Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646)

 

 

Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise,

Fondateur de l’École du Pur Amour.

 

 

 

 

 

Dossier de sources transcrites et présentées

par Dominique Tronc.

 

 

 


 

 

Ce dossier contient de larges extraits prélevés dans les sources qui nous éclairent sur les débuts de «l’école du cœur» :

Présentation

Les débuts du tiers Ordre franciscain — Vincent Mussart — Notices                                (J.-M. de Vernon)

La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest                                      (J.-M. de Vernon)

L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome          (Henri-Marie Boudon)

Divers exercices de piété et de perfection                        (Chrysostome de Saint-Lô édité par M. de Bernières)

Divers traités spirituels et méditatifs                                       (Chrysostome de Saint-Lô édité par Mère Mectilde)

Deux directions : Monsieur de Bernières et Mère Mectilde             (Extraits prélevés dans les sources précédentes)

 

J’omets la transcription de près de la moitié des Divers exercices de piété et de perfection, gros assemblage de six cents pages d’écrits recueillis «de notre bon Père». Il s’agit d’exercices méditatifs et ascétiques. Ils soulignent les épreuves subies par Jésus-Christ, le modèle pour François d’Assise qui fut fidèlement repris à l’Ermitage de Caen. Ils constituaient des supports utilisés tous les jours et lors des retraites par les Associés de l’Abjection. Marquées par un esprit de grande humilité et de simplicité franciscaine, mais aussi par le dolorisme propre aux dévots du Grand Siècle, des sections sont écourtées lorsqu’elles s’avèrent répétitives et mettent alors mal en valeur la fraîcheur spontanée propre à la vie des mystiques. Par contre la dernière partie de l’assemblage livre les directions personnelles assurées par le P. Chrysostome. Elle est admirable.


 

Présentation

 

Jean-Chrysostome naquit vers 1594 dans le diocèse de Bayeux en Basse-Normandie, et étudia au collège des jésuites de Rouen. Âgé de dix-huit ans, il prit l’habit, contre le gré paternel, le 3 juin 1612 au couvent de Picpus à Paris[1]. Il fut confirmé dans sa vocation par un laïc, Antoine le Clerc, sieur de la Forest : ce dernier est donc le probable «ancêtre» du courant spirituel de l’Ermitage qui passe par Chrysostome, par Bernières et Mectilde-Catherine de Bar, et par bien d’autres dont Monsieur Bertot, Madame Guyon.

Les origines et le sieur de la Forest (1563-1628)

Un aperçu biographique intéressant nous est donné par l’historien du Tiers Ordre franciscain Jean-Marie de Vernon, qui consacre très exceptionnellement plusieurs chapitres à Antoine le Clerc[2] :

À vingt ans il prit les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s’adonnant principalement au droit. [...] Il tomba dans le malheur de l’hérésie [528] d’où il ne sortit qu’après l’espace de deux ans. [...] Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l’âge de vingt ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque éclata lorsque le cardinal du Perron le choisit pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay. [...]

[532] Un lépreux voulant une fois l’entretenir, il l’écouta avec grande joie, et l’embrassa si serrement, qu’on eut de la peine à les séparer. [...] Une autre peine lui arriva, savoir qu’étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. [535] Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail. [...]

Dieu lui révélait beaucoup d’événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste [sur lequel J.-M. de Vernon s’étend longuement, citant de multiples exemples], il avertissait les pécheurs [...] marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient; à d’autres il indiquait en particulier ce qu’ils étaient obligés de restituer. [...] Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières. [...] [537] Le père Chrysostome de Saint-Lô […] a reconnu par expérience en sa personne la certitude des prophéties du sieur de la Forest, quand une maladie le mena jusques aux portes de la mort, comme elle lui avait été présagée. [...]

Quatre mois devant sa mort, étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s’entretenait sur [542] les merveilles de l’éternité : on tira les rideaux, et sa couche lui sembla parée de noir; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé : cette horrible figure ne l’effrayant point, il consacra tout son être au souverain Créateur. Il parla ainsi au démon : «Je sais que tu es l’ennemi de mon Dieu, duquel je ne me séparerai jamais par sa grâce : exerce sur mon corps toute ta cruauté; mais garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit.» L’esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort; ses forces diminuèrent toujours depuis et il tomba tout à fait malade au commencement de l’année 1628. Les sacrements de l’Église lui furent administrés en même temps. À peine avait-il l’auguste eucharistie dans l’estomac qu’il vit son âme environnée d’un soleil, et entendit cette charmante promesse de Notre Seigneur : «Je suis avec toi, ne crains point.» Les flammes de sa dilection s’allumèrent davantage, et il ne s’occupait plus qu’aux actes de l’amour divin, voire au milieu du sommeil.

[543] M. Bernard [un ami] présent sentit des atteintes si vives de l’amour de Dieu, qu’il devint immobile et fut ravi. [...] Le lendemain samedi vingt-trois de janvier [...] il rendit l’esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l’amour divin. [...] On permit [544] durant tout le dimanche l’entrée libre dans sa chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venaient visiter en foule. Les religieux du tiers ordre de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté à Picpus.

Le maître caché des mystiques normands

Le Père Chrysostome de Saint-Lô a été plus négligé encore que Constantin de Barbanson. Pourtant, «les indices de l’influence de Jean-Chrysostome sont de plus en plus nombreux et éclairants : le cercle spirituel formé par lui, les Bernières, Jean et sa Sœur Jourdaine, Mectilde du Saint Sacrement et Jean Aumont (peut-être tertiaire régulier) auxquels les historiens en ajouteront d’autres (de Vincent de Paul à Jean-Jacques Olier), a vécu une doctrine d’abnégation, de «désoccupation», de «passivité divine[3]».

Il est la figure discrète, mais centrale à laquelle se réfèrent tous les membres du cercle mystique normand, qui n’entreprennent rien sans l’avis de leur père spirituel (seule «Sœur Marie» des Vallées jouira d’un prestige comparable). Ce que nous connaissons provient de la biographie écrite par Boudon[4], et les connaisseurs de l’école des mystiques normands Souriau[5], Heurtevent[6], plus récemment Pazzelli[7], n’ajoutent guère d’éléments. Tout ce que nous savons se réduit à quelques dates, car si Boudon est prolixe quant aux vertus, il est discret quant aux faits. Sa pieuse biographie couvre des centaines de pages qui nous conduisent, suivant le schéma canonique «de la vie aux vertus», mais le contenu spécifique au héros se réduit à quelques paragraphes.

Il assura le rôle de passeur entre l’ancien monde monacal et un monde laïque. En témoignent des lettres remarquables de direction de Catherine de Bar et de Jean de Bernières. Nous en reproduirons (pour la première fois) certaines dans les chapitres suivants consacrés à ces disciples.

Lecteur en philosophie et théologie à vingt-cinq ans, il fut définiteur de la province de France l’an 1622, devint définiteur général de son ordre et gardien de Picpus en 1625, puis de nouveau en 1631, provincial de la province de France en 1634, premier provincial de la nouvelle province de Saint-Yves, en 1640, après que la province de France eut été séparée en deux.

Le temps de son second provincialat étant expiré, on le mit confesseur des religieuses de Sainte-Élisabeth de Paris, qui fut son dernier emploi à la fin de sa troisième année [de provincialat]. [...] Au confessionnal dès cinq heures du matin, il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À peine quelquefois se donnait-il lieu de manger, ne prenant pour son dîner qu’un peu de pain et de potage, pour [y] retourner aussitôt[8].

Il alla en Espagne par l’ordre exprès de la Reine, pour aller visiter de sa part une visionnaire, la Mère Louise de l’Ascension, du monastère de Burgos. Voyage rude imposé par un monde qui n’est pas le sien :

Libéral pour les pauvres […] il ne voulait pas autre monture qu’un âne. […] Dans les dernières années de sa vie il ne pouvait plus supporter l’abord des gens du monde et surtout de ceux qui y ont le plus d’éclat[9].

Aussi, libéré de son provincialat, il éprouve une sainte joie et ne tarde pas à se retirer :

Il ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits et les mettre dans une besace dont il se chargea les épaules à son ordinaire [...] passant à travers Paris [...] sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui prenaient ses avis[10].

Il enseignait «qu’il fallait laisser les âmes dans une grande liberté, pour suivre les attraits de l’Esprit de Dieu […]; commencer par la vue des perfections divines […]; ne regarder le prochain qu’en charité et vérité dans l’union intime avec Dieu[11]». Il eut de nombreux dirigés :

L’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis [...] courir avec ferveur. [...] La première est feu M. de Bernières de Caen. [...] La seconde personne [...] qui a fait des progrès admirables [...] sous la conduite du Vénérable Père Jean-Chrysostome a été feu M. de la Forest [qui] n’eut pas de honte de se rendre disciple de celui dont il avait été le maître[12].

Enfin, après cette vie intense, l’incontournable chapitre terminant la vie d’un saint ne nous cache aucunement l’agonie difficile :

Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint-Maur [...] pour y voir la Révérende Mère du Saint Sacrement [Mectilde de Bar], maintenant supérieure générale des religieuses bénédictines du Saint Sacrement. Pour lors, il n’y avait pas longtemps qu’elle était sortie de Lorraine à raison des guerres, et elle vivait avec un très petit nombre de religieuses dans un hospice. [...] Elle était l’une des filles spirituelles du bon Père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie : il passa environ neuf ou dix jours à Saint-Maur, proche de la bonne Mère. [...] Au retour de Saint-Maur, [...] il entra dans des ténèbres épouvantables. [...] Il écrivit aux religieuses : «Mes chères Sœurs, [...] il est bien tard d’attendre à bien faire la mort et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi. [...] C’est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection de mourir avec de la paille. [...]» L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut [le 26 mars 1646, âgé de 52 ans] fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher[13].

Je vais maintenant livrer l’intégralité de ses écrits. Ils nous sont parvenus en deux livres rares publiés au milieu du dix-septième siècle. L’importance de leur direction mystique justifie de lire l’ensemble de style sévère proche des écrits du Moyen Âge. Il s’agit de méditations et de retraites qui introduisent à la grandeur divine.


 

Les débuts de l’Ordre & Vincent Mussart

 

Pages 114 et suivantes de :

Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize,

Tome Troisiesme,

Par le R.P. Jean Marie de Vernon, Penitent,

Traité préliminaire où l’on voit la naissance du tiers Ordre de saint François, tant Seculier que Regulier; la distinction des Provinces, et l’établissement des couvents[14].

 

À Paris Chez Georges Josse, ruë saint Jacques, à la couronne d’Espines.

M.DC.LXVII.


 


 

(Pages 114 et suivantes)

Article XVIII. La restauration des tertiaires réguliers en France en 1595 par le révérend père Vincent Mussart ou de Paris.

... Il s’appelait Vincent Mussart et naquit à Paris dans la paroisse Saint-Germain l’Auxerrois le 13 mars l’an 1570. Ses parents de condition médiocres… Son père homme sérieux semblait lui être contraire dans ce dessein... Étant sadique des pères capucins de Paris nouvellement établi, il eut bien désiré qu’il se fût rangé de ce côté-là : mais Dieu en disposa autrement. ... Il reçut le sacrement de confirmation avec la tonsure, à Paris, de l’évêque de Lusignan, l’an 1588... L’habit érémitique qu’il prit dès lors lui donna lieu de s’associer avec un jeune homme qui entrait dans ses sentiments.

Quelque temps après il se trouva renfermé dans la ville de Chartres, que le roi de Navarre qui depuis a monté sur le trône du royaume de France sous le titre de Henry IV, tenait assiégée... On le vit courir à la brèche, la pique à la main pour la défendre, et animer les défenseurs à la persévérance : une volée canon ayant brisé cette arme, il ne perdit pas courage; quoi que le sang et la cervelle de plusieurs, qui furent tués à ses côtés, plus tout souillé lui-même par leur ordre jaillissement, il persista dans le combat avec tant d’adresse et de magnanimité, que le roi de Navarre qui commandait dans le camp des assiégeants, le remarqua, l’admira et demanda son nom....

... Après la prise de cette ville par les hérétiques, s’en retourna à Paris, où il entra dans diverses confréries, comme des pénitents gris qui avaient Saint-François pour leur patron.

... Il courut dans son désert ordinaire, où il conçut de grandes espérances du succès de l’ouvrage auquel Dieu l’appelait, par la rencontre d’un ermite nommé frère Antoine Poupon, qui demeurant non beaucoup loin de Paris, il avait acquis de la réputation par sa bonne vie; une vertueuse demoiselle flamande, qui était du tiers Ordre séculier, lui administrait ce qu’il avait de besoin. Ces deux confrères aspirants à une plus haute perfection établirent leur domicile pour quelque temps dans la forêt de Sénart entre Corbeil et Melin : ils avaient là une petite chapelle qui leur servait d’oratoire, et leur logement ne consistait qu’en un chétif appentis qu’ils sanctifiaient par la pratique des vertus et par leurs prières ferventes et assidues. Ne se voyant pas assez écartés du monde, comme ils croyaient, à cause de la proximité d’un grand chemin, ils se transportèrent au Val-Adam, environ à quatre lieux de Paris.

Article XIX. Le père Vincent de Paris surmonte des difficultés extrêmes dans le rétablissement du tiers Ordre Régulier.

La première contrariété lui fut suscitée par les chanoines réguliers d’une abbaye voisine, qui se persuadant que ce jeune homme d’un esprit excellent établirait quelque congrégation trop proche d’eux, ne lui permirent pas de séjourner davantage sur leurs terres. La deuxième année du siège de Paris qui tenait pour la Ligue, Henri IV, environnant cette grande ville avec son armée, les deux bons ermites n’en pouvaient tirer aucun secours : toute la nourriture consistait alors en désert les racines sauvages qu’il rencontrait dans leur solitude. Le père Vincent quoi que ravi de souffrir pour l’amour de Dieu en devint malade le jour de l’Assomption de Notre-Dame l’an 1592. Sa maladie ayant duré l’espace de trois mois, Dieu le consola intérieurement dans une communion par des grâces extraordinaires qui le fortifièrent pour endurer avec constance les outrages qu’exercèrent sur lui le lendemain les voleurs, qui après l’avoir traité inhumainement, emportèrent tout ce qui était dans leurs cellules.

Cet accident l’obligea de s’efforcer avec son compagnon de trouver entrée dans Paris. Ils tombèrent entre les mains de Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris, parce que le siège devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de pendre les deux ermites. Frère Antoine en ayant eu avis secrètement par une demoiselle prisonnière, le malade qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avaient mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément. La faiblesse de celui-là les arrêta tous deux le reste de la nuit derrière un vieux bâtiment non loin du lieu d’où ils sortaient. Dès que les suisses furent partis, Antoine portant Vincent sur ses épaules une partie du chemin, ils arrivèrent à Paris accablé de peines et de fatigues, auquel celui-ci participait davantage à cause de ses infirmités qui s’étaient accrues par le pain noir et l’eau dont il usait pour sa réfection depuis un long temps.

Les médecins qui le visitèrent dans sa maison paternelle jugèrent sa maladie incurable.

De fait dès qu’il eut recouvré sa guérison entière, il retourna dans son Val-Adam où Frère Antoine était en d’extrêmes souffrances. D’autres se joignirent à lui en ce même temps, principalement son frère appelé François Mussart, et un jeune homme de Langres nommée Jérôme Seguin.

La Providence de Dieu les conduisit à Franconville sous le bois, du diocèse de Beauvais... Monsieur l’évêque de Beauvais... Leur fuite expédiée d’amples patentes pour l’établissement d’un monastère en ce lieu de Franconville... Le père Vincent tachant plus que jamais de découvrir la volonté de Dieu, connue par le rapport de frère Antoine, que la manière de vivre de la demoiselle flamande, qui le faisait autrefois subsister par ses aumônes, consistait dans la troisième règle de Saint-François-d’Assise : après une exacte recherche, il trouva celle qui a été confirmée par Nicolas IV... Ayant visité plusieurs bibliothèques de Paris, il rencontra dans celle de Monsieur Acarie, Marie de sœur Marie de l’Incarnation, avant qu’elle entra dans l’ordre des Carmélites, les commentaires du docteur extatique Denis Rykel Chartreux, sur la troisième Règle de Saint-François.

... Aux quatre associés déjà nommés se joignirent [suis une liste de 13 noms]...

Article XX. Le progrès de la congrégation gallicane depuis le commencement de sa réforme.

Le nombre des imitateurs du père Vincent de Paris, croissant non seulement par l’association des six qui firent les vœux essentiels avec lui et des autres que j’ai nommés déjà; mais encore de quelques nouveaux venus, il établit un monastère à Paris avec la permission de l’évêque, l’an 1601 en un lieu vulgairement appelé Picpus, de la paroisse Saint-Paul, à l’extrémité du faubourg de Saint-Antoine, et sur le grand chemin qui conduit au château du bois de Vincennes.... [Recours au Saint-Siège, etc.... Premier chapitre à Franconville le 14 mai 1604]

 

 (Page 187)

[Élection du P. Chrysotome provincial de France]

... En 1634 le père Elzéar fut continué visiteur pour la troisième fois. On élut le père Chrysostome de Saint-Lô provincial de France; le père Vincent de Rouen, celui d’Aquitaine. En 1637...

 

(Pages 244-245)

§. XXII. Les personnes remarquables de la province de Saint-François [Vincent de Paris annote Denis le Chartreux]

... Le révérend père Vincent de Paris, réformateur de notre congrégation gallicane, était un personnage autant accompli que nous en ayons vu dans notre siècle... C’est assez maintenant que je parle de ses écrits. Ces annotations sur les commentaires de Denis le Chartreux, surnommé Rikel, qui a interprété notre règle, sont dignes d’être lues, non seulement pour les lumières qu’il donne sur ce sujet; mais encore pour les instructions qu’il propose, afin de faciliter la pratique de toutes les vertus. Il a composé un livre de l’oraison mentale qu’il intitule, Théologie mystique,...


 

 

 

Notice sur le P. Chrysostome

 

Pages 624 à 626 de :

Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize,

Tome second, Les Vies des Personnes illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI & XVII,

Par le R.P. Jean Marie de Vernon, Penitent,

À Paris Chez Georges Josse, ruë saint Jacques, à la couronne d’Espines.

M.DC.LXVII.

 


 


 

13. Le Père Chrysostome de Saint-Lô causa une extrême douleur à notre compagnie par son décès qui arriva le 26 mars 1646 au couvent de Nazareth situé dans Paris. C’était un véritable enfant de Saint-François, par l’amour de sa propre abjection, et par son entier détachement du monde. Il faisait grand honneur à notre compagnie, alliant ensemble le bon sens et la profonde science avec la simplicité évangélique; la tranquillité de la contemplation, et la fidélité aux exercices réguliers, avec l’administration des affaires de son ordre.

Son éloge est renfermé dans la souscription de son Image, qui fut imprimé après sa mort par le commandement de nos supérieurs, avec ce peu de paroles : «le père Chrysostome de Saint-Lô, religieux pénitent du tiers Ordre de Saint-François, grand contemplatif, consommé de l’amour de Dieu, du zèle de sa gloire et de ses grandes pénitences, mourut âgé de 52 ans le 26 de mars 1646.» La lettre qu’écrivit l’illustrissime archevêque de Reims, Éléonor d’Étampes, l’une des plus fortes têtes de notre clergé de France, dès qu’il eut appris son décès, déclare de quelle manière on le vénérait. Elle s’adresse au père Oronce de Honfleur [page 629, notice : «... qui est décédé dans son cinquième provincialat, au couvent de Nazareth à Paris le 27 avril 1657 en son âge de 61 ans… C’était l’un des hommes du monde le plus propre à gouverner les autres. Il commandait de bonne grâce, mêlant heureusement la suavité avec la force], pour lors notre provincial.

«À Reims le 22 avril 1646.

Mon révérend père quand j’ai reçu celle qu’il vous a plu m’écrire, je savais déjà la perte que nous avons faite du bon père Chrysostome : cette triste nouvelle m’a fait beaucoup de peine et me donne beaucoup de déplaisirs, tant à cause de l’estime particulière que je faisais de sa personne, que parce que votre province perd en lui un puissant protecteur. Je sais combien grande étais l’amitié entre vous deux, ce qui fait que je vous plains dans cet accident; mais il se faut consoler dans cette considération, que la fin de sa vie lui a fait obtenir la récompense de sa vertu et de ses bonnes actions. Il est bien heureux : ainsi, ne doutons pas qu’il ne prie Dieu pour nous; pour moi j’aurai toujours affection pour votre province, et je lui rendrai mes services tant qu’il sera dans mon pouvoir. Je vous prie d’en assurer le révérend père Irénée, et me croire en votre particulier, mon révérend père, votre très affectionné à vous rendre service, L. d’Étampes, Ar. de Reims.»

L’un des meilleurs esprits de notre siècle, bien persuadé des mérites du père Chrysostome de Saint-Lô, composa l’épitaphe suivant à sa louange :

«Hic jacet in silentio, qui dum vixit, in omni virtutum genere eminuit...»

Ces témoignages étant donnés par des hommes illustres et désintéressés, ne peuvent être révoqués en doute[15]. Le père Chrysostome avait l’approbation universelle des grands et des petits. Les reines Marie de Médicis et Anne d’Autriche, estimaient sa vertu et ses lumières. Monsieur de Châteauneuf, garde des Sceaux, l’avait pris pour son professeur. Plusieurs autres de haute condition et naissance le révéraient en cette qualité. Ses écrits de dévotion ravissent encore aujourd’hui les lecteurs; tâchons d’imiter son exemple.


 

La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest

 

Pages 527 à 544 de :

Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize,

Tome second, Les Vies des Personnes illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI & XVII,

Par le R.P. Jean Marie de Vernon, Penitent,

À Paris Chez Georges Josse, ruë saint Jacques, à la couronne d’Espines.

M.DC.LXVII.

 

 


 

Jean-Marie de Vernon publie l’histoire des Tiers Ordres franciscains menée jusqu’au milieu du XVIIe siècle en trois fort volumes. Il ne consacre qu’une très faible fraction à des laïcs, surtout lorsqu’ils ne sont ni reines, ni rois, ni nobles. Au-delà de simples paragraphes, tel celui citant l’associé Bernières[16], on ne trouve, en ce qui concerne les figures liées par des vœux simples -- nombreux à venir dans la filiation et incluant madame Guyon --, que les cinq pleins chapitres exposant «La vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest».

