LES AMIS DES ERMITAGES DE CAEN  & DE QUEBEC

 

 

Dossier assemblé par Dominique Tronc

 

 

I. FILIATION ET AMIS

II. DIRECTIONS MYSTIQUES  

III. MEMBRES DU CERCLE NORMAND

IV. MARIE DE L’INCARNATION

V. LIENS (MI-Bernières)

VI. DOCUMENTS (Québec)


 

 


 

TABLE

LES AMIS DES ERMITAGES DE CAEN  & DE QUEBEC 3

PRÉSENTATION 13

I. FILIATION ET AMIS 19

LES DEBUTS : Origine franciscaine 19

La réforme française du Tiers-Ordre régulier. 20

Antoine le Clerc (1563-1628) 20

Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) 27

LES AMIS DE BERNIERES : « L’école du Cœur » 33

Jourdaine de Bernières (1596-1645), la fondation et l’histoire d’un couvent d’ursulines. 41

[La sainte famille Bernières] 41

[Notre très honorée fondatrice Jourdaine de B.] 42

[La peste et la retraite dans une maison des Bernières] 42

[La Mère Michelle Mangon] 43

[Maximes de Jourdaine] 44

[Jourdaine et Chrysostome] 44

[Jourdaine âgée élue pour la troisième fois] 45

Jean de Bernières (1601-1659) 47

Le Directeur spirituel 48

Une œuvre reconstituée et influente. 49

L’Ermitage 51

M. Rocquelay prêtre (-1669) 55

Jean Eudes (1601-1680), missionnaire. 55

Jean Aumont (1608-1689), pauvre villageois. 57

Gaston de Renty (1611-1649) 63

Mectilde-Catherine de Bar (1614-1698) 67

Approfondissement. 70

Une vie bien remplie. Influences. 71

DISCIPLES et FILIATION en FRANCE 75

Louis-François d’Argentan (1615-1680), capucin. 75

Jacques Bertot (1620-1671) 77

La filiation de  Bertot à Madame Guyon (1647-1717) 77

Deuxième bras du « delta spirituel » 77

Henri-Martin Boudon (1624-1702) 78

Claude La Colombière (1641-1682) 79

MIGRATIONS CANADIENNES 81

Marie-Madeleine de la Peltrie (1603-1671) 81

[Mme de la Peltrie et Mr de Bernières, une entreprise secrète] 81

M. de Mésy (-1665) 82

Ango de Maizerets 83

M. de Bernières (-1701), neveu de Jean 84

L'abbé Dudouyt 85

François de Laval (1623-1708) 87

Troisième bras du « delta spirituel » 87

II. DIRECTIONS MYSTIQUES 91

FIGURE : UN RÉSEAU D’AMIS (PRÉSENTATION SYNCHRONIQUE) 93

Bernières 95

Dirigé par le P. Chrysostome 95

Les visites à Marie des Vallées (1590-1656) 101

Le soutien de Charlotte le Sergent (1604-1677). 101

L’influence de Marie de l’Incarnation (1599-1672) 102

Mectilde / Catherine de Bar 105

Dirigée par le P. Chrysostome 105

Lui succède Charlotte le Sergent. 116

Confessée par Epiphane Louys (1614-1682) 117

Dirigée par Bernières. 117

François de Laval 119

Dirigé par Bernières à l’Ermitage de Caen 119

Le lien est maintenu 120

 

III.  MEMBRES DU CERCLE NORMAND (Florilège) 125

Marie des Vallées 1590-1656 125

Influence directe par des conseils aux visiteurs. 125

La source toute intérieure 127

Les influences sur les générations suivantes 128

Le champ historique / sociologique 130

Le champ spirituel et mystique 131

Jourdaine de Bernières 1596-1670 (Annales des ursulines de Caen) 139

[La sainte famille Bernières] 139

[Notre très honorée fondatrice Jourdaine de Bernières] 139

[La peste et la retraite dans une maison des Bernières] 141

[Maximes de Jourdaine] 143

[Mme de la Peltrie et Mr de Bernières, une entreprise secrète] 144

[Lettre de Mme de la Peltrie] 145

[La Mère Michelle Mangon] 146

[Il ne faut pas oublier la maison reconnue l’Ermitage…] 147

[Le janséniste Charles du Four suivi de l’interdit] 148

[Jourdaine âgée élue pour la troisième fois] 149

[M. François Roquelay] 150

[Jourdaine et Chrysostome] 150

Jean de Bernières 1602-1659 153

La présence de Dieu se voit clairement dans un intérieur épuré. 153

Se laisser conduire à l’Esprit de Dieu 156

Autres dispositions d’une maladie, où le corps et l’âme sont en croix. 158

Le grand fruit que nous pouvons tirer des croix intérieures. 159

Des différentes sortes d’oraison mentale. 160

Qu’il faut être indifférent à telle oraison que Dieu voudra que nous fassions. 163

Qu’il est sur tout nécessaire de s’appliquer à l’oraison. 165

Des obstacles qui empêchent de faire oraison. 168

Des moyens qui facilitent l’exercice de l’oraison. 171

Qu’il ne se faut porter de soi-même qu’à une oraison ordinaire. 174

Comme on passe de l’oraison ordinaire à la contemplation. 176

De l’oraison de Foi 178

Des sacrées ténèbres de l’oraison 181

Des lumières de l’oraison 184

De l’oraison passive 187

De la pure et parfaite oraison 190

De la faim et du rassasiement de Dieu 193

De l’oraison infuse 196

De l’oraison de quiétude 199

De l’intime union d’amour de l’âme avec Dieu en l’oraison 203

Du silence intérieur où Dieu parle et est écouté. 207

De la contemplation très épurée 209

Des différentes caresses que Dieu fait à l’âme  dans l’oraison 214

Jean Aumont (1608-1689), pauvre villageois. 219

L’ouverture intérieure du royaume de L’AGNEAU OCCIS dans nos cœurs : 220

Gaston de Renty 1611-1649 233

L.55 A Mademoiselle de la Chevalerie. 233

L. 61 au P. Saint-Jure du 13 novembre 1643 233

L.72 Vers le 11 décembre 1643 A la Mère Marie de la Trinité 234

L.102 Vers le 22 avril 1644 A la Mère Élisabeth de la Trinité 234

L.117 A la mère Elisabethe de la Trinité 24 juin 1644 235

L. 133 4 octobre 1644 A la Mère Thérèse de Jésus-Languet 236

L.174 Vers le 6 janvier 1645 A la Mère Thérèse de Jésus-Languet 237

L.176 Vers le 6 janvier 1645 A son Directeur le R. P. Saint-Jure S. J. 238

L.195 A son Directeur, le R. P. Saint-Jure, S. J. 238

L.197 Trois lettres à son Directeur, le R. P. Saint-Jure S. J. 239

L. 200 Extrait d’ « Un de ses papiers ». 239

L.252 Destinataire inconnu. 239

L.266 Ma tr. ch. Sr. 240

L.286. 2 juin 1646 [M. des V.] 240

L.295 Vers le août 1646 A l’un de ses amis au Collège de Bourgogne. [relation Eudes] 241

L.357 Septembre 1647 Au Père Jean Eudes. 242

L.369 Octobre 1647 Au Père Jean Eudes.+ note 243

L.299 3 août 1646 Au Président de Castille. 243

L. 302 Trois lettres à son Directeur le R. P. Saint-Jure S. J. 244

L.315 245

L.339 Début mai 1647 A son Directeur, le Révérend Père Saint-Jure S J. 246

L.350 27 juin 1647 A son Directeur le Révérend Père Saint-Jure S J. 247

L.379 A son Directeur le Révérend Père Saint-Jure S. J. 248

Mère Mectilde 1614-1698 249

Jacques Bertot 1620-1681 251

3.68B D’un Serviteur de Dieu […] lettre écrite de Canada. 251

3.69. Réponse à la lettre […] écrite de Canada. 252

3.69B. Du même serviteur de Dieu… 265

3.70. Réponse à la précédente. Dieu tout en l’âme. 265

Mgr de Laval 1623-1708 (Gosselin, Vie) 269

Sur Boudon 269

Sur l’Ermitage de Caen 270

Sur l’embarquement de Mgr de Laval et le neveu de Bernières 273

Jean Eudes 275

Seconde partie IV Du premier fondement de la vie et sainteté chrétienne 275

X La perfection du dégagement chrétien 275

XXII De l’excellence des vertus 276

Lectionnaire propre à la Congrégation de Jésus et Marie (Paris 1977) 277

Du Four le janséniste 279

[fin] 280

IV. MARIE DE L’INCARNATION 1599-1672 283

A. La Vie 283

I. « Une clé » mystique : 283

II.Relevés sur la Vie : 285

B. La Correspondance 291

Correspondance « spirituelle » 291

L.1 De Tours, à Dom Raymond de S. Bernard, Feuillant, fin 1626 (?). 291

L.5 De Tours, à Dom Raymond de S. Bernard, Feuillant, début 1627. 292

L.6 De Tours, à Dom Raymond de S. Bernard, Feuillant, 27 juillet 1627. 292

L.9 De Tours, à Dom Raymond de S. Bernard, Feuillant, 1634 (?) 293

L.17 De Tours, à Dom Raymond dc S. Bernard, Feuillant, 3 mai (?) 1635. 294

L.25 De Tours, à Dom Raymond de S. Bernard, Feuillant, 1633-1635  (?). 295

L.34 De Paris, à la Mère Françoise de S. Bernard, Supérieure des Ursulines de Tours, 26 février 1639. 295

L.49 De Québec, à son fils, 10 septembre 1640. 296

L.56 De Québec, à son Fils, 4 septembre 1641. 297

L.66  De Québec, à Mademoiselle de Luynes, 29 septembre 1642. 302

L.68 De Québec, à son Fils (1), 1er septembre 1643. 306

L.84 De Québec, à l’une de ses Sœurs /, 3 septembre 1644. 313

L.87 De Québec, à la Mère Françoise de S. Bernard, 315

…Sous-Prieure du Monastère des Ursulines de Tours, 27 septembre 1644. 315

L.100 De Québec, à son Fils, 11 octobre 1646. 317

L.101 De Québec, à sa Nièce, la Mère Marie de l’Incarnation, Religieuse Ursuline de Tours, octobre 1646. 319

