent point la tranquillité de votre coeur, ne regardant jamais les choses que comme Dieu les regarde, ne les voulant que pour lui, ne les faisant que pour lui et n'y prenant de vie qu'en lui. Ne perdez parmi vos tracas les moments de votre sainteté. Allez toujours droit à Dieu sans vous détourner ni à droite, ni à gauche. Dieu, Dieu suffit à l'âme qui sait aimer. Aimez et pensez à Dieu, et Dieu pensera à vous et à vos affaires pour vous.
n" 708
LES GRÂCES PARTICULIÈRES D'UNE BONNE ÂME
Je crains, Madame, que la grande chaleur ne vous empêche de venir, ce qui me fait avoir l'honneur de vous écrire ce mot pour vous dire qu'il n'y a nul traité de ce qu'on se doutait. Dieu voit tout, il faut s'en remettre à sa très sainte volonté. Quand vous avez fait tout ce que vous avez pu, il faut attendre d'en haut le succès que vous désirez, et cependant s'en remettre tout à Dieu, voyant toutes choses dans la conduite de sa Providence, dirigée par sa divine sagesse. Rentrez en Dieu et vous fortifiez en son amour, et sans plus attendre, employez les moments de votre vie à vous sanctifier de plus en plus.
La bonne âme, dont je vous ai parlé, se rendra ici un des jours de notre sainte octave, celui qu'il vous plaira, pour avoir l'honneur de vous faire la révérence : elle vous honore d'autant plus parfaitement qu'elle vous regarde comme une prédestinée, et je puis vous assurer que cette personne n'est pas du commun en élévation de grâce ; mais comme elle ne veut pas être connue en son degré d'union à Dieu, elle se tient fort petite et indifférente et sans aucune affectation. Je serais bien aise que vous la connaissiez. Elle vous obtiendra du ciel bien des bénédictions, étant certaine qu'elle y est bien puissante ; elle a des dons sublimes, même de prophétie. Mais au nom de Dieu, qu'elle ne sache pas ce que je vous en dis. 11 la faut laisser en Dieu, jusqu'à ce qu'il la manifeste. J'assure votre piété qu'elle prie Dieu pour vous de la bonne sorte.
LETTRES INÉDITES 63
DE LA SOUMISSION À LA VOLONTÉ DE DIEU
Je ne sais si nous devons avoir de la joie des nouvelles que l'on me vient d'apporter. Je prie Dieu qu'il en tire sa gloire. Il le faut bénir de tout et dire de coeur et de bouche : « Fiat voluntas tuas ».
Les conduites de Dieu sont si admirables que souvent les créatures n'y peuvent rien pénétrer. Il s'y faut soumettre à l'aveugle et tâcher de ne point perdre la paix et la tranquillité de l'âme. Il vaut mieux posséder la grâce et l'amour de Jésus Christ que de gagner tous les empires du monde. Il faut mourir et tout perdre pour avoir le paradis. Les croix, les souffrances, les mépris, etc... servent de monnaie pour l'acheter. Vous avez l'avantage d'en être partagée suffisamment pour l'emporter. Courage Madame, vos maux n'empêcheront que vous ne deveniez une grande sainte, en vous sacrifiant comme une victime d'amour au bon plaisir de Dieu.
C'est dans cette humble disposition que vous trouverez le remède infaillible à vos maux, et que votre âme se perfectionnera d'une excellente manière. Dieu vous aime trop pour vous laisser sans souffrance, puisque c'est le bois et la matière qui tiennent le feu de son divin amour allumé dans votre coeur ; et si vous n'en voyez. les flammes, c'est la cendre des petites répugnances de la nature qui les couvre. Elles ne laissent pas de brûler imperceptiblement et de consommer mille inclinations de l'amour-propre, qui se trouve souvent en captivité et qui gémit sous le poids de la puissante main de Dieu qui le terrasse de la sorte, dans tout ce qui me paraît des miséricordes divines sur vous.
Dieu vous veut faire sainte et je le prie qu'il vous donne la grâce nécessaire pour y correspondre, et qu'en perdant tous les jours les créatures, vous trouviez plus facilement et abondamment le Créateur. Je sais Madame que c'est votre unique désir et la félicité où votre âme aspire, étant trop bien persuadée qu'il n'y a que Dieu seul qui la peut satisfaire et rassasier. En vérité tout le reste ne vaut pas une pensée, ni un moment d'inquiétude, quelque renversement qu'il puisse arriver (1).
Nous fûmes jeudi toutes mortifiées de ne vous point voir dans la petite maison du Très Saint Sacrement. C'est au pied du saint autel Madame où vous recevez une force divine, capable de vous faire tout surmonter et de tenir votre coeur dégagé de toutes choses, pour demeurer en Dieu seul, et y vivre de son pur amour. Je le prie de régner si fortement sur tout votre être qu'il ne soit vivant, ni animé, que de son Esprit. C'est l'ardent désir de...
n° 1192
(I) Le Ms elio termine ici cette lettre. Le dernier paragraphe y figure comme un court billet séparé
Les MsTII et P121 font une seule lettre de ces 2 textes.
n" 929
64 (-A I rILKI IN C. LJE. OMR
LETTRES INÉDITES 65
SUR L'ACCABLEMENT OÙ LA RÉDUIT LE CHAGRIN
C'est une impossibilité que vous puissiez résister longtemps à vous laisser ainsi accabler dans vos afflictions. Notre Seigneur veut que votre âme s'élève au-dessus de tout ce qui l'environne, et que vous vous attachiez doucement à Dieu, que vous le possédiez en foi, en vous-même, sans le chercher plus longtemps et que vous vous renru-veliez en son esprit. Il faut faire faire un petit effort à la nature souffrante, que je vois quasi sans plus de vigueur. Il ne faut pas qu'une si belle victime soit consommée d'un autre feu que du pur et divin amour ; ce serait manquer aux desseins de Dieu sur votre âme qui ne peut ignorer que sa conduite ne soit la douceur et l'amour qui la fait reposer en Dieu par une simple remise de tout elle-même à sa sainte Providence, lui abandonnant tout pour ne plus s'inquiéter d'aucune chose.
Je sais bien que cette pratique est fort difficile à un esprit plein de vivacité qui, pénétré, voit dans un moment plus que les plus éclairés ne lui sauraient dire. Je l'avoue, mais il faut un peu plus simplifier, ou du moins négliger les vues de l'esprit, et là où il n'y a point de remède, ou qu'il n'est pas à notre puissance, il faut s'en remettre à la bonté de Dieu avec une humble résignation et confiance. Je suis certaine que si nous avions un peu plus de foi, nous verrions souvent des miracles dans nos affaires, mais le plus grand serait la paix et la tranquillité du fond. intérieur. J'ai un ardent désir que vous possédiez cet état, que vous soyez si intimement ume à Jésus que vous soyez inaltérable au milieu des vicissitudes de cette vie, qui n'est composée que de vanité, inconstance et d'affliction d'esprit. C'est pourquoi il n'y faut tenir que passagèrement usant des choses comme si on n'en usait point, demeurant libre au milieu des embarras, appuyée sur cette vérité infaillible : Dieu est. C'est sur cette vérité que je vous ai humblement suppliée d'employer un quart d'heure chaque jour, pour vous en occuper en foi. Voici comment : à l'heure du jour la plus libre et commode, il faut que vous vous renfermiez dans un cabinet où, à genoux ou assise si vous ne pouvez autrement, et, par un .acte de foi simple, croire Dieu présent dans l'intime de votre âme, le croire sans distinction, dans tous ses attributs et perfections divines. On peut dire : « Mon Dieu, vous êtes, je vous crois ce que vous êtes,' et je me crois un pur néant en votre sainte Présence ». Après ces paroles ou autres que le Saint Esprit inspire, il faut demeurer en silence dans un profond respect de cette grandeur infinie, s'abîmant profondément, laissant toute. opération, raisonnement et considération, pour se laisser abîmer dans ce Tout adorable. Il faut captiver durant cè quart d'heure les actes de l'esprit, pour ne ressentir que les touches délicates du Saint Esprit, dans l'intime du coeur. Ne croyez pas que ce soit perdre le temps ; si vous y êtes fidèle, vous verrez que cette oraison renferme un trésor de grâce inépuisable ; mais comme les commencements sont un peu difficiles, vous ne la ferez qu'un quart d'heure ; mais que ce soit sans y manquer, et si vous me faites la grâce de venir, nous en parlerons plus particulièrement. Apprenons à vivre ici-bas comme les saints dans le Ciel et à faire en terre l'exercice que nous espèrons de faire durant toute notre éternité. Aimons, adorons et possédons en nous le même Dieu qui fait la gloire et la félicité des bienheureux. Ainsi soit-il.
n"215
LE COEUR DE JÉSUS EST LE CENTRE DE NOTRE REPOS
Vous me fîtes hier beaucoup de grâces de m'assurer de votre santé. C'est une nouvelle qui me donne bien de la joie. Je prie Notre Seigneur
qu'il vous la continue. Mais avec toutes les bénédictions que je vous souhaite, vous serez dans un parfait repos, par une sainte union et transformation au sacré Coeur de Jésus, qui est le bienheureux centre de votre âme, où vous aspirez depuis si longtemps. C'est en vérité, le vrai et essentiel repos.
Toute la terre et les créatures ne sont qu'amertume et affliction d'esprit, vous le savez ; et le plus sensible regret de notre âme à la mort, sera de n'avoir pas séparé notre coeur de tout le créé et de l'avoir préféré souvent à l'amour de Jésus, en nous' laissant trop préoccuper l'esprit des choses humaines. Allons à Dieu tous les jours, avec une sainte résolution de ne rien faire que pour lui, de ne rien désirer hors de lui et de ne rien aimer qu'en lui.
Voyons et faisons tout dans cette immensité adorable dans laquelle nous nageons comme une éponge dans la mer. De quelque côté que nous nous tournions, nous sommes en Dieu, nous nous mouvons, nous vivons et respirons en lui, mais c'est souvent sans y penser. Gardons-nous de continuer nos petites négligences et hâtons-nous de nous rendre attentives à cette Présence admirable. Jésus mérite bien nos regards. Il les faut souvent arrêter sur ce divin objet et nous souvenir de cette précieuse leçon que Dieu fit à Abraham : « Marche en ma Présence et tu seras parfait ». Voilà une loi de perfection très aimable, très douce et très suave. En nous y rendant fidèles, nous participerons au souverain bonheur des saints, qui est de posséder Dieu en ce monde par la foi, en attendant que nous le possèdions au Ciel par la gloire. Une âme qui ne prend plus de satisfaction aux objets de la terre n'a pas beaucoup de peine à converser avec Dieu
66 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 67
et d'y prendre toutes ses complaisances. Soyez bien aise de n'avoir plus de joies .parmi les créatures, afin que désormais, vous les preniez toutes en celui qui vous aime d'un amour éternel et infini.
Je le prie qu'il vous consomme de ses plus précieuses flammes et qu'il me rende digne d'être, avec tous les profonds respects que je vous
dois, toute à vous.
n" 3097
Voici la lettre de Monsieur l'abbé... que je vous renvoie et vous souhaite le bon jour, rempli d'autant de bénédictions que j'en voudrais pour moi, mais surtout d'un ardent amour de Jésus-Christ. C'est ce que je demande pour vous afin que, par les adorables opérations de ce feu divin, votre âme soit élevée de telle sorte à Dieu, qu'elle soit inaccessible à toutes les choses de la terre, mais singulièrement à celles qui peuvent vous donner du déplaisir. Certes, il n'y a que l'union du coeur à Dieu qui puisse soutenir sans abattement les amertumes de la vie. On ne peut, en ce monde, être sans contradictions. La Providence divine se mêle même d'en fournir des occasions, mais si nous savons bien adorer la main qui nous blesse, nous trouverons le bien dans nos maux, et la vie dans la mort. Il faut pour cela se tenir ume à Jésus et ne vouloir rien que le bon plaisir de son Père, comme il ne voulût que sa très sainte volonté.
Voyez-vous toujours, Madame, comme une petite boule de cire dans la main de Dieu, pour être formée selon son plaisir. Soyez sans choix et sans désir, afin que vous soyez capable de l'opération de son pur amour. Ne mettez rien de vous en vous, mais laissez-vous toute, sans réserve, sans crainte et sans réflexion, à celui qui a plus de bontés pour vous que vous n'en pourrez jamais avoir pour vous-même. Vivez de foi, de confiance et d'amour. C'est la voie de la grâce en vous et le dessein de Dieu sur vous. Votre humilité veut bien souffrir que je vous parle de la sorte.
n" 2933
Je viens vous souhaiter le bonjour et vous demander l'état de votre mal. Dieu veuille que tout soit mieux qu'il n'était hier. Toute la communauté va communier pour votre santé, la demandant à Dieu par Jésus Christ et l'intercession de sa très sainte Mère ; et qu'il vous donne toutes les grâces dont vous avez besoin, et singulièrement une confiance amoureuse et une paix inébranlable. C'est le fruit du Saint-Esprit ; quand une âme la possède, elle en goûte les effets qui sont admirables. Je le prie qu'il achève en vous la sainteté qu'il y a si bien commencée, perfectionnant cette grande multitude de grâces qu'il vous a données dès votre enfance, et qu'il vous a conservées heureusement parmi la corruption du monde.
Vous portez la marque des prédestinées, il est très vrai ; mais continuez, parce que vous savez que celui qui n'avance, recule. Or, en fait de perfection chrétienne, il ne faut jamais désister de tendre à Dieu de tout le coeur, de se conformer à son bon plaisir et d'espérer en sa sainte bonté, qu'il fera par sa grâce ce que nous ne pouvons faire, quoique nous ayons bonne volonté. Il faut aimer notre dépendance d'une bonté si ineffable et qui nous aime d'un amour infini. Faute de foi et de confiance nous n'expérimentons jamais les sacrés effets de cet amour ; nous ne connaissons point ses conduites amoureuses, ni les soins paternels de son aimable Providence. Il faudrait que l'âme soit toute remise en Dieu, qu'elle attendît tout de sa bonté, qu'elle ne se mît en peine de rien que de lui plaire. Elle verrait dans la suite ce que ma plume n'est pas capable d'exprimer, mais que les bons et fidèles serviteurs de Dieu savent bien goûter et expérimenter. Je vous désire toutes ses précieuses bénédictions.
n" 1618
Si la mère maîtresse osait, elle imposerait pénitence à la chère novice, toutes les fois qu'elle penserait qu'elle lui est à charge et que, sous ce prétexte, elle réserve dans son coeur les déplaisirs et les amertumes de son âme. Elle n'ignore pas que la grande marque d'amitié c'est la confiance; or la mère maîtresse n'en demande point d'autre que celle qui peut soulager son aimable novice. Il y a des choses qui se peuvent dire sans conséquence et qui ne laissent pas d'être en nous des objets de douleurs. Pourquoi les retenir puisque la suite les rend publiques, et que cette novice pourrait un peu, en les disant, diminuer l'angoisse de son coeur ? Quand la plaie est découverte, le mal est à demi guéri, du moins il n'est pas si dangereux. Je sais que ce n'est point un défaut de confiance, quoique la mère maîtresse en soit indigne, mais c'est que la novice se rebute de soi-même et ne prend consolation en rien. Il est vrai aussi que rien d'humain n'est capable de la consoler ; mais les choses de Dieu la peuvent fortifier et encourager à soutenir les croix qui sont dans l'ordre du bon plaisir de Dieu. Il faudrait se faire une petite violence et l'impossible deviendrait facile; avec la grâce on peut tout. Je retiens mon sentiment pour ne point gronder trop fort la précieuse novice. Mais je la supplie très humblement de venir voir la mère maîtresse, si elle ne veut subir une petite correction ; si elle
68 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 69
engagée à Dieu de la pousser doucement jusque dans le Coeur de Jésus
tarde elle oubliera sa leçon, et le quart d'heure que deviendra-t-il ?
N'en rendant point de compte s'il se fait ou non. Cependant je suis il est trop court et trop cher : le sang de Jésus Christ en est le prix.
votre âme ne cesse de le chercher jusqu'à ce que vous le possédiez. Il nous le donne pour l'aimer : ne désirons plus rien que lui et que
Christ où elle doit trouver la vie, le repos et la joie que le monde et Il se faut perdre et abîmer en lui. C'est le bonsoir que je vous souhaite. les créatures ne peuvent donner. Si je m'intéresse si fort et si je la
tiens si près... n" 1436
n" 2692
Je bénis Dieu que votre santé est meilleure, nous sommes dans de grandes appréhensions de vous perdre ; pour moi je confesse que j'en verse souvent abondance de larmes. Notre Seigneur les voit, et je le prie de tout mon coeur qu'il vous donne toutes les grâces que je lui demande pour vous, et surtout qu'il vous attire à la sainte communion plus souvent que vous ne faites. Souvenez-vous que toute votre force et votre sainteté sont en Jésus Christ et qu'il est la vie de votre âme. Comment pourra-t-elle vivre sans recevoir cette divine vie ? Au nom
•de Dieu, tâchez de communier plus souvent : votre santé en sera plus forte, votre intérieur plus éclairé, votre union à Dieu en sera plus parfaite et la joie et la paix feront le paradis de votre âme ; hors de là ce n'est qu'amertume et douleur. Allons à Dieu à toute heure ; honorons en tout sa divine volonté ; quittons les créatures qui nous retirent du pur amour que nous devons à Dieu ; apprenons à l'aimer parfaitement en ce monde, puisqu'il faut l'aimer dans l'éternité. Oh ! que de regret de n'avoir pas aimé celui qui est uniquement aimable !
Je prie cet adorable Sauveur de vous tenir en son amour, et que toute votre félicité en cette vie soit de consommer votre être dans ses divines flammes.
Je vous souhaite une bonne nuit et un comble de grâce, qui vous fasse vivre uniquement pour Jésus Christ.
n" 903 bis
J'espère avoir l'honneur d'embrasser vos pieds avant que j'entre en retraite. Je la diffère encore quelque jour pour vider des petites affaires domestiques, et ne m'y renfermerai pas sans recevoir vos commandements, vous assurant que si Dieu exauce mes voeux, (que) vous ressentirez quelque bénédiction de ma retraite. C'est là où je • prétends parler à Dieu de tous mes intérêts, et singulièrement votre haute perfection que Dieu veut de vous. Il ne faut plus perdre de temps,
sanctification, et des moyens qu'il vous faut tenir pour parvenir à la n" 3123
Vous ne pouvez, Madame, me donner plus de joie qu'en m'assurant de la meilleure santé de votre très honorée personne. Je la tiens comme un don de Dieu par un temps si fâcheux. J'en tire une fort bonne conséquence pour l'avenir.
Mais, Madame, vous dites bien qu'il faut être toute à Dieu, sans plus retarder. Convertissons-nous tous les jours de plus en plus toute à lui dans le moment présent. Il n'attend que notre retour intime. Il nous est bien facile, puisque nous l'avons en nous-même et qu'il ne faut pas l'aller chercher dans nos églises pour cela. Nous n'avons qu'à nous recueillir intérieurement, en foi, et l'adorer en nous avec profond respect. Sitôt que l'âme s'est convertie à lui, par un simple et amoureux retour, elle le trouve par l'impression de sa grâce ; comme s'il disait : « Me voici, sois à moi et je serai tout à toi ». O parole qui emporte le coeur et qui, nous ravit quelquefois même les sens ! Trouver un Dieu si près de nous, et d'une manière si ineffable qu'il semble qu'il n'ait plus rien à faire qu'à se donner tout à nous et nous combler de ses grâces !
Oh, que de grandes et admirables choses se passent dans le coeur du juste, je veux dire, d'une âme en grâce qui agit par son Esprit ! Hélas, pour ne le pas croire ou ne le goûter point, nous sommes toujours à chercher Dieu et nous ne le trouvons point. C'est que nous le cherchons hors de nous-même et c'est dans le fond intime où il réside et où il fait ses douces et charmantes opérations de son amour. Ne le cherchons donc plus dans les créatures, ni dans nos sens. Croyons-le en nous, puisque l'Evangile nous assure que le royaume de Dieu est en nous. N'allons point ailleurs. Oh ! qu'il fait bon être dans ce fond de paix où on ne trouve que Dieu seul et où les créatures et le monde ne peuvent troubler le calme qu'on y possède !
C'est dans ce petit paradis, Madame, où je souhaite ardemment votre belle âme pour y trouver son asile et son repos parmi les ennuis et chagrins de cette triste vie. Je prie votre saint ange de vous y introduire et que vous y puissiez toujours demeurer ; vous y expérimenterez ce que je ne vous puis dire. Je suis certaine que votre corps en serait même fortifié. Pardon, Madame, c'est un peu pour vous divertir.
LETTRES INÉDITES
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70 CATHERINE DE BAR
Pardonnez, Madame, à un coeur qui a trop de tendresse : l'amitié fait
quelquefois sortir du respect, et dire ce qu'il ne faudrait pas penser. Oubliez cette petite saillie. Quand on possède un bien qu'on ne peut
mériter, on craint toujours de le perdre. Vous m'avez fait trop de grâces, votre extrême bonté m'a rendue téméraire, mais je finis aujourd'hui toutes les productions de mon amour-propre.
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sera conservée précieusement, pour guérir les atteintes des tentations aux premières approches ; c'est un remède fort souverain : plût à Dieu qu'on en puisse trouver un pareil pour les vapeurs et le mal de rate, qui ne vous laissent point en repos ! Je sais bien ce qui la pourrait soulager : c'est un remède qui demande un peu de courage, pour sacrifier à Dieu beaucoup de petites choses que vous pouvez surmonter, qui étouffent votre pauvre coeur. Je le vois partir et quasi mourir à toute heure. S'il n'y a point de secours en terre, allons en chercher dans le ciel. Faut-il vous savoir Madame, dans une mort continuelle, sans ressentir votre douleur. C'est l'impossible, il faut crever, si j'ose dire ce terme, de vous voir agoniser tous les jours. Je prie Dieu de toutes mes forces qu'il vous soutienne. J'espère que sa toute-puissance le fera et qu'il inondera votre âme d'une abondance de grâces. Je le lui demandais hier quasi tout le jour, et qu'il dilate votre coeur dans les douceurs de son divin amour, en vous faisant participer à la joie des saints. En attendant qu'il ne vous trans-ferre de ce monde à la gloirç, il faut prendre courage, dans une sainte espérance de vous y voir un jour. C'est votre patrie, la terre est un lieu d'exil et de bannissement ; mais nous en sortirons avec la grâce divine, pour aller chez notre Père qui est ès cieux ; cette vérité réjouit le coeur. Je m'en vais continuer mes pauvres prières pour vous et pour tous ceux qui vous touchent, quoiqu'on peut espérer qu'ils sont à présent dans la gloire et plus en repos que nous.
Courage Madame, allons à Dieu par les voies qu'il lui plaira; pourvu que nous arrivions à notre fin bienheureuse c'est assez, le reste sera tôt ou tard anéanti. Je prie Notre Seigneur de vous fortifier de plus en plus et vous donner la grâce de ne rien négliger de ce qu'elle doit, et de ne se point troubler des mauvais succès qui suivent quelquefois les affaires. Un Dieu et rien plus. Le pur abandon attire du ciel d'admirables effets de la protection divine; si vous y demeurez tout ira pour vous en bénédiction.
n" 2449
Je reçois Madame, celle qui vous a plu m'honorer. Pour réponse, je prends la liberté de vous dire avec confiance et respect que vous vous affligez trop de ce qu'on vous écrit, et devez vous façonner aux coups sans s'affliger tant soit peu, et savoir une bonne fois que Dieu se mêle de ses affaires, et puis qu'il faut s'attacher à lui uniquement et inébranlablement. Tous ceux qui font le plus de bruit ne sont pas ceux qui font le mieux leurs affaires. Soyez certaine Madame, que Dieu a soin de vous et de tout ce qui vous touche. Ne diminuez point votre confiance, vous tuez votre corps et votre esprit par tant d'amertume et me faites une pitié et compassion qui transpercent mon coeur. J'ai une confiance non pareille au très Saint Coeur de la Mère de Jésus. Un peu de patience vous en fera voir l'effet. J'ai un désir extrême de me voir à vos pieds, j'espère que ce sera bientôt. Je fais venir N... et une autre ici pour établir une excellente maison de Saint Sacrement et que vous ayez la consolation de vous y venir retirer (1). C'est en ce lieu Madame où il faut venir posséder le repos d'une douce et tranquille solitude, que votre piété désire depuis si longtemps. J'espère toujours que j'aurai l'honneur d'être de la partie ; pourvu que je sois à vos pieds, il me suffit. Je me hâte pour posséder cette chère consolation.
n" 1340
(1) Est-il question ici du monastère de Toul ? La lettre serait alors de 1664-1665 ou de l'agrégation de
Notre-Dame de Consolation de Nancy, soit 1.668-1669.
Je demande permission à votre très chère et honorée personne de me consoler avec elle de la croix que Notre Seigneur m'a remise sur les épaules (1). 11 me semble qu'elle ne me serait pas si sensible, si j'avais les qualités requises et les dispositions nécessaires pour en bien user. Il faut dans mon insuffisance bénir Dieu, et demeurer .toute abandonnée à son bon plaisir, le suppliant de tout mon coeur qu'il ait pitié de son oeuvre. J'appréhende avec grande raison qu'elle ne périsse entre mes mains, si vos saintes prières Madame ne m'attirent du ciel quelques bénédictions pour la soutenir.
n" 965
(1) D'après P 121 M. Mectilde fait ici allusion à sa réélection de Prieure du monastère de la rue Cassette. On pourrait alors dater ce billet de 1664 ou 1667.
La croix Madame, fut la victoire de votre sainte patronne ; c'est pourquoi je prends la liberté de vous en présenter une petite figure, qui marque que ses pensées et ses soucis sont en la croix de Jésus Christ. Je l'accompagne d'une autre miniature, qui fait l'image de la très Sainte Vierge, de laquelle vous attendez le secours et la protection pour l'heureuse conduite de votre vie. Nous prierons cette auguste
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Mère d'amour, de vous combler des grâces et des bénédictions dont son coeur virginal est rempli, et qu'elle découle sur le vôtre autant d'étincelles du pur amour qu'il en faut pour faire un divin incendie. C'est le bouquet le plus précieux que je désire vous présenter, pour honorer le jour de votre fête. Toute la communauté va communier pour vos saintes intentions, et pour demander à Notre Seigneur qu'il vôus embrase, Madame, des aimables flammes qui consomment glorieusement les saints dans le paradis.
IL FAUT ESTIMER LES CROIX PLUS QUE LES RAVISSEMENTS
J'admire votre bonté, Madame, que vous prîtes la peine de m'honorer hier de vos lettres, pour soulager ma crainte et me donner quelque repos d'esprit, pour passer la nuit avec plus de douceur par l'assurance de votre meilleure santé. M. N... a assuré que nous aurons l'honneur d'embrasser vos pieds le jour de notre grande fête ; infailliblement. Nous vous en prions instamment.
En attendant cette grâce, nous continuerons nos petites prières avec tout le zèle possible pour votre parfaite guérison et sanctification, sachant bien que vous n'aimez point la vie, si elle n'est tout à fait sainte. Soyez la Madame, Notre Seigneur le veut ; il vous en donne les moyens dont le plus excellent sont les souffrances ; c'est de quoi vous ne manquez jamais. Il ne reste que d'en faire un saint usage ; c'est ce que vous faites de tout votre coeur, vous estimant heureuse d'être conforme à notre adorable Sauveur crucifié. Saint Paul a fait plus de cas dé cette grâce que de son ravissement au troisième ciel. C'est toute la félicité des belles âmes que d'être attachées à la croix avec Jésus ; vous êtes de ce nombre puisque vous souffrez quasi incessamment ; il couronnera vos souffrances.
Prenez courage, je vous supplie, et vous tenez assurée de son secours et de ses divines bénédictions. Je vous le souhaite abondamment en embrassant vos pieds avec profond respect.
n° 1840
SUR LA FÊTE DE SAINTE MARGUERITE
Le jardin des Filles du Saint Sacrement ne produit point de fleurs dignes d'être présentées aujourd'hui à votre Altesse Royale; j'en aurais un fort grand déplaisir, Madame, si je ne trouvais dans le parterre eucharistique un supplément admirable : c'est la fleur des champs, le lis des vallées, Jésus le Verbe éternel, qui s'est fait lui-même le bouquet des âmes pures. C'est ce fleuron divin, Madame, que je vous présente et que toute la Communauté a reçu pour votre Altesse Royale ce matin, le suppliant opérer dans votre intérieur, toutes les vertus qui doivent rendre votre âme une précieuse marguerite aux yeux de votre céleste époux, par la constance et la générosité dans les souffrances, à l'imitation de votre sainte patronne, qui ne se rebute point pour les difficultés qui se rencontrent dans la vie de la grâce, où vous, Madame, aspirez incessamment. C'est ce que nous avons demandé à Dieu pour votre Altesse Royale et pour N... qui me semble porter votre nom (1). Recevez donc, Madame, ce bouquet du paradis : ceux de la terre sont trop chétifs pour une âme qui ne se peut récréer que des beautés de ce lis adorable que vous aimez si tendrement, et que vous .contemplez si suavement sur nos autels. Je le prie ardemment de vous attirer avec sa force divine, à l'odeur de ses sacrés et précieux parfums ; que votre âme en soit tellement embaumée que tout ce qui est sur la terre lui soit à dégoût et que, n'étant plus animée que de la vie de Jésus, elle soit un jour consommée des pures flammes de son saint amour. C'est le désir continuel de celles qui ont l'honneur d'être, avec très profonds respects, toutes, sans réserve...
n" 657
Si vous fûtes mortifiée jeudi de n'avoir pu assister au Salut du Très Saint Sacrement, je puis assurer que je le fus moi-même, d'autant plus sensiblement, que j'envisage votre chère personne comme le plus bel ornement de notre choeur et l'objet auquel Notre Seigneur Jésus Christ prend ses plus délicieuses complaisances ; vous n'y manquez jamais que je n'en ressente de la peine, m'étant avis que l'hommage que nous rendons à Dieu en ce mystère d'amour n'est pas rempli.
C'est pourquoi, Madame, je prie Dieu de tout mon coeur que les majestés de la terre ne vous empêchent plus de venir rendre vos adorations à celui du ciel qui repose sur l'autel comme dans son trône eucharistique, pour votre amour et pour vous attirer toute à lui. J'espère que jeudi prochain, vous réparerez ce manquement, quoiqu'il ne soit pas de votre faute. Vous goûterez plus suavement sa divine Présence et il consolera pleinement celle qui n'a point de plus grande félicité [parmi les] choses de la vie présente que d'être à vos pieds, pour admirer
n° 1983. Cette lettre est prise au Ms : Sor p. 216.
(1) Peut-être Marguerite-Louise, l'aînée de ses filles.
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LETTRES INÉDITES 75
les bontés de Dieu sur votre âme, et les conduites de son aimable Providence, pour votre sanctification. Je puis dire, Madame, que
Dieu vous tient en ses divines mains et fait ressentir, à celles qui offrent leurs voeux au Seigneur pour vous, qu'il s'applique tellement à votre intérieur qu'il en veut faire le cabinet de ses complaisances, et qu'il vous veut tirer des créatures. Si mon coeur pouvait exprimer ce qu'il conçoit et que Dieu permît que vous y vissiez quelque croyance, vous prendriez une singulière joie de voir comme il avance son ouvrage ; ce qu'il vous prépare pour vous introduire au lieu du repos, auquel nulle créature ne peut interrompre la paix de l'âme et la détourner un moment de celui qui est sa vie et son tout. O quand sera-ce, Madame, que nous sortirons de cet exil pour retourner dans le coeur de Dieu, notre Père, duquel nous sommes sorties ?Je crois que le vôtre, Madame, n'a pas de plus ardent désir, et moi de plus grande passion que de vous y suivre et être sous vos pieds, en ce précieux séjour, comme je m'y prosterne d'esprit et suis avec profond respect...
ELLE L'EXHORTE À QUITTER LE MONDE
Ces précieuses lignes que vous voulûtes hier prendre la peine de m'écrire pour ma consolation me rendent infiniment obligée à votre bonté, et me font prendre la liberté de vous dire que je bénis Dieu de tout mon coeur de la résolution qu'il vous a fait prendre de rompre vos liens. Votre santé est si fluette qu'on ne s'en peut assurer humainement : l'accident survenu montre bien que la nature a souffert un grand assaut. Il faut tâcher autant que l'on pourra, de l'éviter. Je ne vois point de plus efficace moyen que votre retraite du monde.
Cherchez, Madame, votre repos et votre sanctification, cela vous est permis (1). Nous voyons dans les histoires que plusieurs grands monarques ont tout abandonné pour posséder quelques années de solitude avant que de mourir. Nous connaissons même de grands prélats qui, par leur sacré ministère semblaient être inséparablement attachés au gouvernement de l'Eglise, qui se sont de même retirés. C'est à mon avis une grande grâce d'avoir un peu de temps pour penser sérieusement à Dieu et à soi-même ; il ne faut pas partir de ce monde sans L'aimer, et pour bien réussir en cette divine science, il faut quitter, autant qu'on le peut, le tracas des créatures. Ce n'est pas qu'on ne puisse aimer Dieu dans les maisons des grands, mais comme Notre Seigneur est peu connu dans ces lieux-là, il est rare d'y trouver des âmes bien pénétrées de son divin amour. Nous voyons même que celles qui en ont quelques touches n'y demeurent pas, sachant bien qu'elles ne s'y pourront longtemps conserver. Fuyons le monde, fuyons les créatures, si nous voulons jouir pleinement de Dieu seul. On ne le peut posséder pleinement si l'on ne s'éloigne de son contraire et de ce qui nous le dérobe. Croyez-moi, Madame, si vous êtes la nuit dans notre cellule, je suis bien en esprit à vos pieds pour vous accompagner dans vos souffrances et vous encourager à les porter saintement ; mais permettez-moi de vous dire, Madame, que vous les voulez porter trop généreusement dans le secret du coeur, sans prendre un peu de soulagement. Je sais bien que c'est là souffrir héroïquement, , mais aussi cruellement, si j'ose me servir de ce terme, parce que votre bon coeur, qui veut tout dévorer pour Dieu, par des sacrifices continuels, altère si fort la pauvre nature qu'elle y succombe et n'y peut résister. Si votre corps était assez fort pour faire ainsi, il serait bon, mais Dieu ne veut pas qu'on se précipite au tombeau. Je le prie de toute mon affection qu'il vous donne du secours par quelque bonne personne, pour un peu décharger votre coeur et que vous en receviez consolation. J'espère que Notre Seigneur y pourvoira. Je sais combien votre âme lui est chère et comment sa bonté vous protège et vous prépare de grandes bénédictions. Il faut penser sérieusement à rétablir votre santé et après former devant Dieu une sainte résolution. Vous pouvez conférer avec le bon Père J. qui est grand serviteur de Dieu et auquel le Saint Esprit donnera lumière. Vous pourrez joindre à votre conseil M. l'Abbé N. qui sera bientôt ici et d'autres en qui vous aurez confiance. Il faut enfin vous tirer de ce pas d'une façon ou d'une autre, parce qu'un esprit incertain dans une affaire importante ne se peut garantir de peine.
n" 171
(I) M. Mectilde fait peut être allusion au projet de la Duchesse de se retirer au monastère de Notre-Dame de Consolation à Nancy, soit en 1660 après la mort de Monsieur, soit en 1668-69 lors de l'agrégation à notre Institut.
Voici un vent qui s'élève avec tant d'impétuosité, qu'il me faut perdre l'espérance de l'honneur de votre présence aujourd'hui. Ce qui me fait vous importuner de ces lignes, pour vous apprendre la rechute du Père J. Il n'en faut quasi plus espérer, il est trop cassé. On nous mandera qu'il est allé au Ciel. Cependant, j'aurais fort désiré qu'il vous eût conseillée sur ce que Dieu veut de vous pour votre entière sanctification. Il faut s'abandonner sans réserve à son aimable Providence : elle y pourvoira. Je suis bien aise que vous ayez résolu de faire demain vos dévotions : vous avez besoin de force, de lumière et de grâce pour avancer toujours dans la perfection, nonobstant les évènements de cette vie. Vous trouverez en Jésus Christ tout ce dont
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vous avez besoin. Recevez-le, le plus souvent que vous pourrez, et lui dites de tout votre coeur plusieurs fois durant la journée : Mon Dieu, que voulez-vous que je fasse ? Mon coeur est préparé pour vos saintes volontés. Tout de bon, Madame, il faut vous sanctifier dans vos maux et être toujours prête à souffrir. Nous ferons prier pour cela.
n" 2943 LETTRES INÉDITES 77
indignes prières.
Recevez, Madame, d'un coeur qui est sous vos pieds, et qui ne vous parle qu'avec profond respect, ce qu'il est contraint intérieurement de vous dire. Si cela vous déplaît, je ne le ferai plus ; mais sachez que votre âme m'est plus précieuse que la mienne, et qu'il me semble qu'elle est à moi, et que je la dois rendre à mon divin Maître. Pardon si en cela je manque de respect.
n" 99
Ce mot est pour vous demander des nouvelles de votre santé et vous témoigner que vos intérêts et ceux de Mesdames vos filles sont dans mon cœur. Vous savez, Madame, que je suis toute à vous en Notre Seigneur et (qui est) plus intimement que jamais ; que j'ai une passion très grande de votre sanctification et voudrais mourir pour votre salut.
Je vous supplie, par les entrailles de la divine charité de Jésus Christ, que vous pensiez sérieusement à vous séparer de tout ce qui peut faire obstacle à votre perfection. Allons à Dieu de la bonne sorte, avec confiance et amour. Prenez une ferme résolution de mettre ordre à ce qui peut gêner votre âme. N'attendez point au moment que la puissance vous en sera ôtée. Ne remettons point à la mort le bien que nous avons à faire, et notamment ce qui pourrait inquiéter la paix de notre âme. Je suis pressée intérieurement de vous solliciter à faire ce que Dieu et votre conscience vous demandent, pour vous donner ce repos suave et tranquille, que le Saint Esprit produit' dans un coeur bien épuré.
Voyez ce que Notre Seigneur vous demande, écoutez la voix de son amour qui vous dit d'être toute à lui. Faites une revue sur votre état temporel et sur vos dettes, pour prendre moyen d'y satisfaire ; voir si vos aumônes sont faites selon l'ordre et la charité, avec la pureté d'intention qui les doit rendre dignes de Dieu ; si vous n'agissez point en quelque rencontre trop humainement, et si votre bon coeur ne s'épanche point trop par libéralités, où il ne faudrait pas tant ; si vous écoutez les cris des misérables pour en avoir pitié et les soulager selon votre pouvoir ; si vous prenez garde que le vice soit retranché chez vous, et que la paix règne dans vos domestiques.
Direz-vous pas, Madame, que je suis bien téméraire ? Vous avez sujet de le dire et de le croire, si votre bonté ne se souvient pas qu'elle m'a chargée de son âme. Je vous assure que j'en suis souvent très occupée devant Notre Seigneur et que je cherche, en sa lumière, ce qui pourrait faire le moindre obstacle à votre bonheur éternel. J'ai le coeur tout plein de zèle, de tendresse et d'amour pour tout ce qui vous touche ; mais beaucoup plus pour les choses du Ciel que pour celles de la terre, quoique je ne les oublie point, en mes pauvres et
Vous me donnâtes hier une nouvelle bien consolante, mais je n'en puis prendre la joie entière, que je ne sache si vous avez eu du repos cette nuit. Il faut bien qu'il y ait une vertu secrète qui vous soutienne. Je ne doute point que ce ne soient les mains adorables de Notre Seigneur, ma confiance est en lui, pour la conservation de votre très honorée personne. Si je l'envisageais selon ce qu'elle souffre, de corps et d'esprit, je serais dans une continuelle désolation. Mais vous êtes bien, vous avez une puissante protection. Il ne faut pas qu'un enfant appréhende rien, quand il est entre les bras de son Père ; votre âme et tout votre être sont environnés de Dieu ; vous êtes soutenue de sa main toute puissante ; vous reposez dans son immensité comme dans un lieu
d'assurance, et sa douce et aimable Providence prévient vos besoins, sa grâce vous fortifie et son amour vous attire toute à lui.
C'est une grande joie à l'âme qui se voit de cette sorte en Dieu, qui vit en lui, de lui et pour lui. C'est un paradis commencé ; mais il faut persévérer dans l'amour et la fidélité, et surtout dans les actions de grâces continuelles des infinies bontés de Dieu. Il ne les faut jamais oublier, si nous n'en voulons tarir la source. Je sais que vous avez grand soin, Madame, de le bien remercier. Commençons et finissons toujours nos prières par l'action de grâces et jamais elles ne seront stériles. C'est un secret infaillible qu'une bonne âme a appris de Notre Seigneur, un jour étant en oraison. Pardon, je suis trop importune. Il faut que vous m'imposiez silence si vous voulez que je vous laisse en repos.
J'attends de vos nouvelles avec impatience.
n" 3091
Il me semble que vous vous retirez si fort, que vous ne voulez plus soulager votre coeur par quelque petite communication des croix que vous souffrez quasi sans relâche. On ne laisse pas de compatir
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à tant de souffrances, mais c'est avec d'autant plus de douleur qu'on se voit incapable de vous soulager, renfermant votre peine pour la dévorer toute seule en la présence de Dieu.
Je sais bien que cela est héroïque et qu'une grande âme marque son courage en surmontant les afflictions de la vie, mais quelque générosité que la nature donne, le coeur ne se peut garantir d'être blessé en mille rencontres, et Dieu ne défend point qu'on se confie à quelqu'un pour aider à porter son poids. Le Fils de Dieu voulut bien que Simon le Cyrénéen prit le bout de sa croix pour un peu diminuer sa peine. Je sais bien que, quand Dieu veut qu'une âme souffre, il suspend toutes les consolations du ciel et de la terre, mais je ne crois pas, Madame, qu'il vous veuille dans un si grand dénuement. Il vous est bien permis de prendre quelques secours dans les conseils de quelques bons serviteurs de Dieu ; consultez-les, Madame, et voyez devant Dieu s'il y a quelque remède à vos peines, les sujets qui les causent et ce qui se doit faire pour vous en délivrer.
Il y a des croix qui ne sont point bonnes à garder et que la Providence nous envoie, sans borner les moyens de nous en soulager. Il y en a d'autres que la main de Dieu applique si sensiblement et si profondément qu'il met l'âme dans l'impuissance d'en pouvoir sortir. De ces sortes de croix, il faut se résigner et avec la patience de Jésus Christ, souffrir et mourir sur son bois. Celui qui crucifie soutient secrètement ; il sait mortifier et vivifier tout ensemble ; il ne faut que s'abandonner aux desseins inconnus de son amour, qui sait mener en enfer et en retire. Jamais une âme ne peut périr quand elle demeure assujettie à ses divines opérations. La main qui blesse en telles dispositions est rigoureuse et douce ; elle fait la plaie et la guérit ; elle porte le glaive et le remède tout ensemble. On ne doit point se troubler dans cette épreuve que l'amour divin fait dans une âme qui veut être sans réserve toute transformée en Jésus Christ. Il faut qu'elle soit purifiée et les tribulations servent de feu à cet effet. On a besoin dans ce creuset de quelqu'un qui aide à soutenir le courage, par une amoureuse confiance en Dieu et une remise de tout soi-même à son bon plaisir ; du reste on doit laisser agir cet aimable Sauveur qui n'a autre motif que de sanctifier l'âme et la transformer en son amour.
Mais si les croix sont quelquefois causées et produites par des choses temporelles, prenons conseil et cherchons les remèdes ; s'il n'y en a point qui réussissent, laissons tout à la disposition divine, et avec une foi inébranlable, espérons que Dieu tout bon y pourvoira infailliblement, par les conduites de sa divine sagesse qui ne se peut tromper et qui agit toujours pour notre bien, quoique l'esprit humain n'en soit pas toujours bien persuadé. Il ne faut point demeurer accablée sous le poids des choses qui nous peinent. Si elles nous détournent de Dieu et nous ôtent la paix intérieure, il les faut surmonter par un saint mépris en retirant l'esprit en Dieu pour lui laisser la conduite de telles peines, et (les) accepter doucement et amoureusement, les renversements, les abjections et contradictions qui en peuvent survenir ; et jusqu'à temps que l'âme se soit totalement résignée à Dieu, pour tout ce qui lui plaira et de quelle manière il voudra, il est du tout impossible que l'âme puisse avoir un calme solide en son intérieur. Plût à Dieu, Madame, que vous possédassiez celui que je vous souhaite! Les vapeurs n'auraient plus la puissance de vous incommoder.
Remettez toutes choses en Dieu et vous y laissez vous-même ; il fera de tout ce qui vous touche [selon] sa très sainte volonté ; embrassez-là à l'aveugle et vous dégagez doucement de tout pour vous attacher à Dieu seul ; s'il renverse tout, il le faut bénir avec le saint homme Job ; c'est de cette sorte qu'il fait des saints. Dieu est admirable en ses ouvrages, parmi toutes vos croix, il opère divinement en vous ; il y fait un ouvrage digne de lui-même et d'une félicité éternelle, qui couronnera toutes vos souffrances en les convertissant en joie. Qu'importe ce que l'on soit en ce monde, pourvu que nous jouissions de Dieu éternellement.
Courage donc, Madame, la fin viendra ; tout le créé retournera au néant duquel il est sorti, et vous passerez en Jésus pour vous reposer en Dieu sans fin, « Cujus regni non erit finis ». Pardonnez-moi la peine que je vous donne de lire ce brouillon ; pourvu qu'il puisse servir à vous divertir un moment, ce sera assez pour moi qui ne suis pas digne de vous servir, quoique mon zèle et ma tendresse pousseraient au delà. Dieu suppléera, je l'en prie de tout mon coeur, et qu'il vous fasse connaître, Madame, ce que je vous suis en son amour et avec profond respect.
n" 569 - Cette lettre est donnée selon le Ms Sor. p. 216 verso.
Je suis consolée dans les disgrâces qui arrivent incessamment à votre Altesse Royale de vous voir tenir ferme sous le bon plaisir de Dieu, et vous accoutumer à la croix. C'est, Madame, où l'âme trouve une grâce toute divine qui l'élève et la tire de soi-même pour la porter à Dieu. J'ai toujours cru que le revers des affaires de votre maison vous servirait d'échelle pour monter au Ciel.
Si les chrétiens pouvaient comprendre la grâce que Dieu renferme dans les souffrances, leur félicité serait de souffrir sans relâche, car il est certain que le Fils de Dieu ne nous donne jamais de croix que par un amour infini. Mais la chair et le sang n'entendent point ce langage, et la foi n'est pas assez vive en nous, pour nous persuader cette vérité. Vous êtes trop chrétienne pour l'ignorer. Il faut seulement prendre courage et vous tenir près de Dieu, pour être fortifiée de sa grâce, qui vous élèvera infailliblement au-dessus de tout le créé. Prenez
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votre joie en lui, puisqu'il est tout à vous et que ses conduites sont pleines d'amour et de miséricorde. J'ai une furieuse envie que vous soyez toute à lui. Je suis fort touchée de l'indisposition de S.A. L'âge et le chagrin ne sont pas bien ensemble et les défaillances qu'elle a, ne me ,plaisent point. Je fais prier Dieu pour elle du plus intime de mon coeur. Je ne puis m'empêcher de dire, sans sortir du respect. que j'aime ce Prince au-delà de ce que je peux dire. C'est mon souverain
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à qui je dois ma vie, après Dieu. Je me sens si pressée intérieurement de prier Notre Seigneur pour ses besoins que j'ai communié aujourd'hui pour cet effet, mais je peux dire, d'une manière toute particulière. J'espère que Dieu lui fera miséricorde. La Très Sainte Vierge est son avocate et l'amour du Très Saint Sacrement le sauvera, je m'en tiens certaine. Reposez-vous en Dieu, Madame, dans cette confiance. Il y a plusieurs jours que je désire l'honneur de parler à votre Altesse Royale.
nu 1461. Cette lettre est donnée selon le Ms : Sor p. 218 v"
Ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire me touche sensiblement devant Notre Seigneur : comme il vous a donné une grande naissance selon la nature, il veut vous donner une grande perfection par sa grâce, se servant de la grande sensibilité que vous avez de votre perte, pour vous tenir dans un sacrifice continuel devant sa Majesté. Il vous donne, par cet exercice douloureux. les moyens de vous immoler sans cesse et de vous rendre à Jésus sacrifié. par un réciproque d'amour et de douleur. Vous êtes en croix continuellement. et quoique vous ressentiez sa rigueur, vous ne laissez pas de vous y sanctifier admi-
rablement car vous laissant l'humiliation de ressentir votre peine. elle vous crucifie d'autant plus qu'elle vous ôte la satisfaction de voir le progrès que vous faites dans la pratique des vertus.
Dieu, Madame, vous fait marcher à la suite de Jésus inconnu, abject et méprisé, pour sanctifier votre âme et la préserver de la malignité que le monde contient en soi, et de laquelle les personnes de votre illustre naissance ne se peuvent garantir sans miracle. Dieu. qui vous a choisie pour le Ciel, ne veut point que les choses de la terre vous empêchent d'y parvenir. Il veut, par les déplaisirs continuels., vous faire goûter qu'il n'y a qu'amertume et affliction d'esprit dans la possession des créatures que celui-(1à] seul est heureux, qui en connait le mensonge et la vanité, pour ne s'y point engager : et qui connait la vérité de Dieu pour s'y fortement attacher et confier : tout passe, et il n'y reste qu'un moment pour ménager l'Eternité.
Pardonnez-moi, Madame, si je suis si téméraire. que de vous exposer si librement mes chétives pensées : c'est avec un profond respect et une confusion extrême. Mais comme j'ai une très grande obligation d'aimer et honorer parfaitement votre Altesse Royale, je ne puis lui mieux témoigner qu'en lui protestant que ses intérêts me sont très chers et que, comme Dieu veut vous faire une grande sainte. par les contradictions etc..., il me donne une ardente affection de le prier que vous soyez remplie et soutenue de sa grâce. comme de ce qui est le plus précieux, et par laquelle vous triompherez de tout le monde.
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Petite It et Gronde Porterie (tsto)
Cette dernière est surmonta* de la Statue
du Dut Antoine (18st)
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et posséderez un repos au fond de votre esprit pour vous rendre inébranlable à tous les événements fâcheux ; et quoique je sois la plus indigne de toutes les créatures, je me présenterai à Dieu tous les jours pour la lui demander et ferai faire des prières et communions journalières pour tous les besoins de votre âme, pour vos intentions particulières, pour N. et pour N.N. Je ne puis penser à la conduite que Dieu a tenue sur toute cette illustre Maison que je n'en sois sensiblement touchée : il veut l'humilité des grands et qu'ils connaissent qu'ils relèvent de sa suprême grandeur. J'espère qu'il aura pitié de tout et qu'il se contentera des gémissements de votre coeur, et des voeux que vous lui présentez ; il accomplira vos saints désirs et couronnera votre personne d'une récompense éternelle qui vous fera heureusement régner dans l'Eternité.
C'est l'espérance de celle qui ne sera jamais digne de l'humble qualité de votre...
n" 164. Cette lettre est donnée selon le Ms : Sor p. 219 v"
Communion, rassasiez ses désirs qu'il exprime par ces paroles : « DESI-DERIO DESIDERAVI » (1). 11 ne demande que d'être reçu, ne le privez point de ses complaisances, puisqu'il fait ses délices de converser avec les enfants des hommes ; et comme il entre en vous par cette divine manducation, entrez en lui par une profonde démission de tout vous-même et une entière remise à son amour. C'est l'effet de la Pâque, qui est le passage de Jésus, afin que Jésus soit vivant en vous et que votre âme soit toute abîmée en lui. C'est Madame le souverain bien que je vous souhaite, et ce que le temps me permet d'écrire. Je sais bien que votre Altesse Royale n'a pas besoin d'être excitée, son coeur a trop d'amour pour Jésus, mais c'est pour un peu vous divertir, Madame, et vous assurer que je me souviens de faire prier Dieu pour tout ce qui vous touche, et que je m'oublierais plutôt moi-même que vos intérêts.
On m'a dit que vous nous honorerez de votre présence, c'est pour combler notre fête de bénédictions. Je demande humblement part en vos saintes prières.
n" 1123. Cette lettre est donnée selon le Ms : N 258 p. 233.
Je ne puis, Madame, passer ces Saints Jours sans vous souhaiter la plénitude de grâces renfermées dans nos précieux mystères. Celui que nous célébrons aujourd'hui est l'épuisement de l'amour de Jésus ; on ne le peut considérer sans un divin étonnement. Le prophète contemplant les oeuvres de Dieu demeurait tout hors de lui-même, ne pouvant comprendre les abaissements de sa haute et suprême majesté lorsqu'il s'est fait homme.
Je trouve que la divine Eucharistie est un sujet d'un plus grand ravissement, puisque nous y adorons un Dieu si épris de l'amour de sa chétive créature qu'il trouve un moyen de demeurer avec elle jusqu'à la consommation des siècles, et d'opérer tous les jours, en elle, les effets de ses ineffables mystères. On nous prêche souvent des merveilles de ce sacrement d'amour, mais tout ce que la science en peut dire est au-dessous de ce que la foi en fait comprendre. Après qu'un Dieu s'anéantit sous les Espèces, pour entrer dans nos coeurs, il n'y a plus moyen de se jamais défier de sa bonté. Il ne faut plus souffrir en nous d'autres dispositions que l'amour ; étant une certitude de foi que celui qui donne le plus ne refuse pas le moins. Je dis que les dons de Dieu et ses faveurs, et la béatitude même, étant moins que Dieu, il ne nous les refusera pas, puisqu'il se donne soi-même avec tant d'amour et de tendresse que je ne sais comment l'âme le peut contenir sans mourir. Votre Altesse Royale est plus capable d'en recevoir la grâce que moi d'en parler.
Goûtez, Madame, les douceurs du Coeur de Jésus dans la sainte
(I) Luc XXII, 15
DE L'IGNORANCE OÙ NOUS SOMMES DES DESSEINS DE DIEU
[1661]
Je ressens vivement les nouveaux sujets de déplaisirs que vous avez reçus. Je voudrais qu'il plût à Dieu écouter nos gémissements sur cette affaire. Mais comme la créature n'est que ténébre et ignorance, elle ne peut pénétrer les conseils de Dieu, ni les caùses pourquoi il permet des crucifixions si sensibles, sinon pour nous faire adorer la profondeur de ses jugements et l'inscrustabilité de ses pensées, qui néanmoins sont toujours pleines d'amour et de miséricorde pour les âmes qui s'y soumettent et s'y abandonnent entièrement. Vous le savez par une longue expérience. Dieu éprouve votre constance et votre fermeté en son amour. Mais pourquoi ? Si ce n'est pour purifier de plus en plus votre âme. et la rendre digne de son union. Il veut par mille accidents différents vous séparer des créatures, pour vous faire entrer en sa sainteté. C'est là en vérité tout le bonheur de l'âme ; et pour trouver la paix et le repos sur la terre, il ne faut rien estimer que le salut éternel ; tout le reste n'est rien, qu'amertum.e et affliction d'esprit. Recevez de la part de Dieu les déplaisirs de la vie. Baisez la main adorable qui vous attache avec Jésus son Fils, sur la croix,
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et qui n'a eu en ce monde pour partage que les hontes, les affronts, les mépris, contradictions, douleurs, angoisses, délaissements et la mort. C'est aussi le présent qu'il fait à ses élus, d'où vous devez inférer du dessein de Dieu sur votre âme, puisqu'il lui donne si bonne part aux sacrés états de Jésus Christ et d'où elle tirera une force divine pour recevoir sans s'ébranler les événements contraires qu'il est impossible d'éviter, sachant bien que nous sommes dans un siècle où il n'y a rien d'assuré. Il n'y a que l'âme bien ume à la très sainte volonté de Dieu qui demeure ferme et sans changement. Permettez-moi de vous supplier de ne vous point laisser aller dans la douleur extrême, mais d'agir avec un saint abandon et pleine de confiance à la bonté de Dieu. Nous ferons augmenter les prières pour vous obtenir les lumières du Saint-Esprit et les grâces nécessaires pour soutenir cette chère affligée (1), qui me touche sensiblement. C'est ce que peut la plus indigne de vos servantes.
n" 1398. Ms : P110.
(1) Est-ce une allusion au mariage de la fille aînée de la duchesse, Marguerite Louise, avec le duc de Toscane, Cosme Il! de Médicis, éxigé par Louis XI V, au grand désespoir de la jeune fille ? Mme de Motteville. dans ses Mémoires, en fait un récit dramatique.
[1661/1662]
Bien que vous me fassiez espérer l'honneur de vous voir demain, je ne puis différer jusqu'à ce cher moment, de vous témoigner la part que je prends à vos déplaisirs ; je ne m'en consolerais jamais, si je ne savais que c'est par la voie des tribulations que Notre Seigneur vous peut détacher de la terre, pour vous unir et transformer toute en lui.
Il y a longtemps que je tâche d'observer ses conduites sur votre âme et que je vois qu'il fait sans cesse de nouveaux renversements dans vos affaires et vos prétentions, quoiqu'elles soient justes. Il est bien malaisé de se voir traiter de la sorte, sans que la nature ne le ressente et qu'elle en souffre des agonies, se voyant abandonnée de ceux qui vous sont les plus obligés, selon le raisonnement humain ; mais ne croyez pas que tous les accidents soient casuels (1) en Dieu : ce sont des épines de sa couronne et donc petite portion des peines et des humiliations qu'il a souffertes en ce monde, auxquelles il faut que vous ayez part, si vous voulez parvenir à la sainteté et conformité d'état avec Jésus Christ. Le peu que vous trouvez dans les hommes
(1) Casuel : qui dépend des cas, des accidents : choses casuelles, emplois casuels, emplois révocables.
Littré, Petit dictionnaire universel.
vous fera retirer vers Dieu, et leur infidélité à votre égard ne vous permettra plus de vous y confier, ni d'en espérer aucun secours. Dieu ne veut point que vous trouviez d'appui dans les créatures. II est jaloux de votre coeur il ne le possèderait pas sans réserve s'il trouvait en elles (2) où se reposer. Je sais qu'il- en coûte furieusement pour vivre séparée, mais courage il ne faut qu'un bon coup, vous avez fait le plus grand pas lorsque vous avez rendu à Dieu ce que vous aviez de plus cher. Il ne vous reste quasi plus que vous-même à immoler ; c'est demain le jour que Jésus s'offre à son Père éternel c'est aussi le même auquel il a reçu de votre fidélité l'hostie que vous lui présentâtes en la personne de feu Monsieur (3). Je vous supplie que ce soit le même auquel vous sacrifierez tout votre être à Dieu ; et s'il diffère de vous mettre dans la chère solitude que vous désirez, ne le privez point du repos que vous lui pouvez donner en vous-même, par la solitude et retraite intérieure, où vous pouvez jouir de sa douce Présence et commencer en ce monde un paradis anticipé. C'est dans ce divin commerce où votre âme prendra une nouvelle vie et recevra des forces, pour soutenir tout ce que la divine Providence lui envoyera d'amer et de pénible. Je pourrais même assurer que votre pauvre corps y trouverait de la santé et que rien au monde n'est meilleur pour le réconforter dans ses douleurs que .la joie de l'esprit et la dilatation du coeur. Je ferai demain faire à toutes nos Soeurs la sainte Communion pour les intentions que vous désirez. Oh ! si j'étais digne d'être exaucée, vous sentiriez d'admirables effets de grâces. Il y a je ne sais quoi en moi qui voudrait vous mettre dans le Coeur de Jésus Christ. Je vois de si grands avantages pour vous faire sainte que je ne puis m'empécher de demander à Dieu qu'il vous tire fortement, qu'il vous arrache de vous-même. Permettez-moi de vous dire que je regarde les contradictions des hommes comme autant de coups de glaive et de verges que sa main toute puissante vous donne pour vous tirer de la Cour. Vous appartenez à Jésus Christ crucifié. Les armes de votre maison étant une double croix, jugez si vous ne devez pas être crucifiée au monde, et que le monde, comme dit Saint Paul vous soit crucifié. Je vous conjure avec respect de n'en jamais plus rien espérer et d'élever votre coeur en foi vers celui qui veut vous être tout en toutes choses. Contentez-vous de Dieu puisqu'il se contente de vous, et ne vous fâchez plus d'aucune chose. Tout est au-dessous d'une âme qui aime son Dieu, rien n'est capable de la troubler. Je sais qu'il est bien rude de se voir sans secours et comme abandonnée, mais celui-là est bien gardé que (de) Dieu garde et protège ; pardonnez ma simplicité aussi bien que ma témérité, vous êtes trop bonne et vous me donnez trop de liberté ; si vous voyez mon coeur vous vous blâmeriez encore davantage, et diriez que j'ai droit
(2) Dans les créatures.
(3) Gaston d'Orléans, Monsieur, frère de Louis XI II. est mort en la fête de la Présentation 2 février 1660.
LETTRES INÉDITES 87
86 CATHERINE DE BAR
sur le vôtre, et que je ne puis souffrir qu'il manque d'être fidèle aux attraits de Jésus Christ qui le veut pleinement posséder.
Je me jette à vos pieds pour vous demander mille humbles pardons et vous supplier de jeter promptement la présente dans le feu, c'est une saillie d'affection trop hardie.
n"72. Ms PII0 p. 295.
IL FAUT IMMOLER ET SACRIFIER À DIEU
CE QUI NOUS EST PLUS CHER
PAR UNION À SON SACRIFICE DE L'AUTEL
[29 janvier 1664] (1)
Comme tout le monde se met en peine de vous consoler dans votre affliction par toutes les manières que l'on peut, je n'ai point cru pouvoir mieux réussir que par la prière, qui a été continuée sans relâche, depuis les dernières nouvelles que vous avez reçues demandant instamment à Notre Seigneur Jésus Christ qu'il fasse en vous, par sa grâce, ce que les créatures n'y peuvent faire. Et quoique je sois très pénétrée de votre douleur, je le suis de plus très sensiblement de vous savoir mal.
Votre fidélité me fait honte, et me fait admirer les grandes miséricordes que vous recevez de Dieu et la force généreuse avec laquelle vous achevez de lui sacrifier ce qui vous est si cher. Vous l'avez déjà donnée à Dieu dans les premières nouvelles de sa mort supposée, et vous n'aviez point voulu flatter votre espérance dans l'incertitude de sa vie, aimant mieux vous tenir dans une humble soumission, devant la majesté divine de notre Dieu, que dans la joie qui pourrait adoucir votre peine. Dieu n'a pas voulu que vous manquassiez à un seul petit point du pur sacrifice. Et bien que l'on vous dit de descendre de la croix, par cette vaine espérance, la fermeté de votre coeur a été si grande que vous y êtes demeurée constante, sans y recevoir d'autre soulagement que le sacré abandon à la volonté divine.
Vous devez être bien persuadée que Dieu vous veut toute à lui, et qu'il ne cessera jamais de vous poursuivre par les peines et les croix, jusqu'à ce qu'il soit pleinement victorieux de vous-même. C'est son plaisir de vous posséder, et de vous rendre conforme à son Fils sur le Calvaire et dans la divine Eucharistie, où l'amour et la douleur l'immolent à tout moment. Soyez immolée de la sorte, et que l'amour douloureux fasse votre consommation. Vous ne serez jamais heureuse que dans cette sainte disposition où la grâce vous fera entrer, et par laquelle votre âme s'élèvera au-dessus des objets des sens.
Souvenez-vous que vous devez rendre à Dieu ce qui est à Dieu.
Rien n'est à vous, que le néant et le péché. Vous n'êtes point à vous-même, mais toute à Jésus Christ. 11 est donc très juste qu'il fasse ce qui lui plaira de vous, et qu'il vous conduise par toutes les tribulations à l'éternité bienheureuse, où bientôt vous recevrez la récompense de tant d'amertume dont votre vie est remplie. Mais il faut prendre courage, tout passera et se réduira au néant. Ce n'est pas la peine de s'affliger des accidents de cette vie, la mort emporte tout et nous réduit et ensevelit nous-mêmes. Ne pensons qu'à notre heureux retour vers Dieu, qui est notre centre, et dans lequel il n'y a nulle vicissitude, mais une durée de paix inaltérable. Achevez donc de couronner Jésus [en vous] par votre patience et humble résignation, et il vous comblera un jour de sa gloire, par son amour. Ce doit être votre unique désir comme votre souverain bonheur. Je l'en prie de tout mon coeur vous étant en lui avec respect...
n° 276. Ms N267 p. 35.
(I) Cette lettre paraît avoir été écrite à l'occasion de la mort de la seconde fille de la duchesse d'Or-
léans, qui avait épousé, sur l'ordre de Louis XIV, le prince Emmanuel de Savoie. Mariage heureux. mais de très courte durée.
de Rambervillers, le 18 avril 1666
La part que votre Altesse Royale prend aux intérêts de la gloire du Très Saint Sacrement me fait donner l'honneur de lui en dire des nouvelles, en lui rendant compte de ce qui s'est passé ici, touchant là mission qui m'a été donnée pour venir établir, en notre monastère, notre Saint Institut.
J'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs si bien disposées et si soumises à tous les règlements et constitutions que nous professons, que nous ne trouvons aucune difficulté à résoudre et si les Saints Jours n'interrompaient le cours de nos conférences et ne nous ôtaient la liberté d'agir, pour achever ce que nous avons commencé, nous aurions conclu dans huit ou dix jours. Mais, étant obligées de différer jusqu'après les fêtes de Pâques, nous avons choisi le jeudi, 29ème d'avril - dans l'octave de Pâques -, pour faire la première cérémome de l'Exposition du Très Saint Sacrement et prendre possession du monastère.
Chacune se prépare tout de son mieux; il n'y a que moi qui suis misérable et la plus opposée à la sainteté de Jésus, et c'est une grande humiliation pour moi. Je n'oublie point de faire prier Dieu pour Votre Altesse Royale. C'est pour elle que nous offrirons à Dieu la première Exposition qui se fera dans cette maison, avec toutes les communions de la Communauté, qui a pour vous, Madame, tous les respects qu'elle doit et toute la reconnaissance de vos excessives bontés.
titi CATHERINE DE BAR
Je suis ici dans un pays éloigné, où je ne puis avoir de lettres de k. si je ne les envoie quérir à Toul. C'est ce que je ferai demain, ne pouvant plus souffrir la privation des nouvelles que j'attends de Votre Altesse Royale, que je vois toujours environnée de contradictions. Mais, courage, Madame, vos maux finiront quelque jour et vous jouirez d'une paix et d'un repos éternels. Ne désistez point de votre sainte résolution et soyez plus que jamais toute à Jésus et à sa très sainte Mère et je continuerai d'être, avec un très profond respect, Madame, de votre Altesse Royale.
LETTRES INÉDITES 89
liens, afin que vous puissiez prendre votre vol dans la douce et aimable solitude où vous aspirez si souvent, et vous reposer dans le trou de la pierre, qui n'est autre que le Sacré Coeur de Jésus. C'est là, Madame, et non ailleurs que vous jouirez d'un parfait repos, et que les flammes de son Coeur adorable consommeront le vôtre. J'en souhaite avec ardeur le précieux moment et de me voir à vos pieds pour être témoin de votre bonheur et avoir un peu de part aux miettes qui tomberont de la table où vous ferez, Madame, ce festin délicieux.
En attendant ce grand bien, souffrez que je sois toujours ce que votre bonté m'a permis d'être, avec très profonds respects...
Ir 1895. 'eue lettre est donnée selon le Ms : P101 p. 804.
nt, 123 Ms P110 p. 282
(1) Jeudi de Pâques 29 avril 1666. L'histoire de ce monastère et de son agrégation à l'Institut est rapportée dans : Catherine de Bar, p. 220 à 231 et p. 304 à 309.
de Rambervillers, avril 1666
Ce ne sera point par ces mots que je vous rendrai grâces très humbles de la continuation de vos bontés vers la plus indigne de toutes vos servantes. J'ai trop peu de loisir pour épancher les • sentiments de reconnaissance dont mon coeur se trouve rempli : j'en réserve les productions pour mon retour à vos pieds.
Nous faisons jeudi la première Exposition du Très Saint Sacrement dans cc monastère pour introduire et établir l'Adoration perpétuelle (1) ; après cette cérémome nous n'aurons plus à faire ici ; nous irons à 1 oul pour faire faire profession à deux filles novices (2). Je voudrais avoir déjà fait tout ce que ma commission porte, pour accomplir avec plus de diligence vos volontés et aller• prendre part aux croix que la divine Providence vous envoie journellement, que je souhaite ardemment être toutes transférées dans mon coeur, pour en soulager le vôtre. La croix est le partage des élus, c'est par elle que Jésus les sanctifie. Doutez-vous, Madame, qu'il n'ait pas un dessein sur votre âme. Oui, certainement. Plus je fais prier Dieu pour vous, plus je suis confirmée et certifiée intérieurement qu'il vous veut toute à lui, et qu'il ne cessera point de vous crucifier qu'il ne vous ait purifiée et rendue digne de son union éternelle et des pures opérations de son amour, qui est l'unique bonheur où vous aspirez. Il faut toujours relever le courage dans les différents effets que la grâce opère, d'autant que la nature pâtit et qu'il est dur de mener une vie toujours souffrante. Il faut une haute estime de Dieu, pour être toujours soumise à ses conduites et porter dans le coeur l'amour de ses volontés, notamment lorsqu'elles sont si crucifiantes. C'est tout ce que les saints ont pu faire sur la terre et que vous tâchez de faire, Madame, pour vous conformer à Notre Seigneur Jésus. Je le prie qu'il vous fortifie afin que vous puissiez soutenir tout ce que Dieu veut faire en vous de grand et de saint.
Je continue de faire prier Dieu pour vous et pour la rupture de vos
(2) Françoise Charbonnier (Sr St François de Paule) fait profession le 15 mai. Anne Parisot (Sr Marie du St Sacrement) le 19 mai.
août 1666
La Providence nous a donné bien de l'exercice. Nous avons quasi perdu notre bonne Mère de St J... (1) par les maux de tête et vomissements violents. Nous ne savons encore quelle sera l'issue de son mal. Notre Seigneur semble prendre plaisir de la purifier par les douleurs, pour la rendre une digne victime de son amour. Elle souffre de si bonne grâce, et avec tant de soumission au bon plaisir de Dieu. qu'il y a consolation de l'envisager sur son lit, comme une victime sur son bûcher, que l'amour et la douleur consomment.
C'est la joie d'une fille du Saint Sacrement, qui sert tous les jours de sa vie immolée avec son adorable Jésus, et qui ne vit que pour mourir à tous moments, en réparation de sa très auguste Majesté offensée. Heureuse une âme qui se voit ainsi sacrifiée avec son divin Sauveur, et qui n'a point de plus grande passion que de se voir consommer pour l'amour de son Dieu, par le feu des souffrances! Vous le savez mieux que personne, ayant si bonne part à la croix de Jésus, et la portant avec une si généreuse patience qu'elle édifie tout le monde. C'est ainsi, Madame, que votre âme se sanctifie et qu'elle avance sa bienheureuse éternité.
Je prie Dieu qu'il vous augmente incessamment ses grâces, et me rende digne d'être. avec autant d'effet que de zèle, et de profond respect...
n" 1913. Ms : P110 p. 278.
(I) Probablement Mère de Saint Joseph. Cf. lettre du 11 aoùt 1666 p. 276.
LETTRES INÉDITES
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Je ne sais, Madame, ce que vous avez, mais je sens bien que depuis quelques jours vous pâtissez beaucoup plus que l'ordinaire, et quoique vous le vouliez cacher aux créatures, mon esprit ne laisse pas de le pénétrer, et mon coeur souffre avec vous. Cherchons au nom de Dieu les moyens efficaces d'en sortir.
Je n'ai rien fait sur les mémoires de l'autre jour. Nous les enverrons aux R.P.... Je prie Dieu qu'il les inspire sur votre Maison de Nancy. Je n'ose rien vouloir, crainte que je ne fasse ce que saint François de Sales ne veut pas, qui est d'avoir trop de désirs. J'anéantis de tout mon coeur tout ce que mon esprit pourrait produire là-dessus, pour me laisser en proie au bon plaisir de Notre Seigneur. Je le prie de faire en tout cela sa très sainte volonté, et qu'il vous comble des grâces que je vous souhaite, pour être une aussi grande sainte que je le désire et que Dieu veut. Le reste à demain puisque j'aurai l'honneur de vous voir après-midi. Je vous souhaite cependant une bonne portion de la félicité des Saints et que vous soyez remplie de l'abondance des grâces divines.
n" 1154. Ms : P 1 IO p. 315.
Vers 1667 (1)
L'occupation d'hier et d'aujourd'hui m'a dérobé l'honneur et la douce consolation de vous rendre mes respects, et aussi mille humbles actions de grâces, de tout ce que vous faites pour votre maison et pour notre Institut ; mais singulièrement de votre zèle pour la gloire du Très Saint Sacrement et l'adoration perpétuelle. Vous trouverez Madame, une admirable récompense dans le paradis, pour toutes ces belles et excellentes choses. Vous faites exalter le Fils de Dieu, humilié dans l'Eucharistie, et il vous glorifiera dans son éternité bienheureuse. On ne rend en ce monde aucun service à Notre Seigneur qu'il ne le récompense au centuple dès cette vie. Je congratule celles qui ont le pouvoir de le faire. Je les estime infiniment heureuses. Oh, Madame, réjouissez-vous en Jésus de ce qu'il veut couronner vos désirs et recevoir la gloire et les hommages que vous lui voulez procurer. Je suis dans l'impatience de voir tout réussir à votre contentement. Je vous supplie de me tenir toujours dans un petit coin de votre cher souvenir, pour m'honorer des nouvelles de votre santé et de celles du quart-d'heure, s'il se fait...
n"2137. Ms: P110 p 314
(I) Le monastère de Notre-Dame de Consolation de Nancy a été agrégé à notre Institut en février 1669 après 2 ans de tractations.
DE L'INDIFFÉRENCE POUR TOUT LE CRÉE
Paris, 1667
Puisque vous nous privez de l'honneur de votre présence, je vous demande permission de vous importuner de ces lignes, pour savoir l'état de votre santé et si les impressions qu'on a jetées dans votre esprit, contre ma sincérité, ont encore quelque place dans votre pensée.
J'avoue que j'ai eu quelque retenue sur votre maison de Nancy, mais rien ne me l'a causé que la croyance que Notre Seigneur ne vous donnait point d'instinct particulier pour cela, et je m'en étais dépouillée devant Dieu avec résolution de n'en faire aucune avance, afin d'y mieux connaître les ordres et les volontés de Dieu, et que je devais attendre de vous les réponses. J'espère que demain vous apprendrez quelque chose. Je serai toujours prête de partir quand il vous plaira. C'est le plus grand bonheur qui me puisse arriver sur la terre, de finir ma vie à vos pieds. Mais avant que de jouir de ce doux et paisible repos, il faut rompre vos liens. Je crois que vous y penserez plus fortement que jamais. Je fais prier Notre Seigneur qu'il vous donne une forte délibération de ce que vous devez faire, et après la conclusion, nous prendrons l'essor pour voler dans notre chère solitude. Hâtez-vous Madame, Notre Seigneur vous y attend pour vous y combler des grâces et des douceurs de son Divin Amour. C'est ce qui vous tient le plus à coeur, et ce que vous désirez avec une sainte impatience.
Je le souhaite de ma part avec ardeur, mais je vous supplie, avant que de nous embarquer, ôtez de votre croyance le défaut dont vous me voulûtes accuser hier ; il ferait un obstacle à votre repos et à l'union des coeurs que Notre Seigneur lie par son amour et qui ne se doivent plus séparer, ni en ce monde, ni en l'autre, puisque c'est en son Esprit qu'ils sont unis et pour cela qu'ils seront inséparables.
n" 2553. Ms : N267 p. 45.
[1668/16691
J'ai reçu, Madame, celle dont il vous a plu m'honorer, par laquelle je comprends l'angoisse de votre coeur ; mais je vous supplie très humblement de prendre courage et de vous assurer que Notre Seigneur, par les intercessions de sa bénite Mère, vous délivrera de l'oppression ; et j'ai confiance que, comme vous voulez faire exalter le Fils et la Mère dans votre maison de la Consolation, Jésus et Marie prendront un tel soin des affaires de votre Maison Sérénissime, que vous aurez sujet de vous en réjouir et de chanter de tout votre coeur « Quo-
92 CATHERINE DE BAR
niam bonus, quoniam in aeternum misericordia ejus».
Je vous conjure humblement de relever votre courage. Nous ne serons pas encore longtemps sans ressentir la puissance de son bras ; attendons avec confiance - et je dis en secret - avec assurance. Plût à Dieu que je puisse être une heure auprès de vous ! Je vous dirais bien des choses qui ne vous affligeraient pas. En attendant que je possède cette grâce, je vous dirai avec respect que son Altesse Sérénissime, à votre considération, Madame, nous a accordé ce que nous lui avons demandé pour la suppression du titre d'Abbesse. Il en est d'accord et a pris la peine de me donner à cet effet, des lettres pour Rome (1). Reste donc à signer le traité avec ces bonnes Mères et ensuite nous prendrons possession de la maison, au nom de l'Auguste Mère de Dieu. qui en sera la très digne et unique abbesse perpétuelle. Nous aurons l'honneur de vous dire davantagé au premier ordinaire.
n" 749. Ms : Sor. p. 219.
(I) Le 10 décembre 1668. Dom Espinasse. grand vicaire de l'abbaye de Saint Germain des Prés donne «obédience à Mère Mectilde pour se rendre en Lorraine pour l'union de la maison de Notre Dame de Consolation de Nancy. à notre Institut». Le 26 janvier 1669. Monseigneur du Saussay, évêque de Toul donne «obédience pour l'union de ce monastère à notre Institut». Le 6 des Calendes d'août - 12 août 1670, 2ème année du pontificat de Clément X, un Bref de la Pénitencerie de Rome est envoyé à Monseigneur de Toul pour faire passer les religieuses de Notre Dame de Consolation de Nancy à notre Institut. cf. A rch. de notre monastère de Tourcoing.
Voir le récit de l'agrégation du monastère N.-D. de Consolation de Nancy à notre Institut : C. de Bar- Documents, 1973, p. 259 et sv.
DISPOSITION POUR PROFITER DU JUBILÉ
[décembre 1668]
J'espérais bien l'honneur de vous écrire, devant que vous me l'eussiez ordonné, pour vous dire un mot sur le Jubilé. (1)
Je crois que vous savez bien avec quelle pureté d'intention on doit travailler à le gagner, et combien il est important de s'y bien préparer. Notre âme en reçoit de merveilleux effets lorsqu'elle est revêtue des dispositions qu'elle doit avoir. Le bon Père de Gondran (2) a laissé
tin petit livre qui en parle dignement si vous le désirez, je vous
l'enverrai.
Le principal effet du Jubilé, c'est le changement de vie. C'est ce que je voudrais avoir et que je demanderai de tout mon coeur. Il faut aller de bien en mieux, autrement le Jubilé ne servira de rien. Je sais que vous en avez le désir et que vous voulez être, sans réserve, toute à Dieu. Voyons en sa Présence et en sa lumière ce qui nous arrête et nous empêche :
Les petits péchés d'habitude nous font un tort notable. C'est un pas fort glissant et qui nous engage quelquefois à de plus grandes
LETTRES INÉDITES 93
fautes, si nous n'y prenons garde. Il faut que la grâce du Jubilé retranche tout cela et nous prépare à une sainte mort, étant peut-être le dernier que nous recevrons.
Je voudrais bien que vous ayez un second Père N... Il vous serait bien utile dans cette occasion. Il faudrait un confesseur qui avec la douceur de la grâce poussât votre âme suavement, parce que, dans le chemin de la perfection ne point avancer, c'est reculer, et cela arrivera imperceptiblement à moins d'avoir une grande vigilance intérieure. La raison est que nous sommes environnés de nos ennemis, dont le plus violent c'est nous-même, et duquel nous avons souvent moins de défiance. Je voudrais bien vous porter dans le Coeur de Jésus, mais vous êtes plus digne d'y entrer que moi-même qui ne suis qu'abomination devant Dieu.
Cependant j'ai du zèle pour votre âme et sa sanctification. C'est pourquoi je vous supplie avec profond respect, que vous examiniez simplement devant Dieu, en sa lumière, sans gêner votre esprit, si vous faites ce qu'il demande de vous, et si vous correspondez pleinement à la grâce et aux touches du Saint Esprit.
Tout ce que je désire, c'est que vous sortiez de vous-même pour entrer en Jésus Christ, car il faut que les paroles de l'Apôtre portent leur effet en vous : « Vous êtes morts dit-il et votre vie est cachée en Jésus Christ ». Une âme qui ne vit point de cette vie, n'est ni heureuse, ni agréable à Dieu. Il n'est point si difficile d'y vivre que l'on s'imagine. Un bon fond comme le vôtre est une terre bien disposée pour recevoir les divines impressions. Il me semble que le plus fort est de vous défendre d'être trop humaine, et que Dieu ne soit pas assez l'unique objet qui vous anime, ni le pur motif qui vous fait agir. Vous savez les paroles de Notre Seigneur : « Si votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux ». Si vous regardez purement Dieu en toutes vos paroles et en toutes vos actions, toute l'économie de votre intérieur ira bien, vous ne serez ni en inquiétudes, ni en ténèbres. C'est ce qui vous peut rendre heureuse.
Je vous conjure de vous tirer de mille embarras d'esprit, qui ne laissent pas de vous gêner et qui retardent votre consommation en Dieu. Je le prie de vous donner la force de vous surmonter, et de vous faire entrer dans sa paix, pour bien et saintement gagner le Jubilé, et faire naître en vous le Saint Enfant Jésus, en qui je vous suis sans réserve, avec profond respect...
n,, 1432
(I) Le Pape Clément IX accorda un Jubilé à la France en 1669 pour demander l'aide de Dieu contre
les Turcs.
(2) Certains manuscrits de cette lettre portent -le bon Père de Condren». mais la liste des œuvres du second Général de l'Oratoire, qui a fort peu écrit, ne fait pas mention de cet opuscule. c'est pourquoi nous conservons le nom de Gondran.
94 CATHERINE DE BAR
[1669J
Vous ne doutez point que je ne sois touchée du dernier sensible, bien que je ne croie point votre maison anéantie. Mais quoi qu'il en soit : « Levate capita vestra », levez votre esprit de la terre et des créatures et voyez des yeux de la foi la conduite de l'adorable Providence de Dieu.
Laissons les causes secondes pour nous lier à ces premières, et dites en vérité et de tout le coeur ume à Dieu : « Mon règne n'est point de ce monde», et il sera désormais dans le coeur de Jésus Christ. C'est là où vous devez établir votre royaume en mettant votre couronne à ses pieds. Puisque vous avez remis vos Etats entre les mains de sa très sainte Mère, vous lui en abandonnez totalement la conduite, pour n'y prendre plus de part qu'en l'esprit de son Fils ; et puisqu'il n'attend point le temps de la mort corporelle qui dépouille de tout nécessairement, pour vous séparer de ce que la naissance avait mis à votre possession, entrez dans ses desseins par une intime union de votre volonté à la sienne. Dites lui d'un coeur plein d'amour et de confiance que son bon plaisir vous suffit, que vous renoncez à tous les royaumes de la terre, pour vous renfermer en esprit dans le coeur de Jésus, où vous vous ferez gloire de régner paisiblement, par une soumission amoureuse à ses conduites, qui veut que sa grâce fasse en vous un usage tout divin de votre croix.
Et si vous ne pouvez remédier aux maux présents, tâchez de gagner pour le Ciel des biens immenses que vous pouvez acquérir à tout moment. Plus vous êtes accablée, pour ne point dire terrassée, plus votre bon coeur se doit soutenir en foi, disant avec saint Augustin : «J'espèrerais en Dieu, quand même il m'abîmerait». Oh si, par les indignités que vous recevez de vos ennemis, vous en tirez votre sainteté, n'est-ce pas un bien infini ? N'en perdez point l'occasion. Faites devant Dieu comme si tout était perdu, pour vous, afin que vous lui puissiez désormais dire : « Je me contente de vous seul. Mon règne est dans votre Coeur et le vôtre est dans le mien ». Oui, si Jésus règne en vous, vous régnez en lui, doux règne qui n'aura point de fin. C'est où il faut s'établir solidement et où les atteintes des hommes ne pourront plus ébranler votre constance. Mais quelle joie de régner, de ce beau règne qui rend une âme immuable aux renversements ! Rien ne peut plus altérer sa paix. Les ordres du bon plaisir de Dieu font sa gloire et son amour, sa félicité éternelle.
Tout ceci n'empêche pas que vous n'agissiez en ce qui vous sera possible. Mais faites toutes choses avec cette union du coeur et d'esprit à Dieu, ne vous laissez point submerger par la tristesse. C'est dans cette rencontre où vous pouvez faire des merveilles pour votre éternité : « Dominus dedit, Dominus abstulit, sit nomen Domini bene-dictum » (1). Pour moi, je ne perds pas la foi, quoi qu'il semble que
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tout s'abîme et que tout périt. Cependant que je suis pénétrée de douleur, sachant que vous l'êtes humainement parlant, très justement. Il faut redoubler les prières, nous le ferons de tout le coeur.
n°3119
(I) Job. 1.21.
Plût à Dieu, Madame, avoir des paroles de grâces, pour vous consoler et fortifier dans les angoisses que je sais que vous souffrez, dans ces conjectures d'affaires qui touchent votre Maison!
Voici d'étranges épreuves que Dieu donne à votre vertu ; mais comme vous êtes accoutumée à faire des actes héroïques d'aniour et de sou-
mission aux volontés de Dieu, il faut envisager les maux présents dans les ordres de la divine sagesse, pour en faire l'usage qu'il veut,
et par toutes ces sortes d'afflictions, élever votre âme à une haute sainteté. C'est un dernier trait qu'il donne à votre vertu pour la rendre parfaite. Ce n'est pas que je dise que tout soit perdu ; celui qui nous blesse nous peut guérir. Mais ce sont des crises difficiles à soutenir, et où la nature succombe si la main de Dieu ne la tient.
Je vous regarde Madame, dans cette main adorable toute abandonnée à son plaisir. Je vous supplie de n'en jamais sortir et ne point perdre la paix de l'âme pour quoiqu'on vous puisse dire. Vous savez que tout ce qui vous touche n'est plus à vous. Vous les avez données à la très Sainte Vierge. C'est à elle de les défendre et à vous, Madame. de demeurer inébranlablement dans une pleine et entière confiance en sa bonté. C'est ainsi que vous triompherez de tout ce qui s'opposerait à votre tranquillité, et tandis que cela durera, vous éleverez vers le ciel, où cette puissante avocate recevra vos voeux par son très Saint Coeur pour les rendre agréables à son Fils. Je ne vous puis dire les tendresses respectueuses que mon coeur ressent pour le vôtre, dans les diverses agitations où je le vois. Je n'ai pas besoin d'être à vos pieds pour les connaître, je les pénètre assez en les portant, par je ne sais quelle liaison que le respect m'empêche de nommer , mais qui se sent vivement, et que j'ai vue très particulièrement ce matin à la Sainte Communion que j'offrais à Dieu pour vous et ce qui vous touche. J'ai connu, ce me semble, l'angoisse de votre pauvre coeur, qui m'a fait verser des larmes en la Présence de mon Dieu. le priant de toute l'ardeur de mon âme de consoler la vôtre, et vous animer de sa grâce et de son Esprit. J'ai impatience de me voir à vos pieds pour partager vos douleurs et les attirer toutes dans mon coeur. qui est, Madame, en Jésus, plus à vous qu'à moi-même.
n° 2475
( RINI DI PAR LETTRES INÉDITES
1 - ( hal les, par la glace de Dieu. duc de 1.ot-raille. M;u duc de ( glabre, Bar, Gueldre, marquis
de Polit a NIoii,,›,od et de Nomeny, comte de Provence. Vaudemont, Marmont, lulphen, Saverden,
salin et, r tous crus qui ces présentes verront, salut. Depuis la donation et le transport irrévocable
que nous avons lait de nos nias a la 'Ires Sainte Vierge, mère de Dieu. en l'honneur de son Immaculée onception. et que nous ne nous sommes réservés que le pouvoir de maintenir son autorité, et le soin de l'exécution de ses droits. l'égard de nos peuples ses sujets : nous avons estimé que pour mériter les effets sensibles de sa protection particulière, nous étions obligés de rendre tous nos Etats et nos peuples ses tributaires et que, comme l'oblation des prémices dont Dieu a voulu être honoré, marque est le principe de nos biens, aussi le tribut que nous en donnerons à la Sainte Vierge fasse voir que nous la consideions comme la cause (après Dieu) de leur conservation, que chacun sache à qui nous
sommes piotecnice qui nous défend. et la souveraine sous laquelle nous vivons. A ces causes,
don, on. or doline et ordonnons que tous les peuples de nos Etats, commenceront ci-après, à lui
donne, haque mince le tribut de leurs biens ir leur dévotion, et qu'à cet effet dans chaque lieux de dos dits I tais. On lira incessamment chois d'une personne de probité, qui lève et reçoive de chaque L'indic, par tete, le tribut dut a 1;1 Sainte Vierge, pour être employé à son honneur, à la décoration de ses autels et images. dans chacune des villes, bourgs, villages et communauté de nos dits Etats, ou a telle autre chose qui concerneront son honneur. aux choix et dévotion de nos peuples. Voulons et nous plaît qu'il soit incessamment satisfait a notre intention, mandant à tous ceux qui sont sous notre obeissance, de contribuer à l'e‘ecution des présentes, tel étant notre bon plaisir. Donné à Nancy, le ‘111 t-deuxieme de janvier de l'an mil sis cents soixante et neuf. Signé : Charles. «Monseigneur l'évêque de Toul a octroyé quarante jouis d'indulgences à toutes les personnes qui s'acquitteront de ce
ibut envers Notre-Dames.
de Nancy, le 13 avril 1669
nfin, Madame, Notre Seigneur a exaucé les désirs de votre coeur
royal sur sa maison de la Consolation : il a augmenté le nombre des
Victimes de son divin Sacrement, sans les priver de la grâce qu'elles
ont d'être les Filles de votre Altesse Royale.
Jeudi, le Fils de Dieu, en cet auguste Mystère, en prit possession par une Exposition solennelle, mais pas encore dans la magnificence que j'aurais souhaitée. La musique de son Altesse suppléa aux défauts de nos voix. Le Sérénissime Prince eut la bonté d'y assister (1), et ce fut avec tant de satisfaction qu'il dit hautement n'en avoir point
ressenti de plus tendre, ni de plus cordiale, depuis qu'il est rentré dans
ses Etats. Ce qui marque bien la piété de son coeur et l'amour qu'il porte à Jésus Christ.
Notre fête eût été accomplie si votre Altesse Royale y eût été pré-
sente : elle ne doute pas qu'elle ne fut ardemment souhaitée de toute
la Communauté et très particulièrement de sa très indigne servante.
Notre Seigneur n'a pas voulu que notre joie fût entière : il laisse tou-
jours quelques petites douleurs dans les consolations de cette vie,
quoiqu'elles soient saintes dans leur sujet, pour montrer qu'il n'y a de
félicité parfaite que dans le Ciel. Quoiqu'il en soit, Madame, votre
zèle a produit des Victimes à Jésus Christ et des réparations conti-
nuelles pour les outrages que mes péchés lui ont faits. Vous verrez par
la suite le grand bien que vous avez fait. Madame, et la récompense
en sera éternelle.
Il était temps que votre Altesse Royale apportât quelque remède
alix souffrances de ces bonnes Mères, qui languissaient et soupiraient
après le repos qu'elles témoignent posséder avec beaucoup de recon-
naissance. Elles le doivent, Madame, à votre Altesse Royale. Elles
ne manqueront pas de lui en faire leurs très humbles remerciements. Madame la Duchesse de Lorraine (2), étant au Salut, nous fit l'honneur de nous témoigner à la grille qu'elle avait une grande joie de
notre établissement en cette ville et de la satisfaction que votre .Altesse
Royale en recevrait.
Voilà en raccourci le détail de notre petite cérémonie, qui sera bien plus éclatante lorsque la grande église sera en état d'habiter.
n0 388
(1) Charles IV. duc de Lorraine. Prince régnant.
(2) Probablement Louise d'Apremont.
Rue Saint-Dizier, vue de la porte Saint-Nicolas.
Le monastère Notre-Dame de Consolation se trouvait sur la droite. L'église a été démolie pour k perce-
ment de la rue Général-Drouot en 1843.
CATHERINE DE BAR
[photo omise]
COMMENT IL FAUT FINIR ET COMMENCER L'ANNÉE
décembre 1669
e ne puis finir l'année sans vous souhaiter une heureuse conclusion V et un saint renouvellement en son amour. Je vous supplie d'entrer dans la pratique que nous nous sommes proposée cette nouvelle année : C'est l'amour et la confiance filiale en Dieu. Il veut cela de ses enfants, et comme il vous a purifiée dans le sang de son Fils au Saint Jubilé, il veut que vous oubliez votre vie passée pour ne plus vous souvenir que de ses bontés et de son amour. C'est la plus digne réparation que vous pouvez faire des infidélités commises, aimant ce Dieu uniquement aimable, et vous confier en ses soins, vous attacher à son Coeur et vous complaire en ses saintes volontés. C'est de ne vous plus affliger dans les accidents de la vie, mais d'avoir une foi vive, croyant que Dieu vous aime du même amour qu'il s'aime soi-même, et veut que vous vous reposiez en lui.
Je vous prie de ne plus sortir de cette douce et amoureuse confiance et soyez bien persuadée que Dieu veut cela de vous, et que hors de cette conduite, vous vous serez éloignée de votre centre et de la peix intérieure que vous aimez tant. L'amour et la confiance sont votre partage pour cette nouvelle année. La Providence me l'a donné pour vous comme votre loi sûre et facile qui vous mènera sûrement où vous aspirez de tout votre coeur. Goûtez un peu les tendresses de l'infime miséricorde de Dieu, il ne la peut faire paraître plus grande qu'en nous donnant son Fils. C'est le don qu'il vous fait pour gage de votre bonheur éternel, vous donnant en lui les clefs du paradis. Remplissez donc votre coeur d'une sainte joie et ne pensez plus qu'aimer : c'est votre portion, n'en demandez point d'autre.
Je prie l'Enfant Jésus qu'il allume en vous le feu divin qu'il est venu apporter en terre, et qu'il vous donne un comble de bénédictions en cette nouvelle année : la sainteté et consommation de tout vous-même en son amour. Je suis en lui tout à vous, pour le temps et l'éternité. Avec profonds respects...
n"1110- Ms: N267
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME] À SAINT-MIHIEL (1) Sous-Prieure du monastère des bénédictines de Rambervillers [Vosges]
De l'Abbaye de Montmartre, octobre 1641 Ma très Révérende et très chère Mère (2),
Que la divine lance qui a percé le cœur adorable de Jésus transperce le vôtre et le consomme de ses divines et amoureuses ardeurs, pour très affectionné salut !
e ne vous saurais exprimer la grande consolation que j'ai reçue
en la lecture des vôtres et combien j'ai ressenti de tendresse et de désir d'effectuer les promesses que je vous ai faites. Je vous aurais déjà consolée en ce point, n'était la charge que vous possédez qui m'en ôte le pouvoir ; si vous pouvez obtenir votre obédience, c'en sera bientôt fait, et ce en un lieu pour lequel vous avez tant d'inclination ; souvenez-vous du lieu dont nous avons si souvent parlé ensemble, étant à Saint-Mihiel [Meuse], et où il y a une religieuse qui s'appelle la soeur Saint-Joseph, favorisée et ornée de toutes les vertus ; je ne vous nomme pas le lieu ; vous vous en souviendrez s'il vous plaît. Je vous dirai seulement que j'ai eu l'honneur d'y entrer et d'embrasser cette âme favorisée de Dieu, mais avec tant de consolation que volontiers j'aurais
(1) Chassées de leur monastère par les guerres, les Bénédictines de Rambervillers ont trouvé un refuge provisoire à Saint-Mihiel. M. Guérin, envoyé par M. Vincent de Paul pour porter secours aux provinces dévastées de l'Est, parvient à faire accepter, par Mahe de Beauvillier, abbesse de Montmartre, de recevoir au moins deux moniales Lorraines._ C'est ainsi que Mère Mectilde et sa compagne, Mère Louise de l'Ascension, arrivent à Paris le 28 aout 1641 ; cf. Catherine de Bar, Documents historiques, 1973, p. 49 et suiv.
(2) Elisabeth de Brême est née à Sarrebourg en 1609 de Dominique de Brême, maître échevin de la ville. Nous ne connaissons pas le nom de sa mère. Mais «nous savons qu'un de ses oncles, Roger de Dainville, était chanoine de Saint-Etienne de Sarrebourg et avait une réputation de très grande vertu. Elevée très •chrétiennement, elle désirait embrasser la vie religieuse, et, envoyée par ses parents à Nancy pour y apprendre le français, elle essaya plusieurs fois d'être reçue chez les Annonciades. Son père s'opposa formellement à sa vocation et lui fit épouser à 17 ans un officier lorrain, M. Chopinel. Elle eut une fille et devint veuve après trois ans de mariage. A 23 ans, malgré les oppositions de ses parents, elle se retire chez les Bénédictines de Rambervillers où sa haute et solide vertu ne tarde pas à attirer l'attention. En 1634, elle est maîtresse des novices, puis sous-prieure. En 1653, elle est élue prieure, et le restera jusqu'à sa mort, le 24 octobre 1668. L'échange de correspondance avec Mère Mec-tilde que nous publions montre la qualité de ces deux grandes âmes. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 226.
ael MO IIIIIII 1111111 1111111 811111
122 CATHERINE DE BAR LFTTRFS INÉDITES 123
dit comme saint Pierre. Or, en cette maison, la Règle s'observe dans une grande pureté. Je n'ai jamais remarqué une soumission plus grande, ni
une charité et humilité plus parfaites ; tout s'y observe avec un ordre
admirable, accompagné d'un grand silence. Ce n'est pas tout. Il faut que je vous dise que cette âme de question n'est pas seule en sa vertu ;
la plupart la suivent de près, signamment une bonne maîtresse des no-
vices et quelques autres que je ne nomme point. Elles sont vingt-quatre religieuses en tout qui néanmoins se ressentent de la pauvreté, mais
non pas comme nous. Que direz-vous de la charité que ce Dieu d'amour versa dans leur coeur pour moi ? Jusqu'à ce point que de me vouloir retenir ; et sur ce sujet me firent promettre que je les reverrais plus particulièrement. De vrai, je reçus un grand combat, savoir si je devais m'arrêter ou suivre l'obéissance qui m'engageait. Je me résolus d'obéir et leur fis promesse de faire mon possible de les revoir ; elles m'en donnèrent les moyens. Or, ma très chère Mère, pour vous témoigner combien je vous suis fidèle en mes promesses, je leur parlai de votre désir et de la sincère affection que vous avez pour cette maison ; je vous puis assurer que toutes me promirent d'avoir la même volonté pour vous qu'elles me daignaient témoigner, moyennant un point que je ne vous puis mander, qui n'est pas très important, car je ferais bien facilement cela si l'occasion était à moi. Voyez donc, s'il vous plaît, si je vous oublie. Non, il m'est impossible de vous ôter de mon souvenir, quand bien même je m'efforcerais de le faire. Vous m'êtes en Dieu actuellement présente, mais d'une manière très singulière, sur la sainte Croix où je vous donne et abandonne à ce doux Seigneur mourant. Si vous saviez combien j'ai de désir de vous tirer de la misère où vous êtes, peut-être que vous seconderiez mes volontés en les présentant à Dieu pour recevoir de sa miséricorde leur effet. Courage, ma très chère Mère, je vous promets de me priver de ce lieu de question pour vous en faire jouissante, et si le bon Dieu me donne les moyens d'agir, je vous promets qu'en ce point vous aurez contentement.
.le vous ai déjà souhaitée plus de mille fois en ce saint lieu où je suis. 0 Dieu, que vous auriez de consolation ! ou plutôt de sainte appréhension de marcher sur une terre arrosée et trempée du sang du sacré martyr saint Denis (3), ce urand maître de la théologie mystique ! Il faudrait un grand volume pour vous dépeindre la dignité du lieu et la sainteté qui s'y trouve. Il y a grande quantité de saintes reliques et des corps saints tout entiers, et s'il y a un paradis en terre, je puis dire que c'est Montmartre, qui est un vrai paradis terrestre où les vertus se pratiquent en perfection et où notre sainte Règle est gardée dans une
(3) 11 y eut trois saint Denys : 1) l'Aréopagite dont parlent les Actes des Apôtres 17.34 - 2) saint Denys, le premier évêque de Paris au Ille siècle - 3) le «grand maître de la théologie mystique» à qui est attribué le Corpus dionysiacum et qui vécut probablement vers le I Ve siècle. A l'époque de Mère Mectilde la confusion entre ces trois personnages était encore fréquente. Jean Rupp, L'église de Paris, R. Laffont. Paris, 1948, p. 15 - 23 - D.T.C., art. Ménard, fasc. LXXX I - LXX XII, col. 548 - D.T.C., le Pseudo-Denys, fasc. XXVI I, col. 429 436.
observance très exacte. Je sais que vous avez été autrefois dans la pensée que la réforme n'y était pas. Je vous puis assurer et protester qu'elle y est si particulièrement pratiquée par les saintes religieuses de ce lieu que cela ravit d'admiration et je vous supplie d'en louer et remercier notre bon Dieu et qu'il continue ses saintes bénédictions. Souvenez-vous, s'il vous plaît, d'une lettre que je vous écrivis il y a quelque temps, où je vous racontais quelques merveilles de ce sacré lieu. Tout ce que je vous dis en cette lettre n'est rien à l'égal de ce que j'y trouve; 'en glorifierai Dieu éternellement.
.l'ai toujours grandement à l'esprit ma pauvre Marguerite (4). Je vous promets de faire mon possible pour elle. Si l'obéissance me laisse agir, je tâcherai de lui trouver quelque lieu vertueux et saint. Courage, ma très chère Mère, je prierai toutes les saintes âmes de ce lieu sacré de prier Dieu pour vous : elles me l'ont déjà promis, mais à condition que vous ferez le même pour elles, mais surtout pour Madame l'Abbesse, qui est la première et la plus favorisée du Ciel. Je vous assure que tou-
tes les vertus sont amassées en elle priez la divine bonté de les lui
continuer puisqu'elle l'a choisie pour une oeuvre si sainte.
Si vous saviez combien vos lettres me consolent. vous prendriez la peine de m'écrire plus souvent : vous connaissez mon esprit et mon néant. J'aurais infiniment désiré de vous parler encore une fois, mais il plaît à ce Dieu d'amour me tenir dans la privation : j'embrasse la sainte Croix avec vous, et désire de tout mon coeur mourir sur icelle. Je ne sais comment remercier cette adorable bonté de m'avoir retirée en un lieu où, par le secours divin et l'exemple que j'ai journellement devant les yeux, je peux devenir parfaite. Il faut que je vous dise que je crains bien qu'il ne durera guère et j'en suis déjà dans les appréhensions. Je vous supplie, donnez-moi fortement et instamment à Dieu et le priez qu'il captive toutes les puissances de mon âme, en sorte que je meure mille fois plutôt que de l'offenser. Cette crainte de tomber dans le vice me donne mille frayeurs et m'empêche d'être si parfaitement résignée de sortir d'ici, encore que je m'abandonne à Dieu autant que je puis. Je voudrais de très bon coeur descendre dans les enfers plutôt que de déplaire à Dieu, secourez-moi de vos prières à ce sujet. Or, la plus ordinaire pensée que j'ai de présent, c'est le désir d'être parfaitement anéantie et d'être attachée sur la très précieuse Croix. Quant à l'anéantissement, je le comprends intérieur et extérieur, m'étant avis que sans icelui je n'avancerai pas vers Dieu ; et, pour l'extérieur, il est facile avec la grâce ; mais l'intérieur, je le
(4) Marguerite Chopinel, tille de M. Chopinel et d'Elisabeth de Brême. née le 25 octobre 1628, fut élevée au monastère de Rambervillers. Quand sa fille eut 10 ans, sa mère la confia à sa famille à Sarrebourg, mais elle fut obligée de chercher refuge à Saint-Mihiel à cause de la guerre. Là. Mère Mectilde s'occupa d'elle comme de sa propre fille. Elle put la faire venir à Paris, à Saint-Maur-des-Fossés, où elle avait ouvert un petit pensionnat en 1643. En 1646, elle prend l'habit de saint-Benoit au monastère de Rambervillers et. le 21 août 1647, elle y fait profession sous le nom de Soeur Marie de Jésus. En mars 1651, elle revient à Paris avec Mère Mectilde, qu'elle ne quittera plus. Elle sera maîtresse des novices du premier monastère où elle meurt en singulière vénération en 1687.
124 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 125
trouve difficile parcequ'il me semble que toute la diligence est peu si A UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS RESTÉE À BARBER! (1)
Dieu même n'anéantit les puissances. La vii :tcité de mon esprit me tra- Saint-Maur, 25 février (1643 ou 44]
vaille beaucoup, et le peu de constance qui est en moi me prive de beau- celui qui nous est toutes choses unisse nos coeurs en lui pour toute Eiernité
coup de grâces. Je vous remercie de toutes les prières que vous faites e suis bien consolée d'avoir de vos nouvelles et de savoir comme va
faire pour la confirmation de notre sainte promesse ; pour moi, je dirai votre santé. Prenez bon courage en la voie de la sainte Croix ; il faut encore un peu de temps souffrir. Votre voie est sainte et très assurée : j'en ai des sentiments tout particuliers lorsque j'y fais quelque réflexion.
à cet effet : le Te decet lares, Te decet hymnus et le Stabat Mater Vous dites que mon absence vous est une bonne mortification ; je vous assure que je ne vous vois point éloignée mais très présente en mon Dieu, à qui je vous donne de tout mon coeur sans réserve, souhaitant de lvous] voir toute à lui selon ses desseins éternels. Courage ! Très assurément vous y serez un jour : la patience en persévérance fait merveille. Je suis bien aise que notre bon Seigneur vous fait profiter de mon éloignement ; il est admirable pour trouver des inventions qui nous obligent de nous quitter nous-mêmes. Néanmoins, selon ce que je puis juter pour le présent, je retournerai avec notre Mère (2), si la divine Providence ne fait naître quelqu'autre occasion que je ne prévois point. Nous sommes à sa toute puissance sans réserve. J'ai quelque consolation de voir que vos peines continuent ; j'en tire des conséquences très avantageuses pour votre âme, encore que cela vous soit bien sensible. Il faut passer par le creuset des peines pour être digne de la sacrée union. Laissez-vous à Dieu et vous abandonnez à sa sainte conduite. Consentez à tous les desseins qu'il a de vous anéantir par ces peines et souffrances ; il faut être plus passive qu'avilissante, en votre état. Encore que la violence d'icelles vous emporte quelquefois, la puissante main de Dieu fera un jour calmer cet orage. Attendez tout de lui et vous perdez dans son infime bonté qui vous souffre dans les désordres de la nature. Laissez-vous à lui pour être entièrement détruite ; je vous convie encore de vous aider à détruire en vous abandonnant de bon coeur à toute sorte de désolation, vous abaissant devant sa Majesté pour recevoir les effets de sa miséricordieuse justice qui vous purifie par son éternel amour.
dolorosa, à ce que cette Mère de douleur et de compassion nous rende Je ne doute pas que votre peine ne soit grande vers le sujet que vous savez, c'est bien fait de vous faire violence, il faut dompter la nature, notamment en ces occasions où nous voyons clairement la vertu.
conformes au Coeur de son Fils crucifié. Il est vrai que, dans nos exer- Tenez-vous bien joyeuse et tâchez de vous fortifier ; ne négligez
cices derniers, j'ai changé les roses en épines très poignantes dont j'ai ressenti de très vives piqûres. Je ne me soucie pas de quoi je souffre, pourvu que je sois fidèle à Dieu et qu'avant mourir je sois parfaitement délaissée à son Coeur divin. (1) Mère Louise de l'Ascension ou Angélique de la Nativité de Mangeon, toutes les deux professes, du monastère de Rambervillers, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 64.
Je finis, ma très chère Mère ; voilà une longue importunité que vous recevez de moi, je vous en demande mille pardons. Je vous supplie ( (2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Celle-ci entrée au monastère de Rambervillers en avril 1629, y fait profession à 23 ans. Prieure en 1637, elle cherche refuge à Saint Mihiel avec les plus jeunes membres de sa communauté en 1640, puis à Paris, où elle rejoint Mère Mectilde à Noël 1642. En 1647, elle retourne en son monastère puis rejoint définitivement Mère Mectilde à Paris en 1653. Sous-prieure de la rue Cassette, prieure de Toul, puis du second monastère de Paris, elle a toujours été l'appui le plus ferme de Mère Mectilde. A partir de 1692, elle n'est plus mentionnée dans aucune correspondance. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 222.
humblement de prendre la peine de saluer mes très chères Mères et
Soeurs, je les prie de ne point oublier leur indigne servante. Croyez-
moi. ma très chère Mère, que c'est à mon grand regret que notre Révé-
rende Mère Prieure vous a quittée. Il faut croire qu'il n'est plus possible de vivre à Saint-Mihiel, puisqu'elle en sort. En outre le désir qu'elle a du bien de la pauvre maison de Rambervillers lui fait prendre beaucoup de peine. Sa personne étant ici, elle pourrait faire auprès de Madame l'Abbesse et avec Monsieur Guérin que plusieurs de mes soeurs seront placées en de bonnes abbayes (5). Quant à vous, ma très chère Mère, je vous souhaite au lieu que j'ai ci-devant dit. Je vous en écrirai quelque jour plus particulièrement. Je vous conjure de m'envoyer tous les jours en esprit votre bénédiction et de me tenir à vos pieds lorsque vous serez devant Dieu pour me sacrifier à lui en qua-
lité de votre
Monsieur Guérin vous salue ; il ne vous oublie point en ses prières, • il vous prie de faire le même pour lui. Je lui ferai vos saluts.
n.' 1269 N248
(5) Cf. C. de Bar. Documents, 1973, p. 57.
Sceau de
126 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 127
point votre santé. Je suis bien aise que nos bonnes âmes de Caen (3) ne sont encore venues ; je pense que nous les verrons, s'il plaît à notre bon Dieu, car notre Mère veut partir la première semaine de Carême. Donnez quelque relâche à votre esprit en le divertissant quelquefois afin de soulager votre faible nature.
Je vous dis adieu, je vous laisse à Dieu et vous assure qu'en son saint amour je vous serai sans finir, votre etc...
Il " 1447 D13
(3) Peut-être Jean de Bernières-Louvigny ou le Père Jean Eudes
PROMESSE ÉCRITE DE MÈRE MECTI LDE
AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS QUAND ELLE FUT ENVOYÉE A CAEN (1)
Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le 23 mai 1647
X")ous, Soeur du Saint Sacrement, très indigne religieuse du monastère . de Rambervillers en Lorraine, prosternée aux pieds sacrés de Jésus Christ, aux desseins adorables duquel je m'abandonne sans réserve, faisons la promesse et protestation suivante à notre très Révérende Mère Prieure et à toutes les Mères et Soeurs de notre sainte communauté, conformément au bon plaisir de Notre Seigneur, savoir : ne les quitter, ni abandonner jamais pour me tirer hors de leur sainte compagme par mon choix, par mon mouvement, par mon élection, ou persuasion quelconque, leur promettant leur être fidèle jusqu'à la mort et de les servir toutes, selon la puissance qu'il plaira à Dieu me donner, en reconnaissance de la grande grâce qu'elles nous ont faite de nous recevoir dans leur sainte communauté.
Me prosternant derechef aux pieds de toutes, en général et en particulier, leur demandant pardon très humblement de toutes les peines et mauvaise édification que je leur ai données, je les supplie pour l'amour de Jésus Christ et de sa très sainte Mère, de me continuer leur sainte amitié et me tenir toujours pour membre de leur corps, quoique très indigne d'une telle grâce, leur protestant derechef que je n'ai point d'autre volonté que de mourir avec elles, si tel est l'ordre et le dessein de Dieu, en la présence duquel et par son amour j'ai fait et signé la présente promesse à Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le vingt troisième Mai l'an mil six cent quarante-sept.
n" 2369 P101 ajoute : l'original est conservé au monastère de Rambervillers.
(I) Envoyée à Caen pour établir la réforme dans le monastère des Bénédictines de N. - D. de Bon-Secours. Mère Mectilde doit s'engager à n'y résider que temporairement, son monastère de profession ne voulant à aucun prix se séparer d'elle. cf. C. de Bar. Documents. 1973. p. 67 - 68.
ACTE PAR LES VICAIRES GÉNÉRAUX DE BAYEUX
8 juin 1647
Nous Vicaires Généraux de l'Evêché de Bayeux, le siège vacant, à la Mère Mectilde du Saint Sacrement, Professe du Monastère de Rambervillers en Lorraine, Ordre de Saint Benoît, et de présent demeurant au Monastère de Saint Maur des Fossés lès-Paris. Nos chères filles les Religieuses de Notre Dame de Bon Secours de la ville de Caen, du même Ordre de Saint Benoît, vous ayant canoniquement élue et choisie par leurs suffrages, en la confiance qu'elles ont en votre prudence et charité, pour leur Prieure, l'espace de trois ans, nous vous donnons permission, après avoir reçu les obédiences nécessaires de vos Supérieurs, de venir dans le dit Monastère de Notre Dame de Bon Secours de la dite Ville de Caen, et, louant et approuvant la dite élection ou postulation faite de votre personne par les dites Religieuses, nous vous autorisons pour y exercer la dite
charge de Prieure pendant le dit temps, priant Dieu qu'il vous donne sa sainte grace pour vous en
acquitter dignement.
Donné à Bayeux, sous le sceau du Chapitre de l'Eglise Cathédrale de Notre Dame du dit Bayeux le huitième jour de Juin mil six cent quarante sept.
Les Vicaires Généraux
et plus bas par le commandement de Messieurs les Vicaires Généraux.
A. Hüe, Notaire Apostolique
CONVENTION FAITE AVEC MONSIEUR LE GRAND VICAIRE DE BAYEUX
12 août 1649
Je, Soeur Bernardine de la Conception, Prieure du Monastère de la Conception de Notre Dame de Rambervillers, Ordre de Saint Benoît, consens que la Mère Mectilde du Saint Sacrement, Religieuse professe du même monastère, demeure encore Prieure des Religieuses Bénédictines de Caen, fondées par Madame de Moüy, jusqu'à la Saint Jean Baptiste de l'année 1650, à condition toutefois, et non autrement, que la Communauté ne pourra après le dit terme expiré, ni par soi, ni par l'entremise de qui que ce soit, s'opposer à son retour en notre maison de Rambervillers aux premières obédiences qui lui seront envoyées. A quoi, pour obvier aux difficultés qui pourraient naître et aux instances que l'on pourrait faire, je supplie très humblement Monsieur le Grand Vicaire de Bayeux, Monsieur l'Abbé de Barbery, Madame de Moüy et les Religieuses de cette communauté, de se vouloir obliger, en signant le présent écrit, que je garderai vers moi pour m'en servir en temps et lieu et en cas de besoin.
Fait au dit monastère de Notre Dame de Bon Secours de Caen ce 12 Août 1649.
Nous, Vicaire Général de Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Evêque de Bayeux, acceptons la condition et les autres contenues en ce présent écrit. Le 12 Août 1649.
« M. Rocher (1) de Barbery.
Madeleine de Moüy, Sr Marie de Saint Benoît, Sr Scholastique de Saint Jean, Sr du Saint Sacrement, Sr Catherine de Jésus, Sr Anne de Saint Maur, Sr Marie Madeleine de Saint Placide, Sr Marguerite de Saint Joseph, Sr Marie de l'Incarnation, Sr Marie des Anges ,.
( 1) Dom Louis Quinet (1595-1665) fut abbé de Barbery de 1639 à 1659. Monsieur Rocher était peut-être l'un de ses religieux, Abbé G.-I-1. Simon, Dom Louis Quinet, abbé de Barbery, L. Jouan et R. Bigot, Caen, 1927, et C. de Bar, Documents, 1973, p. 63 et suiv.
Pour ces deux pièces : Acte et Convention avec l'évéché de Bayeux, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 67-69.
128 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 129
FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS
en résidence à Saint-Maur-des-Fossés
[de Rambervillers, fin 1650]
... Courage donc, ma très chère Mère, rendez-vous toute à Jésus Christ, la grâce duquel vous tirera de vous-même. Je vous conseille de vous exposer tous les jours à la puissance de Jésus au Très Saint Sacrement et à ses anéantissements suprêmes. Suppliez cette divine toute-puissance de vous attirer fortement, de rompre vos chaînes et de détruire en vous tout ce qui est contraire au règne de Jésus Christ. N'écoutez plus les plaintes et les tendresses de votre amour-propre, qui, par une compassion trompeuse vous détourne de votre salut et vous rend chiche au regard d'un Dieu qui, après vous avoir tout donné, se donne si libéralement et amoureusement soi-même.
Goûtez un peu, ma très chère Mère, la suavité de Dieu et vous n'aurez plus de répugnance de vous séparer de tout ce qui peut déplaire à Dieu. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ». Gardez-vous des reproches qu'il fait par ces paroles d'un prophète : « Ils se sont creusés des citernes d'eau bourbeuse et m'ont laissé, moi qui suis la fontaine des eaux vives (1) ». Hélas ! combien de fois nous nous sommes creusés des citernes bourbeuses et fangeuses par notre amour-propre et l'amusement des créatures qui nous retirent de Dieu ! Allons à la source, ma très chère Mère, allons à Dieu, ne nous arrêtons plus à la créature. Voyez depuis combien d'années il nous attend avec une patience admirable, nous donnant tous les jours de notre vie pour nous convertir et nous purifier de nos fautes. Les sacrées plaies de Jésus Christ nous sont ouvertes pour y puiser la pureté de son divin Esprit que je vous désire, et que vous vous rendiez toute à lui, ma très chère Mère.
Résolvez-vous d'être totalement morte à tout le créé, car les créatures ne méritent pas notre coeur, ne pouvant nous donner ce qu'elles n'ont pas. Je vous supplie de demander à Dieu une grâce pure et efficace pour vous soumettre à tout ce que sa puissance et sa sainteté veulent faire en vous. Qu'elles y opèrent un parfait anéantissement et que votre fond intérieur étant bien purifié, le règne de Jésus Christ y soit glorieusement établi comme Souverain ; qu'il triomphe de vous et de votre être ! C'est ce que je le prie de faire en vous et vous combler de ses grâces et de ses miséricordes. Je vous supplie me donner toujours part en vos saintes prières et de m'obtenir du Ciel quelque part aux grâces et aux bénédictions que je vous souhaite avec abondance.
Je ne vous mande rien de St N. La visite n'y est pas encore faite. Ce que vous savez commence de s'anéantir, je crois qu'il ne passera pas plus avant. Je vous promets de vous mander fidèlement ce que j'en apprendrai. Nos Pères de M... sont très affligés ; notre Mère Sous-Prieure vous racontera l'histoire.
Toute la pauvre Lorraine périt si Dieu par un miracle ne la soutient ; vous apprendrez bien des misères.
Sans doute vous serez étonnée de voir cette bonne Mère, mais vous saurez aussi le sujet de son voyage. Certes, nous avons bien des maux en ce désolé pays ; priez Notre Seigneur qu'il en tire sa gloire. Toute la Communauté vous salue d'affection, et moi je vous embrasse en l'amour de Notre Seigneur, par lequel je suis toute votre fidèle et très affectionnée.
n" 292
(1) Jer. 2,13.
A LA REVERENDE MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION I DE BRÊME 1
en réponse d'une de ses lettres du 7ème novembre 1650
alors réfugiée à Sélestat en Alsace
de Rambervillers, 9 novembre 1650 (1)
Ma toute chère Mère,
e vous fais ces mots en hâte, parce que la divine Providence nous
fournit une occasion pressée, et j'ai désiré vous assurer que j'ai reçu fidèlement celle que votre charité m'a fait la grâce de m'écrire en date du 7è du courant, la lecture de laquelle me donne un très grand sujet de louer Notre. Seigneur des grandes miséricordes qu'il fait à votre âme de vous instruire par lui-même des sacrés sentiers de l'oraison. Je vous conjure de lui être fidèle. li est vrai que, lorsque la passivité est entière, l'âme n'a. point de peine d'être longtemps à l'oraison ; je voyais bien que votre âme y était encore opérante, quoique délicatement. Ne vous étonnez pas de voir cet abîme de malice en vous ; c'est une grâce et une lumière annexées à l'état de question et qui opèrent un anéantissement profond. Gardez-vous d'aucune activité sur cette vue de péché, non plus que sur l'autre qui, en vous manifestant les fautes que l'on commet en cet état, vous fait voir que vous avez un pied dans l'enfer.
Recevez ces lumières passivement, et vous rendez à la fidélité de la pure grâce qui vous mène à la parfaite mort de vous-même, et dont vous êtes, en quelque manière, encore très loin. Dieu fera son ouvrage ; laissons-le opérer selon ses desseins. Cet état, dans sa réalité, ne peut jamais produire de vanité, mais il n'empêche pas la connaissance véritable de nos misères, voire il la découvre. Si l'humilité n'est pas
(1) Mère Mectilde avait été élue prieure de son monastère de Rambervillers à la fin de son triennat à Caen. Elle rejoignait la Lorraine en septembre 1650. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 68.
130 CATHERINE DE BAR
assez dans votre âme, la main toute-puissante de Dieu l'y établira. Ayez patience et, sous prétexte de ce défaut que vous remarquez en vous, gardez-vous des opérations propres, secrètes, de votre esprit. Souffrez passivement la vue de votre fond de malice quand elle vous est donnée ; mais je vous prie ne vous y point appliquer par vous-même, ni par votre propre esprit.
Quand le trait de la grâce est puissant et qu'il fait cessation de toutes opérations en l'âme, il n'y a point d'instruction pour lors à prendre, sinon de se laisser abîmer.
Cette« parole qui vous a été dite par rapport à la grande pénitente Thaïs (2) est réelle et procède d'un bon principe, lequel aura son effet; vous l'avez compris dans la vérité. Je vous conjure d'y être fidèle.
Cet état demande une grande pureté de vie, qui n'est autre que de se laisser mourir à toute heure et en toutes choses. Ce degré de grâce que vous vîtes une nuit, être donné à certaines âmes, etc..., vous doit encore marquer plus particulièrement l'obligation que vous avez d'être fidèle à votre voie. C'est par là que Dieu veut absolument que vous marchiez. Je vous en donne assurance de sa part et vous ordonne autant que sa Providence et sa toute puissance me donnent d'autorité sur vous, de vous y rendre fidèle, selon l'attrait et la grâce que la divine miséricorde verse dans votre âme si abondamment. Voilà ce qu'il m'est permis de vous dire sur ce sujet, vous priant de nous mander de temps en temps, si toutefois vous le pouvez, ce que Notre Seigneur fait en vous ; *non que je veuille que vous remarquiez les opérations que sa grâce fait en votre âme, mais vous entendez bien ce que je veux dire en ce point.
Quant à l'attrait que vous avez toujours de n'être point ici avec moi, hélas ! ma très chère Mère, c'est la grande impureté de mon âme qui vous en fait retirer, car si ma présence vous fait commettre des infidélités, je ne vous la veux jamais procurer et j'aime mieux que les paroles que la bonne âme m'a dites soient sans effet et anéanties, que de contribuer en aucune sorte à la moindre imperfection que vous pourriez commettre. Dieu seul sait à quel point votre âme m'est chère et combien il m'a donné d'affection pour vous, mais s'il veut me réduire dans une privation entière, je consens à tout, lui seul me doit suffire pour le temps et pour l'éternité. C'est assez que vous m'obteniez de sa miséricorde de lui être fidèle et de me laisser comme vous totalement ané-
antir.
'r) 1751
(2) Egyptienne, vivait vers le milieu du IVe siècle. Courtisane, elle est convertie par saint Paphnuce, celèbre anachorète de la Thébaïde. Elle demeura enfermée dans une cellule pendant 3 ans, ne se nourrissant que de pain et d'eau et répétant sans cesse pour toute prière : «Vous qui m'avez formée, ayez pitié de moi». Le temps de sa pénitence terminé, Paphnuce la fit sortir de sa cellule. Elle mourut quinze jours après. On célèbre sa fête le 8 octobre, cf. J.B. Claire, Dia. universel des sciences écclésiastiques. Poussielgue, 1868, p. 2255.
LETTRES INÉDITES 131
A LA MÊME en Alsace
[Février 1650]
Ma très chère Mère,
`T e suis en peine si vous avez reçu mes dernières, lesquelles contenaient beaucoup de choses, tant pour les réponses de deux de vos chères lettres que pour mon particulier. Je vous y faisais aussi mes adieux, doutant si je pourrais encore vous écrire avant mon départ ; mais la Providence veut que je possède encore cette satisfaction, m'en donnant le loisir parmi la presse de beaucoup d'affaires qu'on a coutume d'avoir lorsqu'on est sur le point de voyager.
Disons donc sur le premier article de votre dernière lettre, que touchant le respect avec lequel je vous traite, je vous assure n'en avoir aucun scrupule, et ne crois pas contrevenir à l'attrait de la grâce en agissant de la sorte avec vous ; et si cela vous peine d'une sorte, il vous humiliera d'une autre. Je ne puis traiter autrement avec vous, ni même avec d'autres, car les âmes qui tendent à Dieu ont un je ne sais quel rapport à Notre Seigneur Jésus Christ qui m'oblige à respecter, non les âmes simplement, mais la grâce de Jésus Christ opérant en elles. Ce n'est donc pas vous que je respecte en tant que créature, mais Dieu essentiellement régnant en vous. Voilà pour le premier point,
et vous devez ne faire point de retour là-dessus.
Secondement, vous dites que vous avez ressenti les effets de notre assistance, jointe à la miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous enseigner, et que jamais vous n'auriez entré dans la voie etc... J'avoue que la Providence s'est voulue servir de moi pour vous, comme elle fit autrefois d'une ânesse pour enseigner un prophète (1). Elle se sert de qui il lui plaît, des bêtes et des créatures. Il faut toujours demeurer dans le néant et croire que, si Dieu ne m'avait envoyée vers vous, il vous aurait instruit plus efficacement lui-même, ou aurait suscité d'autres âmes à vous aider à développer votre sentier. J'ai une grande consolation de vous y voir entrer et persévérer. Il est vrai qu'il se faut toujours défier de soi-même, mais il faut aussi beaucoup s'abandonner et ne se point tant réfléchir.
Soyez très simple dans les diverses dispositions, et très passive aux différents attraits de la grâce et mouvements du Saint Esprit. Tous les différents attraits que vous expérimentez sont bons, mais gardez-vous seulement - sans pourtant vous distraire ni gêner - de l'activité de votre esprit, par l'habitude qu'il a prise d'aspirer aux biens et perfections intérieurs. Donnez votre temps d'oraison au sacré silence d'esprit selon l'attrait, mais discrètement pourtant ; n'atténuez point votre corps et
ne soyez trop à charge à votre prochain en vous rendant
(I) Nm. 22, 22 - 35
132 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 133
Je comprends très bien tout ce que vous me dites, mais tenez-vous paisible ; vous êtes bien, tâchez de persévérer et de vous laisser dans la main de Dieu.
Oui, ma très chère Mère, Notre Seigneur veut détruire votre être ; c'est son dessein, et la fin de son oeuvre. Soyez très passive à son opération, vous n'avez qu'à le laisser faire. En vous écrivant, ma toute chère Mère, j'ai été interrompue plus de cinquante fois ; je vous prie, excusez les fautes que j'ai pu faire, il ne fait pas bon écrire les matières de pur esprit dans les tintamarres des affaires temporelles.
Je vous renvoie votre billet qui exprime votre vocation à l'état que vous savez, vous y devez être très fidèle et ne jamais plus hésiter là-dessus ; toutes les tentations de doutes, etc... n'en tenez aucun compte, et tout ce qui vous retirera ou détournera de ce bénit état, tenez-le pour tentation et n'y faites aucune adhérence. S'il est possible, mandez-moi promptement si vous avez reçu ma dernière lettre du R.P. Dom Arnould (2), elle contenait quatre grandes pages de mon écriture ; ce serait pour moi une très bonne mortification si elle était égarée ou perdue ; elle est cachetée de fil blanc et de papier entortillé ; prenez garde si elle aura point été décachetée.
Je vous supplie, ma très chère Mère, de vous rendre à Notre Seigneur pour le prier qu'il nous conduise dans notre voyage. Je vous supplie me recommander à toutes les bonnes âmes que vous connaissez, surtout aux bonnes religieuses (3) que je salue d'une très grande affection et leur rends derechef un million d'humbles remerciements de toutes les bontés qu'elles nous ont fait l'honneur et la grâce de nous communiquer. Je ne les oublierai point devant Notre Seigneur ni Madame Hermand, ni vos autres bienfaitrices.
Etant à Toul, je ferai dresser votre obédience, et étant à Paris, je vous
manderai de mes nouvelles et ce que la Providence nous y fera rencontrer. L'on parle d'une paix générale. Si Notre Seigneur nous la donne,
nous nous reverrons bientôt, si toutefois il lui plaît de vous conserver. Nous partirons pour certain vendredi 'prochain au plus tard, etc...
nu 1480
•
(2) Dom Romain Arnould était né à Verdun. 11 fut profès cje.Saint-Mihiel le 6 août 1632, deux fois
prieur de Saint-Vanne et Abbe de Saint-Airy, trois fois président de la congrégation réformée des Saints-Vanne-et-Hydulphe. 11 meurt à Saint-Vanne le 11 août 168. - II a été longtemps le visiteur du monastère de Rambervillers. Cf. J. Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, archives de la France monastique, Ligugé, 1925, p. 4.
(3) De 1245 à 1790 a existé à Sélestat un couvent de Dominicaines, dit de Sylo, dont les bâtiments servent maintenant d'hospice. Il était en général prospère. On y pratiquait bien l'hospitalité : chaque fois que Turenne séjournait dans la forteresse de Sélestat, il tenait à loger chez les Dominicaines. C'est sans doute là aussi que Mère Benoite a été reçue. Renseignements fournis par M. l'abbé P. Adam, conservateur de la Bibliothèque humaniste de Sélestat.
A LA MÊME
[de Rambervillers] 27ième février 1651
Ma toute chère Mère,
dy- orsque la Providence me fournit un moment de loisir, je l'emploie
à me consoler avec vous. Le R.P. Dom Arnould m'a apporté les vôtres, par lesquelles j'apprends le très grand accident survenu à ma Soeur Jeanne [de la Croix Parmontel . J'en suis très marrie, et c'est un miracle qu'elle n'a pas été tuée. Notre Seigneur l'a conservée dans cet accident pour lui donner moyen de se sanctifier. C'est avec déplaisir que je ne l'emmène point avec nous à Paris. J'en avais bien le désir, mais notre Sous-Prieure dit qu'il faut attendre que vous alliez aux Hermittes (1), pour la faire revenir ici avec la mère Joseph [Som-mien et, après Pâques, elle nous viendra joindre à Châlons où une partie de nous demeurerons un mois ou six semaines, pour y procurer ou un refuge ou une bonne quête. Notre Mère Sous-Prieure m'a promis qu'elle nous l'enverra, si elle n'y a point de répugnance, avec ma Soeuç Dorothée [Heurelle] (2) qui veut aussi venir après nous. Je vous supplie de lui dire ces choses et la saluer de notre part ; je ne l'oublierai point. Je lui enverrai son obédience que je ferai faire. à Toul avec la vôtre.
J'ai reçu le paquet que vous açlre.ssez au R.P. de Lescale (3) ; je lui donnerai fidèlement.
(1) II y avait au XV I le siècle, un pélerinage à Notre-Dame des Ermites, à Einsiedeln, très fréquenté ptr les Alsaciens. Plusieurs moines de la célèbre abbaye étaient Alsaciens. On a retrouvé des traces du passage des pélerins sur les routes des cols des Vosges. (Renseignement communiqué par le R.P. Joachim Salzgeber, archiviste de l'abbaye bénédictine d'Einsiedeln). Saint Meinrad, 797 - 861, est à l'origine de ce pélerinage. Ce saint ermite de la famille des Hohenzollern, retiré dès l'âge de 30 ans dans les montagnes au-delà du lac de Zurah, puis derrière l'Etzel, avait un pouvoir extraordinaire sur la nature. Les fidèles affluèrent vers le saint ermite. Hildegarde, fille de Louis le Germanique lui fit bâtir une chapelle et lui offrit une vierge noire à laquelle on attribua de très nombreux miracles : le pélerinage de Notre-Dame des Ermites était né ; cf, Mgr Paul Guérin, Vie des Saints, Paris, 1896, t. 1, p. 344.
( (2) Mère Catherine de Sainte Dorothée Heurelle, professe du monastère de Rambervillers. Elle fait partie du petit groupe des réfugiées à Saint-Mihiel, en 1642. Mère Mectilde la fait recevoir à l'abbaye de Saint-Cyr, près de Versailles, puis à Vignas. Elle est à Saint-Maur des Fossés de 1643 à 1646 et accompagne Mère Mectilde à Caen à titre de maîtresse des novices, de 1647 à 1650, puis rentre avec elle à Rambervillers. Elle signe plusieurs actes en qualité de sous-prieure jusqu'en 1666. Nous la retrouverons souvent dans la correspondance de Mère Mectilde, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 et suiv.
(3) Dom Antoine de Lescale ou de l'Escale, né à Bar-le-Duc, fait profession chez les bénédictins de la réforme des St Vanne-et-Hydulphe à Moyenmoutier le 7 novembre 1617. Prieur de Senones en 1624 - 1625, il va à Rome en 1625. Il est successivement prieur de Moyenmoutier, du Saint-Mont, de Saint-Mansuy et de Saint Eyre de Toul et de Senones. Visiteur de Champagne en 1639, de Lorraine en 1641, 1645, 1652. Il est nommé le premier, prieur de la réforme à Munster (14 mars 1659 à 1663). Il fait un long voyage en Allemagne, d'avril 1665 à juin 1666, recherchant les manuscrits de l'imitation de Jésus-Christ. Il est de nouveau prieur de Senones de 1665 à 1666, où il meurt le 8 avril 1667 ; cf. J. Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne-et-Saint-Hydulphe, Ligugé-Paris, 1925, p. 128 et C. de Bar, Documents, 1973, p. 16 note (15).
134 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 135
Pour ce qui est de Saint-Jean-des-Choux (4), je l'abandonne à la Providence. Je crois pourtant que l'archiduc peut tout et mon frère a grande affection pour la lui demander. Pour moi, Notre Seigneur me dépouille de tous desseins ; nous verrons ce que la bonne âme nous dira. Je sais bien qu'elle s'étonnera de notre séparation et qu'elle sera touchée, autant qu'elle le peut être, du sujet qui m'y oblige, mais si elle nous dit qu'il faut vivre et mourir ensemble, c'est-à-dire vous avec nous, le voulez-vous, n'y serez-vous point opposée ?
Je ferai avant que de sortir, ce que vous désirez devant la sainte image de l'Ecce Homo.
Ma soeur (5) m'avait promis de vous aller voir, mais son mari l'a mandée en diligence ; c'est ce qui l'a privée du bonheur de vous voir.
J'ai, ma très chère Mère, répondu à toutes vos chères lettres, mais je ne sais si vous lisez bien ce que je vous écris; ma soeur de Sainte-Madeleine de Saint Joseph MAIRE vous peut aider.
Ecrivez donc à la borine âme candidement et très cordialement, selon le mouvement que Notre Seigneur vous en donnera ; écrivez aussi à Mr de Barbery (6), et adressez le tout à la Mère Gertrude pour me les envoyer promptement, car nous partirons mercredi pour l'assurée et voici la dernière fois que je vous écrirai ici. Je ne vous ferai point d'autre adieu que de vous laisser dans Dieu, avec Dieu, puisque son saint amour nous rend pour jamais inséparables. Je vous conjure en lui et pour lui, de m'être fidèle.
Il est vrai, ma très chère Mère, que la vraie récollection, ou plutôt le recueillement de l'âme en Dieu, est bien rare et de peu de durée en cette vie. 11 sera sans interruption dans la bienheureuse éternité. Dans cet état de paix et d'anéantissement, l'âme prie en criant bien haut, quoiqu'en silence et sans dire mot. Demeurez dans cette paix puisque Dieu vous y met, et laissez tout le reste à son amoureuse Providence. Portez cette crainte que Dieu permet que vous ressentiez, l'âme qui se laisse et abandonne toute à Dieu ne peut jamais périr ; mais puisque Notre Seigneur vous tient dans cette peine sans inquiétude, portez-la sans y faire beaucoup de retour.
Vous êtes bien, et devant Dieu et ses anges, j'en réponds. Bien que je sois une très abominable pécheresse, je prends la hardiesse en sa divine Présence de vous parler ainsi, d'autant que çà a été par son
(4) Abbaye bénédictine au nord de Saverne (1126-1791). Le fondateur et propriétaire en était le comte de Lutzelbourg. A 'l'époque de Mère Mectilde, l'évêque de Strasbourg, ou plutôt l'administrateur du diocèse (il n'était même pas prêtre) était l'Archiduc Léopold II d'Autriche (1625-1662). Renseignement fourni par A.P. Adam.
(5) Marguerite de Bar, soeur ainée de Mère Mectilde, qui avait épousé le colonel Dominique Lhuillier. Ce dernier se trouve sur la liste des lieutenants du duc chargés de la ville de Saint-Dié, gouverneurs des portes et du château. Or le lieutenant de Saint-Dié prenait le titre de « Prévôt en chef et capitaine » des châteaux ducaux de la cour (à Saint Dié) puis de Spitzemberg. Le frère dont parle Mère Mectilde est ce colonel Lhuillier. (Renseignement fourni par Mr A. Ronsin, Conservateur de la Bibl. mun. de Saint Dié), cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 13 note (5).
(6) Dom Louis Quinet, abbé de Barbery, près de Caen, jusqu'en 1659, décédé le 2 janvier 1665, âgé de 68 ans. Il fut un grand artisan de la réforme monastique au XVII" siècle. cf. Abbé G.-A. Simon,
Dom Louis Quinet, op. cit.
ordre de tout ce que je vous ai dit, et que vous tâchez de suivre. Vous en verrez un jour la bienheureuse fin dans votre consommation.
A Dieu, en Dieu, puisque c'est lui seul qui doit être ; que tout le reste soit anéanti et que nous soyons en lui une, éternellement !
Sr du Saint Sacrement
Je salue de tout mon coeur toute votre chère compagme et me recommande à leurs saintes prières. Ma Sr de Jésus [Chopinell se porte assez bien Dieu merci. Elle est bien joyeuse de venir avec nous. Je suis très mal satisfaite de ma Sr M. Je n'y ai reconnu qu'un grand aheurtement et...
Je salue en particulier, ma ,chère Mère de Sainte Madelaine, et vous la recommande ; tâchez de vous conserver et m'écrivez souvent et à notre Mère Sous-Prieure. Sr Marguerite [de la Conception de Les-cale] (7) demande réponse des lettres qu'elle vous a écrites.
Sr Barbe promet de faire merveille pour m'obliger de revenir.
n" 2154
(7) Nièce de Dom de Lescale. Elle est envoyée à Saint-Maur des Fossés avec Marguerite Chopinel pour y parfaire son éducation et la préserver de la guerre en Lorraine. Elle fait profession à Rambervillers vers 1647 - 1648 et accompagne Mère Mectilde à Paris lors de son retour définitif en mars 1651.
Elle devra retourner à son monastère de profession en novembre 1659, comme on le voit d'après la
correspondance de son oncle : cf. Journalier de Dom de Lescale, Arch. dép. du Haut-Rhin, Colmar H Munster 34/3 n»2, p. 9 et suiv.
A UNE DEMOISELLE POSTULANTE qui était sur le point de prendre le Saint Habit au monastère de Rambervillers
Paris, 27 septembre 1651
Mademoiselle,
Ou plutôt ma très chère Soeur (1), puisque la grâce de Jésus Christ nous lie en son saint amour par une espérance de vous voir un jour engagée dans une même profession que nous. Les nouvelles que j'en ai reçues me donnent une joie très grande et votre persévérance dans les combats me fait espérer qu'un jour Dieu tout bon vous comblera de ses miséricordes et établira dans la sainteté qu'il désire de vous, si vous lui êtes fidèle.
( I) Catherine Thérèse Bagnerelle. Lorsque Mère Mectilde quitta Rambervillers en mars 1651, une jeune fille, que ses parents avaient confiée aux religieuses en attendant son Mariage, vint se jeter aux pieds de la supérieure. Mère Mectilde la bénit et lui prédit qu'elle serait un jour une de ses filles. Le comportement de la jeune fille ne paraissait pas alors la prédisposer tant soit peu à la vie religieuse. La vénérée Mère était cependant éclairée de Dieu, car la jeune fiancée quittait tout peu après et faisait profession au monastère de Rambervillers, le ler janvier 1653. Elle sera sous-prieure vers 1666 et prieure en 1670. (Archives au Monastère de Rouen, manuscrit coté Paris 101).
136 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 137
Ce n'est pas assez d'avoir triomphé du monde, il faut encore vous armer contre vos autres ennemis. Vous avez le démon et vous-même
qui seront toujours animés de furie. Mais si vous voulez suivre le Saint Esprit et les conseils que l'on vous donnera pour votre perfection, vous vous rendrez victorieuse et Dieu se glorifiera en vous.
Considérez bien que Notre Seigneur ne vous a donné la urâce de persévérance dans vos bons desseins que pour vous rendre fidèle à ses divins attraits et aux sacrés mouvements de son Saint Esprit. Vous avez besoin
lè. d'un grand couraue ou plutôt d'une forte résolution de vous rendre à Dieu à quelque prix que ce soit, sans en jamais démordre, ni vous en relâcher sous quelque prétexte que ce soit. La détermination forte et généreuse dans le commencement fait des merveilles, et le démon craint une âme animée de courage et de résolution.
2è. Quelque tentation qui vous arrive, ne vous découragez jamais ; ouvrez votre coeur à votre Mère Maîtresse ou Supérieure comme à Jésus Christ, et vous accoutumez de faire une haute estime des avis qu'on vous donnera ; et surtout aimez l'obéissance et établissez votre bonheur à être la victime du bon plaisir de Dieu.
3è. Ayez un grand respect pour votre sainte Règle et honorez tous les exercices d'icelle, et faites grand cas de tous les plus petits points de perfection qui vous seront enseignés.
4è. Je vous conseille de prendre à tâche de devenir comme un petit enfant entre les mains de la sainte Providence, vous exerçant à faire souvent des actes d'abandon de vous-même aux dessein.s de Dieu qui
• vous sont inconnus, afin que, dans le temps que Notre Seigneur les consommera en vous, il y trouve le consentement qu'il désire de votre part.
5è. Je vous supplie d'avoir une entière et parfaite confiance en Dieu. Vous avez bien sujet de vous y confier, après tant de grâces qu'il vous a faites : mais que votre confiance ne soit pas dans les sens, mais dans la pure foi. J'espère beaucoup de sa bonté pour vous, mais vous avez besoin d'un grand courage et d'une sincère fidélité.
6è. Défiez-vous de votre propre esprit et ne croyez jamais avoir plus grand ennemi que vous-même. Craignez votre propre volonté comme l'enfer. Aimez l'humilité et la douceur d'esprit. Soyez condescendante par esprit de charité et jamais ne sortez intérieurement ni extérieurement, du respect que vous devez avoir pour la religion et pour les choses saintes.
Je ne sais pourquoi je prends la liberté de vous dire ces choses, mais c'est l'expérience que j'ai - à mon grand regret qu'une âme qui commence lâchement ne fait jamais rien qui vaille ; d'autant que la nature la tire toujours en bas et la retire facilement des choses saintes. Oh ! qu'il est important de bien commencer, de vous jeter à corps perdu entre les bras de Dieu, et vous faire de bon coeur sa victime ! Mais souvenez- vous que la victime est liée, menée au lieu du sacrifice, puis elle est égorgée et consommée par le feu.
Vous serez liée, ma très chère Soeur, par les saints voeux que vous espérez de faire et, par celui de stabilité, vous serez menée au lieu du sacrifice : c'est dans le cloître où Dieu vous appelle. Vous y serez égorgée par la pure mortification et abnégation parfaite de vous-même, et vous y serez consommée par le feu sacré que Notre Seigneur Jésus Christ est venu apporter en terre. Soyez donc à la bonne heure liée, égorgée et consommée, et qu'un jour nous ayons la grâce de nous voir toutes ensemble donner gloire à Dieu dans le Ciel.
Mais pour avoir ce bonheur il faut souffrir des tentations. Saint Jacques nous l'assure (2) et Notre Seigneur nous dit qu'il n'y a que ceux qui se font violence qui ravissent le Ciel. Faisons, ma très chère Soeur, violence à nos passions et demandons à Dieu la grâce de persévérance. C'est ce que je vous souhaite et que je tâcherai de lui demander pour vous, selon ma petite capacité. Je vous embrasse en son saint amour et le prie qu'il vous décore de ses divines grâces én abondance et qu'il vous fasse la miséricorde d'arriver à une haute sainteté.
Si j'avais l'honneur d'être auprès de vous, je vous dirais beaucoup d'autres choses assez importantes, mais nos chères Mères ne manqueront pas de vous dire plus que tout ceci et avec plus de grâce. Ecoutez-les avec respect et leur obéissez ponctuellement ; simplifiez beaucoup votre esprit. Enfin, soyez sainte de la sainteté de Jésus Christ, et je serai en lui toute vôtre et assisterai en esprit à votre cérémonie, pour y prier selon la grâce qu'il aura agréable me donner. Qu'il vous comble de ses plus saintes bénédictions, et qu'il vous donne tout ce qui vous est nécessaire pour être ce qu'il veut que vous soyez.
Je vous donne à la puissance du Père, je vous donne à la sagesse du Fils et je vous donne à l'amour du Saint Esprit, suppliant les trois divines Personnes de la très adorable Trinité de vivre et de régner en vous, et de vous abîmer en elles par Jésus Christ, en l'amour duquel je suis toute votre très affectionnée servante.
n" 2538
(2) Jac. LI2.
A LA MÈRE BEN01.1E I.A PASSION Di: BRÊME]
Paris, ler mars 1652
J'ai lu et relu votre lettre contenant vos dispositions, et plus je les considère plus j'y remarque les effets d'une miséricorde toute particulière de Dieu sur votre âme, et je suis par icelle très confirmée d'une pensée que j'ai très souvent : qu'il fait bon s'abandonner à Dieu
(38 CATHERINE. DE BAR LETTRES INÉDITES 139
et que le défaut du secours des créatures nous est très avantageux, puisqu'il nous met en état de recevoir immédiatement de Dieu les instructions qui nous sont nécessaires sur notre conduite. Ma très chère Mère, Dieu ne vous manque point ; soyez lui très fidèle par une parfaite mort d'esprit. Le premier article vous y oblige puissamment, puisqu'il vous commande d'observer un silence si exact qu'il ne vous est pas permis de dire un seul petit mot, en quelque état que l'on vous mette, soit au Ciel, soit en la terre, soit aux enfers. Dieu se glorifie et prend ses délices dans une âme tout anéantie, il opère en elle et il y fait son ouvrage selon son bon plaisir. Toutes les différentes dispositions de votre état présent ne demandent de vous qu'une totale mort ; c'est l'unique chose que vous avez à faire : de vous laisser mourir. Vous avez la vraie intelligence du silence qu'on vous impose, c'est pourquoi je ne vous en dirai rien. Seulement je vous exhorte à faire peu de retours sur vos dispositions ; laissez-vous perdre et consommer.
Il est très bon pour votre âme que vous soyez sans lumières et sans connaissances, mais vous n'y êtes point encore tout à fait ; il faut y être encore davantage. Laissez-vous conduire à l'esprit de Dieu. Je suis très aise de vous voir éloignée des désirs de savoir et connaître ce qu'il opère en vous.
Sur la disposition, ou effet particulier, qui se passa durant la sainte Messe et qui fut interrompu pour alle'r au travail de la communauté, il est bon. ma très chère Mère, de préférer l'observance à notre satisfaction il se faut surpasser soi-même en telles occasions.
J'en dis de même des jours de la sainte Communion. Chantez l'office divin quand vos forces vous le pourront permettre et laissez opérer Dieu dans le secret ; l'office divin n'interrompt pas son oeuvre. Il y a un peu de privation pour nous, mais il faut la vouloir pour nous acquitter, pour l'unique respect de Dieu, de notre obligation. Soyez dans la récollection autant qu'il vous sera possible, mais ne vous rendez point insupportable à votre prochain. Je vous trouve secrètement attachée à l'intérêt de votre propre perfection. Soyez très libre, sans vous divertir de Dieu ; cette sainte liberté n'est pas encore bien établie en vous.
Communiez plus souvent que vous ne faites, si vous en avez l'attrait : l'obéissance vous le permet. Voilà, ma très chère Mère, ce que je puis dire sur vos dispositions. Je vous enverrai sur icelles les sentiments de plusieurs bonnes âmes, très éclairées dans ces voies. Vous savez mon incapacité, et si ce n'était en vertu de la charge que j'occupe, je ne mé serais pas mise en devoir de vous en écrire ; mais c'est par la vertu et puissance de Notre Seigneur Jésus Christ, lequel je supplie consommer son oeuvre en vous et vous donner la pensée de prier quelquefois pour celle qui est en son saint Amour toute à vous, ma très chère, et plus que très chère Mère.
Sr Mectilde du Saint Sacrement
Je vous supplie d'aider ma chère Mère de Sainte Madeleine dans ses besoins. Donnez-nous souvent de vos nouvelles, je vous en prie. Ma Sr de Jésus L Chopinell fait très bien.
n u 707
A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]
religieuse à Rambervillers
Paris, [probablement après la fin mai 16521
Ma très chère Mère,
faut que vous m'excusiez si je vous fait de si courtes lettres ;
.1, mon temps est si bref que je ne puis vous écrire tout ce que la nécessité et mon affection demanderaient, niais je vous prie d'agréer ce que la Providence me donne pour vous, qui est un grand désir de vous voir bien établie dans la sainte perfection, bien abandonnée à sa conduite, et entièrement assujettie à ses desseins. Je vous exhorte, ma très chère Mère, d'aimer ce qui détruit votre amour-propre, vos intérêts et vos satisfactions. Perdez-vous autant qu'il vous sera possible, et soupirez de tout votre coeur après l'établissement du règne de Jésus Christ. N'épargnez rien de ce qui est en votre puissance pour le procurer en vous, et pour vous conserver en son amour. Toute autre chose que Jésus Christ n'est rien que misère et pauvreté et affliction d'esprit. Celui qui possède Jésus a une plénitude de toute chose et son repos sera une participation de l'état des bienheureux.
Courage, ma très chère Mère, allez à Dieu sans réserve, fidélité en tout.Qui dit tout n'excepte rien. C'est un Dieu que vousservez et que vous adorez. Jésus Christ mérite bien votre amour ; donnez-lui donc tout entier sans faire de partage, n'ayez point d'égard à votre amour-propre qui crie toujours dans la vue de ses intérêts. Dieu, DIEU, ma chère Mère, ET IL SUFFIT, DIEU SEUL PEUT CONTENTER UNE ÂME, MALHEUREUSE, ET MILLE FOIS MALHEUREUSE, CELLE QUI N'EST PAS SATISFAITE DE LUI. Allez à corps perdu dans la sainte obéissance. Exposez-vous discrètement lorsqu'on vous ordonne quelque chose que vous sentez répugner à vôs inclinations, et même à votre perfection. Après que vous aurez humblement représenté la crainte que vous avez d'y être infidèle, si elle persiste, abandonnez-vous, sans retour sur vous-même, vous confiant en la bonté de celui qui est votre force .et sans lequel nous ne pouvons rien faire. Agissez selon l'ordre de l'obéissance, mais toujours avec humilité, en la vue de Dieu, et dans une grande soumission à sa conduite. Si vous
140 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 141
demeurez appliquée à sa divine Présence, vous ne recevrez point de détriments de ce qui vous sera commandé. Gardez le plus qu'il vous sera possible la paix intérieure et la récollection d'esprit. Parlez néanmoins sans scrupule lorsque la charité le requerra, ou que l'obéissance vous l'ordonnera ou vous appliquera dans ces petites affaires de votre communauté et de vos offices. Soyez libre dans votre opération, et prompte à retourner dans votre application lorsque vous en aurez le loisir. Prenez garde à ne point vous diriger vainement ; tendez toujours à honorer Dieu dans tous les moments de votre vie, puisqu'ils ne vous sont donnés que pour ce sujet.
En votre oraison soyez adorante et humiliée aux pieds de Jésus Christ. S'il a agréable de vous donner de quoi vous occuper en ses divins mystères, faites-le en bénédiction. Si vous demeureï pauvre, aimez votre abjection et souffrez de bon coeur les états où la sainte Providence vous met. Votre oraison ne doit point tendre à votre satisfaction, mais à rendre à Dieu l'obéissance, le respect et les sacrifices que vous lui devez, ou le moyen de les lui rendre comme il faut. L'entier abandon à sa conduite en est le principal effet; et la suprême indiffé: rence le couronne, d'autant qu'il fait agréer à l'âme tout ce qui plaît à Dieu lui envoyer ; car ne faisant oraison que pour le seul plaisir de Dieu, elle [l'âme I sera toujours contente parce qu'elle ne veut que ce que Dieu veut. Je suis en son amour toute vôtre.
n" 538 B505
A LA MÊME
Paris, 1652
Jésus anéanti soit votre force et la grâce de votre âme, pour vous souffrir vous-même et adhérer aux desseins de la sagesse éternelle sur vous !
'ai reçu les vôtres et, pour y répondre, je vous dirai que le peu de
loisir m'a empêchée de vous entretenir sur votre peine ; mais je vous en dirai à présent mes pensées. Je n'ai fait aucune estime de cela, et ce d'autant que le démon en peut faire bien davantage pour vous amuser, et qu'il fait trophée de vous distraire de Dieu sous prétexte de Dieu même. Laissez toutes ces choses pour vous humilier et agréez votre abjection ; mais l'agréer dans la paix profonde du coeur, c'est-à-dire vous donner à Notre Seigneur pour être toute votre vie abjecte en vous-même. Il remarque que le désir des vertus que vous avez vient en partie de vous-même. Votre sacrifice ne sera pas entier si vous ne vous délaissez toute à Dieu dans vos misères par une générale et totale démission de vous-même à son bon plaisir. Ne recherchez pas vos intérêts. Si Dieu vous veut laisser ressentir vos imperfections, c'est assez que nous soyons ce qu'il veut et rien plus. Votre orgueil est grand, vous y faites trop d'application par amour-propre. Il faut devenir plus simple et plus abandonnée à la sainte abjection. Vous n'aimez pas assez cette sainte vertu et vous n'imitez pas saint Paul qui se glorifie en ses propres infirmités. N'allez pas si vite, étudiez-vous d'être comme un petit enfant sans tant de réflexions ni de retours. Notre Seigneur n'est pas un Dieu de rigueur, mais un Dieu d'amour et de bénédiction. Laissez-vous doucement à sa conduite. Pour ce qui regarde N. rendez-lui toujours vos devoirs humblement et cordialement ; si Dieu ne vous donne rien par ses paroles, ayez patience et ne vous découragez pas, lui-même vous soutiendra si vous êtes humble et patiente. Ne laissez pas de vous adresser à elle pour vos besoins et souffrez doucement la peine que vous y ressentez. Dieu tout bon veut que vous y goûtiez un peu d'absinthe, elle purge le coeur et guérit des vers. Courage, les petites inquiétudes que vous ressentez sont des vers d'amour-propre et de vous-même qui vous piquent et vous rongent ; il les faut faire mourir. Or vous le ferez, ma chère Mère, en n'écoutant pas tant les plaintes et les gémissements de votre nature, je ne dis pas pour les travaux extérieurs, cela se dira à part, mais pour le reste, qui regarde votre intérieur et vos dispositions. J'ai un grand mouvement de vous dire que vous devez être plus simple. Je serais d'avis que votre oraison fût plus libre et sans une application si forte, comme vous faites, et je voudrais que vous apprissiez quelque vérité ou vertu de Notre Seigneur, pour vous en occuper et voir comme il l'a pratiquée. Rabaissez la pointe de votre esprit qui veut une oraison dont il n'est point capable, et ne le sera jamais qu'après s'être parfaitement anéanti dans toutes sortes d'abjections. Donc retirez votre pensée et demeurez constante dedans votre petitesse, puisque Notre Seigneur le veut ainsi. Si la Providence me donne du temps, je vous dirai le reste de mes pensées au plus tôt sur votre dernière qui contient beaucoup de peines de corps et d'esprit. Je pense néanmoins que vous trouverez dans la présente suffisamment pour vos besoins,.si vous le savez bien trouver. Je vous prie, ma chère Mère, de prier pour la conversion de celle qui est en Jésus Christ toute vôtre.
nu 783 B505
or
9
142 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 143
Ce 2 août 1652
Jésus Maria Joseph
Notre très Révérende et plus chère Mère,
Nous n'avons pas sitôt connu vos volontés que les nôtres se sont portées avec toute soumission à consentir à ce que vous désirez de nous, sans considérer nos intérêts que 17011S quittons volontiers pour votre satisfaction, puisque c'est vous qui demandez de n'être en aucune élection. Nous croyons que vous ne faites rien que par la conduite de l'Esprit de Dieu. En préférant donc votre sentiment à tous les nôtres, nous consentons à ce que vous désirez. Si vous en voulez un acte plus exprès que cette lettre, vous prendrez s'il vous plaît la peine de le faire et nous l'envoyer, nous le signerons toutes. Il n'y a rien que nous ne fassions pour votre repos et contentement. Pourvu que votre bonté nous promette de ne pas quitter notre pauvre Maison, nous nous estimerons trop heureuses de vous y posséder, en quelle manière qu'il vous plaira. Si la divine Providence permet que les bons desseins que vous avez d'honorer le Très Saint-Sacrement réussissent et que votre charité daigne les accomplir en notre Maison, nous nous • offrons toutes pour être autant de victimes qui voulons consommer nos vies avec vous, pour lui rendre, par nos hommages, l'adoration que nous sommes obligées, et que tant de créatures lui dénient par leurs méchantes actions. Nous aurons beaucoup d'obligations aux personnes qui contribuent à nous associer à une œuvre si sainte. Si cela ne réussit pas, notre chère Mère, que cela n'empêche votre retour à notre pauvre Maison quand vous jugerez qu'il en sera temps. Nous vous protestons toutes que nous vous recevrons avec plus d'affection que jamais et que vous nous trouverez très disposées à vous rendre toutes sortes de devoirs, avec la soumission la plus parfaite que vous doivent,
Notre très Révérende et plus chère Mère,
Vos très obéissantes et plus obligées et toutes affectionnées filles et humbles servantes.
Notre très chère Mère, nous vous rendons toutes les actions de grâce qu'il nous est possible de la grande charité que vous nous avez faite, mais nous appréhendons que votre bonté n'en soit incommodée.
Sœur Bernardine de la Conception [G romaine]
Sœur Benoîte de la Passion [de Brême)
Sœur Placide de Saint-Benoit [Gérard]
Sœur Gertrude de la Trinité [de Vomécourt]
Saur Anne de Sainte-Magdeleine
Sœur Marie Joseph [Sommier]
Sœur Dorothée de Sainte-Gertrude [Heurelle
Sœur Marie de la Conception [de Lescale]
Sœur Jeanne de la Croix [Parmnontel]
A LA RÉVÉRENDE MÈRE
Révérende Mère du Saint-Sacrement
Prieure des Bénédictines de Rambervillers
Réfugiée à Paris
A Paris
n"2354a Al n'2 A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION (DE BRÊME'
[Paris] 1652, le jour de saint-Augustin - 28 août
Ma très chère Mère,
Jésus soit l'unique de nos coeurs dans le Très Saint Sacrement de l'autel !
e vous fais ce mot pour réponse aux vôtres et vous assurer que je
les ai reçues très fidèlement et avec grande joie, car intérieurement j'avais quelque chose qui semblait contenir ce désir et j'aurais bien souhaité que vous soyez vous-même témoin et juge tout ensemble, de l'oeuvre dont j'ai écrit à notre bonne mère Sous-Prieure [Mère Bernardine) - et que je crois que vous aurez vue - parce qu'étant partie lorsque mes lettres sont arrivées à Nancy vous les aurez possible reçues, et je le souhaite pour vous donner intelligence de ce que c'est afin que vous la présentiez à Notre Seigneur et que vous le priiez autant qu'il vous sera possible qu'il en fasse selon son très bon plaisir.
Voyez, ma très chère Mère, ce que je mande sur ce sujet à nos chères Soeurs de Sainte-Madeleine et Dorothée [Heurelle], pour ne point faire une répétition dans votre lettre. Je ne sais comme Notre Seigneur me tient, ni ce qu'il veut 'faire de moi ; je me laisse tellement à sa disposition que je ne dis pas une parole pour avancer ou reculer cette oeuvre. Elle n'est point à moi et l'on m'y fait porter un état d'anéantissement si grand que je n'ai reçu intérieurement aucune connaissance qui m'y lie. J'ai bien un lien secret mais je vous avoue que je ne le comprends pas : Tout ce qui m'a été donné, çà a été un jour à la Sainte Communion ; je compris la dignité et sainteté de cette adoration perpétuelle , j'en connus l'importance, et avec quelle pureté il y fallait agir. Mon esprit fut fait comme un mort, sans complaisance, sans désirs, sans ardeur et même sans avoir aucun être en cette affaire je crois que vous me concevez - et dès lors je demeurais passive à cette oeuvre, sans pouvoir résister ni l'avancer, car j'étais, ce me semble, morte à tout cela, et suis demeurée de la sorte, de manière que je n'y suis rien et n'y dispose de rien ; Dieu seul s'en est réservé la maîtrise. Il est vrai que les personnes qui fondent cette adoration, quelques-unes sont si soumises aux sentiments que la Providence me donne pour leur perfection, qu'elles se soumettent à ce que Notre Seigneur aura agréable de m'en faire connaître ; d'autres ne veulent point que cela soit porté hors de Paris. Enfin, le tout est entre les mains adorables de Notre Seigneur ; qu'il en fasse ce qu'il lui plaira. Je suis si indifférente que, [du moment que je parle], je suis disposée d'aller où il lui plaira, et pour ce qui est de notre chère Maison, si j'étais libre intérieurement, j'aurais un extrême désir d'y retourner, et la grâce que vous m'avez faite de me recevoir sans voix active et passive me donne de puissants attraits de retourner, et tout ce que Dieu me permettra de faire pour cela, je n'y négligerai rien, je vous le promets.
144 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 145
Non, ma très chère et plus chère Mère, mon silence n'est point une marque que je sois morte pour vous. Je suis toute vivante en Jésus Christ pour votre âme, si Notre Seigneur me donnait la grâce de la servir. Et il y a plus de six mois que vous seriez ici avec moi, si l'on ne m'avait mandé que vous n'y voulez point venir, et que vous portiez aversion très grande de demeurer ici. Je n'osais vous violenter, mais si Notre Seigneur nous y attache, je voudrais bien qu'il vous donnât la pensée et la disposition d'y venir. Nous en trouverions bien les moyens. Je vois par vos lettres et celles de nos chères Mères que vous priez beaucoup. Priez tant, ma très chère Mère, que vous attiriez cette adoration perpétuelle chez nous. O que j'y consens de bon coeur et là nous serons toutes les victimes du Très Saint et adorable Sacrement !
Ecrivez-nous, ma très chère Mère, tout ce que Notre-Seigneur vous permettra de m'écrire pour votre intérieur. Je suis indigne de grâces et de lumières, mais je suis à Notre Seigneur pour vous, telle qu'il lui plaira me faire être. Je sais qu'il vous fait de très grandes miséricordes, mais il veut toujours la soumission. Continuez votre charité pour mon âme, je vous en supplie, puisque Notre Seigneur vous en donne
le mouvement : et par obéissance priez pour ma Soeur de Jésus [Chopinel], afin que Notre Seigneur la guérisse pour sa gloire. Elle fait très bien, et Dieu lui fait de grandes grâces sans qu'elle les connaisse, cela est très bon. Je n'ai jamais cru qu'elle soit pour mourir de sa dernière maladie mais je voulais m'assujettir au sentiment des médecins. Il me semble que Notre Seigneur la veut bien plus épurée qu'elle n'est encore. Priez donc pour sa guérison par obéissance.
J'ai reçu depuis peu des nouvelles de la bonne âme. Elle a reçu votre lettre avec grande joie. Ecrivez-lui quand Notre Seigneur vous en donnera la pensée. Le bon frère qui m'écrivait pour elle est malade depuis quatre ou cinq mois; priez Dieu pour lui.
J'ai bien des choses à vous écrire, mais la poste va partir. Vous trouverez dans les lettres de nos chères Soeurs ce que je ne puis vous dire pour cette fois.
Communiez souvent, je vous l'ordonne. J'écris à ma Soeur Dorothée, mais si elle n'est point chez vous, ne lui envoyez point, parce je n'ai pu encore écrire à ma chère Soeur Scholastique, cela lui ferait peine ; elle croirait que c'est par rebut, non je vous assure...
n" 1743 A LA MÊME
du 7ème septembre 1652
Ma très chère Mère,
Jésus dans le Très Saint Sacrement soit notre tout pour jamais !
e crois que vous avez reçu celles que je vous écrivis il y a près
de quinze jours, par lesquelles vous aurez connu l'état des choses. Aujourd'hui je réitère pour vous supplier que si Notre Seigneur vous donne mouvement de prier, ou plutôt de continuer à le prier, pour obtenir que l'oeuvre de sa continuelle adoration soit transférée à notre Maison de Rambervillers. Il y a grande apparence que la chose pourra être ; et quelqu'une des personnes intéressées m'en a parlé de son propre mouvement, avec quelque sorte de désir que cela soit. Priez toujours. Pour moi je vous assure que je n'y résisterai pas, car où Notre Seigneur m'enverra, je suis prête d'aller sans réplique. Je vois bien que ce ne peut être cette année, mais vous m'avez mandé que c'était peu de chose de deux ou trois ans, peut-être n'en faudra-t-il pas la moitié ; je vous promets que je n'en négligerai pas les ouvertures.
J'ai aussi à vous supplier de ne point retarder ma Soeur de Sainte-Thérèse [Bagnerelle] de sa sainte profession, d'autant que notre bonne Mère ne peut retourner présentement ; les dangers sont trop notables.
Il ne faut point l'exposer présentement, outre qu'elle ne le pourrait, étant encore bien malade. Elle vous prie, et moi aussi, de faire faire la dite profession au temps qu'elle doit être faite, sans retarder cette bonne fille qui a tant de désir d'être à Dieu. J'ai une grande joie de la savoir dans de si bons sentiments. Je prie Notre Seigneur qu'il lui continue ses miséricordes. Je ferai bien prier pour elle, car j'ai un grand désir qu'elle soit bien sainte. Les maux continuent en ce pays, nous ne savons ce que nous deviendrons, l'on est entre l'espoir et la crainte. La très sainte volonté de Dieu soit accomplie en tout. Il se faut résoudre à tout, la vie et la mort nous doivent être une même chose.
Ma chère Mère, je suis bien en peine de votre santé; je vous prie de la conserver autant qu'il. vous sera possible. Rendez obéissance à la Mère de Sainte-Madelaine pour votre corps ; faites cela par soumission et Notre Seigneur l'aura très agréable. Si vous m'objectez qu'elle vous aime trop, je vous assure qu'elle n'agira pas selon la nature. Elle ne voudrait pas faire, à ce que je crois, une imperfection pour l'amour d'une créature. Abandonnez-vous pour ce point, aussi bien que pour d'autres, car il faut tout perdre, il faut mourir en tout. Il y en a peu qui se laissent anéantir en toutes choses, car bien souvent sous [de] bons prétextes notre volonté respire, quoiqu'il ne nous le semble point. O ma chère Mère, si je pouvais parler, je dirais bien des choses ; mais je suis devenue muette et je n'ai plus rien à dire, car je ne sais et ne connais
146 CATHERINE DE BAR
plus rien dans la vie intérieure. Je n'y vois plus goutte. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse connaître comme je suis ; il m'est impossible de le pouvoir ex primer. Je ne tiens plus de place. Je n'ai plus de voie, je ne sais plus ce que c'est [que la vie] intérieure ; je ne sais plus ce que je suis, ni où je suis ; je vis et il semble que je sois morte. Le néant est ma portion. Donnez-nous de vos nouvelles et priez Dieu pour nous, mais surtout pour la conservation de notre bonne Mère Sous-Prieure. Elle est
i ndisposée et je crains fort qu'elle ne tombe tout à fait malade.
Je salue toutes nos chères Mères et Soeurs, je les prie de prier Dieu pour nous. A Dieu. ma très chère Mère. Je suis votre pauvre servante en Jésus Christ.
Toutes nos Soeurs vous présentent leurs affectionnés saluts.
n " 946
LETTRE QUE LA REYNE REMIT
A MONSIEUR PICOTTÉ POUR LA REMETTRE
A MONSIEUR L'ABBÉ DE SAINT-GERMAIN, MONSIEUR DE METZ
Mon Frère,
Il y a quelque temps que je fis voeu d'employer tous les moyens qui seraient jugés les plus propres pour rendre honneur au Très Saint Sacrement de l'autel, en réparation des sacrilèges qui ont été commis durant ces malheureuses guerres. Et comme on a trouvé que cela ne se pouvait mieux faire qu'en établissant une maison de religieuses, dont le principal soin consisterait à le louer et adorer incessamment, et à prier jour et nuit pour la paix du Royaume, et pour la conservation du Roy : J'ai jetté les yeux sur la Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Prieure de Rambervillers, qui est une personne d'un grand mérite et d'une insigne piété, pour être Supérieure d'un couvent de Religieuses bénédictines, que j'ai dessein d'établir dans le faubourg Saint-Germain pour l'accomplissement de mon voeu.
Je désire de vous que vous donniez les permissions nécessaires pour cet établissement ; et que vous apportiez ce qui dépendra de vous pour le faire réussir, à la décharge de ma conscience et à l'édification publique. Il y a déjà un fond suffisant et assuré pour la fondation, qui augmentera encore sitôt que vous aurez accordé la permission que je vous demande, et que vous ne me refuserez pas, je m'assure, puisqu'il y va de la gloire de Dieu, et que je vous en prie.
Cependant je demeure votre bonne Soeur. ANNE (1)
A PARIS LE 12 DECEMBRE 1652
et à l'inscription est écrit
A MON FRERE L'EVESQUE ET PRINCE DE METZ (2)
et scellé de cite noire du petit cachet de la dite Dame Reine. Cette lettre a été collationnée à l'original le dix huitième décembre 1652 par
MEURES ; Gabillon ; notaires.
P101
(1) C'est ici la première intervention de la reine Anne d'Autriche permettant à Mère Mectilde d'obtenir les autorisations nécessaires à la fondation de notre Institut. La reine montrera toujours beaucoup de bienveillance à Mère Mectilde, comme nous aurons l'occasion' de le voir plus loin. (Pour le récit de notre fondation ; cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 87 et suiv.).
(2) Henri de Bourbon (1601-1682), évêque de Metz, prince du Saint-Empire, marquis de Verneuil, fils légitimé de Henri IV et de Catherine Henriette de Balzac d'Entraigues, abbé de Saint-Germaindes-Près (1623-1669) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 87.
148 CATHERINE DE BAR
A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAUJ (1)
12 décembre .1652
Ma très chère soeur,
la lus je vais en avant, plus je suis étonnée de l'occupation que votre
âme me donne devant Notre Seigneur. Depuis le jour de la Conception de Notre-Darne, à la sainte communion, vous n'êtes quasi point sortie de ma pensée, et je ne sais pourquoi la Providence m'assujettit à vous y souffrir, cela ne m'étant point ordinaire, et ma tendance intérieure serait de m'en séparer entièrement pour n'être occupée d'aucune créature. Je ne puis cependant me défaire de vous, et je ressens même dans le fond de mon âme une liaison qui se fait avec la vôtre, par Jésus Christ 'qui me presse de souhaiter votre sanctification et de demander à Dieu, de tout mon coeur, qu'il rompe vos liens et vos attaches, afin que vous lui puissiez rendre un sacrifice d'amour et de louange, selon ses adorables desseins.
Je me sens obligée, voire pressée intérieurement, d'avoir un soin très particulier de votre âme, et il me semble que ce qui m'engage à cela, c'est la connaissance que l'on me donne de l'état de perfection où la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ vous destine, pour laquelle j'ai tant de respect que je me voudrais consommer pour vous y servir. Et c'est aussi ce qui me donne la liberté de vous prier très instamment d'être fidèle et de suivre l'appel de Jésus Christ, qui vous veut toute à lui sans réserve. Seriez-vous si misérable que de le négliger ? Le châtiment que vous mériteriez serait très grand et je ne saurais souffrir que vous soyiez si résistante. Ne perdons point le temps et oc notre connaissance ne soit pas vaine, ni inutile à notre perfection. Puisque vous me donnez la liberté de vous parler, ce sera désormais sans retour ; mais je vous conjure de garder à notre égard cette même
(I) La famille Loyseau était originaire de Nogent-le-Roi. Le grand-père d'Anne, Regnault Loyseau s'installa à Paris comme avocat au Parlement et avocat ordinaire de Diane de Poitiers. Il eut trois fils et deux filles. Le père, Charles Loyseau, naquit à Paris en 1564. Il fit une brillante carrière dans le barreau. Lieutenant particulier au bailliage de Sens en 1593, puis bailli de Dunois en 1600. 11 épouse, à Châteaudun, Louise Tourtier, puis s'installe définitivement à Paris. Il est élu bâtonnier en 1620, meurt en 1627 et est enterré dans l'église des Saints-Côme et Damien. Il laisse .six gros traités de droit de grande notoriété, et six enfants : quatre garçons et deux filles. L'une Jeanne, épouse Guy Joly et, après son veuvage entre au Carmel où elle meurt comme supérieure de la maison de Poitiers. L'autre, Anne, née en 1623, prend l'habit au monastère de la rue Cassette en octobre 1660 et fait profession le 31 janvier 1662 et reçoit le nom de Mère Anne du Saint-Sacrement. Elle apporte une dot importante et obtient l'autorisation pour sa belle-soeur et sa nièce (avant le mariage de celle-ci) d'entrer en clôture six fois par an pour quelques jours de retraite. Connue de Mère Mectilde plusieurs années avant son entrée au monastère, elle sera un de ses meilleurs appuis tant pour la bonne organisation de la rue Cassette, dont elle est cellerière en 1684 et sous-prieure en 1689, qtie pour la fondation du
monastère de Rouen en 1677. Elle sera élue prieure à la mort de Mère Mectilde, mais elle ne pourra en porter la charge qu'une année. Elle meurt le Vendredi-Saint 1699. Sa tante Catherine avait épousé
Nicolas Absolu, receveur général du Taillon à Rouen, dont la soeur Jeanne Absolu, entra en religion après son veuvage et l'établissement de ses enfants. Elle mourra en 1637 en odeur de sainteté au monastère fontevriste de Haute-Bruyères (près de Montfort-l'Amaury).
(cf. Abbé Joseph Augereau, Jeanne Absolu une mystique du grand siècle, Ed. du Cerf, Paris, 1960, et renseignements aimablement communiqués par M. Jean Lelièvre, conservateur du Musée d'art et d'histoire de Dreux).
LETTRES INÉDITES 149
liberté, sans vous gêner ni contraindre, et lorsque je vous serai à charge vous m'en devez avertir. Gardez-moi, ma très chère soeur, cette fidélité que je vous demande comme un témoignage de votre affection. afin que l'Esprit de Dieu ne soit point contraint. Je vous supplie aussi de me dire si vous avez quelque chose qui vous soit plus pressant qu'à l'ordinaire, et si vous ne vous laissez pas un peu trop occuper et pénétrer de la peine et tristesse dont la personne que vous savez est pénétrée Gardez-vous d'y excéder. La plus grande charité que vous devez faire, c'est de conserver votre âme dans le dégagement où Dieu l'attire, c'est de vous défendre de la tendresse naturelle qui vous nuira beaucoup, si vous n'y prenez garde. On ne s'aperçoit quasi pas de son désordre, ni des maux qu'elle cause en nous, jusqu'à ce qu'elle nous fasse ressentir le trouble, et bien d'autres misères auxquelles elle vous assujettira si vous n'êtes pas plus fidèle que du passé. Cette occasion vous servira d'une tentation bien rude si vous ne savez bien prendre les armes pour vous défendre. Je vous en avertis pour vous tenir sur vos gardes, et vous dire que vous devez aimer vos amis comme Dieu les aime. Il faut trouver bon que Dieu les purifie en les crucifiant et qu'il les sanctifie par sa Croix.
Si la très sainte Vierge eût aimé Jésus Christ d'un amour purement naturel, elle n'aurait jamais souffert qu'il fût mort en Croix ; mais elle, qui savait la dignité et la sainteté de la souffrance, et la gloire que le Père éternel en retirait, consentit à sa mort par une profonde soumission aux volontés de Dieu. Voilà comment il faut que vous en usiez. Vous devez plus aimer la perfection et la sainteté des âmes que la douceur et le repos du corps et de la nature. Consentons humblement aux desseins adorables de Notre Seigneur Jésus Christ qui veut se glorifier en ses élus et l'es rendre conformes à son humanité crucifiée. Soumettez votre esprit à ses ordres, et tâchez d'encourager cette personne à la Croix que la divine Providence lui a imposée. Il faut qu'il en fasse un usage digne de Jésus Christ, qu'il porte sa peine avec respect et soumission à sa conduite. Il veut le sanctifier par cette voie et lui donner les moyens de taire des actes héroïques de sacrifice, de mort et d'abandon, de patience, d'humilité, etc... et par ces saintes pratiques il se sauvera et se fera saint. Consolez-le pourtant autant qu'il vous sera possible, sans vous engager ni trop attendrir par les sentiments de nature.
Soyez généreuse, ma très chère soeur, ne vous laissez point gagner à tant de considérations humaines. Soyons toute à Jésus, Christ. Priez pour moi, très chère, vous ferez une charité très grande, car mes besoins sont extrêmes et dignes de votre compassion et je vous en serai éternellement obligée. Je vous supplie d'offrir à Notre Seigneur l'affaire que vous savez ; on espère en faire parler à la Reine ; priez àrdemment que la divine volonté se fasse en nous et qu'il m'anéantisse totalement.
A Dieu, priez pour moi.
n" 2472 N254
150 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 151
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A UNE NOVICE
au sujet de sa profession qu'elle était sur le point de faire à notre monastère
de Rambérvillers (1)
le Sème de l'an 1653
Ma très chère Soeur•,
e prie Notre Seigneur Jésus Christ• qu'il vous donne une année
toute sainte et vous fasse la grâce de faire une profession digne de lui. Je vous assure que vous avez grande obligation à notre bonne Mère de vous avoir préférée à son repos, ayant entrepris un voyage si fâcheux et si dangereux et en une saison extrêmement rigoureuse. Elle et moi nous nous sommes sacrifiées pour vous, au moins mes intérêts et ma consolation ; mais c'est dans l'espérance que vous glorifierez Dieu par la profession que vous désirez de faire, pour vous lier plus étroitement à Jésus Çhrist. Ce point vous oblige à y être fidèle, mais les grandes miséricordes de Dieu en votre endroit vous pressent doublement de vous rendre à lui sans réserve. Je vous témoigne par ces mots la part que je prends à votre bonheur et la grande satisfaction que j'ai d'apprendre votre persévérance. Je me réjouis que vous soyez toute à Dieu par une profession si sainte ; mais, je vous supplie avant que de vous. y engager, concevez-en bien l'importance. Vous entrez par icelle dans une captivité si grande que vous n'aurez plus aucun droit sur vous. La religion en sera désormais la maîtresse sans qu'il vous soit permis de trouver à redire à ses lois. L'âme religieuse est une victime, continuellement immolée à Jésus Christ. Il y a de quoi sacrifier tous les jours à la grandeur divine. C'est un état sacré, mais il n'est pas connu de la plupart de ceux qui l'ont professé. Vous n'en pourrez jamais trop connaître les excellences et l'obligation que vous avez de vous y établir saintement et si solidement qu'il ne vous sera plus permis de retourner en arrière. Je voudrais bien que toutes les âmes qui ont à se vouer à Dieu aient bien approfondi l'importance de leur engagement ; il ne faut point se jouer au regard de Dieu. Ce sont des promesses éternelles sur lesquelles est compris notre salut ; il n'y va pas moins que de la perte irréparable d'une âme qui est si téméraire que de les enfreindre volontairement.
Donc, vous vous captivez et vous engagez sans réserve, car personne ne peut vous en relever. Il faut mourir en portant le joug et la croix que vous avez choisis et ,embrassés ; vous ne les pouvez plus quitter. Vous avez donc besoin d'un grand courage et d'une résolution si forte
(1) Probablement Soeur Catherine de Sainte-Thérèse Bagnerelle. Cf. note 1, lettre du 27 septembre 1651.
et si sainte que rien ne la puisse ébranler : d'être sacrifiée, égorgée, immolée, crucifiée et consommée tous les moments de votre vie en la manière qu'il plaira à Notre Seigneur. Vous serez désormais sans choix, sans élection, sans désirs, sans affection, sans volonté et sans aucune possession. Vous serez pauvre de la pauvreté de Jésus Christ qui n'a pas où reposer son sacré chef. Vous serez en proie aux mépris, aux souffrances, aux privations, aux rebuts, aux dépouillements, aux contradictions, aux renversements, aux agonies et aux tourments, bref à la mort, sans que vous ayez droit de vous plaindre, ni de rechercher dans les créatures les soulagements que votre amour-propre désirerai. Il sera condamné à la mort et tous les jours il éprouvera de nouveaux supplices, sans pitié et sans miséricorde, et lorsqu'il voudra se reposer on redoublera les coups: En un mot, vous serez sans relâche dans les souffrances et dans les croix, jusqu'à tant que vous soyez parfaitement anéantie. Et lorsque vous aurez atteint ce bienheureux état, vous expérimenterez ce que je ne suis pas digne de vous dire, mais je ne puis assez vous exhorter à vous sacrifier généreusement et persévérer dans le sacrifice constamment.
Il y en a beaucoup qui commencent avec coeur et ferveur, mais nous n'en voyons quasi point qui persévèrent ni qui arrivent au comble du vrai bonheur. Ils sont bien amoureux de la vie religieuse tant qu'ils ne ressentent point sa rigueur, ni sa crucifixion, mais quand il faut entrer dans les morts et les agonies, ils y renoncent et ne savent plus ce que c'est que suivre Jésus Christ : ils ne le connaissent plus et commencent dès lors à se retirer de leur grâce et de la sainteté de leur profession. O ma très chère Soeur, que je m'estimerais heureuse si je vous pouvais bien persuader cette vérité et que vous en fissiez bon usage. Commencez donc d'un grand coeur, ne vous effrayez de rien, ne vous rebutez point des difficultés, ne prenez point l'épouvante de l'ombre que le démon et' votre amour-propre vous représenteront pour vous effrayer. Passez par dessus toutes les répugnances de la nature ; n'ayez point de pitié, soyez sans tendresse pour votre âme, puisque Notre-Seigneur vous dit qu'il la faut perdre pour la sauver. Aimez-là de l'amour que le Père éternel aime Jésus Christ, son Fils, pour-vous sacrifier actuellement à la croix et à la mort.
Le premier pas que vous devez faire, c'est de vous humilier très profondément et d'apprendre, non seulement par lumière mais par expérience, ce que vous êtes et ce que vous méritez. Le second sera de vivre dans l'esprit de vérité, qui vous oblige à une estime de Dieu la plus haute qu'il vous sera possible, et un mépris actuel de votre personne. Le troisième sera de quitter les créatures de n'en rien espérer, de n'en rien désirer, de n'en rien prétendre, bref dé vous en séparer si entièrement que vous n'y ayez jamais aucune alliance. Vous les devez regarder comme les plus pernicieux obstacles à votre perfection etc. Le quatrième sera de tendre à Dieu et de ne rien préférer à son amour,
I5? CATHERINE DE BAR' LETTRES INÉDITES 153
mais d'être prête à donner votre vie à tous moments pour la pure gloire de sa Majesté, sans retour, sans recherche et sans récompense. Le cinquième sera la perte totale de vous-même sans vous plus retrouver, ni pour le temps, ni pour l'éternité.
Je ne vous parle point de vos saints voeux : vous avez des maîtresses plus savantes que moi en toutes manières, elles vous apprendront ce que vous êtes obligée d'en savoir pour les bien pratiquer. Ainsi il ne reste autre chose à vous dire sinon de vous prier de vous souvenir de mes misères en vos bonnes prières. et de prier Notre Seigneur que je ne sois point contraire à ses desseins. Qu'il me fasse la grâce d'avoir un peu d'humilité et d'amour avant ma mort, et je le prierai qu'il vous fasse sainte, de la sainteté dont il est saint. Adieu, je suis en lui votre toute affectionnée.
n" 1317
A LA MÈRE DOROTHÉE IHEURELLEI
Religieuse du monastère de Rambervillers
Le jour de Saint Vincent 1653 [22 janvier'
Ma très chère Soeur.
je reçois votre chère lettre avec beaucoup de consolation et. si je
ne vous écris point si souvent que je devrais, ce n'est pas que je n'aie quelque loisir suffisant pour cela. Mais un autre motif me jette dans un si profond silence que je voudrais être éternellement dans le néant et n'occuper jamais l'idée des créatures. puisqu:étant ce que je suis, je ne dois plus avoir d'être. O ma très chère Soeur, que d'abîmes je conçois, mais dans un silence si grand que je n'en puis rien dire ! Je ne m'étonne point que vous commenciez à ne me trouver plus en vous comme vous faisiez du passé. Il est juste, et plus que très juste, que je ne sois plus rien dans les saints et dans les amis de Dieu. 1 I faut que j'y sois toute anéantie, pour le temps et pour l'éternité, sans ressource. Je me laisse à la vertu divine pour cet effet ; il n'y a que. Dieu qui soit capable de faire son oeuvre; nous n'avons qu'à nous laisser mourir et il saura bien nous donner la vie... Je ne veux plus avoir de pensée que pour la mort. Voilà à quoi nous sommes appliquée, mais mort sans relâche en la manière que Dieu l'entend. Au reste, je ne converse plus avec les saints ; je ne vois plus personne. Je suis plus dans le silence et la retraite que du passé et je goûte bien le bonheur que je possède, mais il me passe de petites appréhensions de n'y être pas longtemps ; si l'établissement que l'on poursuit vient à avoir son effet, il m'en fera bien sortir. Je vous avoue que c'est un sacrifice le plus grand que je puis faire que d'y consentir. Je n'y adhère que dans l'espérance que Notre Seigneur aura pitié de moi et qu'il me fera la grâce d'y trouver bientôt la mort. Cette espérance me console et me donne quelque courage, si je puis m'y appuyer. Quelquefois je ne le puis, et aussi d'autres fois il m'est permis d'en avoir la vue.
Je serai bien aise d'apprendre, si Notre Seigneur vous le permet, le changement qu'il fait en vous. J'ai une joie de m'y voir anéantie. 0 ma très chère, Dieu veut occuper en vous la place que j'y tenais, n'est-il pas juste ? Ne regrettez point la perte que vous faites ou pouvez faire de moi en toute manière. Réjouissez-vous de ce qu'une pécheresse n'aura désormais plus de vie en vous et que le seul Jésus Christ y règnera plus parfaitement. Mon Dieu, que ne sommes-nous dans un oubli éternel dans tout le monde, et qu'on ne se souvienne plus que de Dieu ? Lui seul doit être et tout le reste anéanti. Qu'est-ce que toutes les créatures ? Ce sont des êtres qui doivent être réduits au néant, par hommage à l'être infini de Dieu. Ne soyons donc désormais plus rien, ni pour les créatures, ni pour nous-mêmes.
Oui, ma santé est bonne, et mon humeur je ne sais ce qu'elle est sinon que, n'ayant plus rien à perdre ou à gagner, tout me doit être indifférent, et je vis sans beaucoup de souci: Notre Seigneur étant celui qui seul doit être, tout le reste ne nous doit point occuper que dans l'ordre de sa conduite, pour sa gloire et non pour notre repos ou nos intérêts. Voilà deux petits mots qui vous feront connaître quelque chose de ma misère. Priez Dieu pour môi et me croyez toute à vous de même coeur que du passé, car je ne change point. Ayez bien soin de notre bonne Mère, conservez-la ; elle m'est bien chère et à toute la Maison. C'est notre trésor et sans elle que ferions-nous '? Donc je vous la recommande très instamment, divertissez-la et la soulagez et me donnez de ses nouvelles et des vôtres et croyez que si nous nous pouvons revoir une fois... A Dieu, je suis votre pauvre...
n" 1359
A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAUJ
15 février 1653
Ma très chère et honorée soeur,
ous avons reçu les effets de votre très grande charité, dont nous vous
rendons mille grâces très humbles et prions Notre Seigneur qu'il vous en soit la très digne récompense. L'on dit tous les jours dans notre petite chapelle les messes que votre dévotion vous a donné le sentiment
154 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 155
de faire dire, et nous y communions à votre intention.
La bonne personne que vous savez, qui a fait parler touchant la vocation de Melle N., a encore fait un peu de bruit, et a fait parler à la dite demoiselle. Pour moi, je ne fais qu'admirer et adorer les ressorts de la. Providence et trouver bon qu'il me détruise totalement. C'est ma passion présente d'être réduite au néant en toutes manières. J'en espère quelques effets de la divine miséricorde, et je vous supplie employer vos saintes prières pour obtenir ce saint état ; et quand je serai anéantie, je ferai des merveilles devant Dieu pour vous, et d'une manière efficace, car ce ne sera plus moi mais Jésus en moi. Le désir que j'ai de votre sanctification demeure toujours dans mon âme et nonobstant que je ne vous écrive point, vous m'êtes toujours très présente. J'aurais quelquefois assez de mouvement de vous dire deux mots, mais je ne crois pas cela utile ; ma pensée est de vous laisser toute à Dieu, sous la conduite où sa sainte Providence vous a mise. Et je craindrais faire plus d'obstacle à votre perfection en continuant de vous écrire qu'en observant un profond silence, que j'aurai pourtant peine de garder avec vous, après une si grande liberté que vous avez eu la bonté de me donner. Je ne puis m'empêcher de m'intéresser devant Dieu pour vous. Il faut que votre charité me souffre, car vous m'êtes, en son saint amour, plus ch ère que je ne suis à moi-même.
Soyez, ma très honorée soeur, à Jésus Christ; je vous y sacrifie de tout mon coeur avec Monsieur votre frère. Depuis que j'ai eu l'honneur de le voir il occupe très souvent mon esprit et je crois que Notre Seigneur le veut plus dans sa grâce et dans son amour qu'il n'en n'a, possible, la pensée. Je vous supplie qu'il trouve ici mes respects, et vous, les assurances de ma fidélité, qui sera pour vous inviolable en l'amour de Jésus Christ et par Jésus Christ, puisque je suis en lui toute votre plus petite et très obligée servante.
ni, 2324 N254
A LA MÈRE BENOITE [DE LA PASSION DE BRÊME] Sous-Prieure de Rambervillers
22 février 1653
Ma très chère Mère, (1)
jyant appris par les lettres de notre bonne Mère l'état d'infirmité où vous êtes continuellement réduite, je me suis trouvée dans la disposition d'être fort touchée de la perte que je ferai de votre chère personne lorsque Notre Seigneur vous retirera de cette vie. C'est un sacrifice très grand et des plus grands que je puis faire ; mais il faut se résoudre à être dépouillée de tout sans aucune réserve. O que de morts il faut faire avant que de l'être ! En effet, ma toute chère Mère, selon les apparences et la continuation de vos maladies, il se faut résoudre de vous voir partir. J'ai été obligée ce matin à la sainte Communion de vous rendre à Dieu et à me désapproprier de tous les usages et de tous les appuis que j'avais en vous. C'était une vie secrète que je conservais, dans la consolation que je ressentais de notre sainte union. Je sais bien que Dieu vous a donné charité pour moi autant que pour vous-même, et lorsque je voyais la part que votre bonté me donnait en votre sainte affection, mon âme s'en réjouissait et il me semblait que je ne pouvais manquer ayant votre charité pour appui. Mais, hélas ! j'apprends une leçon bien rigoureuse, qui me va dépouillant de toute la vie que je prenais dans les âmes saintes ; je m'y suis trop souillée et j'y ai pris trop de satisfaction, c'est pourquoi Notre Seigneur m'en prive tous les jours, et me va tellement dénuant qu'il me semble me vouloir faire vivre comme un mort sur la terre, sans prendre plus aucune vie en quoi que ce soit ; et je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n'est que silence et anéantissement. Demeurons dans l'abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d'amour n'étant plus rien qu'une pure capacité de son bon plaisir. Laissons-nous consommer comme il lui plaira.
Votre âme, ma très chère Mère, approche de sa fin et du moment de sa totale consommation. Je la vois, ce me semble, se laisser en proie à l'amour divin qui fait ses opérations en différentes manières; je les révère de tout mon coeur. Je le supplie, puisqu'il me jette dans l'obligation d'un dépouillement éternel, qu'il vous permette de me donner encore une fois de vos nouvelles, et que je demeure ume à vous, comme lui-même nous a unies. J'espère qu'il ne me déniera pas cette consolation qui m'est si chère et que, s'il vous permet de me faire savoir l'état de votre âme en l'autre vie, vous m'accorderez cette grâce, par laquelle j'espère être instruite des volontés de Dieu sur mon âme. Vous avez été ma bonne et chère maîtresse sur la terre, soyez-là encore au ciel, ma très chère Mère.
S'il m'était permis d'avoir encore quelque désir, ce serait de vous revoir avant la mort. Et même la pensée de ce cher bien me voudrait faire trouver quelque invention pour obliger les personnes d'ici à consentir qué je fasse un petit voyage, qui ne durerait qu'un mois ou six semaines. Je ne sais si je l'obtiendrai, mais si j'étais libre j'en aurais le désir, que je sacrifie pourtant pour être anéantie dans les ordres du bon plaisir de Dieu, qui nous doivent être plus précieux que toutes les joies du paradis. Je fais un très grand sacrifice en votre personne et Dieu veut que je le fasse sans réserve. Je m'y abandonne, et consens que Notre Seigneur fasse en vous sa très sainte volonté pour la vie
L
156 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 157
et pour la mort. Je vous remets à sa disposition divine, et toute la part que j'avais en vous, je la remets en lui-même, ne voulant plus rien
en vous que lui-même. Je vous rends à lui en me désappropriant de votre sainte
affection, et de tous les biens que je possédais par icelle. Je ne veux plus rien être en vous, Dieu seul y doit avoir vie, et je suis indigne de
celle que sa grâce m'y a donnée. Je ne veux plus vous aimer pour mes intérêts mais pour ce que vous êtes à Dieu et qu'il prend sa complaisance en votre âme. Je veux aimer Dieu en vous et vous aimer anéantie en son amour. En cette vue je vous aimerai au ciel comme je vous ai aimée sur la terre et notre liaison sera sans interruption.
Adieu donc, ma très chère Mère, allez à Dieu s'il vous retire de ce monde ! Oh, que de bonheurs dans la mort ! Mais je ne les veux pas envisager de crainte que le respect et l'amour de la mort ne me retirent de la mort même. Si Notre Seigneur vous emporte, vous serez bienheureuse de le suivre ; et s'il vous retire durant les quatre mois de ma supériorité, je vous envoie toutes les bénédictions qu'il me donne pouvoir, en vertu de cette charge, de vous donner et appliquer. Je vous les souhaite avec toute la sainteté que je vous les puis désirer, en la grâce et vertu de celui qui, par lui-même, donne la puissance. Et si ces quatre mois sont écoulés, je vous demande humblement la vôtre en qualité de votre très indigne novice. Et dans cet esprit je vous remercie de toutes les bontés que vous avez eues pour mon âme et que vous aurez éternellement, si mes péchés ne m'en rendent indigne. Je vous la recommande pour, de votre main, être rendue à son Dieu. Je vous supplie de lui rendre encore ce bon office, et je le ferai prier pour sa gloire en vous, et qu'il vous consomme en lui, par l'amour et vision béatifique qui vous abîmera à jamais en lui. Au reste, ma très chère Mère, ne pensez pas que ce que je vous écris soit par quelque connaissance que j'aurais de votre mort, je vous assure que non. Vous savez ma conduite, je n'ai point de lumière ; mais je préviens le temps auquel je n'aurai pas, peut-être, les moyens de vous écrire : la Providence m'ayant donné ce mouvement, je m'en dois servir, et vous assurer que le temps ni l'éternité ne désunira point nos coeurs que Notre Seigneur a unis en lui, et c'est par lui que je vous serai éternellement fidèle.
Adieu, ma très chère et plus que très chère Mère, je ne vous fais point d'adieu dans les sentiments de tendresse que tant de fois je vous ai témoignés. Je ne sais comme je suis, je ne me dois plus regarder. Soyez à Dieu, allez à Dieu, pourvu que vous soyez consommée dans l'amour de son bon plaisir, il me suffit, je ne dois plus rien désirer, puisque je ne dois plus rien être, ni en. moi, ni ès créatures ni en Dieu comme du passé, mais que lui seul soit. Amen
C'est votre pauvre et fidèle...
nu 55
(1) Mère Mectilde, élue en 1650 prieure du monastère de Rambervillers, le restait de droit jusqu'en juillet 1653, bien qu'elle résidât à Paris depuis le 25 mars 1651. Ce n'est donc qu'en juillet 1653 que Mère Benoite de la Passion fut élue prieure, bien qu'elle en eût rempli déjà la charge en fait.
A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU
3 avril 1653
Ma très chère soeur,
puisque vous m'avez donné la liberté de vous écrire lorsque j'en aurais le sentiment, je vous prie de me donner de vos nouvelles. Je ne sais si je dois être en peine de vous, mais je puis vous assurer
qu'il y a plus de douze jours que vous m'êtes pressamment dans l'esprit. Etes-vous malade, ou plus triste ? C'est possible un simple effet de mon affection qui est très grande pour vous et qui voudrait être en état de vous le témoigner. Je ne le puis que par désir, car l'impuissance où Dieu me tient depuis longtemps borne le reste. Mais quant à la volonté, elle ne le peut être, car Notre Seigneur me donne une liaison trop étroite avec vous, et semble augmenter en mon âme les soins et les désirs de votre perfection. Je souffre avec peine le retardement d'icelle, parce que les moments de notre vie sont chers à Jésus Christ. Mais l'heure n'est pas encore venue, il faut l'attendre, et cependant vous rendre attentive à sa divine voix, vous souvenant des paroles du prophète qui dit : « Si aujourd'hui vous entendez la voix du Seigneur, gardez-vous bien d'endurcir votre coeur (1) ». Rendez-vous flexible aux touches de son divin Esprit et vous laissez pénétrer de son amour. Vous, ma très chère soeur, à qui Dieu a donné un coeur tout d'amour, pouvez-vous bien le divertir en d'autres objets que lui ? N'a-t-il pas assez de charme pour vous contenter ?
La Magdeleine ne voulut point s'arrêter avec les anges ; son amour
la transportait vers celui qui était le Seigneur des anges. Plût à Dieu que vous en puissiez faire autant et que les créatures ne vous, puissent plus arrêter, ni occuper ! C'est assez, convertissez-vous toute à Jésus Christ ; donnez-lui ce qui vous reste. Je vous supplie que ce saint Jubilé fasse quelque changement en vous ; quittez ce qui vous retarde d'être à Dieu. O ma très chère, que vos oppositions sont grandes ! vous êtes bien enchaînée et, nonobstant que vos liens soient petits en apparence, ils vous lient bien serré ! Votre vie me paraît si humaine, vos opérations si peu animées de l'onction de Jésus Christ ; votre âme ne sent point l'odeur de Dieu, la créature y vit encore ! Cependant vous êtes chrétienne et obligée de vous revêtir de Jésus Christ. Je vous supplie d'en avoir au moins le désir et de vous donner à lui pour cet effet. Il y a quelque chose en votre âme qui la tient en terre et qui l'empêche de prendre son vol à Dieu. Je le prie vous le faire connaître et vous donner la grâce de l'arracher et vous en séparer.
Je serai bien aise de vous voir quand la Providence vous en donnera le loisir. Je vous veux faire part de la joie que nous avons de posséder le Très Saint Sacrement. On nous l'a donné sans que nous soyions établies ;
158 CATHERINE DI BAR LETTRES INÉDITES 159
je vous supplie le venir adorer et lui demander ma totale conversion. Je suis en son saint amour, de tout mon cœur, toute votre fidèle amie et très acquise servante.
nt> 2551 N254« (1) Ps. 94,7-8.
A UNE RELIGIEUSE JEUNE PROFESSE
du monastère de Rambervillers
le 16 août 1653
Ma très chère Soeur,
Je prie la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous donne part à son esprit d'anéantissement, afin que vous soyez rendue digne de la suivre dans sa gloire.
U'ai reçu les vôtres du 4è du courant, lesquelles ne contiennent que
des reconnaissances et des remerciements sans sujet, car je ne suis pas en état d'obliger personne. Nonobstant que j'aie la volonté de vous servir, vous m'en ferez croître le désir quand j'apprendrai que vous êtes fidèle à Notre Seigneur et que vous tâchez d'être une vraie religieuse de saint Benoît. Je vous prie, ne vous relâchez point dans la voie étroite qui conduit à là vie. Le temps est bref, ne le consommez point inutilement et, puisque vous connaissez les grandes miséricordes que Notre Seigneur vous fait, correspondez de votre part et soyez toute à lui sans réserve. Ne vous flattez jamais intérieurement, et ne souffrez jamais que votre esprit humain raisonne sur les conduites de Dieu sur votre âme, soit au dedans, soit au dehors . Abandonnez-vous si parfaitement à Dieu et si continuellement que jamais vous ne rentriez en la possession de vous-même. Nous commençons quelquefois très bien, mais nous n'allons pas loin, et cela vient de ce que l'on ne veut pas mourir à soi-même, ni donner vie à Jésus en nous. Perdez-vous, ma chère Soeur, et vous assurez que la meilleure et la plus haute fortune que vous 'puissiez faire, c'est de vous perdre vous-même et toutes les créatures, car jamais Dieu ne se communiquera pleinement à votre âme que vous n'ayez tout perdu. Prenez donc bien garde que rien ne prenne vie en vous, et que vous ne preniez vie en aucune chose. Accoutumez-vous à vous contenter de Dieu seul, et vous expérimenterez qu'il est infiniment suffisant pour vous satisfaire. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ».
Je ne sais pourquoi la Providence me donne un si grand zèle de votre sanctification. Je voudrais vous pouvoir dire trois mots à l'oreille de votre coeur. Je suis assurée que, si vous voulez, Dieu se glorifiera en vous et vous comblera de très grandes miséricordes. Mais si une fois vous les négligez, en vous jetant dans vos sens et dans les créatures, vous perdrez ce que peut-être vous ne recouvrerez jamais. Prenez-y bien garde et ne vous mettez point dans une si malheureuse expérience. Il faut être tout à Dieu ou ne s'en point mêler. Je ne puis souffrir une âme partagée qui accommode Dieu avec le monde et avec soi-même. Soyons à Dieu tout seul et laissez-là tout le reste. Vous connaîtrez un jour que je vous dis de grandes vérités en peu de paroles et d'un style très simple et chétif. J'ai une extrême affection que vous soyez tout ce que Dieu veut que vous soyez selon ses desseins adorables, et que vous n'y fassiez point d'opposition. A Dieu, ne vous fâchez point si je vous parle de la sorte, je n'ai point d'autres motifs que l'amour de votre sanctification.
Je prie Notre Seigneur qu'il me rende digne de prier pour Mademoiselle votre bonne Mère. Je vous prie de la saluer de ma pàrt et de vous assurer, ma très chère Soeur, qu'en tout ce que je pourrai contribuer à votre perfection, que je m'y emploierai de même coeur que je suis en Jésus et sa très sainte Mère„ votre très acquise seryante.
Sr du Saint-Sacrement
Je vous conjure de prier Dieu pour moi: mes besoins sont extrêmes. Dieu vous en récompensera. Je vous prie qu'il n'y ait que notre Révérende Mère et votre bonne Mère Maîtresse qui sachent que je vous écris.
ni. 1308
A LA RÉVÉRENDE M ÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME I
Prieure du monastère de Rambervillers
le 10 octobre 1653
Ma très Révérende et ma très chère Mère,
Jésus soit éternellement glorieux en nous par l'accomplissement de ses divines volontés et la consommation de ses adorables desseins!
ey3:ussitôt que j'appris l'ordre de la sainte et aimable Providence qui vous a établie Supérieure de notre' Maison, je me suis trouvée en désir de vous en témoigner mes sentiments, aussi bien que mes devoirs d'obéissance et de respect. Je bénis Dieu de son élection et selon lui j'en ai joie, croyant qu'il en tirera sa gloire. Mais selon l'affection intime que j'ai pour vous, ma très chère Mère, je ressens de la peine de vous savoir en croix, et je vous y porte d'autant plus de compassion que je sais d'expérience qu'elle vous sera rude et pesante, bien que je
160 CATHERINE DE BAR
sois certaine que le bras de Dieu la soutiendra, et que celui qui vous a établie chef de sa petite famille vous donnera les grâces et les lumières nécessaires pour y établir sa gloire et y trouver votre sanctification. Il faut être, par état, dans un profond anéantissement, pour ne se point troubler en semblables événements qui semblent causer des renversements étranges, et il faut une merveilleuse fidélité pour demeurer morte en telles occasions et se laisser appliquer par la main de Dieu sur la croix et être dévorée selon ses plaisirs et desseins éternels. Je vous crois trop prévenue de ses grâces pour être en d'autre disposition que celle où votre état vous oblige d'être ; à moins que d'une infidélité très grande, cela n'empêche pas les vues de l'esprit et la peine des sens, mais tout demeure sous le pressoir de la Croix pour être consommé et détruit. J'adore donc la conduite adorable de Notre Seigneur sur vous, ma très chère Mère, et quoique cette élection me tire de l'espérance que j'avais de vous posséder, il faut que mes intérêts soient anéantis et que je n'aie plus aucune vie, ni appui dans les créatures.
Mon Dieu, que j'aurais de choses à vous dire, ma très chère Mère, et que deux ou trois heures d'entretien me donneraient de satisfaction ! Il me semble que c'est le seul désir qui demeure en moi. Tout le reste se passe et se consomme ; je l'abandonne àY Dieu pour en être ce qu'il lui plaira. Cependant je vous supplie très humblement recevoir les assurances de mes respects et de la soumission que je désire vous rendre de tout mon coeur, comme à notre très honorée et très digne Supérieure. Il y a longtemps que Dieu a voulu que vous soyez ma Mère ; présentement il vous confirme encore plus particulièrement dans cette qualité, et me donne des désirs très grands de vous rendre mes très humbles obéissances. Je supplie votre charité, en l'amour et pour l'amour de Jésus et de sa très sainte Mère, de me conserver toujours la qualité de fille et l'affection d'une vraie Mère. Usez de votre autorité et m'honorez de vos commandements, car je veux vous obéir en tout ce qui sera de mon possible, et au-delà si je puis. Je vais mander à la bonne âme votre élection afin qu'elle prie Dieu pour vous. Je puis vous assurer qu'elle vous aime de tout son coeur, elle me demande souvent de vos nouvelles. Vous lui écrirez, s'il vous plait; elle recevra vos lettres avec joie ; ce qui est tout à fait extraordinaire en elle, car elle ne peut souffrir qu'on lui écrive. Je ferai aussi prier Dieu pour vous par beaucoup d'autres saintes personnes que je connais.
Je ne vous fais pas compliment sur votre élection; vous me connaissez, ma très chère Mère, et savez ce que je suis, je vous supplie n'en jamais douter. A Dieu, ma très chère Mère. Je suis en Jésus toute votre très obéissante fille et très fidèle servante.
n" 48 LETTRES INÉDITES 161
A LA MÊME
[1653 au plus tôt]
Jésus soit l'unique de nos coeurs !
Dee reçois les vôtres du 7ème du courant, je vous y fais une prompte réponse pour votre consolation. Ecrivez à la bonne âme avec autant de franchise et de liberté comme si c'était à moi et plus encore, parce qu'elle est infiniment plus sainte et plus éclairée que moi. Car pour vous parler en fond de vérité, je ne suis que ténèbres et misères extrêmes ; mais il ne se faut pas toujours regarder.: si je m'arrêtais à ce que je suis, jamais je n'ouvrirais la bouche. O mon Dieu, je ne vois en moi qu' abomination et péché. Croyez que je suis bien réduite, et pas encore assez, j'espère descendre dans un plus profond abîme. Priez Dieu qu'il soutienne l'âme pendant qu'il la détruit jusqu'à la moëlle des os. Nonobstant mes misères, je suis toute dans l'affection de rendre a votre âme tous les services que votre humilité désire. Je prendrai la liberté de vous dire mes petits sentiments comme du passé ; seulement il y aura cela dé différence que je le faisais par obligation, et à présent ce sera par soumission à l'ordre que j'en reçois de votre bonté, qui veut être soumise à la plus pécheresse du monde. Cette impression que vous avez eue pour la bonne âme vient sans doute de Dieu, car elle est dans un excès de souffrance plus qu'à l'ordinaire depuis quelque temps, et avait désiré que vous ayez mémoire d'elle en vos prières. Elle a de grandes affections pour vous. Cela est bien particulier car c'est une personne morte à tout; elle sera consolée d'entendre de vos nouvelles. Il ne faut point de cérémonies avec elle : c'est une âme qui n'est plus de ce monde.
Je loue et benis Notre Seigneur pour tant de miséricordes qu'il vous fait. Je crois qu'il veut bien que vous en remarquiez quelqu'une pour nous en faire part, en attendant qu'il vous ait introduite dans la perte totale de tout vous même en lui. Néanmoins le tout sans contrainte et comme Dieu le voudra, car, pour moi, je n'ai plus de vie pour Ces choses, que pour la pure gloire du règne de Jésus. Il ne m'est plus permis d'avoir aucun désir, ni l'ombre d'aucune curiosité. Il nous faut tout perdre et laisser abîmer, chacun dans sa voie, et dans la sainte et adorable conduite de Dieu. Demeurons chacune dans nos degrés ; quoique le mien soit extrême, je n'en veux jamais sortir, car il faut perdre son être propre afin que Dieu seul soit. J'aurais besoin de vos saintes prières, ma très chère Mère, et si je ne craignais-de vous être à charge, je vous supplierais très instamment de faire une neuvaine pour demander le règne de Dieu en moi selon son divin plaisir, et que je sois réduite au suprême ; mais qu'il soit le soutien de l'âme, afin que dans ces extrémités elle ne succombe point. O Dieu, que son bras est
puissant ! Quand lui plait, il fait d'étranges choses. J'adore tout,
162 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 163
m'abîmant dans le silence et le néant où je vous suis par lui et en tout ce qu'il veut que je vous sois.
Continuez d'aller le vendredi devant le Très Saint-Sacrement s'il vous plait, cela ne nuira point à votre charge, une matinée se passe bientôt. Pour les jeûnes de la Règle, je ne crois point que vous en devez faire. Il y aura moins de vous même en ne jeûnant point et plus d'abjection. Je vous prie soumettez-vous à celles qui vous en prient.
A Dieu, ma très chère Mère, c'est votre très indigne Fille.
nu 1354 N267
A RÉVÉRENDE MÈRE DOROTHÉE IHEURELLE1
Sous-Prieure du monastère de Rambervillers
28 may 1654, mercredi de la Pentecôte
Ma très chère Mère,
:1> e reçus avant-hier les vôtres au plus fort d=une cérémome que nous
faisions, qui était la vêture de Mademoiselle d'Uxelles (1). Priez Notre Seigneur qu'il la revête de son divin Esprit et de la grâce de sa sainte vocation. Quelqu'une de nos Mères vous en dira le détail. Je me contenterai seulement de vous dire qu'il me semble que toutes ces choses se font si hors et si loin de moi que je ne les sens point. Je ne trouve plus en moi la capacité de me réjouir de quoi que ce soit. 11 faut pourtant excepter une chose, qui m'a donné grande satisfaction : c'est qu'ayant fait faire une Notre-Dame plus haute sans comparaison que moi, tenant son enfant sur son bras droit, et de la main gauche tenant une crosse, comme étant la généralissime de l'Ordre de SaintBenoit, et très digne Abbesse, Mère et Supérieure de cette petite maison du Saint Sacrement, on nous l'apporta samedi veille de la Pentecôte. Je vous avoue que son abord me fit frémir de joie et de consolation, voyant ma sainte Maîtresse prendre possession de son domaine et de tout ce petit couvent. Elle n'est pas encore parfaite, car on la doit dorer et la rendre parfaitement belle, et après qu'elle sera achevée en sa perfection, on la fera bénir (2), et puis élever sur un trône préparé à cet effet au milieu de notre choeur, entre la chaise de notre Mère Sous-Prieure et la nôtre. On l'admire, et certainement elle est belle et• me console extrêmement.
Il me semble que je n'ai plus rien à faire quand je vois cette aimable princesse tenir son rang d'autorité et de bonté én nos endroits. Je vous
(11 Cette jeune fille ne put persévérer pour raison de santé.
(2) Cette vierge est la «Notre Dame Abbesse» du monastère de la rue Cassette, béme le 15 août 1654. Cette statue a disparu pendant la révolution. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et 296 - 297.
prie de l'honorer pour nous et la supplier de prendre une souveraineté absolue sur nous toutes, et qu'elle nous rende dignes d'être ses vraies filles. NoÉis vous manderons toute la cérémome quand elle sera faite ; ce ne sera encore de plus de deux mois. Nous vous prions de nous aider de vos saintes prières à nous disposer à ce saint jour, qui m'est un des plus précieux de ma vie. J'espère tout de ma sainte Mère et très aimable Maîtresse. C'est bien ma bonne Mère en vérité, et il me semble que ma confiance passée s'est renouvelée en moi plus fortement que jamais. J'attends d'elle un grand secours pour la bonne conduite de ce petit monastère qui n'est pas encore parfaitement établi. Il ne fait que naître. Priez cette sainte Mère d'y verser ses saintes et abondantes bénédictions. Dieu y veut beaucoup de sainteté, mais je suis bien opposée à ses desseins. A moins que d'être très anéantie, il n'y a pas moyen de correspondre à un ouvrage si saint et qui fait bien enrager le démon. Il en fait bien des tempêtes.
Ma très chère Mère, je suis en bonne santé, quoique nos Mères ne le croient point. J'ai été plus languissante que je ne suis maintenant. Pour ma vie, je l'abandonne et n'en sais pas la fin. Seulement, il serait à désirer que je la termine en agissant dans mes obligations, parce que nous avons trop d'occupation pour appliquer mes Soeurs à m'assister à ce dernier passage. Je ne crois pas que ce soit sitôt, car j'ai bien de la vie dans le coeur. Je vous assure qu'on n'a pas seulement le loisir d'y penser, car il ne se faut réfléchir que le moins que l'on peut et se laisser perdre sans ressource. Hélas ! Je ne me consomme pas devant le Très Saint Sacrement, mais je me consomme dans le tracas et dans les créatures. Voyez quelle effroyable consommation ! A Dieu, priez-le qu'il se glorifie en tout. Je suis en lui, et à toute la chère communauté, votre toute acquise et plus fidèle ...
n" 1361
A LA MÊME
le jour St Mathieu 1654 [21 septembre]
Ma Révérende et très chère Mère,
Jésus dans son divin Sacrement soit notre consommation !
D'e viens tout présentement, Je recevoir les vôtres, très chère, en date du- 10ème du courant. Elles nous ont apporté bien de la joie, car je
ne pouvais plus supporter votre silence, ni un si long retardement de vos lettres. Je vous prie, ma chère Mère, une fois pour toujours, de ne nous en priver si longtemps ; cela me met trop en peine, et je demande à' votre charité cette satisfaction d'avoir, de temps en temps, des nou-
164 CATHERINE DE BAR LETTRF,S INÉDITES 165
velles de vos santés et de la maison, à laquelle je prends le même intérêt que si j'étais encore Supérieure. Je l'ai trop aimée et l'aime encore trop pour l'oublier. C'est une chose impossible, et souvent notre Mère Sous-Prieure (1) et moi cherchons un moyen d'y faire un petit voyage, pour avoir la consolation de vous entretenir encore une bonne fois avant que de mourir. Je n'en vois point de plus prompte et meilleure occasion que d'aller à Plombières au lieu de Bourbon, pour un bras que j'espère être un jour perclus. J'en ressens des atteintes très grandes et je n'y veux point faire de remèdes, afin que les médecins m'ordonnent sans autres ressources les eaux chaudes, et Dieu sait comme je drillerai [j'irai droit] à Rambervillers. C'est là où je ferai mes remèdes et, si Dieu voulait, mon cercueil sans avoir la peine de revenir.
Voilà une de nos petites saillies, mais hélas ! cela dure peu, car nous avons si peu de temps à respirer qu'à peine en trouvons-nous pour un peu nous divertir. Mais tout de bon, si ce mal de bras ne me contraint à faire un voyage, je ne vois pas lieu, de longtemps, de l'espérer ; partant il faut prier pour l'augmentation de mon mal, qui n'est pas si grand que je le désire. J'ai été languissante deux mois et plus, avec une fièvre et faiblesse de poitrine assez grande. Ce qui était plus mauvais, c'est ,que j'avais les jambes et les pieds fort enflés et les marques y demeuraient et, de là, je pouvais douter d'être bien plus mal. Mais de tout cela, la nature en moi s'en joue ou Notre-Seigneur s'en rit, car je passe toujours par dessus tout et n'alite pas. J'ai traîné ainsi ma pauvre vie. Présentement je suis bien mieux selon le corps, mais toujours très mal selon l'esprit, car je suis toujours tant opposée à Dieu que cela est pitoyable.
Ma Soeur Marie de Jésus [Chopinel] souffre beaucoup de corps aussi bien que d'esprit depuis quatre ou cinq jours. Continuez de prier. Je vous avais écrit une lettre à son sujet, de trois ou quatre pages, mais je la crois perdue, car vous n'en avez jamais dit mot. Hélas ! ma très chère Mère, je suis indigne de servir cette âme et toutes celles qui sont ici. Je me vois bien l'esclave de toutes, mais je suis si ténèbres que je ne vois goutte à leur conduite. Ce qui me console, c'est que la Mère de Dieu a dit à la bonne âme qu'elle aura soin de cette communauté. Cela me donne un peu de repos, et lui abandonne plus confidemment, puisqu' elle assure d'en prendre le soin. Elle prie bien pour ma Soeur de Jésus, mais il faut qu'elle se résigne à Dieu ; je ne sais quand il lui plaira la soulager. J'ai bien de la dévotion a Notre-Dame de Repos et, pour son amour, je vous y demande une neuvaine, afin qu'il lui plaise me donner-le vrai repos, que l'on peut avoir en cette vie, qui est d'être toute anéantie. Je ne sais point de repos pour moi que le centre de mon néant, dans lequel j'aspire d'être toute abîmée.
(1) Mère Bernardine de la Conception Gromaire a quitté son monastère de Rambervillers avec Mère Anne de Sainte-Madeleine fin 1653. Elles rejoignent Mère Mectilde à Paris pour la seconder dans la fondation de l'Institut.
Faites part à notre très chère Mère Prieure de nos nouvelles, et lui dites que la plus grande satisfaction que je reçois des choses de la vie ce sont ses lettres ; quand il lui plaira, elle nous écrira. J'ai différé de dire vos sentiments pour notre Marie pour quelques raisons. Si elle n'avait l'affection pour R., elle serait déjà reçue céans. Elle se change bien, mais elle a peine à se résoudre de penser à nos retours et qu'elle demeure ici. Si la Providence nous manifeste ma mort en France, je lui donnerai l'habit pour cette maison ; car si nous y mourons, il faut qu'elle se résolve - d'y demeurer, ou de n'être point religieuse puisque vous ne la voulez point. Nous en ferons le mieux qu'il nous sera possible. Faisant bien, elle n'aura pas de peine ici, car partout il faut se rendre à Dieu ; elle en témoigne bien du désir. Je la servirai de tout mon possible pour céans, elle s'en peut assurer. Mais pour ailleurs, je n'y ai point de pouvoir, et ne voudrais pas en avoir, car j'aime que tout se fasse dans une sainte liberté, ne prétendant jamais violenter les inclinations ou les sentiments d'une Communauté.
Ma chère Mère, faites bien mes recommandations à toutes, je vous en supplie, et particulièrement à notre très chère Mère Prieure. Notre Mère Sous-Prieure vous écrira plus amplement de tout et de notre Sainte Mère Abbesse. Je ne vous oublie pas, je la prie récompenser toute la charité que son Fils vous a donnée pour moi et qu'il vous consomme en son amour. A Dieu, ma très chère Mère, Messieurs de Bernières et Roquelay (2) vous saluent. Ils font des merveilles dans leur ermitage ; ils sont quelquefois plus de quinze ermites. Ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne Mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à M. de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l'état du saint et parfait anéantissement. Nous avons ici pour notre sacristain le bon vigneron de Montmorency (3). Je ne sais si vous l'avez connu, c'est un ange en terre. A Dieu, je ne puis finir. Je suis en Jésus toute vôtre...
n" 1594
(2) Jean de Bernières-Louvigny. M. de Roquelay, prêtre, lui servait de secrétaire. Cf. M. Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVIle siècle, Perrin, 1923 et C. de Bar. Documents, 1973, p. 64.
(3) Jean Aumont, dit de la Croix. né à Montmorency en décembre 1608 et mort le 19 avril 1689. Il a été inhumé aux Filles Pénitentes de Saint-Magloire, rue Saint-Denis à Paris..Aumont semble avoir été l'un des chefs de cette école mystique pré-quiétisté, qui cherchait à répandre «l'oraison du coeur, cf. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Bloud et Gay, 1916. t. VII, chap. V, p. 326 et suiv. P.J. van Schaick dans Revue d'histoire de la spiritualité, t. 50 (1974), n''199200, p. 457 et suiv.
166 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 167
EXTRAIT D'UNE LETTRE À UNE RELIGIEUSE
du monastère de Rambervillers
Paris, 1654
Ma très chère Mère,
Pour ce qui est de mes croix, je ne vaux pas la simple application de votre esprit à mes humiliations. J'espère que la Providence me rendra digne d'en avoir de plus grandes. Priez Dieu que je ne l'offense
point. .
Depuis quelque temps, je vois une espèce de béatitude à être rejetée, méprisée, crucifiée et maudite des créatures et me semble que je ne serai jamais parfaitement à Dieu si je ne passe par là. Il plaît à Dieu m'y mettre au regard de plusieurs, mais non pas de tous. Ainsi le bonheur n'est pas accompli. J'avoue qu'il faut une très haute grâce pour le soutenir, mais ma confiance est en la vertu et miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Il sait détruire et soutenir, et si vous entendez dire beaucoup de choses de moi, ne vous en étonnez pas. Pour moi je ne sais comme je suis faite au regard de ces choses ; je suis devenue toute insensible ; il me semble que ma complaisance est au bon plaisir de Dieu. Je trouve ses voies si saintes et si adorables que je ne me puis lasser de les admirer. Mon Dieu, qu'il fait bon nous laisser dans sa sainte main ! O qu'il nous conduira bien et à bon port ! Il me semble que si Dieu nous voulait damner, il y aurait plaisir de l'être de sa main, et par son divin vouloir. Laissons-le faire, tout ira bien et il ménagera notre sanctification au milieu des obstacles que la nature, les créatures et le démon nous dressent. Il me semble que l'âme ne peut plus prendre aucun plaisir sur la terre que dans ce bon plaisir de Dieu ; dès aussitôt qu'on l'envisage, il calme tout, jusqu'au premier mouvement qu'il a la puissance de retenir. Apprenons à nous perdre. Soyons victime en vérité et non en figure. Immolons nos vies, nos intérêts et nos sentiments au bon plaisir de Dieu. Préférons-le à tout et prenons notre complaisance dans le renversement de nos desseins. Je vois que c'est une infidélité à l'âme de désirer quelque chose ; c'est à Jésus Christ de désirer pour elle et de former des desseins sur elle. Je n'oserais plus rien Souhaiter. Il me semble que Notre Seigneur veut que nous demeurions plus en lui qu'en nous et que nous soyons plus agies de son Esprit que du nôtre. Commençons à vivre pour lui dans la pureté de son amour. Donnons-lui cette gloire, que le reste de nos années, qui sont bien courtes, soient purement pour lui sans plus de retour sur nous, non pas même sur notre propre perfection.
Il faut que je vous dise ma juste douleur et dont je suis un peu touchée, ce me semble, c'est de voir qu'en quarante années qu'il y a que je suis
sur la terre, je n'ai jamais vécu un moment pour Jésus Christ, je n'ai vécu que pour moi et pour les créatures. En vérité cela est tout à fait affligeant. O ma chère Mère, j'ai une grande espérance que Notre Seigneur m'en retirera. Je vous conjure de l'en prier pour moi, et qu'après avoir donné à cette oeuvre ce que Dieu veut de moi, je puisse m'en retourner dans notre chère Maison, y commencer et finir ma pénitence. Nous sommes plus à Dieu et pour Dieu qu'à nous, pour nous-mêmes. J'ai la pensée que nos vies sont si brèves qu'il ne faut plus retarder. Il faut marcher bien vite sans plus s'arrêter et je le dis souvent à nos Soeurs, je voudrais que nous tendions toutes au parfait dégagement de toutes les choses créées et à la pure adhérence à Jésus Christ. Hélas ! qu'est-ce de tout le reste ? je ne vois rien dans les créatures qu'amertume, vanité et afflictions d'esprit. Priez Notre Seigneur qu'il m'en fasse sortir, et dites, je vous supplie, à nos chères Mères, que je leur demande encore derechef très humblement pardon et que je les prie d'aller bien vite à Jésus Christ. Je les conjure de ne point retarder, et ce n'est pas sans raison que je leur fais cette instante prière, il y va de leurs intérêts etc...
n" 2483
DE LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]
du monastère de Rambervillers
[en date du 31 mars 1655]
Ma Révérende, toute chère et plus intime Mère,
J'ai fait la lecture de celle que votre charité a pris la peine de m'écrire, avec une joie toute particulière, en y considérant les belles lumières et les belles vérités que Notre Seigneur verse en votre âme. Je crois bien que les vues et les sentiments d'humiliation que Dieu donne font tous les biens du inonde à l'âme ; mais si en suite de cela vous veniez à mettre votre talent dans un mouchoir et l'enterriez, je voudrais bien savoir s'il l'aurait pour agréable. Vous avouez vous-mê-ne que vous concevez des secrets et des merveilles dans les voies et conduites particulières de Dieu sur les âmes, et que le secret des secrets c'est de savoir bien demeurer dans sa voie. Voilà beaucoup dire en peu de mots, et je crois que c'est là tout le noeud de l'affaire, en la voie spirituelle.
Que j'aurais de choses à vous dire là-dessus, car je trouve qu'il n'est pas bien facile à de certaines âmes de connaître leur voie et qu'il faut .bien souvent qu'elles marchent sans savoir si elles avancent ou reculent, si elles gagnent ou si elles perdent, si elles sont en grâce ou en disgrâce, et ce leur serait une grande consolation si, dans leurs plus grandes peines d'esprit elles savaient que c'est là leur voie pour aller à Dieu et que ces mêmes peines nous y condui-
168 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 169
sent. Vous me répondrez qu'elles ne seraient plus peines. Je vous l'avoue : au contraire, ce serait une merveilleuse joie de les souffrir. Je ne sais si j'oserais dire que Notre Seigneur m'a mise dans un exercice, depuis la mi-Carême, qui m'est bien pénible. Je crois qu'il vaut mieux avouer devant lui et les créatures que ce sont mes péchés et mes infidélités. Que je serais en disposition de causer ! Mais il faut finir et vous dire que j'ai bien pensé à ce que vous dites : que le poids d'une nouvelle maison naissante est effroyable ; je le crois certainement. A une âme à qui Dieu en donne la lumière et connaissance, et qu'il lui fait concevoir la grandeur d'une chose qui est dédiée au culte e au service et à l'adoration d'un Dieu, il faudrait des anges, et encore serait-ce peu. Néanmoins il se sert de faibles créatures pour lui rendre des hommages que les plus hauts Séraphins s'en estimeraient indignes ; cela est étonnant. Il faut que je vous avoue qu'en lisant vos sentiments là-dessus, vous me les avez imprimés à mon esprit, et vous m'en avez fait concevoir des choses que peut-être je n'y aurais jamais pensé. Car quand on vient à considérer le haut état où Dieu nous a appelées, nous avons bien sujet de nous humilier, et ces belles vérités viennent de lui, quand nous les avons, et il s'en sert pour disposition et fondement, pour rendre une âme capable d'être en état qu'il s'en puisse servir selon ses desseins. C'est un Dieu qui donne grâce aux sujets qu'il se veut servir; pourvu qu'on n'y muette point d'opposition, encore sait-il bien compâtir à nos infirmités et faiblesses de sa créature. Il connaît bien ce que nous sommes.
Je fus touchée de compassion, en lisant votre lettre, de voir que vous dérobiez à vos yeux le temps que vous preniez pour m'écrire. Je vous prie, ma toute chère Mère, de ne le plus faire, car, comme je vous ai déjà mandé, un mot me suffit. Je sais bien que le temps vous est cher et que vous n'avez que trop d'autres occupations. Quand je vous dis ceci, ce n'est point que je ne désire bien que vous m'écriviez quelquefois, mais sans vous incommoder. Je pense bien écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure, mais je ne saurais cette fois ici, j'en suis bien mortifiée ; ce sera pour la première poste, je la salue de coeur et d'affection. Notre Mère ne manque point de faire prier Dieu pour vous, et qu'il vous donne son Saint Esprit pour la réception de vos filles (1). Nous avons aussi bien affaire de prières, car nous allons avoir la visite devant l'Ascension? Monsieur Caillier nous l'a mandé. Demandez à Notre Seigneur que toutes choses se fassent à sa gloire et pour le salut des âmes.
Toutes nos Mères et Soeurs vous présentent leurs très humbles obéissances. Je salue tout votre noviciat et leur suis à toutes, très humble Soeur, et à vous, ma Révérende Mère, votre très humble obéissante et obligée fille.
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(1) Nous ne trouvons dans le registre des vêtures et professions, à cette date, que la réception de Louise Guisselain. Celle-ci connaissait Mère Mectilde depuis son séjour à Saint-Maur-des-Fossés (1643 - 1646). C'est elle qui avait conduit M. Boudon, qui n'était pas prêtre alors, près de Mère Mectilde C'est pourquoi nous le retrouvons, comme prêtre, à la vêture et à la profession de Soeur Marie du Saint Sacrement Guisselain. Elle avait pris l'habit le 27 mai 1654 et fera profession le 8 mai 1655. Il s'agit ici de sa réception à la7 profession par la Communauté. Elle meurt le ler juin 1660, âgée de 40 ans. (cf. lettre de la Mère Benoîte de la Passion de juin 1660).
A UNE RELIGIEUSE MALADE À L'EXTRÉMITÉ [À RAMBERVILLERSI
[avant mars] 1657
ésus ressuscité soit la force, la grâce et la sanctification de votre
âme, dans l'état de maladie où sa Providence vous tient, laquelle nous rend inconsolable ! Nous n'avons point les yeux essuyés depuis la réception de ces tristes nouvelles.
O ma pauvre Mère, faut-il se résoudre de vous savoir mourante sans vous voir et vous embrasser encore une fois ? Jamais je n'aurais cru que votre mort me fût autant douloureuse et sensible. Mon coeur vous sacrifie sans cesse et mon âme vous donne à Jésus Christ dans un intime désir qu'il vous possède et vous consomme toute en lui. O Dieu ! quelle nouvelle, ma bonne Mère qui se meurt ! C'est me faire mourir que d'entendre que nous faisons une telle perte, et j'en suis si pénétrée et dans une telle crainte que ma lettre ne vous trouve plus en ce monde que je ne sais si je la dois continuer. Je l'écris à tout ha,ard, dans l'espérance et la crainte. Je meurs et je vis tout ensemble, pour porter la douleur de mon grand sacrifice. 11 fallait entendre ces nouvelles, autant inopinément que moins je les attendais, pour faire épreuve de ma véritable affection. En vérité, je la connais à présent, mon coeur est touché, mais sensiblement, et je ne vous saurais rien témoigner que ma douleur et ma peine. N'y a-t-il pas moyen de prendre encore un peu de courage pour achever votre perfection ? Je prie Notre Seigneur vouloir regarder ma tristesse et la perte que je fais en votre chère personne. 0 mon Dieu, je veux et j'adore vos desseins et vos secrets. Je me sacrifie à toute privation et, ce qui m'afflige davantage, c'est que Notre Seigneur me laisse dans une incertitude de votre guérison, et je n'en ai quasi point ou bien peu d'espérance. Cela me fait croire que Dieu me veut faire entrer dans la privation, dans le sacrifice et dans la perte que la Providence me prépare ; car dès que cette chère Mère sera au Ciel, je dois commencer ma carrière dans les croix. Hélas ! qui me retirera de ma captivité, si cela arrive ? ll y faudra mourir. Laissons cela à part, il n'en est pas le temps, je m'abandonne à tout sans réserve.
Ma chère et unique iv1ère, il faut que je vous dise deux mots avec une peine extrême : je ne vous dirai pas que vous vous donniez à Jésus Christ, je sais que votre âme est dans une soumission totale ; seulement je vous dirai : allez à mon Seigneur et mon Maître ; allez donc à Jésus Christ ; allez dans la consommation de son pur et saint amour ; allez posséder votre repos en Dieu ; entrez dans sa divine béatitude ; sortez de la misère à laquelle notre vie nous assujettit ; sortez des créatures pour rentrer dedans Dieu ; n'ayez point de retour sur vous-même ; appliquez tellement à la bonté de Dieu votre âme et .votre esprit que vous reposiez en lui par une amoureuse confiance ; goûtez sa
170 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 171
bonté et sa miséricorde. Je le supplie de vous fortifier de sa grâce et de son amour, de vous prévenir de ses saintes bénédictions, enfin de vous donner une mort toute sainte. Allez, ma bonne Mère, n'ayez point de regret de quitter la terre. Le Ciel est infiniment plus digne. Vous êtes créée pour Dieu et vous devez retourner à Dieu. Rentrez donc dedans votre centre et dans votre bonheur ; ne nous oubliez pas. Priez pour nous lorsque Jésus vous fera la grâce de vous conduire en son Royaume. Priez-le, je vous supplie, qu'il me rende digne de vous y suivre un jour et de prier pour vous efficacement. Soyez certaine que nuit et jour je vous offrirai à Notre Seigneur et ferai sans cesse prier Dieu pour vous. Si je suivais mes sentiments, je ne finirais pas la présente que je ne l'aie remplie de toutes mes pensées ; mais je vois qu'il n'est pas le temps de les continuer. Je finis en vous protestant qu'en la vie et en la mort, je vous serai parfaitement fidèle.
n" 1540 N267
A LA MÈRE DOROTHEE [HEURELLE à Rambervillers
[avril/mai 1657]
Ma toute chère Mère,
'ai reçu celle que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, qui m'a
donné une sensible consolation, me voyant dans votre cher souvenir. Je vous assure, ma très chère Mère, que j'en ai un très grand besoin. Si je considérais le poids que je porte, je serais abîmée de douleur ; mais autant que je puis, je le laisse sur les épaules de Notre Seigneur et tâche de m'anéantir sous ses pieds. Mais c'est avec tant d'infidélité que j'en ai horreur, et je vous supplie d'en demander pardon pour moi, et de réparer les outrages que je fais à sa divine Majesté. Je voudrais bien qu'il lui plût me faire la grâce d'accomplir ses volontés en la manière qu'il veut. Aidez-moi ma très chère Mère, par vos saintes prières, et ne me séparez jamais de la charité que Notre Seigneur a mise en vous pour moi. Je vois et conçois la tendresse de votre bon coeur, mais je prie Jésus Christ mon Sauveur qu'il ne souffre pas que mes péchés me retranchent de cette union que je considère comme un effet de sa miséricorde. sur moi, que je chéris plus que je ne vous puis dire.
Hélas, ma très chère Mère, c'est bien moi qui dois vous demander pardon des peines que je vous ai données, et surtout des mauvaises édifications. Mon Dieu, que votre bonté a été grande de me souffrir, mais ne me la retranchez pas, je vous supplie ! Ayez toujours un peu de soin de mon âme, et plus encore des intérêts de Dieu en moi. Priez-le qu'il vive lui seul, et qu'il détruise tout ce qui lui est contraire, afin qu'il règne, et que celui qui fait votre vie fasse la mienne, et qu'il soit uniquement tout en tout, et vous et moi cachées et abîmées en lui, pour ne nous jamais retrouver en nous-mêmes.
Adieu, ma toute chère Mère, je ne partirai qu'après l'octave (1) s'il ne me vient des nouvelles qui m'obligent de changer de sentiments. Le chaud est si ardent que nous craignons bien de demeurer en chemin. Je sens bien que je deviens vieille, la vigueur se passe. Hélas, si je la consommais pour Dieu, quel bonheur ! Mais la nature ravage tout. J'ai bien de la peine de laisser notre très chère Mère assez mal ici. Elle est plus à son centre avec nous. Je crois qu'elle ne sera pas longtemps sans y retourner. ll faut 'bien prier Notre Seigneur qu'il nous la conserve pour sa gloire. Selon l'humain elle ne le peut faire longtemps, mais Dieu peut tout, il faut nous confier en sa bonté et espérer qu'il aura pitié de son oeuvre. Si je savais me tenir au néant, tout irait bien. Priez Notre Seigneur qu'il me tienne sous ses pieds adorables et que je ne m'en retire jamais.
Je vous prie de saluer très cordialement toutes nos très honorées Mères et chères Soeurs. Je ne vous puis exprimer la tendresse que j'ai pour toutes. J'espère de n'être pas longtemps sans les revoir. Mais comme toutes les choses de la vie sont incertaines, il faut vivre et mourir dans un total abandon, sans cesser d'être en Jésus tout à vous.
n" 746 B505
(1) Le manuscrit Paris 101 p. 712, dit : Au début de 1657, elle se trouva attaquée d'une fluxion de poitrine et d'un mal de côté avec une oppression considérable joints à un engourdissement du bras gauche qui lui ôtait tout mouvement... Les médecins lui ordonnèrent d'aller aux eaux... elle choisit Plombières située en Lorraine... Elle donna à Mère Bernardine, sous-prieure, un pouvoir pour acheter le terrain rue Cassette destiné au futur monastère... et partit en avril... Elle s'arrêta à Nancy... où elle descendit chez les religieuses de la Congrégation. « Elle y avait deux nièces », c'est-à-dire deux cousines de son neveu Claude Gaulthier. La famille Gaulthier a donné un grand nombre de religieuses à la Congrégation Notre-Dame. Celle-ci a été fondée par Alix le Clerc, née le 2 février 1576 à Remiremont (Vosges) et décédée le 9 janvier 1622 à Nancy. La congrégation est née de la prière du Père Fourier dans la nuit du 20 janvier 1598. Le Père Pierre Fourier né à Mirecourt le 30 novembre 1565, réformateur des Chanoines réguliers de Saint-Augustin et curé de Mattaincourt (Vosges), de 1597 à 1640 est enterré dans sa paroisse et son coeur est conservé à Gray où il mourut le 9 décembre 1640 en soignant les pestiférés. cf. Père Rogie Histoire du bienheureux Pierre Fourier Verdun 1887.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME ]
[de Plombières, après son passage à Rambervillers]
le 24 juin 1657
Ma Révérende et ma plus chère Mère,
e viens tout présentement de recevoir votre chère lettre qui m'a
toute redoublé ma douleur. Je vous puis dire et protester, ma plus
172 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 173
intime et chère Mère, que j'ai le coeur plus touché que jamais de votre séparation ; et me semble que je suis si liée à vous que vous faites partie de moi-même, mais d'une façon que je ne puis exprimer. Plût. à Dieu que je sois libre et que je puisse retourner sans aller plus outre ! Vous êtes à mon âme ce que Dieu sait et que je ne puis dire ; prenez courage, ma très chère Mère et priez un peu pour nous. Il est vrai que vous êtes bien crucifiée, et j'espère que je le serai un peu avec vous, et toutes deux dans le silence, sans se plaindre à personne qu'à Dieu seul. Je ne doute point qu'il ne soit votre force, priez-le qu'il soit la mienne. Plus je considère les affaires, plus je vois d'embarras pour moi, et dans l'embarras ma ruine, si Dieu n'a pitié de moi. Car encore que le fond soit adhérent, la trop forte occupation du dehors le distrait, ou du moins l'affaiblit beaucoup. Heureuse l'âme qui possède la solitude !
Je vous supplie, ma très chère Mère, de vous souvenir de la lettre que vous pourrez écrire dans un mois au Père Prieur de Saint-Germain (1), si toutefois Notre Seigneur vous l'inspire. Ne l'écrivez point pour moi, car je serais en scrupule si vous me considériez. Si Dieu veut me remettre avec vous, j'espère qu'il vous donnera le mouvement d'écrire ; n'attendez pas que je sois élue à Paris pour la deuxième fois.
Je vous écrivis hier, pensant vous envoyer un exprès. Mais ma soeur voulant retourner demain, j'ai cru qu'il suffirait qu'elle vous porte mes lettres et qu'elle se console un peu avec vous. Je n'ai rien qui me retienne en France, et cependant je n'ose dire absolument que je reviendrai. Il faut tellement mourir à tous désirs qu'il faut travailler à mon retour sans que je m'y applique. Il me semble que je suis à vous par surcroît, à cause du renouvellement de mes voeux entre vos mains. Je suis plus liée à votre pouvoir et me trouve plus assujettie à ce qu'il vous plaira me commander.
Je vous supplie faire réponse à la ci-jointe et donnez votre lettre à M. Mercier si vous n'avez point d'autre voie, car toutes les semaines il vient à Nancy. Il sera bien aise d'apporter de vos nouvelles et paquets quand vous en aurez. Adressez vos lettres et paquets à Mademoiselle de Vienville (2). A Dieu, ma plus chère Mère, je suis votre pauvre et très indigne fille.
ni' 1595 R17
(I) Dom Bernard Audebert. né à Belloc, (Haute-Vienne), fit profession à Nouaillé le 11 novembre 1620 après avoir été prieur et abbé de plusieurs maisons, il est assistant du père général en 1648, prieur de Saint-Germain-des-Près en 1654 et supérieur général de 1660 à 1672. Il meurt le 29 août 1675. Dom Martène. Histoire de la congrégation de Saint Maur, Ligugé, 1928, t. 1. p. 35 (Arc•hives de la France monastique, vol. 311.
(2) Françoise Lhuillier, nièce de Mère Mectilde avait épousé en 1652, à Cléfcy, canton de Fraize, Claude Gaulthier maître es arts, licencié ès droits, seigneur de Frémifontaine et sieur de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans.
A LA MÈRE DOROTHÉE (HEURELLEI À RAMBERVILLERS
Paris, Saint Alexis, 21 juillet 1657
Ma très chère Mère,
uriez-vous jamais cru que je sois encore sensible pour vous et pour
votre Communauté, si vous ne l'aviez vu de vos propres yeux ? Mon -coeur était touché, et Notre Seigneur, ma chère Mère, voulut que vous soyez convaincue de ma sincère affection, puisque c'est lui-même qui me l'a donnée pour vous et pour nos chères Mères et Sdeurs. J'ai bien de la consolation de vous avoir vue et je l'aurai encore plus grande quand il plaira à Notre Seigneur me retirer avec vous, je crois qu'il m'en fera la grâce si vous lui demandez. La solitude est non seulement précieuse, mais absolument nécessaire pour se rendre à Dieu. J'éprouve ici des conduites de Providence bien obscures, mais en tout et surtout outre la souche, il faut tout passer et se laisser crucifier : nous verrons si la croix nous mènera à la mort.
J'espérais de vos chères lettres par lesquelles vous nous diriez des nouvelles de la joie de vos coeurs, et de la magnificence du Jeudi où le très Saint et très auguste Sacrement vous honora de sa présence. Combien de grâces avez-vous reçues ? Sans doute une infinité. Pour moi, j'estime que vous" recevreztoutes celles que je perds et profane ici, et bien d'autres. Courage, ma très chère Mère, faites hommage et réparation pour nous, rendez à Jésus anéanti ce que mon infidélité. lui ôte. Je prie la sainte Communauté, par vous, de faire le même. Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de la consolation qu'il m'a donnée en ce monde de m'avoir donné les moyens de vous procurer cette sainte bénédiction ; elle est grande et pleine de miséricorde, je crois que chacune en reçoit abondamment. Mandez-nous un peu de vos nouvelles sur ce sujet, mon esprit vous y fait compagnie, quoique très indignement. Adieu en Dieu, je suis en lui toute à vous.
Monsieur de Bernières vous salue. Ecrivez-lui si vous y avez inclination : je lui enverrai vos lettres, au cas qu'il soit de retour. Frère Luc (1), qui est à Rome, vous salue et vous prie de vous souvenir de lui. Si Notre Seigneur le préserve de la peste, qui y est encore bien forte, il m'enverra un corps saint, que le Cardinal Protecteur lui a promis pour nous ; c'est un fidèle ami et qui peut bien servir en ce lieu-là. Dites à notre chère Mère Prieure que si elle veut des indulgences pour les Jeudis de votre Exposition, elle en fasse faire un écrit signé et attesté de l'Ordinaire, c'est-à-dire de Mgr I'Evêque, ou, en son absence, de son Grand Vicaire, et nous écrirons à Rome pour cela. Tout ce que je pourrai faire pour la Maison, je le ferai d'un plus grand coeur que je ne le saurais dire. Notre Seigneur m'a fait faire le voyage que j'ai fait [à Plombières] pour nous rallier toutes et nous unir plus fortement que jamais en lui : qu'il soit béni à jamais !
174 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 175
Adieu, c'est bien en hâte, comme vous pouvez voir par ce griffon. Un million d'humbles et très affectionnés saluts à toutes nos chères Mères et Soeurs, mais sans en oublier aucune, pas même ma soeur Marguerite [Lhuillier] (2) ; je vous prie de lui dire que je prétends toujours lui donner satisfaction. Adieu, en Dieu, je suis en lui toute à vous.
Je prie notre chère compagne de Plombières de nous mander si sa santé continue ; la mienne est assez bonne, mais sitôt que je clocherai, je ferai tant de bruit qu'on me renverra, et pour lors sera bien habile qui me retiendra à Paris.
Ma plus chère Mère. je reçus hier votre chère lettre avec des consolations que je ne vous puis exprimer. Courage, ma chère Mère, vous glorifiez plus le Très Saint Sacrement dans un jour que nous ne ferons toute notre vie : je vous en écrirai mes sentiments avec plus de loisir.
n" 46
(1) Frère Luc de Bray - religieux Cordelier - de l'ordre de Saint François d'Assise, parait avoir été de l'entourage de Jean de Bernières
(2) Cf. Annexe : lettre de Mademoiselle de Vienville.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME
Prieure des religieuses de Rambervillers
le 9ème aoust 1657
Ma Révérende et très chère Mère,
:1> e suis très obligée à votre charité de nous avoir donné de vos chères
nouvelles ; elles me sont si chères que c'est la seule consolation que je reçois en terre. Je vous en remercie et de la peine que vous avez prise d'écrire au R. Père Prieur. Nous tarderons encore un peu de lui donner votre lettre, espérant que la divine Providence ménagera encore un voyage pour moi, et par ce moyen nous ferons notre affaire. J'espère quelques bons effets pour vous faire bâtir, si Notre Seigneur agrée d'y donner bénédiction. Pendant que je suis en ce pays, il faut faire ce que je pourrai pour le service de la maison de Rambervillers. J'en ai un très grand désir et vous puis assurer que je ferai tout mon possible pour cela. Je vous prie, quand vous aurez vu le R.Père Dom Antonin, je vous prie que je sache son sentiment, sans me flatter ni craindre de m'humilier tant soit peu ; autrement je croirais que vous ne m'êtes paS fidèle. La première preuve de la vraie amitié c'est de procurer la perfection de l'âme ; vous m'y pouvez plus aider que vous ne pensez. Ne refusez point à mon âme ce que votre bonté donne aux autres. Vous êtes plus que jamais ma Mère et ma Supérieure, puisque Notre Seigneur m'a fait la grâce de renouveler ma profession entre vos mains. Usez donc sur moi du pouvoir que Dieu et sa sainte Mère vous donnent ; je tâcherai de vous témoigner que je suis votre fille en vérité, quoique j'en sois très indigne.
Parlons maintenant un peu d'affaires. Si vous pouviez trouver voie assurée pour m'envoyer votre calice rompu, je le ferais changer contre un plus beau. J'ai grand regret que je ne le pris pour l'apporter. J'espère vous en envoyer un petit d'argent pour tous les jours, afin que vous rendiez celui de l'hôpital et que vous n'ayez plus rien d'emprunt. J'ai aussi dessein de vous acheter un ornement complet. Mandez-nous s'il vous plait, si ma Mère Gertrude [de Sainte-Anne de Vomécourt] fera bien les dalmatiques ; je tâcherai qu'il soit beau pour les solennités du Très Saint Sacrement ; je crois que votre encensoir est bien vilain.
Je vous prie, ma très chère Mère, d'écrire à Madame la Comtesse de Châteauvieux (1) pour la remercier de la fondation qu'elle a faite chez vous. Elle y a donné 4 mille, et le cinquième vient de nous. Vous ne spécifierez que deux mille livres, que vous avez reçues de sa part, qui font la somme de quatre mille francs. Faites une lettre la plus affectueuse et la plus reconnaissante que vous pourrez, et surtout comme incessamment on prie Dieu pour elle et pour son illustre famille, surtout pour Madame la Duchesse [de la Vieuville] sa fille. Mandez-lui qu'elle ne pouvait faire cette oeuvre en aucun lieu qui fût mieux reçue et secondée de tout le peuple, que si elle pouvait voir les louanges que l'on donne au Très Saint Sacrement, les adorations qu'on lui rend, et les bénédictions qu'on lui souhaite en récompense, qu'elle en aurait une singulière consolation. Mandez-lui que vous remerciez Dieu de la grâce qu'il lui fait de l'avoir choisie pour le faire honorer, que c'est une des plus hautes miséricordes qu'elle peut recevoir en ce monde. Bref vous lui direz tout le plus que vous pourrez. N'oubliez pas de lui dire que vous voulûtes me charger d'un écrit pour lui donner assurance de la reconnaissance que vous lui aurez à jamais, mais que notre Sr du St Sacrement [Mère Mectilde, elle-même] ne voulut pas, qu'elle n'ait su de vous, à son retour, si vous l'auriez agréable, pour des raisons qu'elle ne nous dit pas. Cependant, vous trouvant toutes si parfaitement obligées à sa bonté, que vous croyez qu'elle souffrira du moins par une simple lettre les témoignages de vos coeurs et les humbles reconnaissances dont ils sont tous remplis pour elle devant Notre Seigneur ; que sa modestie et son silence ne voulant pas être connus, ni nommés publi-
(1) Marie de la Guesle, dame de la Chaux fille de Jean de la Guesle, fut mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux. Ils eurent un fils qui mourut jeune et une fille. Françoise Marie de Vienne, qui épouse en 1649 Charles 11 de la Vieuville.
Le comte et la comtesse de Châteauvieux sont considérés à juste titre comme les «fondateurs» de notre institut pour leur générosité et leur dévouement. Après son veuvage, la comtesse se retira au monastère de la rue Cassette où elle meurt le 8 mars 1674, cf. C. de Bar, Documents, 1973.
176 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 177
quement en ce saint oeuvre feront que son nom et sa mémoire seront éternellement dans Dieu etc.
Ma très chère Mère, voilà la substance ; vous l'arrangerez s'il vous plait. Je n'ai pas encore envoyé les étoffes et l'argenterie
des Mères d'Epinal, c'est pourquoi elles ne
no 1516
A LA MÊME
18 aoûst 1657
Ma très chère Mère,
cce mot en hâte est pour vous assurer que j'ai fait tout mon possible pour avoir quelque bonne conclusion touchant l'affaire de ma très chère Soeur d'Arconas (1). Voici un petit mémoire que j'ai fait dresser, qui vous fera connaître les sentiments du Parlement et du Grand Conseil. Ces Messieurs m'ont fait dire de vous avertir que votre utilité serait d'accorder avec Monsieur son frère pour une dot comptant, de moindre prix que vous n'espériez, pour vous tirer d'affaire en sûreté et éviter des procès dont vous ne verrez pas la fin et qui coûteront plus que le bien ne vaut. Voilà ce que je vous puis dire sur ce suiet,; le mémoire vous instruit du reste.
J'ai douleur de voir tant de difficultés, et que cette chère Soeur pourra . être retardée si elle n'agit promptement et que votre charité ne l'assiste. Peut être que Notre Seigneur la veut réduire dans une condition comm.- ne dans la Sainte Religion, lui ôtant les moyens de posséder des titres d'honneur et des privilèges autres que' ceux de la charité, qui exerce toujours ses effets dans une maison bien ordonnée. Notre Seigneur l'ayant mise où elle est, si elle est fidèle rien ne lui manquera. Il vaut bien mieux être une sainte religieuse dans la profonde humilité et dépendance de Jésus Christ, que d'avoir quelque petite liberté en son particulier. Une âme qui se donne à Dieu sans réserve croit que sa sainte et adorable Providence ne lui manquera pas. Nous voyons souvent des miracles en faveur de telles âmes qui abîment leurs intérêts dans l'amour de Dieu.
Je vous assure aussi, ma très chère Mère, que je vous rendrai ce que vous avez déboursé pour nous, tant au R.P. Dom Arnould deux pistoles et demie, celle de Mad. de Bilistain et de M. de Vomecour ; je vous supplie de voir s'il y en a davantage. Je vous écrivis ces jours passés
(1) Reçue en février 1658 au monastère de Rambervillers. Des difficultés se sont élevées au sujet de sa dot au moment de sa profession et le monastère s'est trouvé engagé dans des tractations et des procès pénibles. Elle demeure près de Mère Mectilde à Paris quelque temps. Rentrée à son monastère de profession en 1664, nous la retrouvons comme signataire de plusieurs actes de ce monastère.
assez amplement. Ma prétention ne se borne pas à vous rendre ces quatre pistoles et demie, mais à quelque chose par delà. Si la divine Providence m'assiste, je ferai encore peut-être un voyage pareil à celui que j'ai fait ; c'est assez dire, mais je ne tiens encore rien, qu'en espérance : il faut du temps.
Pour ma retraite, je l'ai toujours fort à coeur, et espère que le temps viendra ou que la mort me retirera. Ma santé est bien ébranlée depuis quatre ou cinq jours ; je reviens comme j'étais et ne puis quasi manger, mais cela n'est encore rien, il n'en faut pas parler. Nous verrons ce que Notre Seigneur fera.
Je vous prie d'assurer derechef Monsieur de Vomecour que je ne manquerai pas à la somme de vingt pistoles, que je lui ai promise pour la confrérie du Saint Sacrement, et quelque chose de plus. Je vous prie de lui dire que s'il m'en veut envoyer un extrait pour Rome, bien dressé en latin, que je le ferai confirmer et y appliquer des indulgences. Faisons tout notre possible pour la gloire de celui que mes infidélités anéantissent encore tous les jours dans mon coeur ; aidez-moi à réparer, je vous en conjure.
Permettez-moi de saluer chèrement toute la communauté et de l' assurer que mon affection est entière. C'est si en hâte que j'écris que je ne fais que brouiller. Je suis, ma plus chère Mère, en Jésus toute à vous.
La bonne Mère Marie (2) se prépare par une petite retraite de quatre ou cinq jours avant que de partir. Que ma chère Mère Dorothée [Heu-relie] ait un peu de part à mon souvenir, s'il vous plaît, puisque je ne puis lui écrire.
n" 95
(2) Pour la tentative de fondation à Saint-Dié, cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.206. Après avoir été demandées par les notables et la population, les religieuses durent se retirer devant l'opposition acharnée du Chapitre de Sainte-Croix ( Arch. des Vosges, Epinal, liasse 40 H.) voir aussi le Journalier de Dom Antoine de Lescale, pour un fréquent échange de correspondance à ce sujet avec la mère Bernardine de la Conception et la mère prieure de Rambervillers.
A LA MÈRE DOROTHÉE I HEURELLE1
Religieuse bénédictine à Rambervillers
[Couvent] du Saint Sacrement 17ème octobre 1657
Qu'elle apparence, ma très chère Mère, de me priver de ce petit mot de satisfaction que je prends en vous écrivant, quoique je sois extrêmement pressée. Je vous suis tant obligée de la bonne réception que vous avez faite à la Mère Marie, que je ne vous en puis assez remercier ; je la reçois comme faite à moi-même, et je n'oublierai jamais votre bonté.
178 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 179
Il est vrai, ma très chère Mère, que nous avons fait consultation pour quitter cette maison, mais l'on ne nous a pas accordé notre demande. L'on me condamne d'y rester tant que les Supérieurs en disposeront ; vous êtes mes Supérieures, je suivrai toujours vos ordres le plus expressément que je pourrai ; je vous assure du moins que c'est ma volonté. Si vous saviez comme je deviens, vous auriez pitié de moi. Je n'entends quasi plus, et comme je suis sourde, je deviens aussi stupide ; vous diriez qu'on parle à une bête ; on voit cela et on ne me laisse pas quitter. Il faudra bien en venir là, si la Providence continue à me laisser devenir bête tout à fait, comme j'en prends le chemin. J'aspire à un petit trou, n'étant plus capable de rien, et ne crois pas pouvoir être totalement à Dieu que lorsqu'il me séparera de tout. Je suis trop faible pour être parmi les créatures, je m'y souille sans cesse etc... Je crois bien, parlant humainement, que l'on aura de la peine à me tirer ; mais si ma surdité augmente, malgré le monde il faudra me laisser aller. J'abandonne le tout à Notre Seigneur : il sait ce qu'il veut faire de nous ; il faut demeurer dans son bon plaisir et attendre ses ordres. Il me semble que par sa grâce je suis toujours prête. J'aspire sans volonté déterminée ; je désire et je meurs à tous désirs. Ma toute chère Mère, c'est une belle et bonne chose de n'avoir plus de choix.
Voici six points que je trouve excellents, voyez s'ils vous agréent : 10 ne tenir à rien ; 2° aimer l'abandon ; 3° souffrir en silence ; 4° vivre sans choix ; 5° épouser la croix ; 6° se conformer en tout au bon plaisir de Dieu. En voilà assez. A Dieu jusqu'à une autre fois. Ecrivez-nous de vos nouvelles et si vous mourez toujours. Priez Dieu que je meure incessamment, afin que lui seul soit notre unique vie. Je suis en lui toute à vous.
Vous avez acheté la grange et vous avez bien fait. Notre Seigneur y pourvoira. Il m'ouvre un moyen de vous aider encore de quelque peu de chose ; je suis ravie quand j'ai jour pour avoir de quoi vous envoyer. Votre Maison et toute la communauté est bien dans mon coeur, je vous l'assure et je ne néglige rien, ce me semble, de mon petit pouvoir.
Un million d'humbles saluts à toutes nos chères Mères et surtout la Mère Placide [Gérard] et la Mère Gertrude de Vomécourt ; je vous plains bien de la guerre (1) ; je vous prie qu'on la tienne renfermée crainte de plus grand mal.
no 2593
(I) Après le traité de Wesphalie, le duc de Lorraine, Charles IV, s'engage dans. les troubles de la Fronde, louvoyant entre les partis, par goût de l'intrigue et dans l'espoir de retrouver une plus grande indépendance pour ses Etats. Jusqu'à sa mort - 18 septembre 1675 - sa politique maladroite et souvent tortueuse engagera ses duchés dans une guerre désastreuse ; cf. Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, Berger-Levrault, Pari . 1925, p. 275 - 280. •
A LA MÊME
Paris, 5 ème février 1658
Ma très chère Mère,
ae petit mot n'est que pour vous assurer de mon souvenir et de mon affection, quoique votre bonté n'en demande point de témoignage par mes lettres, sachant bien le peu de loisir que j'ai et l'impuissance où je suis de posséder cette consolation aussi souvent que je la désirerais. Néanmoins, je prends cette heure après Matines aujourd'hui pour demander de vos nouvelles et si vous avez bien « sauté la souche » [expression locale]. Je. vous assure que partout il y a à sacrifier. Ah, que j'estime heureuse une âme qui n'en néglige aucune occasion ! Nous n'avons rien à faire en ce monde qu'à nous ruiner nous-mêmes. Il faut tout abattre : pour peu qu'il reste en nous de nous-même, il est capable de faire tout périr. Mourons donc incessamment, chacun dedans sa voie et selon la conduite de Dieu sur nous, qui ne tend qu'à nous anéantir. Plus nous tardons de mourir, plus nous retardons la vie, le règne et la consommation de Jésus Christ en nous. Priez-le, très chère Mère, qu'il me fasse la grâce de mourir, au moins un peu, avant que de mourir. La mort est horrible à une âme qui n'a point appris à mourir dans tous les moments de sa vie.