Malgré une présentation hagiographique conventionnelle sur des débuts dévots se dessine une figure mystique douée et originale, dont on devine l’influence exercée sur des personnalités nombreuses, dont celle du futur Père Chrysostome. Elle est attestée ainsi pour ce dernier par Boudon dans un passage que nous reproduirons[17]  : «Nous avons dit comme M. de la Forêt ne rebutait pas ses lettres, et voulait bien même lui faire réponse. Mais quelques années après, ce jeune écolier [Jean-Chrysostome] s’étant fait religieux, et ayant été envoyé à Paris, il eut une sainte liaison avec ce grand serviteur de Dieu [Antoine], qui ayant découvert en lui des lumières admirables qui lui étaient données pour mener les âmes à Jésus-Christ, et qui étaient accompagnées d’une haute sainteté, il n’eut pas honte de se rendre disciple de celui dont il avait été le maître, et de se mettre sous sa conduite. Le Père composa sa vie après sa mort, dans laquelle il a décrit dignement ses éminentes vertus et les grâces signalées qu’il avait reçues de Dieu.» Cette Vie par Chrysostome ne nous est pas parvenue, mais fut peut-être à la source de la notice étendue de J.-M. de Vernon :

Chapitre premier. Sa jeunesse et sa science.

Auxerre ville de Bourgogne l’a vu naître le 23. De septembre l’an 1563. Les titres vérifiés au Parlement de Paris prouvent qu’il descendait en droite ligne de Jean Leclerc chancelier de France; et la Bourgogne produit des monuments authentiques de la noblesse et de la vertu de ses ancêtres. Son éducation fut heureuse par le soin de ses parents, qui l’élevèrent dans la crainte de Dieu et lui procurèrent d’habiles maîtres, qui le remplirent de toutes les belles connaissances convenables à son âge. À 20 ans il pris les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s’adonnant principalement au droit. Cet emploi ne modérant par les vices de sa jeunesse, il tomba dans le malheur de l’hérésie, 528 d’où il ne sortit qu’après l’espace de deux ans. Le souvenir des périls qu’il avait encouru dans les combats, où quelques-uns de ses compagnons furent tués et d’autres grièvement blessés, lui servait de méditation. La pensée de n’avoir reçu aucune blessure la plus légère parmi tant de hasards, allumait doucement dans son cœur les flammes d’une dilection céleste.

La passion de devenir savant l’excitait à s’adresser à Dieu, qui lui découvrait des secrets admirables, quoiqu’il fût alors engagé dans la servitude du péché. Admirons les ordres de la Providence de Dieu, qui l’attirait suavement à son service par des lumières intérieures qui l’éclairaient et lui faisaient connaître sa volonté, sans le tirer de ses désordres, tant il y était attaché. Quelquefois la nuit il sentait de vives atteintes au fond de son cœur, qui l’éveillaient et l’obligeaient de se prosterner en terre, et de répandre des torrents de larmes. La vanité pourtant et l’attachement monde triomphait de son âme. Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l’âge de 20 ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque, éclata lorsque le cardinal du Perron le choisît pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay. Antoine Leclerc était bon philosophe, grand théologien, fort versé dans l’Écriture Sainte, dont il citait en toute rencontre de longs passages sans hésiter. On ne vit jamais un historien plus accompli. Sa mémoire était des plus fermes et plus heureuses. Il possédait ces hautes sciences par son travail propre sans l’aide d’aucun maître.

Sa principale perfection consistant au droit, il 529 en donna des preuves, quand après les guerres de la ligue, où il prit l’épée, il se trouva en cet état à la réception d’un Conseiller du Parlement de Paris : chacun ayant parlé sur la question proposée, le soldat harangua avec permission, d’une manière si nette, si solide et si éloquente, qu’il ravît ses auditeurs; de sorte qu’on le déclara Docteur en droit, on l’admit au nombre des avocats, et la Cour le supplia de régenter publiquement; de quoi il s’acquitta dans une acclamation universelle. De tous les livres qu’il a composés en grand nombre, nous n’en trouvons d’imprimés, que des expositions de l’Écriture Sainte, un commentaire sur les Loix royales, sur les mœurs des douze Tables, et les Canons de l’ancien droit romain, bref une défense des puissants de la terre. Les hérétiques espérant beaucoup d’appui de sa personne, lui offrirent durant qu’il tenait leur parti une charge de Conseiller de la Cour, qu’il refusa, pour abjurer son hérésie. L’instrument de sa conversion a été une sage demoiselle qu’il épousa depuis. Il en eut la première vue à Tours durant les troubles de la ligue, qui les obligèrent de quitter Paris : elle lui rendit là des visites en une extrême maladie, d’une manière forte édificative. La paix étant faite ils retournèrent à Paris, où par bonheur ils se trouvèrent loger en une même maison; ce qui facilita leurs honnêtes entrevues et donna lieu à la prudente demoiselle d’entretenir notre Antoine de l’avantage des enfants de l’Église romaine, quand elle sut qu’il était hérétique. Les assistances qu’il recevait dans ses infirmités corporelles, disposait son esprit à écouter ses discours, qu’il ne souffrait d’aucun autre. Il s’appliqua en même temps à la lecture 530 de la Bible, avec tant de bénédiction, qu’étant touché, il témoigna à son hôtesse un puissant désir de se convertir. Les ministres apprenant cette nouvelle n’osèrent plus paraître devant lui, dans la crainte de ne pouvoir résister à ces attaques ni à ses lumières. Il s’alla donc jeter aux pieds de son véritable Pasteur, curé de la Madeleine à Paris, pour demander l’absolution de ses péchés, et fit publiquement entre ses mains l’abjuration de son hérésie.

 

Chapitre II. Ses exercices de piété.

Son mariage l’ayant entièrement éloigné des débauches, sa vie était dans un ordre admirable. Ce commencement de vertu fut comblé des faveurs célestes, que Dieu lui communiquait volontiers pour l’encourager à la persévérance. Il ne trouvait en tous ces exercices de piété, que des douceurs et du calme. Ses yeux versaient souvent des larmes en abondance, dans le regret de ses iniquités anciennes. Pendant l’espace de plusieurs années, son plus ordinaire emploi consistait à examiner sa conscience attentivement, à se confesser, et former des actes de contrition, avec une tendresse et ferveur nonpareille. Il fut heureux dans la rencontre d’excellents confesseurs, qui contribuèrent par leurs sages avis à le perfectionner. Cet esprit de componction le détachant de la terre, il ne se délectait plus qu’à penser au ciel et à s’entretenir de la vie spirituelle.

Les scrupules l’inquiétant dans l’entrée de sa conversion 531, ses inquiétudes cessaient par l’obéissance qu’il rendait à son directeur. Sa profonde science ne lui a jamais ôté son humilité, l’ayant toujours soumis aux sentiments des autres. Son naturel ardent et impétueux devint par la vertu extrêmement doux et facile. Dans les occasions qui le pouvaient échauffer, il gardait le silence; d’abord son visage montrait un peu de tristesse, durant qu’il combattait sa passion, puis il rentrait dans son humeur agréable. Son corps participait aussi aux règles de la mortification : les austérités, les jeûnes, les veilles, les rudes disciplines lui étaient ordinaires : mais les fâcheuses et longues maladies jointes à ses oraisons continuelles, l’affaiblissait plus que tout le reste. Il ne se passait point d’année que ses infirmités ne conduisissent presque jusqu’à l’agonie. Ses souffrances ne tirèrent jamais la moindre plainte de sa bouche, non pas même un médiocre soupir qui témoignât sa douleur. Cette tranquillité extérieure était un indice évident du calme et de la force de son âme. Sa plus ordinaire maladie était une squinancie [esquinancie : inflammation de la gorge], qui ne lui permettait pas de parler ni de respirer qu’à peine d’espace de huit jours, ni de prendre aucune nourriture.

Le chirurgien étant un jour près de percer l’enflure de la gorge, qu’il trouvait extraordinaire, appela la femme du malade et ses enfants, les suppliant de le recommander à Dieu. Les larmes de sa famille touchèrent tellement le vertueux Antoine, qu’il demanda sa guérison à notre Seigneur, qui la lui accorda. L’abcès s’ouvrant aussitôt sans effort, il lava sa bouche, se mit à genoux hors du lit, et après avoir rendu grâces à Dieu, il dit à sa femme : «Ne vous affligez plus, je suis guéri pour toujours.» Ce qui s’est trouvé véritable. Sa 532 charités envers le prochain paru dans ses aumônes, qu’il ne refusait jamais, quand il avait de quoi donner. Si les richesses temporelles lui manquaient, il assistait les misérables par ses conseils et ses prières. Il croyait que pour avoir secouru un prêtre dans son extrême nécessité, Dieu l’avait favorisé de ses grâces particulières.

Un lépreux voulant une fois l’entretenir, il l’écouta avec grande joie, et l’embrassa si serrement, qu’on eut de la peine à les séparer. Il tremblait visiblement à l’aspect des prêtres qui le visitaient, à cause de la sainteté de leur caractère : les tirant à l’écart, il leur demandait la bénédiction à genoux, et les priait d’imposer leurs mains sur sa tête, et d’en faire autant à ses enfants. Il lavait les pieds des religieux qui logeaient chez lui; ses larmes étant les témoins de sa particulière satisfaction à leur rendre cet office. La vanité n’avait aucune part dans son cœur. Ses discours pieux touchaient les plus rebelles; il avait une grâce singulière pour persuader le mépris des grandeurs du monde : la conversation des pauvres et des petits lui agréait infiniment. Si les grands et les riches abordaient, quoiqu’il ne les rebutât^point, Il se tournait néanmoins plutôt du côté des autres.

Voici la conduite de sa journée. Dès le matin à son réveil, il récitait des Psaumes à voix soumise; se revêtant de sa robe de nuit, il se prosternait le visage contre terre pour adorer son Créateur; il s’habillait psalmodiant encore ou méditant; puis il allait faire une heure d’oraison mentale dans son oratoire; de là s’acheminant à l’église pour entendre la messe, il n’en sortait que pour dîner. L’après-dîner se passait à lire ou exposer l’Écriture Sainte, ou bien à répondre à ceux qui le consultaient. Il 533 retournait à l’oraison mentale devant souper; et après un médiocre débandement d’esprit, ayant dit le chapelet, il s’appliquait derechef à la méditation et à l’examen de conscience. Il ne manquait jamais devant que de se coucher, et en se levant, à la sortie, et à l’entrée de son logis, de saluer le visage contre terre une image de la Vierge qu’il nommait sa bonne maîtresse. Les pèlerinages de Sainte-Geneviève, de Notre-Dame de Paris, où était sa demeure, de Notre-Dame des Vertus, de saint Maur, lui étaient fréquents. Il avouait que ces dévotes pratiques lui avaient impétré de notables secours. Il se confessait souvent, et par l’avis de son confesseur, il communiait tous les jours en ces dernières années.

Chapitre III. Son degré d’oraison, et son esprit prophétique.

Quoiqu’il apporta du commencement toute la diligence imaginable pour disposer son esprit à ce divin exercice, il ne laissât pas d’y trouver des difficultés. Enfin une personne de haute vertu lui annonça que Dieu le voulait élever dans la voie extraordinaire et suréminente. L’état de l’Église universelle lui fut depuis manifesté, dès sa première méditation, où l’ancienne méthode qu’il avait observée jusqu’alors lui fut ôtée. Dans la seconde, il connut la disposition présente du royaume de France, et ce qui lui devait arriver dans les années suivantes. Il s’étonnait de la lumière que Dieu répandait en son âme pour résoudre les questions qui lui étaient proposées; ainsi qu’il l’a déclaré 534 à son directeur qui a écrit sa vie. L’apparition de la sacrée Vierge l’ont souvent instruit sur les matières qui lui devaient être proposées dans les consulte et sur les secrets de l’éternité. Tantôt elle tenait l’Enfant Jésus entre ses bras, tantôt elle était accompagnée d’apôtres et de vierges. Il s’est quelquefois trouvé environné comme d’un soleil, qui lui représentait l’humanité de Jésus-Christ, dont la vision le consolait en certaines rencontres, le fortifiant dans ses combats et lui révélant des merveilles. On a vu durant sa méditation un pigeon blanc sur sa tête, qui figurait l’onction intérieure opérée par l’Esprit divin.

La crainte d’être trompé le rendait circonspect à ne pas croire légèrement que ces lumières fussent véritables et certaines. Il prenait avis de tous ceux qu’il savait être illuminé d’en haut. Ils jugèrent tous sa voie hors de péril et fort agréable à Dieu. Par leur conseil il écrivit à la mère Anne de Saint-Barthélemy : la réputation de sa sainteté et le bonheur d’avoir été compagne de sainte Thérèse, furent cause qu’ayant établi en France l’ordre des Carmélites, elle passa en Flandre pour le même sujet. Ayant reçu la lettre de notre Antoine, elle l’assura qu’il devait demeurer en repos, puis qu’il n’y avait nulle tromperie dans sa conduite, qui était fondée sur une humilité profonde. Il consulta le père Dominique de Jésus Maria, grand serviteur de Dieu, quand il vint à Paris : celui-ci le confirma dans sa manière de vivre, qu’il jugea conforme aux lois de l’Évangile.

Une autre peine il lui arriva, savoir qu’étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu, qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. 535. Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail. Il se confia néanmoins en la Providence de Dieu, qui fit subsister sa maison par les libéralités de la reine Marguerite de Valois, qui l’honorera d’une charge de Conseiller et maître des Requêtes de sa maison, avec un appointement de 1500 livres ordinaires. De plus, Dieu donnant sa bénédiction à son petit revenu, sans interrompre le repos de sa vie contemplative, il vécut toujours dans la bienséance. Dieu lui révélait beaucoup d’événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste, il avertissait les pécheurs de se confesser de leurs iniquités cachées; de faire des confessions générales pour réparer les défauts des précédentes, où ils avaient celé tels péchés qu’il spécifiait. Il marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient; à d’autres il a indiqué en particulier ce qu’ils étaient obligés de restituer : ils admiraient tous cette découverte de leur intérieur, qu’ils n’avaient manifesté à personne. Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières.

La mère Claire de Besançon, première supérieure du couvent de Sainte Élisabeth à Paris, ayant d’extrêmes douleurs en une nuit, et craignant d’être tombé en impatience, le vertueux de la Forest, qui connut divinement cette peine, l’assura par une personne expresse, qu’elle n’avait pas offensé Dieu, et qu’elle continuât de porter sa croix avec courage. Une âme vraiment pénitence se trouvant en un lieu fort éloigné, dans des combats et des traverses, le sieur de la Forest les apprit en communiant : à la même heure il la consola et exhorta à la persévérance, lui écrivant que Dieu 536 avait remporté la victoire en elle, et l’excitant à fréquenter le sacrement de pénitence, et à réciter souvent l’Ave Maria, le Gloria Patri, ou proférer intérieurement «O doux Jésus», sans remuer les lèvres. Les desseins que plusieurs personnes avaient de quelques ouvrages à la gloire de Dieu lui étant communiqués, on admirait ses réponses : soit qu’il les animât à la poursuite, soit qu’il les détournât, ou qu’il les fit différer; les succès montraient toujours que ses pensées venaient d’en haut.

Si on le consultait sur les entrées en Religion, il prédisait ce qui arrivait, l’interruption ou l’achèvement du noviciat, jusqu’au vœu solennel. Un jeune homme frappant à sa porte afin de consulter sur le choix de l’Ordre, il lui vint au-devant, sachant son désir par révélation, et lui conseilla d’aller au Carmes déchaussé, où il a vécu en bon religieux. Une jeune demoiselle voulant être religieuse au monastère de Saint Élisabeth à Paris, et se recommandant à ses prières pour ce sujet, il lui prédit les difficultés qui lui survinrent durant son noviciat, et qu’elle ferait néanmoins profession; la vérité s’en est ensuivie. Un religieux du tiers Ordre de Saint-François, le consulta sur son intérieur, le sieur de la Forest l’avertit qu’il mourrait en telle année. La prophétie s’accomplit précisément, lorsque ce bon père ayant été envoyé à Rome par ses supérieurs, il y décéda au temps qui avait été prophétisé.

La vie qu’il donna au père Bernard, prieur du collège de Cluny, de finir les livres qu’il composait, à cause de la proximité de sa mort, eu son effet, lorsque trois mois après une violente maladie l’emporta. Le père Athanase Bénédictin de la congrégation de saint Maur, se voyant attaqué de 537 pulmonie, voulait quitter sa fonction de lecteur en théologie pour se préparer à la mort : notre Antoine l’assura que s’adressant à Sainte-Geneviève il serait guéri, ce qui arriva. Le père Chrysostome de Saint-Lô, son confesseur, gardien du couvent de Picquepus, personnage d’un singulier mérite, a reconnu par expérience en sa personne, la certitude des prophéties du sieur de la Forest, quand une maladie le mena jusqu’aux portes de la mort, comme elle lui avait été présagée par celui qu’il dirigeait : toutes les circonstances de cette prédiction eurent leur accomplissement.

Un ami le priant de recommander à Dieu le procès d’une dame de qualité : «la voulez-vous bien obliger?» Répondit-il, excitez-là à se disposer à la mort, qui est proche. L’événement justifia cette réponse. Rencontrant une demoiselle de son voisinage qu’il allait visiter, il dit secrètement à sa femme : «Avertissez-là de s’en retourner promptement en son logis, et de se confesser d’avoir souffert à sa table les discours de quelques hérétiques contre l’Église, parce qu’elle paraîtra bientôt devant Dieu.» Ayant mis ordre à ses affaires, et reçu les sacrements, elle sortit du monde.

Chapitre IV. Continuation du sujet précédent.

La maladie d’un grand favori, éloignée de deux cents lieues, lui fut annoncée par un billet durant qu’il était en oraison : sans le lire ni l’ouvrir, il écrivit la réponse sur le dos, assurant que le personnage 538 était mort, et que cela ne causerait pas grand changement. Le courrier apporta le lendemain la nouvelle de ce décès, et tout s’effectua selon la parole du saint homme. Madame de Guise le supplia de recommander à Dieu le mariage de Monseigneur le duc d’Orléans avec Mademoiselle de Montpensier, qu’elle croyait presque rompu. Après une communion dans quelque pèlerinage il répartit : «Quelque délai qui arrive à cette affaire, elle s’achèvera; mais la joie en sera courte.» De fait la jeune princesse trépassa dans sa première couche, au commencement de la seconde année des noces. Le dessein qu’une dame de qualité avait pour le cloître lui était connu; il dit néanmoins à quelqu’un digne de foi dans cette conjoncture : «Ses proches lui ôteront bientôt cette pensée.» La haute faveur qui arriva quelque temps après dans cette famille, donna une autre face aux affaires, et la Dame n’eut plus le désir d’être Religieuse.

Une princesse ayant recours à ses prières : «Ah, que de traverses lui sont préparées», s’écria-t-il à quelqu’un de sa suite, «les objets les plus chers la feront grandement souffrir!» On en vit les effets quand le prince son mari s’enfuit dans les pays étrangers et qu’elle fut bannie de la cour. Un grand seigneur Chevalier de Malte, se plaignant qu’on ne l’employait pas et que ces prétentions ne réussissaient point, le sieur de la Forest dit : «Paul se joindra à Pierre en vous; ne m’en demandez pas le temps : c’est à Dieu seul de le connaître.» La dignité de cardinal où fut élevé depuis ce gentilhomme par Urbain VIII, a montré que le serviteur de Dieu parlait en esprit prophétique. L’année 1622, une demoiselle de Champagne souffrait 539 des convulsions très violentes, son corps se courbant en forme d’un arc, et la tête se rejoignant à ses pieds, malgré les efforts de plusieurs personnes qui la voulaient arrêter. Le sommeil et les aliments lui étaient interdits par cette violence. Les médecins avouèrent que leurs remèdes étaient inutiles; et un villageois confessa l’avoir ensorcelée. Un Religieux de notre Ordre qui assistait la malade depuis deux mois manda cet accident au vertueux Antoine. Avant que de lire la lettre du Père, il dit au porteur : «Elle n’en mourra pas, quoiqu’elle ait reçu les derniers sacrements.» Il répondit par écrit, qu’elle devait réitérer sa confession, faire célébrer la messe en l’honneur de la sacrée Vierge, de Saint-Joseph, de l’Ange gardien et de Sainte Clotilde. L’exécution de ces conseils la remit aussitôt en santé; et dès qu’elle pût user du carrosse, elle vint conférer avec son libérateur, et lui proposer des difficultés qu’il démêla d’une manière toute divine.

La compassion envers les âmes du Purgatoire le touchait beaucoup; et il déclarait franchement à son confesseur qu’il avait de grandes connaissances de leur état. L’enterrement d’un personnage qualifié se faisant à Picpus, il était présent, et dit à un homme de confiance, que le défunt demeurerait longtemps dans les flammes; mais qu’il était parti de ce monde en grâce, à cause de sa charité envers les pauvres. Il invitait chacun à prier pour les morts, soutenant que c’était un admirable expédient pour obtenir la bénédiction de Dieu dans toutes nos affaires.

Un parfait religieux son intime ami, étant décédé, il connut l’immense degré de gloire qui lui était préparé, après qu’il aurait achevé la pénitence, 540 qui consistait dans un pressant désir de voir Dieu, en châtiment de ce qu’en sa dernière maladie il n’avait pas assez désiré cet infini bonheur. Un autre religieux de sublime vertu lui apparut après sa mort entrant dans le ciel. Il répartit au messager qui recommandait à ses prières un Religieux malade : «Celui dont vous me parlez est hors de ce monde et bienheureux.» «Votre mère, dit-il à une fille, n’a plus que quinze jours à vivre, prenez-y garde; Dieu lui réserve une ample récompense en l’éternité.» L’effet fut conforme à sa prédiction, et il connut par révélation qu’elle posséderait le salaire des saintes veuves.

Monsieur Bernard, surnommé le Pauvre prêtre, tant célèbre dans nos jours pour la ferveur de son zèle, lia une étroite amitié avec notre pieux Antoine, dont il mendiait les lumières en toute rencontre. S’entretenant un jour ensemble des effets de l’amour divin, le vénérable prêtre tomba en extase. Le sieur de la Forest par son humilité a tenu beaucoup de faveurs célestes cachées, obéissant à ses directeurs qui lui conseillèrent le silence.

Chapitre V. Sa préparation à la mort.

Les discours de cette fin dernière lui agréaient infiniment, et les souhaits de la pleine vue de Dieu faisaient ses plus suaves délices. Ayant réglé ses affaires temporelles, il ne pensait plus qu’à Dieu, et au soulagement des pauvres, auquel il invitait avec des instances nouvelles tous ceux qui 541 l’abordaient. Il fit son testament six mois devant sa mort, élisant sa sépulture dans l’église des religieux du tiers Ordre de Saint-François à Picpus les Paris, en la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce. Il pria le père Chrysostome de Saint-Lô, gardien de ce couvent et son confesseur, de l’admettre au rang des tertiaires : ce qui fut exécuté en sa dernière maladie. Depuis ce temps-là son esprit était tellement transformé en Dieu, qu’il n’avait aucune attention à tout ce que les créatures disaient et faisaient autour de lui. Sa volonté devint si étroitement unie à celle de Dieu, qu’il avait une simplicité enfantine, quant aux effets pour son entière soumission, non quant au principe d’agir, qui consistait en une sapience divine.

