EXPÉRIENCES
MYSTIQUES EN OCCIDENT
IV
Dominique
& Murielle Tronc
PLAN DE LA SÉRIE
I. DES ORIGINES A LA RENAISSANCE
II. L’INVASION MYSTIQUE EN FRANCE DES ORDRES ANCIENS
III. ORDRES NOUVEAUX ET FIGURES SINGULIÈRES
IV. UNE ÉCOLE DU CŒUR.
V. MYSTIQUES DU SIECLE DES LUMIERES A NOS JOURS
Le présent volume
couvre
IV. UNE ECOLE
DU CŒUR
Filiations mystiques du Pur
Amour 1590 à 1837
Du franciscain Chrysostome de
Saint-Lô aux disciples de madame Guyo
A la suite du tome I d’Expériences mystiques en Occident qui introduisait aux grandes figures de l'Antiquité au Moyen Âge, nous avons consacré un tome II aux Ordres anciens, puis un tome III aux fondations récentes et aux figures féminines. Ce tome IV achève l'étude de figures mystiques nées au XVIIe siècle en abordant le mouvement qui fut stigmatisé sous le nom de « quiétisme ».
Nous bénéficions de belles études sur des figures connues[1], ou sur un groupe localisé géographiquement[2]. Mais aucune synthèse ne met en relief l’originalité d’un courant mystique qui subsista durant deux siècles dans son identité propre reconnue par ses membres successifs.
Ce courant ne se distingue ni par une Constitution, ni par une Règle, ni par un Ordre, ni par un cadre associatif. Il franchit allègrement les frontières politiques et religieuses. Enfin, on ne peut définir aisément un domaine d’étude par son « canon » de textes fondateurs. Pourtant ces figures se révèlent être les porteurs de la tradition mystique en France puis en Europe.
Les articles « Quiétisme » (1986) du Dictionnaire de Spiritualité restent aujourd’hui la meilleure source disponible pour accéder scientifiquement à ce courant, du moins sur la durée de la crise visible (mais elle ne couvre environ qu’un quart de siècle, la fin du XVIIe). Ses auteurs, excellents connaisseurs de l’Europe latine catholique, fournissent une abondante moisson : suivant l'ordre chronologique, ils passent en revue les principales figures considérées comme « quiétistes » par les Inquisitions catholiques, espagnole et italienne.
Il reste difficile de circonscrire précisément ce que l’on reprochait au « christianisme intérieur » de ces prévenus, tant cela repose sur des propositions certes condamnées mais que l’on ne retrouve pas dans les textes incriminés.
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Notre apport se veut différent : nous exposerons une histoire oubliée parce qu’on a cherché à la percevoir par ses formes extérieures, dont nous venons d’indiquer l’absence. Nous ne chercherons pas à trouver une « théorie du quiétisme » évanescente, mais le vécu intérieur de personnes dont nous respecterons les témoignages en les citant : constitution d’un florilège orienté mystiquement plutôt que d’une thèse exposant des idées.
Ces spirituels se rencontrent autour d'une expérience centrale, celle de la grâce divine, à laquelle ils font le don de leur personne et de leur vie dans un abandon intérieur total. Ils ne se satisfont que de « l'amour pur », c'est-à-dire sans recherche de récompense. Prenant appui sur la grâce, ils considèrent l'effort humain et l'ascétisme comme secondaires. Cela ne veut pas dire que leur vie est relâchée car, contrairement au procès qui leur est fait, ils mènent une vie d'une rigueur exemplaire.
Loin de rester isolés dans leur maison ou leur couvent, ils se sont reconnus et ont échangé des correspondances. Leur spécificité est de n'avoir jamais transformé ce réseau d'amitiés spirituelles en un ordre qui aurait figé ce qui devait rester informel : ceux qui étaient clercs demeurèrent honnêtement fidèles à leurs diverses appartenances ecclésiales. Ces hommes et ces femmes n'éprouvaient aucune nécessité de cadre extérieur : unis par l'indicible, ils partageaient les mêmes évidences.
Ces liens sans contrainte ni règle formelle ne purent être acceptés par les autorités religieuses, qui, se sentant négligées, les combattirent avec vigueur. Les mystiques ont souvent dû affronter des ecclésiastiques hostiles parce que sans expérience intérieure.
A côté de ces amitiés entre égaux, des filiations spirituelles se nouèrent d'une génération à la suivante : ainsi Bernières fut formé par Chrysostome de Saint-Lô, madame Guyon par M. Bertot ; puis madame Guyon dirigea Fénelon et des cercles de disciples où ils expérimentèrent le degré le plus profond de la relation spirituelle, une communication silencieuse de la grâce de personne à personne, décrite abondamment par Mme Guyon.
Toutes ces relations forment un réseau complexe et cohérent qui constitue à nos yeux une École : nous considérons ce mouvement comme l'expression de la mystique universelle dans son vécu le plus profond. Quel nom donner à une telle association sans unité de condition ni liens canoniques[3] ? Les expressions d’Oratoire du cœur et d’École de l’oraison cordiale apparaissent chez Bremond dans le chapitre qu’il consacre à Querdu Le Gall (une des nombreuses figures secondaires du réseau) et à Jean Aumont[4]. Parler d'une Filiation mystique du pur Amour permettrait d'insister sur le lien de nature mystique qui exista entre aînés et cadets, et d’éviter la note intellectuelle attachée au terme École : malheureusement, ce titre serait trop long. En ayant soin d’enlever la note affective attribuée au mot cœur depuis Rousseau et le Romantisme, nous adopterons donc la contraction en École du cœur : cette dénomination implique une pratique de l’oraison orientée vers l'intériorité.
Son rôle est capital : nous pensons qu'elle sous-tend et féconde la vie mystique dans toute l'Europe depuis la fin des guerres de religions (1590) jusqu'à 1837, dernière trace que nous ayons relevée (au-delà de cette date, nous n’avons repéré que des influences indirectes). Ce rôle souterrain mais central justifie de lui consacrer ce volume entier.
Nous ne méconnaissons pas les influences dues à la lecture de livres, mais nous entendons affirmer encore une fois l'importance extrême des contacts de personne à personne, rencontres qui se poursuivent sous la forme de correspondances.
Un tel réseau d'amitiés spirituelles présente un grand intérêt pour notre époque parce qu'il préfigure un mode de relation recherché par l’individu d’aujourd’hui : repoussant les structures collectives, les idéologies, les rites ou les fondamentalismes religieux, celui-ci cherche une approche directe de l’Essentiel. Il lui faut cependant trouver un ancrage dans des relations interpersonnelles. Cette histoire de l'École du cœur qui traverse plus de deux siècles, prouve qu'il est possible de vivre la mystique la plus profonde tout en étant entouré de compagnons qui partagent la même aventure.
Nous continuons à privilégier le vécu intime d’hommes et de femmes en prise avec le jeu de la grâce. C'est donc à une moniale, disciple de la grande Catherine de Bar, que nous laisserons évoquer ce qui demeure l'unique sujet de nos volumes, l'expérience mystique :
Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.
C’est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes par des impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent l’esprit humain n’y pourrait voir goutte pour les comprendre par lui-même.
Ce « Rien » dont notre Mère parle[5] avec tant d’admiration se trouve de cette nature. C’est, sans doute, un dépouillement de l’âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter.
Mais nous pouvons dire encore que la nature, par elle-même, ne peut arriver à cet état. Il n’appartient qu’à Celui qui a su du rien faire quelque chose, [de] la réduire de quelque chose comme à rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre, où Il la peut mettre[6].
Détecter des influences spirituelles uniquement par la circulation des textes ne suffit pas. De même qu'on n'apprendra pas l'ébénisterie dans un livre, de même seuls des liens directs entre personnes sont à même de former les apprentis mystiques. Ce sont ces relations interpersonnelles dont nous entendons parler ici : nous nous attacherons donc à relever non pas « qui a lu qui » mais « qui a rencontré qui ».
Parce qu'ils ont en commun la même expérience du divin et les mêmes raisons de vivre, les mystiques se comprennent et des liens d'amitié se forment. Le rayonnement de certains aînés plus expérimentés attire la génération suivante : les cadets reçoivent l'enseignement d'un père ou d'une mère spirituelle. Ces liens sont parfois vécus sur plusieurs générations : ils constituent alors des filiations dont les intéressés sont parfaitement conscients.
Ce phénomène est bien connu dans le monde entier. Dans les traditions orientales, on parle des chaînes de transmission dans le soufisme, des maîtres se succèdent dans diverses traditions indiennes ou bouddhiques en Extrême-Orient. Aux débuts du christianisme de même, un évêque était reconnu parce qu’il était relié à tel apôtre dont l’autorité provenait de sa connaissance directe de Jésus[7] : cette conception était apparente encore chez Tertullien à la fin du second siècle, elle disparaîtra deux siècles plus tard chez Ambroise de Milan.
Nous pensons avoir trouvé un réseau d'amitiés de ce type chez les mystiques du « pur amour » au XVIIe siècle : ils se connaissaient et s'estimaient au sein d'une même génération (ex. Bernières et Catherine de Bar), puis chaque génération a formé des disciples. L'ensemble de ces liens forme un « arbre mystique » nourri par la sève de l’exceptionnelle vitalité spirituelle franciscaine sur plusieurs siècles. Le tronc est constitué de quatre personnalités hors du commun[8] : Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon. Ce tronc engendre de nombreuses branches de filiations qui existèrent dans les milieux plus divers et que leurs membres reconnaissent : à la fin du XVIIIe siècle, le pasteur Dutoit[9] savait qu'il se rattachait aux quatre personnes que nous venons de citer.
