Le Nuage dInconnaissance
The Cloud of unknowing
&
LEpītre de la direction intime
Dossier assemblé par Dominique Tronc
Je propose, ą lusage damis en édition Hors
Commerce, ces écrits du quatorzičme sičcle.
Quelques pages par Lilian Silburn[1] ouvrent ą la lecture de « l'un des plus profonds [textes] de la mystique chrétienne ».
Suit la
belle version de ce Nuage
dInconnaissance par Armel Guerne[2].
Elle est complétée par le Cloud of Unknowing dans langlais moderne proposé par Evelyn
Underhill[3].
Lensemble sachčve sur la « mise en
pratique » offerte dans lEpītre de
la direction intime. Cette derničre fut traduite par dom Noetinger[4].
Lauteur de ces textes serait peut-źtre Adam Horsley de la chartreuse de Beauvale dans le South Nottinghamshire. On ne sait rien de plus[5]. Son uvre comporte cinq titres : The Cloud of Unknowing, le plus célčbre et le plus long ; The Epistle of prayer, admirable Épītre de la direction intime ; Dionysius mystical Teaching; Benjamen, une traduction libre de Richard de Saint Victor ; The Epistle of Discretion in the Stirrings of the Soul ; The Treatise of the discerning of Spirits[6].
Le titre du Nuage dInconnaissance est tiré du début du texte : « Here bygynnith a book of contemplacyon, the whiche is clepyd the clowde of unknowyng, in the whiche a soule is onyd with god ». Rien nest ą faire, sinon par élan ! On ne saurait surestimer limportance de ce texte qui forme, avec les Noces de Ruusbroec et les chefs-duvre de Jean de la Croix (Cantique A, Vive flamme ), une trilogie ą laquelle se réfčrent les mystiques dOccident.
Le « Nuage d'inconnaissance » est d'un auteur anonyme, moine probablement qui vivait en Angleterre vers le milieu du 14e sičcle.
Ce court traité est l'un des plus profonds de la mystique chrétienne et pourtant il est ą peine connu en France et n'a pas la place qu'il mériterait dans la littérature religieuse.
II s'apparente étroitement par l'esprit et la méthode aux
chefs-d'oeuvre de Saint Jean de
Ces contemplatifs ne sont nullement des savants ni des théologiens adonnés ą la science et qui aspirent ą la claire vision de Dieu puisqu'on ne peut jouir de cette vision en cette vie. Le nuage d'inconnaissance n'est qu'ą l'intention des āmes humbles qui aspirent uniquement ą suivre la voie de l'amour, cet élan direct du coeur vers Dieu et vers Dieu seul.
Ce nuage d'inconnaissance est un symbole particuličrement bien choisi pour exprimer l'expérience mystique dans tout son dénuement. Ce nuage qui s'interpose entre l'āme et Dieu et obscurcit la connaissance que l'āme pourrait avoir de Dieu rappelle la « divine obscurité » et la connaissance obscure par agnosie d'un saint Denys l'Areopagite et offre encore des points remarquables de similitude avec 'la nuit obscure' de Saint Jean de la Croix.
Ce nuage est l'oubli de notre activité cognitive et le renoncement aux lumičres surnaturelles ; car la vie spécifiquement mystique ne consiste pas pour l'auteur de ce petit livre en une claire considération de quelque objet qui se situerait au-dessous de Dieu quelque savant et favorable qu'il soit, comme la méditation sur les perfections divines, les dons de Dieu, les saints ou les béatitudes ; elle ne consiste pas non plus en un mouvement aigu de l'intelligence ni en curiosité d'esprit ou en imagination parce que « tout ce ą quoi tu penses cela est au-dessus de toi pendant ce temps et entre toi et ton Dieu » (éd. Guerne, p.32). Par contre plus valable en soi et plus plaisant ą Dieu est cet aveugle élan d'amour vers Dieu en lui-mźme et « un tel et secret empressement en ce nuage d'inconnaissance ». La raison en est que « l'amour peut en cette vie atteindre Dieu mais la science point ».
Il est donc possible selon l'auteur sans vue, ni lumičre, ni connaissance, en un élan d'amour que sans cesse Dieu suscite dans notre volonté.
C'est en ceci précisément que consiste l'uvre dont l'auteur donne une description extraordinaire car c'est la seule fois ą ma connaissance qu'un mystique insiste autant sur la bričveté et l'instantanéité de l'uvre c'est-ą-dire de ce trčs court élan qui mčne vers Dieu. Ce n'est pas une pričre qui dure et s'alanguit mais un élan dont l'intensité s'accroīt sans cesse parce qu'il reprend et se renouvelle. Comme le dit si bien l'auteur du nuage d'inconnaissance : « ce n'est pas un long temps que réclame cette oeuvre pour son réel achčvement. C'est en effet l'opération la plus brčve de toutes celles que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus ni moins qu'un atome lequel atome ... est la plus petite partie du temps » et cet atome est la juste mesure de la volonté. Ce mouvement de la volonté est précisément ce que l'auteur appelle le « pieux et humble aveugle élan d'amour ». Ą l'aide de la grāce tous les mouvements d'une āme qui serait parfaitement pure convergeraient vers le souverainement désirable et aucun n'irait se perdre vers les créatures .
En ces conditions il nous paraīt que les conseils que donne ce moine ne sont pas seulement utiles aux āmes qui ont effectivement renoncé au monde et vivent dans un cloītre mais qu'ils sont aussi ą la portée de tous ceux qui se sentent portés vers la vie contemplative, car s'il est indubitable que les longues oraisons sont incompatibles avec les multiples occupations de la vie journaličre, ce bref élan du coeur et de la volonté qui est apte ą se renouveler parce qu'il est amour peut trčs bien par contre accompagner une vie active dans le sičcle. En effet pour que cette oeuvre s'accomplisse nous dit l'auteur « un rien de temps suffit ». « Ce n'est qu'un brusque mouvement et comme inattendu qui s'élance vivement vers Dieu, de mźme qu'une étincelle de charbon. Et merveilleux est-il de compter les mouvements en une heure se faire dans une āme qui a été disposée ą ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-lą pour qu'elle ait soudain et complčtement oublié toute choses créées. Mais sitōt aprčs chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute dans quelque pensée ou action exécutée ou non. Mais qu'importe ? puisque aussitōt aprčs il s'élance de nouveau aussi soudainement qu'il l'avait fait avant. d'elle ; » (p. 29-30).
Cet élan suffit pour unir ą Dieu. Mais ą certains il convient de « l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot » afin de mieux s'y tenir et ce mot doit źtre bref, « Dieu », « amour » par exemple ; c'est avec ce mot qu'il nous est conseillé de frapper ą coups redoublés sur le nuage d'inconnaissance et de rabattre toute maničre de pensée « sous le nuage d'oubli » car ą cōté de ce nuage obscur qui se trouve entre l'āme et Dieu, l'auteur distingue un autre nuage qui serait cette fois-ci non plus au-dessus de l'āme mais au-dessous d'elle ; nous avons lą le nuage d'oubli qui s'interpose entre elle et les créatures.
Ainsi le nuage d'inconnaissance est le symbole original dans lequel s'exprime l'expérience vécue du moine en sa double nudité : nudité intérieure totale ą l'égard de la connaissance de Dieu, ce « Dieu immense et profond » de St Jean de la Croix qu'aucune vision ou révélation ne peut traduire et dénuement intégral de toute chose, oubli parfait et de soi-mźme et des autres.
Le travail et l'effort qui reviennent ą l'āme sont en effet de fouler aux pieds le souvenir de tout ce qui n'est pas Dieu et de perdre « toute idée et tout sentiment de son źtre propre». (p.137).
Bien avant St Jean de
Cette oeuvre qui paraīt si ardue au début deviendra facile parce que par la suite c'est Dieu qui voudra travailler seul mais alors qu'on laisse cette oeuvre agir en nous-mźme et nous conduire oł elle voudra sans nous y mźler par crainte de tout embrouiller. Qu'on devienne aveugle durant ce temps en rejetant tout désir de connaissance qui serait plus un obstacle qu'une aide « qu'il te suffise pour toi de te sentir mū et poussé par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particuličre pour aucune chose au-dessous de Dieu et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu ». (p.114)
Comme saint Jean de la Croix l'auteur du Nuage d'Inconnaissance dit nettement que l'oeuvre de Dieu en nous est passive et surnaturelle et que l'initiative de l'āme active et naturelle amčnerait ą éteindre l'esprit. Mais nous n'en saurons pas plus sur cette oeuvre divine ni sur l'illumination qui perce parfois le nuage d'inconnaisssance ni sur l'embrasement d'amour qui en résulte, l'auteur ne pouvant ni ne voulant en parler car sa tāche se limite ą décrire l'oeuvre propre de l'homme qui est attiré et aidé par la grāce.
La faēon toute savoureuse, vivante et ingénue dont l'auteur fait part de ses conseils et de ses expériences est admirable par sa simplicité et sa nudité ; le lecteur n'y verra exposées et discutées que des choses essentielles, indispensables et suffisantes qui témoignent précisément de sa grande expérience spirituelle. C'est ce qui fait la valeur de ce court traité et en rend la lecture si attrayante[7].
O DIEU, ą qui sont ouverts tous les coeurs, et ą qui parle toute volonté, et ą qui rien de secret ne demeure caché : je Vous supplie de purifier les desseins de mon coeur par l'ineffable don de Votre grāce, en sorte que je puisse parfaitement Vous aimer, et dignement Vous louer. Amen[9].
Au nom du Pčre et du Fils et du Saint-Esprit ! Je te prie et t'adjure, de toute l'énergie et la force compatibles avec la charité, toi qui auras ce livre entre les mains, qu'il soit venu en ta possession par propriété ou que tu l'aies en garde, que tu aies ą le transmettre ou que tu l'aies reēu de quelqu'un, qui que tu sois je te somme, autant qu'il est au pouvoir de la sagesse et de la volonté, de ne pas le lire, de ne pas le copier et de n'en donner lecture ą quiconque, et non plus de supporter qu'il soit lu, ou copié, ou qu'il en soit donné lecture, ą moins que ce ne soit par quelqu'un, ou ą quelqu'un, dont tu présumes ą bon droit qu'il a l'intention unique et le désir véritable de se faire un disciple parfait du Christ, non seulement dans la vie active, mais encore au point suprźme de la vie contemplative auquel puisse parvenir en cette vie, par la grāce, l'āme parfaite emprisonnée encore, cependant, dans ce corps mortel ; et qu'ą cela l'ait préparé, et ą ta connaissance depuis longtemps déją, la pratique de 15 telles vertus de la vie active qui rendent apte ą la vie contemplative. Parce qu'autrement ce livre n'est en rien accordé ą lui. Et par-dessus je te prie et t'adjure, si quelqu'un comme celui-lą devait le lire, le copier ou en parler, ou bien encore en écouter la lecture ou en entendre parler, je te somme, au nom et par l'autorité de la charité, comme je le commande ą toi-mźme, de lui commander de lire ce livre ou d'en entendre la lecture, de le copier ou d'en parler tout au long dans son entier. Car il peut se trouver qu'il y ait quelque matičre incluse en son commencement, ou au milieu, qui reste lą en suspens et ne soit pas pleinement traitée ą cette place : mais elle le sera bientōt aprčs, ou peut-źtre mźme ą la fin. C'est pourquoi si quelqu'un voulait ne regarder qu'un passage, et pas un autre, il pourrait facilement źtre induit en erreur ; et afin d'éviter cette erreur, ensemble ą toi et ą tous autres, je te supplie par charité de faire comme je t'ai dit.
Les disputeurs du monde, les louangeurs et les blāmeurs d'eux-mźmes ou d'autrui, les discoureurs de vanités, coureurs d'histoires et conteurs de contes, toutes les sortes de faiseurs d'embarras, jamais je n'ai tenu ni eu souci qu'ils connussent ce livre. Car il n'est jamais entré dans mon intention d'écrire cette chose pour eux, et donc aussi je désire qu'ils ne s'y mźlent point : ni eux, ni aucun curieux, lettré ou inculte. Oui ! encore seraient-ils excellents hommes de bien dans la vie active, rien de ceci néanmoins ne se rapporte ą eux. Mais si c'était pour ces hommes, au contraire, qui se tiennent dans la vie active par la forme extérieure 16 de l'existence, mais qui cependant, sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu (dont les jugements sont cachés) se trouvent, par un mouvement intérieur, pleinement disposés par grāce, non pas continuellement comme c'est le cas des vrais contemplatifs, mais de temps ą autre, ą avoir les yeux ouverts au plus haut de cet acte de la contemplation ; si donc c'étaient de tels hommes qui vissent ce livre, ils pourraient, par la grāce de Dieu, en źtre grandement confortés.
Le présent livre est séparé en soixante et quinze chapitres, entre lesquels le dernier de tous enseigne certains signes sūrs, auxquels une āme peut vérifier véritablement si elle -est appelée, ou non, par Dieu ą travailler dans cette voie, ą źtre l'ouvrier de ce travail.
AMI spirituel en Dieu, je te prie et t'adjure d'avoir une constante et soutenue considération et un perpétuel regard sur la maničre et matičre de ta vocation. Et qu'en ton coeur tu rendes grāces ą Dieu de pouvoir, par l'assistance de Sa grāce, te tenir fermement en l'état, au degré et forme de vie dont tu as pleinement fait choix contre tous les assauts subtils des ennemis spirituels et corporels, et triompher jusqu'ą la couronne de la vie qui n'a pas de fin.
Amen.
Des quatre degrés dans la vie du chrétien; et
comment les parcourt la vocation que dit ce livre.
Ami spirituel
en Dieu, tu dois parfaitement entendre que grossičrement, je vois quatre degrés
et stades dans la vie du chrétien : lesquels sont ą savoir, de la vie commune
(ou ordinaire), de la vie spéciale (ou religieuse), de la vie solitaire et de
la vie parfaite. Les trois premiers ont leur commencement et fin dans cette
vie; mais le quatričme, qui par la grāce peut commencer ici, ne sera ą amais
sans fin que dans la béatitude du ciel. ;
Et tels que
tu les trouves en ordre ici, et en premier la vie commune, puis la vie
spéciale, ensuite la vie solitaire et la parfaite enfin, tels justement et dans
cet ordre mźme sont les degrés, selon mon jugement, par lesquels, dans sa
grande miséricorde, Notre Seigneur t'appelle et te conduit ą Lui dans 18 le
désir de ton cur. Car tu sais bien que lorsque tu vivais d'abord dans le degré
commun de la vie chrétienne et dans la compagnie de tes frčres du monde, c'est
trčs évidemment Son éternel amour - par lequel tu fus fait et créé du néant oł
tu étais, et racheté au prix de son précieux sang du péché d'Adam oł tu étais
perdu - qui n'a voulu souffrir que tu fusses si loin de Lui dans ce stade et ą
ce degré de vie. Et c'est pourquoi Il a trčs gracieusement suscité ton désir,
et par le lien de la ferveur l'a affermi, te conduisant par lą et t'amenant ą
une forme de vie et dans l'état plus spécial de serviteur au nombre de ses
serviteurs, en sorte qu'il te fūt possible d'apprendre ą vivre plus
spirituellement et plus spécialement ą son service : bien plus que tu ne
l'avais fait ou que tu n'eusses pu le faire dans le degré commun de ta vie de
devant. Mais encore ?
Encore il
apparaīt qu'il ne te laissa point, ni ne t'abandonna ainsi légčrement, dans
l'amour de Son coeur qu'Il n'a cessé d'avoir pour toi depuis que tu as été si
peu que rien. Mais qu'a-t-Il fait ? Ne vois-tu pas avec combien de soins et
d'attentions, avec combien, de grāces, Il t'a haussé intimement vers le
troisičme degré et la troisičme forme de vie, laquelle est appelée solitaire ?
Et dans cette forme et cet état de vie solitaire, tu peux apprendre ą élever
plus haut tbn amour et ą marcher vers cet état et ce degré, lequel est le
dernier de tous, qui est celui, de la vie parfaite. 19
Courte exhortation ą l'humilité et ą l'accomplissement
de l'uvre que ce livre dit.
Aussi
maintenant regarde, misérable créature, et vois ce que tu es. Qu'es-tu donc, et
en quoi donc as-tu mérité d'źtre ainsi appelé par notre Seigneur ? Quel faible
et misérable cceur, tout endormi dans la paresse, celui qui ne serait point
éveillé par l'attirance de cet amour et par la voix de cet appel ! Mais
attention, malheureux, méfie-toi sur l'instant de ton ennemi, et ne te prends
jamais pour plus saint ou meilleur du fait de l'excellence de cet appel et du
genre de vie solitaire oł tu es entré. Quelle misčre, au contraire, et quelle
malédiction, si tu ne tires pas le meilleur de toi-mźme, quand tu as le soutien
de la grāce et de la direction spirituelle, pour vivre selon ta vocation !
Aussi combien plus grands faut-il que soient ton humilité et ton amour 21 spirituel
pour l'époux, quand Lui qui est le Dieu de toute-puissance, Roi des rois et
Seigneur des seigneurs, s'est fait humble au point de s'abaisser jusqu'ą toi
et, de toutes les brebis de son troupeau, t'a fait la grāce de te choisir pour
źtre l'une de celles qui Lui sont réservées, t'octroyant dans le pāturage une
place oł tu puisses źtre nourri des suavités de Son amour, par anticipation sur
ton héritage au royaume des cieux.
En action,
donc, et sans délai, je t'en supplie. Regarde ą présent devant toi et laisse ce
qui est en arričre vois ce qui te fait défaut, et non ce que tu as, c'est le
plus prompt pour gagner et garder l'humilité. Toute ta vie maintenant consiste
et se tient dans le désir, si tu dois avancer sur les degrés de la perfection :
ce désir qui ne peut źtre absolument que créé et formé dans ta volonté par la
main de Dieu tout-puissant, mais avec ton accord. Et je te dis une chose :
c'est un amant jaloux et qui ne souffre point de partage; Il ne se complaīt ą
agir dans ta volonté s'Il n'y est point seul, uniquement, avec toi. Il ne
réclame aucune aide, mais seulement toi-mźme. C'est Lui qui veut, et tu n'as
qu'ą Le regarder et Le laisser, Lui seul. Mais ą toi de bien garder les
fenźtres et la porte, car les mouches et les ennemis y font assaut.
Et si tu as
ferme propos de faire ainsi, il n'est besoin pour toi que de Le presser
humblement par la pričre, et bientōt Il voudra t'aider. Presse-le donc, et fais
voir quelles sont tes dispositions. Il est tout prźt et Il n'attend que toi.
Mais que feras-tu, et comment vas-tu Le presser? 21
Comment doit źtre entreprise l'oeuvre que dit ce
livre, et de sa précellence sur toutes autres.
LČVE vers
Dieu ton coeur dans un élan d'humilité et d'amour; pense ą Lui seul, et non pas
ą ses biens. Ainsi considčre avec répugnance toute pensée autre que de Lui. En
sorte qu'en ton entendement et en ta volonté, il n'y ait d'oeuvre que la
sienne. Et ce que tu as ą faire, c'est d'oublier toutes les créatures que Dieu
ait jamais faites, et mźme leurs oeuvres, afin que ni ta pensée ni ton désir ne
se lčvent et se tendent vers aucune d'entr'elles, pas plus au général qu'au
particulier; laisse-les exister et ne t'en soucie points L'oeuvre de l'āme qui
plaīt le plus ą Dieu, la voici. Tous les saints et les anges ont joie de cei
ouvrage et ils se hātent d'y aider de toutes leurs forces. Les démons entrent
tous en fureur lorsque tu t'y employes, et ils s'efforcent 23 tant qu'ils
peuvent d'y faire échec. Tous les humains en vie sur terre en sont
merveilleusement assistés, bien que tu ne saches comment. Et les āmes en
purgatoire, oui, sont soulagées de leur peine par la vertu de cette opération.
Toi-mźme t'en trouves purifié et rendu vertueux plus que par toute autre
oeuvre. Et néanmoins c'est la plus facile de toutes, lorsqu'avec la grāce l'āme
s'y sent portée, et c'est la plus tōt faite. Mais autrement elle est ārdue, et
c'est pour toi comme un prodige que de l'accomplir.
C'est
pourquoi ne te relāche point, mais sois en travail jusqu'ą temps que tu t'y
sentes porté. Car dans les commencements lorsque tu le fais, tu ne trouves rien
qu'une obscurité ; et comme s'il y avait un nuage d'inconnaissance, tu ne sais
pas quoi, excepté que tu sens dans ta volonté un élan nu vers Dieu. Cette
obscurité et ce nuage sont, quoi que tu fasses, entre toi et ton Dieu, et ils
font que tu ne peux ni clairement Le voir par la lumičre de l'entendement dans
ta raison, ni Le sentir dans ton affection par la douceur de l'amour.
Donc,
apprźte-toi ą demeurer dans cette obscurité tant que tu le pourras, toujours
plus soupirant aprčs Celui que tu aimes. Car si jamais ton sentiment vient ą Le
connaītre ou si tu dois Le voir, autant qu'il se peut ici-bas, toujours ce sera
dans le nuage de cette obscurité. Et si tu as volonté de t'efforcer activement
ainsi que je t'en prie, j'ai toute confiance en Sa miséricorde que tu y
parviendras. 23
De la bričveté de cette uvre, et comment on n'y peut
parvenir par curiosité d'esprit ni imagination.
Mais afin
que tu n'ailles point errer, ni te représenter cette oeuvre autrement qu'elle
n'est, il me faut t'en dire un peu plus long, selon mon jugement.
Ce n'est pas
un long temps que réclame cette oeuvre, ainsi que le croient quelques-uns, pour
son réel achčvement ; c'est en effet l'opération la plus brčve de toutes celles
que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus, ni moins, qu'un atome /1,
lequel atome, d'aprčs la définition des vrais philosophes en la science
d'astronomie, est la plus petite partie du temps : si petit qu'ą cause de sa
/1. Atome, ou
athome : environ 1/6 de seconde. L'heure, au moyen āge, se divisait en 60
ostenta, dont chacun comptait 376 atomi. (N. d. T.).
25 petitesse
mźme il est indivisible et quasi incompréhensible. C'est lui, ce temps dont il
est écrit : Tout le temps qui t'est donné ą toi, ą toi il sera demandé
comment tu l'as dépensé. Et c'est raison que tu en rendes compte, car il n'est
ni plus long ni plus court, mais il a la juste mesure, pas plus, de ce qui est
au dedans le principal pouvoir agissant de ton āme : c'est-ą-dire ta volonté.
Car il peut y avoir et il y a, dans une heure de ta volonté, juste autant de
vouloirs et de désirs, ni plus ni moins, qu'il y a d'atomes dans une heure.
Or si tu te
trouvais, par la grāce, rétabli dans le premier état de l'āme humaine, telle
qu'elle était avant le péché, alors, et avec l'aide de cette mźme grāce, tu
serais maītre de ce, ou de ces mouvements ; et de cette sorte aucun n'irait se
perdre, mais tous convergeraient et tendraient vers le souverainement désirable
et suprźme bien, lequel est Dieu. Car Il vient mźme ą la convenance de notre
āme par la mesure qu'Il donne ą Sa Divinité ; et notre āme également est ą sa
convenance par l'excellence originale de notre création « ą Son image et ą Sa
ressemblance ». Et par Lui-mźme seul, et rien que Lui en Lui-mźme, Il est
pleinement suffisant, et encore bien plus, pour combler le vouloir et désir de
notre āme. Et, par la vertu réformatrice de la grāce, notre āme est faite
pleinement suffisante et capable de Le comprendre en entier, Lui qui est
incompréhensible ą toutes les facultés et pouvoirs de connaissance des
créatures, autant angéliques qu'humaines : j'entends bien par la science, mais
non par leur amour. Et c'est pourquoi je les nomme, 26 en ce cas, les facultés
de connaissance.
Néanmoins,
toutes les créatures qui ont intelligence, les angéliques comme les humaines,
possčdent en elles-mźmes et chacune pour soi, une premičre puissance opérative
principale, laquelle est nommée de connaissance, et une autre puissance
opérative principale, laquelle est nommée de l'amour. Desquelles deux facultés,
Dieu qui en est le créateur, reste toujours incompréhensible ą la premičre, qui
est celle de la connaissance ; et ą la seconde, qui est celle de l'amour, Il
est tout compréhensible, pleinement et entičrement, quoique diversement pour
chacun. De sorte qu'une seule mźme āme peut, par la vertu de l'amour,
comprendre en elle-mźme Celui qui est en Soi pleinement suffisant - et
incomparablement plus encore - pour emplir et combler toutes les āmes et tous
les anges jamais créés. Et c'est ici l'immense et merveilleux miracle de
l'amour dont l'oeuvre jamais ne connaītra de fin, puisqu'ą jamais Dieu le fera
et que jamais il n'interrompra de le faire. Que celui-lą le voie, ą qui la
grāce a donné des yeux pour voir, car c'est une infinie bénédiction que d'en
avoir le sentiment, et le contraire est une désolation infinie.
Et c'est
pourquoi celui qui a été rétabli par la grāce ą demeurer constant dans la garde
des mouvements de sa volonté - puisqu'il ne peut źtre, de nature, sans ces
mouvements - jamais ne sera dans cette vie sans quelque goūt de l'infinie
suavité, ni dans la béatitude du ciel sans sa pleine et complčte nourriture.
Aussi ne t'étonne donc pas si je te pousse et t'incite ą cette uvre. Car elle
est 27 loeuvre mźme, comme tu l'apprendras par la suite, que l'homme eūt
poursuivie s'il n'avait pas péché ; c'est loeuvre pour laquelle l'homme a
été fait, et toutes choses pour l'homme, afin de lui prźter assistance et l'y
pousser plus avant ; et aussi est-ce en y travaillant que l'homme sera rétabli
ą nouveau. Car par le manquement ą ce travail, toujours plus profondément
l'homme tombe dans le péché, toujours plus loin et plus loin de Dieu. Mais ą mettre
et garder dans cette oeuvre son continuel effort, sans plus, l'homme se relčve
de plus en plus du péché, toujours plus prčs et plus prčs de Dieu.
Et c'est
pourquoi prends donc grandement garde au temps, et comment tu le dépenses : car
rien n'est plus précieux que le temps. Un rien de temps, aussi petit soit-il,
et le ciel peut źtre gagné et perdu. Un gage que le temps est précieux, c'est
que Dieu, qui en est le dispensateur, ne nous donne jamais deux temps ą la fois
mais toujours l'un aprčs l'autre. Ce qu'Il fait parce qu'Il ne veut point
renverser l'ordre et le cours ordinal des causes dans Sa création. Car le temps
est fait pour l'homme, et non l'homme pour le temps. Et c'est pour cela que
Dieu, ą qui appartient le gouvernement de la nature, ne veut point, par Son don
du temps, précéder le mouvement de nature dans l'āme humaine, lequel mouvement
a l'exacte mesure d'un temps, et rien que d'un temps. En sorte qu'au Jugement,
l'homme n'aura point d'excuse ą invoquer devant Dieu et, rendant compte du
temps dépensé, il n'aura point ą dire : « Vous m'avez donné deux temps ą
la fois, et je n'avais qu'un seul mouvement par fois. » 28
Mais tout
plein de chagrin, voici que tu me dis ; « Comment ferai-je ? et puisque
c'est ainsi que tu le dis, comment rendrai-je compte de chaque temps séparément
? Moi qui jusqu'ą ce jour, avec ą présent vingt et quatre ans d'āge, n'ai
jamais pris garde au temps. Maintenant, si je voulais rectifier, tu sais
parfaitement, pour la raison mźme des paroles que tu as écrites plus haut, que
cela ne se peut ni selon le cours naturel, ni par le secours de la grāce
commune, et que je ne saurais ą présent prendre garde et faire réparation que
pour les seuls temps qui sont ą venir. Et au surplus encore, je sais
assurément, par le fait de mon excessive fragilité et de mon indolence
d'esprit, que mźme pour ces temps ą venir, je ne serai en aucune maničre
capable de veiller ą plus d'un sur cent. De sorte que je suis véritablement
prisonnier de ces raisons. Pour l'amour de Jésus, aide-moi maintenant ! »
Trčs juste
et fort exactement dit : pour l'amour de Jésus. Car dans l'amour de Jésus, lą
en effet sera ton aide et ton secours. L'amour a ce pouvoir, que toutes choses
alors sont mises en commun. Aussi donc aime Jésus, et toute chose qu'il a sera
tienne. Il est, par Sa Divinité, le créateur et dispensateur du temps. Il est,
par Son humanité, le garde vrai du temps. Et par Sa Divinité ensemble et son
humanité, Il est le Juge le plus exact, et qui demande compte du temps dépensé.
C'est pourquoi unis-toi ą Lui, par amour et par foi, et ainsi, par l'effet et
vertu de ce lien, tu percevras en commun avec Lui, et avec tous qui par l'amour
sont aussi liés ą lui : c'est ą savoir avec notre Dame 29 Sainte Marie qui
était pleine de toutes grāces dans cette garde du temps, puis avec tous les
anges du ciel, lesquels n'ont pu jamais perdre quelque temps que soit, et avec
tous les saints au ciel et sur la terre, lesquels, par la grāce de Jésus, en
vertu de l'amour, ont pris avec exactitude une juste garde du temps. Vois donc
! ici se trouve le réconfort ; médites-en clairement, et pour toi tires-en
quelque profit.
Mais je
t'avertis d'une chose entre toutes autres : Je ne vois pas qui pourrait
prétendre ą une communauté ainsi avec Jésus et Sa Mčre équitable, avec Ses anges
éminents et Ses saints, si ce n'est quelqu'un qui fasse de soi-mźme tous ses
efforts et son possible afin d'aider la grāce dans cette garde du temps. De
telle sorte qu'on le voie pour sa part, si petite soit-elle, venir en bénéfice
ą la communauté, ainsi que parmi eux, chacun pour la sienne, le fait.
Aussi donc
donne ton attention ą cette oeuvre, et ą sa merveilleuse maničre,
intérieurement, dans ton āme. Car pourvu qu'elle soit bien conēue, ce n'est
qu'un brusque mouvement, et comme inattendu, qui s'élance vivement vers Dieu,
de mźme qu'une étincelle du charbon. Et merveilleux est-il de compter les
mouvements qui peuvent, en une heure, se faire dans une āme qui a été disposée
ą ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-lą, pour
qu'elle ait, soudain et complčtement, oublié toutes choses créées. Mais sitōt
aprčs chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute
de nouveau 30 dans quelque pensée ou quelque action, exécutée ou non. Mais
qu'importe ? Puisque sitōt aprčs, il s'élance de nouveau aussi soudainement
qu'il l'avait fait avant.
Et ici
peut-on se faire une brčve idée de la maničre de cette opération, et clairement
discerner qu'elle est loin de toute vision, fausse imagination ou bizarrerie de
pensée : car telle, elle serait produite, non par un aussi pieux et humble
aveugle élan d'amour, mais par un esprit imaginatif, tout d'orgueil et de
curiosité. Pareil esprit d'orgueil et de curiosité doit toujours źtre rabaissé
et durement foulé aux pieds, si véritablement, cette uvre, c'est dans la
pureté du cur qu'on la veut concevoir. Car quiconque, pour avoir entendu
quelque chose de cette oeuvre, soit par lecture soit par paroles, s'imaginerait
qu'on puisse ou doive y parvenir par le travail de l'esprit ; et dčs lors
s'assiérait et se mettrait ą chercher dans sa tźte comment elle peut bien źtre,
et, dans cette curiosité, ferait travailler son imagination peut-źtre bien au
rebours de l'ordre naturel, allant s'inventer une sorte et maničre d'opérer,
laquelle n'est ni corporelle ni spirituelle, - en vérité cet homme, qui que ce
soit, est périlleusement dans l'erreur. A un tel point, mźme, qu'ą moins que
Dieu, dans sa grande bonté, n'accomplisse un miracle de miséricorde et ne lui
fasse aussitōt quitter cet effort pour aller prendre conseil, humblement, de
ceux qui ont l'expérience, cet homme alors tombera dans les folies frénétiques,
ou encore dans d'autres grands péchés contre l'esprit ou illusions diaboliques,
par lesquels il peut trčs facilement perdre tout ensemble 31 sa vie et son āme,
maintenant et ą jamais. C'est pourquoi donc, pour l'amour de Dieu, montre de la
prudence dans cette oeuvre et ne travaille en aucune faēon par l'esprit ni par
imagination ; car je te le dis véritablement : elle ne peut źtre faite par le
travail de ceux-lą. Aussi laisse-les, et ne travaille point avec eux.
Et ne crois
pas, parce que j'ai dit une obscurité ou un nuage, que ce puisse źtre quelque
nuage de l'accumulation des humeurs qui flottent dans l'air, ni non plus une obscurité
comme dans ta maison, de nuit, quand la chandelle est soufflée. Car une telle
obscurité et un tel nuage, tu les peux imaginer par curiosité d'esprit, et
avoir l'une devant tes yeux dans le plus lumineux jour de l'été; comme aussi,
au contraire, dans la plus sombre nuit d'hiver, tu peux imaginer une brillante
et claire lumičre. Laisse une pareille fausseté. Je n'entends en rien cela. Car
lorsque je dis obscurité, j'entends un manque et absence de connaissance, comme
est obscure pour toi la chose que tu ne connais pas ou que tu as oubliée :
puisque tu ne la vois avec l'eeil de l'esprit. Et pour cette raison il n'est
point appelé un nuage de l'air, mais un nuage d'inconnaissance, lequel est
entre toi et ton Dieu.
Que dans le temps de cette oeuvre, toutes les
créatures qui jamais ont été, sont maintenant ou seront, et toutes les uvres
de ces mźmes créatures, doivent źtre cachées sous le nuage d'oubli.
ET si jamais
tu devais parvenir en ce nuage, et que tu y demeures et travailles dedans comme
je t'en prie, ce que tu dois, de mźme que ce nuage d'inconnaissance est
au-dessus de toi entre toi et ton Dieu, c'est exactement de mźme mettre
au-dessous de toi un nuage d'oubli entre toi et toutes les créatures jamais
créées. Tu vas penser, peut-źtre, que tu es tout ą fait loin de Dieu parce que
ce nuage d'inconnaissance est entre toi et ton Dieu mais trčs certainement, si
la conception en est bonne, tu es bien plus loin de Lui quand tu n'as point un
nuage d'oubli entre toi et les créatures qui puissent jamais avoir été ou źtre
faites. Et si 33 souvent que je dise : toutes les créatures qui jamais aient
été ou soient faites, aussi souvent j'entends non seulement ces créatures
elles-mźmes, mais aussi toutes les oeuvres et conditions de ces mźmes
créatures. Je ne fais exception d'aucune créature, qu'elle soit corporelle ou
spirituelle, ni non plus d'aucune condition ou oeuvre d'aucune créature,
qu'elle soit bonne ou mauvaise : et pour le dire en bref, toutes doivent źtre cachées
sous le nuage d'oubli en l'occurrence.
Car
quoiqu'il soit pleinement profitable parfois de penser ą certaines conditions
et actions de telles créatures particuličres, néanmoins ici, en cette oeuvre,
le profit en est minuscule ou nul. Pourquoi donc ? C'est que le souvenir ou la
pensée de quelque créature que Dieu ait jamais faite, ou d'une quelconque de
ses actions, est une maničre de lumičre spirituelle : car l'oeil de ton āme est
exactement fixé sur cela comme l'il du tireur est fixé sur le but qu'il vise.
Et je te dis une chose, c'est que tout ce ą quoi tu penses, cela est au-dessus
de toi pendant ce temps, et entre toi et ton Dieu : et d'autant plus es-tu loin
et plus loin de Dieu, que tu as en l'esprit la moindre chose autre que Dieu.
Oui ! et
s'il est possible de le dire avec décence et convenance, pour cette oeuvre,
cela ne sert que peu ou ą rien de penser ą la bonté ou ą la perfection de Dieu,
ou ą notre Dame, ou aux saints et anges dans le ciel, ou encore aux béatitudes
du ciel c'est-ą-dire par une considération spéciale, comme si tu voulais par
cette considération nourrir ton propos et lui donner plus de force. Je suis
dans 34 l'opinion qu'en aucune maničre cela ne t'aiderait dans le cas et dans
cette oeuvre. Car encore qu'il soit bon de méditer sur la bonté de Dieu, et de
L'aimer et glorifier pour cela, néanmoins il est de beaucoup meilleur de penser
ą son Źtre pur, et de L'aimer et glorifier pour Lui-mźme.
Courte considération de l'oeuvre dont s'agit, tirée
d'une question.
Mais
maintenant tu m'interroges et me dis « Comment vais-je penser ą Lui, et
qu'est-Il ? » et ą cela je ne puis te répondre que ceci : « Je n'en sais rien.
»
Car par ta
question tu m'as jeté dans cette mźme obscurité et dans ce mźme nuage d'inconnaissance
oł je voudrais que tu fusses toi-mźme. Car de toutes les autres créatures et de
leurs oeuvres, oui certes, et des oeuvres de Dieu Lui-mźme, il est possible
qu'un homme ait son plein de connaissance par la grāce, - et sur elles, il peut
trčs bien penser; mais sur Dieu Soi-mźme, personne ne peut penser. C'est
pourquoi laisserai-je toutes choses que je puis penser, et choisirai-je pour
mon amour la chose que je ne puis penser. Car voici : Il peut bien źtre aimé,
36 mais pensé non pas. L'amour Le peut atteindre et retenir, mais jamais la
pensée.
Aussi donc,
quoiqu'il soit bon de penser parfois en particulier ą la bonté et ą la
perfection de Dieu, et encore que ce soit une lumičre et partie de la
contemplation, néanmoins pourtant en cette oeuvre, cela sera rejeté bas et
couvert avec un nuage d'oubli. Et tu t'avanceras vaillamment par dessus, mais
prudemment, dans un pieux et joyeux élan d'amour, essayant de percer
l'obscurité au-dessus de toi. Et frappe ą coups redoublés sur cet épais nuage
d'inconnaissance avec la lance aiguė de l'amour impatient ; et ne t'en va de lą
pour chose qui arrive.
Comment l'homme se gardera, dans cette uvre, entre
toute pensée, et particuličrement contre celles issues de la curiosité et astuce
de l'esprit naturel.
.ET si
quelque pensée se lčve et continuellement se veut pousser de force au-dessus de
toi, entre toi et cette obscurité, te questionnant et disant « Que cherches-tu
? Et que voudrais-tu avoir ? » Tu diras, toi, que c'est Dieu que tu souhaites
posséder : « C'est Lui que je convoite, Lui que je cherche, et rien autre que
Lui. »
Et si elle
te demande : « Qu'est-ce que Dieu ? » Dis-lui, toi, que c'est Dieu qui t'a
fait, et racheté, et qui gracieusement t'a appelé ą ce degré. « Et en Lui, tu
diras, nulle et de rien est ton habileté. » Et c'est pourquoi tu ordonnes: «
En-bas, toi, va-t'en en bas. » Et vite tu poses le pied dessus par un élan
d'amour, toute sainte qu'elle te paraisse, et bien 38 qu'elle te semblāt vouloir t'aider
ą Le chercher. Car peut-źtre bien voulait-elle te mettre en l'esprit divers
trčs admirables et merveilleux aspects de Sa bonté, et affirmer qu'Il est toute
douceur et tout amour, toute grāce et toute miséricorde. Et si tu veux
l'écouter, elle ne demande pas mieux ; car pour finir, et toujours plus te
disputant ainsi, elle te distraira, toi, de l'amour, pour te mettre en l'esprit
Sa Passion.