Les démons le tourmentèrent dans son intérieur par leurs fausses visions, et en le sollicitant au péché; voire même dans l’extérieur par de cruels assauts. «Dieu veut, dit-il une fois son confesseur, que l’Enfer me crible, afin d’éventer la paille qui est en mon âme. Sa bonté divine fasse que je sois enfin un petit grain de sa table éternelle.» Il crut une fois être destitué de tout secours, et que son âme était presque abandonnée aux iniquités les plus énormes; ce qui lui causa une étrange mélancolie. Un soir après avoir récité le chapelet, montant en son cabinet pour faire sa méditation, le démon le précipita au bas de l’escalier avec une violence nonpareille. On courut au bruit, et lors qu’on le croyait mort, on le trouva riant et sans aucune blessure : «La Vierge, s’écria-t-il gaiement ayant la tête en bas, m’a reçu entre ses mains; je suis en pleine santé.»

Quatre mois devant sa mort étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s’entretenait sur 542 les merveilles de l’éternité : on tira les rideaux, de sa couche lui sembla parée de noir; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé; cette horrible figure ne l’effrayant point, il consacra tout son être au souverain Créateur. Il parla ainsi au démon : «Je sais que tu es l’ennemi de mon Dieu, duquel je ne me séparerai jamais par sa grâce : exerce sur mon corps toute ta cruauté, mais garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit.» L’esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort; ses forces diminuèrent toujours depuis : et il tomba tout à fait malade au commencement de l’année 1628 [1646]. Les sacrements de l’Église lui furent administrés en même temps. À peine avait-il l’auguste eucharistie dans l’estomac qu’il vit son âme environnée d’un soleil, et entendit cette charmante promesse de notre seigneur : «Je suis avec toi, ne craint point». Les flammes de sa dilection s’allumèrent davantage, et il ne s’occupait plus qu’aux actes de l’amour divin, voire au milieu du sommeil.

Quelquefois durant sa maladie il se figurait être dans le plus profond abîme de l’enfer, d’où notre Seigneur le tirait par son infinie miséricorde : les actes de contrition et de conformité au bon plaisir de Dieu lui étaient fréquents. Dieu lui commanda trois jours autant avant que de mourir de sacrifier son âme et son corps à la Reine des anges. Il exécuta cet ordre avec une ardeur merveilleuse, ôtant son bonnet et s’efforçant de dépouiller sa camisole : sa femme s’y opposant, «Je suis commandé, répliqua-t-il, de tout immoler à la mère de Dieu. Son adorable Fils mon Sauveur, étant demeuré nu sur la croix; ai-je pas encore trop, moi chétive créature, qui m’étend sur un bon lit garni de tant d’ajustement, non nécessaire?» Il obéit néanmoins à la volonté de son confesseur, qui ordonna qu’on le remît en son premier état.

Un grand homme de bien, ayant eu révélation qu’il mourrait le samedi prochain, on lui administra l’extrême-onction. Monsieur Bernard présent sentit des atteintes si vives de l’amour de Dieu, qu’il devint immobile et fut ravi. Cependant le malade discourant de ces merveilles, prédis que ce bon prêtre consommerait en bénédiction le chef-d’œuvre de sa pénitence, qu’il parviendrait à un sublime degré de sainteté, bref qu’ils se verraient ensemble dans la Gloire céleste. Le vendredi sur les dix heures du soir, il tira ses bras du lit, les élevant vers le ciel avec vigueur, et tâchant d’en faire autant de sa tête. Son confesseur l’obligeant de manifester la cause de ce mouvement extraordinaire : «Je vois, répondit-il, Jésus-Christ avec la Vierge, les anges et des saints, qui m’invitent à les accompagner dans la Béatitude.»

Le lendemain samedi 23 de janvier, après avoir satisfait aux demandes de ses amis d’une manière admirable, remercié son confesseur pour les assistances qu’il en avait reçues des neuf dernières années de sa vie, et persévéré dans une fidélité inviolable envers Dieu, il rendit l’esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l’amour divin. Il s’apparut au même instant environné des rayons de la gloire à un grand Personnage, l’excitant à se sanctifier : celui-ci manifesta cette apparition au directeur du défunt. Le bruit de sa mort s’étant répandu dans la Ville de Paris, on permit 544 durant tout le dimanche l’entrée libre dans la chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venait visiter en foule. Les religieux du tyran de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté habit pût avec la permission de Monsieur le Curé de Saint-Sulpice son pasteur. On enterra solennellement dans la chapelle de Notre-Dame de grâce, au côté droit de l’autel, avec oraison funèbre. Son corps repose la sous une pièce de marbre, et l’épitaphe suivant.

[Épitaphe latine]

sa vie a été mise en lumière par le père Chrysostome de Saint-Lô, personnage signalé en vertu et doctrine, son confesseur, religieux du tiers Ordre de Saint-François, et par Monsieur Louis Provençal, fort renommé pour ses livres de controverses, et ses disputes contre les hérétiques.


 


 

L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome

[Extraits de l’ouvrage par Boudon]

 

Religieux pénitent du troisième Ordre de S. François,

À Paris, Chez Estienne Michallet,

ruë Saint Jacques, à l’Image S. Paul,

MDCLXXXIV. [18]


Cette «Vie» n’en est pas une! mais une homélie, ponctuée de temps à autre par une brève, mais précieuse information du témoin direct.

Boudon fut un compagnon estimable et estimé par Bernières. Comme écrivain il est bavard et sort facilement du sujet annoncé.

On découvrira le précieux et exceptionnellement long chapitre sur... Bernières et le premier inspirateur de celui-ci, M. de la Forest. Troisième partie de l’ouvrage, «Chapitre VIII. De la sainteté de sa conduite. Éloge de M. de Bernières et de M. de la Forêt».


 

Première partie

Chapitre II. La naissance et l’éducation du vénérable Père Jean Chrysostome.

(1132) Le serviteur de Dieu naquit en la paroisse de Saint-Frémond, en la basse Normandie diocèse de Bayeux. Il eut le bonheur d’avoir des parents fort catholiques; et ayant été fait enfant de Dieu par le saint baptême, il y reçut le nom de Joachim. [...] Comme c’est Jésus-Christ que je regarde dans sa famille, sa grâce m’y fait voir un de ses frères qui a eu l’honneur d’entrer dans l’ordre du séraphique P. saint François, parmi les religieux Capucins; et une de ses sœurs qui a vécu sous la règle étroite de sainte Claire, dans le monastère de ses filles qui est à Rouen. Il a eu aussi un oncle religieux de la très -sainte Trinité de la Rédemption des captifs, que l’on appelle communément Mathurins, et qui a été supérieur de l’une des maisons de cette charitable congrégation, qui a été donnée à l’Église par une révélation céleste, faite même au Souverain Pontife, pour la secourir dans l’un de ses plus pressants besoins, je veux dire dans la captivité de ses fidèles sous la cruelle tyrannie des mahométans; [...] Le serviteur de Dieu, dès son enfance, fit paraître tant de dispositions au vrai bien, que l’on eût dit que la vertu était née avec lui. Il était d’une humeur douce et aimable, d’un naturel honnête, civil et obligeant, d’un accès facile et très-agréable. [...]

(1133) Il fut envoyé à Rouen pour y étudier au en les répandant avec largesse sur les autres collèges des Pères de la Compagnie de Jésus, où il eut pour maître en rhétorique le célèbre père Caussin. Cet excellent homme fit bientôt un grand état de son disciple, dans lequel, par sa grande lumière, il voyait des divines marques de ce qu’il devait être un jour. [...]

(1135) Or, ce mouvement intérieur, que l’Esprit de Dieu donne i ceux qu’il anime, ne s’est pas trouvé seulement dans le P. Jean Chrysostome, lorsqu’il avait fait de plus grand progrès dans les voies do la perfection, et dans un âge plus avancé, mais dès lors même qu’il faisait ses premières études au collège. de Rouen; et ce fut en ce temps-là qu’entendant parler de M. de la Forest, qui était en réputation de sainteté, il n’oublia rien, tout petit écolier qu’il était, pour s’en procurer la connaissance; et, comme il n’était pas en son pouvoir d’aller le voir, il prit la liberté de lui écrire. Cet homme de Dieu, éclairé du Saint-Esprit, s’aperçut bientôt do la grâce du petit écolier qui lui écrivait. Il recevait donc les lettres avec une sainte joie en Notre-Seigneur (et il n’y en a point d autre véritable), et il lui faisait réponse avec beaucoup d’exactitude. Ces lettres du saint homme, qui étaient pleines du feu du Saint-Esprit, trouvant l’âme du petit écolier comme une matière toute préparée, y produisaient bientôt l’ardeur de ses plus' vives flammes. bon pauvre cœur, à leur lecture, se trouvait tout etebiesé; et, comme il prenait un singulier plaisir à les lire et à les relire, les flammes du divin amour s’augmentaient toujours de plus en plus dans ce jeune homme si béni do Dieu. [...]

Chapitre III. Son entrée dans le cloître.

(1140) ll n’écouta point les mouvements de la nature, mais les inspirations de la grâce, qui lui firent oublier sa nation, comme dit le Psalmiste, et la maison de son père. Il exécuta même son dessein à l’insu de ses parents, et de vrai, souvent dans ce sujet ils sont de fort mauvais conseillers. Souvent, dans cette occasion, les paroles du Fils de Dieu se trouvent bien accomplies : que les domestiques de l’homme seront ses ennemis. Notre jeune homme en fit bientôt l’expérience, lorsque son généreux dessein fut connu de son père; car aussitôt qu’il eut appris que son fils avait saintement pris l’habit de religieux dans le troisième ordre de la pénitence du séraphique saint François, au couvent de Picpus, proche Paris, il n’oublia rien pour l’en faire sortir. Mais son esprit ne fut point ému de tout ce qu’il lui put dire; il voulut juger des choses selon le jugement de Dieu. Il ne regarda point à l’humeur de ses proches, mais aux inclinations de Jésus-Christ, qui n’a point eu de pente pour les honneurs, pour les richesses et les plaisirs de la vie, et qui a rejeté toutes ces choses comme indignes de sa divine personne. L’amour paternel n’affaiblit en rien celui qu’il devait à son Dieu. Il n’acquiesça point à la chair et au sang, non plus que saint Paul. Son père, voyant que tous ses efforts étaient inutiles, voulut tenter d’autres moyens. Il eut recours à ses amis du monde, qui entrèrent bientôt, selon la coutume déplorable du siècle, dans ses desseins. Ils se joignent donc à ce père affligé, et particulièrement un magistrat considérable du parlement de Normandie; ils s’unissent ensemble pour rendre l’attaque plus forte; mais, à tout ce qu’ils peuvent dire, à toutes les raisons apparentes dont ils se peuvent servir, le jeune homme répond que Dieu le demandant à un état, il n’y a rien qui soit capable de l’en détourner. il savait qu’il n’était pas à lui-même, ni à son père, mais à un maître qui a donné son sang et sa vie pour le délivrer d’une captivité éternelle. Il demeura donc ferme dans sa résolution, et, après l’année du noviciat, il fit heureusement profession le troisième jour de juin, jour consacré à la glorieuse mémoire du grand saint Antoine, âgé de dix-huit ans. [...]

Chapitre IV. Ses excellentes vertus dans l’état religieux.

(1147)... il prit le dessein d’être entièrement pauvre par un actuel dépouillement de tout ce qu’il pouvait prétendre en la terre. Pour cette fin, comme il était l’aîné de sa famille, il fit une déclaration devant les notaires, par laquelle il céda son droit, et renonça même à l’hérédité de ses parents. Il envoya cet acte à son père, et le supplia d’avoir pour agréable, que puisqu’il était consacré à Dieu par les saints ordres, il vécût selon l’esprit de sa profession; lui protestant que puisqu’il avait pris Jésus-Christ pour son partage, il n’en désirait point d’autre en la terre; qu’au reste il espérait que Dieu pourvoirait à ses besoins par sa Providence, et qu’il n’était pas en peine de sa subsistance, puisque Dieu prenait soin même des herbes et des lis sauvages. Mais les douces et fortes inclinations qu’il avait pour la pauvreté ne s’arrêtèrent pas là; comme il avait quelques livres pour ses études, il voulut encore les vendre, pour en donner le prix aux pauvres; et quelque amour qu’il eut pour des meubles qui lui étaient si nécessaires, la tendresse qu’il avait pour la pauvreté et les pauvres, prévalait par-dessus l’avidité de la lecture. Il est vrai qu’il ne put pas exécuter ce dessein de vendre tous ses livres, en étant empêché par les personnes dont il prenait avis. Cependant il a déclaré depuis, dans un âge avancé, qu’il doutait que le conseil qu’on lui donna de ne pas suivre ce mouvement, fût de l’esprit de Dieu.

C’est de cette sorte que les saints qui sont intimement unis à Jésus-Christ, entrent dans ses inclinations; c’est cette bienheureuse et divine union qui y a fait entrer si puissamment le P. Jean Chrysostomé, qui a été un vrai pauvre de Jésus-Christ. Il serait difficile de faire connaître les divines lumières qu’il avait reçues sur la vertu de pauvreté. Il assurait qu’elle était le solide fondement des vertus. C’est pourquoi, écrivant à feu M. de Bernières, qui lui avait mandé que ce qui le soutenait beaucoup dans les voies de Dieu, était l’amour de la pauvreté et du mépris, il lui fit cette réponse : «Tenez ferme sur ces fondements sur lesquels Jésus-Christ a édifié et édifiera, jusqu’à la fin des siècles, la perfection de ces chers amants.» C’était à ce vertueux personnage que notre serviteur de Dieu avait écrit, qu’il était rare de parvenir à la pureté d’une haute perfection, que par l’usage d’une pauvreté souffrante, qui, faisant mourir les délices de la chair, anéantit L’esprit mondain; et que le pur amour ne se peut trouver que dans le cœur évangélique très-pauvre sans réserve. C’est à lui qu’il dit dans quelques lettres : «Quant à moi, je vous trouverais très propre à faire un parfait pauvre' et un parfait méprisé, même dans votre ville; les souhaits que vous en avez sont une grâce qui vient du cœur de Jésus-Christ. Je vous trouverais très-heureux si vous étiez réduit dans cet état. Dieu tout (1148) bon vous veut pauvre évangélique. Je crois que vous n’aurez aucun repos que vous n’en usiez de la sorte, perce que vous ne seriez pas dans le centre de votre grâce : cependant, souvenez-vous que le diable est bien rusé pour l’empêcher.»

Il disait encore qiie la pauvreté avait des beautés admirables; que c’est le vrai moyen d’entrer dans les pures communications avec Jésus-Christ; qu’il ne savait rien de plus ravissant en ce monde que le mépris et la pauvreté de la croix; que celui-là est très-heureux qui est très-pauvre; que le fidèle amant doit être pauvre à pauvre, méprisé à méprisé avec Jésus; que celui qui communie souvent, et est dans un grand dénuement, est rempli de la bonne odeur de Jésus-Christ pauvre et souffrant, que le temps de la pauvreté est celui du pur amour; que dans l’état d’une entière pauvreté et de la privation de toutes choses, c’est pour lors que Jésus devient heureusement le grand et unique tout? Qu’il sert de père, de mère, de parents, d’amis, do biens, d’honneurs et de plaisirs. C’est pourquoi il remarquait très véritablement, que le véritable pauvre non seulement rejette le superflu, mais est ravi de manquer du nécessaire, et se réjouit et se plaît à être délaissé de toutes les créatures. Il proposait pour exemple, le séraphique saint François, qui était consolé d’être abandonné de son père, d’être moqué par les enfants dans les rues, et d’être traité publiquement comme un fou et misérable, insensé. [...]

(1149) Il prêchait les excellences de la pauvreté d’une manière admirable, il y exhortait d’une manière efficace, il la conseillait avec bénédiction. Ç’a été par ses avis que M. de Bernières l’a embrassée avec un si heureux succès. J’ai connu un jeune homme de qualité, qui, ayant été bien avant dans les vanités trompeuses du siècle, et s’étant entièrement converti à Dieu, par un coup de sa droite, a quitté tout son bien par son conseil. Il avait fait assembler pour cette fin plusieurs grands serviteurs de Dieu; mais il m’assura que de tout ce nombre il n’y eut que le P. Jean Chrysostome et le feu P. Joseph de Morlaix, Capucin, dont le rare mérite est assez connu, qui furent d’avis qu’il quittât son bien : aussi ils étaient les deux seules personnes qui vivaient en pauvreté. [...]

(1153)... il ne se peut dire combien il avait en aversion la somptuosité des bâtiments et les moindres particularités dans les communautés religieuses. Il ne se peut dire quelle estime il faisait de tout ce qui ressentait l’esprit de pauvreté. Un jour une dame le voulant arrêter chez elle, ce qu’il ne voulut pas, aimant bien mieux se retirer dans sa pauvre cellule dans sa maison conventuelle, s’en étant fâchée, et lui ayant reproché les aumônes qu’elle faisait à ses regieux : «Ah! madame,» s’écria-t-il, j’estime moins tous les biens de la terre, que la boue de nos sandales; un bon religieux avec un oignon est plus content, que les plus riches du monde avec tous leurs biens et tous leurs plaisirs.» [...]

Chapitre VI. Sa pureté angélique.

(1154)... Un jour une religieuse lui ayant demandé une demi-heure pour lui parier, et pour aider un peu à le délasser dans le temps de la récréation, il ne voulut jamais; et comme cette sœur lui dit : «Mon père, vous ne savez que nous mortifier;» il lui répondit : «Ma sœur, grande pureté d’âme, grande pureté de corps, grande pureté de conscience. Vous êtes des vierges consacrées à Jésus-Christ, vous ne devez pas rechercher de converser avec les créatures. Comme elle lui répliqua : - «La nature ne trouve guère de consolation auprès de vous, vous êtes un père de fer, vous n’entendez qu’à prendre le monde pour l’égorger, et pour l’écorcher depuis les pieds jusqu’à la tête.» Il s’écria : «Ah! c’est ce qu’il faut faire.» [...]

Chapitre VIII. Sa fidélité inviolable aux exercices spirituels.

(1162)... il alla consulter un grand serviteur de Dieu touchant la vertu de fidélité, et voici ce qu’il en a laissé par écrit. Comme il était un organe du Saint-Esprit, et plein de grandes lumières, il m’enseigna trois maximes, qui tirent une admirable impression dans mon âme. Mon cher frère, me disait-il, si vous voulez faire un bon progrès en la vertu de fidélité des saints exercices, faites trois choses. La première est, que vous preniez garde de ne vous point occuper par impulsion de nature, mais toujours par obéissance en vue de la volonté de Dieu. La seconde est, que vous fassiez tous les samedis au soir un bon examen de toutes les infidélités que vous avez commises en la semaine, et que vous renouveliez de bonne sorte vos résolutions d’être plus fidèle. La troisième, que vous travailliez à l’oraison; et tenez pour une vérité indubitable, que tous ceux qui dans les cloîtres vivent sans oraison, ne sont et ne seront jamais fidèles dans leurs saints exercices. Ces paroles, dites en l’esprit de Noire-Seigneur Jésus-Christ, ne furent pas reçues en vain dans une âme pure et innocente, et embrasée du divin amour, comme était celle du P. Jean Chrysostome. [...]

Chapitre X. Sa vertu éminente dans ses différents emplois, et les bénédictions abondantes que Dieu y a répandues.

(1174)... à peine commençait-il d’entrer dans sa vingt-cinquième année, qu’on le fit lecteur en philosophie et en théologie. [...] Il fut élu définiteur de la province de France, l’année 1622, puis l’année 1625, définiteur général de son ordre, et gardien du couvent de Picpus, qu’il gouverna l’espace de six ans. Il fut élu nouvellement définiteur (1175) celle de Saint-François et en celle de Saint-Ives, pour de bonnes raisons, et conformément aux autres sociétés religieuses qui ont diverses provinces et divers provinciaux, quand il y a assez de couvents pour les composer. Le temps de son second provincialat étant expiré, on le mit confesseur des religieuses de Sainte-Elisabeth de Paris qui fut son dernier emploi, ayant heureusement quitté la terre pour aller au ciel à la fin de sa troisième année.

Mais dans tous ces différents emplois, une seule chose l’occupa toujours, et ce fut Dieu seul, et ses seuls intérêts. Sans s’occuper avec empressement de la multitude des affaires, sans s’y distraire, et y avoir l’esprit partagé avec inquiétude, sans se tourmenter de beaucoup de choses, il s’arrêta à une qui est nécessaire : Dieu seul lui remplit toujours l’esprit et le cœur. C’est de là qu’il a conservé toujours une grande régularité, et même pendant qu’il était confesseur des religieuses de Sainte-Elisabeth, il se rendait ponctuellement au couvent des religieux qui en est proche, pour assister à tous les exercices de sa communauté. Cependant il ne laissait pas d’aller au confessionnal dès cinq heures du matin, et il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À peine quelquefois se donnait-il le loisir de manger, ne prenant pour son dîner qu’un peu de pain et de potage, pour retourner aussitôt au confessionnal. [...]

(1176)... Les religieuses de Sainte-Elisabeth du couvent de Paris furent celles qui en ressentirent les flammes plus vivement. Elles virent en sa personne les promesses du Fils de Dieu à ses apôtres véritablement accomplies : «Dieu vous inspirera les paroles que vous devrez dire; car ce ne sera pas vous qui parlerez, mais ce sera l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.» (Matth. x, 19, 20.) Aussi ces vertueuses religieuses ont témoigné qu’il paraissait en lui quelque chose de plus que l’humain quand il leur faisait des exhortations; il est vrai qu’il les faisait d’une manière simple; il ne voulait pas, avec l’Apôtre (I Cor. xi, 13), annoncer les vérités chrétiennes avec des paroles étudiées, de peur que la croix de Jésus-Christ ne fût anéantie, mais dans la puissance de Dieu. Il savait, avec le même homme apostolique, que le royaume de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans la force. [...]