L.109 De Québec, à son Fils, été 1647. 324

L.116 De Québec, à la Mère Marie-Gillette Roland, Religieuse de la Visitation de Tours, io octobre 1648. 327

L.123 De Québec, à son Fils, 22 octobre 1649 329

L.132 De Québec, à un Père de la Compagnie de Jésus (1), 1er septembre 1651 [L’incendie] 340

L.135 De Québec, à son Fils, 13 septembre 1651. 343

136 De Québec, à son Fils, octobre-novembre 1651. 346

L.140 à la Communauté de Tours [sur Mère Marie de saint Joseph] 350

L.143. De Québec, à son Fils, 9 septembre 1652. 355

L.153 De Québec, à son Fils, 26 octobre 1653. 361

L.161 De Québec, à son Fils, 24 septembre 1654. 371

L.183 De Québec, à son Fils, septembre-octobre 1659. [Laval] 377

L.185 De Québec, à son Fils, 17 septembre 166o. 382

L.192 De Québec à son Fils, 2 novembre 1660 386

L.195 à son Fils, 16 septembre 1661. 389

L.201. De Québec, à son Fils, 10 août 1662. 393

L.216 De Québec, à son Fils, 29 juillet 1665. 395

L.222 De Québec, à son Fils, 22 septembre 1666. 402

L.242  à son Fils, 12 octobre 1668 404

L.243 De Québec, à son Fils, 16 octobre 1668. 406

L.247 De Québec, A son fils, 3o juillet 1669. 407

L.263 De Québec, au P. Poncet, Jésuite, 17 septembre 1670. 409

L.267. à son Fils, 25 septembre 1670 413

L.269 De Québec, au P. Poncet, Jésuite, 25 octobre 1670. [de la Peltrie - le voyage] 417

L.274 à son Fils, 8 octobre 1671 427

Correspondance « Indienne » 433

L.43 De Québec, à une Dame de qualité, 3 septembre 1640. 433

L.46 De Quebec, à la Mère Marie-Gillette Roland, Religieuse de la Visitation de Tours, 4 septembre 1640. 438

L.50 De Québec, à la Mère Ursule de Ste-Catherine, Supérieure des Ursulines de Tours, 13 septembre 1640. 439

L.53 De Québec, à la Mère Marie-Gillette Roland, Religieuse de la Visitation de Tours, 3o août 1641. 442

L.65 De Québec, à la Mère Ursule de Ste-Catherine, Supérieure des Ursulines de Tours, 29 septembre 1642. 443

L.80 De Québec, à son Fils, 26 août 1644. 453

L.97 De Québec, à son Fils, 29 août-10 septembre 1646. 460

109 De Québec, à son Fils, été 1647. 470

L.121 De Québec, à la Communauté des Ursulines de Tours, septembre 1649. 482

L.128 De Québec, à son Fils, 3o août 1650. 484

L.131 De Québec, à son Fils, 3o octobre 165o. 489

L.172 De Québec, à son Fils, 14 août 1656. 490

L.184. De Québec, à son Fils, 25 juin 166o. 492

L.196 De Québec, à son Fils, septembre 1661. 501

L.204 à son Fils [tremblement de terre] 505

Appendice 513

II De Québec, la Mère Cécile de Ste-Croix 513

…à la Supérieure des Ursulines de Dieppe, 2 septembre 1639. 513

…[la traversée et l’arrivée à Québec]. 513

VI La traversée des deux premières Ursulines de Paris 519

XIV De Québec, la Mère Marie de S. Joseph au R.P. Claude Martin, 1646 (?). 522

XXIV De Québec, Madame de la Peltrie à Dom Claude Martin, 165 5 522

XXXVII. De Québec, la Mère Marguerite de S. Athanase à Dom Claude Martin, 8 août 1672. 523

 

V. LIENS (MI-Bernières) 527

MI cite Bernières 527

Dans la Vie par dom Claude Martin : 527

Dans notre choix de la Correspondance de MI 528

L.34 De Paris, à la Mère Françoise de S. Bernard, Supérieure des Ursulines de Tours, 26 février 1639. 528

L.43 De Québec, à une Dame de qualité, 3 septembre 1640. 528

L.66  De Québec, à Mademoiselle de Luynes, 29 septembre 1642. 529

L.143. De Québec, à son Fils, 9 septembre 1652. 532

L.183 De Québec, à son Fils, septembre-octobre 1659. [Laval] 533

L.185 De Québec, à son Fils, 17 septembre 166o. 535

L.192 De Québec à son Fils, 2 novembre 1660 535

L.269 De Québec, au P. Poncet, Jésuite, 25 octobre 1670. [de la Peltrie - le voyage] 535

Bernières cite le Canada 547

6 Août 1641 L 2,6 Je suis aussi content de demeurer ici comme d’aller en Canada. 547

10 Janvier 1641 L 1,2 Imitez le pauvre et humble Jésus. 548

16 octobre 1643 Pensée sur la pauvreté et l’anéantissement. 548

15 février 1644 LMB Saint Maur 549

5 novembre 1654 L 1,46 Mon fond, c’est la seule lumière de la Foi. 550

16 Janvier 1657 L 2,31 Les trois degrés pour monter au sommet de la montagne. 551

12 Décembre 1658 L 3,20 Un pauvre chétif homme qui tend à l’anéantissement est capable de tout. 551

VI. DOCUMENTS (Québec) 553

Mme de la Peltrie 553

Annales de l’Hôtel-Dieu 555

Catherine de Saint-Augustin 559

Prière indienne 561

fin 563


 

 

 

 

 

 


 

 

PRÉSENTATION

Proviennent-ils de Paris ? ou de Rouen, seconde ville du royaume ?  De cités plus modestes : Caen et Tours ! Car tout repose sur quelques mystiques qui apparaissent ici ou là et pas forcément dans de grands centres culturels, politiques ou sociaux.

Tout commence à la fin du XVIe siècle lorsque le royaume de France sort avec Henri IV du choc entre protestants et catholiques [1]. En 1600 Paris compte environ deux cent cinquante mille habitants, Rouen est la seconde ville du royaume avec environ soixante-dix mille habitants, Caen a trente mille habitants (Paris doublera sa population à la fin du siècle, Rouen et Caen stagneront). C’est de Caen, dixième ville du royaume, que surgira un renouveau spirituel  à partir d’une maison sans prétention, construite et animée  par Jean de Bernières « dans la cour » d’un couvent d’ursulines dirigé par sa sœur aînée Jourdaine. Jean et Jourdaine sont dirigés par le Père Chrysostome de Saint-Lô, un franciscain.

Notre histoire va être celle du cercle né autour de ces figures. Nous les appelons Amis des Ermitages : Amis, car les contacts directs d’aide entre spirituels sont essentiels: on ne fait pas de feu avec une seule bûche. Ermitages, parce qu’il faut un foyer spirituel, un lieu concret facilitant les rencontres. Il y en eut deux, le premier foyer à Caen suivi d’une migration en Nouvelle France à Québec.

Ils prennent place au sein d’une tradition qui remonte au Moyen Age, tandis que l’on pourra suivre leurs successeurs en France jusqu’au XIXe siècle. Nous nous limitons à la première moitié du XVIIe siècle : des débuts normands aux émigrations vers le Canada. Ensuite les lignées divergent.

 

§

 

Nous présentons en première partie sous le titre I. FILIATION ET AMIS le cercle large de l’Ermitage normand. C’est la vision « horizontale » où nous accordons la plus grande importance aux mystiques fondateurs.

Comment s’opère la succession d’aîné à cadet ? C’est la vision « verticale » Nous reprenons les liens entre quelques fondateurs où nous centrons l’aperçu intérieur sur des II. DIRECTIONS MYSTIQUES dont celles de Bernières et de Mectilde par « notre bon père Chrysostome ».

 

Suivent des matériaux :

III. MEMBRES DU CERCLE NORMAND regroupe des extraits mystiques pour ses principales figures.

IV. MARIE DE L’INCARNATION regroupe des extraits de sa correspondance.

V. LIENS relevés entre Marie de l’Incarnation et Jean de Bernières.

VI. DOCUMENTS (Québec) extraits.

 

Mais tout d’abord présentons un tableau du réseau d’amis. Limité à quelques fondateurs, il est complété infra.

 Ce réseau des Amis de deux Ermitages - l’un situé à Caen, l’autre à Québec -, d’un Cercle de la Quiétude et de Bénédictines, présente les figures fondatrices autour desquelles s’assemblèrent de nombreux spirituels en « Ecoles du Cœur ».

Trois branches d’un « delta spirituel » se forment à partir de l’Ermitage animé par Jean de Bernières sous la direction de « notre bon père Chrysostome ». En Nouvelle France, animé par Mgr de Laval, dans le Cercle de la Quiétude créé par Monsieur Bertot pour être repris par Madame Guyon et par Fénelon, chez les Bénédictines du Saint-Sacrement, ordre contemplatif fondé par Mère Mectilde.

Ce diagramme résume notre synthèse d’une longue histoire de liberté qui relie religieux et laïcs dans une  tradition propre aux Tiers ordres franciscains. Elle se prolongera jusqu’à nos jours en terres catholiques et protestantes.


 


 


 

I. FILIATION ET AMIS

Quatre parties dans cette première présentation des FILIATION et des AMIS :

LES DEBUTS : Origine franciscaine,

LES AMIS DE BERNIERES : « L’école du Cœur »,

DISCIPLES et FILIATIONS en France, 

MIGRATIONS CANADIENNES.