Ce courant mystique franciscain, transmis de génération à génération essentiellement en France, connut une efflorescence qui dura près de deux siècles et demi : en 1590, deux franciscains fondent ce courant ; en 1837, un cercle spirituel guyonien se meurt à Morges près de Lausanne.
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A ces mystiques que nous regroupons sous le nom d’École du cœur, des détracteurs ont attaché le sobriquet de « quiétistes ». Ce surnom entache encore maintenant leur mémoire puisqu'ils firent l'objet de procès et de condamnations. Bien que ce ne soit pas notre sujet principal, nous commencerons par rappeler très brièvement en quoi consiste la « question du quiétisme ».
Après un chapitre sur les précurseurs espagnols et italiens, nous verrons éclore en France la vénérable tradition des Tiers-Ordres franciscains : elle va féconder la mystique française dès la fin de nos guerres de religion car des âmes ardentes vont rencontrer ces messagers. Puis deux nœuds de convergence vont se former autour de deux laïcs qui domineront la scène : monsieur de Bernières, actif au milieu du XVIIe siècle, et madame Guyon, active à la fin de ce siècle. Autour d'eux toutes les générations se rencontrent.
Les relations sont multiples au sein de ce réseau d’amis qui se prêtent mutuellement des soutiens spirituels. On voit en effet, au début du Grand Siècle, le « bon Père Chrysostome » et « sœur Marie » des Vallées diriger M. de Bernières et ses fidèles de l’Ermitage de Caen. Ensuite Bernières continue de diriger ses compagnons de l'Ermitage, en particulier M. Bertot, tandis que son amie Catherine de Bar fonde les bénédictines du Saint-Sacrement. Parallèlement, au Canada, Mgr de Laval (disciple de Bernières) crée un nouvel Ermitage, tandis que Marie de l’Incarnation[10] reste en relation épistolaire avec Bernières. Jean Aumont est relayé par le « bon franciscain » Archange Enguerrand. Ensuite M. Bertot est le grand transmetteur puisqu'il dirige Mme Guyon : autour d'elle, se formera un deuxième nœud car, à la fin du siècle, c'est elle qui, associée à son disciple Fénelon, animera la vie intérieure de cercles français. Puis au XVIIIe siècle le courant mystique se distribuera en de multiples branches, mais la peur d'être condamné pour « quiétisme » est un grand frein : tandis que les cercles spirituels se cachent en terres catholiques françaises, le courant se réfugie dans les terres piétistes protestantes. Puis il s'enlise et nous en perdons trace en Suisse après 1837.
Cette succession de directeurs spirituels est exceptionnelle car elle fut ininterrompue, formant comme les maillons d'une longue chaîne : le laïc sieur de la Forest, le père Chrysostome, le laïc Bernières, le prêtre Bertot, madame Guyon et Fénelon archevêque de Cambrai, et pour finir des pasteurs piétistes. Autre fait remarquable, ils furent indifféremment des laïcs ou des religieux puisque leur autorité ne reposait que sur leur profondeur intérieure. Autour d'eux gravitèrent des figures profondes qui permettent de supposer que d'autres canaux de transmission existèrent parallèlement (issus de Catherine de Bar ou de Mgr de Laval) ; mais ils sont moins documentés, probablement à cause de la clôture ou de rudes conditions de vie défavorables à la conservation de traces écrites.
Comme dans les tomes précédents, aux biographies des uns et des autres nous associerons des extraits de leurs « dits » ou de leurs écrits en les différenciant bien par l’usage de caractères romains ou italiques. Rien ne remplace le contact direct avec les textes. Même si ce tome IV commence par un rappel essentiellement historique, nous ne nous attarderons pas sur les structures, les règles et les conceptions théologiques : elles ne seront là que pour faire comprendre au milieu de quelles contraintes vivaient ces grands mystiques.
Ouverture & table
Quiétismes
I L’école du cœur en France et Nouvelle France (1601-1671 : 70)
Ecole du cœur et Bernières
Ermitage
Bertot
Canada
II Mme Guyon, Fénelon et leurs amis (1648-1717 : 69)
Mme Guyon
L’œuvre
La Voie
Fénelon
III Filiations (1717-1792 : 75)
France
Ecosse
Hollande
Suisse & Allemagne
IV Influences
Chez les catholiques
Chez les protestants
Echos au XIXe siècle
Echos et usage au XXe s.
Synthèse
Tableaux
Les mystiques dont nous allons parler ont donc été accusés de « quiétisme ». Le sujet est immense et n'est pas vraiment notre propos : nous ne pourrons en donner qu'un très bref aperçu. La célèbre « Querelle » entre les mystiques surnommés « quiétistes » et leurs adversaires a été abondamment et finement traitée[11] par de grands érudits. L'exposé en est complexe et décevant à cause des tristes rivalités humaines. Se révèle essentiellement l'incompatibilité de toujours entre expérience mystique individuelle et pratiques de vie à l'intérieur de l’Église.
Qui ces accusations concernent-elles ? Dans Le mouvement du Libre Esprit, Romana Guarnieri consacre son annexe IX spécifiquement au quiétisme[12] : elle en fait un synonyme de « Libre Esprit » en le définissant comme une « doctrine quiétiste de la conformité à la volonté divine »[13]. Elle s'efforce de cerner le concept en présentant un catalogue chronologique étendu sous la rubrique du « Libre Esprit » : en plus de Marguerite Porete, on y trouve les cathares, les joachimites, les Almariciens panthéistes, les spirituels franciscains dont Jacopone de Todi, la seconde Hadewich, Bloemardin[14], les béghards, des influences sufies (qui « pullulent » en Sicile), des gnostiques néoplatoniciens, etc. On comprend donc que les deux notions sont tellement vagues que les spirituels du monde entier sont concernés ! Dans cet assemblage disparate, le seul point commun est la condamnation par les autorités ecclésiastiques.
Jacques Le Brun, éditeur de Fénelon, explique que cette opposition est ancienne[15] :
« L'Église établie a rencontré à toute époque des mouvements caractérisés par le refus des institutions ecclésiales et par la valorisation de l'expérience individuelle, mystique ou prophétique […] Ces tendances anti-hiérarchiques ont entraîné une forte réaction. Les premiers jésuites aussi bien que les mystiques du Carmel espagnol réformé, sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, et le confesseur de sainte Thérèse, Balthazar Alvarez, s'étaient heurtés au XVIe siècle à de vives résistances. »
Notre réaction de modernes face à cet envahissement de notre espace privé serait de nous éloigner du pouvoir, mais au XVIIe siècle, c'est impossible : la sphère de liberté personnelle est réduite et contrôlée. Il n'y a pas de séparation entre l’Église et le pouvoir royal : ils se confortent l'un l'autre pour contrôler les âmes. En 1685, l’Édit de Nantes est d'ailleurs supprimé d'un trait de plume : il devient intenable d'être protestant et les protestants s'exilent.
Au sein de ce pouvoir totalitaire, la liberté de conscience est inconnue : il est obligatoire d'avoir un confesseur, mais on ne peut pas le choisir librement car le pouvoir ecclésiastique entend vous contrôler par son intermédiaire. L’expérience intérieure peut donc être difficile à vivre si le confesseur n'est pas mystique. Elle n'est acceptée par les autorités qu'au prix d'une intégration au sein d'un ordre : madame Guyon refuse de devenir supérieure des Nouvelles Catholiques à Gex, mais perd sa liberté douloureusement par la suite. Un laïc, a fortiori une femme, doit se soumettre, et avoir des opinions et des oraisons identiques à celles de son confesseur.
Comme leur expérience ne dépend de personne, les mystiques sont mal vus des pouvoirs. Pour arriver à les dominer, les autorités ecclésiales et temporelles cherchent des fautes concernant le dogme : on vérifie si le contenu de l'expérience est conforme. Un premier problème concerne l'ascèse et l'effort personnel. L'ascèse par la souffrance est une évidence à cette époque, mais dès que leur expérience atteint une certaine profondeur, les chrétiens intérieurs comprennent que cet effort personnel provient de la nature humaine : ils s'en détachent et s'adonnent à une oraison de repos en Dieu en s'abstenant de toute action humaine qui ne ferait que déranger l'action divine. Les adeptes de la quiétude acceptent les épreuves qui se présentent sur leur chemin, mais ne les recherchent pas. Ils savent qu'ils n'ont aucun mérite et que l'effort volontaire n'assure en rien la venue de la grâce divine. Ils abandonnent toute volonté propre par amour pour le divin.
Or le milieu ambiant est persuadé que la communication d’en-haut se mérite par la souffrance et la pratique volontaire d’exercices et de méditations. Bientôt malheureusement, la contemplation mystique cessera « d’être la connaissance simple que la foi surnaturelle communique à l’intelligence pure, dans le silence intérieur des puissances spirituelles […] Dans les premières décades du XVIIe siècle, on verra les Carmes de la Réforme eux-mêmes lui substituer une contemplation dite acquise »[16]. On se met à distinguer une contemplation « acquise » par la méditation active et une contemplation « infuse ». Les adversaires vont s'emparer de cette distinction pour attaquer ceux qui sont passés au-delà de la méditation discursive, ce qui donnera lieu à d’inutiles discussions. Pour un mystique en effet, parler de contemplation « acquise » n'a pas de sens puisque seul le don de la grâce est efficace : on ne peut préférer l’activité naturelle à l’illumination divine.