Et lą, elle
te fera voir la merveilleuse bonté de Dieu, et si tu l'écoutes, elle n'attend
que cela. Car bientōt aprčs, elle te montrera ta misérable vie ancienne, et
peut-źtre, ą y penser et ą la voir, te ramčnera-t-elle ą l'esprit quelque lieu
oł tu as demeuré dans ce temps d'avant. De telle sorte que pour finir, et avant
que tu t'en sois rendu compte, te voilą rejeté tu ne sais oł dans la
dissipation. Et la cause de cette dissipation, c'est que tu te seras prźté de
bon gré tout d'abord ą l'entendre, puis que tu lui auras répondu, que tu
l'auras admise et reēue, et que tu l'auras laissée seule faire.
Et tout
cependant, néanmoins, la chose qu'elle disait, tout ensemble était bonne et
sainte. Et mźme si sainte, oui, que l'homme ou la femme qui croirait atteindre
ą la contemplation sans de nombreuses et attendries méditations sur sa propre
misčre, sur la Passion, la Bonté, l'Excellence et la Perfection de Dieu, avant
d'y parvenir, certes se tromperait et manquerait son but. Mais ce néanmoins, il
reste ą l'homme ou femme qui longuement s'est employé ą ces méditations, de les
laisser pourtant, et de les rejeter et pousser trčs loin sous le nuage d'oubli,
39 s'il doit jamais pénétrer et percer un jour le nuage d'inconnaissance qui
est entre lui et son Dieu. Aussi donc, quel que soit le moment oł tu te
disposes ą cette oeuvre, et quel, le sentiment d'y źtre appelé par la grāce de
Dieu : élčve alors ton cur vers Lui, avec un mouvement et un élan d'humilité
et d'amour, dans la pensée du Dieu qui t'a créé, et racheté, et qui t'a
gracieusement appelé au degré oł tu es, n'admettant aucune autre pensée que
cette seule pensée de Dieu. Et mźme celle-ci, seulement si tu t'y sens porté :
car un élan direct et nu vers Dieu est suffisant assez, sans aucune autre cause
que Lui-mźme.
Et que si
cet élan, il te convient l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot, afin de
plus fermement t'y tenir, alors ce soit un petit mot, et trčs bref de syllabes
: car le plus court il est, mieux il est accordé ą l'oeuvre de l'Esprit.
Semblable mot est le mot : DIEU, ou encore le mot : AMOUR. Choisis celui que tu
veux, ou tel autre qui te plaīt, pourvu qu'il soit court de syllabes. Et
celui-lą, attache-le si ferme ą ton cur, que jamais il ne s'en écarte, quelque
chose qu'il advienne.
Ce mot sera
ton bouclier et ton glaive, que tu ailles en paix ou en guerre. Avec ce mot tu
frapperas sur ce nuage et cette obscurité au-dessus de toi. Et avec lui tu
rabattras toutes maničres de pensée sous le nuage de l'oubli. A tel point que,
si quelque pensée t'importune d'en-haut et te demande ce que tu voudrais
posséder, tu ne lui répondras par aucunes paroles autres que ce mot seul. Et
qu'elle argue de sa compétence en t'offrant d'expliquer ce 40 mot trčs
savamment et de t'en exposer les qualités ou propriétés, dis-lui que tu veux le
garder et posséder intact en son entier, et non point brisé ou défait.
Et si tu
veux te tenir ferme en ce propos, sois bien sūr que pas un instant de plus,
elle ne demeurera. Et pourquoi ? Parce que tu ne veux ni la laisses se nourrir
aux douces méditations sur Dieu, alléguées ci-dessus.
Un bon éclaircissement de certains doutes qui peuvent
survenir en cette oeuvre, tiré d'une question, par la réfutation de la propre
curiosité et astuce de l'esprit humain naturel, et par la distinction des
degrés et parties entre la vie active et la contemplative.
Or voici que
tu m'interroges : « Et qu'est-ce donc, ce qui m'occupe ainsi durant cette
couvre, et savoir si c'est chose de bien ou mauvaise ? Car si c'était chose
mauvaise, dis-tu, alors je m'émerveillerais qu'elle vīnt ą ce point accroītre
la dévotion de l'homme. Et souvent m'a-t-il bien semblé qu'il y avait un
réconfort précieux ą écouter ses dires. Et maintes fois y a-t-il, ce me semble,
oł elle m'a tiré les larmes du coeur, tantōt m'apitoyant sur la Passion du
Christ, tantōt sur ma propre misčre ou tant d'autres objets qui tous m'ont paru
parfaitement 42 saints, et d'un grand bien pour moi. Aussi ne saurait-elle, ą
mon estime, źtre du tout mauvaise. Mais si la chose est bonne, et qu'au surplus
elle me fasse un tel et si grand bien par ses dires et douces paroles, alors
grandement je m'étonne et me demande pourquoi tu me dis de la rejeter, et si
loin, sous le nuage d'oubli. »
Voici
assurément qui me paraīt une question pertinemment posée, et ą laquelle je
pense bien répondre, autant que je le pourrai dans ma faiblesse.
Et d'abord, lorsque
tu me demandes ce qu'est cela, qui t'occupe et te presse si fort pendant cette
oeuvre, et mźme s'offre ą t'y aider, je dis que c'est un vif et clair regard
dans la lumičre naturelle de ton esprit, lequel s'imprime dans ton āme.
Et quand tu
me demandes si la chose est bonne ou mauvaise, je dis qu'en elle-mźme, il lui
appartient d'źtre bonne toujours, selon sa nature. Pour cela : que c'est un
rayon de la ressemblance de Dieu. Mais quant ą son emploi, alors elle peut źtre
bonne, ou mauvaise. Bonne, quand elle est, par la grāce, ouverte sur une vue de
ta propre misčre, sur la Passion, sur la bonté et sur les oeuvres admirables de
Dieu dans Ses créatures, tant corporelles que spirituelles. Auquel cas, il n'y
a point ą s'étonner qu'elle accroisse si pleinement ta dévotion, tout comme tu
dis. Mais lą oł l'usage est mauvais, c'est quand l'enflent l'orgueil et la
curiosité d'un grand savoir et connaissance livresques, tels que chez les
doctes clercs ; car les voilą empressés ą se faire, non plus les humbles
écoliers de la divinité et maītres en la dévotion, mais les étudiants
orgueilleux 43 du diable et maītres des vanités et du mensonge. Pour tous les
autres hommes ou femmes, quels qu'ils soient, religieux ou séculiers, aussi
l'usage ou emploi de cet esprit naturel est mauvais, lorsque l'enflent
l'orgueil et la curiosité de tous les talents mondains, les charnelles pensées
de convoitise devant la louange du monde, et la possession des richesses, des
vaines plaisances et des flatteries d'autrui.
Et lorsque
tu me demandes pourquoi tu as ą la rejeter sous le nuage de l'oubli, quand la
chose est ainsi, et telle que selon sa nature elle est bonne, et par suite,
selon que tu en uses proprement, elle te fait tant de bien et accroīt tellement
ta dévotion ; je réponds ą ceci et te dis : Que tu dois parfaitement comprendre
qu'il y a deux maničres de vivre en la Sainte Église.
La premičre
est la vie active et la seconde est la vie contemplative. L'active est la vie
inférieure, et la contemplative, supérieure. La vie active a deux degrés, un
supérieur et un inférieur, de mźme que la vie contemplative aussi a deux
degrés, un inférieur et un supérieur. Mais aussi ces deux vies sont-elles ą ce
point couplées ensemble que, bien qu'elles puissent źtre diverses en quelque
endroit, néanmoins ni la premičre ni la seconde ne saurait źtre pleinement sans
quelque partie de l'autre. Pourquoi cela ? Parce que cette part qui est la
supérieure de la vie active, c'est aussi cette mźme part qui est l'inférieure
de la vie contemplative. De telle sorte qu'un homme ne saurait źtre pleinement
actif, qu'il ne soit pour partie contemplatif ; 44 ni non plus contemplatif
absolument, pour autant qu'on le puisse źtre ici; qu'il ne soit pour une part
actif. La condition de la vie active, c'est d'avoir tout ensemble et son
commencement et sa fin dans cette vie ; mais non la vie contemplative, laquelle
commence bien en cette vie, mais pour durer sans connaītre de fin. Et la raison
? C'est que la part que Marie a choisie, jamais elle ne lui sera ōtée. La vie
active est troublée, agitée et travaillée par maints objets ; mais la
contemplative, elle, demeure assise dans la paix avec un objet unique.
La vie
active inférieure, ce sont les honnźtes bonnes oeuvres matérielles de charité
et de miséricorde. Sa part supérieure, laquelle est l'inférieure de la vie
contemplative, ce sont les efficaces méditations spirituelles et l'attentive
considération par l'homme, avec chagrin et contrition, de sa propre misčre ; de
la Passion du Christ. et de ses serviteurs, avec pitié et compassion ; des
admirables dons de Dieu, de Sa bonté et de Ses oeuvres dans toutes Ses
créatures corporelles et spirituelles, avec actions de grāces et louanges.
Mais, la plus haute part de la contemplation, autant qu'elle peut se faire ici,
consiste tout entičre en cette obscurité et ce nuage d'inconnaissance, et avec
un élan d'amour et une aveugle considération de l'Źtre pur de Dieu, uniquement
Lui-mźme.
L'homme,
dans la vie active inférieure, est en dehors de soi et au-dessous de soi. Dans
la vie active supérieure, et partie inférieure de la contemplative, l'homme est
au dedans de soi et égal ą soi-mźme. Mais dans la vie contemplative supé rieure,
45 c'est au-dessus de soi qu'il est, et
sous son Dieu. Au-dessus de soi-mźme : car la victoire qu'il se promet, avec le
secours de la grāce, est par delą le point qu'on ne peut plus prétendre
atteindre par nature ; ce qui est d'źtre attaché et uni ą Dieu en esprit, en
unité d'amour et en conformité de volonté.
Et tout
justement comme il est impossible ą la raison humaine d'admettre, pour un
homme, qu'il en vienne ą la part supérieure de la vie active, s'il n'a, du
moins, cessé et quitté pour un temps la part inférieure ; exactement de mźme
aussi est-il qu'un homme ne pourra point passer ą la part supérieure de la vie
contemplative, s'il n'a, du moins, cessé et quitté pour un temps sa part
inférieure. Et autant est-ce chose illégitime et qui va ą l'échec, que de
vouloir et prétendre s'asseoir dans ses méditations, tout en conservant néanmoins
son attention fixée ą l'extérieur sur les travaux du corps, faits ou ą faire,
aussi saints qu'ils puissent źtre par ailleurs en eux-mźmes ; autant assurément
est-il inadmissible et un échec certain, de prétendre et vouloir oeuvrer dans
cette obscurité et ce nuage d'inconnaissance en un affectueux élan d'amour pour
Dieu Lui-mźme, tout en laissant s'élever au-dessus de soi et se pousser entre
soi et son Dieu, quelque pensée ou quelque méditation sur les admirables dons
de Dieu, Sa bonté et ses oeuvres dans chacune de Ses créatures corporelles et
spirituelles, - autant saintes que puissent źtre, par ailleurs, ces pensées
elles-mźmes, autant réconfortantes et profondes ! 46
Et c'est la
raison pourquoi je te dis et prie de rejeter une telle pensée affutée et subtile,
et de la recouvrir d'un trčs épais nuage d'oubli, quelque sainte qu'elle soit
et te faisant promesse plus que jamais de t'assister et aider dans ton propos.
Et le pourquoi, c'est que l'amour peut, dans cette vie, atteindre Dieu ; mais
la science non point. Et tout le temps que l'āme demeure en ce corps mortel, la
pointe de notre intelligence ą l'égard des choses spirituelles, et tout
particuličrement de Dieu, est souillée toujours plus de toutes sortes
d'imaginations, par la faute desquelles notre travail ne peut źtre qu'impur. Et
la grande merveille, ce serait que par lą nous ne fussions induits en mainte
erreur.
Qu'en le temps de cette oeuvre, le souvenir de la
créature la plus sainte qu'ait jamais faite Dieu est plus nuisible que
profitable.
ET c'est
pourquoi ce mouvement aigu de ton intelligence, qui toujours vient t'importuner
quand tu te mets ą cette oeuvre, il faut toujours qu'il soit foulé aux pieds ;
car si toi, tu ne le foules, c'est lui qui te foulera. Et ainsi, lorsque tu
crois au mieux et t'imagines demeurer en cette obscurité et n'avoir en ton
esprit rien autre que Dieu seul, si tu y regardes véritablement, tu trouveras
ton esprit, non point occupé de cette obscurité, mais d'une claire
considération de quelque objet au-dessous de Dieu. Et cela étant, assurément
cette chose est au-dessus de toi dans le moment, et entre toi et ton Dieu.
C'est pourquoi, aie donc ą dessein de rejeter de semblables et claires
considérations, 48 seraient-elles saintes et favorables comme jamais. Car je te
dis une chose : c'est que plus profitable pour la santé de ton āme, et plus
valable en soi, et plus plaisant ą Dieu et ą tous les saints ou anges au ciel,
- oui ! et plus secourable ą tous tes amis de corps et d'esprit, vifs ou morts,
- est cet aveugle élan d'amour vers Dieu en Lui-mźme, et un tel et secret
empressement en ce nuage d'inconnaissance ; et je te dis qu'il est meilleur
pour toi de le posséder et avoir dans ton sentiment spirituel, que d'avoir les
yeux de ton āme ouverts sur la contemplation ou considération de tous les anges
ou saints au ciel; ou qu'elle soit baignée dans toute l'allégresse et la
mélodie de la béatitude oł ils sont.
Et remarque
bien que tu n'as point ą t'étonner de ceci ; car si tu pouvais toi-mźme le voir
aussi clairement qu'il est possible, par la grāce, de le pressentir en cette
vie, alors tu penserais comme je dis. Mais sache bien et sois assuré que la
claire vision, on ne l'aura jamais en cette vie ; le sentiment, toutefois, on
peut l'avoir, par grāce, et avec la permission de Dieu. Et c'est pourquoi élčve
donc ton amour ą ce nuage ; ou plutōt, pour parler selon la vérité, laisse Dieu
tirer ton amour ą ce nuage ; et tāche pour toi, avec le secours de Sa grāce,
d'oublier tout le reste.
Car lorsqu'un
simple souvenir de quelque objet au-dessous de Dieu, pourtant involontaire et
non délibéré, déją t'éloigne beaucoup plus de Dieu que s'il ne s'était imposé,
et te nuit par cela qu'il te rend d'autant plus incapable d'avoir, par
expérience, le sentiment du fruit de Son amour, - que 49 sera-ce donc si tu
jettes volontairement et délibérément un tel souvenir en travers de ton propos,
et quel obstacle ne va-t-il pas y mettre ? Et puisque le souvenir de quelque
saint en particulier, ou de tout objet purement spirituel, déją est un pareil
obstacle pour toi, qu'en sera-t-il du souvenir de quelque homme vivant dans sa
chair misérable ou de tout autre objet matériel ou mondain ? et combien n'en
seras-tu pas empźché dans cette oeuvre ?
Ce n'est pas
que je dise qu'une semblable idée soudaine et nue de quelque bon et spirituel
objet au-dessous de Dieu, tout involontaire et non délibérée, ou mźme
volontairement suscitée et choisie dans l'intention d'accroītre ta dévotion,
encore qu'elle soit nuisible au mode et ą la maničre de cette oeuvre, - ce
n'est pas que je dise qu'elle soit par lą chose mauvaise. Non ! Dieu ne
permettrait point que tu le prisses ainsi. Mais je dis que, tant bonne et
sainte qu'elle soit, néanmoins, dans cette oeuvre, elle fait plus d'empźchement
que de profit. Pour ce temps-lą et ce moment, veux-je dire. Et pourquoi ? C'est
que celui qui cherche Dieu avec perfection, celui-lą, pour finir, ne va point
s'arrźter et reposer dans le souvenir de quelque saint ou d'un ange du ciel.
Comment un homme connaītra que sa pensée n'est point péché ; ou si
elle l'est, quand c'est péché mortel et quand, véniel.
Par contre, il n'en est plus du tout ainsi du souvenir de quelque homme ou femme vivant en cette vie, ni non plus d'un objet corporel ou mondain, quel qu'il soit. C'est, en effet, que la pensée brusque et soudaine de l'un d'entr'eux, venue en toi contre ta volonté et ton consentement, bien qu'elle ne puisse t'źtre imputée ą péché puisque c'est lą le travail contre toi du péché originel, duquel, dans le baptźme, tu as été purifié néanmoins, si elle n'était promptement contrōlée et ce soudain élan promptement rabattu, trčs vite ton faible coeur charnel y serait entraīné : soit par une sorte ou l'autre de complaisance, si c'est lą un objet qui te plaīt ou t'a plu autrefois ; soit par une sorte ou 51 l'autre de ressaut, si c'est lą un objet que tu crois douloureux pour toi ou qui te fut autrefois douloureux. Et cet attachement, s'il peut źtre mortel de nouveau pour ceux, hommes et femmes, qui vivent de la vie charnelle et qui étaient auparavant dans le péché mortel ; pour toi, cependant, et pour tous ceux qui ont, dans une volonté fidčle, abandonné le monde, lesquels sont par engagement et obligation en quelque degré de la vie religieuse dans la sainte Église, ouvertement ou en secret, quel que soit, et par suite ne sont point gouvernés de leur propre volonté et leur estimation personnelle, mais par la volonté et le conseil de leurs maītres et supérieurs, quels qu'ils soient, religieux ou séculiers, un tel attachement par complaisance ou ressaut du coeur charnel n'est cependant, pour ceux-lą tous, que péché véniel. Et la cause en est au profond appui et enracinement en Dieu de votre but et intention, accomplis dčs le commencement de votre vie en cet état oł vous źtes venus, avec l'assistance et conseil d'un prudent Pčre, votre témoin.
Mais il n'en est pas moins que cette complaisance ou ressaut attaché ą ton coeur charnel, pour peu qu'il y soit admis ą demeurer quelque temps sans réprimande, alors et pour finir s'attache au coeur spirituel, ce qui est dire ą la volonté, avec le plein consentement : ce qui, alors, est péché mortel. Et c'est ce qui arrive quand toi-mźme, ou l'un de peux que j'ai nommés, appelle intentionnellement en soi le souvenir de quelque homme ou femme vivant en cette vie, ou autrement quelque objet matériel ou 52 mondain. Si bien que si c'est lą un objet qui te blesse ou t'a blessé autrefois, en toi s'élčve une passion furieuse et une soif de vengeance, lesquelles ont pour nom la Colčre ; ou autrement, on le repousse par le dédain et quelque maničre de dégoūt de cette personne, avec pensées méprisantes et jugements qui condamnent, ce qui a nom : l'Envie. Ou encore c'est une lassitude et un manque de goūt pour toute action et bonne occupation, tant corporelle que spirituelle, ce qui a nom Paresse.
Et si c'est lą un objet qui te plaise ou t'a plu autrefois, alors s'élčve en toi une grande délectation ą y penser, quelle que puisse źtre cette chose. Si bien que tu reposes en cette pensée et finis par y attacher ton coeur, et ta volonté aussi bien ; et ą cela se repaīt ton coeur charnel : ą tel point que tu penses dans le moment n'avoir d'autre bien ą convoiter, que de vivre toujours et reposer en pareille paix avec la chose ą laquelle tu penses. Or, cette pensée que tu attires en toi ou autrement accueilles quand elle y est venue, et en laquelle tu reposes avec tant de délectation, si elle touche ą l'excellence de ta nature ou de ton savoir, ą la grāce reēue ou au degré atteint, aux faveurs ou ą la beauté, alors elle est Orgueil. Et si elle va aux biens terrestres de quelque sorte, aux richesses ou mobiliers quelconques dont on puisse źtre maītre ou possesseur, alors c'est Convoitise. Si c'est aux mets délicats et breuvages, ou ą quelque autre faēon de délices que l'homme puisse goūter, alors c'est Gloutonnerie, comme dit Gourmandise. Et si c'est d'amour ou de plaisance qu'elle parle, de 53 caresses charnelles quelles que soient, de l'apprźt ou de la flatterie des charmes de quelque homme ou femme vivant en cette vie, et de toi-mźme autant : alors c'est Lubricité et Luxure.
Qu'un homme devrait
peser toute pensée et mouvement intérieur, quels qu'ils soient, et toujours se
garder de l'indifférence quant au péché véniel.
SI je parle ainsi, ce n'est pas que je croie que vous soyez, toi ou tous autres que j'ai dits, coupables et accablés d'aucun péché pareil ; mais c'est que je voudrais que tu te gardasses de manquer ą peser chaque pensée et chaque mouvement intérieur quel qu'en soit l'objet, et que tu t'employasses activement ą détruire tout premier mouvement et pensée aux choses oł tu pourrais ainsi pécher.
Car je te dis ceci : celui-lą qui ne pčse point, ou prend légčrement, la premičre pensée oui ! mźme s'il n'y a en elle aucun péché il n'échappera pas, quel soit-il, ą l'indifférence quant au péché véniel. A ce péché véniel, il n'est personne, en cette vie mortelle, qui y échappe absolument. Mais ą 55 l'indifférence quant au péché véniel, toujours échapperont tous vrais disciples en la perfection : car autrement, je ne serais point étonné qu'ils tombassent bientōt en péché mortel.
Que par l'efficace et vertu de cette oeuvre non seulement
le péché est détruit, mais aussi les vertus suscitées.
Cest donc
pourquoi, si tu veux te tenir et ne point tomber, n'aie d'arrźt ni de cesse jamais
en ton propos : mais toujours et plus, frappe sur ce nuage d'inconnaissance,
lequel est entre toi et ton Dieu, avec la lance aiguė de l'impatient amour ;
détourne-toi en horreur de penser ą quelque objet que ce soit au-dessous de
Dieu ; et ne t'en va de lą pour chose qui arrive.
Car c'est
par cette oeuvre seule et en elle seulement, que tu détruis le fondement et la
racine du péché. Jeūne comme jamais, veille plus tard que jamais, lčve-toi plus
tōt que jamais, comme jamais couche-toi durement, harasse-toi comme jamais, oui
! et mźme s'il était permis de le faire - ce qui 57 n'est pas - arrache-toi les
yeux, coupe-toi la langue, bouche-toi les oreilles et les narines
hermétiquement comme jamais, et encore tranche-toi les membres et inflige ą ton
corps toutes les peines et souffrances imaginables : rien de cela ne t'aidera
en rien. Toujours en toi sera le mouvement et l'assaut du péché.
Hélas ! et
quoi encore ? Verse des larmes autant comme jamais par regret et chagrin de tes
péchés, ou avec la pensée de la Passion du Christ; ou bien, plus vives que
jamais, te soient présentes ą l'esprit toutes les joies du ciel. Quel en sera
l'effet, en ce qui te concerne ? Assurément beaucoup de bien, grand secours,
grand profit et beaucoup de grāce en retireras-tu. Mais en comparaison avec
l'aveugle élan d'amour, c'est tout si peu que rien, ce que cela fait, ou peut
faire, sans lui. Tandis qu'il est en lui-mźme, et sans les autres, la meilleure
part de Marie ; eux, sans lui, n'avancent qu'ą bien peu, ou ą rien. Car non seulement
il détruit le fondement et la racine du péché autant qu'il se peut faire ici,
mais par lą suscite les vertus. Qu'il soit bien véritablement conēu, - et
véritablement toutes les vertus s'y trouveront, et conēues ą la perfection, et
comprises sensiblement en lui, sans nul mélange d'intention. Et jamais homme
n'aurait sans lui tant de vertus, qu'elles ne soient toutes mźlées d'une
intention faussée, laquelle est cause qu'elles seraient imparfaites.
Car la vertu
n'est rien d'autre, en effet, qu'une affection ordonnée et mesurée, et
pleinement dirigée sur Dieu pour Lui-mźme. Pourquoi ? C'est qu'Il est en
Lui-mźme la pure cause et fin de toutes les vertus : 58 au point que si
quelqu'un portait une vertu qui eūt pour cause, mźlée ą Dieu, une autre raison encore
- oui ! et quand bien Dieu serait encore la principale -, il n'en reste pas
moins que cette vertu est alors imparfaite. Comme ainsi l'on pourra voir, pour
l'exemple, en une vertu, ou en deux, plutōt qu'en toutes les autres : et telles
seront parfaitement l'humilité et la charité. Car quiconque peut, ces deux-lą,
les gagner et avoir clairement : il n'a rien besoin de plus. Parce que les
ayant, il a tout.
Ce qu'en elle-mźme est l'humilité; et quand parfaite
elle est, et quand imparfaite elle est.
Voyons donc
en premier la vertu de l'humilité : comment elle est imparfaite quand elle
a pour cause, mźlée ą Dieu, quelque autre raison, encore qu'Il soit la
principale ; et comment elle est parfaite avec Dieu en Lui-mźme pour seule
fin. Et d'abord faut-il savoir ce qu'est en elle-mźme l'humilité, si toutefois
la chose peut źtre clairement vue et comprise ; sur quoi, plus véritablement
pourra-t-on concevoir, dans la vérité de l'esprit, quelle en est la cause.
\ L'humilité
n'est en elle-mźme rien d'autre que la vraie connaissance et le sentiment vrai,
pour l'homme, de ce qu'il est en soi-mźme. Car bien assurément, qui peut se
voir soi-mźme en vérité et sentir ce qu'il est, en vérité celui-lą sera humble.
60
Et ą cette
humilité sont deux causes, lesquelles voici : La premičre est la souillure,
misčre et fragilité de l'homme, auxquelles il est tombé par le péché, et dont
il lui appartient de garder sentiment ą tous les instants qu'il vit en cette
vie, quelque saint qu'il puisse źtre. La seconde, c'est le surabondant Amour et
la Perfection de Dieu en Soi-mźme, ą la considération desquels toute nature est
dans le tremblement ; et tous les grands clercs sont des fous ; et tous les
saints et tous les anges sont aveugles. Tellement que, si ce n'était qu'Il
mesurāt, dans la sagesse de Sa Divinité, la contemplation de chacun aprčs sa
capacité selon la nature et selon la grāce, je défaille ą dire ce qu'il leur
arriverait.
La seconde
de ces deux causes est parfaite ; et la raison, c'est qu'elle durera toujours
et sans aucune fin. Mais la premičre ci-dessus, est par contre imparfaite; et
pourquoi? c'est que non seulement elle tombe quand prend fin cette vie, mais
encore bien souvent peut-il arriver qu'une āme en ce corps mortel, par
abondance de grāce en multiplication de son désir - aussi souvent et aussi
longtemps que daigne Dieu y opérer ainsi - peut avoir tout soudain et
parfaitement perdu et oublié toute idée et tout sentiment de son źtre, sans
plus aucun souci ou de sa sainteté ou de sa misčre antérieure. Mais que la
chose arrive rarement ou fréquemment ą une āme ainsi disposée, de toutes faēons
elle ne persiste qu'un trčs bref instant, ą mon avis : mais durant cet instant
elle est parfaitement humble, n'ayant idée ni sentiment d'une cause, autre que
la principale. Tandis que chaque fois qu'elle connaīt 61 et ressent l'autre
cause mźlée ą celle-ci - et quand mźme celle-ci serait la principale - alors
l'humilité est imparfaite.
Mais
toujours, néanmoins, elle est bonne ; et toujours nécessaire est-il de l'avoir.
Et que Dieu te préserve de le prendre autrement que j'ai dit.
Que sans venir d'abord ą l'humilité imparfaite, il est
impossible ą un pécheur de parvenir en cette vie ą la vertu parfaite
d'humilité.
Car encore
que je l'appelle humilité imparfaite, néanmoins, c'est d'autant que j'aurai eu
la connaissance vraie et le sentiment de moi-mźme tel que je suis, que le plus
vite me sera donnée, avec la cause parfaite, la vertu de l'humilité elle-mźme :
et plus vite que si tous les saints et les anges du ciel, et tous les hommes et
femmes de la sainte Église sur la terre, religieux ou séculiers de tous degrés,
tous ensemble se mettaient ą ne faire rien d'autre que prier Dieu afin que
j'aie l'humilité parfaite. Oui, et mźme encore est-il impossible ą un pécheur
d'avoir, ou de conserver l'ayant eue, cette vertu parfaite de l'humilité sans
l'autre.
Et c'est
pourquoi saigne et sue tant que tu peux 63 et pourras, afin d'avoir, de
toi-mźme, la connaissance vraie et le sentiment de ce que tu es. Car alors, je
pense que peu aprčs tu auras une expérience de Dieu, la connaissance vraie et le
sentiment de ce qu'Il est. Non pas tel qu'Il est en Soi-mźme, puisque cela nul
ne le peut, fors Lui-mźme; ni encore tel que tu Le connaītras dans la
béatitude, ensemble avec le corps et l'āme. Mais tel qu'il est possible de Le
connaītre d'expérience, avec Sa permission, pour une āme humble et vivant en ce
corps mortel.
Et ne pense
pas, parce que j'ai posé ą cette humilité deux causes, l'une parfaite et
imparfaite l'autre, que je veuille par lą te voir quitter le travail ą propos
de l'imparfaite humilité pour te mettre entičrement ą vouloir la parfaite. Non
point, assurément : car m'est avis que jamais tu ne l'aurais ainsi. Mais ce que
jusqu'ici j'ai fait, je l'ai fait parce que je voulais te dire et aussi que tu
visses l'excellence de cet exercice spirituel et sa précellence sur tous
autres, physiques et spirituels, tels que peut ou pourrait les faire l'homme
avec l'aide de la grāce. Comment il est aussi que cet amour intime, secrčtement
pressant en pureté d'esprit l'obscur nuage d'inconnaissance qui est entre toi
et ton Dieu, véritablement et parfaitement contient en lui la parfaite vertu
d'humilité, sans nulle particuličre ou claire considération de quoi que ce soit
au-dessous de Dieu. Et encore parce que je voulais que tu connusses laquelle
était l'humilité parfaite, et que tu la posasses comme un signe devant l'amour
de ton coeur, et que tu fisses ainsi pour toi 64 et pour moi. Enfin, parce que
je voulais que, par cette connaissance, tu devinsses plus humble. Car c'est
souventes fois que le défaut de connaissance est cause, ą mon avis, de beaucoup
d'orgueil. Et peut-źtre eūt-il pu se faire que, ne connaissant laquelle était
la parfaite humilité, et ayant cependant quelque petite connaissance et
sentiment de celle que j'appelle l'humilité imparfaite, tu te fusses imaginé
avoir déją presque atteint l'humilité parfaite : de telle sorte, ainsi, que tu
te fusses trompé toi-mźme, croyant en źtre ą une totale humilité alors que tu
eusses été tout prisonnier d'un horrible et puant orgueil.
Et c'est
pourquoi efforce-toi donc de travailler ą cette humilité parfaite, car elle a
qualité telle que quiconque la possčde, et durant tout le temps oł il l'a, ne
péche point, et non plus ne péchera beaucoup par aprčs.
Une courte démonstration contre leur erreur : ceux
qui disent qu'il n'est plus parfaite cause ą l'humilité, que la connaissance
par un homme de sa propre misčre.
Et aussi
fie-toi fermement ą ceci, qu'il y a une humilité parfaite telle que j'ai dit,
et qu'il est possible par la grāce d'y parvenir en cette vie. Ce que j'affirme
pour la confusion de ceux qui prétendent, dans leur erreur, qu'il n'y a plus
parfaite cause d'humilité que celle qui ressort du souvenir de notre misčre et
des péchés que nous avons commis.
J'accorde
bien que pour ceux qui ont été dans l'habitude du péché, comme je le suis et ai
été moi-mźme, c'est une trčs-nécessaire et efficace cause d'humilité que le
souvenir de notre misčre et des péchés que nous avons commis, tant et jusqu'au
moment que soit grattée en grande part la grande 66 rouille du péché, et ce,
avec l'attestation de notre conscience et de notre directeur spirituel. Mais
pour les autres qui sont comme innocents, n'ayant jamais péché mortellement par
volonté déterminée en connaissance de cause, mais seulement par fragilité et
par ignorance, et qui se font contemplatifs ; - et pour nous deux également,
qui nous sentons la vocation par la grāce, et le désir d'źtre contemplatifs,
aprčs, toutefois, qu'au témoignage de notre conscience et de notre directeur
spirituel nous serons assurés d'un légitime amendement par la contrition et par
la confession, comme aussi par l'obéissance aux statuts et ordonnances de la
sainte Église - il y a, sur celle-lą, une autre cause d'humilité : et aussi
loin au-dessus d'elle que la vie de notre Dame Sainte Marie est au-dessus de
celle du pénitent le plus pécheur de la sainte Église ; ou que la vie du Christ
est au-dessus de la vie de n'importe qui en ce monde ; ou encore que la vie
d'un ange, lequel n'a jamais senti - ni ne sentira - la fragilité, est
au-dessus de la vie du plus fragile des humains sur cette terre.
Car s'il en
allait ainsi, et qu'il n'y eūt point d'autre cause plus parfaite d'humilité que
de voir et sentir notre misčre et fragilité, alors je demanderais ą ceux qui le
prétendent : quelle cause avaient-ils ą leur humilité, ceux qui n'ont jamais vu
ni senti - et jamais non plus n'auront en eux - la misčre ni l'assaut du péché,
tels que notre Seigneur JésusChrist, notre Dame Sainte Marie, et tous les
saints et anges dans le ciel ? Or, ą cette perfection ainsi qu'ą toutes autres,
notre Seigneur Jésus-Christ nous 67 appelle Lui-mźme en l'Évangile, oł il
commande que nous soyons par faits, par la grāce, tout comme Il est Lui-mźme,
par nature.
(Estote ergo vos perfecti, sicut & pater
vester clestis perfectus est.)
Que par la vertu de cette oeuvre, un pécheur
sincčrement tourné et appelé ą la contemplation parvient plus vite ą perfection
que par aucune autre uvre ; et que par elle, il peut plus tōt avoir de Dieu le
pardon de ses péchés.
VOIS-LE bien
: nul n'irait penser qu'il y ait de la présomption ą oser, fūt-on le plus
misérable pécheur en cette terre, - mais aprčs s'źtre convenablement amendé, et
aprčs avoir ressenti en soi l'appel de cette vie appelée contemplative dans
l'assentiment et de sa conscience et de son directeur spirituel - ą oser,
prendre sur soi et porter un humble élan d'amour vers son Dieu, pressant
secrčtement ce nuage d'inconnaissance, lequel est entre l'homme et son Dieu.
Lorsque notre Seigneur s'adressant ą Marie, et en sa personne ą tous les
pécheurs, lui dit « Tes péchés sont remis », ce n'est point alors
pour 69 le seul souvenir de ses péchés ni pour le grand chagrin qu'elle en
avait, ni non plus pour l'humilité qu'elle avait gagnée au regard seulement de
sa misčre. Mais pourquoi donc alors ? Assurément parce qu'elle avait beaucoup
d'amour.
Regarde !
Ici les hommes peuvent voir ce qu'une secrčte pression d'amour peut gagner de
notre Seigneur, devant toutes les autres oeuvres auxquelles l'homme peut
penser. Et pourtant je ne nie pas qu'elle ressentīt le plus grand chagrin et
trčs amčrement pleurāt de ses péchés, ni qu'elle fūt tout emplie d'humilité au
souvenir de sa misčre. Et ainsi ferons-nous, nous qui sommes et avons été des
misérables et des pécheurs endurcis : et toute notre vie durant soit le regret
affreux et merveilleux de nos péchés, que nous soyons tout emplis d'humilité au
souvenir de notre misčre !
Mais comment
? Certainement comme a fait Marie. Elle, qui pourtant ne pouvait pas ne pas
sentir en son coeur le plus profond chagrin de ses péchés, - puisqu'elle les
portait, en effet, avec elle oł qu'elle allāt sa vie durant, liés ensemble
comme un fardeau déposé et pesant secrčtement dans la caverne de son coeur, en
sorte qu'ils ne fussent jamais oubliés - bien cependant on peut le dire et
affirmer selon l'Écriture : elle avait néanmoins un plus profond chagrin au
cceur, une plus douloureuse aspiration et plus profonde impatience, oui! et
elle languissait beaucoup plus - presque jusqu'ą la mort - de son manque
d'amour, encore qu'elle fūt pleine d'amour. Et de cela tu n'as point ą
t'étonner, car c'est la condition de l'amant véritable, 70 que toujours plus il
aime, et plus il manque et aspire ą l'amour.
Et cependant
elle savait bien, et elle sentait bien en elle avec une rigoureuse vérité, que
sa misčre était plus horrible que celle de quiconque, et que ses péchés avaient
mis, entre elle et son Dieu qu'elle aimait tant, une division ; et donc aussi
que c'étaient eux, pour une grande part, qui étaient cause qu'elle souffrīt
tant et languīt tellement de son manque d'amour. Mais sur cela, quoi donc ?
Descendit-elle pour cela des hauteurs de son désir dans les abīmes de sa vie
pécheresse ? et se mit-elle ą fouiller dans l'horrible et puante fange et le
fumier de ses péchés, pour les tirer un ą un, chacun avec ses circonstances,
afin d'avoir regret et de pleurer sur chacun d'eux ? Non point ! Certainement
elle ne le fit pas. Et pourquoi ? Parce que Dieu lui avait donné, par Sa grāce,
et fait comprendre au dedans de son āme qu'elle n'en viendrait jamais ą bout
ainsi. Car par lą elle eūt plutōt. fortifié en elle, avec la certitude, son
aptitude de grande pécheresse, bien avant de gagner par cette entreprise le
plein pardon de chacun et de tous ses péchés.
Et c'est
pourquoi elle suspendit son amour et impatient désir en ce nuage
d'inconnaissance ; et elle s'apprit ą aimer cela, que jamais elle ne pourrait
voir clairement en cette vie par la lumičre de l'entendement dans sa raison, ni
sentir positivement dans son affection par la douceur de l'amour. A tel point
que maintes fois elle n'avait plus gučre en précis souvenir si elle avait été
une pécheresse ou non. Oui, et maintes et maintes fois, je le crois, 71 elle
était si profondément adonnée ą l'amour de Sa Divinité, qu'elle n'avait pour
ainsi dire plus nul regard ą la beauté de Son précieux et trčs-saint corps, en
lequel Il habitait trčs-adorablement, parlant et prźchant devant elle ; ni
d'ailleurs ą aucun autre objet, pas plus corporel que spirituel. Telle est la
vérité, ą ce qu'il semble, d'aprčs l'Évangile.
Que le vrai
contemplatif n'a point envie de se mźler de vie active, ni d'aucune chose faite
ou dite de lui, ni non plus de répondre ą ses accusateurs pour s'excuser.
DANS l'Évangile selon saint Luc, il est écrit que lorsque notre Seigneur était dans la maison de Marthe et sa soeur, tout le temps que Marthe s'activait ą préparer Son repas, Marie, sa soeur, était assise ą Ses pieds. Et ą écouter Sa parole, elle n'avait point d'égard au travail de sa soeur, bien que ce travail fūt oeuvre bonne et sainte puisqu'il est, en effet, la part premičre de la vie active ; et non plus elle n'avait d'égard ą Sa trčs-précieuse Personne en Son corps trčs-saint, ni non plus ą la douceur de parole et de voix de Son Humanité, bien que ce fūt encore meilleur et plus saint, puisque c'est lą la seconde partie de la vie active, et premičre de la vie contemplative.
