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Copyright 2020 Dominique Tronc



JEAN DE BERNIÈRES











JEAN DE BERNIÈRES



Œuvres mystiques

II

LETTRES & MAXIMES



Edition par

Dom Éric de Reviers, o.s.b.



Rétablissant l’ordre chronologique et citant des extraits du Chrétien Intérieur

Incluant un dialogue poursuivi avec Mère Mectilde fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement





Tome I Introduction par dom Eric de Reviers et correspondance des années 1631 à 1646

Tome II Etude par Jean-Marie Gourvil et correspondance des années 1647 à1657





Rédaction d’un choix : « Jean de Bernières / Lettres et Maximes mystiques / Un florilège établi par Dominique Tronc »

Jean de Bernières est le mystique accompli de la filiation de la quietude passant par madame Guyon. Il est au Coeur du “premier noeud” normand tandis qu’elle sera au coeur du second noeud parisien;

Ce qui suit : Extraits (avec parallèles du Chrétien) et ajout d’un niveau 4 pour les extraits soulignés (un “choix du choix” facilitant la recherche d’une structure non chronologique.

D’où: Table niveaux 1 à 3 (“la Table sous Word”)

suivie d’une Table de niveau 4 suivie de Thèmes par clefs





L’idée est de faire un florilège faisant ressortir les axes ou clefs de Bernières sans respecter l’ordre chronologique parce que nous avons retenu surtout les dernières années :

1(1646) 5(47) 2(48) 2(49) 4(50) 1(51) 1(52) somme 16

13(53) 10(54) 1(55) 5(56) s 29

13(57) 9(58) 4(59) s 26

Comptabilité approximative (8 maximes sans dates) = 1653-1654 : 23, 1657-59 : 26, autre : 22 (avant : 16 pendant : 6) = Les 2/3 retenus couvrent à peine plus de 4 ans pour 1647-1657début soit une dizaine années.

Présentation intégrée ou par clefs comme Les Justifications ? commencer par regrouper en clefs :



Avant 1653

      1. 6 Mars 1646 L 1,27 Je suis bien éloigné de vous conseiller de descendre de la croix. -- Dieu tout seul suffit à l’âme, puisqu’il est suffisant à soi-même…

6 mars 46 Je suis bien éloigné de vous conseiller de descendre de la croix. Je vous y attacherais davantage si je pouvais. […]ce cher Père me sert encore si puissamment, que la lecture des avis qu’il lui a plu me donner me met toujours en ferveur. Jamais je ne fus plus résolu de travailler de la bonne manière à la pure vertu et bonne mortification que je suis. Il me souvient que dans les dernières lignes qu’il m’écrivait, il mettait : «Courage, notre cher Frère; encouragez-vous les uns les autres à la sainte perfection. Ô que Dieu a peu de vrais et de fidèles serviteurs! Tendez à la pureté vers Dieu.»

M. Dieu tout seul suffit à l’âme, puisqu’il est suffisant à soi-même. Si nous étions établis comme il faut, dans le pur amour, nous ne voudrions rien posséder avec Dieu, crainte de le posséder moins purement. Mais parce que nous avons des attaches secrètes aux lumières, aux goûts et à la félicité sensible, quand Dieu demeure seul dans nos cœurs, nous ne pouvons être satisfaits, si nous ne sentons la satisfaction de sa présence. Que toutes vos peines cessent, et au lieu de crier miséricorde comme si Dieu vous abandonnait, que votre âme magnifie le Seigneur, et qu’elle se réjouisse en lui seul. Car Il fait de grandes choses en vous en cet état de souffrances intérieures. Il y opère par une Providence spéciale la pureté de son amour, dont le moindre degré vaut mieux que la possession de toutes les créatures.

À la lecture de vos lettres j’ai remercié la divine Bonté des faveurs qu’elle vous départit au travers de toutes ces angoisses et obscurités d’esprit. Et je vous avoue qu’au lieu de vous soulager, si je pouvais augmenter vos peines, je le ferais pour donner lieu de croître en la pureté d’amour. Je suis bien éloigné de vous conseiller de descendre de la croix. Je vous y attacherais davantage si je pouvais. N’attendez de moi que de véritables effets d’amitié et non de vaines tendresses.

[...] Je vous avoue, ma chère sœur que depuis peu, je conçois beaucoup de choses de la vie dont je parle. Vous en avez l’expérience. C’est pourquoi je ne vous en dis pas davantage, si non qu’il faut une rare fidélité pour mener sans discontinuation une si belle vie. C’est ce que nous apprenait notre très cher père1, par toutes les maximes2 de perfection qu’il nous a laissées : de tendre à l’abjection, à la solitude, à la mort de toutes choses, d’anéantir en nous tout esprit humain et mondain, de ne vouloir que Dieu et la croix. Ma très chère sœur, ce cher Père me sert encore si puissamment, que la lecture des avis qu’il lui a plu me donner me met toujours en ferveur. Jamais je ne fus plus résolu de travailler de la bonne manière à la pure vertu et bonne mortification que je suis. Il me souvient que dans les dernières lignes qu’il m’écrivait, il mettait : «Courage, notre cher Frère; encouragez-vous les uns les autres à la sainte perfection. Ô que Dieu a peu de vrais et de fidèles serviteurs! Tendez à la pureté vers Dieu.» Je finirai de même cette lettre. Encourageons-nous les uns les autres pour cet effet. N’ayons rien de réservé et soyons dans une pleine et entière communication de nos dispositions et des grâces que Dieu nous fera, avec simplicité et sans réflexion. Et puis quel moyen de prendre conseil les uns des autres sans cela?

[...]

      1. Janvier1647 L 1, 37 J’ai été dans des oublis de Dieu si grands qu’ils vous étonneraient très fort. -- Ma très chère sœur, il y a si longtemps que je désire vous écrire deux mots…

Janvier 47 effets d’une maladie naturelle qui néanmoins m’ont réduit au néant et beaucoup humilié.

Ma très chère sœur3, il y a si longtemps que je désire vous écrire deux mots que je m’y veux contraindre, mon mal m’en ayant empêché et ma fièvre ne me permettant aucun travail. Vos chères lettres m’ont été rendues ce matin et m’ont beaucoup consolé. J’adorais peu auparavant l’Essence divine et les infinies perfections de Dieu. Je commence à sortir de mon état où j’ai été plus de cinq semaines. Mon corps qui se corrompait appesantissait mon âme ou plutôt l’anéantissait, car elle semblait être réduite au néant et à une entière impuissance de connaître et d’aimer Dieu, dont elle n’avait, ce semble, aucun souvenir, sinon que je me souvenais de ne m’en souvenir pas. Et me voyant dans un état d’incapacité, je demeurais sans autre vue que de mon néant et de la profondeur de la misère et de l’impuissance d’une âme que Dieu délaisse et qu’Il laisse à elle-même. Ce seul sentiment occupait mon âme, et mon néant m’était, ce me semble, connu plus par une certaine expérience que par une abondance de lumière. Jusques à ce que Dieu mette l’âme en cet état elle ne connaît pas bien son infirmité, elle découvre mille fausses opinions et estimes qu’elle avait d’elle-même, de ses lumières, de ses sentiments, de ses faveurs. Elle voit qu’elle y avait un appui secret et n’aperçoit cela que quand tout lui est ôté, et que rien ne retourne comme auparavant. Ce qui s’est passé en moi sont des effets d’une maladie naturelle qui néanmoins m’ont réduit au néant et beaucoup humilié. J’ai été dans des oublis de Dieu si grands qu’ils vous étonneraient très fort. Et vous ne croiriez pas qu’une âme qui connaît Dieu et qui a reçu tant de témoignages sensibles de son Amour entrât dans une si grande et si longue privation d’Amour actuel, par pure infidélité et faute de réveiller par quelque petit effort son assoupissement. Quelle différence de ma dernière maladie à la présente. Mon âme était dans celle-là toute enflammée, lumineuse, vigoureuse, supérieure à son corps. L’on entrevoit son néant et son infirmité dans l’oraison, mais les lumières d’icelles et les douceurs empêchent qu’on ne la voie comme il faut. Dieu la fait sentir quelquefois et toucher comme palpablement par l’accablement qui arrive à l’âme. Il ne régnait en moi que des sentiments d’impatience. Par la grâce de Dieu, je n’y consentais pas toujours, mais je n’étais plein que de cela4.



15 février 1647 L 2, 35 Soyez donc comme une petite boule de cire entre ses mains, et soyez contente de ses divines dispositions. -- Ma très chère sœur, me voici de retour à Caen encore malade…

15 février 47 j’ai été réduit au néant. ... Dieu nous a si étroitement unis, que de nous faire enfants d’un même Père, et d’un si accompli en toutes sortes de vertus. Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu,

[...] Sans doute, ma très chère sœur, que ce me serait grande consolation que vous fussiez ici, afin que nous puissions parler de ce que nous avions ouï dire à notre bon Père [Chrysostome] et nous entretenir de ses saintes Maximes, en la pratique desquelles l’âme se nourrit et se perfectionne! Mais il faut vouloir ce que Dieu veut, et quoi que vous soyez très éloignée de moi, vous ne laisserez pas d’être toujours ma très chère sœur, puisque Dieu nous a si étroitement unis, que de nous faire enfants d’un même Père5, et d’un si accompli en toutes sortes de vertus. Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu, quand elle est dissipée, et anime mon courage à puissamment travailler à la bonne vertu? J’avoue que tant plus j’examine les actions que je lui ai vu faire, ses pensées, et ses desseins, je n’y vois rien que de très dégagé du monde, et de l’esprit humain rien que de très pur, et conforme à l’Esprit de Jésus-Christ, qui sans doute le possédait. Mais, ma très chère sœur, n’aurons-nous jamais son portrait? Que j’ai grand désir de le voir!

Or pour vous dire deux mots de mes misères, elles sont très grandes, et je vous supplie de bien prier Notre Seigneur pour moi. Que je ne me relâche point dans l’infirmité, qui est un état dangereux à une âme faible, et qui n’est pas tout à fait habituée dans la vertu. J’ai connu clairement mon néant dans ma dernière maladie. J’ai vu mon peu de vertu et la profondeur de ma faiblesse. Je ne vous saurais dire comme j’étais disposé. Mais mon esprit était aussi accablé que mon corps, et presque dans une insensibilité et oubli de Dieu. Je ne sentais plus cette vigueur que mon âme avait dans mes autres maladies6. Les lumières, vues, et sentiments m’ayant quitté, et tout m’étant ôté, sans le pouvoir recouvrer, j’étais délaissé à moi-même, et je n’avais d’autre sentiment que celui de mon néant et de mon infirmité. Dans cet état je touchai du doigt ma misère extrême, et ne pouvant dire autre parole, sinon, «redactus sum ad nihilum 7», j’ai été réduit au néant. Je savais bien que je ne l’ai pas été par une voie extraordinaire, mais par un effet de la maladie, dont la Providence s’est servie pour me donner une connaissance de moi-même, toute autre que je n’avais jamais eue. Il me semble que je ne m’étais point connu jusqu’ici, et que j’avais des opinions de moi plus grandes qu’il ne fallait; que je m’appuyais secrètement sur les vues et sentiments que Dieu me donnait. Mais tout m’ayant été ôté, et étant demeuré plus de cinq semaines dans une totale impuissance, j’ai été bien désabusé, et ne puis à présent faire autre chose que de rester abîmée dans mon néant, et dans une profonde défiance de moi-même. [...]

      1. 12 Septembre 1647 M 3,24 Un des grands effets du rayon de Dieu en l’âme.

8.

      1. 12 Septembre 1647 M 3,25 En présence de Dieu tout s’évanouit comme un songe.

12 sept 47 rien voir que Lui

Ce rayon de lumière divine cause encore une grande surprise dans l’âme touchant l’aveuglement des hommes qui ne pensent à rien moins qu’à Dieu. Je ne m’étonne point qu’une âme qui pense avec application à l’éternité de Dieu, ne s’aperçoive pas du temps qu’elle est en l’oraison9; non plus que quand la grandeur de Dieu ou ses autres perfections l’occupent, les choses qui se passent ici-bas, ne lui semblent que des songes, et toutes les créatures que des néants10. Bref, une âme fortement mue de Dieu ne pense rien voir que Lui, en la présence duquel tout s’évanouit comme un songe, et disparaît.

      1. 12 Septembre 1647 M 3,49 Dialogue de l’âme avec le Bien Aimé.

12 sept 47 b elle parle par les infusions qu’elle reçoit de Lui immédiatement

[...] Que ce commerce est réel et admirable! L’âme n’emprunte point de paroles tirées des images, et des fantômes des créatures pour parler à l’Époux; mais elle parle par les infusions qu’elle reçoit de Lui immédiatement11.

      1. 28 Septembre 1647 M 2,26 L’abandon à la Providence.

28 sept 47 digne Mère de Chantal

L’abandon à la Providence n’empêche pas que l’on se donne ordre aux affaires, et qu’on n’épargne ses peines pour éviter les dangers et les pertes quand il le faut. Mais ce doit être comme cette digne Mère de Chantal12. Car si quelque malheur arrivait contre sa volonté humaine, elle s’arrêtait si absolument sur l’ordonnance et la conduite de Dieu, qu’elle y abîmait sa pensée. Pratiquant cette leçon de ne regarder jamais les causes secondes en ce qui arrive, mais uniquement cette première et universelle, qui dans les accidents qui traversent notre vie, dispose de tout souverainement13.

[1648]

      1. 20 Janvier 1648 M 2147 Dieu veut avoir quelquefois des bouches inutiles dans sa maison.

20 janv 48 faire voir ses bontés en moi qui suis inutile en sa maison

Dieu veut voir quelquefois des bouches inutiles dans sa maison, et des personnes qui ne servent de rien, si ce n’est à faire voir ses bontés et ses magnificences, comme il arrive chez des grands seigneurs qui souffrent assez souvent des personnes manger leur bien, seulement pour faire voir qu’ils sont riches et puissants. Je me réjouis de donner sujet à Dieu de faire voir ses bontés en moi qui suis inutile en sa maison14, et je ne doute point qu’il n’y ait dans le ciel beaucoup d’âmes qui n’auront rendu à Dieu que fort peu de service sur la terre, et qu’il fera vivre éternellement dans la maison de sa gloire par pure bonté, et charité. [...]

      1. 1648 L 2,1 Quand l’on ne veut que Dieu et son bon plaisir, l’on se sent paisible et content en tous les états. -- Je n’ai pu vous écrire plus tôt les deux mots qui suivent…

1648 vous trouverez bientôt la région de paix

[...] Dieu ne vous manquera pas, pauvre créature. Qu’est-ce que vous gagnerez de vous tenir tant dans vous-même? Quittez-vous vous-même15 le plus tôt que vous pourrez, et après avoir essuyé quelques craintes et peines qui vous viendront sur cet abandon parfait, vous marcherez dans les voies de Dieu d’un autre air que vous ne faisiez, et vous trouverez bientôt la région de paix16. [...]

[1649]

      1. Mars 1649 M 3,26 La pure oraison cause la perte de l’âme en Dieu.

Mars 49 dans ses propres operations … elle ne parviendra jamais à cet état de la pure union avec Dieu, qui se fait d’une manière qui ne tombe point sous les sens

La pure oraison cause la perte de l’âme en Dieu où elle s’abîme comme dans un océan de grandeur, avec une foi nue et dégagée des sens et des créatures17. Jusques à ce que l’âme en soit arrivée là, elle n’est point en Dieu parfaitement, mais en quelque chose créée qui la peut conduire à ce bienheureux centre. C’est pourquoi il faut qu’elle se laisse conduire peu à peu aux attraits de la grâce, pour ainsi s’élever à une nudité totale par sa fidélité. Durant qu’elle demeurera dans ses propres opérations, quoique bonnes et utiles en certain temps, voire même nécessaires, lorsque l’on n’est pas capable de plus hautes pratiques, elle ne parviendra jamais à cet état de la pure union avec Dieu, qui se fait d’une manière qui ne tombe point sous les sens18.

      1. Mars 1649 M 3,28 L’âme devient un même esprit avec Lui.

Mars 49 b par cette perte que l’âme se trouve bien établie en Dieu, et qu’elle y fait sa demeure; ou plutôt quelle devient un même esprit avec Lui.

L’âme ainsi perdue est tout abandonnée entre les mains de Dieu qui fait en elle est par elle tout ce qui Lui plaît. Elle est dans une soumission continuelle au regard de son bon plaisir et n’opère qu’autant qu’elle est appliquée par l’opération divine. Cette perte la rend plus capable d’opérer hautement, que si elle était encore engagée dans la manière commune d’agir19. C’est donc par cette perte que l’âme se trouve bien établie en Dieu, et qu’elle y fait sa demeure; ou plutôt qu’elle devient un même esprit avec Lui.

[1650]

      1. 20 Janvier 1650 M 3,31 La grande passivité de l’âme doit être de posséder Dieu en son fond par anéantissement.

20 janv 50 Et si elle a tout, elle n’a rien, puisqu’elle est dans la privation de toutes les créatures. Et elle a tout, puisqu’elle a Dieu en esprit et vérité.

La grande passivité de l’âme doit être de posséder Dieu en son fond par anéantissement, et non par aucune créature, puisque ce serait encore un milieu entre Dieu et l’âme qui empêcherait que son union ne fût pure et immédiate, à laquelle union l’âme de cet état est appelée. Et c’est ce qu’il veut d’elle, afin qu’elle soit contente de Lui seul, le possédant par anéantissement. Cet anéantissement ne s’opère que par une entière nudité de toutes choses, à laquelle l’âme n’étant point accoutumée, quand elle s’y trouve, elle croit n’avoir rien, et cependant elle a Dieu en vérité. Qu’elle sache donc que Dieu l’ayant une fois mise dans ce pur état d’anéantissement, elle n’a rien. Et si elle a tout, elle n’a rien, puisqu’elle est dans la privation de toutes les créatures. Et elle a tout, puisqu’elle a Dieu en esprit et vérité.

      1. Avril 1650 M 3,42 On ne connaît le goût de Dieu qu’en Dieu même.

Avril 50 vraie transformation en Dieu

Ici semble commencer la vraie transformation en Dieu, qui seule peut contenter une âme qui en a eu l’expérience. Parce que son goût devient si délicat et si spirituel, qu’elle ne peut plus goûter les créatures dans la lumière qu’elle reçoit de leur bassesse, qui lui semble infinie en comparaison du Souverain Bien. Il n’est pas possible d’entendre ceci que par l’expérience, et l’on ne connaît jamais le goût de Dieu qu’en Dieu même, et par sa divine prévenance20. Dieu est goûté à la vérité dans les créatures, et par les créatures; mais ce n’est rien en comparaison de la manière essentielle dont je parle, et dont l’âme n’est capable que par la pure transformation.

      1. Mai 1650 M 3,75 L’union essentielle où l’âme jouie de Dieu.

Mai 50 le goûte sans le goûter et le possède sans le posséder. ... l’union essentielle où l’âme jouit de Dieu, le possède et y est abîmée

À moins que d’en avoir eu l’expérience, il est impossible d’entendre en quelle manière l’âme au-dessus d’elle-même connaît Dieu sans le connaître, le goûte sans le goûter et le possède sans le posséder. Cela est si pur que l’esprit humain n’y peut atteindre; tout y est plein de ténèbres pour lui. Il faut bien concevoir que quand l’intelligence ou la pointe de l’âme est unie immédiatement à l’essence divine par la foi nue, c’est l’union essentielle où l’âme jouit de Dieu, le possède et y est abîmée d’une manière qui ne se peut expliquer, sinon par quelques effets qui en résultent21. Les autres portions de l’âme sont capables des effets de Dieu, mais non pas de Dieu qui ne peut faire son séjour qu’en cette pure intelligence.

      1. Mai 1650 M 3,76 Distinguer union essentielle et union accidentelle.

Mai 50 b l’union accidentelle ... l’union et l’oraison essentielle ... la perd en Dieu

En l’union accidentelle l’âme reçoit beaucoup de communications en son esprit et en ses sens, qui découlent de l’essence divine participée en l’âme d’une manière ineffable. Mais souvent cela se fait dans la circonférence de l’esprit humain avec les activités ordinaires. Mais dans l’union et l’oraison essentielle, l’âme est tout à fait au-dessus de l’esprit humain, et Dieu ne lui communique qu’une connaissance inconcevable qui l’abîme et qui la perd en Dieu; la submergeant dans cet océan infini de grandeurs, où elle ne regarde et ne voit que Dieu seul principalement et uniquement; laissant néanmoins en toute passivité remplir son esprit et ses sens de tout ce que Dieu lui veut communiquer, autant et en la manière qu’ils en sont capables. Et c’est ce qu’on appelle béatitude essentielle de l’homme spirituel en cette vie22.

[1651]

      1. 1651 L 2,54 -- Dieu seul doit suffire à une âme morte et anéantie…

1651 solitude admirable que l’âme a en son Dieu qui la rend indépendante de tout

[...] Il me fait cette miséricorde qu’il me semble que je n’ai attache à aucune créature, et que je n’ai besoin d’elles pour ma conduite intérieure; aussi je n’en cherche pas une. Je reçois néanmoins avec humilité, quand la divine Providence le veut ainsi, les bons avis que l’on me donne quelquefois sans que je les cherche. Celui-là seul connaît la solitude admirable que l’âme a en son Dieu qui la rend indépendante de tout ce qui n’est point Lui. Qui en a l’expérience, et cette expérience lui apporte tant de richesses et tant de biens qu’il ne le peut exprimer ni le veut aussi, puisque sa capacité étant toute pleine de Dieu, elle n’a de vue ni d’affection que pour Lui seul. Au commencement que nous parlions de la voie mystique, je ne pensais pas, ni ne concevais pas ce que Dieu y opère. [...]

[1652]

      1. 1652 M 2171 -- Si votre âme durant l’oraison est sans pensées et sans sentiments, ne vous en mettez point en peine…

1652 Si votre âme durant l’oraison est sans pensées et sans sentiments, ne vous en mettez point en peine

Si votre âme durant l’oraison est sans pensées et sans sentiments, ne vous en mettez point en peine, demeurez en cet état de stupidité intérieure. Il est ce semble, sans pensées et sans sentiments; il n’est pas pourtant sans connaissance et sans amour, puisque la foi est la pure lumière qui vous illumine, et qui vous unit à Dieu. L’esprit humain qui est captivé et obscurci en cet état croit n’avoir rien, et cependant il a tout ce qu’il doit avoir, puisqu’il est en repos, en paix, et en union, quoique d’une manière insensible, et imperceptible23. [...]

1653-1654

[1653]

      1. 1653 L 3,39 De la vie cachée avec Jésus Christ en Dieu. -- J’ai reçu grande joie d’apprendre des nouvelles de votre santé…

1653 C’est un état de pauvreté qui contient toutes les richesses, parce que l’on y vit de Dieu en Dieu, et l’on s’y trouve tellement perdu

[...] C’est un état de pauvreté qui contient toutes les richesses, parce que l’on y vit de Dieu en Dieu, et l’on s’y trouve tellement perdu, que l’on ne se retrouve jamais24. Si vous saviez combien il est rare d’entrer dans la vérité et dans la réalité de cet état, vous ne vous étonneriez pas des souffrances qu’il faut porter afin d’y arriver. [...]

      1. 1653 L 3,18 S’accoutumer à faire l’oraison avec la pure lumière de la foi. -- Je vous dirai qu’il ne faut pas s’étonner des oppositions et contradictions…

1653 b La foi est un rayon divin qui subsiste en sa pureté, au milieu des brouilleries et inquiétudes de nos sens ... Le rayon du soleil naturel demeure en sa pureté au milieu de la bouillie.

[...] La foi est un rayon divin qui subsiste en sa pureté, au milieu des brouilleries et inquiétudes de nos sens, et qui nous tient unis à Dieu d’une manière spirituelle et non sensible, qui est plus véritable et réelle qu’elle n’est aperçue ou ressentie. Aussi qui veut habiter la région du pur esprit et quitter le procédé des sens, il faut s’accoutumer à faire l’oraison avec la pure lumière de la foi. Le rayon du soleil naturel demeure en sa pureté au milieu de la bouillie. [...]

      1. 1653 L 3,40 Dans la voie passive de l’anéantissement. -- Depuis que Dieu par sa miséricorde a introduit l’âme dans la voie passive de l’anéantissement…

1653 c tout ce qui se passe en elle, c’est son divin Esprit qui l’opère ou qui le permet

M. Depuis que Dieu par sa miséricorde a introduit l’âme dans la voie passive de l’anéantissement, et qu’elle y demeure fidèle, tout ce qui se passe en elle, c’est son divin Esprit qui l’opère ou qui le permet25. Soit qu’elle chemine dans les ténèbres ou dans la lumière, qu’elle ait des tentations ou des consolations [...]

      1. 1653 L 3,51 Dieu est mon âme et mon âme est Dieu. -- Pour le présent il me semble que Dieu est mon seul intérieur…

1653 d Dieu est mon âme, ou mon âme est Dieu

[...] Enfin je ne me puis mieux expliquer, sinon que Dieu est mon âme, ou mon âme est Dieu, pour ainsi parler, et ensuite ma vie et mon opération. [...]

      1. 10 Février 1653 M 2172 Cette sacrée obscurité est plus claire que la lumière même.

10 fév 53 perdu dans l’abîme obscur de la foi, elle y doit demeurer en assurance

Quand l’âme est parvenue à un degré d’oraison où l’esprit humain se trouve perdu dans l’abîme obscur de la foi, elle y doit demeurer en assurance. Car cette sacrée obscurité est plus claire que la lumière même, et cette ignorance est plus savante que la science. Mais la mort de l’esprit humain est rare, et c’est une grâce que Dieu ne fait pas à tout le monde. Il faut passer par plusieurs angoisses, et souffrir plusieurs agonies [...]

      1. 24 Avril 1653 L 3,29 Qui vit en Dieu seul, voit en Dieu ses amis. -- Ces lignes sont pour vous réitérer les assurances de mes affections…

24 avril 53 Quiconque est arrivé à cet état voit en Dieu ses amis, les aime et les possède en Lui, et comme Dieu, il est partout, il les possède partout. ... Les âmes qui vivent en Dieu ont des intelligences si secrètes et une manière de se communiquer si admirable, que cela ne se comprend que par l’expérience.

M26. Jésus Ressuscité soit notre unique vie. Ces lignes sont pour vous réitérer les assurances de mes affections, et que si je vous écris rarement, c’est que je ne crois pas que notre union ait besoin pour se conserver de tous ces témoignages de bienveillance. Il suffit que notre demeure soit continuellement en Dieu, et qu’anéantis à nous-mêmes nous ne vivions plus qu’en Dieu seul; lequel ensuite est notre amour et notre union. Quiconque est arrivé à cet état voit en Dieu ses amis, les aime et les possède en Lui, et comme Dieu, il est partout, il les possède partout. Toutes les vicissitudes, et tous les témoignages d’affection que nous nous rendons par l’entremise des sens, sont bons pour ceux qui vivent dans les sens, ils ne peuvent s’en passer. Mais l’expérience fait connaître, que quiconque a trouvé Dieu en quittant les sens, il trouve tout en Lui. Et il est sans comparaison plus agréable d’en user de cette sorte, qu’autrement. C’est mal juger d’une personne de croire qu’elle oublie ses amis pour ne leur écrire point. Les âmes qui vivent en Dieu ont des intelligences si secrètes et une manière de se communiquer si admirable, que cela ne se comprend que par l’expérience. [...]

      1. 4 Mai 1653 L 2,13 -- Monsieur de Renti était mon intime ami.

4 mai 53 Monsieur de Renti ... je me sens encore plus uni à lui que jamais, et me semble avoir autant de familiarité avec lui

Mon Révérend Père, Monsieur de Renti27 était mon intime ami. J’avais avec lui des liaisons très étroites, ce qui me met dans la confusion d’avoir si peu profité en sa compagnie. Quand il mourut, je ne pus jamais en avoir aucun sentiment de tristesse; au contraire mon âme en fût toute parfumée d’une bonne odeur que je ne puis dire, et remplie d’une joie même sensible, avec une assurance certaine de sa béatitude. Quoi qu’il soit mort, je me sens encore plus uni à lui que jamais, et me semble avoir autant de familiarité avec lui. Si j’étais assez fidèle à demeurer perdu en Dieu, je l’y trouverais encore mieux. [...]

      1. 4 Mai 1653 L 2,49 Un simple regard vers Jésus-Christ suffit. -- Je viens de recevoir vos dernières, lesquelles m’apprennent la fidélité que votre âme apporte à suivre la grâce…

4 mai 53 Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former

[...] Nourrissez donc votre âme d’un simple et amoureux regard vers Jésus-Christ, et vous verrez par expérience que cette contemplation y opérera de grands effets28. [...]

      1. Juillet 1653 L 3,22 Il y a différents états dans la voie mystique. -- Je viens de recevoir vos dernières. Pour réponse…

Juillet 53 les vertus sans réflexion et sans peine

[...] C’est un des principaux avantages de cette voie, que l’on y acquiert les vertus sans réflexion et sans peine. Hors de cette oraison, l’on travaille beaucoup et l’on gagne peu. [...]

      1. 23 Août 1653 L 3,32 La vraie oraison c’est Dieu même en l’âme. -- Je répondrai à vos dernières, sans faire réflexion sur ce que vous a dit Monsieur N.…

23 août 53 Si nous nous voyons, il faut que ce soit en Dieu, afin que nous demeurions perdus continuellement en Lui. ... Tout ce qui n’est point Dieu me semble comme l’extérieur, et l’intérieur est Dieu seul. ... Tout ce que je fais, c’est de le laisser faire, et tâcher que mon fond soit comme une pure capacité pour recevoir Dieu à mesure qu’il se communique.

M29. Je répondrai à vos dernières, sans faire réflexion sur ce que vous a dit Monsieur N. Il ne faut pas s’amuser à regarder ce que nous sommes, mais ce que Dieu est. Si nous nous voyons, il faut que ce soit en Dieu, afin que nous demeurions perdus continuellement en Lui. C’est cette heureuse perte qui fait la félicité de nos âmes en cette vie et en l’autre, et sans laquelle il me semble que l’on ne peut vivre.

Car la vie qui n’est pas de Dieu et en Dieu, est plutôt une image de la vie que la véritable vie30. Que l’âme soit en ténèbres ou en lumière, qu’elle ait des jouissances ou des souffrances, des consolations ou des désolations, il importe peu, pourvu que sa vie soit en Dieu, ou plutôt Dieu même.

Tout ce qui n’est point Dieu me semble comme l’extérieur, et l’intérieur est Dieu seul. Il arrive quelquefois que la lumière de Dieu en nous abîme tellement et anéantit toute notre âme et nos puissances, qu’il semble que Dieu y soit seul, y vive et y opère; et cela d’une manière immobile et immuable, et dans un repos permanent.

Je ne vous dirai donc point de mes nouvelles, sinon que Dieu commence de vouloir être tout en moi, et je voudrais bien ne mettre point d’obstacle à sa divine opération. Tout ce que je fais, c’est de le laisser faire, et tâcher que mon fond soit comme une pure capacité pour recevoir Dieu à mesure qu’il se communique. Et c’est ici où il faut de la fidélité à ne point se soustraire à la communication de Dieu par quelque application au dehors, ou regard, ou inclination vers la créature. Plus Dieu est tout, et plus Il se communique. La plupart du temps nous parlons des effets d’oraison, plutôt que de l’oraison.

Car en effet la vraie oraison c’est Dieu même dans l’âme, et l’âme en Dieu qui y fait heureusement sa demeure d’une manière qui ne se peut exprimer. C’est la parfaite solitude et l’heureux ermitage qu’il faut toujours habiter, et jamais en sortir, quelques changements de lieux ou voyages qu’il faille faire en la terre. C’est ici où l’on comprend comme une même personne est dans le mouvement et dans le repos; qu’elle change de lieu sans partir d’une place; qu’elle est heureuse et malheureuse tout ensemble; elle est dans les créatures; elle converse avec elles, et néanmoins elle vit hors des créatures31. Pour lors l’occupation extérieure n’empêche point l’intérieure. Car tant qu’elle est dans l’ordre de Dieu, il n’y a plus d’embarras pour elle.

      1. 26 Août 1653 L 2,52 Dieu seul, Lui-même, doit être l’âme de votre âme. -- Vos dernières me font connaître plus clairement que jamais votre grande vocation au parfait anéantissement…

26 août 53 Le P. N. a l’esprit rempli de plusieurs beaux meubles pour y loger Dieu. Il faut qu’il en jette une bonne partie par la fenêtre.

[...] Dieu seul, Lui-même, doit être l’âme de votre âme, et la vie de votre vie, et ensuite la source de tous vos mouvements intérieurs et extérieurs. Vous expérimenterez avec le temps que votre intérieur fera plus, étant abîmé en Dieu. La lumière divine l’anéantissant ou transformant en Dieu. [...] Le P. N. a l’esprit rempli de plusieurs beaux meubles pour y loger Dieu. Il faut qu’il en jette une bonne partie par la fenêtre. C’est-à-dire que s’il lui restait quelques affections, il les doit anéantir. Le cabinet de Dieu doit être tout nu32. Aucune créature ne le doit parer. Il fait que N. aille peu à peu au dénuement. Je laisse à votre prudence de lui dire ce que je vous mande, ou non.

      1. 7 Septembre 1653 L 2,27 Quand Dieu devient l’âme de notre âme. -- Touchant la déclaration que vous me faites de votre oraison, ma lumière est petite…

7 sept 53 L’on reçoit une liberté si parfaite que l’on vaque à l’extérieur sans contrainte, et sans extraversion. ... «Je suis, répondit-elle, où j’étais il y a quinze ans.» -- «Et où étiez-vous?» -- «J’étais dans la perte en Dieu.»

[...] L’on reçoit une liberté si parfaite que l’on vaque à l’extérieur sans contrainte, et sans extraversion. L’on ne craint pas même l’épanchement au-dehors à parler pour secourir le prochain, quand l’établissement du fond est solide [...]

L’on m’a dit depuis peu qu’un bon Père Jésuite assista à la mort de Madame de Chantal. Et comme cette âme était toute perdue en Dieu, et ensuite dans un profond silence intérieur et extérieur, ce bon Père crût qu’il fallait savoir son état pour l’aider en ce passage si important. Et lui demandant : «ma Mère, où estes vous à présent?» -- «Je suis, répondit-elle, où j’étais il y a quinze ans.» -- «Et où étiez-vous?» -- «J’étais dans la perte en Dieu.» [...]

      1. 16 Décembre 1653 L 3,9 La boue entre les mains de Dieu fait des miracles. -- Il me semble qu’en la présence de Dieu ce matin, j’ai reçu les pensées que je vous dirai en toute simplicité…

16 déc 53 La boue entre les mains de Dieu fait des miracles

[...] Peu d’âmes se trouvent capables des humiliations et anéantissements qu’il faut souffrir pour être tout à Dieu dans cette voie. Notre Seigneur donna la vue à un aveugle avec de la boue33. Et si cet aveugle avait raisonné sur ce procédé, je ne sais s’il aurait consenti à cette manière d’agir. La boue entre les mains de Dieu fait des miracles, mais c’est cette divine main qui les opère. [...]

[1654]

      1. 1654 L 3,34 Le secret de la parfaite union avec Dieu. -- Pour répondre à votre dernière, je vous dirai dans ma simplicité et liberté ordinaire…

1654 Je suis bien aise que vous goûtiez l’oraison sans la goûter,

M. Jésus soit notre unique et seul appui. Pour répondre à votre dernière, je vous dirai dans ma simplicité et liberté ordinaire, qu’il est vrai qu’il semble que j’ai été d’intelligence avec Dieu pour ne vous donner aucune consolation, puisqu’en effet je ne vous ai pas écrit depuis plusieurs mois; ne sachant pas comme cela est arrivé, car j’en avais et l’intention et l’affection. Je ne vous crois pas encore assez établi dans la voie de Dieu, pour vous priver de tout secours et de tout appui. C’est pourquoi je ne l’ai pas fait exprès; mais je pense que Dieu l’a ainsi permis pour vous faire avancer à grands pas dans la pure oraison qui consiste à posséder Dieu dans un parfait anéantissement. [...] Je suis bien aise que vous goûtiez l’oraison sans la goûter, puisque vous êtes résolu de la continuer, non seulement jusqu’à Pâque, mais d’ici à six ans. Donnez-moi de vos nouvelles à Pâque, et je vous dirai mon avis pour la continuation de votre oraison. Car il faut suivre l’ordre de Dieu qui doit être notre unique prétention. Je ne doute point que votre tristesse et vos soupirs ne procèdent de l’aversion que vous avez contre les tentations qui vous importunent. C’est une excellente ignorance que de ne se regarder point soi-même. [...]