Ceux qui avouent se reposer en Dieu, autrement dit tous les mystiques non débutants, se voient accoler le sobriquet de « quiétistes ». Le terme « quiétisme » vient du latin quies, repos. J. Le Brun le définit ainsi : une « oraison de « repos » ou de « quiétude », dans laquelle l'âme était plongée en Dieu, transformée en lui et restait passive pour ne pas s'opposer à son action »[17]. L'accusation classique contre laquelle tous les mystiques vont avoir à se défendre, est celle de leur « oisiveté » présumée dans l’oraison.
La bulle papale énumère les erreurs condamnées :
« Une des références de l’anti-quiétisme en France est le texte de la bulle Coelestis Pastor, imprimé en latin et en français dès l'automne 1687 […] la thèse essentielle des quiétistes serait, d'après la bulle, une définition de la « voie intérieure », « voie unique », par l'annihilation des puissances […] ni connaissance, ni souvenir de Dieu, ni de soi, ni rien de propre, ni images […] la négation ne porte pas sur l'objet (récompense, châtiment, mort, éternité, salut, etc.) mais sur la démarche du sujet, démarche d'ordre psychologique, devant l'objet de la foi : il ne doit pas « penser » à ces objets, ne doit pas en avoir souci ou espérance [… ce qui exprimerait] un retour du sujet sur soi-même, une volonté propre, un amour-propre »[18].
Les protagonistes de la querelle s’affrontent donc sur la question de la cessation des actes, voire de l'absence de toute pensée :
« Madame Guyon met l'oraison du cœur au-dessus de l'oraison de seule pensée car la pensée est discontinue, l'esprit ne pouvant penser à une chose qu'en cessant de penser à une autre, tandis que l'oraison du cœur n'est point interrompue […] tandis que Bossuet s'oppose, comme Nicole, à une foi nue et à un amour qui ne reposerait pas sur une connaissance, tout en refusant à la fois un retour sur soi et un retour sur une simple présence de Dieu. Les « actes intérieurs » sont produits par l'attention, et, selon Bossuet, disposent à l'attention »[19].
Bossuet et Nicole ne veulent pas comprendre qu'il ne s'agit pas d'oisiveté mais d'interrompre les occupations humaines pour s'abandonner à l'action intérieure de la grâce divine. Écoutons madame Guyon exprimer l'inanité de l'industrie humaine avec sa profondeur habituelle :
[…] persuadée que je suis de ne pouvoir L'atteindre par aucuns efforts propres, je les quitte tous afin de me laisser anéantir et que ne demeurant plus rétrécie et bornée par mes propres activités, je sois anéantie et rendue vaste et immense comme le néant, qui est la seule disposition à posséder le Tout. […] ayant travaillé quelque temps à regarder et à considérer le flux et le reflux de Dieu dans Ses divines Personnes, et voyant que je ne Le pouvais comprendre, sans m'amuser plus longtemps à Le considérer, je me suis perdue et abîmée en Lui ; et c'est où j'en ai plus appris en un moment, que je n'aurais fait par mes regards et par mes soins toute ma vie. »[20]
On mesure par ce texte combien elle était hors d'atteinte d'un confesseur ordinaire : dans cette vie qui se déroule au centre de l’être, les « actes intérieurs », les pratiques, les croyances, l'effort humain ont laissé place à la foi une et simple. L’attention aux phénomènes, au chemin et à ses étapes, se fond dans la liberté du grand large, le vaisseau ayant atteint l’océan sans rivage. Les méditations discursives ne sont plus de saison, y retourner est impossible et ne serait qu'un tourment.
L’immersion dans l’amour entraînait également une inattention aux petites fautes qui fut la cause d’une autre douleur pour ces spirituels. Jacques Bertot, par exemple, directeur de Madame Guyon, était si plongé en Dieu qu’il pouvait se permettre d’écrire :
Il est infaillible que toute âme qui a la lumière du fond, a la paix et le repos, autant dans ses misères que dans ses vertus. Comme c’est une lumière de vérité, elle ôte tout étonnement de ses chutes et de ce que l’on est, et met ainsi le calme en tout en se perdant en toutes choses, aussi bien par ses pauvretés, péchés et sottises que par les actes de vertu ; et cette paix est féconde en pureté[21].
Malheureusement cette liberté intérieure avait été mal comprise au Moyen Âge par certains adeptes du « libre esprit » qui, sous prétexte de s'abandonner à l'Esprit-Saint, s'adonnaient à des orgies. Au XVIIe siècle, ce sont ces débordements que l’on sous-entendait quand on qualifiait un mystique de « quiétiste ». Le terme était donc injurieux et les adversaires de « l'erreur quiétiste » feignaient de redouter ces errances. Afin de disqualifier un mystique, on cherchait tout d'abord à prouver son relâchement moral : malgré sa vie exemplaire, on tentera de fabriquer des faux témoignages affirmant que madame Guyon avait des relations sexuelles avec son confesseur La Combe ou avec sa servante ! Inutile de souligner la douleur que ces accusations provoquaient chez leurs victimes ! En réalité, tous ces mystiques s’ancraient solidement dans la pratique des vertus. S'ils étaient laïcs, ils éprouvaient même souvent le besoin de consacrer leur vie par des vœux proches des Règles appliquées aux religieux : comme Bernières, Mme Guyon[22] observait les vœux propres au Tiers Ordre séculier franciscain[23] (pauvreté, chasteté, obéissance). Et pourtant aucune accusation ne lui fut épargnée.
Un autre problème concernait le rôle de l’Église en tant qu’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Ceux qui se nomment souvent entre eux les « chrétiens intérieurs »[24], relativisent le rôle des structures humaines puisqu'ils trouvent Dieu au fond d'eux-mêmes. Ils restent chrétiens puisque Jésus-Christ est le Médiateur vers Dieu. Mais ils se tournent directement vers lui : madame Guyon invoque le « petit Maître » et n'a besoin de personne pour être en relation avec lui. L’Église, intermédiaire délaissée, revendique la nécessité d'une expertise et entend vérifier que l'expérience est orthodoxe.
Un dernier sujet de conflit est particulier à l’École du cœur : on y constate un mélange tout moderne entre consacrés et laïcs. Les laïcs avaient autant d’autorité que les clercs, celle-ci découlant de la profondeur de leur expérience intérieure et non de l'appartenance au corps ecclésiastique : le sieur de la Forest conseille le Père Chrysostome, le laïc M. de Bernières forme le prêtre Jacques Bertot. C'est sa principale disciple, madame Guyon, qui introduit l’abbé de Fénelon à la vie mystique, et qui dirige de nombreuses personnes : Bossuet scandalisé passera son temps à lui reprocher d'oser exercer une direction spirituelle.
Si, de tous temps, les mystiques ont été jugés menaçants pour la société catholique, l'intolérance atteint un sommet au XVIIe siècle : elle était partagée par le pouvoir civil comme par une opinion qui, confondant tout, voulait éviter le retour aux terribles luttes d’origine religieuse, proches ou voisines (elles eurent lieu autour de 1560 en France puis autour de 1630 en Allemagne). On publiait donc des « catalogues d'erreurs » qui permettaient de repérer les doctrines ou les actes hérétiques car ils sont bien difficiles à déceler chez les mystiques eux-mêmes. Plus qu’à de véritables divergences dogmatiques, on se heurte donc en fait à une recherche de cohésion sociale : la société ne se reconnaît pas dans ces êtres trop libres et le pouvoir les redoute. Le malheureux Molinos en fera les frais en Italie.
Ce sont les terribles condamnations papales de Molinos qui ont occulté jusqu'à notre époque l’importance de la voie de quiétude : elles inclurent même des « pré-quiétistes », dont le malheureux Bernières post-mortem en 1687, puis un ensemble élargi aux « nouveaux mystiques », Mme Guyon et Fénelon, par le bref Cum alias de 1699. Ceci entraîna une peur généralisée et l'autocensure des spirituels. Pourtant la mystique aurait pu être un facteur d'unité au-delà des dogmes :
« La recherche d’un point central, du cœur de toutes les dévotions, apparaissait : ce centre pouvait être l’amour pur, la pratique de l’oraison la plus épurée […] le quiétisme apparaît comme le point d’aboutissement de ce courant de la spiritualité simplifiée, au-delà des rites et des différences confessionnelles : l’écho qu’eurent ces tendances mystiques dans les milieux luthériens et même, en certains cas, auprès de calvinistes, laisse penser que l’espoir d’une confluence mystique n’était pas purement illusoire.[25] »
Écoutons maintenant ces amoureux de l'amour.
Une approche purement historique s’en tiendrait aux propositions condamnées, or ce sont les témoignages personnels qui nous intéressent au premier chef. Dans les périodes très anciennes, nous ne disposons que de sources officielles, seules conservées par les archives des pouvoirs. Mais à partir du XVIe siècle, époque assez récente pour connaître l’imprimerie, nous bénéficions de textes et de témoignages qui ont échappé à la destruction. Nous pouvons donc lire les précurseurs espagnols de notre École avant Miguel de Molinos : certains, comme Bernières, désignés comme « pré-quiétistes », furent condamnés après leur mort.