(1177)... les religieuses dont nous avons parlé ont déposé que, durant ses exhortations apostoliques, elles lui voyaient, comme il est rapporté de saint Étienne dans les Actes (vi, 15), le visage comme le visage d’un ange. Elles disent de plus, dans un autre témoignage qu’elles en ont rendu : «  Il nous paraissait comme un chérubin tout rempli de lumières divines, et il nous semblait qu’une splendeur extraordinaire nous manifestait l’état de nos consciences et nous portait à les lui découvrir. Il nous paraissait comme un séraphin tout embrasé de charité : comme un saint François pauvre et humble, tout anéanti à lui-même, comme tout dévoré du zèle de la gloire de Dieu, tout extasié à la rue des grandeurs de Dieu et des mystères de Jésus-Christ, tout rempli de désirs d’établir le règne de Jésus-Christ dans les cœurs, et de détruire celui du vieil homme et de la corruption de la nature. Il avait des paroles de foudre dont il brisait les cœurs, quand il représentait un Dieu terrible dans sa justice; il avait des paroles toutes de feu, quand (1178) il faisait voir les amours d’un Dieu envers les hommes : on peut dire : Il faisait voir; car il représentait les choses avec tant de force, qu’il semblait faire voir ce qu’il disait. Il finissait toutes ses exhortations par une oraison qu’il adressait à Jésus-Christ; ce qu’il faisait d’une manière si sensible que tout le monde en demeurait touché. L’esprit divin semblait parler par sa bouche, et, quoique ses exhortations fussent simples, elles enlevaient les cœurs. Ayant été élu provincial, et étant venu à notre monastère, il commença sa première exhortation par le désir que les âmes doivent avoir de la sainte perfection; et comme ses paroles n’étaient que l’expression du même désir qui embrasait son cœur, il fit ce premier discours avec une force si divine, avec des sentiments si remplis d’amour, que les cœurs de toute la communauté en demeurèrent embrasés : ce qui leur donna depuis une haute estime pour sa personne et pour son rare mérite.

«Mais tous les autres sujets dont il nous a depuis entretenues ont fait : es mêmes impressions. Il avait un attrait spécial pour la sainteté de Dieu et les profonds anéantissements du Verbe fait chair; et il se servait de termes si expressifs quand il en parlait, que l’on entrait dans sa lumière, qui a demeuré dans plusieurs de celles qui ont eu la grâce de le voir, et qui continuent encore à présent à quelques-unes, depuis plus de trente-cinq ans après sa mort. Il nous parlait aussi bien particulièrement de la fidélité aux saints exercices et de l’observance régulière. Il la portait au dernier point, il nous en découvrait les moindres défauts, et il nous y faisait voir de si grands avantages, que facilement l’on s’y portait avec plaisir. Il en faut dire autant de toutes les autres vertus, dont il nous a fait des conférences trois ou quatre ans une fois la semaine, ce qui a été pour notre monastère une singulière bénédiction. Mais ce qu’il avait plus et au cœur et à la bouche était Dieu seul; et il l’insinuait dans les âmes, d’une manière efficace, leur faisant faire de grands progrès dans le détachement de toutes choses, pour n’être qu’à Dieu seul sans réserve. Co peu de paroles, Dieu seul, portait dans l’esprit la lumière de ce qu’elles comprennent, et l’amour dans le cœur, pour en ôter tout ce qui pouvait faire obstacle à sa pure et divine union. Enfin, ses exhortations étaient tellement pleines de l’onction du Saint-Esprit, qu’il semblait qu’elles ne duraient pas un moment, quoique quelquefois il parlât l’espace de deux heures. Nous pensions pour lors n’être plus sur la terre, et l’on ressentait des goûts du paradis.

«Les travaux qu’il a pris pour assister sa communauté sont incroyables. Il ne se couchait pas après matines, pour donner plus de temps à l’oraison, et dès cinq heures du matin il était dans le confessionnal. Plusieurs lui faisaient des confessions générales qui étaient suivies d’une abondante bénédiction, et il avait un don particulier pour consoler les personnes qui les faisaient, pour leur ouvrir le cœur et les soutenir dans leurs peines. Il n’est pas croyable le fruit qu’il fit dans le monastère; et Dieu versa tant de grâces et de faveurs par son ministère, que plusieurs faisaient comme un jour de fête tous les ans, avec une dévotion particulière, le jour de leur confession générale, comme un grand jour pour elles.» Tel est le témoignage qu’ont rendu à l’homme de Dieu ces vertueuses religieuses...

Deuxième partie.

Chapitre Premier. De sa haute estime pour Dieu.

(1193)... Il avait pour Dieu une estime qui ne se peut dire, qui le pressait d’enseigner de tous côtés, qu’à proprement parler, il n’y avait que Dieu seul, qu’il était le grand tout, et que tout le reste devant lui n était rien; disant. s’écriait-il quelquefois, mon Dieu est de soi, je.voyais que toutes les créatures n’étaient qu’un pur néant : il assurait que cette vue l’occupait fort, et quelquefois tellement, qu’il ne pouvait comprendre comme elle n abîmait pas toutes les âmes dans sa contemplation.

Considérez, disait-il, des mille millions de créatures, mille et mille fois plus parfaites que celles qui sont à présent, tant dans les voies de la nature, que dans les voies de la grâce. Réitérez à l’infini votre multiplication, et comparez ensuite ces créatures si parfaites au grand Dieu des éternités : dans cette vue elles ne deviennent à rien.

Je prenais, ajoutait-il, un grand plaisir dans cette multiplication, et de voir qu’en même temps que l’être de Dieu paraissait, cos créatures qui se faisaient voir si excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d’une rapidité incroyable dans leur centre qui est le néant. Oh I que dans la vue de l’être de Dieu les créatures sont petites, et à vrai dire, un parfait néant, que l’on ne saurait expliquer!  A mesure qu’on les considère dans de différentes vues, il semble que c’est ajouter des infinités de riens à une infinité de riens. Que c’est, à mon avis, poursuivait-il, un grand coup à l’âme, de concevoir dans le rayon d’une lumière surnaturelle l’infinité de cet abyme! il en reste un si grand mépris et un si grand dégoût des créatures, que cela est incroyable. Il disait encore que Dieu dans sa sublimité est retiré dans une solitude ineffable. [...]

 

Chapitre II. Du pur amour que le vénérable P. Jean Chrysostome e eu pour Dieu.

(1198) [...] Il n’y a rien de plus grand, de plus glorieux, que le pur amour; puisqu’il rend celui qui le possède participant de la nature divine, et par suite il n’y a rien de plus saint et de plus divin. Mais s’il est grand dans ses élévations glorieuses et toutes divines, il est infiniment riche dans ses biens; ce qui faisait dire au vénérable P. Jean Chrysostome, qu’il fallait qu’o les hommes fussent bien aveugles pour ne pas aspirer à des grandeurs si divines, et pour négliger des trésors si riches. Les douceurs qu’il fait goûter dans sa simplicité sont si pures, qu’il n’y a que ceux qui en ont l’heureuse expérience qui puissent le comprendre. C’était dans la vue de cette vérité que notre serviteur de Dieu s’écriait : «Tendre au pur amour de Dieu, c’est l’unique vrai bien et le paradis de cette vie; tout le reste n’est que vanité et qu’affliction d’esprit.»

Et de vrai, quand vous mettriez dans une seule personne la jouissance de tout ce que le monde appelle biens, plaisirs et honneurs; quand elle serait dans la paisible possession de tout l’univers et de tout ce que ce bas monde renferme de plus agréable; voilà où toutes les prétentions des hommes de la terre peuvent aller; cependant si elle était sans le pur amour, elle serait toujours misérable; car enfin il n’y a que Dieu seul qui donne le pur amour, qui peut rendre un cœur parfaitement content. C’est ici où l’on peut remarquer la cause de toutes les peines qui inquiètent les esprits et agitent les cœurs, c’est que les esprits ne demeurent pas dans les simples lumières du pur amour de Dieu seul; c’est que les cœurs ne s’arrêtent pas aux seules affections du pur amour. De là vient que l’on trouve si peu de personnes pleinement contentes, parce qu’il y en a si peu qui veulent se contenter de Dieu seul. Or c’est une grande vérité, que comme la moindre poussière fait du mal à nos yeux, qui ne peuvent supporter la plus petite ordure, de même le cœur de l’homme ne peut admettre le moindre mélange d’aucun amour (1199) étranger, sans en souffrir de la peine : c’est pourquoi non seulement parmi les mondains, mais même parmi les gens de bien, qui visent dans la justice commune, disons encore quelque chose de plus, parmi ceux qui tendent à la perfection, l’on en trouve si peu dont la paix soit immuable; je parle de la paix qui surpassant tout sentiment, souvent n’est pas aperçue des sens, ni même quelquefois de la partie inférieure raisonnable, et qui néanmoins ne laisse pas de résider dans une grande plénitude dans le centre de l’âme, au milieu de toutes les agitations et les tempêtes qui peuvent s’élever dans nos parties inférieures, soit raisonnable, soit sensitive.

Les recherches subtiles de nous-mêmes, qui se glissent dans les choses les plus saintes, l’amour-propre qui se mêle avec le divin amour dans ce que nous faisons et dans ce que nous souffrons, laissent toujours l’âme dans l’agitation; et toutes les fois que nous nous inquiétons avec liberté, c’est une marque que le pur amour n’est pas dans sa netteté au dedans de notre cœur. Notre serviteur de Dieu et de son immaculée Mère avait grande raison de dire que le saint amour fait le paradis de la vie où il se trouve. O vous qui lisez ces vérités, faites-y attention, et apprenez-y une bonne fois qu’il n’y a point de joie pure que dans le pur amour. Mais je vous demande à vous-même, et je vous prie de vous interroger exactement sur cette vérité, n’avez-vous jamais été dans un contentement plein et parfait, ne désirant plus rien, ne voulant plus rien, quelque satisfaction que vous ayez eue de celles que les hommes désirent, si vous ne vous êtes pas contenté de Dieu seul? J’avoue avec saint Bernard que ces choses peuvent amuser, mais je soutiens avec lui qu’elles ne peuvent pas rassasier : que l’expérience le fait bien voir tous les jours, qui ne nous montre de tous côtés que des gens embarrassés, inquiets, et dans le chagrin, quelques honneurs et plaisirs qu’ils puissent posséder I

S’il se trouve des cœurs tranquilles parmi tous les plus furieux orages de la vie, c’est qu’ils se reposent uniquement en Dieu seul. [...] 

Chapitre V. De son entier abandon à la Divine Providence.

(1217) Lorsqu’il allait en Espagne par l’ordre exprès de la reine, pour visiter de sa part la mère Louise, dont nous avons parlé ailleurs, il tomba dans une marnière. Mais comme la moindre feuille d’un arbre no tombe pas sans la conduite de la divine Providence, cette chute dangereuse, et qui était capable du le faire mourir, ne l’ut pas sans un secours particulier de la même divine Providence; car elle disposa les choses d’une telle manière, qu’il demeura arrêté dans sa chute par sa robe qui se prit à un bâton, ou quelque chose de pareil, ce qui donna heu de le retirer sans qu’il en reçût aucun mal. Et afin qu’on ne puisse nullement douter qu’il n’ait été assiste d’une manière toute spéciale do Dieu tout bon dans cette occasion, la mère (1218) Louise l’en assura, lui en ayant parlé d’elle-même dans leur entretien, et lui en ayant marqué les circonstances, quoiqu’il fût très-difficile, et même presque impossible qu’elle en eût nouvelle ou connaissance par aucune voie humaine, lui avant de plus témoigné qu’elle offrait pour lors ses prières à Dieu pour lui.

Mais qui pourrait dire combien de fois, en combien de lieux et d’occasions la divine Providence de Dieu a assisté son serviteur, par des voies tout extraordinaires? Il a cru lui-même par reconnaissance, et pour la gloire d’une si bonne et si fidèle mère, devoir laisser par écrit ce témoignage, qu’il en a été assisté, et sa congrégation, dans des occasions très — fâcheuses, jusqu’au miracle.

Chapitre VI. De la sainte haine qu’il s’est portée.

(1224)... ordinairement il ne lui donnait à manger qu’une seule fois par jour, et quelquefois il était unjour et demi sans rien prendre. Le pain était sa nourriture la plus commune, qu’il trempait quelquefois dans du verjus, ou d’autres sauces insupportables. Dans les jours de viande, il n’en mangeait presque point. Si dans quelques occasions il était obligé de manger chez quelques-uns de ses amis, c’était lui faire grande chère, que de lui donner quelque morceau de pain d’orge : et si on voulait lui donner quelque chose de particulier dans un temps où il était travaillé de plusieurs incommodités, il s’en privait pour le donner aux autres. Étant provincial, quoiqu’il fit de grandes journées, et à pied, durant ses visites, il mangeait si peu, que l’on s’étonnait comment il pouvait vivre. Il prenait peu de chose le matin, et marchait incessamment jusqu’au soir sans autre nourriture. Si la soif le pressait, il se contentait d’un peu d’eau qu’il puisait dans le fond de sa main dans les fontaines ou rivières qu’il rencontrait. Un grand nombre de fois allant par la ville, et étant obligé do donner un peu de temps à grand nombre de personnes qui demandaient ses avis (car il restait peu chez chacun), il ne prenait qu’un peu de pain jusqu’au soir, et quelquefois même il revenait sans avoir rien pris; et et après tout cela, il ne laissait pas, en de certaines occasions, de faire des exhortations aux religieuses de Sainte-Elisabeth, lorsqu’il était de retour au couvent. Mais il avait une viande à manger, à l’imitation de son Maître, que les hommes ne savaient pas; et cette viande était de faire la volonté de celui qui l’avait envoyé, et d’accomplir son œuvre.

Comme il était désiré de plusieurs personnes illustres, pour être secouru de ses avis dans leurs besoins spirituels; si elles étaient pressées de maladie, et qu’il fût obligé de se servir de quelque commodité pour aller les assister, il n’en voulait point d’autre que celle d’un âne, pour se rendre imitateur de son bon Sauveur en toutes choses; et dans le voyage qu’il fit par l’ordre du roi Louis XIII, de glorieuse mémoire, pour aller voir de sa part la reine mère, Marie de Médicis, il ne fut jamais possible de lui faire accepter les commodités avantageuses qu’on lui offrait. Quoi que les médecins lui pussent dire, dans une fâcheuse maladie qui lui arriva, pour modérer ses austérités, jamais ce vrai pénitent ne voulut se relâcher de ses exercices. Il dormait très peu; le cilice et les chaînes de fer étaient les instruments ordinaires dont il faisait souffrir sa chair. Il a porté une ceinture de petits crampons de pointes de fer, qui était enfoncée dans son corps et qui lui avait fait des plaies dont sortait le pus. Enfin son plaisir était de se faire bien du mal, afin que se haïssant ainsi saintement en ce monde, il se conservât pour la vie éternelle. Ce lui était même une bonne souffrance que de ne pas souffrir; et s’il arrivait que quelques personnes séculières (1225) lui donnant à manger voulussent lui faire bonne chère. il disait : «Ces pauvres séculiers pensent me faire plaisir, et ils me font un grand tourment.»

L’on peut dire qu’o toutes ses grandes austérités lui ont diminué notablement ses forces, et abrégé les jours de son pèlerinage en cette terre d’exil; mais il a fait en cela ce que plusieurs des plus grands saints ont fait, et particulièrement saint François son bienheureux père, qui marquait assez à sa mort que ses pénitences avaient été excessives. Dieu est admirable dans ses saints, et il les conduit par des voies extraordinaires que tout le monde ne doit pas suivre, mais qui nous sont des sujets d’une extrême humiliation en sa divine présence [...]

... ayant appris les merveilles extraordinaires que la toute-puissance de Dieu opérait par la mère Louise, religieuse d’Espagne, dont nous parlons en plusieurs endroits de cette Vie, et s’étant glissé imperceptiblement de l’activité naturelle et quelque légère curiosité dans le désir que la grâce lui inspirait de la voir et de l’entretenir du royaume de Dieu, il en fut puni par une grande et dangereuse maladie qui lui arriva dans le voyage qu’il fit pour aller visiter cette grande âme, qu’il crut voir, (1230) quoiqu’elle fût Lien éloignée du lieu où il était, lui disant que se curiosité était cause de la maladie qu’il avait. Elle avait une haute estime de sa vertu et lui parlait avec beaucoup de confiance. L’on a même conjecturé qu’elle lui avait prédit les terribles croix qu’il a portées depuis ce temps-là. Elle lui en donna quantité de figures, lui faisant présent d’un nombre de croix et de chapelets, que la reine voulut avoir à son retour, à raison de l’estime qu’elle faisait de la rare sainteté de cette illustre religieuse, qui ne tarda guère, après le départ du Père, de passer par les épreuves ordinaires des favoris de Dieu, qui sont les grandes tribulations qu’il leur envoie.

Elle avait prié le Père de différer pour quelque temps son retour en France, prévoyant bien les puissants secours qu’elle en recevrait au milieu des contradictions qui lui devaient arriver par les orages et les tempêtes que des personnes très-considérables lui devait susciter; mais, comme elle ne s’expliqua pas ouvertement sur cette matière, le Père, qui d’ailleurs aspirait après la retraite de son couvent, ne différa point son retour. Mais à peine était-il arrivé en France, qu’il apprît les grandes contradictions de cette vertueuse religieuse, ce qui le toucha beaucoup et lui donna un sensible regret de n’être pas resté plus longtemps auprès d’elle. [...]

Chapitre VIII. De son rare amour pour la vie cachée.

(1236)... Le P. Jean Chrysostome qui n’en était point en évitait la rencontre autant qu’il le pouvait, et ses plus chères délices étaient dans son éloignement : ce qu’il montra bien lorsqu’il fut envoyé gardien au couvent de Franconville à la sortie de son provincialat. Ce couvent est situé dans une solitude, au coin d’une forêt, et que peu de religieux habitent, et par suite tout propre à ne plus voir les créatures, mais à beaucoup voir Dieu. Il serait difficile d’expliquer la sainte joie de son béni cœur à la nouvelle qu’il reçut que la divine Providence le destinait pour ce lieu qu’il regarda dès lors comme son lieu de délices; aussi ne tarda-t-il pas à s’y rendre au plus tôt : ii ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits, et les mettre dans une besace, dont il se chargea les épaules à son ordinaire; et ce qui est remarquable, c’est que, sortant pour lors du couvent de Picpus, et passant au travers de Paris, il le fit sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui prenaient ses avis, quoiqu’il y en eût un bon nombre de très illustres. [...]

Chapitre IX. De son amour admirable pour la vie abjecte.

(1241).... Il s’était imposé, comme une règle, de demander à Dieu avec instance la foi des pures humiliations, et de vivre et mourir sans en être désaltéré. Et certainement il faut demeurer d’accord que cette soif lui fut accordée abondamment, puisque l’auteur du Chrétien intérieur nous a dit que ce bon père, dont il était le disciple, comme nous le dirons dans la suite de ce traité, avait fait un vœu de jeûner cent jours en l’honneur de saint Joseph, en Action de grâces, s’il obtenait, par sa puissante faveur auprès de l’adorable Jésus, la précieuse grâce d’être méprisé de toutes sortes de personnes....

Chapitre X. De son amour insatiable pour les croix.

(1247)... Ce grand amant de la croix de Jésus, en portant d’extrêmes à la fin de sa vie, son esprit étant tout crucifié, son pauvre corps consumé d’austérités demeura comme accablé, à raison de l’union qu’il a avec l’âme. Il sentit pour lors son corps dans une amertume inexplicable, et qui ne pouvait presque plus respirer pour l’angoisse et la tristesse qui le surchargeait. Mais, ô amour rare de la croix de notre bon Sauveur, ô amour inouï, amour dont on aura de la peine à trouver l’exemple! Étant ainsi tombé dans un abîme, où il ne trouvait point de fond, les eaux de la tribulation ayant pénétré jusque dans son âme, et la tempête l’ayant submergé, pour parler le langage de l’Écriture, une personne très-considérable, et qui est encore en vie (et c’est d’elle que je sais la chose), lui ayant un jour demandé à quoi il pensait et quelle était l’occupation de son âme dans des états si affligeants, il lui répondit : «Qu’il était occupé à demander à Dieu de nouvelles répugnances pour ses croix, outre celles qu’il avait, alla qu’elles lui fussent de plus grandes, do plus pénibles et de plus sensibles croix.»...

Troisième partie

Chapitre III. De sa dévotion aux mystères de l’aimable Jésus.

(1275)... C’était particulièrement sa douloureuse passion qui emportait toutes les affections du P. Jean Chrysostome. [...] Il rapportait qu’un jour, étant furieusement tenté de désespoir, et lui semblait qu’il n’y avait plus de salut pour lui, parce que toutes les actions de sa vie lui paraissaient des péchés et des imperfections [...] il fut encouragé par la vue de ce Précieux sang, et par une voix intérieure qui lui dit : Qu’il avait été répandu pour tous ses péchés et défauts. [...]

Chapitre IV. De son Oraison.

Le bon P. Jean Chrysostome donnait un excellent avis au sujet de l’impuissance ou de l’inutilité que plusieurs prétendent pour ne se pas adonner à l’oraison. Il disait donc, que lorsque l’on ne pouvait méditer, il fallait se tenir doucement et simplement en la présence de Dieu, on dans le souvenir pur et simple de Jésus-Christ, dont la seule pensée, selon les saints Pères, porte avec soi de grandes bénédictions; et il ajoutait, qu’il avait vu plusieurs serviteurs de Dieu, qui, ne pouvant se servir de l’oraison du discours, et s’étant (1284) appliqués à adorer Dieu dans ses vérités universelles, et Jésus-Christ dans ses états, y avaient fait un tel fruit et reçu tant de bénédictions, qu’ils étaient parvenus à une pure contemplation, qui n’agite point l’imagination et ne fait aucun mal à la tête; ce qui est bien propre aux infirmes. Il remarquait encore qu’il y a de certains états de peines, dans lesquels il ne se faut pas violenter par une application distincte, se contentant d’une vue confuse de la présence de Dieu. Que l’on peut, en de certains temps dans ces états, prononcer quelques actes, quoiqu’il semble que cela ne se fasse qu’à l’extérieur, et que l’on n’y trouve aucun goût, mais de la répugnance.

Il avertissait qu’il ne faut pas interrompre son recueillement sous prétexte de ses besoins spirituels, comme de penser à ses défauts; et aussi, que les prédicateurs doivent bien prendre garde à ne pas faire une étude de leur oraison, s’occupant de ce qu’ils doivent prêcher, et se tirant de la pure application à Dieu, ce qui est une grande tromperie, mais qui n’arrive pas lorsque les prédicateurs, étant remplis de la plénitude de l’esprit de Dieu qu’ils ont reçu dans leur oraison, vont la communiquer; mais cela suppose une grande occupation de Dieu, et une grande désoccupation de soi-même et de ce qui nous regarde. Or, cette plénitude de Dieu ne se doit pas prendre simplement lorsqu’elle se manifeste en la contemplation par une abondante lumière; mais encore en ce que, hors le temps de cette jouissance, elle ne laisse pas de séparer l’âme des créatures, et de l’élever à son divin objet par une vive, mais secrète tendance d’amour.