Je ne vous parle que de mort, je crois que c'est qu'on en parle céans. Notre bonne Mère Sous-Prieure étant en alarme à cause que mon cierge s'éteignit en le prenant, le jour de la Purification, elle dit qu'il en arriva autant à feu le R. Père Chrysostôme (1) et que je mourrai cette année. Elle en pleure tout de bon, mais je ne fais point cas de ce pronostic : nos jours sont dans la main du Seigneur. Quand il lui plaira, il faudra partir. Si c'est cette année, à la bonne heure, pourvu que Notre Seigneur nous trouve comme il veut que nous soyons. Je ne regrette point la vie, elle est pour moi trop misérable et trop remplie de péchés. Si la divine Providence voulait que j'allasse mourir avec vous, je crois que j'en aurais beaucoup de satisfaction. Néanmoins Notre Seigneur est le Maître, il fera tout ce qu'il lui plaira ; on peut parvenir au Ciel de tous les endroits de la terre. Mais si je ne meurs avant que de mourir, tout ira mal à ma mort.
Je continue dans le dessein de vous envoyer notre bonne Mère Sous-Prieure pour achever de la guérir à Plombières. Elle répugne à cela, mais il faut faire tout ce que l'on pourra pour la conserver.
Nous allons entrer dans les grands embarras des bâtiments. Nous
(1) Jean Chrysostôme de Saint-Lô, pénitent du Tiers Ordre de saint François, né à Saint-Frémont, diocèse de Bayeux. Durant son séjour au couvent de Saint-Lô, il connait sai d Jean Eudes, Jean de Bernières et leurs amis. Il meurt le 26 mars 1646 au couvent de Nazareth, à Paris, alors qu'il était provincial de la province de France. cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.68.
180 CATHERINE 1)I BAR 1.I-TIRES INÉDITES 181
commencerons dans trois semaines ou un mois. Redouble/ pour nous VOS saintes prières : c'est la ruine ordinaire des âmes mal fondées en vertu. J'ai bien envie de ne m'y point trop fourrer, mais je crains de me trahir moi-même. La charge donne bien des occupations. J'ai écrit à notre Révérende Mère Prieure, je crois qu'elle vous en dira le sujet. Ne faites rien à ma considération, laissez crier mon âme, faites ce que Dieu veut. Je ne vous en dis point davantage.
Je suis très aise de la réception de notre chère Soeur de Saint-Prosper
d'Arconas], je vous en remercie. J'espère que cette bonne fille se perfectionnera. Je vous recommande la pauvre Soeur de Saint-Alexis ; je voudrais qu'elle fût professe avant que de mourir. Je ne crois pas qu'elle vive longtemps de la manière qu'elle est faite.
Je vous supplie de saluer pour moi toute la Communauté. Je voudrais bien pouvoir écrire à toutes mais le temps me manque, je tâcherai petit à petit. Je suis bien en peine de la chère Mère Placide (2) qui s'est blessée : mandez-nous, je vous prie, de sa santé.
Nous avons eu tant de malades depuis Noël que je me suis quasi vile seule à Matines. La bonne Mère Madeleine est toute indisposée et doute fort si elle ira loin sans tomber tout à fait. Je voudrais bien qu'elle fût à Rambervillers pour sa consolation. Nous aspirons toutes à retourner, du moins notre Mère Sous-Prieure, la Mère de Sainte Madeleine, ma Soeur de Jésus [Chopinel] et moi, nous sommes toujours prêtes à partir et l'on s'en étonne. Les Pères (3) qui nous gouvernent ne peuvent assez admirer notre dégagement et que nous ne nous appropriions point cette maison. Cela les surprend, et ils disent que nous ne sommes pas comme les autres. Certainement il me semble que je n'y tiens à rien et que je n'ai plus rien à espérer en ce monde. Je suis vieille, je commence à regarder la terre comme pour le partage de mon corps. Je voudrais bien rendre mon âme à Jésus Christ ; priez-le qu'il la possède sans réserve.
Je suis en lui toute à vous très cordialement, ma très chère Mère, votre pauvre Soeur et servante
Sr Mectilde du St St.
J'oubliais de vous dire que nous faisons vendredi prochain, 8e de février, la fête du très saint Coeur de la Mère de Dieu (4). Nous avons grande joie de solenniser cette fête ; j'en espère, quoiqu'indigne, quelque bénédiction. Samedi, ma Soeur Marthe (5) fera profession avec ma Soeur de l'Enfant Jésus.
no 156
(2) Mère Placide Gérard. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51.
(3) de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont dépendait notre monastère de la rue Cassette.
(4) Fête instituée par saint Jean Eudes. Notre Institut fut parmi les premières maisons religieuses a inscrire cet office dans son ordo. cf. R.P. Emile Georges, Saint Jean Eudes,Lethielleux, Paris, 1936, p. 252 - 259.
(5) Marguerite Foin dont il est parlé au Journal de Toul note 7.
Soeur de l'Enfant-Jésus (Marie Zocoly) reçut l'habit en janvier 1657, lors d'une cérémome présidée par son oncle le P. Zocoly. Elle fit profession le 9 février 1658 et, en 1684, elle est sous-prieure. Elle fait encore partie des listes de moniales en 1705, mais y figure en tête comme la plus ancienne. Ses parents généreux bienfaiteurs du monastère, ont été inhumés dans l'église. Sa dot a servi à payer une part importante des travaux de l'architecte Jittard pour la construction du monastère de la rue Cassette.
A UNE NOVICE
du monastère de Rambervillers
Sème février 1658
Ma très chère Soeur (1),
U'e prie Notre Seigneur Jésus Christ vous cacher toute en lui dans son divin Sacrement. 11 n'y a pas d'apparence de vous savoir si étroitement liée à la Croix de Notre Seigneur sans vous témoigner la part que j'y veux prendre avec vous, puisqu'il a voulu se servir de nous pour vous donner quelques moyens extérieurs d'être immolée à sa grandeur dans la sainte Religion. J'ai intérêt que Notre Seigneur soit satisfait de l'hostie que je lui ai présentée. Donc, ma très chère Soeur, j'ai quelque droit de vous prier de lui être fidèle, en l'état où son amoureuse Providence vous tient, vous assurant qu'il n'y a rien de meilleur en ce monde que les souffrances, et qu'une âme qui marche par cette voie fait plus de chemin dans un jour, étant fidèle, que l'on ne ferait en plusieurs années dans une autre conduite.
Dieu, qui est notre diN;in Père, ne nous donne que ce qui nous est non seulement utile mais absolument nécessaire. Par la croix, notre amour-propre et les inclinations naturelles sont crucifiées. L'infirmité nous rend abjecte et petite aux yeux du monde. Nous devenons souvent des néants et des objets de rebuts, et c'est ce que nous devons aimer pour nous vider des créatures, nous retirer d'elles, se retirant elles-,mêmes de nous. Nécessairement il faut souffrir, soit au dedans, soit au dehors, et pour moi je tremble quand je vois une âme qui ne souffre point Il me semble qu'elle est ensevelie dans la nature et l'amour-propre, et qu'elle est bien loin de la pure mortification, qui nous sépare jusqu'au plus petit point de ce qui déplaît à Dieu, dans l'intime de notre âme.
Ma chère Soeur, aimez votre croix, baisez-la avec amour et respect. Unissez-vous à votre adorable Seigneur que vous trouvez attaché en icelle. Jamais Jésus Christ n'a été sans sa croix. Il l'a toujours contemplée, il l'a toujours aimée, et dès le moment de son adorable incarnation, il a été crucifié. Ne serez-vous pas bien heureuse si vous...
...pouvez, avant que de mourir, avoir un peu de rapport avec lui. Vous
n'avez que lui seul à complaire ; le monde et les créatures ne vous doivent plus rien être. Jésus tout seul vous doit suffire. Je le prie de vous' animer de sa force divine pour souffrir saintement. Qu'il soit triomphant de tout vous-même et que son amour fasse votre consommation ! Je suis en lui, ma très chère Soeur, votre très affectionnée.
n° 1319 L14 et B505. L14 s'arrête à : heureuse si vous ... La suite est copiée sur le B505.
(1) La date et le texte de cette lettre font penser que la novice est soeur Benoite de Saint-Prosper d'Arconas dont il est parlé à la lettre du 18 août 1657.
182 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 183
DE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME]
Toussaint 1658
J'ai une ,joie particulière d'apprendre la charité que vous exercez envers les âmes du Purgatoire. Et je ne puis m'empêcher de vous dire que, quelques jours avant la Toussaint, je fis un songe qui me toucha beaucoup à mon réveil. Je vis donc un grand nombre d'âmes de nia connaissance qui étaient dans les flamines purifiantes depuis longtemps, qui étaient douloureusement affligées et pleuraient amèrement. Comme je les compatissais, elles me témoignèrent avoir reçu bien du soulagement de votre maison de Paris, et qu'elles y allaient en diligence pour vous rendre un service considérable, parce que votre nouveau bâtiment menaçait une ruine prochaine, et qu'elles y interviendraient avec bien de l'ardeur ; en vérité, ces âmes sont remplies de charité ! Elles me firent aussi connaître qu'elles avaient une obligation particulière à la Mère Bernardine de la Conception, votre sous-prieure : mais cependant qu'elles étaient dans une pauvreté très grande, etc...
extraits du Ms P101 cf. Catherine de Bar », Documents, 1973, p. 171 qui rapporte exactement les faits.
dit l'Ecriture : Beati mortui qui in Domino moriuntur (2). 0 ma très chère Mère, en puissions-nous dire autant les unes des autres ! Mourons incessamment, mourons toujours, car, dès que nous cessons de mourir, nous cessons de vivre. Je voudrais vous dire en secret qu'on me veut persuader que je n'ai que cette année à vivre. Gardez-vous de dire ceci à notre Révérende Mère Prieure. La très sainte volonté de mon Dieu soit faite ! Je ne tiens plus à rien qu'à la corruption de moi-même qui est effroyable. Priez Dieu qu'il la consomme et que je meure avant que de mourir, c'est mon désir plus que jamais. Je suis fort excitée à cela et, à tout perdre, il me semble que tout s'abîme à tout moment et que je ne dois plus rien avoir que la mort intérieure à laquelle je dois une grande fidélité.
n" 146 B505
(2) Apoc. 14, 13.
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
Prieure de Rambervillers
A LA MÈRE DOROTHÉE [HEU RELLE]
de Rambervillers
Paris, mai 1659
Ma très chère Mère,
e petit mot est en hâte pour vous dire une nouvelle qui vous sur-
prendra sans doute, puisque c'est pour vous dire que Notre Seigneur a tiré M. de Bernières, notre cher frère, dans son sein divin, pour le faire jouir d'un repos éternel, samedi dernier, 3 mai. Après avoir soupé, sans être aucunement malade, il s'entretint à son accoutumée avec ces Messieurs, et après, s'étant retiré et fait ses prières pour aller coucher, il s'en est allé dormir au Seigneur (1), de sorte que sa maladie et sa mort n'ont pas duré le temps d'un demi quart d'heure. Voilà comme Notre Seigneur l'a anéanti. J'en suis touchée en joie et en douleur, mais la joie l'emporte de beaucoup, d'autant que je le vois réabîmé dans son centre divin où il a tant respiré durant sa vie.
Que faisons-nous sur la terre, sinon de soupirer après Jésus Christ pour être réunies à lui ? Nous sommes sorties de Dieu et nous y devons retourner ; hors de là l'âme n'a point de repos et n'en pourra jamais trouver. Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout, et nous pouvons dire de lui ce que 31 août 1659
Ma très Révérende Mère,
1 me semble qu'il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que j'en
souffre un peu de peine, car mon plus grand bonheur en ce monde est de me trouver dans votre sainte union au Coeur de Jésus douloureux en croix, et anéanti dàns le Très Saint Sacrement. Monsieur [Bertot] (1) a dessein de vous aller voir l'année prochaine, il m'a promis que si Dieu lui donne la vie il ira. Il voudrait qu'en ce temps là, la divine Providence m'y fit faire un voyage afin d'y venir avec vous
Hélas, je ne serais assez heureuse ; ma croix n'est pas encore finie; il faut que je l'embrasse, et peut être faudra-t-il que j'y meure. Je dois être hostie de Jésus Christ, qu'il me consomme selon la complaisance de son amour. Ce me serait trop de grâces de posséder la solitude, que je désire et que j'ai toujours fort à coeur, ne voyant point de véritable moyen de posséder plus intimement Dieu que dans cette retraite, mais mes péchés s'y opposent et Notre Seigneur fait justice de me la dénier. Néanmoins ma fin approche, et je meurs de n'être pas à lui comme je dois. C'est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d'être un moment privée de la vie de Jésus Christ : je veux dire, qu'il
(1) lire : il s'est endormi dans le Seigneur.
(1) Monsieur Bertot, ainsi que le dit la lettre de mère Benoite de la Passion, du 22 janvier 1660. Né à Caen, le 29 juillet 1622. il mourut à Paris (abbaye de Montmartre) le 28 avril 1681. (Renseignement fourni par le Rd P. Charles Berthelot du Chesnay).
184 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 185
soit privé de sa vie en nous ; c'est ce que je fais tous les jours, en mille
manières. J'en suis en une profonde douleur et c'est pour cela que je gémis, et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières. Au nom de Jésus en croix et sacrifié sur l'autel, faites pour moi quelques prières extraordinaires, par des communions et applications à bieu dans votre intérieur. J'en ai un besoin si grand que je me sens périr, ma très chère Mère; soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que, si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal, il m'a dit de vous presser de prier Dieu pour moi ardemment et s'il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi con-
fidemment. Voici un coup important pour moi, et qui fait dire à ce
bon Monsieur que je suis dans mon dernier temps. Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le Coeur de Jésus Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus Christ. Oh ! que je vous dirais de choses si je pouvais ! Je prie Dieu qu'il vous les fasse connaître...
...Je vous avoue que j'admire quelquefois comment je le puis soutenir, mais je vois que c'est la force divine de Jésus Christ qui fait et souffre
tout. 11 faut une patience étrange dans ces conduites. Je vous conjure de brûler la présente après que vous l'aurez lue ; vous en savez l'importance. Quand il plaît à Notre Seigneur me laisser seulement approcher de l'ombre de la croix, hélas ! je suis à demi-morte, mais il la suspend au-dessus de moi et la soutient par sa vertu divine. Cependant je ne me saurais plaindre ; aussi n'ai-je pas le mot à dire. Je demeure comme abîmée aux pieds de Notre Seigneur, le laissant faire ma ruine, ma destruction et ma consommation comme il lui plaît. Quelques servantes
de Dieu ont eu des pensées de l'état où Dieu me tient, entre autres la bonne Mère Marguerite du Saint Sacrement (2), qui me manda, lorsque j'étais fort malade, que je n'en mourrais point et que celui qui faisait le mal ferait lui-même la guérison. Cela arriva de la sorte, car ayant tous les jours la fièvre, avec des redoublements de frisson, un samedi, avant l'Immaculée Conception de Notre-Dame, l'on m'enleva mon mal tout d'un coup et je ne sais où on l'a mis ; il est à quartier [en rémission] pour revenir quand il plaira au Souverain Maître lui commander de revenir. Nous demeurons ainsi mourante sans mourir souffrante sans souffrir, car en vérité je ne puis dire que je souffre. • Tout ce qui était plus fort à soutenir, c'est une effroyable destruction qui se fait au fond de l'âme ; tout y meurt et tout y est perdu ; je ne
(2) Fille de Mademoiselle Acarie, née à Paris le 6 mars 1590. Elle est reçue au Carmel en 1605 et fait profession entre les mains de la Vénérable Anne de Saint-Barthélemy le 18 mars 1607. Sous-prieure à Tours en 1615, puis prieure. On l'envoie à Bordeaux en 1620, à Saintes en 1622. Elle est élue prieure du couvent de la rue Chapon à Paris en juillet 1624, en 1628, de nouveau en 1650 et en 1654. Elle est déchargée de toutes charges le 15 avril 1657 et meurt le 24 mai 1660, ayant fait l'édification de ses soeurs et d'un nombre considérable de personnes. (Archives de nos monastères. Le manuscrit P. 108 rapporte une partie de la lettre écrite par la mère Marguerite du Saint-Sacrement à l'occasion de cette maladie).
sais où je suis, ce que je suis, ce que je veux, ce que je ne veux pas, si je suis morte ou vivante, cela ne se peut dire . Priez Dieu qu'il me fasse sortir du péché ; je suis horrible devant ses yeux divins.
A Dieu, ma bonne et toute chère Mère, en voilà bien plus que je n'espérais pouvoir vous dire, car je suis si fermée et si obscure et ense-
velie que je n'ai pas le mot à dire. Priez bien Dieu pour cette Maison ;
demandez bien à Notre Seigneur qu'il y règne lui seul et que tout y soit anéanti. Si vous jugez à propos de dire quelque petite chose à la bonne Mère Dorothée, de ce que je vous mande qui me regarde, pour sa satisfaction et lui témoigner toujours un peu de souvenir et de confiance, parce que je ne lui peux écrire comme je voudrais ; je n'ai quasi pas le temps de respirer ; je lui écrirai quand je .pourrai et à ma chère Soeur d'Arconas. Je suis ravie qu'elle soit bonne religieuse. Je me recommande à toute la Communauté. A Dieu, ma très chère Mère, je suis en Jésus votre pauvre et indigne fille.
ri. 570 et n° 1685. Le Ms L 14 rattache cette lettre à la précédente. D'autres manuscrits en font une autre lettre dont le début manque (brûlé peut-être) et qui est datée du 15 septembre 1659.
A LA MÈRE DOROTHÉE [IEURELLE] Sous Prieure de Rambervillers
Paris 3ème septembre 1659
Ma très chère Mère,
yous avez bien juste raison de ne m'écrire plus, étant si paresseuse à vous faire réponse, et Dieu fera justice quand il vous mettra dans l'impuissance de me pouvoir écrire. Je tâcherai de l'adorer toujours dans ses conduites, même les plus rigoureuses. Il est Dieu, c'est tout dire, et moi ie suis une ingrate et une infidèle à sa grâce. Priez-le qu'il me retire de cette vie, car je lui suis si contraire que, si je vis encore quelque temps, je crains bien de lui déplaire et l'offenser.
Il ne faut point vous étonner de votre silence ; je vois des âmes, au milieu des serviteurs de Dieu, sans qu'elles se puissent ouvrir ni prendre aucune consolation. Il faut quelquefois porter ces états de silence et même d'impuissance à parler. Cette vue de Dieu est un effet assuré de sa sainte présence. Vous n'avez qu'à remarquer quelle est votre fidélité, comme vous vous trouvez et quelle est votre mort au dedans et au dehors. Voilà la pierre de touche. Faites, si vous pouvez, cette petite remarque sans gêner votre esprit. Il ne faut que s'observer fort doucement et quasi sans y faire d'application. Voyez si la contradiction ne vous émeut point, si le calme demeure en vous au milieu des bourras-
186 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 187
ques. Cette présence de Dieu est ainsi que vous la dites, je la comprends fort bien. Ne vous étonnez pas qu'elle soit si peu sensible, mais soyez plus fidèle que vous pouvez à vous tourner vers lui. Je vous enverrai pour votre divertissement un petit brouillon de la messe mystique qui se célèbre dans l'intime de l'âme (1). Si Notre Seigneur me donnait'grâce et lumière je l'étendrais .un peu plus et la rendrais fort intelligible et très suave, car tous les jours et à tous moments nous la pouvons célébrer. Mais je voudrais dire quelque chose de plus, si Dieu le voulait, qui serait comme Jésus Christ est. immolé incessamment en nous, et comme il y continue son sacrifice et nous sacrifie avec lui, vous le savez mieux que moi. Mais il se faut un peu divertir quand Dieu en donne la liberté et ça a été mon divertissement de l'écrire. Mais je n'ai point de temps, et n'ai pas capacité de rien faire.
Il y a près de six mois qu'on me tient dans les remèdes pour cette grande toux qui m'est revenue avec la fièvre. Je suis bien mieux maintenant ; il y a trois jours que je ne l'ai point eue. Je suis au lait d'ânesse, j'ai pris les bains, j'ai bû les eaux, j'ai fait tout ce qu'on a voulu sans aucune résistance. Jamais je n'ai été si soumise que je suis, et c'est ce qui a mis l'alarme parmi nos Mères disant que c'était une marque de mort puisque j'étais si amortie dans mes sens et mon raisonnement. Je n'avais pas le mot à dire ; j'étais tuée de corps et d'esprit ; on ne m'entendait plus parler tant j'étais affaiblie (2). Enfin je suis dans l'incertain et plus encore pour l'année prochaine. Croyez, ma très chère Mère, que la mort ne m'est douloureuse qu'à cause que Jésus Christ n'a point vécu en moi, et que c'est une chose effroyable d'avoir empêché sa vie divine de s'établir en .moi. Oh ! quel enfer dans une âme quand Jésus Christ n'y vit point !
11 faut finir. Adieu, je vous conjure de saluer et embrasser pour moi toutes nos chères Mères et Soeurs, et leur faites mes excuses que je ne leur écris point. Notre Révérende Mère Prieure (3) vous dira comme il faut que je souffre encore un trienne (4) ici, croyez qu'il se faut bien sacrifier.
Ma Soeur de Jésus [Chopinel] est malade de son mal ordinaire, mais bien plus fort et plus fréquemment, n'ayant point de relâche. Elle me
(I) Allusion aux thèmes familiers de Mère Mectilde et qu'elle développera au cours de sa retraite de 1662. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 128 - 154 et le Véritable Esprit des Filles du Saint Sacrement.
(2) Le 23 septembre suivant 'Mère Mectilde écrit à Mademoiselle Loyseau «Je ne puis douter que les saintes messes que vous m'avez fait la grâce de faire dire à Notre-Dame de Chartres ne m'aient entièrement guérie, car je puis vous assurer que tout d'un coup je me suis bien portée et que la fièvre n'est point revenue... ce n'est pas dès aujourd'hui que je vous suis obligée, tant pour mon particulier que pour toute la maison... Nous sommes dans un siècle où la sincère affection est très rare». (Lettre n' 1105).
(3) Mère Bernardine de la Conception Gromaire était sous-prieure du monastère de Paris, mais comme elle avait été prieure de Rambervillers, Mère Mectilde lui garde souvent ce titre par une amicale déférence, surtout avec ses correspondantes de Rambervillers.
(4) Mère Mectilde doit avoir été élue pour un second mandat de trois ans en juillet 1659. Elle espérait pouvoir retourner ensuite en son monastère de profession, comme simple religieuse.
fait si grande pitié que je .ne puis m'empêcher de fondre en larmes très souvent. II faut bénir Dieu de tout. Cette maison est une maison de croix, et je ne m'en étonne pas, étant dévouée, par hommage et réparation, au Très Saint Sacrement; il faut se résoudre d'y être foudroyée. Quelques serviteurs de Dieu nous prédisent de furieuses souffrances : il les faut adorer dans la volonté et complaisance de Jésus Christ. Je suis en lui toute à vous.
Sr du St Sacrement
Je vous prie de faire part de ma santé à la Mère de la Nativité, qui a la bonté d'en être en peine. Dites je vous prie à ma Sr d'Arconas que je ne l'oublie point. Je lui écrirai quand je pourrai et surtout recommandez-moi bien à nos chères Soeurs converses.
n" 3007
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
ce 15ème septembre 1659
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et ma très chère Mère,
Pse devrais commencer ma lettre par vous faire des excuses de mon long silence et d'avoir tant différé à vous rendre ce que je vous dois. Mais vous ne voulez point que je consomme les moments que la Providence de Dieu me donne à vous dire ce que votre bonté sait déjà et à vous demander ce que votre charité me donne. Je vous écris, ma toute chère Mère, sans autre liberté intérieure que celle que le néant me donne, et je me sens si indigne de vous occuper un moment, nonobstant les besoins où je me trouve, que si je suivais mon sentiment, je serais dans un silence perpétuel, même avec les serviteurs de Dieu, ne trouvant rien à dire dans l'abîme où je suis descendue et dans lequel je trouve la paix, la tranquillité et la joie au-dessus de moi-même. Je suis devenue bien plus petite que je n'étais, mais pourtant encore très éloignée de ce que je dois être et que Notre Seigneur veut de moi. Je n'ai plus rien à désirer. Je n'ai, ce me semble, plus de capacité de parler et cependant je ne sais où je suis, mais DIEU EST, et Jésus Christ, [lui] qui est ma vie, ou qui la doit être en vérité, et hors duquel il n'y a point de vie, mais mort éternelle. Vous l'expérimentez mieux que moi qui suis toujours plongée dans les embarras des créatures, qui ne sont guère convenables à la disposition que je porte qui en demanderait l'éloignement entier. Je trouve néanmoins que Notre Seigneur me soutient dans ce tracas continuel ; mais ce n'est pas sans sacri-
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fice et je vois tous les jours que la solitude est un moyen excellent pour jouir de Dieu et pour recevoir ses opérations miséricordieuses. Et cependant il en faut souffrir la privation et me tenir abandonnée jusqu'au moment qu'il lui plaira de me donner la liberté de me retirer.
Il faut un peu vous demander de vos chères nouvelles. Ma Soeur de Jésus [Chopinel] me fait la charité de m'en dire quelquefois ; elle sait que je n'ai point de plus grande consolation en ce monde. Je l'ai souvent priée de vous dire quelques petits mots pour moi, me confiant en la bonté de Notre Seigneur que ce qu'il vous a mis dans le coeur pour moi continue d'y être toujours, nonobstant mes indignités. Je vous supplie, ne m'abandonnez pas. Je vous demande par grâce une neuvaine à l'âme sainte de Jésus et à son très adorable Coeur, pour honorer toutes les douleurs intérieures et secrètes, et qui sont encore inconnues. dont il a été navré et cruellement blessé en sa douloureuse passion et qu'il continue d'être dans le Très Saint Sacrement de l'autel, quoiqu'il ne soit plus passible ni mortel. Je vous supplie de me faire cette aumône pour les adorer pour moi et y avoir la part que son amour et sa miséricorde m'y veut donner, quoiqu'infiniment indigne. Je ne vous mande point de nouvelles : notre chère Mère Sous-Prieure s'en acquitte pour moi. Priez Dieu qu'il nous la conserve, elle n'est point bien, et ne veut pas souffrir qu'on la soulage. Je ne crois pas qu'elle vive encore longtemps ; je ferais une perte irréparable, mais tout est à Dieu ; il faut être privée et séparée de tout. Trois choses font goûter Dieu divinement à l'âme, savoir : l'abjection, la mort des créatures et la croix cuisante, c'est-à-dire pénétrante ; avec ces trois choses on entre parfaitement et pleinement en Jésus Christ.
Je connais à fond Mr Desmarets ; nous le voyons souvent ; il est en croix de la bonne manière. Les intérêts de Dieu et de l'Eglise le touchent puissamment ; il vous écrivit il y a quelques jours, et comme je prétendais vous écrire aussi, je retins sa lettre potir la joindre à celle-ci.
Je ne sais si vous savez que, la bonne Soeur Anne Marie est à Paris depuis plus d'un mois. Notre bonne Mère Sous-Prieure n'en sait encore rien. Cette pauvre fille fera des discours qui nous causeront un peu de peine, mais il faut tout recevoir dans l'ordre de Dieu ; s'il l'a choisie pour cela, il le faut souffrir comme il veut. Priez pour elle, je vous en suppl ie, et me recommandez aux saintes prières de toute la Communauté, vous suppliant me permettre de la saluer et d'embrasser toutes nos chères Mères et Soeurs en esprit. Je voudrais bien leur pouvoir rendre mes devoirs à chacune en particulier, mais...
ni' 969
DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
Rambervillers, 22 janvier 1660
Ma Révérende et très chère Mère,
Ces mots sont pour vous congratuler de la joie que vous aurez de voir bientôt notre chère Mère Bernardine de la Conception [Gromaire] laquelle nous avons quittée avec une extrême douleur. S'il me restait encore des désirs en ce monde, j'aurais bien souhaité qu'elle demeurât en notre pauvre maison ; il faut soumettre nos volontés à celle de notre Bon Dieu, qui, vous a donné cette bonne Mère pour vous aider à soutenir le fardeau dont la divine Providence vous a chargée. Lorsqu'elle était ici, sa présence me consolait beaucoup et il me semblait que j'étais déchargée de mon fardeau. L'amour et le respect que Dieu m'a donnés pour elle, dès mon entrée en religion s'augmentant toujours, et nonobstant que je sois séparée de sa chère personne, si est ce qu'il me semble que je suis toujours avec elle en Notre Seigneur. Je n'ai que faire de vous raconter la cordiale amitié que cette chère Mère a pour votre personne, vous le savez mieux que moi : je fais d'autant plus d'estime de l'amitié qu'elle a pour vous que je sais qu'elle vient de Dieu. Je trouve une grâce en elle qui est excellente pour son salut, qui est qu'elle est honorée et chérie de tout le monde ; si est qu'elle n'y fait point de fonds. Je prie Notre Seigneur qu'il lui augmente ses grâces et qu'il nous la conserve.
Enfin, ma très chère Mère, ma Soeur de Jésus [Chopinel] s'en retourne avec notre chère Mère. Après que nous avons bien sérieusement considéré toutes choses, nous avons conclu de suivre les sentiments de Mère de Sainte-Marie. Je l'abandonne de nouveau sous la protection de la très Sainte Mère de Dieu comme l'objet de ses miséricordes. Elle ne m'a su exprimer les bontés très grandes que vous avez pour elle ; les sentiments de l'intime reconnaissance que j'en ai me causent plutôt le silence que de pouvoir vous en remercier, d'autant que tous les remerciements ne sont rien. C'est pourquoi je suis infiniment obligée de prier Notre Seigneur et sa très pure Mère qu'ils soient votre éternelle récompense ! Il faut que je vous dise, ma très chère Mère, que la liaison que mon âine a avec la vôtre va toujours croissant devant Dieu d'une manière que je ne peux vous dire et que Dieu seul connaît. Dimanche dernier après [a sainte Communion, une personne a eu connaissance, ou plutôt impression, de ce qui s'est passé en vous pendant votre incommodité dernière, avec plusieurs circonstances ; et comme cette personne était obligée d'anéantir toutes les connaissances pour écouter son âme en Dieu, nonobstant, elle eut impression que tout ce qui s'était passé en vous était une singulière grâce de notre Bon Dieu, et que vous en ressentiriez les effets partkuliers en votre âme. Le jour de Saint Antoine, après la sainte Communion, recommandant une personne à la divine Majesté, je vis, par impression dans un moment que cette personne était écrite dans le livre de vie, qui n'est autre que le cœur de Marie, et que le doigt délicat de Dieu l'y avait écrit tout au long, en feu et en sang : le feu signifie le pur amour dont il a touché le fond de cette âme, lequel lui est imperceptible ; le sang est son état crucifiant ; je laisse à part une multitude de secrets qui sont en ce. mystère, que j'ai voulu anéantir à mon propre esprit, abîmant toutes ces impressions et connaissances en Jésus Christ, source de toutes lumières. Je ne croyais pas vous en tant dire.
190 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 191
Je suis en peine d'une lettre que j'ai donnée à notre chère Mère, lorsqu'elle était ici, pour vous envoyer ; c'était pour Monsieur Bertot. Je la lui donnai ouverte, ce me serait une satisfaction de savoir si vous l'avez reçue. Notre chère Mère nous a dit que ledit Monsieur voulait avoir la bonté de nous venir voir a Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de m'obtenir ce bien là, car il me semble que j'ai grande nécessité de personnes pour mon âMe. Je voudrais bien que Dieu vous donnât la pensée d'en avoir soin en sa présence, soyez assurée, ma très chère Mère, que je chéris infiniment la vôtre, en Jésus Christ et sa très pure Mère. Je vous suis sans réserve très humble, très obéissante et très obligée servante.
Toutes nos religieuses vous présentent leurs très humbles saluts, particulièrement nia Soeur Marie ; j'en aurai tout le soin qu'il me sera possible. Je salue très humblement .votre sainte communauté, particulièrement la Mère Made-laine : j'avais grande envie de lui écrire, mais je n'ai pas eu le temps. Ce sera pour une autre fois.
Ms : T9
DE LA MÊME
qui se font en la terre. Pour conclusion, cette âme devait être encore quelque temps dans cet état béatifique, adorant le Très Saint Sacrement avant que de voir Dieu, et Dieu prend ses complaisances dans les regards des adoratrices qui se sont rendues à sa Majesté divine au Très Saint Sacrement dans ce monastère.
• Je vis ensuite cette âme montant les degrés pour aller voir son Dieu dans sa béatitude. Elle fut arrêtée dans le degré que je viens de dire pour quelque temps, qui était un lieu de splendeur et de beauté béatifique, lequel peut être hors de la vision immédiate de Dieu. Sur le sujet de cette chère Soeur dry Saint Sacrement, deux autres personnes rapportantes à celle-ci, et un autre serviteur de Dieu (2), considérable et bien connu pour véritable, m'assura de sa propre bouche qu'il avait vu cette chère Sœur dans l'état de repos et de contentement susdits, et ensuite qu'il lui avait été montré la complaisance que Dieu prenait aux hommages què l'on rendait à sa divine Majesté dans le Très Saint Sacrement en cette maison. Il me dit plus, mais je ne sais si je les dois .dire, qu'il avait des assurances du bonheur éternel pour toutes les religieuses qui y étaient présentement, et ensuite me dit avec admiration :
«Oh ! que c'est grâce d'être victime en ce lieu du Très Saint Sac'r'ement !» et il suffit, le reste se doit garder en silence. Notre joie unique est d'être membres de Jésus, il faut laisser le reste dans ses jugements divins.
juin 1660
Pour satisfaire à votre désir, je vous dirai simplement mes pensées touchant ma Soeur du Saint Sacrement (1), dans l'assurance que votre bonté me tiendra le secret.
Je vous dirai donc, ma chère Mère, que, après la dernière messe de Requiem que l'on a chantée pour le repos de son âme, pendant l'action de grâce de la sainte Communion, je me trouvai tout d'un coup pénétrée d'une douce et cordiale affection vers cette âme, et cette pénétration fut accompagnée de douces et violentes larmes. Je sentais dans mon âme une admirable liquéfaction, comme si elle eût été présentée à mon intérieur, ce qui me causa' une joie et liesse très grandes vers elle. Je fus si bien pénétrée des paroles suivantes dans mon intérieur que je les prononçai de bouche :
«Je suis au milieu du repos, des plaisirs et des contentements, je suis heureuse sans être bienheureuse, je suis l'une des plus heureuses de celles qui ne sont pas heureuses».
Je compris que cette âme était dans un état autant heureux qu'elle pouvait être, à la réserve de la vision de Dieu. Elle disait qu'elle n'était pas parfaitement heureuse à raison de cette privation. Mon entendement entra dans une grande occul ation, comme dans une nuit obscure qui occupa toutes mes puissances, et je fus certifiée que cette âme avait été privilégiée et avait reçu des miséricordes ineffables de la divine Majesté, tant à cause du nom qu'elle portait «du Saint Sacrement», que du très grand bonheur qu'elle avait d'être la première professe de l'établissement des adoratrices et des victimes consacrées à la gloire du Très Saint Sacrement ; et comme elle en avait été une adoratrice en terre, elle serait pour un temps dans cet état béatifique avant que de voir Dieu, pour rendre durant ce temps ses adorations au Très Saint Sacrement de l'autel, mais bien d'une autre manière que vous ne faites en terre. Je vis qu'un seul moment de ces adorations, en l'état où elle est, surpassait toutes celles
n. 2503 a) Ms : N267
(1) Louise Guisselain première professe du monastère de la rue Cassette, décédée le ler juin 1660, âgée de 40 ans.
(2) Il est peut être question ici de Henri-Marie Boudon (1624 - 1702) archidiacre d'Evreux que Louise Guisselain connaissait depuis de longues années. Cf. lettre du 31 mars 1655, note 1. Pour M. Boudon cf. H. Bremond op. cit. t VI p. 240 et suivis.
DE LA MÊME
A Rambervillers, ce 8 août 1660
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel à jamais ! Nos Révérendes et très Chères Mères,
Vous ne nous pouviez pas faire une proposition qui nous touche plus sensiblement que celle que vous faites par la requête que vous avez pris la peine de nous présenter : à raison que c'est nous toucher à la prunelle de l'oeil que de nous demander tout ce que nôus avons de plus cher et de plus considérable en ce inonde. Mais comme nous ne condamnons pas vos désirs ni vos sentiments, nous croyons que vous n'improuverez pas les nôtres, et que, même si vous possédiez du corps de votre communauté nos Révérendes Mères - dont d'est question vous n'auriez très assurément pas moins de peine à les en séparer que nous, que si vous souhaitiez de nous tout autre service,. la résolution en serait bientôt arrêtée et l'exécution accomplie, car nous aurions grande joie de vous pouvoir témoigner la véritable affection de nos coeurs ; mais de désunir de notre Communauté la principale partie d'icelle, la chose est trop de conséquence pour la
192 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 193
conclure si promptement. Elle mérite bien que nous prenions un peu de temps pour la présenter à Dieu et nous dégager en sa Présence de tous nos intérêts, (d'in d'être plus capables de sa lumière et des impressions de son divin Esprit pour entrer dans le zèle de sa gloire. C'est pourquoi nous supplions très humblement vos Révérences d'agréer un peu de retardement, et de nous obtenir la grâce de connaître la volonté de Notre Seigneur et de la suivre avec fidélité, qui est tout ce que nous souhaitons de tous nos cœurs, et afin de ne nous pas tromper dans nos propres lumières, nous suivrons celles de notre Révérend Père Visiteur (1) que nous attendons tous les jours, qui est une personne d'une vertu éminente et d'une rare expérience, qui très assurément ne nous conseillera rien que la gloire de Dieu ; et comme vous ne demandez que cela, vous avez sujet. de bien espérer, et nous d'abandonner tous nos intérêts aux ordres de la divine Providence, dans laquelle nous les abîmons pour ne jamais les regarder. C'est une miséricorde que nous attendons de vos saintes prières et de vos bontés, la faveur de la continuation de votre sainte amitié, et l'honneur d'être à jamais en Notre Seigneur.
Nos Révérendes et très chères Mères.
Vos très humbles, très obéissantes et très affectionnées servantes.
Soeur B. de la Passion [de Brême] prieure
Soeur C. de Ste Dorothée [Heurelle]
Soeur P. dè St Benoit [Gérard]
Sœur G. de Ste Anne [de Vomécourt]
Soeur M. de St Joseph [Sommier]
Soeur A. de la Nativité
Sœur A. de St Paul [Pierre]
Sœur.M. de la Conception [de Lescale]
Sœur J. de la Croix [Parmontel]
Sœur M. de St Joseph [Maire
Soeur Catherine de Ste Térèse [Bagnerelle]
Soeur M.M. de St Michel [Bellet
Sœur B. de St Prospère [d'Arconasi
Sœur A. Marie de Jésus [Lambert]
n" 3122a Al n"9
(1) Nous savons par le Journalier de Dom Antoine de Lescale que Dom Arnould devait se rendre à Rambervillers pour la vêture de Mademoiselle Noirel, le 15 août suivant. Il est fait mention, plusieurs fois de ce bénédictin dans la correspondance de Mère Mectilde. On peut penser que c'était lui le «Visiteur».
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME
octobre 1660
Louré soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
oute autre que votre bonté, ma très Révérende et plus chère Mère, ,
s offenserait de mon silence et croirait que ce serait une marque
de mon ingratitude ; mais je puis vous assurer, ma très chère Mère, qu'il ne part point de ce mauvais principe, mais de l'occupation si continuelle où la divine Providence me tient et que je souffre comme un châtiment que mes infidélités méritent ; il faut que je tâche d'avoir patience et de me perdre dans le bon plaisir de Dieu.
Il faut encore que je confesse qu'il me fait trop de miséricorde. Je suis au dernier jour d'une petite retraite que j'ai faite pour reprendre un peu de respir pour continuer ma course et me rendre aux desseins- de Notre Seigneur qui veut que je marche dans la mort continuelle, que je demeure en lui et que j'attende tout de lui ; et cela me paraît si vrai qu'il me semble que je n'ai pas un bon mouvement que je ne le voie sortir de son Coeur divin. Je vois sa force et sa patience qui m'environnent et je suis toute surprise que, dans les occasions assez fâcheuses à l'esprit humain, il retient tous les sens et fait un si grand calme dans le fond que l'âme en demeure toute étonnée ; elle voit bien que ce n'est point son ouvrage ; enfin c'est son plaisir d'agir ainsi à l'endroit de la plus infidèle de ses créatures. Je vous dirais encore bien des choses si j'en pouvais prendre le temps. Mais j'espère que Notre Seigneur vous donnera quelques pressentiments de ce que je suis ; je n'en sais rien moi-meme, j'aime mieux me perdre et m'abandonner que de le connaître.
Au reste, ma très chère Mère, ce que vous m'avez fait la grâce de me mander touchant ma Soeur du Saint Sacrement [G uisselain] est conforme en substance à ce que deux autres personnes en ont connu, dès le jour meme de son décès et la nuit suivante. Je vous suis infiniment obligée de m'avoir confirmée. Une de ces deux personnes est un grand serviteur de Dieu auquel elle s'apparut dans ce grand repos et contentement et *le remercia d'avoir prié Dieu pour elle. Elle lui fit connaître son état et il eut aussi une vue sur l'agrément que Notre Seigneur prenàit aux hommaues qu'on rend à son divin Sacrement dans cette pauvre petite maison, que les démons tâchent de troubler et renverser tant qu'ils peuvent ; et quand il semble que tout va périr, c'est pour lors qu'on voit que Dieu soutient tout. Mais croyez qu'il faut être bien abandonnée et ne tenir à rien du tout. Il faut toujours être prête de voir tout perdu sans se troubler. Votre . .
n " 2814
194 CATHERINE DE BAR 9 novembre 1660 LETTRES INÉDITES 195
DE LA COMMUNAUTÉ DE RAMBERVILLERS rations. Après la gloire (le Dieu, le zèle que vous avez pour votre perfection est très louable, mais il fiait qu'il soit accompagné de justice et de charité pour celle de votre prochain. Et comme nous faisons le plus, il faut que pour Dieu vous souffriez le moins ; cela est très raisonnable pour maintenir la parfaite union des deux Communautés ; nous espérons que vous y contribuerez, et qu'étant assurées de nos prières, vous nous continuerez le secours des vôtres, et la qualité,
Nos Révérendes Mères,
Après avoir beaucoup prié Notre Seigneur, et nous être dégagées en sa divine 1- résence de tous nos intérêts pour être plus capables et susceptibles de sa lumière - sur l'affaire dont il est question au sujet de nos Révérendes et chères Mères -, et en avoir exposé les impressions que nous en avons reçues à notre très Révérend Père Visiteur pour nous en soumettre à son jugement, lequel ayant mûrement examiné le tout devant Dieu, et animé du zèle de sa gloire, a résolu et arrêté que nous céderions nos susdites Révérendes Mères pour autant de temps qu'elles-mêmes se trouveront être nécessaires dans votre maison pour son parfait établissement (1) ; mais que nous nous conserverons le droit de les rappeler après qu'elles y auront fait ce que Notre Seigneur y demande d'elles.
Vous ne trouverez donc pas mauvais, s'il vous plaît, nos Révérendes Mères, que nous en demeurions arrêtées au sentiment d'une personne si sainte que notre susdit Révérend Père, qui n'ayant autre vue que Dieu et la justice pour les deux communautés, il donne à la vôtre tout ce qu'elle peut - légitimement prétendre, en lui laissant les personnes qu'elle souhaite pour son soutien et perfection, autant de temps que dessus, et à la nôtre, il la partage de l'espérance de posséder à notre tour ce que nous estimons et avons de plus cher en ce inonde ; vous avez grand sujet, nos très Révérendes Mères, d'être satisfaites de votre heureux sort, car il est bien avantageux par dessus le nôtre. Vous êtes dans la possession d'un bonheur dont nous n'avons qu'une attente bien incertaine, l'effet de laquelle n'arrivera peut-être jamais, la mort nous en pouvant ravir l'espoir dans la longueur du temps qui vous est nécessaire. C'est pourquoi nous faisons, en vous le cédant pour un temps, le plus grand sacrifice à Dieu qu'il est à notre pouvoir, et ne pouvons pas vous donner une plus signalée marque de notre très sincère affection. Nous vous supplions d'en bien considérer toutes les circonstances, et très assurément vous connaîtrez que notre dépouillement est grand et pénible ; jugez-en, s'il vous plaît, par vous-mêmes, et voyez devant Dieu si vous feriez le surplus que vous exigez de nous, et que nous ne ferons jamais ; ce serait une injustice que .nous nous ferions à nous-mêmes que de consentir à la désunion de nos Révérendes et chères Mères de notre maison pour les stabilier à une autre ; c'est ce qu'il ne faut jamais espérer de nous par quelque voie que ce puisse être, et quand toute la terre nous serait opposée. Voilà nos dernières invariables résolutions.
Nous croyons, nos Révérendes Mères, que vous êtes trop judicieuses pour ne le pas apprOuver et pour n'être satisfaites de ce que nous faisons à vos considé-
(1) Dans une lettre au Frère Luc de Bray du 27 juin 1659, Mère Mectilde écrit déjà : «On me presse étrangement de renoncer à notre maison de Rambervillers et de ma stabilier dans ce monastère [à Paris] pour jamais. Je n'y sens point de pente, ni de rebus formel, mais j'ai promis fidélité à mes Mères et que je ne les quitterais qu'à la mort». Au cours de ces deux années 1659 - 60, le Journalier de Dom de Lescale, fait état d'un échange de correspondance sur ce sujet. Il semble que les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, supérieurs du monastère de Paris, tenaient à obtenir la stabiliation de Mère Mectilde, de mère Bernardine et d'au moins deux autres religieuses de Rambervillers pour assurer l'avenir de l'oeuvre. La décision finale a été prise en ce sens par le Chapitre de Rambervillers par un acte du 9 août 1661 ; cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 304.
Nos Révérendes Mères,
De vos très humbles, très affectionnées et très obligées servantes.
Sr Benoiie de la Passion [de Brême Prieure ;
Sr Catherine Dorothée [Heurelle] Sous-Prieure ;
Sr Placide de St Benoist [Gérard] ;
Sr Gertrude de Ste Anne [de VomécourtI ;
Sr Marie Joseph [Sommier] ;
Sr Angélique de la Nativité ;
Sr Anne de St Paul [Pierre] ;
Sr Marguerite de la ConceptionIde Lescale] ;
Sr Jeanne de la Croix [Pannonie! ;
Sr Magdelaine de St Joseph [Maire ;
Sr Catherine Térèse [Bagnerelle] ;
Sr Marie Magdelaine de St Miche! [Bellet1 ;
Sr Benoiste de St Prospère [d'Arconas ;
Sr A .Marie de l'Enfant Jésus[Lambert].
AUX RÉVÉRENDES MÈRES
les Révérendes Mères Révérendes professes
du monastère des Bénédictines
du Très Saint Sacrement
au fauxbourg de
Saint-Germain A PARIS
n" 29 a) AI n" 10
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME Prieure au monastère de Rambe rvillers
18 février 1661
(a st-il possible, ma très chère et plus intime Mère, que je vous sache dans une maladie extrême, et que je sois privée de la chère et douce consolation de vous écrire un pauvre petit mot ? Si je réfléchissais sur la conduite de l'adorable Providence, sans doute je la trouverais un peu sévère de me tenir dans la privation de ce qui me pourrait donner de la satisfaction. Mais il faut tout recevoir et tout adorer de cette part c'est un Dieu qui le veut et qui l'ordonne, c'est tout dire. Après cela l'âme ne peut plus rien vouloir ni désirer.
L'union très sincère qu'il m'a fait la grâce d'avoir avec vous, ma
A Rambervillers
ce 9 novembre 1660
196 CATHERINE DE BAR
très chère Mère, quoique j'en sois infiniment indigne, m'a fait ressentir la perte que j'aurais faite en ce monde si Notre Seigneur vous en avait retirée. Je vous donnais à son plaisir et cependant je vous retenais encore. Je ne me trouvais pas à votre égard dans le total dégagement. Toute la communauté m'était présente et il me semblait qu'elle avait un extrême besoin de vous, quoique peut-être vous êtes dans un sentiment bien contraire. Mais Dieu connaît tout et j'espère de sa bonté que, toute languissante que vous êtes et toute anéantie, il vous fera encore vivre. Hélas, ma très chère Mère, je sais que ce souhait vous est à charge, et que la vie vous est une espèce de martyre, puisqu'elle vous retarde de votre totale consommation ; et c'est être cruelle que de vous retenir. Pardonnez-le, ma très chère Mère, à vos enfants. Et si je demande à Dieu votre vie, étant loin, que doivent faire celles qui—ont la grâce de vous posséder '!
Je voudrais bien, ma très chère Mère, vous écrire un peu amplement, tant pour ce qui me regarde que pour beaucoup d'autres choses, mais je n'ose rien avancer que je ne vous sache en état de pouvoir lire nies lettres. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection. Voyez si vous avez quelque chose à lui faire dire. Pour moi, il faut qu'en passant je vous dise que, quoiqu'accablée dans de continuels tracas je ressens d'une singulière manière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur. Certainemeint, quand il lui plaît, tous temps et toutes occasions lui sont propres. Il opère ce qu'il veut et fait connaître à l'âme que son oeuvre est indépendante - même au-dedans et qu'il n'a besoin que de son amour et de sa toute puissance quand il veut opérer souverainement.
Avec tout cela je suis plus que jamais plongée dans l'abîme de mon abjection, car son ouvrage ne m'ôte pas cette connaissance et ce sentiment. N'en disons pas davantage ; mais pour l'amour de ce même pur et divin amour, priez-le qu'il fasse sa très sainte volonté en moi, et qu'il se contente lui seul en toutes les différentes dispositions que sa divine Providence me fait porter.
Je ne sais qu'un secret dans la vie intérieure : c'est le cher et précieux abandon de tout nous-même au plaisir de Dieu. Qu'il vive et règne lui seul, et il suffit, sans nous réfléchir, ni sur le progrès ni sur les dons de Dieu, ni même sur notre éternité. Que le pur et divin amour nous consomme comme il lui plaira, puisque nous ne sommes créés que pour lui seul.
Je vous supplie, ma très chère et plus chère Mère, de me faire donner de vos nouvelles lorsque vous serez en état. Et si Dieu veut disposer de vous, je vous somme de votre promesse faite et renouvelée devant le Très Saint Sacrement ; je vous conjure par le sacré Coeur de Jésus et celui de sa très sainte Mère de m'être fidèle, et si vous pouvez nous dire ce qu'il vous inspire pour nous, vous nous ferez une charité très grande. Si vous voyiez comme je 'suis dévorée, vous auriez pitié de
LETTRES INÉDITES 197
moi. Le corps même n'y peut quelquefois subvenir. Mon Dieu, ma très chère Mère, il me semble que Notre Seigneur veut que je me perde
entièrement ; mais je suis encore toute pleine de moi-même et des créatures.
Je ne vous dis rien des cérémonies que M. de Toul (1) a faites céans: notre bonne Mère Sous-Prieure vous aura tout écrit. Si vous aviez
quelque chose à lui faire demander, il est en très bonne disposition. il nous témoigne une affection merveilleuse.
Nous avons appris, ma très chère Mère, que vous avez reçu à profession ma Soeur Mectilde du Saint Sacrement [Philippe]; j'en remercie
Notre Seigneur et le prie qu'il lui donne la grâce de faire un saint usage d'une telle faveur. Je n'ay...
n " 412
(I) Monseigneur du Saussay. 11 y a trois examens de vêture en janvier 1661 : Marguerite Marie des Champs (soeur Marie de Sainte Madeleine). Marie de Brumen (soeur Marie-Thérèse de Jésus). Catherine du Vay (soeur Marie des Anues). qui fera partie des fondatrices de Toul. Peut être Monseigneur du Saussay est-il venu leur donner l'habit le 10 février. cf. fourna/ (le Toul note 2.
A LA MÊME
20 juillet 1661
ry roiriez-vous, ma plus que très chère Mère, que le silence que
j'observe à votre égard ne me soit pas crucifiant ? Oui, certainement, puisque vous êtes la seule au monde à qui je puis confier mes pauvres et chétives dispositions et tous les plis et replis de mon coeur. Il y a plusieurs mois que je suis tombée dans un état que je ne sais ce que ce pourra être, s'il sera bon ou méchant. Ce n'est pas toujours les occupations qui me privent de la chère consolation de vous écrire. Depuis le voyage de notre bonne Mère (1), j'ai pris plus de repos et de temps, remettant à son retour les affaires qui se pouvaient différer. Mais il m'est survenu une étrange suspension des organes et puissances de mon âme, en telle sorte que mon corps en restait affaibli, et me trouvais sans vigueur et quasi à la mort, me semblant qu'un souffle me pourrait ôter la vie. J'ai été fréquemment de cette sorte durant ces
temps.
Quoique l'interdiction soit grande et que je n'aie d'usage que pour
. le nécessaire de mes obligations qui survenaient dans ces rencontres, mon âme avait en fond une occupation profonde non distincte, mais qui semblait dévorer et consommer quelque chose, quelquefois dans une paix et cessation si profonde qu'il n'y paraissait pas seulement,
(I) Mère Bernardinè de la Conception Gromaire. Le 20 juin. elle écrit de Rambervillers à Dom de
[escale que : «les eaux de Plombières ne lui ont pas beaucoup servi». Journalier de Dom de Lescale.
198 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 199
même dans le fond, un petit respir de vie. Il y aurait encore d'autres petites circonstances à dire, mais je serais trop longue. C'est assez de vous pouvoir dire ce peu que j'écris, pour exciter votre très grande bonté à mon endroit de redoubler vos saintes prières et de vous appliquer à Notre Seigneur pour moi, autant qu'il vous en donnera la grâce et le mouvement, car il faut que je meure aux secours, aux lumières et à tout ce qui peut donner le moindre appui. Cependant vous voyez que j'en cherche auprès de vous, ma très chère Mère. Il est vrai, et tout en le cherchant et le demandant, je le remets dans le Coèur adorable de Jésus Christ, voulant me tenir dans l'abîme où je suis suspendue,
\ sans assurance de rien. Je puis dire dans l'apparence - selon le raisonne-
1 ment - de tout perdre et de faire naufrage.
Si vous pouvez, ma très chère et intime Mère, prier Dieu pour moi, ne m'en dites que ce qu'il lui plaira. Il faut tout perdre, je le vois bien mais la nature intérieure cherche à mettre le bout du pied pour avoir quelques respirs. Oh ! que la mort totale est rare ! Ce qui fait le comble de la croix c'est que je ne vois point que ce qui se passe soit opération de
1 Dieu. D'une part, je crains la certitude, à cause de l'appui que j'y 1 prendrais, et, de l'autre part, je vois tout perdu. Enfin je ne puis juger de mes dispositions ou états présents, sinon qu'ils seront ma ruine ou
la résurrection de mon âme éternellement, ou grande miséricorde, ou grande justice.
J'adore dans le silence de mon coeur tout ce que Dieu en ordonnera. Je suis et ne suis plus. Vous seriez étonnée de me voir : à ce qu'on dit, je parais bien plus morte que je ne suis. Bref, ma très chère Mère,
t je ne sais plus que dire,je demeure quasi sans parole, je n'ai rien à
1 dire, je suis abandonnée ; il faut demeurer là, ne pouvant aller ni haut ni bas, ni de côté ni d'autre. Si l'âme savait qu'elle expire en Dieu, vraiment elle serait plus que très contente ; mais elle ne sait où elle est, ni ce que l'on fait, ni ce qu'elle deviendra. Le seul abandon au-dessus de l'abandon est le soutien secret de l'âme. Je ne sais si la divine Providence prend ce moyen pour me retirer de la charge où je suis, car à moins d'une grâce particulière je n'y puis subsister sans y faire confusion, car je ne vois ni n'entends pas pour l'ordinaire, du moins très souvent. Voici un échantillon de ma pauvreté, ma très chère Mère ; votre charité la présentera à Notre Seigneur. Je crains fort que je ne lui sois tout à fait contraire et peut-être pleine de péchés. Je le profane sans cesse, j'abuse de ses grâces. Soyez mon supplément, ma très chère Mère, et me donnez de vos nouvelles, si Notre Seigneur nous le permet, mais surtout efforcez-vous de réparer les excès que je commets sans cesse contre l'amour infini de Jésus dans la divine Eucharistie. Je vous
y laisse toute abîmée et vous y désire consommée. Je suis en lui, quoiqu'indigne, votre vraie fille.
ni.293 DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
Rambervillers, 21 novembre 1661
Ma Révérende et toute chère Mère,
J'ai reçu votre chère lettre avec grande joie ; néanmoins la lecture d'icelle a pénétré mes sens de douleur ; par ce peu de mots que vous me mandez, j'ai reçu impression de votre disposition ; j'adore en Jésus Christ et par Jésus Christ la hauteur et la profondeur des desseins que Dieu son Père a sur les âmes : il faut que son règne soit accompli et le vouloir de ses divines complaisances ; il me semble que votre état de mort est effroyable et capable d'ôter la vie au corps, à moins que d'un miracle ; ce qui m'étonne est que votre état a peu d'intervalle, car l'expérience nous apprend qu'après cet état de mort, le corps est quasi épuisé de ses forces. J'avoue que celui qui fait mourir fait revivre notre faiblesse, par la puissance de sa très sainte main ; laissons-nous perdre dans les abîmes de sa conduite adorable et de ses miséricordes infinies. L'abandon parfait d'une âme n'empêche pas que l'on ne cherche un peu à se soulager ; il est vrai, que quand il plaît à Dieu, l'on ne trouve point de soulagement au ciel ni en la terre. Il faut donc mourir et être ensevelie en celui qui prend son triomphe de gloire dans la mort de ses créatures. Bienheureux mille fois les morts qui sont passés et trépassés en Jésus Christ qui est notre pure vie
Nous prions incessamment la majesté de notre Bon Dieu selon vos intentions, et une des plus grandes joies que je puisse avoir en ce inonde est de vous pouvoir assister en vos besoins ; et ne pouvant le faire, c'est ce qui m'est croix. Je n'ai pas encore parlé à nos anciennes de la Mère Benoîte[d'Arconas](1),j'attendais que vous ayez fait choix d'une seconde ; je dis tout le reste à la lettre de la Révérende Mère Sous-Prieure. Nous vîmes ces jours passés le Révérend Père Rembault (2), lequel me dit, si vous étiez dans le dessein de faire un établissement, que c'était la plus belle chose du inonde de le faire à Gondreville (3), qu'il n'y avait point d'embarras. Il est vrai que c'est un passage aussi bien que Saint-Dié. Je trouve deux raisons assez notables pour m'ôter la volonté de m'y établir, si j'étais à votre place, à moins d'un ordre exprès de la volonté de Dieu ;
(I) La convention passée entre le monastère de la rue Cassette et celui de Rambervillers stipulait que, hormis Mère Mectilde et Mère Bernardine, deux religieuses seraient toujours en résidence rue Cassette, pour aider à la fondation de l'Institut et soulager le monastère de Rambervillers toujours
excessivement pauvre.
(2) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 306 à 309.
(3) Bourg ancien datant des premiers siècles et dont l'histoire fut particulièrement illustre du Vile au IXe siècle. Il abrita plusieurs rois de la première race et même de la deuxième. Les rois de France, Thierry IV, Louis le. Débonnaire, Charles le Chauve, Charles le Simple y séjournèrent ainsi que Charlemagne. Charles le Gros, empereur d'Allemagne, y reçut la couronne de France lors des invasions normandes, en 887. Le Palais des Rois mérovingiens a subsisté pendant plus de huit siècles. Il ne reste rien de ce glorieux passé. Gondreville, qui se trouve à 6 km de Toul ne compte plus que 1600 habitants. H. Lepage, historien qui fait autorité, ne cite au XV1Ie siècle qu'une chapelle de Notre-Dame de Pitié et de Saint Urbain, érigée dans l'ancien cimetière et transférée à l'abbaye Saint-Léon de Toul et enfin un ermitage dans le bois. Au XVIlle siècle, on signale qu'une dîme de la 17e gerbe est réservée au profit des religieux de l'hôpital, qui sont des Bénédictins. Le siège de cet établissement est simplement désigné sous le nom de Maison-Dieu. (Renseignement fourni par M. le Directeur du groupe scolaire
de Gondreville, Meurthe-et-Moselle).
200 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 201
la première raison qui m'y J'ait répugner, c'est les Chanoines, dont il y a plusieurs choses considérer : la seconde est le passage des soldats. Si Dieu le veut, je souhaite bientôt de vous voir il faudrait que vous eussiez un peu (le repos ; Je veux éternellement avec vous ce que Dieu veut; en lui, je vous suris de tout Mon c(rur, ma Révérende Mère, votre, etc...
nu 805 a) Ms : T9
A LA COMTESSE DE CHÂTEAUVIEUX
sur la mort d'une personne de qualité
16 juin 1663
rf e mot est en hâte, la poste allant partir... C'est seulement pour
vous assurer, ma très chère, que nous avons reçu les vôtres avec une grande affection, portant impatience d'apprendre de vos chères nouvelles. Nous y avons appris la mort de la bonne Madame la Duchesse de la Vieuville qui nous a fort touchée, en considération de Madame l'Abbesse, que j'aime et que j'honore chèrement, et de toute l'illustre famille, que je sais être dans une profonde douleur d'une perte si considérable et qui causera tant de déplaisir dans la continuation des temps, si la main toute-puissante de Dieu ne renverse les desseins des hommes. Il le faut prier pour cela ; c'est ce que je ferai de tout mon coeur, prenant intérêt à tout ce qui touchera cette famille que je chéris en Notre Seigneur. J'emploierai les prières des bonnes âmes que je connais et que je pourrai rencontrer dans mon voyage ; mais, puisque Dieu a voulu vous donner cette affliction, recevez-la de sa part et vous soumettez amoureusement à sa très sainte volonté. Tout est à lui. Il en est le maître et le souverain, mais apprenez dans ces événements que nous sommes sujettes à la mort et que c'est un pas qu'on ne peut éviter ni reculer, quand le moment est arrivé, selon le décret de la Sagesse divine. Nous ne vivons que pour mourir et, quand je pense à la mort, je n'ai aucun désir ni aucune inclination pour les choses de la vie. Mourons tous les jours pour nous apprendre à bien mourir ; le meilleur moyen, c'est d'être fidèle à conserver en son intérieur la présence de Jésus Christ et de suivre les sacrés mouvements qu'il nous donne.
11 faut cependant vous dire un mot de notre voyage qui est autant heureux qu'il le peut être. Nos Mères de Rambervillers font un peu les renchéries. Je prétends qu'elles nous prieront plutôt que je les prie. Je ne suis en peine de rien pourvu que vous soyez en santé et que la Communauté de Paris soit en paix.
Son Altesse Royale de Lorraine m'a fait prier de faire diligemment l'établissement de Saint-Dié, qu'il désirait ardemment, et que je prisse la peine d'y aller et d'y mener des Reliuieuses (1) ; nous verrons ce qu'il faudra faire pour la plus grande gloire de Dieu. Pour ma santé, elle est entière ; notre Mère Sous-Prieure de même, à ses jambes près : ne soyez en peine de nous. Je vous assure que j'ai plus d'envie d'être auprès de vous que vous n'avez de nous y tenir. Conservez-vous, je vous en prie, c'est la plus grande satisfaction que vous me pouvez donner ; ma Soeur Hostie Hardy I (2) est ravie des bontés que vous lui témoignez ; elle m'a écrit pour me le mander et moi je vous en remercie. Voilà ce que je vous puis dire aujourd'hui ; nous allons voir des médecins pour les eaux que vous désirez que je prenne. Je
crois que je serai obligée d'aller à Saint-Dié après avoir bu ; nous vous manderons toutes choses. Nous avons déjà fait dire deux cents messes ; je vous en porterai les certificats. A Dieu, très chère enfant, je suis de coeur toute à vous, n'en doutez jamais. J'approuve ce que vous faites pour l'hôtel de la Vieuville, etc.. Ecrivez-moi de votre santé ; un million d'humbles respects à Madame l'Abbesse ; témoignez-lui la part que je prends à sa douleur ; je n'oserais lui écrire, étant trop dans l'affliction. Je vous prie de dire à ma Soeur Hostie que j'ai reçu ses chères lettres fidèlement.
n" 97 Ms: D12
(1) On sait que les échevins et les bourgeois de Saint-Dié désiraient la présence des religieuses pour ouvrir une maison d'éducation pour leurs tilles. Le duc de Lorraine et la duchesse d'Orléans étaient favorables à cet établissement. les habitants de Saint-Dié ayant toujours été fidèles au duc. Quelques filles de Mère Mectilde étaient installées depuis 4 à 5 ans dans la maison de M. de Bar. Gondreville, au contraire. était «en France» et présentait l'avantage d'être proche de "Foui. (Cf. Dom Rabory, Vie manuscrit ch' Mère Mectilde, arch. de l'abbaye de Limon).
(2) Marie Hardy reçoit l'habit à 33 ans. le 25 mars 1659. des mains de Mgr de Maupas du Tour (C. de Bar Documents, 1973. p. 109) et fait profession le 2 avril 1660. Elle est mentionnée comme dépositaire et « discrète » sur la liste des moniales de 1689. Nous ne la trouvons plus sur les listes à partir de 1692. Elle a dû mourir vers cette date.
Sa soeur, Anne Hardy (mère Anne victime de Jésus) prend l'habit le 15 avril 1659. fait profession le 16 juillet 1660. Elle n'est plus sur les listes dès 1684.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME
A Toul, ce 13 juillet 1663
Ma très Révérende et ma très digne et chère Mère,
Jésus dans le divin sacrement soit notre unique vie et notre consommation !
y 1 faut vous dire, ma très chère Mère, que j'ai porté avec une extrême mortification l'impuissance où je me suis trouvée de vous écrire un peu amplement et vous exprimer les sentiments de mon cœur que Notre Seigneur a rempli de joie et de consolation sur le saint traité (I) que
(1) Le monastère n'a été agrégé à l'Institut qu'en avril 1666, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 220 et suiv.
202 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 203
l'amour du Très Saint Sacrement vous a fait contracter de coeur et d'affection avec nous. J'admire la conduite de l'adorable Providence et ne puis contenir les mouvements de mon esprit, qui adore et remercie cette aimable bonté qui sait si bien ménager toutes choses en la manière qu'il connaît être plus à sa gloire et à notre bien. Enfin, je puis dire en vérité que je suis sortie de votre sainte maison avec la dernière satisfaction. Je n'aurais jamais cru que Notre Seigneur y eût donné tant de bénédiction. Je suis comblée de vos bontés et de la sainte affection de la chère communauté qui se rend avec tant de grâce et de générosité les victimes de l'adorable Eucharistie. Et sans parler des intérêts de la gloire de cet auguste mystère, pour laquelle nous nous devons immoler-et consommer entièrement, je chéris singulièrement l'étroite union que nous avons faite en son amour ; et quand il n'y aurait point d'autre utilité que cette sainte liaison, qui s'est rendue par cette occasion indissoluble, c'est un bien qui ne se peut assez estimer et qui portera son fruit dans son temps. La patience conduira toutes choses heureusement. Il me semble que je suis avec vous continuellement et que nous sommes inséparables. Néanmoins j'étais combattue en vous quittant : une partie de moi restait avec vous et l'autre partie était à Paris, dans la maison du Saint Sacrement, mais d'une manière si particulière que toutes ne faisaient qu'une en ce mystère d'amour. Je trouvais qu'il était la vie et le mouvement de tout. C'est donc en vérité que nous dirons désormais toutes ensemble d'un même coeur et d'une même voix : «Jésus dans l'adorable hostie est l'unique Roi et le seul tout de nos âmes : nous n'avons plus qu'un même amour, un même respir et une même vie ». Le divin Sacrement fera la consommation de toutes. Croiriez-vous que je me trouve à l'égard de toute votre sainte maison et pour toutes mes chères Mères comme je suis pour notre maison de Paris, et je ferai pour vous ce que je tâche de faire pour elle. Madame la Comtesse [de Châteauvieux m'a mandé qu'elle avait une parfaite joie de notre étroite union ; elle a passion de vous venir voir et veut qu'on fasse l'affaire de Gondreville pour y faire une solitude du Saint Sacrement. J'ai peine de l'empêcher d'y venir et selon son zèle ce sera peut-être avant la fin de l'année ; il ne faut pas douter qu'elle n'aille chez vous.
Au reste, la pauvre mère Saint-Joseph sera une vraie victime de douleur aussi bien que d'amour pour Jésus au Très Saint Sacrement ; elle ne peut vivre sans miracle. Ma Soeur de Jésus [Chopinel I me mande que c'est une chose pitoyable de la voir. On lui coupa samedi dernier quatre doigts de la main et, le lendemain, on lui devait couper le poing ou le bras. Voilà d'étranges douleurs que cette pauvre fille souffre avec une patience du Ciel qu'on peut dire toute divine ; nous avons sujet de douter si elle est présentement en vie. Je suis fort touchée de n'être point auprès d'elle dans son extrémité ; elle ne demande rien plus ardemment que de nous voir avant qu'elle meure. Je ferai mon possible pour m'y rendre, quoique peut-être trop tard pour elle et, pour cet effet, nous partirons par le coche qui viendra demain de Nancy. Je prie Dieu que j'y trouve nos chères Soeurs d'Arconas et de Ste Gertrude [Noirel] (2) pour les emmener avec nous. Je priai M. Chasselle de vous le mander en partant de chez lui pour aller à Metz où nous avons été sans aucun accident, grâce à Notre Seigneur. Il y a lieu d'y faire une bonne maison du Saint Sacrement, mais je ne me hâterai pas de l'entreprendre : il suffit que nous ayons remarqué le lieu et donné ma parole pour une bonne affaire en cas qu'il plaise à Notre Seigneur la faire réussir ; je vous en écrirai plus particulièrement. Nous avons été à Vézelise, et .sommes ici à Toul pour aller voir la maison et les terres de Gondreville demain du matin avant l'arrivée du coche. J'espère, moyennant la grâce de Notre Seigneur, arriver dans huit jours à Paris.
Priez Dieu pour cette pauvre Mère souffrante qui rend hommage à Jésus dans sa passion ; recommandez-la à toute la Communauté, je vous en supplie. Voilà ce que je puis écrire présentement ; le reste sera à Paris où je tâcherai de vous écrire amplement toutes choses. Vous aurez la bonté d'écrire à Madame la Comtesse pour lui mander notre union et m'envoyerez s'il vous plaît les billets pour les présenter au Très
Saint Sacrement...
n"558
(2) Soeur Gertrude de l'Assomption Noirel. de Flavigny, a reçu l'habit des mains de Dom Arnould le 15 aout 1660. cf. Journalier de Dom de Lescale.
A LA MÊME
23 février 1664
Ma Révérende et très chère Mère,
Jésus captif d'amour dans la divine Eucharistie soit notre unique vie !
I1 faut du moins que je vous fasse ce petit mot, ma très chère Mère, puisque je ne puis posséder un plus grand loisir pour vous écrire et vous dire beaucoup de choses. Je viens tout présentement de voir M. l'Abbé d'Etival [Dom Epiphane Louys] (1) qui m'a assurée de votre santé ; nous le voyons souvent avec consolation ; il a pour vous, ma très chère Mère, une fort grande charité et témoigne être fort édifié de votre soumission. C'est un bon serviteur de Dieu.
(1) Né à Nancy en 1615, il fait profession en 1632 dans la congrégation réformée des Prémontés. Docteur en théologie. il est nommé prieur de saint Paul de Verdun, puis on l'oblige à accepter l'abbaye d'Etival (Vosges) en avril 1663. En juin il prêchait le panégyrique de Saint Jean-Baptiste au monastère de Rambervillers. C'est là qu'il rencontre mère Mectilde. Ces deux âmes se comprennent si bien 'que l'abbé d'Etival va devenir le soutien le plus ferme de mère Mectilde. Grand mystique et homme d'action, il a aussi beaucoup écrit. Quelques unes de ses oeuvres ont été spécialement rédigées pour les bénédictines du Saint Sacrement. Cf. Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilcle. (arch. de l'abbaye de Limon), C. de Bar, Documents, 1973, p. 20 et DS, fasc. LI X - LX.
204 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 205
J'appris par celle que vous avez écrite à notre chère Mère Sous-Prieure les bénédictions que vous recevez de l'adoration du Très Saint Sacrement. Je suis très aise que la communauté goûte par expérience la suavité de Jésus dans ce mystère d'amour ; elle connaîtra dans la suite des temps que ce n'est point une dévotion, ni une obligation onéreuses. Hélas ! où peut-on mieux être qu'aux pieds de son Seigneur, de son Dieu, de son Epoux et de son Tout ? Vous le savez mieux que moi, qui suis une pauvre créature abîmée dans les affaires et toute environnée d'occupations ! Heureuse l'âme qui possède cette précieuse solitude qui est un véritable paradis ! Qu'est-ce que la vie si Jésus ne s'y rencontre ? Oh ! c'est un enfer commencé. J'avoue que je ne puis comprendre comme toutes les maisons religieuses ne sont liées et attachées à ce divin sacrement qui nous est toutes choses. Est-ce pas le même qui fait la béatitude des saints dans le Ciel ? Il n'y a de différence que d'un voile qui le couvre à nos yeux ici-bas, mais qui n'empêche pas de le voir en esprit par la foi et d'en avoir la jouissance. Oh ! que nous sommes obligées à cet amour ineffable qui a trouvé une invention si divine de faire habiter le paradis sur la terre et de le renfermer dans un tabernacle ! N'est-ce pas devenir un petit prisonnier, que cet amour tient dans un morceau de bois comme dans un cachot, où son amour l'a rendu captif pour nous ! Il me semble que nous n'avons plus besoin de livres ni de science ; tout est renfermé dans le pain eucharistique. Jésus crucifié et sacrifié est science des saints. Je vous demande pardon, ma très chère Mère, c'est une petite saillie de mon coeur qui vous en dirait bien plus s'il en avait le loisir.
Je rends grâce à Notre Seigneur de votre meilleure santé et de tout ce qui s'est passé dans votre maladie. C'est la main de Dieu qui purifie. J'aurais trop de joie si je pouvais un peu me dilater le coeur avec vous, mais je suis si souvent interrompue en vous écrivant la présente qu'il faut que je la finisse, remettant le reste à une autre fois. Nous allons chanter le service du bout de l'an de notre pauvre Soeur de la Présentation [Carrel] (2), que je crois être en état de sûreté. Je vous supplie de vous en souvenir devant Notre Seigneur et de le prier qu'il me donne son esprit, afin que j'agisse en lui et par lui et pour lui, ou plutôt qu'il fasse lui-même tout pour lui. Croyez, ma chère Mère, que personne n'a plus grand besoin que moi du véritable anéantissement. Hé ! que Jésus fasse en moi son oeuvre puisqu'il le veut ainsi, demandez-lui cet anéantissement de tout votre coeur - c'est pour sa gloire - et que je ne me puisse jamais trouver en rien qui soit, afin qu'il y soit uniquement tout. Je salue chèrement toute la sainte Communauté et particulièrement ma chère Mère Dorothée [Heurelle I. Je suis en Jésus toute à vous, Votre ...
n" 520
(2) Anne Carrel (Mère Marie Anne de la Présentation) connitissait Mère Mectilde dès son séjour à Saint-Maur. C'est elle qui, avec Mademoiselle Louise Guisselain, a conduit M. Boudon près de Mère Mectilde. Elle reçoit l'habit des mains de M. Boudon le 20 novembre 1654 et fait profession le 22 janvier 1656 ; elle avait alors 43 ans. Elle est la seconde moniale professe de l'Institut.
A LA MÊME
7 juin 1664
Ma toute chère Mère,
ae mot est seulement pour vous très humblement supplier de faire porter la ci-jointe par un messager exprès à Epinal, où je crois à présent notre chère Mère Sous-Prieure, ou à Plombières, bref, où elle pourra être. Il est très important qu'elle reçoive la dite lettre pour plusieurs affaires qu'elle contient.
Je pensais bien, ma très chère Mère, avoir la chère consolation de vous écrire, mais c'est l'impossible aujourd'hui, ce sera au plus tôt. Cependant je vous supplie de me mander ce que vous savez de la mort de M. Lhuillier ; dites m'en vos sentiments devant Dieu sans rien appréhender. Je crois que sa pauvre famille en est bien affligée. Ma Soeur d'Arconas est prête de partir aussitôt qu'elle aura une forme d'obéissance de votre part. J'espérais être de la partie, mais nos affaires ne sont pas prêtes. Je voudrais bien être auprès de vous pour bien des choses. Je crois que vous aurez reçu des lettres de notre chère Mère Sous-Prieure qui de présent est en Lorraine. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui envoyer une religieuse (1) pour l'aider dans ses besoins car elle s'est tuée de fatigue, soulageant les autres, malade qu'elle est elle-même, et pour l'accompagner dans ses voyages. J'avais prié de renvoyer ses compagnes qui la peineront partout, et qu'elle ne peut conduire sans extrêmes fatigues. C'est pourquoi ma très Chère Mère, je vous supplie de lui donner du secours. C'est ce que je vous puis dire, espérant que notre chère Mère vous dira toutes choses en vous voyant. A Dieu, ma très chère Mère ; un mot si Dieu vous le permet et sur la mort de mon frère : je n'en sais point le détail, et s'il est bien mort.
Je recommande à vos prières Monsieur le Duc de Guise qui mourut lundi dernier. Madame de Montmartre (2) en est furieusement affligée. Il se faut contenter de ce mot, la poste va partir. Je suis de coeur en Jésus votre très indigne fille,
Sr M. du St Sacrement
Ju vous demande mille humbles pardons de vous écrire si en hâte et tant brouillé. C'est la presse où je suis aujourd'hui.
Je vous recommande très instamment la lettre de notre chère Mère Sous-Prieure, qu'elle lui soit envoyée exprès là par où elle sera, je vous en supplie, étant choses pressées.
n. 1 1 1
( 1 ) Ici, des corrections du X IXème siècle rendent illisible ce qui a été écrit dessous.
(2) Françoise-Renée de Lorraine, coadjutrice en 1644. abbesse en 1657, meurt le 4 décembre 1682.
20() CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 207
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
Juin 1664
e n'oserais écrire à notre affligée Princesse pour lui témoigner
la part que je prends à sa douleur, que je pourrais dire être si sensible que la nouvelle que je viens de recevoir de la mort de mon frère ne me touche pas, comparée à celle de M. le Duc (1), qui surprend tant de monde, et qui le regrette véritablement. Voilà un prodigieux sacrifice que Dieu a exigé de cette chère âme. C'est le plus rude coup qu'elle avait à soutenir en terre. Mais, comme la main de Dieu l'a blessée, cette même divine main l'a soutenue par une grâce abondante, qui pourtant n'ôtera pas la douleur des sens. La perte est trop grande et l'affection trop tendre pour rendre moins sensible cette rude privation..1e vous puis dire, ma très chère Mère, que je la ressens jusqu'au fond du coeur, et que nous avons gémi devant Dieu pour les besoins de cette âme, qui est retournée à son centre, et pour celle qui en ressent la très vive douleur, demandant miséricorde pour l'un et force et grâce divines pour l'autre ; car, en vérité, on ne saurait porter une telle affliction sans le secours d'une grâce divine. Je n'ai point trouvé en moi de parole pour exprimer mes sentiments. Je me sens pénétrée de douleur en la présence de Jésus Christ que je prie la vouloir- consoler par lui-même. Je serais mille fois plus peinée si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de père et de frère et l'aidera à porter la croix que le Saint-Esprit a mise dans son coeur. Je sais que vous en êtes vous-même tout à fait affligée. Vous aviez trop de respect pour lui et trop de liaison aux sentiments de Madame pour- n'en être touchée comme vous êtes. Mais je sais d'ailleurs la vertu que Dieu a mise en vous, et de quelle manière vous recevez les événements crucifiants de sa divine Providence qui nous fait d'admirables leçons. Enfin c'est un Dieu qui se rend le maître de ses ouvrages et qui en dispose comme il lui plait,Sans que nous ayons droit de nous en plaindre. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui témoigner les vifs sentiments de mon coeur sur sa douleur, lorsque vous le jugerez à propos. Je n'oserais lui écrire en l'état où je la crois, n'ayant nulle capacité de la consoler mais des larmes à verser à ses pieds. Je vous proteste, ma très chère Mère, que je n'en puis revenir et que je vois bien dans cette occasion que je suis tout à fait sensible aux intérêts et à tout ce qui touche cette digne Princesse. C'est tout ce que je puis dire dans ce moment où vous n'êtes pas sans douleur, ma très chère Mère. Je vous supplie, quand vous verrez Mlle N, de lui témoigner ma douleur sur sa perte.
n" 1275 Ms : N254
(1) Henry II (4 avril 1614 - 2 juin 1664), duc de Guise, était le frère de l'abbesse ; fils de Charles de Lorraine et de Henriette Catherine , duchesse de Joyeuse. Cf. P. Anselme, Histoire généalogique et , chronologique de la maison de France, Paris, 1728, t. I I1. p. 488.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÈME
28 juin 1664
Ma très Révérende et très chère Mère,
Jésus soit l'unique vie de nos coeurs !
CC'est l'unique souhait que nous devons faire, et qu'il se glorifie
par sa toute-puissance, en détruisant et anéantissant toutes les créatures. Cela est juste et j'adore sa souveraineté sur toute la terre ; quoique le péché s'y oppose il le consommera et détruira absolument, et c'est la joie des coeurs qui n'aiment que sa pure gloire, de le voir agir en Souverain. Mon Dieu, ma très chère Mère, que ne règne-t-il partout dès à présent, sans résistance de la part des créatures ? Ce serait le paradis en terre ! Mais Jésus continue sa.vie cachée et captive dans la plupart des âmes, dans lesquelles il n'a pas la liberté d'opérer selon son amour, et cela est affligeant. Priez-le, ma très chère Mère, que je ne sois pas de ce nombre, qu'il vive et règne en nous par l'adorable Eucharistie. Oh ! que ce mystère est grand et peu connu des hommes ! Je m'étonne que tout le monde ne s'occupe à le considérer et à en expérimenter les effets. Quelle union ineffable ! Pour moi, je ne &mande point d'autre grâce que de porter en moi les effets de ce divin mystère : tout s'y renferme et Dieu même ne peut rien faire de plus à notre faveur. Si j'étais remplie de cette grâce eucharistique, ma très chère Mère, je ne pourrais m'affliger des événements de Providence et je crois qu'une fille du Saint Sacrement doit avoir tout sacrifié à Jésus dans ce mystère, parce que Jésus, par ce divin Sacrement, lui devient tout en toutes choses.
J'ai tâché de lui présenter le mieux que j'ai pu la perte que j'ai faite de mon frère et de ma soeur (1). Je les estime trop heureux s'ils sont sortis de ce monde en sa grâce. En vérité, rien n'est à regretter que la perte de Dieu, et, s'il leur a fait miséricorde, c'est trop de faveur ; nous l'en devons infiniment remercier. La vie du monde est trop opposée à Dieu pour avoir le moindre regret de la quitter : heureuse l'âme qui retourne à son Dieu et qui se trouve délivrée de cette malheureuse servitude ! Je sais que l'un et l'autre de ces deux pauvres défunts ont beaucoup souffert durant le cours de leur vie, et que même leur mort a été accompagnée de douleur. Je prie Notre Seigneur qu'il les sanctifie par la dignité des siennes et qu'elles leur soient utiles pour la vie éternelle. Vous m'avez bien consolée sur ce sujet, ma très chère Mère, d'avoir pris la peine de me dire vos pensées. O que les jugements de Dieu sont profonds et éloignés des lumières des hommes et de leurs sentiments ! Continuez vos saintes prières pour leur secours, je vous
(1) Son beau-frère le colonel Lhuillier et sa soeur ainée Marguerite décédés tous les deux en juin 1664.
2O CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 209
en supplie, et m'obtenez de Dieu la miséricorde de bien mourir. J'ai cette pensée de mort si continuelle depuis quelques années que je doute si ce n'est point un avertissement : elle m'est augmentée de beaucoup cette année et je vois que cela fait de bons effets parmi tant d'affaires dont je suis environnée. Certainement, ma très chère Mère, il
me semble que je ne les fais qu'en passant et que je n'y ai ni le coeur ni l'esprit, mais je tâche d'y agir parce que l'on m'assure que Dieu le
veut ainsi ; du reste, qu'il en arrive ce que Dieu voudra, le succès m'en est indifférent, pourvu que je ne néglige rien de mon petit devoir ; assez souvent Dieu semble vouloir des choses qu'il n'achève pas, se contentant de notre bonne volonté, comme il fit .en David pour son temple, se contentant qu'il en préparât seulement les matériaux. Dieu n'a besoin de personne pour ses ouvrages...
n" 193
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE [EN RÉSIDENCE À RAMBERVILLERSI
16 juillet 1664
e vous suis bien obligée,.ma très chère Mère, de la part que vous
avez prise à la perte que j'ai faite de mon frère et ma soeur. Je les recommande instamment à vos saintes prières ; c'est le seul bien que je leur puisse faire à présent et votre charité sera récompensée.
J'ai bien cru que vous seriez puissamment touchée de la mort du bon M. de (luise. C'est un coup qui a surpris et étonné tout le monde, mais c'est où il faut que nous arrivions tous, et bientôt heureuse l'âme qui se tient en un continuel état de mort, car elle ne sera point surprise dans ce dernier moment. Madame de guise m'a écrit avec beaucoup de bonté ; elle commence un peu à se mieux porter. J'espère que Notre Seigneur se la conservera à lui-même pour sa uloire et la perfection des âmes qu'il a mises sous sa conduite. C'est un grand coup de tonnerre pour cette chère Dame, qui fera de très bons effets et qui la déuauera un peu des créatures. Puisqu'il a commencé, il achèvera et fera le reste dans peu de temps, je l'espère, de la main toute-puisssante de celui qui a fait ce coup, car elle doit être sans partaue, toute à Jésus Christ.
Au reste je suis bien aise que vous soyiez à Rambervillers dans notre petite maison, et que vous voyiez la Révérende Mère Prieure qui est plus que je ne vous puis dire. J'appréhendais que vous ne souffriez beaucoup d'incommodités dans notre pauvre maison, mais votre charité souffrira tout pour l'amour de Notre Seigneur et excusera la grossièreté du pays. Je disais à notre chère Mère Sous-Prieure de vous laisser toutes chéz les bonnes Mères d'Epinal (1), d'autant que vous seriez beaucoup mieux que chez nous ; mais, puisque vous l'avez désiré et que Notre Seigneur vous y a conduites, j'en suis bien aise. Mandez-moi en simplicité comme vous vous y trouvez, et vous unissez bien avec notre très digne Mère Prieure la Révérende Mère Benoîte [de Brème s : elle peut vous attirer du ciel de grandes bénédictions. Je pense à vous très souvent avec tendresse, car c'est de coeur que je vous aime et que vous m'êtes chère en lui. Les lieux ne nous séparent point. Je vous trouve aux pieds de mon adorable Maître dans son divin Sacrement où je sais que votre esprit fait sa demeure, autant qu'il peut, pour lui rendre ses hommages et les devoirs d'amour et de sacrifice qu'il lui doit.
A Dieu, ma très chère Mère, profitez de l'exemple de la digne Supérieure. C'est une âme qui est toute à Dieu je vous en assure. Croye.z que je suis, en Notre Seigneur, toute à vous.
n" 1797 Ms : N254
(1) La congrégation Notre-Dame, fondée par Alix Le Clerc et le Père Pierre Fourier en 1598. La maison d'Epinal date de 1620 ; sa fondation est due à Madame de Bagrone, chanoinesse de Remiremont, et à François Palissier, abbé de Chamousey (aujourd'hui Chaumoussey, Vosges). En 1638, lors de son départ de Commercy, Mère Mectilde fut reçue avec beaucoup de bienveillance pendant trois semaines dans cette maison. Elle songea même quelque temps à entrer dans la congrégation mais elle comprit que Dieu l'appelait ailleurs cf. Edmond Renard, La Mère Alix Le Clerc 1576 - 1622, Paris, 1935 Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilde (Arch. de l'Abbaye de Limon).
A MADEMOISELLE SA NIÈCE
[FRANCOISE LHUILLIER -GAULTHIER DE VIENVILLE1
30 juillet 1664
Ma très chère nièce et mon cher enfant,
Jésus soit votre force et votre consolation !
'ai reçu votre chère lettre du 20 courant par laquelle vous me Ci témoignez votre douleur sur la perte que vous avez faite. Certainement, ma chère nièce, vous avez beaucoup perdu ; cela se peut dire et que votre bon coeur continue de souffrir tous les jours par le souvenir de cette sensible affliction et par mille autres déplaisirs qui se rencontrent dans la vie et desquels l'on ne se peut garantir.
Je vous plains et voudrais de tout mon coeur être en état de vous pouvoir consoler. Je sais que vous avez recours à Dieu et à sa très Sainte Mère et c'est ce qui me console dans votre douleur.
Croyez, mon cher enfant, que si vous avez perdu en terre un bon père et une bonne mère, vous en aurez de meilleurs dans le Ciel. C'est Jésus et sa très Sainte Mère qui ne vous abandonneront jamais. Je vous conjure d'y avoir une entiere confiance et de tâcher de faire un saint usage de tant de maux que vous souffréz incessamment. Elevez
210 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 211
souvent votre coeur au Ciel disant en vous-même : « Courage mon âme, nous n'avons qu'un peu de temps à vivre pour souffrir et témoigner à Dieu notre amour et nous aurons une éternité de repos et de délices ».
Pensez quelquefois à la mort et tâchez de vous tenir dégagée des choses de la vie et, surtout, n'aimez point les biens ni la vanité. Tout périt et une âme est malheureuse qui met son coeur aux choses de la terre.
Aimez Dieu, mon cher enfant, et tâchez de ménager votre salut éternel. C'est là, la grande et principale affaire.
On ferait une chose bien agréable à. Notre Seigneur de se défaire de tant d'embarras qui détournent de Dieu pour penser sérieusement à la mort. La vie est plus courte que l'on ne pense. Je prie Dieu qu'il lui donne une forte inspiration de mettre ordre à ses affaires intérieures et extérieures, qu'il pense à son salut de la bonne sorte (1). On ne meurt qu'une fois pour une éternité. Apprenons, ma chère nièce, à bien mourir puisqu'il y va de notre perte ou de notre gain éternel.
Pour un peu modérer votre douleur, le bon Dieu fait réussir l'établissement dans Saint-Dié (2). Vous aurez la consolation d'y voir les religieuses et d'y mettre vos trois filles. Je vous conseille, ma chère nièce, pour les bien élever à la crainte de Dieu et les apprendre au travail et, si Dieu les touche, faitesen de bonnes religieuses. Voyez par votre expérience que ce serait leur plus grand bonheur et que, dans le monde, il n'y a que des maux et des misères en toutes manières. Prenez le plus certain et laissez celui qui est rempli de périls.
Je vous recommande toujours la bonne Mère de Sainte-Marie ; je vous prie -de l'assurer que je n'oublierai jamais les services qu'elle a rendus à ma soeur. Je ne veux point vous en parler, ni de la tendresse de mon coeur sur sa mort ; laissons-la à Dieu puisqu'il lui a fait la tendresse de l'attirer dans le Ciel. Nous ne devons plus la pleurer, mais prier Dieu qu'il nous fasse la grâce de la suivre, car nous mourrons toutes plus tôt que nous ne croyons.
J'envie son bonheur d'être hors des occasions de déplaire à Dieu.
Courage, ma très chère nièce, écrivez-moi souvent et ne me faites point d'excuses de votre liberté. Vous n'en avez point trop avec moi. Prenez-la toute entière et croyez qu'en tout ce qui sera de mon pouvoir, je vous témoignerai que je vous aime très sincèrement.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous comble de bénédictions et votre chère famille que je salue et embrasse tendrement.
Je suis en Jésus, ma très chère nièce, votre toute affectionnée.
( I) Mère Mectilde fait peut-être allusion ici à son neveu, le mari de Françoise Lhuillier, Claude Gaulthier, seigneur de Vienville.
(2) D'après le Journalier de Dom. A. de Lescale, il semble bien que le projet d'établissement à Saint-Dié était sur le point de réussir à cette date. Les religieuses avaient obtenu le consentement de Claude Gaulthier de Vienville, prévost de Saint-Dié, et des bourgeois, le 22 avril 1659. Le Substitut du procureur général de Lorraine en l'officialité de Saint-Dié a enregistré cet acte le 17 ème may 1660. Signé C. Cherrier. L'opposition violente du chapitre de Sainte-Croix a obligé Mère Mectilde à y renoncer. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 206 (Archives des Vosges, 40 H)
Vous pouvez vous consoler avec notre chère Mère Sous-Prieure qui vous aime chèrement. Je vous recommande votre pauvre frère (3) qui a beaucoup perdu. Tâchez de le consoler et de vous aimer tous sans aucune diminution. Vous aurez une bonne Mère à Saint-Dié qui vous aimera beaucoup. Donnez-lui vos enfants, si vous m'en croyez,
ils seront bien entre ses mains. Je vous recommande tout le petit couvent.
A Dieu, j'ai écrit depuis peu à Monsieur votre mari. S'il est avec vous, présentez-lui mes respects et mon affection.
Ms : T8
(3) Nicolas Lhuillier, seigneur de Spitzemberg, Vauzel, Saint-Marcel, etc.. écuyer ordinaire de Son Altesse Royale madame la duchesse d'Orléans, épousa Charlotte-Thérèse de Castres, par contrat pàssé devant Le Vaseur et Le Lorge, notaires au Châtelet de Paris. le 14 janvier 1670. Son fils aîné,
Charles Léopold, héritier des titres de son père, épousa Anne Florentin. Il mourut à Bertrimoutier (Vosges) le 13 avril 1712. Une de ses filles, Catherine, est religieuse à Malnoue (voir lettre n" 2697 et 1095. juillet 1695). Une autre. Elisabeth-Françoise, épousa Paul Benoit, chevalier, comte de Braque ; elle décéda à 51 ans et fut inhumée à la paroisse Saint-Roch à Paris. en 1730. ( cf. Arch. mit. 98 A.P. En appendice, lettre du 19 décembre 1679). Dom Ambroise Pelletier. Nobiliaire de Lorraine, Nancy, 1758. p. 492 - 493.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME]
30 juillet 1664
Ma très Révérende et ma très chère Mère,
Jésus soit notre unique tout dans la divine Eucharistie !
1 est bien juste que je fasse un effort dans nos continuelles occupa-
tions pour vous rendre par ces mots les très humbles remerciements que je dois à votre bonté, pour la bonne et charitable réception que vous avez faite à notre chère et digne Mère Sous-Prieure et à toute sa compagnie. Je m'en tiens tout à fait redevable à la charité de toute la Communauté et particulièrement de la vôtre, ma très chère Mère. La pauvre Mère de Saint-Joseph [de Laval Montignyl est ravie d'être entre vos mains ; elle ne me peut assez écrire vos bontés et les soins que vous avez de la consoler en toutes manières dans ses douleurs, qu'elle dit se diminuer par la force de vos saintes prières. Elle est tout à fait édifiée de la Maison. La bonne Mère de Sainte-Catherine fait le même et la pauvre Soeur de Sainte-Madelaine qui est heureuse d'être auprès de vous ; je crois que vous connaissez que ce sont toutes trois de bonnes filles. Je crois, ma très chère Mère, que notre bonne Mère Sous-Prieure reconnaîtra votre charité. Il ne faut point vous ruiner par tant de visites de notre part ; nous y subviendrons moyennant la grâce de Notre Seigneur. Vous aurez appris de cette chère Mère comme la divine Providence remet en état l'affaire de Toul, et que nous espérons de partir
212 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 213
au mois de septembre prochain (1) avec M. L'Evêque de Toul qui est arrivé à Paris et qui en doit partir pour retourner à Toul à la fin de septembre. Je vous supplie de bien prier Notre Seigneur qu'il tire sa gloire de tout et qu'il nous fasse la grâce d'agir en son esprit. Je ne demande rien plus en ce monde que de le contenter. Demandez-lui pour moi cette miséricorde, ma très chère Mère, et que tout mon moi-même soit fondu en Jésus Christ. Je ne vous dis rien de l'affaire de Saint-Dié ; notre bonne Mère Sous-Prieure vous dira toutes choses. Je crois que vous avez bien de la consolation de voir cette chère Mère et elle d'être auprès de vous pour prendre un peu vos avis dans nos affaires.
Notre chère Soeur d'Arconas s'en retourne entre vos mains, bien heureuse de posséder cette douce consolation. J'en suis toute édifiée et nos Soeurs aussi. Elle commençait un peu à sortir de ses scrupules lorsqu'elle est partie ; elle se trouvait fort bien de communier souvent. Je crois, ma très chère Mère, que vous lui continuerez cette grâce si vous le jugez à propos. Je ne sais si vous serez satisfaite de sa négociation auprès de Son Altesse ; je n'y ai jamais rien espéré, mais il fallait faire une tentative pour ne rien négliger de ce que l'on peut. Je crois que l'on vous donnera du temps et que l'on réduira les sommes. C'est le moins qu'il devrait faire pour Dieu.
Si la divine Providence nous permet de faire le voyage de Toul, Mad. la Comtesse Ide Châteauvieux] sera de la partie ; elle se réjouit fort de vous voir, vous en serez édifiée. Elle est bonne servante de Dieu et bien zélée pour le Très Saint Sacrement. J'aurais beaucoup de choses à vous proposer touchant nos établissements, mais l'espérance que j'ai sur le voyage que nous devons faire d'avoir l'honneur et la grâce de vous entretenir me fait réserver mes pensées pour ce temps. Je vous supplie, ma très chère Mère, de faire quelques communions à votre particulier pour toutes nos affaires et que rien ne vive en nous que Jésus, afin que tout soit pour lui seul et sa très glorieuse Mère. Je suis en lui, ma très Révérende et très chère Mère, votre très indigne fille et très obéissante servante.
Je vous assure que la chère Mère de Jésus [Chopinel] se porte bien, mais elle dit que vous l'avez oubliée. Cela la mortifie un peu.
n°468
( I) Pour le détail de cette fondation. cf. Journal de Toul.
A I.A MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION [GROMAIRE] À TOUL
août 1664
1 faut bénir Dieu de tous les événements contraires, comme de tout ce qui réussit à nos souhaits. Je vous assure, ma très chère Mère,
qu'il faut toujours être prête à voir tout périr et renverser, et l'on ne peut avoir de vrai repos que dans le renversement et dans les contradictions. Abandonnons tout à la divine Providence ; Dieu sait bien ce qu'il veut faire : s'il ne veut rien, j'en suis contente. Sa divine volonté soit triomphante en tout et partout ! Ne vous fâchez de, rien, nous ne faisons rien pour nous. Il faut se laisser dévorer et anéantir par les événements de Providence. Si les affaires que nous manions pour Dieu et qu'il nous a confiées ménagent notre destruction, nous ne perdons pas nos peines. Il ne faut pas douter que nous ne trouvions partout des oppositions. Notre Institut n'est pas agréable à tout le monde, outre que mes péchés peuvent être la seule cause de tant d'oppositions. Ayons patience, ma très chère Mère, et nous tenons ferme à l'ordre de Dieu pour le vouloir en sa manière, et non selon notre esprit.
n" 509 Ms : Cr. C
A LA MÊME, À TOUL
12 août 1664
our répondre à votre chère lettre, ma très chère Mère, par laquelle
vous me témoignez le déplaisir que vous avez du renversement du prétendu établissement de Toul, je vous conjure de ne vous fâcher de cela, ni d'autre chose qui me doive affliger. Je ne sais si c'est la grâce ou la stupidité qui opèrent, mais rien ne m'a surprise ni affligée. Que peut-on attendre de tout ce qui est sur la terre, sinon un perpétuel changement ? C'est une divine et tout adorable Providence qui permet toutes ces vicissitudes pour ne se point lier à la créature et ne s'appuyer que sur la bonté de Dieu. Croyez-moi, je ne fais jamais une affaire que je ne sois toute prête, avec la grâce de Notre Seigneur, d'en voir le renversement. C'est ainsi que l'on me fait marcher, et c'est ce qui me tient en repos quand les coups arrivent.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne autant de tranquillité qu'il m'en donne sur ces deux sujets qui, selon la raison humaine, seraient insupportables, mais qui, dans l'ordre de Dieu, sont pleines de mystères qu'il nous fera connaître un jour. Que si nous regardons l'affront qui \nous en revient, hélas, ma très chère Mère, nous n'avons encore rien souffert en comparaison de Jésus Christ, lorsqu'il était sur la terre et qu'il travaillait jour et nuit pour établir la gloire de Dieu son Père. Il ne faut pas penser que l'on puisse faire des maisons du Saint Sacrement sans que le démon les contrarie. Il fera même ses efforts pour renverser l'Institut, mais tout est dans la main du Seigneur. S'il est pour nous,_ qui sera contre nous ? Il ne faut point se rebuter. Si nous avons le coeur droit, ne nous affligeons de rien, laissons _faire Dieu.
ng' 2501 Ms: Cr C
214 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 215
A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT 1LOYSEAU1
Toul, 24 septembre 1664
... Nous apprenons par notre propre expérience que le démon est bien animé contre notre Institut : nous en avons trouvé un, à notre arrivée, «qui fait tout ce qu'il peut pour tout renverser ; je ne sais quelle gloire Notre Seigneur veut tirer de cette entreprise. Apparemment, les efforts du démon seront vains et Jésus dans le« Divin Sacrement en triomphera et fera, dans le temps, réussir toutes choses à sa gloire.
Toul, octobre 1664
... Nous attendons nos conclusions de Messieurs du Chapitre : après nous cherchons une maison pour y mettre la Croix et y dresser un autel au Seigneur, si néanmoins il tient le démon enchaîné, car s'il le laisse faire, il susçitera encore de nouveaux orages ; je ne crains point : « Si Deus pro nobis, quis contra nos ? » [Rm VI II 31]
..Je ne sais d'où vient que notre bonne Comtesse [de Châteauvieux] est si mal satisfaite de cet établissement, sinon que Dieu lui fait faire pénitence de l'avoir voulu faire pour détruire celui de Rouen. Il faut bénir Dieu de tout !
... Nous ne chômons ni de persécutions, ni de contradictions, ni même d'abjections et cela en plusieurs manières, de sorte que nous n'avons pas toujours mangé du pain depuis notre départ de Paris, ayant fait très souvent et quasi toujours nos repas de fiel et d'amertume (1). Je commence à voir que [dans] la souffrance et la douleur on enfante les Monastères de l'Institut et non autrement. Mais la joie d'y voir adorer le Très Saint Sacrement nous paiera bien nos peines et j'ose avancer qu'une seule Exposition essuiera tous nos déplaisirs, et ne crois pas être trompée. Prenons donc courage et bénissons Dieu en tout et partout ; n'ayons rien au coeur que son amour et en la bouche mille louanges : « quoniam bonus »...
Je m'attends de passer ma vie dans la contradiction, soit que je fasse des établissements ou non. C'est ma portion pour le reste de mes jours. Le pain d'abjection ne me manquera pas, d'autant qu'il me faudrait une suffisance angélique pour remplir dignement la place que j'occupe et je suis la plus misérable de toutes les créatures. Tout ce que je vois et expérimente me confirme de plus en plus qu'il faut tout attendre de Dieu seul. Si cette affaire avait été à mon entière disposition, j'aurais attendu - sans importuner personne - que la main puissante de Dieu fît son oeuvre, m'étant toujours bien trouvée quand j'avais peu recours aux créatures auxquelles Dieu ne veut point que je mette mon appui, mais en lui seul. Oh ! qu'il y a longtemps que je suis dans ces sentiments. ; mais quand j'y demeure abandonnée, ceux qui ne connaissent pas le trait de cette conduite ne la peuvent supporter en autrui, non plus qu'en eux-mêmes. C'est pourquoi il leur faut adhérer, puisque Dieu m'y assujettit : Notre Seigneur le veut ainsi, il faut avoir patience.
Au milieu de tous ces tracas et persécutions, Notre Seigneur m'a toujours tenue en sa sainte main, sans permettre que ma paix soit altérée un moment. Je vis comme une personne en l'air, flottée de toutes parts, sans néanmoins être accablée, et qui n'ose chercher le moyen de se délivrer. Il faut que je demeure dans ma captivité autant qu'il plaira à Notre Seigneur, me laissant crucifier en patience. En vérité, je le mérite bien. Je vous assure que si tous les établissements que Notre Seigneur voudra faire donnent autant de contradictions et de peines que celui-ci, il faut faire une bonne provision de patience : les personnes bien actives y auront à souffrir. Pour moi, je suis ici dans mon repos ordinaire, comme une stupide, qui ne sait quasi ce que l'on dit, ni ce que l'on fait, et qui espère toujours que Notre Seigneur fera son ouvrage comme il lui plaira. Soyez en repos sur ma santé ; elle est très bonne en ce pays.
n" 2355 P101
( I) Mère Mectilde rencontra aussi des sympathies en particulier auprès des prêtres de la Mission de
la maison de Toul :
lu supérieurs :
1664-1667. Emerand Bajoue
1667-1669. Pierre Deheaume
1669-1674. Nicolas Demonchy
1674-1678. Claude Luchet
1678 - 1683. Joseph Ignace Marthe
1683 - 1687. Jean Le Hall
1687 - 1689. Charles Charbon
• 1689 - 1698. Guillaume Doucet
2" confrères :
1670 et 1671 présent Barthélemy Gérard
1693 et 1695 présent René Clerc
1693 et 1695 présent Nicolas Hannequin
1694 et 1695 présent Jean-Pierre Manderscheidt
liste aimablement communiquée par le R.P. Raymond Chalumeau, archiviste de la congrégation de la Mission.
FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE
de Toul 1664
... Je vois votre coeur préparé pour recevoir la Croix qui vous menace et qui ne peut tomber sur vous qu'elle ne tombe sur moi plus violemment. S'il plait à Dieu nous l'envoyer, il en faut bénir son Saint Nom, et ce sera le châtiment que mes péchés méritent.
Le vingt-cinquième de septembre, fête de la diyine 'Volonté, c'est le jour que N6tre Seigneur nous mit en Croix dans la ville de. Toul, et le jour que nous y arrivâmes. Que toute la Communauté remercie Notre
216 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 217
Seigneur et lui demande pardon des fautes que j'ai commises dans l'établissement de ce saint oeuvre. Je prie Notre Seigneur qu'il exalte lui même sa sainte Croix dans nos coeurs, et qu'il nous. tire tout en lui par l'efficace de ses divines paroles. La confiance en Dieu et en sa très Sainte Mère, avec la patience, mettra fin à tout. Cependant vivez en paix au milieu de la guerre. Que votre foi et votre confiance soient en Dieu, par dessus tous les appuis que nous pouvons avoir aux créatures ! Oh ! que je porte envie au bonheur de la pauvre défunte N. ! Enfin elle a fait sa course qui n'a été qu'une continuelle souffrance etc...
n" 1641 Ms : N267
A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [LOYSEAU]
Toul, 21 novembre 1664
.... Nous sommes dans la maison de Monsieur du BAREI L (1), en calme, Dieu merci. Selon les apparences on ne nous fera plus de tempêtes. Le démon, qui a fait sa furie ici, n'y ayant plus rien à faire, s'en est retourné à Paris pour me tailler de l'ouvrage. Soyez sur vos gardes toutes, de crainte qu'il ne nous arrive pis.
n" 2375 Ms : P101
(1) La maison de Monsieur du Bareil était située à Toul, dans la rue Michâtel qui partageait la zone d'influence entre les deux chapitres rivaux de la cité : le chapitre de la cathédrale Saint-Etienne et celui de la collégiale Saint-Gengoult. Cette situation «frontière» créera pour le monastère bien des difficultés avec Fun ou l'autre chapitre. Cependant, d'après le livre des élections priorales et celui des actes de vêture et profession, on peut voir que l'influence du chapitre de la cathédrale fut prépondérante (Renseignements concernant la topographie du monastère de Toul, aimablement communiqués par Mois ieurJ. 011ier). cf. Journal de Toul.
A LA MÊME
Toul, 8 décembre 1664
e n'ai pu vous écrire ces jours passés parce que nous étions toutes occupées à travailler pour dresser un autel au Seigneur, où il lui a plu venir prendre séance parmi nous. O Dieu, que cela est étonnant ! un Dieu parmi nous, un Dieu avec nous ! « Il est venu chez les siens, dit Saint Jean, et les siens ne l'ont point connu». «Il est venu au milieu des ténèbres et les ténèbres ne l'ont point compris» (Jn 1, 11). 0 chère enfant, que je crains d'être du nombre de ces malheureux qui ont Dieu avec eux et au milieu d'eux et ne le connaissent point. Quel malheur de ne point connaitre Dieu, de ne le point aimer et de ne lui point adhérer !
0 mon Dieu, il n'y a que vous d'aimable, de véritable et de permanent! Malheureuse que je suis, je ne vous aime point, je ne vous reçois point et ne vous adhère point comme je devrais ! En vérité cela abîme jusqu'au fond des enfers. Que je ne puis-je mourir de douleur et de regret des affronts que je fais à mon Dieu! O Jésus comment me souffrez-vous ? Chère enfant, je vous appelle à mon secours, gémissez et réparez pour moi. Je sors de notre cérémome où j'ai fait la première amende honorable au Très Saint Sacrement avec une humiliation si profonde et si grande que je ne la puis exprimer. O mon Dieu, que j'en ai de sujet ! Je n'en dis pas davantage, mais je loue Dieu et le bénis de ce qu'il fait son oeuvre sans nous et qu'il n'a besoin de personne «QUON I AM BONUS». Demandez miséricorde pour moi afin que mes péchés n'attirent point l'ire de Dieu sur la terre. Voyez, chère enfant, l'état où je suis. Mon Dieu, mon Dieu, sauvez les pécheurs et faites régner votre divin Fils.
A Dieu, très chère, tendez à être une victime d'amour au Saint Enfant Jésus et honorez sa solitude dans le sein virginal de sa très Sainte Mère.
n" 1047 Ms : P101
A LA MÈRE BENOITE DE I.A PASSION [DF BRÈME
Toul, ce 12è décembre 1664
Ma Révérende et ma toute chère Mère,
Jésus (1,1115 le Très Suint Sacrement de l'autel soit mn', unique vie
uisque son amour l'immole pour nous, il est juste que nous ne vivions qu'en lui, de lui et pour lui. Ayez la bonté, ma toute chère Mère, de m'en obtenir la grâce.
J'espérais toujours, pendant mon séjour ici, que la divine Providence me ferait approcher de vous et que j'aurais la chère consolation de vous voir et, si le temps eût été favorable, j'aurais fait une petite course, allant à Nancy parler à Son Altesse. Je suis si captive de Madame notre bonne Comtesse [de Châteauvieux] qu'elle ne peut souffrir que je fasse ce petit voyage que j'ai néanmoins espéré par celui de Nancy. Mais me voyant quasi à la veille de mon retour à Paris, je crois que je dois sacrifier à Notre Seigneur cette douce satisfaction, pour aller reprendre ma croix dans la maison du Très Saint Sacrement. S'il avait plu à Dieu me laisser ici, j'aurais trouvé bien plus de repos en toute manière ; mais ce n'est pas à moi de faire aucun choix, ainside me laisser à la divine Providence qui semble avoir été ma mère Maîtresse jusqu'à présent. Je crois que M. l'Abbé Ld'Etivall vous aura dit de nos
218 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 219
nouvelles comme je l'en suppliai très humblement. Les pensées que vous m'avez fait la grâce de m'écrire ont été véritables touchant les établissements. L'humiliation me vient toujours en partage, aussi bien après que l'oeuvre est faite comme auparavant. J'en remercie Notre Seigneur et vous supplie d'en faire autant pour moi. La honte, l'opprobre et la contradiction sont mon partage et je me sens si confondue devant Notre Seigneur que je ne sais où me mettre. Son très Saint Nom soit éternellement béni! Je suis indigne de le faire honorer, étant moi-même la plus grande profanatrice de sa Majesté adorable dans le Très Saint Sacrement. Cette vérité m'oblige de lui procurer des réparatrices par l'Institut qu'il lui a plu établir dans son Eglise et qui est présentement confirmé en Cour de Rome (1), ce qui donne plus de force et de valeur à l'adoration perpétuelle de ce mystère d'amour.
Je vous supplie et conjure, ma très chère et plus chère Mère, de m'aider de vos saintes prières et de ne me point abandonner dans mes plus grands besoins, car au milieu de tant de tracas il faut être à Dieu et se tenir en état de mort. J'en ai souvent la pensée, mais qui n'a pas l'efficace que je désirerais pour me porter à la pénitence. Je n'ambitionne qu'une chose, c'est de mourir de douleur pour les outrages que mes péchés ont fait à Jésus mon Sauveur et ceux de mes frères les pécheurs. Plût-il à sa bonté me donner cette grâce, puisque je ne lui puis rien rendre pour tant de crimes ! Du moins que ma vie se consomme en douleur d'amour vers sa bonté infime ! Et après cette saillie, je demeure comme abîmée dans le néant, m'en trouvant infiniment indigne. Je vous supplie, ma toute chère Mère, de témoigner à toute la chère Communauté la dure privation que je souffre de n'avoir pas l'honneur de la voir. Je l'aime toujours très chèrement et tendrement, ne pouvant jamais oublier les grâces que j'ai reçues de leur bonté. Et quoique la société ne se puisse faire de votre chère Maison et des nôtres, cela ne diminue en rien ce que je vous dois être et que je serai tant que Notre Seigneur me laissera sur la terre.
Je crois que notre chère Mère Sous-Prieure demeurera ici pour Supérieure (2). C'est une rude croix pour elle, qu'elle souffre pour l'amour du Très Saint Sacrement. Je vous la recommande, ma très chère Mère, et vous supplie de lui donner les secours qu'elle vous demandera si elle en a besoin. Je ne parle point des biens temporels de votre sainte Maison, mais du reste. Ecrivez-lui souvent, et si vous croyez que je puisse vous rendre quelque service, je suis, ma toute chère Mère, toute à vous, mais très sincèrement.
Au reste, je vous ai la dernière obligation des bontés que vous
(1) Malgré les interventions faites en cour de Rome par la duchesse d'Orléans, qui fit intervenir plusieurs membres de sa famille, la confirmation ne put être obtenue à cette date faute de constitutions approuvées, cf. Dom Rabory, op. cit.
(2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire, sous-prieure du monastère de Paris, a été prieure de Toul depuis la fondation 1664 jusqu'à la nomination de Mère Anne de Sainte-Madelaine par Mère Mectilde. le 20 février 1666.
avez pour Mademoiselle Gérard. Cette pauvre enfant n'a fait ici que pleurer. Elle a bien besoin d'être consolée et protégée de votre bonté. Elle n'a que vous à qui recourir dans ses afflictions qui ne sont pas petites. C'est une pauvre victime sur son bûcher, qui est la croix de sa condition. Elle doit tâcher d'y adorer la volonté divine et de s'y sacrifier doucement et confidemment. Il faut qu'elle se tire de la tendresse naturelle qu'elle a pour elle-même en la vue de ses peines, pour envisager l'ordre de Dieu et s'y conformer, élevant son coeur à Jésus Christ, se souvenant qu'elle est chrétienne et que la profession qu'elle a faite au baptême l'oblige de suivre Jésus Christ en portant sa croix et d'y être crucifiée avec lui. Je vous supplie, ma très chère Mère, de l'encourager dans ses douleurs, le mal étant sans remède. Elle sera doublement misérable si elle n'y prend les moyens de s'y sanctifier. Je vous supplie d'en faire une bonne et fidèle servante de Dieu, et je vous en aurai une infime obligation. En vérité, tout le reste n'est rien l'expérience nous l'apprend tous les jours. Cette enfant vous dira comme il a plu à Notre Seigneur avancer son oeuvre et comme sa charité divine s'est donnée à nous dans le Très Saint Sacrement, ayant posé son trône eucharistique dans notre pauvre petite chapelle le jour de l'Immaculée Conception de la très Sainte Vierge, de sorte. que nous sommes maintenant en clôture. Et je puis dire que nous en avons l'obligation à M. l'Abbé d'Etival que Dieu a choisi pour avancer son ouvrage. Je le prie que le tout soit à sa pure gloire, et uniquement pour lui et pour le salut des âmes qui se damnent incessamment sans vouloir faire usage du sang adorable de Jésus Christ. Je vous conjure humblement, ma très chère Mère, de lui offrir cette petite maison, le priant de tout votre coeur qu'il y vive et règne lui seul et sa glorieuse Mère, qu'il en retranche tout l'humain, que son divin Esprit en soit le premier et principal directeur. C'est une grande joie quand quelque chose se fait pour Dieu seul, mais l'impureté de mon fond m'empêche d'avoir cette consolation. Suppléez pour moi, ma très chère Mère, et soyez ma réparatrice devant ce Dieu d'amour. Je suis en lui tout ce que je vous puis dire et au-delà. Donnez-moi si vous pouvez un peu de vos nouvelles pour ma consolation. A Dieu, ma toute chère Mère. « Dieu est, Jésus est en Dieu », et je désire ardemment que nous soyons en Jésus pour le temps et l'éternité. Amen, cela suffit. C'est votre indigne fille et très obligée servante.
Sr M du St Sacrement Ind. Rse
Je suis bien mortifiée de ne pouvoir écrire à ma chère Mère Dorothée [Heurelle] on ne m'en donne pas le loisir. Ce sera pour le retour de M. l'Abbé d'Etival. J'écrirai aussi à ma pauvre Soeur Mectilde [du St Sacrement Philippe], à la Mère Paul [Pierre] et à celles qui m'ont fait la grâce de m'écrire. Je les embrasse toutes en Jésus très cordialement.
n" 2547
220 CATHERINE DE BAR
A LA MÈRE ANNI DU SAINT SACREMENT ILOYSEAU1
Toul, le 12 décembre 1664
Vous auriez plaisir d'entendre parler ces bonnes gens, ce ne sont plus que des louanges et bénédictions.
Véritablement si cela continue. nous aurons plus de témoignages de bonté de tous ces peuples dans une heure, que nous n'avons reçu de calomnies et de mépris depuis que nous sommes dans cette ville.
Dieu en soit éternellement béni!
n" 3002 M.: P101
A MONSEIGNEt R L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME ÉVÊQUE
El COMTE DE TOUL, PRINCE DU SAINT EMPIRE, CONSEILLER DU ROI. ETC.
le 12 décembre 1664
upplie avec profonde humilité sa très obéissante fille et très indigne
servante la. Supérieure du monastère du Très Saint Sacrement de votre ville de Toul, lui permettre d'introduire dans la clôture du dit monastère, toutes fois et quantes que besoin sera : les confesseurs pour administrer les sacrements et consoler les malades, les médecins, chirurgiens et apothicaires pour les traiter et visiter ; et les artisans pour les ouvrages de leur métier, soit menuisiers, charpentiers, serruriers, maçons et autres pour travailler au dit monastère. Demande aussi avec humble respect la dite Mère Supérieure qu'il lui soit permis, pour le temps de sept ou huit mois seulement, d'entrer dans leur église avec le nombre de religieuses nécessaires pour l'accommoder et ajuster quand elle jugera à propos, y ayant encore plusieurs choses à orner que leurs tourières ne peuvent faire, et ce en attendant qu'elles aient stylé leurs dites tourières ou un sacristain, comme elles ont fait en leur monastère de Paris, les portes de la dite église demeurant closes et fermées tout le temps que les dites religieuses y travailleront, n'y laissant entrer-que les ouvriers ou personnes nécessaires à leurs dits ouvrages. Grâce qu'elles espèrent de votre bonté, Monseigneur, qui les obligera d'augmenter leurs prières pour la santé et prospérité de votre Grandeur.
Sr M. du Saint Sacrement, Prieure.
Sr Bernardine de la Conception, Sous Prieure.
Nous octroyons l'effet de la présente requête aux charges et conditions qui y sont exposés. Fait à Toul, en notre Palais Episcopal, le 12 décembre mil six cent soixante-quatre.
André, Evêque et Comte de Toul
Par commandement de Monseigneur : Bichebois
n " 2757 Ms : PI60 LETTRES INÉDITES 221
A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT [LOYSEAU
Toul, le 15 ou 16 décembre 1664
ous avons reçu les vôtres par lesquelles nous apprenons la part
que la communauté de Paris prend à notre joie et qu'elle en a solennisé la fête ; je vous en remercie du plus intime de mon coeur. En vérité l'union que nous avons toutes en Jésus Christ nous oblige de nous réjouir quand il se présente quelque occasion de le glorifier. Je crois, en tout ce qui me parait ici, qu'il sera bien honoré. Nous travaillons à établir l'adoration perpétuelle au dehors ; presque toute la ville en veut être. Nous faisons des règlements pour cela. et ensuite je m'appliquerai à en faire pour les religieuses de ce monastère.
Depuis quelques jours Notre Seigneur m'a fait la miséricorde de me tenir plus près de lui et de me rendre certaines petites vues de lui et de sa conduite qui me soutenaient du passé et qu'il m'avait suspendues dans nos grandes contradictions. Il lui a plu éprouver notre constance ou, pour mieux dire, épurer nos intentions et nous séparer de son oeuvre, comme indigne d'y mettre la main. Il n'appartient qu'à lui de nous confondre et anéantir, qu'il soit à jamais béni ! Je vous en dirais davantage si j'en avais le loisir ; conjecturez le reste et remerciez Notre Seigneur pour nous.
0 très chère, les conduites de Dieu ne sont pas comme celles des hommes. Mais, de quelque manière qu'il agisse, il est toujours Dieu, toujours bon, saint et juste ; son saint Nom soit béni ! Je ne puis assez l'adorer, bénir et remercier ; aidez-nous, je vous en conjure.
n" 2327 Ms : P101
222 CATHERINE DE BAR • LETTRES INÉDITES 223
A MONSEIGNEUR L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME ÉVÊQUE ET COMTE DE TOUL, PRINCE DU SAINT EMPIRE, ETC.
Le 19 janvier 1665
upplient en toute humilité ses très obéissantes filles et très indi-
gnes servantes, la Mère Prieure et religieuses du monastère du Très Saint Sacrement de votre ville de Toul, disant que, comme leur profession les oblige de procurer de tout leur possible la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel et d'exciter les âmes à lui rendre leurs hommages et vénérations, ce qu'ayant tâché de faire avant qu'elles soient renfermées, en' sorte que plusieurs demoiselles et autres personnes de piété ont demandé avec beaucoup d'instances d'être associées à leur saint Institut, désirant participer à l'adoration perpétuelle et se rendre présentes, quelque heure de la journée, devant l'infime Majesté de Dieu en ce précieux Mystère , ce que les dites suppliantes n'ont voulu accorder sans en avoir premièrement obtenu permission de votre Illustrissime Grandeur .et l'approbation des petits règlements dressés à cet effet, il plaise à votre bonté, Monseigneur, les confirmer s'ils voH sont agréables, afin de donner commencement à ce saint oeuvre qu' lie peut avoir d'heureux succès s'il n'est gratifié de votre h4nédiction épiscopale et de quelques faveurs, dons et privilège que l'Eglise a mis en votre puissance, pour animer par le gain de quelque indulgence les associés à rendre leur adoration plus fervente et plus continuelle, étant certains que le ciel ne laissera jamais sans couronner d'une glorieuse récompense les devoirs que l'on rendra à Jésus Christ en ce divin Sacrement. Cette dévotion, que l'on peut dire l'exercice des anges, attirera de grandes grâces sur les âmes qui s'y rendront fidèles. C'est le souhait des humbles suppliantes, et que toute la ville soit remplie de vrais adorateurs de ce sacré Mystère. Votre Grandeur Illustrissime en aurait de la joie et de la gloire tout ensemble, ne désirant rien plus en ce monde que de le voir connu, aimé et adoré dans ce Mystère d'amour par toute la terre. C'est la prière actuelle des religieuses du Saint Sacrement, et qu'il conserve en santé et prospérité votre Illustrissime Grandeur, puisque vous soutenez si dignement les intérêts du Fils de Dieu dans le mystère eucharistique contre les ennemis de sa gloire.
Sr. Mectilde du Saint Sacrement
Nous octroyons entièrement les fins de la présente requête et concédons, à tous cèux et celles qui entreront à la susdite association, à perpétuité quarante jours d'indulgence avec notre bénédiction épiscopale. Fait à Toul, le 19 janvier de l'année 1665.
André, Evêque et Comte de Toul
A la 4e page de cette lettre autographe restée blanche, on a écrit : « Permission de M. Dussaussay, Evesque de Toul, d'associer au culte du Saint Sacrement
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
à Toul, ce janvier 1665
Loué et adoré soit àjamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et ma toute chère Mère,
7."1> e ne puis partir sans vous témoigner la douleur que je ressens
de m'éloigner de vous sans avoir pu posséder la chère consolation de vous parler. C'est un sacrifice que je fais à mon Dieu, puisqu'il le veut ainsi. Il faut mourir à tous désirs et n'en avoir point d'autres que ceux du Sacré Coeur de Jésus. C'est où je vous remets, ma très chère Mère, et où je tâche de me laisser avec vous, me semblant que la divine volonté doit faire notre vie.
Je m'en retourne à Paris et, si je suivais mon sens, je dirais avec saint Paul : « Je m'en vais en Jérusalem pour y être liée et garrottée » (1). Jésus, mon Divin Sauveur, l'a dit de lui-même : « Nous montons, dit-il en Jérusalem pour être moqué, bafoué et crucifié ». Je ne sais ce qu'il me prépare où je vais, mais je sens bien que j'ai besoin du grand secours de sa grâce et de vos saintes prières pour l'obtenir. Je trouve bien la vérité de ce que vous m'avez dit par vos avant-dernières. Soyez certaine, ma très chère Mère, que l'abjection et la douleur seront mon partage dans les ouvrages du Seigneur. Sa sainte Providence est si bonne ménagère que, parmi les applaudissements apparents de plusieurs créatures, je ne manque jamais d'avoir une bonne portion d'humiliation que je chéris plus que toutes choses, sachant bien que c'est le don précieux par lequel je peux demeurer aux pieds du Seigneur et me défendre de la vanité qui m'est naturelle.
Je ne vous puis dire, ma très chère et intime Mère, combien je suis obligée à l'infime bonté de Dieu. Si j'avais pu vous entretenir, je vous en aurais dit quelque chose, mais il ne l'a pas voulu ; son saint Nom soit béni ! Je laisse ici notre très chère Mère Sous-Prieure pour gouverner le petit troupeau des victimes de Jésus Christ. Je vous la recommande de tout mon coeur ; consolez-là de vos chères lettres dans le sacrifice rigoureux, à son sens, qu'elle fait en nous laissant aller. J'espère que la grâce la soutiendra par vos saintes prières. Elle vous apprendra comme Notre Seigneur bénit son oeuvre et comme l'adoration perpétuelle s'établit parmi les séculiers, venant à notre chapelle faire leurs heures de réparation, la corde au col et le cierge à la main, avec des sentiments pleins de Dieu. Le démon, ou plutôt mes impuretés, empêchaient cette gloire, mais Jésus, mon Divin Seigneur, en a triomphé et, sans considérer ce que je suis dans mes indignités effroyables, il a fait sa sainte volonté, dont je vous prie le remercier.
(1) Peut-être allusion à : Ac. 20, 22 - 23 et Mt. 18,19 et parallèles.
nu 2758 Ms : 1'160
224 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 225
Je voudrais bien vous dire quelques petites choses de cette fondation, mais je n'ai pas assez de loisir. C'est assez de vous dire que c'est la sacrée Vierge qui l'a faite pour son Fils, et qu'elle est consacrée à l'honneur de son âme sainte et de toutes les opérations du Verbe divin en elle, et de ses adorables retours vers lui. Priez cette âme sainte, ma très chère Mère, qu'elle soit l'âme de notre âme et qu'elle nous tire dans ses sacrés anéantissements ; c'est l'état qu'elle a toujours porté sous les opérations du Verbe éternel. Nos chères Mères que je laisse ici vous en manderont quelques choses.
Cependant je pars et vous dis à Dieu dans Dieu, vous laissant dans le Très Saint Sacrement de l'autel avec Jésus Christ qui fait l'amour et le lien de nos coeurs. Qu'il soit à jamais aimé et adoré de toutes les créatures ! A Dieu, j'espère de vous écrire à Paris et de vous dire ce que je ne puis présentement.
Je suis en Jésus votre très' indigne fille et servante
Sr M. du St Sacrement
C'était bien mon dessein d'écrire à notre chère Mère Dorothée [Heurelle] et à notre chère Soeur du Saint Sacrement [Philippe]. Si je puis trouver un petit de temps, je le ferai, sinon ce sera pour Paris. Je les salue et vous embrasse cordialement aux sacrés pieds de Jésus et toute la chère Communauté.
Je vous estime heureuse d'avoir M. d'Etival. S'il était à Paris, je lui demanderais la même grâce qu'il vous fait. J'aurais bien désiré de lui parler encore avant mon départ. Je vous supplie de lui faire mes très humbles respects et actions de grâces. Je lui suis obligée, infiniment plus que je ne puis dire. purger deux ou trois fois avant le Carême ; tâchez de la divertir autant que vous pourrez. Soyez bien soumises et soyez fidèles à Dieu, cela la réjouira.
Nous nous portons bien. Dieu nous conduit par les saintes prières que notre chère Mère et vous toutes, faites pour nous, mais néanmoins mon esprit est demeuré à Toul. Priez Notre Seigneur qu'il me donne le sien pour conduire son oeuvre à Paris comme à Toul et que je lui sois fidèle. J'ai le coeur aussi gros qu'une montagne ; il est plein de douleur d'être hors de la petite maison de Toul ; mais il faut marcher et aller où Dieu m'envoie : «Misit me vivens Pater, et ego» etc... (1) il faut que chacune fasse ce que Dieu lui commande.
A Dieu, mes chères enfants, Jésus dilate vos coeurs et les remplisse de sa sainte paix et joie ! Je suis à vous en lui.
Sr du St Sacrement
Vous m'obligerez de me donner des nouvelles de la santé de notre chère Mère, de nia soeur Marthe [Marguerite Foin] et de toutes en général et en particulier ; prenez bien garde que notre chère Mère ne couche au cabinet sans feu et qu'il ne soit point de charbon à cause du catarrhe. Elle y pourrait être étouffée ; elle serait bien plus en sûreté dans la chambre pour la nuit et, de jour, elle serait au cabinet. Consolez-la, conservez-la, réjouissez-la, autrement je m'en prendrai à vous.
n" 248 Ms : T5 copié sur autographe (1) Jn. 17, 18.
IA MADEMOISELLE CHARBONNIERI
n" 1121 Sur la vocation religieuse
Mars 1665
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
Pour toute la çhère petite troupe des Victimes du Saint Sacrement
Début de février 1665, jeudy au soir
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
fnes chères enfants, comme bien obéissantes je vous ordonne de prendre courage pour l'amour de Jésus et de sa Sainte Mère, et de faire effort d'un peu vous divertir ; soulagez-vous les unes les autres et n'ayez qu'un coeur en Jésus Christ ; ayez soin de la santé de notre pauvre et toute chère Mère [Prieure]. Nous lui ordonnons de se laisser conduire ; pour son coeur, pensez à la purger lundi ou mardi ; il l'a faut
I est juste que j'entre avec vous dans le sacrifice, puisque la
Provi-
dence m'a donné pour vous des entrailles de mère et un coeur rempli d'une intime affection. C'est donc en quelque .façon de mon devoir de vous immoler et de faire en esprit ce que la mère de Melithon (1) fit, portant son cher enfant sur l'amphithéatre pour y être brisé et coupé par morceaux pour l'amour de Jésus. J'entre de tout mon coeur dans les tendresses de mère que Notre Seigneur veut que je vous sois. Je vous reçois non seulement dans la maison du Très Saint Sacrement
(1) Ou Méliton, le plus jeune des quarante martyrs de Sébaste (Arménie) qui souffrirent la mort sous l'empereur Licinius. Comme il vivait encore lorsque les païens emmenèrent les corps de ses généreux compagnons, sa mère suivit le convoi en portant son fils mourant, reçut ses derniers soupirs, et le déposa sur le bûcher qui consomma toutes ces victimes. Dict. Univ. des sciences écciésiostiques, p. 1456.
226 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 227
mais dans moi-même : et, par le courage, je vous immole et vous sacrifie à mon adorable sauveur Jésus Christ, qui est l'unique motif qui vous a fait quitter ce que vous aimez le plus en ce monde, pour vous rendre sa victime et consommer votre vie pour son amour. C'est ici donc que vous avez besoin de toutes les forces de la générosité de votre coeur, pour vous rendre à celui qui s'est donné et se donne incessamment sans réserve tout à vous. Vous l'expérimentez en recevant l'auguste Eucharistie. Il est bien juste que vous lui donniez amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Y a-t-il rien de plus glorieux dans le christianisme que d'être tout à Jésus et se consommer pour lui. C'est ce que vous avez entrepris de faire et qu'il faut continuer jusqu'à la mort. C'est pour cela que vous êtes entrée dans la sainte Religion. Oui certainement, je réponds pour vous que vous n'avez point d'autre motif que de plaire à Dieu, que de suivre Jésus Christ et de mourir pour son amour et de son amour, même en vous immolant avec lui. Vous avez commencé le jour de son entrée dans le sein de sa très glorieuse Mère, où il fait sa première démarche sortant du sein de son Père pour venir au monde. Il entre dans un abîme infini d'anéantissement devant la Majesté de son Père ; il s'offre à lui pour être la caution des pécheurs et pour satisfaire à la justice divine. Il entre dans un état d'humiliation et de souffrance perpétuelle ; il est victime au moment qu'il est incarné ; il est immolé dès l'origine du monde et il se sacrifie et meurt sur la Croix. Voilà, ma chère M. N., où vous le devez suivre.
1. Entrant dans le monastère, vous honorez la captivité de Jésus dans le sein de sa bienheureuse Mère, captivité si grande qu'elle est incompréhensible. Vous devez la considérer, adorer et imiter.
2. L'assujettissement, que les lois de la Religion vous imposent, vous doit lier à la servitude de Jésus sur la terre, et singulièrement son obéissance à sa sainte Mère, à saint Joseph et même aux bourreaux qui l'ont attaché à la croix, envisageant sans cesse et en toutes rencontres l'obéissance de Jésus jusqu'à la mort de la croix.
3. Son état de victime vous doit animer à souffrir et à mourir pour lui. En un mot, il faut que la Religion vous tire de vos propres usages et qu'elle vous rende à Jésus. Prenez bien garde de devenir humaine dans le lieu où vous devez trouver votre sanctification. Elevez toujours votre esprit au-dessus de tout le créé, ne vous mettant en peine de quoi que ce soit que d'obéir à Dieu en la personne de vos Supérieures et de vous rendre actuellement à lui. Mettez dans votre esprit le plus fortement qu'il vous sera possible : DIEU TOUT, et le reste rien du tout. Gravez donc cette vérité dans votre coeur : MON DIEU VOUS -ETES, ET LE RESTE N'EST POINT. Tout ce que vous voyez n'est qu'une ombre, toute la terre et les créatures ne sont rien ; tenez-vous ferme dans cette vue de foi.
Rendez-vous ponctuelle et exacte aux plus petites choses. C'est en cela que vous ferez progrès dans la sainte perfection. Vous savez que
rien n'est petit de ce qui est ordonné de Dieu et qui est fait pour lui. Il dit lui-même : « Serviteur fidèle en petites choses, je le constituerai sur des grandes choses » (2). Conservez aussi un saint mépris de vous-même et une haute estime de la sainte Religion, estimant à grande miséricorde la grâce que Notre Seigneur vous a faite d'y entrer. Ne vous surprenez point des tentations qui vous viendront attaquer. Soyez sincère à les déclarer à vos Supérieures et fidèle à y résister. Ne raisonnez jamais en votre propre esprit et ne croyez jamais à votre sens propre ; renoncez à vous-même pour devenir comme un petit enfant. C'est le dessein de Notre Seigneur qui dit à l'âme religieuse : « SI VOUS NE DEVENEZ COMME UN PETIT ENFANT VOUS N'ENTREREZ POINT AU ROYAUME DES CIEUX » (3). Oh ! que de rares merveilles sont comprises dans ces divines paroles ! Ne vous rebutez de rien. Le démon vous aveuglera et vous fera voir plus de sainteté au monde et votre vie passée meilleure que celle qu'on mène en Religion ; ne le croyez point. Dites, pour répondre aux raisonnements de votre esprit propre et aux objections de la tentation : je ne suis point venue en Religion pour ma propre perfection, mais purement pour obéir à Dieu qui l'a voulu et pour me sacrifier pour lui avec Jésus, souffrant toutes sortes de. peines et d'humiliations pour son amour. Enfin, chère N., vous devenez victime, c'est-à-dire que vous êtes destinée à la mort, et que la Religion du Saint Sacrement sera le lieu de votre supplice, où vous devez être égorgée et rendre votre âme à Jésus Christ. «CELUI QUI PERD SON AME POUR L'AMOUR DE LUI LA GARDERA POUR LA VIE ETERNELLE (4). Ne retournez point en arrière. Je me rends à Notre Seigneur pour être votre caution et pour être toujours votre pauvre et très indigne Mère qui a pour vous tout ce que vous pourrez désirer dans cette qualité. Le désir, la crainte, l'amour et la timidité font un combat dans votre coeur ; jetez-vous à corps perdu entre les bras de Notre Seigneur ; vous ne voulez rien que pour lui. Il aura soin de votre conduite et de tout le reste. Je le prie d'être votre force.
Si vous persévérez, j'aurai grande joie de vous présenter au Père Eternel avec Jésus Christ son Fils (5), le jour que l'amour le sacrifie
dans le mystère eucharistique et qu'il l'y fait la victime du monde,
épanchant son Sang mystiquement sur l'autel pour nous obtenir miséricorde, et sur nos coeurs pour nous consommer en son amour. Je serais
bien aise qu'à ce grand et admirable jour, auquel l'amour divin épuise tout ce qu'il a de puissance en faveur des hommes et de votre âme en particulier, que vous lui rendiez le réciproque, selon votre possible, amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Courage donc, M. N. ; faites courageusement votre sacrifice.
n.. 478 Ms : N267
(2) Mt 25,21 - 24. (3) Mt 18.3. (4) Luc 9,24.
(5) Françoise Charbonnier (Soeur François de Paule), née à Saint-Mihiel, évéché de Verdun. Fille de noble Charles Charbonnier, l'aîné, et de Marguerite La Vesle. Elle entra au monastère de Toul le 24 mars 1665 et prit l'habit à 23 ans, le lundi de Pâques, 6 avril 1665. Elle fit profession le 15 mai 1666. Elle sera prieure en mars 1685 du second monastère de Paris, rue Saint Louis, où elle mourra en 1709, après 24 ans de priorat.
228 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 229.
[A LA MÊME]
mars 1665
771'
écus immolé sur nos autels soit la force et l'amour de cette chère enfant qui brûle de désir de s'immoler soi-meure à sa pure gloire, mais qui souffre de cruels combats de toutes parts ! Il faut se résoudre
d'avoir des assauts violents que le démon et l'amour propre ne manque-
ront pas de susciter; j'ajoute à ces deux ennemis un troisième qui est le raisonnement humain de l'esprit, qui fait pour le moins autant de rava-
ges que les deux autres, et ce d'autant plus fort adroitement qu'il paraît
juste et raisonnable. Je vois en esprit ce coeur au milieu de ces combats, ne sachant quelquefois à quoi se déterminer. D'un côté, elle se sent
attirée à la solitude et à la séparation du monde pour conserver une vie
innocente et agréable à Dieu, ne voyant pas les moyens de faire saintement dans le monde ce que l'on fait dans la vie religieuse ; de l'autre,
elle craint l'avenir, les scrupules, les timidités d'une conscience qui
lui reproche qu'elle a suivi son propre mouvement, qu'elle n'a ni ordre ni permission de son directeur et qu'elle s'expose à de grands incon-
vénients de peines et inquiétudes. Et à tout cela, très chère en Jésus,
je vous répondrai : Sondez votre coeur, pourquoi voulez-vous vous sacrifier dans la sainte religion si ce n'est pour vous rendre plus confor-
me à Jésus Christ, pour vous séparer plus entièrement de vous-même et pour aimer Dieu uniquement ? Sur cela, j'ai à vous dire une chose, c'est que vous devez former solidement le dessein que vous avez pour la Religion.
Premièrement, pour suivre l'attrait de la grâce de Notre Seigneur-en vous qui vous y appelle.
Secondement, pour y vivre dans l'obéissance perpétuelle où jamais votre volonté ne doit trouver de place et où le sacrifice perpétuel sera votre pain quotidien ; que même il ne vous sera pas permis de
faire les bonnes choses à votre mode, mais à la manière qu'elles se pratiquent par les Règles et Constitutions ; que vous serez bornée en tous vos désirs ; que vous ne ferez rien moins que ce que vous aurez
inclination de faire ; et comme Notre Seigneur n'a jamais fait sa volonté sur terre, de même vous ne ferez pas la vôtre en Religion.
Que ce divin Sauveur ayant pratiqué une obéissance éternelle, je veux dire jusqu'à la mort de la Croix et sur l'autel où il continue son obéissance, de même, dans notre Institut, il faut vivre et mourir dans l'obéissance sans jamais discontinuer d'obéir.
Ayant donc examiné ce que votre âme cherche dans le monastère, et trouvant qu'elle ne prétend autre chose que de suivre Jésus son divin Maître et son aimable époux sur le calvaire, elle n'a rien à craindre pour le reste. Courage donc, allez où Notre Seigneur vous appelle, soyez contente et généreuse pour lui. Priez-le qu'il conduise vos pas.
Entrez pour vivre et mourir avec lui. Je consens que l'on vous donne le saint habit le jour de Pâques, si vous persévérez, afin que vous entriez avec Jésus Christ en sa vie nouvelle et que, comme dit saint Paul, vous ne cherchiez plus rien sur la terre. Que le monde et les créatures soient demeurés dans le tombeau et vous que vous entriez dans la vie ressuscitée du Fils de Dieu, où l'âme ne goûte plus rien de la terre, devenant impassible à tout ce qui est de la nature et des sens, passant ensuite dans les autres dots de gloire, mystérieusement, dès cette vie, pour entrer dans une jouissance éternelle de Dieu présent.
A Dieu, c'est le bonheur que je vous désire. Je suis en lui toute à vous.
[T5 ajoute : Faites-moi savoir si vous êtes dans la pensée de faire
votre sacrifice le Jeudi Saint, afin que je vous serve. n- 1536 Ms:C405
A LA SOEUR M. DE SAINT-FRANCOIS DE PAULE 'CHARBONNIER'
Avril 1665
n" 'est donc tout de bon que vous êtes revêtue de l'habit des victimes de Jésus au divin Sacrement de l'autel. C'est donc maintenant que vous devez marcher en « nouveauté de vie » et que rien de la terre ne doit plus avoir d'empire sur vous. C'est à présent que vous pouvez dire : « Je ne suis plus du monde », je n'ai plus rien du monde, et n'attends plus rien au monde ; le monde m'est excommunié, je n'ai plus de part avec lui ; désormais ma conversation sera avec les anges et avec les victimes de Jésus. Oh ! que vous serez heureuse si vous vous séparez effectivement des créatures ! Que vous serez heureuse si vous v ivez de la vie de Jésus !
Est-il pas juste que, comme il a quitté en une manière le sein de son Père pour venir dans le mystère eucharistique pour l'amour de vous et. pour demeurer par son amour infini «USQUE AD CONSOMMATIONEM SAECU LI », que vous quittiez le sein de votre mère, les tendresse de messieurs vos parents, pour vous retirer aux pieds des saints autels, où Jésus fait sa résidence, et y demeurer avec lui ? Oh ! que nos coeurs sont durs au regard de l'amour si tendre et si ardent de ce divin Sauveur pour nous ! Considérez souvent, ma très chère fille, les bontés ineffables de cet aimable époux qui se captive sous les espèces et se tient renfermé dans les tabernacles pour l'amour de vous. On s'estime heureux de demeurer chez les monarques de la terre. Hélas ! qu'est-ce de leur grandeur sinon vanité et affliction d'esprit, comme nous l'apprenons du plus grand roi qui ait été jamais sur la terre : Salomon. Mais quel bonheur de demeurer chez Dieu, d'être logé sous un même toit, de
230 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 231
n'avoir qu'une même maison ! Pouvant dire que vous demeurez avec Dieu, n'est-ce pas un bonheur extrême ? Je vous conjure de le bien estimer. David ne demandait point à Dieu de plus grande fortune, et il aimait mieux être le plus abject de tous les hommes du monde dans la maison de Dieu que d'être le plus grand de tous dans la demeure des pécheurs, qui est le monde.
Aimez l'honneur que Dieu vous fait. Conservez-vous en sa grâce par une fidélité inviolable, sans gêne ni contrainte d'esprit, mais avec une sainte liberté de coeur. Ne cherchez et ne désirez que Dieu, ne demandez que Dieu. ne préférez rien à Dieu. Que votre coeur n'aime que lui, en lui, et pour lui, et vous aurez une paix continuelle. Mais sachez que les sens ne nous font point trouver Dieu ni le posséder véritablement, mais bien la foi et la pureté du coeur. C'est pourquoi ne vous mettez nullement en peine quand les douceurs et les lumières intérieures viennent à manquer ; il faut aimer d'un amour plus fort. Une victime doit aimer Dieu du pur amour, puisqu'elle ne vit que pour être égorgée et immolée à son Dieu. Soyez indifférente à tous états, mais ne sortez jamais de la confiance et abandon de tout vous-même à Jésus. Adieu ; j'ai une grande joie des miséricordes que vous recevez de Notre Seigneur, priez-le pour moi et me croyez en lui toute à vous.
nii 187 Ms : C405
A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I Prieure à Toul
1 1 avril 1665
e ne vous fait qu'un petit mot aujourd'hui, ma chère Mère, ayant ç-e été la matinée obligée à une action de réparation que nous avons faite pour un accident funeste, arrivé hier la nuit dans l'église des Religieuses de la Congrégation de Notre-Dame (1) du Chasse-Midy, où on déroba, entre une et deux heures après minuit, le saint ciboire et, par providence, les saintes hosties jetées sur l'autel, ce qui a causé une sensible affliction à ces pauvres religieuses et à nous aussi. Or, comme la muraille d'entre elles et nous est tombée depuis quelques jours, nous avons cru que nous devions aller rendre hommage au Très Saint Sacrement
(I) Anne Marguerite de Rohan, abbesse de la Trinité de Caen, à la mort de Madame de Budos, échangea sa charge en 1664 pour l'abbatiat de Malnoue. Son oeuvre principale fut le rachat de la maison des Augustines de Laon. rue du Cherche-Midi (anciennement Chasse-Midy), à l'intersection de la rue d'Assas. Elle leur donna la règle de Saint Benoit. Leurs Constitutions furent approuvées par Dom Claude Bretagne, au titre de Prieur de Saint-Germain-des-Prés et de Grand Vicaire de Monseigneur François de Harlay de Champvallon. En 1687, elles furent éditées chez Jean-Baptiste Coignard, rue Saint-Jacques.
dans leur maison ; c'est pourquoi nous y sommes allées toutes en procession, ce matin, après la basse messe.
L'ordre y a été fort bien observé et voici comment : celle qui portait la croix marchait la première avec les deux acolytes; toute la communauté suivait, deux à deux, et chacune la corde au col et la torche en main. Nous étions la dernière, portant sous une grande écharpe un saint ciboire sans hosties, et à côté de. nous Madame la Comtesse [de Châteauvieux] et la N., la corde au col comme les autres et nous de même, tenant ce sacré vase où le Très Saint Sacrement devait être logé. Les bonnes Mères du Chasse-Midy apercevant la sortie de notre procession, elles ont commencé à sonner leur cloche et, en même temps, se sont mises aussi en ordre de procession et sont venues à la rencontre pour nous recevoir. • Ayant approché, elles se sont retirées de part et d'autre se rangeant en haie pour nous laisser passer, et puis elles se sont jointes à notre procession. Entrant dans leur choeur, nous avons fini le « miserere » que nous chantions par le chemin et, nous jetant toutes à genoux, nous avons chanté : « Domine non secundum peccata nostra... » Ensuite nous avons chanté une antienne au Très Saint Sacrement et une à la très sainte Vierge, et moi, entrant au choeur, la supérieure m'ayant prise par la main pour me conduire à un siège d'honneur qui était préparé, je lui ai mis entre les mains le sacré ciboire que je lui portais, et l'ayant pris avec la grande écharpe, l'a porté sur la grille. Et le confesseur, revêtu du surplis, est venu le prendre dévotement et y a mis les saintes hosties, et toute notre compagme ayant fini l'antienne de la sacrée Mère de Dieu, nous nous sommes prosternées contre terre avec nos flambeaux allumés entre les mains et la corde au col. Le rideau de la grille étant levé, tout le peuple qui s'est trouvé dans l'église et les bonnes religieuses du Chasse-Midy se sont mis à pleurer, à sangloter fondament. Entre autres, un monsieur de qualité qui s'y est trouvé a tant pleuré qu'il n'en pouvait revenir. Il ne s'est pas contenté d'éclater en gémissements, il est venu à notre « tour » achever de verser ses larmes et nous dire qu'il aurait mieux aime perdre un royaume que de ne s'être pas trouvé à cette action, et qu'elle serait la cause de sa conversion, qu'il allait se donner à Dieu de toutes ses forces, et plusieurs autres choses fort touchantes qu'il a dites à nos soeurs, se noyant dans ses larmes et entrecoupant ses paroles de sanglots.
Revenant à notre procession, j'achèverai en disant qu'après avoir demeuré toutes prosternées l'espace d'un demi-quart d'heure, nous nous sommes relevées et avons chanté : «Pange lingua». Et à la fin, le prêtre, ayant dit l'oraison du Très Saint Sacrement, nous a donné la bénédiction du Très Saint Sacrement. Après un petit de temps, nous avons commencé le «miserére» et, après en avoir chanté trois versets, la croix ayant marché, nous sommes toutes revenues processionnellement en chantant et les bonnes mères nous ont reconduites de même jusqu'à la brèche.
232 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 233
Voilà, ma chère Mère, remploi de notre matinée qui nous a ravi le temps de pouvoir écrire comme je le souhaitais à nos chères soeurs. Il semble que Notre Seigneur ait, par une providence particulière, permis la rupture de nos murailles pour nous donner moyen de lui aller rendre nos adorations au lieu où il a été profané. Nous en avons été si touchées que nous n'en pouvions revenir, mais, à présent, en suis consolée car je vois que Notre Seigneur tire sa gloire du péché même. Il en soit à jamais béni !
n" 1265 Ms : CrC
A LA MÉME
15 avril 1665
e ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles e—P de Jésus « Pax vobis », la paix de Jésus soit en vous, règne en vous et demeure éternellement avec vous !
C'est cette paix que Jésus donne à ses disciples et qui est la marque ou un effet de sa glorieuse résurrection. Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son Esprit, il lui donne son amour ; c'est une grâce merveilleuse d'avoir cette paix qui calme le trouble de nos intérieurs, qui chasse les craintes, qui tient l'âme dans un simple et amoureux abandon à l'opération divine. Oh ! que cette paix est précieuse, ma toute chère ! Je vous la désire du plus intime de mon coeur et prie Notre Seigneur de la mettre pour toujours au milieu de votre coeur. Que cette paix soit dominante sur tout vous-même, en sorte que votre âme soit environnée et soutenue de cette paix divine, que rien de la terre ni de l'enfer même ne vous la puisse ôter. Et qu'en tout et partout, vous portiez la paix de Jésus, c'est ce que je vous souhaite, ma toute chère Mère. C'est la bonne portion que Notre Seigneur nous donne dans le mystère de sa vie ressuscitée. Il faut la recevoir avec respect et le supplier qu'il la rende immuable par sa vertu divine.
Et qu'est-ce que cette paix, sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos coeurs ? C'est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l'assure : « In pace locus ejus ». Et si nous l'avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour. O la grande et adorable possession ! Priez Notre Seigneur, ma toute chère, qu'il nous donne sa paix ; mais que dis-je, nous la donne, mais qu'il nous fasse la grâce de recevoir la sainte paix avec toutes ses suites et ses sacrés effets, afin que nous soyons en vérité les enfants de Dieu qui sont mus et animés de son même Esprit.
n" 1120 : Cr C A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
avril 1665
e suis, ma toute chère Mère, dans une très grande impatience
d'apprendre de vos nouvelles. Je vous les demande instamment dans l'appréhension où je suis que l'affliction que Dieu vous a donnée en la mort de Madame votre chère soeur n'ait intéressé notablement votre santé. Tirez-moi de peine, je vous en supplie, et croyez que vous m'êtes tous les jours plus intime devant Notre Seigneur. Je ne sais ce qu'il veut de moi pour vous, mais votre âme est bien mêlée avec la mienne. J'ai honte à vous dire cela, étant ce que je suis, mais vous le voulez bien souffrir par une humilité très profonde. Je ne vous en dis pas davantage. Je voudrais que vous vissiez mon pauvre coeur, qui est plus à vous qu'à moi-même. A Dieu, Caton vous dira de nos nouvelles, et comme nous sommes dans la douleur d'un accident arrivé cette nuit aux religieuses du Chasse-Midi, nos voisines. On a volé le saint ciboire et, par miséricorde, ils ont renversé sur l'autel les saintes hosties. J'en suis demeurée si transie que je n'en suis pas encore bien revenue.
Toute notre communauté vous aime furieusement et me sollicite de vous prier de venir avec nous. Soyez assurée que la pauvre petite Maison du Saint Sacrement est toute à vous, mais si certainement que Montmartre n'est pas plus à vous que cette pauvre petite retraite. Priez Notre Seigneur qu'il s'y glorifie ; ses bénédictions augmentent dans la petite communauté de jour en jour. J'avoue que j'en suis admirée, [dans l'admiration ]. Si je n'y fais obstacle, tout ira en bénédiction.
Ils font merveille à Toul. Les réparations publiques se sont faites
cette Semaine Sainte par les personnes de qualité. Les dames et demoiselles s'y sont rendues exactement au nombre de cinq à chaque heure du jour, à la vue de tout le monde, la corde au col et la torche à la main. On n'a jamais rien vu de si touchant. Tout le monde fondait en larmes. Mademoiselle Charbonnier y a pris le saint Habit lundi dernier on la nomme : Marie-Françoise-Angélique (1). Priez Dieu pour sa persévérance ; c'est un excellent sujet selon que notre chère Mère me mande (2), elle vous fait mille embrassements.
A Dieu encore une fois ; je vous conjure de me faire savoir si vous avez besoin de quelque chose. Nous vous tenons comme Fille du Saint Sacrement et, par conséquent, notre très chère et intime.
Ce Vendredi, octave de Pâques 1665.
n" 1470 Ms : N254
( 1) Elle figure sur les registres de vêture et profession du monastère de Toul (actuellement aux archives du monastère de Bayeux) sous le nom de Soeur Marie dé Saint-François de Paule.
(2) Mère Bernardine de la Conception, bien connue des religieuses de Montmartre où elle a séjourné de décembre 1641 à décembre 1642, cf. C. de Bar. Documents, 1973, p. 38 et 64.
234 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 235
A UNE RELIGIEUSE DE TOUL (I)
[1665 date probable I
IL. 'on voit manifestement la main de Dieu qui soutient son oeuvre. Li Nous n'attendions point de si favorables nouvelles que celles que vous avez eu la bonté de nous mander ; il en faut bien louer et remercier Notre Seigneur. Hélas ! n'étaient mes infidélités, sa bonté ferait bien d'autres choses encore plus importantes à sa gloire dans notre Saint Institut. Mais je lui suis si opposée, que je l'obligerai à le priver de très grandes grâces. C'est pourquoi je recevrai la mort de bon coeur pour n'être plus opposée à la sanctification d'une si bonne oeuvre. Priez Dieu qu'il ne me considère pas, et qu'il ne retire pas sa bénite main de dessus cette maison qui me serait un sujet de tentation, si je voulais y approfondir mes pensées.
Elevez les âmes dans l'abnégation d'elles-mêmes, et de bonne heure qu'elles renoncent à leur propre jugement etc... Recommandez le tout à la très sainte Vierge, et la priez qu'elle remercie son Fils du bon secours qu'elle vous a donné dans le temps le plus contraire, et où les hommes étaient plus secrètement opposés à nos prétentions. Mon Dieu, que tous ces événements favorables de la divine Providence nous doivent bien attacher à Dieu êt -tout espérer de sa pure miséricorde ! Vous voyez comme il fait tout, et que nous n'avons qu'à nous confier et abandonner à son aimable protection. JESUS EST LE ROY ET LE SOUVERAIN DES FILLES DU SAINT SACREMENT. 11 sait bien que je n'ai aucun pouvoir au Ciel ni en la terre et que toute mon attente est en Lui et à sa très sainte Mère. Nonobstant nos infidélités, ayons toujours recours à lui par dessus tout ; « NISI DOMINUS EDIFICAVERIT DOMIN U M (2) » etc... S'il ne le fait, rien ne se peut faire.
n" 2148 Ms : N267
(1) Mère Anne de Sainte Madeleine. maîtresse des novices.
(2) Ps 126,1.
A LA M ÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION IGROMAIRE 1
Prieure à Toul
16 mai 1665
Ma très chère Mère,
e vous fais ces mots dans ma solitude où j'entrai hier. Il me semble que je suis dans un autre monde d'être un peu en solitude ; j'en avais un extrême besoin. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse la
grâce de son Ascension et nous donne son Saint Esprit : c'est ce que je veux demander tous les jours. J'ai commencé ma solitude par l'action de grâces, me sentant reprocher de l'ingratitude avec laquelle j'ai vécu toute ma vie sans reconnaître les bontés de mon Dieu, mais singulièrement sa patience divine qui m'a soutenue et soufferte depuis tant d'années que j'ai consommées dans le péché. Et son aimable bonté a fait la sourde oreille, ne voulant pas entendre les cris de sa justice qui demandait qu'il m'abîmât dans les enfers. Je m'en sens si obligée à la patience et à la charité de Jésus mon Sauveur, que je suis résolue de passer cette retraite en action de grâces de tous les bienfaits de Dieu, tant de ceux que je sais que- de ceux que je ne connais pas et dont il me gratifie tous les jours. Oh ! combien de fois les démons nous feraient-ils tomber en mille désordres, si cette ineffable bonté n'arrêtait le cours de leurs malices sur nous ! Je vous prie, ma très chère Mère, que l'action de grâces soit aussi l'occupation de votre esprit. Combien en est-il de malheureux qui n'ont pas tant offensé Dieu que moi ! Cependant il les laisse misérables dans l'erreur et dans d'effroyables calamités. O mon Dieu, que de miséricorde en Jésus pour nous ! Pourquoi être conservé pendant que les autres périssent. Je vous prie encore une fois de vous occuper des bontés de Dieu sur votre âme, afin que nous y fassions en ce même temps une même action de grâces, et que votre âme reçoive de nouvelles forces en la vue de tant de bienfaits que nous avons reçus toute notre vie, et que nous ne mourions pas dans 1 'ingratitude.
Voilà déjà une petite saillie de ma retraite mais, si vous le voulez bien, je continuerai, quand je vous écrirai, à me divertir un peu avec vous.
n" 1750 Ms : Cr C
A LA MÊME
20 mai 1665
Jésus soit votre force, votre vie et votre consommation ! Ma chère Mère,
"'Te le prie qu'il vous unifie par les dons de ce Saint Esprit que je Le désire au fond de votre coeur comme je le voudrais pour moi. Si nous avions cet esprit d'amour, cet esprit de paix, cet esprit de force et de sapience, nous serions avantageusement partagées. Je le demande pour vous, mon unique Mère, de toute la capacité de mon coeur qui est tout compatissant au vôtre. La visite s'est passée fort doucement et tout est en calme le plus grand du monde. Pour moi, je suis dans la soli-
236 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 237
tude que je goûte plus intimement que je n'ai fait depuis longtemps. Il me semble que j'en suis déjà quasi sortie. Je n'ai plus que, trois ou quatre jours qui s'écouleront comme le vent et, après cela, il faudra retourner au tracas. Dieu soit béni ! Il me semble qu'il me fait beaucoup de miséricordes quand il conserve le fond dans la paix. Pourvu qu'il ne permette point que je l'offense ! Il n'a du reste qu'à faire comme il lui plaira. C'est de bon coeur que je le veux dire. Nous devons croire par la foi qu'il nous aime comme ses enfants et c'est une vérité infaillible ; donc, nous devons nous reposer en ses soins et en sa maternelle bonté. Oh ! qu'une demi-once de foi nous ferait grand bien et nous délivrerait de plusieurs peines, ayant une entière confiance en lui! Il veut cela de nous, et cela d'autant plus que c'est par sa pure bonté qu'il nous fait grâce et miséricorde et non par nos mérites. J'aime mieux qu'il me sauve par sa charité et bonté divine que par mes oeuvres. C'est un souverain bonheur de relever de cette essentielle bonté et de se voir lui être redevable de toutes choses. Mon Dieu, ma toute chère Mère, tenons nous-y fortement attachées; jamais la justice divine ne nous en arrachera, c'est un vrai et assuré moyen de nous en délivrer.
n" 982 Ms : N267
A LA MÊME
23 mai 1665
err e prie l'Esprit de vérité éternelle, le divin Paraclet que Jésus nous
a promis et qui viendra demain renouveler dans l'Eglise la descente qu'il fit autrefois sur les apôtres, qu'il nous éclaire de ses lumières et nous brûle de son feu. Et je le prie encore qu'il orne votre âme de ses dons divins pour faire et soutenir toutes choses dans l'ordre de la volonté de Dieu. Je ne vous écris que très peu aujourd'hui étant la veille de la Pentecôte et le dernier jour de ma chère solitude que je quitte avec quelque sorte de regret, d'autant que le tracas des affaires est un poids à mon esprit, qui s'y plonge de telle sorte qu'il en devient stupide pour Dieu. J'ai bien besoin de vos saintes prières pour vivre de son Esprit et avec les soumissions que je dois à ses saintes volontés.
1.1 faut marcher par les ténèbres et les obscurités quand il faut faire ce que Dieu veut. C'est en vérité être victime, car il y a bien à soutenir, et le plus fort est le poids de l'intérieur qui est souvent crucifié et dans des dispositions qui donneraient beaucoup d'inquiétudes si l'on ne s'abandonnait. Je trouve que c'est ce que nous devons faire au-dessus de toutes choses, c'est-à-dire de nos vues, de nos sentiments et même de notre éternité qui est la chose la plus rude à sacrifier. Or que Dieu fasse donc en nous et de nous selon son bon plaisir ; il n'y a plus rien à dire puisque nous sommes les ouvrages de ses mains, et qu'il a droit de faire de nous tout ce qu'il voudra sans que nous puissions y trouver à redire. Tâchons de vouloir ce qu'il veut, même d'adorer et d'accepter ses conduites secrètes et ses desseins sur nous. Ne sortons jamais de cette disposition quelques vues que nous puissions avoir de nos misères et de notre perte. Laissons le soin de notre éternité à Jésus Christ, et tâchons de le faire honorer sur la terre et de lui rendre nos hommages et nos adorations pour chétives qu'elles soient, sans retour sur nous non plus que sur l'enfer, d'autant que nos retours ne sont que pour nous affliger et nous tirer de notre saint abandon, qui donne plus de gloire à Dieu, dans notre pauvreté, que dans toutes nos réflexions, douleurs et tristesses, qui, sous de beaux prétextes, nous tirent de la confiance aux mérites de Jésus Christ, de sa charité divine. Je vous prie, ma toute chère Mère, observons ceci et nous trouverons le repos et la paix du Saint Esprit.
n" 1313 Ms : N267
A LA MÊME
2 juin 1665
`.""re devance le temps, prévoyant bien que je n'aurai pas le loisir de Le vous dire deux mots sur les vôtres du 27ème du mois passé, par laquelle je vois le peu de confiance que vous avez à ce que je vous promets de la part de Notre Seigneur. Je ne puis que je ne vous le réitère, et vous proteste que ce n'est point pour vous consoler ce que je vous en écris, mais pour aider à vous délivrer d'une tentation que je sens que vous portez en fond, jusque dans la moelle de vos os, et qui vous serre le coeur et empêche la dilatation vers Dieu, et que vous goûtiez ses infinies bontés.
Je puis vous dire, ma très chère Mère, que vous offensez plus Notre Seigneur par le peu de confiance que vous avez en sa charité divine sur votre âme que par tous les plus grands crimes que vous puissiez commettre. Il ne peut souffrir que vous blessiez son amour. Je vous conjure de porter croyance à ce que je vous dis. Cette crainte que vous avez, et ce fond imprimé de la justice de Dieu sur vous, ne portent point de bons effets dans votre âme. Notre Seigneur veut que vous le regardiez dans ses bontés infinies sur vous, non selon ce que vous sentez en vous-même ; vous diminueriez cette adorable bonté qui est un attribut divin. Mais élevant votre foi, confiez-vous en elle, par elle-même, sans envisager ce que vous êtes et ce que vous méritez d'être. Voilà le moyen de vivre comme Jésus veut et de recevoir les effets de sa miséricorde dans la pureté de son Esprit. Autrement vous donneriez des bornes à sa bonté et la mesureriez selon le bien ou le mal que vous
238 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 239
sentez en vous-même. Or Dieu n'est pas bon parce que nous sommes bonnes ou que nous avons de bonnes dispositions, mais il est bon par essence, il est bon par lui-même. Sa gloire et sa félicité sont d'être bon, notamment envers les pécheurs. C'est pour eux que Jésus est venu sur la terre et point pour les justes. Voilà des effets infaillibles de cette divine bonté, à laquelle nous devons avoir d'autant plus de confiance qu'il n'a rien considéré, après la gloire de son Père, que le salut des pécheurs. Je vous conjure de vous jeter à corps perdu dans cet abîme de bonté, et vous y perdez sans jamais vous réfléchir volontairement sur vous-même, ni sur les misères de la vie passée. Dieu nous donne selon notre foi, qu'est-que cela veut dire, sinon qu'il nous exauce selon la confiance que nous avons à sa bonté ? Il ne demande que cela des pécheurs. Pour le reste il y a fourni par son sang et par ses mérites.
Nous voyons dans le saint Evangile que le Fils de Dieu, voulant guérir un lépreux, un hydropique, un aveugle, il ne leur disait autre chose : « QU'IL TE SOIT FAIT SELON TA FOI », c'est à dire selon ta confiance. Ayez, ma très chère Mère, cette amoureuse confiance, c'est la seule chose qui manque à votre intérieur, et qui vous donnera une sainte vigueur d'esprit et chassera la crainte excessive et mercenaire et la timidité et défiance de vous-même, qui est bonne quand elle n'est pas dans l'extrémité où est la vôtre. Voilà vous dire ce que vous n'ignorez pas. Je suis pressée intérieurement de vous le redire encore, et ne sens point en vous rien qui contrarie le Saint-Esprit que cela ; et si vous tâchez de vous en retirer, vous verrez la plénitude de bénédiction qui vous sera donnée. Tout ce que vous voyez en vous qui vous touche et qui vous rend criminelle dans votre pensée n'est rien. Il n'y a que ce seul point qui s'oppose à l'amour de Dieu. Je vous conjure par son Sang adorable de vous persuader de cette vérité que je reçus hier à la sainte Communion pour vous. La seule confiance en Dieu est votre nécessaire et la pièce principale de votre intérieur. Négligez tout le reste pour avoir de celle-ci, avec laquelle je vous promets plus de bien et de grâce que vous n'oseriez penser, et croyez que je ne vous trompe point, ni ne vous flatte point. Je vous le dis avec la même force et sincérité que je voudrais vous le dire si j'étais au moment de la mort. Encore une fois mettez la confiance à la place de la crainte et Dieu sera content de vous. Mais vous n'aurez point de vrai repos en ce monde avec lui si vous ne faites cela. Il le veut absolument de vous et que vous vous confessiez quand vous aurez, par réflexion sur vos misères, manqué à cette amoureuse confiance.
n0968 Ms : N 267
A LA RÉ VÉ RENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION DE BRÊME I Prieure de Rambervillers
2ème de juin 1665
Loué soit à jamais la Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et ma plus chère Mère,
e m'est une rude mortification d'être toujours dans la captivité
de nos affaires, d'autant qu'elles me privent de la douce consolation de vous pouvoir entretenir comme mon affection le désirerait. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'en sortir cette année et que j'aurai ensuite un peu plus de loisir. En attendant je vous fais ce mot, ma très honorée et plus chère Mère, sur celle que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, pour seulement vous assurer que je l'ai reçue comme une manne du Ciel, tant elle m'a semblé remplie d'onction, et je l'ai reçue d'autant plus cordialement qu'il y avait très longtemps que je n'en avais reçu.
Je remercie Notre Seigneur Jésus Christ dans la divine Eucharistie de toutes les bénédictions que votre chère Communauté reçoit de ce mystère d'amour : -ce sont de petites étincelles du feu qui brûle votre coeur. J'ai bien de la joie d'apprendre les faveurs extraordinaires que la chère Mère Scholastique en a reçues. Je prie Dieu qu'elles soient si avant imprimées dans le centre de son âme qu'elle ne s'en puisse jamais dédire. O le grand bonheur pour les âmes de connaître un peu Jésus Christ humilié sous l'hostie ! C'est là où il communique non seulement le trésor de ses divines grâces, mais où il se donne et se perd quasi soi-même par l'excès de son amour.
Voici un mot pour la bonne Mère Scholastique ; je vous supplie de lui donner si vous le jugez à propos, étant bien aise de lui témoigner-la part que je prends aux faveurs que Dieu lui a présentées ; je la prie de les bien recevoir. Je vous supplie que je sache si la grâce est entière ; je veux dire si elle persévère et si les actions suivent la lumière divine qu'elle témoigne avoir reçue.
Il me reste bien des choses à vous écrire, tant de nos affaires que des vôtres, vous aurez peut-être reçu une lettre du R.P. Dom de Lescale (1).
Je voudrais, si Notre Seigneur l'avait agréable, être quelques jours auprès de vous pour plusieurs raisons importantes. Je vous estime
heureuse d'avoir un si bon appui que M. l'Abbé d'Etival. Pour moi, je lui ai des obligations infinies et prétends bien les augmenter encore en plusieurs occasions qui regardent la gloire de Notre Seigneur. Je
(1) A la date du 27 août. Dom de Lescale note dans son Journalier qu'il a reçu des lettres de Mère Mectilde, Mère Bernardine, Mère Benoîte de la Passion «touchant le projet de Mons. notre Rme Abbé pour l'établissement d'une maison de leur congrégation par les deux prieures».
240 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 241
vous supplie de lui présenter mes respects et mes très humbles remerciements en attendant que je lui puisse rendre mes devoirs. Je finis malgré moi. Je suis en Jésus, ma très intime Mère, toute à vous par Jésus, et pour Jésus
Sr M du Saint Sacrement
Je vous assure de la bonne disposition de la Mère de Jésus [Chopineli, quoique son corps soit un peu languissant par la chaleur qu'il fait ici ; je crois qu'elle vous écrit. Je salue avec votre permission toute la sainte Communauté et me recommande à ses saintes prières ; vous voyez bien, ma toute chère Mère, que je vous écris avec précipitation; je tâcherai de réparer au premier jour.
nu 92
A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION (GROMAIRE]
Prieure à Toul
7 ou 17 juin 1665
e prie Dieu qu'il vous conserve et tout votre petit troupeau que
je salue, et souhaite mille bénédictions et la consommation de la perfection à laquelle elles sont appelées. Je les prie toutes de correspondre à leur sainte vocation, se rendant dignes par leur fidélité de l'accomplissement des desseins de Dieu sur elles.
Je vous prie, ma chère Mère, que dans les lectures communès de table et autres l'on lise : «l'Homme religieux» du P. de Saint Jure (1), et «le Religieux intérieur». Je vous prie que les règles soient observées ; tenez ferme pour l'exactitude des règlements : que personne n'aille seule au parloir, que le silence soit observé, et surtout n'oubliez pas la sainte coutume de faire la visite des cellules, et qu'aucune n'ait plus de coffre, ni cassette fermant à clef -cela a été retranché à la visite-si ce n'est que la supérieure ait une clef pour les ouvrir, et que rien du tout ne lui puisse être caché. Il y aurait du péché mortel de faire autrement, étant contre le voeu de pauvreté qui défend d'avoir rien en propre ni en retenue, cela étant d'une dernière conséquence. C'est pourquoi, ma chère Mère, je vous supplie d'y tenir la main et crainte qu'il ne se glisse quelque abus, nous retractons toutes les permissions secrètes et particulières de posséder quoi que ce soit sans votre connais-
(1) Né à Metz en 1588, il entra chez les Jésuites en 1604. Il vécut sucessivement à Amiens, à Alençon, à Orléans et à Paris où il mourut en 1657. « L'homme religieux », ouvrage en 2 tomes fut édité à Paris en 1657 et 1658. Ecrivain spirituel très goûté au XVI lème siècle, l'oeuvre du Père de Saint Jure a été souvent rééditée et traduite en plusieurs langues, cf. DTC, fasc. CXXV-CXXV I I, col. 763 - 765.
sance, sachant bien que votre prudence agira en cela, comme en toute autre occasion, dans l'ordre de la charité. Et si quelqu'une était si malheureuse que de vous rien cacher, elle encourrait un péril notable de péché.
Et pour remédier à tout ce qui se pourrait glisser dans la communauté, je vous prie, ma chère Mère, que tout ce que dessus soit lu à toutes nos chères Mères et Soeurs professes, se souvenant toutes qu'elles ont fait voeu solennel à Jésus Christ d'obéissance et de pauvreté, je veux dire de n'avoir aucune propriété, pour petite qu'elle soit. L'exemple des histoires effroyables qui sont arrivées pour de pareilles choses, et peut-être moindres que ce que l'on pourrait posséder, nous doit tenir en crainte, étant de plus une chose certaine que tout ce qui est possédé à l'insu de la supérieure, ou qui l'est même avec attache et propriété, le démon en fait son siège et y repose : c'est une chose qui est à sa possession. Je prie et conjure ardemment toutes en général et chacune en particulier d'être ponctuelle à la pratique de ces choses, pour la plus grande gloire de Notre Seigneur, et pour avancer leur propre perfection et sanctification. Etant Filles de Jésus dans le Très Saint Sacrement de l'autel la pauvreté et le dégagement de ce béni Sauveur doit être la règle de la leur, la considérant en toute occasion pour s'y conformer fidèlement et généreusement comme les vraies victimes de ce sacré mystère qui renferme en soi la personne, les vertus et les états de la vie, les grandeurs aussi bien que les anéantissements du Fils unique de Dieu. Je les prie toutes de prendre en bonne part les avis que je leur donne par vous, ma chère Mère, et qu'elles soient persuadées que je les aime tendrement et que je veux leur perfection et leur sainteté comme la mienne propre, comme une bonne mère qui ne
respire qu'après la bonne et riche fortune de ses enfants.
Qu'elles s'encouragent l'une' l'autre à la pratique des règles et constitutions, et surtout à la charité et l'union. Que jamais une soeur ne dise un mot qu'elle pensera pouvoir *donner peine à une autre. Qu'elles se regardent toutes comme membres de Jésus, s'honorant et chérissant les unes les autres. Et se rendant de même les devoirs de charité et les témoignages d'une société toute sainte, qu'elles se considèrent comme les plantes d'un institut naissant, qui doit donner au Fils de Dieu plus de gloire et de complaisance que tous les autres, puisqu'elles sont vouées et consacrées immédiatement à ses intérêts et à la mort pour leur divin Maître.
Je vous supplie encore que la modestie se garde au parloir, qu'on ne s'y entretienne avec les séculiers que de choses bonnes et d'édification, que l'on soit toujours deux et jamais seule, si ce n'est aux pères et mères ou pour traiter de la conscience. Je finis ce petit entretien cordial après m'être recommandée à vos saintes prières et vous assurer que je suis toute vôtre.
n" 1305 Ms : Cr C
242 CATHERINE DE BAR
A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE ICHARBONNIERI
17 juin 1665
QIa pauvre enfant, ne croyez-vous point que je vous oublie intérieu-
rement puisque je suis si longtemps sans vous écrire. Soyez assurée que non et que vous êtes au milieu de mon coeur, où je vous rends à celui duquel vous êtes la chère victime. Je vous vois dans la douleur et dans l'angoisse ; votre pauvre coeur est souvent bien oppressé et l'esprit à demi accablé. Mais qu'il tâche de 'se relever et de prendre courage, se soumettant aux conduites secrètes de Dieu. Adorez-les, très chère enfant, et vous y abandonnez ; le démon fait ce qu'il peut pour vous troubler, et Dieu se sert de votre peine pour vous purifier. Ne vous étonnez pas de vos dispositions ; ayez courage, vous n'êtes plus à vous ; laissez-vous toute, sans réserve, à Jésus qui vous unit à sa croix et à sa mort et vous fait entrer dans son sacrifice. C'est lui, chère enfant, qui vous crucifie, c'est son amour, c'est sa sainteté. O ma très chère, aimez Jésus en tous les états qu'il lui plait de vous mettre ; suivez-le partout ; adhérez à ses desseins ; laissez-le faire ; mourez doucement afin d'entrer dans sa vie. Tout ira bien si vous vous laissez à lui. Relevez souvent votre coeur et dites à ce bon Seigneur que votre complaisance est de lui complaire à sa mode et aux dépens de votre propre perfection. Voilà ce que je vous puis dire én passant. Soyez généreusement fidèle en tous vos exercices ; vivez pour Jésus et non pour vous ; que rien n'ébranle votre constance, mais que dans toutes vos dispositions vous puissiez dire « Quid enim mihi est in coelo et a te quid volui super terram » (1) ; rien que Dieu seul.
Je vous laisse donc toute à lui et le prie de m'y renfermer avec vous. Ecrivez-moi cordialement, et me dites tout ce que vous voudrez sans réflexion. Je suis plus à vous que vous-même. A Dieu je salue cordialement votre chère Mère Maîtresse et toute la petite compagme qui m'est chère en Jésus.
n" 2222 Ms: D43
(I) Ps73,25. , ..,n et, 1.3'-"W
J
LETTRES INÉDITES 243
A LA RÉVÉRENDE MÈRE FfENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME) Prieure de Rambervillers
7 juillet 1665
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et toute chère Mère,
e prends ce petit moment comme à la dérobée pour vous rendre
les humbles devoirs que je vous dois de soumission et de respect, puisque la divine et toute aimable Providence vous a continuée dans la charge de très digne Prieure de la chère Maison de Rambervillers. J'entre dans la joie de la Communauté qui ne poùvait faire un choix plus à la gloire de Notre Seigneur, mais cependant je vous compatis, sachant bien que ce joug est toujours fort pénible et difficile à supporter. Je prie Dieu vous y combler de nouvelles grâces et de nouvelles forces. Il me semble que ces sortes d'événements sont toujours surprenants et crucifient profondément, quoique le fond de l'âme soit totalement soumis aux ordres de la volonté divine. On soupirerait après la solitude et l'éloignement des créatures pour posséder les miséricordes que Dieu présente à l'âme ; mais il faut mourir à tout et demeurer, comme saint Jean Baptiste, dans le ministère où la main de Dieu nous a mis. Priez-le, ma très chère Mère, qu'il me fasse faire sa très sainte volonté.
Enfin la bonne Mère de Sainte Madelaine est présentement à Toul avec notre très chère Mère Sous-Prieure [Bernardine de la Conception qui a été malade périlleusement. Sa santé ne revient point comme il serait à désirer pour le bien de cette nouvelle Maison et pour le soutien de celle-ci ; nous avons besoin que Dieu nous la conserve pour sa gloire. Je me résous de la faire retourner avec nous avant l'hiver ; si vous avez besoin de sa présence avant son départ, vous pouvez, ma très chère Mère, la prier de vous aller voir si santé lui permet. Je sais qu'elle a pour vous une affection très sincère et qu'elle aime la Maison ; je serais bien aise qu'elle vous vît avant son retour, si cela vous est utile.
Au reste, j'ai une joie sensible d'apprendre les grâces et bénédictions que Notre Seigneur départ à toute votre sainte Communauté par l'entremise de Monsieur d'Etival. J'en remercie Dieu de tout mon coeur, et ce digne Prélat qui a une charité si ardente qu'il gagne tous les coeurs à Jésus Christ. Ce vous est, ma toute chère Mère, une singulière consolation d'avoir Un tel directeur, qui est si saintement animé de l'esprit de Jésus Christ et qui fait tant de bien à toutes nos' très chères Mères et Soeurs. Voilà un secours suffisant pour devenir de grandes saintes. C'est un trésor que la divine Providence nous a donné. Je prie Dieu qu'il le conserve pour vous et pour nous. Je vous supplie me
244 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 245
recommander à ses saintes prières, en lui présentant mes très humbles respects. Nos Mères de Toul m'ont mandé que nous aurions l'honneur de le voir bientôt à Paris ; si cela arrive, ce sera pour nous un surcroît de bonheur. Je me réjouis dans cette chère espérance. Je ne puis assez admirer les merveilleux effets que Dieu fait dans votre sainte Communauté par son ministère ; nous en apprendrons des nouvelles par lui-même si nous avons l'honneur de le voir.
Il faut encore vous dire un mot de la Mère Marie de Jésus [Chopinel I qui se porte autant bien intérieurement qu'on le peut souhaiter. Son corps se consomme dans les souffrances qui ne la quittent pas entièrement, mais elle les souffre angéliquement. Nous sommes seules ici de notre bande ; nous parlons souvent de votre chère personne et de la chère Maison de Rambervillers, que nous aimons toujours. Nous espérons elle et moi d'y aller encore avant que de mourir ; ce sera avec grande joie quand il plaira à Notre Seigneur. Je suis en lui, ma plus chère Mère, votre très indigne fille
Sr M du St Sacrement
Je vous supplie que je sache si la Mère Scholastique persévère dans sa ferveur et si les effets suivent les lumières ; je ne doute point de son progrès ni de celui de toute la communauté, puisque toutes sont sous la direction de ce digne prélat pour qui j'ai très grande vénération.
n" 1293
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
7 juillet 1665
Mes très chères filles en Jésus,
a'est avec un extrême déplaisir que je ne puis rendre à chacune en particulier les témoignages de ma sincère affection, comme je le désirerais. Je vous fais ces mots pour vous en demander excuse et vous assurer que ce n'est pas que vous me soyez indifférentes.
Non, mes chères enfants, mon pauvre coeur est souvent au milieu de vous toutes et, quelquefois, je vous vois en langueur, les, unes malades, et d'autres un peu tristes ; enfin la souffrance de corps ou d'esprit accompagne toujours l'âme chrétienne en cette vie. Une fille du Saint Sacrement n'en sera pas exempte puisque son partage est la croix, savoir : les opprobres, les humiliations, les rebuts, les contradictions, les pertes, les soustractions, les souffrances, les tribulations, les peines, les tentations, en un mot tout ce qui crucifie, ou. tout ce que Jésus souffre tous les jours dans le Très Saint Sacrement. .
Voilà, mes très chères filles, notre héritage et nous sommes trom pée.s si nous espérons d'autres traitements. Nous ne pouvons être victime sans glaive, sans corde, sans tourments, sans douleurs et sans morts ; il faut que la consommation suive l'égorgement. Prenez donc courage, et ne dégénérez point de la précieuse qualité de fille et de victime de Jésus au Très Saint Sacrement. Remplissez votre mesure, achevez ce qui manque à la Passion de notre bon Seigneur, comme dit saint Paul. Relevez votre courage et votre confiance. Jésus souffre et meurt pour nous ; tirons notre force de ses faiblesses, et notre vie de sa mort.
Allons, mes enfants, allons à Dieu, hâtons-nous, le temps est bref, nous sommes pressées d'avancer le pas. 11 faut achever notre course et rentrer dans le Coeur de Jésus. Priez-le qu'il me fasse la grâce de me tourner toute vers lui et que de vous et de nous il ne soit fait qu'une même chose en Lui. Adieu.
n" 150 Cr C
A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER
1665
uand Dieu veut posséder un coeur entièrement, il sait bien trouver
les moyens de le vider et purifier de l'attache des créatures et de la propriété de nous-même. Je reconnais, mon enfant, que sa main toute-puissante opère dans le vôtre une croix perpétuelle qui se fait ressentir en diverses manières de souffrances : tantôt de ténèbres, tantôt de craintes, tantôt de frayeurs et de saisissements : d'autres fois par des assauts impétueux, quelquefois par des peines violentes, quelquefois par une mélancolie horrible et insupportable qui porte le dégoût de toutes choses jusqu'au fond de l'âme, quelquefois jusqu'au point que le corps s'en trouve malade. Cet état d'épreuve va bien plus loin. Dans les tentations Dieu permet quelquefois au démon d'attaquer fortement par des atteintes infernales, et jusqu'au point que la pauvre âme ne trouve en elle que sa perte et reprobation. De qûelque côté qu'elle se tourne, elle voit sa misère et le désespoir de son état. L'impureté la tourmente par ses impressions, par ses images détestables et par ses agitations. Le saint homme Job fut abandonné, par une conduite adorable de Dieu, au pouvoir de Satan. Il ressentit en son corps et en son âme tout ce que la créature peut soutenir de crucifiant. Mais pourquoi fut-il réduit de la sorte ? Pour deux raisons : la première, c'est qu'il représentait la personne adorable de Jésus Christ dans l'excès de ses souffrances ; et la seconde c'est pour servir d'exemple et de modèle aux âmes que le pur amour veut dévorer et consommer. Il est vrai de dire que s'il n'y avait des exemples de telles et si rigoureuses conduites dans l'Église de Dieu,
246 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 247
celles qui les souffriraient ne pourraient être convaincues que [de] telles conduites renfermassent en elles une si haute pureté et sainteté. Puisque vous m'ouvrez votre coeur, mon enfant, je vous ouvrirai aussi le mien et vous dirai, que j'ai porté, en ma vie passée, ce que vous
ressentez présentement. Mais il faut confesser à ma honte éternelle que j'y ai été très infidèle. Mais je puis vous assurer que par telle sorte de souffrance Notre Seigneur fait son oeuvre au secret de votre âme. Tâchez de demeurer immobile dans le fond de votre volonté. Je vois que sa grâce vous prévient et vous soutient fortement, quoique ce soit secrètement. Je vois manifestement la conduite de Dieu sur vous et le remercie de tout mon coeur de toutes les miséricordes dont il prévient votre âme, et de ce qu'il avance son oeuvre, en vous mettant dans le creuset de la bonne sorte, pour purifier l'amour propre qui régnait en toutes vos opérations.
J'espérais bien qu'il vous ferait un jour cette grâce, mais je ne croyais lias que ce fût si promptement, à raison de la faiblesse des sens. Vous f voyant pénétrée d'une sensibilité fort tendre pour les choses de Dieu et d'une douceur intérieure, que Dieu donne ordinairement pour attirer les âmes a son service, je croyais qu'il ne vous lierait pas si tôt à sa Croix, ne vous croyant pas assez forte. Mais je vois qu'il a pris ses mesures en lui-même, et que tout d'abord il vous traite comme son Fils, qu'il fait victime dès le moment de son Incarnation, et qu'il traite dans tous les états de sa Sainte Vie comme un étranger et banni, qui n'a ni secours, ni appuis des créatures. En un mot il le traite comme un réprouvé, comme un pécheur qui mérite les rebuts de Dieu, et de porter sur lui toute la rigueur de la divine justice. C'est en cet esprit de Jésus humilié, rejetté, et immolé à la Justice et Sainteté Divine, que notre Institut a été établi dans son Eglise, et vous porterez la grâce et la sainteté que- Dieu y a renfermé, si vous souffrez toutes vos peines quelles qu'elles soient, si vous demeurez comme Jésus et avec Jésus abandonné aux volontés de son Père.
Ne vous étonnez de rien de tout ce que vous ressentez de misérable et de malin en vous. Souffrez, mon enfant, souffrez avec Jésus, et souffrez avec saint Paul pour achever ce qui manque à la Passion de son bon Maître et le vôtre. Ne vous surprenez de rien. Laissez-vous en proie à. son plaisir, en vous défendant le plus que vous pouvez des retours sur vous-même et des tendresses que l'amour propre excite sous des prétextes excellents de salut, d'éternité, ou des craintes excessives de péché, d'être hors de la grâce, et d'être dans un état qui n'est pas de l'ordre de Dieu. Il faut être ferme et un peu dure à soi-même en ces sortes de dispositions, autrement on pleurerait toujours, et on s'accablerait par l'esprit de nature. Au nom de Jésus l'unique tout de nos coeurs, soyez fidèle au sacré abandon à la volonté de Dieu. Voilà ce que vous avez à faire, et d'être fidèle à toutes vos obligations, surtout à l'obéissance, vous laissant conduire comme un petit enfant sans aucune
défiance de la bonté de Notre Seigneur. Continuez de découvrir vos sentiments et tout ce qui se passe en vous par simplicité chrétienne, pour éviter les illusions. Dieu soit à jamais béni de vous avoir jetée en cet état ! O quelle grâce, si vous demeurez fidèle ! Vous le serez, si vous faites ce que je vous dis, qui est abandonner tous vos intérêts spirituels, éternels, temporels et corporels à Jésus Christ, le laissant conduire votre âme en la manière qu'il lui plaira, conservant une pleine et entière confiance en sa bonté.
Voilà ce que je vous puis dire, vous conjurant de croire que je suis du plus sincère de mon pauvre coeur toute à vous, puisque Dieu vous a donnée à moi. Soyez assurée qu'il m'a aussi donnée toute à vous et que vos intérêts sont les miens, et les seront à jamais.
n " 2558 N 267
1665
A LA MÊME
Jésus soit votre soutien, votre force et votre unique vie !
Soyez assurée que l'état où sa main toute-puissante vous tient est un état plein de miséricordes. Il fait dans vos peines et dans vos ténèbres une oeuvre digne de sa bonté. J'ai bien cru que Dieu ferait en vous un renversement total. Oh ! quelle grâce ! Si vous la pouviez connaître, votre âme en aurait une joie sensible ; mais cela vous est bien caché, et le sera encore quelque temps. Méprisez généreusement tous les retours de l'esprit humain, et adorez en foi ce qu'il ne peut comprendre dans la conduite de Dieu. Hélas, mon enfant, vous êtes choisie pour être victime avec Jésus et par Jésus ; votre état est pour vous seule par élection divine. Ne pensez pas que votre bonne N., si elle était religieuse, souffrirait les peines que vous souffrez. Non assurément, les grâces et les vocations intérieures sont différentes. Si vous saviez ce que Dieu fait en vous, vous chéririez vos souffrances plus qu'un empire. Vous êtes appelée à la sainteté du sacrifice et vous devez être immolée avec Jésus. Ne craignez point, il sera votre soutien ; ne vous effrayez point ; vous êtes dans sa bénite main, et rien ne vous peut nuire. Toutes ces sortes de tentations nouvelles et qui n'ont point continué aident à purifier le fond de votre âme. Vous ne saviez ce que c'était des états de Jésus Christ ni de ses souffrances intérieures : prenez courage, ne vous rebutez point, allez sur le Sacré Calvaire, ne quittez point Jésus Christ souffrant et mourant, et vous souvenez que c'est dans la souffrance que la vertu triomphe. Nous n'avons de vraie vertu qu'alitant qu'elle est exercée. Tel pense être humble qui n'a que de la superbe s'il n'est humilié ; ainsi des autres vertus. Il faut
248 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 249
toujours de la pratique et de la fidélité ; autrement c'est se nourrir de chimère et de pure imagination. Ne vous rebutez pas, vous ne faites que de commencer, vous n'avez pas encore sué le sang. O très chère, jusqu'au point faut-il mourir pour être ume à Jésus Christ. Prenez votre croix et allez généreusement sur le Calvaire, il n'y a point de saint s'il n'embrasse la Croix. C'est sur la croix que Jésus a sanctifié ses Saints, lorsqu'il souffrait en quelque manière la séparation de Dieu son Père et qu'il s'écriait DEUS, DEUS (1) etc... C'était pour lors que la sainteté divine faisait son opération sur tous les élus, en Jésus, qui en est le Chef.
n " 2741 N267
(I) Deus, Deus... quid me dereliquisti - Ps. XXI..
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION I DE BRÊME 1 Prieure de Rambervillers
Paris, 17 octobre 1665
Loué soit le Très Saint Sacrement ! Ma très chère Mère,
:1>e commence ma lettre par la douleur de l'accident qui arriva le
jour de sainte Térèse à deux heures du matin à Saint-Sulpice, qui fut le vol de trois ciboires, de trois boîtes de saintes huiles et de vingt étoles. Ce qui est le plus affligeant, c'est qu'ils ont emporté les saintes hosties ou ils les ont brûlées. On les a cherchées partout, sans qu'on en ait pu trouver aucune. Les pauvres Messieurs de Saint-Sulpice sont fort affligés. Le frère de N..., l'écclésiastique, en fut pâmé trois heures entières ; il le fallut saigner sur le champ pour le faire revenir. Ce funeste accident a renouvelé la frayeur dans toutes les églises, et notamment chez nous. Je sortis hier pour visiter la cour de l'église du coté de notre sacristain pour prendre nos précautions. Mais nous ne pouvons nous renforcer de ce coté-là. Il faut veiller et se tenir sur nos gardes. Nous espérons et nous confions en la bonté de Notre Seigneur et au secours des anges, et singulièrement aux âmes du purgatoire qui sont de bonnes amies et fidèles dans les services que l'on exige d'elles. Nous vous supplions de les prier pour nous. Ces malheureux sacrilèges ont résolu, à ce que l'on dit, de n'épargner aucune église. Je prie Dieu qu'il confonde leur malheureux et détestable dessein.
On dit que, ce même jour, on a encore volé en deux autres églises, mais je n'en suis pas certaine. Nous pensions que ces horribles profanateurs avaient fini leurs malices parce que depuis quelques mois l'on
n'avait plus rien appris. Il faut craindre que cet hiver ne soit funeste et que ces effroyables accidents n'arrivent souvent à cause de la longueur des nuits. Dieu tout bon veuille avoir soin de soi-même. Hé, mon Dieu, que cette perte est épouvantable ! Un Dieu perdu entre les mains des pécheurs, brûlé et peut-être encore plus indignement outragé ! Nous avons été toutes bien touchées de ce malheur.
Ma Soeur Marie-Hostie [Hardy] se pensa noyer dans les larmes ; la douleur était dépeinte sur son visage, mais, hélas, quel remède ? Dieu seul l'y peut mettre. Les puissances de la terre ne l'y mettent point, personne ne s'en remue. Cet abandon que Dieu fait de lui-même dans ce divin Sacrement doit sensiblement toucher les âmes chrétiennes, et notamment les Filles du Saint Sacrement. Plût-il à sa bonté me donner la grâce d'adorer par état cet incompréhensible abandon et que je me puisse laisser aussi parfaitement et entièrement à sa bonté, comme il se laisse au pouvoir de ces impies, qui ne l'approchent que pour l'outrager et le profaner.
Il me semble que cet abandon nous fait une leçon admirable : je prie Jésus Christ la rendre efficace et que nous puissions toutes entrer dans cet adorable délaissement de nous-même à son divin plaisir. Hélas ! quel honneur pour nous d'être abandonnées à la puissance d'un Dieu infiniment bon, infiniment sage, et infiniment bienfaisant ; et Jésus au mystère de son amour par une humiliation infime est abandonné aux infâmes pécheurs, abominables et pleins de rage infernale contre sa sainteté. Il est abandonné, pour . être maltraité et jeté dans la boue et dans les abîmes d'indignités qui ne se nomment point. Tandis que son amour ménage notre réconciliation avec son Père nous le foulons aux pieds ; voilà l'ingratitude et l'aveuglement des hommes.
Mais pour nous, ma très chère Mère, notre partage est l'amour douloureux qui s'exerce en deux façons ; la première est de voir un Dieu traité de la sorte, et la seconde de voir tant de pécheurs qui périssent sans faire aucun usage du corps de Jésus Christ, ni de sa présence dans le Très Saint Sacrement. Plût-il à sa bonté briser nos coeurs par la force de cet amour douloureux, et que nous puissions mourir de contrition pour nos péchés et ceux de nos frères qui sont les hommes pécheurs. Ce qui me console en ceci, c'est que les humiliations de Jésus Christ dans ce mystère honorent infiniment son Père, et qu'il a bien su, en l'instituant, qu'il souffrirait toutes ces choses et beaucoup d'autres que nous ne concevrons jamais, et qu'il a mieux aimé s'y abandonner que de manquer à y rendre ses hommages à son Père, et y continuer son sacrifice et son état de victime de la justice et sainteté divines pour les pécheurs. Oh ! que je dirais volontiers qu'il prend tant de plaisir d'être avec les enfants des hommes, qu'il paraît comme insensible aux injures et aux affronts qu'il reçoit d'eux ! (C'est qu'il est esprit d'amour pour les âmes, c'est qu'il ne vit que d'amour) (1) dans le Très Saint Sacrement, c'est que l'amour-l'y a rendu esclave et prisonnier et lui a ravi le pouvoir
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f
de s'en retirer. Lamour lui a donné des lois qui l'obligent d'y demeurer jusqu'à la consommation des siècles ; il s'y est soumis : «DEUS MEUS VOLU I ». Et que peut-on dire après cela, sinon qu'il veut bien souffrir les outrages des impies au respect d'une seule âme qui se donne totalement à lui ? Pourvu qu'il soit aimé de quelqu'une, si pauvre et abjecte qu'elle soit, le voilà content, et oubliés les mauvais traitements qu'on lui fait. Qui doute qu'il ne prenne sa complaisance dans la petite troupe de ses victimes, et notamment dans votre Maison où vous tâchez de l'aimer, honorer et faire adorer ? Continuez à la bonne heure. Rendez à ce divin amant l'amour qu'il vient mendier sur la terre et soyons plus que jamais toute à lui. Il me semble qu'il est à présent comme il était autrefois entre les mains de sa sainte Mère et de saint Joseph, qui le portaient en Egypte pour le sauver de la persécution d'Hérode. Nous ne pensons qu'à le sauver dans le Très Saint Sacrement, à le cacher, qu'il soit inconnu et invisible à ceux qui le viennent dérober. Hélas ! quelle humiliation à Jésus Christ de se réduire à l'impuissance de se délivrer lui-même de ses ennemis !
Messieurs de Saint-Sulpice ont ordonné à tous les peuples de jeûner vendredi et samedi prochain, et ceux qui ne le pourront, de faire quelque aumône pour obtenir de Dieu la grâce de connaître ce que ces malheureux ont fait des saintes hosties qu'ils ont prises (2). On espère d'en découvrir quelque chose, on prie Dieu sans cesse pour cela. Joignez-y, ma toute chère Mère, vos saintes prières et celles de toutes nos SCeurs : le sujet le mérite bien.
Aimons plus que jamais la captivité de l'obéissance pour honorer l'abandon et soumission de Jésus Christ dans la divine eucharistie. Il y est traité si indignement qu'on croirait qu'il n'y est que pour être outragé cruellement. Cependant il souffrirait plutôt qu'on le déchirât à belles dents, qu'on le portât au sabbat, et qu'on le donnât aux bêtes, en un mot, que l'on en fit tout ce que la rage infernale peut inventer, plutôt que de manquer à son adorable obéissance, qu'il rend si admirable qu'au même moment que le prêtre a prononcé les dernières syllabes des paroles sacrées, il est en l'hostie pour n'en jamais sortir que par l'altération des accidents. O abîmes de bonté, pourquoi faut-il que vous ayez tant d'amour pour les hommes qui ont si peu de reconnaissance de vos bienfaits et des prodiges que vous opérez incessamment en leur faveur ? Je suis en Jésus toute à vous.
n" 913 N267
(1) Cette phrase manque au ms. N267 que nous suivons ; elle est prise au ms. L14.
(2) Dans une lettre à la Mère Bernardine de la Conception, à la même date, Mère Mectilde ajoute les quelques détails suivants : « Les voleurs ont encore retourné à Saint-Sulpice cette nuit et ont rompu une porte. Mais les voisins les ayant entendus, ils ont pris la fuite. Ce sont des gens à pieds et à cheval qui se cantonnent, et pendant que les uns tont la sentinelle, les autres font les vols et scient les barreaux. Je vous assure que l'on ne peut s'empêcher d'avoir peur. Nous avons redoublé le nombre des religieuses la nuit ; nous cherchons un moyen d'ôter le Très Sait Sacrement du tabernacle. Je crois que ce sont des démons sortis de l'enfer, ou bien qu'ils ont des charmes pour endormir les gens pendant qu'ils font leurs larcins ». P. 101, p. 793.
A LA SOEUR M. DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER
24 novembre 1665
e petit mot, ma très chère fille, est seulement pour vous assurer
que j'ai reçu vos chères lettres avec beaucoup de consolation.
Plus vous êtes pauvre et abjecte en vous-même, plus je ressens intérieurement de confiance en la bonté de Notre Seigneur. Il fallait, ma chère enfant, de nécessité absolue, que Dieu tout bon vous conduisît de la sorte, autrement vous ne vous seriez jamais connue vous-même, ni sortie de votre propre corruption. Vos belles pensées, vos beaux sentiments et le reste que vous receviez avec tant d'abondance, nourrissaient votre amour propre, et tandis qu'il vous semblait tendre à Dieu avec ardeur et l'aimer de tout votre coeur, la nature intérieure s'engraissait aux dépens de Notre Seigneur. Qu'il soit à jamais béni d'avoir fait ce coup de renversement ! Vous pourrez dire avec vérité que votre perte c'est votre gain, et que vous êtes infiniment heureuse dans votre misère et dans ce que l'amour propre appelle malheur à raison de sa ruine et de la perte qu'il fait de sa propre complaisance et satisfaction. Soyez certaine que l'état que vous portez est de Dieu et de sa conduite toute miséricordieuse, et si j'étais une heure auprès de vous, ma très chère fille, j'espérerais, qu'avec sa grâce, je vous ferais toucher au doigt et convaincrais votre raisonnement des avantages de votre état présent, et qu'il fallait que la main toute puissante de Dieu fit ce coup de renversement pour vous ouvrir les yeux et vous faire sortir de vous-même. Mais ce que je puis dire, c'est de le remercier pour vous èt de le supplier très humblement de continuer et de vous faire entrer malgré la tendresse naturelle qui vous fait réfléchir incessamment sur vous-même, dans la sainteté de ses desseins sur votre âme, et qu'il vous donne la force et la grâce d'y adhérer et de soumettre votre sens naturel à ses divines volontés, par un simple abandon de tout vous-même, sans envisager la perfection et l'impossibilité d'y parvenir, mais de vous laisser toute au pouvoir de Jésus Christ, attachant votre fortune et votre perfection à une sincère démission de vous-même à son bon plaisir.
Soyez fidèle en tout, sans vous gêner ni vous troubler de vos chutes et imperfections. Vous pouvez bien dire qu'il vous reste bien des choses à faire selon vos lumières, et moi, chère enfant, je vous dis que vous avez beaucoup à mourir. Prenez courage, Dieu ne vous commande pas d'avoir toutes les vertus tout d'un coup, mais 'il veut que vous expérimentiez votre propre indigence, faiblesse et indignité, et que, vous défiarit de vous-même, vous espériez tout de sa bonté. Ecrivez-nous durant l'Avent et en tout temps, quand vous voudrez. Vous savez que je suis'en Jésus toute 'à vous.
n" 154 P104 Bis
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DE LA MÈRE AGNÈS IROLINI SUPÉRIEURE DE LA MAISON DE NANCY (1)
2 décembre 1665
Vous connaissez mieux que nul autre les ressorts de la divine Providence dans la conduite des âmes, et comme elle accomplit ses desseins éternels sans que personne y puisse apporter d'obstacles. Il y a longtemps que je les admire sans les connaître, par les orages dont notre pauvre Maison est attaquée de toutes manières. Ce n'est pas mon dessein de lasser votre patience par le détail de ces aventures, puisque vous en connaissez une partie, mais de vous déclarer que, depuis quelques années, j'ai des pensées très fortes que notre Monastère doit recevoir votre Institut. Il me semble que le temps est venu, qu'il faut y travailler.
Si vous agréez cette première proposition, je vous supplie qu'elle demeure secrète, entre vous et moi. Que si vous prenez la peine de me répondre, personne n'en soit informé. Je voudrais savoir si vous ne pourriez pas souffrir qu'on demande à Rome un bref de dispense sur le point qu'on dit être dans vos Constitutions de ne pouvoir souffrir le titre d'abbaye où les abbesses soient perpétuelles, c'est-à-dire à vie ; seulement pour Madame l'Abbesse d'à présent, notre insigne bienfaitrice, après laquelle il serait, par le même bref, que nous serions obligées à la triennalité. Si cela se pouvait,. j'en espèrerais une bonne issue, et ne doute point que, dans la suite, Madame notre Abbesse ne consente d'elle-même à faire ce qui sera nécessaire, et que Madame la Marquise d' H araucourt, sa soeur, ne continue à nous faire du bien.
P101
(1) Pour l'historique de ce monastère et de son agrégation à notre Institut, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 248 et suiv.
A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I
Prieure à Toul
9 décembre 1665
e prie la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous tire dans la grâce
de son Immaculée Conception. J'ai pour ce saint mystère plus de respect et d'affection que jamais, et je vous sais bon gré d'aimer cette fête. Je puis vous assurer que toutes celles qui aimeront et honoreront ce précieux mystère de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge, qu'elle les récompensera de grâces en ce monde -et de gloire en l'autre ; et, après le Très Saint Sacrement et les mystères de Jésus, nous ne devons avoir rien de plus tendre dans notre coeur.
Et j'ose dire que cette bénite Mère prend un singulier plaisir qu'on honore son Immaculée Conception et que c'est un des plus grands délices qu'on lui puisse donner que de la congratuler de cette prérogative d'honneur et de bénédiction. Elle s'en tient si heureuse qu'elle a un redoublement de joie quand on lui fait souvenir de ce bonheur qui est sans pareil, et qui n'en aura jamais. C'est pour cela qu'elle a un surcroît de douceur et de compassion des pécheurs et qu'elle est toujours prête à les secourir. Elle les compatit miséricordieusement et les excuse dans leur faiblesse, et cache même leurs crimes pour attirer les regards bénins et gracieux de son Fils. Si on savait combien elle a d'industries pour s'opposer à la justice de Dieu sur les pécheurs, notre confiance serait si fort augmentée vers sa bonté que nous serions dans une tour d'assurance. C'est assez qu'on lui ait remis et confié son salut pour qu'elle le ménage admirablement. Je vous supplie de lui abandonner le vôtre avec une entière confiance. Oh ! si vous saviez ce qu'elle fait tous les jours pour les plus abandonnés au péché, votre coeur serait tout hors de lui-même d'étonnement. Enfin je conclus qu'il faut aimer son Immaculée Conception pour un uaue de son salut éternel. Je ne vous dis pas ceci en l'air ni pour vous divertir seulement, mais comme une chose dont je suis certaine. Et je suis très aise que la petite maison de Toul rende quelques hommages particuliers à ce urand mystère par le moyen des réparations journalières qui se font en l'honneur de son Immaculée Conception, de sa pureté viruinale et de sa maternité divine. Je vous prie de faire écrire ces trois mots en gros caractères pour être attachés à la porte du choeur ou en quelqu'autre etidroit pour être vus et que chacune prenne cette intention dans son amende honorable à la très sainte Vierge, mère de Jésus Christ.
Je ne vous dis point comme j'ai fait prier Dieu pour vous. Plût à Dieu vous pouvoir mettre dans le Coeur Sacré de cette divine Princesse et que vous soyez dans une amoureuse confiance en sa bonté comme je le souhaiterais ! Je lui demande et continuerai, car c'est d'elle que nous devons tout espérer. C'est elle qui prendra soin de nous défendre contre les sortilèges et les malheurs que l'on nous menace. Elle nous protégera et prendra un soin tout particulier de ceux et celles qui auront n-iis leur confiance en sa bonté. Je vous conjure de toutes mes forces de vous y confier et toute la petite maison de Toul.
n" 1309 Cr C
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
1665
D'e ne puis dire, mes très chères enfants, combien je suis touchée
d'apprendre vos indispositions, et comme il a plu à la divine volonté vous lier sur la croix des souffrances. Je ne sais comme je m'en pourrais consoler si je ne vous considérais comme des victimes immolées à Jésus Christ par la douleur qui va vous consommant pour son amour-et qui vous fait devenir des objets de sa divine complaisance. En cette
254 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 255
vue je me sacrifie avec vous et veux que Notre Seigneur- dispose de tout à sa pure gloire, car il ne faut rien vouloir que lui, mais sans sortir de votre cher abandon. Il veut que vous preniez tout le soulagement que le médecin vous ordonne et que l'obéissance vous permet, faisant votre possible pour reprendre vos forces pour servir Dieu mieux que jamais. Je vous prie donc, mes très chères enfants, de prendre courage. Je sais bien qu'une des causes de vos plus grandes douleurs, c'est la maladie de votre très digne Mère Prieure. Je vous compatis et puis vous dire que j'en suis sensiblement touchée. Ma crainte est qu'elle manque à ce qu'elle doit pour recouvrer sa santé ; tenez la main qu'elle n'omette rien, et que rien ne soit épargné pour elle, ni pour vous toutes. C'est mon intention et n'y manquez pas. Je vous supplie que la moins incommodée d'entre vous me mande comme elle se trouve et toute la communauté, et surtout qu'on ne passe point d'ordinaire sans nous donner de vos nouvelles, quand ce ne serait qu'un mot si le mal s'augmente. Je me souhaite de tout mon coeur auprès de vous pour rendre à toutes mes petits mais très affectionnés services. Je fais prier Dieu pour la mère et les enfants. J'espère que le bon Dieu aura pitié de nous et qu'il vous guérira. De tout mon coeur, je voudrais être malade pour vous toutes, et vous conjure d'offrir vos douleurs à Notre Seigneur selon mon intention, pour quelque besoin particulier et pour la sanctification de la congrégation. Dites quelquefois avec la très sainte Mère de Dieu répondant à l'ange : « ECCE ANC1LLA DOMINI FLAT MIHI SECUNDUM VERBUM TUUM » (1). Soyons les esclaves du Seigneur afin qu'il fasse en nous sa très sainte volonté, et soyons attentives et soumises aux mouvements de son Saint-Esprit. Je le supplie opérer en vous la destruction de tout ce qui lui est contraire. Derechef donnez-moi la consolation de faire votre possible pour vous bien porter, et pour croire en Jésus, mes très chères enfants, que je suis en son amour...
n" 1103 N267
( I) Luc 1,38.
A UNE RELIGIEUSE D E MONTMARTRE
Janvier 1666
Loué et adoré soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
et qu'il soit plus que jamais l'unique objet de votre amour, ma toute chère et aimable Mère, que vous trouviez en Jésus seul votre force et votre consolation dans les privations que la divine Providence vous fait porter du secours des créatures. Il n'y a que lui seul fidèle et sans changement, le reste n'est pas digne d'être aimé - je veux dire : ce qui est sur la terre - ce n'est que pauvreté et, si je l'ose dire, faiblesse et
inconstance. Vous ne serez heureuse, ma toute chère Mère, que lorsque vous tâcherez de vous contentez de Dieu seul, sans vous plus mettre en peine des rebuts et froideurs des créatures. Ne vous étonnez point de
cette conduite, elle n'est pas sans mystère de la part de Dieu, pour
votre âme qui a bien de la peine à sacrifier cet appui et cette douceur-que vous avez goûtés autrefois si abondamment dans les créatures.
En vérité, en vérité, c'est un effet de la miséricorde de Dieu pour votre
âme ; ne vous en fâchez point, c'est votre salut. Entrez donc par une simple adhérence dans les desseins de Dieu sur vous et agréez, le mieux
qu'il vous sera possible, ses conduites, et vous verrez un jour que ce qui peine votre esprit à présent sera un moyen de vous rendre heureuse, en vous faisant entrer dans une sainte indifférence pour tous les événements et vicissitudes des créatures. Aussi n'est-il plus temps de vous y arrêter.
Il faut que je vous avoue dans l'ingénuité de mon coeur et que je vous dise, ma plus chère Mère, qu'il me semble quelquefois que je crie à l'oreille de votre coeur : hâtez-vous de vous dégager des créatures, .
hâtez-vous de vous rendre à Dieu, séparez-vous généreusement de toutes les choses de la terre, le moment approche qu'il faut retourner
à Dieu. C'est, ma toute chère et intime Mère, sans vous faire frayeur,
où il faut que vous aspiriez. Mais si vous voyiez les bontés de Dieu pour vous et comme il attend, de l'entier retour de vous-même à lui,
vous en seriez pénétrée jusqu'au centre de votre être. Vous manquez
à un point très important : c'est à la confiance. Vous craignez Dieu d'une crainte trop mercenaire et trop intéressée ; votre paix intérieure
est souvent troublée par cette crainte. Vous ne vous ab'andonnez pas
assez aux soins de l'amoureuse Providence pour le présent et pour l'avenir. Je sais bien qu'il est dur de vivre sans pouvoir un peu dilater
son coeur avec une sainte franchise. Offrez cette privation à Notre
Seigneur en esprit de pénitence pour toutes les recherches et les complaisances que vous avez prises avec les créatures. Il faut, ma toute chère
Mère, que tout soit purifié et que ce qui a souvent partagé notre coeur
d'avec Dieu fasse un sujet de croix à notre intérieur. C'est pour cela que Dieu permet que vous trouviez si peu dans celles à qui vous avez
tant donné. Envisagez tous ces changements dans l'ordre de la Sagesse divine, et trouvez bon qu'il vous purifie de cette sorte. Pourvu qu'il trouve son compte il ne faut point nous soucier de nous-mêmes.
Je crois que, puisque vous avez divers confesseurs, vous ne devez pas gêner votre âme ; allez où vous trouverez plus Dieu.
Si je suivais ma pensée serait de vous souhaiter céans avec nous (I). Mais il faut s'en remettre à Notre Seigneur qui ne donne pas ce mouve-
(I) Phrase obscure - on devrait peut-être lire : Si je suivais ma pensée, je vous souhaiterais céans avec nous.
256 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 257
ment à celle qu'il a établie sur vous. 11 faut adorer la sainte Providence et conserver la paix du coeur. La vie est si brève qu'elle ne nous donne pas le loisir de nous occuper de tant de petites choses. Ma toute chère Mère, devenez généreuse et quittez les créatures. Aussi bien voyez-vous pas que, par une dispensation divine, elles vous quittent. Ne regrettez point la perte que vous faites quand une créature se sépare de vous, mais bien plutôt réjouissez-vous de voir que Dieu se mêle de rompre les liens qui attachent votre coeur à la terre. Nous n'avons plus qu'une petite poignée de jours; ne les perdons pas et ne les profanons point à nous amuser aux créatures, et à regretter les marmites d'Egypte (2). Ce peu de jours est pour mériter notre éternité et achever heureusement notre course vers Dieu. Je vous conjure donc, ma très chère Mère, de prendre une sainte résolution de tout abandonner le créé pour vous abandonner vous-même toute à Dieu et devenir la victime de son bon plaisir.
Pour nouvelles, je vous dirai que Dieu a fait des coups de miracles chez nos Mères de Rambervillers pour faire connaître ses bontés sur notre Institut et l'amour qu'il témoigne pour le peu que nous tâchons de lui rendre. Cela est admirable et tout à fait touchant : enfin, c'est des conversions miraculeuses, et je puis vous confier qu'il a fallu que Dieu fît en quelques-unes ce qu'il a fait autrefois en saint Paul. à proportion et selon les grâces des unes et des autres. Vous seriez bien consolée si vous saviez ce que Dieu a opéré en faveur de notre Institut, mais je ne saurais tant écrire qu'il faudrait pour vous le raconter. Quand Notre Seigneur me donnera le cher bien de vous voir, je vous le dirai. Pour conclusion elles embrassent toutes, avec des transports de joie, notre Institut et s'engagent par voeu comme nous à l'adoration perpétuelle ; mais d'une manière que l'on voit manifestement que c'est une opération de pure grâce. Je vous prie d'en bien remercier Notre Seigneur, ce sont des coups de sa main toute puissante. Si j'avais liberté de vous écrire sûrement et fidèlement, je vous enverrais quelques-unes de leurs lettres, mais je crains, parce que je ne veux point faire d'éclat. Il suffit que Dieu fasse son ouvrage et qu'il se glorifie. Il en soit éternellement béni !
11 est bien à propos que le nombre des adorateurs s'accroisse, puisque le nombre des profanateurs augmente tous les jours par des excès si infernaux qu'on ne saurait les raconter. Les serviteurs de Dieu sont tous dans les sentiments qu'il arrivera quelque chose d'extraordinaire de la justice de Dieu, parce que les outrages que l'on fait à Nôtre Seigneur dans le Très Saint Sacrement sont trop exécrables. Oh ! que je vous dirais de choses touchantes si j'avais la chère consolation de vous parler ! J'apprends souvent d'étranges choses et les bons prélats m'en viennent raconter de surprenantes. Oh ! que de malheur partout ! Jusque
(2) Ex 16.3.
dans le lieu saint les impiétés sont épouvantables, et le sortilège vient au comble. Ne parlez point de ceci, mais gémissez devant Dieu et tâchez d'apaiser sa juste colère. Oh ! si j'étais sensible pour Dieu, je mourrais mille fois le jour, si j'avais autant de vies. Je ne sais si c'est ce que j'entends qui fait sans y penser quelque effet dans mon coeur, mais je sens une négligence pour toutes choses, fort grande. Il me semble toujours que nous serons surprises et qu'il nous arrivera comme aux Hébreux. Tandis qu'ils se réjouissaient et faisaient bonne chère, la main vengeresse de Dieu les massacra.
Heureuses les âmes qui se tiennent prêtes par une sainte solitude intérieure, un dégagement des créatures, un abandon de soi-même à Dieu et une confiance amoureuse à la très sainte Vierge ! Voilà ce qu'il faut, ce me semble ; demandez-le pour moi. Je vous dis à Dieu en vous réitérant les protestations de ma sincérité, et que je suis en Jésus et sa très sainte Mère, pour le temps et l'éternité, toute vôtre.
Il faut encore vous dire que Dieu bénit la petite Maison de Toul, qui édifie et embaume tout le pays. Tout le monde en est ravi et les aime chèrement.
n" 2157 N254
A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [ CHARBONNIER 1
Janvier 1666
Ma très chère fille,
Jésus soit votre vie et la consommation de vos années !
e petit mot, en attendant un plus ample, est pour vous assurer
que je suis à vous en son amour, et que je vous porte dans mon coeur très intimement et cordialement, et sens bien que notre union est inviolable. Je le bénis et remercie de toutes les grâces que vous recevez de sa bonté et que vous reçûtes le jour de l'Immaculée Conception de sa très Sainte Mère.
Il me semble que j'ai beaucoup de choses à vous dire, mais en attendant, prenez courage et mourez toujours doucement et fidèlement à vous- même. La plus grande consolation que je puisse avoir en ce monde est de vous savoir bien à Dieu, et que vous êtes entre ses mains comme une cire molle, pour être formée selon ses très aimables volontés. Conservez votre paix intérieure par dessus toutes choses ; ne vous attachez à rien, ne désirez rien et ne craignez rien, voilà le moyen de posséder un paradis en terre. Soyez cependant ponctuelle à vos obligations, et fort indifférente à tous les emplois et commandements de l'obéissance. Si vous observez ce que je vous dis, rien ne vous pourra
258 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 259
nuire. Soyez égale en tout, portez votre trésor en vous même, que rien de créé ne vous pourra ôter, si vous êtes fidèle. Il importe peu à quoi
l'on nous emploie si nous conservons l'attention amoureuse à notre divin objet qui est toujours au centre de notre coeur. Prenez tout ce qui vous est ordonné de sa part, et ne regardez jamais les créatures en vos Supérieures et en vos Soeurs. Accoutumez-vous à faire toutes vos actions en esprit de foi , et, vous élevant au dessus de l'humain, en regardant la volonté de Dieu en toutes choses, ne prenez. rien de la
part des créatures, soit bien, soit mal. Accoutumez-vous à voir en toutes rencontres Dieu et son bon plaisir. J'ai un si grand désir de vous voir
bien sainte que je voudrais être toujours auprès de vous, pour vous
redresser et vous animer à être toute à Jésus Christ, comme une pure victime de son amour. Je vous donne encore avis de ne vous point
soucier des goûts et consolations intérieures ; ne vous attachez à rien,
mais soyez comme une statue entre les mains du sculpteur, qui souffre d'être taillée à son gré. Dieu est le divin ouvrier qui travaille en vous
et qui vous doit rendre conforme à son Fils. C'est pourquoi laissez-vous dépouiller au dedans et au dehors, ne retenant rien qu'un simple et amoureux abandon au bon plaisir de Dieu, et quand vous ne l'aurez point sensible ni amoureux, vous l'aurez crucifiant et douloureux. Il est bon et plus sanctifiant que l'autre.
Il faut vous dire, chère enfant, que, selon l'apparence des affaires que la Providence me donne, j'aurai la consolation de vous voir vers
Pâques (I). Les choses se disposent pour m'obliger à faire un voyage ; priez Notre Seigneur qu'il le bénisse et que ce soit uniquement pour sa gloire. Si cela est, nous nous entendrions à coeur ouvert, et vous verrez que je suis en J ésus et sa très sainte Mère toute vôtre.
Je vous recommande l'amour et la tendresse vers la très Sainte Vierge, notre divine Mère et princesse et la souveraine de notre Institut. J'écrirai à nos chères Soeurs N.N.N. petit à petit, selon le temps que je pourrai dérober aux affaires. En attendant, saluez-les, je vous supplie, de ma part, et tout le cher Noviciat que j'aime avec tendresse. Je me souhaite souvent au milieu de vous toutes, pour un peu nous divertir en parlant de celui qui nous doit être uniquement toutes choses. Oh ! qu'il fait bon être toute à Lui et ne vivre que pour Lui ! Je porte envie à la paix et au repos que vous possédez toutes, tandis que je suis abîmée dans le tracas de mille affaires. Ne m'oubliez pas toutes dans vos saintes prières, et notre Congrégation.
n" 145 P I 04bis
(I) Mère Mectilde projetait de se rendre à Rambervillers pour y recevoir l'agrégation du monastère (son «cher monastère de profession») à l'Institut, cf. C. de Bar, Documents, p. 227 et suiv, - 305 - 309.
A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I
Prieure à Toul
5 janvier 1666
Ma très chère Mère,
e vous dirai en passant que votre défiance est un peu trop extrê-
me et que vous ne donnez pas assez aux bontés de Notre Seigneur Jésus Christ. Vous savez qu'il n'est point venu pour les justes mais pour les pécheurs, et que le plus grand affront qu'on lui peut faire c'est de ne point se confier à sa bonté, qui est intime pour les pécheurs, et les plus misérables. Je vous conjure de ne point envisager vos misères et faiblesses passées que dans les plaies de Notre Seigneur Jésus Christ, c'est l'asile de tous les pécheurs ; et c'est offenser Dieu de ne le pas croire miséricordieux pour vous.
Vous regardez trop en vous-même, et ce fond de tristesse procède d'un fond de douleur secrète qui vous fait presque toujours voir et sentir votre misère et y être réfléchie. Et comme vous ne la perdez quasi jamais de vue, votre coeur en est comme submergé et confirmé dans un état douloureux qui vous résigne à Dieu, niais d'une résignation qui regarde une perte plutôt que votre salut ; et ces sortes de dispositions ôtent la joie du coeur et ne lui permettent pas de s'élever vers Dieu avec dilatation. Je sais bien ce que c'est d'un état pareil, mais il ne faut pas s'y enfoncer, d'autant que la tentation en est proche, et le démon, sous prétexte de nous humilier, nous jette dans l'abattement, la défiance, et nous approche du désespoir ; c'est ce qu'il prétend. Cet état est rigoureux à soutenir et, pour l'ordinaire, l'âme n'en veut sortir, ne croyant pas qu'il y ait de grâces ni miséricordes à espérer pour elle, donnant tout à la justice, disant qu'elle l'a mérité ; certainement cette disposition est rude. Je prie Notre Seigneur qu'il en délivre votre coeur, qu'il vous donne la grâce de l'aimer au-dessus de vousméme, sans envisager vos indignités ni ce que vous méritez pour vos péchés. Ayez un abandon plein de confiance, priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle vous l'obtienne. Ce n'est pas le dessein de Notre Seigneur que vous demeuriez là, et si vous ne trouvez en vous de quoi appuyer votre confiance, vous trouverez en son sang, en ses plaies et en sa mort tout ce qu'il faut pour sauver les plus criminels. Il se plaint souvent du peu de confiance que les pécheurs ont en ses mérites ; c'est pour eux qu'il a souffert la mort ; il le dit lui-même qu'il n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs.
Vous ne pouvez croire que Dieu ait des bontés et des miséricordes pour vous. Certes, ma très chère Mère, cela est trop fort et ne lui peut être agréable, parce que ce n'est pas son esprit qui produit cela. Je le prie qu'il vous ôte cette peine qui seule fait tout le poids de votre
260 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 261.
intérieur et qui vous empêche de goûter Dieu. Vous croyez que ce n'est pas à des âmes faites comme la vôtre qu'il fait ces miséricordes. Hélas !
à qui les fait-il tous les jours sinon aux pécheurs et aux plus impies, quand ils se tournent vers sa bonté ? Cette confiance ravit le coeur de Dieu et lui ôte les armes des mains. Et nous voyons en l'Evangile qu'il exauçait ceux qui le priaient de quelque chose selon leur confiance, leur disant : « Qu'il soit fait ainsi que tu croies » pour nous apprendre qu'il nous donne selon la confiance que nous avons en sa bonté, et c'est rétrécir sa sainte main que de s'en défier pour peu que ce soit. Il a châtié cette défiance en plusieurs rencontres dans l'Ancien Testament. Il ne la peut souffrir parce qu'elle empêche qu'il ne liquéfie nos coeurs en l'amour divin, et, nous le disons tous les jours, la confiance est une des plus fortes marques de l'amour. Quelle apparence de se défier de celui que l'on aime ?
Tâchez, ma très chère Mère, de relever votre coeur qui est capable de si bien et généreusement aimer. Fiez-vous à ma parole, vous ne serez point trompée. Je vois bien la conduite que Notre Seigneur tient sur vous; elle n'est pas à la perte de votre âme comme vous pensez, mais à la tirer de ses sens et de tout elle-même pour la perdre dans l'amour du bon plaisir de Dieu qui veut, ma très chère Mère, que votre âme soit sa victime, non en crainte éternelle mais en amour. Qui dit en amour, dit en confiance filiale. Vous ferez plaisir à Notre Seigneur d'agir de cette sorte ; il veut cela de vous, doucement et sans contrainte.
n" 1704 N258
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION I DE BRÊME J
Prieure de Rambervillers
Le 6ème de l'an 1666
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et très chère Mère,
e pourrais bien dire aujourd'hui au sujet du contenu de_ votre chère
lettre que Jésus notre divin Sauveur s'est manifesté à vous dans le Sacré mystère de son amour au divin Sacrement de l'autel, comme il a fait autrefois aux saints Mages dans l'étable. Je pourrais bien aussi dire que c'est le jour que le Seigneur a choisi pour me donner une joie, la plus sensible que j'ai ressentie depuis l'établissement de notre saint Institut. Ce qui me la cause, ma très honorée et très chère Mère, c'est de voir la bonté d'un Dieu qui fait choix de votre personne et de votre sainte Communauté pour en faire des victimes d'amour à son Fils bien aimé Jésus Christ Notre Seigneur, immolé sur nos autels. Il me semble que c'est une haute grâce qu'il faut aux âmes qu'il approprie à ce précieux mystère, et j'ai d'autant plus de consolation des dispositions que vous me témoignez porter dans votre coeur pour embrasser l'adoration perpétuelle de cette auguste majesté humiliée, que c'est un pur effet de sa grâce. Dieu en soit à jamais béni ! Quand il lui plaît, nul ne peut lui résister. J'espère de sa grande miséricorde qu'il achèvera son oeuvre et qu'il se fera glorifier dans ce temps misérable où le crime est dans le dernier excès, notamment le sortilège et l'impureté, et ces deux monstres infernaux attaquent le Très Saint Sacrement d'une façon la plus exécra-
ble qui se puisse jamais imaginer. •
La rage des démons contre ce divin mystère est à tel point qu'on ne peut en inventer de plus horrible. C'est la félicité de ces impies de faire dérober les saintes hosties et d'en faire ce qui ne se peut dire sans mourir d'horreur. Et, bien que sa gloire essentielle soit en lui-même sans aucune diminution, nonobstant la grandeur de nos crimes, il ne faut pas laisser de gémir et de s'efforcer de lui rendre ce que ces malheureux lui ôtent. Toutes les créatures se doivent anéantir en sa présence, et consommer leur être, par hommage à son être infini et à toutes ses perfections divines. Si nous devons cette mort et anéantissement de nous-même à sa grandeur parce qu'il nous a créés, que ne lui devons-nous pas en la vue de ses adorables mystères, où l'amour le sacrifie et l'abandonne en quelque manière au pouvoir des pécheurs, pour en faire ce que la malice peut inventer ? Une âme .qui aime un peu Jésus Christ Notre Seigneur le verra-t-elle dans ces impitoyables et effroyables traitements sans en être touchée ? Oh ! certainement ! Il ne se peut qu'elle n'en soit navrée de douleur, plus ou moins selon le degré de son amour. Et c'est cet amour et tendresse pour les intérêts de Jésus Christ et pour le salut des pécheurs qui a pénétré vivement votre coeur. Ce divin amour y a fait une brèche mortelle qui ne guérira que par l'augmentation de ses traits. C'est le bonheur d'une âme chrétienne de s'immoler à son Dieu et d'entrer en conformité d'état avec Jésus Christ. S'il est caché et anéanti dans l'hostie, elle s'y renferme avec lui, mais s'il est déshonoré dans ce mystère d'amour, elle s'efforce de lui rendre hommage en réparant pour les pécheurs, et d'obtenir par ses larmes et sa pénitence leur conversion, sachant bien qu'elle ne peut donner plus de plaisir à son Seigneur, que de procurer le salut de ceux pour qui il a voulu mourir.
De sorte que notre petit Institut renferme ces deux obligations : la première, de rendre à Notre Seigneur toute la gloire et hommage qui nous est possible selon la faiblesse humaine ; et la seconde, de sauver les pécheurs, en priant et souffrant pour eux.
Je vous demande mille humbles pardons, ma toute chère Mère, des saillies de mon coeur en vous écrivant la présente que je devais réduire en deux mots. Si j'avais l'honneur et la douce consolation de vous pou-
262 CATHERINE DE BA-R O LETTRES INÉDITES 263
voir entretenir, je vous dirais ce que je ne puis exprimer. 11 en faut attendre le moment de la toute aimable Providence, espérant qu'elle achèvera ce qu'elle a commencé. C'est un miracle en vous ; enfin c'est un coup de la puissance d'un Dieu, c'est son ouvrage ; il le perfectionnera comme il lui plaira. L'expérience m'apprend que je n'ai qu'à mourir à moi-mime et à tous désirs et activités ; et Dieu fait ce qu'il veut faire lorsque je ne fais rien que de me tenir au néant. Priez-le, ma très chère Mère, qu'il détruise en moi tout ce qui s'oppose à ses desseins. C'est encore un des sujets de ma joie de vous envisager comme mes très dignes réparatrices. J'en rends grâce à Notre Seigneur ; il sait et connaît l'excès de mes crimes et qu'il m'est impossible de réparer sa gloire que j'ai outragée et profanée une infinité de fois. Je vous supplie et conjure, ma toute chère Mère, de gémir pour moi et de demander à Dieu qu'il ait soin de ses intérêts par toute la terre où il est offensé, mais particulièrement en moi.
Je ne vous dis rien de plus pour cette fois, ne pouvant aujourd'hui écrire davantage, à cause de la solennité. Nous ferons notre possible pour donner à toute la Communauté les satisfactions qu'elle désire, et ferai ma diligence pour vous aller rendre mes devoirs (1), et renouveler la joie de nos coeurs par une union parfaite en la charité de Jésus Christ, qui nous fait en lui une même chose avec lui dans la qualité de ses victimes. Je le prie qu'il nous consomme toutes en son amour. Je suis en lui avec tous les respects et cordialité possibles, ma très Révérende et ma toute chère Mère, votre très humble et très obéissante fille et très obligée servante.
n" 1290
(1) Dans une lettre à la Communauté de Rambervillers, écrite à la même date et exprimant des pensées similaires, Mère Mectilde ajoute : «Je suis dans la volonté de vous aller rendre les témoignages de ma sincérité et je ferai toutes mes diligences pour vous porter nos Constitutions et nos Bulles que j'attends
de jour en jour. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de vous donner des marques de mon affection et que tout sera plus facile que vous ne croyez pour l'exécution». Lettre n" 613.
A LA SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER ,
27 février 1666
Très chère enfant,
amais je n'ai. douté de votre vocation et en doute moins que jamais ;
la suite vous en fera connaître et goûter la sainteté. Ne vous étonnez pas de vos indispositions ; je ne crois pas qu'elles aillent jusqu'à vous exclure de la sainte profession. Prenez courage, je vous assure que je suis plus à vous que jamais. Je serais bien fâchée que votre sacrifice ne fût point consommé en hommage au Très Saint Sacrement comme sa victime. Si la main de Dieu a voulu crucifier et purifier votre esprit par les peines, il faut encore que vos sens et votre pauvre corps le soient aussi par les douleurs, que vous soyez toute renouvelée en Jésus Christ, enfin que vous entriez en nouveauté de vie avec lui. Tenez ferme, ne désistez point, c'est pour un Dieu d'un mérite infini, et c'est à lui à qui vous vous immolez par hommage et par rapport à ce qu'il s'est immolé et sacrifié sur la croix et sur l'autel pour vous. Il faut que son amour triomphe de vous, que vous soyez la proie et qu'il vous dévore et consomme en lui, par lui et pour lui. A Dieu jusqu'à l'entrevue où nous dirons à coeur ouvert ce que le temps ne nous donne pas la commodité de vous écrire. Soyez certaine que vous êtes toujours dans mon cœur en la présence de Jésus Christ, et que je suis en lui pour toujours toute à vous.
.J'ai bien à VOLIS dire sur toutes les dispositions crucifiantes et pénibles que vous avez portées. C'est une marque infaillible de la pureté et sainteté où il vous veut faire entrer. Il y a des âmes où il faut bien plus soutenir de morts et d'agonies que d'autres, parce qu'il y a plus de nature et plus de tendresse, et, en un mot, plus d'amour propre, et le vrai lieu où cette malignité se détruit sont les souffrances. les tentations, les pauvretés, les délaissements, les rebuts de Dieu et des créatures. Mais quand Dieu a fait son ouvrage par cette voie d'humiliation et que l'âme demeure fidèlement immobile entre les divines mains, par un saint abandon de tout soi-meme à la divine volonté, sans retour sur ses propres intérêts, niais se perdant pour elle-même en toutes manières pour n'être plus rien qu'une simple disposition d'agrément ou d'adhérence à tout ce que Dieu veut, sans aucun choix, pour lors, Dieu ayant ainsi purifié, vidé et consommé tout ce qui lui est contraire, il se produit lui-méme au fond de l'intérieur, et cette âme dit avec l'épouse au Cantique : « Jam hiems transiit » (I). Mais très chère enfant, il y a beaucoup à soutenir en cet état. C'est pourquoi relevez votre courage et vous estimez heureuse qu'un Dieu s'applique à vous et vous met dans le creuset des tentations. Il ne veut point que vous demeuriez en vousméme et à vous-méme par le tendre et délicat du sens, mais il veut que vous marchiez à urands pas dans l'abnégation de vous-même et dans la pure foi. Priez Dieu pour moi.
(2) Votre cœur est-il moins ardent et moins affectionné à sa vocation que du passé ? Je vous conjure de ne point désister, et de croire que c'est votre bonheur ; vous le connaîtrez dans quelque temps ; ayez patience ; vous verrez un jour que la Religion est sainte et qu'elle fait des saintes quand on veut vivre selon les Règles et les Constitutions. C'est où on donne tout sans réserve et où on sacrifie incessamment. C'est où on donne à Dieu tout ce qu'on lui peut donner, vie pour vie et mort pour mort. Enfin c'est l'école de Jésus Christ où on apprend
(1) Cant. 2.11.
(2) Le ms N256 s'arrête ici. Ce dernier paragraphe ne se trouve qu'au N267.
264 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 265
à vivre de sa vie. Je vous prie de prendre courage et de n'avoir aucun regret de vous être faite une victime de Jésus Christ ; vous ne faites en cela que vous conformer en ses états, et faire pour lui ce qu'il a fait pour vous. Soyez saintement généreuse, vous assurant que Dieu comble de grâce votre âme, car il faut étre uniquement toute à Dieu. C'est ce que je vous souhaite comme pour moi même puisque vous êtes toujours dans mon coeur où je vous immole à Jésus, ne faisant de vous et de moi qu'une victime, que je prie Dieu vouloir consommer du feu divin de son saint amour.
n" 1023 N256 et N267
cachées en Dieu. Je suis en lui pour le temps et pour l'éternité toute à vous sans jamais changer. A Dieu.
Je salue très cordialement toute la chère Communauté. Je me réjouis de la revoir et me recommande aux saintes prières de toutes.
n" 2320 N256
À LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT 1LOYSEAUI
Rambervillers, 21 avril 1666
Chère enfant
A LA MÊME
3 avril 1666
ous avons reçu, très chère enfant, celle que vous avez pris la peine
de nous écrire. Tout ce qui me vient de votre part n'est très cher, et vous ne devez nullement douter qu'il y ait en moi pour vous le moindre changement. Celui qui vous a donnée pour lui à nous, et qui de meure nous donne à vous, étant sans aucun changement, notre union doit être de même, puisqu'il en est le principe. Je le loue et le bénis incessamment de toutes les grâces que vous recevez de sa miséricorde. Je lui en demande la continuation, et qu'il vous donne la pensée de le prier-de tout votre cœur pour l'accomplissement de ses divines volontés en l'oeuvre que son aimable providence nous met entre les mains. Selon ce qui me paraît, il veut établir sa gloire. Toutes choses s'y disposent doucement. Nous ne voyons que soumission et respect. Pour moi, je n'y veux chercher que la gloire de mon divin Maître ; tout lé reste je l'anéantis de tout mon coeur. Il faut tâcher, chère enfant, que rien ne demeure en nous que le désir de lui plaire ; le reste n'est qu'un pur néant. Et pourvu que Dieu soit, il suffit. Priez-le donc qu'il règne en moi et en toutes les créatures. Je vous puis dire, chère enfant, avec la même confiance, que je ne sais plus rien, ni ne peux plus rien vouloir tant je suis abjecte. A peine sais-je où je suis ni ce que je suis ; je suis ici sans y être; priez Dieu qu'il y soit uniquement et que tout cesse d'être, afin qu'il soit lui seul.
Pour ce qui regarde votre état, mourez sans cesse, et avec le moins de réflexion que vous pourrez. Voyez-vous toujours dans le néant, laissez passer toutes choses comme si elles n'étaient pas, DIEU EST ! il suffit. Laissez-le donc être ce qu'il est, et soyez ce qui n'est point. Si vous savez comprendre ce que je vous dis, vous vivrez contente ; si vous le mettez en pratique, rien ne pourra troubler votre paix. Vous vivrez en terre sans toucher à la terre, votre vie et votre opération seront
Nous travaillons ici efficacement à la gloire de notre auguste Mystère, et je vous puis dire que si j'étais sensible aux intérêts de Dieu, j'aurais de la joie de voir toutes les saintes dispositions où j'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs qui embrassent notre saint Institut avec zèle et amour. Je sais que vous y prenez part et que toute la communauté se réjouira quand elle apprendra que Notre Seigneur est honoré au Très Saint Sacrement de l'autel par des âmes très saintes.
n" 2380 Ms : P101
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊMEI
à Toul, le 18ème mai 1666
Ma Révérende et ma très chère Mère,
Jésus anéanti dans le mystère de son divin amour soit votre consommation
Nous avons reçu avec joie celle qu'il vous a plu nous écrire par laquelle nous apprenons que votre santé est un peu meilleure. Nous en remerçions Dieu de bon coeur, le priant vous continuer ses grâces et vous conserver pour sa gloire.
Voici nos deux très chères Soeurs, les Mères de Saint Michel [Bellet] et d'Arconas (1), que nous renvoyons à Nancy pour expédier leurs affaires. Elles nous ont demandé obéissance, crainte d'en avoir besoin dans quelque rencontre; nous la leur avons donnée pour leur satisfaction, puisqu'elles n'en avaient point de votre part, ni de M. d'Etival. Nous avons cru, ma très chère Mère, que votre bonté aurait agréable que nous les ayons amenées avec nous dans notre monastère de Toul, pour leur
(1) Le 17 mai, Mère Mectilde avait écrit à ces deux religieuses. Seul Mgr Hervin a eu connaissance de cette lettre etla signale au registre t 3, p. 727. (A rch. du monastère de Tourcoing).
266 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 267
donner un peu de connaissance de cette communauté et faire une plus étroite liaison entre les esprits, désirant ardemment que toutes ne soient qu'un coeur en Jésus Christ.
La Mère de Saint Michel vous dira comme elle trouve cette petite maison et la manière de conduite qui y est observée; elle en a tiré des mémoires pour s'en servir dans le besoin. Nous croyons qu'elle et sa
bonne compagne n'auront rien perdu en ce petit voyage. Toutes nos mères et soeurs d'ici les aiment beaucoup et toute la communauté de Rambervillers, ayant une singulière joie de leur sainte union. Pour mon particulier, je loue Dieu de tout ce qu'il fait pour sa gloire, et de ce qu'en tout et partout je ne suis qu'un pauvre néant qui n'est capable d'aucune chose. C'est JESUS CHRIST MON SAUVEUR qui fait tout sans que j'aie aucune part.
Plus je vais en avant et plus je ressens cette vérité qui m'est précieuse, et qui fait que je suis comme si je n'avais point fait ce qui s'est passé en votre monastère. J'ai tâché de m'y tenir comme il me semblait que je devais être, pour n'y être rien et que Dieu et sa très Sainte Mère y fussent tout. Et jamais, ce me semble, je n'y ai été de la sorte, car je ne pourrais quasi dire que j'ai fait ce voyage. Notre Seigneur en soit béni éternellement, espérant qu'il y sera d'autant plus que j'y suis moins, et que j'ai tâché de ne point trouver de place, ou du moins de n'en point prendre, dans la chère' communauté que j'honore et chéris très précieusement, et à laquelle je souhaite la plénitude que Jésus Christ immolé a destinée pour notre saint Institut. Je le prie faire en chacune de ses nouvelles victimes une blessure de son pur amour. Qu'il leur donne une sainte impression de ses sacrés états de sacrifice, de mort et d'anéantissement, et qu'il les rende dignes de mourir pour sa gloire, intérieurement et extérieurement, par une parfaite mortification et séparation de tout ce qui est contraire à la sainteté de son esprit ! En un mot, qu'elles soient toutes ses véritables victimes, expirant avec lui et pour lui sur la croix. C'est, ma très chère Mère, le plus ardent désir de votre coeur, pour vous et pour les âmes qu'il a confiées à votre conduite. Et je peux dire que les humiliations, les souffrances et les agonies de Jésus doivent être la nourriture des Filles du Saint Sacrement. C'est leur joie et leur félicité d'y avoir rapport, et comme vous êtes, ma très chère Mère, par la grâce de Notre Seigneur, toute remplie de ces saintes dispositions, nous vous supplions de nous les inspirer et à toutes vos chères filles, priant pour nous qui en avons un extrême besoin et pour notre maison de Paris.
Pour ce que vous nous mandez, ma toute chère Mère, au sujet de la
bonne Mère de Saint Joseph [ de Laval-Montigny], je serais bien aise qu'elle vous rendît ses services, en reconnaissance des bontés que
Notre Seigneur vous a données pour elle. Mais la crainte qu'elle ne retombe malade, l'étant assez souvent, et qu'elle ne vous soit plus à charge qu'elle même ne voudrait, de plus la commodité étant avanta-
geuse pour la ramener à Paris, nous croyons, ma très chère Mère, que vous ferez bien de la laisser revenir avec Mad...
nn 2318
A LA MERE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER
après le 15 mai 1666(1)
Jésus soit la vie et l'amour de sa bien-aimée victime que je puis nommer à présent l'enfant de douleur !
ne vous étonnez, N..., de voir à présent les remerciements de vos dispositions passées, de ressentir des assauts et d'être saisie de crainte et de frayeurs. Sainte Térèse souffrit quelque chose de pareil lorsqu'elle se consacra à Dieu dans la sainte Religion. Quand Dieu veut faire un ouvrage digne de sa grandeur•, il fait des préparations qui sont inconnues à l'esprit humain. Le dessein qu'il a sur vous est de vous faire entrer en conformité d'état avec son Fils, c'est de vous tirer hors de vous-même et de vos propres usages pour vous faire entrer en Jésus Christ. En un mot, le dessein de Dieu sur vous est digne de lui-meme et, sans le connaître ni l'examiner plus particulièrement, e vous conseille de vous abandonner, vous jetant à l'aveugle entre les bras de son aimable bonté, qui vous reçoit et vous renferme dans le Coeur de Jésus, votre unique époux et le tout de votre âme. C'est en ce rencontre que le démon et la nature s'arment contre vous et s'efforcent de vous troubler. Le monde, la chair et le sang n'ont pu empêcher votre sacrifice ; l'enfer remue ses puissances pour jeter l'épouvante dans votre esprit et vous faire entrer dans une perplexité et appréhension très grandes de ne pouvoir réussir dans votre sainte entreprise. Quelquefois vous vous accuserez volontiers de témérité d'avoir osé entreprendre une profession si sublime à laquelle il vous est comme impossible de parvenir. Mille pensées de découragement ou de défiance voudraient se jeter sur vous- pour vous terrasser, mais Dieu tout bon et tout amour pour vous ne permet pas que vous soyez submergée de tant d'orages et de tempêtes qui s'élèvent contre votre sainte résolution. Relevez votre courage et soyez certaine que la main de Dieu vous soutient et qu'il est avec vous. C'est lui qui affermit le fond de votre coeur et qui le rassure dans ses craintes ; c'est lui qui vous défend secrètement des impressions malignes des dénions qui ne peuvent souffrir une retraite si sainte. Ne vous surprenez point des combats que ces malheureux
( I) Mère Marie de Saint François de Paule a fait profession le 15 mai 1666 entre les mains de Mère Mectilde. qui s'était arrêtée à Toul après avoir agrégé le monastère de Rambervillers. avant de rentrer à Paris.
268 CATHERINE DIHAR
esprits vous livrent ; il faut combattre pour vaincre, pour être couronnée. Souvenez-vous que vous êtes entrée en Religion pour Dieu seul, pour vous donner en proie à son amour et pour devenir une victime de sa douce complaisance, sans chercher d'autres intérêts dans votre sacrifice que la seule et unique consolation de lui plaire et de faire en cela sa divine volonté. Soyez certaine que vous avez eu cette intention, et je puis vous en assurer. Pourquoi donc à présent vous réfléchir sur l'état que vous portez ? Il ne faut qu'un sincère abandon de vous-même, disant à Jésus de tout votre coeur : «Mon bon. Seigneur Jésus, je suis venue pour vous seul, et je veux demeurer pour vous seul, en souffrant et en mourant comme il vous plaira ; je suis votre hostie et la victime de votre amour, immolée à votre gloire : il ne m'importe de quelle manière vous consumiez mon sacrifice ; pourvu qu'il vous plaise, il me suffit ».
Tenez-vous ferme en disant ceci et vous laissez comme un petit enfant entre les bras de son père. Vous êtes bien mieux que vous ne pensez. Suivez Jésus dans ses captivités, suivez-le dans ses privations, suivez-le dans le délaissement au milieu des déserts, environné de dénions qui s'efforcent de le tenter. Vous n'êtes plus mademoiselle N..., vous êtes devenue une pauvre. petite amante qui court après son bien-aimé Jésus et son divin Sauveur ; mais sachez qu'il le faut suivre non en un lieu de douceur et de délice comme le Thabor mais sur le calvaire. C'est pour cela que vous vous renfermez dans le cloître et que vous ne voulez plus converser parmi les créatures. C'est pour cela que vous entrez dans la maison du Seigneur et que vous embrassez la pénitence, et pour cela que Dieu permet tant de peines et de souffrances. Il est aisé de dire je veux être victime du Très Saint Sacrement, mais très rigoureux de soutenir les destructions que la grâce opère en nous pour nous faire porter dignement cette précieuse qualité. Jésus est la victime pure, et vous, vous devez être la victime de Jésus. Je le prie qu'il vous revête de son esprit ; c'est ce que je 'vous puis dire présentement*. Dites tous les jours devant l'image de la très sainte Vierge le verset « Monstra te esse Matrem », etc... Soyez assurée qu'elle aura soin de votre conduite et que tout ira en bénédiction et à la gloire de son Fils.
n" 1541 0405
* I N267 4joutel : Soyez sincère. découvrez votre peine. ne cachez rien sous prétexte de vouloir souffrir sans vous plaindre et sans consolations : soyez petite comme un enfant. sans retour et toute pleine d'une sainte confiance en la bonté de Notre Seigneur.
LETTRES INÉDITES 269
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
2 juin, veille de l'Ascension sur la minuit, 1666 Mes chères enfants en Jésus,
ri ans la pensée que Monsieur de Saint Jean (I) s'en retourne demain,
je vous fais ce petit mot pour vous réitérer les sincères cordialités de mon coeur, vous protestant qu'il est demeuré au milieu de vous toutes, ou pour mieux dire dans les sacrées plaies de mon adorable Jésus, avec vous. C'est dans ce centre uniquement aimable où il faut faire notre chère solitude, et n'en jamais sortir que par l'ordre de la sagesse divine, quand il lui plaît de nous en faire sortir par les oeuvres qu'elle nous commande d'accomplir. Mon Dieu, mes toutes chères et les plus chères de mon coeur, que j'ai de tendresse pour vous toutes, et que j'ai d'ardeur pour votre sanctification ! Depuis dimanche à la récréation, j'ai une abondance de pensées à vous dire et de précieuses vérités à vous exprimer, mais je les renvoie d'où elles sortent, afin que Jésus vous les imprime lui:méme dans l'intime de vos coeurs, puisque je ne puis plus vous rien dire, et que la distance des lieux nous prive de la douce consolation de vous entretenir sur ce mystère d'amour de Jésus élevé au trône de sa gloire. Priez-le, mes enfants, qu'il s'élève lui-même en nous et qu'il nous élève à lui, que nous puissions une bonne fois quitter les choses de la terre, je veux dire nous-mêmes et les créatures, pour adhérer tout à lui. Souvenez-vous qu'il a emmené la captivité captive (2). Cela vous regarde, mes toutes chères, vous êtes ses victimes, et par conséquent ses esclaves et les captives de son divin amour. 11 faut qu'il vous emmène avec lui, et que désormais on ne vous trouve plus sur la terre, « NON QUAE SUPER TERRAM », mais toutes cachées en Jésus dans le sein de son Père dans l'auguste Sacrement. C'est là où je vous chercherai toujours et ne veux jamais vous trouver ailleurs, et je vous conjure d'y demeurer et d'y vivre séparées quant à l'affection et sensibilité de tout le reste, afin que vous n'ayiez et ne possédiez rien hors de lui.
Pour ma santé qui vous tient en peine, je vous assure qu'elle est bonne contre toute espérance. La première journée [de notre retour] je me trouvais fort ébranlée dans la tête, mais cela se dissipa, et me porte fort bien selon moi. Mais notre pauvre Mère est toute tuée, et ne sais comment elle pourra gagner Paris. Elle a besoin de vos saintes prières pour sa conservation.
(1) Au XIe siècle, des trois basiliques primitives de Toul, consacrées l'une à la Vierge, l'autre .à Saint-Etienne, deux furent réunies en un seul édifice qui prit le nom de Saint-Etienne. La troisième devint une église paroissiale sous le nom de Saint-Jean-des-fonds et servait d'église baptismale aux basiliques. Elle conserva son existence particulière jusqu'à la Révolution qui la détruira. Cf. Dictionnaire des églises de France, t. Va, p. 186.
«(2) Captivam duxit captivitatem : antienne de la fête de l'Ascension.
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Je vous dis encore une fois bonsoir, mes très chères enfants, en attendant que la. divine Providence me renvoie pour vous dire un petit bonjour, jusqu'à celui de l'éternité où il n'y aura plus de nuit, plus d'éclipse, ni plus de séparation. Le jour et la nuit jouissante étant sans fin, nous serons au comble de tout bonheur, et serons pour lors efficacement UNE EN JESUS COMME JESUS EST UN AVEC SON PERE, C'EST DANS CETTE AIMABLE UNION OU NOUS ASPIRONS TOUTES, ET OU JE PRIE JESUS OPERER NOTRE CONSOMMATION. AMEN.
no 303 Cr C
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUT_
Veille de la Pentecôte, 12 juin 1666
Mes chères enfants,
%vous m'êtes si présentes devant Notre Seigneur, que je ne puis penser à lui sans vous trouver si proches de moi qu'il faut que je lui parle de vous, et que je le prie très souvent de se pencher vers vous et qu'il vous tire toutes à lui. Qu'il vous tire de tout vous-même, pour ne vivre qu'en lui et pour lui. Mon Dieu, mes enfants, que puis-je vous dire autre chose à cette grande fête du Dieu de l'amour ?
Que veut dire la fête du Saint Esprit, sinon la fête de son triomphe dans son Eglise et dans tous les coeurs des fidèles ? Il faut qu'il célèbre sa fête en vous. Cela veut dire qu'il faut qu'il triomphe de vous, qu'il y établisse son empire et sa souveraineté qu'il soit le Maître absolu de vos intérieurs, qu'il y opère selon son bon plaisir et que vous ayez une entière soumission à ses mouvements, à ses touches et inspirations. Je vous conjure toutes de lui faire amende honorable de tant de profanations et de tant d'outrages que je lui ai faits et surtout de le réduire si souvent en esclavage en moi, l'empêchant d'opérer ses dons et de jouir de ses droits. Priez-le qu'il nous renouvelle en sa grâce et que nous puissions commencer une nouvelle vie avec vous. Priez ce Dieu d'amour qu'il nous prépare à recevoir en nous le sacré mystère de l'amour et qu'il consomme en nous tout ce qui lui est contraire.
Le Saint Esprit a deux effets en lui-même : le premier, de lumière ; le second, de feu. Il éclaire l'âme et lui apprend, comme dit Notre Seigneur, toute vérité ; et il l'échauffe et lui donne de l'ardeur pour l'embraser et s'y conformer. Le propre du Saint Esprit, c'est de manifester Jésus, de nous faire aimer ses divines paroles et de les réduire en pratique. Mais qui sera celle d'entre vous toutes qui recevra le Saint Esprit ? Le prophète Isaïe dit que ce sera l'humble. Hélas ! mes chères enfants, si le Saint Esprit n'est donné qu'aux humbles, très peu le recevront. Il ne faut pourtant point se décourager ; les opérations du Saint Esprit se font sur toutes les âmes et même sur celles des pécheurs, sans lequel ils ne pourraient se convertir. Mais si vous me demandez chez qui le Saint Esprit fait sa demeure tranquille et paisible, et qui possède l'objet pleinement, je réponds avec le Prophète.que c'est dans le coeur humble et tout anéanti, d'autant que Dieu résiste au superbe et qu'il ne peut avoir de repos en lui. Il est de vérité qu'il jouit de sa paix étèrnelle en l'humble. La raison est que rien ne résiste à ce divin et adorable Esprit, parce qu'en l'humble tout est anéanti, cela veut dire : parfaitement assujeti. Soyons humbles, mes chères filles, puisque sans l'humilité nous ne pouvons conserver le Saint Esprit ; et à quoi sert-il de le recevoir si on ne le garde en soi ? Parce que, sans lui, nous sommes sans vie de grâce. A Dieu, voilà ce que je puis écrire dans le tracas où je suis ; soyez certaines que, quelque grand et continuel qu'il soit, il ne m'empêchera jamais le zèle que je dois avoir de vos perfections, ni la tendresse d'une vraie Mère, puisque Notre Seigneur le veut ainsi et qu'en lui je suis toute vôtre.
n° 3105 CrC
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE ICHARBONNIERI
23 juin 1666
*vous m'avez, très chère enfant, bien consolée de me donner de vos chères nouvelles. Je les attendais avec un grand désir d'apprendre l'état présent de votre âme. Je rends grâce à mon Dieu de toutes ses miséricordes sur elle et le prie de les continuer. Vous faites bien de l'en remercier sans cesse et de vous tenir dans le pur abandon de tout vous-même à sa très aimable volonté. Si la divine Providence vous a consolée et réjouie de notre voyage, elle m'a donné sujet de le bénir et adorer de ses bontés infinies sur vous et de ses grâces sur vous et sur toute la petite Communauté , au milieu de laquelle Notre Seigneur se complaît et fait son ouvrage par les contradictions qu'il permet arriver. Mais cela ne doit faire nulle impression. Cette petite maison est dans la main de Dieu et soutenue de sa toute puissance. L'enfer ne la pourra renverser, si toutes les âmes se rendent comme il faut à Jésus Christ et qu'elles vivent dans la sainteté et l'esprit de l'Institut.
Pour vous, chère enfant, marchez sans retourner en arrière ; ne vous laissez surprendre d'étonnement sur les choses humaines ; il les faut toutes laisser à la disposition de l'adorable Providence de Dieu, pour vous tenir cachée en lui, ne prenant part à rien, pour vous troubler et inquiéter. C'est dans la souffrance que la vertu triomphe ; la vertu
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n'est vertu que lorsqu'elle est dans la peine. Estimez-vous avoir de la douceur et de la patience si vous n'êtes point contrariée, ou de l'humilité si vous n'êtes point humiliée, ou de la soumission si on ne vous commande des choses contraires à la nature ? Je me réjouis de vous voir si bien déterminée d'être à Dieu quoi qu'il vous en coûte. Allez, allez, chère enfant, quand vous vous perdrez vous-même en cette sainte entreprise, vous trouverez Dieu parfaitement.
Je voudrais bien vous dire quelque chose sur ce précieux et divin mystère qui fait l'objet de notre amour et de nos actuelles adorations. J'aurais grande joie de vous en parler selon ma pauvreté, mais le temps est trop bref et je tâche de répondre succintement à la vôtre pour vous soulager au besoin. Ce Sacrement d'amour étant prêché assez souvent vous donne des lumières et intelligences pour vous y appliquer. Mais la plus importante disposition est un fond d'abaissement en la présence de Jésus humilié en ce divin mystère, et une entière démission de vous-même pour être capable de son opération. Apprenez, ma chère fille, par ce pain eucharistique, que vous devez vivre de Jésus et pour Jésus, c'est ,son dessein. Vous le voyez par ces divines paroles : « M ISIT ME V1VENS PATER » ; « Comme mon père m'a envoyé et que je vis pour mon Père, de même celui qui me mangera vivra pour moi, à cause de moi » (1). Voilà les paroles du saint Evangile qui nous marquent cette belle et auguste vérité de la vie que, par la Communion l'âme est vivante de la vie de Jésus et ne vit que pour Jésus. Il est fait en nous un principe de vie divine, c'est-à-dire qu'il est en nous une cause de vie et que nous ne devons plus vivre en nous, ni pour nous. Je prie ce divin Sauveur qu'il rende ses sacrées paroles efficaces en vous et en nous, et que nous ne vivions plus désormais que par Jésus et pour Jésus. O la belle vie qui ne serait animée que de cet adorable principe ! Mourons à nous afin que Jésus vive !