LES DEBUTS : Origine franciscaine

Notre histoire commence dès la naissance de l’ordre franciscain. Il recouvre rapidement l’Europe et sont déjà plusieurs dizaines de milliers à la mort de François en 1226. En particulier son tiers ordre est très vivant. Pour contrôler des dérives possibles – il y avait eu du temps de François bien de mouvements de réforme, dont les pauvres de Lyon, les vaudois, etc., qui n’eurent pas eu la chance de François d’être accepté par un évêque ami devenu pape  - on créa en 1400  un Tiers Ordre Régulier.

Les deux tiers ordres - le laïc et le régulier - seront en interaction. C’est le secret d’une fécondité rare constatée au XVIIe siècle où deux mille membres du TOR occupent une place importante alors qu’ils sont très minoritaires au sein de cent mille franciscains français qui vécurent le siècle [2].

Le balancement de génération à génération entre clercs et laïcs est également remarquable. S’ajoute la variété des appartenances : franciscains, ursulines, jésuites, prêtres et laïcs se retrouveront en amitié à l’Hermitage de Caen construit par Bernières.

Nous commençons à l’arrivée en France de tertiaires réguliers et poursuivrons par une revue de ses amis.

La réforme française du Tiers-Ordre régulier.

Le père Vincent Mussart (1570-1637) en est l’artisan lorsqu’il découvre dans la bibliothèque du couple Acarie (Mme Acarie deviendra la première Marie de l’Incarnation cofondatrice des carmélites françaises) les commentaires du mystique Denys le chartreux (1402/3-1471) sur la troisième règle de saint François. Ceci se passe vers 1592/3. Il rencontre un ermite réputé, Antoine Poupon. La vie érémitique n’est pas facile à l’époque des guerres de religion:

Ils tombèrent entre les mains des Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris parce que le siège [de Paris, 1594] devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de prendre les deux hermites. Frère Antoine en eut avis secrètement par une Demoiselle prisonnière, le malade [Vincent Mussart] qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avaient mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément...

 Puis des compagnons se présentent : sept tertiaires vont suivre une année de noviciat et en 1595 le Tier-Ordre régulier renaît en France [3].

Antoine le Clerc (1563-1628)

Le rôle éminent d’Antoine le Clerc « sieur de La Forest » est souligné par l’historien du Tiers Ordre franciscain Jean-Marie de Vernon qui nous livre en 1667 un aperçu complet de sa vie [4]. Il couvre cinq chapitres ce qui est tout à fait exceptionnel puisqu’il ne se distingue ni par son rang au sein de la noblesse ni par quelque rôle éminent au sein de l’Église ou de l’Ordre.

Né de bonne famille à Auxerre, il mène une jeunesse aventureuse et doublement compromettante pour des yeux catholiques. L’historien nous avertit :

À vingt ans il prit les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s'adonnant principalement au droit […] Il tomba dans le malheur de l'hérésie [protestante][528] d'où il ne sortit qu'après l'espace de deux ans.

Le récit de sa conversion est le « coup de foudre » rapporté par le Père Jean-Chrysostome qui fait le compte-rendu de la conversion de son conseiller de jeunesse, ami « de maison et façonné aux armes » [5].

Le texte évoque les grandes peurs de la damnation que l’on rattache en général au Moyen Âge. Après le coup de poing initial donné par la grâce, la vie mystique est découpée en quelques grandes périodes ponctuées de moments charnières, dans une dynamique qui couvre la durée d’une vie. Une existence résumée en quelques paragraphes rend l’impression saisissante de force associée à la brièveté de toute condition.

Nous allons lire largement - nous ferons souvent de même favorisant le florilège mystique plutôt que l’étude historique – sans toutefois signaler oralement les coupures opérées dans le texte :

I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection [86] par les vues pensées de l’Éternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que, environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Éternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret.

II. Le lendemain, ayant l’usage fort libre de ses puissances, environné néanmoins de la vue d’Éternité, il s’alla confesser à un saint Religieux avec beaucoup de larmes et lui ayant révélé son secret, il en reçut beaucoup de consolation, car il était serviteur de Dieu et homme de grande oraison, qui avait eu révélation de ce qui s’était passé, et qui en se séparant lui dit : « mon frère aime Dieu un moment, et tu l’aimeras éternellement. » Ces mots portés et partis d’un esprit embrasé, lui furent comme une flèche de feu, qui navra son pauvre cœur d’un certain amour divin, dont l’impression lui en demeura toute sa vie.

III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans, dans plusieurs visions […]

IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême, qu’il s’en évanouissait.

V. Ensuite de cet état, il [89] demeura un an durant fort libre de toutes peines […]

VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie […] Ce qui lui donna un si extrême mépris des choses du monde […] [qu’il] ne pouvait comprendre comme les hommes créés pour l’éternité s’y pouvaient arrêter. [90]

VII. Ensuite […] il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute Éternité ; ce qui l’affligeait, avec des larmes de tendresse et d’amour, d’autant qu’il l’aimait si peu et avait commencé si tard. Il eut conjointement des vues fort particulières de la Sainte Passion.

VIII. Dans la dernière maladie, il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité.

Revenlons sur la biographie du « sieur de la Forest ».

Il possédait un talent utile dans le monde :

Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l'âge de vingt ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque éclata lorsque le cardinal du Perron le choisit pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay...

Mais mieux, charité, travail, vie intérieure approfondie, dons mystiques, se combinent, mais sans facilité :

[532] Un lépreux voulant une fois l'entretenir, il l'écouta avec grande joie, et l'embrassa si serrement, qu'on eut de la peine à les séparer. […] Une autre peine lui arriva, savoir qu'étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. [535] Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail…

Indice révélateur d’une vie mystique, le « soulagement » ou paix du cœur ressenti en sa présence :

Dieu lui révélait beaucoup d'événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste il avertissait les pécheurs […] marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient ; à d'autres il indiquait en particulier ce qu'ils étaient obligés de restituer […] Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières…

Une vie bien remplie s’achève en combattant courageusement la crainte du diable, mal dont tous étaient atteints au début du XVIIe  siècle (Benoît de Canfield, François de Sales…).

Voici par notre historien du TOR un récit typique des récits d’agonie qui termine la Vie et précèdent la revue des Vertus  dans les écrits hagiographiques d’époque :

Quatre mois devant sa mort étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s'entretenait sur [542] les merveilles de l'éternité : on tira les rideaux, et sa couche lui sembla parée de noir ; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé : cette horrible figure ne l'effrayant point […] il parla ainsi au démon : « […] garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit. » L'esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort ; ses forces diminuèrent toujours depuis […] il vit son âme environnée d'un soleil, et entendit cette charmante [au sens fort de charme] promesse de notre Seigneur : « Je suis avec toi, ne crains point. » Les flammes de sa dilection s'allumèrent davantage, et il ne s'occupait plus qu'aux actes de l'amour divin, voire au milieu du sommeil.

Plus sobrement le Père Jean-Chrysostome concluait ainsi :

VIII. Dans la dernière maladie, il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité. [91 des Traités de 1651]

Les proches bénéficièrent de l’agonie priante du mourant - il en sera de même à la mort de Jean-Chrysostome :

[543] M. Bernard [un ami] présent sentit des atteintes si vives de l'amour de Dieu, qu'il devint immobile et fut ravi. […] Le lendemain samedi vingt-trois de janvier […] il [le sieur de la Forest] rendit l'esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l'amour divin…

Puis :

on permit [544] durant tout le dimanche l'entrée libre dans sa chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venaient visiter en foule. Les religieux du tiers ordre de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté à Picpus.

 


 

 

 


 

 

 

Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646)

 

Voici page précédente un portrait conventionnel, mais prêtant une figure très attachante « à notre bon Père Chrysostome »,

La gravure figure en frontispice à la page de titre de l’ouvrage édité par Bernières à Caen d’écrits recueillis - difficilement - par la Mère Mectilde à Paris en son couvent de franciscains du TOR : tous n’étaient pas des amis du mystique… 

 

>> La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets), D. Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 pages.

 

§

 

Étant encore écolier, [Jean-Chrysostome] écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à Paris, il prit l'habit à Picpus…[6].

Ce rapport entre le sieur de la Forest et le jeune homme est un exemple des nombreuses relations qui se poursuivront entre le TO des laïcs et le TO des Réguliers : il n’y a pas de hiatus entre la vie intérieure et le monde. Alternent, par quelque bénéfique hasard, après le Père Vincent Mussart, Antoine le Clerc, sieur de la Forest ; puis le Père Jean-Chrysostome, Monsieur de Bernières, le prêtre Jacques Bertot, madame Guyon, l’archevêque Fénelon... (succession propre à l’une des filiations nées à l’Ermitage). Des relations directes les relient, mais n’ont souvent pas laissé de traces écrites [7]. 

Jean-Chrysostome de Saint-Lô est la figure centrale à laquelle se réfèrent les membres du cercle mystique normand, qui n’entreprennent rien sans l’avis de « notre bon Père Chrysostome ».  Seule l’humble « sœur Marie » des Vallées jouira d’un prestige comparable et attirera chaque année ses membres à séjourner auprès d’elle.

Ce que nous connaissons de la biographie de Chrysostome provient essentiellement de Boudon [8]. Les connaisseurs de l’école normande n’y ajoutent guère d’éléments[9]. Tout ce que nous savons sur Chrysostome se réduit à quelques dates, car si Boudon est prolixe quant aux vertus, il reste discret quant aux faits ! Sa pieuse biographie couvre des centaines de pages qui nous conduisent « de la vie aux vertus », mais le contenu spécifique au héros se réduit à quelques paragraphes.