Il enseignait que c’est une chose dangereuse de résister à l’attrait passif, et que l’on se prive de biens immenses; et que les directeurs qui empêchent les âmes de s’y laisser aller, ou par ignorance, ou par des craintes mal fondées, en répondront sévèrement au tribunal de Dieu; que, dans cet état d’oraison passive, plus la lumière monte haut dans la partie intellectuelle, et est dégagée de l’imagination et du sensible, plus elle est pure, forte et efficace; et que quelquefois elle est si pure, qu’au sortir de l’oraison l’on ne s’aperçoit pas que l’on y ait rien fait; que pour les abstractions, extases, suspensions qui y peuvent arriver, il faut avoir recours à la direction pour les prévenir, et empêcher autant que l’on peut dans l’excès de leurs effets; car quelquefois l’opération est si impétueuse et si violente, qu’il faut doucement s’en divertir, et sainte Thérèse conseillait pour lors à ses prieures d’occuper les filles qui souffraient de telles opérations, au travail extérieur. [...]

Chapitre VII. De sa charité pour le prochain.

[1299]... Mais voyons cet Évangile pratiqué en la personne du vénérable P. Jean Chrysostome,

dont l’une des maximes était qu’il ne fallait regarder le prochain qu’en charité et en vérité dans l’union intime avec Dieu; ceux qui le voient d’une autre manière, c’est-à-dire par leurs yeux de chair, selon l’esprit de l’homme, par leurs inclinations ou aversions naturelles, ne le regardent pas dans la charité de Jésus-Christ, qui est toute surnaturelle, qui n’écoute ni inclinations ni aversions, et qui ne se porte vers les autres ni par amour purement naturel, ni ne s’en éloigne par aucune aversion naturelle, mais qui suit en cela les mouvements de la grâce et les inclinations de Jésus-Christ; et pour lors l’on demeure dans la vérité, comme l’on est dans l’erreur et dans le mensonge, lorsque l’on s’écarte de ce chemin de la foi. Ces erreurs, qui sont assez communes, et qui font souvent prendre le change, confondant l’amour humain avec le divin...

Chapitre VIII. De la sainteté de sa conduite. Éloge de M. de Bernières et de M. de la Forêt.

(1311)... La première est feu M. de Bernières, de Caen; je parle de la sorte pour le distinguer de feu M. de Rernières, maître des requêtes. Bernières était le nom de famille de celui dont nous allons parler. M. de Bernières, maître des requêtes, ne se nommait de la sorte, qu’à raison d’une terre dont il était seigneur, qui portait ce nom. Le disciple du vénérable P. Jean Chrysostome était trésorier de France à Caen, et il vécut toujours dans le célibat. Sa précieuse mort est arrivée environ la cinquante-septième année de son âge. Il s’était donné à Dieu dans les plus belles années de la vie; et dès ses commencements il avait fait, comme l’on parle, des coups de maître. L’esprit d’oraison, l’amour de la vie retirée, pauvre et abjecte, était le caractère de sa principale grâce. Ce n’est pas qu’il ne s’adonnât aussi aux œuvres de charité; et l’on peut dire qu’il s’en est peu fait de considérables dans les lieux où il e demeuré, où il n’ait eu grande part; en sorte qu’il pouvait dire avec le Prophète-Roi : «Seigneur, je suis lié d’affection et de société arec tous ceux qui vous craignent et qui gardent vos commandements.» (Psal. CXVIII, 63.) Il aimait les pauvres tendrement, et il n’oubliait rien pour les assister dans tous leurs besoins. On l’a vu aller les chercher dans leurs chétives maisons, pour conduire ceux qui étaient malades à l’hôpital; et ce qui est bien extraordinaire, pour une personne de sa qualité, et encore plus rare dans un jeune homme comme il était pour lors, il leur servait de portefaix, ou pour mieux dire, de père; car il les portait lui-même, comme un père ferait de son enfant; et c’était un agréable spectacle aux yeux de Dieu et de ses anges, pendant que les gens du siècle en riaient, de voir une personne de sa qualité et de son âge, passer tout au travers d’une grande ville, comme est celle de Caen, et au milieu des rues, où il se trouve une plus grande affluence de peuple, portant sur son dos des pauvres malades à l’hôpital, qui est à l’une des extrémités de cette ville. Que pouvait-on espérer dé tels commencements? et faut-il s’étonner s’il est arrivé à la fin de sa sainte vie à un si parfait mépris de lui-même, ayant commencé par des mortifications si humiliantes devant te monde; aussi est-il vrai que l’amour de l’abjection a toujours été le sujet de ses grandes inclinations? Il avait reçu cet esprit abondamment de Notre-Seigneur crucifié, par les communications de son saint directeur, qui avait établi, comme ou l’a remarqué, une société spirituelle que l’on appelait la confrérie ou société de la sainte abjection. L’on peut bien croire que cette société n’eut pas grand nombre de confrères, il s’en trouva néanmoins qui s’y rangèrent et avec une générosité vraiment chrétienne dans l’union de Jésus, abject et méprisé, faisant plus d’état de participer à ses opprobres, que de tous les honneurs de la terre. Or, M. de Bernières fut l’un des (1312) premiers et plus ardents confrères de cette Société : et comme la pauvreté renferme l’abjection, cette vertu fut aussi sa chère vertu; et il voulut prendra la qualité, et être nommé dans le particulier parmi ses amis spirituels, frère Jean (et Jean était son propre nom) de Jésus pauvre. Il serait bien difficile de déclarer ici les forts mouvements qu’il avait pour être pauvre, avec l’Homme-Dieu pauvre, l’adorable Jésus; il avait même des tendresses merveilleuses pour la pauvreté, à l’imitation de son bon Sauveur. C’était dans cette vue qu’il mangeait dans de la vaisselle de terre, comme les religieux capucins : qu’il ne voulait pas qu’il y eût aucune tapisserie dans le lieu où il logeait; qu’il mangeait du gros pain, que l’on appelle en Normandie du pain bis, et que l’on nomme autre part du pain noir; et que lorsqu’il était obligé de prendre quelque chose le matin, il le prenait sec, sans vouloir manger rien qui y pût donner du goût, comme, par exemple, du beurre.

Or, cet amour pour une vertu dont on veut si peu dans le monde, et que presque tout le monde fuit, qui est même si rarement goûtée parmi bien des gens de dévotion, fit de si grands progrès dans son cœur, qu’enfin il voulut actuellement être pauvre par un entier dépouillement de tout son bien, qui était considérable. Cent et cent fois il avait regardé ce dépouillement comme l’un des plus heureux états de la vie. L’un de ses plaisirs était de se figurer quelque conduite de Providence qui, lui ayant fait perdre tout son bien, l’obligerait à aller mendier son pain de porte en porte. il ne pouvait envisager cet état que comme le paradis de la vie présente. Le P. Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce, et qu’il n’aurait jamais de parfait repos qu’il n’y fût comme dans son centre. Ce sentiment d’un directeur si éclairé dans les voies de l’Evangile, adressé à un disciple qui les aimait si fortement, en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre; mais comme son bon directeur n’était plus ici-bas en ce monde, il ne trouvait presque personne qui ne s’y opposât. Ce n’est pas qu’il eût pris d’autre directeur depuis la mort du saint homme, se réglant toujours par les conseils qu’il en avait reçus, et demeurant même dans cet état par ses avis. Il lui avait bien demandé quel directeur il choisirait après sa mort, mais il lui avait répondu confidemment qu’il n’en connaissait point qui lui fut propre : ce qui a assez de rapport à ce que dit saint François de Sales, qu’entre dix milles l’on a peine à en trouver un qui ait toutes les qualités que Dieu demande; ainsi il n’en a point eu d’autre. Cependant, comme il était très-humble, il ne laissait pas de prendre quelques avis des serviteurs de Dieu dans les occasions. Mais où en trouver qui conseillassent à un trésorier de France, qui prenait soin de toutes les bonnes œuvres du pays et qui était l’asile de tous les nécessiteux, qui (1313) lui conseillassent de quitter tous ses biens? Bien davantage, madame sa belle-sœur, par une conduite très-généreuse et bien contraire à l’humeur ordinaire, s’y opposait fortement, quoiqu’elle sût qu’il ne se dépouillait de ses possessions qu’en faveur de messieurs ses enfants; M. de Bernières jugeant en devoir user de la sorte, et croyant ne devoir pas vendre son bien pour le donner aux pauvres, comme l’Évangile le conseille, pour de bonnes raisons qui lui étaient particulières en cette rencontre, et qu’il regardait dans l’esprit de l’Évangile. Il avait donc de grands obstacles à surmonter; et, parmi toutes les difficultés qu’on lui faisait, il me dit un jour : ma belle-sœur fait de son mieux pour empêcher que je ne sois pauvre : elle me fait parler pour ce sujet par de bons religieux; mais enfin il n’est pas en mon pouvoir d’être plus longtemps riche. Je ne saurais plus supporter les biens temporels, et, si ma famille ne veut pas prendre ceux que je possède, je les vendrai pour les donner à ceux qui se présenteront : il n’y a plus moyen de n’être pas pauvre. Effectivement il le montra bien, car il fallut le laisser faire et le laisser dépouiller de tout ce qu’il possédait. Il fut donc véritablement pauvre, et, dans ces dernières années, il vivait de ce qu’on lui donnait : ce que son illustre famille faisait à la vérité abondamment, mais toujours il était dans la dépendance, et il n’avait plus rien en propre.

Un si grand dégagement donna lieu aux plus saintes grâces du ciel, qu’il versait avec largesse dans le cœur d’un homme qui avait tout quitté pour le posséder. Sa mortification intérieure suivait son dégagement extérieur; Dieu seul lui était tout en toutes choses dans l’union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il avait une conscience si pure, qu’il m’a témoigné un jour qu’il souffrait de ce qu’étant allé en pèlerinage à un lieu consacré à Dieu en l’honneur de son immaculée Mère, sous le titre de Notre-Dame de la Délivrance, dans la compagnie de plusieurs saintes personnes, il en avait reçu une joie sensible dans les entretiens de ces personnes d’élite et d’une rare vertu, et il craignait que la nature n’y eût pris quelque part; c’était la matière qu’il avait pour se confesser, comme il me l’avoua bonnement. La vue de Dieu seul, qui lui faisait mener une vie si pure, lui inspirait un grand zèle pour établir la même pureté dans ses amis spirituels; ce qu’il me fit assez paraître un jour, lorsqu’étant invité d’aller chez une personne de qualité, où l’on devait toucher un instrument de musique, il me dit, me parlant de l’un de ses amis qui tendait beaucoup à Dieu : Je ne sais si je l’y dois mener, j’ai peur qu’il ne soit pas encore assez fort, et que la nature ne prenne part au plaisir de la musique; mais voici des sentiments bien capables de faire voir l’extrême pureté où il était arrivé. Il assurait que la désolation d’une province, où tout ce qu’il avait de plus cher serait engagé, n’y considérant que les pertes et les maux temporels qui en arriveraient (1314) lui serait quelque chose do moins insupportable qu’une seule action indifférente, supposé qu’il y en ait. Or voici la raison qu’il en rendait : c’est que dans le Chrétien, disait-il, tout doit être surnaturel et divin dans ses opérations; c’est l’Esprit de Jésus-Christ qui l’anime, qui le gouverne, qui agit par lui. Si donc il agit purement en homme, il fait cesser l’opération de Jésus-Christ pour substituer la sienne en sa place : ce qui lui semblait une chose étrange, quand bien même l’action ne serait qu’indifférente et qu’il n’y aurait pas de péché. C’est, disait-il, tomber plus haut que du ciel en terre, puisque c’est tomber de l’opération d’un Homme-Dieu dans l’opération d’une pure créature. Eh! que dirait-on si on voyait ce Dieu de toute grandeur visiblement vouloir mettre sa main à une chose, et qu’une créature fut assez présomptueuse pour l’empêcher et y mettre la sienne à sa place? Mais n’est-ce pas ce que nous faisons quand nous cessons d’agir en Chrétiens, surnaturellement, et par l’Esprit de Jésus-Christ, pour agir seulement en hommes?

Cette pureté si simple venait de sa grande union avec Notre-Seigneur dans l’oraison, qui a fait la grande occupation de se vie. Son saint directeur lui avait conseillé pour y vaquer avec plus de liberté, de faire bâtir un logis dans l’entrée de la maison des religieuses ursulines de Caen, près de la grande porte de leur cour extérieure, l’assurant qu’un jour elle servirait à plusieurs serviteurs de Dieu pour s’y retirer. Ce fut le bon Père qui en donna et traça le dessin, le nombre et la grandeur des chambres, et tout ce qui devait accompagner ce petit bâtiment; l’ou a bien vu par la suite que le Père parlait par l’esprit de Dieu. On appelait ce lieu l’Ermitage, parce que, quoiqu’il fût dans une grande ville, on y menait une vie retirée, et toute d’oraison. Je puis assurer avec sincérité, qu’ayant eu la grâce d’y passer deux ou trois mois, je n’y ai jamais oui d’autres entretiens durant tout ce temps-là, que ceux de l’oraison. L’on n’y parlait d’autre chose, et durant le temps de la récréation, aussi bien qu’en tout autre temps : et en vérité, c’était la plus douce récréation de ce saint lieu; et ce qui est de merveilleux, c’est que l’on ne s’en ennuyait jamais. L’ou y passait les jours, les mois et les années en parlant toujours de la même chose, qui semblait toujours nouvelle; et c’est qu’elle tendait uniquement à Dieu seul, le seul lieu de notre véritable repos. Les discours du monde, les nouvelles de la terre n’y avaient aucun accès : il n’y avait aucun exercice particulier de piété réglé, parce que l’oraison perpétuelle eu faisait toute l’occupation. L’on s’y levait de grand matin, et durant toute la journée c’était une application continuelle à Dieu. M. de Bernières sortait pour les affaires de Dieu et pour les fonctions de se charge : mais ceux qui l’ont connu, savent qu’il ne sortait jamais de l’union avec Dieu. Il avait passé par différents degrés de l’oraison, et enfin il y était élevé dans ce (1315) qu’il y a de plus sublime; et l’on peut dire, sans exagérer, qu’il a été, tout trésorier de France qu’il était, un des plus grands contemplatifs de notre siècle.

C’était dans cet exercice angélique qu’il avait puisé les divines lumières que toute l’Europe admire dans ses traités de la vie intérieure. Mais je dois avertir ici, qu’ils n’ont paru qu’après l’heureux décès de leur digne auteur, qui a dicté toutes les lumières que l’on y voit sans aucun dessein qu’elles fussent données au public, ni d’en composer aucun livre; il les dictait seulement à un bon prêtre qui logeait avec lui, et qui les écrivait, parce qu’il ne pouvait le faire lui-même, à cause qu’il était fort incommodé de la vue. Il les dictait par pure obéissance à son directeur, qui par inspiration divine le lui avait ordonné; et nous pouvons dire qu’on lui en a l’obligation tout entière, en ce que l’esprit de Notre-Seigneur s’est servi de lui, pour ne pas laisser ensevelir tant de grâces. Il y a encore bien des sublimes vérités que le public n’a pas vues : je me souviens d’en avoir vu quatre tomes de manuscrits fort amples, qui peuvent servir d’une vaste matière à en composer de nouveaux traités, comme ils ont servi à composer le Chrétien intérieur, car, comme je l’ai remarqué, M. de Bernières dictait seulement les lumières de son oraison par pure obéissance, sans dessein d’en faire aucun livre. L’onction divine qui s’y fait goûter marque assez de quel esprit partaient toutes ces pures lumières; c’est ce qui a fait que le livre du Chrétien intérieur a été lu de tous côtés dans les communautés d’hommes et de filles, qu’il a été goûté par les doctes, aussi bien que par les ignorants : qu’on l’a vu entre les mains de personnes de toutes sortes d’états, et de la première qualité; qu’il a passé de la France dans les autres royaumes; qu’il a été traduit en plusieurs langues; qu’il a paru à Rome, et y e été reçu avec un accueil extraordinaire; que les cardinaux et les évêques en ont fait leur lecture; et qu’enfin partout il a été un livre de bénédiction.

Or, son digne auteur n’en a pas seulement distribué les grandes vérités par cette voie, dont la divine Providence s’est voulu servir, mais il les a de plus établies de vive voix par une vocation assez extraordinaire : je l’appelle extraordinaire, en ce qu’étant laïque, grand nombre de personnes avaient recours à lui, pour en recevoir les conseils pour la direction de leurs consciences. J’avoue en même temps que ces sortes de voies ne doivent tirer à aucune conséquence, puisqu’elles ne sont pas dans la conduite ordinaire de la divine Providence, et que ce serait une dangereuse illusion de vouloir les imiter. Après cela il faut demeurer d’accord que Dieu a suscité dans l’ancienne loi des prophètes d’une manière singulière pour annoncer ses vérités; qu’il est le mettre dans nos temps aussi bien que dans ces siècles, et qu’il fait ce qu’il lui plaît il serait difficile de dire le nombre de personnes différentes et de divers états qui demandaient (1316) des avis spirituels à cet homme si éclairé dans les voies intérieures. Non seulement il était consulté par les laïques, mais par les ecclésiastiques et les religieux. Grand nombre de ces derniers ont fait des retraites dans sa maison avec la permission de leurs supérieurs; et les supérieurs mêmes de plusieurs ordres lui ont demandé des conseils. Je sais un ordre qui en a reçu des bénédictions signalées, et auquel il a merveilleusement contribué, pour le mettre dans la parfaite régularité dans laquelle on l’a vu. L’on peut écrire de lui qu’il a fait des saints; comme on l’a écrit de son digne directeur; car c’était une chose admirable de voir le changement que l’on remarquait dans les personnes qui avaient des liaisons spéciales avec lui, et particulièrement dans les ecclésiastiques et les religieux. Ceux qui aspiraient aux dignités et aux charges, qui se piquaient de science et d’honneur, ne pensaient et ne parlaient plus que de la vie cachée, abjecte et pauvre, de n’être plus rien dans les esprits et dans les cœurs des hommes; de faire leur grande étude aux pieds de Jésus-Christ crucifié, de vivre d’une vie continuelle de mort, pour ne plus vivre que de la vie divine.

L’on ne peut objecter qu’une seule chose à tant de grâces, c’est l’indiscrétion de quelques jeunes gens, emportés par leur zèle, qui avaient demeuré avec lui dans cet ermitage; mais il est aisé d’y répondre puisque la chose n’est arrivée que longtemps après sa précieuse mort; elle n’a donc pu être faite par ses avis, puisqu’il n’était plus en ce bas monde pour les leur donner. Après tout, il ne faut pas tant être surpris si quelques disciples de M. de Bernières, après son décès, se sont laissés aller à quelques excès de zèle, puisque Jésus-Christ le souverain directeur des âmes, en eut des multitudes qui se sont égarés, même dans de mauvaises erreurs, interprétant mal son saint Évangile. Je demande après cela s’il faut s’en prendre à notre adorable Maître, et si les illusions de ces Chrétiens trompés doivent être rejetées sur celui dont ils faisaient profession d’être les disciples. Mais afin que les lecteurs qui ignorent ce que nous écrivons, puissent être instruits de la vérité, je dirai que l’emportement de quelques jeunes gens qui avaient demeuré avec M. de Bernières leur est arrivé par un pur excès de zèle qu’ils avaient pour la foi catholique; ce qui les obligea d’aller crier per les rues dans un habit abject, et pouvait les faire passer pour ridicules, et publier hautement leurs sentiments. Ils furent quelque temps dans cet excès de zèle; mais ce qui est remarquable, c’est qu’il n’y en a pas eu un seul de toute cette troupe, je parle de ceux qui avaient demeuré avec I’auteur du Chrétien intérieur, qui se soit démenti de la pratique solide de la vertu. On les a vus, après cet emportement, exceller dans les plus sublimes vertus, tenir une conduite fort sage et très réglée, travailler pour le prochain avec des bénédictions surprenantes : il y en (1317) a qui ont beaucoup servi au gouvernement de plusieurs diocèses, dont on a pris les avis, et qui ont été consultés généralement avec des succès tout particuliers : il y en a qui sont morts dans une grande odeur de sainteté. J’ai cru devoir faire cette remarque en passant, au sujet de la mémoire de M. de Bernières, que quelques-uns ont voulu combattre au sujet de ces jeunes gens, sans en avoir un véritable fondement.

Mais c’est avec sujet que nous pouvons dire qu’elle est en bénédiction, pour les grâces que le ciel lui a faites, et pour les vertus solides qu’il a pratiquées. Il recevait assurément des grâces de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui étaient très-particulières. Ses paroles étaient pleines d’une force divine, et gagnaient les cœurs à Dieu. L’ayant un jour averti de quelques manquements d’une personne qui dépendait de lui, je remarquai qu’il fut assez longtemps sans lui en rien dire; et j’admirai après cela, que lui ayant fait voir ses défauts en très peu de paroles, et pour ainsi parler, sans presque lui rien dire, cette personne demeura tout à coup comme terrassée sous le poids du peu de paroles qu’il lui avait dites, et apporta le remède à ses manquements. Je vis bien qu’il avait tardé à l’avertir, non pas par aucune négligence, mais attendant le mouvement de l’esprit de Dieu qui agissait en lui. S’il lui eût parlé plus tôt, il l’eût fait en homme, et ses avis n’eussent pas eu les effets qui arrivèrent.

Dieu lui donnait des lumières extraordinaires sur les besoins extérieurs et intérieurs (note : c’est de lui-même que Boudon parle ici en tierce personne). J’ai connu une personne qui, étant dans une ville éloignée de celle où il demeurait, qui, ne vivant qu’o des purs secours de la divine Providence, et étant dépourvue pour lors de toutes choses; pour pouvoir faire un voyage qu’elle devait entreprendre, comme elle ne savait que faire, demeurant cependant dans une profonde paix et sans s’inquiéter du lendemain, Dieu tout bon voulut faire connaître son besoin au saint homme, et il lui en donna lumière tout à coup dans son oraison; ce qui le pressa de lui envoyer cent francs (et c’est l’unique fois qu’il lui a donné quelque chose) qu’elle toucha la veille ou le matin du jour qu’elle devait partir. Un jour m’ayant dit ses sentiments au sujet de quelque chose qu’il pensait que Dieu demandait de moi, peu après il me dit tout le contraire, et m’assura qu’il en avait reçu la lumière, dans son oraison, que je ne puis douter venir de Dieu, par la longue expérience que j’en ai eue, et que j’ai encore parfaitement. Il avait le don de la foi dans un très éminent degré, portant une opposition extraordinaire à toutes les nouveautés en fait de doctrine. Le respect qu’il avait pour les indulgences était très-singulier et il portait toujours sur lui plusieurs médailles bénites : il avait une profonde vénération pour les plus petites cérémonies de l’Église. Sa dévotion pour la (1318) très sacrée Vierge, et spécialement envers son Immaculée Conception, était toute particulière. Il était de sa congrégation, érigée dans les maisons de la Compagnie de Jésus, et qu’il a fréquentée assidûment jusqu’à sa mort, ayant toujours conservé une liaison de grâce très-grande avec les enfants de saint Ignace de Loyola, qui la gouvernent. Il a excellé dans le culte des anges bienheureux et des saints; et comment n’aurait-il pas grandement honoré les saints du paradis, ayant eu tant de respect pour les saints de la terre? Il est parti plusieurs fois de la basse Normandie, pour faire des voyages sans autre motif ou dessein que d’aller, comme il disait, chercher les saints.