J'achève de répondre à quelques articles de votre chère lettre. Premièrement, pour ce qui regarde les pénitences : ne vous y attachez point trop, et après qu'on vous les a refusées, soyez aussi tranquille comme si l'on vous accordait votre demande. Concevez bien, ma très chère fille, que votre grande et principale affaire, c'est de mourir à tous désirs, tous choix et affections de quoi que ce soit, pour être libre intérieurement de prendre votre vol vers Dieu. N'ayez d'attache à rien. Soyez toujours dans la volonté de faire tout le bien qui serait à votre possible et par delà, mais soyez sans inquiétude, indifférente à toutes les conduites de l'obéissance, vous souvenant que tout ce que vous pouvez désirer de bon peut être infecté de votre amour propre et de quelque impétuosité de la nature intérieure, mais dans la mort, tout se purifie. Ne craignez point d'être sans souffrances ; vous n'y serez jamais, Dieu en fera naître des occasions au dedans et au dehors de vous-même. Fixez votre paix, votre repos et votre amour en Dieu seul, et non en quoi que ce soit de créé pour bon qu'il soit. La foi nue sera une vie et le chemin par lequel vous passerez en Dieu, mais, chère enfant, ce chemin est d'autant plus rigoureux qu'il est la mort de l'amour-propre. Les retours, les raisonnements, les • goûts, les satisfactions y agonisent. Il faut outrepasser tout cela et entendre les plaintes et les gémissements de notre intérieur, qui crie qu'il meurt de faim, qu'il ne peut soutenir une destruction si cruelle, sans se soucier de nous-même. Il faut se résoudre à tout perdre, si nous voulons tout gagner. Secondement pour ce qui regarde les demandes que l'on vous fait sur votre intérieur, répondez, chère enfant, selon la simplicité du coeur et fort ingénument, sans vous mettre en peine du succès, ni de ce que l'on pourra dire. Je veux que vous ne regardiez que Dieu et que, sans réflexion, vous conserviez en tout et partout une sainte liberté. Je trouve que la simplicité fait cela, je veux dire, que votre âme regarde sans se détourner de cette vue ; c'est une disposition qui produit d'excellents effets. Si j'avais autant de temps que d'affection et de zèle pour votre sanctification, je vous dirais beaucoup d'autres choses, mais il faut nous contenter du peu puisque la Providence me donne tant d'occupations.
J'écrirai à la Mère N. pour la prier de vous prêter quelques petites choses qu'elle a recueillies sur quelques Evangiles de l'année. Peut-être que cela vous pourra servir et aider à donner un peu d'intelligence pour les autres. J'aurais un singulier plaisir d'instruire votre âme ; ce sera toujours le plus souvent que je pourrai soyez-en très certaine. Vous savez ce que vous m'êtes, je ne vous le réitère point. C'est pour le temps et l'éternité ce que je vous ai dit devant le Très Saint Sacrement avant mon départ. Si je puis durant le saint octave, je vous écrirai. Embrassez ma chère Soeur des [ Anges du Vay] (2) pour moi et l'assurez de ma fidélité. Vous pouvez m'écrire quand vous voudrez.
A Dieu en Dieu, il soit à jamais béni ! Nous vous exhortons d'être bien gaie, libre et dégagée, n'étant point trop sérieuse avec vos Soeurs, de sorte que votre humeur trop retirée leur soit à charge. Faites paraître de la joie dans votre sainte captivité à Dieu, afin d'encourager les petits à l'amour de Notre Seigneur, imitant saint Paul qui se fait tout à tous pour les gagner tous. Agréez, chère enfant, ce petit mot d'avis de votre pauvre et indigne Mère.
n" 3074 D43
(I) Jn. V1,57.
(2) Catherine du Vay (Mère Marie des Anges) prit l'habit en janvier 1661 et fit profession en septembre 1662 au monastère de la rue Cassette. Elle fait partie du groupe des fondatrices du monastère de Toul (cf. Journal de Toul). Mère Mectilde l'enverra aussi aider à la fondation du monastère de Rouen.
A LA M ÊME
Je fais ce que je puis pour vouloir ce que Dieu veut et pour agréer son amour qui, dans l'état où la Providence vous tient, fait des coups de sa puissance. Je crois qu'en vous renversant le corps par l'infirmité,
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il anéantira l'esprit par sa grâce et fera de vous une nouvelle créature en Jésus Christ. Je vous prie de lui donner un pouvoir absolu de vous dominer, mais par un simple acquiescement d'amour vous soumettant et abandonnant à son plaisir. C'est à présent qu'il faut être victime par état et expirer en Jésus. Rendez-lui à tout moment votre être intérieur, désirez de n'eh plus avoir l'usage. Commencez demain à la sainte communion à vous séparer doucement de vos propres pensées, sentiments, raisonnements, etc., et allons avec ces pauvres peuples de l'Evangile de dimanche dernier à la suite du Seigneur en nous oubliant nous-mêmes comme ces pauvres gens. Et cela obligera miséricordieusement et amoureusement sa bonté à pourvoir à nos besoins et il dira pour nous : «Misereor super turbam» (1), j'ai pitié de cette troupe qui me suit. Par un sacré oubli de ses intérêts, il nous rassasiera de lui-même, se faisant notre nourriture. Eprouvez les soins de son amour et croyez qu'il est infiniment bon et qu'il vous aime plus que sa propre vie.
n" 974 C405
(1) Mc VIII, 2. Cet évangile de la multiplication des pains était lu le 6e dimanche après la Pentecôte. Pâques étant cette année là le 25 avril, la lettre a dû être écrite vers le 20 juillet.
À LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
7 juillet 1666
Ma très Révérende et toute chère Mère,
Loué soit àjamais le Très Saint Sacrement de l'autel
lya longtemps que je désire vous rendre mes respects et répondre
à celle que vous me fîtes la grâce de m'écrire à ma sortie de Toul. Mais j'ai toujours tant d'occupations que les unes abîment les autres. Ce petit mot sera par avance pour vous rendre grâce de ce que vous avez fait pour la bonne Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny qui en a toutes les reconnaissances qu'elle doit et qui travaille de la bonne sorte à la perfection. Nous en sommes ici fort édifiées et j'eusse été bien aise que vous l'ayez retenue pour former le choeur et régler le chant, mais la chose se pourra faire une autre fois, ou dans le premier voyage que la divine Providence nous fera faire, si vous en avez besoin.
Je bénis Dieu de tout mon coeur, ma très chère Mère, de toutes les grâces qu'il donne à votre sainte Communauté. Je ne les puis assez admirer. Je crois que toutes sont persuadées, présentement, que notre saint Institut n'est pas si rigoureux, ni si opposé à notre sainte Règle, comme plusieurs le croyaient. Monsieur d'Etival me fait l'honneur de m'écrire comme toutes choses se pratiquent parfaitement, dont j'en ai conçu une joie singulière. Soyez, certaine, ma toute chère Mère, que l'Institut est saint et que, nonobstant que Notre Seigneur se soit servi d'une très grande pécheresse pour l'établir, il ne laisse pas de contenir-les grâces et bénédictions qu'il y a mises et que vous y trouverez pour toutes vos chères filles autant de sainteté qu'elles en voudront puiser dans la source qu'il renferme en soi. Avouez, ma toute chère Mère, que vous y trouvez plus de grâces que vous ne pensiez et plus de facilité qu'il ne vous en paraissait. Béni soit infiniment le bras de la divine toute puissance qui a fait ce coup de miracle en vous, et de vous avoir choisies pour être les dignes adoratrices et réparatrices de Jésus, mon bon Sauveur, humilié sous les espèces ! J'ai mandé à Monsieur d'Etival une histoire fort touchante qui excitera votre amour en esprit de réparation. voyant comme Notre Seigneur se laisse à la puissance des impies. Quand nous serions éternellement abîmées dans notre néant en sa sainte Présence, ce ne serait pas assez pour reconnaître ses bontés ineffables dans le Très Saint Sacrement et les excès où son amour infini l'expose. Si vous saviez tout ce que je sais, votre coeur, ma très chère Mère, en serait navré. Rien n'est si sensible que de voir l'ingratitude des créatures vers la bonté infime de Jésus qui, pour tous ses bienfaits et le don qu'il nous fait de lui-même, est outragé si cruellement. Je ne m'étends pas, ne le pouvant pour cette fois. Soyez assurée, ma très honorée et plus chère Mère, que je suis à vous et à votre sainte Communauté toute de coeur en Jésus et pour Jésus, votre très indigne fille et servante.
n" 635
A LA MÊME
11 août 1666
Ma très Révérende et très chère Mère,
Jésus humilié sous les espèces soit l'objet de notre amour et de nos éternelles adorations !
n e n'est pas pour moi un petit sacrifice de me voir si environnée 'I' d'affaires que même elles me privent de la plus douce consolation que je puisse avoir en ce monde, qui est de vous donner de nos nouvelles et d'en recevoir des vôtres. Ma vie se passe dans les embarras, tandis que la vôtre se consomme dans la chère solitude. Mon sort est bien différent du vôtre, ma toute chère Mère, quoique tous les deux soient dans la main de Dieu et que c'est lui qui les opère. Il se faut contenter de sa divine volonté puisqu'il n'y a rien de meilleur au Ciel ni en la terre, et qu'elle fait la joie et le bonheur des bienheureux. Il faut qu'elle fasse ici-bas le nôtre et que nous trouvions en elle notre paix, notre repos et notre sanctification. C'est cette aimable volonté que nous devons
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de lumière de cet ineffable amour. Vous, ma toute chère Mère, qui avez reçu la grâce d'en être pénétrée, vous entrerez sans peine dans la douleur de voir cet aimable Sauveur si indignement traité. Je ne sais si je vous ai mandé comme les profanations continuent en différentes manières et que dans l'octave du Très Saint Sacrement on avait dérobé le saint ciboire aux filles de l'Ave Maria à Paris (2). Je crôis vous avoir dit que j'avais fait confesser une ...
n" 134
(2) Le monastère des Clarisses de Paris, placé sous le vocable de l'Ave Maria, fut fondé en 1484. Il était situé entre l'Hôtel de Ville et l'église Saint-Paul-Saint-Louis, rue de l'Ave Maria. (renseignement fourni par le monastère des Clarisses de Paris).
toujours envisager dans tous les événements de la vie, soit agréables ou fâcheux, et c'est dans la soumission qu'on lui doit où l'on trouve le calme dans les accidents les plus douloureux.
La pauvre Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny] (1) a porté cette suave disposition de paix et d'amour dans le fort du mal que Notre Seigneur lui a envoyé depuis sept ou huit jours, qui lui fit recevoir dimanche dernier l'extrême-onction avec une sérénité admirable, qui attendait la mort par un mal de coeur et de tête très violent. Elle nous paraît beaucoup mieux aujourd'hui, quoique les médecins ne la croient pas encore hors de hasard. Je ne pense pas que ce soit si tôt ; elle-même ne désire pas la mort corporelle, mais elle a un extreme désir de mourir. de la bonne sorte. toute à elle-méme. Son seul reuret, dans les agonies qu'elle a souffertes, était de paraître devant la majesté de Dieu toute vivante, disant qu'elle croyait que c'était la plus cruelle peine qu'une âme pouvait avoir à la mort de voir que Notre Seigneur n'était point vivant en elle. C'est bien son dessein de bien travailler à la ruine d'elle-même ; pour moi j'estime que c'est une urande urâce d'en avoir un véritable désir. Elle m'a priée de la recommander à vos saintes prières et de vous assurer qu'elle a toutes les reconnaissances possibles de la grâce que vous lui avez faite. Elle m'avait fort priée dans son extrêmité de vous remercier pour elle, et de vous demander pardon comme à sa chère et précieuse Supérieure et votre bénédiction. vous assurant qu'elle avait une singulière joie d'avoir l'honneur d'être votre fille et associée à la sainte Communauté de Rambervillers qu'elle estime comme des anges du Ciel. Je crois que notre chère Mère Sous-Prieure vous en écrit.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet, mais je vous dirai, ma toute chère Mère. que j'ai rendu grâce à mon Dieu de vous avoir liée et engagée par voeux, vous et vos saintes filles, à l'Institut du Saint Sacrement ; vous en êtes à présent. par une promesse irrévocable, les victimes. Je ne doute point qu'en prononçant vos voeux vous n'en ayez reçu les grâces. dont la première est la tendresse, amour et respect pour la personne adorable du Fils de Dieu dans cet auguste mystère. La seconde est une sainte ardeur pour sa gloire et pour ses intérêts, ne pouvant souffrir qu'il y soit déshonoré et profané par les pécheurs. d'autant qu'il se donne par amour et que son amour est payé d'ingratitude. d'outrage et d'impiété, ce qui navre un coeur qui aime et qui a un peu
(1) Soeur de Monseigneur de Laval. Elle fait partie du premier groupe de religieuses qui entourent Mère Mectilde, rue Férou. en 1653. Souvent et très gravement malade, elle fera un long séjour au monastère de Rambervillers. C'est à elle que sera confiée la tâche délicate de former. le monastère de Nancy à l'esprit de notre Institut. Elle en sera prieure jusqu'à sa mort, en 1685.
Monseigneur de Laval (1622 - 1708). Il fréquenta l'Ermitage de Jean de Bernières plusieurs années. 11 s'embarqua pour le Canada dont il fut le premier évêque. en avril 1659. Il se démit de sa charge en 1685. C'est une très grande figure du XVIle siècle missionnaire, cf. Souri-au. op. cit.. p. 306 et suiv.
/ Daniel-Rops, L'église des temps classiques, Fayard, 1958, t. 11, p. 106, 150. Pour l'oeuvre si remar-
quable des séminaires. Cf. Noël Baillargeon. Le séminaire de ,Ouébec sous l'épiscopat de Mgr de Laval, Québeç. les Presses de l'Université Laval. 1973.
A LA MÈRE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER'
16 octobre 1666
Chère enfant,
ILa divine Providence vous mortifie en me mortifiant et m'ôtant la commodité d'achever une lettre, pour répondre aux vôtres, qui est commencée il y a plus de deux mois. Il faut bénir Dieu dans les accablements où je suis, et vous, chère enfant, entrez avec moi dans ses conduites, et tant s'en faut que mon silence vous doive rebuter et faire douter de mon affection. Il doit vous lier à nous plus étroitement par des dispositions conformes d'abandon, de sacrifice et d'union au bon plaisir de notre bon Maître, qui nous privé des innocentes satisfactions que nous aurions si nous pouvions nous entretenir par lettres aussi souvent que je le voudrais ; mais, une fois pour toujours, croyez que je suis toute à vous, mais invariablement et inviolablement et d'un coeur inaltérable ; et vous savez ce que je vous dis à ma dernière sortie de votre sainte Maison. Soyez certaine que ce sera pour le temps et pour l'éternité et que, dans les sacrées plaies des pieds adorables de mon Sauveur au Très Saint Sacrement, nous y ferons vous et moi notre demeure. Ne laissez pas cependant de m'écrire quand vous pourrez. J'ai une joie sensible d'avoir de vos nouvelles et, au pis aller, je vous ferai une ample réponse un de ces jours que j'espère être en retraite. Soyons à Dieu, chère enfant, plus ardemment et fidèlement que jamais. Laissons le reste s'abîmer dans le néant. Prêtons-nous à tout ce que l'obéissance nous impose et dans nos obligations de religion. Mais que le coeur, je veux dire la volonté, surnage toujours au-dessus de toutes choses. pour ne s'attacher au créé ni ne s'engager à rien, afin qu'il soit libre de prendre son vol à tous moments vers son tout, dans l'intime de son être. Courage, chère enfant, aimons Jésus et sa très sainte Mère et que tout notre plaisir soit de nous immoler pour leur gloire et de nous consommer au pur amour.
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Je suis en lui toute vôtre et à ma chère soeur N. qui a part si intimement à notre liaison. J'ai peine de n'avoir encore répondu à sa lettre ; je la prie que cela ne la rebute point ; je le ferai amplement dans notre retraite avec la grâce de Notre Seigneur ; je l'embrasse avec vous très cordialement.
il" 1916 N256
AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS
15ème décembre 1666
Loué et adoré soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Mes Révérendes et mes très honorées et chères Mères,
ous avons reçu celle qu'il vous a plus nous écrire par laquelle vous
nous faites entendre la disposition merveilleuse que le Saint Esprit opère dans vos coeurs. Je l'en bénis et l'en remercie comme d'une grâce très singulière qu'il vous fait, mes très chères Mères de vous tenir dans une sainte adhérence et humble soumission aux règles que ce divin Esprit a inspirées pour la bonne conduite de notre Congrégation. J'espère avec l'aide de sa grâce que vous n'y trouverez rien de choquant, et que toutes seront satisfaites des précautions que nous avons prises pour éviter les inconvénients autant qu'il nous est possible. Monsieur d'Etival en sera juge et témoin et vous assurera de la sincérité de nos intentions, quoique vous en soyez déjà persuadées et que vous ayez assez de bonté pour croire que je ne veux et ne cherche que le bien général et particulier de tout l'Institut. Je ne fais rien qu'avec les conseils des personnes éclairées et expérimentées en telles affaires. Il se doit encore faire une assemblée le 16 ou le 17 du mois prochain de douze ou quinze docteurs savants et gens de haute piété pour prendre leurs avis et leurs approbations. Les Révérends Pères Général. Définiteurs, Visiteurs de la congrégation de Saint-Maur et les Révérends Pères Prieurs de Saint-Germain et de Saint-Denis seront de l'Assemblée (1) et ont agrée qu'elle se fasse dans leur abbaye, témoignant un grand zèle pour cet ouvrage et affection de nous y servir. Je ne crois pas qu'avec l'examen
(1) Le chapitre général de la congrégation de Saint-Maur avait nommé en juin 1666 : supérieur général de 1660 à 1672, Dom Bernard Audebert ; visiteur de France , Dom Claude Boistard (1620 - 1709). (il sera supérieur général de 1687 à 1708) ; prieur de Saint-Germain-des-Prés, Dom Antoine l'Espinasse (1600 - 1676) ; prieur de Saint-Denys, Dom Vincent Marsolles (1616 - 1681) (il sera supérieur général de 1672 à 1681). Cf. Dom Martène Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, t. IV, Ligugé, 1930, p. 221 (Archives de la France Monastique, vol. 34).
La rédaction des Constitutions et des Statuts de Congrégation de l'Institut a'été commencée dès 1663. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 214.
de tous ces grands hommes, on puisse manquer. Ceux d'entre eux qui les ont vus (2) les admirent. J'espère que Notre Seigneur en tirera sa gloire et qu'il y donnera sa sainte bénédiction. Si, après que vous les aurez vus et considérés devant Dieu, vous y trouvez quelques difficultés, nous tâcherons avec sa grâce de les résoudre et de vous consoler, vous assurant, mes très chères Mères, que vous aurez le centuple en ce monde et une glorieuse récompense en l'autre d'avoir bien voulu vous sacrifier à l'amour, à la gloire et aux intérêts de l'auguste Sacrement de nos autels. Vous donnez vos veilles et vos assiduités à un Dieu qui ne se laisse pas vaincre ni surmonter en bienfaits. Pour un peu d'honneur que vous lui rendez en terre, vous en aurez une gloire éternelle et toute particulière dans le Ciel et des bénédictions infinies en ce monde.
On ne perd rien de s'efforcer de réparer la gloire d'un si bon Seigneur et, quoi qu'on soit indigne de la moindre réparation, il ne laisse pas de prendre un singulier plaisir de voir ses épouses animées d'ardeur et de zèle pour rétablir sa gloire. Vous êtes, mes très chères Mères, des réparatrices d'amour et vos réparations doivent être faites en amour, puisque vous êtes les suppléments des pécheurs et des impies qui sont sans amour. Oh ! que nous serions heureuses si nous pouvions nous fondre en la présence de ce divin Sauveur et que nos coeurs soient brisés et consommés de ces précieuses flammes ! Plût-il à Dieu nous rendre dignes de l'aimer, de ce pur et violent amour qui transforme les bienheureux en Jésus dans le Ciel ! Amour violent et amour tranquille et paisible tout ensemble, amour qui brûle sans consommer, amour qui triomphe de tout et qui rend Dieu maître absolu de nous-même. Ayez de la joie, mes très chères Mères, d'appartenir à un si bon Seigneur, à un Dieu que l'amour transporte du sein de son Père dans le tabernacle pour être l'objet de nos hommages, de nos adorations et de notre amour, et pour nous faire vivre de sa vie. Mon Dieu, mes très chères Mères, que ce divin Sauveur a peu d'adorateurs ! Presque tout le monde l'ignore, ou, s'il est connu, il n'est point aimé. Si vous saviez ce que nous apprenons tous les jours, vos coeurs s'abîmeraient, vos yeux seraient toujours remplis de larmes, vous gémiriez incessamment, mais un coeur dur comme le mien s'accoutume à entendre dire tant d'horribles choses. Ne soyez pas de la sorte, mes très chères Mères, laissez-vous pénétrer de douleur de voir l'amour infini de Jésus au sacré mystère eucharistique récompensé d'une effroyable ingratitude. Je ne dis point le reste, je serais trop longue à vous l'exprimer. Aimez, mes très chères Mères, aimez l'amour qui, par amour, demande votre amour, et ne peut être satisfait que de l'amour. Soyez les victimes de l'amour renfermé au Très Saint Sacrement de l'autel. Ne souffrez point que cet adorable prisonnier d'amour soit frustré de votre amour. Ne voulez que lui, ne
(2) Lire : ceux d'entre eux qui ont vu ces projets de Statuts les admirent.
280 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 281
cherchez que lui, ne vous contentez que de lui, que tout ce qui n'est point lui soit banni éternellement de nos coeurs, et qu'il nous envoie la mort plutôt que de permettre que nous vivions un moment pour nous-mêmes et pour les créatures. Priez pour moi, mes très chères Mères, afin que je puisse moi-même faire ce que je vous dis, et que Notre Seigneur et sa très Sainte Mère soient à jamais les souverains de nos coeurs. Je suis en leur sacrée dilection toute votre pauvre fidèle et affectionnée servante
Sr M. du St Sacrement
Pardonnez aux petites saillies de mon esprit qui se confie en vos bontés, mes très chères Mères..
232
À LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE] SOUS-PRIEURE À RAMBERVILLERS
décembre 1666
a'.'aimerais bien mieux être auprès de vous que de vous écrire, ma très chère Mère, mais, comme la Providence me prive de cette consolation, je viens du moins vous assurer que je suis toute à vous et à toute la chère Communauté, que je salue de tout mon coeur en lui souhaitant une bonne et sainte année, comblée de toutes sortes de bénédictions, et au bout que je puisse bientôt, avec notre bonne Mère, vous allez rendre les marques de nos sincères affections.
Certes, ma très chère Mère, de toutes les maisons de l'Institut il n'y en a point où mon coeur respire de consommer son sacrifice [plus] qu'à la chère maison de Rambervillers. Elle m'est plus aimable que jamais, et toute ma passion serait de la bien établir avant que de mourir. Mais mes péchés me rendent indigne de l'effet de mes désirs. Si vous ne priez Notre Seigneur qu'il les consomme dans son sang, je ne pourrai jamais rien faire qui lui soit agréable, ni qui soit utile à cette chère maison.
J'ai un grand désir de vous voir encore une fois, et de parler un peu de ce qui doit faire notre félicité éternelle. Je sais que vous y aspirez avec tant de zèle et d'ardeur que vous ne vous souciez pas de m'attendre. Je vous prie de modérer cette ferveur, en sorte que je vous puisse encore trouver sur la terre pour y renouveler notre sainte union, qui sera inviolable en Jésus Christ. Je vous en assure plus que jamais.
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
ler janvier 1667
uelle apparence de laisser ce commencement d'année abîmer
comme les autres dans une foule d'occupations sans dérober ce petit moment pour saluer les chères victimes de Jésus, en leur souhaitant une bonne et sainte année, comblée de grâces et de bénédictions du ciel et de la terre, telles qu'autrefois Jacob les reçut de son père (1). Je prie Jésus et sa sainte Mère de nous renouveler dans l'esprit et la grâce de notre Institut, et que vous en soyiez les piliers et les colonnes, pour le soutenir en sa vigueur et en sa sainteté. Je prie ce divin Enfant qu'il vous revête de la grâce de sa divine enfance, qu'elle porte en vos coeurs les effets de pureté, d'innocence, de simplicité et d'humilité. Je le prie derechef qu'il vous rende digne d'être les victimes de son amour et de sa sainteté, que, comme il ne vit que pour son Père, de même vous ne viviez que pour lui et en lui. Je vous puis persuader que je vous aime très cordialement, et que je suis en esprit au milieu de vous, comme, selon l'apparence; nous espérons y être bientôt personnellement. Je me réjouis de vous voir, mes très chères filles en Notre Seigneur; vous êtes, ce me semble, la jôie de mon coeur et ma consolation. Quand je suis dans l'angoisse je me souviens de vous, et, voyant que vous servez Dieu, ou du moins que vous le voulez aimer et servir de tout votre coeur, le mien s'en réjouit. Bénites soyez-vous toutes du Fils et de la Mère, et que Jésus et Marie trouvent leur complaisance en vous et dans votre petit monastère ! Hélas ! mes chères enfants, toute la bonne fortune d'une âme c'est d'être à Jésus, de mourir pour Jésus, c'est de vivre de Jésus et de suivre Jésus ; hors de cet état, ce n'est que misère et péché. Toute la terre est pleine de corruption, jamais le péché ne fut si élevé ni si soutenu qu'à présent. Le mensonge et la vanité font la vie et l'entretien de tous les hommes ; très peu s'en séparent pour marcher dans les sentiers de la vérité ; les bons géinissent incessamment après le règne de Dieu. Les âmes qui aiment sa gloire le prient d'abréger les jours de l'homme, puisque tout se convertit en iniquité. Oh ! que vous êtes heureuses d'être choisies et élues de Dieu pour être associées à son Fils ! Oh ! que votre bonheur est grand de n'avoir qu'à complaire à Jésus ! Oh ! que vous êtes riches d'être pauvres de sa pauvreté ! Oh ! que votre liberté est glorieuse d'être ses esclaves ! Tous ses serviteurs sont rois, et saint Paul nous dit que «servir Jésus c'est régner». Oh ! le beau paradis que nous commençons en terre pour le consommer un jour dans la gloire que ce divin Jésus nous prépare comme à ses bien-aimées qui ont partagé ses croix et ses humiliations par la conformité à ses sacrés états, et par l'union à son bon plaisir !
n. 729 13505
(I) Cin. 27.
282 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 283
Entrez, mes chères enfants, dans la joie du Seigneur, et vous enivrez du torrent de ses délices et voluptés divines, dont les saints seront éternellement rassasiés, et n'oubliez point en vos saintes prières une pauvre pécheresse, qui n'est pas digne de porter la qualité de votre très affectionnée Mère et servante.
n" 2592 CrC
A LA MÈRE ANNE DE SAINTE-MADELEINE
Prieure de Toul
Janvier 1667
an quelque occupation que je puisse être ce faut-il que je vous
souhaite une année de bénédiction pleine de urâce et de sainteté pour vous ma toute chère Mère et pour toutes vos filles, et prie le divin Enfant Jésus qu'il soit votre vie et qu'il commence en vous et en nous cette année et qu'il la consomme en son amour. Voilà les souhaits d'un coeur plein de tendresse et d'affeCtion pour votre âme et pour le petit troupeau que la divine Providence vous a confié. Je ne doute point qu'il ne vous donne tout ce que vous avez besoin pour le conduire au gré de celui à qui il appartient.
Prenez courage, très chère Mère, dans votre travail. Ne vous rebutez point, ni de la charue, ni de vos propres misères. Il faut nécessairement s'abandonner et se perdre dans le bon plaisir de Dieu. Il s'y faut, dis-je, abîmer, sans cela on ne saurait vivre contente dans les misères de cette vie. Mais si nous nous délaissons à Dieu il fera sa volonté tandis que nous mourons incessamment à la nôtre.
Il y a des âmes, nia toute chère Mère, que Dieu conduit par des sentiers de perte et d'actuelle abnégation d'elles-mêmes. Il semble que tout conspire à la ruine des moindres choses qui les pourraient un peu consoler. Leurs voies ne sont que mort et que lanuueur, que des abjections qui semblent presque infinies, et ce n'est pas un petit sacrifice de vivre de cette sorte, notamment quand la Reliuion nous charue de ses emplois les plus forts.
Pour moi, je puis dire que Dieu a trouvé un moyen de me rendre abjecte effroyablement en faisant notre Institut. Je n'en puis revenir ; vous diriez que tout aboutit à m'y plonger- toujours plus avant. 11 faut bénir Notre Seigneur et le laisser faire comme il lui plaira, quoique l'esprit humain et la superbe crèvent de voir sa conduite si renversante ide, nos desseins. Cependant il faut marcher, agir et faire bonne mine, comme si tout succédait selon nos désirs. 11 ne faut pas seulement qu'on voie la moindre amertume dans nos paroles, ni dans nos actions. Personne n'est capable de nos peines, comme aussi personne ne nous
peut consoler quand Dieu se mele de nous crucifier. Je vous prie, ma toute chère Mère, de commencer une neuvaine à la très sainte Mère de Dieu pour lui mander nos besoins spirituels et temporels, et singulièrement trois choses
1. L'esprit et la grâce de notre Institut :
2. Des sujets pour le remplir, le soutenir et perfectionner ;
3. De quoi le faire heureusement subsister. J'ai besoin de son secours extraordinaire. Il faut bien de la foi, de la confiance et de la patience. Dieu soit béni ! 11 en usera comme il lui plaira. Si j'écoutais le raisonnement humain, je ne croirais pas pouvoir jamais réussir. Recommandez le tout à la très sainte Vierge ; j'espère qu'elle aura pitié de nous.
Durant la neuvaine que je vous demande, une religieuse chaque jour fera 63 coups de discipline pour honorer les années de cette bénite
Mère de Dieu ; 2. fera la Sainte Communion à son honneur. 3. dira
« AVE MARIA Fl LI A DEI PATRIS » (1) etc... 4. jeûnera comme un jeûne de la Règle, et ajoutera quelque acte de vertu, d'humilité ou de charité, etc., priant humblement et ardemment qu'il lui plaise nous
reuarder en miséricorde, et nous envoyer des sujets capables de soutenir
et le reste que nous avons besoin. Vous changerez chaque jour de religieuse durant cette neuvaine, afin que chacune y contribue et qu'elle
ne soit point trop surchargeante. Vous voyez, ma toute chère Mère, ma confiance en votre charité et que c'est de coeur que je suis toute à vous.
n" 391 N267
(1) Saint Jean Eudes a emprunté la première partie de cette pièce à sainte Gertrude , au livre Ill chapitre XX, du «Héraut de l'amour divin», y ajoutant les invocations et bénédictions finales. Le Père Eudes recommandait de la réciter pour la conversion des pêcheurs et au chevet des malades. (Renseignement fourni par les religieuses de Notre-Dame de Charité fondées par Saint Jean Eudes).
POUR LA CHÈRE COMMUNAUTÉ [À PARIS'
1_ de Plombières .1, ce 20 juin 1667
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !
'apprends, mes très chères Enfants, avec une extrême consolation les grâces que l'infime bonté de Dieu verse dans vos coeurs et comme le Saint Esprit fait en vous toutes une entière union. Je suis ravie d'apprendre la plus douce et précieuse nouvelle que je pourrais jamais désirer. Voilà les effets de la divine Eucharistie par l'entremise de votre très sainte et glorieuse Abbesse, l'auguste Mère de Dieu. Oh ! qu'il fait bon l'avoir pour Mère et s'abandonner entre ses bénites mains ! Continuez votre confiance et d'y avoir un continuel recours. Vous verrez combien elle augmentera en vous ses faveurs, ses soins
284 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 285
et sa protection. Ne doutez pas que l'absence d'une pécheresse ne vous soit utile. Je vois manifestement que vous recevez plus de grâce que lorsque j'étais avec vous ; c'est un bonheur que je demeure longtemps dans mon voyage. Mais je vous aime trop pour me pouvoir priver si longtemps de vos chères présences. Vous ne croiriez jamais combien vous m'êtes chères ; mes paroles ne sont pas capables de vous le persuader, mais, croyez-le, je vous supplie et priez Notre Seigneur que mes péchés n'attirent point sa malédiction en ce pays.
Nous nous portons très bien, notre chère Mère Sous-Prieure et moi. Si elle avait de meilleures jambes, ce serait merveille. Mais elle ne peut marcher et [elle est] contrainte de demeurer longtemps au lit, voire quasi des journées entières. Ce pays est froid ; il y pleut toujours, ce qui fait craindre que les biens de la terre ne soient pourris.
Je vous sais bon gré du soin que la charité vous fait prendre de la pauvre Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny] dans son extrémité. Consolez-la ; je suis bien mortifiée de la savoir si mal et de n'être pas auprès d'elle. Assurez-la que j'y suis en esprit et que je fais bien prier Dieu pour elle. Je hâterai mon retour le plus que je pourrai. Nous faisons dire la sainte messe pour elle et continuerons tous les jours jusqu'à une meilleure nouvelle de sa santé.
Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de l'union qu'il fait dans vos coeurs. Soyez un comme il est un avec son Père. Voilà le désir de son Coeur. Mon Dieu, que vous me donnez de joie ! Là où est la charité, Dieu y est ; je suis certaine par ce moyen que Dieu est avec vous, qu'il y prend sa sainte complaisance et que vous êtes son jardin de délices. Si vous continuez à vivre d'amour et de charité en lui et pour lui, vous me donnez une nouvelle vie. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'être plus à lui par vos exemples et par vos saintes prières. Faites tant d'instances vers sa Bonté, que nous ne soyons toutes qu'un coeur en son amour, ou plutôt que nous n'ayons plus de coeur que le Sacré Coeur de Jésus et de Marie, que le divin amour a réduit en un.
Voilà ma passion et l'effet du très adorable Sacrement que nous aimons si chèrement. II me semble qu'il rallume en moi un nouveau désir d'être consommée en lui. Faisons tout notre possible pour y parvenir, et, pour cet effet, mourons le plus que nous pourrons, car c'est la mort de nous-même qui donne vie à Jésus en nous, et cette vie divine fait imperceptiblement la consommation de tout nous en Jésus pour être lui seul notre unique vie.
J'avance tant que je peux pour aller retrouver les chères enfants de l'adorable Eucharistie ; je n'oserais dire les miens, n'étant pas digne d'être votre Mère, mais par relation à la divine Mère de Jésus. Je vous nomme du plus intime de mon coeur. mes très chères et plus que très chères Enfants en Jésus et Marie.
A Dieu, c'est en lui que je suis toute vôtre.
Je prends des eaux bien vilaines et bien puantes à mon goût. Hier j'étais un peu dégoûtée le matin ; l'après dîner et cette nuit j'ai été très bien et ce matin encore mieux. Il me semble que je suis plus légère. Voilà pour contenter votre affection.
Priez Dieu qu'il me rende digne de rentrer dans sa sainte Maison du Saint Sacrement.
n" 860
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE l CHARBONNIER I
[ 1667
gant appris que vous continuez d'être dans la douleur, j'ai cru que je devais vous dire ce que Notre Seigneur me donne sur vos dispositions.
Premièrement, je trouve que vous êtes tombée imperceptiblement dans une très grande réflexion et application à vous-même, à votre état et à votre éternité, que vous en êtes si remplie que vous ne le voyez pas, parce que le motif vous en parait juste, étant le respect d'un Dieu que vous outragez et que vous profanez par des sacrilèges et communions indignes, que vous êtes pleine de péché, que tout le passé n'a été que fantaisie, etc...
Je vous accorderai pour votre satisfaction tout ce que vous voudrez, quoique je sache ce qu'en est dans la vérité ; niais je vous dis de la part de Dieu que vous êtes trop occupée de vos misères de vos péchés, de vos malices, de vos sacrilèges, de votre damnation, de votre enfer-et de la perte que vous faites de Dieu. Je vois qu'au lieu d'aller à la mort de tout, vous avez réfléchi sur votre vide, et vous vous en êtes éffrayée. Vous avez voulu y apporter remède par vos industries intérieures et, au lieu de trouver du secours, vous avez trouvé le trouble dans l'impuissance et l'enfer dans la pauvreté. Vous avez été abîmée dans la douleur, vous n'avez plus observé de règle, ni de mesure. Vous avez pris des assurances de votre perte éternelle, bref tout est perdu, sans miséricorde, et il n'y a pas lieu d'espérer aucun retour. Ajoutez, si vous voul&, à tout ceci tout ce que votre esprit vous peut suggérer de vice et de péché. J'accorde tout. Soyez, si vous voulez, pis que tous les diables. Cela ne m'effraye et ne m'étonne pas. Vous n'avez de tout cela qu'un péché, c'est d'avoir quitté le néant pour quelque chose, d'avoir quitté l'état de mort pour prendre vie, d'avoir voulu être quelque chose en Dieu et dans la grâce, et vous n'êtes qu'un malheureux néant, qui doit être non seulement oublié de tout le monde mais de Dieu même, vous croyant indigne de son souvenir. Si j'étais auprès de vous, je vous convaincrais des vérités que je vous dis, mais, ne le pouvant, je vous prie de prêter croyance à ce que ma plume vous dit. Et commencez
286 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 287
au moment que vous aurez vu ce que dessus à vous mettre à genoux, disant de coeur et de bouche : MON DIEU ET MON SAUVEUR JESUS CHRIST, je vous demande pardon d'avoir voulu être, et d'avoir empêché votre grâce de m'anéantir ; je reçois toutes mes misères en pénitence, et renouvelle en votre Esprit mon voeu de victime qui me destine à la mort et qui me prive de tous les droits que mon amour propre a prétendu avoir sur moi et de tous mes intérêts de grâce, de temps et d'éternité. Je vous rends tout sans réserve, et ne retiens pour moi qu'un néant en tout et partout pour jamais, pour vous laisser être et opérer en moi tout ce qu'il vous plaira. Après cet acte, cessez vos examens, vos retours, vos réflexions, vos craintes, vos résistances à l'obéissance et à la communion. Nous vous ordonnons de la part de Dieu de vous tenir comme une bête dans la perte de tout et même de votre salut et perfection. Il n'est plus question de tout cela, mais seulement de vous tenir dans ce simple abandon avec tant de fermeté que, si vous voyiez l'enfer ouvert pour vous engloutir, vous ne feriez pas un détour de votre pur abandon pour vous en préserver.
Voilà jusqu'où il faut mourir, et où vous ne voulez pas passer. Volontiers je vous gronderais de résister comme vous faites à la conduite miséricordieuse de Dieu ; ne permettez pas à votre esprit humain, ni à votre raison de répliquer ni raisonner sur ce que nous vous ordonnons de faire. Marchez tête baissée sous la loi du Seigneur, il vous fait trop de grâce ; ne soyez pas si misérable que de le rejeter sous prétexte que vous l'offensez. Je vous défends de vous amuser à penser à vos péchés, ni de regarder vos communions comme des sacrilèges. Perdez et abîmez tous ces retours et réflexions dans l'abandon simple comme je vous le propose. Ne prenez aucune part en rien de ce qui se passe en vous ; soit bien, soit mal, laissez tout cela sans le discuter. Dieu en jugera et en fera ce qu'il lui plaira. Et vous, tenez vous dans un néant éternel, qui ne voit plus, qui n'entend plus et qui ne parle plus pour soi-même, ni pour autre. Mais je vous répète encore une fois, demeurez comme un mort à votre égard et même à l'égard de Dieu, comme ce qui n'est plus et qui ne doit plus être. Et si vous êtes fidèle à suivre la règle que je vous donne de la part de Dieu, vous trouverez ce que vous ne pouvez vous imaginer et que je ne dois point présentement vous expliquer. Allez aveuglément où je vous mène, et croyez que par la grâce de Dieu je sais ce que je vous dis. Mai'chez sûrement dans l'obéissance, et ne laissez pas de prier Dieu pour celle qui est en Jésus toute à vous. Souvenez-vous donc de demeurer comme une bête en la présence du Seigneur, sans pensée, sans acte et sans force ; le néant n'a rien de tout cela.
Lorsque vous serez dans la croyance que vous êtes damnée, laissez tout ce jugement à Dieu, croyant qu'il fera justice s'il vous met en enfer. N'en soyez pas plus inquiétée, laissez tout pour vous tenir encore au dessous de tout l'enfer et des démons. Le rien n'est rien de tout cela.
rr 56 N267 A UNE RELIGIEUSE E DE TOUL 1
5 juillet 1667
Ma chère enfant,
X1 faut que je vous dise un petit mot sur celle que vous m'avez écrite touchant vos dispositions, pour seulement vous affermir et ne vous laisser en peine.
Premièrement, sur cet attrait qui vous tire en vous-même : il est bon mais comme il y aurait de l'excès, tâchez de vous exercer à quelque travail qui ne vous donne pas le loisir d'écouter, comme autrefois, vos sentiments et la douceur de la présence de Dieu en vous.
Secondement, demeurez toujours dans un saint abandon dans tous les discours de nouvelles, soit de guerre ou autrement. Vous feriez tort à Dieu en vous, qui a tant de bontés pour vous, si vous vous occupiez de quelque chose. Quant aux effets de la présence de Dieu en vous qui vous fait posséder Dieu d'une manière si intime, cela doit être ainsi de temps en temps, mais apprivoisez-vous avec toutes les miséricordes de Dieu à souffrir votre propre misère et corruption, sans penser vous en totalement délivrer. Il faut avoir patience du fond vicié en nous et en faire le sujet de notre humiliation, mais il ne faut point suivre les mouvements déréglés qu'il produit. C'est cela qui serait péché, et nou la vue du fond malin qui est en nous. Il le faut souffrir sans inquiétude puisqu'il sert de trône à Jésus Christ et qu'il prend ses délices dans une âme qui aime et sent sa propre corruption de cette sorte. Ne gênez point votre esprit par contrainte, mais suivez doucement ce trait intérieur qui porte en vous la paix du Saint Esprit. Ce qui est pénible en vous, n'en faites nul cas ; c'est un désir de Dieu qui voudrait adroitement rendre les choses divines sensibles. Je vois ce que Notre Seigneur fait pour sa gloire en vous. Prenez courage. Vous ferez bien de nous écrire de cette manière de temps en temps. Soyez fidèle, et ne vous brouillez avec qui que ce soit. Soyez fidèle à vos supérieures et tenez vous intérieurement séparée de tout le tracas de la vie et le bruit des discours des créatures ; ne laissez cependant d'agir en toutes vos obligations. Ne vous mettez point en peine de votre état ; tout va bien si vous faites ce que je vous dis. Je vous recommande ma soeur N. Je crains qu'elle ne s'accable un peu. Son état est pénible, Dieu la crucifie fortement, mais aussi il la veut faire sainte et on ne le peut être sans souffrir. Encouragez-la, et priez toutes deux pour moi. Je vous aime et chéris en Jésus du plus intime de mon coeur. Adieu.
Il faut encore vous dire que tout ce qui se passe en votre intérieur qui trouble la paix de votre âme, vous le devez négliger sans vous mettre en peine.
Ir 535 PI04 Bis
2 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 289
A 1,A MÈRE DOROTHÉE I HEURELLEI
Le 24 septembre 1667
Loue soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
e jugez point, ma très chère Mère selon l'apparence, mais que votre
charité excuse mes embarras. Elle le fera facilement si elle pénètre les sentiments de mon cœur qui sont toujours pleins de tendresse pour vous. Croyez-le, ma très chère Mère, et que l'union que Jésus Christ a faite en nous est inviolable. J'ai cette confiance en votre bonté qu'elle ne m'oublie point. .le suis au milieu de Paris sans voir les personnes spirituelles. Je suis si rebattue de tout que je ne vois que Dieu seul fidèle. O ma très chère Mère ! que vous seriez .affligée si vous saviez ce que je sais. Oh ! que la persévérance dans la grâce et dans l'union à Dieu est précieuse et qu'on peut bien dire que c'est le don de Dieu qu'on ne peut mériter ! Les cèdres du Liban, ma très chère Mère, sont ébranlés, et Dieu veuille qu'un très élevé ne tombe point tout à fait : ce serait un fracas et un scandale terrible. Priez Dieu pour lui : je ne vous le nomme point, vous l'avez connu. Priez Notre Seigneur qu'il le retienne ; et priez Dieu pour moi qu'il me confonde dans mon néant. O très chère Mère, il n'y a point de sûreté que dans la profonde petitesse ; une vie cachée et inconnue est bonne, et heureuse l'âme qui la possède. Je vous estime de ce nombre, très chère Mère ; achevez votre course dans le silence et priez Notre Seigneur qu'il me cache dans mon néant, que je sois dans les sacrées plaies de ,ses pieds tdute ensevelie. Chère Mère, allons à Dieu par Jésus Christ ou, pour mieux dire, laissons-nous perdre en lui. Si je pouvais me retirer du tracas où je suis, je m'enfuirais comme vous dans la solitude. Mon âme y aspire, je vois que tout est en péril hors de là, à moins d'une fidélité extrême.
Je vous écris si en hâte que je doute si vous pourrez lire ce brouillon. .1e ne sais quand j'aurai la consolation de vous voir ; mon voyage est rompu pour cette année. Priez Notre Seigneur qu'il me fasse faire sa très sainte volonté en tout et lui recommandez notre Institut. C'est ce que je vous puis dire. Oh ! que la pauvre Mère de la Nativité (1) est heureuse ! Priez-la qu'elle prie Dieu pour moi..le suis en son amour toute à vous.
Je pensais encore écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure et à ma chère Mère de Saint Michel I Bellet j, mais il est trop tard aujourd'hui ; à Dieu en Dieu ; mille humbles saluts à toutes mes chères Mères et Soeurs...
n" 2229
( I ) Mère Angelique de la Nativité de Mangeon, professe du monastère de Rambervillers, fait partie du groupe des onze religieuses qui durent s'exiler au début de 1641 en raison de la guerre et de la famine. Elle rejoint Mère Mectilde à l'abbaye de Montmartre à Noël 1641 en attendant d'être reçue à l'abbaye de la Trinité de Caen en janvier 1642. Nous la retrouvons à Barbery, puis à Saint-Maur-
des-Fossés en 1643, dont elle fut supérieure jusqu'en 1650. 11 semble bien qu'elle se trouvait à Paris lors du retour de Mère Mectilde, le 25 mars 1651. Nous ne savons pas à quelle date elle est repartie à Rambervillers. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 à 71. Cette Mère est peut-être parente de Monsieur Marchal-Verdenal, qui a bien voulu nous communiquer la photo du portrait de Mère Mectilde appartenant à la famille Demangeon, publiée dans C. de Bar, Documents, 1973, p. 257.
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER
à Toul
10 novembre 1667
Que direz-vous, ma très chère fille, du retardement de la présente, que je suis tous les jours en volonté de vous écrire mais que la divine Providence n'a point voulu, puisqu'elle m'a donné et continue de me donner tant d'occupations qu'à peine trouvai-je le temps nécessaire pour la prière. Je suis esclave en plusieurs manières. Je prie Jésus qu'il sanctifie ma captivité et qu'elle honore celle qu'il porte dans la divine Eucharistie. Soyez certaine, ma très chère fille, que, nonobstant
290 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 291
tous mes embarras, je vous porte dans mon coeur et que je me souviens de vous plus d'une fois par jour, quoique cela vous soit inutile. Je suis très aise lorsque je reçois de vos chères lettres, ne soyez jamais plus d'un mois sans m'en donner ; mais c'est sans prétendre de vous gêner ni tant soit peu incommoder que je vous donne cette loi. Je tâcherai de réciproquer dans l'espérance que Notre Seigneur me donnera_un peu plus de temps, et que je ne serai pas toujours si accablée. Priez-le pour cela, surtout que je puisse faire ce qu'il veut et comme il veut, en tout et partout.
Les vôtres dernières, sur lesquelles je m'arrêterai pour vous répondre, croyant qu'elles expriment votre disposition présente, et par conséquent celle qui serait plus de besoin, m'obligent de rendre grâce à Notre Seigneur de vous avoir éclairée de ses diyines lumières et animé votre courage pour surmonter les sentiments et tendresses et retours de la nature.
C'est ainsi, chère enfant qu'il faut mourir de bon coeur à vous-même et trouver en Dieu ce que vous ne pouvez trouver dans les créatures, pour bonnes qu'elles soient. Jésus Christ vous veut toute à lui sans réserve ; il faut tout quitter pour le suivre. Il vous fait une faveur infiniment grande de vous appeler et presser de si près que vous ne pouvez vous en dédire.
Voici une lettre pour ma chère Sr. N. commencée il y a plus de six semaines. Je prétendais l'achever, mais on ne m'en donne pas le loisir ; je [la] lui envoie telle qu'elle est, lui demandant excuse. Elle verra par ce petit mot que je me souviens d'elle. Je l'embrasse au sacré Coeur de Jésus. J'espère après le «Cérémonial» (1), où je travaille incessamment, que nous aurons un peu de temps pour lui écrire et à toute la communauté en particulier.
n02584 P104 Bis
(1) Le premier Cérémonial à l'usage de notre Institut a été imprimé chez Robert Ballard à Paris en 1668. Les monastères fondés par Mère Mectilde ou agrégés par. elle, possédaient plusieurs Cérémoniaux manuscrits adaptant en quelques détails particuliers ce texte commun cf. arch. de nos monastères.
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
Paris, début de l'année 1668
Jésus soit le commencement et la consommation de nos âmes, nies très chères filles !
:--T e ne vous puis dire combien j'ai de confusion de tarder si longtemps à vous rendre les témoignages de la tendresse et de l'affection que je vous dois et que Notre Seigneur me donne pour vous avec abondance.
Quoique mes lettres ne vous le témoignent pas, soyez néanmoins persuadées de la vérité que je vous dis du plus sincère de mon coeur ; vous me ferez justice de le croire et que je pense à vous très souvent avec joie, apprenant que vous servez Dieu de si bon courage et que vous travaillez généreusement à vous rendre les fidèles victimes de Jésus. C'est la meilleure nouvelle qu'on me puisse donner, vous protestant que ma plus ardente passion est de vous voir toutes de grandes saintes.
J'ai sujet de bénir Notre Seigneur de toutes les grâces qu'il vous fait et singulièrement de vous avoir donné une bonne supérieure (1) sur laquelle je me repose avec assurance pour vos perfections. Je sais qu'elle ne manque point de vous donner tous les secours dont vous avez besoin. Soyez fidèles à ses conseils et ayez pour elle toute la soumission que vous devriez avoir si vous voyiez Dieu même ; elle tient sa place, ne lui manquez jamais de respect ; ayez aussi un grand soin de sa santé ; vous ne le ferez jamais plus efficacement que lorsque vous serez ponctuelles à l'obéissance et que vous ferez cas de ses bons avis. Vous ne doutez pas de son affection et du zèle qu'elle a de votre bonheur éternel.
Je suis toujours dans l'attente d'un voyage, mais je ne sais quand Dieu le voudra ; si les troupes se retirent, nous pourrions bien prendre la fin du Carême ; priez Dieu qu'il nous donne la paix et que le péché cesse de régner.
Je vous assure de l'amitié de toute la Communauté de Paris et que plusieurs ont un extrême désir de vous aller voir. Priez Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce de ne le point offenser cette année. J'ai besoin de vos saintes prières, mes chères enfants, étant toujours fort accablée et, l'âge avançant, je deviens fort paresseuse ; mon esprit ne voudrait plus de tracas, il demanderait un peu de relâche et de solitude pour se rendre à Dieu et faire pénitence. Mais j'apprends que le meilleur est de s'abandonner au bon plaisir de Dieu, d'être sans choix et sans volontés. Quand nous faisons ce qu'il veut, nous faisons notre sanctification sans vanité. Rien n'est meilleur que cette vie cachée en Jésus Christ ; il n'y a ni complaisance ni élévation ; il semble qu'on ne fait rien et cependant • elle fait tout sans le connaitre. Je vous prie, mes chères Filles, ayons un grand amour pour cette vie commune, aimons la Communauté et nous y conformons autant qu'il nous sera possible ; il est facile à l'âme qui a pris un peu l'habitude d'agir en foi. Tout ce que la Règle et les Constitutions et les Supérieurs vous ordonnent, c'est Dieu qui vous le demande et veut que vous lui obéissiez sans raisonnement. Dites donc
(1) Mère Anne de Sainte Madeleine, professe du monastère de Rambervillers, n'a pas quitté Mère Mectilde depuis leur sortie de ce monastère au début de 1641, pour trouver refuge en France. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 à 71. Nommée prieure de Toul par Mère Mectilde, le 21 février 1666, reconduite en sa charge le 8 juillet 1669, elle fut élue par la Communauté le 21 mars 1672, en présence de Dom François Castellan, prieur de l'abbaye de Saint-Mansuy et visiteur de la congrégation de Saint-Vanne, et de Monsieur Adrian Marcellis, curé de Saint-Jean. Elle exercera sa charge sans interruption jusqu'au 15 mai 1694. (Livre des élections priorales du monastère de Toul. Arch. de notre monastère de Bayeux).
292 • I 1-11CM11,4c LETTRES INÉDITES 293
quand la cloche sonne : mon Dieu, vous m'appelez et je vais vous obéir. Si vous faites une observance ou quelque fonction de communauté, dites quand la cloche sonne : mon Dieu, vous m'appelez et je vais vous obéir hardiment ; mon Dieu, je fais votre sainte volonté, mais donnez-moi la grâce de la faire comme vous voulez, avec les dispositions que vous désirez. Si vous êtes à la récréation, c'est l'ordre de Dieu, récréez-vous innocemment parce qu'il le veut. Si vous êtes au tour ou à la porte, Dieu le veut, vous lui obéissez en toutes les règles de Religion. Si vous êtes à la cuisine, vous faites le bon plaisir de Dieu, il le veut ; soyez-y avec joie et dans l'agrément de sa très sainte volonté. Ne portez point vos désirs dans la solitude quand Dieu vous appelle dans le travail ; soyez indifférentes aux ouvrages qu'on vous emploie, mais que votre intérieur conserve la paix et soit toujours soumis : c'est le moyen de faire un progrès admirable et de n'être empêché de quoi que ce soit. C'est le grand secret de la vie intérieure. Nous appelons cela trouver Dieu partout, et comment le trouver mieux que dans cet amoureux acquiescement à son bon plaisir qui fait la paix de l'âme et qui la dégage de tout ? Les saints agissaient de la sorte sans contrainte ni violenter l'esprit. C'est le coeur qui fait cette disposition parce qu'il est le siège de l'amour. Aime, dit Saint Augustin, et puis fais tout ce que tu voudras. C'est aimer véritablement de vouloir simplement et cordialement ce que Dieu veut ; et vivre dans sa volonté de cette sorte, c'est être cachée en lui. Adieu, mes chères enfants, on me presse de finir. Je suis à vous en Jésus d'une sincérité entière.
n" 1261 N267
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÈME]
le 14 février 1668
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et très chère Mère,
Jésus anéanti dans l'auguste mystère de nos autels soit notre vie, notre amour et notre consommation !
e commence ma lettre à vous annoncer une profanation qui s'est
faite à Conflans (1), proche le faubourg Saint-Antoine à Paris ; ma Soeur Mectilde [Philippe] sait le lieu. Le Très Saint Sacrement fut volé dans l'église de la paroisse et les saintes hosties jetées au vent, dont une partie se trouvèrent dans la boue des rues, à demi usées et rompues ;
(I) Conflans-l'Archevêque, sur la Seine, près de Charenton.
d'autres étaient poussées par le vent dans les porches des maisons, et les servantes les trouvèrent dans les immondices en balayant devant leurs portes ; d'autres étaient recueillies par des petits enfants. qui s'en jouaient et les mangeaient. Voilà ce qui est arrivé ce mois de janvier dernier, et ce même jour, par un secret jugement de Dieu, trois églises en France ont été foudroyées du feu du Ciel. Sans doute vous en aurez entendu parler.
La semaine passée, le peuple de Paris, les plus zélés pour la gloire de Notre Seigneur au Très Saint Sacrement, furent faire des dévotions extraordinaires en ce lieu nommé Conflans, en réparation des mépris et outrages faits à la personne adorable de Jésus Christ immolé pour nous en ce divin mystère. On y fit des processions générales des prédications et expositions du Très Saint Sacrement. Il y eut plus de deux cents prêtres qui portaient chacun un flambeau en leurs mains et des enfants revêtus en anges.
Je sais bien que voici une triste salutation à ce commencement d'année et une flèche bien terrible par laquelle je navre votre cœur de douleur, de voir celui que vous aimez d'un amour si sensible traité si cruellement par les hommes, pour lesquels il donne tous les jours sa vie en sacrifice sur nos autels. O quelle ingratitude du coeur humain ! Tous ces vols si souvent réitérés en ce pays font craindre les châtiments de Dieu dont le plus effroyable serait de perdre la foi. Un saint prélat avant-hier m'en dit ses sentiments avec une extrême douleur ; les serviteurs de Dieu sont dans la même crainte, voyant de plus que lé péché d'abomination est sur le trône et qu'il triomphe avec une insolence épouvantable. Croyez, ma très chère Mère, qu'il y a bien de quoi nourrir les victimes du Saint Sacrement, puisque leurs viandes sont les outrages qu'on fait à leur divin Sauveur et les amertumes des péchés qui se commettent à toute heure. Voilà de quoi occuper le zèle d'une Fille du Saint Sacrement, qui fait pénitence pour les impies et qui doit rendre à Jésus la gloire qu'ils lui dérobent à tous moments. Je n'oserais dire ce que je sais de détestable qui se pratique en quelques endroits ; vous ne le pourriez entendre sans mourir. Moi qui n'ai qu'un coeur de pierre plus dur que le roc, je me trouve touchée. Redoublons nos gémissements et nos sacrifices pour les pécheurs ; mettons-nous entre Jésus et le péché afin qu'il nous foudroie plutôt de ses coups que de voir derechef percer le coeur adorable de notre victime d'amour. Hélas, quelle récompense pour ses bienfaits ! Et cependant très peu de personnes y pensent et le remercient de vouloir demeurer avec nous pour être traité si indignement de la plupart de ses créatures. Je vous prie, ma très chère Mère, de lui rendre action de grâce pour moi en lui demandant pardon de mes ingratitudes. Si j'avais de la foi, je serais en esprit dans ce village, adorant avec les anges la majesté de Dieu cachée dans la boue par mille petits fragments et particules des saintes hosties qui sont perdues dans les champs, dans les rues et sous les souliers
294 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 295
des passants. O abîme effroyable ! Il se faut taire et mourir d'étonnement voilà où l'amour a réduit mon Maître et mon Sauveur. Il y a de quoi confondre la superbe de l'esprit humain ; et, après avoir vu son Dieu anéanti de cette sorte, peut-on se plaindre qu'on ne fait pas assez d'estime de nous, que nous ne sommes pas dans des états d'élévation ? Une Fille du Saint Sacrement recherchera-t-elle d'être estimée des créatures ? S'offensera-t-elle de n'avoir pas ce qu'elle désire et qu'on ne la considère point comme elle voudrait ? Après avoir vu la hauteur infime abaissée au-dessous de la poussière, il ne faut plus chercher d'autres dispositions que le néant. C'est bien dans cette profanation qu'on peut dire que le Fils de Dieu n'a pas où reposer son chef et qu'il n'a point de retraite. Hélas, il peut être mangé des bêtes, ou du moins demeurer inconnu et comme perdu. O parole surprenante, un Dieu perdu ! Ce sont des abîmes infinis dans lesquels nous nous devons perdre nous-mêmes, par amour humiliant et consommant. Vous ferez part de cette triste nouvelle à nos chères Mères et Soeurs, si vous le jugez à propos.
n"912
A UNE RELIGIEUSE
14 février 1668
C>e vous aime trop chèrement ma très chère fille, pour différer plus
longtemps à vous ouvrir mon coeur sur les différentes dispositions que vous portez depuis longtemps. La crainte que vous ne preniez direction de personnes capables de vous donner de vraies lumières et de faire un saint discernement des opérations qui se font en vous, me donne une très grande peine. J'apprends tous les jours de nouvelles histoires, comme les âmes sont arrêtées en leur sens, qu'elles se croient elles-mêmes et qu'elles ne sont point soumises à la direction. Je vous conjure, ma très chère fille, de recevoir ce que je vous dis de la part de Notre Seigneur. Je regarde ses intérêts en vous et votre sanctification en lui. Souffrez en son amour que je vous dise que ce n'est pas son esprit qui vous conduit, ni qui vous donne quantité de lumières que vous recevez sur différents sujets. Vous vous mettez en hasard, par trop de croyance que vous y avez et d'adhérence secrète que vous y portez, de tomber dans un état duquel on ne peut quasi jamais sortir et qui a des suites du dernier affligeant. Je vous aime trop pour vous voir tomber petit à petit dans cet abîme sans vous en avertir et vous conjurer, par l'amour qui vous a portée si ardemment à embrasser l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, de mettre un prompt remède au mal que vous n'éviterez pas infailliblement, si vous ne suivez le conseil des personnes qui ont la lumière de Dieu et qui la reçoivent pour
vous, puisqu'ils ont l'autorité du supérieur et qu'ils ont droit de vous diriger. Je vous en avais suppliée il y a quelque temps ; vous commençâtes ; je crois que vous avez désisté depuis quelques mois, ce qui me touche sensiblement, sachant bien que vous ne pourriez éviter le mal dont vous êtes menacée que par cette voie. Je voudrais pouvoir faire un voyage pour vous aller persuader plus fortement par mes paroles de la vérité très importante que je vous écris, mais, comme je ne le puis faire présentement pour un grand nombre de raisons, je vous prie, ma chère fille, ne différez pas davantage, donnez-moi cette consolation que je vous voie soumise comme un petit enfant à N.Vous ne doutez point de sa capacité. Il dirige dans ce pays des âmes très élevées ; ne le négligez point, ma très chère fille, vous ne l'aurez pas toujours et vous le regretterez quand vous l'aurez perdu. Connaissez le secours que la Providence vous donne en sa personne. Vous n'ignorez pas la marque de l'esprit de Dieu dans une âme : c'est la sincérité en l'ouverture de son intérieur et la soumission. Hors ces deux points, ce ne sont que vanité, superbe et effets du démon. On dit que vous avez pris la peine de nous écrire ; outre celle à laquelle je vous ai répondu, je n'en ai point reçu. Je souhaite avoir la consolation de vous voir et vous protester que je suis de coeur en Jésus.
n" 1668 C405
296 CATHERINE DE BAR
À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME LE DUC DE LORRAINE
30 mai 1668
Monseigneur,
e zèle incomparable que Votre Altesse Sérénissime fait paraître
si hautement partout pour l'honneur du Fils de Dieu au Très Saint Sacrement de l'autel l'a portée à aimer une congrégation qui, par son Institut, s'est obligée de l'adorer perpétuellement de jour et de nuit et même à solliciter votre très humble sujette de vouloir l'établir en quelque ville de ses Etats (1), ce qui n'a pu réussir jusqu'à présent pour les causes qui lui sont connues ; et depuis, Madame Royale, duchesse douairière d'Orléans, a cru qu'elle ne pouvait mieux faire soutenir le monastère de Notre-Dame de la Consolation, situé en votre bonne ville de Nancy, dont elle prend le soin comme fondatrice (2) avec votre Altesse Sérénissime, qu'en l'unissant à notre congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, du consentement et à l'instance des religieuses du dit monastère de la Consolation ; pour à quoi parvenir elle aurait demandé l'agrément de votre Altesse, qui lui aurait été accordé avec pouvoir d'en disposer comme elle jugerait plus à propos pour cette union ; à quoi elle n'a rien oublié pour l'exécution de son dessein, en sorte que, les choses se voyant en état, l'on va travailler incessamment à dégager le dit monastère de ses dettes et à pourvoir à la subsistance des religieuses.
C'est pourquoi, Monseigneur, nous assurant sur les bontés que votre Altesse Sérénissime témoigne en toute occasion pour Madame Royale, sur ce que cette union ne tend qu'à faire honorer en sa bonne ville le Fils de Dieu au Très Saint Sacrement d'un culte très particulier et édifiant, et à remplir un monastère tout bâti d'une plus grande communauté qui porte quoi y subsister, nous supplions avec de très profonds respects votre Altesse Sérénissime, qu'il lui plaise ratifier tout ce qu'elle a agréé et promis ci-devant pour cette union, prendre sous sa protection la suppliante sa sujette et toutes les religieuses, et autoriser de son pouvoir tout ce qui se fera pour l'établissement et le bien de cette maison de la Consolation. Ce sont les grâces qu'elles espèrent de votre bonté, Monseigneur, et elles continueront leurs vœux et prières pour la santé et prospérité de votre Altesse.
Soeur Mectilde du Saint Sacrement Prieure
n02131 P160
(I) Le duc avait autorisé Mère Mectilde a fonder une maison de son Institut à Saint-Dié, sa ville natale. Seule l'opposition irréductible des chanoines du chapitre de Sainte-Croix l'en empécha.
Il semble certain que le duc de Lorraine était très désireux de voir s'étendre dans ses Etats les monastères du Saint-Sacrement.
LETTRES INÉDITES 297
A SON ALTESSE LE DUC DE LORRAINE
[ 1668 1
Monseigneur,
IC es soins extraordinaires que- l'amour que votre Altesse a pour le très
adorable Sacrement de l'Autel lui inspirent pour l'établissement de son adoration perpétuelle dans le monastère des religieuses Bénédictines de la Consolation de la bonne ville de Nancy, la porteront sans doute à contribuer pour la solidité et la fermeté de cet ouvrage qu'il n'y ait plus ci-après en ce monastère de la Consolation d'autre Abbesse que la très sainte Mère de Dieu, puisque l'Institut de l'Adoration perpétuelle, ne voulant pas séparer le Fils d'avec la Mère, et honorant le Fils de Dieu en la divine Eucharistie par un culte perpétuel, et rendant à la très sainte Vierge tous les honneurs possibles, a réglé comme un point essentiel de ses constitutions qu'il n'y aura jamais d'autre Abbesse en tous les monastères du Saint Sacrement que la très digne et très imcomparable Mère de Dieu.
C'est pourquoi ces deux divins objets qui font le plus tendre de la dévotion de son coeur et qui attireront des grâces extraordinaires sur votre Altesse et l'assurance de son salut, donnent l'humble hardiesse à soeur Mectilde du Saint Sacrement, Prieure des religieuses de l'Adoration perpétuelle de Paris, de supplier votre Altesse comme elle fait, avec tous les respects et toutes les instances possibles, qu'elle daigne interposer son autorité pour en supprimer le titre, par son résident auprès de Sa Sainteté, vers laquelle Madame Royale agira aussi de son côté pour avoir toutes les expéditions nécessaires pour cet effet qui ne tend qu'à honorer le Fils de Dieu et sa très sainte Mère. Et, outre qu'une action de si grande piété ne peut que l'assurer toujours davantage des faveurs du Ciel, elle obligera la suppliante à continuer ses voeux pour l'heureuse prospérité de votre Altesse.
Soeur Mectilde du Saint Sacrement Prieure
n" 2086 P160
(2) Catherine de Lorraine (1580 - 1648), fille de Charles III, duc de Lorraine, et de Madame Claude de France, d'abord abbesse de Remiremont, fonda en 1624 un monastère à Nancy pour y pratiquer la règle de saint Benoit dans toute sa rigueur primitive. Mais, en 1633, Louis XIII ayant envahi la Lorraine, pour empêcher le duc de s'allier aux Impériaux. Madame Catherine dut fuir Nancy assiégée et se réfugier chez sa soeur, la duchesse de Bavière, puis chez sa nièce l'archiduchesse d'Innsbrück, Ce n'est qu'en 1644 qu'elle put rentrer en Lorraine. Sa nièce, la duchesse d'Orléans la fit alors venir près d'elle à Paris où elle devait mourir quatre ans après. Par testament, elle confiait son monastère de Nancy à Marguerite, duchesse d'Orléans, sa nièce : «Tout ce qui s'y retrouvera à mon dit monastère de Notre-Dame de Consolation et duquel je suis première abbesse et fondatrice, à l'heure de ma mort, je le donne à mes dites religieuses et à l'abbesse... Je supplie son altesse royale Madame la Duchesse Dorléans de vouloir accepter la (susdite) que je luy supplye - au nom de Dieu destre l'exécutryse de ce mien testament et dernyer volonté... Ce dimanche pénultième de décembre mil six cent quarante six». (Arch. dép. de Meurthe et Moselle, H. 2399. - Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, BergerLevrault, Paris, 1925. Cf. C. de Bar, Documents, 1973. p. 248 et suiv.).
LETTRES INÉDITES 299
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
du jour les Trépassés, 2 de novembre 1668
Ma très chère Mère,
'est pour vous dire que notre bonne Mère Benoite de la Passion,
[de Bremèl, Prieure de notre maison de Rambervillers n'est plus de ce monde : elle a pris son vol au Ciel, comme sa sainte vie nous le fait espérer.
J'envoie à Madame une lettre qui vous en fera connaître davantage : tout ce que je puis vous dire, c'est que j'en suis fort touchée et que notre Institut fait une perte très considérable de sa personne.
Vous savez comme elle était estimée dans le pays ; tout le monde la pleure et la regrette. On a pensé forcer notre maison pour avoir la consolation de la voir et pour faire toucher à son corps quelques chapelets, linges et images.
C'est une chose surprenante des sentiments des peuples et de la peine qu'on a eue de faire son enterrement. On n'a voulu ni chanter, ni sonner pour qu'il fût fait plus secrètement ; mais au lieu d'être bien caché une foule de monde est venue tout d'un coup criant : La Sainte Mère, la Sainte Mère ! nous la voulons voir, on l'enterre.
On a pensé que plusieurs seraient morts dans la presse. De plusieurs années il ne's'est vu une chose si touchante ; trois jours n'ont pas suffi à quelques religieuses pour faire toucher incessamment quelques images, chapelets, taffetas à son corps. Vous verrez qu'on ne l'a pu enterrer que trois jours après sa mort, à cause d'une chaleur qui lui était restée au coeur et qui a donné de l'étonnement aux médecins et chirurgiens qu'on envoya quérir exprès pour avoir leurs sentiments ; doutant qu'elle fût morte ; tous ont attesté que cela n'était pas naturel.
Je ne puis vous mander les autres particularités ; je suis si pressée que je ne sais si vous pourrez lire ce brouillon.
Voilà une bonne amie que vous aurez au Ciel. Souvenez-vous de moi devant Notre-Seigneur et soyez assurée de la promesse que je vous ai faite qui sera inviolable en son amour.
n" 199 18 Adieu
Monastère de Rambervillers
•
LETTRES INÉDITES 303
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
29 novembre 1668
ous pouvez croire, ma très chère Mère, que c'est par impossible que
je n'ai point fait ce que vous m'avez demandé. Notre bon Père est toujours malade et dans un péril très grand d'hydropisie ; il ne sort point du lit, on ne croit pas qu'il en puisse relever. Nous en avons toutes un fort grand regret ; c'est un rare homme pour la direction et il a l'humilité et la simplicité d'innocence d'un enfant, et cependant savantissime et homme de grande pénitence et d'oraison. Je le recommande à vos saintes prières. Vous me manderez si vous voulez le Père qui nous confesse. C'est celui que vous vîtes au mois d'octobre vers la Sainte Ursule. Si vous l'agréez, je le prierai d'aller entre ci et l'Immaculée Conception. Je suis ravie de vous voir dans des résolutions si saintes et que vous ayez eu le courage de dire ce qui a retardé votre perfection. Puisque vous avez maintenant la liberté de choisir un directeur, priez Notre Seigneur de vous en donner un qui vous mène dans le véritable sentier de votre sanctification. Ce bon Père Prieur en était capable, mais il faut le rendre à Dieu puisqu'il ne le met pas en état de vous y servir. Je ne sais présentement qui vous donner, car, à vous dire vrai, je suis fort difficile à planter mon bourdon ; j'ai tant vu et tant connu de choses et en apprends tant tous les jours que je suis, sinon défiante, du moins fort retenue. Faisons ensemble une prière à la très sainte Vierge pour trouver un homme selon le coeur de Dieu. Mandez-moi votre inclination intérieure, si un Jésuite, un Carme, un Augustin, etc...,
afin que je cherche ce qui sera de meilleur. Mais, en attendant, ne
laissons pas de nous rendre fidèles et d'aller à Dieu de tout le coeur. Laissons les morts ensevelir les morts [Mt 8,22] ne nous arrêtons plus. Je vous prie de lire les livres du Père Guilloré (1), ce sont «Les Maximes du christianisme». 11 vous servira - ; vous y apprendrez qu'une âme abjecte fait les délices du coeur de Jésus. Chérissez cet avantage mille fois plus que d'être honorée des monarques de la terre. Il est temps de lui complaire et de ne plus s'amuser aux créatures. Allons, ma très chère Mère, boire à longs traits de cette eau vive qui rejaillit à la vie éternelle, et ne courons plus aux citernes de ces eaux bourbeuses et qui nous souillent au lieu de nous purifier. Si, avant que de mourir, nous pouvions perdre ce que nous avons dans les créatures. nous ferions
(1) François Guilloré (25 décembre 1615 - 1684), jésuite français, né au Croisic, diocèse de Nantes, est admis au noviciat le 22 octobre 1638. Il enseigne avec succès pendant onze ans puis se consacre à la direction des âmes. Ses ouvrages sont encore d'un grand intérêt et justifient l'idée qu'avaient de lui ses contemporains qui le regardent comme un mystique profond. Le volume dont parle Mère Mectilde doit être «Maximes spirituelles pour la conduite des âmes» paru à Nantes en 1668. Après avoir saintement gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe, le Père est mort à Paris, le 29 juin 1684. Bulletin des Ecrivains de la Compagme de Jésus, par les R.P.P. Augustin et Alois de Bacher, le série ; D.T.C., fasc. X LV I I I, col. 1989.
304 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 305
une merveilleuse conquête. Soyons fidèles à la grâce et nous verrons qu'elle nous conduira dans ce bonheur. Je prie Notre Seigneur qu'il me fasse la miséricorde d'y entrer avec vous. Hâtons-nous, ma très chère Mère ; le temps nous presse, nous n'avons plus qu'une petite poignée de jours.
Je vous prie d'avoir la bonté de faire mes profonds respects à Madame et mes très humbles saluts à ma très chère Mère de Saint André. Je vous dirai avant que de finir que Notre Seigneur verse de grandes grâces sur la maison de Nancy yces bonnes Mères âgées de soixante ans d'années demandent humblement d'entrer au noviciat pour se renouveler et se préparer à faire le voeu de l'adoration perpétuelle. C'est une consolation très grande de voir que Notre Seigneur fait de ce lieu un objet de ses complaisances ; il le paraît par les grandes grâces qu'il y communique ; cela est surprenant ! Je vous prie de l'en remercier ; je sais la part que votre amitié pour nous y prend. Je vous dirais beaucoup de choses très particulières, mais je n'ai de temps que pour vous assurer que je suis en Jésus toute à vous.
n" 3134 N254
A LA COMMUNAUTÉ DE NANCY
4 décembre 1668
C'e suis ravie, mes très Révérendes et très chères Mères, que l'amour du Fils de Dieu dans l'adorable Eucharistie s'allume si ardemment dans vos coeurs qu'il vous presse de vous y consacrer en qualité de ses victimes, pour lui rendre vos hommages jours et nuits et vivre de son esprit d'hostie et de sacrifice. J'ai une sensible joie que sa gloire soit augmentée par votre zèle et que, vous tâchiez de nous en donner des marques.
Permettez-moi de vous supplier, mes très honorées Mères et très chères Soeurs, de bien peser le voeu que vous prétendez faire. Ce n'est pas assez qu'il vous engage à l'adoration perpétuelle et qu'il vous incorpore à une congrégation qui lui est consacrée, mais il faut prendre l'esprit de notre saint Institut. 11 faut travailler à la mort de nous-mêmes pour n'être plus animées que de la vie de Jésus ; il faut lui demander la grâce incessamment de vivre désormais uniquement de lui et pour lui, comme il vit de son Père et pour son Père. Nous lui devons sacrifier tous nos désirs et nos affections. Nous devons même prendre à tâche de mourir aux inclinations de la nature et des sens et de n'agir plus par humeur naturelle. Le voeu de l'adoration perpétuelle doit être un renouvellement universel de toute votre vie et de toutes vos actions ; il doit opérer une nouvelle ferveur, un nouveau désir de perfection et surtout une fidélité inviolable. 11 renferme en soi celui de victime, qui vous oblige à soutenir jusques à l'épanchement de votre sang et la perte de votre vie pour la gloire et les intérêts de Jésus en ce mystère d'amour. Mais ce n'est pas comme le commun des hommes et des chrétiens qui se contentent de faire un peu honorer Notre Seigneur en faisant quelques oeuvres extérieures à sa gloire.
Il faut, mes très chères Mères, que nous ayons un zèle ardent d'arracher de nos coeurs tout ce qui l'empêche de régner souverainement en nous et d'y avoir ses complaisances. Ce n'est pas assez, il faut porter son amour dans les coeurs de ceux qui le profanent et contribuer à leur salut en réparant pour eux. Il faut même, pour abréger vos devoirs à cette auguste eucharistie, que vous tendiez à une si haute pureté de coeur et d'opération que le Fils de Dieu trouve en vous supplément de gloire et de plaisir, pour ce que les profanateurs de son divin sacrement lui dénient par leurs crimes. Il faut de plus qu'il n'y ait pas un respir en nous qui ne soit consacré à son honneur, nous persuadant bien sérieusement que nous n'avons plus aucun droit sur nous, ni de disposer de quoi que ce soit en nous. Jésus, par le voeu de victime, rentre dans tous ses droits en nous. Et nous devons de moment en moment mourir pour lui dans les occasions de sacrifice, afin d'être en état de mourir uniquement pour sa gloire, quand il lui plaira nous appeler au combat pour soutenir ses intérêts. Mais soyons assurées et certaines que nous ne les soutiendrons jamais par l'épanchement de notre sang que nous ne les ayons soutenus intérieurement en mourant à nous-même. C'est en nous qu'il faut commencer de réparer la gloire de cet aimable Sauveur ; c'est en nous qu'il faut premièrement établir son empire ; bref, c'est en nous qu'il faut que la justice et la sainteté opèrent pour nous rendre de véritables victimes.
Travaillons donc généreusement à nous défaire de ce qui lui est contraire ; ne tardons pas un moment de nous mettre en état de recevoir les effets de sa grande miséricorde. Il faut commencer par une vraie contrition de nos infidélités passées et nous plonger dans un profond abaissement devant la majesté divine, reconnaissant ses bontés infinies, [elle] qui nous fait la grâce de nous choisir pour nous confier ce qu'il a de plus cher, qui sont ses intérêts et Jésus dans l'eucharistie, Dieu n'ayant rien de plus précieux pour lui que sa propre gloire. Il proteste chez un prophète qu'il ne la donnera jamais à qui que ce soit. Et comme l'Ecriture dit qu'il en est jaloux, jugez mes très chères Mères, l'honneur qu'il vous fait de vous la confier et de la remettre à vos soins et à votre zèle. De plus, le Père aime-t-il quelque chose plus que son propre Fils ? Vous savez ce que la foi nous oblige d'en croire et ce qu'il en dit lui-même dans notre évangile. Il est donc certain que le Père aime le Fils du même amour qu'il s'aime. Et proprement son Verbe n'est autre que sa propre vie, son amour ét sa substance ; il n'y a donc rien de plus divin, ni de plus cher à Dieu que Jésus Christ. Voyez comme dans le Très
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Saint Sacrement il nous le confie ; il nous en fait présent et le laisse à nos usages avec un si admirable abandon qu'il étonne les hommes et les anges. Le Père nous donnant de cette 'sorte son Fils, il nous donne avec lui toutes ses perfections infinies, toutes ses grandeurs et ineffabilités, et ce qui ne se peut exprimer. N'avons-nous pas donc juste sujet de dire que le Père éternel nous donne dans notre saint Institut tout ce qu'il a de plus auguste, qu'il nous en fait les dépositaires et les gardiennes de ses plus précieux trésors, qu'ayant mis toutes choses en Jésus, son Verbe humanisé, il nous donne tout en lui, sans aucune réserve. Et comme ce don du Père est négligé et presque inconnu de tout le monde, ne sommes-nous pas bien glorieuses de l'honneur que Dieu nous fait de nous choisir pour lui appartenir d'une manière si intime, de le garder tous les jours et de lui tenir compagme dans le mystère de son anéantissement, où vous le voyez perpétuellement immolé pour les hommes ? Oui, je le redis encore, mes très chères Mères, que nous sommes heureuses d'être appropriées à Jésus de l'avoir à nos gardes et de ce qu'il nous confie ses intérêts et s'en remet à nous ! Et nous pouvons dire avec action de grâce et profond respect que nous sommes les premières de l'Eglise qui ont reçu cet avantage. Estimons notre bonheur et tâchons de nous y rendre fidèles.
Pardon, mes très chères Mères, je me suis oubliée : c'est de vous que je dois apprendre à aimer ce Dieu tout amour. Il y a si longtemps que vous êtes appliquées à son service. Réparez pour moi, je vous supplie, gémissez pour tant d'outrages que j'ai faits à mon divin Sauveur, et m'obtenez de son Coeur adorable une petite parcelle de ses miséricordes, tandis que je le supplierai me rendre digne de le prier qu'il vous consomme en son amour. Je suis en lui toute à vous du plus sincère de mon coeur.
n"1491 CrC
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER]
30 octobre 1669
j'e ne doute point, ma très chère fille, que vous ne trouviez toute paix et tout bonheur, et pour comble la possession de Dieu dans votre néant ; l'on peut dire que dans ce rien véritable, les trésors de la grâce et de la sainteté y sont renfermés. Courage donc, ne vous retirez point de ce bienheureux néant. Et pour voir si vous y êtes par l'esprit de Dieu, voyez s'il vous porte à la mort de toutes choses par une sainte indifférence, constante également partout, et s'il vous tient indifféremment prête à tout. J'espère que, si vous y êtes fidèle, vous viendrez à posséder ce néant en tout, de sorte que rien de la vie ne vous en
fera sortir. Mais comprenez que je n'entends pas que vous pensiez toujours à ce néant et que vous n'ayiez jamais d'autre entretien. Le néant ne s'attache pas même au néant ; il faut qu'il vous mette dans une simple capacité de tout ce qu'il plaira à Dieu de faire de vous, étant prête à tout sans choix et sans élection d'aucune chose. Si je pouvais vous parler, je vous l'expliquerais mieux, mais c'est tout ce que je puis de vous en écrire ce petit mot. L'esprit de Jésus fera le reste en vous, laissez-vous toute à lui. Il a commencé par son infime bonté et miséricorde, il achèvera par son amour. Priez-le pour moi, et l'adorez pour mon supplément. Hélas ! je suis toute dévorée, mais Jésus est la gloire et le soutien de tout ; je suis en lui pour jamais, sans changer, ce que vous savez que je vous suis en lui et par lui. J'embrasse tendrement ma pauvre Sr. N. et la prie, avec nous, de me donner quelques communions pour obtenir de Notre Seigneur la grâce de n'être point opposée à la sainteté de notre Institut. Je salue aussi toutes nos chères Soeurs, mais ne montrez la présente à personne qu'à la Mère Prieure, si elle la veut voir, et à ma chère soeur des [Anges]. Gardez-vous d'être indiscrète dans l'opération intérieure ; vous gâteriez l'oeuvre de Dieu en vous au lieu de la soutenir. Ne soyez point trop abstraite, prenez de la nourriture et du repos raisonnablement et, durant le repos, ôtez vos instruments de pénitence, et n'allez point si tôt faire oraison après le manger ; divertissez-vous innocemment.
n" 1079 P104 Bis
A DEUX NOVICES DE TOUL
30 Octobre 1669
Mes très chères filles,
1£ a grâce de Jésus soit triomphante dans vos coeurs et vous mène
jusqu'à la consommation de l'état de victimes que vous prétendez .professer au premier jour ! J'ai de la joie quand le nombre de celles que Dieu a destinées à cette vocation se remplit. Vous êtes heureuses d'y être comprises et que Notre Seigneur Jésus Christ vous unisse à son état d'hostie et vous fasse entrer dans son immolation. Concevez bien votre bonheur, afin que vous l'estimiez et que vous le puissiez conserver par une inviolable fidélité : cet état renferme toute la perfection du christianisme. Il faut un grand courage pour s'y engager ; mais si vous considérez les avantages qu'il vous procure, vous abandonnerez tout pour les posséder. Allez donc, chères victimes, allez avec Jésus sur la Croix et sur l'autel ; c'est là où, avec lui, vous faites une même hostie. Il faut que vous expiriez et que, perdant votre propre vie, vous
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entriez en lui, pour ne plus vivre que de sa vie. Demandez-lui bien cette grâce avant le jour de votre profession (1), tâchez de concevoir ce que vous allez faire, et le dégagement où vous devez entrer. Il ne faut rien promette à Dieu qu'on ne le tienne : il est juste qu'un si grand bonheur nous coûte quelque chose. Mais, hélas ! que donnons-nous à Dieu pour recevoir de si grands avantages ? Rien que le péché. Et cependant Dieu récompense si abondamment notre sacrifice qu'il se donne tout .à nous sans réserve. Il veut que nous entrions en participation de tout lui-même et de ses infinies perfections : votre très Révérende Mère Prieure vous expliquera ce que je veux dire. Je vous conjure de prier Dieu pour une misérable pécheresse qui, en Jésus, est à vous.
no 1859 T5
. (1) Soeur Anne de la Présentation (Anne Michel) a fait profession le ler novembre 1669. Sccur Marie de Saint I lacide (MarLuerite Philbert) a fait profession le 21 novembre. Il est probable qu'elles sont les deux destinataires de cette lettre. Soeur Marie de Saint Placide fera partie du groupe des fondatrices du second monastère de Paris. Nous avons conservé quarante lettres autographes que lui a adressées Mère Mectilde.
A UNE DES DEMOISELLES SES N I ÈCES [ Françoise Lhuillier Gaulthier de Vienville
4 mars 1670
Mademoiselle ma très chère nièce,
notre très chère Mère Prieure de Rambervillers (1) a pris la peine de me mander amplement de vos nouvelles et m'a témoigné la part qu'elle prend à vos souffrances. Je lui en ai des obligations infinies de toutes les bontés qu'elle a pour vous.
Ce m'est un sensible déplaisir de ne pouvoir soulager votre peine, il faut ma très chère nièce prendre courage, et faire violence à votre esprit pour vous soumettre au conseil que Monsieur d'Etival vous donnera, puisqu'il veut bien prendre soin de votre conduite intérieure. Tâchez de vous soumettre ; il n'y a que cela à faire de votre part, et jamais vous n'aurez de soulagement que par cette voie de soumission, de jugement, nonobstant que vous ayez des sentiments tout contraires à ce qu'on vous dit.
Résolvez-vous donc à cela, parce que Dieu le veut de vous ; c'est de cette mort de votre propre sens qu'il faut mourir. Quant à la mort corporelle, vous ne la devez point appréhender, jamais vos peines ne vous feront mourir. On ne meurt point de ces sortes d'états ; j'ose vous assurer que vous ne devez rien craindre. Mais, ma très chère nièce, aidez-vous un peu par la soumission.
(1) Mère Catherine de Sainte Thérèse Bagnerelle, qui a succédé à.Mère Benoite de la Passion de Brême, après la mort de celle-ci, le 24 octobre 1668.
J'espère que nous aurons la consolation de vous voir dans quelques mois. Tout mon désir et mon espérance est le pélérinage de Sainte Hélène (2) pour vos maux. Tous les jours il s'y fait des miracles prodigieux pour les incommodités comme les vôtres ; je vous prie d'y avoir
confiance.
Votre chère Gertrude fait une neuvaine pour vous à la bonne âme ; elle se réjouit infiniment de vous voir. Sa santé est très bonne, Dieu merci ; elle vous rendra ses respects.
J'ai appris que Monsieur votre mari (3) voulait bien que vous fissiez ce voyage ; je lui en suis très obligée et l'en remercie. Votre cher frère sera ravi de vous voir. On me mande que Monsieur votre oncle de Bouillon est à l'extrémité. Je prie Notre Seigneur de lui faire miséricorde ; je plains ses pauvres enfants. Je ne doute pas que vous n'en soyez touchée, mais il faut vouloir ce que Dieu veut ; il faut bien nous résoudre à partir de ce monde, ce n'est pas notre patrie. Nous irons en paradis, c'est le lieu où la miséricorde nous destine.
Tâchons seulement de nous abandonner à la très sainte Volonté de Dieu. Il est bon par essence, il veut vous sauver et se glorifier dans vos souffrances. Dites le plus souvent que vous pourrez durant le jour : « Mon Dieu, que votre très sainte Volonté soit accomplie en moi, je veux tout ce que vous voulez pour l'amour de vous-même». Confiez-vous en sa bonté ; j'ose vous assurer de sa miséricorde et de la protection de la Très Sainte Vierge ; je la prie qu'elle vous comble de grâces et de bénédictions.
Mille témoignages d'affection à Monsieur votre cher mari de ma part. Votre chère Gertrude vous écrit. A Dieu, ma très chère nièce, je suis tout à vous de tout le coeur.
T8
(2) Vers le milieu du I Ve siècle, un prêtre de Reims. Teutgise, fit un pèlerinage au tombeau de sainte Hélène à Rome, et emporta une grande partie du corps. Après enquête ordonnée par le chapitre de la cathédrale pour en vérifier l'authenticité, les reliques furent confiées à l'abbaye de Hautvillers. Ce pélerinage, très fréquenté jusqu'à la Révolution, était desservi depuis 1635 par les bénédictins de Saint-Vanne. Depuis 1820, les reliques ont été confiées aux chevaliers de l'Ordre du Saint-Sépulcre et déposées en l'église Saint-Leu de Paris. Cf. Dictionnaire des Eglises de France, Vb, p. 64).
(3) Claude Gaulthier de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans, avait épousé le 13 février 1652 à Clefcy (Vosges), Françoise, fille de Dominique Lhuillier et de Marguerite de Bar. Cf. Lettre du 19 décembre 1679 en annexe.
A UNE RELIGIEUSE [ DE TOUL I
Ce 3e mai 1671
ji est temps, ma chère fille, de commencer à vous dépouiller de vous-même. Jusqu'ici vous êtes allée à Dieu trop doucement. Il faut à présent travaillèr plus fortement et mourir incessamment. A mesure que nous mourons, nous donnons vie à Dieu en nous, et nous ne pouvons
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la lui donner qu'en nous .anéantissant. Nous sommes sorties du néant et devons retourner au néant par une mort continuelle. Mourez à une chose ; en même temps, Dieu prend vie de cette chose : c'est le secret de la vie intérieure. Prenez à tâche la haine de vous-même en toute chose. Ne vous souciez non plus de vous que d'un néant ; que l'on vous emploie en ceci ou en cela, en chose grande ou petite, que l'on vous rebute, que l'on vous mortifie, qu'il vous arrive par Providence quelque bonne humiliation, recevez tout cela avec un esprit tranquille, sans aucun trouble, et demeurez toujours avec Jésus-Christ au fond de votre coeur. Soyez prête à faire tout ce que l'on vous dira, sans témoigner que vous aimez une chose plus qu'une autre ; tout est égal en . Dieu. Il ne faut point de discernement, si vous travaillez à ceci ou à cela, si vous gardez une porte ou si vous êtes dans votre cellule, mais si vous le faites pour lui et en lui ; et comme nous le portons en nous, nous le trouvons partout. Regardez toute chose en lui, faites tout pour lui et vous jouirez d'un parfait repos. Mourez donc à vous-même, à votre propre esprit, à vos sens extérieurs et intérieurs. Mourez aux lumières aux goûts, aux douceurs, à vos puissances ; que vous soyez toute dépouillée de vous-même. Il semble souvent qu'en voulant de bonnes choses, nous voulons Dieu et sa gloire, et nous ne recherchons que nous-même. Voyez, vous êtes bien occupée de Dieu, rien ne coûte en ce temps là, on ne veut que lui, mais sitôt qu'il se retire, que la tentation survient, on change comme la disposition.
Négligez donc toutes choses et demeurez ferme dans tout événement. Ni votre éternité, ni votre perfection, ni la vertu ne vous doit retenir. Mourez à tout, vous laissant dans l'abandon. Vous direz que je vais bien avant et que [je] suis bien rude de vous faire marcher par un chemin si difficile. Dieu le demande de vous, ma fille, et je veux votre sainteté. Vous n'aurez pas pratiqué ces choses cinq ou six semaines que, sans y penser, vous ferez un progrès merveilleux et que Dieu vous fera voir et connaître ce que toute l'industrie humaine ne pourrait pas atteindre. Travaillez donc de la bonne manière ; prenez-vous à tâche et fuyez tout ce qui vous regarde : vous connaîtrez quelque chose de cette importance. Demeurez paisible au fond de votre coeur, que les passions s'élèvent, que l'esprit soit agité de mille fantômes, que la vanité se fasse ressentir, qu'e les tentations viennent, de quelque nature qu'elles soient, laissez tout passer sans y réfléchir, ni vous en occuper. Il est plus aisé de souffrir que d'agir.
n" 482 N267 A UNE RELIGIEUSE MALADE
[ Mère Marie Mectilde du Très Saint-Sacrement Philippe ]
21 novembre 1671
C-'apprends ma très chère fille, avec une très sensible douleur, que
votre mal augmente si fort que, sans un miracle, on ne doit point espérer votre guérison (1). Je ne puis exprimer la douleur que je ressens, et avec quel désir je demande à Notre Seigneur qu'il vous donne la grâce que je voudrais pour moi-même. Je ne doute pas que toute la maison ne soit touchée de vous voir attachée à la croix et y consommer si douloureusement votre sacrifice. Je vous assure, ma très chère fille, que nous en faisons toutes un très grand en nous soumettant aux desseins de Dieu sur votre chère personne, qui, selon toutes les apparences, vont vous tirer dans son Coeur en vous consommant en son amour crucifiant. C'est de cette sorte qu'il sanctifie ses élus, et qu'il les rend des objets dignes de sa complaisance.
Je sais que, de votre part, vous ne voulez que son bon plaisir, et qu'étant sa victime, vous demeurez immolée sur votre croix, dans un pur abandon de tout vous-même, tâchant de vous désoccuper de tout vous-même et de vos intérêts, pour demeurer toute appliquée à Jésus par un esprit d'amour. Gardez-vous bien, ma très chère fille, d'inquiéter votre âme par des réflexions inutiles. Tenez-la toujours ume à son souverain bien. Plus vous avancez vers le ciel, plus vous devez [ vous ] réjouir de retourner à Dieu comme à un Père. Cette vie est un pays étranger ; nous y vivons dans un exil très grave, mais la mort nous fait la grâce de terminer notre course et de nous introduire dans la maison de notre Père céleste, où sa miséricorde vous attend pour vous combler de bénédictions éternelles, que son Fils vous a méritées par son sang. Courage, ma très chère fille, allez avec une amoureuse confiance vous rendre entre les bras de votre divin Sauveur, et souvenez-vous d'une misérable pécheresse quand vous serez dans ce repos bienheureux. Je vous congratule ; quoique je suis sensiblement touchée, j'anéantis les gémissements de mon coeur pour me soumettre aux volontés divines. Je sais que ma douleur serait trop humaine si elle vous retardait un moment la possession de Dieu. Je veux qu'il règne de sa puissance et de son amour ; nous sommes l'ouvrage de ses mains ; c'est à lui, comme maître absolu, d'en disposer. Mourons, ma très chère fille, dans cette disposition d'humble attente et dans une parfaite remise de tout nous-même en lui, afin que lui seul vivant en nous dans ce précieux moment, il nous tire tout en lui. C'est de cette sorte qu'il fait bon mourir et que ce passage est agréa-
(1) Mère Marie Mectilde du Saint-Sacrement Philippe a fait profession au monastère de Rambervillers en février 1661 (cf. lettre n" 412 du 18 février 1661). Elle est décédée le 25 janvier 1672 (cf. Lettres suivantes : n° 1504 sans date et 990 du 5 février 1672).
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ble. Je prie mon adorable Seigneur nous faire cette grâce, ma très chère fille, et qu'un jour nous puissions nous revoir toutes dans le ciel. J'aurais bien désiré qu'il lui plût prolonger votre vie, ma très chère fille, ou que du moins il eût agréé de différer votre retour en lui que notre bonne Mère [Bernardine Gromaire] et nous fussions au pays pour avoir la consolation de vous rendre nos services et quelques marques de notre sincère affection: Je le désirais encore ardemment pour me donner moyen de vous fàire mille humbles remerciements de toutes les bontés que vous avez eues pour moi, et des effets si charitables que j'en ai reçus. Je ne les oublierai jamais je tâcherai de les reconnaitre par mes chétives prières. Je vous promets celles de notre communauté, en attendant que Notre Seigneur vous en donne la récompense. Je vous embrasse en son amour par lequel je vous suis dans le temps et l'éternité toute vôtre dans une entière cordialité.
A Dieu, en Dieu, ma très chère fille, je vous donne toute à lui, je vous abandonne à son amour. Ne m'oubliez point en sa sainte Présence, et dans les mérites de vos douleurs. Croyez que je vous aime et chéris en lui du plus tendre de mon coeur, qui ne manquera pas de faire prier Dieu pour vous.
n" 862 Cr C
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
Le 9 de l'an 1672
a'e prie Notre Seigneur Jésus Christ et sa très sainte Mère vous
combler en ce commencement d'année, mes très chères filles, de toutes les bénédictions que je vous souhaite, et qu'il remplisse vos coeurs d'un très ardent désir d'être tout à Dieu sans réserve. Vous demanderez, s'il vous plait, cette même grâce pour nous, afin qu'animées d'un même Esprit nous soyons de véritables victimes. C'est, mes très chères, toute l'ambition que nous devons avoir en cette vie. Il faut tâcher de contenter Notre Seigneur en mourant tous les jours pour lui. La Providence ne manquera pas de nous envoyer des occasions de lui sacrifier ; soyons fidèles, rien ne peut contenter un bon coeur que de s'acquitter comme il doit de ses devoirs. Or, en quoi consiste le nôtre ? A rendre à Dieu à tous moments l'être qu'il nous a donné, ne retenant rien pour nous ni pour les créatures.
Trois choses sont nécessaires pour bien satisfaire à cette obligation : ler, la pureté de conscience ; 2, la récollection ou recueillement intérieur ; 3, un profond abaissement. Je suppose la première établie dans vos coeurs, car vous aimeriez mieux la mort que le péché. La seconde, vous la pratiquez avec facilité ; mais la troisième est rare dans sa fidé lité. 1l n'y a rien qui soit plus opposé à notre fond malin que l'humilité. Elle est si peu solide même dans les belles âmes qu'il semble qu'elle ne soit dans la plupart qu'en idée. C'était le gémissement d'un grand serviteur de Dieu que je vis dernièrement. Il ne se consolait point de voir si peu de vraie humilité parmi les plus spirituels, qu'entre vingt mille il n'en connaissait pas deux ou trois qui fussent humbles. Je suis bien éloignée des lumières et des expériences de ce grand homme, mais je dis avec lui qu'entre toutes les vertus la plus rare est l'humilité. Personne ne veut être ce qu'il est, et je peux dire que la vie n'est que men songe et vanité, si nous ne sommes dans l'abîme de notre néant abominable, non seulement de pensées ou d'imagination, ni même de parole, mais d'oeuvre et d'opération. «TOST, TOST, disait la grande Catherine de Gênes (1), TIREZ-MOI DE MON ETRE ET ME METTEZ DANS L'OPÉRATION DE MA FIN ». Faisons la même prière, demandons ardemment à Notre Seigneur qu'il nous tire de notre être de péché pour nous anéantir et abîmer en lui. Mais souvenez-vous, mes très chères enfants, qu'il ne nous en tirera jamais que par la voie solide et pratique de la très profonde abjection, qui dans nous-même nous tient dans un abaissement inexplicable, et dans les usages, en nous traitant comme un néant d'horreur, et que .nous nous croyons dignes de tout mépris et abjection. Je ne sais pourquoi ma plume s'est échappée à vous dire toutes ces choses ; je désirais seulement me recommander à vos saintes prières, et vous assurer comme je fais de tout mon coeur que je suis à vous d'une très cordiale affection.
n"1316CrC
(1) Catherine de Gênes (1447-1510), fille de Jacques Fieschi, vice-roi de Naples. Mariée contre son gré, elle convertit son mari. Devenue veuve en 1497, elle se consacre aux soins des pauvres et des malades, dirige un grand hôpital à Gênes, tout en menant une vie mystique extraordinaire qu'elle décrit dans son « Traité du Purgatoire » et le « Dialogue entre l'âme et le corps ». Elle meurt à Gênes le 16 septembre 15 10. Cf. Dictionnaire de spiritualité, fasc. VIII, col. 290-324.
A LA COMMUNAUTÉ DE RAMBERVILLERS
sur la mort de la Mère Marie Mectilde du Très Saint-Sacrement [Philippe]
e suis touchée, mes très chères Mères, de la perte que vous avez
faite en la personne de votre très chère Soeur Mectilde du Saint Sacrement. Sa mort nous a surprise, ne la croyant pas si malade. Elle nous laisse dans la douleur, tandis qu'elle jouit d'une paix inaltérable. Voilà sa cdurse achevée et sa perfection consommée. Dieu l'a trouvée digne de sa présence. Il s'est contenté de ses humiliations ; il lui a plu relever son néant et se couronner dans son sacrifice. Il faut l'adorer et respecter plus que jamais sa mystérieuse conduite dans ses élus.
Le Révérend Père qui l'a assistée m'en écrit des merveilles : c'est
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la seule chose qui calme notre douleur. Je n'aurais jamais cru ressentir si vivement cette séparation, quoique je la trouve plus près de moi à présent qu'elle est en Dieu. Mais, réfléchissant sur la maison, je crois que vous aviez encore besoin de ses services et je trouve bien à redire. Quoique je sois éloignée, je la croyais utile en plusieurs manières. Mais. mes très chères Mères, il faut anéantir nos intérêts quand Dieu agit en maître. Il faut nous abîmer et trouver bon qu'il fasse ses divines volontés à nos dépens.
Cette pauvre fille a toute sa vie été en croix ; il est juste qu'elle en reçoive la récompense. Elle a infiniment plus souffert qu'on ne croit. Les petites faiblesses qui paraissaient en elle l'obscurcissaient parmi les créatures. Dieu l'a préservée d'élévation et de propre excellence en la tenant toujours dans un état de profonde abjection.
Nous devons, en cette mort. nous persuader de deux choses : la première. que l'humiliation fait le fondement de notre salut, et la deuxième, que Dieu n'abandonne jamais dans le besoin, et partant il ne se faut jamais défier de ses bontés. Cette chère soeur portait en ce monde un état de réprobation, et Dieu se cachait dans le fond de son âme pour y opérer divinement. Les vues de sa perte faisaient sa sûreté, et nous voyons par expérience que la grâce a perfectionné son état dans les derniers moments de sa vie.
La conclusion, c'est qu'elle est au ciel où elle jouit du fruit de ses travaux. surtout de ses abjections. Oh ! qu'ils sont précieux aux yeux de Dieu. de la majesté divine ! Elle prend sa complaisance dans les petits, elle descend même dans le néant pour y aller caresser une âme qui y est plongée. Il semble que Dieu s'oublie de sa grandeur pour se communiquer au plus caché et enseveli dans la boue de la misère humaine.
Mon Dieu. que vos voies sont admirables et vos secrets dignes d'admiration ! Ne les pénétrons point, mes très chères Soeurs, mais perdons-nous dans cet océan infini sans éplucher les conduites et en porter jugements. Allons à lui pleines de confiance. Si nous sommes dans le néant. nous sommes en assurance. Relevons nos coeurs par un nouveau désir d'être plus à Dieu que jamais. Voyons que nous n'avons point de moment certain. Heureuse l'âme qui se trouve toujours prête pour répondre à la voix de l'Epoux lorsqu'il l'invitera aux noces. Ne tenons à rien : séparons-nous en esprit de tout et vivons à Dieu.
Je suis. en lui. mes très chères Mères, très sincèrement toute à vous.
no 1504 B 505 A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
5 février 1672
a'e m'adresse à votre charité, ma très chère Mère, pour lui recommander notre chère Soeur Marie Mectilde du Saint Sacrement [ Philippe 1, de notre monastère de Rambervillers, que Notre Seigneur retira de ce monde le 25 du mois passé. Vous la connaissiez et vous aviez même quelques bontés pour elle. Je vous prie instamment, ma très chère Mère, de supplier Madame de faire prier Dieu pour le besoin qu'elle en peut avoir. Je ne vous dis rien de particulier de sa mort présentement ; il me suffit de vous envoyer la lettre d'un Père bénédictin que tout le monde connaît pour un religieux de très sainte vie, et je puis dire des plus élevés dans les voies d'oraison, qui, par un miracle de providence, s'est trouvé à sa mort pour l'assister, comme durant sa vie elle l'avait désiré ardemment. On peut dire que Notre Seigneur fait la volonté de ceux qui l'aiment et qu'il prend un soin singulier de ses élus. Le souverain bonheur, qu'elle possède selon les sentiments de ce bon Père, ne doit pas retarder les secours que la charité lui doit. C'est pourquoi nous les demandons humblement à Madame et à toutes ses saintes filles par votre moyen. Nous ferons demain son service. Vous ne sauriez croire combien elle est regrettée à Rambervillers et le ressentiment que nous avons de cette perte. Sa pénitence était effroyable et sans relâche, infatigable à servir toute la Communauté, singulièrement les malades. Ses souffrances étaient continuelles et les conduites de Dieu sur cette âme, admirables. Nous pourrons vous en dire davantage une autre fois ; il suffit que la lettre vous fasse voir sa disposition à la mort et les sentiments que ce bon Père a conçus de son état. Plût à Dieu avoir part à la grâce qui a couronné sa fin si heureusement ! C'est tout ce que nous devons désirer en ce monde, où nous ne sommes qu'en passant et il nous reste si peu à y demeurer qu'à peine aurons-nous plié bagages qu'il faudra partir. Pour moi, je ne compte plus de jours. Heureuse une âme qui vit dans un saint dégagement de toutes choses, et qui sait demeurer en Jésus Christ ! La perte des créatures, ma très chère Mère, fait en nous ce merveilleux ouvrage. Donnons les mains quand l'adorable Providence nous met dans les dépouillements et qu'elle nous anéantit par des revers qui nous détruisent dans l'estime et l'affection du monde. Allons à Dieu, laissons le reste ; tout n'est que vanité et affliction d'esprit ; cachons-nous en Jésus Christ et nous désoccupons de tout le reste. Notre fortune n'est point en la terre ; nous sommes destinées pour le Ciel. Aidez-moi de vos saintes prières et que je puisse marcher dans le néant. C'est où je voudrais que nous fussions abîmées ; nous y attendrions la mort sans la craindre ; c'est un lieu d'assurance, les démons ne l'osent approcher. On s'y perd pour se retrouver heureusement en Dieu. Je vous laisse
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à son amour, n'espérant plus la satisfaction de vous voir en ce monde ; préparons-nous pour l'éternité ; c'est dans ce lieu de bénédictions où nous serons inséparables. Adieu, en Dieu, en attendant ce bienheureux retour. Je suis en Jésus toute à vous, ma très chère Mère.
n" 990 N254
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE [PROBABLEMENT LA MÊME]
Paris, 10 novembre 1673
pour ne pas me rendre importune à Madame, je m'adresse à vous,
ma très chère Mère pour supplier sa bonté de vouloir bien faire appliquer les prières et suffrages de notre sainte association (1) à une de nos bonnes Mères, défunte de notre maison de Rambervillers, nommée de Saint-Placide [ Gérard ] que vous avez connue autrefois.
Elle a souffert quasi toute sa vie, mais si en secret qu'il n'y avait que Dieu qui connût l'extrémité de ses maux : on nous mande qu'elle peut être tenue comme martyre. Sa dernière maladie, qui a duré trois ou quatre ans, était une hydropisie de la moitié du corps et l'autre . partie étique.
Le jour de tous les Saints, elle communia encore au choeur ; le jour des Trépassés, elle se trouva sans force et reçut la sainte communion dans l'infirmerie ; le lendemain matin, troisième du courant, elle reçut le saint Viatique, ensuite l'Extrême-Onction. Après, elle demeura fixe sur la croix des douleurs, sans autre agonie, ni convulsion, mais se reposant en Dieu dans ses maux ; elle rendit l'esprit à une heure après-midi.
Sa dévotion était aux souffrances et à l'agome de Notre Seigneur. Sa vie a été une pratique continuelle de toutes les vertus, mais singulièrement d'une humilité profonde, d'une sainte horreur d'elle-même et d'un éloignement de tout ce qui la pouvait rendre tant soit peu considérable ou qui la pouvait produire dans les créatures. Jamais elle ne se plaignait, ni de ses travaux de Religion, ni de ses souffrances. Sa vie était toute dans le silence et l'anéantissement, cherchant partout le plus vil et le plus abject, tant dans le travail qu'en toute autre chose. Elle ne voulait pas qu'on pensât à la soulager ; ses maux n'étaient ja-
(1) II s'agit ici probablement de l'usage très ancien dans les monastères d'une union de prières, de sacrifices et de messes offertes pour les défuntes des monastères associés (cf. Le très antique usage du « rouleau des morts »). Cette association est différente de celle qui unira notre Institut à un certain nombre d'abbayes et de couvents dans l'esprit de l'adoration perpétuelle. Ainsi « l'abbaye de Notre-Dame de Protection de Vallogne [ Manche ] le 26ème d'avril 1673 » ; Sr Françoise Clausse, humble abbesse du pauvre Monastère de Sainte Claire du Pont-à-Mousson, le 8 may 1673, (Journal de Toul) ;. la visitation Sainte-Marie de Nancy, en octobre 1702.
mais assez grands pour l'amour qui la faisait souffrir ; sa patience a été prodigieuse. Je serais trop longue à vous dire ce qui a fait la perfection et consommation de cette âme dont la mort nous est fort sensible. Son âge était • de 68 ans et de profession 40 ; elle était la seconde professe de la maison. Elle ne s'est point épargnée pour Dieu, ni pour la sainte Religion.
Souvenez-vous, ma très chère Mère, de prier Dieu pour les besoins qu'elle peut en avoir. Dieu est si saint que rien qui ne soit saint ne peut subsister en sa présence en l'autre monde. Aidez-la à satisfaire ce qu'elle peut devoir à la justice et sainteté de Dieu, afin qu'elle puisse sans retardement s'abîmer en lui pour l'éternité. Ne m'oubliez pas en vos saintes prières, mon besoin est plus grand que celui de cette chère et bonne Mère, parce que je suis plus opposée à la sainteté de Dieu. Et cependant l'âge avance et fait penser à partir. Nos jours sont raccourcis ; pensons, ma très chère Mère, à retourner à Dieu duquel nous sommes sorties. Je le prie de nous faire la miséricorde de nous y trouver heureusement pour l'éternité.
Adieu, ma très chère Mère, je suis en son saint amour toute à vous ; faites moi la grâce de présenter mes très profonds respects à Madame, en l'assurant que je ne l'oublie point ; quoique je sois indigne de la servir devant Dieu, elle m'est très présente. et souvent d'une manière fort intime. J'espère que la divine Providence me donnera la consolation de la voir encore une fois avant que de mourir. Je salue aussi très humblement ma très chère Mère de Saint André ; je me recommande à ses saintes prières et à celles de nos bonnes anciennes amies que je n'oublie point. J'ai toujours la reconnaissance que je dois de leurs bontés, et de celles de toute la sainte montagne que j'aime et honore sincèrement. La chère Mère de Sainte Scholastique se souviendra de moi par charité en ses dévotions et communions pour quelques besoins particuliers ; je la salue très cordialement.
Adieu, bonjour, ma très chère Mère, je suis en Lui votre pauvre servante.
n" 2493 T8
AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS
fête de Saint Martin 11 novembre 1673
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
ien que je sache que le souverain bonheur de l'âme est de pos-
séder Dieu hors des misères de cette vie, je ne laisse pas, mes très chères Mères, d'être sensiblement touchée quand sa main toute-puissante en ravit quelqu'une de notre chère Maison. Quoique j'en
318 CATHERINE DE I3AR LETTRES INÉDITES 319
sois bien éloignée de corps, mon coeur y est demeuré par affection ; c'est ce qui me fait ressentir le bien ou le mal qui y arrive. Cette chère Mère que Notre Seigneur a portée dans le Ciel ou mise en chemin d'y être bientôt me touche. J'ai bien connu que les temps ni l'absence n'avaient rien ôté de la tendresse et de la reconnaissance que je lui devais. Je partage avec vous, mes très chères Mères, votre douleur, en priant Notre Seigneur qu'il vous console et vous conserve des misères dont nous sommes tous menacés.
Que notre chère défunte est heureuse en toute manière d'avoir consommé sa course avec tant de patience et de mérites ! Les maux qu'elle a soufferts sont assez grands pour lui donner une récompense de martyre. Je ne sais ce que c'est, mais je m'en doute un peu, et si c'est ce que je pense, elle a souffert effroyablement, cela n'est pas concevable. Et qu'avec ce tourment elle ait pu paraître sans chagrin et ne se rendre insupportable, c'est la force de Jésus Christ qui l'a soutenue. On l'aurait soulagée si, dans les commencements de son mal, elle l'avait confié à quelqu'une ; elle a voulu souffrir pour Dieu en secret et se rendre martyre. J'ai grande vénération pour elle et la prie d'être devant Dieu mon avocate. Cependant le troupeau du Seigneur devient petit et augmente par ce moyen vos peines et votre travail sans qu'on puisse par un temps si incertain vous pouvoir soulager, quoique je le désire ardemment. Je vous écrivis ces jours passés pour vous offrir, mes très chères Mères, tout ce qui est de mon possible pour votre conservation. Ne vous laissez point dans l'embarras enfermer dans la ville. On dit, par deçà, que nous aurons bientôt la paix, et chacun la désire et demeure d'accord que, si Notre Seigneur ne nous la donne bientôt, que tout est perdu. Il faut tout attendre de la bonté de Dieu, en nous assurant qu'il ne nous abandonnera jamais.
Je suis en peine de la pauvre Sr Jeanne Tomassin. Je voudrais la tenir ici pour la faire traiter de son mal, si la sacrée Mère de Dieu ne l'a pas entièrement guérie. Elle vous sert et les autres maisons avec fidélité ; c'est pourquoi il faut avoir un grand soin d'elle. Si elle ne vient pas, je lui enverrai quelque chose pour ses besoins. Je la salue et me recommande à ses prières et aux vôtres, mes très chères Mères, singulièrement à ma pauvre Mère Dorothée [Heurelle] que je salue de tout mon coeur et toute la chère communauté. Je suis à toutes en Jésus très humble et très obligée servante.
n" 71 A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL
[novembre 16731
ne puis apprendre la mort de notre chère Mère [M. de St Placide
Gérard] que je ne vous témoigne que je suis sensiblement touchée de la perte que nous faisons de cette vertueuse Mère. Vous aurez appris de la manière édifiante dont elle a consommé son sacrifice. C'était une âme cachée et qui n'aimait pas d'être dans le bruit des créatures. Il y a plusieurs années qu'elle s'en était séparée. Vous connaissez les vertus qui étaient en elle et la bonne et sainte vie qu'elle a menée ; je la crois bienheureuse et vous congratule d'avoir devant Dieu une soeur et une si bonne avocate. Mon Dieu ! que cette très chère Mère est heureuse d'être hors de cette vie remplie de misère et de péché ! On n'entend plus que calamités et afflictions. Si le temps continue, partout on verra de grandes désolations ; Dieu nous fasse la grâce de faire ses volontés. Ma nature se lasse et mon esprit est bien encore plus rebuté de tout ce qu'il voit et qu'il entend ; il voudrait bien sortir de sa captivité. Oui, ma toute ma chère Mère, la vie me devient ennuyeuse, ne voyant rien en moi qu'ingratitude vers Dieu et tout le monde nager dans le péché. Oh ! que je dis de bon coeur les paroles du saint apôtre : « Quis me liberabit de corpore mortis, o infelix ! ».
Rm. VII, 24. n" 1092 N267
A MÈRE MARIE DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER
Quand elle fut Maîtresse des Novices
le jour de Saint Martin 1673
e ne doute point, ma très chère fille, que vous ne soyez mortifiée
du changement que la divine Providence a fait. L'exemple du grand saint dont nous faisons la fête nous doit animer à ne rien demander et à ne rien refuser, mais à nous laisser dans une sainte indifférence, laissant à Dieu et à l'obéissance de disposer de nous comme il lui plaira. Tenez-vous comme un mort dans tous les événements ; soyez sans réflexion ; ne vous regardez point dans votre emploi : celui qui vous y a mis l'exercera en vous et pour vous, si vous vous laissez anéantir toute en lui. C'est ce que je vous conseille, ma très chère fille, et de ne plus faire de résistance à rien de ce que votre bonne Mère Prieure voudra. Vous n'êtes plus et le non-être ne se produit en rien. Demeurez donc dans le néant, et vous confiez à celui qui vous met par l'obéissance où vous êtes : voilà ce que je vous puis dire aujourd'hui. J'écris à votre
320 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 321
chère Mère Prieure mes petits sentiments. Je travaille à perfectionner les Constitutions ; je demande pour cela vos prières. ; après, on suivra les règlements, tant pour les rangs que pour le reste.
Je salue la chère Mère N et l'assure de l'affection que Notre Seigneur m'a donnée pour elle ; je salue aussi chèrement toute la communauté. Croyez-moi en Notre Seigneur toute à vous.
n'1078 P104 Bis
A UNE RELIGIEUSE DE TOU L
Paris, 9 janvier 1674
:--r e vous assure, ma très chère fille, que vous jugez de votre inté-
rieur comme un aveugle fait des couleurs : vous avez des yeux, mais ils ne voient goutte. A la vérité, vous sentez la malice du fond, mais vous n'êtes pas en état d'y trouver la foi, l'espérance et la charité. Elles se sont retirées en une autre région, au-dessus de vous-même, où elles seront inaccessibles, tout le temps que Dieu jugera à propos de vous priver de leur soutien sensible. Si vous avez encore une demi-once de confiance en nous, croyez ce que je vous dis de la part de Dieu, qui me fait vous assurer que vous n'êtes point en péché mortel et qu'il n'a point abandonné votre âme pour la perdre éternellement, mais pour en faire une victime de sa justice et de sa sainteté, si vous savez vous tenir dans sa sainte main pour vous égorger comme il voudra. La vue distincte de votre fond ne vous doit pa's troubler. 11 faut en voir les malices et en voir les saillies, sans vous en étonner, et vous devez devenir comme un rocher qui est battu des vents et des orages : il ne s'en émeut point. Soyez dans la tempête par-dessus la tête ; soyez sans soutien, et même voyez-vous abîmer au fond des enfers, sans vous en tourmenter. Ce n'est que la tendresse intérieure qui vous accable, la crainte de vous perdre, votre salut vous tient au coeur. En cela, je remarque que vos intérêts sont encore vivants, et qu'ils ont encore la puissance de vous inquiéter.
Il faut, ma chère fille, pour être comme Dieu vous veut, que vous abandonniez tout à l'aveugle, sans vous mettre en peine de ce que vous deviendrez. Soyez la proie de la volonté divine pour vous anéantir comme elle voudra. Votre voie présente est de vous laisser abandonner de Dieu, de ses grâces et du reste, sans vous compassionner. Je vous trouve trop faible et trop sensible sur vous-même, quoiqu'il vous paraît que ce sont les intérêts de Dieu ou la certitude que vous l'offensez qui vous touche. Laissez votre mauvaise volonté sous la justice divine ; laissez-la foudroyer votre fond de malice ; soyez dans toutes ses conduites les plus détruisantes, comme une souche qui ne remue point. Tenez-vous comme un rien et le laissez faire, car, s'il vous jette dans l'enfer, il est assez puissant pour vous en retirer. Il y faut descendre en ce monde, pour n'y pas aller en l'autre.
Je conçois bien que vous souffrez par la sainte communion, à cause de l'approche d'un Dieu saint dans un fond d'abomination. Si j'étais auprès de vous, je ferais bien pis que votre bonne Mère car je vous ferais communier sans confesser et, si vous désobéissiez, je verrais en cela que vous êtes vivante pour vous-même. Soyez donc jusqu'au col dans lres sentiments de toutes sortes de péchés, marchez sans retour et sans réflexion, et surtout obéissez comme un enfant, car je vous dis, devant Dieu et de sa part, que vous ne connaissez point le sentier par où il vous fait marcher. Obéissez sans raisonnement, et la suite vous remettra dans la voie de mort, d'où vous ne devez jamais sortir. Prenez garde à ce que je vous dis, très chère, ce n'est pas de moi. Priez Notre Seigneur qu'il me sépare de moi-même. Je suis en lui...
no 1681 P104 bis
A LA MÊME
9 janvier 1674
e ne vous ferai pas, ma très chère fille, un long discours, la Provi-
dence ne m'en donnant pas le temps ; mais, sur ce que vous me dites de vos dispositions, je remercie Notre Seigneur qu'il vous tient si fort dans le néant. Oh ! qu'il est riche et précieux ce néant que tout le monde abhorre, faute de le connaître ! Et où trouverez-vous la vérité'? Dans le néant. Allez au fond de votre rien, vous trouverez tout, et vous serez d'autant plus que vous voudrez être moins en toutes choses. Un des grands obstacles de la vie intérieure, c'est que l'on veut trop être et trop faire. Au commencement, cela est supportable, mais dans le progrès il faut tout abandonner et laisser faire notre divin Maître. Suivez-le et vous ne manquerez pas d'occasions de bien mourir. Allez à la pureté, allez dans toutes les saintes vertus, mais allez à la mort par l'anéantissement, et vous trouverez tout en vous dénuant.
C'est un divin mystère que l'anéantissement. Hélas ! qui est-ce qui l'entend ? Vous avez raison de dire qu'il y a des choses que vous n'aviez point comprises ; il y en a bien encore que vous ne comprendrez qu'à mesure que l'Esprit de Dieu vous en donnera l'intelligence. Tenez-vous en paix dans le néant, et toutes grâces et lumières y abonderont un jour. Dénuez-vous ou, pour mieux dire, laissez-vous dénuer, laissez faire votre souverain, suivez sans devancer et on vous mènera sûrement.
Je finis, on me presse sans me donner le loisir d'achever ; soyez du moins persuadée que je suis et pour toutes celles qui la suivront, et pour l'éternité, toute vôtre en Jésus.
no 1256 P104 bis
311
CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 323
A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]
6 février 1674
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel à jamais !
j'apprends avec douleur, ma très chère Mère, l'incommodité qui vous est survenue. Je me souhaite auprès de vous pour vous donner toute la consolation dont Dieu me rendrait capable et vous rendre mes services. Vous savez de quelle manière Notre Seigneur a uni nos coeurs en lui et les promesses que vous m'avez faites dans sa sainte volonté. Je vous prie, ma très chère Mère, de vous en souvenir, s'il vous appelle dans le ciel. Je votis assure que je vous ferai dire plusieurs messes et nous offrirons toutes les prières et mérites de l'Institut pour vous . faire jouir promptement de la bienheureuse éternité. S'il lui plaît vous retirer de cette vie avant que je meure, je vous serai toujours fidèle amie.
Cependant, je voudrais bien qu'il plût à Dieu vous rendre votre santé et que je puisse avoir la consolation de vous revoir, comme c'était mon dessein, aussitôt que nous aurions la paix. Contribuez donc, ma très chère Mère, de tout votre possible à votre santé ; et pour cet effet, désistez par obéissance de dire votre Bréviaire, vous n'en êtes pas en état. Dieu ne demande de vous présentement que le sacrifice d'une pure et simple obéissance. C'est dans cet esprit qu'une vraie Fille du Saint Sacrement et une bonne Bénédictine doit vivre et mourir. Jésus Christ est mort dans cette sainte disposition. C'est ainsi, ma très chère Mère, que vous devez consommer votre vie et que la dernière de vos actions soit un acte d'obéissance. Vous en seriez bien consolée, puisqu'il est certain que l'âme obéissante ne peut jamais périr. Prenez dans cet esprit tous les soulagements que la Révérende Mère Sous Prieure vous fera donner, sans aucun scrupule ; nous vous le commandons, ma très chère Mère, par le pouvoir que Dieu et l'autorité de Monseigneur l'Evêque de Toul m'a donnée sur vous et sur la maison. Vivez et mourez dans la soumission et croyez que je vous aime bien tendrement.
Ne m'oubliez pas devant Notre Seigneur : vous me l'avez promis, j'attends ,.cite marque de votre fidélité et de votre sainte affection. Je vous parle avec douleur, étant touchée de votre mal et de voir que la pauvre maison se détruit par la mort de toutes celles qui avaient plus de zèle pour la maintenir dans la sainteté que Dieu veut d'elle. Si je pouvais partir, je ne tarderais pas de vous aller embrasser, et vôus donner, et à toute la chère Communauté, des marques sensibles de mon affection et que je suis en Jésus plus qu'il ne le peut dire 'toute vôtre en son saint amour.
Je ne vous dis rien de particulier, parce que je crois que la divine Providence aura conduit Monsieur l'abbé d'Etival auprès de vous pour vous donner tous les secours dont votre âme peut avoir besoin, A Dieu, ma très chère Mère. A Dieu en Dieu, c'est là où il se faut perdre et dire avec une belle âme : « Je me sépare de moi-même pour me perdre dans l'être infini de Dieu », et, avec la bienheureuse . Catherine de Gènes : « TÔST, TÔST, TIREZ-MOI DE MON ÊTRE ET ME METTEZ DANS L'OPÉRATION DE MA FIN ». O ma très chère Mère, que vous êtes heureuse d'aller à Dieu ! Je vous congratule, souvenez-vous de mes misères quand vous y serez et des besoins de notre Institut.
On dit la sainte Messe pour vous, ma chère Mère ; c'est votre fête aujourd'hui et on commume à votre intention.
n" 856
324 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 325
DE LA MÈRE SAINT JOSEPH [DE MONTIGNY-LAVALJ,
Nancy, le 14juin 1675
Enfin, ma Révérende et très chère Mère, vous avez donné à Dieu un temple où je crois qu'il sera bien honoré ; il y fut porté processionnellement par Monsieur notre Supérieur mercredi, veille de la grand fête du Saint Sacrement, à neuf heures du matin, avec bien de la solennité.
Messieurs les gouverneurs et intendants et tous les principaux officiers y assistèrent, tous les Messieurs de Ville en corps, et tout ce qu'il Y a de plus considérable dans Nancy, il y avait plus de vingt enfants habillés en anges avec des encensoirs, quantité d'écclésiastiques revêtus de chapes et de dalmatiques. Toutes les personnes du quartier de notre grande église avaient paré les rues de tapisseries, de peintures, de feux de joie. Des deux côtés des rues, le pavé était tout parsemé de fleurs. Tous les ouvriers qui avaient travaillé à l'église, s'étant munis d'armes, se rangèrent en haie pour laisser passer la procession, et dans le moment que le Saint Sacrement entra dans l'église, ils firent une grande décharge. Notre organiste eut soin de la symphome qui était autant belle qu'on la peut avoir en ce lieu. L'on chanta ensuite la grande messe. L'église et les huit chapelles qui sont autour étaient toutes remplies, aussi bien que la cour. Il en fut de même à Vêpres et au Salut.
Le jour de la Fête de Dieu, Messieurs de la Primatiale entrèrent à notre église avec toute la procession générale; ce qu'ils n'ont jamais fait dans aucune église de Nancy. On joua de l'orgue jusqu'à ce que le Saint Sacrement fut posé sur l'autel ; ensuite nos plus belles voix entonnèrent ECCE PAN IS qui fut trouvé admirable. Après, on donna la bénédiction. Notre église, toute la journée, ne désemplit point, depuis cinq heures du matin jusqu'à sept du soir. Tout le monde avoue que ce lieu inspire de la dévotion. On est si charmé de la beauté de cette église que l'on vous loue et bénit tous hautement d'avoir mis la dernière perfection à une si belle oeuvre. Je sais que vous n'avez en vue que la gloire de Dieu dans cette entreprise, qui vous coûte beaucoup de plusieurs manières. Vous auriez eu de la joie de voir dans cette grande solennité vos désirs accomplis. Vous manquiez seule à notre consolation, qui aurait été parfaite si nous avions pu vous posséder (1). Nous nous sommes unies à toutes vos intentions, demandant à Notre Seigneur tout ce que nous avons cru être le plus à sa gloire dans cet adorable mystère, et la perfection de' notre Institut. Nous continuerons et lui demanderons avec tant d'instance votre conservation que j'espère qu'il nous l'accordera.
P101
(1) La première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu dans l'église du monastère Notre-Dame de Consolation le 13 avril 1669, en présence de Mère Mectilde. La cérémome ici rapportée a eu lieu après la restauration de cette église. (Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 270 ; A. Benoit, Les dames du Saint-Sacrement à Nancy, 1669 - 1793 dans Mémoires de l'Académie Stanislas, 1895, p. 215 - 245).
A UNE RELIGIEUSE NOUVELLEMENT ELUE PRIEURE
AU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS
17 juillet 1675
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !
otre-Seigneur vous dit, ma très chère Mère, les paroles du Saint
Evangile : «Venez à moi vous qui êtes chargés et je vous soulagerai» (1). Certes, il n'y a que lui seul qui puisse soulever le poids de votre accablement, je le trouve si grand qu'il me fait entrer en compassion de votre douleur selon les sentiments humains, mais je regarde les desseins de Dieu, j'adore sa conduite que je trouve sainte et à laquelle vous devez, ma toute chère Mère, une entière soumission. Je comprerids bien les raisons que vous avez de vous plaindre, mais je vous dirai que vous n'avez pas moins que la force et la vertu de Jésus Christ pour vous soutenir. Recevez votre élection de sa part ; n'y envisagez rien d'humain, afin que vous demeuriez en celui qui vous fait agir en son nom et qui veut vous animer de son esprit. Je sais bien que vous avez fait ce qu'il faut en ce rencontre, qui est de vous avoir anéantie dans votre sens, votre raison et les vues mêmes de tous vos intérêts ou de vos indignités. Remettez tout cela en Dieu, si déjà vous ne l'avez fait, pour vous tenir cachée et abîmée en lui, sachant de foi certaine que Jésus Christ veut faire en vous la fonction de Prieure, et sa très sainte Mère, votre précieuse Abbesse, vous veut conduire dans cette charge. Vous n'avez qu'à vous abandonner avec une entière confiance au Fils et à la Mère. Tous les deux feront merveille en vous ; ne vous amusez pas à vous réfléchir inutilement. Marchez, Dieu le veut, chargez votre croix ; suivez votre Epoux. Mais voulez-vous suivre mon conseil ? Ne vous regardez plus vous-même, ne cherchez jamais en vous ce que vous ne devez trouver qu'en Jésus Christ ; séparez-vous incessamment de vous pour vous laiser toute en lui. Je ne sais que ce secret pour porter en patience, et comme nous devons, la charge la plus crucifiante du monde et, je puis ajouter, la plus répugnante aux âmes qui en connaissent le poids. Si vous voulez expérimenter cette humble pratique, vous verrez que vous en recevrez de singulières grâces et que vous serez fortifiée intérieurement. Je me souhaite près de vous, ma très chère Mère, pour vous exprimer plus cordialement mes petites pensées et vous assurer que je suis toute à vous et à votre maison, que vous pouvez et devez vous adresser à notre très honorée et bonne Mère de l'hospice (2) et à moi avec la dernière liberté et confiance, ayant toutes deux un très grand désir de vous servir en tout ce qui sera de notre possible. Ecriveznous tout librement, et nous mandez en quoi nous vous pouvons servir ;
326 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 327
nous serons toujours prêtes. J'écris un mot à la chère Mère Scholastique (3), la priant vous aider à porter votre fardeau ; vous aurez la bonté de lui donner ma lettre et de me mander si vous avez fait vos officières. J'ai grande confiance que Notre Seigneur vous bénira. Prenez courage et ne vous laissez point accabler ; voyez bien que c'est Notre Seigneur qui doit faire en vous cet office. Et vous, à demeurer comme je viens de dire toute anéantie en lui, vous verrez que je ne vous trompe point. Continuez, ma très chère Mère, à nous écrire, mais le plus souvent que vous pourrez ; et quand vous en serez empêchée, la chère Mère Scholastique suppléera. Et croyez que je prends toute la part que je dois à ce qui vous touche en particulier, et à toute la chère Maison que j'aimerai tendrement toute ma vie, et que je veux servir comme ma mère puisqu'elle m'a donné naissance dans l'Ordre, et que je lui suis redevable des miséricordes que Notre Seigneur m'a faites.
Croyez-moi sans réserve toute à vous, ma plus chère Mère...
Mandez-nous des nouvelles quand vous en aurez, et ne vous laissez point environner. Si vos alarmes (4) recommencent, nous avons ici de quoi vous loger toutes.
n" 2299
(1) Mt X1,28-29.
(2) Les religieuses qui ne possédaient pas la maison où elles étaient installées étaient dites être «en hospice». Elles ne pouvaient recevoir leurs lettres patentes que si elles étaient propriétaires de leurs bâtiments conventuels. Tel était le cas du petit groupe de religieuses envoyé à la demande de Mère Mectilde par le monastère de Toul pour une fondation à Dreux. Celle-ci n'ayant pu se faire alors, l'archevêque de Paris, François de Harlay, leur conseilla de rester dans son diocèse. La supérieure de cet hospice, qui sera plus tard le second monastère de Paris, était à ce moment Mère Bernardine de la Conception G romaire.
(3) Mère Scholastique Gérard était un esprit si ferme et si distingué, elle avait étudié avec tant de soin les sciences et la théologie qu'elle pouvait faire des conférences chaque dimanche et jour de fête au parloir du couvent pour enseigner le peuple de la ville. Ses solides vertus donnaient tant d'efficacité à ses paroles que l'évêque de Toul lui avait accordé le privilège spécial d'évangéliser par des missions données aù monastère. les habitants des bourgs voisins. Bientôt, elle conçut une répulsion violente contre l'Institut et contre Mère Mectilde, et on comprend que Dieu ait dû intervenir assez «violemment» pour éclairer un esprit aussi ferme. Cf. Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilde ; C. de Bar, Documents, 1973, p. 228.
(4) Allié de la coalition contre la France, Charles IV de Lorraine reprend la guerre dès 1670. En 1674, il est battu par Turenne en Alsace, mais remporte une brillante victoire sur le maréchal de Créqui à Consarbruck en 1675. Le duc mourait peu après, le 18 septembre 1675. Mère Mectilde craint les conséquences de la guerre pour «sa chère Maison», elle qui en a connu toutes les horreurs quelques trente ans auparavant.
à Paris, le 11 septembre 1675
Ma très chère Soeur,
J'ai reçu deux de vos lettres par lesquelles vous me priez de vous assurer pour toute votre vie. Je l'ai fait, ma très chère Soeur, avec affection quand je vous ai reçue à notre maison de Toul et ne sais ce que vous désirez davantage. Priez votre Révérende Mère Prieure de faire mettre vos sentiments et vos désirs par écrit, et que la Commu-
nauté m'écrive ou me marque par la secrétaire du Chapitre ce que vous désirez, car je ne le comprends par vos lettres, me semblant vous avoir donné des marques de mon affection aussi sensibles et plus que je n'ai jamais fait à ma propre soeur et à pas un de mes parents ; et cependant vous n'êtes pas contente de moi. Je voudrais vous pouvoir satisfaire, j'en aurais autant de joie que vous avez de méfiance de mon affection. Soyez cependant persuadée que je suis à vous en Jésus.
Sr M. du St Sacrement
Cette lettre autographe est écrite sur une demi-feuille de papier ; les mots : «en Jésus» et la signature sont sur la seconde page ainsi que l'adresse : «pour Ma très chère Soeur du St Esprit à Toul». Il n'y a pas de cachet.
n° 759 Dumfries
A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL
Le 9 octobre 1675
Loué soit le Très Saint Sacrement !
y 1 faut avouer, ma plus chère Mère, que vous êtes la plus obligeante personne du monde d'avoir fait tant de diligence pour me trouver des reforts gris (1) ! Je ve.ux vous dire que vous me faites un très sensible plaisir et que je tâcherai de le bien reconnaître. J'attends celles que vous avez mis au coche ; si elles se trouvent bonnes, assurez-vous que vous en ressentirez de bons effets.
J'ai vu l'acte de votre communauté touchant les désirs de ma soeur du Saint Esprit. Je donne les mains 'à tout ce que vous jugerez pour son repos ; si elle pouvait faire profession comme les autres, ce serait une grande consolation pour elle.
Dans l'acte, vous exposez qu'elle demande de faire voeu de chasteté et d'obéissànce. Si elle fait ces deux voeux, elle peut faire le troisième encore plus facilement, qui est la pauvreté, étant le plus doux à observer parce que la Religion fournit les besoins. Si elle voulait se contenter de ces voeux, il faudrait lui accorder le voile noir. Mais, en vous écrivant, la pensée me vient que, si vous l'engagez à faire profession comme les autres, que peut-être elle prendra plus à coeur l'observance des voeux ; quant au voile noir, j'estime que vous lui pouvez donner, si la communauté en est contente.
Vous en pouvez mieux juger que personne, parce que vous voyez la capacité du sujet. Vous pouvez faire de trois manières, une à votre choix
(1) Le raifort est une plante de la famille des crucifères. Les trois espèces les plus connues sont : le raifort sauvage, dont les racines autrefois utilisées en médecine sous forme d'infusion contre l'asthme et le catarrhe, étaient aussi considérées comme un stimulant de l'appétit ; le raifort noir, ou radis noir, dont la racine est un puissant antiscorbutique et un stimulant de la digestion ; enfin le raifort cultivé ou radis commun.
328 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 329
la première, de la faire professe comme les soeurs converses ; la seconde, de la laisser comme elle est, en lui accordant le voile noir ; la troisième, en lui faisant faire les voeux de Religion simplement entre vos mains. Une quatrième serait qu'elle fit voeu de stabilité, de conversion des moeurs. Mais le plus exact serait de faire les voeux et profession comme les converses, quoique la capacité soit petite. Faites lui entendre son obligation ; il n'y a qu'à considérer si elle est capable de demeurer en repos dans sa condition, et si dans la suite elle ne serait pas inconstante. Depuis le temps qu'elle est dans la Religion, on peut juger à peu près ce qu'elle peut faire.
Ce sera bien fait de terminer cela avant que Monseigneur l'Evêque (2) arrive, car je vous assure qu'il prendra connaissance de tout, et qu'il pourrait la mettre dehors s'il ne la trouvait pas capable de Religion. Faites donc comme Notre Seigneur vous inspirera, et tirez un acte de la fille qu'elle promet de faire son devoir. Que le tout soit écrit et signé de sa propre main, et lorsqu'elle manquera à son devoir, vous lui ferez lire devant la communauté tout ce qu'elle aura promis par son acte. Voilà à mon avis ce que vous pouvez faire : concluez donc.
On nous donne l'alarme, disant què les Allemands hiverneront dans la Lorraine ; ce serait un grand malheur. Je prie Notre Seigneur qu'il
vous conserve. .
Nous sortons d'un grand service que nous venons de faire pour Madame la Diichesse d'Aiguillon (3) avec une oraison funèbre que Monseigneur l'Evêque d'Evreux a faite, et Monseigneur de Rodez (4) a officié. Il était près de deux heures quand nous sommes allées au réfectoire.
Nous ne manquons point d'exercices.
Je suis bien aise que vous ayez fait le service de feu Monsieur de Toul (5).
(2) Le successeur de Monseigneur du Saussay fut Jaéques de Fieux, 1676-1687.
(3) Marie Madeleine de Vignerod (1604-1675) fille de René de Vignerod, seigneur de Pont Courlai et de Glanay, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, et de Françoise Duplessis, soeur ainée du Cardinal .de Richelieu. En 1620, elle épousa Antoine de Beauvoir du Rouvre, marquis de Comballet et petit-neveu du duc de Luynes. Son mari fut tué au siège de Montpellier, le 3 septembre 1622. Elle désira alors entrer au Carmel, mais le cardinal de Richelieu s'y opposa et la garda près de lui. Dame d'atours, de Marie de Médicis, elle ne jouit de la confiance de la reine et du tout-puissant ministre que pour faire le bien. En 1638, Richelieu acheta pour elle la terre et la ville d'Aiguillon en Guyenne (Lot et Garonne), auxquels furent attachés de nouveau les droits et titres de duché pairie ; en même temps, il lui confia le gouvernement du Havre, à la mort de son frère François II de Vignerod.
Au décès de son oncle, le 4 décembre 1642, elle vint habiter rue de Vaugirard, au Petit-Luxembourg, et consacra son temps et sa fortune aux oeuvres de charité sous la direction de saint Vincent de Paul. Elle peut être regardée comme la fondatrice de l'hôpital des Enfants-trouvés et de la Salpétrière, ainsi que de l'Hôtel-Dieu de Québec. Elle mourut après une longue et douloureuse maladie, le 17 avril 1675. Ses obsèques eurent lieu au Carmel de la rue Chapon, le 19 avril. Elle avait été une-insigne bienfaitrice de notre Institut. A son lit de mort, elle légua son duché à sa, nièce Marie-Térèse Vignerod dite Mademoiselle d'Angenois (1636 - 1704), qui mourut rue Cassette. (Cf. lettre du 21 octobre 1693. Arch. Nat. Y 242 - Y 254 et arch. de nos monastères).
(4) L'évêque d'Evreux : Monseigneur Cauchon de Maupas du Tour (1606 - 1680) : Monseigneur de Rodez : Gabriel de Voyer de Paulmy d'Argenson, né en 1597, nommé évêque de Rodez en 1666, après la démission de Louis Abelly, sacré le 8 mai 1667 à Saint-Louis des Jésuites à Paris, mort à Rodez le Il octobre 1682. Ce fut un saint évêque.
(5) Monseigneur André du Saussay, décédé en septembre 1675.
Je vous quitte pour aller à Vêpres.
A Dieu, ma toute chère Mère ; je vous rends par avance mille humbles remerciements de vos réforts, je les attends avec impatience.
Mon Dieu, que vous me faites de plaisir !
A Dieu, je salue toutes vos chères filles ; toute la communauté vous fait mille humbles saluts, surtout la Mère Sous-Prieure et la Mère de Jésus [Chopinel] (6).
n" 508 T5
(6) Mgr. Hervin note : «Cette lettre autographe n'est pas signée : à la 4ème page se trouve l'adresse et un petit cachet appliqué sur pain d'autel représentant seulement un Saint Sacrement».
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
1675
e viens encore vous remercier de votre charité dans la multitude de
prières que vous avez faites pour moi. Ma santé se rétablit ; je suis bien présentement, ce me semble,Je vous prie, mes très chères filles, de demeurer dans la très précieuse main de Dieu qui vous soutiendra infailliblement dans vos persécutions. Et, en tout cas, s'il lui plaisait de transférer votre monastère ailleurs, il faut l'agréer et l'adorer où il voudra. Soyons comme des petits enfants dans le sein de sa paternelle Providence ; tout ira mieux que nous ne croyons. Souvent le renversement d'une chose est l'établissement et perfection d'une autre. Observons les mouvements de l'Esprit de Dieu, et nous laissons conduire. Il est facile aux âmes qui sont séparées des intérêts humains et de leur propre sens de vivre de la sorte ; toujours paisibles dans les bourrasques de la vie. Accoutumons-nous bien aux événements fâcheux, et, pour le dire plus clairement, apprivoisons notre esprit à vivre dans la Croix,- à manger les amertumes et les contradictions. Il ne faut point chercher d'autre nourriture. Le monde est corrompu, tout ce qu'il contient est infecté du péché ; il faut nécessairement respirer cet air envenimé, sans contracter rien de sa corruption, s'il est possible. Or cela ne se peut qu'en vivant de croix et de douleurs, qu'en vivant comme le Fils de Dieu sur la terre, sans y prendre ni goût, ni plaisir. Oh ! qu'il est difficile à la créature qui est si tendre sur elle-même, qui n'a de capacité que pour se réfléchir, pour se plaindre, pour se compassionner soi-même ! Mourons, mourons, mes toutes chères, et mourons tous les jours, perdons le soin de nos intérêts, et Dieu tout bon et tout miséricordieux s'appliquera à nous-même et pourvoira à nos besoins. Il dit autrefois à sainte Catherine : «MA FILLE PENSE A MOI, ET JE PENSERAI A TOI». C'est assez qu'un Dieu pense à nous. Il ne se peut tromper, ses lumières sont infaillibles, et sa bonté pour nous ineffable. Adieu, mes toutes chères, je vous embrasse d'affection et suis tout à vous en Jésus.
n° 1587 N267
330 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 331
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
[début mai] 1678
e n'est pas sans peine, mes très chères Filles en Jésus, que votre
très Révérende Mère Prieure sacrifie son repos pour -si Notre Seigneur l'ordonne ainsi- rendre encore ses services à l'Institut, et marquer à toutes en général et en particulier sa charité et sa tendre affection. Je crois que vous entrerez avec moi dans les reconnaissances que nous lui devons de vouloir bien nous accorder la grâce de ne se point opposer à la conduite de l'adorable Providence sur son élection (1). Je sais qu'en ce rencontre elle donne à Dieu tout ce qu'elle lui peut donner et qu'elle se fait une très grande violence de souffrir d'être continuée. Je vous assure, mes très chères filles, que je me fais à moi-même de la peine de l'en solliciter, sachant que j'augmente sa croix, mais il faut que vous priiez Notre Seigneur qu'il la fortifie, et, de votre part, faire tout votre possible par vos fidélités de la diminuer et de lui donner la joie de voir la Communauté marcher dans les sacrés sentiers de la sainteté. Il faut, mes très chères Soeurs, vous animer toutes à la perfection de l'Institut et que vous soyez les vraies victimes du Sauveur, sans quoi cette digne Mère Prieure ne peut faire ce que vous désirez. Je l'assure que vous y ferez tout votre possible, et que vous vous renouvellerez toutes dans une sainte résolution d'être tout à Dieu.
J'aurais bien désiré vous dire deux mots sur la mort de notre chère Soeur de la Mère de Dieu (2) qui consomma, dimanche 1er mai à huit heures du soir, son sacrifice entre nos mains. Je puis vous assurer qu'elle est morte de la mort des justes et qui a fait envie à toute notre Communauté de mourir de la sorte. Son coeur et son esprit ne sont pas sortis de Dieu ; une douceur et une patience angéliques l'accompagnaient jusqu'au dernier soupir. Elle avait une sainte ardeur de se voir détruite et toute anéantie et qu'il ne restât rien en, elle que Dieu. Je crois que la paix, l'amour et l'abandon ont fait la consommation de son sacrifice. Je ne puis vous en dire davantage, je suis obligée de finir ; je me recommande à vos saintes prières, vous suppliant de me croire toute à vous en Jésus et en sa très sainte Mère.
n" 135 N267
(1) Réelection de Mère Anne de Sainte-Madeleine le 21 mai 1678.
(2) Soeur Marie Magdeleine de la Mère de Dieu (Marie Magdeleine Bony), native de Paris, baptisée à Saint-Sulpice, fille légitime de Nicolas Bony et Anne Boutain, reçut l'habit à 32 ans, à Paris, le 5 avril 1666, pour aller au monastère de Toul, où elle fit profession le 7 mai 1667. Sa santé ne lui permettait ni d'assurer l'office choral, ni de.participer aux gros travaux d'entretien elle fut donc reçue comme «converse privilégiée». Elle revint à Paris en novembre 1674 avec Mère Marie de Jésus Petitgot, Mère Marie de Saint Bernard Cousine!, Mère de Sainte Madeleine Viriot, Mère Marie Joachim Adbet, qui fondèrent le second monastère de Paris.
Juin 1678
:1> 'ai reçu, mes très chères filles, celles que vous avez pris la peine
de m'écrire touchant l'élection de votre Mère Prieure. Je conviens avec vous que votre maison n'est point encore en état de changer de conduite, et que, nonobstant les fortes et pressantes raisons de votre Révérende Mère, je la supplie de se rendre aux ordres de Dieu en sacrifiant ses intérêts et sa propre vie. Je sais bien aussi que sa santé est usée et qu'elle peut justement demander du repos, mais la pure gloire de Notre Seigneur et l'amour de sa divine volonté la doit immoler. J'espère qu'elle s'y soumettra ; je l'en supplie de tout mon coeur dans la lettre que je lui écris. Seulement, mes chères et bonnes filles, tâchez dé votre part à la soulager par vos fidélités aux observances et votre soumission à ses ordres. Une supérieure est admirablement soulagée de son poids par la sincère obéissance de ses filles et par une entière confiance en sa conduite. Vous devez être toute sa consolation et son soutien dans sa charge, la soulageant de tout votre possible en vivant saintement, vous animant et vous édifiant les unes les autres à la vertu, et conservant partout la paix et l'union. Ne soyez qu'un coeur et une même volonté avec votre chère Mère ; c'est en cette fidélité que vous adoucirez ses peines et qu'elle pourra s'en décharger quelquefois sur vous. Epargnez-la tant que vous pourrez ; vous voyez comme elle a servi la maison et les bénédictions que Notre Seigneur y a répandues par son ministère. Chérissez-la et ne lui donnez point de sujet de gémir sous le faix, mais plutôt rendez-vous capables de l'aider. Ayez de la reconnaissance de son zèle et de sa charité pour vous et pour tout l'Institut qui lui est infiniment obligé. J'en suis dans les sentiments que je dois, et si je la pouvais servir et qu'elle eût besoin du plus pur sang de mon coeur, je lui donnerais, tant je me sens son obligée. Et je puis dire que si Notre Seigneur me l'ôtait, j'y perdrais plus que vous-même. Il est très difficile de trouver des personnes, dans les Communautés, capables de remplir dignement sa place, tant pour sa vertu que pour son zèle et son expérience. Chérissez-la donc, mes chères filles, par des fidélités continuelles à vos observances et à ses volontés, et vous attirerez sur votre maison les bénédictions du Ciel. Demandez miséricorde pour moi à Notre Seigneur par sa très sainte Mère, et me croyez en lui votre très humble et affectionnée servante et fidèle amie.
n" 747 N267
332 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 333
A LA MÈRE ANNE DE SAINTE MADELEINE Prieure de Toul
Juillet 1678
3> 'entre, ma toute chère Mère, dedans vos sentiments que je trouve
bien justes en considérant vos infirmités et les grandes fatigues de votre charge ( 1). Dans l'âge où nous sommes, vous et moi, nous aurions besoin de repos pour nous occuper le reste de nos jours à Dieu et nous préparer pour aller à lui, mais comme victime immolée à sa gloire, et dans [obligation de tel abandon de nous-mêmes au bon plaisir de Notre Seigneur, qui ne nous permet pas d'avoir des retours volontaires sur nous, parce que nous ne devons plus être à nous-mêmes, ni vivre un moment pour nous. C'est, ma toute chère Mère, ce qui vous doit tenir sous la main de celui qui dans l'adorable sacrement se fait votre hostie, et vous tire dans son état d'immolation pour vous consommer en lui dans son sacrifice. Il veut encore de vous un plus grand délaissement •de vous-même avant que de mourir. C'est une perte qu'il faut que vous fassiez de tous vos intérêts de temps et d'éternité, de vie, de santé et de tout le reste. Votre communauté n'est pas encore en état de se pouvoir passer de vous et de votre secours.
Achevez, ma très chère Mère, pour la gloire de notre auguste mystère. Il en faut relever les hommages et réparer plus que jamais. Et surtout l'honneur de sa sainte Mère, qui est attaquée de toutes parts. On écrit publiquement contre elle, on la décrie, on la méprise, on lui déme ses privilèges, et à peine trouve-t-on des gens qui osent entreprendre sa défense. Je crains bien que cette dernière impiété ne soit le comble de nos malheurs, et que, n'ayant plus de protectrice au Ciel, les foudres de la divine justice ne nous abîment un de ces jours. On ne doit plus espérer de consolation en ce monde si une fois cette malice triomphe dans le coeur. Il faut, ma très chère Mère renouveler l'amour et la dévotion vers cette auguste Mère de Dieu, et suppléer pour les misérables qui l'outragent. C'est un des motifs qui vous doit encore faire plier les épaules sous le faix, espérant que vous soutiendrez sa gloire. Oh ! que vous seriez heureuse de mourir pour son honneur en soutenant ses intérêts !
(n Depuis le début de 1676, un projet d'établissement d'un monastère de l'Institut était en vue à Commercy (Meuse). Nos archives ont gardé la trace des actes suivants•: en 1676, le 2 avril, lettre de
Monsieur Desarmoises (sic) ; le 23, lettre de Dom Henri Hennezon, prieur de Saint-Mihiel, le 23 mai, permission donnée par M.M.P. Gaulthier et J. de Mandro, vicaires généraux, à la mère prieure de Toul et à quelques religieuses pour se rendre à Commercy ; le ler juillet permission du cardinal de Retz d'acquérir la maison de l'Hôpital de Commercy ; le 4, lettres patentes du cardinal de Retz pour l'établissement en la ville de Commercy ; le 12, consentement de «M.M.» de Commercy pour cet établissement et le 14, consentement du gouverneur. Cette fondation n'a pu se faire, mais la Mère prieure de Toul a participé à toutes ces négociations.
Un peu plus tard, en octobre 1678, l'évêque de Toul, Monseigneur Jacques de Fieux choisira les mères de Saint Denis [du Vay] et de Saint Michel [Guillaume), religieuses du monastère pour «rétablir la régularité chez les religieuses de Sainte-Claire à Sorcy (Meuse)».
Ayez donc le courage, ma très chère Mère, de vous sacrifier et de ne point abandonner le petit troupeau des victimes de son Fils. Soyez animée de l'esprit du bon Pasteur qui met sa vie pour ses brebis. 11 n'est pas encore temps de les remettre en d'autres mains. Quand Notre Seigneur les voudra confier à d'autres, il le fera sans vous. Je sais bien que je crucifie terriblement votre pauvre coeur, mais je ne puis faire autrement, quoique ce soit avec une extrême peine que je vous énonce la volonté de Notre Seigneur qui n'est point conforme à votre sentiment et que vous ne pouvez embrasser sans une extrême souffrance. Je vous prie de prendre courage, ma toute chère Mère, et d'être persuadée que je voudrais de tout mon coeur pouvoir satisfaire votre désir dans cette occasion, et vous témoigner que j'ai un grand déplaisir de ne pouvoir adhérer à votre demande. Sacrifiez-la, je vous supplie, et ne pensez pas vous accabler pour faire au delà de vos forces, ni détruire le peu de force qui vous reste. Nous voulons que vous preniez du soulagement, et que vous ne fassiez point de violence pour aller où votre santé ne vous permet pas, ni de suivre la communauté ; vous n'en êtes plus en état. Dieu est content, mais souffrez que son oeuvre demeure entre vos mains, ou, pour mieux dire, entre les siennes •en vous. Je vous assure qu'il se glorifiera de votre sacrifice et vous soutiendra de l'abondance de ses grâces. Consolez vos chères enfants qui sont dans un abîme de douleur, et ne croyez pas que ce soit par pure adhérence à leurs sentiments ; je vous proteste que je ne regarde que Dieu et son oeuvre.
Adieu, ma toute chère Mère. Ne soyez point mal satisfaite de moi. Je vous proteste devant Notre Seigneur que si je savais mieux faire pour sa gloire en vous et en votre maison, je le ferais. Vous savez que je suis en lui toute à vous.
no 1279 N267
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
1 678
Mes très chères,
Jésus humilié et souffrant soit votre force, votre lumière !
e me sens pressée de vous écrire en la vue et dans le sentiment
des grandes peines que vous souffrez par vos persécuteurs, ou pour le mieux dire les persécuteurs de Jésus Christ. Depuis que je vous sais en croix, je ne cesse de me désirer avec vous, pour vous aider à soutenir
334 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 335
le poids que vous portez et pour vous en délivrer - si je pouvais. Nous y faisons notre possible et n'avons pas dessein de vous laisser dans cette rigobreuse crucifixion, mais malgré nous il faut attendre voir ce que Monsieur l'Intendant fera pour vous, sur l'instance que Madame lui en a faite. Après cela nous nous pourvoirons d'une autre manière. Tout notre déplaisir sont les calomnies qu'on vous fait et qu'on vous dit qui ne peuvent que vous être très sensibles.
Mais, nies très chères enfants, vous vous souviendrez que c'est dans ces sortes de peines que vous vous rendez les victimes de Notre Seigneur Jésus Christ. C'est souffrir sans crime, et c'est souffrir glorieusement Je vous prie, nies très chères enfants, que ceci soit véritable que vous soyez sans crime. Je veux dire, que vos infidélités n'obligent pas Dieu à ruiner son oeuvre, Je suis poussée de vous parler de la sorte, et toute cette nuit j'ai aspiré le jour pour vous conjurer par les entrailles de Jésus Christ, notre divin Sauveur, de vivre de telle sorte entre vous toutes que Dieu ne soit point offensé et que nous n'attirions peint sa justice sur• l'Institut qu'il nous a confié. Et je vous prie, avec toute l'instance que je puis, que vous soyez parfaitement unies entre vous toutes, de coeur, de volonté et d'esprit, et qu'on puisse dire véritablement que vous n'êtes qu'une en Jésus. Sacrifiez-lui de bon coeur tout ce qui s'oppose à cette sainte union, comme l'obstacle le plus fâcheux et le plus opposé aux grâces de notre Sauveur Jésus Christ.
Si vous avez quelque chose de caché dans le fond de vous-mêmes, Dieu le connaît, et c'est que vous n'êtes point propres à ses desseins. 11 demande de vous la simplicité de la colombe et la sincérité d'enfant. Examinez-vous chacune en particulier sur la sainte union que Notre Seigneur veut de vous et veut que l'on établisse dans notre Institut, sans laquelle il périra infailliblement. « TOUT ROYAUME DIVISE SERA DÉSOLE », dit le saint Evangile. Dieu voit le coeur et les dispositions qui y sont renfermées. Vous voulez bien que je vous dise que Dieu veut deux choses de nous : La première, que nous regardions Jésus son Fils comme notre Roi et Souverain Monarque, et que nous lui faisions la cour incessamment. que nous lui représentions tous nos besoins, et que nous ayons en sa toute puissante bonté une confiance inébranlable. La seconde, que nous soyons une, c'est à dire unies par sa dilection divine de coeur et d'esprit. Ayec ces deux points, nous vaincrons le monde et l'enfer avec une certitude infaillible. Soyez les vraies imitatrices de Jésus Christ pour devenir ses victimes. Ne vous contentez pas de lumières, de pensées et de belles paroles; venez aux oeuvres. Offrez toutes les calomnies, injures et mépris qu'on vous fait à Jésus Christ, et le priez pour ces pauvres gens qui ne savent pas ce qu'ils font. Accomplissez les paroles de cet aimable Sauveur, qui, du haut de la Croix, s'écriait à son Père : « MON PÈRE PARDON N EZ LEUR CAR ILS NE SAVENT CE QU'ILS FONT », et celles qu'il dit en un autre endroit : « AIMEZ VOS ENNEMIS, FAITES DU
BIEN A CEUX QUI VOUS HAÏSSENT ET QUI VOUS PERSÉCUTENT ».
Voilà, mes très chères enfants, les maximes de Jésus Christ. Commencez une neuvaine pour tous ceux qui vous font souffrir et vous ferez ce qu'il dit. Prenez donc courage, et croyez que je suis en esprit avec vous et voudrais bien y être en vérité pour vous soulager et tirer dans mon coeur les peines que vous souffrez. Je ne cesse de faire prier Dieu pour vous, et ne doutez pas que vous ne soyez secourues de ses grâces. Ne craignez rien; vous verrez bientôt le soin que Dieu a de vous et de son oeuvre. Je suis en lui d'un coeur très sincère et cordial toute vôtre. Souvenez-vous de prier Dieu pour moi.
no 1002 N267
A UNE RELIGIEUSE DE TOUL
1678
e m'abandonne au bon plaisir de- Dieu et j'adore ses conseils sur
votre âme, aussi bien que .sa sainte conduite sur toute votre sainte Communauté. Je la remets à sa divine Providence , me confiant à sa bonté qu'elle en aura toujours soin et qu'elle la protégera comme elle l'a fait jusqu'ici.
Je l'abandonne à la puissance du Père, à la sagesse adorable du Fils et à la plénitude du divin amour du Saint Esprit. J'invoque sur icelle toutes les 'bénédictions du ciel par Jésus Christ et supplie la très sainte Mère de Dieu d'en être la directrice. C'est à cette sacrée Mère que je vous laisse toutes, vous la donnant pour votre très digne Supérieure qui aura soin de vos conduites dans la sainte perfection et qui vous obtiendra de son Fils la sanctification que je vous désire. Je vous conseille d'abandonner le tout à Dieu et de croire qu'il n'est point attaché aux objets. Ses jugements sont profonds, et bien souvent nos lumières ne sont que dans la piété de nos pensées. Mais la main de Dieu est puissante, qui fait ses ouvrages comme il ,Iui plaît et qui tire nos sanctifications de ce qui paraît notre ruine. Les croix de Providence ont des onctions bien plus suaves que les autres ; ce sont des visites de notre bon Maître. Il les faut adorer et s'y soumettre. Il est vrai que nous sommes dans un règne d'anéantissement. Je prie Notre Seigneur qu'il nous donne la grâce de nous bien anéantir dans l'amour du bon plaisir de Dieu au temps et à l'éternité.
Votre nécessité spirituelle ne consiste qu'à vous rendre bien fidèle et inébranlable dans la voie que sa divine miséricorde vous a montrée. Et pour quelque doute qui vous puisse arriver ou tentation contraire, n'en désistez jamais ; appuyez-vous sur l'obéissance qui vous l'enjoint.
336 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 337
Ne vous affligez point de la privation d'une créature impuissante à vous aider, à vous sanctifier. Dieu seul, mais tout seul, vous suffit. Laissez anéantir les moyens pour demeurer étroitement ume à la fin. Je sais bien que c'est le plus grand bonheur dans la vie intérieure - après la possession de la grâce - que de trouver une personne qui conçoive nos dispositions et qui, avec le Saint Esprit, nous serve de guide. Mais, hélas ! ma chère N. , je ne suis point utile à votre âme ; Dieu sait l'impureté et l'ignorance de la mienne. Il n'appartient qu'à lui de sanctifier ses élus et de les faire arriver à un heureux port au travers des épouvantables orages. Prenez courage, sa sainte grâce vous suffit ; la foi nue doit être désormais votre appui - sans appui. Il faut tout perdre pour trouver Dieu, qui ne peut être trouvé qu'en surpassant toutes les créatures et soi-même. Demeurez fort tranquille dans le pur anéantissement, sans vous mettre tant en soin de votre salut. Souvenez-vous de ce que Notre Seigneur dit dans son Evangile : « Qui gardéra son âme la-perdra, et qui la perdra la gagnera pour la vie éternelle». Perdons-nous donc, ma très chère Mère, et demeurons dans le pur abandon. Laissant à Dieu la conduite de votre âme, le Saint Esprit ne vous manquera pas.
Bienheureuse l'âme qui tend fidèlement à son Dieu par cette secrète et admirable voie de silence ! Ne vous en détournez jamais si vous ne voulez vous rendre infidèle. Que si, dans ce silence, l'on vous dit : que faites-vous ? vous ne savez ce que vous faites vous-même ; la foi nue est votre appui, vous contentant que Dieu le sait et le connaît. Ne vous épouvantez pour aucune tentation quelle qu'elle soit ; vous n'êtes point encore au bout. 11 y a des âmes qui en souffrent, dans cette voie, d'effroyables. Il faut que Dieu seul en pure foi vous suffise, et apprendre à vous passer de tout le reste. Si l'on vous dit que vous ne savez ce que vous adorez, vous êtes assurée en ce point ne pouvoir manquer, car vous adorez en esprit et vérité celui qui est, et vous l'adorez d'autant plus véritablement que vous le regardez par une foi simple, comme il est en lui-même, sans image et sans distinction. Fermez l'oreille à toutes les interrogations qui vous seront faites sur votre voie, contentez-vous de savoir que c'est votre chemin. Ne le quittez pas et ne vous mettez en peine de son obscurité ni des obstacles qui s'y rencontrent. Demeurez dans une amoureuse confiance en Dieu. Il y a beaucoup d'âmes qui arrivent jusqu'à certain degré d'oraison, mais elles ne passent pas plus outre. Sainte Thérèse dit qu'elle n'en sait pas la cause, et un autre dit que la faute vient de ce que nous avons encore trop d'amour et trop de réserve pour nous-même. Nous ne nous abandonnons pas assez à l'aveugle, sous les meilleurs prétextes du monde. Si je suivais mes pensées j'écrirais beaucoup sur ce sujet, et je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'en donne tant de petites lumières, vu l'abîme de mes infidélités et combien je suis loin de la pureté de cette voie. Il est vrai qu'il y a une grande distance de l'union dé l'amour -avec Dieu et de la sainteté qu'il faut avoir pour entrer dans le Ciel. 11 y achemine les âmes durant la vie et il les consomme à la mort ; c'est l'ouvrage de sa divine main. Pour vos péchés, ne vous mettez ,point en peine de les rechercher. Si Dieu veut de vous une confession extraordinaire, il vous donnera grâce et lumière pour la bien faire : ne vous en occupez pas. Demandez la sanctification de cette communauté, et pour mon âme un parfait anéantissement.
Je vous embrasse en l'amour pur et sacré de notre divin Maître et vous laisse dans son divin Coeur et entre les mains de sa très sainte Mère. Adieu, en Dieu, pour jamais, sans nous séparer de l'union sainte que nous avons en lui, à la vie et à la mort.
nu 988 N 267
A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL
Pentecôte 1679
D'e prie le divin Paraclet de vous remplir de sa lumière et de son feu, et qu'il fasse en vous toutes un divin incendie, pour y consommer tout ce qui pourrait s'opposer à trois choses que nous devons avoir incessamment dans le courant de nôtre vie : la première, regarder Jésus ; la deuxième, 's'unir à Jésus ; et la troisième, opérer en Jésus. Je vous supplie de demander ces trois choses au Saint Esprit pour moi, pour vous, [ et pour ] toutes les âmes qui sont dans notre Institut.
Ne vous affligez point de vos croix et des continuelles tribulations que vous souffrez. Vous êtes, ma toute chère, associée à Jésus, hostie et victime pour la gloire de son Père et pour les pécheurs. Vous devez souffrir et soutenir comme lui et avec lui, je veux dire en sa force et en sa vertu, tout ce que son bon plaisir vous envoie au dedans et au dehors de vous, sans vous réfléchir sur la nature qui gémit sous le poids, et qui crie quelquefois si haut. qu'elle retire l'âme de son fond et de son union à Jésus souffrant en elle, portant sa souffrance et la sanctifiant. Il ne faut point se regarder pour avoir pitié de son mal : nous perdrions courage à chaque rencontre. Mais souffrons et mourons avec Jésus. C'est ce qu'il veut et à quoi il vous a destinée. Soyez assurée qu'il est avec vous, que vous ne souffrez pas seule, que s'il fait votre croix par sa sagesse et son amour, il fait votre soutien par sa grâce et par son onction. Jésus vous est et vous sera toutes choses, et lorsqu'il vous manquera, vous serez responsable des accidents qui en pourraient arriver ; mais je suis certaine qu'à moins que vous ne l'abandonniez, il ne vous abandonnera pas. Demeurez ume à ce cher et adorable principe. Laissez-vous gouverner par sa toute aimable Providence, tout ira bien pour vous. C'est assez ; ni vous ni moi ne voulons rien dans son oeuvre, ni dans nous-même que pour sou plaisir. Je lui remets très souvent notre Institut entre les mains. Je me résous de le voir anéantir-si j'envisage
338 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 339
les événements, mais si je le regarde en Dieu, il peut tout. Il faut vivre dans la mort et marcher sans attache et sans réflexion : allons, allons à la croix... Pour les contradictions, il est impossible de les éviter ; il' vaut mieux les bien porter que de s'en affliger ; Jésus triomphera de ses ennemis et des nôtres. Ne craignons rien,, soyons fidèles à Dieu, et nous expérimenterons ses bontés et ses protections ineffables. On ne connaît jamais mieux les soins paternels de la bonté de Dieu que lorsque l'on est environné de croix.
Nous vous manderons ce que nous apprendrons des arrêts. Monsieur le premier Président a résolu de parler au Roi et lui représenter que les monastères ne sont pas si riches qu'il croit (1). On espère que tout se terminera avec moins de rigueur qu'on espérait. Mais, quoiqu'il arrive, tenez vos coeurs préparés pour recevoir la croix qui vous menace, et qui ne peut tomber sur vous qu'elle ne tombe sur moi plus violemment. S'il plaît à Dieu nous l'envoyer, il faut bénir son Saint Nom, et ce sera le châtiment que mes péchés méritent. Tout me serait doux s'il était sur moi seule et que les innocentes ne pâtissent point pour la coupable. Si Dieu veut me confondre, je n'ai pas le mot à dire : il est juste. Mais quoique je ne sois pas digne des regards de sa miséricorde, je ne puis cependant que je ne me confie en sa bonté pour l'amour de lui-même, espérant qu'il n'abîmera point son oeuvre absolument, quoiqu'elle soit en toutes manières fort agitée. Il faut attendre son secours en la manière qu'il lui plaira nous le donner, et ne nous point trop affliger des bouleversements dont nous sommes menacées. Laissons faire Dieu : il est plus puissant que nous pour défendre ses intérêts. Il fait que nous n'avons d'appui qu'en lui seul, et.que nous ne demandons point de meilleure protection. Tout est dans sa divine main, le bien ou le mal, le triomphe ou la honte, l'honneur ou le mépris ; qu'il fasse selon son bon plaisir. C'est ici où il faut que je meure et que je sois ensevelie dans les ruines de tous mes dèsseins, qui me semblent cependant n'avoir été formés que pour sa gloire. Mais, comme je ne suis que corruption et que tout ce que je fais mérite d'être anéanti, je tâche de me tenir prête à tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur qui fera justice de m'abîmer dans toutes sortes d'abjections. Et je suis bien aise de n'avoir point d'appui chez les créatures, ni de défense chez les souverains j'attends de Dieu immédiatement toutes choses. 11 sera toujours adorable en tout ce qu'il permettra m'arriver ; je le bénis et l'adore par avance en me tenant sous ses pieds. Faites de même, je vous supplie, et lui offrez les amertumes de mon coeur
(1) Dès 1663 Colbert, peu favorable à la vie monastique, avait fait entreprendre une enquête dans le but de connaître le montant exact des revenus des monastères qu'il croyait très riches. L'affaire fut portée devant le Saint-Siège en 1668 et les soupçons du ministre furent reconnus comme tout à fait injustifiés. La plus grande partie des revenus monastiques était perçue par les abbés commendataires. Mais une nouvelle tentative reprit en 1671 et l'on s'efforça même de restreindre les nouvelles fondations. Mère Mectilde aura aussi à souffrir de ces mesures restrictives lorsqu'elle voudra ouvrir un second monastère à Paris. Il semble bien que cette lettre fait allusion aux difficultés créées par Colbert. Dom Martène, op. cit., vol. XXXI V, t. IV, p. 177-178. Ligugé, 1930.
au regard de cette oeuvre et tout ce qui y est compris. C'est une rude croix pour l'amour propre qui n'y voudrait voir que pureté et sainteté. Redoublez votre confiance en Dieu, et ne vous effrayez d'aucune chose ; arrive qui pourra, tout est dans la main du Seigneur ; c'est où il se faut fixer et demeurer solidement en patience. Laissez crier les gens ; je ne crois pas qu'ils rompent vos portes, et s'ils en venaient là, ce serait une bonne chose pour nous pourvoir devant le roi.
Ce petit mot sera un témoignage que je pense à vos intérêts, et que vos affaires et toute la petite maison me tient au coeur. Je vous prie, ne vous affligez de rien ; tout ce que l'on vous dit n'est pas toujours vérité, et ce qui tend à vous abattre sera un jour confondu. Ayez bon courage, relevez votre confiance, et soyez d'autant plus ferme que vous avez moins d'appui humain, Notre Seigneur me fait la grâce d'expérimenter le faible des créatures et combien il y a peu de sujet d'y faire fond d'appui. Vous savez combien Madame de N. nous aimait. Cependant sans savoir ni pourquoi, ni comment elle s'est choquée, elle redemande les fondations qu'elle a faites. Jugez si cela est raisonnable, et quel fond on peut faire sur tel sujet. J'espérais bien le contraire, et voilà tout renversé de ce côté là. Tout de même de Madame N. qui m'avait donné parole etc..., et après en avoir fait les remerciements, il n'y a rien eu pour nous que l'affront que j'en ai reçu. J'en espérais encore d'un autre côté, mais c'est la même chose ; tout se confond. Je fis hier mon oraison sur ce renversement d'appui humain, et mon âme entra dans une forte confiance en Dieu seul. Je connus bien que jamais je n'avais eu de vraie foi ni de confiance en Dieu. Je fus dans une très grande joie intérieure de me voir trompée des créatures, et que je ne savais où donner de la tête pour trouver de l'argent pour achever de bâtir (2). Je me jetais à corps perdu et tout le bâtiment entre les mains de Notre Seigneur abandonnant tout à sa sainte volonté. Je suis néanmoins dans une secrète confiance que sa bonté y pourvoira d'une façon que je ne comprends
(2) Dans une lettre écrite de Rouen à la Mère Anne du Saint-Sacrement vers le mois de juin 1679, elle dit : « Je vous prie de considérer que nous ne bâtissons pas pour nous, mais pour celles qui viendront dans la suite... Je ne prétends pas donner... mon consentement à aucune vanité, ni embellissement curieux qui tirent hors de la simplicité religieuse... ». Comme l'on travaillait au bâtiment et que l'on mettait la couverture, en décembre 1679, un jeune couvreur tomba d'un troisième étage sur une pierre de taille ; cet accident toucha la Mère Mectilde sensiblement, et elle en demeura sans paroles, sans néanmoins négliger le salut de cette âme, qui était ce qui lui tenait plus à cœur, puisqu'elle se mit en même temps à genoux devant une image de l'Immaculée Conception pour lui demander le salut de cet infortuné. La hauteur dont il était tombé fit juger d'abord qu'il était mort, le voyant sans paroles et sans connaissance. Après quelque espace de temps il se plaignit disant qu'il avait les reins rompus. On fut avertir cette digne Mère qui était encore en prière, lui disant qu'on espérait qu'il n'en mourrait pas. Elle répondit : « Je ne demande point sa vie ; ce n'est que pour son âme que je prie quand il sera dans les dispositions qu'il doit être pour bien mourir, Notre Seigneur fera ce qu'il lui plaira ». On l'étendit sur un lit de repos pour le porter à la Charité, où il vécut encore plusieurs jours et y mourut très chrétiennement après avoir reçu tous ses sacrements. On tient que la fervente prière de cette charitable mère lui obtint par l'entremise de la sainte Mère de Dieu cette grâce, car c'était un jeune homme qui venait de l'armée et qui, n'ayant pas trop de dévotion ni de piété, avait besoin de ce secours. Et l'on a regardé comme une très grande miséricorde de Dieu qu'il n'ait pas été tué tout roïde. C'est le témoignage qu'en ont rendu ceux qui le virent tomber. P. 101, p. 912 - 914.
340 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 341
pas : il soit à jamais béni ! On ne sait ce que c'est de foi nue si les appuis des sens ne viennent à défaillir ; mais quand on ne trouve plus rien aux créatures, on s'abandonne plus facilement au créateur. Ceci, joint à d'autres petites occasions, donne de quoi offrir à Dieu plusieurs sacrifices durant la journée.
Priez-le, très chère Mère, qu'il se glorifie de tous nos petits événements, et que je sois à lui de la bonne manière. Le déplaisir encore, que j'ai eu ces jours passés, fut une pièce qu'un ecclésiastique nous a faite chez les Pères Jacobins. Nous avons tâché de la réparer. Il ne faut pas penser vivre sans contradiction ; la vie en est toute pleine, mais tout est bon quand on le regarde en Dieu. Communiez les dix vendredis pour obtenir ce que vous demandez, et tâchez de vous bien fixer en Jésus Christ. Agissez purement pour lui seul et n'attendez rien des créatures, mais ne laissez pas de les servir comme membres de Jésus Christ. Quand on agit avec un saint dégagement, de quelque manière que les affaires tournent, nous serons toujours contentes. Il ne faut pas toujours parler de Dieu durant les conférences, cela surchargerait trop les faibles ; la charité, dit Saint Paul, s'accommode à tout.
n"1311 N267
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
1679
Jésus soit le commencement, le milieu et la fin de nos années !
c'est en lui et par lui que nous devons commencer et finir. Il faut
que son esprit nous environne et que son amour soit notre centre et notre mouvement. Je le prie de tout mon coeur, mes très chères, qu'il vous tire dans son sacré Coeur et que vous soyez toutes cachées en lui ; que rien ne soit plus en vous de vous-même, mais qu'il soit la vie de votre esprit.
Si je ne savais que sa bonté vous comble de ses divines miséricordes, j'aurais bien de la douleur d'être si longtemps sans vous donner des marques de mon souvenir et [ sans vous redire ] que vos chères lettres ne me sont point ennuyeuses. Mais la Providence, qui est la maîtresse de tout, a si bien ménagé toutes choses qu'elle m'a mise dans quelque sorte d'impuissance de satisfaire à ce que mon affection désirait de vous rendre de service et de secours dans vos besoins.
Prenez courage : vos fidélités confondront l'enfer et les démons qui ne peuvent souffrir danS la ville de Toul la Maison du Très Saint Sacrement. Il faut prendre patience ; nous ne serons pas toujours dans l'oppression. Notre Seigneur permet qu'on vous persécute pour épurer vos vertus ; mais, après tout, c'est lui-même qui est persécuté en vos personnes et qui souffre les contradictions des hommes pécheurs dans son divin Sacrement. Nous avons une très longue expérience qu'il veut être le monarque et le souverain, et la très Sainte Vierge notre reine. Il faut premièrement avoir recours à ces augustes et célestes Majestés ; après, nous irons à celle de la terre. Mais ma pensée est qu'il n'en sera pas besoin. Redoublons notre confiance et espérons contre toute espérance : c'est là où la bonté de Dieu éclate et où sa divine Providence fait ses coups. Je sais bien qu'il est dur et fâcheux de vivre toujours en peine ; mais vous trouverez dans le livre de l'Amour divin de saint François de Sales une histoire qui doit être votre règle. C'est d'un peintre qui demeurait dans la ville de Rhodes (1) et qui fit, du temps qu'on assiégeait la ville et qu'on lui tenait souvent le pistolet sur la gorge, le plus rare chef-d'oeuvre de la nature par son art de peinture, sans que les coups de canon ni autres alarmes lui fissent manquer d'un trait.
Il faut que, durant toutes les persécutions que vous souffrez et les coups de langues que l'on tire contre vous, vous soyez fermes, constantes et inébranlables, sans discontinuer votre paix, votre foi et votre confiance en la bonté de Notre Seigneur et de sa très Sainte Mère et sans manquer les plus beaux traits de l'amour et de la conformité à Jésus Christ et de sa belle et précieuse image qu'il peint lui-même au fond de vos coeurs. Ne vous troublez donc point ; celui est bien gardé que Dieu garde. Servez-le toujours bien et vous expérimenterez ce que peut sa puissance pour vous défendre de vos ennemis. Notre Seigneur sera le maître. Priez-le qu'il me rende digne d'être en son saint amour pour jamais...
no 1542 N267
(1) « Démétrius tenant le siège devant Rhodes, Protogène (peintre célèbre qui vivait à Rhodes vers 336 av. J.C.), étant en une petite maison des faubourgs ne cessa jamais de travailler mais avec tant d'assurance et de repos d'esprit, qu'encoré qu'on lui tînt presque toujours l'épée à la gorge, il fit l'excellent chef-d'oeuvre d'un satyre admirable qui s'égayait à jouer du flageolet ». cf, Saint François de Sales. Traité de l'amour de Dieu, livre IX, chap. XV.
A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL
[ 1680 au plus tard ]
Cr 'est un peu tard, ma toute chère Mère, que je vous souhaite la bonne et sainte année, suivie d'un grand nombre de pareilles pour la gloire de Notre Seigneur. Ce n'est pas vous faire plaisir que de vous désirer une longue vie, mais il faut. l'agréer pour travailler à la vigne du Seigneur qu'il a confiée à vos mains et sous votre conduite. J'écris à nos chères Soeurs vos filles qui m'ont écrit. Elles ont besoin d'être encouragées à s'oublier d'elles-mêmes pour être toutes abandonnées aux voies que la grâce tient sur elles pour les anéantir.
342 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 343
Elles demeurent trop longtemps, par timidité intérieure, réfléchies sur leur misère ; elles s'en occupent trop. Il faut qu'elles meurent à toutes les tendresses qu'elles ressentent sur leurs péchés, et je crois qu'au lieu d'y mourir elles s'efforcent d'y vivre en se reprochant leur dureté.
11 y a telles âmes qu'il faut comme tirer de cette sensibilité, parce qu'elle n'est pas opérée par la grâce. Il faut sentir sa corruption, mais sans accablement. On n'est que cela, pourquoi s'en tant étonner ? Cela vient d'une superbe secrète qui ne veut point porter l'abjection du fond malin sous prétexte de l'offense de Dieu. Or Dieu n'est point offensé par les vues ni les sentiments de notre fond, mais bien par les oeuvres de péché qu'il ne faut point commettre. Le reste est bon à sentir et souffrir ; il ne s'en faut pas tourmenter. Encouragez-les à bien souffrir ; c'est en cela qu'elles sont victimes, et qu'elles souffrent pour les intérêts de Notre Seigneur au mystère de notre adoration.
Dites-leur bien que la simplicité fait des miracles dans les âmes, et que c'est par cette vertu que l'obéissance est parfaite et qu'elle nous fait entrer en union d'état avec Jésus Christ au Très Saint Sacrement. Toute la perfection religieuse se renferme dans l'obéissance. Je vous prie de les exhorter à obéir sans raisonnement. Si elles donnent lieu à ce vice, le démon les fera tomber en mille fautes, et jamais elles n'auront de forces pour soutenir vigoureusement ses combats. C'est par l'obéissance que Jésus a triomphé du péché et de la mort. L'âme qui meurt incessamment par la fidèle pratique de l'obéissance meurt à elle et vit à Jésus Christ et se, sanctifie infailliblement. Mon expérience me fait voir que tout consiste à cette précieuse vertu.
Pour vous, ma toute chère Mère, il ne vous manque que la santé, car la besogne est grande. Je prie Dieu qu'il vous en donne, et qu'il me donne la consolation de vous revoir. Si Dieu nous donnait une paix cela serait bientôt. Mais, hélas ! nous ne savons ce que nous deviendrons. Il faut s'abandonner à tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur.
Prenez courage, ma très chère Mère, et ne vous rebutez point de la croix, on ne peut l'éviter en la place où vous êtes. Je vous dirais plusieurs choses si j'avais un peu plus de loisir, mais il faut finir pour mille autres choses qui me pressent.
Pour ce qui est de Rouen je ne sais quand il plaira à Notre Seigneur d'y terminer nos affaires. Je laisse tout à sa Providence après y avoir fait ce que j'ai pu.
Je suis toute à vous, ma toute chère Mère, en celui qui fait dans le temps et l'éternité le lien de nos coeurs en son amour. Je salue très cordialement toutes vos chères filles et me recommande à leurs saintes prières.
A MADEMOISELLE SA NIÈCE
13 mars 1680
a'est avec une sensible douleur, Mademoiselle ma très chère nièce, que j'apprends par Monsieur de Valfleury (1) et ma chère nièce, votre fille Gertrude, l'extrémité où est réduit Monsieur de Vienville. Je ressens votre affliction ; elle pénètre d'autant plus vivement mon coeur que je vous en vois si accablée qu'il sera comme impossible de survivre à votre perte qu'il y a longtemps que je prévois.
Ce qui vous peut consoler, c'est qu'il a éu la grâce de faire ses dévotions avant que d'être surpris de cette fâcheuse apoplexie, et qu'il meurt apparemment comme un bôn serviteur de Dieu, ayant tâché de mettre ordre à ses affaires.
Je sais que son éternité vous est mille fois plus considérable que tous les intérêts du monde, et que vous savez trop bien que nous ne vivons que pour mourir, que c'est une loi indispensable à tout le monde ; c'est le châtiment du péché qu'il faut subir puisqu'aucune créature ne la peut éviter.
Je n'ai pas besoin de vous exhorter de vous conformer à la très sainte volonté de Dieu ; il faut vouloir ce qui lui plait et comme il le veut, puisqu'il est juste qu'il dispose de son ouvrage, et à nous d'adorer ses conduites.
Je vous prie, ma très chère nièce, de prendre courage et de ne vous point laisser tomber dans l'accablement. Vous avez des enfants qu'il faut soutenir et tâcher d'établir (2), Plût-il à Dieu qu'elles voulussent être toutes trois religieuses, mais il les faut laisser choisir leur sort que je leur souhaite heureux pour leur salut. Je voudrais être au pays pour vous consoler et servir dans vos besoins ; mais, ma chère enfant, jetez-vous entre les bras de la très Sainte Vierge et prenez saint Joseph pour votre protecteur dans votre état présent. Priez le d'être le père de votre petite famille, et lui recommandez toutes vos affaires et surtout l'établissement de vos chères filles.
(1) Valfleury, canton de Saint-Chamond (Loire). Prieuré dédié à Notre-Dame, fondé le 20 septembre 1052 par le roi Henri ler et dépendant des bénédictins de la Chaise-Dieu uni à Savigneux vers 1414. Ayant besoin de réforme on pensa aux Mauristes. Mais, en 1663, l'archevêque de Lyon forma le projet d'y établir un séminaire et l'attribua aux lazaristes en 1687. Valfleury est un lieu de pélerinage à Notre-Dame, célébre dès le X le siècle. Il tomba en décadence au XVe siècle. Les fils de saint Vincent de Paul le relevèrent. La statue miraculeuse, cachée sous la Révolution, a été replacée dans l'église paroissiale. La source miraculeuse coule toujours dans la crypte. C'est le sanctuaire le plus populaire du diocèse de Lyon après Notre-Dame de Fourvière. Cf. Archives• de la France monastique, vol. XXXVI I ; Abbayes et Prieurés, Ligugé, IX p. 135. M. Colinon, Guide de lu France religieuse et mystique, Centurion, 1969, p. 625.
(2) Françoise Lhuillier, épouse de Claude Gaulthier de Vienville eut trois filles : Françoise Gertrude, née le 15 janvier 1657, qui demeura près de Mère Mectilde comme dame pensionnaire au monastère de la rue Cassette : elle mourut à Saint-Dié le 28 août 1733. Marguerite, née le 2 novembre 1658, épousa le 3 juin 1686 Jean-François Humbert, comte de Girecourt. Elisabeth Catherine, née le 17 mars 1660, insigne bienfaitrice du monastère de Rambervillers, décéda rue Cassette en 1747.
n" 224 N 267
344 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 345
Monsieur Lhuillier (3) n'est pas encore de retour du voyage du Roi où il a suivi Monsieur de Guise. Je serais d'avis qu'il vous allât trouver pour vous aider et servir dans votre affliction. Je croirais utile pour vos affaires, et, s'il peut obtenir son congé, il partira incontinent.
Cependant, nia bonne et très chère nièce, il faut que votre sacrifice soit généreux et qu'il vous attire les grâces du Ciel pour embrasser la Croix et vous soumettre aux très saintes volontés de Dieu.
Ce me serait un grand repos si je vous pouvais tenir auprès de moi, mais, dans le présent, voyons ce qui se peut faire.
Je suis bien aise que Mademoiselle Gérard (4) soit auprès de vous ; je l'embrasse de tout mon coeur et la prie de ne vous point abandonner dans votre affliction.
Je salue mes chères petites-nièces et les prie de vous donner toute sorte de contentement.
Mon coeur ressent votre douleur ; je ne cesserai de faire prier Dieu pour le cher défunt et pour vous.
J'ai mille obligations à Monsieur de Valfleury qui vous a rendu de si bons services dans cette extrémité d'affliction.
Notre chère Mère Sous Prieure de l'Hospice [Mère Bernardine de la Conception Gromaire( lui écrit pour moi et vous assure de son affection.
A Dieu, ma plus chère nièce, je vous embrasse de tout mon coeur et prie Notre Seigneur être votre force et votre consolation, c'est les désirs de votre fidèle servante.
n" 178 T8
(3) Nicolas Lhuillier, écuyer ordinaire de S.A.R. la duchesse d'Orléans, est le frère cadet de Françoise Lhuillier.
(4) La soeur de Françoise Lhuillier, Marguerite, avait épousé Gérard de la Gràndmaison, capitaine au régiment de Lhuillier, natif d'Essey en Voivre (actuellement Essey-et-Maizerais, Meurthe-et-Moselle), annobli par Charles IV à Nancy le 11 novembre 1667. Mort sans descendance. C'est peut-être pour cela que, dans la lettre du 14 février 1686, Mère Mectilde écrit à sa nièce Françoise : « Je vous recommande votre chère soeur ; elle aura soin de vos chères filles ».
peine de m'y soumettre, et que j'en ai été toute pénétrée de douleur et d'angoisse, mais je vous dirai à vous seule, nia plus chère Mère, qu'à la très sainte communion il m'a semblé que Notre Seigneur m'a dit qu'il se trouvait avec sa très sainte Mère pour soutenir le poids, et que ce serait lui et elle qui présideraient et soutiendraient tout. J'en ressentis les effets dans le moment me trouvant dans un grand calme avec une douce indifférence, me semblant que Notre Seigneur et sa sainte Mère étaient en moi qui recevaient cette charge. Priez-les, ma plus chère Mère, qu'ainsi soit-il, et que ce ne soit pas moi, mais que ce soit leurs esprits saints qui conduisent toutes choses.
J'espère vendredi le matin être à la nouvelle maison (1), et puis aller dîner avec vous, ma plus chère Mère,et avec nos très chères Soeurs que je salue cordialement. Je ne pus hier répondre à la chère Mère Sous-Prieure, mais s'il plaît à Dieu, vendredi nous suppléerons. Je la salue de tout le coeur. Mille bonjours, mon unique et plus chère Mère ; je suis encore tout de nouveau toute à vous.
J'ajoute, mon unique Mère, ce petit mot à celle que je me suis donné l'honneur de vous écrire ce matin, sur celle que votre bonté me vient d'écrire,. pour vous dire que je n'ai pas été triste depuis ; ce que je vous mande se passa en moi si doucement que Notre Seigneur a tout soutenu avec sa très sainte Mère. Il est vrai que je me retirai à notre chambre après none, mais je ne me souviens point d'y avoir jeté des soupirs ; au contraire je me jetai sur notre lit où je m'endormis assez doucement près d'une heure, ce qui me donna plus de forces, car j'étais lasse: Le Révérend Père Prieur (2) a fort contenté la Communauté. Il en a. usé autant bien qu'il se pouvait.
n" 470 P 104 bis
(1) Le petit « hospice » de la Porte Montmartre, rue Saint-Marc.
(2) Dom Claude Boistard (1620-1709) avait fait profession à Saint-Augustin de Limoges le 19 décembre 1640. Elu prieur de Saint-Germain-des-Prés au chapitre de 1678, il le demeura six ans. Il fut supérieur général de la congrégation de Saint-Maur de 1687 à 1705.
A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL
A UNE PRIEURE
[Mère Bernardine de la Conception Gromaire]
3 juillet 1680
est bien juste, mon unique et plus chère Mère, que je vous rende
grâce de vos saintes prières et de toutes celles de vos chères filles, qui m'ont attiré du ciel la grâce de soutenir le poids dont il a plu à Notre Seigneur me recharger. Je le prie que ce soit pour sa gloire et la sanctification de tout l'Institut. Il faut avouer que j'ai eu une très grande 1683
ar-'apprends de vos enfants, ma toute chère Mère, l'état périlleux que nous n'attendions pas. J'en suis très sensiblement touchée, et la crainte que Notre-Seigneur ne vous transfère de la terre au Ciel me le fait prier ardemment de vous laisser encore travailler à son oeuvre, puisqu'il me semble que j'en vois un extrême besoin. Ce qui m'oblige de vous prier de ne vous y point opposer ; ce retardement augmentera vos mérites, et pour la gloire de Notre Seigneur et pour notre consolation et [celle] de toutes vos très chères filles, qui sont, aussi bien
346 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 347
que moi, toutes pénétrées de douleur. Faites de votre côté ce qui vous sera possible pour votre guérison ; n'épargnez rien, je payerai toutes choses et, pour Dieu, faites tout ce qu'il faut faire pour vous tirer de cette grande maladie. Nous en sommes toutes touchées. J'étais à l'hospice [Porte Montmartre I hier où j'ai reçu cette affligeante nouvelle ; toute notre joie en fut troublée. Je les laissai en douleur et notre bonne Mère [Bernardine de la Conception Gromaire] plus que toutes, qui n'a plus de santé et que je vois sensiblement s'approcher du tombeau. J'adore Dieu au-dessus de mes sens, et tâche de me rendre à ses adorables volontés, quoique le sacrifice d'elle et de vous me soit une mort terrible. Il faut la soutenir quand il lui plaira. Je ne laisse de le supplier de vous conserver pour la gloire et le bien de l'Institut; j'attendrai de vos nouvelles avec impatience. Je supplie Notre Seigneur et sa très sainte Mère de me les donner bonnes. Je vous embrasse, ma très chère Mère, du plus tendre de mon coeur.
n" 863 N 267
La petitesse d'esprit consiste à une soumission de jugement, à un saint mépris de son propre sens et à n'être rien au dedans de vous-même non plus qu'au dehors. Nous en dirons davantage une autre fois. Pensez-y pourtant en la présence de Notre Seigneur et craignez un secret appui en vous-même. C'est pourquoi simplifiez-vous intérieurement autant qu'il vous sera possible. Ne manquez de nous écrire à chaque ordinaire, car je languis jusqu'à ce que votre malade soit mieux. Ne m'oubliez pas en vos saintes prières.
n" 442 N267
A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION IGromairel
Prieure de l'hospice de la rue Saint-Marc
A UNE RELIGIEUSE DE TOUL
1683
fiélas ! j'attends comme une manne du Paradis un peu de bonnes
nouvelles. Celles que j'ai reçues hier en date du 26 du courant ne me consolent guère. Je suis toujours en transe de faire aussi continuer les prières. Voilà un grand mal pour une personne aussi usée que votre bonne et digne Prieure. Je l'ai, ma très chère fille, toujours à l'esprit et, comme la bienheureuse Marie des Vallées (1) fait quantité de miracles, je la prie et vous aussi d'y avoir recours. Ne cessez point que vous n'obteniez sa santé. Cependant, embrassez cette chère Mère pour n-loi, et lui dites de la part de Dieu que je lui défends de mourir.
Je ne vous dis rien pour cette fois de votre intérieur ; j'ai trop peu de loisir. Je prendrai du temps pour vous dire ce que Notre Seigneur me donnera sur votre disposition. En attendant soyez bien obéissante et vous étudiez à une profonde humilité d'esprit. Je sens en fond que cette chère vertu manque à votre âme. Notez que je dis d'esprit. Souvenez-vous des paroles de Notre Seigneur : « SI VOUS N'ETES FAITE COMME UN PETIT ENFANT VOUS N'ENTREREZ POINT AU ROYAUME DES CIEUX »
Mt. 18,1
(1) Née à Saint-Sauveur-Lendelin, au diocèse de Coutances, le 15 février 1590 ; décédée à Coutances le vendredi 25 février 1656.
i.e soutien de Saint Jean Eudes dans certaines de ses fondations a connu autant d'approbations que de violentes critiques en raison des phénomènes mystiques assez extraordinaires dont elle était l'objet. Mère Mectilde avait grande confiance en l'intercession de celle qu'on appelait la « sainte de Coutances ». Cf. Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Plon Nourrit, Paris, 1926 ; R.P. Georges. Saint Jean Eudes, Lethielleux, Paris 1936.
25 février 1683
Ue suis, mon unique et plus chère Mère, bien sensiblement touchée
de l'état souffrant où sont toutes nos chères filles ; je voudrais de tout mon coeur les pouvoir soulager. Je crois qu'elles ont trop de fatigue pour l'adoration de Li nuit. Il faut voir comment on pourrait les dispenser de quelques heures, ou bien voir si ce n'est point qu'elles ne sont pas bien nourries. Je croirais qu'il y aurait peut-être quelque chose de cela, ou bien qu'elles sont trop austères ou trop tristes. Je croirais bien que ce dernier l'emporterait, car la tristesse tue le corps aussi bien que l'esprit. Voyons les remèdes que l'on y peut apporter ; ce sera de ma part de tout mon coeur. Il nous faut tout remettre à Dieu, il est le maître de tout, et nous bien persuader que l'état de véritable victime coûte quelque chose. Je crois que Notre Seigneur nous veut toutes dans la mort pour ne plus vivre qu'en lui. Je vous assure qu'il lui faut tout céder, car autrement nous n'aurions point de repos avec lui. Il sait bien qu'il est le maître de ses créatures, et nous le croyons aussi, et que, par conséquent, il doit agir sur elles en souverain, et nous, nous devons toujours être anéanties par une parfaite soumission à ses volontés.
J'embrasse toute la chère communauté de tout le coeur en attendant la consolation de les voir, comme je l'espère, la première semaine de Carême, si Notre Seigneur me prête la vie. Millions de bonjours. Ce lundi matin 25 février, ce jour [ anniversaire Ide la mort de notre bienheureuse Marie des Vallées ; priez-la pour moi, je vous supplie.
n" 1127 Cr C
348 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 349
A MADEMOISELLE SA NIÈCE
14 février 1685
'apprends avec douleur, Mademoiselle ma très chère nièce, l'indisposition où vous êtes tombée. Mais comme nous dépendons de Dieu et que nous sommes en sa puissance, nous devons toujours nous
tenir dans ses divines mains pour agréer ses divines volontés. Vous
saurez, ma très chère nièce, que nous n'avons point d'heure ni de moment assuré, mais que la meilleure disposition est de nous tenir prêtes
pour retourner à Dieu. La première chose qu'il faut faire est de sépa-
rer votre coeur de tous les biens de la terre et de remettre vos chères filles sous la protection de la très auguste Mère de Dieu et, après vous
être confessée et [avoir] communié, faire promptement votre testament,
en cas que vous ne l'ayez pas fait ; ordonnez des bonnes oeuvres et des aumônes. Heureuses les âmes qui portent la lumière devant elles;
celles que l'on porte après ne sont pas si méritoires. Dieu vous a donné du bien, n'oubliez pas les pauvres. Que servira d'avoir possédé des biens sur la terre si nous ne nous en servons pour gagner le Ciel ? C'est ma très chère, ce que vous devez faire.
Quant aux choses qui donnaient de l'inquiétude à votre esprit, séparez votre esprit de tout cela pour demeurer dans une amoureuse con-
fiance en la bonté de Notre Seigneur. Ce ne sera pas sur cela que vous serez jugée, je vous en assure, mais sur le dégagement de votre coeur des choses de la terre. Rien ne le doit occuper que Dieu et les bonnes oeuvres que vous devez faire pour sa gloire et votre salut.
Allons, ma très chère nièce, allons à Dieu, retournons dans le bienheureux centre dont nous sommes parties. Nous ne sommes pas de ce mon-
de, ce n'est pas notre patrie. Nous y sommes pour opérer notre salut, mais comme des voyageurs qui ne font que passer, sans s'arrêter à ce qui se rencontre en leur chemin.
Je vous estime heureuse d'avoir encore un peu de temps pour vous bien attacher à Dieu. Ces sortes de maladies sont fort affligeantes par-
ce que, pour ordinaire, elles tuent tout d'un coup les personnes qu'elles attaquent. Notre Seigneur vous a fait la grâce d'en revenir pour un peu de temps, niais vous le devez employer pour le grand retour qui terminera votre éternité. Ne vous affligez pas de quitter vos chères filles : elles sont à Dieu et la Très Sainte Vierge en aura soin. Tenez votre esprit fort libre et saintement dégagé de toutes choses. S'il était possible, je me désirerais auprès de vous pour consoler votre âme et vous aider à ce passage de votre retour à Dieu, mais je vous rendrai visite en esprit et ferai bien prier Notre Seigneur et sa très Sainte Mère pour vous.
Prenez courage, très chère nièce, nous nous reverrons dans l'éternité, je vous la désire heureuse.
N'ayez point de regret de quitter une vie si misérable, mais réjouissez- vous d'aller à Dieu. Je vous embrasse en son amour du plus tendre de mon coeur ; vous ayant toujours aimée, je continuerai jusqu'à la mort. Vos chères filles, Monsieur et Mademoiselle Gérard trouveront ici les assurances de mon souvenir.
Je vous recommande votre très chère soeur : elle aura soin de vos chères filles si Notre Seigneur dispose de vous. Je le prie qu'il vous conserve en vous rendant une meilleure santé pour sa gloire et votre salut.
Je suis en lui tout à vous, ma très chère nièce.
n"857 T8
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION 'Gromaire!
Samedi 12 mai 1685
e viens, ma chère et unique Mère, vous dire que ce matin à quatre
heures et demie, Notre Seigneur nous a enlevé notre chère Mère de Saint Joseph si doucement qu'à peine s'en est-on aperçu. Je crois que la très Sainte Mère de Dieu l'a reçue et qu'elle ne sera pas longtemps sans posséder la gloire. Je ne vous la recommande pas : votre charité est trop grande. Je vous supplie de le mander à nos Maisons de Lorraine, je n'en ai pas le loisir.
Ne soyez point en peine de moi ; je ne me fatigue point, mais vous, ma toute chère Mère, conservez-vous au nom de Notre Seigneur..
n" 1605
350 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 351
Jeudi 4 novembre [ 1688
e ne voudrais pas, mon unique et plus chère Mère (1), vous presser
de revenir. Si vous êtes un peu mieux avec nos chères Mères qu'avec nous, je ne voudrais pas vous contraindre, mais cependant, ma plus chère Mère, je voudrais vous prier de revenir. Mes nièces sont comme tombées des nues ne vous trouvant point ici, et moi je transis de ne vous point voir. Hélas ! j'ai été si longtemps éloignée de votre chère personne. Revenez donc, très chère Mère, revenez avec moi. Je ne peux plus souffrir votre absence.
Mon pied est toujours enflé, quoique je ne marche pas. Il faudra un peu de temps qui me mortifie beaucoup, car je désire ardemment d'aller embrasser mes chères Mères. Je les salue de tout mon coeur en attendant que je puisse avoir la consolation que je désire. Je suis bien en peine de la chère Mère Prieure (2) qui est plus mal, je voudrais bien la pouvoir soulager. J'ai bien de l'impatience d'apprendre la délivrance de Monsieur Féret (3). Il faut faire manger de la viande à la chère Mère Prieure ; ordonnez-lui, ma très chère Mère, de prendre plus de soin de sa faible santé.
J'ai donné ordre à ma Soeur Rose de vous mener un carrosse pour vous ramener, afin que je puisse avoir la chère consolation de vous embrasser, car, depuis mon retour (4), je n'ai possédé ce bonheur qu'un petit moment. Venez, mais sans contrainte, ma plus chère Mère.
n" 1220 Pl n" 14
Pour
Mon unique et plus
chère Mère Lancienne
prieure de Rambervilliers.
(1) Cette lettre fait partie des autographes de Mère Mectilde conservés dans nos archives ainsi que les lettres n" 843 - 986 - 1642 - 1606 - 2779 - 1609. Nous en avons modernisé l'orthographe et parfois la ponctuation pour en faciliter la lecture. niais nous avons conservé la souscription et l'adresse telles qu'elles sont écrites par Mère Mectilde sur une feuille blanche qui devait servir d'enveloppe,. les plis étant encore visibles. Cette lettre est adressée à Mère Bernardine de la Conception Gromaire.
(2) Mère Marie de Saint François de Paule Charbonnier, élue prieure le 21 mars 1685, décédée le 18 avril 1710 à Paris.
(3) lI était un insigne bienfaiteur du monastère.
(4) Mère Mectilde fait allusion à son voyage à Chatillon-sur-Loing où elle venait de fonder son huitième monastère sur les terres de la princesse de Meckelbourg. La première Exposition du Saint Sacrement avait eu lieu le 21 octobre précédent.
A MÈRE M. DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER
décembre 1688
Mon Dieu, ma chère Mère, est-il vrai que vous êtes un peu mieux ? Le puis-je croire, si je ne le vois de mes yeux, quoique notre chère
Soeur de la N. (1) me le veut persuader. Mais quand il a paru de l'amendement en votre maladie, nous avons eu tant de revers que nous vous avons cru demie morte. C'est ce qui nous fait encore trembler. Certes, ma plus que très chère Mère, on ne peut pas être plus touchée que je l'ai été à votre sujet. Dieu seul connaît les gémissements et la frayeur que j'avais qu'il ne confondît les désirs de mon coeur. Je sais que je le mérite, mais je lui présentais l'Institut et la nécessité que nous avions de votre personne. Enfin il semble qu'il a exaucé les voeux de vos très chères Filles, comme le méritant cent mille fois mieux que moi. J'entre dans leurs reconnaissances, et en rends grâces à Dieu autant que je le puis. Mais au moins que ce soit tout de bon, et pour longues années Je sais bien que je ne vous fais pas de plaisir, et que la mort vous plairait plus que la vie, si vous considérez vos intérêts, mais il faut encore vous sacrifier et dire avec le grand saint Martin : « DOMINE SI ADHUC POPULO TUO SUM NECESSARIUS, NON RECUSO LABO-REM »(2). Je le crois, ma toute chère et plus que très chère Mère, que vous êtes encore nécessaire, et qu'il faut que toutes choses soient bien établies avant que de les abandonner. C'est à quoi nous tâcherons de travailler, et pour vous en rendre capable, je vous conjure de faire tout votre possible pour vous bien porter. Faites-vous soulager, n'épargnez rien, je ferai satisfaire à tout. S'il plaît à Notre Seigneur, il nous donnera du secours ; je l'espère de sa miséricorde par sa très Sainte Mère. Nous chanterons le TE DEUM, quand vous m'assurerez vous-même que vous êtes mieux ; mais ne me flattez point, car cela tue quand la vérité ne suit point la parole. Ne faites point d'effort pour me consoler de vos lettres ; je n'en veux point recevoir qu'après les Rois. Je sais la peine qu'on a d'écrire au retour d'une grande maladie ; ne vous efforcez point. Ma chère Soeur de la N. le pourra faire pour me dire ce que vous voudrez. Donnez-vous du repos et vous' réjouissez en Notre Seigneur. Je vous écrirai plus amplement quand vous serez mieux. Cependant il faut vous fortifier, car la nécessité veut que je vous voie pour des affaires que je ne peux écrire. Nous prendrons nos mesures s'il plaît à Dieu nous faire vivre et qu'il nous donne la paix comme on l'espère. Voilà trop vous importuner dans l'état où vous êtes.
Adieu, ma plus que très chère Mère. Mille et mille fois, je loue Dieu de VQUS redonner un peu de vie. Mais souvenez-vous qu'elle n'est point à vous et qu'il ne la faut plus prodigaliser par les excès de peine et de fatigue que vous avez soufferts. Notre bonne Mère [Bernardine de la Conception Gromaire] est si ravie de votre mieux qu'elle m'a dit qu'elle voulait vous écrire, nonobstant qu'elle soit très mal. On tâchera de la porter .à l'église le jour de Noël pour entendre la sainte messe et y communier, Adieu mille fois, je ne puis finir.
n" 2193 N267
(1) Anne Gaspar Levasseur, Soeur Marie Anne de la Nativité, professe du 25 février 1686, est la seule religieuse de ce monastère dont le nom semble répondre à l'abréviation du manuscrit.
(2) Antienne de l'office de saint Martin. Sulpice Sévère, Epist. III, oc! Bassulata sacrum suant. P.L. XX, 182 B.
352 CATHERINE DE BAR
A UNE RELIGIEUSE DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS
à Paris, ce 2 avril 1691
Loué soit le Très Saint Sacrement de !
reçu votre lettre, ma très chère fille, en date du 22 du mois de
mars. Je conçois votre peine et combien vous souffrez dans cette disposition. Je puis vous assurer que j'aurais un sincère désir de vous y soulager si j'en puis trouver l'occasion. Je crois que la divine Providence m'en fera naître une qui sera facile avant qu'il soit peu de temps. Je vous prie de votre part la présenter à Notre Seigneur afin, que si c'est sa gloire, il la fasse réussir. Cependant, très chère fille, ne perdez point la grâce du sacrifice dans votre âme ; faites triompher Notre Seigneur Jésus Christ en vous ; votre fidélité le couronnera et vous remplira de bénédictions. C'est dans les peines que la vertu triomphe ; la souffrance fait les saints, quand une âme ne succombe pas à la tentation.
Je ne doute pas que la sacrée Mère de Dieu ne vous secourre de sa protection et vous soutienne de ses grâces ; tâchez de l'envisager toujours en la personne de vos Supérieures et, lorsque la peine vous surmonte, prosternez-vous aux pieds de la très Sainte Vierge dans votre intérieur ou devant son image et lui dites de tout votre coeur le verset « Monstra te esse Matrem », qui est le 4e verset de l'hymne «Ave Maris Stella ». Vous en recevrez un grand secours par des forces qu'elle vous obtiendra pour porter saintement votre croix et pour en faire un saint usage. Croyez, chère fille, que la croix se trouve partout ; il est impossible de s'en dispenser, et comme elle aide à notre sanctification, de quelque côté que vous vous puissiez retirer vous la trouverez. Mais pour en bien user, il faut tâcher d'apprivoiser notre esprit à la souffrance, ne voir les créatures qu'en Dieu et n'en user qu'en son esprit. Je le prie qu'il soit votre force, votre soutien et votre consolation et qu'il me fasse la grâce de vous rendre service ; ce sera de tout mon coeur, très chère fille. Ne m'oubliez point en vos saintes prières et me croyez toute à vous en Jésus et sa très sainte Mère.
n" 824 LETTRES INÉDITES 353
Mercredy 21 octobre 1693
a". 'ai un sensible déplaisir, ma Révérende et plus chère Mère, de vous
avoir embarrassée de la grande fille d'Anet, qui vous est si incommode en toute sa manière. Je sais que c'est une grande charge dans l'état où vous êtes ; j'en ai une douleur sensible et je vous en fais milles excuses. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'y satisfaire et de vous l'ôter bientôt. Je vous assure que j'en ai de l'impatience ; je ne perds pas un moment de temps pour trouver son argent : si l'on me tenait parole je l'aurais cette semaine et vous en délivrerais.
Je ne sais si vous savez que la Mère de la Conception [de Lescale] (1) est élue Prieure à Rambervillers ; l'on me prie de la faire partir incessamment ; elle vous ira voir. Il n'y a guère d'apparence qu'elle puisse partir avant la fête de Tous les Saints. Je voudrais bien trouver quelque personne dans le coche pour l'accompagner, car il coûterait beaucoup de lui donner une personne pour la conduire et revenir : je vous prie, ma très chère Mère, de vous en faire informer.
Nous avons toujours nos chères Mères d'Anet (2), que je ne puis renvoyer si Notre Seigneur ne nous en donne les moyens. Si je suivais mon sentiment, je crois que j'abandonnerais tout, la Providence ne nous fournissant rien pour soutenir cette maison. Ma grande peine est de détruire un autel où le Seigneur a été immolé tous les jours depuis plus de cinquante ans. Je vous prie, très chère Mère, de le présenter à Notre Seigneur, pour le soutenir ou l'anéantir : nous ne voulons que ce qu'il lui plaira.
J'aurais mille choses à vous dire, mais j'ai de la peine à conduire ma plume. Je suis quelquefois bien misérable, à ne pouvoir presque parler ni écrire, mais je suis très contente de tout ce qu'il plaira à notre divin Maître ; priez-le, très chère, qu'il me tienne toujours sous ses pieds adorables, ne me laissant pas la liberté de contrarier ses ordres, soit de temps ou d'éternité.
Madame la Duchesse (3) est fort touchée de ce que Monsieur le Duc
(1) Marguerite de Lescale. D'après les signatures de quelques contrats, elle semble avoir été sous-prieure et prieure a diverses reprises. (Archives des Vosges, H XXXIX - n" 38).
.(2) Les religieuses bénédictines dites du Saint-Esprit, établies au bourg d'Anet, avaient demandé l'aide de Mère Mectilde pour relever leur maison réduite à une extrême pauvreté. L'évêque de Chartres s'étant opposé à ce projet, les religieuses s'installèrent à Dreux où après des difficultés sans nombre, elles parvinrent à acheter une maison en 1695. La première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu le 23 février 16%, mais les lettres patentes ne furent obtenues qu'après la mort de Mère Mectilde en 1701. Ce sont des religieuses du monastère de Rouen qui aidèrent au relèvement et à la conduite de cette maison.
(3) La duchesse d'Aiguillon (1( 6 - 1704), fille de François II de Vignerod marquis de Pontcourlay, et de Marie de Guémadeuc était la dernière de cinq enfants. Elle faisait de grandes charités au monastère de la rue Cassette. Bon .cwur. mais fantasque, elle était tantôt dame pensionnaire au monastère, tantôt novice, sans parvenir à s'engager dans la vie religieuse. Son acte de vêture du 23 décembre 1690 stipule qu'elle est reçue, mais «avec la condition expresse que ma dite Dame Duchesse a faite en présence de la Cté avant que de procéder à la balotte de la réception au St habit de religion et d'estre admise dans cette maison, scavoir qu'elles ne la recevront solennellement avec les cérémonies ordinaires qu'après avoir abandonné son duché et ses autres biens entre les mains d'une ou de deux personnes
354 CA'1111,RINI, DE BAR I 1 IIRIS INÉDITES 355
son frère ne lui a pas donné ses chères filles : elles sont fort jolies ; je crois qu'il vous en pourra bien demeurer quelques-unes. Je prie Notre Seigneur vous bénir et vous donner toutes sortes de grâces et de bénédictions. Hélas ! que j'aurais de joie qu'il vous mît à votre aise (4) ! Je le désire plus que pour moi-même. Je suis en lui toute à vous.
Pour
la Révérende Mère
La très Révérende Mère prieure
des Rses du St Sacrement, rue
Neuve St Louis au Marais
n" 843 Pl n" 67 à Paris
authorisées du Roy pour en avoir la régie et faire payer les créanciers de ma dite Dame Duchesse qui promet ne pas s'engager par les voeux de la Profession que lorsque toutes ses dettes seraient payées ou ses affaires en état de ne point inquiéter son repos et celuy de la communauté...
signature : M. Mad. Therese de Vignerod. D. d'Aiguillon
S.M. du St St Prieure
Sr Anne du St St Sous P. »
(A.N.L. 763 n" 26)
Son frère avait hérité des titres et armes du cardihal de Richelieu.
(4) Les dernières années de Mère Mectilde seront une lutte constante contre une pauvreté qui con. fine à la misère et tout spécialement pour le monastère de la rue Saint-Louis qu'elle appelait son « petit Bethléem ». Les lettres autographes à la mère Prieure, mère Saint François de Paule Charbonnier le montrent abondamment.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DE TOUL
7 juin 1694
01 on Dieu, ma très chère Mère (I), que cette personne dont vous me parlez est heureuse, si elle le savait. Elle croit que l'on ne l'aime point. Hélas ! qù'est-ce que l'estime et l'amitié des créatures ? Croyez-moi, ma très chère, j'ai goûté de l'une et de l'autre et, à présent que je suis par une permission divine tombée dans un abîme d'abjection, je vous jure que je ne changerais pas mon état présent contre toutes les fortunes de la vie. Encore une fois, hélas ! qu'est-ce que l'estime et l'amour des créatures ? Rien qu'amertume et affliction d'esprit. J'ai plus de consolation intérieure dans une heure dans l'abîme de mon humiliation que je n'ai jamais eu de joie de l'estime et de l'amitié des créatures. Je suis restée dans la charge avec douleur, sans quasi y rien fai-
(1) Mère Gertrude de l'Assomption (Noire», vêture à Rambervillers le 1â-VIII-1660, avait été élue prieure en présence de Monseigneur Henry de Thyard de Bissy„ assisté du Sieur Nicolas Menget, chanoine de la cathédrale de Toul, et du R.P. Dom Charles George, prieur de Saint Epvre. (Livre des élections priorales du monastère de Toul).
re. Je vous le dis en confiance, et de ma part très contente et satisfaite. J'ai' fait ce que j'ai pu pour obliger la Communauté de faire une élection de Prieure. Elle ne le veut pas, à moins que je souffre qu'on m'élise ; c'est ce que je ne veux pas et qui fait aujourd'hui nos différends. Jugez, très chère Mère, si je pourrais me, résoudre d'accepter une élection à l'âge de quatre-vingts ans cela ne se peut. Je sors d'une grande maladie où l'on tient que c'est un grand miracle de n'y être pas demeurée. Ce sont les voeux et les prières qui m'ont tirée de là. Je ne sais pourquoi Notre Seigneur me renvoie. Tâchez, ma chère Mère, de consoler de votre mieux cette personne, sans toutefois vous inquiéter de sa peine : elle passera. Faites prier Notre Seigneur pour elle et pour moi, qui suis de coeur en Jésus et sa très sainte Mère toute à vous.
n" 2199 N261
A LA RÉVÉRENDE MÈRE [ANNE DE SAINTE MADELEINE)
. PRIEURE DÉPOSÉE DE TOUL
7 juin 1694
je suis bien mortifiée, ma Révérende et plus chère Mère, d'avoir
différé si longtemps à vous témoigner ma reconnaissance pour toutes vos saintes prières et votre bon coeur pour moi. Je vous conjure d'être toujours ma bonne et très chère Mère. Je n'ai plus que vous en ce monde. Conservez-vous pour ma consolation. Je crois que vous êtes bien consolée d'avoir fait faire vos élections. Je sollicite ici pour cela, mais je n'ai point avancé par quelques raisons que l'on a dans la Communauté que l'on n'ose pas vous dire. Pour moi, je m'en suis retirée et déclaré que je renonçais à tout ce que l'on pourrait faire à mon sujet. Jugez, très chère Mère, si je serais assez misérable de souffrir à l'âge de quatre-vingts ans que l'on me remît dans cette terrible charge. La Providence m'en a sortie, quoique l'on m'ait commandé d'en faire les fonctions, mais au reste j'y ai renoncé par écrit bien signé. Je vous congratule d'être dans le repos. Je vous assure, très chère Mère, que je me désire auprès de vous. Si j'avais vidé mes affaires temporelles, je me retirerais, étant bien aise de mourir en repos, mais je suis encore bien tracassée. Je fais mon possible que vous touchiez quelque chose cette année, mais l'on ne fait pas ce que l'on veut. Il faut être toujours crucifiée ; Dieu le veut de la sorte. Il y faut prendre plaisir. Je me réjouis de ce qu'étant bien âgée, je ne serai pas encore longtemps sur la terre. 0 très chère Mère, quelle joie de retourner à Dieu comme à notre divin centre ! Donnez-moi toujours vos saintes prières pour obtenir miséricorde et la grâce d'une bonne mort. Je gémis devant Dieu incessam-
356 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 357
ment pour cela ; aidez-moi de vos saintes prières et de celles de vos chères Filles. Je suis toute à vous, ma très chère Mère, je dis : plus que très chère Mère, comme à la seule que Notre Seigneur m'a laissée. Je le prie de vous conserver. Faites-moi donner de vos nouvelles pour ma consolation. C'est votre très fidèle et obéissante servante en Jésus et sa très sainte Mère.
n" 1455 N26I
A UNE SUPÉRIEURE DÉPOSÉE
12 juillet 1694
ur votre chère lettre du 3e juillet, ma très chère Mère, qui m'apprend
votre déposition de Prieure, j'en suis d'autant plus touchée que vous êtes contente de n'être plus dans cet emploi. Je dois croire que Notre Seigneur a exaucé vos prières en me mortifiant, car je désirais beaucoup que vous eussiez fait encore un trienne pour achever ensemble les affaires. 11 faut bénir le Seigneur qui en a disposé d'une autre sorte. Je suis cependant bien aise que vous goûtiez un peu de repos dans votre chère maison, en soulageant la chère nouvelle Prieure qui a besoin de votre consolation. Je crois qu'elle ne manquera pas de croix en bien des manières. Je la compatis, mais il faut l'encourager à souffrir : c'est le chemin du Ciel.
11 ne faut pas nous flatter : nous ne vivrons pas sans croix ; toutes nos maisons en sont bien partagées. Celle de Châtillon vient d'être grêlée et par conséquent ruinée absolument. C'est Dieu qui fait de semblables coups pour exercer la patience et augmenter nos fidélités par de nouveaux sacrifices. Tout est en souffrance. Nous y sommes extraordinairement céans. La misère est universelle, mais elle nous presse de bien près ici. Vous seriez bien étonnée si vous saviez à quel point Notre Seigneur nous réduit. L'on pourrait dire que ce serait l'extrême, mais il faut espérer que l'adorable Providence y mettra sa sainte main. Priez Dieu pour nous et gardez le secret jusqu'à ce 'que l'on voie s'il plaira à Notre Seigneur de nous secourir. Je vous conjure de faire quelques prières pour nous, sans dire à quel point est notre croix. Je suis néanmoins dans l'espérance que Dieu ne nous abandonnera point absolument et qu'après nous avoir humiliées il lui plaira de jeter les verges dans le feu. Recourez à la très sainte et sacrée Mère de Dieu et au grand saint Joseph et à notre glorieux Père saint Benoît. Je veux espérer que vos saintes prières nous attireront quelque bénédiction.
Vous avez laissé des filles à Nancy fort affligées, mais il faut qu'elles tâchent de se consoler. Le mal est sans remède. J'ai écrit à cette nouvelle Prieure. Elle est bien à plaindre, car elle est toute neuve et sans expérience. Je l'exhorte fort d'avoir recours à la sacrée Mère de Dieu. Mandez m'en des nouvelles quand vous en recevrez. Je plains bien celles qui ont goûté la douceur de votre conduite. La pauvre soeur Mectilde de la Conception aura bien à sacrifier. Il faut qu'elle tâche d'être fidèle Je vous suis sensiblement obligée à son sujet et pour beaucoup d'autres, votre bon coeur m'ayant toujours épargnée.
Je n'oublierai jamais vos bontés. Continuez-les moi, très chère Mère ; Notre Seigneur vous bénira en récompense et sa très sainte Mère vous en saura gré, vous le connaîtrez quelque jour. Je voudrais bien vider d'affaires cette année, ne sachant si je pourrai voir la suivante. Nous y ferons de notre mieux. Gardez encore les papiers que vous avez jusqu'à ce que nous ayons pris quelque mesure par quelque secours de la divine Providence. J'en attends des nouvelles et de vous témoigner ma reconnaissance ; j'en désire les occasions et de vous persuader que je suis, en Jésus et sa très sainte Mère, toujours toute à vous et votre obligée servante.
n"2797 N261
A LA MÈRE PRIEURE [DE RAMBERVILLERSI
Ce 12 juillet 1694
omme c'est à l'ordinaire la conduite de la divine Providence de
me tenir sur la croix, que je veux de tout mon coeur toujours adorer et embrasser, à peine suis-je sortie de ma maladie, qui m'a duré près de six mois que je m'en trouve environnée d'un grand nombre qui renouvellent quasi à toute heure mes sacrifices. Ce m'en est une bien grande, ma Révérende et très chère Mère, de ne pouvoir soulager vos besoins. Les nôtres sont à un point que vous auriez bien de la peine à vous le persuader. Il plaît à Notre Seigneur nous affliger de bien des sortes ; son très saint Nom soit béni ! Comme je suis dans mes derniers temps, il est juste que je souffre. Mais, mon Dieu, ce n'est pas comme je le mérite. Toute la terre devrait s'élever contre moi pour châtier-mes ingratitudes vers la bonté de Notre Seigneur qui m'a toujours environnée de ses grandes miséricordes. Réparez pour moi, ma très chère Mère, et ne croyez pas que je vous oublie.
J'espérais vous donner une petite consolation, mais Notre Seigneur l'a remise à un autre temps. J'aurais eu une sensible joie de vous envoyer un petit secours. Priez Notre Seigneur qu'il ne soit pas perdu. On me flatte que l'affaire se remettra et que j'aurai cette petite consolation de vous donner une petite marque de la tendresse de mon coeur pour votre chère personne et pour toute la maison que j'aime toujours, et dans laquelle je voudrais pouvoir consommer mon sacrifice. J'ai assez de
358 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 359
forcé et de courage pour en faire le voyage, si l'on voulait m'y laisser aller. Je n'en suis pas digne : j'aurais trop de consolation d'être dans votre petit désert, hors de mes tracas qui sont toujours crucifiants. Je voudrais vous pouvoir écrire bien des choses ei vous étonneraient : il n'appartient qu'à Dieu de savoir bien crucifier.
Notre bonne duchesse est présentement à Malnoue (1) qui est en grande fâcherie contre nous, mais je ne puis vous en faire l'histoire. Je ne peux plus guère écrire ; ma main, depuis ma maladie, est plus pesante et ne veut plus faire marcher ma plume. Cependant, il faut vous dire deux mots sur Mr votre nouveau Supérieur qui fait bien le maître. Il est bien en crédit auprès du Seigneur prélat [Mgr de Thyard de Bissy], puisqu'il lui donne tout son pouvoir. Je vous conseille, très chère Mère, de ne vous point faire d'affaire avec lui. Ménagez-le le plus honnêtement que vous pourrez, et n'en espérez guère de secours. Ne vous attendez qu'à Dieu seul, qui est l'unique, fidèle et parfait ami ; ayez-y un entier recours. Prenez donc vos mesures pour ne point choquer le personnage, de crainte que vous n'en ayez du déplaisir. Il pourrait bien vous causer des croix. Croyez-moi, ne vous en faites pas, car elles viennent en dormant et au moment que l'on ne les attend pas. Priez Notre Seigneur qu'il se glorifie de tout ce qu'il lui plait nous envoyer, et à toutes les maisons de l'Institut qui sont dans la souffrance par les misères du temps qui sont universelles (2) et les grêles qui ont ravagé Châtillon (3). Les grêlons étaient d'une grosseur extraordinaire, et plusieurs étaient longs comme le bras. Ce sont les fléaux de la justice de Dieu qu'il faut souffrir. Ce sont mes péchés qui les ont attirés, il est bien juste que je les porte ; mais ma douleur c'est que les autres en souffrent, et je voudrais les avoir tous pour moi, qui les ai mérités. Je tâcherai de vous écrire plus souvent si je ne retom-
(1) Abbaye Notre-Dame et Saint-Erasme, commune d'Emerainville, canton de Lagny, arrondissement de Meaux (Seine-et-Marne), fondée au XI le siècle. Une partie des- moniales d'Argenteuil s'y réfugia en 1129. Bénédictines jusqu'en 1772, elles s'unirent alors aux Ursulines de Versailles (Dom Martène. op. cit., Ligugé. 1931, vol. XXXI 1 I , t. I 11. p. 229).
(2) Déjà, en 1680, Vauban écrivait : «Le commun du peuple ne mange pas de viande trois fois l'an,. les trois quarts ne sont vêtus, hiver et été, que de toile à demi-pourrie». (Daniel-Rops, L'Eglise des temps classicpres, Fayard. 1958, p. 265). Les guerres de la fin du XV 1 le siècle rendront la misère encore plus profonde et plus générale.
(3) Au mois d'août 1676, Louis XIV signait les lettres patentes autorisant la princesse de Mekelbourg (veuve en premières noces de Monsieur de Coligny) à fonder un monastère de notre Institut sur ses terres de Châtillon, au diocèse de Sens. Monseigneur Jean de Montpezat de Carbon, «archevesque de Sens, Primat des Gaules et de Germanie», autorisa cette fondation le 5 juin 1676. Des difficultés sans nombre s'ét .nt élevées, ce n'est qu'en octobre 1688 que les religieuses purent s'installer dans le nouveau monastère. La cérémome de la première Exposition du Saint-Sacrement eut lieu le 21 octobre en présence d'une foule considérable. Le procès-verbal de cette prise de possession est signé de «La princesse de Mekelbourg, Mère Mectilde, Sr M. Hostie du St Sacrement (Hardy, professe de la rue Cassette. le 2 avril 1660) ; Sr M. Marguerite de Sainte Madeleine (Soreau, professe de la rue Cassette, le 4 novembre 1662) : Sr M. de Saint Jean l'Evangéliste (converse, professe en 1683) ; Sr M. Madeleine de Jésus : Sr M. Madeleine de Saint Benoit ; Sr M. Marthe de Jésus (Du Chemin) ; Sr M. Madeleine de Saint-Joseph (converse). Ce monastère a été détruit en 1792. (Bibli. mun. d'Orléans, ms 1343. Cf. Priez sans cesse , Desclée de Brouver, 1953, p. 71 et suiv.).
be pas. Je ne me tiens pas fort assurée ; je crains l'automne où je ne manque guère d'être mal. De plus, l'âge est si avancé qu'il n'y a pas lieu de croire que je pourrai aller encore bien loin. Demandez pour moi, très chère Mère, la grâce d'une bonne mort, et croyez-moi toute à vous.
Je dois vous faire mille humbles remerciements des bonnes choses que vous m'avez envoyées, surtout de l'orge qui me nourrit et dont je mange souvent , elle est admirable, et de tout le reste. Si nous n'étions si éloignées, nous nous aiderions les unes les autres. Il faut avoir patience ; les petites douceurs nous seraient fort agréables, mais Notre Seigneur veut que l'on souffre et que les prières doivent suffire pour tout. Je vous prie, très chère Mère, de marquer à la chère Mère Jeanne de la Croix [Parmontel] la part que je prends à sa douleur de la perte qu'elle a faite de Madame sa bonne Mère. C'est un grand sacrifice que Notre Seigneur a exigé de sa fidélité. Je le prie d'être sa force et sa consolation. Je me recommande à ses saintes prières et de toutes celles de la Communauté. Je les embrasse toutes en esprit, surtout la chère Mère Sous-Prieure [Mère Anne de Saint Paul Pierre]. C'est votre fidèle servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.
n.249 N26I
A UNE SUPÉRIEURE NOUVELLEMENT ÉLUE [Nancy probablement'
26 juillet 1694
l est juste, ma Révérende et très chère Mère, que je vous marque
combien je vous suis obligée de toutes les bontés que vous me témoignez et aussi toute la chère communauté. Je la salue et la remercie de tout mon coeur et vous, ma très chère Mère, plus en particulier. Je voudrais bien vous pouvoir donner des effets aussi bien que des paroles de ma sincère reconnaissance. Je ne perds pas encore l'espérance de vous en donner quelques petites preuves ; je le désire beaucoup avant que de mourir. Je suis très consolée d'apprendre la joie et consolation de toute la Communauté sur votre élection. Je prie Notre Seigneur qu'il les conserve dans cette disposition : ce sera une marque de leur fidélité et des devoirs de leur obligation, car, quand l'on aime bien, une supérieure, l'on fait volontiers ce qu'elle dit et l'on conserve un esprit de soumission en toutes ses ordonnances. Si cette disposition se conserve dans la Communauté, avec l'entière union des coeurs, elle sera parfaite ; il ne faut pas douter qu'elle ne soit remplie des dons du Saint Esprit. Je vous souhaite toutes les grâces que vous avez besoin pour conduire saintement le troupeau du Seigneur. Ce sont toutes des victimes choisies. Je veux espérer qu'elles correspondront à la grâce qui les a appelées
360 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 361
à un état si saint. Quand vous croirez, très chère Mère, que je vous suis utile en quelque chose, vous n'avez qu'à me faire savoir en quoi je pourrais vous servir ; ce sera toujours du plus tendre de mon coeur, je vous prie d'en être bien persuadée.
Il y avait longtemps que je désirais que vous vous puissiez passer d'autres religieuses que des vôtres. Vous devez avoir une plus étroite liaison. 11 y a moyen de vous tenir dans une parfaite union. Pour y bien réussir, c'est de défendre à vos filles de ne point communiquer les unes les autres leurs sentiments, qui font souvent de très mauvais effets qui détruisent la charité, sous prétexte de décharger un peu le coeur de celle qui a quelquefois sujet de mécontentement. Il faut sacrifier ces petites peines, se souvenant qu'une victime doit sacrifier à tous moments pour bien remplir sa qualité de victime. Tendez toutes à retrancher les vues humaines, les respects humains et les intérêts de votre amour propre. Et Notre Seigneur règnera dans vos intérieurs en grande bénédiction.
Je suis en son amour au général, et toute à chacune en particulier, votre... et en la terre. Comme Mère de Dieu, son crédit est au-delà de nos pensées. Nous avons besoin de son secours, étant, au moment que je vous écris, dans une très grande angoisse. Gardez-moi le secret, excepté à la chère Mère Prieure, que je chéris et aime tendrement ; vous lui direz afin qu'elle prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère pour moi et pour cette maison affligée.
A Dieu ! J'embrasse la chère Mère Prieure et la chère Mère Sous-Prieure. Je n'ai pu achever cette lettre ; nous nous sommes assemblées plusieurs fois, mais, mon Dieu, bien inutilement ; il faut un secours d'en haut ; le nom du Seigneur soit béni ! Voilà, ma chère Mère, ce que je vous puis dire en attendant un peu plus de loisir. Je suis en Jésus toute à vous.
nn 904 N261
n" 479 N261 A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DENANCY
SUR LA MORT DE LA RÉVÉRENDE MÈRE DE LA CROIX
A UNE RELIGIEUSE QUI AVAIT ÉTÉ SUPÉRIEURE CI- DEVANT PRIEURE DE CETTE MAISON
30 août 1694 Paris, ce 4 août 1696
e bénis Dieu, ma très chère Mère, qui vous fait aimer les conduites
de l'adorable Providence. Elles sont toujours avantageuses quand l'on n'y mêle rien d'humain. Je crois bien que les personnes que vous savez vous ont trompée. Mais regardons de plus haut ce qui nous arrive, afin que tout soit profitable à l'âme qui ne veut que Dieu. Je sais que vous ne voulez que cela. Le reste passe et nous passons aussi, très chère Mère ; prenez courage et me donnez toujours vos saintes prières. Je suis ravie de votre maison et de tout ce que vous m'en dites. Je prie Notre Seigneur qu'il augmente ses bénédictions.
Celle dont vous me parlez est bien malade, mais, très chère Mère, ayez recours à la très sainte Mère de Dieu. Nous faisons une dévotion en l'honneur de son Immaculée Conception qui fait de bons effets : c'est de communier neuf samedis de suite et, chaque samedi, l'on fait quelques dévotions en l'honneur de l'Immaculée Conception, soit prières ou autres pratiques de piété. L'on dit que la sacrée Mère de Dieu accorde par ce moyen ce que l'on lui demande. Je vous prie faire cette dévotion pour cette bonne fille qui me paraît si faible et si pâle.
Je vous avoue que mon recours est à la prière avant toutes choses. Ayez-y aussi, très chère Mère, votre confiance et priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle nous assiste par son divin pouvoir, qui est grand au ciel \T ous serez surprise, ma Révérende et plus chère Mère, de voir une lettre de ma main, sans attendre la réponse de celle que votre bonté me fait espérer. Hélas ! c'est pour vous donner une nouvelle qui ne vous sera pas moins sensible qu'à nous : c'est la perte que nous venons de faire de notre très digne et très chère Mère de la Croix, que vous honoriez et qui vous aimait bien tendrement. Nous sortons de son enterrement. Jeudi au soir, étant au réfectoire, elle tomba dans une apoplexie et, sans nous donner aucun signe, elle prit son vol vers le ciel. Tout ce que l'on pu faire fut de lui donner l'extrême-onction et, à la dernière, elle rendit l'esprit, sans parole fort doucement. L'on dit que son apoplexie a été une apoplexie de sang, de sorte que nous n'avons pu la tirer. Notre Seigneur a voulu lui donner la récompense de sa sainte vie.
Je ne puis vous exprimer à quel point je ressens cette mort et combien elle me touche : c'est une perte pour notre Institut. C'était une des plus grandes religieuses de l'Ordre et un admirable pilier d'observance. Je perds mille fois plus que je ne puis dire et je la regrette de tout mon coeur, sans vouloir être contraire aux conduites de Dieu qui l'a voulu tirer des souffrances de cette vie. Comme vous la connaissiez, je ne dois point vous expliquer ses mérites : vous pourriez bien mieux les exprimer que moi. Je crois que votre bon coeur et votre sainte Communauté seront sensibles à notre douleur, et que vous emploirez vos saintes prières
362 CATHERINE DE BAR' LETTRES INÉDITES 363
pour avancer son bonheur, si déjà elle n'en est jouissante. En vérité, c'était une digne religieuse, d'un rare exemple, infatigable aux observances, souffrant continuellement sans vouloir prendre un peu de relâche. A mon sens, elle était un peu trop sévère sur elle-même ; c'est le seul point qui me peinait en elle. Car, si je parle selon mon sentiment, elle a avancé sa mort, étant trop excessive pour l'austérité de vie. Mais je crois qu'elle était dans la sincérité de coeur, croyant que Notre Seigneur voulait cela d'elle . Cependant l'obéissance est plus agréable à Dieu que le sacrifice. J'espère en vos saintes prières pour elle, et je les demande pour obtenir une bonne mort : c'est là notre plus grande affaire ; l'éternité est plus considérable que le temps.
J'attends de vos chères nouvelles quand vous le jugerez à propos. Croyez seulement que je suis toute à vous du même coeur que vous le pouvez désirer, parce que c'est en toute sincérité que je vous parle. Je vous conjure d'en être persuadée, et que je voudrais vous en donner des marques au prix de ma propre vie. Je prie la très auguste Mère de Dieu de vous combler de toutes les bénédictions que je vous souhaite, comme étant votre très humble, très obéissante et fidèle servante en Jésus et sa très Sainte Mère.
n " 3147 N 267
A MADEMOISELLE LA SOEUR
[de la Mère de la Croix, ci-devant Prieure de Nancy
mardi 7 août 1696
J'ai une peine extrême, ma très chère Demoiselle, de renouveler votre douleur en vous envoyant cette croix, que défunte votre chère soeur, notre très honorée et très chère Mère de la Croix, a chérie toute sa vie. L'on peut dire qu'elle remplissait parfaitement son nom, puisqu'elle a toujours embrassé et porté la croix avec tant d'amour pour Dieu et d'édification pour tout notre Institut.
Sa mémoire nous sera éternellement précieuse, n'étant pas possible d'oublier tant de vertus et de saintes pratiques dont toute sa vie a été remplie, ne s'étant jamais relâchée de sa première ferveur. Elle a vécu en parfaite religieuse et comme une véritable adoratrice et victime .de Notre Seigneur Jésus Christ au Très Saint Sacrement, accomplissant exactement tous ses devoirs avec une fidélité admirable ; toujours la première dans toutes les observances ; une ponctualité merveilleuse pour toutes les pratiques de notre saint Institut ; employant . la plus forte partie de sa vie en adoration, réparation et en pénitence pour les pécheurs, pour le salut desquels elle sacrifiait les moments de sa vie en souffrance continuelle, par amour et par rapport à Jésus Christ Notre Seigneur.
Cette chère Mère semblait ne respirer que dans la souffrance. Le zèle qu'elle avait pour le Très Saint Sacrement était toujours ardent et la tenait en état d'immoler sa vie à toute heure pour la gloire de cet auguste Mystère, et prête d'aller au-delà des mers, si la volonté de Dieu l'y appelait. Mais comme elle nous était très chère, nous la conservions pour cette maison, sa présence et son exemple y faisant de grands effets. Toute la Communauté la regrette avec sujet ; et moi, je puis vous dire, ma très chère Demoiselle, que je suis la plus sensible à cette perte et que j'en suis pénétrée de douleur, sans vouloir être contraire aux conduites de Dieu, auxquelles nous devons être parfaitement soumises. Ce qui me console, c'est que j'espère n'être pas longtemps sans la revoir, puisque selon l'humain je la dois bientôt suivre.
Je ne laisse pas, ma très chère Demoiselle de ressentir très vivement votre douleur. Vous aviez une soeur bien sainte pendant qu'elle vivait sur la terre, mais consolez-vous dans la pensée que vous aurez désormais une avocate auprès de Dieu dans le ciel, qui intercédera pour vous et vous obtiendra bien des grâces par ses prières. J'espère qu'en sa considération vous continuerez vos bontés pour cette maison. C'est la grâce que je vous demande humblement et à Monsieur de La Mare, que j'honore singulièrement, auquel je serai toute ma vie, et à vous, ma très chère Demoiselle, d'une affection très sincère et avec respect en Notre Seigneur Jésus Christ. Votre très humble et très obéissante et plus fidèle servante.
n" 839 N 257
[A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE
DE SAINT FRANCOIS DE PAULE CHARBONNIER'
Vendredy ler juin 1696
e loue Dieu, ma très Révérende et plus chère Mère, [du départi
de votre fugitive. Je prie Notre Seigneur la conduire si loin que vous ne la revoyiez jamais : c'est un grand secours pour vous et rapproche (sic) de Madame de B. Dieu vous la veuille redonner meilleure que jamais et vous ramener votre tortillon, que Notre Seigneur veuille bien convertir et ramener dans votre sainte maison ! C'est une pauvre fille. Croit-elle qu'elle en sera quitte devant Dieu ? Non, assurément, car Notre Seigneur n'a conservé ses biens et sa chère personne que pour les sacrifier à Dieu dans votre maison, pour la gloire du Très Saint Sacrement. Je suis certaine qu'il lui en demandera compte, car c'est
364 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 365
à lui qu'ils appartiennent, et la chère demoiselle aussi. Elle verra dans la suite des temps ce que Notre Seigneur fera. Ayons patience et vi-
vons toujours dans le saint abandon à son adorable Providence : il veut cela de nous, comme des victimes qui ne vivent et ne meurent que pour son divin plaisir. Courage ! le temps approche ; il ne faut pas manquer à la fin : la couronne est trop précieuse...
Je compatis à la bonne Mère de Saint Augustin (1). Si elle peut avoir permission de Monseigneur, elle peut aller voir ce médecin ; la Mère de l'Echelle y a été, mais elle ne l'a pas vu. Il est réfugié dans un château
bien gardé par le seigneur, qui en a soin. On menace de le tuer, c'est pourquoi il ne paraît plus. L'on dit des merveilles de sa science ; je vou-
drais y pouvoir faire aller notre bonne Mère Sous-Prieure, qui devient aveugle ; mais je ne sais comment. Elle est actuellement malade de fâcheuses coliques ; depuis plusieurs jours elle vomit toujours. Il y a de la néphrétique qui est un grand mal, mais il faut tout souffrir quand il plaît au Seigneur.
Je vous conseille de vous faire payer par votre dame anglaise par avance, si elle demeure chez vous , car les pensions seraient un point casuel.
L'on a bien de la peine de trouver de l'argent ; il faut espérer que Notre
Seigneur nous en donnera quelque jour pour soutenir son oeuvre. Je vous supplie, très chère Mère, si la Mère Saint Augustin vient à mourir, je serais bien aise que l'on ouvrît son corps, à cause de son
squirre (2). Je crois bien qu'elle souffre beaucoup : Dieu lui fasse la grâce d'en user saintement.
Nous avons la petite Mère de la Conception (3) qui est malade. La moitié de son corps n'est quasi qu'une plaie ; c'est à ce que l'on dit
un cancer de pourriture. Elle sent si mauvais que l'on a bien de la peine à en sentir l'odeur ; je la recommande à vos saintes prières ; et moi, qui en ai plus besoin que toutes parce que mes plaies sont internes ; priez l'auguste Mère de Dieu de les vouloir guérir.
J'attendais une permission d'aller chez vous, mais elle ne vient pas; je n'en sais pas la cause.• Je la voudrais parce que je ne suis pas si mal à présent : il faut l'attendre quand il plaira au Seigneur. Je suis en lui toute à vous, très chère Mère, que j'aime et honore tendrement.'
nu 986 P 1 n" 96
( I) Marie Guérin. Elle venait du monastère Notre-Dame-de-Liesse, à Paris. Après l'échec de l'union de ce monastère à notre Institut. elle entra à Saint-Louis au Marais. où elle fit profession le 26 juillet 1689.
(2) Sorte de tumeur cancéreuse dure et ferme. Cette appellation n'est plus usitée.
(3) Marguerite Landon prit l'habit rue Cassette le 14 août 1668, et fit profession le 5 novembre 1670. A UNE DE SES PETITES NIÈCES. LA VEILLE DE SA PROFESSION [à l'abbaye de Malnoue
21 juillet 1696
i le ciel a de la joie de votre immolation, ma très chère nièce (1),
je puis me joindre à la joie du paradis de vous voir entrer dans le sacrifice de tout le créé et singulièrement de tout vous-même, en quoi consiste le parfait sacrifice ; car de sacrifier tout le monde et ne vous pas sacrifier vous-même, ce ne serait qu'une apparence et non l'effet que la grâce prétend de vous. Allez, allez, très chère enfant, allez tout sacrifier, allez tout jeter dans le sacré brasier du pur amour, sans rien résérver. C'est ce que Notre Seigneur demande de vous et que la très Immaculée Mère de Dieu vous donnera la force de faire dans la perfection que la grâce demande de vous. Connaissez votre indignité et votre insuffisance pour remplir un devoir si divin ; vous avez besoin de recourir de toute votre capacité à la Mère de miséricorde. Vous avez de grandes protectrices auprès d'elle : la première, c'est Madame votre sainte Abbesse. qui vous fait l'honneur de vous immoler avec tant de zèle et de charité ; et la seconde, Madame notre illustre duchesse N. à laquelle, après Dieu et Madame votre digne Abbesse, vous devez le bonheur que vous allez posséder. 11 est si grand et si admirable que votre vie ne suffira pas pour en produire tous les jours vos humbles reconnaissances. Il faut les rendre à Dieu sans discontinuer, et à ces deux illustres personnes autant qu'il vous sera possible, rendant à Madame vôtre digne Abbesse une soumission parfaite accompagnée d'une profonde humilité, et à Madame la duchesse D. des prières continuelles, pour attirer sur elle les bénédictions du ciel pour terminer ses affaires et couronner son sacrifice par une heureuse consommation, ainsi qu'elle-même le désire avec tant d'ardeur. Et après avoir rendu vos devoirs à qui vous les devez et qu'il vous reste un moment, votre charité l'emploiera pour demander à Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, miséricorde pour une misérable qui n'a fait autre chose dans toute sa vie que de profaner les grâces du Seigneur par une ingratitude qui mérite des châtiments éternels. Demandez-lui pardon pour moi et, par surcroît de ses bontés divines, de m'accorder une bonne mort dont je suis si près. De ma part, je puis vous assurer des prières de toute la Communauté, qui ne cesse d'admirer les grandes grâces dont il plaît au Seigneur vous combler. J'assisterai en esprit à votre sacrifice .; les saints Anges vous accompagneront et prieront pour vous. Je les prie de vous obtenir la grâce de persévérance, qui est un pur don de Dieu que nous ne pouvons mériter, non plus que la
(1) Catherine Lhuillier, petite nièce de Mère Mectilde, fille de Nicolas Lhuillier et de Charlotte Thérèse de Castres.
366 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 367
première. Il faut que votre vertu marque votre reconnaissance envers la Communauté qui vous a fait l'honneur de vous recevoir avec tant de bonté. Nos obligations envers Madame votre sainte Abbesse seront éternelles. Allez vous Seter à ses pieds pour la remercier très humblement de ma part ; embrassez-les pour moi avec bien du respect. Notre Seigneur bénira et récompensera sa charité.
A Dieu, très chère nièce ; nous serons ensemble à Notre Seigneur Jésus Christ et sa très sainte Mère, pour le temps et pour l'éternité.
n" 2697 N 254
A MADAME SA PETITE NIÈCE QUI VENAIT DE
FAIRE PROFESSION À L'ABBAYE DE MALNOUE
ce 30 juillet 1696
e ne puis assez rendre grâce à mon Dieu, ma très chère nièce,
de la consommation de votre sacrifice, qui vous engage à vivre d'une vie nouvelle, ne vivant plus pour vous mais uniquement pour l'amour de celui à qui vous êtes si heureusement consacrée. C'est à présent que vous devez dire plus d'effet que de paroles ,: « Je ne suis plus, et je ne dois plus être qu'une simple-capacité de l'adorable volonté de Dieu. Il m'a fait la miséricorde de me sortir du Inonde, et de me séparer des créatures ; je ne dois plus vivre que pour lui seul, et par conséquent 'n'appliquer actuellement à ce qui lui peut plaire ». L'obéissance sera la règle qui vous conduira sûrement, et la profonde humilité l'accompagnera en tout. Avec ces deux vertus, vous irez loin et le pur amour viendra consommer tout ; il ne se refuse point au coeur humble, puisque le prophète nous apprend que le Saint Esprit repose sur le coeur humble. Cet Esprit adorable étant le feu sacré qui consomme les holocaustes, j'espérerais que le vôtre aurait ce bonheur. Surtout, ma chère nièce, ne soyez point méconnaissante du don de Dieu, qui est si admirable ; vous ne pourriez jamais le mériter. Je le regarde comme un effet du très Saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu. Demandez-lui tous les jours de votre vie la grâce de persévérer et de ne jamais relâcher de la sainte ferveur qu'elle vous a obtenue avec tant de miséricorde. Aimez-la toujours de plus en plus, et lui rendez vos devoirs avec amour et confiance. Après la très Immaculée Mère de Dieu, il n'y a rien de plus considérable pour vous que Madame votre illustre et sainte Abbesse. Vous êtes heureuse d'être à ses pieds et de recevoir les lumières de Dieu par elle pour votre conduite ; honorez-la, respectez-la, et l'aimez comme Dieu, dit la Sainte Règle. Cela veut dire que vous devez voir Dieu en elle ; que vous ayez une sincérité et simplicité entière,
c'est-à-dire que vous ne lui devez rien cacher de vos dispositions. Comme vous lui êtes infiniment obligée, la plus grande marque de votre reconnaissance, c'est votre fidèlité. N'oubliez jamais le précieux jour de votre immolation. Je prie Notre Seigneur vous conserver dans la grâCe que vous avez reçue. Allez pour moi aux pieds de Madame, pour la remercier très humblement de ma part ; je suis comblée de ses bontés pour vous. Avec sa permission, vous prierez Dieu pour votre frère (1), qui prend la résolution de faire une retraite pour connaître la volonté de Dieu sur son état. Il semble qu'il prend la pensée de se retirer du monde et de reprendre ses études pour se rendre capable de servir Dieu et de faire son salut. Priez la sacrée Mère de Dieu de le protéger de ses bénédictions, et de m'y donner un peu de part, et de me croire comme je suis en Jésus et sa très Sainte Mère toute à vous.
Je voudrais bien rendre mes devoirs à toute votre Communauté, mais, ne le pouvant, suppléez pour moi en leur marquant mes humbles reconnaissances ; soyez bien reconnaissante de la grâce que l'on vous a faite.
n" 1095 N257
(1) Charles Léopold Lhuillier de Castres, seigneur de la capitainerie de Spitzemberg, écuyer, seigneur de Vauzelles, Saint-Marcot et Malezise. Il épousa Anne Florentin dont il eut quatre fils et cinq filles, entre autres Anne qui épousa Charles Hyacinthe Hugo. Celui-ci est à l'origine de la descendance actuelle. Cf. Dom Pelletier, Nobiliaire de Lorraine, Nancy, 1758.
[A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE
DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER]
27 février 1697
a>e vois, ma Révérende et plus chère Mère, votre extrême douleur ; croyez que je la ressens jusqu'au centre de mon âme, mais il plaît à Notre Seigneur nous abîmer. Comme vous voyez que la divine Providence ne produit pas les secours qui paraissent nécessaires, c'est à présent les grands coups de l'abandon, où il faut soutenir tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur. Prenez courage, très chère Mère ; il faut espérer contre toute espérance, ce sera un grand miracle ; continuez de prier la très Immaculée Mère de Dieu. Je n'attends que de sa bonté, et cependant il faut demeurer toute sacrifiée nous ne pouvons aller plus loin. Il sait et voit toutes choses ; je suis persuadée qu'il faut que la miséricorde opère.
Je vous enverrai votre lettre sans y manquer demain ou vendredi ; vous serai fidèle à ne la point montrer. L'affaire de Toul est à l'ordinaire : nous sommes entrées dans le procès ; l'on doit venir nous interroger, savoir si cet argent n'a pas été donné céans. Nous attendons les
368 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 369
suites, en priant Notre Seigneur d'avoir pitié de nous, car nous sommes toutes bien crucifiées. Les maisons souffrent ; du moins la vôtre, comme la plus affligée de toutes, et celle de Toul qui l'est aussi ; mais ce sont des maisons du Très Saint Sacrement. O Dieu ! si la sainteté y était comme Dieu le désire, il les soutiendrait ; mais, malgré mes péchés, je veux espérer, parce que Dieu est bon d'une bonté infinie.
Nous avons enterré aujourd'hui Madame de Morsant ; mais il n'y a rierl à espérer de ce côté là. Je ne puis comprendre Madame de B. ; comment est-ce que son coeur est si fort changé ? Mon Dieu nous fait bien voir que les créatures ne sont que des misérables néants. Courage ! Relevons notre foi, quoique nous ne voyons aucun secours : voilà encore deux mois de respir. Si la bonne Duchesse était en état, elle pourrait vous soulager. Je prie l'auguste Mère de Dieu que ce soit elle-même qui soulage votre douleur. Je suis en son amour toute à vous. Le reste à vendredi , s'il m'est possible.
n" 1642 PI n" 97
3 0 avril 1697
C'e viens vous dire, ma Révérende et plus chère Mère, que j'ai fait les
offices tels quels, avec bien de la peine car je suis trop vieille pour bien faire cela, mais c'en est fait pour le présent. Ces sortes de remuements ne sont pas agréables, mais il a fallu faire cela pour obéir. Je vous conjure de prier la sacrée Mère de Dieu les bénir.
Je doute fort que vous obteniez ce que l'on vous propose : autrefois le Roi y était opposé. Je crois bien que si M. l'Archevêque (1) le veut demander comme il faut à sa Majesté, en lui représentànt l'état où vous êtes, cela le devrait toucher. Je prie l'auguste Mère de Dieu de lui donner une bonne inspiration.
Nos Mères de Dreux (2) n'avancent pas, parce qu'il n'y a point de Maison qui veuille s'en charger, ainsi que vous avez vu le mémoire : il faut un secours de la divine Providence, efficace.
Je recommande à vos saintes prières le bon Monsieur de Grainville (3) : c'est une perte pour nos Mères de Rouen et de Dreux. Dieu est le maître et le souverain de tout ; il faut l'attendre et l'adorer. Nous sommes assez doucement ; je n'osais espérer cette grâce , car je suis
(1) Louis Antoine de Noailles, évêque de Châlons de 1681 à 1695, succède à François de Harlay comme archevêque de Paris de 1695 à 1729. Il est promu cardinal en 1700 par le Pape Innocent XII au titre de Sainte Marie Majeure. Cf. Jean Rupp, Histoire de l'Exils(' de Paris. R. Lafont, 1948, p. 199
(2) Cf. lettre du 21 octobre 1693. note 2.
(3) Charles ou Jacques Le Pelletier sieur de Grainville, d'abord avocat général en la chambre des Comptes de Rouen, puis en 1646, conseiller au Parlement de Normandie et président de la chambre des Requêtes du Palais. Il avait épousé Gabrielle Le Tellier, soeur d'un maître des Requêtes de l'hôtel du roi. cf. de Frondeville, Les Conseillers an Parlement de Normandie, t.IV , p. 198 - 199.
bien sotte et bien incapable de bien faire. Je deviens si pauvrette et si misérable que je ne sais comme l'on me peut souffrir. Je serai cependant bien aise de vous voir, très chère Mère. Je ne sais si M. de Toul (4) est parti. Il ne poursuit point son procès. J'attends les moments du Seigneur pour tout ce qu'il lui plaira ; je le prie vous bénir et toutes vos affaires. J'espère que la Providence y pourvoira, si vous avez fait ce que vous projetiez pour contenter vos créanciers ; vous serez un peu de temps en repos, en attendant que Notre Seigneur y pourvoie. J'espère toujours qu'il le fera, mais il faut une grande patience.
Dites-moi des nouvelles de votre santé. Nous allons repasser sur les Constitutions, pour tâcher de les pratiquer. Nous retranchons les ouvrages particuliers et les petits commerces pour trafiquer (5), de crainte que la sainte pauvreté ne se trouve embarrassée. Dieu nous fasse la grâce de nous retirer de tout cela pour le bien de toutes ! Je puis vous dire que j'ai fait les offices dans l'amertume de mon coeur, mais il faut souffrir et abandonner tout.
Pour
La Révérende Mère
prieure des filles du
St Sacrement
rue Neuve St Louis
à Paris
no 1606 P 1 n" 99
(4) Henry de Thyard de Bissy, évêque de Toul de 1692 à 1704, puis évêque de Meaux. Il est promu cardinal le 29 mai 1715. Il était abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés depuis le 28 décembre 1714. Il mourut en 1737. Cf. Dom Martène, op. cit. vol. XVII, t. I X, p. 32.
(5) Cette remarque de Mère Mectilde se rapporte à une coutume très fréquente à l'époque. Les moniales confectionnaient de menus travaux de broderie et les échangeaient avec leur famille contre de petits objets qu'elles employaient pour leurs obédiences. Mère Mectilde cherche à préciser dans la révision des Constitutions tout ce qui pourrait devenir un obstacle à la pratique du voeu du pauvreté.
A UNE SUPÉRIEURE
[peut-être celle de Nancy]
28 juin 1697
e viens vitement vous faire un petit mot, ma très Révérende et
plus chère Mère, pour vous assurer que j'ai reçu votre chère lettre du 23 de juin. Je suis pénétrée de vos croix, ma très chère Mère. Je ne croyais pas que votre Communauté soit composée d'esprits si mal tournés. Mais prenez courage : vous êtes sur la croix par la volonté de Dieu. Ne vous accablez pas, confiez-vous en la, bonté de celui qui vous a mise où vous êtes. Tenez-vous ferme en Dieu. J'espère qu'il prendra votre parti et qu'il vous soutiendra. Ayez plus de confiance en son secours et à celui de sa très Sainte Mère qu'à toutes les créatures. Si Monseigneur votre Evêque [Henri de Thyard de Bissy] a l'esprit de Dieu, il pénétrera bien que
LETTRES INÉDITES 371
370 CATHERINE DE BAR
c'est un méchant esprit qui fait le trouble dans votre maison. Je prie Notre Seigneur de le confondre. Redoublez votre confiance et demeurez inébranlable dans sa divine main. Sa très sainte Mère vous protègera. Gardez votre paix au milieu de cette tempête, que vous devez regarder dans la dispensation divine pour en faire un saint usage, et que rien d'humain ne diminue la grâce en vous. Croyez, ma très chère Mère qu'il est impossible d'être parfaitement à Dieu sans la croix. Elle fera de bons effets en vous, si vous demeurez dans le pur abandon à la divine Providence. Vous commencez d'être la victime de Notre Seigneur Jésus Christ. Donnez-nous des nouvelles de la suite de cette extraordinaire conduite. Ne vous mettez pas en peine de ne pouvoir faire vos officières, puisque Monseigneur a dit qu'il les voulait faire. Il faut que vous l'attendiez en priant Dieu de lui donner son Saint-Esprit. Si la bonne Mère N. faisait bien, elle ne s'en mêlerait pas, mais elle prierait ardemment Notre Seigneur d'y vouloir présider et de les faire faire en son esprit. Je la plains de s'embarrasser de cette affaire qui n'est plus dans sa main. Prenez courage, ma chère Mère, et souffrez. Je suis en esprit avec vous aux pieds de la très auguste Mère de Dieu qui présidera à vos élections des officières. Il la faut prier de renverser tout ce que les démons tâchent de faire pour nuire à l'oeuvre du Seigneur. J'enverrai votre lettre à la chère Mère de N. Ne vous fatiguez pas de lui écrire, mais donnez-moi au plus tôt de vos nouvelles et me croyez toute à vous.
n" 1602 N 261
[A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE
DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE CHARBONNIER'
26 juillet 1697
eur la chère vôtre du 24 du courant, ma très Révérende et plus chère
Mère, je vous dirai que j'ai reçu le mémoire que vous m'envoyiez des Filles de Sainte Marie, qui nous convient bien mieux que [celui que] vous m'avez envoyé des Carmélites. Nous nous y tiendrons. J'ai fait prier un très habile de nous faire ce règlement d'union ; je 'ne sais s'il me fera cette charité. Si Notre Seigneur lui inspire, il fera à merveille, car il sait ce que c'est de ces sortes d'unions. S'il y travaille, je vous l'enverrai ; j'en aurai bientôt des nouvelles.
Je vous rends un million de grâces de l'extrait de la bulle pour l'office de notre' glorieux Père. Je le fais imprimer pour en donner à beaucoup d'endroits, qui en seront ravis. J'ai aussi vu l'association avec nos Pères Bénédictins. Je ne sais si l'on pourra s'en acquitter, à cause de chanter la sainte messe. Le calendrier fera plaisir au bon Père qui travaille au nôtre. Mr. Chatelin s'en mêle. Je crois qu'ils y changeront beaucoup
et trancheront bien des saints. Il n'importe, pourvu qu'il soit arrêté
pour n'être plus dans l'embarras savoir ce que l'on doit faire. J'ai écrit à M. de Rabaumont (1) pour le prier qu'il nous envoie son office dé
la Réparation. Je ne sais s'il le fera. Si nous l'avons, nous tâcherons de l'introduire. Celui que nous avons n'est pas dévot, ni approuvé de tout le monde.