Jean-Chrysostome naquit vers 1594 et étudia au collège des jésuites de Rouen. À dix-huit ans, il prit donc l’habit suivant l’avis du sieur de la Forest et entra le 3 juin 1612 contre le gré paternel au couvent de Picpus à Paris fondé par Mussart :

Le P. Chrisostome dit de St Lo [sic] naquit à St Fremond Basse-Normandie diocèse de Bayeux et fut nommé Joachim au baptême. Un de ses frères fut capucin et une sœur a été clarisse à Rouen de l'étroite observance. Joachim étudia à Rouen et y eut pour maître le P. Caussin, jésuite[10]. Étant encore écolier, il écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à Paris, il prit l'habit à Picpus. Son père fit ce qu'il put pour le faire sortir du cloître et y employa à cet effet un magistrat considérable du parlement de Normandie. Le jeune homme tint ferme...[11].

Après une vie de directeur[12], il traverse à son agonie un dernier dépouillement intérieur dont l’effet se communique, tout comme ce fut le cas d’Antoine le Clerc :

... L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut [le 26 mars 1646], fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher[13].

Les incompréhensibles « larmes » sont à rapprocher des « atteintes vives de l’amour de Dieu » ressenties auprès d’Antoine, comme des phénomènes proprement mystiques.

Jean-Chrysostome assura ainsi un rôle de passeur. En témoignent des lettres remarquables de direction adressées à Catherine de Bar et à Jean de Bernières sur lesquelles nous revenons en fin de journée. Elles éclairent une très vigoureuse conduite d’abnégation et de « désoccupation ». Son influence couvre la première génération du cercle spirituel : Jean de Bernières et sa sœur Jourdaine, Mectilde du Saint-Sacrement et Jean Aumont; les historiens ajoutent des figures extérieures à notre école : Vincent de Paul, J.-J. Olier…

 

 


 


 


 

LES AMIS DE BERNIERES : « L’école du Cœur »

Voici page précédente un portrait conventionnel, prêtant une figure de dévôt des plus sérieux à Monsieur de Bernières.

 

§

 

Réseau d’amis associant aînés et cadets, le « cercle mystique normand » basé à Caen se constitue donc autour de Chrysostome et de ses dirigé(e)s Jourdaine et Jean de Bernières. Nous reviendrons dans notre seconde partie des DIRECTIONS MYSTIQUES non seulement sur Jean-Chrysostome,  mais sur Marie des Vallées et Marie de l’Incarnation provisoirement « oubliés ».

La moitié des membres de « l’école du cœur » nés du vivant de l’initiateur Jean-Chrysostome sont directement rattachés aux courants franciscains. Le rayonnement de Jean de Bernières sur des amis qui séjournent dans son Ermitage est renforcé par son exemplaire pauvreté et sa charité, fondée sur l’oraison dans l’abandon à la grâce divine. Le réseau informel fut vivant par sa descendance dans deux ordres toujours actifs, l’un fondés par Catherine de Bar appelée aussi « Mère du Saint-Sacrement », l’autre par saint Jean Eudes.

Catherine fonde en Pologne ; Mgr de Laval  crée l’Ermitage du Nouveau Monde au séminaire de Québec ; M. Bertot confesseur aux ursulines de Caen puis aux bénédictines de Montmartre est à l’origine du cercle mystique [14] dont des membres quiétistes pénétreront plus tard des terres protestantes.

Quel nom donner à une telle association sans unité de conditions ni de liens canoniques (mais monsieur de Bernières « prit l’habit de notre ordre  [franciscain] » dit l’historien du TOR Jean-Marie de Vernon et il se plaignit de ne pouvoir vivre la pauvreté ; Mme Guyon prendra également vœu portant sur la pauvreté. Tous deux étaient issus de riches familles).

Les expressions d’Oratoire du cœur et d’Ecole de l’oraison cordiale apparaissent chez Bremond dans le chapitre qu’il consacre à Querdu Le Gall et à Jean Aumont (deux figures secondaires du réseau) [15]. Filiation mystique du pur Amour, insistant sur le lien de nature mystique qui exista entre aînés et cadets, et évitant la note intellectuelle attachée à École est malheureusement bien long. En ayant soin d’enlever la note affective attribuée à cœur depuis Rousseau et le Romantisme, nous adoptons la contraction en Ecole du cœur. Elle ouvre sur une pratique mystique de l’oraison.


 

 

 

Le tableau des deux pages suivantes dispose les noms des figures que nous allons rapidement présenter.

Verticalement chronologique (1ere colonne) il témoigne des influences d’aînés vers des cadets. 

Horizontalement il indique des compagnonnages.

Au centre une filiation Chrysostome - Bernières – Bertot – Guyon.

S’appuyant solidement à droite sur une colonne en grande partie féminine de Marie des Vallées, Jourdaine, Mectilde.

La dernière colonne concerne de près la Nouvelle-France, elle est largement à compléter et nous sommes avec vous pour apprendre !

À gauche des amis un peu plus autonomes, dont Eudes et Renty.

À souligner :

-Près  de trente figures choisies dans une foule dévote.

-La diversité des appartances (en italiques). De g. à dte et de ht en bas : jésuite, bénédictin, laïc, franciscain, laïque, ursuline, pour la seule première ligne. On y ajoutera la diversité franciscaine : TOR, capucin, récollet ; un prémontré, de simples prêtres…

Cette diversité explique une difficulté rencontrée jusqu’à aujourd’hui pour rendre compte de leur importance : pas de définition claire, pas d’Ordre fédérateur permettant une identification claire d’un objet d’études – s’ajoute l’ombre portée par la condamnation du quiétisme en 1699.

 


 

 

FILIATIONS ET AMITIÉS MYSTIQUES

Nés

avant

1600

 

 

J.-B. de Saint-Jure

Jésuite,

1588-1657

 

Dom Quinet

Bénédictin,

1595-1665

Antoine Le Clerc,

« le Sieur de la Forest »

1563-1628

 

« Notre bon Père » 

Jean-CHRYSOSTOME

Tiers Ordre Régulier franciscain,

1594-1646

Nés

de

1600

à

1620

St JEAN EUDES, fonde la Congrégation  des Eudistes,

1601-1680

 

GASTON DE RENTY, marié,

1611-1649

 

Charlotte le Sergent

Bénédictine à Montmartre

1604­-1677

 

Jean de BERNIÈRES,

 « Jean de Jésus pauvre »  fonde l’Ermitage   1602-1659 

 

M. Rocquelay prêtre,

secrétaire de J. de B. -1669

 

J.-F. d’Argentan,

 « coauteur » Capucin

1615-1680

 

M. de Gavrus -1691

 

Nés 

depuis

1620

Paulin d’Aumale,

Tiers Ordre Régulier franciscain, ?~1694

 

Henri Boudon prêtre,

1624-1702

 

Cl. la Colombière Jésuite, 1641-1682

M. Jacques Bertot prêtre,

1620-1681

(Ursulines Caen & Bénédict.Montmartre, le « directeur mystique »)

 

Mme GUYON,

1648-1717

FÉNELON,

1651-1715

 

 

 

Marie des Vallées

servante, « sœur Marie »

1590-1656

 

Jourdaine de 

Bernières, Ursuline

Mère de Sainte Ursule,

1596-1670

 

 

 

 

 

MARIE de 

l’INCARNATION

Marie Guyart-Martin,

Ursuline 1599-1672

Michèle

Mangon, Ursuline

Mère de la Conception,

~1600-1660

 

Mère MECTILDE,

fonde bén. du St Sacrt

1614-1698

 

Louys Épiphane

Prémontré,

1614-1682          

« Frère Jean » Aumont« le vigneron »

1608 -1689

 

Marie-Madeleine de la Peltrie

1603-1671

 

M. de Mézy

 

 

 

Dom Claude Martin

fils de M. de l’Inc.,

Bénédictin de Saint-Maur,

1619-1696

 

 

Archange Enguerrand

Récollet « le bon religieux franciscain »,

1631-1699

 

Mgr de LAVAL,

1623-1708



 

Explorons les figures dans l’ordre chronologique de leurs naissances. On ne pourrait que perdre le parfum intérieur c’est-à-dire l’essentiel en les rassemblant sous des habits communs d’appartenances religieuses ou de corps de pensée ou sous des thèmes fédérateurs issus par exemple de l’école historique des Annales.

Nous laissons pour l’instant de côté les deux grandes figures apparemment excentrées (au moins pour les Français du centre du Royaume !) de « sœur » Marie des Vallées et de Marie de l’Incarnation (« du Canada »).


 


 

Jourdaine de Bernières (1596-1645), la fondation et l’histoire d’un couvent d’ursulines.

Attachée à son frère cadet, Jourdaine sauvera sa mémoire, non sans rencontrer des contrariétés éditoriales. Son frère allait souvent parler à la communauté des ursulines et le bâtiment de l’Ermitage était situé « aux pieds » du couvent c’est-à-dire à son service (en fait dans sa cour, au même niveau).

Sur Jourdaine et la vie de « son » couvent, nous disposons de précieuses Annales du monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624… Ce long manuscrit sauvé par miracle [16] expose tardivement, mais avec intelligence sur la durée d’un siècle les vicissitudes vécues dans ce couvent ; en particulier les religieuses seront en butte à des jansénistes zélés, mais nous négligerons ce sujet. Nous citons plutôt que de gloser :

[La sainte famille Bernières]

Dès qu'elles [les religieuses destinées à la fondation] furent arrivées à Caen qui fut le sixième septembre 1624, on les conduisit à la maison que Mme de Bernières mère de la fondatrice avait mis par ses soins en état de recevoir les religieuses. Elles la trouvèrent garnie des meubles et autres provisions nécessaires, et quand il leur manquait quelque chose on n'allait pas plus loin que chez M. et Mme de Bernières qui fournissaient abondamment à tout, jusqu'à dégarnir un lit de taffetas cramoisi pour tendre le sanctuaire et faire un pavillon au Saint-Sacrement.