Dans notre tome II [26], nous avions abordé deux grandes figures : Grégoire Lopez, l'ermite mexicain, et Joseph de Jésus Maria [Quiroga], le carme défenseur de Jean de la Croix. Le premier a été beaucoup lu par les générations suivantes. Quant à L'Apologie de Quiroga, elle est d'une grande importance car elle complète Jean de la Croix [27] dont certains textes ont disparu. Nous nous permettrons donc de rappeler leurs vies en détail, puis nous passerons aux précurseurs plus directs.
Grégoire Lopez se rattache par une vie mystique fort indépendante à l’antique tradition des ermites et des Pères du désert aux célèbres pratiques ascétiques. Il fut l’une des figures préférées de ceux qui, à une époque travaillée par le désir d’un retour aux sources primitives, reconnurent sa grandeur solitaire.
Sa Vida écrite par son disciple ami, le prêtre François Losa, fut rééditée et traduite avant même d’être mise en valeur par Arnauld d’Andilly, l’infatigable traducteur de Port-Royal[28]. Elle sera invoquée dans des controverses à l’époque de la querelle quiétiste, puis appréciée en 1717 par Pierre Poiret (1646-1719), en 1733 par le piétiste et théologien mystique Gerhart Tersteegen (1697-1769), enfin en 1747 par le fondateur du méthodisme John Wesley (1703-1791) : trois figures éminentes que nous retrouverons[29].
Cette Vie mérite d’être lue pour son charme, mais surtout pour la profondeur de ses dits. Elle enflamma l’imagination de générations de lecteurs à la recherche d’une figure moderne qui puisse être comparée à celles des anciens Pères du désert.
Le récit de Losa s’articule selon cinq périodes correspondant aux lieux de résidence de l’ermite itinérant. Nous soulignerons par des italiques les dits de Lopez cités au fil du texte[30].
1542-1562 : peut-être né au Portugal, Grégoire vécut probablement à la Cour de Philippe II, ce qui explique une culture inhabituelle chez un ermite qui mènera une vie sauvage. Agé de vingt ans, il s’embarqua pour le Mexique dont la conquête était récente : la chute de Tenochtitlan-Mexico avait eu lieu en 1521. Arrivé à Vera Cruz, « il distribua aux pauvres des étoffes ». Il se rendit à « Zacatecas, ville peuplée près de mines d'or ... [où] s'étant trouvé dans la place de la ville lors que les chariots partaient pour porter de l'argent à Mexico ... [il vit] naître tant de contestations de disputes et de querelles, que deux Espagnols en étant venus jusques à mettre la main à l'épée, ils se tuèrent tous deux ». Il quitta ce Far-West mexicain en se rendant chez les Indiens « à huit lieues de là, dans la vallée d'Amajac habitée par les Chichimèques que leur humeur farouche et cruelle rendait alors redoutables aux Espagnols. » [15-17].
1562-1567 : Grégoire se fixa à sept lieues de Zacatecas, accueilli dans la métairie d'un capitaine : Pedro Carillo, le fils de ce dernier, enfant de six à sept ans à qui l'ermite apprit à lire, se souvenait de lui comme d'un jeune homme imberbe, vêtu d'un sac serré avec une corde, sans chaussures, sans chemise ni chapeau. Pendant les trois ou quatre années qu'il vécut chez Pedro, il n'assistait que rarement à la messe et ne fréquentait les sacrements que de loin en loin, quand passait quelque prêtre. Il lisait et écrivait une bonne partie du jour. On commença à médire de lui « parce qu'on ne voyait ni rosaire, ni image pieuse dans son ermitage ».
Il bâtit de ses mains une petite cellule. « Les Indiens l'y aidèrent ». Il répétait la prière très courte suivante : « Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Amen. Jésus. » Ceci dura « trois ans qu'il ne respirait presque point sans les dire mentalement ... ayant demandé s'il était possible que toutes les fois qu'il se réveillait elles lui fussent présentes, il me répondit ‘que oui, et qu'ainsi après être éveillé il ne respirait jamais une seconde fois sans qu'elles lui vinssent en la mémoire’[31-32] ». Après trois années il fut envahi par un ardent amour qui ne le quitta plus.
1567-1573 : après avoir demeuré trois ou quatre ans dans sa cellule, il s’installa dans un village puis séjourna près de deux ans chez Sébastien Mexia, un converti qui ne portait plus que des habits de bure, comme notre ermite. Il retourna à Mexico où les dominicains étaient prêts à le recevoir dans leur ordre. « Ces bons religieux lui ayant dit que la contrée de Guasteca [Huaxteca] était fort spacieuse et peu habitée, et que la terre en étant fertile en fruits sauvages il pourrait trouver de quoi se nourrir, il résolut de s'y en aller pour vivre dans la solitude. » [51]
Son biographe Losa fit sa connaissance, ayant appris « qu'il y avait à Guasteca un homme que l'on soupçonnait d'être luthérien parce qu'il n'avait point de chapelet... » [61]. Il sera témoin d’une vie réglée :
« Il se levait tôt et, après avoir lu, durant un quart d'heure, un passage de la Bible, il se recueillait, jusque vers onze heures, en un exercice dont on ne savait s'il était prière, méditation ou contemplation. Il sortait alors de son recueillement et mangeait avec Losa ou ses hôtes. […] Quand fut interdite [par l’Inquisition] la lecture de la Bible en langue castillane, il la lut en latin : pendant quatre ans, il consacra à cette lecture quatre heures chaque jour, arrivant à la savoir presque toute de mémoire. Il reconnaissait avoir lu beaucoup […] et il ressentait une très vive consolation à lire, décrites par Tauler et Ruysbroeck, les motions spirituelles que Dieu lui communiquait. »[31]
1573-1580 : malade, il fut recueilli par Jean de Mesa et passa quatre ans à Guasteca, puis se rendit « à Atrico par un mouvement du Saint Esprit ... qui le portait à faire de semblables changements. » [63]. Jean Perez Romero lui donna une chambre ; il y demeura deux ans mais des religieux se scandalisèrent « d’une vertu et d'une science si admirables dans un homme qui n'avait point étudié et ne portait point l'habit d'aucune religion. » [65]. Il s'installa à Testuco (aujourd’hui Huastepec, État de Oaxaca) pour deux ans, où il écrivit un livre de médecine, ce qui montre qu’il prit soin de malades en bon anatomiste et excellent herboriste. Un cercle laïc se forma. L’enquête d'un jésuite, faite pour le compte de l'archevêque de Mexico, lui fut favorable.
1580-1589 : En compagnie de Losa, il s’installe à l'hôpital de Guastepec en 1580 et assiste ceux qui l'entourent. Losa témoigne : « Un seigneur se renseigne sur l’hôpital auquel on dit que Lopez passe son temps à prier dans sa chambre : ‘Je lui ferai de bon cœur donner deux cents coups de fouet’ » ! Lopez répond avec humour :
Il
a raison. Car un fainéant mérite bien deux cents coups de fouet ; et ces
Seigneurs qui sont si occupés des choses extérieures ne comprennent pas ce que
c’est qu’un exercice intérieur. [237]
Il affirmait aussi bien :
Je
ne suis rien : je ne suis bon à rien. [240].
Sa
spiritualité faisait fi des méthodes. Il refusait de donner des règles pour
faire oraison, renvoyant au Pater :
Pour
ne vous pas donner sujet de vous plaindre que je vous refuse, je vous dirai que
vous n’aurez pour cela qu’à dire ce peu de paroles dont le sens est d’une si
grande étendue : « Seigneur mon Dieu éclairez mon âme afin que je
vous connaisse et que je vous aime de tout mon cœur. » Ce bon frère
communiqua cette prière aux autres frères de cet hôpital. [205]
Il fut l’objet d’une nouvelle enquête approfondie menée par un dominicain [84] :
Il
répondit sincèrement que toute son occupation était d’aimer Dieu et le
prochain. À quoi [Dominique de Salazar] lui ayant réparti : ‘Vous me dites
la même chose à Amajac il y a vingt-cinq ans, et ne vous êtes-vous donc occupé
qu’à cela seul ?’ – « J’ai toujours fait la même chose quoy que mes
actions ayent été différentes. » [192]
1589-1596 : malade, il s'installa finalement dans un bourg nommé Sainte-Foy [Santa-Fe], toujours en compagnie de Losa, et « choisit une petite maison séparée du bourg », car, disait-il : Seigneur je viens ici seul pour vous servir et m’oublier moi-même. « Il entra dans cette solitude le 22 mai 1589 et y passa le reste de sa vie. » [93].
Losa le rejoignit à Noël et demeura avec lui jusqu'à sa mort [97].