Mais ą la trčs-souveraine sagesse de Sa Divinité, que la ténčbre des paroles de Son Humanité enveloppait, ą cela, elle avait égard avec tout l'amour de son coeur. Et de lą, elle ne voulait bouger pour rien de ce qu'elle voyait ou entendait dire ou faire ą son sujet ; mais elle demeurait assise et tout silence dans son corps, avec de doux élans secrets et son fervent amour se pressant contre ce haut nuage d'inconnaissance entre elle-mźme et son Dieu. Car une chose je te dis : c'est qu'il n'y a jamais eu, et jamais il n'y aura si pure créature en cette vie, si hautement ravie en contemplation et amour, qu'il n'y ait encore au-dessus un haut et prodigieux nuage d'inconnaissance entre elle et son Dieu. Et c'est en ce nuage que Marie était occupée avec tout l'empressement secret de son amour. Pourquoi ? Parce que c'était lą et la meilleure et la plus sainte part de la contemplation qui puisse se faire en cette vie ; et de cette part, elle n'avait cure ni désir de bouger pour rien. Tant et si bien que lorsque sa soeur Marthe se plaignit d'elle ą notre Seigneur et Le pria de commander ą sa soeur qu'elle se levāt, et l'aidāt, et ne la laissāt point seule ainsi ą se donner de la peine et travailler, elle demeura assise et tout silence, et pas un mot ne répondit, ni mźme un geste fit contre sa soeur, pour quelque plainte que celle-ci pūt faire. Rien d'étonnant : elle avait un autre travail ą faire, duquel Marthe ne savait rien. Et c'est pourquoi elle n'avait point loisir de l'écouter, ni de répondre ą sa plainte.
Vois donc, mon ami ! ces oeuvres et les paroles et les gestes, lesquels tous nous sont montrés entre notre Seigneur et ces deux soeurs, le sont en exemple de ce que tous les actifs et tous les contemplatifs ont été depuis en la sainte Église, et seront jusqu'au jour du Jugement. Car, par Marie il faut comprendre tous les contemplatifs, lesquels aussi conformeront leur vie ą la sienne ; et par Marthe, les actifs de la mźme faēon, et pour la mźme raison ą sa ressemblance.
Comment et jusqu'ą ce
jour tous les actifs se plaignent des contemplatifs, ainsi que Marthe, de
Marie. De laquelle plainte l'ignorance est cause.
EXACTEMENT ainsi que Marthe alors se plaignit de Marie sa soeur, exactement de mźme, encore aujourd'hui, tous les actifs se plaignent des contemplatifs. Car qu'il y ait un homme ou une femme en quelque société que ce soit de ce monde, religieuse ou séculičre je n'en excepte aucune et que cet homme ou femme, qui que ce soit, se sente porté par la grāce et aussi par conseil, ą rejeter toute affaire et activité extérieure, et cela pour se mettre ą vivre pleinement de la vie contemplative selon ses aptitudes et sa conscience, non sans la permission de son directeur spirituel ; et voici tout aussitōt ses propres frčres et soeurs, tous ses plus proches amis et bien d'autres encore, lesquels ne savent rien de sa vie intérieure ni rien non plus du genre de vie qu'il commence et auquel il se met, qui tous élčvent autour de lui grand bruit de plaintes et protestations, tranchant brutalement et affirmant qu'il ne fait rien, faisant ce qu'il fait. Et tout aussitōt les voilą énumérant quantité d'histoires fausses, et nombre de vraies aussi, sur la chute de tels ou tels hommes ou femmes qui s'étaient, eux aussi, donnés ą cette vie : jamais un bon récit de ceux qui s'y sont tenus.
Je reconnais que beaucoup tombent et sont tombés, de ceux qui avaient en semblante rejeté le monde. Et oł ils eussent dū devenir serviteurs de Dieu et Ses contemplatifs, pour n'avoir point voulu se laisser diriger par un vrai conseiller spirituel, ils sont devenus les serviteurs et contemplatifs du diable ; et comme pour calomnier la sainte Église, ils ont tourné soit ą l'hypocrisie, soit ą l'hérésie, ou bien ils sont tombés dans la folie et bien d'autres calamités. Mais je laisse ici d'en parler, pour ne point excéder notre sujet. Par la suite, néanmoins, si Dieu permet et si c'est nécessaire, on pourra voir et trouver certaines conditions et la raison de leur chute. Donc assez parlé d'eux ici ; mais allons de l'avant en notre matičre.
Courte excuse de qui a
fait ce livre, enseignant combien par tout contemplatif seront excusés
pleinement tous les actifs de leurs actions et paroles de reproche.
D'AUCUNS pourront penser que je fais peu respect ą Marthe, tout particuličrement sainte, puisque je compare ses paroles de reproche ą l'égard de sa soeur aux mots des humains et mondains ; et ceux-ci ą celles-lą. Mais véritablement je n'entends manquer au respect ni d'elle ni d'eux. Et Dieu ne permettra qu'en cet ouvrage, je puisse dire rien qu'on pūt prendre et entendre comme un blāme de quelqu'un de Ses serviteurs ą quelque degré, et tout spécialement de Sa sainte particuličre. Car ma pensée est qu'elle soit parfaitement excusée et ait pleine justification de cette plainte, tenant en considération le moment et la maničre oł elle l'a exprimée. Car de ce qu'elle a dit, son ignorance est la cause. Et il n'est rien d'étonnant qu'elle ne sūt point ą ce moment que, et comment Marie était occupée ; car auparavant, j'en suis sūr, elle n'avait gučre entendu parler d'une perfection pareille. Et aussi ce qu'elle a dit n'était qu'en peu de mots, et courtois : et par lą devra-t-elle toujours źtre et avoir pleine excuse et justification.
Et de mźme est-ce ma pensée que ces mondains, hommes et femmes, qui vivent de la vie active, aient également pleine excuse de leurs plaintes et reproches ci-dessus allégués, encore qu'ils eussent rudement dit ce qu'ils ont dit tenant en considération leur ignorance. Et pourquoi donc i C'est que tout justement comme Marthe savait trčs peu ce que faisait Marie, sa soeur, tandis qu'elle se plaignait d'elle ą notre Seigneur, tout justement et de mźme ces gens-ci de nos jours savent trčs peu, voire rien, de ce que se proposent nos jeunes disciples de Dieu, quand ils se mettent hors des affaires de ce monde, et s'efforcent d'źtre Ses serviteurs dans l'esprit de justice et de sainteté. Et s'ils le savaient, oserai-je dire, ils ne parleraient, non plus qu'ils agiraient, comme ils font. Et de lą ma pensée, que toujours ils aient excuse car, en effet, ils ne connaissent pas de vie meilleure que celle qu'ils vivent eux-mźmes. Puis aussi, quand je pense ą mes innombrables défauts, lesquels ont été, par moi, traduits en actes et paroles jusqu'ą maintenant par manque de savoir et par défaut de connaissance, alors je me dis que si je veux avoir excuse de Dieu pour mes propres défauts d'ignorance, je dois moi-mźme źtre charitable et pitoyable ą autrui, et donner excuse aux autres hommes de leurs paroles et actions d'ignorance. Car autrement, il est certain que je ne leur ferais pas ce que je voudrais qu'ils me fissent.
Comment Dieu le
Tout-Puissant veut et a grāce de répondre pour ceux-lą tous qui n'ont aucun
désir, afin de s'excuser eux-mźmes, de quitter leur affaire qui est l'amour de
Dieu.
ET c'est pourquoi je pense que ceux-lą qui se mettent ą vivre en contemplatifs, non seulement devraient excuser ceux de la vie active pour leurs paroles de reproche, mais encore ils devraient, je pense, źtre si occupés en esprit, qu'ils ne prissent gučre ou nulle attention ą ce que les hommes font ou disent ą leur sujet. C'est ce que fit Marie, pour notre exemple ą tous, quand sa soeur Marthe se plaignit d'elle ą notre Seigneur ; et si, fidčlement, nous voulons ainsi faire, notre Seigneur voudra maintenant faire pour nous ce qu'Il a fait alors pour Marie.
Et comment fut cela ? Ainsi assurément : notre gracieux Seigneur Jésus, ą qui rien de secret ne reste caché, et bien qu'il fūt requis par Marthe comme juge, en sorte qu'Il commandāt ą Marie de se lever et de l'aider ą Le servir ; néanmoins, et parce qu'Il voyait combien Marie était avec ferveur occupée en esprit de l'amour de Sa Divinité, par suite Il répondit courtoisement en sa place, tout juste comme Il lui convenait de faire pour celle qui n'avait nul désir, afin de s'excuser, de quitter Son amour. Et comment répondit-Il ? Non point, certes, comme ce Juge auquel en appelait Marthe, mais comme un Avocat qui prit légitimement la défense de celle qui L'aimait ; et il dit : « Marthe, Marthe ! » par deux fois la nommant de son nom, car Il voulait qu'elle L'entendīt et prīt garde ą Ses paroles. « Tu es fort occupée, lui dit-Il, et tu as le souci de beaucoup de choses. » Car ą ceux de la vie active, en effet, il appartient d'źtre toujours fort occupés et affairés de choses trčs nombreuses, lesquelles leur viennent en partage, tant pour se procurer d'abord le nécessaire, que pour ensuite faire au prochain les oeuvres de miséricorde, ainsi que le réclame et veut la charité. Et cela, Il le dit ą Marthe parce qu'Il veut qu'elle entende et sache bien que son travail est bienfaisant et profitable ą la santé de son āme. Mais afin qu'elle n'allāt point, de lą, penser que ce travail fūt le meilleur de tous, et tout ce qu'on peut faire, Il ajoute et Il dit : « Mais UNE chose est nécessaire. »
Et quelle est donc cette chose ? Assurément que Dieu soit aimé et loué pour Soi-mźme, par-dessus toutes autres activités corporelles ou spirituelles que l'homme puisse avoir. Et afin que Marthe ne pensāt point qu'il fūt possible tout ensemble d'aimer et louer Dieu par-dessus toute occupation tant corporelle que spirituelle, et cependant de s'affairer aux nécessités de cette vie : pour cela, et qu'elle n'eūt plus de doute sur ce qu'il n'est pas possible ą la fois, et tout ensemble parfaitement, de servir Dieu par les activités du corps et celles de l'esprit imparfaitement, elle le pouvait alors Il ajoute et Il dit que Marie a choisi la part la meilleure /1, laquelle ne lui sera jamais ōtée. Pourquoi ? Parce que ce parfait élan de l'amour, lequel a ici son commencement, est en nombre l'égal de celui qui durera sans fin dans la béatitude du ciel, car l'un et l'autre ne font qu'un.
/1. Si les traductions franēaises entendent le comparatif : la meilleure (des deux), la Vulgate donne bien le superlatif : optimam partem, la part la meilleure (de toutes) ; et le grec est encore plus explicite, qui dit absolument : la bonne part. (N. d. T.)
L'exacte
interprétation de cette parole de l'Évangile : « Marie a choisi la part la
meilleure ».
QU'ENTENDRE par cela : Marie a choisi la part la meilleure ? Oł qu'il soit établi et posé qu'une chose est la meilleure, celle-lą en réclame deux autres avant elle : l'une bonne, la seconde meilleure ; en sorte qu'il y en ait une autre, la meilleure, et troisičme en nombre. Mais quelles sont ces trois choses, desquelles Marie a choisi la meilleure ? Trois vies ce ne sont pas, puisque la sainte Église n'en retient que deux : la vie active et la contemplative ; et ce sont ces deux vies qui sont secrčtement entendues dans ce récit de l'Évangile et figurées par les deux soeurs Marthe et Marie : l'active, par Marthe ; et la contemplative, par Marie. Sans la premičre ou la seconde de ces vies, il n'est personne qui puisse źtre sauvé ; mais oł il n'y en a que deux, personne ne peut choisir cette troisičme vie la meilleure. Mais encore qu'il n'y ait que deux vies, entre ces deux vies, néanmoins, il y a trois parts : desquelles trois, on va d'une bonne ą une meilleure part, et de celle-lą ą la part la meilleure. Chacune de ces trois, en sa place particuličre, a été mise déją en cet écrit. Car ainsi qu'il a été dit auparavant, la premičre, ce sont les honnźtes bonnes uvres corporelles de charité et de miséricorde ; et c'est lą le premier degré de la vie active, comme susdit. La seconde part de ces deux vies, ce sont les efficaces méditations spirituelles de l'homme sur sa propre misčre, la Passion du Christ, et sur les joies du ciel. La premičre part est bonne, et cette seconde meilleure : car c'est lą le deuxičme degré de la vie active, et premier de la contemplative ; en cette part, l'une et l'autre vie, la contemplative et l'active, sont ensemble couplées en parenté spirituelle, et faites sceurs ą l'exemple de Marthe et Marie. Jusqu'ą cette hauteur et non plus haut, sauf exception trčs rare et par grāce particuličre, un actif peut parvenir ą la contemplation; jusqu'ą ce bas niveau, et non plus bas, sauf par une exception trčs rare et en grande nécessité, un contemplatif peut descendre ą la vie active.
La troisičme
part de ces deux vies repose en-haut en cet obscur nuage d'inconnaissance, avec
tous les élans et le secret empressement de l'amour vers Dieu en Soi-mźme. La
premičre part est bonne, la seconde meilleure, mais la troisičme est de toutes
la meilleure. C'est elle « la part la meilleure » de 85 Marie. Et aussi peut-on
pleinement comprendre que notre Seigneur ne dise pas que Marie a choisi la vie
la meilleure, puisqu'il n'y a en nombre que deux vies, et que de deux, on ne
peut choisir qu'un seul meilleur et non point le meilleur de tout. Mais Il a
dit que, de ces deux vies, Marie a choisi la part la meilleure, laquelle ne lui
sera jamais ōtée.
La premičre
part et la seconde, toutes bonnes et saintes qu'elles soient, n'en cessent pas
moins avec cette vie. Car il n'y aura point besoin, dans l'autre vie, des oeuvres
de miséricorde comme ą présent, ni de pleurer sur notre misčre ou la Passion du
Christ. Car il n'y aura personne alors pour avoir faim et soif comme ici, nul
ne mourra de froid, ni ne sera malade, ou sans logis, ou en prison ; aucun non
plus n'aura besoin d'źtre enterré puisque nul ne pourra mourir. Mais cette
troisičme part que Marie a choisie, la choisisse celui qui par la grāce a
vocation de la choisir, ou pour le dire plus vrai celui que Dieu, pour le
faire, a choisi. Qu'il suive avec ardeur son penchant, puisque cela jamais ne
lui sera ōté : car s'il commence ici, il durera sans fin et ą jamais.,
Et c'est
pourquoi laissez la voix de notre Seigneur se lever contre ces actifs, comme si
maintenant Il parlait pour nous ą ceux-lą, comme alors Il a fait ą Marthe pour
Marie : « Marthe, Marthe! » - « Actifs, actifs ! - Affairez-vous autant que
vous pourrez en la premičre et la seconde part, tantōt en l'une, tantōt en
l'autre, ou bien dans l'une et l'autre ensemble de tout corps, si vous en avez
le juste désir et vous y sentez disposés. Et ne vous 86 mźlez aucunement des
contemplatifs. Vous ne connaissez rien ą ce qu'ils ont : aussi laissez-les donc
assis dans leur repos et leur occupation avec cette part la troisičme, laquelle
est la part la meilleure de Marie. »
Du merveilleux amour que le Christ eut pour Marie, et
en sa personne, de tous les pécheurs sincčrement tournés et appelés ą la grāce
de la contemplation.
Trčs doux
était l'amour entre notre Seigneur et Marie. Trčs grand était son amour pour
Lui. Bien plus grand, celui qu'Il avait pour elle. Et quiconque voudra prendre
grande attention et considérer tout ce qui était et se faisait entre Lui et
elle - non point ainsi que le raconterait quelque frivole, mais bien selon
qu'en porte témoignage le récit de l'Évangile, en lequel il ne saurait y avoir
rien de faux, d'aucune faēon - celui-lą verra qu'elle était si profondément ą
Son amour que rien, au-dessous de Lui, ne pouvait la conforter, et rien non
plus ne pouvait faire qu'elle Lui retirāt son cceur. C'est elle, cette mźme
Marie, qui ne voulut point źtre consolée par les anges quand elle était allée
dans 88 les larmes Le chercher au sépulcre. Car lorsqu'ils lui parlčrent si
tendrement avec douceur et lui dirent: « Ne pleure pas, Marie; celui que tu
cherches, notre Seigneur est ressuscité, et tu L'auras et Le verras bien vivant
parmi Ses disciples en Galilée, ainsi qu'Il avait dit » ; elle ne voulut
point s'arrźter ą cause d'eux. Pourquoi ? C'est que, pensait-elle, qui cherche
en vérité le Roi des Anges ne songe point ą s'arrźter pour des anges.
Et quoi de
plus ? Assurément quiconque veut voir vraiment dans l'histoire de l'Évangile y
trouvera de nombreux et merveilleux points de parfait amour écrits d'elle pour
notre exemple, et aussi parfaitement accordés ą notre aeuvre que s'ils avaient
été écrits pour elle ; et tels sont-ils certainement, le comprenne qui peut
comprendre. Et si quelqu'un a désir de voir en l'Évangile écrit le merveilleux
et particulier amour que notre Seigneur avait pour elle, et en sa personne pour
tous les accoutumés pécheurs sincčrement tournés et appelés ą la grāce de la
contemplation, celui-lą trouvera que notre Seigneur ne souffrait et laissait
personne, homme ou femme, non ! pas mźme sa propre sceur, prononcer un seul mot
contre elle, qu'Il ne répondīt Lui-mźme. Oui. Et plus ? Il blāma Simon le
Lépreux en sa propre demeure, de ce qu'il avait pensé contre elle. Un grand
amour, était-ce lą : un amour parfait éminent.
Que Dieu répondra de tous et tous pourvoira, en
esprit, ceux qui tout occupés de Son amour ne répondent ni se pourvoient pour
eux-mźmes.
ET si,
sincčrement, nous voulons et avons désir vrai, selon qu'il est en nous, et avec
l'aide de la grāce et de notre directeur spirituel, de conformer tant notre
amour que notre vie ą l'amour et la vie de Marie, nul doute qu'Il ne réponde
aujourd'hui et de mźme spirituellement chaque jour pour nous, au plus secret du
coeur de tous ceux qui ont, contre nous, paroles ou pensées. Non que je dise ou
prétende que jamais homme ou femme n'ait ou ne prononce quelque parole ou
pensée contre nous, comme ils le firent contre Marie, autant et si longtemps
que nous serons en le travail de cette vie. Mais je dis - si nous voulons
n'accorder d'attention aucune ą leurs dires ou ą leurs pensées, 89 et pas plus interrompre
notre intime travail spirituel qu'elle ne le fit elle-mźme - je dis que notre
Seigneur, alors, leur répondra en esprit et que, s'il a pu leur paraītre bien
de parler et penser ainsi, sous peu de jours ils auront honte de leurs paroles
et de leurs pensées.
Et de mźme
qu'Il répondra de nous en esprit, de mźme aussi suscitera-t-il autrui,
spirituellement, ą nous donner les choses nécessaires ą cette vie, telles que
vźtements, nourriture, et toutes autres..., s' Il voit que nous ne voulons
quitter l'oeuvre de Son amour pour nous occuper d'elles. Et cela, je le dis
pour la confusion de ceux qui prétendent, dans leur erreur, qu'il n'est pas
légitime pour des hommes de se mettre ą servir Dieu en la vie contemplative,
qu'ils ne se soient assurés préalablement de leur corporel nécessaire. Car,
disent-ils, Dieu donne bien la vache mais ne l'amčne point par les cornes. Mais
c'est, en vérité, parler perversement de Dieu, et ils le savent bien. Car aie
confiance fermement, qui que tu sois, toi qui te détournes sincčrement du monde
vers Dieu, que l'une ou l'autre de ces deux choses te sera envoyée et donnée
par Lui soit l'abondance des biens nécessaires ; soit la force en le corps et
la patience en l'esprit pour supporter le besoin. Et qu'importe alors, laquelle
on reēoit ? puisque c'est tout un pour le vrai contemplatif. Et quiconque est
en doute sur ceci : ou bien c'est' en lui le diable qui manoeuvre contre
sa foi, ou autrement il n'est encore pas sincčrement et véritablement tourné
vers Dieu comme il le devrait źtre ; et cela, quelles que puissent źtre la
finesse 91 ou la sainteté des raisons que voudrait avancer lą-contre qui que ce
soit.
Et c'est
pourquoi, toi qui te mets ą l'état de contemplatif oł et ainsi qu'était Marie,
choisis plutōt l'humilité sous l'éminence admirable et l'excellence suprźme de
Dieu, laquelle est l'humilité parfaite, plutōt que sous ta propre misčre,
laquelle est l'humilité imparfaite. Ce qui est dire : veille ą fixer de
préférence ta contemplation particuličre sur la suprźme éminence de Dieu, bien
plutōt que sur ta faiblesse. Car ą ceux qui ont l'humilité parfaite, nulle et
aucune chose ne fera défaut, corporelle ni spirituelle. Et pourquoi ? C'est
qu'ils ont Dieu, en Qui est toute plénitude ; et ą celui qui Le possčde -
oui, comme le dit ce livre - il n'est besoin de rien d'autre en cette vie.
Ce qu'en elle-mźme est la charité; et comment elle est
véritablement et parfaitement contenue dans l'oeuvre que dit ce livre.
ET ainsi
qu'il a été dit de l'humilité, et comment elle est véritablement et
parfaitement contenue dans ce petit aveugle empressement d'amour frappant sur
ce nuage obscur d'inconnaissance, étant toutes les autres choses rejetées et en
oubli, = ainsi faut-il l'entendre et comprendre de toutes les vertus, et
particuličrement de la charité.
Car la
charité n'est rien d'autre, et ne doit signifier ą ton entendement que l'amour
de Dieu pour Lui-mźme par-dessus toutes les créatures, et l'amour du prochain
comme de toi-mźme, pour l'amour de Dieu. Or, que Dieu, dans cette couvre, soit
aimé pour Soi-mźme et par-dessus toutes créatures, cela paraīt évident assez :
car ainsi qu'il a 93 été dit plus tōt, la substance mźme de cette oeuvren'est
rien autre qu'un élan nu vers Dieu en Soi-mźme.
Un élan nu,
l'ai-je nommé. Et pourquoi ? Parce que dans cette oeuvre, le parfait apprenti
ne réclame ni relāchement de peine ni gain de récompense, et, pour le dire en
bref, il ne veut que Dieu seul. A tel point qu'il ne se soucie et non plus ne
regarde s'il est en peine ou en joie, autrement que pour que soit faite La
volonté de Celui qu'il aime. Ainsi donc apparaīt-il bien qu'en cette oeuvre,
Dieu soit parfaitement aimé pour Soi-mźme et par-dessus toutes les créatures.
Car, non plus, le parfait ouvrier de cette uvre ne saurait admettre et
souffrir que le souvenir de la créature, mźme la plus sainte que Dieu eūt
jamais créée, vīnt converser en lui.
Et pour la
seconde et inférieure branche de la charité qui est envers ton prochain,
qu'elle soit en cette uvre véritablement et parfaitement effectuée, on le voit
ą l'épreuve : puisque, en effet, le parfait ouvrier en cette uvre n'a de
regard particulier pour aucun homme en lui-mźme, qu'il soit parent ou étranger,
ami ou ennemi. Tous les hommes sont ses frčres, aucun ne lui est étranger ;
tous les hommes sont ses amis, aucun n'est son ennemi telle est sa pensée. Et
c'est au point que ceux-lą, mźme, qui lui causent en cette vie ou chagrin ou
souffrance, il les tient pour ses amis tout particuliers et trčs chers, s'empressant
ą leur vouloir tout et autant de bien qu'ą son ami le plus intime.
Qu'en le temps de cette oeuvre, une āme parfaite ne
donne aucune considération plus particuličre ą quiconque en cette vie.
JE ne dis pas
que l'ouvrier en cette uvre considérera ą part quelque homme que ce soit, ami
ou ennemi, parent ou étranger ; car cela ne se peut si loeuvre doit źtre
accomplie en perfection, ce qui est dans l'oubli complet de toutes choses
au-dessous de Dieu, ainsi qu'il faut et convient ą cette oeuvre. Mais je dis
que l'ouvrier sera, par l'efficace de cette couvre, et deviendra si vigoureux
en vertus et en la charité, que sa volonté, quand aprčs il redescendra au
commun, parlant et priant pour son prochain - non point qu'il quitte au tout
cette oeuvre, ce qui ne saurait źtre sans grand péché ; mais en quittant son
haut, ce que parfois requiert et exige la charité - je dis qu'alors sa volonté
95 ira tout autant en particulier ą son ennemi, comme ą son ami, ą l'étranger
comme ą son frčre. Et mźme, oui, d'aucunes fois plus ą son ennemi qu'ą son ami.
En l'oeuvre,
toutefois, il n'a point loisir de regarder qui est son ami ou son ennemi, son
parent ou un étranger. Pourtant je ne dis point qu'il ne sente parfois - et
mźme souvent, oui - une plus intime affection pour un, deux, ou trois, plutōt
qu'ą tous autres : car il est légitime qu'ainsi soit, et pour maintes causes,
lesquelles veut la charité. Et par ce qu'une plus tendre affection de ce genre,
aussi le Christ la ressentit pour Jean et pour Marie, et pour Pierre devant
nombre d'autres. Mais ce que je dis, c'est qu'en le temps de l'oeuvre, tous
également lui seront intimes ; car alors il n'aura sentiment de cause, que Dieu
seul. De sorte que tous seront aimés tout bonnement et simplement comme
soi-mźme, pour Dieu.
Car tous les
hommes ont été perdus en Adam et tous, qui par les oeuvres veulent témoigner de
leur volonté de salut, sont ou seront sauvés par la force et vertu de la
Passion du seul Christ. Or, non de la mźme maničre, mais comme si c'était de la
mźme maničre, une āme ą cette uvre en perfection disposée, et en esprit unie ą
Dieu ainsi que l'oeuvre mźme en témoigne et le prouve, en elle agit de toutes
ses forces pour faire tous les hommes aussi parfaits en cette uvre qu'elle
l'est elle-mźme. Parce que si un membre de notre corps se sent mal, les autres
tous sont malades et souffrent ; et si un membre se porte bien, les autres tous
en sont heureux ; et tout exactement de mźme en va-t-il spirituellement 96 des
membres de la sainte Église. Car le Christ est notre tźte, et nous sommes les
membressi nous sommes dans la charité : et qui veut źtre parfait disciple de
notre Seigneur, il lui appartient d'efforcer spirituellement son ardeur en
cette oeuvre pour le salut de tous ses frčres et soeurs en la nature, de mźme
que notre Seigneur mit Son corps sur la Croix. Et comment Le fit-Il ? Pas
seulement pour Ses amis et Ses parents et ceux qu'Il chérissait tout
particuličrement, mais pour toute l'humanité en général, sans aucune
considération plus particuličre pour celui-ci ou celui-lą. Car tous et
quiconque voulant quitter le péché et demander miséricorde, par la force et
vertu de Sa Passion sera sauvé.
Et comme il
a été dit de l'humilité et de la charité, de mźme ainsi faut-il l'entendre et
le comprendre de toutes les autres vertus. Car toutes, elles sont véritablement
comprises dans ce chétif empressement d'amour, auparavant allégué.
Que sans une grāce toute spéciale, ou un long emploi
de la grāce commune, l'uvre que dit ce livre est tout-ą fait laborieuse; et
dans cette oeuvre, quelle est l'uvre de l'āme assistée de la grāce, et quelle
est l'oeuvre de Dieu seul.
C'EST
pourquoi donc oeuvre ferme et travaille fort ą l'instant, et frappe ce haut
nuage d'inconnaissance, puis aprčs te repose. Mais c'est un dur travail qu'il
aura, celui qui veut s'employer` ą cette oeuvre, ah ! sūrement, un vraiment dur
travail et grand effort, ą moins qu'il n'ait une grāce plus spéciale ou
autrement, qu'il s'y soit employé depuis bien longtemps.
Mais. oł
sera-t-il ce travail, et de quoi fait, je t'en supplie ? Assurément pas de
ce dévotieux élan d'amour sans cesse suscité dans la volonté, non par soi-mźme,
mais par la main de Dieu tout-puissant, 98 lequel est toujours prompt ą cette uvre
en chaque āme qui s'y est disposée, préparée, et qui a fait tout son possible,
et qui l'a fait depuis longtemps, afin d'en źtre capable.
Mais alors
en quoi ce travail, je te prie ? Assurément ce travail, c'est de fouler aux
pieds le souvenir de toute créature jamais faite par Dieu, et de le rejeter
sous le nuage d'oubli déją nommé. C'est en cela qu'est tout le travail et tout
l'effort : parce que lą est l'humain travail, avec l'aide de la grāce. Et pour
l'autre qui est au-dessus - c'est-ą-dire cet élan de l'amour - celui-lą est
l'oeuvre de Dieu seul. Aussi fais donc ton travail, et je te fais promesse
assurément qu'Il ne manquera pas au Sien. ,
En action,
donc : montre comment tu te comportes. Ne vois-tu pas combien Il est lą, qui
t'attend ? Pour ta honte ! Aussi travaille ferme et sur l'heure, et bientōt tu
seras relevé de la difficulté et de l'énormité de ton ouvrage. Car bien qu'il
soit dans le commencement difficile et ardu, lorsque tu n'as de dévotion,
néanmoins par la suite, lorsque tu as la dévotion, tout devient trčs facile et
léger, de ce qui était si dur auparavant. Et tu n'as plus que peu ou pas du tout
de travail, parce qu'alors c'est Dieu, tantōt, qui voudra seul uvrer. Mais pas
toujours, ni non plus et ensemble longtemps, mais seulement quand il Lui plaīt
et comme il Lui plaīt; mais alors tu te trouveras joyeux de Le laisser seul
faire.
Peut-źtre alors,
parfois, Il enverra un rayon de lumičre spirituelle, perēant ce nuage
d'inconnaissance qui est entre toi et Lui; et Il te montrera 99 en confidence
l'un ou l'autre de Ses secrets, desquels l'homme n'a moyen ni permission de
parler. Alors tu sentiras ton affection tout embrasée du feu de Son amour, et
bien au delą de ce que je saurais ici, ou pouvoir ou vouloir te dire. Car de
cette couvre, laquelle revient toute ą Dieu seul, je n'ai l'audace et ne me
risque ą parler de ma balbutiante langue charnelle, - et pour tout dire: le
pourrais-je, que je ne le voudrais point.
Mais de
cette oeuvre, par contre, laquelle appartient ą l'homme lorsqu'il se sent
attiré et aidé par la grāce, il me convient parfaitement de t'en parler le
péril en ceci étant le moindre des deux.
COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET SEPTIČME
Qui oeuvrera en
l'oeuvre de grāce que dit ce livre.
D'ABORD et avant tout, je veux te dire qui oeuvrera en cette oeuvre, et quand, et par quelles voies ; et aussi quelle discrétion tu auras en ceci. Si tu me demandes qui y travaillera, je te réponds : tous, qui dans une ferme volonté ont abandonné le monde, et par lą ne s'adonnent point ą la vie active, mais ą cette vie qui est appelée la contemplative. Ceux-lą tous pourront oeuvrer en cette grāce et en cette oeuvre ; et quels qu'ils soient, et eussent-ils été ou non des pécheurs endurcis.
Qu'un homme ne saurait
prétendre travailler ą cette oeuvre devant que d'źtre légitimement en sa
conscience purifié de toutes ses actions particuličres de péché.
MAIS Si tu me demandes quand ils devront travailler en cette oeuvre, alors je te réponds et te dis : que ce ne soit avant qu'ils n'aient purifié leur conscience de tous les actes de péché auparavant commis, selon la commune ordonnance de la sainte Église.
Car en cette oeuvre, l'āme met ą sec en elle-mźme les racines et le fondement du péché qui toujours y demeurent aprčs la confession, et jamais si vivaces. Et c'est pourquoi qui veut oeuvrer en cette oeuvre, qu'il purifie d'abord sa conscience; puis ensuite, l'ayant fait tout selon les rčgles, qu'il s'y prépare et dispose intrépidement, mais avec humilité. Et qu'il songe combien longtemps il s'en est tenu écarté ! Car c'est lą l'oeuvre mźme ą laquelle une āme devrait travailler sa vie entičre durant, n'eūt-elle mźme jamais péché mortellement. Et tout au long des instants qu'une āme aura demeure en cette chair caduque, toujours plus elle verra et sentira entre elle et son Dieu l'encombrement de ce nuage d'inconnaissance. Et non seulement cela, mais encore en peine du péché originel, toujours elle sentira et verra quelqu'une de toutes les créatures que jamais a faites Dieu, ou quelqu'une des oeuvres de ces mźmes créatures, venir encore en pressant souvenir se mettre entre elle et son Dieu.
Et telle est la juste sagesse de Dieu, que l'homme, lequel avait souveraineté et seigneurie de toutes autres créatures pour s'źtre délibérément mis soi-mźme au-dessous et fait inférieur aux activités de ses propres sujets, quittant le commandement de Dieu et son Créateur : lorsqu'ą présent il veut accomplir le commandement de Dieu, tout aussitōt il voit et sent toutes les créatures qui devraient źtre au-dessous de lui, orgueilleusement se presser au-dessus de lui, et entre lui et son Dieu.
Qu'un homme doit
habiter fidčlement en le travail de cette oeuvre, en supporter la peine et la
souffrance, et ne juger personne.
Aussi est-il, que celui qui convoite venir en cette pureté, laquelle il a perdue par le péché, et conquérir ce salutaire état oł toute peine est absente, il lui convient d'assidūment habiter son travail en cette oeuvre et d'en souffrir toute la peine, quelle que soit celle-ci, et quel soit-il lui-mźme : endurci pécheur ou non.
Tous les hommes ont force peine en cette oeuvre : ensemble tous les pécheurs et les innocents, lesquels n'ont gravement jamais péché. Mais bien plus grande peine y trouvent ceux qui ont auparavant été pécheurs, que ceux qui ne l'ont point été ; et c'est grande justice. Ce néanmoins, souvent est-il que ceux qui ont été affreux et endurcis pécheurs parviennent cependant plus tōt en la perfection de rceuvre que les autres, qui ne l'ont point été. Et c'est ici le miracle de la miséricorde de notre Seigneur, lequel fait ainsi 'don de Sa grāce particuličre pour l'étonnement et stupéfaction de ce monde. A présent ; mais au Jour de Jugement cela sera trouvé juste, en vérité je le crois, lorsque nous aurons clairement la vue de Dieu et de Ses dons. Alors certains, qui aujourd'hui sont regardés avec mépris comme n'étant rien que de vulgaires pécheurs, et certains mźme qui peut-źtre le sont comme affreux et endurcis pécheurs, seront assis visiblement dans Son regard parmi les saints ; quand' au contraire, d'autres de ceux qui sont aujourd'hui regardés comme des saints parfaits et révérés des hommes ą l'égal des anges, et d'autres parmi ceux, peut-źtre, qui n'ont jamais péché mortellement, seront trčs pitoyablement mis dans les abīmes de l'enfer.
Et par lą peux-tu voir qu'aucun homme ne saurait źtre jugé par un autre homme en cette vie au bien ou au mal qu'il aura fait. Les actes, oui, peuvent źtre légitimement jugés, mais non point l'homme en tant que bon ou mauvais.
A qui reviendrait de
blāmer et condamner les défauts d'autrui.
MAIS par qui, je te prie, seront jugées les actions des hommes ?
Par ceux-lą, trčs assurément, qui ont la charge de leurs āmes et en ont le pouvoir : que ce soit ouvertement par le statut et l'ordonnance de la sainte Église, ou bien secrčtement et en esprit sur une particuličre incitation de l'Esprit Saint en la parfaite charité. Que chacun, donc, veille ą ne prétendre point prendre sur soi de blāmer et condamner les défauts et manquements d'aucun autre homme, si ce n'est avec le sentiment d'y źtre en vérité appelé par l'Esprit Saint et sur l'instant ; car autrement il pourrait errer et se tromper en ses jugements avec une légčreté entičre. Et c'est pourquoi fais attention : juge de toi-mźme selon ce que tu sens entre toi et ton Dieu ou ton pčre spirituel, et laisse ą soi-mźme autrui.
Comment un homme aura,
au commencement de cette oeuvre, ą se garder contre toute pensée et appel du
péché.
ET depuis ce moment que tu auras le sentiment d'avoir fait tout en toi, selon la rčgle, pour t'amender au jugement de la sainte Église, alors mets-toi intrépidement au travail en cette oeuvre. Et s'il se trouve que telle de tes actions antérieures se vient toujours presser en ta mémoire entre toi et ton Dieu, ou bien quelque pensée nouvelle ou quelque autre penchant au péché, alors résolument marche dessus, en un fervent élan d'amour, et foule-les ą tes pieds. Et puis efforce-toi de les recouvrir sous un épais nuage d'oubli, autant que s'ils n'avaient jamais eu lieu en cette vie, pas plus venant de toi que d'un autre homme quel qu'il soit. Et si souvent ils s'élčvent, aussi souvent jette-les ą bas ; bref, ą chaque fois, chaque fois. Et si tu penses que trop immense est le labeur, rien n'empźche que tu recourres aux ruses et stratagčmes et secrčtes suluilités spirituelles afin de les repousser et rejeter : lesquelles subtilités, t'enseignera Dieu par l'expérience, bien mieux qu'aucun humain en cette vie.
De deux expédients
spirituels, lesquels seront utiles au nouveau et commenēant spirituel en
l'oeuvre que dit ce livre.
QUELQUE chose de ces subtilités, néanmoins, je puis te dire ą mon avis. Éprouve-les ; et fais mieux, s'il t'est possible de faire mieux. Donc fais en toi, en sorte que tu sois comme ne sachant pas que cela se presse si hātivement entre toi et ton Dieu. Et essaye de regarder, comme on pourrait dire, par-dessus l'épaule de cela, cherchant une autre chose : laquelle autre chose est Dieu, enclos en le nuage d'inconnaissance. Et si tu fais ainsi, je suis bien assuré qu'aprčs un temps assez court, tu te trouveras fort aisé en ton labeur. Car je crois bien assurément que cet expédient, pour peu qu'il soit bien conēu, et 'véritablement, n'est rien autre chose qu'un impatient désir de Dieu, un empressement ą Le voir et sentir autant qu'il se peut ici ; et un pareil désir est charité, laquelle toujours obtient aise et soulagement.
Un autre moyen est celui-ci, que tu éprouveras si tu veux. Lorsque tu as le sentiment de ne pouvoir en aucune faēon les rabattre, alors tapis-toi en-dessous tel un lāche et couard vaincu en bataille : songe et pense que ce n'est que folie de vouloir, toi, les affronter et lutter contre plus longtemps, et par lą rends-toi ą Dieu dans les mains de tes ennemis. Et pour toi, aie le sentiment que tu es perdu ą jamais. Prends grande garde ą ce moyen, je te prie, car ą l'expérimenter, tu devrais, je le pense, tout entier fondre en larmes. Car il est trčs assurément, pour peu qu'il soit véritablement entendu et conēu, non autre chose que la vraie connaissance et le sentiment véritable de ce que tu es en toi-mźme : une misérable et crasse créature encore pire que néant ; lesquels sentiment et connaissance sont humilité. Et cette humilité obtient que tu aies Dieu Lui-mźme, en Sa puissance, qui vienne et descende te venger de tes ennemis, afin de te relever toi-mźme en te réconfortant et en séchant les larmes spirituelles de tes yeux : tel le pčre fait ą son enfant sur le point de périr en la gueule furieuse des sangliers ou des ours féroces.