Nous avons commencé de lire les Constitutions dans la Communauté. On l'en trouve (sic) bien des choses à redire, mais je n'ai point voulu que l'on y changeât ce qui n'est pas propre pour les autres maisons. Nous verrons d'accommoder les choses, sans rien gâter.
Vous me consolez d'entendre que Méridon (2) n'est pas encore désespéré. Je crois que si tous étaient bien instruits, que Monseigneur
ne le refuserait. La nécessité paraît grandi et bien considérable, en cas qu'il arrivât quelque violence de vos créanciers. Monsieur Ferret ferait beaucoup s'il pouvait faire entendre à Monseigneur que vous êtes à la veille de sortir de votre Maison ; et où faudrait-il vous retirer
Il vaut bien mieux avoir Méridon que de n'avoir pas un trou où se loger. Il est vrai que votre maison n'est point à vous (3); il faut un coup du
Ciel pour éviter une chute très fâcheuse. Je ne sais ce qu'il plaira à
Dieu faire de nous et de l'Institut. Il est bien dans la balance de l'adorable Providence ; il faut une grande mort pour soutenir un tel abandon.
Oui, oui, c'est une admirable merveille qu'une Communauté de 36 per-
sonnes puisse subsister de rien en fonds. Cela est miraculeux. Je conçois que ce n'est pas sans peine ; je ressens ce que vous souffrez actuellement. Hélas ! très chère Mère, je souhaiterais bien que la Providence vous donne de bonnes veuves ou filles, capables de vous soulager dans votre
temporel. Vos demoiselles ne vous donnent pas de quoi vous aider. Nous avons sans dessein choqué Madelle. (mot barré); l'on dit qu'elle veut sortir. Il en sera comme il plaira à la divine Providence. Il faut se soumettre à toutes les conduites de Dieu. Son très saint Nom soit béni de tout !
Vous faites bien de ne pas changer vos offices dans l'état présent. Les jeunes sont trop imprudentes. Je vois des expériences fréquentes
(I) Il était l'aumonier du monastère de Saint-Louis. Une relation ancienne dit qu'il quitta Paris vers le mois de mai 1691 pour prendre une cure à Bar. Il resta cependant très attaché à l'Institut et lui rendit service en certaines occasions. Nos archives possèdent l'éloge funèbre de Mère Mectilde qu'il prononça dans l'église de notre monastère de Toul, le I I juin 1698.
(2) « Presque réduites à quitter leur maison pour satisfaire aux exigences de leurs créanciers,... elles pensèrent se réfugier dans le petit domaine de Méridon que la duchesse et le Cardinal de Bouillon avaient vendu ». (Histoire manuscrite du monastère de Saint-Louis. aux Archives du monastère de Rouen).
(3) En 1684, l'hôtel de Turenne, appartenant au cardinal de Bouillon, fut mis en vente. D'après certains récits conservés dans nos archives, il aurait été acheté par la duchesse d'Aiguillon, petite nièce de Richelieu, pour y installer le second monastère du Saint-Sacrement à Paris. Peut-être la duchesse en avait-elle gardé la propriété jusqu'à sa mort.
372 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 373
et je dis avec vous : les jeunes perdent la simplicité et ensuite l'on ne fait rien qui vaille pour le bien de la religion, ni la propre perfection. Je vous avoue que je me dégoûte fort des sujets que l'on reçoit présentement. Vous n'y voyez quasi rien de solide.
Ne songez pas à faire de visite. Demeurez en paix : il n'est pas à propos de remuer. Vous avez un bon Supérieur qui vous aime bien, vous êtes en repos avec lui.
Quant à Mad. V., je lui dis hier un mot de votre extrémité, lui marquant ma douleur. Il faudrait qu'une autre personne lui fasse faire entendre l'état où vous êtes. Je ne puis faire ce que je voudrais parce que mes dites m'ont discréditée. Et quelque religieuse céans crie encore tous les jours parce que c'est moi qui ai fait tout le mal. Cette dame aurait fait de bonnes choses, mais l'on m'a discréditée dans son esprit. Si vous pouviez trouver quelque dame de qualité qui lui puisse parler, je suis sûre qu'elle vous ferait du bien, car elle en fait à toutes les Communautés pauvres. Monseigneur l'Archevêque l'emploie de tous côtés pour les bonnes oeuvres.
Il manda hier qu'on lui envoyât notre homme d'affaires je ne sais pourquoi, si ce n'est pour le procès que M. de Toul nous fait. Si c'est cela, notre homme d'affaires l'instruira fidèlement de tout. Il faut remettre dans les saintes et adorables mains de Dieu ; il faut toujours attendre la croix comme il plaira à Dieu nous la donner. Je vous en manderai des nouvelles quand je les saurai.
Continuez-moi vos saintes prières et augmentez votre confiance envers la très Immaculée Mère de Dieu. Je suis en son amour toute à vous.
n" 2779 P 1 n" 102 A LA MÈRE MAGDELEINE D'AUVERGNE (1)
27 septembre 1697
Louée et adorée soit à .jamais l'adorable Volonté de Dieu qui éprouve ses victimes comme il Lui plaît .1
e mot est assez précipité, mais je ne m'attendais pas à avoir une
si affligeante nouvelle à vous mander ; je sursois toutes les autres, quoique bien pressantes par le récit que vos chères lettres nous en font, pour vous dire qu'il a plu à Dieu, le soir de la fête de saint Mathieu, réduire en cendre notre maison de Nancy, tandis que toute la Communauté était à matines. Les pauvres filles trouvent leur maison au retour dans un tel embrasement que les trois côtés du cloître et les dortoirs furent consummés. Il n'y a eu que l'église que l'on a tâché de sauver, de sorte que ces pauvres filles n'ont que ce qu'elles avaient sur le corps étant à matines ; il ne leur est rien réservé, pas une chemise, pas un mouchoir, etc... Voilà où il a plu à Notre Seigneur les réduire c'est une pitié qu'on ne peut exprimer. Nous ne savons encore le détail de ce débris. J'en appris l'affligeante nouvelle mercredi au soir par Monsieur leur Supérieur, qui me l'écrit ; les pauvres filles n'étaient pas en état d'écrire ; la désolation est très grande. Je demande vos saintes prières pour les soutenir dans la soumission qu'elles doivent aux volontés de Dieu.
Il faut avouer que cette épreuve est grande, mais les victimes doivent être capables de tout souffrir, se souvenant qu'elles sont victimes par leur sainte profession et que Notre Seigneur a droit de les sacrifier en la manière qui lui plaira.
Figurez-vous près de trente religieuses, tant de choeur que converses, réduites sur le pavé où elles ont couché à plate terre, n'ayant plus rien, pas seulement de mouchoir, ni chemises, etc... C'est une terrible peine à se trouver en deux ou trois heures de temps dans une telle privation de tout. L'on peut dire avec vérité que la croix est grande. La seule consolation est que Notre Seigneur a été conservé dans le Très Saint Sacrement, sans que l'église soit endommagée, ni aucune religieuse brûlée, ni blessée. C'est une grande grâce ; il en faut remercier Notre Seigneur. .Et voyez, très chère Mère, comme il m'afflige dans mes derniers jours. Et où prendre pour les soulager ? J'attends tout de mon Dieu qui seul peut y remédier car toutes les maisons de l'Institut sont affligées. Vous savez à quel point est celle de Saint Louis (2). Il faut beaucoup prier l'Immaculée Mère de Dieu qu'elle protège l'Institut, car l'enfer a bien pris la résolution de le détruire. Voyez comme il y travaille par différentes manières. Je sais que cet incendie est cruel, mais il est bien plus doux à supporter que les divisions dans les maisons de l'Institut qui ne font qu'offenser Dieu et obliger sa Justice à retirer ses grâces
374 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 375
et abandonner les sujets infidèles à la puissance des démons qui les entraînent et font périr. O ma chère Mère, il faut que les démons se jouent des âmes qui résistent à la grâce pour suivre leurs maudites passions ; et que gagnent-elles, quand elles ne sont plus fidèles à Dieu et méprisent ses grâces ?
Est-ce pour cela que l'on fait des monastères et que l'on présente à Dieu des victimes qui l'outragent au lieu d'apaiser sa juste colère ? Hélas ! très chère Mère, vous voyez que les innocentes souffrent pour les coupables ; personne n'est plus indigne des miséricordes de Dieu que moi, et cependant je suis indigne de réparer ; il faut que Notre Seigneur choisisse des victimes innocentes pour faire et souffrir ce que je mérite. C'est ce qui m'afflige dans cette occasion et dans toutes les• autres afflictions que Notre Seigneur envoie. Son très Saint Nom soit à jamais béni ! J'avais besoin de cette affliction pour m'abîmer davantage.
Priez le Seigneur que nos pauvres mères affligées de Nancy puissent porter saintement leur souffrance. Ce temps est fâcheux, car le froid commence et les voilà toutes dénuées. Priez Notre Seigneur qu'il les revête de lui-même et qu'elles puissent donner par leur sacrifice quelque plaisir à Notre Seigneur en réparation de tant de péchés et de profanations. L'on nous assure de la paix. Je ne sais si les affaires de votre pays se termineront en faveur de ce bon prince (3). J'en espérais des nouvelles, mais elles ne sont point encore venues. Ayez, très chère Mère, la bonté de nous en mander. Monsieur Tarlot sera bientôt chez vous ; il prétendait y être à la mi-octobre, c'est bientôt ; je prie Notre Seigneur qu'il le conserve. C'est un vrai saint et qui a bien de la bonté et de la charité pour notre Institut. Je crains que votre Communauté ne soit ingrate de sa charité.
La Mère de Jésus (4) vous écrira sur vos affaires touchant nos Mères de Toul. Je crois que nous ne plaiderons plus. Monseigneur l'Archevêque de Paris en a témoigné son mécontentement à Monseigneur l'Evêque de Toul : c'est ce qui le fait résister, car il ne peut rien gagner. Son procès a été mal intenté. Mais vous savez, très chère Mère, qu'il me faut toujours des croix. Adorez et aimez Notre Seigneur pour moi, très chère Mère, et me croyez toujours toute à vous et à votre sainte Communauté que je salue en Jésus et sa très sainte Mère.
J'écrirai à la plus chère Mère du Saint Esprit (5) le plus promptement
qu'il me sera possible ; je la prie d'avoir un peu de patience. Je ne la veux pas contraindre de rester : elle pourra prendre son temps et
prendre les permissions de Monseigneur votre Evêque (6) ; de même les autres qui prétendent revenir. Je comprends bien qu'il y a à souffrir dans une maison naissante, dans un pays extraordinaire pour la langue et pour beaucoup d'autres choses, qu'il faut donner à Notre Seigneur.
C'est sa gloire qui vous y a menées, il faut que ce soit sa gloire qui vous fasse revenir et que lui seul vous fasse agir en tout et partout, afin que vous soyez remplie de son Esprit et que l'humain ne vous domine pas.
Je vous quitte, très chère Mère, ne pouvant aujourd'hui vous en dire davantage. Je prie l'Immaculée Mère de Dieu de vous combler de bénédiction.
n" 96 P 39
(1) Fille de «Jacques Dauvergne et de Marie de Valière, demeurant à Paris, elle fit profession à Toul le 8 octobre 1679, en présence du P.L.E. Louys, abbé d'Etival. J. Philbert, curé de Saint-Epvre, Nicolas Plant». Elle mourut le 8 juillet 1709. (Livre des professions de Toul).
Lorsque la reine de Pologne Marie Casimire, en exécution d'un voeu fait pour obtenir la victoire et la protection de Dieu sur son mari Jean Sobieski lors de la bataille de Vienne contre les Turcs, demanda à Mère Mectilde des religieuses pour fonder un monastère de son Institut à Varsovie en 1687,, la Mère d'Auvergne fera partie des fondatrices. (cf. Sous la crosse de Notre Dame, monastère des Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen. 1975 n" 66 et sv.).
(2) Le texte F 1 a été barré sur l'autographe et rétabli d'après une copie antérieure à cette suppression.
(3) Auguste II. élu roi de Pologne par la Diète, le 26 juin 1697. Jean Sobieski roi depuis 1674. Son prédécesseur était mort le 17 juin 1697.
(4) Mère Marie de Jésus (Marguerite Petitgot), fille du sieur Errard Petitgot, écuyer, seigneur du fief Francour et gouverneur pour le roi du château de Landserone, et de Damoiselle Marguerite Obrion, résidant à Huillecourt, fit profession à Toul le 13 octobre 1670 et décéda le 23 août 1718 dans notre monastère de la rue Saint-Louis à Paris. Elle fit partie des fondatrices de Varsovie. Très liée d'amitié avec la reine de Pologne, elle rentra en France quelque temps après le départ de Marie Casimire pour le pays. Après son veuvage. la reine s'installa à Rome où elle désirait fonder un monastère de notre Institut. Dans cet espoir, et pour faire approuver les Constitutions revues par More Mectilde avant sa mort. Mère Marie de Jésus se rendit à Rome. Mais les deux projets échouèrent. Rome n'accepta' pas la seconde version des Constitutions, parce qu'elles n'étaient pas signées de toutes les maisons de l'Institut.
(5) Mère du Saint-Esprit (Agnès Françoise Boutilly) fit profession le 10 février 1687 au monastère de Saint-Louis. Le roi Auguste III, le 12 juin 1698, signa l'autorisation de rentrer en France pour « Maria Margueritha Petigoth, Maria Francisca Boutiller, et Maria Grand Jour ».
(6) Stanislas Witwicki, évêque de Posname de 1687 à 1698.
A LA MÈRE MARIE DE SAINT - PLACIDE IPhilbertl
I au monastère de Saint-Louis 1
27 septembre 1697
n vous renvoyant, très chère Mère, une de vos lettres que j'ai encore
trouvée, je vous fais part de l'affliction arrivée à nos chères Mères de Nancy. Comme la Révérende Mère Prieure est en retraite, je ne sais si elle aura vu ce que je lui ai écrit. Vous saurez, très chère Mère, que le jour de saint Mathieu, 21ème du courant mois, pendant les matines, le feu s'alluma avec tant d'ardeur qu'en deux ou trois heures de temps, il consomma les trois parties du cloître et les dortoirs, en sorte qu'elles se sont trouvées sans plus rien avoir, pas seulement de chemises ni de mouchoirs, enfin, rien du tout et obligées de coucher à plate terre. Jugez, très chère Mère, en quelle extrémité elles se sont trouvées réduites. Et qui pourra les soulager, étant toutes réduites comme vous savez que nous sommes ? Il faut bénir le. Seigneur qui fait pareils coups. Voilà de quoi remplir la qualité de victime. O Dieu, très chère Mère, quel coup ! Adorons et bénissons celui qui sait faire
LETTRES INÉDITES 377
X76 ( A 1111 RINI Di BAN
dans un moment ce que l'on peut faire dans plusieurs années. O chère Mère, apprenons à être victimes, voilà un petit échantillon de sa puissance. Il faut espérer que sa divine bonté soutiendra ces pauvres souffi ;unes et qu'il les sanctifiera. Je les recommande à vos saintes prières cl là cellesl de toute la Communauté. Je voudrais bien écrire à ma chère Wertrudel niais je n'ai pas le temps. Je lui demande si l'enfer ne croit pals avoir fait un grand chef-d'oeuvre d'avoir brûlé cette maison. Dites-lui ce petit mot en secret, très chère Mère, et l'embrassez pour moi. A Dieu, e suis toute à vous d'une sincérité entière.
n" 408 1'105
Samedy 18. octobre 1697
"Te viens vous dire, ma très Révérende et plus chère Mère, que la
Révérende Mère Prieure de Nancy sera demain sur les dix ou onze heures dans Paris. Je vous demande si d'abord vous pouvez les recevoir et loger deux ou trois jours, parce que notre bon Père Prieur (1) mourut hier et que nous n'avons point de Supérieur, gut le Seigneur Archevêque I le Cardinal de Noailles] à qui j'ai déjà écrit trois ou quatre fois sans pouvoir tirer aucune réponse cela m'embarrasse beaucoup, pour toutes les défenses qu'il a faites. Je crois que je pourrais les recevoir, mais je ne puis leur, permettre de sortir pour leurs affaires. C'est un abîme de tirer une réponse de Monseigneur. Je vous prie de me dire si vous pouvez les laisser sortir, quand vous les avez reçues. Si vous ne le pouvez, il faut qu'elles viennent tout droit avec nous et qu'elles y demeurent tant qu'il plaira à mon dit Seigneur leur permettre de sortir. Je vous supplie me donner une réponse positive et de me croire toute à vous.
Pour-
La Révérende Mère
prieure des filles du
St Sacrement
rue Neuve St Louis
à Paris
n" 1609 I n" 104
(I) Dom Antoine Durban (1626 - (697), originaire de Mouzon. diocèse de Reims. Il fit profession n Saint-Remi de Reims le 22 110(11 I(46. Après plusieurs priorats, il devint procureur de In congrégation de Suint-Maur à Rome. assistant de deux supérieurs généraux. puis prieur de Saint-Germain-des-Prés. 11 mourut le 17 octobre 1697. (Dom N.larlène, op. cil.. fuse. XI.11 I. I. VII, p. 164. Ligugé. 1937).
Loué et adoré soit le Très Saint Sacrement !
Ce 20 octobre 1697
Nous avons reçu, ma très Révérende Mère, par écrit et par effet, les marques de la bonté et charité de votre coeur et de toute la Communauté pour nos chères Mères affligées. Nous attendons la Révérende Mère Prieure avec• une compagne. Tous leurs amis les ont obligées de partir pour se venir jeter aux pieds du Roy ; si elles nous disent quelque chose de particulier, nous vous en. ferons part. Elles mandent 'qu'elles ressentent de plus en plus leur mal et qu'elles n'ont pu apprendre d'où est provenu le feu. Grand nombre de personnes leur disent que ce sont des sorciers et qu'une femme disait, le soir de la nuit que cet accident leur arriva, à un soldat qui lui paraissait assez las : «Où vas-tu ?» Lui répondit : «Me coucher, carie n'en puis plus». Elle lui répartit : « Tu auras pourtant assez d'ouvrage cette nuit». Les Jésuites qui sont leurs voisins virent le feu prendre en cieux endroits du toit en même temps et avec tant de violence que tout fut bientôt embrasé. Tout le monde y a couru : Bénédictins, Jésuites, Capucins, Carmes, soldats, ouvriers, tous travaillèrent à sauver l'église et les papiers qui sont considérables pour elles. La sacristie, qui est une aile de leur choeur, est sauvée. Il n'y a eu que deux niches et quelques choses qui étaient au grenier, brûlé, et deux chandeliers d'argent fondus, dont elles ont retrouvé la plus grande partie du métal. Tout le reste est consommé : meubles, habits, linge. Elles se trouvèrent n'ayant que ce qu'elles avaient sur le corps. Celles qui étaient à Matines (vous savez comme l'on y va) avec de méchants scapulaires et voiles ; celles qui avaient été au Saint Sacrement devant et celles qui devaient y aller après furent éveillées par le feu qu'elles virent sur elles : une partie se sauvèrent sans avoir eu le temps de prendre chausses, ni souliers, ni robe. Y en a une qui a les pieds brûlés. Elles allèrent au chœur Où l'on disait Matines, dont elles ne disaient que le troisième psaume, et tout le faîte et greniers paraissaient embrasés ; il n'y avait pas plus d'une demi-heure qu'elles en étaient parties sans avoir vu ni senti aucune apparence de jeu. On exposa le Très Saint Sacrement pour conserver sa maison ; le prêtre le tint bien deux heures dans le jardin et elles tolites tout autour. Elles se trouvèrent après en l'état où je vous les ai dites, une partie à demi-habillées, les autres avec une tunique, et toutes sans un seul voile à coiffer. Toutes leurs figures du Saint Sacrement fondues. Leurs bréviaires, hors la partie qu'elles avaient à Matines, brûlés et généralement tous leurs livres. Il ne leur reste, disent-elles, qu'un seul tome de la vie des saints. Elles avaient une belle bibliothèque. Elles bénissent Dieu et disent comme Job : «Il nous l'avait clonné, il nous l'a ôté» et nous sommes bien aises qu'il ait plutôt conservé sa maison que la nôtre. Elles inondent aussi à Notre Révérende Mère, pour sa consolation, qu'elles ont plus de désir que jamais [d'itre1 plus à Dieu, que c'est ce qui leur reste : que la bonne volonté et que l'Office divin et l'Adoration perpétuelle n'ont point manqué ; qu'elles commencent à avoir des maladies. Elles sont retirées dans une petite maison qu'elles ont au bas de leur église. Elles ont reçu de grands secours des Filles de Sainte Marie : dès le soir, elles leur envoyèrent 6 paillasses et des couvertures et leur offrirent d'en recevoir 5 ou 6 des plus vieilles et bernes, mais pas une n'a voulu sortir, aimant mieux simili* ensemble. Il y a des voûtes sous le cloître qui ne sont pas enfoncées. Messieurs les Gouverneur et Lieutenant de Roy ont fait travailler des soldats aux décombres de peur
378 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 379
qu'elles n'enfoncent et leur ont rendu de bons services. Il y a aussi eu des religieux de (leur) bonne volonté. Un canne y trouva une image de papier de sainte Scholastique sans aucune tache ni rupture ; cette image avait un cadre de bois et attaché à un pièce de bois qui était brûlée ; on a aussi trouvé un petit crucifix de cuivre sur une croix de bois sans être brûlé ; c'est tout ce que l'on dit avoir trouvé.
Notre très Révérende Mère est un peu mieux depuis quelques jours ; elle m'ordonne de vous faire, ma très Révérende Mère, toutes les amitiés possibles de sa part et du plus tendre de sou coeur. Elle est charmée de votre charité et l'a comptée pour beaucoup et qu'assurément Notre Seigneur vous en récompensera. Je vous avoue qu'elle« surpasse du tout nos espérances, l'union de l'Institut me faisant vous mander ce fâcheux accident sans avoir intention de vous quêter que le 'secours de vos saintes prières pour nos chères Mères affligées, mais votre grande charité leur donne aussi le secours temporel. Notre Seigneur et sa très sainte Mère en soient eux-mêmes votre récompense !
Je crois, très Révérende Mère, que vous aviez averti le Révérend Père de Birne, qui vint, le lendemain que je reçus la chère vôtre, apporter le contenu de votre quittance que je lui donnai ; il me pria de vous bien faire ses compliments ; il est charmé de vos bontés pour ses parentes.
J'attends vos livres, mais il faut envoyer présentement pour cette commodité, ce sera pour la première qui se présentera. Mille actions de grâces, ma très Révérende Mère, pour vos bienfaits. Je suis du meilleur de mon coeur votre très obéissante servante. Sr
de Ste Magdeleine
C 400 n" I 1 autographe au monastère de Caen
A UNE RELIGIEUSE DE TOUL
[sans date]
Ma chère Fille,
ous croyez trouver quelque appui en moi, mais je vous assure que
je me mettrai du côté de Notre Seigneur. S'il vous ôte votre voile, je vous ôterai la robe. Je veux votre sainteté ; vous êtes une petite paysanne que l'on mène à la cour. On en veut faire une dame, on lui ôte ses vieux haillons et ses petites guenilles. Elle ne le peut souffrir, ne voulant point de robe plus belle ni plus riche , et s'y trouvant emprun- • tée. Elle dit : «Otez-moi cela, donnez-moi mes hardes, j'aime mieux ma liberté que toutes ces belles choses ». Voilà votre portrait tout fait. Quand Dieu vous aura dépouillée, quelle perte ferez vous ? Il -veut vous ôter vos guenilles pour vous revêtir de lui-même, et vous ne le voulez pas, vous l'empêchez. La nature, qui est cette paysanne, dit :« Quoi ! je n'aurai plus aucun goût de Dieu qui me soutienne, pas une bonne pensée qui me remplisse, pas une douceur, une consolation ?
Cela m'est rude ». « Ôtez-moi tout cela, ce ne sont que guenilles : Dieu sera votre force et votre soutien ». - « Oui, mais je ne le vois pas, je n'en sens rien, pourquoi le croirai-je ? ».
Eh ! nous nous confions bien à une personne que nous savons nous aimer - qui nous trompe souvent - et parce que nos sens ne voient point Dieu, nous avons peine à croire en lui et en sa parole ! Un peu de foi et de confiance en sa bonté fera merveille. Si vous étiez entre les bras de votre père qui est au monde vous diriez : « Mon père m'aime et il ne souffrira pas qu'il m'arrive du mal ». Et Dieu nous aime bien plus, sans comparaison. Heureuse perte ! Si vous vous perdez vous-même, Jésus Christ vous recevra.
Pourquoi pensez vous que le Saint Esprit ait descendu sur les Apôtres avec un grand vent et du feu ? C'est que le vent renverse tout, mais étant cessé, les choses se peuvent relever. Il n'en est pas de même du feu, il consomme tout et ne fait aucune réserve. Donnez-vous au pouvoir du Saint Esprit, et vous trouverez un exterminateur qui n'épargne rien : il met le feu partout. Gardez-vous de l'activité, et souffrez les agonies autant de temps que Dieu voudra. Est-il vrai que vous aimeriez mieux mourir que d'être dans une perpétuelle langueur, et que vous demanderiez volontiers le coup de grâce ? Vous avez trop de compassion sur vous-même ; oubliez-vous une bonne fois, et laissez toutes vos. pensées et raisonnements à la porte, sans amuser à contester avec cette marmaille qui vous nuira si vous n'y prenez garde. Le démon est ravi lorsqu'il voit une âme badiner et réfléchir sur elle-même. Il se sert de l'occasion pour la perdre. Lorsque ces choses se présentent à l'esprit, il faut leur dire : « Taisez-vous, vous m'importunez ». Et si elles recommençent, ne vous amusez pas à contester. Toutes ces réflexions et tendresses de nature, et de compassion de vos propres intérêts, ne sont que des jeux de petits enfants qui crient devant les portes. Laissez-les crier tant qu'ils voudront. «Mais quel moyen de vivre ? J'aimerais mieux perdre toutes créatures que de perdre le goût de Dieu ». C'est l'amour propre qui crie ainsi. N'est-ce pas bien de l'honneur et de la grâce que Dieu vous fait de vous associer à son Fils. Je sais que vous le voulez de tout votre coeur. Abandonnez-vous donc toute à lui : oubliez-vous de vous même et vous verrez qu'il fera son ouvrage. Je ferai avec lui de si bons contrats pour vous que vous ne vôus en pourrez défendre.
Priez-le qu'il me donne son Esprit et que jamais je ne l'offense, que
lui même ag _ n,,nelire7 en paix.
n" 3025 N267
380 CATHERINE DE BAR
ANNEXE
A UNE RELIGIEUSE QUI GARDAIT MADEMOISELLE SA NIÈCE qui avait la petite vérole
6rès chère Mère, je suis très obligée à votre charité de toutes les peines que vous prenez pour ma chère petite nièce. Je prie la sacrée Mère de Dieu vous combler de bénédictions en récompense.
Voici que je lui écris un petit mot comme elle l'a désiré. Je serais bien aise que, de bonne heure, elle apprît à souffrir saintement les afflictions de la vie. Je sais que la maladie en est une, très forte à soutenir, mais qui attire bien des grâces du Ciel quand l'on sait en faire usage. Je vous prie, très chère Mère, apprenez-lui à l'offrir à Notre Seigneur et à sa très Sainte Mère et à prendre patience dans ses maux, les offrant aussi pour les âmes du Purgatoire. Elle est en état de mériter, si elle se soumet au bon plaisir de Notre Seigneur. Je crains, ma très chère Mère, que la fatigue ne vous fasse succomber. Je presse la chère Mère N. de vous donner du secours afin que vous puissiez au moins un peu dormir, parce que ce mal est long et, sans miracle, vous n'y pourrez résister. Je vous prie de dire à ma nièce que sa maman est à Paris et qu'elle viendra tantôt apprendre de ses nouvelles. Je voudrais bien qu'elle se dévouât toute à la très Immaculée Mère de Dieu, car, en vérité, c'est sa vraie et unique Mère.
n" 1517 N261
A MADEMOISELLE SA NIÈCE
Ue loue Dieu, ma chère petite nièce d'apprendre que votre petite
vérole n'est point mauvaise et que, avec la grâce de Notre Seigneur, vous en guérirez ; je vous prie, très chère enfant, de faire un saint usage de cette maladie, qui vous donne sujet de sacrifier ce que la nature aime en elle-même ; et, comme ce mal vous est envoyé de Dieu, il faut que vous le receviez de sa très sainte main, le remerciant de vous avoir fait l'honneur de se souvenir de vous, en vous envoyant une petite parcelle de sa sainte Croix : apprenez de bonne heure, ma chère petite nièce, que rien n'est plus précieux, ni plus avantageux en ce monde, que la souffrance. Notre Seigneur vous a donné cette petite croix pour purifier votre coeur de la vanité du monde et des créatures, et vous serez heureuse si, en sacrifiant à Notre Seigneur ce que la nature avait de plus agréable en vous, il vous a fait la miséricorde de l'agréer, en vous donnant en échange une sainte vocation et les grâces qui la doivent accompagner pour être une véritable victime de Jésus Christ.
LETTRES INÉDITES 381
Apprenez de bonne heure à mépriser tout le créé pour le posséder lui seul : c'est le souverain bien que je vous désire et que vous obtiendrez par l'entremise de la très auguste Mère de Dieu. Jetez-vous entre ses bras avec humilité et confiance : elle vous enseignera les voies du salut et vous obtiendra la persévérance, qui est le comble de tous les dons de grâce que nous recevons en cette vie. Offrez-lui vos douleurs et le reste, la suppliant d'en glorifier son divin Fils et qu'il vous rende digne d'être un jour son épouse par la sacrée profession religieuse et que, dès ce moment, vous Soyez une véritable fille d'une Mère si admirable et si pleine de bonté. Demandez-lui tous vos besoins et vous [serezl consolée d'être assurée qu'elle ne vous abandonnera jamais, si vous ne l'abandonnez vous-même, par quelque infidélité volontaire : je la prie de tout mon coeur que ce malheur ne vous arrive jamais.
Prenez donc courage, ma chère petite nièce, et me croyez toute à vous en l'amour de Jésus et de sa très Immaculée Mère.
n" 984 P 120
de Saint-Dié, ce 19 décembre 1679
Monsieur et très cher oncle,
Comme je vois que vous êtes en peine de savoir si nous avons reçu trois de vos lettres, par la dernière que vous nous avez fait l'honneur de nous écrire, j'ai cru ne vous y devoir pas laisser plus longtemps et vous dire que l'ordinaire a été retardé ; il y a eu plusieurs personnes qui ont été prises à ça. N'en soyez pourtant plus en peine, mon cher oncle, nous les avons reçues et voyons, par icelles, le désir-que vous avez de nous obliger. On ne saurait le faire accompagné de plus de vigilance, ni de mon côté, en concevoir des sentiments de reconnaissance plus véritables et plus forts ; aussi je souhaiterais que mon père eût pris la résolution de poursuivre cette charge, mais il craint la grande dépense. J'appris hier par Monsieur Boucquenomine, mon cousin, une nouvelle qu'il faut que je vous apprenne : sur ce sujet il reçut une lettre de sa soeur, Mademoiselle Redouté, qui lui mandait que Monsieur Redouté avait encore parlé à Monsieur l'Intendant au sujet de ladite charge pour mon père, et qu'il lui avait dit que, si mon père la voulait poursuivre, il croyait qu'il la gagnerait, s'il voulait plaider. Il donnait même à entendre qu'il lui conseillait de le faire. On ne sait que penser de cela après ce qu'il a fait pour Glatigny. C'est de l'intendant dont je vous parle, qui a dit ce que je viens de vous écrire à Redouté. Si d'aventure on voit que la guerre finit, je sais un homme qui est à Saint-Dié, greffier, qui pourra bien prendre soin de vos affaires, je lui en parlerai encore et vous en donnerai des nouvelles. Il n'est pas
382 CATHERINE DE BAR
encore assuré d'y demeurer, mais je ne l'en vois pas éloigné, parce qu'il y est marié et y demeure actuellement on est bien embarrassé présentement de ne savoir positivement à qui on sera, cela vaut bien des mesures.
Il faut que je vous dise encore derechef que je suis bien fâchée de voir perdre la charge de mon père, qui le sera, parce que mes père et mère ne se résolvent à rien sur ce chapitre. Ne laissez pas encore lever les oppositions, mon cher oncle, traînez les choses le plus à la longue que vous pourrez, je vous serai bien obligée. Etant, Monsieur et cher oncle, votre très humble et obéissante nièce et servante,
Gertrude de Vienville
Mes père et mère vous saluent, et Madame ma chère tante, pour laquelle j'ai tous les respects du monde, ma soeur n'en a pas moins.
Si vous l'agréez, mon cher oncle, nous vous offrons cette charge et vous en donnerons une démission : donnez-nous une réponse, s'il vous plaît, au plus tôt, afin que nous vous puissions envoyer les papiers nécessaires pour solliciter, il ne faut pas permettre que cette charge sorte de notre famille (1). Conseillez-nous un peu et nous dites à combien peut monter la dépense, si on avait envie de la faire.
A Monsieur de Lhuillier
Ecuyer de Son Altesse Royale
Madame la Duchesse de Guise
au Luxembourg
Faubourg Saint-Germain à Paris
LETTRES INÉDITES 383
1) De son second mariage avec Marguerite Guion ou Guillon de Padoux (Vosges) Jean de Bar eut quatre filles et un fils. L'ainée Marguerite née le 4 mars 1609 a épousé Dominique Lhuillier de Spitzemberg, né à Moyemont; lieutenant du duc de Lorraine, Prêvot chargé de la défense de la ville de Saint-Dié, gouverneur des portes et du château en 1630. Il est colonel d'infanterie, gouverneur de Bitche, Hombourg, Neufchateau, Landsoul en juillet 1655, commandant d'un des quatre régiments du duc Charles IV en 1661. Le duc l'avait annobli le 17 janvier 1646 pour les services éminents rendus au duché, sa bravoure et sa loyauté.
De ce mariage Lhuillier - de Bar, il y eut quatre enfants 1) un fils Nicolas, hérite du titre ; il est écuyer ordinaire de son Altesse Royale Madame la Duchesse d'Orléans et épouse Charlotte Thérèse de Castres (contrat par devant notaire au Châtelet à Paris le 14 janvier 1670). Du mariage Lhuillier de Castres naitront quatre enfants. Une de leurs filles : Catherine sera religieuse à l'abbaye Bénédictine de Malnoue (cf, lettres du 21 et 30 juillet 1696).
2) La fille ainée de Dominique Lhuillier : Françoise,- 26 juin 1629 + 1685 (probablement) (cf. lettre du 14 février 1685), a épousé le 7 février 1652 à Clefcy (Vosges), Claude Gaulthier de Vienville, + 22 mars 1680 à Sainte-Croix de Saint-Dié. maître ès arts, licenciés ès droits, seigneur de Frémifontaine et de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans. Il hérite de la charge de son beau-père comme Prêvot de Saint-Dié .de 1652 à 1660, date à laquelle la charge de Prévôt fut supprimée et .remplacée par celle de Bailli. De ce mariage Gaulthier de Vienville - Lhuillier, naquirent trois filles. celles que Mère Mectilde appelle le plus souvent ses nièces et qui sont ses petites nièces : a) Gertrude, née le 15 janvier 1657. Sa tante Marguerite Lhuillier-de Grand Maison a été marraine pour sa grand-mère Marguerite de Bar-Lhuillier. Il est fait mention d'elle à la bénédiction des cloches de la paroisse de Vienville en 1730. Elle demeurait habituellement au monastère de la rue Cassette. Elle est décédée le 28 août 1733 à Saint-Dié. b) Marguerite, née le 2 novembre 1658 + le 12 février 1727 à Rambervillers ; et qui épousa le 3 juin 1686 Jean-François Humbert comte de Gircourt conseiller du Roi au bailliage d'Epinal, décédé à Nancy en 1754. c) Catherine , née le 1 7' mars 1660, décédée rue Cassette en 1747. Mère Mectilde était sa marraine.
Le colonel Lhuillier avait toujours été un loyal serviteur de son Souverain le duc de Lorraine. Son .gendre Claude Gaulthier de Vienville avait reçu les lettres patentes pour succéder à son beau-père en la charge de Prévôt de Saint-Dié le 3 août 1653. La guerre de Trente ans allait ouvrir une nouvelle ère de dévastation en Lorraine. Les troupes du roi de France, celles du duc de Lorraine au service de l'Empire, leurs alliés, passent et repassent sur son territoire. Comme son beau-père Claude Gaulthier reste fidèle à son souverain, sans toutefois s'engager dans l'armée. C'est pourquoi les intendants délégués par le roi de France cherchent à le destituer de sa charge. Depuis 1660, les charges de Bailli et Prévôt sont suspendues ou exercées par des officiers subalternes. Cependant le 30 juin 1671, il prête serment devant le Sieur Commissaire et obtient un arrêt du Parlement de Metz qui le fait rentrer dans sa charge.
Les lettres échangées de 1671 à 1676 entre Gertrude de Vieuville, demeurant à Saint-Dié, son oncle Nicolas Lhuillier demeurant à Paris, au Luxembourg, et son père Claude Gaulthier de Vienville d'une part. Le mémoire rédigé par ce dernier d'autre part, nous montrent que Claude Gaulthier a fait tout ce qui était en son pouvoir pour conserver la charge dans la famille Lhuillier de Vienville. Plusieurs lettres adressées par Claude Gaulthier de Vienville à «Madame Sa Tante» prouvent que Mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar prenait une part active à tous les évènements de sa famille. Cf, Arch. Nat. 98 AP et renseignements fournis par Mr Marande, Président du Cercle Généalogique de Lorraine. à Nancy et Mr Ronsin, conservateur de la Bibl. Mun. de Saint-Dié.
h .
384 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 385
A LA MÈRE AUGUSTINE GENET (1)
Ma très chère Mère, le 19eme septembre 1654 [?]
Jésus dans le Très Saint Sacrement soit notre consommation !
e vous fais ce mot en hâte, venant présentement de recevoir l'hon-
neur des vôtres, en date du 25eme de mai, avec une très grande consolation car, encore bien que mon silence paraisse grand par la rareté de mes lettres, vous n'êtes pas moins dans mon coeur, et je serais une ingrate si je vous oubliais jamais. Les petits embarras que la Providence nous a donnés par ce. petit établissement m'ont réduit dans l'impuissance de m'acquitter de mes obligations à l'endroit de votre chère personne et beaucoup d'autres qui se plaignent bien justement de moi. Et nonobstant que je vois en cela mon défaut, je n'ose promettre d'y apporter remède pour deux raisons : la première, par la continuation des petites affaires qui m'occupent ; la seconde, pour une très grande incapacité et stupidité d'esprit où je suis tombée, qui ne me fournit pas les talents nécessaires pour satisfaire à ce que je dois et' dont il faut que je souffre l'humiliation, que j'accepte, ce me semble, de bon coeur, dans la vue et la tendance de mon anéantissement dans toutes les créatures, où je dois prendre mes délices puisque c'est l'état qui me rendra plus purement à Dieu. O ma très chère Mère, que c'est une grande grâce de sa bonté de nous réduire dans le centre de notre néant ! Hélas ! s'il nous laissait agir de nous-même selon les instincts même de notre profession, combien d'amour-propre sous prétexte de le glorifier ! J'ai trouvé un trésor de grâce et de miséricorde caché sous le total abandon de nous-même à la conduite adorable de Jésus Christ ; et, en cette disposition, les événements de son amoureuse Providence sont si aimables que par 'eux nous sommes plus liées à lui, et nous trouvons une séparation des créatures et de nous-même quasi insensiblement. Plût à Dieu que toutes les âmes qui tendent à la sainte perfection voulûssent goûter ce cher et précieux abandon ! Je sais que d'abc:nad il ne plait à la nature ni à l'esprit humain, mais dans la suite il devient si suave que l'âme s'étonne de son aveuglement. Or cet abandon nous conduit dans le bienheureux néant de toutes choses, et quand l'âme [en est] arrivée là, elle ne se trouble plus de rien, tout lui devient indifférent, ne vivant plus pour elle ni par-elle-même, mais toute en Jésus Christ et pour Jésus Christ. Vous le savez infiniment mieux que moi, ma chère Mère, puisque Notre Seigneur vous a fait la
(1) Religieuse de la congrégation Notre-Dame d'Epinal (Vosges). Née à Toul, orpheline de bonne heure, elle est élevée par son oncle, bourgeois d'Epinal, et confiée par lui à une « pieuse dame de Saint-Dié », qui ne peut être .que Claude Clément, soeur de Marguerite Clément, épouse de Nicolas Genay, le tuteur et probablement son oncle. Elle entre à la Congrégation Notre-Dame en 1623 et fait profession en janvier 1626.
grâce de vous attirer à son amour; et qu'il y a si longtemps que vous êtes dans les usages des souffrances et des croix, qui est l'unique et plus efficace moyen de s'unir parfaitement à Notre Seigneur Jésus Christ. Souvenez-vous de ma misère devant lui et m'obtenez la grâce du total anéantissement, et que je sois abjecte, morte et toute anéantie dans les créatures, et que Dieu seul soit en moi et en toutes les âmes qu'il a créées pour lui.
Je vous prie en son amour de croire que je suis toujours dans la même affection pour vous, et dans un très grand désir de vous servir. Mandez-moi en quoi je le puis faire et je vous assure que je n'y manquerai pas moyennant la grâce de Notre Seigneur. Je crois que notre bonne Mère Sous Prieure vous aura mandé quelque chose de notre petit établissement : je l'en ai priée. Nos obligations y sont si grandes, puisque non seulement nous devons être continuellement devant le Très Saint Sacrement jour et nuit, mais encore que nous sommes obligées de vivre de la vie cachée et anéantie de Jésus dans l'hostie. Voyez ce qu'il est dans son divin et adorable Sacrement ! Il nous faut l'imiter autant qu'il nous sera possible, tant dans le silence, solitude, anéantissement, que dans ses états d'opprobres et de mauvais traitements par les mépris et impiétés que les créatures qui font souffrir. Je vous dirais beaucoup d'autres choses si je m'étendais jusqu'à où nos obligations nous portent. Cette petite maison n'est pas un monastère d'éclat mais de piété et de néant, par conformité à Jésus tout caché et anéanti dans le Très Saint Sacrement. Priez-le, ma chère Mère, qu'il nous en donne la grâce, et que nous soyons rendues dignes de mourir dans la véritable qualité de victimes du Très Saint Sacrement. Je vous promets association à tout ce que la grâce nous fera faire devant sa très adorable Majesté abaissée sous les espèces, et à tous les biens généraux et particuliers de la maison, etc... Priez bien Notre Seigneur que je ne profane point céans sa gloire au lieu de la réparer. Je voudrais bien rendre mes respects à la Révérende Mère votre digne Supérieure, mais il faut que ce soit pour.une autre fois. Il y a longtemps que je n'ai été capable de faire une lettre si longue. Il y a plus de deux mois ou dix semaines que je suis dans une langueur de fièvre et de faiblesse de poitrine qui m'a pensé faire mourir au mois d'août dernier. Vous diriez souvent que je meurs sans ressource, n'ayant quasi ni force ni vigueur, mais, nonobstant ma lâcheté, le Bon Dieu me fournit des forces pour mes observances, mais c'est tout ce que je puis faire quelquefois. Il faut traîner sa pauvre vie et se réjouir d'en voir la consommation quand il plaira à Notre Seigneur.
A Dieu, ma toute chère et bonne Mère, croyez-moi en son amour autant jamais ...
n" 1742 P101
386 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 387
DU MONASTÈRE DU ST SACREMENT DE PARIS
Ma très chère Mère. Le 21 juillet 1660
ae petit mot est pour vous assurer que j'ai fait tenir à Nancy les quatre pistoles que je vous ai promis et sont entre les mains de Mr Chassel depuis un mois ou six semaines ; ayez la bonté de les envoyer prendre chez lui, en lui faisant voir le billet ci-joint pour l'obliger à vous les délivrer. Je fais ce que je peux pour apprendre des nouvelles des parents de Madlie Barillouis. Si cette petite dame est arrivée à Remiremont, il faudrait voir les personnes qui l'ont amenée, s'ils peuvent donner quelques instructions sur ce sujet ; et s'il y avait grande sûreté, je crois qu'on ne ferait pas mal de l'exposer. Néanmoins il faut être dans la dernière circonspection à cause du hasard et péril évident, à moins d'une protection toute singulière de la bonté de Dieu. Le voyage est long, de plus on ne connaît pas le monde à qui on la confie. Ayez, ma très chère Mère, la charité entière pour elle, qui est de vous en bien informer et assurer ; s'il y avait quelque vertueuse dame, on pourrait mieux l'y confier. Cependant nous l'aiderons de notre possible, mais ce ne sera jamais jusque au degré qu'elle désire, ni que je voudrais, à raison de mon impuissance. Et quand je fais réflexion que je mourrai peut-être bientôt et qu'elle ne sera point pourvue, j'en suis fort en peine, quoique je la présente à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère, qu'elle doit bien prier et se mettre incessamment sous sa protection. Je vous prie tenir la main qu'elle apprenne les moyens de se sauver. Voilà le principal et ce que j'ai plus de passion qu'elle sache bien ; au reste elle ne doit point prétendre de réussir à Paris, car outre que les bonnes conditions sont très rares, il faut des qualités pour servir maintenant, bien plus grandes et extraordinaires que du passé. Les Dames se font servir d'une étrange manière, et ce que je trouve de pis, c'est que le péril y est très grand : cela ne se peut dire ni penser ce que l'on apprend tous les jours de ces effroyables et infernals effets. Il vaut mieux être pauvre et se sauver, que d'être brave et jolie, pour se damner. Néanmoins si je pouvais lui procurer quelque petite chose pour la marier, puisqu'elle n'a point de vocation, je le ferais de tout le coeur. Vous nous ferez la grâce de nous mander tous vos sentiments là-desàis.
Nous avons reçu plusieurs de vos chères lettres, ma très aimée et très chère Mère, mais il m'est impossible d'avoir la chère et douce consolation de vous écrire aussi souvent que je voudrais. Croiriez-vous qu'il y a plus de sept mois que je n'ai pas écrit un pauvre mot à notre Révérende Mère Prieure de Rambervillers, ni à aucune de nos Sœurs. Je ne le puis ; vous seriez étonnée de voir mon petit travail, tant au dedans qu'au dehors de la Maison. Et quoique je ne fasse rien qui vaille, on ne me veut point décharger de n-ion poids. Cependant mon âme y languit et voit que je n'y fais pas le bien qu'on pense. Priez un peu le bon Dieu pour cela, et surtout qu'il me fasse la miséricorde de mourir en son amour.
Je ne mis rien dans le paquet des livres, parce que nous avions eu un paquet pillé près de Saint Nicolas [de Port] un peu avant que je vous les envoyais. Je n'oublie point la pauvre Françoise et si sa pauvreté presse, je vous supplie que si quelqu'une de vos amies la peut assister d'une pistole, je vous promets qu'elle vous sera rendue par les Mères Annonciades de votre ville, qui sont venues à Paris, pour y trouver du secours pour leur communauté ; mais les aumônes sont à présent si petites qu'elles en sont extraordinairement surprises et tout affligées. Nous tâchons de les servir : c'est où je ne puis réussir ; on ne veut plus ouïr parler de la pauvreté des monastères de Lorraine. Les bonnes Mères ne seront pas trop riches à leur retour, si Dieu ne fait quelque coup de sa puissance sur les coeurs qui les peuvent secourir.
Si vous aviez affaire de quelque chose, il faudrait pendant trois semaines qu'elles seront encore ici que vous nous le mandiez promptement par un mémoire détaché d'avec vos chères lettres.
Je continue à faire rechercher la «Science des Saints» (1) et quoiqu'il soit comme impossible de le trouver, j'espère néanmoins dans la suite des temps le rencontrer, ou à Paris, ou ès villes de France où on imprime. J'ai donné ordre pour cela. Je suis mortifiée de ne pouvoir rendre ce petit service à la très Révérende Mère Supérieure que je salue très affectueusement, et toute votre sainte Communauté, que j'aime d'une amitié toute singulière. On dit que les premières affections sont bien fortes ; je le vois par expérience : vous êtes et votre sainte Maison, les premières dans mon coeur et pour qui j'ai eu de plus forts attrait d'être religieuse, quoique Dieu ne l'a pas voulu ; cependant mon affection ne s'en est point retirée, et tant que je vivrai je vous aimerai chèrement, et toute la Communauté me sera chère, et j'aurai affection de la servir. Je vous supplie d'en assurer toutes les chères Mères et Soeurs qui la composent et en font le nombre ; je me recommande à vos saintes prières ; je ne dois point vous dire que ma santé est bonne : elle est fort variable parmi tous les tracas, mais soutient tout ; nOi1S nous abandonnons toute à lui. Et en lui je suis toute à vous
Sr Mectilde du Saint Sacrement
A La Révérende Mère,
La Révérende Mère Augustine Genest,
Assistante au Monastère de la Congrégation
A Epinal
no 148 Autographe
(1) Ce volume a paru en 1638 à Paris chez Cramoisy. L'auteur, François Poirey, S.J. est né à Vesoul en 1584. Recteur de la maison profès de Nancy. puis du collège de Lyon et de Dôle, il meurt à Dôle en 1637.
388 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 389
1
RÉSUMÉ DU MÉMOIRE (I) ENVOYÉ À ROME PAR MÈRE MECTILDE
le 15 janvier 1658
En 1632, Soeui- Mectilde du Saint Sacrement, supérieure du monastère nouvellement fondé au faubourg Saint Germain à Paris, alors agée de 17 ans, entre au monastère des religieuses de l'Annonciade rouge, de l'Institut de la Bienheureuse Jeanne de France, sous la direction des Pères Cordeliers, au bourg de Bruyères en Lorraine, diocèse de Toul, où elle fait profession solennelle. Mais, au 2e ou 3e an après cette profession, ledit monastère, non encore suffisamment doté, à cause des guerres qui ont ruiné et perdu toute la Lorraine, est entièrement brûlé et pillé. Les religieuses sont obligées de se retirer soit chez leurs parents, soit chez leurs amis et bienfaiteurs,le pays étant rempli de cruels soldats et brigands. La Mère de Saint Jean ne voyait aucun moyen de rebâtir son monastère, ni de pouvoir vivre ailleurs régulièrement et ensemble avec ses sœurs. La guerre si longue l'empêche d'envoyer à Rome pour en obtenir une dispense. Cherchant la perfection de sa vocation, elle a consulté des hommes de grande piété, doctrine et expérience. Il n'y avait point d'autre monastère dans toute la province où elle pût subsister. Alors l'évêque de Toul (2), lors vivant, et le vicaire général, et plusieurs pieux et savants religieux lui persuadent que non seulement elle peut, mais qu'elle doit entrer dans un ordre plus parfait et plus austère. Elle a demandé la permission à son supérieur provincial (3), d'entrer dans le monastère de la Conception de Notre-Daine au bourg de Rambervillers, diocèse de Toul, de l'Ordre de Saint Benoît, de l'étroite observance, auquel ladite Règle de Saint Benoit est observée exactement, avec la lettre, la clôture, et l'abstinence perpétuelle de chair et de linge.
Le Père provincial ne veut pas donner la permission ; alors le vicaire général (4) de Toul, supérieur légitime et ordinaire du monastère de la Conception, la lui accorde, ainsi que le pouvoir à la Mère Prieure d'iceluy de reèevoir la Mère Mectilde et de lui bailler l'habit de Saint Benoit, avec l'entrée au noviciat. Après un an entier et huit jours, avec la même licence autorité et pouvoir du même vicaire général (le siège épiscopal vacant), du consentement de toutes les religieuses, sans opposition quelconque que l'on sache, soeur Mectilde fait publiquement et solennellement profession, en 1639, de l'étroite observance de la Règle de Saint Benoit à Rambervillers. Par obéissance, elle a exercé presque toutes les charges dudit monastère, jusqu'à environ sept ans, qu'elle a été envoyée supérieure en un autre monastère du même ordre, qu'elle a gouverné trois ans entiers, ensuite supérieure en son propre monastère par le consentement universel de tout le convent. Elle est conduite à Paris, pour la fondation, érection et direction dudit monastère nouvellement établi au faubourg Saint Germain à l'honneur du très Saint Sacrement de l'autel, duquel elle est supérieure depuis environ sept ans qu'il a été fondé.
Ce monastère [avait été] fondé à la sollicitation et grâce à la dévotion de la reine, ainsi que par la pieuse libéralité de quelques autres grandes et vertueuses daines. Sous prétexte que ce changement d'ordre n'a pas été fait par l'autorité apostolique, on voudrait révoquer en doute ce qui a été fait par la suppliante, au grand scandale des religieuses qu'elle a reçues aux trois monastères qu'elle a gouvernés conune supérieure...»
CERTIFICAT DU VICAIRE GENERAL DE TOUL
«Nous, François Caillier, licencié aux droits, pronotaire de ladite Eglise romaine, chantre et chanoine de l'Eglise de Toul, vicaire général de Monseigneur André du Saussai, évêque et comte de Toul, prince du saint Empire romain...
Fait à Toul, en notre hôtel, le 7 janvier 1658... Contresigné : D. Lestang».
AUTRE CERTIFICAT
«Nous, Dom A rsène Mathelin (5), abbé de Saint-Airy, en la cité de Verdun, et Président de la Congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, ordre de Saint Benoit, Dom Pierre des Crochets (6), prieur du monastère de Saint-Clément, en la cité de Metz, et Dom Henry Hennezon (7), prieur du monastère de Saint-Evre en la cité de Toul, visiteur de ladite Congrégation... Fait à Verdun, en notre abbaye de Saint-Airy, le 15 janvier 1658».
(1) Ce résumé a été rédigé par Dom Alphonse Pothier (+ 1907).
(2) Charles Chrétien de Gournay était évêque de Toul en 1636 - 1637. Le siège ensuite fut vacant jusqu'en 1645.
(3) Frère Jacques Saleur. ministre provincial de la province de France parisienne.
(4) Monsieur Midot. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 16, note 16.
(5) Profès à Moyenmoutier (Vosges) le 15 août 1617, fut deux fois visiteur et treize fois président de la Congrégation de Saint-Vanne de 1639 à 1670. 11 mourut à Saint-Vincent de Metz le 9 février 1671. Cf. Dom Martène, op. cit. , t. IV, 1930. p. 120.
(6) Né à Verdun, profès de Saint-Evre le 15 juin 1624. prieur d'Haréville en 1636. prieur de Saint-Martin des Champs de Paris en 1660. 11 mourut à Saint-Arnould de Metz le 14 juin 1672. Il communiqua ses mémoires aux auteurs de la G allia Christianci. qui les utilisèrent. On trouve des notices qu'il a rédigées sur Saint-Arnould de Metz et plusieurs autres abbayes aux Arch. Dép. de Metz. ms. 813 ; Epinal, mss. 35 - 36 ; Bibi. Nat., Nouvelles acq. fr. 3669, f. 863 - 906. Cf. J. Godefroy. op. cit., p. 66.
(7) Profès de Noutroland, le 8 juillet 1635. fut prieur de Saint-Evre et du Brduil, puis abbé de Saint-Avold en 1660. et de Saint-Mihiel en 1666, où il mourut le 20 septembre 1689. après avoir été président de la Congrégation de Saint-Vanne sept fois de 1667 à 1688. Cf. J. Godefroy. op. cit., p. 112-113.
Il exerça une influence profonde et heureuse sur le Cardinal de Retz, retiré à Commercy, et l'assista à sa mort, survenue le 24 août 1679. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 272.
390 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 391
BREF DE NOTRE SAINT l'ÈRE LE PAPE ALEXANDRE VII
• «... donné à Rome, à Sainte Marie Majeure, ... ce 20 septembre 1660, l'an sixième de notre pontificat. Signé : H ugolin...»
Grâce à ce bref, la Mère Mectilde, le 26 juin 1662, obtint des lettres du roi. par lesquelles il fut reçu en France, et son changement d'ordre fut autorisé par sa Majesté.
Après la publication du bref et des lettres du roi, les Pères Cordeliers gardèrent le silence et digérèrent leur peine en secret ; dans la suite, ils donnèrent aussi leur consentement par un écrit, dont voici le contenu :
«Nous, frère Laurent de Chars, de l'ordre des frères mineurs de l'observance régulière de la province de France parisienne réformée, à notre très chère Fille Mectilde du Saint Sacrement, autrefois professe de notre monastère des Annonciades de Bruyères, de l'évéché de Toul, et maintenant professe et supérieure du monastère des religieuses Bénédictines du fauxbourg Saint Germain lez Paris, sous le titre du Saint Sacrement... Donné à Paris en notre monastère de l'Ave Maria le 20 mars 166.... Signé : frère Laurent de Chars, ministre provincial».
LES LETTRES DE MÈRE MECTILDE
Les lettres publiées dans ce volume sont conservées dans les archives de nos monastères à l'état de copies. La plupart ont été recopiées plusieurs fois soit dès le XVII" siècle, soit ensuite. Une eude comparative de ces textes nous a permis de découvrir les copistes les plus fidèles et de retrouver avec un maximum de certitude le texte de Mère Mectilde et sa pensée authentique.
Nous avons indiqué au bas de chaque lettre le numéro de ce texte correspondant à sa fiche alphabétique employée dans nos monastères.
Les lettres adressées à la duchesse d'Orléans - 'ère partie - sont données d'après les manuscrits N 267 et P 110 décrits ci-après.
Les Annales du monastère de Toul - 2ème partie - proviennent du Journal » de ce monastère, rédigé par la secrétaire du chapitre.
La majeure partie des lettres à la Lorraine - 3ème pàrtie - ont été empruntées au wanuscrit L 14. Toutes les lettres qui ne portent pas de désignation d'origine proviennent de ce voluZéLes autres se répartissent en une dizaine de manuscrits dont nous ne décrivons que les plus interessants. Chaque volume est coté par une lettre, désignant son monastère d'origine, même si cette maison n'ex-iste plus depuis très longtemps, et un chiffre. numéro d'ordre dans les archives de ce monastère.
Lettres à Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans.
Les manuscrits N. proviennent du monastère de Toul. réinstallé à Saint-Nicolas-dePort après la Révolution, et où se regroupèrent les survivantes des trois monastères lorrains.
N 267 = Volume du XVI I" siècle de 163 x 110 mm., relié cuir. de 247 feuillets dont 241 seûlëment sont foliotés recto. A l'intérieur de la couverture se trouve cette inscription :
« Loué soit le très St Sacrement. A l'usage de la Révérende Mère Marie Anne de Ste Madelaine Prieure ». 11 y a de très fortes chances pour que ce manuscrit ait appartenu à la Mère Prieure de Toul, que nous recontrerons très souvent au cours de la troisième partie de ce livre. C'est un manuscrit très fidèle. Nous y avons pris aussi un grand nombre de lettres adressées à la « Lorraine ».
P 110 = En provenance du premier monastère de Paris, rue Cassette. Manuscrit du XVII° sléclé de 190 x 140 mm., relié cuir avec fermoir de cuivre, 386 pages. Il a été complèté. au XIX" siècle, par quelques lettres manquant à la série. D'une écriture très fine, peu courante parmi nos copistes, il est un témoin fidèle. Toutes les lettres à la duchesse d'Orléans sont prises dans ces deux volumes. Les titres placés en tête de certaines lettres appartiennent très probablement à la copiste. Leur ancienneté nous les a fait conserver.
Les lettres de la troisième partie sont prises dans les manuscrits suivants :
P 1 = Volume des autographes de Mère Mectilde. 11 contient 107 lettres autographes, FeTrées en parchemin de 235 x 180 mm., adressées en majorité à la Mère Prieure et à des religieuses du second monastère de Paris, rue Saint-Louis au Marais. Plusieurs lettres ont conservé, au dos, l'adresse de la destinataire que nous avons reproduite en fin de la lettre imprimée. On distingue parfois des traces du cachet personnel de Mère Mectilde. Ces lettres sont en très bon état de conservation. Malheureusement elles ont été raturées, en quelques endroits, à une date postérieure. Il n'a été que parfois possible de rétablir le texte original.
L 14 = En provenance de l'abbaye Saint-Louis du Temple, de Limon. qui a bien voulu nous le prêter pour préparer cette édition. C'est un volume de 260 x 160 mm., de 183 pages contenant 55 lettres adressées au monastère de Rambervillers. Au crayon sur la page de garde se lit « Rouen - 1851 ». L'écriture et l'orthographe font penser à une copie du XVIII" siècle. Cependant nous avons là un manuscrit très fidèle et qui cite presque toujours les noms de personne et de lieu, omis dans les autres. C'est pourquoi nous l'avons utilisé comme base de travail.
P 104 bis = Manuscrit du XV11° siècle de 173 x 114 mm., 594 pages numérotées, relié cuir, iihWEErs jaspées. L'écriture extrêmement fine et serrée, de myope, ne se retrouve pas
392 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 393
dans d'autres manuscrits. Comparé à d'autres manuscrits dont on connait l'exactitude. il s'est révélé une copie fidèle. Revu au XIX" siècle, il a été complèté par des notes intéressantes.
P 101 = Gros in-folio cartonné noir de 325 x 215 mm., 1023 pages. Il donne la biographie de Mère Mectilde rédigée par sa nièce, Mademoiselle Gertrude de Vienville. La lettre d'approbation du chanoine Simon Gourdan ( de l'Abbaye de Saint Victor ) datée de 1701. permet de fixer la fin de cette rédaction au tout début du XVII I" siècle. Le volume a été complété au siècle dernier en y ajoutant des lettres de Mère Mectilde à Monsieur de Bernières, d'après un manuscrit du monastère d'Arras et insérées à leur date en cours du volume. 11 y a donc une double pagination : celle de la rédactrice primitive en haut de page et une autre moderne. au crayon. C'est cette dernière que nous utilisons. Nous n'avons pas la preuve que ce volume soit bien celui qui a été écrit par Mademoiselle de Vienville. Il n'en est peut-être que la copie. Mais c'est alors une copie contemporaine de l'original si l'on en juge par l'écriture et l'orthographe.
Cr C = Manuscrit du XVII" siècle appartenant actuellement au monastère de Craon et provenant de celui de Rouen. Volume de 165 x 112 mm., 782 pages, relié cuir, avec deux fermoirs de cuivre. Ce recueil a été copié par Mère Monique des Anges de Beauvais. Elle a été une copiste extrêmement fidèle. Durant son priorat rue Cassette (1713 à 1723) elle a pu vérifier sur les originaux et rectifier ses copies. Lorsqu'elle n'était pas certaine de sa lecture ou qu'un passage était une citation non signalée par Mère Mectilde, Mère Monique l'indique. La pagination est très défectueuse, mais le manuscrit est de toute première valeur.
N 254 = Manuscrit du XVII" siècle, de 192 x 145 mm., relié cuir, composé de deux parties. rrrere contient 312 pages, la 2ème, 309 pages. Ce manuscrit est lui aussi de la main de Mère Monique des Anges de Beauvais ainsi qu'elle l'explicite elle-même. Elle ajoute page 6 : « J'avertis que toutes les lettres qui sont dans ce livre ont été tirées sur les originaux de Mère Mectilde ». Sur la page de garde on peut lire « Madame Rozières » et, en dessous, d'une autre écriture : « ce livre m'a été donné par la Mère Alexis Dame religieuse du Très saint Sacrement de la maison de Nancy le 24 juin 1799 ». La Mère de Saint Alexis était dépositaire au monastère de Nancy et signa à ce titre la remise des livres de compte aux commissaires gouvernementaux, le 16 Juillet 1790.
N 261 = Manuscrit du XVII" siècle, volume de 182 x 130mm., 455 pages, relié cuir, copié en trois parties. En haut de la première page est inscrit : « à l'usage de Soeur Marie Monique des Anges de Beauvais ».
B50à = Appartenant au monastère de Bayeux, volume de 215 x 150 mm., relié cuir, dorure au dos, 569 pages numérotées; puis quarante pages d'une autre écriture et qui ne sont pas des textes de Mère Mectilde.
T 5 - T 8 = Ces volumes appartiennent au monastère de Tourcoing. Ce sont de gros registres, 280 x 185 mm., reliés en carton noir et rouge. Au siècle dernier, Monseigneur Hervin a recopié sur ces registres tous les textes de Mère Mectilde qu'il a pu retrouver. Sur la page de droite, il a copié le texte d'un manuscrit et, sur la page de gauche, il signale
les divergences avec les autres manuscrits qu'il a pu consulter. C'est un travail très
important et fort intéressant en raison de cette concordance entre les divers textes. Malheureusement, Monseigneur Hervin n'a pas toujours eu connaissance des meilleures sources, mais il reste, en certains cas, le seul témoin de textes perdus actuellement.
En editant ces lettres nous avons toujours respecté le texte original. Seules ont été modifiées l'orthographe et la ponctuation, trop archaïques. Lorsque la lecture nous a paru trop peu claire, nous avons ajouté quelques mots entre crochets dans le texte. Nous n'avons jamais indiqué la signature de Mère Mectilde, qui n'a pas de raison d'être, excepté dans quelques rares cas où cela nous a paru nécessaire pour séparer la fin de la lettre, d'un post-scriptum non indiqué par l'auteur.
Il reste au moins autant de lettres adressées aux religieuses de Lorraine que nous n'avons pas éditées. Nous n'avons retenu, de ce très gros dossier, que les lettres datées, les jugeant plus aptes à faire mieux comprendre la pensée et la personnalité de Mère Mectilde et l'histoire de son oeuvre.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Abréviations employées
A.P.S.S. = adoration perpétuelle du (Très) Saint Sacrement
b. = bénédictine m. ^ monastère
C. = couvent pr. • professe
I. = lettre r. • religieuse (ou religieux)
M. = Mectilde de Bar s.c. = sœur converse
AGNÈS DE SAINT-PIERRE (Mère), pr. du c. des Annonciades de Bruyères, 1.41 (compagne de M.).
AGNÈS (La M.), r. b. de St Nicolas, 1.222 (élue prieure de Rambervillers, s'en retourne à St Nicolas).
AGNÈS (La M. - ou Sainte) [ ROLIN 1, r. b. APSS, 11.252 (1. de -, supérieure du m. de Nancy, à M., 2.XII.65).
AIGUILLON (Duc d'), 11.353-354.
A 1G U I L LON (Marie-Madeleine de) V IGNEROD (duchesse d'), bienfaitrice de l'Institut, [1.328 et n.3 (service célébré à sa mémoire, I. de M., 9.X.75).
AIGUILLON (Marie-Thérèse de) V IGNEROD (duchesse d'), nièce de la précédente, 11.353 et n.3 (I. de M., 21.X.93).
ALEXANDRE VII, pape, 1.236-306 (28.1 V.70), 11.390 (Bref).
ALEXIS DE JÉSUS, r. b. pr. de Rambervillers, 1.51-52 (s'intalle à l'abbaye de Juvigny).
ALEXIS (Mère), r. b. APSS de Nancy, 11.392.
A lmenèches (Orne, arr. Argentan), abbaye b., 1.57-58-60 et n.16 - 61.
ANCELIN (Marie), voir : BENOIT (Marie de Saint).
ANDRE (Mère Saint), r. b. de Montmartre, 11.304 (I. de M., 29.X1.68), 316 (I. de M., 10.X1.73).
Anet (Eure-et-Loir, arr. Dreux), m. de b., 11.353 et n.2 (projet de relévement, I. de M., 21.X.93).
ANGÉLIQUE DE LA NATIVITÉ [ DEMANGEON 1, r. b. APSS/de Rambervillers, 1.51 (quitte Rambervillers), 58 (à la Trinité de Caen), 64 (maladie et guérison), 66 (à St-Maur, supérieure de la communauté), 307-308 (à Rambervillers, 1666), 322 (à Paris, St-André 54), 11.125 (I. de M. à -, restée à Barberi, 25.11.43 ou 44), 192 (I. coll. à M., 8.V111.60), 195 (communauté de Rambervillers, 9.X[.60), 288 et n.1 [ 289 1 (I. de M. à Dorothée Heurelle, 24.11.67).
Quatrième :
Voici un livre dans lequel abondent les faits et les idées. On peut l'aborder comme un document d'histoire... On peut aussi y chercher un message spirituel, et se demander s'il demeure valable, en dépit des vicissitudes de la théologie, de la spiritualité et de leur vocabulaire. Cette seconde attitude est adoptée dans la préface de Dom Jean Leclercq.
« Mère Mectilde de Bar, envoie ses moniales en Pologne, comme missionnaires du Très Saint Sacrement... ». Cette vocation entraîne des exigences venant de l'Esprit-Saint... C'est l'adoration... et l'amour qui donnent la clef de tout : l'oeuvre entière de mère Mectilde commente ces deux devoirs.
En 1683, Jan III Sobieski délivra Vienne, menacée par les Turcs. En accomplissement d'un voeu fait par la reine Marie-Casimire, son épouse, le roi et la reine établirent le monastère des bénédictines du Saint-Sacrement de Varsovie.
Ce livre voudrait célébrer le tricentenaire de la fondation et relate l'histoire de nos monastères de Pologne jusqu'à nos jours.
ISBN : 2-85244-641-3
[page de titre:]
CATHERINE DE BAR
MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT
EN POLOGNE
AVEC LES BENEDICTINES DE FRANCE
Documents originaux, réunis et présentés par les bénédictines du SaintSacrement de Rouen-les-Essarts
TéQUI
82 rue Bonaparte, Paris VIe
REMERCIEMENTS
Nous tenons à exprimer notre profonde et respectueuse gratitude à M. l'abbé Joseph Daoust, dont l'érudition d'historien nous a permis de réaliser l'édition de ce volume.
Grâce au soutien providentiel que nous ont apporté le très regretté père Ceslas Rzewuski, o.p., et ses amis, grâce à leur science des questions historiques et des familles polonaises, nous avons pu mieux comprendre l'histoire de nos monastères et donner les précisions nécessaires sur les personnes et les faits les concernant. Nous nous plaisons à mentionner ici tout spécialement l'aide que nous ont apportées monsieur le professeur Borowski et madame Potocka ainsi que Dom Chapeau pour qui les listes épiscopales n'ont pas de secret.
Nous avons aussi découvert, grâce à eux, en raison de leur compétence mais aussi de leur empressement à nous aider, l'âme fidèle et très souvent héroïque de ce peuple auquel la France est attachée par des liens si anciens et si profonds.
Que Marie, reine de la Pologne et abbesse perpétuelle de chacun de nos monastères, répande sur tous ceux qui nous ont soutenues et conseillées, ses grâces les plus précieuses.
Voici un livre dans lequel abondent les faits et les idées. On peut l'aborder comme un document d'histoire et essayer d'y discerner si et comment événements et circonstances influent sur des mentalités. On peut aussi y chercher un message spirituel, et se demander s'il demeure valable, en dépit des vicissitudes de la théologie, de la spiritualité et de leur vocabulaire. Cette seconde attitude est adoptée ici.
Manifestement, la façon dont mère Mectilde du Saint-Sacrement parle de la vocation de son institut est marquée par son pays et par son époque. Elle n'est peut-être plus celle que l'on emploierait aujourd'hui. « Peut-être » : car, après tout, la différence est-elle si considérable ? Pour en juger, choisissons un sommet à partir duquel le reste puisse être considéré : un texte-clef, une page où se révèle à la fois l'intention de l'envoi de bénédictines en Pologne, les idées-maîtresses qui animent la fondatrice et ses filles, les attitudes psychologiques et spirituelles qui s'ensuivent. C'est une lettre du 23 août 1687, l'époque de la pleine maturité de mère Mectilde, et c'est, à proprement parler, le « programme » qui orientera tous les développements à venir.
Une paraphrase, pour qui la rédige ou la lit, offre toujours quelque chose d'austère. Les mots ne parleraient-ils point d'eux-mêmes ? Un texte dense, et explicite veut cependant ai-
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der à en interpréter bien d'autres. Quand on mame l'immense correspondance de mère Mectilde, aussi bien que celle d'un Rancé ou d'autres spirituels de son temps, on découvre bientôt, dans les écrits de chacun d'eux, beaucoup de cohérence : on n'y trouve pas seulement un vocabulaire, qui peut être commun à plusieurs, mais un langage, reflet d'une psyché, d'une expérience intime, qui sont propres à chacun. Il y a dans le discours un ton, un accent — et des accents, des insistances — qui sont personnels. Cette lettre est adressée « aux religieuses qui s'en allaient à l'établissement de Pologne quand elles furent arrivées à Rouen pour s'y embarquer ». Elle revêt la valeur d'un manifeste. Par rapport à son contenu, les autres données du message s'ordonneront et s'éclaireront.
On pourra lire plus loin le texte entier de la lettre ; il est assez bref. N'en retenons ici que le passage essentiel. Avant de le commenter, il est utile de le reproduire en mettant en relief ses mots importants.
« Je vous regarde comme des missionnaires du très Saint Sacrement, comme la couronne et la gloire de l'institut, si vous vous comportez comme l'Esprit-Saint vous le demande.
« Allez, mes très chères enfants, allez chères victimes, allez les choisies du Ciel pour porter la gloire et l'amour du très Saint Sacrement dans tout le royaume de Pologne. Faites à cet adorable mystère de grandes conquêtes, animez les coeurs, ravissez les esprits et que tout le monde se ressente des grâces dont Notre Seigneur a dessein de vous remplir si vous êtes fidèles à les recevoir. Oubliez tout pour l'amour de celui qui s'est, pour vous, oublié de lui-même pour demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui et pour lui, allez avec des saintes assurances qu'il est avec vous et qu'il vous conduit dans une nouvelle région de grâce où vous ne devez plus rien voir que lui. Tous vos intérêts sont dans cette sainte entreprise entièrement sacrifiés. Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes réellement et de fait, immolées à toute heure, à tout moment. Vous vivrez dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre en Dieu et de Dieu en lui-même.
« C'est où je vous laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité. Obtenez-moi cette grâce et me croyez, en Jésus et sa très sainte Mère, plus à vous qu'à moi-même. Consolez-moi de vos nouvelles le plus que vous pourrez. »
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On ne parlait guère encore, au XVIIe siècle, de missionnaires bénédictins. Des moines, certes, avaient, dans le passé, contribué à l'évangélisation de terres non encore chrétiennes et nouvellement conquises par des princes chrétiens. Mais l'idée d'en faire un modèle entrant dans une typologie du monachisme a surtout été élaborée aux Etats-Unis, au XIXe siècle, et, de là, se répandit dans une partie de l'Europe. Toutefois, l'image du « missionnaire », illustrée par tant de jésuites devenus martyrs, était dans beaucoup d'esprits. On comprend que mère Mectilde l'ait adoptée. L'application qu'elle en fait à des moniales allant dans une région considérée comme lointaine est une innovation, comme aussi le fait de l'associer à la diffusion de l'adoration du Saint Sacrement.
Pour mère Mectilde, cette vocation missionnaire entraîne des exigences, venant de l'Esprit-Saint, que mère Mectilde mentionne volontiers : sa piété est trinitaire : « Si vous vous comportez comme l'Esprit-Saint vous le demande ».
Et aussitôt commence une exhortation éloquente, avec répétition à l'impératif, selon un procédé qui fait partie de la rhétorique de tous les temps, et peut-être surtout de celle du XVIIe siècle : « Allez..., allez..., allez ». Les titres aussitôt donnés à celles qui liront ce texte — c'est-à-dire qui l'entendront, comme une péroraison publique, trahissent le fond de l'âme : le « mes très chères enfants » est déjà, au XVIIe siècle, traditionnel, bien que les mots de « fils » ou « enfant », appliqués au moine par rapport à son abbé, manquent dans la règle de saint Benoît. Mais « chères victimes » est plus neuf, plus révélateur d'une culture religieuse. Il ne constituait pas une innovation, car, bien auparavant, le mot « victime » avait été utilisé dans la vie monastique, surtout par des moniales. A l'époque de mère Mectilde, depuis Olier et d'autres, il était devenu fréquent 1, mais conservait toujours un sens précis, que la suite de notre texte va nous aider à préciser. « Choisies du ciel » ne fait point tant penser à la « dame Electa » des deux Épîtres de saint Jean qu'à la formule paulinienne des « élus de Dieu » (Rm 8, 33, Col 3.
1. M. Denis, La spiritualité victimale en France, Rome 1981 (De honiana, 11) : sur le XVIIe siècle, p. 1-35 ; sur mère Mectilde, p. 28-31 ; sur Paray-le-Monial, p. 3646.
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2 etc.) . La phrase s'achève par l'énoncé de l'intention de mère Mectilde, en pleine cohérence avec l'idée missionnaire, par laquelle tout a débuté : « pour porter la gloire et l'amour du très Saint Sacrement ». Ici encore, les termes ne sont point employés par hasard : ce qui glorifie le Saint Sacrement, c'est que, par l'adoration, on le traite comme il a le droit de l'être, au lieu de lui manquer d'honneur par oubli, négligence ou profanation. Mais c'est « l'amour » qui donne la clef de tout : l'oeuvre entière de mère Mectilde commente ces deux devoirs, dont la suite de ce texte va indiquer les exigences. C'est « dans tout le royaume de Pologne » que ce message doit être « porté » : encore un mot du vocabulaire missionnaire du Nouveau Testament : « Afin qu'il porte mon nom devant les nations… », dit le Seigneur à propos de la vocation de saint Paul (Ac 9, 15) .
Les fruits à attendre d'un tel envoi sont alors énoncés : « Faites à cet adorable mystère de grandes conquètes... » : la formule « Faire des conquêtes » appartenait sans doute déjà au langage amoureux, dont elle a ici la nuance. Mais l'idée d'être une « conquête », d'avoir été acquis, conquis, et de l'avoir été afin d'en conquérir d'autres à Dieu, est dans le Nouveau Testament : « peuple qui fit l'objet de la conquête de Dieu », écrit saint Pierre (1, 2, 9) . « Ravissez les esprits » : le verbe est ici employé au sens propre de « s'emparer » — ce qui est johannique : « Personne ne ravira mes brebis de ma main » (Io 10, 28-29). Mais, au XVIIe siècle, il a aussi un second sens — causer du ravissement — déjà évoqué par le ravissement de saint Paul (2 Co, 12, 2-4) . Malgré la force exprimée, en ce début de phrase, par les impératifs, les filles de mère Mectilde jouent, en cette oeuvre, un rôle d'intermédiaires, rien de plus : elles « reçoivent » des grâces, elles en sont « remplies » afin que « tous les autres les ressentent ». A condition qu'elles demeurent elles-mêmes « fidèles à les recevoir » : aucune trace, ici, de pélagianisme, de suffisance humaine. Tout cela correspond à un « dessein » de Notre-Seigneur — selon « le dessein, le propos, de sa grâce » et de sa volonté, comme le dit plusieurs fois saint Paul (Rm 4, 5 ; Ep 1, 5) ou, plus brièvement, « selon son dessein », celui « selon lequel il nous a appelés » (Ep 1, 11 ; 2 Tm 1, 9).
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Être en état de réceptivité suppose que l'on est ouvert au don qui va venir, et qu'on a fait le vide en soi. Une des façons de traduire cette idée consistait à parler « d'oubli de soi ». « Oublier tout », sauf Dieu : formule biblique s'il en est, dont on avait aimé faire l'application aux moniales à propos de l'ordre donné à la fille de Sion au Ps 44, 11 : « Oublie, ma fille, ton peuple et la maison de ton père » ; — évocation de l'appel adressé à Abraham (Gn 12, 1) et que doit pratiquer, spirituellement, l'épouse du Christ. Il faut le faire, comme en ce contexte nuptial, « par amour ». Et pourquoi ? A cause de Celui qui s'est « vidé de lui-même » et, en ce sens, totalement oublié, détaché, en quelque sorte séparé de sa gloire divine, pour demeurer sur notre terre. Ici, ce vocabulaire néo-testamentaire est entendu, comme on le fait au temps de mère Mectilde, au sujet de la présence permanente du Christ en l'eucharistie : mais le but assigné à la « demeure de Dieu parmi nous » — selon l'expression de saint Jean (1, 14) — est exact : il s'agit de se nourrir de lui, de vivre de lui et pour lui, — autant de formules également johanniques (Io 11,26) . Bibliques aussi sont les expressions suivantes : il « est avec vous » — l'Emmanuel — et « il vous conduit » hors de la région de l'ombre de la mort (Lc 1, ?9), dans une autre, nouvelle, qui est celle de la grâce, de la lumière qui vient de lui : comme les trois Apôtres lors de la Transfiguration, il ne faut plus « rien voir que lui » (Mt 17, 8).
Ce détachement profond sera cause de fécondité : « Sacrifier entièrement nos intérêts », dit, ici et ailleurs, souvent, mère Mectilde. Ce terme « d'intérêt », au singulier ou au pluriel, était déjà traditionnellement utilisé pour traduire une formule chère à saint Paul : « ne pas chercher ce qui est à soi, quae sua sunt, c'est-à-dire son propre intérêt (1 Co 10, 24 ; 10, 33 ; 13, 5) mais ce qui est des autres ». C'est cela, tout simplement, être « sacrifié », offert en « sacrifice » : « donner sa vie », « offrir nos corps », disent équivalemment saint Jean (Io 15, 13 ; 1 Jo 3, 16) et saint Paul (Rm 12, 1). « Etre sacrifié entièrement » : telle ést la -notion « d'holocauste », qui, dans l'Ancien Testament déjà, puis dans le Nouveau, fut appliquée au « sacrifice spirituel » que l'on peut faire de soi-même. Beaucoup plus tard, en notre siècle, application sera faite de cette image au sacrifice volontaire et total que des moniales firent
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d'elles-mêmes à Varsovie, comme tant de chrétiens et de juifs, et dans lequel elles furent, à la lettre, consumées par le feu. Les implications spirituelles de cette attitude sont réaffirmées avec force : « Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes, réellement et de fait, immolées à toute heure et à tout moment ». On ne peut être plus précis, plus « pratique », que ne le sont ces formules denses, dont tous les mots portent. Il en va de même des paradoxes aussitôt énoncés : « Vivre dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre à Dieu et en Dieu lui-même ». Saint Bernard et les mystiques de la tradition monastique médiévale auraient souscrit à tous ces termes, inspirés de saint Paul (Ga 2, 19) et de saint Pierre (1 P 2, 24) .
Ce message doctrinal s'achève sur une note de tendresse : car l'exigence d'ascèse ne diminue en rien le caractère « d'humanité » — et même de féminité — qui fait le charme de tant d'écrits de mère Mectilde. Elle redit qu'elle-même a « sacrifié » ses filles, au sens qui vient d'être expliqué, en se séparant d'elles, mais sans cesser d'avoir pour elles une affection qui est définitive. « C'est où je laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité. Obtenez-moi cette grâce ». « Ne pas chercher son intérêt » : avant d'enseigner à le faire, elle a pratiqué ce devoir : « Et me croyez, en Jésus et sa très sainte Mère, plus à vous qu'à moi-même ». Dans la phrase finale, elle ne dissimule pas qu'elle a besoin de consolations : « Consolez-moi de vos nouvelles le plus que vous pourrez ». Le terme de « consolation » et le verbe « consoler », ou « être consolé », reviennent plus de vingt-cinq fois en saint Paul, parfois, comme ici, à propos de nouvelles reçues. Et dans les Actes des Apôtres (15, 31), « une assemblée — une église — se réjouit de la consolation apportée par une lettre ».
Il y avait lieu de s'attarder à ce témoignage, dont le style est classique, parce que, à sa lumière, s'en éclairent d'autres en lesquels mère Mectilde parle par allusion des convictions qu'elle a explicitées ici. Sous un revêtement qui d'aventure nous fait sourire, ils contiennent une doctrine.
« Chère victime... » : faut-il aussitôt penser au « Ma chère âme » du temps des Précieuses ? Tous ces mots, venus de saint Paul, qui s'appellent, se répondent, se complètent, expriment sous divers aspects une même réalité, ne relèvent pas de la « Carte du tendre » : ils révèlent une structure linguistique paulienne. Peu de citations exactes, et encore moins de références. Saint Paul n'a pas été étudié, peut-être pas même lu, ou guère. Pourtant, il a été assimilé. Par quelle voie a-t-il été reçu ? Mère Mectilde avait-elle accès à l'Écriture, plus que ne l'avait eu sainte Thérèse d'Avila ou ne devait l'avoir sainte Thérèse de Lisieux ? L'essentiel du message n'est-il point venu, dans ces trois cas, par le Missel et l'office divin ? De tous ces termes, phonétiquement traduits de mots latins — sacrifice, victime, holocauste, oubli de soi, mort à soi-même et vie à Dieu — l'équivalent traditionnel serait mortification ou, dans la langue savante, ascèse. Aujourd'hui on dirait volontiers « oblativité ». Est-ce plus clair, plus accessible à tous ?
Une certaine obscurité, de l'imprécision même, en vérité une aura de mystère entourent ce vocabulaire, dont chaque élément ne se comprend, ou ne laisse entrevoir sa signification, qu'associé aux autres, et parce que tous émanent d'une expérience profonde, proprement indicible. Son expression a été coulée, c'est-à-dire à la fois filtrée et enrichie de résonances nouvelles, dans une terminologie biblique, chargée de sens. A propos d'un témoin tout proche de nous, puisqu'il est de la fin du XIXe siècle, le père Dehon, une enquête minutieuse a été menée auprès de spécialistes en exégèse et en théologie : quelle signification valable peut encore revêtir tout le vocabulaire de la « spiritualité victimale » ? Recherche utile, mais qui en appellerait une autre : une analyse structurale des contextes où ces mots reviennent. Roland Barthes a interrogé des écrivains de toutes les époques sur l'une des structures du « discours amoureux » : celle selon laquelle le sujet aimé parle à l'objet aimé 2. Celle selon laquelle il parle de l'objet aimé pourrait donner lieu à une étude du même genre ; c'est celle-là dont abondent les écrits de mère Mectilde. Un saint Bernard avait su transposer au niveau de la charité le « code de l'amour courtois ». D'autres, spontanément, ont enseigné la même charité selon que le demandait — et le permettait — la culture de leur
2. Roland Barthes, Frammenti di un discorso amoroso, Turin 1979, p. 6.
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temps. Mère Mectilde est du nombre. Si l'on consent à se placer dans cette perspective, point n'est plus besoin qu'on explique ses textes afin de les rendre acceptables : on les lira intelligemment, simplement, c'est-à-dire avec simplicité; à ce prix, on en percevra et la profondeur et le charme. L'écho qu'ils éveillent aujourd'hui en tant de personnes en lesquelles le sens critique ne manque pas suffit à prouver qu'ils sont encore actuels.
Dans la lettre du 23 août 1687, deux mots étaient en relief : celui de « force », au début, et celui de « consolation », à la fin. Telles sont, en effet, les deux dispositions spirituelles qui dominent le tout : en même temps que vigoureuse, pleine d'énergie intérieure, mère Mectilde apparaît comme très humaine. Elle possède une immense capacité de compassion, un intense besoin de consoler, mais aussi d'être consolée. C'est en partie à cette affectivité contrôlée, mais non réprimée, que nous devons de posséder tant de lettres nous informant de ce qu'elle pense et « ressent », comme de ce qu'elle fait. A telle de ses correspondantes, elle écrivit trois-cent-trente et une lettres en quinze mois, c'est-à-dire un peu plus d'une tous les deux jours. Or elle ne s'adresse pas seulement à des supérieures ou à des dames bienfaitrices en vue de traiter des affaires. Elle correspond avec de simples religieuses, afin de les encourager. Elle se livre parfois alors à des effusions qui émanent, dit-elle, « du plus tendre de tout mon coeur ». « J'ai besoin, avoué -t-elle ailleurs, de me dilater un peu avec vous ».
D'où l'importance qu'elle attache à la « cordialité », mot qu'elle emploie aussi, de façon charmante, au pluriel, pour caractériser les rapports en la vie de communauté : « Ayez beaucoup de cordialités ensemble ». On comprend qu'elle ait tant souffert quand se fit jour, parmi ses moniales de Varsovie, un malaise dont on entrevoit que les causes étaient variées. La fondatrice et ses filles devaient « contenter Dieu » et une Reine. Celle de Pologne protégeait les bénédictines en leur faisant sentir le poids de son autorité. Il semble, en particulier, qu'elle ait accordé beaucoup de prix à la qualité des voix, donc à l'espèce de concert spirituel qui en résulterait quand ces religieuses chanteraient l'office divin ; or elles avaient été recrutées selon d'autres critères. Mais on admire le style infiniment respectueux dans lequel mère Mectilde sait parfois faire entendre à la souveraine ce qui constitue l'essentiel de la vie monastique. Elle réussit aussi à tenir un langage ferme à une moniale, quand il le faut.
De plus, il semble avoir surgi, dans la communauté de Varsovie, ce qu'on appellerait aujourd'hui un « conflit de générations », ce qui oblige mère Mectilde à écrire, spécialement, « aux anciennes ». Parmi celles-ci des divergences de vues s'étaient fait jour. A ces tensions, la Reine semble n'avoir pas été étrangère. Il en résulte une crise qui est douloureuse pour la fondatrice, mais nous vaut quelques-unes de ses lettres les plus instructives. Elle en souffre d'autant plus qu'elle est réduite à observer de loin cette « division ». Elle sait rappeler à une prieure que, « pour être supérieure, il faut souvent obéir » ; il lui arrive de plaider pour les jeunes, en s'appuyant sur l'autorité de saint Benoît. Surtout, elle excelle à situer la difficulté à son vrai niveau, — celui de la charité — et demander qu'on la résolve au prix d'un renoncement total à l'égoïsme : « Alors seulement, déclare-t-elle, s'établira un saint rapport de vos sentiments aux leurs, pour le respect de la charité, que vous devez faire régner partout et sur tout. Les supérieures doivent donner l'exemple et préférer les sentiments des autres aux leurs propres, afin de les encourager à se démettre elles-mêmes de leurs propres lumières et sentiments. Et pour bien réussir dans la charge il y faut être sans prendre vie à quoi que ce soit, ne désirant que de faire régner Jésus-Christ dans les coeurs, ne parler qu'en son esprit, et toujours se séparer de soi-même... » « Je prie Notre Seigneur de vous donner son esprit et vous fasse la grâce d'entrer dans un parfait dégagement de tous les intérêts que la raison naturelle pourrait envisager, pour ne prendre que ceux de Notre Seigneur Jésus-Christ qui sanctifiera vos sacrifices et vous donnera la consolation de voir la paix rétablie dans votre communauté. ... Il faut que tout le monde se quitte soi-même, pour rentrer dans une parfaite union universelle. Je ne veux que Dieu en tout. Je prie nos chères filles de bien recevoir et agréer ce que j'écris, puisque ce n'est que pour le bien de toutes. Je vous assure que je n'ai point d'autres intérêts ».
Voici encore un témoignage dans lequel sont rassemblés les termes de prédilection du langage de mère Mectilde, agré-15mentés de quelques-uns de ceux de son temps : ces « flammes » dont parlaient aussi les héroïnes de Corneille, ce vocabulaire victimal cher à Bérulle, à Olier, aux plus insignes des spirituels d'alors : « Je vous supplie mes très chères filles, de conserver parmi vous une sainte cordialité, que la charité lie vos coeurs et que l'Esprit-Saint de Jésus-Christ vous anime en tout et partout. Donnez-moi de vos nouvelles tandis que je suis encore en ce monde et me marquez en quoi je puis vous être utile, car je vous assure que je vous aime toutes au-delà de ce que je puis vous exprimer. Si vous désirez que je vous écrive à chacune en particulier je le ferai de tout mon coeur qui est si tendre pour vous toutes. Souvenez-vous que Dieu vous a choisies par l'excès de son amour, il vous a confié ses intérêts, ne lui soyez point infidèles, tâchez de remplir vos vocations et d'être aussi saintes que des victimes du Fils de Dieu au très Saint-Sacrement le doivent être pour sa pure gloire et pour édifier tout le monde, car vous devez être si saintes que vous édifiiez toutes les créatures et les animiez de l'amour de Jésus-Christ. Que ne suis-je auprès de vous pour épancher mon coeur et vous encourager toutes à vous consommer des divines flammes qui sortent du Sacré Tabernacle, et que vous recevez tous les jours. Séparez-vous de l'humain, abandonnez tous vos petits intérêts pour vous conformer à l'adorable hostie qui est tous les jours immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et vous faire avec lui des hosties dignes d'être consommées à sa gloire. Je ne finirais pas si je suivais les mouvements de mon coeur qui est, en Jésus, tout à vous. Je vous embrasse toutes dans le Sacré Coeur de la très immaculée Vierge Mère de Dieu où vous êtes toutes et où vous ne devez jamais sortir. A Dieu en Dieu, il faut finir ! »
Aussi, quelle joie pour mère Mectilde, quand, à Varsovie, tout s'apaise, quand, le calme revenu, elle « épanche soif coeur ». Elle a toujours éprouvé une « sensible tendresse pour ses enfants ». Cette crise l'a encore, s'il est possible, renforcée, et lui a donné l'occasion d'exposer tout l'ensemble de son enseignement, concernant la vie de prière, d'union à Dieu, et celle de la « séparation de soi », c'est-à-dire du toujours nécessaire effort de l'ascèse. Cette peine et cette joie ont été vécues dans une histoire : celle de toute l'époque — si violente, celle du monastère de Pologne, enfin la sienne propre, en ces dernières années de son existence terrestre. Et sur ce point encore, l'exemple de mère Mectilde comporte un message pour notre époque, où les problèmes de l'âge avancé sont pressants, où l'on interroge toutes les traditions religieuses au sujet de « l'art de vieillir » 3.
Elles sont émouvantes, en leur simplicité, ces confidences d'une septuagénaire. « Je dois bien penser à mourir ». On la considère comme sainte, mais elle renonce à l'être : c'est trop tard, dit-elle équivalemment, avec humour. Elle fait une sorte d'expérience anticipée de son trépas, en quoi n'entre rien de sombre ni de tragique. Puis, lorsqu'elle a passé les quatre-vingts ans, elle ne cache pas qu'elle « appréhende l'agome ». Quand elle doit renoncer à pouvoir écrire à toutes ses filles, c'est signe qu'elle « approche de sa consommation », comme elle le dit en une formuls inspirée de saint Paul (2 Tm 4, 7). Elle donne encore des conseils de sagesse, et c'est au titre de son ancienneté qu'elle prend la défense des jeunes. « Je suis une vieille misérable qui n'attend tous les jours que la fin... Dieu connaît l'état où je suis ». Mais elle déclare ailleurs, avec entrain : « Mon âge ne me dégoûte pas... J'avance toujours vers la fin et cependant Notre Seigneur me fait vivre. Notre Seigneur ne veut pas que mon amour propre soit satisfait. Il faut tout sacrifier ». Bientôt, pourtant, la voix s'éteint, la plume s'arrête, et ce simple silence est plus impressionnant que ne le sont bien des récits de fin de vie.
Le message fait son chemin. Il a été de « force », conformément à un terme qu'elle a aimé. Force tranquille : « un parfait désengagement... un saint désintéressement... Il faut tâcher d'être inébranlable dans les événéments fâcheux ». Cette calme confiance n'est pas de la littérature, en un temps où retentissent des « bruits de guerre. Toute l'Europe est armée sur mer et sur terre ». Tout le monde appréhende « les grandes guerres qui
3. Tel est le propos de l'ouvrage collectif publié par la Mission du Saint-Siège près l'O.N.U. à l'occasion de « l'année des vieillards » : Aginv : Spiritual Perspectives, éd. par E. Di Filippo — F.V. Tiso, Sunday Publications, 1982. « L'art de vieillir » est le titre du chapitre qu'en collaboration avec mère M.C. Cimbalista, o.s.b., j'y ai écrit, aux p. 163-169.
17 se préparent ». Beaucoup, de nos jours, connaissent une telle angoisse. Près d'un siècle plus tard, en 1773, la fondatrice du monastère des bénédictines de Lwow aura la même sérénité. Agée de soixante-dix sept ans, elle « parvint à une telle union à Dieu, et sainte indifférence, que tout lui était égal ».
Ce n'est point là de l'insensibilité. Cette indifférence à l'égard des vicissitudes humaines est abandon à Dieu. C'est l'ultime mise en pratique du sacrifice de soi, de l'acte d'offrande, pour celles qui se sont mises en l'état de victimes. Tranquillité qui suppose énergie, un dynamisme auquel on participe en demeurant uni au principe dont il émane : « Vous tenir dans votre intérieur par un saint recueillement en la présence de Dieu ».
J. LECLERCQ moine de Clairvaux
En quelles circonstances, il y a trois siècles, un groupe de douze bénédictines du jeune institut du Saint-Sacrement fut appelé à essaimer de Paris vers la lointaine Pologne afin de rendre grâce, tout près du palais royal de Varsovie, pour l'éclatante victoire remportée devant Vienne par le roi Jean III sur les hordes ottomanes en 1683, telle est d'abord l'histoire que nous nous proposons de rapporter en cet ouvrage. Mais avant de laisser la plume à nos religieuses elles-mêmes pour qu'elles nous content leur pittoresque odyssée, leur arrivée, leur installation et leur vie en Pologne, il convient de décrire brièvement l'état de cette nation à la fin du XVIIe siècle et de présenter les protagonistes de cette fondation monastique.
C'est en 966 que le duc Mieszko avait fait entrer son peuple dans la chrétienté romaine et donné à son État, unifié à partir de Gniezno, les frontières qu'il a à peu près retrouvées en 1945. Au XVIe siècle, le « Siècle d'Or », il atteignit à son apogée : c'était alors le pays le plus étendu de l'Europe et son « grenier ».
Son extension même et les ambitions dynastiques de Sigismond Vasa (1587-1632) accumulèrent bien vite les menaces contre la « plus grande Pologne ». Celle-ci s'engagea en des guerres ruineuses contre la Moscovie (1610-1618), la Turquie (1620-1621) et surtout la Suède (1600-1629), qui s'empara de la Livome maritime. En même temps, une grave crise politique secouait le pays (1606-1609) : le rokosz (la fronde) de Zebrzydowski opposait l'insurrection légale aux efforts déployés par la Cour pour instaurer une monarchie héréditaire et absolue ; les magnats s'érigeaient en défenseurs de la « liberté d'or », dépossédaient l'tat de ses prérogatives, qu'ils transféraient aux « diétines » (décentralisation fiscale), asservies à leurs visées par une clientèle de hobereaux à leur dévotion. Et les guerres contre les voisins s'achevaient, quand l'extension du servage en Ukraine au profit de l'aristocratie polonaise provoqua l'insurrection des Cosaques Zaporogues (1648).
Le roi Jean II Casimir se révéla incapable de conjurer les périls. Les Cosaques se rangèrent sous l'autorité du tzar (1654), qui envahit la Biélorussie et la Lituame ; les Suédois conquirent presque tout le pays à la faveur de la trahison des nobles et de la sympathie des dissidents (1655). La Pologne aurait péri si un sursaut populaire, national et religieux, marqué notamment par la résistance victorieuse du monastère Jasna Góra, à Czestochowa, et l'intervention des puissances n'eussent libéré le territoire.
A la paix d'Oliva (1660), la Suède garda la Livome ; au traité d'Androussovo (1667), la Russie enleva Smolensk et la rive gauche du Dniepr. La Pologne était couverte de ruines, les champs restaient en friche, un tiers de la population avait succombé. De surcroît, depuis 1652, le liberum veto, par lequel le moindre opposant pouvait à sa fantaisie « rompre la diète » et annuler ses décisions, ouvrait la voie à l'anarchie. Jean II Casimir, en butte à la violente hostilité de la noblesse, abdiqua, désabusé, et, en 1668, se retira à Paris.
C'est alors que, exsangue et traumatisée par tant d'invasions, l'aristocratie choisit un roi dans ses rangs, et que, après le règne de l'insignifiant Michel Korybut (1664-1673), elle élut pour souverain Jean III Sobieski (1674-1696). Ses campagnes, glorieuses mais épuisantes, allaient faire de lui le « rempart de la chrétienté », sans qu'il réussît pour autant à retarder l'irrémédiable déclin de la Pologne. 21
Né le 2 juin 1624 à Olesko, en Galicie, le jeune Sobieski voyagea à travers l'Europe en compagme de Marc, son frère aîné, et s'arrêta longtemps en France, où il s'engagea même dans le corps des mousquetaires rouges (1645). I1 fréquenta aussi les cercles aristocratiques et se lia d'amitié avec le Grand Condé, son héros idéal, avec qui il correspondit toute sa vie. Les deux frères avaient visité la Turquie quand ils apprirent l'envahissement de leur patrie par les Cosaques (1648). Courant aux armes, ils s'illustrèrent au combat de Zborov, mais, en 1652, Marc fut tué à la bataille de Batov. Chef désormais de sa maison, Sobiéski jura de consacrer le reste de son existence à la défense de son pays. Ses talents militaires, son sang-froid, son courage, laissaient présager un grand capitaine.
A peine remis d'une blessure, en 1655, il lutta contre une nouvelle ligue des Russes, des Cosaques et des Suédois qui, aux ordres de Charles X Gustave, avaient pénétré en Pologne. Russes et Cosaques étant rentrés en lice peu après le traité d'Oliva (1660), Sobieski les écrasa à Slobodysza (1665). Alors éclata la révolte nobiliaire de Lubomirski, que la reine Marie Louise de Gonzague poursuivait d'une haine implacable. Pour retenir Sobieski dans le parti de la Cour, la souveraine le nomma grand maréchal et négocia son mariage avec MarieCasimire d'Arquien, veuve du prince Zamoyski. Ce fut le nonce Odescalchi, le futur Innocent XI, qui, le 5 juillet 1665, bénit cette union. Mais profitant de la sédition de Lubomirski, une armée innombrable de Tartares, de Cosaques et de Turcs avait franchi les frontières méridionales de 11a Pologne. Sobieski réunit vingt mille hommes et tailla en pièces les ennemis. Il avait sauvé la République (1667).
La diète avait donné l'incapable Korybut (1669-1673) comme successeur à Jean Il Casimir. Cependant que le pays se débattait dans l'anarchie, Sobieski refoula les Cosaques et leur reprit la région s'étendant entre le Bug et le Dniestr. Mais voici que cent cinquante mille Turcs, débordant la Transylvanie, investissent Kaminieç, tandis que cent mille Tartares font irruption de leur côté (1672). Sobieski écrasa ceux-ci près de Kaluza, puis dispersa les Ottomans. Cependant, la place de Kaminieç ayant capitulé, Korybut conclut_avec les Turcs la paix honteuse de Buczacz (1672). De dépit, le héros se retira en ses 22 domaines. A la diète de 1673, il obtint que fût rompu le traité de Buczacz. Le sultan Mahomet IV passa alors le Dniestr, mais Sobieski s'empara du camp ennemi à Chocim. Apprenant cet éclatant succès, Madame de Sévigné écrit à propos du vainqueur : « Cette victoire est si grande qu'on ne doute pas qu'il ne soit nommé roi, d'autant plus qu'il est à la tête d'une armée et que la fortune est toujours pour les gros bataillons » 1.
Au soir de Chocim, on apprenait la mort de Korybut. Le 21 mai 1674, après un mois de palabres, la diète proclamait Sobieski roi de Pologne sous le nom de Jean III. En 1675, les Turcs vinrent encore attaquer Léopol : le nouveau souverain les défit et les obligea à la paix. En 1678, il conclut avec la Moscovie une trêve qui devait durer jusqu'en 1693.
Sobieski eût voulu s'unir à la politique de Louis XIV à qui il devait largement son élection, pour ébranler la puissance autrichienne, toujours fatale à la Pologne. La reine Marie-Casimire entre autres, quoique française de naissance, l'en détourna et, le 31 mars 1683, il s'allia à l'Autriche contre la Porte. Menacé alors par une formidable armée ottomane, abandonné par les princes allemands, l'empereur Léopold 1er implora le secours de Sobieski. Son ambassadeur se jeta aux pieds du roi : « Sauvez l'Empire ! » supplia-t-il, tandis que le nonce s'écriait : « Sauvez la chrétienté ! » Charles V de Lorraine ouvrit la campagne avec Lubomirski, alors que le grand vizir Kara-Moustapha fonçait sur Vienne. Le 10 août, l'empereur abandonna sa capitale avec la cour et une foule d'habitants. Le 14, les Ottomans assiégeaient Vienne. Le 15 août, Sobieski sortit de Cracovie à la tête de vingt-cinq mille hommes, soutenus par trente bouches à feu. Le 11 septembre, les forces polono-austro-allemandes, en tout soixante-dix mille combattants, occupèrent les hauteurs de Kahlenberg, qui dominent Vienne à l'ouest. Le 12 eut lieu l'assaut décisif, en trois phases. Descendant des collines, les unités se battirent d'abord chacune de leur côté, puis, conservant leurs avantages, préparèrent une avance ordonnée qui, vers midi, les amena sur un grand arc, de Nussdorf à Dornbach. Quand elles eurent encore progressé, se heurtant à une résistance tenace, une furieuse attaque d'infanterie, suivie d'une charge finale de cavalerie, surprit les
1. Mme de Sévigné, Lettres, édition de la Pléiade, t.1, 1953, p. 656 (Lettre du 22 décembre 1673).
23 Turcs, qui s'enfuirent en désordre, cependant que leurs poursuivants les massacraient sans relâche. Le 13, le pieux roi assista à un Te Deum dans l'église des Augustins de Vienne, la cathédrale Saint-Etienne servant alors d'hôpital. Il imitait ainsi son modèle, le prince de Condé, qui, au soir de Rocroi, nous dit Bossuet, « fléchit le genou et, dans le champ de bataille, rendit au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait » 2.
2. Dans une lettre du 23 octobre 1683, adressée par Mme de Sévigné à Bussy-Rabutin, Corbinelli a ajouté le post-scriptum suivant, qui montre le retentissement qu'eut en France la victoire de Vienne : « La victoire des chrétiens sur les infidèles commence à paraitre plus grande de beaucoup depuis quelques jours. Voici ce qu'on m'en dit d'assez bonne part : que les Turcs furent si consternés sur les nouvelles que les Polonais avaient joint l'armée de l'Empereur, et que le roi de Pologne y était en personne, que le grand vizir, pour désabuser les principaux chefs de ses troupes, prit un officier hongrois dont il crut être assuré, et lui promit de grandes récompenses, s'il pouvait entrer dans le camp des chrétiens, et voir si le roi de Pologne y était. Cet officier avait servi les Polonais contre le Turc, de sorte qu'il fut reconnu dans le camp et mené au roi, qui l'interrogea, et ayant appris son dessein, ce prince lui dit qu'il lui donnait la vie à condition qu'il s'en retournât dire de sa part au grand vizir que s'il voulait attendre, il lui donnait sa parole royale qu'il l'irait attaquer un tel jour. Cet officier retourna, et dit au vizir ce qu'on l'avait chargé de dire. Le grand vizir se présenta en bataille au jour donné, se mit à la tête de son aile droite, donna la gauche au bassa de Bude, contre lequel se trouva le roi, qui, après peu de résistance, le rompit. Le vizir se sauva avec un grand corps au quartier des Tartares, et dit à celui qui le commandait qu'il le priait de faire son devoir et que le bassa de Bude avait trahi sa patrie et sa religion. Le chef des Tartares lui répondit qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans la fuite et lui en donna l'exemple aussitôt. Le roi les suivit une partie du jour, et étant revenu de la poursuite des infidèles, il entra dans la tente de vizir, où il commença à écrire à la reine sa femme, et lui manda qu'il lui écrivait dans un lieu plus grand et mieux bâti que Varsovie, et plus magnifique ; qu'il y avait pris le grand étendard de Mahomet, et qu'il y coucherait cette nuit ; ce qu'il fit, et le lendemain il entra dans Vienne, où le peuple le reçut à genoux comme un Messie, et ne voulant pas le laisser sortir. On dit qu'il y avait dans le camp des Turcs cent mille tentes, cent cinquante pièces de canon, et pour trois mois de toutes sortes de munitions, un million d'or en espèces. Le roi a envoyé cet étendard au pape, qui, ce dit-on, veut faire dresser une statue à ce roi au milieu de la ville, avec cette inscription : Au libérateur de la chrétienté » (Mme de Sévigné, Lettres, ibid., t. II, 1955, pp. 940-941).
Voltaire, de son côté, dans son livre sur la Russie sous Pierre le Grand, ne cache pas son admiration pour Sobieski, « à jamais célébre par la victoire de Choczim et par la délivrance de Vienne » (Voltaire, OEuvres historiques, éd. de la Pléiade, 1955, p. 418). Dans le Siècle de Louis XIV, il loue « le courage » du roi qu'il compte parmi les « héros » (ibid., pp. 770, 943), mais il rabaisse quelque peu son mérite dans le passage suivant : « Contre toute attente, Vienne fut délivrée. La présomption du grand vizir, sa mollesse, son mépris brutal pour les chrétiens, son ignorance, sa lenteur, le perdirent : il fallait l'excès de toutes ces fautes pour que Vienne ne fût pas prise. Le roi de Pologne, Jean Sobieski, eut le temps d'arriver, et, avec le secours du duc de Lorraine, il n'eut qu'à se présenter devant la multitude ottomane pour la mettre en déroute (12 septembre 1683). L'empereur revint dans sa capitale avec la douleur de l'avoir quittée. Il y entra lorsque son libérateur sortait de l'église où l'on avait chanté le Te Deum, et où le prédicateur avait pris pour son texte : « Il fut un homme envoyé de Dieu nommé Jean ». Vous avez déjà vu que le pape Pie V avait appliqué ces paroles à don Juan d'Autriche, après la victoire de Lépante... L'empereur d'Autriche fut à la fois triomphant et humilié. (Ibid., pp. 753-754).
L'Europe, dont le sort s'était joué sous les murs de Vienne, respira. Partout on célébra le vainqueur. Plein d'admiration pour celui-ci, Saint-Simon écrit : « Le roi Jean III Sobieski, signalé par ses victoires sans nombre contre les Turcs et les Tartares, couronna ses triomphes par le salut de l'Allemagne. Il vint en personne livrer bataille aux Turcs qui assiègeaient,Vienne et qu'ils étaient sur le point de prendre : leur défaite fut complète et Vienne sauvée avec une partie de la Hongrie » 3. En fait, c'est l'Europe qui échappait au joug ottoman.
Le 14 septembre, Léopold arriva. Grave problème : cormment lui, souverain héréditaire, saluerait-il un prince électif ? « Sans cérémome et les bras ouverts », proposa Charles de Lorraine, Sobieski, lui, voulait, sans plus attendre, regagner la Pologne. Finalement, on décida que l'entrevue se déroulerait à cheval et sur le grand chemin. Le 15 septembre, les deux souverains vinrent au-devant l'un de l'autre. L'empereur salua et murmura quelques paroles de gratitude, tandis que le roi, touchant son bonnet sans l'ôter, prononçait : « Mon frère, je suis bien aise de vous avoir rendu ce petit service ». Puis il présenta son fils Jacques à Léopold : « Voilà mon fils, que j'ai élevé pour la chrétienté ». Léopold inclina à peine la tête, sans mot dire.
Après avoir poursuivi quelque temps la campagne, Sobieski rentra le 23 décembre 1683 à Varsovie, mais son peuple le reçut assez froidement : il lui reprochait d'avoir versé le sang de la Pologne au service d'un monarque ennemi. Il n'avait pas tout à fait tort, car l'empereur n'exécuta aucune clause du pacte d'alliance. Toutefois, le roi ne rompit pas la ligue chrétienne, mais il la renforça encore par le traité de Moscou, conclu entre la Pologne, l'Autriche et la Russie, le 2 février 1687, mais non sans verser des larmes, car il' prévoyait le funeste avenir qui se préparait pour sa patrie.
Les complots des grands troublèrent ses dernières années. Il voulut abdiquer, mais on l'en dissuada. Le vieux lutteur reprit une dernière fois les armes pour reconquérir Kaminieç,
3. Saint-Simon, Mémoires, édition de la Pléiade, t. Il. 1949, p. 887.
25 toujours occupé par les Turcs. Il échoua. Tandis qu'il s'éteignait lentement, la reine et son clan poursuivaient leurs menées. Jonas, un médecin juif, s'était emparé de son corps ; son intendant Bethsal, un autre juif, pillait le trésor sans vergogne. Monnaies altérées, taux et impôts multipliés, armée quasi inexistante ; partout désordre et confusion. Hydropique, Sobieski se retira au château de Willanow, près de Varsovie. Marie-Casimire voulait qu'il dictât son testament. A l'évêque qui l'en pressait, il répondit : « A quoi bon ! Nous ordonnons, vivant, et nous ne sommes pas écouté ; mort, le serions-nous ? » A la Fête-Dieu, jour anniversaire de sa naissance et de son élection, il rendit l'âme, âgé de soixante-douze ans. Telle fut la fin de ce héros chrétien, qui avait étonné l'Europe par quarante années de victoires, mais que les factions jalouses de la noblesse, les intrigues de la reine et le machiavélisme des puissances empêchèrent d'arrêter l'irrémédiable déclin de la Pologne.
Après l'avoir suivi au cours de sa carrière, esquissons le portrait du souverain. Au physique, c'était un colosse d'une corpulence extraordinaire. Teint frais et coloré, larges yeux bleus, nez aquilin, bouche et dents admirables. Sa robuste constitution se moquait des fatigues. Gros mangeur, grand buveur, il ne prenait cependant qu'un repas par jour, mais qui durait trois heures. Couché tard, il se levait dès six ou sept héures. Vêtu habituellement d'un justaucorps de brocart d'or, sanglé d'une ceinture de diamant, il portait par-dessus un manteau de fourrure richement orné. Rien toutefois d'un soudard à l'esprit épais, habile seulement à manier la rapière. Théologien, philosophe, mathématicien et historien, doué d'une étonnante mémoire, il parlait à la perfection le polonais, le latin, le français, l'italien, l'allemand, voire le turc et le tartare. Prompt à régler les menus détails, il se montrait prudent et réfléchi dès qu'il s'agissait d'affaires importantes. Très dévot, remplissant scrupuleusement les moindres devoirs religieux, il se révélait affable et juste. Mais il aimait trop l'argent, au point qu'on l'accusa d'avarice. Enfin, et c'était son plus grave défaut, dans un pays voué à l'anarchie et au milieu d'une cour où foisonnaient les cabales, lui le vaillant stratège au coup d'oeil prompt et lucide, manquait totalement d'autorité : il se laissait berner et gouverner par la reine, que nous allons maintenant évoquer. 26
En 1645, Louise-Marie de Gonzague (v. 1612-1667) avait quitté la Cour de France où elle brillait pour épouser le roi de Pologne Ladislas IV Wasa, un barbon revêche. Veuve dès 1648, elle convola aussitôt avec Jean-Casimir, frère et successeur du défunt, qui, durant tout son règne (1648-1668), fut le jouet de sa femme.
Celle-ci avait amené en Pologne une petite nivernaise de quatre arts, Marie-Casimire de la Grange d'Arquien (1641-1716), dont la mère, Françoise de La Châtre, avait été sa gouvernante. La jeune fille, promue demoiselle d'honneur de la reine et devenue sa confidente, allait jouer un rôle politique important.
Marie-Casimire, « Marysierika », disaient les Polonais, était d'une beauté remarquable : taille moyenne mais bien proportionnée, abondante et superbe chevelure noire, teint de lis et de rose, grands yeux de jais, nez plutôt aquilin, bouche mignonne aux coins retroussés, dents un peu gâtées mais régulières, elle avait tout pour séduire.
Sobieski s'était follement épris de l'adolescente, alors qu'elle avait quinze ans, mais, le 2 mars 1658, — elle avait alors dix-sept ans — la reine lui fit épouser Jacques Radziwill, prince Zamoyski, vaillant soldat mais débauché. Durant cette union, qui se solda par un échec, elle garda des relations avec son premier amoureux, et, en juillet 1665, peu de temps après la mort de Zamoyski, Marie-Louise de Gonzague la maria à Sobieski, grand maréchal de Pologne. Le futur Innocent XI, nous l'avons dit, donna la bénédiction nuptiale aux époux.
Quand une maladie incita Marie-Casimire à venir se soigner en France, son mari donna de l'argent à plusieurs monastères, fit brûler une lampe devant l'icône de Notre-Dame de Czestochowa et promit de jeûner neuf samedis de suite au pain et à l'eau.
Si, après l'abdication de Jean-Casimir (1668), l'ambitieuse jeune femme échoua à faire proclamer roi son mari, elle arriva à ses fins à la mort de Korybut. Le 20 mai 1674, la diète choisit « le premier homme de la République par ses victoires et ses grandes actions, qui le portèrent sur le trône par une élection unanime » 4.
4. Ibid., t. II, 1949, p. 885.
27 « Transportée de se voir une couronne sur la tête, écrit encore Saint Simon s, elle eut une passion de la venir montrer en son pays, [la France] ». Elle prétexta la nécessité de prendre les eaux de Bourbon, mais on l'avertit que la reine Marie-Thérèse ne lui céderait pas la droite, Marie-Casimire n'étant que souveraine élective et non héréditaire. Le dépit en fut si grand que si elle eût reçu un affront : elle rompit son voyage, se lia avec la cour de Vienne et tous les ennemis de la France, eut grand part à la ligue d'Augsbourg contre elle (1686), et mit tout son crédit, qui était grand sur le roi son mari, à lui faire épouser tous les intérêts contraires à la France. Le désir extrême qu'elle eut de faire son père duc et pair l'en rapprocha depuis, mais les mécontentements essentiels qu'on avait -reçus d'elle l'en firent constamment refuser. Longtemps après, c'est-à-dire en 1694, elle obtint pour lui le collier de l'Ordre [du Saint-Esprit] ... et, l'année suivante, il reçut le chapeau de cardinal ... Personne n'a ignoré la conduite sordide qu'elle inspira au roi son mari dans ses dernières années, qui l'empêchèrent d'être regretté, et qui fut un obstacle invincible à l'élection de pas un de ses enfants »6. Ailleurs, le mémorialiste la déclare, une fois de plus, « la plus mortelle ennemie de la France », et ajoute : « Il est certain qu'elle se servit toute sa vie du pouvoir presque entier qu'elle s'était acquis sur le roi son mari pour l'éloigner de la France contre son goût, et l'attacher à la maison d'Autriche »7.
Outre son empire sur Sobieski, ses intrigues politiques et son ambition, Saint-Simon dénonce « son humeur altière et son extrême avarice » 8, ainsi que la « hauteur de ses manières ». Ajoutons qu'elle ne mettait aucun frein à ses caprices, qu'elle remplissait le palais et l'État de ses brouilleries et favorisait les tendances anarchiques de l'aristocratie. Toutefois, si son rôle politique s'avéra détestable, elle était vertueuse, très pieuse et, à l'occasion, savait se montrer généreuse et charitable.
Après le décès de Sobieski (1696), la diète l'expulsa de Pologne, où elle se trouvait haïe et méprisée. De Dantzig, Marie-Casimire se réfugia à Rome avec son père le cardinal, puis, à
5. Ibid., t. II, p. 887. 7. Ibid., t. IV, 1953, p. 335.
6. Ibid., t. Il, p. 887-888. 8. Ibid., t. IV, p. 334.
28 la mort de celui-ci (1707), elle supplia Louis XIV de lui accorder un asile en France. Le roi lui proposa l'un des châteaux de la Loire. Elle choisit Blois, d'où elle ne sortit plus et où elle s'éteignit en 1716. Sur son lit de mort, elle avait imploré le pardon de ses péchés et demandé qu'on élevât un monument à la mémoire de Sobieski, auprès duquel elle souhaitait reposer, quoique, dit-elle, son corps ne méritât point d'être transporté dans la lointaine Pologne. Elle laissait de l'argent pour célébrer des messes à son intention et pour doter ses oeuvres de charité.
Marie-Casimire avait quatre soeurs, dont deux se firent religieuses en France. Les deux autres vivaient auprès d'elle : l'une avait épousé, en 1678, le comte Wielopolski, grand-chancelier de Pologne ; l'aînée, Marie-Louise (1634-1728), fille d'honneur de la reine de France Marie-Thérèse, était, depuis 1669, la femme de François-Gaston, marquis de Béthune, de la branche de Selles, et petit-neveu de Sully (1628-1692). Celui-ci, vaillant militaire, fut nommé ambassadeur à Varsovie en 1676, lorsque son beau-frère Sobieski eut été élu roi de Pologne : il avait pour mission d'entretenir l'amitié franco-polonaise, d'exciter le nationalisme des Hongrois et des Roumains, pour opérer une diversion à l'est contre l'Autriche, et de s'opposer à la formation d'une ligue chrétienne contre les Turcs. Marie-Casimire fit échouer cette politique. Rappelé en France en 1680, il revint en Pologne de 1685 à 1691, d'où il fut envoyé en Suède. Il mourut l'année suivante avant d'avoir présenté ses lettres de créance.
Son épouse, Marie-Louise d'Arquien (1634-1728), nous est dépeinte par Saint-Simon comme « une femme d'esprit, hardie, entreprenante », mais que Louis XIV, à cause de ses prétentions, « trouva impertinente et fausse » 9. Lorsque Mme de Sévigné, son amie, apprit son départ pour la Pologne, en 1675, elle prononça, non sans une légère pointe d'envie : « C'est une agréable place qu'elle va tenir 10». Dix-sept ans plus tard, lors
9. Ibid., t. I, p. 335.
10. Lettres, ibid., t. 1, p. 875 (lettre du 17 novembre 1675).
29 du décès de l'ambassadeur dans la lointaine Suède, la marquise confia à sa fille : « La pauvre Mme de Béthune vient de perdre son mari très aimable en Suède ; cette pauvre créature a toujours été livrée aux plus vives passions : elle adorait son mari, elle en était jalouse ; les furies l'avaient suivie jusqu'en Pologne : ah ! quel état ! » 11. Quoi qu'il en soit, c'est Mme de Béthune que la reine Marie-Casimire chargea d'adresser sa requête à mère Mectilde pour qu'elle envoie ses religieuses à Varsovie.
Un autre diplomate, qui devait, en l'occurrence, seconder M. et Mme de Béthune dans leurs démarches, c'est le futur cardinal de Janson. Issu d'une ancienne famille provençale, il naquit à Mane, au diocèse de Sisteron vers 1625, fut évêque de Digne (1653), puis de Marseille (1668), et Saint-Simon, son ami, le compte parmi les hommes « rares et illustres » de son époque. Lors de son épiscopat en Provence, il s'occupa de toutes les affaires de la province, au grand dépit du lieutenant-général, le comte de Grignan, gendre de Mme de Sévigné. Sa réussite fut telle que Louis XIV, en 1674, l'envoya comme ambassadeur en Pologne, où la diète allait choisir un nouveau roi. Son habileté parvint à se concilier tous les partis et à faire élire unanimement Jean Sobieski. De retour en France, il reçut en récompense l'évêché pairie de Beauvais (1679), et fut bientôt renvoyé en mission en Pologne à la place du marquis de Béthune, puis en Allemagne. Cardinal en 1690, il contribua efficacement à l'élection d'Innocent XII (1691) et demeura à Rome durant six ans comme chargé des affaires de France. Il y apaisa les différends qui, sous les pontificats précédents, avaient opposé Louis XIV et le Saint-Siège. Janson ne fut pas moins actif au conclave qui élut Clément XI Albani (1700) et, pendant six autres années, défendit encore avec énergie les intérêts français dans la Ville éternelle, au point qu'il déplut au pape et à sa cour, mais renforça son crédit auprès de Louis XIV. Rentré sur sa demande en 1706, il reçut la charge de grand-aumônier de France. Il mourut à Paris, le 24 mars 1713.
Ce diplomate se doublait d'un pasteur plein de zèle. Lorsqu'il n'était pas en mission à l'étranger, il se plaisait à résider dans son diocèse ; il passait sept à huit mois chaque année à
11. Ibid., t. III, p. 815 (lettre du 29 octobre 1692).
30 Beauvais, visitant ses paroisses et remplissant ses fonctions avec application et vigilance. Ses ouailles, les pauvres surtout, l'adoraient et le pleurèrent lorsqu'il disparut.
Voici le portrait flatteur qu'en trace Saint-Simon :
« Le cardinal de Janson était un fort grand homme, bien fait, d'un visage qui sans rien de choquant ni de singulier n'était pourtant pas agréable, et avait quelque chose de pensif sans beaucoup promettre. Il était plein d'honneur et de vertu ; il avait un grand amour de ses devoirs et de la piété ; c'était une sage et excellente tête, se possédant toujours parfaitement, et qui par là a réussi en perfection dans toutes ses négociations, et a mieux servi le Roi à Rome qu'aucun autre... Il y (a) été plus craint et considéré que pas un d'eux, parce qu'avec une parole lente et désagréable par l'organe, qui avait un son étranglé, il avait une sagacité qui ajoutait beaucoup à la finesse de son esprit, et à sa justesse, qui était grande, en sorte qu'il n'a jamais pu être trompé, même à Rome. Il était consommé dans les affaires par une longue habitude, magnifique en tout et partout avec beaucoup d'ordre, fort désintéressé, affable aux plus petits, naturellement obligeant, fort poli, mais avec un choix et dignité, quoiqu'il le fût à tout le monde, et l'homme du monde le plus capable d'amitié, de fidélité à ses amis, et de les bien servir. Il était né pauvre... (mais) il avait l'âme et toutes les manières d'un grand seigneur, doux et modeste, l'esprit d'un grand ministre né pour les affaires, le coeur d'un excellent évêque, point cardinal, au-dessus de sa dignité, tout français sur nos libertés et nos maximes du royaume sur les entreprises de Rome avec netteté, inébranldble là-dessus jusqu'à l'éclat... Cette fermeté constante et vraie a souvent eu de grands effets. Tout bon courtisan qu'il était il fut aussi peu timide au dedans qu'au dehors, et aussi impénétrable au crédit et aux artifices des jésuites, dont il ne s'émut jamais, et qu'il contint toujours en crainte et en respect » 12.
12. Mémoires, ibid., t. IV, p. 169-171.
31
Avec les deux diplomates et l'épouse du premier, la soeur de M. de Béthune allait aussi s'entremettre entre les souverains de Pologne et la fondatrice de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement.
Anne-Berthe de Béthune (1637-1689) avait été confiée, à l'âge de trois ans, à sa cousine Anne Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-lès-Tours. Quand, vers 1649, ses parents, Philippe de Selles, gouverneur du duc d'Orléans, et Anne-Marie de Beauvillier, soeur du gouverneur des enfants de France, voulurent la reprendre, la jeune fille refusa énergiquement et demanda son admission à l'abbaye de Montmartre, que dirigeait sa tante, Marie de Beauvillier. En 1659, le roi nomma Anne-Berthe abbesse de Saint-Corentin, au diocèse de Chartres. En 1669, elle succéda en la même qualité à Madame de Vaucelas, à la tête du monastère de Beaumont-lès-Tours.
Cette moniale connaissait bien l'institut du Saint-Sacrement et, très vite, s'était liée d'amitié avec la fondatrice, Catherine de Bar, en religion mère Mectilde du Saint-Sacrement ; quand les affaires l'appelaient à Paris, elle séjournait chez ces bénédictines de la rue Cassette et, à l'occasion, intervenait en h ur faveur.
En 1683, l'année de la victoire de Vienne, elle les aida à acquérir, à Rouen, l'hôtel de Mathan, élevé dans l'enceinte même de la forteresse où avait été incarcérée Jeanne d'Arc. Depuis six ans, les filles de mère Mectilde avaient occupé deux maisons bien trop exiguës dans la capitale normande : c'est grâce à l'abbesse de Beaumont que, en août 1683, fut signé, rue Cassette, le contrat d'achat de leur nouveau monastère. Mme de Béthune aida encore à agréger à l'institut le couvent Notre-Dame du Bon-Secours, à Caen, créé en 1634 par l'abbesse de Montivilliers et dirigé, de 1647 à 1650, par mère Mectilde. M. de Nesmond, évêque de Bayeux, s'opposait à l'union de ce prieuré au monastère parisien. L'abbesse de Beaumont fit intervenir son frère Armand de Béthune, évêque du Puy, et, le 30 septembre 1685, les moniales du Bon-Secours émettaient les voeux de l'institut.
Entre mère Mectilde et Mme de Béthune s'échangeait une incessante correspondance. Ainsi, pour la seule période allant de janvier 1688 au 26 juillet 1689, il nous reste 331 lettres de la fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement à l'abbesse de Beaumont. C'est, dit le père Lebreton, « un document d'une haute valeur spirituelle et d'une haute portée historique », qui témoigne de la noblesse de ces deux grandes âmes.
Mais, bien que nous ayons déjà retracé la biographie de mère Mectilde en d'autres ouvrages 13, il convient de rappeler ici les dates principales de sa vie. Car c'est à elle que l'on doit, à la demande de tous les personnages que nous avons évoqués, la fondation de Varsovie.
Née le 31 décembre 1614, à Saint-Dié, au duché de Lorraine, dans une famille appartenant à la noblesse de robe, Catherine de Bar, à l'âge de dix-sept ans (1631), avait pris le voile chez les annonciades de Bruyères, au diocèse de Toul, mais la guerre de Trente Ans, qui désolait le pays, jeta ces religieuses sur les grands chemins. Recueillie par les bénédictines de Rambervillers, notre moniale y prit l'habit et, le 11 juillet 1640, prononça ses voeux. Là encore, les combats l'expulsèrent de son couvent. Finalement, elle put se réfugier au monastère parisien de Montmartre, où l'accueillit l'abbesse, Marie de Beauvillier (1641). De là, elle gagna diverses maisons de Normandie, revint quelque temps aux environs de Paris et, de 1647 à 1650, gouverna, à Caen, le prieuré de Bon-Secours. A la fin de son triennat, elle avait à peine regagné Rambervillers que les armées françaises désolèrent la ville, obligeant mère Mectilde et ses soeurs à rejoindre Paris (1651). La Fronde avait alors éclaté dans la capitale, en proie à l'anarchie et à la famine. Nos bénédictines lorraines se débattaient dans la misère, en un pauvre logis de la rue du Bac, quand vinrent à leur aide leur compatriote Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, la comtesse de Châteauvieux et quelques grandes dames.
Celles-ci, pour retenir mère Mectilde auprès d'elles, lui suggérèrent de fonder un monastère bénédictin voué au culte de l'hostie. Or, dans le même temps, la régente Anne d'Autriche. alors que les révoltés avaient écrasé les troupes royales au faubourg Saint-Antoine (juillet 1652), avait demandé à M. Picoté, prêtre de Saint-Sulpice, de faire un voeu propre à rétablir
13. J. Daoust et bénédictines de Rouen, Catherine de Bar, mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, Téqui, 1979 ; Le Message eucharistique de mère Mectilde du Saint-Sacrement, Paris, Téqui. 1981.
33 l'ordre et la paix dans le royaume. Celui-ci promit d'ériger un couvent exclusivement consacré à l'adoration du Saint-Sacrement. Le 21 octobre 1652, Louis XIV entrait triomphalement dans Paris, et la France retrouvait enfin le calme. Sur les entrefaites, M. Picoté avait connu le projet de mère Mectilde et de ses nobles amies. Il en parla à la régente qui, soucieuse d'exécuter au plus tôt sa promesse, accorda aussitôt l'autorisation de créer cette maison dédiée à l'Adoration perpétuelle. Le 25 mars 1653, eut lieu, rue du Bac, la première exposition. Après un bref séjour rue Férou, mère Mectilde et ses vingt moniales s'installèrent, le 21 mars 1659, dans un monastère austère mais tout neuf, rue Cassette.
Celui-ci allait devenir le centre d'une nouvelle congrégation : l'Institut des bénédictines du Saint-Sacrement. Il s'implanta d'abord à Toul (1664), puis s'agrégea Rambervillers (1666) et Notre-Dame de la Consolation, à Nancy (1669), fonda de nouvelles maisons à Rouen (1677), à Paris, rue Neuve-Saint-Louis (1684), s'unit le Bon-Secours de Caen (1685) et s'établit ! à Varsovie (1688), à Châtillon-sur-Loing (1688) et à Dreux (1696).
Le 6 avril 1698, mère Mectilde du Saint-Sacrement achevait une vie semée d'épreuves, mais toute consacrée à la gloire de Dieu et au mystère de l'Eucharistie.
Pendant que, le 15 août 1683, Sobieski partait de Cracovie pour libérer Vienne, la reine Marie-Casimire s'était retirée dans la solitude où, adonnée aux bonnes oeuvres, à la prière et à la pénitence, elle s'efforçait d'attirer les faveurs de Dieu sur les armées chrétiennes. C'est au cours de cette retraite qu'elle promit de fonder, à Varsovie même, un couvent de religieuses qui, par l'adoration de l'hostie, traduiraient, à travers les âges, sa reconnaissance pour la protection qu'elle espérait du ciel.
Quand, le 12 septembre 1683, Sobieski eut terrassé les Ottomans, couronnant ainsi une série ininterrompue d'exploits, il adressa à Innocent XI, le pontife qui avait jadis béni son mariage, ce message qui paraphrasait les mots fameux de César : Venimus, vidimus, Deus vicit (« Nous sommes venu, nous avons vu, mais c'est Dieu qui a vaincu »).
La reine, d'accord avec son époux, songea aussitôt à s'acquitter de son voeu. Par l'abbesse de Beaumont, par sa soeur, Mme de Béthune, et le mari de celle-ci, l'ambassadeur, elle connaissait mère Mectilde et l'institut de l'Adoration perpétuelle, qu'elle jugeait le plus apte à exécuter son pieux dessein. Elle chargea donc sa soeur ainsi que l'évêque de Beauvais, M. de Janson, d'entrer en rapport avec la fondatrice de la rue Cassette. Celle-ci n'hésita guère : sa congrégation comptait déjà cinq maisons en France ; pourquoi refuserait-elle d'essaimer au coeur même de la Pologne catholique et d'y développer le culte eucharistique ? Mais M. de Janson était absorbé par ses tâches diplomatiques et les difficultés ne cessaient de surgir. Enfin, à l'été de 1687, douze bénédictines pouvaient enfin quitter Paris et, par la mer, gagner Varsovie.
J. DAOUST Docteur d'État ès Lettres
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Madame,
J'ai vu celle dont votre bonté a voulu consoler votre chère fille, notre chère mère de la Présentation, qui m'a très fort édifiée, touchant le consentement qu'elle vous demande pour aller remplir l'établissement d'un monastère de notre saint institut, que la reine de Pologne a fondé pour faire honorer dans sa ville capitale le très Saint Sacrement, en action de grâce des victoires que le roi de Pologne a remportées sur les Turcs. Cet établissement a donné une si grande émulation à notre communauté qu'elle en témoigne une grande joie et beaucoup d'affection d'y contribuer.
Votre chère fille, Madame 1, est une des plus zélées, et son ardeur parait si sainte que l'on pourrait vous assurer qu'il n'y a que Dieu qui puisse donner une telle impression. Il y a plus de sept à huit mois que je la prie de n'y jamais penser, étant certaine, Madame, que votre coeur maternel n'y consentirait pas. Elle a été un temps sans en plus parler ; mais, voyant que l'on se dispose pour partir vers la fin du mois de mars, son feu s'est rallumé de telle sorte qu'elle a voulu vous en écrire, espérant que votre piété ne lui refuserait pas la grâce qu'elle lui demande d'aller élever un autel à la gloire du très saint Sacrement, et le faire adorer dans un royaume catholique, mais qui a besoin de réveiller la piété des peuples.
La reine témoigne un grand empressement pour ce nouveau monastère. Je n'ai pu refuser les religieuses qu'elle
1. Catherine Henriette Bellier, née vers 1615, appartenait à une famille attachée depuis trois générations au service des reines de France. Dès son adolescence, Catherine servit Anne d'Autriche et devint plus tard sa première femme de chambre. Le 23 février 1634, elle épousa Pierre de Beauvais, né le 9 août 1602, décédé en 1674, substitut du procureur général au Parlement de Paris.
Son influence sur la reine, sa moralité peu scrupuleuse, lui permirent d'acquérir une fortune assez considérable et des charges de plus en plus importantes pour son mari. C'est en 1647 qu'elle acquit la seigneurerie de Gentilly et, en 1654, des terrains faubourg Saint-Antoine (actuellement rue François-Miron) sur lesquels elle fera élever quatre ans plus tard, par Antoine Lepautre, premier architecte du roi, l'hôtel de Beauvais. Elle avait acheté aussi une belle demeure bordant la rue Saint-Antoine et appartenant à Charles-Louis de Lorraine, abbé commendataire de Chaalis près de Senlis.
Sa générosité et les très grandes dépenses engagées pour la construction de son hôtel mirent la baronne de Beauvais au bord de la ruine. Anne d'Autriche mourut dans les bras d'une fille de Mme de Beauvais à qui la reine avait légué 30 000 livres sur son testament. Le 31 décembre 1683, Catherine-Henriette dut céder tous ses biens pour payer ses créanciers, mais Louis XIV fit racheter en sous-main la terre de Gentilly et l'hôtel de la rue Saint-Antoine et lui en fit don le 13 septembre 1684. Mme de Beauvais mourut à Gentilly le 7 août 1690 (cf. Lettre de mère Mectilde, 10 août 1690).
De son mariage avec Pierre de Beauvais, elle eut huit enfants dont : Louis filleul de Louis XIII ; Anne-Jeanne Baptiste, filleule de la reine et de Monsieur, qui épousa le marquis de Richelieu et fut grand mère du maréchal de Richelieu (16961788) ; Claire Angélique, première femme de chambre de la reine qui entra aux Visitandines de Chaillot, fut élue supérieure le 29 mars 1695 et mourut le 23 novembre 1709 (c'est pour elle que Bossuet prononça en 1667 le Sermon pour la profession d'une demoiselle que la Reine Mère avait tendrement aimée) ; Radegonde, qui fut la septième enfant, née à Saumur lors d'un séjour de la Cour en cette ville, en février 1652 ; enfin Monique née en 1653. Les deux soeurs entrèrent au monastère de la rue Cassette et y firent profession le 3 août 1669. Mère Radegonde de la Présentation fut la première prieure du monastère de Varsovie, et revint à Paris en son monastère en 1691.
Mère Monique des Anges fit partie du groupe des moniales envoyées à Rouen par mère Mectilde pour y fonder un monastère, le cinquième de l'Institut, en 1677. Elle demeura à Rouen jusqu'en 1688 probablement. Elle fut prieure du monastère de la rue Cassette de 1713 à sa mort survenue le 19 septembre 1723. Pierre de Beauvais étant mort en 1674 en laissant des dettes, sa veuve dut entamer des procès qui durèrent jusqu'en 1685.
Le 27 août 1728 l'hôtel de Beauvais fut vendu à Antoine-Martin Chaumont de la Galaizière, lequel fut nommé plus tard chancelier du roi de Pologne, Stanislas, duc de Lorraine. Nos archives ont conservé des documents signés de ce chancelier et concernant notre monastère de Nancy. Le fils d'Antoine-Martin Chaumont de la Galaizière fut le premier évêque de Saint-Dié. Mgr Barthélemy-Louis-Martin de la Galaizière de Chaumont occupa le siège épiscopal de 1777 à 1802.
En 1755, l'hôtel avait été loué puis acheté par le comte d' Eyck, envoyé extraordinaire du duc de Bavière. Le père de Mozart, accompagné de sa fille Marie-Anne (10 ans) et de son fils Wolfgang (7 ans), y logeait en novembre 1763. (cf. Dictionnaire de biographie française; Jacques Willairet, Evocation du Vieux Paris, t. I, éd. de Minuit, Paris 1951 ; C. de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977 ; chanoine Louis Brochard, Saint-Gervais, Firmin-Didot, Paris, 1950, p. 90-94).
39 demande. Si votre bonté agréait que votre très chère fille fût du voyage, notre dessein serait de lui donner la charge de supérieure, sachant bien qu'elle s'en acquittera dignement et contentera beaucoup la reine, étant bonne religieuse et d'édification. Peut-être, Madame, serez-vous bien aise de contribuer à ce saint oeuvre par le sacrifice que vous ferez à Notre Seigneur de votre chère enfant. Vous en serez glorieusement récompensée : outre la part que vous aurez dans toutes les bonnes œuvres qui s'y feront, tout l'institut, Madame, vous en serait parfaitement obligé. De ma part je la sacrifie avec douleur, m'étant parfaitement chère.
Si la chose vient à son effet, voulez-vous, Madame, lui permettre d'aller recevoir votre bénédiction avant que de partir, pour l'heureux succès du voyage ? Je ne doute pas que Notre-Seigneur ne vous favorise d'une grâce singulière en récompense du sacrifice que vous ferez. Je puis vous assurer, Madame, que le mien est très grand et qu'il m'est très sensible, qu'il n'y a que la seule gloire de Dieu qui me le fasse faire. Je suis avec respect votre…
... Je crois que vous savez que votre chère soeur [Radegonde de la Présentation] veut se sacrifier pour la Pologne ; elle a beaucoup de zèle pour cela ; je ne sais s'il n'y aura point de changement. Recommandez le tout à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. Je n'ai encore nommé ni déclaré personne pour y aller 2 : ce n'est pas une petite affaire. Priez bien Notre Seigneur pour moi : j'en ai un besoin extrême. Je voudrais que les âmes qui iront à cette fondation soient toutes dégagées et séparées de l'humain. Je sais bien qu'il n'y a pas grand chose pour l'amour-propre, mais il se fourre partout, jusque dans les souffrances et les sacrifices les plus saints. Il faudrait des séraphins pour aller animer les peuples à l'amour du très Saint Sacrement. La reine de Pologne [Marie Casimire] est bonne et fort pieuse. Elle attend les filles du Saint-Sacrement avec beaucoup de zèle et d'affection. Priez Dieu qu'il conduise tout pour sa pure gloire...
no 992a) Z4
2. Quelques jours plus tard, la permission de partir en Pologne fut donnée par Mgr François de Harlay de Champvallon. Elle est signée du 24 juin 1687. — François, second du nom, d'une famille de robe ayant donné à la France de grands magistrats, naquit en 1625. Abbé commendataire de Jumièges, il occupa le siège de Rouen par la résignation de son oncle en mai 1651. Nommé archevêque de Paris en 1671, il joua un rôle important près de Louis XIV comme conseiller pour les affaires écclésiast;ques conjointement avec le Père La Chaise (1624-1709). 11 se distingua par son eloquence. Il publia des ouvrages de controverse et de discipline ecclésiastique. Il mourut en 1695 (cf. Catherine de Bar, Fondation de Rouen. Rouen. 1977).
Tout ce que je vous puis dire, ma très chère mère 4, c'est que j'attends aujourd'hui ou demain des nouvelles pour pren-40
3. Le monastère de Toul avait été fondé en 1664 par mère Mectilde, elle-même, avec l'agrément de l'évêque du lieu, Mgr André du Saussay. Cette maison très fervente forma de nombreuses jeunes moniales à qui mère Mectilde put confier ses fondations ultérieures : Saint Louis au Marais, Varsovie. Ce monastère de Toul fut prospère jusqu'à la Révolution, qui expulsa les moniales en 1792. — Les bénédictines du Saint-Esprit, dont le prieuré d'Anet (Eure-et-Loir) ne parvenait pas à subsister, demandèrent à mère Mectilde de les aider. Elle fit appel en 1676 à Toul. De jeunes religieuses partirent pour les seconder. Les tractations n'ayant pu aboutir alors, les moniales s'arrêtèrent à Paris. Ce sont les premières fondatrices du second monastère parisien, qui s'installera définitivement rue Saint-Louis au Marais, en 1680, dans l'ancien hôtel de Turenne. A la mort du maréchal, l'hôtel était devenu la propriété du cardinal de Bouillon, son neveu. (Cf. C. de Bar, fondation de Rouen. Rouen 1977).
4. Marguerite Petigot, (ou Petitgot), soeur Marie de Jésus, était fille de Errard Petigot, seigneur du fief de Francourt (Haute-Saône) et gouverneur, pour le roi du château de Landcrone (actuellement Landskron, Haut-Rhin). Sa mère était Damoiselle Marie Marguerite Olrion ou Olérion, demeurant à Huillecourt (Huilliécourt, Haute-Marne).
Le château de Landskron, où mère Petigot a pu passer sa jeunesse, avait été acheté par Louis XIV en 1663. Ce château commandait la défense de notre frontière en dessous de Belfort, face à Bâle. Vauban le fortifia et il ne fut détruit que par les armées autrichiennes en 1814. (Cf. A. Durlewanger, Les châteaux forts d'Alsace. Strasbourg. 1972).
dre la dernière résolution de partir pour Pologne. Je vous compte, ma très chère mère, pour supérieure dans cette nouvelle maison, que je prie la très sainte Mère de Dieu vouloir combler de bénédictions ; je l'espère de sa très grande bonté.
Je vous prie de faire venir Monsieur votre frère, pour vous y accompagner et y être votre chapelain. Je serais bien aise qu'il fût un peu de temps à Paris pour y voir la manière d'officier dans nos maisons. Vous savez que l'on a besoin d'un saint prêtre pour confesseur en ce pays-là, parce que l'on n'est pas certain d'en trouver comme on les doit souhaiter. D'ailleurs je serais bien aise qu'il soit votre parent. I1 prendra tout le soin pour vous en soulager, surtout pour la nourriture dans le vaisseau, car il ne s'en faudra pas toujours rapporter au capitaine qui tend toujours d'épargner pour faire son profit. Comme vous allez en droiture, vous n'aurez que dix ou douze lieues à faire sur terre, et pour cet effet l'on trouvera en ce lieu-là des chariots pour mener les personnes et les bagages. Quand nous serons à Rouen, nous ferons faire les provisions de bouche et des matelas et des couvertures pour coucher dans le vaisseau.
Il faudra des ornements pour dire la sainte messe dans le dit vaisseau pour la consolation des religieuses. Nous ferons ici d'autres provisions de choses qui sont rares et chères en Pologne : nous en avons un mémoire. Il faut des livres spirituels et des livres de chant, des règles et des constitutions, etc. Il faut du papier, des plumes, des canifs, des petits et des grands saints sacrements, des soies de toutes couleurs, fil blanc et autres, etc.
Mére Petigot fut maitresse des novices au monastère de Saint-Louis au Marais.
Partie pour Varsovie en 1687, elle fut élue prieure le 2 juillet 1691 et le resta jusqu'au 2 août 1697. Elle quitta la Pologne le 12 juin 1698. Quelques années plus tard, la reine Marie Casimire Sobieska, exilée à Rome, fit venir près d'elle mère Petigot, qu'elle estimait particulièrement, dans le but de fonder un monastère de notre institut à Rome. (Cf, le récit du voyage des moniales, chapitre II). Ce projet n'ayant pu réussir, les religieuses revinrent en France. Mère Marie de Jésus Petigot mourut en son monastère le 23 août 1718. (Cf. Arch. Nat. L.1076 n° 1 et 13, et archives du monastère de Bayeux).
Un aveu et démembrement pour le fief d'Huilliécourt se trouvent aux Arch. Dép. de Meurthe et Moselle : L' 90.
Les registres paroissiaux d'Huilliècourt, disparus pour les années 1633 à 1661, portent, à la date du 2 octobre 1662, le baptême de Jean-Baptiste, fils de noble Errard Petigot et de Marie Marguerite Olerion, noble Jehan (?) pour parrain et damoiselle Anne Colin pour marraine. Huilliécourt appartenait au diocèse de Toul. (Renseignement aimablement communiqué par le directeur des Arch. Dép. de la Haute-Marne).
Pour aller avec vous, je vous prie de chercher dans votre maison une compagne de choeur pour le moins. J'aurai d'ailleurs une converse. Il faut prendre cette postulante qui a une belle et grande voix, si toutefois elle a les qualités requises, savoir : la bonne vocation, un bon esprit naturel, sans passions, docilité et courage pour surmonter les obstacles ; connaissez si elle est de bonne famille, gens d'honneur et de vertu.
Vous sortirez nue comme la main, parce que vous n'emporterez rien de la maison. L'on vous revêtira ici de toutes choses nécessaires, et quand tout sera arrêté, je vous irai prendre ou vous enverrai quérir. Il faudra doucement avoir l'agrément de Monsieur de Saint-Eustache, votre digne supérieur. Cette semaine nous saurons tout ce qu'il faudra faire. J'aurai bien de la peine à partir, laissant nos chères mères malades. Priez Notre Seigneur qu'il les guérisse pour sa gloire.
Je crois bien, ma très chère mère, que vous sacrifiez terriblement, mais l'amour que vous avez pour Notre Seigneur vous anime et vous fait embrasser tout ce qui le peut faire glorifier ; quoiqu'il vous en coûte beaucoup, Notre Seigneur saura bien vous en récompenser. L'on peut revenir, plusieurs personnes y sont allées et sont revenues, même des filles de Sainte Marie. Ce n'est pas l'autre bout du monde ; assurément l'on en revient quand on veut. Il faut espérer que Dieu bénira cette mission. Vous aurez avec vous surtout une demoiselle qui y a demeuré du temps et qui en sait toutes les conduites : vous en recevrez beaucoup de satisfaction. Donnez-vous bien à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. C'est remplir votre qualité de victime. Si l'on me laissait aller, ah ! très chère Mère, que je serais très contente ! Mon coeur y vole, mais apparemment je n'en suis pas digne. Je m'offre à sa puissance et à son amour pour cela.
Loué et adoré soit à jamais
le Très Saint Sacrement de l'Autel
et la Très Sainte Vierge Mère de Dieu
toujours Immaculée
REGISTRE
dans lequel est contenue l'histoire de la fondation
et généralement des propositions et conclusions
faites en chapitre dans ce premier
Monastère des religieuses bénédictines de
l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement
de l'Autel . et du commencement de sa
fondation l'an de Notre Seigneur
1688
in Poland
L'on pourrait avec justice nous accuser et nous serions coupables d'une grande ingratitude envers Dieu et notre illustre reine et donnerions un juste sujet de plainte au public et à nos successeurs, si nous ne leur apprenions pas les raisons et les manières de notre arrivée en ce royaume et que toutes celles qui nous doivent succéder soient informées du sujet qui nous a fait venir dans ce pays.
C'est donc pour satisfaire à ces obligations que nous faisons brièvement cette relation.
Ce fut en l'an mil six cent quatre-vingt-trois que Vienne, ville de l'Empire, fut assiégée par les Turcs d'un si prodigieux nombre de soldats que les plus généreux des assiégés virent bien que, sans les secours du Dieu des combats, l'on ne pouvait obtenir la victoire, et ce fut dans cette espérance de vaincre ou mourir pour un si bon signe, que le très martial, généreux et vaillant prince Jean III, roi de Pologne, qui ne bornait pas ses conquêtes à la seule défense et protection de son peuple mais prêta son secours à ses voisins, se trouva immanquablement des premiers dans un si périlleux combat, pressé du zèle de la religion, qui aurait souffert une funeste destruction par la victoire des ennemis. Mais ce même zèle de la gloire de Dieu, qui embrasait le coeur de notre illustre reine Marie-Casimire, épouse d'un si vertueux et généreux mari, ne lui permettant pas, comme lui, d'y paraître en public, de prendre l'épée ni la lance pour aller combattre les ennemis, la fit retirer dans la solitude et retraite où elle chargeait son corps faible et délicat des plus sensibles par d'affreuses mortifications, comme une autre Esther pour la délivrance du peuple de Dieu, et faisait faire des prières publiques et continuelles pour ce même sujet. Tout cela ne suffisant pas à sa piété, elle engagea le Ciel par des voeux secrets à lui être propice et favorable et promit à la divine Majesté de fonder un monastère de religieuses, lesquelles, par les louanges et adorations continuelles qu'elles feraient, seraient une perpétuelle reconnaissance de la grâce qu'elle demandait et espérait d'obtenir de Dieu et par l'intercession de la très sainte Vierge.
Cette pieuse reine la prend toujours pour son avocate auprès de son divin Fils ; elle célèbre ses fêtes avec une dévotion singulière ; aussi en a-t-elle reçu de grands secours et assistances. Celle qui nous semble la plus apparente et la plus considérable est cette glorieuse victoire remportée à Vienne sur les Turcs, que Sa Majesté demandait avec tant de ferveur et de persévérance. Et ce qui nous en fit attribuer le bon succès aux prières continuelles de cette grande reine est qu'il parait même que le ciel ait voulu rendre ce témoignage par les plus belles et généreuses actions du combat, ayant été faites par le roi, son très digne époux, et nul des princes présents ne lui ayant jamais disputé l'honneur et la gloire du combat et, après Dieu, la gloire lui est due ; et les belles dépouilles qu'il remporta sur les ennemis en sont les fidèles preuves. Leurs Majestés eurent la 47 bonté de nous les faire voir à notre arrivée. Sa Majesté, sachant bien qu'il ne suffit pas de faire des voeux au Seigneur mais qu'il les faut accomplir, travailla incessamment à s'en acquitter et, voyant l'avantage que recevait la République, des Dames de la Visitation 5, qui avaient été établies par la Sérénissime reine Louise, résolut de l'augmenter, mais encore plus profitable-ment, demandant des religieuses de France qui, joint à la bonne éducation qu'elles donneraient à la jeune noblesse du pays, augmenteraient la dévotion des peuples envers le très Saint Sacrement de l'autel par l'honneur et le culte extraordinaire et les fréquentes expositions que notre saint institut nous oblige de lui rendre, et l'adoration perpétuelle, jour et nuit, que
5. La première maison des Dames de la Visitation Sainte-Marie fut fondée à Varsovie le 9 août 1654 par des moniales du premier monastère de Lyon et de Troyes. Actuellement, il existe deux maisons de la Visitation en Pologne, à Varsovie et à Cracovie. Cette dernière a été fondée par celle de Varsovie le 22 novembre 1681 (Renseignements aimablement communiqués par l'archiviste du monastère de la Visitation de Paray-le-Monial). Leur église à Varsovie fut construite entre 1727 et 1734 par l'architecte Karol Bay. (cf. Aleksander Gieysztor et Stanislaw Herbst, La Pologne millénaire, Interpress, Warszawa).
Louise Marie de Gonzague, née vers 1612, décédée à Varsovie le 9 mai 1667, fille de Charles de Gonzague, duc de Nevers et de Mantoue, et de Catherine de Lorraine. En 1558, l'archevêque de Gnezno était Waclaw Leszczinski (1605-1666). Il se rendit en France pour y chercher la jeune princesse, qui épousa, en 1645, Ladislas IV, roi de Pologne, puis son frère et successeur Jean Casimir, qui régna sous le nom de Jean II ou Casimir V. Entré d'abord dans la Compagme de Jésus, promu cardinal, il fut relevé de ses voeux pour épouser la veuve de son frère et lui succéder sur le trône de Pologne en 1649.
La reine ne servit pas les intérêts de Louis XIV autant que celui-ci l'aurait désiré. Des guerres incessantes contre les Tartares, les Cosaques, les Russes et les Suédois, ravagèrent le pays. Le roi fut d'abord vaincu, puis, avec l'aide de l'empereur, il souleva les Palatinats, vainquit ses ennemis et put imposer le traité d'Oliva (1660), qui lui rendit ses États.
La reine reconciliée avec la France, tenta d'imposer la candidature d'un prince français, lors de l'abdication de Jean II en 1668. Mais la Diète n'accepta ni le duc d'Enghien, ni Condé, et choisit un prince polonais, Korybut, un incapable, qui régna jusqu'en 1674, date à laquelle fut élu Sobieski, qui prit le nom de Jean III. En 1655, Charles-Gustave de Suède envahit la Pologne, mais ses armées furent arrêtées devant le monastère de Czestochowa le 25 décembre par l'apparition de la sainte Vierge. Le ter avril 1656, le roi de Pologne, Jean Casimir, consacra son royaume à Marie et ordonna qu'elle fût invoquée sous le titre de reine de Pologne. Le roi Jean Casimir, après son abdication, se retira en France où il reçut en commende l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. La reine Louise, épuisée par les querelles dynastiques, mourut d'une attaque d'apoplexie en 1667 à Varsovie. La Pologne lui doit d'avoir amené des prêtres de la Mission et des filles de la Charité de saint Vincent-de-Paul, ainsi que les moniales de l'ordre de la Visitation Sainte Marie (cf. Daniel-Rops, L'Église des temps classiques, Fayard, 1958, T.I. ; H. Pradel, Notre-Dame en France, 1944).
l'on y fait, ce qui agréa fort à Sa Majesté, ces saintes pratiques étant conformes à ses desseins de continuelles louanges et adorations à la Majesté divine, en reconnaissance des grâces qu'elles avaient reçues dans l'occasion que j'ai spécifiée. Sa Majesté chargea madame la marquise de Béthune, sa soeur, et monseigneur l'évêque de Beauvais 6, de la conduite de cette affaire en France, pour parler à la révérende mère Catherine Mectilde du Saint-Sacrement, notre très digne mère institutrice, pour obtenir de ses religieuses. Les affaires de l'État et celles de l'Église ayant obligé ce prélat à des voyages à Rome, il ne put si tôt donner contentement à sa Majesté. Enfin, après quelques années de pourparlers de part et d'autre, l'affaire fut conclue en l'an 1687. Le 22e du mois d'août, les religieuses partirent de Paris, un vendredi, et vinrent à notre monastère de Rouen ', où elles furent reçues avec bien de la joie et de l'estime de leurs saintes entreprises, et restèrent dans le monastère jusqu'au 2e de septembre qui était un mardi, qu'elles sortirent.
6. Toussaint de Forbin-Janson (1624-1713), évêque de Beauvais (1679-1713), venu à Varsovie avec M. de Vitry, envoyé par Louis XIV en mission diplomatique auprès du roi Jean Sobieski. La reine profita de l'occasion pour lui demander son aide au sujet de la fondation des moniales de l'institut en Pologne. Toussaint était fils de Gaspard Forbin Janson et de Claire de Libertat. Il fut successivement coadjuteur de l'évêque de Digne 1653, auquel il succéda en 1655, puis évêque de Marseille, en 1668. Il fut ensuite nommé évêque de Beauvais en 1679 et cardinal au titre de Saint-Calliste, sur présentation de Jean III Sobieski, en 1690. Il fut ambassadeur en Pologne, puis à Florence, où il réconcilia Côme de Médicis et son épouse Marguerite Louise, fille de Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans. Le cardinal mourut à Paris en 1713. Il était commandeur des ordres du roi et grand aumônier de France. (Cf. Recueil des instructions aux ambassadeurs et ministres de France en Pologne, Alcan, Paris, 1888), (cf. chap. IX, n. 170).
7. En 1676, mère Mectilde signa un contrat d'achat d'une maison appartenant aux Béguines, rue Saint-Vigor, près du Vieux-Marché, à Rouen. Lors d'un premier voyage, en 1677, elle se rendit compte qu'elle avait été trompée. On loua alors une maison rue des Arsins, et la première exposition du Saint Sacrement, qui fonda le monastère de Rouen, eut lieu le 4 novembre 1677. Ce n'est qu'en août 1683 que les moniales purent acheter une grande maison, dite château de Mathan, où elles remplirent leur mission de moniales adoratrices et réparatrices jusqu'en 1792. Chassées de leur couvent, elles furent emprisonnées, mais, grâce au dévouement de leur aumônier, l'abbé Cousin, et à la complicité bienveillante de leur geôlière Françoise, elles poursuivirent leur tâche d'adoratrices, mime durant leur année d'incarcération. Elles ne parvinrent à se regrouper dans un couvent qu'en 1804, grâce à la générosité de leurs bienfaiteurs. Réunies dans l'ancien couvent des Minimes, elles y poursuivent leur tâche d'Église, à l'ombre de l'ancienne abbatiale Saint-Ouen. (Cf. C. de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977). Saint François de Paule fonda l'ordre des Minimes; sa Règle fut approuvée en 1474 par Sixte IV. Le saint mourut en 1508. Le couvent de Rouen, rue Bourg-l'Abbé ne parvint à s'établir dans cette ville qu'en 1600.
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L'on considérait ce voyage comme celui de Turquie tant par le péril où l'on met sa vie sur mer par l'inconstance de cet élément que par les autres hasards et malheurs que l'on y rencontre des pirates et corsaires de mer. A partir de là, l'on y séjourna dix jours, tant pour attendre le vent favorable que pour porter les ballots dans le navire. Le lieutenant de la marine et autres embarras qui se trouvent en pareille rencontre nous y firent arrêter.
Madame la marquise de Béthune avait fait, par l'ordre de leurs Majestés polonaises, une grande emplette de levée des marchandises pour notre usage, tous les ornements nécessaires pour dire la sainte messe sur mer, un beau tabernacle de bois doré, de grandes figures de la Sainte Vierge, des anges et autres saints de plâtre doré et ornements communs tout faits ; des étoffes, pour habiller les religieuses, d'hiver et d'été, 200 aunes de serge blanche pour faire des chemises, d'autres pour faire des draps, des couvertures, 200 aunes de France de toile pour faire du linge, plusieurs pièces de toile noire et d'étamine pour faire des voiles, et tout ce qui était nécessaire pour l'habillement des religieuses, des bréviaires, livres de chant et une bibliothèque des livres spirituels, de beaux missels de maroquin et autres à l'usage des ecclésiastiques, une douzaine de belles aubes et des surplis, deux douzaines d'amicts ; enfin l'on n'avait qu'à demander ; madame la marquise, bien instruite des intentions de Sa Majesté, faisait tout avec une magnificence royale.
Notre soleil [ostensoir] en est une belle preuve, que l'on dit valoir plus de 2 000 ducats de France, une tapisserie de velours rouge, etc.
Avant que de partir, l'on marchanda avec le maître du navire pour le voyage, et il fut conclu qu'on lui donnerait 40 sols par tête, qui font quatre francs de ces pays ; c'était pour la nourriture et pour la voiture.
Nous étions vingt-trois personnes en comptant monsieur du Chartrin 8, qui était notre confesseur. La liste des religieuses françaises parties en Pologne de 1687 à 1787 se trouve en Appendice.)
Nous étions huit religieuses de choeur, deux soeurs converses, quatre novices, une postulante âgée de 14 ans [Jeanne Lombard], une tourière, un sacristain, un jardinier, trois joueurs de hautbois, que la reine faisait venir pour son service.
Nous fûmes accompagnées dans notre voyage des trois demoiselles françaises, qui venaient pour le service de la reine, et d'une dame de qualité. Une de ces demoiselles françaises qui avait déjà été en Pologne et qui parlait un peu la langue du pays nous servit beaucoup.
Madame la Présidente de Lesseville, dame d'une grande piété et de beaucoup d'estime pour notre saint institut, voulut nous amener à Rouen, et l'aurait fait volontiers jusque dans la Pologne, si son âge n'eût fait appréhender à messieurs ses enfants que ce voyage n'eût été sans retour ; elle est depuis peu décédée dans notre monastère de Paris d'une maladie très douloureuse, qu'elle souffrit avec une patience et soumission qui édifia beaucoup toute la communauté, qui conserve une grande estime de sa vertu et de la reconnaissance pour ses libéralités.
Elle ne nous fut point à charge durant le voyage, ni durant le séjour que nous fîmes à Rouen ; elle paya même la dépense de ses gens et de ses chevaux et nous fit aussi des présents.
J'ai déjà dit que nous séjournâmes dix jours dans notre monastère de Rouen durant que l'on disposait notre navire, lequel, étant un navire marchand, était peu propre pour nous loger tous ; l'on fit aussi les provisions pour la navigation, des tonneaux de lard et de boeuf salés, des tonneaux de vin, cidre et bière, confitures sèches et liquides, toutes sortes de fruits, oran-
8. Dès le départ de Paris, monsieur l'abbé du Chartrin accompagna nos soeurs dans leur voyage et les soutint aux premiers temps de la nouvelle fondation avec le plus grand dévouement. Il avait désiré rentrer en France, mais mourut peu de temps après à Varsovie, en mai 1688.
Un autre prêtre seconda les religieuses, au moins au cours de la descente de la Seine, c'est l'abbé Sicault. Nous le voyons mentionné comme chapelain du monastère de la rue Cassette en 1684 (cf. aussi lettre de la mère Anne Loyseau, 6 octobre 1687).
De même la présidente de Lesseville, bienfaitrice insigne de l'institut. Nous relevons dans le livre de comptes du monastère de la rue Cassette en 1654 : Mme de Lesseville offre une Vierge pour notre choeur Elle donna pour l'établissement du premier monastère de Paris 700 écus. Sa générosité et surtout sa piété l'incitaient à entrer quelques jours au monastère, chaque année, pour y faire une retraite. Catherine Le Boulanger de Viarmes épousa Nicolas Le Clerc de Lesseville, seigneur de Thun et d'Evecquemont, doyen de la Chambre des Comptes de Paris. Elle eut, entre autres, comme enfants : Eustache, évêque de Coutances de 1659 à 1669 ; Antoine de Lesseville et d'Evecquemont, correcteur en la Chambre des Comptes, dont la fille Henriette épousa Claude de Saint-Simon, père du mémorialiste.
51 ges et citrons. L'on tâcha que rien ne nous manquât durant ces dix jours.
Le bruit se répandit dans la ville de Pamis (sic), que des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement allaient en Pologne ; chacun voulait les voir.
Madame de Souvré 9, abbesse de Saint-Amand, madame de Bellefonds 10 abbesse de Notre-Dame des Anges, et plusieurs autres envoyèrent faire des compliments et supplièrent que l'on les pût voir et qu'elles enverraient des carrosses pour nous amener ; mais, comme notre vocation n'est pas de nous produire mais plutôt de nous cacher et nous anéantir, l'on leur fit faire des remerciements et excuses pour éviter les louanges et applaudissements que l'on nous aurait donnés.
Monseigneur l'archevêque de Rouen 11, frère de Monsei-
9. L'abbaye de Saint-Amand fut fondée vers 1030 par Gosselin, vicomte d'Arques, et Emmeline, sa femme. Madeleine de Souvré, née le 1« février 1621, entra très jeune à l'abbaye de Préaux. Prieure de sa soeur Léonore de Souvré en 1653 à Saint-Amand, coadjutrice en 1657, elle devint abbesse à la mort de sa soeur, survenue le 28 août 1672. Elle donna un haut exemple de piété, de douceur, de patience dans son gouvernement, et laissa un grand renom de sainteté. Elle mourut le 8 septembre 1691, à 77 ans. ayant gouverné son abbaye 19 ans et 10 jours. (Cf. F. Farin, Histoire de la ville de Rouen, Bonaventure Le Brun, Rouen, 1738).
10. L'abbaye de Notre-Dame des Anges fut fondée en 1644 au faubourg Saint-Sever, mais, n'ayant pu subsister, le monastère fut relevé en 1648 par le marquis de Bellefonds, lieutenant général des armées du roi et Mme Laurence de Bellefonds, religieuse de l'abbaye royale de la Trinité de Caen, qui l'établirent en 1650 rue Beau-voisine. Madame de Bellefonds avait une dévotion extraordinaire envers le Saint Sacrement. Dès 1670 elle obtint de l'archevêque l'autorisation de l'exposer publiquement tous les 4' jeudis du mois, avec office solennel, sermon et salut. Une religieuse restait toujours en adoration devant le Saint Sacrement dans la journée. Son abbatiat fut très fécond. Après 36 ans le gouvernement, elle mourut le 31 octobre 1683, âgée de 71 ans. (Cf. F. Farin, op. cit.).
11. François Rouxel de Médavy de Grancey, conseiller d'État, fut évêque de Langres. puis de Séez. Élu 86' archevêque de Rouen le 1« janvier 1671, il succéda à François II de Harlay appelé au siège de Paris. Ce prélat qui avait servi tout d'abord dans l'armée. puis le pouvoir royal, fut un administrateur consciencieux. 11 prit possession de son siège épiscopal le 16 janvier 1672. II mourut à Mâcon le 2 janvier 1691 et fut inhumé sans faste, selon sa demande, dans le bas de la nef de la cathédrale de Rouen.
La fondation de notre monastère de Rouen se fit sous son épiscopat et avec son agrément. (Cf. C. de Bar, Fondation de Rouen. Rouen, 1977 et Nicétas Périaux, Histoire sommaire et chronologique de la ville de Rouen. 1874, réédition, Bertout, Luneray, 1970).
Jacques Rouxel de Médavy, comte de Grancey, maréchal de France (16031680). C'était un soldat d'une intrépidité extraordinaire parfois comparé à Bayard.
52 gneur le maréchal de Grancey, étant pour son grand âge et infirmité détenu au lit, nous envoya monsieur l'abbé de Fieux 12, son official et grand vicaire, nous congratuler sur notre bonne entreprise, nous en témoigner sa joie et donner de sa part la bénédiction archiépiscopale.
Tout étant apparemment assez prêt, l'on résolut de partir.
Le mardi 2e de septembre, nous fîmes toutes à cette intention la sainte communion, pour nous disposer à cette sainte entreprise. L'on fit des prières publiques (liturgie du bréviaire monastique) pour obtenir un bon et heureux voyage. Après le diner, arrivèrent les carrosses. Il fallait prendre congé les uns des autres et dire le dernier adieu, qui fut très sensible ; la douceur et cordialité que l'on avait goûtées depuis dix jours y mettait un peu d'amertume et de larmes ; la douleur de celles qui restaient paraissait plus grande que celle des voyageantes, car elles perdaient leurs chères mères et soeurs.
A la sortie du monastère, nous fûmes à l'église de Notre-Dame, la cathédrale de Rouen 13, et puis à l'église du prieuré
On le trouve à la tête de son armée dans les grandes batailles de cette époque : Montauban. La Rochelle, Rocroi. Il reçut en 1651 le bâton de maréchal de France.
Ils sont fils de Pierre lei Rouxel de Médavy, comte de Grancey (1562-1618) et de Charlotte de Hautemer de Fervaques, qui eurent dix-sept enfants. (Renseignements aimablement communiqués par l'archiviste de l'abbaye d'Argentan).
12. Etienne de Fieux, licencié en décrets, prieur de Saint-Avertin, de Saint-Germain-en Ay-. au diocèse de Coutances et de Beaulieu (arr. de Rouen). abbé commendataire de Bellozanne (arr. de Neufchâtel), sur résignation de son frère, Jacques. évêque de Toul en 1677. Curé de Saint-Eloi de Rouen (1654-1666). de Saint-Laurent de Rouen (1666). chanoine de Rouen. archidiacre du Petit-Caux (1660). du Vexin français (1665). vicaire général du chapitre « sede vacante » après le transfert de François II de Harlay au siège de Paris (1671), vicaire général de Mgr Rouxel de Médavy le 9 juin 1675, puis de l'archevêque Jacques-Nicolas Colbert le 16 février 1691. official de 1676 à 1690, il décéda le 21 novembre 1694 en sa maison, rue Noble (actuellement rue Orbe), et fut inhumé en la chapelle Saint-Pierre-et-SaintPaul de la cathédrale. Il avait été prince du Puy de la Conception en 1673. (Renseignements aimablement fournis par M. l'abbé A. Fouré).
13. La tradition, discutée d'ailleurs, veut que la cathédrale s'élève sur l'emplacement de la première église. bâtie au IV' siècle. laquelle se dressait à l'intersection des deux voies qui traversaient la cité gallo-romaine. De grandes dates jalonnent son histoire. Le 1" octobre 1063. le bienheureux Maurille consacra la basilique romane, en présence de Guillaume, le futur conquérant de l'Angleterre, et des évêques de la province. Le 8 avril 1200. elle fut ravagée par un incendie. Dès 1204, elle put accueillir le roi Philippe Auguste, mais les travaux ne s'achevèrent que vers 1240. En 1515, un incendie endommagea encore l'édifice. saccagé par les protestants en 1562. Le monument souffrit des intempéries aux XVII' et XVIII` siècles si bien qu'un rapport
53 de Bonne-Nouvelle 14, où est un monastère de notre ordre et un lieu destiné à la sainte Mère de Dieu, qui y opère de grands miracles. Nous y fûmes donc pour nous mettre sous sa protection et lui demander son assistance pour le bon succès de notre voyage. Après, nous allâmes sur le gué de Rouen pour faire le premier pas de notre embarquement. Nous entrâmes dans un petit bateau pour aller à notre navire, [vu] que l'eau de la rivière n'était pas assez forte pour le porter au bord.
L'on dit que tous les habitants de la ville étaient sortis pour nous voir. Il est vrai que les rues où nous passâmes étaient si pleines de peuple qu'il nous eût bien fallu un huissier pour nous faire place. Plusieurs avaient gagné le devant et étaient allés à notre navire, que nous trouvâmes si plein que nous n'y pouvions trouver place, mais, la nuit arrivant, ils furent contraints de se retirer, et nous fûmes plus au large et en paix pour nous offrir de nouveau à Notre Seigneur pour accomplir ses desseins et ses saintes volontés sur nous.
Nous n'avions pour nous toutes qu'une manière de grande chambre contenant huit lits pour seize que nous étions ! Les messieurs et demoiselles avaient leurs chambres séparées. Monsieur de Chartrin, notre charitable aumônier, en avait une petite pour lui seul. La nôtre avait une petite tenture de tapisserie, étant le lieu où nous disions en commun notre office, où se célébrait la sainte messe et tous nos exercices de religion.
de 1757 . en fait craindre la ruine prochaine .. La cathédrale connut encore des heures sombres et fut à deux doigts de la ruine, surtout en avril 1944. Il fallut toute la science et le courage d'architectes, de maîtres d'oeuvre et de tailleurs de pierre pour lui redonner l'aspect merveilleux que nous lui voyons aujourd'hui. (Dictionnaire des églises de France, art. abbé André Fouré, secrétaire de la Commission dép. des Antiquités, secretaire de la Société de l'Histoire de la Normandie).
14. Le prieuré de Notre-Dame-du-Pré, dit de Bonne Nouvelle, fondé par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, et Mathilde, son épouse, qui firent bâtir l'église en 1060 à la sollicitation de saint Anselme, abbé du Bec. L'église fut dédiée à l'Annonciation de Notre-Dame. Très tôt les fidèles prirent la coutume d'aller y prier la Vierge, pour obtenir le pardon de leurs péchés. Les bâtiments et l'église, entièrement ruinés lors du siège de Rouen en 1592, furent réédifiés en 1604, et l'ancienne discipline monastique restaurée en 1626 par l'introduction des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Une congrégation en l'honneur de l'Enfant-Jésus (dévotion qui se répandait beaucoup en France à l'époque), fut fondée au prieuré en 1636. En 1687, le prieur de Bonne-Nouvelle était Dom Martin Filland, né à Saint-Benoitsur Loire. Il fit profession à Vendôme le 24 février 1663, âgé de 19 ans. Après avoir rempli plusieurs charges dans sa congrégation, on le trouve prieur de Bonne-Nouvelle en 1687. II mourut au Bec, dont il avait été prieur de 1717 à 1720, le 7 août 1726. (Cf. F. Farin, op. cit. ; Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, Ligugé, 1937).
Nous fûmes deux jours dans notre navire sans partir du port, le vent s'étant assez promptement rendu contraire. Ce délai nous fut favorable car, quelque soin qu'on eût pris de nous pourvoir de tout, néanmoins il nous manquait encore plusieurs choses : des cierges, des chandelles, des assiettes, etc. ; mais dès le lendemain les banquiers de sa Majesté y pourvurent.
Durant ces deux jours, quelques dames de la ville nous vinrent voir et la révérende mère Prieure 15 de notre monastère à Rouen nous envoya son révérend père confesseur pour savoir de nos nouvelles et l'état de notre santé.
Le jeudi, au matin du 4e de septembre nous partîmes et arrivâmes au port de la Bouville, [la Bouille], n'ayant fait ce jour-là que trois lieues de chemin.
Notre navire étant si grand qu'il ne pouvait aller sur la rivière que quand la force de la marée arrivait, qui n'était pas de longue durée. Le vendredi et le samedi, nous ne fîmes pas davantage. Notre navire demeura sur le sable auprès de la maison de plaisance de monsieur le marquis de Beaufvron 16 [Beu-
15. Françoise de sainte Thérèse du Tiercent, issue d'une famille originaire de Bretagne, naquit en 1647. Ayant perdu sa mère dans son enfance, elle dut attendre l'autorisation paternelle pour entrer au monastère de la rue Cassette où elle prit l'habit le 14 octobre 1672, et émit ses voeux le 3 septembre 1673. Elle fit partie du second groupe des fondatrices du monastère de Rouen, où elle arriva le 1" octobre 1677. D'abord maîtresse des novices, elle fut élue prieure de la nouvelle fondation le 29 mai 1681, et mourut le 10 janvier 1716, après 35 ans de priorat.
Son père était maitre des requêtes au Parlement de Paris. Sa famille était alliée aux Saint-Simon, Richelieu, Aiguillon. Elle songea d'abord à se mettre au service des pauvres chez les Filles de la Croix, fondées en 1641-1642 par Mme de Villeneuve, mais son père la rappela en Bretagne. Est-ce près des filles de la Croix qu'elle connut notre institut ? Mgr du Saussay, grand official et grand vicaire au diocèse de Paris, fut le supérieur des filles de la Croix de 1647 à 1650. Or, Mgr du Saussay, évêque de Toul, nommé en 1649, ne reçut ses bulles qu'en 1655. Ce fut un ami de mère Mectilde dès la fondation de notre institut et le protecteur du monastère de Toul. Près des filles de la Croix nous retrouvons aussi M. Picoté, qui obtint pour mère Mectilde l'autorisation de fonder son premier monastère, en 1652, rue du Bac, transféré rue Cassette (25 mars 1659).
16. La copiste a probablement fait une erreur de lecture (manuscrit revu par M. l'abbé A. Fouré, archiviste du diocèse de Rouen).
François d'Harcourt, marquis de Beuvron, chevalier des ordres du roi, était lieutenant général au gouvernement de Haute-Normandie. Il avait épousé, en 1677, en secondes noces, Angélique de Fabert. Ils eurent une fille, Henriette, qui épousa Louis Marie Victor, comte de Béthune, fils de François Gaston de Béthune et de Marie Louise de La Grange d'Arquien.
Angélique de Fabert de la Meilleraye, épousa en secondes noces François d'Harcourt, marquis de Beuvron. En 1687, Mme de Beuvron fut en procès avec les
55 vron] qui envoya de ses gens pour voir ce que c'était... L'on leur dit que c'était des religieuses que la reine de Pologne envoyait quérir pour établir l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel dans son royaume. Il en fut très édifié et admira sa grande piété et notre généreuse entreprise, et nous envoya des mets de sa table et des fruits de son jardin, nous assurant que madame la marquise aurait bien de plaisir de nous voir, mais elle n'était pas au logis.
Le lendemain, qui était un dimanche, notre navire fut relevé à l'arrivée du flot, qui veut dire la marée, qui est en son plein à midi et à minuit. L'on fit le chemin ordinaire de trois ou quatre lieues, et nous vînmes jusqu'au port de Quilboeuf 17, où, selon les lois entre mariniers et matelots, le maître de notre navire laissa la conduite du sien à ceux du pays, sans leur oser rien dire, qu'ils fassent bien ou mal.
Le lundi matin, il arriva un bon ancien matelot, qui travailla du mieux qu'il put pour nous faire avancer le chemin et nous fit passer le jour à viravier, c'est un terme de marine, c'est-à-dire à toujours tourner et ne bouger d'une place.
Le mardi matin, il en vint un autre, jeune, qui, peut-être mécontent que l'on ne l'eût pas pris d'abord, donna bien de la peine. L'on dit qu'il était sorcier et qu'on l'avait vu souffler sur les cordes du navire. Je ne sais s'il était sorcier ou peu exercé en son métier, mais je sais qu'il réussit très mal, et nous fûmes très près de périr, soit par malheur ou par malice. Il ne leva pas
religieux de Saint-Wandrille à propos d'une terre qu'elle venait d'acheter et dont les limites étaient le sujet du litige. Plus tard, nous la verrons de nouveau en procès avec les mêmes religieux à propos du bac, nécessaire pour la traversée de la Seine à la hauteur de Caudebec. Cf. Histoire de l'abbaye de Saint-Wandrille depuis l'an 1604 jusqu'en 1734, par Dom Toustain et Dom Tassin, éditée par Dom Jean Laporte, abbaye de Saint-Wandrille, 1936.
17. Cet ancien havre des Vikings fut la capitale du Roumois du XIIIe au XVIIIe siècle, siège d'une amirauté, port de pêche et relais des grands voiliers.
C'était la station obligée des navires qui descendaient la Seine et devaient franchir au moment de la pleine mer les parages dangereux de la Traverse, à 14 km en amont. Ils arrivaient à Quillebeuf à mer baissante et y attendaient que la marée leur permit de passer sur les bancs de la baie. Les navires à voiles devaient attendre que le vent fût favorable. Le port proprement dit est situé sur la rive gauche de la Seine à 14 km du point où se termine le chenal endigué. En raison des rochers qui formaient le prolongement sous-marin de la pointe et dont le port était hérissé, tout navire échoué sur les bancs était perdu et, à l'arrivée du flot, il était roulé par la barre et démoli. La lieue marine est de 5 km. 555. (Cf. B. Girard, la Normandie maritime, Niort, 1 899).
56 l'ancre assez tôt avant l'arrivée du flot, qui rompit le câble et mit le navire en tel péril que les plus habiles et les plus hardis, et même les matelots, crurent être à leur dernière heure ; et plusieurs descendirent pour se sauver dans de petites chaloupes, qui suivent les navires sur la rivière et que l'on met sur le tillac quand on est sur mer. Peu d'entre nous eurent connaissance du péril, et fûmes plutôt averties de prier Dieu de nous avoir préservées de ce malheur que de lui faire des voeux pour nous en garantir.
L'on jeta pourtant un passeport de l'Immaculée Conception 18 dans l'eau pour apaiser sa rapidité.
18. Nos archives possèdent encore un petit feuillet de 115x60, imprimé recto verso. On peut y lire d'un côté : « Loué et adoré soit à jamais le tris Saint Sacrement de l'autel ». Suit une prière au Christ eucharistique et une autre à la très pure et Immaculée Mère de Dieu. Le verso porte : rt Passeport de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge », avec une belle prière à la Vierge « conçue sans la tache du péché originel ».
[ici un encadrement ...
PASSEPORT
De l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge.
Sainte Marie Mere de mon Dieu
& Sauveur Jefus-Chrilt , toujours Vierge, élevée au Ciel en Corps & en Ame, qui avez été conçue fans la tache du péché originel, priez pour moi maintenant & à l'heure de ma mort. Priez pour ma converfion : Protegez-moi (fans toutes mes entreprifes : Soyez toujours ma confolation : Prenez foin de mon salut : j'ai mis en vous, après Dieu , toute ma confiance, Mcre de miféricorde, qui n'avez jamais eu aucune tache de péché.
Tota pulchra es Maria , & macula originales non fuit in te.
Il faut porter cette Oraifon fur foi, pour être préfervé dc pluficurs périls, comme on l'a souvent expérimenté.
… Fin de l’encadrement]
58 C'est à la sainte Mère de Dieu à laquelle nous croyons avoir cette obligation. L'ancre fut perdue ; nous ne fîmes que trois lieues ce jour-là et nous vînmes à un petit port nommé Saint-Sanson, proche de Ponton-de-mer 19 (Pont-Audemer) où notre navire demeura ensablé.
Le lendemain, qui était un mercredi, l'on voulut sur le midi, à l'arrivée du flot, mettre les voiles de navire au vent, ce que l'on fit sans bon succès, à raison que, la lune étant sur son déclin et le flot et la marée moins fortes, on ne fit que relever le navire pour très peu de chemin, et il retomba sur le sable mais si renversé que l'on ne se pouvait tenir debout. Cet accident étant arrivé dans l'heure du dîner, tout fut renversé et la vaisselle cassée, car nous n'en avions pour lors que de terre. Nous ne nous étions point encore trouvées en de telles défaites, et le maître du navire, voyant qu'il faisait un beau temps, nous proposa de sortir et d'aller dans la campagne où nous trouvâmes un lieu assez agréable. Nous envoyâmes quérir dans notre navire de quoi dîner et, ne pouvant retourner dans notre vaisseau qu'il ne fût relevé, l'on nous dit qu'il y avait, assez proche de là, un monastère de religieux bénédictins. Nous y fûmes par promenade ; l'on nous y reçut fort civilement, surtout Monseigneur l'évêque de Chartres 20, qui en était l'abbé commendataire. Ils
19. Pont-Audemer, chef-lieu d'arrondissement de l'Eure. Station romaine : Pons Audomari. Plusieurs conciles provinciaux y furent tenus au XIIIe et XIV' siècle. Au XVIIe siècle, le bailliage de Pont-Audemer englobait tout le vieux pays appelé Roumois ; il occupait toute la rive gauche de la Seine, de La Bouille jusqu'à l'estuaire. La ville était célèbre par ses tanneries et une manufacture royale des cuirs. (Cf. Léopold Soublin, Le premier Vote des Normands 1789, F.M.I.N., Fécamp, 1981).
La bourgade de Saint-Samson est située actuellement près de la Risle. Au siècle dernier, elle possédait une église contenant des vestiges de l'abbaye de Pental, fondée vers 550 par le moine saint Samson, et dotée par Childebert Ier. (Cf. J. Daoust, Le Val de Seine, Imprimerie Rouennaise).
20. L'abbaye Notre-Dame de Grestain, fondée en 1050 par Herluin de Conteville, mari d'Herlève (Arlette), mère de Guillaume le Conquérant et son fils Robert, comte de Mortain. Arlette fut inhumée dans l'abbaye. L'abbaye fut supprimée dès 1757 et ses biens furent transférés au petit séminaire de Lisieux. L'essentiel des bâtiments fut démoli vers 1768. 11 n'en subsiste plus, dans un site remarquable en bordure de l'estuaire de la Seine, que le mur d'enceinte, un bâtiment gothique et deux piles de l'église abbatiale.
Nos soeurs furent reçues par les moines dans la salle réservée aux hôtes (voir photo). L'abbé commendataire en 1687 était Denys Sanguin (abbé de 1670 à 1702), évêque de Senlis.
nous montrèrent toutes leurs raretés, mais particulièrement un reliquaire de la sainte Mère de Dieu : c'était une bourse, dont l'on ne peut connaître la matière ni la façon de l'étoffe ; nous la baisâmes avec bien de respect et renouvelâmes l'offrande de nos personnes. Au retour de cette visite, nous rentrâmes dans notre navire, que l'on avait relevé à l'arrivée du flot mais qui n'avait point changé de place.
Le lendemain, qui était un jeudi, nous nous trouvâmes en pareille aventure à l'heure du dîner. Comme le jour précédent, tout fut renversé, le dîner et les mets, et nous ne pouvions nous tenir debout. Tout cela arriva par la faute des matelots du pays, lesquels n'ayant pas eu l'adresse de bien conduire le navire, qui était fort grand, par le milieu de la rivière, l'ayant laissé aller au rivage et le flot se retirant, il demeurait sur le sable.
Notre capitaine nous dit que nous n'avions qu'à chercher gîte et que, sans miracle, le vaisseau ne pouvait changer de place de plusieurs jours.
Nous sortîmes toutes avec nos bréviaires et nos sacs de nuit. Nous étions en pleine campagne, loin des villages et des connaissances, et fort embarrassées de nos personnes. Nous rencontrâmes des paysans et nous leur demandâmes le nom de leur village et de leur seigneur et celui de monsieur le curé. Ils nous dirent que monsieur le curé s'appelait Tallon 21, et leur seigneur monsieur de Matignon 22. L'une de notre compagme connaissait ce bon curé. Nous nous hasardâmes d'y aller et nous ne fûmes point trompées dans nos espérances. Il nous
L'évêque de Chartres, était alors Ferdinand de Neuville, de la maison de Villeroy, abbé commendataire de l'abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle, sur la rive droite de la Seine, à 40 km de Rouen environ. Nos voyageuses avaient donc presque atteint l'embouchure de la Seine.
Mgr de Chartres ne vint que deux fois visiter son abbaye et, en 1687, il était octogénaire et quasi-impotent. (Renseignements aimablement communiqués par l'archiviste de l'abbaye de Saint-Wandrille).
21. Les registres paroissiaux de Conteville [Eure] portent, à la date du 18 décembre 1687, la signature de « Benoist Tallon, official et grand vicaire de monseigneur l'évesque et Comte de Dol ». La signature du curé Talion est apposée sur les registres paroissiaux dès 1686, et durant plusieurs années encore. (Renseignement aimablement communiqué par M. Coulombeau).
22. Henri, comte de Torigni, marquis de Lourai, lieutenant général de Normandie, conseiller d'État en 1658. Il épousa Melle de la Luthumière, qui lui apporta la seigneurerie du Marais-Vernier. Il mourut à Caen le 28 décembre 1682. (Cf. CharpilIon, Dictionnaire de l'Eure).
59 reçut avec bien de la bonté, nous marquant prendre beaucoup de part à tous nos petits désastres. Nous étions toujours accompagnées de monsieur de Chartrin, qui s'entretint avec monsieur le curé du sujet de notre voyage et ils nous laissèrent reposer de notre fatigue, car nous avions fait près d'une lieue de chemin. Nous dinâmes et soupâmes chez notre bon monsieur le curé ; pour le coucher, quelque peine qu'il prît pour nous bien accommoder, nous donnant tout ce qu'il avait, il ne put fournir au monde que nous étions.
Une partie coucha sur la paille, ce qui ne nous est pas nouveau. Nous passâmes encore le vendredi chez lui fort agréablement. Après avoir assisté à la sainte messe, il nous promena par tous ses jardins et ses vignes.
Nous tâchions de ne lui être pas tant à charge et nous fîmes venir plusieurs provisions de notre vaisseau, car vingt-cinq personnes ont bientôt mis fin à celles d'une seule personne. Le capitaine de notre vaisseau nous vint trouver pour nous dire qu'il s'ennuyait de ne nous plus voir, et que notre vaisseau n'était pas encore en état de nous recevoir, qu'il fallait bien encore huit jours.
Nous priâmes instamment monsieur notre bon curé de nous faire chercher des voitures pour aller jusqu'à Honfleur 23 ; il y avait quatre lieues de chemin.
23. Le port est situé en face de celui du Havre, sur le côté opposé de l'estuaire de la Seine. Il a souvent été une base de départ pour les flottes de guerre vers l'Angleterre et donc lieu de combats. A la fin de la guerre de Cent Ans, c'était une des dernières possessions anglaises. Dunois réoccupa Honfleur en 1450 pour Charles VII, qui attendait à Grestain de pouvoir entrer dans la ville reconquise.
L'origine de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce remonte à des temps anciens. Il semble que sa fondation soit due à Robert le` le Magnifique, duc de Normandie.
En 1538, le roc sur lequel s'élevait la chapelle disparut dans un éboulement après une grande tempête et entraîna la ruine quasi-totale de l'édifice. En 1606, Gonnier, employé au grenier à sel, en commença la reconstruction, continuée et achevée par Mr de Fontenay, gentilhomme de Honfleur, qui en avait obtenu la per-
Le samedi matin, après avoir assisté à la sainte messe et communié, nous primes congé de notre bon hôte, qui voulut, par estime et dévotion pour notre saint institut, savoir tous nos noms. Il nous promit de nous recommander à Dieu au saint sacrifice de la messe et de nous venir voir à Honfleur, et qu'il prendrait soin de notre navire et de notre embarquement, de quoi il s'acquitta avec bien de la bonté.
Étant arrivées à Honfleur, nous eûmes besoin de repos ; la voiture était rude et incommode.
Nous y séjournâmes quatre jours, n'ayant fait en quinze jours que quatorze lieues.
Le dimanche, nous fûmes faire nos dévotions à l'église paroissiale qui était la plus proche de notre auberge. Monsieur le curé nous reçut avec tant d'honneur que cela nous fit confusion. L'on écartait le peuple comme s'il n'était pas digne d'approcher de nous ; l'on nous prépara des sièges et des cierges pour assister à une procession que l'on allait faire du très Saint Sacrement.
Le lendemain, il nous pria instamment de venir chez lui pour dîner. Nous y fûmes par complaisance et par honnêteté, pour le remercier de toutes ses civilités, et puis nous revînmes dans notre hôtellerie pour y pratiquer autant que nous pouvions nos exercices de religion.
mission de Mile de Montpensier (la Grande Mademoiselle), propriétaire du terrain. Le 16 octobre 1620, Marie de Bourbon, fille unique du duc de Montpensier, donna par lettres patentes aux religieux capucins le terrain formant tout le plateau. Les capucins furent mis en possession régulière de la chapelle par Durant-le-Saulnier, prêtre habitué de Sainte-Catherine, député par l'évêque de Lisieux dont dépendait la chapelle, le 5 mars 1621, elle fut agrandie et embellie jusqu'à la Révolution.En 1793, elle fut pillée et profanée. Dès 1802, elle fut rendue au culte et les pèlerins ne cessèrent d'affluer. D'après un manuscrit très ancien où sont consignées les grâces et faveurs obtenues par l'intercession de la Vierge sous l'invocation de Notre-Damede-Grâce, on peut relever d'une part les très nombreuses guérisons, d'autre part la protection toute spéciale de Marie sur les marins en péril. Les navires de Honfleur, qui sillonnaient la mer du Nord ou l'Océan, vers Terre-Neuve, étaient à la merci de fréquentes tempêtes, et les ex-voto des marins sauvés par la Vierge sont innombrables. Citons seulement : en 1660 le Saint-François, commandé par Jean Liébard, de Honfleur, revenant d'Amsterdam en France et surpris par une tempête qui dura de dix heures du soir à sept heures du matin ; ayant vu 17 navires se perdre sous ses yeux, l'équipage se recommanda à Notre-Dame de Grâce. Il fut alors porté sur une petite ile voisine où il demeura six semaines et répara ses avaries. Cette nuit là fut fatale à 270 bâtiments montés par 10 000 marins. On comprend qu'avant de s'embarquer pour un voyage aussi lointain que la Pologne, nos religieuses aient tenu à se recommander à Notre-Dame-de-Grâce . (Cf. P. Kappelin, Histoire de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, Honfleur, 1881).
[photo manuscrit] Signature de M. le curé Talion
(registre de Conteville. Arch. Diocésaines d'Evreux. Eure)
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Au bout de la ville et tout proche du port, il y a une chapelle dédiée à la très sainte Mère de Dieu, sous le titre de Notre-Dame de Grâces3. Il y a, auprès, de petites chambres pour deux pères capucins qui la desservent huit ou dix mois de l'année ; le reste du temps elle est inhabitable, étant sur une éminence si haute qu'elle commande à la ville et à la mer qui bat au pied et, de plus, elle semble n'être faite que pour recevoir les voeux et les actions de grâces de ceux qui se mettent sous la protection de la Sainte Vierge dans leur navigation, qui ne se fait pas dans l'hiver.
Le seul titre d'honneur de ce lieu d'appartenir à la Mère de Dieu suffisait pour nous exciter à y faire un pèlerinage, tous nos soins et toutes nos dévotions étant, auprès de Dieu, de l'honorer et de la servir.
La bonne coutume du pays et nos besoins présents nous y conduisirent, avec bien de l'espérance d'en être bien assistées dans notre voyage, ce que nous avons éprouvé en plusieurs rencontres.
Ce lieu est très dévôt et très pauvre ; ces bons religieux y souffrent beaucoup ; l'on leur donna de l'argent pour dire des messes.
Notre navire arriva le mercredi au matin, et nous nous disposâmes sans délai à partir, après avoir entendu la sainte messe et communié. Nous entrâmes dans notre navire le mercredi dix-septième de septembre. L'on fit de nouvelles provisions de volaille et des moutons en vie, mais on oublia de changer l'eau, qui nous fut une occasion de grande souffrance. Nous eûmes deux ou trois jours un temps assez tranquille, mais nous n'avançions guère. Après, les vents devinrent si furieux que les vagues venaient jusque dans le vaisseau, qui se remplissait d'eau.
Il fallait donc une grande diligence pour empêcher que cela ne le fît périr ; nous étions dans des alarmes continuelles. Le maître de notre navire nous cachait le plus qu'il pouvait notre danger, mais un jour, quoiqu'il fût luthérien, il pressa fort pour que l'on dit la sainte messe, ce que l'on balançait de faire à cause de l'agitation du navire, et son attente ne fut pas vaine ; nous eûmes plus de calme le reste du jour. Cette tempête convertit un de nos matelots, qui abjura son hérésie à Varsovie et on le plaça bien.
La tempête recommença le lendemain, et le vaisseau était si penché d'un côté qu'il n'y avait pas un demi-pied qu'il ne touchât à la mer ; tout tombait de ce côté-là.
Le maître du navire avait beau à crier pour que l'on passât de l'autre côté, l'on ne pouvait marcher ; il fallait se trainer et se tenir au bois des lits qui étaient assez bien cloués.
Les plus craintives étaient celles qui parlaient le moins, ayant honte de faire paraître leur faiblesse devant le plus grand nombre, qu'elles voyaient pleines d'espérance et de courage.
Nous eûmes après quelques jours un assez beau temps, ce qui nous excita à monter sur le tillac, où nous vîmes la beauté de la mer quand elle est calme. Et nous ressentîmes toutes les effets ordinaires de la mer, dès le premier jour : les maux de coeur et les vomissements furent continuels durant dix-sept jours que nous fûmes sur la mer, et nous étions dans un si grand dégoût que les provisions ne diminuèrent guère ; ainsi notre capitaine en profita. Nous lui faisions pitié et sachant que l'on ne prenait qu'un peu de vin et quelques fruits, il nous en donna, voyant que les nôtres avaient pris fin.
Deux ou trois d'entre nous eurent plusieurs accès de fièvre et souffrirent beaucoup, car nous n'avions plus de volaille pour leur faire des bouillons.
La nuit de saint-Michel, nous eûmes une terrible tempête, et l'endroit où nous étions était très périlleux. Il y avait plus de cinquante bancs de sable à passer et l'on y voyait encore le haut des mâts des navires qui y avaient péri. L'on passa la nuit en prière à se disposer aux ordres de la divine Providence.
Nous réclamâmes instamment le grand saint Michel, qui est un des protecteurs de notre institut ; nous fîmes plusieurs voeux pour nous rendre Dieu propice et le calme succéda à la tempête. Sur les neuf heures du matin, l'on célébra la sainte messe et nous eûmes la consolation de communier et l'on chanta le Te Deum en action de grâces de nous avoir préservés.
Le lendemain, nous eûmes une très grande alarme par l'abord d'un vaisseau, que nous croyions être des pirates ; mais, quand les deux navires furent près l'un de l'autre, notre capitaine connut qu'il appartenait à un de ses amis. Ils se firent de grandes amitiés l'un à l'autre en leur langue allemande, et la 63 conclusion fut que notre capitaine, glorieux de la belle et extraordinaire compagme qu'il avait dans son vaisseau, la voulut faire voir à son bon ami et nous vint faire prier très instamment, par l'interprète, de monter sur le tillac, pour faire montrer nos personnes.
Nous eûmes assez de peine à y consentir, mais comme il était fort honnête homme et qu'il avait bien de soins et des complaisances pour nous, nous conclûmes qu'il ne fallait pas lui refuser cette satisfaction. Nous y allâmes, mais voilées, comme l'on le doit devant les séculiers.
Ce navire allait en France. L'on leur donna des lettres pour les y porter, desquelles l'on a eu des réponses.
Les derniers jours furent assez doux et favorables. Nous avançions bien, ayant passé la Suède et le Danemarque [Danemark], qui nous parurent fort proches l'un de l'autre. Nous les voyions assez près pour en distinguer les plus élevés bâtiments, comme les citadelles, les tours, les donjons, particulièrement au royaume de Danemarque où, étant arrivés tout proche d'une petite ville nommée Halle-Seigneur 24, où il fallait faire quelque déclaration et payer quelque droit, notre capitaine prit son habit de fête pour paraître dans ce lieu, où il fut contraint d'attendre au lendemain à conclure ses affaires, n'ayant pas trouvé son monde.
Il nous proposa de descendre, ce que nous acceptâmes bien volontiers. Il y en avait plusieurs d'entre nous qui étaient si faibles que nous crûmes que la fermeté de la terre leur pouvait donner de nouvelles forces, comme nous avions ouï dire qu'il était arrivé à d'autres en pareille rencontre, et nous eûmes la joie d'en être convaincues par notre propre expérience.
A notre entrée en cette ville, nous fûmes suivies de toute la populace, nous regardant comme des personnes extraordinaires pour notre façon d'habit que nous n'avions pas changé.
24. Elseneur ou Helsingoer, ville du Danemark, située sur le détroit du Sund. Autrefois, les navires passant par ce détroit devaient payer des droits qui ne furent supprimés qu'en 1857. Un château fort (Kronberg, bâti en 1574) s'élève au nord-ouest de la pointe. Du haut de sa tour on domine un panorama magnifique, qui embrasse la ville de Copenhague et la mer.
En face se trouve Helsingborg, à l'entrée du détroit du Sund, sur la côte suédoise.
Tous les habitants de cette ville étaient des luthériens. A l'arrivée à notre auberge, il s'en trouva qui nous faisaient des compliments, ou plutôt nous disaient des injures que nous n'entendions pas, mais notre interprète, nommé monsieur Chaux, plus d'effet que de nom, les prit à partie, et nous voyions dans leurs manières de part et d'autre bien de l'émotion.
En ayant appris la cause, nous priâmes le dit monsieur Chaux de les laisser dire, que les paroles ne blessent pas et que nous les voulions bien souffrir. « Eh bien, mesdames, si vous voulez bien les souffrir, moi, je ne le veux pas. J'ai l'honneur d'être de votre compagme ; je ne puis souffrir que l'on traite in-civilement des dames de votre mérite ». Nous lui dîmes : « Ne voyez-vous pas, monsieur, que vous vous faites une méchante affaire et à nous de même ? ». « Patience, mesdames, ne vous fâchez pas ; je ne leur dis pas si grande chose, je leur dis seulement que, s'ils ne se taisent, on les jettera par la fenêtre ».
Monsieur de Chartrin, arrivant sur ces démêlés et en ayant appris la cause, leur parla en latin et les apaisa tous.
Pour le bon monsieur Chaux, il le paya au double, car le soir, étant sorti, il fit encore quelque trait de jeunesse. Ils le prirent et le menèrent au corps de garde, où il passa la nuit, pria, veilla et jeûna plus qu'il n'avait de dévotion.
Le matin, ayant appris cette nouvelle, l'on envoya prier pour sa délivrance, ce que l'on fit à la première requête.
Nous avions déjà dans cette ville du crédit. Dès le même soir, nous eûmes plusieurs visites des dames de qualité. L'on se parlait par interprète. Une des principales dames, qui était catholique, ayant appris qu'il y avait des religieuses et un ecclésiastique avec nous, nous vint trouver en cachette de ses domestiques, craignant que son mari, quoique absent, n'en eût connaissance, car il était luthérien, et elle avait été contrainte par ses parents de l'épouser. Il lui avait promis la liberté de conscience, mais il ne lui tint pas sa parole, la maltraitait fort, lui ayant ôté tous ses livres de prière et de dévotion. Tout cela se dit par interprète, mais pour la confession qu'elle fit à notre confesseur, qui était un homme d'esprit et d'intelligence, il la comprit par ses signes. Cette vertueuse persécutée comptait ce jour pour un des plus heureux de sa vie. Elle eût bien voulu nous accompagner et elle nous quitta avec bien de la douleur.
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Nous trouvâmes aussi plusieurs soldats français catholiques qui y menaient une misérable vie pour la religion ; ils allaient à la messe des luthériens avec tant de dévotion comme si c'était une église catholique, et je ne sais pas même s'ils n'y communiaient pas. Nous leur dîmes qu'ils ne faisaient pas bien.
Les dames nous vinrent voir le matin et voulurent nous faire voir les beautés de leur ville. Nous passâmes par une église luthérienne très belle, où l'on prêchait ; l'on avait dit la messe à leur mode. Le ministre nous fit un grand accueil, nous montrant leurs ornements et calices. Ils firent jouer leur orgue et leur trompette pour l'amour de nous. Il y a une manière de chapelle bien balustrée où sont les fonts baptismaux, qui sont d'une propreté et beauté charmantes : c'est tout or et azur. Il y a aussi dans cette église un très beau mausolée, fait depuis peu, en l'honneur d'un de leurs plus vaillants capitaines, qui avait été tué à l'armée. Il nous voulurent mener voir le fort, qui était assez proche, mais l'on nous dit que, monsieur le gouverneur étant à la ville, on n'en laisserait entrer que la moitié de notre compagme à la fois. Nous appréhendâmes quelque surprise et qu'il valait mieux se priver du plaisir de voir ce lieu que de s'exposer, et nous les fîmes remercier.
En revenant, nous rencontrâmes monsieur le gouverneur, qui, par interprète, nous fit beaucoup de compliments et nous voulut ramener au fort, mais nous nous en excusâmes sur ce que nous étions pressées de nous rembarquer.
Les maisons sont très propres et les rues fort agréables. Nous ne séjournâmes que vingt-quatre heures dans cette ville. Nous y rétablîmes un peu nos forces et nous avions dormi une nuit tranquillement. Nous retournâmes donc à notre navire avec une nouvelle vigueur.
A notre arrivée, tous les matelots nous témoignèrent une grande joie et, le maître étant arrivé, l'on mit les voiles au vent et nous commençâmes notre navigation, ayant le vent favorable le reste du temps, qui fut de trois jours.
Le samedi au matin, le 4e d'octobre, nous arrivâmes à la rade de Dantzig.
Notre capitaine sortit le premier pour en donner la nouvelle, nous promettant de revenir bientôt nous quérir ; mais, voyant qu'à midi il ne revenait pas, l'on nous conseilla de sortir, ce que nous fîmes, disant adieu à la mer avec plaisir.
A la descente du navire, nous croyions être dans la ville de Dantzig 25, mais nous fûmes bien surprises qu'après avoir fait bien du chemin à pied et traversé plusieurs rues, il nous fallut encore remonter sur l'eau et entrer dans des petits bateaux pour passer cette petite et agréable rivière. Monsieur le gouverneur envoya nous faire des compliments et nous témoigner qu'il était bien fâché que sa maladie ne lui permettait pas de nous venir recevoir.
A la descente de nos petits bateaux, nous fûmes quelques moments à ne savoir où prendre logis, L'on ne savait rien de notre arrivée. Monsieur et madame Romain, auxquels Sa Majesté avait donné ordre de nous recevoir à Dantzig, n'y étaient pas ce jour-là, et ils nous avaient tant attendus qu'ils ne nous attendaient plus.
Mais monsieur Mathis, marchand banquier, en ayant appris la nouvelle, nous vint trouver, sachant bien qu'il rendrait un service agréable à Sa Majesté, et nous mena dans une grande et belle auberge où logent tous les Français.
Le maître du logis s'appelait monsieur Pain, un très honnête homme et catholique. Monsieur Mathis et madame sa femme furent bien affligés de nous voir si mouillées, car il avait plu toute la journée, et surpris de ce que nous avions nos habits de religion. L'on travailla promptement à sécher nos hardes, à nous apprêter des lits et le souper.
25. Dantzig ou Gdansk. Dès le X' siècle, c'était une importante cité, que la « Vie de saint Adalbert » qualifie de « Urbs s, ce que confirmèrent les fouilles archéologiques. Avec toute la Pomérame riveraine de la Vistule, Gdansk faisait partie de l'État des premiers Piast.
En 1466, la ville fut définitivement incorporée au royaume de Pologne mais en 1793 elle fut donnée à la Prusse. Au XVI' et XVII' siècles, c'était une des plus opulentes cités d'Europe et le commerce y était florissant. Dantzig était le port d'exportation du blé et du bois polonais vers les marchés d'Occident. L'axe de la Vieille Ville est formé par la belle rue Longue (Dluga) et son prolongement, le Long Marché (Dlugi Targ). La Porte d'Or (Brama Zlota) et la Porte Verte (Brama Zielona) verrouillent les extrémités de cette voie centrale. L'église Notre-Dame, de style gothique, est la plus grande de Pologne et l'une des plus vastes d'Europe : 25 000 personnes y trouvent aisément place (Cf. Pologne, de la Baltique aux Carpates, Varsovie, 1975). Le port est situé près de l'embouchure de la Vistule et de la Leniwka. Le centre de la ville se trouve à 5 km de la Baltique. En 1919, Gdansk devint « Ville libre », possédant une administration autonome, mais la Pologne avait libre accès au port (Cf. Pologne, Précis de géographie, d'histoire et de culture, Warszawa, 1959).
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Nous trouvâmes à notre arrivée une lettre de notre très digne Mère institutrice, laquelle, entre plusieurs choses qu'elles nous mandait, nous ordonna de faire une élection de la supérieure, connaissant bien que l'humilité de la mère de Sainte-Gertrude [Petault de Molette], la plus ancienne de la compagnie, ne lui permettrait pas d'en faire plus longtemps la fonction.
L'on demandera peut-être pourquoi l'on ne l'avait pas fait avant que de partir de France... Je ne trouve pas des raisons plus fortes que celles de l'humilité des anciennes qui, appréhendant toutes plus l'honneur que la peine ou la charge, différaient toujours la nomination, ce qui n'apporta aucun préjudice au bon ordre et règlement dans le voyage, chacune rendant toujours l'obéissance et soumission à son ancienne, que notre bienheureux père Saint-Benoît nous ordonne, dans notre sainte règle, au même degré d'humilité [ Règle saint Benoît ch. 7 et 71].
Pour satisfaire donc à l'ordre que nous avions reçu de notre très digne mère, l'on travailla à l'élection et, pour ne rien faire que dans l'esprit de Dieu et pour sa gloire, nous fûmes le dimanche matin, le cinquième d'octobre, qui était la fête de saint Placide, à l'église des révérends pères carmes 26, implorer l'assistance de la sainte Mère de Dieu, notre première supérieure et abbesse, la suppliant de nous obtenir les lumières pour faire un bon choix.
Après la messe et la sainte communion, étant dans une chapelle, nous portâmes nos billets, sans les cérémonies ordinaires, entre les mains de monsieur du Chartrin, notre confesseur. L'ouverture et la lecture s'étant faites devant toutes, la pluralité des voix se trouva pour la révérende mère de Jésus [Petigot], une des anciennes, qui était maîtresse des novices. Ce fut elle qui fut seule affligée de la compagnie, sachant bien les grands travaux et les peines d'une nouvelle maison. Il n'y eut que la soumission à la très sainte volonté de Dieu qui la fit plier sous un si pesant joug.
26. Les carmes chaussés arrivèrent en Pologne vers la fin du XIVe siècle. Cet ordre prit un très grand essor dans le pays. Entre 1918 et 1939, il y avait neuf maisons de cet ordre.
Les carmes déchaussés développèrent leur activité en Pologne en 1605. Autrefois, ils avaient deux provinces, l'une polonaise, l'autre lituanienne. Entre 1918 et 1939, ils possédaient six couvents.
Les carmélites déchaussées arrivèrent en Pologne en 1612 où elles avaient six couvents (Cf. DTC).
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Avant que de sortir de cette église, il faut vous dire la douleur qu'elle nous donna, la voyant dans une destruction pitoyable par une sédition populaire des luthériens, mécontents contre ces révérends pères.
Il y avait encore plusieurs de ces séditieux en prison, pour punition de leurs crimes : les chapelles étaient brisées, les autels renversés, les images déchirées, particulièrement un tableau de la sainte Mère de Dieu, qui semblait être encore dans la douleur de tous les sacrilèges et impiétés qu'ils commirent contre la personne adorable de son très cher Fils au très Saint Sacrement. Ils prirent les saintes hosties, les foulèrent aux pieds, les jetèrent dans la boue, burent dans les calices et les saints ciboires et battirent cruellement les religieux. Le seul récit nous toucha sensiblement.
L'on nous conta une autre histoire miraculeuse d'un crucifix, lequel, dans une assemblée que les catholiques et les luthériens faisaient pour quelque dispute de religion dans une église, étant séparés chacun de leur côté, le crucifix se tourna la tête du côté des catholiques. Nous allâmes à cette église et nous avons vu de nos yeux ce crucifix, qui est extraordinairement tourné et penché.
Les dix jours que nous restâmes à Dantzig, nous allâmes presque tous les jours à la messe à cette chapelle royale, qui était près de nous. L'on y jouait des instruments et l'on y chantait en musique pour l'amour de nous.
Nous fûmes pourtant un jour à la messe à une abbaye des religieuses de sainte Brigitte 27. Il se trouva qu'une novice faisait profession ; il y avait beaucoup de monde.
27. Nom populaire des religieuses de l'ordre du Saint-Sauveur, fondé par sainte Brigitte de Suède. Celle-ci, née en 1303, était la fille du gouverneur de l'Opland et alliée à la maison royale. Mariée à 13 ans à Ulf Gurdmarson, elle en eut huit enfants, parmi lesquels Catherine, qui fut canonisée. Après la naissance de leur 8e enfant, ils firent un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. A son retour en Suède, Ulf Gurdmarson entra à l'abbaye cistercienne d'Alvastra, en Suède, où il mourut en odeur de sainteté en 1344.
En 1363, Brigitte fonda à Wadstena, près de Linkoeping, en Suède, l'ordre du Saint-Sauveur, sur le modèle de Fontevrault. Mais elle-même n'y fit pas profession. Elle alla en pèlerinage en Terre sainte avec sa fille Catherine en 1371 et revint à Rome en 1373, où elle mourut, le 23 juillet.
Elle s'était aussi donné pour mission de faire revenir à Rome les papes d'Avignon, comme sa contemporaine Catherine de Sienne. La Règle de son ordre fut approuvée par Urbain V en 1370. (Cf. Catholicisme, t. II).
L'église Sainte-Brigitte à Dantzig fut construite à la fin du XV' s. puis remaniée dans le style renaissance. Elle fut détruite en 1945.
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Les dames religieuses étant toutes dans leur choeur, quelques dames de leurs amies leur dirent que nous étions dans l'église. Elles nous firent prier de les aller voir, nous firent entrer dans le monastère, nous régalèrent très bien et nous comblèrent d'amitié. Elles étaient dans un si grand embarras pour le monde qu'elles avaient à traiter qu'elles nous laissèrent aisément aller. Mais nous fûmes bien surprises que, quelques jours après, elles nous envoyèrent une dame de qualité avec trois carrosses pour nous prier instamment de les aller voir. Quelque résolution que nous avions faites de nous tenir retirées pour nous reposer, l'on ne put pas refuser une si grande civilité. Elles nous reçurent fort cordialement et nous traitèrent magnifiquement.
Madame Romain, ayant appris notre arrivée à Dantzig, vint aussitôt pour nous témoigner le déplaisir qu'elle avait de ne s'y être pas trouvée et nous régala fort bien.
Nous partîmes le mardi, le quatorzième d'octobre, dans des carrosses qui nous menèrent jusqu'à Varsovie, où nous fûmes reçues par madame Kotowska, qui avait ordre de la reine pour nous conduire au château, et le concierge eut soin de nous donner tout ce que nous avions besoin jusqu'à l'arrivée de leurs Majestés.
Les dames nous vinrent voir aussitôt, et elles furent édifiées de voir comme nous travaillions à nous accommoder.
Nous disposâmes si bien toutes choses que le premier dimanche de l'Avent nous reprîmes toutes nos saintes pratiques ; nous couchâmes sur nos paillasses avec nos draps de serge et nous observâmes l'abstinence de viande et le jeûne.
La reine arriva le jour de saint Jean l'évangéliste, 27 décembre au soir, et ne voulut pas loger au château que le roi ne fût venu.
Sa Majesté vint le même jour à neuf heures du soir nous donner des marques très sensibles de sa grande bonté pour nous. Elle fit son entrée d'une manière si agréable et si charmante qu'on ne le peut exprimer ; et elle voulut nous surprendre, empêchant que nous ne sussions son arrivée. Sa Majesté eut la bonté d'amener avec elle mesdames ses soeurs 28, ma-
dame la Marquise de Béthune et madame la Chancelière, qu'elle fit passer devant elle pour voir si nous la distinguerions bien. Mais il faut vous dire que, sans compter la beauté et les grâces dont la nature l'a si libéralement partagée qu'elle efface toutes celles de son royaume, elle a un air majestueux et qui imprime du respect. Nous ne nous trompâmes pas. Nous nous jetâmes à ses pieds, et Sa Majesté nous donna sa main à baiser et nous fit tant d'amitiés que nous trouvâmes que nous étions bien récompensées de toutes les peines que nous avions souffertes dans notre voyage. Elle nous fit coucher au palais de Saint-Casimir 29. Il ne se passait guère de jour que Sa Majesté ne nous fit l'honneur de nous venir voir et nous faire conter les aventures de notre voyage, qu'elle écoutait avec plaisir.
Sa Majesté donna si bon ordre que l'on nous mit en clôture, hormis du côté de l'appartement de leurs Majestés, mais personne n'y entrait qu'avec la permission de la reine.
La chapelle fut disposée et les grilles placées pour le premier jour de l'année.
Une de nos soeurs novices fit un jour une petite harangue à la reine. L'on le souffrit pour le divertissement de Sa Majesté qui, par complaisance, l'approuva et la loua. Cette jeune soeur
28. Les soeurs de la reine Casimire sont :
Louise Marie, Dame d'atour de la reine Marie Thérèse, qui épousa François Gaston de Béthune, marquis de Chabris, dit le marquis de Béthune. La marquise de Béthune mourut à Paris le 11 novembre 1728, âgée d'environ quatre-vingt-quatorze ans ; son corps fut enterré aux capucines (fondées en 1686) à Paris et son coeur porté à Selles, en Berry, chez les religieux de la Charité.
Marie Anne, qui épousa à Léopol le 19 juin 1678, Jean, comte de Wielopolski, grand chancelier de Pologne, ambassadeur extraordinaire en France en 1686, décédé le 15 février 1688.
Françoise-Marie de La Grange d'Arquien, soeur saint Bonaventure, fit profession en l'abbaye bénédictine de Saint-Laurent de Bourges le 27 mars 1685, où elle était entrée probablement en 1683 (les registres de l'abbaye n'ont conservé ni la date d'entrée, ni celle de la vêture monastique). La soeur Saint-Bonaventure ne semble pas avoir rempli des charges considérables dans la communauté. Elle mourut le 9 janvier 1715, un an avant le décès de sa soeur, la reine de Pologne, qui était venue achever sa vie au château de Blois et eut peut-être la joie de revoir ainsi sa soeur, moniale à Bourges. (Cf. Dom Rabory, Les bénédictines de Saint-Laurent de Bourges, 1891).
Jeanne, religieuse chez les ursulines à Nevers.
29. Le palais était placé sous le patronage de saint Casimir, fils de Casimir 1V, roi de Pologne, et d'Élisabeth d'Autriche. Né le 5 octobre 1458, il fut proposé pour la couronne de Hongrie. Il mourut à Vilna le 4 mars 1483. On le considère comme le patron de la Pologne. Il fut canonisé en 1522 par le pape Léon X.
Le palais était situé dans la vieille ville de Varsovie, près de la primatiale saint Jean-Baptiste. Jean III Sobieski avait fait construire un palais d'été à Wilanow.
71 avait de l'esprit et s'était plus occupée de sa harangue qu'à l'oraison mentale. Son découragement pour la religion nous en fut une preuve convaincante. Elles furent deux qui renoncèrent au service de Dieu pour s'attacher à celui des créatures, la récompense temporelle et présente leur donnant plus dans les yeux que la future et bienheureuse éternité.
Le dernier jour de l'an, le roi 30 arriva à Varsovie et vint descendre au château. La reine s'y trouva aussi.
30. Jean III du nom, grand duc de Lituanie, promu chevalier de l'ordre du Saint Esprit fait à Zolkiev, en Pologne, le 30 novembre 1676. Né le 2 juin 1624 à Olesko, en Galicie, il mourut à Willanow, près de Varsovie, le 17 juin 1696, âgé de 72 ans. Fils de Jacques Sobieski, castellan de Cracovie, ambassadeur extraordinaire de Pologne auprès d'Osman, empereur des Turcs, et de Théophile Danilowicz, petite-fille du connétable Stanislas Zolkiewski.
Jean III épousa le 6 juillet 1665, Marie-Casimire de la Grange d'Arquien, veuve de Jacob de Radziwill, prince de Zamosc, palatin de Sandomir. voïvode de Kiev. Marie Casimire était fille de Henri de la Grange, marquis d'Arquien, depuis chevalier des ordres du roi et cardinal, et de Françoise de la Chastre- Brillebaut.
Du mariage de Jean Ill et Marie-Casimire, naquirent huit enfants.
I. Jacques Louis Henri, prince royal de Pologne et du Grand Duché de Lituanie, chevalier de la Toison d'Or et gouverneur de Styrie, né à Paris le 2 novembre 1667.
Louis XIV fut son parrain et Henriette d'Angleterre, veuve de Charles IC, sa marraine. Décédé à Zolkiev le 17 décembre 1737. Il avait épousé le 25 mars 1691, Hedwige, Elisabeth de Bavière, fille de Philippe Guillaume de Bavière, électeur palatin, duc de Neubourg, et d'Élisabeth Amélie de Hesse-Darmstadt ; ils eurent comme enfants .
1. Marie Léopoldine-Éléonore-Claude-Madeleine, née le 3 janvier 1693, décédée le 12 juillet suivant. 2. Marie-Casimire, née le 20 juin 1695, décédée le 28 mai 1723. 3. Marie-Charlotte, née le 15 novembre 1697, mariée le 20 septembre 1723, à Frédéric Maurice Casimir de la Tour d'Auvergne, prince de Turenne, puis, devenue veuve après dix jours de mariage, elle épousa en deuxième noces, le 1« avril 1724, Charles Godefroy de la Tour d'Auvergne, prince de Bouillon, frère de son premier mari. Elle décéda le 9 mai 1740 dans son château d'Olaw en Silésie. 4. Jean Sobieski, né le 21 octobre 1699, décédé le 18 juillet 1700. 5. Marie-Clémentine, née le 18 juillet 1702 et décédée le 18 janvier 1735 ; mariée à Rome le 3 septembre 1719 à Jacques Edouard Stuart, connu sous le nom de chevalier de Saint-Georges, fils de Jacques II, roi d'Angleterre, et de Marie d'Este Modène, dont naquirent le prétendant au trône d'Angleterre, Charles Edouard,décédé en 1788, et le cardinal d'York, mort en 1807. 6. Marie Magdelaine née le 4 août 1704, morte aussitôt après avoir reçu le baptême.
II. Louise Adelaide, née en 1671, décédée en 1677.
III. Thérèse Charlotte-Casimire princesse de Boulogne née le 3 mars 1676, mariée le 15 août 1694 à Maximilien Emmanuel, électeur, duc de Bavière. Elle décéda à Venise le 11 mars 1731. Son corps fut porté à Munich.
IV. Alexandre Benoit Stanislas, prince de Pologne, né à Dantzig le 6 décembre 1677. Il mourut à Rome le 19 novembre 1714, ayant fait, peu auparavant, profession de la règle des capucins, en l'église desquels il est enterré. Il avait reçu le collier de l'ordre du Saint-Esprit en l'église Saint-Louis à Rome.
V. Constantin Philippe Vladislas, né le 1« mai 1680, mort à Zolkiev le 28 juillet 1726. Il reçut le collier de l'ordre du Saint-Esprit en même temps que son frère. Les trois autres enfants sont morts en bas âge.
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Monseigneur l'évêque et ses ecclésiastiques apportèrent le très Saint Sacrement à la chapelle du château pour en donner la bénédiction à Leurs Majestés, car c'est la sainte coutume de ce prince très chrétien de commencer et de finir tous ses voyages par la visite du très Saint Sacrement, l'invocation de la très sainte Mère de Dieu et des saints, par l'entremise des prêtres qui font plusieurs prières et bénédictions sur la tête des voyageurs.
Le roi étant entré dans la chapelle, l'on y fit un grand salut. A la fin nous chantâmes le Te Deum et Domine salvum fac Regem. Après, la reine nous fit descendre de notre tribune pour nous présenter au roi, qui nous reçut avec une bonté surprenante. Nous eûmes l'honneur de lui baiser la main. Il loua beaucoup le chant et nous promit sa protection, disant que notre institut avait de très solides pratiques de dévotion.
La reine fit récit au roi de tous nos exercices et austérités. Sa Majesté lui dit qu'il espérait que nous attirerions les bénédictions du ciel sur le royaume et sur lui et, ayant appris que nous allions commencer notre adoration perpétuelle et passer la nuit devant le très Saint Sacrement, que nous n'avions pas encore pu avoir, il n'y voulut point consentir et dit que le très Saint Sacrement n'était pas venu pour nous, qu'il voulait que l'on se reposât encore, et ordonna de reporter le Saint Sacrement à l'église de Saint-Jean 31, ce que l'on fit en procession. Nous ne laissâmes pas, suivant les saintes coutumes de notre institut, de nous lever avant minuit pour faire l'acte d'offrande 32.
Le premier jour de l'année, nous récitâmes les matines en choeur et les autres offices à l'heure prescrite.
Jean III avait une soeur, Marie, qui épousa un Radziwill ; ils eurent un fils Stanislas Casimir.
31. Située près de la place du Château, la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, la plus ancienne église de Varsovie, fut fondée au XIII' siècle, à la date même de la création de Varsovie comme capitale. Son architecture est de style gothique.
32. Dès la fondation de notre institut, mère Mectilde avait établi la coutume de passer en retraite silencieuse les trois derniers jours de l'année. Le 31 décembre, les soeurs se réunissent et après une exhortation de la mire prieure, se demandent pardon mutuellement de tous les petits manquements à la charité fraternelle dont elles se sont rendues coupables au cours de l'année, afin de recommencer une année nouvelle dans la paix et la charité. A minuit, les soeurs réunies au choeur offrent à Dieu l'année, la mère prieure lit un acte d'offrande que mère Mectilde avait composé, puis suit l'office de nuit. (Voir le texte de l'acte d'offrande en appendice).
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Monseigneur l'évêque Witwicki 33, notre supérieur, chanta la grand-messe, à laquelle nous renouvelâmes nos voeux, en présence du roi et de la reine, dont ils furent fort édifiés.
Ce jour-là, nous commençâmes l'adoration perpétuelle. La reine prit un grand soin de nous donner toutes les choses nécessaires pour notre usage et pour la décoration de notre église.
Tout le temps que Sa Majesté séjourna à Varsovie jusqu'à son départ pour la diète de Grodno 34, elle ne manqua pas de nous venir voir tous les jours pour nous donner quelques preuves de sa bienveillance.
Leurs Majestés furent de retour pour la semaine sainte et assistèrent à nos « Ténèbres » 35. Nous fûmes huit mois au château et, pendant ce temps, Sa Majesté fit préparer le palais qu'elle avait dessein de nous donner. Elle mit la première pierre à notre église avec bien de la solennité. Notre translation se fit le dimanche vingt-septième de juin 1688 avec une grande solennité, comme à la procession du Saint Sacrement.
La reine nous mena dans la chapelle où étaient le roi et toute la cour, monseigneur le nonce Pallavicini 36 et les évê-
33. Posen, actuellement Poznan, archevêché, dont Varsovie dépendait au plan ecclésiastique à l'époque de notre fondation. L'évêché de Varsovie ne fut créé qu'entre 1796 et 1801 et devint siège primatial avec sept suffragants entre 1801 et 1825. Posen, capitale du Grand-Duché de Posnanie, au confluent de la Sybina et de la Wartha, est une ville très ancienne (Xe siècle) qui fut pendant quelque temps capitale de la grande Pologne. Anéantie par les guerres du XVIIe siècle, elle fut donnée à la Prusse lors du deuxième partage de la Pologne en 1793. En 1808, Napoléon la réunit au Grand Duché de Varsovie, mais, en 1815, elle fit retour à la Prusse. (Cf., C. Bihlmeyer, Histoire de l'Église, t. IV, Mulhouse, 1967).
34. Au XVIIe siècle, la Pologne s'étendait assez profondément dans les États baltes et en Russie. La Diète, sorte de parlement, réunissant les seigneurs et hauts dignitaires ecclésiastiques, civils et militaires, avait des sessions régulières et élisait le roi de Pologne. En 1688, Grodno était la capitale d'une province russe. La ville se trouve tout près de la frontière de la Lituame et de la Pologne. Les Diètes polonaises se tenaient alternativement à Varsovie ou à Grodno, sur la rive droite du Niemen.
35. Office composé de psaumes et de lectures tirées du prophète Jérémie. Il se récitait avant le lever du jour les jeudi, vendredi et samedi saints. Chanté ou récité, cet Office tire son nom bien plus de la participation de l'Église aux souffrances du Christ qui vont le conduire à la mort pour le salut du monde qu'à l'heure de la journée où il est célébré.
36. Obizzo Pallavicini, né à Gênes le 13 octobre 1632, nonce en Toscane, à Cologne puis en Pologne de 1680 à 1686, crée cardinal le 2 septembre 1686, évêque de Spolète 28 novembre 1689, puis d'Osimo 8 août 1691, il décéda à Rome le 11 février 1700. Conjugant ses efforts avec le nonce à Vienne, Buonvisi, il parvint à réconci-
ques, l'un desquels porta le très Saint Sacrement sous le dais.
Le roi donna la main à la révérende mère prieure, la reine mena la mère sous prieure, messeigneurs les princes chacun une religieuse. Les dames prirent aussi des religieuses et des novices et les six jeunes pensionnaires.
Les trompettes, les cymbales, les violons et les musiciens, tour à tour, faisaient leurs symphonies d'une manière très agréable et dévote.
Étant arrivées à l'église, l'on exposa le très Saint Sacrement et on chanta une messe à la royale, après laquelle on fit un sermon à la louange du roi et de la reine sur leur grande piété envers le très Saint Sacrement. A la fin de la cérémonie, nous nous mîmes à genoux devant monseigneur le nonce, qui nous donna à baiser des saintes reliques.
Le roi et la reine se retirèrent dans leurs chambres et nous demeurâmes libres pour quelques heures. Durant cet intervalle, on dressa des tables en plusieurs chambres, la reine ayant donné ses ordres pour traiter le mieux toute la cour et pour rendre cette cérémome plus célèbre. Tout y était magnifique. Le roi avait à sa table monseigneur le nonce ; les seigneurs : les évêques et les sénateurs ; la reine était dans une autre chambre avec monseigneur d'Arquien 37, son père, les dames de la cour
lier l'empereur d'Autriche et le roi de Pologne ; le 31 mars 1683 ils signaient une alliance contre les Turcs ; et le 12 septembre de cette même année, Jean III Sobieski, après avoir servi la messe, conduisit la fameuse charge de Kahlemberg qui mit en déroute l'armée turque. (Cf. Encyclopedia Cattolica, IX, 1952, col. 642-644). Radziejowski Michel, né le 3 décembre 1645, mort à Dantzig le 30 octobre 1705. Il était fils de Jérome Radziejowski, staroste de Tomzen, et d'une fille du comte de Fornow, et avait été élevé en France au collège d'Harcourt par les soins de la reine Marie-Louise de Gonzague. Nommé par Sobieski à l'évêché de Warmie en 1679, il avait été fait cardinal en 1686. (Cf. Recueil des instructions données aux Ambassadeurs et Ministres de France, notes par Louis Farges, Paris, 1888).
37. Henry de La Grange, marquis d'Arquien, de Beaumont, de Prie, d'lmphy, etc., né à Calais, le 8 septembre 1613, maitre de camp du régiment de cavalerie du duc d'Orléans et capitaine de ses gardes suisses, fut fait chevalier des ordres du roi et reçut le collier dans l'église de Zolkiev (Pologne), le 13 avril 1694, des mains du roi de Pologne Jean III Sobieski en présence de l'ambassadeur de France (le marquis de Béthune) et des principaux seigneurs polonais. Il épousa en premières noces Françoise de la Châtre, fille de Jean-Baptiste de la Châtre de Brillebaut et de Gabrielle Lamy (+ 1672). Après son veuvage il partit en Pologne près de la reine, sa fille, qui lui procura le chapeau de cardinal, qu'il reçut le 12 novembre 1695. Il mourut à Rome le 23 mai 1707 et fut enterré à l'église Santa Maria della Vittoria des carmes déchaussés. Il eut sept enfants dont : deux garçons et cinq filles.
Anne Louis de la Grange, marquis d'Arquien et comte de Maligny. Passé en
75 et les religieuses. Cela était entremêlé des dames et des religieuses. Madame la princesse de Boulogne Thérèse Sobieska avec les seigneurs, les jeunes princes, ses frères, étaient dans une troisième chambre ; et nos soeurs novices et les demoiselles pensionnaires mangeaient au réfectoire.
Cette grande solennité étant passée, tout le monde se retira et nous nous trouvâmes bien agréablement dans notre chère solitude que nous avions tant souhaitée, mais la reine nous venait voir souvent et assistait à nos dévotions.
La sortie de ces deux novices donna occasion de faire venir quatre postulantes l'année suivante 1688, qui firent trois mois d'épreuve dans la première maison de Paris et arrivèrent le quatorzième d'octobre.
Le roi et la reine étaient pour lors en Russie et n'arrivèrent qu'au commencement de l'Avent. L'année de probation de nos deux soeurs novices étant accomplie, l'on disposa tout ce qui était nécessaire pour leur profession, qui avait lieu un dimanche, le neuvième de janvier 1689, en présence du roi et de la reine et de toute la Cour. Sa Majesté les habilla elle-même, et on voyait qu'elle prenait un singulier plaisir à faire cette cérémonie.
Le deuxième de février, la reine choisit ce jour-là pour donner le saint habit à cinq postulantes, parce que ce jour, qui est la fête de la Purification de la très sainte Vierge, elle fut couronnée. Elle assista à cette cérémome avec bien de la joie, le roi vint aussi avec toute sa Cour. La reine a fait toujours les dépenses de toutes les professions et de toutes les vêtures.
L'après-dîner, on fit les cérémonies du baptême de mademoiselle de Béthune 38, nièce de la reine, dans notre église.
Pologne, celui-ci obtint de la République les lettres d'indigénat dans la Diète de Varsovie le 6 mai 1690, fut colonel d'un régiment de dragons du roi de Pologne, capitaine de ses gardes et staroste de Hierdersec.
Louis de la Grange dit le chevalier d'Arquien tué au siège d'Orsoy en 1672. Les quatre filles sont indiquées à la note 28 de ce chapitre.
38. Hippolyte de Béthune, comte de Selles, marquis de Chabris, né à Rome le 19 septembre 1603, eut le pape Clément VIII pour parrain. Il mourut le 24 septembre 1665. La maison de Béthune possédait le fief de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher). C'est Philippe de Béthune, frère de Sully, qui fit construire le château de Selles. Une abbaye fut fondée à Selles au VI' siècle par saint Eunice, dont parle Grégoire de Tours. Chabris est dans le département de l'Indre.
Hippolyte de Béthune épousa, le 29 novembre 1629, Anne Marie de Beauvillier
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L'année de nos cinq novices étant accomplie, l'on demanda à la reine quel jour elle voulait destiner à cette cérémonie. Elle choisit le seizième de février 1690, qui était un jeudi. Cela se fit avec les mêmes démonstrations de joie qu'à la vêture.
Comme les prospérités de cette vie ne sont jamais de longue durée, nous eûmes la plus sensible croix qui nous pouvait arriver de la mort du roi, qui arriva le jour de la très sainte Trinité [ 17 juin] de l'année 1696.
Louis XIV, roi de France, en fut fort affligé. Sa Majesté avait connu son mérite quand le roi de Pologne l'envoya pour être ambassadeur en France vers 1667 avec madame son épouse.
qui fut dame d'atours de la reine Marie Thérèse d'Autriche et mourut le 12 novembre 1688, âgée de 78 ans ; elle fut inhumée dans l'église de notre monastère, rue Cassette, à Paris.
De ce mariage naquirent onze enfants dont François Gaston, le quatrième, était né à Selles le 13 mai 1638. Le 11 décembre 1668, il épousa Marie Louise de la Grange d'Arquien, soeur de la reine de Pologne, Marie Casimire.
Le marquis de Béthune fut envoyé extraordinaire pour le mariage de Philippe de France, duc d'Orléans, avec la princesse palatine en 1671. De nouveau envoyé extraordinaire en Pologne, en 1674, pour féliciter le roi Jean III Sobieski, lors de son élévation au trône. Au retour, il fut créé chevalier des Ordres du roi (22 décembre 1675) et chargé d'en porter le collier au roi de Pologne, son beau-frère ; il le lui remit dans l'église de Zolkiev, le 30 novembre 1676. Il fut ambassadeur de France en Pologne de 1676 à 1691, puis ambassadeur extraordinaire en Suède, où il mourut le 4 octobre 1692. De son mariage avec Marie-Louise de la Grange d'Arquien, il eut deux fils et deux filles. La seconde fille est probablement celle qui fut baptisée dans l'église de notre monastère.
1. Louis, tué à la bataille de Herschter.
2. Louis Marie Victor, qui épousa 1° Henriette de Harcourt Beuvron, fille de François de Harcourt et d'Angélique Fabert sa seconde femme, et 2° Françoise Potier de Tresmes.
3. Marie Catherine, née en Pologne en août 1677, qui épousa en premières noces, le 22 mai 1690 (à Varsovie en l'église Saint-Jean-Baptiste), Stanislas Casimir, prince de Radziwill-Kleski, neveu du roi de Pologne, grand maréchal de Lituame ; et en secondes noces en 1692, Sapieha, petit maréchal de Lituanie. La famille Sapieha est : une des plus illustres et des plus puissantes... de Lituanie, laquelle a toujours été de tout temps affectionnée à la France et qui est aujourd'hui attachée au roi de Pologne... fortement ume avec le prince Radziwill, vice-chancelier de Lituanie... » (A.E. Pologne, t. LXVIII, F° 289, Mémoire de Forbin-Janson).
4. Jeanne Marie, qui épousa le 6 février 1693, à Grodno, Jean Stanislas, comte de Jablonowski, grand enseigne de Pologne, palatin de Volhynie, puis de Russie et oncle de Stanislas Leszczynski. De ce mariage sont nés trois garçons et trois filles dont l'une, Louise, fut prieure du monastère de Lwow. (Cf. P. Anselme, Histoire des grands officiers de la couronne ; et Romieu Maurice, Histoire de Selles en Berry et de ses Seigneurs, Romorantin 1899).
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Sa Majesté française le combla d'amitié et lui en donna des marques très certaines. Quand le roi Michel mourut, il envoya un ambassadeur en Pologne pour inspirer à tous les seigneurs et à la noblesse de faire choix de sa personne et envoya cinq millions pour faire cette faction, qui réussit très heureusement.
Notre roi Jean III n'a jamais oublié les obligations qu'il avait eues à Louis XIV et il protégea tous les Français qui sont venus en Pologne ; nous en avons fait l'expérience et il avait bien dessein d'aider la reine pour nous rachever de bâtir.
Voici un éloge que l'on a fait après sa mort de toutes ses vertus et ses louables qualités :
« Quand trouveront-ils de semblable ? »
« Vous qui passez par ce lieu saint, arrêtez-vous pour y considérer des dépouilles éclatantes de l'honneur et de tristes dépouilles de la mort, pour y admirer un exemple de la gloire la plus élevée et un exemple de la caducité humaine, pour y rendre vos respects à un auguste roi enfermé dans ce tombeau ». « Ce roi, ce grand roi, était Jean III, dont le nom et les glorieuses actions ont été portées et admirées dans les parties du monde les plus éloignées. Il naquit en Russie de la très ancienne et très illustre famille Sobieski, d'où sont sortis plusieurs héros. Il est difficile de rapporter ici tout ce qu'il a fait dès son bas âge. Il cultiva les belles-lettres, il s'attacha aux armes dans sa jeunesse et il s'y distingua par son courage. Sa valeur lui fit mériter bientôt l'emploi de grand enseigne ; peu de temps après, la dignité de grand général, parce qu'il excellait en toutes les sciences, particulièrement dans celles des lois, que sa sagesse, sa prudence étaient connues et révérées de tout le monde. Il obtint aussi la charge de grand maréchal du royaume, de sorte qu'il posséda ensemble les deux premières dignités du royaume, de l'épée et de la robe, et ne vit plus au-dessus de lui que son seul roi.
Le trône venant à vaquer il ne se trouvait personne d'égal à lui, soit en dignité, soit en mérite. Il fut élu roi du commun consentement de la noblesse en 1674. Il crut aussitôt qu'il était plus estimable d'avoir mérité la royauté que d'en posséder les augustes marques. C'est pourquoi, sans attendre qu'il fût sacré, il monta à cheval pour aller faire tête aux Turcs qui ravageaient Vienne. Il les combattit et remporta sur eux une vic79toire signalée. Après deux ans de fatigues et de travaux, il revint à Cracovie, chargé et couronné des lauriers. Il y fut enfin sacré, orné du sceptre et de la couronne, qu'il venait de mériter une seconde fois. Il fut assis sur le trône avec Marie-Casimire d'Arquien, son épouse, d'une des premières maisons de France, déjà souveraine depuis longtemps de tous les coeurs par les rares qualités de son esprit et de son corps, estimée des grands, aimée du peuple à cause de sa piété et de sa charité envers les pauvres.
Après quelques années, Léopold, empereur d'Allemagne, se retira de Vienne à l'approche des Turcs, qui venaient assiéger cette ville. Léopold affligé, Vienne désolée, implorant le secours de Jean III, il fut touché de la mauvaise fortune de Léopold, des malheurs de Vienne. Il résolut donc de secourir l'empereur, de chasser les Turcs de devant Vienne. Après avoir surmonté les difficultés du long voyage, suivi d'une puissante armée, il parut à la tête de ses troupes sur les avenues (les abords] de Vienne, s'étendit dans les plaines, observa le camp et les retranchements des ennemis, les y attaqua, les y força, les mit en déroute et les vainquit ainsi en peu de temps.
Léopold fut donc consolé et Vienne délivrée, qui était aux abois, prête à succomber. Cette action doit être regardée comme un prodige de sa valeur.
L'histoire ne nous fournit aucun exemple de victoire aussi illustre ; toute la postérité doit s'en souvenir. On peut dire avec vérité qu'il a semblé que cette victoire avait brisé les fers que l'Allemagne et la chrétienté étaient menacées de porter bientôt.
Que puis-je dire davantage de Jean III ?
Il a toujours été très équitable ; il chérit sa patrie extrêmement ; il recevait les grands avec beaucoup d'honneur, les petits avec une grande bonté. Il était fort pieux.
Le monastère des capucins, qu'il a fait bâtir à Varsovie, celui des carmélites et celui des frères de la Charité, qu'il a fait aussi bâtir à Léopol, les maisons des missionnaires 39, sont des témoignages certains de sa piété.
Quoiqu'il fût né comme pour les armes et la guerre, cependant il a maintenu toujours la concorde entre les grands, la tranquillité entre les bourgeois, la paix dans les campagnes, dans le temps même que toute l'Europe était en trouble, que le feu de la guerre était allumé partout.
Son règne a été de vingt-deux ans. Il est mort le dix-septième de juin, jour de la Sainte Trinité. Il fut proclamé roi cette même fête.
Priez pour le protecteur de la religion, pour un très bon, très grand roi ».
La mort du roi nous priva aussi de la présence de notre sérénissime reine, qui ne resta à Varsovie que six mois, et puis elle fut à Dantzig, où Sa Majesté resta jusqu'à son voyage d'Italie 40.
39. Les capucins sont une branche de l'ordre des Frères mineurs, créé par saint François d'Assise en 1209. Leur église de Varsovie se trouve dans la vieille ville, près du palais royal et de la primatiale. Ces religieux arrivèrent à Varsovie en 1681 et ce fut le roi Jean Sobieski qui fonda leur couvent. Ils assistèrent beaucoup les« Congrégations cachées ». Le centre de leur activité au début du XX' siècle fut le couvent de Nowe Miasto avec le R.P. Honoré Kuzminski.
Le couvent des carmes de Varsovie a été fondé en 1639 et celui des carmélites en 1649. L'église des Carmes fut bâtie par Tylman van Gameren, qui a aussi construit celle de notre monastère de Varsovie. (Renseignement aimablement communiqué par l'archiviste de l'ordre des Carmes).
Tylman Zgameren ou Tijlman Van Gameren (1632-1706), appelé aussi Gamerski ou Camerini, commença ses travaux au palais Bialystok, « le Versailles » de Podlèsie. Il fit ses études d'architecture en Hollande, son pays natal, puis voyagea en Italie. Établi en Pologne au service des Lubomirski, il y construisit en style baroque, mais de tradition classique, de nombreux monuments, dont le palais Krasinski, à Varsovie, l'église de notre monastère et Sainte-Anne de Cracovie.
Les maisons des « Missionnaires » (Lazaristes), fondés à Paris en 1625, par saint Vincent de Paul (1581-1660). C'est le fondateur lui-même qui a envoyé les prêtres de la mission à Varsovie.
Marie-Louise de Gonzague, pendant son séjour en France, avait connu M. Vincent. Elle faisait d'ailleurs partie de l'assemblée des Dames de la charité. Après son mariage avec Jean-Casimir, roi de Pologne, elle demanda à Vincent de Paul de lui envoyer quelques missionnaires. Le premier groupe arriva en Pologne en 1651. Il était confié à M. Lambert, un fidèle assistant de M. Vincent, à MM. Desdames, prêtre, Guillot, sous-diacre, Zelazewski, clerc, et au frère Posny. (Cf. Mémoires de la Congrégation de la Mission, Paris, 1863).
Les frères de Charité (boni fratres) arrivèrent en Pologne en 1609 et établirent aussitôt un grand nombre d'hôpitaux dans tout le pays.
40. Le mot français Jubilé dérive de Jubilaeus, terme du latin ecclésiastique, crée par saint Jérôme pour traduire le Yobel hébreu. Tant en hébreu qu'en latin, ce terme signifie « cri joyeux ».
Le premier Jubilé fut institué officiellement par Boniface VIII en 1300 : par la bulle Antiquorum, le pape accordait une indulgence plénière aux pèlerins qui se rendaient à Rome et y visitaient les basiliques des Apôtres. Le Jubilé fut accordé d'abord tous les 50 ans, par Clément VI (1340-1352). Urbain VI (1386-1389) le fixa tous les 30 ans. Le 19 avril 1470, le pape Paul I1, par la bulle Ine,(rabilis Providentia avait ordonné la célébration d'un Jubilé tous les 25 ans. Celui de 1700 fut publié par Innocent XII. L'année suivante, les grâces du Jubilé furent étendues à tout le monde catholique.
80 [Photos omises]
légendes :
Monastère de Varsovie (1900), photo Conrad, Warzzawie
Intérieur de l'église du monastère de Varsovie (XVIII° s.).
Dans le transept droit, monument funéraire de la princesse Constantin Sobieska (Caroline de Bouillon).
L'église et le monastère après la bataille de Varsovie en 1944-1945.
Epée du sacre des rois de Pologne conservée à Cracovie, château du Wawel
Le roi Jan III Sobieski recevant de la part des moines paulins de Jasna Gora, l'épée de Zolkiewski avant l'expédition à Vienne - 1683, École de Jasna Gora, 2° moitié du XVII' s.
Varsovie chapelle du château de Jean Ill Wtianov (Varsovie), construit 6 la fin du XVIIe s.
Église des Capucins de Varsovie, où se trouve conservée l'urne contenant le coeur de Jan III Sobieski
Église du monastère de Varsovie. Autel majeur (actuel), au fond le tabernacle. A droite se trouve la grille du choeur.
Gdansk : baptistère
de l'église Sainte-Catherine
Château des Potocki é Lancut, dans la région de Jaroslaw.
Église du monastère de Lwow : intérieur.
Nancy – église de Bonsecours ( 1741)
N-D Elevée par
sur l'ordre de Stanislas. s La façade est ornée d'un écusson aux armes de Pologne.
Église du monastère de Lwow :.extérieur (1939)
§
Château de Luneville (Résidence du roi Stanislas)
Monastère des Bénédictines du Saint Sacrement de SiédIce - l'église
§
Wroclaw,
notre monastère reconstruit (septembre 1978).
Monastère des Bénédictines du Saint Sacrement
de Siédice - intérieur de l'église
Carte de la Pologne
1697-1709
etc.
Elle alla à Rome pour le grand Jubilé (1700) et Diue se servit d’elle pour obtenir de notre très Saint Père Clément XI la confirmation de nos constitutions, qu'on n'avait pu obtenir jusqu'alors ; et comme la révérende mère de Jésus a beaucoup aidé la reine par ses conseils à soutenir les difficultés que les seigneurs les cardinaux objectaient, il est nécessaire que l'on sache les moyens dont Dieu s'est servi pour la faire aller à Rome.
Quand notre très digne Mère institutrice dit adieu à la révérende mère de Jésus pour le voyage de Pologne, elle lui dit d'un ton prophétique : « Adieu ma chère mère prieure D. Notre très digne mère institutrice mourut le sixième d'avril, le dimanche de Quasimodo, sur les deux heures après-midi, et elle apparut en forme d'une colombe blanche à la mère de Jésus durant son sommeil sur les dix heures du soir. Elle en ressentit tant de peine qu'elle se mit à crier. La mère de Saint-Joseph [Paulmier], qui allait à son heure d'adoration, entra dans sa cellule et lui demanda si elle se trouvait mal. Elle lui dit : « J'ai fait un rêve d'une colombe blanche qui m'a battue de ses ailes, comme pour m'enlever et, étant éveillée, j'ai encore entendu le battement des ailes. »
Trois semaines après, l'on reçut des lettres de nos religieuses de France qui confirmèrent la vision de la révérende mère de Jésus. Elle demanda de s'en retourner en France. Toute la communauté n'y voulut pas consentir.
La révérende mère de Sainte-Madeleine [d'Auvergne], qui était supérieure en ce temps lui dit qu'elle voulait avoir le consentement de la reine, qui était encore à Dantzig. La révérende mère de Jésus écrivit à Sa Majesté et reçut la réponse que, puisqu'elle allait partir à Rome, elle lui permettait de s'en retourner en France et que, dans quelques années, elle la ferait venir à Rome, ce qui est aussi arrivé.
Sa Majesté avait en vue de faire une fondation dans cette capitale du monde chrétien, mais elle n'a pas réussi, et ce voyage ne servit qu'à confirmer nos constitutions.
La bonne conduite de la révérende mère de Jésus et des religieuses qui étaient avec elle, a donné beaucoup d'estime pour 81 notre institut et a engagé Notre Saint Père le Pape de confirmer les constitutions, et nous avons une grande obligation à la reine de toutes les peines qu'elle y a prises.
L'an 1708, la peste, s'étant allumée dans Varsovie au commencement du mois d'août, fit mourir un grand nombre des personnes. Pour nous préserver de la contagion, notre révé- rende mère Prieure, de l'avis du très révérend père Belavity, résolut de ne plus avoir de commerce avec les personnes du dehors.
L'on fit quelques petites provisions qui ne nous menèrent pas loin, et, si le révérend père Belavity 41, notre bon confesseur, ne nous eût prêté de l'argent, nous serions mortes de faim ; il eut la charité de venir s'enfermer avec nous, et le révérend père Félice (Télice), dominicain, qui avait gagné la peste et ne nous en dit rien.
Nous avions encore plusieurs demoiselles pensionnaires, que l'on n'avait pas encore retirées, mais, quand madame Stragenique apprit le danger où nous étions, elle envoya quérir ses trois filles, et, en même temps, la deuxième mère de Sainte Madeleine, qui était sous-prieure, la mère des Saints Anges et la mère de Saint Casimir [Potocka] sortirent avec ces demoiselles le vingt-troisième d'août.
Notre très révérende mère prieure, Suzanne de la Passion Bompard] 42 mourut le lendemain, le jour de saint Barthélémy, 24 août, de la peste.
41. Le père Belavity, supérieur des théatins, était confesseur des religieuses du monastère de Varsovie.
Gaëtan de Thiène, né à Vicence en 1480, vint à Rome en 1508. Juriste, philosophe et théologien, c'est un homme de la Renaissance humaniste.
En 1516, il fonda la société du Divin Amour qui se répandit en toute l'Italie. Avec Jean Pierre Caraffa, qui fut pape sous le nom de Paul IV, il fonda une société de prêtres désirant une vie sacerdotale plus parfaite. Le projet fut agréé par le pape Clément VII, le 24 juin 1524. Bientôt la nouvelle société se répandit en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Pologne. On trouve les théatins à Varsovie et à Lwow en 1663. A Lwow, ils travaillaient à l'union des Arméniens à l'Église romaine. Élu supérieur de la maison de Venise, le père Gaëtan se dévoua au service des pestiférés, puis revint à Naples où il mourut le 7 août 1547. Le nom de théatin leur vient de leur fondateur, Jean-Pierre Caraffa, évêque de Chieti, en latin Theatinus (Cf. Dictionnaire des sciences ecclésiastiques, Poussielgue, Paris, 1868).
42. La mère Suzanne de la Passion offrit sa vie à Dieu pour qu'il arrête le fléau. Le lendemain de son offrande, elle fut attaquée de la peste et mourut le 24 août 1708. Un mausolée s'élève encore, en souvenir de son dévouement, dans l'église de notre monastère de Varsovie.
82
Tous nos domestiques moururent de la peste. Il ne nous resta qu'un domestique, nommé Lapierre, Français de nation, qui nous fut d'un grand secours, et une servante ; et comme ces deux personnes ne pouvaient pas faire tout l'ouvrage, il fallut les aider à tout, et néanmoins, tant de jour que de nuit, l'adoration a été soutenue et le chant comme à l'ordinaire.
Nous passâmes huit mois assez misérablement. Au mois de mars, on nous conseilla d'aller trouver la mère de Sainte-Madeleine, à cause qu'il y avait eu tant de corps morts de la peste que l'on avait enterrés autour de notre monastère, que cela pouvait faire recommencer la peste.
Notre révérend père Belavity nous fournit de quoi faire le voyage, et nous arrivâmes après Saint Michel, dans le domaine de Przemysl 43. Il resta ici cinq religieuses, qui trouvèrent de la protection auprès des dames de qualité et qui leur fournirent tout ce qu'elles avaient besoin.
La mère de Sainte-Madeleine trouva quelques personnes de qualité qui lui proposèrent de faire une fondation. C'est ce qui l'obligea de rester à Léopol avec six religieuses, et cette fondation réussit quelques années après.
AUTOGRAPHE A DUMFRIES
43. Ville et place forte de Galicie, surplombant le San, affluent de la Vistule. Ses origines remontent au moins au X` siècle. A cette époque, la ville était déjà un centre commercial important sur la voie conduisant d'Europe centrale à la mer Noire. Actuellement, c'est une ville industrielle. Le château, bâti par Casimir le Grand, domine la ville et le fleuve. Il en reste quelques vestiges. 11 avait été construit à l'époque de la Renaissance sur les fondations anciennes où l'on a trouvé des traces d'une chapelle pré-romane datant des premier Piast. Aux XV1P-XVI11° siècle, la ville fut enrichie d'un ensemble architectural de style baroque : le collège des Jésuites, le couvent et l'église des franciscains, l'église des carmes, la cathédrale du rite byzantin.
Sous la domination autrichienne, Przemysl fut entourée de fortifications telles qu'elle fut alors l'une des plus puissantes places fortes d'Europe. La ville est à 70 lieues environ de Varsovie. C'est le siège de deux évêchés (latin et grec). En 1687, l'évêque se nommait Mgr Zbaski, Jean Stanislas. Les Mémoires de la Congrégation de la Mission rapportent que la peste y fit de grands ravages en I705. (Cf. Pologne, de la Baltique aux Carpathes, Varsovie, 1975).
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R.P. WLADYSLAW SZOLDRSKI 44
A leur arrivée à Varsovie, le 14 octobre 1687, les religieuses venues de Paris furent reçues au château royal. Elles y commencèrent leur mission d'adoratrices dans la chapelle du château le ler janvier 1688. Elles restèrent les hôtes de la reine du 14 octobre 1687 au 27 juin 1689.
Pour leur assurer une demeure stable, la reine acheta, le 19 janvier 1689, une propriété à Nowe Miasto (Nouvelle-Ville) ; un terrain appartenant à M. Adam Kotowski, écuyer tranchant de Wyszogrod 45, avec une maison spacieuse en briques, et une autre plus petite en bois (dworek), plus deux jardins sur le bord élevé de la Vistule. Le roi confirma cette acqui-
44. Né à Kluezkôw, le 23 avril 1884, ordonné prêtre le 28 octobre 1906, il fit profession dans la congrégation du Très-Saint-Rédempteur (Rédemptoristes) le 2 février 1909. Il mourut le 7 avril 1971 (Mercredi saint) et fut inhumé le 9 avril (Vendredi saint). (Renseignements aimablement communiqués par le père Sampers, Maison généralice, Rome).
La congrégation du Très-Saint-Rédempteur fut fondée en 1732 au royaume de Naples par saint Alphonse de Liguori (1696-1787), à qui Pie IX conféra le titre de docteur de l'Église en 1871.
Le père Ladislas (ou Wladyslaw) avait consulté les archives municipales de Varsovie ainsi que toutes les archives monastiques à sa disposition. Rédemptoriste de Wroclaw, il publia en 1964 une histoire du monastère de Varsovie et rédigea celle du monastère de Lwow que nous publions ci-après. L'article tris documenté du DTC sur les ordres religieux et les congrégations en Pologne vers 1934, est dû au père Ladislas.
45. Kotowski Adam était d'origine paysanne. Jean Wielopolski, de l'illustre famille polonaise de ce nom, s'intéressa à lui, assura son éducation, le fit entrer à la Cour du Roi dont il devint le secrétaire. Le roi Jean-Casimir, en tant que monarque titulaire de Suède, lui conféra la noblesse suédoise en 1659. Il fut reconnu comme indigena
-sition le jour même et la reine rédigea l'acte de fondation le 4 juin 1689. Le 22 juin, les religieuses signèrent l'acceptation de la fondation et, trois jours plus tard, Mgr Stanislas Witwicki, évêque de Poznan, de qui relevait Varsovie, signa l'acte d'érection du monastère.
Le 27 juin, au cours d'une procession solennelle, on introduisit les religieuses dans leur nouvelle demeure. L'église conventuelle, placée sous le vocable de saint Casimir, n'était pas terminée. Elle fut construite en style baroque sur les plans de l'architecte italien Tylman de Gameren.
Mère Mectilde n'oubliait pas ses filles en Pologne. Elle encouragea par ses lettres les pauvres religieuses, qui en avaient bien besoin. Il leur était difficile de s'habituer aux conditions de vie, toutes différentes de celles de France. Mère Mectilde s'efforça toujours d'en envoyer d'autres à leur place, et selon les nécessités du monastère. Elle écrivit souvent à la reine Marie-Cas4mire au sujet de cette fondation.
Bientôt, des jeunes filles polonaises, issues de très bonnes familles, entrèrent chez les bénédictines. Dès 1688, Barbara Bidzinska et Catherine Kadzinska demandèrent à être admises comme soeurs converses . En 1692, ce fut Antoinette Grotusowna, puis, en 1693, Catherine Potocka 46, qui furent reçues
polonais en 1673.
Marié à Marguerite Durand, femme énergique et avisée, Kotowski se lança dans les affaires, affermant notamment des terres appartenant au roi et à l'État, ainsi que les douanes et la gabelle. Fastueux et généreux, il se fit construire un palais à Varsovie ainsi qu'une chapelle funéraire dans l'église des dominicains de cette ville. Il dota plusieurs monastères à Varsovie, fit construire des églises en province, donna aux dominicains plusieurs terres. Il fonda et entretint de ses propres deniers un régiment de dragons et un détachement de hussards au cours de la guerre contre les Turcs. Kotowski vendit, aux bénédictines du Saint-Sacrement, en 1689, le palais avec un terrain à Varsovie.
Mme Kotowska avait reçu nos Mires le 14 octobre 1687 au château de Varsovie au nom de la reine Marie-Casimire.
46. Barbara Bidzinska (soeur François Xavier), née à Varsovie le 4 décembre 1671. Vêture en 1688 ; profession le 15 octobre 1690 en qualité de soeur converse. Décédée le 12 mai 1745.
Catherine-Sophie Kadzinska (soeur Thérèse de Jésus), née à Lukow en 1660. Vêture en 1688 ; profession le 15 octobre 1690 en qualité de soeur converse. Décédée le 7 avril 1746.
Antoinette Grotusowna (soeur de Sainte Agnès), née à Zmudzki en 1675. Vêture en 1692 ; profession le 24 octobre 1693, décédée le 7 janvier 1725. Elle était fille d'Eustache, castellan de Zmudzki, et de Marie Anne Liniewski. Une autre jeune fille de cette famille entra aussi au monastère.
Charlotte Grotusowna (soeur de Sainte Agnès), née le 2 novembre 1714. Vêture
87 comme religieuses de choeur. Mère Mectilde écrivit à cette dernière une lettre conservée dans les archives du monastère de Varsovie (cf., lettre du 10 mai 1696).
Tout d'abord indépendant, le monastère, comme tous ceux de notre institut, fut soumis à la juridiction épiscopale par le pape Innocent XII 47, le 3 juillet 1694.