Et de vrai, il a eu habitude, avec grand nombre de personnes qui ont éclaté en sainteté; et, après avoir bien cherché les saints, les saints sont venus le chercher; sa maison, comme il a déjà été dit, et selon la prédiction du bon P. Jean Chrysostome, ayant servi de retraite aux serviteurs de Dieu et de son immaculée Mère. Je sais plusieurs personnes de grand mérite qui y ont été et qui sont maintenant élevées à la dignité épiscopale. Entre ce nombre, feu Mgr l’évêque de Bérite, l’un des premiers évêques de la Chine, est bien remarquable. Ceux qui ont lu les relations de ce vaste et éloigné pays, savent les excellentes vertus de ce très digne prélat, et les grandes bénédictions que Dieu tout bon a données à ses fonctions apostoliques. Mgr l’évêque de Québec en Canada mérite bien aussi d’être considéré pour ses rares mérites; et il est juste de remarquer que la divine Providence s’est voulu servir de M. de Bernières pour le bien de la religion et la propagation de la foi dans les extrémités du monde, dans l’empire de la Chine et dans tout le pays du Canada. Ceux qui voudront savoir les grands secours que ce dernier pays en a reçus pourront les lire dans la vie de la vénérable mère Marie de l’Incarnation, supérieure des religieuses Ursulines de Québec, qu’il alla prendre à Tours pour la conduire jusqu’au port où elle devait s’embarquer quand elle y passa de France. Cette vaste et étendue charité qu’il avait pour toutes sortes de nations et de peuples était fondée sur une foi vive qu’il avait de celle de Jésus-Christ, qui s’étend universellement sur tous les hommes; et il était si saintement et si ardemment zélé pour cet amour sans réserve de notre débonnaire et miséricordieux Sauveur, qu’il s’était fait faire un cachet qui portait l’image de ce Sauveur crucifié, avec cette inscription; Jésus est mort pour tous les hommes. Il e même voulu que ces paroles fussent écrites sur son tombeau, ana qu’il pût en cette manière continuer à publier hautement les sentiments de sa foi touchant la mort de son divin Maître. Et comme il avait assez marqué sa volonté à ce sujet durant sa vie, elle a été fidèlement exécutée, et on lit ces paroles écrites en gros caractères (1319) sur le tombeau du serviteur de Dieu et de son immaculée Mère : Jésus-Christ mort pour tous les hommes. Ainsi, tant que durera ce tombeau, qui est dans l’église des Ursulines de Caen, dont sa très digne sœur, qui en a été longtemps supérieure, a été aussi la fondatrice, il apprendra à tous ceux qui l’approcheront l’amour universel de l’aimable Jésus pour tous les hommes. L’on rapporte plusieurs miracles faits sur des personnes qui ont eu recours à ses intercessions; mais li en faut laisser le jugement aux prélats, à qui il appartient d’en décider. Seulement je crois devoir dire qu’o les personnes qui ont cru avoir été secourues miraculeusement sont des personnes du monde, de qualité, de bon esprit, et qui ne donnent pas légèrement créance aux choses extraordinaires, étant très retenues en ces rencontres.

La seconde personne que nous pensons devoir nommer, et qui a fait des progrès admirables dans les voies de la pure vertu sous la conduite du vénérable P. Jean Chrysostome, a été feu M. de la Forêt. Nous avons dit que le bon Père étant encore jeune écolier prenait la liberté de lui écrire sans le connaître, et sur la seule réputation de sa sainteté, afin de s’enflammer par ses lettres dans les flammes du pur amour. Nous avons dit comme M. de la Forêt ne rebutait pas ses lettres, et voulait bien même lui faire réponse. Mais quelques années après, ce jeune écolier s’étant fait religieux, et ayant été envoyé à Paris, il eut une sainte liaison avec ce grand serviteur de Dieu, qui ayant découvert en lui des lumières admirables qui lui étaient données pour mener les âmes à Jésus — Christ, et qui étaient accompagnées d’une haute sainteté, il n’eut pas honte do se rendre disciple de celui dont il avait été le maître, et de se mettre sous sa conduite. Le Père composa sa vie après sa mort, dans laquelle il a décrit dignement ses éminentes vertus et les grâces signalées qu’il avait reçues de Dieu. Il est enterré en la chapelle de la Sainte Vierge, chez les religieux pénitents de Picpus, proche Paris, avec une épitaphe écrite sur un marbre, que le même Père a composée.

L’on pourrait rapporter ici un bon nombre d’autres grandes âmes qui, comme des géants, pour me servir des paroles de l’Écriture, ont couru avec ardeur dans les voies de la sainteté sous un si bon guide; car le Seigneur lui avait donné la science des saints et un zèle extraordinaire pour l’établissement du règne de Jésus-Christ dans les cœurs, sans y voir et sans y chercher autre chose. «Il ne faut voir que Dieu seul,» les directeurs qui mêlent leur propre esprit avec le sien, et leurs propres intérêts avec ses divins intérêts, ne font point avancer les âmes; mais surtout il faut savoir «que le directeur humain, mondain et plein de la prudence de la chair est extrêmement préjudiciable aux pauvres âmes.» Et de vrai, comment donner ce que l’on n’a pas? un homme qui a l’esprit (1320) du monde n’est point propre à communiquer l’esprit de Jésus-Christ.

Sainte Thérèse, dans la 3e demeure du Chateau intérieur, remarque très-bien que le directeur ne doit pas avoir l’humeur mondaine [...]

Chapitre IX. De ses traités spirituels.

[...]

Or, l’expérience faisant voir que les exemples des saints sont des moyens très-efficaces pour y engager, le P. Chrysostome a écrit plusieurs Vies, où en a fait des remarques excellentes et très-touchantes : comme de saint François, son patriarche, de sainte Élisabeth de Hongrie de son troisième ordre, de sainte Christine l’admirable, de saint Scocelin [sic] l’incomparable dans la vertu de la pauvreté. Nous avons encore de lui un abrégé des états de grâce et de gloire du serviteur de Dieu, le P. Bernard, surnommé le pauvre prêtre, qui est décédé à Paris en grande odeur de sainteté [...]

Chapitre X. De sa dernière maladie et précieuse mort.

[...] (1328) Revenons à notre digne et excellent religieux. Sa maladie commença par une fièvre quarte, qui l’abattit si fort que les médecins lui ordonnèrent de garder la chambre, ou au moins de ne plus sortir du couvent. Dès lors il se regarda comme un homme qui devait bientôt partir du monde, et qui n’en était plus, et il y avait déjà longtemps qu’il en était sorti par son entier et parfait dégagement. Depuis ce temps-là, si on lui écrivait, il répondait en peu de paroles, sans plus souscrire ni mettre son nom, comme s’il n’eût plus rien été, Jésus étant toutes choses en lui. C’est pourquoi, au lieu de sa signature, il mettait : Jésus-Christ soit notre unique amour; ou bien : Aimons Dieu sans réserve, Dieu soit notre vie et notre unique tout par son Fils Jésus-Christ. O heureux, ô aimable, ô divin rien qui nous fait passer si glorieusement dans le grand et véritable tout I qu’il est doux et infiniment doux d’être au monde comme si l’on n’y était point, caché et perdu aux yeux des créatures, enseveli dans un profond oubli, comme les morts qui sont dans le sépulcre, pour être tout à Jésus, tout caché et abîmé en Jésus. O mon Dieu, mon Dieu, que tout le reste de notre rie soit enseveli avec l’aimable Jésus dans le tombeau t Ah! que nous ne soyons plus, afin qu’il soit; que nous cessions de vivre, afin qu’il vive seulement en nous!

C’était cet adorable Sauveur qui vivait uniquement dans le P. Chrysostome, pendant que son corps s’en allait peu à peu à la mort. Sa maladie, qui était causée par une mélancolie violente, lui donnait de (1329) grands accès qui le prenaient tout à coup, quoique son esprit fût fort paisible; et il lui semblait qu’on lui déchirait le cœur, de sorte qu’il était obligé de prendre son estomac avec ses deux mains, et de pousser quelques soupirs au-dehors pour trouver un peu de soulagement. Mais, en même temps que son corps gémissait sous le poids des douleurs, son esprit demeurait accablé de pesantes croix. Nous avons vu comme il les avait demandées à Dieu; et Dieu, qui avait pris plaisir à ses demandes, parce que c’était lui qui les lui avait inspirées, les lui accorda abondamment. Il désirait de souffrir sans réserve, il fut aussi crucifié en toutes manières; mais ce qui rendait sa croix comme accablante, c’est qu’elle était sans consolation, sans appui sensible, sans douceur. Parmi une multitude de douleurs qui l’environnaient do toutes parts, ses forces corporelles étant épuisées, son esprit était réduit comme aux abois, et il pouvait bien dire avec son Seigneur et son Sauveur : Mon âme est triste jusqu’à la mort. (Math. xxvi, 38.) Les obscurités où il avait été jeté n’avaient point de clarté, et ses ténèbres étaient sans lumière; ses nuits n’étaient suivies d’aucun beau jour; ses angoisses n’avaient point de soulagement; enfin, il était comme tout noyé dans une mer immense de douleur. Il est vrai que la paix demeurait toujours dans la cime de son âme; mais cette paix n’était point aperçue, mais démentie par ses sens, mais combattue même par sa partie inférieure raisonnable. On pouvait bien dire de lui ce qui a été écrit de son Maître, qu’il était l’homme de douleurs. (Isa. LIII, 3.) Les plus grandes croix deviennent faciles, et leur amertume se change en douceur lorsqu’elles sont goûtées dans l’intérieur; mais lorsque les souffrances sont pures et sans mélange d’aucune consolation, et à l’extérieur et à l’intérieur, la pauvre âme se trouve réduite dans d’étranges angoisses. Dans cet état que portait le P. Chrysostome, il pouvait bien dire avec le Psalmiste : les douleurs de la mort m’ont environné; les douleurs de l’enfer m’ont affligé; les filets de la mort m’ont prévenu. (Psal. XVII, 5.) Cependant il ne faut pas s’imaginer que pour lors il soit retourné en arrière; que dans le temps de la tempête il ait regretté la bonace : son fonds est toujours demeuré le même, quelque agitation qu’il ait soufferte dans la partie sensitive et inférieure raisonnable. L’amour de la croix est demeuré constant et inviolable dans la cime, ou partie suprême de son âme.

Ayant été soulagé de sa fièvre quarte, il s’en alla à Saint-Maur, qui n’est pas éloigné de Paris, pour y voir la révérende mère du Saint-Sacrement, maintenant supérieure générale des religieuses bénédictines du Saint-Sacrement. Pour lors il n’y avait pas longtemps (1330) qu’elle était sortie de Lorraine, à raison des guerres, et elle vivait arec un très petit nombre de religieuses dans un hospice sous les soins de la divine Providence, qui la réservait pour les desseins que nous voyons maintenant heureusement accomplis. Elle était l’une des filles spirituelles du bon Père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie; il passa environ neuf ou dix jours à Saint-Maur, proche de la bonne mère, et ce fut là où il dressa un écrit fort exact de la confession générale qu’il fit peu de jours après, avant que de mourir. Il écrivit tout ce que sa mémoire lui put fourrer de tontes ses fautes, et jusqu’aux moindres petits manquements, avec une exactitude si singulière, qu’il se levait la nuit de temps en temps pour écrire aussitôt tous les défauts dont il se souvenait. Il n’y avait pas longtemps cependant qu’il avait fait une confession de toute sa vie; mais l’extrême pureté de sa grâce le pressait de se purifier de plus en plus dans le sang de Jésus-Christ, dont les mérites sont appliqués par le sacrement de pénitence. C’était cette vue qui le portait aussi à s’approcher très souvent de ce sacrement, durant le reste de sa vie. Et nous lisons de plusieurs saints, qu’ils se confessaient tons les jours, et quelques-uns plusieurs fois par jour. Ce qui ne me surprend nullement [...]

(1331) Le saint homme, qui était exempt de scrupules, agissait par des vues de l’infinie pureté de Dieu, ce qui l’obligeait et à s’approcher souvent du sacrement de pénitence, et à faire des confessions générales. Au retour de Saint-Maur, une petite fièvre continue l’ayant pris, il ne dura que cinq jours, et passa des misères de cette vie dans la bienheureuse éternité. Il avait eu durant toute sa maladie de grandes craintes des jugements de Dieu et de la mort; mais cette crainte s’augmenta beaucoup pendant les quatre derniers jours, et extraordinairement durant les deux qui précédèrent son bienheureux décès. Toutes ses grandes lumières s’éclipsèrent, toute la ferveur sensible de sa dévotion s’éteignit, il entra dans des ténèbres lamentables, son esprit devint tout stupide, et il pouvait bien dire avec son bon Maître : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné?» (Malth. xxvii, 66.) Voici, dans cet état, ce qu’il écrivit aux religieuses de Sainte-Elisabeth : «Mes chères sœurs, Jésus soit à jamais notre très unique amour. Il est bien tard d’attendre à bien faire à la mort, et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi, et employez sans réserve toutes vos petites forces pour amasser du pur amour, de la mortification et de la pure vertu. C’est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection, de mourir avec de la paille. Je sens présentement tout ce que je vous écris. Le plus grand plaisir que vous me pourriez faire, est de pratiquer beaucoup do fidélité et de m’en faire part. Je vous recommande surtout une grande charité envers vos sœurs, et particulièrement pour votre révérende mère supérieure.»

C’est ainsi que les saints meurent, reconnaissant sincèrement, et le déclarant hautement, après tant de bonnes œuvres qu’ils ont faites, qu’ils sont des serviteurs inutiles, comme notre divin Maître nous l’ordonne. Le bienheureux P. Jean de la Croix, premier Carme déchaussé, qui a paru comme un séraphin en notre terre, assurait à sa mort qu’il n’aurait pas voulu justifier aucune action de sa vie. Toute créature, pour sainte qu’elle puisse être, a sujet de s’humilier infiniment devant Dieu, et de ne se confier qu’en ses miséricordes. Il n’y a personne, quelque juste qu’il soit, qui no doive partir de ce monde, dit saint Augustin, dans un grand et sincère esprit de pénitence. C’est pourquoi notre saint religieux demandait humblement que l’on priât pour lui obtenir une véritable contrition de ses péchés, et il supplia instamment le Père provincial de lui permettre de mourir avec le cilice; et de vrai, notre partage est l’enfer, et l’ire de Dieu. [...]

Enfin, après avoir souffert beaucoup sa vie, et porté de pesantes croix à l’imitation et dons l’union de son divin Chef, et comme l’un de ses véritables membres; après avoir été dans une rude agonie et douloureusement crucifié, il expira sur la croix, et mourut le lendemain de la fêle de l’Annonciation de l’Immaculée Mère de Dieu, à laquelle il avait été si singulièrement dévot, le vingt-sixième de mars de l’année mil six cent quarante-six, qui est environ le temps dans lequel plusieurs estiment que le Sauveur de tous les hommes est mort pour leur salut. Il était âgé de cinquante-deux ans [...]

L’on remarqua qu’o la plupart des religieux du couvent de Nazareth, où il mourut, fondaient en larmes, et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher. J’ai fait la même remarque dans la Vie du P. Seurin, dont j’ai déjà parlé par occasion en cette Vie. [...]

Les religieuses de Sainte-Elisabeth lui donnèrent leurs larmes, aussi bien que les religieux de son couvent. Il fut regretté de tous côtés, dans les maisons religieuses, dans les maisons séculières, parmi les petits et les grands; chacun soupirait sur cette perte commune. Son corps fut deux jours sans être mis dans le tombeau, et il fut longtemps exposé pour satisfaire à la dévotion des peuples et des personnes de grande qualité, et des premières de la cour. [...]

Chapitre Xl. Sa mémoire est en bénédiction.

[...] Le feu roi Louis XIII en avait une haute estime et l’honorait beaucoup, et il s’est servi de lui dans des affaires très fâcheuses, et qui retardaient le bleu public du royaume. La reine mère Marie de Médicis et la reine Anne d’Autriche avaient une vénération singulière pour sa vertu, qui était vraiment héroïque; elles prenaient un saint plaisir dans sa conversation, qui était toute céleste. Elles avaient en lui une entière confiance, ce qui les obligea de l’envoyer en Espagne à la révérende mère Louise de l’Ascension, religieuse de Sainte-Claire au monastère de Burgos, pour la visiter et la consulter de leur part, c’était une religieuse favorisée de grâces bien extraordinaires, et qui avait le don (1355) de prophétie; ainsi ces grandes reines l’envoyaient consulter sur plusieurs difficultés qu’elles avaient. Mais il faut remarquer sur ce sujet que ces sortes de consultations sont grandement exposées à la tromperie [...]

L’éminentissime cardinal de Richelieu le considérait extraordinairement; et comme c’était un homme de grande lumière, il connaissait beaucoup le mérite du Père, dont il approuvait la conduite chrétienne, et admirait ses pénitences et ses austérités. [...]


 



 

Présentation des écrits de Chrysostome publiés par ses disciples Bernières et Mectilde

Les Divers exercices… publiés à Caen par les soins de Bernières (et non pas «traités» publiés à Paris par les soins de Mectilde), dont nous connaissons trois exemplaires, publiés quatre années après les traités, comprennent trois parties paginées séparément[19].[c1]  La première partie rassemble de nouveau divers schémas propres à des retraites qui reflètent l’atmosphère doloriste de l’époque. Quelques extraits suffiront à mieux faire comprendre ce vécu dévot, en un aperçu unique d’une littérature qui fut très abondante.

Cette littérature privilégie les croix et l’exemple du Crucifié. Elle supprime trop tôt et par volonté propre les joies naturelles à la vie, au risque de provoquer des réactions très fortes, inconscientes, parce que réprimées, attribuées à l’époque aux démons. Elle met en place un réseau de contraintes où l’ascétisme prend facilement la première place, ce qui empêche toute vie intérieure mystique donnée par grâce de s’épanouir. Ce qui était liberté et joie devient limitation et peur. La vie naturelle est culpabilisée et contrôlée afin d’être évacuée au plus tôt : on privilégie ainsi l’exercice de la volonté si cher au Grand Siècle. Mais il est vrai que la vie était souvent courte et soumise aux aléas des maladies, ce qui suggérait d’aller vite!

Cet esprit du temps ne s’améliorera pas au fil du siècle. Les illustrations d’excès commis sont innombrables, telles les épreuves que s’inflige dans sa jeunesse Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada, avant de devenir lui-même un très profond spirituel; telle l’ascèse moralisante recommandée par le milieu de Port-Royal, que supporte fort mal Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes et père du duc de Chevreuse (ce dernier deviendra disciple de Madame Guyon — qui en fournit elle-même un témoignage dans le récit de sa jeunesse). Cet excès débordera le siècle au sein du monde dévot et couvrira la première moitié du XVIIIe siècle[20].

L’Imitation a été le texte préféré d’une dévotion qui s’écarte de la pure mystique d’un Ruusbroec pour se charger de culpabilité voire de pratiques masochistes imitant les souffrances physiques de Jésus[21]. Cette dévotion ne correspond guère à ce que propose Jean-Chrysostome : il se démarque de son temps par son insistance sur la liberté et l’absence de vœux; l’exercice «doit être très libre, sans contrainte, et sans empressement», pour servir l’Amour toujours premier. Mais d’autre part il fonde la «Société de la sainte Abjection» et — tout en admirant les héros cornéliens ses contemporains — nous regrettons l’usure prématurée de ses disciples Renty et Bernières.

Chrysostome a dirigé des retraites, dont nous allons donner un exemple, car nous ne pouvons passer sous silence la tendance morbide qui caractérise bien d’autres textes contemporains. Un tel imaginaire dévotionnel à la frange de la vie mystique est de toute époque... La prière s’appuie ici sur des représentations sanglantes de Jésus-Christ, d’un goût trop épicé pour notre sensibilité — le piétisme, tel qu’il se présente dans les textes de certaines cantates de Bach, s’inscrira plus tard dans cette tradition.


 

Note sur la direction de Bernières par le P. Chrysostome

 

Une correspondance ignorée entre Chrysostome et Bernières est imprimée à la fin de l’ouvrage édité à Caen sous le nom de «Divers exercices de piété et de perfection [22].» Elle couvre la dernière moitié de la seconde partie de l’ouvrage intitulé «Diversités spirituelles» avec une pagination nouvelle (signe d’ajout précédant de peu l’édition locale à Caen?). Ces lettres non datées ont échappé à l’attention, car un Bernières discret se fait précéder par d’autres dirigé (e) s sans que son nom apparaisse [23].

C’est un document extraordinaire qui livre l’intimité des rapports entre les deux mystiques. On notera la netteté avec laquelle Chrysostome sait répondre aux questions de Bernières qui sont toujours proches des nôtres. Elles sont le plus souvent très concrètes (que faire de nos biens?) et hors de toute considération théorique.

Bernières n’a pas encore atteint à cette date une pleine maturité intérieure. Il va rapidement surmonter ses hésitations et des scrupules, et sera en cela vivement mené et encouragé par «notre bon Père Chrysostome». Voici ce dialogue de lettres dont les pièces sont numérotées; nous ajoutons l’incipit entre guillemets, les titres d’origine étant divers et imprécis.

 

 

Divers exercices de piété et de perfection

 

Composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes.

À la plus grande gloire de Dieu et de notre Seigneur Jésus-Christ.

À Caen, chez Adam Cavelier, imprimeur du Roy.

1654.

Avec Approbation.


 

 

(page de titre, face au beau portrait de Chrysotome :) «La Solitude des cinq jours. De la souffrance de Jésus dans le mépris d’Hérode»

 

Approbations des Docteurs.

Le livre qui a pour titre,» Divers exercices de piété, et perfection, composés par un Religieux", non seulement ne contient aucune proposition contraire à la Foi orthodoxe, ni à la morale chrétienne, mais au contraire, est rempli de méditations et aspirations dévotes sur les principaux points des souffrances, et humiliation de Jésus-Christ, que l’auteur y décrit avec une merveilleuse simplicité, ferveur et piété, pour réduire les âmes chrétiennes à l’amour de leur propre abjection, à l’imitation de notre Seigneur, et à la pratique de la pénitence, et de l’humilité, autant nécessaires à l’acquisition de la sainteté chrétienne, comme la superbe et la sensualité lui sont opposées; ensemble y donne plusieurs avis et résolutions fort salutaires à quelques âmes particulières, tant séculières que Religieuses, lesquelles désirant s’avancer sérieusement à la perfection, en aiment et chérissent les moyens principaux, l’Oraison et la mortification; c’est le sentiment que moi soussigné docteur en sainte Théologie de la faculté de Paris, j’ai conçu, le lisant attentivement, et le témoignage que la vérité m’oblige de donner au public, après l’avoir diligemment examiné en notre abbaye de Barbery, le septième mars de l’an 1654. Fr. Louis Quinet, abbé de Barbery. 1654.