      1. 29 Mars 1654 L’esprit de notre petit Ermitage. -- J’ai reçu vos dernières qui m’ont donné grande consolation…

29 mars 54 ce néant ne consiste pas seulement à avoir aucune attache aux choses du monde, mais à être hors de soi-même; c’est à dire, hors de son propre esprit et sa propre vie.

[...] Il est si facile de sortir du néant pour être quelque chose, que la plus grande miséricorde que Dieu fasse à une âme en la terre, c’est de la mettre dans le néant, de l’y faire vivre et mourir34. Dans ce néant Dieu se cache, et quiconque demeure dans ce bienheureux néant, trouve Dieu et se transforme en Lui35! Mais ce néant ne consiste pas seulement à avoir aucune attache aux choses du monde, mais à être hors de soi-même; c’est à dire, hors de son propre esprit et sa propre vie. C’est Dieu seul qui fait ce grand coup de grâce, et c’est de sa pure miséricorde que nous devons attendre cet heureux état dont les grandeurs et les biens immuables ne se connaîtront que dans l’éternité. Si les âmes avaient un peu de lumière, toutes leurs prétentions ne seraient qu’à être réduites à ce néant divin. [...]

      1. 30 Mars 1654 L 3,4 N’avoir rien, c’est avoir tout. -- Ce mot est pour vous assurer, que je me sens aussi uni à vous à Caen comme à Rouen…

30 mars 54 Ce mot est pour vous assurer, que je me sens aussi uni à vous à Caen comme à Rouen, et que notre union s’établit et s’affermit dans le fond de l’âme, aussi bien de loin que de près. ... N’avoir rien, c’est avoir tout; et ne savoir rien, même que l’on soit devant Dieu, est une manière de présence de Dieu

[...] Ce mot est pour vous assurer, que je me sens aussi uni à vous à Caen comme à Rouen, et que notre union s’établit et s’affermit dans le fond de l’âme, aussi bien de loin que de près. [...]

N’avoir rien, c’est avoir tout; et ne savoir rien, même que l’on soit devant Dieu, est une manière de présence de Dieu très sainte et très utile. À mesure que N. se détachera du monde et de soi-même, Dieu s’approchera de son âme. Il faut qu’elle demeure en sa sainte présence le plus doucement et simplement qu’elle pourra, afin de recevoir des grâces qui l’obligeront de plus en plus à être à Dieu. Quand on a une bonne volonté et qu’on ôte les empêchements que l’on reconnaît et qui étaient volontaires, il ne faut pas amuser son âme à faire des réflexions sur ses misères et ses pauvretés, mais plutôt l’occuper de la vue de Dieu, de Jésus-Christ, ou de quelqu’un de ses mystères, et se contenter souvent d’être en sa sainte présence. Quoique dans une obscurité et grande distraction l’âme est souvent aveugle et ne voit pas Dieu. Mais il lui doit suffire que Dieu la voit et qu’Il la regarde dans le dessein qu’elle a d’être toute à Lui.

      1. 19 Avril 1654 L 2,51 Il faut mourir auparavant que de vivre d’une nouvelle vie.­­ -- Puisque Notre Seigneur vous a fait la grâce d’attirer votre âme à Lui par le moyen de la foi pure et nue…

19 avril 54 Le divin Soleil éclairera vos ténèbres, et échauffera vos froideurs par ses divins rayons. N’apportez point seulement d’empêchement à sa divine lumière, et vous verrez que tout ira bien.

[...] Je vous puis assurer que votre état est bon. Ne craignez rien; continuez avec fidélité à perdre votre âme en Dieu. C’est cette heureuse perte que vous ne concevez pas facilement. Je m’aperçois pourtant que vous l’expérimentez. Vivez donc toute perdue en Dieu, et faites ainsi toutes vos actions, sans vouloir exprimer dans votre intérieur des dispositions plus particulières ni des actes plus spécifiés. Si votre esprit humain a de la peine à goûter ce procédé, il ne faut pas être surprise, puisque cela ne lui est pas naturel, mais au-dessus de lui. Quant aux imperfections, que vous me mandez être en grand nombre, je vous prie de ne point faire beaucoup de réflexions volontaires dessus, pour les regarder, ni pour en délivrer votre âme; tenez-vous perdue, et unie à Dieu; il les anéantira toutes quand il lui plaira; le trop grand soin de notre pureté intérieure est souvent une impureté devant Dieu. Le divin Soleil éclairera vos ténèbres, et échauffera vos froideurs par ses divins rayons. N’apportez point seulement d’empêchement à sa divine lumière, et vous verrez que tout ira bien.

      1. 13 Mai 1654 L 3,6 Il n’y a qu’à Le laisser faire. -- Je viens de recevoir vos dernières, et je sens mouvement d’y répondre tout présentement…

13 mai 54 Mais cet ouvrage est souvent si caché et inconnu, même aux personnes spirituelles, qu’en vérité elles font beaucoup souffrir, ne pouvant concevoir que ce soit une œuvre de Dieu, de ne pouvoir ni penser, ni rien dire de distinct et d’aperçu

[...] Mais cet ouvrage est souvent si caché et inconnu, même aux personnes spirituelles, qu’en vérité elles font beaucoup souffrir, ne pouvant concevoir que ce soit une œuvre de Dieu, de ne pouvoir ni penser, ni rien dire de distinct et d’aperçu36. Les âmes qui sont en silence parlent suffisamment à ceux qui ont l’expérience des voies de Dieu37. Elles remarquent dans la mort la vie et dans le néant Dieu caché qui prend plaisir de les posséder d’une manière admirable, quoi que secrète et intime. Ma lumière est petite; néanmoins je ne craindrai pas à vous dire que vous ayez à demeurer en repos, et à être totalement passive aux opérations de Dieu. Si vous ne connaissez pas, soyez paisible dans votre ignorance, et vivez sans réflexions volontaires. Soyez attentive sans attention sensible et trop aperçue à vous laisser imprimer aux impressions divines38. Il semble qu’il est fort aisé de conseiller une âme que Dieu conduit lui-même. Or il n’y a qu’à Le laisser faire. [...]

      1. 17 Septembre 1654 L 3,55 Le seul appui est la pure foi. -- Puisque cette personne est avec vous, prenez-y garde…

17 sept 54 Au lieu que dans les autres l’on a des images, des connaissances, et des sentiments de Dieu, en celle-ci l’on possède Dieu même, lequel étant vu au fond de l’âme, commence à la nourrir et à la soutenir de Lui-même, sans lui permettre d’avoir aucun appui sur ce qui est créé. Et c’est ce que l’on appelle science mystique, que cette expérience de Dieu en Dieu même, de laquelle l’on n’est capable, que lorsque le don en a été fait par une miséricorde spéciale

[...] Au lieu que dans les autres l’on a des images, des connaissances, et des sentiments de Dieu, en celle-ci l’on possède Dieu même, lequel étant vu au fond de l’âme, commence à la nourrir et à la soutenir de Lui-même, sans lui permettre d’avoir aucun appui sur ce qui est créé39. Et c’est ce que l’on appelle science mystique, que cette expérience de Dieu en Dieu même, de laquelle l’on n’est capable, que lorsque le don en a été fait par une miséricorde spéciale [...]

Il faut recommander ce voyage à Dieu, car il ne faut point que la créature y ait part. Monsieur B40, prêtre qui demeure avec nous, serait bien capable d’aider votre communauté touchant cette oraison. Il a plus de grâce et de lumière que moi, et est plus disposé d’aller. S’il pouvait faire un petit tour à Paris, je crois que cela vous servirait. Il est à présent auprès de Timothée41, où il reçoit beaucoup de grâces touchant cette voie d’anéantissement.

      1. 19 Octobre 1654 L 3,60 Que l’Esprit de Dieu fasse son ouvrage à sa mode. -- Vous m’obligez d’écrire quelque chose sur les dispositions de la bonne Mère B.…

19 oct 54 l’âme n’est pas au point de la perfection, qu’elle n’ait outrepassé tout ce qui n’est point Dieu pour arriver à Dieu même, et y vivre dans une nudité parfaite d’être, de vie et d’opération

[...] l’âme n’est pas au point de la perfection, qu’elle n’ait outrepassé tout ce qui n’est point Dieu pour arriver à Dieu même, et y vivre dans une nudité parfaite d’être, de vie et d’opération42. [...]

      1. 20 Octobre 1654 L 2,25 Un abrégé de la voie mystique.

20 oct 54 conduite passive, se laisse tirer à l’opération divine. Le procédé que tient cette divine opération, c’est d’élever l’âme peu à peu des sens à l’esprit, et de l’esprit à Dieu, qui réside dans le fond. ... obscurités en son esprit, si épaisses qu’elle ne voit et ne connaît plus rien. ... l’âme expérimente qu’il faut qu’elle soit dénuée toujours d’affection des grâces sensibles, des lumières, et des sentiments ... Ce qui embarrasse les âmes, c’est qu’elles s’imaginent n’avoir rien s’il n’est sensible et aperçu

Dans toute cette élévation, l’âme expérimente qu’il faut qu’elle soit dénuée toujours d’affection des grâces sensibles, des lumières, et des sentiments [...] Tout le secours que l’on peut rendre aux âmes qui sont déjà gratifiées de la grâce d’oraison est de leur donner de temps en temps quelques petits avis, pour les aider à ne point s’arrêter à ce qui n’est point Dieu. [...]

L’oraison passive est divisée en deux. La première qui est active et passive toute ensemble, c’est à dire où tantôt l’âme agit, et tantôt laisse opérer Dieu en elle. La deuxième est celle qui est passive, et qui ne peut souffrir aucune activité, ayant pour tout appui l’attrait passif de Dieu qui commence à la conduire, ou plutôt à la porter vers Dieu, son Principe et sa dernière Fin. En cet état il faut laisser opérer Dieu, et recevoir tous les effets de sa sainte opération, par un tacite consentement dans le fond de l’âme. L’âme donc qui a expérience de cette conduite passive, se laisse tirer à l’opération divine. Le procédé que tient cette divine opération, c’est d’élever l’âme peu à peu des sens à l’esprit, et de l’esprit à Dieu, qui réside dans le fond43.

Dans toute cette élévation, l’âme expérimente qu’il faut qu’elle soit dénuée toujours d’affection des grâces sensibles, des lumières, et des sentiments; et souvent Dieu, par un trait de sa Sagesse, la dépouille effectivement par des impuissances, des ténèbres, des stupidités, insensibilités que l’on doit souffrir et porter passivement, sans jamais rien faire pour en sortir. Dans ces souffrances, l’âme étant purifiée, est rendue capable d’un plus haut degré d’oraison. Son esprit étant rempli de dons de grâce et de lumières toutes spirituelles et intellectuelles, elle possède une paix admirable. Mais il faut qu’elle soit encore dépouillée de toutes ces faveurs44.

Pour cet effet Dieu augmente ses peines intérieures, et permet qu’il lui arrive des doutes et des incertitudes de son état, avec des obscurités en son esprit, si épaisses qu’elle ne voit et ne connaît plus rien. Elle ne goûte plus Dieu, étant suspendue entre le ciel et la terre. Cet état est une suspension intérieure, dans laquelle l’âme ne peut goûter rien de créé ni d’incréé. Elle est comme étouffée, et il ne faut pas qu’elle fasse rien pour se délivrer de ce bienheureux tourment, qui lui donne enfin la mort mystique et spirituelle, pour commencer une vie toute nouvelle en Dieu seul45. Vie que l’on appelle d’anéantissement. La force du divin rayon l’ayant tirée hors d’elle-même et de tout le créé, pour la faire demeurer en Dieu seul. Cette demeure et cet établissement en Dieu est son oraison qui n’est pas dans la lumière ni dans les sentiments, mais dans les ténèbres insensibles, ou dans les sacrées obscurités de la foi, où Dieu habite. La fidélité consiste à vivre de cette vie si cachée en Dieu46, et si inconnue aux sens, et porter en cet état toutes les peines et souffrances intérieures et extérieures qui peuvent arriver, sans chercher autre appui ni consolation que d’être en Dieu seul. La mort mystique est non seulement continuée, mais augmentée en cet état, et la vie divine prend accroissement47.

Les susdites ténèbres de la foi commencent à s’éclaircir, à découvrir à l’âme ce que Dieu est en soi, et tout ce qui est en Dieu48. C’est comme la première clarté que le soleil jette sur l’horizon, auparavant49 même le lever de l’aurore. Cette lumière est générale, tranquille, sereine, mais qui ne manifeste encore rien de distinct en Dieu, sinon après quelque temps passé. En suite de quoi on découvre Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’abîme de la divinité, d’une manière admirable50; Le voyant comme dans la glace d’un miroir51, l’on voit quelque belle image qui est dans la chambre. Cette vision de Notre Seigneur Jésus-Christ ne se peut exprimer, et les sens ne la peuvent comprendre qu’avec des images sensibles. L’expérience fait goûter que ce n’est point l’image de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ même. Autrefois elle a reçu des notions de Jésus-Christ dans ses puissances pleines de faveurs et de clartés. Mais elle connaît bien que ce n’est pas cela dont elle jouit. Pour lors, Jésus-Christ commence à être la vie de son âme et le principe de tous les mouvements et opérations. [...]

Ce qui embarrasse les âmes, c’est qu’elles s’imaginent n’avoir rien s’il n’est sensible et aperçu. [...]

      1. 5 novembre 1654 L 1,46 Mon fond, c’est la seule lumière de la Foi. -- Je connais un certain état d’anéantissement de la créature…

5 nov 54 elle vivrait hors d’elle-même et en quelque façon, ne serait plus elle-même ni n’opérerait plus elle-même, mais elle agirait en Dieu par Dieu même

M. Je connais un certain état d’anéantissement de la créature, si parfait que si l’âme y pouvait arriver, elle vivrait, ce me semble, dans une grande pureté puisqu’elle vivrait hors d’elle-même et en quelque façon, ne serait plus elle-même ni n’opérerait plus elle-même, mais elle agirait en Dieu par Dieu même. Cette lumière me pénètre si fort que je ne puis prétendre à un autre état et je sens mon cœur si fortement touché d’y aspirer que je ne puis l’empêcher d’y tendre. Mais comme cet ouvrage est un pur effet de la miséricorde de Dieu, je demande le secours de vos saintes prières et de toutes les bonnes âmes que vous connaissez. Je sais bien que l’état dont je parle est un grand don de Dieu et qu’il ne se communique qu’après une longue fidélité. Tout cela ne me décourage point, sentant que mon âme y aspire et qu’on lui en donne le mouvement. Tous les ouvrages extérieurs et les emplois mêmes pour le salut des âmes, ne me semblent pas suffisants pour sanctifier parfaitement une personne si cet état d’anéantissement ne survient. Il est vrai que le travail dans de pareils emplois souvent presse Notre Seigneur de le donner. C’est un état passif qui met l’âme tout à fait entre les mains de Dieu pour en disposer selon sa sainte volonté, et en l’intérieur et en l’extérieur. Le Père N. est pour demeurer estropié en France si son mal de pied continue, au lieu d’aller en Canada souffrir le martyre. Et cependant, comme il est dans l’état d’anéantissement, tout cela lui est indifférent pourvu qu’il soit tout à Dieu, à la mode de Dieu et non à la sienne. On est longtemps à connaître que la perfection est au-dedans, non au dehors de l’âme, qu’elle consiste à n’être plus du tout propriétaire de sa volonté, de son jugement et de tout ce qui n’est point Dieu52. Je me suis toujours conduit pour N. avec assez de réserve sans m’y appuyer totalement ce me semble. Ce n’est pas que je ne crois qu’il n’est pas trompé, mais je sais bien aussi qu’il ne faut pas publier indiscrètement ses sentiments sur ce sujet. Il y a de l’obscurité dans cette vie et l’on ne connaît rien avec évidence. Mon fond, c’est la seule lumière de la Foi. C’est elle que je veux suivre, et tout le reste me paraît douteux53.

      1. 11 Novembre 1654 L 3,41 Dieu est et vit, et cela me suffit. -- Quand vraiment et réellement Jésus Christ est notre vie…

11 nov 54 Toutes ces expériences particulières qu’elle a eues autrefois, sont perdues et abîmées dans une unité si pure et si nue, qu’elle ne goûte rien en particulier ... je vis sans vie, je suis sans être. Dieu est, et vit, et cela me suffit. ... Cette unité divine est à présent mon fond, mais si caché et si perdu, que je ne trouve plus rien, sinon que je me perde moi-même

[...] Toutes ces expériences particulières qu’elle a eues autrefois, sont perdues et abîmées dans une unité si pure et si nue, qu’elle ne goûte rien en particulier54. Mais tout ce qui est Dieu est son fond, non pas éclairé, mais dans une obscurité divine; laquelle lui cachant tout, lui donne néanmoins tout d’une manière qu’elle ne peut dire. La faim que Jésus Christ fût sa vie et son tout, est cessée. Il ne lui reste qu’un abîme qui attire de plus en plus une plus grande plénitude de l’abîme de la divinité. Je m’exprime comme je puis, car il faut chercher des termes pour dire quelque chose de la réalité de cet état, qui est au-dessus de toutes pensées et conceptions. Et pour dire en un mot, je vis sans vie, je suis sans être. Dieu est, et vit, et cela me suffit. Je n’ai plus tant d’effets de grâces dans mes puissances qu’à l’ordinaire, ni mes puissances ne goûtent plus rien qui sorte du fond. Il est, ce me semble, infiniment éloigné d’elles à présent.

C’est par le fond seul que je goûte le fond, et toute la divinité me paraît anéantir tout moi-même, sans rien distinguer, si c’est Jésus-Christ ou la sainte Trinité, ou la divine essence. Cette unité divine est à présent mon fond, mais si caché et si perdu, que je ne trouve plus rien, sinon que je me perde moi-même; et ensuite, je reçois mouvement pour agir et souffrir selon l’ordre de la Providence. Voilà bien des paroles pour ne rien exprimer de ce que je veux dire. Priez Notre Seigneur Jésus Christ de mettre en moi ce qu’Il lui plaira.

1655-1656 années creuses

[1655]

      1. 2 février 1655 L 2,40 Ce qui attire Jésus dans les monastères. — Je ferai tout mon possible pour aller à Paris…

2 fév 55 je craignais beaucoup que ce ne fut un certain néant que notre esprit forme et prend pour objet, et non pas un néant mystique que Dieu communique à l’âme et qui est le principe de ses opérations.

[..] J’ai vu des âmes, lesquelles m’ont dit n’avoir pour leurs oraisons que leur néant. Mais je craignais beaucoup que ce ne fut un certain néant que notre esprit forme et prend pour objet, et non pas un néant mystique que Dieu communique à l’âme et qui est le principe de ses opérations. Pour prendre ceci, vous devez savoir que les âmes s’anéantissent par activité. Et pour elles, ce n’est pas par la force de l’action de Dieu qu’elles sont réduites au néant. Et ainsi elles ne sont pas capables de demeurer en Dieu sans moyen, ni de le contempler comme font les âmes que Dieu y conduit d’une manière particulière. Et Lui seul est le moyen et la fin55. Il n’importe pas, ma chère sœur, en quel degré d’oraison l’on soit, pourvu que Dieu nous y mette. [...]

      1. 17 Mars 1655 L 3,24 On s’imagine qu’être en quiétude, c’est ne rien faire. -- C’est une grande misère de ne point connaître qu’il ne faut pas toujours chercher Notre Seigneur...

Je sentis en mon oraison toutes mes puissances accoisées et remplies d’une grande paix

[...] force d’oraison56. [...]



[1656]

      1. 3 Janvier 1656 L 3,13 Perte de l’âme en Dieu, la comparaison d’une rivière -- Ma très chère Sœur, Jésus Christ soit notre unique vie. Je viens de recevoir vos dernières qui me consolent beaucoup…

3 janv 56 quand elle en approche, la mer par un flux vient comme au-devant d’elle pour la solliciter de se hâter de se perdre.

Ma très chère Sœur57, Jésus Christ soit notre unique vie. Je viens de recevoir vos dernières qui me consolent beaucoup, apprenant de vos chères nouvelles. O que Notre Seigneur vous fait de miséricordes de vous donner un désir continuel de vous perdre et vous abîmer en Lui! c’est le seul ouvrage de sa main, car Lui seul nous retire de tout le créé et de tous les moyens humains, pour nous unir à Lui d’une manière inexplicable, mais néanmoins véritable et réelle58. [...]

Pour cet effet nous prendrons la comparaison d’une rivière, par exemple la Seine. Laquelle va continuellement pour se perdre en la mer, mais quand elle en approche, la mer par un flux vient comme au-devant d’elle pour la solliciter de se hâter de se perdre. Et puis quand elle est arrivée à la mer, alors on peut dire qu’elle est véritablement perdue, et qu’elle n’est plus puisque la mer seulement paraît59. [...]

      1. 13 Août 1656 M 2173 Il blesse d’une manière que Lui seul peut guérir. -- Mon oraison a bien changé. Ce n’est plus qu’un exil ou un bannissement de Dieu…

13 août 56 Ce n’est plus qu’un exil ou un bannissement de Dieu

Mon oraison a bien changé. Ce n’est plus qu’un exil ou un bannissement de Dieu60; et non pas comme à l’ordinaire une union avec Lui. L’état de lumière et d’amour s’est évanoui, ce n’est pas pourtant ce qui m’afflige61. Car quand Il revient quelquefois Il ne me satisfait pas, puisque le fond de mon âme ressent une inclination vers Dieu qui ne peut être contentée que de Dieu même. Mais comme mes imperfections et mes infidélités ne me permettent pas de m’en approcher, je demeure dans des tristesses et dans une désolation que je ne puis exprimer. [...]

      1. 14 Septembre 1656 L 3,25 Tant de goût et de saveur à être anéanti.

14 sept 56 Il y a tant de goût et de saveur à être anéanti de cette sorte, qu’il est impossible que l’âme puisse se servir d’autre règle, que de se laisser abîmer dans l’océan infini de la Divinité.

[...] ... il faut se perdre et s’abîmer d’une manière ineffable dans l’infinité de ces trois divines Personnes, pour entrer vraiment et réellement dans leur société. C’est cette divine perte que Dieu seul peut faire, et dont l’âme n’a expérience que lorsqu’elle est réduite au néant62. Il y a tant de goût et de saveur à être anéanti de cette sorte, qu’il est impossible que l’âme puisse se servir d’autre règle, que de se laisser abîmer dans l’océan infini de la Divinité. Il est plus facile de se taire que de parler de ce degré d’union. Toute expression est au-dessous de l’expérience.

Il suffit à l’âme de se perdre pour être contente et posséder un bonheur inconcevable. Mais quand elle se trouve elle-même par quelque infidélité et détour de Dieu, elle expérimente le dernier malheur qui se peut souffrir en cette vie63. [...]

      1. 10 Octobre 1656 L 3,47 En même temps, sa présence et son absence. -- Votre dernière lettre m’a donné beaucoup de consolation et d’instruction…

10 oct 56 me semblant que je n’ai jamais été plus éloigné de Dieu que lorsque je l’ai expérimenté plus proche.

M. Jésus soit l’unique union de nos cœurs. Votre dernière lettre m’a donné beaucoup de consolation et d’instruction; je vous en suis très obligé. Et par ce mot je vous en témoigne mes reconnaissances, vous suppliant de continuer ce petit commerce spirituel dont j’espère tirer beaucoup de profit. Je vous dirai donc en simplicité, que je sens dans mon intérieur une sympathie et une correspondance avec le vôtre, goûtant ce qui me semble que vous goûtez des secrètes opérations de Dieu dans l’intime de votre fond. Je me sens bien éloigné d’expérimenter les choses que Notre Seigneur vous communique. Mais un degré inférieur ne laisse pas de goûter un supérieur par je ne sais quelle union qui ne le peut exprimer. Je reconnais que votre chère âme est sans doute pénétrée de la lumière éternelle. J’espère qu’elle le sera encore davantage et d’une manière plus essentielle. Plus une âme se va perdant et abîmant, plus elle est transformée en Dieu. Et comme cette perte ne se fait que peu à peu, il faut aussi avec patience et longanimité attendre de la pure miséricorde de Dieu votre abîmement parfait et consommé.

Pour moi je suis toujours dans la même connaissance, que j’ai un fond de corruption infiniment opposé à Dieu. Ce qui fait, comme je vous ai témoigné par mes dernières, ma grande croix et un sujet de souffrances qui ne se peut déclarer. Cette divine présence réelle me cause une absence et un éloignement de Dieu découvrant mes impuretés, me semblant que je n’ai jamais été plus éloigné de Dieu que lorsque je l’ai expérimenté plus proche. En un même moment je goûte sa présence et son absence, et je connais qu’il n’y a point de remède à mon mal, sinon que cette divine présence aille consumant peu à peu mes imperfections comme le soleil quand il se lève dissipe les ténèbres de la nuit64. Quand on est arrivé au-dessus de tout moyen, notre avancement dépend de la pure communication de Dieu qui la fait comme il lui plaît. Dans l’état essentiel l’on expérimente une dépendance de Dieu si absolue, que vous savez bien qu’il n’y a rien au ciel et en la terre qui puisse aider, que Dieu seul. Il est vrai que dans le fond Dieu est vie à l’âme. Mais c’est une vie qui produit continuellement des morts, jusqu’à ce que l’âme soit totalement et parfaitement morte! C’est l’effet le plus nécessaire et le plus ordinaire de Dieu, vivant en la manière dont je parle que de faire mourir. Il est vrai que de mourir de la sorte est l’unique plaisir d’une personne qui veut être toute perdue en Dieu. Ne me refusez pas, Monsieur, vos saintes prières à ce sujet. Je vous assure que je ferai de même pour vous, désirant de tout mon cœur que vous me continuiez votre bienveillance et la qualité de, etc.

      1. 20 Novembre 1656 L 3, 36 Que nous soyons un jour tous fondu en Jésus. -- Ma très chère Sœur, Jésus soit notre mort, notre vie, notre néant et notre tout…

20 nov 56 Vous concevez bien que cette divine union ne se fait plus comme auparavant que votre état fut changé. Car elle se faisait par le moyen des lumières, des ferveurs de grâces et de dons que vos puissances recevaient de la bonté de Dieu, et dans cette jouissance vous Lui étiez unie. ... À présent Notre Seigneur vous a élevée au-dessus de toutes ces dispositions créées, lesquelles quoi que très bonnes et saintes, sont néanmoins finies et limitées. ... réduire non seulement sa créature à la petitesse, de la brûler jusques à la rendre cendre et poussière.

Ma très chère Sœur, Jésus soit notre mort, notre vie, notre néant et notre tout. Nous avons vu avec consolation le changement intérieur qu’il a plu à Notre Seigneur vous donner. C’est sans doute une faveur spéciale, sur laquelle il lui faut rendre actions de grâces extraordinaires. C’est un don précieux et qui vaut mieux que tout ce que votre âme a reçu jusques à présent. Enfin c’est Dieu lui-même qui se donne dans le fond de votre âme en vérité et réalité, d’une manière qui ne se peut exprimer, bien que vous en ayez l’expérience. C’est cette expérience qui doit être maintenant votre oraison et votre union avec Dieu65. [...]

Vous concevez bien que cette divine union ne se fait plus comme auparavant que votre état fut changé. Car elle se faisait par le moyen des lumières, des ferveurs de grâces et de dons que vos puissances recevaient de la bonté de Dieu, et dans cette jouissance vous Lui étiez unie. Et s’il arrivait que Notre Seigneur vous mît dans la privation, dans les obscurités, stérilités et les peines intérieures, votre union pour lors se faisait par la pure souffrance et dans un état pénible. À présent Notre Seigneur vous a élevée au-dessus de toutes ces dispositions créées, lesquelles quoi que très bonnes et saintes, sont néanmoins finies et limitées. Et ainsi ne peuvent donner qu’une participation bornée et petite, en comparaison de celle que l’on expérimente dans la pente de soi-même en Dieu66.

C’est cette heureuse perte qui nous tire de nous-mêmes et jetant notre propre être et notre vie dans l’abîme infini, le transforme en Dieu et le rend tout divin, lui donnant une vie et une opération toute déifiée67. Nous avons des joies très grandes de vous savoir arrivée à cet état. Vous voyez le chemin qui a précédé, combien il est long et difficile, et combien une âme est obligée de rendre grâces à Notre Seigneur, de lui découvrir le sentier du néant dans lequel en se perdant soi-même l’on trouve Dieu. Jouissez à la bonne heure du bonheur que vous possédez.

Mais sachez que vous n’êtes encore qu’au commencement de la vie anéantie, et que la porte vous vient seulement d’être ouverte. Y étant une fois entrée, ne tournez plus en arrière68. Mais persévérez pour vous laisser confirmer à ce feu divin qui ne cessera jamais de vous anéantir, si vous ne vous retirez point de sa divine opération. La comparaison d’un feu consumant exprime très bien le degré où vous êtes. C’est le propre de Dieu de réduire non seulement sa créature à la petitesse, de la brûler jusques à la rendre cendre et poussière. Mais même il la réduit au néant69.

Il est réservé uniquement à sa toute puissance aussi bien de perdre les âmes dans le néant mystique, que de les tirer du néant naturel par la création. C’est ici où commence la théologie mystique cachée aux sages et aux prudents, et révélée aux petits70. Pour tout conseil nous vous disons que vous vous mêliez le moins que vous pourrez de votre anéantissement, puisque les efforts de la créature ne peuvent aller jusque-là. Il faut qu’ils succombent et que Dieu seul opère d’une manière ineffable. Il y a seulement dans le fond intérieur un consentement secret et tacite. Que Dieu fasse de la créature ce qu’il lui plaira71. Vous goûterez bientôt ce que c’est que le repos du centre, et comme on jouit de Dieu en Dieu même72. [...]

1657-1659

[1657]

      1. 16 Janvier 1657 L 2,31 Les trois degrés pour monter au sommet de la montagne. -- Je vous suis infiniment obligé de l’honneur de votre souvenir dans votre chère solitude…

16 janv 57 // Ruusbroec

[...] Le grand secret donc de la vie spirituelle est de mourir à soi-même. Cette mort se doit rencontrer dans toutes nos actions, prétentions et désirs. Autrement notre fond propre, qui est tout plein de corruption, ne permettra pas que nous puissions rien produire avec pureté d’amour73.

      1. 21 Janvier 1657 L 3,31 Les biens qu’apporte cette sorte d’oraison sont innombrables. -- Jésus la lumière éternelle soit notre unique conduite. Ma maladie m’a empêché de vous répondre plus tôt…

21 janv 57 // Canfield

[...] Car la lumière éternelle se lève dans son fond comme un beau soleil sur l’horizon74, et dissipant peu à peu les ténèbres de son esprit humain, lui donne des intelligences du procédé mystique, et de la perte et anéantissement qu’elle doit souffrir en s’abîmant en Dieu75.[...]

      1. 23 Janvier 1657 L 3,15 De l’anéantissement mystique. -- Pour ce qui vous regarde, nous n’avons rien à dire, sinon que nous remarquons que l’esprit de Jésus-Christ veut anéantir le vôtre pour se mettre en sa place…

23 janvier 57 rentrer dans votre fond, ou plutôt dans Dieu même. Cela est très vrai et tout réel et non imaginaire ... Les fleurs d’un arbre s’épanouissent fort facilement et promptement, mais le fruit n’est produit qu’avec le temps.

M. Pour ce qui vous regarde, nous n’avons rien à dire, sinon que nous remarquons que l’esprit de Jésus-Christ veut anéantir le vôtre pour se mettre en sa place, et devenir la vie de votre vie et le principe de tous vos mouvements tant intérieurs qu’extérieurs. C’est la plus grande grâce que l’on puisse recevoir en la terre, et c’est où vous devez tendre, consentant volontiers de tout perdre pour posséder cet heureux trésor. Cela ne se fait que par une expérience, par laquelle on goûte que le fond de notre âme est plein de Dieu. Dans lequel on trouve sa vie, son centre et son repos, et hors duquel il n’y a pour l’âme qu’inquiétude, douleur, et misère.

Vous avez raison de dire que tout votre bonheur est de rentrer dans votre fond, ou plutôt dans Dieu même. Cela est très vrai et tout réel et non imaginaire. [...]

D’où vient aussi que vous ne vous mettez plus en peine d’être assurée de votre état? Votre seul appui est Dieu, et il n’est pas difficile de comprendre comme les créatures ne servent pas beaucoup, lorsqu’il plaît à Dieu de se donner Lui-même et de nous aider d’une manière essentielle. [...]

Les fleurs d’un arbre s’épanouissent fort facilement et promptement, mais le fruit n’est produit qu’avec le temps. Ceci vous doit servir de précaution, pour ne pas croire que vous soyez dans toute l’étendue de l’anéantissement que vous voyez et goûtez, puisque la formation réelle de Jésus-Christ ne se fait que dans la réelle souffrance, la réelle abjection, et la vraie mort de soi-même. Vous concevrez mieux cette vérité que nous-mêmes. Elle est d’importance dans la voie mystique, dans laquelle on s’abuserait aisément si nous ne savions que la seule mort donne la vie, le néant, le tout, et la nuit obscure de toutes sortes de privations de créature, la Lumière éternelle qui est Jésus-Christ. Vous êtes heureuse d’avoir vocation à cette grande grâce, prenez courage.

      1. 9 Avril 1657 L 3,35 Tournez votre âme du côté de la confiance en Dieu. -- J’ai fait réflexion sur ce que vous me mandez dans votre dernière…

9 avril 57 Tournez votre âme du côté de la confiance en Dieu et d’une sainte assurance et espérance

[...] Vous penchez toujours un peu du côté du scrupule et de la timidité. Tournez votre âme du côté de la confiance en Dieu et d’une sainte assurance et espérance, qu’il ne vous rebutera pas pour vos misères et pauvretés76. Et ne manquez pas de le prier souvent qu’il accomplisse en vous sa sainte volonté77.

      1. 9 Avril 1657 L 2, 24 C’est Dieu seul qui fait cet ouvrage. -- Je vous demande pardon, si nous avons été si longtemps à vous répondre…

9 avril 57 il faut traverser des voies et des passages pénibles et difficiles, où l’esprit meurt peu à peu, sans qu’il contribue lui-même à se faire mourir78. C’est Dieu seul qui fait cet ouvrage. Nous ne devons point y ajouter ni diminuer.

[...] Prenez néanmoins courage, car je ne doute point que Notre Seigneur ne vous appelle à la mort mystique dans laquelle l’on possède Dieu hors de soi-même79. Pour lors l’âme est ravie en Dieu par une extase admirable, qui ne se ressent point dans les sens, ni dans les puissances, mais qui s’opère seulement dans le pur fond de l’âme. Et c’est en quoi consiste la vie mystique ou divine : quand Jésus-Christ vit en nous et que nous ne vivons plus, qu’il opère en nous et que nous n’opérons plus qu’en lui80. Pour arriver à cette mort dont je parle, il faut traverser des voies et des passages pénibles et difficiles, où l’esprit meurt peu à peu, sans qu’il contribue lui-même à se faire mourir81. C’est Dieu seul qui fait cet ouvrage. Nous ne devons point y ajouter ni diminuer. [...]

      1. 26 Août 1657 L 2,23 Souffrir en patience passive. -- Ma très chère Sœur,

26 août 57 souffrir en patience passive toutes les pointes des douleurs des épines intérieures

[...] C’est la seule chose que je vous recommande : de souffrir en patience passive toutes les pointes des douleurs des épines intérieures dont votre âme est remplie. Je suis bien aise que vous ayez horreur de vous-même. Vous verriez encore bien plus le fond de votre corruption si la lumière était plus grande. Ne croyez néanmoins pas être sans amour secret ni caché, quoique vous n’en ayez aucun effet savoureux ni sensible. Prenez donc courage, et ne craignez pas votre intérieur; il est comme il doit être. Dieu le changera quand Il lui plaira.