La mort du roi Jean Sobieski fut une grande perte pour les moniales. Il succomba à une crise cardiaque le 17 juin 1696. La reine quitta Varsovie quelques mois plus tard. Elle s'arrêta à Dantzig et, vers l'année 1700, partit pour Rome. Là, elle fit des démarches, qui n'aboutirent pas, pour fonder une maison de notre institut à Rome. En revanche, elle contribua à la confirmation de nos Constitutions par le pape Clément XI 48, le 1 er août 1705.
Mère Mectilde n'a donc pas vu confirmer ses constitutions. Elle eut à supporter, dans sa vie, de nombreuses et très lourdes croix. L'incendie du monastère de Nancy, dans la nuit du 21 septembre 1697, l'attrista beaucoup, comme en témoigne la lettre qu'elle envoya à Varsovie. Ce fut sa dernière lettre envoyée en Pologne. Dès le début de l'année 1698, sa santé déclina et elle expira le 6 avril 1698.
le 1er mai 1729 ; profession le 14 septembre 1730. Décédée le 30 mars 1803. Elle était fille d'Adam, staroste de Wilkijski, et de Françoise Grotusowna, châtelaine de Zmudzki.
Catherine Potocka (soeur Marie Casimire), née à Kaminiec en Podolie en 1679. Vêture en 1696, profession le 29 août 1700, décédée le 17 novembre 1745. Elle était fille de Paul Pôtocki, palatin de Czeniechow, castellan de Kaminiec, et d'Eléonore Sokykow. Catherine avait trois frères, Alexandre (cf. p. 280, n° 121), Etienne (cf. p. 288. n° 131) et Pierre (cf. chap. X, n. 21).
47. Antonio Pignatelli, né, à Spinazzola (Naples) en 1615, nonce en Toscane, en Pologne (1660-1668) et à Vienne, fut promu cardinal sous Innocent XI et archevêque de Naples en 1687. Élu pape le 12 juillet 1691 sous le nom d'Innocent XII, il ramena la paix religieuse en France, après les différends entre Louis XIV et la papauté. Il mourut le 27 septembre 1700. (Cf. Gaston Castella, Histoire des papes, Zurich, 1945).
48, Gian Francesco Albani, né à Urbino le 22 juillet 1649, placé en 1687 par Innocent XI à la tête de la secrétairerie des Brefs apostoliques, fut promu cardinal le 13 février 1690. Élu pape le 23 novembre 1700, il intervint vigoureusement dans les affaires de l'Église de France, en particulier par la promulgation, le 8 septembre 1713, de la bulle Unigénitus. Il soutint l'Electeur de Saxe, Frédéric Auguste, roi de Pologne, car il avait favorisé la religion catholique tant en Pologne qu'en Saxe. Protecteur des lettres, des arts et des sciences, il était d'un caractère pacifique et bon. Il mourut le 19 mars 1721.
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Le 16 juin 1715, Mgr Bartolomé Tarlo 49, évêque de Poznan, consacra solennellement l'église. Ce fut l'occasion d'une grande joie pour les religieuses. Cette église, quoique de petites dimensions, joua un grand rôle dans l'histoire de la capitale de la Pologne.
Les rois qui succédèrent à Jean III Sobieski, Auguste II de Saxe, roi de Pologne de 1697 à 1733, et Auguste III de Saxe, son fils, qui lui succéda de 1733 à 1763, puis Stanislas Poniatowski témoignèrent beaucoup de bienveillance aux bénédictines. Les personnes apparentées à la famille Sobieski ne les oublièrent pas non plus. La fille de Jacques Sobieski, fils aîné du roi Jean, la princesse Caroline de Bouillon (+ 1740)5° et
49. Issu d'une famille très ancienne et illustre de Pologne, Michel Tarlo naquit à Lubumel, sur les confins de la Hongrie, le 24 août 1656, mais il appartenait au diocèse de Poznan, son père étant palatin de Sandomir. Celui-ci, quand il eut vingt ans, l'envoya à Rome poursuivre ses études ecclésiastiques au Collège romain, mais sans grand succès. Conseillé par M. Godquin, supérieur de la maison Sainte-Croix de Varsovie, la première des Lazaristes en Pologne, qu'avait fondée en 1651, la reine Louise, M. Tarlo enjoignit à son fils de continuer ses études à Rome chez les disciples de M. Vincent au séminaire de Montecitorio. Il entra dans la congrégation de la Mission le 25 août 1677. En 1685, après un séjour à la maison de Saint-Lazare à Paris, il fut nommé supérieur de la maison Sainte-Croix à Varsovie et visiteur de la province. Il fut le premier à exercer cette charge. Les Mémoires de la Congrégation de la Mission notent qu'en 1705, après la mort du roi Jean III Sobieski, la guerre, la famine et la peste ravagèrent le pays ; c'est au milieu de ces difficultés et des luttes pour le pouvoir que M. Tarlo fut nommé évêque de Posnan, malgré ses résistances, et sur l'ordre du pape lui-même par l'intermédiaire du cardinal Paulucci, en 1710. En 1714, alors que la famine décimait toute la Pologne, le saint évêque utilisa toutes ses ressources pour nourrir les pauvres. Missionnaire infatigable, il mourut d'épuisement, alors qu'il se rendait de Varsovie à Poznan en 1716.
50. La princesse Caroline (Marie-Charlotte), née le 15 novembre 1697, était la troisième enfant de Jacques-Louis Sobieski et de Hedwige Élisabeth Aurélie de Neu-bourg, donc petite-fille du roi Jean III Sobieski. Elle épousa en premières noces, le 20 septembre 1723, Frédéric Maurice Casimir de la Tour d'Auvergne, prince de Turenne, grand chambellan de France en survivance, colonel du régiment de Turenne-cavalerie, né le 24 octobre 1702 et mort le 1« octobre 1723, dix jours après son mariage. Ayant obtenu une dispense de Rome, la princesse Caroline épousa en secondes noces, le 1" avril 1724, le frère de son premier époux, Charles Godefroy de la Tour d'Auvergne, prince puis duc de Bouillon. Les princes de Bouillon étaient fils d'Emmanuel-Théodose, troisième comte d'Evreux (1668-1730), et de Marie Ar-monde Victoire de la Trémoille, décédée le 5 mars 1717.
Quatre enfants étaient nés de ce mariage, dont Frédéric-Maurice et Charles Godefroy, 4' comte d'Evreux. Celui-ci décéda au château de Montalet le 24 octobre 1771 et fut inhumé en l'église Saint-Taurin d'Évreux.
La princesse de Bouillon mourut le 9 mai 1740 en son château d'Olaw, en Silésie. Son corps fut déposé dans le caveau de l'église de notre monastère de Varsovie, où un monument fut élevé à sa mémoire.
La princesse Constantin Sobieska (1685-1762). née Marie Josèphe Wessel,
89 l'épouse de Constantin Sobieski étaient des bienfaitrices dévouées. Cette dernière, Marie-Josèphe Sobieska (née Wessel, décédée en 1761), habita de longues années chez les religieuses en qualité de résidente. Ces deux dames furent ensevelies dans le cimetière du couvent, et, dans l'église, on leur érigea de beaux tombeaux.
Ce qui contribuait à la popularité des bénédictines, c'est qu'elles avaient un pensionnat pour les jeunes filles, fréquenté surtout par la jeunesse provenant des meilleures familles polonaises. Même le côté matériel était prospère en ces temps-là. Entre autre bienfaiteurs, le comte Jean Szembek, chancelier, père d'une religieuse, Ursule 51, offrit au couvent le domaine de Macierzysz.
En 1787, saint Clément Hofbauer 52, rédemptoriste, vint habiter avec ses religieux dans le voisinage du monastère, en
fille de Stanislas,Staroste de Rozana, avait épousé en 1708 le second fils du roi Jean Ill Sobieski et de la reine Marie-Casimire, Constantin Philippe Vladislas, né le lef mai 1680. Il avait été arrêté avec le prince Jacques Louis, son frère, le 28 février 1704 par ordre du roi Auguste II de Saxe, roi de Pologne, qui redoutait l'influence de la famille Sobieski. Transféré en septembre 1706 au château de Konigstein sur l'Elbe, il fut libéré en décembre 1706 et mourut à Zolkiev en 1726. La princesse Sobieska avait été accueillie par le monastère de Varsovie au temps de son épreuve, demeura près des religieuses jusqu'à sa mort et fut inhumée dans le caveau, sous le monument élevé en souvenir de sa nièce, la princesse de Bouillon. En 1718, la princesse donna 1600 livres au monastère de Lwow. Deux nièces de la princesse furent religieuses au monastère de Varsovie : Jadwiga Thérèse Wessel, soeur Marie-Josèphe de l'Immaculée, née le 15 octobre 1739, reçut l'habit monastique en 1757, fit profession le 27 août 1758 et mourut le 8 juillet 1796 ; et Marie Clémentine, soeur Técle de Jésus, née le 11 septembre 1745, reçut l'habit monastique en 1762, fit profession le 6 novembre 1763 et mourut le 17 juin 1831.
51. Ursule Szembek, soeur Marie Cécile de Jésus, née à Tarpniew, le 25 mai 1718, reçut l'habit monastique le 10 mars 1733, fit profession le 15 mai 1735 et mourut le 18 décembre 1775. Elle était fille de Jean, grand chancelier de la Couronne, et d'Ewy Leszczynska, apparentée aux Jablonowski. La famille Szembek joua un rôle important dans la diffusion du culte du Sacré-Coeur en Pologne (cf. ch. IX, n. 170).
52. Jean Hofbauer, né à Tasswitz, aux confins de la Moravie et de l'Autriche, le 26 décembre 1751, de père slave et de mère allemande. Il apprit le métier de boulanger et entra comme domestique à l'abbaye des prémontrés à Klosterbruck (Moravie), dans l'espoir d'y devenir prêtre. Il vint en pèlerinage à Rome, y rencontra à Tivoli le futur Pie VII qui l'admit parmi les ermites de Quintilliolo, où il reçut le nom de Clément. Après divers essais de vie religieuse et des études poursuivies à Vienne, il entra chez les rédemptoristes à Rome, y fit profession le 19 mars 1785 et fut ordonné dix jours plus tard. Il retourna à Vienne, mais ne put y demeurer en raison de l'atmosphère antireligieuse du gouvernement. C'est alors qu'il partit pour Varsovie, où l'église allemande de Saint-Benon (ou Benoit) lui fut confiée. Il ett un très grand rayonnement sur toute la Pologne, mais toutes ses oeuvres furent détruites lors des guerres napoléoniennes de 1805 à 1808. Clément-Marie Hofbauer se retira alors à
90 l'église Saint-Benon. Il fut le confesseur et le directeur des moniales pendant de longues années. Il y avait chez ces religieux plusieurs pères français, ce qui facilita les rapports avec les bénédictines leurs compatriotes. L'une d'elle fut Louise, princesse de Bourbon-Condé S3. Saint Hofbauer dirigea aussi plusieurs vocations vers le monastère, entre autres les deux soeurs Sedzimir 54.
Après le deuxième partage de la Pologne, en 1794, la nation se souleva. On réquisitionna au profit de la caisse de la République plusieurs vases sacrés de notre église, en or et en argent. On prit aussi les plaques de plomb, dont l'église était couverte. A la suite du troisième partage du pays, Varsovie tomba aux mains des Prussiens, en 1795. Madame Caroline de Bouillon avait fait une donation de 12 000 zlotys pour avoir une messe à son intention à perpétuité ; les Prussiens confisquèrent cette donation en 1797.
Pendant la période de la principauté de Varsovie (1807-1815), les religieuses furent privées du noviciat, qui fut interdit. Le 5 mai 1815, le préfet du département de Varsovie permit toutefois à Mile Dorothée Szuster 55 d'émettre ses voeux. Mais les temps les plus durs survinrent après l'écrasement de l'insurrection de 1863. Le régime tzariste confisqua le domaine de Macierzysz et le noviciat fut fermé de nouveau. Le temps passait, les religieuses mouraient l'une après l'autre et il n'y avait pas de recrutement. Malgré leur petit nombre, elles assuraient
Vienne, où il mourut le 6 mars 1820. Saint Pie X le canonisa le 20 mai 1909. (Catholicisme, Dom Chaussy). L'activité des rédemptoristes, installés à Varsovie sous la direction de saint Clément Hofbauer, se développa surtout dans les années 17871808. (Cf., Hunermann, Le Mitron de Vienne, Ed. Salvator, Mulhouse, 1962).
53. La princesse Adélaïde de Bourbon-Condé fit profession au monastère de Varsovie. Voir chap. XII. ci-dessous.
54. Françoise Sedzimirowna, soeur Marie Gaëtan de Saint Raphaël, née le 10 novembre 1774, reçut l'habit monastique en 1793, fit profession le 26 mai 1795, et mourut le 21 novembre 1858.
Josèphe Catherine Sedzimirowna, soeur Marie Bénédicte du Saint-Sacrement, baptisée le 20 avril 1779, reçut l'habit monastique le 11 septembre 1799, fit profession le 22 novembre 1801 et mourut le 18 mai 1847.
55. Dorothée Szuster, soeur Marie Scholastique du Saint Sacrement, née à Varsovie et baptisée le 7 février 1787, reçut l'habit monastique le 23 mai 1813, fit profession le 16 mai 1815 et mourut le 2 février 1877. L'autorisation lui fut accordée par le préfet de la principauté de Varsovie à la demande de Mgr Zambrzycki.
91 quand même l'adoration. Le 22 avril 1897, elles demandèrent au tzar de leur permettre de recevoir six nouvelles religieuses. On le leur refusa. Ce ne fut que le 12 août 1905, sous la pression du mouvement révolutionnaire, que les autorités cédèrent et permirent la réouverture du noviciat.
Après la résurrection de l'État polonais en 1920, le monastère développa librement ses activités sans en être empêché par les autorités d'État.
En 1927, mère Byszewska, bénédictine de Staniatki 56, devenue prieure à Varsovie, contribua à la bonne situation du monastère. Elle entreprit la classification et l'inventaire détaillé des archives. Ce travail confié à mère Ignace Rejewska 57, a donné des résultats inattendus. De 1928 à 1936, celle-ci fit ce grand travail. Elle écrit dans l'avant-propos de cet inventaire, le 28 décembre 1936 :
« Nous avons commencé à mettre de l'ordre dans nos archives, dans ces temps incertains de continuels cataclysmes, renversements et changements politiques. Ce travail fut très difficile. Et souvent, nous nous demandions si cela servirait à quelqu'un, ou si cela serait brûlé comme tant d'autres documents pendant un orage de guerre. Au lieu de continuer ce travail, ne serait-il pas mieux de s'adonner uniquement à la prière, pour implorer de Dieu sa miséricorde sur le monde ? Mais l'avenir nous est sagement voilé. Donc, nous gardions l'espoir que ce travail servirait au bien du monastère, surtout aux soeurs qui viendraient après nous, quand nous-mêmes nous nous reposerions sous terre. Cette classification des archives du monastère nous a permis de mieux connaître l'histoire de la maison, et les documents que nous avons trouvés permettent de reconstituer la vie intérieure du monastère avec toute les gé-
56. Clémentine Jadwiga Byszewska, soeur Jeanne de l'Eucharistie, naquit le 3 mars 1886 à Dziaduszyka. Elle reçut l'habit monastique à l'abbaye bénédictine de Staniatki, archidiocèse de Cracovie, le 1« novembre 1910, fit profession le 13 novembre 1912, devint prieure de notre monastère de Varsovie le 28 septembre 1927. C'est elle qui gouverna le monastère pendant toute la guerre de 1939-1945 et présida à la reconstitution de la communauté (voir son oeuvre au chap.XIV).Elle mourut le 18 octobre 1951. L'abbaye de Staniatki, fondée en 1216, est placée sous le patronage de saint Adalbert.
57. Stefania Wanda Rejewska, soeur Ignace, née à Varsovie le 29 décembre 1898, reçut l'habit monastique le 20 mars 1923 et fit profession le 25 octobre 1924. Elle disparut dans « l'holocauste A du monastère de Varsovie, le 30 août 1944.
nérations des religieuses qui vécurent dans ces murs, qui y prièrent et travaillèrent et, par l'offrande d'elles-mêmes, méritèrent sans conteste notre hommage, notre vénération, notre admiration et notre reconnaissance ».
Ces lignes figurent dans l'introduction du livre, édité par le monastère à propos de son 250e anniversaire : 1688-1938 ; ces propos étaient rapportés par le R.P. Jean Rostworowski, S.J. (1876-1963) .
Cet anniversaire fut célébré très solennellement. On ne soupçonnait pas alors que la plus atroce des guerres viendrait très tôt ravager la Pologne, en particulier Varsovie, et détruire le monastère.
Au mois de septembre 1939, malgré le bombardement de la ville et les incendies, le monastère et son église n'eurent pas à souffrir. Mais pendant l'insurrection du 1er août au 31 août 1944, le bombardement du monastère et de l'église fut si acharné que tout tomba en ruines. Beaucoup de personnes laïques qui s'étaient réfugiées dans les sous-sols du monastère furent tuées. 32 religieuses ensevelies vivantes y trouvèrent la mort, entre autres mère Rejewska.
Les archives aussi furent victimes des flammes. Après la tourmente, on trouva dans les cendres, comme par miracle, les lettres de mère Mectilde et ce fameux inventaire des archives. Puisque les archives du monastère n'existent plus, il parait très intéressant de rappeler les éditions dans lesquelles on parle du monastère des bénédictines du Saint Sacrement de Varsovie :
La Revue religieuse et morale (Varsovie 1853, tome XXIV, p. 1-29) où l'on trouve le résumé des actes du début de la fondation, le récit du voyage des religieuses de Paris à Dantzig et la vie du monastère de 1687 à 1709 inclus.
L'éminent historien Julian Bartoszewicz 58 a écrit en 1855 et édité à Varsovie, une monographie des églises de Varsovie (Koscioly Warszawskie) où, aux pages 301-316, il donne des renseignements très intéressants sur l'histoire des bénédictines du Saint Sacrement.
58. Julian (1821-1871), historien, originaire des provinces de l'annexion russe, auteur de nombreux traités et d'articles historiques de grande valeur. (Cf., D.T.C., fascicule CX — CXI, art. Pologne).
La Vie de mère Mectilde, Hervin, Paris 1883, p. 667-685, donne des informations sur la fondation de Varsovie.
En 1887, à l'occasion du 200e centenaire de l'installation des bénédictines du Saint-Sacrement en Pologne, a paru à Lwow La Vie de saint Benoît, dans laquelle l'histoire du monastère de Varsovie est très amplement présentée, avec les noms des religieuses, mortes jusqu'en 1887 (pages 227-267).
L'abbé Roch Filochowski a édité une brochure Église et monastère des bénédictines du Saint-Sacrement à Varsovie (Varsovie 1889), où l'on trouve bien des détails intéressants.
Dans l'Encyclopédie ecclésiastique (t. XXIV), l'abbé Alexandre Zaremba parle des bénédictines du Saint-Sacrement en général, et de celles de Varsovie en particulier.
Mais c'est le livre du 250e centenaire, Bénédictines de l'Adoration perpétuelle à Varsovie, (Varsovie 193 8) qui donne le plus d'informations. L'histoire du monastère, ses bons et ses pénibles moments, y est très bien racontée. On y trouve des souvenirs des religieuses les plus dignes de mention, et des copies de textes de journaux dont les originaux ont disparu.
Si en écrivant ce livre on avait prévu quelle destinée attendait sous peu le monastère, l'histoire aurait certainement été présentée avec plus de détails. Mais, grâce à cet inventaire, on peut reconstituer ce qui manque, d'autant que dans cet inventaire figurent des résumés de documents aujourd'hui disparus. Voici quelques éléments venant de cet Inventaire :
1. Une liste des noms des religieuses défuntes depuis l'arrivée de France en 1687 jusqu'à 1960 : 189 noms.
2. La liste des prieures : 32 noms.
3. Une liste des documents signés par les rois et des membres des familles royales et concernant le monastère.
4. Les informations extraites de la Chronique des bénédictines du Saint Sacrement de Lwow.
5. Les lettres de mère Mectilde (39 lettres).
6. Les écrits concernant le séjour de la princesse Louise de Bourbon-Condé.
— Priez sans Cesse, 300 ans de prière, Desclée de Brouwer, Paris, 1953.
(Cet ouvrage préparé par mère Thadée de Jésus, moniale de notre maison de Paris, à l'occasion du troisième centenaire de la fondation de notre Institut, relate de manière succincte l'histoire de nos monastères polonais).
— Kwartalnik A rchitektury I Urbanistyki, Iréna Michaëla Walicka, Warsawa, 1978.
Le récit que nous venons de lire ne mentionne pas les difficultés auxquelles les premières religieuses ont dû faire face. C'est vraiment de la croix qu'est venue la fécondité de cette fondation, qui depuis 300 ans à travers luttes et souffrances a donné naissance à 4 monastères.
A vues humaines tout était contraire à l'implantation du monastère de Varsovie : les coutumes, la langue, le climat. Mais il y eut surtout la reine. Toutes les lettres de mère Mectilde à la reine et aux moniales ne nous sont pas parvenues, les réponses de la reine et des religieuses ayant disparu totalement. De ce fait il est bien difficile de se faire une opinion exacte des heurts et des dissensions dont les lettres publiées ci-après font mention. La reine était d'un caractère très autoritaire et fantasque. Elle supportait très mal de ne pouvoir jouer le rôle de supérieure et la mère prieure fut souvent obligée de se plier aux volontés royales pour ne pas jeter ses filles dans une extrême misère.
Les « anciennes » qui, après le départ de la reine et de mère Marie de Jésus Petigot, prieure de 1691 à 1697, devinrent prieures du monastère de Varsovie, ou fondatrices de celui de Lwow, ayant été formées par mère Mectilde, étaient attachées à l'esprit et aux usages de notre institut. Mère Mectilde, prise dans cet imbroglio, et ne recevant pas toutes les lettres, ne connaissait qu'une partie des problèmes qu'elle s'efforça d'apaiser en prêchant la discrétion à la mère prieure, la charité fraternelle et la soumission à toutes ses filles. Il faut lire les lettres de mère Mectilde à la reine dans l'optique du style de l'époque, en pensant qu'elle cherchait surtout à éviter une rupture brutale pour le monastère, pas encore en état de vivre sans soutien. La politique a dû aussi jouer son rôle dans l'attitude de la reine. Mgr Tarlo, lazariste, évêque de Poznan et supérieur du monastère, une des très grandes figures des premiers missionnaires de M. Vincent, en Pologne, appartenait à une famille polonaise de très haute noblesse qui ne parait pas avoir toujours suivi les prises de position politiques de la reine Marie-Casimire. On se souvient que celle-ci avait, sur ce plan, une trop grande influence sur son époux, le roi Jean III Sobieski, et que par dépit, elle travailla contre la France.
Je viens encore vous embrasser, mes chères enfants, et vous désirer un heureux voyage. Je n'aurai ni repos ni joie que je ne sache le succès de votre voyage et de quelle manière la reine vous aura reçues. S'il arrivait quelque changement dans son dessein touchant l'adoration et votre établissement, ne différez pas de me le mander par la voie de M. de Rigioly afin que je donne ordre pour votre retour et, s'il s'en trouve d'entre vous qui aient de la peine à passer, je la prie et la conjure de revenir. Vous savez que la trop grande violence vous ferait plus de mal que le voyage même.
Si vous vous sacrifiez pour Dieu, il sera votre force. Je le prie sans cesse de vous soutenir et de vous animer de son Esprit ; qu'il vous maintienne toutes dans une sainte paix et union ; cela sera, si vous êtes humbles et fidèles. C'est les deux points que Notre Seigneur a ordonné à la bonne âme de vous dire ; si vous lui êtes fidèles en ces deux points, ne doutez pas qu'il ne vous comble de bénédictions pour tout le reste et qu'il 99 vous conservera pendant le voyage. Puisqu'il vous a donné le courage de vous y sacrifier pour sa pure gloire, il faut espérer qu'il bénira la pureté de vos intentions ; tenez-vous en Dieu ; attendez tout de sa bonté infime ; marchez sous les ailes de sa divine protection ; celle de sa sainte Mère ne vous manquera pas ; et souvenez-vous que vous laissez mon coeur affligé de vos absences, qui vous accompagnera en esprit et qui ressent comme une mère une sensible tendresse pour ses enfants ; je les ai reçues de Dieu, je les remets en Dieu ; il est juste qu'il en soit le maître et qu'il les emploie selon ses desseins et les envoie par la puissance de sa divine volonté. Je vous regarde comme des missionnaires du très Saint Sacrement, comme la couronne et la gloire de l'institut, si vous vous comportez comme l'Esprit-Saint vous le demande. Allez, mes très chères enfants, allez chères victimes, allez les choisies du ciel pour porter la gloire et l'amour du très Saint Sacrement dans tout le royaume de Pologne. Faites à cet adorable mystère de grandes conquêtes, animez les coeurs, ravissez les esprits et que tout le monde se ressente des grâces dont Notre Seigneur a dessein de vous remplir, si vous êtes fidèles à les recevoir. Oubliez tout pour l'amour de celui qui s'est, pour vous, oublié de lui-même pour demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui et pour lui ; allez, avec de saintes assurances qu'il est avec vous et qu'il vous conduit dans une nouvelle région de grâce où vous ne devez plus rien voir que lui. Tous vos intérêts sont, dans cette sainte entreprise, entièrement sacrifiés. Vous ne vous souviendrez plus de vous-mêmes que pour vous regarder comme des victimes, réellement et de fait, immolées à toute heure, à tout moment. Vous vivrez dans cet esprit de mort à tout le créé, pour vivre en Dieu et de Dieu en lui-même.
C'est où je vous laisse et où je tire ma force pour vous sacrifier, espérant qu'il nous fera la très grande miséricorde de vous revoir dans l'éternité. Obtenez-moi cette grâce et me croyez, en Jésus et sa très sainte Mère, plus à vous qu'à moi-même. Consolez-moi de vos nouvelles le plus que vous pourrez.
Mes très chères enfants,
Ce mot vous devance par la grâce que me fait monsieur de Rigioly qui veut bien s'en charger pour vous le faire donner aussitôt que vous serez arrivées à Dantzig où je prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous conduire heureusement. Je puis vous assurer que depuis votre départ, je ne puis prendre de repos que je ne sache le succès de votre voyage.
J'ai appris les peines et les grandes difficultés que vous avez souffertes à Rouen, et comme les vents vous ont été contraires. L'on n'a cessé de prier Notre Seigneur pour vous, et l'on continue jusqu'à ce que quelqu'une d'entre vous nous mande s'y vous êtes arrivées à bon port.
Nous le demandons à Dieu de toute l'ardeur de nos coeurs, le priant soutenir votre courage et animer votre zèle qui ne va au delà deys mers que pour la pure gloire du divin Mystère que nous adorons.
Je me confie en la protection de la très sainte Vierge qui ne vous aura point abandonnées d'un seul moment.
J'espère qu'elle achèvera de vous combler de ses divines bénédictions.
Je vous prie, mes très chères enfants, de nous donner de vos nouvelles sitôt que vous serez arrivées à Dantzig.
Depuis votre départ, il n'est rien survenu ; nous sommes céans comme vous nous avez laissées.
La chère mère dè Jésus 60 vit encore, mais toujours pendant à la mort. Elle ne peut sans miracle guérir de son mal.
60. Marguerite Chopinel (soeur Marie de Jésus), fille de M. Chopinel et d'Élisabeth de Brem, née le 25 octobre 1628, fut élevée au monastère de la Conception des bénédictines de Rambervillers (Vosges). Quand elle eut dix ans, sa mère, entrée dans ce monastère comme religieuse, la confia à sa famille de Sarrebourg. Au cours de la guerre de Trente Ans, elle rejoignit les moniales de Rambervillers, réfugiées à Saint-Mihiel (Meuse) en 1641. Lorsque mère Mectilde ouvrit un petit pensionnat à Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris, elle y fit venir la jeune fille et une de ses compagnes. En 1646, Mlle Chopinel entra au monastère de Rambervillers et y fit profession, le 21 août 1647, sous le nom de soeur Marie de Jésus. En mars 1651, elle rejoignit mère Mectilde à Paris, fut maitresse des novices durant de nombreuses années et mourut au monastère de la rue Cassette, entourée d'une grande vénération, le 8 décembre 1687.
L'on m'a mandé de Rouen que vous étiez toutes bien enrhumées en partant, vous ne vous êtes point précautionnées pour le froid, la saison étant fort avancée vous sera très incommode ; mais je vois que vous souffrez pour Dieu, que vous purifiez toujours de plus en plus vos intentions, et que l'amour divin s'allume dans vos coeurs pour vous sacrifier aux intérêts de sa gloire. Soyez toutes revêtues de Jésus-Christ.
Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n'y vivez que pour lui. Sa bonté aura soin de tout ce qui vous regarde, si vous avez un soin unique de lui plaire et de ne désirer que lui, en travaillant à sa gloire. Je puis vous assurer que vos fatigues seront bien récompensées ; relevez toujours votre courage ; ne vous rebutez point des difficultés. Les oeuvres de Dieu ne s'établissent que par la Croix.
Je vous recommande toujours la parfaite union qui ne se peut conserver que par une profonde humilité.
Si vous avez ces deux points vous triompherez de l'enfer et par conséquent de tous vos ennemis.
Ne soyez donc jamais divisées, quelques choses qui vous puissent arriver, soit par tentation, par antipathie ou par dégoût.
Vivez dans cette paix divine qui vous unit ensemble par l'Esprit-Saint de Jésus-Christ.
Je continuerai de prier sa très sainte Mère pour vous.
Croyez, très chères enfants, que vous m'êtes toutes parfaitement chères et que je suis de coeur et d'affection avec vous et tout à vous, pour jamais votre vraie amie et très fidèle servante.
J'attends avec une grande impatience de vos nouvelles ; donnez-moi le plus tôt que vous pouvez.
Loué et adoré soit le très Saint Sacrement !
Je me sers avec un très sensible plaisir, mes très révérendes et bien chères mères, du moment que me donne M. de Rigioly de vous écrire à Varsovie espérant,que vous êtes arrivées. C'est ce dont je doute et ce que je souhaite, croyant qu'auparavant vous nous auriez donné de vos chères et bien attendues nouvelles de Dantzig. Au nom de Dieu ne négligez aucune occasion de nous en faire savoir et que la crainte des ports ne vous serve point d'excuses, car nous ne pouvons assez payer la consolation que nous attendons de vos lettres. Il y a deux ou trois jours que l'on en apporta une que vous aviez écrite à Honfleur, ce furent des cris de joie dans toute la Maison, qu'il semblait que nous étions toutes devenues folles. Consolez-nous donc de toutes nos craintes et déplaisirs de votre éloignement.
Pour moi, étant revenue de Rouen il y a douze jours, j'ai trouvé la maison si vide et si touchée de notre séparation que je ne puis assez vous le dire ; le plus souvent mes mauvais yeux, m'en font prendre d'autres pour vous et aussitôt je me trouve trompée. Ou bien il faut entrer avec vous dans l'esprit du sacrifice et vous dire qu'il n'y a que moi qui me sers de cette occasion parce que le temps est si bref qu'il n'y en a pu profiter, non pas même notre très révérende mère, qui dit vous avoir écrit trois fois tant à Dantzig qu'à Varsovie, et puis elle n'est pas très bien depuis deux jours. Elle a un commencement de jaunisse ; elle a vomi avant hier au soir, elle en a été mieux, quoique son visage en est demeuré très jaune. J'espère que son dévoiement emportera tout cela. Elle ne laisse pas de faire à son ordinaire et est toujours plus bonne, aux termes de ma très chère mère de Sainte-Gertrude. Je suis bien en peine de son rhume.
Monsieur Sicault m'ayant dit qu'il dirait quand il serait revenu ; il ne l'est pas encore. Céans tout le monde n'étant pas pour lui, cependant je tâche à le mettre en crédit par les bops offices qu'il nous a rendus, et à moi par conséquent. Il nous fait une petite relation de ce qu'il a su comme témoin de votre voyage.
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Nous avons été obligées aussi de faire un mémoire de ce qui s'est encore passé dans la négociation de votre affaire et de la manière que l'on nous a traitées tant à Paris qu'à Rouen, puisque l'on nous impose beaucoup de choses fausses, disant que l'on a fait des dépenses épouvantables, tant à faire de l'accommodement dans le vaisseau par les séparations et tapisseries inutiles ; que vous avez fait un séjour de cinq semaines que l'on a payé à 50 F par jour et la vérité est que nous n'en avons touché que cinq jours à 34 F par jour et les autres six jours nous étant dus, ils nous en ont rabattu 100 F pour le passage, le vivre et le coucher de la petite fille et de Philippe, quoique vous ayez nourri les trois messieurs Hautbois et la demoiselle de madame de Béthune ; et qu'ils n'ont pas voulu payer toutes les dépenses pour les vivres, tant celles que vous avez faites que celles que j'ai faites aussi ; ce que je vous dis en gros, croyant vous devoir envoyer ce dit mémoire afin de vous pouvoir au moins disculper de ce que l'on pouvait vous imposer. On crie fort après moi. Pour finir je le fais avec mille respects et amitiés pour toute la petite troupe du voyage, dont monsieur du Chartrin aura sa part s'il vous plaît.
Au mois de mars de cette année 1687, notre révérende mère prieure du premier monastère du Saint Sacrement de Paris reçut une lettre de madame la marquise de Béthune par laquelle elle lui mandait de se souvenir de la promesse qu'elle lui avait faite d'envoyer à la reine de Pologne huit religieuses et deux soeurs converses de son institut, pour en établir un monastère à Varsovie. Notre révérende mère prieure ayant considéré que ce nombre n'était pas suffisant pour entretenir le culte et l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, en écrivit à la reine et à madame de Béthune, la suppliant de vouloir bien le représenter à Sa Majesté et obtenir son agrément pour en envoyer douze et deux soeurs converses ; elle en parla aussi aux personnes qui furent envoyées au couvent pour négocier cette affaire : cela fut accordé par Sa Majesté, et monseigneur l'évêque de Beauvais en vint lui-même assurer notre révérende mère prieure. Elle proposa donc cet établissement à sa communauté, fit connaître à toutes ses religieuses le pieux dessein et le saint zèle de la reine pour la gloire de Dieu ; elle leur communiqua la lettre de madame de Béthune par laquelle elle lui expliquait les intentions de Sa Majesté sur ce sujet, qui voulait par une générosité toute royale que tout se fit à ses dépens, sans qu'il en coûtât rien au monastère de Paris, se contentant des religieuses qu'on lui envoyait et ne prétendant pas qu'elles emportassent aucune chose de Paris, mais qu'elle souhaitait qu'elles fussent toutes habillées, équipées, et fournies de toutes les choses nécessaires, à ses dépens. On reçut cette proposition avec beaucoup de joie et pour seconder la piété de la reine, plusieurs se présentèrent pour aller en Pologne, et en peu de temps il se trouva un nombre suffisant de bons sujets pour faire cet établissement.
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Il ne s'agissait plus que d'exécuter les ordres de la reine et de convenir de la somme qui était nécessaire pour acheter les accommodements des religieuses, les livres à leur usage, avec tout le linge de la sacristie, et faire les frais du voyage et de l'embarquement. Messieurs les négociants étant venus à notre couvent pour cela, notre révérende mère prieure leur demanda mille louis d'or pour se charger de toute cette dépense. Ils déclarèrent d'abord qu'ils étaient chargés de faire toutes les emplettes pour la sacristie et de fournir tout ce qu'il fallait pour l'embarquement et pour le voyage, et partant que notre révérende mère prieure ne demeurerait plus chargée que des accommodements de ses religieuses et de l'achat de tous les livres, tant de chant que de dévotion, à leur usage. Pour cela elle demanda la somme de six mille livres que ces messieurs ne voulurent pas lui accorder ; on eut pour cela bien des contestations qui durèrent plus de deux mois avec la plus grande rigueur de leur part.
Cependant on eut avis qu'il y avait un vaisseau à Rouen qui devait frêter à Dantzig, ce qui ayant obligé nos soeurs de presser messieurs les négociants de terminer cette affaire, pour ne pas perdre une si belle occasion de partir, ils vinrent à notre monastère pour finir avec nos soeurs ; ils leur promirent cinq mille livres pour tout, dont elles furent obligées de se contenter : laquelle somme ne leur fut délivrée que le troisième jour de juin, par le sieur Bachelier, receveur des Tailles d'Orléans.
Elles travaillèrent pour lors avec toute la diligence possible à obtenir leurs obédiences et leurs passeports et à acheter le plus promptement que faire se peut ce qui était nécessaire pour leur accommodement, n'ayant demandé pour cela que huit jours de temps, parce qu'elles espéraient toujours partir par le vaisseau qui était sur le point de passer à Dantzig. Il arriva pourtant le contraire ; car, soit par la négligence de messieurs les négociants, soit par la précipitation du maître du vaisseau, il partit au commencement de juin ; de telle sorte que nos soeurs furent bien surprises lorsqu'elles apprirent que cette occasion était manquée ; au reste ce n'était pas par leur faute, mais bien par celle des négociants qui ne voulurent point fournir l'argent plus tôt, et firent languir nos soeurs plus de deux mois pour en tirer meilleur marché, outre que les passeports du roi ne furent expédiés que le onze de juin, nos soeurs ne les ayant demandés que lorsqu'il plut à ces messieurs de terminer l'affaire.
Elles ne perdirent pourtant pas l'espérance de partir bientôt, car elles reçurent peu de jours après des lettres de nos soeurs du couvent de Rouen, par lesquelles on leur donnait avis qu'il y avait deux vaisseaux qui devaient fréter à Dantzig, dont l'un était à Rouen et l'autre à Dieppe. Elles envoyèrent promptement une personne pour les visiter. Il revint bientôt après et nous assura qu'il les avait vus, qu'ils étaient fort bons, grands et commodes. On en donna avis à messieurs les négociants qui dirent pour toute raison que leurs correspondants ne leur en écrivaient rien et que c'était de fausses nouvelles qu'on donnait, et, quoi qu'on leur pût dire pour confirmer la vérité, ils persistèrent toujours à dire que ces vaisseaux étaient des chimères et des idées en l'air.
Cependant nos soeurs, qui disposaient toutes choses pour leur départ, virent bien dans les achats qu'elles firent que la somme de cinq mille livres ne suffisait pas pour les accommodements nécessaires à quatorze personnes, ce qui les obligea à demander encore mille livres. Messieurs les négociants les leur refusèrent avec beaucoup de dureté et d'invectives. Elles eurent recours à monseigneur l'évêque de Beauvais qui obligea ces messieurs, suivant les ordres de la reine, à fournir encore à nos soeurs la somme de mille livres. Ils ne donnèrent pourtant que cinquante louis d'or, encore eut-on bien de la peine à les avoir. Elles les employèrent, aussi bien que la somme de cinq mille livres, à acheter les choses propres à leur usage et dont elles ont fait un mémoire d'emploi pour le présenter à la reine.
Nos soeurs étant munies de toutes les choses nécessaires pour leur départ n'attendaient plus que quelqu'occasion favorable pour aller bientôt en Pologne, suivant le désir de sa Majesté. Elles envoyèrent tous les jours des gens chez messieurs les négociants pour les presser de travailler à leur embarquement ; mais enfin, se voyant importunés par tant de sollicitations, ils dirent qu'ils attendaient un vaisseau d'un de leurs amis ; qu'il arriverait bientôt à Rouen et retournerait incessamment à Dantzig ; qu'ils l'avaient destiné pour porter nos soeurs. On leur représenta qu'il serait bien plus à propos de s'embarquer à Dieppe ou au Havre, pour éviter les incommodités et les
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dangers de la rivière : cependant, comme ils prétendaient épargner beaucoup en faisant l'embarquement à Rouen, ils se tinrent toujours à leur première résolution. Ils eurent enfin nouvelle du vaisseau de leur ami ; ils en firent part à nos soeurs, et l'un d'eux vint au couvent pour voir les mesures que l'on prendrait pour le voyage de Rouen et pour l'embarquement. Il promit qu'il fournirait trois carrosses pour les conduire, qu'il leur donnerait trente-quatre livres par jour, pour dix-sept personnes qui devaient aller au voyage de Pologne, à raison de quarante sous par tête, et qu'il continuerait à faire payer la même somme de trente-quatre livres par jour, pendant tout le séjour que l'on ferait à Rouen jusqu'au jour de l'embarquement, qu'à l'égard des victuailles, provisions, et de tout ce qui était nécessaire dans le vaisseau, il enverrait ordre à leurs correspondants de Rouen pour faire toute cette dépense, si nos soeurs aimaient mieux acheter elles-mêmes leurs provisions, que leurs correspondants paieraient, qu'au cas qu'elles leur en voulussent laisser la commission, il leur serait libre de rejeter des provisions celles qui ne les accommoderaient pas, et d'en faire acheter d'autres ; en un mot que tout ce qu'elles souhaiteraient leur serait fourni abondamment. On n'attendit donc plus pour partir que l'ordre qu'il plut à ces messieurs de donner. On partit de Paris le vingt-deuxième jour d'août dans trois carrosses, et, ayant été trois jours en chemin, on n'arriva à Rouen que le vingt-cinq. Nos soeurs n'y furent pas plus tôt arrivées que, étant dans une impatience incroyable de s'embarquer, tant parce qu'elles voyaient que la saison était fort avancée, qu'à cause qu'elles savaient qu'on les attendait depuis longtemps en Pologne, elles envoyèrent donner avis de leur arrivée à messieurs les négociants de Rouen, auxquels elles avaient été adressées Or ceux de Paris. Ils vinrent voir nos soeurs et, après leur avoir fait mille protestations de service, on leur présenta un mémoire des provisions qu'on leur demandait ; ils promirent de le remplir : ils firent d'abord disposer une chambre dans le vaisseau, ayant fait faire un plancher sur des tonneaux, dont il était déjà chargé, avec une cloison entre le grand mât et la poupe du vaisseau, qui contient environ dix-huit pieds de longueur et quinze de largeur, pour y mettre toutes les religieuses. Ils firent encore ajouter à l'entrée de la chambre un petit plancher, tant pour placer une échelle pour monter et descendre dans la chambre que pour faire un petit retranchement pour un ecclésiastique qui a eu la bonté d'accompagner nos soeurs. Ils tapissèrent ensuite la chambre d'une petite bergame d'environ quatre pieds de hauteur et de quinze à vingt sous l'aune, tout au plus. Ils envoyèrent quelques jours après dix lits consistant en paillasses, matelas, et couvertures, avec dix paires de draps. On plaça huit lits dans la chambre, quoiqu'avec beaucoup de peine, les deux autres furent destinés pour monsieur l'ecclésiastique et pour le sacristain. Il fut encore fourni deux douzaines de serviettes et une nappe, plus une table de sapin, douze chaises de paille, et de la vaisselle de terre et de bois pour faire le petit ménage ; ils firent aussi dresser près de la poupe une petite table d'autel pour célébrer la sainte messe. Voilà au juste ce qui a été fait et disposé dans le vaisseau pour nos soeurs qui sont allées en Pologne. A l'égard des provisions, messieurs les négociants ne remplirent pas le mémoire et se contentèrent de fournir ce qui est contenu dans le mémoire ici attaché, encore obligèrent-ils nos soeurs de nourrir sur ces provisions cinq autres personnes qui étaient dans le vaisseau. Ce qui les obligea à avoir recours à monsieur le lieutenant de l'amirauté de Rouen qui, voyant l'injustice du procédé de ces messieurs les négociants, ordonna que non seulement ils augmenteraient les provisions destinées pour la mer, mais aussi qu'ils donneraient au capitaine du vaisseau de l'argent pour fournir aux religieuses et aux autres passagers, du pain, des viandes fraîches et toutes les autres choses nécessaires pendant le temps qu'on serait sur la rivière ; que, avant que d'entrer en mer, ils feraient acheter les volailles et les moutons en vie dont ils étaient convenus auparavant : ils promirent d'exécuter ces ordres avec toute l'exactitude possible, et cependant ils n'en firent rien du tout ; de telle sorte que si nos soeurs n'avaient point eu d'autre secours, elles auraient péri de faim dans les fâcheuses conjonctures qui leur sont arrivées.
On ne saurait exprimer l'impatience dans laquelle nos soeurs étaient de s'embarquer au plus tôt. Elles envoyaient tous les jours chez messieurs les négociants pour les presser de finir l'affaire et de partir. Ils furent enfin obligés de dire les raisons de ce retardement avouant qu'il ne tenait pas à eux, mais aux négociants de Paris, qui n'avaient pas encore envoyé des ballots qu'ils voulaient faire porter en Pologne dans ce vaisseau, qu'on ne pouvait partir qu'ils ne fussent arrivés. C'est ce qui 109 causa le délai et le séjour que l'on fit à Rouen, qui fut de onze jours. Tout ce qui est ici avancé se justifie tant par les quittances que les religieuses ont données de l'argent reçu pour le séjour, que par le procès-verbal d'embarquement fait à Rouen. Enfin les ballots, que l'on attendait, étant arrivés, pour ne point perdre de temps, nos soeurs s'embarquèrent. Le même jour on fit partir le vaisseau ; mais, les vents ayant été toujours contraires, il fut quinze jours entiers sur la rivière, où toute la troupe a souffert des peines incroyables, ayant été par deux fois sur le point de périr et s'étant trouvée dans la nécessité de quitter le vaisseau pour aller chercher un asile dans les lieux voisins, exposée aux vents, à la pluie, et à toutes les injures du temps, qui fut toujours très mauvais et par le plus détestable chemin du monde, obligée enfin, après tant de fatigues, de coucher sur la paille pendant deux jours, et voyant que leur vaisseau était toujours inhabitable, parce qu'il était tout couché sur le côté quand la marée se retirait et dans une agitation et un péril continuel lorsqu'elle remontait ; le capitaine, les pilotes et les matelots leur en défendant l'entrée de peur d'exposer leur vie à un danger si évident, elles résolurent d'aller à Honfleur, qui était à trois grandes lieues de leur vaisseau, où elles arrivèrent presque épuisées de la fatigue du mauvais temps et du mauvais chemin ; elles ne perdirent pourtant pas courage par toutes ces difficultés et, pour seconder le zèle de la reine, elles ont essuyé généreusement toutes ces fâcheuses aventures.
Cependant messieurs les négociants de Rouen, voyant que le vaisseau était parti de devant leur port, se mirent fort peu en peine d'exécuter les ordres de monsieur le lieutenant de l'amirauté pour augmenter les provisions à Quilleboeuf, non plus que de fournir à la troupe la nourriture sur la rivière, à quoi ils étaient obligés ; et, comme si le vaisseau eût dû passer en un jour de Rouen en pleine mer et faire en si peu de temps le chemin de soixante lieues de rivière, le plus difficile et le plus dangereux du monde, ils crurent qu'ils avaient satisfait à leur devoir et qu'ils ne devaient point entrer en connaissance de tout ce qui arriverait, ni exécuter ce qu'ils avaient promis ; de telle sorte que nos soeurs, se voyant dépourvues de tout secours dans leur pressante nécessité, s'adressèrent à un ecclésiastique qui les accompagna jusqu'en pleine mer, pour le prier de les assister dans leurs besoins ; ce qu'il fit volontiers, espérant que la reine aurait la bonté de lui faire rendre ce qu'il avancerait pour 110 elles ; c'est pourquoi il fit des provisions à Quilleboeuf, qu'il paya de son argent, dont le mémoire est ici attaché. Il les accompagna et les assista dans tous les lieux où elles furent chercher retraite, et enfin à Honfleur paya toute la dépense qu'elles firent avec toute leur compagme pendant cinq jours, comme il se voit par la quittance qu'il a tirée de l'hôte chez lequel elles étaient logées, que l'on envoie aussi : outre toutes ces dépenses que cet ecclésiastique a payées, notre mère sous-prieure de Paris, qui avait accompagné nos soeurs à Rouen, voyant que les négociants ne voulaient pas donner une infinité de choses mentionnées dans le mémoire qu'elles leur avaient donné, fut obligée d'acheter à Rouen des confitures, du vin d'Espagne et faire plusieurs autres provisions qu'elle a payées et dont est ici le mémoire.
Enfin nos soeurs étant entrées en mer, le dix-sept septembre, l'ecclésiastique qui les avait accompagnées depuis Rouen jusqu'en pleine mer les quitta et, étant revenu à Rouen, il présenta à messieurs les banquiers les mémoires des provisions qui avaient été faites, tant par lui que par notre mère sous-prieure, avec la quittance de la dépense qu'il avait payée à Honfleur ; de plus il leur demanda le paiement du séjour qu'on avait fait à Rouen ; mais bien loin de vouloir le satisfaire, après toutes les peines qu'il avait prises, ils répondirent qu'à l'égard des mémoires, des provisions et de la dépense faite à Honfleur, ils n'en tiendraient aucun compte, n'ayant point ordre de rien payer pour cela ; qu'au contraire leur correspondant de Paris se plaignait qu'ils avaient excédé ses ordres dans la dépense qu'ils avaient faite pour l'embarquement et que tout ce qu'ils fourniraient de surplus ne leur serait point rendu. C'est pourquoi ils lui donnèrent un acte de refus de paiement que l'on envoie aussi ; à l'égard de ce qui était resté dû pour le séjour, il fallut entrer en composition avec eux ; et après beaucoup de contestations, ils déduisirent sur la somme de deux cent quatre livres qui restait due pour le séjour de Rouen, celle de quatre-vingt-neuf livres, comme il se voit par la quittance qu'ils nous ont donnée, pour le passage, nourriture et couchage d'une jeune demoiselle qui était allée en Pologne avec nos soeurs pour être pensionnaire dans leur couvent et pour un serviteur qu'on avait emmené du monastère de Paris pour les servir, qui n'étaient pas compris dans les passeports du roi ; et 111 sans vouloir considérer que nos soeurs étaient chargées de nourrir sur les provisions de mer, qu'on avait faites exprès pour elles a Rouen, cinq personnes auxquelles elles ne s'attendaient pas et que, sur la rivière pendant quinze jours, elles leur avaient fourni la nourriture et payé toute leur dépense à Honfleur : ils ne voulurent jamais faire aucune compensation et en tenir aucun compte. De telle sorte que notre communauté de Paris se trouve en avance d'une somme assez considérable qu'elle a été obligée de fournir pour subvenir aux besoins de nos soeurs qu'on envoie en Pologne, sans en pouvoir espérer le remboursement de ces messieurs les négociants : le tout s'étant passé sous la bonne foi, sans avoir fait aucun traité par écrit avec eux, les ayant crus assez honnêtes gens pour bien faire les choses et tenir fidèlement leur parole ; et le bon ecclésiastique qui a donné son argent pour les assister dans leurs pressants besoins, ne sait à qui s'adresser pour être payé. Voilà la manière dure et déraisonnable avec laquelle nous ont traitées les personnes que Sa Majesté polonaise avait destinées pour nego cier le voyage de nos soeurs. Nous espérons que la reine entrera en considération de tout ceci, et qu'elle aura égard aux très humbles remontrances que lui font ses très humbles servantes.
Étant la mieux de toutes, ma très révérende mère, je prends la liberté de vous instruire des souffrances de vos chères voyageuses. Elles eurent tant de joie à la vue, de leur vaisseau à Honfleur, que la ferveur les y fit entrer sans avoir pensé de faire changer l'eau qu'on avait prise à Rouen, qui s'est trouvée si méchante, que tout le monde se mourait de soif, surtout les plus malades, dont la chère mère de la Présentation est la première. Dès le soir de notre arrivée, qui fut le 17e de septembre, elle eut des vomissements étranges qui la prenaient à chaque heure ; la poitrine, la tête, les côtes lui faisaient faire des plaintes qui me pénétraient de douleur. Parmi tout cela elle voulait faire l'office et faire maigre, ce que monsieur du Chartrin a empêché comme à ma soeur de Sainte Magdelaine qui a été con- trainte d'abandonner le soin de la charge. Ma soeur de Saint Benoist, qui s'embarqua avec la fièvre, n'a cessé de vomir avec bien de la patience. La petite mère Paulmier est toujours sur son lit. Monsieur Philippe et sa grande novice, toujours sur le tillac ; quand elle a vomi, elle mange ; les deux autres sont bien mal, et ne laissent pas de tâcher de rendre quelques services. Ma soeur de Saint Ovide est encore des plus mal, ne pouvant bouger du lit ; on lui arracha trois dents la veille de son départ sans qu'elle ait fait un cri.
Nos mères sont toujours charmées de ma soeur de Saint Joseph qui est restée seule pour nous soulager, quoiqu'elle soit mal, qu'elle ne prend rien pour se soulager, si ce n'est au soir.
C'est un courage, une douceur qui surpassent l'imagination, nos mères la regardent comme un trésor. J'ai laissé ma révérende mère de Sainte Gertrude, des dernières, pour vous parler tout au long de son courage. Elle a vomi jusqu'au sang avec tremblement, ne souhaitant comme le cerf qu'un bonne fontaine pour se rafraîchir ; et ma chère mère de Sainte Mectilde qui protestait qu'elle ne serait point malade, elle a eu de grands vomissements accompagnés de frissons sans ne pouvoir rien prendre et gardait dans ses maux un grand silence ; mais ma soeur de la Passion a la bonne part dans la maladie, comme ne se pouvant remuer. C'est un miracle de voir le courage de tout le monde.
Monsieur du Chartrin est fort bien et les autres hommes aussi, excepté David qui fut si mal qu'il crut être un jour plus vieux qu'il n'était, les séculières sont fort mal, excepté une.
Le 19 de septembre, l'on a pas tant vomi qu'aujourd'hui, l'on est comme des ivrognes. Je ne sais seulement si l'on pourra dire la messe dimanche tant est grande l'agitation. Pour moi, ma très honorée mère, ma souffrance est universelle étant comme le poisson hors de l'eau.
Le 20, l'agitation fut si grande que monsieur du Chartrin, les plus forts et moi, donnâmes du nez en terre.
Le 21, on ne célébra point la messe, et je ne vois point d'espérance qu'on la dise une seule fois ; l'on ne peut marcher qu'à quatre pattes. Philippe se porte bien, et nous rend toutes 112 sortes de bons services avec un homme qui a porté quatre mois l'habit des pères de Nazareth 61.
Le 22, c'est ici la vraie image du purgatoire, tous les sens y sont cruellement affligés ; on voit l'image de la mort peinte sur les visages, l'horreur d'un cachot plein d'une confusion du monde ; les oreilles entendent toutes sortes de plaintes, sans pouvoir soulager personne ; le goût souffre cruellement, l'on ne respire que de l'eau et elle sent mauvais ; l'odorat est accablé de fumée, l'odeur des viandes et des fruits cause des vomissements continuels. Les cloaques du vaisseau, la mer, nos lits mêmes, sentent le caveau. Le coeur est englouti, son plus grand soulagement est de vomir. L'incertitude où l'on est, qu'elle en sera la fin, afflige l'esprit. Celles qui l'ont le plus désiré souffrent le plus, gardant toujours un profond silence. La soeur Sainte Ovide, à laquelle on a arraché trois dents, dit que c'était des roses en comparaison de ce qu'elle souffre. Voilà, ma chère mère, l'état de vos chères victimes. Je vous l'écris assise par terre, ne pouvant me tenir debout un Ave Maria. Je n'ai été qu'un jour sans dire notre office. Je tâche à me ravoir pour soulager les autres. La mère de Sainte Mectilde soutient plus que personne ; c'est un miracle si la mère de Sainte Gertrude et de la Présentation n'en meurent, et la soeur de Sainte Ovide !
Le 23, l'agitation fut telle que je tombai dans l'extrémité de toutes souffrances, puis sentant mon âme sur les lèvres, je l'offris à Notre Seigneur pour le soulagement des pauvres victimes que je voyais toutes à l'extrémité, et qu'il nous donnât bon vent. Nous fimes cinq lieues cette nuit là, et la précédente le péril me paraissait assuré. Sans ma soeur de Saint Joseph, je ne sais ce que nous serions devenues, nos mères la regardent comme une sainte.
Le 25 de septembre, ce jour-là la mer ayant été un peu calme, j'eus la consolation de voir un peu réjouir nos mères. Ayant pris notre office, je tombai aussitôt dans un extrême épuisement, et la mer devenant dans une grande agitation, nous étions pelotées comme des balles.
61. Religieux du Tiers Ordre de Saint François qui avait deux couvents à Paris : celui de Picpus et celui de Nazareth, près du Temple. Mère Mectilde eut pour directeur de conscience, durant son premier séjour à Paris, entre 1643 et 1646, le père Jean Chrysostome de Saint-Lô, gardien du couvent de Nazareth et qui exerça une grande influence à son époque (Cf. DS, fasc. X, col. 880 - 885). Les franciscains étaient arrivés en Pologne dès 1231.
Le 28 de septembre, ce jour ayant été calme l'on a dit la sainte messe où la plupart ont communié pour la première fois. Le grand saint Michel nous donna le bon vent dans le temps qu'il nous fallait passer des bancs de sable, et un détroit où plusieurs ont péri. Si le bon vent ne fût venu, il nous aurait fallu descendre dans la méchante province de Norvesque [Norvège] pour l'attendre, peut-être tout l'hiver, comme il est arrivé à d'autres. Nous voilà au port D'alleSeigneur [Helsinborg],dans le Danemark, à cent lieues de Dantzig. L'on y prendra de l'eau et quelques provisions. Le jour de saint Michel nous n'avons point eu de messe.
Le 30e de septembre, ayant mis pied à terre, je vous y ai écrit « Dalle Seigneur » où nous dépensâmes 30 écus pour un repas.
Le passage nous en voilà de retour. Le même jour à six heures du soir, nous trouvâmes en secret une dame de notre religion qui a la même ferveur des premiers chrétiens. Rien n'est plus honnête que les Danois luthériens. Leurs églises sont propres comme les palais de notre France. L'on me dit que du mois de mai dernier deux vaisseaux ont péri où nous avons passé deux jours auparavant. Je jetai dans la mer une de vos lettres avec un « passeport ».
Le ler octobre, le vent était petit et mauvais le matin, et l'on dit la messe pour la deuxième fois. Pendant l'action de grâce de la sainte communion, le vent devint si grand et si bon que sur les neuf heures du soir nous avions fait cinquante lieues.
Le 2 octobre, point de messe, toujours le vent bon, et l'espérance d'arriver le lendemain à Dantzig. Tout le monde se porte un peu mieux, quoique les vomissements ont été continuels, excepté la mère de Sainte Mectilde, de Saint Joseph et moi. L'on ne souhaitait que de l'eau et des citrons, c'était justement ce que l'on n'avait pas. L'on a peu donné un bouillon aux plus malades à cause de la méchante eau et la mauvaise marmite ; on a vécu par miracle. Pour ma chère soeur de Saint Joseph, elle demeura seule pour servir, s'étant traînée à quatre pattes plusieurs fois et tombée bien des fois pour cela.
Le 3e d'octobre, la nuit fut dangereuse. Le matin l'on dit la sainte messe et, quoique nous ne fussions qu'à quatre lieues de Dantzig, nous n'y allâmes pas à cause du mauvais vent.
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La nuit du 4e d'octobre, nous échappâmes des dangers et, à six heures du matin, nous arrivâmes en rade de Dantzig... et de là nous débarquâmes au soir, bien mouillées, et fûmes reçues chez un traiteur français.
Le 4e d'octobre, étant arrivées à Dantzig à six heures du soir, entre 7 et 8, l'on nous apporta une de vos dignes lettres qui fut lue devant tout le monde. Jugez de notre joie ; en vérité elle était grande ! Le lendemain nous allâmes aux Carmes. Le lendemain nous trouvâmes ici deux Dames des premières de Pologne, qui nous ont fait des honnêtetés qui passent l'imagination, ce qui nous donne de grandes espérances. Il y en a une troisième qui nous traite demain, qui avait ordre de la reine depuis trois mois de nous recevoir. Mais monsieur Matisis nous ayant fait descendre chez un traiteur français, proche chez lui, nous y demeurons, étant fort régulières ; mais couchées par terre à la mode des hôtes du pays, nos dames nous envoyèrent des lits, et les religieuses de Sainte Brigitte nous ont régalées chez elles
Le premier jour de leur fête, après avoir ouï leur messe et toute la musique de Dantzig, qui est effroyable, quoiqu'il y ait toutes sortes de bons « instrumenters », monseigneur l'évêque nous y donna sa bénédiction, avec cent honnêtetés, comme de [la part de] toute la noblesse. Nous pressons pour partir à cause du beau temps. L'on nous promet que ce sera vendredi. Monsieur Sicault, notre cher conducteur jusqu'à l'embarquement en mer, a été témoin de nos roses ; j'eusse souhaité qu'il eût été participant des épines qu'ont supportées celles qui sont, avec tout respect, ma révérende mère
vos très humbles et très obéissantes filles.
Je ne puis vous exprimer le plaisir que vous m'avez fait de me consoler de vos chères lettres. Je ne doute pas que vous n'ayez souffert dans le voyage, terriblement, en toutes manières. Le corps et l'esprit en ont été affligés ; il était impossible que cela ne fût pas quant au corps, car un voyage de huit cents lieues par mer ne se peut faire sans d'étranges renversements. Je vous ai compatie et admiré souventes fois votre courage ; il fallait que Dieu vous le donnât pour sa gloire, car rien ne vous obligeait de sortir de votre monastère, où je puis dire que vous êtes aimée. Mais comme vous avez voulu faire des sacrifices pour le plaisir de Notre Seigneur, il les a voulus dans la sainteté de son Esprit ; c'est pourquoi il vous a crucifiée et purifiée intérieurement, ayant permis à la tentation de s'emparer de vos sens intérieurs, de votre esprit et de tout ce qui pouvait vous faire souffrir. Il a voulu par là vous disposer pour travailler à son oeuvre avec un esprit de séparation de vous-même pour la rendre plus sainte. Je le prie de tout mon coeur qu'il soit votre force, votre lumière et votre conduite dans ce grand ouvrage de sa gloire que vous êtes allée faire. Il faut qu'il vous donne un grand courage avec toutes vos chères compagnes pour soutenir les difficultés qui ne manquent jamais de se rencontrer dans de pareilles affaires.
Vous avez à contenter [Dieu] premier en toutes choses, et puis tâchez de contenter la reine qui est si bonne et si remplie de vertus. C'est assurément une grande et admirable princesse en toutes manières. Je fais un grand fond sur sa piété et sur sa bonté qui est dans l'estime de tout le monde. Je vous estime heureuse d'être en ses royales mains. Son coeur est grand pour Dieu. Je vous prie d'embrasser ses pieds pour moi et d'assurer Sa Majesté que nous ne cessons de prier pour la conservation du roi et de toute la famille royale que nous aimons tendrement. Il me semble que la Pologne est ma patrie, tant elle m'est intime.
La chère mère des Anges est encore ici ; vous savez pourquoi elle est venue ; madame votre mère ne veut pas qu'elle voie le roi qu'elle nomme « son bon ami » ; elle en est assurément bien mortifiée. Elle s'en retourne à Rouen. Cette chère pe-117tite mère a pour moi tant de tendresse et de bonté que j'en suis confuse ; je voudrais bien la retenir avec moi, mais la mère prieure de Rouen [mère Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent] la prie à mains jointes de retourner.
Je ne puis vous exprimer les sentiments d'affection et de tendresse de toute la communauté qui vous embrasse de tout son coeur, et moi, très chère, je suis de tout le mien tout à vous, avec la plus intime cordialité possible à votre indigne mère. Je prends cette qualité parce que Notre-Seigneur me l'a donnée quand il a voulu que je vous immole et que je vous enfante en son amour ; souffrez-moi, très chère, en me croyant tout à vous. J'embrasse votre chère petite communauté en vous souhaitant toutes sortes de bénédictions.
Je vous salue Marie Mère de Dieu qui avez été conçue sans péché originel.
J'apprends avec douleur, par vos chères lettres du 24 du mois passé, les peines que vous avez souffertes et que vous souffrez encore, mes très chères mères et mes chères enfants.
Je n'en suis pas surprise, les oeuvres de Dieu, pareilles à celle que vous êtes allées faire, ne s'enfantent que par la Croix.
Je me suis bien attendue que vous auriez beaucoup à sacrifier ; tous les royaumes du monde ne sont pas comme celui que vous avez quitté ; mais souvenez-vous, très chères, que vous l'avez quitté pour Dieu et que, si l'on vous avait dit qu'il y avait un martyre à soutenir, vos grands coeurs, pour Dieu, vous l'auraient fait embrasser. Je vous conjure de relever un peu votre courage. C'est dans ces rencontres que vous donnez à Notre Seigneur des marques de votre amour. Vous étiez allées chercher sa gloire, votre zèle vous transportait à embrasser ce qui était le plus difficile. Les souffrances de la mer ne vous ont pas rebutées ; ne vous effrayez pas de ne trouver d'abord que les quatre murailles, la suite vous semblera meilleure ; et après tout, si la reine manquait, Dieu ne vous manquera pas. Prenez de l'argent des amis de M. de Rigioly, je lui rendrai ici. Ne souffrez point de nécessités, ce n'est pas mon intention. Notre Seigneur a dit que votre établissement sera à sa gloire et qu'il le bénira. Ayez courage, je me souhaite ardemment avec vous pour partager vos souffrances et pour vous dire qu'il ne faut pas perdre coeur. Je vous promets que Notre Seigneur vous établira bien, avec un peu de temps et de patience ; vos souffrances vous serviront de préparation à son oeuvre. Adorez ses desseins et son entrée en ce monde dans une étable, sans secours humains ; honorez ses états pauvres, abjects et souffrants. Il est vrai que vous êtes dans un pays étranger ; mais vous êtes dans les bras et dans le sein de Dieu même, toujours avec lui et soutenues de ses grâces. Je vous plains fort pour le froid, mais comme le bois est abondant ne l'épargnez pas, la reine donnera des ordres pour vos besoins. Elle ne vous a point appelées pour vous laisser périr, elle a trop de piété ; l'on saurait en France qu'elle vous aurait manqué ; je vous prie de ne point croire cette pensée, vous verrez ses bontés.
C'est une reine qui a un grand coeur pour Dieu et qui aura des bontés de mère pour vous.
Monsieur le marquis de Béthune a mandé à madame de Beaumont 62 qu'il ferait des merveilles pour votre établisse-
62. Anne-Berthe de Béthune, soeur du marquis François Gaston de Béthune, fut une amie très intime de mère Mectilde. Nos archives ont conservé 331 lettres de mère Mectilde à cette abbesse. Née en 1637, elle était entrée à l'abbaye de Montmartre, près de sa tante, madame de Beauvillier, à l'âge de douze ans, si l'on en croit les Chroniques de l'Abbaye. Elle fut d'abord abbesse de Saint-Corentin-lès-Mantes (dioc. de Chartres), puis de Beaumont-les-Tours (arrond. de Tours), le 15 octobre 1669. Elle décéda le 25 juillet 1689 après vingt ans de gouvernement, à l'âge de 52 ans. Cette abbaye, fondée en 580, dans le cloître de la basilique Saint-Martin. sous le vocable de Notre-Dame, par Ingeltrude, puis transférée en 1002 à Beaumont, aux portes de Tours, par le trésorier, Hervé de Buzançais. Cet antique monastère avait subi bien des vicissitudes, surtout pendant la guerre de Cent Ans. L'abbesse Françoise de Marrafin, avec le concours du Minime François de Belleniére et des bénédictins de Chezal-Benoit, entama une sérieuse réforme et fit rédiger de nouveaux statuts (1532-1554). L'abbaye fut ensuite dirigée par des abbesses de grande valeur : Charlotte de La Trémoille, religieuse de Fontevrault, Anne Babou de La Boudaisière, qui forma plusieurs religieuses, réformatrices du XVII' siècle, et enfin Anne-Berthe de Béthune. L'abbaye possédait un prieuré à Mennetou-sur-Cher (Loir-et-Cher), à une vingtaine de kilomètres de Selles-sur-Cher, fief de la maison de Béthune. Il est souvent fait mention de ce prieuré dans les lettres de mère Mectilde à Madame de Béthune. (Cf. Dom Yves Chaussy, Les bénédictines et la réforme catholique en France au XVII' siècle, édit. de la Source, 1975).
119 ment. Un peu de patience, vous serez consolées, donnez votre temps et votre peine à Notre Seigneur pour la gloire de son divin Mystère, et il vous comblera de bénédictions.
Ne doutez pas que le démon ne jette de grands dégoûts dans vos coeurs pour vous décourager et vous faire perdre le mérite de tant de fatigues, et détruire l'oeuvre de Dieu dans la naissance.
J'espère que Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous donneront des forces et du courage pour achever ce que votre zèle et votre amour pour notre adorable Mystère vous a fait commencer ; vous avez bien pu vous persuader en prenant votre résolution d'aller, que l'on ne fait pas des établissements hors d'un royaume sans s'exposer à beaucoup de peines et de grandes incommodités. Prenez courage, la Croix est venue du devant de vous pour vous faire soutenir toutes choses, pour parvenir à glorifier Notre Seigneur, et à élever un autel à sa gloire. Je vous estime infiniment heureuses, très chères mères et très aimées filles, ne perdez pas votre confiance. Dieu bénira son oeuvre, tâchez de la faire, elle en sera d'autant plus sainte que vous n'y trouvez rien pour la nature et que vous y vivez en pur sacrifice. Après vous prendrez vos mesures pour revenir ; je ne vous en empêcherai jamais. Je voudrais que vous en soyez à la veille, ce serait une marque que vous auriez tout fait. Souvenez-vous que vous êtes les héros du très Saint Sacrement et qu'il vous a choisies pour porter sa gloire et son amour dans les coeurs, que Notre Seigneur vous tient dans sa divine main, m'assurant par sa fidèle servante que tout irait bien, qu'il vous protégerait, et vous conduirait lui-même. Il ne nous a pas dit, très chères mères, que ce serait sans peine ; tous commencements sont difficiles, et très difficiles, hors de vos habitudes et de vos connaissances.
Mais, très chères, vous n'êtes pas hors de Dieu, c'est ce qui vous peut consoler dans vos angoisses. Je voudrais être avec vous de tout mon coeur pour les partager avec vous, et les tirer toutes dans mon coeur, s'il m'était possible.
J'écris à monsieur du Chartrin pour le remercier de toutes ses bontés en réponse de ce qu'il a pris la peine de m'écrire. Il parle de son retour, il y faudra travailler. Je lui ai de très grandes obligations pour les services qu'il vous a rendus. Témoignez-lui bien de la reconnaissance. Ayez soin qu'il soit accommodé et, si vous n'avez point d'argent, je vous prie d'en prendre des amis de monsieur de Rigioly et je le rendrai ici. J'espère que vos chagrins ne dureront pas toujours.
Vous avez commencé pour Dieu, achevez ; très chères, et il vous bénira.
Je le prie vous combler de grâce et de bénédiction.
Je suis tout à vous, mes très chères, et vous promets que je ne vous oublierai jamais. Et si vous n'étiez pas contentes, je trouverai des moyens de vous faire revenir.
Ayez donc courage et me croyez tout à vous. L'éloignement ne change pas mon coeur, vous le trouverez toujours tout à vous en Jésus et sa très sainte Mère.
Je vous ai écrit beaucoup de fois, mes très chères mères, sans pouvoir être assurée que vous ayez reçu aucune de mes lettres. Cette incertitude me mortifie de manière que je ne sais si je dois continuer de vous écrire.
Je me suis aussi donné l'honneur d'écrire à monsieur l'abbé du Chartrin qui m'a témoigné le désir qu'il avait de revenir au printemps.
Je vous plains fort de son absence. C'était pour vous un grand secours et à moi une grande consolation que vous ayez une personne d'un si grand mérite à qui Notre Seigneur a donné une charité si étendue sur vos besoins. Je voudrais bien qu'il plût à Notre Seigneur le retenir près de vous jusqu'à ce que la Providence vous eût établies solidement. J'espère qu'il retardera son retour pour la gloire de notre adorable Mystère. Je vous conseille de faire beaucoup de prières à la très sainte Vierge pour obtenir cette grâce.
Madame la marquise de Béthune [Marie Louise de la Grange d'Arquienl m'assure par ses lettres qu'elle fera tout son possible pour que vous ayez la satisfaction que vous pouvez désirer. Si je n'étais certaine du dessein de Dieu sur votre établissement et qu'il s'est fait par sa divine volonté absolument, je serais dans une perpétuelle inquiétude.
121
J'avais pris la résolution de vous faire faire un commandement absolu de revenir, mais Notre Seigneur a fait connaître que c'était l'ouvrage de sa gloire ; c'est ce qui m'a lié les mains. Je crois, à présent, que vous aurez vu la reine, étant de retour de l'armée, et qu'elle vous aura donné des marques de la bonté de son coeur royal. Votre établissement lui servira un jour de consolation et Dieu saura bien récompenser cette bonne oeuvre qu'elle fera pour l'amour du très Saint Sacrement.
Mandez-moi si vous jugez à propos que je me donne l'honneur d'écrire à Sa Majesté.
Je ne sais si je vous ai mandé que Notre Seigneur a exaucé les prières de la bonne âme qui a demandé un prince héritier de la couronne d'Angleterre. La reine aura bientôt cette consolation, qui sera un très grand bien pour la conversion totale du royaume. Je crois qu'elle établira aussi dans Londres, une maison de notre institut. Vous aimerez sans doute cet établissement, à cause de toutes les impiétés que l'hérésie a causées dans ce royaume.
Je vous prie me donner la consolation de me donner de vos chères nouvelles chacune en particulier, et d'être persuadées que je ferai tout ce qui me sera possible pour vos satisfactions, étant toujours, d'un coeur très sincère et très cordialement, votre fidèle amie et très affectionnée servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.
Je vous ai mandé comme la très sainte Vierge nous enleva, le jour de son Immaculée Conception, notre chère mère Marie de Jésus [ Chopinel]. Notre Seigneur nous a fait savoir par la bonne âme4 que la très sainte Vierge avait reçu cette chère mère avec une joie incompréhensible et qu'elle était au ciel dans tin haut degré de gloire et qu'en sortant de ce monde elle avait attiré de grandes bénédictions sur l'institut. La perte que nous avons faite est grande. Il faut espérer que son secours nous sera très favorable.
Vous avez su aussi la mort de monsieur loyseau 63. Vous
63. Charles Loyseau, conseiller à la Cour des Aides, était fils de Charles Loyseau (1564-1627), juriconsulte célèbre à son époque. Il épousa Louise Tourtier, d'Orléans, dont il eut six enfants, entre autres Charles et Anne, qui fut religieuse au monastère de la rue Cassette. Sous-prieure durant de longues années, elle succéda à mère Mectilde comme prieure du monastère jusqu'à sa mort, en avril 1699. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976).
apprendrez quelque jour la nôtre qui ne vous sera pas sensible dans un si grand éloignement.
Je vous salue pour la nouvelle année, en laquelle je vous souhaite toutes sortes de bénédictions. Je les espère de l'infime bonté de Notre Seigneur et de la haute piété de la reine. L'on fait toujours ici beaucoup de prières pour vous toutes et pour l'heureux succès de votre établissement.
Malgré l'accablement d'affaires où nous sommes, ma très révérende et très honorée mère, je ne puis m'empêcher de dérober ce petit moment pour vous remercier très humblement de celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 23e de novembre 1687. Nous reçûmes deux de vos paquets, tout à la fois, qui nous pensâmes faire mourir de joie. Apparemment, ils sont arrivés sans aucun risque.
Nous avons eu l'honneur de voir Leurs Majestés. La reine arriva la veille de Noël, et le roi, le lendemain de la Circoncision. La reine, ayant voulu avancer son arrivée avant le roi par l'impatience qu'elle avait de nous voir, voulut pourtant nous surprendre, et défendit que l'on nous dise le jour qu'elle viendrait. Quelles qu'informations que nous fissions pour le savoir, jamais nous ne le pûmes découvrir. Nous avions envie de lui faire une entrée solennelle et chanter le Te Deum, mais elle avait donné de si bons ordres que nous fûmes malheureusement trompées, mais pourtant agréablement, car elle nous fit une journée la plus agréable du monde. Elle descendit d'abord aux Carmélites pour y coucher jusqu'à l'arrivée du roi, à qui elle avait promis de ne point entrer dans le Louvre qu'avec lui, de sorte que, sur les neuf heures du soir, elle nous envoya madame la grande Chancelière, [Marie Anne de la Grange d'Arquien] nous faire compliment de sa part et nous assurer qu'elle était bien mortifiée de ne pouvoir nous embrasser aussitôt qu'elle l'aurait souhaité ; mais que la fatigue était si grande 123 qu'elle ne la pouvait surmonter ; que le lendemain au matin elle ne manquerait pas de se rendre au château ; qu'en attendant. elle nous embrassait de tout son coeur. Et pour mieux jouer la comédie, madame la grande Chambellante dit à la mère de Jésus, tout bas : « Je ne sais ce que cela veut dire, je suis dans la dernière surprise que la reine ait descendu aux carmélites; avant de venir vous voir, il y a quelque chose là-dessous que je ne comprends pas ».
Cela nous affligea un peu et nous ne pûmes nous empêcher de le témoigner à madame la grande Chambellante. Comme cette dame s'en allait, monsieur du Chartrin la voulut conduire. Il rencontra un gentilhomme qui vint à grande hâte lui dire : « Madame avertissez vos dames, voilà la reine, qu'elles ne se méprennent point ». Car vous saurez qu'elle était seule, sans aucune suite, dans le carrosse, avec madame la grande Chancelière, sa soeur. Nous courûmes promptement au devant d'elle et ma mère de Sainte-Gertrude, qui était seule, qui nous avait devancées, commença à chanter : Laudate Dominum omnes gentes, dans un grand transport de joie. Nous aperçûmes madame la grande Chancelière et monsieur le Comte de Maligny. 64 le frère de la reine, qui la tenait par la main, qui se mit devant la porte, comme pour l'empêcher de passer, et me dit : « Mes chères mères, que faites-vous ? Ce n'est point là la reine, c'est moi qui viens vous témoigner mille amitiés de sa part et vous assurer que, sans l'extrême fatigue où elle est, elle aurait eu la consolation de venir vous saluer ce soir ».
« Quoi, monsieur, lui dîmes-nous, ce n'est point la reine ? L'on vient de nous dire qu'elle était ici. Ah ! Mon Dieu ! Quelle douleur pour nous de la savoir dans Varsovie et de n'avoir point l'honneur de nous jeter à ses pieds ». Cependant que nous nous lamentions de cette sorte, la mère de la Présentation et moi, nous remarquâmes une dame, soutenue de deux écuyers, qui était dans une grande obscurité, car elle avait fait retirer tous les flambeaux ; nous ne doutâmes pas toutes deux que ce fut la reine. La mère de la Présentation, plus hardie que moi, s'élança dans la chambre et se mit à crier : « Voilà la reine ! » et d'abord se jeta la première à ses pieds et lui baisa la
64. Anne Louis de la Grange, marquis d'Arquien, comte de Maligny (cf. chap. Il. n. 37).
main. A ce cri nous quittâmes madame la grande Chancelière et nous vînmes fondre en un instant à ses pieds. Alors elle ôta son masque et tous les flambeaux parurent. Elle nous dit enfin : « Mes mères, il n'a pas été en mon pouvoir de me priver de la consolation de vous voir aujourd'hui, car je n'aurais pu reposer tranquillement, et je n'ai pu gagner sur moi d'attendre à demain à me donner cette joie ». Vous jugez bien de ce que nous pûmes répondre à cela, d'autant plus que nous ne nous y attendions pas. A cette grâce, elle ajouta encore toutes les cordialités imaginables et je peux dire qu'elle nous en combla. Ensuite, elle demanda laquelle était la mère prieure, car nous étions toutes confusément à genoux. On la lui montra. Elle dit : « Ma mère, que je vous embrasse » et lui témoigna mille bontés. Elle voulut voir comme nous étions accommodées. Elle entra dans toutes nos petites cellules qu'elle trouva fort propres et fort à son gré, disant tout haut : « Ah ! mon Dieu ! si j'y demeurais toute ma vie ! ». Nous la menâmes dans l'appartement des novices qui s'en allaient coucher. Étant toutes déshabillées, vous pouvez croire quel effroi elles eurent de voir la reine dans cet équipage ! Elles se sauvèrent dans les greniers d'où jamais on ne les put faire descendre. La reine et toute la Cour riaient à gorge déployée. La reine nous demanda d'où vient que nous n'étions pas couchées, et qu'elle s'attendait de nous embrasser toutes dans notre lit ; qu'elle aurait eu bien du plaisir de nous y trouver ; qu'elle était venue exprès bien tard pour cela, et elle nous quitta en nous renouvelant ses bontés et amitiés. Ma soeur Suzanne de la Passion, qui ne s'était point trouvée à son arrivée, vint comme elle était. Déjà à la moitié de l'escalier, on dit à la reine qu'il y avait une religieuse qui n'avait pas eu l'honneur de se jeter à ses pieds et qu'elle en était extrêmement mortifiée ; elle l'attendit et la reçut fort cordialement.
Le lendemain au matin, monsieur du Chartrin lui présenta une lettre de la mère de Jésus et nos très humbles respects. Elle lut la lettre par deux fois et elle dit : « Mes filles sont spirituelles. Il n'y a rien de mieux que cette lettre là. Je suis extrêmement contente d'elles ». Elle nous fit de nouveau cent amitiés et nous manda qu'elle nous allait envoyer ses carrosses pour l'aller trouver aux Carmélites. Elle ne le fit pas parce qu'elle reçut tant de visites qu'il lui fut impossible de nous faire venir. Elle alla sur le soir aux filles de Sainte Marie. Elle revint au château et nous mena dans son appartement. Elle s'assit sur 125 son petit lit de repos et elle commanda que l'on nous apportât des carreaux (des coussins) pour nous mettre, mais nous la remerciâmes très humblement. Elle fit sortir tout le monde, jusqu'à madame la Princesse Thérèse, sa fille, disant qu'elle avait à parler avec nous. Elle fit rester la marquise de Béthune. Insensiblement nous tombâmes sur la maison qu'il nous fallait. La reine nous en nomma une qu'elle goûte fort et que nous avons déjà vue, qui est une maison séculière.
Le lendemain elle nous envoya dire qu'elle allait envoyer ses carrosses afin que nous allassions dîner aux Carmélites et que l'on envoyât une soeur converse pour montrer à accommoder à la française. La mère de Jésus se mit dans le carrosse, avec elle, pour entretenir la reine sur toutes nos affaires. Dès qu'elle entra, elle alla se jeter à ses pieds, lui témoigna mille bontés. La mère de Jésus lui dit qu'elle avait pris le devant pour avoir l'honneur de l'entretenir. La reine fit sortir tout le monde et retarder la messe et donna à la mère de Jésus tout le temps qu'elle souhaita. Ce pays-ci n'est pas comme celui de France : l'on y vit à force d'argent. Après donc que la mère de Jésus eût parlé à la reine autant qu'elle a voulu, elle se retira et Sa Majesté put entendre la messe. Pendant ce temps elle nous envoya quérir avec deux carrosses à six chevaux quoiqu'il n'y eût qu'un pas des carmélites au château ; nous lui fûmes rendre nos respects. Elle nous donna sa main à baiser, nous témoignant à son ordinaire milles bontés. Elle nous fit conduire par les princes, ses enfants, chez la mère prieure des Carmélites, qui se meurt du poumon. Nous fûmes conduites ensuite au réfectoire où l'on nous traita magnifiquement. La reine y dîna à la table de la mère prieure ; nous fûmes régalées des mets, la plupart à la polonaise, dont nous ne pûmes quasi manger tant cela était méchant. Notre table était si proche de celle de la reine qu'elle n'ôtait point les yeux de dessus de nous, s'informant si nous mangions toutes. Les princesses palatines et autres dames et demoiselles de la première qualité nous y servaient et c'était un si grand cours de monde dans le réfectoire, de grands seigneurs et dames que l'on s'y portait.
La reine but à la santé tout debout à la polonaise. L'on nous présenta incontinent un verre de vin pour boire à la santé de la reine.
La mère de la Présentation s'écria tout haut : « Je ne sais point boire à la polonaise, comment faut-il faire ? » La reine lui cria : « Ne buvez point à la polonaise mais à la française ». Il nous fallut pourtant boire à la santé de la reine. Ce repas dura trois ou quatre heures d'horloge, après lesquelles la reine nous mena dans une grande chambre, d'où elle renvoya tout le monde afin de nous parler et, comme la chambre était pavée de pierres, elle ne voulut jamais que nous nous mîmes à genoux à ses pieds. Elle se tint deux heures d'horloge avec nous, où il n'y eut point d'amitiés, de bontés et de cordialités qu'elle nous fit, que nous aurions toutes sortes de satisfactions, qu'elle était notre mère, qu'elle nous aimait en cette qualité avec la dernière tendresse. Enfin je vous puis dire qu'elle nous combla d'amitiés.
Je ne crois pas que l'on puisse voir une reine plus aimable et plus engageante. Elle est autant avec nous qu'il lui est possible et nous avons autant de liberté de l'aborder que la plus petite novice, quoiqu'elle conserve toujours la majesté et la gravité d'une reine. Nous sortîmes avec elle pour assister à la procession du Saint Enfant-Jésus, que madame la princesse, sa fille, portait avec les deux princes Jacques et Alexandre. Elle pria la mère de Sainte Gertrude de chanter avec ses chantres dont elle témoigna être fort contente. On retourna au réfectoire où elle fit chanter les novices qui lui plurent beaucoup. La mère de la Présentation dit que je chantais aussi mais qu'il fallait que Sa Majesté fut seule dans un petit coin, qu'à moins de cela je tombais en faiblesse d'appréhension. Elle me prit par la main : « Allons ensemble, dit-elle, et que personne, ne nous vienne incommoder. Nous avons des affaires ». La Cour ne laissa pas de suivre mais elle fit cacher et retirer la plupart. Je chantai quelques petites choses, mais ma voix était si faible avec la frayeur que j'avais, que je ne fis pas grand chose. Elle ne laissa pas de m'applaudir beaucoup car c'est la plus obligeante princesse qui se fut jamais vue. Elle nous ordonna de faire un mémoire de tout ce qui nous manquait à la sacristie et me dit en prenant congé d'elle : « Au moins songez à ce qu'il faut à notre autel, car j'irai demain vous aider à le parer pour recevoir le roi ». Et comme nous lui témoignâmes qu'elle ne nous ferait qu'empêcher de la revoir, comme nous en étions obligées. « Eh bien, dit-elle, vous me verrez avec lui, comptez comme si vous ne m'aviez pas vue ». Enfin, il me faudrait un 127 volume si je voulais vous particulariser toutes ses bontés que nous recevons actuellement. Je ne finirais point car c'est à tous moments de nouvelles choses. La veille de la Circoncision, elle nous manda que le roi allait arriver et que nous nous disposassions à le recevoir. On lui chanta un Te Deum et un salut, monseigneur l'évêque Dalacisme (sic) ayant apporté le Saint Sacrement de la cathédrale, qu'il rapporta à huit ou neuf heures du soir, où nous le reconduisîmes avec des cierges. Ce salut achevé, la reine amena le roi dans notre choeur, qui est justement la salle des gardes. Elle nous présenta elle même à Sa Majesté, en lui disant : « Sire, voilà mes filles. Je vous supplie de les regarder en cette qualité et de les aimer pour l'amour de moi. J'espère que ce sera la bénédiction de notre royaume ».
La mère de Jésus et quelques autres se mirent à genoux pour lui embrasser les pieds à la mode de la Pologne. La reine vit qu'il ne nous donnait pas la main à baiser, lui dit : « Sire, donnez votre main, s'il vous plaît. Approchez-vous, mes mères, pour baiser la main du roi ». Il dit : « En vérité j'ai bien de la joie de leur arrivée et de ce qu'elles sont logées céans ». Il dit encore d'autres choses obligeantes que je n'entendis pas. Comme il était tard, la reine nous envoya faire la collation, après laquelle elle m'envoya quérir pour me montrer les ornements qu'elle avait empruntés pour notre cérémonie, les nôtres n'étant pas encore faits, et pour me donner une grande caisse de fleurs contrefaites (artificielles), qui sont si admirables et si naturelles que je crus que l'on me trompait et je ne pus m'empêcher de les fleurer (sentir). Nous fûmes fort tard avec la reine où nous la fîmes rire jusqu'aux larmes de toutes nos aventures et moi de mes frayeurs. Je lui dis en riant : « On m'avait parlé de la guerre des Turcs, des Tartares, des Suédois, de la peste du coton, qui est une maladie du pays », enfin de mille choses que je lui dis elle pensa pâmer de rire. Elle parut parfaitement contente de nous et dit qu'elle ne manquerait pas de vous remercier du choix que vous aviez fait de la mère Sainte Gertrude. On lui conta comme on s'était opposé qu'elle vînt. Elle lui dit qu'elle en aurait été très fâchée, étant une fille comme il faut. Le lendemain, le premier jour de l'année, on exposa le Saint Sacrement où nous renouvelâmes nos voeux entre les mains de monseigneur notre évêque qui officia pontificalement en présence de Leurs Majestés qui assistèrent au service tout pendant le jour. Un autre évêque prêcha en polonais, donc nous n'entendîmes rien, mais l'on dit qu'il ne pouvait dire rien de plus à la louange de notre institut et à la gloire de la reine.
L'église était magnifiquement bien parée d'orfèvrerie, cela était à l'infini, et des choses admirables. La reine nous fit présent du manteau royal avec lequel elle avait été couronnée, qui était tout couvert de point d'Espagne or et argent. Elle nous donna aussi un saint ciboire tout couvert de filigranes d'argent et de rubis. Elle nous fit faire toute l'argenterie que nous lui avons demandée. Elle nous a donné une fort belle tapisserie de velours cramoisi avec des galons d'or, de lés en laine où les ouvriers ont travaillé nuit et jour pour qu'elle fût faite.
Elle nous a donné plusieurs étoffes or et argent de toutes sortes pour des ornements et me dit, toujours en riant : « Notre autel s'accommodera ». Enfin, l'on ne peut rien ajouter à ses bontés. Elle dit qu'elle veut faire toutes nos provisions. Elle nous en a déjà fait venir des quantités pour la cuisine et ordonne que l'on lui fît un mémoire de tout ce qui manque. Elle veut nous faire faire de la fourrure sous nos habits et des bonnets. Elle envoya savoir dès le matin comme nous nous portions et si nous n'avions pas froid à nos heures d'adoration. Celle qui va à onze heures la trouva dans la tribune, c'est où nous faisons notre office, qui faisait son heure d'adoration. Elle y demeure toute l'heure entière disant que c'est une grande bénédiction d'avoir commencé l'adoration au château. Je craindrais de vous ennuyer ou de blesser votre patience, ma très chère et honorée mère, si je vous racontais en particulier ce que je ne vous ai seulement raconté qu'en général.
Permettez-moi donc de finir en protestant aussi bien que toutes nos autres mères, être toute ma vie, ma très révérende mère, votre humble et très obéissante.
Je vous salue Marie, Mère de Dieu qui avez été conçue sans péché originel.
Je reçois, mes révérendes, très chères et très aimées mères, les chères vôtres du 15 de janvier, au retour d'une furieuse atteinte d'apoplexie, où je puis vous dire que j'ai été morte quelque temps, mais Notre Seigneur m'a encore renvoyée sur la terre pour ses adorables volontés.
Il y aura demain cinq semaines que je tombai dans cet accident, qui affligea la communauté, à jeter des cris que l'on entendait hors de la maison.
Tout ce que l'on put faire fut de me donner l'extrême-onction bien en hâte. J'ai eu de la peine d'en revenir. Je ne descends pas encore de notre chambre, mais, ayant reçu les chères vôtres, je n'ai pu m'empêcher de vous y faire un mot de réponse, vous voyant en douleur de ce que Sa Majesté vous fait faire des propositions qui vous donnent lieu de penser qu'elle n'a pas pour vous toutes les bontés qui ont paru dans les témoignages qu'elle vous en a rendus lorsqu'elle vous a honorées de sa présence. Il ne faut point, mes très chères enfants, vous rebuter. Vous connaissez le bon coeur de la reine. Assurez-vous qu'elle fera son possible pour vous bien établir. Confiez-vous en sa bonté. Tout ce que je désire est la conservation du roi et de la reine ; avec cela tout le reste ira bien.
Je n'ai regardé en cet établissement que la gloire de Notre Seigneur. Il l'a voulu, et je me suis soumise à ses adorables volontés.
Mais, très chères et mes plus chères enfants, soyez certaines qu'il pourvoira à tout et donnera à la reine des sentiments plus avantageux pour vous. Il est croyable qu'elle ne vous a pas appelées pour vous laisser périr. Elle est trop pieuse et a trop d'amour pour le très Saint Sacrement. Que s'il arrivait que vous ne fussiez point établies solidement, nous aurions recours à ceux qui ne vous laisseraient point misérables. Notre Seigneur m'a retirée des portes de la mort pour vous assurer qu'il ne vous abandonnera pas et que, vous ayant envoyées en Pologne pour sa pure gloire, il vous y soutiendra. J'en suis si assurée que je prétends vous en donner un peu de consolation dans votre douleur. Représentez humblement à la reine l'impuissance où vous êtes de recevoir les offres que Sa Majesté vous a fait faire, que c'est avec un extrême regret de vous voir obligées de lui donner le déplaisir de ne pouvoir se soumettre, en cette occasion, à ses volontés.
Si j'ai donné les mains à une fondation si modique, madame la marquise [de Béthune) me disant que l'on vivait pour rien à Varsovie, je crus qu'une fondation royale irait toujours au-delà du pur nécessaire, eu égard à mille inconvénients qui obligent à faire des dépenses où l'on ne s'attend pas.
La reine est si bonne et si judicieuse qu'elle ne vous fera jamais des propositions qui ne soient avantageuses, ainsi que je l'ai toujours attendu de sa royale bonté.
Vivez, très chères enfants, dans cette espérance, remettant toute votre confiance en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.
Je vous prie me mander quelle somme de deniers il faudrait pour vous établir, pour faire un fond raisonnable. Tout ce que je vous souhaite, c'est une maison en propre, suffisante pour vous loger commodément. Prenez courage ! Vous souffrirez, mais Notre Seigneur conduira tout en bénédiction.
J'avais dessein de vous envoyer au mois de mai deux ou trois belles voix et une organiste. J'attendrai les ordres que vous recevrez de Sa Majesté. Et si, par malheur, vous étiez obligées de revenir, ne vous en affligez pas : l'affection est si tendre que toute la communauté sentirait une grande joie de vous revoir. Vous savez qu'elles vous aiment bien tendrement. Mais, très chères enfants, tâchez de soutenir l'oeuvre de Dieu. Ne manquez à rien de votre côté et Notre Seigneur fera le reste, je puis vous en assurer et que je suis tout à vous, avec une tendresse et fidélité qui ne se peut exprimer.
Je reçois, ma très chère mère, avec une grande joie, vos chères lettres, qui me font un extrême plaisir. Je ne puis vous exprimer combien je vous suis obligée de me donner cordialement de vos chères nouvelles. J'aimerais bien y faire une longue 131 réponse, mais je n'ai pas assez de temps ce matin, qu'il faut porter les lettres pour ne les pas retarder de huit jours. C'est seulement pour vous demander à toutes mille pardons de toutes les peines et mauvaises édifications que je vous ai données, parce que je viens des portes de la mort par une forte atteinte d'apoplexie. Je puis y retourner. Cela est assez ordinaire que cet accident revienne et tue les gens. Il y a aujourd'hui six semaines, à dix heures du matin. J'en suis tout à fait revenue en
[Charte manuscrite de profession de Mère Marie de Jésus Petigot (23 octobre 1670) omise]
santé, sans accident. L'on me mande de la bonne âme que c'est un miracle. Je n'ai point de peine à le croire, sachant comment j'ai été. L'on m'a crue morte céans, et cependant me voilà encore pour un peu de temps.
Tâchez, ma chère mère, de mettre partout l'institut en estime. Ce sera par les vertus et la bonne conduite qui paraîtront entre vous. Je vous conjure de prendre courage et de vous souvenir des bénédictions que Notre Seigneur nous a promises par la bonne âme5 : il veut que vous preniez courage, qu'il vous soutiendra et environnera de ses grâces, me disant que le démon fera tous ses efforts pour vous lasser et vous dégoûter toutes de son oeuvre, mais qu'il faut que vous la souteniez avec courage et confiance. Il en veut tirer de grands fruits. Voyez, très chère mère, quelle récompense dans le ciel, si vous contribuez de tout votre possible à sa gloire. Ne vous lassez point de souffrir. Vous avez beaucoup de peine dans ce commencement, mais le progrès vous donnera plus de satisfaction. Tâchez de contenter et d'édifier la reine, qui a tant de bonté pour vous.
Tâchez d'avoir des pensionnaires, des filles de qualité. C'est par un petit séminaire que vous pouvez augmenter votre maison. Je ne sais ce que Notre Seigneur fera, mais il a bien marqué plus d'une fois qu'il serait glorifié par cet établissement, que ses desseins étaient grands. Vous les verrez dans le temps. Prenez seulement courage.
Je me souhaite avec vous pour embrasser les pieds de la plus grande, la plus généreuse, la meilleure et la digne reine du monde. Si vous en êtes charmée, je ne le suis pas moins, au récit que vous me faites toutes de ses rares qualités d'esprit. Je ne cesse de prier que Notre Seigneur la conserve et le roi aussi, et qu'il comble Leurs Majestés de toutes sortes de grâces et de bénédictions.
Nous vous allons envoyer 4 ou 5 filles qui chantent bien. J'attends pour les faire embarquer que je sache comme il plaira à la reine d'en user. Si je reçois de l'argent qui nous est dû, je veux bien en faire les frais, mais si je ne le reçois pas, il faudra bien que Sa Majesté en fasse la dépense. Si vous étiez un peu accommodées, vous ne lui donneriez pas cet embarras, mais elle est si bonne et a tant de zèle et d'amour pour le très Saint Sacrement que je ne doute pas qu'elle n'en voulût bien faire davantage. Tâchez de votre côté de contribuer à la sainteté de 133 l'oeuvre du Seigneur, et, pendant que je suis encore en ce monde, voyez ce que je puis faire pour votre consolation. Ce sera de tout mon coeur que j'y ferai tout mon possible. Au reste je vous ai, très chère mère, les dernières obligations du zèle que vous avez pour me soulager en quelques choses. Je connais votre bon coeur ; ne vous incommodez pas ; quand vous serez plus riche, vous ferez ce que vous pourrez, mais, à présent, ne songez qu'à prier Notre Seigneur pour moi, qui vous embrasse, très chère enfant, du plus tendre de mon coeur et qui suis en son amour tout à vous, et, quoiqu'indigne, toujours votre très fidèle et sincère amie et mère, toute misérable que je suis. J'embrasse toute la chère et plus que très chère communauté, en attendant que je puisse écrire.
... J'avais préparé l'écrit de la vie et sainte mort de votre bienheureuse petite victime 65, mais comme le caractère n'est pas assez beau, je le ferai dès aujourd'hui d'un très beau caractère, pour l'envoyer vendredi, et en même temps j'écrirai à la reine, pour la remercier de toutes les bonnes choses qu'elle témoigne. Il est vrai qu'elle est admirable dans sa conduite. Je vous assure qu'elle n'aurait pas trop sujet d'être contente, car il se passe bien des petites choses qui ne lui peuvent plaire ; mais c'est une bonté surprenante. C'est l'esprit le mieux fait, le plus éclairé et le plus sage et pieux qui se puisse voir.
J'aurais mille choses à vous dire, mais je vous enverrai les lettres de mère Mectilde et d'autres. Elles ne sont pas contentes de la conduite de la mère Marie de Jésus et, elle, se plaint des autres. Si elles étaient toutes comme il faudrait, cet établissement serait tout divin.
Je finis ce mot, n'ayant pas assez de temps pour dire tout ce que je voudrais.
65. Catherine, fille de Maximilien Alpin, marquis de Béthune, lequel avait épousé Catherine de La Porte le 11 décembre 1668. Quatrième enfant du couple, elle est connue sous le nom de Mademoiselle de Béthune.
Maximilien était le frère d'Anne-Berthe de Béthune, abbesse de Beaumont-lèsTours.
... Et j'espère que Notre Seigneur vous bénira.
Combien croyez-vous que sera grande la récompense que vous recevrez dans le ciel pour vous être sacrifiées pour sa gloire ?
Il n'y aura peut-être jamais d'établissement qui soit plus crucifiant que le vôtre, à cause de l'éloignement et du langage difficile à entendre.
Je vous plains, chères enfants, et vous souffrez, mais si je pouvais donner de mon sang pour vous soulager, ce serait de tout mon coeur.
Je n'ai pas vu le projet que vous disiez que la reine m'enverrait pour votre fondation.
Je vous prie, mes très chères enfants, me mander combien vous aurez de revenus solides sans charge, et si votre maison est acquise absolument pour vous.
Je suis bien aise de savoir si vous êtes assurées et stabiliées.
Je suis ravie des bontés de la reine. C'est une princesse qu'il faudrait adorer (s'il est permis d'user de ce terme). Je l'aime et l'honore très profondément et sincèrement. Vous êtes heureuses d'avoir une telle fondatrice, non seulement pour sa qualité de reine, mais pour toutes les rares qualités, vertus et piété qui l'accompagnent. Ne lui dites pas que je l'aime ardemment, mais dites lui que je sens intérieurement pour sa Majesté ce que je ne puis exprimer.
Si je n'étais si âgée, je ferais mes efforts pour parvenir au voyage et conduire les filles que vous demandez ; mais je suis indigne de ce bonheur et de me voir aux pieds de la plus excellente reine du monde et la plus accomplie en toute manière. Il me semble que l'on ferait de cette auguste princesse, une grande sainte. Elle a de grands avantages pour cela ; sa haute piété n'y serait point contraire. Je prie Notre Seigneur qu'il la conserve et le roi et toute la famille royale.
Ne vous étonnez pas que vous ne voyez pas d'adorateurs dans votre chapelle. Quand vous serez dans votre petite maison, les choses iront d'une autre manière. Il faut prier Dieu pour les peuples. 135
Je suis sensiblement touchée de l'affliction de madame la grande chancelière, il faut faire beaucoup de prières pour la conversion de Monseigneur. Demandez sa conversion à la très sainte Vierge.
Vous saurez, chères enfants, que le sieur Talon 66 avait recommencé de nous plaider, mais, par le secours divin que madame l'abbesse de Beaumont a obtenu du ciel, nous gagnâmes hier pour la seconde fois. Je vous prie d'en remercier Notre Seigneur.
Nous avons reçu aujourd'hui les chères vôtres datées du 4, 5 et 6 du courant. Cela m'a réjouie et je vous en suis très obligée. Consolez-vous, je me porte bien, grâce à Notre Seigneur ; mais les médecins me tiennent de près, disant que mon accident était un fâcheux avertissement ; néanmoins Notre Seigneur a dit par la bonne âme qu'il me guérirait, et en effet l'on dit que c'est un miracle. Soyez donc en repos, très chères enfants, je ne mérite pas vos bontés et moins encore les larmes que vous répandez à mon sujet.
Soyez, je vous supplie, bien cordiales les unes avec les autres, afin que votre union attire les miséricordes du ciel sur votre établissement ; prenez courage, vous êtes en état de devenir toutes de grandes saintes. Vous avez besoin de vous entr'aimer ; vous n'avez de société qu'avec vous toutes ensemble. Vous n'avez nulle consolation quand la reine n'est pas à Varsovie. Il est vrai que vous êtes bien dénuées, je le comprends bien. Les privations sont très grandes et, comme vous n'avez point de créatures, vous êtes obligées de chercher et de vous tenir près du Créateur, qui récompensera éternellement les sacrifices que vous faites pour sa gloire au divin sacrement de l'autel. Encouragez-vous à le faire adorer. Petit à petit, Notre Seigneur fera connaître notre institut. Il aura soin de vous, puisque vous vous êtes sacrifiées pour lui par un abandon ad-
66. M. Talon, père d'une religieuse du monastère de la rue Cassette, avait fait une très importante donation au monastère lors de la profession de sa fille (1673). Mme Talon, de religion réformée, s'était convertie après son mariage, mais, devenue veuve, elle retourna au protestantisme et réclama à mère Mectilde non seulement les sommes d'argent offertes par son mari, mais aussi les intérêts de cette dot de sa fille. Mère Mectilde, dans l'impossibilité de faire face à ces exigences, dut, sur les conseils de ses amis, entamer une procédure qui aboutit à son avantage ; Mme Talon fit appel et cette seconde procédure s'acheva encore au mieux des intérêts de notre monastère de la rue Cassette.
mirable. Pour moi, je suis persuadée qu'il fera des choses dignes de son infime bonté. Ayez, très chères, cette ferme foi et cette amoureuse espérance.
Sachez donc solidement si la reine veut que je vous envoie des religieuses et des filles novices qui aient des belles voix. Il faut savoir positivement si Sa Majesté en fera les frais ; je ne suis pas encore en état de les faire.
Combien voulez-vous de filles qui chantent et combien de religieuses ? Je voudrais bien en trouver de bien constantes et bien abandonnées à Dieu.
Je vous prie, mes chères mères, de supplier Sa Majesté de ne nous point assujétir aux gens qui ont fourni pour votre voyage. Il faudrait envoyer une somme et nous ferions nos affaires nous-mêmes, sans dépendances de ceux qui ne font les choses qu'à demi et en grondant beaucoup.
Prenez les ordres et les volontés de la reine et me les envoyez. Il faut encore vous dire que nous payons les ports de vos lettres et que le cachet de Sa Majesté ne nous en exempte pas. Le dernier paquet que j'ai reçu aujourd'hui est de deux écus. Si vous pouvez faire en sorte que le port de vos lettres puisse être mis par monsieur Elisant sur les parties de la reine, avec ordre de Sa Majesté de ne nous rien demander, cela serait fort à désirer pour faciliter notre petit commerce. Ce me serait une grande consolation. Voyez, très chères, ce que vous pourrez faire là-dessus.
Dans une de vos lettres, vous m'avez mandé que Sa Majesté vous donnait quatre mille livres de rentes. Je vous prie de me dire si ce sont quatre mille livres monnaie de France ; si ces quatre mille livres font quatre cents pistoles. Vous savez ce que c'est des livres de France. Si c'était quatre mille livres de France, je trouverais que cela serait bon pour commencer. La suite en produira davantage. Si, avec cela, vous avez une belle maison, cela serait bien raisonnable.
Si monsieur l'abbé du Chartrin persiste à vouloir revenir après Pâques, on ne peut l'empêcher. C'est cependant une grande douleur pour vous. Il faudrait que la reine l'engageât à demeurer.
Quant à la petite Benoiste Maunoury, Notre Seigneur ne bénira pas son retour, et je l'assure qu'elle en aura du déplaisir. 137
Ne croyez pas, très chères, que je veuille empêcher votre retour en France. Cela se fera sûrement, mais encore un peu de patience. Ne donnez point ce chagrin à la reine, elle en a assez d'autres, vous le savez. Consolez-là, en assurant que vous vous sacrifiez jusqu'à l'année prochaine, que je promets de faire revenir celles qui le voudront.
Achevez, au nom de Dieu, ce que Notre Seigneur a commencé par vous pour sa gloire. Ne perdez point votre couronne. Quand vous serez dans une maison en clôture, il sera plus aisé de vous en revenir sans bruit. Je vous enverrai des filles et des religieuses qui aideront à soutenir l'oeuvre. Je vous la recommande, mes très chères enfants, et de vouloir bien me continuer vos saintes prières, étant à vous toutes du plus tendre et sincère de mon coeur, en Jésus et sa très sainte Mère.
Je vous envoie, ma très chère mère, un petit manuscrit que vous pouvez présenter à la reine. Il contient la mort bienheureuse de mademoiselle de Béthune, sa nièce, décédée à l'abbaye de Beaumont entre les mains de madame l'abbesse, sa tante, avec des dispositions admirables pour son âge.
Madame l'abbesse croit que Sa Majesté sera bien aise de les savoir et aussi monsieur et madame de Béthune, pour leurs consolations, dans leur douleur d'une perte si sensible.
Je me réserve à vous écrire pour vendredi, n'ayant pas eu le temps de me donner aujourd'hui cette satisfaction, mais j'ai eu de petits embarras. Cependant j'ai reçu de vos chères nouvelles du 14 du mois de février. Je répondrai à tout, et à ma très chère soeur d'Auvergne.
J'embrasse toute la chère communauté. Les bontés de votre grande reine ravissant mon coeur, je ne peux assez l'admirer. Je prie Notre Seigneur qu'il la conserve. Je n'aurais, ce me semble, qu'un désir en ce monde, qui est de me voir aux pieds de Sa Majesté. Je sens une amitié profondément respectueuse pour elle, mais je n'aurai jamais cette consolation ; mon âge ne me permet pas d'espérer ce bonheur.
Je prendrai la liberté de lui faire les remerciements que je dois à Sa Majesté pour tous les biens que vous recevez de sa bonté. Tâchez de la bien contenter, car elle le mérite, ayant pour vous des soins tout maternels.
Je ne vous fais que ce petit mot. Je me porte assez bien, mais les médecins m'ont défendu de faire Carême par la défiance que je ne retombe dans un pareil accident d'apoplexie, de sorte que l'on me ménage de la sorte.
Ne vous inquiétez pas, très chère mère ; j'espère que j'en serai quitte pour le reste de l'année. Nous verrons ce que Notre Seigneur fera la prochaine. Je demeure abandonnée à ses très adorables volontés, et suis toujours à vous toutes très fidèle amie et très affectionnée servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.
Nous avons déjà une voix qui est jolie, qui sait la musique et très sage. J'en attends encore deux, et une ou deux religieuses pour vous envoyer. Cela fera au nombre de 5 ou 6. Je vous prie tenir la main que nous ne dépendions point de messieurs. Vous avez vu la peine ! Nous prendrons d'autres mesures.
... Je crois vous avoir mandé comme notre soeur Madeleine de Jésus s'est offerte de bonne grâce pour aller en Pologne. Je l'ai acceptée, et pour ne point alarmer monsieur de l'Or et la mère Sainte Élisabeth, je dis que je l'ai envoyée à Rouen. Elle fait cela d'une si belle manière que tout le monde en est édifié. Je crois qu'elle fera bien en Pologne. La mère Mectilde s'avise de vouloir revenir absolument. La reine est fort affligée de la mort de monsieur le grand chancelier Jean Wielopolski 67. Elle dit perdre beaucoup d'appui...
Il gèle et neige comme au fort de l'hiver...
67. Jean Wielpolski était stolnik de la Couronne depuis 1662. Il obtint la charge de grand chancelier en 1678. Il la conserva jusqu'à sa mort en mars 1688.
Il fut ambassadeur extraordinaire en France en 1686. Il écrivit de Rome à saint Vincent de Paul pour lui proposer d'établir une maison de missionnaires sur les terres qu'il possédait près de Dantzig.
Le 19 juin 1678 il épousa à Léopol, Marie Anne de la Grange d'Arquien, soeur de la reine Marie Casimire. D'un précédent mariage, il avait eu un fils ainé Louis-Jean qui épousa Catherine Potocka en février ou mars 1688 et mourut sans postérité quelques semaines plus tard (chap. IV, lettre du 16 et 24 mars 1688).
Il y a quatre ou cinq jours, très chère victime, que j'aspire à vous écrire, mais la Providence n'a pas donné lieu à mon désir, de sorte que je ne vous dirai qu'un pauvre mot qui vous donnera de la douleur ; votre bon coeur n'étant nourri que d'amertume et il faut que je lui en donne par la mort fort subite du fils aîné de monseigneur le grand chancelier. Il faut que vous sachiez qu'il fut marié dans la chambre de monsieur son père, environ un mois avant sa mort. Et après la mort de son père, il alla à la campagne, où il est mort en deux jours. Jugez de la douleur de la bonne reine et de madame la grande chancelière qui est terriblement affligée. Et je puis vous dire que je ressens cette affliction, qui est très grande pour notre précieuse reine. Voilà comme Notre Seigneur visite ses élus et qu'il les sanctifie.
Je crois, très chère victime, que votre charité les consolera de quelques-unes de vos lettres pour les encourager à souffrir.
La reine m'avait demandé trois ou quatre filles qui eussent de belles voix, mais je crois que je ne dois pas me hâter. Je tâcherai d'attendre encore de ses nouvelles du retour de la Diète, pour apprendre les volontés de la reine. Je crois, chère victime, que c'est votre sentiment.
Notre chère soeur Madeleine de Jésus est partie ce matin pour se rendre chez nos mères de Rouen, où elle attendra les ordres de la reine.
Madame,
Pourrais-je entendre raconter tous les jours les merveilleuses qualités qui font l'ornement de la plus grande reine du monde et qui comble les filles du Saint Sacrement de toutes sortes de bontés, sans me donner l'honneur de verser en esprit mon coeur aux pieds de Sa Majesté, tout plein d'humbles reconnaissances. Je le ferais avec bien plus d'ardeur s'il m'était permis de me jeter dans le vaisseau qui doit partir dans peu, pour les embrasser réellement avec tous les respects imaginables. J'avoue que je ne suis pas digne d'un tel bonheur.
J'aurais ressenti trop de joie d'aller seconder le zèle de Votre Majesté pour établir la gloire du très Saint Sacrement par l'adoration perpétuelle. Je dois me contenter de renfermer mes désirs dans ce morceau de papier, que je prie nos chères mères de vous présenter, madame, et de vous en dire mille fois plus qu'il ne contient. N'osant me rendre trop importune à Votre Majesté, ce sera aux pieds de l'autel du Seigneur que je tâcherai de reconnaître tout ce qu'elle fait pour la gloire du plus auguste de nos divins Mystères, et par lequel Votre Majesté sera comblée de toutes sortes de grâces et de bénédictions. C'est, madame, ce que je souhaite avec ardeur pour suppléer à mon impuissance et à tous les devoirs d'humbles remerciements que notre institut doit à Votre Majesté, qui n'épargne rien pour faire exalter le très Saint Sacrement dans son royaume.
Il n'y a rien de plus juste, rien de plus saint et rien de plus digne de votre piété royale. Oh ! que je dirais de choses, madame, si le respect ne retenait ma plume et mon coeur qui sent un grand épanchement vers Votre Majesté ! J'estime nos chères mères heureuses de recevoir si souvent les effets d'une bonté qui est sans égale. Elles m'en paraissent si transportées qu'elles s'oublient de toutes choses pour m'entretenir des prodiges de Votre Majesté, qui charme les ennuis qu'elles pourraient ressentir éloignées de leur patrie. Je leur souhaiterais la capacité de pouvoir un peu divertir Votre Majesté, chargée du gouvernement d'un grand royaume, et son coeur royal souvent oppressé de tristesse, qui fait une partie des maux qu'elle souffre sans se plaindre. Quoique son courage soit au-delà du commun, les 141 forces du corps ne sont pas assez grandes pour soutenir tant de choses sans altérer sa précieuse santé, si nécessaire à l'État et singulièrement à celles que votre bonté, madame, honore du titre de ses filles, qui sont les victimes du très Saint Sacrement. Vivez, grande et auguste reine, pour faire adorer Jésus-Christ immolé sur nos autels et pour la consolation de celles qui se sont sacrifiées pour sa gloire et pour accomplir les pieux desseins de Votre Majesté, qu'elles honorent, qu'elles respectent, et, si j'osais, je dirais qu'elles aiment passionnément ; mais je sais que l'on ne doit point parler de la sorte à une personne de votre qualité ; mais votre bonté, madame, le veut bien souffrir et me permettre d'être, avec tous les respects, toute la reconnaissance et la soumission imaginables, madame, de Votre Majesté la très humble, très obéissante et infiniment obligée servante en Notre Seigneur.
Je ne puis vous exprimer, ma très chère mère, avec quelle joie j'ai reçu vos chères lettres du Vendredi saint. Je les attendais avec bien de l'impatience pour apprendre le retour de la reine, pour la conservation de laquelle je fais prier bien justement. La bonne âme6 a obtenu de Notre Seigneur une longue vie pour elle et pour le roi. Je voudrais bien qu'il soit triomphant de tous ses ennemis et surtout des Tartares, qui font, à ce que l'on dit par deçà, d'étranges cruautés à un furieux nombre de Polonais qu'ils ont pris, de massacrer, où emmener prisonniers. Cela fait frémir d'horreur. Plût-il à Dieu que le roi soit en effet de poursuivre ces misérables qui ne sont point chrétiens et de les réduire à son obéissance ! Il faut tout attendre de l'infime bonté de Dieu.
J'ai trois filles qui ont de belles voix, qui sont prêtes à partir, si vous aviez ce qu'il faut pour leur voyage. Je croyais que vous auriez donné les ordres de Sa Majesté pour cela. Je l'attendais pour les faire partir pendant la belle et bonne saison, mais je n'ai rien reçu pour cela. Le secrétaire des commandements de la reine est venu, mais il n'a aucun ordre pour faire toucher de l'argent pour le voyage de deux religieuses que vous demandez, trois filles qui chantent bien, deux bonnes filles pour être converses, une pour la cuisine, l'autre pour le ménage, et un jeune homme qui travaille en toutes choses, très sage et d'une grande utilité pour la sacristie. Voilà le nombre que j'ai accepté. Au nom de Dieu, très chère mère, mandez-moi ce que vous voulez que j'en fasse. Si Sa Majesté n'en veut point, il faut, s'il vous plaît, me le mander en toute diligence, parce que je ne puis continuer à les entretenir si elles ne partent toutes à la Saint-Jean. Vous savez que cette saison est la meilleure de toute l'année. Au nom de Dieu, très chère mère, remplissez-là ; ou me permettez de renvoyer tout ce petit monde, ne pouvant les retenir si longtemps. Je voudrais être en effet de ne rien demander. J'aurais la plus grande joie du monde de vous envoyer ce secours sans qu'il en coutât à personne, mais, présentement, je ne le puis. Mandez-moi donc en diligence les volontés de Sa Majesté. Je ne réponds pas à tout le contenu de votre lettre ; je me réserve pour le retour de monsieur le secrétaire, faisant ce mot par le courrier ordinaire afin que vous l'ayez plus tôt et que j'en puisse aussi avoir une plus prompte réponse. Je crois, que vous croyez, que les ordres sont donnés pour cela, mais, ne vous trompez pas, je vous assure qu'ils ne le sont pas. Faites, je vous supplie, vos diligences. Je n'écris à personne pour cette fois ; la présente sera pour toutes, s'il vous plaît, embrassant toutes, en général et en particulier du plus tendre de mon coeur. Je me désire d'une grande affection au milieu de vous toutes, pour avoir l'honneur de me coller aux pieds de la reine pour la remercier de toutes les excessives bontés qu'elle a pour vous. C'est un abîme de merveilles ou, pour mieux dire, ce sont des miracles, et qu'il faut publier pour la gloire du divin Maître, qui tient dans ses adorables mains le coeur royal de la reine.
Vous voyez beaucoup, mais vous verrez encore davantage. Ayez toutes bon courage. Notre Seigneur est avec vous, et sa très sainte Mère qui vous bénit. Je suis, en son amour, tout à vous d'une tendresse inexplicable.
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Je ne reçus point hier de vos chères nouvelles. Je suis après pour faire préparer les filles qui doivent aller en Pologne. Il y a trois vaisseaux arrivés à Rouen. Si elles pouvaient partir dans ce mois, elles ne seraient que neuf jours en chemin. Je recommande tout cela à vos saintes prières.
Nous avons une si belle occasion de vous écrire, ma très chère fille, que je ne serais pas excusable si je manquais de vous donner un peu de nos nouvelles pour en apprendre des vôtres. Je crois que vous avez su que la reine a envoyé un courrier et que; par lui, vous pouviez nous écrire ; cependant vous ne l'avez point fait. D'où vient, très chère, que vous ne me donnez pas de vos nouvelles, surtout de votre santé, et ce que vous faites en Pologne ? Quand plusieurs écrivent, l'une dit ce que l'autre oublie. Je vous prie, très chère, quand vous aurez des occasions ne les négligez pas ; vous devez vous persuader que c'est une de mes plus grandes joies d'apprendre de vos nouvelles et du progrès de l'oeuvre de Dieu et de la santé très précieuse de la meilleure reine qui soit au monde. Je vous avoue que ses bontés et ses grandes vertus excitent en moi un grand désir de me voir à ses pieds, et si j'en avais la liberté, je partirais avec nos chères soeurs et avec des voix que nous envoyons à votre secours.
Voilà trois voix qui sont belles et qui soutiendront votre choeur. Je vous prie de les bien recevoir. Vous savez qu'il est assez difficile de trouver de belles voix pour envoyer si loin ; quand l'on parle de passer les mers, cela effraye les plus hardies. Cependant la divine Providence nous en a fourni et je n'attends que les ordres de Sa Majesté pour les faire embarquer, y ayant trois vaisseaux à Rouen pour aller à Dantzig. J'ai de l'impatience de les faire partir, sachant bien que vous en avez beaucoup à faire. Sitôt que j'aurai reçu quelque argent, elles partiront sans retarder davantage.
Je vous assure, très chère, que je suis sensiblement tou chée de la maladie, ou peut être de la mort, de monsieur du Chartrin. J'en suis dans une douleur que je ne vous puis exprimer. Voilà une perte inconcevable. Je ne sais comme le faire savoir au présent.
Il faut tâcher de vous servir du père carme pour vous confesser, en attendant que nous puissions vous envoyer un bon ecclésiastique. Je vous assure qu'ils sont rares pour la Pologne. L'on ne veut point sortir.
Je ne vous dirai rien de nouveau, les choses sont comme elles étaient sortant d'ici, excepté la perte que nous avons faite de la chère mère maîtresse, que nous trouvons fort à redire, n'ayant encore pu remplir sa place.
Mandez-moi comme tout va chez vous, un peu dans le détail, et si tout est dans la paix et le repos que je vous souhaite.
Je ne vous dis rien de messieurs vos parents, je n'en ai point de nouvelles ; je crois qu'ils vous en donnent. Tâchez de vous bien porter et d'être une des premières saintes de la maison. N'épargnez rien pour contenter Dieu et il, vous comblera de toutes sortes de bénédictions. Je suis en lui tout à vous.
Sur la chère vôtre du 28 mai, je vous dirai, très chère victime, que je ne sais ce que la chère marquise de Béthune vous a mandé. Mais vous n'avez pas sujet de vous affliger, disant que vos lumières ne sont pas bonnes. Il y aurait bien de quoi vous entretenir pour vous faire entendre les différends des unes et des autres. Ce sera un vrai miracle si l'établissement de Pologne réussit en bénédiction, car la mère Marie de Jésus est très mal contente des trois autres, et ces trois, savoir : mères Gertrude, de la Présentation et Mectilde sont de même très mal satisfaites d'elle. Cette manière étant violente à soutenir de part et d'autre, il faudra, sans miracle, que cela éclate, les filles n'étant pas assez vertueuses et courageuses pour porter tout cela au sacrifice et en faire un usage de pure vertu. Elles n'ont plus personne pour les soutenir. M. l'abbé du Chartrin qui s'était donné à elles pour un temps vient de mourir. Elles en sont dans 145 une extrême douleur. La reine l'a fait enterrer magnifiquement, car c'était un très saint homme et d'une grande édification. C'est pour nos mères une fort grande perte. Quelques novices [Mlles Giron et Philippe] sont sorties de chez elles, qui ont fait de l'éclat. La reine ne veut plus que je leur envoie des postulantes comme on me les avait demandées. Elle veut des professes qui aient de belles voix. Nous n'en avons point, de sorte que je me résouds de prendre les voix que je leur avais disposées, leur donner l'habit et dans un an elles seront professes, pour les envoyer. J'ai donc sursis leur voyage jusqu'à ce que nos mères me fassent savoir autre chose des volontés de la reine. Les petites peines et difficultés qui surviennent dans les nouveaux établissements ne me surprennent pas ; le démon fera son possible pour renverser celui-ci dès son commencement. Mais ce qui est de plus touchant, c'est leur peu d'union. Je vous conjure, très chère victime, de prier la sacrée Mère de Dieu de soutenir son oeuvre en bénédiction.
En fermant le paquet pour donner à M. le chevalier d'Allaras qui part demain, j'ai trouvé que je ne vous ai point écrit, très chère mère. Je ne puis me résoudre que ce paquet ne vous portât point l'assurance que j'ai reçu la chère vôtre du 30 avril. Ce monsieur a demeuré par deçà bien plus longtemps qu'il ne prétendait. Il n'aura pas la satisfaction de mener le frère Ange : il est trop âgé et cassé pour entreprendre un tel voyage. J'en suis bien fâchée, car il aurait bien soulagé les maux de la reine. Il faut espérer que Notre Seigneur sera son bon médecin.
Je reçus hier une lettre de la part de la bonne âme. Notre Seigneur promet des grâces prodigieuses pour Sa Majesté et pour le roi, (ce sont ses propres termes)7. Et croyez qu'ils seront bien récompensés de l'honneur qu'ils procurent au très Saint Sacrement. Vous savez que Philippe second, roi d'Espagne, fut fait roi de ce royaume, d'un pieux gentilhomme qu'il était, pour avoir rendu un honneur singulier au très Saint Sacrement.
Comme ce Mystère est le plus grand qui renferme tous les autres et dans lequel Notre Seigneur Jésus Christ est le plus anéanti, il prend plaisir d'y être reconnu, aimé et adoré de ses élus. Je suis bien certaine que le roi et la reine seront élevés dans la gloire, en récompense de ce qu'ils font pour l'exaltation de notre adorable Mystère. J'ai de grands sentiments de reconnaissance de toutes les bontés que Sa Majesté vous témoigne. J'ai pris la liberté de lui rendre mes respects, en réponse de celle qu'elle a bien voulu m'honorer. Je ne sais si vous l'avez vu, mais elle me comble de confusion par ses grandes et excessives bontés. Vous êtes bien heureuses d'avoir à traiter avec une si admirable princesse. L'on voit bien qu'elle a un fond de grande piété. Elle a de quoi faire une grande sainte. Je prie Notre Seigneur qu'il vous la conserve. Tâchez de la bien réjouir, et qu'elle puisse trouver en vous toutes, la consolation et l'édification qu'elle en a espéré. Je prie Notre Seigneur qu'il ne fasse de vous toutes qu'un coeur et qu'une âme et que vous soyez toutes animées de son Esprit. Au nom de Dieu, sanctifiez son oeuvre ! Vous y êtes obligées, très chères mères. Encouragez-vous entre vous pour faire des merveilles à la gloire du très Saint Sacrement. Il faut persévérer à prier. Il donnera de grandes bénédictions à votre établissement : plus vous sacrifiez, plus vous recevrez de grâces. Prenez courage, mandez ce que vous désirez de moi, très chères, et comptez que je suis de tout le coeur tout à vous.
Madame,
J'ai reçu avec profond respect celle qu'il a plu à Votre Majesté m'honorer, par laquelle je vois un si grand excès de bonté que j'en suis remplie de confusion.
Non, madame, Votre Majesté ne me doit point de remerciements de lui avoir donné des religieuses de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, mais je lui dois des actions de grâces infinies pour la bonne et favorable réception qu'elle leur a faite et de les gratifier de l'honneur de sa protection. C'est un 147 avantage si considérable qu'elles et moi avons sujet d'en bénir Dieu qui a donné à Votre Majesté tant de zèle pour sa gloire, et tant d'amour pour le plus auguste de nos divins Mystères. C'est pour le faire exalter qu'elle a voulu établir dans son royaume les victimes qui lui sont consacrées, pour lui rendre jour et nuit leurs hommages, et réparer autant que la créature en est capable les outrages qu'il reçoit des impies.
Je souhaite de tout mon coeur que Votre Majesté puisse trouver en elles toute la satisfaction qu'elle peut désirer. Je peux bien l'assurer que, de leur part, elles n'ont point d'autres desseins que de la contenter en s'acquittant de leurs devoirs, mais la divine Providence qui sait ménager par les croix, la sanctification des élus, Votre Majesté étant de ce précieux nombre, lui donne souvent des sujets de présenter à Notre Seigneur de grands sacrifices, même dans l'oeuvre la plus sainte qu'elle puisse jamais faire à la gloire de ce Dieu immolé sur nos autels. Le démon ne manquera pas d'y former des obstacles ; je ne doute pas aussi que la piété de Votre Majesté n'en souffre beaucoup de contradictions sur quantité d'incidents qui arrivent ; mais, madame, votre coeur royal est intrépide, il est invincible à toutes les atteintes, et les oppositions que l'enfer y peut faire ; les intérêts de Dieu lui sont tellement sensibles qu'il les veut soutenir jusqu'à en souffrir de la peine qui sera cependant divinement récompensée. C'est l'assurance que j'en donne à Votre Majesté, de la part de Notre Seigneur, qui l'a révélé à une sainte âme qui priait ardemment pour vous, madame. Il a promis qu'il comblerait le roi et Votre Majesté de grâces prodigieuses (ce sont ses propres termes) et qu'il prolongerait les années de Vos Majestés, ce qui m'a donné une grande joie.
J'ose aussi vous assurer, madame, que Notre Seigneur vous ôtera les grandes frayeurs de la mort qui troublent si souvent le repos de votre intérieur et qui altèrent votre précieuse santé, si importante à tout le royaume. Je crois que celles que Votre Majesté honore de la glorieuse qualité de ses filles, n'épargnent rien devant Dieu pour en obtenir la conservation. Je les congratule de tant de grâces qu'elles reçoivent de Votre Majesté. Je prie Notre Seigneur les rendre dignes d'en mériter la continuation. Si j'étais à vos pieds, madame, je prendrais la liberté d'épancher les sentiments de mon coeur sur l'humilité de Votre Majesté qui l'a fait désirer d'être ma novice.
En vérité, elle a raison de dire que ce serait une chose rare de voir une novice reine. Il s'en est vu autrefois dans notre saint Ordre, mais ce serait un prodige surprenant de voir une majesté comme la Vôtre, madame, être sous la conduite de la plus indigne créature qui soit sous le ciel.
La seule pensée d'un tel abaissement mérite l'admiration de toute la terre. Notre Seigneur s'en contentera sans en vouloir l'effet : Il vous donnera sa très sainte mère pour être votre mère maîtresse, qui vous conduira sûrement dans les voies de la grâce, tandis que nous supplierons le Fils et la Mère de cornbler Votre Majesté de toutes sortes de bénédictions.
Je m'abîmerai dans mon néant pour me dire,avec tous les respects imaginables, madame, de Votre Majesté, la très indigne, très obéissante et très obligée servante.
C'est, madame, l'amour du très Saint Sacrement qui augmente toutes les précieuses qualités dont votre belle âme est ornée, qui fait l'admiration de tout l'univers. C'est ce Mystère adorable qui vous donne, madame, toutes les belles lumières qui donnent de l'éclat à votre esprit et d'où il reçoit une plénitude de grâces divines. C'est une source intarissable, Votre Majesté le conçoit, et je ne doute pas qu'il ne la comble de toutes les bénédictions qu'elle peut désirer et que je lui souhaite de tout mon coeur. C'est de ce divin Sacrement que j'attends la récompense que votre zèle mérite pour la gloire qu'elle lui fait rendre, par l'établissement des victimes de cet auguste Mystère, pour lui rendre jour et nuit des hommages par l'adoration perpétuelle. Je ne puis exprimer ce que je conçois devant Dieu ; mes termes ne sont pas suffisants pour le pouvoir. J'espère qu'Il les fera sentir intimement au coeur de Votre Majesté pour un peu la réjouir. Je prétends bien qu'il lui rendra sa précieuse santé que j'apprends avec douleur être indisposée. Nos chères mères m'en marquent leur douleur et je m'empresse de faire faire des voeux et des prières par toutes les maisons de notre institut pour sa conservation et une longue et heureuse vie. Je 149 l'espère de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère. J'ose dire à Votre Majesté qu'Il me l'a fait promettre par les prières des saintes âmes, et aussi pour le roi, sachant de quelle importance est la prolongation de sa vie..
Comme je crains que notre révérende et très honorée mère ne soit déjà à Châtillon68 j'ose me hasarder, ma révérende mère, de me donner l'honneur de lui écrire, quoiqu'il me semble qu'il y ait un siècle que je ne me suis donnée cette consolation. Le tracas d'un déménagement, joint à celui de notre saint Octave et, par dessus tout cela, l'élection que nous venons de faire aujourd'hui d'une supérieure canonique, sont des raisons assez considérables pour me servir d'excuses.
J'ai mille choses à vous dire sur tout cela.
Je commencerai par notre élection qui s'est faite dans toutes les formes. Monseigneur l'évêque de Posname notre très digne prélat, et supérieur, y ayant lui-même assisté en personne, en crosse et en mitre, accompagné de monseigneur l'évêque de Livome 69, son grand vicaire, qui l'ont confirmée.
68. Châtillon-sur-Loing aujourd'hui Châtillon-Coligny (Loiret).
Isabelle de Montmorency-Boutteville, veuve de Gaspard IV de Coligny, remariée au prince Christian Louis de Mecklembourg, voulut créer un monastère de notre institut dans son douaire et signa le contrat de fondation le 31 août 1677. Ce fut dans les bâtiments de l'ancien collège protestant, reconstruit en 1571, que la communauté s'installa après bien des démêlés. Les religieuses tinrent un pensionnat. On construisit ensuite un monastère qui, après la Révolution, servit de mairie et de bureau de poste, mais l'église fut démolie. La première adoration eut lieu le jeudi 21 octobre 1688. (Cf. Le Message eucharistique de Catherine de Bar, Téqui, 1980, p. 146 et sv.).
69. Witwicki Mgr Stanislas (t 1697) étudia à Lublin, Braunsberg et Paris. Après son retour en Pologne, nommé chanoine à Gniezno et abbé de Plock, il prit part à de nombreuses ambassades notamment au Danemark et en France. Il dirigea personnellement l'ambassade que le roi Michel Korybut 1669-1673 envoya à son beau-frère, Léopold, empereur d'Allemagne. Nommé évêque de Poznan en 1688. Pasteur zélé, il est auteur de nombreux ouvrages religieux et politiques.
La Livonie, province passée à la Russie au traité d'Oliva (1660) et située sur la mer Baltique, avait comme capitale Riga, siège d'un archevêché.
La mère de la Présentation est tombée sous ce sort qui l'a réduite dans la douleur que vous pouvez vous imaginer. Cependant nous espérons en recevoir beaucoup de consolation, toutes nos voix ont été si uniformes.
Monseigneur notre évêque et tous les assistants en ont été charmés et extrêmement édifiés. Je serais trop longue à vous dire les particularités. Il faut revenir à notre histoire et la continuerai par où je devais la commencer, qui est la translation du château à notre nouvelle maison, qui s'est faite le dimanche après l'octave de notre grande fête c'est-à-dire le 27 de juin. Sa Majesté qui avait la dernière impatience de nous déloger au plus tôt, nous trouvant trop renfermées où nous étions, et ayant fait si grande diligence par la quantité d'ouvriers qu'elle mit en ouvrage que nous fûmes en état de nous transporter le jour que je viens de vous marquer ; et c'est vu sa bonté, sa grande magnificence où sa grande Majesté s'est signalée si admirablement, ayant fait faire les choses dans une pompe digne de son coeur royal et de celui de notre grand monarque qui ne donna pas moins des preuves de son respect et de sa foi et sa dévotion que notre incomparable reine. Il y avait déjà deux jours que deux ou trois de « nos autres » couchaient à cette maison pour faire tout préparer le dimanche que se devait faire notre cérémonie. Nous nous rassemblâmes toutes au choeur où nous trouvâmes la reine qui y était déjà, car elle ne couche pas à Varsovie, mais à deux ou trois lieues par delà. Le malheur voulut que la pluie fut quasi continuelle depuis le vendredi jusqu'au dimanche que se devait faire notre cérémonie, ce qui nous fit appréhender que l'on ne pût faire la procession. Cependant l'on ne laissa pas de faire tous les préparatifs dans toutes les rues. Le roi ayant ordonné que tout fût comme à la Fête-Dieu. L'on tapissa donc toutes les rues et l'on fit en d'autres endroits des palissades d'arbres si belles et si touffues que l'on eût pris Varsovie pour le plus beau jardin du monde.
Les arbres étaient plantés par allées, en sorte qu'aux endroits où les rues se trouvèrent un peu larges, il paraissait deux allées admirables. La pluie ne laissa pas de continuer toujours, ce qui nous affligea beaucoup. Nous promîmes des messes aux âmes du Purgatoire mais tout cela ne fit rien. Le roi dit qu'il fallait différer jusqu'à midi, assurant que le temps se mettrait au beau, et qu'au lieu de chanter la messe dans la nouvelle église, il 151 fallait mieux la chanter dans le château. Ce qui ne put s'exécuter à cause que les chanteurs avaient déjà envoyé tous les livres de chant à l'orgue au monastère. Monseigneur l'évêque de Livome dit une messe basse où l'on chanta quelques motets de plain-chant. A la fin de la messe la reine nous manda de nous rendre en diligence à la chapelle, parce que la pluie avait cessé tout d'un coup ; qu'il fallait partir incessamment ; nous lui obéimes dans le moment et monseigneur le nonce, ayant pris le très Saint Sacrement, nous donna la bénédiction et marcha sous un dais fort beau que la reine nous a donné. On distribua plus de mille cierges. Premièrement au roi et à la reine, à la princesse, aux petits princes, et à tous autres, ensuite la noblesse qui s'y trouva en fort grand nombre, et à tout le peuple qui s'y rencontra.
La procession marchant avec le très Saint Sacrement, le roi prit la mère de Jésus qui tenait encore la place de supérieure ; la reine prit la mère de Sainte Gertrude ; madame la princesse, la mère de la Présentation, à présent notre révérende mère prieure, monseigneur le prince Alexandre, second fils du roi tenait la mère de Sainte Magdeleine, monseigneur de Maligny, frère de la reine, avec ma soeur Benoist. Ma soeur Suzanne et les novices avaient chacune un palatin et une palatine. Les petites pensionnaires qui étaient au nombre de cinq avaient chacune une fille d'honneur.
Tout cela marchant dans un ordre admirable et l'on passa toutes les grandes galeries du Louvre jusqu'à l'église de Saint-Jean, chantant le Pange lingua, autour de la dite église. Le roi quitta la mère de Jésus, ne pouvant marcher plus loin à cause de quelques indispositions. Il commanda à son grand maréchal de prendre la place jusqu'à ce qu'il la revînt prendre. L'on continua la procession dans le même appareil et le Très Saint Sacrement fut porté en triomphe, au bruit du canon et de toutes les autres armes à feu, qui ne cessèrent de tirer pendant toute la procession, au son des trompettes, des tambours, des violons, des hautbois et autres instruments de musique qui accompagnèrent toujours la procession, suivie de notre grande reine, des princes, des princesses et de toute la cour par un chemin détestable, malgré toutes les précautions que l'on avait prises, en faisant balayer les rues, mettre des planches et faire un espèce de pont sur les ruisseaux, et jonchées de toutes sortes d'arbres aromatiques pour remplir les trous. Tout cela n'empêcha pas que nous ne fûmes crottées jusqu'aux oreilles, et la reine plus que personne, à qui il fallut changer de tout ; mais qui n'empêcha pas de suivre toujours son Dieu avec une ferveur et une piété sans exemple. Lorsque nous arrivâmes proche de la maison, le roi descendit de carrosse et revient prendre la mère de Jésus, et suivit la procession. J'oubliais de vous dire que la plupart du peuple était sous les armes et que tous les gardes et compagnies de Sa Majesté précédaient la procession qui était des millions en nombre, et qui ne servait pas peu à l'augmentation de la magnificence. On porta le Très Saint Sacrement à l'église, où le roi et la reine et nous autres se rendirent avec toute la cour dans notre choeur, où un autre évêque dont le nom m'est inconnu fit un sermon, dont nous ne profitâmes point ayant prêché en polonais. Ensuite monseigneur le nonce donna la bénédiction du Très Saint Sacrement. A la fin de la cérémome l'on chanta le Te Deum et monseigneur le nonce nous vint dire de nous tenir à la porte, voulant lui-même nous mettre en clôture en cérémonie. Il était revêtu des habits pontificaux. Le roi et la reine nous y menèrent dans le même ordre qu'ils nous avaient menées à la procession, et nous ramenèrent de même. On chanta Ecce quam bonum et quam jucundum, pendant lequel nous fûmes, l'une après l'autre, nous mettre à genoux devant ce digne prélat qui nous bénit toutes et il n'y eut qu'une chose qui nous fit de la peine, c'est qu'à la fin il chanta l'oremus « Respice quaesumus », que l'on chante à la fin des Heures. La sainte cérémome se termina par un magnifique banquet, que le roi et la reine firent aux seigneurs et dames de la cour. Tout cela se fit dans la pompe digne de la Majesté royale et avec une profusion épouvantable. L'on avait fait une cuisine exprès au milieu d'une place de notre jardin et l'on ne trouvait pas dans la maison de lieu suffisant pour contenir tout le monde. L'on dressa quatre tables en différentes chambres, capables d'y mettre soixante personnes. La reine avait la sienne dans une chambre où l'on avait mis un dais et où elle était au milieu, la mère de Jésus à son côté, une princesse après. Nous suivions à chaque côté selon nos rangs, et il se trouvait toujours une religieuse entre deux dames. La reine nous faisant en cela tout l'honneur qu'elle nous pouvait faire, et ne faisant point de distinction de nous entre les personnes de la première qualité, nous faisant manger à sa table. Le roi que je devais nommer le premier, avait sa table en un autre endroit où 153 il traitait tous les premiers de la couronne. Madame la princesse, sa fille, avait la sienne dans une autre chambre, où elle était sous un dais avec les dames du second rang et toutes les petites pensionnaires mangèrent avec elle. Monseigneur le marquis de Béthune en tenait une autre pour les autres seigneurs qui n'étaient pas si considérables que ceux qui étaient avec le roi. On servit à la table de la reine, chair et poissons avec des profusions inouïes, mais je ne trouvais rien de plaisant que lorsqu'il fut question de manger. Nous n'avions ni couteaux, ni cuillères, ni fourchettes, et on nous demanda si nous n'avions pas apporté les nôtres, car c'est la mode aux grands banquets en Pologne d'apporter tout cela parce que l'on vole tout. On attacha même une grande nappe, autour de celle qui est sur la table, pour servir de serviettes, de peur qu'on les dérobe. Les dames firent la charité de nous prêter leurs couverts. L'une après l'autre nous nous servîmes ainsi de leurs couteaux, cuillères et fourchettes pour manger. Enfin, c'est la mode du pays et tout le reste ne laissa pas d'être dans un très bon ordre. Le roi et tous les seigneurs burent souvent à nos santés, une infinité de fois, la reine y but elle-même debout et fit boire ensuite toutes les dames. Enfin on ne peut rien ajouter à la bonté et à l'honneur qu'elle nous témoigna ce jour-là.
Je ne doute point que cela ne soit dans la gazette, car on met de bien moindres choses.
A la fin du repas, qui dura plus de cinq heures d'horloge, la reine dit qu'on nous laissât tout le dessert qui resta sur table, qui était merveilleux en beauté et prodigieux en abondance. Le roi nous témoigna de son côté mille bontés et tout se termina avec la joie et l'admiration de tout le monde et ne s'étant jamais rien vu de pareil. Nous sommes agréablement logées. Le jardin donne sur la rivière [la Vistule] avec une vue enchantée. Nous avons trouvé de quoi nous loger commodément dans la maison que le maître et la maîtresse ont quittée en attendant notre maison de pierre que nous voyons bâtir devant nos yeux et où l'on travaille à force et on nous la promet pour la Toussaint. Vous avez vu comme le roi et la reine ont mis la première pierre à notre nouvelle église. Elle sera couverte pour la Toussaint. Il y a plaisir quand on expédie si promptement les choses. J'ai fait rire la reine là-dessus, car je lui dis l'autre jour que je ne voulais plus avoir que des reines pour fondatrices, que l'on avait fait tout, à l'heure. Nous l'allons perdre bientôt.
Elle s'en va à ses terres et à l'armée avec le roi pour venir cet hiver à la Diète qui se tiendra à Varsovie. Elle se porte mieux. Dieu nous la conserve. En vérité elle est charmante. Nous avons déjà une petite princesse et il nous en va encore entrer une avec des palatines.
Nous aurons aussi mademoiselle de Béthune, la cadette, qui est polonaise, et tout cela pour faire plaisir à la reine qui se fait un très grand devoir que l'on nous fasse un peu d'amitié. Je vous conjure, ma très honorée mère, de faire part de cette relation à mes très chères soeurs de la rue Saint-Louis. Je ne puis leur écrire, crainte de ports et manquer de temps. Vous voyez bien que vu le peu de monde que nous sommes nous n'avons pas de temps de reste.
J'oubliais de vous dire, ma révérende mère, que la reine avant que de partir de chez nous le jour de notre cérémonie, quoiqu'il fût de la dernière fatigue, voulut que l'on chantât le salut pour avoir la bénédiction du Très Saint Sacrement. Son festin revenait à six mille écus de France.
Comme j'apprends que Notre Seigneur vous a conduites heureusement dans la maison que la reine vous a donnée, et que le très saint Sacrement en a pris possession, il me semble, mes très chères mères, que vous êtes un peu plus en repos. Je loue Dieu de toutes les bénédictions que le ciel verse sur vous. Je le prie vous faire la grâce d'en bien profiter, et que l'oeuvre de Dieu soit sanctifiée en vos mains, et qu'il vous donne entre vous une parfaite union. Avec cela, je crois que vous aurez tout le reste car, ne cherchant que la gloire de Dieu, l'établissement de son règne, l'exaltation de son saint nom, vous serez comblées. Je vous souhaite toutes sortes de bonheurs, mais surtout l'abondance des grâces divines.
Je rends grâces infinies à Notre Seigneur d'avoir béni votre élection. J'avais bien fait dessein d'écrire à la chère mère prieure, nouvellement élue, mais je n'ai pu aujourd'hui, ce sera le plus tôt que je pourrai. Cependant je me réjouis en Dieu de vous voir toutes contentes. Vous avez trop de bonté pour moi. 155
Il y a plus d'un mois que je tombai en grande langueur avec une fièvre rongeante. Depuis deux ou trois jours, je n'ai plus de fièvre, je me remets doucement. Notre Seigneur ne veut point que je meure encore, quoique je sois inutile sur la terre c'est pour exercer la charité de la communauté, qui continue avec sa bonté ordinaire. Je laisse à la chère mère sous-prieure à vous mander toutes choses, et à vous assurer que vous êtes toutes dans le plus intime de mon coeur ; que si la très sainte Vierge m'exauce, vous serez toutes remplies de toutes sortes de bénédictions.
Je vous embrasse toutes en esprit, avec une tendresse qui est inexplicable. Croyez, très chères mères, que je sens bien devant Dieu que vous êtes les enfants de mon coeur, qui vous êtes sacrifiées pour la gloire de notre adorable Mystère. Il ne laissera pas ces actes héroïques sans récompense éternelle ; c'est de quoi je puis vous assurer.
Je crois que vous avez reçu présentement toutes nos lettres, et celle que je me suis donnée l'honneur d'écrire à Sa Majesté, en réponse à celle dont elle a voulu pour la deuxième fois m'honorer. Embrassez ses pieds pour moi, en lui présentant mes très profonds respects. En vérité, très chères mères, vous êtes heureuses d'avoir une si bonne, si généreuse et si sainte reine. Notre Seigneur a promis une longue vie pour elle et pour le roi. Leurs personnes sacrées et toute la famille royale m'est toujours présente devant Notre Seigneur, le priant les combler de toutes sortes de bonheurs et de consolations. Je vous prie, très chères mères, de vous souvenir de moi dans vos saintes prières, et me croyez très sincèrement tout à vous.
... Je vous envoyai hier la lettre que la nouvelle prieure de Pologne m'a écrite. Vous remarquerez qu'elle est bien ferme. Enfin, elle dit que tout est en union, Dieu le veuille, par son infime bonté. Nous en verrons la suite. Avec cela je ne crois pas que son règne soit long, elle a la poitrine fort attaquée.
J'envoie cinq filles pour les soulager. La cinquième a l'honneur d'être connue de vous...
Madame,
Je reçois avec profond respect et très humble reconnaissance l'honneur que Votre Majesté me fait par ses précieuses lettres que je reçus hier des mains de monsieur de Gottemont, le contenu desquelles ont pénétré mon coeur d'une juste douleur, de voir celui de Votre Majesté mécontent de la conduite de celles qu'elle honore de ses bontés avec tant de profusion. Je blâmerais volontiers leur manière d'agir et dans ce rencontre j'avoue que mes lumières ont été plutôt des ténèbres, car je ne croyais jamais, que si l'on faisait élection d'une autre prieure, l'on pût faire une autre maîtresse des novices que la chère mère Marie de Jésus, dont le mérite et la vertu me sont connus depuis bien du temps et à parler ingénuement à Votre Majesté, je ne croyais pas qu'on la dût changer dans les élections mais plutôt la confirmer. Je sais que cette chère mère en est bien ravie, mais pour moi je n'en suis point consolée, puisque Votre Majesté m'en paraît fort touchée. Elle en pénètre les conséquences et elle me les fait connaître, ce qui m'afflige sensiblement puisqu'après Dieu je n'ai rien plus à coeur que de contenter Votre Majesté qui en use avec des bontés qui sont inconcevables et qu'on ne peut assez admirer, et qui fait l'étonnement de tous ceux qui les connaissent, mais, madame, permettez-moi d'assurer Votre Majesté que je n'ai aucune part à tout ce qui lui peut déplaire dans les changements qui se sont faits et, si l'on voyait mes lettres, l'on verrait que si la chère mère de Jésus n'était pas continuée prieure, qu'elle serait chargée de la direction et conduite des novices, la croyant très capable de s'en bien acquitter, et par les grâces dont il plaît à Notre Seigneur la gratifier, .et par les expériences qu'elle a par l'exercice de cette charge de plusieurs années.
Je crois que la mère prieure sera obligée de la rétablir.C'est pourquoi je supplie très humblement Votre Majesté de ne se point rebuter ; l'on tâchera d'y apporter du remède. Je crois que je mourrais de douleur si l'oeuvre de Dieu venait à échouer comme Votre Majesté le craint. Je crois, que malgré l'enfer, Dieu la soutiendra, étant à sa gloire, et ne recherchant en ce monde que cela, mais ce n'est pas pour moi une petite affliction de voir que ce que Votre Majesté a souhaité avec plus d'ardeur pour Dieu et pour sa consolation se convertisse en 157 amertume et remplisse son bon coeur d'une douleur très sensible ; si vos chères filles, madame, avaient suivi mes conseils, Votre Majesté ne serait pas dans cette peine, car, ayant l'honneur de connaître le fond de bonté et de piété qui est en elle et comme après Dieu on lui doit toutes choses, c'était de leurs devoirs de ne rien faire que par les avis et sages conseils de Votre Majesté qui est capable de tout conduire par les grands talents que Dieu lui a donnés. Je les ai priées et ordonné plusieurs fois par mes lettres d'exposer tous leurs desseins à Votre Majesté et de suivre ses lumières et ses volontés. C'était leurs devoirs et leurs obligations. Je ne sais comme elles se sont oubliées en cette rencontre, et qu'elles aient manqué de respects et soumissions ses volontés. En vérité, madame, je ne m'en puis consoler. Je voudrais voler pour aller remettre les choses en l'état que Votre Majesté les peut désirer ; je ne puis avoir de repos qu'elle ne soit satisfaite. Elle a trop de bonté et moi beaucoup de reconnaissance, c'est pourquoi je ferai tout mon possible pour lui en donner des marques par mon respect et par ma soumission et enfin par toutes les voies que Notre Seigneur mettra en ma puissance, pouvant assurer Votre Majesté que si j'étais libre, je partirais par le premier vaisseau pour me rendre à ses pieds, toute languissante que je suis, pour l'aller consoler, car de la manière que je la connais, et que Dieu m'a faite, je crois, madame, qu'il me ferait la grâce de vous contenter et de vous aider à porter votre croix qui, pour être précieuse aux yeux du monde, ne laisse de navrer votre bon coeur. Oh ! Madame que j'aurais de choses à dire à Votre Majesté sur ce sujet.
J'ai pris la liberté de lui en dire quelques petites chosés par les trois lettres que je me suis donné l'honneur de lui écrire en réponse de celles qu'il a plus à sa bonté me gratifier,et puisque Votre Majesté ne les a pas reçues, je prie la chère mère de Jésus d'y suppléer, et de la réjouir et consoler en contribuant à élever votre âme au-dessus de tout le créé, pour n'être dominée que de Dieu seul si établir par là, une paix divine dans votre coeur.
Et cela peut-être bien compris de Votre Majesté, elle aura une santé plus ferme, moins de crainte de la mort, et une sainte liberté qui la tirera de la captivité des sens, et de toutes les choses humaines.
C'est la grâce que je lui souhaite. J'ai une peine inexplicable de n'être pas près de Votre Majesté à cause des grands avantages que Dieu lui a donnés pour être parfaitement tout à lui. L'éloignement est pour moi une grande souffrance, car mon coeur est devant Dieu d'une manière toute extraordinaire pour Votre Majesté ; il me semble que je ne lui serais pas tout à fait inutile, quoique je sois la plus indigne de toutes les créatures, mais il se sert du néant pour ce qu'il lui plaît.
Une bonne âme prie Dieu incessamment pour Votre Majesté et il plaît à Dieu l'assurer qu'il vous comblera, madame, de grâces prodigieuses. J'ai beaucoup de foi aux prières de cette bonne âme, nous en voyons des effets admirables ; Notre Seigneur lui a promis une longue vie pour le roi et pour Votre Majesté.
C'est ce qui fait ma joie et qu'il vous ôtera, madame, les craintes de la mort, c'est ce qui donnera plus de tranquillité à Votre Majesté et plus de santé. Je la lui souhaite parfaite, accompagnée de toutes sortes de grâces et de bénédictions. Ce sont les souhaits de celle qui est avec tous les respects imaginables de Votre Majesté, Madame, la très humble, très obéissante et très indigne servante.
Vous n'aurez aujourd'hui que des nouvelles affligeantes, très chère victime. Votre bon coeur a bien pressenti les sentiments de notre bonne reine qui a trouvé de la dureté dans la manière d'agir de la nouvelle prieure, lui ayant refusé fort impertinemment de mettre la mère Marie de Jésus, maîtresse des novices. Je ne puis vous exprimer combien mon coeur est touché de cette malhonnêteté, sans considérer la qualité de la reine, sa puissance et toutes les bontés dont elle les a gratifiées. Vous verrez comme cette auguste princesse en est pénétrée.
Voici la copie de la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire de sa propre main.
Je l'ai fait transcrire en petit papier par mère Bénédicte parce que l'original contient plus de douze pages d'une fort grosse et grande écriture. Quand vous l'aurez lue, très chère victime, vous serez pour le moins autant pénétrée de douleur 159 que moi. Je ne puis revenir de cette petite mère, vous diriez qu'elle est la reine des cartes et que son imagination l'élève au dessus des couronnes fermées. Je ne puis m'empêcher d'en murmurer.
Je n'ai point éclaté dans la communauté le mécontentement de la reine ; je le ferai connaître à ma soeur de Raffetot 70 qui n'en sera pas moins en colère.
J'écrivis hier à la reine en réponse à celle dont elle m'a honorée. Je lui ai déjà écrit plusieurs fois et vous verrez qu'elle se plaint de ne pas recevoir de mes lettres. J'en suis fort mortifiée.
... Vous me parlez de Caen 71 : je vous dirai ingénuement que c'est la maison la plus régulière de notre institut. Elle est parfaitement bien réglée, vous avez raison de l'estimer. La mère prieure de Domfront y a demeuré trois semaines avec grande édification de part et d'autre. Elle est présentement chez nos mères de Rouen...
70. La marquise de Raffetôt, fille de la marquise et du maréchal de Grammont. Antoine III, duc de Grammont (1604-1678), épousa une nièce de Richelieu. Il fut lieutenant général au gouvernement de Normandie et gouverneur du château de Rouen en 1638. Ce fut un brillant soldat.
La marquise de Raffetôt fréquentait le couvent de la rue Cassette depuis plusieurs années. Après son veuvage, elle demanda à y être reçue comme postulante. Dans une lettre du 10 janvier 1685, mère Mectilde nomme, parmi un groupe de religieuses malades, « notre bonne novice madame la marquise de Raffetôt.... On peut supposer que la saur de Raffetôt est entrée rue Cassette en 1683 ou 1684. Mère Mectilde lui confia la mission délicate de tenter l'union à notre institut de l'abbaye Notre-Dame de Liesse, selon le désir de l'archevêque de Paris et du père de Roncherolles, mais de très vives oppositions de la part d'un petit groupe de moniales de cette abbaye entrainèrent l'échec de cette entreprise.
Soeur Bénédicte du Saint Sacrement de Béon de Lamezan dut faire profession en 1683 et très vite servit de secrétaire à mère Mectilde. Nous voyons son nom apparaitre très souvent dans la correspondance entre notre fondatrice et madame de Béthune, abbesse de Beaumont. Mère Bénédicte fut prieure du monastère de la rue Cassette de 1699 à 1702. (Cf. Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977).
71. La célèbre abbaye de Montivilliers, près du Havre, fonda un prieuré à Pont-l'Évêque en 1639 avec l'aide de Madeleine de Moges, marquise de Moy (les Mouv descendants des ducs de Mercoeur). Pour des raisons de salubrité, le prieuré dut être transféré à Caen en 1644. Madame de Mouy, connaissant déjà mère Mectilde, désira lui confier la direction de ce monastère. Elle en fut donc prieure de 1647 à 1650.
Dès 1675, un groupe de moniales de ce couvent désira son agrégation à notre institut. Après de longues tractations et une attente prudente, car l'évêque de Bayeux désirait obtenir l'assentiment de la quasi totalité de la communauté ; ce monastère fut uni à notre institut le 30 septembre 1685. 11 fut fermé pendant la Révolution, mais se reconstitua très vite, les moniales étant demeurées dans la ville de Caen. Détruit durant la dernière guerre, il a été reconstruit dans les faubourgs de Caen (Cf. C. de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977).
Domfront : En 1621, l'abbaye de la Trinité de Poitiers avait fondé à Laval, un prieuré, qui essaima à son tour à Domfront, alors au diocèse de Laval, en 1629, (actuellement département de l'Orne); (Cf. Dom Yves Chaussy, Les bénédictines et la reforme catholique en France au XVII' siècle, Paris, Ed. de la Source, 1975).
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... En Pologne on ne veut que des religieuses qui aient de la voix. Je vous ai envoyé la copie de la lettre que la reine m'a honorée de sa propre main. Vous y verrez la douleur qui m'a fort touchée. Cette supérieure a fort manqué au respect qu'elle doit à Sa Majesté, lui refusant de mettre maitresse des novices la mère Marie de Jésus. Nous tâcherons de raccommoder tout cela. Ce ne sera pas sans peine. Entre nous, je crois que la mère Marie de Jésus les a trop pressées et qu'elle a aigri les esprits. Je vous enverrai les lettres de soeur Suzanne de la Passion et de mère Madeleine d'Auvergne qui étaient toutes deux pour la mère Marie de Jésus...
... Je fais partir mercredi matin à cinq heures six filles pour la Pologne. Cela me donne un peu de tracas. Voyez, je vous prie, une lettre de mère Mectilde que j'ai reçue hier. Je vous supplie de me la renvoyer quand vous l'aurez vue. Vous verrez que mère Mectilde donne lieu de croire que la mère de Jésus a été trop extrême en quelque chose de sa conduite. Je ne laisse pas d'être touchée de ce fracas qui fait beaucoup de bruit. J'écris à nos soeurs comme je dois leur faire voir la faute très considérable qu'elles ont faite d'avoir choqué la reine. Je les oblige à se jeter à ses pieds pour obtenir pardon. Voilà un bel avènement à la supériorité pour la prieure. Elle en doit être bien affligée. J'espère que Notre Seigneur ramènera la reine. Elle est bonne, si nos soeurs savent s'humilier. Je ne sais si elles le feront comme il faut. C'est un sujet de grande affliction pour le respect de l'oeuvre du Seigneur. Souvenez-vous en, en sa sainte présence très chère victime. Vous y prenez intérêt pour sa gloire...
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... Voyez, ce que la mère Marie de Jésus m'écrit, et puis vous aurez la bonté de me faire renvoyer la lettre...
Nous sommes à la veille d'une terrible désolation de guerres, et même contre le pape... (Innocent XI (1676-1689)1.
Je ne vous écris, très chère victime, qu'avec précipitation, étant depuis plusieurs jours occupée à plusieurs choses, tant pour Châtillon que pour la Pologne ; faisant partir cinq filles qui ont de la voix pour aider à chanter et adorer. Ces pauvres filles me mandent qu'elles sont sur les dents, ne pouvant plus soutenir. Elles m'ont prié d'avoir pitié d'elles, parce qu'elles n'osent rien demander à la reine mais, grâce à Notre Seigneur, cette bonne princesse revient un peu. La bonne âme m'assure qu'elle se remettra dans sa bonne disposition pour ses religieuses qu'elle a honorées de son affection et qu'elle ne peut abandonner. J'ai encore reçu quelques lettres que je vous enverrai...
Nous avons pris nos mesures pour que le voyage des filles que j'envoie cette fois ne coûte rien à la reine. Je voudrais être en état de ne l'importuner jamais pour ces sortes de choses. Si Notre Seigneur nous fait vivre l'année prochaine, j'enverrai encore quelques religieuses en Pologne, parce que de longtemps elles ne recevront de polonaises, à cause de la difficulté que nos soeurs ont d'apprendre la langue. Il faut tâcher de soutenir l'oeuvre de Dieu. Je la recommande toujours à vos saintes prières.
Pourrais-je entendre réciter si souvent toutes les rares et merveilleuses qualités qui font l'ornement de la plus grande reine du monde, qui sait porter la piété à son plus haut point et combler les filles du Saint-Sacrement de tant de bontés, sans me donner la liberté de verser mon coeur en esprit à ses pieds, tout plein d'humbles reconnaissances ? Je le ferais, Madame, avec bien de l'ardeur si je pouvais me jeter dans le vaisseau qui doit partir dans peu de jours, pour embrasser respectueusement et réellement les pieds de Votre Majesté, avec tous les respects imaginables. J'avoue que je ne suis pas digne d'un tel bonheur.
Il faut me contenter de renfermer mes désirs dans ce morceau de papier, que je prie nos chères mères de vous présenter, Madame, en vous disant mille fois plus qu'il ne contient et que je n'ose produire, crainte de me rendre importune à Votre Majesté. Ce sera au pied du saint Autel où je tâcherai de reconnaître tout ce que Votre Majesté fait pour la gloire du plus auguste de nos divins mystères, par lequel vous serez, Madame, comblée de toutes sortes de bénédictions et de grâces. C'est ce que je souhaite avec ardeur pour suppléer à mon impuissance et à tous les remerciements que l'institut doit à Votre Majesté, qui n'épargne rien pour le faire glorifier dans son royaume. Rien n'est plus juste, rien n'est plus grand, ni plus digne de votre piété royale. Oh ! Madame, que je dirais de choses si le respect ne retenait ma plume. Je sens un si grand épanchement de coeur vers Votre Majesté que j'ai peine à le retenir. Nos chères mères, qui ont l'honneur de recevoir si souvent les effets d'une bonté qui est sans égale, en sont toutes transportées. Si j'étais à vos pieds , Madame, je prendrais la liberté de vous dire bien des choses. Votre bonté m'en donne de grands désirs, mais c'est une grâce que je ne puis espérer. Il faut que Votre Majesté me pardonne si j'ose lui dire qu'elle a besoin d'un peu de joie pour soulager ses douleurs. Je vois, devant Dieu, son coeur royal dans un fond de douleur qui augmente, ou plutôt qui fait une partie des maux qu'elle souffre sans se plaindre. Le coeur et le courage est au-delà du commun, mais les forces du corps ne peuvent suffire pour porter le poids qui l'oppresse. Elle a besoin d'une amoureuse confiance en la bonté infime de Dieu et peut-être y aurait-il en elle trop de crainte pour l'éternité. Dilatez, Madame, votre pauvre coeur, dans l'assurance que je lui donne, de la part de Dieu, qu'il la recevra en son amour. C'est la promesse que Notre Seigneur m'a faite par les saintes âmes qui prient pour Votre Majesté. Si j'avais l'honneur d'être à ses pieds, je lui en dirais bien davantage, ayant sujet d'une grande consolation. Elle l'aura plus grande qu'elle ne l'espère, mais surtout un peu plus de joie, qu'il faut tâcher de prendre au-dessus de toutes choses, parce que Dieu vous fera des miséricordes éternelles. Pardon, grande Reine, de parler avec tant de liberté à une Majesté que je respecte et à laquelle j'ai des obligations infinies et qui me tiennent à ses pieds comme la plus indigne de ses très humbles etc..
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... Je vous ai envoyé des lettres de la Pologne ; celle de mère Suzanne de la Passion et de la mère Madeleine d'Auvergne, et aussi celle de la mère Marie de Jésus. Je serais désolée sur tout cela si je n'espérais à ce que la bonne âme m'a demandé que Notre Seigneur a dit qu'il accommodera cette mésintelligence ; ce sont ses propres termes.
... Cinq filles sont parties aujourd'hui à cinq heures du matin pour la Pologne. Je vous supplie de les présenter à la très sainte Mère de Dieu, qu'elle les protège, les bénisse et les conduise heureusement.
Madame,
Suivant les ordres que Votre Majesté me fit la grâce de me donner par l'avant-dernière lettre qu'il lui plut m'honorer, j'ai cherché des filles qui puissent secourir les religieuses que votre piété, Madame, a établies dans leur besoin, tant pour le chant du choeur, que pour l'adoration perpétuelle. J'ai choisi cinq filles de bonne vocation, qui ont le courage pour Dieu et pour remplir le zèle et la charité de Votre Majesté, pour la gloire de notre adorable Mystère.
Quatre desquelles sont demoiselles, et la cinquième est fille d'un bon bourgeois de Paris, gens de probité et de sage conduite.
Ces bonnes filles se donnent à Votre Majesté, malgré leur famille.
Il n'est pas croyable la peine que nous avons eue de surmonter les obstacles qu'elles nous ont faits pour empêcher leur voyage et la consommation de leur sacrifice, se donnant à Dieu avec tant de ferveur, pour essuyer les fatigues et les hasards d'un pénible voyage, que tout le monde en est étonné et édifié ! J'espère, Madame, que votre bonté leur fera la grâce de les recevoir de bon coeur et de les honorer de son affection, C'est leur générosité pour Dieu, et le très profond respect et la...
Sur la chère vôtre du 31 d'août, je vois la terrible douleur de votre bon coeur touchant la Pologne. Je vous ai envoyé les lettres que vous avez vues pour vous faire connaitre les esprits et les conduites de nos soeurs et pour demander vos prières ; car je suis touchée foncièrement de tout cela, mais je n'y puis remédier, ne pouvant les faire revenir parce que je n'en ai pas le pouvoir à cause qu'elles sont sous un autre évêque et d'un autre royaume. Je m'en serais terriblement désolée si la bonne âme ne m'avait consolée, me promettant que Notre Seigneur remédierait à cette mésintelligence qui est entre la reine et nos soeurs8 ; sans cela je ne m'en consolerais jamais.
Je vous prie et conjure, très chère victime, de ne vous point laisser accabler, Notre Seigneur y mettra sa très sainte main; consolez-vous en lui et par lui. J'ai toujours vu de grands effets de ce que la bonne âme m'a dit, je les attends encore de même.
J'écrivis hier à la reine et je crois qu'elle sera satisfaite de mes lettres. Je fais la leçon aux autres et leurs fais voir leur horrible manquement. Je ne veux plus vous en affliger...
Ce n'est point à Votre Majesté de me faire des remerciements des religieuses que je lui ai envoyées, c'est à moi à lui rendre des actions de grâces à l'infini, s'il m'était possible, pour l'honneur qu'elle fait rendre au très saint et très adorable sacrement de l'autel. Je suis ravie d'entendre nos chères mères qui ont à présent l'honneur d'être les filles de Votre Majesté, qui me font par leurs lettres le récit de son zèle et de son amour pour ce divin mystère, que je ne puis assez le reconnaître devant Notre Seigneur. Ce sont des dons, Madame, que le ciel vous a faits avec un très grand nombre d'autres. Tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de Votre Majesté sont si transportés d'admiration de toutes les rares qualités qui se trouvent en elle qu'ils n'en peuvent, par leurs termes, exprimer les sentiments de leur coeur. Le bon M. l'abbé du Chartrin, que Dieu a retiré 165 de ce monde, m'en écrivit de la sorte. Il n'était point homme à flatter, ni à exagérer. Il m'imprima par sa lettre des respects si profonds pour Votre Majesté et une si haute estime que je me sentis poussée d'une respectueuse tendresse, je n'ose pas dire d'aimer, mais d'honorer intimement celle que le ciel a remplie de tant de grâces, que je ne puis m'empêcher de prier Notre Seigneur de la combler de toutes celles qui la peuvent rendre aussi sainte qu'il la désire pour sa gloire. Il n'était pas besoin que Votre Majesté m'honorât de ses précieuses lettres ; elle doit savoir que j'en suis indigne, mais elle a voulu par son humilité confirmer ce que tout le monde dit d'elle : qu'entre toutes les perfections qui font l'ornement de Sa Majesté, la bonté éclate par dessus toutes les autres. En vérité, Madame, il en faut avoir beaucoup pour faire ce que Votre Majesté a fait à mon égard. J'en suis demeurée si confuse que les paroles m'ont manqué pour en faire une sincère expression. J'ai eu recours à nos chères mères qui ont l'honneur et l'avantage d'approcher si souvent de Votre Majesté, pour les obliger d'être mon supplément et de lui rendre les témoignages de reconnaissance dont elles savent que mon coeur est rempli.
Mais, croyez-vous, Madame, que, ressentant la bonté du vôtre et avec quelle sincérité elle me fait l'honneur de me parler, que, tout indigne que je suis, je me suis présentée à Notre Seigneur pour toutes les intentions de Votre Majesté, et singulièrement pour qu'il lui plût lui ôter les craintes trop excessives de la mort et lui donner une meilleure santé, si utile et absolument nécessaire à tout le royaume. J'en ai écrit à une sainte âme qui obtient du ciel ce qu'elle demande. Je veux vous donner la bonne nouvelle, Madame, que Notre Seigneur lui a promis que, dans peu, Votre Majesté sera soutenue de beaucoup de grâces et que même elles lui seront données sensiblement pour la fortifier. Et puisqu'elle veut que j'oublie pour un moment sa qualité de reine, je lui dirai avec profond respect que je me soumets à l'ordre qu'elle me donne d'avoir soin de sa perfection et de son éternité, qui m'est infiniment chère, lui promettant de ne point cesser de faire prier Dieu pour elle, et de lui obtenir, par les bonnes âmes que je connais, toutes les grâces qu'elle peut désirer. Nous avons aussi obtenu la prolongation des années du roi et de Votre Majesté. Faites-nous savoir, Madame, ce que vous voulez que je fasse demander pour votre consolation.
Mon coeur est si rempli de tendresse que, si j'étais aux pieds de Votre Majesté, je ne pourrais jamais m'empêcher de les embrasser, en prenant en même temps la liberté de lui dire mille choses que je ne puis exprimer par ma lettre. Je sais même que Votre Majesté souffre beaucoup, et sur plusieurs sujets qui la crucifient. Elle a de quoi sacrifier à toute heure au pied de l'autel du Seigneur, et pour peu qu'elle veuille s'y appliquer pour en faire l'usage que Dieu veut, elle sera une parfaite victime de son amour. Ne suis-je pas trop libre, Madame ? Pour la première fois, Votre Majesté me le pardonnera, sa bonté en est cause. Je suis, avec un très profond respect, etc.
Madame,
Je ne puis exprimer, par aucun terme, le sensible déplaisir que je ressens d'apprendre, par celle qu'il a plu à Votre Majesté m'honorer, le mécontentement qu'elle reçoit de ses filles du Saint-Sacrement. Je crois bien, Madame, que vous avez sujet de vous plaindre de la dépense trop grande qu'elles ont faite jusqu'à présent. J'aurais bien désiré qu'elle eût été moindre et que Votre Majesté n'en eût reçu que de la satisfaction.
Elle a eu tant de bontés pour elles dans le commencement, qu'elles en ont peut-être usé un peu trop librement. Oserais-je représenter, avec profond respect à Votre Majesté, qu'elles sont encore nouvelles dans le pays, et qu'elles n'ont pas encore toutes les expériences de la manière de s'y conduire avec moins de dépenses. J'espère qu'à l'avenir elles prendront mieux leurs mesures, pour lui donner plus de satisfaction. Je n'ai point vu les mémoires de la fondation que Votre Majesté a faite, non plus que celui des choses qu'elle a fournies, tant pour la sacristie que pour le reste. Je ne doute pas qu'ils ne soient bien amples et d'une grande considération dans le ciel, qui seul peut dignement récompenser Votre Majesté des choses qu'elle fait pour,la gloire de notre adorable Mystère.
J'ai une extrême douleur qu'elle ait sujet de s'en repentir et, comme je la considère, sans comparaison, beaucoup plus 167 que nos chères mères, qu'elle a tant gratifiées de ses bontés jusqu'à présent, que si, par malheur, elle n'en reçoit pas la consolation qu'elle en espérait, Sa Majesté est toute puissante pour les renvoyer comme elle a eu la piété de les appeler. Elle est la maîtresse de sa fondation, pour en user comme l'Esprit de Dieu vous fera connaître, Madame, être de sa pure gloire, car je ne crois pas que Votre Majesté, remplie de tant de zèle pour la gloire du très Saint Sacrement, puisse agir par d'autres sentiments. C'est pourquoi, Madame, si Votre Majesté veut absolument me renvoyer mes religieuses, je les recevrai comme Notre Seigneur me les renvoie, et le prierai, Madame, qu'il donne à Votre Majesté d'autres religieuses, capables de remplir les desseins de Dieu, de le glorifier davantage et donner un parfait contentement à Votre Majesté. Je n'ai que cela à désirer. J'aurais un déplaisir mortel que l'oeuvre de Dieu manquât en les mains de mes chères soeurs, ne remplissant pas les souhaits de Votre Majesté. C'est ce qui m'oblige de lui marquer avec profond respect que je ne veux que ses volontés et que je suis, avec soumission, très respectueusement,
Madame de Votre Majesté, la très humble, très obéissante et très obligée servante
... Il faut dire un mot à la chère victime, de l'état de la maison de Pologne. Je voulais vous envoyer une lettre que la reine m'a écrite pour se plaindre de la dépense de nos soeurs. Je lui ai rendu mes respects le mieux qu'il m'a été possible. Elle dit qu'elle me renverra nos soeurs et qu'elle prendra des religieuses du pays auxquelles elle fera ajouter l'adoration perpétuelle. Je suis touchée de son mécontentement. J'écris à nos mères et j'ai reçu de leurs lettres qui gémissent de leur état. Elles disent que c'est moi qui en suis cause, parce que j'ai écrit à Sa Majesté, blâmant leur conduite et que la reine a lu mes lettres devant toute sa cour, qui a bien crié contre nos mères. Je n'ai dit qu'une chose, c'est que je n'approuve point que nos mères aient fait leur élection sans en parler à Sa Majesté et lui confier leur sentiment cordialement, ayant vu en elle tant de bonté. Mais comme la Providence divine nous a donné cette croix, qu'il faut adorer en lui, c'est son oeuvre, il faut espérer qu'il y pourvoira. Il faut tout attendre de Dieu ; il est nécessaire que la croix se trouve partout, c'est ce qui en fait le bonheur.
J'espère néanmoins que tout se raccommodera. La reine paraît un peu radoucie...
.. J'ai reçu des lettres de la Pologne qui ne consolent pas.
La mère de Sainte Mectilde écrit à ma soeur de Raffetot et lui témoigne sa douleur sur mon silence et la dureté de mon coeur sur leurs souffrances. La mère Madeleine d'Auvergne m'écrit aussi du même style ; sa lettre est signée des autres à la réserve de la mère Marie de Jésus et la bonne mère Paulmier qui, je crois, est du parti de la mère de Jésus. Je vois bien que les autres voient assez que la mère Radegonde de Beauvais ne les aime pas, c'est leurs grandes douleurs ; à moins d'un coup du ciel je n'y vois point de remède. Je leur ai écrit souvent, et quand j'y manque, la mère sous prieure y supplée et les encourage et fortifie de son mieux. Elles se sont mises dans la croyance que je suis contre elles du parti de la reine. Il est vrai que je leur en ai témoigné mon déplaisir, car il ne fallait point choquer la reine. Si elles lui avaient fait un peu de confidence de leurs peines, elle-même les aurait consolées, car c'est la meilleure princesse du monde. Il ne faut pas traiter les souveraines de la sorte. Mais le mal est fait sans y voir de remède. Cependant, je ne sais comme nos pauvres mères pourront revenir, la mer étant toute pleine de périls à cause des guerres d'Angleterre qui sont fort allumées et partout ailleurs. Je suis résolue de leur envoyer de l'argent, car selon qu'il parait, c'est leur trop de dépenses qui indispose la reine, mais je crois aussi que c'est un prétexte.
... Je vous envoie la copie de la lettre que j'ai reçue de monseigneur l'évêque de Varsovie, qu'il m'a écrite pour, je crois, faire retirer quelques unes de nos soeurs qui ne plaisent pas à Sa Majesté. Elle en est la maîtresse. Si je savais comment les faire revenir, je les aurais déjà mandées, mais je ne sais comment les exposer dans ces bruits de guerre ; toute l'Europe est armée sur mer et sur terre. Il faut avoir un peu de patience, à moins que la bonté de la reine ne les fasse conduire en sûreté. Je lui écrirai, et au seigneur prélat, pour l'en supplier.
Je crois que la mère de Sainte-Gertrude aura fait quelques brusqueries ; vous la connaissez ; la reine s'est trop familiarisée avec elle. La bonne âme avait bien assuré que Notre Seigneur réunirait les coeurs, mais cela n'est pas arrivé de la sorte9, car je vois Sa Majesté plus aigrie que jamais. Il faut la contenter, c'est mon dessein ; si j'avais pu y aller, il me semble que j'aurais empêché tout cela, mais Notre Seigneur ne l'a pas voulu et je me puis tromper. J'accuse nos soeurs de n'avoir pas bien ménagé les bontés de la reine car il est vrai qu'elles ont été excessives.
Je vous suis, ma très révérende et chère mère, parfaitement obligée de la grâce que vous me faites de prendre part à la juste douleur que j'ai de la mort de la plus sainte abbesse [de Beaumont] qui fut en France dans le siècle où nous sommes. Je ne suis pas capable de porter jugement sur les effets de grâce qu'elle a portés dès son enfance ; mais les serviteurs de Dieu qui l'ont connue disent n'avoir en leur vie rien vu de plus saint. C'est un glorieux avantage pour elle, qui jouit présentement de la récompense qu'une vie, la plus souffrante que l'on puisse s'imaginer, a mérité de gloire ; si l'on fait son éloge, je vous l'enverrai.
Je crois que monsieur et madame de Béthune n'en sont guère touchés ; cela n'empêche pas qu'elle ne leur soit une bonne avocate devant Dieu. Je ne puis vous en rien écrire au jourd'hui, n'ayant que le temps de vous dire un peu de nos nouvelles et surtout de mon étonnement de voir que vous ne recevez pas toutes les lettres que je vous ai écrites et à toutes nos chères mères et soeurs qui sont avec vous. C'est une Providence qui m'est sensible, d'autant plus que je ne puis prendre le temps que je voudrais pour vous marquer toute mon estime et ma tendresse pour vous, très chère mère, et pour toutes. Je me suis souhaitée près de vous plusieurs fois, dans le temps de vos grandes souffrances, pour les partager avec vous et vous assurer que les établissements des filles du Saint Sacrement ne sont fondés que sur la croix : il semblait au commencement du vôtre que tout devait vous succéder en joie, par les applaudissements de la reine et les témoignages d'une amitié qui devait être éternelle. Mais, très chère mère, l'oeuvre n'aurait pas pris de si fortes racines sans la terre de l'humiliation, qui est celle de tous les beaux parterres de Notre Seigneur Jésus Christ ; il n'y aurait pas trouvé les belles fleurs des vertus que l'on pratique ordinairement dans les souffrances, où souvent, hors de là, ce ne sont que des ombres de vertus ; mais quand elles sont produites par la croix, elles sont d'une bonne odeur au divin Maître qui vous a plantées où vous êtes, et où il veut se glorifier en vous.
La croix a une vertu admirable pour purifier à recevoir les grâces singulières de la bonté de Dieu. Puisqu'il vous a choisies pour son oeuvre, vous devez être toutes persuadées qu'il vous veut dans un état de sainteté que l'on ne peut jamais acquérir sans peine.
Prenez toutes courage : vous avez souffert les plus rudes coups. J'espère que la main de Dieu conduira le reste à la perfection qu'il demande de son oeuvre et qu'il adoucira le coeur de notre grande reine, que l'ennemi du Seigneur et de ses épouses avait aigri si fortement, qu'il en paraissait amer dans sa conduite à votre égard.
J'ai souffert de tout cela devant mon Dieu et j'en suis encore dans la douleur, sachant que vous n'êtes pas encore comme je le souhaiterais pour votre repos. J'espère que Notre Seigneur, par les prières de sa très sainte Mère, calmera tout et vous donnera les grâces nécessaires pour tout soutenir en son Esprit et pour être fidèles à son amour qui vous perfectionne par les croix qu'il vous envoie. Je sais bien que vous travaillez 171 à en faire un saint usage et que je n'ai pas besoin de vous exciter à la fidélité : votre exemple encouragera les autres et, tandis que vos oeuvres seront bien unies en Jésus Christ, et qu'il n'y aura pas de division parmi vous, vous serez invincibles à tous ceux qui vous haïssent et qui vous persécutent : « Si mous étiez du monde, dit Notre Seigneur, le inonde Fous aimerait, mais vous n'êtes pas du inonde » (in 15, 18-19), ce sont ses paroles adorables.
Demeurez en lui : vivez de son Esprit de paix, d'union et d'une sainte concorde. Vous devez n'avoir aussi qu'une même volonté, ne tendant qu'à bien édifier l'oeuvre de Dieu pour sa pure gloire ; ne vous regardez 'plus, mes très chères mères, comme si vous aviez encore quelqu'intérêt sur la terre : vous devez vivre comme des morts. Vous êtes dans un pays qui vous aide beaucoup à vivre dans cette sainte séparation et dégagement de tout ce que la nature peut aimer : vous ne trouvez où vous êtes que ce qui peut la contrarier partout, ne voyant rien qui lui soit agréable.
C'est une vie bien dure et crucifiante que de vivre dans un perpétuel sacrifice, sans quasi trouver aucun soulagement, parce que vous portez une privation de mille petits secours que l'on trouve ici, que l'amour de Dieu et de sa gloire vous ont fait sacrifier. Je vous assure que vos récompenses seront bien glorieuses dans le ciel, car l'on peut dire que nous ne savons ici ce que c'est que de porter la croix nue : les secours ne nous manquent pas. Ce n'est pas souffrir de la pure souffrance qui fait porter un dénuement de toutes les créatures. Si vous persévérez dans toute la sainteté des voies de la divine Providence, vous serez des plus élevées dans le ciel et la gloire de l'institut en terre.
Travaillez donc fidèlement à la perfection de l'oeuvre que le Seigneur vous a confiée, et puis, venez vous reposer dans le berceau qui vous tend les bras et où vous avez droit de venir quand il vous plaira.
Très chère mère, puisque Notre Seigneur vous a chargée de son petit troupeau, conduisez-le par les gras pâturages de ses grâces et de son amour ; je vous prie de ne vous point souvenir de la mauvaise édification que je vous ai donnée, et que toutes les chères mères trouvent ici le tendre souvenir de mon coeur, sans en oublier aucune. J'embrasse aussi votre cher noviciat.
Je vous assure que vous devez avoir un grand recours à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère : il n'y a pas trop d'appui aux créatures, mais de vous attacher uniquement tout à Dieu ; vous ne serez pas rebutée de son infime miséricorde ; je vous conjure de prendre un nouveau courage pour souffrir pour son amour. Si l'on pouvait trouver une voie bien sûre je vous donnerais des marques de mon affection pour soulager vos besoins de toutes manières, en vous envoyant des toiles, des étoffes et autres choses ; mais je n'en sais pas sur la terre, ni sur mer, car tout est en guerre. L'on nous fait frayeur de la suite ; nous tâchons de nous tenir dans un saint abandon. L'on ne parle partout que de désolation : Dieu par sa bonté infime nous veuille regarder en sa miséricorde ! On dit que nous sommes à la veille de grandissimes maux ; priez bien Dieu pour nous et surtout qu'il nous donne la grâce de n'être point infidèles, lorsqu'il lui plaira nous plonger dans les calamités qui semblent menacer.
Je prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous combler de toutes sortes de bénédictions ; ne nous oubliez donc point dans vos saintes prières, surtout notre chère bonne mère Bernardine 72 qui se consomme dans des souffrances qui aug-
72. La mère Bernardine était prieure du monastère des bénédictines de Notre-Dame de la Conception à Rambervillers (Vosges). Ce monastère avait été fondé, selon l'esprit de la réforme de la Congrégation de Saint-Vanne, par Mme Eufraise du Hautoy le 14 mars 1629. Mère Bernardine y était entrée comme postulante dix jours après la fondation. Elle fut élue prieure en 1637. C'est donc elle qui reçut Catherine de Bar quand elle vint demander asile à ce monastère en 1639. La mère Bernardine était une supérieure pleine de sagesse, très éclairée dans les voies de Dieu, alliant une grande fermeté de caractère à une profonde tendresse pour ses filles ; elle savait éclairer et soutenir les âmes qui se confiaient à elle. Entre ces deux ferventes religieuses se noua une union qui dura autant que leur vie. La guerre de Trente Ans les obligea à fuir la Lorraine et à chercher divers refuges en France. Mère Bernardine rejoindra définitivement mère Mectilde en 1652. Liées désormais à la même tâche, nous les trouvons unies dans les charges, les peines et les joies de la fondation de l'institut. En 1664, elle fut envoyée à Toul pour gouverner la maison naissante pendant quinze mois. Elle exerça de nouveau la charge de prieure à Rambervillers, pendant quelques mois, pour initier les moniales à leurs nouvelles obligations aprés leur affiliation à l'institut. En 1669, elle est à Nancy pour préparer l'union de l'abbaye Notre-Dame de Consolation, et, en 1674, mère Mectilde lui confie la direction du petit hospice n de la Porte Montmartre qui deviendra le n second u monastère de Paris, rue Saint-Louis-au-Marais. En 1685, elle demanda à être remplacée en raison de son âge. Elle mourut le 27 janvier 1692, entourée de la sollicitude et de la vénération de mère Mectilde et des deux Communautés de Paris. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1975).
173 mentent tous les jours ; et moi qui la dois suivre par un âge avancé : l'on ne peut plus s'assurer sur sa vie ; après les accidents d'apoplexies, il faut craindre les rechutes ; mais tout abandonner à Dieu : il fera selon sa très sainte volonté.
Je prie toutes nos chère mères, d'avoir soin de votre santé, et de votre côté ne la prodiguez point ; soutenez l'oeuvre du Seigneur et nous faites donner de vos nouvelles. A Dieu, mille et millions de fois. Je suis en lui tout à vous du plus tendre de mon coeur, ma très chère mère.
Il faut faire un effort pour prendre une heure de temps pour vous donner de nos nouvelles, et vous assurer que nous avons rendu grâces à Notre Seigneur sur les vôtres, un peu meilleures, par le retour du bon coeur de la reine vers vous. L'expérience nous apprend tous les jours qu'il fait bon se confier en Dieu ; il ne nous confond point, son bras n'est point raccourci, il est avec vous, et il est avec nous. C'est lui qui nous secourt et qui nous soutient contre une infinité d'accidents qui devraient nous abîmer. Vous savez mieux que personne qu'il fait bon s'abandonner à Dieu, lorsque l'on se trouve abandonnée des créatures. C'est dans cet état que l'on goûte divinement la présence de Dieu, sa bonté et sa providence. Je vous assure que l'on ne peut bien connaître Dieu que dans les occasions qui nous font vigoureusement recourir à lui. Vous le savez, très chère mère, dans l'éloignement où vous êtes et, je le sais, par l'impossibilité de trouver du secours dans les créatures. Du siècle où nous sommes, tout le monde se resserre si fort, qu'à peine trouverait-on des enfants qui voulussent soulager leur père et mère.
Il est vrai que le monde souffre, au moins la plupart, mais dans un débris de charité qu'elle ne paraît quasi plus sur la terre, vous diriez qu'elle a repris son vol dans le ciel, ne trouvant personne qui la voulût recevoir en terre. Cependant, très chère, dans ce terrible chaos de désolation, presque universelle, Dieu m'a suscité un secours qui ne peut être regardé dans l'humain, qui me sort de toutes mes affaires, si bien que je n'y pense plus. Cela se fait d'une manière qui enlève le coeur et qui me fait adorer et admirer incessamment la bonté de Dieu. Je vous le mande en confiance pour l'en remercier pour moi, sachant votre bon coeur et votre charité pour votre pauvre mère. Et si vous me demandez comme ce secours m'est arrivé, je ne le puis dire, car je ne le sais point. Mais une personne de haute piété que je n'ai jamais connue, ayant appris que j'étais dans la peine à cause des maisons de l'institut, a été touchée de compassion. Sachant que je n'avais plus aucune ressource sur la terre, et que mon âge était si avancé qu'il fallait plutôt attendre ma mort que la vie, et que mourant je pouvais être en peine, m'a fait demander un mémoire de ce que je dois, et ensuite a commencé à y satisfaire, sans que je puisse savoir qui est mon bienfaiteur et à qui j'ai tant d'obligation. Il m'a fait dire qu'il suffit qu'il soit connu de Dieu et qu'il a reçu son ordre pour me retirer de peine. Voilà une providence bien admirable et qui me fait vous dire, très chère mère, que je pourrais vous faire aider si vous en avez besoin. Prenez la peine de me le mander, et combien il vous faudrait pour vous mettre un peu plus à votre aise. Je vous dis ceci en secret. Ayez la bonté de n'en rien dire à la reine ; il faut la laisser faire l'oeuvre qu'elle a commencée pour ne lui point ravir sa couronne. Nous attendons demain le bon frère Ange qui doit nous venir conter de vos chères nouvelles.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne à toutes une parfaite santé. Permettez-moi de saluer très cordialement toute la chère communauté. Je suis dans une grande joie quand je reçois de vos nouvelles. Je laisse à la petite mère des Anges de Beauvais de vous mander des siennes. Je n'en sais point, sinon qu'il y a bien partout de la misère, la mienne est infiniment grande devant Dieu ; demandez-lui miséricorde pour celle qui est en lui tout à vous. La chère mère sous-prieure se veut ensevelir en Dieu : je la prie de se souvenir de moi. J'en dis de même à la chère mère de Jésus et à toute la chère communauté, priant Notre Seigneur et sa très sainte Mère vous combler toutes de mille millions de grâces et de bénédictions.
Je peine furieusement, très chère mère, de n'avoir point de vos nouvelles. Êtes-vous encore de ce monde, ou avez-vous passé dans l'autre ? Me croyez-vous indifférente à vos croix ou à vos bonheurs, si vous en avez ? Je vous conjure de me faire donner de vos nouvelles. Une pauvre mère ne peut souffrir cette dure privation. Je ne suis point encore morte, quoi qu'il y a peu que je sois en meilleure disposition. Faites-moi savoir comment vous êtes toutes, du moins celles que je connais.
Vous serez étonnées d'entendre que Notre Seigneur nous a visitées par des maladies de coliques, de vomissements et de fièvre, mais je crois que toute la communauté y passera, car il y en a déjà plus de 25. Chaque jour il en tombe malade une ou deux. Nous sommes environ 8 ou 9 dans la communauté. Les novices même sont attaquées, et, ce qui est plus surprenant, l'on dit que ce mal est pour nous seules, qu'il n'y en a point dans le monde, ni dans les autres maisons religieuses. C'est un présent que Notre Seigneur nous fait, qu'il faut recevoir de sa très sainte main, et adorer ses conduites. Il est vrai que nous sommes dans un temps très pénible à soutenir, car l'on ne reçoit rien, et il faut faire subsister la communauté.
Mais, vous, très chère mère, n'êtes-vous pas aussi sur la croix, ne souffrez-vous pas de bien des besoins ? J'ai le grand désir de vous soulager par le moyen d'une affaire qui doit se terminer devant la Saint-Jean. Si Notre Seigneur la bénit, vous en sentirez des effets. Je recommande le tout à vos saintes prières. Dites-moi un peu si la reine vous aime toujours, et si elle vous fait du bien. Contez-moi un peu vos petites affaires pour ma consolation. Je prie Notre Seigneur qu'il vous comble de toutes sortes de bénédictions.
Je vous embrasse toutes du plus tendre de mon coeur, vous aimant bien tendrement ; mais je crois que vous ne le croyez pas ; je vous prie de le croire car c'est la vérité toute sincère. La chère mère de Sainte Gertrude, notre sous-prieure, ne pense plus a sa pauvre mère qu'elle a tant aimée autrefois. Pour soeur Mectilde, je n'en sais que dire : son coeur est gros, je ne sais pourquoi. Pour mère Sainte Magdeleine, elle pense que je n'ai rien pour elle et que je l'ai à dédain. Devant Dieu, cela n'est pas vrai. Quant à la chère mère de Jésus, elle m'a pendue au croc parce qu'elle est au-dessus de tout, ne touchant plus à la terre que par l'extrémité. Pour la bonne mère de Paulmier, elle ne me connaît point. Et quant à la chère mère Benoîte de la Passion, de Rouen, elle se souviendra seulement que je l'ai immolée au Seigneur, lui ayant fait faire profession. La chère soeur de saint Joseph priera Dieu pour moi avec vous toutes, j'en ai un très grand besoin. Ma pauvre mère Suzanne de la Passion, n'est pas oubliée, mais de sa part, je la prie de ne m'oublier point aussi. Avez-vous toutes appris la langue polonaise ? Je vous plains de ne la savoir pas.
Il faut encore que je vous demande un peu si le très Saint Sacrement est bien honoré à votre église, si vous avez bien des adorateurs et si vos jeunes religieuses prennent bien l'esprit de l'institut. Faites, très chère mère, autant de séraphins que de religieuses. Élevez-les dans un grand amour vers le très Saint Sacrement et un grand zèle de sa pure gloire. Je ne sais si je ne mourrai pas vers la fin de l'année. Cela pourrait bien être, car je ne manque point de tomber périlleusement malade en ces temps-là. Il faut me tenir prête. Notre Seigneur en fera ce qu'il lui plaira. Je vous écrirai encore avant ce temps, s'il m'est possible, pour demander vos saintes prières et vous assurer que, vivant ou mourant, je suis et serai toujours parfaitement tout à vous. Adieu, très chères mères et chères enfants. Je vous embrasse tendrement.
Vos dernières du 5 du mois de juillet dernier nous ont bien consolée. Vous nous faites un singulier plaisir quand vous nous donnez de vos chères nouvelles. Nous aimons mieux qu'il nous en coûte de l'argent. Je rends grâce à Notre Seigneur du secours qu'il vous fait espérer par cette jeune veuve que vous avez reçue. Je suis sûre qu'il ne vous abandonnera point : vous êtes ses chères et bien-aimées victimes. C'est pour sa pure gloire que vous vous êtes sacrifiées et avez passé les mers pour le faire adorer. Ne vous étonnez pas de vos croix : il faut que les oeuvres de Dieu en soient toujours assaisonnées, si ce n'est dans un temps, c'est dans un autre. Prenez courage. C'est la 177 souffrance qui fait la meilleure partie de votre sanctification. Il faut espérer que Notre Seigneur touchera le coeur de la reine dans le temps opportun. Demeurez ferme et constante dans la foi et la confiance que Dieu vous soutiendra.
Nous ne pouvons vous rien mander des misères du temps. C'est celui de souffrir, Notre Seigneur le voulant ainsi. Nous avons jusqu'à trente malades. C'est un peu beaucoup. Pourvu que le service divin et l'adoration ne se quittent point, nous serons trop heureuses. De tout ce nombre il n'y en a point encore de morte que la pauvre Marie l'allemande, que je recommande fort à vos saintes prières et de toute votre chère communauté. Les autres malades ne guérissent point entièrement. Il y a plus de deux mois que cela dure. Chaque jour il en tombe une ou deux. La pauvre petite mère des Anges fut prise avant-hier et, aujourd'hui, madame de Raffetot. C'est une maladie épouvantable : l'on est comme des demi-désespérées. L'on dit qu'il faut changer d'air. Hélas ! si nous étions près de vous, vous nous recevriez sans doute, mais le trajet est trop long. Je prie Notre Seigneur qu'il vous conserve et vous comble de toutes sortes de bénédictions.
Si l'on pouvait se confier au papier, l'on vous manderait bien des choses, mais il faut tout sacrifier. Je vous conjure de vous souvenir des saintes âmes du purgatoire. Ne les oubliez jamais. Souvenez-vous que ce sont de fidèles amies. Pour nouvelles : la mère de Jésus-Maria est à Anet 73 avec ma soeur Magdeleine du Saint-Sacrement l'anglaise. Si Notre Seigneur achève ce que sa Providence me destine, je ne les y laisserai
73. Nos Annales de Rouen font mention, en 1696, d'une donation de M. de Grainville en faveur du monastère de Dreux pour lui permettre d'acquérir une maison. Les religieuses de ce monastère, primitivement fondé à Anet (Eure-et-Loir), avaient fait appel à mère Mectilde pour relever leur prieuré tombé dans une extrême pauvreté. C'est alors qu'elles s'unirent à notre institut. Leur église fut bénite par M. Louis Bunet, docteur en Sorbonne, attaché à l'église Saint-Pierre de Dreux et nommé supérieur de ce nouveau prieuré le 23 février 1696. La première exposition du Saint-Sacrement eut lieu ce jour même. Les lettres patentes furent données en 1701. Soeur Marie Magdelaine du Saint-Sacrement signa l'acte d'établissement le 23 octobre 1695. Notre monastère de Rouen dut leur venir en aide au XVIII' siècle par l'envoi de plusieurs moniales, dont la mère Elisabeth Cuiller, prieure de 1719 à 1749.
Soeur Marguerite de Jésus-Maria, Marguerite de la Bernardaye, reçut l'habit monastique le 3 avril 1675, âgée d'environ trente ans, et fit profession rue Cassette le 4 mai 1676. En 1684, elle était tourière.
pas ; nous les approcherons de nous. Messieurs de la ville de Guise 74 nous ont écrit de la manière du monde la plus honnête et la plus touchante, pour nous obliger d'établir dans leur ville une maison de notre institut. Cela est tout à fait édifiant, mais je n'y pourrai aller cette année. Tout notre monde est quasi malade. Vous savez qu'il faut bien des choses pour établir une maison de notre institut. Les dépenses sont grandes mais le plus difficile est d'avoir des sujets.
Je vous prie, très chère mère, que toutes nos chères mères qui sont avec vous et celles que vous avez reçues trouvent ici un million de saluts de ma part. Je voudrais bien écrire à toutes, chacune en particulier, mais je n'en puis trouver le temps. Je me recommande à vos saintes prières pour obtenir la grâce de bien mourir. Je ne suis point malade, mais je ne suis point forte. Je ressens bien cette année que je diminue beaucoup. Comptez que je suis dans la soixante et seize : c'est beaucoup. La chère mère sous-prieure ne me connaît plus, et moi je vous connais toutes et vous porte toutes dans mon coeur avec une tendresse que je ne puis vous exprimer. Nous avons 4 ou 5 filles, des incurables séculières, que nous avons prises pour soulager nos malades. Nous n'attendons que les moments que le reste tombera. Priez Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce de ne point quitter le service divin et de bien porter nos croix en son Esprit. Les pauvres malades vomissent de la bile toute verte. L'on a cru que nous étions empoisonnées ou ensorcelées, mais ce n'est ni l'un ni l'autre. L'on dit que c'est l'influence des éclipses qui se sont faites au mois de mars dernier. Les médecins ne savent que dire et ne peuvent en aucune manière soulager les malades. C'est un présent que Notre Seigneur nous a fait. Il faut le recevoir de sa très sainte main et nous bien abandonner à ses adorables volontés. Adieu, très chère mère, priez bien pour nous, notre besoin est grand. Croyez-moi sincèrement tout à vous, très fidèle et humble servante.
74. Nous savons, par deux lettres de mère Mectilde, l'une adressée à « une demoiselle de Guise », l'autre aux échevins de la ville, qu'un projet de fondation avait été élaboré pour Guise, en réponse au désir des échevins. La demande de lettres patentes et d'une autorisation de l'évêque de Laon devait être faite par le maire et les échevins. Il semble que mère Mectilde ait donné son accord de principe, mais que les autorités de la ville n'ont pu obtenir les permissions nécessaires. (Manuscrit conservé au monastère de Rumbeke, Belgique. Les Arch. Dép. de Laon, n'ont gardé aucune trace de ce projet).
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Il n'y a que huit jours, ma révérende et chère mère, que je me donnais la consolation de vous écrire, en réponse de celle que vous m'aviez fait la grâce de m'écrire du cinq du mois de juillet dernier. Je réitère encore aujourd'hui pour vous donner une nouvelle qui affligera votre bon coeur.
C'est avec douleur que je suis obligée de vous la donner, mais je n'ai pu m'en dispenser. J'entre avec vous dans le douloureux sacrifice que Notre Seigneur exige de votre fidélité, dans le moment qu'il vous demande la personne du monde [votre mère] qui vous est la plus chère, et qui tenait la meilleure place dans votre coeur. En la retirant à lui, il vous donne lieu de lui faire un sacrifice de justice, en lui rendant ce qu'il vous avait prêté.
Mais, très chère mère, ne vous abîmez pas dans la douleur. Si vous perdez une bonne mère, vous en trouvez une mille fois meilleure, qui est la très auguste mère de Dieu. Notre Seigneur Jésus Christ vous la donne et j'ose vous assurer qu'elle remplira dignement cette qualité et que vous expérimenterez ses maternelles bontés au-delà de tout ce que je vous en puis assurer. Jetez-vous donc à corps perdu entre ses bras. C'est dans son sein virginal où vous goûterez ses divines douceurs et où vous puiserez les forces nécessaires pour soutenir un sacrifice qui est le plus grand, selon l'humain, que vous pouvez faire et souffrir en cette vie. Je ne puis vous donner aucune consolation ; j'avoue que je n'en suis pas capable, votre douleur me paraît trop grande. Mais Notre Seigneur et sa très sainte Mère suppléeront à mon insuffisance. Je le prie de tout mon coeur vous combler de toutes les grâces et bénédictions que je vous souhaite.
La chère mère des Anges est sensiblement touchée. Il y a apparence que cette illustre défunte avait quelque pressentiment de sa mort. Elle fut à Montmartre dire adieu à madame sa soeur ; elle acheta de la toile, disant que c'était pour l'ensevelir. Sa maladie a été une fièvre continue. Je ne sais si les médecins l'ont bien traitée, mais il lui survint un transport. L'on usa d'émétique, pour rappeler ses esprits, qui d'abord parut bien faire, mais le lendemain elle fut beaucoup plus mal et, à la fin de l'accès, elle quitta la terre pour approcher le ciel, sa céleste patrie, où quelque jour vous aurez la consolation de la rejoindre pour aimer et adorer Dieu ensemble dans la bienheureuse éternité.
On l'a ouverte et on ne lui a trouvé aucune cause de mort, ayant le dedans du corps comme celui d'un enfant, tant il paraissait de santé et capable de vivre encore trente années. Tout ce que l'on en peut dire, c'est que Dieu, comme maître souverain- de ses créatures l'a voulue et qu'il n'a pas été possible de résister à ses adorables volontés.
Je le prie nous consommer en son amour. Je suis en lui du plus tendre de mon coeur tout à vous, ma très honorée et chère mère. Je salue et embrasse toute la chère communauté, surtout les chères mères qui sont les chères compagnes du voyage.
La chère mère des Anges [de Beauvais] m'a fait part de celle que vous lui avez écrite, ma révérende et plus chère mère. Notre Seigneur vous visite d'une sorte et nous d'une autre. Nos taxes nous font bien de la peine : nous en avons de plusieurs sortes ; il faut bénir Dieu qui le veut ainsi. Au travers de tout cela, il faut l'aimer et adorer et nous servir de tout pour nous préparer à la mort, qui me semble s'approcher de si près : les croix et les afflictions de la vie en fournissent de bons sujets ; mais que devons-nous aimer en ce monde si ce n'est que les croix ? C'est pour souffrir que Notre Seigneur nous fait vivre. Les âmes fidèles ne respirent que cela, par conformité d'état à leur divin Maître.
Je crois, ma très chère mère, que vous êtes de ce nombre-là parce que les occasions de sacrifice ne vous manquent pas. Je ne vous dis rien sur la dernière que la Providence vous a donnée. Je me confie à cette aimable Providence qu'elle pourvoira à tout, sans aucun préjudice : il faut bien qu'elle soit votre mère et qu'elle vous protège en tout. Je voudrais bien pouvoir vous donner un peu de secours et de consolation. Je vous assure que j'y ferai tout mon possible, tandis que Notre Seigneur me donnera encore quelque respir de vie : usez de moi 181 comme il vous plaira, et priez-le qu'il m'environne de ses miséricordes divines pour me préparer à bien mourir : il faut y penser sérieusement ; c'est pour cela que je demande vos saintes prières et que je vous demande pardon de toutes les peines et mauvaises édifications que je vous ai données ; je voudrais être à vos pieds pour vous le demander à toutes.
Prenez courage ; Notre Seigneur vous bénira. C'est la prière que je fais tous les jours à la très sainte Vierge, de vous bénir et de vous combler de ses divines grâces, vous unifiant si intimement toutes ensemble que vous ne soyez qu'un coeur et qu'un même esprit pour sa pure gloire, pour la sanctification de son oeuvre et de plusieurs que Notre Seigneur sauvera par l'institut.
La reine sera la première qui recevra l'onction divine par l'institut : elle sera comblée ; c'est pour son âme que Dieu vous a toutes envoyées dans son royaume. Priez Notre Seigneur qu'elle ne perde point les grandes et admirables grâces qui lui sont préparées. Elle ne sera pas seule, mais sa portion est incomparablement plus élevée et plus abondante.
Je laisse à la chère mère des Anges de vous mander des nouvelles de la maison. La communauté est assez doucement pour la santé : nos malades se rétablissent un peu lentement. Je prie Notre Seigneur qu'il vous conserve toutes. Je crois que ma chère mère de Sainte Mectilde est bien mortifiée de ne pouvoir revenir, comme elle voudrait. Il n'y a aucune sûreté, ni sur la mer, ni sur la terre : l'on craint beaucoup l'année prochaine pour les grandes guerres qui se préparent.
Priez bien Dieu pour nous, très chère mère, et nous donnez de vos nouvelles, car c'est une très grande joie pour nous d'en recevoir ; quoi qu'elles coûtent de port, nous aimons mieux en recevoir et payer, car vous êtes nos chères et bien-aimées qui nous êtes très intimes. Je vous conjure toutes d'en être bien persuadées, même la chère mère sous-prieure, qui se renferme tout en Dieu.
Il me prend une sensible douleur quand je crois que je n'aurai plus la consolation de vous revoir en ce monde. Hélas ! C'est, je vous assure, un très grand sacrifice pour votre retour ; mais je dois vouloir comme Dieu vous veut. Vous êtes toutes à lui et non à moi, qui suis en lui tout à vous, pour me sacrifier en lui avec vous.
... Vous savez que plusieurs de nos mères de Pologne reviennent et que la chère mère Mectilde est du nombre. J'aurai bien des choses à vous dire là-dessus. Je crois que la chère mère de Jésus écrit à la révérende mère prieure 76. Si je savais qu'elle ne lui écrit pas, je lui enverrais les lettres que j'en reçois. La voilà supérieure à présent et bien aimée et soutenue de la reine ; l'on dit que l'on espère que Notre Seigneur bénira tout. A Dieu je suis en lui tout à vous.
La chère mère de Sainte Gertrude veut que je vous marque la joie que je ressens dans mon coeur, de l'assurance qu'elle me donne de votre fidélité pour Dieu, et de l'amour que vous avez pour votre vocation, ma très chère soeur, mais surtout du zèle que vous avez pour la gloire du très Saint Sacrement.
J'en ai d'autant plus de consolation, que ce divin Mystère faisant l'objet actuel de vos adorations, vous lui rendez les devoirs qu'il attend d'une victime, qui est immolée à sa gloire, et qui emploie toute sa capacité à lui faire des réparations pour les pécheurs qui l'outragent avec tant d'impiété dans cet auguste sacrement.
Je vous conjure, ma très chère soeur, de faire tout votre possible pour conserver ce feu divin dans votre coeur, faites le
75. Jeanne Cheuret, soeur Gertrude de Sainte Opportune, originaire de Paris, fit profession au monastère de Toul, le 8 mai 1674. Elle revint à Paris, où elle participa à la fondation du second monastère, rue Saint Louis au Marais. Elle y fut longtemps maitresse des novices, puis prieure. après mère Saint François de Paule, jusqu'en 1719. Elle mourut le 19 avril 1724.
76. Françoise Charbonnier, soeur Marie de Saint François de Paule, était née à Saint-Mihiel (évêché de Verdun), de noble Charles Charbonnier et de Marguerite La Vesle. Elle entra au monastère de Toul le 24 mars 1665. prit l'habit à vingt-trois ans. le lundi de Pâques, 6 avril 1665, et fit profession le 15 mai 1666. Prieure du monastère de la rue Saint-Louis au Marais, à Paris, en mars 1685 ; elle resta à la tête de cette maison jusqu'à sa mort le 18 avril 1710. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976).
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brûler sans cesse, afin qu'il consomme tout ce qui peut être en vous un obstacle à la complaisance qu'il doit avoir en vous.
Aimez bien chèrement votre précieux état de victime ; et pour y être fidèle, envisagez souvent la victime adorable de l'autel, pour vous conformer aux dispositions qu'elle y porte. Je le prie de tout mon coeur, remplir le vôtre de ses grâces, et qu'il vous rende digne d'être un jour consommée de ce feu divin, qui doit consommer les fidèles victimes de son amour. Je vous conjure, très chère soeur, de me donner un peu de part à vos saintes prières et de me croire tout à vous, en Jésus et sa très sainte Mère.
Je viens, ma chère mère, vous annoncer le grand sacrifice que Notre Seigneur a exigé de moi, en la personne du monde qui m'était le plus chère. Vous en serez touchée avec moi, par ce que je sais que vous l'aimiez comme votre bonne mère. Elle était bien la mienne, et je lui devais l'honneur que j'ai d'être dans l'ordre de Saint Benoît ". Notre Seigneur l'enleva la nuit de dimanche dernier, à minuit précisément du 27 et du 28 courant.
C'était un sacrifice qui me restait à faire, le voilà consommé.
Cette bonne et très chère mère était une sainte religieuse, qui laisse une heureuse et glorieuse mémoire de sa sainte vie. Toutes nos maisons seront touchées de sa mort ; je puis dire qu'elles y perdent toutes beaucoup. Elle ne cessait de leur procurer quelque consolation. Je crois qu'elle s'en souviendra dans le ciel. Je ne la recommande point à vos saintes prières car je suis assurée que vous n'y manquerez pas. Me voilà donc, à présent, sans mère sur la terre, mais je vais la trouver en Dieu
77. Mére Mectilde avait connu la Règle de saint Benoît au monastère de Rambervillers. Elle s'était si parfaitement imprégnée de son esprit qu'au moment de fonder l'institut de l'Adoration perpétuelle, elle choisit cette règle de préférence à toutes les autres et la commenta souvent devant ses moniales. (Cf. C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973 ; C. de Bar, A l'écoute de saint Benoît, Rouen, 1979).
où elle est retournée comme dans son bienheureux centre. Je crois que nous ne serons pas bien du temps sans la suivre : mon âge de soixante et dix sept passé est grand ; j'entre dans la soixante et dix-huit depuis un mois.
J'ai reçu votre chère petite lettre qui m'a fort consolée, voyant les bénédictions de Dieu sur votre maison. Je loue Dieu que la reine soit contente de vous. Tâchez, ma chère mère, de ne la jamais mécontenter ; il faut toujours la considérer pour ce qu'elle est, et lui rendre vos devoirs d'honneur, de respects, et de soumission, Notre Seigneur bénira, car l'ingratitude est insupportable à Dieu, et aux hommes.
Vous demandez, très chère mère, des nouvelles de mes croix. Elles sont telles que Dieu les a faites ; il les connaît ; mes péchés ont obligé sa justice de me réduire comme je suis. J'espère néanmoins que son infime miséricorde y pourvoira avec le temps et la patience.
J'aurais bien de la consolation de vous pouvoir écrire plus souvent, et à toutes les chères mères qui vous accompagnent, que j'embrasse de tout mon coeur.
Je voudrais bien me dilater un peu avec vous, très chère mère, mais je n'en puis prendre le temps. Je dois bien penser à mourir, mais aidez-moi, je vous supplie, par vos saintes prières, à suivre ma très bonne mère et la vôtre, car c'était aussi votre bonne mère, qui vous aimait beaucoup ; priez bien Dieu pour elle, et ne l'oubliez jamais.
Je rends mille grâces à Notre Seigneur d'avoir calmé votre maison, et de vous avoir donné la grâce de gagner les coeurs et les esprits. Je me réjouis fort de voir monsieur N, qui nous dira de vos chères nouvelles. Possédez donc en bénédiction votre chère maison, et toutes vos chères filles, et que vous augmentiez en grâce et en sainteté. J'ai une sensible joie que vous soyez comme vous me mandez. Hélas ! si dans les commencements les choses avaient été de la sorte, vous seriez les plus triomphantes de la Pologne. Je crois même que vous auriez fait plusieurs fondations, car tout le monde était ravi de l'institut, mais le démon n'a pu souffrir un si grand avantage pour augmenter l'adoration.
De bon coeur j'écrirais les voeux de vos chères soeurs professes, mais je n'écris plus rien qui vaille, ma main est toute perdue, nous ne laisserons pas de faire de notre mieux au premier jour. 185
Je voudrais bien vous dire bien des choses, très chère mère, mais lisez-les dans mon coeur, et comprenez que ma pauvre mère est allée à Dieu, et m'a laissée seule ; c'est un grand sacrifice pour moi, mais je le veux comme mon Dieu le veut lui même, et être toute sacrifiée à ses adorables volontés, pour rester tant qu'il lui plaira, et pour souffrir tout ce qu'il voudra. Il me semble que je suis si seule, que je ne vis plus. Je suis sans être, et sans plus attendre autre chose que la séparation de tout l'être crée.
A Dieu très chère mère, je crois que, nonobstant ma langueur, je vivrai encore un peu de temps, pour achever ce que Dieu veut de moi. Je suis en lui tout à vous, très chère mère, vivons et soyons comme si nous n'étions plus.
Ce mot, très chère mère, est seulement pour vous assurer que j'ai ressenti l'effet de vos saintes prières, dont je vous rends mille grâces de tout mon coeur ; elles m'ont ramenée de l'autre monde où j'étais déjà par la meilleure partie de moi . Je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'a renvoyée, sinon pour commencer à faire pénitence ; mais mon âge, si avancé, me la fera faire bien petite et indigne d'être présentée à Notre Seigneur ; mon recours est à sa très sainte Mère, qui sera mon avocate et qui suppléera à mon impuissance. Je vous conjure de la bien prier pour moi.
Si j'étais près de vous, je vous dirais les miséricordes qu'elle m'a faites dans ma maladie, qui a duré près de trois mois et dans laquelle je me suis trouvée plus de trois fois à l'agonie. Peut-être serai-je obligée de vous en mander quelque petite chose pour augmenter votre confiance envers cette mère de bonté qui aime et qui protège notre institut. J'espère bien vous en écrire et répondre aux chères lettres que vous m'avez écrites, dont je vous suis très obligée, et à la chère mère Suzanne de la Passion, sa lettre m'a fait un plaisir singulier ; je lui répondrai, s'il plaît à Dieu, fort exactement, le premier ordinaire, si Notre Seigneur me conserve en l'état où je suis. J'ai pensé retomber plusieurs fois ; il faut que je demeure toujours abandonnée à son divin plaisir. Continuez-moi vos saintes prières, et me donnez de vos chères nouvelles un peu amplement.
Je bénis Dieu de votre sainte union, mais je voudrais que vous ayez beaucoup de cordialité ensemble : c'est la douceur des religieuses, éloignées comme vous êtes et dans un pays où vous avez peu de communications. Courage ! Vous avez sacrifié pour la gloire du très Saint Sacrement, il saura bien vous en récompenser : ne vous rebutez pas des croix. I1 est impossible de les éviter ; nous en sommes à présent environnées ; nous en avons bien besoin et plus que jamais, dans les maux dont nous sommes menacées. Je ne puis vous en dire davantage, mais priez. C'était bien mon dessein d'écrire à toutes en particulier, mais je n'ai pu continuer ; ce sera pour l'autre semaine. Je vous assure, mes très chères mères, que vous m'êtes très précieusement chères et que je ne vous oublie point, toute misérable que je suis. Puisque Notre Seigneur m'a retirée de la mort, je tâcherai de vous marquer que je vous aime toutes, du plus tendre de mon coeur.
Sur la chère vôtre du 21 mai, ma révérende et plus chère mère, j'aurais mille choses à vous dire, si l'on pouvait autant écrire. Je vous assure qu'il serait bien nécessaire, pour beaucoup de raisons importantes. Je ferai mes diligences pour écrire à la reine, pour la solliciter avec zèle et respect, et à M. le cardinal N. Je vous [assure] que le retardement des constitutions est pour moi une bonne croix, parce qu'il est impossible d'achever le reste, qui doit avoir rapport aux constitutions.
Hélas ! très chère mère, je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'a renvoyée des portes de la mort, sinon pour vivre encore un peu de temps dans un rude sacrifice ; je ne suis revenue que pour cela. Priez Notre Seigneur qu'il me fasse la grâce d'y être bien fidèle, car il faut que tout ce qui reste encore soit absolument et entièrement détruit. Il faudrait vous parler pour vous dire bien des choses que l'on ne peut fier au papier. Oui, 187 ma très chère mère, je voudrais bien faire la guerre à l'humain, mais je suis moi-même une lâche et sans coeur pour Dieu. Priez-le cependant qu'il détruise ce misérable humain qui l'emporte quasi toujours au-dessus de Dieu. Une telle guerre serait une juste entreprise, mais qui est-ce qui l'entreprendra rigoureusement ? Je pourrais bien dire quelques paroles pour animer à cela, mais les oeuvres ne suivent pas les paroles ; c'est pourquoi je ne ferais pas triompher le pur amour qui ne souffre pas d'humain.
Il faut répondre sur l'entrée de vos pensionnaires : cela dépend de vous de les faire recevoir avec la croix et l'eau bénite. Cela portera toujours bénédiction si vous le faites. Il y a des parents qui ne le veulent pas quelquefois, mais vous ferez toujours bien quand vous les recevrez de la sorte. Pour ce qui est de les laisser sortir, le plus sûr est d'avoir une permission générale de l'évêque ou du supérieur qui tient sa place, pour faire sortir les pensionnaires selon les besoins que vous connaissez, et que jamais elles ne sortent qu'elles ne soient bien accompagnées et bien observées.
C'est avec un extrême déplaisir, ma très chère, que j'ai différé si longtemps à répondre à votre chère lettre, que je reçus avec bien de la joie, car, à vous dire vrai, vos lettres et celles de la chère mère de Sainte Madeleine [d'Auvergne] me font un singulier plaisir, me faisant savoir un peu dans le détail de vos nouvelles et des bénédictions que Notre Seigneur verse sur votre maison. Je l'en remercie de tout mon coeur, et surtout de la paix et sainte liaison qui est entre vous.
J'ai appris que vous avez fait élection de votre prieure et continué celle que vous avez déjà élue autrefois [mère Marie de Jésus Petigot] ; je prie Notre Seigneur la remplir de son divin Esprit pour qu'elle conduise saintement le troupeau que Dieu lui a confié. Plus je vais en avant et plus je crains le compte qu'il faut rendre de ce terrible emploi. Cependant il faut espérer ses divines miséricordes avec une humble confiance. Si je pouvais vous entretenir, je vous dirais bien des choses en confiance, m'étant trouvée moi-même à ce terrible passage dans ma maladie. J'en devrais être convertie, mais ma lâcheté me fait perdre les miséricordes que Notre Seigneur m'a faites. Em- ployez vos saintes prières pour me faire commencer à être plus fidèle. Réparez pour moi, car je ne puis pas être encore longtemps en ce monde. Il faut payer la dette du péché par la mort qui doit détruire l'être pécheur.
Je vous conjure, très chère, de soutenir les intérêts de Dieu dans la sainteté de son oeuvre. Je vous dirai seulement ce qui fit mon plus grand poids dans mon agome : ce fut la sainteté de l'institut que je n'ai jamais bien remplie, et, si la sacrée mère de Dieu ne fût venue à mon secours en me déchargeant du poids de l'institut, j'aurais péri immanquablement. O très chère, quel épouvantable état de se trouver suspendue sur l'embouchure de cet effroyable abîme ! Priez Notre Seigneur me faire la miséricorde, par sa très sainte Mère, que je n'y retourne plus. Le seul effroi serait capable de faire mourir.
Vous êtes des premières avec la chère mère de Sainte Madeleine : je vous conjure toutes deux de bien soutenir la sainteté de l'institut. Il est si saint, et il est si saint, que les termes me manquent pour l'exprimer. Vous l'apprendrez du très Saint Sacrement ; c'est en sa sainte présence que vous pénétrez ses ineffables grandeurs et la sainteté où il veut que ses victimes soient animées. Vous avez des lumières et des grâces pour cela, puisque Notre Seigneur vous y a mises. Encouragez-vous toutes deux pour soutenir la sainteté de cet état, je veux dire la mère de Sainte Madeleine que je considère, et vous très chère mère, comme le soutien de l'oeuvre avec la révérende et chère mère prieure. Je suis ravie que votre union soit parfaite et que vous vouliez toutes le vrai bien.
Je tâcherai de vous envoyer les règlements de toutes les charges et emplois de la religion. Si l'on veut les observer, la maison sera dans la perfection. J'espérais les pouvoir faire imprimer, mais il plaît à Notre Seigneur me tenir dans la croix avec des impuissances dont vous seriez étonnées. Mais comptez que Notre Seigneur m'a mise dans la profonde abjection. Je l'ai reçue, ce me semble, avec respect et soumission, le suppliant d'en tirer sa gloire et sa complaisance. J'attends son secours quand il lui plaira, espérant que, quand il me l'aura donné, qu'il me tirera de cette vie. Selon l'humain, le temps ne sera pas long.
Priez bien la sacrée Mère de Dieu pour moi et me recommandez à toute la chère communauté que j'embrasse en esprit ; 189 ma chère soeur Catherine de Jésus 78 vous dira ce que je ne puis vous écrire. J'ai reçu les chères lettres de la chère mère de Sainte Madeleine ; embrassez-la bien pour moi. Je la crois toujours sous-prieure et vous maîtresse des novices, à moins que la révérende mère prieure n'ait fait du changement. Je prétends la chère consolation de lui écrire, si la divine Providence m'en donne le temps.
Ma très chère et très honorée soeur en Jésus, je vous envoie les voeux de votre profession 79, ainsi que vous les avez désirés. Je prie Notre Seigneur vous donner son Esprit et la grâce de les remplir dignement, pour être une victime de Notre Seigneur âu divin Sacrement, où il est lui-même le modèle de votre immolation. Je vous conseille, très chère enfant, de vous nourrir de cet auguste mystère, non seulement par la méditation des états qu'il y porte, mais par la conformité des états que vous devez pratiquer tous les jours de votre vie. La grâce qu'il vous a faite de vous avoir choisie et appelée pour lui être toute référée par une consécration est si grande qu'elle ne peut être assez considérée ni bien reconnue en ce monde : il faut toute une éternité pour la contempler et pour en rendre grâce à Notre Seigneur, qui vous a fait l'honneur de vous unir à son état
78. Soeur Marie Anne Catherine de Jésus Rasle reçut l'habit monastique rue Cassette, le 3 avril 1675, et fit profession le 4 mai 1676. En 1684, elle était maîtresse des jeunes pensionnaires.
Nos archives ont conservé deux lettres qu'elle adressa à une religieuse du monastère de Toul pour obtenir des renseignements sur mère Mectilde, en vue de les communiquer à l'abbé Pierre Berrand, ami du monastère de Châtillon-sur-Loing, qui avait accepté d'écrire la biographie de notre mère institutrice. Nous publions ci-dessous la première des lettres de soeur Anne Catherine de Jésus à mère Saint Michel Guillaume, religieuse à Toul. Elle était fille de François Râle et de Catherine Perron, de Chailly-en-Brie. Elle était âgée d'environ 23 ans en 1676, lors de sa profession.
79. Mère Mectilde avait coutume d'écrire elle-même, au verso de la charte de profession de ses moniales, la formule suivante : « Si vous observez vos voeux, nous vous promettons de la part de Dieu la vie éternelle. En foi de quoi nous avons signé N ; suivait la signature de mère Mectilde. Il est possible que les professes de Varsovie aient désiré que ce même texte, signé de notre fondatrice, soit écrit de sa propre main, au verso de leur charte de profession.
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d'hostie. Si vous comprenez ce bonheur, ma très chère, vous serez heureuse, car vous ferez tout votre possible pour que cette grâce ne soit pas vaine en vous. Je vous conseille d'y travailler avec courage et fidélité. Pour l'obtenir, vous la devez demander à la très sainte Vierge, notre souveraine mère et maîtresse, qui ne vous la refusera point. C'est elle qui a le soin de choisir des victimes à son divin Fils et de les préparer pour les rendre dignes de cette précieuse qualité, que vous avez la grâce de partager avec lui. Soyez bien généreuse pour lui rendre autant d'amour et de fidélité qu'il en attend de vous. Un vrai moyen d'y bien réussir c'est d'être bien reconnaissante de ses miséricordes. Je le prie vous les augmenter tous les jours jusqu'au point d'en être comblée et que le pur amour de Jésus Christ fasse un jour votre consommation. Je suis en lui, par sa très sainte Mère, votre très humble et très affectionnée servante.
Je viens vous marquer, ma révérende et ma plus chère mère, combien je suis obligée à votre grande dévotion d'avoir obtenu de solenniser la fête de [sainte Catherine], ma bonne patronne, [en rite] double. Je vous en fais un million d'humbles remerciements. Autrefois, tout le monde faisait fête chômée de cette grande sainte, mais nos seigneurs prélats ont retranché plusieurs fêtes en faveur des pauvres, pour les faire travailler. Je n'osais jamais espérer que vous eussiez tant d'amour pour cette grande sainte. Nous avons, ce jour, l'indulgence plénière. J'écris un mot de remerciement à la chère mère sous-prieure, mère Madeleine Dauvergne, croyant bien qu'elle aime sainte Catherine comme vous. Je prie cette aimable sainte de vous combler de mille et mille bénédictions, et toute votre sainte communauté que j'aime et que je chéris fort tendrement. J'ai un grand désir que Dieu la sanctifie et que votre maison soit une maison de bénédiction et des plus saintes de l'institut, parce que vous pouvez, dans la suite, faire plusieurs monastères dans un royaume où Notre Seigneur sera bien honoré. Nous sommes ici sur la croix ; beaucoup de misères nous envi-191ronnent. Vous seriez bien surprise si vous saviez à quel point l'on souffre et, par surcroît, deux de nos soeurs ont la petite vérole, mais par la grâce de Dieu sont déjà toutes bien.
Pour ce qui est des expositions du très Saint Sacrement, il faut que vous vous soumettiez aux ordres de monseigneur votre évêque. Il n'est pas d'obligation que toutes demeurent devant le très Saint Sacrement lorsqu'il n'est point exposé, mais il faut continuer les heures, chacune à son tour.
J'ai de la peine à consentir que l'on donne la portion de la très sainte Mère de Dieu 80 à une postulante. Je craindrais que, dans la suite des temps, on ne l'oubliât tout à fait. Prenez vos mesures, très chère. Si la nécessité vous y contraint, faites que ce ne soit que pour un temps, avec promesse signée de vos anciennes que ce n'est pas pour toujours, mais seulement pour un temps. Fixez-le à peu près. Voilà mon petit sentiment. Donnez l'aumône comme vous pourrez, en pain, viandes, ou autrement, puisque les pauvres du pays n'aiment point les viandes comme vous les mangez.
Je suis ravie des bénédictions que vous recevez de l'auguste mère de Dieu, pour votre cher noviciat. Il est en bonnes mains [mère Suzanne de la Passion Bompard].
Les postulantes vont au chapitre quand on les a reçues à l'habit, c'est-à-dire avant que d'être revêtues de l'habit. Vous pouvez leur faire faire leur demande en chapitre, et vous pouvez les exhorter là-dessus avant que les autres novices disent leurs coulpes.
Pour le feu du jour de la Nativité de la très sainte Vierge, ne vous faites point d'affaires pour cela : vous ferez toutes un feu dans vos coeurs, qui brûleront d'un pur amour pour la très
80. « Mettre au réfectoire une petite table pour poser le couvert de la mère de Dieu, qui sera servi le mieux qui se pourra : savoir une livre de pain, un potage et trois portions et dessert aui seront honnêtes ; et lorsqu'on la servira, il ne faut envisager que c'est pour les pauvres, parce que vous la serviriez trop mesquinement. Mais il la faut servir comme une abbesse très illustre, la première et toujours le meilleur, comme si vous la voyiez devant vos yeux : c'est le moyen de lui rendre votre charité agréable. Je vous recommande ce point, et, au souper, deux portions, du dessert et une salade ».
Nos monastères ont conservé cette tradition. La « portion » de la Sainte Vierge est destinée aux pauvres. C'est ainsi que saint Louis Grignion de Montfort demanda à la recevoir lors de son passage aux monastères de la rue Cassette et de Rouen. (Cf. Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 152).
sainte Vierge. Il faut faire ce que votre prélat vous ordonne et ne vous point affliger si l'on vous empêche de faire ce que votre bon coeur voudrait pour honorer la très Immaculée Mère de Dieu. Croyez-moi comme je suis de tout coeur votre fidèle et très affectionnée servante en Jésus.
Je ne veux, ma révérende et plus chère mère, que vous dire un petit mot sur votre chère santé, qui est toujours attachée à la croix, dont je suis sensiblement touchée. L'on dit qu'il y a plus de trois mois que vous souffrez d'un violent rhumatisme. Est-il possible que l'on n'y puisse point trouver de remède ? Ce sont les grands froids du pays ! Je vous supplie me faire mander de vos nouvelles. Les miennes sont bien languissantes. Je trouve que, depuis que j'ai rempli mes 80 années, que je suis plus faible qu'à l'ordinaire, ce qui me persuade que ma course ne sera plus guère longue. Je demande avec instance vos saintes prières pour une bonne mort, et pour obtenir de la très Sainte Vierge de ne me point abandonner dans mon agonie.
J'aurais bien voulu achever bien des choses avant que je meure. Je voudrais faire réimprimer nos Constitutions ; tous les monastères m'en demandent, et je ne suis pas en état de faire cette dépense ; avec les règlements de tous les offices qui s'exercent dans les maisons religieuses bien réglées, qui est une chose si absolument nécessaire que sans cela ce n'est qu'une confusion, mais quand on les pratique tout va en bénédiction ; c'est un petit paradis, chacune sait son devoir, et c'est ce qui soutient les maisons dans un état de perfection. La vôtre, très chère mère, qui est commençante, serait admirable si elle pratiquait tous les règlements. Je sais que votre bon coeur ne veut que le plus parfait et le plus saint et ce qui aide à sanctifier votre monastère. Si je puis faire imprimer ces règlements, ce sera de tout mon coeur, pour la gloire de notre divin Maître, que je vous les enverrai et pour votre consolation.
Notre Seigneur vous bénit et toute votre maison, tandis qu'il lui plaît nous tenir sur la croix d'une très grande pauvreté par les misères du temps. Nous avons eu bien des taxes et nous 193 n'en sommes pas à bout, outre la chèreté du pain ! Nous en avons dépensé depuis près de deux ans pour quinze ou seize mille livres, encore de très méchant pain que l'on ne pouvait quasi manger. Toutes les denrées sont d'une chèreté à n'en pouvoir acheter ! Il faut bénir le Seigneur qui nous a réduites, avec beaucoup d'autres, dans un état si violent. Nous n'y voyons de remède que par la paix générale. Dieu, par sa divine miséricorde nous la veuille donner, et vous donne une parfaite santé ! Continuez-nous vos saintes prières et me croyez sincèrement tout à vous.
J'ai reçu vos lettres, mes très chères mères, auxquelles je voudrais bien faire réponse à chacune en particulier pour ma consolation et la vôtre, car je crois que toute votre affection serait de voir votre maison dans l'état de sainteté que Dieu la désire. Il n'y a point de bonheur plus grand que de voir une maison religieuse bien réglée. Nous allons travailler au règlement général de tous les offices. J'attends la Providence pour les faire imprimer, parce qu'il n'est pas possible de faire tant de copies. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de les achever avant que je meure. Quoique je sente les approches de ma consommation, je serais contente si j'en peux venir à bout. Je demande pour cela vos saintes prières. Ce qui fait la perfection des maisons, c'est que chacune voit ce qu'elle doit faire dans l'emploi que la religion lui donne et, par ce moyen, il n'y a point tant de paroles ni de diversité de sentiments. L'on n'a qu'à suivre ce qui est écrit, conforme aux Constitutions, qui ne peuvent être bien observées que par la fidèle pratique des règlements. Je ne doute pas que, si on veut les pratiquer, que vous ne demeuriez d'accord que votre maison sera dans une grande perfection par l'union et conformité de pratiques qui la maintiennent.
Pour bien établir une maison religieuse, il faut établir les observances qui doivent la bien régler en tout et, dès les commencements, il faut établir les choses, si l'on veut réussir avant que l'on n'ait pris des habitudes que l'on ne peut après réformer qu'avec de très grandes peines. Je vous crois toutes si zélées pour la perfection et la bonne conduite de votre maison que, comme vous en êtes les colonnes, vous en êtes donc les soutiens. De plus, je connais vos bons coeurs, qui ne veulent que le bien et la bonne observance pour faire une maison sainte. Vous n'omettrez rien pour la rendre la plus parfaite qu'il vous sera possible ; vous serez la consolation et l'appui de la révérende mère prieure, qui ne peut tout faire par elle-même. Elle trouvera en vos personnes un secours, particulièrement dans ses maladies où elle souffre par la crainte du déchet de la régularité. Je prie Notre Seigneur vous donner à toutes l'esprit d'une parfaite union. C'est le point essentiel des maisons religieuses. Hors d'une vraie et sainte union de coeur et d'esprit, l'on ne peut réussir. Je vous prie, mes très chères mères, de bien tenir la main à cette union ; autrement le démon renverserait toujours le bien que vous tâcheriez de faire. Vous commencez, et commencez donc en bénédiction par cette parfaite charité qui règne et qui doit régner parmi vous. Prenez bien garde à retrancher les fautes qui se commettent contre la charité, surtout les rapports qui sont des pestes qui détruisent cette sainte vertu. Veillez, mes très chères mères, pour empêcher que la division n'entre jamais chez vous. J'aurais bien voulu vous écrire à toutes les trois en particulier, mais je n'en ai plus la facilité.
Recevez la présente avec le même coeur que je vous écris, vous embrassant toutes du plus tendre et sincère de mon pauvre coeur, et toute votre sainte communauté, à laquelle je souhaite une infinité de bénédictions, tant en général et chacune en particulier, que vous soyez toutes la bonne odeur de Jésus Christ, que vous puissiez augmenter son amour dans tous les coeurs et l'esprit d'adoration, par reconnaissance du don qu'il vous a fait de tout lui-même dans l'adorable sacrement de l'autel. Tâchez d'embaumer tout le royaume de vos saintetés, que vous soyez des objets de complaisance à Notre Seigneur Jésus-Christ, des vraies réparatrices de sa gloire et que, par vos fidélités, vous puissiez attirer toutes sortes de bénédictions sur le roi, la reine et toute la maison royale, pour laquelle nous sommes toutes obligées de prier pour leur conservation. Soyez aussi mes réparatrices pour tant d'ingratitudes et d'infidélités dont je suis coupable devant mon Dieu et l'abus que j'ai fait de ses divines miséricordes ; et pour comble de vos charités, obtenez-moi la grâce d'une bonne mort ; je vous en serai obligée dans l'éternité. Je vous embrasse encore une fois 195 d'une tendresse singulière et je vous dis à Dieu en Dieu. Je le prie de vous abîmer en son amour et que, vos saintes prières m'obtenant miséricorde par la très pure et immaculée Mère de Dieu, je puisse me retrouver avec vous dans le ciel pour aimer, adorer et glorifier l'adorable Trinité, Jésus Christ et sa très sainte Mère dans l'éternelle éternité.
Je crois, ma révérende et plus chère mère, que vous me permettrez d'agir avec vous dans la sincérité de mon coeur, en la vue et présence de Notre Seigneur, qui m'y oblige pour sa pure gloire et l'honneur du sacré Mystère que nous adorons, et du saint institut que Dieu nous a confié. Il me fait connaître qu'il y a entre vous quelque chose qui lui déplaît ; votre union n'est pas telle qu'elle doit être. Il y a déjà bien du temps que j'ai cette impression. Je ne l'aurais point reçue et ne vous l'aurais point mandée, si des gens de vos contrées n'étaient venus, à nos grilles, me dire des choses qui confirmaient les sentiments que l'on me donnait intérieurement. Ces personnes qui sont venues sont gens de qualité qui m'ont assuré que l'on disait que vous n'étiez point en union, mais plutôt en division, et que cela commençait d'éclater et faisait de fort mauvaises impressions dans les personnes de qualité, et que l'on disait que la reine, qui fait tout l'appui de votre maison, commençait fort à se refroidir.
Je vous avoue, ma très chère mère, que mon pauvre coeur a été navré d'une profonde douleur, et, d'autant plus sensible que je croyais votre maison la plus heureuse de tout l'institut, vous croyant dans une parfaite intelligence avec vos filles, sous-prieure et autres qui doivent faire avec vous un même coeur, et par conséquent une parfaite union. Au nom de Dieu, ma très chère mère, voyez d'où peut venir cette désolation ; car rien n'est plus affligeant qu'une maison religieuse divisée, cela est bien capable de faire mourir de douleur, car Notre Seigneur ne peut jamais être honoré, ni glorifié dans une maison où il n'y a point de sincère union ; et comme vous en êtes responsable devant Dieu, voyez et considérez en sa présence d'où peut venir ce malheur, car si cela est, je tiens votre maison 196 pour perdue. Je me souhaite auprès de vous, très chère mère, pour vous marquer ma douleur et, en même temps, examiner avec vous les causes de cette division.
Comme vous êtes chargée devant Dieu et que vous devez répondre du bien et du mal de votre maison, je me persuade que c'est peut-être quelque différend qui a paru entre vous, qui n'a pas édifié. Vous devez, très chère mère, sacrifier vos sentiments et vos propres lumières pour entrer dans une saine cordialité avec vos anciennes, pour ne paraître devant Dieu qu'un coeur et un même esprit. Votre maison doit embaumer tout le pays. Les filles du Saint Sacrement doivent vivre comme des anges qui sont en actuelle adoration et qui ne vivent que de l'Esprit de Jésus, sacrifié dans le divin mystère de l'autel. Il ne devrait rien avoir de plus saint dans l'Église que les filles du Saint Sacrement.
Prenez bien garde si vous avez le secret qu'il faut avoir quand l'on vous confie quelque chose ; si vous donnez la liberté à vos filles, soit jeunes ou anciennes, de vous dire leurs sentiments ; et si vous tâchez d'y entrer pour conserver l'union. Croyez, ma très chère mère, que pour être supérieure il ne faut pas croire qu'on le peut emporter sur les autres. Il faut souvent obéir au lieu de commander10. Ne croyez pas vos propres lumières, ne croyez pas même que vos lumières soient de Dieu, vous tomberiez dans une étrange erreur. Non, non, il faut s'accommoder, comme dit la sainte Règle, et croire que Notre Seigneur fait quelquefois connaître ses volontés par les plus jeunes. Rien ne plaît tant à Dieu que le coeur humble ; défiez-vous de vos propres sentiments. Achetez la paix et l'union de vos filles, et ayez toujours un saint rapport de vos sentiments aux leurs, pour le respect de la charité, que vous devez faire régner partout et sur tout. Les supérieures doivent donner l'exemple et préférer les sentiments des autres aux leurs propres, afin de les encourager à se démettre elles-mêmes de leurs propres lumières et sentiments. Et pour bien réussir dans la charge il y faut être sans prendre vie à quoi que ce soit, ne désirant que de faire régner Jésus Christ dans les coeurs ; ne parler qu'en son Esprit, et toujours se séparer de soi-même. C'est le vrai moyen d'attirer du ciel les bénédictions sur la mère et les filles et sur tout le couvent. Si la nouvelle de votre division passe dans cette communauté, il en faudra mourir de douleur, cela se répandra par-197tout. Remédiez à ce mal, très chère mère, avant qu'il soit plus grand. Prenez vos chères filles, conférez ensemble pour tâcher de connaître d'où vient de si méchantes impressions que l'on a de votre maison. Soyez cordiale et sincère avec vos anciennes pour qu'elles vous aident à découvrir le mal, et s'il est tel qu'on le dit, de travailler à y porter du remède. N'ayez qu'un coeur avec vos filles, animez-les de l'Esprit Saint qui vous doit animer, et toujours Dieu partout et pour tout. La pensée me vient que vous feriez bien de prendre les conseils de M. car l'on dit par deçà que c'est un saint. Suivez ses avis, il vous aidera à porter votre croix, et à vous sanctifier.
Mes très honorées et très chères mères,
Je vous fais celle-ci en attendant que Notre Seigneur vous fasse connaître ce qu'il faut faire pour sa gloire et votre consolation. J'ai le coeur navré de vous savoir dans la division, car Notre Seigneur n'y peut être honoré, les ennemis de notre institut en triomphent. Il y a longtemps que les démons nous ont menacées de ce que nous voyons aujourd'hui. J'en ai écrit à la bonne mère prieure, et la prie instamment de réfléchir d'où peut venir ce malheur, qu'elle fasse un peu d'examen pour voir si, de sa part, elle n'y donne pas quelque sujet. Je vous prie aussi, mes très chères filles, voyez devant Dieu s'il n'y a rien de la vôtre qui puisse contribuer à ce malheur.
Je sais que pour une parfaite union il faut que chacune y contribue, sacrifiant beaucoup de choses. Je vous conjure de voir ce qu'il faudrait faire pour réunir les coeurs qui sont choqués. Nous faisons des prières au très saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu pour la réunion des vôtres. Je sais bien qu'il y a des choses dans la conduite qui peinent, et qu'il y a bien de la difficulté à soutenir, mais courage ! J'espère que la puissante main de Dieu y mettra le remède que les créatures ne peuvent, et que Notre Seigneur me fera la grâce de répondre à tous vos différends. Si l'on pouvait observer les règlements, je crois qu'il se ferait un grand changement parmi vous. La révérende mère prieure verrait dans le sien ce qu'elle doit faire, et de quelle manière elle se doit comporter envers vous et toute la communauté. Comme je lui ai écrit une fort grande lettre de plusieurs choses, je doute si elle en sera contente ? Obligez-moi de l'observer sans lui faire connaître que vous savez que je lui ai écrit, à moins qu'elle-même vous le dise. Il faut tâcher à raccommoder les différends. Je voudrais savoir foncièrement en quoi ils consistent, je vous prie de me le marquer par articles. Je ferai tout mon possible pour vous consoler.
Si la bonne mère prieure n'avait pas encore deux ans à être dans la charge, l'on pourrait faire une autre élection, et n'était qu'il ne faut pas choquer la reine, cela serait bientôt. J'ai cherché quelque religieuse pour vous envoyer, mais personne ne veut se sacrifier. Celle que je comptais vous envoyer ne peut souffrir le carrosse sans vomir jusqu'au sang et des faiblesses continuelles. Jugez, si elle est si mal pour un petit voyage, que serait-ce d'un de cinq ou six cent lieues ! Elle n'irait pas à moitié chemin sans mourir. Je suis désolée sur ce sujet. Nous avons encore ici la bonne mère de la Croix 81 qui est d'une très grande observance et fort exacte, mais la santé ne correspond pas à son zèle ! Vous êtes si loin, mes chères enfants, que l'on se fait peur de vous aller trouver ! Je l'entreprendrais si je pouvais être utile et qu'on voulût ici me laisser aller. Mon âge ne dégoûte pas, car les vieilles créatures comme moi ne sont plus bonnes à rien. Mais, faisant réflexion comme la Providence divine vous a envoyées et qu'elle vous a retenues, tandis qu'elle en a renvoyé d'autres, je dois croire que Notre Seigneur vous donnera ce qu'il faut pour soutenir son oeuvre, et je vous conjure d'y faire votre possible, et que Notre Seigneur n'y soit point offensé au lieu d'y être honoré. Je suis en esprit auprès de vous, mes très chères mères, où je vous dis mille choses, pour voir les moyens de remettre tout dans l'ordre qu'il doit être. Ce
81. Anne Hanus, soeur Anne de la Croix, née à Bouxières-aux-Dames (Meurthe et Moselle), était fille de César Hanus, maire de Bouxières, et de Claude André. Elle fit profession à l'abbaye Notre-Dame de Consolation, à Nancy, le 3 février 1636. Prieure de ce monastère après l'agrégation à notre institut, elle mourut en juillet ou août 1696 au monastère de la rue Cassette. Elle était en grande vénération auprès de mère Mectilde et de la communauté. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, lettre du 7 août 1696).
199 qui me touche sensiblement ce sont les mauvais exemples que votre jeunesse en tire, et qui n'en seront jamais si exactes à leur devoir. Il n'en faut pas tant pour perdre un monastère. Je crains bien que, si la reine est une fois imbue de tout cela, qu'elle ne se dégoûte et qu'elle ne m'écrive, ce qu'elle a déjà fait une fois, qu'elle trouverait bien d'autres religieuses qui feraient l'adoration perpétuelle. Ces personnes-là se choquent très facilement. Mais le mal serait très grand et d'une fâcheuse humiliation pour notre institut. L'on en dit déjà assez par le retour des chères mères qui sont revenues ! L'on dit partout que la reine n'en était pas contente.
Je remarque ce que l'on nous a dit plusieurs fois que les démons feraient leurs efforts pour détruire l'institut. Ils ne le peuvent que par la division qui serait un grand scandale. C'est pourquoi, mes chères enfants, je vous invite encore à souffrir un peu de temps pour éviter un tel malheur. Que votre vertu en soit donc le soutien. J'espère que Notre Seigneur y pourvoira par quelque secours de son adorable Providence ; il aime trop l'institut pour le laisser périr. Celles qui en seraient la cause en porteraient de terribles châtiments de temps et d'éternité. Ce n'est pas mon ouvrage, comme on le dit quelquefois ; s'il n'y avait eu une main divine qui l'a fait, il y a longtemps qu'il serait détruit. Je sais ce qu'il a coûté dans les commencements et dans les suites. J'ose vous assurer que c'est l'ouvrage du très saint Coeur de l'Immaculée Mère de Dieu 82 et que c'est elle qui le protège. Je vous conseille d'y avoir un sincère recours avec une humble confiance ; elle vous rétablira. Nous expérimentons tous les jours son secours, par son Immaculée Conception, en diverses manières. Il faut, mes très chères mères, que vos saintes prières auprès de cette auguste Reine du ciel détruisent par son très saint Coeur la division que les démons ont semée dans toute votre communauté. Ne cessez de la prier jusqu'à ce qu'elle ait tout rétabli en paix et en bénédiction. Je vous assure qu'elle vous protégera.
82. Saint Jean Eudes (1601-1680), dont la piété mariale marqua toute la vie et toute son oeuvre, composa un Office en l'honneur du très saint Coeur de Marie et le fit éditer à Autun en 1648. Notre institut fut parmi les premières maisons religieuses à adopter cet Office dans son ordo. Une lettre de mère Mectilde, datée du 5 février 1658, signale que le monastère de la rue Cassette célébrait cette fête le 8 février suivant. Depuis la dernière réforme liturgique cette fête, entrée au calendrier universel, se célébre le samedi qui suit la fête du Sacré-Coeur. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976. Saint Jean Eudes, Œuvres complètes, t.V11, Beauchesne, 1908).
Nous sommes tous les jours bien exercées, et plût à Dieu que l'on puisse vous faire connaître toutes choses ! Vous seriez surprises des assauts que l'enfer nous livre très souvent, mais quand il semble que tout est perdu, c'est là où nous voyons les protections de cette divine Mère. Je vous prie d'observer ce qui serait nécessaire pour remettre les coeurs en union et faire rentrer tout le monde dans son devoir, car quand chacune fait ce qu'elle est obligée dans la sainte religion, c'est un paradis en terre qui embaume même les séculières. Voyons donc, très chères mères, ce qui se peut faire de votre côté et ce que vous croyez que la révérende mère prieure doit faire du sien ; cela n'empêchera pas que je ne vous envoie quelques religieuses quand je le pourrai. L'on m'a dit qu'il y avait un carrosse qui devait partir ce mois d'août prochain. Si je puis en trouver quelqu'une qui ne vous soit pas incommode, je sais à présent ce qu'il vous faudrait, et qui ne soit pas désagréable à la bonne mère prieure, je n'y perdrai pas de temps. Ma grande peine serait d'avancer les deniers des frais du voyage, car il me serait impossible présentement de le faire. Je crois que la chère mère Catherine de Jésus vous en a écrit et que vous êtes convenues ensemble. Elle pourra vous assurer de l'état d'impuissance où je suis, qui ne m'est pas une petite croix dans ce besoin.
Après que vous m'aurez mandé vos sentiments comme je vous les demande, mes très chères, j'écrirai à toute la communauté, une lettre qui sera peut-être bien reçue. Je prie Notre Seigneur vous donner son esprit et vous fasse la grâce d'entrer dans un parfait dégagement de tous les intérêts que la raison naturelle pourrait envisager, pour ne prendre que ceux de Notre Seigneur Jésus Christ, qui sanctifiera vos sacrifices et vous donnera la consolation de voir la paix rétablie dans votre maison ; vous en serez bien dignement récompensées devant Dieu ; vous ne pouvez rien faire de plus grand en sa sainte présence et qui vous attire plus de bénédictions. Je vous conjure, mes bonnes mères et mes très chères filles, de vous appliquer toutes trois à ce que je vous prie, par un saint désintéressement, et vous verrez que la lumière d'en haut vous sera abondamment communiquée. J'attendrai vos chères nouvelles, en réponse de celle-ci, avec impatience, car j'espère tout de la grande miséricorde de Notre Seigneur. Nous faisons faire des prières surtout à l'auguste Mère de Dieu.
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Mes très chères mères, m'étant donnée à Notre Seigneur et prié de tout mon coeur de me faire connaître les manquements qui avaient causé chez vous tant de malheurs qui ne peuvent s'accuser et remédier efficacement que par des secours extraordinaires du ciel, je connais que le mal est bien plus grand que vous ne le comprenez vous-mêmes, quoique vous en soyiez bien touchées. Oui, les maux sont venus à un tel point que les jeunes sont renversées et sont dans des angoisses extrêmes, jusqu'à produire dans le coeur de quelqu'une un sensible déplaisir d'être religieuse. Voilà en vérité un grand mal que cette malheureuse désunion a causé. Un autre encore plus grand c'est le scandale et la mauvaise édification parmi vos domestiques séculières, et vos pensionnaires, qui concevront un grand mépris pour l'état religieux.
Hélas mon Dieu ! d'où vient ce désordre ? Je laisse à Dieu le secret des coeurs qu'il connaît ; mais je vois l'imprudence d'avoir communiqué ses sentiments aux unes et aux autres qui a allumé l'incendie que vous voyez chez vous et que je vois, devant Dieu, terrible. Le démon a bien réussi en ses prétentions. Il ne fallait point donner tant de connaissance des différends qui faisaient votre division, aux externes qui sont dans votre maison, car les séculiers n'ont pas la prudence ni la chante pour excuser les manquements des personnes religieuses qu'ils prétendent voir comme des anges, incarnés en elles.
Une autre chose que l'on me fait encore remarquer, c'est que, dans vos difficultés qui ne sont pas considérables, vous appelez le seigneur prélat, incontinent, et par cette manière d'agir vous faites trop connaître les faiblesses de la maison. Les petits différends qui peuvent arriver fréquemment devraient se terminer au dedans, avec la supérieure, sans recourir au secours du dehors.
Il faut encore examiner une chose : savoir si l'on ne manque point de respect et de soumission à la supérieure. Peut-être aurait-on quelque sujet de s'en plaindre, et que les inférieures n'ont pas la liberté de lui dire les sujets de peine que sa conduite donne, il ne faut pourtant pas la mépriser facilement, ni porter jugement contre elle. Si les oeuvres qu'elle fait sont contre la régularité il faut toujours que la charité marche et qu'elle produise dans les coeurs le respect et la circonspection que Dieu demande aux inférieures, tâchant toujours de tolérer avec douceur et patience, pour ne point faire d'éclats et éviter les troubles qui sont excités fréquemment par les ennemis de notre salut et perfection.
Je vous dis tout ce que j'ai pensé devant Notre Seigneur, je vous prie de le bien recevoir, et que cela vous aide à découvrir ce qui a causé un si grand mal. Quand les misères d'une maison ne passent pas au dehors l'on y remédie plus facilement, mais, mes très chères, la vôtre éclate ! et la reine en tirera de mauvaises conséquences et produira du dégoût dans son coeur. Je sais ce qu'elle m'en a écrit autrefois, que les causes n'étaient que des ombres, comparées au mal présent. Je vois aussi que le révérend père, votre confesseur, est touché de la division de votre maison. Ce qui m'en touche et pénètre davantage, c'est de voir de jeunes religieuses, toutes remplies de cela et l'intérieur dissipé ! Hélas ! elles ne devraient pas savoir l'ombre de vos différends, cependant je vois, par leurs lettres, les angoisses de leurs coeurs. Quel remède à cela ? Et comment les rappeler au dedans d'elles-mêmes et leur ôter les impressions de mésestime qu'elles conçoivent des unes et des autres ?
Vous vous étonnerez, mes chères mères, de mes grandes lettres avec tant de redites. N'en soyez pas surprises. Je vois le mal, quoique de loin, qui me pénètre et me touche plus que de près, car si j'étais avec vous nous y pourrions ensemble, avec la grâce de Dieu, trouver quelques remèdes.
Si la mère prieure est trop dans ses sentiments l'on pourrait la ramener, mais de loin comme nous sommes l'une de l'autre il faut beaucoup écrire pour dire fort peu de choses qui n'ont quasi point d'effet ! Hélas ! si j'étais digne de soutenir l'oeuvre du Seigneur, avec quel plaisir je m'embarquerais, mais je suis une vieille misérable qui n'attends tous les jours que la fin. Je prie Notre Seigneur par sa très sainte Mère de vous remplir de son Esprit et qu'il vous donne toutes les grâces que vous avez besoin pour travailler courageusement à faire régner Jésus Christ Notre Seigneur, à le faire connaître et à le faire aimer, dans l'adorable Mystère de son amour. Il faut, mes chères mères, que vous ayez le courage et le zèle des saints martyrs, pour vous immoler chaque jour, non sur les amphithéâtres du 203 monde, mais par les purs sacrifices de vos coeurs, de vos esprits, de vos sentiments et même de votre raison, afin de pouvoir soutenir en paix et patience bien des choses qui font gémir et souffrir vos coeurs. Prions toujours Notre Seigneur qu'il sanctifie son ouvrage et qu'il ne permette pas au démon de l'outrager et de le détruire. Je sais qu'il s'y emploie et même avec les machines de l'enfer, mais vous avez le puissant secours de la très Sainte Mère de Dieu. Ne cessez donc de la prier, et pour la plus indigne de ses esclaves qui, en sa dilection sacrée, est tout à vous, je vous conjure d'en être bien persuadées.
Comme nous n'avons pas trop de temps pour la Pologne, il faut s'il vous plaît, ma très révérende et chère mère, que vous preniez la peine de nous amener la chère mère du Saint Esprit, pour que nous ayons le temps, avant son départ, de lui dire plusieurs choses qu'il faut qu'elle soit instruite. Je crois que monsieur votre supérieur vous donnera bien facilement permission, la chose étant de conséquence. J'attends des religieuses de Rouen pour accompagner notre chère mère du Saint Esprit. Elles ne tarderont point d'arriver, et ainsi il faut avancer le plus que l'on pourra. Prenez vos mesures, ma très chère mère, pour avancer, et priez Dieu pour moi, qui suis de coeur en Jésus tout à vous.
Je suis, ma très chère mère, tellement édifiée de vos réponses que je ne puis vous exprimer les sentiments de mon coeur pour les saintes dispositions du vôtre. C'est la pure grâce, très chère mère, qui anime votre coeur à tout sacrifier. Oh ! que je serais heureuse de vous accompagner dans le voyage de Pologne ! Mais je n'en suis pas digne. Venez donc, très chère mère, et apportez vos hardes. La mère de Jésus vous écrira sur ce que vous pourrez apporter. Venez donc, chère victime de mon divin Maître le plus tôt que vous pourrez. Il n'y a pas de temps à perdre. Je ne vous dis rien, sinon que je ne doute point que Notre Seigneur ne vous bénisse et qu'il ne vous comble de grandes bénédictions. J'espère aussi qu'il bénira votre voyage et que vous le glorifierez en Pologne. Nous vous dirons toutes choses ici, demeurez ferme dans votre sainte résolution. J'espère tout de la grande miséricorde de Notre Seigneur. Venez le plus tôt qu'il vous sera possible, par la voie qui vous sera la plus commode. Je rendrai à Anet ce que les chères mères vous auront donné pour votre voyage. Je vous attends avec toute la tendresse de mon coeur, étant en Jésus et sa très sainte Mère tout à vous.
Je voudrais bien pouvoir écrire à madame l'abbesse, votre chère cousine, pour la supplier d'agréer le choix que Notre Seigneur fait de votre chère personne pour la Pologne, il n'y a que la pure gloire de Dieu qui me presse de vous y envoyer. Il faut soutenir cette maison promptement ou il la faut laisser périr. Vous ne serez pas seule, j'ai une compagne à vous donner, qui ne cherche que Dieu uniquement et qui se sacrifie comme vous de la belle manière. Notre Seigneur fera par vous ensemble des merveilles pour sa gloire. Je vous attends, très chère mère, ne tardez que le moins que vous pourrez, et croyez-moi à vous.
Je prétends bien avec l'aide de la grâce vous faire réponse, mes très honorées et très chères filles, à celles que vous avez pris la peine de m'écrire. Je crois les avoir toutes reçues avec une extrême douleur de voir les états affligeants où je vous trouve quasi toutes, qui m'auraient donné une très sincère affection de partir, par une occasion qui se présente, pour vous aller toutes consoler.
Je suis si sensiblement touchée de voir une maison naissante dans une grande division, qu'il m'est facile de croire que les ennemis de votre salut ont fait ce grand désordre pour empêcher la gloire de Notre Seigneur, dans vos coeurs et dans votre monastère. C'est un mal extrême et un des plus grands de ceux qui peuvent affliger une maison religieuse, car c'en est quelquefois la ruine totale ; il n'y a que trop d'expériences de ces malheurs qui ont des suites si effroyables. Je suis bien affligée que le démon ait trouvé des sujets si faibles pour vous jeter dans ce désordre ! Hélas, mes chères filles, un peu d'application à la présence de Dieu et de mortification, pour vous rendre fidèles à la grâce, auraient empêché que la nature et le démon ne vous eussent jetées dans cet état déplorable. Je vous conjure, mes chères enfants, de ne pas donner ce triomphe à l'enfer, de vous voir sortir des saintes dispositions où les victimes du Fils de Dieu, immolé pour nous sur l'autel, vous doivent tenir.