L'on sait quel fut leur fond de religion [à la famille Bernières], et avec quelle exactitude ils observèrent la loi du Seigneur. Il [le père de Jean] leur donna trois fils, le premier fut d'épée, et fit voir que la piété n'est pas incompatible avec les armes. M. D’acqueville (21) pris la robe et fut conseiller au grand Conseil. Il était d'une prudence et d'une probité extraordinaire, c'était le père des pauvres, et on peut dire que la charité lui procurera une mort prématurée, car étant maire de ville à Paris il voulut se procurer à la descente des bateaux remplis de soldats qui avaient des maladies contagieuses et pour […] les pressants entre ses bras pour les conduire à l'hôpital. Au retour il fut ?atteint de la même maladie dont il mourut. Pour Monsieur de Bernières de sainte mémoire qui était le troisième [fils], ses écrits le font assez connaître.

Cette maison que nos Mères occupèrent émit située en la rue Guilbert, elles y furent 12 ans tandis que sans interruption on travaillait à bâtir celle où nous sommes présentement.

 [Notre très honorée fondatrice Jourdaine de B.]

Dans son couvent des Ursulines, construit magnifiquement en 1624 avec l’argent de la famille,

Ce jour [d’engagement] qu'elle disait le plus heureux de sa vie fut le 30e de novembre 1626. (27) Elle ne voulut pas l'avancer d'un moment quoiqu'on lui offrit de faire venir une dispense de Rome aisée à obtenir eu égard à son âge, à ses talents […] La providence qui l'avait choisie pour gouverner cette maison en fit un exemple de régularité, d'obéissance, d'humilité. […] (28)

Après sa profession, on la vit courir sans relâche dans les voies de la perfection, et elle y fit de si grands progrès que peu de temps après, on l'établit maîtresse des novices […] Elle était si remplie de Dieu et avait tant de grâce pour en remplir les autres, que dans les instructions particulières et les exhortations générales, ces novices étaient pénétrés de la force et de l'onction de l'esprit qui parlait par sa bouche…

 [La peste et la retraite dans une maison des Bernières]

La peste qui désolait les environs de la ville de Caen entra dans notre maison, et y attaqua une sœur converse qui venait de faire profession. Aussitôt que cette pauvre fille sentit son mal, elle fit prier la mère de Sainte Ursule [Jourdaine] d'aller la trouver dans un lieu écarté. S'y rendant promptement et la malade lui ayant expliqué l'état où elle se trouvait la supplia de ne point approcher d'elle, disant qu'elle croyait que c'était la peste. Mais la charitable maîtresse sans s'effrayer du péril voulut voir l'endroit où elle paraissait […] et malgré les vomissements et les autres accidents qui tourmentaient cette fille, elle resta auprès d'elle tout le temps nécessaire pour la consoler et l'encourager à bien soutenir cette épreuve du Seigneur. Elle s'offrit même de l'assister jusqu'à la mort si on le lui voulait permettre. 16-(34) [17] la mère supérieure avertie de cet accident fit visiter la malade ; et dès qu'on eut aperçu que c'était la peste, elle fut séparée de la communauté avec deux religieuses une de chœur et une converse qui s'offrirent volontairement pour la garder.

Cependant les supérieurs jugèrent qu'il fallait transporter la malade hors la ville avec ses gardes, il s'agissait de trouver un lieu, chose qui n'était pas facile. Ce fut singulièrement en cette occasion que Monsieur de Bernières fit paraître la tendresse qu'il avait pour sa fille et pour sa chère communauté.

Il prêta donc une maison de campagne à demi-lieue de la ville pour y retirer la malade et celles qui l'assistaient, ou il eut soin de les faire visiter et consoler, en ne les laissant manquer d'aucune chose surtout des secours spirituels. M. le prieur de ?Venoix administra les sacrements à la malade, et communia plusieurs fois les deux religieuses qui étaient auprès d'elle. 17-(35) La malade mourut bien secourue en toutes manières. Celles qui l'assistaient n'eurent aucun mal, et revirent enrichies des mérites que leur charité leur avait acquis, faisant voir qu'on a rien à craindre où Dieu nous veut. Toutes les autres furent aussi préservées, mais ce ne fut pas sans de grandes attentions, et bien des mouvements.

On jugea nécessaire de faire sortir un grand nombre de novices, et toutes les pensionnaires, avec plusieurs religieuses pour les conduire. Monsieur de Bernières continuant ses bontés prêta une autre maison de campagne bien meublée et propre à les recevoir, mais par malheur il n'y avait point de chapelle ni de lieu propre à en servir. Elles furent obligées de faire leur oratoire sous une charterie qu'on orna le mieux qu'il fut possible. Là, comme dans le plus magnifique temple, on disait tous les jours la sainte messe. 18-(36) Elles y communiaient régulièrement deux fois la semaine, un père de la compagnie de Jésus, à qui en avait eu recours dès l'établissement allait entendre leur confession sous les ?vendredi. L'office divin y était récité aux heures marquées avec autant de piété que dans nos églises. Je ne peux cependant passer sous silence une particularité réjouissante […] leur sérieux y fut mis plus d'une fois à l'épreuve, par l'ignorance d'un homme qui leur servait de sacristain, lequel ne savait des réponses de la messe que le seul mot d'amen qu'il plaçait partout, de sorte qu'une religieuse était obligée de la répondre…

Apparaît ici la très discrète et austère Mère Michelle Mangon, grande spirituelle amie du Père Chrysostome:

[La Mère Michelle Mangon]

19-(37) La Mère supérieure avec celles qui étaient restées au couvent firent tout ce qui était nécessaire pour en ôter le mauvais air, et rappelèrent les fugitives qui avaient un empressement extrême de se réunir à elles. Le désir qu'eut la mère de Sainte Ursule de rester dans sa chère clôture fut si grand, et son détachement du monde si parfait, que passant auprès du logis de M. son père et de Madame sa mère, elle ne voulut point descendre du carrosse pour y entrer, quelque instance qu'on lui en fit, et quelque bonne que parussent les raisons qu'on lui disait. Elle crut qu'il n'en était point qui ne dussent céder à l'intention qu'elle avait de donner un exemple à la postérité. En effet le sien eut tant de pouvoir sur toute sa compagnie 21-(38) qu'aucune novice ne se voulut séparer des autres quoiqu'elles en fussent fortement sollicitées par leurs parents, mais rentrèrent toutes ensemble dans leur maison avec beaucoup de joie de voir réunies pour louer et remercier Dieu qui les avait préservés…

 [Maximes de Jourdaine]

Jourdaine devint supérieure du couvent dès 1630. Elle fit montre d’une belle autorité qui pouvait s’accompagner de conseils pittoresques : ainsi à propos d’une novice à éprouver, écrit-elle : « Mettez-la à bouillir… »[18].

Voici quelqu'une de ces maximes qu'on a eu soin de recueillir comme très propre à maintenir le bon ordre […] Qu'avons-nous à faire, disait-elle, de nous embarrasser du monde, il nous quitte plus volontiers que nous ne pensons. Ne nous faisons de sorte que le moins que nous pourrons. L'enceinte de nos murs peut suffire à notre béatitude. (51)-33 […] soyons religieusement observatrice du silence, et si attentives sur nos paroles que nous puissions compter les inutiles pour en rendre compte, puisque Dieu nous le demandera un jour. Le silence d'action n'est pas moins nécessaire pour se maintenir dans le recueillement. Cinquièmement ne manquons jamais à faire la retraite annuelle, les affaires temporelles n'en souffriront rien. Et soyons fille d'oraison, nous en serons plus utiles au prochain.

[Jourdaine et Chrysostome]

161 Cependant quelque soin qu'elle ait pris de se dérober à nous cacher les ferveurs et les grâces singulières qu'elle a reçues dans ses communications avec Dieu nous en pouvons apprendre quelque chose par son commerce de lettres avec le révérend père Chrysostome pénitent directeur de Monsieur de Bernières qui était à son égard, ce qu'était à Sainte Thérèse ce bon gentilhomme dont elle parle si souvent. Comme elle n'avait rien de secret pour lui, et que réciproquement il lui faisait part des lumières qu'il recevait si abondamment dans son oraison, ils se trouvèrent des rapports de grâce et de lumière qui les réunit tous la même conduite. La mère de la Conception [Jourdaine] lui donnait par écrit sa manière d'oraison, ses vues de perfection, ses sentiments intérieurs, les dons et les grâces dont Dieu l'honorait, particulièrement dans ses retraites, ses peines ses doutes, etc. et en un mot tout ce qui se passait de bon et de mauvais dans elle, comme le font toutes les âmes fidèles à se faire conduire sûrement dans les voies de Dieu ; monsieur de Bernières en consultait le père Chrysostome et ce sont ces réponses à une ursuline qu'on 162 trouve dans son livre des maximes et lettres spirituelles qui nous font connaître quelques traits de sa vie intérieure dont elle n'a laissé que peu d'écrits…

Ce fut elle qui obtint de leur saint directeur la communication des écrits de Monsieur de Bernières. M. Roquelay son fidèle secrétaire eu ordre de les lui ?remettre entre les mains, et comme elle était alors supérieure, elle les fit transcrire par les mains de sœur Charles et de Jésus. Nous en conservons deux tomes in-folio [malheureusement perdus], d'où l'on a extrait les deux parties du Chrétien intérieur qui ont été imprimées.

 [Jourdaine âgée élue pour la troisième fois]

… il s'agissait des intérêts de Dieu et de la religion, […] C'est ce qui lui fit refuser avec une fermeté inflexible deux religieuses du Port Royal, qui lui furent envoyées avec une lettre de cachet en l'année 1663. Elle les retint hors la clôture, tandis qu'elle envoya un exprès à Bayeux porter une lettre à monseigneur l'évêque rempli de si bonnes raisons pour se défaire des deux religieuses 149 qu'enfin elle gagna sa cause, elles furent envoyées ailleurs. […]

Elle a passé les jours et une partie des nuits à écrire des lettres pour envoyer au bout du monde à de saints missionnaires, avec lesquels elle avait des correspondances pour moyenner avec eux la conversion des peuples sauvages du Canada et de L'hybernie. […150] Il n'y avait rien de plus aimable que son commerce de lettres avec les personnes qui passaient dans la Nouvelle-France pour y cultiver ces jeunes plantes de l'Évangile qu'on y élevait, lesquelles se sentant redevables à ses bienfaits, lui faisaient des remerciements suivant leur génie capable de toucher et mettre en mouvement un aussi bon cœur que le sien.