Il
lui donna pour exercice d’oraison ces paroles : ‘Votre volonté soit
faite en la terre comme au ciel, amen Jésus’ […] doctrine la plus sublime
et la plus difficile […] [qui est] la conformité de notre volonté. [254]
Lui
disant qu’il ne prenait aucun repos : […] « Il est vrai que je
ne saurais prendre de repos tandis que mes frères se trouveront engagés dans
tant de travaux et tant de périls, parce qu’il n’est pas juste que je pense à
me reposer pendant qu’ils y seront exposés. Dieu me garde de faire une telle
lâcheté. Il suffit que l’un d’eux soit en danger pour faire que je continue
toujours de prier pour lui. » [246]
Je
lui dis de chercher quelque péché […] il me répondit « que par la
miséricorde de Dieu sa conscience ne lui reprochait aucun péché. » [267]
L’ermite donna des normes pour la bonne marche de l'Église au Mexique[32] : « La charité est la source, l’origine et la mère de toutes les autres vertus. »
Grégoire
Lopez étant toujours dans cet acte continuel du pur amour de Dieu et du
prochain, Dieu lui communiquait sans cesse toutes ces vertus afin qu’il les
communiquât aux autres et enrichît leur pauvreté par son abondance. Comme cet
acte d’amour était continuel je lui demandai s’il avait quelques heures réglées
[…] [il répondit que] nulles choses créées n’était capable de le divertir
ni de le ralentir dans ce continuel acte d’amour de Dieu et du prochain qui lui
était devenu comme naturel et que tant s’en faut qu’il reculât dans cette union
que Dieu lui communiquait, il y avançait toujours, référant à Dieu par cet acte
d’un pur amour toutes les grâces que sa Majesté lui faisait sans s’en rien
appliquer, et que cette union était la source et l’origine de tout ce qu’il
savait ; qu’ainsi c’était Dieu qui lui avait servi lui-même de maître et
non pas les livres, quoique ce lui fut une grande satisfaction de lire ce que
Taulere et Rusbroche ont écrit des choses purement intérieures qu’il plaît à
Dieu de communiquer. Il me dit aussi […] quelle était cette union, par
l’exemple de celle qui se rencontre entre la lumière et l’air […] deux choses
distinctes tellement unies que Dieu seul est capable de les distinguer. [258]
Sa vie se partageait entre le recueillement et les visites du puissant vice-roi… ou d’une simple Indienne que l’on retrouvera à son chevet à la fin de vie :
Il ne leur parlait jamais de Dieu ni de choses spirituelles et morales s’ils ne lui en parlaient en premier […] [il donnait ses réponses] dans des termes très simples parce qu’il en retranchait tout ce qui aurait été superflu […] Ses lettres avaient cinq ou six lignes ou moins […] [car] il vaut mieux parler à Dieu que parler de Dieu. » [230-233]
Il assurait un rôle apostolique par la prière :
[…]
l’âme en cet état est comme passive […] ne fait que recevoir de Dieu […] n’agit
pas tant comme recherchant son bonheur que comme le possédant, puisqu’elle ne
désire pas tant qu’elle possède et jouit. […] Mais quinze ans avant sa mort
s’étant vu en cet état et le connaissant fort bien, il crut qu’il lui était
meilleur d’agir et de travailler jour et nuit de tout son pouvoir à témoigner
son amour pour Dieu et le prochain. À quoi il ajoutait qu’il croyait que Dieu
lui avait donné cet exercice comme étant le meilleur... [267]
Quand on le priait de se souvenir d’une personne, il le faisait comme un homme qui se trouve chargé d’un grand poids : « Oui je le fais et porte ce poids sur mes épaules. » [272].
Considéré comme un saint, il meurt le 20 juillet 1596, non sans montrer une grande attention aux humbles. Une Indienne dont il ne connaissait pas la langue vint le voir trois ou quatre jours avant sa mort :
Écoutez-la
… Car peut-être me veut-elle donner quelque bon avis : ce qui montre quel
était son humilité […] À l’heure de sa mort, lors que lui demandant s’il
voulait que je lui donnasse un cierge pour voir plus clair, il me
répondit : Tout est clair. Il n’y a plus rien de caché : c’est un
plein midi pour moi. [203]
Neveu du cardinal de Tolède Quiroga, Joseph de Jésus Maria reçut une formation littéraire et juridique soignée avant d’entreprendre une carrière ecclésiastique. Mais il l’abandonna pour entrer chez les carmes déchaux de Madrid à l’âge de trente-trois ans, très peu de temps après la disparition en 1591 de Jean de la Croix. Deux ans plus tard il reçut la fonction d’historien de l’ordre qu’il conservera de 1597 à 1625. Mystique lui-même, il prit vigoureusement la défense de Jean de la Croix dont les œuvres demeuraient suspectes[33] : « puni durement », il fut assigné à résidence au couvent de Cuenca le 13 décembre 1628.
Car l’historien s’était mué en apologiste déterminé de Jean de la Croix dont les œuvres ne furent éditées qu’à partir de 1618, après un « traitement douteux ». Il se déplaçait d’un couvent à l’autre pour ses recherches, rencontrait les carmes formés par Jean, ce qui lui permit d’écrire une Histoire de la Vie et des Vertus de Jean de la Croix[34], parue sans la permission de l’ordre, et qui demeure la première et la meilleure approche de Jean si l’on veut pénétrer l’esprit qui animait ce dernier comme maître des novices (il faut évidemment y joindre la biographie récente du P. Crisogono satisfaisant aux critères modernes de la recherche historique[35]).
Quiroga ne sera pleinement reconnu qu’en 1912 lorsque l’on publiera une de ses œuvres dans l’édition critique des œuvres de Jean[36]. Car il est lui-même l’auteur d’une importante œuvre mystique[37] : son Apologie mystique[38] est un « traité fulgurant … qu’il faut placer au soir de sa vie » nous rappelle le P. de Longchamp.
En disciple de Jean de la Croix, il commence par retirer tout appui mental qui « doublerait » la grâce divine :
Cette
manière de représenter Dieu sur un mode connu, quelque universel qu’en soit le
concept, on la concède aux nouveaux contemplatifs pour commencer à les sevrer
des similitudes matérielles […] Nous
avons à nous unir de façon ineffable et inconnue aux réalités ineffables et
inconnues de nous […] par la lumière de la foi au-dessus de la raison et de la
connaissance naturelle […] Tout cela fait défaut en cette contemplation formée
où l’entendement ne contemple pas Dieu au-dessus de toutes les choses ;
mais où il est appuyé sur elles, prenant en elles ce concept connu. […] la vue
directe vise son objet en lui-même, alors que la vue réflexe le vise dans son
propre acte formé grâce à quelque ressemblance de chose créée et connue.[39]
Il défend la pratique d’une attention simple et amoureuse à Dieu ou quiétude, contre la méditation discursive à la recherche de grâces en vue de l’acquisition des vertus chrétiennes, telle que le proposent les Exercices d’Ignace de Loyola dans leur interprétation courante : l’opposant auquel répond l’Apologie… aurait été un « bon père » jésuite.
Dieu
est une vertu infinie, présente partout de façon invisible et non connue de
nous, sinon par la foi, et présente nulle part de façon visible et
connue ; aussi n’avons-nous pas à nous comporter dans l’oraison comme qui
l’attirerait à soi, puisque l’âme le possède en elle-même, mais comme qui se
livre à Lui comme à son principe. (Chap. 15, §5).
Il s’oppose également à tout travail spéculatif qui se référerait à l’obscurité de Denys tout en laissant vivre l’entendement. Car concrètement c’est la « démangeaison » d’un exercice, permettant subtilement de conserver un appui, qu’il faut réduire :
La
contemplation est parfaite, elle s'exerce non seulement au-dessus de la raison,
mais aussi sans appui sur elle, lorsque l'entendement connaît par la lumière
divine les choses que n'atteint aucune raison humaine ... Beaucoup de
contemplatifs pratiquent le premier point, c'est-à-dire abandonner tous les
actes de la raison, se dépouiller de toutes les similitudes de la connaissance
naturelle, et entrer sans tout cela en l'obscurité de la foi comme Moïse dans
la nuée qui recouvrait le sommet de la montagne ; mais se reposer là comme lui
en totale quiétude d'esprit, bien rares sont ceux qui s'y adonnent : au
contraire, en cette obscurité, l'intention de leur esprit est appliquée à la
connaissance, leur entendement cherchant à toujours reconnaître son propre
acte, quand même serait-ce en cette obscurité de foi. Et cette démangeaison et
ce mouvement qui consiste à vouloir reconnaître toujours son propre acte en y
inclinant l'intention de l'esprit, s'opposent à ce que nous avons vu par
ailleurs de la doctrine de saint Denys : non seulement l'entendement doit
abandonner toutes les choses créées et leurs similitudes, mais il doit aussi
s'abandonner lui-même en se mettant en quiétude quant à toute son opération
active, aussi élevée soit-elle, afin d'être mû par Dieu sans attache ni
résistance de sa part.[40]
Il s’agit de rétablir la disposition contemplative, science d’amour sans connaissance dans la ligne du chartreux Hugues de Balma et de franciscains, contemplation provoquée par l’irruption de la grâce, agréée par la volonté, non sensible, différente de toute contemplation intellectuelle ; il est en effet impossible de s’élever vers Dieu par un discours, qu’il soit affirmatif (« la théologie scolastique ») ou négatif (« la théologie négative ») :
Saint
Thomas disait que celui qui considère actuellement quelque chose, parle à lui-même
[...] Et aussi longtemps qu’il s’y arrête et ne se tourne pas vers un autre, il
ne parle pas à cet autre [...] il ne prie pas encore. En revanche, lorsqu’il
veut présenter à Dieu ce désir accompagné de la connaissance de sa nécessité [...]
il soumet alors son désir et son concept à Dieu.[41]
Toute activité dans la méditation est ainsi inutile, ce qui n’exclut évidemment pas l’exercice actif de la bonté et d’autres qualités dans la vie active. L’irruption de la grâce ne dépend d’aucun mérite, ce qui pourrait paraître scandaleux si elle ne provoquait par la suite un intense travail auquel le mystique participe pour que devienne « naturel » l’exercice de telles qualités.