Comme il n'y a rien de plus saint dans l'Église, que l'institut que vous avez professé, le démon a eu ce pouvoir de vous faire quitter les saintes pratiques que vous devez avoir toujours en usage, pour vous rabaisser dans des sentiments humains qui n'ont d'autre motif que de satisfaire l'amour-propre, qui ne veut point souffrir, ni agir dans l'esprit de votre sainte profession, qui vous oblige toutes de vivre de l'Esprit Saint de Jésus Christ et de mourir à nous-mêmes pour nous conformer aux sacrés états qu'il porte dans l'adorable sacrement de l'autel où vous l'adorerez incessamment. Ce n'est pas un vrai hommage que vous lui rendez si vous ne marchez pas conformément aux Règles qu'il vous donne. Voyez, mes très chères enfants, si ces adorables paroles portent l'effet qu'elles doivent porter dans vos coeurs, quand il vous dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». Où est votre douceur quand vous faites des saillies et des emportements qui ne conviennent point à une âme religieuse ? Et combien faites-vous de péchés en donnant de très mauvaises édifications, au lieu de porter par vos paroles et par vos manières d'agir, la bonne odeur de Jésus Christ ? Et ces autres paroles de Notre Seigneur : « Celui qui veut être mon disciple qu'il renonce à soi-même et qu'il porte sa croix pour me suivre » (Mt 16, 24).
Vous voyez qu'il faut porter sa croix de quelque part qu'elle nous arrive, il faut tâcher de la souffrir avec douceur et patience, c'est-à-dire qu'il ne faut pas s'emporter contre celle qui vous fait de la peine, mais la souffrir patiemment à l'exemple de Notre Seigneur qui doit être notre modèle partout et dans toutes les occasions de pratiquer la vertu pour nous rendre fidèles à la loi qu'il nous en donne et à la sollicitation de sa grâce, qui ne manque jamais de nous faire connaître la manière sainte que ses victimes doivent observer.
Croyez-vous, chères filles, vous pouvoir sauver sans abnégation ? Il est impossible sans renoncer à vous-même. Vous avez des constitutions qui vous feraient vivre d'une autre sorte si vous vouliez en prendre l'esprit et les pratiquer. La principale vertu c'est la sainte obéissance, sans quoi nous ne pouvons être vraies religieuses, ni faire aucune chose qui soit agréable à Dieu. Et pour vivre dans cette vertu que Notre Seigneur a tant chérie sur la terre, qu'il s'en est réservé la pratique au très Saint Sacrement, c'est, mes très chères filles, ce qui fait les vraies religieuses et par laquelle l'on connait si le pur Esprit de Dieu les conduit. La religion établit des supérieures dans chaque monastère pour donner lieu aux religieuses d'obéir. Il les faut regarder comme celles que Dieu a choisies pour tenir sa place et pour lui confier son autorité, c'est pourquoi il faut les respecter et leur obéir simplement et sincèrement, comme à Dieu même, ce sont les paroles de notre sainte Règle ; c'est le moyen de conserver le bon ordre dans une maison religieuse et d'y vivre de la sainteté que nous y professons, car sans l'obéissance il n'y a rien dans une religieuse qui puisse plaire à Dieu. Pesez bien, mes chères filles, cette vérité qui est essentielle et qu'il faut bien graver dans vos coeurs pour assurer votre salut. Vous savez que ce n'est pas l'habit qui fait la vraie religieuse mais l'observation de ses voeux et les engagements de sa pro-207fession qui la fait vivre d'une vie renoncée, c'est-à-dire dans une continuelle mortification de ses sens, de la nature et de son propre esprit qui veut toujours régner.
En attendant que je puisse écrire à chacune en particulier je vous prie instamment, mes très chères et bien aimées filles, de recevoir de bon coeur la présente qui vous sollicite à vous remettre dans la charité et sainte cordialité les unes envers les autres, et de rendre à votre supérieure les devoirs que vous lui devez, en attendant que la divine Providence fasse d'autres changements dans votre maison. Nous sommes assurées qu'elle ne veut que la pure gloire de Dieu et vos sanctifications. Remettez-vous au plus tôt, mes très chères filles, dans l'état que Notre Seigneur veut de vous. Confondez les démons qui prétendent détruire l'oeuvre de Dieu, réunissez-vous toutes par son divin Esprit, sacrifiant, chacune en particulier, les raisons qui la tiennent dans la désunion. Il faut se surmonter soi-même et, par ce moyen, vous serez toutes des vraies victimes dont vous faites profession. J'espère vous envoyer sans retardement du secours. Je vous prie le bien recevoir, vous en serez édifiées, ce sont de saintes filles qui se sacrifient uniquement pour Dieu. Tâchez qu'elles trouvent parmi vous la douceur et la charité qu'elles quittent par deçà. Je vous proteste que j'ai une extrême peine de les voir partir sans moi, je les accompagne en esprit. Ce n'est pas que je vous sois nécessaire, mais c'est mon affection qui me donne ce désir, et que j'accomplirais si j'étais libre, sans répugnance des fatigues d'un si long voyage. Renouvelez-vous toutes, mes très chères, afin de confondre l'enfer et de relever plus saintement que jamais le règne de Jésus Christ. C'est pour sa gloire qu'il vous a appelées dans l'institut, remplissez ses desseins et vous en recevrez le centuple en ce monde, et une éternelle félicité en l'autre. Ayez un grand coeur pour sacrifier tous vos petits intérêts particuliers à Notre Seigneur et que son Esprit règne uniquement en vous. Vous réparerez, par ce moyen, les scandales de votre division, qu'il faut réparer sous peine de damnation, vous le savez, très chères. Ne retardez pas un moment après la présente reçue, que je vous écris de la part de Notre Seigneur dont, très indigne que je suis, je tiens la place dans l'institut, non par les créatures mais uniquement par Lui. Je vous dis cette parole qui m'abîme et m'anéantit, non par hauteur mais par une confusion qui me fait mourir à toute heure ; connaissez mon effroyable indignité et toute, telle que je suis la plus indigne qui soit sur la terre, je suis en son Esprit et en son amour tout à vous11.
Souvenez-vous que vous êtes toutes les premières, et qu'il faut que celles qui entrent dans votre maison marchent sur vos pas. Jugez quel malheur éternel si vous ne leur donnez pas, par vos exemples, l'édification que vous devez et par les saintes pratiques que l'on doit voir en toutes vos conduites, surtout : celle de l'obéissance et d'une très profonde humilité qui ne permet pas à l'esprit humain de s'élever par orgueil et par fierté. Je veux espérer, pour ma consolation, que vous réparerez tout et que vous vivrez désormais comme de véritables victimes de Jésus Christ. Je le prie, par sa très sainte Mère, de vous combler de bénédictions, avec toutes les grâces que vous avez besoin pour remplir vos devoirs. Ayez surtout une parfaite confiance à la très immaculée Mère de Dieu ; si vous y avez recours elle vous consolera et vous donnera ce que vous lui demandez pour être aussi saintes que vous le devez être.
C'est votre indigne servante et fidèle amie.
Il est bien juste qu'après avoir écrit à vos filles une lettre en général, en attendant que je puisse mieux faire, que je vous fasse ce mot pour vous donner avis que votre chère fille du Saint Esprit Boutily se sacrifie avec un coeur admirable pour l'amour de Notre Seigneur, avec une autre religieuse qui est dans les mêmes dispositions. La mère de Jésus nous en a écrit, vous serez édifiée de l'une et de l'autre. Je vous conjure de prévenir la reine et de l'obliger d'agréer ces deux sujets. J'aurais bien voulu en mettre une troisième si j'avais pu trouver de l'argent d'emprunt, la croyant fort nécessaire, car il faut remédier au mal par des sujets qui soutiendront le bien. Je vous assure que si j'étais en pouvoir je ne vous laisserais rien à payer, mais Dieu connaît l'état où je suis, Prenez donc, très chère mère, votre temps pour prévenir la reine, parce que ces deux chères mères partiront dans trois ou quatre jours dans le carrosse de M. le cardinal, qui part incessamment, la commodité est admirable. Je voudrais être de la partie et s'il ne tenait qu'à moi, je 209 vous assure que je ferais le voyage avec joie, mais comme je suis indigne de vous y rendre service, je demeure dans le néant. Je crois que vos chères filles vous feront voir la lettre que je leur écris pour les solliciter à se remettre dans une parfaite union. L'état de notre maison est des plus affligeants et qui se détruira si Notre Seigneur n'y met sa très sainte main. Il faut faire beaucoup de prières pour cela, surtout à la sacrée Mère de Dieu, de qui nous devons attendre tous les secours que nos besoins demandent. Faites faire des prières à cette auguste princesse du ciel et de la terre avec une confiance filiale ; vous en recevrez d'admirables effets.Je crois que vous avez reçu mes lettres. J'ai écrit aussi à la chère mère sous-prieure, et à celles qui sont dans son union. Il faut que tout le monde se quitte soi-même, pour rentrer dans une parfaite union universelle. Je ne veux que Dieu en tout. Je prie vos chères filles de bien recevoir et agréer ce que j'écris, puisque ce n'est que pour le bien de toutes. Je vous assure que je n'ai point d'autres intérêts. Je suis ravie de vous envoyer la chère mère du Saint-Esprit ;vous l'avez toujours aimée, continuez toujours,. très chère mère, elle vous sera utile, et sa compagne aussi ; je vous les recommande. La mère de Jésus vous mandera comme elle a répondu pour l'argent qu'elle a emprunté. Elle se tient bien sûre que vous lui ferez rendre, et moi je vous prie d'être bien persuadée que je suis tout à vous, très chère mère, mais d'un coeur très sincère. J'aurai l'honneur d'écrire au révérend père votre confesseur le plus tôt que je pourrai, pour le remercier des bontés qu'il a pour vous. Je lui en suis très obligée.
J'admire, ma très chère (mère), le grand coeur que Notre Seigneur vous donne pour sa gloire. Si j'étais à ma liberté, je vous assure que je serais de tout mon coeur votre compagne, car il n'est pas possible de vous en donner, ayant renvoyé celles que nous attendions, jusques à la mère de Domfront qui est toujours dans le même zèle ; mais elle ne pourrait être ici plus tôt que dans 5 ou 6 jours, au plus vite, n'ayant point de voiture, que de certain jour de la semaine, qui est le vendredi ; et je vois par vos lettres que le moment presse. Cette bonne demoiselle pourrait vous servir de compagne et, si la chose se faisait, il faudrait vous déguiser, ayant à l'extérieur une forme d'habit de demoiselle, comme elle, cela serait moins hasardeux ; mais quant au for interne si vous devez aller ou non, il semblerait que Notre Seigneur vous y dispose ; vos raisons sont très bonnes, et je les approuve fort, mais pour vous commander de faire le voyage, je ne le puis, quoique l'on me dit hier, qu'il y avait quatre religieuses de Saint-Maur 83 qui partaient pour la Pologne. Si j'avais pu apprendre leur route, je les aurais priées de vous recevoir en leur compagnie. Je crois bien que Notre Seigneur vous conservera, vous donnant un si grand zèle. Mais quel moyen d'aller seule ? Selon le monde on me blâmerait, et vous aussi, et toute votre chère famille jetterait feu et flammes contre moi, de vous envoyer. Cependant j'ai peine d'éconduire votre zèle, peut-être que Notre Seigneur se servirait de votre présence pour apaiser le trouble, je n'en douterais pas. Mais le moyen de vous dire d'aller ? Il faut une permission de monsieur votre supérieur, ou des grands vicaires de Paris, vous ne pouvez obtenir cela dans si peu de temps.
Je vous remets au consentement de mesdames vos parentes, si elles vous donnent les mains, je croirai que Notre Seigneur le veut. Comme je l'ai beaucoup prié pour rompre ce voyage, je ne suis pas digne que sa bonté me manifeste ses volontés. Je l'en prie cependant de tout mon coeur ; que s'il le
83. Les Soeurs de l'Enfant Jésus, dites de la Providence, furent fondées à Rouen par le père Nicolas Barré, de l'Ordre des Minimes, en 1666. Ce religieux était arrivé à Rouen en 1659 au monastère des Minimes, que le cardinal de Bourbon avait appelés en 1601. Ils construisirent les bâtiments occupés par les bénédictines du Saint Sacrement depuis 1802.
Mandé à Paris par ses supérieurs en 1675, le père Barré put, grâce aux dons de Marie de Lorraine, duchesse de Guise, établir plusieurs écoles dans la capitale. Il fit venir une religieuse de la congrégation de Rouen, Marie Hayer, et ouvrit alors un noviciat dans un petit hôtel de la rue Saint-Maur, près du séminaire des Missions étrangères. Telle fut l'origine de la seconde branche de l'institut fondé par le pire Nicolas Barré pour l'enseignement des filles. Le père Barré mourut en 1686, après avoir eu la joie de voir s'étendre son institut à plusieurs villes de France. C'est à lui que Mme de Maintenon fit appel pour l'éducation de demoiselles de Saint-Cyr. (Cf. Ch. Farcy, L'Institut des sœurs du Saint Enfant Jésus, dite de la Providence de Rouen, 1938). La cause de béatification du père Nicolas Barré est en cours à Rome.
211 veut, qu'il lui plaise le faire connaître par les événements qui le facilitent. Quant à l'argent, il serait tout prêt, mais je conjure la chère mère prieure de faire des prières et voir le sentiment de la communauté. Si elle le veut, que la communauté y consente, je croirai voir encore en cela une manifestation de la volonté de Dieu ; voilà, très chère mère, le plus certain moyen de la connaître. Il faut beaucoup prier aujourd'hui la sacrée Mère de Dieu, et demain, après la sainte communion, la chère mère prieure prendra le sentiment par voix verbales, ou secrètes, par les balottes mais qu'au nom de Dieu, chacune en cela agisse avec une sainte vue de la plus pure gloire de Dieu. L'on peut encore se servir de billet. De ma part, je ferai prier et dire la sainte messe. Voilà, très chère, ce que je peux, faites voir la présente à la chère mère prieure ; Notre Seigneur en décidera et non les créatures. Il faut toujours avoir l'agrément de vos proches. Vous me ferez savoir la réponse, s'il plaît à la révérende mère prieure. Je ne puis m'opposer et je ne puis commander, mais il semble que Notre Seigneur le veut, vous donnant le courage qu'il vous donne. Je vous assure que mon coeur y est tout porté, mais comptez que je ne puis commander. Je crois cependant que Notre Seigneur vous bénira et, plût-il à Dieu, j'aurais voulu vous pouvoir vous servir de compagne, mais les saints anges vous en serviront et ne vous abandonneront jamais, la sacrée Mère de Dieu vous tiendra dans son très saint Coeur ; mais après tout, comptez que je ne vous envoie pas absolument. Je consens à ce que Notre Seigneur veut et croyez que je suis, en lui, tout à vous. Si vous allez, faites-le moi savoir promptement.
Je ne sais, ma révérende et mes très honorées et chères mères, si j'aurai fait une chose qui vous soit agréable, mais après avoir fait mon possible pour gagner celle que vous avez témoigné désirer, qui est de vous envoyer des mères anciennes, personne de celles que vous avez désirées n'ont voulu s'exposer à un si long et fâcheux voyage, et si dangereux dans l'état où les guerres paraissent universelles. La chère mère N. est actuellement malade, la chère mère N. ne veut point sortir de cette maison, la chère mère N. n'a pu se résoudre à tant de fatigues en toutes manières, et d'autres que j'ai sollicitées. L'on m'a refusé de toute part, même dans la maison de Rouen.
Je me suis arrêtée à nos chères mères de Saint-Louis, une desquelles m'a ravie, voyant son zèle et son amour pour la gloire du très Saint Sacrement. Elle s'est offerte de la meilleure grâce du monde, sans considérer sa propre délicatesse, qui n'est pas d'un tempérament robuste (mais qui) n'a que Dieu en vue et l'unique désir de vous seconder dans l'oeuvre du Seigneur, autant qu'il lui plaira en donner la grâce ; en un mot : malgré les oppositions de sa famille, elle est partie avec une jeune soeur novice [Soeur Catherine de l'Assomption Faguet], que je vous supplie vouloir bien recevoir pour être professe, quand elle aura fait son temps d'épreuve. Je crois que vous serez édifiées de son courage. Toutes deux sont parties dans un esprit de pur sacrifice. En vérité, il est à admirer, car il faut une foi et une confiance aussi grandes que Dieu donne à cette chère mère, qui s'immole avec sa petite compagne, et fait voir la force de la grâce en elle et la pureté de son zèle pour Dieu. Si vous saviez en quels hasards elles se sont exposées, vous admireriez comme nous faisons le coeur et le courage dont Notre-Seigneur les a animées. J'espère qu'elles vous seront utiles, surtout la chère mère du Saint-Esprit ; c'est une fille sans intérêts, qui est passionnée de vous rendre service. On la regardait à Saint-Louis comme capable de soutenir et remplir les places les plus nécessaires ; nous l'avons vue et reconnue capable de bien servir la sainte religion. J'espère que vous en serez édifiées et contentes. Je vous supplie, mes chères mères, de la bien recevoir, et de vous persuader qu'elle n'a aucun dessein que de vous rendre service. Son sacrifice est grand et cependant d'une ferme résolution de seconder le zèle que vous avez de perfectionner l'oeuvre que Notre Seigneur a mise entre vos mains ; elle est la seule qui a bien voulu marquer qu'elle est, en vérité, victime par effet, aussi bien que de parole. Je prie Dieu de tout mon coeur que vous en soyez aussi satisfaites que je le désire et qu'elle a de volonté de vous contenter.
Je supplie la révérende mère prieure de la présenter à la reine. J'espère que sa vertu l'édifiera et la rendra agréable à Sa Majesté. Si vous lui témoignez qu'elle vous sera utile, elle est 213 capable des emplois de la sainte religion ; vous le connaîtrez à l'usage. Je puis vous protester, d'une vérité très constante, que j'ai désiré ardemment de lui servir de compagne et, sans avoir égard à mon insuffisance en toutes manières, je me serais, d'une affection très sincère, jetée dans le carrosse pour vous aller marquer ma tendresse et la sincère affection de mon coeur. Je n'ai pas été digne de ce bonheur ; mon âge aurait rebuté Sa Majesté, mais je vous assure que mon coeur n'aurait pas manqué au profond respect que je lui dois et à la reconnaissance que tout l'institut doit avoir, et qu'il aura éternellement, de l'honneur de sa protection et de toutes les grâces dont elle nous a toutes gratifiées. Je vous avoue que ma reconnaissance est au-delà de toutes les idées des créatures. Il n'y a que Dieu qui pénètre les vrais sentiments de mon coeur pour cette auguste reine, que j'aime de toute la capacité de mon coeur, et que nous ne pouvons assez aimer ni vénérer comme la plus excellente reine qui soit sur la terre. Je la crois sans pareille, et surtout son zèle et son amour pour Dieu. Rien n'est plus admirable que de voir Sa Majesté occupée aux grandes et importantes affaires de son royaume, et conserver tant de piété et de religion. C'est la merveille du monde ! Nous prions sans cesse pour sa conservation et pour toutes les intentions de son coeur royal. Soyez toujours bien soumises à ses volontés et à tous les devoirs que vous êtes obligées de lui rendre. Si j'étais à ses pieds, je tâcherais de la persuader qu'on ne peut être à elle avec plus de zèle, de fidélité et de reconnaissance très respectueuse, que je suis.
Je vous supplie, mes très chères filles, de conserver parmi vous une sainte cordialité ; que la charité lie vos coeurs et que l'Esprit Saint de Jésus Christ vous anime en tout et partout. Donnez-moi de vos nouvelles tandis que je suis encore en ce monde et me marquez en quoi je puis vous être utile, car je vous assure que je vous aime toutes au-delà de ce que je puis vous exprimer. Si vous désirez que je vous écrive à chacune en particulier, je le ferai de tout mon coeur, qui est si tendre pour vous toutes. Souvenez-vous que Dieu vous a choisie par l'excès de son amour12, il vous a confié ses intérêts, ne lui soyez point infidèles.
Tâchez de remplir vos vocations et d'être aussi saintes que des victimes du Fils de Dieu au très Saint Sacrement le doivent être, pour sa pure gloire et pour édifier tout le monde, car vous devez être si saintes que vous édifiiez toutes les créatures et les animiez de l'amour de Jésus Christ. Que ne suis-je auprès de vous pour épancher mon coeur et vous encourager toutes à vous consommer des divines flammes qui sortent du sacré tabernacle, et que vous recevez tous les jours. Séparez-vous de l'humain, abandonnez tous vos petits intérêts pour vous conformer à l'adorable hostie, qui est tous les jours immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et vous faire, avec lui, des hosties dignes d'être consommées à sa gloire. Je ne finirais pas si je suivais les mouvements de mon coeur qui est, en Jésus, tout à vous. Je vous embrasse toutes dans le Sacré Coeur de la très Immaculée Vierge, Mère de Dieu où vous êtes toutes et d'où vous ne devez jamais sortir. A Dieu en Dieu, il faut finir ! C'est votre fidèle servante.
J'ai reçu vos chères lettres, ma révérende et plus chère mère, avec bien de la consolation. C'est la plus grande satisfaction de ma vie que de recevoir de vos lettres, car nous sommes si loin de présence corporelle que cela peine beaucoup, à cause que nous ne pouvons nous rendre les services que nous voudrions. Je suis cependant en esprit bien près de vous, priant Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, de vous soutenir et fortifier dans les amertumes de la vie.
Votre dernière m'a consolée un peu, me disant que les choses vont mieux. Je prie Dieu qu'ainsi soit. Vous savez donc à présent que c'est notre chère fille [mère du Saint Esprit] qui généreusement s'est offerte ; et d'un courage constant, elle ne s'est point effrayée des difficultés d'un si fâcheux et long voyage, se confiant à la sacrée Mère de Dieu, allant d'un grand coeur pour la gloire du très Saint Sacrement. Dieu veuille qu'elle vous soit utile pour la paix et le repos de votre maison. Il ne faut pas, très chère mère, la mettre d'abord dans les premières charges, vous pourriez exciter une peine aux autres. Mais dans la suite des temps vous verrez où elle sera propre. Je crois qu'elle n'a qu'un défaut, à quoi vous prendrez garde, 215 comme elle a du zèle et que le coeur est bon, elle parle de son abondance, et, je crois, bien plus qu'il ne faudrait. Conseillez-lui de peu parler et d'écouter beaucoup. Nous lui avons donné nos petits conseils. Gardez-vous bien de faire de la jalousie en lui témoignant plus de confiance et d'affection qu'aux autres. Vous savez qu'il faut ménager les esprits pour conserver la paix. Les supérieures doivent avoir une grande prudence. Je prie la sacrée Mère de Dieu d'être votre lumière et votre conduite.
Je vous prie de donner la ci-jointe que j'écris à la chère mère du Saint-Esprit, aussitôt qu'elle sera arrivée. Je prie le Saint Esprit de conduire sa langue et qu'elle témoigne bien de l'affection à toute votre communauté et surtout aux anciennes. Je prie Dieu de lier tous vos coeurs au Coeur de Jésus, par le très saint Coeur de sa précieuse Mère. Je vous fais ce mot assez pressé afin que vous le receviez avant l'arrivée de cette chère mère. Je suis indigne des bontés de la reine. J'ai pris la liberté de lui écrire pour prier Sa Majesté d'agréer la mère du Saint-Esprit, à la place de la mère N. qui n'a pas assez de santé pour l'exposer à un si long et pénible voyage. La mère N. veut bien vous aller rendre les services, mais elle est actuellement malade. mes fort touchées ; ce sont de saintes filles qui ont bien travaillé pour Dieu et pour l'honneur de l'ordre de Saint-Benoît par tant de livres et autres choses qu'elles ont faites. Priez bien Dieu pour elles, c'est une grande perte pour nous, mais il faut toutes mourir. Je me plains de vous à vous-même, très chère mère, du peu de soin que vous avez de votre santé. Si vous ne vous conservez pour l'amour de Notre Seigneur, j'en ferai mes plaintes à Sa Majesté. Vous prenez trop sur vous. Je vous prie et vous conjure de vous soulager mieux que vous ne faites. Vous êtes à Dieu, très chère mère, et à ses usages ; ayez donc soin de votre vie, pour Dieu, elle n'est point à vous. Vivez donc pour lui. J'aurais bien des choses à vous dire qui vous étonneraient si je vous les pouvais marquer, mais Notre Seigneur ne veut pas que mon amour-propre soit satisfait. Il faut tout sacrifier. Je vous recommande toujours de m'obtenir la grâce d'une bonne mort par l'intercession de la sacrée Mère de Dieu ; j'avance toujours vers la fin, et, cependant, Notre Seigneur me fait vivre. Je voudrais bien que ce fût en son Esprit et pour sa pure gloire13. Adieu, il faut que je vous quitte en vous embrassant en esprit, priant la très auguste Mère de mon Sauveur, Jésus Christ, de vous bénir avec toutes mes filles et généralement toute votre maison. Je suis de coeur tout à vous.
Je vous recommande les chères mères de Blémur 84; la jeune se meurt, l'aînée en est terriblement affligée ; elle est à présent à ne pouvoir plus se conduire, et dans de grandes incommodités. Il n'y a guère d'apparence qu'elle vive encore du temps. La mort de la jeune, fera mourir l'autre ; nous en som-
N° 797
84. Marie Jacqueline Bouette de Blémur, mère Saint Benoît, (8 janvier 1618-24 mars 1696). Elle était entrée à l'abbaye de la Trinité, à Caen, à l'âge de cinq ans et y avait fait profession à seize ans. Elle remplit des charges importantes ; en particulier, elle fut maîtresse des novices et prieure. En 1678, elle entra, avec sa soeur, au monastère de la rue Cassette, n'hésitant pas à refaire son temps de noviciat pour mieux s'imprégner de l'esprit de notre institut. La princesse de Mecklembourg avait offert à mère Mectilde de fonder un monastère sur ses terres de Châtillon-sur-Loing et souhaité que les mères de Blémur, auxquelles l'unissaient des liens de parenté, en fussent les premières supérieures. La fondation de cette maison ayant été retardée d'une huitaine d'années, leur âge alors ne leur permit plus d'en assurer la direction et elles demeurèrent l'une et l'autre au monastère de la rue Cassette. La vaste intelligence et la haute piété de la mère Saint Benoît l'incita à écrire une oeuvre très féconde, notamment : L'Année bénédictine, 1662, Les éloges de personnes d'une éminente vertu, 1679. La vie de saint Pierre Fourier, Les grandeurs de la Sainte Vierge, etc... (Cf. Dom Chaussy, Les Bénédictines de la reforme catholique en France au XVII' siècle, Ed. de la Source, 1975).
Je viens savoir, très chère, le succès de votre voyage, et si Notre Seigneur vous a conduite heureusement comme nous l'en avons prié de toutes nos forces. En vérité, vous nous avez bien mises en peine, étant si éloignée et si impossible d'apprendre de vos nouvelles. Je ne vous fais que ce mot, espérant d'en apprendre. Je vous fais seulement souvenir de très bien filer (sic) et de parler peu. Surtout, prenez bien garde à ne point dire ce que vous avez appris ici, de ce qui se passe par-delà. Je vous recommande ce point sur toutes choses, comme de la dernière conséquence. Quand vous serez arrivée, je vous écrirai plus amplement. Embrassez bien toutes les chères mères de ma part, les assurant que je les aime toutes tendrement. Il n'y a rien de nouveau à Saint-Louis, ni céans ; toutes choses sont 217 toujours de même. Je n'aurai point de repos que je ne sache de vos nouvelles et si vous êtes arrivée aussi heureusement que je le désire. Priez pour nos chères mères de Blémur et pour moi, qui suis tout à vous. Ayez, je vous prie, soin de la santé de la chère mère prieure, et m'en donnez des nouvelles.
Mademoiselle,
Vous me donnez une sensible consolation d'apprendre les effets de la grâce dans votre cher coeur, lui donnant la force et le courage de s'immoler à Notre Seigneur, comme une victime de son pur amour.
C'est une faveur du Ciel, des plus signalées et qui vous doit donner une solide confiance, que vous êtes honorée du sacré caractère des élus du Seigneur, et ce qui vous doit confirmer dans une telle espérance, c'est que vous devenez non seulement fille de l'institut, mais une fille bien chérie de la très Immaculée Mère de notre divin Sauveur Jésus Christ ; mais d'une manière si intime et si avantageuse pour vous que vous en devez concevoir une joie toute divine, parce que vous avez une supérieure qui est toute puissante au ciel et en la terre, qui vous donnera toutes les grâces et bénédictions que vous avez besoin pour devenir une grande sainte. Je vous conjure d'y avoir une parfaite confiance et de prier quelquefois pour moi qui serai, toute ma vie, en son amour, votre fidèle amie et servante.
Je la prie qu'elle vous fasse concevoir la grande grâce de votre vocation et vous donne la fidélité pour la remplir.
J'aurais bien dessein de vous en dire davantage, très chère et aimable fille, mais je n'ai pu prendre le temps de contenter mon affection à vous marquer les sentiments de mon coeur et combien je me sens obligée à Notre Seigneur de vous avoir prévenue de ses bénédictions. Je lui demande pour vous la grâce de persévérer et qu'il vous consomme un jour de son pur amour.
Obligez-moi de saluer tendrement mesdemoiselles vos chères compagnes. Je leur souhaite le même bonheur qu'à vous et d'être bien persuadées que c'est du plus sincère de mon coeur, ma très chère fille, que je suis, en Jésus et sa très sainte Mère, votre très humble et très fidèle servante.
[photos omises]
Portrait gravé de mère Mectilde
du Saint Sacrement de Bar (vers la fin de sa vie).
Lettre de mère Mectilde. adressée à Melle Potocka
218
Je vois, ma très chère fille, par celle que vous m'écrivez, votre pauvre coeur plongé dans la douleur; je la ressens et vous compatis, mais il ne faut pas que votre perfection en souffre du déchet ; ce sont des occasions de redoubler votre fidélité, et d'être plus à Dieu que jamais ; sa grâce ne vous manquera pas. Si vous suivez le conseil que vous voulez que je vous donne, chère enfant, séparez votre esprit de tout ce qui se passe chez vous, remettant tout entre les sacrées mains de la très Immaculée Mère de Dieu, qui prendra le soin de vous consoler et de fortifier votre coeur, pour souffrir ce qu'il plaira à Notre Seigneur vous envoyer. J'espère que son infime bonté y pourvoira Ayez cette confiance, chère enfant, sans vous laisser tomber dans un abîme de douleur, qui ferait tort à votre intérieur. Il faut tâcher d'être inébranlable dans les événements fâcheux pour ne rien voir que dans l'ordre de Dieu qui nous envoie des croix pour nous sanctifier. Conservez toujours une amoureuse confiance en sa bonté; il est notre Père, notre Sauveur, et notre Époux, pouvez-vous avoir des appuis plus forts ? Relevez votre foi et votre confiance, vous verrez qu'il aura soin de vous, et qu'il vous fera plus de miséricordes que vous n'en osez espérer. J'aurais bien encore d'autres choses à vous dire, qui pourraient aider à vous consoler, mais il faut les remettre à une autre fois. Consolez votre chère compagne. Si vous n'étiez pas si éloignée de nous, nous pourrions vous consoler, mais, chère enfant, attendez tout de Dieu, et de sa très Sainte Mère, qui ne vous abandonnera jamais, si vous y mettez votre confiance ; c'est le conseil que je vous donne, et d'être bien persuadée que je vous aime bien tendrement, et que tout ce qui dépendra de mon pouvoir pour votre sanctification je tâcherai de vous le marquer par mes services et de vous assurer que je serai toujours en Jésus et sa très Sainte Mère votre fidèle amie et servante.
Sur la chère vôtre, ma très chère fille, du 15 mai, je vous dirai que je suis sensiblement touchée de vos affections. Nous faisons des prières pour demander à Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, qu'il pacifie tout, car rien n'est plus affligeant que de savoir une maison de l'institut dans une telle désolation. Je sais que vous en souffrez beaucoup sans y pouvoir mettre de remède. Mais si vous êtes fidèle à Dieu dans les persécutions et dans les tentations que l'Enfer vous livre, la force divine de Jésus Christ, par sa très sainte Mère, triomphera de tout, et vous verrez les secours de sa grâce qui vous surprendront. Je vous conseille de demeurer, comme vous dites, à ne vous mêler de rien, mais de vous tenir dans votre intérieur par un saint recueillement en la présence de Dieu, attendant de sa miséricorde quelques coups extraordinaires de son infime bonté. Redoublez votre foi et votre confiance. Soyez fidèle à vos obligations ; ne communiquez point vos sentiments pour décharger votre coeur, qui vous ferait dire plusieurs choses qui le pourraient blesser ou, du moins, troubler sa tranquillité. Allez toujours sans vous arrêter où la grâce vous attire, et vous souvenez des paroles de Notre Seigneur qui veut que vous le suiviez en portant votre Croix, vivant dans l'esprit d'un continuel sacrifice, qui doit faire la vie d'une victime. L'on ne peut en ce monde éviter plusieurs contradictions mais la victime fidèle laisse les morts ensevelir les morts. Elle surpasse tout pour se rendre à celui à qui elle est immolée, n'ayant point d'autre tendance que de lui plaire, sans envisager ses propres intérêts. Elle les anéantit de tout son coeur, par le sacrifice actuel, faisant consister son bonheur à n'avoir que Dieu en vue sur toutes choses, son amour et son règne faisant toute sa fortune. Pour être parfaitement et uniquement tout à Jésus Christ, gardez donc précieusement la paix de votre intérieur ; vous la conserverez en ne prenant parti à rien sur la terre, qu'à vivre dans un esprit de mort. Je ne puis m'empêcher de me désirer auprès de vous toutes, pour tâcher de vous consoler et remettre votre sainte maison dans le calme.
J'espère que la sacrée Mère de Dieu le fera et vous bénira, je l'en prie de tout mon coeur, et qu'elle vous réunisse toutes en son Esprit. Il lui faut demander et vous souvenir, en la présence de Notre Seigneur, de la plus indigne de toutes les créatures, qui est, en son Amour, tout à vous, fidèle amie et servante.
Je salue très cordialement votre communauté et me recommande à leurs saintes prières. Je vous prie de les assurer que je les aime toutes bien tendrement.
... Quand je recevrai des lettres de Pologne je vous les enverrai incontinent. Selon toutes les apparences le prince de Conti sera roi et, sur cette croyance, nous pourrons voir du changement : peut-être que Dieu changera le coeur de la reine. La pauvre mère Marie de Jésus cause bien de la peine ; mais je crois que ce n'est pas volontairement : elle est pleine de ses propres lumières, et comme elle croit beaucoup souffrir, elle fait croire cela facilement. Cependant je ne puis la faire revenir que l'on ne voie ce que la reine fera...
Louée et adorée soit à jamais l'adorable Volonté de Dieu qui éprouve ses victimes comme il Lui plaît !
Ce mot est assez précipité, mais je ne m'attendais pas à avoir une si affligeante nouvelle à vous mander ; je surseois toutes les autres, quoique bien pressantes par le récit que vos chères lettres nous en font, pour vous dire qu'il a plu à Dieu, le soir de la fête de saint Mathieu, réduire en cendre notre maison de Nancy 85, tandis que toute la communauté était à matines.
85. Le 26 juin 1624, Catherine de Lorraine, soeur du duc Henri II, obtint de son frère l'autorisation d'établir une abbaye bénédictine à Nancy. Prise dans les remous de la guerre de Trente Ans, Catherine dut chercher refuge chez sa soeur, la duchesse de Bavière. Le monastère subit lui aussi les conséquences tragiques de la guerre. A sa mort, elle légua sa maison à sa nièce Marguerite de Lorraine, qui jugea que le moyen le plus sûr pour relever l'abbaye était de la confier à son amie mère Mectilde. En 1667, la mère Bernardine de la Conception vint préparer le monastère à recevoir nos Constitutions. Mère Mectilde arriva à Nancy le 26 décembre 1668, accompagnée de la mère Anne Loyseau et de la mère de Saint Joseph de Montigny-Laval, soeur de Mgr François de Laval, premier évêque de Québec, béatifié le 15 juin 1980, qui sera prieure de ce nouveau couvent. La première exposition du Saint Sacrement eut lieu le jeudi 13 avril 1669. Un pensionnat florissant, le soutien au siècle suivant du roi Stanislas Leszczynski, qui créa une pension pour douze jeunes filles, permirent aux moniales de réparer les malheurs des guerres et d'avoir un grand rayonnement spirituel sur toute la Lorraine.
A la veille de la Révolution, on comptait 25 moniales et 8 soeurs converses. Le 3 novembre 1793, la prieure, Louise Éléonore de l'Isle, fut expulsée avec toutes ses soeurs. Les bâtiments et l'église furent vendus en 1796. Après 1804, plusieurs religieuses vinrent se joindre aux communautés de Paris et de Toul qui, peu à peu, se regroupaient.
Les pauvres filles trouvèrent leur maison au retour dans un tel embrasement que les trois côtés du cloître et les dortoirs furent consumés. Il n'y a eu que l'église que l'on a tâché de sauver, de sorte que ces pauvres filles n'ont que ce qu'elles avaient sur le corps étant à matines : il ne leur est rien réservé, pas une chemise, pas un mouchoir, etc... Voilà où il a plu à Notre Seigneur les réduire ; c'est une pitié qu'on ne peut exprimer. Nous ne savons encore le détail de ce débris. J'en appris l'affligeante nouvelle mercredi au soir par monsieur leur supérieur, qui me l'écrit ; les pauvres filles n'étaient pas en état d'écrire ; la désolation est très grande. Je demande vos saintes prières pour les soutenir dans la soumission qu'elles doivent aux volontés de Dieu.
Il faut avouer que cette épreuve est grande, mais les victimes doivent être capables de tout souffrir, se souvenant qu'elles sont victimes par leur sainte profession et que Notre Seigneur a droit de se les sacrifier en la manière qui lui plaira.
Figurez-vous près de trente religieuses, tant du choeur que converses, réduites sur le pavé où elles ont couché à plate terre, n'ayant plus rien, pas seulement de mouchoir, ni chemises, etc... C'est une terrible peine à se trouver en deux ou trois heures de temps dans une telle privation de tout. L'on peut dire avec vérité que la croix est grande. La seule consolation est que Notre Seigneur a été conservé dans le très Saint Sacrement, sans que l'église soit endommagée, ni aucune religieuse brûlée, ni blessée. C'est une grande grâce ; il en faut remercier Notre Seigneur. Et voyez, très chère mère, comme il m'afflige dans mes derniers jours. Et où prendre pour les soulager ? J'attends tout de mon Dieu : lui seul peut remédier car toutes les maisons de l'institut sont affligées. Vous savez à quel point est celle de Saint-Louis. Il faut beaucoup prier l'Immaculée Mère de Dieu qu'elle protège l'institut, car l'enfer a bien pris la résolution de le détruire. Voyez comme il y travaille par différentes manières. Je sais que cet incendie est cruel, mais il est bien plus doux à supporter que les divisions dans les maisons de l'institut qui ne font qu'offenser Dieu et obliger sa justice à retirer ses grâces et abandonner les sujets infidèles à la puissance des démons qui les entraînent et font périr. O ma chère mère, il faut que les démons se jouent des âmes qui résistent à la grâce pour suivre leurs maudites passions ; et que gagnent-elles, quand elles ne sont plus fidèles à Dieu et méprisent ses grâces ? 223
Est-ce pour cela que l'on fait des monastères et que l'on présente à Dieu des victimes qui l'outragent au lieu d'apaiser sa juste colère ? Hélas ! très chère mère, vous voyez que les innocentes souffrent pour les coupables ; personne n'est plus indigne des miséricordes de Dieu que moi, et cependant je suis indigne de réparer ; il faut que Notre Seigneur choisisse des victimes innocentes pour faire et souffrir ce que je mérite. C'est ce qui m'afflige dans cette occasion et dans toutes les autres afflictions que Notre Seigneur envoie. Son très saint nom soit à jamais béni ! J'avais besoin de cette affliction pour m'abîmer davantage.
Priez le Seigneur que nos pauvres mères affligées de Nancy puissent porter saintement leur souffrance. Le temps est fâcheux, car le froid commence et les voilà toutes dénuées. Priez Notre Seigneur qu'il les revête de lui-même et qu'elles puissent donner par leur sacrifice quelque plaisir à Notre Seigneur en réparation de tant de péchés et de profanations. L'on nous assure de la paix. Je ne sais si les affaires de votre pays se termineront en faveur de ce bon prince. J'en espérais des nouvelles, mais elles ne sont point encore venues. Ayez, très chère mère, la bonté de nous en mander. Monsieur Tarlo sera bientôt chez vous ; il prétendait y être à la mi-octobre, c'est bientôt ; je prie Notre Seigneur qu'il le conserve. C'est un vrai saint et qui a bien de la bonté et de la charité pour notre institut. Je crains que votre communauté ne soit ingrate de sa charité.
La mère de Jésus vous écrira sur vos affaires touchant nos mères de Toul. Je crois que nous ne plaiderons plus. Monseigneur l'archevêque de Paris en a témoigné son mécontentement à monseigneur l'évêque de Toul 86. C'est ce qui le fait désister,
86. Henry de Thyard de Bissy, 87e évêque de Toul, était fils de Claude, lieutenant général des armées du roi et commandant supérieur de la province des Trois-Évêchés. M. de Bissy fut nommé évêque de Toul par Louis XIV en 1687, mais, par suite des différends survenus entre le pape Innocent XI et la Cour de France, le prélat ne reçut ses bulles que six ans après sa nomination. Ce fut un évêque éminent et d'une extrême modestie. C'est ainsi qu'il refusa l'archevêché de Bordeaux, auquel Louis XIV voulait le nommer en 1692. L'évêque eut de longues contestations avec la Cour de Lorraine, tant au sujet de la juridiction ecclésiastique qu'à propos d'un code de droit publié par le duc Léopold en 1701, code qui limitait la liberté de l'Église. Cet ouvrage fut condamné par Clément Xl. Cette querelle se perpétua d'ailleurs jusqu'à l'érection d'un siège épiscopal à Nancy. Pour complaire au duc, Louis - XIV nomma M. de Bissy à l'évêché de Meaux en 1704, siège que venait d'illustrer Bossuet, et le pape le créa cardinal le 29 mai 1715. 11 était abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés depuis le 28 décembre 1714. Il mourut à Paris en 1737. M. de Bissy avait été tellement apprécié de ses diocésains qu'il dut quitter Toul au petit matin, presque incognito, « ne pouvant plus supporter la douleur que le clergé et te peuple de Toul lui témoignaient de le voir se retirer », écrit un contemporain. (Cf. A.D. Thiery, Histoire de la tille de Toul et de ses évêques, t. Il, Paris, 1841),
car il ne peut rien gagner. Son procès a été mal intenté. Mais vous savez, très chère mère, qu'il me faut toujours des croix. Adorez et aimez Notre Seigneur pour moi, très chère mère, et me croyez toujours tout à vous et à votre sainte communauté que je salue en Jésus et sa très sainte Mère.
J'écrirai à la chère mère du Saint Esprit le plus promptement qu'il me sera possible ; je la prie d'avoir un peu de patience. Je ne la veux pas contraindre de rester ; elle pourra prendre son temps et prendre les permissions de monseigneur votre évêque ; de même les autres qui prétendent revenir. Je comprends bien qu'il y a à souffrir dans une maison naissante, dans un pays extraordinaire pour la langue et pour beaucoup d'autres choses, qu'il faut donner à Notre Seigneur.
C'est sa gloire qui vous y a menées, il faut que ce soit sa gloire qui vous fasse revenir et que lui seul vous fasse agir en tout et partout, afin que' vous soyez remplie de son Esprit et que l'humain ne vous domine pas.
Je vous quitte, très chère mère, ne pouvant aujourd'hui vous en dire davantage. Je prie l'Immaculée Mère de Dieu de vous combler de bénédiction.
Si vous pouviez voir dans mon coeur, ma très chère mère, combien il est pénétré des persécutions que l'on vous a faites dans votre couvent de Varsovie, qui est la seule cause qui m'a fait accorder à vos importunes instances votre retour en France ! Si cependant j'avais dû demeurer en ce pays-ci toutes vos peines ne m'y auraient jamais fait consentir. Mais ayant formé le dessein d'en partir aussitôt, ce que j'espère avant l'hi-225ver de pouvoir faire, pour me rendre, Dieu aidant, à Rome. Là, je me promets de porter le pape à faire une fondation de votre ordre, où vous serez demandée pour l'établir, et là hors des esprits extraordinaires,vous jouirez d'un repos que vous méritez, ma chère mère, et d'une estime très distinguée par la piété et la vie sainte que vous menez, du consentement de tous ceux qui veulent bien vous rendre justice. Et moi, ma chère mère, qui vous la rends tout entière et qui en fais grand cas, je me propose d'y avoir de la consolation en vous y possédant. Je crains seulement que vous ne fassiez avec peine le voyage de France, votre santé étant très altérée par tous les tourments que l'on vous a fait souffrir, et quoique vous n'en soyez jamais tombée d'accord, on en savait bien la vérité ; ce qui a bien scandalisé du monde et fait changer les desseins qu'avaient plusieurs personnes de fonder des couvents de votre ordre dans divers endroits de la Pologne.
Tant que la mère Madeleine et la mère Suzanne de la Passion seront dans cette maison, elle ira parfaitement mal. Monsieur Tarlo y a fait un grand tort. Pour moi, je plains toutes ces pauvres filles qui y ont fait profession ; si Dieu n'y met la main, leur salut est en danger. Comme elles ne m'ont pas laissée la maîtresse dans une maison que j'ai fondée, voulant absolument votre départ contre mon gré, à quoi je n'aurais pas consenti si je n'avais considéré que vous étiez persécutée et par là votre santé altérée, la délicatesse de votre conscience vous ayant fait accroire que la défunte digne mère [mère Mectilde du Saint Sacrement] voulait votre retour, ce que je sais qui n'est point. Si cependant j'avais dû demeurer ici, vous n'en seriez point partie. Comme à votre considération, outre ce que je me suis obligée de donner par an pour la fondation, je donnais le revenu du petit moulin qui faisait avoir le pain gratis, le couvent n'aura plus cette douceur. J'ai donné le moulin à mon fils, le prince Alexandre, ce que je n'aurais pas fait si vous étiez restée ; tout au moins j'aurais excepté le moulin. J'ai ordonné de finir l'église pour que le service de Dieu s'y fasse, ce que j'aurais fait bien d'une autre manière, si je n'avais pas eu sur les bras pendant tant de temps les affaires de l'élection. En vérité, je vous le promettais toutes les fois que vous m'en avez parlé, et même de faire bâtir l'autre aile pour les pensionnaires, qui est vis-à-vis les infirmeries, mais je n'en ferai rien ; cela demeurera ainsi, finissant l'église pour Dieu et non pas pour l'amour d'eux. Rétablissez donc votre santé, ma bien chère mère, pour qu'elle soit en état de faire le voyage de Rome où je vous recevrai, ma très chère mère, les bras ouverts, pour vous embrasser de tout mon coeur
MARIE CASIMIRE, REINE
Mes amitiés à la mère du Saint-Esprit, et à notre bonne soeur Saint-Joseph ; j'ai reçu vos lettres de Posnanie. Priez bien pour moi, ma chère mère, que Dieu me donne la santé et bénisse mes desseins qui sont tous pour sa gloire et le salut de mon âme. Mes enfants vous saluent, mon père aussi et toute ma famille.
Je vous supplie, ma révérende et toute chère mère, de prendre la peine de lire cet écrit à notre très honorée mère ancienne 87. il faudrait qu'elle nous dise si elle s'en peut ressouvenir :
En quel temps et année se fit cette assemblée des serviteurs de Dieu, lesquels notre digne mère Mectilde consulta pour connaître la volonté de Dieu dans le désir pressant qu'elle avait de se retirer après que l'institut fût fait ?
Il paraîtrait, suivant la lettre de la mère Marguerite du Saint Sacrement, carmélite, dont je vous envoie la copie, que ce pourrait être en l'année 1657, mais nous n'en sommes pas
87. La correspondante de la mère Catherine de Jésus Rasle est Élisabeth Guillaume, mère Marie de Saint Michel, qui fit profession au monastère de Toul le 4 septembre 1666, et mourut à Toul le 10 avril 1718. La « mère ancienne a est probablement mère Gertrude de l'Assomption Noirel, qui reçut l'habit à Rambervillers des mains de Dom Antoine de Lescale, le 15 août 1660. Elle vint à Paris avec mère Mectilde en juillet 1663. Nos archives ont conservé son acte de profession, écrit par mère Mectilde et signé par la professe, en date du 2 février 1665.
Ayant vécu près de mère Mectilde à Rambervillers et à Paris, ayant été religieuse à Rambervillers près des compagnes de mère Mectilde, dès l'arrivée de celle-ci dans ce monastère en 1639, mère Gertrude connaissait sans doute fort bien les premières années de notre fondatrice et les circonstances de la fondation de notre institut.
D'après cette lettre, on voit combien, dès le décès de mère Mectilde, ses filles ont cherché a rassembler tous les souvenirs la concernant. Les personnages évoqués ici, ainsi que les événements, sont relatés dans C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973.
L'abbé Pierre Berrand, ami de notre monastère de Châtillon-sur-Loing et de Mgr Charles Taffoureau de Fontaine, évéque d'Alet, avait accepté d'écrire la vie de mère Mectilde d'après les documents rassemblés par les moniales de la rue Cassette. Cette biographie est restée manuscrite. (Archives du monastère de Rouen).
227 bien assurée, peut-être que notre très honorée mère se ressouviendra bien du temps. Lisez-lui, je vous prie, ces deux copies des lettres de la mère Marguerite du Saint Sacrement, fille de la bienheureuse Marie de l'Incarnation, carmélite, autrement mademoiselle Acarie 88. Celle qui est adressée à une dame semblerait avoir été écrite avant celle qui est adressée à notre digne mère, où elle lui parle de ces deux bons pères qui la condamnent à l'emploi où elle a tant d'éloignement.
Je vous prie, ma chère mère, de nous faire sur ceci une réponse tout le plus tôt que vous pourrez et n'oubliez pas aussi de vous informer si monsieur de Bernières est venu plus d'une fois à Paris depuis l'établissement de l'institut. Je vous demande bien des excuses, ma chère mère, de toutes les peines que je vous donne, mais c'est pour la gloire de Dieu et l'honneur de sa fidèle servante, notre très digne mère, pour laquelle vous me témoignez un zèle si ardent que cela me donne toute liberté de m'adresser à vous comme à une autre moi-même, marquez toujours à votre très honorée mère ancienne tous les témoignages de respect, d'estime, de confiance et de vénération possibles ; je vous en aurais une sensible obligation et de me procurer aussi la continuation de ses bontés, mais singulièrement ses saintes prières et celles de votre sainte communauté que j'assure de mes humbles respects, surtout votre révérende mère prieure, je suis toujours fort en peine de sa santé.
88. Barbe Avrillot née à Paris le ler février 1566, fut élevée chez les Clarisses de Longchamps. Le 24 août 1582, par obéissance à ses parents, elle épousa Pierre Acarie. Ils eurent six enfants. Mme Acarie, tout en tenant sa place dans le monde avec talent, sut préserver et cultiver sa vie spirituelle sous la direction du capucin Benoit de Canfeld. Son salon devint le rendez-vous de nombreux spirituels qui travaillaient à la réforme catholique en France. Après la disgrâce de son mari, elle fut accueillie par sa parente, Mme de Bérulle. Elle exerça ainsi, par le seul ascendant de sa valeur spirituelle, une grande influence près de Pierre de Bérulle, fondateur de l'Oratoire, et facilita l'installation des Ursulines à Paris. Son nom reste attaché à l'établissement en France des Carmélites réformées, qui s'installèrent à Paris le 17 novembre 1604 ; elle s'occupa ensuite des fondations de Pontoise, Amiens, Tours, Rouen. Pierre Acarie étant mort le 17 novembre 1613, sa veuve mit ordre à ses affaires et entra au carmel d'Amiens le 16 février 1614, où elle prit le nom de soeur Marie de l'Incarnation. En raison de sa santé, elle obtint de quitter le carmel d'Amiens pour celui de Pontoise où elle mourut le 18 avril 1618. Ses restes, préservés en 1792, ont été ramenés à Pontoise en 1822. Elle fut béatifiée le 5 juin 1791.
De son oeuvre écrite, il ne reste que des lettres et un petit traité de spiritualité. (Cf. Catholicisme, t. 35, col. 640-641).
Une des filles de Mme Acarie, Marguerite, entra elle aussi chez les Carmélites où elle reçut le nom de soeur Marguerite du Saint Sacrement. Après avoir été prieure à Tours, Bordeaux et Saintes, elle le fut à Paris, où elle mourut en 1660, âgée de 70 ans, vénérée de ses soeurs pour sa vie exemplaire.
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Informez-vous encore, s'il vous plaît, auprès de votre très honorée mère ancienne si monsieur Bertot, ami de monsieur de Bernières, n'a pas été directeur de notre très digne mère14 et s'il n'a pas demeuré céans dès le commencement de l'institut, du moins, depuis l'année 1655 que monsieur de Bernières l'emmena avec lui ici à Paris. Nous serions bien aise aussi de savoir si lorsque monsieur de Bernières fut ici, il logeait céans, c'est-à-dire au-dehors de la maison et combien il resta avant que de s'en retourner à Caen. Je me recommande encore plus particulièrement à vos prières durant ces précieux jours pour m'obtenir un peu de part à la grâce des saints mystères que nous célébrons ; je ne vous oublierai point aussi de mon côté, soyez en bien persuadée, ma plus que très chère mère, et me croyez du plus sincère de mon coeur, en Notre Seigneur, votre très humble et obéissante servante.
SOEUR M. CATHERINE DE JÉSUS
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE TOURCOING
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[reproduction médiocre – non corrigée ici sauf titre en majuscules - d’une ancienne édition:]
LOUE ET ADORE' SOIT A JAMAIS LE TRE's-
SAINT SACREMENT DE L'AUTEL.
MES RE'V E'RENDE S MERES,
ET TRE's - CHERES SOEURS
UNIES en Jefus-Chrif} par les liens précieux de la charité , nous vous apprenons avec une vive douleur l'aflli6lion qu'il a plû 3 Dieu de nous envoyer par la mort de notre très-refpe&able & honorée Merede Beauvais. Elle eut pour pere Meffire Pierre de Beauvais , Confeiller d'Etat ordinaire,. & au Confeil Royal , Seigneur de Gentilly , de la TourQuarrée , & autres-lieux : & pour mere , Dame Catherine-Henriette de S.-evA c±- dont la famille étoit depuis long-tems attachée au fervice des Reines de France , à commencer par Marie de Médicis. La Bifayeule maternelle de notre honorée NIere fut placée auprès de cette Prince&Te par le choix .d'Henry IV. dont elle avoit mérité la confiance par l'écl : de fes vertus , de dort: que Madame de Beauvais mérita dans la fuite Far fes bonnes manieres d'étre la favorite d'Anne d'Autriche , & d'zti oit i ne. part très-intime à !a cenfiancc de cette g,raiide Pi iucc{rc.
Dieu bénit le mariage de MIonrieur & de Ma&n'e de Beauvais ; notre tris-honorée Mere fut leur fep:iéme erfanl.. EI'r vint au monda à S)11..
m,ur; où étoit alors la Cour , le t 9. Fevricr r 65 z. fept he unes du
loir , elk fut baptifée le vingtième Sc nomni Radegonde.)
Dès qu'elle fut fevrée, Madame la Marc;uifede Richelieha four qui n'avoit point encore d'enfans, pria Madame fa mere de la lui donner , elle la garda jufqu'à l'âge de quatre ans. Ce fut alors que Madame de Beauvais la fit entrer à l'-Abbaye aux Bois 99 ,oit deux de Mefdames fes
fi les étoient déja Religieufes. •
. La premiere Maïtrefle qu'elle eut dans cette Abbaye , trouva.dans fon excellent naturel toutes les difpoftions né_efTTaires pour la former felon . Dieu , & felon les bienféances du monde. Dieu avoir doué Mademoifelle de Beauvais d'un efp& vif, folide & pénétrant. Ses Maitrefres _n'eurent
jamais la .peine de lar reprendre deux fois d'une même chôfe , &'dès l'âge de feptans, elle lifoit..eacrivoit très-bien. Sa prudence lui gagna l'ef}ime • & la confiance 'de-Madame de Chaulnes, Coadjutrice de cette Abbaye , 4iri fc fervoit de fa main pour écrire les Lettres ,. & qui la rendit la con-
dente.de les plus intimes fecrets.2.
k
.Mademoifelle:dc Beauvais- perdit dans ce tans-11 Madame- 1i MArquife
A
232 de Richelieu. Son coeur fut tris-fenfible â cette perte , elle l'avoit bon, tendre , généreux , & compatiffant. Dès-lors fa pieté, qui, comme la raifon avoit en elle prévenu les années , lui fit concevoir la vanité des grandeurs humaines & l'aveuglement de quelques Dames de la Cour clans les motifs de conlolation qu'elles voulôient donner 3 l'illu.ilre mourante , en lui repréfentant comme un adoucifl:ement à fes maux , dans ces derniers momens d'avoir l'honneur de mourir dans le Palais de nos Rois. •
Madame de Chaulnes extrêmement édifiéedes vertus naiffantes de Made-moi felle de Beauvais dans un âge fi tendre , la prépara 3 faire fa premiere Communion:ce fut alors que cette jeune Demoifelle redoubla fon attention à profiter des inflruaions de fes Maitrefles, & 3- faire paroître dans toute fa conduite une douceur & une patience à l'épreuve de tout; vertus qui lui furent bien néceffaires pour toute la fuite de fa vie ; elle en donna dès-lors de rands exemplés pour fon âge_dans toutes les occafions , mais fut-tôut à regard d'une de fes Maîtreffes , qui étant d'un naturel trestvif, avoit befoin de toute fa vertu pour en réprimer les faillies , encore quelquefois le naturel échapoit malgré la vertu. Ce font de ces im erfe~ions qui dans les vues de Dieu fervent â deux fins , & à humilier les unes 3 qui il les laifre,, â éprouver d'autres lu (les qui en effiiyent es incouvénieni. Cette Maîtrefre un peu vive , faifant un jour répéter la leçon du Catéchifine à Mademoifelle de Beauvais,& la croyant moins attentive qu'elle ne devoit l'être ,-voulut la faire approcher, & au lieu de lui prendre la main , lui prit un doigt, fans doute avec quelque violence , puifqu'elle le lui démit. Mademoifelle de Beauvais répandit quelques Iarmes , la douleur les lui arracha ; mais elle eut la prudence de cacher ,8t à Mademoifelle fafatur penfionnaire , & Mefdames fes leurs Religieufes cet accident dont la Maîtreffe fut au défefpoir , pendant que Mademoifelle de Beauvais n'eut point d'autre crainte, que la peur que fa main ne demeura difforme. Mais on la fit panfer à propos , & cet accident n'eut point de fuite ; elle fit fa premiere Communion entre onze & douze ans , avec une piété fi tendre , qu'elle fondit en larmes pendant toute la ales
Quelques moi après Madame fa mere la fit fortir , lui donna les habits les plus magnifiques & les plus convenables I fon rang , & eut le defrein de; lâ préfenter à la Reine Mere. Mademoifelle de Beauvais,fa leur ainée,at tachée 3 la vérité au fervice de cette grande Princeffe , mais douée d'un efprit de piété , & fur lequel les maximes de l'Evangile avoient fait pluscYimpreffion que celles du• monde , connoiffant les dangers de la Cour , ne
put s'empêcher d!- repréfentcr Madame fa mere que h beauté de fa leur' la faifoit trembler pour fon falut , dans un ajour où l'innocence court it-
fouvent les plus grands dangers._ Dieu-qui fe réfervoit.ce jeune coeur pour ' lui être offert, & pour en faire' tine Epoufe .de jéfus-Chritt , permit qui: Madame de Beauvais fe rendit 3.4des réflexions fi chrétiennes, & remit Ma-
demoifelle fa fille I l'Abbayes* Bois. - ` -y ,
Mademoifelle de Beauvais y irtntra avec ce courage . &- cette grandeur d, âme qui lui étoient naturels ; & fans témoigner aucun-chagrin de la- pri-~ vation des a juttemcns tnagnif ques pour . lefquels• clic fe fentoir un pen-
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cbant,ordinaire aux perfonnes de ibn fexe, St fur tout I celles de fa niifr lance.
Elle ne relia qu'une année à l'Abbaye aux Bois. La Reine Mere mourut. Nladame de Beauvais fe retira de la Cour , reprit aupras d'elle Mademoifelle fa fille. Les magnificences de la Maifon de Madame fa mere , le grand monde qu'elle y recevoit , & les Partis honorables & optilen~s qui furent pr tfe:ntés I hladcmoifelle de Beauvais,n'altererent point en elle les fentimens de picté que Dieu avoir gravé en fon coeur , & n'y, éteignirent point le feu facré de fon amour. M. le Maréchal de Bellefonds9rechercha fon alliauce , elle eut le courage. de le refufer , fortifiée par l'exemple de Mademoifelle fa feeur aînée , qui dés le vivant de la Reine i\'t;.reavoit reec.'ncé au;; plus brilIans avantages , & qui dès le jour même de la mort de cette Princefre , entra pour vivre & mourir Religieufe, dans le Monaflere des filles de Sainte Marie de Chaillo ,2 Monaflere qu'elle a rempli de l'odeur de fes vertus , & où fa mémoire précicufe dl encore en vénération. Cet exemple ne fit pas peu d'impreffion fur celle que nous pleurons,& ne contribua pas peu â l'affermir dans la réfolution qu'elle avoir prife de fe confacrer entiérement . Dieu.
1'%lonfieur fon pere en fut pénétré de douleur; il la prit en particulier, & fit tout ce qu'il put pour la détourner de fon pieux defTein, en lui offrant même de lui faire delus grands avantages qu'à fes autres enfans. Mais rien ne fut capable de la Eire balancer un moment. Elle voyoit de tems en terns Mefdemoifelles d'Auneuil , qui poftoloient dans notre Maifon , & cL•i l'entrete noient fouvent de la haute vertu de notre Mere Inflitutrice , ( dont le nom Peul fait l'éloge ) & de l'Adoration Perpétuelle qu'elle venoitd'établir. Sa dévotion poor ce myflcrc d'amour la porta à choifir notre Monaflere, préférablement aux autres. Madame fa mere fut furprife de la préférence qu'elledonnoit â ce nouvel établiffement , ayant deux de Mefdames fes tantes â l'Abbaye de don: rnartre , & une permif ion de 11onfeigneur l'Archevêque' Pour faire .l;trer Maderno:relie fa fille dans plufieurs \lonafleres 94 pour la tenter p-ir la beauté des édihccs. Mais la réputation & la faictetéde notre Maifon , qui fe répandoir per :out , l'emporteront.
Monfieur fon yere & Madame fa mere fe rendirent 3 cet emprefrement dont les motifs etoient fi folides. Ce ne fut pas affez ; les grandes ames ne fe (auvent jamais feules. Mademoifelle de Beauvais avoit lailié une d: fes faeubs penfionnaire I l'Abbaye aux Bois ; cette foeur voulut fuivre un fi bel exemple , & embrafrer notre faint Inflitut. Les choies étant arrêtées , Mademoifelle de Beativais entra dans notre Maifon pour la voir : la fim-plicité& l'auflerité qui"y regnoit, ne fit que redoubler fon ardeur. Cc -jour émit un jeudy; Madame la Duchefre Doüairiere d'Orléanilqui venoit
fouvent au Salut , y émit ce jour-11. Mademoifelle de Beauvais fut un peu ébranlée par la crainte de retrouver dans la Religion cc qu'elle, venoit faerifier â Notre-Seigneur ; cette tentation dura peu. Notre Réverende ?'ber: Prieure Portant du Salut , mena notre illulre poftulante chez Madame la Comtefle de Chateeuvieux notre Fondatrice, c3ui depuis affez long-teins
A ij s'étoit retirée chez nous, tut y,vivoiescomme une de nos Seenrs.L'exemple de cette Darne calma le petit trouble qui s'étoit élevé dans fon ame; Mademoifelle de Beauvais Sortit très-édifiée des vertus de notre vénérable Mere ; & charmée de les manieres nobles &engageantes , prit jour avec elle & entra avec Mademoifelle fa leur la veille de l'Aifomption de l'année -I 6 6 7. Elle avoit pour lors i 5. ans & demi. Vous pouvez croire , mes
Révérendes Meres , la joye que reffentit notre Communauté , en voyant de fi précieufes vifimes , & dont la vocation paroiffoit fi marquée , s'immoler au Seigneur à la fleur de leur âge , & borique le monde employoit tous fes charmes pour les retenir. Mademoifelle de Beauvais eut pour ? 1aîtrei'.e des Novices la Révérende Mere de Saint Jofeph97Religteufe d'une vertu éminente , & très-capable de former une ame aux vertus de notre faint état , & de la conduire par des voyes fûres 3 la perfeEtion.
Mademoifelle de Beauvais fe porta d'elle-même â remplir avec ferveur
toutes les pratiques les plus humiliantes du Noviciat , & ne regarda jamais
rien de petit dans la Religion. Tout ei grand , difoit-elle , fervice du plus
grand de! 4u tres. Ses vertus parurent fi folides & fi prématurées, qu'on lui donna le flint Habit le vingt-uniéme de Novembre de la même année , jour de la l'ré(ent.ation de la Très-Sainte Vierge , dont elle porta le nom. La cérémonie. fe fit avec autant de pieté quede magnificence. Son air de modcflic & fi tendre dévotion toucheront les Aflians ,& elle dit à une perfonne de confiance que dès ce moment Dieu la combla de tant de graces , ~c la remplit d'un fi grand amour pour lui , que les choies les plus difficiles lui devinrent aifées.
Elle fuivit un peu trop fes premieres ferveurs , elle oublia fa délicateffe
natu relie , & pour s'être livrée â fon ardeur pour la pénitence , elle tomba dangoreufement malade d'une fiévre continue , avec des redoublernens , qui dès le troifiéme jour la mirenten danger de fa vie. Notre vénérable Mere & toute la Communauté en furent fenfiblement affligées. M. fon pere qui l'aicnoit tendrement , fut pénétré d'une vive douleur,& ne quitta point le Parioir tout le toms qu'elle fut en danger. Le vin émétique l'en tira ; fon heureux tempéramment , joint aux foins & aux attentions de toute notre Maifon la rétablit promptement. Elle rentra dans toutes les obfcrvances avec une ferveur nouvelle , mais plus mefurée, & dirigée entierement par l'obéïfTance , qui dès-lors fut une de fes vertus favorites.
Dieu permit alors que notre vénérable Mere fut obligée d'aller â l'Ab-
baye Royale de Nanci pour y établir notre faint Inflitut , & y remplir le pieux deffein de Madame la Duchelfe d'Orléans. Notre vénérable Mere obtint qu'on abolit le titre d'Abbeffedans nos Maifons , & qu'elles feroient miles fous la proteetion de la_ très-Sainte Vierge. La Révérende Mere-de de Saint jofeph la premiere Mattreffe de notre chere Sour de la- Préfentation,accompagna notre vénérable Mere,& fut choifie pour être Supérieure I Nanci. Le départ de ces deux feintes & illuftres perfonnes fut très-fenfi-
-ble à notre chere Soeur de la Préfentation ; ce fut pour elle une nouvelle
f
'matierede facrifice. Elle le fitavec une régnation héroique : la Mere de Saint jofeph en lui difant adieu , lui mit en main un Voil noir , comme un g,ge dia 6fir qu'elle avoit dt la voit Profefe
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Le féjour d? notre digne Mere fut plus long qu'on ne l'avoit cru ,ce 9uù
retarda la réception de notre chere Sceurde la Préfentation , & ne diminua rien de fa ferveur. Enfin notre vénérable Mere- arriva-, afUembla le Cha..
pitre, & égalementempreflée de donner â notre chere Soeurde la Préfen_ ration des marques de fon affeaion & de celle qu'elle avoit pour notre chere Soeur des Anges , leur de notre illuflre Novice , elle fit procéder à leur réception. Toutes les voix fe d éclarerent en leur faveur, elles firent profeffion enfemble le fixisme Août z 6 69.
Notre chere Sceur de la Préfentation pénétrée des engagemens qui 11
lioient pour jamais à ]élus-Chrifi , ne fut plus occupée que du foin de les remplir. Dieu retira pour un Lems les graces fenfbles, & l'éprouva par de
grands fcrupules , elle Soutint ce tcms d'épreuve avec une fidelité incroya-
ble & une docilité exemplaire aux avis de notrevénérable Mere fi éclairée dans les voyes ae Dieu. Son exactitude pour l'obfervation des Regles,
qui dans la fuite a été fi grande, avoit été pouffée fi loin pendant le Noviciat, que les deux Saurs l'avoient fini fans :s'être jamais parlé que dans les tems marqués.
A peine fut-il fini , que la Mere de la Préfentation fut mifcdans les Char_ ges , & fa capacité â s'en acquitter dignement , donna lieu à la Communau;
té de tout efpérer d'un fujet Ci excellent. Elle a été tour â tour Maîtreffe
des penfionnaires , Tourriere , Infirmiere ; par tout fa prudence , fa dou- ceur, fon a&ivité ont paru avec éclat & édification ; fa charité pour les
malades étoit infatigable. Vivement perfuadée (;:1'clle fervoit Téfus..
Chrift mime en leur perfonne , elle leur rendoit ar ec joye les fervices les plus bas; elle ne craignit pas même d'expofer fa vie dans fa grande jeunefle
en s'enfermant avec une de nosMeres qui avoit la petite vérole : mais notre digne Mere en étant avertie, l'en fit fortir. Sa d él icatcffc ne lui fembla jamais un obflacle aux offices les plus laborieux, comme celui du linge & de la Koberie, fi exaéle ceeconome de tous fesmomens qu'elle faifoit une robe par jour , & cela fans perdre aucune obrervancc.
Cette régularité à fe trouver à tous les Offices du jour &de la nuit , ne fut point interrompue dans la Charge de Sacrifline , où elle ne fe diflin-
gua,pasmoins par fa propreté & fon attention que par fon zéle , & l'efpric
de priere qui 1 a toûjours animée. Tant de vertus engagerent notre Mere Inflitutrice â céder 3 l'empreffement que marqua pour lors la Mere de Beau-
vais peur s'aller confacrer au nouvel établiffement que la Reine de Po-
logne défiroit faire dans fon Royaume , où elle vouloit fonder l'Adoration perpétuelle du Très-Saint Sacrement. La réfolution de notre chere Mere de la Préfentation allarma toute fa famille ; des obflacles innombra-
bles traverferent fon pieux deifein. Monfeigneur l'Archevêque accorda 1 Meflieurs fes parens le refus de fon obédience ; la Mere de Beauvais. tomba elle-même dangereufement malade , & reçut tous fes Sacremens. Lorfqu'elle futguérie , ra famille redoubla fes efforts pour l'empêcher de partir ; en faifant voir par l'atteftation des Médecins l'impoflibilité où elle étoit de faire un voyage pour lequel il falloit fe mettre en mer.
Notre chere Mere de la Préfcntation fc trouva un peu ébranlée. Elle
Aij avoit encore la fievre ; elle craignit d'être homicide d'elle-mare , St n'ofs partir fans confulter un habile Dircaeûr qui l'encouragea , & l'aflura même que quand elle _mourroit en mettant le pied dans le vaiffeau , Dieu lui
tiendroit compte de fon intention,& récompenferoit une oeuvre entreprifé pour fa feule gloire. Cettedécifion la fortifia , elle partit avec la petite
troupe deflinee pour cet établifrement,& arriva le a. 4. d'Août T 6 8 7.chez nosMeres de Roiien,où la Révérende Mere desAnges fa fŒur étoit allée dis le commencement de cet établiffement : elle y demeura huit jours , atten- dant que le vaiffeau fut prêt pour l'embarquement.
Lori-que tout fut prêt , elle quitta fa chere fceur , réparation qui lui fut bien fenfible , mais â laquelle elle fe fournit avec le mime courage qu'elle
avoit fait éclater dans les autres facrifices. Elle fouffrit beaucoup dans le
commencement du voyage ; car on fut quinze jours fur la riviere pour arriver au Havre. Dieu cependant permit qu'elle trouva la fanté au même
lieu où elle avoit appréhendée de trouver la mort; ainfi fa providence fait-elle tourner tout , bien en faveur de ceux. qu'elle aime & qui s'abandonnent â fa conduite.
- Enfin le vaiffeau entra en pleine mer. Le voyage fut affez heureux malgré les tempêtes , on débarqua à Dantzick le huit OEtobre ; de Dantzick notre chere Mere avec fa petite troupe:ferendit 3 Varfovie, lien deviné I l'établiffernent des Filles de l'Adoration-perpétuelle.-
Notre chere Mere de la Préfentation eutbefoin de toute fa capacité pour cet érabliffement & pour le maintien de la clôture ; car en attendant qu'on
eut une place pour bâtir un Monafiere , on fe fervit de trois appartemens
qui tenoient à celui de Sa Majefié. La Reine elle-même en avoit fait-la deftination. La clôture y fut mife en très-peu de teins, excepté du côté de la.
Reine qui fut charmécd'y trouver la régularité établie en fix femaines ;
de maniere que l'onût commencer l'Adoration pérpétuelle- le premier jour de l'an,t 6884tx moisaprès,lelieu defliné par ,la Reine pour l'éta-
bliffement. Etant en état de recevoir-les Religieufes, elles s'y tranfporte-
rent, & pour que l'Adoration perpétuelle ne fut point interrompue , no-. -trechere Mere de la Préfentation infpira a la Reine de faire porter le Très-
Saint Sacrement en proceilion dans le nouveau Monaflere. Ce fut le Cardinal Nonce qui porta le Très-Saint Sacrement , précédé d'un nombreux -Clergé, & fuivi de leurs Majeflés , de toutes les Religieufes, & de toute la Cour. Cette Proceflion fe fitavectoute la pompe & toute la magnificence comme â la Fête du Très-SaintSacrement.
Cr fut alors que la Mere de Beauvais fut chargée de l'Office de Dépolitdie,. Charge où fa confiance -fut mile I de rudes épreuves :.il n'y -avoit
arfonelami reyenusa{£gnés, tanti pour le bâtiment que pour l'entretien
deirConxnunatrté ria Reine offroitspew,. Toit que- Sa : Majeflç ne fut pas .en" ce-temi-l3 en état d'offrir d'avantage, -foit qu'elle crut ce qu'elle offroit
(naifant; n'étant point accoutuméeaua ufages de •France. Notre tris-honortEc Meretie la Préfentation pénétrée de la plus vive douleur, fe préfenta à Dieu pour être la victime d'une œuvre qui paroifToit fur, le panchant de.fe.ruinr. Le Seigneur quine frappe que pour guérir , écouta fes veux
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& lz Xeine attgmenta fes dons. Les cbofes prirent une Meilleure Face; dis-lors on ne penfa plus qu'a faire une éleCtion canonique. Notre there Mue de la Préféntation fut éluë d'une voix unanime. .
Monfeigneur i'Evêque de Pofname quiavoit préfidé 3 cette éleélion', pour lui en marquer la joye, lui accorda & à toute la Communauté quarante jours d'Indulgence , & fe chargea du foin d'en avertir lui-même Sa Zvlaje té. Dés que.la retraite du Prélat eut laifré le Choeur libre , la Ithé:. rende Mere Prieure fe profterna & écrivit fade où vous fcsavez, mes Révérendes Mures, que nous reconnoiffons la Très-Sainte Vierge pour notre Abbeffe ; on le préfenta à ligner au Roy & z la Reine qui voulurent bien 'en l'honorant de leur feing , s'engager â n'y jamais nommer d'Abbeffe. .
Cc premier devoir rempli, elle f t les Of icieres, & rangea la Maifon fi
P
arfaitement qu'il fcmblit qu'elle eut trente ans d'établiffement.
La fermeté de notre honorée Mere de la Préfentation pour le maintien de la clôture éclata dès ces commencemens, dans une occafion aÆez critique, & où une vertu moins épurée,auroit peut-être échoué. Le Pere de la Reine de Pologne fe fit annoncer pour entrer dans notre , Monaflere;. comme il étoit fans la Reine, notrechere Mere de la Préfentation ne fit aucune dif, ficulté de lui repréfenter avec modeflie qu'elle éroit mortifiée de ne pou., voir lui accorder ceu'il demandoit , qu'elle n'étoit pas maîtr elle ; d'ou, vrir les portes du Monaflere, que cela étoit réfervé â la préferice de la Reine. Ce difcours eut tout l'effet qu'on en pouvoit efpérer , & la Reine admira cette fermeté religieufe. Les autre:• vertus de notre honorée Mere
n'éclaterent pas moins. -
Sa régularité , fa douceur ; ibn accés noble & facile lui gagnerent tous let cours. Elle eut la confolatioi, dans fon triennal de recevoir les vaux de douze ex:ellens fu jets , qu'elle forma & rendit capables de bien fer. vir L Religion,, & qui lui furent d'une grande confo:ation, quand quelques rems après les Supérieures eurent befoin en France de notre honorée Mere de. la Préfentation , & la rappe:!erentavec les autres Rcl rgieufes de notrcMaip fon qui I'a% oient accompagnée. .
Cette féparation couva bien des larmes de part &d autre , & donna lieu:,
degrauds facrifices. Le Roy de Polognc_eut bien de. la peine â ligner le Paieport,& dit_obligeammen t:j'aurois voulu ne f avoir pas écrire. Elles revin-r rcnt par terre , & eurent de grandes fatigues à efuyez ; laconflancede notre. honorée Mere de la Préfentation,& fon amour pour la retraite ne fe démen- tirent jamais. M. le Baron de Beauvais ton frere obtint de Monfeigneur. de, Harlay , Archevêque de.Paris,la permilfion de la garder fix femarnes ; ellq; ne put confentir 3 reiér fi long• teins hors.:"die notre Maifon. Le Roy. ayant., appris fon retour voulut qu'elle vint voir fit-le. Cl?a-reau diaRoy de Poly. logne étoit auffi-beâü que celûï deVerfailles, & donna ordrea Monûeut., Bontems de.faire jouer toutes les eaux, $tc. Monfeigneur le Duc, d'Orléans, frere du Roi ;voulut au1lï' qu'ellç vint I S..,Coud ,, & ce Prince ft 1 hontreut.de.laconduire lui-mémé artout. Çe fut.alors qu'elle refufz, conftamment une Abbaye que la bonte du Roi lu fit offrir , malgeé 1n0G rtmpreffement que Monf eur'fon frere avoir qu'elle 1 accepta.
. Rien ne fut capable d'altérer clans cette grande ame reprit de priere , de régularité, de folitude , & de dévotion qui l'accompagnerent par tout. Son cœur ctoit le temple intérieur , où elle offroit au divin Epoux l'encens des plus purs facrifices, & tout enfemble l'autel & la --viétime fans celte immolée & fans ccffè renaiffante pourde nouveaux holocaufles,• qui montoient fans doute. en odeur -de fuavité jufqu'au- trône de l'im-
mortel. -
. Son retour dans notre I1lzifon caufa une joye fenfible â. notre vénérable Mere & à toute notre Communauté ; elle fut ravie même de fe retoou- ver fous le joug de l'obé- ffance. Elle regarda toujours Dieu dans la perfonne de fes Supérieures ; & quoi qu'elle ait occupée la place de Prieure,t place fi itnpor-tante & Ii difficile, pendant plus de douze années , en diffe-
rens tems , & en différentes 11/4,1aifons , fon exaétitude pour cette
vertu n'en a paru que plus grande. -
Ses aimables qualités ne l'ont point exempté des croix attachées â cette Charge, & c'en -13 où fa "patience a fon humilité, & fa douceur ont pa- ru avec le plus d'éclat. Jamais elle ne murmura contre celles qui la faifoient fouffrir ,-au contraire elle n'en parloit qu'en bien. File adoroit les del feins de Dieu qui l'a toûjours conduite par une voye-de croix ,aufqueiie elle âjoûtoit de grandes auflérieoui lui ont , foutient caufée de grandes
maladies. i ,
Son amour pour la priere & pour la régularité l'a porté a mener une vie cachée en Jéfus-Ch'rift, pour être•tout a. lui ; elle s'éloignoic autant
qu'elle-le pouvoit des féculiers & des parloirs. .
Notre honorée Mere.de la ..Préfentation s'efl fourcnuë jufqu'à ra 'Mort dans l'exercice de fa ferveur , malgré fon grinJ âge & l'extrêmefouffrance. d'un rhumatifriie goutrux,yui l'emii choit les dernieres années de fa vie de defccndre au Chœur ; fa dévotion iii-avoit fait prendre le :foin d'une Chãpelle qui donnoit fur notre Eglife ÿ:& d'où elle pouvoit voit le Tris-Saint Sacrement, 'elle y • pafoit plufieurs heures chaque jour. C'étoit-lIqu'elle fd tlêd'ommage de-ne potivôir-faire la Communauté , & qu'elle. rendoit de continuellesgtions de graçesI Dieu de l'avoir appellée a uù
matât' fi- fâint: ` .. - -
5i'fideiité aux Comniunions'de"regle ébaloit les aûtrës"vértus , elle avôit• isfi attrait particulier pôur'remercier Jéfus-Chrifl toits Tes Jeudis de. l'Inf-. ititution *de l'adorable Sâércrtient dé nos Aûtels,& tout lë jour du Véiidredi -
elle-le fuivoit dans tous les lieûx_ a arrofé ,de fon fang pour- lé falut.
Y
du~genre liumain.;'rien`n'étoit plus tendre;qûe fa..dcv.otion _pour la Tris-.7... Sbii7tè Vierge ; rien-.dé'.pkus firriple ôt de.plus,fquiriis giie: fon.refped & for>' otéi' fana- auxtlécifidnsire
l'F g,P ' •~. '. fi,i. çe~r,~ .'. e
-raonde pour le Ciiidës pieu j.a P. v l" ~é•. 4 nMc.;ri. -i-.-iür
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'Qnelle exaEtitu.den pas'ttôrcre dans lâChargedCcleriere,
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qtkel2tfag,effe ointe â un gran, difcèrnementdes -cfprits dans celle de Mai-;
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fre$~e =des Novices, qu elle reniplit.dé~u~s fon,retour dePologtt . , .~
~~~àinfede Dieu vrve &filiatt~; clloltice de coeur envers -rui,*teotion •
côtitiàttclr*d
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continuelle fa préfente, probité fans fane, défintereffcrhett épuré en. vers les hommes, charité o :icieufe & compâtif ante, humilité qui la por. toit â rendre â chacun plus d'honniu r qu'on en pouvoit exiger.
Amour pour la pauvreté religieufc qu'elle pouffoit quelquefois jufqu'1 de faints excès , vie ume , où pratiquant a la lettre la maxime de faint Jé. rôme , clic faifoit les choies les plus communes d'une façon non eommu. ne ; confiance inébranlable dans les facrifices les plus délicats , & où la nature a le plus de peine à ne pas du moins fe plaindre.
Voila un abr:gé des fentimens & des actions de notre très-honorée Mere de Beauvais , dite de la Présentation. Quelques tenu avant que Dieu nous l'cnlevât,clle ne penloit plus qu'a fe préparer 1 la mort ; & fortement pi-récrée des jtugemens de Dieu , fa vie n'étoit plus qu'un gémiffement pour implorer fa Iniféricor-'e. Un secret pldl-en:iment lui fit dire à une perfonne de confiance qu'elle ne croyoit pas paffer l'année i 7 34. En effet après un Carême que fa ferveur lui fit entreprendre malgré l'ordre de M. notre Médecin , elle eut une attaque imparfaite de paralyfie , qui par les prompts remédes qu'on lui do.ina n'eut aucune fuite, nous eûmes même lieu d'efpérer fon entier rétabliffement.
Mais le dixiéme de Juillet elle fit encore urt effort pour fe rendre au Confeffionnal dans l'efpérancede communier le lendemain , jour de notre BienheureuxPere Saint Benoît ; nous qumes la douleur de la ramener prefque mourante,& fur -les huit heures du loir elle fut frappée tout d'un coup d'une paralyfie fur la langue , & fui. la moitié du corps , fans perdre cependant connoifTance.
Notre Révérende Mere & les InfiÏ mi res ne perdirent pas un moment , on l'a feigna , & on lui donna l'émétique ; mais quelques foins-que Mon. fleur notre Médecin ait pris d'elle pendant quatre mois , tous les remédes n'ont pu lui rendre !a parole. La fièvre fur-.'int , elle reçut les Sacremrns de l'Eglifeavec une foi & une piété qui s'exprirroic nt par les figne qu'elle failoit ; le Sacré Nom de Jéfus éroit la feule parole qu'c lle pouvoit pronon.er, elle le répétoit fans ceffe , & comme elle conferva toujours fa préfence d'efprit ordinaire, elle avoir le boi-h;:ur oie dix en dix jours da recevoir le Corps Adorable du Sauveur dans l'huchariilie.
Sa tranquilité , fa patience , fa mortification , fon humilité , fa douceur, en un mot toutes les vertus quiavoient brillé en elle pendant tout le cours
de fa vie , répandirent un nouvel éclat pendant les derniers mois que Dieu lui laiffoit encore pour nous édifier & rendre fa vi time plus digne de-lui.
En effet ellea foutenu cette longue & cruelle maladie avec une fournil-fion & une patience héroïque , fans témoig-ner aucun chagrin , ni aucune-
répugnznce pour toutes fortes de rernédes , & la tranquilité de fon ame a toujours été peinte fur fon vifage , même dans les plus vives dou- leurs.
La fiévre redoubla le 2,7. Oetobre,& fut accompagnée d'une enflûre générale , qui la mit à l'extrémité. Son courage & fa foi fe ranimerent dans te cruel-af faut , & enfin après quinze jours de redoubletnens de la. fi év,re
•
elle rendit fon anse épurée par les fouffranees â fon Créateur fur les fepk
heurts du loir , le Novembre t 7 3 4. âgée de quatre-vingt-trois ans 8&
demi , regretée de toute notre Communauté , qui aura toujours fa me-noire en benedi&ion.
Mais quoique nous ayons tout lieu d'ef périr les plus grandes miféricordes de Dieu fur cette ame choifie ; nous vous demandons avec ini}ance , mes Kévérendes Niel-es-8c très-.theres Soeurs , la grace d'av:ncer fon bonheur , par les fuffrages ordinaires d: notre faint Inflitut.
Nous avons l'i.onneur d'être très-refpetueufement.
MES RE'VE'RENDES hlE-RES, ti '7 :RES-GHERES SOEVRS,
De notre premier ,denafitrs cis Pens, Vos très-humbles & tris-obiaantes Servantes, lis Religieufes Bénédit&ines de !'Adoration!
rerpétuelle dus T. S. Sur :aient.
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89. Anne, Jeanne-Baptiste de Beauvais, fille de Catherine Henriette Bellier et de Pierre de Beauvais, était la filleule de la reine et de Gaston d'Orléans, frère du roi Louis XIII. Elle épousa le marquis de Richelieu dont elle eut un fils, Armand-Jean du Plessis, général des galères et petit-neveu du cardinal de Richelieu par les femmes. Elle fut la grand-mère du célèbre maréchal de Richelieu (1696-1788).
90. Abbaye de religieuses cisterciennes fondée près de Noyon (Oise), en 1202, par Jean de Nesle. Chassées par les guerres, les moniales se retirèrent à Paris en 1564. A l'actuel n° 16 de la rue de Sèvres, à Paris, les annonciades, fondées par sainte Jeanne de France, avaient entrepris la construction d'un couvent qui se révéla vite trop grand pour elles. Elles le vendirent aux cisterciennes en 1652. Le monastère reprit alors le nom d'Abbaye-aux-Bois. Après la Révolution, les religieuses louèrent une partie des bâtiments à des personnes de grand renom dans le monde des lettres : Lamartine, Victor Hugo, Chateaubriand.
Dans la partie donnant rue de La Chaise, les chanoinesses de Notre-Dame, fondées par saint Pierre Fourier, poursuivent toujours leur oeuvre d'enseignantes. Elles conservent, dans leur église, la statue de Notre-Dame-de-Toute-Aide, bénite par saint François de Sales.
91. Bernardin Gigault, marquis de Bellefonds, né en 1630, général et diplomate, servit en Catalogne (1650-1654), en Flandre (1657), et fut nommé maréchal de France en 1668, ambassadeur à Madrid (1665) et à Londres (1673), il mourut à Vincennes en 1694.
92. Le premier monastère de la Visitation Sainte-Marie avait été fondé à Paris par sainte Jeanne de Chantal elle-même en 1619.
En 1651, Henriette de France, fille de Henri IV et femme de Charles I", roi d'Angleterre, fonda un autre monastère de la Visitation sur la colline de Chaillot à Paris. Épuisée par les luttes politiques et religieuses, la reine d'Angleterre s'était réfugiée en France en 1644. Elle vivait la plus grande partie de l'année dans un logement contigu au monastère et comme une vraie religieuse. Elle mourut le 10 septembre 1669 dans son château de Colombes. En 1685, la supérieure de la maison était la mère Marie-Louise Croiset. C'est à elle que sainte Marguerite Marie s'adressa pour faire parvenir à Louis XIV, par l'intermédiaire du père de La Chaise, (16241709), les demandes du Sacré-Coeur concernant la France. Louis XIV n'en fit aucun cas ; ses relations avec le Saint-Siège étaient tendues à l'époque, et le monarque trop orgueilleux pour demander un privilège au pape. En tout cas, le monastère de Chaillot resta un haut lieu de culte fervent au Sacré-Coeur de Jésus.
Ce couvent était situé à peu près à l'emplacement de l'actuel palais de Chaillot.
93. L'abbaye de Montmartre fut fondée en 1 134 par Louis le Gros. Au XVI' siècle, l'abbaye, par suite des guerres, était tombée en pleine décadence. Mais, à la fin de ce même siècle, une jeune abbesse, Marie de Beauvillier, allait entreprendre une réforme qui dépassera de beaucoup le cadre de son abbaye. Elle était entrée à Montmartre le 7 février 1598. A sa mort, le 22 avril 1657, elle avait reçu à la profession deux cents religieuses et formé plusieurs sujets d'élite qui portèrent la réforme, chacune selon son propre idéal, au Val-de-Grâce, à Montargis et en d'autres monastères. La mère de Blémur appelle Montmartre « l'académie des saintes ». Mère Mec-tilde y séjourna en 1641 et garda toute sa vie des relations suivies avec l'abbesse et quelques moniales. L'abbé Bertot, qui fut confesseur à Montmartre, était aussi un familier de la rue Cassette. Nos archives ont conservé plusieurs lettres de mère Mec-tilde adressées à cette abbaye. (Cf. Dom Y. Chaussy, Les Bénédictines et la réforme catholique en France au XVIIe siècle, éd. de la Source, 1975, et lettre de la mère Catherine de Jésus du 24 octobre 1701, publiée au chapitre précédent).
94. Hardouin de Beaumont de Péréfixe, archevêque de Paris (1664-1671). D'abord évêque de Rodez, Hardouin de Péréfixe de Beaumont fut un homme de cour, mais
non un courtisan, choisi par Louis XIV. Depuis 1654, il faisait partie de l'Académie française. Il avait cinquante-sept ans lorsqu'il devint archevêque de Paris. C'était un homme droit, généreux et un bon administrateur. Sous son gouvernement, l'Église de Paris connut des heures brillantes ; c'était l'époque des premiers sermons de Bossuet, mais aussi de luttes pénibles. Après avoir condamné les théories jansénistes, Rome demanda l'adhésion des prélats français. L'archevêque de Paris allait se trouver au coeur des combats ; avec les religieuses de Port-Royal qu'il fit disperser par la police, avec quelques-uns de ses collègues dans l'épiscopat, surtout l'évêque d'Alet, Nicolas Pavillon. L'avènement du cardinal Rospigliosi, devenu pape sous le nom de Clément IX, apaisa la querelle, et ce fut la « paix de l'Église », en 1668. Les dernières années de Mgr Péréfixe furent moins mouvementées. (Cf. J. Rupp, L'histoire de l'Église de Paris, R. Laffont, 1948).
95. Marguerite de Lorraine, soeur du duc Charles IV, naquit le 22 juillet 1613. Elle était la cinquième enfant de François de Vaudémont, frère du duc Henri II de Lorraine, et de Catherine de Salm. Confiée dès son enfance à sa tante Catherine, abbesse de Remiremont, qui en fit sa coadjutrice dès 1609, elle fut initiée par elle à l'esprit de la Contre-Réforme.
Elle épousa secrètement, en 1632, Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. Obligée à fuir en Belgique la colère du roi de France, elle y demeura jusqu'au 26 mai 1643.
En 1651, elle rencontra mère Mectilde, qui comprit la grandeur d'âme de la duchesse et ses souffrances intimes. La princesse demeurait au palais du Luxembourg, proche de la rue Cassette.
Elle hérita l'abbaye Notre-Dame de Consolation, fondée par Catherine de Lorraine, et en prépara l'agrégation à notre institut. La première exposition du Saint Sacrement eut lieu le 13 avril 1669.
Après la mort de Gaston d'Orléans (1660), Marguerite se retira à Blois, où elle mourut le 3 avril 1672.
Nos archives ont conservé 112 lettres de mère Mectilde à cette princesse. Elles ont été publiées dans : Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976.
96. Marie de la Guesle, dame de la Chaux, était la fille de Jean de la Guesle, baron de Nesle, et de Marguerite de Béraut. Le 26 avril 1628, elle épousa René de Vienne, comte de Châteauvieux, vicomte de Confolens, sieur de Vauvillers, Demangevelle, Clervans, fils de Marc de Vienne et de Marie de Châteauvieux. Deux enfants naquirent de ce mariage : René II de Vienne, vicomte de Confolens, mort jeune, et Françoise, décédée en juillet 1669. Elle avait épousé le 25 novembre 1649, Charles, duc de la Vieuville.
La comtesse de Châteauvieux connut mère Mectilde en 1651, s'attacha à elle et fut la fondatrice la plus généreuse de notre institut. Elle passait de longues heures au monastère et, devenue veuve en 1662, elle demanda a y être reçue comme religieuse. Elle mourut, rue Cassette, le jeudi 8 mars 1674, après la messe, d'une « attaque d'apoplexie » entre les bras de mère Mectilde.
L'hôtel de Châteauvieux situé rue Saint-André-des-Arts, à Paris, existe encore. (Cf. C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973, et documents aimablement communiqués par le baron de Vienne).
97. Anne-Charlotte, fille de Hugues de Montigny-Laval et de Michèle de Péricard, qui s'étaient mariés le ter octobre 1617. ils eurent six enfants, dont François, premier évêque de Québec et que l'Église vient de béatifier (22 juin 1980), et Anne, née vers la fin de 1619. Arrivée à l'abbaye Saint-Nicolas de Verneuil (Eure), à l'âge de huit ans, pour y être élevée, elle prit l'habit le 23 juillet 1634, à quatorze ans et demi. Mgr de Péricard, évêque d'Evreux, son cousin, lui fit faire profession le 27 décembre 1635. Après de nombreuses difficultés et bien qu'on lui eût confié des charges importantes, elle restait tourmentée... et quitta l'abbaye aprés le 9 septembre 1650. Elle
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connut mère Mectilde, peut être par son frère l'évêque, très lié avec Jean de Bernières et Henri-Marie Boudon, grand archidiacre d'Evreux, et elle rejoignit le jeune institut en 1654. Après un long et fécond priorat à Nancy, elle mourut en 1685. (Cf. C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, et C. de Bar, Le Message eucharistique de mère Mectilde du Saint Sacrement, Téqui, Paris, 1980).
98. Pierre, baron de Beauvais, avait eu huit enfants de son mariage avec Catherine-Henriette Bellier. Nous savons que le fils aîné, Louis, eut Louis XIII pour parrain. A la mort de son père, le 15 février 1674, il hérita du titre et devint le chef de la famille.
99. Philippe I", duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV (1640-1701). Il épousa, en 1661, Henriette d'Angleterre, fille de la reine Henriette de France, qui fonda le monastère de la Visitation de Chaillot, et, en seconde noces, en 1671, Charlotte-Elisabeth de Bavière.
La reine de Pologne a exprimé le désir que soit fondé dans cette ville (Rome) un monastère de moniales bénédictines réformées, qui ont pour but spécial l'adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement ; et ce projet ayant trouvé un bienveillant accueil auprès du souverain pontife, qui ne demande pas mieux que de favoriser ce pieux désir aussitôt que Sa Béatitude (le souverain pontife) en aura la possibilité et que le permettront les circonstances, Sa Majesté (la reine) a songé à donner par anticipation un commencement de réalisation à l'oeuvre. C'est pourquoi elle a supplié qu'on permette de faire venir à ses propres frais de Paris quelques moniales, qui seront accueillies ici, dans un monastère de Sa Majesté (la reine) jusqu'à ce que soit assurée la fondation. Sa Béatitude donc, condescendant encore sur ce point aux désirs de la reine, me demande de suggérer à Votre Seigneurie illustrissime de vouloir bien faire en sorte que soit facilité le départ des dites religieuses. Et à cette fin veuillez vous entendre avec M. le cardinal archevêque de manière que tout se fasse avec les égards voulus, et particulièrement avec le consentement des dites moniales et du monastère où elles sont à présent. Mettez-vous aussi d'accord sur la façon d'assurer le voyage des mères Saint Placide du Très Saint Sacrement et sainte Scolastique de Jésus avec deux converses, les soeurs Sainte Marthe et Saint Joseph, ainsi qu'un prêtre à désigner par l'ordinaire, outre les deux servantes et un serviteur. Et pour que les susdites moniales puissent voyager en toute sécurité et décence, la Sainteté de notre Seigneur (le pape) désire et approuve que leur voyage à Rome soit confié à la prudence de l'abbé Bachelier, prêtre, doyen du chapitre de Reims, docteur en Sorbonne.
Que Votre Seigneurie illustrissime veuille bien se conformer à la teneur de cette lettre. Et, ceci fait, je termine en vous baisant les mains.
ROME, 21 MARS 1702.
Puisque M. l'abbé Bachelier doit venir ici pour accompagner les moniales d'un institut de l'Adoration qu'on fait venir pour se conformer au pieux désir exprimé par la reine de Pologne, selon ce qui a été écrit à Votre Seigneurie illustrissime dans la lettre du 21 mars, et étant donné que celui-ci est doyen du Chapitre de Reims, Votre Seigneurie illustrissime devra faire en sorte qu'il ne soit pas lésé dans ses distributions (cachets de présence), mais qu'il soit considéré comme présent tout le temps du voyage ; telle est la pensée de notre Seigneur (du Saint-Père) que je signifie à Votre Seigneurie illustrissime. Et je m'arrête en vous baisant les mains.
ROME, 9 MAI 1702
Copie d'une lettre adressée au Nonce en poste à Paris, Mgr le cardinal Paulucci99b;s. Cette pièce est conservée aux archives du monastère de Rouen. Pièce originale en italien, 2C.
Permission du cardinal de Noailles en date du 18 août 1702 pour le départ à Rome de six religieuses de Saint-Louis au Marais.
99 bis. Fabrice Paolucci ou Paulucci, né à Forli en 1651, cardinal en 1698, fut choisi par Clément XI comme premier ministre et secrétaire d'État, charge qu'il conserva jusqu'à l'avènement d'Innocent XIII en 1721. Il mourut en 1726.
Il avait été évêque d'Imola, suffragant de Bologne (Cf. Dom Martène, Histoire de la congrégation de Saint-Maur, éd. Dom Charvin, t. VII, Ligugé, Paris, 1937).
— Philippe Antoine Gualtieri, né à Fermo le 24 mars 1660, nonce en France le 27 mars 1700 (il n'y arriva qu'en 1701 et eut sa première audience le 4 août 1702). Archevêque titulaire d'Athènes le 30 mars 1700 et sacré à Avignon (où il était vice légat depuis 1696). Evêque d'Imola le 21 novembre 1701, tout en restant à la nonciature de Paris (mais ces cumuls étaient fréquents à l'époque), crée cardinal le 17 mai 1706, reçut la barette des mains de Louis XIV le 4 août et quitta la France le 9 septembre 1706. Il fut titulaire de Saint-Chrysogone, Sainte-Cécile et SaintePraxède, et il mourut à Rome en son palais sur le Corso le 21 avril 1728, âgé de 68 ans et 27 jours.
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Louis Antoine de Noailles100, par la permission divine, cardinal prêtre de la sainte Église romaine du titre de Sainte-Marie sur la Minerve, archevêque de Paris, duc de Saint-Cloud, pair de France, commandeur de l'ordre du Saint-Esprit, à nos chères filles en Notre Seigneur ; soeurs, de Jésus Petigot, Scholastique de Jésus, de la Conception, de l'Assomption, religieuses de choeur, professes de l'ordre de saint Benoît du monastère du Saint Sacrement, rue Saint-Louis-au-Marais, à Paris, et soeurs de saint Joseph et Marthe, religieuses converses, professes du même monastère101 salut et bénédiction. Notre Saint-Père le pape, désirant fonder en la ville de Rome un monastère de votre institut de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, et à cet effet nous ayant demandé six religieuses de notre diocèse du même institut pour commencer cet établissement, nous vous permettons de vous transporter en la dite ville de Rome pour vous y conformer aux intentions de Sa Sainteté.
Donné à Paris, le dix-huitième jour d'aoust mil sept cent deux.
+ Louis Antoine cardinal de Noailles archevêque de Paris.
Par Son Éminence (signé) CHEVALIER.
100. Louis Antoine de Noailles naquit le 27 mai 1651 au château de Peynières, près de Brive (Cantal). I1 fut condisciple de Fénelon au collège du Plessis, et ses études furent couronnées par la licence et le doctorat en Sorbonne le 14 mars 1676. Évêque de Cahors à 28 ans. son sacre eut lieu à Paris et revêtit un éclat exceptionnel. Sacré par l'archevêque de Harlay, il était entouré de 20 évêques. Il eut à peine le temps de se rendre à Cahors qu'il fut nommé à Châlons-sur-Marne le 21 mars 1680.
A la mort de Mgr de Harlay, le roi fit nommer M. de Noailles à Paris à l'instigation de Mme de Maintenon (août 1695). Innocent XII le créa cardinal le 21 juin 1700 avec le titre de Sainte-Marie de la Minerve.
C'était un prélat pieux, mais un doux obstiné. Son épiscopat à Paris ne comporte aucun fait qui retienne spécialement l'attention. Il fut généreux pour les pauvres, créa des conférences d'instruction religieuse, entretint et embellit à ses frais sa cathédrale et la demeure épiscopale.
11 s'est surtout fait remarquer dans la querelle janséniste, mettant en cause autant Rome que la Cour de France, s'opposant longtemps aux bulles pontificales mais détruisant totalement l'abbaye de Port-Royal-des-Champs. Son caractère, à la fois indécis et entêté, l'entraîna à des outrances graves et très dommageables pour la paix de l'Église en France. Il mourut le I 1 octobre 1728, ayant enfin accepté officiellement la bulle Unigenitus et réconcilié avec le pape. (Cf. Catholicisme et Mgr Jean Rupp, Histoire de l'Église de Paris, R. Laffont, 1948).
101. L'Église (Marguerite, de), Soeur Scholastique de Jésus. Profession le 27.10.1680 au monastère de Saint Louis au Marais, en présence de mère Mectilde. Moussy (Michèle, Hélène, de), Soeur M. Michel de la Conception. Profession le 30.6.1685 au monastère de Saint-Louis au Marais.
Tocquigny Charlotte — Soeur M. Geneviève de l'Assomption. Profession le 15 mai 1690 au monastère de Saint-Louis-au-Marais.
Boutry Barbe — Soeur M. de Sainte Marthe. Profession le 8 juin 1688 au monastère de Saint-Louis-au-Marais.
Nous, humble prieure, sous-prieure et discrètes religieuses de l'ordre de notre bienheureux père saint Benoît, dites de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel, établies à Paris, rue Saint-Louis aux marais du Temple. Pour perpétuelle mémoire de la chose. Ayant été informées que la Sérénissime princesse Marie-Casimire, reine douairière de Pologne, désirant procurer un établissement de notre institut de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel en la ville de Rome, et qu'après en avoir communiqué avec notre très Saint-Père Clément XI ; Pape à présent régnant, Sa Sainteté lui ayant témoigné le désirer et même vouloir en être le fondateur conjointement avec Sa Majesté, elle s'est adressée à notre révérende mère Marie de Jésus Petigot pour nous faire savoir ses royales et pieuses intentions, et avoir notre dit agrément à ce qu'elle se transportât à Rome, accompagnée de nos chères mères : Scolastique de Jésus, de la Conception, de l'Assomption, toutes religieuses de choeur de notre monastère, et de nos soeurs de Saint Joseph et de Sainte Marthe, converses. Pour obéir donc au bref de notre très Saint-Père le pape, en date du 21' mars 1702, signé par le cardinal Paulucci et adressé à l'Illustrissime et Révérendissime monseigneur l'archevêque d'Imola de présent nonce apostolique auprès de notre roi très chrétien Louis XIV, et nous conformer à l'obédience de son éminence monseigneur le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, en date du I8C d'août 1702, et désirant de tout notre coeur coopérer à une oeuvre si sainte et si glorieuse à Jésus Christ, caché dans le très auguste sacrement de l'autel, nous avons donné et donnons notre consentement unanime à ce que les dites religieuses ci-dessus nommées expressément, se transportent en la ville de Rome à l'exécution et aux fins dudit établissement, sous la grande Règle de notre bienheureux père saint Benoît et conformément aux constitutions de notre institut de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l'autel, comme elles sont en usage dans tous nos monastères, pour y demeurer perpétuellement unies de coeur et d'esprit et parfaitement conformes par une pratique commune et générale.
En foi de quoi, nous avons toutes signé le présent acte et y avons fait apposer le sceau de notre dit monastère.
Donné à Paris, l'an de l'Incarnation de Jésus Christ Mil sept cent deux, le quatrième de septembre.
Signé : Soeur Marie de Saint François de Paule, prieure (Charbonnier), Soeur Marie 249 du Saint Sacrement, sous-prieure (Le Fèvre), Soeur Marie de Saint Placide, Discrète (Philibert), Soeur Marie de Saint Bernard, Discrète (Cousinel), Soeur Marie Opportune de Ste Gertrude, Discrète (Cheuret), Soeur Marie de Jésus, Soeur Scholastique de Jésus, Soeur de la Conception, Soeur de l'Assomption.
Voici, ma révérende mère, votre petite communauté romaine qui vient vous donner de ses nouvelles. La première est celle que vous ne devez pas ignorer et qui durera toujours, c'est la douleur de vous avoir perdue et la séparation de notre chère communauté. Ce sacrifice nous est tous les jours plus sensible et nous le présentons à Notre Seigneur comme le plus pur et le plus grand que nous lui puissions offrir ; nous espérons aussi qu'il lui sera agréable, c'est ce qui fait notre consolation au milieu des amertumes.
Nous arrivâmes à Lyon le 12 septembre, notre route a été bien heureuse ; après y avoir séjourné quelques jours, nous nous mimes sur le Rhône le 14, nous avons passé jusqu'à Avignon par des endroits très dangereux, surtout le pont du Saint-Esprit, que nous n'avons pu éviter. Nous arrivâmes cependant à la ville du Saint Esprit où nous couchâmes. Nous y apprîmes que nous avions couru un grand risque à cause des huguenots qui sont sur ces côtes, qui se révoltent. Il y a quelques jours qu'ils prirent plusieurs prêtres et religieux, qu'ils firent mourir. Ce sont vos prières, ma révérende mère, qui nous préservèrent dê tous dangers.
A notre arrivée à Avignon, monseigneur le vice-légat envoya son secrétaire nous faire compliment, nous témoignant qu'il était très fâché que les carrosses ne fussent pas venus au devant de nous comme il l'avait ordonné, mais nous arrivâmes plus tôt qu'il ne croyait et il nous pria de loger chez lui, dans un appartement qu'il avait fait préparer, à moins que nous n'aimassions mieux aller chez les dames bénédictines 102, qui est une abbaye très ancienne et remplie de personnes de qualité. Il nous en donna le choix, nous acceptâwiiës ce dernier. Aussitôt,
102. Il y avait à Avignon deux abbayes de bénédictines : Saiht-Laureiii, fondée avant 951, et Saint-Véran, fondée en 1140 par Guy, comte de Forcalquier.
nos messieurs furent faire nos remerciements et lui présenter nos respects, le priant d'approuver le choix que nous faisions de cette abbaye; il les reçut parfaitement bien et fit mille offres de services et envoya deux de ses carrosses nous prendre à l'hôtellerie, pour nous y conduire. On ne voit point de pareils carrosses à Paris, à moins que ce ne soit pour des ambassadeurs ;ils sont d'une magnificence et d'une beauté admirable, jusqu'aux roues qui sont de sculpture et toutes dorées. Un estafier marchait à la portière, l'épée à la main. Nous arrivâmes à l'abbaye où nous trouvâmes le secrétaire de son Excellence qui nous fit de nouveaux compliments. La porte du couvent était ouverte où l'abbesse et les dames nous attendaient, elles nous ont reçues de la manière du monde la plus honnête et la plus engageante ; nous y fûmes jusqu'au lendemain. On nous traita magnifiquement, ces dames nous comblèrent de bontés et ne voulaient point nous laisser aller ; il y en eut plusieurs qui eussent bien voulu venir avec nous ; l'état des filles du Saint-Sacrement fait envie à tout le monde. Monseigneur le vice-légat vint nous donner sa bénédiction.
Nous partîmes le lendemain à six heures du matin, pour nous rendre à Marseille le mardi 19 septembre, et nous apprîmes à notre arrivée que les galères du pape étaient parties après nous avoir attendues douze jours et donné ordre que, si nous arrivions dans un peu, on leur mandât promptement et qu'elles reviendraient nous prendre. On nous conseilla de prendre une barque qui était prête à partir, qui devait être conduite par le meilleur patron qui soit sur mer. Nous nous y embarquâmes le dimanche 24 septembre après avoir entendu la sainte messe. La mère de Jésus vous fera, ma révérende mère, une ample description de cette barque dans la relation entière de notre voyagé. Ceci n'étant qu'un abrégé, je me contenterai seulement de vous dire que nous avons payé le tribut à la mer.
Nous arrêtâmes quelques jours dans une île ce qui nous rétablit un pets. Nous y restâmes deux jours en attendant que le vent fut bon càr la mer était si calme que nous ne pouvions avancer. Sitôt que le vent parut nous nous remîmes en mer. En approchant de Livourne, nous aperçûmes les galères du pape ; nous reçûmes aussitôt une ambassade de la part de M. le gouverneùr qui nous marqua l'ordre qu'il avait de Sa Sainteté de nous recevoir dans les galères.
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Quand nous fûmes arrivées à l'hôtellerie, il vint lui-même avec une grande suite, nous faire compliment et nous fit toutes les honnêtetés possibles. Nous partîmes le lendemain. M. le gouverneur de la ville qui nous avait fait l'honneur de nous venir prendre dans son carrosse au sortir de notre barque, nous reconduisît lui-même au port où nous trouvâmes la chaloupe pour nous mener en pleine mer où étaient les galères. Cette chaloupe était ornée de tapis de velours cramoisis avec des galons d'or et des carreaux de même pour nous asseoir, et par dessus, un pavillon de damas de même couleur. Nous fûmes ainsi conduites à la galère qui commande toutes les autres et qui est d'une très grande magnificence. On nous y reçut par trois saluades de 400 galériens, au son des trompettes et des coups de canon. On nous mit dans la chambre de M. le gouverneur, qui est toute dorée et garme de sièges de velours. Pendant les trois jours que nous y demeurâmes, il nous traita magnifiquement et à trois services, pendant les repas il nous donna une symphome d'instruments, il ne peut nous avoir fait plus d'honnêtetés et à tout l'institut en nos personnes. Quand nous arrivâmes à Civitavesche [Civita Vecchia], qui est le dernier port de mer, on apporta à monsieur Bachelier une lettre de la reine où elle lui marquait que, si elle avait su le jour de notre arrivée, elle aurait envoyé ses carrosses, mais que pour y suppléer elle avait fait écrire à un officier de la ville auquel elle donnait ordre de nous tenir des calèches toutes prêtes, nous avertissant de ne pas dormir sur le chemin, faisant mille amitiés à sa petite communauté de la manière la plus obligeante. Quand les calèches furent arrivées, nous sortîmes de la galère conduites par M. le gouverneur et les officiers ; en sortant nous reçûmes la saluade des galériens, les trompettes et les canons accompagnèrent notre sortie, comme ils avaient fait pour notre entrée. Nous trouvâmes au bord de la mer M. le gouverneur de la ville, frère de celui des galères, qui nous attendait avec une partie de la ville. Il nous fit compliment et voulut nous voir monter dans nos calèches.
Nous partîmes sur les 9 h du matin. On nous avait dit qu'il n'y aurait que neuf lieues jusqu'à Rome, mais je crois qu'il y en avait plus de vingt de France, car nous allâmes très vite, et cependant nous fûmes obligées de marcher la nuit. M. le gouverneur nous quittant envoya un Exprès à la reine pour lui porter la nouvelle de notre départ de Civita Vecchia. Sa Majesté eut la bonté d'envoyer au devant de nous trois de ses carrosses à six chevaux que nous trouvâmes à 10 h du soir, en pleine campagne, dans lesquels étaient monseigneur l'évêque de Livonie, madame de Morstin 103 et madame Dupont. Nous sortîmes de nos calèches et nous entrâmes dans les carrosses qui nous conduisirent plus promptement à Rome. En traversant la ville, nous aperçûmes à la faveur du clair de lune une partie de la beauté des édifices. Il y avait un estafier à la portière du carrosse qui prenait plaisir à les faire remarquer. Nous arrivâmes à minuit du vendredi au samedi 7e octobre. On ne peut pas, ma révérende mère, avoir été reçues plus agréablement et plus honorablement. On nous descendit à notre hospice, qui est une partie du palais de la reine; tous les valets de pieds étaient à la porte avec des flambeaux ; tous les gentilshommes nous reçurent au sortir des carrosses et nous conduisirent en haut où Sa Majesté nous attendait avec toute sa Cour. Nous nous jetâmes à ses pieds, elle nous reçut avec toutes les marques de bonté et d'affabilité possibles, nous donnant son témoignage de son amitié :elle nous fait l'honneur de nous la continuer par tous les soins qu'elle veut bien prendre de nous, s'informant de tous nos besoins et donnant ordre que rien ne nous manque, avec des bontés que nous n'aurions jamais osé espérer. Rien n'est plus aimable que cette princesse, elle nous a toutes charmées par ses manières engageantes. Sa Majesté nous dit en arrivant que le pape n'avait pu faire un plus grand honneur à notre institut que de nous avoir donné ses galères ; elle nous dit tout bas qu'il y avait des gageures à Rome que cela ne serait pas. Le lendemain de notre arrivée, Sa Sainteté envoya monseigneur le cardinal vicaire 104 à Sa Majesté pour lui dire qu'elle pouvait témoigner librement ce qui nous ferait plaisir. Il nous fit l'honneur de nous venir voir et nous demanda nos constitutions que nous lui donnâmes. La reine le conduisit elle-même par toute notre maison ;il n'y a rien de régulier, ce sont de petits retranchements que l'on a fait pour les cellules, les ouvriers travaillent encore à la chapelle. Sa Sainteté nous manda de son propre mouvement qu'il ne fal-
103. Un André Morsztyn, né vers 1628, fut toujours du parti des Français près des rois de Pologne, grand trésorier de la Couronne, ce fut un ami de Sobieski. Dans les Instructions donnés aux Ambassadeurs, il est désigné tantôt sous le nom de Morsztyn, tantôt sous celui de Morstin.
104. En 1702, le cardinal vicaire était Gaspard Carpegna. Né à Rome le 8 juin 1625, élu archevêque titulaire de Nicée le 16 juin 1670 et sacré le 22 dans l'église de
252lait pas que nous fussions en clôture avant quinze jours et qu'elle voulait qu'on nous fit voir tout ce qu'il y a de beau à Rome. La reine dit à la mère de Jésus qu'elle devait écrire au pape et nous lui fîmes la lecture, ma révérende mère, de celle que vous vous êtes donnée l'honneur d'écrire à Sa Sainteté. Sa Majesté l'a trouvée parfaitement bien et donna ordre à nos messieurs qui devaient aller le lendemain baiser les pieds du Saint-Père, de lui présenter ces deux lettres. Il les reçut et en fit la lecture. I1 en parut fort content et donna mille témoignages de bonté pour nous et pour tout l'institut. Il dit à nos messieurs qu'il voulait répondre à la lettre de la mère prieure de Paris, que pour celle de la mère de Jésus, il le ferait de vive voix. Il ne se peut rien de plus obligeant, tout le monde est surpris des honneurs que Sa Sainteté nous fait. La reine nous dit qu'il n'en a jamais tant fait à personne. Nous venons d'en recevoir un signalé que Sa Majesté nous a assuré ne se faire qu'aux princes souverains : il nous a envoyé six hommes chargés de grands bassins de confitures sèches et de fruits des plus rares du pays, en pyramides, avec quantité de rubans à la manière d'Italie. Sa Majesté s'est trouvée justement chez nous, qui en a fait compliment à l'officier qui les conduisait. Je souhaiterais de tout mon coeur, ma révérende mère, qu'ils fussent dans votre cellule et pouvoir faire part à toute notre chère communauté de tous les biens que nous recevons ici; cela adoucit un peu la douleur que nous cause la privation de votre personne et la séparation de toutes nos chères soeurs qui nous est toujours plus sensible.Le temps ne me permettant pas de décharger plus amplement mon coeur, je ne puis que vous assurer que nous sommes dans un respectueux attachement...
Le 26, ma révérende mère, j'ai reçu la vôtre. Avant que de me donner l'honneur d'y répondre, je vous ferai le récit de la réception que notre Saint-Père nous a faite le jour de sainte Cécile. Sa Sainteté prit soin qu'on allâtmettre un dais à Sainte Cécile, un fauteuil un peu élevé, un pour la reine, au bas, et des sièges de bois, à dos, pour quatorze cardinaux. L'on me fit entrer appuyée d'une religieuse. J'eus la force de faire trois génu-
Saint-Silvestre in Capite à Rome par le cardinal Altieri. Cardinal le 22 décembre 1670, nommé cardinal-vicaire le 12 août 1671, il devait le rester quarante-trois ans jusqu'à sa mort, le 6 avril 1714, à 88 ans. (Renseignement aimablement communiqué par Dom A. Chapeau, archiviste de l'abbaye Saint-Paul de Wisques).
254flexions par l'ordre du maître des cérémonies, je baisai avec respect les pieds de Sa Sainteté, ensuite notre petite communauté et celle de sainte Cécile 105, qui est de notre ordre, habillée de blanc. Au commencement de la cérémonie, le saint pontife dit à la reine que l'on me fit asseoir, parce que j'étais incommodée; nos mères étaient à genoux. Après la cérémonie, Sa Sainteté se leva et vint à nous. Dans ce moment je me jetai à genoux et le Seigneur m'assista si bien que je pris la liberté de lui faire un humble compliment dont la fin fut : « Très Saint-Père, nous trouvons en la sacrée personne de Votre Sainteté, l'heureux centuple que Dieu a promis à ceux qui quittent tout pour son amour ». Sa Sainteté nous dit en italien : « Je me réjouis que vous soyez venues pour une si sainte fonction et pour servir d'exemple aux autres. J'emploierai tout mon pouvoir pour vous servir. Soutenez-moi de vos prières ». Puis Sa Sainteté ajouta en français : « J'ai accordé à la reine la clôture, le jour de la Conception » [8 décembre]. Après avoir remercié, Sa Sainteté demanda si nous avions souffert dans le voyage. Je répondis qu'il avait été le plus heureux du monde. Puis Sa Sainteté, s'en allant, se tourna vers le cardinaux et leur dit : « Voyez-vous cette modestie ». Trois ou quatre de Leurs Éminences nous firent compliment. Nous avions nos voiles baissés sur les yeux. Sa Majesté envoya le lendemain M. le marquis de Macaruny remercier le Saint-Père, qui lui dit : « Monsieur, nous sommes Romains, avez-vous jamais vu de semblables religieuses ? Quelle modestie ! Quel respect ! Quelle dévotion ! La reine m'a remercié de les avoir fait venir, mais c'est bien à moi de la remercier ».
Sur le soir du même jour, Sa Majesté envoya notre petit présent à Sa Sainteté, composé d'un petit portrait de notre révérende mère institutrice, avec une petite vierge de bois de sainte Lucie, d'une chapelotte 106, et la figure du Saint Sacre-
105. Sainte-Cécile, église bâtie sur l'emplacement d'un ancien « titre » par Pascal 1°" (817-824), mais totalement défigurée au XVIe et XVIII' siècle. Près d'une grande chapelle dans le collatéral droit, couloir et oratoire, où des restes de tuyaux antiques ont porté à voir l'étuve où la sainte aurait été enfermée. En fait, c'est dans le complexe d'une insula que dut se loger le « titre » chrétien. Mais qu'avait-il recueilli d'authentique relativement au souvenir de la martyre ? En 1200 une abbaye bénédictine prit possession des lieux. L'abbaye, restaurée en 1527, assure toujours la louange divine au coeur du quartier pauvre du Transtévère (cf. DACL et Maury et Percheron, Itinéraires romains, p. 241-242, 3e éd.).
106. Sorte de petit boîtier en forme de niche, d'environ 5 à 7 cm, contenant une pe-
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-ment qu'elle a portée jusqu'à la mort, cela dans des bourses, un porte lettre que la reine nous avait donné et des fleurs sur le papier, un petit cabaret de la Chine fait en coeur, bordé d'argent, que la soeur de madame de Morstin, dame d'honneur de la reine lui avait envoyé. Sa Majesté ajouta de belles porcelaines et pièces rares. M. le comte commença par montrer au pape le portrait de notre révérende mère. Sa Sainteté le regarda longtemps et dit : « Elle était jeune. Elle ressemble à la Mère de Jésus ». Puis il montra le Saint Sacrement disant : « Saint-Père, la mère institutrice l'a porté ». Ensuite, le Saint Père, regardant la chapelotte, dit : « Qu'est-ce cela, Seigneur comte ? » -« C'est la même que la digne mère a portée » — « Vous m'apportez donc toute sa dépouille » ? Puis regardant les fleurs, il dit : « qui a fait cela » ? — « C'est la mère de Jésus » dit M. le comte. Sa Sainteté s'étendit sur sa tendresse et son estime pour nous. Il faut abréger. M. le comte développa le présent de la reine qui avait écrit une lettre, comme première de notre communauté, à Sa Sainteté.
Le Saint-Père s'écria : « Que ferais-je pour la reine ? Dites lui qu'elle dispose de tout mon pouvoir, et à mes saintes religieuses, quand le temps ne sera pas si malheureux, que je ferai ce que je dois ». Le lendemain, Sa Sainteté écrivit à Sa Majesté, dont je vous enverrai l'extrait une autre fois. Le Saint-Père garde la grande oraison du Saint Sacrement dans son cabinet.
Sa Majesté en a envoyé une autre à l'impératrice.
Arch. Nat. L 1076 n° 2 (suite)
cite statue de la Vierge, et que les religieuses portaient accrochée à leur ceinture. Les archives de notre monastère possèdent encore quelques anciennes « chapelottes ».
Pour signifier notre spécificité dans l'ordre de saint Benoit, mère Mectilde portait un petit ostensoir de 4 à 6 cm environ, fixé à un cordon noué autour du cou. Cet insigne fut porté par les moniales de notre institut jusqu'à une époque récente.
La reine Marie Casimire a beaucoup contribué à la fondation du monastère de Varsovie, puis au projet de création d'une maison de notre institut à Rome, mais elle n'a jamais fait partie de l'une ou l'autre de ces communautés et n'a aucun titre à se dire « première de notre communauté ».
Je suis fort touché, mes très chères filles, de la triste situation où vous êtes. Je vous plaindrais fort, si je n'étais persuadé que vous faites l'usage que Dieu demande de vous des peines qu'il vous envoie ; et qu'ainsi vous y trouvez un grand avantage.
Gardez-vous bien d'entrer dans la maison de Campo Marzio aux conditions qu'on vous propose ; ce serait une imprudence de vous engager dans une communauté si peu disposée à prendre votre institut ; il vaudrait bien mieux sans doute revenir dans votre monastère de Paris, mais il faut attendre votre mission du pape, puisque c'est Sa Sainteté qui vous a appelées ; de plus il faut que la reine de Pologne, dont vous connaissez les bontés pour vous et pour votre institut, consente au parti que vous prendrez.
Sans le respect que j'ai pour elle, aussi bien que pour Sa Sainteté, je n'hésiterais pas à vous mander de revenir.
Si je puis, en attendant, vous être bon a quelque chose, je ferai avec grand plaisir tout ce qui dépendra de moi pour votre service et votre consolation.
Priez toujours Dieu pour moi, je vous conjure et soyez persuadées que je suis en lui, mes chères filles, avec beaucoup de zèle et l'affection sincèrement à vous.
LE CARDINAL DE NOAILLES
Ma bien aimée fille en Jésus-Christ salut. Pour vous engager à recevoir avec joie .et avec un extrême plaisir nos bien aimées filles en Jésus Christ, les religieuses vierges qui partent de Rome pour retourner chez vous, il nous suffit pour toutes marques de vous les présenter avec singulière piété qu'elles ont puisées chez vous, et qu'elles y rapportent encore à présent; 257 vous reconnaîtrez aisément qu'elles vous appartiennent à cet esprit de ferveur qui les anime et qui vous est commune ; et vous apercevrez aussi que ces religieuses que le mouvement de l'obéissance a conduites à Rome sont les mêmes que l'esprit d'une sincère charité qu'elles ont pour vous ramène aujourd'hui dans votre cloître.
Quoiqu'il ne semble pas nécessaire d'interposer nos offices pour vous recommander ces religieuses qui vous sont déjà assez recommandables par elles-mêmes, cependant nous ne croyons pas devoir les priver du témoignage de la parfaite estime qu'elles se sont acquises dans cette ville, soit par le mérite de leur vertu, soit par leur continuelle exactitude à remplir les devoirs de leur culte, afin que par là elles soient plus dignes de la vôtre. Au reste, puisque les malheurs des temps nous ravissent, l'occasion d'établir ici, selon nos souhaits, et par la force de leurs exemples, leur pieux institut, nous croirons la retrouver lorsque vous nous donnerez lieu de vous marquer par quelque démonstration particulière l'affection que nous avons pour vous, et de laquelle vous serez parfaitement instruites par notre bien-aimé fils, Dom Guillaume Laparre 107, religieux de l'ordre de Saint-Benoît et procureur général de la congrégation de Saint-Maur en France, à l'intégrité et à la vigilance duquel nous avons commis le soin de leur conduite. C'est à vous à présent à former continuellement des voeux et des prières en présence du Seigneur que vous adorez sans cesse afin qu'il lui plaise de protéger et de soutenir son Église, ce qu'attendant de vous, nous vous donnons avec affection notre bénédiction apostolique.
Donné à Rome ce XI septembre 1708.
CLÉMENT PAPE XI
107. Dom Guillaume La Parre, originaire de Castel-Sarrazin (Landes), avait fait profession au monastère de la Daurade le 4 juin 1685, âgé de 29 ans. Nommé vice-procureur en I700, il remplaça Dom Bernard de Montfaucon comme procureur général de la Congrégation de Saint-Maur à Rome, de mars 1701 jusqu'en 1711. Il fut nommé prieur de Saint-Eloi de Noyon (1714), de Montmajour (1717), de La Sauve-Majeure (1720), et mourut le 2 mai 1741 en l'abbaye Saint-Pierre du Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne) aujourd'hui monastère de notre institut (cf. Dom Martène, op. cil.).
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J'aurai encore le chagrin, ma très chère mère de l'Assomption (Tocquigny), de ne pas vous voir et vous embrasser, quelque désir que j'en aie avant mon départ prochain de France pour l'Allemagne, et je le ressens vivement et pour le moins autant que votre amitié pour moi vous le fera ressentir : conservez-là moi toujours, continuez-moi vos bonnes prières, donnez-moi souvent de vos chères nouvelles, et comptez qu'en quelque lieu et en quelque état où je me trouve, je serai toute ma vie de vos meilleures amies et vous donnerai en toute sorte d'occasion des marques de mon tendre attachement pour vous, ma chère mère.
MARIE CASIMIRE PRINCESSE DE POLOGNE 108
A ma très chère mère de l'Assomption,
religieuse du Saint-Sacrement, de la communauté romaine de la feue reine de Pologne, Madame ma grand-mère, rue Saint-Louis-au-Marais à Paris.
108. Marie-Casimire, princesse de Pologne, née en 1695, morte le 28 mai 1723. Fille de Jacques Louis Henry Sobieski, (fils de Jean 111 et de Marie Casimire de la Grange d'Arquien) et d'Hedwige Elisabeth de Bavière, laquelle était la fille de Philippe Guillaume, électeur palatin, duc de Neubourg, et d'Elisabeth Amélie de Hesse Darmstad.
Marie Casimire fut promise à Emmanuel Théodose de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, pair et grand chambellan de France, 3` comte d'Évreux (1668-1730). 11 avait épousé en premières noces Marie-Armande Victoire de la Trémoille, décédée le 5 mars 1717.
Marie-Casimire Sobieska Aurait dû être la seconde femme du comte d'Evreux, mais elle mourut avant son mariage. Sa soeur Marie-Charlotte épousa le fils d'Emmanuel Théodose, Frédéric Maurice Casimir de la Tour, qui décéda le 1" octobre 1723, 12 jours après son mariage, et, en secondes noces, Marie-Charlotte épousa, en avril 1724, Charles Godefroy de la Tour, 4' comte d'Evreux, né le 10 juillet 1706, mort le 24 octobre 1771 et inhumé en l'église Saint-Taurin d'Evreux (Eure).
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Les premières pages de la chronique du couvent des bénédictines de Lwow fournissent beaucoup de renseignements concernant les débuts de la fondation varsovienne. Elles racontent les événements de 1708, lorsqu'une épidémie ravageant Varsovie obligea les religieuses à quitter leur monastère et à partir dans des lieux hors du danger de la maladie.
Voici quelques informations données par cette chronique :
La vénérable mère fondatrice, mère Mectilde du Saint-Sacrement, avait envoyé entre 1687 et 1696 des religieuses provenant de plusieurs monastères de l'institut ; de la rue Cassette, à Paris, partirent : mères Molette, Cheuret, Beauvais de Gentilly, Bompard ; du deuxième monastère parisien, du Marais, partirent : mère Petigot et une converse soeur Granjour ; de Toul : mère d'Auvergne ; de Rouen : mères Maunoury et Paulmier. Quatre novices les accompagnèrent : mesdemoiselles Giron, Philippe, Brenot, Gobard et une ppstulante : Melle Lombard. A Varsovie, les novices Giron et Philippe retourné-rent dans le monde et firent partie de la cour de là 'reine MarieCasimire. Pour les remplacer au noviciat, on demanda à mère Mectilde d'autres religieuses ayant de belles voix. Partirent donc quatre postulantes : mesdemoiselles Demas, Clausier, Bompard, et Meunier de Pontaubert.
On avait omis d'en avertir la reine, qui en fut vexée. Elle fut aussi très mécontente qu'on ait élu comme prieure, mère Radegonde de Beauvais, au lieu de mère Petigot, qu'elle avait désiré voir prieure. La reine exprima le désir qu'on nommât mère Petigot au moins sous-prieure ou maîtresse des novices. Mère Radegonde, une personne très énergique, ne voulait pas que la reine se mêlât des affaires intérieures du monastère. Cette querelle finit par la démission de mère Radegonde, à la fin de son triennat. Celle-ci partit en France le 17 avril 1691, et avec elle d'autres religieuses quittèrent Varsovie : mères Maunoury, Molette, Cheuret, et Gobard. Mère d'Auvergne et mère Bompard voulurent aussi partir, mais cela aurait donné trop d'embarras à la nouvelle prieure, celle-ci n'ayant plus alors que de jeunes religieuses. La reine désirait aussi les garder à Varsovie, c'est alors qu'elle usa de l'influence du nonce, Mgr Pallavicini, qui les obligea, par obéissance, à rester à Varsovie.
Après le départ de mère Radegonde, mère Petigot fut élue prieure, selon le désir de la reine. Après deux triennats, mère Petigot demanda à ne pas être réélue comme prieure. En 1697 c'est mère d'Auvergne qui fut élue prieure. L'année suivante, mère Petigot quitta la Pologne avec mère Boutilly, et la soeur Granjour pour retourner en France.
Ne restèrent donc à Varsovie que mère d'Auvergne, prieure, et mère Bompard, sous-prieure, avec les jeunes religieuses. Mère d'Auvergne, après avoir consulté Mgr Bartolomé Tarlo, supérieur des missionnaires de Saint-Vincent-de-Paul, s'adressa au monastère de Toul pour qu'on lui envoie quelques religieuses. Mères : Magnicourt, Petitot, Darly et Morin, avec une soeur converse la soeur Beudon, arrivèrent le 7 septembre 1699 à Varsovie.
Ce monastère s'était trouvé dans des conditions matérielles déplorables. La reine Marie Casimire après la mort de Jean Sobieski, quitta la Pologne. Étant elle-même dans de grandes difficultés pécuniaires, elle n'était plus en état de remplir ses obligations envers le monastère. Toute une année les religieuses vécurent dans une misère extrême.
En 1700, mère Bompard fut élue prieure. Mais en 1708 une peste épouvantable s'abattit sur Varsovie, et les bénédictines aussi tombèrent malades. La première atteinte fut la mère prieure qui ne se rendait pas compte de la gravité de son état.
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Madame Jeanne Potocka, épouse d'Etienne Potocki 109, voïevode de Belz, dont deux filles étaient pensionnaires chez les bénédictines, insista pour qu'on les lui renvoyât, et que mère d'Auvergne les accompagnât afin d'éviter la peste. Mère d'Auvergne ne voulait pas quitter le monastère, mais la mère prieure la persuada, qu'étant en dehors de la ville pestiférée, elle trouverait peut-être des moyens pour les aider. Le père Bellavity, Théatin, confesseur du monastère, insista lui aussi pour l'engager à partir. Mère d'Auvergne voyant là, la volonté de Dieu, quitta Varsovie, en compagme des deux demoiselles Potocka, de mère Casimire Potocka et de mère Grotusowna. Elles quittèrent Varsovie le 22 août 1708, ne soupçonnant pas qu'elles n'y reviendraient plus.
On les transporta par le fleuve, la Vistule, dont les eaux étaient très basses, de sorte que, sur les dunes de sable, les fugitifs de Varsovie s'installaient sous des tentes, fuyant la peste. Il y eut des morts, là aussi.
A la première halte, mère d'Auvergne tomba malade. Se croyant atteinte de la peste, elle désira retourner à Varsovie, pour mourir au monastère ; mais un monsieur, envoyé par madame Potocka pour accompagner ses filles, se présenta, prêt à aller lui-même à Varsovie pour apporter à mère d'Auvergne tout ce dont elle aurait besoin. Arrivé au monastère, il trouva la mère prieure Suzanne de la Passion dans un état désespéré. Avec de grands efforts elle s'assit dans son lit, soulevée par les bras de ses soeurs et parvint à écrire une lettre pleine d'encouragements à la mère d'Auvergne. Au bout de deux heu-
109. Jeanne Sieniawska, fille de Nicolas-Jérôme, voïvode de Volhyme (1645-1683), et de Cécile-Marie, princesse de Radziwill, née après 1662, décédée en 1733. Elle épousa en 1695 Stefan Potocki, palatin de Belz.
Stefan Potocki, grand veneur de la Couronne en 1688, palatin de Belz, décédé vers 1727, fils de Jean, palatin de Braclaw et d'Ursule Danillowicz. I1 épousa en le noces, après 1688, Anna Charleska (+1694) et en secondes noces, en 1695, Jeanne Sieniawska.
Cette dernière avait deux filles pensionnaires au monastère de Varsovie. Les Radziwill, étaient une grande famille polonaise, originaire de Lituanie. Cette famille commence à figurer dans l'histoire au XIVe siècle avec Nicolas, qui en 1386, reçut le baptême en même temps que Jagellon qui devenu roi, le créa palatin de Vilna. Un de ses descendants, Charles, nommé par le roi de Pologne, Auguste II, en 1762, gouverneur de Lituame s'opposa de toutes ses forces à l'influence russe. Il ne put empêcher Poniatowski, protégé de l'impératrice de Russie, Catherine, de monter sur le trône de Pologne. Spolié de ses biens immenses, il tenta encore de s'opposer au démembrement de son pays. Puis, il dut s'exiler. Il revint mourir en Pologne en 1790.
-res, elle expira le 23 août 1708. Neuf soeurs converses moururent au monastère. Celle qui restaient vivaient sous la menace de la peste.
La vue du cimetière tout proche où sans cesse on enterrait les victimes de l'épidémie augmentait l'angoisse.
La population de la ville était très dense et, bien qu'un grand nombre d'habitants eussent quitté Varsovie, 22 000 personnes moururent de cette peste.
Malgré la situation particulièrement difficile, on n'abandonna pas l'adoration.
Mère d'Auvergne ignorant la mort de la mère prieure, arriva avec ses compagnes chez madame Potocka, heureuse de revoir ses filles. Elle emmena tout le petit groupe à Przemysl et les plaça dans le palais épiscopal, voisin de la cathédrale, où elles pouvaient continuer l'adoration. Voyant que leur séjour s'y prolongeait, mère d'Auvergne demanda à être transférée, avec ses religieuses, dans un couvent. Madame Potocka leur trouva le couvent des dominicaines, très heureuses de pouvoir rendre service aux bénédictines ; mais ne disposant pas de place convenable, elles leur offrirent une petite maisonnette, où madame Potocka, en la meublant, plaça les bénédictines et ses deux filles.
Entre temps, la situation des religieuses à Varsovie devenant de plus en plus difficile, mère d'Auvergne les invita à la rejoindre à Przemysl, en compagme du père Bellavity, craignant qu'en 1709 la peste ne reprenne ses ravages.
L'hiver 1708-1709 fut particulièrement rigoureux. Les religieuses partirent en traineaux le 13 mars 1709. De grandes chutes de neige rendaient le voyage difficile et pénible. C'est ainsi qu'une fois à cause de la neige, on se trompa de chemin. Heureusement on évita la rencontre des brigands. Les frais du voyage furent couverts par le père Bellavity et ces frais étaient importants pour douze religieuses et leur confesseur ! Ces religieuses furent : les mères Magnicourt, Petitot, Bompard, Morin, Clausier, Paulmier, Demas, Darly, Lega, Lombard, Faguet, et Beudon converse. Ne restèrent au monastère de Varsovie que les mères : Brenot, Pontaubert, Feuve, et deux soeurs converses polonaises Bidzinska et Kaminska. Ces dernières tombèrent malades, mais elles ne voulurent pas quitter le monastère, bien qu'on les y eût fortement encouragées.
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Le 24 mars 1709, le père Bellavity prévenait mère d'Auvergne, que les religieuses de Varsovie étaient heureusement arrivées. Elles étaient de l'autre côté de la rivière San, couverte de glace. La traversée de la rivière était dangereuse car la glace qui la couvrait commençait à craquer, à cause du dégel. Elles arrivèrent sans accident et habitèrent dans une petite maison offerte par les dominicaines, voisine de celle déjà occupée par mère d'Auvergne et ses compagnes et qui était insuffisante pour héberger tant de religieuses. Tout le chapitre de la cathédraie témoigna une grande bienveillance aux religieuses, les invitant à s'installer dans une des maisons capitulaires. Elles remercièrent, croyant ne rester que peu de temps à Przemysl.
Mère d'Auvergne tomba malade et son état fut jugé très grave. Sa guérison fut obtenue par des prières ferventes adressées, par les religieuses, à la Sainte Vierge, devant sa statue, célèbre déjà pour avoir été sauvée par saint Hyacinthe 10 des mains des Tartares.
110. Jacko d'Opole, aujourd'hui Jacek (diminutif de Jakub, Jacques), transformé en Jacinthus par Stanislas de Cracovie au XIVe siècle. Né probablement à Kamien (Gross-Stein) Silésie. il était peut-être chanoine de Cracovie lorsqu'il entra dans l'ordre des frères prêcheurs à Rome. En 1221, au chapitre général de Pologne, saint Dominique le désigna avec le frère Henri de Moravie pour établir l'ordre en Pologne. Le 31 octobre 1222, ils arrivèrent à Cracovie. Yves Odrowaz, évêque depuis 1218, leur fit don de l'Église de la Sainte-Trinité, dont il leur garantit la propriété par acte du 28 septembre 1227. Les bases de la vie dominicaine étaient ainsi solidement établies en Pologne. En 1225, Jacko fut envoyé fonder un couvent à Gdansk, en Poméranie, aux confins de la Prusse encore païenne. Il fut nommé définiteur de Pologne au chapitre généralissime tenu à Paris en 1228, et fut élu premier définiteur de ce chapitre. Il partit ensuite vers les provinces russes et fonda un couvent à Kievonil où il séjourna de 1229 à 1233. On le retrouve à Gnesen en 1238 comme prédicateur de la Croisade. Il mourut au couvent de Cracovie le 15 août 1257. Très tôt sa renommée de thaumaturge dépassa les frontières de la Pologne. Les frères du couvent de Cracovie consignèrent aussi exactement que possible les récits de guérisons attribuées au saint de 1268 à 1288, récits publiés par le frère Stanislas, du couvent de Cracovie, en 1352. Au XVI' siècle, les princes polonais travaillèrent à la canonisation de Jacko d'Opole, Clément VII autorisa son culte le 11 février 1527. Le père Severinus Lumborius, définiteur de Pologne au chapitre général des dominicains en 1589, obtint l'accord des pères capitulaires et travailla lui-même à la cause, qui aboutit le 17 avril 1594. Il publia ensuite une biographie du nouveau saint où malheureusement il amplifia beaucoup le champ d'apostolat, déjà très remarquable, de saint Hyacinthe. De là ont fleuri de nombreuses légendes.
Le culte du saint fut très favorisé au XVIIe siècle par les monarchies polonaises catholiques. soucieuses de maintenir leurs bonnes relations avec le ,aint Siège. La fête d'abord fixée au 16 août, fut transférée au 17 août par saint Pie A. (Cf. Catholicisme. art. d'A. Duval, o.p., archiviste de la province dominicaine dé France).
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Ce début du XVIIIe siècle fut malheureux pour la Pologne. C'était partout la guerre civile. Le roi Stanislas Leszczynski était protégé par Charles XII, roi de Suède ; et le tzar Pierre le Grand, protégeait Auguste II de Saxe. Les deux armées envahirent le pays, pillant continuellement Przemysl.
Les Suédois occupaient encore Przemysl avant l'arrivée des bénédictines. Une nuit, un nouveau détachement arriva, et des soldats voulurent occuper la maison habitée par les religieuses. Mais quand ils apprirent que c'étaient des religieuses françaises, ils s'en retirèrent, s'excusant auprès d'elles, car elles étaient connues de leur général à Varsovie. Cette bonne opinion fut profitable aux autres couvents, surtout aux bénédictines de Przemysl 111. Quand les soldats vinrent à l'abbaye pour la réquisitionner, voyant les habits noirs, un d'eux s'écria : « Que faites-vous ? ce sont des religieuses françaises D. Les soeurs dominicaines empruntèrent aussi à nos soeurs des habits noirs, pour éviter le pillage.
Il y avait dans l'armée suédoise deux Français,condamnés à mort, pour avoir commis un crime. Ils implorèrent mère d'Auvergne d'intercéder en leur faveur auprès des autorités suédoises. On donna gain de cause à sa requête et les deux Français eurent la vie sauve. Avant de quitter Przemysl, les Suédois vinrent prendre congé du monastère en leur laissant beaucoup de fourrage, de l'avoine et du foin.
Mère d'Auvergne était très affaiblie par suite de sa maladie. Elle partit, accompagnée par mère Antoinette Grotusowna, à Jaroslaw 112. Là, dès leur arrivée madame la palatine de
111. Abbaye bénédictine fondée à Przemysl en 1626 sous le, vocable de la Sainte Trinité.
112. Ville de Galicie, sur la rivière San. Centre militaire important, à 100 Km N.O. de Lwow. Les jésuites y fondèrent un collège dès 1574. Ils y furent appelés par le cardinal Stanislas Hozjusz, le plus grand théologien que la Pologne ait produit et le chef moral de toute la lutte contre la Réforme au XVI' (Cf. D.T.C., art. Pologne).
La vile fut fondée par le grand duc de Kiev, Jaroslaw le Sage, au Xle siècle. Les dominicains et les jésuites y exercèrent un apostolat fécond. Leurs églises construites au XVIIe et XVIIIe siècles existent encore.
La province de Galicie est située au nord-ouest des Carpates et traversée par le Dniestr et la Vistule. La population se composait de Polonais et d'Ukrainiens. La capitale est Lwow.
Son passé historique est fort mouvementé du fait de sa position de carrefour. Après une période d'indépendance au Moyen Age (la capitale était alors Halioz), elle accepta d'être incorporée à la Pologne en 1349 pour se soustraire aux invasions
267 Kiev, Victoire, comtesse Joseph Potocka, née Leszczynska 113 les invita et désira les recevoir chez elle. Mais les religieuses remercièrent et s'installèrent chez les bénédictines. Elles y rencontrèrent la princesse Anne Dolska 114, qu'elles avaient connue à Varsovie, c'était une personne très bienveillante pour elles. Très contente de les rencontrer, la princesse avoua que, depuis longtemps déjà, elle souhaitait fonder un couvent des bénédictines du Saint Sacrement à Lwow 115, en leur abandon-
des Mongols et des Hongrois. Lors du premier partage de la Pologne, en 1772, elle tomba aux mains de l'Autriche et, malgré plusieurs insurrections, resta sous sa domination jusqu'en 1918, date où elle fut restituée à la Pologne. De durs combats se livrèrent dans les plaines de Galicie au cours de la seconde guerre mondiale.
113. Victoire Leszczynska, tante du roi Stanislas et fille de Venceslas, palatin de Podlachie, et de la princesse Sophie Wisniowiecka. Elle épousa en 1696, Joseph Potocki (1673-1751), grand connétable de la Couronne, castellan de Cracovie, staroste de Varsovie, fils d'Alexandre Potocki, palatin de Smolensk, et de Thérèse Tarlo. La comtesse Victoire Potocka était nièce par alliance de Catherine Potocka, mère Casitnir, religieuse à Varsovie.
La famille Potocki était une des plus nombreuses et des plus anciennes de Pologne. Elle était divisée en 7 branches.
114. Anne Dolska, née Anne Chodorowska, (décédée le 8 mai 1711), avait épousé en secondes noces le-prince Jean Dolski, qui mourut en 1695, laissant à sa veuve une grande fortune, entre autres la propriété de Komarno.
La princesse avait épousé en premières noces le prince Constantin Wisniowiecki dont elle eut deux fils, Janusz et Michel (Cf. chapitre IX, n. 126).
Elle était la fille de Christophe Chodorowski et de Catherine Jablonowska celle-ci était la soeur de l'hetman Stanislas Jablonowski.
Janusz est un prénom slave qu'on chercherait vainement dans le Martyrologe romain. Vu cependant sa similitude avec le prénom de Jean, beaucoup de « Janusz célébraient leur fête onomastique le jour d'une des fêtes de saint Jean ; de là naquit une certaine confusion entre Janusz et Jean.
Komarno, ville de Galicie sur un petit lac poissonneux qui s'écoule dans le Dniestr. Les Polonais y furent vainqueurs des Turcs en 1524 et en 1695.
115. Lwow (ou Léopol ou Lemberg) est une ville d'Ukraine au nord des Carpates, située sur la rivière Pelten.
Fondée en 1250 par le duc de Galicie Daniel Romanovitch, qui lui donna le nom de son fils, Lev. Elle joua un grand rôle dans les luttes contre les Tartares. La ville fut prise en 1340 par les Polonais qui en firent la capitale de la Russie blanche. Devenue évêché, érigé par Urbain V en 1361, puis archevêché en 1412, la ville prit une grande importance commerciale après la prise de Constantinople en 1453. Elle fut souvent assiégée par les Tartares et les Cosaques et fut prise par les Turcs en 1671. Charles XII de Suède la prit à son tour en 1704 et y fit couronner comme roi de Pologne Stanislas Leszczynski. La ville était la résidence de trois évêchés : catholique latin, gréco-catholique et arménien. Le premier évêque de cette cité fut Gédéon, au temps de Clément VIII, pape de 1592 à 1605.
Lors du premier partage de la Pologne, elle fut attribuée à l'Autriche de 1772 à 1918 et prit le nom de Lemberg. Les Russes l'enlevèrent au début de septembre 1914, puis les Austro-Allemands la reprirent le 22 juin 1915. En 1918-1919, la région fut conquise par les Polonais sur les Ukrainiens, appuyés par les Allemands. En 1939, la garnison polonaise résista vaillamment à la XIV' armée allemande,
-nant son palais dans cette ville, et en dotant la nouvelle fondation de sommes importantes. Pour le moment ce projet était irréalisable, car la princesse appartenait au parti du roi Stanislas Leszczynski, et elle risquait gros de la part de son adversaire de sorte que, même à Jaroslaw, elle n'était pas en sûreté.
Elle invita mère d'Auvergne à aller à Komarno, sa propriété rurale, et à s'y installer avec toutes ses religieuses.
On profita de cette offre charitable et, le ler juin 1709, toutes les bénédictines du Saint Sacrement réunies et les deux pensionnaires, Potocka, avec le père Bellavity, quittèrent Przemysl et arrivèrent à Komarno. Elles y trouvèrent l'accueil le plus courtois, recommandées qu'elles étaient par la princesse. Les religieuses, après tous leurs déboires se crurent en paradis. Mais ce bonheur ne dura pas longtemps. L'armée russe s'approchait, comptant dans ses rangs beaucoup de Tartares et d'autres barbares. C'étaient les troupes de Pierre le Grand venant lever les contributions de guerre. Le comte Feliks Potocki 115bis, hetman (commandant en chef) de la Couronne, inquiet de ses parentes confiées aux bénédictines, supplia qu'on se réfugiât à Lwow, disant qu'il ne répondait pas de ce qu'il pourrait arriver à ses cousines et aux religieuses elles-mêmes, si elles tombaient dans les mains des Tartares et des Mongols de l'armée russe.
Elles arrivèrent donc à Lwow le 13 juin 1709. Elles trouvèrent l'hospitalité chez les bénédictines, dont l'abbesse, Hélène Kazanowska, nièce de défunt l'hetman, Stanislas Jablonowski 16, les accueillit avec bonté. Au bout d'un certain
mais les Soviétiques vinrent compléter l'encerclement de la ville, qui tomba le 22 septembre. La Wehrmacht reconquit la ville qui succomba le 30 juin 1941. Elle ne fut reprise par l'armée rouge de Koniev que le 28 juillet 1944.
Malgré les très graves destructions de la dernière guerre, il reste à Lwow des vestiges importants des splendeurs passées, telles l'église Saint-Nicolas du XIII' siècle et la cathédrale (XIV-XVe s.), d'une architecture inattendue, don de commerçants de la colome arménienne.
115 bis. Félix-Casimir Potocki décédé en 1702, et fut inhumé à Krystynopol. Il fut voïvode de Sieradz en 1669, de Kiev en 1682, de Cracovie en 1683, castellan de Cracovie et grand hetman de la Pologne en 1702. Il avait épousé en premières noces Krystyna Lubomirska et en secondes noces Rose Losiovona.
116. L'abbaye de moniales bénédictines fondée en 1595 sous le vocable de Tous-lesSaints, archidiocèse de Léopol (Cf. Atlas, OSB, 1935).
En 1721, l'abbesse était la soeur de l'archevêque de Lwow, Jean Skarbek. Stanislas Jablonowski, né le 3 avril 1634, grand général de la Couronne en 1682, puis castellan de Cracovie, premier pair laïc du royaume en 1693, mort le 3 avril 1702.
Il avait épousé Marie Anne Kazanowska, dont il eut trois fils et trois filles. L'un de ses fils, Jean Stanislas, fut un grand bienfaiteur de notre monastère de Lwow. Nous le retrouverons au chapitre suivant.
L'abbesse des bénédictines de Lwow devait être fille du beau-frère de l'hetman.
269 temps, elle exprima son désir d'abdiquer la charge d'abbesse et de devenir religieuse du Saint Sacrement ; mais la permission de Rome n'arriva pas. Pendant un temps les religieuses habitèrent dans une petite maison appartenant à madame Dolska, puis le palatin Alexandre Potocki, oncle de mère Casimire Potocka, leur trouva une habitation dans le palais de son cousin, le voïevode de Kiev, Joseph Potocki. Là elles reçurent plusieurs jeunes filles de très bonnes familles comme pensionnaires.
L'idée de fonder un monastère à Lwow ne les quittant pas, les mères Petitot, Morin, Darly, Lombard, Potocka et mère d'Auvergne avec la converse Beudon, décidèrent de rester à Lwow, en vue d'une fondation. Les autres religieuses et le père Bellavity retournèrent à Varsovie le 24 août 1709.
Vous saurez, ma très chère mère, que depuis cinq ans nos affaires ont été dans une continuelle vicissitude de bien et de mal et toujours accompagnées de la persécution de tous les couvents de la ville. Aussitôt notre arrivée, toutes les dames ont témoigné un grand désir de nous voir établies dans leur Province, goûtant la douceur d'avoir leurs enfants en pension proche d'elles, promettant de s'unir ensemble pour nous fonder ; mais elles se sont toujours déférées l'une à l'autre l'honneur de commencer. Il est vrai que la princesse Dolska s'était déclarée vouloir nous fonder et à cet effet nous avait placées dans son palais qu'elle promettait de nous donner. Là-dessus, le bruit de l'arrivée des Moscovites étant survenu, cela obligea la princesse, qui était du parti contraire, de s'éloigner de nous.
Dans cet intervalle, une autre dame, veuve riche, et sans enfants, nous promettait de consacrer tout son bien pour faire adorer Notre Seigneur, ce qui semblait ne pouvoir manquer, d'autant que le mari de cette dame l'avait chargée en mourant de faire bâtir un monastère de religieuses ; mais Dieu, qui avait ses desseins, permit que la peste survenant, cette dame (Sophie Hanska), qui depuis douze ans gardait le lit, se fit transporter dans un village où, après quelques mois, elle mourut assistée de certains religieux qui lui firent faire son testament en leur faveur, sans aucune mention de nous. La princesse, dont j'ai déjà parlé, ayant appris cette mort, écrivit en diligence à notre révérende mère prieure, la priant de ne se pas décourager dans une aventure si étrange et qu'elle était assez puissante pour réparer la perte que nous venions de faire, nous recommandant de ne pas sortir de son palais, dont elle nous faisait donation, et de poursuivre à Rome les permissions pour notre établissement ; qu'elle se déclarait notre fondatrice et que, aussitôt que les Moscovites seraient retirés, elle reviendrait et nous fonderait entièrement, aussitôt les permissions données de Rome. Quelques temps après nous apprenons que Son Altesse est dans la ville incognito, mais malade à l'extrémité : cette maladie était causée par les fatigues qu'elle avait eues dans cette fuite, ayant été obligée souvent d'aller dans des charrettes pour n'être pas reconnue. Elle envoya quérir notre révérende mère pour l'assister dans ce dernier moment. Cette dernière étant arrivée, la princesse lui témoigna beaucoup d'affection, lui disant qu'elle aurait souhaité vivre plus longtemps afin de nous fonder ; mais, puisque Dieu en disposait autrement, qu'elle ne nous avait pas oubliées et que nous étions sur son testament.
Étant ensuite mume des sacrements, elle rendit son âme à Dieu le 7 mars 1711, dans de saintes dispositions, en présence de notre révérende mère, qu'elle laissa, aussi bien que nous, très affligée.
Les deux princes ses enfants se déclarèrent aussitôt contre nous, voulant que nous sortissions du palais, ce que tous les amis de notre révérende mère lui conseillaient de ne pas faire, disant qu'ils n'avaient pas le droit d'ôter ce que la princesse leur mère, avait donné. Mais notre révérende mère a mieux aimé céder que d'entrer en procès, et nous résolûmes de quitter le pays. Monsieur le Palatin de Russie, Jean Stanislas Jablonowski, neveu de la reine douairière et gendre de madame la marquise de Béthune, ayant su notre dessein a été au devant, écrivant en diligence à monseigneur l'évêque, le priant de ne pas permettre ce retour et qu'il nous prenait en sa protection, lui promettant de travailler incessamment, avec toute la noblesse de Russie, dont il était le chef, à notre établissement. Cet événement pouvait bien relever notre courage abattu : ce sei-273gneur étant estimé et aimé dans toute la Pologne et une personne de grande probité. Mais hélas ! le temps qui devait finir nos croix n'était pas encore arrivé ; une bien pesante nous attendait ; c'était la prise de monsieur le palatin de Russie qui, étant soupçonné être du parti contraire au roi, a été, par Sa Majesté, envoyé prisonnier en Saxe, où il est encore depuis deux ans. Son illustre épouse est inconsolable ; mais cependant toujours soumise aux ordres de la divine Providence, et il paraît que leurs âmes se purifient dans le feu de l'affliction, ainsi que l'or dans la fournaise, accomplissant les desseins de Dieu qui permet que ses élus souffrent en ce monde, pour mériter davantage et être couronnés avec plus de gloire en l'autre.
Voilà, ma très chère mère, l'état de nos affaires jusqu'au mois de mars 1714, que notre révérende mère, après avoir fait des prières à tous les saints, fut inspirée de faire une neuvaine à saint Joseph, pour obtenir de Dieu une parfaite libération de nos affaires et que, si cette oeuvre ne se devait pas accomplir, il ne permit pas que l'on nous arretât davantage. Le troisième jour de la neuvaine, un seigneur, père d'une de nos pensionnaires, qui s'était toujours montré inflexible aux prières que sa fille lui faisait pour être religieuse, se sentit touché de Dieu et conçut une si grande estime de notre institut, qu'il permit à sa fille non seulement d'être religieuse ; mais il veut qu'elle soit notre fondatrice 117, et lui promet de lui donner pour cet effet
117. François Cetner, palatin et voïévode de Smolensk en 1714, prit une part très importante dans la vie de Lwow et de sa province. Il fut député de Lwow à la Diète polonaise (parlement). Il était fils de Jean Cetner, staroste de Lwow, et de Sophie Danillowicz.
Il épousa en premières noces Anne Chodorowska, fille du chambellan de Lwow. Ils eurent comme enfant : Aniela-Faustine-Sophie, fondatrice du monastère de Lwow.
François épousa en secondes noces Anne Tarlo ; elle était fille de Stanislas, castellan de Zawichost et palatin de Lublin, décédé en 1705, et de Thérèse DuninBorkowska ; ils eurent comme enfants :
a. Françoise, qui épousa vers 1753 Michel-Joseph Rzewuski, écuyer-tranchant à la Cour de Pologne en 1729, grand greffier de la Couronne en 1744, voïévode de Podlachie en 1752, de Podolie en 1762. Il était fils d'Adam Rzewuski, castellan de Podlachie et de Petronelle Zbrozek. Michel-Joseph avait épousé en premières noces Ursule Stanislawska ; il est décédé en 1769.
b. Jean, décédé en 1734.
Aniela-Faustine-Sophie Cetner, née le 5 février 1698. Entrée au noviciat le 6 avril 1715. Elle prit l'habit en 1717 sous le nom de soeur Marie de Saint-Benoît. Profession le 15 avril 1721. Prieure de 1741 à 1750, puis de 1753 à 1759. Décédée le 8 septembre 1773.
La Podlachie est l'un des anciens palatinats de Pologne, entre les provinces de
tous ses biens. Nous n'aurions jamais pensé à un tel sujet, dont l'alliance est très recherchée, étant fille unique et des plus riches du royaume.
Nous avons aussi une jeune princesse, sa proche parente, et petite fille de la défunte princesse qui voulait nous fonder : elle a une grande vocation, mais elle n'a que treize ans. Le prince son père, promet de ne s'y pas opposer, si elle persévère jusqu'à l'âge requis : pour la princesse sa mère, nous ignorons ses sentiments à notre égard.
Leurs Altesses sont revenues de leur prévention contre nous et parlent déjà de nous rendre leur palais, ne sachant pas encore que la place où nous sommes nous a été donnée, car ils ne sont pas ici ; mais seulement les deux princesses leurs filles, qui sont pensionnaires chez nous. L'endroit où nous sommes
Plock, de Mazovie, de Lublin, à l'ouest, et le gouvernement de Grodno, à l'est. Le chef-lieu est Siedlce, Principales villes : Lublin, Biala, Lukow.
La famille Rzewuski : « Durant trois générations, les Rzewuski ont, de père en fils, porté le titre de Grand Hetman de la Couronne, titre qui cumulait l'office de
chef suprême des armées et celui de ministre de la guerre. L'hetman portait le bâ-
ton de maréchal, en polonais le Bulawa. Le fils de Paul Rzewuski, Michel-Florian, fut un ami et un collaborateur apprécié du roi Jean Sobieski, peut-être le plus grand
roi de Pologne, en tout cas le dernier de ses grands rois. Durant les guerres contre les Ottomans, c'est par deux fois que Michel-Florian contribua, aux côtés de Jean Sobieski, à remporter de brillantes victoires, qui furent déterminantes pour la liberté de l'Occident.
La première bataille se déroula en 1673, près de la forteresse de Chotim, sur le Dniestr. Les Turcs recommencèrent la guerre en 1683 et, cette fois, assiégèrent
Vienne, capitale du Saint-Empire. La bataille décisive fut gagnée, grâce au roi Jean Sobieski et à ses généraux, Sébastian Lubomirski et Michel-Florian. Les Ottomans durent se retirer.
Après la mort de Michel-Florian, qui ne guérit jamais des blessures reçues à Chotim, son fils Stanislas-Matthias reçut à son tour, des mains d'Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne, successeur de Sobieski, le bâton d'hetman de la Couronne. 11 fut un grand diplomate et conclut la paix avec les Turcs en 1699 à Karlowitz. Il devint ensuite ambassadeur auprès de la Porte.
Le plus célèbre des Rzewuski fut Wenceslas, grand hetman de la Couronne. Il commença sa carrière militaire en France, dans les mousquetaires gris, au service de Louis XV. C'était un homme de grande culture. I1 parlait plusieurs langues et écrivit différents traités concernant l'histoire de son pays, ainsi que des mémoires politiques et diplomatiques (Cf. Alex Ceslas Rzewuski, A travers l'invisible cristal, Plon, 1976).
Wenceslas Rzewuski, de la maison de Krzywda, s'était distingué en défendant la Podolie contre les Tartares (1739). D'abord partisan de Stanislas Leszczynski, rallié ensuite à Auguste III, puis adversaire de Stanislas Poniatowski, il fut envoyé en Sibérie avec son fils Séverin. Ayant fait sa soumission, il fut délivré en 1773 et nommé castellan de Cracovie. Il mourut la même année. (Cf. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, Paris, 1888).
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présentement est fort agréable et d'une si grande étendue que, d'un côté nous sommes proches de la ville, et de l'autre en pleine campagne : nous avons jardins, vergers et prairies, et au milieu un bel étang plein de poissons, dont la source est dedans et qui ne gèle jamais, ce qui fait qu'il coule l'hiver comme l'été, l'eau étant vive.
La dame qui nous a fait cette donation avait résisté à toutes les sollicitations que des personnes les plus considérables lui avaient faites en notre faveur ; et, dans le temps que l'on désistait et que l'on poursuivait une autre place, Dieu toucha le coeur de cette dame, qui nous envoya dire le neuf septembre au soir que le lendemain elle nous ferait donation solennelle de cette place. Ce qui a été exécuté dans toutes les formes ; elle nous a prises en affection et prétend venir finir ses jours avec nous : elle est fort riche, veuve, sans enfants, et tante de notre jeune fondatrice.
Je vous fais part, ma très chère mère, de nos prospérités, auxquelles nous ne sommes parvenues que par un chemin tout semé de croix, ne vous ayant fait mention que d'une petite partie. Jusqu'au moment que nous nous sommes mises sous la protection du grand saint Joseph, il ne s'est pas passé un seul jour qui n'ait été marqué par quelque croix nouvelle. Nous ne regrettons pas ces souffrances qui ont produit un si bon effet, qui est d'établir l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement dans cette province, où grand nombre de victimes se donneront à Notre Seigneur, car les personnes d'ici se portent plus à se faire religieuses qu'à Varsovie, ce que nous expérimentons : plusieurs sujets s'étant déjà présentés et toutes, filles de qualité, car pour les autres il est rare qu'elles se portent à la religion.
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE LWOW
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R.P. WLADYSLAW SZOLDRSKI
La fondation du monastère de Varsovie ne fut pas difficile car la reine Marie-Casimire, accomplissant son voeu après la victoire remportée à Vienne par Jean III Sobieski, son époux, érigea le monastère et l'église de Varsovie. Mais la deuxième fondation de Pologne, à Lwow, rencontra tant de difficultés que l'on pensa souvent qu'elle n'aboutirait pas.
L'idée de cette fondation naquit en 1708-1709, alors que la peste sévissait à Varsovie. A ce moment, presque toutes les religieuses (sauf cinq) quittèrent la capitale et partirent d'abord à Przemysl, puis à Lwow. Mère Madeleine Dauvergne, prieure, puis sous-prieure, à Varsovie, en accord avec ses compagnes, prit en mains la direction du groupe, et fit tout ce qu'elle put pour obtenir la permission d'organiser cette fondation à Lwow.
Par testament, André Drohojowski 118, staroste de Lukow (+ 1692), avait obligé, sa femme, Sophie Hanska, à fonder à Lwow un monastère des trinitaires d'Espagne, et, dans ce but lui laissa une certaine somme d'argent. Cet argent fut déposé chez les trinitaires 19 de Lwow. Comme de grandes difficultés empêchaient de faire venir les religieuses trinitaires d'Espagne, madame Drohojowska souhaita destiner ces fonds à la fondation d'un monastère de bénédictines du Saint Sacrement, mais les trinitaires ne voulurent pas accéder à ce désir.
Souhaitant tout de même aider les bénédictines, elle acheta un terrain, destiné à la construction d'un couvent provisoire en bois, avec le consentement de l'évêque suffragant de Lwow, Jean Skarbek, qui administrait le diocèse après le décès de l'archevêque Zielinski (t 1709)12°. Mais dès qu'on eut commencé les travaux, la municipalité donna l'ordre de les interrompre, et fit incarcérer la personne qui avait vendu le terrain.
En attendant, les bénédictines habitaient dans le palais de Joseph Potocki 121, palatin de Kiev et oncle de Marie-Casimire
118. André Drohojowski, porte-drapeau de Lublin, staroste de Lukow, fils de Stanislas et d'Anne Przyjemska, épousa Sophie Hanska en 1685. Il décéda en 1692, et Sophie Hanska le 7 mai 1711.
Staroste : gentilhomme investi d'une starostie. La starostie était un fief faisant partie du domaine national en Pologne. Il était cédé par les rois à titre viager pour récompenser les gentilshommes de leurs services militaires.
119. Ordre fondé en France, au diocèse de Meaux, par saint Jean de Matha et saint Félix de Valois dans le but de racheter les chrétiens détenus comme esclaves dans les pays infidèles. Les fondateurs reçurent l'approbation du pape Innocent III le 2 février 1198. Ils suivent la règle de saint Augustin et sont chanoines réguliers. En France, on les nommait aussi Mathurins, en raison de l'église qui leur avait été accordée par le chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Paris. En Espagne, ils prirent le nom de trinitaires déchaussés, et le gouvernement de cette province fut un peu différent. Il y eut aussi en Espagne des religieuses trinitaires fondées par saint Jean de Matha lui-même. (Cf. D.T.C., fasc. LXXX, p. 293-334).
La congrégation féminine s'établit en France, à Valence, en 1660 et fut approuvée par le pape Léon XIII en 1891. Depuis le début de notre siècle, l'ordre se relève peu à peu en France et compte trois maisons de religieuses, dont une à Paris ainsi qu'un couvent de religieux.
120. Zielinski Constantin-Joseph, archevêque de Lwow. Né vers 1649, il était fils de Louis, castellan de Sierpc, voïvode de Plock et de N. Brzoska. Il fit ses études à Rome, devint évêque auxiliaire de Gniezno (1694), puis fut nommé au siège de Lwow en 1698. Pasteur zélé et vertueux, il mena à bien la rédaction d'une histoire de son archidiocèse sous le titre Leopoliensis archiepiscopatus historia ab anno 16/4 ex actis authenticis et historicis collecta. Il couronna le roi Leszczynski, qui voulut le récompenser en lui conférant la dignité d'archevêque de Gniezno et deprimat de Pologne. Auguste II de Saxe ayant remporté la victoire sur son rival Leszczynski, Mgr Zielinski ne put jamais prendre possession de son nouveau siège. S'étant attiré l'inimitié du tzar Pierre le Grand, il fut arrêté et déporté par les Russes en 1707. Il est mort en 1709 dans un lieu inconnu.
121. Potocki Joseph (1673-1751), grand connétable de la Couronne, castellan de Cracovie (1748), voïvode de Kiev (1702), de Poznan (1743). Il embrassa le parti de Stanislas en 1709, rejoignit Charles XII en Turquie et ne rentra en Pologne qu'en 1714. Il possédait des biens immenses ; sa résidence favorite, Stanislawow, était défendue par 120 bouches à feu, et sa milice régulière se composait de 10 000 hommes.
Potocka. Elles s'occupaient de jeunes filles de familles polonaises assez considérables qui désiraient se perfectionner en français. Les religieuses du Saint Sacrement faisaient l'impossible pour que rien ne manquât à ces pensionnaires, mais elles-mêmes n'avaient pas le nécessaire et se gardaient bien de le dévoiler.
Madame Drohojowska mourut le 22 octobre 1710, l'espoir s'évanouit donc de ce côté.
La duchesse Anna Dolska, née Chodorowska, était très bien disposée à l'égard des moniales et désirait de tout coeur voir aboutir la fondation. Elle prit les religieuses dans son palais et conseilla à mère Madeleine d'écrire au nouvel archevêque de Lwow, Nicolas Poplawski 122, pour lui faire savoir que la duchesse Dolska voulait les aider à construire le monastère, et, puisqu'il se trouvait justement à Rome, le sollicita d'obtenir du Saint-Siège la permission de fonder un monastère à Lwow. L'archevêque, quoique très malade, répondit très cordialement, qu'il apprenait avec joie et plaisir ce projet, et que s'il guérissait et revenait à Lwow à la tête de son diocèse, il ne manquerait pas de faire tout son possible pour que cette fondation puisse s'établir (Lettre de Rome du 22 mars 1711). Hélas, il mourut peu de temps après à Rome, le 8 septembre 1711, n'étant encore qu'évêque « nommé » de Lwow.
La duchesse promit aux bénédictines de leur céder son palais et de les doter richement. Mais elle ne put réaliser ses projets, car elle mourut le 7 mai 1711. De ce fait les bénédictines restèrent dans une extrême incertitude de l'avenir. Le palatin de Smolensk, Alexandre Potocki 123, et Jean Stanislas
Il était fils d'Alexandre, palatin de Smolensk, et de Thérèse Tarlo. Il épousa en 1696 Victoria Leszczynska,, fille de Wensceslas, palatin de Podlachie, et de la princesse Sophie Wisniowiecka ; il convola en secondes noces, en 1732, avec Louise Morsztyn, née vers 1712, décédée en 1785.
Castellan : lieutenant d'un palatin, chargé en particulier du commandement de la noblesse dans le palatinat et ayant, comme lui, entrée au Sénat.
122. Nicolas Poplawski, évêque d'Inflante en 1685, de Livome vers 1691, archevêque de Lwow en 1710, décéda en 1711.
123. Smolensk (ville de la Russie d'Europe), tour à tour lituanienne, russe et polonaise, fondée au IXe siècle sur le haut Dniepr. Dévastée plusieurs fois par la peste, en butte aux attaques des Tartares, qui disputèrent longtemps la ville aux Lituaniens, elle fut définitivement annexée à l'empire russe en 1654. Pendant la campagne de 1812, la ville fut en partie détruite par les armées napoléoniennes et, de nouveau, en 1941-1943.
Jablonowski 124, marié à Mme Jeanne de Béthune, nièce de la reine Marie Casimire, les assurèrent heureusement de leur protection.
Une carmélite conseilla de dire une neuvaine à saint Gaëtan pour connaître la volonté de Dieu. Au cinquième jour de la neuvaine une visite vint les réconforter. C'était Mme Marianne Jelec '25, femme du porte-drapeau de Sanok. L'avenir témoigna combien cette visite était providentielle, car c'est grâce à elle que l'établissement du monastère réussira.
Cette ville fut le siège de deux évêchés : l'un de rite moscovite et l'autre de rite latin. Après 1636, l'évêché fut uni à l'archevêché de Dorogobow.
Alexandre Potocki, palatin de Smolensk, fils de Paul, castellan de Kamienieç, et d'Eléonore Soltykow (décédée après 1691), épousa Suzanne Karczewska, et, en secondes noces, après 1693, Thérèse Tarlo, qui décéda après 1739. Alexandre Potocki mourut en 1714.
124. Famille princière qui changea son nom primitif de Zaremba, lorsqu'elle acquit le château de Jablonowo en Haute-Pologne.
Parmi les représentants les plus illustres de cette famille citons :
a. Stanislas Jean Jablonowski, né le 3 avril 1634 à Lucza près de Jablonow, grand général de la Couronne en 1682, se distingua sous les ordres de Sobieski devant Vienne en 1683 ; castellan de Cracovie, premier pair laïc du royaume, il prit part aux négociations qui aboutirent à la paix de Carlowitz. Il reçut de l'empereur Léopold le titre de « Prince du saint Empire romain ». Il mourut à Lwow le 3 avril 1702. Il fut parrain du roi Stanislas et eut pour fille Anne Jablonowska et pour fils Jean Stanislas.
b. Anna Jablonowska, née à Lwow en 1660, morte à Saumery, prés de Chambord, le 30 août 1727. Elle avait épousé, en 1676, Raphaël Leszczynski, comte de Leszno, mort à Olesnica le 31 janvier 1703. Ils eurent un fils, Stanislas, roi de Pologne.
c. Jean Stanislas, deuxième du nom, né en 1670, mort à Lwow le 28 avril 1731, grand chancelier de la Couronne de 1706 à 1709, palatin de Volhyme en 1693 et de la petite Russie en 1697. Il avait épousé, le 6 février 1693, Jeanne-Marie, fille de François Gaston de Béthune-Chabris, ambassadeur de France en Pologne, et de Louise de la Grange d'Arquien, soeur de la reine Marie-Casimire. De ce mariage naquirent : Catherine Dorothée (vers 1709), mariée à Varsovie en 1732 à François Maximilien Ossolinski et décédée à Lunéville le 5 janvier 1756. Elle fut inhumée dans la crypte de l'église de Notre-Dame de Bon-Secours à Nancy. Dans cette même crypte furent enterrées : Catherine Opalinska, épouse de François Maximilien puis, en 1756, Catherine Dorothée Jablonowska, épouse de François Maximilien Ossolinski, comte de Tenczyn, près de Cracovie né en 1676, trésorier du royaume de Pologne, grand maitre de la maison du roi Stanislas, décédé le lit juillet 1756.
En 1766, Stanislas fut inhumé lui aussi dans la crypte et, deux ans après, on y déposa le coeur de Marie Leszczynska, sa fille, reine de France. Les dépouilles mortelles furent profanées à la Révolution, mais elles purent être réunies et déposées de nouveau dans la crypte de l'église de Notre-Dame de Bon Secours. Quelques ossements prélevés après la Révolution sont conservés à Varsovie. (Cf. le Pays Lorrain, Nancy 1935, 1966, 1977 et la Revue Lorraine 1977).
125. Marianne Eléonore Bieganowska. Son premier mari fut André Chelmski, porte-drapeau de Sandomir. Son second mari, Joseph Jelec, porte-drapeau de Sanok,
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Hélas, les deux princes Wisniowiecki : Jean et Michel 126 (du vivant même de leur mère), regardèrent d'un mauvais oeil ces desseins de fondation. Après la mort de leur mère, ils résolurent de chasser les religieuses de leur palais. Tout en avouant que le testament de leur mère était très favorable aux bénédictines, ils leur conseillèrent de partir à Varsovie : on les préviendrait quand les affaires d'héritage seraient finies. Mère Madeleine avertit l'évêque de Poznan, Mgr Bartholomé Tarlo, chargé aussi de Varsovie, qui leur déconseilla de quitter le palais à moins qu'on ne les y forçât.
Les deux frères Wisniowiecki cherchèrent à se débarrasser des religieuses par ruse. Ils obtinrent de l'évêque suffragant, Skarbek, un ordre pour les expulser du palais et s'indignèrent devant le nonce de ce qu'elles restaient à Lwow alors qu'elles n'avaient pas de motif pour vivre hors clôture. Mais, l'évêque Tarlo et le nonce Spinela 127 se prononcèrent en faveur des bénédictines du Saint Sacrement.
fut tué le 23 avril 1713. C'était une parente éloignée de la famille Cetner. Sandomir faisait partie du gouvernement de Radom, dans la partie de la Pologne annexée par la Russie. C'est une des plus anciennes villes de Pologne. Elle est située dans un petit massif de collines resserrées entre la Kamienka et la Nida, affluents gauches de la Vistule. Elle est bâtie sur le bord de la Vistule, à 220 km sud-est de Varsovie et siège d'un évêché. Cette ville donnait son nom a une des voïvodies (préfectures) de la Galicie, dont Cracovie, Kalicz, Masova, Kiedlec, Lublin.
126. Constantin Wisnowiecki (1633-1686), voïvode (gouverneur de province) de Podolie, de Braclaw et de Belz. Il était cousin issu de germain du roi Michel Korybut-Wisniowiecki, prédécesseur de Jan III Sobieski. Les deux rois avaient fait leurs études au célèbre collège de Nysa, tenu par les jésuites, le Carolinum, où s'instruisirent de nombreux Polonais éminents. Nysa est située dans la voïvodie d'Opole.
Constantin épousa en secondes noces Anne Chodorowska, décédée en 1711. Ils eurent deux fils :
— Janusz-Antoine (1678-1741) ; castellan et voïvode (1739) de Cracovie, il épousa en 1704 Théophile Leszczynska (1680-1757), fille de Wenceslas, palatin de Podlachie, et de Sophie Opalinska. Elle se retira chez les dominicaines de Lwow en 1753.
— Michel-Servace (1680-1744), « hetman Wielki » (commandant en chef) des armées de Lituanie, grand chancelier du grand duché de Lituanie, castellan et voïvode de Wilno. 11 épousa : 1. en 1695, Catherine Dolska, décédée en 1725, dont il eut deux filles qui se marièrent ;
2. en 1725, Madeleine princesse Czartoryska, décédée sans postérité en 1728 ;
3. en 1730, Thècle-Rose princesse Radziwill (1703-1747), sans postérité.
127. Skarbek Jean, fils de Christophe, castellan de Halicz et de N. Czolchanska, évêque auxiliaire de Lwow en 1696, archevêque de Lwow 1713-1733 ; abbé bénédictin de Plock. Il avait une soeur, Sophie, abbesse des bénédictines de Lwow. — Spinela Nicolas, archevêque de Thèbes, fût nonce de 1708 à 1712.
Les princes Wisniowiecki ordonnèrent alors aux religieuses de quitter le palais immédiatement. Elles, conseillées par des personnes bienveillantes ne bougèrent pas et continuèrent à chercher une habitation stable, aidées en cela par de bonnes personnes qui désiraient vivement cette fondation. Les religieuses voulaient seulement tenir encore pendant l'hiver et ensuite retourner en France. Dans cette intention, elles commencèrent une neuvaine à saint Joseph. Au dernier jour de cette neuvaine, le 13 octobre 1711, on leur amena une jeune fille de treize ans, comme pensionnaire. C'était Mlle Sophie Cetner, fille de François Cetner, staroste de Kamionka 128 et de Mme Anne Chodorowska, sa femme, fille du chambellan de Lwow. Les religieuses acceptèrent uniquement pour les trois mois d'hiver, escomptant partir au printemps. Nous verrons par la suite que cette jeune fille est devenue la vraie fondatrice du monastère de Lwow.
Le même jour, un Français qui leur cherchait une bonne habitation fit connaître à mère Madeleine, qu'il l'avait enfin trouvée. La maison appartenait à monsieur Jelec et à sa femme. Une personne amie donna aux religieuses l'argent nécessaire. Elles louèrent la maison et une place contiguë, pour la somme de cinq cent zlotys. Alexandre Potocki, palatin de Smolensk, leur conseilla de ne pas quitter le palais pour ne pas perdre leurs droits, mais d'attendre qu'on les expulsât par la force. Ce qui ne se fit pas attendre... La femme de Jean Wisniowiecki, née princesse Théophile de Leszczynska, fit savoir aux religieuses que, si elles ne quittaient pas le palais le lendemain, on les expulserait de force. C'était le 8 décembre 1711, le jour de la fête de l'Immaculée Conception. Le lendemain 9 décembre, les laquais de la princesse s'introduisirent dans le palais, fermèrent les volets, défendirent de faire le feu dans la cuisine... Il n'y avait rien à faire, les religieuses cédèrent devant ces traitements. Elles envoyèrent seulement un acte de protestation, suivant le conseil de leurs amis. Les moniales, elles, pensaient uniquement à retourner en France.
Le palais qu'elles étaient forcées de quitter n'a pas été béni par Dieu. Personne n'y habita et enfin il tomba en ruines.
Les religieuses occupèrent donc la maison qu'elles avaient
128. Ville de Galicie sur le Boug occidental (voïvodie de Skiermiewice).
283 louée, le 10 décembre 1711, persuadées qu'elles n'y resteraient pas longtemps. Au printemps 1712, mère Madeleine écrivit à l'évêque Mgr Tarlo, duquel, même à Lwow, les moniales dépendaient, pour lui demander la permission de partir pour la France. L'évêque, Mgr Tarlo, refusa, et il les encouragea à tenir bon, leur rappellant que les oeuvres de Dieu trouvent toujours des oppositions, mais que grâce à l'aide de leurs puissants protecteurs, la fondation ne manquerait pas de s'établir.
La palatine Jablonowska, de son côté, ayant appris que les religieuses voulaient partir en France, leur écrivit, les accusant de pusillanimité et leur promit de faire tout son possible pour qu'elles restent à Lwow. C'est à partir de ce moment, en effet, qu'elle leur procura les vivres, l'habillement et tout le nécessaire. Les religieuses ne dévoilèrent à personne dans quel dénuement et misère elles vivaient alors.
Le prince Skarbek, devenu évêque de Lwow en 1712, qui jusqu'à présent n'était pas très partisan de l'installation des religieuses à Lwow, changea d'avis, et devint l'un des plus zélés protecteurs de la fondation. Il en fit part à l'évêque Mgr Tarlo, en prodiguant des éloges à l'adresse des bénédictines, et vint lui-même les voir. Il les assura qu'il leur donnerait la permission de fonder aussitôt qu'on trouverait l'emplacement nécessaire. Mais ce ne fut pas facile de trouver « ce morceau de terre » !
Le 25 janvier 1714, madame Jelec renouvela aux religieuses la permission de rester dans sa maison aussi longtemps qu'elles le désiraient, mais elle ne voulut pas la leur vendre, ni la leur offrir. Les religieuses, déçues, songèrent de nouveau à repartir en France et à renvoyer les pensionnaires dans leurs familles respectives. Parmi elles se trouvait mademoiselle Cetner (fille du premier mariage de M. Cetner). Madame Cetner arriva juste à ce moment à Lwow, pour débattre, avec les religieuses, des conditions du séjour prolongé de sa belle-fille. Mère Madeleine Dauvergne insista pour qu'elle reprenne mademoiselle Sophie car elle parlait déjà bien le français. Madame Cetner, ne voulait pas décider sans en référer à son mari. Mademoiselle Sophie, ayant entendu qu'on voulait la renvoyer, éclata en sanglots et déclara vouloir entrer comme religieuse dans l'institut des bénédictines du Saint Sacrement. Mère Madeleine bien émue, ne pouvait plus insister pour la renvoyer.
La visite de la femme du dauphin, madame Constantin Sobieska, accompagnée de la princesse Jean Wisniowiecka, qui leur avait causé tant d'ennuis, en les renvoyant du palais, fut une surprise pour les religieuses. Elle s'excusa confuse, et les appuya même auprès de l'archevêque.
Après la mort de son mari, elle entra chez les dominicaines à Lwow. La femme du deuxième prince Wisniowiecki, Michel, confia ses deux filles aux bénédictines. L'une d'elles voulut entrer en religion, mais son père, obstiné, ne le permit pas.
Nous voyons comment les moniales conquirent l'estime et la bienveillance de la plus haute société. Leur situation cependant resta toujours instable. Elles songeaient toujours à rentrer en France. Madame la palatine Jablonowska [Jeanne Marie de Béthune], très bonne pour elles, ne pouvait pas faire grand-chose, car son mari, Jean Stanislas, avait été fait prisonnier par le roi Auguste II et relégué en Saxe ; elle réconforta toujours les religieuses de son mieux.
Comme les voies de la Providence sont mystérieuses !
Une dame de leurs amies leur conseilla de commencer une neuvaine à saint Joseph, et de faire graver leur demande sur un ex-voto en argent. Les religieuses firent donc graver le couvent qu'elles désiraient obtenir, sur une plaque d'argent. Cette plaquette fut suspendue sur le tableau représentant saint Joseph. Le quatrième jour de la neuvaine, François Cetner arriva : il était maintenant palatin de Smolensk. Il chercha à parler à mère Madeleine en secret. Il lui confia le désir de sa fille Sophie, de devenir bénédictine du Saint Sacrement. Il demanda donc à mère Madeleine de bien étudier sa vocation ; si l'examen s'avérait positif, il promettait de fonder le monastère. Il demanda de garder le secret pour que la famille de sa première femme, de Chodorowska, mère de Mlle Sophie, ne fasse pas de difficultés quant à la disposition de la fortune laissée par sa femme.
I1 revint encore peu après pour savoir comment les affaires de sa fille se présentaient et se déclara disposé à offrir aux religieuses une maison à Lwow. Celle qu'il désirait étant située dans un endroit malsain, mère Madeleine lui conseilla d'acheter la maison qu'elles occupaient déjà.
Cependant des rumeurs couraient que la guerre allait éclater. Les familles emmenèrent leurs filles pensionnaires et 285 monsieur Cetner aussi. Ce n'était pas seulement pour se convaincre de la sincérité de la vocation de sa fille, mais aussi pour que la famille ne le soupçonnât pas de l'avoir quelque peu forcée à se faire religieuse. Bientôt après, il la renvoya tout de même chez les bénédictines, mais ne dit mot sur ce qu'il pensait faire. Les religieuses déçues, écrivirent une nouvelle fois à l'évêque Mgr Tarlo, pour lui demander la permission de quitter la Pologne pour se rendre en France, et pour obtenir du roi les passeports nécessaires. Mère Madeleine s'adressa aussi à l'archevêque Mgr Skarbek dans le même but, le remerciant de sa bienveillance, et à l'évêque suffragant, Stéphan Rupniewski 129, qui leur avait toujours été d'un grand secours.
Il arriva que le Courrier, muni de ces trois lettres, rencontra Mgr Rupniewski. Il lui remit celle qui lui était adressée. Celui-ci, prit connaissance de son contenu, et supposant que les deux autres lettres parlaient de la même affaire, ordonna au Courrier de les rapporter à mère Madeleine. Il lui répondit qu'il ferait tout son possible pour que la fondation se réalisât, et lui conseilla de prendre patience. De même la palatine Jablonowska et la palatine de Kiew, Victoire Potocka-Leszczynska, demandèrent aux bénédictines de rester à Lwow et de garder confiance en la Providence. En effet, la Providence ne les a pas déçues.
Le 13 septembre 1714, grâce aux démarches de Mgr Rupniewski, madame Jelec leur offrit la maison qu'elles occupaient déjà, et de plus un emplacement contigu. Puis messieurs Chelmski 130, fils de madame Jelec et de son premier mari, quoique calvinistes, donnèrent aux bénédictines la partie du terrain dont ils étaient propriétaires, spécifiant dans l'acte d'offrande, « qu'ils faisaient cela pour le salut de leurs âmes ».
Mère Madeleine en informa de suite Mgr Tarlo et l'archevêque Skarbek qui se réjouirent de cette bonne nouvelle. L'archevêque Skarbek leur accorda la permission d'accepter ce don et promit son soutien. Le nonce d'alors, Spinela, écrivit à
129. Stéphan, évêque suffragant de Lwow, puis évêque de Kamieniec (1717-1721), puis de Luck (1722-1731).
130. Fils du premier mariage de Marianne Eléonore Bieganowska avec André Chelmski, porte-drapeau de Sandomir.
La ville de Chelm, proche de la frontière russe, était jadis chef-lieu d'un palatinat. Les Polonais y furent vaincus par les Prussiens en 1794. Un évêché latin y avait été fondé en 1358. Il fut transféré plus tard à Bedzin.
286 l'archevêque Skarbek pour lui demander de protéger la fondation projetée en lui déclarant que tout ce qu'il ferait dans ce sens, il le considérerait comme fait à lui-même.
Mademoiselle Cetner commença son postulat le 6 avril 1715. La famille en fut scandalisée, même madame Jelec, cependant parente éloignée. Mais, voyant la persévérance de la novice, elle s'inclina. L'archevêque Skarbek annonça à monsieur Cetner qu'il accordait la permission, mais qu'il fallait encore obtenir, par la nonciature, l'accord de Rome, pour stabiliser cette nouvelle fondation.
Puisque tout s'annonçait bien, on prépara les plans du couvent proprement dit, de la chapelle, et d'une maison pour le pensionnat. Monsieur Cetner les trouva à son goût, et promit d'en couvrir les frais.
On espérait que les travaux seraient terminés en quatre mois. Mais on oubliait que souvent le chemin qui conduit d'un projet à la réalisation peut être long. Tant que les ouvriers travaillèrent à l'intérieur de la maison, tout alla bien ; mais lorsqu'ils commencèrént les travaux extérieurs, à la vue de tous, l'orage éclata. La municipalité adressa une supplique à l'archevêque pour qu'il interdise la continuation de la construction du couvent. Les autres congrégations religieuses de la ville émirent aussi une protestation, car elles craignaient la concurrence que pourrait créer l'établissement d'un nouveau centre d'éducation pour jeunes filles. Même dans le chapitre diocésain, il y eut des mécontents. Ils manoeuvrèrent tant et si bien que l'archevêque ordonna l'interruption des travaux, tout en espérant qu'il se trouverait des personnes influentes pour défendre les bénédictines du Saint-Sacrement. Il partit à la campagne, en laissant à l'évêque Rupniewski le soin de l'exécution de son interdiction. Mgr Rupniewski, à contre coeur, accomplit l'ordre de son supérieur.
Mère Madeleine, congédia aussitôt les ouvriers. Mais l'archevêque avait raison, il ne manquait pas de défenseurs à la cause des moniales. La palatine Jablonowska et celle de Kiew, Victoire Potocka, avec plusieurs autres personnes influentes, s'adressèrent à l'archevêque et lui demandèrent de révoquer son ordre. Madame la référendaire 131 de la couronne, Thérèse Katski-Potocka, rédigea la lettre et tout le monde la signa.
131. Référendaire : officier de chancellerie, chargé des sceaux royaux. Ce pouvait
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Elle alla elle-même chez les princes Wisniowiecki pour avoir -leurs signatures.
La lettre fut envoyée par un Courrier spécial, et l'archevêque révoqua l'interdiction. Il écrivit une lettre très aimable à mère Madeleine, où il l'assurait de sa bonne volonté, mais ne voulait pas que les travaux recommencent avant d'avoir obtenu la permission de Rome. Et puisque des personnes si influentes s'offraient à obtenir cette permission, il ne s'opposerait plus à ce que les travaux continuent. Ils reprirent donc, mais quand on commença à construire la chapelle, la municipalité mit son véto, affirmant que cette partie de terrain appartenait à la ville. Comme on continuait cependant, la municipalité fit prévenir qu'elle arrêterait les ouvriers et en effet, le chef des charpentiers fut mis en prison. Quand la palatine Jablonowska l'apprit, elle réclama la libération immédiate de l'innocent ouvrier, et déclara que si on ne l'écoutait pas, elle viendrait elle-même démolir la porte de la prison. La municipalité n'attendit pas l'exécution de cette menace et relâcha l'ouvrier.
La municipalité ne pouvant obtenir de l'archevêque, l'ordre de faire cesser les travaux, s'adressa au nonce 132, en précisant que Rome n'avait pas accordé de permission pour fonder ce monastère et que les religieuses ne possédaient pas les fonds nécessaires pour subsister. Le nonce leur accorda l'interdiction mais l'évêque, Mgr Tarlo, intervint auprès de lui et lui fit savoir qu'il avait été mal renseigné. Le nonce révoqua donc son véto, en menaçant la municipalité d'excommunication si elle continuait à inquiéter les religieuses. Malheureusement, peu après, elles perdirent leur protecteur (Mgr Tarlo) qui mou-
être aussi un officier chargé de rapporter au roi les affaires de l'État.
Thérèse, fille de Martin, Michel, Casimir Katski, général d'artillerie de la Couronne et castellan de Cracovie (1635-1710) et d'Ursule Denhoff (soeur du cardinal Jean-Casimir Denhoff), épousa Etienne Potocki en 1711.
Etienne Potocki, fils de Paul, ambassadeur à Rome (1615-1674). Guerrier longtemps heureux, il fut fait prisonnier par les Russes et resta captif à Moscou pendant treize ans. Il y épousa la princesse Eléonore Soltykoff, tante de l'impératrice Anna Ivanowa ; neuf enfants naquirent de ce mariage, dont Etienne. Celui-ci avait épousé en premières noces Urszula Bieganowska ; en secondes noces Konstancja Denhoff et en troisièmes noces (1711) Thérèse Katska. Etienne Potocki était palatin de Masovie, voïvode de Pomérame (1726), maréchal de la Cour, de la Couronne, des Diètes (1724). 11 est décédé à Lwow en 1730.
132. Grimaldi Jérôme, archevêque d'Edesse, nonce en Pologne de 1713 à 1722.
-rut le 21 septembre 1715. Profitant de cette occasion, la municipalité renouvela les démarches auprès du nonce, et obtint une nouvelle interdiction. On constata pourtant que cette interdiction ne provenait pas du nonce lui-même, mais qu'elle avait été obtenue franduleusement près de son secrétaire. On continua donc les travaux.
Monsieur Cetner intervint auprès de la municipalité qui se calma. On songeait à la vêture de mademoiselle Sophie Cetner mais les événements politiques y firent obstacle.
En 1715, une confédération contre le roi Auguste II de Saxe, s'organisa à Tarnogrod 133. L'inquiétude régnait car on craignait des conséquences tragiques, qui n'eurent d'ailleurs pas lieu. On redoutait les Turcs et les Tartares, mais ils étaient encore loin. Les religieuses, apprenant que la soldatesque pillait les couvents, se confièrent en la Providence, car elles redoutaient de subir le même sort. Elles ne furent pas déçues. Les soldats voulurent leur prendre tous les vivres, mais le capitaine les protégea. Comme il parlait français, les religieuses lui demandèrent de leur obtenir du général ce qu'on nommait, « une libération et une salvagardien 134 ». Mère Madeleine écrivit une lettre au général et obtint ce qu'elle avait demandé. Ces papiers les aidèrent beaucoup, car chaque jour elles étaient contraintes de s'en servir.
133. La Pologne s'était divisée entre partisans d'Auguste II de Saxe, imposé par l'Autriche et la Russie (1697), et partisans de Stanislas I« Leszczynki, élu de la Suède (1704). Les premiers constituèrent la confédération de Sandomierz 1702), les second la confédération de Tarnogrod (1715) voïvodie de Zamosc.
Auguste II de Saxe (imposé par l'Autriche et la Russie) (1697-1733) fut vaincu par les Suédois de Charles XII, qui imposèrent l'élection à Varsovie d'un nouveau roi, Stanislas Ier (1704). Auguste II ne put rentrer à Varsovie qu'avec l'appui des troupes de Pierre le Grand, après leur victoire de Poltava (1709). La deuxième guerre du Nord se solda donc pour la Pologne par des désastres considérables : le dépeuplement atteignit son maximum entre 1710 et 1720. De plus, le pays était désormais divisé entre partisans d'Auguste II, qui avaient constitué la confédération de Sandomierz (1702) voïvodie de Tarnobrzeg et de Stanislas I", qui, hostiles à l'absolutisme saxon, organisèrent la confédération de Tarnogrod (1715). Ces deux organismes furent dissous sur intervention du tsar, dont l'ambassadeur contribua à l'élaboration d'une nouvelle constitution, qui institua de nouveaux impôts et réduisit l'armée à 24 000 hommes. Les troupes saxonnes se retirèrent alors dans l'électorat (diète muette de 1717).
134. Libération : les religieuses avaient obtenu d'être libérées des charges et impositions de guerre, et avaient reçu un sauf-conduit ou une notification de la protection du général.
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Le 3 avril 1716, les confédérés occupèrent Lwow et le commandant en chef, Adam Sieniawski 135 tomba entre leurs mains. Peu après l'armée Saxe assiégea la ville qui s'était rendue. Le pillage fut général. Plusieurs personnes apportèrent leurs biens chez les moniales en espérant les sauver. Un boulanger apporta plusieurs sacs de farine et quatre tableaux représentant la sainte Vierge. On les suspendit sur les quatre murs de la grande salle et les prières redoublèrent. Les religieuses furent épargnées et on leur prit seulement quelques charrettes de foin.
Au bout d'une année les confédérés s'accordèrent avec le roi Auguste II de Saxe. Le 14 février 1717, on chanta un Te Deum solennel d'action de grâce. Le 30 mars 1717, mademoiselle Sophie Cetner pu recevoir l'habit sous le nom de soeur Marie de Saint-Benoît. L'assistance était splendide : l'archevêque Skarbek officia à la grand-messe. Dans la nouvelle chapelle, on exposa le Saint Sacrement pendant vingt-quatre heures, pour la première fois. La présence de plusieurs personnes de qualité ajouta à la splendeur de la cérémonie.
Le 20 mai arriva enfin la permission de Rome si désirée 136. On se croyait en sûreté et la cérémome de profession était prévue pour le 29 septembre 1719. Malheureusement, en juillet 1719 la peste sévit en ville. La vie devint impossible et on songea uniquement à se protéger contre ce terrible fléau qui emportait quantité de victimes.
Sur la demande de mère Madeleine, adressée à Paris en 1715, les monastères de France avaient envoyé quelques religieuses pour aider au choeur : ce furent mère de Fleurisel, mère Guion, professes du monastère de Saint-Louis-au-Marais, à Paris et trois postulantes : Miles Tremblier, Bresson, des Bouts. Elles arrivèrent juste au moment de la peste et le désarroi fut général.
135. Cette confédération soutenait le roi Stanislas Leszczynski. Leur commandant en chef à Lwow, parait avoir été allié à la famille Potocki. Stefan Potocki avait épousé Jeanne Sieniawska.
Sieniawski, Adam-Nicolas (1666-1726), dernier du nom : voïvode de Belz, grand hetman de la couronne en 1706 ; castelan de Cracovie en 1710 (première dignité parmi les sénateurs non évêques). En 1687, il épousa Elisabeth, princesse Lubomirska. L'immense fortune des deux époux passa à leur fille unique, Marie-Sophie, mariée au prince Auguste Czartoryski.
136. La bulle d'érection fut donnée le 16 mars 1719 et l'archevêque Skarbek confirma la fondation le 20 avril 1720.
Quelques jours après leur arrivée, mère Madeleine, mère de Fleurisel et une des postulantes tombèrent malades. Elles décidèrent donc de quitter la ville pestiférée, et profitant de l'invitation de madame Jelec, partirent toutes dans une de ses propriétés, d'abord Chodorow, puis au Nouveau Hameau (Nowe Siolo). C'est là-bas que, le 27 novembre 1719, les trois postulantes françaises, le jour dans l'octave de la Présentation de la sainte Vierge, commencèrent leur noviciat.
Toutes les religieuses ne purent rentrer à Lwow, que le 3 février 1720 et le 17 juillet on procéda à l'élection canonique de la prieure : mère Madeleine fut élue.
Il fallut alors enregistrer la fondation au tribunal de Lublin. Monsieur le palatin Cetner, mère Madeleine, madame Potocka, mère de Fleurisel, et mademoiselle Cetner comme fondatrice, s'y rendirent.
Dans cette affaire l'évêque suffragant de Lwow, Jean Félix Szaniawski 137, devait prendre la parole devant le tribunal. C'était le 18 juillet 1720. La donation de monsieur Cetner fut ainsi inscrite dans les actes du Tribunal de Lublin à la date du mercredi avant la fête de saint Barthélémy, soit avant le 20 août 1720.
137. Szaniawski Jean-Félix, célèbre orateur sacré. Évêque coadjuteur à Lwow a 1720), il cumula cette dignité avec celle d'évêque de Chelm en 1725. Nommé évêque de Wilno, la mort l'empêcha de prendre possession de ce siège. Parmi ses sermons les plus remarquables, il faut citer celui qu'il prononça en 1733 pour l'ouverture de l'élection du roi après le décès de Auguste II. Il mourut en 1733.
Fabien Szaniawski, vénateur de la Couronne, staroste de Sochaczew, épousa Eléonore Potocka, fille de Pierre Potocki, palatin de Czernichow, décédé en 1726, et de Catherine Chodorowska.
Joseph Szaniawski (1764-1843) fut un apologiste partisan de Kant et fervent catholique.
Constantin Szaniawski, évêque de Cracovie, joua entre 1726 et 1730 un rôle important dans la reconnaissance du culte du Sacré-Coeur. Il mourut en 1732.
Lublin, région de Lubelszczyzna, proche de la frontière de Russie ; la ville est située sur la rive droite de la Vistule. Elle fut souvent saccagée par les Tartares, les Russes et les Cosaques. C'est à la Diète de Lublin en 1568-1569, que fut décidée l'union de la Lituame à la Pologne. Son université catholique, fondée en 1918, est célébre et son rayonnement s'étend bien au-delà des frontières de la Pologne. Le cardinal Karol Wojtyla était titulaire de la chaire d'éthique de 1953 jusqu'à son élection au souverain pontificat. En avril 1983, l'université de Lublin décerna le titre de « docteur honoris causa » à Jean-Paul II.
On trouve au centre de la ville : le couvent des dominicains, fondé par Casimir le Grand au XIV' siècle, la cathédrale du XVI' et l'église des soeurs de Sainte-Brigitte, fondée par le roi Ladislas Jagellon au début du XVC siècle, ainsi que les palais des Potocki et des Czartoryski.
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En rentrant à Lwow, les religieuses apprirent que le fléau de la peste reprenait. Elles profitèrent donc de l'invitation de la palatine Jablonowska, et toutes s'installèrent dans une de ses propriétés à sept lieues de Lwow.
Le monastère avait été confié à la garde des anges gardiens et à quelques fidèles servantes. Le 22 février 1721, toutes les religieuses purent regagner Lwow. La peste avait cessé.
On pensa de nouveau à la profession de la fondatrice, mademoiselle Cetner. Mais de nouvelles difficultés surgirent : le palatin Cetner et l'archevêque Skarbek n'arrivaient pas à s'entendre au sujet de la fondation. On commençait à se demander si cette fondation tant désirée verrait enfin le jour. Heureusement la palatine Jablonowska intervint comme médiatrice et l'accord fut signé. Le palatin Cetner s'engagea à doter la fondation de 100 000 zlotys placés sur l'hypothèque de sa propriété de Chodorow, dont le monastère devait recevoir 7 000 zlotys, partie en argent, partie en vivres. Le contrat fut signé le 9 avril 1721. On peut considérer cette date comme le début officiel de la fondation de Lwow.
La cérémome de profession depuis si longtemps attendue eut lieu le 15 avril 1721. Étaient présents : l'archevêque, le père de la religieuse, monsieur Cetner, palatin de Smolensk et toute la famille, ainsi que quantité de personnes éminentes, entre autres la soeur de l'archevêque, l'abbesse des bénédictines de Lwow, Sophie Skarbek.
Cependant, le châtelain de Belz, Pierre Potocki, devenu ensuite palatin de Czerniechow, époux de Catherine Chodorowska, fit valoir ses prétentions quant à la propriété de monsieur Cetner ; celui-ci l'avait reçue à la suite de son mariage avec Anne Chodorowska, belle-soeur de Pierre Potocki. Il s'ensuivit un long procès, qui eut une répercussion fâcheuse sur l'existence matérielle des religieuses. En effet, monsieur Cetner, attaqué en justice, ne pouvait pas remplir toutes ses promesses. Cependant Pierre Potocki en entamant le procès déclara qu'il n'avait pas l'intention de nuire aux religieuses et il leur en donna la preuve en leur confiant sa propre fille, Anne 138, la-
138. Potocka Anne, fille de Pierre, palatin de Czernichow, et de Catherine Chodorowska. De ce mariage naquirent six filles, dont quatre entrèrent en religion. Pierre Potocki épousa en premières noces, Louise Dambska, et en 2` noces, vers 1708, Ca-
292 -quelle entra plus tard au monastère comme religieuse. Elle reçut l'habit de postulante le 29 septembre 1724, et celui de novice le 22 mai 1725, sous le nom de Marie de Saint Jean-Baptiste. L'archevêque était présent ainsi que beaucoup de personnes éminentes. La soeur émit ses voeux le 17 novembre 1726. Son père, monsieur Potocki, décédé, ne put jouir sur terre de cette cérémonie, mais sa mère, la tante de mademoiselle Cetner y assista. Elle devait mourir l'année suivante.
Pierre Potocki peu avant sa mort maria sa fille Éléonore à M. Fabian Szaniawski, staroste de Sochaczew. Il poursuivit la procédure si nuisible à la vie du monastère. Plusieurs personnes inquiètes au sujet de l'avenir du monastère, n'osaient pas confier leurs filles aux bénédictines.
Mais une consolation fut donnée aux religieuses par l'entrée au couvent de mademoiselle Louise Jablonowska 139, fille du palatin russe, qui avec sa femme aida tant à la fondation. Une autre pensionnaire, mademoiselle Thérèse Mierzejewska fille du châtelain de Zakroczym, demanda à entrer au couvent. Ces deux jeunes filles commencèrent leur postulat le 19 juin 1727. Mademoiselle Jablonowska prononça ses voeux le 23 janvier 1729, sous le nom de soeur Sainte-Scholastique, et mademoiselle Mierzejewska 140, le lendemain, sous le nom de Marie de Saint-Placide.
La prieure, mère Madeleine d'Auvergne, pouvait constater avec joie que l'oeuvre de sa vie prenait de l'essor, et que le très
therine Chodorowska. Il décéda en 1726.
Anne, soeur Marie de Saint Jean-Baptiste, née à Zoltan le 15 novembre 1710. Entrée au postulat le 29 septembre 1724, vêture le 22 mai 1725, fit profession le 17 novembre 1726, et décéda à Lwow le 9 janvier 1735. Elle était petite-fille de Paul Potocki et d'Eléonore Soltykow, et cousine germaine, par sa mère, de Sophie Cetner.
139. Louise, fille de Jean II Jablonowski, palatin russe, et de Jeanne Marie de Béthune, nièce de la reine Marie-Casimire.
Louise, soeur Marie de Sainte-Scholastique, née à Podkamieniec le 5 novembre 1711. Entrée au postulat le 18 juin 1727, vêture le 18 novembre 1727, profession le 23 janvier 1729. Elle fut prieure de 1765 à son décès, le 1« avril 1779.
140. Thérèse, fille de Casimir Mierzejewski, châtelain de Zakroczyn. et d'Agnès Lanckoronska.
Thérèse, (soeur Marie de Saint Placide), née à Usciu Zielonym le 18 octobre 1710. Entrée au postulat le 18 juin, vêture le 27 décembre 1727 ; profession le 24 janvier 1729. Prieure de 1750 à 1753 et de 1759 à 1765. Décédée le 5 novembre 1772.
293 Saint Sacrement dans son monastère recevait de plus en plus d'adoratrices. Elle regardait l'avenir avec confiance. Sa santé commença à décroître à l'âge de 75 ans. Atteinte d'une longue maladie, et ayant subi plusieurs opérations, elle s'est éteinte le 7 juillet 1729. Elle a contribué par son travail et son énergie à la naissance et au développement du monastère, qui lui doit une reconnaissance éternelle. Elle ne se décourageait jamais, même dans les plus graves difficultés. Au dernier moment, la situation matérielle était si précaire, que, pour couvrir les frais de son enterrement les religieuses furent obligées de s'endetter.
L'élection canonique de la mère prieure eut lieu le 20 août 1730 sous la présidence de Mgr Jérôme Jalowiecki 141, évêque suffragant de Lwow et mère Gertrude de Jésus (Mlle de Fleuri-sel) fut élue. Mère Casimire Potocka, élue antérieurement sous-prieure à Varsovie, n'assista pas à cette élection.
Soeur Elisabeth Puchet, converse, mourut le 1" janvier 1731. Son frère, étant à Rome en 1726 pour diverses affaires du gouvernement, lui avait envoyé des reliques de la vraie Croix. Le 13 janvier 1731, nous eûmes à déplorer encore un décès, celui de mère Morin. Et quelque temps après, toute la communauté fut en deuil en apprenant la mort du palatin Jean Stanislas Jablonowski (28 avril 1731), qui, avec sa femme, avait tant fait pour la fondation.
De nouvelles recrues se présentèrent : mademoiselle Anne Swiderska 142 commença son postulat le 18 août 1731, avec mademoiselle Louise Sierakowska 143 ; le 19 septembre, Rosa-
141. Evêque suffragant de Lwow en 1730.
142. Anne Swiderska, soeur de Saint Casimir. Née à Skale Kolo Kamienec, Podolski le 8 mars 1714. Entrée au postulat le 18 août 1731, vêture le 13 septembre 1732, profession le 29 avril 1736. Décédée à Lwow le 23 mai 1769.
143. Louise Marie Anne Sierakowska, soeur de Sainte Flavie. Née à Maciejourcie le 15 décembre 1717. Fille de Joseph, gardien de la Couronne, et d'Elisabeth Miaczynska. Entrée au postulat le 18 août 1731, vêture le 21 septembre 1732, profession le 6 mai 1736. Décédée le 15 avril 1762.
144. Rosalie, Barbara Bielska, soeur de Saint Maur. Née à Medyniale, le 4 décembre 1717. Fille de Boguslaw, staroste de Rabsztynski, et d'Anne Szeptycka. Entrée au postulat le 19 septembre 1731, vêture le 5 octobre 1732, profession le 24 mai 1734. Prieure de 1779 à 1791 et de 1793 à son décès le 3 mai 1797.
Elisabeth, soeur de Saint-Jean. Née le 24 juin 1725. Vêture le 3 juillet 1740, profession le 3 décembre 1741. Décédée le 26 janvier 1805. Elle était soeur de la précédente.
294-lie Bielska 144 ; le 5 novembre, Catherine Zurakowska 145, de sorte que le couvent compta de plus en plus de Polonaises. Quand le 2 août 1732 Mère de Tous les Saints, Lombard, mourut, il ne resta que trois Françaises parmi celles qui étaient venues à Lwow en 1709 : les mères Darly, Petitot, et soeur Beudon.
La mort du palatin Cetner, le 5 janvier 1732, fut une grande perte pour le monastère, surtout en ce qui concerne l'affaire d'héritage. Mère Saint-Benoît, sa fille unique (Sophie Cetner), avait hérité de sa mère Anne Chodorowska, le droit de disposer de tout ce que celle-ci avait apporté à son mari : les domaines et les bijoux. Donc, mère Saint Benoît était allée à Chodorow pour prendre possession de ses biens. Quant aux droits de succession de son père, elle s'en était dessaisie depuis longtemps. Pour prendre possession de la part des biens qui lui revenaient de droit, de sa mère, elle connut des difficultés de la part de la seconde femme de monsieur Cetner et de ses enfants : Françoise et Jean. Bientôt la mère mourut, le 29 septembre 1733, puis son fils en 1734, et l'affaire .de l'héritage changea d'aspect.
Mais il fut toujours délicat d'entrer en possession du fait de la guerre civile, provoquée par l'élection de deux rois, Stanislas Leszczynski et Auguste III de Saxe. L'armée russe du tzar Pierre le Grand envahit le pays et occupa Lwow. Le monastère ne présentant pas de sécurité suffisante, mère Cetner et mère Potocka s'adressèrent à monsieur Fabian Szaniawski, époux de la soeur de mère Anne Potocka, pour lui demander de recueillir les religieuses dans sa maison, mieux protégée. Il y consentit, et les moniales s'installèrent chez lui en novembre 1734. Mais bientôt il mourut et les religieuses se trouvèrent dans une situation difficile. Mère Anne Potocka mourut aussi, à la suite d'une maladie, le 9 janvier 1735.
Les moniales du Saint Sacrement trouvèrent asile à l'abbaye des bénédictines, et y furent très fraternellement reçues.
145. Catherine Zurakowska, soeur de Saint-Joseph. Née à Rachiniec. le 23 avril 1704. Fille de Michel, échanson, et de Sophie Ulinska. Entrée au postulat le 19 août 1731, vêture le 5 novembre 1731,profession le 21 janvier 1734. Décédée le 21 novembre 1772.
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Bientôt la maladie obligea mère sainte Scholastique Jablonowska à s'aliter, ainsi qu'une novice, soeur Sierakowska, et une des pensionnaires. L'état de soeur Sainte Flavie Sierakowska, s'étant aggravé, on l'administra et elle prononça ses voeux sur son lit de mort. Elle revint quand même à la santé. En mars 1735, les religieuses retournèrent dans leur monastère. Elles le trouvèrent dans un état lamentable. La mère prieure, Gertrude de Jésus de Fleurisel décida de commencer la construction d'un couvent qui répondrait aux exigences de la clôture. Elle s'adressa à madame la palatine de Belz 146, fille de Stefan Potocki, pour obtenir des blocs de pierre provenant de ses carrières. Cette requête, soutenue par la palatine Jablonowska (Jeanne Marie de Béthune) fut agréée. On commença à apporter les pierres avec beaucoup de difficultés dues à la situation politique.
En juillet 1735, on procéda à l'élection de la nouvelle mère prieure, sous la présidence de Mgr Samuel Glowinski 147, évêque suffragant, administrateur du diocèse après la mort de l'archevêque Skarbek (+ 1733) ; mère Gertrude fut élue pour la troisième fois.
Espérant que, pendant la Diète de paix (1735) 148, on pourrait avantageusement liquider l'affaire de la fondation,
146. Belz, ville de Galicie, région de Lwow, sur la Zolokia, affluent du Bug. La palatine Ursule, fille d'Etienne Potocki, palatin de Belz, et de Thérèse Kaska, épousa Pierre Georges Przebendowski, dont elle eut deux filles, Thérèse, née en 1717, et Sophie, née en 1728, qui toutes deux furent religieuses à Varsovie.
147. Glowinski Mgr, Samuel, évêque d'Hébron. Il fut administrateur apostolique de l'archidiocèse de Lwow en 1733. Il remit en 1737 le gouvernement du diocèse à l'archevêque Nicolas Wyzycki, mais en redevint administrateur apostolique en 1757 après le décès de ce prélat. Mgr Glowinski fonda à Lwow un collège pour les garçons de la noblesse et l'enrichit de nombreux dons.
148. La Pologne était ravagée par la guerre et les dissensions intérieures. Deux rois se disputaient le trône : Auguste, électeur de Saxe, protégé par ses puissants voisins, et Stanislas Leszczynski, élu par sa nation. Le 31 octobre 1735, la paix fut enfin signée à Vienne. Auguste de Saxe conservait le royaume de Pologne et Stanislas se retira pour assurer la paix à son pays. En compensation, il reçut le Duché de Lorraine et de Bar. qui devait revenir à la France à sa mort, et il conserva son titre de roi de Pologne.
Il encouragea de tout son pouvoir ses partisans, groupés autour de lui au château de Koenigsberg, à faire leur soumission au nouveau roi, afin d'assurer la paix à la Pologne, alors épuisée par tant de luttes et de dévastations dues aux armées étrangères qui soutenaient chacune leur partisan au trône. (Cf. Abbé Proyart, Histoire de Stanislas Premier, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, Lyon, 1784).
296 mère Cetner, mère Mierzejewska et la dauphine, épouse de Constantin Sobieski, partirent pour Varsovie.
Elles ne purent rien obtenir, car Mathias Kozminski, palatin de Kalisz 149 intéressé dans l'héritage de monsieur Cetner, au titre de mari de Thérèse, sa troisième fille, ne vint pas au rendez-vous de Varsovie.
Les anciennes moniales françaises étant décédées à Lwow, on demanda aux moniales de Varsovie de leur céder une ancienne religieuse française en échange de mère Casimire Potocka, élue prieure de Varsovie le 2 juillet 1730. Donc mère Catherine de l'Assomption Faguet, professe en 1698, arriva à Lwow. Elle resta à Lwow de 1736 à 1746. A cette date il resta au monastère parmi les religieuses du premier groupe des fondatrices : mère Darly et mère Petitot.
Après la mort de monsieur Jean Cetner, demi-frère de mère Cetner, les affaires d'héritage tombèrent entre les mains de François-Michel Joseph Rzewuski, mari de sa soeur Françoise. Mère Cetner dut se rendre souvent à Lublin pour ces affaires, car le procès traînait. Elle écrivit à Rome, à la Sacrée Congrégation des Religieux, pour obtenir le droit d'user des domaines qui lui revenaient jusqu'à ce que la construction du monastère et de l'église fût achevée et la fondation sûrement établie. En janvier 1738, la Sacrée Congrégation lui octroya l'autorisation demandée.
On commença donc les travaux en 1739 et, le 25 juin de la même année, l'archevêque de Lwow, Mgr Nicolas Wyzycki 150, bénit les fondations, entouré d'un clergé nom-
149. Kalisz, près de la* Silésie, sur la Prosna, affluent de la Wartha, passe pour la ville la plus antique de la Pologne. On l'identifie avec la Kalisia de Ptolémée.
Au XVII' siècle, le collège des jésuites poursuivait des recherches sur les taches solaires et la lunette astronomique. Cet institut joua un rôle important dans la culture polonaise.
Mathias Kozminski, fils d'Adam, castellan de Rogozno, et de Sophie Mielzynska, palatin de Kalisz, décédé en 1749.
150. La première pierre du monastère fut posée par Mgr Howinski. Mgr Nicolas Wyzycki bénit la première pierre de fondation le 25 juin 1739, il posa et, bénit la première pierre de l'église en 1743.
La construction de l'église avait été commencée grâce à la générosité de la princesse Hélène Czertwertinska. Mais celle-ci mourut sans avoir fait de testament et les travaux durent être arrêtés faute d'argent et ne purent être repris qu'en 1903, à cause de la pauvreté du monastère et de la situation politique. En 1748, Mgr Wyzycki fonda la première Maison des prêtres de la Mission à Lwow. Il quitta son diocèse en 1775.
297-breux et de beaucoup de personnalités. Les premières pierres furent posées par le prince Janusz Wisniowiecki, châtelain de Cracovie et la palatine Jablonowska. Le père Emmanuel de Saint-Jean-Baptiste, piariste 151 et aumônier du monastère, leur rendit des services notables pour le commencement des travaux.
Entre-temps, la santé de la mère sous-prieure, mère Catherine de Jésus Petitot, s'aggrava, on la libéra donc de sa charge. Elle mourut le 1 er mai 1740. C'est mère Cetner qui lui succéda dans cet office.
En 1739, la princesse Caroline de Bouillon, fille du dauphin Jacques Sobieski et petite-fille du roi Jean III, mourut à Zolkiew 152. Elle avait demandé dans son testament qu'on l'enterrât dans l'église des bénédictines du Saint Sacrement de Lwow, revêtue de l'habit de saint Benoît. Elle avait envoyé vingt ducats pour l'achat des robes. Les religieuses furent très touchées de cette marque d'affection et d'estime pour leur monastère.
En octobre 1740, la mère prieure (Gertrude, de Fleurisel) et mère Cetner, sous-prieure, partirent pour Varsovie. Au monastère elles purent rencontrer la reine Marie Josèphe, fille de l'empereur Joseph 1 er d'Autriche et femme du roi de Pologne,
151. La Congrégation des Clercs réguliers des écoles pies, nommés aussi les Pauvres de la Mère de Dieu, fondés par saint Joseph Calasanz, qui ouvrit la première école en 1597 dans le quartier pauvre du Transtévère à Rome. Ce fut la première école gratuite existant en Europe. Les débuts de la congrégation furent extrêmement difficiles. Le fondateur en butte aux jalousies et aux critiques, tant à l'intérieur de sa congrégation qu'au dehors, finit même par être dénoncé à l'Inquisition et arrêté. Mais, rapidement libéré et, généreusement soutenu par le pape Clément VII, le saint fut bientôt en mesure d'enseigner gratuitement 1 200 enfants.
Joseph Calasanz, né dans le royaume d'Aragon le 14 septembre 1556, ordonné en 1583, théologien de l'évêque de Lérida. Il partit pour Rome en 1592 où il mourut le 25 août 1648. Après son décès, sa congrégation fut rétablie selon les coutumes que Joseph Calasanz avait fondées. Il fut canonisé en 1767 par Clément XIII. La congrégation se répandit d'abord en Aragon, et, dès 1631, en Italie, en Allemagne, en Bohème et en Pologne. A la fin du siècle dernier, les clercs réguliers avaient plusieurs séminaires, en particulier à Rakowice, près de Cracovie. (Cf. Catholicisme).
152. Ville de Galicie à 22 km au nord de Lwow, située sur la Swinia, affluent de la Rata. Dans l'église gothique se trouvent les tombeaux des familles Sobieski et Zolkiewski.
Stanislas Zolkiewski, général polonais (1547-1620) qui avait reçu son éducation à Lwow, se distingua dans les guerres menées par les Polonais, s'empara de Moscou et fut tué à Secora. Il fut le grand père du roi Jean III Sobieski, qui séjourna au château de Zolkiew.
298 Auguste II de Saxe. Elles demandèrent que le roi puisse obtenir de la Diète, qui siégeait en ce moment, la confirmation des deux fondations des moniales du Saint-Sacrement. La reine promit de faire de son mieux, ...mais la Diète fut rompue.
En 1741, mère Gertrude, prieure depuis 1729, demanda à être déchargée de sa fonction de prieure pour des raisons sérieuses. Aussitôt qu'elle n'eut plus de responsabilités, elle commença à rédiger l'histoire du monastère, se servant des notes de mère Morin, de mère Darly et de ses propres souvenirs, ainsi que de ceux de mère Cetner, qui joua un si grand rôle dans la fondation du monastère de Lwow. Cette chronique de mère Gertrude, écrite en français, constitue une source importante pour connaître la première époque du monastère. Mère Cetner fut élue prieure, en juillet 1741.
Les affaires de succession empoisonnaient toujours la vie des moniales. Enfin en 1742 on aboutit à une solution de corn-promis : monsieur Rzewuski s'étant engagé à payer 100 000 zlotys en dédommagement des domaines qu'il gardait et 60 000 zlotys destinés à la construction du monastère et de l'église. Ainsi ces problèmes, si pénibles pour les religieuses, prirent fin.
La bienveillance de l'archevêque leur fut une grande consolation. Il procéda à la visite canonique du monastère, le 16 août 1743, pour la première fois depuis l'existence du couvent, et se montra très satisfait de cette visite.
Le jour du 29 septembre 1743 fut très important pour le monastère. L'archevêque vint bénir la fondation de l'église qui devait être placée sous le vocable des épousailles de Marie, Mère de Dieu, et de saint Joseph.
Le nombre des religieuses polonaises augmentait toujours. Entre autres, trois soeurs Wilczek 1S3 étaient venues malgré l'opposition de leur père. Mais l'archevêque réussit à le persuader. Elles reçurent l'habit des novices le 24 novembre 1743.
153. Thérèse Sophie, née à Lwow le 30.10.1723 ; Anne Barbara, née it Lwow le 7.3.1725 ; Madeleine Félicité, née à Lwow le 6.4.1727.
Filles de Jean Wilczek, conseiller de la ville de Lwow, et de Félicité Steczkiewicz. Entrées au monastère le 1°f septembre 1743. Vêture le 24 novembre 1743, profession le 5 juin 1746. Thérèse, soeur Sainte Foi, est décédée le 18 mai 1784 ; Anne, soeur Sainte-Espérance, est décédée le 21 janvier 1788 ; Madeleine, saur Sainte--Charité, est décédée le 31 janvier 1771.
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Son Excellence présidait la cérémome et leur donnait les noms de : Sainte Foi, Sainte Espérance, Saint Amour (Charité). Le même jour dans l'église du couvent, le prélat ordonna prêtre, le frère des trois novices, dominicain. Toutes les trois persévérèrent et le 5 juin 1746 elles prononcèrent leurs voeux monastiques, en présence de l'archevêque et d'une nombreuse assistance, très émue d'une telle cérémonie.
La construction du monastère avançait toujours, mais trop lentement, car l'habitation provisoire tombait en ruines. La mère prieure fit des démarches pour obtenir de quoi couvrir les frais. Elle écrivit au roi Stanislas Leszczynski, prince de Lorraine, pour lui demander du secours. Mère Jablonowska était la propre nièce (sic) du roi, et celui-ci avait déjà envoyé au monastère en 1737 une relique de saint Benoît, reçue du général des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur (cf. chapitre suivant. Le roi, répondit à son appel, en lui envoyant 20 000 zlotys pour la construction.
Il faut ajouter que la palatine Jablonowska, juste avant de mourir, en mars 1744, offrit au monastère une relique de saint Roch.
Le nombre des religieuses françaises ayant diminué, les moniales chargèrent le révérend père Baudouin 154, célèbre
154. Gabriel Pierre Baudoin, né le 5 avril 1689 à Avesnes, diocèse de Cambrai, entra dans la congrégation de la Mission, le 10 avril 1710. I1 fut d'abord envoyé à Versailles, puis, après son ordination, au séminaire d'Auxerre comme professeur de théologie jusqu'en 1717. C'est sur sa demande qu'il fut envoyé en Pologne, à la maison Sainte-Croix de Varsovie. Il fut successivement professeur de théologie et de philosophie, puis directeur du séminaire et assistant. Il assura durant plus de trente ans le ministère de confesseur ordinaire des filles de la Charité et de confesseur extraordinaire des soeurs de la Visitation. Dès qu'il eut une connaissance suffisante de la langue, il assuma des fonctions de ministère dans la paroisse ; la vue des enfants abandonnés par leur mère l'engagea à fonder un hôpital sur la paroisse Sainte - Croix, aidé par de généreux donateurs. Des femmes et des enfants abandonnés devaient être confiés aux filles de la Charité. Il commença à mettre son projet à exécution en 1732, mais il dut rapidement agrandir. Les fondations de l'hôpital de l'Enfant-Jésus furent posées en 1756. Le zèle de M. Baudoin le poussa a s'occuper aussi des vieillards, des mendiants et à transformer sa fondation primitive en hôpital général. Il parvint à réaliser son projet avec l'accord de l'évêque de Posen et l'appui du roi Auguste III de Saxe et de ses ministres. Il mourut, épuisé par son zèle infatigable, dans l'hôpital, qui fut la grande oeuvre de sa vie, entouré de la vénération de tous, le 10 février 1768. Ses obsèques furent célébrées par Mgr Hilger, évêque de Smolensk, et suivies par une foule de toutes les classes sociales, unies pour ce dernier hommage de vénération et de reconnaissance envers celui qui fut appelé le « Père commun des pauvres ». (Mémoires de la Congrégation de la Mission, Paris, 1863, Arch. de la Congrégation).
missionnaire, qui partait de Varsovie pour Paris, de leur trouver une postulante en France. Toul envoya mademoiselle Catherine Granville, qui, après son noviciat passé à Lwow, prononça ses voeux le 20 février 1746.
Le triennat de mère Cetner expirait, elle demanda à ne pas être réélue, mais, craignant qu'on passât outre à son désir, elle le confia à l'archevêque, qui l'appuya. En 1750, la mère Mierzejewska fut élue. Après elle, ce fut de nouveau mère Cetner, de 1753 à 1759, donc deux triennats, puis encore mère Mierzejewska, de 1759 à 1765, et ensuite mère Jablonowska, de 1765 à 1779. Pendant son priorat le premier partage de la Pologne ayant eu lieu, une nouvelle époque commença pour le monastère, une époque de dures et grandes épreuves.
Loué, adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel.
Mes très révérendes mères et très chères soeurs,
Quoique éloignées de corps, mais unies de coeur en l'amour de Notre Seigneur Jésus-Christ au très Saint Sacrement, nous faisons part à vos révérences du bonheur dont nous avons joui pour vous le faire savoir, ou plutôt, s'il nous était permis, nous nous plaindrions de la perte que nous venons de faire, par la mort de notre vénérable et très digne fondatrice. Tout nous excite au regret et à la douleur, jusqu'à ces murailles qui nous enferment et qui sont le fruit de ses grands travaux. Il serait à souhaiter que de pareilles personnes vécussent des siècles entiers, mais ce qui ferait le bonheur des unes ferait tort aux autres par le retardement de la récompense due à leurs mérites.
Cette digne mère naquit en mil-six-cent-nonante-huit, cinquième jour de février, d'une maison polonaise des plus illustres, et fut nommée au saint baptême Faustine-Sophie. Son père s'appelait François Cetner, palatin de Smolensk, sa mère, Anne Chodorowska, d'une des familles les plus grandes et les plus distinguées. Cette digne mère fut l'unique fille, héritière de très grands biens du côté de madame sa mère, puisque Mgr le palatin se remaria, avec madame Anne Tarlo.
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Son père la mit dans notre maison qui n'était encore qu'un petit hospice, pour apprendre la langue française, car, pour lors, madame sa mère était morte. Elle demeura donc chez nos mères en compagme de beaucoup d'autres pensionnaires. Très qualifiée, notre chère mère s'appliquait et s'exerçait dans toutes sortes de vertus convenables à sa qualité, ou plutôt à celle où elle prétendait parvenir, avec une grande piété. A l'âge de 14 ans, elle signifia à M. son père qu'elle désirait être religieuse, à quoi la piété de son père n'aurait pas contredit, mais ses tantes du côté maternel, qui la chérissaient, souhaitaient la voir établie selon sa qualité et son grand bien, d'autant que le prince Rzewuski la recherchait alors, ce qui mit de grands obstacles à ses projets. Son père la retira du couvent ; mesdames ses tantes la prenaient chez elles, à l'envi l'une de l'autre, où elle fut extrêmement contredite et détournée. Mais Dieu fut le plus fort, puisqu'elle persévéra en sa vocation, surmontant les obstacles de la nature et du sang, d'autant qu'elle était très chérie de son père et de toute la famille.
Cette chère mère entra en épreuve en mil-sept-cent-quinze, et se déclara être âgée de dix-sept ans, et monseigneur Cetner le palatin, son père, se déclara alors être notre fondateur.
Mais mon Dieu, que de contradictions, mille procès de la part de toute sa famille ! D'autant que par la succession, tous les grands biens du vivant de madame la palatine, mère de notre très digne fondatrice, lui étaient échus, comme à sa fille unique. Toutefois, après deux années d'épreuve, elle prit le saint habit, en présence d'un grand concours de personnes qualifiées. Monseigneur l'archevêque Skarbek fit la cérémonie, et elle fut nommée Marie de Saint-Benoît.
La novice était toute ume à Dieu, avec une modestie et une dévotion, qui fut remarquée et admirée de tous les assistants. Elle continua son épreuve encore quatre ans, toujours contrariée par sa famille, mais toujours avec une nouvelle ferveur, une mortification extrême, une humilité foncière et une patience à toute épreuve. Monseigneur, le palatin, avait fait bâtir en attendant un petit couvent très commode et très agréable, avec tous les lieux réguliers et une chapelle. Cependant, en cet espace de quatre ans on ne put achever ce petit bâtiment, étant obligé de l'interrompre souvent par les contrariétés et procès continuels. Toutefois, au bout de ce temps, la sainte novice fit sa profession le 15e d'avril 1721, avec une nouvelle ferveur et un amour de Dieu qui se faisait remarquer sur son visage. Elle travailla à l'acquisition de toutes les vertus, malgré tout le trouble de la fondation ; car, aussitôt sa profession, on commença de nouveaux procès. Elle se trouva obligée de faire divers voyages avec bien de la fatigue, mais ce qui la consola, ce fut que l'adoration commença à sa profession ; et, autant que les affaires le lui permettaient, elle a consumé ses jours en adoration. Si on voulait écrire un jour tout ce qu'elle a fait et souffert pour cette fondation, on en ferait un volume. Elle exerça l'office de robière durant plusieurs années ; ensuite, elle fut sacristine et maîtresse des novices, et elle était partout l'exemple vivant de la Règle, puis sous-prieure, ensuite prieure, avec une grande répugnance de sa part mais une véritable satisfaction de la communauté. A chaque triennat, elle usait de tous les moyens pour choir (échapper à) l'élection. Elle obligea à la fin la communauté, quoiqu'avec bien des regrets de la laisser reposer après dix-huit années de supériorité. Elle nous donna des marques de bontés maternelles et de toutes les vertus. Elle les continua en son repos, et parvint à une telle union avec Dieu et sainte indifférence, que tout lui était égal, nous montrant un grand exemple de mortification jusqu'à sa mort. Elle était toujours d'un esprit ferme et tranquille dans tous les événements les plus mortifiants. Dieu l'avait douée de toutes les vertus qui distinguent les personnes de sa qualité : une taille avantageuse, agréable de visage, un air majestueux. Plusieurs personnes nous ont avoué qu'on se sentait saisi de respect et de vénération quand on approchait d'elle, quoiqu'elle fût d'un abord facile et reçût bénignement ceux qui traitaient avec elle. Mais comme les personnes préposées ont à rendre compte à Dieu, non seulement de leurs fautes mais encore de celles qui leur sont soumises, ce que nous craignons pour notre chère fondatrice, nous supplions votre charité de la secourir par vos saintes prières auxquelles nous la recommandons, comme aussi nous autres que Dieu laisse pour faire pénitence en cette vie, et qu'il nous unisse éternellement en l'autre pour chanter à jamais le divin cantique : « Loué et adoré soit le très auguste sacrement de l'autel ! »
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Je pretendais me dispenser d'évoquer le décès de notre très chère fondatrice, dont le seul souvenir me fait trembler la main. Néanmoins, il faut bien relater le trépas de celle qui a fini ses jours en terre pour vivre éternellement dans le ciel, comme nous l'espérons de la miséricorde du Seigneur. Cette digne mère, après avoir assisté à la cérémome de l'élection de la très sainte Mère de Dieu, le dimanche après la fête de l'Assomption, selon nos constitutions, qui était le 22 août en 1773, tomba malade la nuit et, malgré tous les remèdes des médecins, son mal augmenta toujours. Nous nous sommes trouvées d'abord toutes consternées, mais messieurs les médecins nous consolaient toujours, disant qu'il n'y avait point de danger. Peut-être aussi que cette chère mère, pour ne nous point attrister, ne se plaignait point dans ses douleurs, quoique, quand on lui demandait où elle souffrait le plus de son mal, elle disait qu'elle sentait comme si on lui arrachait toutes les entrailles. Et elle souffrait dans un si grand silence qu'on avait de la peine de connaître si elle dormait ou non, si ce n'est que, de temps en temps, elle poussait quelques soupirs.
Cette victime chérie de Dieu se consuma ainsi sur son bûcher jusqu'au 8e de septembre 1773, auquel jour, après avoir reçu les derniers sacrements avec une grande présence d'esprit, elle rendit son âme à Dieu, pendant la bénédiction du Salut, vers six heures du soir, en sa 76e année, mais si tranquillement qu'à peine on put s'en aperçevoir.
C'est ainsi que cette lumière s'est éclipsée pour nous, nous laissant dans les ténèbres d'un morne silence. Il fallait pourtant lui rendre le dernier devoir, et il nous semblait que nous étions toutes mortes avec elle. Ce qui nous console, c'est qu'elle nous aimait et qu'elle ne nous oubliera pas devant Dieu.
Nous avons fait son enterrement le samedi 11e de septembre. Monseigneur l'évêque de Nissie et suffragant de Léopol a fait la cérémome funèbre. Aussitôt nous accomplîmes ce qui nous est marqué aux constitutions, « lorsque la mère prieure décédera dans sa charge » : notre révérende mère, ayant fait assembler la communauté capitulairement, a établi, avec le consentement de toutes les religieuses, qu'à perpétuité, pour avoir toujours ses bienfaits présents qui sont au-dessus de tous ceux des autres fondateurs et fondatrices, car elle ne se contenta pas de donner son bien à la sainte religion mais même sa propre personne, de dire tous les mois une Vigile à trois leçons et qu'on lui appliquera la sainte communion générale, et tous les ans un service solennel, outre le De profundis tous les jours à la fin des Vêpres.
Soeur Marie de Sainte Scholastique, Jablonowska, prieure de Léopol, Soeur Marie de Sainte Foy Wilczek, secrétaire du chapitre
(archives du monastère de Rouen — autographe).
Le 5 août 1774, trois voisins rapaces signèrent le premier partage de la Pologne. Et dès le 19 septembre l'armée autrichienne occupa Lwow.
Le 15 octobre 1774, l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780), dans un édit, défendit d'émettre les voeux monastiques avant l'âge de vingt-quatre ans accomplis. A ce moment, il y avait au noviciat mademoiselle Alexandra Drzewiecka, âgée de dix-huit ans à peine, fille de Felician Drzewiecki 155, porte drapeau de Krzemieniec. Elle ne voulut pas attendre si longtemps et quitta le monastère.
Malgré cela, durant le règne de Marie-Thérèse, les monastères n'eurent pas beaucoup à souffrir. Mais quand son fils, l'empereur Joseph II (1741-1790), monta sur le trône d'Autriche, une période de calamités commença.
Les congrégations contemplatives, en particulier, furent visées. Seuls, les couvents de congrégations actives ou demi-actives purent subsister. Le monastère de Lwow comptait, en 1781, vingt-quatre moniales choristes et six converses. Le gouverneur de la Galicie, dont Lwow fut la capitale, parlait ainsi des bénédictines du Saint-Sacrement dans le registre des couvents des moniales de Galicie, envoyé à l'empereur le 10 mars
155. Drzewiecki, Borsa-Drzewiecki ; Félicien, porte-drapeau de Volhynie, fils de Pierre, chambellan de Krzemieniec et de Marianne Wisniowska. Il épousa N. Bedowska.
Est entrée à la même époque Alexandra Tekia Radlinska, fille de Rosalie Drzewiecka, née le 30 avril 1758 ; vêture le 4 juin 1774 ; profession le 15 février 1784 ; décédée le 3 juillet 1835.
305 1782 : « Elles ont dix pensionnaires, elles leur font apprendre le français, jouer le clavicorde et d'autres sciences en dehors des travaux manuels de couture, etc. Leur fortune a été appréciée à 86 940 florins dans le pays et 65 000 florins à l'étranger ». Un peu après, au sujet des bâtiments : « Les religieuses ont leur église en dehors de la ville, leur monastère n'est pas encore fini et pour les pensionnaires, il serait préférable qu'elles fussent plus près de la ville même. Nous proposons donc de transférer les bénédictines dans le monastère laissé libre après le départ des clarisses, (bernardines) 1S6, et de vendre les bâtiments du monastère des bénédictines ».
L'empereur ne suivit pas ce conseil et, par décret du 30 juin 1782, il leur ordonna de rester dans leur monastère actuel. Dans le décret du 19 octobre 1785, il leur permit de continuer à travailler, mais à condition qu'elles enseignassent désormais la langue allemande, et ti nssent une école normale, où la langue allemande tiendrait la première place. Le comte Brigido, gouverneur de Galicie, informa seulement au bout de quatre ans les mères et le public, par un appel du 17 mai 1787, rédigé en allemand et en polonais : « Parce que les religieuses s'occupent de l'éducation de la jeunesse féminine, du fait de cette utilité, elles peuvent exister pour toujours ; on leur permet donc, ainsi qu'aux congrégations religieuses qui n'ont pas été supprimées, de recevoir des novices ».
La fondation était sauvée, mais les moniales vivaient dans des conditions déplorables. Les profits des sommes hypothéquées sur le domaine de Krystynopol avaient déjà cessé en 1781, et toutes les démarches pour les récupérer restèrent vaines. D'autres apports n'arrivaient pas régulièrement. Les moniales se virent contraintes de vendre un certain nombre d'objets, en argent, de l'église.
En 1781 encore, mère Sophie Przebendowska 157 moniale
156. Une branche des frères mineurs, dite de l'Immaculée Conception, se nommait autrefois bernardins. C'est probablement la branche féminine. Les bernardins étaient très répandus au XVII° siècle.
157. Sophie Antoinette Rose, mère Ursule de Sainte Apolline, fille de Pierre-Jerzego, voïvode de Malbork, et d'Ursule Potocka. Née à Gdansk, le 19 septembre 1728, vêture en 1746 à Varsovie, elle fit profession le 28 janvier 1748 ; partie en France le 17 août 1781,elle revint à Lwow le 12 février 1788. Après la fermeture, en 1793, du second monastère de Lwow, qu'elle avait tenté d'organiser, elle se retira au couvent des Clarisses, où elle mourut le 26 novembre 1803.
de Varsovie, partit en France. Elle fit de son mieux pour obtenir des autorités françaises la permission de s'établir à Lwow, avec quelques bénédictines françaises. (On ignore si elle agissait de sa propre initiative, ou si elle suivait les instructions de Varsovie). Elle sollicitait aussi le droit de jouir d'une dotation de la reine Marie-Casimire qui, organisant le monastère de Varsovie, lui avait donné le profit de 8 000 zlotys sur son domaine de Jaroslaw. Cette dotation avait été signée en 1688 et le monastère de Varsovie reçut régulièrement cette somme jusqu'en 1782 inclus. Mais, comme l'empereur Joseph II avait confisqué les biens des couvents étrangers au profit du département des Affaires religieuses en Autriche, par décret du 5 juin 1784, le monastère de Varsovie perdait le droit de recevoir la somme accordée par la reine Marie-Casimire. Mère Przebendowska et mère Thérèse des Anges (du Parage de Mainvilliers) s'adressèrent donc à la reine Marie-Antoinette, femme du roi Louis XVI et soeur de l'empereur Joseph II. Elles demandèrent à la reine d'obtenir de l'empereur la permission de les recevoir à Lwow et de percevoir régulièrement la somme offerte par la reine Marie-Casimire.
L'empereur acquiesça et donna officiellement sa permission. Alors, le roi Louis XVI autorisa mère Przebendowska à choisir dans les monastères de France les religieuses qui voudraient partir pour la Pologne. Elle fit son choix de six Françaises et de deux Polonaises. Les frais du voyage étaient couverts par l'office autrichien des Affaires religieuses en Galicie. Ces religieuses arrivèrent à Vienne en décembre 1785, puis à Lwow le 12 février 1786. (Cf. ch. xI).
Les autorités autrichiennes se réjouirent de leur arrivée, car elles pensaient que des moniales étrangères donneraient une meilleure éducation aux jeunes filles de grandes familles, dans l'esprit autrichien, plutôt que des religieuses purement polonaises.
Les nouvelles soeurs habitèrent dans le monastère, mais il était très misérable et trop petit pour recevoir encore d'autres personnes. Il y avait en 1786 vingt-six moniales, six soeurs converses, une novice, sans compter celles qui arrivaient de France. Elles ne purent accueillir d'autres pensionnaires faute de place. L'office était dit dans la chapelle, l'église n'étant pas
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encore finie, faute de fonds nécessaires pour la construction. Donc, en mars, trois françaises demandèrent à retourner en France. L'empereur refusa, le voyage étant trop onéreux.
Joseph II hésitait : fallait-il sacrifier l'ancien monastère ou en ouvrir un deuxième pour les nouvelles venues ? A leur demande, il permit l'établissement d'un second couvent des béné: dictines du Saint-Sacrement à Lwow. Dans son décret du 6 août 1786, il disait : « De la sorte, il y aura deux couvents de bénédictines du Saint Sacrement éducatrices, nous verrons lequel travaillera le mieux et gagnera la confiance du public ».
Le nouveau monastère devait se composer surtout d'étrangères, Françaises et Allemandes. On leur donna l'ancien couvent des carmélites déchaussées. L'empereur vint lui-même le
7 août 1786 et décida de les y laisser. Par une lettre officielle, du 17 mai 1787, M. Brigido, gouverneur de Galicie leur faisait savoir :
1. Par une circulaire on annoncera l'existence du couvent car on espère qu'il sera utile et qu'il aura la permission de recevoir des novices, comme les autres couvents déjà autorisés.
2. Sa Majesté décide qu'en raison du petit nombre de religieuses enseignantes, le nombre d'élèves d'origine noble sera fixé à vingt pensionnaires, les autres étant autorisées à retourner dans leur famille.
3. D'ores et déjà on leur attribue une pension de 175 florins, dont 125 couvriront les frais de nourriture, et 50 les autres dépenses. Le couvent est obligé de donner quatre plats à midi et trois le soir à toutes les jeunes filles dans une proportion égale. De même, toutes porteront le même habit. La supérieure sera tenue de donner satisfaction à toutes les demandes de la directrice du pensionnat. De plus, la supérieure doit savoir que si elle reçoit de l'archevêque la permission de ne pas utiliser l'huile pour les plats, tant pour les religieuses que pour les pensionnaires, les plats à l'huile devront cesser complètement, vu les difficultés à se procurer une huile de bonne qualité.
4. Quant aux travaux de construction, nécessaires dans le monastère, c'est M. Guibaut, l'architecte municipal qui en sera chargé. En plus des travaux déjà en cours, on prévoit : de terminer l'église et de ne pas la prolonger au-delà du premier pilier, et la chapelle pour les religieuses devra être achevée.
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5. On permet aux religieuses et aux pensionnaires d'être inhumées dans le caveau de la chapelle conventuelle.
C'est ainsi que l'existence de ce monastère polonais fut assurée.
Le second monastère des bénédictines, n'exista pas longtemps. Par décret du 7 août 1787, l'empereur ordonna de le fermer. Les raisons politiques en furent probablement la cause, car les nouvelles parvenant de France n'étaient pas rassurantes. On sentait déjà monter l'orage qui secouera la France et toute l'Europe. Quelques religieuses françaises repartirent dans leur pays. Il n'y eut que Mlle Catherine Beagle, soeur de Saint-André, qui retourna dans le premier monastère de Lwow le 13 août 1791. Trois bénédictines du second monastère : mère Przebendowska, mère Thérèse des Anges et Victoire Ango, allèrent chez les clarisses de Stary Saçez avec la permission de Mgr Florian Janowski, évêque de Tarnow, le 14 mai 1793. Elles y restèrent jusqu'à leur mort.
Quant à la somme léguée par la reine Marie-Casimire, l'empereur Joseph II l'octroya aux bénédictines de Lwow, dans ce même décret du 7 août 1787. Cette rente de 8 000 zlotys fut changée en 2 000 florins. Les mères Przebendowska et mère des Anges recevaient, une rente viagère sur cette somme. Plus tard on diminua la somme de 2 000 florins pour n'attribuer que 800 florins. Les moniales de Lwow tirèrent donc profit de la courte existence du monastère des étrangères car elles reçurent cette rente jusqu'à la première guerre mondiale. C'est l'État autrichien qui la versait. L'État polonais l'ôta, malgré les réclamations réitérées.
... « Ce fut la veille de la Conception de la très Sainte Vierge 7 décembre 1798 que les trappistines arrivèrent à Lemberg ou Léopol, terme provisoire de leur voyage. Les bénédictines de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement voulurent bien les accueillir dans leur monastère et leur donner l'hospitalité jusqu'à leur passage en Russie. La supérieure, soeur de Saint-André Beagle, française d'origine, leur témoigna le plus grand intérêt et la communauté entière partageait ses sentiments, de sorte que les trappistines furent de la part de ces 309 dignes religieuses, l'objet de la charité la plus compatissante. Les fatigues excessives du voyage devaient avoir leur contrecoup. Pendant qu'elles séjournaient-là, les soeurs furent atteintes d'une fièvre maligne qui devint contagieuse. Leur supérieure mourut ainsi qu'une autre soeur. Parmi les survivantes, plusieurs furent réduites à l'extrémité et, chose plus triste, la supérieure des bénédictines de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, elle aussi atteinte de ce mal, succomba, le 9 février 1799, victime de sa charité auprès des malades »...
(Extrait de ODYSSÉE MONASTIQUE
Dom A. de Lestrange et les trappistes pendant la Révolution,
Edition de la Grande Trappe, 1898).
Le monastère souffrait une grande disette et était écrasé par les impôts de toutes sortes. Les revenus ne suffisaient pas à les couvrir et déjà en 1808 les 4 000 florins placés sur le somaine de Bardzikowice ne rapportaient plus aucun bénéfice ; de même, depuis 1818, le revenu des 5 000 florins placés sur Targowiski était inexistant.
Pour bien enseigner l'allemand, les moniales firent venir quatre Tyroliennes 1S8. L'État paya leur voyage de Vienne à Lwow, soit 200 florins, mais les moniales furent obligées des les rembourser. La mère Saint Anselme Radlinska 159, prieure, déclara que c'était impossible, car elles vivaient dans une extrême misère, ce qui fut confirmé par l'archevêque Ankiewicz 160.
La mère prieure Radlinska eut beaucoup de mal pour « joindre les deux bouts », surtout après l'incendie des bâ-
158. Rosine Fritz, soeur Saint Maur, née au Tyrol le 11 avril 1770, vêture le 2 juillet 1801, profession le 31 mai 1803, décédée le 9 mars 1838.
Brigitte Randolfin, soeur Saint-Benoît, née au Tyrol le 10 octobre 1791, vêture le 21 janvier 1818, profession le 8 août 1819. Décédée subitement le 10 janvier 1821. Elisabeth Spottl, soeur Sainte-Scholastique, née à Alsan au Tyrol le 3 octobre 1792, vêture le 21 janvier 1818, profession le 8 août 1819, décédée le 20 avril 1843. Thérèse, Marie Kolb, soeur Sainte Scholastique, née à Hall au Tyrol le 10 février 1824, vêture le 20 octobre 1844, profession le 15 juin 1849, décédée le 20 octobre 1861. Elle fut professeur (voir ci-dessous n. 162, la liste des religieuses enseignantes).
159. Alexandra Tekla Radlinska, soeur de Saint-Anselme. Fille de Szczepana, Entrée au monastère le 4 juin 1774, profession le 15 novembre 1784. Prieure de 1815 à son décès le 3 juillet 1835.
160. Archevêque de Lwow vers 1818, à l'époque de la domination autrichienne
-timents situés dans la cour. Une partie de la voûte de la chapelle s'était effondrée, et tout le monastère exigeait un remaniement, autrement il serait tombé en ruines. Le conseil chargé des bâtiments du monastère exigea une somme de 5 000 florins indispensable pour sauver la construction. Mais où trouver ces fonds ? Le gouvernement qui leur avait volé leur fortune, ne voulut rien donner ; il leur permit seulement d'emprunter. Les autorités municipales de Czerniow leur avancèrent 5 000 florins.. On remédia donc au plus urgent, mais le remboursement de cette dette traîna longtemps.
Les années 1830-1831 furent particulièrement difficiles à vivre à cause de la famine et du choléra qui sévissaient dans la ville. Les parents des pensionnaires reprirent leurs filles par crainte de l'épidémie et cette source de revenus fut perdue. Les moniales furent obligées de s'occuper de leurs biens de Wasylow Wielki, achetés en 1758 par la prieure d'alors, mère Cetner. Ce domaine appartenait auparavant à monsieur Macary Kurdwanowski, écuyer tranchant de Lubaczew 161. Ce domaine n'apportait que peu de revenus et on était sans cesse obligé de réclamer le dû.
Après l'époque de la famine et de la maladie, les moniales reprirent leur enseignement avec zèle. En 1858, les professeurs étaient les bénédictines : Zielonczanka, Gerardowna, Ruschitzka, Kuczynska, Kolb 162. Par moments, il y avait 60 pen-
161. Lubaczen (ou Lubaczow), ville de Galicie, voïvodie de Przemysl, sur un affluent droit du San. Cette ville est fort ancienne. M. Macary Kurdwanoswski avait vendu ce domaine à mère Cetner, par acte enregistré à la mairie de Lwow le 14 juillet 1760.
162. Victoire Zielonczanka, soeur Saint Placide, née à Krzywe, voïvodie de Suwalki, le 8 décembre 1797. Vêture le 11 janvier 1815, profession le 10 août 1823. Décédée le 18 janvier 1876.
Catherine, Emilie Gérardowna, soeur Saint Gabriel Archange. Née â Lwow le 5 janvier 1817, vêture le 12 août 1837, profession le 14 août 1842, décédée le II mai 1898.
Elisabeth Ruschitzka, soeur Sainte Agnès, née à Waszkowic (Waskowitz), en Bukovine, le 17 février 1823. Vêture le 1°! mars 1841, profession le 21 juin 1847, décédée le 11 octobre 1892.
Sa soeur Catherine Cécile, entrée aussi au monastère de Lwow, était née le 6 juin 18 30. Vêture le 1°" janvier 1845 avec le nom de saur Sainte Anne, profession le 6 juin 1854, décédée le 25 août 1888.
Marie Kuczynska, soeur de Saint Michel Archange, née à Lubartowie le 2 novembre 1825. Vêture le 5 février 1845, profession le 15 juin 1849, décédée le 10 juillet 1899.
311-sionnaires parmi lesquelles certaines étaient enseignées gratuitement. Et dix-huit religieuses se recrutèrent parmi ces jeunes filles.
L'église conventuelle n'était toujours pas terminée, bien qu'on l'eût commencée en 1743. Les murs étaient debout, mais sans toitures, et les briques commençaient à s'effriter. Les fonds nécessaires manquaient toujours. Le 19 décembre 1757, M. Joseph Samuel Pawlowski, échanson de Braclaw, avait offert 10 000 zlotys pour la gloire de Dieu et pour contribuer à Sa louange. Mais cette somme s'évapora pendant les guerres.
Mère Christlowna 163, nouvellement élue prieure en 1875 inaugura la quête. Mademoiselle Josèphe Potulicka 164 entrant au monastère apporta 10 000 zlotys de rente pour poursuivre la construction. On couvrit l'église d'une voûte, on construisit la tour de l'horloge. Un toit en bois avait été provisoirement posé sur le monastère laissant dégoutter l'eau, on le remplaça par une toiture de tuiles.
Ce n'est qu'en 1903 qu'on put reprendre les travaux pour que l'église soit consacrée et ouverte aux fidèles. Les travaux furent dirigés par l'architecte Zychowicz et le sculpteur Metzler 165.
Le jour de l'Ascension le 12 mai 1904, avait été choisi pour la consécration 166. La veille, Mgr Wéber, l'archevêque,
163. Laure Christlowna, mère Léonard du Sacré-Coeur, née à Lwow le 7 septembre 1828. Vêture le 5 octobre 1860 ; profession le 28 octobre 1862. Prieure de 1875 à 1881 et de 1884 à 1896. Décédée le 8 décembre 1901.
164. Soeur Josèphe Potulicka, fille de Casimir Potulicki et de Barbara Wielopolska. Née à Bobku, au-dessous de Cracovie, le 18 mai 1839. Entrée au monastère le 19 mars 1882, profession le 28 octobre 1883. Décédée le 8 juin 1889 subitement, alors qu'elle épluchait des pommes de terre.
165. Edmond Zychowicz, né en 1870, architecte diplômé de Lwow en 1892. Il bâtit l'église du monastère de Lwow en 1903 avec le sculpteur Metzler.
166. Mgr Wéber, archevêque de Lwow en 1904.
Saint Justin, né au début du III siècle d'une famille grecque et païenne à Naplouse, près de l'ancienne Sichem de Palestine. En étudiant la philosophie, il rencontra Eusèbe, qui lui fit connaitre le christianisme. Il vint à Rome de 138 à 161 où il construisit une école, et, bien que laïc, il enseigna et défendit la foi, entouré de nombreux disciples, dont Tatien.
Il fut décapité à Rome avec six compagnons sous le préfet Junius Rusticus vers 165. On a conservé les actes authentiques de son martyre.
Son ouvrage le plus connu est l'Apologie, adressée à l'empereur pour défendre l'Église, et ses Dialogues avec Tryphon. (Cf. Catholicisme).
Saint Fidélis ou Fidèle de Sigmaringen, Marc Reyd, en religion Fidèle, naquit le 1«
312 apporta de Rome des reliques de saint Justin, et de saint Fide-lis. Il les enchâssa dans le petit reliquaire, prêt à les recevoir, et le déposa sur un petit autel dans le parloir. Les moniales avec les pensionnaires prièrent devant ces reliques toute la nuit. La cérémome de consécration fut célébrée par Mgr Weber, archevêque de Lwow, visiteur du monastère, assisté d'un clergé très nombreux. Il rapporta le Saint Sacrement de la chapelle, à l'église, et il le plaça dans l'ostensoir sur le trône. Le rêve de tant de générations de bénédictines du Saint-Sacrement qui attendaient ardemment le moment de pouvoir adorer l'Hostie dans leur propre église, se réalisa enfin. Soucieuses d'assurer le culte du Saint Sacrement elles n'oublièrent pas leur mère abbesse, la sainte Vierge Marie. Déjà en 1887 M. Czajkowski avait offert 2 000 florins pour la construction du trône de la statue de la sainte Vierge qui se trouvait dans le choeur conventuel. Après l'érection de ce trône et la restauration de la statue, son excellence Mgr Puzyna, évêque suffragant de Lwow, bénit la statue et obtint une indulgence de 300 jours pour ceux qui en baiseraient les pieds et réciteraient trois Ave Maria ; on couronna aussi les statues de la sainte Vierge et de l'Enfant-Jésus, au jour de l'Assomption. Comme c'était l'anniversaire de l'élection de Notre-Dame abbesse par la mère fondatrice, mère Mectilde, Mgr Wéber, obtint pour le monastère une indulgence plénière.
L'archevêque, Mgr Bilczewski, s'intéressait vivement au monastère. Peu après avoir pris la charge de l'archevêché, il procéda à la visite canonique, accompagné de son chancelier de la curie, l'abbé Twardowski 167 (futur archevêque de
octobre 1577 à Sigmaringen. Il fit ses humanités à Fribourg, fut avocat à Ensisheim. Il entra chez les capucins de Fribourg, mais avait été ordonné prêtre auparavant à Rome en 1612. Il travailla infatigablement et avec succès comme missionnaire populaire, surtout en Suisse. En essayant de ramener à l'unité de l'Église les Grisons, il fut arrêté à Seewis, dans le Prâtigau. Attaqué par les paysans calvinistes pendant qu'il s'enfuyait hors de l'église, il mourut sous leurs coups le 24 avril 1622. Premier martyr de l'ordre des capucins, il fut canonisé en 1743.
Sa famille était originaire des Pays-Bas. Il était fils du maire de Sigmaringen.
167. Mgr Joseph Bilczewski (1860-1923) fut professeur à l'Université de Lwow et auteur de quelques ouvrages d'archéologie chrétienne parus à Cracovie en 1890, puis archevêque de Lwow vers 1905. C'est lui qui en 1903, rappela dans sa ville épiscopale les frères des Écoles chrétiennes de Saint-Jean-Baptiste de la Salle pour instruire les enfants allemands dans les écoles catholiques.
Mgr Twardowski, archevêque de Lwow, décédé le 22 novembre 1944.
Boleslas Twardowski, né à Lwow le 18 février 1864, prêtre en 1886. curé de Tarno-
313 Lwow) et de l'abbé Wielemski. Il fut reçu solennellement et après avoir fait connaissance avec toutes les moniales et novices, il leur dit : n Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait D, soulignant que ces paroles s'adressaient surtout aux religieux et religieuses, obligés de tendre vers la perfection par le moyen de la charité.
Il visita le monastère et le pensionnat, où on le reçut au chant du Benedictus, puis une élève prononça un mot de bienvenue.
Après quelques mois, Mgr l'archevêque ordonna plusieurs prêtres dans l'église conventuelle. Le monastère devait beaucoup à l'archevêque Mgr Weber. Le 26 mai 1906 il célébra pour les moniales une dernière messe et partit quelques jours plus tard pour Rome, où il entra dans la congrégation des résurrectionistes 168.
Cependant, la tension politique entre les puissances d'occupation : Autriche, Prusse, et Russie, grandit et la guerre éclata en 1914. L'armée russe occupa Lwow le 3 septembre 1914 et ne se retira que le 22 juin 1915. La situation devint difficile : réquisition des cloches de l'église, difficultés d'approvisionnement, cherté et rareté des vivres ; et plusieurs bâtiments du monastère devaient être restaurés au plus vite. Les moniales furent obligées de vendre une partie des terres de Wasylow.
La première guerre mondiale amena beaucoup de malheurs mais elle s'acheva dans de bonnes conditions pour la Pologne. Après 145 ans d'occupation étrangère, le monastère de Lwow se trouva dans la Pologne ressuscitée.
pol, chanoine de la cathédrale de Lwow, prélat de Sa Sainteté le 2 juin 1908 ; élu évêque titulaire de Telmessus et auxiliaire de l'archevêque de Lwow (latin), le 14 septembre 1918 ; sacré le 12 janvier 1919 à Lwow par Mgr Bilczewski, archevêque du lieu. — archevêque latin de Lwow (car à Lwow, il y a aussi un évêque ukrainien et un arménien) le 3 août 1923 ; décédé le 22 novembre 1944.