Que par cette oeuvre
une āme est purifiée tout ensemble de ses péchés particuliers et de la peine de
ceux-ci ; et que pourtant il n'y a pas de parfait repos en cette vie.
QUANT ą présent, je ne te dirai point d'autres expédients ou moyens encore, parce que si tu as la grāce de faire expérience de ceux-ci, je suis convaincu que tu en sauras alors et en auras beaucoup plus ą m'apprendre, que moi ą toi. Pourtant c'est lą ce qu'il faudrait ; mais en vérité il me paraīt que j'en suis encore loin, d'avoir ą tout t'enseigner et plus rien ą apprendre. Et c'est pourquoi, je t'en prie, aide-moi et agis tant pour moi que pour toi.
En action, donc, et ą l'oeuvre sur-le-champ, je t'en prie ; et prends et supporte en toute humilité le chagrin et la peine, s'il se trouvait que tu ne pusses, par ces moyens, triompher aussitōt. Car c'est en vérité ton purgatoire ; et une fois que ta peine sera faite et passée tout entičre, et quand par Dieu ces moyens te seront donnés, et par la grāce entrés dans tes habitudes : alors il ne fait aucun doute pour moi que tu seras purifié non seulement du péché, mais aussi de la peine du péché. J'entends bien : de la peine particuličre attachée ą tes péchés personnels et déją commis, et non point de la peine du péché originel. Car celle-lą pčsera sur toi jusqu'au jour de ta mort, actif autant que tu le sois. Mais elle ne te pčsera que peu, en comparaison avec la peine particuličre de tes péchés personnels ; pourtant tu ne seras jamais dispensé d'źtre en grand labeur. Car de ce péché originel vont naītre chaque jour de frais et nouveaux appels de péché, lesquels il te faudra chaque jour abattre et combattre toujours et trancher ą coups terribles de l'épée double et acérée de la discrétion. A quoi tu pourras voir et apprendre qu'il n'y a point de quičte sécurité, ni non plus aucun vrai repos en cette vie.
Néanmoins, d'ici tu ne reviendras en arričre et non plus ne te laisseras épouvanter par la peur de l'insuccčs ou de ta faiblesse.' Car s'il se faisait que tu eusses la grāce et que tu pusses détruire la peine de tes propres actions antérieures, en la maničre que j'ai dite avant ou encore meilleure si tu le peux bien assuré sois-tu que la peine du péché originel, ou autrement les nouveaux mouvements de péché ą venir, n'auront pouvoir de te peser et accabler que peu.
Que Dieu donne cette grāce non par des voies mais
librement, et qu'on n'y saurait parvenir par aucune voie.
ET si tu me demandes
par quelles voies tu parviendras en cette oeuvre, je prie le Tout-Puissant
Dieu, dans sa grande grāce et courtoisie, qu'Il te l'enseigne Lui-mźme. Car en
vérité je ne puis que te donner ą penser combien incapable je suis de te le
dire ; et rien d'étonnant ą cela. Puisqu'en effet c'est lą l'ouvrage et l'oeuvre
de Dieu seul, qu'Il accomplit Soi-mźme en quelle āme il Lui plaīt, sans nul
mérite de cette mźme āme. Et sans cela, il n'est ni saint ni ange pour pouvoir
penser mźme ą la désirer. Et j'ai confiance que notre Seigneur aussi souvent et
aussi particuličrement consent, oui ! et plus particuličrement mźme et plus
souvent, ą accomplir cette uvre en ceux qui furent accoutumés pécheurs, qu'en
tels autres qui ne L'ont jamais tant gravement offensé que ceux-lą. Ce qu'Il
fait pour ce, qu'Il veut źtre vu tout-miséricordieux et tout-puissant, et pour
ce qu'Il veut źtre vu agissant comme il Lui plaīt, oł il Lui plaīt et quand il
Lui plaīt.
Et pourtant, Il ne
fait don de cette grāce, et non plus n'accomplit cette oeuvre, en quelque āme
qui n'en soit capable. Mais sans cette grāce elle-mźme, il n'est aucune āme
capable de posséder cette grāce ; pas une, qu'elle soit d'un pécheur ou d'un
non-coupable. Car, pas plus elle n'est donnée pour l'innocence qu'elle n'est
retenue ou refusée pour le péché. Prends bien garde que je dis refusée, et non
pas retirée. Attention ą l'erreur d'ici; je t'en supplie : car le plus
prčs les hommes approchent-ils la vérité, le plus faut-il qu'ils se tiennent
sur leurs gardes quant ą l'erreur. Je n'ai d'intention que bonne et précise :
aussi ą moins d'entendre et de comprendre bien la chose, laisse-la de cōté
jusque le temps que vienne et te l'enseigne Dieu. Fais donc ainsi, et ne va pas
t'offenser toi-mźme.
Attention ą l'orgueil,
lequel blasphčme Dieu dans Ses dons, en effet, et insolemment enhardit le
pécheur. Pour toi, sois humble véracement, et tu auras de cette uvre le
sentiment que j'ai dit que Dieu en fait don librement et non par réponse ą
quelque mérite. Car cette uvre est telle et ainsi, que sa présence rend une
āme capable de l'avoir en sa possession et d'en avoir le sentiment. Et cette
capacité, sans l'oeuvre, aucune āme ne l'a et non plus ne peut l'avoir. C'est
l'oeuvre mźme qui fait l'āme capable de l'oeuvre, sans partage; en sorte que
celui seul qui a et connaīt le sentiment de cette uvre en est par lą-mźme
capable, et nul autre que celui-lą. Et autant en est-il que, sans loeuvre, une
āme est comme si elle était morte et ne peut ni y aspirer ni la désirer. Autant
tu la veux et désires, autant tu l'as, et ni plus, ni moins ; pourtant elle
n'est ni volonté ni non plus désir, mais une chose que tu ne sais pas quoi,
laquelle t'attire ą vouloir et désirer ce que tu ne sais pas quoi. Mais ne
t'inquičte point, je t'en supplie, si ton entendement ne va pas au delą : au
contraire, veuille et désire et va de l'avant toujours plus, en sorte que tu en
sois toujours plus capable et encore toujours plus.
Et pour me résumer en
bref, laisse cela agir en toi et te conduire oł il lui plaīt. Laisse cela źtre
l'ouvrier et l'opérateur, pour n'źtre, toi, que le patient et celui qui
subit : tu n'as qu'ą regarder et laisser faire. Ne t'en mźle pas, comme si
tu voulais y aider, par crainte de tout embrouiller. Pour toi, ne sois rien que
le bois, et que cela soit l'ouvrier de ce bois ; ne sois que la maison, et que cela
soit l'habitant de cette maison, le cultivateur qui demeure lą. Sois et
fais-toi aveugle durant ce temps, et rejette tout désir et toute ambition de
connaissance, lesquels bien plus te feraient obstacle qu'ils ne peuvent
t'aider. Qu'il te suffise assez, pour toi, de te sentir mū et poussé dans ton
gré et assentiment par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais
rien, sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particuličre pour
aucune 115 chose au-dessous de Dieu, et que cet élan nu est directement dirigé
vers Dieu.
Et s'il en est ainsi,
tu peux avoir ferme confiance que c'est Dieu, et Lui seul, qui meut directement
ta volonté et ton désir, pleinement par Soi-mźme, non par des voies
intermédiaires de Son cōté ou du tien. Et n'aie crainte ni effroi, car le
diable ne peut venir aussi prochement intime. Il ne peut jamais
qu'occasionnellement et par des voies lointaines en venir ą mouvoir la volonté
d'un homme, quelque subtil diable qu'il soit jamais. Et non plus un bon ange ne
peut mouvoir ta volonté suffisamment et sans voies ; et, pour le dire en
bref, rien ni personne autre que Dieu. Et Dieu seul.
En sorte que tu
pourras concevoir un peu par ces mots ici (mais bien plus clairement ą
l'épreuve et par expérience) que dans cette oeuvre, les hommes n'ont point ą
user de moyens et de voies, et que non plus ils n'y peuvent parvenir par des
moyens et des voies. Il n'est de bonne voie qui ne dépende d'elle, mais elle ne
dépend d'aucune; et il n'en est aucune qu'elle-mźme pour y mener.
De trois voies auxquelles doit s'employer un apprenti
contemplatif : lecture, pensée et pričre.
CE
néanmoins, il est des voies auxquelles doit s'employer un apprenti
contemplatif, lesquelles sont : Leēon, Méditation et Oraison ; ou autrement
appelées, afin que tu le comprennes : lecture, réflexion et pričre. De ces
trois, tu trouveras qu'il a été écrit dans un autre livre par un autre homme /1
beaucoup mieux que je ne saurais dire ; et c'est pourquoi il n'est point
nécessaire que je te parle ici de leurs qualités. Mais il y a ceci que je peux
te dire : ces trois-lą sont ą ce point couplées et liées ensemble que pour les
commenēants, lesquels en sont les bénéficiaires - et non point les parfaits,
non ! parfaits autant qu'il se peut faire ici - l'exercice
/1. Peut-źtre Richard ROLLE, l'ermite de Hampole, dans le De Emendatione vitae. (N. d. T.).
de la pensée
ne saurait źtre bienfaisant sans une préalable lecture ou audition de lecture ;
car c'est tout une mźme chose, lire ou entendre lire les lettrés lisant dans
les livres, et les non-lettrés lisant par l'audition des lettrés lorsqu'ils
prźchent la parole de Dieu. Et non plus la pričre n'est obtenue bonnement par
ces mźmes débutants, sans préalable exercice de la pensée.
Vois-le ą
cette preuve : en ce mźme cours, la parole de Dieu tant écrite que parlée, est
comparée ą un miroir. Spirituellement, les yeux de ton āme sont ta raison, et
c'est ta conscience qui est ton visage spirituel. Or, tout de mźme que si ton
visage physique porte une macule, les veux de ton visage ne peuvent voir cette
tache ni penser qu'elle existe sans un miroir ou l'enseignement d'un autre que
toi-mźme; tout justement de mźme aussi en va-t-il spirituellement : sans
lecture ou audition de la parole de Dieu, il n'est pas possible ą l'entendement
humain qu'une āme, laquelle est aveuglée par l'habitude du péché, puisse voir
la tache et la souillure dans sa conscience.
Et ainsi
poursuivant : lorsque l'homme voit dans le miroir, matériel aussi bien que
spirituel, ou lorsqu'il apprend par l'enseignement d'un autre homme l'existence
et l'emplacement de la macule sur son propre visage tant physique que
spirituel, c'est alors, et alors seulement qu'il court ą la fontaine pour se
laver. Et si cette tache est un péché personnel, alors la fontaine sera la
sainte Église, et l'eau, la confession avec ses circonstances. Mais si c'est
une racine obscure et un mouvement de 118 péché, alors la fontaine sera le Dieu
de merci et l'eau, la pričre avec ses circonstances. Et c'est ainsi que tu peux
voir que l'exercice de la pensée, les commenēants ne le peuvent bien avoir et
avec profit sans la lecture préalable ou l'audition de lecture; ni non plus la
pričre, sans l'exercice de la pensée.
De la méditation de ceux qui sont au continuel travail
de l'oeuvre que dit ce livre.
MAIS il n'en
va pas ainsi de ceux qui sont au continuel travail de loeuvre que dit ce
livre. Car leurs méditations sont telles que si c'étaient de brusques idées et
sentiments aveugles de leur misčre propre ou de la bonté de Dieu, sans nulle
voie préalable de lecture ou audition de lecture, et sans aucune particuličre
considération de quoi que ce soit au-dessous de Dieu. Ces soudaines idées et
ces aveugles sentiments plutōt étant appris de Dieu que de l'homme.
Je ne
m'inquičte point, quand mźme tu n'aurais quant ą présent pas de méditations sur
ta misčre propre ou la bonté de Dieu (je veux dire et j'entends : que tu y
fusses porté par grāce et par conseil) autres que celles que tu pourrais avoir
de ce mot 120 FAUTE et de cet autre mot DIEU, ou de tout autre ainsi ą ta
convenance. Mais sans briser ni explorer ces mots par la curiosité de
l'intelligence ni la scrutation ou recherche de leurs qualités, comme si tu
voulais par lą accroītre ta dévotion. Je crois et suis certain que dans ce cas
et dans cette oeuvre il n'en serait jamais ainsi. Mais au contraire que tu les
gardes bien entiers et en tout, ces mots ; et par FAUTE, entends un bloc
massif de tu ne sais pas quoi, ni rien autre chose que toi-mźme. Je pense, pour
moi, que dans cette considération et aveugle contemplation de la faute ou péché
ainsi condensés et fixés en un bloc, et en rien autre chose que toi-mźme, il ne
saurait y avoir rien ni personne de plus fou ą lier. Encore que, si quelqu'un
d'aventure te voyait alors, il te penserait dans les plus sobres dispositions
physiques ; sans nul changement de contenance et d'apparence, quel que tu sois
alors, arrźté ou en marche, couché ou debout, assis ou ą genoux : il te verrait
dans le calme le plus contenu et la plus sobre tranquillité.
Des pričres particuličres de ceux qui sont au
continuel travail de l'oeuvre que dit ce livre.
ET tout
justement comme les méditations de ceux qui sont au continuel travail de la
grāce et de cette oeuvre, soudainement se lčvent et jaillissent sans voies ni
moyens aucuns ; tout justement de mźme font leurs pričres. Je parle de leurs
pričres particuličres, non de ces pričres qui sont ordonnées par la sainte
Église. Car ceux qui sont vrais ouvriers en cette oeuvre, ils n'ont en
vénération aucune pričre autant que ces derničres, et aussi les font-ils telles
et selon la forme et la loi qu'elles ont été ordonnées par les saints Pčres
avant nous. Mais leurs pričres particuličres se lčvent toujours plus soudain
vers Dieu sans aucune voie ni préméditation particuličre, ni rien qui les prépare
ou les amčne.
Et si elles
sont faites de mots, ce qu'elles sont rarement, alors elles ne seront qu'en
trčs peu de mots, oui, et le moins est le mieux. Ah ! oui, et si c'est un seul
mot et trčs bref de syllabe, cela sera meilleur que deux, ą mon avis ; et moins
encore, si possible, considérant que c'est l'oeuvre de l'esprit, laquelle exige
que celui qui la fait soit toujours au plus haut et souverain sommet et ą la
pointe de l'esprit. Ce qui peut źtre effectivement vérifié ą l'exemple
ci-aprčs, pris dans le cours de la nature. Un homme ou femme, effrayé soudain
par quelque accident tel que feu ou mort d'homme ou quelqu'autre que ce soit,
brusquement mis ą l'extrémité de soi-mźme, est amené par la hāte et la
nécessité ą crier ou supplier pour de l'aide. Comment le fait-il ? Assurément
non point en beaucoup de mots et paroles, ni mźme en nombreuses syllabes. Quoi
donc alors ? Il lui paraīt impossible de s'arrźter en quelque long discours
pour proclamer en telle urgence son besoin et l'élan de son esprit : aussi
éclate-t-il affreusement dans son agitation extrźme et hurle-t-il un petit mot
de gučre plus d'une syllabe, tel que : Oh! ou Feu! ou Malheur!
Et tel ce
petit mot de « Feu ! » atteint plus rapidement et pénčtre les oreilles des
auditeurs, tel aussi fait un petit mot d'une ou deux syllabes quand il est non
seulement prononcé ou pensé, mais encore uniquement formulé en secret dans les
profondeurs de l'esprit, lesquelles sont la hauteur, puisqu'en esprit tout est
un, la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur. Et bien mieux ce
petit mot pénčtre-t-il l'oreille du Dieu tout puissant, et plus tōt que telle
interminable psalmodie négligemment marmonnée entre les dents. Aussi est-ce
pourquoi il est écrit que la courte pričre perce le ciel.
Comment et pourquoi cette courte pričre perce le ciel.
ET pourquoi
perce-t-elle le ciel, cette brčve et courte pričre d'une unique syllabe ?
Parce que, certes, elle est priée en tout esprit : dans la hauteur et dans la
profondeur, dans la longueur et la largeur de l'esprit qui la prie. Dans la
hauteur est-elle, puisque c'est avec toute la puissance de l'esprit ; et dans
la profondeur, puisqu'en cette courte syllabe sont contenues toutes les
intelligences de l'esprit. Dans toute sa longueur est-elle, car si toujours il
pouvait ressentir ce qu'il sent alors, toujours il crierait ainsi qu'il
crie ; et dans sa largeur elle est, car il veut ą tous autres ce qu'il
veut pour soi-mźme.
A ce moment
est-il que l'āme, aprčs la leēon de saint Paul, « devient capable de comprendre
avec tous les saints - non pleinement et
absolument, mais en partie et d'une maničre qui se trouve en rapport et
harmonie avec cette oeuvre - quelle est la largeur et la longueur, la hauteur
et la profondeur » de l'éternel Dieu et tout amour, puissance et sagesse.
L'éternité de Dieu est Sa longueur ; l'amour est Sa largesse ; la puissance est
Sa hauteur ; et la sagesse est Sa profondeur. Nulle surprise ą ce qu'une āme
ainsi et aussi étroitement conformée par la grāce ą l'image et ą la
ressemblance de Dieu son créateur, soit aussitōt entendue de Dieu ! Oui,
serait-ce mźme une āme tout accablée des péchés d'un grand pécheur, lequel est
comme s'il était l'ennemi de Dieu, et qu'elle vienne par la grāce ą crier de la
sorte une brčve syllabe dans la hauteur et dans la profondeur, dans la longueur
et la largeur de l'esprit, elle n'en serait pas moins toujours, et par le bruit
brutal que fait son cri, entendue et aidée de Dieu.
Vois ą
l'exemple : si celui qui est ton ennemi mortel, soudain tu l'entendais au
comble de l'effroi crier ce petit mot de « feu » ou « hélas ! » ou « malheur! »
alors sans considérer s'il est ou non ton ennemi, mais dans la pure pitié de
ton coeur tu serais ému et saisi de compassion par l'angoisse de ce cri et tu
te lčverais - oui, oui, serait-ce au beau milieu de la nuit d'hiver! - et tu
irais ą son secours pour l'aider ą éteindre le feu ou pour le conforter et
l'apaiser dans sa détresse. Oh, Seigneur! quand un homme peut en grāce devenir
si pitoyable et miséricordieux qu'il prenne en compassion son ennemi,
nonobstant son inimitié, quelle 126 pitié et quelle miséricorde alors aura Dieu
pour un tel cri spirituel de l'āme, fait et conēu dans la hauteur et dans la
profondeur, dans la longueur et la largeur de l'esprit, Lui qui a par nature ce
que l'homme a par grāce ? Oh! bien plus, bien plus assurément aura-t-Il de
miséricorde, et sans nulle comparaison, puisque tant est plus proche la chose
ainsi possédée par nature que la chose éternelle qui vous est donnée par la
grāce !
Comment priera un parfait ouvrier de l'uvre, et ce
qu'est en elle-mźme la pričre ; et si quelqu'un prie avec des mots, quels mots
s'accordent le mieux au propre de la pričre.
ET c'est
pourquoi faut-il prier dans la hauteur et dans la profondeur, dans la longueur
et la largeur de notre esprit. Et cela, non point par mots et nombreuses
paroles, mais en un petit mot d'une brčve syllabe.
Mais que
sera ce mot ? Certes, il sera un mot tel qu'il s'accorde pour le mieux au
propre de la pričre. Mais quel mot est donc tel ? Voyons d'abord ce qu'est la
pričre proprement en elle-mźme ; et ensuite nous connaītrons plus clairement
quel mot s'accordera le mieux au propre de la pričre.
La pričre
est proprement en elle-mźme, non autre chose qu'un pieux élan dirigé vers Dieu
pour obtenir le bien et éloigner le mal.
Et donc, étant que tout le mal, ou par sa cause ou par état, est tout entier
compris et tenu dans le péché, ou Faute, il s'ensuit que lorsque nous voulons
intensément prier pour źtre délivrés du mal, nous n'avons point ą prononcer, ou
dire, ou penser, ou avoir en l'esprit autre chose, ni aucun autre mot que ce
petit mot de « Faute ». Et lorsque nous voulons intensément prier
pour obtenir le bien, nous n'avons ą crier, que ce soit par parole, par pensée
ou par désir, pas autre chose ni aucun autre mot que ce mot « Dieu ». Car en
Dieu est tout bien, ensemble par cause et par état ; voilą pourquoi. Et ne
t'étonne point que je pose ces mots ą l'exclusion de tous autres : car si j'en
pouvais trouver de plus courts, et qui continssent aussi pleinement tout le
bien et tout le mal comme font ces deux-lą ; ou autrement si Dieu m'avait
enseigné ą en prendre d'autres, ce sont ceux-ci que j'aurais pris, et les
premiers je les eusse laissés lą. Et ainsi je te conseille de faire toi-mźme.
Ne va donc
point te mettre en étude et recherche de mots, laquelle étude ne te mčnerait
nullement en ton propos ni en cette oeuvre, puisque jamais on n'y parvient par
l'étude, mais seulement par la grāce. Et c'est pourquoi ne prends toi-mźme pour
ta pričre point d'autres mots, malgré ceux que j'ai mis ici, si ce n'est ceux
que, par Dieu, tu te sens incité ą prendre. Néanmoins, si Dieu te portait ą
prendre les dits, alors mon conseil est que tu ne les quittes point : j'entends
et veux dire pour le cas oł tu prierais en paroles, car autrement point. Pourquoi
? c'est que ce sont des mots tout ą fait courts. Mais pour tant que soit si
grandement recommandée ici la bričveté de pričre, jamais cependant sa fréquence
n'a du tout ą źtre ralentie. Car c'est prier, comme il a été dit, dans la
longueur de l'esprit; et jamais ne devrait cesser ni s'interrompre une telle
pričre, jusques ą temps qu'elle ait pleinement obtenu ce aprčs quoi elle
soupirait. Et l'exemple, nous le voyons ą cet homme ou cette femme dans
l'épouvante comme décrits ci-dessus, lesquels en effet ne cessent non plus de
crier ce petit mot de « feu », ou cet autre de « malheur », tant et aussi
longtemps qu'ils n'ont point obtenu le plus grand soulagement et le plus grand
secours dans leur détresse.
Qu'en le temps de cette oeuvre, l'āme ne donne aucune
attention ni considération particuličre ą aucun vice en soi-mźme et aucune
vertu en soi-mźme.
ET toi, fais
de mźme, que ton esprit soit tout empli de la signification spirituelle de ce
mot « faute », et sans considération plus particuličre ą aucune sorte de péché
que ce soit, péché véniel ou péché mortel : Orgueil, Colčre ou Envie,
Convoitise, Paresse, Gourmandise ou Luxure. Que fait au contemplatif que ce
soit tel péché ou tel autre, ou de quelle gravité il est. Puisque tous les
péchés, il les voit - je veux dire pendant le temps de cette oeuvre - également
graves en eux-mźmes, du fait que le moindre péché le sépare de Dieu et le
retranche de sa paix spirituelle.
Et que tu
aies sentiment de cette « faute » ou péché comme d'un bloc massif et tu ne sais
jamais quoi, mais rien autre que toi-mźme. Et crie alors sans cesse en esprit
cet unique « Faute ! faute ! faute ! Las ! las ! las ! » Lequel cri
spirituel, tu apprendras bien mieux de Dieu par l'expérience, que par la parole
d'aucun homme quel il soit. Car le meilleur est ce cri en toute pureté
d'esprit, sans nulle pensée particuličre ni énoncé d'aucune parole ; ą moins
toutefois, ce qui est en de rares moments, que par excčs et abondance, l'esprit
éclate soudain en paroles, le corps et l'āme étant tous deux emplis et accablés
du chagrin et de l'empźchement du péché.
Et de mźme
faēon feras-tu de ce petit mot de « Dieu » : que ton esprit soit tout empli de
sa signification spirituelle, et sans aucune considération plus particuličre ą
aucune de Ses oeuvres, corporelle ou spirituelle, si bonne, ou meilleure, ou
excellente soit-elle - ni non plus ą aucune vertu, que puisse susciter en l'āme
humaine quelque grāce que ce soit; et nullement tu ne chercheras ą voir si
c'est Humilité ou Charité, Patience ou Abstinence Espérance, Foi ou Tempérance,
Chasteté ou volontaire Pauvreté. Que fait cela au contemplatif ? Puisqu'en
toute vertu il trouve et voit, reconnaīt et a sentiment de Dieu ; car en Lui
sont toutes choses, tout ensemble par cause et par état. C'est pourquoi les
contemplatifs{ pensent que s'ils ont Dieu, ils ont et possčdent tout bien, et
par suite ils ne convoitent rien par considération plus particuličre, rien que
le seul bien : Dieu. Et toi, fais de mźme aussi loin que tu le pourras par la
grāce : et entends Dieu en tout, et en tout Dieu, afin qu'il n'y ait oeuvre
en ton esprit et en ta volonté autre que Dieu seul. Mais parce que tant, et
tout aussi longtemps que tu vis en cette misérable vie, c'est ton lot de
toujours avoir en quelque part le sentiment de cette horrible et puante masse
du péché, telle que si elle était unie et fondue avec la substance de ton źtre,
alors et c'est pourquoi tu penseras alternativement et prendras les deux mots :
« Faute » et « Dieu », ayant cette connaissance générale que si tu as Dieu,
alors tu seras défait du péché ; et si tu peux te défaire du péché, alors tu
posséderas Dieu.
Qu'en toutes oeuvres dessous celle-ci, il faut que les
hommes gardent discrétion; mais en celle-ci, aucune.
ET plus loin, si tu me
demandes quelle discrétion tu dois avoir et mettre en cette oeuvre, je te réponds
et te dis : exactement aucune ! Car en toutes tes autres actions tu mettras de
la discrétion, comme ą manger, boire, dormir ou protéger ton corps du froid et
du chaud trop violents, ou longuement prier ou lire, ou échanger des paroles
avec ton prochain. En tout cela tu auras ą garder la discrétion, de telle sorte
que ce ne soit ni trop, ni trop peu. Mais en cette oeuvre, tu ne tiendras et
n'auras ą tenir aucune mesure : car je souhaiterais que tu pusses ne jamais
cesser au long de toute la longueur et le temps de ta vie.
Je ne dis pas que tu y
persévéreras et persisteras toujours avec une égale vigueur et fraīcheur,
puisque cela ne peut pas źtre. Car il y aura la maladie parfois, et d'autres
désordres et fācheuses dispositions du corps et de l'āme, et maintes autres
nécessités de nature, lesquelles te retiendront bien assez, et souvent te
feront descendre du haut de ce travail. Mais je dis que tu devrais toujours et
sans cesse y źtre, soit tout sérieusement et directement, soit avec plus de jeu
; c'est-ą-dire que tu l'aies toujours : soit de fait et en oeuvre, soit
d'intention et en volonté. Et c'est pourquoi, pour l'amour de Dieu, garde-toi
tant et du mieux que tu pourras de la maladie, afin de n'źtre pas toi-mźme,
autant qu'il est possible, la cause de ta faiblesse. Car c'est en vérité que je
te dis que cette oeuvre réclame une trčs grande et complčte tranquillité et une
entičre et pure disposition, tant de corps que d'āme.
Donc, pour l'amour de
Dieu, mets de la discrétion dans le gouvernement de ton corps comme de ton āme,
et tiens-toi en santé autant que tu le peux. Et si la maladie survient malgré
ton effort, prends-la en patience et remets-t'en humblement ą la miséricorde,
de Dieu : et alors c'est tout, ce qu'il faut. Car je te le dis en vérité, il y a
bien des fois oł la patience dans la maladie et en diverses autres tribulations
plaīt ą Dieu beaucoup plus que toute dévotion qu'il te plaīt avoir et que te
permet la santé.
Qu'ą ne mettre aucune discrétion en celle-ci,
les hommes auront la discrétion en toutes les autres choses ; et autrement
jamais.
MAIS peut-źtre vas-tu
me demander comment tu te conduiras et gouverneras avec discrétion en la
nourriture, le sommeil, et toutes ces autres choses. A quoi je pense te
répondre trčs bričvement : « Prends ce qui vient. » Sois toujours et sans
cesse ą l'oeuvre dans cette oeuvre, sans discrétion aucune, et tu auras le bon
discernement pour commencer et finir toutes les autres oeuvres avec une grande
discrétion. Car il m'est impossible de penser qu'une āme qui jour et nuit
persévčre et poursuit cette oeuvre sans cesse ni discrétion aucune, puisse
jamais errer et se tromper en quelqu'une des autres activités et occupations
extérieures ; et autrement, au contraire, elle ne peut qu'errer toujours,
ą mon avis.
Et c'est pourquoi, si
je puis avoir cette oeuvre dans le fond de mon āme toujours en considération
activement et attentivement, alors je voudrai n'avoir qu'inattention pour le
manger et le boire, le sommeil ou la conversation et toutes mes autres actions
extérieures. Et certes, j'ai la pensée bien assurée qu'avec cette inattention
ou indifférence, je parviendrai ą mettre et garder la discrétion en ces choses,
plutōt qu'en m'occupant d'elles activement comme si je voulais, par la
considération de ces mźmes choses, leur poser une limite et fixer une mesure.
En vérité, je ne viendrai jamais ą l'y mettre ce faisant, quels que soient mes
actes et mes paroles sur ce point. Laissons dire aux hommes ce qu'ils veulent,
et ą l'expérience le témoignage et la preuve.
Aussi donc, élčve ton
ceeur dans un aveugle élan d'amour ; et recueille-toi tantōt sur « Faute » et
tantōt sur « Dieu ». Dieu que tu voudrais avoir ou posséder, et la faute
ou péché dont tu voudrais źtre délivré. Parce que Dieu te manque; et le péché,
tu n'es que trop sūr de l'avoir. Dieu bon vienne ą présent ą ton secours,
puisqu'ą présent tu as besoin !
Qu'il faut absolument que l'homme perde toute
idée et tout sentiment de son źtre propre, si la perfection de cette oeuvre
doit réellement źtre touchée par l'āme en cette vie.
REGARDE qu'en ton intelligence et en ta volonté rien n'oeuvre que Dieu seul. Et tāche ą abattre toute connaissance et tout sentiment de quoi que ce soit au-dessous de Dieu ; et rejette bien loin toutes choses sous le nuage d'oubli. Et tu dois comprendre que tu n'as pas seulement ą oublier en cette oeuvre toutes les autres créatures que toi-mźme et aussi leurs actions ou les tiennes, mais encore que tu as, en cette oeuvre, ą oublier ensemble et toi-mźme et tes propres actions pour Dieu, non moins que les autres créatures et leurs actions. Car c'est le propre et la condition de qui aime parfaitement, non seulement d'aimer ce qu'il aime plus que soi-mźme, mais aussi et encore en quelque sorte . de se haļr soi-mźme pour l'amour de ce qu'il aime.
Ainsi faut-il que tu fasses toi-mźme de toi-mźme : tu dois prendre en dégoūt et t'ennuyer de tout ce qui se fait en ton intelligence et en ta volonté, ą moins qu'il n'y soit que Dieu seul. Parce que tout ce qui est autre, assurément, quoi que ce soit, cela est entre toi et ton Dieu. Et rien d'étonnant que tu le détestes et haļsses, de penser ą toi-mźme, quand il te faut toujours avoir sentiment du péché, cet horrible et puant bloc massif de tu ne sais pas quoi, lequel est entre toi et ton Dieu : cette masse pesante qui n'est point autre chose que toi-mźme. Car il te faut penser qu'il est uni et fondu avec la substance de ton źtre, ah ! comme s'il n'y avait pas de différence et de partage.
Et c'est pourquoi renverse et abats toute connaissance et sentiment des créatures de toutes espčces, mais tout particuličrement de toi-mźme. Car c'est de cette connaissance et de ce sentiment de toi-mźme que dépendent ta connaissance et ton sentiment des autres toutes créatures, lesquelles toutes, au regard de cela, seront facilement oubliées. Car tu verras, en te mettant activement toi-mźme au fait et ą l'épreuve, que lorsque tu auras oublié toutes les autres créatures et toutes leurs oeuvres, oui, et les tiennes propres au surplus, il y aura encore de vivant entre toi et ton Dieu, une connaissance nue et un sentiment de ton źtre propre, lesquels devront toujours źtre détruits jusque le temps que tu sentiras sūre et vraie la perfection de cette oeuvre.
Comment une āme se
disposera pour sa part, afin de détruire toute connaissance et sentiment de son
źtre propre.
MAIS ą présent tu me demandes comment tu pourras détruire cette nue connaissance et sentiment de ton źtre propre. Car peut-źtre bien vas-tu penser que si cela était détruit, tous autres empźchements seraient détruits ; et si tu penses ainsi, tu penses exactement vrai. Mais ą cela, je te réponds et dis que sans une toute particuličre grāce, tout librement donnée de Dieu, et en outre, de ta part, sans une aptitude et capacité pleinement accordées ą recevoir cette grāce, cette nue connaissance et sentiment de ton źtre ne peuvent d'aucune faēon źtre détruits. Et cette aptitude ou capacité n'est rien autre chose qu'une extrźme et profonde affliction spirituelle.
Mais en cette affliction, il importe et il est nécessaire que tu aies et mettes de la discrétion, ą cette maničre : tu seras attentif, au temps de cette affliction, ą ne point par trop rudement efforcer ou ton corps ou ton esprit, mais au contraire ą źtre tout tranquille assis comme dans le dessein de dormir, tout pénétré et plongé dans l'affliction. Car voici l'affliction véritable, voici la parfaite affliction ; et heureux celui qui peut y parvenir ! Tous les hommes ont des sujets d'affliction : mais plus que tous et particuličrement, celui qui sait et a le sentiment de ce qu'il est. Tous les autres chagrins, par comparaison ą cette affliction, ne sont que comme jeux ą cōté de la gravité. Car celui peut avoir grande et grave affliction, qui non seulement sait et sent ce qu'il est, mais, et encore, sait et a le sentiment qu'il est. Et qui n'a jamais ressenti cette affliction, qu'il s'afflige alors : car jamais jusqu'ici il n'a connu l'affliction parfaite. Laquelle affliction, lorsqu'elle est obtenue, purifie l'āme non seulement du péché mais aussi de la peine qu'elle a méritée du péché ; puis encore elle fait l'āme: capable de recevoir cette joie, laquelle relčve l'homme de toute connaissance et sentiment de son źtre.
Bien conēue en la vérité, cette affliction est toute pleine d'un saint désir ; et autrement, il n'y aurait homme jamais qui pūt la subir et supporter. Car si ce n'était que son āme fūt tant soit peu nourrie d'une maničre de réconfort par son juste travail, il ne serait autrement pas capable de supporter la peine qu'il a de la connaissance et du sentiment de son źtre. Car si souvent veut-il avoir la connaissance et le sentiment vrais de son Dieu (autant que faire se peut ici) aussi souvent il sent qu'il ne le peut : car toujours plus il trouve sa connaissance et son sentiment comme occupés et tout remplis du bloc massif, horrible et puant, de soi-mźme ; lequel il lui faut toujours détester et haļr et toujours rejeter, s'il veut źtre parfait disciple de Dieu, et par Lui enseigné sur le mont de la perfection ; et si souvent, cela, qu'il va presque jusqu'ą la folie dans son affliction. C'est ą ce point qu'il pleure et se lamente, lutte et combat, pousse des jurements et des cris d'exécration ; et, pour le dire en bref, il lui paraīt si lourd ą porter, ce pesant fardeau de soi-mźme, que jamais plus il ne s'inquičte de ce qui peut lui arriver tant que Dieu n'a point été satisfait et qu'il ne lui aīt complu.
Et pourtant au milieu de toute cette affliction, il ne désire point de ne pas źtre : parce que ce serait démence diabolique et haine de Dieu. Au contraire il lui plaīt tout ą fait d'źtre, et il rend grāces du profond du cur ą Dieu de l'excellence et du don qu'Il lui a fait de cet źtre : car tout ce qu'il désire et ne cesse de désirer, c'est de perdre et quitter la connaissance et le sentiment de son źtre.
Cette désolation et ce désir, il appartient ą chaque āme de les avoir et les sentir en elle, que ce soit d'une maničre ou d'une autre : selon que daigne Dieu l'apprendre et enseigner ą Ses disciples spirituels avec Son bon plaisir et d'aprčs leurs aptitudes et capacités de corps et d'āme, le degré oł ils sont et leur tempérament, jusque le temps oł, s'Il le permet, ils pourront źtre unis ą Dieu en charité parfaite autant qu'il se peut ici-bas.
Un bon éclaircissement
de quelques et certaines illusions et erreurs qui peuvent survenir en cette oeuvre.
MAIS je te dis une chose : c'est qu'en cette uvre un jeune disciple, lequel n'a point encore la pratique et l'expérience du travail spirituel, peut trčs facilement źtre pris dans l'erreur et peut-źtre, ą moins qu'il ne montre aussitōt de la prudence et n'ait la grāce de cesser et humblement se soumettre ą son directeur, risquer la ruine de ses forces physiques et le ravage de ses forces intellectuelles et spirituelles, au point de tomber en démence. Et tout cela par suite de l'orgueil, des passions charnelles et de la curiosité de l'intelligence.
Cet errement peut survenir en la maničre que voici. Un jeune homme ou une femme, nouveaux en l'école de la dévotion, a entendu parler de cette affliction et de ce désir, apprenant par lecture ou par parole que l'homme doit lever son coeur vers Dieu et n'avoir de cesse en son désir de ressentir l'amour de son Dieu. Et aussitōt les voilą, dans la curiosité de leur intelligence, comprenant ces mots non point spirituellement, comme ils doivent źtre entendus, mais charnellement dans la sensibilité et matériellement dans le corps ; et ils s'efforcent dans leurs coeurs de chair qu'ils malmčnent dans leurs poitrines. Faute de la grāce, et par esprit d'orgueil et de curiosité, ils brutalisent leurs veines et leurs forces corporelles si rudement et si bestialement qu'au bout d'un temps trčs court, ils tombent dans la frénésie ou dans la mélancolie, et une sorte de languide faiblesse de corps et d'āme, laquelle les porte ą se détourner d'eux-mźmes pour chercher au dehors quelque fausse ou quelque vaine charnelle consolation corporelle, comme pour une récréation du corps et de l'esprit. Ou alors, s'ils ne tombent pas en ceci, ils gagnent par leur aveuglement spirituel, par les violences faites ą la nature dans leurs poitrines et leurs coeurs de chair pendant le temps de ce travail non point spirituel mais hostilement bestial, et ils obtiennent d'avoir leurs poitrines enflammées d'une chaleur hors nature dont la cause sera ce mauvais gouvernement et ce dérčglement du corps par l'hostile travail ; ou encore quelque fausse chaleur conēue en eux et suscitée par le Démon, leur ennemi spirituel, et dont la cause sera leur orgueil et la chair et leur curiosité d'esprit. Et cependant, peut-źtre, ils imagineront que c'est le feu de l'amour obtenu et mérité de la grāce et de la bonté du Saint Esprit.