Quiroga complète son maître et termine une époque, car bientôt, nous dit Krynen, la contemplation mystique cessera « … d’être la connaissance simple que la foi surnaturelle communique à l’intelligence pure, dans le silence intérieur des puissances spirituelles […] Dans les premières décades du XVIIe siècle, on verra les Carmes de la Réforme eux-mêmes lui substituer une contemplation dite acquise, variété de spéculation négative…[42] ».
Cette distinction entre deux « contemplations », alors qu’il n’existe que la contemplation donnée par grâce, donnera lieu à d’inutiles confusions :
« Quiroga a fait mieux que de démarquer la mystique de Saint Jean de la Croix … Il n’est pas exagéré de penser que si l’Apologie avait vu le jour autour des années 1618-1620, la polémique déclenchée à propos du quiétisme entre Bossuet et Fénelon eût été vidée heureusement de son contenu[43]. »
À
cet effet, remarquons qu’il se rencontre communément, chez ceux qui font
l’oraison mentale, deux obstacles qui les empêchent d’être mus et illuminés de
Dieu tandis qu’ils la font. Le premier provient des images distinctes et
particulières de l’imagination, au milieu desquelles la raison est en mouvement
dans ses discours, et nous avons déjà traité de cet obstacle. Le second, moins
connu encore de ceux qui se croient grands contemplatifs […] consiste à n’avoir
pas le courage de détacher de la raison le concept universel de Dieu sous
lequel on se présente devant la Grandeur divine dans la contemplation. Ces
contemplatifs ne peuvent se décider à envisager Dieu d’un regard direct, en
tant qu’objet présent, dans l’obscurité de la foi, mais ils l’envisagent sous
un concept formé et distinctement connu. En un mot, ne pouvant comprendre Dieu,
ils veulent du moins comprendre le concept sous lequel ils le contemplent[44].
Au-delà de la défense de son maître et de ses écrits sur la vraie contemplation, la grandeur de Quiroga se révèle par les compléments qu’il apporta à des textes de Jean de la Croix qui nous sont parvenus incomplets. Quiroga connaissait la pensée profonde de Jean de la Croix par ses entretiens avec l’entourage de celui-ci : ses écrits confirment l’hypothèse selon laquelle les manuscrits de Jean de la Croix auraient été détruits à cause de leur hardiesse à affirmer la transformation finale de l’âme en Dieu dès cette vie, sans attendre l’au-delà. Considérée comme scandaleuse, la Montée de l’âme[45] fut critiquée et corrigée : on attend toutjours une édition de la forme originale des manuscrits ; quant à la Subida del alma a Dios, elle fut dénoncée à l’Inquisition espagnole par le jésuite Casani et condamnée en 1750 (condamnation levée en 1771 soit quatre années après l’expulsion des jésuites d’Espagne)[46].
Dans ce beau texte de conclusion, on voit affirmée la transformation de l’âme en Dieu comme état final de la mystique dès ici-bas. Le scandale ne peut naître que si l’on oublie que le mystique arrivé là est mort à lui-même :
Chapitre
12 de la Troisième partie. Du règne de Dieu, où l'âme transformée en Lui jouit
à en son intérieur avec paix de béatitude.
[…]
La Justice qui est la perfection de la vie introduit l'âme dans ce Royaume et
ses fruits sont la paix et la jouissance. Après que ce Royaume de Dieu commence
avec la Béatitude, l'âme contemplative transformée en Dieu commence à jouir,
depuis que l'Époux Divin a ouvert l'entrée aux puissances dans la maison de la
Sagesse […] Après que la forme Divine se saisit de l'âme pour la transformer en
elle et la revêt des [512] propriétés de Dieu […] comme en cette union
habituelle l'âme est pleine de Dieu, comme elle est très étroitement unie avec
lui, sa grande capacité est satisfaite par cette possession du bien suprême,
son appétit est déjà si apaisé qu'elle n'aime pas autre chose que ce qu'elle a,
et elle a tout ce qu'elle aime, selon ce qui peut être [réalisé]en cette vie ;
avec laquelle commence une paix si heureuse qu'elle jouit déjà d'une certaine
façon de l'amour pacifique des bienheureux…
Chapitre
13 [et dernier, 518]. De la contemplation éminente que les transformés en Dieu
exercent en participation de la vie céleste…
µ
on aimerait un extrait de ce chapitre ou la fin
=
à partir de notre nouveau travail sur Quiroga
ajouter son influence sur les Italiens
et
par qui il a été lu en France
=
« traduit mais peu lu : ‘caché’après le 17e
siècle ! »
Nous ne connaissons de ce prêtre[47], docteur en théologie et chapelain de la marquise de Legañes à Madrid, que ses livres, dont l’un, La vie de l'esprit, fut traduit par Cyprien de la Nativité[48] :
Chapitre cinq [seconde partie]. Comment l'âme doit regarder Dieu. Quand vous le regardez en tant que Dieu, considérez-le et le contemplez infini, immense, et tel qu'encore que vous cheminassiez hors du monde des millions de millions de lieues, néanmoins qu'il est là et partout ; et si après ces espaces à perte de vue, vous les multipliez autant que vous avez de cheveux en tête, ou par des millions infinis, qu'il est encore là, et qu'il n'y a aucun espace où il ne soit, et qu'en chaque partie ou chaque point des mêmes espèces, est toute la divinité présente et parfaite avec toutes ses perfections, toutes ses richesses et tous ses dons. (235)
La conclusion justifie la perte de la « sensation » spirituelle et se défend de l'apparente oisiveté de la contemplation :
Nous devons considérer Dieu présent : il nous suffit de savoir qu'ici est notre ami pour jouir de lui. Ne vous arrêtez pas à ficher les yeux sur ses splendeurs accessibles, car vous ne réussirez pas ; d'autant qu'il est nuit maintenant pour nous, qui ne sommes que voyageurs. (375)
Chapitre sept. Où il est enseigné qu'encore qu'une âme ne sent pas ce qu'elle opère, elle n'est pas toutefois oisive.
Vous trouverez quelques personnes qui vous diront : « Mais mon Père, nous ne sentons pas ce que nous faisons, et ainsi il nous semble que nous sommes dans l'oisiveté » : à cela je réponds que cette peine est un point ou une faiblesse de la condition humaine qui veut toucher et sentir tout. Et je leur confesse que souvent elles ne le sentent pas ; mais qu'importe ? Car l'âme pour être un pur esprit, ne se sent pas, et toutefois nous croyons que nous en avons une ; de même aussi ces opérations (244) qui sont de soi pures et spirituelles, ne se sentent pas ; mais encore qu'elles ne soient pas sensibles, cela n'empêche pas que l'âme n'opère véritablement.
Encore que les âmes ne sentent pas qu'elles aiment, elles ne laissent [cessent] pas d'être là occupées dans l'amour de Dieu ; car pour aimer, il n'est pas nécessaire qu'elles fassent des actes sensibles, et avec tout cela, elles aiment Dieu et leur désir n'est autre que de faire la volonté de ce souverain Seigneur, et quelque pensée qui leur vienne, qui est contraire à ce désir, est pour elles une cruelle blessure ; or Dieu souvent tient les âmes en tel état, que non seulement elles ne connaissent pas qu'elles aiment, mais au contraire qu'elles pensent qu'en tout elles manquent et déplaisent à Dieu. (245)
Ici dans cet exercice de foi vive, parce que l'entendement ne discourt pas et ne conçoit rien en particulier et qu'il demeure dans une certaine tranquillité, il semble à l'âme qu'il n'entend pas, de même que si on disait à un homme que dans les Indes il y a une chose de grand prix, qui n'est ni or, ni argent, ni pierre précieuse, et qui n'a aucune ressemblance ou rapport aux choses de son pays, pour la pouvoir représenter, cet homme ne formerait aucun (309) concept de cette merveille, et seulement il comprendrait que c'est une pièce de grande valeur [...]
La foi est une habitude de l'âme certaine et obscure. (295)
Falconi fut très estimé par nos mystiques, en particulier par le remarquable cardinal italien Petrucci (1636-1701) dont nous parlerons. Né d’un fonctionnaire royal en 1596 dans la province d'Almeria, il entra dès 1611 dans l’ordre de la Merci[49], à Madrid. Il suivit les cours de théologie de l'université de Salamanque pendant quatre ans, reçut le sacerdoce en 1619 (ou 1620) à Ségovie où il connut une « seconde conversion ». Il quitta l'enseignement en 1625 pour s'attacher au couvent de Madrid, se consacrant entièrement à la direction de conscience auprès des laïcs de la ville, de la Cour et dans les monastères. Il mourut, usé, en 1638[50].
Ses œuvres parurent presque toutes après sa mort. Elles sont traduites en français[51]. Son premier ouvrage est le Traité des miséricordes de Dieu, datant de sa « seconde conversion » : « Par grâce, vous me donnez la grâce, car je ne puis faire des œuvres qui la méritent. »
La vie de Dieu incompréhensible et divine est suivie de Notre pain de chaque jour destiné à un large public et qui conseille la communion quotidienne. Ses Œuvres spirituelles comportent le Livret pour savoir lire en Christ, le Livre de vie éternelle (où il propose l’oraison et se défend du reproche de vouloir y attirer jusqu’aux porteurs d’eau), le Livret pour lire en Christ librement, le Chemin droit pour le ciel...