168. Congrégation de la Résurrection de Jésus, fondée en 1842 par Dieudonné Janski. Son but est l'apostolat parmi les émigrés polonais. La renaissance religieuse en Pologne (zone allemande) est due en premier lieu aux pères résurrectionistes. Ils exercèrent leur apostolat principalement dans les milieux populaires.
La première guerre mondiale avait fait beaucoup de dommages dans tout le pays. Lentement les conditions de vie commencèrent à s'améliorer.
Le Saint-Siège, soucieux de la vie des communautés religieuses, ordonna une visite apostolique et en chargea Mgr Wladislas Krynicki 169, suffragant de Wloclawek. Il visita notre monastère en décembre 1920. Les moniales, manquant de tourières extérieures, commençèrent à en recevoir à partir de 1925.
La perte de Mgr l'archevêque Bilczewski, fut douloureusement ressentie par les moniales ; son successeur Mgr Twardowski se montra aussi fort bienveillant.
Au moment de la visite canonique de Mgr Bilczewski, en 1907, il y avait soixante-huit jeunes filles pensionnaires. Pendant la première guerre mondiale, Monseigneur permit de prendre aussi des élèves externes. En 1920, l'école du monastère reçut les droits d'État en qualité d'école primaire, et les inspecteurs furent satisfaits. Mais, en 1928, l'école fut fermée faute de moniales, professeurs qualifiés. On ne voulut pas les remplacer par des professeurs laïques de crainte d'abaisser le niveau monastique.
Le 25 juin 1925, le monastère fut consacré au Sacré Coeur de Jésus 170. La cérémome d'intronisation fut présidée par Mgr Czajkowski.
169. Wloclawek : port fluvial sur la Vistule, situé entre Gniezno et Plock. Ladislas Krynicki, né à Wloclawek le 28 juin 1861, prêtre en 1885, professeur au grand séminaire, archidiacre de la cathédrale, doyen du chapitre, curé de Saint-Sigismondà Czestochowa ; élu évêque titulaire d'Acanthe et auxiliaire de l'évêque de Wloclawek, avec résidence à Czestochowa (l'évêché de Czestochowa ne date que de 1925) le 29 juillet 1918, et sacré le 10 novembre à Wloclawek par le cardinal Dalbor, archevêque de Gniezno, assisté des évêques de Plock et de Wloclawek. Évêque de Wloclawek le 21 novembre 1927, il décéda le 7 décembre 1928.
Il a écrit une Histoire de l'Église universelle, éditée à Wloclawek en 1908 et plusieurs fois rééditée, enfin revue et complétée en 1925 par le père Ladislas Szoldrski, rédemptoriste, auteur de plusieurs chapitres de ce volume.
170. En 1675, le Christ avait demandé à Marguerite-Marie Alacoque, visitandine à Paray-le-Monial, l'institution d'une fête en l'honneur de son Sacré-Cœur. De multiples démarches furent entreprises à Rome, avec l'appui du cardinal de Forbin-Janson, alors ambassadeur de Louis XIV près du Saint-Siège. Seule une messe fut autorisée et dans les couvents de visitandines, à l'exclusion de tout autre lieu de culte.
Cependant les visitandines polonaises avaient très largement répandu la dévo-
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En 1930, une garde d'honneur eucharistique fut organisée. Plusieurs adorateurs venaient régulièrement aux réunions et contribuèrent à l'embellissement de l'église. L'autel de la Sainte Vierge fut érigé en 1932, celui de saint Benoît en 1938. La curie métropolitaine permit l'exposition du Saint Sacrement le 1 er janvier 1932 pendant toute la journée, et, le 24 juin, l'exposition toute la nuit.
A partir de ce moment, les retraites fermées des laïcs furent prêchées dans les salles de l'école, en carême et pendant l'avent. On recevait à demeure des élèves de tous les coins du pays, ainsi que des étudiantes d'université. C'est ainsi que la vie continua jusqu'à la deuxième guerre mondiale.
Le 1er septembre 1939 Hitler attaqua la Pologne. La deuxième guerre mondiale commençait. Lwow fut bombardée dès le premier jour par les avions allemands, et les jours suivants les attaques se répétèrent. Le 13 septembre, la radio se tut, l'électricité et l'eau manquèrent. Celui qui n'avait pas fait de provisions auparavant, mourait de faim.
Le 14 du même mois, un capitaine polonais demanda la permission d'installer son bureau au monastère. Comme deux soeurs lui montraient une petite maisonnette dans le jardin, un
tion au Sacré-Coeur en instituant une confrérie en chacune de leurs églises. Mgr Constantin Szaniawski, évêque de Cracovie, priait le Saint-Père, dans une lettre datée du 6 mai 1726, d'accorder la liberté du culte et la solennité au peuple polonais. La supérieure du couvent de Cracovie, mère Françoise Szembek (1714-1720), très estimée de son évêque désirait vivement l'accord de Rome. Mgr Christophe Antoine Szembek (1739-1749) était archevêque de Gniezno et primat de Pologne. Le 15 mai 1726, le roi Auguste II joignit une lettre personnelle à Benoît XIII pour appuyer la requête de l'évêque de Cracovie. La congrégation des Rites examina très longuement la demande, mais en 1729, refusa d'autoriser le culte hors des monastères de la Visitation, alors que la Pologne l'avait sollicité pour l'Église universelle.
Un peu plus tard, le défenseur du culte à Rome, le père de Galifet, S.J., intéressa la reine Marie Leszczynska, qui entama des démarches près de Clément XII, puis de son successeur Benoît XIV. Elle fut appuyée par son père Stanislas Leszczynski, et par Auguste III, roi de Pologne, dont la fille, Marie-Josèphe de Saxe, avait épousé Louis, dauphin de France. La lettre de Stanislas est datée de Lunéville le 6 février 1763. Enfin les évêques polonais remirent au Saint-Siège un volumineux mémoire en 1765.
Pour hâter l'accord romain, les évêques polonais ne sollicitaient l'autorisation du culte public du Sacré-Coeur que pour leur pays.
Enfin, par décret du 6 février 1765, la Sacrée Congrégation des Rites, approuvée par le pape Clément XIII, autorisa la célébration solennelle de la fête (le vendredi, après l'octave de la Fête-Dieu), mais seulement pour la Pologne et l'archiconfrérie du Sacré-Coeur établie à Rome. (Cf. C. Drazek, S.J. Symposium théologique de Rome et de Strasbourg, 1978, Téqui).
nouveau raid aérien éclata soudain. La maisonnette fut démolie et les deux soeurs ensevelies sous les ruines. Soeur Romualde Rejzerowna 171 y trouva la mort, mais la deuxième en sortit vivante, et se rétablit complètement au bout de quelque temps.
Le 20 septembre, l'armée allemande, arrivée devant Lwow, exigea la capitulation. Entre-temps, à la faveur des pourparlers, les Allemands cédèrent à la Russie toute la partie orientale de cette province polonaise, jusqu'à la ville de Przemysl. Le 22 septembre, les chars soviétiques occupaient Lwow.
Au printemps 1940, les autorités soviétiques prirent le jardin du monastère obligeant les moniales à y travailler mais on les paya. Il leur fut défendu de paraître en habit monastique, mais seulement en civil. Quelques-unes travaillèrent en ville. A l'automne de 1940, les occupants réquisitionnèrent les salles du pensionnat ainsi que tout un étage pour y mettre leurs installations.
Malgré les difficultés on continua à assurer l'adoration et l'office en commun. Mais Hitler, enivré par ses victoires, attaqua l'armée russe, le 22 juin 1941. Il fut vainqueur et occupa Lwow le 25 juin. Au bout de quelques mois, l'armée allemande atteignit la Volga. Le monastère commença donc une nouvelle période : celle de l'occupation allemande. La permission de porter de nouveau l'habit monastique fut un petit soulagement pour les religieuses. Les autorités occupantes leur rendirent le jardin. Elles eurent des fruits et légumes pour répondre à leurs propres besoins.
Dans les salles de l'école, les occupants établirent leurs bureaux. Dans la cour, ils installèrent un baraquement pour y garder leurs fruits et légumes, ainsi que dans une grande partie des caves.
Les moniales se consacrèrent au Coeur Immaculée de Marie 12 le 25 mars 1943, afin d'obtenir sa protection.
171. Marie Rejzerowna, soeur Romualde du Christ-Roi, née à Zydaczow le 29 décembre 1900, vêture le 4 septembre 1924, profession le 8 décembre 1931. Elle fut tuée dans un bombardement de Lwow le 14 septembre 1939.
172. François Raymond Kolbe, né à Zdunska Wola, près de Lodz, le 8 janvier 1894, de Jules et de Marie Dabrowska. Entré en 1907 chez les frères mineurs conventuels. Le père Maximilien Kolbe, jeune religieux, fit à Rome ses études cléricales. Sa vie intérieure, déjà très profonde, ne fit que grandir grâce à la formation intellectuelle et spirituelle reçue de ses maîtres. Dès son enfance il s'attacha à vénérer la
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En avril 1943, Mgr Opacki 13, prélat de Sa Sainteté, fut nommé recteur des moniales. Le deuxième centenaire de la consécration de la première pierre de l'église eut lieu le 28 avril 1943, et on organisa un triduum avec sermon.
En février 1944, le détachement d'approvisionnement des Hongrois arriva au monastère, occupant un étage et quelques bâtiments. Le 16 mars, pour leur fête nationale, ils nous demandèrent de leur prêter le réfectoire durant quelques heures. Ils vinrent à la messe, où ils chantèrent leur hymne national. En toute occasion, ils se comportèrent très convenablement. Au milieu de toutes ces peines, dont les religieuses furent abreuvées, la nombreuse fréquentation des fidèles dans leur église leur fut une grande consolation. En deux semaines, on distribua 2 200 communions.
Mais l'armée soviétique commença la contre-offensive. Lwow fut bombardé par les avions russes, et l'armée allemande, en déroute, se retira précipitamment. Le grand bombardement commença au soir du 1er mai 1944. Les moniales descendirent dans les abris. A 9 heures 45, trois bombes tombèrent sur l'église, la toiture fut soufflée, la voûte portait un grand trou de 20 mètres du côté nord. Les murs furent très ébranlés, et tous les vitraux réduits en poussière. Malgré le danger, la soeur adoratrice ne quitta pas sa place, et continua à prier. Le 3 juin suivant, mourut la mère prieure, soeur Josefa Markiewiczowna.
Sainte Vierge et, enfant, à Lwow, lui promit de « combattre pour elle ». C'est au cours de ses études romaines que le père Kolbe conçut le projet de se consacrer à la Vierge Immaculée et de se mettre entièrement à son service. Durant la première guerre mondiale, il jeta les bases d'une association de prière et d'apostolat s'adressant tant à des religieux qu'à des laïcs. Il voyait dans cette consécration au Coeur Immaculée de Marie le salut pour notre monde bouleversé. A Fatima, en 1917, la Vierge elle-même était venue demander la consécration du monde, et en particulier de la Russie, pour obtenir de son Fils, la paix et la conversion des peuples.
Le rayonnement du père Kolbe et de sa milice de l'Immaculée fut prodigieux, dans son pays d'abord, la Pologne, puis dans le monde entier, grâce à la revue imprimée dans le couvent qu'il fonda à Niepokalanow (la cité de l'Immaculée) et qui abrita plusieurs centaines de religieux.
La mort tragique du père Maximilien Kolbe, et sa reconnaissance par l'Église au jour de sa canonisation, le dimanche 10 octobre 1982, prouvent la valeur de son service à la Vierge Immaculée.
La doctrine du père Kolbe demeurera une grande lumière pour la théologie. (Cf. M. Winowska, Le Fou de Notre-Dame, père Maximilien Kolbe, Bonne Presse, 1950, et H.M. Manteau-Bonamy, La doctrine mariale du P. Kolbe, Lethielleux, 1975).
173. Mgr Opacki, prélat de Sa Sainteté, aumônier du monastère.
318 Constatant l'ampleur des dégâts, les moniales firent célébrer la messe dans leur choeur, même pour les fidèles. Aussitôt, on commença la restauration de l'église, qui avançait lentement. En août, une toiture en tôle fut posée, mais l'intérieur de l'édifice était toujours en ruines. A l'approche du front ennemi plusieurs moniales regagnèrent leurs familles. Le 26 juillet, l'armée soviétique envahit Lwow. Le nombre des soeurs réduit, facilita l'approvisionnement devenu très difficile. « Nous avons quelquefois du pain ou des cartes de pain apportées par des
personnes charitables, car celles qui travaillent reçoivent les cartes de pain », raconte une novice de ce temps-là.
Quelques mois après ce changement d'occupant, Mgr Twardowski, archevêque de Lwow mourut le 22 novembre 1944. Il fut remplacé par Mgr Baziak 14, son coadjuteur avec droit de succession. On n'attendit pas longtemps le grand bouleversement dans la vie du monastère, car on voyait bien ce qui se passait en d'autres congrégations. Le 14 août 1945, les soeurs de la Miséricorde 175, au nombre de 127 furent expul-
174. Né à Tarnopol, diocèse de Lwow, le 8 mars 1890, prêtre le 14 juillet 1912, doyen de Stanislawow. Pronotaire le 16 mars 1932, évêque titulaire de Phocée et auxiliaire de l'archevêque de Lwow, le 15 septembre 1933, sacré le 5 novembre 1933 à Lwow par Mgr Twardowski, archevêque titulaire de Parium et coadjuteur de Mgr Twardowski, le 1" mars 1944. Il succéda comme archevêque latin de Lwow le 22 novembre 1944, au décès de Mgr Szceptyckij. En 1944, il fut chassé de son siège et nommé administrateur apostolique de Cracovie. Il assura cette tâche délicate jusqu'à sa mort, survenue brutalement à Varsovie où il participait à une conférence de l'épiscopat polonais, le 15 juin 1962. D'un caractère parfois un peu dur, il avait un coeur 'ardent et il était foncièrement bon. On vit bien lors de ses funérailles qu'il était très aimé de son peuple.
Le prince-évêque de Cracovie Mgr Adam-Stefan Sapieha, fut une des grandes figures de l'épiscopat polonais durant la seconde guerre mondiale. Le 1" novembre 1946, il ordonna prêtre Karol Wojtyla. Il réunit plusieurs séminaristes, dans les caves, aménagées, de sa résidence épiscopale pour leur permettre de poursuivre leurs études cléricales.
Le 28 septembre 1958, Mgr Baziak avait conféré l'épiscopat à Karol Wojtyla, qui lui succéda comme vicaire capitulaire de Cracovie. Pie XII avait nommé Mgr Wojtyla, auxiliaire de Mgr Baziak, le 4 juillet 1958.
Mgr Kyr, André Szceptyckij fut archevêque de Lwow durant 44 ans. Grand spirituel, son influence fut prépondérante sur l'épiscopat polonais durant cette période. Sa cause de béatification fut introduite à Rome en 1956, onze ans après sa mort.
175. La congrégation Notre-Dame de la Miséricorde est d'origine française. Fondée en 1818 par Marie-Thérèse Rondeau (1793-1866), pour la protection des jeunes filles en danger moral. La branche polonaise, fondée en 1862, devint autonome après la première guerre mondiale et compta alors quinze maisons. Les constitutions furent approuvées par le Saint-Siège en 1935.
319-sées, et avant de partir dans l'ouest, se réfugièrent chez nous. Fin septembre, arrivèrent des fonctionnaires, pour voir l'état du monastère. Ils conseillèrent aux moniales de partir sans tarder dans l'ouest de la Pologne, car cette partie de la Pologne était désormais occupée par les soviétiques et annexée. Peu après, les soldats occupèrent le monastère. Les soeurs furent surchargées de travail : elles faisaient la lessive pour trois cent cinquante soldats. Le bon côté, ce fut une bonne rétribution qui permit l'approvisionnement.
Le 2 janvier 1946, soeur Gerarde Holowata 16, mourut subitement, dans la cuisine alors qu'elle était en train d'éplucher les pommes de terre. Le médecin soviétique constata le décès en disant : « Elle est partie chez Jésus ».
Entre la mort de mère Madeleine d'Auvergne et celle de soeur Gerarde, on compte 217 années. Pendant cette période 141 moniales sont décédées au monastère de Lwow, où elles adorèrent si longtemps Jésus dans le très Saint Sacrement. Le monastère subsista avec bien des difficultés.
Voici le dernier acte du drame :
Le 17 avril 1946, la mère prieure mère Mectylda Lekczynska accompagnée d'une soeur, en visite chez l'archevêque, apprirent qu'il leur fallait partir sans tarder. Monseigneur, lui-même, s'était exilé avec les autres prélats de la curie, le 24 avril. Un employé venu au monastère déclara que l'exode des soeurs était indispensable. Dans le bureau principal le même avertissement : on commença donc le déménagement ; beaucoup de documents furent détruits, au grand dommage de l'histoire du monastère. On avait défendu aux religieuses d'emporter la statue de la Sainte Vierge malgré leurs pleurs et supplications. La plus grande difficulté était, le transport des soeurs gravement malades. L'une, soeur Gabrielle Costazza "', étant à toute extrémité, fut administrée le 28 mai.
La congrégation porte en Pologne le nom de Magdalenki. (Cf. Maria Winowska, Droit à la Miséricorde, éd. Saint-Paul, Paris, 1958).
176. Sophie Holowata, soeur Gérarde de la Sainte Trinité. Née à Czysky le 31 octobre 1896. Entrée au monastère le 1" septembre 1923, profession le 27 octobre 1929 en qualité de soeur converse. Décédée le 2 janvier 1946.
177. Marie Costazza, soeur Constance Gabrielle, née à Brody, le 9 janvier 1909. Vêture le 16 juin 1928, profession le 17 août 1930. Décédée à Plawniowice le 15 juin 1946.
Le 2 juin eut lieu la dernière messe dans l'église conventuelle, la consommation de l'hostie du tabernacle, la fermeture de l'église, et la remise des clefs. Avec quel coeur, on peut l'imaginer ! Seuls ceux qui ont subi pareils malheurs peuvent le comprendre.
Le seul réconfort fut la lettre de Mgr Opacki, parti auparavant. Il écrivait que les municipalités polonaises en Silésie promettaient de recevoir les moniales à Plawniowice, dans les environs de Gliwice 18. C'est l'abbé Kobierzycki qui avait obtenu cette faveur. A Plawniowice, c'était un château, provenant du comte Balaestram. Les moniales se consolèrent dans l'espoir de trouver un gîte, même momentané.
Le 4 juin, une fois les clefs du monastère rendues, elles partirent vers la gare complètement détruite. C'est à la gare des marchandises qu'il leur fallut attendre sous une pluie battante. Les moniales surveillèrent leurs bagages et la grande malade, soeur Gabrielle. Montées dans un train de marchandises, elles partirent à minuit, au nombre de vingt deux moniales et deux postulantes. A Medica, poste frontière, perquisition. A Przemysl, Mgr Baziak vint au train et réconforta les soeurs.
Il est difficile de raconter toutes les péripéties d'un si long voyage effectué dans les wagons d'un train de marchandises.
Les bénédictines arrivèrent à Plawniowice le 10 juin : château spacieux, dans un parc, avec une petite église attenante ; mais l'intérieur du château était complètement détruit. Il manquait les portes et les fenêtres ; les caves étaient submergées, à cause des canalisations détériorées. On se mit donc au travail afin de pouvoir se loger. Soeur Gabrielle mourut le 15 juin.
On comprit vite qu'on ne pouvait pas compter sur une habitation stable, car les autorités d'Opole 179, pouvaient reprendre ce château pour d'autres oeuvres sociales. Les soeurs furent donc obligées de chercher un autre gîte.
178. Plawniowice par Gliwice, en Silésie, non loin de Katowice, dans une région désormais très urbanisée. Le grand Katowice comptait plus de trois millions d'habitants il y a peu d'années. C'est le centre de la région industrielle de Haute Silésie. La région s'étend au sud sur les Beskides, de part et d'autre des sources de la Vistule, et, au nord, sur une partie du plateau de la Petite Pologne (cf. Pologne, de la Baltique aux Carpathes, Arkady, Varsovie, 1975).
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On leur fit savoir qu'elles pourraient prendre le couvent de Bardo de Silésie, appartenant auparavant aux soeurs de Sainte Hedwige 180 qui partaient pour l'Allemagne. Mère Hedwige Oledzka 181, chargée de trouver un nouveau gîte, se rendit à Wroclaw chez la mère générale des soeurs de Sainte-Hedwige, et en obtint la permission écrite d'occuper le couvent de Bardo, dès le départ des religieuses. Celles-ci quittèrent, en effet, la maison le 26 août 1946, remettant les clefs à mère Hedwige, de Lwow. L'accomplissement de la possession de ce couvent dépenlait de l'opinion du révérend père Van Ooste, moine bénédictin de Tyniec 182, et visiteur des bénédictines. Il émit un avis favorable, et peu après, quelques unes des moniales s'installèrent.
179. Opole en Silésie, chef lieu de voïvodie.
Les traditions font remonter le passé historique de la ville au IX' siècle et peut-être au VIII' siècle. Avec toute la Silésie, le territoire d'Opole appartint à la Pologne dès le règne des premiers Piast. A l'époque féodale, elle devint duché, et l'autonomie du territoire d'Opole dura jusqu'en 1327. La tour des Piast, du XIV' siècle, le monastère et l'église des Franciscains, de la même époque, ont laissé quelques vestiges encore visibles (Cf. La Pologne, Varsovie, 1975). La ville assuma très tôt une importante fonction de transit commercial sur la voie Cracovie-Wroclaw.
180. Hedwige née en 1174, fille du comte Berthold III, comte d'Andech (Haute-Bavière) et du Tyrol, marquis de Méran. Elle épousa, en 1186, le duc de Silésie, Henri I«, le plus puissant des Piast ; ils eurent six enfants. Après la mort de son mari en 1238, Hedwige revêtit l'habit cistercien et demeura près de la communauté de Trebnitz, dont sa fille Gertrude était abbesse. Elle mourut le 15 octobre 1243.
Son culte est demeuré vivace en Silésie, Une congrégation, placée sous son patronage, prit naissance en 1859, sous la Règle de saint Augustin, à Wroclaw avec l'aide de l'abbé Spiscke, dans le but d'élever des enfants abandonnés (Cf. Catholicisme). Bardo : petite ville située au fond de la vallée de la Nysa. Le fleuve traverse un petit massif montagneux culminant à la Klodzka Gora L'église reconstruite au XVIII' siècle appartint d'abord aux cisterciens de Kamieniec, et devint ensuite propriété des bénédictins. Bardo se trouve à l'ouest de la Nysa.
181. La liste des religieuses de Lwow que nous possédons dans nos archives est close en 1962. Soeur Oledzka n'est pas indiquée sur cette liste ; elle n'était donc pas décédée à cette date. Une religieuse du même nom, peut-être sa parente, était moniale à Varsovie. Née en 1905, elle avait fait profession en 1936. Elle mourut lors du bombardement de Varsovie en août 1944. (Cf. « L'Holocauste de Varsovie », ci - dessous, et la liste des moniales tuées).
182. Fondée en 1044 par le roi Casimir le Rénovateur, dans un vieux château-fort des princes cracoviens, à Tyniec (à 11 km de Cracovie), son nom signifie : le Plessis. Cette abbaye connut bien des vicissitudes, dont quatre sièges : les Vandales ; au XVlI' siècle, les Suédois ; en 1772, les Moscovites ; en 1945, les Soviétiques, et un incendie en 1858 qui détruisit les bâtiments conventuels. Tyniec fut, durant tout le Moyen Age, la principale abbaye et comme le chef de tous les monastères polonais. Les premières générations de religieux de Tyniec se recrutèrent parmi les moines de la région liégeoise ou lorraine et, longtemps encore, les cadres restèrent originaires
Le révérend père Louis Fas, supérieur des pères rédemptoristes de Bardo les aida beaucoup. Il leur conseilla de faire des hosties, de recevoir des pèlerins en été, et d'organiser des colonies d'enfants. Tout cela améliora leurs conditions de vie. Le couvent de Bardo devint une filiale du monastère de Plawniowice, dont la supérieure était la mère Kolumba Wroblewska 183, bénédictine de Staniatki. Elle fut nommée supérieure le 11 décembre 1946.
de ces pays. C'est Tyniec qui « fournit » les premiers moines de l'abbaye de Sieciechow. Sous la direction de l'abbé de Tyniec, que les sources appellent : archiabbé, les abbayes de Mogilno, Lysa Gora, Sieciechow, formaient dès la fin du XII' siècle, une sorte de fédération. Au XIVe siècle, cette primauté lui fut disputée, mais en vain, par l'abbaye de Lysa Gora et l'on sait qu'au XVe siècle, elle conservait encore cette primatie. Il est impossible toutefois de préciser en quoi consistait ce lien plus ou moins fédératif. Tyniec suivait les usages de Cluny. Le 10 juillet 1737, un concordat fut signé à Wschowa et approuvé par Clément XII, le 13 septembre de la même année ; Tyniec faisait partie des trois abbayes bénédictines (avec Lublin et Plock) laissées à la disposition du roi en ce qui concernait la nomination des abbés commendataires. L'abbaye de Tyniec succomba en 1815 par suite des effets du dernier partage de la Pologne ; elle était située dans la partie de la Pologne que s'était attribuée l'Autriche. En 1928, le révérend père Charles Van Oost, de l'abbaye de Saint-André-de-Bruges, commença la restauration de la vie bénédictine en Pologne, interrompue depuis cent vingt ans. Le père Van Oost, avec quatre autres bénédictins : un moine de Maredsous, un moine de Prague, deux moines Tchèques, s'installa dans une petite maison à Lublin. En 1930, le père Van Oost, supérieur de la petite communauté, envoya douze jeunes religieux polonais à Maredsous, afin d'y recevoir la formation monastique nécessaire. En 1936, ils ouvrirent un internat près de Cracovie. Le cardinal Sapieha, archevêque de Cracovie, leur donna l'antique abbaye de Tyniec devenue propriété de l'évêché. L'inauguration officielle des premiers bâtiments eut lieu le 30 juillet 1939 et la communauté fut érigée en prieuré simple. La guerre de 1939-1945 fut particulièrement éprouvante pour les moines qui subirent un terrible siège en mars-avril 1945. Les moines étaient enfermés avec des soldats allemands, dans l'abbaye assiégée par les troupes soviétiques. Après 1945; la reconstruction partielle fut aussitôt entreprise par l'architecte Z. Kupiec.'L'antique abbaye de Tyniec est, depuis 1959, un prieuré conventuel qui entretient des liens fraternels tout spécialement avec les abbayes bénédictines belges. (Renseignements aimablement communiqués par le R.P. Charles Van Oost.)
Mgr Puzyna Jean (1842-1911) fut suffragant de Lwow en 1886, évêque de Cracovie en 1895, cardinal en 1901. Durant son épiscopat, il acquit les ruines de l'antique abbaye de Tyniec, dont il fit un lieu de repos pour les séminaristes de son diocèse. Le 2 août 1903, au Conclave qui suivit la mort de Léon XIII, le cardinal fut chargé de prononcer, au nom de l'empereur d'Autriche, l'exclusive contre l'élection du cardinal Rampolla. Le cardinal Sarto fut alors élu et prit le nom de Pie X. Il s'empressa d'abolir le droit d'exclusive.
183. Stanislawa Wroblewska, mère Colombe, née à Kuzmincé, en Volhynie, le 16 janvier 1901. Vêture à l'abbaye de Staniatki où elle fit profession le 19 août 1925. Elle fut envoyée à Planiowice par ordre de ses supérieurs, le 11 décembre 1946. Elue prieure ce même jour, elle assura cette charge jusqu'à sa mort le 17 octobre 1953.
L'abbaye bénédictine de Staniatki, région de Cracovie, fut fondée en 1228.
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On leur loua un champ pour y planter des légumes, ce qui leur fut d'un grand secours, puis elles travaillèrent dans les bureaux municipaux pour gagner un peu d'argent. Mais malgré toutes ces occupations, les moniales n'oublièrent pas leur de voir d'adoratrices du Saint Sacrement.
Mgr Baziak venait souvent au monastère. Le 12 mai 1959, la mère prieure, mère Simplice Pogonowska, élue à la mort de mère Wroblewska, et toute sa communauté, firent une réception chaleureuse à ce bon prélat.
En 1958, les bénédictines du Saint-Sacrement fondèrent une nouvelle maison à Siedlce 184.
Avec trois monastères, on pouvait préparer la Fédération.
Le couvent de Bardo se prêtant mieux à l'installation du noviciat, le visiteur le révérend père Rostworowski 185 demanda au cardinal Wyszynski 186 la permission de transférer le noviciat de Plawniowice à Bardo.
Ayant obtenu cette autorisation, la mère prieure s'y rendit
184. Siège d'un évêché, la ville joua un rôle considérable durant l'insurection polonaise de 1831 et de 1863. La ville fut fondée au XVe siècle. A partir de 1670 elle devint la résidence des princes Czartoryski.
La région de Siedlce est limitée au nord par le gouvernement de Grodno, à l'est par la Volhynie, au sud par celui de Lublin et de Radom, à l'ouest par celui de Varsovie.
Le monastère a été fondé en 1958 par le couvent de Varsovie.
185. Pierre Rostworowski, né le 12 septembre 1910, fit profession au prieuré de Tyniec le 25 janvier 1932, fut ordonné prêtre le 18 juillet 1937. Il fut nommé administrateur apostolique du prieuré de Lublin (Cf. Confédération bénédictine, Catalogue 1960). Il reçut de Rome la charge de « délégué apostolique » près de la fédération polonaise de notre institut en mars 1960.
186. Cardinal Stefan Wyszynski, primat de Pologne, métropolite de Gniezno et Varsovie, décédé le 28 mai 1981, âgé de 80 ans.
Né le 3 août 1901, dans une famille paysanne de la région de Lublin, il fut ordonné prêtre en 1929, puis nommé professeur de morale sociale et aumônier d'action catholique ouvrière. En 1946, il fut sacré évêque de Lublin, puis, deux ans plus tard, nommé archevêque de Gniezno et Varsovie. Arrêté par les Allemands au cours de la dernière guerre mondiale, puis par le régime communiste le 25 septembre 1953, il resta emprisonné jusqu'en 1956 avant d'être exilé dans les Carpates.
En janvier 1951, il conféra l'épiscopat aux cinq vicaires capitulaires responsables des diocèses allemands devenus polonais, pour éviter leur élection par le conseil diocésain sur ordre du gouvernement. En avril, il se rendit à Rome, qui ratifia son acte.
Le 18 juin 1957, Pie XII remit le chapeau de cardinal au primat de Pologne. Il avait été élevé à cette dignité en janvier 1953, mais n'avait pu quitter alors la Pologne, craignant qu'on ne lui interdise le retour à Varsovie.
avec les novices et la plupart des moniales, de sorte que le monastère de Bardo devint plus important que celui de Plawniowice. L'adoration perpétuelle à Bardo fut introduite le 15 septembre 1960, et on ouvrit la chapelle au public.
Les bénédictines de Varsovie nous vinrent en aide, en envoyant de bonnes choristes et diverses spécialistes. De plus, les révérends pères rédemptoristes de Bardo assurèrent les services spirituel et matériel des moniales.
La fédération de Pologne fut confirmée à Rome en 1962. Désormais, l'avenir est entre les mains de Dieu.
Cette histoire de la fondation des bénédictines de l'Adoration perpétuelle à Lwow puis à Plawniowice et à Bardo de Silésie a été écrite sur documents, par le révérend père Wladislas Szoldrski, rédemptoriste de Wroclaw.
Ma révérende et très chère mère, Nos chères mères et soeurs,
Au commencement de notre lettre nous vous demandons de vouloir bien nous excuser de notre interruption de quelques années dans l'envoi de notre chronique. Ce silence a été causé par le déménagement et la reconstruction de notre monastère 187.
187. La ville de Wroclaw est d'origine slave et fut polonaise dès la fin du Xe siècle. Dévastée par les Mongols en 1241, puis colonisée par les Allemands, elle appartint en 1335 à la Bohême (maison de Luxembourg). Ce fut un des grands centres commerciaux d'alors. Propriété des Habsbourg en 1526, Wroclaw fut annexée par la Prusse en 1742 avec la plus grande partie de la Silésie. A la fin de la deuxième guerre mondiale, les Allemands résistèrent farouchement à l'armée Rouge, qui prit la ville le 7 mai 1945 après un siège de 82 jours. A la suite des accords de Postdam (1945), Wroclaw redevint polonaise. La population allemande fut évacuée et la ville repeuplée de Polonais. La ville est chef lieu de Voïvodie, siège d'un évêché et d'une université. Située sur l'Oder dans un ensemble d'îles pittoresques, elle conserve encore malgré sa destruction au cours de la dernière guerre, de nombreux monuments anciens, tel le portail roman du XIII siècle de l'église Sainte-Marie-Madeleine, la cathédrale Saint-Jean-Baptiste (XIV' s.), l'église gothique Sainte Croix et des maisons du XVI' siècle. C'est une région de riches cultures et le centre important d'un bassin houiller.
Selon la lettre circulaire de ce monastère en 1980, nous savons que l'archevêque de Wroclaw à cette date se nommait monseigneur Henri Gulbinowicz et qu'il a béni une nouvelle statue de la sainte Vierge dans le monastère le 15 août 1979. Le 29 juin précédent, monseigneur Adam Dyczkowski, grand ami des jeunes et ancien compagnon de Jean Paul II, lors de ses excursions dans les montagnes, présida une profession.
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Nous vous remercions, beaucoup pour toutes les lettres que nous recevions chaque année malgré notre silence. Elles soutenaient notre lien spirituel, elles nous permettaient de partager vos joies et vos tristesses. Elles nous unissaient à la vie de nos monastères qui réalisaient le retour à la source — à l'esprit de notre bien-aimée mère fondatrice.
Nous venons de vous parler du déménagement et de la reconstruction de notre monastère. Pour que vous compreniez bien tous nos problèmes, il nous paraît nécessaire de vous présenter un peu d'histoire de notre monastère.
Il a existé à Lwow, Léopol, pendant 237 ans : c'est-à-dire de 1709 à 1946 malgré de si difficiles et dures conditions politiques. En partageant le destin de la nation polonaise il se développait et il augmentait en nombre et en ferveur. Accomplissant fidèlement les devoirs de sa vocation pendant 218 ans, jusqu'à 1928 il instruisit et éduqua des jeunes filles dans l'esprit de l'Église et du patriotisme. Beaucoup de ces jeunes filles sont entrées dans notre Communauté.
Après la deuxième guerre mondiale, les frontières de la Pologne ont été déplacées à l'Ouest et Lwow s'est trouvé hors de notre pays.
Au mois de juin 1946 nos soeurs, les larmes aux yeux et le coeur serré, ont dû quitter les mûrs de leur monastère, comme beaucoup d'autres congrégations.
La Providence de Dieu les a conduites en Silésie, à Plawniowice, où un grand château comtal, très dévasté, leur a été donné. Avec l'aide de Dieu et des hommes elles vainquirent toutes les difficultés, pleines de courage et de force. Elles y devaient rester en attendant de trouver un local qui conviendrait mieux à un monastère de contemplatives. Un peu plus tard on trouva une maison à Bardo-Slaskie. C'était une maison ancienne ayant appartenu à des soeurs qui y avaient tenu un orphelinat, mais elle ne convenait pas non plus aux exigences de notre vocation. C'est pourquoi une dizaine de soeurs seulement sont venues de Plawniowice à Bardo. Elles gagnaient leur vie grâce à un travail dans le jardin et à la réception des pèlerins aux mois d'été. En même temps elles accomplissaient fidèlement et avec ardeur leur devoir monastique.
La mère prieure, la majorité des soeurs et les novices, séjournaient toujours à Plawniowice. Là-bas la vie religieuse était réglée sauf la clôture, qui était impossible, à cause de la nécessité du travail aux champs. Cette situation dura 14 ans.
En 1960 la mère prieure, les soeurs plus jeunes et le noviciat se sont établies à Bardo où on avait l'espoir de créer de meilleures conditions de vie. Les soeurs qui sont restées à Plawniowice pensaient venir à Bardo dans quelque temps. Cependant il fallut attendre cette arrivée encore 15 ans ! Malgré le beau jardin, différentes transformations et des essais d'adaptation de la maison à la vie contemplative et à la clôture, les conditions à Bardo ne permettaient pas le développement de notre communauté.
Les prières à Dieu et les recherches duraient toujours, apparemment sans résultats.
A la fin de l'année 1972, une joyeuse nouvelle a rempli nos coeurs d'une grande reconnaissance pour Dieu. Ce meilleur avenir dont nous avons rêvé, aujourd'hui est la réalité.
Dans la banlieue de Wroclaw, une maison de carmélites, fondation de Cologne 188 en 1935, brûlée pendant la guerre, nous attendait depuis 30 ans.
C'est Dieu qui nous préparait cette maison par le prêtre Jean, qui est venu là-bas en 1964 et a assuré les murs contre un écroulement. Depuis ce temps une petite chapelle dans une chambre, entièrement reconstruite, gardait le plus grand trésor : Jésus eucharistique. Chaque jour les fidèles y venaient pour la messe.
Quelques chambres qui ont été reconstruites, un grand et
188. Le carmel de Breslau fut fondé par celui de Cologne en 1933-1934. Edith Stein entra d'abord au carmel de Cologne, le 14 octobre 1933, après un séjour de trois mois près de sa famille à Breslau (Wroclaw) où elle est née le 12 octobre 1891.
Le carmel de Cologne avait été fondé en 1637. Edith, saur Bénédicte de la Croix, dut fuir la persécution nazie en raison de ses origines israélites et se réfugier au carmel de Echt, en Hollande, en décembre 1938.
Le 2 août 1942, elle fut arrêtée par la Gestapo. En la vigile de saint Laurent, le 9 août 1943, elle disparut, ainsi que sa saur, dans la chambre à gaz du camp d'extermination d'Auschwitz (Cf. Journal officiel de Hollande, 16 février 1950).
327 beau jardin, tout cela c'était un énorme, inappréciable bienfait pour les trois premières soeurs, une d'elles était notre mère Augustine, alors dépositaire. Elles sont venues de Bardo, le 8 décembre, en la fête de l'Immaculée Conception.
Ce grand don de la Providence de Dieu pour notre monastère demanda beaucoup de sacrifices et de renoncements et avant tout un dur travail de quelques années.
La mère prieure, Kinga, avait soin de l'une et de l'autre maison. En ce temps à Bardo nous avons dû diminuer l'adoration pendant la nuit.
Après trois ans, de nouveau à la fête de l'Immaculée Conception (1975) toutes les soeurs de Bardo arrivèrent à Wroclaw. Ce fut possible par la grâce de Dieu et l'aide des hommes, surtout grâce aux grands sacrifices, de nos premières soeurs qui souvent, à cause du manque d'ouvriers, durent faire des travaux pénibles.
Le 8 décembre 1975 la première messe a été célébrée dans la chapelle nouvellement reconstruite. Il y eut beaucoup de joie et de reconnaissance envers Dieu.
L'année suivante, c'est-à-dire en 1976, nous avons reconstruit une nouvelle partie du monastère, qui avait été détruite jusqu'aux fondations. Dans cette partie se trouve aussi notre nouveau choeur. En décembre de la même année les soeurs ont déjà pu revenir de Plawniowice.
Quatre soeurs se sont rendues à Gosciecin 189.
Après 30 ans nous étions de nouveau ensemble. Dieu a exaucé nos désirs.
A partir de Noël, après l'interruption de quatre ans, nous avons recommencé l'adoration la nuit.
Nous voulons souligner que dans ces dures années après la guerre nos soeurs du monastère de Varsovie vinrent toujours à notre aide. Aussi dans cette lettre nous voudrions leur exprimer notre plus grande reconnaissance.
En 1977 beaucoup de travaux ont été faits à l'extérieur et
189. Gosciecin situé non loin d'Opole se trouve dans le diocèse d'Opole. Le monastère est dédié à saint Antoine. Dans la ville, une église dédiée à Saint Brice depuis 1661 est un lieu de pèlerinage.
328 à l'intérieur de la maison : le finissage de l'intérieur du choeur, la construction d'une annexe qui agrandit la réfectoire et la cuisine ; ainsi que des travaux d'amélioration.
L'année 1978 fut encore une année de grands efforts et de soucis divers, mais aussi une année de joies.
Dès le début de l'année nous avons terminé les travaux dans le nouveau réfectoire, ce qui nous a permis d'y prendre notre repas du Jeudi saint. Très difficile à réaliser l'élévation de notre maison, fut heureusement terminée au mois d'août pour la fête de notre mère prieure.
Grâce à Dieu et à nos bienfaiteurs, les principaux travaux de construction sont terminés. Il nous en reste encore bien d'autres en perspective.
Nous espérons être protégées comme toujours par saint Joseph !
Le 3 mars Dieu rappelait à lui notre cher protecteur, monseigneur Joseph Marek 190, âgé de 47 ans ; l'un des quatre évêques de Wroclaw.
Il était très bon et cordial, toujours joyeux, plein de force et aimé de tous, il donnait beaucoup d'espoirs pour l'avenir. Pendant sa dernière maladie, il disait, en parlant de nous : Mes soeurs prient pour moi ». Toute la Pologne partageait notre douleur. Le 18 mars nous eûmes la grande joie et l'honneur d'accueillir notre archevêque, monseigneur Henryk Roman Gulbinowicz 191, qui nous entretint des différents problè-
190. Joseph Marek, né à Szczyek,diocèse de Cracovie, le 10 mars 1930, prêtre le 23 juin 1957, évêque titulaire de Tigillava et auxiliaire de l'archevêque de Wroclaw (ex-Breslau) le 1« novembre 1973, sacré à Wroclaw le 27 décembre par Mgr Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie. Il est décédé le 3 mars 1978.
191. Mgr Gulbinowicz, né à Szukiszki le 17 octobre 1928. I1 fut ordonné prêtre le 18 juillet 1960 et reçut la consécration épiscopale le 12 janvier 1970 comme évêque titulaire d'Acci. Il fut promu archevêque de Wroclaw le 3 janvier 1976. C'est lui qui accueillit Jean Paul II à son second pèlerinage en Pologne, lors de son passage à Wroclaw (juin 1983).
329 -mes de l'Église avec des sentiments de foi profonde et une grande simplicité. A la fin il nous donna des chapelets bénis par le Saint-Père Paul VI.
Au mois de juin, notre mère, accompagnée de soeur An-cilla s'est rendue à Niepokalanow pour participer à une rencontre des supérieures de monastères cloîtrés dont le principal thème d'étude était : l'apport des monastères contemplatifs dans l'évangélisation du monde.
Le 8 décembre nous eûmes le jubilé d'or de notre soeur Anne et l'après-midi, notre soeur Myriam, prononçait ses voeux temporaires en présence de notre archevêque. C'est la première jeune professe de notre monastère, définitivement reconstruit à Wroclaw.
La vénération particulière que j'ai toujours eue, mon révérend père, pour le saint fondateur de votre ordre illustre, m'engage à déférer aux pressantes instances que me fait ma cousine, née comtesse Jablonowska, religieuse de l'ordre de saint Benoît de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement, dans le monastère de Léopol en Russie, pour lui procurer une portion d'un ossement de votre patriarche saint Benoit. Je vous demande cette grâce pour cette religieuse. Je vous serai obligé, et à votre congrégation, du consentement que vous y donnerez, et du don qu'elle fera à la Pologne d'une relique aussi précieuse et aussi authentique. On sait combien la nation polonaise honore les saintes reliques ; ainsi, vous ne devez pas douter du cas qu'elle fera et du culte qu'elle rendra à celle que vous aurez accordée, lorsqu'elle possédera un si digne présent.
Je me recommande aux prières de votre communauté et suis, Votre bien affectionné.
STANISLAS, ROY 192
192. Stanislas Leszczynski naquit le 26 octobre 1682 à Léopol. Sa maison est originaire de Moravie. Le Dictionnaire de Moréri le donne comme le 29ème descendant de Charlemagne.
Son père, Raphaël, 3` du nom, comte de Leckno puis staroste de Fraumstad,
333 ensuite grand enseigne du royaume, occupa successivement les palatinats de Kalisk, de Posnanie, de Lenczyn. Il fut général de la Grande Pologne et grand trésorier de la Couronne.
Il épousa, en 1670, Anne Jablonowska, fille de Stanislas Jablonowski, palatin de Russie et grand général de l'armée de la Grande Pologne, grand enseigne et grand trésorier de la Couronne.
Il n'eut qu'un fils, Stanislas.
Raphaël fut un ami et un fidèle soutien de Jean III Sobieski.
Bogulas Leszczynski, décédé en 1660. Vice-chancelier, il remplissait les fonctions de garde des sceaux, comme le chancelier auquel il succédait de droit Marié à Jeanne Catherine, fille d'Alexandre prince de Radziwill. De ce mariage sont nés : a. Victoire, qui épousa après 1696 Joseph Potocki ; b. Jean, qui mourut jeune ;
c. Raphaël, père du roi Stanislas ; d. Bogislas, chancelier de la reine, puis évêque de Plock.
Le grand père de sa mère, J. Jablonowski, fut aussi le compagnon fidèle de Sobieski.
Raphaël Leszczynski mourut le 13 janvier 1703.
(Cf. Boye, Stanislas Leszczynski et le .ite traité de Vienne, Nancy, 1898, t. III, p. 3-17).
La parenté entre les Wisniowiecki et les Leszczynski se réduit au fait que Jamusz-Antoine Wisniowiecki était marié à Théophile Leszczynska (voir chap. IX, note 126). Celle-ci était cousine germaine de Raphaël Leszczynski (1650-1703), père de Stanislas Leszczynski, roi de Pologne et duc de Lorraine, dont la fille Marie fut mariée à Louis XV, roi de France.
Ce fut Stanislas qui fut député par la Diète pour prononcer le panégyrique de Jean III Sobieski devant la reine Marie-Casimire.
Stanislas épousa en 1698 Catherine Bnin-Opalinska dont il eut : deux fils jumeaux, nés et morts en 1698 ; Anne, née le 25 mai 1699, décédée en la ville de Deux-Ponts le 20 juin 1717, et Marie, née en 1703 et qui devint reine de France par son mariage avec le roi Louis XV, le 14 août 1725.
Stanislas fut élu roi de Pologne le 12 juillet 1704. Après plusieurs années de luttes entre les diverses factions polonaises ou contre Auguste II de Saxe, roi de Pologne durant quelques années, mais très mal accepté de la plupart de ses sujets, Stanislas fut confirmé et le roi et la reine furent sacrés le lei juillet 1705. C'était l'usage en Pologne de sacrer le couple. Stanislas eut encore à lutter contre Auguste II, mais il put enfin reconquérir son pays et fut couronné à Varsovie par l'archevêque de Léopol, Mgr Zielinski, le 4 octobre 1705 . Il ne resta pas longtemps en possession de son trône, sans cesse disputé par une noblesse plus encline à la révolte et à l'union avec les puissances étrangères voisines qu'à l'obéissance au roi et au maintien de la paix. Le 31 octobre 1735, après des années de lutte, il signa la paix de Vienne. Il restait possesseur de ses biens en Pologne, conservait le titre de roi de Pologne et était mis en possession du duché de Lorraine et de Bar qui reviendrait à la France après sa mort.
Il arriva en Lorraine le 3 avril 1737 et établit sa cour au château de Lunéville, qu'il restaura.
Stanislas fut un roi courageux et magnanime, ami des pauvres et des humbles, bon et pieux.
Les fondations faites en vue d'améliorer l'enseignement, de favoriser l'essor des congrégations religieuses actives ou contemplatives, ne se comptent pas. Notre maison de Nancy lui est redevable du paiement de la pension de douze demoiselles de familles nobles, trop pauvres pour assurer l'éducation de leurs filles. Cette pension aida le monastère de Nancy durant plusieurs années. Le roi de France offrit le château de Meudon à Stanislas pour lui permettre de se rapprocher de sa fille.
La reine de Pologne mourut à Lunéville le 19 mars 1747, et le roi Stanislas dé-
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Nous, frère Claude Dupré 193, supérieur général de la congrégation de Saint-Maur, de l'ordre de Saint-Benoit, à notre cher dans le Christ, le révérend père dom René Junien 194, visiteur de la même congrégation dans la province de Bourgogne,
céda lui aussi à Lunéville le 23 février 1766, son coeur se trouve à l'église Saint-Jacques. Parmi les nombreuses restaurations et constructions faites par Stanislas, il faut mentionner l'église Notre-Dame de Bon-Secours, reconstruite de 1738 à 1741 sur les plans de l'architecte Héri (dont la soeur était moniale au monastère de Nancy). On voit encore le cénotaphe du roi de Pologne mis en place en 1775 et dû-à Claude Vassé, et celui de la reine, oeuvre du sculpteur lorrain Sébastien Adam, mis en place en 1746. Le coeur de la reine de France, Marie, repose dans cette église de Nancy.
Un autre petit monument fut élevé dans cette église à la mémoire de François--Maximilien Ossolinski, qui avait épousé en secondes noces, en 1732, Catherine Dorothée Jablonowska, fille de Jean Stanislas Jablonowski (1669-1731) et de Jeanne Marie de Béthune-Chabris (décédée en 1744). Il était donc par son mariage parent de Jean III Sobieski et de Stanislas Leszczynski et beau-frère de la mère prieure de Lwow, mère Louise Jablonowska.
Ossolinski Joseph-Maximilien (1748-1826), historien, homme de lettres, fondateur de la bibliothèque Ossolinski de Lwow. Cette bibliothèque fut transférée à Wroclaw après la seconde guerre mondiale. Elle renferme environ 335 000 volumes et un nombre considérable d'imprimés et d'éditions précieuses, en particulier 1 500 incunables et des manuscrits polonais du XVIe au XVIII' siècle. (Cf. Oraison funèbre de la princesse Catherine Opalinska, reine de Pologne, grande duchesse de Lithuanie, duchesse de Lorraine et de Bar, prononcée par l'abbé Clément en l'église royale de Notre-Dame de Bon-Secours à Nancy, 19 mai 1747, Paris, 1747.)
(Cf. Le Pays Lorrain, Pierre Boyé, La mère du roi Stanislas, avril 1935 ; La croix du Saint-Esprit du roi Stanislas, décembre 1966 ; A. Beau, La pompe funèbre du roi Stanislas, duc de Lorraine et de Bar, décembre 1966 ; Stéphane Gaber, François Maximilien de Tenczvn-Ossolinski, grand maitre de la maison de Stanislas (16781756), décembre 1977.
193. Dom Claude Dupré, né à Brezolles (arr. de Dreux, Eure-et-Loir), profès de Notre-Dame de Lyre, le 10 août 1686, âgé de 19 ans. Nommé en 1705, administrateur de Saint-Père de Chartres, puis prieur de Saint-Martin de Séez en 1708 et 1711, secrétaire du supérieur général depuis 1713, puis visiteur de Normandie en 1720, de France en 1723, prieur de Fécamp en 1726, de Saint-Germain-des-Prés en 1729, premier assistant du père général en 1733, supérieur général en 1736. Il mourut cette même année 1736, le 30 décembre (Cf. Dom Martine, Histoire de la congrégation de Saint-Maur, publiée par Dom Charvin, T. IX, Ligugé 1943).
194. « Le vingtième jour de mai mil sept cent quarante-cinq, mourut, en ce monastere (abbaye de Saint-Germain-des-Prés), au retour de la diète provinciale, le R.P. Dom René Junien, prieur de l'abbaye de Corbie ; il était profès de Limoges. Il a été enterré dans la chapelle de la Sainte Vierge, du côté de l'épitre, et on a mis une pierre sur sa fosse où est gravé : 20 mai 1745. Dom René était du Dorat, dans le Limousin ; à 26 ans, le 28 septembre 1706, dans l'abbaye Saint-Augustin-de-Limoges, il avait émis ses voeux solennels. Pendant qu'il était visiteur de la province de Bourgogne, il avait montré un zèle très vif pour amener ses confrères à la rétractation de leurs appels et surappels ». (Cf. Abbé J.B. Vanel, Nécrologe des religieux de la congrégation de Saint-Maur décédés à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Paris Champion, 1896). Dans la Matricule il figure au numéro 4796.
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salut. Le très auguste Stanislas, roi de Pologne, tant par l'intermédiaire de plusieurs ministres de sa Cour que de vive voix dans la cordiale audience qu'il nous a accordée et que dans la lettre élégante donnée au château de Meudon le 12 octobre 1736, écrite de sa propre main à notre intention, nous avait signifié franchement et ouvertement que rien ne lui était plus à coeur, rien ne lui était plus cher que si nous secondions les voeux très pieux, de sa cousine germaine du côté paternel, madame la princesse Jablonowska, abbesse de l'illustre monastère de Léopol (Lwow), en Russie, de l'ordre de Saint-Benoît, ainsi que de tout le royaume de Pologne, en vue d'obtenir une partie ou une parcelle du corps sacré du saint père Benoît. Aussi, devant un si ardent et si constant désir, et notre respect exceptionnel envers un roi si puissant et si bon, désireux de le favoriser de toutes nos forces, sur le conseil et avec l'accord des RR. PP. sénieurs (anciens), assistants, nous vous commettons, vous, révérend père dom René Junien, visiteur susnommé, et nous vous donnons autorité à cette fin : à notre place et en notre nom, avec la clé de notre confiance et de notre garde, que nous a confiée le chapitre général, transportez-vous au monastère de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), de la même congrégation, au diocèse d'Orléans ; là, avec le révérend père dom Jean-Baptiste Sarazin 195, prieur du même monastère, et le révérend père dom Charles de Bacular (sic), prieur de la Bienheureuse Marie de Bonne-Nouvelle d'Orléans 196, en présence des religieux de tout le couvent et d'autres, quels qu'ils soient, que vous aurez voulu convoquer comme témoins à cette intention, observant d'ailleurs les cérémonies convenables, ouvrez la châsse où repose et est conservé le corps très sacré du saint père Benoît ; choisissez et tirez-en une parcelle de ce vénérable corps susdit pour
195. Dom Jean-Baptiste Sarrazin, né à Marcigny, arr. de Charolles (Saône-et-Loire), profès àVendôme le 28 octobre 1699, âgé de vingt ans, prieur dé Saint-Michel-du-Tréport en 1723, de Saint-Josse-sur-Mer en 1726, transféré à Béze par la diète de 1727 où il fut maintenu par le chapitre de 1729, visiteur de Bourgogne en 1733, prieur de Saint-Benoit-sur-Loire en 1736, visiteur de Chezal-Benoit en 1739, de France en 1742, prieur de Corbie en 1745 et 1748, de Saint-Riquier en 1751, de Saint-Eloide Noyon en 1754. Il mourut le 23 novembre 1763 à Saint-Denys. (Cf., Dom Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, publiée par Dom Charvin, T. IX, Ligugé 1943).
196. Notre-Dame de Bonne-Nouvelle fut fondée en 1026. En 1149, elle devint un prieuré dépendant de l'abbaye de Marmoutier (Indre-et-Loire). Les mauristes en prirent possession en 1653.
nous l'apporter ; ensuite on la concédera au très auguste roi de Pologne Stanislas, dans l'intention louable ci-dessus avec le procès-verbal que vous aurez rédigé à ce sujet. En foi de quoi, nous avons ordonné que la présente lettre écrite de notre propre main soit soussignée par notre secrétaire et mume du sceau de notre fonction. Donné à Paris, au monastère de Saint-Germain-des-Prés, le 26 octobre 1736.
Fr. Claude du Pré, Supérieur général,
Par ordre du Rme P. général Fr François Delville197
AUTOGRAPHE AUX ARCH. DÉP. DU LOIRET. H 33 (fonds Archives de l'église paroissiale de Saint-Benoit-sur-Loire).
Le père général écrivit en conséquence au visiteur de Bourgogne de se transporter incessamment au monastère de Saint-Benoît-sur-Loire avec le prieur de Bonne-Nouvelle d'Orléans, et lui envoya la clef de la châsse de Saint-Benoît, pour en tirer une portion digne de la piété d'un si grand roi et de sa cousine la mère prieure de Saint-Léopold. La commission est datée du 26 d'octobre 1736. La père commissaire, aussitôt après l'avoir reçue, se rendit à Saint-Benoît, et prit en passant les prieurs de Ferrières, Loiret 198, de Saint-Pierre-le-Vif, Yonne 199, et de Sainte-Colombe de Sens, Yonne 200, pour as-
197. Dom Jean-François Delville, né à Bapaume (arr. d'Arras, Pas-de-Calais), profès le 15 février 1708 à Saint-Germain-des-Prés, agé de 18 ans, il fut secrétaire du supérieur général Dom Claude Dupré et mourut à Saint-Germain-des-Prés le 3 mai 1747.
198. Dom Jean-Jacques Monier, né à Paris, profès à 19 ans à Vendôme le 9 juin 1701. Décédé le 29 juillet 1758 à Marmoutier. (Cf. Matricula monachorum professorum Congrégationis S. Mauri, éd. Dom Chaussy, Lib. Perrée, Paris, 1959). L'abbaye de Ferrières-en-Gâtinais, dans l'arrondissement de Montargis (Loiret), est dédiée aux Saints Pierre et Paul. Fondée en 515 sous le nom de Bethléem, elle fut rebâtie en 829 par l'abbé Aldric. Dévastée par les Normands, elle fut restaurée au Xe siècle, puis elle subit l'invasion anglaise et le pillage calviniste en 1567. Les mauristes en prirent possession en 1633.
199. Dom Gaspard La Porte, né à Ambronay (Ain), diocèse de Lyon, profès à 18 ans à Vendôme le 7 juin 1717. Décédé le 31 mars 1771 à Ambronay. (Cf. op. cit.)
L'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif a été fondée avant 507. Elle devint abbaye de moniales bénédictines en 564, mais fut reprise par les moines en 999. Elle eut beaucoup à souffrir au cours des guerres de Cent Ans et de religion. Détruite neuf fois, elle échut aux mauristes, qui la restaurèrent en 1639.
200. Dom Joseph Pélagie Buhigné, né à Vannes, profès à 20 ans à Saint-Mélaine de
337-sister à la cérémome avec le prieur de Bonne-Nouvelle d'Orléans et celui de Saint-Benoît 201. Elle se fit solennellement, en présence de toute la communauté, de plusieurs séculiers et d'un habile chirurgien, le 9 de novembre. On ouvrit la châsse avec tout le respect possible, et l'on en tira une partie considérable d'une côte inférieure qu'on fit baiser à tous les assistants. On fit un procès-verbal qui fut signé du père commissaire, des cinq prieurs et de tous les religieux de la communauté. La relique fut enfermée proprement dans un petit coffre scellé du sceau du père visiteur et de celui du monastère. Le père commissaire ne différa point de se rendre à Paris, où il remit la relique entre les mains du père général qui la présenta au roi Stanislas le 27 du même mois, et lui fit un très beau discours. Le roi l'embrassa et donna sa main à baiser aux religieux qui l'accompagnaient en leur disant qu'il se regarderait désormais comme leur confrère. Il les régala et les fit manger avec le grand maréchal de la Couronne.
(Cf. Dom Martène, Histoire de la congrégation de Saint-Maur
Dom Charvin, T. IX, Ligugé, 1943)
L'original de cette lettre du roi Stanislas Leszczynski, se trouve conservé dans la châsse même des reliques du saint à Saint-Benoît-sur-Loire, ainsi que l'autorisation donnée par Dom Claude Dupré (26 octobre 1736), et le procès-verbal de l'extraction d'une partie costae iriferioris, faite le 9 novembre 1736, par Dom René Junien.
Rennes, le 6 avril 1718. Décédé le 20 août 1757 à Saint-Bénigne de Dijon (cf. op. cit.).
L'abbaye de Sainte-Colombe de Sens a été fondée en 620 par Clotaire II, ravagée par les Normands en 887, et fut ruinée par la guerre de Cent Ans. Les mauristes en prirent possession en 1636.
201. L'abbaye de Saint-Pierre-de-Fleury fut fondée le 27 juin 651. Un des premiers abbés de Fleury,saint Mommole,s'émut de savoir les restes de saint Benoît et de sa soeur jumelle Scholastique à l'abandon dans les ruines du Mont-Cassin, détruit par les Lombards depuis 577. I1 prit la route pour l'Italie, recueillit r dans une panière » les précieux ossements et les ramena sur les bords de la Loire. Le monastère de Fleury devint Saint-Benoit-sur-Loire, et connut son apogée avec saint Abbon, esprit universel, martyrisé à La Réole en 1004. Son successeur, Gauzlin, fils naturel d'Hugues Capet, ouvre l'ère des grandes constructions qui, en deux siècles, aboutiront aux admirables édifices que l'on voit encore aujourd'hui. La guerre de Cent Ans mit en péril l'abbaye, qui n'avait plus qu'une vingtaine de moines quand Jeanne d'Arc, après la prise d'Orléans, y vint en pèlerinage avec Charles VII, le 22 juin 1429. En 1590, les bénédictins n'étaient plus que cinq. La Révolution emporta cette prestigieuse communauté. Une première tentative de restauration fut anéantie par les lois sur les congrégations. En 1944 enfin, des moines de La Pierre-Qui-Virevinrent rétablir à Saint-Benoit-sur-Loire la vie monastique régulière.
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XI RELATIONS DES MONASTÈRES FRANÇAIS AVEC CEUX DE POLOGNE 1782 - 1785
Aujourd'hui du mois de l'année 1782, la communauté, assemblée en chapitre pour délibérer sur l'intérêt que les maisons de notre institut en France peuvent ou doivent prendre dans la fondation du monastère de Varsovie, après avoir examiné le mémoire à consulter et la consultation imprimée que nos chères soeurs, la mère Marie Ursule Przebendowska et la mère Marie des Anges, nous ont envoyés, les extraits des actes de fondation et d'érection dudit monastère et autres pièces y jointes, la communauté a reconnu qu'elle avait ignoré jusqu'à les clauses et conditions de la fondation, d'où résultent leurs droits et leurs obligations envers la maison de Varsovie, et a prié la mère prieure de faire nos remerciements à la mère Marie Ursule et à la mère des Anges pour les nouvelles instructions qu'elles ont eu la bonté de nous donner.
Ensuite l'affaire mise en délibération, il a été arrêté à l'unanimité ou à la pluralité des suffrages :
1. que notre communauté se fera toujours un devoir et un honneur de répondre à la confiance que la reine Marie-Casimire épouse du grand Sobieski, a témoignée aux religieuses de notre institut en France, et à l'estime et la confiance dont le roi actuellement régnant Stanislas II Pogniatowski (1732-1798), et la noblesse du royaume de Pologne veulent bien l'honorer ; qu'elle se croit obligée en conscience de remplir les engagements que la mère Mectilde, notre vénérable institutrice, parait
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avoir contractés dès l'origine de cette fondation et de suivre les exemples de celles de nos mères qui ont commencé la fondation et qui ont passé en Pologne pour la soutenir ; qu'elles se croiraient répréhensibles devant Dieu et devant les hommes si, par notre négligence ou notre lâcheté une si belle fondation, aussi utile au prochain, aussi honorable pour notre institut et pour notre nation, allait rester sans exécution, qu'elle est disposée à faire toutes les démarches qui seront jugées nécessaires pour suppléer à ce qui a été omis en 1688 lors de la fondation, et accélérer et assurer à perpétuité l'exécution pleine et entière des intentions de la reine fondatrice.
En conséquence il a été arrêté qu'on se conformerait à la décision des avocats qui ont signé la susdite consultation, que notre communauté se joindrait à la dite mère Marie Ursule et à la mère des Anges pour solliciter auprès du roi et faire enregistrer au Parlement les lettres patentes nécessaires pour autoriser les délibérations à prendre sur cet objet par les principales maisons de notre institut, et pour charger un avocat au Conseil de présenter un projet des dites lettres patentes, d'en solliciter l'obtention et l'enregistrement, comme aussi de rédiger des modèles de toutes les délibérations à prendre par les maisons de l'institut, les requêtes à présenter soit au roi de France et aux ordinaires des lieux, soit au roi de Pologne ou à M. l'évêque de Posname et des procurations qui doivent être envoyées en Pologne, lesquels modèles et projets la communauté s'oblige de souscrire et de leur procurer leurs effets pour assurer à perpétuité l'exécution de la fondation de la reine Marie-Casimire.
Il a été arrêté en outre que copie de la présente délibération sera envoyée à nos dites chères sueurs, les mères Marie Ursule et Marie des Anges pour leur servir en tant que de raison. Faitet arrêté en notre chapitre à Nancy les jours et ans que dessus.
31 janvier 1782
Ce modèle a été envoyé de Paris à la Maison de Nancy avec l'imprimé du mémoire et consultation : encore un autre modèle de projet de délibération tel que celui que nous avons reçu à Rambervillers. Ces modèles paraissent être l'ouvrage des mêmes avocats qui sont les auteurs de l'imprimé.
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS conservées au monastère de Rouen [fonds Geoffroy n° 19, pièce 11, original.
Ma très révérende, et nos très chères mères,
Nous avons l'honneur de vous envoyer le brevet que nous venons d'obtenir de Sa Majesté, portant permissions pour les maisons de notre institut en France de remplir les engagements énoncés dans la fondation du monastère de notre ordre à Varsovié.
Comme la reine fondatrice a voulu que huit des religieuses du monastère fondé par elle, fussent toujours tirées des monastères de France, sans en désigner aucun en particulier, nous nous sommes crues obligées d'envoyer des copies collationnées de ce brevet à toutes les maisons de l'Adoration perpétuelle de notre institut, afin qu'elles puissent toutes partager le mérite et la gloire de cette bonne oeuvre lorsqu'elles en seront requises et qu'elles en auront la facilité.
Vous verrez, nos révérendes mères, par la lecture du brevet et la lettre du ministre qui l'a fait expédier que le roi daigne s'intéresser au soutien de ce pieux établissement et qu'il l'a trouvé digne de son attention. Sa Majesté a jugé à propos de nous dispenser, par sa royale bonté, des lettres patentes et de leur enregistrement, trop dispendieux ; qu'il vous autorise, avec le consentement de nos seigneurs les évêques respectifs, à accepter la fondation de la reine Casimire Sobieska, à notifier cette acceptation au monastère de Varsovie, et it prendre avec lui les arrangements nécessaires pour la pleine et entière exécution des volontés de la reine fondatrice.
Ces arrangements sont simples. Ils consistent à témoigner à la maison de Varsovie les dispositions où vous êtes de vous conformer aux pieuses intentions de leur fondatrice, et la bonne volonté où vous êtes et le désir que vous avez de lui être utiles ; à stipuler avec elle qu'elle sera tenue de faire passer en France l'argent nécessaire pour rembourser et indemniser pleinement celles de nos Maisons qui se trouveront dans le cas de former des sujets pour elle, ou de lui envoyer quelqu'une de ses professes.
Vous voyez, mes révérendes mères, que les offres que nous vous proposons de faire ne peuvent avoir d'effet que sous deux 343 conditions : la première, que vous aurez le pouvoir, et la facilité de trouver des sujets de bonne volonté, et avec les talents requis ; la seconde, que vous serez assurées d'être parfaitement remboursées de tous vos frais.
Nous ajoutons que l'occasion d'exécuter ces offres, est très éloignée. Pour remplir les places actuellement vacantes, plusieurs de nos Maisons nous offrent des sujets que nous choisirons nous-mêmes, et pour lesquels nous ferons la dépense. A l'égard de l'avenir, les religieuses françaises de Varsovie s'adresseront sans doute (quand une d'entre elles sera décédée) aux maisons les plus nombreuses et plus à portée de trouver des sujets convenables. Il y aura telle de nos maisons qui pendant un siècle n'aura pas l'occasion d'en envoyer un seul à Varsovie. Il serait cependant bien à propos, et bien à désirer dans le moment présent que toutes nos maisons parussent conduites par le même esprit et animées du même zèle pour le soutien d'une aussi bonne oeuvre ; sentiment conforme à l'esprit de nos saintes constitutions, où notre vénérable mère institutrice recommande l'union entre toutes les maisons de son institut, et veut qu'elles s'entraident par de bons offices et devoirs de charité ; qu'elles se secourent même de sujets, s'il en est besoin ; que tous les monastères conservent une sainte union et société, en sorte que l'on ne trouve en toutes les maisons du Saint Sacrement qu'un même esprit, un même coeur, et une même observance.
C'est par ces considérations que nous vous proposons, nos très révérendes mères, de vouloir bien vous joindre aux maisons qui nous ont déjà offert leurs bons services, et vous assembler capitulairement pour prendre une délibération conforme au projet que nous avons l'honneur de vous envoyer.
Nous sommes persuadées que si vous n'écoutez que les sentiments de votre piété et de votre zèle vous n'hésiterez pas un moment à prendre ce parti. Nous nous flattons que son éminence, monseigneur votre archevêque, ne pourra qu'applaudir à cette pieuse démarche. Nous vous supplions, nos très révérendes mères, de ne pas vous laisser intimider par des difficultés imaginaires que des âmes faibles et timides peuvent vous opposer. Si nous n'étions pas aussi assurées des bonnes dispositions des religieuses de Varsovie, de la protection spéciale du roi de Pologne, de la paix que les religieuses françaises trouve- ront en ce monastère, et des grands biens qu'elles pourront y faire, nous n'aurions garde de vous exposer à des regrets et à un repentir.
Nous avons l'honneur d'être avec un respectueux attachement, ma très révérende mère, et nos très chères mères, vos très humbles et très obéissantes servantes
Mère des Anges
Mère de Saint-Jean-Baptiste
ORIGINAL AU MONASTÈRE DE DUMFRIES (Ecosse)
Ce quinze mai de l'année mil sept cent quatre-vingt-deux ; la communauté des religieuses bénédictines de l'Adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement, établie à Rouen, étant assemblée capitulairement en la manière accoutumée, après avoir pris lecture d'un mémoire et d'une consultation qui finit par ces mots : « délibérée à Paris le cinq avril mil sept cent quatre vingt-deux, par nous, anciens avocats au parlement », a conclu que s'il se présentait des sujets qui fussent doués des talents et des qualités nécessaires pour la maison de Varsovie, et qui eussent assez de courage et de vocation pour vouloir renoncer à leur patrie, elle se ferait un plaisir de les former à la vie religieuse jusqu'après leur profession, pour contribuer à la gloire de l'institut par celle de la maison de Pologne lorsqu'elle le désirerait, mais cette conclusion n'a été prise qu'aux conditions suivantes, savoir : premièrement, que les pensions ainsi que tous les autres frais nous seront payés d'avance au risque même que les sujets qui pourront se présenter, d'avoir commencé leur noviciat, ne puissent être reçus à profession, soit par défaut de santé, ou de vocation, ou autres raisons légitimes. Secondement, que si ces mêmes sujets après avoir passé un certain temps dans la maison de Varsovie se trouvent dans le cas d'en sortir, ne pourront plus être reçus dans la nôtre, à moins qu'ils n'y apportent une dot ou une pension, et que la communauté n'y donne son consentement. Troisièmement, que si dans la suite nous nous trouvons dans l'impossibilité de pouvoir former des sujets pour la communauté de Varsovie lors-345qu'elle nous en témoignera le dessein, nous nous réservons la liberté de refuser ou d'en satisfaire. En conséquence la communauté donne pouvoir au porteur de la présente délibération de solliciter auprès de Sa Majesté un brevet et pour donner les permissions nécessaires ; fait et arrêté en chapitre le jour et an que dessus, en foi de quoi au nom et du consentement de la communauté notre révérende mère prieure a signé avec ses discrètes et moi pareillement avec elles.
Soeur Sainte Thérèse (Elisabeth Engrand) prieure Soeur Saint Benoît (Marie-Anne Glier) sous-prieure Soeur de Sainte Marie, discrète (Jacqueline Antoinette Bernard) Soeur Saint Dominique (Blanche Litté de Mont-Roger) discrète Soeur Saint Augustin (Marie Suzanne Lange)' Soeur des Anges, secrétaire du Chapitre (Françoise Thomas)
ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN
J'ai pris les ordres du roi, Monsieur, pour accorder aux religieuses du Saint-Sacrement toute permission de remplir les engagements portés dans la fondation du couvent de leur ordre à Varsovie. Sa Majesté a jugé qu'il suffisait d'un brevet par lequel elle donnait aux religieuses la permission de passer successivement en Pologne, de l'aveu de leurs supérieurs. Il ne lui a pas paru convenable de dispenser ces religieuses de prendre des passeports, comme toutes les personnes qui sortent du Royaume. On travaille, Monsieur, à l'expédition de ce brevet. Je n'ai pas besoin de vous dire, Monsieur, que le désir de concourir au succès des vues du roi de Pologne a principalement décidé Sa Majesté à accorder la demande des religieuses du Saint Sacrement. Sa Majesté a d'ailleurs jugé digne de son attention de propager la langue française en Pologne, parmi les jeunes demoiselles, suivant l'intention de la reine Sobieska.
J'ai l'honneur d'être très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
DE VERGENNES.
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN
Fonds Geoffroy n° 19 — Pièce 2 — original
202. Charles Gravier, comte de Vergennes, né à Dijon en 1717. Ministre plénipotentiaire à Trèves en 1750, il fut envoyé comme ambassadeur à Constantinople, mais fut disgracié par Choiseul en 1768. Après la chute de celui-ci, le roi nomma Vergennes ambassadeur à Stockholm (1771), où il contribua au coup d'État qui permit à Gustave III de devenir roi de Suède (1772). Rappelé par Louis XV, qui le nomma ministre des Affaires étrangères, il se montra un grand serviteur de l'État. On lui doit entre autres le renouvellement de l'alliance avec les cantons suisses (traité de Soleure, 1777), le traité de Teschen (1779) qui assura pour quelques années la paix en Europe. Il soutint les corans américains et la conclusion de la guerre par le traité de Versailles (1783), il signa enfin un important traité de commerce avec l'Angleterre en 1786. Il mourut à Versailles en 1787.
Jean Antoine, comte de Monet, né à Chambéry (Savoie), fut baptisé dans cette ville le 23 août 1703. Étant allé en Pologne, il y devint le gouverneur des enfants de Czartoryski et y épousa en 1754 Marie-Antoinette de Leyorstedt, veuve de La Fayardie. Appelé en France en 1755 et employé dans la diplomatie, il fut envoyé en Pologne pour remplir une mission près des Czartoryski. Il revint en France en 1764 et fut chargé de diriger la correspondance secrète quand il mourut â la fin de 1793.
Il était général major des armées du roi de Pologne, commandeur — grand — croix de l'ordre de Saint-Michel de Cologne, membre de l'Académie royale de Nancy, de celle de Florence et des Arcades de Rome. (Cf. Louis Targes, Instructions données aux ambassadeurs et aux ministres de France, Pologne, Alcan, 1888).
Ce jourd'hui dix-neuf juin mil sept cent quatre vingt-deux, la communauté, capitulairement assemblée en la manière accoutumée, après avoir pris lecture des Mémoires et consultations imprimés à Paris et signés Bouet, Dare et Pioles, du brevet du roi donné le trente un mai de la présente année, signé Louis, et contresigné Vergennes, et collationné par monsieur de Moseil, écuyer, conseiller secrétaire du roi, maison Couronne de France et de ses finances, portant permission à nos maisons de remplir les engagements énoncés dans la fondation 347du couvent de notre ordre à Varsovie, de la lettre du ministre ci-jointe et de celles de nos révérendes mères Marie Ursule Przebendowska et Marie des Anges, la matière mise en délibération, nous avons arrêté que sous le bon plaisir de monseigneur notre archevêque 203, nous acceptions de nouveau pour nous et notre communauté, à perpétuité, les dispositions énoncées dans l'acte de fondation du dit monastère, en faveur des religieuses françaises, c'est-à-dire que, lorsque la communauté de Varsovie nous témoignera désirer des religieuses françaises pour
203. Dominique de la Rochefoucauld, 92C archevêque de Rouen (1759-1800). Il naquit à Saint-Chély d'Apcher (Lozère), le 26 septembre 1712 et fut baptisé le même jour dans l'église de cette paroisse par le vicaire, M. Munier. Dominique est qualifié dans l'acte. seigneur de Saint-Ilpize et autres places. Il eut pour parrain son frère aîné, Georges-Paulin de la Rochefoucauld, alors âgé de dix ans, et pour marraine sa soeur Marie-Simonette qui avait onze ans. Son père Jean Antoine, fils de Henri Gaston. marquis de Langheac et auteur de la branche des comtes de Saint-Ilpize, avait épousé, le 22 février 1700, Marie-Madeleine de Michel de La Champ. Ils eurent onze enfants, Dominique fut le huitième.
Dominique de la Rochefoucauld entra au séminaire de Saint-Sulpice. Après son ordination, son oncle, Mgr de la Rochefoucauld, archevêque de Bourges, l'appela auprès de lui en qualité de grand vicaire.
Nommé évêque d'Albi en 1747, il fut sacré le 29 juin 1747 dans la chapelle du séminaire Saint-Sulpice à Paris. L'évêque consécrateur fut Mgr Gabriel Florent de Choiseul Beaupré, évêque de Mende, assisté de Mgr Charles de Grimaldi d'Antibes, évêque de Rodez, et de Pierre de Rosset de Fleury, évêque de Chartres.
De 1750 à 1755, il fut député par le clergé de France. Après la mort de son oncle, le roi accorda à Mgr de la Rochefoucauld la commende de la riche abbaye de Cluny, sachant qu'il saurait employer ses revenus dans un but charitable. Appelé à l'illustre siège de Rouen le 5 avril 1759, il fut installé sur le siège de saint Romain le 10 janvier 1760. Pie VI le promut dans le consistoire du 1" juin 1778 au cardinalat, et le roi lui-même, lui remit les insignes de sa nouvelle dignité le 12 juin 1778.
Sa vie d'évêque fut toujours d'une droiture et d'une charité exemplaires qui lui ont valu l'attachement et le respect de ses prêtres et des fidèles des deux diocèses dont il fut le pasteur.
Après le massacre du 2 septembre 1792, quand deux de ses neveux, les évêques de Beauvais et de Saintes, eurent été exécutés, le cardinal s'embarqua à Boulogne. Il resta peu en Angleterre, puis se dirigea en Hollande à Maestricht, puis à Bruxelles. Les armées de la République s'emparèrent de Bruxelles en juillet 1794. Notre cardinal partit alors pour Munster en Westphalie, où il arriva en février 1795. Le cardinal, comme doyen de l'épiscopat français, fut chargé de la direction du clergé qui s'était regroupé autour de lui dans la principauté de Munster, petit État alors indépendant, gouverné par l'évêque, toujours choisi dans la famille impériale. Il décéda à Munster le 23 septembre 1800, âgé de 89 ans. Ce fut le premier cardinal inhumé dans l'ancien choeur de la cathédrale de Munster. Il avait été quarante et un ans archevêque de Rouen. Le cardinal de Bonnechose, désirant faire revenir à Rouen les restes du cardinal de la Rochefoucauld, entreprit des négociations près du gouvernement allemand en 1868. La translation se fit le 19 octobre 1875. Déposé provisoirement dans la crypte de l'église Saint-Godard, il fut solennellement inhumé dans la cathédrale de Rouen le 20 avril 1876.
remplir les places de la fondation qui viendront à vaquer ; s'il se présente des sujets qui ayant les talents et les qualités nécessaires à l'exercice des fonctions pour lesquelles elles sont destinées, et qui ayant la générosité de vouloir se dépatrier, nous nous ferons un honneur et un plaisir de les former à la vie religieuse jusqu'après leur profession pour contribuer, par là, à la gloire de l'institut, par celui de la maison de Pologne, mais nous ne formons cette conclusion qu'aux conditions suivantes : savoir : premièrement, que les pensions, l'envoi des dites religieuses et tous les autres frais nous seront payés d'avance, au risque même que les sujets qui pourraient se présenter et avoir commencé leur noviciat ne puissent être reçus à profession, soit par défaut de santé ou de vocation ou autres raisons légitimes. Secondement : que si ces mêmes sujets, après avoir passé un certain temps dans la maison de Varsovie, se trouvent dans le cas d'en sortir, ils ne pourront plus être reçus dans la nôtre, à moins qu'ils n'y apportent une dot ou une pension et que notre communauté veuille bien consentir à les recevoir.
Troisièmement : que si dans la suite, nous nous trouvons dans l'impossibilité de pouvoir former des sujets pour la communauté de Varsovie lorsqu'elle nous en témoignera le désir, nous nous réservons la liberté de refuser d'y satisfaire.
Pour notifier le présent acte à la communauté de Varsovie, la requérir et sommer de nous faire connaître ses dispositions à l'égard de l'exécution littérale de la fondation de la reine Casimire, nous avons nommé et nommons par ces présentes : la révérende mère Marie Ursule de Przebendowska, religieuse polonaise de Varsovie, et les mères Saint Jean-Baptiste et Marie des Anges religieuses françaises, incorporées à la dite Maison, les seules restant de la fondation française, ou à leur place, le porteur des présentes, auxquelles nous donnons plein pouvoir et procuration à cet effet. Arrêté en notre chapitre, le jour et an que dessus.
Soeur Sainte Thérèse, prieure ; Soeur Saint Benoit, sous-prieure ; Soeur de Sainte
Marie, discrète ;
Soeur Saint Dominique, discrète ; Soeur Saint Augustin, discrète, Soeur des Anges, secrétaire du Chapitre.
ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN
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Ce jourd'hui vingt-cinq septembre de l'année mil sept cent quatre-vingt-quatre. La communauté capitulairement assemblée en la manière accoutumée après avoir pris lecture des mémoires présentés par nos révérendes mères Marie Ursule Przebendowska et Marie des Anges pour l'assurance de la fondation à Sa Majesté impériale ; au mois de janvier dernier du brevet du roi du dix-neuf janviermême année signé Louis, en outre signé Vergennes, collationné par M. Robillard conseiller secrétaire du roi Maison Couronne de France ; du bref du pape Pie VI 204 donné à Rome à Saint-Pierre le vingt-huit janvier même année signé : I, cardinal de Conti 205, et de la lettre circulaire des dites mères écrite aux maisons de l'institut du même mois et année pour inviter toutes celles qui les composent de contribuer à rendre stable la fondation française faite par la reine Marie Casimire, femme du Grand Sobieski à Varsovie pour l'éducation de la jeune noblesse polonaise, nous avons consenti d'une commune voix à seconder les intentions de la dite reine et le zèle des mères Marie Ursule Przebendowska et
204. Jean-Ange Braschi, né à Cesena (Romagne) en 1717, cardinal en 1773, élu pape le 15 février 1775, décédé le jeudi 29 août 1799 à Valence (Drôme).
Au début du règne, une certaine accalmie se fit dans les problèmes qui opposèrent bien des nations et surtout les idées philosophiques en vogue, à la papauté. Pie VI fit tous ses efforts pour tenter de conserver la paix en Europe. Son règne fut un véritable calvaire car il s'étendit sur les années qui virent la Révolution française, puis la Révolution italienne. Pape libéral, il fut d'autant plus affecté par les excès des deux Révolutions. Il ne voulut pas rompre avec la France et conserva un chargé d'affaires du Directoire à Rome, mais il accueillit avec sollicitude les prêtres émigrés. Cependant le Directoire fit envahir le territoire pontifical et Bonaparte obligea Pie VI a signer le traité désastreux de 1797. En 1798, le Directoire fit arrêter le pape et le conduisit d'abord à Sienne, puis à la Chartreuse d'Ema, près de Florence (3 juin 1798), ensuite à Grenoble (6 juillet 1799), en lui faisant traverser les Alpes en plein hiver, par Briançon. Il arriva à Valence le 14 juillet 1799, où il fut déclaré prisonnier de guerre de la République. Il mourut dans cette ville, épuisé de souffrance en raison des mauvais traitements que lui firent subir ses gardiens, au matin du 29 août 1799.
Au début de son pontificat, il réforma l'administration pontificale, encouragea l'agriculture et fit assécher les marais Pontins.
(Cf. G. Castelle, Histoire des Papes, éditions Franmounster, Zurich, 1944).
205. Innocent Conti, né à Rome le 8 février 1731, archevêque titulaire de Tyr le 18 décembrell769 et sacré le 26 dans l'église de la Vallicella, à Rome (Oratoriens de saint Philippe Néri), par le cardinal Marc-Antoine Colonna, vicaire de Sa Sainteté. Nonce au Portugal le 3 janvier 1770, cardinal réservé le 23 septembre 1771, déclaré le 19 avril 1773, titulaire de Saint-Sylvestre in Capite et Sainte-Marie in Ara coeli, mort près de Rome, dans sa maison de campagne de Tusculum le 15 novembre 1785. (Renseignements aimablement communiqués par Dom H. Chapeau, archiviste de l'abbaye Saint-Paul de Wisques).
350 Marie des Anges autant qu'il sera en notre pouvoir, dans les mêmes intentions et sentiments pour Léopol où cette fondation a été transportée par ordre de sa Majesté impériale [Joseph II] que nous l'avions fait pour Varsovie dont les dites mères ont l'acte entre leurs mains du dix-neuf juin mil sept cent quatre-vingt-deux consentons à toutes les clauses mentionnées dans le mémoire présenté à l'Empereur. Les dites mères nous ayant assurées que les religieuses françaises qui auront bien voulu quitter leur patrie pour contribuer à cet établissement ne pouvant se faire par défaut de santé ou autre raison pourront revenir dans leur maison de profession aux frais de la dite fondation mais qu'il n'en sera pas ainsi de celles qui auront fait leur noviciat pour aller à cette fondation. Nous arrêtant toujours au premier acte fait pendant le règne de la révérende mère Sainte Thérèse, prieure en ce temps-là, pour Varsovie et arrêté ce jourd'hui vingt-cinq de septembre mil sept cent quatre-vingt-quatre en notre monastère du Saint-Sacrement de Rouen. Ce avons signé :
Soeur Saint-Benoit, prieure, Soeur Saint Augustin sous-prieure Soeur Sainte Marie discrète, Soeur Saint Dominique discrète, Soeur Sainte Thérèse
discrète
ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN
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Acte de Vêture de Joseph-Benoit Labre (5 novembre 1769). A rch. de l'abbaye Notre-Dame de Sept-Fons (Allier)
Notre chère soeur Saint-Bernard ayant recouvert la santé par l'intercession du vénérable Labre 206 dans l'intention decontribuer à soutenir la fondation que feue la reine Marie-Casimire femme du grand Sobieski a faite à Varsovie qui depuis a été transportée à Léopol de Galicie, conquise par Joseph II du nom, empereur d'Allemagne, la communauté ne s'est point opposée au pieux dessein de cette chère soeur, étant libre de revenir si sa santé ou d'autres raisons l'y obligent, aux conditions portées dans l'acte du vingt septembre mil sept cent quatre-vingt-quatre que la maison de Léopol doit fournir aux frais du voyage pris sur la fondation.
Elle est partie le douze septembre mil sept cent quatre vingt-cinq accompagnée de dame Sainte Ursule Przebendowska, religieuse de Varsovie et dame Marie des Anges, religieuse de la maison de la rue Cassette 207 de Paris.
206. Labre Benoît-Joseph, fils de Jean-Baptiste Labre (1717-1791) et de Anne - Barbe Grandsire (1724-1804). Né à Amettes (Pas-de-Calais), le 26 mars 1748, aîné de quinze enfants, et parrain du quinzième. Il fut confié Il fut confié à l'âge de douze ans à un oncle, François-Joseph Labre, prêtre à Erin ; puis, en 1766, à un autre oncle, Jacques Vincent, vicaire à Conteville. Il fit plusieurs essais de vie contemplative, d'abord à la chartreuse de Sainte-Aldegonde à Longuenesse, près de Saint-Omer, en 1767 ; puis il se présenta à la Trappe de Soligny (Orne), mais il n'avait pas l'âge requis. I1 fit un second séjour à la chartreuse de Neuville, enfin fut reçu à Sept-Fons le 30 octobre 1768 et y prit l'habit le 11 novembre 1769. Sa santé l'obligea à quitter l'abbaye le 2 juillet 1770. Son père abbé lui dit : « Dieu vous attend ailleurs ». Il partit en pèlerin vers l'Italie où il pensait trouver un monastère qui l'accueillerait. C'est alors qu'il commença sa vie de pèlerin mendiant, visitant les sanctuaires dans toute l'Europe. Bafoué, insulté par les uns, traité avec vénération par les humbles, torturé de peines intérieures mais fortifié par des grâces extraordinaires, il apporta dans l'Europe frivole et libertine du XVIIIe siècle un appel à la pauvreté et au respect des plus pauvres. Le 16 avril 1783, Benoît s'évanouit sur les marches de l'égliseSainte-Marie-des-Monts.à Rome. Il trépassa chez le boucher Zaccarelli, le lendemain, près de Sainte-Marie-des-Monts. Sa béatification eut lieu en 1860, sa canonisation le 8 décembre 1881(Dict. de Spiritualite').La soeur de Saint-Bernard, guérie par l'intercession de saint Benoît Labre, se nommait Françoise Le Masson.
207. Le premier monastère de notre institut fut fondé par mère Mectilde, rue du Bac, à Paris. La première cérémome d'exposition du Saint Sacrement eut lieu le 25 mars 1653. C'est ce jour que l'on considère comme celui de la naissance de notre institut. Un an plus tard, la communauté, ayant trouvé une maison plus grande et mieux adaptée, rue Férou, on fit, le 12 mars 1654, la bénédiction de l'église. Ce n'est qu'en 1659 que mère Mectilde et la comtesse de Châteauvieux trouvèrent, rue Cassette, l'emplacement nécessaire pour bâtir le monastère et l'église dans lesquels la communauté pourra se développer et assumer sa mission dans l'Église jusqu'en 1792. Le monastère et l'église furent bénis le 25 mars 1659. Malgré plusieurs tentatives, la communauté n'a pu se reconstituer après la Révolution.
L'entrée de l'église était perpendiculaire à la rue Cassette et le jardin était, d'un côté, mitoyen avec celui des carmes, l'actuel institut catholique. Après 1796, la propriété fut lotie en appartements. La modernisation du quartier a déplacé plusieurs rues anciennes. Des fouilles ont été pratiquées à diverses reprises qui permettent de situer approximativement l'emplacement de l'ancien couvent entre les numéros 12 et 16 de l'actuelle rue Cassette (cf. C. de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973).
Ce même jour est partie pour le même sujet madame Nerne de Mamvilleroy dite de Saint-Basile, religieuse de l'abbaye de Beaumont-les-Tours de l'ordre mitigé de Saint-Benoit et dame Angot dite de Sainte-Victoire de l'abbaye d'Arques 208 de l'ordre mitigé de Cîteaux.
Ces deux religieuses n'ont aucun droit de se reconnaître de notre maison n'ayant point fait les voeux de l'institut dans notre communauté où elles n'ont demeuré qu'en qualité de pensionnaires.
En foi de quoi, moi, secrétaire du chapitre ai dressé ce présent acte par l'ordre de notre révérende mère prieure laquelle a signé avec sa communauté et moi pareillement.
Ce cinq octobre mille sept cent quatre-vingt-cinq.
Soeur Saint Benoît, prieure Soeur Saint Augustin, sous prieure Soeur Saint Dominique discrète, Soeur Sainte Thérèse, discrète Soeur Sainte Marie, discrète et secrétaire du chapitre
ANNALES DU MONASTÈRE DE ROUEN.
208. L'abbaye d'Arques se trouve en Seine-Maritime à 7 km de Dieppe. Le château fut construit vers 1040 par le comte Guillaume, oncle maternel de Guillaume le Conquérant. L'église paroissiale est une ancienne possession de l'abbaye bénédictine de Saint-Wandrille. On y voit encore une chaire de bois du XVII' siècle provenant de l'église des Bernardines d'Arques. Le monastère des cisterciennes d'Arques-la-Bataille fut fondé en 1636, sous le vocable Notre-Dame et Saint-Joseph, par les seigneurs de Guiran de Dampierre, et Louise de Guiran en fut la première abbesse. Il fut habité par neuf religieuses venues de l'abbaye de Saint-Aubin près de Gournay. Le couvent fut érigé en abbaye par l'archevêque de Rouen, mais supprimé à la Révolution.
(Cf. Dom Cottineau, Abbayes et Prieurés ; Gallia Christiana, t. X1, p. 327 ; Taillandier, Les Bernardines d'Arques, Paris, 1865. Renseignements aimablement communiqués par Dom Léon Laroche, archiviste de l'abbaye de Notre-Dame de Liteaux).
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209. Louise-Adélaïde, née à Paris à l'hôtel de Condé le 5 octobre 1757 de Louis Joseph de Bourbon, prince de Condé, et de Charlotte Godefride Elisabeth de Rohan, fille du prince de Soubise.
L'enfant connut peu sa mère, décédée le 4 mars 1760. En 1762, elle fut confiée à sa tante, alors abbesse de Beaumont-les-Tours. De 1782 à 1786, elle vécut dans le monde selon son rang.
Après la mort, le 22 mai 1786, de Mme Anne Charlotte de Lorraine-Brionne, la princesse fut nommée par le roi comme abbesse du chapitre noble de Remiremont et fut élue par les chanoinesses le 22 août 1786. Elle dut quitter la France le 17 juillet 1789, avec son père, et se dirigea vers Turin. Ayant connu à Turin la fondation de Dom de Lestrange à La Valsainte (Suisse) pour regrouper les religieuses françaises chassées de leurs monastères, elle s'y rendit, mais ne put être admise en raison de sa santé. En 1790, commença pour elle une longue fuite devant les troupes révolutionnaires. Elle s'arrêta quelque temps à Vienne chez les visitandines. En septembre 1797, cependant, elle put reprendre le chemin de la Suisse et entra à la Trappe. Elle y demeura jusqu'en janvier 1798, puis repartit vers la Russie avec la communauté. Nous la retrouvons en décembre 1799 à Nieswicz. Ayant obtenu l'autorisation de l'empereur de Russie et du roi de Prusse de quitter la Lituanie, elle put entreprendre les démarches nécessaires pour être reçue en notre maison de Varsovie. Elle partit de Lituame en juin 1801, arriva à Varsovie et, le 20 septembre, elle reçut l'habit monastique sous le nom de soeur Marie Joseph de la Miséricorde. Elle fit profession le 21 septembre 1802. Elle dut quitter Varsovie et s'exiler en Angleterre en mai 1805. Elle put rentrer en France fin août 1814, mais, après avoir reçu du gouvernement l'ancien palais du Temple, elle dut fuir de nouveau en 1815. Elle revint à Paris en juin 1816 et reprit les aménagements nécessaires à la vie de la nouvelle communauté. Le 4 décembre 1819, M. l'abbé d'Astros vint célébrer la messe. Un nouveau monastère de bénédictines de l'Adoration perpétuelle était fondé à Paris. L'archevêque de Paris (Mgr Hyacinthe Louis de Quelen 1821-1839) vint bénir l'église, achevée le 13 août 1823. Madame Louise, première prieure et fondatrice de ce monastère mourut le 10 mars 1824. (Cf. Dom Rabory, La vie de Louise de Bourbon, princesse de Condé, Solesmes, 1888 ; Vie, lettres et œuvres de Louise de Bourbon Condé, 3 t., anonyme, Paris 1843 ; Mgr J. Loth, Notice sur l'ancienne noblesse française, Picard, Paris, s.d.).
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Quelques affaires, madame, m'appelant à Varsovie, je désirerais pouvoir y passer quelque temps dans une communauté religieuse, ayant depuis longtemps quitté le monde et ne craignant rien tant que de m'y retrouver.
Tout ce que j'ai entendu dire de la vôtre et de l'extrême régularité qui y règne, me détermine à vous demander si vous pouvez m'y donner un logement pour quelques mois, qui puisse servir à deux personnes. Je ne le veux ni magnifique, ni orné d'aucune superfluité quelconque, mais seulement salubre, aéré et ayant les meubles nécessaires, mais les plus simples et les moins recherchés.
Je vous préviens, que je n'ai aucune suite de domestiques, pas même de femme de chambre et que j'ai totalement abandonné tout ce qui peut avoir quelque trait du rang dans lequel la Providence m'avait fait naître. Je suis seule avec une respectable religieuse française 210, bénédictine de la Règle primitive de saint Benoît, et qui, depuis plusieurs années gémit de n'avoir pu trouver aucune communauté, qui au moins la rapprocherait de son saint état, pour lequel seul elle soupire.
La Providence qui nous a unies (de la manière la plus frappante) nous rend inséparables... Elle est pour moi, je ne dirai pas l'amie la plus fidèle, mais la mère la plus tendre et c'est ainsi que je la considère avec de bien justes motifs, (quoiqu'elle soit plus jeune que moi). Je ne vous dissimulerai pas, Madame, qu'elle a beaucoup contribué au choix que je fais de votre maison en ce moment, par le plaisir qu'elle aura de se trouver dans un couvent dont on dit tant de bien. Je vous préviens
210. Marie Barbe Geneviève de la Rozière (ou Delarozière), était née vers 1763. Entrée à l'abbaye de Saint-Paul-lès-Beauvais, elle y émit ses voeux vers 1785. Elle fit partie du premier groupe de religieuses exilées de France, réunies par l'abbé de la Trappe, Dom de Lestrange, en Suisse, à Sembrancher ou Saint-Branchier, près de la Valsainte dans le Bas-Valais. Elle y fut maitresse des novices. Compagne fidèle de mère Louise de Bourbon Condé, elle fut chargée par elle de l'organisation du monastère du Temple en 1816.
Saint-Paul-lès-Beauvais, canton d'Auneuil, arrondissement de Beauvais. L'abbaye, fondée au VII' siècle par Clotaire III, fut placée sous le patronage de Notre-Dame. Restaurée vers 1036 par Drogon, il n'en reste que quelques vestiges. A l'époque de la Révolution, elle fut gouvernée par des abbesses qui y établirent une vie régulière et fervente : mesdames de Sourdis et de Clermont-Tonnerre.
357 qu'elle ne lui sera à charge en aucune manière, puisqu'elle, ainsi que moi, nous vous payerons pension pour le temps que nous y passerons. J'ai demandé les passeports qui me sont nécessaires, je les attends incessamment.
J'espère me rendre chez vous vers la fin de mai. Je vous prie de me faire une réponse prompte et favorable car je tiens beaucoup, Madame, au bonheur de me voir chez vous. Vous pouvez être bien sûre que je n'y attirerai pas les personnes du dehors et que mon séjour n'y altérera nullement ce qui tient à la régularité ; rien n'étant plus contraire à mes goûts, à mon caractère, à mes principes ; et même, les affaires que je puis avoir, ne sont dans le cas de donner aucune sujétion à votre maison.
Je vous prie même, à cet effet, de garder un silence exact sur le contenu de cette lettre, afin de m'éviter, à mon arrivée, des visites que je ne veux point recevoir. Si je ne craignais pas de vous fatiguer par une trop longue lettre, Madame, je vous parlerais de la satisfaction que je me promets de me trouver dans un saint monastère particulièrement consacré à l'adoration du très Saint Sacrement, fondé par une de mes compatriotes, la vénérable mère Catherine de Bar, dont j'ai lu la vie 211 anciennement avec tant de plaisir, d'intérêt et d'édification, et dont je sais que ses respectables filles retracent les vertus avec la plus exacte fidélité. Mais pour le moment, Madame, je me borne, en me recommandant, moi et tout ce qui m'intéresse, à vos ferventes prières, je me borne, dis je, à vous renouveler mes pressantes et sincères instances pour me donner retraite chez vous et à vous assurer de la reconnaissance que j'en aurai, sentiment aussi sincère, que la juste et profonde vénération, que je vous prie, Madame, de me croire pour vous.
Louis Adélaïde dt. Bourbon, princesse de Condé
Vous voudrez bien adresser votre prompte réponse sous mon nom aux bénédictines à Nieswierz en Lithuanie, Pologne russe.
211. Vies de mère Mectilde du Saint-Sacrement éditées antérieurement à 1801.
a.- Père Pierre Helyot, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires (T. 6, Paris, 1718.
b.-Père François Giry, provincial des minimes, Vie des saints, 1719.
c.- Abbé Duquesne, Vie de la vénérable mère Catherine de Bar dite en religion Mectilde du Saint-Sacrement, Nancy, 1775.
Vous voyez, Madame, que je ne vous demande ici qu'un asile momentané ; si par la suite, je prévoyais me fixer à Varsovie, je ferais alors les démarches nécessaires à la cour de Berlin 212 pour obtenir la permission sans que cela vous causât aucun embarras.
Il y a ici un ecclésiastique français qui désire que je le conduise jusqu'à Varsovie et qui espère y trouver asile, au moins pour quelques jours, dans une communauté de religieux ; ne connaissant personne du tout, je vous prie d'avoir la bonté de lui rendre ce bon office, soit par quelques supérieurs de votre connaissance ou autres, comme vous le jugerez à propos. Permettez-moi de vous demander si le confesseur de votre maison parle français, ou s'il y en a quelqu'autre de votre connaissance ? Ceci n'est pas sans intérêt pour moi.
ORIGINAL AUX ARCHIVES DE L'ABBAYE DE LIMON
Moi Soeur Marie Joseph de la Miséricorde, humblement. prosternée aux pieds de mon adorable Sauveur Jésus-Christ, que je crois réellement présent dans la divine Eucharistie, voue et promets de garder toute ma vie stabilité sous clôture, conversion de mes moeurs, chasteté, pauvreté et obéissance selon la Règle de notre glorieux Père saint Benoît, et de maintenir de tout mon possible, le culte et l'adoration perpétuelle du très
212. Lettre de l'empereur Alexandre à Adélaïde de Bourbon-Condé : Saint-Saint-Pétersbourg, ce 30 mars 1801.
Madame ma Cousine,
Partageant à votre égard les sentiments de feu Sa Majesté l'Empereur, mon très-cher et très-honoré père, je suis certainement bien éloigné de vouloir vous gêner en quoi que ce soit. Je consens, par conséquent, de tout mon coeur, au projet de Votre Altesse Sérénissime d'aller s'établir à Varsovie, ne pouvant que respecter les motifs qui l'y portent.
Sa pension lui sera continuée partout où elle voudra fixer sa résidence, et je vous prie, Madame ma Cousine, d'être persuadée qu'il me sera toujours bien agréable de vous être utile. C'est dans cette intention aussi que mon ministre à Berlin est chargé d'obtenir pour Votre Altesse Sérénissime la permission du gouvernement prussien de venir à Varsovie. Je suis, avec une considération bien sincère, Madame ma Cousine, de Votre Altesse Sérénissime, le bien affectionné. Alexandre.
358 Saint Sacrement de l'autel, en qualité de victime immolée à sa gloire, en réparation des impiétés commises contre cet auguste mystère, conformément aux constitutions de notre institut approuvées du Saint Siège. En foi de quoi, j'ai signé ma présente promesse, à la plus grande gloire de Dieu, en l'honneur et sous la protection spéciale de la très Sainte Vierge, de tous les saints et saintes singulièrement de ceux dont les sacrées reliques repo.. sent en ce Monastère, en présence de Mgr Jean Baptiste Albertrandi évêque de Zénopoli213, de notre très révérende mère prieure Marie Ludgarde de la Présentation, et de toute la communauté : le 21 e du mois de septembre de l'an 1802... Sœur Marie Joseph de la miséricorde nommée au monde, Louise Adélaïde de Bourbon.
Ma fille, si vous accomplissez la promesse que vous venez de faire à Dieu, je vous promets de sa part la Vie éternelle. Sainte Marie de la Présentation 214, prieure.
Loué soit le très Saint-Sacrement de l'autel !
Je suis dans la plus grande perplexité, Monseigneur, relativement au sort du couvent du Saint-Sacrement dont, depuis bien longtemps, je n'ai pu me procurer aucune nouvelle, ignorant si après tous les événements il existe encore . Trouvez bon, Monsieur, que je m'adresse à vous pour être instruite de son sort, qui m'intéresse et m'intéressera toujours plus que je ne puis dire. Vous me ferez grand plaisir de le faire savoir à toutes les religieuses qui le composaient, et si elles sont toujours réunies, de les prier de trouver moyen de m'écrire.
213. Jean-Baptiste Albertrandi, né à Varsovie en 1751, mort en 1808. Jésuite et historien, familier du roi de Pologne Stanislas Auguste Poniatowski, qui le chargea d'aller chercher à l'étranger des documents relatifs à l'histoire de la Pologne. Il rapporta d'Italie plus de deux cents volumes. Il publia plusieurs ouvrages historiques à Varsovie en 1768 et de 1805 à 1808. Il fut nommé évêque de Zénopoli.
214. Euphémie, Julienne, soeur Ludgarde de la Présentation Wodzinska, née à Inowroclw, région de Torun, le 16 février 1726. Elle reçut l'habit monastique en 1740 et fit profession le 17 février 1743. Elle fut prieure du monastère de Varsovie du 2 juillet 1768 au 2 juillet 1774, fut réélue le 2 juillet 1789 et garda la charge jusqu'au 2 juillet 1804. Elle mourut le 5 juin 1813.
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Je n'ignore pas que la difficulté est grande, et moi-même je ne suis pas sûre que cette lettre vous parviendra par la seule voie que l'on m'ait indiquée.
Si donc, vous la recevez, veuillez bien faire tout votre possible pour me répondre...
Je vous en aurai, Monsieur, une obligation aussi sincère que vous me connaissez pour vous et dont je vous renouvelle toutes les assurances avec le plus grand plaisir.
J'ai l'honneur de me nommer, votre très humble et obéissante servante.
Soeur Marie Joseph de la Miséricorde
Bénédictine de l'Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement
Princesse de Bourbon
Je pense qu'il vaudra peut-être mieux pour vous que vous adressiez la réponse que vous voudrez me faire, à la mère de la Rosière, à Bodney-Hall near Brandon (Angleterre).
Ces dames pourraient user de la même adresse.
Je voudrais bien aussi savoir si les bermonistes 2' ` existent encore et surtout le R.P. Vannelet.
Bodney-Hall, ce 11 mars 1808.
ARCHIVES CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN.
215. C'est ainsi qu'on surnommait les R.P. rédemptoristes pendant les dernières années de leur existence à Varsovie.
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Très révérende et très respectable mère,
Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel.
Unies d'esprit par la Règle et nos constitutions, j'ose même croire de coeur, si vous me permettez, de vous adresser quelques mots, en vous priant au nom de notre communauté, de nous ouvrir une sorte de correspondance spirituelle, touchant la vôtre, qui nous intéresse beaucoup ; sachant que la nôtre y a pris naissance, et croyant que votre respectable communauté est la même qui a envoyé plusieurs de ses membres pour transplanter notre saint institut, qui n'était alors que dans son berceau, dans notre pays, où nous avons le bonheur de le maintenir jusqu'à aujourd'hui dans les mêmes règles que notre très digne mère institutrice à prescrites. Serais-je assez heureuse d'être bien reçue de votre révérence ? Je prends la hardiesse de vous demander : avez-vous le bonheur de jouir des prérogatives de l'institut pour en observer les fêtes et les indulgences accordées tant à notre ordre qu'à l'association de l'adoration du Saint-Sacrement, etc. ?
Il nous serait très utile de savoir si tous les jeudis de l'année sont observés selon les constitutions avec exposition du Saint Sacrement, et quant à l'office du très Saint Sacrement et de la fête et office du Saint Coeur de Marie, comment les observe-t-on chez vous ?
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J'ose vous demander encore, par quels ecclésiastiques votre église est-elle desservie ? Quant à nous ce sont les pères dominicains qui sont les plus près de nous. Les pères bénédictins, qui ne se trouvent qu'à douze lieues de Varsovie, nous communiquent les rubriques annuelles du bréviaire, que nous suivons toujours. Il nous serait encore fort utile de nous informer si vous avez, ma très révérende mère, le cérémonial imprimé 216 selon le manuscrit qui nous a été transmis par nos premières mères, comme destiné par notre mère institutrice, à ce qu'il paraît dans ses autres ouvrages qui ont été imprimés par ses propres soins, qu'elle avait aussi le dessein de le faire imprimer. Si vous avez l'extrême bonté de nous répondre, nous vous en serons fort reconnaissantes, avec toute la communauté qui est composée de trente soeurs du choeur dont six soeurs converses et puis trois tertiaires et deux postulantes.
J'ose vous demander encore une fois la grâce d'être reçue à l'union spirituelle de notre révérence et de votre respectable communauté, et je me recommande, avec la mienne, à vos saintes prières, avec le plus grand respect de votre révérence, la plus humble servante,
Marie Augustine Golebieska 21
Prieure des dames de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN
216. Mère Mectilde avait composé un Cérémonial manuscrit pour son monastère de la rue Cassette, à Paris. Chaque monastère de notre institut possédait un texte semblable, avec les adaptations, pour chaque maison. Nos archives ont conservé plusieurs volumes manuscrits.
Après la Révolution, le monastère d'Arras édita un Cérémonial, qui continue à être utilisé avec toutes les adaptations nécessaires, ainsi que plusieurs ouvrages concernant notre vie monastique et restés manuscrits jusqu'en 1840, pour compléter ce qui n'avait pas été imprimé auparavant.
217. Golebiewska Félicie, soeur Marie Augustine de Saint Michel, née et baptisée à Varsovie le 19 octobre 1800, elle reçut l'habit monastique le 24 décembre 1821, profession le 25 mars 1825. Elle fut élue prieure le 2 juillet 1852, et le resta jusqu'en 1865. Elle décéda au monastère de Varsovie le 2 novembre 1890.
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Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'Autel
Ma très révérende mère,
Notre très révérende mère prieure me charge de transmettre à votre révérence un désir du révérend père Collet, de Solesmes 218 et de vous dire à quelle occasion il l'a formé : l'année dernière, ce bon père, sachant que j'avais eu quelques rapports avec un prêtre polonais réfugié, demanda si l'on pourrait faire parvenir quelque chose à nos mères de Léopol et nous envoya une lettre pour la révérende mère prieure ; la réponse qu'il en a reçue l'a tellement intéressé en faveur de cette communauté qu'il a pensé qu'il fallait que les maisons de France s'employassent pour les aider à se conformer de plus en plus aux enseignements de notre digne mère institutrice. Voici ce qu'il mandait en date du 9 avril dernier :
« La lettre de la chère mère prieure de Léopol 219 respire dans sa simplicité un sentiment de foi qui est vraiment tout polonais. L'idée m'est venue, si vous trouviez une nouvelle occasion pour Léopol, d'envoyer à ces bonnes mères la Journée religieuse, le Supplément, etc. etc. Ce serait une oeuvre charitable, un lien de plus entre elles et les monastères de France. On pourrait leur offrir ce témoignage d'affection au nom de toutes vos maisons ».
Dans une lettre du 14 mai le révérend père revient à son idée. Voici ce qu'il dit : « J'ai cru entrevoir dans vos paroles, que votre dessein était de fournir seules, les livres que nous
218. Firmin, Dunstan Collet. Né le 21 juin 1824 à Faye-en-Haye (ancien département de la Meurthe). Il fit profession à l'abbaye de Saint-Pierre de Solesmes le 8 décembre 1848.
Il s'intéressa très tôt à notre institut. Il ne put demeurer à Solesmes et quitta l'abbaye en 1865 pour rejoindre Mgr Gaspard Mermillod, évêque de Genève, qui l'avait demandé comme secrétaire. Il décéda à Genève en 1892.
Il rédiga une vie de mère Mectilde, restée manuscrite. (renseignements aimablement communiqués par le R.P. Dom Soltner, archiviste de l'abbaye de Solesmes).
219. Zaslawska Katarzyna, soeur Marie de Saint-Louis. Née à Zablow, le 23 octobre 1791. Elle reçut l'habit monastique au monastère de Léopol le 15 mars 1807, fit profession le 30 novembre 1815. Elle fut élue prieure le 12 août 1835 et demeura dans sa charge jusqu'à son décès le 9 décembre 1868.
voulons envoyer à Léopol. Ce dessein est très beau, très louable et j'y applaudis de tout mon coeur ; mais ceci est une oeuvre collective, il importe de lui conserver ce caractère ; tout l'institut, autant que possible, doit y concourir. Ainsi donc je souhaiterais que Saint-Nicolas (de Port) 220 donnât le Supplément ; Arras 221 etc. ; Rouen, la Journée religieuse ;
220. Mère Mectilde fit la première fondation de son institut hors de Paris, à Toul, en Lorraine en 1664. Très rapidement la ferveur de la communauté lui attira un nombreux recrutement et, ce n'est que le 14 octobre 1792 que les moniales furent chassées de leur cloître. Ce ne fut qu'en 1806, qu'elles obtinrent l'autorisation de reprendre la vie commune, officiellement, et de recevoir de jeunes pensionnaires. Plusieurs religieuses des couvents de Nancy et de Rambervillers (Vosges) fermés, eux aussi, en 1792. se joignirent à celles de Toul. La maison qu'elles occupaient devenant trop petite, les anciens couvents de Toul, Nancy, Rambervillers étant dévastés, elles achetèrent le couvent des religieuses de la congrégation Notre-Dame (fondée par Alix Le Clerc) à Saint-Nicolas-de-Port, abandonné à la Révolution, mais dont l'église était intacte. La translation de la communauté se fit le 1« octobre 1812. La mère prieure, mère Aimée de Vassimon (profession le 9 avril 1774, prieure de 1793 à 1828), qui avait traversé toute la période révolutionnaire, en maintenant l'unité de sa communauté, malgré un emprisonnement de quelques mois, voyait avec joie tant de souffrances et de travaux trouver enfin leur récompense.
La communauté connut alors une période de très grande fécondité qui lui permit de fonder, en 1854, le monastère de Trèves, transféré en 1875 à Bettembourg (Luxembourg), lors des lois allemandes expulsant les religieux, repris à Trèves en 1883 ; en 1862 celui de Rosheim (Alsace). La mère Stéphame Petitjean, prieure de 1840 à mai 1876, fut l'artisan de ces fondations et donna une prieure à Trèves, mère Mélame André de 1863 à 1878. Le 24 mai 1876, la mère François de Sales Mathieu (soeur du Cardinal Mathieu) fut élue prieure de la communauté de Saint-Nicolas-de-Port ; c'est elle qui eut à faire face aux lois de proscription édictées contre les ordres religieux en 1904. La communauté dut se disséminer et la mère prieure accompagnée de deux religieuses se fixa à Nancy, dans l'espoir de pouvoir reconstituer sa communauté. Elle mourut le 17 novembre 1907, douze de ses filles purent l'assister à ses derniers moments. Au moment de la menace de guerre en 1938, les religieuses restantes quittèrent Nancy pour se joindre à notre monastère de Bayeux.
221. En 1814, cinq moniales, deux religieuses converses et une jeune postulante, quittaient le monastère de Rouen, pour fonder une nouvelle maison de notre institut ; la première fondation après la Révolution. Elles s'établirent d'abord dans la petite localité de Savy-en-Artois. Mais l'isolement et le manque de ressources les obligèrent à s'installer à Arras en 1818, où elles furent bien accueillies par l'évêque du diocèse, Mgr de la Tour d'Auvergne et le chanoine Lallart de Lebucquière, chanoine de la cathédrale, fut leur bienfaiteur et mit à leur disposition l'ancien couvent des trinitaires.
Une des dernières religieuses de la rue Cassette, mère Catherine de Jésus, et, la dernière prieure de Châtillon-sur-Loing, se joignirent à elles, et assurèrent la stabilité et le lien avec nos origines, qui firent bientôt de cette maison le monastère le plus prospère de l'institut.
Leur église dédiée au Coeur de Marie, était une imitation très réussie de l'architecture du XVe siècle, due à un architecte de talent, M. Grigny (Cf. Revue de Rouen et de la Normandie, octobre 1847). L'église fut béme en 1846, par le cardinal de la Tour d'Auvergne et, en 1879, elle fut consacrée par Mgr Lequette. En 1880, le cou-
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Saint-Omer 222, etc ; Vous auriez la peine d’écrire à ces communautés pour faire els demandes et surtout réclamer des prières. Car il fau considérer ceci comme un mission. » En même temps le révérend père envoyait une lettre pour la révérende mère de Léopol.
vent comptait quatre-vingts religieuses et le pensionnat recevait 150 élèves. Aussi en 1881, la communauté put-elle fonder un monastère à Saint-Omer, lequel en 1885, fonda Osnabruck, puis Bonn en Allemagne. En 1884, Arras accepta une proposition d'agrégation en Ecosse, à Dumfries et en 1892 apporta son aide à la Maison de Milan (Italie).
En exécution d'un voeu fait par la population catholique de la ville de Tourcoing, qui avait été protégée durant la guerre de 1914-1918, (voeu prononcé le 30 juin 1916), l'autorité ecclésiastique fit appel aux moniales d'Arras, réfugiées à Dumfries. Le 24 septembre 1919, trente religieuses professes étaient accueillies par les religieuses de Notre-Darne de Sion à Saint-Omer. Le 24 septembre 1921, elles prirent possession des bâtiments préparés par la ville de Tourcoing à leur intention.
En 1904, les religieuses durent s'expatrier, comme nombre de leurs soeurs. Au cours de la guerre de 1914-1918, le couvent fut d'abord transformé en ambulance, puis presque totalement détruit par les obus.
Nous devons au monastère d'Arras la publication de plusieurs ouvrages contenant des textes de mère Mectilde. En 1840, un Cérémonial, paraissait à Lille, chez L. Lefort.
Le même imprimeur-éditeur avait fait paraître auparavant le Règlement des offices (directoire à l'usage de chacun des emplois du monastère) et la Journée religieuse (qui organise la vie quotidienne du monastère et de chaque moniale).
222. Le monastère d'Arras établit le 14 juillet 1841 avec quatre moniales, une nouvelle maison de notre. institut à Saint-Orner. Dès le mois de septembre 1849 la communauté était assez nombreuse pour élire une prieure, ce fut mère Mectilde du Saint-Sacrement, qui accepta cette charge (Louisa Scott, décédée au monastère d'Arras le 23 décembre 1890). La maison s'affermit et prospéra sous son gouvernement, en sorte que la mère prieure put fonder deux autres monastères à Osnabrück (1855), et Bonn (1858) en Allemagne. Le monastère de Saint-Omer étant devenu trop petit, les religieuses firent l'acquisition d'une vaste propriété dans une banlieue de la ville, à Longuenesse, où elles s'installèrent en juillet 1864. Leur église, dédiée à Notre-Dame des Sept-Douleurs, sous le vocable de Notre-Dame Réconciliatrice, fut bénite en 1865. En 1880, la communauté comptait vingt-deux religieuses de choeur, douze soeurs converses, vingt-cinq pensionnaires. L'éloignement du centre de la ville nuisait au recrutement de la communauté et au pensionnat, aussi acceptèrent-elles d'échanger leur propriété, contre celle des frères des Écoles chrétiennes, qui leur offraient cette transaction. La communauté s'installa donc à Boulogne-sur-Mer et construisit le monastère, qui fut achevé en 1892.
L'avenir semblait assuré. Les lois spoliatrices de 1904 les obligèrent à chercher refuge en Belgique à Ooighem, près de Courtrai. Puis ce fut la guerre de 1914-1918 qui acheva de détruire le monastère. La communauté s'installa donc définitivement à Ooighem. En 1940, les moniales se retrouvèrent au coeur des combats, elles se réfugièrent à Thielt, puis à Lophem, près de Bruges, où les bénédictins de l'abbaye de Saint-André, leur apportèrent une aide fraternelle. En 1946, elles purent relever les ruines de leur monastère d'Ooighem, mais durent construire un nouveau monastère à Rumbeck (Flandre occidentale), en 1961. (Cf. Priez sans cesse, Paris, 1953).
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Vous voyez donc, ma révérende mère 223, pourquoi notre très révérende mère prieure 224 me fait avoir l'honneur de vous écrire aujourd'hui : c'est pour vous demander des prières pour nos soeurs de Léopol, et pour vous prier de nous envoyer la Journée religieuse : si vous en aviez un exemplaire en feuilles nous vous serions obligées de nous l'envoyer sous bande ; autrement nous prendrions ce que vous nous enverrez. On nous promet une occasion pour Léopol.
Nous espérons, ma très révérende mère, que votre santé est bonne et que votre maison est dans un état prospère ; nous le demandons à Dieu de tout notre coeur. Veuillez prier pour nous, nous vous en supplions instamment.
Agréez, ma très révérende mère, les plus affectueux respects et souvenirs de notre très révérende mère prieure ; permettez que je vous offre l'hommage de mes meilleurs sentiments et que je me dise, en Notre Seigneur et sa très sainte Mère, votre acquise et dévouée servante.
Soeur Marie de l'Assomption
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN
Nous avons reçu avec un grand attendrissement votre lettre. Voici plusieurs feuilles contenant l'histoire de la fondation de notre monastère et quelques lettres de notre digne mère institutrice écrites de sa propre main, copiées pour les remettre entre les mains de la révérende mère de l'Assomption 22s.
223. Louise Jeanne Virgime Franquerie, soeur de Saint Placide, fit profession au monastère de Rouen le 5 mai 1837. Elle fut élue prieure en 1844 et le demeura jusqu'en 1882. Elle mourut le 15 avril 1883.
224. Louise Julie Suzanne de Saint-Martin ; soeur de Saint Anastasie, née le 2 thermidor An X (21 juillet 1802), à Saint-Port (près de Melun). Elle a été baptisée le 28 juillet 1823. Fille de Maximilien, Benoit, Bernardin, secrétaire intime de Mgr l'ambassadeur de Russie et de Gertrude Jeanne Gereman. Elle entra au monastère de la rue Tournefort, à Paris, comme grande pensionnaire en 1819, à dix-sept ans. Elle commença son noviciat le 19 mai 1824, reçut l'habit monastique le 26 septembre 1824 et fit profession le 19 novembre 1825. Elle fut élue prieure le 9 juillet 1846, elle le demeure jusqu'à son décès le 15 février 1860.
225. Françoise Adèle, Roze, soeur Marie de l'Assomption. Née à l'Ile Maurice, le 4 Messidor An II (22 juin 1794). Elle fut nommée Dame de seconde classe à la maison impériale Napoléon (Maison d'éducation, dite de la Légion d'honneur), à É-
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Veuillez, ma bien chère mère, vous en charger et lui témoigner mes respects et l'assurer que j'aurai trois ou quatre lettres à lui envoyer plus tard, si elle le désire, ne pouvant pas les recueillir toutes pour cette fois-ci, ayant une occasion fort propice par Dom Jean Baptiste 226, prieur, profès de la congrégation des bénédictins de France qui, voyageant en Russie, a daigné nous honorer de sa visite plusieurs fois et dire la messe chez nous ; ce qui nous fit une grande satisfaction de pouvoir faire la connaissance d'un de nos vénérables pères et causa un grand regret de ne pouvoir jouir plus longtemps de sa présence.
Veuillez recevoir les assurances de l'amitié la plus tendre, pour nous avoir communiqué les choses qui nous touchent de si près et les pratiques de dévotion, que nous avons tâché de faire les pareilles pour nous unir à vos intentions.
couen, le 27 mai 1809, puis Dame de première classe le 24 avril 1812. Elle entra au monastère de la rue Tournefort à Paris et y fit profession le 16 septembre 1819.
Elle voua un grand amour à notre mère Mectilde et recopia tous les textes de notre fondatrice qu'elle parvint à se procurer, tant au monastère de Paris que dans les autres maisons de notre institut. Elle mourut le 22. mars 1866.
226. Jean-Baptiste, François Pitra, 1812-1889. Né à Champ-Forgueil, diocèse d'Autun, ordonné prêtre le 11 décembre 1836. I1 enseigna brillamment au petit séminaire d'Autun. Entré à l'abbaye de Solesmes le 8 septembre 1841, il y fit profession le 10 février 1843. Nommé supérieur du prieuré établi à Paris en 1848, il se vit confier par l'abbé Jacques-Paul Migne, l'édition des auteurs ecclésiastiques latins et grecs, des douze premiers siècles. Il est regrettable que l'abbé Migne n'ait pas toujours suivi les directives du savant bénédictin. Pour tenter de sauver le prieuré de Paris, accablé de dettes, Dom Pitra fit une tournée de quêtes en France, en Suisse, en Angleterre, en Belgique et en Hollande de 1845 à 1850. 11 profita de ces voyages pour poursuivre ses recherches littéraires et, de très nombreuses découvertes faites par lui à cette époque, permirent de continuer l'édition du Gallia christiana. Ses études et publications attirèrent sur lui l'attention du Vatican. I1 fut appelé à Rome en 1858 pour y étudier les sources du droit oriental. A ce titre, il entreprit un nouveau voyage de recherches en Russie et en Autriche (1859-1860). Le pape Pie IX, le créa cardinal en 1861, l'orientant toujours plus dans l'étude de l'Église orientale. Il publia un très grand nombre d'oeuvres des auteurs grecs anténicéens. Ses études le confirmèrent dans l'espoir d'une réunion possible entre les deux Églises, romaine et orientale.
Le 23 janvier 1869, Pie IX le nomma bibliothécaire de la sainte Église romaine.
En 1879, il reçut en charge le diocèse de Frascati où il fut bien accueilli, mais dut l'abandonner en 1884 pour celui de Porto et Sainte-Rufine auquel est attachée la charge de sous-doyen du Sacré Collège.
Son oeuvre publiée est immense et constitue une inépuisable mine pour ses successeurs. Mais il fut méconnu de son temps et dut très souvent éditer à ses frais, des ouvrages d'une valeur inestimable. Il vécut toujours en moine pauvre et infatigable au travail. Il mourut dans son évêché de Porto le 9 février 1889, au jour anniversaire de sa profession monastique. Ce fut un très humble et très grand serviteur de l'Église (Cf. D.T.C.).
Je ne peux rien dire davantage, pour ce moment où nous allons chanter complies au choeur, car c'est jeudi, que de me dire votre toute dévouée
Soeur Marie Tècle de Jésus Tytzowna 22'
AUTOGRAPHE DU MONASTÈRE DE ROUEN
Bien chère et respectable mère,
Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel.
... Ayez la bonté de continuer votre correspondance en différents sujets qui nous intéressent mutuellement, j'en profite déjà moi-même en vous adressant cette lettre qui vous sera remise plus tard par le révérend père dom Jean Baptiste Pitra, bénédictin, qui nous visita et nous parla de votre respectable communauté ; il eut la bonté de dire la messe plusieurs fois dans notre église. La première fois à la fête de saint Casimir, Patron de l'église, qui se célèbre avec solennité, et j'eus le plaisir de me présenter en grand habit devant lui, au parloir...
Soeur Marie Tècle de Jésus, économe et sous-maîtresse des novices
AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel
Très respectable mère,
C'est une grande peine pour nous d'apprendre la nouvelle de la maladie de votre révérende mère prieure par l'aimable lettre de votre révérende mère Placide. En quel état cette bonne mère se trouve-t-elle maintenant ? Nous lui nous sommes redevables de nous avoir écrit plusieurs fois et de tant de soins pour nous procurer des bréviaires.
Les archives du monastère de Dom Jean-Baptiste Pitra n'ont pas conservé de traces de son passage à notre monastère de Varsovie.
227. Tytzowna Théophile, mère Marie Técle de Jésus, née à Varsovie le 18 août 1815. Elle reçut l'habit monastique le 17 juillet 1836 et fit profession le 12 novembre 1837. Elle fut économe et sous-maîtresse des novices. Elle décéda au monastère de Varsovie le 24 mai 1865.
Je me plais à vous mander que nous eûmes le plaisir de voir ici chez nous une personne qui vous connaît, et qui nous entretint de votre révérende mère prieure et je ne puis vous exprimer notre satisfaction d'entendre parler une personne de ce qui nous intéresse tant et ce qui nous fît imaginer de vous voir et de vous recevoir en elle. C'était le révérend père dom Jean-Baptiste Odon Pitra qui, retournant de son voyage de Russie par Varsovie daigna venir plusieurs fois chez nous pour dire la messe, je ne saurais assez vous dire quel plaisir c'était, pour moi surtout, de voir ce père de l'ordre que j'estime tant que j'avais toujours désiré au moins d'en entendre parler.
Il eut l'extrême bonté de se charger de quelques feuilles de papier pour vous les remettre, ma très chère mère : ce sont plusieurs lettres de notre très digne mère institutrice, l'histoire de notre fondation et du voyage pénible de nos premières mères de France ; mais il ne sera de retour qu'après cinq ou six semaines. Comme j'espère qu'il ne manquera pas d'aller vous voir pour remplir cette petite commission, j'ose vous prier, ma révérende mère, de m'en avertir et me donner de ses nouvelles et de l'assurer de ma part que j'ai rempli exactement ce qu'il m'a commis envers notre révérende mère prieure pour demander à la communauté des prières à son intention. Pour surcroît, le noviciat fut obligé d'y appliquer la neuvaine que nous faisons au grand saint Joseph, pour qu'il soit le principal protecteur des affaires importantes de la congrégation. Le seul but de son voyage si pénible est le bien de l'Église et de la religion ; cela nous fit concevoir une haute idée de son mérite, tout son entretien roula sur les usages de l'ordre et de notre institut, ce qui montre qu'il exerçait quelque fonction charitable auprès de votre communauté, ce qui attira d'autant plus d'estime et de respect pour lui...
Soeur Marie Thècle de Jésus
Peut-être vous ne trouverez pas mal, que j'ajoute encore la copie d'une
lettre de notre mère institutrice, de sa propre main, à Mlle Potocka dite la
soeur Casimire de l'Immaculée Conception, en date du 10 mai 1696.
AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
Très révérende mère !
Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel.
C'est avec grande douleur que nous apprîmes la mort de cette bonne révérende mère et ce n'est que la disposition de la volonté divine, qui peut calmer et adoucir la peine tant à vous, aussi bien qu'à nous, qui vous portons tant d'intérêt ; je n'ose plus rouvrir vos plaies, mais je voudrais bien voir votre promesse accomplie, en nous communiquant quelques détails sur la défunte, pour en avoir une plus grande connaissance. Nous n'avions pas encore trouvé de moment favorable de vous congratuler, ma très révérende mère, au sujet de la supériorité dont la bonté de Dieu daigna vous charger22S. Nous comptons aussi sur sa bonté, qu'il daignera vous combler de grâces abondantes, pour y répondre le plus dignement, et en vous aidant de son bras paternel, pour avancer sa gloire et l'adoration du divin mystère de l'autel, surtout en dirigeant les âmes qui vous seront confiées.
Nous adressons des voeux sincères au ciel, afin qu'il répande ses bénédictions sur vous et sur votre sainte communauté. J'ose vous demander à cette occasion en quel temps l'élection doit avoir lieu, après la mort d'une supérieure, arrivée avant le terme du triennat, et si l'on s'y prépare par les quarante heures ? Ayez encore l'extrême bonté, ma très révérende mère, de présenter mes respects à la révérende mère de l'Assomption, de lui remettre la copie ci-jointe des lettres de notre très digne mère institutrice et, je vous prie aussi, de m'apprendre si les premières vous sont parvenues par le révérend père dom Pitra, bénédictin, qui nous visita au mois de mars, passant par notre capitale et il se chargea de vous remettre nos lettres. Faites-nous ce plaisir de nous mander quelque chose de son retour et tout ce qui le touche.
228. Eugéme Maitre, mère Saint Placide. Née le 25 février 1820, rue Saint-Jacques, n° 244, à Paris (XII° arrondissement), fille de Jean-Claude, boulanger et de Marie Josèphe Boissière, baptisée à l'église Saint Jacques du Haut-Pas, le lendemain. Elle entra au monastère de la rue Tournefort, à Paris, le 20 octobre 1841. Elle reçut l'habit monastique le 14 septembre 1842 et fit profession le 17 septembre 1843. Elle fut élue prieure le 2 mars 1860. Elle décéda le 29 décembre 1899.
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Voilà votre promesse accomplie. Dans ce moment nous venons de recevoir la lettre circulaire de votre chère mère, par l'entremise des révérends pères de la Mission [Lazaristes]. Ah ! je vous en suis bien obligée ; nous en faisons la lecture tour à tour sans pouvoir cesser d'admirer sa vie exemplaire et vertueuse.
Nous tâcherons de réitérer encore notre service, malgré qu'après votre avertissement, nous ayons rempli les suffrages 229 d'obligation des messes, des communions et autres exercices de piété, à l'avantage de cette âme bienheureuse.
Je n'ose plus vous surcharger de mes lettres pour cette fois. J'achève en vous demandant, et à votre sainte communauté, une bonne part dans vos prières et vous assurant que je suis votre très humble servante
Soeur Marie Augustine, prieure
AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
Ma très chère révérende mère,
Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel.
Je suis bien aise d'avoir l'occasion de vous adresser quelques mots pour vous renouveler les marques de notre liaison cordiale et religieuse et pour vous prier instamment de supplier la Bonté suprême de changer les maux inexprimables dans lesquels nous sommes plongés, tous en général, et qui augmentent de plus en plus. Implorez, très révérende mère, avec votre communauté, Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il daigne envoyer à notre secours son Église triomphante, pour assister son Église militante affligée de toutes parts. Ceci doit nous obliger à réparer pour des profanations continuelles, commises dans nos sanctuaires et sur ses ministres. Je crois que vous pourrez concevoir mieux, par ce peu de mots, ce que je veux vous représenter, que je ne le saurais exprimer...
Soeur Marie Augustine, prieure
AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
229. Selon l'esprit de nos Constitutions, chacun de nos monastères célèbre toujours des messes et des offices pour chaque religieuse défunte ; du monastère de la défunte, mais aussi pour les autres moniales défuntes de tous les monastères de notre institut.
... Le bon Dieu nous visita de nouveau par une épreuve inattendue ; notre noviciat et notre pensionnat furent supprimés, ainsi que tous ceux qui existaient en Pologne ; tous nos biens ont passé sous l'administration du ministère des finances.
La modique pension par laquelle on pourvoit à notre subsistance ne suffirait jamais à nos besoins journaliers, si la Providence divine ne nous ménageait d'autres secours. Certes, nous n'avons pas à nous plaindre. Messieurs les employés du gouvernement civil sont pleins de prévenance à notre égard, et nous traitent avec toute l'urbanité possible ; ils nous soutiennent de leur crédit auprès de leurs chefs supérieurs. Pour nous, nous nous estimons infiniment heureuses de ce qu'on nous ait laissé dans notre cher et ancien monastère ; et quant à la suppression de notre pensionnat, elle ne nous laisse que plus de loisirs pour vaquer à notre séraphique vocation de la louange divine et de l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement.
Soeur Marie Madeleine de Jésus, Rakoszewska23o AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
Varsovie
Très révérendes et bien aimées soeurs,
Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel à jamais !
Un jeune prêtre de notre église cathédrale, qui l'année passée à cause des troubles de la guerre, ne pouvait pas faire son voyage proposé à Paris, avait l'intention de regagner cette perte dès le commencement du mois de juillet ; et comme il a une singulière prédilection pour toutes les maisons de notre institut, il se chargea bien volontiers de la lettre, que nous lui confiâmes, nous assurant qu'il visitera votre chapelle pour y
230. Rakoszewska Hélène, soeur Marie-Magdeleine de Jésus. Née à Varsovie, le 30 avril 1829, véture le 24 mars 1855, profession le 1« mars 1857. Elle est décédée au monastère de Varsovie le 16 novembre 1897. Elle fut prieure du 2 juillet 1877 au 2 juillet 1880.
375 dire la sainte messe, et ne manquera pas de vous la remettre personnellement, pour vous demander de vos nouvelles, parce que le long silence que vous gardez, nous est extrêmement pénible.
Mais nous apprenons en ce moment, par la lettre adressée à notre bonne soeur Hermime 231, que vous aviez été presque forcées de quitter votre capitale pendant le siège laissant votre cher monastère à la Providence divine. Il m'est impossible de vous exprimer les sentiments de la plus tendre compassion, dont nos coeurs étaient pénétrés, en relisant les dangers qui vous menaçaient, et dont sa paternelle bonté vous a préservées ; et nous nous imaginons facilement la vive joie et la tendre reconnaissance qui vous animaient toutes au moment de l'heureux retour dans votre bien aimé asile de sûreté.
Nous rendons grâce à Dieu de ce bienfait si précieux et nous faisons des voeux ardents, pour que la paix dont vous jouissez aujourd'hui soit durable.
Étant bien inquiètes de vous tout le temps de la guerre qui ravageait toute la France, nous ne cessâmes de vous adresser plusieurs lettres, qui sans doute se sont perdues par la poste, ou sont parvenues chez vous, pendant le temps de votre exil, qui nous était tout à fait inconnu.
S'il vous est possible, très révérende mère, faites nous savoir tout ce qui vous touche, par écrit ou de vive voix, à ce jeune ecclésiastique qui ne manquera pas de revenir chez vous. Veuillez bien nous regarder toujours comme vos soeurs en Jésus Christ à cause du lien religieux qui nous unit et qui vous
231. Lukianow Herminie, Apolline, soeur Thècle. Née le 18 mars 1833 et baptisée en l'église de la Sainte-Vierge à Varsovie. Elle fut reçue au monastère de la rue Tournefort, à Paris, le 27 novembre 1863, comme postulante de choeur, et reçut l'habit monastique le 21 novembre 1864 sous le nom de soeur Marie de Saint Jude. Des difficultés de caractère la firent refuser par la communauté, lors de son chapitre de profession, le mercredi 11 octobre 1865 ; ceci explique son retour en Pologne et, son attachement resté intact, à la spiritualité de notre institut.
A son retour en Pologne, elle est entrée chez les soeurs de Notre-Dame de la Miséricorde (cf. chap. IX, n. 175).
Elle garda toujours l'esprit de notre institut, mais ne put rentrer au monastère de Varsovie, les lois interdisant aux monastères de vie contemplative tout recrutement. Pour la consolation de la soeur, la mère prieure l'accueillait fraternellement, quand cela lui était possible.
aiment bien cordialement et prennent un vif et tendre intérêt à tout ce qui vous touche ou vous menace de quelque malheur. Le bon Dieu ne laissera pas sans récompense le léger sacrifice des pertes que vous avez faites et, après tout, le détachement du temporel est bien préférable au plaisir que nous pourrions prendre en sa possession.
Voilà que notre bonne soeur Hermime a trouvé place parmi les darnes de la Miséricorde. La vocation de cette dévouée congrégation est véritablement sublime et précieuse aux yeux de Dieu et de celles qui y sont appelées ; ayant pour principal but, de surveiller les femmes de mauvaise vie, ou les jeunes filles qui se sont laissées acheminer sur la voie de perdition mais qui plus tard, étant éclairées de la grâce divine, s'adressent à ces bonnes mères, et sans être forcées, se mettent sous leur protection, pour pleurer leurs égarements et mener une vie pénitente.
Mais notre bonne soeur y est seulement de corps et son esprit toujours au milieu de nous, ou chez vous, très révérendes mères, elle n'en fait pas un secret mais sa bonne supérieure lui pardonne de bon coeur cet innocent attachement, le regardant comme la suite de plusieurs années passées chez vous, et lui permet même de faire son heure d'adoration chaque jour et de réciter l'office du Saint Sacrement que vous lui avez procuré pour sa consolation.
Ces bonnes mères ne sont pas obligées à la clôture, ce qui donne occasion quelquefois à la bonne soeur Hermime de nous visiter ; ces quelques moments passés chez nous, lui sont bien chers ; mais quant à nous, ils nous sont assez pénibles, n'ayant pas la liberté de lui faire partager notre bonheur, en l'associant à l'adoration du Saint Sacrement, ce qui fait toujours son attrait particulier.
Il est temps de finir... Adieu, ma très révérende mère, demeurons unies par la charité du bon Sauveur ; plus tard, dans la terre promise, cette union se consommera en Jésus. En attendant vivons pour Jésus afin de mourir en Jésus i...
Votre très humble servante et soeur en Jésus-Christ
Soeur Marie de Saint Stanislas, Romecka, prieure 232
AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
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Ma très révérende et chère mère,
Loué soit le très Saint Sacrement de l'autel !
J'ai reçu votre aimable lettre le 26e de décembre et le colis avec les livres le 17e de février. Nous sommes bien reconnaissantes pour votre bonté d'avoir envoyé une telle aumône de livres, nous prierons toutes bien le Bon Dieu pour vous. J'ai partagé les images parmi nos pauvres filles, qui sont bien heureuses de pouvoir avoir des images de si loin, elles demandent très humblement l'assistance de vos saintes prières.
Vous me demandez, ma très révérende mère, si je veux encore des livres ? Si vous aviez la bonté de nous en envoyer encore, par exemple : pour faire la lecture spirituelle pour former des novices, conférences pour la profession religieuse, quelque chose de la mère Benoîte de la Passion de Brem 233 ou de mère Mectilde du Saint Sacrement, ou bien : conférences mystiques du révérend père Epiphane Louys 234, directeur de la mère Benoîte. Vous pourriez les envoyer par trois ou quatre livres, cela coûte moins cher. Un monsieur sera de retour à Varsovie dans cinq semaines, il pourra prendre le plus petit paquet...
Soeur Marie Thécle Lukianow
AUTOGRAPHE AU MONASTÈRE DE ROUEN
232. Rornecka Pélagie, mère Stanislas du Coeur de Marie. Née et baptisée à Varso-vie le 8 avril 1821. Elle reçut l'habit monastique le 8 septembre 1838. Elle fit profession le 30 août 1840. Elle fut élue prieure, le 16 septembre 1865 et le demeura jusqu'au 2 juillet 1877, puis du 2 juillet 1880 jusqu'à sa mort survenue à Varsovie le 29 juin 1906.
233. Élisabeth de Brem, mère Benoite de la Passion, née à Sarrebourg en 1607. Mariée à dix-sept ans à M. Chopine! alors qu'elle désirait vivement se vouer à Dieu dans la vie religieuse, elle devint veuve à vingt ans, et se retira, trois ans plus tard, au couvent des bénédictines, qui venait d'être fondé à Rambervillers (Vosges), par l'abbaye réformée de Verdun. Sa fille, Marguerite Chopinel, fut élevée au monastère.
Mère Benoite était une âme exceptionnelle, d'une vive intelligence et d'une piété profonde. Maîtresse des novices, elle forma mère Mectilde à l'esprit monastique. Le 31 août 1653, elle fut élue prieure. C'est elle qui aura la joie d'unir son monastère à notre institut en avril 1666. Soutenue dans sa charge par Dom Epiphane Louys, elle put relever son monastère, ruiné par la guerre de Trente Ans. Le R.P. Epiphane fit son éloge funèbre, après l'avoir assistée dans ses derniers instants, le 8 octobre 1668. Sa mémoire est restée en grande vénération. Le tombeau de mère Benoîte de la Passion de Brem se voit encore dans l'église de Rambervillers, sous une a Vierge de Pitié », ayant appartenu au monastère. (Cf. C. de Bar, Documents historiques, p. 226 n" 13 et Lettres inédites, p. 298, Rouen 1976).
234. Le père Epiphane Louis ou Louys, né à Nancy en 1614, entra au noviciat des
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Loué et adoré à jamais le très Saint Sacrement de l'Autel ! Ma très révérende mère,
Nous attendions avec impatience la fin de cette horrible guerre pour avoir de vos nouvelles, nos bien chères mères. Nous nous adressons à votre maison dans l'espoir que le Bon Jésus vous a peut-être épargnées. Oh ! comme il nous tarde de savoir qu'il en est ainsi ! Veuillez donc, très révérende mère, nous faire part au plus tôt de tout ce qui concerne votre maison et celles de notre institut avec lesquelles vous avez pu conserver quelques relations.
Nous avons subi deux invasions : celle des Russes, qui ont encore assez épargné notre ville et quant à notre monastère, se sont contentés de fermer notre pensionnat. Mais l'année passée nous avons eu l'invasion des Ukrainiens, qui ont assiégé notre ville pendant plus de six mois, mais le Bon Dieu aidant et grâce à l'incomparable héroïsme de nos habitants, surtout de notre jeunesse, garçons et jeunes filles même, nous sommes parvenus enfin, non sans bien des pertes, à les chasser hors du pays. Notre monastère ne fut que très légèrement atteint par les
prémontrés à Sainte-Marie-Majeure à Pont-à-Mousson en 1631 et y fit profession en 1633. Ordonné prêtre en 1638, après avoir été reçu docteur en théologie, il fut envoyé en Normandie pour enseigner la théologie dans l'abbaye d'Ardenne, près de Caen. Il fit trois fois le voyage de Rome, comme procureur général de son ordre. En 1662, il devint prieur de Saint-Paul de Verdun. Il fut élu abbé d'Etival (Vosges), en 1668.
Dès 1664, il entra en relations avec mère Mectilde, à l'occasion de la fondation du monastère de Toul. Il ne cessa plus de donner à notre institut le meilleur de sa pensée et de son coeur, tant près des monastères lorrains qu'au couvent de la rue Cassette. Lorsque le père Epiphane séjournait à Paris, et durant son supérioriat à la résidence de son ordre, au carrefour de la Croix-Rouge, il visita fréquemment les bénédictines de la rue Cassette, leur fit des conférences, qui furent éditées plus tard. Deux volumes parurent en 1674, puis en 1676. Sa correspondance avec les moniales de notre institut n'a pas été retrouvée dans nos archives.
Après la mort de Dom Ignace Philibert, prieur de Saint-Germain-des-Prés, le père Epiphane devint le confesseur de la duchesse d'Orléans, Marguerite de Lorraine. Il donna aussi tous ses soins à une autre congrégation de religieuses, actives, vouées au soin des malades, les soeurs de Saint-Charles de Nancy. C'est grâce à lui et à Mgr Jacques de Fieux, que cet institut prit son essor. Au soir d'une vie toute donnée à Dieu, à la réforme de son ordre et, aux instituts qui se développaient en France et en Lorraine, selon l'esprit du concile de Trente, le père Epiphane mourut, à l'abbaye Saint-Paul de Verdun, le 24 septembre 1682. Son corps repose en son abbaye d'Etival. (Cf. F. Petit, O. Prem. Le R.P. Epiphane Louys, abbé d'Etival, 1948).
379 bombes ennemies, mais nous avons perdu depuis 1914 sept de nos bien chères mères et deux bonnes soeurs converses 235. Parmi nos mères défuntes, la première ce fut notre chère mère Electe, celle qui depuis bien des années écrivait nos lettres françaises pour toutes les maisons de notre institut en France. Pleine de zèle et d'amour pour notre sainte vocation, elle nous édifiait par ses vertus et ses labeurs. Une autre, c'était notre mère sous-prieure, depuis bien des années, fort zélée aussi, très instruite et pleine de l'esprit de Dieu et de notre institut, maîtresse de cérémonies, c'était une vraie colonne de notre maison, surtout pour la vie intérieure et l'amour du très Saint Sacrement. Puis, ce fut notre cellerière, une très bonne soeur, très capable et pleine d'énergie et en même temps aussi fort assidue à l'office divin et aux exercices réguliers.
Des autres quatre, une seulement était d'un âge avancé, les autres auraient pu vivre encore longtemps selon les lois de la nature, mais le Bon Dieu en demanda le sacrifice. Ainsi nous restâmes si peu nombreuses qu'il nous faut bien du courage pour pouvoir accomplir tous nos devoirs réguliers, avec l'éducation de nos élèves. Mais avec la grâce du Bon Dieu, nous tâchons de faire de notre mieux.
Ce qui nous préoccupe beaucoup à présent, c'est les changements du bréviaire. La guerre ne nous ayant pas permis de
235. Wierzbieta Louise, soeur Bénédicte de Jésus-Hostie. Née à Blazow le 28.7.1836. Vêture le 12.12.1863 ; profession le 16.5.1865. Décédée le 28.5.1916. Rchozinska Hélène, soeur Anselme. Née à Mikulinow le 11.7.1873. Vêture le 30.4.1894 ; profession le 29.9.1897. Décédée le 24.5.1916 dans sa 43' année. Neusteinowna Anne, soeur de Sainte-Madeleine. Née à Wisniowczyk le 26.7.1839. Vêture le 13.5.1865 ; profession en qualité de soeur converse le 26.7.1868. Décédée le 31.5.1917.
Artymowna Marie, soeur Rose de Jésus Crucifié. Née à Zolkwie le 15.8.1850. Vêture le 15.8.1872 ; profession-en qualité de soeur converse le 21.11.1875. Décédée le 18 .11.1917.
Lipecka Boleslawa, soeur Scholastique. Née à Radziechowie le 31.1.1863. Vêture le 26.4.1890 ; profession le 17.7.1892. Décédée le 15.7.1918 dans sa 56' année. Kossarekowna Hedwige, soeur du Couronnement de la Vierge. Née à Bryncow Zagornych le 20.10.1876. Vêture le 24.9.1896 ; profession le 10.8.1901. Décédée le 19.5.1919 dans sa 43e année.
Czaykowska Anne, soeur Stéphame du Saint-Sacrement. Née à Niomirowie le 7.5.1862. Vêture le 26.7.1888 ; profession le 16.11.1890. Décédée le 31.5.1919. Sosnowska Sophie, soeur Gaëtan. Née à Lwow le 15.5.1833. Vêture le 10.4.1869 ; profession le 30.10.1872. Décédée le 16.6.1919.
Czaykowska Hélène, soeur Electe. Née à Kamienec le 2.9.1844. Vêture le 10.11.1877 ; profession le 19.10.1879. Décédée le 6.11.1914.
savoir quelque chose de précis en cette matière, nous avons adopté seulement les quelques changements indiqués par la bulle Divino afflatu (1911) attendant pour le reste que nous puissions avoir des nouvelles des maisons de notre institut pour agir d'accord et pouvoir, tout en adoptant les changements ordonnés par le Saint-Siège, conserver néanmoins ce qui est le privilège de notre institut, c'est-à-dire : l'office du très Saint Sacrement.
Nous vous supplions donc, nos bien chères mères, de vouloir bien nous répondre au plus tôt et nous dire ce que vous avez fait en ce sujet si important et ce que vous en savez pour les autres maisons de notre institut .
Il nous reste encore à vous exprimer nos plus sincères souhaits pour cette nouvelle année qui approche. Nous espérons qu'elle sera meilleure que les quelques dernières et nous prierons bien sincèrement le Saint Enfant Jésus qu'il daigne vous bénir de sa petite main, toute puissante et très miséricordieuse.
Nous recommandons aussi beaucoup à vos saintes prières notre chère patrie, si miraculeusement ressuscitée, mais bien encore éprouvée, puis notre chère maison si appauvrie dans son personnel, avec son minime noviciat, composé de trois jeunes professes du choeur et une postulante converse. Les grandes difficultés du chauffage et du vivre ne contribuent point à améliorer notre situation.
Mais espérons, que si nous conservons l'esprit de notre vocation de victime, toutes les croix que Notre Seigneur daigne nous envoyer porteront des fruits de bénédiction !
Veuillez agréer, nos révérendes et bien chères mères, l'expression de nos sentiments les plus respectueux.
Soeur Marie de Saint Jean de la Croix Kowarzykowna 236, prieure
ARCHIVES CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN
La très révérende mère prieure "'des bénédictines du Saint-Sacrement, rue Tournefort, Paris.
236. Léopoldine Kowarzykowna. Mère Marie de Saint Jean de la Croix. Née à Zolkwie le 11 octobre 1853. Vêture le 27 octobre 1877 ; profession le 19 octobre 1879. Élue prieure en 1896, elle demeura dans la charge jusqu'en 1923. Elle décéda à Léopol le 15 décembre 1926.
237. Marie Madeleine Désirée Le Fiselier. Mère Marie de Saint-Stanislas Kostka. Née à Villepail (Mayenne), le 31 mars 1859. Sa mère fut de longues années au ser-
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Depuis longtemps nous ne recevons plus de lettres de Pologne. Notre très révérende mère Sainte Cécile 238 inquiète, leur écrit de nous donner de leurs nouvelles coûte que coûte.
Une lettre arrive enfin, mais quelle tristesse ! Par suite des troubles survenus dans leur malheureux pays à la suite de la guerre, la situation est plus que précaire. Nos chères mères manquent du plus strict nécessaire, leur dénuement est complet. Pas de charbon, ni de bois pour se chauffer, pas de vêtements chauds si nécessaires par le froid qui est intense là-bas, à peine ont elles des aliments pour se soutenir, le plus souvent el-
vice des prêtres de sa paroisse, et sa fille la seconda quelque temps. Elle entra au monastère de la rue Tournefort, à Paris, le 23 juin 1880, et y reçut l'habit monastique le 20 mai 1881. Elle fit profession le 30 mai 1882. En 1897, elle signa le registre des vêtures au titre de sous-prieure. Fut élue prieure en juillet 1899 et demeura dans sa charge jusqu'en 1941, ayant eu à faire face aux expulsions du début du siècle, puis à la première guerre mondiale, et au début de la seconde. Elle décéda après une courte maladie, le 9 octobre 1941.
238. Léontine Biguet, née le 23 septembre 1841 à Hauteville (Pas-de-Calais), dernière enfant d'une famille très chrétienne, qui comptait déjà trois garçons et trois filles. Elle était douée d'une intelligence très vive et pénétrante. Après ses examens, quoique jeune encore, elle fonda avec ses soeurs une école-pensionnat à HersinCoupigny, et bien que la cadette, elle devint directrice de ce pensionnat.
Quelques années plus tard, elle connut notre monastère d'Arras et comprit que Dieu l'y appelait. Malgré le refus formel de sa mère, elle quitta la maison de ses parents, et entra à Arras, le 17 août 1867. Après sa profession monastique, soeur Sainte-Cécile fut nommée directrice du pensionnat. Elle s'y consacra de toute sa générosité, mais avec la douleur d'être le plus souvent éloignée de la vie de la communauté.
En 1893, le monastère de Rouen traversant une période très difficile, demanda de l'aide à la maison d'Arras, qui avait été fondée par celle de Rouen. Mère Sainte-Cécile et une compagne, mère Marguerite-Marie, quittèrent Arras le 10 août 1893, accompagnées de l'aumonier du monastère, Mgr Hervin. Dès le lendemain de son arrivée, Mgr Thomas, archevêque de Rouen, nomma mère Sainte Cécile, prieure pour un an. Elle le restera jusqu'à sa mort le 30 janvier 1933, dans sa 92' année, et la quarantième de son priorat.
Elle restaura entièrement les bâtiments du couvent qui n'avaient pu recevoir l'entretien nécessaire depuis de nombreuses années. Elle connut les époques si difficiles des lois spoliatrices de 1904, qui firent périr tant de communautés ; elle accueillit de nombreux réfugiés, en particulier des Belges, au cours de la première guerre mondiale, sans jamais sacrifier l'essentiel de notre vie monastique. Sous son gouvernement la communauté fervente et ume attira de nombreuses vocations, ce qui lui permit de fonder un monastère à Bréda (Hollande). Les dernières années de sa vie lui offrirent maintes occasions de sacrifices, mais Dieu permit qu'elle restât jusqu'au bout, la mère attentive au progrès spirituel de ses filles. (Archives du monastère de Rouen).
-les n'ont qu'un peu de sel avec leur pain et, pour comble de malheur, la toiture de leur maison est à refaire. Monseigneur voudrait leur faire vendre ce qu'elles ont de plus précieux à la sacristie pour faire les réparations les plus urgentes ; elles ne peuvent se résoudre à faire un pareil sacrifice et à livrer à des mains étrangères des souvenirs qui remontent à la fondation.
La bonne mère Joséphine 239 âgée de 84 ans ne se décide à dévoiler tout ceci que sur les instances que lui en a faites notre très révérende mère et elle termine par ces mots dans lesquels passe le coeur angoissé de la mère : « Secourez mes pauvres enfants ». Il n'en fallait pas tant pour nous émouvoir toutes et pour ouvrir tout grand le coeur de notre bonne mère prieure. Le 23 décembre la communauté envoie 1 000 F par l'intermédiaire du consul de Pologne, ce secours les aidera à en attendre d'autres. Notre très révérende mère a fait connaître leur triste situation aux maisons de l'institut ; quelques-unes nous ont envoyé leur offrande pour la leur faire parvenir ; d'autres leur ont adressé par l'entremise du nonce. Nous quêtons aussi auprès des parents des religieuses et des amis de la communauté.
Le 26 janvier 1923 une lettre de Varsovie nous apprend que nos bonnes mères ont tout reçu, ce qui nous rassure. Les communications sont longues et difficiles, c'est la bonne mère Marie-Joséphine qui écrit, sa lettre est l'écho de son coeur reconnaissant, elle ne trouve pas d'expressions assez vives pour remercier notre très révérende mère : « Je trempe ma plume dans. mes larmes », dit-elle, et de fait l'écriture et le papier le disent assez. Le 29 une autre lettre de Pologne, c'est la mère prieure de Varsovie 240 qui vient à son tour dire sa reconnaissance ; notre offrande les a sauvées. Les mots ne lui suffisent pas non plus, et dans son naïf langage, mêlé d'expressions françaises et polonaises, elle nous nomme les grandes bienfaitrices, elle
239. Daszkiewiczowna - Korybut Alexandra, soeur Joséphine de l'Enfant-Jésus née à Goryce le 10 octobre 1837. Vêture le 17 juin 1862 ; profession le 2 février 1864. Elle décéda à Varsovie le 13 février 1931. Elle fut prieure du 2 juillet 1918 au 1« juillet 1921.
240. Kowalska Victoire, soeur Anne (du patronage) de Saint-Joseph. Née à Kamienec Podelski le 23 décembre 1884. Vêture le 14 mai 1910 ; profession le 26 mars 1916. Elle fut prieure de 1921 à 1927. Elle fut tuée dans l'écrasement de l'église du monastère de Varsovie le 31 août 1944.
382 baise les pieds et les mains de notre mère qu'elle appelle mère incomparable ! Les pauvres mères ont tant souffert ! Leursanté se maintient malgré tout et les deux plus anciennes, mère Sainte Colombe, 94 ans, et mère Marie-Joséphine sont les plus vaillantes. Elles reprennent courage, sentant qu'elles ne sont plus abandonnées. Plusieurs de nos maisons leur ont envoyé des secours. a bien voulu se charger d'un message de notre révérende mère, pour nos bonnes mères de Varsovie si éprouvées, si nécessiteuses ! Leur beau monastère tombe en ruines sans qu'il leur soit possible de le faire réparer ; je ne parle pas des privations inhérentes à une telle pauvreté...
Soeur Marie de l'Assomption Bény 243
AUTOGRAPHE DU MONASTÈRE DE ROUEN
Ma révérende et chère mère,
... Peut-être savez-vous, ma révérende mère, qu'une joie nous a été accordée par le retour d'une de nos cloches retrouvée dans les décombres de notre cher Arras ; deux autres ont été fondues avec des débris ; elles ont été bénites le 15 juin.
Monseigneur l'évêque d'Arras 241 qui a accompagné Son Éminence le cardinal Dubois 242 dans son voyage en Pologne, a bie nvoulu se charger d’un message de notre révérende mère, pour nos bonnes mères de Varsovie si éprouvées, si nécessiteuses ! Leur beau monastère tombe en ruines sans qu’il leur soit possible de le faire réparer : je ne parle pas des privations inhérentes à une telle pauvreté »…
Soeur Marie de l’Assomption Bény 243
241. En 1924, l'évêque d'Arras était Mgr Eugène Julien, normand, né à Canvilleles-deux-églises, le 16 janvier 1856. Prêtre le 17 juillet 1881, agrégé de l'Université, il fut secrétaire du cardinal Léon-Benoit-Charles Thomas, archevêque de Rouen (1884-1894). Supérieur de Saint-Joseph du Havre (1897), curé de Notre-Dame du Havre en 1911, évêque d'Arras en 1917 sur la recommandation de Mgr Dubois, ami de Benoît XV, il fut sacré à Rouen le 8 mai 1917, par le cardinal Dubois, archevêque de Rouen. Membre de l'Institut de France, il décéda à Arras, le 14 mars 1930. Dans son testament, il demanda à être inhumé dans la chapelle qu'il avait fait bâtir sur la colline de Lorette, au-dessus du cimetière militaire.
Il travailla au relèvement de son diocèse après la guerre de 1914-1918 (240 églises et sa cathédrale avaient été détruites). A l'occasion du jubilé du cardinal James Gibbons (archevêque de Baltimore, t 1921), il accompagna Mgr Baudrillart (Alfred, cardinal, 1859-1942), en mission près des Églises d'Amérique du Nord. Il oeuvra pour le rapprochement de l'Église et de l'État, en France : la paix scolaire, la paix sociale, la paix internationale. Il ne s'est jamais laissé influencer par les doctrines modernistes, mais prit une part active à la diffusion de la doctrine sociale de l'Église et aux conférences des Semaines sociales. (Renseignements aimablement communiqués par Dom A. Chapeau, archiviste de l'abbaye de Wisques).
242. Louis Ernest, cardinal Dubois, né à Saint-Calais (Sarthe) le icr septembre 1856, ordonné prêtre le 20 septembre 1879, évêque de Verdun le 5 avril 1901, archevêque de Bourges le 30 novembre 1909, archevêque de Rouen le 13 mars 1916, fut créé cardinal-prêtre le 4 décembre 1916, archevêque de Paris le 13 septembre 1920. Il décéda le 23 septembre 1929.
Entre 1918 et 1924, la Pologne avait eu deux très grands nonces qui purent l'aider à fortifier la vie intellectuelle et spirituelle du pays, affaibli par des années de domination étrangère et de guerre meurtrière.
Le cardinal Achille Ratti, futur Pie XI, fut nonce à Varsovie du 25 avril 1918 à septembre 1921. François Charles Roux dans son ouvrage Huit ans au Vatican relate combien Pie XI avait gardé une grande estime et admiration pour le peuple polonais. Sa première préoccupation fut d'aider la Pologne à refaire son unité, après tant d'années de domination. Benoit XV lui avait confié comme mission, de rétablir les relations entre le Saint-Siège et la Pologne. Il fit nommer une dizaine d'évêques et encouragea vivement la création de l'université de Lublin, par l'épiscopat de Pologne. En nommant l'ancien préfet de la bibliothèque vaticane, Benoît XV pensa que Mgr Ratti, grand humaniste occidental, serait en mesure de comprendre l'humanisme oriental, et de favoriser leur développement harmonieux. Son action pastorale, lors de la bataille de Varsovie, au printemps de 1918, fut un tris grand appui pour les combattants. Mgr Ratti fut alors le seul membre du corps diplomatique resté à Varsovie. Le 28 octobre 1919, il fut sacré évêque dans la cathédrale de Varsovie. Le cardinal Karol Wojtyla (Jean Paul II) fut professeur à Lublin dès 1953.
Jean Baptiste Montini, dès sa sortie de l'Académie des sciences politiques du Vatican, fut nommé représentant du Saint-Siège, en Pologne, le 6 février 1922. Il eut à poursuivre la préparation d'un Concordat, commencée par Mgr Ratti. Il s'occupa de pourvoir les nouveaux évêchés, et d'étudier les questions religieuses qui se posaient en Lituame et en Lettonie. Il put aussi connaitre, sur le vif, les dangers de la propagande de l'idéologie communiste. Il fut rappelé à Rome en 1923, ne pouvant su porter le climat de la Pologne, et nommé dans les bureaux de la Sectrétairerie d'État (cf. Paul Lesourd, Qui est le pape Paul VI, éditions de Paris, 1963). Le Concordat de 1925, divisait le pays en cinq provinces : Gniezno-Posnan, Varsovie, Wilno, Lwow, Cracovie avec six archevêchés (Gniezno et Posnan sont des sièges archiépiscopaux distincts) et quinze suffragants. (Cf., C. Bihlmeyer, Histoire de l'tglise, t. IV, Mulhouse, 1967).
243. Aline Bény, née à Wattrelos, Nord, le 4 novembre 1876. Entrée le 29 janvier 1905 à Liesboch (Hollande) où la communauté de Rouen s'était réfugiée pendant les lois d'expulsion de 1904, elle y resta six mois et demi et elle fut envoyée à Rouen pour y prendre l'habit, le 17 août 1905 ; elle y resta et fit profession pour un an (comme il fallait le faire à cette époque), le 18 octobre 1906, et le 18 octobre 1912, ses voeux perpétuels.
Infirmière et jardinière, elle est décédée le 27 mars 1960.
Elle avait une soeur ainée. Religieuse au Bon Pasteur et sa soeur benjamine, entrée à Arras le 19 mars 1902 ; mais comme on manquait de postulante à Rouen, elle y fut envoyée presque aussitôt. Elle mit l'habit sous le nom de soeur M. du Saint Sacrement. Elle est décédée à Vilpinte le 1" juin 1947.
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Loué soit la très Saint-Sacrement à jamais Ma très vénérée et bien chère mère,
... Pour nous, cette année fut marquée d'une si grande grâce qu'elle restera dans nos annales comme le commencement d'une nouvelle ère. Le ter janvier 1932, monseigneur notre archevêque nous donnait la permission pour l'exposition du très Saint Sacrement chaque jour, depuis la messe conventuelle jusqu'à huit heures du soir, et le 11 juillet, monseigneur notre évêque suffragant venait inaugurer solennellement l'exposition permanente jour et nuit et pour toujours. Ce fut alors le comble de notre bonheur et l'accomplissement de nos plus ardents désirs. Cette grâce nous fut préparée encore en automne de l'année 1931 lors de la visite apostolique du très révérend père abbé des bénédictins de Prague 244 qui, étant venu pour visiter tous les monastères de bénédictines en Pologne, nous visita aussi. Ce très bon père nous laissa le plus doux souvenir de sa toute paternelle bonté, et comme gage de sà protection, il nous laissa un père bénédictin polonais pour nous guider et nous instruire. Ce bon père, un vrai saint, nous donne des conférences sur notre sainte Règle, chaque semaine, et veut bien même nous confesser comme second confesseur, et nous fait beaucoup de bien.
Cette année nous a apporté encore une innovation : notre très révérende mère eut l'idée d'arranger dans notre monastère des retraites pour dames. Notre père abbé fut ravi de cette idée et la compléta en nous conseillant de transformer les salles de notre ancien pensionnat en une maison pour retraites fermées. Dieu aidant, nous parvînmes à arranger la chose, qui n'était pas facile, car deux grandes salles durent être divisées en de petites cabines au moyen de rideaux, ce qui nous donna plusieurs
244. Les abbayes de moniales bénédictines en Pologne furent érigées en congrégation sous le vocable de l'Immaculée Conception, le 21 juin 1932. Leur visiteur nommé par Rome fut le père abbé de l'abbaye d'Emmaüs de Prague, Dom Ernest Vykoukal.
Dom Vikoukal, né le 7 mai 1879, fit profession le 11 novembre 1901, et reçut le sacerdoce le 22 septembre 1906. Élu abbé le 18 septembre 1925, il reçut la bénédiction abbatiale le 27 septembre suivant.
L'abbaye de Prague fut fondée en 1348 par l'empereur Charles IV et restaurée en 1635 par Ferdinand III, enfin relevée en 1880 par l'empereur François Joseph I°" avec l'aide de moines de l'abbaye de Beuron. Cette abbaye n'existe plus.
386 chambrettes. L'ensemble est de bon aspect et plaît beaucoup aux visiteurs. La fin de l'année 1932 a été marquée par la bénédiction de la maison et la première retraite fermée. Monseigneur notre évêque suffragant nous a fait une très belle allocution et commença cette oeuvre. Ce furent des jeunes filles de la Société catholique, de jeunes personnes, qui commencèrent. La retraite fut prêchée par un père jésuite très zélé et les retraitantes furent enchantées.
L'ange de la mort est venu nous visiter une fois cette année. C'était pour nous enlever notre seconde jubilaire de l'année 1929. La première notre soeur Walburge 245, s'en est allée en avril 1931, après de longues souffrances causées par son âge d'octogénaire. La seconde, quelques années plus jeune, notre bien chère mère Gertrude 246 s'endormit paisiblement en Notre Seigneur au mois de mai 1932. C'était un lis de pureté que Jésus s'était cueilli dans sa vingtième année.
Notre noviciat compte plusieurs bonnes enfants, cinq professes de voeux temporaires, une novice de voile blanc, deux postulantes du choeur, deux converses et deux professes tourières. Nous n'avons en ce moment personne à l'infirmerie.
Avant de finir, nous tenons à revenir encore au sujet de notre exposition permanente du très Saint Sacrement. Ce n'est pas pour dire seulement quel bien nous en revient pour nos âmes, mais pour constater que la chose n'est pas si difficile à exécuter comme l'on pourrait le croire, surtout pour les communautés assez nombreuses. Pour la récréation, nous l'avons à midi tous les jours, sauf les jeudis et dimanches, auxquels nous conservons leur caractère de fêtes, et prenons la récréation le soir. Le luminaire coûte cher, c'est vrai, mais les personnes pieuses heureuses d'avoir un sanctuaire pour l'adoration font des offrandes, et Dieu aidant, nous nous tirons d'affaire bien que nos finances soient en bien triste état. Notre Seigneur bénit son oeuvre...
Mère Joseph de l'Incarnation Markiewiczowna Prieure de 1929 au 3 juin 1944
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN
245. Czengerowna Philomène, soeur Walburge, née à Lwow le 15 avril 1842. Elle reçut l'habit monastique le 18 décembre 1875 et fit profession en qualité de soeur converse le 19 octobre 1879. Elle décéda le 12 avril 1931.
246. Poje Agnès, soeur Gertrude, née à Janow près de Lwow en septembre 1855. Elle reçut l'habit monastique le 16 août 1875 et fit profession le 19 octobre 1879. Elle décéda le 18 mai 1932.
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Les guerres ont toujours été des temps d'élection en matière d'héroïsme et de tragédie, et Dieu sait combien il y en eut au cours des années 1939-1945. Chaque pays possède son palmarès riche en héros, en martyrs, en victimes et aussi en horreurs. Il est des noms qui ont franchi les frontières des pays et du temps et appartiennent à présent à l'histoire héroïque de l'humanité. Songeons à Edith Stein, au pasteur Bonhdffer, au bienheureux Maximilien Kolbé, le franciscain polonais qui s'offrit de mourir emmuré à Auchswitz à la place d'un codétenu. (canonisé le 10 octobre 1982).
C'est en 1688 que les bénédictines de l'Adoration perpétuelle s'installèrent à Varsovie, grâce au voeu formulé par Marie d'Arquien, épouse du roi Jean III Sobieski, à l'occasion de la levée du siège de Vienne. Le monastère de Varsovie traversa les siècles, connut des périodes de grandeur, mais aussi des jours difficiles, où, dans un élan patriotique, les moniales voulurent apporter leur part aux efforts de leurs compatriotes. Tel fut le cas en 1794 durant l'insurrection suscitée par Kosciuszko 247 au temps où la Pologne était la proie des pays voisins. Les soeurs offrirent l'argenterie de leur sacristie et les plaques de cuivre recouvrant la coupole de l'église.
En 1863 la communauté abrita en cachette des insurgés ; mais après la défaite de l'insurrection, un oukaze vint durement frapper le monastère obligeant à la fermeture du noviciat. Cet état de choses durera près de quarante ans. En 1892 les religieuses durent interrompre la récitation de l'office divin en commun et faire appel à des personnes laïques pour pouvoir maintenir l'adoration. Cependant en 1905 un oukaze de tolérance autorisait à nouveau de recevoir des novices, mais en nombre limité. L'âge de trente ans était exigé pour l'émission des voeux.
Quand la Pologne recouvra son indépendance, en novembre 1918, l'état de la communauté était misérable. Depuis 1905 de rares candidates s'étaient présentées, certes déjà âgées, et au monastère régnait la misère. En 1924, une modique somme lui était allouée en compensation des biens saisis par l'ancien gouvernement tsariste et qui avaient passé au gouvernement polonais.
Un rajeunissement des supérieures s'imposait. En 1927, en accord avec la communauté des bénédictines de Staniatki (près Cracovie) la mère Janina Byszewska appartenant à cette abbaye, fut choisie comme prieure à Varsovie. La nouvelle supérieure prit à coeur sa nouvelle fonction. Elle gouverna fortiter et suaviter. Sous son priorat le monastère des sacramentines connut un nouvel essor. Les vocations se firent nombreuses. A la veille de la guerre 1939 la communauté comprenait 48 religieuses.
247. Thadée Kosciuszko né en 1746, commença à acquérir sa réputation militaire par son rôle pendant la guerre de l'Indépendance américaine où il fut aide de camp de George Washington. Revenu en Pologne, lors du deuxième démembrement (1792), à la tête d'une petite armée, il remporta de beaux succès contre les Russes. Quand le roi Stanislas Auguste eut accepté le second partage, Kosciuszko se retira à Dresde, où en 1794, les chefs patriotes polonais vinrent lui offrir la direction du soulèvement qu'ils préparaient. Il accepta, décréta la levée en masse de la jeunesse, fit appel aux paysans, formant ainsi une armée nationale et remporta, le 4 avril 1794, à Raclawice, une belle victoire qui entraîna l'insurrection générale. Vaincu à Maciejowice au mois d'octobre suivant, il fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Emmené en captivité en Russie, rendu à la liberté par Paul I « qui avait admiré sa grandeur d'âme, il partit pour les États-Unis, puis revint s'établir en France en 1798 où il vécut dans la retraite, près de Fontainebleau. Il mourut en 1813 à Soleure (Suisse). Son corps repose aujourd'hui dans la crypte royale du Wavel (cf. La Pologne, Hachette, 1967).
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De grands travaux de restauration du monastère furent entrepris à l'occasion du 250e anniversaire de son existence travaux qui s'avéraient urgents, tant les bâtiments étaient délabrés, mais dont les frais furent très élevés. Nul ne soupçonnait alors que la lourde somme investie pour ces travaux ne servirait qu'à des bâtiments qui seraient totalement détruits six ans plus tard.
C'était une communauté fervente, une maison de prière, de grande charité fraternelle. Très scrupuleusement les sacramentines de Varsovie observaient les prescriptions dictées par la mère Mectilde.
Le 1er septembre 1939 la guerre éclata. A nouveau, la Pologne en sera la première victime. Dès les premiers jours du mois, Varsovie fut soumise à un bombardement intensif. Le 14 durant l'office une bombe tomba sur le toit du monastère, mais heureusement n'explosa pas. Après la capitulation de la ville, les sacramentines durent faire face aux problèmes du ravitaillement. Heureusement la Providence veillait. La confection des hosties sera une source non négligeable de revenus. L'ingéniosité des soeurs et des secours venus de différents organismes permirent de survivre durant ces dures années. Il va sans dire que les soeurs durent décupler leurs énergies pour mener de front prière et travail 248.
Au printemps de 1943 la situation s'aggrava subitement, quand, à quelque 250 mètres du monastère, le ghetto se souleva. C'est au son de la canonade et à la lueur des incendies que les soeurs célébrèrent les offices de la semaine sainte. Les Lamentations chantées au cours de l'Office créaient un climat tragique. Ce ne sont plus les plaintes des exilés à Babylone,
248. Durant la dernière guerre mondiale les études universitaires, notamment, ne pouvaient se poursuivre qu'en clandestinité. C'est ainsi que la faculté de philosophie catholique fut alors confiée à une religieuse du monastère des bénédictines de Varsovie, mère Toma Koperska, docteur en philosophie de l'université de Fribourg. Deux fois par semaine, à travers les grilles du parloir, elle donnait son cours à des étudiants et des étudiantes qui, en fin d'année scolaire, passaient leurs examens. Ce n'est d'ailleurs là qu'un des aspects de l'activité intellectuelle et de l'influence spirituelle de ce monastère. Elle devait se continuer, bienfaisante, jusqu'à la destruction de Varsovie, en août 1944. (cf. Priez sans cesse, Desclée de Brouwer, Paris, 1953).
mais ce sont celles de ces 300 000 Juifs terrés dans ce ghetto réduit à feu et à sang. A ce moment les bénédictines de l'Adoration perpétuelle saisissent toute la réalité de leur vocation de réparatrices. Cette tuerie dura plus de deux mois. Grenades, cris, explosions se faisaient entendre jusque derrière les murs du couvent ; les bruits des arrestations massives dans les rues, les exécutions sur la voie publique, les déportations d'enfants, le sort atroce dans les camps de concentration, tout cela arrivait en vrac aux oreilles de la communauté. Les soeurs priaient de plus en plus. Elles comprenaient que c'était là leur devoir impérieux, irremplaçable.
Le 1er août 1944, Varsovie se soulèva contre l'occupant. Déjà à l'Ouest le front allemand avait craqué, la poussée des Alliés se faisait plus intense. A l'instigation venue de Londres et sans doute de Moscou, la population de la capitale se souleva pour accélérer la défaite allemande. C'était prématuré. L'occupant, au début, est pris de court. Il ne comprend pas immédiatement l'ampleur des événements. Sur la place du Nouveau Marché, en face du monastère, on pavoise aux couleurs nationales. Les insurgés occupent plusieurs points stratégiques. Un peu partout, hommes, femmes et enfants construisent en hâte des barricades. Cependant à l'arrière plan de l'enthousiasme de la population, plane un sentiment d'incertitude et de peur. De fait les cris de joie ne peuvent dissiper le sentiment de tristesse de la communauté. La mère Byszewska avouera à quelques soeurs : « Maintenant voici venir la fin pour nous ! » Les soeurs se groupent autour de l'ostensoir exposé. Durant les premiers jours de l'insurrection la messe se célèbre dans l'église, comme à l'ordinaire, et à 16 h la communauté récite les Matines.
La situation s'aggravant, une délégation d'insurgés pria la mère prieure de lever la clôture. La demande s'imposait, car l'église et les bâtiments claustraux empêchaient la vue sur les deux rives de la Vistule proche du monastère.
Dès le 6 août, la communauté descendit dans les caves. On y apporta le Saint Sacrement, mais il n'est plus question d'exposition. Les soeurs âgées sont installées dans des fauteuils placés devant l'autel situé en dessous de l'église. Quant aux malades, elles se groupent dans une cave en dessous du choeur des moniales, et dans un étroit couloir qui y mène. Le lit de la mère 393 prieure y prend place. Les autres soeurs se logent ici et là soit dans le souterrain sis en dessous de l'église, soit dans des caves avoisinantes, soit aussi dans l'ancien palais Kotowski, englobé dans l'ensemble des bâtiments et qui était réservé au noviciat. Au fur et à mesure de l'accroissement du danger, un nombre considérable de civils vint chercher refuge sous l'église, au rez-de-chaussée donnant sur la place du Nouveau Marché et à l'abri des canons allemands. Quelques prêtres, dont l'aumônier, s'y abritèrent aussi. Est-ce à dire que le monastère leur garantissait une plus grande chance ? Certes les souterrains paraissaient solides, mais sait-on jamais ?
Il va sans dire que, cette masse de gens enfermés dans les sous-sols, ayant abandonné à quelques mètres de là, maison, appartement, tout leur avoir, laissé à la merci de maraudeurs et pilleurs, ajouta encore à l'atmosphère tragique. Les soeurs, quand elles le pouvaient, s'efforçaient de calmer les pleurs des bébés, réconfortant les uns, apportant leur sourire aux autres mais avant tout il s'agissait de donner à manger. La mère Byszewska recommanda que trois fois par jour on distribuât pain, café ou soupe. « Nous recevons tout le monde les bras ouverts. Nous partagerons avec tous, ce que nous pourrons, mais je demande, en cas de malheur de ne pas nous en vouloir ».
Impossible d'effectuer un contrôle de ceux qui entrent et sortent. Des espions se sont glissés. L'un d'eux, dont l'attitude incertaine et louche avait frappé une soeur, fut signalé au poste de commandement le plus proche. De fait, c'était un espion. Il sera exécuté.
Entre-temps, les avions de reconnaissance allemands survolaient de près les bâtiments observant le va-et-vient entre le monastère et les maisons avoisinantes. Peu après le monastère servira de cible à l'artillerie ennemie. Celle-ci ayant renforcé son tir, le danger allait croissant. On improvisa une salle d'opération pour les blessés, mais bientôt ils durent être descendus dans la cave. Pour lors, le spectacle dans le sous-sol devient hallucinant. Ce sont mille personnes qui se pressent là, l'air devient irrespirable. A cela s'ajoutent les blasphèmes, les invocations et supplications, les gémissements des opérés sans narcose. Par surcroît, de temps à autre l'explosion toute proche d'un obus provoque des nuages de poussière et d'obscurité. Un affreux sentiment d'impuissance et de désespoir commence à se manifester dans le personnel de l'hôpital.15
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Le 13 août, le lanterneau surplombant la coupole de l'église est touché par un obus, la coupole prend feu et s'effondre sur le pavement de l'église, la menaçant par son effondrement. On décida l'évacuation des blessés dans le voisinage du couvent, tandis que la canonade continua jusque tard dans la nuit. Spectacle magnifique et terrifiant à la fois. Tout le poutrage de la coupole est en feu tandis que le revêtement de cuivre est devenu incandescent et brille. Au-dessus de la coupole s'élève la croix métalique, telle une torche en feu. Au matin elle tombera sur la place devant l'église.
La destruction du monastère se continue à un rythme accéléré. On envisagea de trouver refuge ailleurs, mais le danger est partout. Un groupe de soeurs sera recueilli à la rue Freta chez les soeurs de Charité (soeurs de Saint-Vincent-de-Paul). Le 22 août, après avoir cherché vainement un autre abri, ces soeurs retourneront dans les ruines de leur monastère. Le retour sera une sorte d'exploit alpestre : il faudra se hisser sur des montagnes de gravats et de décombres.
Au monastère l'eau se fait rare, médicaments et bandages viennent à manquer. Tour à tour des soeurs seront blessées, soit par l'éboulement d'un pan de mur, soit par des brûlures. On soigne comme on peut, en guise de bandages on utilise du papier de toilette.
Après trois semaines de danger, sans cesse menaçant, les habitants de tout le vieux quartier de Varsovie aspirent à sortir de cet enfer. Voici que les Allemands exigent que toute la population civile se rende, sinon elle sera décimée, mais les bruits courent, et les faits le prouveront, que la grande masse des Varsoviens qui se rendirent fut emprisonnée dans des camps et y resta jusqu'au printemps de 1945. Un très grand nombre mourut de faim et de misère. Quoi qu'il en soit, le 28 août, une délégation des habitants du quartier descendit dans le souterrain, suppliant la mère Byszewska et un prêtre de les accompagner dans leur reddition. On discute et on informe le commandement des insurgés. La réponse est claire : « Si les prêtres et les religieuses se rendent aux Allemands et abandonnent leur poste, ils provoqueront le découragement et l'effondrement des défenseurs de la ville ». Au reçu de cette réponse la prieure a compris : « Apparemment la volonté de Dieu est que nous restions à notre place et y mourions ». Tout comme les carmélites
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de Compiègne, c'est avec simplicité et dignité et même avec joie que la communauté entendit les paroles de sa mère prieure. A partir de ce moment toutes se préparèrent à cette mort imminente. La journée du 30 se déroule dans le recueillement, mais tournée vers la perspective de l'éternité. Les soeurs ne changeront pas leurs occupations, l'une ou l'autre continuant un ouvrage de crochet.
Durant tout ce mois le dévouement des bénédictines ne chôme pas un instant à l'égard de cette foule de laïcs venus chercher refuge. Si, au début de l'insurrection, la préparation des repas, certes peu recherchés, matin et soir, fut encore possible, quoique ce ne fût pas toujours sans danger, plus d'une fois la fumée d'un fourneau, forcément à l'air libre, provoquait un nouveau tir, finalement on dut se contenter de grignoter un biscuit. Bouillir de l'eau se faisait au risque de perdre la vie. Puis il y avait les doléances et les réclamations de ceux qui se croyaient frustrés, des injustices involontaires dans le partage des vivres. Les dérangements d'intestin ne firent que s'aggraver et en même temps chez plusieurs des symptômes de folie se manifestèrent.
Oui, la journée du 30 se passa comme les précédentes et, cependant, un fait tout spécial survint. Sur les 47 sacramentines, une soeur étant décédée au cours de ces journées, le plus grand nombre vint tour à tour auprès de la prieure pour lui demander de pouvoir faire l'offrande de leur vie. Cela se fit dans le secret, chacune conservant par devers soi le geste qu'elle avait fait. Si ces religieuses s'offrirent en holocauste, ce ne fut pas sous l'impulsion de la prieure.
Tout au contraire la mère Byszewska se voyait effrayée devant l'ampleur que prenait ce geste d'offrande chez ses filles. Ce n'était pas de sa part pusillanimité : à toutes les soeurs qui le lui demandaient, elle accorda sa bénédiction, convaincue qu'elle agissait selon le dessein de Dieu. Cependant elle la refusa à une de ses filles, la soeur Célestine Wielowiejska 249
Cette dernière reconnut elle même qu'elle ne se sentait pas poussée à formuler cet acte d'offrande, néanmoins elle s'en confessa à sa supérieure et lui demanda l'autorisation : la prieure s'y opposa.
Ce ne fut donc pas poussées par la contrainte, ni sous la pression d'une suggestion collective que ces religieuses posèrent cet acte de donation de leur vie. Ce ne fut pas non plus un mouvement de désespoir ni de folle bravade. Ce ne fut ni la supérieure, ni le confesseur, ni les soeurs elles mêmes qui s'y encouragèrent, chacune le fit sous l'inspiration de la grâce.
Combien de religieuses ont posé l'acte d'offrande ? Une chose est certaine : aucune des rescapées ne le fit, elles l'ont déclaré après coup et la prieure le confirma. Est-ce à dire que celles qui périrent se sont toutes offertes en victimes pour le salut de la patrie ? Ce serait exagéré de le prétendre. Parmi elles il y avait des soeurs très âgées ; il est certain que ce fut le geste du plus grand nombre.
Il ne s'agit cependant pas de tracer une ligne de démarcation entre celles qui s'offrirent en victimes et les autres. Là n'est pas la question. Toutes les sacramentines étaient désireuses de se dévouer pour leur pays, comme toutes également, en vraies bénédictines réparatrices, étaient animées d'un zèle profond. L'une d'elles, le matin du 31, avait revêtu son meilleur habit et son meilleur voile au grand étonnement d'une soeur, elle lui dit simplement : « Quand on va chez son fiancé, il convient de s'habiller comme pour des noces ! »
Le 31 août était un jeudi ensoleillé !
A 14 heures, la soeur Claire Zdrojewska terminait son
249. Wielowieyska, Marie, Mère Marie Célestine du Sacré-Coeur. Née le 6 avril 1902, d'une noble famille polonaise, elle obtint ses diplômes à la Faculté des Sciences politiques. Elle entra ensuite au monastère de Varsovie où elle fit profession le 19 mai 1931. Le 31 août 1944, elle fut providentiellement préservée, ainsi que onze de ses soeurs, lors de l'écrasement de son monastère par les bombardements de l'armée allemande. En 1945, elle fut nommée maitresse des novices et dépositaire et dirigea la reconstruction du monastère. En 1951, elle fut élue prieure de la communauté qui comptait alors 70 moniales. Le grand nombre de religieuses lui permit de fonder un nouveau couvent à Siedlce et de venir en aide à la communauté de Lwow, expulsée (cette partie de la Pologne étant devenue territoire soviétique), et regroupée à Bardo puis à Wroclaw.
Elle mit tous ses soins à préparer la fédération des monastères polonais, approuvée à Rome en 1962. Elle en fut élue la première présidente. En 1967, déjà malade, elle ne put reprendre la charge de prieure. Elle offrit alors sa vie pour l'Église, l'institut et sa communauté. Elle s'éteignit le 12 octobre 1968 après de longs mois de très grandes souffrances supportées avec une admirable sérénité.
397 heure d'adoration et s'était retirée dans la cave sous le ehoeur, Cependant, malgré son grand âge, et la fatigue d'un long agenouillement, elle dit a la mère prieure qu'elle désirait retourner sous l'autel, (c'est à dire dans le souterrain en dessous de l'église) parce que Dieu l'appelait. "Trente moniales, novices et postulantes se trouvaient mêlées à la foule d'un millier de personnes entassées dans cette cave et dans celle du noviciat, les treize autres se tenaient dans l'étroit couloir et la cave sous le chœur. Aux environs de 15 h, alors que les sœurs du couloir avaient récite l'office du très Saint Sacrement suivi des complies et du Salve Regina, un vromhrissement d'avions se fit en tendre, puis le bruit s'éloigna, mais aussitôt un terrible ébranlement secoua la voûte du souterrain sous l'église. Un instant après, celle-ci s'effondrait, écrasant dans ses décombres les trente-quatre hénédictines et le millier de civils ainsi que quatre prêtres. La coupole touchée par une bombe s'était écroulée. Aussitôt un incendie éclata. Des cris, des gémissements. Quelqucs dizaines arrivent à se dégager de dessous les ruines. Tandis que certains cherchent à éviter l'étouffement, d'autres les en empêchent. Vision dantesque ! Un voisin du couvent devant cette catastrophe, s'élance et arrive à sauver neuf personnes.
Dans la cave en-dessous du choeur, l'effroyable fracas ne parvint qu'assourdi ; par contre le sol est fortement secoué et un sifflement strident remplit la cave, puis un violent souffle d'air éteint l'unique bougie, arrache les voiles des soeurs, renversant les objets et un nuage de poussière brûlante envahit les lieux, après quoi une pluie de briques surchauffées tomba au pied du lit de la mère prieure et sur deux sœurs. Elles en furent quittes pour la peur, mais avec de fortes brûlures.
A présent elles entendent les cris, les râles des mourants et de ceux qui n'arrivent pas à se dégager. Quelques mètres à peine les en séparent. La cave n'a pas de fenêtre, pas d'autre issue que celle qui en ce moment est comblée par ce monceau de briques, de poutres et de tiges de fer. Comment sortir de là ? Qui viendra les sauver ? Aucune provision, pas une goutte d'eau ! Sera-ce la mort par la faim et la soif ? Voilà qu'un char d'assaut allemand prend sous son feu le mur saillant de l'église. Heureusement, la voûte sous le choeur, malgré ce nouvel ébranlement, supporte le coup et reste intacte. Coûte que coûte, il faut trouver une issue. Peut-être, en dégageant les briques et gravats obstruant l'unique issue parviendra t on à se glisser sous la chapelle du Saint Sacrement ; mais en essayant de déblayer les décombres, un lourd fragment de l'autel de marbre s'abat. Aucune sœur n'est à même de l'écarter et encore moins de le soulever. Des heures passent en prière silencieuse et en paroles brèves. Vers les onze heures de la nuit elles entendent des bruits de pas au-dessus d'elles et des coups répétés avec un instrument pesant. Aussitôt l'une d'elles s'empare d'un bâton ou mieux d'une barre de fer et en frappe le plafond. C'est le salut !
Au moment du sinistre quelques soeurs se trouvaient sous le palais Kotowski (noviciat) ainsi qu'une famille amie. Là aussi la mort frappa plus d'une personne : certaines littéralement ensevelies sous le poids des décombres. Après des efforts multipliés, une soeur put donner l'éveil à un rescapé cherchant désespérément sa femme et sa fille. Il l'aida à sortir de cette cave. Mais voilà qu'à travers ce chaos de ruines, des individus louches et des voleurs s'étaient glissés en quête de butin. Que faire ? Déjà c'est la nuit. L'incertitude sur le sort de leurs consœurs les incite malgré elles à s'adresser à ces individus et à leur demander leur aide avec promesse d'un copieux régal. C'est alors qu'avec pics et leviers ils arrivèrent à l'emplacement du choeur des moniales et en frappèrent le sol. Enfin le contact put se faire. Il était alors 11 h du soir. Après qu'on eut percé une ouverture, une soeur s'y glissa et retrouva la mère prieure et les autres survivantes. Cependant les « sauveteurs » se glissèrent à leur tour. Pour eux ce fut la grande aubaine !
En plus des paniers du vestiaire et des ornements sacerdotaux, ils trouvèrent des ballots d'étoffe confiés aux soeurs par un commerçant, et en plus une ou deux bouteilles de vin de Blesse. Pour lors ils avaient oublié leur mission : sauver les rescapées de cette cave. Il fallut l'attitude décidée d'une d'entre elles et surtout les paroles tranquilles mais fermes de la prieure : « Faites-nous sortir d'ici et, après, prenez ce que vous trouverez », pour qu'ils se décident à porter secours. On dut hisser une à une les religieuses, chacune ayant avec elle un peu de linge et autres objets de toilette. Puis, à force d'écarter les gravats, les survivantes arrivèrent prés du souterrain en-dessous de l'église. Ce fut une vision atroce : dans la pénombre elles virent un horrible monceau de cadavres agglutinés les uns aux 399 autres, le tout jusqu'à une hauteur d'environ un mètre. Cependant quelques mourants furent encore hissés à l'extérieur, mais ce fut peine perdue et ne fit que prolonger leur agome de quelques heures. On retrouva le groupe des soeurs mortes. Il n'était pas question de les enterrer en ce moment. Simplement la soeur Célestine Wielowiejska leur enleva du doigt leur anneau de profession. Mais il eût été dangereux de rester plus longtemps dans cette morgue apocalyptique. Les survivantes se groupèrent dans une chambrette restée intacte. On trouva une chaise pour la mère prieure ; les soeurs s'installèrent sur leur baluchon. On put encore sauver une soeur ensevelie sous les décombres du noviciat ainsi qu'une dame. En voyant les soeurs groupées autour d'elle, la mère Byszewska eut cette réflexion spontanée : « Nous avons le nombre suffisant pour recommencer l'Adoration perpétuelle ! » De fait selon les Constitutions, le chiffre de 12 était obligatoire.
De cette horrible catastrophe sortirent vivantes 13 bénédictines et environ vingt civils. Par contre périrent 34 soeurs, 4 prêtres et un millier de civils.
Si le 31 août fut le calvaire de celles qui allèrent mourir, le 1er septembre fut celui des survivantes. Les soldats allemands obligèrent les soeurs et les civils du quartier à abandonner les lieux. Cet arrachement de ces ruines fut, pour les sacramentines, déchirant. Elles y laissaient tout ce qui fut leur vie religieuse et les corps de leurs 34 soeurs. L'une d'elles, tout comme le font les Juifs à Jérusalem, priant devant les restes du Temple, baisa un pan de mur avant de s'éloigner.
La marche dura des heures. Toutes durent marcher quel que fut leur état. Deux soeurs soutenaient la grande malade qu'était la prieure ; d'autres, malgré une forte fièvre ou ayant des brûlures aux pieds, durent se traîner sans souliers, gravir des monceaux de cendres encore chaudes, se frayer un chemin à travers mille obstacles. L'itinéraire fut extrêmement pénible, surtout qu'à certains moments les décombres atteignaient jusqu'au premier étage des maisons, et cela au milieu de meubles brisés, d'éclats de verre. Paysage cauchemardesque : le long de la route, des cadavres gisant là depuis des heures et peut être des jours et dont la puanteur était intolérable.
Une première halte eut lieu le long de la Vistule, puis ce fut l'arrivée à la Citadelle, ancienne forteresse construite par les Russes dans la première moitié du XIXe siècle. La longue colonne s'arrêta. On leur permit de s'asseoir. Des infirmières distribuèrent pain et eau, mais la presse fut telle que les soeurs ne reçurent rien du tout. L'après-midi le convoi s'en alla plus loin. L'état de faiblesse de la mère Byszewska était extrême. Il semblait impossible de lui faire continuer la route. Il y eut bien la tentative de trouver un moyen de locomotion, mais les gardes hitlériennes non seulement l'en empêchèrent, mais frappèrent les deux soeurs qui l'assistaient. D'autres soeurs furent rudoyées et frappées du pied. Les sacramentines ne furent pas les seules victimes des brutalités de la soldatesque.
Après quelques heures de ce chemin de croix et après d'autres étapes, cette masse humaine arriva à la gare de l'Ouest. Il se passa là des scènes déchirantes. Les gardes séparèrent les familles : les hommes d'un côté, les femmes et les enfants d'un autre. Après bien des péripéties les bénédictines ainsi que les femmes arrivèrent à Pruszkow, petite ville à 25 km de Varsovie. Comme dans le train il y avait une masse de jeunes filles destinées à travailler en Allemagne, les soeurs purent s'approcher du machiniste, un Polonais, lui demandant de ralentir aux tournants pour permettre à cette jeunesse de sauter du train. De fait un certain nombre réussirent à s'échapper. Pruszkow n'était encore qu'une étape de plus. Enfin le train les amena à Lowicz 250, à environ 100 km à l'ouest de la capitale. Là, elles furent reçues très cordialement par les soeurs bernardines. Elles y restèrent trois semaines durant lesquelles elles purent se reposer, manger à leur faim et retrouver une atmosphère de sérénité et de paix. Ce fut également un temps où les rescapées de la terrible catastrophe prirent conscience que pour elles s'amorçait un nouveau départ. Elles constituaient le noyau d'une nouvelle communauté. A vrai dire, en face de la réalité du moment, pareille perspective paraissait une gageure. Quelle foi héroïque cela n'exigeait-il pas ? D'autre part,c'eût été inconcevable que les bénédictines de l'Adoration perpétuelle, dans le halo du sacrifice de leurs soeurs, disparaissent à jamais !
250. Lowicz, ancienne capitale du duché archiépiscopal et résidence des primats de Pologne. La ville est située sur la Brzura, affluent de la Vistule. Tout près de Lowicz se trouve l'ancien domaine des Radziwill, famille alliée aux rois de Pologne : Sobieski et Leszczynski. (Cf. Pologne Warsarwa 1975). La ville est située à 80 km de Varsovie.
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Enfin, le 20 septembre, l'abbaye des bénédictines de Staniatki à 25 km de Cracovie, leur ouvrait ses portes toutes grandes. Les voies de Dieu sont impénétrables ! La mère Byszewska, professe de Staniatki et devenue prieure des bénédictines de l'Adoration perpétuelle à Varsovie, contre toute attente, se retrouvait, pour un temps du moins, dans son monastère de profession. Cependant le séjour à Staniatki fut plus pénible que celui de Lowicz. La mère abbesse, fidèle à la tradition bénédictine avait donné asile à plus de 200 personnes. Tout ce monde logeait dans les bâtiments du monastère, car l'autorité occupante s'était réservé le gymnase, l'école et les bâtiments de l'économat. Tout magnifique qu'était ce geste de charité, il manquait de discrétion, au point que, pour toute nourriture, il fallait se contenter d'une seule tranche de pain par jour et d'une soupe. Néanmoins ce sera à Staniatki qu'auront lieu la cérémome des voeux perpétuels d'une jeune religieuse et celle de la prise d'habit de trois postulantes.
Au cours des mois passés à Staniatki (20 septembre-2 mars 1945), il y eut jusqu'à cinq tentatives de retour à Varsovie. mais ce ne sera que le 2 mars 1945 que le premier groupe s'en retourna définitivement. Durant quelques mois, jusqu'au 25 juin, la communauté renaissante devra s'éparpiller dans différentes maisons de Varsovie ou abris de fortune. Comme la porterie du monastère et un des parloirs, bien qu'endommagés, étaient utilisables, quelques soeurs purent y loger. Étant sur place, elles eurent la possibilité de sauver des objets et même des aliments enfouis sous les décombres, jusqu'à la machine servant à la confection des hosties, qui fut mise immédiatement en service ! De même on put sauver l'ostensoir offert par la reine de Pologne, Marie-Casimire d'Arquien, épouse du roi Jean III Sobieski. C'était un témoin des premiers jours de la fondation et combien précieux ! Cependant, devant la nécessité urgente de trouver une première somme d'argent, permettant un début de reconstruction du monastère, avec la permission de l'autorité ecclésiastique, l'ostensoir fut vendu. Plus tard viendront s'ajouter des dons particuliers et des subventions de la part du gouvernement polonais, le monastère ayant été considéré comme monument historique.
Dans une première phase il s'agissait de déblayer les ruines. Travail colossal et en même temps extrêmement délicat. Il eût été imprudent d'utiliser sans discernement pioches et excavatrices, car il importait avant tout de remettre en état le système de canalisation d'eau. La situation était d'autant plus compliquée que les plans de la régie des eaux de Varsovie avaient disparu au cours de la tourmente.
A partir du printemps de 1947,1a direction des travaux fut confiée à la soeur Michaela Walicka, architecte diplômée. Qui aurait cru, en avril 1944, que cette jeune postulante entrant au monastère serait appelée à le reconstruire ? Elle avait vécu l'atroce tragédie. Avec zèle et opiniâtreté, elle se consacra à cette tâche exaltante : durant près de 25 ans la soeur s'attellera à la reconstruction du monastère et de l'église. Ce ne fut certes pas sans peine. En 1951, l'église sera ouverte au culte, et, le 19 mai 1973, le cardinal Primat Wyszynski procéda à sa consécration.
Nous connaissons l'adage attribué à Tertullien : « Le sang des martyrs est la semence des chrétiens ». Les soeurs bénédictines de l'Adoration perpétuelle ne furent pas des martyres au sens strict du mot selon la théologie, mais leur acte d'offrande de leur vie, à la veille de la catastrophe, pour le salut de leur patrie, est tout de même le témoignage authentique de leur confiance en Dieu et de leur amour, selon la parole du Christ : « Il n'y a pas de plus grand amour que de livrer sa vie pour ses amis » (Jn 15,18).
« Semence de chrétiens », disons ici : « Semence de vocations ». Ce sera dans le dénuement le plus total que débutera la nouvelle communauté. Pour lors elle était réfugiée dans une villa à Otwock à 15 km à l'est de Varsovie. En juin 1945, la récitation du bréviaire en commun fut réintroduite et, le 15 août de la même année, l'adoration perpétuelle. Le 28 septembre ce fut le retour de toute la communauté à Varsovie. Dès le cours de 1945 les postulantes se présentèrent nombreuses, très nombreuses. Si toutes ne furent pas admises et si d'autres s'arrêtèrent en chemin pour raison de santé, en l'espace de quinze ans, la communauté atteignit le chiffre de 60 religieuses.
Vers les années 1960, un essaim s'établit à Siedlce, à une centaine de kilomètres de la capitale. En ce moment, cette jeune communauté comprend environ 25 soeurs. Si, à Varsovie, dans les années qui suivirent, les entrées furent moins spectaculaires, nous retrouvons en cette année 1978 le chiffre de 60.
DE VARSOVIE, ANNÉE 1978.
Barejkowna Katarzyna, soeur Gertrude du Coeur de Jésus. Née à Ponurzycle 23 juin 1896. Vêture le 7 janvier 1920, Profession le 2 octobre 1922.
Borkemowna Ludwika, soeur Antoine du Saint Esprit. Née à Pawlow (voïvodie de Chelm) le 6 juillet 1877. Vêture en 1906, Profession le 8 septembre 1919. Frycowna Jozefa, soeur Aloysia de Sainte Bénédicte. Née à Zielonce le 21 mars 1895. Vèture le 1 er février 1919. Profession le 22 août 1921.
Karczowna Jadwiga, soeur Joachim du Saint Sacrement. Née à Ostrowo le 25 juin 1875. Vêture le 15 mai 1922, Profession le 1" juin 1924.
Karczewska Zofia, soeur Rose du Saint Sacrement. Née le 6 septembre 1904. Vêture le 30 janvier 1926, Profession le 9 janvier 1928 en qualité de soeur converse. Kiljanska Katarzyna, soeur Bénédicte du Coeur de Jésus. Née à Duchnic le 30 avril 1889. Vêture le 2 mai 1914, Profession le 23 septembre 1916
Koperska Apolonia, soeur Thomas de la très Sainte Trinité. Née à Varsovie le 14 avril 1887. Vêture le 6 juillet 1929, Profession le 7 mars 1931.
Kowalska Wiktoria, soeur Anne du patronage de saint Joseph. Née à Kamieniec Podolski le 23 décembre 1884. Vêture le 14 mai 1910, Profession le 26 mars 1916, prieure de 1921 à 1927.
Kuzminska Malgorzata, soeur Catherine de tous les saints. Née à Brzezie le 6 juillet 1918. Vêture en 1941, Profession 1943.
Marczakowna Helena, soeur Bernard de la Sainte Famille. Née à Dziewule le 11 décembre 1894. Vêture le 6 décembre 1924, Profession le 14 octobre 1926. Matuszczakowna Maria, soeur Anselme de l'Immaculée. Née à Krepa le 8 janvier 1909. Vêture le 28 juin 1935. Profession le 23 janvier 1937.
Mietkowska Maria, soeur Cécile du Saint Sacrement. Née à Lublin le 28 novembre 1907. Vêture le 2 juin 1926, Profession le 5 février 1928.
Narukowna Maria, soeur Elisabeth de la Mère de Dieu. Née à Drydze le 10 septembre 1916. Vêture le 29 mai 1936, Profession le 26 octobre 1938.
Oledzka Janina, soeur Joseph de l'Immaculée Conception. Née à Liw (près de Siedlce), le 2 mai 1905. Vêture 4e 17 juillet 1934, Profession le 3 février 1936. Pogonowska Irena, soeur Wladislas des Saintes Plaies de Notre Seigneur. Née à Plew le 5 janvier 1908. Vêture le 12 janvier 1935, Profession le 17 novembre 1936. Polakowska Maria, soeur Flavie de la Croix. Née à Jastrzab (près de Czestochowa) le 2 décembre 1909. Vêture le 6 novembre 1932, Profession le 22 octobre 1934. Przemyska Aniela, soeur Stanislas de la Miséricorde de Dieu. Née à Slupi Starej le 19 mars 1916. Vêture en 1939, Profession 1941.
Puchalanka Genovefa, soeur Hedwige du Saint Sacrement. Née à Varsovie le 3 janvier 1896. Véture le 29 septembre 1929. Profession en 1941.
Rejewska Stefania Wanda, soeur Ignace de l'Agneau de Dieu. Née à Varsovie le 29 décembre 1898. Vêture le 20 avril 1923, Profession le 25 mai 1924.
Rudnicka Karolina, soeur Clémentine du Saint Coeur de Jésus. Née à Emilianow le 5 juin 1886. Vêture le 12 octobre 1919, Profession le 22 août 1921. Schmitzowna Collenbourg Joséfa, soeur Madeleine du patronage de saint Joseph. Née à Bogdanowka (près de Cracovie) le lei août 1870. Vêture le 19 juillet 1916, Profession le 1e` novembre 1917.
Slowacka Zofia, sœur Andrée de la Nativité de Notre Dame. Née à Varsovie le 29 avril 1905. Vêture le 22 mai 1937, Profession le 20 avril 1940.
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Suminska Bogumila, soeur Colombe du Coeur de Jésus. Née à Rakoniewice (prés de Poznan) le 25 septembre 1910. Vêture en 1941, Profession 1942. Szkilondzowna Kazimiera, soeur Modeste de la Croix. Née à Lesnia le 2 mars 1889. Vêture le 26 avril 1921, Profession le 30 octobre 1922.
Tokarska Janina, soeur Agnès de Jésus. Née à Varsovie le 22 octobre 1892. Vêture le 3 août 1928, Profession le 14 mai 1930.
Tomaszewska Aurelia, soeur Thérèse de Jésus. Née à Dobrzyn-sur-Drweca le 12 septembre 1885, Profession le 23 octobre 1917.
Turakowna Rozalia, soeur Ceslas du patronage de saint Joseph. Née à Janow (prés de Czestochowa) Podlaski le 21 janvier 1899. Vêture le 23 novembre 1921, Profession le 27 juillet 1923.
Trycowna Jozefa, soeur Aloyse de Sainte Bénédicte. Née à Zielona le 21 mars 1895. Vêture le 1" février 1919. Profession le 22 août 1921, en qualité de soeur converse.
Zalazkowna Jozefa, soeur Marguerite du Coeur de Jésus. Née à Varsovie le 2 avril 1899. Vêture le 20 avril 1928, Profession le l er octobre 1930. en qualité de soeur converse.
Zalewska Laurencia, soeur Augustine du Saint Sacrement. Née à Samkorod (Ukraine) le 7 juillet 1919. Vêture en 1941, Profession en 1942.
Zaluska Zofia, soeur Innocente de la Croix. Née à Chruscin le 7 juillet 1882. Vêture le 14 février 1909, Profession le 12 août 1913.
Zdrojewska Marianna, soeur Claire du Saint Sacrement. Née à Glodow le 12 août 1879. Vêture le 1 er mars 1900, Profession le 28 novembre 1909, en qualité de soeur converse.
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Très révérende mère
bien chères mères et soeurs
L'année 1978 vient de se terminer. Cette année qui au commencement allait son train comme si de rien n'était.
Elle est devenue historique et le témoin de choses grandioses. Elle a vu de ses yeux stupéfaits trois papes : la fin du pontificat de notre si aimé et vénéré pape Paul VI qui, comme un bon et courageux serviteur, est entré in gaudium Domini sui, puis un pontificat entier, mais trop court, du charmant Jean Paul Ief qui, après avoir gagné tous les coeurs, disparut du monde en nous laissant orphelins dans une douleur redoublée. Personne de nous ne pouvait alors deviner les mystérieux desseins de Dieu qui sait abaisser et élever, attrister et consoler. Nous, pusillanimes, nous nous demandions alors, toutes désolées : « Est-ce que les cardinaux peuvent encore trouver quelqu'un entre eux qui puisse assumer une responsabilité si lourde ? » Et nous priions plus instamment.
Ainsi vint le jour du 16 octobre, le dernier jour du deuxième conclave. Réunies justement au choeur, pour la messe de 19 h 30, à l'intention de l'élection, tout à coup nous avons en-407tendu de loin un cri : c'était notre soeur Kinga (qui est venue à Rouen), appelée au téléphone par sa propre soeur de Paris, qui venait de lui annoncer que le nouveau pape était déjà élu et, que « c'était notre cardinal polonais Karol Wojtyla ». Notre mère, tout de suite, a fait passer à notre aumônier, un billet avec cette étonnante nouvelle, pour l'annoncer aux fidèles dans la chapelle. Il jeta un coup d'oeil sur ces quelques mots et, ses mains ont commencé à trembler. Puis avec une voix brisée par l'émotion, il prit la parole : « Il y a quelques minutes qu'on a élu le pape... », tout le monde a retenu son haleine, « notre nouveau Saint-Père c'est... », une pause encore une fois..., « le cardinal Polonais de Cracovie, Karol Wojtyla ». Un grand soupir, « Jésus, Marie » a volé au-dessus des têtes comme un murmure du vent. « Qui vient de prendre », continuait-il, « le nom de Jean Paul II »... Te Deum.
L'émotion fut intense et le choc si grand que nous avions du mal à saisir pleinement la portée de l'événement. Vraiment, le vent de l'histoire s'est fait sentir dans l'Église avec une force inattendue. Si désolées que nous fussions jusqu'à ce moment, nous avons perdu la tête de joie, comme d'ailleurs tous les Polonais, catholiques ou athées, sans différence. Mais nous avons compris aussi très vite que cela oblige. Dans le désir donc d'entendre et de voir notre pape, pour être avec lui, et l'aider à chaque moment, nous étions comme « collées » à la radio et télévision, dont le poste nous fut prêté par nos amis, pour ces jours mémorables.
Ainsi nous avons vu et entendu tout.
Le 22 octobre fut chez nous un jour particulièrement solennel. En Pologne, pour la première fois, une messe était présentée sur les écrans de télévision. Toute la nation s'est rassemblée devant les petits écrans et les rues furent complètement vides. Dans une des gares de Varsovie, les postes de télévision attiraient les gens. Dans ces moments, beaucoup de passagers préféraient plutôt manquer le train, que de se priver de voir le pape. Quelques-uns s'agenouillaient pour prendre sa bénédiction et, tout le monde, avait les larmes aux yeux.
Depuis ce jour, chaque dimanche, nous récitons l'Ange-lus de midi, avec le pape, en l'écoutant à la radio vaticane. Nous l'accompagnons aussi en esprit dans toutes ses entreprises et ses voyages...
L'homme est appelé à la victoire sur lui-même
... Je le dis aussi en un moment historique précis. En cette année 1983, sur la vaste toile de fond de notre millénaire polonais et en même temps du sixième centenaire de Jasna Góra, ressort comme un reflet lumineux la date historique d'il y a trois cents ans : le secours porté à Vienne, la victoire viennoise ! C'est l'anniversaire qui nous unit tous, Polonais, et aussi nos voisins du sud et de l'ouest, les plus proches et les plus lointains. De même qu'il y a trois cents ans nous unit la menace commune, de même, au bout de trois cents ans, nous unit l'anniversaire du combat et de la victoire.
Ce combat et cette victoire ne creusèrent pas d'abîme entre la nation polonaise et la nation turque. Ils suscitèrent au contraire respect et estime. Nous savons que, lorsque la Pologne, à la fin du XVIIIe siècle, disparut de la carte politique de l'Europe, le gouvernement turc ne reconnut jamais le fait du partage. A la cour ottomane — comme le rapporte la tradition —, lors des réceptions solennelles des représentants des autres États, on demandait avec insistance : « L'envoyé de Lechistan est-il là ? ». La réponse « pas encore » fut donnée pendant longtemps, jusqu'à ce que survint l'an 1918 et que le représentant de la Pologne indépendante se rendit à nouveau dans la capitale de la Turquie. J'ai eu la possibilité de le constater pendant mon séjour dans la capitale de la Turquie, où j'ai rendu visite au Patriarcat de Constantinople.
Il était nécessaire de rappeler ce détail particulier pour apprécier pleinement la valeur du secours apporté à Vienne en 1683 et la victoire du roi Jean III Sobieski.
Le roi informa le Siège apostolique de la victoire, par ces paroles significatives : « Venimus, vidimus, Deus vicit » -- nous sommes venus, nous avons vu, Dieu a vaincu. Ces paroles du souverain chrétien se gravent profondément aussi bien dans le millénaire de notre baptême que dans le jubilé de Jasna Góra de cette année. Jean III, pendant sa campagne viennoise, effectua des pèlerinages à Jasna Góra et aux autres sanctuaires marials.
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Les paroles du roi ont gravé dans notre « hier » historique la vérité évangélique sur la victoire dont parle également la deuxième lecture de la liturgie d'aujourd'hui. L'homme est appelé à replacer la victoire en Jésus-Christ. C'est là la victoire sur le péché, sur le « vieil homme » qui est profondément enraciné en chacun de nous. « Tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme a désobéi..., tous deviendront justes parce qu'un seul homme a obéi » (Rm 5, 19). Saint Paul parle d'Adam et du Christ. « Deus vicit » (Dieu a vaincu) : par la puissance de Dieu, qui agit en nous par l'oeuvre de Jésus-Christ au moyen de l'Esprit-Saint, l'homme est appelé à la victoire sur lui-même. A la victoire sur ce qui lie sa libre volonté et la soumet au mal. Une telle victoire signifie vivre dans la vérité, signifie la rectitude de la conscience, l'amour du prochain, la capacité de pardonner, le développement spirituel de notre humanité.
OSSERVATORE ROMANO 28 juin 1983
Le même jour, le Saint Père a fait une brève visite à l'Église des Capucins où est conservée l'urne contenant le coeur du roi Jan Sobieski (1629-1696) héros polonais qui a remporté la bataille de Vienne contre les Turcs en 1683.
Abrégé de l'histoire éditée en polonais en 1938 à l'occasion du jubilé de la fondation (1688-1938)
Août, an de grâce 1783. Dans les lueurs splendides du soleil couchant, un pieux cantique sur les lèvres, l'armée polonaise quittait la capitale sous le haut commandement de Sa Majesté le roi, l'invincible Jean Sobieski, car on était venu implorer son secours contre les musulmans qui menaçaient l'Europe 231. Le Saint-Père avait fait appel au grand roi, afin qu'il vienne sauver la chrétienté, et lui, en fidèle fils de l'Église, leva aussitôt son armée pour l'engager dans cette lutte gigantesque contre les infidèles qui se tenaient déjà aux portes
251. Le duc Charles V de Lorraine, officier très doué, fut l'un des compagnons les plus efficaces du roi Jean III, dans cette campagne. Son intelligence, son courage, son opiniâtreté et sa modestie en firent un associé très apprécié. Orphelin de mère à 6 ans, fils du duc Nicolas François, qui vivait à Paris et ne pouvait guère aider son fils, le duc Charles eut une enfance très malheureuse, au point d'être obligé de mendier son pain, lorsqu'il fut chassé de France en 1662. En 1675, Charles V devint duc de Lorraine en titre, à la mort de Charles IV, l'empereur le nomma alors généralissime de ses armées. Sa renommée de grand stratège ne fit que grandir. En 1683-1688 il participa à la conquête de la Hongrie. Grâce à la victoire de Jean III Sobieski, à laquelle Charles V avait grandement contribué, la paix fut signée et les Turcs rejetés d'Europe, Charles V mourut en avril 1690 à Weltz (Cf. R. Cuénot, La revue Lorraine, Nancy, 1983).
413 de Vienne. La Pologne était en émoi. La reine Marie-Casimire ac compagna le roi jusqu'en Silésie, avec leur tout jeune fils, Jacques. En une prière fervente, elle confie ces chers êtres à Dieu, et fait le voeu d'appeler de France les bénédictines du Saint Sacrement et de fonder un couvent à Varsovie, si le roi victorieux et son fils Jacques, revenaient sains et saufs de cette effroyable tourmente.
(Les chapitres III, VI de cet ouvrage relatent l'histoire mouvementée des premières années du monastère).
Mère Casimir Potocka (cf. Lettre de mère Mectilde du 10 mai 1696) étant décédée le 17 novembre 1745, c'est la mère Marie de tous les Saints (Barbe Kczewska252, palatine de Marienbourg) qui lui succéda et la remplaça dignement. Élue prieure le 2 juillet 1745, fervente adoratrice du Saint Sacrement, elle contribua au développement des oeuvres eucharistiques fondées par la prieure précédente, surtout celle de l'archiconfrérie du très Saint Sacrement. Malgré ses nombreux devoirs, elle trouva le temps de préparer et d'éditer un beau manuel à l'usage de l'adoration. Grâce à elle, notre église s'enrichit de belles orgues. Musicienne très douée, elle contribua à relever, par ses compositions, la beauté des cérémonies religieuses. C'est pendant son priorat qu'eut lieu dans notre église la consécration de Dom Laurent Bulcharewicz, premier abbé des pères bénédictins de l'abbaye de Sieciechow 253. Des relations très cordiales et fraternelles nous unissaient à ces bons Pères et les liens se resserrèrent encore lorsque fut établie entre nos deux monastères ce qu'on appelle « l'union intime de la participation spirituelle ». Les mêmes liens nous attachaient aux bénédictins de Plock 254, de Pultusk, et aux bénédictines de Sandomierz 255
L'un des grands soucis de mère Barbe était l'état déplorable des
252. Kczewska Marie Barbe — palatine de Marienbourg — Mère Éléonore de Tous les saints. Née à Lwow le 21.2.1706 ; vêture 1722 ; Profession le 9.1.1724. Décès le 26.5.1756. Fille de Samuel, voïvode de Malborsk et de Marie-Anne Kossowny. Elle fut prieure du 2 juillet 1745 jusqu'à sa mort.
253. Au diocèse de Cracovie. Fondée entre 1150 et 1166, par des moines venus de l'abbaye de Tyniec. L'abbaye de Sieciechow fut fermée en 1819, à l'époque de la domination russe.
254. Saint Adalbert, au diocèse de Gniezno. Fondée par l'abbaye Saint-Jean-l'Évangéliste de Mogilno au XII' siècle, elle faisait partie d'une sorte de fédération dont l'abbaye de Tyniec était le chef. L'abbaye Saint-Adalbert fut fermée en 1781 par l'évêque Michel Poniatowski qui en fit un séminaire diocésain. La communauté parvint, après de longs efforts, à se regrouper, en 1802, à Pulstuk, dans un ancien collège des jésuites. Ce collège avait été fondé en 1566 par Mgr Noskowski.
L'abbaye Saint-Jean l'Evangélistede Mogilno, au bord du lac Mogilenskie, fut fondée vers 1065 par Boleslas le Hardi. Elle fut fermée entre 1810 et 1844. (cf. Dom P. Schmitz, Histoire de l'ordre de saint Benoit, ed. de Maredsous, 1956).
255. Sandomierz, voïvodie de Tarndorgez, est située sur une légère éminence, non loin de la rive gauche de la Vistule, à la bordure est du plateau limoneux de Sando-
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cloches. Elle déploya toute son énergie pour se procurer la somme nécessaire à leur remplacement. Une vraie fête accueillit la consécration et le baptême des cloches, surtout quand la plus imposante, surnommée Saint Benoît, retentit au sommet de notre clocher. Pendant les douze années suivantes c'est la mère Alexis de Jésus (Thérèse Hedvige Glebocka 256, fille du Palatin de Rawa) qui fut à la tête du monastère. Ame de recueillement et de silence, désireuse de souffrir en union avec son Sauveur adoré, elle fut pour ses filles un exemple de mortification et de patience.
Grâce à la réputation que le pensionnat des bénédictines du Saint-Sacrement avait acquise, le nombre des élèves augmentait chaque année. Bientôt la maison fut trop petite. Le chapitre, convoqué par mère Alexis, décida de l'agrandir. Sa construction dura trente ans. Le roi Stanislas Auguste 257 y contribua de ses dons.
mierz, coupé de petits ravins limitant quatre collines principales. L'abbaye de Sandomierz fut fondée, semble-t-il, au début du Xe siècle. Sa situation géographique, à la bifurcation des grandes routes commerciales : Kiev-Cracovie ; Halicz-PrzemyslCracovie, lui valut, dès le Xlle siècle une croissance rapide. Après le troisième partage de la Pologne, Sandomierz fut attribuée à l'Autriche puis, par le Congrès de Vienne (1814-1815), à la Russie.
Madeleine Morteska, abbesse et réformatrice de l'abbaye de Culm en 1579, put, grâce à un recrutement nombreux et de qualité (plus de cent religieuses en vingt ans), essaimer à : Nieswiez (1591), Lwow (1604), Posen (1608-1609), Jaroslaw (161 1), Sandomir (ou Sandomierz 1614). Par l'abbaye de Nieswiez la réforme s'étendit à la Lituame et à la Russie d'Europe. La réformatrice rédigea des Constitutions et les publia à Cracovie en 1605. Culm et ses filiales formèrent une congrégation très florissante. Pour assurer la continuité de l'esprit de sa réforme, l'abbesse institua un séminaire pour la formation des clercs destinés à devenir les aumôniers de ses abbayes. L'abbaye de Sandomierz eut beaucoup à souffrir des invasions suédoises en 1656. Elle fut reconstruite au XVIIIe siècle et abrite aujourd'hui un séminaire.
256. Glebocka, Thérèse, Hedwige, mère Alexis de Jésus. Née à Morzyce le 14.10.1692. Vêture le 21.8.1716. Profession le 21.8.1718. Décès le 3.8.1768. Elle était fille d'André, voïvode de Rawa et de N. Olszawska. Elle fut prieure du 2.7.1756 au 2.7.1768.
257. Stanislas, Auguste, Poniatowski fut le dernier roi de Pologne. Né à Wolcyn (Lituanie) en 1732, mort à Saint Pétersbourg en 1798. Il eut une éducation littéraire très soignée, accompagna son père à Paris en 1753. En 1755, il se rendit à Saint-Pétersbourg où il devint le favori de la future impératrice, Catherine II, qui. à la mort d'Auguste III de Saxe en 1763, fit donner à son protégé le trône de Pologne (1764). La guerre civile éclata. Une ligue catholique et nationale se constitua pour défendre le pays de l'anarchie envahissante (confédération de Bar, 29 février 1768). Le roi fut fait prisonnier, mais réussit à s'évader. La guerre dura quatre ans, mais les polonais furent écrasés. Frédéric I1 de Prusse, Marie Thérèse d'Autriche, Catherine II de Russie procédèrent au premier partage de la Pologne (1772). Il ne resta à Stanislas qu'une ombre de pouvoir. Le peuple polonais essaya de secouer le joug étranger et la Grande Diète de 1791 promulga une nouvelle Constitution que Stanislas jura de défendre. Un an après, le roi se parjura sous la pression de conjurés, traitres à leur patrie (confédération de Targowice, 25 août 1792). Le second partage
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Aussi fit-on sceller une plaque commémorative en souvenir de sa générosité. En 1768, les religieuses élurent mère Ludgarde de la Présentation (Euphémie Julienne Wodzinska). Durant de longues années elle avait rempli avec zèle l'office de sacristine, ne se doutant nullement du fardeau que Dieu allait mettre sur ses frêles épaules. Quand elle apprit le résultat du scrutin, elle en fut stupéfaite. Comme elle avait toujours eu grand soin de tous les objets réservés au culte eucharistique, elle déplorait souvent le mauvais état du tabernacle. C'était celui de la fondation et il avait subi les ravages du temps. Le premier travail de mère Wodzinska fut de donner à Jésus Eucharistie un tabernacle plus digne de Lui. Avec l'assentiment du chapitre, elle vendit tous les objets en argent que les moniales avaient apportés en dot. En ajoutant les dons des bienfaiteurs, elle obtint la somme de vingt-cinq mille cinq cent quatre-vingt-treize zlotys et put acquérir le magnifique tabernacle en marbre de notre maître-autel. Le frère de la mère prieure, Gabriel Wodzinski 258, fut nommé évêque de Tabeste à trente-deux ans, et plus tard il reçut l'évêché de Smolensk. I1 rendit de nombreux services à la patrie en prenant part à la Diète à plusieurs reprises. Lorsqu'il s'établit à Varsovie, il vint habiter dans une maison appartenant à notre monastère. Membre de l'archiconfrérie du très Saint Sacrement, il était l'ami et le protecteur de notre institut, lui prêtant souvent un appui matériel, et aidant sa soeur, mère Ludgarde, de ses sages conseils.
En 1780, ce fut mère Augustine de Saint-Michel (Anne Casimire, princesse Radziwill 259, fille du palatin de Lituanie) qui lui suc-
de la Pologne s'ensuivit (25 septembre 1793). Les patriotes polonais firent appel à Kosciusko (mars 1794). Les insurgés parvinrent à résister aux troupes russes durant 7 mois. Varsovie tomba aux mains du général Souvarov (novembre 1794) malgré une défense héroïque. La Pologne était désormais rayée de la carte de l'Europe (3e partage : 1795). Stanislas se retira à Grodno où il signa son abdication (25 novembre 1795). Il ne survécut que deux ans à la honte d'avoir perdu son pays.
258. Né à Kiernez diocèse de Poznan le 25 mars 1727. Tonsuré le 26 mai 1743 ; ordres mineurs le 11 octobre 1744 ; sous-diacre, diacre et prêtre les 4, 14, 28 mars 1750 ; évêque titulaire de Tebaste ou Theveste et coadjuteur de Georges, Nicolas Hylzen, évêque de Smolensk le 4 avril 1759 ; sacré le dimanche 24 juin suivant dans la cathédrale de Wilna par Alexandre Horain, évêque titulaire de Hirins, auxiliaire à Samogitie, assisté d'Antoine Zolkowski évêque d'Alalia et de Thomas Zienkowski évêque d'Aréopolis, auxiliaire à Wilna. 1l succède à Mgr Hylzen en 1775. Décédé en 1788.
259. Mère Augustine de Saint Michel — Anne, Casimire, princesse Radziwill — fille du Palatin de Lituanie. Née à Zdzieciole le 31 juillet 1726 ; Vêture le 29 juin 1743 ; Profession le 15 octobre 1747. Décès le 21 avril 1789. Prieure du 2 juillet 1780 au 2 juillet 1789. A la fin du priorat de mère Ludgarde Wodzinska, fut élue Catherine, Françoise Leska — mère Bénédicte de Jésus, née à Sarnowie le 8 mars 1716. Vêture le 7 avril 1733 ; Profession le 31 mai 1735. Décès le 16 avril 1796 ; fille de Jean-Antoine et de Anne Trzcinskiej ; Prieure du 2 juillet 1774 au 2 juillet 1780, date de
céda comme prieure. Élève de notre pensionnat, ainsi que ses deux soeurs, elle se distingua dès sa tendre enfance par une piété fervente, et manifesta les signes précoces d'une vocation sérieuse. Ayant obtenu, après d'ardentes prières, l'autorisation de ses parents pour commencer son postulat, elle entra au monastère à l'âge de dix-sept ans. La cérémome de sa vêture fut honorée par la présence de la reine Marie Josèphe, épouse d'Auguste III 260, avec toute sa cour, de la princesse Constantin Sobieska, des plus illustres familles polonaises et des ambassadeurs étrangers. La reine posa elle-même sur la tête de l'élue de Dieu une magnifique couronne de diamants. La cérémome fut présidée par le cardinal évêque de Cracovie.
Le Seigneur avait doté mère Marie Augustine de tous les dons de la nature et de la grâce. C'était une âme vraiment humble et cachée, qui aimait le silence et l'oubli. Elle possédait à un très haut degré l'esprit d'oraison, et à mesure qu'elle progressait dans la voie du renoncement et du sacrifice, son union à Dieu se développait et gagnait en profondeur. Sa piété était pleine de ferveur, ardente comme une flamme, mais en même temps solidement fondée sur les vérités de la foi qui réglaient toute sa vie. Pendant dix ans, nous dit la chronique, la communauté jouit de son gouvernement plein de douceur et de sagesse. Avec un rare discernement elle sut mener à bonne fin des affaires difficiles et compliquées.
Le 27 juin 1788 on fêta le premier centenaire de notre fondation. Mère Augustine le fit célébrer très solennellement par une ado-'ration de quarante heures, avec sermons et processions. Le prince Radziwill ouvrit généreusement sa bourse afin de donner plus d'éclat à la cérémonie. Grâce à lui, l'église fut illuminée pendant trois jours, des repas furent servis à des foules de pauvres, aux por-
l'élection de mère Augustine Radziwill.
Charles Stanislas Radziwill (1734-1790) fut l'un des plus riches représentants de l'aristocratie polono-lituanienne. La famille Radziwill est d'origine lituanienne.
260. Auguste III (Frédéric) 1696-1763. Électeur de Saxe et roi de Pologne, fils d'Auguste II, né en 1696, fut à la mort de son père en 1733, élu roi de Pologne par une partie de la nation, et ne fut universellement reconnu qu'en 1736. Il fut en guerre avec Frédéric H, roi de Prusse, qui deux fois lui enleva la Saxe (1746 et 1756). Son duché ne lui fut rendu qu'à la paix d'Hubertsbourg (1763).
Marie-Josèphe de Saxe (1699-1757) épousa en 1719 Auguste III, électeur de Saxe, roi de Pologne. Elle était la fille de Joseph Ief, fils de Léopold I« de Hasbourg, empereur d'Allemagne. Né en 1678, il fut proclamé roi de Hongrie en 1689, roi des Romains en 1690 et devint empereur d'Allemagne en 1705. 11 soutint avec force les intérêts de son frère Charles contre Philippe d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, dans la guerre de succession d'Espagne. L'empereur Joseph lef gouverna avec modération et justice. Il mourut en 1711 et eut pour successeur son frère Charles VI.
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tes du monastère. Le bel orchestre privé du prince exécuta, pendant toute la durée du triduum, des oeuvres religieuses, sur la place, devant l'église.
Cette époque peut être considérée comme l'âge d'or de notre monastère. Le siècle suivant, qui frappa de malheurs notre patrie, ne nous épargna pas non plus. Nous supportâmes de très lourdes épreuves.
Commença alors l'époque la plus douloureuse pour nos coeurs : celle du démembrement de la Pologne. Déjà amputée de plusieurs provinces par deux partages, ruinée par les guerres, elle résistait avec désespoir à la puissance de ses ennemis, les pays voisins, qui s'étaient alliés contre elle. On tenta encore d'ultimes efforts. Le Conseil national fit appel au clergé et aux couvents en leur demandant de faire don à la défense nationale de tous leurs objets d'argent et de métal précieux. Le nonce apostolique, Ferdinand Saluzio 261 et l'archevêque de Gniezno, Michel Poniatowski 262, appuyèrent cette requête de leur autorité. Les bénédictines du Saint-Sacrement donnèrent presque tous leurs précieux vases sacrés. Un peu plus tard, elles offrirent aussi leur grande cloche, le cercueil de la princesse de Bouillon et le toit en cuivre qui recouvrait la coupole de l'église. C'était un pénible sacrifice, mais on se consolait dans l'espoir de voir notre patrie enfin délivrée.
Soudain arriva une nouvelle foudroyante : la défaite de Kosciuszko à Maciejowice. Peu après les armées russes envahirent le faubourg Praga et se vengèrent des pertes qu'elles avaient subies par un horrible carnage. Jusqu'à l'intérieur du monastère, on entendit les cris des femmes et des enfants massacrés. La Vistule était rouge de
261. Ferdinand, Marie, Saluzzo né à Naples le 20 novembre 1744. Docteur de la Sapience le 11 février 1767 ; vice légat à Ferrare, sous-doyen des protonotaires, employé à la Curie. Prêtre le 26 mai 1784 ; archevêque titulaire de Théodosia le 25 juin 1784, sacré le 4 juillet à Rome, Basilique des douze Apôtres, par le cardinal Marcantonio Colonna, assisté de Jérôme Volpi archevêque de Néocésarée, et Orazio Mattei, archevêque de Colosses ; archevêque titulaire de Carthage le 13 juillet 1784, nonce en Pologne le 30 juillet 1784. Retour à Rome le 14 mars 1794. Cardinal le 23 février 1801. Décédé à Rome le 3 novembre 1816.
262. Frère du roi de Pologne, Stanislas-Auguste (1764-1795). Né le 12 octobre 1736. Tonsuré, ordres mineures le 8 mai 1756 ; sous-diacre le 11 mars 1758, diacre le 22 mars 1760, prêtre le 31 mai 1760 ; élu évêque titulaire de Cydonia et coadjuteur de Jérôme Szeptycki, évêque de Plock le 12 juillet 1773. Sacré le 3 octobre dans la cathédrale Saint-Jean de Varsovie par Joseph Garrampi, archevêque de Beryte, nonce en Pologne, assisté de Félix Turski, évêque de Lusk et d'Antoine Orecki, évêque de Chelmno, (nommé le 3 avril 1775 coadjuteur de l'évêque de Cracovie Gaetan Soltyk décédé en 1788, tout en restant à Plock ; administrateur de Cracovie le 27 juillet 1782). Évêque de Plock le 9 août 1783 ; archevêque de Gniezno le 14 février 1785 ; décédé le 12 août 1794.
sang. Les religieuses terrifiées, à genoux au pied du tabernacle, implorèrent la miséricorde de Dieu. Le 8 novembre, Varsovie dut se soumettre, et les armées ennemies entrèrent triomphalement dans la ville. S'ensuivit le troisième et dernier partage en 1795. La Pologne fut rayée de la carte géographique. Immédiatement les Prussiens occupèrent la ville et s'y établirent. Notre maison eut beaucoup à souffrir, en raison du gouvernement prussien, qui était protestant. Il s'ingérait dans les affaires de la communauté, non seulement en ce qui concernait le côté matériel, mais aussi dans la vie intérieure du monastère.
C'est en ces temps de détresse que la princesse Adélaïde de Bourbon-Condé demanda à se réfugier dans nos murs. La communauté accueillit à bras ouverts, cette illustre exilée, que la Révolution française condamnait à une vie errante en pays étranger.
C'est en juin 1801 qu'elle s'installa dans notre couvent, en qualité de dame résidente, avec sa compagne, Rose de la Rosière. Aussitôt qu'elle eut pris connaissance de nos Constitutions, elle éprouva le désir de se consacrer à Dieu dans notre monastère, et sollicita son admission au noviciat. Les moniales acceptèrent avec joie. La cérémome de sa vêture eut lieu en septembre, avec grand éclat, en présence du roi Louis XVIII, qui séjournait alors à Varsovie sous le nom de comte de Lille, et de toute la famille royale. L'année suivante, c'est sous le nom de soeur Marie-Josèphe de la Miséricorde que la princesse prononça ses voeux perpétuels. L'acte de sa profession, écrit de sa propre main sur parchemin, se trouve dans nos archives. Nous ne retraçons pas ici sa biographie, bien connue dans les maisons de nos mères, par deux livres déjà édités.
Après sa profession, soeur Marie-Josèphe de la Miséricorde fut nommée maîtresse du pensionnat. Mais bientôt, elle contracta une maladie pulmonaire, et la mère prieure se trouva dans l'obligation de la démettre de sa charge. Douée d'une étonnante compréhension de la vie monastique, la jeune professe observait très fidèlement la Règle. Mais l'ingérence du gouvernement prussien dans la vie de la communauté rendait impossible l'observation intégrale des Constitutions, aussi bien pour la clôture que pour les autres prescriptions. La conscience délicate de soeur Marie Josèphe s'en inquiéta. Pour sauvegarder sa paix intérieure, elle eut recours au pape Pie VII 263
263. Louis Barnabé Chiaramonti naquit en 1740 à Césèna (non loin de Ravenne). Il entra à 16 ans à l'abbaye bénédictine de Santa Maria del Monte, près de sa ville natale. Il fut professeur à Parme et à Saint-Calixte à Rome. Évêque de Tivoli, puis d'Imola, il fut créé cardinal par Pie VI en 1785.
A la mort de Pie VI le conclave ne put se réunir à Rome en raison de l'occupation de la ville par les troupes napolitaines. Ce fut donc à Venise que 34 cardinaux
419 pour lui demander de bien vouloir la dispenser de toute charge au monastère. Elle obtint cette permission le 24 septembre 1803. Le coeur très tendre, cette moniale s'attacha profondément à toutes ses soeurs. Celles-ci lui témoignaient une affection réciproque et une réelle sympathie dans les malheurs qui éprouvaient sa patrie.
La professe princière ne vécut pas longtemps dans nos murs. En 1805, avec toute la famille royale, elle quitta précipitamment Varsovie à l'approche de Napoléon. Elle s'établit chez les bénédictines de Bodney Hall 264, en Angleterre, et sous la Restauration fonda à Paris le monastère de Saint-Louis-du-Temple.
purent élire le successeur de Pie VI, le 17 mars 1800. Il prit le nom de Pie VII. Le nouveau pape était doué d'une force d'âme qui savait endurer sans se plaindre et sans plier. Il sympathisa d'abord avec les idées démocratiques, croyant y voir un reflet de l'Évangile. Il eut beaucoup à souffrir de la part des chefs d'Etat et en particulier de Bonaparte. En 1801 il signait un concordat avec la France, mais les exigences de Bonaparte étaient difficilement compatibles avec la liberté de l'Église en France. Il ne put éviter de venir couronner Napoléon à Paris en 1804. Rome fut occupée par les armées de Napoléon le 2 février 1808 et l'État pontifical annexé le 17 mai 1809 par l'Empereur. Pie VII refusant de reconnaitre cette spoliation, Napoléon le fit arrêter le 6 juillet 1809 et emprisonner à Savone. Traité indignement par ses gardes, le Pontife fut transféré à Fontainebleau où l'empereur lui arracha la signature d'un prétendu concordat. Un an plus tard, dans ce même château de Fontainebleau, Napoléon signait son abdication. Rentré à Rome après la chute de Napoléon, le pape réorganisa l'État pontifical, signa des Concordats avec la Bavière (1816), la Russie (1818), la Prusse (1821). Ce pape courageux et saint mourut le 20 août 1823.
264. En 1629, l'archevêque de Sens, Mgr Octave de Bellegarde, demandait à Marie de Beauvilliers, abbesse de la célèbre abbaye de Montmartre, de lui donner quelques religieuses de sa maison pour fonder un prieuré à Montargis. Marie Granger entrée à Montmartre le 17 mars 1617, fit profession le 26 octobre 1620. Ame ardente, le Seigneur la purifia tant par la maladie, que par des peines intérieures. Il permit même certaines calomnies et des jalousies qui la firent beaucoup souffrir. Ayant retrouvé la confiance de son abbesse, elle fut nommée maîtresse des novices. Elle gardera cette charge environ quatre ou cinq ans. C'est d'elle que Marie de Beauvilliers fit choix pour fonder le prieuré de Montargis16. Le 13 mai 1630, elle quitta Montmartre avec six religieuses, dont l'aînée n'avait pas trente ans. Le prieuré fut dédié à Notre-Dame-des-Anges. Sous la sage et vertueuse direction de Marie Granger, le prieuré s'établit solidement dans la pratique fervente des vertus monastiques. La fondatrice avait un culte particulier pour l'Eucharistie. C'est peut être une des raisons de l'amitié fraternelle qui unit le prieuré de Montargis et notre couvent fondé, non loin de là, à Châtillon-sur-Loing, en 1688. A l'époque de la Révolution française, le prieuré qui avait été élevé au rang d'abbaye, était gouverné par Mme de Lévis-Mirepoix, qui dut chercher en 1792, un asile en Angleterre, pour sa communauté. Elles se fixèrent d'abord à Bodney-Hall, dans le comté de Norfolk. L'abbesse sut maintenir, dans l'exil, la régularité et la prospérité de sa maison. Elle mourut en 1810. Après de longues pérégrinations, l'ancien prieuré de Montargis, s'établit à Princethorpe près de Rugby, qu'il a quitté récemment pour se fixer à Ferhnam, près de Faringdon. Malgré ces déménagements successifs, les moniales ont pu conserver une partie de leurs archives datant de l'époque de leur fondation. (cf. Dom Chaussy, Les bénédictines et la Reforme catholique en France au XVIIe siècle, éd. de la Source, Paris, 1975. Dom Rabory, La vie de Louise de Bourbon, princesse de Condé, Solesmes, 1888).
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La Providence qui veille toujours sur les opprimés, nous envoya en ces années pénibles, des « voisins » qui nous réconfortèrent. Les premiers pères rédemptoristes arrivèrent à Varsovie. Le pire Clément Hofbauer (canonisé en 1909) et le père Hübl s'établirent près de l'église de Saint-Benon qui attenait au mur de notre couvent. La chaire se trouvait juste en face de notre large corridor, d'où on pouvait très bien entendre les sermons toujours remplis d'esprit surnaturel.
Les pères de Saint-Benon étaient très pauvres. Souvent, ils venaient solliciter notre aide, et en retour ils étaient toujours prêts à célébrer des messes chez nous. Bientôt les deux couvents se lièrent d'amitié fraternelle. Au dire de la tradition, saint Clément fut le confesseur de nos soeurs et le conseiller dévoué de la mère prieure, qu'il soutenait dans les épreuves par la parole de Dieu.
Cependant ces religieux, animés d'un zèle admirable, éveillèrent la haine des ennemis de Dieu. On les persécutait de diverses manières. Enfin, les protestants leur portèrent le coup décisif. A la suite de viles diffamations, le monastère des rédemptoristes fut fermé et saint Clément, surnommé « l'apôtre de Varsovie n, expulsé de notre pays avec ses fils spirituels. Ce fut une lourde croix pour la communauté.
Pendant la campagne de Napoléon en Russie, le gouvernement de notre couvent fut exercé par mère Marie de tous les Saints (Cunégonde Zaluska 265, fille du gouverneur de Lituanie). Elle se dévoua avec ardeur à la communauté qui se trouvait à ce moment dans des conditions particulièrement difficiles. Témoin une lettre datant de cette époque et conservée dans nos archives : une religieuse s'adresse à son frère juriste, et le supplie instamment de revendiquer les intérêts dus au monastère. « Les moniales, écrit-elle, meurent littéralement de faim n, et elle, en qualité de cellérière vit dans un souci constant, ne sachant que servir aux soeurs pour leur repas.
La prieure suivante, l'énergique et vaillante mère Thècle de Jésus (Clémentine comtesse Wessel, fille du castellan de Varsovie) avait passé presque toute sa vie au monastère. A l'âge de cinq ans, elle fut placée par son père auprès de sa tante, la princesse Constantin, belle-fille du roi Sobieski, qui était résidente chez nous. Lorsque la demoiselle eut atteint l'âge de seize ans, son ardent désir fut exaucé et elle put échanger son uniforme de pensionnaire contre la robe noire et le voile de postulante. Après un temps de probation
265. Zaluska, Cunégonde, mère Marie de Tous les Saints. Née à Wartkowice, voïvodie de Sieradz au sud-est de Kaliz, le 26 juin 1744. Vêture en 1763, profession le 23.4.1765. Décès le 21.2.1817. Elle était fille d'Alexandre. voïvode de Rawa (Lituanie) et de Thérèse Potkanska. Elle fut prieure du 2 juillet 1810 au 2 juillet 1816.
421 exemplaire, elle reçut l'habit de bénédictine du Saint-Sacrement et servit Dieu fidèlement durant soixante-dix ans. Jusqu'à la fin de ses jours elle garda une grande fraîcheur de sentiments et une humeur juvénile.
Durant les quinze années qui suivirent, c'est mère Anne de la Nativité 266 (Wrobleska Cunégonde), qui fut prieure. Dès son enfance, elle désirait se consacrer à Dieu. Ses parents s'y opposèrent formellement, ayant d'autres projets pour elle. Cependant, sa persévérance inébranlable et sa fidélité à la grâce de sa vocation, triomphèrent de leur résistance. Mère Anne se distinguait par une grande maturité de jugement et une volonté énergique déployée au service de la communauté.
Les temps continuaient à être durs... En novembre 1830 une insurrection éclata contre les Russes et éveilla dans tous les coeurs de grandes espérances, qui, hélas ! furent déçues. Accablée elle-même par les malheurs de notre patrie, la courageuse prieure savait cependant raffermir le courage de ses filles spirituelles. Que pouvaient-elles faire ? Uniquement prier et souffrir en union avec la nation.
Celle qui lui succéda, mère Barbe du Saint-Sacrement (Marie Thérèse Hausner 267), fut profondément chérie de ses soeurs. D'une vertu remarquable, elle se distinguait surtout par sa piété et son amour du prochain. La bonté et la douceur se lisaient sur son visage. Douée d'une rare éloquence, elle savait toucher les coeurs et éclairer les intelligences. Elle trouvait les accents les plus profonds, quand elle parlait de la charité, à l'exemple du disciple bien-aimé de Jésus. Souvent elle répétait : « Aimez-vous les unes les autres, mes soeurs, aimez-vous de tout coeur, je ne me lasserai jamais de vous le recommander, jusqu'à mon dernier soupir. » Pleine de zèle pour la gloire de Dieu et la prospérité du monastère, elle surmonta vaillamment tous les obstacles avec une inébranlable confiance en Notre Seigneur.
Mère Barbe se dévoua avec une vive application à l'archiconfrérie du très Saint Sacrement. A la suite des luttes pour la liberté et des troubles qui bouleversaient le pays, des familles entières durent quitter la Pologne. L'association, privée de la plupart de ses membres, était en train de péricliter. Elle doit aux soins vigilants de mère Barbe d'avoir pu revivre et refleurir. La prieure entoura aussi de sa
266. Wrobleska Cunégonde, mère Anne de la Nativité. Née à Kijowie le 17.1.1776. Vêture en 1791. Profession le 29.4.1798. Décès le 8.3.1846. Elle fut prieure du 2 juillet 1822 au 2 juillet 1837.
267. Hausner Marie, Thérèse, mère Barbe du Saint Sacrement. Née à Varsovie le 8 .12.1774. Vêture en 1793. Profession le 26.5.1795. Décès le 10.8.1846. Elle fut prieure du 2 juillet 1837 jusqu'à sa mort.
sollicitude la Société pour les pauvres cachés, fondée en 1844. L'archiconfrérie, reconnaissante, fit frapper une médaille commémorative à l'occasion du jubilé d'or de sa profession.
Dans la longue liste des prieures, une place d'honneur revient à mère Augustine de Saint-Michel (Féline Golebiowska), qui entra au monastère la veille de Noël 1821. Durant plus de dix ans, elle avait rempli la charge de cellérière, témoignant à toutes les religieuses une grande bonté, et veillant avec délicatesse sur la santé des plus faibles. Il semble que son coeur se dilata encore avec ses nouveaux devoirs. Elle fut une supérieure vraiment bonne et aimante, tendrement vénérée de ses filles. Pleine de sollicitude pour les élèves du pensionnat, elle fit agrandir leur maison, y ajoutant quatre dortoirs, à la plus grande satisfaction de toutes les moniales, dès le début de son priorat. Mais la joie fut de courte durée : une épreuve vint encore frapper notre communauté. Le ler juillet 1855, la foudre tomba sur notre église et fracassa la coupole. Passant près du maître-autel, elle abîma le tableau, endommagea les voûtes de notre choeur et traversa le plafond de presque toutes les cellules. Mère Augustine eut beaucoup de peine à se procurer la somme nécessaire aux réparations les plus urgentes, et malgré tous ses efforts, dut remettre à plus tard la restauration de l'église, qui ne fut achevée que vingt ans après l'accident.
En 1863, on érigea une association d'oblats bénédictins, sur le modèle de celle de Solesmes et de quelques autres abbayes de notre ordre. Plusieurs saints ecclésiastiques et de nombreux laïcs y furent reçus. Les demandes d'admission affluèrent, même de provinces éloignées de la capitale : de la Lituanie, de la Podolie et de l'Ukraine.
Les malheurs survenus en Pologne en cette même année 1863, l'insurrection contre les oppresseurs, conduisirent à la débâcle et remuèrent profondément le coeur des religieuses patriotes. Elles pleuraient sur la généreuse jeunesse polonaise tombée dans les combats contre les Russes, condamnée au gibet, ou bien déportée en masse en Sibérie.
C'est alors que commença pour la communauté, le temps des plus rudes sacrifices. De fréquentes perquisitions et le va-et-vient de la police troublaient à tout moment le calme et la paix du monastère. Et ce ne fut pas tout. Le gouvernement russe ferma le pensionnat, et ensuite le noviciat. Ce fut un coup terrible pour les pauvres bénédictines. Les Russes confisquèrent en même temps les biens de la communauté, la maison et les terrains qui descendaient jusqu'à la Vistule, se saisirent des capitaux provenant des dots des moniales, et, pour les dédommager, fixèrent une pension bien insuffisante à couvrir leurs besoins.
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Le 2 juillet 1865, les soeurs élurent prieure, la mère Golebiowska, pour la cinquième fois. A cette annonce, le général-gouverneur s'irrita, ajourna le paiement de la pension trimestrielle, et exigea que les noms de trois candidates soient présentés à son approbation. C'était absolument contraire aux Constitutions. Suivant le conseil de monseigneur l'évêque Paul Rzewuski 268, on fit d'autres élections, et l'on choisit cette fois, la mère Stanislas Romecka 269 Cela ne calma pas le courroux du Russe. Il supprima la pension annuelle des religieuses de sorte que la communauté se trouva réduite à la misère la plus noire. Monseigneur Rzewuski, pour avoir pris part aux élections, et pour d'autres raisons encore, fut déporté en Russie, dans le gouvernement d'Astrakan. Et le prélat Antoine Dietrich, présent en qualité de témoin, fut emprisonné dans la citadelle de Varsovie. La mère Augustine, assistait le coeur meurtri, à cette ingérence de l'ennemi dans les affaires du monastère, et songeait avec une profonde douleur à ce qu'il adviendrait de la maison, une fois les dernières soeurs décédées. Était-ce parce qu'elles avaient abrité en cachette des insurgés, que ce terrible oukaze vint les frapper ? La mère prieure était presque toujours à genoux, sanglotant au pied du tabernacle. Elle s'y abima les yeux et en perdit la vue. Dès lors, elle ne quitta pratiquement plus le choeur où elle demeurait plongée dans une oraison continuelle. Cette chère mère vécut jusqu'à quatre-vingt-dix ans, et conserva jusqu'à la fin, toutes ses facultés intellectuelles. Elle s'envola au ciel le jour des morts de l'année 1890.
268. Rzewuski, Mgr, Paul, né à Telaki, au diocèse de Podlachie le 12 janvier 1804 (le diocèse de Podlachie contigu à celui de Varsovie à l'est, a pris le nom de Siedlce en 1925). Ordonné prêtre le 22 juillet 1827. Pendant de nombreuses années il est vicaire à la paroisse Saint-Alexandre de Varsovie, vice-recteur du grand séminaire de Varsovie, professeur de religion dans les écoles publiques, il est nommé chanoine de la métropole Saint-Jean de Varsovie en 1857 et professeur à l'académie catholique romaine de Varsovie de 1857 à 1863. En 1862, il est vicaire général et official du diocèse de Varsovie et nommé évêque titulaire de Cruse et auxiliaire de l'archevêque de Varsovie. Depuis janvier 1862, l'archevêque de Varsovie était Sigismond Felinski. Déporté par les Russes, il put revenir à Cracovie, où il mourut en octobre 1892, avec vraisemblablement l'interdiction de revenir à Varsovie.
269. Romecka, Pélagie, mère Stanislas du Sacré-Coeur de Marie. Née à Varsovie le 8.4.1821. Vêture le 8.9.1838. Profession le 30.8.1840. Décès le 29.6.1906. Elle fut élue prieure le 16.9.1865 en remplacement de mère Golebieska dont la réélection avait été interdite par le gouvernement. Elle fut prieure jusqu'au 2.7.1877. A cette date la communauté élut mère Rakoszewska, qui demeura dans la charge jusqu'au 2.7.1880. La communauté put alors choisir de nouveau mère Romecka qui assuma le priorat jusqu'à sa mort : le 29.6.1906.
Rakoszewska, Hélène, mère Madeleine de Jésus. Née à Varsovie le 30.4.1829. Vêture le 24.3.1855. Profession le 1.3.1857. Décès le 16.11.1897. Elle fut prieure du 2.7.1877 au 2.7.1880.
Durant ces douloureuses épreuves, la Providence ne cessa de veiller sur notre couvent. Comme pour donner aux moniales un moment de répit et de joie, elle leur fit un don inattendu, particulièrement cher à leurs coeurs. Un jour, la soeur tourière vint trouver la très révérende mère en lui disant qu'un étranger demandait à lui parler. La mère Augustine se rendit immédiatement au parloir, où l'inconnu en question défit devant elle un paquet, et en sortit une grande et belle statue de saint Joseph tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. « Cette statue est miraculeuse, dit-il, je sais qu'elle sera très honorée dans votre maison, et vous amènera des grâces insignes ». Sur ce, il la salua et se retira sans révéler le nom du donateur. Sa prédiction se réalisa à la lettre. Les religieuses, toutes joyeuses, placèrent la statue sur un petit autel et l'entourèrent d'une vénération toute spéciale. Saint Joseph les en récompensa au centuple, et en « procureur général » de la communauté leur témoigna toujours une sollicitude vraiment paternelle. Chaque mois de mars, la statue fut exposée dans l'église du monastère, et son culte se répandit dans toute la ville. De nombreux ex-voto en sont l'affirmation muette. Tous les ans, le 19 mars, et le jour du patronage de saint Joseph, des foules de fidèles viennent visiter notre église, y déposant lettres et demandes aux pieds du saint gardien du divin Enfant, qui, par son doux sourire, semble acquiescer d'avance à toutes ces prières. Les religieuses n'ont jamais appris la provenance de cette statue miraculeuse. Ce n'est donc qu'à la Providence qu'elles sont redevables de ce trésor inestimable.
Le prélat Stanislas Zwolinski, nommé administrateur du diocèse de Varsovie, obtint du représentant de l'empereur, le comte Berg 270, la ratification des élections et la nomination de la prieure, mère Stanislas du Coeur Sacré de Marie (Romecka). Celle-ci, après maints efforts, réussit à se procurer auprès du gouvernement, une certaine somme d'argent pour la restauration de l'église, de sorte que, pour le jubilé du deux-centième anniversaire de la fondation,
270. Le général Berg, gouverneur de Varsovie au nom de l'empereur de Russie, réprima violemment des révoltes nationales. En 1863, la jeunesse de Varsovie et de très nombreux Polonais s'étaient regroupés, tant à Varsovie que dans les palatinats de Sandomir, Kaliza pour une guerre de partisans. Le général Berg leur résista à la tête d'une armée de 80 000 hommes et écrasa l'insurrection. La lutte continua jusqu'à la fin de 1864. La Russie victorieuse s'acharna sur sa proie. Il fut ordonné aux fonctionnaires de parler le russe. On supprima un grand nombre de couvents et on défendit de construire des églises catholiques. Après avoir tenté d'asservir les évêques, on les fit disparaitre successivement par la persécution et l'exil. Même Mgr Lubenski, qui s'était montré conciliant envers le pouvoir fut arraché, malade, de sa demeure, et mourut sur le chemin de l'exil. (Rohrbacher. Histoire universelle de l'église catholique, T.2, Paris, 1882).
425 l'église était toute belle, comme une mariée parée pour son époux (Ap 21, 2). Mais les sacrifices consentis pour cela furent grands. La somme allouée par l'administration étant insuffisante pour les travaux exigés, l'archiconfrérie du très Saint-Sacrement et de fidèles amies de la maison, vinrent en aide aux moniales, qui ajoutèrent à ces dons généreux toutes leurs économies. On vendit de précieux souvenirs : tableaux, dentelles, vieilles étoffes. De plus, il fallut contracter des dettes, ce qui gâta un peu la joie des courageuses soeurs. Pour rehausser la splendeur du jubilé, on demanda aux autorités ecclésiastiques, la permission de célébrer un triduum, avec l'exposition des Quarante Heures. Le dernier jour, son excellence l'archevêque ChosciakPopiel 2", présida lui-même les vêpres solennelles, assisté des prélats les plus vénérés de la ville. Pour terminer, l'hymne du Te Deum jaillit de milliers de poitrines. En quittant le choeur, les religieuses, profondément émues par la beauté du jubilé, se demandaient, anxieuses, si ce n'était pas le dernier. A cela, il n'y avait pas encore de réponse.
Cette solennité du jubilé fut, pour les pauvres bénédictines plongées dans les ténèbres de la souffrance et de la douleur, causées par les malheurs infligés à la Pologne, ainsi que par la misère à laquelle elles étaient réduites, comme un rayon de soleil, qui, pour un clin d'oeil, perça les sombres nuages. Cette fête raffermit les courages, réchauffa les coeurs endoloris, y versant le baume de l'espoir en un meilleur avenir. Mais il fallut attendre bien des années encore. A l'église, les hymnes se turent, les beaux sermons ne se firent plus entendre. La vie régulière reprit son rythme quotidien : la prière et le travail remplissaient les heures. Les mois après les mois s'écoulaient, les années après les années, et le monastère se dépeuplait peu à peu. Épuisées par les souffrances et les privations, les moniales descendaient, l'une après l'autre, dans le caveau de l'église, et les nouvelles recrues escomptées ne venaient pas, car les tyrans avaient condamné la communauté à la mort. Lorsqu'en 1892, la mère Casimire de Saint-Louis-de-Gonzague (Schultzowna Maria 272) mourut, il ne leur fut plus possible de réciter les Matines et les Laudes la nuit. Mais, dans la journée, les Heures étaient dites régulièrement, et
271. Vincent, Théophile, Popiel (ou Chociak Popiel), né à Czaple Wielkie, diocèse de Cracovie le 29.6.1825, études à Kielce 1847-1849, à Louvain 1849-1852, docteur en théologie à Rome ; prêtre le 5.8.1849. Professeur de théologie au séminaire de Kielce de 1854 à 1862. Recteur de l'académie de Varsovie en mai 1862. Évêque de Plock le 16.3.1863. Sacré à Varsovie le 6 ou le 13.12..1863 par Henri Platers, évêque titulaire de Mosynopolis, assisté de Mgr Myslinski prélat de S.S. et M. Balinski, chanoine. Évêque de Wloclawek le 5.7.1875 ; archevêque de Varsovie le 15.3.1883. Il est décédé le 7.12.1912.
272. Mère Casimire de Saint-Louis-de-Gonzague. Née à Olsztyn le 3.9.1829 (Nord-
Est de la Pologne). Vêture le 4.10.1848 ; Profession le 1.9.1850. Décès le 20.10.1892.
426 l'adoration perpétuelle, grâce aux efforts de ces héroïques épouses du Christ, ne fut jamais interrompue. Néanmoins, la communauté s'éteignait. Les bonnes mères anciennes le voyaient, et les yeux pleins de larmes, suppliaient le Seigneur de ressusciter leur cher couvent.
Cependant, l'horizon s'assombrissait. Les nouvelles de fermeture de monastères, et de déportations des religieuses, étaient de plus en plus fréquentes, et étreignaient de terreur le coeur des bénédictines. Le même sort pouvait leur échoir à tout instant. Et comme ces actes de violence étaient ordinairement accomplis de nuit, les religieuses, en se couchant, s'attendaient chaque soir, à être réveillées par l'alarme de la police russe, leur apportant l'ordre de l'exil. Chacune tenait donc auprès de son lit, les choses indispensables, pour pouvoir faire un baluchon en cas de nécessité et être prête à partir sur-le-champ.
Il arriva un moment où la communauté ne disposa plus du nombre suffisant de moniales pour l'adoration perpétuelle de nuit et de jour. Elles furent donc autorisées par l'Ordinaire à faire appel à quelques personnes pieuses, qui entrèrent en clôture pour prêter leur concours aux adoratrices. On les qualifiait de « victime ». Elles partageaient la vie de prière et de travail des soeurs, observaient la Règle, et émettaient même en secret les voeux de religion, dans l'espoir d'être un jour officiellement admises dans la communauté, et de porter le saint habit. Elles ne dépassaient pas, en général, le nombre de quatre. Plusieurs, lassées par une trop longue attente, quittèrent le monastère. C'est une oblate bénédictine laïque qui vaquait aux affaires extérieures de la maison.