 


 

Jean de Bernières (1601-1659)

>> Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et Dominique Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 200 pages. [septième livre du Chrétien intérieur et « Lettres à l’Ami intime ».]

>> Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par Dominique Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011, 518 pages.

>> Jean de Bernières, son influence sur l’histoire de la spiritualité », 381-421, & « Des éditions anciennes aux éditions contemporaines », 583-588, in : Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana »,  Editions Parole et Silence, 2013, 594 pages. [ce collectif assemblé par J-M. Gourvil & D. Tronc regroupe les contributions de dom T. Barbeau, J. Dickinson, J.-M. Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B. Pitaud, J. Racapé, dom E.de Reviers, D. Tronc, A. Valli.]

>> Jean de Bernières, Œuvres Mystiques II, Correspondance, Edition critique présentée par le P. Eric de Reviers, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ». [à paraître prochainement]

§

Il utilisa sa fortune à la fondation d’hôpitaux, de missions et de séminaires. Insensible aux différences sociales (il traite son serviteur en frère spirituel), il n’obéissait pas aux règles de l’époque concernant son rang :

Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital [...] porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice. [...] Il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui[19].

Le Directeur spirituel

Dans ses Lettres à l’ami intime[20], Bernières se dévoile, car bien que son ami prêtre Jacques Bertot soit plus jeune il lui parle à cœur ouvert des états les plus profonds vécus dans ses dernières années :

Je ne puis vous exprimer par pensées quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans le centre […] Plus Dieu s’élève dans le centre de l’âme, plus on découvre de pays d’une étendue immense, où il faut aller, et un anéantissement à faire, qui n’est que commencé : cela est incroyable, sinon à ceux qui le voient en Dieu même, qu’après tant d’années d’écoulement en Dieu, l’on ne fasse que commencer à trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir soi-même…[21].

Jean pratique un abandon intérieur qui ne l’empêche pas d’être très actif et en premier lieu de diriger ceux qu’il attire. Ce « directeur des directeurs de conscience[22] »  parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des hôtes de passage, maison qu’il a fait construire « au pied[23] » du couvent de Jourdaine :

Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger a avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes [24].

Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison [25].

Dans une lettre du 29 mars 1654, il précise ainsi le but d’une association pour laquelle il a construit un foyer d’accueil :

C’est l’esprit de notre Ermitage que d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et inconnue au monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

Nous achevons sur l’histoire d’

Une œuvre reconstituée et influente.

Jean de Bernières n'a écrit que des lettres et quelques notes personnelles prises au cours de retraites. On a fabriqué en les assemblant avec toute la liberté permise à l’époque L’Intérieur Chrétien, puis dès l’année suivante Le Chrétien Intérieur. Ce dernier titre entreprend une glorieuse carrière : « Le Chrétien Intérieur […] publié en 1661 […] atteint dès 1674 sa quatorzième édition et la même année le libraire Edme Martin estime qu’il en a vendu trente mille exemplaires[26] ».

Le texte atteint un public très large, car il est facile à lire. Il est plein d’onction. Un choix orienté par l’éditeur-corédacteur d’Argentan adapte le mystique à l’esprit de son temps. Aussi le titre se retrouve dans des bibliothèques même réduites. Ainsi  « la veuve de Pierre Helyot[27] [] détient les Fleurs des saints en deux volumes in-folio, le Chrétien Intérieur de Bernières-Louvigny, une Explication des cérémonies de la messe et une quinzaine d’autres petits livres de dévotion dont [] une préparation à la mort »[28].

L’Intérieur Chrétien (1659) est devenu Le Chrétien intérieur, ce dernier lui-même faisant l’objet de deux versions : « primitive » de 1660 et « tardive » de 1676 [29]. Succèdent des Œuvres spirituelles (1670) distinctes et fiables, enfin on ajoute aux Chrétiens des Pensées (1676). Des rééditions modernes sont disponibles ou en cours [30].

La grandeur mystique du trajet de l’abjection à l’abandon est évidente par la mise en ordre chronologique de la correspondance. Jean a réussi à rester très caché dans sa vie personnelle, mais de récentes contributions soulignent les multiples influences qu’il a exercées [31].


 

L’Ermitage

Reprenons ici la suite de citations des Annales du couvent  en commençant par ce qui concerne la pierre angulaire de l’Ermitage – réduit après un nettoyage post-quiétiste illustré par la reproduction figurant au verso de ce feuillet et qui s’ouvre par :

Il ne faut pas oublier la maison reconnue l'Ermitage que Monsieur de Bernières frère de notre révérende mère fondatrice fit bâtir dans l'avenue qui conduit de notre cours du dehors. [Barré : la communauté avait acheté le fond ?450 ? livres] ce bâtiment fut commencé en 1646 et achevé en 49. La communauté avait acheté le fond ?[illis.]? livres. Et il donna ?2000 ? [illis.] [barré : à la communauté] en demandant de [illis.]pendant sa vie dont il fit part à plusieurs ecclésiastiques qui demeuraient avec lui. Monseigneur de la Boissière qui a été évêque dans les pays étrangers M. Bertot qui a été notre supérieur en fût le second…


 

 

 


 

Large omission dans la copie du XIXe siècle de tout ce qui suit [32]. À partir d'ici le bas de page est barré ainsi que la page suivante, deux fois en croix !

110 …M. Roquelé [add.: secrétaire de Monsieur de Bernières] que nous pouvons mettre au nombre de nos bienfaiteurs y demeura longtemps. Il nous laissa en mourant non seulement une grande idée de ses vertus, mais encore de grands témoignages de son attachement pour la communauté, à laquelle il donna 1000 écus pour fonder une messe à perpétuité, dont celle du lundi, se dit pour la dernière décédée sur l'autel privilégié. De plus il nous envoya tous ses livres qui ont bien augmenté notre bibliothèque. Il nous donna aussi de

111 que [sic]…

Changement de main et discontinuité du sens : feuillet[s] enlevé[s] ? La numérotation est continue : 110-111, et donc postérieure au ms. lui-même plus ancien que sa copie du XIXe siècle citée en note. Le texte suit ainsi :

…que M. de Gavrus prenait la place de son ?saint oncle se retirât dans cette maison avec plusieurs gentilshommes pieux et détachés du monde comme lui, pour y faire revivre l'esprit de son saint fondateur. Le premier n'en sortait que pour visiter les ouvriers qu'il faisait travailler à l'église de l'hôpital général dans le qu'il avait la conduite, dès qu'elle fut ?rehaussée de bâtir, Dieu l'attira à lui, il en fit le lieu de sa sépulture et demanda d'être mis à l'entrée de la poste.

Messieurs de ?Moneanisi de Dampierre et Dargences leur succédèrent, ajoutant à la vie solitaire et intérieure des premiers hermites au milieu d'une ville, ce que la charité peut faire de plus utile pour le prochain ; qui est le service des pauvres. Ils pansent leurs plaies, les soignent et leur donnent toute sorte de médicaments ne trouvant point de plus grandes douceurs dans leurs travaux que le soulagement qu'ils donnent au plus dégoûtant.

 


 


 

Commençons une revue de figures remarquables associées à l’Ermitage en suivant l’ordre chronologique. Certaines sont à l’origine du grand mouvement mystique qui couvre plus de deux siècles en plusieurs branches d’un « delta spirituel » : branche canadienne par Marie de l’Incarnation et Mgr de Laval, branche religieuse de l’ordre des Bénédictines du Saint Sacrement fondé par Mectilde-Catherine de Bar, branche « quiétiste » animée par monsieur Bertot puis par madame Guyon et Fénelon… Sans oublier la congrégation des Eudistes dont la dépendance vis-à-vis de l’Ermitage est moindre.

M. Rocquelay prêtre (-1669)

Outre le passage que nous venons de citer, les mêmes Annales rédigées jusqu’en 1738 peuvent mettre plus aisément le secrétaire de Bernières en valeur que ce dernier qui a fait l’objet d’une condamnation post-mortem :

159..... Je trouve en 1665 une donation de cent livres de rente, fait à cette communauté par M. François Roquelay prêtre secrétaire et intime ami lequel voulant montrer de plus en plus sa singulière affection qu'il avait pour nous, il donna encore l'année suivante la somme de 2200 livres, le tout avec des conditions très avantageuses qui sont écrites dans les registres. Le chapitre s'engagea par reconnaissance à le faire participant de toutes nos prières et bonnes œuvres, et après sa mort, les mêmes messes communions et offices comme pour nos sœurs décédées.

Jean Eudes (1601-1680), missionnaire.

Jean Eudes est du même âge que Jean de Bernières et leur amitié durera longtemps. Il illustre l’esprit actif de tous les membres de l’Ermitage  et le « préquiétiste » Bernières s’usera plus vite encore à la tâche...

Originaire d’une famille paysanne, Jean Eudes entre à l’Oratoire et se distinguera par son assistance héroïque aux pestiférés qui sont isolés par peur de la contagion. Son biographe moderne nous explique : « Jean Eudes voulait assister  les malades : il ne pouvait donc rester dans les quartiers encore sains. Il décida de vivre comme ceux qu’il aidait. On les isolait dans les prés, abrités dans de grands tonneaux […] dans la vallée de l’Orne, les prairies Saint-Gilles appartenant à l’abbaye aux Dames […] c’est là qu’il priait, dormait, mangeait ; et l’abbesse, nous dit-on, venait elle-même lui servir ses repas [33]. »

Jean Eudes consacre ensuite son activité aux missions, évangélisant des diocèses normands [34]. Il quitte l’Oratoire pour pouvoir fonder une congrégation en vue de former des prêtres et prend en charge plusieurs séminaires, malgré l’opposition de ses anciens confrères appuyés par des jansénistes. Il trouve « lumière et encouragement » chez Marie des Vallées - on lui doit notre principale source sur elle, le fameux manuscrit de Québec -  ainsi qu’auprès de Bernières et de Renty.