      1. 30 Août 1657 L 3,16 C’est la dernière lecture qu’il faut quitter, que celle de l’Écriture sainte. -- Je ne manquerai pas durant votre retraite…

30 août 57 lumières ou ténèbres, goût ou dégoût, recueillement ou distractions. Ces choses sont dans les dehors de l’âme, et la quiétude, le calme et la paix sont dans le fond. C’est pourquoi cette diversité et variété qui se rencontrent dans les sens n’incommodent pas la paix qui est dans l’intime de notre âme

Jésus soit notre tout pour jamais. Je ne manquerai pas durant votre retraite d’avoir un soin très particulier de vous devant Notre Seigneur, afin qu’il achève en vous ce qu’il a si bien commencé. Dans votre solitude tenez votre âme dans le repos que Dieu lui communique, sans l’interrompre pour faire quelque lecture que ce soit, ou des prières vocales que lorsque vous en aurez facilité. Dans ce divin repos votre âme reçoit une union spéciale et secrète avec Dieu, et en cette union consiste principalement votre oraison. Dans l’état d’activité, on cherche Dieu par des considérations, des affections, et des résolutions.

Dans celui de passivité on a trouvé et goûté Dieu, et on demeure en repos avec Lui, recevant en cette disposition tout ce qui est donné à notre âme, soit lumières ou ténèbres, goût ou dégoût, recueillement ou distractions. Ces choses sont dans les dehors de l’âme, et la quiétude, le calme et la paix sont dans le fond. C’est pourquoi cette diversité et variété qui se rencontrent dans les sens n’incommodent pas la paix qui est dans l’intime de notre âme. [...]

      1. 20 Septembre 1657 L 3,17 Une vue simple et amoureuse doit nourrir votre âme. -- J’ai reçu et lu avec joie et consolation votre belle et excellente lettre…

20 sept 57 Laissez donc pour l’ordinaire votre âme sans beaucoup agir, et croyez que Dieu agira en elle.

[...] Une vue simple et amoureuse doit nourrir votre âme82. Et quand même elle serait toute spirituelle et que vos sens ne l’apercevront pas, il ne faut laisser de vous en servir. Car désormais, il ne faut plus changer de procédé intérieur, quelques sécheresses, ténèbres, ou étouffement intérieur qui vous arrivent. Nous supposons, comme je le crois, véritable, que Dieu vous cherche pour se communiquer à vous d’une manière pure et spirituelle [...]

La passivité dont je vous parle, n’empêchera pas que vous n’agissiez intérieurement, et extérieurement quand ce sera l’ordre de Dieu. Car l’âme passive n’est pas comme un tronc d’arbre qui n’a nulle action, ni opération. Mais les vues, les mouvements, et les sentiments qu’elle a, c’est Dieu qui les opère en elle et par elle d’une façon qu’on ne peut comprendre, à moins que de l’expérimenter. Laissez donc pour l’ordinaire votre âme sans beaucoup agir, et croyez que Dieu agira en elle. Je dis croyez, car souvent il vous paraîtra le contraire dans les grandes agitations d’esprit, les troubles et les impuissances que vous aurez quelquefois par intervalle. Demeurez ferme et constant, et Dieu ne laissera pas de faire ce qu’Il prétend en vous. Je vous supplie de ne me pas oublier en vos saintes prières. Votre humilité à m’écrire de votre oraison vous disposera à ce que Notre Seigneur lui-même vous éclaire. Car pour moi je ne suis que ténèbres et que corruption. Je refuserais nettement mes amis de correspondre à leurs désirs si je faisais tant soit peu de réflexion sur ce que je suis. Souvenez-vous bien que les sécheresses, tristesses, ennuis, impuissances, et oppressions intérieures, étouffent les opérations sensibles de notre âme, mais non pas celles de Dieu. Et c’est assez à une âme passive83.

      1. 20 Septembre 1657 M 1,87 (1.10.4) La fidélité d’une âme consiste à recevoir la mort que toutes ces choses lui donnent, et à ne point agir autrement. -- Les ténèbres, les sécheresses et les étouffements intérieurs…



20 sept 57 Les ténèbres, les sécheresses et les étouffements intérieurs que l’on expérimente quelquefois, de sorte qu’il semble que l’on soit tombé dans un abîme, ne nous doivent pas étonner, puisque ce sont des effets de Dieu résidant au fond de l’âme

Les ténèbres, les sécheresses et les étouffements intérieurs que l’on expérimente quelquefois, de sorte qu’il semble que l’on soit tombé dans un abîme, ne nous doivent pas étonner, puisque ce sont des effets de Dieu résidant au fond de l’âme, qui la veut purifier et la rendre capable de ses divines communications [...]

      1. 29 Septembre 1657 M 1,90 (1.10.7) Mourir au désir de ne pas mourir assez tôt.

29 sep 57 mourir encore au désir de ne mourir pas assez tôt.

[...] Que mon esprit meurt, à la bonne heure! Mais s’il ne meurt pas si tôt que je le désire, il faut avoir patience et mourir encore au désir de ne mourir pas assez tôt. |...]

      1. 6 Octobre 1657 L 2,30 Dans l’oraison, il ne faut jamais quitter Jésus Christ. -- Touchant la difficulté qui est venue à la personne dont il est question lisant Sainte Thérèse…

6 oct 57 Que si l’image de Jésus-Christ lui est donnée, qu’elle ne la quitte point. Si elle lui est ôtée, qu’elle ne la cherche point. ... qu’elle ne craigne pas d’avoir un repos dans lequel l’image de Jésus-Christ ne paraisse point

M. Touchant la difficulté qui est venue à la personne dont il est question lisant sainte Thérèse84, pour l’image de Jésus-Christ. Je vous dirai en peu de mots qu’elle doit garder en son oraison la conduite passive qu’on lui a conseillée. Il faut donc qu’elle se tienne passive dans son état de repos. Que si l’image de Jésus-Christ lui est donnée, qu’elle ne la quitte point. Si elle lui est ôtée, qu’elle ne la cherche point. Mais qu’elle conserve toujours une intention de ne se séparer jamais de la sainte présence de Jésus-Christ, laquelle lui est communiquée d’une manière cachée et imperceptible dans l’oraison de repos, quoiqu’elle n’en ait pas la pensée dans l’esprit. C’est une présence de grâce qui suffit pour dire qu’en effet il ne faut jamais quitter Jésus Christ. Et une âme ferait très mal sous prétexte de dénuement, de faire dessein d’une abstraction qui la séparât de l’humanité sainte de Jésus-Christ85. Si cette personne ne peut pas encore comprendre ce que j’ai dit, qu’elle ne s’en mette pas en peine et qu’elle ne craigne pas d’avoir un repos dans lequel l’image de Jésus-Christ ne paraisse point.

      1. 13 Octobre 1657 L 3,54 Sur l’anéantissement et la déification. -- Il y a bien de la différence entre la lumière de l’anéantissement, et la réalité…

13 oct 57 la Lumière éternelle commence Elle-même à pénétrer votre intérieur. Et cette pénétration continuant, Elle la perdra en Dieu et la déifiera peu à peu

[...] Plus Dieu qui est la Lumière éternelle croît, plus nous connaissons que nous sommes éloignés d’être anéantis et déifiés. Cet état n’arrive à l’âme que peu à peu, et après une infinité de morts et d’angoisses réellement expérimentées, et non en lumière seulement. Comme votre degré est supérieur au mien, vous entendez mieux que moi ce que je veux dire. Et je ne puis rien dire sur votre état présent, sinon que je reconnais pour certains que la Lumière éternelle commence Elle-même à pénétrer votre intérieur. Et cette pénétration continuant, Elle la perdra en Dieu et la déifiera peu à peu86. C’est pourquoi il ne faut s’étonner s’il reste en nous un grand fond de créatures et d’orgueil à détruire. Quand nous vous verrons, nous vous dirons nos pensées plus facilement.

      1. 28 Octobre 1657 M 2167 -- Si Dieu vous appelle par grâce à la pure passivité dans l’oraison…

28 oct 57 Vous direz peut-être que votre intérieur est plein de distractions et de ténèbres : à la bonne heure ! Cet abîme de misères et de pauvreté n’empêche pas que Dieu n’agisse secrètement et imperceptiblement, pour jeter votre âme et toutes ses opérations propres dans le néant. Ne vous imaginez donc pas qu’il ne se passe rien en elle. Mais demeurez seulement paisible et tranquille, et l’ouvrage de Dieu se fera.

Si Dieu vous appelle par grâce à la pure passivité dans l’oraison, ne la quittez pas, parce qu’elle donne lieu à l’opération secrète de Dieu, qui va anéantissant d’une manière inconcevable les affections et les attaches de toutes créatures en nous, et nous fait aussi mourir à nous-mêmes87. Dites souvent : «Que mon âme meure de la mort des justes88». Dieu tout seul opère cette sainte mort qui est si précieuse devant ses yeux89, et ne l’opère que dans l’état passif, sans quasi que nous puissions apercevoir aucune opération de notre part. Vous direz peut-être que votre intérieur est plein de distractions et de ténèbres : à la bonne heure ! Cet abîme de misères et de pauvreté n’empêche pas que Dieu n’agisse secrètement et imperceptiblement, pour jeter votre âme et toutes ses opérations propres dans le néant. Ne vous imaginez donc pas qu’il ne se passe rien en elle. Mais demeurez seulement paisible et tranquille, et l’ouvrage de Dieu se fera. Et ce bienheureux néant d’opération vous approchera de Dieu et vous Le fera goûter. Si votre esprit humain naturellement raisonnant et pénétrant trouve à redire à ce procédé intérieur, dites-lui qu’il n’y entend rien et que cet état est élevé au-dessus de sa capacité. Que s’il demeure aveugle, il verra les merveilles de Dieu par les lumières de la foi pure qui seule découvre la manière d’opérer de Dieu en l’âme dans l’état passif90.

[1658]

      1. 1 Juillet 1658 L 3,45 Vous êtes en chemin vers un pays qu’on appelle le néant. -- Je viens de recevoir votre dernière du vingt-quatrième juin…

1 juillet 58 Comme du soleil s’écoule la variété des couleurs sur les fleurs, quoique le soleil ne contienne qu’en éminence les couleurs, et non point formellement, car on aurait beau regarder de près le rayon du soleil si on y découvrait les couleurs qu’il répand sur les fleurs.

[...] Comme du soleil s’écoule la variété des couleurs sur les fleurs, quoique le soleil ne contienne qu’en éminence les couleurs, et non point formellement, car on aurait beau regarder de près le rayon du soleil si on y découvrait les couleurs qu’il répand sur les fleurs. De même Dieu tout nu n’a rien, ce semble à l’esprit humain, et néanmoins Il donne à l’âme tout ce qu’elle a besoin par écoulement91.

Il ne faut pas s’étonner si votre nature craint votre vocation au prochain. Car sans doute elle y trouvera sa mort et son anéantissement d’une manière et d’un biais que vous goûtez déjà. Et il faut que vous sachiez que par ce moyen seul vous arriverez au parfait néant de vous-même, et qu’il ne le faut point espérer ailleurs. Heureuse l’âme à laquelle Dieu se donne. C’est une grâce et un trésor que les sages et les prudents ne connaissent point. Il court un bruit que vous êtes allés tous deux vous rendre chartreux. D’autres disent que vous êtes allés à Rome, et moi je dis que vous êtes en chemin pour aller dans un pays qu’on appelle le néant. On croit que je cache votre dessein. Je me trouve si bien à Caen, que je ne pourrai pas me résoudre d’aller à Paris cette année, si ma présence n’y était très nécessaire; ce que je ne prévois pas puisque vous seul pouvez mieux faire que moi.

      1. 29 Septembre 1658 L 3,10 Il doit suffire de laisser brûler ce Feu intérieur. -- La personne dont il est question doit s’abandonner à Dieu, qui a un soin particulier d’elle dans l’oraison…

29 sept 58 fidélité (note) … chercher uniquement Dieu pour se perdre

fidélité92

[...] Il sera bon qu’elle continue ses emplois ordinaires de charité et d’obligation, les faisant en esprit d’abandon à l’ordre de Dieu. Mais aussi avec une inclination continuelle à chercher uniquement Dieu pour se perdre, et se reposer uniquement en Lui notre centre, et notre béatitude93. [...]

J’oubliais à dire que le Feu dont j’ai parlé, brûle l’âme sourdement et sans y produire aucune lumière distincte dans les puissances, mais seulement un repos et un calme. C’est assez pour être en union avec Dieu, en quoi consiste la vraie oraison.

      1. 7 Octobre 1658 L 3,48 Quand Dieu se manifeste Lui-même et révèle, ô quelle perte! Quel anéantissement dans une âme! -- C’est Lui seul qui peut ouvrir la porte au réel anéantissement…

7 oct 58 Toute la voie mystique est remplie de miséricordes qui passent au-delà de nos mérites ... C’est pour lors qu’Il nous ouvre la porte du réel anéantissement dans lequel Dieu est seul et la créature n’est plus.

Jésus-Christ soit notre unique vie pour le temps et pour l’éternité94. C’est Lui seul qui peut ouvrir la porte au réel anéantissement de la créature et qui peut faire cette grande miséricorde à une âme, sans laquelle tout ce qu’elle a reçu jusqu’ici de faveurs, de dons de lumières, de transports, d’amours, de ravissements mêmes si vous voulez, sont si peu de chose, qu’en vérité ce n’est rien en comparaison de la réalité du néant.

Toute la voie mystique est remplie de miséricordes qui passent au-delà de nos mérites, et qui sans doute seraient capables de nous contenter si Notre Seigneur ne nous faisait voir un peu en passant la vérité de la réalité du néant. Quand elle touche le fond de notre intérieur seulement en passant, il nous demeure des intelligences et des certitudes que tout ce qui est moins que Dieu n’est rien, et que Dieu seul est notre tout; et que pour y arriver il faut que Lui-même nous perde et nous anéantisse. C’est pour lors qu’Il nous ouvre la porte du réel anéantissement dans lequel Dieu est seul et la créature n’est plus. Dieu vit et opère, et la créature ne vit et n’opère plus95. Nous avons souvent la lumière de cet heureux état. Mais je vous confesse que très peu de personnes y arrivent en réalité, parce que Dieu ne les y appelle pas96. [...]

      1. 10 Octobre 1658 L 3,44 Dieu écoulé dans votre fond sollicite et tire votre âme de passer du rayon en Lui seul. -- Je reconnais par la lecture de votre dernière…

10 oct 58 Dieu vous veut tout à Lui, en Lui, et par Lui-même ... d’une manière au-dessus de toute manière, très simple, très douce, et très efficace

[...] Lui qui seul veut être son centre97, sa béatitude, et le principe de tous ses mouvements et opérations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. [...]

Dieu vous veut tout à Lui, en Lui, et par Lui-même vous n’aurez jamais de repos que cela ne soit98. Ayez un peu de patience et vous connaîtrez bientôt par expérience, que ce pénible ouvrage de sortir de soi-même, est opéré de Dieu, d’une manière au-dessus de toute manière, très simple, très douce, et très efficace [...]

      1. 31 Octobre 1658 L 3,50 Une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre. -- J’ai lu avec attention votre dernière, et j’ai considéré…

31 oct 58 Et vous anéantissant par sa plénitude, Il vous fait changer d’état intérieur, y ayant une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre

Monsieur99, Jésus soit notre unique tout pour jamais. J’ai lu avec attention votre dernière, et j’ai considéré les opérations de Dieu dans le centre de votre âme avec les effets qui les accompagnent. Selon mon petit discernement, je trouve le tout dans la vérité, croyant que c’est Jésus-Christ Lui-même, Vérité éternelle qui commence à se manifester en son infini et immensité.

Et vous anéantissant par sa plénitude, Il vous fait changer d’état intérieur, y ayant une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre100. La première fait chercher Dieu et donne une agilité à l’âme pour le trouver101. La seconde donne Dieu même qui commence à le rendre principe des opérations, mouvements102, et vues de notre âme, qui paraissent comme des ruisseaux d’eau vive qui sortent de la source103, ainsi que vous l’exprimez fort bien104. [...]

      1. 27 Novembre 1658 L 1,47 Un Chartreux, c’est comme une rivière qui coule dans un désert s’écoulant en la mer qui est Jésus-Christ. -- J’ai reçu une grande joie d’apprendre par vos dernières que vous avez été reçu à faire profession…

[...] Un seul regard de ce divin Seigneur fait fuir tous les démons jusques dans les abîmes105. [...]

      1. 12 Décembre 1658 L 3,20 Un pauvre chétif homme qui tend à l’anéantissement est capable de tout. -- Je ne vous puis exprimer la joie que nous avons tous récemment d’apprendre par vos chères lettres votre Sacre…

12 déc 58 Vous expérimenterez des secours extraordinaires de Dieu, lequel s’Il ne fait pas réussir ce que vous prétendez pour les affaires extérieures de sa gloire, Il avancera celles de votre intérieur, vous jetant dans une plus grande perte de vous-même et un plus profond abîmement en Lui

Monseigneur 106, [...] Ne quittez jamais (permettez-moi de vous parler de la sorte) cette manière d’agir en esprit de mort et d’anéantissement, quelque effort que vous fassent les prudents et les sages, lesquels ne s’y peuvent ajuster. Ils veulent toujours agir appuyés sur leur lumière et les âmes anéanties perdent la leur pour demeurer abîmées en Dieu, qui seul doit être leur lumière et leur tout. Dans le grand emploi que Notre Seigneur met sur vos épaules, et dans toute la conduite de votre vie, ne vous comportez jamais autrement107. [...]

Vous expérimenterez des secours extraordinaires de Dieu, lequel s’Il ne fait pas réussir ce que vous prétendez pour les affaires extérieures de sa gloire108, Il avancera celles de votre intérieur, vous jetant dans une plus grande perte de vous-même et un plus profond abîmement en Lui. [...]

      1. 16 Décembre 1658 L 3,38 C’est un grand don d’entrer dans le néant, plus grand d’y habiter, et très grand d’y être consommé. -- Je reçois votre dernière et y réponds en peu de mots…

16 déc 58 don qui vous a été fait d’expérimenter que votre âme tombe dans le néant ... cit. de M. des Vallées

M. Jésus soit notre unique tout pour le temps et l’éternité. Je reçois votre dernière et y réponds en peu de mots. La grande et longue expression de votre intérieur présent, et la petite qui est à la fin de votre lettre, ne disent qu’une même chose. Il est vrai que c’est un grand don d’entrer dans le néant, plus grand d’y habiter, et très grand d’y être consommé; c’est ce que notre bonne sœur N109. voulait dire par le don et l’augmentation du don. Votre état intérieur présent n’est qu’une continuation, et augmentation du don qui vous a été fait d’expérimenter que votre âme tombe dans le néant; et que tout ce qu’elle fait opère ou souffre, petit ou grand, extérieur ou intérieur, lui est essentiel, à proportion du degré du néant, où elle habite110. Je ne m’étonne point que la moindre action que vous faites vous vient de Dieu, et donne à votre âme une constitution qui ne se peut exprimer, sinon quand on l’expérimente. Dire quelque chose d’indifférent au prochain, qu’on est obligé de lui dire par l’ordre de la Providence est aussi bien de Dieu, que de traiter avec Dieu de la conversion de son âme. C’est un secret du néant qui est ineffable et qui augmente de la déification, sans quasi en avoir la vue ni le goût. En tout ce que l’on fait, dit, et opère par l’ordre de Dieu, augmente l’anéantissement sans penser même au néant111. Je ne doute point que Notre Seigneur ne vous continue ses miséricordes, et ne vous fasse entendre beaucoup mieux que je ne le pourrais faire, quelle doit être votre conduite touchant votre intérieur. Lui seul parle au cœur et l’instruit d’une manière adorable112. Il faut aussi L’écouter et demeurer abandonné à ses divins mouvements et saintes persuasions.

      1. 21 Décembre 1658 L 2,33 Votre oraison s’augmentera peu à peu avec la fidélité de la faire tous les jours. -- Je suis fort obligé à Monsieur votre frère de m’avoir procuré l’honneur de votre connaissance…

21 déc 58 Quand vous auriez à quitter une couronne, il ne faudrait pas délibérer. Puisque servir Dieu c’est régner et que d’être objet en la Maison de Dieu vaut mieux que d’habiter aux palais des gens du monde.

Monsieur113, Je suis fort obligé à Monsieur votre frère de m’avoir procuré l’honneur de votre connaissance, vous assurant que j’ai reçu beaucoup de joie de vos lettres, qui m’apprennent les grâces et les miséricordes que Notre Seigneur vous a faites, et vous fait encore à présent. Il ne faut pas que rien du monde vous empêche d’y être très fidèle, et vous ne devez pas faire difficulté de tout quitter pour vous mettre en état d’obéir aux inspirations divines qui vous appellent avec tant d’amour et de bonté à la Religion. Quand il ne serait pas question de penser à votre salut, lequel vous ne pouvez pas faire dans le monde à cause de la corruption et des péchés qui s’y commettent, l’amour que Notre Seigneur vous témoigne mérite bien que vous correspondiez à ses divins attraits, et que vous le suiviez en quittant père, mère, frère, et sœur, amis et toute la fortune mondaine114. Quel honneur Notre Seigneur vous fait, mon cher Monsieur, de vous choisir parmi un million de jeunes hommes qui mènent une vie déréglée, pour vous appliquer à son service particulier et vous mettre au nombre de ses bons amis et serviteurs! Quand vous auriez à quitter une couronne, il ne faudrait pas délibérer. Puisque servir Dieu c’est régner115, et que d’être objet en la Maison de Dieu vaut mieux que d’habiter aux palais des gens du monde. Vous avez trop tardé; il faut exécuter promptement le dessein généreux que Notre Seigneur met dans votre âme, et suivre pour ce sujet le conseil de votre sage directeur qui comprend fort bien la volonté de Dieu sur vous. C’est de lui que vous devez apprendre le temps et la manière de votre retraite. Votre oraison s’augmentera peu à peu avec la fidélité de la faire tous les jours. Votre directeur qui est sur les lieux, vous fera changer d’oraison quand il le jugera à propos. Mais au nom de Dieu, mon cher Monsieur, ne tardez plus à quitter le monde. Prenez extrêmement garde à la Religion ou la retraite que vous choisirez et prenez du temps pour y penser. Vous seriez bien avec Monsieur votre frère à Paris. C’est une maison pleine de bons serviteurs de Dieu et de grande bénédiction116.

      1. 22 décembre 1658 L 1,49 Moins vous ferez, plus vous ferez de bien à vos novices. -- Sa divine Providence vous ayant placé au lieu où vous êtes…

22 déc 58 L’anéantissement étant une source inépuisable de lumières et de discernements

[...] L’anéantissement étant une source inépuisable de lumières et de discernements pour conseiller ceux qui veulent aller à la perfection117. [...] Il faut distribuer la lumière de mort et d’anéantissement aux âmes selon leur portée et leur état118 [...]

[1659]

      1. 4 janvier 1659 L 2,17 Toute votre oraison, dans le délaissement intérieur où vous êtes, est de n’en avoir point. -- Je n’ai pas manqué de bien considérer…

4 janvier 59 Cette extrême pauvreté intérieure nous remplit de Dieu, à la vérité d’une manière insensible et imperceptible à notre esprit humain. Trois ou quatre moments d’une telle oraison valent mieux qu’un jour entier de l’oraison qui ne se fait qu’en pensée et en sentiments amoureux

[...] Je ne vous parle point de l’oraison dans laquelle vous devez vous entretenir, puisque toute votre oraison, dans le délaissement intérieur où vous êtes, est de n’en avoir point. C’est néanmoins la plus parfaite de toutes les oraisons que de porter et de sentir la pesanteur de la croix que Dieu met sur nos épaules. C’est la réelle et véritable oraison. L’abandon et la perte s’y trouvent sans que l’on se l’imagine. Cette extrême pauvreté intérieure nous remplit de Dieu, à la vérité d’une manière insensible et imperceptible à notre esprit humain. Trois ou quatre moments d’une telle oraison valent mieux qu’un jour entier de l’oraison qui ne se fait qu’en pensée et en sentiments amoureux119.

      1. 12 Janvier 1659 L 3,46 C’est le trésor des trésors de se perdre en Dieu. -- Comme je pensais répondre à votre dernière, nous ne l’avons pu trouver…

12 janvier 59 La présence réelle de Dieu ne peut pas souffrir que nous ayons autre occupation que Lui seul. Demeurez donc ainsi perdu ... En cet état la liberté commence d’être très grande; nos puissances et nos sens n’étant embarrassés d’aucune réflexion, et se laissant appliquer uniquement à l’œuvre extérieure de Dieu.

L’état de ce néant divin n’est opéré que par la divine essence, non plus goûtée en lumière divine, mais en elle-même, en pure et nue foi, et abstraite de toutes les choses créées qui sont du ciel ou de la terre120. C’est le trésor des trésors de se perdre en Dieu. C’est cette perte qu’on a goûtée de si loin et pour laquelle on a couru avec tant d’angoisses et de morts. Le divin rayon commence cette course puisque touchant le centre de l’intérieur, il réveille l’inclination essentielle qui fait chercher Dieu et qui ne donne point de repos qu’on ne l’ait trouvé […]

La présence réelle de Dieu ne peut pas souffrir que nous ayons autre occupation que Lui seul. Demeurez donc ainsi perdu et faites tout ce que sa sainte volonté voudra de vous, d’actions ou de souffrances, puisque votre seul fond doit être en Dieu uniquement. En cet état la liberté commence d’être très grande121; nos puissances et nos sens n’étant embarrassés d’aucune réflexion, et se laissant appliquer uniquement à l’œuvre extérieure de Dieu.

      1. 24 Janvier 1659 L 3,19 Prenez garde à ne pas vouloir être si fort abandonné que vous vouliez tomber dans l’oisiveté. -- Je vous confesse que je suis mortifié d’être obligé de vous aider, ayant moi-même beaucoup besoin de secours…

24 janv 59 L’abandon ne consiste pas à ne rien faire dans l’intérieur, à n’avoir ni pensées, ni affections, ni sentiments; mais à les recevoir plutôt de Dieu que de les exciter avec nos industries par effort d’esprit. ... Ceux qui commencent croient ne rien faire quand ils tombent dans cet état d’obscurité, et l’expriment aux autres comme ils le croient. Et c’est ici la source de toutes les contradictions et persécutions que l’on fait aux mystiques

[...] L’abandon ne consiste pas à ne rien faire dans l’intérieur, à n’avoir ni pensées, ni affections, ni sentiments122; mais à les recevoir plutôt de Dieu que de les exciter avec nos industries par effort d’esprit. C’est une chose dont il faut se défaire peu à peu pour se laisser entre les mains de Dieu, qui gouvernera notre intérieur comme il Lui plaira123; soit qu’il y arrive des lumières ou de l’obscurité, de la facilité ou de la peine. [...] Le temps où votre âme sera plus embarrassée, ce sera quand la lumière de la foi l’éclairera en obscurité. Ne vous dégoûtez pas de telles ténèbres; elles purgeront votre esprit et le rendront capable des communications divines124. Ceux qui commencent croient ne rien faire quand ils tombent dans cet état d’obscurité, et l’expriment aux autres comme ils le croient. Et c’est ici la source de toutes les contradictions et persécutions que l’on fait aux mystiques. Prenez-y garde et nous écrivez de temps en temps s’il fait jour ou s’il fait nuit dans votre âme, s’il y fait chaud ou froid, si vous vous reposez ou si vous agissez.

      1. 26 Janvier 1659 L 3,8 L’âme agit plus dans la simplicité que dans la multiplicité. -- Monsieur, Jésus soit votre lumière. C’est à Lui à vous éclairer dans vos petits doutes touchant votre oraison…

26 janvier 59 la volonté ayant fait mourir les affections répandues dans les créatures, elle produit un amour tout simple vers Dieu qui lui donne un recueillement amoureux et une union avec Lui

[...] Que si le regard et cette vue s’éclipse, ce qui arrive très souvent au commencement, rappelez ce simple souvenir, non par voie de méditation, mais par un simple souvenir de la même vérité125. Vous n’aurez pas continué longtemps cette façon d’agir avec fidélité et pureté de cœur, que vous en sentirez du profit et de la facilité. Je dis pureté de cœur, car quand nous faisons oraison la moitié de la journée, nous n’avançons qu’à proportion que nous n’irons aux moindres affections des créatures, même celles qui paraissent les plus légitimes, comme des parents et des amis, et aux desseins même de glorifier Dieu, auxquels Il ne nous appelle pas et où nous nous engageons souvent plus par notre volonté que par la sienne126.

Si vous vous comportez de la sorte, ne craignez point l’oisiveté intérieure, car l’âme agit plus dans la simplicité que dans la multiplicité. Plus l’intérieur est pur et simple, plus il est agissant. C’est une erreur qui dans le commun des hommes de ne pas croire que cette vérité, et de remplir leur esprit d’une infinité de pensées qui les met en distraction plutôt qu’en recueillement; lequel doit être plus du côté de la volonté que du côté de l’entendement. Je veux dire que la volonté ayant fait mourir les affections répandues dans les créatures, elle produit un amour tout simple vers Dieu qui lui donne un recueillement amoureux et une union avec Lui, laquelle seule vaut mieux que la multiplicité des sentiments et affections qu’elle avait auparavant127. [...]

      1. 10 Février 1659 L 1,53 Très souvent on imite Jésus-Christ qu’en apparence et en idée. -- Il faut que vous disiez la même chose dans la persécution…

10 fév 59

Abandonnez-vous au soin et à la conduite de votre Père qui est aux Cieux. Il a plus de véritable amour pour vous que toutes les créatures ensemble n’en pourraient avoir. Tous les solitaires ont beaucoup de joie de vous voir réduit à la pauvreté. ... votre bonheur est bien meilleur que le nôtre, puisque vous êtes destiné à une vie mourante et souffrante, et nous, à une vie contemplative qui est toute pleine de douceur

[...] Abandonnez-vous au soin et à la conduite de votre Père qui est aux Cieux. Il a plus de véritable amour pour vous que toutes les créatures ensemble n’en pourraient avoir. Tous les solitaires128 ont beaucoup de joie de vous voir réduit à la pauvreté. Ils vous feront part de tout ce que Dieu leur donnera puisque Monseigneur de Perrée129 et vous, êtes du nombre des solitaires. Mais votre bonheur est bien meilleur que le nôtre, puisque vous êtes destiné à une vie mourante et souffrante, et nous, à une vie contemplative qui est toute pleine de douceur130.

      1. 19 Février 1659 L 2,45 La différence entre l’abandon et l’oisiveté. -- J’ai lu vos dernières du septième de ce mois avec attention, et j’ai remarqué la conduite particulière que Dieu tient…

19 fév 59 Notre Seigneur vous conduit par les aridités, sécheresses et peines intérieures. Ne refusez pas la miséricorde qu’Il vous fait de vous traiter de la sorte ... Et l’âme sans oraison qui lui paraisse ne laisse pas d’en avoir une très bonne qu’elle ne sent et ne goûte point. ... L’oisiveté consiste à ne rien faire du tout, laissant son âme volontairement distraite et inutile, dans la croyance qu’elle ne peut rien faire. L’abandon empêche qu’on ne fasse rien par soi-même, mais soumet à l’âme faire tout ce que Dieu veut. ... la fidélité à l’abandon consiste à faire la conduite de Dieu uniquement et non pas la nôtre.

[...] Ensuite Notre Seigneur vous conduit par les aridités, sécheresses et peines intérieures. Ne refusez pas la miséricorde qu’Il vous fait de vous traiter de la sorte, et de laisser votre âme abîmée dans des états si pénibles. C’est par là qu’il veut devenir le maître, et établir son Royaume. Tout autre moyen ne vous serait pas si avantageux, quoiqu’il fût plus agréable à vos sens et à votre esprit. Quand il serait en votre pouvoir de changer tant soit peu votre intérieur, vous ne le devriez pas faire. Les voies de Dieu sont au-dessus des pensées des hommes; lesquels se trompent souvent au choix des moyens qu’ils prennent pour Le servir. Je Le remercie de tout mon cœur de vous conduire de cette façon131.

Vous connaissez vous-même qu’elle vous humilie et abaisse votre orgueil. Demeurez-y donc abandonné; et quand même vous n’auriez dans toutes vos oraisons, ni lumières, ni douceurs, et que vous en tiriez souvent de grands chagrins intérieurs et de pressantes peines d’esprit, il n’y a rien qui nous fasse tant mourir à nous-mêmes, que de souffrir en patience. L’on s’imagine que la seule contemplation ou oraison qui se fait avec facilité par les puissances de l’âme, avance beaucoup la mort de nous-mêmes. Je ne puis pas nier qu’elle n’y arrive. Mais l’impuissance des mêmes puissances, opprimée sous le fardeau des peines intérieures, y sert sans comparaison davantage. Et l’âme sans oraison qui lui paraisse ne laisse pas d’en avoir une très bonne qu’elle ne sent et ne goûte point.132

Vous voulez savoir la différence qu’il y a entre l’abandon et l’oisiveté. Elle est très grande. Et quand vous serez plus éclairé et plus expérimenté, vous la connaîtrez aisément. Mais la nuit obscure où vous êtes, vous ôte tout discernement133. L’oisiveté consiste à ne rien faire du tout, laissant son âme volontairement distraite et inutile, dans la croyance qu’elle ne peut rien faire. L’abandon empêche qu’on ne fasse rien par soi-même, mais soumet à l’âme faire tout ce que Dieu veut. [...]

Le directoire ou la méthode que vous demandez pour l’abandon serait contraire à l’abandon même, qui n’a point d’autre manière que de se laisser entre les mains de Dieu pour faire de nous sa sainte volonté. Un directoire est pour nous marquer ce que nous devons faire et pratiquer; et la fidélité à l’abandon consiste à faire la conduite de Dieu uniquement et non pas la nôtre. [...]

      1. 16 Mars 1659 L 3,3 L’essentiel de la vie mystique. -- Je vous suis infiniment obligé...

16 mars 59 l’union que l’on a avec Dieu; laquelle se reconnaît par la profonde mort que l’on a de soi-même et des créatures. C’est ici l’essentiel de la vie mystique. ... Et c’est un grand aveuglement de ce que les serviteurs de Dieu n’en font presque nul état, croyant que la vie mystique n’est que pour les solitaires. ... Si l’on veut que vous soyez Docteur, soyez-le; il importe peu, pourvu que la mort et le néant soient de la partie.

[...] Vous n’avez rien à craindre, mon très cher Frère. La grâce de mort et d’abandon que Notre Seigneur vous donne est précieuse. Ne vous en retirez jamais sous prétexte de ne rien faire et d’agir à l’extérieur sans aucun mouvement intérieur. Cette inaction dont vous me parlez dans vos lettres est une véritable action, mais que Dieu fait, plutôt que vous-même. Et laquelle étant toute spirituelle est cachée à vos sens qui n’agissent que d’une manière grossière et avec réflexion, croyant que l’âme n’opère pas lorsqu’elle opère plus parfaitement et plus purement. Vivez donc désormais, mon très cher Frère, sans scrupule de n’apercevoir point votre intérieur; n’y pensez seulement pas. Il vous suffit de savoir que Dieu le fasse en sa manière, et que par son union secrète et intime, Il devienne le principe de toutes vos actions extérieures et intérieures. Moins vous aurez soin de vous, plus Dieu vous gouvernera d’une manière spéciale.

Et vous devez estimer, sans comparaison, davantage un petit degré de mort et d’anéantissement intérieur, que toutes les actions extérieures les plus saintes et les plus éminentes qui ne découlent pas d’un fond mort et anéanti. Je suis assuré que vous êtes plus uni à Dieu avec cette constitution intérieure, que si vous convertissiez toute la Chine sans icelle. Il faut mesurer la grandeur de la sainteté par la grandeur de l’union que l’on a avec Dieu; laquelle se reconnaît par la profonde mort que l’on a de soi-même et des créatures. C’est ici l’essentiel de la vie mystique. [...]