Telles étaient les conditions de vie du monastère au début du XXe siècle. Avec l'avènement de Nicolas II 273 au pouvoir, une lueur d'espoir s'était allumée pour la Pologne. Elle s'éteignit rapidement. C'est en 1905 seulement, que l'empereur promulgua un oukaze de tolérance religieuse, et que les persécutions perdirent quelque peu de leur rigueur. On permit de rouvrir les noviciats. Cette grande nouvelle fut accueillie par nos soeurs avec une joie inexprimable. Le Dieu des miséricordes avait exaucé leurs ferventes prières et leurs
273. Nicolas II (1868-1918), dernier tsar de Russie (1894-1917), Nicolas, Alexandrovitch, influençable à l'excès, vécut dans l'ombre de son père, Alexandre III, jusqu'à son avènement. Dès le début de son règne une rupture s'établit entre le pouvoir et l'opinion qui ne fera que se renforcer. Le tsar se laissa, en effet, dominer toute sa vie par sa femme Alexandra Feodorovna, princesse de Hesse. La révolution de février 1917 entraîna l'abdication de Nicolas II (15 mars). Le tsarisme et trois siècles de Romanov ont pris fin, remplacés par Lénine en novembre 1917. Le tsar et sa famille, gardés à vue à Tsarskoïe Selo, puis emprisonnés à Tobolsk en Sibérie et transférés à Ekaterinbourg, furent massacrés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.
427 voeux les plus ardents. Elles étaient si heureuses d'avoir tenu bon pendant ces quarante dernières années, de n'avoir pas perdu confiance, d'avoir espéré contre toute espérance (Rm 4, 18) , lorsque la main brutale du tyran empêchait le recrutement de nouvelles vocations ! Au moment de la réouverture du noviciat, les mères anciennes étaient au nombre de douze. La plus jeune, mère Colombe Iwanowska 274, était âgée de soixante-sept ans. La mère Stanislas Romecka avait rempli la charge de prieure pendant tout le temps de la fermeture du noviciat. Elle avait mérité la confiance des soeurs, grâce à sa haute vertu, sa grande charité, son humilité, sa douceur, et une sagesse toute surnaturelle. Les ecclésiastiques eux-mêmes, venaient lui demander conseil. Les vocations sacerdotales lui tenaient beaucoup à coeur. Elle vint en aide à de nombreux séminaristes, en quêtant, pour leur procurer les fonds nécessaires à la poursuite de leurs études. Le temps du priorat de mère Stanislas Romecka coïncide avec les années les plus difficiles pour la Pologne, et pour notre communauté. Aussi, a-t-elle beaucoup souffert, et vers la fin de sa vie, elle eut encore à endurer bien des tribulations. Ce qui lui fut particulièrement pénible, ce furent les instances des personnes, humainement parlant, fort sages, qui la pressaient de partager entre les différentes églises de la ville, les précieux souvenirs possédés par le monastère, afin qu'ils ne tombassent pas entre les mains ennemies, une fois les dernières religieuses décédées. Mère Stanislas, qui avait une foi inébranlable en la résurrection de sa chère maison, ne suivit pas ces conseils. Le Dieu tout-puissant ne permit pas qu'elle fût déçue. Une année avant sa mort, elle assistait, radieuse, à la réouverture du noviciat. D'une main tremblante de vieillesse et d'émotion, elle revêtit les nouvelles élues de l'habit monastique. Deux mois après, en la fête de saint Pierre et de saint Paul, toute sereine, elle quittait cette terre, âgée de quatre-vingt-cinq ans.
L'édit de tolérance de 1905 n'adoucit pas beaucoup le régime de persécution des congrégations religieuses. Le gouvernement russe entravait le développement normal des communautés catholiques en limitant le nombre des moniales. Dans notre monastère, il le fixa à quatorze. Nos mères recevaient néanmoins plus de sujets qu'il ne leur était permis, les aspirantes consentant à attendre une place vacante, occasionnée par la mort d'une religieuse, pour être officiellement admises dans la communauté et pensionnées par l'État. Elles portaient une robe noire et un bonnet avec un voile blanc, souvent pendant de longues années. Les soeurs n'étaient pas autorisées à
274. Micheline dc Saint Stanislas Kostka. Née à Kamieniec (Podlaskie) le 19.4.1839. Véture en 1863 ; Profession le 1.1.1864. Décès le 6.4.1915. Elle fut prieure du 2 _juillet 1907 jusqu’à sa mort.
émettre leurs voeux avant l'âge de trente ans, et seulement avec l'approbation du gouvernement, dont les délégués assistaient à la cérémonie. Ces fonctionnaires, couverts de décorations, occupaient les fauteuils en face de l'autel, et jetaient à travers les grilles des regards indiscrets et scrutateurs dans notre choeur, pour vérifier le nombre des « nonnes ». L'acte de naissance de chacune des moniales devait être envoyé à Saint-Pétersbourg. Non seulement, le choix de la prieure et de la sous-prieure étaient soumis au gouverneur général, mais les autorités russes s'ingéraient également dans d'autres affaires intérieures de la maison, comme la comptabilité, qui devait être établie en russe et contrôlée.
Cet état de choses se prolongea jusqu'à la guerre. Au mois d'août 1915, les Russes, pressés par les forces de l'armée allemande, quittaient Varsovie, en faisant sauter les ponts sur la Vistule, et en incendiant les bâtiments du gouvernement. Du faubourg Praga, situé sur la rive opposée du fleuve, ils tiraient sur la ville. Les Allemands ripostaient en lançant des projectiles de gros calibre. Cette effroyable canonnade dura trois jours. La Providence divine veillait sur nous, car pas une de nos soeurs ne fut blessée. Les balles pleuvaient, elles entraient par les portes et les fenêtres. On en trouva dans les lits et les armoires, mais elles ne firent aucun dégât sérieux. La seule victime fut un petit canard tué au milieu de la basse-cour. La misère et la famine, que cette terrible guerre engendra, se firent péniblement ressentir au monastère. Les dons des généreux bienfaiteurs ne suffisaient pas à subvenir aux besoins. On fut obligé de vendre les meubles : pianos, lustres, toiles anciennes. Le bois provenant des armoires, commodes et autres meubles servait à entretenir le feu dans les cheminées pendant les mois d'hiver. On brûla aussi des tableaux de moindre valeur et des bréviaires hors d'usage. La nourriture était malsaine et insuffisante. Aussi, les pauvres religieuses mouraient-elles presque de faim. Un jour, la soeur dépensière n'eut rien à servir à dîner, sauf une poignée de pois qu'elle trouva au jardin.
Enfin se leva pour la Pologne, le jour ardemment désiré et attendu depuis tant d'années par tous les coeurs patriotes : le jour de sa résurrection. Une confiance inébranlable en la divine Providence, les prières ferventes, qui, près de cent-cinquante ans ne cessèrent de monter vers le ciel, implorant la libération, le sang abondamment versé pour cette sainte cause, par l'héroïque jeunesse polonaise obtinrent la faveur de Dieu. Le traité de Versailles (28 juin 1919). qui mit fin à la première guerre mondiale, restitua à notre pays. ses droits et son rang parmi les États européens. Un enthousiasme indescriptible s'empara de toute la nation. Il se traduisit par d'émouvantes manifestations patriotiques, et par de solennels offices d'action de grâces. Notre monastère partagea la joie universelle. Avec 429 l'indépendance de la Pologne, notre institut, persécuté depuis si longtemps, recouvrait enfin l'intégrité de ses droits et l'entière liberté de son développement. Des hymnes de gratitude s'élevèrent de tous les coeurs vers le Christ présent dans l'Eucharistie.
Grâce à ces conditions plus favorables, la communauté s'agrandit : neuf jeunes soeurs prirent le saint habit. Cependant, les temps étaient toujours aussi difficiles.
En 1920, l'invasion bolcheviste saccagea le pays, et il y eut une telle baisse du mark polonais que les prix montèrent de façon stupéfiante. La prieure, mère Marie Josèphe de la Nativité (Alesandrine Korybutt-Daszkiewicz) était alors âgée de quatre-vingts ans. D'un dévouement sans bornes et toujours prête à la tâche, cette vaillante supérieure employa toutes ses forces à trouver des moyens de subsistance pour son monastère. Souvent, les soeurs travaillaient des nuits entières pour exécuter les commandes qu'elle avait réussi à se procurer. La mère Marie Josèphe était une fervente adoratrice du très Saint Sacrement. Elle aimait profondément la communauté, les offices au choeur et les traditions conventuelles. Elle survécut bien des années à toutes les mères anciennes, et fut le dernier témoin de la fermeture du noviciat après l'insurrection de 1863. Sa mémoire ne lui faisait jamais défaut, elle était comme un lien entre la nouvelle génération des religieuses et celle du passé, dont elle leur transmettait pieusement les souvenirs. Elle s'endormit dans le Seigneur, le 13 février 1931, à l'âge de quatre-vingt-treize ans, conservant presque jusqu'à la fin son entière lucidité. La messe des funérailles fut célébrée par Son Éminence le cardinal Kakowski 275, qui l'avait toujours beaucoup appréciée, et goûtait sa conversation, si vivante et pleine d'entrain.
En 1921, la mère Marie Anne du Patronage de saint Joseph (Victoire Kowalska) fut élue prieure. Elle appartenait à la jeune génération. La misère au couvent était encore bien grande, et les moniales employaient leurs journées à confectionner du linge de sacristie et des ornements liturgiques.
275. Alexandre Kakowski né à Sembine, diocèse de Plock le 5 février 1862 ; prêtre le 30.5.1885. Professeur au grand séminaire de Plock en 1887 ; supérieur en 1898; chanoine en 1901 ; prélat le 12 janvier 1911 ; recteur de l'académie de Pétrograd en 1910. Archevêque de Varsovie le 7 mai 1912. Sacré le 22.6. à Pétrograd, paroisse Sainte-Catherine, par Stanislas Zitowiecki évêque de Wloclawek, assisté de Jan Ciepiak, évêque d'Evarie et Longin Rarnowiewski, évêque de Mosynopolis ; Cardinal le 15.12.1919 du titre de Saint-Augustin. Décédé le 30.12.1938. Le 28 octobre 1919 il conféra l'épiscopat à Achille Ratti (Pie XI), nonce en Pologne. Dès que la résurrection de la Pologne fut en vue, Rome avait dépêché en 1918, Mgr Ratti, alors simple prélat, pour s'occuper des affaires religieuses du pays.
430
Le révérend père Raymond Thibaut 276, bénédictin de l'abbaye de Maredsous en Belgique, ayant entendu parler des difficultés matérielles du monastère de Varsovie, fit appel à la générosité des lecteurs de la Revue liturgique et monastique, dont il était un des rédacteurs. Aux nombreux dons qui affluaient, et qu'il envoyait avec joie à la communauté, il joignait toujours une lettre pleine d'encouragement. Il manifestait à notre égard une bonté vraiment paternelle. Notre monastère lui doit beaucoup de reconnaissance pour sa grande charité.
Les maisons de notre institut à l'étranger, elles-mêmes si éprouvées par la guerre, vinrent aussi à notre secours. Le souvenir de leur fraternelle charité est resté profondément gravé dans nos coeurs. Les communautés de Caen et de Rouen ont été particulièrement généreuses. Que le Bon Dieu le leur rende au centuple.
Monseigneur Achille Ratti, plus tard Sa Sainteté Pie XI, fut si filialement aimé des coeurs polonais, qu'ils l'appelaient tendrement : « Le pape polonais ». Il honora maintes fois notre couvent de ses courtes visites. Constatant l'extrême indigence des bénédictines, il leur disait avec une sympathie vraiment compatissante : « Comme je vous plains, mes pauvres sacramentines ! » Souvent, n'ayant pas le temps de descendre de voiture pour se rendre au parloir, il ne s'arrêtait qu'à la porte du cloître, pour recommander aux prières des religieuses des cas difficiles, et qui lui tenaient à coeur.
Lors de son départ de Pologne, survenu en un court délai, il ne put faire ses adieux qu'aux personnages les plus éminents de la ville. Mais sur sa liste, il daigna faire inscrire aussi les bénédictines du Saint-Sacrement. Les dernières paroles qu'il nous adressa en polonais furent : « Au revoir, au ciel ».
Notre monastère n'était plus à ce moment-là, qu'un amas de ruines. La mère prieure fit des démarches auprès du gouvernement polonais, afin d'obtenir des ressources pour les réparations les plus urgentes. En tout premier lieu, celle du mur de clôture, qui s'était effondré sur la longueur de six mètres dans le jardin voisin. On quêta à cette intention à l'église, et un peu partout. Vers la fin de 1924, le gouvernement alloua une pension mensuelle, qui nous permit de consolider les fondations des bâtiments. Cette pension était octroyée en dédommagement des biens spoliés par le gouvernement russe en 1865. On restaura le rez-de-chaussée et le premier étage, et on répara la toiture. C'est partir de cette époque, que la communauté se
276. Raymond Thibaut né le 15.10.1877. Profession à l'abbaye de Maredsous (Belgique) le 20.3.1898. Prêtre le 24.8.1902. Décédé le 29 novembre 1962. Secrétaire de Dom Marmion dont il a écrit la vie et édité les oeuvres après la mort de celui-ci.
431 mit à fabriquer les pains d'autel, et grâce à la sollicitude paternelle de Son Eminence l'archevêque, la fabrication se développa, ce qui améliora beaucoup notre situation financière.
A partir du priorat de la très révérende mère Jeanne Byszewska 27, élue prieure le 28 septembre 1927, les travaux de restauration avancèrent rapidement. Le deuxième et le troisième étages terminés, on y logea le noviciat, de plus en plus florissant.
La réfection des bâtiments, la bonne situation financière, et le nombre croissant de postulantes, contribuèrent à vivifier l'esprit monastique et à faciliter la stricte observance de la Règle et des Constitutions. (La mère prieure reçut quinze religieuses à la profession de 1928 à 1938).
Profondément pénétrées du devoir de réparation due à Jésus-Hostie, pour les outrages qu'il subit à chaque instant en son sacrement d'Amour, les moniales désirèrent faire rayonner leur oeuvre en associant des laïques à leurs prières au Dieu de l'Eucharistie. Dans ce but, la très révérende mère obtint de l'autorité ecclésiastique, la permission d'exposer quotidiennement le très Saint Sacrement depuis huit heures du matin jusqu'à cinq heures de l'après-midi.
Avec l'amour de Jésus-Victime, se développa le culte du Saint Sacrifice, et l'esprit liturgique, traditionnel dans notre ordre, prit un nouvel essor. Le nombre des jeunes soeurs fut bientôt suffisant pour que l'on puisse reprendre le chant grégorien, et la récitation nocturne de Matines et de Laudes. Le chant résonna, de plus en plus ample, sous les voûtes du choeur conventuel. Mais l'église délabrée
277. En 1927, en raison d'un accord avec la communauté des bénédictines de Staniatki (près de Cracovie), la mère Janina Byszewska, moniale de cette abbaye, fut choisie comme prieure de Varsovie. Le 21 juin 1932, six monastères de moniales se réunissaient en congrégation, sous le vocable de l'Immaculée Conception. C'étaient les abbayes de Lomza, Lwow, Nieswiez, Przemysl, Staniatki, Wilno. Leur visiteur nommé par Rome fut le père abbé de l'abbaye d'Emmaüs de Prague, Dom Eernest Vykoukal.
Dom Vikoukal, né le 7 mai 1879, fit profession le 11 novembre 1901, et reçut le sacerdoce le 22 septembre 1906. Élu abbé le 18 septembre 1925, il reçut la bénédiction abbatiale le 27 septembre suivant.
L'abbaye de Prague fut fondée en 1348 par l'empereur Charles 1V et restaurée en 1635 par Ferdinand Ill, enfin relevée en 1880 par l'empereur François Joseph lef avec l'aide de moines de l'abbaye de Beuron. Cette abbaye n'existe plus. Ce fut le R.P. Charles Van Oost, profès de l'abbaye Saint-André de Bruges, qui lui succéda en qualité de visiteur. Né le 6 avril 1899, il fit profession le 11 novembre 1918, reçut le sacerdoce le 26 août 1923. Il demeura à l'abbaye de Tyniec de 1928 à 1952, et il en fut supérieur ; il fut ensuite envoyé au prieuré de Lubumbashi (Elisabethville, Zaïre) où il séjourna dix ans. Il est retourné depuis dans son abbaye de profession. Le R.P. Van Oost a beaucoup aidé nos monastères polonais et il reste très attaché à notre institut.
n'était plus un temple digne du Seigneur. Confiantes en la divine providence qui ne déçoit jamais, les religieuses résolurent de restaurer, coûte que coûte, leur église, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, et de remplacer le toit en zinc de la coupole, ancien, abîmé et percé, par un toit neuf en cuivre. Ces travaux ne furent achevés qu'en 1936. Cette fois encore, le Dieu des miséricordes n'abandonna pas ses fidèles servantes, et leur permit de mener à bien l'oeuvre commencée. Le coeur paternel de son excellence l'archevêque Stanislas Gall 278, supérieur vénéré de notre communauté, contribua beaucoup, par des dons généreux et de sages conseils, à la réussite de cette entreprise qui dépassait nos forces. On essaya de conserver intégralement le style de l'église et du choeur conventuel, et de rester fidèles aux intentions des fondateurs royaux. Aussi cette église, qui est un vrai joyau de notre capitale, a-t-elle repris son aspect primitif.
C'est dans ce beau décor que vont se dérouler les cérémonies solennelles du jubilé de 1938.
Qui pourrait dire les sentiments de profonde reconnaissance qui montent du coeur des bénédictines vers Dieu ? Lui, qui a voulu montrer, d'une manière quasi miraculeuse, sa prédilection pour ce sanctuaire, où il est loué, et qui semblait condamné à périr. Une terrible épidémie qui décima la population, le manque de vivres, les persécutions des Russes, les balles de l'ennemi, tous ces fléaux et des tribulations sans nombre, enfin la guerre mondiale de 1914-18 avec toutes ses terreurs et toutes ses misères, tout cela aurait dû largement suffire pour disperser ce petit groupe de femmes, et anéantir une oeuvre si fragile en apparence. Et pourtant, ce petit troupeau résista et surmonta tous les obstacles sans interrompre la tâche qui lui était dévolue : l'adoration perpétuelle du très Saint Sacrement. Il resta inébranlable, car la main de Dieu reposait sur lui (Ps 139, 5) . Combien Dieu est admirable ! Avec quelle tendre sollicitude et quel profond amour, il veille sur ceux et celles qui se confient entièrement en sa divine providence !
Puisse ce récit, en témoignant de la puissance miséricordieuse de Dieu, lui procurer la plus grande gloire, selon la devise de notre illustre et saint Patriarche saint Benoît : ut in omnibus glorificetur Deus (Règle 57-9) .
278. Stanislas Gall, né à Varsovie le 21 avril 1865 ; prêtre le 29 juin 1887. Doyen du chapitre cathédrale, évêque titulaire d'Halicarnasse et auxiliaire de l'archevêque de Varsovie à Lowiez le 29.7.1918. Sacré le 17 novembre suivant dans la cathédrale Saint-Jean-de-Varsovie par Stanislas Kakowski, archevêque, assisté de Casimir Ruszhiewiez, évêque de Nacolia et Adalbert Owezaca évêque d'Ascalon. Aumônier en chef de l'armée polonaise du 5.2.1919 à décembre 1931. Archevêque titulaire de Carpathus, restant auxiliaire de l'archevêque de Varsovie, le 16 février 1933. Il est décédé le 11 septembre 1942.
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Jésus mon adorable Sauveur qui avez consacré le premier moment de votre vie à faire la divine volonté de votre Père, portant au milieu de votre coeur une loi de sacrifice en qualité de victime de sa gloire, nous venons humblement prosternées aux pieds du trône de vos divines grandeurs pour adorer le premier instant de votre vie mortelle et l'état d'abaissement dans lequel vous vous êtes réduit pour la gloire de votre divin Père et, pour le salut des hommes.
O très aimable Jésus, en l'honneur et union de vos saintes dispositions, nous vous adorons, nous vous aimons, et nous vous glorifions comme notre Dieu, et notre Sauveur, qui nous avez rachetés au prix de votre sang précieux. Nous vous offrons et consacrons tous les moments de notre vie, vous suppliant de nous faire la grâce de n'en user jamais que pour vous et que tous les désirs, et mouvements de nos coeurs, toutes nos pensées, nos paroles, et nos actions durant cette année et toute notre vie, soient autant d'actes d'amour, d'adoration et de louanges par lesquels nous puissions vous honorer autant qu'il nous sera possible.
Nous vous offrons aussi toute la gloire et les louanges qui vous seront données cette année, et à jamais, par toutes les créatures ; nous adorons vos jugements et les desseins que vous avez sur nous, nous nous soumettons en toutes choses à votre divine volonté, nous acceptons, et embrassons pour l'amour de vous,toutes les peines de corps et d'esprit que nous aurons à souffrir durant cette vie, et particulièrement cette année qui sera peut être la dernière qui nous reste à vivre, nous la regarderons comme telle, et dans cette disposition nous l'emploierons à réparer les années passées. Donnez-nous en la grâce et tous les secours dont nous avons besoin selon les desseins de votre miséricorde sur nous ; bénissez tout notre être et ses opérations, animez-nous de votre Esprit, afin que nous puissions consommer toute notre vie pour vous, comme vous avez consumé la vôtre, pour la gloire de votre divin Père. Ainsi soit-il.
O Vierge très pure, Mère de mon Sauveur et mon Dieu, nous vous honorons et révérons autant qu'il nous est possible, et toutes les saintes dispositions de votre âme, dès le premier instant de votre vie auquel vous avez commencé d'aimer et glorifier Dieu d'une manière très parfaite. O Mère de bonté et de miséricorde, suppléez pour nous envers votre divin Fils, et nous obtenez de lui les grâces nécessaires pour ne vivre uniquement que pour lui en imitant votre pureté, votre humilité et votre esprit de sacrifice, afin qu'en qualité de vos filles, nous puissions être avec vous une même victime immolée, avec Jésus-Christ, à la gloire de Dieu son Père. Ainsi-soit-il.
AUTOGRAPHE, ARCHIVES DU MONASTÈRE DE ROUEN
Portant approbation et confirmation de la fondation du monastère du Saint Sacrement de Varsovie, de toutes les conditions y stipulées, et notamment de la clause qui ordonne que des quatorze religieuses qui doivent composer cette communauté, il y en aura toujours huit tirées des monastères de France.
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Pour servir de Mémoire à la postérité. Nous ne devons pas douter que Dieu ne soit l'auteur des bonnes oeuvres et des pieux désirs : c'est lui qui donne toujours la force de mettre à exécution les nobles desseins qu'il inspire. Nos bien-aimées filles, en Jésus-Christ, Marie Ursule de Przebendowska et Marie des Anges, religieuses professes de l'ordre de Saint-Benoist de l'Adoration perpétuelle du Saint Sacrement, dans le monastère de Varsovie depuis peu, nous ont fait représenter qu'en l'année 1688, Marie Casimire, d'heureuse mémoire, reine de Pologne, a fondé et doté un monastère de leur ordre dans la ville de Varsovie ; qu'elle a chargé les religieuses d'offrir leurs prières, nuit et jour, au très Saint Sacrement, pour la reine fondatrice, le roy son époux, et tous les États du royaume de Pologne, et d'élever la jeune noblesse du royaume dans la piété chrétienne ; qu'à cet effet elle a ordonné, dans l'acte de fondation, que des quatorze religieuses qu'elle fondait, il y en aurait toujours huit qui seraient tirées des monastères du Saint Sacrement, établis en France. En sorte que l'une venant à décéder, une autre, de la même nation, devait venir occuper sa place ; que l'évêque de Varsovie, en érigeant ce monastère, avait réservé l'approbation et confirmation de cette dernière clause à l'autorité du Saint Siège, parce qu'elle excédait le pouvoir de sa juridiction. Qu'on ignore si cette confirmation a été demandée et obtenue dans le temps ; que, pendant la vie de la reine elle a été exécutée à la lettre ; mais que, depuis sa mort, les établissements humains allant toujours en dégénérant, on a si fort négligé l'exécution de cet article de la fondation, que depuis plusieurs années, il n'existe plus que deux religieuses françaises dans la maison de Varsovie ; les dites suppliantes ajoutaient qu'elles et plusieurs autres religieuses désiraient de voir ce monastère rétabli dans son ancien état, qu'elles avaient obtenu de notre très chefs fils en Jésus-Christ, Louis, Roi très chrétien, son consentement afin que les religieuses de son royaume, qui seraient demandées, pussent librement se transporter en Pologne, et que plusieurs monastères de leur ordre, établis en France venaient d'accepter librement et volontairement la dite fondation, avec l'agrément des évêques dans les diocèses desquels ces monastères sont fondés : qu'afin que cette disposition de la fondation, qui concerne les religieuses françaises, soit désormais exécutée avec plus de fidélité et d'exactitude ; elles nous faisaient supplier de vouloir bien approuver et confirmer la dite fondation, pourvoir à ce qu'elles puissent voir leurs demandes accomplies et user d'indulgence à leur égard.
Nous, voulant favoriser un aussi louable dessein et combler de grâces et de faveurs spéciales les deux dites religieuses, et les autres susdites ; après les avoir relevées des censures qu'elles pourraient avoir encourues, afin de jouir de l'effet des présentes, levé, et réparé toutes les nullités qui pourraient s'être glissées dans les dits actes, faisant droit à leur requête, de l'autorité apostolique par la teneur des présentes : nous approuvons et confirmons la dite fondation faite par Marie Casimire, reine de Pologne, avec toutes les conditions et clauses y mentionnées, et notamment l'article qui porte que des quatorze religieuses qui composent cette communauté de Varsovie, il y en aura toujours huit qui seront tirées des monastères établis en France : Nous voulons que la dite fondation ait toute la force et la consistance des établissements faits par l'autorité inviolable du Saint Siège apostolique, suppléant à tous les défauts de droit ou de fait, s'il s'y en trouvait quelqu'un.
De plus, toutes les fois qu'une des places fondées pour les religieuses françaises viendra à vaquer, nous donnons aux religieuses de France qui en seront requises, plein pouvoir et ample faculté de passer en Pologne, à l'effet de remplir la dite fondation.
Et de peur que les dites translations ne soient à charge aux monastères de Paris, et aux autres situés dans le dit Royaume, et ne leur causent quelque dommage ou préjudice, nous ordonnons et déclarons, que les dits transports et voyages doivent être faits entièrement aux frais du monastère de Varsovie. Voulons et ordonnons que les présentes lettres aient leur plein et entier effet et que tous ceux que leur exécution regarde ou regardera, les observent inviolablement : si quelques juges ordinaires ou délégués, même les auditeurs des causes du Palais, les cardinaux de la sainte Église de Rome, les nonces du Saint-Siège apostolique, faisaient quelque chose de contraire aux dispositions des présentes, après leur avoir ôté tout pouvoir de juger et interpréter autrement, nous déclarons, nul et de nul effet, tout ce qu'ils auraient attenté aux préjudices des présentes. Et ce, nonobstant toutes les autres constitutions apostoliques, lois ecclésiastiques, statuts, coutumes, usages des dits monastères de France, privilèges, indults, lettres apostoliques, à ce contraire, auxquels pour cette fois nous dérogeons spécialement et expressément.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du Pescheur, le vingt-huit janvier de l'an de notre Seigneur 1783, et de notre pontificat le huitième.
Signé cardinal de Conti
ARCHIVES DU MONASTÈRE DE PARIS CONSERVÉES AU MONASTÈRE DE ROUEN - M 2 - original
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Beagle Anne Catherine — de saint André Victime de Jésus. Née à Lille le 25.4.1750. Vêture le 3.1.1773 à Caen ; Profession le 19.7.1774 à Caen entre les mains de la révérende mère Marie Françoise de sainte Flavie, prieure. Départ pour la 2e fondation de Lwow le 12.2.1786, puis au ler monastère de Lwow le 13.8.1791. Prieure de 1797 à son décès à Lwow le 9.2.1799. Cette religieuse était aussi parfois nommée Marie Catherine Françoise de saint André. (Archives du monastère de Caen).
Beauvais de Gentilly (de) Radegonde — Radegonde de la Présentation. Née le 19.2.1652. Vêture le 7.11.1667 au monastère de la rue Cassette ; Profession le 3.8.1669 entre les mains de mère Mectilde du Saint-Sacrement de Bar. Elle fut prieure du monastère de Varsovie de 1688 à 1691. Décédée à Paris le 12.11.1737. (cf. Notice nécrologique de cette religieuse, chapitre V).
Beudon Xainte — Marie de la Croix. Née à Paris le 4.8.1658. Vêture le 22.10.1678 à Toul en qualité de saur converse ; Profession le 7.8. 1680 à Toul. Départ pour Varsovie en 1699, rejoignit à Lwow mère Madeleine Dauvergne en 1709. Décédée à Lwow le 24.4.1746. — Fille d'Estienne Beudon, manoeuvre, et de Marie Garlay ou Jarlet, baptisée le 4.8.1658 en l'église Saint-Jacques du Haut-Pas à Paris. Parrain : Pierre Le Gendre, paroisse Saint-Benoît ; marraine : Xainte Chaux, fille de Louis Chaux, sergent royal, paroisse Saint-Cosme. Certificat délivré le 23.1.1680, signé du prêtre vicaire de Saint-Jacques : Chaudon. — Monsieur Chaux, l'interprète dont il est parlé au cours du récit du voyage faisait peut-être partie de la famille de cette religieuse.
Blanc de la Beaume Delphine — Jeanne. Née à Graçay (Cher), au diocèse de Bourges le 1.8.1708. Vêture le 4.12.1726 ; Profession le 5.4.1728. Décédée à Varsovie le 24.4.1789.
Bompard Geneviève — Suzanne de la Passion. Née à Paris en 1666 ; Vêture en 1681 au monastère de la rue Cassette ; Profession en 1682. Maîtresse des novices à Varsovie, après l'élection, comme prieure, de mère Marie de Jésus Petigot, le 2.7.1691, elle fut ensuite prieure de ce monastère le 2.7.1700. Atteinte de la peste au cours de la grave épidémie de 1708, elle offrit sa vie pour la cessation du fléau et décéda à Varsovie le 23.8.1708. Un mausolée fut élevé dans l'église du monastère pour perpétuer le souvenir de son héroïque charité.
Bompard Anne — Marie de saint Bernard. Née à Paris en 1669. Départ de Paris le 25.8.1688. Arrivée à Varsovie le 14.10.1688. Vêture le 2.2.1689 à Varsovie ; Profession le 16.2.1690. Décédée à Varsovie le 26.7.1749.
Boust (des) ou Boutz (de) Louise — de sainte Mectilde. Née à Fontainebleau le 22.10.1695. Arrivée à Lwow le 2.8.1719. Vêture le 7.9.1721 à Lwow ; Profession le 27.12.1722. Décédée le 20.4.1768.
Boutilly ou Boutillier Agnès Françoise — M. du Saint-Esprit. Profession le 10.2.1687 à Saint-Louis-au-Marais entre les mains de la mère prieure, Marie de saint François de Paule. Départ pour Varsovie en 1695. Retour en France en 1698.
Brenot Marie — Scholastique de Jésus. Née à Paris le 24.10.1666. Vêture le 5.1.1687. Départ pour Varsovie septembre 1687, y fait son noviciat ; Profession le 9.1.1689. Elle fut prieure du monastère de Varsovie du 2.7.1721 au 2.7.1730. Décédée à Varsovie le 26.4.1758.
Bresson Louise, Catherine — M. de sainte Cécile. Née à Paris le 3.2.1703. Arrivée à Lwow le 2.8.1719, elle commença son postulat avec ses deux compagnes le 27.11.1719. Vêture le 15.3.1722. Elle ne put faire Profession que le 3.6.1731. Décédée à Lwow le 26.2.1773.
Briot Béatrice — mère de Sainte Marthe. Née à Avancourt le 25.10.1683. Entrée à Lwow le 11.1.1722. Profession en qualité de soeur converse le 7.3.1723. A offert sa vie pour mère Louise de l'Incarnation Guion qui fut guérie. Décédée à Lwow le 19.3.1738.
Cheuret Marie-Marguerite — Mectilde du Saint-Sacrement. Vêture le 26.10.1668, âgée de 17 ans. Profession le 18.10.1669 au monastère de la rue Cassette. Elle vint à Rouen en 1677. Partie de Paris en 1687, elle resta à Varsovie jusqu'au 17.4.1691. Décédée rue Cassette le 6.3.1725.
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Clausier Anne — Mère de saint Maur. Née à Paris en 1664. Départ de Paris le 25.8.1688. Arrivée à Varsovie le 14.10.1688. Vêture le 2.2.1689. Profession le 16.2.1690. Décédée à Varsovie le 26.1.1737.
Darly Charlotte — Mère de saint Bernard. Née à Paris le 4.3.1670. Vêture le 21.11.1686 à Toul. Profession le 11.7.1688 entre les mains de mère Marie Anne de Sainte Magdeleine, prieure. Arrive à Varsovie en 1699, ensuite à Lwow en 1709. Décédée à Lwow le 6.12.1754 où l'obéissance l'avait envoyée ». — Fille de François Darly, marchand bourgeois de Paris et de Charlotte Gaultier, baptisée le mardi 4.3.1670 entre 6 h et 7 h du soir (née à 7 h 1/2 du matin) paroisse Saint-Merry à Paris. Parrain : Charles Duvaut, agent de change en banque ; marraine : Marie Gaultier, femme de Ivan Le Masson, marchand drapier, bourgeois de Paris. Signé des susdits plus : de Vriselieu (?) avec paraphe. Certifié conforme à l'original, 28.6.1677. Signé Bonnet.
Dauvergne ou d'Auvergne Marie Anne — Mère Anne de sainte Magdelaine. Née à Paris le 4.10.1654. Vêture le 17.4.1678 à Toul. Profession le 8.10.1679. Arrive à Varsovie avec le premier groupe de fondatrices en septembre 1687. Sous-prieure et maîtresse du pensionnat, puis prieure du 2.7.1697 au 2.7.1700.
Elle quitta Varsovie en 1708 en raison de l'épidémie de peste. Fondatrice du monastère de Lwow qu'elle dirigera en qualité de sous prieure du monastère de Varsovie ; elle fut élue 1 re prieure de cette maison en 1720. Elle y décéda le 7.7.1729 — Fille de Jacque d'Auvergne et de Dame Marie de Valiere (cf. acte de Vêture et charte de profession, archives du monastère de Toul).
Delatre Célestine — Julienne de saint Joachim. Née à Paris le 4.3.1819. Vêture le 29.6.1841 ; Profession le 15.10.1843. Décédée à Varsovie le 12.9.1859.
Demas Anne — Mère de Saint Augustin. Née à Grenoble le 10.10.1669. Départ de Paris le 25.8.1688. Arrivée à Varsovie le 14.1 0.1688. Vêture le 2.2.1689 à Varsovie. Profession le 16.2.1690. Décédée à Varsovie le 2.12.1736.
Faguet Catherine — mère Catherine de l'Assomption. Née à Paris le 7.3.1671. Vêture en 1695. Profession le 8.12.1698. Demeure à Lwow de 1736 à 1746.
Feuve Françoise — Françoise de saint Antoine. Née à Varsovie le ler.4.1669. Vêture en 1690 à Varsovie. Profession le 22.7.1691. Décédée en juillet 1732.
Fleurisel (de) Marie-Jeanne — Gertrude de Jésus. Née à Paris le 16.10.1679. Entrée au monastère de la rue Cassette le 24.2.1700. Profession le 16.10.1701. Arrivée à Lwow le 2.8.1719. Élue prieure
de ce monastère à la mort de mère d'Auvergne en 1729, elle demeura dans cette charge jusqu'en 1741. Décédée à Lwow le 1".11.1757.
Fusière (de) Micheline-Elisabeth — Marie de saint Benoît. Départ de Paris le 25.8.1688 ; arrivée à Varsovie le 14.10.1688. Rentrée en France quelques années plus tard.
Giron Marie — de saint Ovide. Comme sa compagne, la soeur Thérèse de Jésus Philippe, elle quitta le monastère pour le service de la reine Marie-Casimire.
Gobard Hélène — Catherine du Saint-Sacrement. Née à Saint-Malo en Bretagne. Vêture en mars 1687 à Saint Louis au Marais. Départ pour Varsovie septembre 1687, y fait son noviciat. Profession le 9.1.1689. Retour à Paris le 17.4.1691. Sous prieure à Saint-Louis au Marais en 1700.
Grandjour Stéphane — de Saint Joseph. Converse. Départ pour Varsovie en septembre 1687. Elle resta à Varsovie jusqu'en 1698 et revint en France avec mère Marie de Jésus Petigot. Très appréciée de la reine Marie Casimire, elle fit partie, à la demande de cette dernière, du petit groupe des religieuses appelées à Rome par la reine en 1702.
Grandville Catherine — de sainte Rosalie. Née à Toul le 22.9.1724. Vêture le 21.9.1744 à Lwow. Profession le 20.2.1746. Décédée à Lwow le 5.1.1761.
Guion Marie — Louise de l'Incarnation. Née à Paris le 23.1.1681. Entrée au monastère de Saint-Louis au Marais le 25.3.1702. Profession le 8.5.1705. Arrivée à Lwow le 2.8.1719. Décédée à Lwow le 26.5.1763.
Le Masson Françoise — Marie de Saint-Bernard. Née paroisse Naint-Nicolas de Rouen. Vêture le 20.4.1777. Profession le 12.5.1778 entre les mains de mère Marie de la Victoire de la Mare, prieure. Départ pour Lwow le 12.9.1785. Décédée à Lwow le 5.12.1795. — Fille de Augustin le Masson et de Marie Anne Baudry.
Le Page de Méligny Barbe — Marie de la Nativité. Née et baptisée à Toul le 2.11.1664. Vêture le 14.8.1683 à Toul. Profession le 26.11.1684. Est à Varsovie en 1699. Décédée à Varsovie le 29.4.1730. — Fille posthume d'Honoré seigneur François Le Page de Magnicourt, seigneur de Méligny le Grand (Meuse), Bouch, Pixerécourt et Malzéville (Meurthe et Moselle), capitaine major du régiment de Turenne et de Dame Marie de Fligny.
Lombard Jeanne — de tous les Saints. Née à Paris le 19.7.1674. Départ pour Varsovie en 1687, étant postulante. Vêture le 10.4.1689. Profession le 23.7.1690. Part pour Lwow en 1709 (peste). Décédée à Lwow le 2.8.1732.
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Maunoury Elisabeth - Bénédicte ou Benoît de la Passion. Née paroisse Saint-Barthélémy à Paris. Profession le 2.9.1681 à Rouen entre les mains de mère Mectilde du Saint Sacrement de Bar, pour lors prieure de la nouvelle fondation. Départ pour Varsovie en 1687. Revient en France avec le premier groupe de religieuses rentrant à Paris le 17.4.1691. — Fille de Jean Baptiste Maunoury et de Marie Facier.
Molette (Pétaut de) Madeleine - Marie de sainte Gertrude. Calviniste convertie. Vêture le 29.1.1657 au monastère de la rue Cassette ; Profession le 17.8.1659. Elle fut la 6e professe de notre institut. Elle fit partie des premières moniales fondatrices du monastère de Rouen en 1677, mais ne dut pas y rester plus de 2 ans. En 1684, elle est chantre, rue Cassette, et fait partie du Conseil de mère Mec-tilde du Saint-Sacrement en 1687. Départ. pour Varsovie en 1687. Revient le 17.4.1691 en France avec le premier groupe de religieuses (cf. Fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 55 et, sv.).
Morin Catherine - Marie de Saint Philbert du Saint-Sacrement. Née à Verdun le 20.2.1669. Vêture le 14.2.1686 à Toul. Profession le 8.6.1687. Départ pour Varsovie le 7.9.1699, puis Lwow 1709 (peste). Décédée à Lwow le 3.5.1730. Fille de Barthélémy Morin, pelletier, et de Marie Thierry, baptisée le 20.6.1669 en l'église de Saint-Pierre l'Angelé de Verdun. Parrain : Jacques Placide Gilles, fils de Jean Gilles, taillandier, et de Catherine Husson ; marraine : Catherine, fille d'Antoine Thierry, fourbisseur (?), et de Marguerite Chagot. Signé F. Liégeois, curé.
— Selon l'autorisation donnée le 30.4.1699 par l'évêque de Toul, Mgr Thyard de Bissy, à la demande de l'évêque de Varsovie, plusieurs moniales de Toul furent autorisées à rejoindre le monastère de Varsovie. Jeanne Morel, soeur Marie des Anges, avait été nommée en tête de liste. Elle ne put partir et fut remplacée par soeur Marie de Saint Philbert (Copie de l'original aux archives du monastère de Tourcoing).
Noisy Thérèse - Claire du Saint Sacrement. Née à Paris et baptisée le 21.12.1698. Vêture en 1731. Profession le 31.8.1732. Décédée à Varsovie le 12.8.1771.
Parrage de Mainvillers (du) - Thérèse des Anges, Profession au monastère de la rue Cassette. Départ pour Lwow le 12.9.1785. Décédée à Lwow au couvent des Clarisses Stary Saçez, le 29.1.1796.
Paulmier Françoise - Marguerite ou Marie de saint Joseph. Née en Normandie en 1633. Profession en 1683. Elle fut prieure à Varsovie après le retour des religieuses (épidémie de peste), 16.9.1709, jusqu'au 2.7.1718. Décédée à Varsovie le 8.2.1719.
Petigot Marguerite - Marie de Jésus. ' Vêture le 16.10.1669 à Toul. Profession le 23.10.1670. Partit pour Varsovie en septembre 1687. A cette date, elle était maîtresse des novices au monastère de Saint-Louis à Paris et le demeura à Varsovie au début de la fondation. Elle fut élue prieure le 2.7.1691 et le resta jusqu"au 2.8.1697. Elle quitta Varsovie le 12.6.1698. A la demande de la reine Marie- Casimire, elle partit pour Rome en septembre 1702 en vue de la fondation d'un monastère de notre Institut dans cette ville. Ce projet n'ayant pu se réaliser, elle rentra à Paris en septembre 1708. Décédée au monastère de Saint Louis au Marais, le 23.8.1718. — Baptisée en l'église Saint-Léon, qui appartenait alors aux chanoines réguliers de Saint Augustin fondés en 1090 et que venait de réformer saint Pierre Fourier.
Petitot Catherine - Marie Catherine de Jésus. Née à Chaumont (Haute-Marne) le 8.10.1666. Vêture le 1.6.1682 (?) à Toul. Profession le 10.3.1686. Départ pour Varsovie en 1699, puis Lwow 1709 (peste). Décédée à Lwow le 1.5.1740. — Fille de noble Estienne, conseiller du roi et président de l'élection de Chaumont, et de Damoiselle Jeanne Colinet, baptisée ce vendredi 8.10.1666 en l'église collégiale de Saint-Jean-Baptiste de Chaumont (diocèse de Langres). Parrain : Pierre, son frère ; marraine : Elisabeth, sa soeur. Sa soeur Jeanne — Gabrielle de sainte Ursule — avait fait profession le ler.1.1675 au monastère de Toul où elle est décédée le 8.3.1723.
Philippe Suzanne - Thérèse de Jésus. Fut une des deux novices qui quitta le monastère pour s'attacher au service de la reine MarieCasimire. Le récit du voyage à Varsovie laisse entendre qu'elle était accompagnée d'un proche parent, ce qui expliquerait le choix de cette soeur pour faire le « compliment » à la reine.
Elle rentra en France en 1698, quand la reine Marie-Casimire quitta la Pologne.
Ponteubert (Menier de) Madeleine Françoise - Gertrude de Jésus. Née à Paris le 11.1 1.1671. Vêture le 2.2.1689 à Varsovie. Profession le 16.2.1690. (Départ de Paris le 25.8.1688 ; arrivée à Varsovie le 14.10.1688.) Décédée à Varsovie le 5.11.1740.
Puchet Elisabeth - Marie de Saint-Michel. Née à Paris le 2.4.1679. Vêture le 23.4.1721 à Lwow en qualité de soeur converse. Profession le lef.1.1726. Décédée le`.1.1731.
Ranzeville Agathe Françoise - Marie de Sainte Scholastique. Née à Besançon le 3.3.1738. Vêture le 17.2.1799 à Lwow. Profession le 25.3.1800. Décédée à Lwow le 16.1.1808. — Venue à Lwow le 7 dé-443cembre 1798 avec le groupe des trappistines chassées de France par la Révolution et obligées de fuir devant les troupes napoléon1ennes jusqu'en Russie (cf. chap. IX et XII).
Tremblier Jeanne Renée — de Saint Anselme. Née en Anjou à Cha_ vaignes (Maine-et-Loire) le 28.12.1700. Arrivée à Lwow le 2.8.1719 (jeune postulante). Vêture le 7.9.1721 à Lwow. Profession le 6.6.1723. Décédée à Lwow le 16.6.1742.
Des noms de personnes et de lieux mentionnés dans les notes.
Le premier chiffre indique la page, le chiffre entre parenthèse renvoie â la note.
Bieganowska (Marie Éléonore), 281
(125) - 286 (130).
Bielska (soeur Saint-Maur), 294 (144). Bielska (soeur de Saint-Jean), 294
367 (144).
Bielski (Boguslaw), 294 (144).
22). Biguet (soeur Sainte-Cécile), 382 (238).
Bilczewski (Mgr J.), 313 (167). 220). Bissy (Thyard de, Mgr), 224 (86). Blanc de la Baume (soeur Jeanne), 439. Blémur (soeur Marie de Saint-Benoit de),
216 (84) - 242 (93).
Bompard (soeur Marie de Saint-Bernard), 439.
Bompard (soeur Suzanne de la Passion), 82 (42) - 439.
Boni Fratres, 79 (39).
Bonnechose (cardinal, de), 348 (203). Borkemowna (soeur Saint-Antoine), 404. Boudon (Henri-Marie), 243 (97). Bouillon (cardinal, de), 41 (3) - 89 (50). Bouillon (Frédéric et Charles-Godefroy,
de), 72 (30) - 89 (50) - 259 (108). Bouillon (Emmanuel de), 89, (50). Bouillon (la princesse Caroline de), 89
(50).
Bourbon-Condé (Louise-Adelaide, mère M. Joseph de la miséricorde), 356 (209).
Boust ou Boutz (soeur de Sainte-Mechtilde), 439.
Boutilly ou Boutillier (soeur du Saint-Esprit), 439.
Boutry (soeur Barbe), 248 (101).
Brem (soeur Benoîte de la Passion), 378 (233).
Brenot (soeur Scholastique), 439. Bresson (soeur de Sainte-Cécile), 439. Brigitte (religieuse de sainte), 69 (27). Briot (soeur Marie de Sainte-Marthe),
439.
Buhigné (dom Joseph, Pélagie), 337 (200).
Byszewska (soeur Jeanne), 92 (56) - 432 (277).
A
Abbaye aux Bois, 242 (90).
d'Arques, 353 (208).
d'Avignon, 250 (102). Beaumont-Les-Tours, 119 (62). Bonne-Nouvelle, Rouen, 54 (14). Bonne-Nouvelle, Orléans, 336 (196). Domfront, 160 (71). Ferrières-en-Gâtinais, 337 (198). de Montivilliers, 160 (71). Montmartre, 242 (93).
Notre-Dame des Anges, Rouen, 52 (10).
Notre-Dame de Grestain, 58 (20). Notre-Dame de Liesse (Paris), 160 (70).
Saint-Amand, 52 (9).
Saint-Benoît-sur-Loire, 338 (201). Saint-Paul-les-Beauvais, 357 (210). Saint-Pierre de Solesmes, 366 (218) 370 (226).
Saint-Pierre-le-Vif, 337 (199). Saint-Wandrille, 58 (20). Sainte-Colombe de Sens, 337 (200). Sainte-Marie de Paris, 370 (226). Selles, 76 (38).
Abbayes : Pologne
Pultusk, 414 (254).
Sainte-Trinité (Przemysl), 267 (111). Saint Adalbert de Plock, 414 (254). Saint Jean de Mogilno, 414 (254). Saint Pierre et Saint Paul de Tyniec, 322 (182).
Sandomierz, 414 (255).
Sieciechow, 414 (253).
Staniatki, 323 (183).
Tous les saints, de Lwow, 269 (116). Bodney Hall, Angleterre, 420 (264). Saint André de Bruges, Belgique, 368 (222).
Sainte Marie de l'Assomption, de Prague, 386 (244).
Acte d'offrande, 73 (32).
Albertrandi Mgr, 360 (213).
Le Clerc (et la congrégation Notre - Dame), 367 (220).
André (Soeur Mélanie), 367 (220). Anet (Prieuré), 41 (3) - 178 (73). Ankiewicz Mgr, 310 (160). Artymowna (Soeur Rose), 380 (235). Auguste II Roi, 296 (148) - 315 (170).
Auguste III Roi, 315 (170) - 417 (260).
Avrillot Barbe (Mme Acarie), Marie de l'Incarnation, 228 (88), sa fille, Marguerite du Saint Sacrement, 228 (88).
B
Bar Catherine (Mère Mectilde du Saint
Sacrement), 101 (60) - 173 (72) - 227
(87) - 242 (93) - 243 (96) - 243 (97) -
352 (207) - 358 (211) - 378 (233). Bardo (monastère), 322 (180). Barejkowna (soeur Gertrude), 404. Barré (père Nicolas), 211 (83). Bartoszewicz (Julian), 94 (58). Baudoin (père), 300 (154).
Baudrillart (cardinal), 384 (241). Baziak (Mgr), 319 (174).
Beagle (soeur Saint-André), 438. Beaumont de Perrefixe (Mgr Hardouin, de), 242 (94).
Beauvais (soeur Radegonde de la Présentation), 38 (1) - 438.
Beauvais (soeur Monique des Anges), 38 (1).
Beauvais (Mme de, et Pierre de, et leurs
enfants), 38 (1) - 242 (89) - 243 (98). Beauvais (Louis de), 243 (98). Beauvilliers (Anne-Marie), 76 (38). Beauvilliers Marie (abbesse), 242 (93). Belavity (père), 82 (41).
Bellefonds (Bernardin de), 52 (10) - 242 (91).
Belz (Palatine de), 296 (146). Bénédictines du Saint Sacrement
Arras, 367 (221) - 368 (222).
Bayeux, 367 (220).
Bettembourg (Pepange), 367 (220). Bonn, 367 (221) - 368 (222). Caen, 160 (71).
Cassette (Paris, rue), 352 (207).
Châtillon-sur-loing, 150 (68). Dreux, 178 (73).
Dumfries, 367 (221).
Milan, 367 (221).
Nancy, 222 (85) - 243 (95) - (220).
Osnabruck, 367 (221) - 368 (2 Breda, 382 (238). Rambervillers, 227 (87) - 367 ( Rosheim, 367 (220).
Rouen, 49 (7).
Rumbeck, 368 (222).
Saint-Louis au Marais (Paris), 41 (3).
Saint-Nicolas de Port, 367 (220). Saint-Orner, 367 (221) - 368 (222). Toul, 41 (3) - 367 (220).
Tourcoing, 368 (222).
Trèves, 367 (220).
Benoît (saint), 184 (77).
Benoit Joseph Labre (saint), 351 (206). Bény (soeur de l'Assomption), 385 (243). Bény (soeur du Saint Sacrement), 385 (243).
Bermonistes (Pères), 361 (215).
Béon de Lamezan (soeur Bénédicte), 160 (70).
Berg (Comte), 425 (270).
Bernardaye (soeur Marguerite de Jésus Maria de la), 178 (73).
Bernières (Jean de), 243 (97).
Berrand (Pierre, abbé), 190 (78) - 227 (87).
Bertot (abbé), 242 (93).
Béthune (abbesse), 119 (62).
Béthune (Maximilien de), 134 (65). Béthune (Catherine de, nièce de l'abbesse), 134 (65).
Béthune (Hippolyte de), 76 (38). Béthune (François - Gaston de), 16 (12) - 70 (28).
Béthune (Louis-Marie-Victor de), 16 (12) - 76 (38).
Béthune (Marie-Catherine de et Stanislas Radziwill-Kleski), 76 (38) - 281 (124).
Béthune (Marie-Catherine de et Stanislas Jablonowski), 76 (38) - 281
(124), 293 (139) - 333 (192).
Beudon (soeur Marie de la Croix), 438. Beuvron (François d'Harcourt, marquis de), 55 (16).
Bidzinska (soeur François Xavier), 87 (46).
C
Capucins (pères), 79 (39).
Carmes (pères) à Dantzig, 68 (26).
à Varsovie, 79 (39).
Carpegna (Gaspard, cardinal), 253
(104).
Casimir (saint), 71 (29).
4t46 447
Casimir (palais), 71 (29).
Cetner (François et ses enfants), 274 (117).
Cetner (Ignace), 274 (117).
Cetner (soeur Marie de Saint-Benoit),
274 (117) - 292 (138).
Cetner (Anne), 274 (117).
Chapelotte, 255 (106).
Charbonnier (soeur Marie de Saint
François de Paule), 183 (75) - (76). Chartrin ou Chartrain (abbé. du), 50 (8). Châteauvieux (comtesse de, et sa fa-
mille). 243 (96).
Châtillon-sur-Loing (terres), 150 (68) 216 (84).
Chelm, 286 (130).
Chelmski (André), 281 (125).
Chelmski (enfants), 286 (130).
Cheuret (soeur Gertrude), 183 (75). Cheuret (soeur Mechtilde), 439. Chodorowska (Anne), 268 (114) - 274
(1 17) - 274 (117).
Chodorowska (Catherine), 291 (137) 292 (138).
Chodorowski (Christophe), 268 (1 14). Chopine] (soeur Marie de Jésus), 101
(60) - 378 (233).
Christlowna (soeur Marie Léonard), 312 (163).
Clausier (soeur Marie de Saint-Maur), 440.
Clément XI (Jean-François Albani), 88 (48).
Clément (Marie, Hofbauer), 90 (52). Colbert (Nicolas, Mgr), 53, (12). Collet (père), 366 (218).
Colonna (cardinal vicaire), 350 (205). Congrégation Notre-Dame de la Miséricorde, 319, (175).
Conti (cardinal, de), 350 (205). Costazza (soeur Gabrielle), 320 (177). Croiset (mère Marie-Louise), 242 (92). Cuiller (soeur Élisabeth), 178 (73). Culte du Sacré-Coeur, 242 (92) - 315
(170).
Czartoryska (Madeleine), 282 (126). Czaykowska (soeur Electe), 380 (235). Czaykowska (soeur Stéphanie), 380 (235).
Czengerowna (soeur Walburge), 387 (245).
Czentwertinska (Hélène), 297 (150). D
Dambska (Louise), 292 (138). Danilowicz (Théophile), 30 (26). Danilowicz (Ursule), 264 (109). Danilowicz (Sophie), 274 (117). Dantzig, 67 (25).
Darly (soeur Marie de Saint-Bernard), 440.
Daszkiewiezowna-Korybut (soeur Joséphine), 383 (239).
Dauvergne ou D'Auvergne (soeur Anne
de Sainte Magdeleine), 440. Delatre (soeur Julienne de Saint-Joa-
chim), 440.
Delville (Dom François), 337 (197). Demas (soeur Marie de Saint-Augustin), 440.
Duchartrin (abbé), 50 (8).
Denhoff (Ursule), (femme de Martin Katski), 287 (131).
Dolski (Jean), 268 (1 14).
Dolska (Anne), 268 (114).
Dolska (Catherine), 282 (126). Drohojowski (André et Stanislas), 278 (118).
Drzewiecki (Félicien), 305 (155). Drzewiecka (Rosalie), 305 (155). Dubois (cardinal), 384 (241) - 384 (242). Dupré (dom Claude), 335 (193). Durand (Madame Kotowska), 86 (45). Dyczkowski (Mgr), 325 (187).
E
Elseneur ou Helsingoer, 64 (24).
F
Fabert (Angélique, de la Meilleraye), 16 (12).
Faguet (soeur Catherine de l'Assomption), 440.
Feuve (soeur Françoise de Saint-Antoine), 440.
Fieux (Étienne de), 53 (12).
Fieux (Jacques de, Mgr), 378 (234). Filland (dom Martin), 54 (14). Fleurisel (soeur Gertrude de Jésus, de),
440.
Fondations de Jean Sobieski, 79 (39). Forbin-Janson (cardinal), 49 (6) - 315 (170).
Franquerie (soeur de Saint-Placide), 369 (223).
Franciscains, 1 14 (61).
François de Paule (saint), 49 (7). Frères de Charité, 79 (39).
Fritz (soeur Saint-Maur), 310 (158). Frycowna (soeur Aloysia), 404.
Fusière (soeur Marie de Saint-Benoît de), 441.
G
Gaétan (saint), 82 (41).
Gall (Stanislas, Mgr), 433 (278). Gameren (Tylman, de), 79 (39). Gerardowna (soeur Saint-Gabriel), 311, (162).
Gibbons (cardinal), 384 (241).
Giron (soeur de Saint-Ovide), 441. Glebocka (Thérèse), 415 (256).
Gliwice, 321 (178).
Glowinski (Mgr), 296 (147).
Gobard (soeur Catherine du Saint Sacrement), 441.
Golebiewska (soeur Marie-Augustine), 365 (217).
Goscieçin, 328 (189).
Grammont (maréchal de), 160 (70). Granjour (soeur Saint-Joseph), 441. Grandville (soeur Sainte-Rosalie), 441. Grimaldi (Mgr, Jérôme, nonce), 288
(132).
Grodno, 74 (34).
Gromaire (soeur Bernardine), 173 (72). Grotusowna (soeur Marie de Sainte-Agnès), 87 (46).
Grotusowna (soeur Sainte-Agnès), 87 (46).
Gualtieri (Philippe-Antoine, cardinal), 247 (99 bis).
Gulbinowicz (Mgr), 329 (191).
Guillaume (soeur Saint-Michel), 227 (87).
Guion (soeur Louise de l'Incarnation), 441.
Guise, 179 (74).
Guise (Duchesse), 211 (83). Innocent XII (Antonio Pignatelli), 88 (47).
Iwanowska (soeur Colombe), 428 (274).
J
Jablonowski (Stanislas), 269 (116) - 281
(124) - 333 (192).
Jablonowski (Stanislas-Jean), 76 (38) -
281 (124) - 293 (139).
Jablonowski (Stanislas-Vincent), 268
(114).
Jablonowska (Catherine), 268 (114) -
281 (124).
Jablonowska (Anne), 281 (124) - 333
(192).
Jablosnowska (mère de Sainte Scholasti-
que), 293 (139) - 333 (192).
Jalowiecki (Mgr), 294 (141).
Janski (Dieudonné), 314 (168).
Jaroslaw, 267 (112).
Jan Casimir, 48 (5).
Jean Eudes (saint), 200 (82).
Jean-Paul II (Karol Wojtyla), 291 (137)
- 319 (174) - 384 (242).
Jeanne de France (et Annonciades), 242
(90).
Jelec (M. et Mme). 281 (125).
Joseph Calasanz (saint), 298 (151).
Jubilé, 80 (40).
Julien (Mgr), 384 (241).
Junien (Dom René), 335 (194).
Justin (saint), 312 (166).
Hedwige (sainte) et (soeurs de sainte), 322 (180).
Helsingoer, 64 (24).
Henriette de France (reine d'Angleterre),
242 (92) - 243 (99).
Héré (architecte), 333 (192).
Holowata (soeur Gérarde), 320 (176). Honfleur, 60 (23).
Howinski (Mgr), 297 (150).
Hyacinthe (saint), 266 (110).
H
Hanska (princesse Sophie), 278 (1 18). Hanus (soeur Anne de la Croix), 199 (81).
Harlay de Champvallon (Mgr), 40 (2). Hausner (mère Barbe du Saint Sacrement), 422 (267).
K
Kadzinska (soeur Thérèse de Jésus), 87 (46).
Kakowski (cardinal), 430 (275). Kalisz, 297 (149).
Kamionka, 283 (128).
Karczowna (soeur Joachim), 404.
448 449
Karezewska (soeur Rose), 404.
Katska-Potocka (Thérèse), 287 (131) 296 (146).
Katski (Martin), père de Thérèse, 287 (131).
Kazanowska (Marie-Anne), 269 (116). Kczewska (Marie), 414 (252). Kiljanska (soeur Bénédicte), 404. Kolb (soeur Scholastique), 310 (158). Komarno, 268 (114).
Koperska (saint Thomas), 392 (248) 404.
Korybut-Wisniowiecki (Michel), 282 (126).
Kosciusko (Tadeusz), 391 (247). Kossarekowna (soeur du Couronnement de la Vierge), 380 (235).
Kotowski (Adam et Mme, Marguerite Durand), 86 (45).
Kowalska (soeur Anne), 383 (240) - 404. Kowarzykowna (soeur Marie de Saint--
Jean de la Croix), 381 (236). Kozminski (Mathias et Adam), 297
(149).
Krynicki (Mgr), 315 (169).
Kuczynska (soeur Saint-Michel), 311 (162).
Kurdwanoswski (Macary), 311 (161). Kuzminska (soeur Catherine), 404. Kusminski (père Honoré), 79 (39).
L
La Chaise (père), 40 (2) - 242 (92). La Châtre-Brillebaut (Françoise de), 72 (30) - 75 (37).
Ladislas IV, 48 (5).
La Grange d'Arquien (Marie-Casimire de), 70 (28).
La Grange d'Arquien (Marie-Louise de),
55 (16) - 70 (28).
a Grange d'Arquien (soeur Saint-Bonaventure de), 70 (28).
a Grange d'Arquien (Marie-Anne de), 70 (28).
La Grange d'Arquien (Jeanne de), 70 (28).
La Grange d'Arquien (Henri, cardinal de), 75 (37).
La Grange d'Arquien (Anne-Louis, comte de Maligny de), 75 (37).
La Grange d'Arquien (Louis, le chevalier de), 75 (37).
Lallart de Le Bucquière, 367 (221).
Lanckoronska (Agnès), 293 (140). Laparre (dom Guillaume), 258 (107). La Porte (dom Gaspard), 337 (199). La Rochefoucauld (cardinal), 348 (203). La Rozière (soeur Marie de Sainte-Rose
de), 357 (210).
La Tour d'Auvergne, 367 (221). Lazaristes, 79 (39).
Le Fiselier (soeur Marie de Saint-Stanislas), 381 (237).
L'Église (soeur Sainte-Scholastique de), 248 (101).
Le Masson (soeur Marie de Saint-Bernard), 351 (206) - 441.
Le Page de Méligny (soeur Marie de la Nativité), 441.
Lesseville (la présidente de, et Mgr de), 50 (8).
Lestrange (dom de), 356 (209). Leszcynska (Marie, reine de France),
281 (124) - 315 (170) - 333 (192). Leszczynska (Théophile), 282 (126) 333 (192).
Leszczynska (Victoire, ép. Potocki), 268
(1 13) - 279 (121) - 333 (192). Leszczynska (Anne), 333 (192). Leszczynski (Raphaël et Stanislas), 222
(85) - 281 (124) - 289 (133) - 296
(148) - 333 (192).
Leszczynski (Wenceslas), 268 (113) -
279 (121) - 333 (192).
Leszczynski (Boguslas, et Bogislas), 333 (192).
Lipecka (soeur Scholastique), 380 (235). Livome (évêque de), 150 (69). Lombard (soeur de tous les saints), 441. Lorraine (Catherine de), 222 (85). Lorraine (Marguerite de), 222 (85) - 243
(95) - 378 (234).
Lorraine (Charles-Eugène de), 413 (251).
Louise de Gonzague (Reine de Pologne),
48 (5) - 79 (39).
Louys (père Épiphane), 378 (233) - 378 (234).
Lowicz, 401 (250).
Loyseau (soeur Anne du Saint Sacrement), 122 (63) - 222 (85). Loyseau (Charles), 122 (63). Lubaczow, 311 (161).
Lublin, 291 (137).
Lukianow (soeur Thiele), 376 (231). Lunéville, 333 (192).
Lwow, 268 (115).
M
Magdalenki (soeurs de la Miséricorde, ou
soeurs de), 319, (175) - 376 (231). Maitre (soeur Saint-Placide), 373 (228). Maligny (Anne-Louis de la Grange
d'Arquien, comte de), 75 (37). Marczakowna (soeur Bernard de la
Sainte Famille), 404.
Marek (Mgr), 329 (190).
Marguerite-Marie (sainte), 315 (170). Marie Josèphe de Saxe, 417 (260). Marie (la Sainte Vierge), 192 (80) - 200 (82).
Mathieu (soeur Saint-François de Sales
et son frère le cardinal), 367 (220). Matignon (Henri de), 59 (22). Matuszczakowna (soeur Anselme), 404. Maunoury (soeur Benoîte de la Passion),
442.
Maximilien Kolbe (saint), 317 (172). Mecklembourg (famille de), 150 (68) 216 (84).
Médavy (François, Rouxel de, archevêque), 52 (11).
Médavy (Jacques, maréchal), 52 (11). Médavy (Pierre, comte de Grancey), 52 (11).
Mermillod (Mar Gaspard), 366 (218). Miaczynska (Elisabeth), 294 (143). Mielzynska (Sophie), 297 (149). Mierzejewska (Marie de Saint-Placide),
293 (140).
Mierzejewski (Casimir), 293 (140). Mietkowska (soeur Cécile), 404. Minimes (religieux, à Rouen), 211 (83). Missionnaires (Maison des), 79 (39). Molette (Pétaut de, soeur de Sainte-Ger-
trude), 442.
Monet (comte de), 346 (202).
Monier (dom Jean-Jacques), 337 (198). Montigny Laval (soeur de), 222 (85) 243 (97).
Morin (soeur Marie de Saint-Philbert), 442.
Morstin ou Morsztyn (Madame), 253 (103).
Morteska (abbesse de Culm), 414 (255). Moussy (soeur Marie-Michel), 248 (101). Münster (Westphalie), 348 (203).
N
Nancy (Notre-Dame de Bon-Secours),
281 (124) - 333 (192). Narukowna (soeur Élisabeth de la Mère de Dieu), 404.
Nazareth (pères de), 114 (61).
Neusteinowna (soeur de Sainte-Madeleine), 380 (235).
Neuville (Ferdinand de, Mgr), 58 (20). Nicolas Barré (vénérable père), 211 (83). Nicolas II, 427 (273).
Noailles (Louis-Antoine, cardinal), 248 (100).
Noirel (soeur de l'Assomption), 227 (87). Noisy (soeur Claire du Saint-Sacrement), 442.
Noskowski (Mgr), 414 (254).
O
Oledzka (soeur Joseph), 404.
Oledzka (soeur de Sainte-Hedwige), 322 (181).
Opalinska (Sophie), 282 (126).
Opalinska (Catherine), 281 (124) - 333 (192).
Opole, 322 (179).
Orléans (Gaston d'), 243 (95).
Orléans (Philippe d'), 243 (99). Ossolinski (François-Maximilien), 281
(124) - 333 (192).
Ossolinski (Joseph-Maximilien), 333 (192).
P
Pallavicini (Obizzo, Mgr, nonce), 74 (36).
Parrage de Mainvillers (soeur Thérèse des Anges, du), 442.
Passe-port de l'Immaculée Conception, 57 (18).
Paulmier (soeur Marie de Saint-Joseph), 442.
Paul VI (Jean-Baptiste Montini), 384 (242).
Paulucci (Fabrice, cardinal), 247 (99 bis).
Petitgot ou Petigot (soeur Marie de Jésus), 41 (4) - 443.
Petitjean (soeur Stéphanie), 367 (220). Petitot (soeur Marie-Catherine de Jésus), 41 (4) - 443.
Philippe (soeur Thérèse de Jésus), 443. Philippe Ier (duc d'Orléans), 243 (99). Philibert (dom Ignace), 378 (234). Picoté (abbé), 55 (15).
Pie VI (Jean-Ange Brachi), 350 (204). Pie VII (Louis-Barnabé Chiaramonti), 419 (263).
Pie XI (Achille Ratti), 384 (242) - 430 (275).
Pignatelli (Antonio, Mgr), 88 (47). Pitra (dom Jean-Baptiste, cardinal), 370 (226).
Plawniowice, 321 (178).
Podlachie, 274 (117).
Pogonowska (soeur Saint-Wladislas), 404.
Poje (soeur Gertrude), 387 (246). Polakowska (soeur Flavie), 404. Poniatowski (Stanislas-Auguste), 415
(257).
Poniatowski (Michel, Mgr), 418 (262). Ponteubert (Menier de, soeur Gertrude de Jésus), 443.
Ponton-de-mer ou Pont-Aude mer, 58 (19).
Popiel (ou Chociak Popiel, Mgr), 426 (271).
Poplawski (Mgr), 280 (122).
Posen (évêché), 74 (33).
Potocka (soeur Marie-Casimir), 87 (46) 268 (113).
Potocka (soeur Marie de Saint-Jean-Baptiste), 292 (138).
Potocka (Éléonore), 291 (137).
Potocka (Ursule), 296 (146) - 306 (157). Potocka (Victoire), 268 (113) - 333 (192).
Potocki (Jean), 264 (109).
Potocki (Paul), 87 (46) - 280 (123) - 292 (138).
Potocki (Pierre), 291 (137) - 292 (138). Potocki (Joseph), 268 (113) - 279 (121) 333 (192).
Potocki (Alexandre), 268 (113) - 279
(121) - 280 (123).
Potocki (Etienne), 287 (131) - 296 (146). Potocki (Stefan), 264 (109).
Potocki (Félix-Casimir), 269 (115 bis). Potulicka (soeur Saint-Joseph), 312 (164).
Potulicki (Casimire), 312 (164). Poznan, 74 (33).
Providence (soeur de la), 211 (83). Przebendowska (soeur Sophie), 296
(146) - 306 (157).
Przebendowska (Thérèse), 296 (146). Przebendowski (Pierre), 296 (146) - 306 (157).
Przemyska (soeur Stanislas), 404. Przemysl, 83 (43).
Puchalanka (soeur Hedwige), 404. Puchet (soeur Marie de Saint-Michel), 443.
Puzyna (Mgr), 322 (182).
Q
Quelen (Mgr, Hyacinthe, Louis de), 356 (209).
Quillebeuf, 56 (17).
R
Radlinska (soeur Marie de Saint-An-
selme), 305 (155) - 310 (159). Radziejowski (Michel, cardinal), 74
(36).
Radziwill (Alexandre), 333 (192). Radziwill (Jacob), 72 (30).
Radziwill (Thècle - Rose), 282 (126). Radziwill - Kleski (Stanislas), 76 (38). Radziwill (Cécile - Marie), 264 (109). Radziwill (Anne Casimire), 416 (259). Radziwill (Jeanne - Catherine), 333
(192).
Raffetôt (soeur de), 160 (70). Rakoszewska (soeur Marie Madeleine),
375 (230) - 424 (269).
Randolfin (soeur Saint-Benoît), 310 (158).
Ranzeville (soeur Marie de Sainte-Scholastique), 443.
Rasle (soeur Anne Catherine de Jésus),
190 (78) - 227 (87).
Rchozinska (soeur Anselme), 380 (235). Rédemptoristes (saint Alphonse de Li-
guori), 86 (44) - 361 (215). Rejewska (soeur Ignace), 92 (57) - 404. Rejzerowna (soeur Romualde), 317
(171).
Richelieu (Anne Jeanne Baptiste, Mme de Beauvais, marquise de), 38 (1) 242 (89).
ltomecka (soeur Stanislas), 377 (232) 424 (269).
Rostworowski (O.S.B. Pierre), 324 (185).
Rouen (cathédrale), 53 (13).
Rouen (monastère), 49 (7). Roze (soeur de l'Assomption), 369 (225). Rudnicka (soeur Clémentine), 404. Rupniewski (Mgr Stéphan), 286 (129). Ruschitzka (soeur Sainte-Agnès), 311
(162).
Ruschitzka (soeur Sainte-Cécile), 311 (162).
Rzewuski (Michel - Adam - Joseph et toute la famille), 274 (117). Rzewuski (Paul, Mgr), 424 (268).
S
Saint-Casimir (Palais), 71 (29). Sainte-Cécile (église), 255 (103). Saint-Jean-Baptiste (primatiale - Varso-
vie), 73 (31).
Saint-Maur (religieuses de), 211 (83). Saint Martin (soeur de Sainte-Anastasie). 369 (224).
Saluzio (Ferdinand), 418 (261). Sandomir et Sanock, 281 (125). Sanguin (Denis, Mgr), 58 (20).
Sapieha (Maréchal), 76 (38).
Sapieha (Adam - Stéphan, Mgr), 319 (174).
Sarrazin (dom Jean-Baptiste), 336 (195). Saussay (Mgr du), 55 (15). Schmitzowna (soeur Madeleine), 404. Scott (soeur Mecthilde du Saint Sacre-
ment), 368 (222).
Schultozowna (mère Casimire), 426 (272) - 404.
Sedzimirowna (soeur Marie-Gaëtan), 91 (54).
Sedzimirowna (soeur Marie Bénédicte), 91 (54).
Sicault (abbé), 50 (8).
Siedlce (monastère), 324 (184). Sieniawska(Jeanne ép. Stéfan Potocki), 264 (109).
Sieniawski (Adam-Nicolas), 290 (135). Sieniawski (Nicolas-Jérôme), 264 (109). Sierakowska (soeur Marie de Sainte Fla-vie), 294 (143).
Sierakowski (Joseph), 294 (143). Skarbek (Jean, Mgr), 282 (127). Skarbek (Christophe), 282 (127). Skarbek (Sophie, abbesse), 282 (127).
Slowacka (soeur Andrée), 404. Talton (prêtre), 59 (21).
Smolensk, 280 (123). Talon (père de soeur Françoise), 136
Sobieski (Jacques, le père de Jean III), (66).
72 (30). Tarlo (Stanislas), 274 (177).
Sobieski (Jean III), 72 (30). Tarlo (Mgr Michel), 89 (49).
Sobieski (Jacques-Louis, ép. Élisabeth Tarlo (Anne), 274 (117).
de Bavière), 72 (30). Tarlo (Thérèse), 268 (1 13) - 279 (121) -
Sobieski (Alexandre-Benoit), 72 (30). 280 (123).
Sobieski (Constantin-Philippe), 72 (30) - Tarnogrod (Confédération de), 289
89 (50). (133).
453
Sobieski (Stanislas-Casimir), 72 (30). Sobieska (Louise-Adélaïde), 72 (30). Sobieska (Thérèse-Charlotte), 72 (30). Sobieska (Marie, ép. Radziwill), 72 (30). Sobieska (Marie-Léopoldine), 72 (30). Sobieska (Marie-Casimire), 72 (30)
259 (108).
Sobieska (Marie-Charlotte), 72 (30) - 89 (50).
Sobieska (Marie-Clémentine), 72 (30). Sobieska (Marie-Magdelaine), 72 (30). Soeurs de Sainte-Hedwige, 322 (180). Soltykow (Éléonore), 87 (46) - 280 (123)
- 287 (1 31) - 292 (138).
Sosnowska (soeur Saint-Gaëtan), 380 (235).
Souvré (Madeleine, abbesse), 52 (9). Spinela (Mgr, Nonce), 282 (127). Spottl (soeur Sainte-Scholastique), 310
(158).
Stanislas (roi), 333 (192).
Steczkiewicz (Félicité), 299 (153). Stein (Edith), 327 (188).
Suminska (soeur Colombe), 405. Swiderska (soeur Saint-Casimir), 294 (142).
Szaniawski (Fabien et Joseph), 291 (137).
Szaniawski (Jean-Félix, Mgr), 291 (137). Szaniawski (Constantin, Mgr), 291
(137) - 315 (170).
Szeptyckij (Kyr, Mgr), 319 (174). Szembek (Christophe-Antoine, Mgr), 315 (170).
Szembek (soeur Marie-Cécile), 90 (51). Szembek (mère Françoise, visitandine), 315 (170).
Szeptycka (Anne), 294 (144). Szkilondzowna (soeur Modeste), 405. Szoldrski (père Wladislas), 86 (44). Szusterowna (soeur Marie Scholastique),
91 (55).
T
452
Ténèbres, 74 (35).
Thibaut (Raymond - révérend père), 431 (276).
Thomas (cardinal), 382 (238) - 384 (241).
Thyard de Bissy (Mgr), 224 (86). Tiercent (soeur de Sainte-Thérèse), 55 (15).
Tocquigny (soeur Geneviève), 248 (101). Tokarska (soeur Agnès), 405. Tomaszewska (soeur Thérèse), 405. Tremblier (soeur de Saint-Anselme), 443. Trinitaires (religieuses), 279 (119). Trycowna (soeur Aloysia), 405. Turakowna (soeur Ceslas), 405. Twardowski (Mgr), 313 (167) - 31
(174).
Tytzowna (soeur Tècle), 371 (227).
U
Ulinska (Sophie), 295 (145).
V
Van Oost (dom Charles), 432 (277). Varsovie (évêché), 74 (33).
Varsovie (Maison et église Sainte-Croix), 300 (154).
Vassimon (soeur Aimée de), 367 (220). Vergenne (Comte de), 346 (202). Vieuville (Charles et Françoise de la), 243 (96).
Visitation (Dames de la), (à Varsovie), 48 (5).
Visitation (Dames de la) (à Chaillot), 242 (92).
Vykoukal (dom Ernest), 386 (244) - 432 (277).
W
Wéber (Mgr), 312 (166).
Wessel (Marie Joseph de, princesse
Constantin Sobieska), 89 (50). Wessel (soeur Marie Joseph de l'Imma-
culée, de), 89 (50).
Wessel (soeur Tècle de Jésus, de), 89 (50).
Wielopolska (Barbara), 312 (164). Wielopolski, 139 (67).
Wielowieyska (soeur Célestine), 396 (249).
Wierzbieta (soeur Bénédicte), 380 (235), Wilczek (Jean), 299 (153). Wilczekowna (les trois soeurs), 299
(153).
Wisniowiecki (Constantin), 268 (114) - 282 (126).
Wisniowiecki (Jean et Michel), 268
(114) - 282 (126) - 333 (192). Wisniowiecki (Januz-Antoine), 333
(192).
Wisniowiecka (Sophie), 268 (113) - 279 (121).
Wisniowska (Marianne), 305 (155). Witwicki (Mgr), 74 (33) - 150 (69). Wloclawek, 315 (169).
Wodzinska (soeur Lutgarde), 360 (214) 416 (259).
Wodzinski (Gabriel), 416 (258). Wroblewska (soeur Colombe), 323 (183). Wroblewska (soeur Anne de la Nativité),
422 (266).
Wroclaw (Breslau), 325 (187) - 327 (188).
Wyszynski (cardinal), 324 (186). Wyzycki (Mgr), 297 (150).
z
Zalazkowna (soeur Marguerite), 405. Zalewska (soeur Augustine du Saint Sacrement), 405.
Zaluska (soeur Innocente de la Croix), 405.
Zaluska (Cunégonde), 421 (265). Zaslawska (soeur Marie de Saint-Louis), 366 (219).
Zarojewska (soeur Claire du Saint Sacrement), 405.
Zielinski (Mgr Constantin), 279 (120) 333 (192).
Zielinski (Louis), 279 (120).
Zielonczanka (soeur Saint-Placide), 311 (162).
Zolkiev, 298 (152).
Zolkiewski (Stanislas), 298 (152). Zurakowska (soeur Saint-Joseph), 295 (145).
Zurakowski (Michel), 295 (145). Zychowicz (Edmond), 312 (165).
Dom Jean Leclercq, O.S.B., Préface 7
Abbé Joseph Daoust :
Une fondation bénédictine en Pologne au XVII' siècle 20
1. Lettres de Mère Mectilde du Saint-Sacrement
avant la fondation (1687) 37
2. Registre contenant le récit du voyage 45
3. Histoire du monastère de Varsovie 85
4. Lettres (1687-1697) 97
5. Notice nécrologique de la mère Radegonde
de la Présentation de Beauvais (1652-1734) 231
6. Fondation du monastère de Rome (1702) 245
7. Chronique du monastère de Lwow (Léopol, 1709) 261
8. Lettre d'une moniale de Lwow 271
9. Histoire du monastère de Lwow 277
10. Stanislas Leszczinski 331
11. Relations des monastères français
avec ceux de Pologne (1782-1785) 339
12. Louise Adélaïde de Bourbon-Condé (Varsovie 1802) 355
13. Correspondance de Mères Prieures (1858-1932) . . 363
14. Holocauste de Varsovie (1944) 389
15 . Siedlce (1958) 407
16. Appendice 413
17. Index 445
455
AVERTISSEMENT
En publiant les documents qui ont trait à la naissance et au développement du monastère de Varsovie, les moniales bénédictines de Rouen rendent un très grand service à l'histoire de la spiritualité. La doctrine et la pratique de l'Adoration réparatrice répandues par mère Mectilde ne se peuvent comprendre que replacées dans leur siècle et originées dans le courant créé par Bérulle et Condren. Isolée de son milieu nourricier, d' la spiritualité victimale » non seulement apparaîtrait inhumaine à nos contemporains mais, ce qui serait pire, leur présenterait de Dieu une image insoutenable. Ceux qui connaissent l'École française savent que, sous un langage déconcertant marqué plus ou moins par le jansénisme, s'exprime une ardente conviction de l'absolu de l'amour divin. Cela, il fallait le dire ici pour que personne ne se méprenne sur le sens du Nihil obstat.
Nihil obstat Imprimatur
Rouen le 1d mai 1983 M. DEVIS Rouen le 17 mai 1983 Pierre CHOQUET Vic. Général.
ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 20 SEPTEMBRE 1984
SUR LES PRESSES DES ÉDITIONS TÉQUI
53150 SAINT-CÉNÉRÉ
N° d'édition : T 53 569
Dépôt légal : septembre 1984
FONDATION DE ROUEN 25
ÉTABLISSEMENT. DE CE QUI CONCERNE
LA MAISON DE ROUEN
DES FILLES DU SAINT SACREMENT
Je commence cette histoire (3) p*ar un songe que fit notre digne Mère de feu Madame la comtesse de Châteauvieux (4), la première fondatrice de notre Institut, au commencement du mois de janvier de l'année 1676, et qu'elle nous conta à la récréation le même jour en cette manière : « J'ai vu, nous dit-elle, cette nuit, ma Comtesse en dormant ; elle m'a paru d'un visage assez tranquille, mais pourtant qui paraissait n'être pas pleinement satisfait et content, ce qui m'a fait douter si elle était jouissante de Dieu et m'a obligée de lui demander : « Ma Comtesse, souffrez-vous ? Etes-vous dans le repos ? ». Mais elle m'a répondu d'une manière assez froide : « Je n'ai pas ordre de vous déclarer les secrets des jugements de Dieu, mais je viens vous dire que vous vous hâtiez de faire ce que vous deviez avoir fait, il y a 13 ans ; hâtez-vous, mais hâtez-vous », m'a-t-elle dit et deux ou trois fois, et en même temps a disparu ».
Il faut savoir qu'il y avait deux ans que cette dame était morte : (année 1674). Comme depuis ce temps notre digne Mère n'avait eu aucune connaissance de l'état où était son âme, ce qui ne lui était pas une petite peine, vu la grande affection qu'elle avait pour elle, qui lui donnait une forte envie de savoir si elle était en purgatoire ou aù ciel. Elle s'étonnait souvent de ce que Notre Seigneur ne lui en faisait rien connaître, nous disant de fois à autre bonnement, dans la simplicité de l'esprit de Dieu : « Encore des autres qui meurent, j'en sais quelque chose, mais d'elle point, je n'en ai aucune lumière ; Notre Seigneur ne me veut pas donner cette consolation, qu'il en soit béni à jamais, il est le Maître ».
Il n'y avait que trois jours qu'elle nous avait répété ces mêmes paroles, quand elle fit le songe que je viens de dire, qui donna curiosité à celles qui étaient présentes, qui l'entendirent, de lui demander ce que c'était que cette dame lui avait fort recommandé de faire. Mais elle ne voulut pas le déclarer hautement et en fit seulement la confidence à quelques-unes en particulier, leur disant que c'était une maison de l'Institut que Notre Seigneur voulait qu'elle fit dans la ville de Rouen, que durant la vie de Madame la Comtesse on avait été pressé de faire, mais que cette dame, pour des raisons qui, selon les apparences,
(3) Mère Monique des Anges de Beauvais, l'auteur de ce récit, a communiqué son manuscrit à
Mère Mectilde lorsqu'elle arrêta sa narration, en 1686. Le texte fut approuvé, ainsi que le montre la lettre qui termine ces annales.
(4) Marie de la G uesle, dame de la Chaux, mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux.
Leur générosité et leur dévouement leur ont mérité à juste titre d'être considérés comme les fondateurs de notre Institut. Après son veuvage, la comtesse s'etait retirée au monastère de la rue Cassette pour y vivre comme religieuse. Ils ont été inhumés tous les deux dans l'église du monastère. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, et Lettres Inédites, 1976.
26 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 27
n'avaient pas été reçues ni approuvées du ciel, en avait empêché l'exécution, ce qui a donné lieu de croire qu'elle en avait souffert en purgatoire et que cela avait longtemps retardé sa béatitude. Ce qui nous a donné plus lieu d'en juger est une chose fort particulière, qui est qu'au bout de trois ans, le propre jour de la mort de cette bonne Comtesse, notre digne Mère partit de Paris pour la première fois pour aller à Rouen voir la maison qu'elle avait achetée pour cet établissement (5). Ce qui arriva l'année en suivant qu'elle l'avait vue en songe, comme nous avons dit ci-devant. Et, en nous quittant, elle en fit elle-même la remarque, car, étant à la porte du pré (6) auprès du tour, où je l'avais suivie, je la vis, la tête un peu baissée et appuyée sur sa main, dont elle tenait son petit bâton pour se soutenir, qui me parut fort pensive et comme si quelque chose l'occupait beaucoup. Elle fut quelque moment ainsi et, en relevant sa tête, elle me regarda et me dit : « Ah, c'est aujourd'hui la mort de ma Comtesse, et Dieu permet que je m'en vais ce jour à Rouen pour voir à commencer-cette maison. Il y a ici quelque chose de particulier de la Providence' et de caché, que nous n'entendons point et ne connaissons point ». De la manière dont elle me dit ces paroles, elle me fit juger qu'elle la croyait encore privée de la vision de Dieu et qu'elle n'attendait qu'après l'exécution du dessein de cet établissement pour aller jouir de lui dans la gloire éternelle. Dans le même temps qu'elle eut le songe de cette dame, des messieurs de Rouen lui écrivirent pour lui proposer d'acheter la maison de Madame Colbert (7), abbesse de Saint-Louis, pour s'y
(5) Voir plus loin le récit de l'achat de cette maison et du premier voyage de Mère Mectilde :
8 mars 1677.
(6) Selon le plan Turgot, dressé au XVIlle siècle, notre monastère était situé le long de la rue Cassette ;
des jardins s'étendaient en arrière jusqu'aux propriétés des bénédictines dites du Cherche-Midy, dont le couvent s'ouvrait sur la rue du même nom. Cf. C. de Bar. Documents. 1973. p. 240.
(7) D'abord religieuse à l'abbaye de Saint-Saëns (Seine-Maritime, arr. de Dieppe), de l'ordre de
Cîteaux. Elle fut demandée comme prieure par les bénédictines du monastère de Saint-Louis à Rouen et fit son entrée dans cette maison le 28 décembre 1675. Très aidée par le crédit du ministre Colbert et celui du premier président au Parlement de Rouen, Monsieur Pellot, son beau-frère, elle obtint l'autorisation de transférer le couvent dans un lieu mieux situé. Elle acheta le jeu de paume et les maisons de la Rougemare à Monsieur Le Guerchois, premier avocat général du Parlement de Normandie, et à Madame de la Garenne le 30 janvier 1677. L'église, qui existe encore à cet emplacement vient d'être rénovée. La première pierre en fut posée par Jacques Nicolas Colbert, coadjuteur de l'archevêque de Rouen. Mgr de Médavy. dont il sera le successeur, et par Monsieur Pellot. Elle fut bénite en 1683 par Monsieur de Fieux, grand vicaire. et dédiée à la Très Sainte Trinité. Madame Colbert gouverna sa maison durant seize ans.
Jacques-Nicolas Colbert était fils du ministre de Louis X1 V, coadjuteur, puis archevêque de Rouen, docteur de Sorbonne, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres.
La maison de Saint-Louis se trouvait sur la paroisse Saint-Vigor. Ce fut d'abord un monastère de Béguines, installées en 1260 par Eudes Rigault, archevêque de Rouen, et la faveur de saint Louis. Elles vécurent jusqu'en 1419 à l'emplacement du château du « Vieil-Palais ». Le roi d'Angleterre Henri V ayant choisi ce lieu pour y construire sa résidence rouennaise, donna aux religieuses une autre place dans la rue Cauchoise, sur la paroisse Saint-Vigor. Elles suivirent diverses Constitutions jusqu'en 1631, date à laquelle Louis XIII donna la maison à la Soeur Marie Goblin, religieuse de l'abbaye de Saint-Amand, qui y introduisit, avec la règle de saint-Benoit, la régularité puis la ferveur, recevant en peu de temps plus de trente moniales. C'est a cette première prieure devenue âgée que devait succéder Madame Colbert, à la demande même des religieuses.
Le Vieux-Marché très proche et de nombreuses constructions assez récentes avaient rendu le monastère fort exigu et très insalubre. C'est pourquoi Madame Colbert cherchait un emplacement meilleur, mais elle devait auparavant trouver un acquereur pour cette maison. Cf. M.F. Farin, Histoire de la ville de Rouen, Bonaventure Le Brun à Rouen, 1738, t. Il, p. (70) et (74). Arch. Mun. Rouen : Les bénédictines de Saint-Louis.
venir établir. Je ne sais quelle réponse elle leur fit, car elle dit à une religieuse qui lui en parla : « Je n'ai point d'argent ; si Dieu le veut, il faut qu'il m'en donne ».
ACHAT DES MAISONS RUE SAINT-V1GOR : 1er AOÛT 1676
Cette même année 1676, le jour de la fête de notre glorieux Père saint Benoît, 21 mars, étant le soir avec nous à la récréation, elle nous dit agréablement : « Notre glorieux Père m'a fait bonne mine aujourd'hui, il a pris un soin tout particulier de l'Institut, et l'année ne se passera pas qu'il ne se fasse quelque chose à la gloire du très Saint Sacrement. C'est une imagination que j'ai eue ; je ne sais si je dirai vrai ». Aussi, la même année, la maison de Rouen fut arrêtée et ces Messieurs qui lui avaient déjà écrit pour lui faire acheter la maison de Madame de Saint-Louis redoublèrent leurs lettres pour l'en solliciter, tant pour augmenter la gloire du très Saint Sacrement, désirant depuis longtemps d'avoir l'Institut dans leur ville, que pour obliger ladite dame abbesse qui, .n'ayant qu'un trou de maison, avait fort envie de se mieux placer en quelque autre endroit de la ville, ce qu'elle ne pouvait faire que notre digne Mère ne prît sa maison et lui en donnât bon argent, comme elle fit. Or, comme cette çlame était la belle-sœur de Monsieur le premier Président (8) de cette ville, ces messieurs firent entendre à notre digne Mère que, faisant affaire avec elle, elle aurait une entrée favorable dans la ville et y serait très bien reçue, que ce monsieur la protégerait et qu'elle en obtiendrait les grâces qu'elle voudrait, qu'elle ne devait point perdre cette occasion de faire cette maison pour la gloire de Dieu, puisque même depuis plusieurs années, je crois 1663 [,juillet ], elle avait obtenu les lettres patentes de Sa Majesté. Notre digne Mère, qui n'avait point d'argent, ne pouvait donner sa parole pour une telle affaire, et d'autant plus que la dame lui demandait au dernier mot pour sa maison 30 mille livres. C'était une somme bien forte. Nonobstant, de faire l'affaire, voyant bien que Dieu la voulait, puisqu'il lui àvait donné de l'argent. Madame de Saint-Louis, ayant su qu'elle agréait notre digne Mère, qui s'est toujours abandonnée à la divine Providence pour toutes choses, s'y abandonna encore en cette occasion, s'assurant que, si c'était la volonté de Dieu qu'elle fit cette maison, cette même Providence pourvoirait à lui fournir ladite somme nécessaire à cet effet. Véritablement sa confiance ne fut pas vaine, car elle lui fournit d'une manière assez extraordinaire. Les ayant entre ses mains, elle consentit
(8) Claude Pellot appartenait à une famille de banquiers, d'origine milanaise, venue à Lyon au
XV Ie siècle. Il épousa, en 1639, Claude Le Camus, fille de Nicolas, contrôleur général des finances, et de Marie Colbert, et, en seconde noces, le 6 décembre 1674, Madeleine Colbert, veuve d'Etienne Le Camus, surintendant des bâtiments du roi, fille de Nicolas Colbert, secrétaire du roi, et de Marie Le Mercier.
Claude Pellot fut d'abord intendant en Guyenne, maître des requêtes, puis premier président du Parlement de Normandie en 1668. Il n'occupa la charge qu'en 1670. Les parlementaires lui réservèrent un accueil plutôt froid, car ils sentaient à travers lui la mainmise de Colbert sur les libertés normandes. On ne peut lui dénier une grande compétence, qui avait fait penser à lui comme successeur de Colbert. Rouen lui doit l'aménagement du Cours-la-Reine. la réorganisation du bureau des pauvres valides, etc... Cf. Amiot, Histoire de la ville de Rouen, 1710, t. I, p. 88 ; René Herval, Histoire de Rouen, 1949, t. I I ; Frondeville, Les Présidents du Parlement de Normandie, Rouen, Lestringant, 1953.
28 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 29
de faire l'affaire, voyant bien que Dieu la voulait, puisqu'il lui avait donné de l'argent. Madame de Saint Louis ayant su qu'elle agréait sa proposition, pria les messieurs (9) qui étaient venus exprès à Paris pour solliciter notre digne Mère sur cette affaire de la conclure. Si bien qu'ils en firent faire le contrat à notre parloir un samedi, premier jour-du mois d'août de la même année 1676. L'après-midi en présence de notre très digne Mère et de la communauté, on nous en fit la lecture, sur les 6 heures et demie du soir, mais toutes habiles que sont nos Mères dans les affaires et tous les messieurs qui étaient aussi présents, [ ils ] ne prirent point garde qu'il était porté dans ledit contrat que ladite dame de Saint-Louis nous voulait bien louer, durant l'espace de 9 ans, des maisons lui appartenant. attenantes à celle qu'elle nous vendait, qui nous pouvaient être utiles pour nous accommoder, à la charge que nous lui en donnerions, par an, onze cents quatre vingt dix livres ; et comme notre digne Mère n'avait pas encore vu ce qu'elle achetait et qu'elle ne savait pas si elle avait besoin de ces maisons, elle ne devait y consentir qu'en cas qu'elles nous fussent utiles et, partant, il était nécessaire d'y mettre ce mot : « en cas de besoin », afin de n'en être pas chargées, si elle eût vu qu'elles ne nous étaient point nécessaires. Mais la Providence permit que personne n'y pensa, si bien que nous avons été obligées de les garder durant ces 9 ans et d'en payer la somme de 400 écus moins une pistole par chaque année. Voyez quelle charge après lui avoir donné 30 mille livres de sa maison qui n'en valait pas 10 ! Il est vrai qu'elles étaient louées, mais nous n'en tirions pas l'argent que nous lui donnions, et presque à chaque année l'on rabaissait du prix pour que nous n'en demeurassions pas chargées sans en rien avoir du tout.
Ce contrat donc fait et lu, il fallut le signer, ce que notre digne Mère voulut faire devant le très Saint Sacrement, si bien qu'elle quitta tous ces messieurs qui étaient au parloir, prit le contrat, disant à quelques-unes de nos Mères de la suivre, et toutes celles qu'elle rencontrait dans la maison, elle les appelait, leur disant : « Venez avec moi, mes Sœurs, prier la très sainte Mère de Dieu que nous ne fassions rien que pour la gloire de son Fils ». Elles descendirent donc au chœur avec elle ; où étant, notre digne Mère prit l'image de la très sainte Vierge qui était en relief sur l'autel. Elle la mit sur le petit banc proche la grille où l'on se met à genoux pour communier, fit mettre deux chandeliers et cierges allumés à ses deux côtés et se baissa la tête contre terre, profondément, à ses pieds, disant plusieurs prières avec nos Mères.
Elle demeura encore après plus d'un quart d'heure en oraison en cette posture, où elle était si abîmée en Dieu qu'elle ne pensait point qu'il
était fort tard et qu'on l'attendait, si bien que la Révérende Mère Sous-Prieure [ Anne du Saint Sacrement ] (10) fut obligée de l'envoyer avertir
que les messieurs s'ennuyaient de ce qu'elle ne venait point et qu'elle eût la bonté de venir promptement, ce qu'elle fit aussitôt dans son esprit de soumission, signant dans le moment, au pied du Saint Sacrement et de la sainte Vierge, Mère de Dieu, le contrat qu'elle retourna porter au parloir avec celles qui l'accompagnaient, pour que toute la communauté le signât, ce que nous fîmes toutes à genoux. Ensuite elle donna aux messieurs les 30 mille livres, argent comptant, pour l'achat de ladite maison de Madame de Saint-Louis, pour lui faire tenir en sûreté, si bien que ces messieurs s'en chargèrent.
L'affaire donc faite, notre digne Mère travailla aussitôt pour nous faire homologuer au Parlement de cette ville, ce qu'elle obtint sans peine. Monsieur le Premier Président [ Petiot , étant assez aise de ce que Madame sa belle-soeur nous avait vendu sa maison, étant son profit, pour se mieux placer, n'avait garde de nous refuser. Nous eûmes toutes faveurs par son moyen et la chose se fit facilement, peu après le contrat fait.
Nous pouvons assurer que notre digne Mère agit en cette affaire bien au-dessus d'elle-même, car, comme Notre Seigneur lui avait fait connaître la manière crucifiante dont il voulait conduire cette oeuvre, quand elle nous en parlait, elle nous disait qu'elle serait la maison de son abjection, qu'elle avait une si grande répugnance à la faire qu'elle en établirait plutôt dix autres que celle-là , qu'il n'y avait que la seule vue de la volonté de Dieu qui la lui faisait entreprendre. Aussi la lui manifesta-t-il clairement, car, comme l'on était sur le point d'arrêter l'affaire, elle pria ses amis d'offrir mille pistoles de sa part, qu'elle aurait données de tout son coeur, à ce qu'elle m'a dit elle-même, pour la faire rompre. Ce qui lui donnait plus envie de cela, c'est qu'elle voyait devant Dieu la sainteté qu'il voulait de cette maison, et comme son humilité profonde l'occupait toujours de son indignité à travailler à l'y faire honorer et glorifier, croyant qu'il fallait une âme plus sainte qu'elle pour lui procurer cette gloire, elle tâchait de faire son possible pour empêcher cet établissement ; mais la chose réussit bien autrement qu'elle ne prétendait, car le jour que l'on croyait que tout allait être rompu, Notre Seigneur fit tout conclure : comme elle vit cela, elle dit : « Il faut se soumettre, Dieu le veut, il faut marcher ».
(9) L'extraordinaire manuscrit, connu sous le nom de Livre des fontaines et offert par Jacques
Le Lieur en 1525 à la ville de Rouen, signale, sur la bande de parchemin qui décrit le cours de la fontaine d'Yonville, la « maison Caradas..., nom d'une des familles les plus distinguées de Rouen ». Nous trouvons un Caradas-Desquesnes, bailli de Rouen en 1409. (Cf. Nicétas Périaux, Histoire de lu ville de Rouen, réédition Luneray, Bertout, 1970). L'émissaire principal de Madame de Saint-Louis se nommait Bonneval de Caradas. Nous connaissons, par ailleurs, un François de Caradas, sieur du Héron, conseiller au Parlement, décédé le 19 septembre 1693. Cf. E. de la Querière, Notice sur un ancien manuscrit relatif au cours des fontaines de la ville de Rouen, Rouen, Nicétas Périaux, 1834, p. 30, et Archives de notre monastère.
(10) Anne Loyseau, issue d'une célèbre famille de magistrats. Née en 1625, elle fit profession au monastère de la rue Cassette en janvier 1662. Sous-prieure de ce monastère, elle y succéda à Mère Mectilde dans la charge de prieure, d'avril 1698 à avril 1699. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 354.
30 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 31
PREMIER VOYAGE A ROUEN : 8 MARS 1677
Elle partit donc de Paris, la première fois, pour aller en cette ville voir la maison de Saint-Louis, qu'elle avait, comme je vous l'ai déjà dit, achetée pour commencer cet établissement, l'année en suivant, 1677, le huitième jour du mois de mars, premier lundi de carême, à huit heures et demie du matin, accompagnée des Révérendes Mères Sous-Prieure [ Anne Loyseau J (11), Hostie et Thérèse de Jésus (12). Elles avaient écrit à une dame de leurs amies pour l'avertir de leur venue, afin qu'elle eût la bonté de leur faire donner des clefs et accommoder quelques chambres dans cette maison pour s'y pouvoir loger. Les religieuses l'avaient quittée depuis quelques mois, si bien que le très Saint Sacrement n'y était plus ; personne ne l'occupait. Cette dame reçut cette nouvelle avec bien de la joie et disposa toutes choses de son mieux pour les bien recevoir. Il est vrai que, quand elles arrivèrent, elles furent reçues à peu près comme Notre Seigneur dans la ville de Jérusalem, avec la joie et l'applaudissement de tout le monde. Une partie du peuple criait : « Voici les bénites du Seigneur ; qu'elles soient les bienvenues ! ». Mais il fallait voir notre digne Mère dans cette rencontre ; elle qui est si libérale et si pleine de compassion pour les pauvres, plusieurs se trouvèrent présents qui lui demandèrent l'aumône. Elle leur jetait à poignée les doubles et les sols, car sa coutume quand elle va en voyage, c'est d'avoir toujours une bourse pleine de pareille monnaie pour leur distribuer. C'est la première chose à laquelle elle pense, et elle ne partirait point qu'elle ne l'eût entre ses mains ou qu'elle ne sût que celle qui l'accompagne l'ait. Il lui semble que les voyages ne seraient point bénis de Dieu, si elle ne faisait la charité à tous les pauvres qui se rencontrent par les chemins ; mais suivons son arrivée. Ces misérables, qui voyaient sa grande libéralité, redoublaient leurs cris d'allégresse et recommençaient toujours : « Les bénites du Seigneur, qu'elles soient les bienvenues ! ». Ensuite on leur donna les aubades des tambours et des violons, que l'on fit jouer toute la nuit au bas de leurs fenêtres, pour marque de la réjouissance de leur arrivée. Le lendemain et les quinze jours qu'elles restèrent ici, tous les messieurs de la ville, présidents, conseillers, etc..., vinrent faire leur compliment à notre digne Mère. C'était à qui lui ferait honneur, car il y avait plusieurs années qu'elle était dans une grande réputation dans cette ville (13), si bien que l'on ne parlait d'elle que comme d'une sainte qu'elle est, car sa vertu est au-delà de tout ce qui se peut imaginer ;. c'est donc ce qui lui attira la vénération de tout le monde et la joie publique de son heureuse venue, d'autant plus qu'il y avait longtemps qu'ils aspiraient et demandaient l'Institut dans leur ville. Vous pouvez juger de cette première réception, ce que nous pouvions espérer dans la suite et si nous n'avions pas lieu de croire que notre Maison allait être établie en peu de temps. Mais il n'en a pas été de même que nous pensions, car il n'eût pas été raisonnable que les servantes eussent été mieux traitées que leur divin Maître, et il fallait que les épouses eussent rapport à leur aimable et adorable Epoux mais vous savez comme, après son entrée triomphante en Jérusalem, les mêmes qui l'avaient reçu le maltraitèrent et crucifièrent et enfin le firent mourir honteusement. Après cet exemple-là, ne nous plaignons point s'il a permis que ces messieurs, nous ayant reçues à l'abord avec tant d'applaudissements et de témoignages de bonté, nous ont traversées et crucifiées dans la suite par les oppositions qu'ils nous ont faites pour l'achat de notre maison. Il en faut bénir Dieu, puisqu'il est croyable qu'il s'est glorifié dans nos peines.
La première chose qui affligea notre digne Mère fut de voir la maison de Saint-Louis, dont, comme je vous l'ai dit, on lui en avait fait payer 30 mille livres, qui n'était pas habitable, n'étant propre que pour la
demeure des rats et des souris, dont selon les apparences il y avait grand nombre. Cette digne Mère, dans son égalité qui fait qu'elle ne s'ébranle
jamais de rien, en bénit Dieu et adora sa Providence qui avait permis la conclusion d'une pareille affaire où elle se voyait trompée. Elle se mit aussitôt en devoir d'en chercher une autre pour nous loger, en même temps elle écrivit à la Révérende Mère Prieure de l'Hospice (14), qui était à notre première maison de Paris, pour la supplier de faire faire des prières pour ce sujet, parce que son ordinaire est de ne jamais rien entreprendre ni conclure, que devant [ auparavant ] elle n'implore le secours de Notre Seigneur, afin qu'il lui donne les lumières nécessaires pour connaître ses saintes volontés et bénisse ce qu'elle veut faire pour sa gloire. Cette bonne Mère, ayant reçu sa chère lettre, ne manqua pas aussitôt de faire faire des prières pour cela, en commun, extraordinaires,
(11) Soeur Marie Hostie du Saint-Sacrement reçut l'habit le 25 mars 1659 des mains de Mgr de Maupas du Tour, et fit profession le 2 avril 1660. En 1687, elle était dépositaire, c'est-à-dire économe, du monastère de la rue Cassette. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 109, etLettres Inédites, 1976, p. 201.
(12) Marie de Brumen ou Brumel (M"e de Saint Vincent), fille de Louis de Brument ou Brumel, lieutenant général de Neufchâtel et d'Anne Berthou. Née en 1635, elle prit l'habit le 11 janvier 1661 et fut reçue à la profession le 8 février 1662 par Mgr André du Saussay, évêque et comte de-Toul. Cf. Arch. Nat. LL 1709.
(13) Connue et appréciée de Mgr Harlay de Champvallon, Mère Mectilde l'était aussi de son successeur, François Rouxel de Médavy de Grancey. Plusieurs religieuses du monastère de la rue Cassette étaient originaires de la région de Rouen ou apparentées à des familles rouennaises. Nous savons aussi que saint Jean Eudes estimait grandement Mère Mectilde et son Institut. Or, il venait de fonder un séminaire à Rouen et avait été appelé à y précher une mission du 31 janvier au 7 mars 1667. Cf. Arch. dép. Seine-Maritime. G. 2196. Charles Berthelot du Chesnay, Saint Jean Eudes, Namur, 1958, p. 168 175 C. de Bar, Documents, 1973, p. 247.
(14) • Bernardine Gromaire, professe en 1629, puis prieure en 1637 du monastère de Rambervillers (Vosges). En 1652, elle rejoignit Mère Mectilde à Paris. Elle fut toujours le plus ferme appui de Mère Mectilde. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 220 - 227, et Lettres Inédites, 1976, pass.
32 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 33
deux fois le jour, le matin et après vêpres. Chacune priait de son mieux pour obtenir du ciel qu'il manifestât à notre digne Mère le lieu qu'il avait destiné pour commencer cette œuvre. Nonobsthnt tant de prières de toutes nos communautés de Paris et de Lorraine (15), elle fut, durant les quinze jours qu'elle demeura ici, toujours à chercher et aller de maison en maison sans trouver ce qu'elle désirait. Enfin, comme Notre Seigneur ne lui donne jamais les choses qu'à la dernière extrémité quand il n'y a plus de remise, prenant plaisir de toujours faire épreuve de sa grande foi et de son amoureuse confiance en lui, qui ne désiste jamais, quelque chose contraire qu'elle voie arriver qui traverse ses desseins, le dernier jour au soir qu'elle avait retenu le carrosse pour s'en retourner le lendemain matin à Paris, on lui vint dire qu'il y avait encore une maison à lui faire voir que l'on croyait qui pourrait être propre pour nous mettre dans le moment. Elle s'y en alla et la trouva justement à son gré, ne pouvant pas avoir autre chose de plus dans le présent. Sans perdre de temps, elle l'arrêta et la loua pour la somme de sept cents livres, si bien qu'elle a été celle que nous avons toujours occupée jusqu'à ce que nous ayons été au Château.
Mais devant que de la ramener à Paris, je ne peux que je ne dise un mot de la disposition intérieure d'abjection où Dieu la mit dans ce voyage, si bien que, nonobstant tous les honneurs qu'on lui rendait, elle était si abîmée dans la profondeur de son néant que, quand elle entra dans la ville, elle crut qu'elle allait abîmer [ être détruite ] à cause d'elle. Comme elle fut obligée d'aller voir plusieurs maisons et de rendre visite à beaucoup de personnes considérables, elle ne se produisait qu'avec peine, ce qui lui faisait dire souvent à celles qui l'accompagnaient : « Mes Soeurs, c'est sous votre hospice que je vais, car sans vous autres, Dieu m'abîmerait ». Ce qui la pressait fort d'en sortir, croyant qu'elle y attirerait la malédiction de Dieu.
Elle s'en retourna donc à Paris le lundi de la quatrième semaine de Carême, 29 de mars de la même année 1677. Comme elle était si fort plongée dans la vue de son indignité, elle s'étonnait beaucoup comment nous pouvions avoir de la joie de son retour. Il aurait été assurément bien plus surprenant si nous n'en avions pas eu, car elle a le don en elle, seulement à la voir, de produire en l'âme ce fruit du Saint Esprit.
Mais la Providence a paru miraculeuse sur cette oeuvre pour la faire commencer, car, comme notre digne Mère n'avait point d'argent
et qu'elle ne pouvait se résoudre de rien entreprendre qu'elle n'en eût, quoique tous les serviteurs et servantes de Dieu qu'elle voyait la pressaient d'aller vitement établir, l'assurant que Notre Seigneur le voulait, nonobstant elle ne pouvait y consentir, ne voyant rien venir. Mais un jour qu'elle était en oraison, elle dit à Notre Seigneur tout simplement : « Je n'irai point à Rouen, car je n'ai point d'argent et je ne saurais
(15) Toul, Rambervillers, Nancy. Pour l'histoire de ces fondations, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 214 - 285, et Lettres Inédites, 1976.
y aller que je n'en aie. Puisque vous ne m'en donnez pas, c'est une marque que ce n'est pas votre volonté que j'y aille et que je fasse cette oeuvre pour votre gloire ». Dans le moment, il lui fit un reproche sensible du peu de confiance qu'elle avait en sa bonté, lui disant : « Petit avorton, peux-tu me dire que tu en as manqué dans ton besoin ? Ne t'en ai-je pas toujours donné ? Ma Providence n'a-t-elle pas été admirable à t'assister ? ». Ces paroles la terrassèrent et la renfoncèrent si fort dans l'abîme de son néant qu'elle se trouva si petite, si honteuse et confuse en sa divine présence, qu'elle n'osa lui répliquer et, quelques jours après, il lui en donna par une voie à laquelle elle ne s'attendait pas ; et elle dit agréablement qu'en cette occasion Notre Seigneur lui avait fait comme un maître qui dit à son valet : « Tiens, voilà de l'argent, va-t-en faire ce que je te commande » ; qu'il l'avait envoyée ainsi faire son oeuvre et qu'elle n'avait pu y résister davantage. Mais comment n'admirerons-nous pas cette adorable Providence qui s'est servie, après huit ans, de cet argent qu'elle lui avait donné pour faire cette Maison et qu'elle n'aurait pu faire si elle ne l'avait eu, pour lui attirer les plus grandes humiliations et l'affliger de la plus sensible croix qu'elle pouvait jamais avoir en sa vie, par les injustices et les noires calomnies que l'on a faites à son innocence et à la probité de sa sage conduite (16). Mais je n'en dirai rien ici davantage. Cette histoire étant écrite autre part, il n'en faut pas parler, sinon que c'est bien à ce sujet qu'il faut dire ces paroles : « O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei » etc... [ Rm. 11,33 ]. O abîme profond des richesses de la sapience et de la science de Dieu, que vos voies nous sont cachées et vos conduites impénétrables à l'esprit humain ! Il faut se perdre dans vos providences en les adorant, puisqu'il nous est impossible de les concevoir et pénétrer, mais il faut bien croire que la croix, l'humiliation, l'abjection et les souffrances sont quelque chose de bien grand et de bien précieux, puisque Dieu, pour récompenser une âme des fidèles services qu'elle lui a rendus en lui procurant tant de gloire, comme a fait notre digne Mère, n'a rien trouvé de plus précieux dans les richesses et les trésors éternels de ses grâces, pour lui en donner la récompense dès ce monde, que de la crucifier aussi douloureusement qu'il a fait et qu'il continue de faire tous les jours. N'avons-nous pas lieu de nous persuader que sans doute les souffrances sont ce bienheureux centuple que Notre Seigneur promet dès cette vie à ceux qui quittent tout pour le suivre ? Heureux donc et très heureux ceux et celles qui ont le bonheur d'avoir part à l'amertume de son calice et d'expirer en son amour sous le pressoir de la croix ! Mais encore beaucoup plus heureux ceux qui les savent recevoir et soutenir comme a fait notre digne Mère, qui les a portées comme un ange et sans perdre un moment de sa paix et de sa tranquillité, demeurant toujours dans son égalité, sans qu'il ait paru en elle le moindre changement durant les trois ou quatre années qu'elle a été si douloureusement crucifiée.
(16) Cf. lettre du 24 décembre 1678 et n. 21.
Iiit ON DAT ION DE ROUEN 35
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I Anne I 0\ seau à révèlence pour ;iller toujours devant
elle it1esitfr les choses en état afin que, quand elle irait, elle pût trouver la maison dans quclquc ordtc ct lisposce pour commc..m.ser l'établis-
sement. 1 .Ili c-onsentit volontiei, et lui teinoigna lui titre obligée
du ?tale qu'ellc avait de vouloir contribuer la gloire de Notre Seigneur en avançant (,r1 œuvre, Nt Mien qu'il tut IC5Olu qu'elle partirait l'onzième joui du mois d'aoilt de cette mèrne armee 1677, avec les Mères de l'Enfant iésuN (17) d de ti:fHJlcMecthilde t 18)(1 t.10 deux chcrei Stuurs converses : Sainte Aritlr t 1')) et Saint Jo›eph (20). L'on arréta le carrosse pour ce joui -la. mals. comme notre digne M&re avait promis à Monsieur et ît Madame I ô^ seau, frere et scuur (le la Nière Sous-Prieure (21) qu'elle irait en passant les voir chez eu\ a une maison qu'ils ont à deux lieues de Paris, elle voulut leur tenir sa parole, si bien qu'elle
I N.“.(”' fin, di- Jean 1 serrait Zoecily et d'Aimée d'Ancoun. Née à Paris, sur la paroisse Saint-
( etc, 1',,- ro 161Y, elk prit ntabli en janvier 1637 au monastère de la rue Cassette et fit profes-
k ft\>‘t I ( dr )rat. tt'Ir« Médites. 1976, p. 180.
I P Mat, NI,F,,,,ttr. !inc ck nobk homme philippe abeuret, • con,eiller et secrétaire des finances tic feu son Alt,,t- Kosallr Nion.ragneut k Duc Dortions. oncle du Roy, audiencer et garde des Roolles
tic . cl dr Jeanne t. houct, ses père et mère, native de Paris Elle prit l'habit en octo-
hic- ltee. et r ri itt pioIcssion un an après, Ses parents la dotèrent d'un capital de 4.000 livres.
dont 4(10 sri,. rt ka tuyaux de plomb destinés à ...mener au monastère l'eau du Luxembourg,
mise à la disposition dr, - clwirustia par 1a duche,,e
Ica dru). mriit a rnottent aussi au monastère de la rue Cassette. mais Mère Mectilde les envoya
l'une u la 'fondation dr !oui où elks firent profession. • Marie Anthoinette ., dite Marie Antoi-
.((lic du Smnt Seat n'Item enut ses veut le 19 f11.11 1671 et Jeanne. dite Mére Gertrude de Sainte Oppor-
MM`, niai lte4 t lies ic.ituent toutes les deux à Paris pour la fondation du second monastère,
c.c-i (rude tut longtemps dcb tbov)CeS, puis prieure dr 1709 à 1719. Mère Antoinette
sera ro, o, ornme prieuic a Itu^ ru.. lorsque cette maison demandera son agrégation à notre Institut.
en 170, I lit testa quatorze 1)C tetOtir à Paris, elle succéda a %a soeur comme prieure du monas-
tère dt-• 'saint 1 (MIN jusqu'en 1728.
Nircthildr fit panic du dsoupe des fondutiwes du monastère de Varsovie (Pologne) en 1687. I sir t rut, a rn I i /1114:C. le 17 aval 1t,91 Cf. archives de notre monastère de Varsovie.
(19) Nicole Monet (sœur Marie de Sainte Anne) prit l'habit au monastère de la rue Cassette le jan, tri ltee^. a 21 ans, rt tic profession en qualité dr convri sr le 18 octoh, 1669.
.‘^ turc konJet (strtii Api« de Saint Joseph) prit l'habit en 1673 au monasteie de lu rue e U1sette
et fit piotession k- septembre 1674. File moufle à Rouen, le 9 octobre 1718, de 82 ans et demi,
dom 44 ans de plotession A Elle fut une de ,:elles que noue Révélende Mère Institutrice tira dc notre picinière maison de Pan,, quelle envoya à Rouen en l'année 1677 pour y establir cette maison, k Révé, end Père Nicephote. irluoru). penitentt confesseur de la ditte Communauté, fit la séremome de ses obsèques aveC une pallie de ses reMg,tiu,a k 10 o,:iobre. à 6 heures du soir .. Cf. Arclii, e, de notre inotiaNtè yr de Rouen
(2.1) t u Mère .Anne' du Saint Sacrement l.o>seau,, sous-prieure du monastère de la lue c .i\scitc avait quatre fières ei une sœur. Nous trouons dans les archives de ce monastère une autorisation délurer en clôture pour sa belle sœur et sa nièce, sein d'y faire quelques jours de retraite six fuis pat an. l a famille 1 o% seau fit partie des amis dévoues et des bienfaiteurs de notre institut dès ses commencements. ce C. dr Rat. l (tires inedites, 1976, p. 148, n. 1.
lui permit d'y aller coucher, ce qui les obligea de s'en aller le jour de saint Laurent 10 août J, sur les trois heures après-midi. Notre digne Mere, ce même jour devant que de les envoyer, à une heure, assembla la communauté et nous fit un entretien à peu près semblable à celui que notre glorieux Père saint Benoit fit à ses religieux quand il envoya saint Maur en France (22) ce qui nous attendrit toutes, l'étant déjà de la séparation de ces cheres Meres, lesquelles étaient elles-mêmes dans la douleur que vous pouvez bien juger de quitter leur Maison de profession et surtout notre digne Mère. qui leur donna tous les témoignages d'amitié qu'elles pouvaient attendre de sa bonté. En leur disant le dernier adieu. qui ne se fit point de leur part sans beaucoup de larmes, elle leur mit en mains un crucifix, leur disant qu'elles le portassent avec elles, qu'il serait leur force et leur apprendrait, par son exemple, à se tenir comme lui attachées à la croix. telle qu'il la leur présenterait, par le sacrifice qu'il exigeait d'elles en cette occasion ; ensuite elle leur donna sa bénédiction et les embrassa toutes avec une tendresse de Mère.
Aussitôt qu'elles furent parties, elle se ressouvint qu'elles n'avaient point de saintes reliques. Elle envoya promptement une demoiselle de ses amies après elles. pour leur en porter une boite de sa part. qu'elles reçurent avec grand respect. mais qui les attendrit de nouveau pour notre digne Mère, se ressouvenant qu'en cette rencontre elle imitait notre glorieux Père saint Benoît qui envoya le même présent à saint Maur par deux de ses religieux. sur le chemin. quand il l'envoya porter sa sainte Règle en France.
Ensuite, tout d'un coup il s'éleva un grand orage de pluie. de vent, d'éclairs et de tonnerre. qui mit notre digne Mère en grande peine qu'il ne leur arrivât quelque accident. Elle disait toute en douleur : « Hélas, si je l'avais su. je ne les aurais pas fait partir, d'autant que le temps ne le marquait point du tout, étant beau quand elles se sont en allées ». Je crois, sans doute. que ce furent ses saintes prières qui firent arrêter l'orage et les conduisirent heureusement à la maison de Monsieur et Madame Loyseau. qui les reçurent avec grande joie et les firent traiter magnifiquement. Le lendemain au matin, le carrosse de Rouen qu'elles avaient arrêté pour elles seules les vint prendre, étant encore accompagnées d'une demoiselle de leurs amies et d'une des Soeurs tourières de Paris, que notre digne Mère leur avait donnée, afin d'avoir soin que rien ne leur manquât et qu'elle leur achetât les choses qui leur seraient nécessaires, se doutant bien qu'à l'abord elle n'en trouveraient point si facilement qui leur fussent propres.
(22) Sur la légende de l'envoi de saint Maur en France, par saint Benoit. cf. Dom Philibert Schmitz, Histoire Jr l'Ordre de saint Benoît, Ntaredsous, 19-1S, t. 1, p. 37 et sq.
36 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 37
Le lendemain elles eurent une rencontre qui les effraya bien. Etant sur le chemin de Fleury (23). passant par un bois où l'on disait qu'il y avait quantité de voleurs, il se présenta à leur portière un homme qui avait bien méchante mine, qui leur demanda l'aumône, faisant fort le pauvre et le misérable. Aussitôt la Mère Sous-Prieure lui fit la charité, mais lui, ne se contentant point de ce qu'on lui avait donné dans le moment, retourna à l'autre portière redemander encore l'aumône ; ce qu'entendant, la Mère Sous-Prieure lui dit : « Mon ami, nous venons de vous donner, Dieu vous bénisse. il n'y a rien davantage ». Cet homme, faisant toujours le pauvre. se mit à siffler, ce qui donna beaucoup de frayeur à nos Mères aussi bien qu'au cocher qui ne savait que faire, car il était seul d'homme pour les défendre ; il fut même obligé de descendre de dessus ses chevaux pour le faire retirer, car il ne voulait pas s'en aller. Elles crurent que c'était un voleur qui donnait le mot du guet à ses camarades qui étaient dispersés de côté et d'autre dans ce bois, pour venir avec lui se saisir de leur carrosse. Ne sachant donc que faire et ne voyant point de moyens d'avoir aucun secours, elles le demandèrent au ciel et se mirent en prières. La Mère Sous-Prieure, pour leur plus grande sûreté et défense, prit le crucifix que notre digne Mère avait donné, qu'elle mit à une portière, et à l'autre l'image de la très sainte Vierge, suppliant Notre Seigneur et sa très sainte Mère de les garder ét préserver d'accidents. Leur foi et leur confiance aussi ne furent pas vaines, car, quoique cet homme les poursuivît près d'une lieue, il ne leur fit pourtant rien, ce dont elles rendirent grâces à Dieu, voyant bien que sa bonté les avait protégées et les avait
fait heureusement arriver au soir en cette ville, le 12 du mois. Ellesfurent logées à la maison de Saint Louis, où elles ne purent demeurer que huit
jours, ce lieu n'étant pas habitable, durant lesquels elles ne laissèrent pas d'aller à celle que notre digne Mère avait louée pour commencer l'établissement, afin de voir ce que l'on pouvait faire pour l'accommoder, en sorte qu'on y pût faire les fonctions religieuses dans toute la régularité possible dans un commencement de maison. Elle prirent pour cet effet le conseil de personnes entendues dans les bâtiments et des messieurs de leurs amis. Après avoir bien consulté ce qui se pouvait faire de mieux, la Mère Sous-Prieure fit venir des ouvriers pour y travailler en diligence. Mais, voyant qu'ils n'avançaient pas aussi vite qu'on le désirait, et que, d'un autre côté, elles ne pouvaient rester davantage à Saint-Louis, elles prirent résolution d'y aller demeurer, quoiqu'il n'y eût encore rien d'accommodé, espérant qu'étant présentes, elles feraient mieux faire les choses et hâter les ouvriers qui ne se pressaient pas. Elle y firent donc porter des lits et les petits meubles qu'elles avaient et y vinrent coucher quelques jours.
La Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly I, qui s'était trouvée mal dès le second jour de leur arrivée et qui, depuis, avait été toujours languissante, tomba tout d'un coup malade à l'extrémité. Jugez de la peine de nos chères Mères et Sœurs, tant par la douleur qu'elles avaient de voir cette chère Mère si souffrante que par l'embarras où elles se trouvèrent parmi le grand nombre d'ouvriers qui travaillaient dans la maison, où tout était sens dessus dessous, rempli d'ordures et de platras, sans encore aucun accommodement, n'ayant ni linge ni autres choses nécessaires pour le soulagement d'une malade, et par la fatigue extrême qu'elles avaient tant à la soigner qu'à la veiller. Car elles furent plusieurs nuits sans presque prendre de repos que quelques heures en passant, encore bien dans l'inquiétude, et les unes après les autres. Si bien que tous les jours, comme on était en été et que les ouvriers venaient de grand matin pour travailler, elles étaient surprises par eux, n'ayant aucun lieu pour se retirer sans être vues, excepté quelques rideaux qu'elles avaient mis devant leurs paillasses, qui étaient jetées à terre sur le plancher dans les chambres en haut ; si bien que souvent ils les trouvaient [ en arrivant travailler 1, ce qui leur était une grande mortification qu'il leur fallait bien souffrir malgré elles, avec toutes les autres qui se rencontrent dans un commencement d'établissement. Elles n'entendaient la sainte Messe que les dimanches, les fêtes et les jeudis, car elles ne sortirent point du tout, gardant une exacte clôture pour elles, car, pour les séculiers, ils entraient dans la maison n'y ayant encore rien de clos. Un religieux Pénitent (24) la venait dire dans le lieu qu'on avait destiné pour faire l'église. Or, comme on y travaillait actuellement, la nuit du jour qu'on la devait dire, elles la passaient à tout ôter : les plâtras, les copeaux et les restes des ordures des ouvriers qui étaient en grande quantité, ce qui leur donnait une peine incroyable, et d'autant plus qu'il leur fallait dresser un autel, et porter et rapporter ce qu'il fallait pour l'accommoder avec les ornements nécessaires pour dire la sainte Messe. Comme tout était encore dans les ballots, que l'on ne voulait point défaire durant que les ouvriers travaillaient, pour éviter qu'ils ne fussent gâtés dans la poussière, la chère Mère de Sainte Mccthildc citait obligée de les défaire et raccommoder chaque fois que l'on disait la sainte Messe et que la Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly I désirait de communier ; or, comme il fut un temps qu'elle le demandait presque tous les jours, et que la Mère Sous-I'rieure Anne 1 oyseau I, qui tâchait de la contenter en toutes choses, ne voulait la priver de cette consolation, elles étaient tuées par la grande fatigue qu'elles avaient, car, avec l'église qu'il fallait, comme je vous ai déjà dit, toujours de nouveau accommoder et nettoyer, ne la
(23) Actuellement Fleury-sur-Andelle, ch.-I. de cant., arr. des Andelys, Eure, à 99 km de Paris. Au XV Ile siècle Fleury faisait partie du diocèse de Rouen. Près de là, à Radepont, se trouvent les ruines de l'abbaye de Fontaine-Guérard, fondée en 1135 et affiliée à Cîteaux en 1219.
(24) Les religieux de l'ordre de saint François s'établirent à Rouen en 1522, non sans difficultés. Ils n'y furent autorisés par l'archevêque de Rouen qu'en 1609 et s'installèrent au faubourg Bouvreuil, gràce aux libéralités de Damoiselle de Rassent, veuve de Monsieur de (iouville, puis, en 1612, dans un endroit plus spacieux, en la rue Saint-Hilaire. Le président de Motteville fut un de leurs insignes bienfaiteurs. Cf. J. Amiot.op. ci!. t. 111. p. 429 et sq.
rti Altil IWO tH «Mt FONDATION DE ROUEN 39
Oint\ ;oit 4 (orirtiuniCi qiir I on nc dit la sainte Messe. l'on écot encore
d( di( autel s bit chambre pour po ,ber le tr6
riwnt t lir, k fai\airnf toutes avec un grand courage. animées de ferveur ri ‘ic oust ac, qui tic leur permettait las d'envi%ager leur peine. mais rmbriii%sment généreusement pour l'amour Je Notre Seigneur, lui offrant d( tout leut ‘it tif cette ‘ttere rimiatics qui .tilait touiouis en
(-militant t n sou. lift crut qu'elle pavter. cc qui ohligea de
ic( omit I r‘tième.onetion,, avant défia commume en viatique, on
en diligence prier M. le ( tiré de la paroisse Sainte.Crop,-Saint( )tiers (-."). sut qui r011 était, IrlipptHiCr k% saintc\ huiles, ce qu'il fit aussitôt Mais, quand il ,.int pour lui appliquer, il demanda de la cendre, etant lai e oittunic ici den mettre sur le citut. l .1 \Ici(' Sois-Prieure oui ut pi iptement à ma Sieur saint Joseph t R andel Ï lut en demander. lle la trou‘ a fort oct. upee a faire fondre du bruire. t~ e que voyant, dans
un ternr% Ait avait bien auire 'ho a taire. la malade se mourant,
clic lui demanda qu'elle L. int sc,outti llities et lui dit un peu
ti^ (-ment * mua Enfant, a quoi t'amuses-tu a lheure qu'il est ?
ends moi ion tetirrt c l le Jette par la fenêtre, que je ne le c oie plus
( cm- 1-^onne S(rtu est assez plaisante de son humeur. lui répondit
dans \.1 inaniët c otdtimiic :• \Le c. que je jette ce beurre ? I )ieu m'en
raide e hon Prie confesseur, qui était pre sent a ce discours. dit au
heir qui ttmpai de lui ;ode!, inai elle, (ian a franchise lui
repartit . n Qu'il mon Per e. il ne le petit pas j'aurais peur
qu'il ne le fit hrtder. il faut que j'y soigne moi-même Et se doutant
hirti que, tant que la !Ocre Sous-Prieure la verrait auprès, elle ne lui
dotinelmt th: !CÇOS et lui dirait toujours de le jeter par la fenêtre,
f 11 it dans le mottent sa chaudière tout fumante qui commençait à bouillir et alla fia pomr-r dans la Chasuble où l'on avait serre lotis les beaux ornena,-nts et toutes les cho%e% conccinant regike, parce qu'on en voulait Lin(' la s.“..11.110 f `ct.tli pour tout perdre, L'ai» c'est une horrible senteur
(tue le heurte tondu. t ne dit dans Saints anges, saintes
atIleN 11114;itcUre, je \ OUS rabanti011ne, ayer en sain s. C'est sa bonne
,.outuine de les in\ °quel et de leur demandei secouis dans son travail, pal ticulieiement quand elle est bien pressee, afin qu'ils l';Issistent. CC eveinnente sou‘ent. 1-asuitc elle s'en alla avec les autres assister la malade, :a qui on donna re\ti eine onctiOn, qu'elle reçut avec une si
t,nande dei otion et application 'Mc:meure editia beaucoup NI. le
taie et tous les assistants plusieurs pci-sonnes seculieres étaient
présentes, la clOture n'y étant paso etkole.
iemn aettate Dutu cuir, nomme le '.!0 décembre 1674 Las poiroie n'et.ur d'aboi d qu'une delk.n
drowe de l'ebba>c Je Sruot-Ouen I- ire tut longtemps une cause de litige entre Ir a,pitie de lu ‘:,ulte draie et l'abbst>r, PO« ta cols taon du henctu:c 1 cs ,epuitureb relevec, ddip, ecttc cosse monterai qu'elle cul de riehra bienfaiteurs, dom nous icnou^onb plusieurs, des,:rird.urts doua notre prupic
Natoire le, familles Puchot. Maignard de ticiniétes, de Koncherolles, Mdmioury. Cf, J. Amiut,
11 I I 1. p, 410 - .4?3
Quelque temps après. la malade fut soulagée, si bien que le matin elle se trouva mieux et depuis ce jour fut hors de péril, ce qui réjouit beaucoup nos \léres, qui étaient très affligées de sa perte, singulièrement notre digne \fere. qui faisait toutes sortes de voeux au ciel pour obtenir sa guérison, que nous pouvons bien attribuer à ses saintes prières (26). Ce qui l'affligeait le plus sur la perte de cette bonne Mère, c'était parce qu'elle savait bien qu'elle avait fait un grand sacrifice et une terrible violence sur elle-même de quitter sa Maison de profession pour aller à cet établissement, que ce n'avait été que la force de l'obéissance qui l'y avait obligée et que peut-être la peine qu'elle en avait eue l'avait réduite à cette extrémité. Notre digne Mère,, qui est toute bonté et qui a une tendresse pour ses Filles qui ne se peut comprendre, avait le coeur navré de douleur et si touché qu'on ne la pouvait consoler. Elle ne parlait d'elle que de grosses larmes aux yeux et croyant ne la plus revoir en ce monde et que Dieu en voulait disposer. Elle lui écrivit ses voeux, qu'elle lui envoya avec des lettres si belles, si tendres et si pleines d'affection que toutes les personnes qui les virent en furent admirées (sic) autant que pénétrées de la bonté de son cœur et de son amitié pour ses Filles.
Mais, pour revenir à ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet j. laquelle le matin, voyant la malade beaucoup soulagée et qu'il n'était pas nécessaire que toutes demeurassent auprès d'elle, s'en alla promptement voir comme était son beurre, pour tâcher d'achever de le faire cuire. Elle fut bien surprise de le trouver fait et autant beau et bon qu'il s'en pouvait voir, et j' I assure que. depuis qu'on est à Rouen, l'on n'en a jamais mangé de si bon et de si bien fait que celui-là, ce qu'humainement ne pouvait être, n'axant presque pas bouilli. On l'attribuera à ce qu'on voudra. mais. pour elle, elle croit qu'il y a eu du miracle, aussi bien pour les ornements conserves qui n'en furent point endommagés, pas plus que si ce beurre ni eût pas été mis. La Mère Sous-Prieure, le voyant ainsi. fut fort aise et de ce que Sœur de Saint Joseph ne lui avait pas obei simplement, car elle nous a dit agréablement que, si elle l'eût trouve le lendemain _jeté par la fenêtre, qu'elle en eût été bien en dépit, lui contant bien de l'argent.
\lais puisque .ie 'eus viens de parler de miracle, il faut que je vous rapporte encore une chose que l'on peut nommer ainsi et qui paraît miraculeuse. C'est comme on était ensuite à faire le clocher. L'échafaud où etaient montes les ouvriers tomba du premier étage, qui est assez
haut. bruit. quelques personnes qui étaient dans la maison avec
nos Mères \ coururent, criant misericorde au Seigneur, qu'il les préservât d'accident. Dans le moment. il fut arrêté sur le bord des ardoises avec tous les hommes qui etaient dessus, sans qu'aucun fût blessé, ni tombât, ce qui fit admirer la protection de Dieu et, comme il les avait secourus
(26) Cf. 2 partie, les lettres de Mère Me,:tilde des mois d'août et septembre 1677.
40 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 41
dans ce péril, ce dont nos Mères lui rendirent des actions de grâces. Mais nous ne pouvons assez louer la Mère Sous-Prieure de son soin pour avancer la maison qui, nonobstant tout l'embarras et toute la peine de la maladie de la Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly ], ne laissa pas de toujours faire travailler les ouvriers, qui ne désistèrent pas un moment quelque mal qu'elle fût, si bien qu'en six semaines de temps elle mit la maison en état que notre digne Mère y pouvait faire l'établissement. Voyant la maladie de la Mère de l'Enfant Jésus, de longue durée et, qu'elles ne pouvaient pas, quatre qu'elles étaient, la secourir seules et résister davantage à la grande fatigue et à l'embarras qu'elles avaient joint, qu'étant toujours auprès d'elle, on laissait la maison à l'abandon des ouvriers et de tous ceux qui y venaient et, pour la nourriture, aux soins de quelques femmes qu'elles avaient prises pour les servir, qui faisaient une si grande dépense qu'elles en étaient toutes surprises sur les mémoires que la tourière lui en donnait, ma Soeur de Saint Joseph lui dit que c'était impossible que quatre ou cinq qu'elles étaient dépensassent tant, que cela ne pouvait pas être, et qu'il fallait qu'on en dérobât une partie, que, si elle voulait prendre quelque personne pour soigner la malade, elle ferait la cuisine et aurait soin de toutes choses. La Mère Sous-Prieure agréa cela, si bien que toutes ces raisons l'obligèrent à prier la Révérende Mère Prieure de la Madelaine (27) de lui envoyer deux de ses religieuses pour garder la malade ; ce qu'elle lui accorda volontiers avec mille honnêtetés. Elles vinrent aussitôt l'assister et soulager, et lui rendirent tous les services de charité que l'on pouvait attendre de leur hospitalité, et cela avec_ une affection et bonté qui ne se peuvent dire. Quand elle aurait été leur propre soeur, elles n'en auraient pas mieux usé et, quoique nos Mères ne laissèrent pas leurs services sans reconnaissance par d'honnêtes présents, il faut toujours dire que cette Maison est obligée à la leur par la manière honnête dont elles en usèrent en cette occasion, et par les amitiés qu'elles nous témoignèrent.
Il faut ici, devant que je vous rapporte le voyage de notre digne Mère, que je vous dise quelque chose d'assez plaisant de ma Soeur de Saint Joseph, qui, je crois, sans doute vous divertira. Vous savez que je vous ai dit au commencement que, comme elles ne sortaient point, elles n'entendaient la sainte Messe que lorsqu'on la leur disait, les dimanches, fêtes et jeudis, dans le lieu destiné pour l'église ; et ces mêmes jours elles communiaient et se confessaient à genoux aux pieds
(27) L'hôpital de la Madeleine ou Hôtel-Dieu a une origine très ancienne : on en fait mention sous le nom d'hôpital Notre-Dame dans une charte de 1197. La Communauté, qui suivait la règle de saint Augustin, était mixte, un peu comme Fontevrault. L'ancienne église se trouvait rue de la Madeleine et, d'un autre côté, rue Grand-Pont. La construction de l'actuel Hôtel-Dieu ne commença qu'au milieu du XVII' siècle, et le transfert du prieuré de la Madeleine, devenu tout à fait vêtuste, ne se fit que près de cent ans plus tard. La prieure était alors Anne Bardin, qui gouverna la communauté de 1671 à sa mort, le 17 août 1681. Cf. Amiot, op. cit., t. III, p. 101, et Th. Eude, Le Prieuré Sainte-Madeleine de l'Hôtel-Dieu de Rouen, Rouen, 1970.
du bon Père Pénitent. Un jour, Soeur de Saint Joseph s'en alla trouver la Mère Sous-Prieure et lui dit qu'elle ne pouvait plus se confesser de cette façon auprès de ce bon Père, que son capuchon et sa barbe lui donnaient dans la bouche, qu'elle en était si distraite qu'elle oubliait tous ses péchés, qu'elle était résolue de ne plus se confesser qu'elle n'eût fait mettre une grille au lieu que l'on avait destiné pour faire le choeur, avec un rideau devant. La Mère Sous-Prieure lui répondit avec une grande bonté qu'elle lui en ferait mettre une et serait satisfaite ; cela dit, elle n'y pensa plus. Le jour venu qu'il fallait aller à confesse, cette bonne Soeur ne trouvant point la grille qu'on lui avait promis de faire placer, s'en retourna à la Mère Sous-Prieure, lui disant : « Eh bien ! ma Mère, vous avez oublié de faire mettre cette grille ; je ne me confesserai ni ne communierai pas aujourd'hui ». La Mère Sous-Prieure, l'entendant ainsi parler, lui répondit agréablement : « Eh bien ! mon Enfant, j'irai pour toi, car je sais bien ce que tu as fait ; tes péchés ne sont guère cachés, je les connais bien ; en même temps, elle lui nomma quelques petites imperfections qu'elle croyait à peu près qu'elle avait pu commettre, lui disant toujours qu'elle s'en allait s'en confesser pour elle ; ce qu'elle crut tout bonnement, si bien qu'elle se mit à courir après la Mère Sous-Prieure, lui criant : « Au moins, ma Mère, n'allez rien dire à ce Père, je m'en vais à confesse ». Elle lui répartit en riant qu'elle y allât donc, et que sans manquer elle aurait une grille la semaine prochaine. Mais malheureusement elle était toujours oubliée, soit que ce fût volontairement, le choeur n'étant pas encore en état d'y en avoir, ou bien qu'on n'y pensât pas. Ma Soeur de Saint Joseph, toutes les fois qu'il fallait aller à confesse, était à tourmenter la Mère Sous-Prieure pour qu'elle lui fît mettre une grille. Enfin, un jour, voyant qu'elle ne lui donnait pas de repos, elle alla appeler ma Soeur de Sainte Anne [ Monier ], lui disant : « Soeur de Saint Joseph me persécute pour avoir une grille ; faisons-lui quelque invention pour la satisfaire, afin qu'elle ne voie plus ce bon Père ». Là-des'sus, elles s'avisèrent de prendre un vieux rideau rouge, qu'elles posèrent avec deux grands bâtons ou perches à l'endroit qu'on avait destiné pour mettre la grille du choeur. Cela fait, la Mère Sous-Prieure s'en retourna à Soeur de Saint Joseph lui dire qu'elle n'avait plus qu'à aller se confesser, que le Père ne la verrait plus, qu'elle l'avait contentée. Celle-ci s'encourut promptement pour aller à confesse, croyant que le Père l'attendait, bien réjouie d'avoir une grille qu'il y avait si longtemps qu'elle demandait. Elle se mit à genoux devant ce rideau où elle croyait que le Père était, disant : « Loué soit le très Saint Sacrement ! Mon Père, mon Père, êtes-vous là ? ». Ce Père, qui n'y était pas, ne pouvait lui répondre. La Mère Sous-Prieure et la Soeur de Sainte Anne, qui s'étaient coulées adroitement de l'autre côté, où l'on allait pour se rendre à l'église, afin de voir ce que cette bonne Soeur ferait et dirait en voyant la machine qu'elles lui avaient faites, l'entendant toujours
42 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 43
appeler : « Mon Père ! », se mirent à éclater de rire. La Mère Sous-Prieure en même temps s'approcha de ce rideau, et lui dit : « Hé ! que ne te confesses-tu, mon Enfant ? ». Mais, voyant bien qu'on se moquait d'elle, le dépit la prit, qui la fit aviser de regarder ce rideau si bien accommodé avec ses perches contre la muraille, sans grille. Comme de son naturel elle n'est pas bien passive, elle se mit à dire dans son activité fort plaisamment : « Qu'est-ce donc que ceci ? Voilà une belle grille ! oh ! ma Mère, est-ce ainsi qu'on m'attrape et qu'on se moque de moi ? Oh bien ! je ne communierai pas, ni n'irai à confesse ». Et, en même temps, avec ses mains poussa le rideau et jeta tout en bas. Je vous donne à juger si la Mère Sous-Prieure et ma Soeur de Sainte Anne n'eurent pas sujet de rire de nouveau. Enfin, il fallut pourtant pour la contenter clouer ce rideau à la muraille pour lui donner facilité de se confesser, disant toujours que le capuchon et la barbe de ce bon Père lui touchaient la bouche, ce qui lui donnait tant de peine et de distractions qu'elle en oubliait tous ses péchés.
La Mère Sous-Prieure ayant donc fait accommoder la maison autant qu'il avait été possible, et fait savoir à notre digne Mère l'état où était toute chose, la pria de se rendre sans retardement à Rouen ; ce qu'elle résolut de faire au plus tôt. Quelques jours devant que de partir, étant à la récréation, elle témoigna à nos Mères et Soeurs la peine qu'elle avait de les quitter et leur dit : « Ce matin, à la sainte Communion, je vous ai toutes mises dans le Sacré Coeur de la très sainte Mère de Dieu et sous sa protection ; je l'ai priée qu'elle prît soin de vous toutes. Elle m'a répondu que je ne me misse en peine de rien, qu'elle était plus votre Mère que moi, indigne que je suis de l'être, qu'elle aurait soin de vous toutes et de vos besoins ».
SECOND VOYAGE A ROUEN DE MÈRE MECTILDE : Ir AU 3 OCTOBRE 1677
Elle sortit donc de Paris pour aller à cette fondation, un vendredi à deux heures après-midi, premier jour du mois d'octobre de la même année 1677, accompagnée de la Mère Hostie et des Soeurs de Sainte Agnès (29), de la Nativité de Jésus (30), des Anges (31) et d'une demoiselle de cette ville, qui était venue à Paris avec elle à son premier voyage pour être religieuse dans notre première Maison ; mais, n'ayant pu réussir dans son bon dessein, notre digne Mère fut bien aise de la ramener elle-même pour la remettre entre les mains de monsieur son père et de madame sa mère, qui la lui avaient confiée ; ce qu'elle fit en arrivant dans cette ville. Elle nous témoigna avoir de la joie de partir ce jour de la fête des saints Anges (32), qu'elle s'en allait sous leur protection, qu'ils nous assisteraient et nous secourraient dans notre voyage, qu'il les fallait prier et invoquer. Ensuite elle commença à dire l'antienne du très saint Sacrement : O sacrum ;[ puis les prières ] :
(29) Marie Camuset prit l'habit en décembre 1666 et fit profession le 16 décembre 1667. Lors de sa profession, sa mère offrit en plus du capital nécessaire pour sa dot, la somme de 5.500 livres qui servirent à acquitter une partie de la quittance de l'entrepreneur, M. Gabriel, pour la construction de l'église du monastère de la rue Cassette. Elle était première chantre du monastère de Rouen. Mère Mectilde lui confia la préparation des moniales de Notre-Dame de Bon Secours à Caen lors de leur agrégation à notre Institut. Cf. supra, lettres de 1684 et 1685.
(30) Anne Bertout prit l'habit en 1672, au monastère de la rue Cassette et fit profession en juin 1673. Elle n'a pas dû rester longtemps à Rouen. On fait de nouveau mention d'elle rue Cassette, en 1684.
(31) Mère Monique des Anges (1653-1723), l'auteur de notre récit, était fille de M. de Beauvais, conseiller d'État, et d'Henriette de Bellières, attachée au service de la maison d'Autriche. Envoyée à l'âge de quatre ans à l'Abbaye au Bois, elle fut confiée six ans plus tard à la Mère prieure, qui s'attacha l'enfant comme secrétaire. Son culte pour le Saint Sacrement et un désir de vie plus austère la portèrent à demander son admission au monastère de la rue Cassette. Ayant obtenu, non sans peine, l'autorisation de ses parents, elle y entra le 14 août 1667, à 14 ans et demi. Elle fit profession en août 1669 avec sa soeur, d'un an son aînée, qui l'avait rejointe au monastère. Elle fut nommée peu après maîtresse des novices. Fondatrice de la maison de Rouen, elle a laissé le récit des premières années de ce couvent. Mère Mectilde la rappela à Paris et l'envoya au monastère des bénédictines dites de Notre-Dame de Liesse, que l'archevêque voulait contre le désir de la majorité des religieuses, agréger à notre Institut. L'année passée en cette maison fut certainement plus pénible que les dix années rouennaises, pourtant difficiles. En 1713, elle fut élue prieure du monastère de la rue Cassette, où elle sut ramener la paix, un moment compromise par des ingérences extérieures tout à fait injustifiées. Elle mourut le 18 septembre 1723. Elle avait le don de discernement des esprits, une âme claire, un peu inquiète et toujours à la recherche du mieux, mais aussi une grande simplicité, qu'appréciait Mère Mectilde.
(32) Anciennement, les anges gardiens étaient honorés avec saint Michel, le 29 septembre en Occident, le 8 mai en Orient. Peu à peu une fête spéciale s'établit en leur honneur. En 1513, elle fut introduite au Portugal. Le bienheureux François d'Estaing, évêque de Rodez (1460-1529), adopta la date du ler mars. Le calendrier de Toul, en 1533, mentionne la fête au ler mars. A la demande de Ferdinand II d'Autriche, le Pape Paul V institua, le 27 septembre 1608, une fête solennelle avec office propre et la fixa au premier jour libre après la fête de saint Michel. En 1667, Clément IX fixa la tète au premier dimanche de septembre et lui adjoignit une octave. Clément X, le 13 septembre 1670, l'éleva au rite de fête double, l'étendit à toute l'Eglise et la fixa au 2 octobre. Mère Mectilde a donc quitté son monastère pour les premières vêpres de la fête des saints Anges gardiens. Cf. Dictionnaire de Spiritualité, fasc. II, col. 614-615.
44 CATHERINE DE BAR I-ONDA I ION DE ROUEN 45
Ave Maria filia Dei Patris ; Ave cor sanctissimum, et trois Monstra te esse Matrem à la très sainte Mère de Dieu (33), une antienne aux saints Anges avec les litanies de l'Ange gardien, une autre antienne à tous les saints et un De Profundis aux saintes âmes du purgatoire pour leur demander leur secours et qu'elles nous préservassent d'accidents. Les deux jours de notre voyage, elle nous fit réciter ces mêmes prières le matin en entrant dans le carrosse où elle avait attaché une image de la très sainte Vierge, qu'elle avait prise entre ses mains en sortant de notre Maison, disant qu'elle nous conduirait et aurait soin de nous ; de temps en temps elle la regardait amoureusement et lui baisait les pieds.
Nous arrivâmes sur les cinq ou six heures à Colombes, où nous couchâmes chez Mademoiselle de Bouillon (34), qui y avait une maison. Elle avait témoigné à notre digne Mère le grand désir qu'elle avait qu'elle la vînt voir en passant, ce qu'elle ne put refuser à cette bonne princesse et qui l'obligea de partir de Paris ce jour, quoique la Providence ne permît pas qu'elle l'y rencontrât et eût la satisfaction de l'entretenir comme elle se l'était promis, ayant été arrêtée pour bien des affaires, malgré elle, à Evreux, cela la mortifia, autant que notre digne Mère. Cependant elle en était bien aise, non pas qu'elle n'eût pour cette vertueuse demoiselle tout le respect et l'estime qu'elle devait à son mérite et à sa grande piété, puisqu'elle l'honorait beaucoup et que l'affection et la confiance qu'elle avait en elle l'y obligeait même, mais c'est que, nous dit-elle agréablement : « Il m'aurait bien fallu causer et l'entretenir, et j'aime bien mieux demeurer en silence dans l'éloignement des créatures ». Sa demoiselle ne laissa pas de nous recevoir aussi bien que si elle y eût été et nous fit tout l'accueil que nous pouvions attendre de son honnêteté.
Le lendemain, dès le grand matin, nous montâmes en carrosse pour aller à Argenteuil (35) faire nos dévotions à l'église où est la sacrée robe de Notre Seigneur. Notre digne Mère était toute en jubilation d'aller rendre ses respects et vénérations à ce précieux vêtement.
(33) 0 Sacrum - antienne de Magnificat des vêpres de la fête du Saint Sacrement.
Ave Maria, filia Dei Patris et Ave Cor sanctissimum sont deux prières composées par saint Jean Eudes : la première en l'honneur de la Sainte Vierge, la seconde s'adresse aux Saints Coeurs de Jésus et de Marie. (Cf. R.P. François Lebesconte, Le Coeur de Marie d'après Saint Jean Eudes, Paris, Lethielleux, 1945, p. 77 et 229).
Monstra te esse Matrem, strophe de l'hymne Ave Maris stella, des vêpres de l'office de la sainte Vierge.
(34) Mère Mectilde avait beaucoup soutenu la duchesse de Bouillon en 1652, quand décéda son mari Frédéric-Maurice de la Tour d'Auvergne ; et ses enfants lui en avaient gardé une grande reconnaissance. Le cardinal de Bouillon facilitera l'achat de son hôtel, rue Neuve-Saint-Louis, pour y fonder le second monastère de notre Institut à Paris. Les Bouillon possèdaient de grands biens à Evreux. Il est ici question de la soeur et de la nièce du Cardinal.
(35) Argenteuil (Yvelines, arr. de Versailles). Primitivement monastère de femmes sous la dépendance de l'abbaye de Saint-Denis (665). Ravagé par les Normands et restauré par Robert le Pieux, le monastère fut occupé par des moines à partir de 1129. Depuis le 11 novembre 1646, il appartenait à la réforme mauriste. Cf. Dom Martène, Histoire de la congrégation de Saint Maur, Ligugé, 1929, t. III, p. 36 (Archives de la France monastique, vol. 33).
« Quoi, nous disait-elle, nous allons voir la robe d'un Dieu, cela se peut-il comprendre de dire qu'un Dieu se soit revêtu, lui qui de toute éternité est revêtu de gloire et de majesté et dont toutes ses perfections divines l'ornent de bonté et de splendeur, de dire donc qu'il ait eu besoin
de se couvrir du poil des bêtes ! C'est là qu'elle s'abîma, ravie en
admiration de voir la bonté d'un Dieu envers ses créatures de s'être ainsi réduit pour converser avec elles.
Nous arrivâmes sur les six heures et demie à ce saint lieu, si bien que nous eûmes le loisir d'entendre plusieurs messes et de communier. Le carrosse de Rouen que l'on avait arrêté pour ce jour ne nous vint prendre que sur les huit heures. Nos Pères de saint Benoît, qui ont le bonheur de posséder cette sainte relique, ayant su que c'était notre digne Mère et ses religieuses qui étaient dans leur église, après nos prières faites, le Révérend Père Prieur, accompagné de plusieurs de ses religieux lui vint faire mille honnêtetés, lui témoignant l'estime qu'ils avaient pour sa révérence et la joie de l'avoir chez eux. Elle reçut tous leurs compliments dans sa modestie et humilité ordinaires ne marquant pas de sa part de leur faire beaucoup de civilités. Mais, comme elle était toute pénétrée de joie et de sentiment de respect de la vue qu'elle venait d'avoir de la sacrée robe de Notre Seigneur, elle ne put s'empêcher de le leur faire paraître, leur répétant les mêmes paroles qu'elle nous avait dites, que je vous ai rapportées ci-dessus. En même temps elle leur témoigna la peine qu'elle avait de ce que cette précieuse relique n'était pas enchâssée aussi richement qu'elle le devrait être, qu'elle souhaitait d'avoir le moyen de lui faire faire une châsse d'or et d'argent (36). Après quelque petit entretien qu'elle eut avec ces bons Pères à l'entrée de leur cloître où ils nous avaient menées pour nous faire voir leur maison, elle les remercia bien de leur bon accueil et prit congé d'eux, ayant été avertie que le carrosse de Rouen était arrivé, où nous montâmes aussitôt pour poursuivre notre voyage qui fut très heureux. Nous étions avec une trop sainte âme pour craindre qu'il nous arrivât quelque accident ; nous avions lieu d'espérer l'assistance du ciel, y voyant toujours son esprit et son coeur élevés, car elle était dans une oraison continuelle et toujours à prier Dieu ou à le bénir, ou bien elle nous entretenait, nous disant que nous devions aller à cette fondation dans un esprit de dégagement et de séparation, que nous ne devions avoir en vue que trois choses : la première, la plus grande gloire de Dieu ;
(36) Comme l'avait souhaité Mère Mectilde, la princesse Marie de Lorraine, duchesse de Guise, fit faire une très belle châsse pour cette relique, et la translation eut lieu le 22 octobre 1680. La princesse était accompagnée de sa sœur, Madame Renée de Lorraine, abbesse de Montmartre, et de sa cousine, Anne-Marie de Lorraine, moniale de la même abbaye. La cérémome se déroula en présence de Dom Claude Boistard, prieur de Saint Germain-des-Prés et grand vicaire de l'archevêque de Paris. Cette relique avait été donnée par Charlemagne à l'abbaye d'Argenteuil, dont sa fille Théodrade était abbesse. Cf. Dom Martène, op. cit., t. V. p. 380 ; Dom G erberon, Histoire de la robe sans couture de Notre Seigneur Jésus Christ qui est vénérée dans l'église des bénédictins d'Argenteuil, avec un abrégé de l'histoire de ce monastère, Paris 1677.
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la deuxième, sa volonté et son bon plaisir puisque l'obéissance nous y envoyait, et la troisième, son pur amour. Elle nous conjurait fort de les bien retenir et de les imprimer dans notre esprit afin que tous autres motifs en fussent bannis.
Nous arrivâmes à Magny (37) sur les neuf heures du soir. La première chose que fit notre digne Mère en descendant de carrosse fut de s'informer où nous pourrions le lendemain, qui était dimanche [ 3 octobre ], entendre la sainte Messe. Elle envoya en plusieurs endroits pour ce sujet, mais ayant appris que l'on n'en pouvait avoir si matin et qu'il fallait partir sans l'entendre, on fut dans une grande inquiétude, si bien que, dans la crainte que nous la perdions ce jour et que nous n'en trouvions point quand nous arriverions à l'hôtellerie, elle fit partir dès le moment un homme à cheval, pour aller en diligence en arrêter une à Ecouis [ Eure ] (38). Dès deux heures du matin, nous montâmes en carrosse pour nous y rendre de meilleure heure. Tout d'abord, ayant fait les prières accoutumées, elle nous parla de Dieu l'espace d'une grande demi-heure et nous dit des choses admirables, étant embrasée comme un séraphin. Après, elle demeura dans un profond silence, les yeux fermés, belle comme un ange. Nous prenions plaisir à la regarder et observer. Elle demeura donc toujours ainsi en oraison et seulement de fois à autre elle nous disait : « Mes Soeurs, demandez bien à Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce d'entendre la sainte Messe et de communier ; il nous y faut bien préparer ». Et élevant amoureusement les yeux au ciel, comme toute ravie en admiration de la bonté et de l'amour de Jésus Christ à se donner à nous, elle nous disait : « Quoi ! Recevoir mon Dieu, cela se peut-il comprendre ? Il faut bien le prier qu'il nous prépare lui-même ».
Nous arrivâmes à Ecouis qu'il n'était que dix heures, ce qui nous réjouit beaucoup à cause de la sainte Messe que nous fûmes entendre à l'église des chanoines où l'on nous en avait arrêté une. Mais Dieu nous fit la grâce d'en entendre deux. Notre digne Mère était dans une si grande dévotion et si abstraite en oraison qu'elle ne savait sortir de l'église, si bien que nous toutes, qui étions mal et dans une si grande faiblesse que nous ne savions plus nous soutenir, fûmes obligées de la prier de se rendre à l'hôtellerie pour dîner et se reposer, étant midi, à quoi elle condescendit aussitôt et s'y rendit avec nous, nous témoignant qu'elle se portait fort bien, qu'elle n'était fatiguée ni du chemin, ni en nécessité de manger. Il paraîssait bien, à la voir si abîmée en Dieu comme elle était, qu'elle venait de se nourrir de cette chair vivifiante qui nourrit l'âme et le corps, car elle en était toute fortifiée et si remplie et pénétrée
(37) A 59 km de Paris sur la N. 14, dans l'arrondissement de Pontoise. La route actuelle est à peu près la même que celle qui fut suivie par Mère Mectilde.
(38) A 91 km de Paris. Collégiale fondée par Enguerrand de Marigny et consacrée le 9 septembre 1313 par l'archevêque de Rouen, Asselin. Saint Vincent de Paul y fut nommé trésorier et chanoine par Philippe-Emmanuel de Gondi en 1613. Mais il n'y vint qu'une seule fois le 16 septembre 1615 pour faire le serment de fidélité et recevoir l'osculum pacis. Cf. J. Daoust, M. Vincent et le diocèse de Rouen, Etudes Normandes, n° 126, Rouen, 1960, p. 80-81.
qu'elle fut une partie du jour à nous répéter : « Mes Soeurs, n'admirerez-vous point la bonté de Notre Seigneur et ne le remercierez-vous point de la grâce qu'il nous a faite d'entendre la sainte messe, non seulement une, mais deux ? Quelle miséricorde ! Nous ne saurions assez lui en rendre action de grâce ». Mais elle nous disait ces paroles d'une manière si touchante que l'on voyait bien qu'elles sortaient du fond de son coeur, qui exprimait ses sentiments de gratitude envers Dieu pour cette grâce reçue de lui. Ceci nous fait connaître sa grande foi et son respect pour les saints mystères qu'elle nous représente, car le reste de la journée elle en demeura comme hors d'elle.
Sur les deux ou trois heures après-midi, il nous arriva une chose bien surprenante et qui nous effraya beaucoup. Comme nous étions sur la côte de Fleury, il passa un pauvre vieil homme qui ne pouvait presque se traîner, qui nous demanda l'aumône. Malheureusement, la bourse des pauvres ne se put trouver ; elle était tombée dans le carrosse, on ne savait où elle était ; il la fallait chercher. Nous lui dîmes d'aller toujours devant nous et que, quand nous aurions passé cette côte, que nous lui donnerions ce qu'il nous demandait, d'autant que s'il ne se retirait promptement qu'il allait être écrasé. Mais ce bon homme était si empressé d'avoir son argent qu'il ne voulait point entendre raison à tout ce que nous lui pûmes dire, si bien qu'il se trouvait si à l'étroit auprès du carrosse qu'il ne put plus marcher et tomba dessous. Quand nous vîmes cela, nous nous mîmes toutes à crier : « Miséricorde ! » et disions au cocher qu'il arrêtât. Mais il n'en faisait rien, croyant que c'était que nous avions peur de tomber parce que la descente de cette côte est fort rude. La chère Mère Hostie [ Hardy ], nonobstant la frayeur où elle était de cet accident, heureusement pour ce pauvre homme, eut l'e.sprit assez présent pour lui prendre la main qu'il tendait pour recevoir la charité, dans le moment qu'elle le vit tomber. Il faut croire qu'elle fut assistée de son saint ange et que ce fut une chose miraculeuse, car elle lui tint toujours la main durant qu'il fut sous le carrosse, ce qui dura bien environ [ le temps ] d'un De profundis, quoique [ le carrosse ] roulât toujours sans s'arrêter, sa main s'étant rendue ployable comme un morceau de linge dont l'on fait ce que l'on veut. Cette bonne Mère le traînait ainsi, et l'on ne voyait que son bras passer. Enfin, à force de crier au cocher que c'était un homme qui allait être écrasé, il prit la bride de ses chevaux et les fit arrêter, car sans cela il ne l'aurait pu faire à cause de cette descente. Et ce pauvre homme se retira dessous ce carrosse sans être blessé, ce qui ne s'est pu faire sans miracle, car humainement il devait être écrasé. Je crois, sans doute, que ce furent les prières de notre digne Mère et de nos autres chères Mères qui lui conservèrent la vie, car nous conjurions le ciel de toutes nos forcés de nous secourir dans cet accident, et nous aurions été inconsolables s'il eût arrivé malheur à cet homme. Notre digne Mère, le voyant donc si heureusement préservé, dit toute en joie : « Dieu soit béni ! Il faut le remercier ; c'est la très sainte Vierge qui l'a conservé », car il était tombé du côté où était son image. Elle nous fit dire le Te Deum en action de grâce. Le reste du jour se passa heureusement.
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Mais devant que de vous conter notre arrivée, souffrez que je vous rapporte le sujet de divertissement que je donnai à nos bonnes Mères. Comme j'étais en religion depuis l'âge d'un an, c'était le premier voyage que je faisais de ma vie et n'ayant jamais rien vu que, comme l'on dit, par le trou d'une bouteille, j'étais étonnée de tout ce que j'apercevais sur le chemin. Mais bien plus le fus-je quand je me vis dans la campagne et passant par les vignes, ce qui me fit leur dire tout naïvement : « Jésus, il faut bien des jardiniers pour arroser tout cela, ils ont bien à faire ». Notre digne Mère rit de tout son coeur de ma simplicité, et nos autres Mères. Mais je leur en donnai encore plus de sujet quand elle nous fit descendre de carrosse pour nous faire promener dans un pré, afin de nous délasser un peu. Là, il se rencontra un berger qui faisait paître une chèvre qui était rousse, s'approchant d'une couleur isabelle. Une de nos Soeurs se douta bien que je n'en avais jamais vu et, comme j'étais un peu éloignée d'elle, de loin tout en riant me dit : « Ma Soeur des Anges, connaissez-vous bien quelle bête c'est là ? ». Je lui répondis, croyant dire merveille : « Voyez comme si je ne sais pas bien que c'est une petite vache ». Ce qui les fit éclater de rire, même jusqu'au berger qui m'entendit. Je vous demande aussi si cela n'était pas bien risible, ne doutant pas que vous n'en fassiez de même dans le rapport que je vous en fais.
Nous entrâmes donc dans la ville de Rouen sur les huit heures et demie du soir. Notre digne Mère alors nous fit réitérer les mêmes prières qu'elle nous avait fait dire ces trois jours de notre voyage en montant en carrosse, priant Notre Seigneur par l'entremise de sa très sainte Mère, de tous les anges et de tous les saints qu'il bénisse notre entrée et nous donne la grâce d'agir en son esprit, pour tâcher de le faire honorer. C'est à quoi [ notre Mère ] nous exhorta beaucoup, et à nous donner à lui pour ce sujet, afin de notre mieux le servir et glorifier dans son oeuvre. L'on ne pouvait entendre cette digne Mère nous parler de Dieu de la manière qu'elle faisait, sans être excité à une nouvelle ferveur, car ses paroles étaient comme des charbons ardents qui allumaient le feu divin dans nos coeurs et qui nous donnaient de nouveaux désirs de nous sacrifier et consommer pour l'honneur de celui que nous adorons.
ARRIVÉE A ROUEN DU SECOND GROUPE DES FONDATRICES : 3 OCTOBRE 1677
Nous arrivâmes vers les neuf heures à notre maison, le dimanche troisième jour d'octobre, fête de Notre-Dame de la Victoire (39). Vous pouvez bien juger quelle bonne réception nos Mères nous firent et la joie qu'elles eurent de voir notre digne Mère dont, depuis près de deux mois, elles s'étaient séparées et dont elles n'avaient pu encore se consoler, ne pouvant s'accoutumer à une si rude privation de sa Révérence.
(39) En action de grâce pour la victoire de Lépante, remportée en 1571 sur les Turcs, saint Pie V institua la fête de Notre-Dame du Rosaire dite aussi de la Victoire.
Elles avaient donc accommodé leur petite maison le plus proprement qu'elles avaient pu pour la bien recevoir et dressé un autel dans le choeur. où elles avaient mis dessus une sainte Vierge en relief avec quantité de cierges allumés, sachant bien qu'elles ne pouvaient mieux la contenter et réjouir qu'en rendant ce petit honneur à la très sainte Mère de Dieu. Elle leur témoigna aussi en être bien satisfaite, et la première chose qu'elle fit en entrant fut d'aller avec nous toutes lui rendre ses respects et hommages avec toute l'affection de son coeur, lui remettant entièrement la maison entre ses bénites mains afin qu'elle en prît soin et la gouvernât comme étant notre sainte abbesse (40). Ensuite, elle alla voir sa chère malade, la Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly ], qui n'était pas encore trop bien, à qui elle fit mille amitiés, l'embrassant avec une tendresse de mère, lui témoignant la joie qu'elle avait de la revoir et de ce que Notre Seigneur l'avait conservée. Elle ne donna pas moins de marques de son affection à la Mère Sous-Prieure [ Anne Loyseau ], la chère Mère de Sainte Mecthilde Cheuret ] et à nos deux chères Soeurs converses [ Anne Monier et Saint Joseph Rondet les embrassant toutes avec autant de bonté et d'amitié.
La Mère Sous-Prieure aussitôt nous fit souper et nous régala de son mieux ; après quoi, notre digne Mère étant un peu reposée, elle lui demanda si elle voulait, pour se divertir, venir voir la maison et comme elle avait approprié toutes choses et si elle en serait contente. A quoi elle s'accorda si bien qu'elle l'amena avec nous toutes faire la visite par toute la maison. Elle la trouva fort bien accommodée, ce dont elle parut être très satisfaite et obligée à la Mère Sous-Prieure de tous ses soins. Mais, comme de toutes choses elle en tire un sujet d'humiliation et d'anéantissement, le lendemain, en nous parlant familièrement, elle nous dit : « Hélas ! depuis hier au soir, je suis bien humiliée et abjecte en moi-même et bien petite devant Notre Seigneur, car il me fait bien voir qu'il n'a pas besoin de moi pour travailler et avancer, son oeuvre, qu'il y en a d'autres qui s'en acquittent mieux que moi et que je ne suis capable de rien. La Mère Sous-Prieure, ayant si bien fait toutes choses et tout mis en si bon ordre, je n'ai plus rien à faire ». Elle nous répéta ces paroles en deux ou trois rencontres, d'une manière si humble et si abaissée qu'elle nous toucha toutes ; nous ne pouvions assez admirer son humilité. C'est ainsi que Notre Seigneur prend plaisir de la tenir quand il veut qu'elle fasse quelque oeuvre nouvelle pour sa gloire. C'est ce qu'ont remarqué celles de nos Mères qui ont eu l'honneur de l'accompagner dans toutes les autres maisons qu'elle a faites. Notre Seigneur la tient dans un abaissement si profond et une si grande vue de son indignité que cela ne se peut concevoir, même en revenant de celle de Nancy, où elle avait reçu tous les honneurs qui se peuvent imaginer de son Altesse le Duc de Lorraine et de toute sa cour (41).
(40) Dès la fondation de son Institut, Mère Mectilde eut la pensée de faire reconnaître dans ses monastères la Sainte Vierge comme supérieure perpétuelle. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et n. 16.
(41) Charles IV, duc de Lorraine. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 267.
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Ce bon Prince l'entretint des heures entières debout, tête à tête, le chapeau bas, dans un respect et confiance qui ne se peuvent dire, par la vénération qu'il avait pour sa grande vertu. Nonobstant, cette digne Mère, après avoir reçu tant d'honneurs, bien éloignée d'en avoir la moindre complaisance, sortit de la ville dans une disposition si humiliée et anéantie que nos Mères en étaient toutes surprises et ne pouvaient assez admirer l'abaissement où Dieu la tenait. Ce même jour, qui était, comme je vous ai dit, le lendemain de son arrivée, ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet ], que vous connaissez agréable et plaisante de son humeur, l'alla trouver à sa chambre et lui dit fort plaisamment : « Je vous assure, ma Mère, que je crains bien que nous ne mourions ici de faim ; je ne sais d'où vient que vous nous y avez fait venir ». Entendant ces paroles, elle la regarda avec sa douceur ordinaire en lui faisant un petit sourire et lui répondit bonnement : « Non. non ma Soeur, vous ne mourrez pas de faim. Il est vrai que cette oeuvre sera bien traversée. L'on sera près de quitter, mais l'on ne quittera pas. Vous vous verrez à la veille de manquer de tout et vous ne manquerez de rien ». « Ma Mère, poursuivit cette bonne Soeur, il faut donc bien mieux nous en aller que d'avoir tant de peine ». « Non, ma Fille, lui dit elle, il faut soutenir et ne pas quitter prise pour cela. Il faut, dis-je, soutenir l'oeuvre de Dieu et être comme de bons soldats, toujours les armes en main contre nos ennemis qui nous feront tout ce qu'il dépendra d'eux pour s'opposer à notre établissement ; mais nous en sortirons victorieuses et ils seront confondus ». Ce qui arriva comme elle l'avait prédit, comme nous allons le faire voir dans la suite de cette histoire.
Le premier jeudi de notre arrivée [ 7 octobre ], comme nos chères Mères virent bien qu'elles ne pouvaient rendre leurs hommages et leurs respects au très Saint Sacrement, comme à l'ordinaire, étant privées de sa présence, l'église n'étant pas encore en état de le pouvoir avoir, elles ne purent, jalouses de l'honorer, passer ce saint jour sans lui rendre quelques devoirs et sans lui donner des preuves de leur bon coeur : elles s'en furent à l'orgue chanter vêpres. Comme il était élevé par un jubé ou tribune et donnait du côté de la rue, ceux qui demeuraient dans les maisons circonvoisines et tous les passants les entendirent ainsi chanter. Tout le monde s'assembla auprès des fenêtres qui sont au bas de notre petite église et entendirent vêpres à genoux. La dévotion de tous en général et celle d'un chacun en particulier fit augmenter celle de notre Mère qui les aperçut par la fenêtre de l'orgue, ce qui lui donna une joie qu'on ne peut exprimer, en voyant ainsi tout le monde qui venait rendre au très Saint Sacrement leurs hommages avant même qu'il y fût.
La Mère Hostie [ Hardy ], fort zelée et industrieuse pour orner les saints autels, prit soin de parer le nôtre et d'y mettre tous les ajustements et les enjolivements qu'elle put et que la petitesse du lieu demandait. Notre digne Mère de son côté s'était chargée de mettre la dernière main à tous les appartements de la maison pour nous loger
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avec commodité. La bonté dont elle usa et le soin qu'elle prit nous firent assez connaître quel intérêt elle prenait à notre conservation et quelle amitié elle avait pour nous. La Mère Sous-Prieure [ Anne Loyseau avait fait bâtir trois chambres de nattes, mais notre digne Mère ne les trouva pas assez chaudes ni assez commodes à cause du vent qui y entrait par des ouvertures. Elle fit faire les autres de bois, ainsi qu'elle les fit faire elle-même, allant avec les ouvriers prendre la mesure. Mais sa charité et son soin allaient jusqu'à nous faire coller des bandes de papier aux endroits où elle apercevait quelques fentes et ouvertures. « Mes pauvres Enfants, disait-elle dans sa douceur et bonté, auront des vents coulis qui leur donneront des fluxions. Je ne veux pas qu'elles souffrent, ni qu'elles soient incommodées du froid ; faisons notre possible pour les bien accommoder ». Elle passa ainsi le mois d'octobre à faire tous ces petits ajustements qu'elle voulait dans la maison. La Mère Sous-Prieure ayant fait le principal, chacune de nous aidions aussi de notre mieux à faire ce que nous pouvions. Nous fûmes donc ce mois sans faire les fonctions régulières de la religion. la maison n'étant pas en état pour cela, ni même de dire l'office divin. Notre digne Mère seulement de fois à autres nous faisait dire quelques offices, en passant, pour nous apprendre à bien psalmodier, elle-même nous faisant faire les pauses et les accents, nous témoignant avoir un grand désir que l'office divin fût bien dit, comme l'action la plus sainte de la religion et qui devait nous apporter le plus de grâces et en attirer aux séculiers, les excitant à la dévotion. Elle nous instruisit durant ce temps de tout ce que nous avions à faire pour bien commencer cette Maison et y établir-le bien, la vertu et la régularité ; c'était ce dont elle nous faisait l'honneur de nous entretenir quand elle n'était point occupée à autres choses pour la maison. La Mère Hostie [ Hardy ], un jour, dans un semblable entretien, lui parlant de la manière dont Dieu avait conduit toutes les affaires de cette Maison, lui demanda, s'il l'anéantissait et la renversait, si elle n'en serait pas beaucoup touchée. « Non, lui dit-elle, c'est Dieu qui la veut et qui l'a voulue. S'il ne la voulait plus, j'en serais contente. Il l'a faite, il la défera quand il lui plaira ; il en est le Maître et je ne crois pas, avec la miséricorde de Notre Seigneur, qu'il m'en vînt une idée ou deux et, quand j'en sortirai, il ne m'en viendra pas une pensée ». Cette bonne Mère lui répondit : « Mais, ma Mère, vous paraissez avoir tant d'ardeur pour faire toutes choses comme il faut qu'il semble à vous voir agir, que vous n'avez d'affection que pour cette Maison ». Elle lui repartit : « Oui, ma Saur, il est vrai que je m'y donne pour y travailler autant que Dieu le demande de moi, mais, quand je n'y serai plus, je n'y penserai plus et, que je m'en aille à une autre, vous me verrez agir de la même manière. Je vous puis dire en sincérité, et je vous l'ai déjà dit, que mon esprit y est venu, mais que, pour ma nature, elle y a été traînée ; il n'y a eu que la seule volonté de Dieu qui m'y a fait venir ». En une autre rencontre, nous parlant encore sur le même sujet,
elle nous dit : « Il est vrai que j'entreprends cette oeuvre dans un grand dégagement, ayant toujours la pensée de la mort ; je peux dire que je la ferai dans cet esprit de mort ; je n'ai en vue que mon humiliation et mon anéantissement ».
Le 14 octobre elle nous fit la lecture dans la préface des Constitutions (42). Elle s'arrêta sur ces paroles qui y sont contenues : qu'il n'y a que la sainteté et la pureté du Fils de Dieu qui doivent être au-dessus de celle à laquelle notre profession nous engage, et nous dit ce qui suit :
« Mes Soeurs, faites une sérieuse réflexion sur ce que je viens de vous lire, puisque ce sont vos obligations. Ce ne sont pas des choses que j'ai inventées de ma tête, non, niais c'est ce que Dieu demande de vous et ce qu'il prétend de l'Institut : que toutes les âmes lui soient des sujets de complaisance. Je prie Dieu que les Constitutions soient brûlées et consumées s'il y a quelque chose de moi ; oui, je l'en prie de tout mon coeur. Je vous conjure donc de les pratiquer fidèlement et de vous appliquer aux petites choses qu'elles ordonnent. Je sais bien qu'il faut un peu d'assujettissement, niais Dieu mérite bien cela. Si vous l'aimez, vous vous assujettirez de bon coeur en la vue de son pur amour. Je vous recommande particulièrement le silence ; que l'on n'entende point parler dans la maison et, pour les choses nécessaires, tâchez de les dire tout bas. Si le silence est ici bien gardé, tout le reste ira bien. Quand une fois vous aurez pris cette bonne habitude, vous aurez de la peine à entendre parler haut et ce silence extérieur vous portera à l'intérieur, qui vous mettra dans un calme et une paix très grande, en la vue de Dieu qui vous sera toujours présent. Enfin, mes Soeurs, il faut ici renouveler l'esprit de l'Institut dans la première vigueur qu'il avait au commencement et commencer à être de véritables victimes. L'on dit souvent ces mots de victime et d'hostie, mais je vous prie de ne les pas dire en l'air. Tâchez qu'ils fassent effet dans vos coeurs et que vous considériez à quoi ils vous obligent. Notre Seigneur vous a envoyées ici pour vous renouveler, et moi aussi, qui n'ai pas encore commencé à prendre l'esprit de l'Institut. Aussi je prétends que cette Maison se fasse pour réparer toutes les fautes que j'y ai commises et les mauvais exemples que j'ai donnés, mettant obstacle à vos saintetés. Si nous sommes fidèles, Dieu comblera de grâces cette Maison, car, dans les nouveaux établissements, il y en a toujours de très grandes, et il n'y en aura pas une de nous autres, mes Soeurs, si elle le veut, qui n'en fasse l'expérience et qui ne reçoive quelque chose de particulier. J'espère que Notre Seigneur me mettra dans l'esprit les premières pensées qu'il m'a données au commencement de l'Institut, afin que nous remplissions ses desseins et que cette Maison lui soit un sujet de complaisance, que les âmes y
(42) Une première rédaction fut approuvée en 1664 par le cardinal Chigi, légat a latere en France. Le cardinal de Vendôme, lui aussi légat a latere, donna son approbation en 1668. Enfin, le 10 décembre 1676, le pape Innocent XI apposait le sceau du Saint-Siège sur ces textes et sur le projet d'union en congrégation des monastères existants ou à venir, selon notre observance, fondant par là l'Institut des bénédictines de l'Adoration perpétuelle. Le texte cité ici se trouve au premier paragraphe de la préface des Constitutions, ainsi que dans C. de Bar, Documents, 1973, p. 124.
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vivent dans la pureté et le dégagement qu'il demande d'elles. Je l'en supplie bien. Il m'en a fait ressouvenir de quelques-unes [ de ces pensées ] à la sainte communion ; je vous les dirai de temps en temps quand je m'en ressouviendrai ». Et poursuivant, elle nous dit agréablement : « J'ai toujours été distraite, toute cette matinée, même à la sainte communion, au sujet de l'Institut. Je n'ai pu avoir d'autres pensées ; j'ai bien demandé à Notre Seigneur qu'il vous en donne le véritable esprit. Enfin je n'ai plus d'autres occupations que l'Institut et toujours l'Institut. J'entends, je ne sais si je me trompe, que la très sainte Mère de Dieu fera quelques grâces à cette Maison. Je crois qu'elle en a pris un soin particulier et qu'elle sera sous sa protection spéciale. Je ne sais pas encore ce que c'est, mais pourtant j'espère quelque chose de sa bonté ».
Le jour de saint Luc [ 18 octobre ], étant à la récréation, elle nous dit encore dans son agrément : « Depuis quelque temps, j'aime bien les saints ». Je crois que jamais elle ne les avait haïs, car l'on dit ordinairement que l'on aime ses semblables. Elle continua : « Aussi me suis-je persuadée qu'ils nous feraient quelques grâces pour cette Maison. Je n'ai pas été trompée, car nous aurons le très Saint Sacrement le jour de leur fête ; ils nous l'apporteront et l'adoreront avec nous. Vous savez que cette fête est particulièrement la fête de la sainteté de Dieu, et Notre Seigneur, en venant demeurer chez nous par le très Saint Sacrement, lui qui est la sainteté par essence, nous en fera participantes en nous la communiquant par son infime bonté. Il faut prier les saints qu'ils nous obtiennent les grâces dont nous avons besoin pour nous disposer à recevoir Notre Seigneur, dans le respect et dans l'amour que nous lui devons ».
Ayant donc résolu que le saint jour de la Toussaint nous aurions le bonheur de posséder le très Saint Sacrement, dont nous étions privées depuis que nous étions ici, ce qui nous était une rude mortification, car il me semble que les Filles du Saint Sacrement ne peuvent guère vivre sans cet aimable et adorable objet qui fait tout l'amour de leur coeur et que c'est bien véritablement leur arracher le coeur que de les en priver, et de les faire désister de l'adoration qu'elles lui doivent rendre jour et nuit, qui fait toute leur joie et contentement, notre digne Mère, voyant donc que toutes choses étaient en état de pouvoir commencer l'adoration perpétuelle, écrivit à Paris pour faire venir encore les Mères de Sainte Gertrude (43), Sainte Magdelaine (44), Sainte Thérèse (45) et Soeur Benoîte de la Passion (46), novice que l'on avait reçue pour cette nouvelle Maison. Elles partirent donc aussitôt qu'elles en eurent reçu l'ordre de notre digne Mère, accompagnées d'une dame de nos bienfaitrices de Paris, qui avait encore sa demoiselle avec elle et Mademoiselle Nivers, que notre digne Mère avait mandée aussi pour qu'elle chantât à l'orgue, afin de rendre la cérémome de l'exposition du Saint Sacrement plus solennelle. La cérémome se devait faire le
(43) Madeleine Petau de Molette ou de Molé (Soeur Marie de Sainte Gertrude), « native de Molé, paroisse de Houdan au diocèse de Chartres, fille de Gédéon Petaut, seigneur de Molé, et de Catherine de Brosse, en 1634... ». « ... Elle a dit que, depuis sa conversion à la religion catholique, apostolique et romaine, et l'abjuration de l'hérésie calvinienne en laquelle elle est née, qu'elle fit il y a environ 4 ans en la rue de Sainte Avoye, en la maison dite de la propagation de la foy, elle s'est déterminée d'être religieuse, non pour autre fin que pour bien servir Dieu le reste de sa vie » (Examen pour la prise d'habit, 27 janvier 1657, par le P. Boulongue, délégué par le R.P. Prieur de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Dom Audebert; reçue à la profession le 20 août 1659 par Pierre Meliand, prêtre. Arch. Nat. L 763 - 43).
Elle resta peu de temps à la fondation de Rouen, deux années au plus et retourna en son monastère de la rue Cassette. En 1687, elle fit partie du premier groupe des moniales appelées à fonder un monastère de notre Institut à Varsovie.
(44) Marguerite-Marie des Champs, fille de François des Champs, receveur des tailles à Pont-l'Evêque, et de ... Bicherre, naquit vers 1640 à Pont-l'Evêque, alors au diocèse de Rouen. Elle prit l'habit en janvier 1661 et fit profession en novembre 1662. D'après le «livre des Comptes » du monastère de la rue Cassette, sa dot fut payée en partie par ses parents et en partie par Madame de Lesseville (Examen pour la profession, par le P. Paul Le Terrier, chanoine régulier de la réforme de l'ordre de Prémontré, abbé nommé par le Roy de l'abbaye de la Grâce-Dieu, 8 janvier 1663). Arch. Nat. LL 1709, Livre des examens pour les vêtures et professions.
(45) Françoise du Tiercent de Ruellan naquit en Bretagne en 1647. Elle avait pour père un maître des requêtes au Parlement de Paris. Sa famille était alliée aux Saint-Simon, Richelieu et Aiguillon. Orpheline de mère à sa naissance, elle fut élevée par son père et sa grand-mère, qui la mirent en pension chez les Ursulines à Paris, à l'âge de onze ans. Elle chercha d'abord à s'engager chez les Filles de la Croix, au service des pauvres. Mais, sommée de rejoindre la maison paternelle, elle vécut dans une profonde, mais charitable solitude. Mise en rapport avec Mère Mectilde, elle lui demanda de la recevoir comme Soeur converse. Reconnaissant la valeur de cette âme, Mère Mectilde la prit elle-même sous sa direction, obtint le consentement paternel, et Françoise du Tiercent fit profession en septembre 1673. Elle offrit à cette occasion 20.000 livres pour la fondation d'un monastère. Celui de Rouen en bénéficia, mais 1.000 livres furent allouées au monastère de la rue Cassette pour construire une chapelle dans l'église de ce couvent. Elle fut nommée à la direction du pensionnat. Elle désirait beaucoup quitter Paris où elle avait trop d'amis. Partie avec le second groupe des fondatrices de Rouen, elle sera maîtresse des novices durant quatre ans, puis prieure. Elle mourut le 10 janvier 1716. L'inhumation fut faite par le P. Pomier, prieur de Saint-Ouen. Elle avait accompli 35 ans de priorat, dont les premières années avaient été particulièrement difficiles. Elle avait reçu-la profession de trente-neuf moniales.
(46) Madeleine G randery. Elle prit l'habit le 7 juin 1675, à 24 ans, au monastère de la rue Cassette et fit profession le 9 juin 1676. La préparation à la profession perpétuelle se faisant, selon la législation canonique en vigueur, pendant une année seulement, la jeune professe demeurait au noviciat au moins un an ou deux après sa profession.
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jeudi en suivant la fête de la Toussaint. M. son mari (47) se rendit aussi ici quelques jours avant pour le même sujet, pour toucher l'orgue. Ne connaissant pas encore les organistes de cette ville, notre digne Mère voulut bien se servir de lui préférablement aux autres, comme étant celui de notre Maison de Paris, et lui en faire la civilité, car elle lui en donna bonne récompense aussi bien qu'à mademoiselle sa femme, à qui elle fit un honnête présent, quoique le temps qu'ils furent ici, elle les logeât et nourrît très bien ; et encore après, elle leur fit des remerciements et des civilités, comme si elle leur eût été bien obligée. Mais vous savez quel est son bon et grand coeur, et il n'en faut pas être surprise, joint au respect qu'elle a pour le très Saint Sacrement, pourvu qu'elle le fasse honorer, elle ne se soucie point ce qu'il lui en coûte.
ARRIVÉE DU TROISIÈME GROUPE DES FONDATRICES : LUNDI 25 OCTOBRE 1677
Nos chères Mères arrivèrent donc ici huit jours avant la Toussaint, si bien qu'elles eurent le temps de se reposer devant que de prendre les observances de la religion, que l'on commença à suivre exactement le jour de cette fête et à dire l'office divin, qui n'ont point cessé ni l'un ni l'autre, non plus que l'adoration perpétuelle, depuis ce jour. Notre très digne Mère les reçut avec sa bonté ordinaire et cordialité, et leur fit mille amitiés. Elle voulut elle-même leur faire voir la maison, les conduisant dans tous les endroits et leur demandant bonnement leur sentiment, si elles étaient contentes comme toutes les choses étaient
(47) Guillaume Nivers (1632-1714) naquit probablement à Paris. Il fit ses études à l'Université de Paris, où un registre mentionne son nom (Bibi. Nat. ms. lat. 9155, fol. 25 Vo). Il entra à l'église Saint-Sulpice comme organiste en 1651 et y resta jusqu'à sa mort. Le 22 septembre 1668, il épousa Anne Esnault ; assistaient au contrat : Messire Anthoine Ragnier de Poussé, docteur en Sorbonne et curé de Saint-Sulpice ; très Haut et très puissant seigneur Messire Louis Charles d'Albert, duc de Luynes, et Nicolas Le Bégue, « ce qui montre une grande intimité avec cet organiste ». En 1678, Nivers est nommé organiste du roi et, en 1681, remplace Du Mont comme maître de musique de la reine. En 1686, il est attaché à la maison royale de Saint-Cyr. Depuis 1710, il était assisté par Nicolas Clérambault. Madame Nivers est décédée dans les premiers mois de 1688. Elle laissait un fils unique, Gabriel-Joseph, mort très jeune.
En 1690, il achèta au Conseil de fabrique de Saint-Sulpice une maison rue Férou, où il habita jusqu'à sa mort, le 30 novembre 1714. Dans son testament déposé chez Maître Valet, notaire à Paris (Arch. Nat., min. cent., XI, liasse 427), il demande à être enterré dans l'église des religieuses du Saint-Sacrement, dans la chapelle de Saint Benoit, où son épouse avait déjà été inhumée. Il supplie lesdites
religieuses de « m'assister de leurs prières, chants et dévotions, ne doutant pas qu'elles auront la
même charité pour moy estant mort, qu'elles ont toujours eu de mon vivant... ». Il abandonna aux « dites religieuses 1.500 livres qu'elles lui devaient » et demanda qu'il soit dit mille messes pour le repos de son âme dans les jours qui suivront son décès. (Cf. Arch. Nat. Y. 13200).
Son genre musical était particulier et résultait de son contact d'une part avec l'Ecole française d'orgue et de clavecin et, d'autre part de sa pratique courante et de son amour enthousiaste pour le plain-chant, ce qui n'était pas commun à l'époque.
Guillaume Nivers, qui a ajouté à son prénom celui de Gabriel en souvenir de son fils, a écrit beaucoup d'ouvrages, de manuels de chant grégorien et de musique.
Nos archives font mention d'une « soeur donnée » dont la pension est régulièrement payée par le Sieur Nivers, puis par ses héritiers. Cette religieuse se nomme Madeleine Aubert. Elle vit dans le monastère, est tenue a une certaine soumission vis-à-vis de la prieure et doit chanter au choeur selon l'ordre établi, mais sous la « direction de son maître Nivers ».
accommodées et si elles les trouvaient bien. Je vous donne à penser si nos chères Mères n'étaient pas bien satisfaites aussi bien que confuses de sa grande bonté. « Non est inventa » ; jamais il n'y aura sa pareille au monde. Heureuses et très heureuses celles qui ont l'honneur de la voir et posséder ! Hélas ! qu'il y en aura un jour qui désireront d'avoir eu ce bonheur que nous avons à présent, et qui en seront privées ! Tâchons d'en profiter, afin d'obliger Dieu à nous la conserver.
Quelques jours avant la Toussaint, elle entra dans le choeur où elle croyait qu'il n'y avait personne et se mit dans un petit coin derrière une tapisserie. Ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet qui y était, l'entendit faire ses gémissements à la très sainte Mère de Dieu. Elle lui parlait tout haut, la conjurant par les entrailles de sa miséricorde qu'elle prît soin de la Maison, qu'elle donnât aux religieuses le véritable esprit de l'Institut afin que toutes fussent des sujets de complaisance à son Fils et qu'il fût glorifié en elles par leur anéantissement et leur profonde petitesse. Cette bonne Soeur nous dit fort plaisamment « Elle lui en conta bien et de toutes façons : il ne tiendra pas à elle que nous ne soyons bonnes, car elle le lui demanda avec de grandes instances ».
La veille de Tous les Saints, qui était cette année le dimanche, nos chères Mères commencèrent à solenniser leur fête en chantant les premières vêpres avec toute la joie et la ferveur possible. Notre digne Mère voulut elle-même parer et accommoder l'autel de l'église où devait reposer le très Saint Sacrement. Elle y fut jusqu'à onze heures du soir, encore nous eûmes bien de la peine à l'en faire sortir. Elle était enflammée comme un chérubin, et dans une si grande joie qu'elle ne pouvait s'empêcher de la faire paraître. Elle était toute transportée. Il semblait qu'elle ne tenait point sur terre, dans la pensée qui l'occupait que l'objet de son amour, je veux [ dire ] Jésus Christ Notre Seigneur devait faire son entrée dans sa Maison. Le lendemain, jour de la fête de Tous les Saints, elle disait, comme toute en admiration : « Quelle bonté inconcevable de Notre Seigneur, de vouloir bien venir demeurer avec nous ! O le grand jour que demain, la grande fête pour nous ! Qu'on apporte tout ce qu'il y a de plus beau et de plus magnifique, afin que j'en pare l'autel. Je m'étonne bien comme on n'apporte pas de toutes parts tout ce qu'il y a de plus riche et de plus rare pour mettre à l'autel. Quoi ! Quand les rois font leur entrée dans leurs villes et royaumes, l'on fait toutes sortes de magnificences pour les recevoir ! Hé quoi ! mon Dieu viendra se loger parmi de pauvres petites misérables, et chétives créatures, et l'on n'y pensera pas ! Cela est surprenant. Je ne peux souffrir et ne saurais assez m'étonner comme ces messieurs les jansénistes ne veulent point que l'on pare et que l'on orne les autels, vu que Dieu même a témoigné le désirer, puisque nous voyons, dans le temple que Dieu fit bâtir par Salomon, qu'il s'appliqua à lui dire tout ce qu'il y devait mettre, jusqu'à une urne, enfin à la moindre chose ». Elle disait ces paroles d'une manière si touchante et amoureuse qu'elle
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exprimait bien les sentiments de son bon coeur. Monsieur notre ecclésiastique (48) lui dit qu'il fallait qu'elle mît le premier corporal dans le tabernacle, pour mettre le saint ciboire. Elle lui fit réponse qu'elle en était indigne et que ce n'était pas à elle à avoir cet honneur, mais à lui 'qui était prêtre. Ce monsieur ne laissa pas pourtant de persister à l'en prier. A force donc de raisons qu'il lui dit, elle accorda à sa demande, il lui alla quérir et lui donna ; quand elle vint pour ouvrir le tabernacle, elle eut une si grande vue de son indignité qu'elle ne put s'y résoudre, disant toujours à ce monsieur qu'elle en était indigne, que cela ne lui appartenait pas, si bien qu'elle se retira et jamais il ne put le lui faire mettre.
Le lendemain matin après que nous eûmes fait l'oraison et dit prime et tierce selon notre ordre ordinaire, M. Mallet, grand vicaire de Monsieur l'Archevêque et notre supérieur (49), commença la messe de la communauté et consacra les saintes hosties dans le saint ciboire que l'on avait préparé. Il le renferma dans le tabernacle après nous avoir toutes communiées, et nous mit en possession de notre adorable trésor, Jésus Christ Notre Seigneur, qui sans doute opéra dans nos âmes la joie que vous pouvez bien penser, mais que je ne peux vous exprimer, de sa présence réelle dans ce divin mystère qui fait notre application continuelle. Je me persuade que dans ce moment il combla nos bonnes Mères et Soeurs de grâces et de faveurs singulières et que, dans le même temps qu'il fut mis dans le tabernacle, il se renferma doublement dans leurs coeurs où il venait d'entrer par la sacrée communion, pour en prendre une nouvelle possession et en faire le lieu de son repos et de sa demeure. Comme quelques personnes de qualité et de nos amies que nos Mères avaient averties que ce jour nous aurions le très Saint Sacrement, se
(48) Nos archives n'indiquent nulle part le nom de ce prêtre. Cependant, un abbé, nommé Le Marié, signe les actes de vêture et profession dès le mois d'avril 1679. Il fut un bienfaiteur de notre monastère. Le dernier don relevé dans nos annales porte la date de 1699 et mentionne : une contretable de la chapelle de saint Joseph et la balustrade de l'autel de la sainte Vierge. On note en plusieurs endroits des dons faits à la sacristie. soit par lui-même, soit par sa mère.
Un autre prêtre de Rouen s'est intéressé à notre fondation c'est M. Henri Cavelier, Docteur de la faculté de Paris, curé de Sainte-Croix-des-Pelletiers, rue Sainte-Croix-des-Pelletiers à 100 mètres au nord du Vieux-Marché, aumônier de S.A.R. Madame. Il est dit curé en 1668. Il sera remplacé en 1689 par Claude Dufour. Il a contribué à l'embellissement de son église (renseignement aimablement communiqué par M. L'abbé Fouré) et 2eme partie, lettre du 1er mars 1678.
(49) Monsieur Charles Mallet, docteur en théologie de la maison de Sorbonne, compagnon d'études de François II de Harlay de Champvalon, qui en fit son grand vicaire lorsqu'il fut nommé archevêque de Rouen. Son successeur, Rouxel de Médavy, le continua dans sa charge jusqu'à sa mort, le 20 août 1680. Il fut supérieur de plusieurs maisons de religieuses et a laissé le souvenir d'un canoniste rigide et très craint, ennemi acharné du jansénisme. Il eut à ce sujet de graves querelles avec le chapitre de la cathédrale de Rouen, ayant accusé les chanoines près de l'archevêque et du premier président du Parlement. Monsieur de Fieux semble avoir joué un rôle de conciliateur. Charles Mallet fut l'auteur des livres suivants : Examen de quelques passages de la traduction française du Nouveau Testament imprimé à Mons, Rouen, Lallemant, 1676 (et Viret, 1682), in 12° ; A la lecture de l'Ecriture Sainte en langue vante : A la lecture de l'Ecriture Sainte, contre les paradoxes extravagants et impies de M. Mallet dans son livre intitulé : De l'Ecriture Sainte en langue vulgaire, par Antoine Arnauld, Anvers, 1680, in 8°. Cf. Fallue, Histoire du diocèse de Rouen, p. 197 - 212 ; Edouard Frère, Manuel du Bibliographe normand, 1860, t. II, p. 271 ; Arch. Dép. Seine-Maritt-Me, série G, n° III, introduction ; Dom Toustain et Dom Tassin, Histoire de l'abbaïe de St Vandrille, Abbaye de Saint-Wandrille, 1936, p. 178.
trouvèrent à la sainte Messe pour l'adorer avec nous, et étant entourées de voisins, l'on ne fut pas longtemps à le savoir dans la ville ; si bien que, dès la matinée, notre église fut remplie de monde, aussi bien que le reste du jour, qui assistèrent au divin service qui fut fait, bien solennellement. Nos bonnes Mères chantèrent comme des anges.
Ce même jour, l'après-midi, nous reçûmes une Fille (50), pour la première qui postulait depuis l'arrivée de notre très digne Mère et qui, ayant de bonnes qualités, nous donna lieu de croire qu'elle serait une bonne religieuse, comme elle est à présent.
Ce même après-dîner, étant avec notre très digne Mère et l'ayant vue le jour de devant dans une si grande joie dans l'attente de la possession
du très Saint Sacrement, qui fait en ce monde toute sa consolation et
l'objet unique de son amour, nous crûmes, puisqu'elle le possédait, qu'il n'était pas venu sans la combler de nouvelles miséricordes. Nous lui
demandâmes simplement ce qu'elle avait eu, que nous croyions que
Notre Seigneur lui en avait bien dit. Elle nous répondit : « Hélas comme à vous autres. Je n'ai rien du tout trouvé. J'ai voulu seulement
offrir l'oeuvre à Notre Seigneur, mais j'ai trouvé tout fait par les mains
de la très sainte Vierge, si bien que je n'ai eu rien autre chose à faire qu'à adorer et à adhérer à tout ce que la très sainte Mère de Dieu
faisait ». Le soir qu'on lui en parla encore, elle dit à quelques-unes de
nos Mères à peu près les mêmes choses, mais en d'autres termes : « J'ai voulu, leur dit-elle, seulement recommander cette oeuvre et cette
Maison à Notre Seigneur, le priant de la bénir, afin qu'il en puisse tirer
de la gloire, mais la très sainte Vierge m'a dit que tout cela était fait, que je n'avais que faire de m'en mettre en peine. Je voulais aussi cher-
cher quelques saints pour protecteurs de la Maison, leur demander leur
protection et leur secours, mais la très sainte Vierge m'a encore dit que je ne m'en misse point en peine, que tout cela était fait ; les saints sont venus devant qui ont tout pris. Comme j'ai vu cela, je suis demeurée
dans mon néant et me suis anéantie en la présence de Notre Seigneur,
voyant que je n'étais pas digne de travailler à son oeuvre, que sa bonté ferait toutes choses ». Là-dessus, une de nos Mères et moi lui dîmes :
« Ma Mère, nous croyons que vous êtes bien abaissée et petite devant Notre Seigneur ». « Oui, nous répondit-elle, vous dites vrai. Je suis si petite et si petite que vous ne sauriez imaginer comme je la suis » [ sic ].
Le mercredi en suivant, troisième [ jour ] de novembre, veille que l'on devait exposer le très Saint Sacrement pour la première fois, elle fut
trouver l'après-midi notre chère Mère sacristine et lui dit avec ardeur : « Ma Soeur, l'église est toute pleine d'anges ». « Quoi, ma Mère, lui répondit-elle, des anges ? Et où les faut-il mettre ? ». Elle croyait qu'elle en avait fait faire de sculpture pour mettre à l'autel. « Comment, ma
(50) Anne Morin. Elle prit l'hàbit le 23 janvier 1678, fit profession le 23 avril 1681 et mourut le 4 fevrier 1712.
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Sœur, reprit-elle, je vous dis les anges du paradis. Ils y sont plus épais que les atomes. Ce matin, entrant au choeur, comme j'adorais Dieu, il m'a été dit (je ne sais comme cela m'est tombé dans l'esprit) : « Tu cherches le paradis ? Il est ici, puisque j'y suis avec tous mes anges et tous mes saints qui m'y adorent ». Ces paroles m'ont pénétrée si fort que je ne savais plus dans quelle posture me mettre. J'y suis demeurée toute abîmée dans le respect ».
Tout le reste du jour, elle demeura comme hors d'elle. L'on voyait bien qu'elle ne se possédait pas. Elle voulut encore parer et orner l'autel ; elle y fut jusqu'à près de minuit. De temps en temps elle se mettait à genoux sur le petit banc proche le balustre, pour adorer le très Saint Sacrement. Notre chère Mère sacristine la voyant dans un si grand respect et application intérieure, s'approcha d'elle et lui dit : « Ma Mère, y sont-ils encore ? ». « Oui, ma Soeur », lui répondit-elle pour la seconde fois. « Ils y sont plus épais que les atomes. Ah ! si nous avions de la foi, nous serions ici abîmées de respect devant la grandeur et majesté de Dieu ». Elle lui dit ces paroles d'une manière si touchante qui lui donna à connaître qu'elle avait reçu une impression particulière de la divine présence de Jésus Christ dans le très Saint Sacrement, dont elle était toute pénétrée. Elle aurait bien voulu que tout le monde fût comme elle, si bien que, quoique l'on fût fort occupé même pour accommoder l'église, y ayant des ouvriers qui y travaillaient, que la nécessité obligeait de parler, elle ne le savait souffrir et en avait une grande peine.
FONDATION DU MONASTÈRE : 4 NOVEMBRE 1677
Le lendemain donc, qui était jeudi quatrième de novembre, l'on exposa le très Saint Sacrement pour la première fois avec toute la solennité possible. L'on peut juger que notre digne Mère n'omit rien pour rendre ce jour auguste, aussi bien que les suivants, car elle fit faire les prières des quarante heures, si bien que nous eûmes encore l'exposition du Saint Sacrement le vendredi et le samedi.
Ce fut M. Mallet, notre supérieur qui officia le premier jour, et deux autres personnes de qualité les autres jours en suivant. Chaque jour il y eut sermon par de très habiles prédicateurs. M. et Melle Nivers firent des merveilles, l'un par son orgue, l'autre par sa belle voix, aussi bien que nos bonnes Mères qui chantèrent tous les trois jours angéliquement, si bien qu'elles enlevaient le coeur des assistants, qui étaient aussi excités à dévotion que ravis de les entendre. Bien des personnes du monde ont avoué plusieurs fois qu'elles trouvaient quelque chose dans notre église de si particulier qui les élevait à Dieu qu'elles ne ressentaient point dans les autres églises, qu'aussitôt qu'elles y entraient elles y trouvaient tant d'onction que cela les mettait en dévotion. Il est a croire par là que Notre Seigneur les voulait attirer à le venir adorer. C'est ce qu'ils faisaient avec empressement, car c'était à qui serait le premier à notre église pour y avoir place, à cause de sa petitesse. Mais ce qui nous toucha toutes, c'est que comme nous avions fait avertir dans la ville par des billets qu'on avait fait afficher par toutes les rues, et même l'ayant fait publier dans les églises, le dimanche au prône, que nous commencerions ce jour la première exposition du très Saint Sacrement et que l'on ferait les prières des quarante heures, des personnes zélées pour le très Saint Sacrement, pour témoigner la joie qu'elles avaient de notre établissement, firent venir les tambours et les violons de la ville sans nous en avertir, si bien que, dans le moment que la sainte hostie fut mise dans le soleil [ l'ostensoir I et que le prêtre eut entonné le Tantuin ergo, ils se mirent tous à jouer durant que nous le chantions. Il est vrai que cela nous surprit, autant que cela nous réjouit, de voir la piété de ces personnes qui nous secondaient pour faire honorer le très Saint Sacrement. Notre digne Mère en fut si contente qu'elle leur envoya dire de revenir au salut, ce qu'ils firent, et jouèrent pendant tout le salut. Elle les récompensa bien, leur faisant donner une bonne pièce d'argent.
Mais il ne faut pas que j'omette à vous dire une particularité qui me paraît fort agréable et qui sans doute vous divertira. Notre digne Mère, -qui avait fait parer l'autel et l'église aussi bien qu'elle pouvait être, voulut aussi que tout le reste allât de même par le nombre des ministres à l'autel, à la sainte Messe et au salut, si bien qu'elle avait fait prier quatre clercs de s'y rendre, pour tenir chacun un flambeau aux pieds du Saint Sacrement. Comme je crois que cela ne s'était pas encore vu pratiquer en aucune église de cette ville, dans le moment qu'ils entrèrent dans le sanctuaire avec ces flambeaux allumés, il s'éleva plusieurs voix (apparemment c'étaient de pauvres gens qui en furent surpris) qui se mirent à crier : « O les bonnes serviteuses de Dieu ! Voilà qui est bien cela. C'est ainsi qu'il faut servir Dieu ». Ce qui fit bien rire toutes les personnes qui les entendirent si bien parler.
Notre Seigneur fit la grâce à là Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly qui avait été si mal jusqu'alors, de pouvoir être en état d'assister à l'exposition du très Saint Sacrement et même il lui donna le courage et la force d'entendre tout le service divin, dont elle eut bien de la joie, l'ayant toujours désiré.
Il ne faut pas demander si notre digne Mère était en jubilation ces saints jours et si elle n'avait pas bien du contentement de voir les nouveaux hommages et respects que l'on rendait au très Saint Sacrement dans notre église, où tout le monde s'empressait de venir pour l'adorer, autant par la curiosité et la nouveauté qui les y portaient (à ce que nous avons cru) que par dévotion, si bien que, durant l'espace de quinze jours ou trois semaines, notre église, tant les jours ouvriers que les fêtes, ne désemplissait pas. Quand les uns en sortaient, les autres y rentraient à foule.
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Mais disons à présent un petit mot des intentions particulières qu'eut notre digne Mère durant ces prières des quarante heures. Vous savez quelle est sa piété, qui lui donne des pensées toujours nouvelles pour honorer Dieu. Le vendredi après-midi [ 5 novembre ], m'étant trouvée par rencontre à sa chambre avec une de nos Mères qui lui parlait, elle nous dit qu'elle avait destiné ces trois jours pour des intentions particulières : « Premièrement, nous dit-elle, la journée d'hier fut employée pour adorer la très Sainte Trinité et rendre nos hommages à Jésus Christ par Elle, lui offrant cette oeuvre pour sa gloire. Aujourd'hui, c'est pour la très sainte Mère de Dieu. Je me suis appliquée particulièrement à l'honorer, ayant prié l'adorable Trinité de suppléer à tous les devoirs que nous lui devons, et j'ai mis cette oeuvre entre ses bénites mains. Demain, ce sera pour tous les saints, pour leur demander leur protection, afin que Dieu tire sa gloire de cette Maison et qu'il en soit honoré ; nous les remercierons aussi de toutes les assistances qu'ils nous ont rendues ».
Je lui dis : « Ma Mère, Notre Seigneur vous a bien donné dans ces jours ; il s'est bien communiqué à vous et fait des faveurs ; vous avez eu de belles lumières à ce que je crois ». Elle me répondit bonnement, dans une candeur et simplicité de coeur : « Je ne mérite pas ces grâces ; je ne suis qu'une misérable, mais, quoique je sois très pauvre, je n'ai pas sujet de me plaindre ; je me contente de ma pauvreté et il me suffit que mon Dieu soit tout. Ma joie est de n'être rien et de ne pouvoir rien. Hier tout le jour, je fus occupée de ces paroles de saint François [ d'Assise ] : Mon Dieu, mon tout. Je voyais la misère de la créature et son incapacité à honorer Dieu. En même temps, j'envisageais Jésus Christ au très Saint Sacrement, qui est son supplément, qui rend à son divin Père et à lui-même tout ce qu'il mérite d'adorations, d'hommages, de respects, de louanges et le reste. C'est pourquoi il n'y a qu'à s'unir à lui et demeurer anéantie à ses pieds, nous voyant comme des riens en la présence de celui qui est tout. Oh ! il est vrai, poursuivit-elle agréablement, que, pour le jour de la Toussaint, je fus bien prise, car je voulus faire quelque chose auprès de Notre Seigneur, mais je ne trouvai plus rien du tout. Les saints avaient tout pris, qui avaient tout porté à la très sainte Mère de Dieu, et cette aimable Mère avait tout donné à son divin Fils ». Huit ou dix jours après cette solennité, elle jugea qu'il était nécessaire que la Mère Sous-Prieure [ Anne Loyseau ] s'en retournât à Paris avec la chère Mère Hostie [ Hardy ], Mile Nivers et la Soeur tourière de Paris, qu'elle avait amenées, et, nous autres, nous restâmes avec notre très digne Mère. Nous avions une grande joie de pouvoir jouir encore quelque temps de son aimable présence qui, en vérité, nous fut bien aimable par la cordialité et bonté avec laquelle elle agit avec nous durant les quatre mois que nous eûmes le bonheur de la posséder. Mais, comme je prétends de vous en parler en un autre endroit, je n'en dirai rien de plus ici et je commencerai à vous rapporter quelque chose de ce qu'elle nous dit dans le premier chapitre, qu'elle nous fit, le douzième de novembre, où elle nous parla de cette façon, autant que je m'en peux souvenir :
PREMIER CHAPITRE TENU A ROUEN : 12 NOVEMBRE 1677
« Je vous exhorte, mes Soeurs, à vous renouveler dans la fidélité à la grâce de votre vocation, puisqu'étant dans un commencement d'établissement, il y a de nouvelles grâces pour vous. Mais ne vous attendez pas à avoir quelque chose d'extraordinaire et sensible. Non, la grâce des victimes n'est pas là, elle est dans la mort, dans l'anéantissement et la destruction d'elles-mêmes. C'est pourquoi, quand la Providence vous fournira des occasions de mort et de sacrifice, souvenez-vous que ce sont là les grâces qui vous sont présentées pour vous faire travailler à la sainteté que Dieu demande de vous, et ce sont celles-là que Dieu veut vous donner. Nous ne sommes pas venues ici pour paraître et pour éclater, mais pour être tout anéanties et être comme des riens dans l'esprit de tout le monde. Nous devrions nous estimer heureuses, si l'on nous jetait de la boue au nez. Oui, ce serait un grand bonheur pour nous si cela nous arrivait ; mais nous ne sommes pas dignes de cette faveur. Il ne faut rien de nous ici, il faut que nous vivions dans une séparation entière de nous-même et de nos intérêts. Jésus Christ veut prendre la place de ce nous-même, en sorte qu'il veut que ce soit. lui-même en nous qui travaille à son oeuvre. Croiriez-vous qu'il ne veut seulement pas de moi, oui, comme de moi ! Je veux dire qu'il veut que ce soit lui-même qui fasse tout et que je me dépouille tellement de moi-même qu'il n'y ait que lui seul qui agisse. L'on ne m'a donné à connaître autre chose dans ces jours de cérémonies, sinon que Notre Seigneur demande des âmes de cette Maison un abandon et délaissement de tout elles-mêmes entre ses mains pour qu'il fasse d'elles selon son bon plaisir et qu'il les anéantisse en toutes les manières qu'il voudra pour sa gloire et leur sanctification ».
Le jour des saints de l'Ordre, treizième de novembre, elle nous dit, au sortir de son action de grâce de la sainte communion, qu'elle avait eu toute la matinée, devant Notre Seigneur, une distraction sur le sujet de la « bonne âme », qui était qu'elle l'avait regardée comme la Sunamite [ I Rg. 1,1-4 ], qui réchauffait en quelque manière Notre Seigneur des froideurs que les pécheurs lui donnaient sujet d'avoir contre eux, en s'étant offerte pour satisfaire pour eux et ayant porté les peines que leurs péchés méritaient. Cette bonne âme est une grande servante de Dieu de la ville de Coutances (51), dont la plupart du monde ignore
(51) Marie des Vallées, née à Saint-Sauveur-Lend'elin (diocèse de Coutances), le 15 février 1590, mourut à Coutances le 25 février 1656. Cf. Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Paris, 1936, et C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 346.
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la sainteté, la tenant pour une magicienne, parce que Dieu la conduit par une voie fort extraordinaire que les personnes les plus spirituelles ont censurée et n'approuvent pas. Mais comme notre digne Mère connaît sa vertu et son mérite, tant par la communication qu'elle a eue avec elle par lettres, plus que par le rapport que les serviteurs de Dieu qui la fréquentaient lui en ont fait et plus aussi par les lumières que Notre Seigneur lui en a données et par les assistances qu'elle en a reçues depuis sa mort, si bien qu'elle a recours à elle et la prie souvent dans ses besoins et reçoit par son moyen des grâces très grandes, témoin celles qu'elle lui a faites ici, mais qu'elle n'a pas voulu déclarer. Elle eut donc le mouvement en commençant cette Maison de la mettre sous sa protection et de la prier qu'elle en prît soin, ce qu'elle lui promit. Nous avons cru que ç'avait été elle qui nous avait procpré toutes les traverses que nous avons eues, car l'on dit que toutes les âmes qui l'invoquent, elle ne leur obtient de Dieu que des croix et des humiliations, en connaissant le prix et l'excellence, et que ce sont les plus grandes faveurs qu'il puisse faire aux âmes en ce monde, elle-même en ayant été bien comblée, ayant souffert ce qui ne se peut concevoir. Notre digne Mère nous dit qu'elle obtiendrait aux religieuses de cette Maison la grâce du néant, de connaître Dieu en foi et d'être très pauvre intérieurement. Elle ajouta : « Cela n'est guère agréable pour l'amour-propre, qui veut toujours voir et sentir et ne peut souffrir sa destruction ». La veille de la Présentation de la très sainte Mère de Dieu [ 20 novembre 1, qu'elle fit la lecture, elle nous dit que Dieu avait fait toutes choses nouvelles, puisque la Maison l'était ; les sujets mêmes l'étaient, qu'il y avait aussi des grâces toutes nouvelles. Elle nous exhortait à ne les point négliger et laisser perdre, que pour cela nous devions vivre une vie toute nouvelle en quittant quantité de mauvaises habitudes que nous avions pu avoir ailleurs, qui ne devaient point être dans cette Maison, que nous devions vivre ensemble comme des petits enfants, dans une déférence et une entière condescendance, que tout ce que l'une désirera, l'auitre le voulût aussi, que nous ne tendissions partout qu'à contenter et plaire à Dieu. « Tâchez donc, mes Soeurs, nous disait-elle, et je vous en conjure de tout mon coeur, de ménager les grâces qui vous sont présentées. J'ose vous dire que si vous ne le faites, vous serez furieusement responsables devant Dieu. Je vous prie de ne pas manquer demain d'offrir tout l'Institut à la très sainte Mère de Dieu ; que toutes vos communions soient pour la prier que, puisqu'elle en est la maîtresse, la gouvernante et la souveraine, qu'elle le renouvelle, qu'elle le protège et l'assiste en tout et nous donne des sujets selon le coeur de son Fils et qu'elle empêche d'entrer ceux qui y seraient contraires ».
Le lendemain, jour de cette fête de la Présentation [ 21 novembre ], comme nous étions avec elle à la récréation, une de nos Soeurs lui témoigna qu'elle désirerait bien savoir ce que la très sainte Mère de Dieu lui avait dit ce jour-là. Elle lui répondit : qu'elle lui avait fait connaître que son offrande n'était pas la sienne, mais qu'elle avait eu quantité de distractions sur plusieurs choses de l'Institut, et entre autres que Dieu lui avait fait connaître qu'il demandait des Filles du Saint Sacrement une vie si cachée et inconnue aux créatures qu'elles puissent imiter Notre Seigneur, caché sous le voile des espèces sacramentelles où, quand on le reçoit, on ne le voit, ni le sent, si ce n'est pas par quelques petits rayons de foi. « Mais, me direz-vous, poursuivit-elle, s'adressant à nous toutes, que nous n'avons qu'à nous mettre derrière un rideau, que l'on ne nous verra point. Cela ne s'entend point ainsi, mais bien de toutes les productions de l'esprit humain, qui ne cherche qu'à faire paraître tout ce qui le peut faire éclater aux yeux des créatures. Dieu ne nous a amenées ici que pour être cachées. Encore une fois, en, effet, ne le sommes-nous pas ? On n'entend rien ici. Moi-même, je ne sais où je suis ; il me semble que nous pourrions fort bien vivre comme au désert, dans cette Maison.
« Mes Soeurs, quand vous allez au parloir, ne dites que le moins que vous pourrez, sous prétexte de parler à l'avantage de l'Institut. Tenez-vous petites, cachées et tout anéanties. Je me souviens, que ce bon Père Tellier, chartreux (52), quand je vins ici la première fois, me recommanda sur toutes choses d'emmener pour faire cette Maison tout ce que j'avais de meilleur. Nous ne sommes pourtant que de petites gens, pauvres et faibles, mais quand Notre Seigneur choisit des apôtres, il ne prit aussi que de petites gens, pauvres et grossiers, pour commencer l'édifice de son Eglise. C'est pourquoi, ne cherchons qu'à être petites. Pour l'autel, je le voudrais le plus somptueux et magnifique qui se pût, tant en richesse que pour le nombre et le bon ordre des ministres. Je souhaiterais aussi un petit rayon de foi à tous ceux qui viendront adorer ici : c'est le mystère de vérité.
« Dès le commencement de l'Institut, j'ai toujours souhaité de pouvoir faire en sorte qu'on eût un revenu suffisant pour pouvoir n'avoir aucune inquiétude sur ce sujet, en sorte qu'on n'eût point besoin de s'en occuper mais, comme des aigles qui n'eussent qu'à augmenter leur vol, toujours de plus en plus vers Dieu. J'ai dit à Notre Seigneur dès le commencement que je faisais mon marché à ce qu'il me donnât sa parole ou l'effet pour cela. Quelquefois je me plains à lui, et je lui fais mes doléances qu'il ne me donne pas les choses que je souhaiterais, que je lui demande et qui me semblent nécessaires. 11 me ramène bien à mon devoir, me disant : « Si tu n'as ni or ni argent entre les mains, en as-tu manqué dans le besoin ? Ne t'en ai-je pas donné quand il en a fallu ? N'ai-je pas soin de tout ? As-tu manqué encore de quelque chose ? ». Oh ! il est vrai,
(52) A l'époque qui nous intéresse, il y avait un Père Thomas Le Tellier, profès de la chartreuse de Val Dieu (Orne) et Dom Joseph Le Tellier, profès et prieur de la chartreuse de Rouen, puis de celle de Basseville, au diosèse de Nevers.
La chartreuse de Notre Dame de la Rose, fondée en 1384, par Guillaume de Lestranges, archevêque de Rouen, était située au faubourg Saint-Hilaire. Elle fut ume au prieuré de Saint-Julien-les Bruyères, à Quevilly, en 1600. Celui-ci appartenait aux bénédictins du Mont Sainte-Catherine. Les chartreux s'établirent sur l'emplacement de Saint Julien en 1672. On peut penser que c'est Dom Joseph Le Tellier qui a conseillé Mère Mectilde. Cf. Farin. op. cit., t. Il p. 124 - 128. Les Abbayes de France au Moyen Age et en 1947, Paris, Durassié, 1947, p. 194.
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et je le disais ces jours passés à une de nos Soeurs qui a vu la Maison de Paris dans son commencement, qu'elle eût à me dire si jamais elle avait manqué de quelque chose et si la Providence n'avait pas pourvu à tout ? Vous n'avez pas, je vous l'avoue, un revenu de soixante ou quatre-vingt mille livres de rentes. Mais, enfin, vous avez assez pour vivre honnêtement, et vous autres, mes Soeurs qui êtes ici, pouvez-vous me dire que quelque chose vous ait manqué ? La Mère Sous-Prieure Loyseau, qui n'est pas trop crédule, à moins qu'elle ne voie elle ne croit pas, a été surprise sur ce sujet et toute en admiration ayant vu ce qui se passait. Là-dessus j'aurais bien des choses à dire, mais il n'est pas encore temps à présent de les déclarer. ce sera pour un de ces jours (53).
« Je vous prie, mes Soeurs, commençons aujourd'hui une neuvaine à la très sainte Mère de Dieu pour la prier de nous faire connaître le lieu où son divin Fils veut être adoré et poser son trône ». Voilà tout l'entretien de notre heure de récréation ; n'est-il pas bien agréable ? 11 serait à souhaiter que l'on n'en fît jamais que de pareil.
Un jour que nous lui disions que nous pourrions bien être solitaires en cette Maison, elle nous répondit qu'elle tâcherait que cela fût et que, si elle n'y pouvait mettre autres choses, qu'au moins elle ferait son possible pour y établir cet esprit de solitude intérieur et extérieur, par un exact silence et éloignement des créatures. C'est à nous autres à nous y rendre fidèles, afin de ne la point frustrer de son attente et que l'esprit de retraite soit conservé ici.
Le lundi de la première semaine de l'Avent, 29 de novembre, elle fit le chapitre pour la seconde fois, où elle nous dit des merveilles, étant embrasée comme un séraphin ; je m'en vais vous en dire ce que j'en ai pu retenir. le moins mal que je pourrai. Je voudrais de bon coeur que ma plume fût assez heureuse pour vous donner l'onction qu'ont ses paroles quand elle les profère, mais n'ayant pas sa grâce, il m'est impossible. Je prie Notre Seigneur qu'il vous la donne pour que vous profitiez de ce que vous allez lire ou entendre.
SECOND CHAPITRE TENU A ROUEN : 29 NOVEMBRE 1677
« Ma Soeur, commença-t-elle à une postulante qui venait de dire sa coulpe, vous voulez être à Dieu, vous voulez lui plaire ; c'est pour cela que vous venez en religion, parce que c'est le lieu où on le cherche mieux, où on le trouve plus facilement, où l'on a plus de moyens de travailler à sa perfection et où l'on se rend plus agréable à lui. Pourquoi plus agréable ? Parce qu'on y fait toujours la volonté de Dieu et que la nôtre est anéantie, ce qui est un des plus grands bonheurs qu'on puisse avoir :
(53) Mère Mectilde a soutenu financièrement autant qu'elle l'a pu les premières années de notre monastère. On relève dans nos annales les dons suivants : 1677, 11.000 £ ; 1678, 6.600 £, 1680, 2.000 £ en plusieurs fois ; 1681, 1.084 £ ; 1687, 340 £ « pour les frais de maladie de la Mère Marie des Anges du Vay qui était alors maîtresse des novices et que l'on avait fait venir de Lorraine à cet effet ». La Mère Loyseau a apporté 110£ en 1680.
faire toujours cette volonté divine et jamais la nôtre. Mais vous me direz : Est-ce que dans le monde on ne peut pas se rendre agréable à Dieu, où l'on a tant de moyens de faire des bonnes oeuvres et des actions de vertu ? Oui, il est vrai, mais c'est que souvent l'amour-propre et la propre volonté s'y retrouvent là où, en religion, elles trouvent leur mort et leur tombeau, parce que tout ce qui s'y fait est fait par obéissance. Envisagez toujours la volonté de Dieu, qui vous est marquée par vos Règles, vos Constitutions et vos Supérieures. Purifiez vos intentions. Ne regardez rien que Dieu, dans le dessein que vous avez d'être religieuse. Anéantissez tous les autres motifs humains que vous pourriez avoir. Il faut que ce soit Dieu qui soit votre motif dans la vue de sa sainte volonté, qui nous y appelle. 11 y a une parole terrible dans l'Evangile et il y a bien quarante ans qu'elle m'a fait frayeur : « Toute plante, dit Jésus Christ, que mon Père n'a point plantée, sera arrachée » [ Mt. 15,13 ]. Cela est effroyable et se doit entendre et expliquer de l'intention pure que l'âme doit avoir en toutes ses actions, de plaire uniquement à Dieu ; et toutes celles qui ne sont point faites dans cette vue par le mouvement du Saint Esprit et par un principe de grâce ne sont pas reçues de lui. Ce sont des oeuvres mortes, qui nous seront arrachées et qui ne nous serviront que de sujet de condamnation. Dieu vous a plantée dans le parterre de la sainte religion, afin que vous fructifiiez en vertu et sainteté, que vous travailliez généreusement à votre perfection en mourant continuellement à vous-même, à vos humeurs et inclinations, et enfin en mortifiant incessamment en vous tout ce qui s'oppose à son esprit et à sa grâce.
« C'est lui qui vous a choisie et non pas vous qui l'avez choisi ; c'est ce qu'il disait un jour à ses apôtres : Non vos me elegistis, sed ego elegi vos [ Jn. 15,16 ]. Vous n'avez pas mérité cette grâce, elle est donc de la pure bonté et libéralité de Notre Seigneur, qui fait ses dons à qui il lui plaît. Rendez-vous digne par votre fidélité qu'il vous la conserve. Faites un bon fondement. Ce fondement doit être une profonde humilité, qui doit soutenir votre édifice spirituel. Faites comme il est dit dans l'Evangile : « Il a bâti sa maison sur le roc et rien n'a pu l'abattre ». Ce roc est la foi vive qui fait que nous nous appuyons entièrement sur Dieu ; ses fondements, c'est l'humilité. Il faut creuser dans notre néant et misère, nous abîmer dans le fond de notre corruption, voir que nous ne sommes capable d'aucun bien, attendre tout de la bonté de Notre Seigneur ».
Elle parla ensuite aux Soeurs converses : « Nous aurions besoin de faire ce que faisait un grand saint. Pour s'accoutumer à garder le silence, il mettait un caillou dans sa bouche pour se ressouvenir de ne point dire de paroles inutiles. Il nous faudrait faire la même chose pour nous abstenir de dire des paroles qui offensent Dieu et qui blessent la charité. Je ne saurais assez m'étonner que la langue, qui est si souvent honorée de l'attouchement de Jésus Christ, qui a la première l'honneur de le recevoir,. de le toucher et qui, en
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quelque manière, en peut faire ce qu'elle veut, puisqu'il lui serait libre de la garder et d'y laisser consommer la sainte hostie ; quoique les saints Pères ne soient point de ce sentiment, disant que pour communier il faut la manducation et elle ne se fait que quand elle passe de la bouche à l'estomac et qu'elle est reçue dans le coeur ; quoi, dis-je, cette langue, qui a le bonheur de recevoir son Dieu si grand, si adorable, si incompréhensible avec toutes ses perfections divines, tous ses dons et grâces, qui reçoit Jésus Christ avec toute sa sainteté, ses vertus et ses mérites, qui lui applique son sang précieux et tout ce qu'il a fait et souffert pour son salut, qui lui apporte son humilité, sa patience, sa douceur et toutes ses autres vertus, que voulez-vous de plus grand que cela ? Ce n'est pas les vertus des saints qu'il vous donne, mais ce sont ses vertus à lui-même, qu'il a pratiquées pour vous en donner l'exemple ; c'est sa sainteté, qu'il vous apporte pour vous sanctifier. Hé ! toutes ces 2riices infinies n'ont point le pouvoir de nous empêcher de dire des paroles qui offensent ce Dieu de bonté et de nous obliger à nous mortifier. Je n'ai jamais rien su de plus fort pour anéantir les passions que la sainte communion, et quand les fréquentes communions n'ont pas le pouvoir de nous les faire mortifier, en vérité je vous assure que je ne crois pas qu'il y ait rien autre chose qui nous y puisse porter. Quoi ! Dieu en lui-même, en sa force divine, n'aura pas ce pouvoir sur nous, qui s'anéantit jusqu'à la corruption de notre être et qui se réduit à la dernière des humiliations ! Oh ! mes Soeurs, cela est effroyable ! Je sais des âmes qui, ayant reçu beaucoup d'outrages et injures, et allant communier là-dessus, aux approches de Notre Seigneur, tous les ressentiments et les peines qu'elles avaient s'évanouirent, tant la sainte communion a de force sur les âmes saintes. Je vous prie de faire réflexion là-dessus ».
Elle parla ensuite à la communauté. « Mes Soeurs, vous n'êtes ici qu'une petite poignée, une petite troupe pauvre et faible mais vous serez fortes, si vous attendez votre force de Jésus Christ. Vous serez fortes par sa grâce et par sa vertu. C'est lui qui donne la force aux âmes les plus faibles. qui se confient en lui. Puisque Dieu vous a choisies pour cette oeuvre, je vous prie, mes Soeurs, de remplir ses desseins et de vous renouveler. Cette Maison étant nouvelle, toutes choses y sont nouvelles, les grâces nouvelles. Dieu demande de vous que vous vous renouveliez dans la fidélité que vous lui devez. Ce sera sur vos exemples que celles qui viendront se mouleront, et le bien que vous ferez durera jusqu'à la fin des siècles. Dieu vous a confié cette oeuvre plus qu'à moi, parce que je ne suis pas pour demeurer ici toujours. Mais vous autres, mes Soeurs, c'est à vous à la soutenir et à donner à Notre Seigneur la gloire qu'il prétend en tirer. Ne soyez pas indifférentes à la grâce qu'il vous a faite de vous avoir choisies, et n'écoutez point les pensées qui vous pourraient venir et qui vous donneraient de la peine, de vouloir plutôt être à une Maison qu'à une autre. Croyez, mes Soeurs, que, puisque Dieu vous a appelées ici, que c'est qu'il a dessein de vous faire quelques grâces et miséricordes particulières pour vos sanctifications, qu'il ne vous ferait pas peut-être si vous étiez restées dans cette Maison où vous vous imaginiez que vous seriez mieux. Voyez : Dieu fait tout pour notre plus grand bien. Soyons-en persuadées et tâchons de faire ce qu'il veut de nous. Vous avez les premières grâces, faites-en usage, ne les négligez pas. Ce sera sur vous autres que la sainteté de cette Maison roulera, ce sera vos exemples que l'on suivra. Hélas ! D'où vient que tant de Maisons n'ont pas subsisté dans la grâce et ferveur qu'elles avaient au commencement et sont tombées en décadence ? Cela ne vient que des sujets qui ne l'ont pas soutenue et qui l'ont laissée ralentir. Vivez, mes Soeurs, avec tant de pureté et de sainteté que ce malheur n'arrive point ici. Vous êtes les modèles des Filles qui sont entrées et vous le serez encore de toutes celles qui viendront, et vous autres, moulez-vous sur Jésus Christ ; qu'il soit votre prototype et votre exemplaire.
« Comme je ne suis pas pour demeurer ici toujours et qu'il faut de nécessité que je m'en aille, il faut que quelqu'une de vous autres soutienne l'oeuvre de Dieu. C'est pourquoi, mes Soeurs, priez Notre Seigneur qu'il fasse tomber le sort et manifeste celle qu'il a destinée pour cela, comme saint Mathias à l'apostolat, lorsque le sort tomba sur lui. Quand ce serait la dernière de vous autres et qui ne saurait que bégayer, il faut croire que Notre Seigneur lui donnera les grâces pour s'en bien acquitter. Commencez, nous dit-elle, une neuvaine à cette intention. Vous direz un Veni Creator et un Salve Regina à la très sainte Mère de Dieu. Je vous conseille de vous adresser à elle particulièrement, la suppliant instamment qu'elle fasse connaître celle que Dieu a choisie pour tenir sa place et être sa lieutenante. Vous savez que l'Institut lui appartient singulièrement, puisque c'est elle qui l'a fait ; je n'y ai point de part et vous connaîtrez un jour que je dis la vérité. Toutes les Maisons sont à elle, elles lui appartiennent, elle en prend soin. Je vous dirai que, la première, elle me l'a prise et s'en est emparée et ainsi de toutes les autres, qui lui sont dédiées, l'une à son très saint Coeur, l'autre à sa maternité divine et celle-ci à son Immaculée Conception. J'ai eu la pensée, comme cette Maison est toute nouvelle et qu'on ne lui a pas encore rendu tous les hommages qu'on lui doit, comme voici sa fête [ 8 décembre qui approche, j'ai cru qu'il serait à propos ce jour-là de lui faire un acte à peu près comme on le fait le dimanche dans l'octave de son Assomption, à Paris et aux autres Maisons, pour la prier qu'elle prenne un soin particulier de l'Institut et de cette nouvelle Maison. Nous le dresserons le mieux que nous pourrons, si elle m'en veut donner la grâce pour son honneur et gloire. Je me suis étonnée comment elle ne m'en avait pas donné la pensée le jour de sa Présentation, mais c'est peut-être, comme cette Maisdn est dédiée à cette fête, qu'elle veut qu'on lui rende cet hommage ce jour-là, qui est le commencement de son bonhetir. Il me semble que je n'ai jamais rien fait dans un si grand esprit de mort, un éloignement
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et dégagement et où il y a si moins de moi, que cette Maison. Je ne sais ce qui en sera ; cela se dit dans le secret entre nous autres » . Elle finit le chapitre par ces dernières paroles.
Elle dressa donc l'acte de la très sainte Mère de Dieu qui est admirable. Il est gardé dans les archives de cette Maison.
Acte dressé et prononcé par
Notre Très Révérende Mère Prieure
en l'année 1677 le jour de la Conception
Immaculée de la très sainte Vierge
dans notre Monastère de Rouen
Souveraine Princesse du ciel et de la terre, auguste Mère de Dieu, moi, Soeur Mectilde du Saint Sacrement, humblement prosternée au pied du trône de vos grandeurs, je viens, au nom de toute la communauté présente et à venir, offrir à votre majesté ce nouvel établissement comme une production d'un Institut qui vous appartient et que j'ose dire l'ouvrage de votre maternelle bonté, et, en cette qualité, nous vous supplions, très précieuse Vierge, de le vouloir agréer et recevoir sous votre singulière protection, acceptant et confirmant la déclaration que nous faisons par cet acte par lequel nous vous choisissons et reconnaissons pour la très éminente Abbesse et Supérieure perpétuelle de ce nouveau monastère, que nous vous consacrons aujourd'hui et dédions à l'honneur de votre très pure et Immaculée Conception. Recevez-le donc, précieuse Mère de grâces, et en faites l'objet de la complaisance de mon adorable Sauveur, puisque vous l'avez établi pour réparer sa gloire si souvent outragée en son divin sacrement. Prenez, s'il vous plaît, très auguste princesse, un pouvoir absolu sur ce monastère et sur tout ce qui lui appartient comme sur votre ouvrage, pouvant dire qu'il est entièrement à vous, et que si la Providence l'a mis entre mes mains, cela n'a été que pour le remettre entre les vôtres très pures et très saintes. C'est ce que je prétends faire par cet acte, en la manière la plus parfaite qui se puisse jamais imaginer, et, j'ose dire, avec toute la sainteté que la grâce peut esperer. Je vous supplie très humblement que, sans avoir égard à la main très impure qui vous le présente, il vous plaise le recevoir agréablement, vous le remettant entre les vôtres virginales pour le resserrer dans votre très saint Coeur, où Notre Seigneur Jésus Christ le regardera favorablement et, par vos saintes intercessions, le comblera des grâces qu'il a besoin pour le conserver en sa vigueur. Préservez-le de toutes les oppressions et attaques malignes des hommes et des démons. C'est ce que nous vous demandons toutes humblement, divine Mère de mon Sauveur. et que vous ne permettiez jamais qu'il soit reçu dans cette Maison aucun sujet qui ne soit attiré par une vocation purement divine, et qui ne puisse remplir les desseins de Dieu, en portant dignement et efficacement les qualités de victime de votre Fils. Accordez-nous, auguste Mère de Dieu, la grâce que l'intérêt humain ne souille point cet ouvrage ; soutenez-le par votre secours et par votre actuelle protection ; ne l'abandonnez jamais ; faites qu'il relève toujours de vos bontés et qu'il vous plaise le conserver dans la pureté et le dégagement qu'il a été établi. Prenez-en, s'il vous plaît, l'entière possession pour en être la maîtresse absolue. Pour cet effet, étant toutes prosternées à vos pieds, du plus profond de nos coeurs, nous vous faisons toutes de nouveau voeu solennel d'obéissance, et vous choisissons et déclarons pour le temps et l'éternité notre très glorieuse Mère Abbesse et Supérieure perpétuelle, sans que jamais cette élection se puisse révoquer, sous peine d'encourir votre indignation ; et, comme c'est par vous que notre Institut a pris naissance dans le sein de l'Eglise, c'est de vous qu'il doit dépendre et qu'il doit être régi, gouverné et conduit. Usez donc, très digne Mère de Dieu, du pouvoir absolu que vous avez sur nos personnes, sur nos vies et sur tout ce que nous sommes. Dirigez, commandez à celles qui osent prendre la liberté de se dire vos enfants, puisque par une bonté toute spéciale vous voulez bien être notre Mère. Animez-nous de l'esprit de Jésus, dont vous avez la plénitude, et nous rendez dignes de porter saintement la qualité d'hostie et d'être faites, avec lui, une même victime à la gloire de son divin Père. Agréez, très précieuse Vierge, nos humbles soumissions, acceptez nos sacrifices, régnez sur nous comme sur ce qui est entièrement à vous. Ne souffrez jamais de relâche aux hommages et adorations perpétuelles que nous devons au très Saint Sacrement, ni dans les observances régulières.
Comblez l'Institut de vos miséricordes, protégez-le, s'il vous plaît, et bénissez celles qui le professent, recevez-les en mourant et les présentez à votre Fils comme des holocaustes consommés à sa gloire. C'est la grâce singulière que nous espérons de votre maternelle bonté, à laquelle nous promettons fidélité inviolable.
En foi, de quoi, nous avons toutes humblement signé la présente pour servir de mémoire à l'avenir et d'obligation à toutes les religieuses de l'Institut.
Fait à notre monastère de Rouen le huitième décembre de l'année mil six cent soixante et dix sept.
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Elle le prononça à ses pieds le jour de la fête de son Immaculée Conception, et nous fit faire la même cérémome que nous faisons le dimanche dans l'octave de sa glorieuse Assomption (54). Nous pouvons juger que, ce même jour, cette incomparable Vierge lui fit bien des faveurs et lui donna des lumières particulières sur cette Maison, car elle nous dit qu'elle croyait que Dieu y mettrait bien de la grâce. Le dernier jour de l'année, elle nous dit qu'elle connaissait tous les jours, plus que jamais, devant Dieu, qu'il y aurait peu d'âmes qui recevraient la grâce de victime ; et comme une de nos Soeurs lui dit : « Mais, ma Mère, l'Institut ne s'étendra donc guère, puisque vous dites qu'il y en aura si peu qui recevront cette grâce ? ». « Oui, ma Soeur, lui répondit-elle, je le répète encore, il y en aura peu qui la recevront, tant cette grâce est grande, et il n'y a pas de religieuses dans l'Eglise qui soient appelées à une si haute sainteté. Oui, dans le moment que je vous parle, je vois cela devant Dieu plus clair que le jour. Il vaut mieux qu'il y en ait peu et qu'elles vivent dans la pureté et sainteté de leur vocation. Voyez Notre Seigneur : il n'a pris que douze apôtres pour établir son Eglise et convertir toute la terre. Une petite poignée d'âmes feront plus que ne feront quantité d'autres, qui ne vivraient pas dans la sainteté où elles seraient obligées ; et aussi, dans les grandes communautés, il n'y a pas tant d'union ». Un autre jour, nous parlant encore de la sainteté de notre vocation, elle nous dit : « Mes Soeurs, ne vous attendez pas que toutes les Filles de Rouen viennent ici ; non, non, et la suite vous le fera voir ». Ce que nous avons vu être véritable et que nous voyons encore tous les jours, n'y ayant presque point de Filles qui se présentent pour être religieuses.
Le 18 de janvier, de l'année en suivant, 1678, étant à la récréation, où elle nous entretenait familièrement de Dieu comme à son ordinaire, à propos de ce qu'on parlait, elle s'approcha d'une dame de Paris, de nos bienfaitrices, qui était venue exprès pour avoir l'honneur et le bonheur de son entretien et la voir plus souvent qu'elle ne faisait à Paris. Comme elle demeurait actuellement dans notre Maison, elle avait cette consolation tant qu'elle voulait, étant toujours avec nous dans les récréations ; elle avait la satisfaction d'entendre toutes les choses saintes que cette digne Mère nous disait, ce dont elle était charmée. Elle nous disait que jamais elle n'avait entendu personne parler de Dieu comme elle. Elle avait une si grande plénitude de Dieu qu'il semblait qu'elle en regorgeait. Notre digne Mère lui dit donc tout bas à l'oreille : « Ah, ma soeur ! (c'est ainsi qu'elle l'appelait),
(54) Dès la fondation du premier monastère de son Institut, Mère Mectilde le confia à la Sainte Vierge, se jugeant indigne d'être supérieure. La première « élection de Notre-Darne, Abbesse » se fit le dimanche dans l'octave de l'Assomption 1654, et, depuis lors, se renouvelle chaque année dans tous les monastères de nos fédérations. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et 296, et Lettres inédites, 1976, p. 162 et 297, et Arch. Nat., L 763, 98 et 99.
quand Dieu veut, comme il terrasse et abat en un instant et qu'il sait bien anéantir ! La veille des Rois, il me terrassa tout d'un coup et je demeurai là écrasée, où je fus trois ou quatre heures. Tout ce que je pus faire fut de m'enfoncer et abîmer dans mon néant. Mais, après ces coups. la nature se trouve toute accablée ; l'on a de la peine à en revenir ». Il faut croire que ce qu'elle dit, qu'elle fut frappée la veille des Rois, se doit entendre de la nuit de cette fête, car, la veille, elle parut dans une gaieté extraordinaire, comme si elle eût été hors d'elle. Le matin, elle nous fit une conférence admirable sur le mystère de l'Epiphanie. Tout le reste du jour, il semblait, à la voir, qu'elle ne se possédait pas. Toutes celles qui lui venaient au rencontre, elle leur disait : « Nous avons vu l'étoile et nous sommes venues l'adorer ». Elle s'expliqua à quelques-unes de nous, nous disant qu'elle avait eu l'inspiration de venir adorer Notre Seigneur au Saint Sacrement et de le faire adorer dans cette ville de Rouen. L'on ne s'aperçut donc qu'elle était mal qu'à matines, où elle ne pouvait presque parler. L'on voyait bien qu'elle se forçait et qu'elle n'en pouvait plus. Mais son grand courage, joint à sa mortification, qui lui donne une dureté effroyable sur elle-même, car l'on peut dire que jamais elle ne se plaint qu'à l'extrêmité, quand elle ne peut plus cacher ce qu'elle souffre et que le mal l'accable entièrement, elle n'en dit donc rien à personne. Dès six heures et un quart du matin, elle se trouva au choeur, fit son oraison, dit prime et tierce avec la communauté ; ensuite, elle entendit la sainte Messe, où elle fit la réparation (55). Elle nous a avoué qu'elle eut bien de la peine à s'y tenir à genoux, et cependant elle ne laissa pas de demeurer encore une heure à son action de grâces de la sainte communion, comme à son ordinaire. Mais voyant que le mal l'accablait si fort qu'elle ne savait plus se soutenir, elle sortit du choeur et s'en alla à sa chambre où, par providence, une Soeur converse la suivit pour lui dire un mot. Ce fut dans ce moment que, ne pouvant plus celer ce qu'elle souffrait, parce qu'il lui prit un grand mal de coeur avec une faiblesse qui l'obligea à se jeter entre les bras de notre bonne Soeur (jugez de son effroi la voyant avec le visage d'une morte), tout ce qu'elle put faire fut de l'aider à se mettre sur son lit, où elle demeura tout le jour sans pouvoir se remuer, et l'on eut bien de la peine le soir à la mettre dedans. Nous étions toutes dans une douleur qui se peut bien concevoir mais qui ne se peut exprimer, dans la crainte que nous avions que Dieu ne la retirât de ce monde. Mais comme elle nous voyait si affligées, dans sa bonté elle nous consolait, disant toujours que nous ne nous missions point en peine, que le quatrième jour elle se porterait mieux, qu'elle devrait avoir été beaucoup plus mal qu'elle
(55) L'un des aspects du charisme propre de Mère Mectilde est, avec l'adoration du Christ présent dans l'Eucharistie, l'esprit de réparation. C'est pourquoi, « chaque jour, au nom de la communauté, une Soeur se tiendra dans la prière et le silence en union plus profonde avec le Christ Sauveur, pour réparer par Lui la gloire de son Père offensé par le péché ». Cf. Déclarations sur la Règle de Saint Benoil pour les moniales Bénédictines du Saint Sacrement de la Fédération Française, 1975, chap. 20.
Mère Mectilde avait si bien compris que seul le Christ est prêtre et victime de l'Alliance nouvelle, qu'elle enjoignait à celle qui faisait « la réparation » de communier ce jour-là à la messe conventuelle.
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n'était, vu la manière dont elle avait été frappée, qu'il ne lui fallait qu'un peu de repos, qu'elle dirait les remèdes qu'il lui faudrait. Elle se fit aussi saigner deux fois, et le samedi, qui était le troisième jour de sa maladie, elle fut entendre la sainte Messe et communier. A six heures du matin, elle se portait bien mieux, après la Messe conventuelle et l'action de grâces de la sainte communion. Nous la fûmes voir, et sur ce que nous lui dîmes qu'elle avait encore le visage bien malade et touchait beaucoup : « Tout beau, nous répondit-elle dans sa manière agréable, tout beau, ne dites rien seulement, car Notre Seigneur me traite bien doucement ; ce n'est pas pour l'amour de moi, mais pour l'amour de vous autres ». Il est vrai que le quatrième jour elle se trouva bien et fit comme si elle n'avait point été malade, si bien qu'elle vérifia ce qu'elle avait dit que ce jour-là elle serait guérie.
Feu Mme de Grainville (56), que tout le monde connaît pour une grande servante de Dieu, qui a été favorisée de sa. Majesté de grâces très singulières, avait fait une grande liaison avec notre digne Mère quand elle vint ici. Mais, chose bien particulière, c'est qu'il y avait trente ou quarante ans qu'elles se connaissaient l'une l'autre par une voie extraordinaire et une lumière de Dieu, sans s'être jamais vues, ni parlé. Cette bonne dame, qui me faisait un peu l'honneur de m'aimer, me dit un jour que, la première fois qu'elle eut le bonheur de l'entretenir, elle fut ravie de la pureté, simplicité, humilité et droiture de son âme, parmi tant de talents que Dieu lui a donnés et qu'elle ne croit pas avoir, car sa profonde humilité la cache tellement à elle-même qu'elle ne se voit remplie que de défauts et la plus incapable du monde. C'est ce qui est admirable et qui la fait conserver tous les dons de Dieu sans les souiller par la moindre petite complaisance. Ce qu'elle a encore de particulier et qui ne se trouve en presque point d'âmes, c'est que toutes les choses qui naturellement la devraient élever, la portent à s'abaisser. Plus lui fait-on d'honneur, plus lui donne-t-on de louange, plus elle s'humilie et s'anéantit. Il semble que son centre, c'est la profondeur du néant, où elle s'enfonce toujours de plus en plus pour y trouver plus intimement son Dieu, qui opère tout en l'âme qui n'est plus rien. Cette bonne dame me dit donc qu'elle lui avait été trois jours si présente à l'esprit qu'elle ne pouvait penser qu'à elle et que, dans le temps même qu'elle était devant son crucifix et en oraison, il lui était toujours représenté la beauté de son âme ; et poursuivant, elle me dit : « Depuis soixante ans que je suis au monde, j'ai bien vu des serviteurs et servantes de Dieu, mais je vous assure que je n'en ai jamais vu une comme la Mère du Saint Sacrement ». Ce sont ses propres termes.
(56) Madame de G rainville décéda en décembre 1679. Les lettres de Mère Mectilde de novembre et décembre mentionnent ce décès et parlent de sa fille carmélite. Le registre des entrées du Carmel de Rouen note « n" 110 Sr Marie Thérèse de Jésus, fille de M. de Gonnelieu, seigneur de Grainville, entra à ce monastère le 21 juillet 1663, âgée de 18 ans. Elle a pris l'habit de notre saint ordre le 14 octobre même année ». Renseignement aimablement communiqué par le Carmel de Boisguillaume (Seine-Maritime). La famille de Gonnelieu était bienfaitrice de ce couvent, et Marie de Gonnelieu, veuve de messire Léonor du Bosc, châtelain de Radepont, Fleury et autres lieux, avait été inhumée dans l'église. Cinq religieuses portant le même nom entrerent au Carmel au cours du XVIle siècle.
Quelque temps donc après sa maladie dont je viens de parler, elle la vint voir et lui dit qu'elle n'était pas venue plus tôt lui rendre visite, parce qu'elle avait connu qu'elle était malade ; que dans le moment qu'elle avait été mal, elle l'avait vue frappée à la mort, mais que, la voyant ainsi, elle avait recouru à la très sainte Mère de Dieu, lui disant : « Hé ! Sainte Vierge, souffrirez-vous, dans la conjoncture des affaires présentes et dans un commencement d'établissement où elle a encore tant de choses à faire, que Dieu la retire ? ». Dans le moment, elle avait vu la très sainte Mère de Dieu s'approcher de son divin Fils, lui demandant qu'elle achevât les oeuvres qu'elle avait commencées pour sa gloire, ce qu'il lui accorda, et que dans l'instant le mal avait cessé. Une autre sainte âme, parlant d'elle à la Mère Sous-Prieure de Paris [ Anne Loyseau 1, durant que notre digne Mère était à cette fondation, lui dit qu'elle la voyait devant Dieu, quoiqu'elle fût bien éloignée de sa personne, claire comme un miroir ; ce qui nous fait connaître combien grande était la pureté de son âme et la droiture de son coeur,tout embrasé de l'amour de son Dieu. Aussi, c'était admirable de la voir agir en toutes choses. Son esprit était toujours élevé et uni à Dieu. Elle réclamait continuellement le secours de la très sainte Mère de Dieu. La première fois qu'elle reçut de l'argent, qui était la dot d'une fille, étant allée à sa chambre lui faire une commission, elle me dit : « Ma Soeur, voilà le premier argent qui entre dans la maison ; priez bien la très sainte Mère de Dieu qu'elle le bénisse ». Je ne doute point que cette Mère de bonté n'ait exaucé sa prière et qu'elle ne l'ait béni de toutes manières pal' les secours miraculeux que nous avons reçus de la divine Providence, qui l'a multiplié plusieurs fois, dans le besoin, comme nous l'avons vu et, partant, nous en pouvons assurer. Une fois entre autres la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ], n'en ayant plus et ne sachant où en prendre, fouillait par rencontre dans quelques tiroirs ou cachettes. Je ne sais pas bien dans quoi c'était, ,elle trouva plusieurs louis d'or, qu'elle m'a dit n'avoir eu aucun souvenir de les y avoir mis ; qu'elle croyait qu'il y avait du miracle en cela et un secours particulier de Dieu. Il faut donner cette louange à cette bonne Mère qui le mérite, c'est que l'on peut dire qu'elle a une grande confiance en Dieu à ce qui m'a toujours paru. C'est pourquoi elle a plusieurs fois ressenti les effets de sa confiance et la vérité des paroles de l'évangile qui dit qu'il nous est fait selon notre foi. Mais une chose assez surprenante et qui va vous faire rire, touchant la bénédiction que notre argent avait, c'est que toutes les vendeuses au marché couraient après notre Soeur tourière, afin qu'elle leur achetât quelque chose pour avoir de l'argent de la Maison, disant que, quand elles en avaient, c'était assez pour qu'elles vendissent toutes leurs marchandises. Si bien que c'était à qui lui vendrait. Ces pauvres gens aimaient mieux y perdre en donnant les choses à meilleure composition, pour avoir de cet argent qui leur portait tant de bonheur.
Quelque temps devant que nôtre très digne Mère s'en retournât à
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Paris, elle nous donna les instructions suivantes, nous parlant familièrement à la récréation : « J'ai, nous dit-elle, une chose surtout à vous
recommander, c'est l'union et la paix entre vous autres. Si cela est, tout
ira bien, car le démon fait tout ce qu'il peut pour la troubler, excitant dans l'une une froideur contre une autre, dans l'autre une jalousie, dans
l'autre un murmure, dans cette autre une pique de ce qu'une autre aura
fait innocemment qui ne lui a pas plu, ou bien il causera à une autre une amertume, et tout cela cause la désunion qui est où le démon tend
toujours. II n'y a aussi que cette union qui soutienne les communautés. Quand elle est dans les Maisons, elles subsistent ; mais aussi, sans cela, je n'en fais pas grand cas. C'est pourquoi je ne saurais assez recommander cette sainte union, qui fait régner l'esprit de Jésus Christ dans les communautés.
« Prenez bien garde de bien élever vos Filles pour la sainte religion. Quand vous verrez des esprits qui n'iront pas droit, allant je ne sais comment chercher midi à quatorze heures, comme l'on dit, ou que cela change ou défaites-vous-en: il faut qu'elles aillent à Dieu tout simplement et dans la droiture de coeur. Ecoutez : allez-vous-en à la très sainte Mère de Dieu confidemment ; quand vous aurez quelque peine ou autre chose, elle vous secourra infailliblement. J'ai expérimenté cela dans une Maison d'où je sortis il y a bien des années, où j'avais été Supérieure. Les religieuses ne pouvaient se consoler, et particulièrement une qui était dans la dernière douleur, si bien qu'elle en pensa mourir. Je pris une image de la très sainte Mère de Dieu que je mis à notre place, leur disant qu'elles la prissent pour leur Supérieure et que, si elles voulaient permettre qu'il n'y en eût point d'autre qui occupât cette place, qu'elles seraient heureuses et auraient tout ce qu'elles souhaiteraient ; et moi je leur assurai de sa part que si elles s'adressaient à elle, elle leur donnerait tout et elles subsisteraient ; ce qui n'a pas manqué ». Cette communauté s'étant bien accrue depuis ce temps-là, reconnut les bénédictions que cette Mère de miséricorde a versées, tant sur le spirituel que sur le temporel de leur Maison. Cette Maison était les religieuses Bénédictines de Notre-Dame de Bon Secours de Caen, où elle avait été mettre la réforme devant que d'établir notre Institut (57). Vous voyez à présent que la très sainte Mère de Dieu en a voulu prendre une entière possession, l'ayant ume à notre Institut, qu'elles ont embrassé avec ardeur. Cette divine reine en étant abbesse et notre unique et perpétuelle supérieure pour jamais, on peut dire que toutes les religieuses qui y sont incorporées lui appartiennent singulièrement, ce qui leur doit être, et à nous, une grande consolation et assurance de sa protection. Je ne doute point que ce n'ait été notre digne Mère qui ne leur ait attiré cette grâce, dans le temps qu'elle a été leur supérieure.
(57) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 67 et sq, et Lettres Inédites, 1976, p. 127. Pour l'agrégation de ce monastère à notre Institut, voir, dans la deuxième partie de ce volume, les lettres de mai 1684 à octobre 1685 et n. 70.
[ Mère Mectilde poursuit ] : « Vous n'avez que faire de m'aller f chercher à Paris pour me trouver Vous me trouverez au très Saint
Sacrement ; c'est là que l'on trouve tous ses amis. Vous êtes bien assurées d'une chose que, quand je m'en irai, mon corps sera à Paris, mais que mon coeur sera ici. Je m'immole pour m'en aller. Je ne sais ce qu'il y a dans cette Maison pour moi, mais j'y trouve des grâces toutes particulières. Cela est admirable de la conduite de Dieu qui vous y a fait venir, vous autres qui êtes toutes jeunes et faibles, car il y en a plusieurs chez
nous qui auraient été plus fortes assurément. Et ne m'allez point dire : « Mais c'est qu'elles ne l'auraient pas voulu ! ». Je vous dis encore une fois que rien ne se fait sans dessein particulier du côté de Dieu ». Il est vrai aussi que, comme elle ne savait pas celles qu'elle y devait amener, elle fit dessein de les tirer au sort, mais, le jour de la Pentecôte qu'elle avait destiné pour ce sujet, comme elle nous le dit, il est croyable qu'à la sainte communion Notre Seigneur lui fit connaître celles qu'il voulait qui y allassent, car le soir, à la récréation, comme nos Soeurs lui demandèrent si elle avait tiré les billets, elle leur répondit en riant : « Non, non, je ne les ai pas tirés ». Là-dessus nos Soeurs lui dirent : « D'où vient donc. ma Mère, car vous nous aviez dit de prier Dieu pour ce... ». Elle leur repartit encore en riant, pour ce et n'acheva pas. Et quelques jours après, étant en particulier avec une de nos Mères à qui elle parlait de cette Maison, elle lui nomma toutes celles qui y devaient venir, qui ont été les mêmes qu'elle y a envoyées. Mais je continue la suite de ce qu'elle nous dit ici sur ce sujet. « Notre Seigneur, poursuivit-elle, choisit ainsi de pauvres petites gens pour ses apôtres ; il faut aussi que vous soyez petites et les plus petites religieuses de Rouen. Quand l'on vous viendra dire des choses, comme il s'en disait l'autre jour au tour, qu'une telle dame abbesse disait que nous n'avions que ses restes, à la bonne heure, dites : « Eh bien il est juste, puisque nous venons les dernières, que nous soyons les dernières partagées ! Et ainsi du reste. Si l'on vous méprise ou se moque de vous, estimez-vous bien heureuses ».
Nous pouvons dire qu'elle nous a dit des merveilles dans cette fondation, car Notre Seigneur lui donnait une si grande abondance de belles pensées et de bons sentiments qu'elle ne pouvait les retenir ; il fallait qu'elle les épanchât au dehors et nous en fît part. De même que vous voyez ces fontaines qui, ayant une trop grande abondance d'eau qu'elles ne peuvent contenir, se déchargent dans quantité de petits canaux qui reçoivent ce qu'elles ont de trop, ainsi notre digne Mère nous communiquait une partie de ses lumières et des faveurs que Notre Seigneur lui faisait, car elle voyait bien qu'elle en avait trop pour elle seule et qu'elle les recevait autant pour nous que pour elle. Il aurait été à souhaiter que nos chères Soeurs qui jouissaient continuellement de son aimable entretien eussent voulu écrire tout ce qu'elles lui entendaient dire qui les ravissait, pouvant assurer que ceci n'est que de petits fragments de ses instructions et du peu que j'en ai pu remarquer en passant, quand je lui allais faire les commissions du tour. La Providence,
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m'ayant mise dans cet office, m'a empêchée de jouir du bonheur de nos chères Soeurs de l'entendre si bien parler de Dieu, comme elle faisait dans toutes les conversations qu'elle avait avec elles.
L'on ne peut s'imaginer avec quelle bonté, amour, charité et cordialité elle agissait avec nous. Elle s'était rendue comme un enfant par sa
complaisance et condescendance. Il semblait qu'elle prenait plaisir à faire
tout ce que nous souhaitions, pour nous donner des marques de son affection. C'était en vérité une aimable Mère avec ses bonnes filles.
Jamais nous n'avions eu la consolation de la posséder de la sorte, car,
quoique nous fussions toutes du premier monastère de Paris, les grandes occupations qu'elle y a continuellement l'empêchent de nous donner
cette satisfaction aussi souvent que nous désirons. Cette digne Mère ayant donc fait de sa chambre celle de la Communauté, le froid nous obligeant d'y travailler, nos chères Mères et Soeurs étaient toujours avec elle, jouissant de sa chère présence, qui leur donnait une grande joie.
Enfin, après cinq mois de la possession de notre digne Mère, que nous honorions et affectionnions plus que jamais, il fallut nous résoudre à sa
cruelle séparation. Il semble que Notre Seigneur avait permis qu'elle nous témoignât tant d'amitié pour nous rendre sa perte plus sensible et notre sacrifice plus grand. Mais, pour le bon ordre de cette Maison elle crut devoir en