Pour lui « l’amour, vie de Dieu, est l’alpha et l’oméga de toute réalité […] chacun est aimé sans mesure, d’un amour unique ». Notre cœur - symbole d’amour et d’intériorité mystérieuse qui fait « un seul être de tous les membres du corps mystique » - est fait pour « une très simple vue de Dieu, sans discours ni raisonnement ». Le sens profond que prend pour lui le mot « cœur » est remarquable, avant que ce terme d’origine physiologique, caractéristique du temps où l’on plaçait notre centre dans cet organe ne soit dévalué par des sensibilités imaginatives. C’est un symbole d’intériorité et d’amour.

Regardez votre prochain […] comme une chose qui est sortis du cœur et de la bonté de Dieu , qui est une participation de  Dieu, qui est créée pour retourner en Dieu [35].


 

Jean Aumont (1608-1689), pauvre villageois.

Autre disciple de Jean-Chrysostome de Saint-Lô, laïc membre du Tiers Ordre, Jean Aumont vécut dans le monde : il possédait peut-être un petit vignoble à Montmorency [36]. Il fut en relation assez étroite avec Catherine de Bar : le « bon frère Jean » aurait été envoyé en exil en 1646 par suite de son ardeur à propager les maximes de Jean-Chrysostome mort la même année (ceci laisse entrevoir des tensions fortes entre ces mystiques et leur entourage). Il est « tellement rempli de la divine grâce à présent, qu’il a perdu tout autre désir. Il se laisse consommer » dit-elle. Il rencontrera de nouveau Catherine à Caen en 1648 et à Paris en 1654.

Il nous a laissé un livre atypique [37], beau, original et savoureux, dont les illustrations (de même que les images publiées par Querdu Le Gall [38]) ont fait la joie de Bremond lorsque celui-ci présenta « le vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale ». Dans L’Agneau occis dans nos cœurs (1660) l’auteur est parfois trop abondant et imaginatif et son style est rocailleux [39]. Mais il recèle de grandes beautés et témoigne d’une « intelligence extrêmement vive, pénétrante et limpide au didactisme le plus subtil [40]. »

Cet homme apparemment si simple avait atteint les profondeurs de la vie en Dieu : il nous transmet son élan qui fait fi de tous les obstacles. L’ouvrage rare n’ayant jamais été réédité et reflétant avec originalité de suggestives représentations propres à l’ancienne astrologie médiévale, nous en livrons ici d’assez longs extraits. Tout d’abord une vive analogie imagée :

 Mais dites-moi de grâce si quelqu'un enfermé en votre cave, et frappant à la porte pour se faire ouvrir, vous alliez cependant au plus haut et dernier étage la maison demander qui est là : vous n'auriez sans doute aucune bonne réponse, car la grande distance du grenier à la cave ne permettrait pas que votre  ‘Qui va là ?’ fût entendu. Mais peut-être que cette personne-là n'ayant pas encore bien appris tous les lieux et endroits de la maison pourrait bien être excusée d'aller répondre au grenier quand on frappe à la porte de la cave, et ignorant principalement ces bas étages et lieux souterrains : c'est pourtant d'ordinaire où l'on a de coutume de loger le meilleur et le plus excellent vin ; mais assez souvent l'on se contente d'y envoyer la servante sans se donner la peine d'y descendre soi-même pour en puiser à son aise et se rassasier. Je veux dire que Dieu étant l'intime de notre intime [41], il frappe à la porte de ce fond et plus profond étage de nos âmes, et que partant il y faut descendre en esprit et par foi pour y écouter en toute humilité ce qu'il plaira à Sa divine Majesté de nous y ordonner pour son contentement, et ne nous pas contenter d'y envoyer la servante de quelque chétive considération, laquelle ne peut descendre jusqu'au caveau de l'Époux, mais seulement sans s'abaisser elle demande du faîte de la maison qui est là. […]

Voici donc, âmes chrétiennes, que tout le secret et l'importance de l'affaire de notre salut est qu'il faut bien apprendre et bien savoir une bonne fois pour toutes notre vie, que toute la beauté, le trésor et les richesses de l'âme chrétienne sont par dedans elle-même, et que c'est par ce dedans que Dieu nous frappe, et nous appelle d'une voix de père et de cordial ami [42].

Il faut enfin entrer, et se retirer en esprit, en foi et en amour dans notre église intérieure, d’étage en étage, de degré en degré, et de dedans en dedans jusques dans le sanctuaire divin. Et là l’âme toute ramassée et réunie en elle-même, et toute réduite à son point central, et toute passive et abandonnée aux impérieux débords du divin [31] amour, qui la pénètrent au-dedans et qui la revêtent et investissent de divinité, et ainsi, l’âme croissant en amour croît aussi en lumière…

[33] Enfin il faut avouer que Dieu aime infiniment le cœur humain, au fond duquel est la capacité amatique [d’aimer] propre à recevoir ce Dieu d'amour dans le fourneau de sa volonté : car comme Il est infiniment aimant, Il cherche des cœurs qui se veulent donner tout entier en proie à son divin amour afin que, les en ayant tous remplis jusques à en regorger, ils le puissent aimer en sa manière infinie avec son même amour.

Il faut passer  au-delà du fonctionnement « dans la tête » :

[57] C'est la maladie naturelle de l'homme de vouloir être homme raisonnant et à soi sans démission ; et roulant dans sa tête le chariot naturel de ses pensées, il se figure une foi plus imaginaire qu'infuse, et partant plus acquise que donnée, et ainsi avec certaine pratique spirituelle et non intérieure, puisqu'il ne tend pas en dedans au fond du cœur, mais demeurant seulement dans la nature du propre esprit bien policé et prudemment exercé par les temps, les lieux, les motifs, les actes, les sujets et les raisonnements sur tout cela ; et cependant on ne s'avise pas que l’on tient continuellement le dos tourné à Dieu et à ce divin soleil intérieur qui luit au fond de nos âmes, et dont ils ne sont point éclairés, parce qu’ils se tiennent la face de l’âme tournée en dehors sur leurs actes, sur les points et motifs des sujets et objets de leur méditation avec la roue du raisonnement, tout ainsi qu’un écureuil enfermé dans une cage en forme de roue qui court sans cesse à l’entour de soi-même, et n'entre jamais dedans, et ne cessant de tournoyer sans rien avancer, ni bouger d'un pas, ni sortir de sa place, ni même changer de posture ; ainsi fait l'homme qui cherche Dieu à la naturelle ne cessant de rôder, et tournoyer à l'entour de la roue de ses propres raisonnements...

Voici un développement à partir de belles images qui relie les forces intérieures à des figures astrologiques communes à une culture évangélique populaire :

De la souveraineté de la Foi sur toutes les lumières infuses les plus sublimes...[43].

…Dieu n'a rien fait que de parfait. Et comme il est en soi et de soi lumière éternelle, il va éclairant et illuminant toutes ténèbres, soit par lui-même, ou par causes secondes. D'où vient qu'il a posé au ciel de notre âme ses deux grands corps lumineux, la Foi et la Charité, pour y verser leurs influences et ordonner toutes les saisons. Et partant, la Foi nous y est comme une belle Lune, qui va nous éclairant parmi cette vastitude immense et ténébreuse qu'il y a à passer entre Dieu et nous ; et elle nous a été donnée de Dieu tout ainsi que l'Étoile d'Orient fut donnée aux Mages pour les conduire sûrement, et les éclairer pour chercher et trouver ce tendre Agneau de Dieu dans son palais de Bethléem, où elle disparut et s'éclipsa à l'abord de ce beau Soleil lumineux de l'Orient (403) éternel, tout nouvellement levé sur notre horizon pour y éclairer les épaisses ténèbres de la gentilité. Ainsi la Foi comme une belle lune attachée au ciel de notre esprit va éclairant et vivant parmi tous les étages de ce monde spirituel de degré en degré.

Mais tout ainsi que l'Étoile d'Orient disparut aux Mages lors de leur entrée en Jérusalem, de même [il] en arrive à l'âme recueillie et ramassée au fond de sa Jérusalem intérieure, de là où se lève ce grand corps lumineux de la Charité ; lequel comme un beau Soleil éclatant, ardent et tout lumineux et embrasant, fait éclipser la Foi pour ce moment par son abord enflammé, opérant et impérieux, et qui réduit et réunit toute lumière en son principe. En sorte que pendant ses grandes irradiations embrasées de la Charité dont l'âme est tout investie, pénétrée et abîmée en cet océan divin, la foi n'y paraît point pendant l'opération, quoiqu'elle y soit beaucoup plus noblement, et plus lumineuse, et comme vivifiée et éclairée de la Charité, qui fait la vie de sa lumière. Et tout ainsi qu'au lever du soleil toute la lumière des Astres s'éclipse, de même à l'abord du Soleil de la Charité, toutes les vertus comme lumières participées de ce grand corps éclatant et flamboyant de ses divines ardeurs, s'éclipsent pendant le temps et le moment de cette irradiation. Quoique la Foi s'éclipse et disparaît durant ces lumineuses irradiations de la Charité, elle ne laisse pas d'être toujours dans l'âme, même tenant le dessus sur toutes les lumières de la Charité, parce que nous croyons infiniment plus de Dieu par la Foi qu'il ne nous en est manifesté par ces excessives lumières d'amour.