143
En vérité, de cette illusion et de toutes celles qu'elle entraīne, il sort beaucoup de mal : hypocrisie, hérésie et erreur en grande quantité. Car bien vite aprčs une expérience et un sentiment pareillement faux, vient une fausse science et connaissance de l'école du Démon ; comme aussitōt aprčs une expérience et un sentiment vrais, vient une vraie connaissance de l'école de Dieu. Parce que, je te le dis en vérité, le diable a ses contemplatifs comme Dieu a les Siens.
Cette illusion du faux sentiment et de la fausse connaissance qui le suit, a des variations étonnamment diverses et nombreuses selon la diversité des états, des tempéranients et de la subtilité de ceux qui y sont pris et trompés ; comme a, semblablement, le vrai sentiment et la connaissance de ceux qui y sont sauvés. Mais je ne pose ici pas d'autres errements que ceux auxquels je pense que tu puisses źtre exposé, si tu te mets jamais au travail de cette oeuvre. Car quel serait le profit pour toi de savoir comment tels grands clercs, ou tels hommes et femmes ą des degrés autres que le tien, sont trompés ? Tout ą fait nul, assurément. Et c'est pourquoi je ne t'en dis pas plus que ce qui peut t'assaillir toi-mźme si tu travailles ą cette oeuvre ; et ce que je t'ai dit, c'est en sorte que tu aies de la prudence avec cela dans ton effort et ton travail, si jamais tu devais źtre attaqué.
Un bon enseignement
comment l'homme doit fuir ces illusions, et comment il doit oeuvrer plus par
une inclination de l'esprit que par les violences et la rudesse faites au
corps.
ET c'est pourquoi pour l'amour de Dieu sois prudent en cette oeuvre, et ne malmčne ni trop rudement ni outre mesure ton coeur dans ta poitrine : mais travaille plus par penchant et avec le désir que par quelque inutile force et violence. Car plus il y a de penchant, plus humble tu seras et plus spirituel ; et plus il y a de rudesse, plus tu seras corporel et bestial. Donc sois prudent, car certainement pour ce coeur bestial qui prétendait atteindre la haute montagne de cette oeuvre : il sera rejeté ą coups de pierre. Les pierres sont dures et sčches, quant ą elles, et elles blessent trčs douloureusement oł elles frappent. Et telles aussi sont ces rudesses de la contrainte : dures assurément quand elles sont attachées au sentiment de la chair et du corps, et sčches entičrement de toute connaissance de la grāce ; et elles blessent trčs douloureusement l'āme imprudente et l'empoisonnent des simulacres imaginaires des démons. Aussi donc sois prudent avec cette bestiale rudesse, et apprends ą aimer par désir, avec un comportement modeste et doux tant du corps que de l'āme ; reēois avec civilité et accepte humblement la volonté de notre Seigneur, et ne te jette pas dessus, tel le lévrier vorace, quelque cruelle que soit ta faim. Et s'il s'en peut parler comme en jouant : ce que je te conseille, c'est de faire en toi de sorte que, refrénant l'impétueux et violent mouvement de ton esprit, ce soit comme si tu ne voulais ą aucun prix qu'Il sūt jamais combien pressé est ton désir de Le voir, de Le posséder ou d'avoir sentiment de Lui.
C'est ici parler par enfantillage et maničre de jeu, penses-tu peut-źtre ? Mais je suis bien persuadé que qui aura la grāce de faire comme j'ai dit, et en aura l'expérience, il aura sentiment de jouer joyeusement un heureux jeu avec Lui, comme avec son enfant fait le pčre en l'embrassant et l'étreignant, ce dont il sera fort aise lui aussi.
Un léger enseignement
de cette oeuvre en la pureté du coeur, déclarant comment il est qu'une āme
montrera son désir ą Dieu d'une maničre, et vous au contraire d'une autre
maničre aux hommes.
REGARDE ą n'avoir de surprise aucune parce que j'ai ainsi parlé avec enfantillage et comme follement et en quittant la naturelle discrétion, car je l'ai fait pour certaines raisons, et m'y sentant porté depuis bien des jours, ce me semble, pour toi maintenant aussi bien que pour quelques autres de mes particuliers amis en Dieu, ą la fois sentant ainsi, pensant ainsi et parlant ainsi.
Et voici l'une des raisons pourquoi je t'ai dit et prié de cacher de Dieu ton désir. C'est que j'ai foi qu'il viendra plus clairement ą Sa connaissance, pour ton profit et l'accomplissement de ton voeu, par cette occultation sus-dite, que par aucune démonstration dont je pense que tu puisses faire preuve et donner cependant. Puis une autre raison est que je voudrais, par une démonstration pareillement occultée, te tirer hors des brutalités grossičres du sentiment corporel pour t'amener ą la pureté et ą la profondeur du sentiment spirituel ; et ainsi, par suite et enfin, t'aider ą nouer le noeud spirituel du brūlant amour entre toi et ton Dieu, en l'union spirituelle et la conformité de volonté.
Cela, tu Je connais parfaitement : que Dieu est un Esprit ; et ą quiconque il reviendra d'źtre uni ą Lui, il appartiendra que ce soit dans la réalité véritable et la profondeur de l'esprit, loin de toute apparence ou imagination corporelle. La chose sūre, c'est que toute chose est connue de Dieu et que rien ne peut źtre caché ą Sa connaissance, pas plus les choses corporelles que les spirituelles. Mais une chose lui est d'autant plus manifestement montrée et connue, qu'elle est plus cachée dans la profondeur de l'esprit ; étant qu'Il est Esprit, elle lui est beaucoup plus ouverte que toute chose autrement mźlée et enfouie en quelque élément corporel que ce soit. Car toute chose corporelle est plus éloignée de Dieu, selon le cours naturel des choses, que la chose spirituelle quelle qu'elle soit. Pour cette raison, il apparaīt que tant que notre désir reste mźlé de quelque matičre corporelle comme il est lorsque nous nous tendons de tout notre effort ensemble d'esprit et de corps aussi longtemps est-il plus loin de Dieu, et bien plus loin qu'il ne serait s'il venait, par plus de dévotion et plus de penchant, dans la sobriété, la pureté et la profondeur de l'esprit.
Et ici tu peux voir et comprendre quelque chose, en partie, de la raison pourquoi je t'ai prié enfanti-nement de couvrir et cacher de Dieu le mouvement de ton désir. Mais lą, je ne t'ai pas prié de le cacher tout entičrement, ce qui serait demander une chose folle et complčtement impossible et serait la demande d'un fou. Ce que je te demande, c'est de faire en toi ce mouvement de le cacher. Et pourquoi t'en prié-je i) Assurément pour cela que je voudrais que tu l'engendrasses dans la profondeur de l'esprit, loin de toute rudesse et grossičreté de quelque corporel mélange, lequel le ferait d'autant moins spirituel, et d'autant plus éloigné de Dieu ; puis encore parce que je sais et connais parfaitement que plus ton esprit a de spiritualité, moins aussi il a de corporel, et donc plus prčs est-il de Dieu, plus Lui plaīt-il et d'autant plus clairement peut-il źtre vu de Lui. Non point que Son regard puisse jamais sur aucune chose źtre plus clair que sur une autre, ni ą aucun moment plus qu'ą aucun autre, puisqu'il est éternellement immuable ; mais parce que tu Lui complais mieux ainsi en la profondeur et pureté d'esprit, car Il est un Esprit.
Et encore une autre raison pourquoi je t'ai dit de faire en toi qu'Il ne connūt ton désir, c'est que toi, et moi-mźme et tous tant que nous sommes, nous demeurons trčs capables de comprendre et concevoir corporellement une chose qui est dite spirituellement, en sorte que peut-źtre, si je t'avais prié de montrer et manifester le mouvement de ton coeur ą Dieu, peut-źtre eusses-tu voulu Lui en donner une démonstration corporelle, soit en geste ou en voix ou en parole ou en quelque autre grossičre corporelle expression, ainsi qu'il est lorsque tu dois montrer ą un autre homme une chose qui est cachée dans ton coeur ; et ainsi ton oeuvre eūt été impure. Car c'est d'une maničre qu'une chose doit źtre montrée ą l'homme ; et d'une autre maničre ą Dieu.
Comment Dieu veut źtre
servi ą la fois par le corps et par l'āme, et comment il récompense les hommes
en l'un et l'autre ; et comment il faut, pour les hommes, connaītre quand sont
bonnes, et quand mauvaises, toutes ces harmonies et autres suavités qui tombent
en le corps au moment de la pričre.
JE ne dis point ceci parce que je veux que tu te prives et retiennes en quel moment que soit, si tu t'y sens porté, de prier par ta bouche, ou de te prendre soudain, par abondance de piété et grande ferveur en ton esprit, ą parler ą Dieu comme ą homme, lui disant quelque bonne parole ainsi que tu t'y sens porté, telle que : « Bon Jésus ! Beau Jésus ! Doux Jésus ! » ou toute autre semblable ! Non ! ą Dieu ne plaise que tu le prennes de la sorte ! Car en vérité, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire ; et Dieu ne permettrait que je départisse ce que Dieu a couplé et uni : le corps et l'esprit. Car Dieu veut źtre servi par le corps et par l'āme ą la fois tout ensemble, comme il sied, et il retournera en récompense sa béatitude ą la fois dans le corps et dans l'āme. Et en gage et prémices de cette récompense, parfois, ici en cette vie, Il embrasera le corps de Ses dévots serviteurs : non pas une fois ou deux, mais peut-źtre bien trčs souvent selon qu'il Lui plaīt, l'emplissant de merveilleuses douceurs et consolations. Certaines desquelles douceurs et consolations ne viendront pas de dehors dans le corps par les fenźtres de notre entendement, mais de dedans : surgissant et jaillissant de l'excčs et abondance de félicité spirituelle et d'une vraie dévotion en l'esprit. Celles-lą n'ont point ą źtre tenues pour suspectes et, pour le dire en bref, celui qui les ressent, je suis certain qu'il ne saurait les avoir en suspicion.
Mais toutes les autres délices, harmonies et consolations, lesquelles arrivent de dehors tout soudain et tu ne sais jamais d'oł, je te supplie de les avoir en suspicion. Car elles peuvent źtre des deux : ou bonnes ou mauvaises ; par un bon ange provoquées quand elles sont bonnes, et par un mauvais ange si elles sont mauvaises. Mais celles-ci ne sauraient en aucune faēon źtre mauvaises si leurs illusions et tromperies, dues ą la curiosité d'esprit et au désordre des élans du coeur charnel, sont repoussées comme je t'ai enseigné, ou mieux encore si tu le peux. Et pourquoi ? Assurément par la cause de ce réconfort, c'est-ą-dire par le pieux élan de l'amour, lequel ressort du pur esprit et habite en la pureté du coeur. Il y est suscité par la main du tout-puissant Dieu sans moyens et sans voies ; et par lą il a en propre d'źtre toujours éloigné de toute imagination ou de quelque erroné jugement, fausse opinion ou autre, ainsi qu'il peut arriver ą l'homme en cette vie.
Quant aux autres toutes consolations et douceurs et harmonies, comment savoir si elles sont bonnes ou mauvaises ? je suis d'avis de ne pas te le dire ą présent, et cela parce que cela ne me parait pas nécessaire. En effet, tu peux le trouver écrit en une autre place dans l'oeuvre d'un autre homme, et mille fois mieux que je ne saurais le dire ou l'écrire : et ainsi pourras-tu et seras-tu capable de ce que j'ai mis ici, beaucoup mieux que ce que j'ai dit. Alors ą quoi bon ? C'est pourquoi, donc, je ne m'y attarderai et ne me donnerai de la tablature pour satisfaire au désir de ton coeur, duquel tu m'as fait démonstration jusqu'ici en paroles, et qui est maintenant en actes.
Mais il y a ceci que je peux te dire de ces harmonies et délices qui viennent par les fenźtres de l'entendement et des sens, et qui peuvent źtre les deux : bonnes ou mauvaises. Que tu en fasses usage sans aucune cesse en cet aveugle et pieux et consentant élan d'amour que je t'ai dit : et alors je n'ai de doute aucun qu'il ne sache parfaitement te renseigner ą leur sujet. Et si pourtant tu devais t'en étonner au prime abord, du fait qu'elles te seraient inconnues, néanmoins cet élan et ce mouvement en toi doit faire que si ferme soit lié ton coeur, que tu ne donneras aucune maničre d'importance ni ajouteras grande foi ą ces délices, tant qu'elles seront avant le temps oł tu en sois intérieurement assuré, soit merveilleusement par l'Esprit de Dieu, ou sinon, extérieurement par le conseil de quelque prudent pčre.
L'essence et substance
de toute perfection n'est rien autre qu'une bonne volonté ; et comment toutes
ces délices et harmonies et autres consolations que l'on peut avoir en cette vie,
ne sont rien que gučre des accidents.
ET c'est pourquoi je te prie, obéis avec docilité et de bonne grāce ą cet humble élan d'amour en ton coeur, et suis-le fidčlement : car il veut źtre ton guide en cette vie et te conduire ą la béatitude en l'autre vie. Il est l'essence et substance de toute bonne existence et sans lui, il n'est bonne oeuvre qui puisse avoir commencement ou fin. Il n'est rien autre qu'un bon vouloir et une conformité de volonté ą Dieu, et une maničre de félicité et parfaite plaisance que tu sens en ta volonté pour tout ce que fait Dieu.
Pareille bonne volonté est la substance de toute perfection. Toutes douceurs, délices et consolations corporelles ou spirituelles, aussi saintes soient-elles, ne lui sont que comme des accidents et ne font rien que dépendre de cette bonne volonté. Accidents, les ai-je dits, car ils peuvent en effet ou survenir ou manquer sans lui ajouter rien ni rien lui retrancher. J'entends bien : en cette vie, car il n'en sera pas ainsi en la béatitude du ciel oł ces délices seront unes et sans partage avec la substance, comme sera le corps avec l'āme : ce corps en lequel elles se déversent. Et ainsi est leur substance ici, non autre chose qu'une bonne volonté spirituelle. Et certes je pense que pour celui qui parvient et touche ą la perfection de ce vouloir, autant qu'il est ici possible, il ne saurait y avoir de délices ou consolations susceptibles d'arriver ą quiconque en cette vie, qu'il ne soit aussi content et joyeux de ne pas avoir, si telle est la volonté de Dieu, que de sentir et avoir.
Quel est le chaste
amour ; et comment en de certaines créatures telles consolations sensibles ne
sont que rarement, et en d'autres trčs fréquentes.
E TT par ceci, tu peux voir et comprendre que nous ayons ą commander notre entičre conduite d'aprčs cet humble élan d'amour en notre volonté. Et ą toutes ces autres délices et consolations, pour si agréables et saintes qu'elles soient, nous ne devons montrer, s'il est séant de le dire, qu'une sorte d'indifférence. Qu'elles viennent, et bienvenues sont-elles. Mais ne te penche point trop vers elles, en crainte de faiblesse : car demeurer par trop longtemps en de telles émotions et larmes si suaves, cela t'enlčverait tes forces beaucoup trop. Peut-źtre mźme en viendrais-tu ą aimer Dieu pour elles, ce dont tu auras le sentiment si tu grommelles et grognes par trop, quand elles font défaut. Et s'il en est ainsi, alors ton amour n'est encore ni chaste ni parfait.
Car un amour parfait et chaste, s'il souffre que le corps soit nourri de consolations par la présence d'émotions et larmes si suaves, néanmoins ne proteste et grogne aucunement quand elles font défaut selon la volonté de Dieu, mais au contraire en est heureux et satisfait. Et ceci encore que, chez de certaines créatures, il ne soit pas commun qu'elles fassent défaut, alors que de pareilles délices et consolations chez d'autres créatures ne sont que rares.
Et tout ceci est selon la disposition et l'ordonnance de Dieu, tout entičrement pour le profit et le besoin des diverses créatures. Car il est de certaines créatures si faibles et si tendres en esprit, qu'ą moins qu'elles ne soient confortées au sentiment de telles délices, elles ne pourraient aucunement supporter ni soutenir la variété des tentations et tribulations dont elles ont ą pātir corporellement et spirituellement, en cette vie, de la part de leurs ennemis. Et d'autres il y a, lesquelles sont si faibles en leur corps, qu'elles ne peuvent faire de grandes pénitences pour se purifier ; et ces créatures-lą, dans sa pleine grāce, notre Seigneur veut les purifier en l'esprit par de tels sentiments suaves et telles larmes. Et encore, d'autre part, y a-t-il certaines créatures qui sont d'esprit si vigoureux et fort qu'elles peuvent trouver assez de réconfort en leur āme, ą offrir révérencieusement cet humble élan d'amour et la conformité de volonté, lesquelles créatures n'ont elles-mźmes pas tellement besoin du réconfort de ces délices et sentiments corporels. D'entre toutes, l'une plus que l'autre, laquelle est la plus sainte et la plus chčre ą Dieu ? Dieu le sait, et pas moi.
Que les hommes doivent avoir grande attention et prudence, afin de ne comprendre corporellement une chose dite spirituellement ; et qu'il est particuličrement bon d'źtre attentif et prudent ą ces deux mots : « dedans » et « en-haut ».
C'EST pourquoi obéis humblement ą cet aveugle élan d'amour dedans ton coeur. Et je n'entends ici ton coeur corporel et de chair, mais ton coeur spirituel, lequel est ta volonté. Et sois bien attentif, que tu ne conēoives point corporellement ce qui est dit spirituellement. Car je te le dis en vérité, ces conceptions et idées corporelles et charnelles de ceux qui ont l'intelligence imaginative et l'esprit de curiosité, elles sont cause de beaucoup d'erreur.
Tu as pu voir un exemple de cela, par ce que je t'ai dit et prié de cacher de Dieu ton désir au dedans de ce qui est en toi. Car il se peut, si je t'avais dit de montrer ton désir ą Dieu, que tu eusses conēu la chose plus corporellement que tu ne le fais quand je te prie de le cacher. Parce que tu sais bien que tout ce qui est volontairement caché se trouve enfoui et jeté dans la profondeur de l'esprit. Aussi est-ce mon opinion qu'il est grandement nécessaire d'avoir une extrźme prudence' et attention ą bien entendre les mots qui sont dits avec une intention spirituelle, afin que tu les comprennes et conēoives non pas corporellement niais spirituellement, en le sens qu'ils ont ; et tout particuličrement faut-il bien veiller ą ce mot « dedans » et ą ce mot « en-haut ». Car ą mal entendre ces deux mots, il échoit mainte erreur et illusion ą celui qui se propose d'źtre ouvrier en l'oeuvre spirituelle, selon mon jugement ; ce que je sais fort bien, partie par expérience, et partie par ouļ-dire. Et de ces illusions, je crois devoir te parler quelque peu, selon mon jugement.
Un jeune disciple en l'école de Dieu, nouvellement détourné du monde, celui-lą va s'imaginer que, pour un peu de temps qu'il s'est livré ą la pénitence et ą la pričre, suivant le conseil pris ą la confession, il est alors capable d'entreprendre et de prendre sur lui de travailler ą l'oeuvre spirituelle dont il a entendu parler soit par paroles ou par lectures, soit encore qu'il en ait lu quelque chose par lui-mźme. Et par suite, quand il lit ou entend quelque description du travail spirituel et notamment comment un homme « doit rentrer au dedans de soi-mźme » ou comment il doit « se dépasser soi-mźme » aussitōt, tant par aveuglement d'āme que par charnelle curiosité d'esprit, il s'imagine entendant mal et se méprenant sur ces mots, źtre appelé par la grāce ą travailler ą cette uvre, parce qu'il sent en soi un désir et penchant naturels vers les choses cachées. Et c'est ą tel point que si son directeur spirituel ne veut point lui accorder de se mettre ą oeuvrer en cette oeuvre, aussitōt le voilą grommelant contre ce directeur et pensant peut-źtre mźme, oui, affirmant ą ses semblables qu'il ne peut trouver personne qui sache et puisse pleinement le comprendre. Et c'est pourquoi tout aussitōt, par témérité et présomption en sa curiosité, il ira quittant l'humble pričre et la pénitence pour se mettre, croit-il, ą un tout spirituel travail au dedans de son āme. Lequel travail, ą le bien et véritablement comprendre, n'est pas plus un travail corporel qu'il n'est un travail spirituel, et, bref, est un travail contre nature, dont le diable est le patron. Et c'est lą le plus court chemin vers la mort du corps et de l'āme, car c'est folie et non sagesse, et qui conduit l'homme en démence. Et pourtant ils ne le croient point : car ils n'ont d'autre propos, en ce faisant, que de penser ą Dieu.
Que ces jeunes présomptueux
disciples entendent mal et se méprennent ą ce mot « dedans », et des illusions
et erreurs qui s'ensuivent.
ET c'est de cette maničre, que cette folie dont je parle est engendrée. Ils lisent bien ou entendent dire qu'ils doivent quitter toute occupation extérieure de leurs facultés, et qu'ils doivent travailler intérieurement ; mais comme ils ignorent ce qu'est le travail intérieur, ils opčrent de travers. Car ils tournent leurs facultés et pensées corporelles intérieurement dans leur corps, contre le cours de nature ; et ils font effort, se contraignant comme s'ils voulaient voir au dedans avec leurs yeux corporels, entendre intérieurement avec leurs oreilles, et ainsi de suite de tous leurs sens et facultés, odorat, tact, sentiment intérieur. Et par lą ils se renversent et vont ą rebours du cours naturel ; puis aussi par la curiosité d'esprit ils exténuent leur imagination tant indiscrčtement qu'ils finissent par se mettre ą l'envers le cerveau dans la tźte ; et tout aussitōt, alors, le diable a le pouvoir de provoquer illusoirement quelque fausse lumičre ou des sons, d'agréables odeurs dans leurs narines, des goūts exquis en leur bouche, et maintes flammes et chaleurs bizarres dans leur poitrine corporelle ou leurs entrailles, dans leur dos ou dans leurs reins, et dans leurs membres.
Et néanmoins, dans ces illusions tout imaginaires, ils sont persuadés cependant qu'ils voient et qu'ils ont un tranquille souvenir de leur Dieu, sans l'obstacle d'aucune vaine pensée, ce qui est assurément le cas en une certaine maničre, puisqu'ils sont tellement remplis et bourrés de mensonge que la vanité, en effet, ne peut plus les toucher. Et pourquoi ? Parce que lui, ce mźme ennemi qui leur susciterait de vaines pensées s'ils étaient en la bonne voie, lui-mźme et celui-lą est le maītre-ouvrier et le patron de ce travail. Et sache bien, sache-le bien, qu'il ne lui plaīt ni ne lui convient ą lui-mźme de s'arrźter. Le souvenir de Dieu, non, il ne le leur retire aucunement, par peur de se voir alors suspecté.
De diverses pratiques
incongrues que suivent ceux qui quittent l'oeuvre que dit ce livre.
DE nombreuses et surprenantes pratiques, suivent ceux qui sont dans l'illusion de ce faux-oeuvre ou dans quelque contre-faēon du mźme, lesquelles sont bien éloignées de ce que font ceux qui sont vrais disciples de Dieu : car ceux-ci n'outrent jamais la bienséance dans leurs pratiques, tant corporelles que spirituelles. Mais il n'en va pas de mźme de ces autres. Qui voudrait ou pourrait les observer tels et oł ils sont ą ce moment, ą supposer qu'ils eussent les paupičres ouvertes, celui-lą les verrait les yeux fixes comme des fous et le regard en coin comme s'ils voyaient le diable. Et certes il est bon qu'ils soient sur leurs gardes, car l'ennemi n'est pas loin, vraiment. Certains chavirent leurs yeux dans la tźte tels des moutons en tournis qu'on a frappés au front, et comme s'ils allaient mourir sur l'heure. D'aucuns penchent la tźte d'un cōté comme s'ils avaient un ver dans l'oreille. D'aucuns gargouillent et sifflent du gosier lorsqu'ils devraient parler, comme s'ils n'avaient plus de souffle en le corps : et c'est lą proprement l'état d'un hypocrite. D'autres braillent et gémissent ą pleine gorge, tant avides ils sont, et pleins de hāte ą dire ce qu'ils pensent : et c'est lą l'état des hérétiques, chez lesquels et autres semblables la présomption et curiosité maintient toujours l'erreur qu'ils soutiennent de mźme.
Maintes pratiques désordonnées et incongrues ressortent de cette erreur, pour qui les pourrait toutes observer. Néanmoins il en est de si étranges, qu'ils parviennent ą les refréner en grande partie devant les autres. Mais si ces hommes pouvaient źtre vus tels qu'ils sont en privé, alors, certes, elles ne seraient point cachées ; comme non plus, je crois, elles ne le resteraient ą celui qui se mettrait tout droit ą contredire ą leur opinion, lequel, bientōt, pourrait les voir apparaītre et éclater en quelque point. Ce qui n'empźche qu'ils n'en pensent pas moins que tout ce qu'ils font, l'est pour l'amour
de Dieu et le maintien de la vérité. Or, en vérité, je crois avec foi que si Dieu n'accomplit un miracle de Sa miséricorde afin de les faire cesser bien vite, ą tant aimer Dieu de cette faēon, ils finiront tout droit, et effarés, chez le diable.
Ce n'est pas que je dise que le diable ait d'aussi parfaits serviteurs en cette vie, qu'il puisse les tromper et illusionner et infecter de toutes ces choses imaginaires ici décrites, non ; encore qu'il y en ait plus d'un, hélas ! qui soit infecté d'elles toutes ; mais je dis qu'il n'y a sur la terre de parfait hypocrite, ni d'hérétique accompli, qui ne soit coupable de quelque chose de ce que j'ai déclaré, ou peut-źtre vais-je déclarer si Dieu le permet.
Car certains hommes sont affligés, dans leur comportement corporel, d'habitudes si joliment étranges que, pour écouter, ils jettent leur tźte fantastiquement de cōté et pointent du menton, la bouche toute béante comme s'ils entendaient par la bouche et non par les oreilles. D'autres, pour parler, pointent du doigt ou sur leurs doigts, ou sur leur propre poitrine ou sur celle de celui ą qui ils parlent. D'aucuns sont incapables de se tenir assis tranquilles ou tranquilles debout, ou tranquilles couchés, sans remuer du pied ou quelque chose dans leurs mains. D'aucuns rament des bras pour parler, comme s'ils avaient une grande eau ą passer ą la nage. D'autres sont toujours lą ą sourire et ą rire ą chaque nouveau mot qu'ils disent, comme s'ils étaient de ces filles qui pouffent ou des bouffons de foire pris de fou-rire. Une allégresse décente leur irait trčs bien, avec un comportement sobre et modeste du corps en leur maintien joyeux.
Je ne dis point que toutes ces pratiques incongrues soient en elles-mźmes de graves péchés, ni mźme que ceux qui font ainsi soient eux-mźmes de grands pécheurs. Mais je dis que si ces incongrues et désordonnées faēons se rendent maītresses de qui les a, et qu'il ne puisse s'en défaire au moment qu'il le veut, alors je dis qu'elles sont signes d'orgueil, d'esprit de curiosité et d'excessive impatience et ambition de savoir. Et particuličrement sont-elles des signes vrais de l'instabilité du coeur et de l'inquiétude de l'esprit ; et tout particuličrement par le manquement et abandon de l'oeuvre que dit ce livre.
Telle est aussi l'unique raison pourquoi je me suis tant étendu sur ces illusions et erreurs, ici, dans cet écrit : c'est que l'ouvrier spirituel reconnaītra par elles, et mettra son oeuvre ą l'épreuve.
Comment est-il que par
la vertu de cette oeuvre, un homme est gouverné en la pleine sagesse, et
devient parfaitement décent tant de corps que d'āme.
QUICONQUE aura d'źtre en cette oeuvre, il en sera tenu et gouverné en la parfaite décence, tant en son corps qu'en son āme ; et par tous ceux qui le voient, il en sera sympathiquement considéré. Si bien que l'homme ou la femme le moins favorisés ą ce point de vue, s'ils venaient en cette vie ą oeuvrer en cette oeuvre, leur faveur tout soudain et gracieusement se trouverait changée, de telle sorte que tout homme de bien, les rencontrant, se montrerait heureux et joyeux de leur compagnie, et plus, s'estimerait par leur présence aidé et assisté de la grāce ą se tourner vers Dieu.
Et c'est pourquoi, ce don, l'obtienne quiconque peut, par la grāce, l'avoir : car quiconque le possčde authentiquement et l'a en vérité, il saura et pourra se gouverner et se conduire par la vertu y attachée, et non seulement pour soi-mźme mais pour tout ce qui dépend de lui. Aucune nature et nulle dis-positior n'échappera ą sa prudence. Et trčs bien saura-t-il se faire semblable ą ses semblables, que ceux-ci soient pécheurs invétérés ou non, sans avoir en lui-mźme aucun péché ; et tous qui le verront en seront étonnés, et, avec l'assistance de la grāce, il entraīnera autrui ą travailler et ą oeuvrer en l'esprit mźme oł il oeuvre lui-mźme.
Ses paroles et ses encouragements seront empreints de la sagesse spirituelle, et avec feu et avec fruit prononcés en une sobre fermeté et trčs douce assurance, sans aucune des simagrées et flūteries des hypocrites. Parce qu'il y en a qui, de toutes leurs forces intérieures et extérieures, empaillent leurs discours, s'imaginant se préserver et soutenir contre toute maničre de chute par les nombreuses paroles humblement flūtées et les gestes d'apparente dévotion : lesquels regardent plus ą paraītre saints aux yeux des hommes que de l'źtre effectivement ą ceux de Dieu et de Ses anges. Parce que ces gens-lą, ils s'affectent beaucoup plus et attribuent une importance bien plus grande ą tel geste ou parole qui choque et paraīt incongru aux humains, qu'ą mille vaines pensées et puantes intentions de péché qu'ils acceptent d'avoir en eux et supportent avec indifférence de déployer ą la vue de Dieu, des saints et des anges du ciel. Ah ! Seigneur Dieu ! c'est bien oł se trouve intérieurement l'orgueil, que se rencontrent extérieurement en pareille abondance les paroles humbles et flūtées ! Mais ce qui sied et convient, je te l'assure, ą ceux qui sont humbles au dedans, c'est que l'humilité et la décence de geste et de parole, au-dehors, soient accordées ą l'humilité qu'ils ont au fond du coeur, et ils n'ont point besoin qu'elle s'exprime en des voix brisées ou flūtées, ą l'encontre des dispositions de la nature et du caractčre qu'ils ont. Parce que, s'ils sont vrais, ils parlent avec toute la fermeté et l'ampleur de la voix .et dé l'esprit qui sont en eux. Et qui possčde de nature une voix grosse et brutalement éclatante, s'il parle par chuchotements et flūteries ą moins, bien sūr, qu'il ne soit malade, ou autrement que ce soit entre lui et son Dieu, ou entre lui et son confesseur alors il donne lą un véritable signe d'hypocrisie. Et j'entends bien ici l'hypocrisie āgée comme la jeune hypocrisie.
Que dirais-je de plus, de ces illusions et tromperies venimeuses et empoisonnées ? Je crois et pense véritablement qu'ą défaut, par la grāce, de quitter et laisser ces chuchoteries et flūteries hypocrites, qui sont entre l'orgueil secrčtement enfoncé dans le coeur intime et toute l'humilité extérieure des paroles, l'āme égarée risque et va trčs bientōt sombrer dans l'affliction et la désespérance.
COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUANTE ET CINQUIČME
Comment sont dans
l'illusion ceux-lą qui, suivant l'ardeur de leur esprit, jugent et condamnent
sans discrétion quelqu'un d'autre.
CERTAINS hommes, l'Ennemi les trompera de cette maničre: Trčs merveilleusement il enflammera leur esprit ą vouloir le respect et le maintien de la loi de Dieu en autrui, et la destruction en tous les autres du péché. Jamais il ne les tentera, ceux-lą, par une chose manifestement mauvaise : il les fera se vouloir tels des prélats pleins de zčle ą surveiller tous les degrés de la vie chrétienne de leurs ouailles, ou comme fait un abbé pour ses moines. Tous les hommes, ils vont les reprendre de leurs défauts et manquements, tout juste comme s'ils étaient chargés et avaient cure de leurs āmes : et toujours ils pensent, ce faisant, qu'ils ne feraient rien pour Dieu, s'ils ne disaient aux autres leurs défauts.
Ils affirment n'y źtre portés que par le feu de la charité et par l'amour de Dieu qu'ils nourrissent en leur coeur : et ils mentent, en vérité, parce que c'est par le feu de l'enfer, qu'ils le font lequel flambe en leur āme et leur imagination.
Telle est la vérité sūre, apparaissant comme il suit. Le diable est un esprit, lequel n'a point de corps en nature, pas plus qu'un ange. Mais il n'en est pas moins, cependant, que chaque fois que le diable ou un ange, avec la permission de Dieu, prendra un corps pour quelque mandement ą quelque humain en cette vie, c'est accordé ą l'ouvrage et oeuvre dont il est le ministre que sera ce corps en sa qualité, et ą sa ressemblance en quelque maničre. Les exemples, nous les avons en les Saints Écrits. Car chaque fois qu'un ange a été envoyé en corps, dans l'Ancien Testament comme aussi dans le Nouveau, toujours il est apparu montrant, soit par son nom, soit par quelque accessoire ou qualité de son corps, quelle était la matičre ou le message de sa mission spirituelle. Or, il va en de mźme pour l'Ennemi. Car lorsqu'il apparaīt en corps, il figure corporellement de quelque maničre ce que seront ses serviteurs en esprit. Dont exemple on pourra prendre ą ceci, plutōt qu'ą toutes autres choses, car je le tiens de quelques disciples en la nécromancie, lesquels ont en leur science l'évocation des mauvais esprits, et aussi de quelques-uns auxquels le diable est apparu en semblance de corps. C'est que toujours, et quelle que soit l'apparence de corps en laquelle il apparaisse, le diable n'a qu'une seule narine, laquelle est grande et béante ; et jamais si heureux que de l'ouvrir, afin que le regard de l'homme y plonge et puisse voir par lą en son cerveau, dans sa tźte. Ce cerveau n'est rien autre que le feu de l'enfer, car l'Ennemi ne saurait avoir autre cerveau ; et s'il peut faire un homme y regarder, il n'en demande pas plus. Car l'homme ą cette vue perdra les sens ą jamais. Mais un parfait praticien nécromantique sait cela bien assez, et par suite, il prend les dispositions dont il est capable, pour que le diable ne l'y incite.
Et donc ainsi est-il comme je dis, et ai dit, que toujours quand le diable prend un corps, il figure en quelque qualité de ce corps, ce que sont ses serviteurs en esprit. Car il enflamme ą ce point l'imagination de ses contemplatifs avec le feu de l'enfer, que ceux-ci tout soudain abandonnent toute prudence et discrétion en leurs idées et, sans autre avis, ils prendront sur eux de juger et blāmer autrui sans retard de ses défauts : cela parce qu'ils n'ont eux-mźmes qu'une narine, spirituellement parlant. Parce que cette division qui est en le nez corporel de l'homme, laquelle sépare une narine de l'autre, signifie qu'un homme doit garder et avoir la discrétion spirituelle, et qu'il peut distinguer le bon du mauvais, et le mauvais du pire, et le bon du meilleur, avant que de donner jugement aucun, de quoi que ce soit qu'il voit ou entend faire ou dire devant lui. Et par l'humain cerveau est spirituellement entendue l'imagination, puisque de par nature elle habite et travaille en la tźte.
De la déception de
ceux qui suivent plus la curiosité de l'intelligence naturelle, et plus
l'enseignement appris ą l'école des hommes, que la doctrine commune et le
conseil de la sainte Église.
D'AUCUNS pourtant, bien qu'ils ne soient trompés en l'erreur que j'ai ici posée, n'en abandonnent pas moins la sainte doctrine et le conseil de l'Église par curiosité d'esprit dans l'ordre naturel et par érudition livresque et science orgueilleuse. Ceux-lą et tous leurs sectateurs s'appuient infiniment trop sur leur propre savoir ; et puisqu'ils ne sont jamais fondés sur une vie de vertu et sur un sentiment d'aveugle humilité, ils méritent par lą d'entretenir en eux un faux sentiment illusoire et conēu par l'ennemi spirituel. Ce qui va ą tel point qu'ą la fin ils éclatent et blasphčment tous les saints, les sacrements, les statuts et ordonnances de la sainte Église. Humains charnels qui vivent dans le monde, ils pensent que les statuts de la sainte Église sont trop durs pour s'y amender, et les voici trčs bientōt et tout facilement qui joignent les hérétiques et les soutiennent fermement : et tout cela parce qu'ils pensent suivre avec eux une voie plus aisée que celle ordonnée par la sainte Église.
En vérité, celui qui ne veut point suivre l'étroite voie du paradis, il suivra la douce pente de l'enfer ; voilą ce que je pense. Chaque homme en fera la preuve soi-mźme ; mais je pense bien que tous les hérétiques de cette sorte et leurs sectateurs, s'ils pouvaient źtre clairement vus ce qu'ils seront au dernier jour, ils seraient vus tout accablés (comme ils sont) des grands et affreux péchés du monde en leur horrible chair, secrčtement, ą cōté de leur prétention ouverte ą maintenir leur erreur : de telle sorte qu'ils soient proprement appelés les disciples de l'Antéchrist. Car il est écrit d'eux, que malgré toute leur fausse pureté extérieure, ils n'en sont pas moins intérieurement de complets et repoussants débauchés.
Comment tels jeunes
présomptueux disciples entendent mal et se méprennent ą ce mot « en-haut », et
des illusions et erreurs qui s'ensuivent.
RIEN de plus sur ceci quant ą présent, mais avanēons en notre matičre : comment ces jeunes présomptueux disciples spirituels mésentendent cet autre mot « en-haut ».
Car s'il se fait qu'ils ont lu eux-mźmes, ou entendu lire ou dire que les hommes devaient élever leur coeur vers Dieu, aussitōt les voilą qui lčvent leurs yeux aux étoiles comme s'ils voulaient źtre par delą la lune, et qui tendent l'oreille comme s'ils allaient entendre un ange du ciel se mettre ą chanter. Ces hommes-lą, en la curiosité de leur imagination, vont tantōt percer les plančtes et faire un trou au firmament, ą le regarder de la sorte. Ils vont se faire un Dieu ą leur convenance, qu'ils vont vźtir de riches vźtements et asseoir sur un trōne autrement plus somptueux que tout ce qui jamais a été dépeint sur la terre. Ils vont s'imaginer des anges ą figure corporelle, et faire de chacun un ménestrel avec des instruments plus étranges et plus divers que tout ce qui a jamais été vu ou entendu ici-bas. Et le diable en trompera et illusionnera certains trčs merveilleusement.
Car il leur enverra une sorte de rosée, nourriture des anges penseront-ils, tandis qu'elle descendra du ciel et tombera doucement et délicieusement en leur bouche ; et c'est pourquoi ils ont pris l'habitude de demeurer assis la bouche béante comme s'ils voulaient attraper des mouches. Et lą, pourtant, tout cela qui n'est qu'illusion ne leur en paraīt que plus saint ; mais ils ont l'āme parfaitement vide, pendant ce temps, de toute vraie dévotion. Ils n'ont que vanité et mensonge au coeur, par la faute de l'étrange travail de leur curiosité.