Et c’est un grand aveuglement de ce que les serviteurs de Dieu n’en font presque nul état, croyant que la vie mystique n’est que pour les solitaires. Vous savez bien mieux que moi, très cher Frère, cette importante vérité; Dieu vous l’enseignant par expérience, puisque vous êtes dans les affaires sans affaires, et que le grand tracas qui est dans l’ordre Dieu, ne vous occupe point. Si l’on veut que vous soyez Docteur, soyez-le; il importe peu, pourvu que la mort et le néant soient de la partie. Laissez à la bonne heure disposer de vous, comme N. et vos amis voudront134. Exposez seulement vos désirs, et ne vous mettez pas en peine, si on les considère, ou non. Votre bonheur doit être de vous perdre en Dieu, et non pas de faire de grandes choses à l’extérieur.

      1. 29 Mars 1659 L 1, 60 Il faut reculer les affaires de Dieu pour vaquer à Dieu seul. -- Pour répondre à votre dernière, je vous dirai que je trouve que Notre Seigneur vous continue ses miséricordes…

29 mars 59 Tout votre bonheur sera de faire sa sainte volonté; laquelle vous étant manifestée, doit ôter de votre esprit toute crainte et inquiétude ... reculer les affaires de Dieu pour vaquer à Dieu même, puisque c’est Lui seul qui nous donnera la grâce d’y pouvoir réussir, et de ne pas nous y chercher

[...] Tout votre bonheur sera de faire sa sainte volonté; laquelle vous étant manifestée, doit ôter de votre esprit toute crainte et inquiétude135.

[...]Il faut reculer les affaires de Dieu pour vaquer à Dieu même, puisque c’est Lui seul qui nous donnera la grâce d’y pouvoir réussir, et de ne pas nous y chercher136. [...]

      1. 2 Avril 1659 L 3,23. La non-oraison est la voie pour l’oraison mystique. «Monsieur, Jésus-Christ crucifié soit notre unique amour. Votre dernière m’a beaucoup consolé…»

2 avril 59 laisser votre âme dans une parfaite liberté, sans vouloir qu’elle s’applique à quelque chose en l’oraison, sinon quand Dieu le voudra. La non-oraison est la voie pour l’oraison mystique

[...] Monsieur N.137 aidera mieux que nul autre. Je le supplie de laisser votre âme dans une parfaite liberté, sans vouloir qu’elle s’applique à quelque chose en l’oraison, sinon quand Dieu le voudra. La non-oraison est la voie pour l’oraison mystique138. C’est une vérité qui trouble tous ceux qui marchent par un autre chemin, mais il faut que chacun suive sa grâce. Durant cette sainte semaine, et pendant les fêtes les plus grandes de l’année, vous devez demeurer dans la froideur et l’obscurité où Dieu vous laisse, sans vouloir vous exciter à des vues ou aux amours des mystères139. Vous les honorerez parfaitement, quand vous laisserez mourir votre âme dans l’état pénible où Dieu la met. En souffrant la continuation de votre mal de tête et les peines de votre intérieur, vous imiterez la Passion de Notre Seigneur, sans la méditer; et la plupart des chrétiens la méditent sans l’imiter140. Ne vous étonnez pas de votre mal de tête, quand il y aurait du remède, vous ne le sentiriez pas sitôt141. Je connais de mes amis qui l’ont porté quatre et cinq années et qui en sont délivrés. Quand il vous resterait toute votre vie, il n’empêchera que vous ne fassiez oraison en la manière que Dieu veut de vous142; au contraire il y servira beaucoup. Car si vous aviez la tête saine et libre, vous ne pourriez pas vous empêcher d’agir et de faire des efforts en l’oraison. Dieu fait bien ce qu’il fait et avec une sagesse admirable143. Pourvu que votre volonté puisse mourir à l’affection de toutes les créatures, et n’avoir de l’amour que pour l’unique plaisir de Dieu, votre oraison non seulement sera bonne, mais excellente144. [...]

      1. 16 Avril 1659 L 2,32 L’humilité et l’abandon doucement exercé en sa Présence. -- J’ai grande joie du bonheur que posséderez un jour en vous sacrifiant tout entier au salut des pauvres Chinois…

16 avril 59 Dans cet état de simple attention... ... Laissez passer toutes ces pensées...

[...] Dans cet état de simple attention votre âme sera sujette, aussi bien que dans la méditation, à des distractions, des obscurités, des dégoûts, et des incertitudes intérieures. Quand cela arrive, ayez patience d’une manière simple, sans crainte de consentir à ces choses145. L’humilité et l’abandon à Dieu doucement exercé en sa Présence, vaux mieux infiniment que toutes les productions d’actes contraires aux sentiments et tentations qu’on a dans la nature. On s’imagine qu’il les faut détruire et s’en défaire avec force, et je conseille le contraire. Quand vous l’aurez expérimenté, vous vous en trouverez bien.

Mais ce qui vous embarrassera souvent sera de ne savoir ce que vous faites : si vous avez de l’oraison, ou si vous n’en avez pas146; si vous consentez ou non aux distractions147; et si ce n’est point paresse que cette simple attention. L’on craint de n’y pas assez exercer les puissances de son âme. Laissez passer toutes ces pensées et ne changez pas votre manière intérieure, demeurant en patience le mieux que vous pourrez, en attendant que l’orage se passe, ne vous mettant pas en peine des divagations de votre imagination, qui ne fera que courir de tous côtés148.

Ne faites point de violence pour la retirer, vous contentant de demeurer en humilité et douceur d’esprit, qui la ramènera peu à peu149. [...]

Maximes non datées

      1. M 3, 2 L’état passif n’est pas pour toutes les âmes qui tendent à la perfection.

M 3, 2 L’oraison qui se fait avec foi simple, sans raisonnements et méditations, est bonne. Elle est fondée dans les Pères, et peut être appuyée de quantité de passages. Mais c’est un don de Dieu particulier ... |Mais] Cette oraison pratiquée par ceux qui n’en ont point le don particulier et extraordinaire, ne fait nul effet en eux et les laisse croupir dans beaucoup d’imperfections

L’oraison qui se fait avec foi simple150, sans raisonnements et méditations, est bonne. Elle est fondée dans les Pères, et peut être appuyée de quantité de passages. Mais c’est un don de Dieu particulier et une oraison extraordinaire dont l’on ne peut être capable qu’après s’être exercé longtemps dans la méditation et dans la mortification. Que si l’on y veut conduire les âmes d’une autre façon, il faut changer la manière que l’on tient pour la conduite des novices, et renverser l’ancienne et louable coutume de donner des sujets de méditation dans toutes les communautés religieuses. Cette oraison pratiquée par ceux qui n’en ont point le don particulier et extraordinaire, ne fait nul effet en eux et les laisse croupir dans beaucoup d’imperfections, comme la colère, le mépris de l’opinion des autres, l’arrêt à son propre jugement, et la promptitude trop grande à dire ses pensées151. Enfin chaque maître dans la vie spirituelle croit que sans y être appelé et appliqué de Dieu, c’est une source d’illusion, et d’orgueil, ou pour le moins un amusement, après quoi l’âme se dégoûte tout à fait de l’oraison, et retourne dans sont train ordinaire.

      1. M 3, 3 L’état passif consiste à supprimer notre activité propre, pour entrer dans l’activité de Dieu.

M 3, 3 L’état passif ne consiste pas à n’avoir point de pensées, ni à ne point faire d’actes; mais seulement à supprimer notre activité propre, pour entrer dans l’activité de Dieu

L’état passif ne consiste pas à n’avoir point de pensées, ni à ne point faire d’actes; mais seulement à supprimer notre activité propre, pour entrer dans l’activité de Dieu qui doit disposer de toute notre âme, et de toutes ses puissances; de sorte que si Dieu donne à l’âme en cet état le mouvement de produire quelque acte, il ne faut pas le rejeter activement, ni le supprimer.

      1. M 3, 4 L’état passif consiste à se laisser posséder par L’Esprit de Jésus-Christ.

M 3, 4 Cet état consiste à se laisser posséder à l’Esprit de Jésus-Christ qui veut vivre Lui Seul et opérer en l’âme

Cet état consiste à se laisser posséder à l’Esprit de Jésus-Christ qui veut vivre Lui Seul et opérer en l’âme. Et lorsque l’âme sent les premiers attraits de cet heureux état, et qu’elle l’expérimente avec suavité, elle n’a rien à faire qu’à demeurer abandonnée à l’opération de Dieu en elle. Cet abandon passif se ressent mieux qu’il ne s’exprime. Jamais on ne le comprendra par la seule lecture et par l’expression, à moins que l’on ne soit prévenu par une lumière particulière qui se fait connaître152.

      1. M 3, 6 L’état de l’âme dans ce premier degré de vie parfaite demeure dénué et étouffé.

M 3, 6 Les distractions, les tentations, les ténèbres, et les sécheresses de l’intérieur ne lui feront plus de peur, puisqu’elles serviront même à l’établir dans l’état passif.

Les distractions, les tentations, les ténèbres, et les sécheresses de l’intérieur ne lui feront plus de peur, puisqu’elles serviront même à l’établir dans l’état passif. C’est ce qui oblige à les porter en paix et résignation. En ce commencement l’âme ne produit pas beaucoup d’actes. Les pensées de Dieu, de la Sainte Vierge, et des mystères même s’anéantissent, et l’intérieur demeure comme dénué et étouffé. Et cela est comme j’ai dit l’oraison de ce degré, laquelle il ne faut pas changer sous prétexte de mieux en faisant des actes propres, ou en cherchant de bonnes lumières et de saintes pensées, lorsqu’il n’en vient point de la part de Dieu153.

      1. M 3, 8 Le second degré de l’état passif est illuminatif.

M 3, 8 Le second degré est illuminatif.

Le second degré est illuminatif. C’est à dire que l’âme étant déjà accoutumée de vivre dans le dénuement de son propre esprit, et ayant fait une oraison fort obscure et même pénible, elle commence à avoir des goûts et des lumières qui la confirment dans son procédé intérieur, et qui lui font expérimenter le degré qu’elle ne voyait qu’en lumière et en spéculation. Elle reçoit pour lors des connaissances de Dieu et de ses perfections, des joies de Jésus-Christ et de ses mystères avec de grands sentiments. Elle a facilité de produire des actes intérieurs et extérieurs, et elle sent fort bien que cette production ne la fait point sortir de la passivité154. Pour lors la crainte et l’incertitude où elle était dans les premiers degrés, se changent en confiance et en assurance. L’âme en cet état entre dans une grande liberté pour se laisser mouvoir et appliquer à l’Esprit de Dieu.

      1. M 3, 9 En ce second degré de vie unitive, l’âme éprouvent encore de grands délaissements.

L’âme en ce second degré de vie unitive éprouve encore de grands délaissements, ténèbres, sécheresses, et abandonnements de la partie sensible Et ne faisant plus fond sur ce qui se passe dans les sentiments, mais uniquement sur l’Esprit de Dieu qui la gouverne, elle demeure fidèle au milieu de toutes les diversités et changements sensibles; son abandon étant arrivé au point d’une parfaite indifférence et soumission à la volonté divine155.

      1. M 3, 10 Le dernier degré c’est l’unitif, où l’âme devient un même esprit avec Dieu.

M 3, 10 Comme le fer qui est devenu comme du feu

Le dernier degré c’est l’unitif, où l’âme devient un même esprit avec Dieu. Cette heureuse union fait qu’elle ne retourne presque jamais à ses propres activités. Mais si elle agit, si elle souffre, si elle converse, si elle dit ses prières vocales, c’est Dieu qui fait principalement toutes ces choses en elle. Comme le fer qui est devenu comme du feu dans la fournaise perd sa noirceur et sa froideur naturelle pour se revêtir des qualités du même feu, ainsi ce degré d’union élève l’âme à un si haut état, qu’en vérité elle y est dépouillée du vieil homme, et revêtu du nouveau qui est Jésus-Christ156; lequel lui communique d’une manière admirable toutes ses inclinations, ses sentiments, et ses mouvements, étant comme la source de ses opérations.

      1. M 3, 11 Dans ce dernier degré de la vie unitive le temps d’oraison n’est pas réglé comme aux autres précédents.

M 3, 11 Dans ce dernier degré de la vie unitive, le temps d’oraison n’est pas réglé...

Dans ce dernier degré de la vie unitive, le temps d’oraison n’est pas réglé comme aux autres précédents; savoir : de méditation ou de simplicité. Parce que l’âme agissant en ces deux degrés avec effort sensible157, elle pourrait, à moins que le temps de son oraison ne fût réglé, y intéresser la santé du corps; et ensuite rendre une personne indisposée et peut-être incapable des autres emplois que Dieu demanderait d’elle. Mais en ce troisième degré, Dieu agissant beaucoup plus que l’âme qui demeure passive, elle peut très facilement continuer son oraison et la faire plus longue que dans les premiers degrés, ou même continuelle, autant que les affaires de Dieu lui permettront158.



      1. Table des titres 1 à 3



Table des matières

Avant 1653 2

6 Mars 1646 L 1,27 Je suis bien éloigné de vous conseiller de descendre de la croix. -- Dieu tout seul suffit à l’âme, puisqu’il est suffisant à soi-même… 2

Janvier1647 L 1, 37 J’ai été dans des oublis de Dieu si grands qu’ils vous étonneraient très fort. -- Ma très chère sœur, il y a si longtemps que je désire vous écrire deux mots… 3

15 février 1647 L 2, 35 Soyez donc comme une petite boule de cire entre ses mains, et soyez contente de ses divines dispositions. -- Ma très chère sœur, me voici de retour à Caen encore malade… 4

12 Septembre 1647 M 3,24 Un des grands effets du rayon de Dieu en l’âme. 6

12 Septembre 1647 M 3,25 En présence de Dieu tout s’évanouit comme un songe. 6

12 Septembre 1647 M 3,49 Dialogue de l’âme avec le Bien Aimé. 6

28 Septembre 1647 M 2,26 L’abandon à la Providence. 7

[1648] 7

20 Janvier 1648 M 2147 Dieu veut avoir quelquefois des bouches inutiles dans sa maison. 7

1648 L 2,1 Quand l’on ne veut que Dieu et son bon plaisir, l’on se sent paisible et content en tous les états. -- Je n’ai pu vous écrire plus tôt les deux mots qui suivent… 8

[1649] 8

Mars 1649 M 3,26 La pure oraison cause la perte de l’âme en Dieu. 8

Mars 1649 M 3,28 L’âme devient un même esprit avec Lui. 9

[1650] 9

20 Janvier 1650 M 3,31 La grande passivité de l’âme doit être de posséder Dieu en son fond par anéantissement. 9

Avril 1650 M 3,42 On ne connaît le goût de Dieu qu’en Dieu même. 9

Mai 1650 M 3,75 L’union essentielle où l’âme jouie de Dieu. 10

Mai 1650 M 3,76 Distinguer union essentielle et union accidentelle. 10

[1651] 11

1651 L 2,54 -- Dieu seul doit suffire à une âme morte et anéantie… 11

[1652] 11

1652 M 2171 -- Si votre âme durant l’oraison est sans pensées et sans sentiments, ne vous en mettez point en peine… 11

1653-1654 12

[1653] 12

1653 L 3,39 De la vie cachée avec Jésus Christ en Dieu. -- J’ai reçu grande joie d’apprendre des nouvelles de votre santé… 12

1653 L 3,18 S’accoutumer à faire l’oraison avec la pure lumière de la foi. -- Je vous dirai qu’il ne faut pas s’étonner des oppositions et contradictions… 12

1653 L 3,40 Dans la voie passive de l’anéantissement. -- Depuis que Dieu par sa miséricorde a introduit l’âme dans la voie passive de l’anéantissement… 12

1653 L 3,51 Dieu est mon âme et mon âme est Dieu. -- Pour le présent il me semble que Dieu est mon seul intérieur… 13

10 Février 1653 M 2172 Cette sacrée obscurité est plus claire que la lumière même. 13

24 Avril 1653 L 3,29 Qui vit en Dieu seul, voit en Dieu ses amis. -- Ces lignes sont pour vous réitérer les assurances de mes affections… 13

4 Mai 1653 L 2,13 -- Monsieur de Renti était mon intime ami. 13

4 Mai 1653 L 2,49 Un simple regard vers Jésus-Christ suffit. -- Je viens de recevoir vos dernières, lesquelles m’apprennent la fidélité que votre âme apporte à suivre la grâce… 14

Juillet 1653 L 3,22 Il y a différents états dans la voie mystique. -- Je viens de recevoir vos dernières. Pour réponse… 14

23 Août 1653 L 3,32 La vraie oraison c’est Dieu même en l’âme. -- Je répondrai à vos dernières, sans faire réflexion sur ce que vous a dit Monsieur N.… 14

26 Août 1653 L 2,52 Dieu seul, Lui-même, doit être l’âme de votre âme. -- Vos dernières me font connaître plus clairement que jamais votre grande vocation au parfait anéantissement… 15

7 Septembre 1653 L 2,27 Quand Dieu devient l’âme de notre âme. -- Touchant la déclaration que vous me faites de votre oraison, ma lumière est petite… 16

16 Décembre 1653 L 3,9 La boue entre les mains de Dieu fait des miracles. -- Il me semble qu’en la présence de Dieu ce matin, j’ai reçu les pensées que je vous dirai en toute simplicité… 16

[1654] 16

1654 L 3,34 Le secret de la parfaite union avec Dieu. -- Pour répondre à votre dernière, je vous dirai dans ma simplicité et liberté ordinaire… 16

29 Mars 1654 L’esprit de notre petit Ermitage. -- J’ai reçu vos dernières qui m’ont donné grande consolation… 17

30 Mars 1654 L 3,4 N’avoir rien, c’est avoir tout. -- Ce mot est pour vous assurer, que je me sens aussi uni à vous à Caen comme à Rouen… 17

19 Avril 1654 L 2,51 Il faut mourir auparavant que de vivre d’une nouvelle vie. -- Puisque Notre Seigneur vous a fait la grâce d’attirer votre âme à Lui par le moyen de la foi pure et nue… 17

13 Mai 1654 L 3,6 Il n’y a qu’à Le laisser faire. -- Je viens de recevoir vos dernières, et je sens mouvement d’y répondre tout présentement… 18

17 Septembre 1654 L 3,55 Le seul appui est la pure foi. -- Puisque cette personne est avec vous, prenez-y garde… 18

19 Octobre 1654 L 3,60 Que l’Esprit de Dieu fasse son ouvrage à sa mode. -- Vous m’obligez d’écrire quelque chose sur les dispositions de la bonne Mère B.… 19

20 Octobre 1654 L 2,25 Un abrégé de la voie mystique. 19

5 novembre 1654 L 1,46 Mon fond, c’est la seule lumière de la Foi. -- Je connais un certain état d’anéantissement de la créature… 21

11 Novembre 1654 L 3,41 Dieu est et vit, et cela me suffit. -- Quand vraiment et réellement Jésus Christ est notre vie… 22

1655-1656 années creuses 23

[1655] 23

2 février 1655 L 2,40 Ce qui attire Jésus dans les monastères. — Je ferai tout mon possible pour aller à Paris… 23

17 Mars 1655 L 3,24 On s’imagine qu’être en quiétude, c’est ne rien faire. -- C’est une grande misère de ne point connaître qu’il ne faut pas toujours chercher Notre Seigneur... 23

[1656] 24

3 Janvier 1656 L 3,13 Perte de l’âme en Dieu, la comparaison d’une rivière -- Ma très chère Sœur, Jésus Christ soit notre unique vie. Je viens de recevoir vos dernières qui me consolent beaucoup… 24

13 Août 1656 M 2173 Il blesse d’une manière que Lui seul peut guérir. -- Mon oraison a bien changé. Ce n’est plus qu’un exil ou un bannissement de Dieu… 25

14 Septembre 1656 L 3,25 Tant de goût et de saveur à être anéanti. 25

10 Octobre 1656 L 3,47 En même temps, sa présence et son absence. -- Votre dernière lettre m’a donné beaucoup de consolation et d’instruction… 26

20 Novembre 1656 L 3, 36 Que nous soyons un jour tous fondu en Jésus. -- Ma très chère Sœur, Jésus soit notre mort, notre vie, notre néant et notre tout… 27

1657-1659 30

[1657] 30

16 Janvier 1657 L 2,31 Les trois degrés pour monter au sommet de la montagne. -- Je vous suis infiniment obligé de l’honneur de votre souvenir dans votre chère solitude… 30

21 Janvier 1657 L 3,31 Les biens qu’apporte cette sorte d’oraison sont innombrables. -- Jésus la lumière éternelle soit notre unique conduite. Ma maladie m’a empêché de vous répondre plus tôt… 30

23 Janvier 1657 L 3,15 De l’anéantissement mystique. -- Pour ce qui vous regarde, nous n’avons rien à dire, sinon que nous remarquons que l’esprit de Jésus-Christ veut anéantir le vôtre pour se mettre en sa place… 31

9 Avril 1657 L 3,35 Tournez votre âme du côté de la confiance en Dieu. -- J’ai fait réflexion sur ce que vous me mandez dans votre dernière… 31

9 Avril 1657 L 2, 24 C’est Dieu seul qui fait cet ouvrage. -- Je vous demande pardon, si nous avons été si longtemps à vous répondre… 33

26 Août 1657 L 2,23 Souffrir en patience passive. -- Ma très chère Sœur, 34

30 Août 1657 L 3,16 C’est la dernière lecture qu’il faut quitter, que celle de l’Écriture sainte. -- Je ne manquerai pas durant votre retraite… 34

20 Septembre 1657 L 3,17 Une vue simple et amoureuse doit nourrir votre âme. -- J’ai reçu et lu avec joie et consolation votre belle et excellente lettre… 34

20 Septembre 1657 M 1,87 (1.10.4) La fidélité d’une âme consiste à recevoir la mort que toutes ces choses lui donnent, et à ne point agir autrement. -- Les ténèbres, les sécheresses et les étouffements intérieurs… 35

29 Septembre 1657 M 1,90 (1.10.7) Mourir au désir de ne pas mourir assez tôt. 35

6 Octobre 1657 L 2,30 Dans l’oraison, il ne faut jamais quitter Jésus Christ. -- Touchant la difficulté qui est venue à la personne dont il est question lisant Sainte Thérèse… 36

13 Octobre 1657 L 3,54 Sur l’anéantissement et la déification. -- Il y a bien de la différence entre la lumière de l’anéantissement, et la réalité… 36

28 Octobre 1657 M 2167 -- Si Dieu vous appelle par grâce à la pure passivité dans l’oraison… 37

[1658] 38

1 Juillet 1658 L 3,45 Vous êtes en chemin vers un pays qu’on appelle le néant. -- Je viens de recevoir votre dernière du vingt-quatrième juin… 38

29 Septembre 1658 L 3,10 Il doit suffire de laisser brûler ce Feu intérieur. -- La personne dont il est question doit s’abandonner à Dieu, qui a un soin particulier d’elle dans l’oraison… 39

7 Octobre 1658 L 3,48 Quand Dieu se manifeste Lui-même et révèle, ô quelle perte! Quel anéantissement dans une âme! -- C’est Lui seul qui peut ouvrir la porte au réel anéantissement… 39

10 Octobre 1658 L 3,44 Dieu écoulé dans votre fond sollicite et tire votre âme de passer du rayon en Lui seul. -- Je reconnais par la lecture de votre dernière… 40

31 Octobre 1658 L 3,50 Une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre. -- J’ai lu avec attention votre dernière, et j’ai considéré… 40

27 Novembre 1658 L 1,47 Un Chartreux, c’est comme une rivière qui coule dans un désert s’écoulant en la mer qui est Jésus-Christ. -- J’ai reçu une grande joie d’apprendre par vos dernières que vous avez été reçu à faire profession… 42

12 Décembre 1658 L 3,20 Un pauvre chétif homme qui tend à l’anéantissement est capable de tout. -- Je ne vous puis exprimer la joie que nous avons tous récemment d’apprendre par vos chères lettres votre Sacre… 42

16 Décembre 1658 L 3,38 C’est un grand don d’entrer dans le néant, plus grand d’y habiter, et très grand d’y être consommé. -- Je reçois votre dernière et y réponds en peu de mots… 43

21 Décembre 1658 L 2,33 Votre oraison s’augmentera peu à peu avec la fidélité de la faire tous les jours. -- Je suis fort obligé à Monsieur votre frère de m’avoir procuré l’honneur de votre connaissance… 45

22 décembre 1658 L 1,49 Moins vous ferez, plus vous ferez de bien à vos novices. -- Sa divine Providence vous ayant placé au lieu où vous êtes… 46

[1659] 46

4 janvier 1659 L 2,17 Toute votre oraison, dans le délaissement intérieur où vous êtes, est de n’en avoir point. -- Je n’ai pas manqué de bien considérer… 46

12 Janvier 1659 L 3,46 C’est le trésor des trésors de se perdre en Dieu. -- Comme je pensais répondre à votre dernière, nous ne l’avons pu trouver… 47

24 Janvier 1659 L 3,19 Prenez garde à ne pas vouloir être si fort abandonné que vous vouliez tomber dans l’oisiveté. -- Je vous confesse que je suis mortifié d’être obligé de vous aider, ayant moi-même beaucoup besoin de secours… 48

26 Janvier 1659 L 3,8 L’âme agit plus dans la simplicité que dans la multiplicité. -- Monsieur, Jésus soit votre lumière. C’est à Lui à vous éclairer dans vos petits doutes touchant votre oraison… 49

10 Février 1659 L 1,53 Très souvent on imite Jésus-Christ qu’en apparence et en idée. -- Il faut que vous disiez la même chose dans la persécution… 49

19 Février 1659 L 2,45 La différence entre l’abandon et l’oisiveté. -- J’ai lu vos dernières du septième de ce mois avec attention, et j’ai remarqué la conduite particulière que Dieu tient… 50

16 Mars 1659 L 3,3 L’essentiel de la vie mystique. -- Je vous suis infiniment obligé... 51

29 Mars 1659 L 1, 60 Il faut reculer les affaires de Dieu pour vaquer à Dieu seul. -- Pour répondre à votre dernière, je vous dirai que je trouve que Notre Seigneur vous continue ses miséricordes… 52

2 Avril 1659 L 3,23. La non-oraison est la voie pour l’oraison mystique. «Monsieur, Jésus-Christ crucifié soit notre unique amour. Votre dernière m’a beaucoup consolé…» 53

16 Avril 1659 L 2,32 L’humilité et l’abandon doucement exercé en sa Présence. -- J’ai grande joie du bonheur que posséderez un jour en vous sacrifiant tout entier au salut des pauvres Chinois… 54

Maximes non datées 56

M 3, 2 L’état passif n’est pas pour toutes les âmes qui tendent à la perfection. 56

M 3, 3 L’état passif consiste à supprimer notre activité propre, pour entrer dans l’activité de Dieu. 56

M 3, 4 L’état passif consiste à se laisser posséder par L’Esprit de Jésus-Christ. 57

M 3, 6 L’état de l’âme dans ce premier degré de vie parfaite demeure dénué et étouffé. 57

M 3, 8 Le second degré de l’état passif est illuminatif. 57

M 3, 9 En ce second degré de vie unitive, l’âme éprouvent encore de grands délaissements. 58

M 3, 10 Le dernier degré c’est l’unitif, où l’âme devient un même esprit avec Dieu. 58

M 3, 11 Dans ce dernier degré de la vie unitive le temps d’oraison n’est pas réglé comme aux autres précédents. 58

Table des titres 1 à 3 60

Table des matières 60

Table des seuls titres 4 64









      1. Table des seuls titres 4



6 mars 46 Je suis bien éloigné de vous conseiller de descendre de la croix. Je vous y attacherais davantage si je pouvais. […]ce cher Père me sert encore si puissamment, que la lecture des avis qu’il lui a plu me donner me met toujours en ferveur. Jamais je ne fus plus résolu de travailler de la bonne manière à la pure vertu et bonne mortification que je suis. Il me souvient que dans les dernières lignes qu’il m’écrivait, il mettait : «Courage, notre cher Frère; encouragez-vous les uns les autres à la sainte perfection. Ô que Dieu a peu de vrais et de fidèles serviteurs! Tendez à la pureté vers Dieu.»

Janvier 47 effets d’une maladie naturelle qui néanmoins m’ont réduit au néant et beaucoup humilié.

15 février 47 j’ai été réduit au néant. ... Dieu nous a si étroitement unis, que de nous faire enfants d’un même Père, et d’un si accompli en toutes sortes de vertus. Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu,

12 sept 47 rien voir que Lui

12 sept 47 b elle parle par les infusions qu’elle reçoit de Lui immédiatement

28 sept 47 digne Mère de Chantal

20 janv 48 faire voir ses bontés en moi qui suis inutile en sa maison

1648 vous trouverez bientôt la région de paix

Mars 49 dans ses propres operations … elle ne parviendra jamais à cet état de la pure union avec Dieu, qui se fait d’une manière qui ne tombe point sous les sens

Mars 49 b par cette perte que l’âme se trouve bien établie en Dieu, et qu’elle y fait sa demeure; ou plutôt quelle devient un même esprit avec Lui.

20 janv 50 Et si elle a tout, elle n’a rien, puisqu’elle est dans la privation de toutes les créatures. Et elle a tout, puisqu’elle a Dieu en esprit et vérité.

Avril 50 vraie transformation en Dieu

Mai 50 le goûte sans le goûter et le possède sans le posséder. ... l’union essentielle où l’âme jouit de Dieu, le possède et y est abîmée

Mai 50 b l’union accidentelle ... l’union et l’oraison essentielle ... la perd en Dieu

1651 solitude admirable que l’âme a en son Dieu qui la rend indépendante de tout

1652 Si votre âme durant l’oraison est sans pensées et sans sentiments, ne vous en mettez point en peine

1653 C’est un état de pauvreté qui contient toutes les richesses, parce que l’on y vit de Dieu en Dieu, et l’on s’y trouve tellement perdu

1653 b La foi est un rayon divin qui subsiste en sa pureté, au milieu des brouilleries et inquiétudes de nos sens ... Le rayon du soleil naturel demeure en sa pureté au milieu de la bouillie.

1653 c tout ce qui se passe en elle, c’est son divin Esprit qui l’opère ou qui le permet

1653 d Dieu est mon âme, ou mon âme est Dieu

10 fév 53 perdu dans l’abîme obscur de la foi, elle y doit demeurer en assurance

24 avril 53 Quiconque est arrivé à cet état voit en Dieu ses amis, les aime et les possède en Lui, et comme Dieu, il est partout, il les possède partout. ... Les âmes qui vivent en Dieu ont des intelligences si secrètes et une manière de se communiquer si admirable, que cela ne se comprend que par l’expérience.

4 mai 53 Monsieur de Renti ... je me sens encore plus uni à lui que jamais, et me semble avoir autant de familiarité avec lui

4 mai 53 Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former

Juillet 53 les vertus sans réflexion et sans peine

23 août 53 Si nous nous voyons, il faut que ce soit en Dieu, afin que nous demeurions perdus continuellement en Lui. ... Tout ce qui n’est point Dieu me semble comme l’extérieur, et l’intérieur est Dieu seul. ... Tout ce que je fais, c’est de le laisser faire, et tâcher que mon fond soit comme une pure capacité pour recevoir Dieu à mesure qu’il se communique.

26 août 53 Le P. N. a l’esprit rempli de plusieurs beaux meubles pour y loger Dieu. Il faut qu’il en jette une bonne partie par la fenêtre.

7 sept 53 L’on reçoit une liberté si parfaite que l’on vaque à l’extérieur sans contrainte, et sans extraversion. ... «Je suis, répondit-elle, où j’étais il y a quinze ans.» -- «Et où étiez-vous?» -- «J’étais dans la perte en Dieu.»

16 déc 53 La boue entre les mains de Dieu fait des miracles

1654 Je suis bien aise que vous goûtiez l’oraison sans la goûter,

29 mars 54 ce néant ne consiste pas seulement à avoir aucune attache aux choses du monde, mais à être hors de soi-même; c’est à dire, hors de son propre esprit et sa propre vie.

30 mars 54 Ce mot est pour vous assurer, que je me sens aussi uni à vous à Caen comme à Rouen, et que notre union s’établit et s’affermit dans le fond de l’âme, aussi bien de loin que de près. ... N’avoir rien, c’est avoir tout; et ne savoir rien, même que l’on soit devant Dieu, est une manière de présence de Dieu

19 avril 54 Le divin Soleil éclairera vos ténèbres, et échauffera vos froideurs par ses divins rayons. N’apportez point seulement d’empêchement à sa divine lumière, et vous verrez que tout ira bien.

13 mai 54 Mais cet ouvrage est souvent si caché et inconnu, même aux personnes spirituelles, qu’en vérité elles font beaucoup souffrir, ne pouvant concevoir que ce soit une œuvre de Dieu, de ne pouvoir ni penser, ni rien dire de distinct et d’aperçu

17 sept 54 Au lieu que dans les autres l’on a des images, des connaissances, et des sentiments de Dieu, en celle-ci l’on possède Dieu même, lequel étant vu au fond de l’âme, commence à la nourrir et à la soutenir de Lui-même, sans lui permettre d’avoir aucun appui sur ce qui est créé. Et c’est ce que l’on appelle science mystique, que cette expérience de Dieu en Dieu même, de laquelle l’on n’est capable, que lorsque le don en a été fait par une miséricorde spéciale

19 oct 54 l’âme n’est pas au point de la perfection, qu’elle n’ait outrepassé tout ce qui n’est point Dieu pour arriver à Dieu même, et y vivre dans une nudité parfaite d’être, de vie et d’opération

20 oct 54 conduite passive, se laisse tirer à l’opération divine. Le procédé que tient cette divine opération, c’est d’élever l’âme peu à peu des sens à l’esprit, et de l’esprit à Dieu, qui réside dans le fond. ... obscurités en son esprit, si épaisses qu’elle ne voit et ne connaît plus rien. ... l’âme expérimente qu’il faut qu’elle soit dénuée toujours d’affection des grâces sensibles, des lumières, et des sentiments ... Ce qui embarrasse les âmes, c’est qu’elles s’imaginent n’avoir rien s’il n’est sensible et aperçu

5 nov 54 elle vivrait hors d’elle-même et en quelque façon, ne serait plus elle-même ni n’opérerait plus elle-même, mais elle agirait en Dieu par Dieu même

11 nov 54 Toutes ces expériences particulières qu’elle a eues autrefois, sont perdues et abîmées dans une unité si pure et si nue, qu’elle ne goûte rien en particulier ... je vis sans vie, je suis sans être. Dieu est, et vit, et cela me suffit. ... Cette unité divine est à présent mon fond, mais si caché et si perdu, que je ne trouve plus rien, sinon que je me perde moi-même

2 fév 55 je craignais beaucoup que ce ne fut un certain néant que notre esprit forme et prend pour objet, et non pas un néant mystique que Dieu communique à l’âme et qui est le principe de ses opérations.

Je sentis en mon oraison toutes mes puissances accoisées et remplies d’une grande paix

3 janv 56 quand elle en approche, la mer par un flux vient comme au-devant d’elle pour la solliciter de se hâter de se perdre.

13 août 56 Ce n’est plus qu’un exil ou un bannissement de Dieu

14 sept 56 Il y a tant de goût et de saveur à être anéanti de cette sorte, qu’il est impossible que l’âme puisse se servir d’autre règle, que de se laisser abîmer dans l’océan infini de la Divinité.

10 oct 56 me semblant que je n’ai jamais été plus éloigné de Dieu que lorsque je l’ai expérimenté plus proche.

20 nov 56 Vous concevez bien que cette divine union ne se fait plus comme auparavant que votre état fut changé. Car elle se faisait par le moyen des lumières, des ferveurs de grâces et de dons que vos puissances recevaient de la bonté de Dieu, et dans cette jouissance vous Lui étiez unie. ... À présent Notre Seigneur vous a élevée au-dessus de toutes ces dispositions créées, lesquelles quoi que très bonnes et saintes, sont néanmoins finies et limitées. ... réduire non seulement sa créature à la petitesse, de la brûler jusques à la rendre cendre et poussière.

16 janv 57 // Ruusbroec

21 janv 57 // Canfield

23 janvier 57 rentrer dans votre fond, ou plutôt dans Dieu même. Cela est très vrai et tout réel et non imaginaire ... Les fleurs d’un arbre s’épanouissent fort facilement et promptement, mais le fruit n’est produit qu’avec le temps.