Enfin huit Lettres nous restent, dont la première eut un tel retentissement qu'elle sera partiellement reprise dans le Guide de Molinos, puis jointe à l’édition du Moyen court de madame Guyon[52]. En quelques pages, cette Lettre du serviteur de Dieu concentre en effet l'essentiel sur l'oraison, à commencer par l'abandon :
§ 2. Établissez-vous bien en la présence de Dieu et comme c'est une vérité de la foi, que Sa Majesté divine remplit tout de son essence, de sa présence et de sa puissance, faites un acte intérieur de cette foi, et persuadez-vous fortement de cette importante vérité. Remettez-vous tout entière en ses paternelles mains ; abandonnez votre âme, votre vie, votre intérieur et votre extérieur à Sa très sainte volonté, afin qu'Il dispose de vous-même selon Son bon plaisir et Son service, dans le temps et dans l'éternité. Cela fait, demeurez en paix, en repos, et en silence, comme une personne qui ne dispose plus de quoi que ce soit […]
Falconi recommande de laisser tomber tout exercice intérieur ou mouvement propre qui empêcherait l’action du Peintre divin. Il répond d'avance aux accusations d'oisiveté :
[…] Ne pensez volontairement à aucune chose, quelque bonne et quelque sublime qu'elle puisse être.
§ 3. Gardez-vous bien de croire que cet état soit un état d'oisiveté. […] ce qui s'exerce le plus hautement en cet état, c'est l'humilité ; puisque pendant qu'une personne n'a aucun sentiment de ce qu'elle fait, qu'au contraire il lui semble de qu'elle ne fait rien, ne pouvant voir ce qu'elle fait, elle s'humilie à plein fond. Elle confesse qu'elle n'est propre à quoi que ce soit, et que ce qu'elle a de bon vient de Dieu, sans qu'elle ait jamais mérité de le recevoir.
§ 4. C'est celle [l'oraison] que le divin Maître nous enseigna dans le jardin [des Oliviers], où pendant trois heures qu'il pria, toute son oraison ne fut que d'abandon à la volonté de son Père.
§ 6. Il ne faut se mettre en oraison qu'afin que Dieu fasse de nous ce qui lui plaît [...] Tout autre exercice intérieur ne servirait qu'à troubler cette opération divine ; comme un peintre ne réussirait pas à faire le portrait d'une personne qui se remuerait sans cesse.
Il calme l’inquiétude qui naît lorsque la mémoire même est suspendue, citant l’autorité du maître de Thérèse d'Avila :
§ 7. Le bienheureux Pierre d'Alcantara [dit] : La parfaite oraison est celle où celui qui prie ne se souvient pas qu'il est actuellement en prière.
§ 10. Ainsi quand une fois vous vous êtes absolument mise entre les mains de notre Seigneur par un amoureux abandon, vous n'avez qu'à demeurer là : gardez-vous de l'inquiétude et des efforts qui tendent à faire de nouveaux actes, et ne vous amusez pas tant à redoubler vos affections sensibles : elles ne font qu'interrompre la pure simplicité de l'acte spirituel, que produit votre volonté. Ce qui est le plus important, c'est de n'ôter pas à Dieu ce que vous lui avez donné, en faisant quelque chose notable contre son divin bon plaisir.
Comme l'absence d'acte propre peut être mal comprise, Falconi insiste sur l’oubli de soi qui laisse place à Dieu :
§ 13. Oubliez-vous de vous-même. Videz-vous de tout ce qui est vôtre, afin que Dieu vous remplisse de lui ; puisque, comme disaient les pères du temps de Cassien : « Où vous n'êtes pas, c'est là justement que Dieu se trouve ».
Falconi a écrit aussi un Alphabet[53] qui se rattache au genre des abécédarios illustrés par Osuña[54]. Falconi y répond aux problèmes de sécheresse :
Ne vous affligez point de ne pouvoir arrêter votre imagination en Dieu [...] Réjouissez-vous dans la créance que vous avez d'être en la présence de Dieu, et dites-lui : « Seigneur, ayez, s'il vous plaît, la bonté d'opérer en moi ce que je ne puis faire... » (146)
Aussi rapporte-t-on de ce grand orateur Grégoire Lopez, que son oraison consistait à dire : ‘Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, Amen Jésus.’ (268) […] Mettez en Lui tous vos soins et soucis […] Il n'a pas dit : « Abandonnez-lui telle ou telle diligence », mais tous vos soins généralement, de sorte qu'il ne vous reste plus aucun empressement ni inquiétude (280).
Selon « La Vie divine et incompréhensible de Dieu… » [55]:
[331] Dieu est comme une mer immense, en laquelle et au-dedans de laquelle le Ciel, la Terre, l'Enfer, et tout le Monde, vivent et se conservent comme les poissons dedans la mer. […] Dieu est infini en son être, et en sa nature, et il est si grand qu’il [342] remplit et occupe tout, et qu’il est en totues choses, et plus en icelles, qu’elles ne sont en elles-mêmes ; il est très intime et présent en toutes choses ; et cependant il n'y a point de chose laquelle nous nous arrêtions moins à considérer que Lui. […] Dieu est [343] plus imbibé dans le monde, que le monde n'est en soi-même. […] Toutes les choses sont tellement pénétrées de Dieu, et si enfermées en iceluy, que nous pourrions nous servir de la comparaison et expression suivante, disant que c'est comme une éponge, qui jetée dans la mer demeurerait tout pénétrée et abreuvée d'eau au-dedans, et par dehors et de tous les côtés. Cette comparaison n’est pas encore assez expressive, parce que Dieu est encore plus intime dans les [344] choses, et les pénètre davantage puisqu’il est dans toutes leurs parties pour petites qu’elles soient. […] Si Dieu donc n'avait pas produit quelque chose qui fût Dieu [411] comme lui, son appétit serait toujours affamé. C'est pourquoi, étant nécessaire que la production de Dieu le satisfasse pleinement, elle se doit terminer à une autre personne, qui soit comme de son espèce, et Dieu de même que Lui ; et cette personne ainsi produite, nous l'appelons Fils…
Sa Méthode de perfection comporte trois étapes d'une grande rigueur :
[476] Pour premier étage, il faut mettre l'anéantissement de soi-même et une parfaite humilité de cœur…
[480] Le second étage est celuy de l'abnégation et indifférence pa laquelle l’homme se dépouille de tout propre intérêt…
[484] La conformité au bon plaisir de Dieu fait le troisième étage de la perfection et consiste à faire et souffrir tout ce qu’il plaît à Dieu…
[483] Pour acquérir cette perfection si sublime, sans doute qu’il faut employer toute sorte de diligence ; mais pourtant il se faut bien garder de penser y atteindre par notre soin et industrie : il faut y aspirer avec une simple et forte confiance en la bonté de Dieu qui le donne gratuitement à ceux qui n’y mettent point d’empêchement.
Après cette première génération de mystiques soupçonnés de quiétisme après leur mort, les difficultés s'accentuèrent.
Avec le temps, les mystiques furent de plus en plus surveillés. L'Europe était dominée par trois absolutismes catholiques qui entendaient contrôler les consciences : l’Empire d’Espagne, qui s’étendait aux Flandres et en Italie du sud, la Papauté au pouvoir temporel faible mais spirituellement fort, la France qui serait bientôt dominatrice et jalouse de son indépendance. Une chape de plomb s'abattit sur les esprits et les mystiques ne purent échapper à la répression. Les spirituels italiens, espagnols et français qui tentaient de se rencontrer et de tisser des liens avec discrétion, étaient surveillés car on les soupçonnait de vouloir fomenter un complot international !
Le mot « quiétisme » devint un chef d'accusation : dès que l'on confessait être au-delà de la méditation discursive, donc contrôlable, on était soupçonné, voire accusé de « quiétisme ». Les pouvoirs temporel et ecclésiastique étant intimement mêlés, les conséquences étaient graves : on pouvait être envoyé en prison. Nous voyons donc tous nos spirituels prendre beaucoup de peine pour se justifier.
Nous ne ferons pas l’histoire de cette triste période : la poussière de faits est aujourd’hui recueillie avec exactitude, et il n’est plus besoin de vaincre dans cette bataille qui maintenant nous paraît absurde.
Les polémiques opposèrent les « contemplatifs » qui vivaient dans l'évidence expérimentale de la grâce, à de nombreux responsables attachés à l'exercice actif de la méditation : ceux-ci étaient sans expérience intérieure mais avaient à gérer avec prudence des normes de comportements pour une majorité non mystique. Ils ne s’attachaient pas aux textes exacts des témoignages, mais en tiraient des propositions pour simplifier leur appréciation : on regroupait donc des extraits qui n'avaient rien à voir entre eux, et dont on faussait ainsi le sens avec mauvaise foi. On mélangeait les genres, le sensuel au spirituel. Quand l’intériorité est ainsi perdue, on s’éloigne d’une pratique indicible pour définir ce qui s’accorde avec la pensée dogmatique encadrée théologiquement. La seule façon d’en « juger » le fond aurait été de lire ces témoignages avec une discrimination spirituelle plutôt que juridique. Mais la répression fut générale, d’où la suspicion et le discrédit portés sur une voie supposée extraordinaire. La peur généralisée conduira les mystiques à se dissimuler, à l’exception de minorités protégées (par exemple les carmels). Cette suspicion nous a privés de nombreux témoignages des trois derniers siècles dont nous avons peine à retrouver les traces restées manuscrites et cachées.