Et encore bien souvent le diable leur feindra des sons insolites dans leurs oreilles, des lumičres et éclairs merveilleux en leurs yeux, d'exquis parfums en leurs nez : et tout cela n'est que fausseté. Mais ils ne le croient aucunement, pensant trouver leur exemple, pour regarder ainsi en-haut et s'employer de la sorte, en saint Martin qui vit Dieu, par révélation, au milieu de Ses anges, enveloppé de son manteau, ou encore de saint Étienne, lequel vit notre Seigneur debout en le ciel, et de tant d'autres ; et encore du Christ, lequel fit ascension en corps au ciel, ą la vue de Ses disciples. Aussi disent-ils que nous devons avoir les yeux levés ainsi lą-bas, en-haut.
J'admets et concčde bien qu'en le comportement du corps, nous dussions lever eu-haut et les yeux et les mains si nous y sommes appelés en esprit. Mais j'affirme que l'oeuvre de notre esprit n'a nullement ą źtre dirigée en-haut ou en-bas, ni d'un cōté ni de l'autre, ni en avant ni en arričre, comme il est quand il s'agit du corps. Pourquoi ? C'est que notre oeuvre doit źtre spirituelle et non corporelle, ni corporellement engendrée.
Qu'un homme ne doit
prendre son exemple ą saint Martin ou saint Étienne, pour tendre en-haut son
imagination corporelle pendant le temps de la pričre.
CAR ce qu'ils disent de saint Martin et de saint Étienne, bien qu'ils eussent vu ces choses de leurs yeux corporels, elles ne leur furent montrées cependant que par un miracle et en témoignage de quelque chose de spirituel. Et tous savent trčs bien que le manteau de saint Martin n'est point venu en substance sur le propre corps du Christ, étant qu'Il n'avait nul besoin de Se préserver du froid en S'en couvrant : mais par miracle il était lą, et en figure de ce que tous, nous sommes capables d'źtre sauvés, et d'źtre unis spirituellement au corps du Christ. Et quiconque vźtira un pauvre ou fera toute autre bonne action pour l'amour de Dieu, corporellement ou spirituellement, ą qui sera dans le besoin, celui-lą peut źtre assuré qu'il le fait spirituellement au Christ mźme : et il en sera récompensé substantiellement tout comme s'il l'avait fait au corps personnel du Christ. Ce qu'Il a dit Lui-mźme en l'Évangile. Mais encore a-t- Il pensé que ce n'était suffisant, et Il l'a affirmé aprčs par un miracle : et c'est pour cette raison qu'Il S'est montré ą saint Martin en révélation. Et toutes les révélations jamais vues en apparence corporelle, ici, en cette vie, par aucun homme, ont un sens et une signification spirituelle. Et je pense que si ceux-lą, ą qui elles ont été montrées, avaient été assez spirituels, ou s'ils avaient pu spirituellement comprendre leurs significations spirituelles, jamais ils ne les eussent eues corporellement. Et c'est pourquoi rejetons la rude écorce, et nourrissons-nous de la moelleuse amande.
Mais comment ? Non point comme ces hérétiques, lesquels peuvent bien źtre comparés ą des fous, ayant cette habitude que, toujours, ayant bu dans une coupe splendide, ils la jettent et fracassent contre le mur. Non, ce n'est pas ce que nous ferons, si nous voulons bien faire. Car nous ne serons jamais assez nourris du fruit, que nous méprisions l'arbre ; ni non plus assez désaltérés, que nous dussions briser la coupe aprčs avoir bu. L'arbre et la coupe, c'est ainsi que je nomme le miracle visible et aussi toutes les convenables observances corporelles, lesquelles sont en accord harmonieux avec l'oeuvre spirituelle et ne la desservent point. Le fruit et la liqueur, c'est ainsi que je nomme la signification spirituelle de ces miracles visibles et corporelles observances convenables : telles que lever en-haut les yeux au ciel, ou les mains. Si elles sont faites sur un mouvement et appel de l'esprit, alors elles sont bien faites ; et autrement, elles sont hypocrisie, et mauvaises. Si elles sont vraies et contiennent leur fruit spirituel, alors pourquoi les mépriser ? Puisque l'homme baise la coupe pour le vin qui est dedans.
Et parce que notre Seigneur, lorsqu'Il fit ascension au ciel en Son corps, prit Son chemin vers en-haut dans les nuages, ą la vue de Sa mčre et de Ses disciples en leurs yeux corporels, s'ensuit-il que nous dussions en notre oeuvre spirituelle, pour cela, toujours regarder en-haut de nos yeux corporels, comme cherchant ą Le voir corporellement assis dans le ciel, comme saint Martin le vit, ou debout, comme saint Étienne ? Non. Assurément Il ne S'est point montré ą saint Étienne corporellement en le ciel pour la raison qu'Il voulait nous donner l'exemple de lever, en notre oeuvre spirituelle, nos yeux corporels au ciel, regardant si nous pourrions Le voir assis lą, ou debout comme Le vit saint Étienne, ou couché. Car comment est Son corps au ciel assis, debout ou couché aucun homme ne le sait. Et il n'est besoin de rien plus savoir, hors que Son corps est uni ą l'āme, tout un et sans partage. Le corps et l'āme, ą savoir Son humanité, unie ą sa Divinité, de mźme tout un et sans partage. Qu'Il soit assis, ou debout, ou couché, point n'est besoin de le savoir : mais qu'Il est lą comme il Lui plaīt et dans Son corps autant qu'il Lui convient et comme il Lui sied le mieux.
Car s' Il s'est montré corporellement couché, debout ou assis, ą quelque créature en cette vie, cela fut fait avec une signification spirituelle et non pour la faēon corporelle qu'Il a d'źtre en le ciel. En suit l'exemple : Par źtre debout, s'entend la promptitude ą l'assistance. C'est ainsi qu'il est dit communément ą un ami, par un ami, en la bataille corporelle : « Tiens bon, ami, bats-toi ferme et n'abandonne le combat trop facilement, puisque je me tiendrai avec toi. » Lequel ne veut pas dire uniquement źtre corporellement debout, puisque aussi bien cette bataille peut źtre ą cheval et non ą pied, ou encore en mouvement et non point fixe debout. Ce qu'il veut dire, c'est qu'il sera prźt ą l'aider. Et c'est la raison pourquoi notre Seigneur S'est montré corporellement debout en le ciel ą saint Étienne, lequel était au martyre : pour cela, et non pour nous donner exemple de regarder en-haut vers le ciel. Comme s'il avait dit, en la personne de saint Étienne, ą tous ceux qui souffrent persécution pour Son amour :
« Regarde, Étienne ! aussi réellement que j'ouvre ce firmament corporel, lequel est appelé ciel, et que tu peux M'y voir debout, aussi réellement aie foi que je suis debout spirituellement ą ton cōté par la puissance de Ma Divinité. Et je suis prźt ą t'aider ; aussi tiens-toi ferme en la foi et souffre intrépidement les coups de ces dures pierres qui te sont jetées : car je te couronnerai dans la béatitude pour ta récompense ; et non seulement toi, mais tous ceux qui souffrent persécution pour Moi de quelque maničre. »
Et ainsi peux-tu voir que ces corporelles apparitions sont faites avec un sens et signification spirituelle.
Qu'un homme ne doit pas prendre exemple ą l'ascension corporelle du Christ, pour tendre en-haut son imagination corporelle pendant le temps de la pričre : et que temps, lieu et corps, tous trois sont ą oublier en toute oeuvre spirituelle.
ET si maintenant tu me dis une chose ou l'autre, touchant l'ascension de notre Seigneur, et que, parce qu'elle s'est faite corporellement, pour cela elle a une signification corporelle autant que spirituelle, puisqu'Il est monté tout ensemble vrai Dieu et vrai homme : ą cela je te répondrai qu'Il avait été mort, et qu'Il était revźtu d'immortalité, et qu'ainsi nous serons tous au Jour du Jugement. Et alors nous serons faits si subtilement en le corps et en l'āme tout ensemble, que nous nous trouverons aussi vite alors avec le corps oł il nous plaira, que nous le sommes actuellement en pensée spirituellement ; que ce soit en-haut ou en-bas, d'un cōté ou de l'autre, devant ou derričre, ce sera tout un et semblablement bon, comme le disent les clercs ; et ainsi je pense. Mais ą présent tu ne peux parvenir au ciel corporellement, non, mais spirituellement. Et mźme ce sera si spirituellement que cela ne peut źtre d'une quelconque maničre corporelle, et pas plus en-haut qu'en-bas, d'un cōté que de l'autre, ni en avant ni en arričre.
Et sache bien que tous ceux qui se mettent ą źtre ouvriers spirituels, et particuličrement en l'oeuvre que dit ce livre, bien qu'ils lisent « élčve en-haut » et « va au dedans » et malgré tout ce qui, en ce livre, est appelé un élan, appel, mouvement, néanmoins ils doivent źtre trčs attentifs ą ceci, que cet élan et mouvement ne porte corporellement en-haut, ni dedans, et n'est en aucune maničre un élan comme s'il allait d'une place ą une autre place. Et encore quand il y est parlé de repos, que cependant ils ne pensent pas que ce soit un repos comme de rester en un lieu sans bouger de lą. Car la perfection de cette oeuvre est si pure et si spirituelle en elle-mźme, que si elle est bien conēue et véritablement entendue, elle sera vue autrement et trčs loin de quel mouvement et quel lieu que soit.
Et il serait mieux et non sans raison de l'appeler un brusque changement, au lieu d'un mouvement quelconque d'endroit. Car temps, lieu et corps les trois doivent źtre oubliés en tout travail spirituel. Et c'est pourquoi sois prudent en cette oeuvre, ą ne pas prendre la corporelle ascension du Christ pour exemple de tirer et tendre corporellement en-haut ton imagination, pendant le temps de ta pričre, comme si tu voulais grimper par delą la lune. Car il n'en serait d'aucune maničre ainsi, spirituellement. Mais si tu devais faire ascension corporellement au ciel, de mźme que le Christ a fait, alors tu pourrais prendre exemple ą celle-lą : seulement il y a que personne hormis Dieu ne le peut, comme Lui-mźme l'a affirmé, disant : « Il n'est personne qui puisse monter au ciel si ce n'est Celui seulement qui est descendu du ciel, et S'est fait homme par amour de l'homme. »
Or, si cela était possible, comme en aucune maničre cela ne peut źtre, alors cela serait par abondance et débordement de l'oeuvre spirituelle et uniquement par la puissance et le pouvoir spirituel, tout éloigné de quelque tension et effort que ce soit de l'imagination corporelle, pas plus en-haut que dedans, d'un cōté ou de l'autre.
Et c'est pourquoi laisse ces faussetés : il n'en va point ainsi.
Que la grand'route et
la plus immédiate du ciel est parcourue par les désirs, et non par les pas de la
marche.
MAIS ą présent, il se peut bien que tu me demandes comment cela est donc, et comment alors il en va ? Car il te paraīt avoir preuve authentique et évidente que le ciel est en-haut : parce que le Christ a fait ascension corporellement en-haut dans les airs, et qu'Il a envoyé selon Sa promesse, d'en-haut corporellement le Saint-Esprit, ą la vue de tous Ses disciples ; et telle est notre foi. Et c'est pourquoi tu penses et te demandes, puisque tu as cette vraie et réelle évidence, pourquoi tu ne dirigerais pas corporellement en-haut ton esprit pendant le temps de ta pričre.
Et ą cela, je veux te répondre autant que je le peux dans ma faiblesse, et je dis : puisque le Christ, étant qu'il était ainsi, devait faire ascension corporellement et par suite envoyer corporellement le Saint Esprit, alors il était plus convenable que ce fūt en-haut dans la hauteur plutōt qu'en-bas et de dessous, ou derričre, ou devant, ou d'un cōté ou de l'autre. Mais autrement que pour cette convenance, il ne Lui était d'aucune nécessité de s'éloigner en montant plus qu'en descendant ; je veux dire quant ą la proximité et promptitude du chemin. Car le ciel spirituel est aussi proche eu-bas qu'en-haut, et aussi proche en-haut qu'en-bas, et autant derričre que devant, et devant que derričre, et d'un cōté comme de l'autre. En sorte que quiconque a vrai désir d'źtre au ciel, il y est alors ą l'instant mźme spirituellement. Car c'est par les désirs et non point par les pas de la marche, que la grand'route et la plus prompte du ciel est courue. Et c'est pourquoi saint Paul a dit, parlant de lui-mźme et de maints autres ainsi : quoique nos corps soient présentement ici sur la terre, néanmoins pourtant notre vie est au ciel. Il entendait par lą leur amour et désir, lequel est spirituellement leur vie. Et trčs-assurément l'āme est aussi réellement en vérité lą oł elle aime, qu'elle est en le corps oł elle vit et auquel elle donne la vie. Et c'est pourquoi, si nous voulons spirituellement aller au ciel, il ne sert de rien de tirer et tendre notre esprit en-haut pas plus qu'en-bas, ni d'un cōté plus que de l'autre.
Que toute chose corporelle
est sujette et obéit ą la spitituelle, par laquelle elle est commandée en le cours
naturel, et non point le contraire.
NÉANMOINS, il y a quelque utilité ą lever nos yeux et nos mains corporellement vers le ciel corporel auquel les astres sont attachés. Je veux dire, si nous y sommes entraīnés par l'oeuvre de notre esprit, et non autrement. Car toutes choses corporelles sont les sujettes des choses spirituelles, et d'aprčs elles réglées et commandées, et non point le contraire.
On peut en voir l'exemple ą l'ascension de notre Seigneur : car lorsque le temps fixé fut venu, oł il Lui convīnt de retourner ą Son Pčre corporellement en Son humanité, laquelle humanité ne fut et ne sera jamais absente de Sa Divinité, alors, en toute-puissance, par la vertu du Saint-Esprit, l'humanité avec le corps suivit la Divinité en l'unité de la Personne. La visible apparence de quoi, il convenait mieux et il était mieux accordé qu'elle fūt en montant et en-haut.
Cette mźme sujétion du corps ą l'esprit peut źtre, en maničre véritable, conēue par la preuve de l'oeuvre spirituelle que dit ce livre, pour ceux-lą qui y travaillent. Car ą l'instant qu'une āme s'y dispose effectivement, tout aussitōt et soudainement, ą l'insu mźme de celui qui opčre, le corps, qui peut-źtre juste avant qu'elle commenēāt, était incliné vers la terre, ou penché d'un cōté ou de l'autre pour l'aise charnelle, par la vertu et force de l'esprit est redressé tout droit : suivant par maničre et semblance corporelle l'oeuvre de l'esprit, laquelle est spirituelle. Et ainsi est-ce qu'il convient le mieux que ce soit.
Et c'est pour la raison de cette mźme convenance que l'homme lequel est de toutes les créatures de Dieu la plus séante de corps et la plus digne n'est point fait ployé vers la terre, comme le sont tous autres animaux, mais dressé droit vers le ciel. Pourquoi cela ? Parce qu'il doit figurer en l'apparence corporelle l'oeuvre et le travail spirituel de l'āme, laquelle oeuvre et lequel travail, il leur appartient d'źtre droits spirituellement, et non point spirituellement tortus et ployés. Prends bien garde que je dis spirituellement droit, et non corporellement. Car comment pourrait źtre une āme, laquelle n'a par nature aucune maničre et matičre de cor-poralité, entraīnée corporellement droite debout ? Non, non ; cela ne peut pas źtre.
Et c'est pourquoi prends garde ą ne concevoir corporellement ce qui est signifié spirituellement, quoique cela soit dit en paroles corporelles, telles que sont celles de « en-haut » ou « en-bas », « dedans » ou « dehors », « derričre » ou « devant », « d'un cōté » ou « de l'autre cōté ». Car quelque spirituelle que puisse jamais źtre une chose en elle-mźme, néanmoins, s'il faut en parler, et puisque le ciiscours est oeuvre corporelle et faite et engendrée par la langue, laquelle est un instrument du corps, on ne le pourra faire qu'avec toujours des mots corporels. Mais qu'importe ? Doit-il s'ensuivre qu'on le comprenne et conēoive corporellement ? Non, certes, mais bien spirituellement, comme il est entendu.
Comment un homme doit
connaītre quand son oeuvre spirituelle est au-dessous de lui ou sans lui, et
quand elle est avec lui ou en lui, et quand elle est au-dessus de lui et sous
son Dieu. corps, néanmoins ils sont au-dessous de ton āme.
Tous les anges et toutes les āmes, encore que confirmés et ornés de la grāce et des vertus, et par lą au-dessus de toi en pureté, néanmoins ne sont qu'égaux ą toi en nature.
Au-dedans de toi en nature sont les pouvoirs et facultés de ton āme, desquels les trois principaux sont la Mémoire, la Raison et la Volonté ; et en second l'Imagination et la Sensibilité.
Au-dessus de toi en nature, il n'est rien autre chose que Dieu seul.
Partout et toujours oł il sera écrit et question de toi, en spiritualité, alors il s'entend de ton āme et non de ton corps. Et donc, tout selon la chose ą quoi sont occupées les facultés de ton āme, ainsi jugeras-tu de l'excellence ou condition de ton oeuvre : savoir si elle est au-dessous de toi, en toi, ou au-dessus de toi.
ET pour cela, que tu sois capable de mieux connaītre comment doivent źtre conēus spirituellement ces mots qui sont dits corporellement, j'ai pensé ą te donner les significations spirituelles de certains mots qui échoient ą l'oeuvre spirituelle. En sorte que tu puisses connaītre clairement et sans erreur quand ton oeuvre est au-dessous de toi et sans toi, quand elle est avec toi et encore au-dedans de toi, et quand elle est au-dessus de toi et sous ton Dieu.
Toutes les sortes de choses corporelles sont en-dehors de ton āme et au-dessous d'elle en la nature, oui ! et mźme le soleil et la lune et les étoiles toutes, encore qu'ils soient au-dessus de ton corps, néanmoins ils sont au-dessous de ton āme.
Tous les anges et toutes les āmes, encore que confirmés et ornés de la grāce et des vertus, et par lą au-dessus de toi en pureté, néanmoins ne sont qu'égaux ą toi en nature.
Au-dedans de toi en nature sont les pouvoirs et facultés de ton āme, desquels les trois principaux sont la Mémoire, la Raison et la Volonté ; et en second l'Imagination et la Sensibilité.
Au-dessus de toi en nature, il n'est rien autre chose que Dieu seul.
Partout et toujours oł il sera écrit et question de toi, en spiritualité, alors il s'entend de ton āme et non de ton corps. Et donc, tout selon la chose ą quoi sont occupées les facultés de ton āme, ainsi jugeras-tu de l'excellence ou condition de ton oeuvre : savoir si elle est au-dessous de toi, en toi, ou au-dessus de toi.
Des pouvoirs et
facultés de l'āme en général, et comment la mémoire en particulier est une
principale puissance, laquelle contient en elle toutes les autres facultés et toutes
les choses en lesquelles elles oeuvrent.
LA Mémoire est en elle-mźme une puissance de telle sorte, qu'ą proprement parler et d'une certaine maničre, elle n'opčre pas elle-mźme. Mais la Raison et la Volonté sont deux puissances opératives, et aussi le sont de mźme l'Imagination et la Sensibilité. Toutes ces quatre facultés et leurs oeuvres, la Mémoire les contient et les comprend en elle-mźme. Mais autrement on ne saurait dire que la Mémoire opčre, si ce n'est qu'une telle compréhension soit une oeuvre et opération.
De lą s'ensuit que j'appelle certains pouvoirs de l'āme, les uns principaux et les autres secondaires.
Non parce qu'une āme est divisible, puisqu'elle ne peut l'źtre : mais parce que toutes ces choses auxquelles elle opčre sont divisibles, certaines étant principales comme choses toutes spirituelles, certaines autres étant secondaires comme choses toutes corporelles. Les deux principales puissances opé-ratives, la Raison et la Volonté, oeuvrent purement en elles-mźmes ą des objets tout spirituels, sans l'aide ni le secours des autres deux puissances secondaires. L'Imagination et la Sensibilité oeuvrent brutalement ą des objets tout corporels, qu'ils soient présents ou absents, dans le corps et avec les sens corporels. Mais par elles deux, sans l'aide et secours de la Raison et de la Volonté, jamais une āme ne parviendrait ą connaītre la vertu et les caractčres des créatures corporelles, ni non plus la cause de leur existence et création.
Et pour cela est-il que la Raison et la Volonté sont appelées puissances principales : parce qu'elles oeuvrent en pur esprit sans rien de corporel en quelque sorte ; et secondaires l'Imagination et la Sensibilité, parce qu'elles opčrent et oeuvrent dans le corps avec les instruments du corps, lesquels sont nos cinq sens. La Mémoire est appelée une puissance principale parce qu'elle contient en elle spirituellement non seulement toutes les autres facultés, mais par lą, aussi, toutes les choses oł elles oeuvrent. Ce que tu vois ą l'expérience.
Des deux autres facultés
principales : la Raison et la Volonté; et de l'oeuvre de celles-ci avant le péché,
et aprčs.
nous désirons le bien, et reposons sans fin avec plein consentement et contentement éternel en Lui. Avant que l'homme eūt péché, la Volonté n'avait pouvoir d'źtre trompée en son choix, en son amour, ni en aucune de ses oeuvres. Parce qu'elle possédait de nature la saveur de tonte chose telle qu'elle était ; mais ą présent elle ne peut faire ainsi, que seulement si elle est ointe de la grāce. Car souvent, par suite de l'infection du péché originel, elle a comme bonne la saveur d'une chose, laquelle est pleinement mauvaise et n'a que l'apparence du bien. Et tout ensemble ces deux : la Volonté elle-mźme et la chose qui est voulue, la Mémoire les comprend et les contient en elle.
LA Raison est le pouvoir par lequel nous séparons le bien du mal, le mauvais du pire, le bien du meilleur, et le pire du pire, et le meilleur du meilleur de tout. Avant que l'homme eūt péché, la Raison pouvait de nature faire naturellement tout ce partage. Mais si aveugle est-elle ą présent par la faute du péché originel, qu'elle ne saurait accomplir cette oeuvre sans źtre illuminée de la grāce. Et tout ensemble ces deux : la Raison elle-mźme et la chose ą quoi elle travaille, sont compris et contenus dans la Mémoire.
La Volonté est le pouvoir par lequel nous choisissons le bien, aprčs qu'il a été discriminé par la Raison ; et par lequel aussi nous aimons le bien,
Du premier des pouvoirs
secondaires, de son nom l'Imagination ; et des oeuvres et de l'obéissance de celle-ci
ą la Raison, avant le péché et aprčs.
L'IMAGINATION est un pouvoir par lequel nous nous représentons toutes images des choses présentes et absentes ; et ensemble, elle et la chose oł elle oeuvre, sont contenues dans la Mémoire. Avant que l'homme eūt péché, l'Imagination était si obéissante ą la Raison, ą laquelle elle est comme une servante, qu'elle ne lui mandait jamais une image contrefaite de quelque créature corporelle, ni aucune image fantastique de quelque créature spirituelle ; mais ą présent ce n'est pas ainsi. Car ą moins qu'elle ne soit refrénée par la lumičre de la grāce en la Raison, jamais elle ne cessera, dans la veille comme dans le sommeil, de représenter des images contrefaites des créatures corporelles, ou autrement des fantasmes, lesquels ne sont rien d'autre que des représentations corporelles de choses spirituelles, ou encore des représentations spirituelles de choses corporelles. Ce qui est toujours feinte et fausseté, et trčs prochain de l'erreur.
Cette désobéissance de l'Imagination peut trčs bien źtre conēue en ceux qui sont nouvellement tournés du monde ą la dévotion, dans le moment de leur pričre. Car avant que le temps vienne, oł l'Imagination soit en grande part refrénée par la lumičre de la grāce en la Raison, comme il est par la continuelle méditation de choses spirituelles telles que sont la propre misčre de l'homme, la Passion de notre Seigneur et Sa Bonté, et beaucoup d'autres jamais ils ne pourront d'aucune maničre rejeter les étonnantes et diverses pensées, fantaisies et images, lesquelles sont mandées et imprimées en leur esprit par la seule lumičre et curiosité de l'Imagination. Et tout cela, et cette désobéissance, est la peine reēue du péché originel.
De l'autre pouvoir secondaire,
de son nom la Sensibilité; et des oeuvres et de l'obéissance de celle-ci ą la
Volonté, avant le péché et aprčs.
Avant que l'homme eūt péché, cette Sensualité était si obéissante ą la Volonté, ą laquelle elle est comme une servante, qu'elle ne lui mandait jamais ni plaisance ou déplaisance désordonnées devant aucune créature corporelle, ni quelque fallacieux sentiment spirituel de plaisir ou de déplaisir mis dans nos sens par quelque ennemi spirituel. Mais ą présent ce n'est pas ainsi : car ą moins qu'elle ne soit réglée et commandée, par la grāce en la Volonté, ą souffrir humblement et ą sa mesure la peine reēue du péché originel, laquelle consiste en l'absence des conforts nécessaires et en la présence de déconforts efficaces, et donc ą refréner son sensible plaisir ą l'absence de ces déconforts et ą la présence de ces conforts, toujours elle veut misérablement et lascivement se vautrer, comme un porc dans sa bauge, dans les richesses de ce monde et l'immondice de la chair aussi bien, tellement que toute notre vie en soit infiniment plus bestiale et charnelle, qu'elle n'est autrement humaine ou spirituelle.
LA Sensibilité est une faculté de notre āme, regardant et régnant sur les sens corporels par lesquels nous avons corporellement la connaissance et le sentiment des créatures corporelles toutes qu'elles soient, plaisantes ou déplaisantes. Et elle possčde deux parties : l'une par laquelle il est pourvu aux besoins et nécessités de notre corps ; l'autre par laquelle il est satisfait aux désirs des sens corporels. Car c'est le mźme pouvoir qui proteste et maugrée lorsque le corps manque de son nécessaire, et qui nous pousse, quant ą répondre ą nos besoins, ą prendre plus que nos besoins pour satisfaire aux désirs de nos sens ; le mźme qui se plaint du manque de choses et créatures plaisantes et se délecte délicieusement ą leur présence, qui se plaint de la présence des choses et créatures désagréables et se délecte délicieusement ą leur absence. Toutes ces deux choses ensemble, le pouvoir et son objet, sont contenues dans la Mémoire.
Que qui ne connaīt point les facultés d'une āme et la maničre de leurs opérations, facilement peut źtre trompé en la compréhension des paroles spirituelles et des opérations spirituelles ; et comment une āme est faite un Dieu en grāce.
Von donc, ami spirituel ! en quelle misčre, telle que tu peux voir, nous sommes tombés par le péché : et quoi d'étonnant, donc, ą ce que nous soyons aveuglement et aisément trompés dans la compréhension et l'entendement des paroles spirituelles et des spirituelles opérations, et plus particuličrement ceux qui ne connaissent lą les facultés et pouvoirs de leurs āmes et les maničres de leurs opérations ?
Car toujours lorsque la Mémoire est occupée de quelque objet corporel, aurait-il été pris pour la meilleure d'entre toutes les fins tu es pourtant au-dessous de toi-mźme en cette occupation ou travail, et hors de toute āme. Et toujours, lorsque tu as sentiment que ta Mémoire est occupée des caractčres et subtils états des facultés de ton āme en leurs opérations et oeuvres spirituelles, comme sont vices ou vertus, de toi ou de quelque créature, laquelle est spirituellement et ton égale en nature, et cela afin de pouvoir par lą apprendre ą connaītre ce toi -mźme en prévision et en vue de la perfection : alors tu es au-dedans de toi-mźme et égal avec toi. Mais toujours lorsque tu sens ta Mémoire occupée d'aucune maničre d'objet corporel ou spirituel, mais uniquement de la substance mźme de Dieu, ainsi qu'il est et peut źtre ą l'expérience de l'oeuvre que dit ce livre : alors tu es au-dessus de toi, et sous ton Dieu.
Au-dessus de toi, tu es : puisque tu parviens ą venir par la grāce au-delą de ce que, par nature, tu peux et pourrais atteindre. C'est-ą-dire ą źtre uni ą Dieu, en esprit, par l'amour, et par conformité de volonté. Et sous ton Dieu, tu es : puisque, et bien qu'on puisse d'une certaine maničre affirmer qu'ą ce moment Dieu et toi ne sont pas deux mais un, en esprit ą tel point que toi ou un autre, connaissant d'expérience cette unité par la perfection de l'oeuvre, pourra trčs assurément, au témoignage de l'Écriture, źtre appelé un Dieu néanmoins tu es au-dessous de Dieu. Et pourquoi ? C'est qu'Il est Dieu de nature et sans commencement ; tandis que toi, qui nagučre étais en substance néant, et qui, bientōt aprčs que tu fus, par Sa puissance et Son amour, fait quelque chose, te fis toi-mźme pire que néant par le péché volontaire et accepté, ce n'est que par Sa miséricorde et sans mérite aucun de ta part, que tu es fait un Dieu en la grāce, uni ą Lui en esprit sans partage, tout ensemble ici et dans la béatitude du ciel et sans fin. Et ainsi, bien que tu sois un avec Lui en la grāce, cependant tu es loin au-dessous de Lui en nature.
Vois donc, ami spirituel ! Ici tu peux voir et comprendre quelque chose, en partie, de ce que celui qui ne connaīt pas les facultés de son āme et la faēon dont elles opčrent, il peut trčs facilement źtre trompé en l'entendement des mots écrits dans un dessein spirituel. Et par lą tu peux apercevoir la cause pourquoi je n'ai point eu l'audace de te commander et prier de montrer pleinement et ouvertement ton désir ą Dieu, mais t'ai enfantine-ment requis de faire en toi en sorte de le cacher et couvrir. Et je l'ai fait, cela, par crainte que tu ne conēusses corporellement ce qui était entendu spirituellement.
Que corporellement nulle
part, est partout spirituellement ; et comment l'homme du dehors appelle néant
l'oeuvre que dit ce livre.
ET de la mźme maničre, si quelque autre homme te disait de recueillir tout en toi-mźme tes facultés et tes sens, et ainsi d'adorer Dieu bien que ce qu'il dise soit parfaitement bien et tout vrai, ah ! et personne ne dirait plus vrai, pour peu que cela soit bien conēu néanmoins, par crainte des illusions et erreurs, et que ces mots soient entendus corporellement, je ne t'ai point prié de le faire. Regarde ą n'źtre en aucune faēon au dedans de toi-mźme. Trčs vite je te dirai, et en bref : ce n'est pas que je veuille que tu sois hors de toi-mźme, ni au-dessous, ni derričre, ni d'un cōté, ni de l'autre.
« Mais oł donc, demandes-tu, faut-il que je sois ? Nulle part, ą ce qu'il parait ! » Et oui, réellement tu l'as bien dit : car c'est lą que je te veux avoir. Parce que nulle part, corporellement : c'est partout, spirituellement. Regarde et veille bien ą ce que ton oeuvre spirituelle ne soit nulle part corporellement ; et alors, oł que soit la chose sur laquelle en substance tu travailles en ton esprit, sūrement toi, tu seras lą en esprit, aussi véritablement et réellement que ton corps est en la place oł tu es corporellement. Et bien que tes sens corporels ne puissent trouver lą rien qui les alimente, et qu'il leur paraisse que c'est rien et néant ce que tu fais, soit ! fais donc ce rien, et fais-le pour l'amour de Dieu. Et ne t'en va de lą, mais travaille activement dans ce rien avec le vigilant désir de vouloir et posséder Dieu que nul homme ne peut connaītre. Car je te le dis véritablement, qu'il me vaut mieux d'źtre en ce nulle part corporellement, luttant et combattant avec cet aveugle rien, plutōt que d'źtre un seigneur si grand, que je puisse źtre partout oł je le désire, jouant joyeusement et me distrayant de tout ce quelque chose qui est au Seigneur son bien et sa possession.
Laisse ce partout et ce quelque chose, et abandonne-le pour ce nulle part et ce rien. Que t'importe que jamais tes sens ne trouvent raison de ce rien? car bien assurément je ne l'en aime que mieux, puisqu'il est en lui-mźme d'une si parfaite excellence qu'ils ne peuvent s'en saisir et en tirer parti. Ce rien peut mieux źtre senti par expérience, plutōt que vu : car il est tout aveugle et tout obscurité ą ceux qui n'ont que bričvement jeté les yeux sur lui. Et pourtant, pour parler plus prčs de la vérité encore, une āme est plus aveugle en lui par l'abondance et l'excčs de lumičre divine, qu'elle n'est aveugle par la ténčbre ou le manque de lumičre corporelle.
Or, quel est-il, celui qui l'appelle un rien ? Assurément, c'est l'homme extérieur, et non pas l'homme intérieur. Notre homme intérieur l'appelle un Tout, car par lui, il apprend ą connaītre la raison de toutes choses corporelles et spirituelles, sans aucune considération plus particuličre ą aucune chose que ce soit.
Comment il est que
l'affection d'un homme est merveilleusement changée en sentiment spirituel en ce
rien, quand il est conēu nulle part.
PRODIGIEUSEMENT est métamorphosée l'affection humaine en sentiment spirituel par ce rien quand il est conēu nulle part. Car au premier instant qu'une āme y regarde, elle y trouvera et verra tous les actes peccamineux particuliers qu'elle a commis depuis la naissance, de corps et d'esprit, représentés obscurément ou secrčtement. Et oł qu'elle se tourne alentour, toujours elle les verra devant ses yeux : jusqu'ą ce que le temps vienne, oł, avec beaucoup de dur et pénible travail, et maint cruel soupir, et maintes larmes amčres, elle s'en soit en grande part lavée. Parfois il lui semblera, pendant ce travail, regarder lą comme en enfer, tellement il lui semblera qu'elle désespčre de triompher jamais de cette peine, en la perfection du parfait repos spirituel. Jusqu'ą ces profondes entrailles, il y en a beaucoup qui parviennent ; mais par l'énormité de la peine qu'ils sentent et par l'absence de réconfort, alors ils reviennent en arričre ą la considération de choses corporelles, cherchant de charnels réconforts extérieurs au lieu des spirituels, qu'ils n'eussent pas manqué d'avoir s'ils avaient tenu bon.
Car celui qui tient bon ressent parfois quelque réconfort, et a quelque espérance de perfection : car il sent et voit que nombre de ses péchés anciens sont en grande partie, avec l'aide de la grāce, effacés. Néanmoins encore il se sent toujours au milieu de la peine, mais il pense qu'elle aura une fin, car elle va toujours diminuant peu ą peu. Et c'est pourquoi il appelle ceci non autrement que purgatoire. Parfois, il n'y trouve marqué aucun péché particulier, mais alors il lui paraīt que le péché soit tout un bloc massif d'il ne sait jamais quoi, mais cependant rien autre que lui-mźme ; et alors il peut źtre appelé ce qu'il est : la base et la peine du péché originel. Parfois, il lui paraītra źtre au paradis ou au ciel, pour diverses merveilleuses délices et nombreux réconforts et consolations, joies et vertus bénies qu'il y trouve. Et parfois, il lui paraītra que ce soit Dieu, pour la paix et repos qu'il y trouve.
Ah ! qu'il pense ce qu'il veut ; car toujours et toujours il le trouvera un nuage d'inconnaissanre, lequel est entre lui et son Dieu.
Que par le dépassement
et la cessation de nos sens corporels, nous commenēons ą venir plus promptement
ą la connaissance des choses spirituelles ; comme par le dépassement et la
cessation de nos sens spitiruels, nous commenēons ą venir plus promptement ą la
connaissance de Dieu, autant qu'il est possible, par grāce, ici-bas.
ET c'est pourquoi travaille ferme en ce rien et nulle part, et laisse tes sens corporels du dehors et tout ce qu'ils font : car je te le dis véritablement, cette oeuvre ne peut et ne saurait źtre conēue par eux.
Car par tes yeux, tu ne te fais idée d'une chose, si ce n'est qu'elle est large ou longue, grande ou petite, ronde ou carrée, loin ou prčs, et qu'elle a telle couleur. Et par tes oreilles, rien que le bruit ou quelque maničre de son. Par ton nez, rien que la puanteur ou le parfum. Et par le goūt, rien que l'aigreur ou douceur, amertume ou fadeur, l'agrément ou dégoūt. Et par le toucher, rien que le chaud ou froid, le tendre ou dur, le lisse ou rugueux. Et véritablement, ces qualités et quantités, Dieu ne les a, ni aucune chose spirituelle. C'est pourquoi donc, laisse tes sens externes et ne travaille point avec eux, pas plus intérieurement qu'extérieurement ; car tous ceux qui se mettent ą źtre ouvriers spirituels intérieurement, et qui s'imaginent pouvoir cependant entendre ou voir, sentir ou goūter, soit intérieurement soit extérieurement, les choses spirituelles, ceux-lą sont assurément dans l'illusion et font oeuvre contre nature.
Car par nature, les sens sont ordonnés en sorte qu'avec eux, les hommes puissent avoir connaissance de toutes choses corporelles extérieures ; mais en aucune faēon ils ne peuvent parvenir, avec eux, ą la connaissance des choses spirituelles : par leurs opérations, veux-je dire. Parce que par leur cessation et impuissance, nous le pouvons, de la maničre que suit : lorsque nous lisons ou entendons parler de certaines choses, et par suite comprenons que nos sens extérieurs ne peuvent nous renseigner ni apprendre aucunement quelle est la qualité de ces choses, alors nous pouvons véritablement źtre assurés que ces choses sont spirituelles et non corporelles.
De semblable maničre en va-t-il de nos sens spirituels, lorsque nous travaillons ą la connaissance de Dieu Lui-mźme. Car un homme aurait-il comme jamais la compréhension et connaissance de toutes choses spirituellement créées, néanmoins il ne peut jamais, par l'oeuvre de cette intelligence, venir ą la connaissance d'une chose spirituelle non-créée, laquelle n'est autre que Dieu. Mais par l'impuissance et cessation de cette intelligence, il le peut : car la chose devant laquelle elle est impuissante n'est pas autre chose que Dieu seul. Et c'est pourquoi saint Denis a dit : « la plus parfaite connaissance de Dieu est celle oł Il est connu par incon.-naissance. » Et en vérité, quiconque voudra regarder aux livres de saint Denis, il trouvera que ses paroles affirment, et clairement confirment, tout ce que j'ai dit et pourrai dire, du commencement ą la fin de ce présent traité. Mais autrement je ne le citerai, ni lui ni aucun autre Docteur, quant ą moi cette fois-ci. Car si autrefois, les hommes ont pu penser faire acte d'humilité en ne tirant rien de leurs propres tźtes, qui ne fūt affirmé sur l'Écriture et les paroles des Docteurs, c'est aujourd'hui devenu une recherche et une ostentation d'habileté érudite.
A toi, cela ne servirait de rien, et c'est pourquoi je ne le fais point. Car celui qui a des oreilles, qu'il entende ; et celui qui se sent porté ą croire, qu'il croie : car autrement ils ne le feront.
Que certains ne
sauraient parvenir ą avoir expérience de la perfection de cette oeuvre
autrement qu'en un temps d'extase, et que d'autres la peuvent avoir quand ils
veulent en le commun état de l'āme humaine.
CERTAINS estiment la matičre de ceci si ardue et périlleuse, qu'ils affirment qu'on ne peut y venir sans un préalable travail énormément énergique, et encore n'est-ce que rarement, et seulement en un temps d'extase. Et ą ces hommes je veux répondre, autant que le peut ma faiblesse, et dire : que tout est selon l'ordonnance et disposition de Dieu, et aussi selon l'aptitude et capacité de l'āme ą laquelle est donnée cette grāce de la contemplation et de l'oeuvre spirituelle.