9 avril 57 Tournez votre âme du côté de la confiance en Dieu et d’une sainte assurance et espérance

9 avril 57 il faut traverser des voies et des passages pénibles et difficiles, où l’esprit meurt peu à peu, sans qu’il contribue lui-même à se faire mourir159. C’est Dieu seul qui fait cet ouvrage. Nous ne devons point y ajouter ni diminuer.

26 août 57 souffrir en patience passive toutes les pointes des douleurs des épines intérieures

30 août 57 lumières ou ténèbres, goût ou dégoût, recueillement ou distractions. Ces choses sont dans les dehors de l’âme, et la quiétude, le calme et la paix sont dans le fond. C’est pourquoi cette diversité et variété qui se rencontrent dans les sens n’incommodent pas la paix qui est dans l’intime de notre âme

20 sept 57 Laissez donc pour l’ordinaire votre âme sans beaucoup agir, et croyez que Dieu agira en elle.

20 sept 57 Les ténèbres, les sécheresses et les étouffements intérieurs que l’on expérimente quelquefois, de sorte qu’il semble que l’on soit tombé dans un abîme, ne nous doivent pas étonner, puisque ce sont des effets de Dieu résidant au fond de l’âme

29 sep 57 mourir encore au désir de ne mourir pas assez tôt.

6 oct 57 Que si l’image de Jésus-Christ lui est donnée, qu’elle ne la quitte point. Si elle lui est ôtée, qu’elle ne la cherche point. ... qu’elle ne craigne pas d’avoir un repos dans lequel l’image de Jésus-Christ ne paraisse point

13 oct 57 la Lumière éternelle commence Elle-même à pénétrer votre intérieur. Et cette pénétration continuant, Elle la perdra en Dieu et la déifiera peu à peu

28 oct 57 Vous direz peut-être que votre intérieur est plein de distractions et de ténèbres : à la bonne heure ! Cet abîme de misères et de pauvreté n’empêche pas que Dieu n’agisse secrètement et imperceptiblement, pour jeter votre âme et toutes ses opérations propres dans le néant. Ne vous imaginez donc pas qu’il ne se passe rien en elle. Mais demeurez seulement paisible et tranquille, et l’ouvrage de Dieu se fera.

1 juillet 58 Comme du soleil s’écoule la variété des couleurs sur les fleurs, quoique le soleil ne contienne qu’en éminence les couleurs, et non point formellement, car on aurait beau regarder de près le rayon du soleil si on y découvrait les couleurs qu’il répand sur les fleurs.

29 sept 58 fidélité (note) … chercher uniquement Dieu pour se perdre

7 oct 58 Toute la voie mystique est remplie de miséricordes qui passent au-delà de nos mérites ... C’est pour lors qu’Il nous ouvre la porte du réel anéantissement dans lequel Dieu est seul et la créature n’est plus.

10 oct 58 Dieu vous veut tout à Lui, en Lui, et par Lui-même ... d’une manière au-dessus de toute manière, très simple, très douce, et très efficace

31 oct 58 Et vous anéantissant par sa plénitude, Il vous fait changer d’état intérieur, y ayant une différence très grande entre la lumière du rayon et la lumière du centre

12 déc 58 Vous expérimenterez des secours extraordinaires de Dieu, lequel s’Il ne fait pas réussir ce que vous prétendez pour les affaires extérieures de sa gloire, Il avancera celles de votre intérieur, vous jetant dans une plus grande perte de vous-même et un plus profond abîmement en Lui

16 déc 58 don qui vous a été fait d’expérimenter que votre âme tombe dans le néant ... cit. de M. des Vallées

21 déc 58 Quand vous auriez à quitter une couronne, il ne faudrait pas délibérer. Puisque servir Dieu c’est régner et que d’être objet en la Maison de Dieu vaut mieux que d’habiter aux palais des gens du monde.

22 déc 58 L’anéantissement étant une source inépuisable de lumières et de discernements

4 janvier 59 Cette extrême pauvreté intérieure nous remplit de Dieu, à la vérité d’une manière insensible et imperceptible à notre esprit humain. Trois ou quatre moments d’une telle oraison valent mieux qu’un jour entier de l’oraison qui ne se fait qu’en pensée et en sentiments amoureux

12 janvier 59 La présence réelle de Dieu ne peut pas souffrir que nous ayons autre occupation que Lui seul. Demeurez donc ainsi perdu ... En cet état la liberté commence d’être très grande; nos puissances et nos sens n’étant embarrassés d’aucune réflexion, et se laissant appliquer uniquement à l’œuvre extérieure de Dieu.

24 janv 59 L’abandon ne consiste pas à ne rien faire dans l’intérieur, à n’avoir ni pensées, ni affections, ni sentiments; mais à les recevoir plutôt de Dieu que de les exciter avec nos industries par effort d’esprit. ... Ceux qui commencent croient ne rien faire quand ils tombent dans cet état d’obscurité, et l’expriment aux autres comme ils le croient. Et c’est ici la source de toutes les contradictions et persécutions que l’on fait aux mystiques

26 janvier 59 la volonté ayant fait mourir les affections répandues dans les créatures, elle produit un amour tout simple vers Dieu qui lui donne un recueillement amoureux et une union avec Lui

Abandonnez-vous au soin et à la conduite de votre Père qui est aux Cieux. Il a plus de véritable amour pour vous que toutes les créatures ensemble n’en pourraient avoir. Tous les solitaires ont beaucoup de joie de vous voir réduit à la pauvreté. ... votre bonheur est bien meilleur que le nôtre, puisque vous êtes destiné à une vie mourante et souffrante, et nous, à une vie contemplative qui est toute pleine de douceur

19 fév 59 Notre Seigneur vous conduit par les aridités, sécheresses et peines intérieures. Ne refusez pas la miséricorde qu’Il vous fait de vous traiter de la sorte ... Et l’âme sans oraison qui lui paraisse ne laisse pas d’en avoir une très bonne qu’elle ne sent et ne goûte point. ... L’oisiveté consiste à ne rien faire du tout, laissant son âme volontairement distraite et inutile, dans la croyance qu’elle ne peut rien faire. L’abandon empêche qu’on ne fasse rien par soi-même, mais soumet à l’âme faire tout ce que Dieu veut. ... la fidélité à l’abandon consiste à faire la conduite de Dieu uniquement et non pas la nôtre.

16 mars 59 l’union que l’on a avec Dieu; laquelle se reconnaît par la profonde mort que l’on a de soi-même et des créatures. C’est ici l’essentiel de la vie mystique. ... Et c’est un grand aveuglement de ce que les serviteurs de Dieu n’en font presque nul état, croyant que la vie mystique n’est que pour les solitaires. ... Si l’on veut que vous soyez Docteur, soyez-le; il importe peu, pourvu que la mort et le néant soient de la partie.

29 mars 59 Tout votre bonheur sera de faire sa sainte volonté; laquelle vous étant manifestée, doit ôter de votre esprit toute crainte et inquiétude ... reculer les affaires de Dieu pour vaquer à Dieu même, puisque c’est Lui seul qui nous donnera la grâce d’y pouvoir réussir, et de ne pas nous y chercher

2 avril 59 laisser votre âme dans une parfaite liberté, sans vouloir qu’elle s’applique à quelque chose en l’oraison, sinon quand Dieu le voudra. La non-oraison est la voie pour l’oraison mystique

16 avril 59 Dans cet état de simple attention... ... Laissez passer toutes ces pensées...

M 3, 2 L’oraison qui se fait avec foi simple, sans raisonnements et méditations, est bonne. Elle est fondée dans les Pères, et peut être appuyée de quantité de passages. Mais c’est un don de Dieu particulier ... |Mais] Cette oraison pratiquée par ceux qui n’en ont point le don particulier et extraordinaire, ne fait nul effet en eux et les laisse croupir dans beaucoup d’imperfections

M 3, 3 L’état passif ne consiste pas à n’avoir point de pensées, ni à ne point faire d’actes; mais seulement à supprimer notre activité propre, pour entrer dans l’activité de Dieu

M 3, 4 Cet état consiste à se laisser posséder à l’Esprit de Jésus-Christ qui veut vivre Lui Seul et opérer en l’âme

M 3, 6 Les distractions, les tentations, les ténèbres, et les sécheresses de l’intérieur ne lui feront plus de peur, puisqu’elles serviront même à l’établir dans l’état passif.

M 3, 8 Le second degré est illuminatif.

M 3, 10 Comme le fer qui est devenu comme du feu

M 3, 11 Dans ce dernier degré de la vie unitive, le temps d’oraison n’est pas réglé...



      1. Thèmes par clefs

Un classement chronologique n’a pas de sens sur une courte durée de qq. années car la variance liée aux correspondants divers l’emporte sur l’évolution de Bernières, d’où un regroupement thématique :





Abandon passiveté : (5) 3janv56, 20sept57, 24janv59, 26janv59, 19fév59

Communication : (3) 24avril53, 4mai53, 30mars54

Dieu : (22) 12sept47, 12sept47b, 28sept47, 20janv48, avril50, 1651, 1653, 1653c, 1653d, 23août53, 26août53, 7sept53, 16déc53, 19avril54, 19oct54, 5nov54, 13août56, 10oct56, 23janv57, 9avril57, 10oct58, 12déc58, 29mars59

Foi : (3) 1653b, 10fév53, 4mai53

Liberté : (3) juillet53, 7sept53, 1juillet58

Néant, anéantissement : (10) janv47, 15fév47, 29 mars54, 2fév55, 14sept56, 7oct58, 31oct58, 16déc58, 21déc58, 22déc58, 4janv59

Oraison, purification : (19) 6mars46, 1652, 1654, 13mai54, 17sept54, 20oct54, 9avril57, 26août57, 20sept57, 29sept57, 6oct57, 13oct57, 28oct57, 16avril59, M3,2, M3,3, M3,6, M3,8, M3,10, M3,11

Paix : (3) 1648, 2fév55, 30août57

Union : (8) mars49, mars49b, mai50, mai50b, 11nov54, 20nov56, 26janv59, 16mars59





On peut envisager la séquence suivante :

Oraison , néant, abandon, paix > union, dieu > communication, liberté



      1. Correspondance par années

47, 49-50 puis

2-53 à 11-54 soit 21mois

puis trou d’une année

puis 1-56 à 4-59 soit 39mois

1Père Jean-Chrysostome de St Lô qui mourra le 26 mars.

2Ces maximes pourraient bien être à l’origine des notes intimes de Bernières que l’éditeur a appelé « Maximes » Les billets retrouvés et édités seraient donc les notes prises par Bernières après ses entretiens avec le Père Jean-Chrysostome. Il y a tout lieu de le penser quand on lit la suite.

3À partir de janvier, Bernières passe 6 semaines à Rouen et il est malade 5 semaines. Cette lettre est donc à situer vers la mi-février. On la retrouve dans une version plus longue dans le Chrétien Intérieur. Cf. la note en fin de lettre.

4Cf. Chr. Int. VI, 7 [cité longuement, car biographique] : « Je commence à sortir de mon état, où j'ai été plus de cinq semaines : mon corps qui se corrompait, appesantissait mon âme, ou plutôt l'anéantissait, car elle semblait être réduite au néant et à une dernière impuissance de connaître et aimer son Dieu, dont elle n'avait, ce semble, aucun souvenir, sinon que je me souvenais de ne m'en souvenir pas ; et me voyant dans un état d'incapacité, je demeurais sans autre vue que de mon néant et de la profondeur de ma misère, m'étonnant de l'impuissance d'une âme que Dieu a délaissée à elle-même. Ce seul sentiment occupait mon âme, et mon néant m'était, ce me semble, connu par une certaine expérience, plutôt que par abondance de lumière. Jusqu'à ce que Dieu réduise l'âme à ce point-là, elle ne connaît pas bien son infirmité : elle découvre mille fausses opinions et vaines estimes qu'elle avait d'elle-même, de ses lumières, de ses sentiments et de ses ferveurs ; elle voit qu'elle y avait appui secret, et n'aperçoit cela que quand tout lui est ôté, la privation lui faisant connaître ce qu'elle possédait.

« Ce qui s'est passé en moi, sont des effets d'une maladie naturelle, qui néanmoins m'ont réduit au néant, et beaucoup humilié, car tout de bon j'ai été dans les oublis de Dieu si grands qu'ils vous étonneraient ; et je n'eusse pas cru qu'une âme qui connaît Dieu et qui a reçu de lui tant de témoignages sensibles de son amour, entrât dans une si grande et si longue privation d'amour actuel, par son infidélité, et faute de réveiller par quelque petit effort son assoupissement extrême. Quelle différence de ma dernière maladie à la présente ! Mon âme était dans celle-là tout enflammée, lumineuse, vigoureuse, supérieure à son corps ; et en celle-ci, elle a été froide, obscure, et l'obscurité même, faible, infirme, anéantie et accablée de son corps. L'on entrevoit son néant et son infirmité dans l'oraison ; mais les lumières et les douceurs qu'on y reçoit, empêchent qu'on ne la voie comme il faut. Dieu la fait sentir quelquefois, et toucher au doigt par l'accablement qui arrive à l'âme. Il me semble qu'il ne régnait en moi que sentiments d'impatience et inclinations au chagrin ; par la grâce de Dieu, je n'y consentais pas toujours, mais je n'étais plein que de cela. » [...]

5Le père Chrysostome.

6Cf. Chr. Int. VI,6 [longuement reproduit : autobiographique] : « Dieu m'a fait jouir durant ma maladie d'une profonde paix, et si grande que j'en étais tout étonné à cause de mes misères et péchés passés. Je disais en moi-même: « Qu'est-ce ici ? Et comment se peut-il faire qu'une si misérable créature soit si contente et si satisfaite ? » Car mon âme était dans un accoisement [apaisement] parfait de toutes ses passions, ne ressentant qu'une pure et totale union au bon Plaisir de Dieu, et un abandon absolu à la conduite du divin Amour. Il me semble que quelques jours auparavant, ma disposition était fort tranquille et dans une paix extraordinaire. Un après-dîner, je fus pris de la fièvre continue, accompagnée d'un très grand mal de tête et de douleurs partout; ce divin Amour, ce me semble, continua ses opérations en mon âme, la tenant toute brûlée de son feu sacré. Je disais sans cesse : « Ô Amour ! Ô Amour ! Ô Amour ! », et ne pouvais prononcer autre chose.

« Quand mon âme se vit ainsi quasi proche de la mort, que mes amis pleuraient, et que tout le monde me témoignait assez le danger de mon mal, mon âme, dis-je, regardait tout cela sans être touchée d'aucun sentiment de regret ni de tendresse réciproque vers mes amis, n'ayant point d'autres sentiments que celui de l'Amour qui l'abîmait et la perdait entièrement dans le bon Plaisir de Dieu, auquel il lui semblait qu'elle était unie si purement et si intimement qu'elle ne s'en pouvait séparer, même quant au sentiment. Son soin ne pouvait être de redemander la vie ; et sur la proposition que quelqu'un de mes amis me fit, de m'envoyer des reliques des saints, qui faisaient des miracles, je le remerciai, car, quoique je les honore beaucoup, je ne pouvais pas m'en servir pour demander la santé, mais je voulais me laisser entièrement au pouvoir de l'Amour, et m'étant une fois jeté entre ses bras, je me laissai conduire entièrement à lui, fut-ce pour la vie ou pour la mort.

« Mon âme, dans l'extrême faiblesse de mon corps, se trouvait comme victorieuse et triomphante de voir son corps abattu et terrassé à ses pieds, et toute pleine d'Amour : il me semblait qu'au lieu d'en avoir compassion, elle souriait de ses peines. Aussi c'est un effet extraordinaire de l'Amour, que mon âme n'ait point participé aux abattements du corps, et qu'au milieu de ses faiblesses elle soit demeurée forte ; surtout que le grand mal de tête ne lui ait donné nul empêchement à ses occupations intérieures.

« Cette disposition d'amour a duré autant que ma maladie : j'en entretenais mes amis avec assez peu de considération, et je crois avec un peu trop de babil, craignant d'avoir un peu trop fait connaître le feu qui me brûlait, et qu'un peu d'amour-propre ne me fît dire mes sentiments trop librement. La pensée me vint de craindre ce défaut ; mais l'Amour me rendait tout enivré et sans jugement. Je disais quelquefois que je ressemblais à un ivrogne, qui, occupé de son ivresse, ne pensait plus à ses misères ni à sa pauvreté. Aussi dans cette disposition, j'oubliais mes péchés et mon extrême pauvreté intérieure, et je me jetais à corps perdu entre les bras de l'Amour pour caresser mon Bien-Aimé (peut-être avec peu de respect pour un misérable comme moi) et être caressé de lui. Je ne laissais pas de faire une revue sur ma conscience et de me confesser comme si j'eusse du mourir, disposant mes petites affaires pour me tenir prêt de partir.

« Me voyant dans l'impuissance de donner beaucoup aux pauvres, je me rien donner comme si j'avais fait quantité de legs pieux. L'amour du pauvre Jésus me pénétrait fort, et pour y satisfaire, je fis venir un petit pauvre qui me représentait la pauvreté du petit Jésus ; et lui baisant main, je lui rendais tous les hommages que je pouvais, désirant toujours continuer vers Jésus pauvre jusqu'à la mort. Je me reconnais très indigne, ô Jésus, de vos divins états. Hélas ! Faut-il que je meure sans avoir entré effectivement dans la pauvreté et abjection de votre vie voyagère ? J'agrée donc maintenant l'extrême humiliation que je reçois, d'avoir passé ma vie par lâcheté en pures idées de vos divins états. Au moins, ô mon Jésus, je meurs dans l'amour et le respect que je leur dois porter : agréez, s'il vous plaît, la conformité que je désire y avoir.

« Il me souvient que, faisant oraison le dimanche au soir dont je fus pris de mal le lundi, avec les Pères Carmes où j'étais à Vêpres, notre Seigneur me mit en l'esprit ces paroles : Christo confixus sum cruci ; sur quoi j'entrai dans un ardent désir de n'être jamais un moment de ma vie, sans pouvoir dire : « Je suis crucifié avec Jésus-Christ ». Je pense que ce divin Amour me disposait alors à être cloué sur la Croix. Et en effet ma maladie ayant commencé par un grand mal de tête qui me rendait les yeux comme tout enflés de douleur, il me vint en pensée que je pouvais en cette rencontre honorer le couronnement d'épines de mon Sauveur. Je prenais plaisir d'avoir quelque conformité avec cet état douloureux de Jésus. Et comme ma douleur s'étendait par tout le corps, je me sentis tant soit peu semblable à l'état du corps crucifié.

« Voilà pour obéir aux commandements que je reçois de rendre compte de mes dispositions. Ce sont des sentiments peut-être trop avantageusement expliqués, mais il est vrai pourtant que j'en ai ressenti une partie. Louez-en avec moi les miséricordes de notre Seigneur, qui se plaît à faire tant de bien à la plus ingrate de ses créatures ; mais il faut qu'il glorifie ses miséricordes au milieu de mes misères. Cette vue me console et fait que je ne veux pas taire ses bontés vers moi, qui puis quasi dire : Venite et videte, omnes qui timetis Deum, quanta fecit Dominus animae meae. (Ps 66,16) »

7Psaume 73, 22 : « moi, stupide, je ne comprenais pas, j'étais une brute près de toi. » Cette traduction ne traduit pas les mots de la vulgate ici citée par l’auteur : « j’ai été réduit à rien ».

8Cf. Chr. Int. VII,8 : « A mon avis, le grand secret de l’oraison est de recevoir en tranquillité et en pureté l’impression des rayons du Soleil divin qui réside dans le fond de notre âme. C’est lui qui peut illuminer sans le secours de nos raisonnements, qui allume en nous le divin Amour sans tourmenter notre volonté par la production d’une multitude d’actes, et fera fructifier toutes les vertus sans quasi nous en apercevoir ni savoir comment cela se fait. Que l’âme ait soin d’être nette et pure de toute imperfection, morte aux créatures et dans le désir de souffrir ; et pour l’oraison, qu’elle ne s’en mette point en peine : Dieu fera en elle tout ce qu’il faut et en une manière qui passera ses espérances et même son intelligence. »

9Cf. Chr. Int. VII,3 : « Quand une âme est bien pure et qu’elle a l’expérience des mouvements de la Grâce en elle, les reconnaissant et les distinguant des mouvements de la nature, elle n’a qu’à s’exposer aux rayons du Soleil divin pour les recevoir dans son centre, en être illuminée et échauffée. Et c’est ainsi à mon avis que Dieu veut que de certaines âmes fassent oraison, quand elles ont l’expérience que telle est la Volonté de Dieu sur elles ; et vouloir faire autrement sous prétexte d’humilité ou de crainte de tromperie, c’est ne se pas soumettre à la conduite de l’Esprit de Dieu, qui souffle où il lui plaît et quand il lui plaît. C’est un grand secret d’être dans une entière passivité et anéantir toute propre opération. »

10Cf. Chr. Int. IV, 7 : « Il semble à mon âme qu'elle a été jusqu'à présent dans des amusements continuels. À combien de vaines idées s'est-elle laissée occuper ? Mais à la rencontre de Jésus toutes les créatures lui paraissent comme des songes, et s'enfuient de devant ses yeux comme des hiboux au lever du soleil. Je vous connais donc, ô aimable Jésus, je vois que vous êtes la vérité, et que tout le reste n'est que vanité. »

11Cf. Chr. Int. VII,16 : « Lorsqu’il tient l’âme endormie en quiétude, elle jouit et reçoit sans rien faire et ne sait comment elle jouit, sentant seulement en elle cette suavité et ce calme très doux ; elle s’aperçoit pourtant bien que c’est Dieu présent qui lui donne cela. Il lui donne aussi de grandes certitudes de sa présence et des connaissances expérimentales de ce qu’il est Dieu : qu’il est bon, puissant, miséricordieux et son souverain Bien et sa fin dernière. L’âme s’aperçoit bien qu’elle conçoit toutes ces choses d’une manière bien différente que quand elle raisonnait ou qu’elle en entendait discourir. Elle se voit élevée au-dessus des sens, de l’imagination et du raisonnement. Le sacré repos qu’elle reçoit de Dieu présent lui donne une vie intérieure de connaissance et d’amour toute autre, et pour ainsi dire elle goûte Dieu et ce goût lui donne des expériences de ce qu’il est. Le goût d’un rayon de miel apprend plus ce que c’est que le miel que tous les discours et raisonnements du monde. Et, de vrai, c’est le même dans un sacré repos où l’on a goûté Dieu ; vous connaissez mieux sa bonté , qu’il est notre souverain Bien et notre fin dernière que par toutes sortes de raisonnements ou méditations. »

12Cf. Jeanne de Chantal, Entretiens 10 : « Nous disons bien à Notre Seigneur que nous nous abandonnons entre ses bras divins, mais nous ne le faisons pas de la bonne sorte. Nous voulons toujours avoir quelques petits soins de nous-mêmes, non pourtant pour le temporel comme pour le spirituel, l'amour propre par sa subtile finesse nous persuadant toujours que si nous nous en mêlons un peu, que tout n'ira pas bien. Non, ma Sœur, une âme totalement perdue en Dieu ne veut avoir ni de vertu, ni de perfection que ce que Dieu veut qu'elle en ait. Elle travaille fidèlement, parce que Dieu le veut, mais elle lui laisse tout le soin de son travail, et ne se met pas en peine de chercher des moyens nouveaux de perfection, mais ne s'applique qu'à bien employer ceux que la Providence lui fournit et qu'elle lui présente à chaque occasion. »

13Cf. Jeanne de Chantal, Entretien 14 de l’obéissance : “Je voudrais pouvoir écrire tout ce que je vous ai dit ce soir, afin qu'il fût mieux gravé dans vos bons cœurs. C'est Dieu qui me l'a fait dire, puisque c'est lui seul d'où la moindre bonne pensée nous vient. Je me suis sentie extrêmement affectionnée à vous entretenir sur ce sujet, Dieu m'en a pressée ; soyez donc toutes pénétrées, mes filles, de ce désir unique de dépendre entièrement de l'ordre de la Providence. Laissons-nous entre les bras de la divine Bonté, et laissons-lui la liberté de nous porter à droite et à gauche; qu'il nous suffise, je vous prie, d'être au soin de ce grand Dieu, et laissons-nous conduire en quel lieu il nous voudra, puisque, partout où sa main nous posera, nous accomplirons son adorable volonté par le moyen de la sainte obéissance.”

14Cf. Luc 17.7-10. « De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites: ‘Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire’. »

15Cf. Chr. Int. IV, 7 : « c'est-à-dire, quittez-vous vous-mêmes pour perdre votre vie en celle de Jésus, qui est une source de vie, n'ayez plus, ni amour, ni vie, ni opérations, si ce n'est en lui et par lui : Vivit in me Christus. »

16Cf. Chr. Int. VI,11 : « Quand nous faisons résolution de nous occuper de Dieu, nous confier entièrement à lui, et de ne penser plus à nos propres défauts, nous ne les oublions pas pour cela ; mais Dieu lui-même nous les découvre d'une manière incomparablement meilleure que tout ce que nous en pourrions connaître par nos propres forces, et nous trouvons en lui des aides pour notre avancement, que nous n'avons pas quand nous nous empressons d'avancer de nous-mêmes.

« Que gagnons-nous de nous dépiter contre nous-mêmes ? Après tout, nous serons toujours imparfaits. Que pouvons-nous attendre de notre fond, sinon qu'il y croîtra toujours des ronces et des épines, et mille défauts, quelque diligence que nous apportions pour le cultiver ? Durant que nous demeurons en nous-même, nous languirons toujours dans l'imperfection. Quittons-nous nous-même le plus tôt que nous pourrons : quand nous aurons appris à avoir plus de soin de Dieu que de nous-même, nous marcherons dans les voies de Dieu d'un autre air que nous n'avons fait, et nous trouverons bientôt la région de la paix. Le vrai secret de la vie intérieure est de se laisser posséder à la Grâce, qui tantôt nous met dans les combats de nos passions, tantôt nous jette dans les souffrances intérieures et extérieures, tantôt nous laisse dans la méditation, et puis nous élève dans la contemplation, et cela en différentes manières : tantôt il semble nous porter dans notre voie sans nous laisser éprouver ni travail ni difficulté, tantôt il nous fait sentir les fatigues et la lassitude. Parmi tout cela, l'âme, abandonnée au bon Plaisir de Dieu, se tient paisible, contente et indifférente en l'état où il la met, n'ayant attache à aucune chose, si ce n'est au seul bon Plaisir de Dieu. »

17Cf. Chr. Int. VII,17 : « Un seul amour lui semble suffisant pour Dieu et pour l’âme aimante, étant assez qu’elle adhère à une très grande simplicité et unité à cet unique amour que Dieu a pour ses beautés et pour ses bontés infinies. L’amour particulier de l’âme s’abîme comme une goutte d’eau dans cet Océan infini d’amour par une union si intime que cela ne se peut expliquer ; et, en se perdant ainsi, il se trouve infiniment plus parfait, comme une petite étincelle de feu s’abîmant dans une grande fournaise brûle avec une ardeur toute autre qu’elle ne ferait pas par elle seule. Elle n’est pas aimante, ce lui semble, mais Dieu est s’aimant en elle; et en cette manière la volonté humaine est tellement imprimée des qualités de l’Amour divin qu’elle n’a point d’autres sentiments ni dispositions intérieures que celles que Dieu a pour soi-même. Comme elle aime Dieu en la façon dont il s’aime, elle hait le péché en la manière que Dieu le hait; Dieu ne pouvant goûter que ce qui est Dieu, l’âme fait le même, car elle ne repose qu’en Dieu seul. »

18Cf. Chr. Int. VII,13 : « L’âme, conduite par la seule Foi et attirée par ses divins parfums, va trouver Dieu en ce saint sanctuaire et converse avec lui dans une familiarité qui étonne les Anges mêmes. C’est ici où se fait la pure oraison puisqu’il n’y a rien que Dieu et l’âme, sans aucune créature qui se puisse mêler dans ce saint pourparler, Dieu opérant tout ce qui se passe par lui-même, sans se servir d’images ni de discours ni de goûts sensibles. Cette suprême pointe de l’âme n’étant capable de rien de sensible, le seul pur Esprit la peut posséder, qui est Dieu, lequel lui communique ses illustrations, vues et sentiments qui lui sont nécessaires pour la pure union. »

19Cf. Chr. Int. III,13 : « Il ne faut point de contrainte dans les pratiques de la vie spirituelle ni tellement se déterminer à en faire une, si Dieu, qui ne se lie pas à nos desseins, nous appelle ailleurs ; mais il veut que l'on suive ses attraits. Il faut ramer avec les avirons, mais il ne faut pas que ce soit contre le vent. Nous devons opérer et agir sans doute ; néanmoins il faut que ce soit en secondant le souffle du Saint-Esprit, qui se fait bien sentir quand on y est accoutumé. Une âme qui n'agit que parce qu'elle est mue de Dieu, reconnaît bien les mouvements de Dieu : je ne sais comme cela ne s'explique point ; mais il est pourtant très véritable, on le sait par expérience. »

20Cf. Chr. Int. VII,13 : « La parfaite oraison est donc une certaine manifestation expérimentale que Dieu donne de soi-même, de ses bontés, de sa paix et de ses douceurs. Don admirable qui ne s’accorde qu’aux âmes très pures et qui dure ordinairement assez peu de temps ! Mais la condition de cette vie ne permet pas davantage, car il faut vivre ici dans l’humilité, la patience et la Croix. L’âme, retournant du milieu de ces embrassements divins, rapporte un grand amour et une haute estime de Dieu, une profonde connaissance de ses imperfections, et se trouve ainsi toute disposée d’agir et de souffrir et de pratiquer les pures vertus.

« Peu de personnes arrivent à la pureté de la parfaite oraison parce que peu se rendent susceptibles des motions divines par un vide profond de leurs puissances. Pour en venir là, il faut que rien ne nous tienne à l’esprit ni au coeur. »

21 Cf. Chr. Int. VII,10 : « Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former, et ma volonté est échauffée d’une manière admirable au milieu de ces ténèbres lumineuses. En cet état, toute mon âme est unie à Dieu très simplement et intimement ; et comme l’union est forte, l’on ne s’en sépare pour traiter avec les créatures qu’avec violence. L’âme, qui ne sait rien de Dieu en cette disposition sinon qu’il est incompréhensible, se perd dans les ténèbres qui environnent cette infinie Grandeur. Cette vue sans vue ne voit rien de distinct et particulier de Dieu, mais est une savante ignorance de ce que Dieu est en soi-même, qui laisse en l’âme de grands effets d’estime et d’amour, pénétrant beaucoup l’intérieur en lui faisant une impression très forte de la grandeur de Dieu et de ses infinies perfections. Dieu demande une grande pureté et paix intérieure à une âme dans cet état. »

22Cf. Chr. Int. VII, 12 : « Une âme élevée dans l’état passif d’oraison se trouve unie à Dieu sans qu’elle ait travaillé à s’y unir, et reçoit de lui plusieurs lumières, vues, désirs et affections, comme il lui plaît les communiquer. Pour lors l’âme adhère purement à la Grâce et ne se remue point pour prendre elle-même des vues, désirs ou affections : elle se contente de ce que l’Esprit, qui la tient liée, lui donne, et n’a que cet unique soin de le contenter et adhérer à son divin amour. Durant qu’elle demeure et opère conformément à ce divin état, elle ne se sert point de sa liberté naturelle pour agir, mais suit les motions divines dans l’anéantissement des propres opérations. Quand elle est bien morte et bien passive en elle-même, son état de passiveté ne change point, quoique ses dispositions ordinaires changent, car elle reçoit de Dieu les ténèbres comme la lumière, les froideurs comme les ardeurs, les pauvretés comme l’abondance, demeurant ferme dans son fond à ne vouloir que Dieu et ses saintes volontés avec toute indifférence et une parfaite mort de ses propres opérations

23Cf. Chr. Int. VII,14 : « Il arrive aussi ordinairement que Dieu qui, ouvrant sa main libérale, remplit tout animal de bénédiction, prenant plaisir à rassasier la faim que lui-même a excitée dans une âme, se communique abondamment au fond de sa volonté, qui se trouve toute rassasiée et pleine de Dieu. Cette plénitude de Dieu expérimentée et goûtée l’occupe avec douceur et paix. Cette disposition remplit quelquefois toutes les puissances de l’âme de sorte que l’entendement, la mémoire, la volonté, l’imagination sont toutes pleines de Dieu seul, et nulle pensée pour lors n’y peut avoir entrée, mais elles sont toutes occupées de la possession de Dieu. Quelquefois cette jouissance se retire purement dans la volonté, dont elle remplit la capacité pleinement et parfaitement, et ainsi l’oraison n’est plus qu’un sentiment de Dieu remplissant le fond du coeur et le comblant d’une grande joie. »

24 Cf. Chr. Int. II, 8: « Ô mon Jésus, tout anéanti dans mes souffrances, faites que, tout perdu en moi-même dans les peines, j'entre abîmé en vous, et par vous en Dieu. »

25 Cf. Chr. Int. VII, 2 : « Je trouve une comparaison qui explique fort bien la différence de l’oraison ordinaire et de l’oraison passive : c’est qu’un homme peut bien voir les meubles d’une chambre et les beautés d’un cabinet en battant le fusil, allumant la chandelle, et regardant toutes ces choses ; ou bien avec la lumière du soleil qui entre dans la chambre : pour lors il n’a point de peine, il n’a qu’à ouvrir les yeux. La méditation ressemble à la première façon de voir avec de la chandelle ; la contemplation parfaite à la seconde manière de voir avec la lumière du soleil, parce qu’elle se fait non seulement sans peine, mais avec plaisir et tout d’un coup. Quand la lumière du soleil manque, il se faut servir de la lueur de la lampe ou de la chandelle ; quand Dieu ne se communique pas par la contemplation, il le faut chercher par la méditation et se contenter de ce que Dieu donne, avec paix et humilité. » 

26Cette lettre adressée à Mère Mectilde en réponse à ses demandes réitérées par l’entremise de M. Rocquelay ( notamment sa lettre du 22 avril 1653), est en quelque sorte une justification de son long silence. L’amitié en Dieu est au-delà des sens et ne nécessite pas outre mesure de l’exprimer souvent.

27Décédé 24 avril 1649. Gaston Jean Baptiste de Renty est né en 1611 au château de Bény. Il était un « gentilhomme d'affaires » du XVII° siècle à l'emploi du temps très chargé, et l'une des plus grandes figures spirituelles de l’école française du XVIIe siècle. Il est intéressant de souligner ici l’expression « intime ami ». L’éditeur pensait-il à lui quand il mentionne certaines lettres adressées « à l’ami intime » ? Il semble que non. Car la plupart des lettres intitulées à l’ami intime » sont postérieures à 1653. Il s’agirait plutôt de Mr de Rocquelay dont Mère Mectilde écrit à Henri Boudon le 26 juillet 1552 : « Notre bon frère M. de Roquelay est un avec M. de Bernières ; c'est pourquoi ce que vous oublierez de dire à l'un vous le pouvez dire à l'autre ; il n'y a point de secret entre eux.» On peut penser aussi bien sûr à Jacques Bertot. En fait Jean a plusieurs amis intimes !

28 Cf. Chr. Int. VII, 10 : « On ne saurait quasi être plus purement en Dieu que par cette oraison, y étant, par une simple vue de la Foi pure, au-dessus de tout discours et conception. En cet état, je ne connais rien de Dieu sinon que je n’en puis rien connaître : l’imbécillité de mon âme et les excès infinis de ce divin Soleil font que sa lumière m’est inaccessible. Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former, et ma volonté est échauffée d’une manière admirable au milieu de ces ténèbres lumineuses. En cet état, toute mon âme est unie à Dieu très simplement et intimement ; et comme l’union est forte, l’on ne s’en sépare pour traiter avec les créatures qu’avec violence. »

29« À son ami intime ». Sans doute ici Jacques Bertot.