 

J’ai lu avec attention les «Divers Exercices de dévotion, composés par un religieux», que j’ai trouvé conformes à la Foy, et fort propres pour la direction des âmes désireuses de porter la Croix, à la suite du Fils de Dieu. En témoignage de quoi j’ai signé, à Paris, le 21 mars 1654. Claude de Nyau, Docteur en Théologie.

 

J’ai soussigné Henri Marie Boudon Docteurs en Théologie, grande Archidiacre d’Évreux, certifie avoir lu, vu et considéré, avec attention, un livre intitulé, «Divers Exercices de perfection», dans lequel je n’ai rien trouvé que de très conforme à la doctrine de l’Église, et des Pères, et à la vraie et solide piété. Ceux qui ont connu l’Autheur verront ici les restes de son esprit, et combien en lui était pure la lumière de la grâce sur les Mystères et États anéantis du Sauveur, et sur les voies de perfection desquelles il a toujours parlé avec tant d’onction qu’il en a imprimé l’amour aux âmes qui ont eu le bonheur de l’entendre; il y a sujet d’espérer qu’on tirera beaucoup profit de la lecture de ces petits ouvrages, mais davantage de leur pratique, ce a été l’intention de l’Autheur. Et c’est le témoignage que je donne à la vérité, ce cinquième avril 1654. Henri Marie Boudon, Docteur en Théologie, et grand Archidiacre d’Évreux.


 


 

[Première partie paginée de 1 à 212]

Premier exercice traitant de la sainte vertu d’abjection

Premier traité : de la sainte abjection.

La société spirituelle de la sainte abjection

Pratiquée en ce temps avec grand fruit de perfection, par quelques dévots de Jésus humilié et méprisé.

Avis.

I. Ce livre est consacré à Jésus méprisé et abject.

II. Son auteur l’a donné aux humbles de cœur, Fidèles amants et vrais imitateurs du saint mépris et de la sainte abjection de Jésus.

 III. Il est divisé en divers petits traités, pour par cette diversité récréer saintement l’esprit du lecteur.

IV. Si vous êtes possédé de l’esprit humain et mondain, ne lisez pas ce livre, car il vous ferait mal au cœur et vous n’y comprendriez rien.

V. Pour faire profit de cette lecture, aimez Jésus humilié et méprisé, et proposez-vous fortement de l’imiter fidèlement en toutes les saintes pratiques d’Abjection; si vous faites cela, vous ferez et verrez des merveilles.

VI. Dieu, Jésus, et la sainte Abjection de la Croix, soient à jamais le très unique objet de notre amour.

(Page 3)

Règles de la société. 

Chapitre premier

I. Jésus-Christ seul dans les états d’abjection de sa vie voyagère, sera le chef de cette sainte société.

II. La Sainte Vierge sera reconnue de tous les associés pour unique directrice.

III. Tous les saints et toutes les saintes du paradis qui ont été dans la pratique et la dévotion particulière de la sainte Abjection, pendant qu’ils ont travaillé à leur sainte perfection en cette vie mortelle, seront les protecteurs de la Société.

IV. Cette société se pratiquant seulement d’une manière spirituelle, sans aucune obligation contraire aux différents états de la vie présente, tous ceux qui aspireront à cette perfection y pourront entrer, tant laïques qu’ecclésiastiques et religieux.

V. Encore qu’il soit libre à un chacun d’entrer en cette sainte Société et qu’elle puisse être universelle par toute l’Église, quelques Associés néanmoins pourront convenir ensemble pour s’assister les uns les autres en ce travail spirituel, ce qu’ils feront dans les manières discrètes que le Saint-Esprit leur inspirera, conformément à ce que plusieurs Religieux et Religieuses pratiquent saintement en leurs Communautés, au défi mutuel du saint exercice de quelque vertu.

VI. Cette sainte Société étant purement spirituelle et par conséquent libre et générale aux âmes de bonne volonté; ceux et celles qui y voudront entrer sont exhortés de le faire saintement, et en l’esprit de notre bon Seigneur Jésus-Christ, méprisé des mondains et abject à leurs yeux, Chef unique et adorable de tous les Associés.

 VII. Pour s’engager dignement et avec fruit de bénédiction à cette sainte Société, ceux et celles qui seront inspirés de le faire sont exhortés de s’éprouver un mois durant pendant lequel ils purifieront leur conscience, communieront souvent, examineront leur inspiration et liront ces règles, les traités suivants et autres livres spirituels qui parlent de la sainte abjection.

VIII. Le mois expiré, si l’inspiration continue d’entrer en cette sainte Société, ceux et celles qui le voudront effectuer feront après la sainte communion la protestation suivante, qui n’est autre chose qu’un ferme et bon propos de s’appliquer fidèlement à la sainte vertu d’abjection, sans vœu ni obligation d’aucun péché.

La sainte protestation d’Abjection qui se doit faire ensuite de la messe en laquelle on aura communié.

O mon Dieu très saint et adorable, Père, Fils, et Saint-Esprit; je vous adore avec tout le respect qu’il m’est possible dans l’infinité de vos divines grandeurs, et m’anéantissant aujourd’hui de toute ma volonté devant votre divine Majesté, reconnaissant que pour la multitude et malignité de mes péchés, particulièrement de superbe, d’orgueil, d’ambition, de propre excellence, et de vanité, je ne mérite que le centre de l’Enfer : je proteste d’en vouloir faire pénitence tout le reste de ma vie; et me confiant en votre bonté, et en votre sainte grâce, je me consacre et me donne sans réserve à l’esprit et aux dispositions de Jésus mon Sauveur et Seigneur, pour entrer en la communion de tous les états, et différentes pratiques de mépris et d’Abjection de sa vie voyagère, et pour aimer purement, et souffrir patiemment toute vileté et abjection, tout mépris, rebut, et délaissement, et toute persécution, injure, et calomnies de qui que ce soit sans exception, promettant, ô mon Dieu! d’en remercier votre Divine Providence comme d’une faveur très particulière pour corriger ma superbe et mon orgueil.

IX. Ceux et celles qui par cette sainte protestation, seront rentrés en la Société spirituelle et générale de la sainte Abjection, se souviendront de prier journellement pour tous les Associés qui sont en la sainte Église, afin qu’il plaise à la bonté Divine de leur multiplier la grâce et la lumière, pour travailler dignement et à sa pure gloire en ce saint exercice.

X. L’unique et essentiel Esprit de cette Société spirituelle consiste à vouloir être en tout, et par tout abjet [sic], à vivre abjet, et à mourir abjet.

Exercice journalier de cette sainte société.

Chapitre II.

Il doit être très libre, sans contrainte et sans empressement; de sorte qu’encore qu’il soit bon et fructueux de s’y appliquer fidèlement, l’exercitant néanmoins le fasse avec amour et liberté en partie ou entièrement, selon qu’il sera mû de sa grâce et que ses dispositions ou emplois le lui pourront permettre.

II. Cet exercice consiste en sept points. 1. En destination. 2. En fidélités ou actes de la sainte abjection. 3. En examens. 4. En consécration. 5. En oraisons vocales ou mentales. 6. En communions. 7. En maximes.

III. La destination se pratique le soir précédent, ou le matin de la même journée, par laquelle le dévot de la sainte abjection prévoit légèrement, sans beaucoup s’arrêter, comment à peu près il pourra passer cette journée, en quels emplois et dans quelles occasions, et comment par conséquent il pourra s’appliquer aux actes et fidélités de sa chère vertu, et ensuite il destine et se résout de le faire. Plusieurs pratiquent telle destination le soir précédent immédiatement après leur examen, les autres le font seulement le matin et au midi.

IV. Quant aux fidélités ou actes de cette sainte vertu, c’est en la pratique d’iceux que consiste le fruit principal des fidèles exercitants, car par tels actes ils entrent en une grande habitude de la sainte abjection, et en la pureté de l’esprit de Jésus-Christ abject et méprisé, et nous en voyons quelques-uns, lesquels, afin de se fortifier en leur grâce et en leur travail par la vertu du saint sacrement de pénitence, se les font ordonner en confession, en tel ou tel nombre par leurs directeurs.

V. Pour ce qui est de l’examen, les exercitants le pourront pratiquer le matin, avant le dîner, et le soir avant le coucher, et ce n’est autre chose qu’une brève ou légère revue sur nos actions, pour remarquer et abhorrer les défauts de l’ambition de la propre excellence, de la vanité, de la superbe et de l’orgueil de notre misérable nature, et pour renouveler notre résolution de mieux faire et de pratiquer abjection en tout et partout, en l’union, vertu et esprit de Jésus-Christ abject et méprisé pour nous et par amour, dans les différents temps et états de sa vie voyagère.

VI. La consécration est un acte saint et efficace, par lequel le dévot exercitant se consacre de fois à autre en la journée sans contrainte et sans empressement à toute abjection, sans réserve, en la manière que Dieu sait, et qu’il ne sait pas, pour son très pur amour et pour sa très pure gloire, en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé.

VII. Quant aux oraisons vocales ou mentales, elles servent beaucoup à glorifier l’exercitant en ses pratiques, et il les faut faire sans empressement, sans prescrire aucun temps ou nombre; ainsi librement et selon les émotions de la grâce divine, se souvenant toujours de prier pour tous les associés.

VIII. Pour ce qui est de la sainte communion, il la pratiquera librement selon son état, mais il se souviendra 1. De demander instamment d’entrer en la grâce et en l’esprit de Jésus-Christ abject et méprisé. 2. De faire prière particulière pour tous les associés qui sont en la sainte Église, afin qu’ils fassent un véritable progrès et fruit de bénédiction en la sainte abjection, et qu’ils puissent devenir extrêmement vils et abjects en cette vie aux yeux des mondains, dans la multitude des occasions que la divine Providence leur présentera.

IX. Les maximes sont certaines vérités exprimées en peu de paroles, qui fortifient extrêmement les âmes, desquelles l’exercitant pourra faire usage avec liberté et sans contrainte; il s’en trouve en ce livre plusieurs dont il se pourra servir.


 


 

Traicté second. États différents et diverses pratiques de la sainte abjection.

(page 12)

Advis

I. Autant que l’exercitant sera fidèle en ses pratiques ou semblables, autant avancera-t-il en la sainte vertu d’Abjection et non plus.

II. J’en donne plusieurs qui sont toutes solides, dont aucunes sont fort pures et spirituelles, afin que l’exercitant qui aura fait progrès, trouve de quoi se nourrir et se rassasier en son travail intérieur.

III. Telles pratiques doivent être fort libres sans prescription du temps ou du nombre.

IV. l’Exercitant se souviendra quand il s’y appliquera, d’avoir l’intention actuelle ou virtuelle de le faire pour le pur amour, et la pure gloire de la très Sainte Trinité, Père, Fils, et Saint-Esprit, en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé, ce que je dis d’autant que telles actions ou fidélités d’abjection vivifiées et informées de telle intention sont de très grands prix, et valent incomparablement davantage, que celles que nous pourrions faire par toute autre manière, à raison qu’elles prennent leur valeur du principe surnaturel du pur amour de Dieu, et de l’union de Jésus-Christ très pur et très saint.

Chapitre I. Vues ou lumières surnaturelles de la superbe d’Adam

Le spirituel en cet état est pénétré de certaines vues ou lumières surnaturelles, par lesquelles il entre en la connaissance intime de son âme et de ses parties intellectuelles, et voit clairement que tout cet être est rempli de la superbe, de l’ambition, de l’orgueil et de la vanité d’Adam.

Sur quoi vous remarquerez, 1. Que telles lumières sont appelées surnaturelles, d’autant que tendant à la destruction du péché, elles ne peuvent venir que de Dieu. Deux. Qu’elles ressentent la grâce de Jésus-Christ humilié, à qui seul est donné d’anéantir la superbe. Trois. Qu’elles sont merveilleusement efficaces pour nous porter à la sainte Abjection, pour détestation et horreur du vice qui lui est contraire.

La pratique.

L’exercitant dont fera bon l’usage de telles lumières. Un. Reconnaissant que rien ne leur rend tant opposé à Dieu et à Jésus-Christ que la superbe et l’orgueil de sa nature et de la vie d’Adam. 2. Il se pratiquera des actes d’horreur de telles dispositions. 3. Il se considérera sur la terre comme un antéchrist ou comme un démon de superbe, qui fait une furieuse guerre à Dieu, et à Jésus, tendant à la destruction de la vie divine, et de la sainte humilité. 4. Il se consacrera à la grâce de Jésus abject et méprisé pour anéantir cette vie d’Adam, et entrer en la vie divine.

Chapitre II. Abjection dans le rien de l’être

Le spirituel en cet état voit par lumière surnaturelle comme le néant ou le rien est son principe originel. Sur quoi vous remarquerez : 1. que cette vue provient d’une grande faveur de Dieu; 2. que par icelle l’âme se voit dans un éloignement infini de son Créateur; 3. qu’elle le voit dans une sublimité infinie; 4. qu’elle se réjouit selon la disposition de sa pureté intérieure de voir que son Dieu soit en l’infinité de l’être et de toute perfection, et elle comme en une certaine infinité du non — être, c’est-à-dire du néant et du rien.

La pratique.

L’exercitant ainsi disposé, 1. se réjouira de l’infinité divine; 2. il prendra plaisir de se voir dans l’infinité du rien respectivement à son Dieu; 3. il considérera que Dieu l’a tiré de ce rien par sa toute-puissance, pour l’élever et le faire entrer en la communion incompréhensible de son être divin et de sa vie divine, par les actes intellectuels et spirituels de l’entendement et de la volonté, par lesquels il est si hautement élevé que comme Dieu se connaît et s’aime, ainsi par alliance ineffable, il le connaît et l’aime.

Chapitre III. Abjection de Providence.

Le spirituel est ménager de la grâce divine, particulièrement de l’Abjection de Providence, qui est proprement celle que Dieu tout bon renvoie dans les tempêtes des continuelles vicissitudes de la vie humaine. Sur quoi vous remarquerez, 1. Que telle abjection vient tantôt des amis, tantôt des ennemis, autrefois des mauvaises rencontres, et quelquefois des faiblesses et infirmités corporelles ou spirituelles. 2. Qu’elle arrive souvent de telle sorte à l’exercitant, qu’il semble que ce soit comme une flèche du ciel qui le vient accabler et anéantir dans sa superbe. 3. Que telle Abjection est extrêmement efficace, et beaucoup plus fructueuse que celle qui vient d’ailleurs, d’où nous voyons que ceux qui en font bon usage, font un très grand progrès en la sainte perfection.

La pratique.

L’exercitant en cet état, 1. Tâchera de se recueillir intérieurement, pour adorer la main divine qui le purifie. 2. Il tendra à se rendre purement passif à tels coups du Ciel. 3. Il en remerciera humblement et amoureusement la Divine Providence. 4. Il demeurera en silence, et ouvrira largement son pauvre cœur, le consacrant, sans réserve, à Dieu et à Jésus, pour recevoir leurs divines et pures opérations dans les voies de la sainte abjection. 5. Il leur demandera très instamment la continuation de telle faveur.

Chapitre IV. Abjections d’inutilité.

Cet état appartient particulièrement aux personnes qui sont liées et attachées par obligation aux communautés, dont nous en voyons plusieurs extrêmement tourmentées de la vue de leur inutilité, desquelles aucunes le font par une certaine bonté naturelle de voir leurs prochains surchargés à leur occasion, et les autres par un certain orgueil qui les piquent et les aigrit; le diable se mêle en ces deux dispositions, et le spirituel doit prendre garde de s’en défendre.

Pour donc en faire bon usage. 1. Il considérera que celui qui agrée son abjection dans son inutilité rend souvent plus de gloire à Dieu qu’une infinité de certains utiles, suffisants, indévots et superbes. 2. Il agréera de tout son cœur la disposition à laquelle la Divine Providence le met. 3. Il se désoccupera autant qu’il pourra de sa tentation. 4. Il supportera patiemment les inutilités des autres prochains. 5. Il pensera que la créature n’est autant agréable à Dieu qu’elle est passive à sa conduite divine, et considérera que c’est le bon usage de la disposition qu’il met, ou permet en nous, qui nous rend agréable à sa divine bonté.

Chapitre V. Abjection dans les contradictions.

Depuis le péché d’Adam l’homme est demeuré tellement rempli d’orgueil, qu’il veut toujours dominer et ne peut souffrir aucune opposition; la grâce Jésus-Christ expurifie le spirituel, particulièrement dans la pratique de l’abjection des contradictions.

Pour en bien user voici comme il s’y faut comporter. 1. Il faut considérer que telles contradictions nous arrivent de différents principes; savoir est, d’une nature violente, colérique et superbe; de la tentation du diable, et d’une secrète antipathie avec certains prochains. 2. Le spirituel ayant reconnu ses principes, doit travailler selon la qualité de son défaut ou besoin; car s’il est violent et superbe il faut qu’il prévienne les occasions dans lesquelles il doit parler peu, et ce avec douceur et humilité, s’il est combattu de la tentation du démon, il y doit résister avec fidélité et courage, s’appliquant continuellement aux actes d’humilité et de douceur; que s’il est agité de l’antipathie du prochain, il sera bon qu’il ne s’expose point qu’autant qu’il se sentira fort et robuste en sa grâce. 3. Si l’exercitant est fidèle, il pratique l’Abjection en toutes les occasions de contradiction, s’estimant peu, et supportant charitablement le prochain. 4. Il observe un grand silence, et mortification de tendreté. 5. Il s’en réjouit et en remercie le Dieu de ses perfections. 6. Souvent il les regarde dans la conduite de la Divine Providence, et avec Action de grâces le supplie instamment de les multiplier, lui communiquant l’esprit de Jésus-Christ abjet et méprisé. Sur quoi vous remarquerez. 1. Que le travail de cette Abjection est merveilleusement efficace quand le spirituel est fidèle, d’autant qu’il va droit à la mortification de l’esprit d’Adam superbe et dominant. 2. Que la victoire n’est pas commune, et que plusieurs demeurant trop enveloppés dans les impétuosités, ou inclinations de leur nature immortifiée, n’y font pas grand profit. 3. Que les victorieux entrent en une grande paix intérieure qui les purifie, les illumine et les rend passifs aux opérations et grâces divines.

Chapitre VI. Abjection dans le péché.

Le spirituel fait distinction de la coulpe qui est au péché et de l’humiliation qui le suit, d’où il déteste celle-là comme chose qui s’oppose à son Dieu, et embrasse celle-ci comme un moyen d’entrer dans le pur esprit de pénitence et se réunir à la vie divine.

La pratique.

Pour faire bon usage de cette pratique, l’exercitant. 1. Pourra se familiariser une vue générale de toute sa vie et de tous ses péchés, pour de fois à autre pratiquer, en l’union de Jésus-Christ, les actes de pénitence et d’abjection. 2. En cette vue il s’arrêtera à considérer sa faiblesse, et à reconnaître qu’il dépend entièrement de la vertu et de la force de Jésus-Christ, d’où il se réjouira. 3. Il demandera souvent lumière pour reconnaître en soi cette abjection du péché.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que le spirituel n’entre ordinairement en la vue et lumière de cette abjection, qu’autant qu’il profite en la pureté. 2. Qu’il ne doit perdre temps quand elle se présente, d’autant que par cette voie il peut beaucoup profiter. 3. Que nous envoyons quelques-uns lesquels en ce travail deviennent enfin insatiables de la vue de l’Abjection de leurs péchés, d’où même ils viennent à souhaiter que pour leur confusion et pour faire justice au bon Dieu, leur conscience fut ouverte à tout le monde, et tous leurs péchés fussent connus à un chacun pour entrer dans l’Abjection qu’ils méritent.

Chapitre VII. Abjections dans notre peu d’esprit, nos sottises, et nos impertinences.

L’homme aveuglé de la superbe originelle quelquefois ne peut voir son peu d’esprit, ses sottises et ses impertinences, et d’autres fois s’il entrevoit ses défectuosités il appréhende extrêmement qu’elles ne soit connues aux autres; le vrai spirituel au contraire, s’applique à cette très sainte abjection et en fait bon usage.

La pratique.

Pour cet effet. 1. Il n’affecte pas la politesse mondaine et la gentillesse d’esprit. 2. Il remercie la Divine Providence de ses défectuosités naturelles et s’en réjouit. 3. Il ne les cache point, et veut que tout le monde les connaisse et l’en mésestime et méprise. 4. Il allègue avec contentement son incapacité dans les occasions d’emploi. 5. Il se publie incapable de toute conduite et conseil. 6. Il est fort passif à la conduite Divine et à celle du Directeur. 7. Il se soumet aux avis des plus petits, croyant qu’ils ont esprit, grâce et lumière, et que lui n’en a pas. Sur quoi vous remarquerez. 1. Que nous envoyons quelques-uns merveilleusement confus et troublés de leurs impertinences et sottises, ce qui marque un fond extrêmement humain et mondain, supposé que la partie supérieure y adhère, car quand elle y résiste, il n’y a rien à craindre ès saillies de la partie inférieure qui ne peuvent fouiller l’âme, et qui par la résistance de la volonté ne peuvent donner à l’exercitant que les occasions de mortification, de vertu et de mérite. 2. Vous saurez que cette abjection étant très efficace pour le progrès de la pureté intérieure et de la sainte perfection; plusieurs grands Saints parfaits et spirituels s’y sont tellement appliqués qu’ils ont contrefait les impertinents, les sots, et même les fous et insensés, pour se rendre abjects et les méprisables. Ainsi en ont été le saint homme Jacobon, le bienheureux Jean de Dieu et plusieurs autres. 3. Bien que telle abjection ne se doive pratiquer que par un particulier instinct de Dieu et direction; il sera bon néanmoins de considérer les actions de telles grandes âmes tant insatiables du mépris et de l’abjection, afin de se confondre de sa faiblesse et délicatesse humaine et mondaine. 4. Vous remarquerez aussi que par un ressort incompréhensible de Providence, il arrive quelquefois que les serviteurs de Dieu, encore que bien sensés et de bonne conduite, passent pour des fous et impertinents, ce que Dieu permet pour l’avancement de leur sainte perfection. Si cette faveur d’abjection arrive à notre exercitant, qu’il se souvienne d’être fidèle à la grâce et d’en faire bon usage, car elle est merveilleusement féconde et efficace.

Chapitre VIII. Abjection dans la pauvreté des créatures.