Car il en est certains qui n'y peuvent parvenir sans de longs et nombreux exercices spirituels, et encore ne sera-ce que rarement qu'ils auront expérience de la perfection de cette oeuvre, et sur un appel tout particulier de notre Seigneur : lequel est dénommé extase. Mais il en est d'autres, lesquels sont si subtils en grāce et en esprit, et si familičrement avec Dieu en cette grāce de la contemplation, qu'ils peuvent l'avoir quand ils veulent en le commun état de l'āme humaine : assis, marchant, debout ou ą genoux. Et encore en ce temps, ils ont pleine et libre disposition de tous leurs sens corporels et spirituels, et ils peuvent en user s'ils le désirent (non sans quelque empźchement, certes, mais non point important ou grave). L'exemple des premiers, nous l'avons par Moļse, et des seconds, par Aaron le prźtre du Temple : car, en effet, cette grāce de la contemplation est figurée par l'Arche du Testament dans l'ancienne Loi, et les ouvriers en cette grāce sont figurés par ceux qui touchent le plus ą cette Arche de faēon ou d'autre, comme en témoigne l'Histoire. Et trčs bien est-il que cette grāce et cette oeuvre soient comparées ą l'Arche. Car tout justement comme en cette Arche étaient contenus tous les joyaux et reliques du Temple, de mźme aussi en ce minuscule amour porté vers ce nuage, sont contenues toutes les vertus de l'āme humaine, laquelle est le spirituel Temple de Dieu.
Moļse, avant qu'il pūt venir ą voir cette Arche, et cela pour apprendre comment elle devait źtre faite, avec un long et grand travail avait gravi la montagne jusqu'au sommet, et lą il était demeuré, et six jours occupé dans un nuage : attendant jusqu'au septičme jour que notre Seigneur daignāt lui montrer la maničre de faire la construction de cette Arche. Et par ce long travail de Moļse et la tardive démonstration, sont entendus et compris ceux qui ne peuvent venir ą la perfection de cette oeuvre spirituelle sans un long travail préalable : et encore ne sera-ce que rarement, et quand Dieu daignera la leur montrer.
Mais ce que Moļse ne pouvait venir ą voir que rarement, et non sans un long grand travail, cela, Aaron l'avait en son pouvoir, du fait de son office, et il pouvait le voir dans le Temple, ą l'intérieur, en le Voile, aussi souvent qu'il lui plaisait d'y entrer. Et par Aaron sont entendus et compris tous ceux dont j'ai parlé ci-dessus, lesquels, par leur pénétration spirituelle, avec l'assistance de la grāce, peuvent assigner ą eux la perfection de cette oeuvre comme il leur plaīt.
Qu'un ouvrier en cette
oeuvre ne doit ni juger ni penser du travail d'un autre en cette oeuvre, selon son
propre sentiment intérieur.
Vois ! Par lą tu peux comprendre que celui ą qui il est donné de ne voir et sentir la perfection de cette oeuvre que par un long travail, et encore rarement, celui-lą peut facilement źtre dans l'erreur s'il parle, pense et juge d'autrui selon ce qu'il connaīt par lui-mźme, décidant qu'il n'y peut parvenir que rarement et non sans un grand travail. Et de mźme sera dans l'erreur celui qui peut l'avoir quand il veut, s'il juge des autres d'aprčs soi-mźme, disant qu'ils peuvent l'avoir quand ils veulent. Non ! laisse cela : assurément ce n'est pas ainsi qu'il faut. Car peut-źtre bien, quand et s'il plaīt ą Dieu, ceux qui ne peuvent l'atteindre aussitōt et ne l'ont que rarement, aprčs un long travail, ceux-lą plus tard y arriveront quand ils voudront, et aussi souvent qu'il leur plaira. Et l'exemple de ceci, nous l'avons par Moļse, lequel d'abord ne l'eut que rarement et non sans grand travail, ce don de voir comment était l'Arche, sur la montagne, pour aprčs la voir en le Voile aussi souvent qu'il lui plaisait.
Comment, ą l'image de
Moļse, de Béséléel et d'Aa-ron qui s'occupčrent de l'Arche du Testament, nous
avons trois maničres de perfection en cette grāce de la contemplation, laquelle
grāce est figurée par cette Arche.
TROIS hommes ont été les plus importants de ceux qui s'occupčrent de cette Arche de l'Ancien Testament : Moļse, Béséléel et Aaron. Moļse apprit de notre Seigneur sur la montagne comment elle devait źtre faite. Béséléel la réalisa et la mit ą l'intérieur du Voile, selon qu'était l'exemple qui avait été montré sur la montagne. Et Aaron eut ą la garder dans le Temple, la voyant et touchant aussi souvent qu'il lui plaisait.
A la ressemblance de ces trois, nous avons trois maničres de perfection en cette grāce de la contemplation. Parfois nous y avons perfection seulement par la grāce, et alors nous sommes ą l'image de Moļse, lequel, par toute cette ascension et ce pénible travail qu'il avait eu sur la montagne, ne la pouvait voir que rarement : et mźme cette vue, il ne l'avait que lorsqu'il plaisait ą notre Seigneur de la lui montrer, et non qu'il l'eūt méritée, et en récompense de son travail. Parfois nous y avons perfection par notre pénétration spirituelle, avec l'assistance et aide de la grāce ; et alors nous sommes ą l'image de Béséléel, lequel ne pouvait voir l'Arche devant qu'il ne l'eūt faite par son propre travail, assisté de l'exemple qui avait été montré ą Moļse sur la montagne. Et parfois nous y avons perfection par l'enseignement d'autres hommes, et alors nous sommes ą l'image d'Aaron, lequel avait en sa garde et en son habitude de voir et toucher quand il lui plaisait, cette Arche que Béséléel avait réalisée et confectionnée de ses mains.
Voici donc, ami spirituel ! par cet ouvrage, quelque enfantin et impropre qu'en soit le langage, et encore que je sois une misérable créature tout indigne d'enseigner autrui, je remplis néanmoins l'office de Béséléel : confectionnant et déposant en quelque sorte entre tes mains la maničre de cette Arche spirituelle. Mais bien mieux que je ne fais et plus excellemment, tu peux oeuvrer toi-mźme si tu veux źtre Aaron : c'est-ą-dire en travaillant et opérant continuellement et sans cesse ą l'intérieur, et pour toi et pour moi. Fais ainsi, je t'en prie, pour l'amour de Dieu tout-puissant. Et puisque nous avons été tous deux appelés ą oeuvrer en cette oeuvre, je te demande pour l'amour de Dieu, de combler en ta part ce qui manque ą la mienne.
Comment il est que le
contenu de ce livre, jamais plus ne le lira ou entendra lire, n'en parlera ou
entendra parler une āme disposée ą cette oeuvre, sans éprouver un véritable
sentiment de sa convenance et de son efficacité ; et la réitération de l'admonition
écrite en le prologue.
ET Si tu penses que cette maničre de travailler n'est point accordée ą tes dispositions, tant de corps que d'āme, alors tu peux l'abandonner et en prendre une autre, en toute sūreté avec l'avis d'un bon et spirituel directeur, et sans blāme. Et je te prie de m'excuser, car véritablement je désirais te porter quelque profit par cet écrit de ma simple science ; et telle était mon intention. Mais lis-le bien deux fois ou trois fois en entier, et mźme plus souvent sera mieux, et plus tu sauras compren-prendre la chose. Si bien que, peut-źtre, quelque phrase qui te serait restée fermée ą la premičre ou deuxičme lecture, bientōt aprčs tu la trouveras facile.
Vraiment, oui ! il me semble impossible de croire qu'une āme ayant des dispositions ą cette oeuvre puisse lire ou entendre lire, parler ou entendre parler de ceci, sans qu'elle ait sur-le-champ sentiment d'une vraie convenance et réelle efficacité en cet ouvrage. Et si, donc, il te paraīt źtre d'un bon effet, alors remercie Dieu du fond du coeur et, pour l'amour de Dieu, prie pour moi.
Fais ainsi. Et je te prie pour l'amour de Dieu de ne laisser personne voir ce livre, ą moins que ce ne soit quelqu'un dont tu penses qu'il est en convenance avec lui, et selon ce que tu y as trouvé toi-mźme auparavant, ą l'endroit oł il est dit quels hommes, et quand, doivent travailler en cette oeuvre. Et si tu laisses un homme de cette sorte le voir, alors je te prie de lui recommander et de lui commander de prendre le temps de le voir en entier. Car peut-źtre bien y a-t-il quelque matičre en son commencement, ou au milieu, laquelle est en suspens et n'est point développée entičrement en cette place. Mais si elle ne l'est ą cet. endroit, elle le sera peu aprčs, ou peut-źtre ą la fin. Et de la sorte, pour en voir seulement une partie et pas une autre, un homme peut facilement źtre amené ą l'erreur : et c'est pourquoi je te prie de travailler comme je dis. Et si tu trouves quelque matičre que tu aimerais avoir plus ouverte, laisse-moi savoir quelle elle est, et aussi ton opinion sur ce point : et elle sera amendée, si je le puis avec ma simple science.
Quant aux charnels disputeurs, pour la louange ou pour le blāme, aux bavards, aux faiseurs d'histoires et tous autres conteurs de contes, peu me chaut qu'ils voient ce livre : car jamais je n'ai eu l'intention d'écrire pour eux pareilles choses. Et c'est pourquoi je voudrais qu'ils n'en entendissent point parler, ni eux ni aucun autre curieux, lettré ou inculte, ah ! non, fussent-ils mźme en la vie active de parfaits et excellents hommes, car ceci ne leur convient aucunement.
De quelques signes
assurés auxquels un homme peut éprouver s'il est appelé de Dieu ą oeuvrer en cette
oeuvre.
Tous ceux qui lisent ou entendent lire, ou encore parler de la matičre de ce livre, et ą cette lecture ou audition pensent que ce soit une bonne chose, et qui leur sied : ils n'en sont pas pour autant appelés par Dieu ą oeuvrer en cette oeuvre, sur ce seul mouvement de complaisance ressenti en eux-mźmes dans le temps et moment de la lecture. Car il se peut fort bien que de la curiosité de l'intelligence naturelle leur vienne ce mouvement, bien plus que d'aucun appel de la grāce.
Mais s'ils veulent éprouver d'oł vient ce mouvement, ils le peuvent comme suit, s'il leur plaīt. Et d'abord qu'ils regardent s'ils ont fait tout ce qui était en eux précédemment, afin de se rendre capables d'une purification de leur āme au jugement de la sainte Église et d'accord avec leur directeur spirituel. S'il en va de la sorte, c'est d'autant mieux ; mais s'ils veulent de plus prčs en connaītre, qu'ils regardent si ce mouvement est toujours plus pressant ą leur souvenir, et plus habituel que tout autre en toute maničre d'exercice spirituel. Et s'il leur paraīt qu'il ne soit aucune sorte de chose qu'ils fassent, corporellement ou spirituellement, qui soit suffisante et satisfaisante, au témoignage de leur conscience, ą moins que ne soit ce chétif empressement secret d'amour, d'une maničre spirituelle, la capitale et premičre de toutes leurs oeuvres : alors, si tel est leur sentiment, c'est lą un signe qu'ils sont appelés de Dieu ą cette oeuvre, et autrement sūrement pas.
Je ne dis
pas qu'il doive toujours durer et habiter continuellement en leur esprit ą
tous, ceux qui sont appelés ą oeuvrer en cette oeuvre. Non point, car ainsi ce
n'est pas. Et chez un jeune apprenti spirituel en cette oeuvre, souvent le sentiment
immédiat de celle-ci se retire, pour diverses causes et raisons. Parfois, c'est
qu'il lui est ōté afin qu'il n'y mette trop de présomption et n'aille
s'imaginer que ce soit en son pouvoir, en grande partie, de l'avoir quand il
lui plaīt et comme il lui plaīt. Et cette idée ne serait que d'orgueil. Or,
quand est retiré le sentiment de la grāce, toujours est-ce l'orgueil qui en est
cause : non pas toujours l'orgueil qui serait lą, mais l'orgueil qui pourrait
źtre, si n'était retiré ce sentiment de la grāce. Et c'est ainsi qu'il est que
souvent, tels jeunes fous s'imaginent que Dieu est leur ennemi, quand justement
II est leur ami tout entičrement.
D'aucunes
fois, il se retire du fait de leur incurie et négligence ; et lorsque c'est
ainsi, ils sentent par aprčs une peine trčs amčre qui les frappe tout
gričvement et douloureusement. Certaines fois notre Seigneur en veut prolonger
le délai, par un dessein fort habile, car Il veut, en ce délai, son
accroissement, afin que le retour de ce sentiment soit en eux plus délicieux
quand il leur sera rendu, et qu'ils sentent combien longtemps il a été perdu.
Et c'est lą un des plus prompts et des plus souverains signes qu'une āme puisse
avoir, pour reconnaītre par lą si elle est appelée ou non ą oeuvrer en cette oeuvre
: si elle connaīt aprčs un pareil délai et long manquement de cette oeuvre,
qu'elle lui revient tout soudain comme il faut, et par aucune voie ni moyen
recherchée, et qu'elle possčde alors elle-mźme une grande ferveur et un
impatient désir de travailler et oeuvrer en cette oeuvre, beaucoup plus grands
que jamais avant. A tel point que bien souvent, je crois, elle a une joie plus
grande ą retrouver peu aprčs cet élan, qu'elle n'avait eu de chagrin ą le
perdre.
Et s'il en
est ainsi, assurément c'est un authentique signe, et véritable et sans erreur
qu'elle est appelée de Dieu ą oeuvrer en cette oeuvre, quoi que ce soit qu'elle
ait été auparavant ou qu'elle soit présentement.
Car ce n'est
point ce que tu es, ni ce que tu as été, que Dieu regarde avec les yeux de Sa
miséricorde ; mais ce que tu as désir d'źtre. Et saint Grégoire nous porte
témoignage que tous les saints désirs croissent et grandissent par leur
retardement et les délais ; et s'ils s'évanouissent dans le retard et dans
l'attente, alors c'est que jamais ils n'ont été des désirs saints. Car celui
qui ressent toujours une joie moindre et moindre aux retrouvailles et nouvelles
présentations des désirs de son ancien propos, encore que ce puissent źtre de
naturels désirs vers le Bien, néanmoins il saura que ce ne furent jamais des
désirs saints. Desquels saints désirs parle saint Augustin, qui dit que toute
la vie d'un bon Chrétien n'est rien autre que son saint désir.
Porte-toi
bien, ami spirituel, avec la bénédiction de Dieu et la mienne ! Et je prie le
Tout-Puissant Dieu que la paix véritable, le saint conseil et le spirituel
réconfort en Dieu par abondance de la grāce, toujours soient avec toi et avec
ceux tous qui L'aiment sur cette terre. Amen.
Scanned by Harry Plantinga, January 1998
This book is in the public domain.
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Edited from the British Museum MS. Harl. 674
With an Introduction
BY
EVELYN UNDERHILL
SECOND EDITION
London
JOHN M. WATKINS
21 Cecil Court, Charing Cross Road
1922
Of four degrees of Christian mens living; and
of the course of his calling that this book was made unto.
GHOSTLY
friend in God, thou shalt well understand that I find, in my boisterous
beholding, four degrees and forms of Christian mens living: and they be these,
Common, Special, Singular, and Perfect. Three of these may be begun and ended
in this life; and the fourth may by grace be begun here, but it shall ever last
without end in the bliss of Heaven. And right as thou seest how they be set
here in order each one after other; first Common, then Special, after Singular,
and last Perfect, right so me thinketh that in the same order and in the same
course our Lord hath of His great
Yet it
seemeth that He would not leave thee thus lightly, for love of His
A short stirring to meekness, and to the work
of this book.
LOOK up
now, weak wretch, and see what thou art. What art thou, and what hast thou
merited, thus to be called of our Lord? What weary wretched heart, and sleeping
in sloth, is that, the which is not wakened with the draught of this love and
the voice of this calling! Beware, thou wretch, in this while with thine enemy;
and hold thee never the holier nor the better, for the worthiness of this
calling and for the singular form of living that thou art in. But the more
wretched and cursed, unless thou do that in thee is goodly, by grace and by
counsel, to live after thy calling. And insomuch thou shouldest be more
Do on
then, I pray thee, fast. Look now forwards and let be backwards; and see what
thee faileth, and not what thou hast, for that is the readiest getting and
keeping of meekness. All thy life now behoveth altogether to stand in desire,
if thou shalt profit in degree of perfection. This desire behoveth altogether
be wrought in thy will, by the hand of Almighty God and thy consent. But one
thing I tell thee. He is a jealous lover and suffereth no fellowship, and Him list
not work in thy will but if He be only with thee by Himself. He asketh
How the work of this book shall be wrought,
and of the worthiness of it before all other works.
LIFT up
thine heart unto God with a meek stirring of love; and mean Himself, and none
of His goods. And thereto, look the loath to think on aught but Himself. So
that nought work in thy wit, nor in thy will, but only Himself. And do that in
thee is to forget all the creatures that ever God made and the works of them;
so that thy thought nor thy desire be not directed nor stretched to any of
them, neither in general nor in special, but let them be, and take no heed to
them. This is the work of the soul that most pleaseth God. All saints and
angels have joy of this work, and hasten them
Let not,
therefore, but travail therein till thou feel list. For at the first time when
thou dost it, thou findest but a darkness; and as it were a cloud of unknowing,
thou knowest not what, saving that thou feelest in thy will a naked intent unto
God. This darkness and this cloud is, howsoever thou dost, betwixt thee and thy
God, and letteth thee that thou mayest neither see Him clearly by light of
understanding in thy reason, nor feel Him in sweetness of love in thine
affection.
And therefore shape thee to bide in this darkness as long as thou mayest, evermore crying after Him that thou lovest. For if ever thou shalt feel Him or see Him, as it may be here, it behoveth always to be in this cloud in this darkness. And if thou wilt busily travail as I bid thee, I trust in His mercy that thou shalt come thereto.
Of the shortness of this word, and how it may
not be come to by curiosity of wit, nor by imagination.
BUT for
this, that thou shalt not err in this working and ween that it be otherwise
than it is, I shall tell thee a little more thereof, as me thinketh.
This work
asketh no long time or it be once truly done, as some men ween; for it is the
shortest work of all that man may imagine. It is never longer, nor shorter,
than is an atom: the which atom, by the definition of true philosophers in the
science of astronomy, is the least part of time. And it is so little that for
the littleness of it, it is indivisible and nearly incomprehensible. This is
that time of the which it is written: All time that is <pb n=75> given to thee, it shall be asked of
thee, how thou hast dispended it. And reasonable thing it is that thou give
account of it: for it is neither longer nor shorter, but even according to one
only stirring that is within the principal working might of thy soul, the which
is thy will. For even so many willings or desirings, and no more nor no fewer,
may be and are in one hour in thy will, as are atoms in one hour. And if thou
wert reformed by grace to the first state of mans soul, as it was before sin,
then thou shouldest evermore by help of that grace be lord of that stirring or
of those stirrings. So that none went forby, but all they should stretch into
the sovereign desirable, and into the highest willable thing: the which is God.
For He is even meet to our soul by measuring of His Godhead; and our soul even
meet unto Him by worthiness of our creation to His image and to His likeness.
And He by Himself without more, and none but He, is sufficient to the full and much more to fulfil
the will and the desire of our soul. And our soul by virtue of this reforming
grace is made sufficient to the full to comprehend all Him by love, the which
is incomprehensible to all created knowledgeable powers, as is angel, or mans
soul; I mean, by their knowing, and not by their loving. And therefore I call
them in this case knowledgeable powers. But yet all reasonable creatures, angel
and man, have in them each one by himself, one principal working power, the
which is called a knowledgeable power, and another principal working power, the
which is called a loving power. Of the which two powers, to the first, the
which is a knowledgeable power, God that is the maker of them is evermore
incomprehensible; and to the second, the which is the loving power, in each one
diversely He is all comprehensible to the full. Insomuch that a loving soul
alone in itself, by virtue of love should comprehend in itself Him that is
sufficient to
the fulland much more, without comparisonto fill all the souls and angels that
ever may be. And this is the endless marvellous miracle of love; the working of
which shall never take end, for ever shall He do it, and never shall He cease
for to do it. See who by grace see may, for the feeling of this is endless
bliss, and the contrary is endless pain.
And
therefore whoso were reformed by grace thus to continue in keeping of the
stirrings of his will, should never be in this lifeas he may not be without
these stirrings in naturewithout some taste of the endless sweetness, and in the
bliss of heaven without the full food. And therefore have no wonder though I
stir thee to this work. For this is the work, as thou shalt hear afterward, in
the which man should have continued if he never had sinned: and to the which
working man was made, and all things for man, to help him and further him
thereto, and by the which working a
And
therefore take good heed unto time, how that thou dispendest it: for nothing is
more precious than time. In one little time, as little as it is, may heaven be
won and lost. A token it is that time is precious: for God, that is given of
time, giveth never two times together, but each one after other. And this He
doth, for He will not reverse the order or the ordinal course in the cause of
His creation. For time is made for man, and not man for time. And therefore
God, that is the ruler of nature, will not in His giving of time go before the
stirring of nature in mans soul; the which is even according to one time only.
So that man
But
sorrowfully thou sayest now, «How shall I do? and sith this is thus that thou
sayest, how shall I give account of each time severally; I that have unto this
day, now of four and twenty years age, never took heed of time? If I would now
amend it, thou wottest well, by very reason of thy words written before, it may
not be after the course of nature, nor of common grace, that I should now heed
or else make satisfaction, for any more times than for those that be for to
come. Yea, and moreover well I wot by very proof, that of those that be to come
I shall on no wise, for abundance of frailty and slowness of spirits, be able
to observe one of an hundred. So that I am verily concluded in these reasons.
Help me now for the love of JESUS!»
Right
well hast thou said, for the love of JESUS. For in the love of JESUS; there
shall be thine help. Love is such a power, that it maketh all thing common.
Love therefore JESUS; and all thing that He hath, it is thine. He by His
Godhead is maker and giver of time. He by His manhood is the very keeper of
time. And He by His Godhead and His manhood together, is the truest Doomsman,
and the asker of account of dispensing of time. Knit thee therefore to Him, by
love and by belief, and then by virtue of that knot thou shalt be common
perceiver with Him, and with all that by love so be knitted unto Him: that is
to say, with our Lady Saint Mary that full was of all grace in keeping of time,
with all the angels of heaven that never may lose time, and with all the saints
in heaven and in earth, that by the grace of JESUS heed time full justly in
virtue of love. Lo! here lieth comfort; construe thou clearly, and pick thee
some profit.
And
therefore take heed to this work, and to the marvellous manner of it within in
thy soul. For if it be truly conceived, it is but a sudden stirring, and as it
were unadvised, speedily springing unto God as a sparkle from the coal. And it
is marvellous to number the stirrings that may be in one hour wrought in a soul
that is disposed to this work. And yet in one stirring of all these, he may
have suddenly and perfectly forgotten all created thing. But fast after each
stirring, for corruption of the flesh, it falleth down again to some thought
And here
may men shortly conceive the manner of this working, and clearly know that it
is far from any fantasy, or any false imagination or quaint opinion: the which
be brought in, not by such a devout and a meek blind stirring of love, but by a
proud, curious, and an imaginative wit. Such a proud, curious wit behoveth
always be borne down and stiffly trodden down under foot, if this work shall
truly be conceived in purity of spirit. For whoso heareth this work either be
read or spoken of, and weeneth that it may, or should, be come to by travail in
their wits, and therefore they sit and seek in their wits how that it may be,
and in this curiosity they travail their imagination peradventure against the
course of nature, and they feign a manner of working the which is neither
bodily nor ghostlytruly this man, whatsoever he be, is perilously
And ween
not, for I call it a darkness or a cloud, that it be any cloud congealed of the
humours that flee in the air, nor yet any darkness such as is in thine house on
nights when the candle is out. For such a darkness and such a cloud mayest thou
imagine with curiosity of wit, for to bear before thine eyes in the lightest
day of summer: and also contrariwise in the
That in the time of this word all the
creatures that ever have been, be now, or ever shall be, and all the works of
those same creatures, should be hid under the cloud of forgetting.
AND if
ever thou shalt come to this cloud and dwell and work therein as I bid thee,
thee behoveth as this cloud of unknowing is above thee, betwixt thee and thy
God, right so put a cloud of forgetting beneath thee; betwixt thee and all the
creatures that ever be made. Thee thinketh, peradventure, that thou art full
far from God because that this cloud of unknowing is betwixt thee and thy God:
but surely, an it be well conceived, thou art well further from Him when thou
hast no cloud of forgetting betwixt thee and all the
For
although it be full profitable sometime to think of certain conditions and
deeds of some certain special creatures, nevertheless yet in this work it
profiteth little or nought. For why? Memory or thinking of any creature that
ever God made, or of any of their deeds either, it is a manner of ghostly
light: for the eye of thy soul is opened on it and even fixed thereupon, as the
eye of a shooter is upon the prick that he shooteth to. And one thing I tell
thee, that all thing that thou thinketh
Yea! and,
if it be courteous and seemly to say, in this work it profiteth little or
nought to think of the kindness or the worthiness of God, nor on our Lady, nor
on the saints or angels in heaven, nor yet on the joys in heaven: that is to
say, with a special beholding to them, as thou wouldest by that beholding feed
and increase thy purpose. I trow that on nowise it should help in this case and
in this work. For although it be good to think upon the kindness of God, and to
love Him and praise Him for it, yet it is far better to think upon the naked
being of Him, and to love Him and praise Him for Himself.
A short conceit of the work of this book,
treated by question.
BUT now
thou askest me and sayest, «How shall I think on Himself, and what is He?» and
to this I cannot answer thee but thus: «I wot not.»
For thou
hast brought me with thy question into that same darkness, and into that same
cloud of unknowing, that I would thou wert in thyself. For of all other
creatures and their works, yea, and of the works of Gods self, may a man
through grace have fullhead of knowing, and well he can think of them: but of
God Himself can no man think. And therefore I would leave all that thing that I
can think, and choose to my love that thing that I cannot think. For why;
How a man shall have him in this work against
all thoughts, and specially against all those that arise of his own curiosity,
of cunning, and of natural wit.
AND if
any thought rise and will press continually above thee betwixt thee and that
darkness, and ask thee saying, «What seekest thou, and what wouldest thou
have?» say thou, that it is God that thou wouldest have. «Him I covet, Him I
seek, and nought but Him.»
And if he
ask thee, «What is that God?» say thou, that it is God that made thee and
bought thee, and that graciously hath called thee to thy degree. «And in Him,»
say, «thou hast no skill.» And therefore say, «Go thou down again,» and tread
him
And there
will he let thee see the wonderful kindness of God, and if thou hear him, he
careth for nought better. For soon after he will let thee see thine old
wretched living, and peradventure in seeing and thinking thereof he will bring
to thy mind some place that thou hast dwelt in before this time. So that at the
last, or ever thou wit, thou shalt be scattered thou wottest not where. The
cause of this scattering is, that thou heardest him first wilfully, then answeredest
And yet,
nevertheless, the thing that he said was both good and holy. Yea, and so holy,
that what man or woman that weeneth to come to contemplation without many such
sweet meditations of their own wretchedness, the passion, the kindness, and the
great goodness, and the worthiness of God coming before, surely he shall err
and fail of his purpose. And yet, nevertheless, it behoveth a man or a woman
that hath long time been used in these meditations, nevertheless to leave them,
and put them and hold them far down under the cloud of forgetting, if ever he
shall pierce the cloud of unknowing betwixt him and his God. Therefore what
time that thou purposest thee to this work, and feelest by grace that thou art
called of God, lift then up thine heart unto God with a meek stirring of love;
and mean God that made thee, and bought thee, and that graciously hath called
thee to thy
And if
thee list have this intent lapped and folden in one word, for thou shouldest
have better hold thereupon, take thee but a little word of one syllable: for so
it is better than of two, for ever the shorter it is the better it accordeth
with the work of the Spirit. And such a word is this word GOD or this word
LOVE. Choose thee whether thou wilt, or another; as thee list, which that thee
liketh best of one syllable. And fasten this word to thine heart, so that it
never go thence for thing that befalleth.
This word
shall be thy shield and thy spear, whether thou ridest on peace or on war. With
this word, thou shalt beat on this cloud and this darkness above thee. With
this word, thou shall smite down all manner of
A good declaring of certain doubts that may
fall in this word treated by question, in destroying of a mans own curiosity,
of cunning, and of natural wit, and in distinguishing of the degrees and the
parts of active living and contemplative.
BUT now
thou askest me, «What is he, this that thus presseth upon me in this work; and
whether it is a good thing or an evil? And if it be an evil thing, then have I
marvel,» thou sayest, «why that he will increase a mans devotion so much. For
sometimes me think that it is a passing comfort to listen after his tales. For
he will sometime, me think, make me weep full heartily for pity of the Passion
of Christ, sometime for my wretchedness, and for many other reasons, that me
Now
surely me thinketh that this is a well moved question, and therefore I think to
answer thereto so feebly as I can. First when thou askest me what is he, this
that presseth so fast upon thee in this work, proffering to help thee in this
work; I say that it is a sharp and a clear beholding of thy natural wit,
printed in thy reason within in thy soul. And where thou askest me thereof
whether it be good or evil, I say that it behoveth always be good in its
nature. For why, it is a beam of the likeness of God. But the use thereof may
be both good and evil. Good, when it is opened by grace for to see thy
wretchedness, the passion,
And where
that thou askest me, why that thou shalt put it down under the cloud of
forgetting, since it is so, that it is good in its nature, and thereto
The lower
part of active life standeth in good and honest bodily works of mercy and of
charity. The higher part of active life and the lower part of contemplative
life lieth in goodly ghostly meditations, and busy beholding unto a mans own
wretchedness with sorrow and contrition, unto the Passion of Christ and of His
servants with pity and compassion, and unto the wonderful gifts, kindness, and
works of God in all His creatures bodily and ghostly with thanking and
praising. But the higher part of contemplation, as it may be had here, hangeth
all wholly in this darkness and in this cloud of unknowing; with a loving
stirring and a blind beholding unto the naked being of God Himself only.
In the
lower part of active life a man is without himself and beneath himself. In the
higher part of active life and the lower part of contemplative life, a man is
within himself and even with himself. But in the higher part of contemplative
life, a man is above himself and under his God. Above himself he is: for why,
he purposeth him to win thither by grace, whither he may not come by nature.
That is to say, to be knit to God in spirit, and in onehead of love and
accordance of will. And right as it is impossible, to mans understanding, for
a man to come to the higher part of active life, but if he cease for a time of
the lower part; so it is that a man shall not come to the higher part of
contemplative life, but if he cease for a time of the lower part. And as
unlawful a thing as it is, and as much as it would let a man that sat in his
meditations, to have regard then to his outward bodily works, the which he had
done, or else should do, although they
And for
this reason it is that I bid thee put down such a sharp subtle thought, and
cover him with a thick cloud of forgetting, be he never so holy nor promise he
thee never so well for to help thee in thy purpose. For why, love may reach to
God in this life, but not knowing. And all the whiles that the soul dwelleth in
this deadly body, evermore is the sharpness of our understanding in beholding
of all ghostly things, but most
That in the time of this work the remembrance
of the holiest Creature that ever God made letteth more than it profiteth.
AND
therefore the sharp stirring of thine understanding, that will always press
upon thee when thou settest thee to this work, behoveth always be borne down;
and but thou bear him down, he will bear thee down. Insomuch, that when thou
weenest best to abide in this darkness, and that nought is in thy mind but only
God; an thou look truly thou shalt find thy mind not occupied in this darkness,
but in a clear beholding of some thing beneath God. And if it thus be, surely
then is that thing above thee for the time, and betwixt thee and thy God. And
therefore purpose thee to put
And look
thou have no wonder of this: for mightest thou once see it as clearly, as thou
mayest by grace come to for to grope it and feel it in this life, thou wouldest
think as I say. But be thou sure that clear sight shall never man have here in
this life: but the
For since
a naked remembrance of any thing under God pressing against thy will and thy
witting putteth thee farther from God than thou shouldest be if it were not,
and letteth thee, and maketh thee inasmuch more unable to feel in experience
the fruit of His love, what trowest thou then that a remembrance wittingly and
wilfully drawn upon thee will hinder thee in thy purpose? And since a
remembrance of any special saint or of any clean ghostly thing will hinder thee
so much, what trowest thou then that the remembrance of any man living in this
wretched life, or of any manner of bodily or worldly thing, will hinder thee
and let thee in this work?
I say not
that such a naked sudden
How a man shall know when his thought is no
sin; and if it be sin, when it is deadly and when it is venial.
BUT it is
not thus of the remembrance of any man or woman living in this life, or of any
bodily or worldly thing whatsoever that it be. For why, a naked sudden thought
of any of them, pressing against thy will and thy witting, although it be no
sin imputed unto theefor it is the pain of the original sin pressing against
thy power, of the which sin thou art cleansed in thy baptismnevertheless yet
if this sudden stirring or thought be not smitten soon down, as fast for
frailty thy fleshly heart is strained thereby: with some manner of liking, if
it be a thing that pleaseth thee or
But if it
so be, that this liking or grumbling fastened in thy fleshly heart
And if it
be a thing that pleaseth thee, or hath pleased thee before, there riseth in
thee a passing delight for to think on that thing what so it be. Insomuch,
That a man should weigh each thought and each
stirring after that it is, and always eschew recklessness in venial sin.
I SAY not
this for that I trow that thou, or any other such as I speak of, be guilty and
cumbered with any such sins; but for that I would that thou weighest each
thought and each stirring after that it is, and for I would that thou
travailedst busily to destroy the first stirring and thought of these things
that thou mayest thus sin in. For one thing I tell thee; that who weigheth not,
or setteth little by, the first thoughtyea, although it be no sin unto
himthat he, whosoever that he be, shall not eschew recklessness in venial sin.
Venial sin shall no man utterly eschew in this deadly life. But <pb n=113>
That by Virtue of this word sin is not only
destroyed, but also Virtues begotten.
AND,
therefore, if thou wilt stand and not fall, cease never in thine intent: but
beat evermore on this cloud of unknowing that is betwixt thee and thy God with
a sharp dart of longing love, and loathe for to think on aught under God, and
go not thence for anything that befalleth. For this is only by itself that work
that destroyeth the ground and the root of sin. Fast thou never so much, wake
thou never so long, rise thou never so early, lie thou never so hard, wear thou
never so sharp; yea, and if it were lawful to doas it is notput thou out
thine eyes, cut thou out thy tongue of thy mouth, stop thou thine ears and thy
Yea, and
what more? Weep thou never so much for sorrow of thy sins, or of the Passion of
Christ, or have thou never so much mind of the joys of heaven, what may it do
to thee? Surely much good, much help, much profit, and much grace will it get
thee. But in comparison of this blind stirring of love, it is but a little that
it doth, or may do, without this. This by itself is the best part of Mary
without these other. They without it profit but little or nought. It destroyeth
not only the ground and the root of sin as it may be here, but thereto it getteth
virtues. For an it be truly conceived, all virtues shall truly be, and
perfectly conceived, and feelingly comprehended, in it, without any mingling of
the intent. And have a man never so many virtues
For
virtue is nought else but an ordained and a measured affection, plainly
directed unto God for Himself. For why? He in Himself is the pure cause of all
virtues: insomuch, that if any man be stirred to any one virtue by any other
cause mingled with Him, yea, although that He be the chief, yet that virtue is
then imperfect. As thus by example may be seen in one virtue or two instead of
all the other; and well may these two virtues be meekness and charity. For
whoso might get these two clearly, him needeth no more: for why, he hath all.
What meekness is in itself, and when it is
perfect and when it is imperfect.
NOW let
see first of the virtue of meekness; how that it is imperfect when it is caused
of any other thing mingled with God although He be the chief; and how that it
is perfect when it is caused of God by Himself. And first it is to wit, what
meekness is in itself, if this matter shall clearly be seen and conceived; and
thereafter may it more verily be conceived in truth of spirit what is the cause
thereof.
Meekness
in itself is nought else, but a true knowing and feeling of a mans self as he
is. For surely whoso might verily see and feel himself as he is, he should
verily be meek. Two
This
second cause is perfect; for why, it shall last without end. And the tother
before is imperfect; for why, it shall not only fail at the end of this life,
but full oft it may befall that a soul in this deadly body for abundance of
grace in multiplying of his desireas oft and as long as God vouchsafeth for to
work itshall have suddenly
That without imperfect meekness coming before,
it is impossible for a sinner to come to the perfect Virtue of meekness in this
life.
FOR
although I call it imperfect meekness, yet I had liefer have a true knowing and
a feeling of myself as I am, and sooner I trow that it should get me the
perfect cause and virtue of meekness by itself, than it should an all the
saints and angels in heaven, and all the men and women of Holy Church living in
earth, religious or seculars in all degrees, were set at once all together to
do nought else but to pray to God for me to get me perfect meekness. Yea, and
yet it is impossible a sinner to get, or to keep
And
therefore swink and sweat in all that thou canst and mayest, for to get thee a
true knowing and a feeling of thyself as thou art; and then I trow that soon
after that thou shalt have a true knowing and a feeling of God as He is. Not as
He is in Himself, for that may no man do but Himself; nor yet as thou shalt do
in bliss both body and soul together. But as it is possible, and as He
vouchsafeth to be known and felt of a meek soul living in this deadly body.
And think
not because I set two causes of meekness, one perfect and another imperfect,
that I will therefore that thou leavest the travail about imperfect meekness,
and set thee wholly to get thee perfect. Nay, surely; I trow thou shouldest
never bring it so about. But herefore I do that I do: because I think to tell
thee and let thee see the worthiness of this ghostly exercise before all other
exercise
For
ofttimes it befalleth that lacking of knowing is cause of much pride as me
thinketh. For peradventure an thou knewest not which were perfect meekness,
thou shouldest ween when thou hadst a little knowing and a feeling of this that
I call imperfect meekness, that thou hadst almost gotten perfect meekness: and
so shouldest thou deceive thyself, and ween that thou wert full meek when thou
wert all belapped in foul stinking
A short proof against their error that say,
that there is no perfecter cause to be meeked under, than is the knowledge of a
mans own wretchedness.
AND trust
steadfastly that there is such a perfect meekness as I speak of, and that it
may be come to through grace in this life. And this I say in confusion of their
error, that say that there is no perfecter cause of meekness than is that which
is raised of the remembrance of our wretchedness and our before‑done
sins.
I grant
well, that to them that have been in accustomed sins, as I am myself and have
been, it is the most needful and speedful cause, to be meeked under the
remembrance of
For if it
so were that there were no perfect cause to be meeked under, but in seeing and
feeling of wretchedness, then would I wit of them that say so, what cause they
be meeked under that never see nor feelnor never shall be in themwretchedness
nor stirring of sin: as it is of our Lord JESUS CHRIST, our Lady Saint Mary,
and all the saints and angels in heaven. To this perfection, and all other, our
Lord JESUS CHRIST calleth us Himself in the gospel: where He biddeth that we
should be perfect by grace as He Himself is by nature. <pb n=126>
That by Virtue of this work a sinner truly
turned and called to contemplation cometh sooner to perfection than by any
other work; and by it soonest may get of God forgiveness of sins.