30 Cf. Chr. Int. II, 9 : « Je n'avais jamais bien compris ce que c'était que la vue de la pureté de vertu. C'est la vue de cet état de vie surhumaine, dans laquelle l'âme ne vit plus en soi, à soi et pour soi, mais toute en Dieu, à Dieu et pour Dieu. Elle y vit toute transformée en lui, et toute séparée des créatures. »

31 Cf. Chr. Int. III, 2 : « Je trouve mon cœur et mon âme si contente de ce que Dieu est uni inséparablement à elle, qu'elle ne peut sentir la séparation des personnes du monde qui me sont les plus chères. Je ne sais quand je souffrirai quelque chose, toutes les mortifications pour moi se tournent en douceurs, car la vue de la Présence de Dieu intime en moi et inséparable me remplit de joie. Dieu est en moi et je suis en lui, et rien ne m'en peut séparer, puisqu’incessamment il est présent en moi par son immensité qui lui est essentielle. Cela me donne un plaisir si sensible que la privation de toutes les créatures ne me pourrait toucher ; au contraire je tire cet avantage de leur éloignement que la Présence de mon Dieu m'est plus présente. Et tant plus que par la suprême indifférence je m'élève au-dessus de toutes les créatures, quelque saintes qu'elles soient, je sens mon cœur plus uni à Dieu, comme à son centre, dans lequel il prend un paisible repos. »

32 Cf. Chr. Int. VII, 20 : « Je m’imagine qu’une maîtresse de maison, qui aurait le Roi et la Reine dans son cabinet qui voudraient lui parler en secret et cœur à cœur, n’aurait garde de s’appliquer à autre chose et ne voudrait pas les quitter pour aller à la cuisine laver les écuelles. O Dieu, quelle incivilité, quelle infidélité serait-ce à une âme qui a l’honneur d’avoir la majesté de Dieu dans le Cabinet de son cœur, qui se plaît de s’y manifester, et qui se choisit même quelques âmes qu’il veut être auprès de lui pour leur parler et pour recevoir d’elles des complaisances et non d’autres services extérieurs ! Si ces âmes si favorisées (au moins leur partie supérieure) quittent Dieu pour s’en aller avec les sens extérieurs parmi les affaires temporelles, qui ne regardent que le corps, qui est comme remuer les ustensiles de la cuisine, méprisant pour ce négoce si abject la présence du Roi, quelle ingratitude serait-ce, et quelle infidélité ! »

33Cf. Jn 9,6 : « Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle; »

34Cf. II,10 : «  C'est un plus grand miracle de voir une âme vivre de la vie surhumaine, que de voir une pierre s'élever en l'air, parce que la corruption du péché a tellement appesanti l'âme qu'elle ne peut tendre d'elle-même qu'en bas, au néant, au péché. C'est en ce point que la force de la Grâce est glorifiée. Et c'est une prodigieuse vanité d'avoir de la complaisance en ses bonnes actions : car puisqu'elles sont surhumaines, elles ne sont pas un fruit de notre humanité. »

35 Cf. Chr. Int. I, 10 : « Les grands Saints ont anéanti leurs talents à leurs propres yeux, quand ils ont été obligés de les faire éclater aux yeux des autres ; et hors la nécessité de s'en servir pour le bien du prochain, ils ne tendaient qu'à l'humiliation, s'abîmant dans le néant pour y ruiner leur excellence. »

36 Cf. Chr. Int. IV, 7 : « Telles âmes sont souvent crucifiées, soit par les directeurs, soit par elles-mêmes, car elles craignent, et ceux qui les conduisent, craignent aussi que ce ne soit oisiveté ; on croit qu'il vaut mieux souffrir et qu'il est plus utile d'aider le prochain, que l'amour-propre se repaisse aisément d'une si douce occupation : c'est ce qui ferait que l'âme se retirerait volontiers de la jouissance où Dieu la met, et par conséquent se mettrait hors des voies de Dieu, si elle n'était aidée d'une grâce bien particulière, qui la conserve où Dieu la veut. »

37La transmission d’une âme en silence peut devenir un bon canal pour guider d’autres âmes vers Dieu. Cela suppose que l’âme qui devient ainsi « apôtre » soit suffisamment morte au vieil homme et oublieuse d’elle-même.

38 Cf. Chr. Int. IV, 6: « Tant plus l'âme est dans l'union amoureuse avec Jésus dans l'oraison, tant plus elle devient Jésus et participe à son Esprit et à ses dispositions ; et partant plus elle doit aimer les croix et les mépris. D'avoir des unions avec Jésus-Christ dans l'oraison, et d'être désunie de Jésus dans la pratique de la vie, c'est abus et illusion ; et c'est en quoi est l'excellence de la vraie oraison, d'imprimer dans les âmes et leur donner ces sentiments. »

39 Cf. Chr. Int. VII, 9 : « La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement : nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. L’état de pure Foi lui déplaît quelquefois fortement, mais il le faut laisser mourir à toutes ses propres opérations, estimant pour cela beaucoup et recevant volontiers tout ce qui nous aide à mourir, comme les sécheresses, aridités, délaissements, qui enfin laissent l’âme dans l’exercice de la pure Foi par laquelle Dieu est connu plus hautement que par les lumières, qui servent de milieu entre Dieu et l’âme ; et l’union de notre esprit par la Foi est pure et immédiate, et par conséquent plus relevée. »

40Jacques Bertot est né à Caen le 29 juillet 1622 où il fit ses études. Ordonné prêtre, il fréquentera une quinzaine d’années l’Ermitage. Il est le (ou un) destinataire des lettres de Bernières adressées à l’ « ami intime ». Bertot sera aussi pendant vingt ans confesseur des Ursulines de Caen à partir de 1655. À Caen et au-delà, il eut une large influence notamment sur les missionnaires envoyés en Asie ou au Canada.

41Mère Mectilde évoque dans une de ses lettres précédentes ce personnage : Jean Aumont ?

42Cf. 1653 L, 3,18 : « La foi est un rayon divin qui subsiste en sa pureté, au milieu des brouilleries et inquiétudes de nos sens, et qui nous tient unis à Dieu d’une manière spirituelle et non sensible, qui est plus véritable et réelle qu’elle n’est aperçue ou ressentie. Aussi qui veut habiter la région du pur esprit et quitter le procédé des sens, il faut s’accoutumer à faire l’oraison avec la pure lumière de la foi. Le rayon du Soleil naturel demeure en sa pureté au milieu de la bouillie. Ne vous étonnez donc pas de toutes les dispositions pénibles d’imaginations, et des tentations où vous vous trouverez souvent hors de l’oraison et dans les occupations inférieures. »

43L’oraison passive n’est pas passivité morte. Elle suppose une synergie avec la grâce et exige de se laisser mouvoir et agir par l'Esprit-Saint par une adhésion libre de l’âme à Dieu, pour n’être qu’un seul esprit avec lui cmmme le dit saint Paul : 1 Corinthiens 6, 17 Celui qui s'unit au Seigneur, au contraire, n'est avec lui qu'un seul esprit.

44Cf. Chr. Int ; VII,3 : « Quand le divin Soleil s’éclipse volontairement pour sa Gloire et pour le bien des âmes, comme dans les ténèbres, ou que nos imperfections rendent le fond de notre coeur impur et crasseux, et peu susceptible des lumières surnaturelles, l’âme n’a qu’à se tenir contente dans ces privations et obscurités, puisque c’est le bon Plaisir du divin Soleil qui l’éclaire. Pour la tenir dans ces ténèbres, il n’a pas moins de lumières : c’est ce qui satisfait cette âme obscure et résignée. Dieu seul est le sujet de sa joie, et non la réception des lumières ou des faveurs qu’il lui communique par sa libéralité infinie. Voilà pourquoi elle ne perd ni sa paix ni sa joie en perdant les lumières et les douceurs de son oraison. »

45Cf. Chr. III, 10: “Il y a aussi des Martyrs spirituels, qui étant conduits par les peines intérieures, souffrent beaucoup de la part de la Providence. Ô qu'il est bon à telles âmes de reconnaître les desseins de Dieu dessus elles, et d'y être fidèles! La seule vue et amour du bon plaisir de Dieu sera désormais le motif de toutes mes actions et de mes desseins. J'ai peine à souffrir ces mots: son bonheur, sa perfection, son avancement, sa pureté, etc. Cela nous regarde, et le pur amour nous fait abandonner tout et nous-même, pour ne regarder que Dieu seul.”

46Colossiens 3, 3, Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu:

47Cf. Chr.Int I, 7 : « Ô si nous savions seulement agréer toutes ces misères, qui nous mettent dans le bienheureux état d'anéantissement, nous rendrions autant de gloire à Dieu que par toutes les grandes actions, car en toutes ces privations l'âme ne trouve appui ou consolation ni en elle ni en une créature, mais en Dieu seulement. »

48Cf. Chr. Int. VII, 10 : “L’âme, qui ne sait rien de Dieu en cette disposition sinon qu’il est incompréhensible, se perd dans les ténèbres qui environnent cette infinie Grandeur. Cette vue sans vue ne voit rien de distinct et particulier de Dieu, mais est une savante ignorance de ce que Dieu est en soi-même, qui laisse en l’âme de grands effets d’estime et d’amour, pénétrant beaucoup l’intérieur en lui faisant une impression très forte de la grandeur de Dieu et de ses infinies perfections. Dieu demande une grande pureté et paix intérieure à une âme dans cet état.”

49Avant même le lever de l'aurore

50Cf. Louis de Blois, Institution Spirituelle, V: « Tout comme le soleil visible envoie nécessairement sa lumière dans le clair miroir posé en face de lui et y forme son image, de même l'âme nette et libre d'empêchements est-elle illuminée par les rayons très clairs du soleil invisible, et en elle se reflète de façon excellente l'image du soleil divin lui-même. »

511 Corinthiens 13, 12 Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d'une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Saint Paul affirme ainsi que la connaissance de Dieu, en régime de foi, ne peut être qu’imparfait. Pour les anciens le miroir n'est pas l'idée exacte que nous en avons. Il ne reflète qu’imparfaitement, contrairement aux miroirs modernes que nous connaissons.

52Cf. VI, 2 : “Il est bien vrai ce que notre Seigneur dit dans l'Évangile : Multi sunt vocati, pauci vero electi. Plusieurs sont appelés à la perfection par des vues, lumières, sentiments et motions de la Grâce ; et néanmoins ils n'y parviennent pas, faute de fidélité et parce qu'ils s'épargnent trop, ayant trop de tendresse pour leur chair, leurs biens, parents, amis, ayant trop de respect humain, écoutant plus la raison humaine que la vocation de la Grâce. Souvent on se persuade que la dévotion fait trouver une vie pleine de paix, exempte de croix, et cela n'est pas : on n'y doit entrer qu'avec une disposition de porter indifféremment tous les états dans lesquels il plaira à Dieu de nous mettre, et pour y être crucifié à la mode de Dieu, et non pas à la nôtre. Les croix qui viennent de Dieu, ont grand pouvoir de sanctifier; mais celles qui nous sont causées par notre vanité, notre attache aux choses du monde et notre sensibilité, sont pour l'ordinaire inutiles et ne servent que d'empêchement à l'âme. Faites votre compte qu'il faut toujours souffrir quelque chose ; c'est à lui d'en disposer comme il lui plaira, et à nous d'agréer sa disposition.”

53Cf. Chr. Int VII, : “ Il est vrai que cette pure et nue contemplation de Dieu par la Foi n’est donnée que rarement et après avoir passé par plusieurs purgatoires et états pénibles ; les plus grands Saints mêmes ne l’ont pas toujours eue. Au commencement, on ne l’a que comme par petits éclairs passagers: c’est beaucoup si on la possède une demi-heure. Mais il en reste toujours de grands effets dans l’âme. Un des principaux est que cette lumière de Foi fait voir toutes choses, la vérité de nos Mystères, nos imperfections, et les perfections qui nous manquent, et les vertus pratiques; le tout fort simplement, non successivement l’une après l’autre, comme par le raisonnement qui n’aurait jamais pu arriver à produire une connaissance si nette et si universelle . Mais que le raisonnement a de peine à mourir et à ne plus vivre de faveurs et de lumières humaines et être absolument réduit dans l’obscurité! Cependant il faut passer par là pour être disposé à l’opération divine.”

54Saint François de Sales le dit avec beaucoup de précision et de finesse en soulignant que l’unité est plus que l’union afin de se garder de toute accusation de panthéisme où l’âme se perdrait dans le Tout de Dieu : “Mais nous pouvons aussi aller avec notre Seigneur sans avoir aucun vouloir propre, nous laissant simplement porter à son bon plaisir divin comme un petit enfant entre les bras de sa mère, par une certaine sorte de consentement admirable qui se peut appeler union, ou plutôt unité de notre volonté avec celle de Dieu. Et c’est la façon avec laquelle nous devons tâcher de nous comporter en la volonté du bon plaisir divin, d’autant que les effets de cette volonté du bon plaisir procèdent purement de sa providence, et sans que nous les fassions, ils nous arrivent. Il est vrai que nous pouvons bien vouloir qu’ils arrivent selon la volonté de Dieu, et ce vouloir est très bon ; mais nous pouvons bien aussi recevoir les événements du bon plaisir céleste par une très simple tranquillité de notre volonté, qui, ne voulant chose quelconque, acquiesce simplement à tout ce que Dieu veut être fait en nous, sur nous et de nous.” Traité de l’Amour de Dieu, IX, ch. 14

55Cf. Chr. Int. VII,2 : “Le grand secret de la vie spirituelle est de se purifier et de se laisser mouvoir à Dieu, qui est notre principe et notre fin dernière .”

56Cf. Chr. Int. VII, 16 : “Voici ce que Notre Seigneur m’a fait comprendre et expérimenter de cette manière de prier. Je sentis en mon oraison toutes mes puissances accoisées et remplies d’une grande paix et suavité au corps et en l’âme, qui provenait de la présence de Dieu en mon intérieur, lequel je voyais y résidant et opérant plusieurs grâces. Lorsqu’il tient l’âme endormie en quiétude, elle jouit et reçoit sans rien faire et ne sait comment elle jouit, sentant seulement en elle cette suavité et ce calme très doux ; elle s’aperçoit pourtant bien que c’est Dieu présent qui lui donne cela. Il lui donne aussi de grandes certitudes de sa présence et des connaissances expérimentales de ce qu’il est Dieu : qu’il est bon, puissant, miséricordieux et son souverain Bien et sa fin dernière. L’âme s’aperçoit bien qu’elle conçoit toutes ces choses d’une manière bien différente que quand elle raisonnait ou qu’elle en entendait discourir. Elle se voit élevée au-dessus des sens, de l’imagination et du raisonnement. Le sacré repos qu’elle reçoit de Dieu présent lui donne une vie intérieure de connaissance et d’amour toute autre, et pour ainsi dire elle goûte Dieu et ce goût lui donne des expériences de ce qu’il est. Le goût d’un rayon de miel apprend plus ce que c’est que le miel que tous les discours et raisonnements du monde. Et, de vrai, c’est le même dans un sacré repos où l’on a goûté Dieu; vous connaissez mieux sa bonté , qu’il est notre souverain Bien et notre fin dernière que par toutes sortes de raisonnements ou méditations.”

57Mère Mectilde.

58Cf. Chr. Int. VII, 13 : “La pureté de l’oraison, selon ma lumière présente, consiste dans une simple vue de Dieu par la lumière de la Foi, sans raisonnement ou imagination. La raison et l’imagination ne laissent pas d’aider à une bonne oraison, mais non pas à la pure. Il me semble que l’âme se doit abîmer en Dieu et y demeurer en repos dans une mort de notre esprit humain. Cette demeure en Dieu se fait et par connaissance et par amour; mais quelquefois la connaissance est plus abondante que l’amour et l’absorbe de manière qu’il semble que l’on n’en ait point. Ce qui n’est pas, car il y a toujours une secrète tendance d’amour imperceptible. Quelquefois l’amour absorbe la connaissance et est plus abondant et sensible. Tout cela comme il plaît à Dieu.”

59Bernières reprend ici l’image de la rivière, empruntée déjà par Ruusbroec pour décrire l’expérience de l’âme perdue en Dieu qui ne sent plus la distinction entre elle et Dieu. Il ne s’agit pas là, contrairement à ce que l’on a pu lui faire dire, d’une distinction ontologique, mais expérimentale, ce qui est fort différent : “Si nous demeurions toujours là avec le regard simple, nous sentirions toujours cela. En effet, que cet enfoncement dans la (p.27) transformation divine, il continue éternellement et sans interruption, une fois que nous sommes sortis de nous-mêmes pour posséder Dieu en naufrage d'amour. En effet, si nous possédons Dieu en naufrage d'amour, c'est-à-dire en perte de nous-mêmes, Dieu est à nous et nous sommes à lui, et nous sommes éternellement en train de nous enfoncer sans retour en notre bien propre, qui est Dieu. Cet enfoncement est celui de notre essence, et il est accompagné d'un amour habituel, et c'est pourquoi il a lieu que nous dormions ou que nous veillions, que nous en ayons connaissance ou non. Et de cette façon, il ne mérite aucun nouveau degré de récompense, mais il nous maintient dans la possession de Dieu et de tout le bien que nous avons reçu. Cet enfoncement est semblable à l'écoulement continuel des rivières dans la mer, sans interruption ni retour, car c'est là leur lieu propre. De la même façon, si nous possédons Dieu seul, l'enfoncement de notre essence, accompagné d'un amour habituel, est un écoulement continuel et sans retour dans la sensation de ce que nous possédons et qui nous appartient. Si donc nous étions toujours simples, voyant cela constamment et pleinement, nous le sentirions toujours constamment.” Jan van Ruusbroec (1293-1381) De la Pierre brillante, deuxième partie, L'exercice du contemplatif : ne faire qu'un avec Dieu, Éditions Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Traduction Max de Longchamp, p.32.

60Cf. Int. Chr. II,17 : « Ah que ce monde est bien un lieu de bannissement à ceux qui savent, par la lumière de la vérité, que Dieu seul est leur patrie, et que partout ailleurs qu'en lui ils seront hors de leur centre et dans l'inquiétude ! Consolez-vous, mon âme, vous avez deux chez-vous, l'un en ce monde, qui est Jésus-Christ crucifié, l'autre pour l'éternité, qui est Dieu glorieux et éternellement heureux. En ce monde hors de Dieu, vous n'avez que de faux plaisirs et de trompeuses quiétudes, et ailleurs que d'horribles maux. Jésus-Christ crucifié, les hommes ne connaissent pas vos douceurs, les beautés de vos mépris et de vos souffrances leur sont cachées ; et parce qu'en vous voyant au gibet, ils ne vous regardent qu'avec des yeux de chair, ils ne savourent pas qu'après Dieu, rien n'est si propre à la demeure paisible et heureuse de notre âme, que votre Croix. »

61Cf. Chr. VII,3 : « Il arrive aussi souvent que dans un état de peines et de privations l’âme est tellement dans la nuit obscure qu’elle ne voit rien de Dieu qui lui semble entièrement caché ; et, ce qui fait sa plus grande croix, elle n’a point de pensée de le pouvoir jamais trouver, la seule vue de son bannissement l’occupant. Si dans cet état elle est contente et qu’elle consente au dessein rigoureux de Dieu sur elle, elle est en Dieu d’une façon excellente, sans qu’elle y pense être ; elle possède son souverain Bien quand elle croit l’avoir perdu ; et quand elle pense être toute remplie de soi-même et de sa misère, de ses répugnances et de ses imperfections, elle est en effet pleine de Dieu et unie à son bon Plaisir d’une façon plus noble et plus pure qu’elle ne saurait croire. Tel est l’avantage d’une âme qui n’affectionne point une manière d’oraison plutôt qu’une autre, mais qui se tient indifférente pour recevoir de Dieu celle qu’il lui voudra donner : son avantage est qu’elle fait toujours fort bonne oraison. »

62Cf Jacques Bertot Directeur Mystique, fidélité au divin néant : “Car comme par ce divin néant opéré par la foi nue, Dieu ne donne pas moins que Lui-même, aussi quand on manque à se simplifier et à se dénuer peu à peu de son opération et de sa vie propre, on quitte Dieu et Il ne prend pas possession de l’âme, de sorte qu’il arrive deux grands maux, qui sont que l’âme vit toujours en elle-même, empêchant Dieu d’y être par son opération, parce qu’il est certain que telles âmes, supposé leur vocation, ne peuvent jamais trouver Dieu ni L’avoir que par ce néant opéré en foi ; ainsi manquant à cette conduite par leurs opérations elles ne Le rencontrent point, mais plutôt sont toujours sourdement inquiètes sans savoir où est leur place. De plus ces âmes, appelées de Dieu pour Le posséder de cette [334] manière, ne peuvent jamais avoir les vertus que par ce biais, c’est-à-dire dans le seul néant et partant par la venue de Dieu en elles, de telle sorte que, manquant à l’un, elles manquent à l’autre sans savoir pourquoi elles ne peuvent acquérir ce qu’elles désirent tant. C’est ce que la Sagesse nous exprime fort bien en disant : « Tout bien nous est venu avec elle ».”

63Cf. Chr. Int. VII,10 : « Une des marques plus assurées pour discerner si on est en effet occupé de Dieu dans cette oraison de ténèbres, est de voir s’il reste en l’âme des connaissances de ses misères et de ses infidélités, car tant plus elle communique avec Dieu, tant plus elle voit les moindres choses. Par exemple, on s’aperçoit que dans une telle action on n’a pas eu une intention assez pure, mais que la nature s’y est mêlée avec la Grâce ; que l’on se divertit trop aisément de la présence de Dieu ; que l’on a fait trop d’effort de nature dans l’oraison où l’on devait être plus passif ; et toutes ces connaissances qui sont données clairement à une âme l’humilient beaucoup. On ne saurait quasi être plus purement en Dieu que par cette oraison, y étant, par une simple vue de la Foi pure, au-dessus de tout discours et conception. En cet état, je ne connais rien de Dieu sinon que je n’en puis rien connaître : l’imbécillité de mon âme et les excès infinis de ce divin Soleil font que sa lumière m’est inaccessible. Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former, et ma volonté est échauffée d’une manière admirable au milieu de ces ténèbres lumineuses. En cet état, toute mon âme est unie à Dieu très simplement et intimement ; et comme l’union est forte, l’on ne s’en sépare pour traiter avec les créatures qu’avec violence. »

64Cf. Ruusbroec, L’ornement des Noces spirituelles, traduction de 1606 par un chartreux de Paris : “Dans les profondeurs insondables de cette ténèbre où l'esprit aimant est mort à lui-même, commencent la révélation de Dieu et la vie éternelle. Car au sein de cette ténèbre s'engendre et luit une Lumière incompréhensible, à savoir le Fils de Dieu, dans laquelle on contemple la vie éternelle. Et c'est dans cette lumière qu'on devient voyant. Cette lumière divine est donnée à l'esprit dans la simplicité de son être, où il reçoit la clarté qu'est Dieu Lui-même, au-dessus de tous les dons et de toute activité créée, dans le vide qui s'ouvre dans un esprit dégagé de tout, et où lui-même se perd moyennant l'amour de fruition, et reçoit sans intermédiaire la clarté divine. Il devient sans cesse cette même clarté qu'il reçoit. Voyez, cette clarté secrète dans laquelle où contemple tout ce qu'on désire, une fois que l'esprit s'est détaché de tout, elle est si grande que l'amant qui commencent la révélation de Dieu et la vie éternelle où il se repose, rien qu'une lumière incompréhensible. Dans la simple nudité qui s'étend à toutes choses il a le sentiment de se trouver lui-même cette lumière à l'aide de laquelle il voit, et rien d'autre.”

65Cf.Ruuesbroec, La Pierre Brillante, Centre Saint-Jean-de-la-Croix/Éditions du Carmel, Traduction par Max Huot de Longchamp, 2010, p.14 : « L'union avec Dieu que sent l'homme spirituel lorsque celle-ci se révèle à son esprit en son insondabilité, c'est-à-dire infiniment profonde, infiniment haute, infiniment longue et large - en cette révélation même, (p 7) l'esprit perçoit que, par amour, il s'est perdu et abîmé en cette profondeur, dépassé en cette hauteur et échappé en cette longueur. Il se sent égaré dans la largeur, il se sent demeurant en la connaissance inconnue, il se sent passé dans l'unité de Dieu à travers l'union sentie de son adhésion [à lui], et dans sa vitalité à travers sa mort complète : là, il se sent une même vie avec Dieu. Et c'est là le fondement et le premier point en une vie contemplative ».

66Bernières explique à Mectilde qu’elle est en train de passe de la ferveur à la vie hautement contemplative telle que Ruusbroec le décrit dans La Pierre Brillante. Cf. p.12 : “A présent, pour que cet homme bon ait une vie spirituelle pleine de ferveur, cela dépend d'encore trois autres points : le premier point, c'est que son cœur ne soit pas encombré ; le second point, c'est la liberté spirituelle dans son désir ; le troisième point, c'est de sentir une union intérieure à Dieu. […] Par ces exercices intérieurs, on atteint le troisième point, c'est-à-dire que l'on sent une union spirituelle à Dieu. En effet, celui qui, dans sa pratique de la vie intérieure, s'élève vers son Dieu librement et sans être encombré, et qui ne recherche que l'honneur de Dieu, goûtera nécessairement la bonté de Dieu et sentira de l'intérieur la véritable union à Dieu. Et dans cette union, une vie spirituelle et intérieure se trouve accomplie, car à partir de cette union, le désir est toujours de nouveau touché, et excité à de nouveaux actes intérieurs ; et tout en agissant, l'esprit s'élève à une nouvelle union : ainsi action et union se renouvellent-elles continuellement, et ce renouvellement en actes et en union, c'est cela une vie spirituelle.”

67C’est la vie hautement contemplative dont parle Ruusbroec dans La Pierre Brillante. Cf. p.13 sq. : « A présent, sache que si cet homme spirituel doit devenir un contemplatif, trois points encore en font partie. Le premier point, c'est qu'il ne sente pas de fond à ce sur quoi son être est fondé, et c'est de cette manière qu'il lui faut le tenir ; le second point : il faut que sa manière d'être soit sans mode ; le troisième point : il doit demeurer dans une divine fruition. […] Mais le contemplatif qui a renoncé à lui-même et à toute chose, et qui ne se sent distrait par aucune, du fait qu'il ne possède rien avec propriété, mais se tient libre de tout, peut continuellement venir nu et sans être encombré au plus intime de son esprit : là, il perçoit sans voile une lumière éternelle, et dans cette lumière, il sent l'attraction éternelle de l'union à Dieu, et il se sent lui-même comme un éternel feu d'amour, qui aspire par-dessus tout à n'être qu'un avec Dieu. Plus il éprouve cette attraction ou cette attirance, plus il sent cela ; et plus il sent cela, plus il a envie de n'être qu'un avec Dieu, car il a envie de payer la dette que Dieu exige de lui. »

68Bernières met en garde contre une passivité qui serait paresse. L’effort de la sortie de soi pour se laisser attiré par Dieu en Dieu est requis, car si la carrière est ouverte, elle est sans limites et ne tolère pas que l’on s’arrête sous peine de régresser.

Cf. Ruusbroec, La Pierre Brillante, p.30-31 : « A cette contemplation est toujours liée une manière d'être sans mode, c'est-à-dire une vie d'anéantissement. En effet, là où nous sortons de nous-mêmes dans les ténèbres et dans le non-mode sans fond, là brille toujours le rayon simple de la clarté de Dieu, en laquelle nous sommes fondés, et qui nous tire hors de nous-mêmes en une façon d'être suressentielle, immergée dans l'amour; et un exercice d'amour sans mode est toujours lié à cette immersion dans l'amour et la suit, car [cet] amour ne peut être oisif, mais il veut connaître et savourer jusqu'au bout cette richesse sans fond qui vit en son fond, ce qui est une faim insatiable : toujours lutter sans réussir, c'est nager à contre-courant. C'est quelque chose que l'on ne peut ni laisser, ni attraper ; on ne peut ni s'en passer, ni l'obtenir ; on ne peut ni le dire, ni le taire, car c'est quelque chose qui est au-dessus de la raison et de l'intelligence, et qui dépasse toute créature ; et c'est pourquoi l'on ne peut ni l'atteindre, ni s'en emparer. Mais quand notre vue se porte au plus intérieur de nous-mêmes, nous sentons qu'en cette impatience d'amour , l'Esprit de Dieu nous dirige et nous pousse ; et lorsqu'elle se porte au-dessus de nous-mêmes, nous sentons que l'esprit de Dieu nous tire et nous consume en ce qu'il est en lui-même, c'est-à-dire en l'amour suressentiel avec lequel nous ne faisons qu'un, et que nous possédons plus profondément et plus largement que toute chose.

« Vivre cela, c'est savourer simplement et sans rencontrer de limite tout ce qu'il y a de bon et la vie éternelle.. Et en savourant ainsi, nous sommes avalés, au-dessus de la raison et sans la raison, dans le calme profond de la divinité qui jamais n'est ébranlé. Que cela soit vrai, on peut le connaître en le sentant, et pas autrement, car ce que c'est, comment, par qui, et où, ni la raison, ni aucun exercice ne peut y atteindre. Et c'est pourquoi notre exercice ici demeure toujours sans mode, c'est-à-dire sans manière [particulière], car le bien insondable que nous savourons (p.26) et possédons, nous ne pouvons ni le saisir ni le comprendre, et nous ne pouvons jamais non plus par notre exercice sortir de nous-mêmes et entrer là. Et c'est pourquoi nous sommes alors pauvres en nous-mêmes et riches en Dieu, affamés et assoiffés en nous-mêmes, ivres et rassasiés en Dieu, agissant en nous-mêmes et absolument au repos en Dieu. Et nous continuerons toujours ainsi, puisque sans exercer l'amour, jamais nous ne pouvons posséder Dieu. Et celui qui sent ou croit autre chose est trompé. »

69Ibid. p. 15 : « Cette unité simple de Dieu, personne ne peut la sentir ni s'y tenir, à moins de se présenter à la clarté immense et à l'amour, au-dessus de la raison et sans mode. Quand il se présente ainsi, l'esprit sent en lui-même qu'il brûle éternellement en amour, et dans ce feu de l'amour, il ne perçoit ni fin ni commencement ; et il se sent lui-même une même chose avec ce feu de l'amour. Continuellement l'esprit brûle en lui-même, car son amour est éternel, et continuellement il se sent se consumer en amour, car il est attiré en la transformation qu'opère l'unité de Dieu. Là où il brûle en amour, s'il fait attention à lui-même, l'esprit perçoit distinction et altérité entre lui et Dieu, mais là où il se consume, il est simple et ne s'en distingue aucunement, et c'est pourquoi il ne sent rien d'autre que l'unité. En effet, la flamme immense de l'amour de Dieu dévore et engloutit tout ce qu'elle peut étreindre en ce qu'elle est en elle-même. »

70Mt 11,25 : « En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit: " Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. »

71Cf. Chr. Int. VIII, 3 : « Attachons-nous à la conduite de Dieu sur nous, et renonçons à nos propres conduites, qui gâtent tout l'ouvrage de Dieu en nous. Qu'importe ce que devienne la petite créature, pourvu que le Souverain Créateur fasse en elle son bon Plaisir ? L'attention à ce que nous sommes, ce que nous serons, ce que nous deviendrons si telle chose arrivait, et de semblables sollicitudes, ne peuvent compatir avec le parfait abandon, qui rend l'âme toute simple pour être occupée de Dieu, et ne s'occuper qu'en Dieu seul. Les réflexions sont quelquefois de la Grâce, puisqu'elle nous les fait faire au commencement de la vie spirituelle pour notre avancement ; mais souvent aussi, dans le progrès, elles ne sont pas de saison. Oui, bien : le parfait abandon, l'unique simplicité qui bannit toutes craintes, tristesses et découragements et toute autre vue qui nous sépare de Dieu. Travaillons à anéantir tout cela, pour n'avoir en vue et en amour que Dieu seul et son bon Plaisir, recevant de lui ce qu’il lui plaira nous donner intérieurement et extérieurement.»

72Cf. Chr. Int. VII,14 : « En cet état, l’âme jouit de Dieu en Dieu, dans un parfait contentement, ne goûtant que Dieu seul qui lui est tout ; le reste ne lui est plus rien ; aussi Dieu pour la remplir de lui-même en chasse toutes les créatures. Que cette oraison est rare aux âmes peu mortifiées et peu dans les voies de Dieu ! Il n’y faut avoir faim d’aucune chose que de Dieu, ne jeter ses yeux que sur lui seul sans regarder même les ouvrages de sa Grâce. Toutes sortes d’autres vues, quelque parfaites qu’elles soient, sont anéanties : Dieu seul occupe l’âme en paix et en Amour. »

73Cf. Ruusbroeck, la Pierre Brillante, traduction par Max de Longchamp, p. 28 : « Si nous sommes nés de l'Esprit de Dieu, nous sommes alors fils de la grâce, et toute notre vie est alors parée de vertus, et nous sommes ainsi vainqueurs de tout ce qui est opposé à Dieu, car "tout ce qui naît de Dieu est vainqueur du monde ", dit saint Jean. Et dans cette naissance, tous les hommes bons sont les fils de Dieu, et l'Esprit de Dieu incite et meut chacun en particulier aux vertus et aux œuvres bonnes pour lesquelles il est préparé et dont il est capable. Et ainsi tous plaisent-ils à Dieu et chacun en particulier, selon la grandeur de son amour et selon la noblesse de son exercice. Toutefois, ils ne se sentent pas confirmés, ni en possession de Dieu, ni assurés (p. 23) de la vie éternelle, car ils peuvent encore s'en détourner et tomber en péché, et c'est pourquoi je les nomme plutôt serviteurs ou amis que fils. Mais lorsque nous nous dépassons nous-mêmes, et que dans notre ascension vers Dieu nous devenons si simples qu'Amour nu peut nous étreindre en la hauteur où il s'exerce en lui-même au-dessus de toute pratique de vertu, c'est-à-dire en notre origine où nous avons été spirituellement engendrés, là, nous cessons d'exister et mourons en Dieu à nous-mêmes et à toute propriété. Et en ce mourir, nous voilà fils cachés de Dieu, et nous percevons en nous une nouvelle vie, et c'est une vie éternelle. Et de ces fils, saint Paul dit : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ." »

74Cf. Chr. Int. VII,8 : « A mon avis, le grand secret de l’oraison est de recevoir en tranquillité et en pureté l’impression des rayons du Soleil divin qui réside dans le fond de notre âme. C’est lui qui peut illuminer sans le secours de nos raisonnements, qui allume en nous le divin Amour sans tourmenter notre volonté par la production d’une multitude d’actes, et fera fructifier toutes les vertus sans quasi nous en apercevoir ni savoir comment cela se fait. Que l’âme ait soin d’être nette et pure de toute imperfection, morte aux créatures et dans le désir de souffrir ; et pour l’oraison, qu’elle ne s’en mette point en peine : Dieu fera en elle tout ce qu’il faut et en une manière qui passera ses espérances et même son intelligence. »

75Cf. Benoît de Canfield (1562-1610) qui eut une grande influence dans le cercle mystique normand du milieu du XVIIe siècle. Règle de perfection, p.100 de la Volonté de Dieu essentielle, parlant de la vie superéminente, Arfuyen : “Car tout ainsi que le soleil frappant sur quelque corps diaphane, à savoir transparent comme l'eau, le verre et cristal, attire et tire hors une réciproque splendeur devers lui, ainsi Dieu qui jette ses rayons de son regard sur l'âme , attire vers lui un réciproque regard. Mais comme cette réciproque splendeur de l'eau et du cristal ne vient pas d'eux seulement ni par leur vertu, mais par le soleil, ainsi ce regard parfait ne vient pas de l'âme, ni par quelque acte sien, mais de Dieu. Et comme cette splendeur n'est pas la splendeur de l'eau, mais du soleil, laquelle pénétrante et clarifiante l'eau retourne vers le soleil, ainsi ce regard n'est de l'âme, mais de Dieu : lequel étant l’Esprit et la vie et lumière, pénètre et clarifie l'âme, et ainsi s'en retourne à Dieu, et quant et quant tire l'âme avec lui, [âme] qui se fait une même chose avec lui.”

76Ce conseil rejoint bien ceux de Mère Mectilde à sa fille spirituelle et amie, Marie de Châteauvieux dans ses lettres de direction : « Ma très chère fille, ne vous troublez point, votre état est bon ; mais n'y soyez pas si réfléchie. Soyez plus abandonnée et plus dans la confiance en Dieu. Votre perfection est l'ouvrage de Jésus-Christ. Soyez assurée qu'il la couronnera de ses bénédictions. Mais il faut que vous demeuriez ferme, souffrant la destruction que son amour fait en vous de tout ce qui est opposé à son règne. Je plains votre âme qui se tourmente dans ses ténèbres et dans ses ignorances ; et pour ne comprendre point le chemin où Notre Seigneur l'attire pour se la rendre toute à lui, elle se travaille et se peine très inutilement.