L’ambition spirituelle est une qualité lorsqu’elle est bien comprise, affirmation qui est bien loin du dolorisme et que l’on entend rarement à l’époque :

[454…] Âme chrétienne, voulez-vous contenter votre démangeaison d'être ? Eh bien, soyez à la bonheur, mais en Jésus-Christ ; et ne soyez point jamais ailleurs ; car ce que vous ne pouvez être vous-même par nature, vous le pourrez être en Jésus-Christ par la foi, par sa grâce, et par son amour, et en vous rendant intérieurement à lui au fond de votre cœur : tout ce que vous ne pourrez apprendre ni atteindre par votre propre esprit, vous le pourrez savoir et appréhender par l'Esprit de Jésus-Christ. Car le Saint-Esprit donné à l'âme va anéantissant la créature pour la rendre en lui, et la faire grande et solidement savante. Non toutefois en comprenant ou atteignant par nous-mêmes les divins Mystères, mais en nous laissant comprendre à eux, ils nous conduisent et nous font entrer en Dieu, d'où ils sont sortis, et nous y font être créature nouvelle…

La souveraine liberté réside dans l’adhérence au divin attrait :

Et comme cet écoulement de l'âme en la Divinité est prévenu d'un puissant attrait intérieur, cela fait que l'on dit ne pas agir, quoique pourtant l'âme agisse toujours, mais d'une manière si simple et si libre qu’il ne paraît point à l'âme qu'elle agisse. Et à la vérité elle n'agit que d'un acte très simple, qui consiste en attention ou en adhérence au divin attrait ;

[…] il faut donc approcher de Dieu en esprit et par foi. Mais où, chères âmes ?  C’est au fond de votre cœur, là où vous vous devez retirer en silence et humilité, pour y recevoir l’illustration du pur Amour dans le miroir intérieur de votre âme, duquel rayon lumineux et clarifiant, est réimprimée en votre âme la divine ressemblance, laquelle vous ouvrira le droit héréditaire à l’héritage du Père ; et partant entrons dans le cabinet de notre cœur et y établissons notre demeure au plus profond de ce mystérieux désert [...] solitude qu’elle porte partout avec elle, où elle se peut retirer comme dans un monastère naturel, vivant et portatif...

 [603] Se tourner à l’opposite sur l’exercice naturel des puissances et s’en façonner des notions, raisonnements et affections, c’est de propos délibéré se façonner des idoles spirituelles, auxquelles on défère plus qu’à Dieu...


 


 

Gaston de Renty (1611-1649)

Gaston de Renty [44] reçut l’éducation d’un grand seigneur, se distingua en mathématiques et sciences naturelles, entra à dix-sept ans à l’académie militaire, fut marié à vingt-deux ans : le couple aura deux fils et deux filles. Il publie à vingt-huit ans un traité de la sphère céleste, une géographie, un manuel de fortification. « Tous les éléments d’une réussite mondaine sont réunis » - mais il veut se faire chartreux !

Découvert et ramené à Paris, il s’occupe de reconstruire des églises ! Sa mère, dont les projets sont ainsi ruinés, le poursuivra de procédures pour lui disputer l’héritage paternel. Il trouve le cadre de son action dans la Compagnie du Saint-Sacrement dont il est un supérieur exemplaire de 1639 à sa mort, multipliant les fondations charitables. Se levant à cinq heures, il peut également diriger des carmélites, une ursuline, une fille de Saint-Thomas, la présidente de Castille ; il fonde avec Henry Buch les Frères cordonniers en 1645, puis les Frères tailleurs. « Dans Paris inondé, glacé et assiégé, il porte  lui-même du pain à des pau­vres honteux dans des quatrièmes étages[45]. »

Son influence sera considérable au XVIIIe siècle, en particulier sur le fondateur du méthodisme John Wesley qui l’étudie lors de son séjour dans la Géorgie lointaine et qui tire un Abrégé très élaboré de sa Vie [46], ainsi que sur le quaker W. Penn, sur le groupe mystique guyonien d’Aberdeen, etc.

Ses lettres témoignent d’un profond équilibre spirituel et d’une grande paix, ce que ne laissait pas deviner sa biographie [47].

…tant s'en faut qu’elle [la grâce] nous restreigne à deux conditions qu'au contraire elle les sanctifie toutes. … Et je crois que ce serait une très grande erreur de vouloir faire changer une personne de son état et de sa condition pour lui faire trouver la perfection … Car il faut savoir que la grâce ne détruit pas la nature, mais la perfectionne [48].

…vrai renoncement de soi, qui consiste à ne se servir plus de sa propre prudence, prévoyance, ni de la capacité de notre esprit, mais met l’âme nue et dépouillée de tout dans l’abandon et la tutelle de l’esprit de son Dieu qui lui suggère en chaque temps et action ce qui est à faire et est son mouvement et sa vie; mais cet état doit être accompagné de paix, et d’une grande adhérence à Dieu dans son recueillement [49].

La paix mystique l’habite, il ne sait que suivre le mouvement de la grâce quand il s’agit de s’occuper d’autrui :

Pour ce qui me regarde, je n’ai pas grand-chose à dire. Je porte par la miséricorde de Dieu un fond de paix devant lui en l’esprit de Jésus-Christ, dans une expérience si intime de la vie éternelle, que je ne la puis déclarer: et voilà où je suis le plus tiré, mais je suis si nu et si stérile, que j’admire la manière où je suis, et en laquelle je parle. Je m’étonnais, comme parlant à la personne susdite, je commençais un discours sans savoir comme je le devais poursuivre, et disant la seconde parole, je n’avais point de vue de la troisième et ainsi des suivantes. Ce n’est pas que je n’aie la connaissance entière des choses en la manière que j’en suis capable, mais pour produire quelque chose au dehors, cela m’est donné et comme on me le donne, je le donne à un autre, et après il ne me reste rien que le fond susdit [50].

L’unité ou communion des saints est une réalité perçue ici-bas :

Il y a environ dix ou douze jours que m’étant mis à mon ordinaire le matin à prier Dieu, je sentais en moi-même n’y avoir aucune entrée: je me tiens là humilié... Lorsqu’il me fut donné à connaître qu’en effet j’avais l’indignité que je sentais, mais que je devais chercher en la communion des Saints mon entrée à Dieu... J’eus connaissance pour lors que Dieu et Notre Seigneur ne nous formaient pas pour être tous seuls et séparés, mais pour être unis à d’autres, et composer avec eux par notre union un Tout divin. Comme une belle pierre, telle que serait le chapiteau d’une colonne, est inutile, si elle n’est au lieu où elle est destinée pour tout l’ouvrage, et jusqu’à ce qu’elle soit posée et cimentée avec tout le corps du bâtiment, elle n’a ni sa conservation, ni sa décoration, ni en un mot, sa fin. Cela m’a laissé dans l’amour et dans la liaison véritable et expérimentale de la Communion et de la communication des Saints... [51].


 


 

Mectilde-Catherine de Bar (1614-1698)

 



 

>> Catherine de Bar 1614-1698 Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Les amitiés mystiques de Mère Mectilde, un florilège, Dominique Tronc [en préparation]

 

Catherine de Bar fit profession chez les franciscaines Annonciades en 1633 [52]. Nommée supérieure, elle fuit avec ses religieuses la guerre et l’entrée des Français en Lorraine et trouve refuge au monastère des bénédictines de Rambervilliers, puis à l’abbaye de Montmartre où elle passe l’année 1641. Établie à Caen, elle rencontre Jean de Bernières et tout le groupe qui l’entoure, dont Jean Eudes et Marie des Vallées. À cette époque Bernières lui écrit avec rudesse : vous n'êtes pas pourtant dans cet état [de pur amour], car l'on vous chérit trop

Elle reconstitue sa communauté à Saint-Maur-des-Fossés près de Paris en 1643. Elle se confie alors au père-Chrysostome de Saint­-Lô, qui « trou­vait plus de spiritualité dans le petit hospice de Saint­-Maur que dans tout Paris. » Elle demeurera en correspondance avec Bernières[53], de même que son nouveau confesseur Epiphane Louys (1614-1682), qui se liera également avec Bernières.

Elle traverse dans sa jeunesse les douleurs du vide :

3 juillet 1643. Monsieur, Notre bon Monsieur Bertot nous a quittées avec joie pour satisfaire à vos ordres. Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j'ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâces. Je deviens si vide et si pauvre, même de Dieu que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée laissant tout désir...

13 novembre 1643. …Il n'y a rien dans mon cœur. Je suis pauvre véritablement, mais si pauvre que je ne puis exprimer... [54].

C’est la préparation à une vie active accompagnant une longue montée spirituelle[55].

Approfondissement.

Bernières meurt en 1659 tandis que Mectilde va vivre encore pendant 39 ans. L’ascension mystique se poursuit au milieu d’une perpétuelle activité de la fondatrice et de dures épreuves intérieures. Maladie et délaissement marquent les dernières années qui nous laissent les plus beaux témoignages mystiques :

Oui, mes enfants, dans l'abandon il y a une grâ­ce ineffable qui conduit l'âme jusque dans le sein de Dieu [...] Je trouve néanmoins qu'il y a encore quelque chose de plus dans le délaissement que l'âme fait d'elle-même. Car dans l'abandon nous nous avons encore en vue, mais dans le délaissement nous nous perdons [...] Il y en a très peu qui se délaissent, parce que les re­tours que nous faisons sur nos intérêts nous font re­prendre ce que nous avions abandonné. Et voilà comme j'ai appris le délaissement : mon imagination, après deux ou trois jours de ma maladie, me présenta à mon jugement, et Dieu me fit la miséricorde de me mettre dans un état d'abandon et de délaissement. En ce même temps, mon âme me fut représentée comme une chiffe, et je voyais cette chiffe toute marquée de Dieu. Cela me fit comprendre que Dieu voulait que je me délaissasse ainsi que l'on fait d'une chiffe, qu'à peine relève-t-on de terre, ou du moins si on la relève, ce n'est que pour la mettre en quelque coin, et non pour la serrer dans un coffre. En vérité, mes enfants, il fait bon être chiffe ! [...] Dieu m'a renvoyée afin que je commence à vivre en simplicité comme un enfant, tout abandonnée à lui sans retour sur moi.