« L’épicentre de la crise quiétiste se trouve en Italie », nous dit E. Pacho[56]. L’approche historique repose sur une seule relation confidentielle destinée au Saint-Office. Les chercheurs sont partis de la liste de foyers quiétistes qu’elle propose : les groupes rattachés à ces foyers auraient entretenu des relations étroites qui pouvaient laisser croire à un mouvement d’ensemble. On en doute aujourd'hui. Il s’agit plutôt d’une « littérature d’orientation quiétiste, en ce sens qu’elle est centrée sur l’oraison et la contemplation, largement répandue dans toute la Péninsule aux alentours de 1680 ». Bien que les influences premières fussent en réalité celles de Thérèse d'Avila et Jean de la Croix, les opposants ne relevèrent que celles de Falconi et Malaval.
A Rome, le confesseur Molinos se mit à attirer les foules et à connaître un succès considérable avec sa Guià (huit éditions italiennes de 1675 à 1685 !) : les « méditatifs » s'alarmèrent, en particulier des jésuites attachés à leur méthode discursive. A l'époque le public se passionnait pour ce genre de sujet et une polémique littéraire se fit à coup de libelles et de contre-libelles. Les têtes de file quiétistes étaient Molinos et le cardinal Petrucci. Leurs opposants Belluomo et Segneri eurent initialement le dessous, mais de grands procès eurent lieu en 1687-1688. Selon l'analyse de Pacho :
« Quiétistes et anti-quiétistes interprétaient différemment la contemplation acquise : simplement ascétique et normale pour les uns, déjà extraordinaire pour les autres. D’où le problème : si elle est d’ordre mystique, cette contemplation était-elle néanmoins de façon normale à la portée de la plupart des chrétiens ? Si oui [ce que supposent des Moyens courts proposés à tous], ne risquait-on pas de voir une exaltation, ensuite un dérèglement des mœurs sous le couvert de « quiétude mystique » ?[57]
L’accord initialement recherché entre « méditatifs » (la majorité) et « contemplatifs » (une minorité) s’avéra impossible[58] : dénonciations et acrimonie avaient miné tout terrain d’entente. Bien que l’emprisonnement à Rome de Molinos (18 juillet 1685) soit en réalité lié à des causes conjoncturelles et politiques, il déclencha une « chasse aux quiétistes » (1687-1689). La Lombardie, puis la Vénétie et le Piémont furent également concernés : des groupes locaux de signori introversi furent poursuivis. Madame Guyon y échappa : elle y avait résidé en 1683 près d’un semestre, puis en 1685-1686 près d’un an.
A cause des interactions multiples entre l’Espagne et le sud de l’Italie (contrôlé par les Bourbons depuis le sac de Rome de 1527), les deux Inquisitions agirent de concert[59] et la répression se répandit en Espagne.
On eut tôt fait de relier alumbrados[60] et quiétistes. On alla jusqu’à livrer les écrits de Teresa et de Juan de la Cruz à l’Inquisition (sans suites trop terribles dans ces deux cas). On dénonça les écrits d’Antonio de Rojas, de Falconi, de Gregorio Lopez, du franciscain de Valence Antonio Sobrino ; ce dernier était lié à la « figure discutée » de Francisco Jeronimo Simo dont le procès en béatification était défendu à Rome par Molinos.
L’archevêque promu de Palerme à Séville Jaime de Palafox y Mendoza commit l'erreur de recommander le Guide de Molinos avant la chute de son auteur et anima un cercle molinosiste. Il fut la grande figure espagnole symétrique de l’archevêque italien Petrucci : tous deux furent relativement protégés par leurs positions éminentes mais non sans être mis violemment en cause. Ils moururent en 1701. Les autres figures ont disparu sans laisser de traces remarquables.
Les interactions de part et d’autre des Alpes étaient facilitées parce que Savoie et Piémont étaient associés en un royaume de part et d’autre du massif alpin. L'Inquisition put agir :
« Au début de 1671, l'inquisiteur de Casale Monferato communique au Saint-Office la dénonciation concernant un médecin français Antoine Girardi (ou Grignon) ; il enseigne […] ‘une nouvelle manière de faire oraison, qu'il appelle oraison de silence et de quiétude’ […] selon la manière que prône la religieuse ursuline Marie Bon[61] du diocèse de Vienne en Dauphiné […] le foyer […] s'étendit […] sur la Riviera à l'ouest de Gênes (1675) […] de nouvelles dénonciations arrivèrent à Rome, qui se référaient à des pratiques quiétistes à Spigno (diocèse de Savone), Monferrato y Corcega[62]. »
L’influence italienne est manifeste chez madame Guyon : elle voyagea longuement en Italie au début de son apostolat. A cause de l’absence de documentation écrite provenant de tiers, ce voyage en Italie a été laissé de côté par les historiens, mais la Vie permet de souligner quelques événements importants. Elle y décrit comment la Mère Bon (1636-1680) lui était apparue en songe avant le départ pour Gex en 1681 : cette Dauphinoise était en relation avec les Italiens. Madame Guyon passa par Marseille où elle rencontra le mystique aveugle Malaval. Elle retrouva à Thonon (sur le bord sud du lac Léman) le père La Combe (rencontré dès 1671, fortuitement en 1679, et auquel elle écrivit dès 1680), barnabite d’origine italienne et de formation toute romaine.
On sait que le Général des barnabites avait envoyé La Combe à Verceil où l'évêque Ripa demandait un directeur de conscience. Or en octobre 1683, avec la permission de son provincial, La Combe accompagne madame Guyon dans son voyage d'Annecy à Turin[63]. Il jouissait de la confiance de Ripa « au point de devenir son confesseur, d’être chargé d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse, et même de l’accompagner dans ses visites pastorales[64] ». La vie de La Combe est entourée d'énigmes : aurait-il été « converti » par Ripa à Verceil[65] ? Ou bien, lors de sa formation romaine, aurait-il connu directement Molinos (qui occupait une place privilégiée à Rome) et son ami Petrucci ?
Quant à Mme Guyon, on a peine à croire qu'elle ait entrepris ces pérégrinations difficiles pour répondre à une simple invitation privée[66]. Cette constance et ce courage avaient forcément une raison profonde.
Nous sommes là
en plein mystère puisque aucun texte ne demeure autre que sa biographie[67], dont il était fort prudent d’évacuer ce qui pouvait
la lier au quiétisme italien. Il faut noter qu'en 1682-1683 Mme Guyon et La
Combe avaient découvert la transmission de la grâce de cœur à cœur. Or nous
savons qu'elle était bien connue des spirituels italiens par le rapport de
police préparant les interrogatoires que subira Mme Guyon. Le policier
l'interprète d'ailleurs au sens le plus physique[68] : « Quelques-uns avaient dit qu’ils se
communiquaient réciproquement, dans leur secte, la grâce, en appliquant l’un à
l’autre la région du cœur à nu » ! A Verceil, on peut donc supposer
l'existence d'un foyer mystique où l'on connaissait cette communication
silencieuse de la grâce, ce qui expliquerait l'ardeur des deux Français à venir
séjourner en Italie.
Ils vont en
effet rester près d’un an à Turin (de l'automne 1683 à avril 1684), puis encore
presque un an d’avril 1685 au printemps 1686 à Verceil. C'est dans ce lieu
vénérable chargé d’histoire depuis le Moyen Âge que madame Guyon rédige son
commentaire de l’Apocalypse, La Combe
son Orationis mentalis analysis, l’évêque Ripa l’Orazione del cuore facilitata : cet apostolat trilingue témoigne
de leur intense communion spirituelle.
Ripa était
l'ami intime du cardinal Petrucci : il fut un moment son bras droit à Jesi
et entretenait avec lui une correspondance assidue[69]. Or Petrucci était ami de Molinos : à trente-six
ans, madame Guyon rencontrait là les quiétistes italiens les plus
éminents. On ne peut pas savoir si elle a lu Molinos car on ne pouvait
s'en vanter. Mais nous avons ici une chaîne de liens entre personnes qui
permet d'affirmer l'influence du quiétisme italien sur madame Guyon : influence
de Molinos sur Petrucci, de ce dernier sur Ripa, enfin de Ripa (et probablement
de La Combe) sur madame Guyon.
De retour à Grenoble, celle-ci recevait aussi
bien des laïcs que des religieux. Elle vit son Moyen court, un petit guide d'introduction à la mystique pour tous,
largement reconnu et pénétrer même dans les couvents : le Général des
Chartreux en colère retira le livre des chartreuses féminines.
Elle revint à Paris en 1686, l’année précédant la condamnation romaine officielle de Molinos. La bulle Cœlestis Pastor incluait celle post-mortem du français Jean de Bernières : on n’ignorait pas son influence déterminante sur le cercle de Montmartre dirigé par Jacques Bertot. Or Mme Guyon était la fille spirituelle de Bertot. Aussi connut-elle son premier enfermement en 1688 : les ennemis jaloux de l’autorité spirituelle d’une femme, ainsi que du talent d’orateur de son confesseur La Combe, trouvaient dans la condamnation papale et l’inquiétude des pouvoirs un solide argument qui fut conforté par quelques manœuvres.
Puis eurent lieu d'autres affaires : celles de Philibert Robert curé de Seurre, où madame Guyon fit un séjour de quinze jours en 1691, de Claude Quillot et des « quiétistes » de Bourgogne, de Rouxel prêtre de Besançon. Enfin en 1697, Mme Guyon sera embastillée dix ans après la condamnation de Molinos : la « dame directrice » y démontrera une rare capacité de résistance[70]. Nous la verrons terminer sa vie paisiblement à Blois, entourée de disciples mais obligée à la plus grande discrétion.