« Devenez petite enfant, plus soumise que jamais et plus simplifiée dans vos pensées. On vous assure que votre voie est bonne et sainte, marchez en confiance. » Une amitié spirituelle au grand siècle. Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Téqui 1989, p.225-228.

77Cf. Int. Chr. I, 9 : « La principale raison par laquelle nous ne nous corrigeons point, ou peu, est que nous ne dépendons point assez de la grâce ; nous n'avons pas assez de recours à Dieu, nous avons trop d'appui aux créatures, c'est-à-dire aux moyens dont nous nous servons pour procurer notre correction, comme lecture de bons livres, conférences, sermons, méditations, etc. Toutes ces choses-là sont bonnes, quand elles sont faites avec une grande dépendance de la grâce et un grand recours à Dieu, qui est celui seul qui nous tirera de nos misères, pour être couronné de gloire en nous. In laudem gloriae gratiae suae . Dieu est une plénitude infinie à qui rien ne manque, omne bonum, et d'où tout bien procède. La créature est un vide tout pur, et une privation de tout bien. Comme il ne se peut concevoir une plus grande plénitude que celle de Dieu, aussi ne peut-on s'imaginer une pauvreté plus extrême que celle de la créature. Être Dieu et tout bien, c'est la même chose ; être créature et n'être rien, c'est la même chose ; l'un toute abondance, l'autre toute pauvreté. Chacun suppose cette vérité sans y faire réflexion ; ce qui fait que nous n'entrons jamais dans une véritable défiance de nous-mêmes, et ainsi nous demeurons privés d'autant de vertus qu'il nous reste d'appui sur nous. Ô mon Dieu, ma pauvreté me plaît parce qu'elle me fait connaître vos richesses : si rien ne me manquait, j'oublierai ce que je suis. Je suis donc bien aise que vous soyez tout et de n'être rien, pour avoir tout de vous. »

78Cf. Ruusbroec (1293-1381) De la Pierre brillante, deuxième partie, Vivre dans les vertus et mourir au-dessus des vertus, traduction de Max de Longchamp p. 28-29 : « Et en ce mourir, nous voilà fils cachés de Dieu, et nous percevons en nous une nouvelle vie, et c'est une vie éternelle. Et de ces fils, saint Paul dit : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ." Maintenant, comprends comment cela se passe. Tant que nous avançons vers Dieu, il nous faut nous présenter à lui et lui présenter toutes nos œuvres comme une éternelle offrande ; mais en sa présence, nous nous laisserons nous-mêmes ainsi que toutes nos œuvres, et mourant en amour, nous dépasserons toute condition créée, jusqu'en la richesse suressentielle de Dieu : là, nous le posséderons en une mort éternelle à nous-mêmes. Et c'est pourquoi l'Esprit de Dieu dit dans le livre du Secret que "bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur " ; c'est à bon droit qu'il les nomme "bienheureux morts", car ils demeurent éternellement morts, abîmés en l'unité fruitive de Dieu, et continuellement ils meurent en amour de par l'attraction qu'exerce la transformation de cette même unité. L'Esprit de Dieu dit en outre : "ils se reposeront de leurs travaux et leurs œuvres les suivront". Dans les modes, là où nous sommes engendrés par Dieu en une vie spirituelle vertueuse, nous présentons nos œuvres comme une offrande à Dieu ; mais dans le non-mode, là où de nouveau nous sommes morts en une vie éternelle bienheureuse, nos œuvres bonnes nous suivent, car elles sont une même vie avec nous. Dans notre avancée vertueuse vers Dieu, Dieu demeure donc en nous ; mais dans le dépassement de nous-mêmes et de toute chose, c'est nous qui demeurons en Dieu. »

79Bernières écrivait déjà à Mère Mectilde, à propos de la mort mystique. Cf. L 2,25 : « Cet état est une suspension intérieure, dans laquelle l'âme ne peut goûter rien de créé ni d'incréé. Elle est comme étouffée, et il ne faut pas qu'elle fasse rien pour se délivrer de ce bienheureux tourment, qui lui donne enfin la mort mystique et spirituelle, pour commencer une vie toute nouvelle en Dieu seul. Vie que l'on appelle d'anéantissement. La force du divin rayon l'ayant tirée hors d'elle-même et de tout le créé, pour la faire demeurer en Dieu seul. Cette demeure et cet établissement en Dieu est son oraison qui n'est pas dans la lumière ni dans les sentiments, mais dans les ténèbres insensibles, ou dans les sacrées obscurités de la foi, où Dieu habite. La fidélité consiste à vivre de cette vie si cachée en Dieu, et si inconnue aux sens, et porter en cet état toutes les peines et souffrances intérieures et extérieures qui peuvent arriver, sans chercher autre appui ni consolation que d'être en Dieu seul. La mort mystique est non seulement continuée, mais augmentée en cet état, et la vie divine prend accroissement. Les susdites ténèbres de la foi commencent à s'éclaircir, à découvrir à l'âme ce que Dieu est en soi, et tout ce qui est en Dieu. C'est comme la première clarté que le soleil jette sur l'horizon, auparavant même le lever de l'aurore. »

80Cf. Gal. 2,20 : « je vis, mais ce n'est plus moi, c'est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi. »

81Cf. Ruusbroec (1293-1381) De la Pierre brillante, deuxième partie, Vivre dans les vertus et mourir au-dessus des vertus, traduction de Max de Longchamp p. 28-29 : « Et en ce mourir, nous voilà fils cachés de Dieu, et nous percevons en nous une nouvelle vie, et c'est une vie éternelle. Et de ces fils, saint Paul dit : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ." Maintenant, comprends comment cela se passe. Tant que nous avançons vers Dieu, il nous faut nous présenter à lui et lui présenter toutes nos œuvres comme une éternelle offrande ; mais en sa présence, nous nous laisserons nous-mêmes ainsi que toutes nos œuvres, et mourant en amour, nous dépasserons toute condition créée, jusqu'en la richesse suressentielle de Dieu : là, nous le posséderons en une mort éternelle à nous-mêmes. Et c'est pourquoi l'Esprit de Dieu dit dans le livre du Secret que "bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur " ; c'est à bon droit qu'il les nomme "bienheureux morts", car ils demeurent éternellement morts, abîmés en l'unité fruitive de Dieu, et continuellement ils meurent en amour de par l'attraction qu'exerce la transformation de cette même unité. L'Esprit de Dieu dit en outre : "ils se reposeront de leurs travaux et leurs œuvres les suivront". Dans les modes, là où nous sommes engendrés par Dieu en une vie spirituelle vertueuse, nous présentons nos œuvres comme une offrande à Dieu ; mais dans le non-mode, là où de nouveau nous sommes morts en une vie éternelle bienheureuse, nos œuvres bonnes nous suivent, car elles sont une même vie avec nous. Dans notre avancée vertueuse vers Dieu, Dieu demeure donc en nous ; mais dans le dépassement de nous-mêmes et de toute chose, c'est nous qui demeurons en Dieu. »

82L’expression « simple et amoureux » court tout au long de l’œuvre de Saint Jean de la Croix. C’est la manière d’être fondamentale de l’âme qui se dispose à l’oraison contemplative, entrant dans la nuit obscure, mais aussi tout au long de son itinéraire vers Dieu. Cette attitude est aussi l’attention que porte Dieu pour l’âme. Ce croisement opère la mise à égalité dans le rapport entre les deux : « ‘Puisque Dieu se comporte alors envers elle en une notice simple et amoureuse en la façon de donner, l'âme aussi doit se comporter envers lui en la façon de recevoir avec une notice et attention simple et amoureuse, pour qu'ainsi se conjoignent connaissance et connaissance, amour et amour.’  » (Vive Flamme 3, 34 ; traduction Max de Longchamp)

83Cf. Chr. Int. VII,9 : « La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement: nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. L’état de pure Foi lui déplaît quelquefois fortement, mais il le faut laisser mourir à toutes ses propres opérations, estimant pour cela beaucoup et recevant volontiers tout ce qui nous aide à mourir, comme les sécheresses, aridités, délaissements, qui enfin laissent l’âme dans l’exercice de la pure Foi par laquelle Dieu est connu plus hautement que par les lumières, qui servent de milieu entre Dieu et l’âme ; et l’union de notre esprit par la Foi est pure et immédiate, et par conséquent plus relevée. Il faut aussi que la volonté meure à tout ce qui n’est point Dieu pour vivre uniquement en lui de son pur amour : car la vie de la volonté est la mort, et cette mort ne s’opère ordinairement et n’est réellement que dans les privations réelles et effectives. »

84Cf. Sainte Thérèse d’Avila, Le chemin de la perfection chapitre 42,5 : «  Si vous êtes dans l'épreuve ou la tristesse, regardez-le attaché à la colonne, accablé de douleurs, toutes ses chairs mises en lambeaux tant est grand l'amour qu'il a pour vous, persécuté par les uns, couvert de crachats par les autres, renié par d'autres encore, sans amis, sans personne qui prenne sa défense, transi de froid, si totalement abandonné que vous pouvez vous consoler l'un l'autre. Regardez-le encore, au jardin des Oliviers, ou sur la croix, ou bien quand il fléchissait sous son poids et ne pouvait pas même reprendre haleine; il tournera vers vous ses yeux si beaux, si compatissants, tout remplis de larmes, et il oubliera ses souffrances pour vous consoler des vôtres, uniquement parce que vous allez chercher consolation près de lui et que vous tournez la tête pour le regarder. »

85On retrouve bien ici Ste Thérèse d’Avila qui attache tant d’importance à l’humanité de Jésus-Christ. Celle-ci étant comme le Chemin unique et obligé pour progresser dans l’oraison. 

86Cf. Louis de Blois, Institutions divines, chapitre XII : « Ayant ainsi dépassé l'intellect, l'âme regagne ainsi son idée et son principe, Dieu, et là elle devient lumière dans la lumière. Alors, toutes les lumières naturelles et infuses inférieures à celle-ci qui aient jamais brillé, sont entièrement éteintes et recouvertes, tout comme la lumière des étoiles est obscurcie et s'efface devant l'éclat d'un soleil radieux. Car lorsque la lumière incréée se lève, la lumière créée s'évanouit. Et donc, la lumière créée de l'âme est changée en lumière d'éternité. Ceux qui en sont là, ont à coup sûr noblement vaincu et mortifié leur nature et leur sensualité par la grâce de Dieu, leur âme est déjà passée en l'esprit et a été transformée. C'est pourquoi ils ne sont émus à faux, ni par la prospérité, ni par l'adversité, mais ils jouissent d'une certaine paix essentielle. En effet, ni l'espoir, ni la crainte, ni la joie, ni la tristesse, ni la haine, ni l'amour sensuel et désordonné, ni quoi que ce soit d'agité ne peut durer en eux. Et même s'il est vrai que ces hommes aimables sont abondamment illuminés de la lumière divine, en laquelle ils connaissent clairement ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire, cependant, ils se soumettent volontiers aux autres pour Dieu, ils obéissent volontiers à tous selon Dieu, ils occupent volontiers la dernière place. Ils ne s'enorgueillissent pas des dons nombreux et excellents qu'ils reçoivent, mais se plongent très profondément en leur néant. Ils n'ont aucune opinion d'eux-mêmes, sachant que c'est Dieu qui opère toutes les choses bonnes qu'ils font. Ils demeurent continuellement en une véritable humilité et crainte filiale, et se reconnaissent serviteurs inutiles.’

87Cf. Chr. Int. VII,12 : « Une âme élevée dans l’état passif d’oraison se trouve unie à Dieu sans qu’elle ait travaillé à s’y unir, et reçoit de lui plusieurs lumières, vues, désirs et affections, comme il lui plaît les communiquer. Pour lors l’âme adhère purement à la Grâce et ne se remue point pour prendre elle-même des vues, désirs ou affections : elle se contente de ce que l’Esprit, qui la tient liée, lui donne, et n’a que cet unique soin de le contenter et adhérer à son divin amour. Durant qu’elle demeure et opère conformément à ce divin état, elle ne se sert point de sa liberté naturelle pour agir, mais suit les motions divines dans l’anéantissement des propres opérations. Quand elle est bien morte et bien passive en elle-même, son état de passiveté ne change point, quoique ses dispositions ordinaires changent, car elle reçoit de Dieu les ténèbres comme la lumière, les froideurs comme les ardeurs, les pauvretés comme l’abondance, demeurant ferme dans son fond à ne vouloir que Dieu et ses saintes volontés avec toute indifférence et une parfaite mort de ses propres opérations. »

88Cf. Nombres 23, 10 « Qui pourrait compter la poussière de Jacob? Qui pourrait dénombrer la nuée d'Israël? Puissé-je mourir de la mort des justes! Puisse ma fin être comme la leur!" »

89Cf. Ps. 116,15 : « Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum eius » (la mort des ses amis est prétieuse aux yeux du Seigneur.) 

90Cf. Chr. Int. VII,19 : « Dans les états de peine que l’âme porte en cette voie, elle est fortifiée de Dieu sans qu’elle le connaisse : elle craint tout, et néanmoins il n’y a rien à craindre pour elle puisqu’elle est plus dans la protection de Dieu que jamais, car une âme ainsi passive et abandonnée est dans la singulière Providence de Dieu qui lui cache cela et la laisse dans les peines et dans les craintes fâcheuses de son état et quelquefois de son salut. Il n’est pas expédient que l’âme aperçoive l’ouvrage de Dieu en elle, car elle le gâterait par ses réflexions et ses complaisances. Sa malignité est si grande que tout se salit entre ses mains : c’est ce qui fait que Dieu lui cache souvent tout.

Personne n’entendra l’oraison passive qu’il n’en ait eu l’expérience. C’est folie de la communiquer auparavant que Dieu la donne, et d’en disputer contre ceux qui n’en ont point d’expérience.

Dieu en cet état d’oraison prend bien une autre possession d’une âme que dans l’oraison active. C’est lui qui opère ses miséricordes comme il lui plaît, et l’âme est recevante l’opération divine à laquelle elle coopère d’une façon très pure et spirituelle. Elle n’est pas oisive : au contraire, elle agit avec une activité épurée de la manière ordinaire d’agir et néanmoins très réelle. Les Bienheureux sont parfaitement passifs et aussi très actifs puisque leurs puissances sont dans une action très sublime. Tant plus l’oraison est du pur Esprit, plus elle paraît passive au regard de nous, qui ne comprenons les choses spirituelles que par les sens. »

91Cf. Ruusbroec, L’ornement des Noces spirituelles, chapitre 49, traduction de 1606 par un un chartreux de Paris : « L’unité de notre esprit en Dieu est en deux sortes et manières, c’est à savoir essentiellement et activement. Selon l’existence essentielle, le même esprit reçoit immédiatement et sans cesse l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ en nature nue, car cette essence et vie par laquelle nous sommes en Dieu 136v selon l’Idée éternelle, et laquelle nous avons aussi en nous, est sans milieu et séparation; pour ce, notre esprit, selon sa plus profonde et plus haute partie, reçoit sans cesse en nature nue l’impression et la clarté divine de son exemplaire éternel, et est la demeure perpétuelle de Dieu, en laquelle il se tient toujours et la daigne toujours visiter par nouvel avènement et nouvel éclairement de la splendeur et clarté nouvelle de sa génération éternelle. Car Dieu est déjà où il vient par ce moyen, et il vient où il est déjà ; et il ne vient jamais où il n’a jamais été, vu qu’il n’y a en lui nul accident et nulle mutabilité ; et toutes les choses auxquelles il est, sont aussi en lui, car il ne sort point hors de soi-même. L’esprit, donc, possède Dieu essentiellement en nature nue, et Dieu aussi possède l’esprit, car il vit en Dieu et Dieu en lui. Et ainsi il est préparé, bien disposé, propre et capable à recevoir immédiatement, selon sa plus haute partie, la clarté de Dieu et tout ce 137r que Dieu peut donner par ce moyen. Voire et même, par la clarté de son exemplaire éternel luisant en lui essentiellement et personnellement, il se jette, se plonge et s’abîme selon la plus haute partie de sa vivacité, en l’essence divine, et demeurant là persévéremment selon l’Idée, il possède sa béatitude éternelle. »

92Cf. Chr. Int. III,11 : « Une âme qui a trouvé Dieu, n'a plus qu'à s'y soumettre et abandonner pour l'intérieur et pour l'extérieur ; et sa fidélité consiste en cette remise et parfait abandon, parce qu'elle vit toute perdue en Dieu et hors de soi-même, de sa volonté et de ses intérêts. »

93Cf. Chr. Int. VII,6 : « C’est un moyen des plus nécessaires pour l’oraison d’habituer son âme à ne s’occuper point de soi-même ni d’aucune créature, mais de Dieu seul qui est son centre et sa fin dernière ; elle n’est faite que pour s’appliquer à lui et se reposer en lui, et manque au dessein de son Créateur autant de fois qu’elle le quitte pour demeurer dans elle-même ou dans les créatures. »

94À l’ami intime Bertot.

95Cf. Chr. Int VII,10 : « C’est donc une excellente manière de s’occuper en Dieu que d’anéantir toutes nos lumières et connaissances pour entrer dans les sacrées ténèbres qui environnent Sa Majesté, car cette lumière inaccessible n’est qu’obscurité pour nous ; et il faut s’élever au-dessus de toutes vues et lumières, et perdre son entendement dans ces ténèbres et dans cette mort de nos propres connaissances, confesser que Dieu est au-dessus de toutes nos intelligences comme il est aimable au-dessus de tous nos amours. Perdre ainsi notre volonté et l’anéantir dans l’impuissance de pouvoir aimer : c’est l’aimer que d’avouer que l’on ne le peut aimer et qu’il est au-dessus de nos amours. L’âme marche de la sorte dans une perpétuelle mort et anéantissement, et ne connaît ni n’aime Dieu, ce semble, mais Dieu se connaît et s’aime en elle. »

96Cf. Chr. Int. VIII,2 : « Mais il ne faut pas aussi s'avancer par trop vers des états relevés de perfection où la Grâce ne nous appelle pas. Souvent on se veut régler plutôt sur la Grâce des autres que sur la sienne propre, et voyant qu'ils font des merveilles pour leur perfection propre et pour le service du prochain, on les veut imiter, et on se porte à cela plutôt par un mouvement naturel du désir de sa propre excellence que par un mouvement de la Grâce ; et pour plaire à Dieu, on s'égare et on se recule plutôt qu'on ne s'avance, quand on suit la voie des autres plutôt que celle dans laquelle la Grâce nous met. Que chacun reconnaisse et suive son attrait avec fidélité. Ce n'est pas que la vue des grâces qui éclatent dans les autres, et leur bon exemple, ne nous serve et ne nous anime ; mais ce doit être à nous de nous rendre plus fidèles à marcher ponctuellement dedans notre voie, et non pas à entrer dans celle des autres, où Dieu ne nous appelle pas. »

97Cf. Chr. Int. VII,3 : « Quand une âme est bien pure et qu’elle a l’expérience des mouvements de la Grâce en elle, les reconnaissant et les distinguant des mouvements de la nature, elle n’a qu’à s’exposer aux rayons du Soleil divin pour les recevoir dans son centre, en être illuminée et échauffée. Et c’est ainsi à mon avis que Dieu veut que de certaines âmes fassent oraison, quand elles ont l’expérience que telle est la Volonté de Dieu sur elles ; et vouloir faire autrement sous prétexte d’humilité ou de crainte de tromperie, c’est ne se pas soumettre à la conduite de l’Esprit de Dieu, qui souffle où il lui plaît et quand il lui plaît. C’est un grand secret d’être dans une entière passivité et anéantir toute propre opération . »

98Cf. Chr. Int. VII,17 : « Je ne trouve rien qui explique mieux ceci que l’aiguille touchée de l’aimant qui se tourne continuellement et imperceptiblement vers le pôle et est dans des inquiétudes tant qu’elle ne le regarde pas fixement. Mon âme fait de même, et touchée, je ne sais pas comment, du divin Amour, elle n’a point de repos que quand elle est convertie vers lui. Et séparée de toutes les créatures, elle va doucement s’élevant vers ce divin Centre, sans aucun effort pourtant, se sentant seulement attirée doucement à la parfaite union. »

99À l’ami intime Jacques Bertot.

100 Cf. Jacques Bertot Directeur mystique, correspondance, édité par D. T. : « Où il faut remarquer un grand et important principe, savoir que comme Dieu est pour Lui-même et par Lui-même tout ce qu’il Lui faut pour Se béatifier Soi-même pleinement, sans avoir besoin que de Lui ; aussi est-Il tel pour la créature. Je dis pour la créature, d’autant qu’Il est son centre, sa perfection et son bonheur ; par sa créature, d’autant aussi que la créature sort de Dieu comme une émanation qui a toute Sa perfection, non seulement en Sa ressemblance et en Sa jouissance, mais encore en ce que la créature se laisse réfléchir vers son Créateur qui en lui donnant l’être et tout ce qu’elle a de moment en moment et le lui communiquant, retire [sic] à Soi ces mêmes dons, c’est-à-dire toute Sa créature, comme vous voyez que le soleil se communiquant par ses rayons, les fait retourner vers lui par des douces vapeurs, d’autant que tout ce que Dieu fait, Il le fait pour soi-même. Et ainsi la créature mourant à soi et ne s’appropriant rien par sa propre opération, reçoit purement de moment en moment ce qu’elle est et pour quoi elle est et ce qu’elle doit opérer; et par cette même opération divine par laquelle elle reçoit [507] cela, elle reçoit aussi force et faculté pour retourner vers son principe. Ainsi une âme qui a peu à peu appris à mourir à elle-même en quittant son opération propre, se rend capable de l’opération divine, qui est de moment en moment ne manque jamais de lui donner tout ce qui lui faut […] »

101Cf. Chr. Int VII,3 : « Quand une âme est bien pure et qu’elle a l’expérience des mouvements de la Grâce en elle, les reconnaissant et les distinguant des mouvements de la nature, elle n’a qu’à s’exposer aux rayons du Soleil divin pour les recevoir dans son centre, en être illuminée et échauffée. Et c’est ainsi à mon avis que Dieu veut que de certaines âmes fassent oraison, quand elles ont l’expérience que telle est la Volonté de Dieu sur elles ; et vouloir faire autrement sous prétexte d’humilité ou de crainte de tromperie, c’est ne se pas soumettre à la conduite de l’Esprit de Dieu, qui souffle où il lui plaît et quand il lui plaît. C’est un grand secret d’être dans une entière passivité et anéantir toute propre opération. »

102Cf. Chr. Int. VIII,8 : « Ce qui fait les différentes oraisons, ce sont premièrement les différentes manières de connaître Dieu : les unes traitant avec lui par la simple méditation et par le raisonnement humain ; les autres recevant de Dieu une très simple lumière au-dessus du raisonnement, par laquelle il se manifeste à l'âme par lui-même, comme le soleil par son rayon ; les autres contemplant Dieu par les simples vues sans vues, et par les lumières obscures de la foi. Tous ces moyens de traiter avec Dieu ne sont pas seulement des oraisons différentes, mais sont la source d'une grande diversité qui se rencontre en chaque moyen. Par exemple, dans l'oraison de Foi, qui paraît la plus simple, il y a plusieurs degrés qui donnent à l'âme des vues différentes de Dieu et des choses divines. Quand la Foi est dans un entendement bien purgé d'images et d'espèces, elle lui découvre des vues de Dieu sublimes, comme il est en soi, d'une manière négative, générale, confuse et très propre à faire concevoir une très grande estime de Dieu et un ardent amour. Tous les livres, les prédications et les conférences ne satisfont point une âme accoutumée à ce genre de connaissance : elle ne peut souffrir ces façons de parler et de concevoir Dieu comme trop imparfaites. La Foi toute pure la contente, en attendant la lumière de Gloire, puisqu'elle lui découvre son Objet en son infinité, quoique obscurément ; et à mesure que la Foi est plus ou moins pure et simple, ces vues sont aussi plus ou moins parfaites. »

103Cf. Int. Chr. III,1 : « Il faut se désoccuper de tout ce qui n'est point de Dieu : les créatures, quelques saintes qu'elles soient, ne sont rien en comparaison de la sainteté de Jésus-Christ ; et quand je pense m'appuyer sur leur secours, je ne considère pas qu'elles ne sont que des rayons de lumière dont Jésus-Christ est le corps, qu'elles ne sont que des ruisseaux dont il est la source, et que, tant que je m'arrêterai à elles, j'ai sujet de connaître ma faiblesse et mon humiliation. Rien de créé ne nous doit arrêter : il faut laisser les morts ensevelir les morts. Lorsque nous sommes privés des créatures, pour saintes qu'elles soient, il faut nous consoler avec Dieu, et croire que nous en sommes indignes, que peut-être dans la communication avec ses amis nous cherchions notre propre satisfaction et non sa seule volonté, et qu'ainsi il a eu la bonté d'y mettre ordre. »

104Cf. Jacques Bertot Directeur mystique, Opuscule 5. Traité de la voie de l’oraison et de ses divers degrés sous l’emblème des différentes manières d’atteindre au jardin. Troisième degré : « Sachez donc que dès le moment qu’une âme est à Dieu en foi, autant que toutes les choses qu’elle a et qui lui arrivent sans les chercher et qui lui viennent par son état, sont reçues en fidélité, autant l’ordre divin lui devient actuel et en état d’en faire des merveilles selon [136] l’usage que l’on en fera en foi, en abandon et perte dans l’opération divine. En marchant dans cette opération divine en foi, peu à peu, sans adresse et presque sans y penser, la conduite a une opération plus divine dans les mêmes choses, de moment en moment, jusqu’à ce qu’enfin l’âme perde les ruisseaux et se perde dans la mer même de cette divine opération ; et ainsi en suivant et se perdant, elle se trouve emportée dans la perte même. C’est comme un homme qui, sans savoir le chemin de la mer, suivrait une rivière, insensiblement après bien le détour et détour il arriverait à la mer, et en marchant en elle il irait jusqu’à ce que, perdant fond, il tomberait en l’abîme de la mer. »

105Cf. Chr. Int. VII,15 : « Aussi je conçus que ce qui est donné de Dieu par infusion au centre de l’âme, soit lumière, soit affection, paix ou amour, est à couvert des tromperies de la nature, des tentations des démons et du bruit des créatures, car Dieu la met au fond de nos âmes par lui-même et sans l’entremise des sens. C’est pourquoi il n’est pas sujet à leurs attaques et vicissitudes, mais il demeure toujours pur et entier tant qu’il plaît à Dieu de faire son opération. Je conçus aussi fort bien que le fond de l’âme est une demeure sacrée et secrète où Dieu réside et où il se plaît de faire ses opérations indépendamment de toutes les industries propres de l’homme. Il y manifeste tantôt son être et ses perfections, tantôt ses mystères ou quelque autre vérité. Il s’y communique en mille façons et manières, comme il lui plaît. Il me semble qu’avec un petit rayon de sa face, il nous fait connaître ce qu’il veut : Illuminet vultum suum super nos. »

106À Mgr François de Laval. Agé de 24 ans, il est ordonné prêtre le 1er mai 1647. Après un séjour de quatre ans à l’Hermitage, François de Laval mit en pratique les admirables maximes de Bernières ; joignant à la prière et à l’oraison les œuvres de charité, il s’occupa, comme il l’avait fait à Paris, des pauvres et des malades, dans la grande tradition de Vincent de Paul. Dans le même temps, il réforma un monastère tombé dans le relâchement et fit éclater jusqu’à la cour le bon droit d’une communauté d’hospitalières menacée de spoliation. Administrateur et confesseur, au surplus, de deux communautés de femmes, il mérita de Mgr Servien, en 1657, un éloge sans équivoque (fait sous la foi du serment) : prêtre « d’une très grande piété », « très prudent et supérieur en affaires », qui a donné, dans le diocèse de Bayeux, de « grands exemples » de vertu. Alors âgé de 35 ans, il est sacré évêque le 8 décembre 1658, jour de l'Immaculée Conception, soit quatre jours avant cette lettre.

107Cf. Chr. Int III,9 : « Une âme qui a trouvé Dieu, n'a plus qu'à s'y soumettre et abandonner pour l'intérieur et pour l'extérieur ; et sa fidélité consiste en cette remise et parfait abandon, parce qu'elle vit toute perdue en Dieu et hors de soi-même, de sa volonté et de ses intérêts. De sorte que quand Dieu fait tout en l'âme, il y fait beaucoup en peu de temps, et c'est quand elle a anéanti toutes les propres activités et recherches dans la totale dépendance à l'opération de Dieu : en cet état, elle est libre, indifférente à tout, et dégagée de soi-même et des créatures, et toute abîmée en Dieu, qui en fait ce qu'il veut. »

108Cf. Chr. Int. IV,6 « Tant plus un vase est vide, tant plus est-il capable : aussi nos âmes, tant plus elles sont vides d'elles-mêmes et de la nature, tant plus elles sont capables d'aimer et de connaître Dieu : Ama nesciri et pro nihilo reputari. Il se faut réjouir d'être abîmé dans l'oubli des hommes, de vivre dans un petit trou ou dans une Religion, hors de la pensée et de l'affection des hommes. Ce qui nous attriste, nous abat et nous retarde dans la voie de Dieu, ce n'est que le déplaisir naturel que nous avons d'être inconnus, car l'homme naturellement veut être connu et aimé, et croit que ce n'est pas vivre de n'être point estimé. Et tandis que nous sommes pleins du désir de ces choses, nous ne sommes point des vases propres à recevoir la connaissance et l'amour divin. Tendons de toutes nos forces à l'anéantissement, pour nous dépouiller de notre amour propre, qui pousse à se faire voir et paraître sous des prétextes fort spécieux ; mais tout cela pour la plupart est une pure illusion. »

109Marie des Vallées, la « sainte de Coutance ». cf. Conseils d’une grande servante de Dieu appellée Sœur Marie des Vallées, textes présentés par Dominique Tronc et Joseph Racapé, Sources mystiques, Centre-Saint-Jean de-la-Croix, p.648. Ces conseils figurent à la fin du tome II du Directeur mystique, publié près d’Amsterdam en 1726 par le cercle de Pierre Poiret, p. 407 et suiv. Elles les aurait donné à Mr de Bernières ou bien à Mr Bertot d’après l’éditeur Pierre Poiret ; ce qui nous conforte dans la pensée que cette lettre est adressée à Jacques Bertot : « Le chemin de l’anéantissement est long si ce n’est par miracle : c’est un grand bonheur que d’être en chemin. Il faut mourir aux passions, aux sens et aux puissances, et que Dieu soit venant et régnant dans l’âme. Elle m’a dit derechef que l’anéantissement est un chemin fort étroit : l’entendement y doit être anéanti, et par conséquent compris et possédé de Dieu ; et peu à peu le divin rayon croît […] Elle m’a dit que peu souvent on est assuré de son anéantissement ; et qu’il faut vivre comme cela. Elle m’a dit que c’est un don que Dieu nous a fait : j’ai bien vu par son discours que c’est assez. Elle me disait : voilà votre voie ; les autres marchent autrement : il faut suivre la sienne ; les autres ont des contemplations, et inclinations, il faut qu’ils y aillent. Plus on s’anéantit, plus on se transforme ; et il n’y a qu’à laisser Dieu faire […] J’ai vu que quand le don est fait à l’âme, il ne s’en va pour rien : la maladie lui offusque tout l’esprit, et cela n’empêche point qu’il n’y soit. Elle m’a dit : voilà votre affaire. Elle m’a assuré de la vocation de M. B. pour le prochain. Comme je l’ai été prier pour demander à Dieu la certitude de mon oraison, elle m’a dit de me donner de garde de la curiosité, que la certitude a été donnée, et qu’il faut marcher. Enfin que le don est donné, et que c’est assez que l’on ait la certitude du don de l’anéantissement : l’âme se va transformant en Dieu, et quelquefois d’autant qu’il n’est pas tout parachevé, les sens s’extrovertissent ; et cela donne de la peine, mais il faut patienter ; il faut que l’âme soit humble et connaisse son rien ; il y a des sentiments qui vivent, et Dieu les laisse et fait souffrir comme à Job. Ce qui arrive aux espèces du Saint Sacrement, est une figure de l’anéantissement : bien souvent on ne le connaît pas, et l’on souffre des craintes et des désespoirs ; les sens sont de pauvres enfants qu’il faut quelquefois envoyer se promener, et le fond demeure uni. Les sens ne sont pas capables de l’oraison, c’est pourquoi il faut avec discrétion les récréer. Dans l’anéantissement on ne sait pas toujours s’il est vrai ; et c’est une grande peine, on ne sait quelquefois rien faire pour se soulager […] L’âme étant arrivée à l’anéantissement, Dieu lui soustrait la certitude, pour l’anéantir davantage […] L’âme ayant le don n’est point distraite pour parler, pour agir ; quoique selon les sens elle le soit : car dans le fond elle a le don, et Dieu y opère toujours la purifiant : bien qu’il semble parfois qu’on ait commis quelques défauts, il ne faut que les laisser consumer à l’anéantissement. Cet état est un grand bonheur parce que Dieu y opère, et par conséquent entre en possession de l’âme, et de plus en plus la va purifiant, jusqu’à ce qu’Il soit tout seul. C’est un tout pur amour, parce que l’âme s’y anéantit toute, afin que Dieu seul y opère, c’est une présence de Dieu toute continuelle ; d’autant que c’est un continuel opérer : et l’on doit bien dire Ego dormio, et cor meum vigilat. Ô le grand état ! Elle m’a répété cela plusieurs fois : que la bonté de Dieu est grande ! Dans cet état on se met point en peine des sécheresses, au contraire, elles y aident ; ce ne sont pas les goûts, mais l’opération de Dieu que l’on cherche. Nous avons eu grande joie ensemble, en parlant de cet état. C’est un lait dont Dieu repaît notre âme, c’est un bonheur inestimable : mais il ne faut pas vouloir y faire entrer les autres. Car comme c’est une opération de Dieu, si Dieu ne les y appelait, Il n’y opérerait pas, et par conséquent on serait inutile : pour l’âme qui y est appelée, plus elle est passive et en repos, plus son bonheur est grand […] La sœur Marie nous a assuré derechef que notre foi est de Dieu, que c’est un don et un grand don, et rare ; peu de personnes marchent en ce chemin […] On n’entre dans la voie passive qu’après quelques années de dispositions, Dieu ne faisant pas ce don qu’après que l’âme a beaucoup travaillé et souffert pour son amour, au moins c’est son procédé ordinaire.

110Cf. Marie des Vallées, Conseils, ibid p. 148 : « La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il n’y a rien. Il lui fut dit que la chambre du Roi était l’humilité, et que la fenêtre par où venait la lumière divine dans la chambre était la connaissance de soi-même. Nous avons parlé du pur amour, et que l’âme qui aime, a tout.

111Cf La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé, rédigés par saint Jean Eudes, textes présentés par Dominique Tronc et Joseph Racapé, sources mystiques, Centre-Saint-Jean de la Croix, p 565 : “Notre Seigneur a fait connaître à la sœur Marie qu’il y a quatre degrés d’union de l’âme chrétienne avec Dieu. Le premier s’appelle communion, le second union, le troisième transformation, le quatrième déification. […] Le quatrième qui s’appelle déification, est pour les âmes parfaites. Elle est représentée par le changement entier de l’eau en vin. C’est le lit qui n’en peut plus tenir qu’un; ce sont les épouses du roi qui entre dans sa couche royale et qui ne sont qu’un avec lui ; Qui adhaeret Deo unus spiritus est . Dans la transformation l’âme n’est pas encore détruite, elle s’y trouve encore. Dans la déification tout est anéanti; il n’y a plus que Dieu.”

112Jean 14, 26, Mais le Paraclet, l'Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.

113À un jeune appelé à entrer dans la vie religieuse.