Autant que le spirituel est pauvre des créatures, autant entre-t-il en la communion de la vie divine du Créateur; cette pauvreté s’étend sur le délaissement et dépouillement des parents et amis, sur la nécessité des choses temporelles, et même sur la privation des bonnes dispositions corporelles et des lumières et faveurs de l’esprit, d’où le fidèle exercitant tire son abjection.

La pratique.

Pour donc faire profit en ce saint exercice. 1. Il pourra considérer que tout ce qui est créé nous divise en quelque manière de l’être Divin et incréé, dans lequel il faut par amour nous perdre, abîmer et consumer immédiatement. 2. Étant ainsi informé, il en souhaitera la privation. 3. Il en détestera les attaches et les délices. 4. Il pratiquera de fois à autre des actes de pauvreté de toutes choses. 5. Quand la Divine Providence lui présentera les occasions de telle pauvreté, il aimera cette sainte abjection, sans réjouira et l’en remerciera.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que tant que le spirituel est dans l’abondance, les délices, et les caresses des créatures, quoi que ce soit malgré lui, il a beaucoup de difficulté de faire quelques progrès en la sainte abjection. 2. Qu’à même que l’on entre dans cette sainte abjection de pauvreté des créatures, à même entre-t-on dans une paix intellectuelle et admirable qui provient de l’éloignement du bruit et des images des créatures. 3. Que nous en voyons quelques-uns qui font un très grand profit par cette sainte pratique, affectionnant extrêmement cette sainte abjection qui les tire de tout ce qui n’est point le Dieu de leur perfection et pureté, et les remplit de sa vie sainte et Divine.

Chapitre IX. Mépris de l’esprit humain et mondain.

L’esprit humain et mondain aime et recherche l’éclat, l’excellence et les délices de la chair et des sens, ou au contraire, l’esprit de Jésus-Christ cherche d’être inconnu et méprisé, et celui qui veut profiter en la sainte perfection, entre dans l’estime et l’amour de celui-ci, et dans le mépris de celui-là.

La pratique.

L’exercitant donc qui voudra s’avancer à la sainte abjection. 1. Il s’évertuera d’acquérir un tel mépris, par lequel il aura aversion de tout ce qui ressent la superbe, la vanité et l’excellence, il considérera quelles était les actions de Jésus-Christ, pleines d’humilité et sainteté, ne regardant en tout et par tout que la pure et unique gloire de son divin Père. 3. Imitant telles actions, il tendra toujours à la douceur et au saint mépris de soi-même, renonçant fortement à toutes ses inclinations humaines et mondaines.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’autant que vous entrez dans le mépris de l’esprit humain et mondain, autant êtes-vous disposés aux voies et pratiques de la sainte perfection. 2. Que ce travail spirituel est aucunefoi traversé du diable et des mondains, de celui-là à cause qu’il en prévoit le fruit, de ceux-ci qui l’estiment, folie, sottise et pure extravagance d’esprit. 3. Qu’ils s’en trouvent peu qui soient véritablement vides de cet esprit humain et mondain, ce qui est à plusieurs spirituelles un très grand empêchement à la parfaite pureté, d’autant qu’ils omettent à pratiquer plusieurs bonnes œuvres, par certains respects humains qui proviennent d’un tel esprit, et sont entièrement opposés à la manière d’opérer de Jésus-Christ qui était très pure et très sainte par une entière application de l’unique intérêt de la seule gloire de son Divin Père.

Chapitre X. Sacrifice d’Abjection.

Le spirituel doit honorer son divin Créateur par les actes de vénération, dont le principal est le sacrifice par lequel le sacrificateur immole l’hostie à son honneur et gloire. Or entre les sacrifices, celui d’abjection me semble très excellent et très efficace, d’autant que par iceluy, la créature reconnaît quel est son Divin Créateur, à savoir, toute grandeur et toute infinité, et ce qu’elle est en son extraction, savoir est, toute abjection et un pur néant.

La pratique.

Pour faire dignement ce sacrifice. 1. L’exercitant saura qu’il lui faut être le sacrificateur et l’hostie. 2. Qu’il peut faire ce sacrifice en son être, en ses mortifications et actes de vertu. 3. S’il veut faire ce sacrifice en son être, il considérera qu’il est tiré du pur néant par la toute-puissance divine; puis voyant combien il est abject en soi et de soi, il l’offrira en esprit d’abjection à son Dieu, pour être consumé en la Divinité, à qui seule appartient d’être, et sans laquelle il s’anéantirait. 4. Quant à la mortification et vertu comme il en usera si on le calomnie, diffame et déshonore, il sacrifiera à son Dieu en esprit d’abjection sa renommée et son honneur qui dépérissent. 5. En la même manière s’humiliant devant les prochains, cachant ses vertus et ses talents, il sacrifiera à son Dieu toute excellence propriétaire, et la consumera dans son sein très pur et divin. Sur quoi vous remarquerez. 1. Que si l’exercitant veut faire profit en cet exercice, il doit tendre à une grande pureté de conscience et de perfection, considérant qu’il est le sacrificateur et l’hostie, et que c’est à un Dieu très pur et très saint qui sacrifie. 2. Que le spirituel le peut pratiquer continuellement, suavement, et sans empressement; ce qu’il fera d’une manière simple, comme serait disant de fois à autre : «Mon Dieu, que je suis abject dans le rien de mon être; hélas! Cet être est tout à vous, et pour vôtre pur amour et pure gloire, je l’anéantis, l’immole et le consacre en votre divine infinité.» Ainsi en usera-t-il quand on le diffamera ou déshonorera; «Mon Dieu! dira-t-il, je vous sacrifie de tout mon cœur cette mienne renommée et ce mien honneur qui dépérissent, et je veux que ce soit pour votre pur amour et pour amour et pour votre pure gloire.

Chapitre XI. Affliction de l’éclat et de l’excellence.

Le superbe étant aveuglé dans les voies et les vérités divines, il se nourrit vainement de l’éclat et de l’excellence, et ainsi passe sa vie inutilement et misérablement dans le mensonge; ou au contraire le spirituel qui se nourrit de la vie de l’esprit de Jésus-Christ, en ces saintes humilités et saintes abjections, s’afflige de l’applaudissement des créatures, de l’éclat et de l’excellence.

La pratique.

L’exercitant étant favorisé de quelques petites portions de cette grâce s’il veut profiter en la sainte Abjection. 1. Il tâchera d’en faire bon usage, et de se recueillir en son intérieur pour y coopérer fidèlement. 2. Il renoncera à cet état d’éclat comme à un état de malédiction. 3. Il le supportera patiemment. 4. Il demandera instamment au bon Dieu de l’en libérer. 5. Il s’appliquera autant qu’il lui sera possible aux pratiques de la sainte Abjection intérieurement et extérieurement.

Sur quoi vous remarquerez que telle affliction provient ordinairement d’un entendement possédé pleinement de la lumière de vérité divine. 2. Qu’aucunes fois elle est si violente, que rien ne peut contenter l’âme que la suite, d’où nous avons vu plusieurs saints pour ce sujet, se cacher et s’enfuir aux désert. 3. Que d’autant plus que cette affliction est intellectuelle et dégagée des sens, d’autant plus est-elle pure et dans la grâce de l’esprit de Jésus-Christ.

Chapitre XII. Silence dans l’Abjection.

Si vous attaquez le superbe et l’orgueilleux en ses excellences, il fait grand bruit, et quoiqu’il soit coupable, il ne peut souffrir que l’on dise ou fasse quelque chose qui l’humilie; il crie, il tempête, il se plaint à tout le monde, il implore et appelle le secours de toutes les créatures, pour le défendre d’une grosse, furieuse et cruelle guerre qu’on lui fait, et souvent l’on trouve qu’il fait mal à propos ce bruit pour une très petite mouche d’abjection qui l’a piqué. Si au contraire, l’humble et parfait a telles rencontres, il en fait son profit, sans dire un seul petit mot d’opposition, et s’applique fidèlement à ce saint exercice du silence d’abjection.

La pratique.

Dans lequel l’exercitant est exhorté de ce bien et dignement comporter en la manière suivante. 1. Il considérera et croira que telles attaques des rencontres d’abjection, sont des bénédictions et faveur du ciel, pour le purifier, sanctifier et perfectionner. 2. Il remerciera la Divine Providence, et en souhaitera la continuation. 3. Il ne se défendra point du tout, et s’évertuera de garder un profond silence, espérant que faisant bon usage de cette faveur d’abjection, Dieu tout bon lui en multipliera les occasions.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que cette pratique est fort étendue, et que telle abjection arrive au spirituel de toutes les confusions que lui veut faire le prochain, soit par railleries, médisance et qu’elle n’y, soit par fausse accusation, injures, mauvais traitements, et par toutes autres semblables manière. 2. Qu’il se trouve peu de spirituels à l’épreuve de cette sainte abjection, et qu’il est très rare d’en voir qui dans les rencontres sensibles de certaines choses fausses que l’on leur impose gardent le silence, et ne se défendent pas du tout. Qu’il est très certain que quand le spirituel ne se défend pas, et qu’il se laisse diffamer et maltraiter sans dire mot, qu’il fait un très grand progrès en la perfection, et que pour récompense telles occasions lui sont multipliées, d’où en peu de temps il devient très mortifié et parfait.

Chapitre XIII. Souhait d’abjection à l’infini.

Le souhait est merveilleusement efficace quand le spirituel en sait bien user, nous en voyons lesquels avec bénédiction s’y comportent de la manière suivante; c’est qu’ils se représentent un état vil et abject, comme serait d’avoir un corps tout maléficié et contrefait, plein de maladie, de plaies, de chancre et d’infection, en esprit grossier, incapable des choses humaines, puis pour le pur amour de Dieu, et pour sa pure et unique gloire, il souhaite cet état en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que les délicats, humains, mondains, vains, sensuels et mignons de la nature et de la chair, l’habhorrent extrêmement, et la seule pensée les fait frissonner et trembler, tant ils craignent d’y entrer, ou au contraire, les parfaits et mortifiés, revêtus et vivifiés de l’esprit très pur et très saint de Jésus-Christ abject et méprisé, en deviennent amoureusement insatiables, et insatiablement amoureux, comme de l’objet le plus beau, le plus pur, le plus saint, le plus ravissant, et le plus sublime qui puisse être après la Divinité infinie, en ses beautés et Divines perfections. 2. Que cette pratique est admirablement et très efficacement purgative de l’esprit vain et mondain, d’où quelques-uns avouent qu’elle leur a servi à faire en peu de temps des profits incroyables ès voies de la sainte abjection et perfection, et demeurent tous étonnés de se voir si changés par un si court et si bref travail.

La pratique.

Pour donc faire bon usage de cette pratique, l’exercitant, s’il est fidèle et généreux. 1. Il pourra multiplier l’abjection de cet état à l’infini, se représentant que Dieu par son infinie puissance le peut faire des mille milliades de fois davantage, ensuite de quoi il la souhaitera pour son pur amour, et pour sa pure gloire. 2. Il réitérera telle multiplication, et son souhait selon son loisir autant qu’il lui plaira, et il se sentira mû de sa grâce et de sa lumière. 3. S’il se sent bien possédé de la vie et de l’esprit de Jésus-Christ humilié et méprisé, il se représentera en cet état les peines inférieures, terribles, et les furieuses et cruelles persécutions de toutes les créatures; puis multipliera telle disposition pour le pur amour de son Dieu, et pour sa pure gloire en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé.

Je souhaite toute bénédiction à ceux et celles qui travailleront à ce saint exercice : si l’on savait combien il est efficace et fructueux, assurément tous les spirituels en feront usage avec grande fidélité. Je dis plus, que non seulement est très fructueux, mais encore qu’il est très consolatif après que l’on s’y est appliqué quelque temps, d’où il arrive que la conversation leur devient très amère, et qu’ils souhaitent ardemment la suprême pauvreté de toute créature, et une profonde solitude pour se rassasier de telles multiplications et de tels souhaits.

 Chapitre XIV. Espérance d’abjection.

Plusieurs ont trouvé un grand secours en cette pratique d’autant que les actes que nous en faisons semblent nous tirer de l’affection et superbe de notre nature, pour nous revêtir de la pureté, de la bonne odeur et de l’humilité de Jésus-Christ abject et méprisé.

La pratique.

Pour en faire bon usage. 1. L’exercitant se pourra représenter toutes sortes d’abjections, et considérer comme elles purifient l’âme de la superbe et la rendent capable des hautes opérations, grâce et lumière de son Dieu. 2. Il considérera aussi qu’au contraire, les vanités et les excellences humaines l’en divertissent et l’en éloignent bien fort; étant ainsi informé, il abhorre toutes les œuvres d’éclat et d’excellence. 3. Il souhaitera les bonnes occasions d’abjection et de vileté, les demandant instamment à son Dieu. Il s’appliquera aux actes d’espérance, se confiant à la grâce de Jésus-Christ, disant de fois à autre, avec vue et souhait : «J’espère que la divine Providence me fera le plus vil et le plus abject des hommes.»

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que tels actes d’espérance, d’abjection, sont autant efficaces que la lumière qui meut le spirituel l’est. 2. Qu’ordinairement tels actes contiennent onction et suavité, ce qui provient de l’éloignement secret de la superbe d’Adam, et de la bénédiction de Jésus abject et méprisé, qui se plaît uniquement ès travaux d’abjection des saintes âmes.

Chapitre XV. Éternité d’abjection.

Le spirituel en cette pratique s’étant purifié par les continuelles mortifications de son orgueil, et par plusieurs actes d’une vraie humilité, il se représente le grand Dieu éternel en l’infinité et sublimité de ses perfections divines, ensuite de quoi, cherchant à l’honorer, et ne trouvant rien qui soit digne de lui offrir, il se retire en sont rien, et lui offre continuellement son abjection, se réjouissant bien fort d’être un pur néant, et qu’il soit le tout être, et infiniment parfait; il passe outre, et considérant que ce grand Dieu est éternel, il fait un grand amas de toutes sortes d’abjections en son esprit, qu’il renferme dans le rien de son être, puis il souhaite pour le pur amour, et pour la pure pure gloire de son Dieu, de demeurer éternellement en cette abjection et la lui offre en cette vue et en cet esprit.

La pratique.

Pour faire bon usage de cette pratique. 1. L’exercitant pourra multiplier à l’infini son abjection. 2. Il pourra considérer que son Dieu étant infini en ses grandeurs, qu’autant qu’il est grand, autant est-il abject. 3. Il pensera que c’est en cette sienne abjection infinie qu’il se plaît d’exercer ses pouvoirs et ses grandeurs. 4. Il réitérera plusieurs fois selon la motion de sa lumière intérieure, le souhait d’éternité en toutes sortes d’abjection pour le pur amour et pour la pure gloire de son Dieu. 5. Il se réjouira de ce qu’à l’Eternité il demeurera du moins abject devant son infinie Majesté dans le rien de son être, et en la nécessaire et suprême dépendance de son divin concours.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que cette pratique est forte et suave et efficace, d’où nous en voyons aucuns qui s’y appliquent avec fruit, facilité et consolation; ce qui provient à mon avis de la vive vue qui les pénètre de l’infinité divine et de leur pur néant. 2. Que quand le spirituel est imprimé de la lumière de l’éternité, la durée est abjecte de cette vie mortelle et lui paraît comme un très petit moment, d’où il s’évertue d’en faire usage avec toute la pureté qui lui est possible.

Chapitre XVI. Vue intellectuelle et surnaturelle de l’abjection de Jésus-Christ.

C’est la grâce de Jésus-Christ qui meut le spirituel à la perfection, et comme il est notre divin exemplaire, elle le porte à ce refigurer sur ses pures et saintes vertus, entre lesquelles nous devons beaucoup chérir la sainte abjection, j’appelle cette vue intellectuelle et surnaturelle, d’autant que je suppose que c’est à la faveur et motion de la grâce que l’entendement y entre.

La pratique.

L’exercitant pour profiter en cette vue s’il arrive qu’il en soit favorisé. 1. Il se purifiera autant qu’il pourra pour se rendre capable de cette lumière de grâce. 2. Il s’étudiera à rechercher toutes les abjections de la vie de Jésus-Christ son divin l’exemplaire.3. Il s’appliquera aux pratiques en l’union de sa grâce, de sa vie, de son esprit.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que cette lumière de Jésus pauvre et abject, pénètre aucune fois si fortement certains spirituels, qu’ils se porteraient très volontiers à toute abjection et en deviennent insatiables. Que l’exercitant ne doit pas perdre de temps quand cette grâce le meut, car lorsqu’elle vient à cesser, s’il n’a travaillé à la sainte Abjection, il se trouve faible et possédé de la vie animale et de la superbe d’Adam.

Chapitre XVII. Paix suprême en l’abjection.

Le fidèle exercitant ayant beaucoup combattu dans les occasions et rencontres d’abjection, enfin il parvient à une paix suprême et devient un roc puissant, inébranlable à toutes sortes de tempêtes et d’orages d’humiliations, d’où il demeure recueilli en Dieu, lui faisant une très pure oblation de tout ce qui se présente.

La pratique.

Pour donc communiquer à la faveur de cet état. 1. Le spirituel doit tendre à ne vouloir rien en ce monde que Jésus crucifié et son abjection. 2. Il renoncera toute excellence. 3. Il fermera les advenues aux complaisances des créatures. 4.Il considérera qu’elle était la paix intérieure de notre bon Sauveur en toutes les abjections de sa vie voyagère. 5. Il renonce aux impétuosités et saillies de la partie inférieure, se convertissant entièrement et sans retenue à Dieu son créateur, pour participer à sa paix et Immutabilité divine.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’à raison de la superbe d’Adam qui règne en nous, cet état est bien rare. 2. Que nous en voyons aucuns y parvenir, qui vivent dans l’infection et la misère de cette vie comme des anges. 3. Que telle paix et le fondement d’une très haute et solide oraison.

Chapitre XVIII. Joie intellectuelle d’abjection.

Le parfait entre en cette joie, et l’imparfait y tend chacun selon qu’il se réjouit purement et saintement de son abjection; elle se répand universellement sur tous les sujets qui nous humilient et nous rendent abjets : je l’appelle intellectuelle d’autant qu’elle réside en la seule partie supérieure et compatit même avec les troubles, les saillies et les révoltes de la partie inférieure.

La pratique.

Pour faire bon usage de cette sainte pratique, l’exercitant. 1. Doit renoncer aux saillies de sa partie inférieure qui va quêter et chercher sa nourriture, dans la satisfaction impure des sens et dans la superbe, l’orgueil, et la propre excellence de son cœur inférieur corrompu. 2. Ensuite de ce renoncement il essaiera de convertir, d’appliquer et unir sa partie supérieure au Dieu de sa pureté, pratiquant avec action de grâce des actes de réjouissance de ses abjections.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’aucunes fois cette joie se répand sur la partie inférieure, même avec douceur et consolation sensible, et d’autres fois elle ne sort pas de la partie intellectuelle. 2. Qu’autant qu’elle est dégagée des sens, autant est-elle pure. 3. Que telle joie est comme une satisfaction intérieure de toute abjection que l’âme embrasse avec acquiescement et approbation.

Chapitre XIX. Tourment d’amour en l’Abjection.

 La superbe vide l’âme de toute disposition d’amour envers son divin Créateur, ou au contraire, la sainte abjection la purifie, et la dispose à la pureté de cette charité divine dans les manières ineffables. O que celui qui sait ce secret aime la sainte abjection! J’appelle cet état tourment d’amour, d’autant qu’en icelui les âmes sanctifiées par les humiliations sont extrêmement tourmentées des saintes ardeurs, vives flammes, et divin amour.

La pratique.

Si l’exercitant veut entrer en cette vie pure d’amour. 1. Il doit considérer qu’encore que l’amour que Jésus-Christ portait à son divin Père, ait été toujours égal en toute sa vie voyagère, néanmoins il le faisait toutefois paraître aux hommes, plus ardent dans les différents états de son abjection, pour leur apprendre combien elle lui était agréable et à son divin Père. 2. Il se videra de toute affection des créatures. 3. Il s’appliquera aux abjections actuelles. 4. Il présentera souvent à son Dieu son cœur humilié et abject, et lui demandera de le consumer de ses divines flammes.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que ce tournant d’amour qui provient de ce principe est la marque certaine d’une grande véritable pureté. 2. Que ceux qui en sont favorisés deviennent aussi insatiables d’abjection. 3. Que la vraie marque de la charité divine, c’est l’abjection.

 

Chapitre XX. Abjection des bienheureux.

Tant que le spirituel est captif de cette vie mortelle, il communique à l’impureté et à l’aveuglement d’Adam, d’où il ne peut connaître son néant et l’infinité de la divine grandeur qu’avec des lumières fort faibles, ou au contraire quand il est entré en la vie béatifique, alors voit son Dieu intuitivement, il voit aussi l’infinité de ses perfections divines très clairement et en la même essence divine et en la même infinité il contemple ensuite très parfaitement son rien originel, d’où dans le comble de ses gloires il demeure tout anéanti en son abjection originelle.

Si l’exercitant veut communiquer à cet anéantissement et sainte abjection.1. Il considérera combien les bienheureux étant très zélés et très affectionnés de la gloire de Dieu, ils se réjouissent de se voir en l’abjection du rien, et lui en l’infinité de toute grandeur. 2. Il entrera en cette pratique par imitation. 3. Il tendra sans réserve à la pureté de la sainte perfection pour s’en rendre capable.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’autant que le spirituel est en la pureté de la grâce de la perfection, autant participe-t-il à la vue intellectuelle et béatifique des bienheureux, d’où il y a bien de la différence entre le spirituel parfait, et moins parfait respectivement à la vue de l’abjection originale dans le rien. 2. Que Jésus-Christ en sa vie voyagère a été le parfait et saint adorateur de la Divinité dans la vue de l’abjection originelle de rien, d’autant qu’outre la plénitude de grâce, et la sanctification substantielle de sa divine personne, il était parfait compréhenseur, contemplant intuitivement l’Essence divine, en laquelle il voyait d’une vue béatifique et très éminente de son néant. Que c’est une pratique très utile au spirituel de s’unir à cette adoration de Jésus-Christ dans l’exercice de son abjection.

 

Troisième traité. Méditations brèves pour adorer imiter Jésus en ses différents états d’Abjection.

Advis.

I. La science des saintes abjections de Jésus Fils de Dieu, est merveilleusement importante au dévot exercitant de la sainte abjection, et il est impossible d’y profiter qu’avec cette lumière.

II. L’amour de la sainte abjection est si haut qu’il est plus rare en sa pureté que l’amour Divin; et qui le veut trouver, il le doit chercher en Jésus-Christ Fils de Dieu.

III. Comme Jésus est l’unique sauveur et l’unique Amant du Père éternel, aussi l’est-il de la sainte abjection.

IV. Si vous voulez être encouragé et fortifié en votre travail d’abjection, regardez-la en Jésus, sa beauté vous ravira, et vous enflammera de son pur amour.<