114Cf. Mc 10,29-30 : « Jésus déclara:  En vérité, je vous le dis, nul n'aura laissé maison, frères, soeurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l'Évangile, qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, soeurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

115C’est la traduction de la formule latine « servire regnare est ». Elle est empruntée à Saint Grégoire le Grand dans son commentaire sur le psaume 101. On la retrouvait anciennement dans la postcommunion de la messe de St Irénée et dans celle de la messe « pour la paix » : « Deus, auctor pacis et amator, quem nosse, vivere, cui servire, regnare est . » « O Dieu qui aimez la paix et qui en êtes l’auteur, vous connaître, c’est vivre, vous servir, c’est régner. »

116Il pourrait s’agir aussi des bénédictins de la congrégation de Saint Maur. D’après Dom Martène, Bernières serait entré en relation avec dom Claude Martin, fils de Marie de l’Incarnation, dans les années 1654-1657, lors du son priorat aux Blanc-Manteaux. Dom Martin atteste lui-même de ses liens spirituels avec Bernières quand il écrit qu’il est « un de ses amis » ; de plus dans la Vie de Marie de l’Incarnation, il rapporte des propos qu’il a entendu tenir à Bernières : « homme incomparable dans la vie spirituelle ». Dom Claude Martin n’hésite pas non plus à louer d’une magnifique éloge le Chrétien Intérieur dans ses Conférences : « le livre est tel qu’a été l’auteur et l’auteur tel qu’a été le livre et… ». Dans le Mémorial du XVIe centenaire de l’Abbaye Saint Germain des Prés, p. 132-133, Louis Cognet affirme l’influence indéniable et profonde de Bernières sur dom Claude Martin. Malheureusement il ne reste rien de leur correspondance. Par ailleurs, Dom Claude Martin a été un familier du monastère de mère Mectilde, rue Cassette.

117Cf. Chr. Int. VII,10 : « On ne saurait quasi être plus purement en Dieu que par cette oraison, y étant, par une simple vue de la Foi pure, au-dessus de tout discours et conception. En cet état, je ne connais rien de Dieu sinon que je n’en puis rien connaître : l’imbécillité de mon âme et les excès infinis de ce divin Soleil font que sa lumière m’est inaccessible. Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former, et ma volonté est échauffée d’une manière admirable au milieu de ces ténèbres lumineuses. En cet état, toute mon âme est unie à Dieu très simplement et intimement ; et comme l’union est forte, l’on ne s’en sépare pour traiter avec les créatures qu’avec violence.

« L’âme, qui ne sait rien de Dieu en cette disposition sinon qu’il est incompréhensible, se perd dans les ténèbres qui environnent cette infinie Grandeur. Cette vue sans vue ne voit rien de distinct et particulier de Dieu, mais est une savante ignorance de ce que Dieu est en soi-même, qui laisse en l’âme de grands effets d’estime et d’amour, pénétrant beaucoup l’intérieur en lui faisant une impression très forte de la grandeur de Dieu et de ses infinies perfections. Dieu demande une grande pureté et paix intérieure à une âme dans cet état. »

118Cf. Chr. Int VI,8 : « Ainsi une âme qui est sans lumière, fait les actions de vie spirituelle peu agréablement ; elle les fait pourtant véritablement et très parfaitement, puisqu'elle les opère dans l'anéantissement des lumières et de sa propre satisfaction. Il me semble donc que l'âme ne doit point tant regretter le séjour de ce monde, où nous vivons dans les ténèbres de la Foi, et ne point tant désirer la dissolution de ce corps sous prétexte de voir clairement et de s'unir parfaitement à son Bien-Aimé. Pour parler nettement, je crains que ces plaintes ne soient pas si pures comme on s'imagine, puisque l'on se plaint peut-être secrètement de la privation des lumières, et de ne goûter pas les douceurs de la jouissance : ainsi c'est plus notre satisfaction qui nous touche, que le bon Plaisir de Dieu. »

119Cf. Chr Int. VIII,8 : « Le temps de la vie présente étant d'acquisition et non de possession, l'âme peut toujours aller acquérant de nouvelles grâces, et faisant de nouveaux progrès dans son oraison, à proportion qu'elle fait un nouveau fond de vertu et de pureté par sa fidélité dans les occasions. Ordinairement, Dieu fait passer les âmes dans les ténèbres, tentations, délaissements, souffrances intérieures et extérieures, pour leur faire acquérir beaucoup de vertus et un nouveau fond de pureté, qui les fait passer à un état nouveau d'oraison. Et puis Dieu recommence à les exercer d'une autre manière, pour leur donner encore un autre état ; et la vie se passe de la sorte. Et ainsi il ne faut plus s'étonner si la vie des Justes est si traversée ; il est expédient que cela soit pour leur perfection, et pour l'acquisition de l'Amour divin. »

120Cf. Chr Int. VII,9 : « Cette oraison est un simple souvenir de Dieu qui est encore plus simple qu’une pensée, n’étant qu’une réminiscence de Dieu qui est cru par la Foi nue, comme il est vu et su par la lumière de gloire dans le Ciel. C’est le même objet, mais connu différemment de l’âme : cette voie est une docte ignorance. La terre est le pays des croyants et le Ciel [celui] des voyants. Il ne faut pas savoir Dieu ni les choses divines en ce monde, mais il les faut croire.

La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement : nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. L’état de pure Foi lui déplaît quelquefois fortement, mais il le faut laisser mourir à toutes ses propres opérations, estimant pour cela beaucoup et recevant volontiers tout ce qui nous aide à mourir, comme les sécheresses, aridités, délaissements, qui enfin laissent l’âme dans l’exercice de la pure Foi par laquelle Dieu est connu plus hautement que par les lumières, qui servent de milieu entre Dieu et l’âme ; et l’union de notre esprit par la Foi est pure et immédiate, et par conséquent plus relevée. Il faut aussi que la volonté meure à tout ce qui n’est point Dieu pour vivre uniquement en lui de son pur amour : car la vie de la volonté est la mort, et cette mort ne s’opère ordinairement et n’est réellement que dans les privations réelles et effectives. »

121Cf. Chr. Int. III,11 : « Si la Providence l'ordonne, je renonce à ma chère solitude, avec liberté d'esprit, quoique ce soit la chose que je désire le plus en ce monde ; et enfin je me veux dégager de toutes choses, et m'appliquer uniquement au bon plaisir de Dieu. Qu'il me sacrifie, et tout ce qui m'appartient : si cela lui plaît, j'y prendrai plaisir ; qu'il me réduise au néant : s'il l'agrée ainsi, j'en serai content ; et parmi tout cela, j'aurais peine qu'on me parlât de mes souffrances pour me plaindre ; j'aimerais mieux que l'on me parlât des souffrances et de la Croix de Jésus, et de ses bontés infinies, car mon grand souhait est d'oublier tout, pour n'avoir plus dans le cœur et dans la pensée que le seul bon plaisir de Dieu. »

122Cf. Chr. Int. VIII,3 : « En cet état d'abandon, l'âme ne laisse pas de bien agir aux affaires, puisqu'elle ressent que Dieu le veut, car son indifférence n'empêche pas sa coopération, soit à agir avec Dieu en l'oraison, ou à l'extérieur dans les affaires. C'est le fond du cœur et le principe de tout cet abandon. Dieu par après y met telle disposition qu'il lui plaît, de jouissance ou de souffrance, d'action ou de contemplation, de ténèbres ou de lumières. L'on ne désire seulement que de ne rien faire, ne rien entreprendre, ne rien vouloir par soi-même, mais suivre purement en tout les attraits et les mouvements de Dieu. »

123Cf. Chr. Int. VII,6 : « C’est un moyen très utile pour l’oraison de s’accoutumer à ne rien faire que par le mouvement de Dieu. Le Saint-Esprit est dans nous, qui nous conduit : il faut être poussé de lui avant que de rien faire. Ceci tient l’âme dans une très grande pureté, et l’âme connaît bien ces mouvements divins par une paix, douceur et liberté d’esprit qui les accompagnent ; et quand elle les a quittés pour suivre la nature, elle connaît bien par la secrète syndérèse qu’elle a commise une infidélité qui la retarde dans sa voie. La pratique de ce moyen met une âme dans une continuelle disposition à l’oraison, où elle trouve facilement entrée. »

124Cf. Chr. Int. VII,10 : « Un jour de sainte Magdelaine, il me sembla que mon oraison changea et devint plus simple, plus élevée et plus forte. Mon esprit allait connaissant Dieu non plus par lumières ou sentiments, mais par de certaines ténèbres desquelles Dieu est environné. Ces ténèbres me faisaient voir que Dieu ne peut être connu et qu’il est infiniment au-dessus de nos entendements, qui ne peuvent mieux le connaître qu’en avouant qu’il ne se peut connaître. Autrefois, les lumières et sentiments me servaient pour m’unir à Dieu, à présent elles me conduisent seulement ; mais les ténèbres les dissipent, et mon âme se sentant perdue dans une profonde ignorance de Dieu, elle le connaît, ce lui semble, mieux qu’elle n’eût jamais fait ; et ensuite je n’ai nulle peine de m’occuper en Dieu de cette manière, qui, laissant des impressions plus grandes de la Divinité, augmente aussi toutes mes dispositions intérieures d’amour, de haine du péché, et autres semblables. »

125Cf. Chr. Int. VII,9 : « Cette oraison est un simple souvenir de Dieu qui est encore plus simple qu’une pensée, n’étant qu’une réminiscence de Dieu qui est cru par la Foi nue, comme il est vu et su par la lumière de gloire dans le Ciel. C’est le même objet, mais connu différemment de l’âme : cette voie est une docte ignorance. La terre est le pays des croyants et le Ciel [celui] des voyants. Il ne faut pas savoir Dieu ni les choses divines en ce monde, mais il les faut croire. La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. »

126Cf. Chr. Int VII,9 : « Quand l’on n’y prend pas garde, l’on ne se tient pas assez dans la passiveté et l’on va mendier la vie de l’âme des objets sensibles, Dieu voulant la lui donner lui-même par des connaissances plus épurées. Et puis, la nature, ayant des goûts sensibles, s’y attache sans le croire, et on se retarde dans la pure union avec Dieu qui ne veut que Dieu seul et met l’âme dans un dénuement de toutes espèces sensibles et de toutes sortes de goûts. »

127Cf. Chr. Int. VII,19 : « Je ne pouvais comprendre ceci auparavant que d’avoir la lumière ; à présent toute autre oraison précédant celle-ci me paraît un tracas. Qu’est-ce que l’âme prétend par les pensées, les vues, les affections, les sentiments, sinon d’aller à Dieu ? Mais quand elle y est, elle ne peut avoir toutes ces choses, elle n’a simplement qu’à reposer en Dieu, et vivre de Dieu en Dieu même : voilà toute son affaire. Et tous les Sacrements, principalement celui de l’Eucharistie, ne lui servent qu’à s’établir, s’affermir, s’enfoncer dans Dieu davantage. Les divins Sacrements élèvent les âmes à Dieu lorsqu’elles en sont encore éloignées ; mais celles qui sont dans l’union, ils les y maintiennent et les y plongent de plus en plus. »

128De L’Ermitage de Caen.

129Mgr de Laval nouvellement ordonné pour la mission du Canada.

130Cf. Chr. Int VII,6 : « Jésus a mené plusieurs vies. La première, une vie pauvre, cachée, inconnue, méprisée. La seconde, une vie souffrante dans les excès, au temps de sa Passion. La troisième une vie illuminative, lorsqu'il faisait des sermons, qu'il prêchait en Docteur et enseignait les peuples. La quatrième, une vie libérale et aumônière, quand il nourrissait les peuples de cinq pains et de deux poissons. La cinquième, une vie conversante, quand il conversait avec les Juifs, pour les instruire. La sixième, une vie de lumière et de douceur sur le Thabor. La septième, une vie dans les tentations, au désert. Or Jésus mène encore toutes ces vies différentes en la personne des chrétiens ses membres. Jésus vit encore, et vivra de toutes ses vies jusqu'à la consommation des siècles ; et on dira toujours : Je vis non plus moi ; c'est Jésus qui vit en moi. Jésus dans son Église fait honorer tous les états de sa vie. Il choisit les uns pour honorer sa vie souffrante, et en effet il semble qu'ils ne fassent que souffrir. Les autres pour honorer sa vie abjecte, et ils ne sont bons à rien qu'à être abjects, n'étant propres ni à souffrir beaucoup de douleurs ni à procurer le salut et la perfection des autres, ni pour le temporel ni pour le spirituel ; aussi sont-ils méprisés, et ne tiennent aucun rang dans l'esprit de personne ; ils sont même en charge à la Religion, en laquelle ils semblent ne servir de rien, et on jugerait qu'ils seraient tout à fait inutiles : dans cette croyance on pense faire un grand acte de les souffrir. »

131Cf. Chr. Int. VII,9 : « La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement : nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. L’état de pure Foi lui déplaît quelquefois fortement, mais il le faut laisser mourir à toutes ses propres opérations, estimant pour cela beaucoup et recevant volontiers tout ce qui nous aide à mourir, comme les sécheresses, aridités, délaissements, qui enfin laissent l’âme dans l’exercice de la pure Foi par laquelle Dieu est connu plus hautement que par les lumières, qui servent de milieu entre Dieu et l’âme ; et l’union de notre esprit par la Foi est pure et immédiate, et par conséquent plus relevée. Il faut aussi que la volonté meure à tout ce qui n’est point Dieu pour vivre uniquement en lui de son pur amour : car la vie de la volonté est la mort, et cette mort ne s’opère ordinairement et n’est réellement que dans les privations réelles et effectives. »

132Cf. Chr. Int. VII,2 : « L’âme doit être attentive à l’état présent où Dieu la met et y demeurer avec paix, humilité et soumission à ses divines dispositions, et laisser à son bon Plaisir de régler le temps de ses visites et la manière d’oraison qu’il lui voudra donner. Quelquefois ce sera par la simple pensée, d’autres fois par le discours, ou par la Foi seule, ou par une lumière passive : il faut recevoir ce qui nous est donné de son infinie Bonté avec grand respect, nous estimant indignes de la moindre bonne pensée. Ce que l’âme a donc à faire dans l’oraison et hors l’oraison, est d’être fort attentive aux sentiments que Dieu lui donne, et les suivre avec courage et avec fidélité. Si elle sent que Dieu l’élève à l’oraison extraordinaire, elle doit s’y laisser aller ; si elle est retenue dans l’ordinaire, elle doit y demeurer ; si dans l’aridité, y demeurer aussi contente. »

133Cf. Chr. Int. VII,19 : « Dans les états de peine que l’âme porte en cette voie, elle est fortifiée de Dieu sans qu’elle le connaisse : elle craint tout, et néanmoins il n’y a rien à craindre pour elle puisqu’elle est plus dans la protection de Dieu que jamais, car une âme ainsi passive et abandonnée est dans la singulière Providence de Dieu qui lui cache cela et la laisse dans les peines et dans les craintes fâcheuses de son état et quelquefois de son salut. Il n’est pas expédient que l’âme aperçoive l’ouvrage de Dieu en elle, car elle le gâterait par ses réflexions et ses complaisances. Sa malignité est si grande que tout se salit entre ses mains : c’est ce qui fait que Dieu lui cache souvent tout. »

134Cf. Chr. Int. VI,6 : « Je ne sais ce que c'est, mais je vois plus de pureté d'amour, plus d'abandon, plus de perfection dans ma disposition présente, crucifiée comme elle l'est, que dans celle où je jouissais de l'union de Dieu; ce qui fait que je demeure en repos et que je passe sans souci parmi les sollicitudes des affaires. Il me semble que je puis dire plus véritablement que jamais : « Que veux-je au Ciel et en la terre, sinon votre unique bon Plaisir, Seigneur, qui est ma portion et mon héritage à jamais ? » Il me semble que ma solitude intérieure croît à mesure que l'extérieur diminue, et au lieu de la quitter, étant obligé de vaquer beaucoup aux affaires, je m'y trouve plus avant. Ô que les stratagèmes du divin Amour sont admirables ! Il me semble que je suis plus mort que jamais à toutes choses dans ce dégagement qu'il m'a fallu faire en cette affliction de mon intérêt spirituel, et ma vie est toute crucifiée avec Jésus-Christ, mais toute cachée avec lui dans le bon Plaisir de Dieu. »

135Cf. Chr. Int III,3 : « Quand une âme ne s'engage parmi les créatures et dans les affaires que par l'ordre de Dieu, son attention intérieure n'en reçoit point de préjudice, car elle est toujours en état de retourner à Dieu, qu'elle ne quitte quasi point ; et la même vue qui lui fait voir l'intime Présence de Dieu, lui fait aussi clairement voir les ordres de Dieu au regard des affaires du dehors, à quoi elle obéit promptement et tranquillement, car elle veut faire ce que Dieu veut, quand bien même elle devrait perdre cette quiétude très douce qu'elle possède dans la jouissance de Dieu. La seule chose qui la retient dans la quiétude, ce n'est pas la quiétude même ni la douceur qui s'y rencontre ; mais elle voit que c'est l'ordre de Dieu sur elle, qui se plaît de lier l'âme par intervalles à lui et lui faire goûter sa Présence, et qu'il est son Dieu, son centre et sa fin dernière. Or quand cet ordre change, elle change aussi d'opération et quitte le Créateur pour aller à la créature. Elle est si dégagée qu'elle ne se veut mouvoir que par le mouvement de Dieu : qu'il la pousse où il lui plaira, ou à jouir de lui ou à servir le prochain, cela lui est indifférent, puisqu'elle ne cherche que le contentement de Dieu. »

136Cf. VII,7 : « Notre principale affaire dans le temps et dans l’éternité étant de vaquer à Dieu, suivant ce que dit notre Seigneur : Porro unum est necessarium, il faut prendre garde de se dissiper beaucoup et engager par trop son âme dedans les choses extérieures, quoique bonnes, car il importe peu que notre coeur soit lié d’une chaîne d’or ou d’une chaîne de fer quand il n’a plus la liberté de vaquer à Dieu. Il faut donc faire tout doucement tout ce que nous pourrons pour le service de Dieu et la charité du prochain, selon nos talents, et chacun en sa manière ; mais il faut conserver sur toutes choses l’estime et le désir de l’oraison, dans cette ferme croyance qu’il faut avoir que nous ne saurions faire aucune autre chose où Dieu soit plus servi et d’où nous tirions plus de profit pour notre avancement spirituel. »

137Mr Bertot?

138Cf. Chr. Int. VII,10 : « Il me semblait donc en ce temps que mon oraison devenait plus continuelle. Je fus fort encouragé de voir ce que dit saint Denys (Le Pseudo-Denys (5e s.) pour qui la connaissance de Dieu, la « théologie mystique », est une montée dans la ténèbre et le silence.), que cette ignorance est la meilleure et plus haute Sagesse de Dieu. Je fais donc mon oraison en la manière susdite, y ayant facilité et comprenant bien que la connaissance que l’on a de Dieu par cette voie est plus grande que celle que les discours ou les lumières ou les sentiments nous donnent. Reconnaître qu’on ne peut rien connaître de Dieu et le connaître autant qu’il peut être connu en ce monde, sa grandeur étant infiniment au-dessus de nos intelligences. De sorte que la vraie oraison n’est que dans l’abstraction de toutes choses créées. Et afin que notre entendement vive tout à Dieu, il faut qu’il meure à tout ce qui n’est point Dieu et qu’il l’envisage par un acte de Foi dans une lumineuse obscurité. »

139Cf. Chr. Int. VII,10 : « On ne saurait quasi être plus purement en Dieu que par cette oraison, y étant, par une simple vue de la Foi pure, au-dessus de tout discours et conception. En cet état, je ne connais rien de Dieu sinon que je n’en puis rien connaître : l’imbécillité de mon âme et les excès infinis de ce divin Soleil font que sa lumière m’est inaccessible. Cette Foi obscure me mène pourtant plus loin dans Dieu que toutes les conceptions que j’ai jamais pu former, et ma volonté est échauffée d’une manière admirable au milieu de ces ténèbres lumineuses. En cet état, toute mon âme est unie à Dieu très simplement et intimement ; et comme l’union est forte, l’on ne s’en sépare pour traiter avec les créatures qu’avec violence. »

140Cf. Chr. Int. IV,7 : « C'est aussi une règle générale, que les prédestinés sont vos images, ô divin Jésus. Il faut donc par nécessité qu'ils vous ressemblent dans la Passion s'ils veulent être glorieux. C'est folie de ne vouloir ici souffrir, puisque le chemin de la gloire sont [sic] les souffrances. Mon cœur, ayez de l'union à Jésus crucifié, et puis vous en aurez à Jésus glorifié. Pour ce sujet aimez d'amour, et ayez de fortes inclinations aux mépris, pauvretés et douleurs, et fuyez leurs contraires. Mon Jésus, faites-moi la Grâce de souffrir, ou mourir. Ô monde, tu es un fol, un fol, un grand fol. »

141Cf. Chr. Int VI, 6 : « Un après-dîner, je fus pris de la fièvre continue, accompagnée d'un très grand mal de tête et de douleurs partout ; ce divin Amour, ce me semble, continua ses opérations en mon âme, la tenant toute brûlée de son feu sacré. Je disais sans cesse : « Ô Amour ! Ô Amour ! Ô Amour ! », et ne pouvais prononcer autre chose […] Aussi c'est un effet extraordinaire de l'Amour, que mon âme n'ait point participé aux abattements du corps, et qu'au milieu de ses faiblesses elle soit demeurée forte ; surtout que le grand mal de tête ne lui ait donné nul empêchement à ses occupations intérieures […] Il me souvient que, faisant oraison le dimanche au soir dont je fus pris de mal le lundi, avec les Pères Carmes où j'étais à Vêpres, notre Seigneur me mit en l'esprit ces paroles : Christo confixus sum cruci ; sur quoi j'entrai dans un ardent désir de n'être jamais un moment de ma vie, sans pouvoir dire : « Je suis crucifié avec Jésus-Christ ». Je pense que ce divin Amour me disposait alors à être cloué sur la Croix. Et en effet ma maladie ayant commencé par un grand mal de tête qui me rendait les yeux comme tout enflés de douleur, il me vint en pensée que je pouvais en cette rencontre honorer le couronnement d'épines de mon Sauveur. Je prenais plaisir d'avoir quelque conformité avec cet état douloureux de Jésus. Et comme ma douleur s'étendait par tout le corps, je me sentis tant soit peu semblable à l'état du corps crucifié. »

142Cf. Chr. Int. VII,2 : « L’âme doit être attentive à l’état présent où Dieu la met et y demeurer avec paix, humilité et soumission à ses divines dispositions, et laisser à son bon Plaisir de régler le temps de ses visites et la manière d’oraison qu’il lui voudra donner. Quelquefois ce sera par la simple pensée, d’autres fois par le discours, ou par la Foi seule, ou par une lumière passive : il faut recevoir ce qui nous est donné de son infinie Bonté avec grand respect, nous estimant indignes de la moindre bonne pensée. Ce que l’âme a donc à faire dans l’oraison et hors l’oraison, est d’être fort attentive aux sentiments que Dieu lui donne, et les suivre avec courage et avec fidélité. Si elle sent que Dieu l’élève à l’oraison extraordinaire, elle doit s’y laisser aller ; si elle est retenue dans l’ordinaire, elle doit y demeurer; si dans l’aridité, y demeurer aussi contente. »

143Cf. Chr. Int. IV,2 : « Je sais bien que la Foi doit suffire à l'âme, et qu'avec elle, elle entre dans la connaissance et l'amour de son Dieu ; mais il est vrai aussi que ce Dieu d'Amour a des voies très secrètes et très intimes, qui sont dispositions de sa divine Sagesse, par lesquelles on le trouve amoureusement et savoureusement. Ô mon Dieu, que vous êtes caché au fond de nos âmes ! »

144Cf. Cf. Chr. Int. VII,3 : « Il arrive aussi souvent que dans un état de peines et de privations l’âme est tellement dans la nuit obscure qu’elle ne voit rien de Dieu qui lui semble entièrement caché ; et, ce qui fait sa plus grande croix, elle n’a point de pensée de le pouvoir jamais trouver, la seule vue de son bannissement l’occupant. Si dans cet état elle est contente et qu’elle consente au dessein rigoureux de Dieu sur elle, elle est en Dieu d’une façon excellente, sans qu’elle y pense être ; elle possède son souverain Bien quand elle croit l’avoir perdu ; et quand elle pense être toute remplie de soi-même et de sa misère, de ses répugnances et de ses imperfections, elle est en effet pleine de Dieu et unie à son bon Plaisir d’une façon plus noble et plus pure qu’elle ne saurait croire. Tel est l’avantage d’une âme qui n’affectionne point une manière d’oraison plutôt qu’une autre, mais qui se tient indifférente pour recevoir de Dieu celle qu’il lui voudra donner : son avantage est qu’elle fait toujours fort bonne oraison. »

145Cf. Chr. Int. IV,3 : « La perfection ne consiste pas dans une paix générale de tout l'homme, tant intérieur qu'extérieur. Jusqu'ici ma faiblesse ne pouvait comprendre comment une âme pouvait être heureuse et malheureuse tout ensemble. J'avais si peu de force que la souffrance me tirait de la jouissance de Dieu présent en moi, faisant éclipser par ma trop grande sensibilité l'attention à la jouissance de Dieu présent. Et parce que je me persuadais que cette jouissance ne se pouvait rencontrer que dans une âme qui possédait une exemption générale de toutes sortes de peines, quand il m'arrivait des tristesses, des peines, des dégoûts, je m'en défaisais au plus tôt pour rentrer dans l'état de la jouissance. À présent ces peines me serviront d'un moyen de m'unir plus fortement à Dieu ; je les agrée, et en ferai des sacrifices à cette Majesté cachée et réellement présente au fond de mon cœur. »

146Cf. Chr. Int. VII,14 : « Cette oraison était fort intellectuelle, mon appétit naturel ne s’y mêlait que rarement, et je ne faisais ni élans ni soupirs, toute cette opération se faisant dans la partie supérieure. Il me semble que cette manière d’oraison était compatible avec quelques affaires et se conservait quoique l’âme eût des distractions en l’entendement et en l’imagination. Cette oraison me semblait très simple et toute spirituelle ; d’où vient que je ne sais comment l’âme la reçoit ni ce qu’elle y fait, sinon que je sentais une faim de Dieu qui, ce me semble, se peut encore avoir au milieu de la possession de Dieu. Telle oraison dure longtemps et ne rompt point la tête et n’est troublée que par les saillies impures de la nature : c’est pourquoi il faut être tout mort durant qu’elle continue. »

147Cf. Chr. Int. III,11 : « Je souffre à présent beaucoup de me voir si éloigné de Dieu parmi tant de distractions que les nécessités du corps et des affaires me donnent. Quand Dieu s'est un peu manifesté à l'âme, et qu'il s'est fait connaître par une véritable expérience de ses bontés, qu'il y a à souffrir de vivre ici-bas ! Mais néanmoins l'on vit avec une grande paix, car le fond de l'intérieur est un pur abandon au bon plaisir de Dieu. »

148Cf. Chr. Int. VII,18 : « D’abord, il semble que Dieu fait un silence dans toutes les puissances qu’il tient liées et obscurcies, mais en disposition de tout ce qu’il voudra d’elle : l’esprit se remue un peu pour voir ce que l’on veut faire, mais il est rebuté et obscurci ; l’on le simplifie, on le captive de tous côtés, et [il] n’a rien sur quoi s’appuyer, de sorte qu’il demeure en Dieu comme tout perdu et anéanti ; si Dieu opère, il se fait quelque chose, sinon il repose en lui en patience et humilité. »

149Cf. Chr. Int. VII,17 : « J’éprouve bien que l’Amour est un poids qui fait continuellement pencher l’âme vers l’Objet aimé, ma volonté étant continuellement tournée vers son Dieu sans autre mouvement que d’une certaine pente et inclination, pleine d’amour et de suavité. Il me semble que mon entendement n’aide point ma volonté en cet état par aucune vue, car je la trouve toute embrasée et toute tournée vers son divin Objet sans aucune vue précédente. Il me paraît que le divin Amour lui donne immédiatement par lui-même des touches si secrètes et si intimes que cela la met en état d’une très parfaite union. Je ne trouve rien qui explique mieux ceci que l’aiguille touchée de l’aimant qui se tourne continuellement et imperceptiblement vers le pôle et est dans des inquiétudes tant qu’elle ne le regarde pas fixement. Mon âme fait de même, et touchée, je ne sais pas comment, du divin Amour, elle n’a point de repos que quand elle est convertie vers lui. Et séparée de toutes les créatures, elle va doucement s’élevant vers ce divin Centre, sans aucun effort pourtant, se sentant seulement attirée doucement à la parfaite union. »

150Cf. Chr. Int. VII,9 : « Cette oraison est un simple souvenir de Dieu qui est encore plus simple qu’une pensée, n’étant qu’une réminiscence de Dieu qui est crue par la Foi nue, comme il est vu et su par la lumière de gloire dans le Ciel. C’est le même objet, mais connu différemment de l’âme : cette voie est une docte ignorance. La terre est le pays des croyants et le Ciel [celui] des voyants. Il ne faut pas savoir Dieu ni les choses divines en ce monde, mais il les faut croire.

La Foi doit être nue, sans images ni espèces, simple sans raisonnements, universelle sans considération des choses distinctes. L’opération de la volonté est conforme à celle de l’entendement : nue, simple, universelle, point sentir ni opérer des sens, mais toute spirituelle. Il y a de grands combats à souffrir dans cette voie de la part de l’esprit qui veut toujours agir et s’appuyer sur quelque créature. »

151Cf. Chr. Int. VI,11 : “Pour moi, je fais assez souvent des tours de mon métier, c'est à dire des saillies de la nature colère, mais je tâche par après de m'en humilier. C'est une grande misère d'être toujours imparfait, et de ne pouvoir se guérir de ses maladies spirituelles : il faut pourtant pratiquer la patience pour celles-là, comme pour les corporelles.

Il m'a pris un désir de nommer l'Ermitage l'Hôpital des Incurables, et de n'y loger avec moi que des pauvres spirituels, qui, ayant la volonté de sortir de leurs imperfections, en demeurent pourtant toujours entachés. Il y a à Paris un Hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes.”

152Cf. Chr. Int. VII, 19 : « Personne n’entendra l’oraison passive qu’il n’en ait eu l’expérience. C’est folie de la communiquer auparavant que Dieu la donne, et d’en disputer contre ceux qui n’en ont point d’expérience. »

153Cf. Chr. Int VII,8 : « A mon avis, le grand secret de l’oraison est de recevoir en tranquillité et en pureté l’impression des rayons du Soleil divin qui réside dans le fond de notre âme. C’est lui qui peut illuminer sans le secours de nos raisonnements, qui allume en nous le divin Amour sans tourmenter notre volonté par la production d’une multitude d’actes, et fera fructifier toutes les vertus sans quasi nous en apercevoir ni savoir comment cela se fait. »

154Cf. Chr. Int. VII,13 : « Quand il attire une âme plus haut que l’oraison ordinaire et qu’il la veut toute à lui seul, elle doit quitter tout soin pour ne s’appliquer qu’à Dieu. Les vertus et dispositions qui étaient la vie de l’âme dans un autre temps, ne sont plus alors de saison, car il faut qu’elle ne vive que de la vie de Dieu, c’est-à-dire de sa seule connaissance et de son amour sans nulle vue sur soi-même. Dieu prend le soin lui-même d’une âme qui agit de la sorte, et lui imprime les dispositions qui lui sont nécessaires sans qu’elle les ait prévenues. « Pense en moi et je penserai pour toi », dit Jésus-Christ à sainte Catherine . Dans son oraison même, il lui donne des lumières pratiques qui ne durent guère et qui sont très efficaces, et qui ne la font pas sortir de la pureté d’oraison ; et puis, hors l’oraison, elle reçoit aussi des lumières pratiques pour être appliquées aux plus excellentes vertus dans les occasions. »

155Cf. Chr. Int. VII,12 : « Dieu fait ce qu’il lui plaît en elle, d’elle et par elle ; cependant elle demeure inébranlable à ne vouloir que les effets de la volonté de Dieu par les mouvements de la Grâce. Ce qui est bien à remarquer dans ces états passifs, l’âme demeure quelquefois dans la simple union ou contemplation des divines perfections, se tenant en un profond repos et comme sans agir ; et d’autres fois elle fait même des actes de ses puissances ; c’est selon qu’il plaît à Dieu la mouvoir et l’exciter, car son unique affaire est la parfaite soumission à la Grâce de laquelle, tandis qu’elle ne s’écarte point quoiqu’elle agisse par le mouvement de cette grâce, elle ne sort point de l’état de passiveté puisqu’elle ne se meut que parce qu’elle est mue de l’Esprit de Dieu. »

156Cf. Col. 3,9-10 : « Ne vous mentez plus les uns aux autres. Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s'achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l'image de son Créateur. »

157Cf. Chr. Int. VII,9 : « Cette oraison est uniforme et n’est pas sujette à beaucoup de changements, ni ne ruine pas le corps ; car elle est sans effort naturel, qui est plutôt contraire, puisque toutes les industries humaines ne la peuvent donner, dépendant purement de Dieu qui la communique quand il veut et à qui il lui plaît. Il est vrai que cette pure et nue contemplation de Dieu par la Foi n’est donnée que rarement et après avoir passé par plusieurs purgatoires et états pénibles ; les plus grands Saints mêmes ne l’ont pas toujours eue. Au commencement, on ne l’a que comme par petits éclairs passagers : c’est beaucoup si on la possède une demi-heure. Mais il en reste toujours de grands effets dans l’âme. »

158Cf. Chr. Int. VII,17 : “Mon oraison donc consiste à m’unir continuellement et très intimement à l’unique Amour dont Dieu s’aime, et mon âme n’a point d’attrait à autre chose. En cet Amour, il lui semble qu’elle trouve la pratique de toutes les autres vertus d’une manière bien plus excellente que dans elles-mêmes. Je connais une âme qui, en sa pratique d’aimer, ressemble au coeur qui n’est jamais plus inquiété que quand il n’a pas la liberté de ses mouvements, ni plus en repos et tranquille que quand il se peut mouvoir ; de même quand les affaires et nécessités du corps empêchent les mouvements de son amour, elle est dans la souffrance et l’inquiétude, et lorsqu’elle est débarrassée, elle jouit d’un parfait repos . Je remarque pourtant que son inquiétude est toute pleine d’amour, car la souffrance qu’elle a de ne pouvoir aimer avec liberté, est un amour très pur et très fort ; de sorte qu’elle demeure très soumise et indifférente à tous états puisqu’elle y peut aimer purement, y demeurant par union au bon Plaisir de Dieu.”

159Cf. Ruusbroec (1293-1381) De la Pierre brillante, deuxième partie, Vivre dans les vertus et mourir au-dessus des vertus, traduction de Max de Longchamp p. 28-29 : « Et en ce mourir, nous voilà fils cachés de Dieu, et nous percevons en nous une nouvelle vie, et c'est une vie éternelle. Et de ces fils, saint Paul dit : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ." Maintenant, comprends comment cela se passe. Tant que nous avançons vers Dieu, il nous faut nous présenter à lui et lui présenter toutes nos œuvres comme une éternelle offrande ; mais en sa présence, nous nous laisserons nous-mêmes ainsi que toutes nos œuvres, et mourant en amour, nous dépasserons toute condition créée, jusqu'en la richesse suressentielle de Dieu : là, nous le posséderons en une mort éternelle à nous-mêmes. Et c'est pourquoi l'Esprit de Dieu dit dans le livre du Secret que "bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur " ; c'est à bon droit qu'il les nomme "bienheureux morts", car ils demeurent éternellement morts, abîmés en l'unité fruitive de Dieu, et continuellement ils meurent en amour de par l'attraction qu'exerce la transformation de cette même unité. L'Esprit de Dieu dit en outre : "ils se reposeront de leurs travaux et leurs œuvres les suivront". Dans les modes, là où nous sommes engendrés par Dieu en une vie spirituelle vertueuse, nous présentons nos œuvres comme une offrande à Dieu ; mais dans le non-mode, là où de nouveau nous sommes morts en une vie éternelle bienheureuse, nos œuvres bonnes nous suivent, car elles sont une même vie avec nous. Dans notre avancée vertueuse vers Dieu, Dieu demeure donc en nous ; mais dans le dépassement de nous-mêmes et de toute chose, c'est nous qui demeurons en Dieu. »

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