LOOK that
no man think it presumption, that he that is the wretchedest sinner of this
life dare take upon him after the time be that he have lawfully amended him,
and after that he have felt him stirred to that life that is called contemplative,
by the assent of his counsel and his conscience for to profer a meek stirring
of love to his God, privily pressing upon the cloud of unknowing betwixt him
and his God. When our Lord said to Mary, in person of all sinners that be
called to contemplative life, «Thy sins be
Lo! here
may men see what a privy pressing of love may purchase of our Lord, before all
other works that man may think. And yet I grant well, that she had full much
sorrow, and wept full sore for her sins, and full much she was meeked in
remembrance of her wretchedness. And so should we do, that have been wretches
and accustomed sinners; all our lifetime make hideous and wonderful sorrow for
our sins, and full much be meeked in remembrance of our wretchedness.
But how?
Surely as Mary did. She, although she might not feel the deep hearty sorrow of
her sinsfor why, all her lifetime she had them with her whereso she went, as
it were in a burthen bounden together and laid up full privily in the hole of
her
And yet
she wist well, and felt well in herself in a sad soothfastness, that she was a
wretch most foul of all other, and that her sins had made a division betwixt
her and her God that she loved so much: and also that they were in great part
cause of her languishing sickness for lacking of love. But what thereof? Came
she therefore down from the height of desire into the deepness of her sinful
life, and searched in the foul stinking fen and dunghill of her sins; searching
And
therefore she hung up her love and her longing desire in this cloud of
unknowing, and learned her to love a thing the which she might not see clearly
in this life, by light of understanding in her reason, nor yet verily feel in
sweetness of love in her affection. Insomuch, that she had ofttimes little
special remembrance, whether that ever she had been a sinner or none. Yea, and
full ofttimes I hope that she was so deeply disposed to the love of His Godhead
that she had but right little special beholding
That a Very contemplative list not meddle him
with active life, nor of anything that is done or spoken about him, nor yet to
answer to his blamers in excusing of himself.
IN the
gospel of Saint Luke it is written, that when our Lord was in the house of
Martha her sister, all the time that Martha made her busy about the dighting of
His meat, Mary her sister sat at His feet. And in hearing of His word she
beheld not to the business of her sister, although her business was full good
and full holy, for truly it is the first part of active life; nor yet to the
preciousness of His blessed body, nor to the sweet voice and the words of His
manhood, although it is better and holier, for
But to
the sovereignest wisdom of His Godhead lapped in the dark words of His manhood,
thither beheld she with all the love of her heart. For from thence she would
not remove, for nothing that she saw nor heard spoken nor done about her; but
sat full still in her body, with many a sweet privy and a listy love pressed
upon that high cloud of unknowing betwixt her and her God. For one thing I tell
thee, that there was never yet pure creature in this life, nor never yet shall
be, so high ravished in contemplation and love of the Godhead, that there is
not evermore a high and a wonderful cloud of unknowing betwixt him and his God.
In this cloud it was that Mary was occupied with many a privy love pressed. And
why? Because it was the best and the holiest part of contemplation that may be
in this life, and from this part her list not remove for nothing. Insomuch,
that when
Lo!
friend, all these works, these words, and these gestures, that were shewed
betwixt our Lord and these two sisters, be set in ensample of all actives and
all contemplatives that have been since in Holy Church, and shall be to the day
of doom. For by Mary is understood all contemplatives; for they should conform
their living after hers. And by Martha, actives on the same manner; and for the
same reason in likeness.
How that yet unto this day all actives
complain of contemplatives as Martha did of Mary. Of the which complaining
ignorance is the cause.
AND right
as Martha complained then on Mary her sister, right so yet unto this day all
actives complain of contemplatives. For an there be a man or a woman in any
company of this world, what company soever it be, religious or secularsI out‑take
nonethe which man or woman, whichever that it be, feeleth him stirred through
grace and by counsel to forsake all outward business, and for to set him fully
for to live contemplative life after their cunning and their conscience, their
counsel according; as fast, their own brethren and their sisters, and
I grant
that many fall and have fallen of them that have in likeness forsaken the
world. And where they should have become Gods servants and His contemplatives,
because that they would not rule them by true ghostly counsel they have become
the devils servants and his contemplatives; and turned either to hypocrites or
to heretics, or fallen into frenzies and many other mischiefs, in slander of
Holy Church. Of the which I leave to speak at this time, for troubling of our
matter. But nevertheless here
A short excusation of him that made this book
teaching how all contemplatives should have all actives fully excused of their
complaining words and deeds.
SOME
might think that I do little worship to Martha, that special saint, for I liken
her words of complaining of her sister unto these worldly mens words, or
theirs unto hers: and truly I mean no unworship to her nor to them. And God
forbid that I should in this work say anything that might be taken in
condemnation of any of the servants of God in any degree, and namely of His
special saint. For me thinketh that she should be full well had excused of her
plaint, taking regard to the time and the manner that she said it in. For that
that she
And so me
thinketh that these worldly living men and women of active life should also
full well be had excused of their complaining words touched before, although
they say rudely that they say; having beholding to their ignorance. For why?
Right as Martha wist full little what Mary her sister did when she complained
of her to our Lord; right so on the same manner these folk nowadays wot full
little, or else nought, what these young disciples of God mean, when they set
them from the business of this world, and draw them to be Gods special
servants in holiness and rightfulness of spirit. And if they wist truly, I
daresay that they would neither do nor
How Almighty God will goodly answer for all
those that for the excusing of themselves list not leave their business about
the love of Him.
AND
therefore me thinketh, that they that set them to be contemplatives should not
only have active men excused of their complaining words, but also me thinketh
that they should be so occupied in spirit that they should take little heed or
none what men did or said about them. Thus did Mary, our example of all, when
Martha her sister complained to our Lord: and if we will truly do thus our Lord
will do now for us as He did then for Mary.
And how
was that? Surely thus.
And what
is that one thing? Surely that God be loved and praised by Himself, above all
other business bodily or ghostly that man may do. And for this, that Martha
should not think that she might both love God and praise Him above all other
business bodily or ghostly, and also thereto to be busy about the necessaries
of this life: therefore to deliver her of doubt that she might not both serve
God in bodily business and ghostly together perfectly‑imperfectly she
may, but not perfectlyHe added and said, that Mary had chosen the best part;
the which should never be taken from
The true exposition of this gospel word, «Mary
hath chosen the best part.»
WHAT
meaneth this; Mary hath chosen the best? Wheresoever the best is set or named,
it asketh before it these two thingsa good, and a better; so that it be the
best, and the third in number. But which be these three good things, of the
which Mary chose the best? Three lives be they not, for Holy Church maketh
remembrance but of two, active life and contemplative life; the which two lives
be privily understood in the story of this gospel by these two sisters Martha
and Maryby Martha active, by Mary contemplative. Without one of these two
lives may no man be safe, and
But
although there be but two lives, nevertheless yet in these two lives be three parts,
each one better than other. The which three, each one by itself, be specially
set in their places before in this writing. For as it is said before, the first
part standeth in good and honest bodily works of mercy and of charity; and this
is the first degree of active life, as it is said before. The second part of
these two lives lieth in good ghostly meditations of a mans own wretchedness,
the Passion of Christ, and of the joys of heaven. The first part is good, and
this part is the better; for this is the second degree of active life and the
first of contemplative life. In this part is contemplative life and active life
coupled together in ghostly kinship, and made sisters at the ensample of Martha
and Mary. Thus high may an active come to contemplation; and no higher, but if
it be full seldom and
The third
part of these two lives hangeth in this dark cloud of unknowing, with many a
privy love pressed to God by Himself. The first part is good, the second is
better, but the third is best of all. This is the «best part» of Mary. And
therefore it is plainly to wit, that our Lord said not, Mary hath chosen the best
life; for there be no more lives but
two, and of two may no man choose the best. But of these two lives Mary hath
chosen, He said, the best part; the
which shall never be taken from her. The first part and the second, although
they be both good and holy, yet they end with this life. For in the tother life
shall be no need as now to use the works of mercy, nor to weep for our
wretchedness, nor for the Passion of Christ. For then shall none be able to
hunger nor thirst as now, nor
And
therefore let the voice of our Lord cry on these actives, as if He said thus
now for us unto them, as He did then for Mary to Martha, «Martha, Martha!»«Actives,
actives! make you as busy as ye can in the first part and in the second, now in
the one and now in the tother: and, if you list right well and feel you
disposed, in both two bodily. And meddle you not of contemplatives. Ye wot not
what them aileth: let them sit in their rest and in their play, with the third
and the best part of Mary.»
Of the wonderful love that Christ had to man
in person of all sinners truly turned and called to the grace of contemplation.
SWEET was
that love betwixt our Lord and Mary. Much love had she to Him. Much more had He
to her. For whoso would utterly behold all the behaviour that was betwixt Him
and her, not as a trifler may tell, but as the story of the gospel will
witnessthe which on nowise may be falsehe should find that she was so
heartily set for to love Him, that nothing beneath Him might comfort her, nor
yet hold her heart from Him. This is she, that same Mary, that when she sought
Him at the sepulchre with weeping cheer would not be comforted of angels. For
when they spake unto
And what
more? Surely whoso will look verily in the story of the gospel, he shall find
many wonderful points of perfect love written of her to our ensample, and as
even according to the work of this writing, as if they had been set and written
therefore; and surely so were they, take whoso take may. And if a man list for
to see in the gospel written the wonderful and the special love that our Lord
had to her, in person of all accustomed sinners truly turned and called to the
grace of contemplation, he shall find that our Lord might not suffer any man or
womanyea, not
How God will answer and purvey for them in
spirit, that for business about His love list not answer nor purvey for
themselves
AND truly
an we will lustily conform our love and our living, inasmuch as in us is, by
grace and by counsel, unto the love and the living of Mary, no doubt but He
shall answer on the same manner now for us ghostly each day, privily in the
hearts of all those that either say or think against us. I say not but that
evermore some men shall say or think somewhat against us, the whiles we live in
the travail of this life, as they did against Mary. But I say, an we will give
no more heed to their saying nor to their
And as He
will answer for us thus in spirit, so will He stir other men in spirit to give
us our needful things that belong to this life, as meat and clothes with all
these other; if He see that we will not leave the work of His love for business
about them. And this I say in confusion of their error, that say that it is not
lawful for men to set them to serve God in contemplative life, but if they be
secure before of their bodily necessaries. For they say, that God sendeth the
cow, but not by the horn. And truly they say wrong of God, as they well know.
For trust steadfastly, thou whatsoever that thou be, that truly turnest thee
from the world unto God, that one of these
And
therefore thou, that settest thee to be contemplative as Mary was, choose thee
rather to be meeked under the wonderful height and the worthiness of God, the
which is perfect, than under thine own wretchedness, the which is imperfect:
that is to say, look that thy special beholding be more to the worthiness of
God than to thy wretchedness. For to them that be perfectly meeked, no thing
shall defail; neither bodily thing, nor ghostly. For
What charity is in itself, and how it is truly
and perfectly contained in the work of this book.
AND as it
is said of meekness, how that it is truly and perfectly comprehended in this
little blind love pressed, when it is beating upon this dark cloud of
unknowing, all other things put down and forgotten: so it is to be understood
of all other virtues, and specially of charity.
For
charity is nought else to bemean to thine understanding, but love of God for
Himself above all creatures, and of man for God even as thyself. And that in
this work God is loved for Himself, and above all creatures, it seemeth right
well. For as it is said
A naked
intent I call it. For why, in this work a perfect Prentice asketh neither
releasing of pain, nor increasing of meed, nor shortly to say, nought but
Himself. Insomuch, that neither he recketh nor looketh after whether that he be
in pain or in bliss, else that His will be fulfilled that he loveth. And thus
it seemeth that in this work God is perfectly loved for Himself, and that above
all creatures. For in this work, a perfect worker may not suffer the memory of
the holiest creature that ever God made to commune with him.
And that
in this work the second and the lower branch of charity unto thine even‑christian
is verily and perfectly fulfilled, it seemeth by the proof. For why, in this
work a perfect worker hath no special beholding unto any man by himself,
whether that he be kin or stranger, friend or foe. For all men
That in the time of this work a perfect soul
hath no special beholding to any one man in this life.
I SAY not
that in this work he shall have a special beholding to any man in this life,
whether that he be friend or foe, kin or stranger; for that may not be if this
work shall perfectly be done, as it is when all things under God be fully
forgotten, as falleth for this work. But I say that he shall be made so
virtuous and so charitable by the virtue of this work, that his will shall be
afterwards, when he condescendeth to commune or to pray for his even‑christiannot
from all this work, for that may not be without great sin, but from the height
of this
Nevertheless,
in this work he hath no leisure to look after who is his friend or his foe, his
kin or his stranger. I say not but he shall feel some timeyea, full ofthis
affection more homely to one, two, or three, than to all these other: for that
is lawful to be, for many causes as charity asketh. For such an homely
affection felt Christ to John and unto Mary, and unto Peter before many others.
But I say, that in the time of this work shall all be equally homely unto him;
for he shall feel then no cause, but only God. So that all shall be loved
plainly and nakedly for God, and as well as himself.
For as
all men were lost in Adam and all men that with work will witness their will of
salvation are saved or
That without full special grace, or long use
in common grace, the work of this book is right travailous; and in this work,
which is the work of the soul helped by grace, and which is the work of only
God.
AND
therefore travail fast awhile, and beat upon this high cloud of unknowing, and
rest afterward. Nevertheless, a travail shall he have who so shall use him in
this work; yea, surely! and that a full great travail, unless he have a more
special grace, or else that he have of long time used him therein.
But I
pray thee, wherein shall that travail be? Surely not in that devout stirring of
love that is continually
But
wherein then is this travail, I pray thee? Surely, this travail is all in
treading down of the remembrance of all the creatures that ever God made, and
in holding of them under the cloud of forgetting named before. In this is all
the travail, for this is mans travail, with help of grace. And the tother
abovethat is to say, the stirring of lovethat is the work of only God. And
therefore do on thy work, and surely I promise thee He shall not fail in His.
Do on
then fast; let see how thou bearest thee. Seest thou not how He standeth and
abideth thee? For shame! Travail fast but awhile, and thou shalt soon be eased
of the greatness and of the hardness of this travail. <pb n=164> For although it be hard and strait
in the beginning, when thou hast no devotion; nevertheless yet after, when thou
hast devotion, it shall be made full restful and full light unto thee that
before was full hard. And thou shalt have either little travail or none, for
then will God work sometimes all by Himself. But not ever, nor yet no long time
together, but when Him list and as Him list; and then wilt thou think it merry
to let Him alone.
Then will
He sometimes peradventure send out a beam of ghostly light, piercing this cloud
of unknowing that is betwixt thee and Him; and shew thee some of His privity,
the which man may not, nor cannot speak. Then shalt thou feel thine affection
inflamed with the fire of His love, far more than I can tell thee, or may or
will at this time. For of that work, that falleth to only God, dare I not take
upon me to speak with my blabbering fleshly tongue: and shortly to say, although
I durst I would do
Who should work in the gracious work of this
book.
FIRST and
foremost, I will tell thee who should work in this work, and when, and by what
means: and what discretion thou shalt have in it. If thou asketh me who shall
work thus, I answer theeall that have forsaken the world in a true will, and
thereto that give them not to active life, but to that life that is called
contemplative life. All those should work in this grace and in this work,
whatsoever that they be; whether they have been accustomed sinners or none.
That a man should not presume to work in this
work before the time that he be lawfully cleansed in conscience of all his
special deeds of sin.
BUT if
thou asketh me when they should work in this work, then I answer thee and I
say: that not ere they have cleansed their conscience of all their special
deeds of sin done before, after the common ordinance of Holy Church.
For in
this work, a soul drieth up in it all the root and the ground of sin that will
always live in it after confession, be it never so busy. And, therefore, whoso
will travail in this work, let him first cleanse his conscience; and afterward
when he hath done that in him is lawfully, let him dispose him
That a man should bidingly travail in this
work, and suffer the pain thereof, and judge no man.
AND
therefore, whoso coveteth to come to cleanness that he lost for sin, and to win
to that well‑being where all woe wanteth, him behoveth bidingly to
travail in this work, and suffer the pain thereof, whatsoever that he be:
whether he have been an accustomed sinner or none.
All men
have travail in this work; both sinners, and innocents that never sinned
greatly. But far greater travail have those that have been sinners than they
that have been none; and that is great reason. Nevertheless, ofttimes it
befalleth that some that have been
Hereby
mayest thou see that no man should be judged of other here in this life, for
good nor for evil that they do. Nevertheless deeds may lawfully be judged, but
not the man, whether they be good or evil.
Who should blame and condemn other mens
defaults.
BUT I
pray thee, of whom shall mens deeds be judged?
Surely of
them that have power, and cure of their souls: either given openly by the
statute and the ordinance of Holy Church, or else privily in spirit at the
special stirring of the Holy Ghost in perfect charity. Each man beware, that he
presume not to take upon him to blame and condemn other mens defaults, but if
he feel verily that he be stirred of the Holy Ghost within in his work; for
else may he full lightly err in his dooms. And therefore beware: judge thyself
as thee list betwixt thee and thy God or thy ghostly father, and let other men
alone.
How a man should have him in beginning of this
work against all thoughts and stirrings of sin.
AND from
the time that thou feelest that thou hast done that in thee is, lawfully to
amend thee at the doom of Holy Church, then shalt thou set thee sharply to work
in this work. And then if it so be that thy foredone special deeds will always
press in thy remembrance betwixt thee and thy God, or any new thought or
stirring of any sin either, thou shalt stalwartly step above them with a
fervent stirring of love, and tread them down under thy feet. And try to cover
them with a thick cloud of forgetting, as they never had been done in this life
of thee
Of two ghostly devices that be helpful to a
ghostly beginner in the work of this book.
NEVERTHELESS,
somewhat of this subtlety shall I tell thee as me think. Prove thou and do
better, if thou better mayest. Do that in thee is, to let be as thou wist not
that they press so fast upon thee betwixt thee and thy God. And try to look as
it were over their shoulders, seeking another thing: the which thing is God,
enclosed in a cloud of unknowing. And if thou do thus, I trow that within short
time thou shalt be eased of thy travail. I trow that an this device be well and
truly conceived, it is nought else but a longing desire unto God, to feel Him
Another
device there is: prove thou if thou wilt. When thou feelest that thou mayest on
nowise put them down, cower thou down under them as a caitiff and a coward
overcome in battle, and think that it is but a folly to thee to strive any
longer with them, and therefore thou yieldest thee to God in the hands of thine
enemies. And feel then thyself as thou wert foredone for ever. Take good heed
of this device I pray thee, for me think in the proof of this device thou
shouldest melt all to water. And surely me think an this device be truly
conceived it is nought else but a true knowing and a feeling of thyself as thou
art, a wretch and a filthy, far worse than nought: the which knowing and
feeling is meekness. And this meekness obtaineth to have God Himself mightily
descending, to venge thee of thine enemies, for to take <pb n=176> thee up, and cherishingly dry thine
ghostly eyen; as the father doth the child that is in point to perish under the
mouths of wild swine or wode biting bears.
That in this work a soul is cleansed both of
his special sins and of the pain of them, and yet how there is no perfect rest
in this life.
MORE
devices tell I thee not at this time; for an thou have grace to feel the proof
of these, I trow that thou shalt know better to learn me than I thee. For
although it should be thus, truly yet me think that I am full far therefrom.
And therefore I pray thee help me, and do thou for thee and for me.
Do on
then, and travail fast awhile, I pray thee, and suffer meekly the pain if thou
mayest not soon win to these arts. For truly it is thy purgatory, and then when
thy pain is all
Nevertheless,
herefore shalt thou not go back, nor yet be overfeared of thy failing. For an
it so be that thou mayest have grace to destroy the pain
That God giveth this grace freely without any
means, and that it may not be come to with means.
AND if
thou askest me by what means thou shalt come to this work, I beseech Almighty
God of His great grace and His great courtesy to teach thee Himself. For truly
I do thee well to wit that I cannot tell thee, and that is no wonder. For why,
that is the work of only God, specially wrought in what soul that Him liketh
without any desert of the same soul. For without it no saint nor no angel can
think to desire it. And I trow that our Lord as specially and as oftyea! and
more specially and more oftwill vouchsafe to work this work
And yet
He giveth not this grace, nor worketh not this work, in any soul that is unable
thereto. And yet, there is no soul without this grace, able to have this grace:
none, whether it be a sinners soul or an innocent soul. For neither it is
given for innocence, nor withholden for sin. Take good heed, that I say
withholden, and not withdrawn. Beware of error here, I pray thee; for ever, the
nearer men touch the truth, more wary men behoveth to be of error. I mean but
well: if thou canst not conceive it, lay it by thy side till God come and teach
thee. Do then so, and hurt thee not.
Beware of
pride, for it blasphemeth God in His gifts, and boldeneth sinners.
And if I
shall shortlier say, let that thing do with thee and lead thee whereso it list.
Let it be the worker,
And if it
be thus, trust then steadfastly that it is only God that stirreth thy will and
thy desire plainly by Himself, without means either on His part or on thine.
And be not feared, for the devil may not come so near. He may never come to
stir a mans will, but occasionally and by means from afar, be he never so
subtle a devil. <pb n=185>
Of three means in the which a contemplative
Prentice should be occupied, in reading, thinking, and praying.
NEVERTHELESS,
means there be in the which a contemplative prentice should be occupied, the
which be theseLesson, Meditation, and Orison: or else to thine understanding
they may be calledReading, Thinking, and Praying. Of these three thou shalt
find written in another book of another mans work, much better than I can tell
thee; and therefore it needeth not here to tell thee of the qualities of them.
But this may I tell thee: these three be so coupled together, that unto them
that be beginners and profitersbut not to them that be <pb n=186> perfect, yea, as it may be
herethinking may not goodly be gotten, without reading or hearing coming
before. All is one in manner, reading and hearing: clerks reading on books, and
lewd men reading on clerks when they hear them preach the word of God. Nor
prayer may not goodly be gotten in beginners and profiters, without thinking
coming before.
See by
the proof. In this same course, Gods word either written or spoken is likened
to a mirror. Ghostly, the eyes of thy soul is thy reason; thy conscience is thy
visage ghostly. And right as thou seest that if a foul spot be in thy bodily
visage, the eyes of the same visage may not see that spot nor wit where it is,
without a mirror or a teaching of another than itself; right so it is ghostly,
without reading or hearing of Gods word it is impossible to mans
understanding that a soul that is blinded in custom of sin should see the foul
spot in his conscience.
And so
following, when a man seeth in a bodily or ghostly mirror, or wots by other
mens teaching, whereabouts the foul spot is on his visage, either bodily or
ghostly; then at first, and not before, he runneth to the well to wash him. If
this spot be any special sin, then is this well Holy Church, and this water
confession, with the circumstances. If it be but a blind root and a stirring of
sin, then is this well merciful God, and this water prayer, with the
circumstances. And thus mayest thou see that no thinking may goodly be gotten
in beginners and profiters, without reading or hearing coming before: nor
praying without thinking.
Of the meditations of them that continually
travail in the work of this book.
BUT it is
not so with them that continually work in the work of this book. For their
meditations be but as they were sudden conceits and blind feelings of their own
wretchedness, or of the goodness of God; without any means of reading or
hearing coming before, and without any special beholding of any thing under
God. These sudden conceits and these blind feelings be sooner learned of God
than of man. I care not though thou haddest nowadays none other meditations of
thine own wretchedness, nor of the goodness of God (I mean if thou feel thee
thus stirred by grace and by counsel), but such as thou <pb n=189> mayest have in this word SIN, and in
this word GOD: or in such other, which as thee list. Not breaking nor
expounding these words with curiosity of wit, in beholding after the qualities
of these words, as thou wouldest by that beholding increase thy devotion. I
trow it should never be so in this case and in this work. But hold them all
whole these words; and mean by sin, a lump,
thou wottest never what, none other thing but thyself. Me think that in
this blind beholding of sin, thus congealed in a lump, none other thing than
thyself, it should be no need to bind a madder thing, than thou shouldest be in
this time. And yet peradventure, whoso looked upon thee should think thee full
soberly disposed in thy body, without any changing of countenance; but sitting
or going or lying, or leaning or standing or kneeling, whether thou wert, in a
full sober restfulness.
Of the special prayers of them that be
continual workers in the word of this book
AND right
as the meditations of them that continually work in this grace and in this work
rise suddenly without any means, right so do their prayers. I mean of their
special prayers, not of those prayers that be ordained of Holy Church. For they
that be true workers in this work, they worship no prayer so much: and
therefore they do them, in the form and in the statute that they be ordained of
holy fathers before us. But their special prayers rise evermore suddenly unto
God, without any means or any premeditation
And if
they be in words, as they be but seldom, then be they but in full few words:
yea, and in ever the fewer the better. Yea, and if it be but a little word of
one syllable, me think it better than of two: and more, too, according to the
work of the spirit, since it so is that a ghostly worker in this work should
evermore be in the highest and the sovereignest point of the spirit. That this
be sooth, see by ensample in the course of nature. A man or a woman, afraid
with any sudden chance of fire or of mans death or what else that it be,
suddenly in the height of his spirit, he is driven upon haste and upon need for
to cry or for to pray after help. Yea, how? Surely, not in many words, nor yet
in one word of two syllables. And why is that? For him thinketh it over long
tarrying for to declare the need and the work of his spirit. And therefore he
bursteth up hideously
And right
as this little word «fire» stirreth rather and pierceth more hastily the ears
of the hearers, so doth a little word of one syllable when it is not only
spoken or thought, but privily meant in the deepness of spirit; the which is
the height, for in ghostliness all is one, height and deepness, length and
breadth. And rather it pierceth the ears of Almighty God than doth any long
psalter unmindfully mumbled in the teeth. And herefore it is written, that
short prayer pierceth heaven.
How and why that short prayer pierceth heaven
AND why
pierceth it heaven, this little short prayer of one little syllable? Surely
because it is prayed with a full spirit, in the height and in the deepness, in
the length and in the breadth of his spirit that prayeth it. In the height it
is, for it is with all the might of the spirit. In the deepness it is, for in
this little syllable be contained all the wits of the spirit. In the length it
is, for might it ever feel as it feeleth, ever would it cry as it cryeth. In
the breadth it is, for it willeth the same to all other that it willeth to
itself.
In this
time it is that a soul hath
See by
ensample. He that is thy deadly enemy, an thou hear him so afraid that he cry
in the height of his spirit this little word «fire,» or this
How a perfect worker shall pray, and what
prayer is in itself; and if a man shall pray in words, which words accord them
most to the property of prayer.
AND
therefore it is, to pray in the height and the deepness, the length and the
breadth of our spirit. And that not in many words, but in a little word of one
syllable.
And what
shall this word be? Surely such a word as is best according unto the property
of prayer. And what word is that? Let us first see what prayer is properly in
itself, and thereafter we may clearlier know what word will best accord to the
property of prayer.
Prayer in
itself properly is not else,
Study
thou not for no words, for so shouldest thou never come to thy purpose nor to
this work, for it is
That in the time of this work a soul hath no
special beholding to any vice in itself nor to any virtue in itself.
DO thou,
on the same manner, fill thy spirit with the ghostly bemeaning of this word
«sin,» and without any special beholding unto any kind of sin, whether it be
venial or deadly: Pride, Wrath, or Envy, Covetyse, Sloth, Gluttony, or Lechery.
What recks it in contemplatives, what sin that it be, or how muckle a sin that
it be? For all sins them thinkethI mean for the time of this workalike great
in themselves, when the least sin departeth them from God, and letteth them of
their ghostly peace.
And feel
sin a lump, thou wottest never what, but none other thing than
On the
same manner shalt thou do with this little word «God.» Fill thy spirit with the
ghostly bemeaning of it without any special beholding to any of His
workswhether they be good, better, or best of allbodily or ghostly, or to any
virtue that may be wrought in mans soul by any grace; not looking after
whether it be meekness or charity, patience or abstinence, hope, faith, or
soberness, chastity or wilful poverty. What recks this in contemplatives? For
all virtues they find and feel in God; for in Him is all
And
because that ever the whiles thou livest in this wretched life, thee behoveth
always feel in some part this foul stinking lump of sin, as it were oned and
congealed with the substance of thy being, therefore shalt thou changeably mean
these two wordssin and God. With this general knowing, that an thou haddest
God, then shouldest thou lack sin: and mightest thou lack sin, then shouldest
thou have God.
That in all other works beneath this, men
should keep discretion; but in this none.
AND
furthermore, if thou ask me what discretion thou shalt have in this work, then
I answer thee and say, right none! For in all thine other doings thou shalt have
discretion, as in eating and in drinking, and in sleeping and in keeping of thy
body from outrageous cold or heat, and in long praying or reading, or in
communing in speech with thine even-christian. In all these shalt thou keep
discretion, that they be neither too much nor too little. But in this work
shalt thou hold no measure: for I would that thou shouldest never cease of this
work the whiles thou livest.
I say not
that thou shalt continue ever therein alike fresh, for that may not be. For
sometime sickness and other unordained dispositions in body and in soul, with
many other needfulness to nature, will let thee full much, and ofttimes draw
thee down from the height of this working. But I say that thou shouldest
evermore have it either in earnest or in game; that is to say, either in work
or in will. And therefore for Gods love be wary with sickness as much as thou
mayest goodly, so that thou be not the cause of thy feebleness, as far as thou
mayest. For I tell thee truly, that this work asketh a full great restfulness,
and a full whole and clean disposition, as well in body as in soul.
And
therefore for Gods love govern thee discreetly in body and in soul, and get
thee thine health as much as thou mayest. And if sickness come against thy
power, have patience and abide meekly Gods mercy: and all is then good enough.
For I tell thee
That by indiscretion in this, men shall keep
discretion in all other things; and surely else never
BUT
peradventure thou askest me, how thou shalt govern thee discreetly in meat and
in sleep, and in all these other. And hereto I think to answer thee right
shortly: «Get that thou get mayest.» Do this work evermore without ceasing and
without discretion, and thou shalt well ken begin and cease in all other works
with a great discretion. For I may not trow that a soul continuing in this work
night and day without discretion, should err in any of these outward doings;
and else, me think that he should always err.
And
therefore, an I might get a waking and a busy beholding to this ghostly work
within in my soul, I would then have a heedlessness in eating and in drinking,
in sleeping and in speaking, and in all mine outward doings. For surely I trow
I should rather come to discretion in them by such a heedlessness, than by any
busy beholding to the same things, as I would by that beholding set a mark and
a measure by them. Truly I should never bring it so about, for ought that I
could do or say. Say what men say will, and let the proof witness. And
therefore lift up thine heart with a blind stirring of love; and mean now sin,
and now God. God wouldest thou have, and sin wouldest thou lack. God wanteth
thee; and sin art thou sure of. Now good God help thee, for now hast thou need!
That all witting and feeling of a mans own
being must needs be lost if the perfection of this word shall verily be felt in
any soul in this life.
LOOK that
nought work in thy wit nor in thy will but only God. And try for to fell all
witting and feeling of ought under God, and tread all down full far under the
cloud of forgetting. And thou shalt understand, that thou shalt not only in
this work forget all other creatures than thyself, or their deeds or thine, but
also thou shalt in this work forget both thyself and also thy deeds for God, as
well as all other creatures and their deeds. For it is the condition of a
perfect lover, not only to love that thing that he loveth
Thus
shalt thou do with thyself: thou shalt loathe and be weary with all that thing
that worketh in thy wit and in thy will unless it be only God. For why, surely
else, whatsoever that it be, it is betwixt thee and thy God. And no wonder
though thou loathe and hate for to think on thyself, when thou shalt always
feel sin, a foul stinking lump thou wottest never what, betwixt thee and thy
God: the which lump is none other thing than thyself. For thou shalt think it
oned and congealed with the substance of thy being: yea, as it were without
departing.
And
therefore break down all witting and feeling of all manner of creatures; but
most busily of thyself. For on the witting and the feeling of thyself hangeth
witting and feeling of all other creatures; for in regard of it, all other
creatures be lightly forgotten. For, an thou wilt busily set thee to
How a soul shall dispose it on its own part,
for to destroy all witting and feeling of its own being.
BUT now
thou askest me, how thou mayest destroy this naked witting and feeling of thine
own being. For peradventure thou thinkest that an it were destroyed, all other
lettings were destroyed: and if thou thinkest thus, thou thinkest right truly.
But to this I answer thee and I say, that without a full special grace full
freely given of God, and thereto a full according ableness to receive this
grace on thy part, this naked witting and feeling of thy being may on nowise be
destroyed. And this ableness is
But in
this sorrow needeth thee to have discretion, on this manner: thou shalt be wary
in the time of this sorrow, that thou neither too rudely strain thy body nor
thy spirit, but sit full still, as it were in a sleeping device, all forsobbed
and forsunken in sorrow. This is true sorrow; this is perfect sorrow; and well
were him that might win to this sorrow. All men have matter of sorrow: but most
specially he feeleth matter of sorrow, that wotteth and feeleth that he is. All
other sorrows be unto this in comparison but as it were game to earnest. For he
may make sorrow earnestly, that wotteth and feeleth not only what he is, but
that he is. And whoso felt never this sorrow, he may make sorrow: for why, he
felt yet never perfect sorrow. This sorrow, when it is had, cleanseth the soul,
not only of sin, but also of pain that it hath deserved for sin; and thereto it
This
sorrow, if it be truly conceived, is full of holy desire: and else might never
man in this life abide it nor bear it. For were it not that a soul were
somewhat fed with a manner of comfort of his right working, else should he not
be able to bear the pain that he hath of the witting and feeling of his being.
For as oft as he would have a true witting and a feeling of his God in purity
of spirit, as it may be here, and sithen feeleth that he may notfor he findeth
evermore his witting and his feeling as it were occupied and filled with a foul
stinking lump of himself, the which behoveth always be hated and be despised
and forsaken, if he shall be Gods perfect disciple learned of Himself in the
mount of perfectionso oft, he goeth nigh mad for sorrow. Insomuch, that he
weepeth and waileth, striveth, curseth, and banneth; and shortly to
This
sorrow and this desire behoveth every soul have and feel in itself, either in
this manner or in another; as God vouchsafeth for to learn to His ghostly
disciples after His well willing and their according ableness in body and in
soul, in degree and disposition, ere the time be that they may perfectly be
oned unto God in perfect charitysuch as may be had hereif God vouchsafeth.
A good declaring of some certain deceits that
may befall in this work.
BUT one
thing I tell thee, that in this work may a young disciple that hath not yet
been well used and proved in ghostly working, full lightly be deceived; and,
but he be soon wary, and have grace to leave off and meek him to counsel,
peradventure be destroyed in his bodily powers and fall into fantasy in his
ghostly wits. And all this is along of pride, and of fleshliness and curiosity
of wit.
And on
this manner may this deceit befall. A young man or a woman new set to the
school of devotion heareth this sorrow and this desire be read and spoken: how
that a man
This
deceit of false feeling, and of false knowing following thereon, hath diverse
and wonderful variations, after the diversity of states and the subtle
conditions of them that be deceived: as hath the true feeling and knowing
A good teaching how a man shall flee these
deceits, and work more with a listiness of spirit, than with any boisterousness
of body
AND
therefore for Gods love be wary in this work, and strain not thine heart in
thy breast over‑rudely nor out of measure; but work more with a list than
with any worthless strength. For ever the more Mistily, the more meekly and
ghostly: and ever the more rudely, the more bodily and beastly. And therefore
be wary, for surely what beastly heart that presumeth for to touch the high
mount of this work, it shall be beaten away with stones. Stones be hard and dry
in their kind, and they hurt full sore where they hit. And surely such rude
This is
childishly and playingly spoken, thee think peradventure. But I trow whoso had
grace to do and feel as I say, he should feel good gamesome play with Him, as
the father doth with the child, kissing and clipping, that well were him so.
A slight teaching of this work in purity of
spirit; declaring how that on one manner a soul should shed his desire unto
God, and on ye contrary unto man.
LOOK thou
have no wonder why that I speak thus childishly, and as it were follily and
lacking natural discretion; for I do it for certain reasons, and as me thinketh
that I have been stirred many days, both to feel thus and think thus and say
thus, as well to some other of my special friends in God, as I am now unto
thee.
And one
reason is this, why that I bid thee hide from God the desire of thine heart.
For I hope it should more clearly come to His knowing, for thy profit and in
fulfilling of thy
Thou
wottest well this, that God is a Spirit; and whoso should be oned unto Him, it
behoveth to be in soothfastness and deepness of spirit, full far from any
feigned bodily thing. Sooth it is that all thing is known of God, and nothing
may be hid from His witting, neither bodily thing nor ghostly. But more openly
is that thing known and shewed unto Him, the which is hid in deepness of
spirit, sith it so is that He is a Spirit, than is anything that is mingled
with any manner of bodilyness. For all bodily thing is farther
And here
mayest thou see somewhat and in part the reason why that I bid thee so childishly
cover and hide the stirring of thy desire from God. And yet I bid thee not
plainly hide it; for that were the bidding of a fool, for to bid thee plainly
do that which on nowise may be done. But I bid thee do that in thee is to hide
it. And why bid I thus? Surely because I would that thou cast it into deepness
of spirit, far from any rude mingling of any bodilyness, the which would make
it less ghostly and farther from God inasmuch: and because I wot well that ever
the more that thy spirit hath of
Another
reason there is, why that I bid thee do that in thee is to let Him not wit: for
thou and I and many such as we be, we be so able to conceive a thing bodily the
which is said ghostly, that peradventure an I had bidden thee shew unto God the
stirring of thine heart, thou shouldest have made a bodily shewing unto Him,
either in gesture or in voice, or in word, or in some other rude bodily
straining, as it is when thou shalt shew a thing that is hid in thine heart to
a bodily man: and insomuch thy work should have been impure. For on one manner
shall a thing be shewed to man, and on another manner unto God.
How God will be served both with body and with
soul, and reward men in both; and how men shall know when all those sounds and
sweetness that fall into the body in time of prayer be both good and evil
I SAY not
this because I will that thou desist any time, if thou be stirred for to pray
with thy mouth, or for to burst out for abundance of devotion in thy spirit for
to speak unto God as unto man, and say some good word as thou feelest thee
stirred: as be these, «Good JESU! Fair JESU! Sweet JESU!» and all such other.
Nay, God forbid thou take it thus! For truly I mean not thus, and God forbid that
I should depart that which God hath
But all
other comforts, sounds and gladness and sweetness, that come from without
suddenly and thou wottest never whence, I pray thee have them suspect. For they
may be both good and evil; wrought by a good
And of
the tother comforts and sounds and sweetness, how thou shouldest wit whether
they be good or evil I think not to tell thee at this time: and that is because
me think that it needeth not. For why, thou mayest find it written in another
place of another mans work, a thousandfold better than I can say or write: and
so mayest thou this that I set here, far better than it is here. But what
But this
may I say thee of those sounds and of those sweetnesses, that come in by the
windows of thy wits, the which may be both good and evil. Use thee continually
in this blind and devout and this Misty stirring of love that I tell thee: and
then I have no doubt, that it shall not well be able to tell thee of them. And
if thou yet be in part astonished of them at the first time, and that is
because that they be uncouth, yet this shall it do thee: it shall bind thine
heart so fast, that thou shalt on nowise give full great credence to them, ere
the time be that thou be either certified of them within wonderfully by the
Spirit of God, or else without by counsel of some discreet father.
The substance of all perfection is nought else
but a good will; and how that all sounds and comfort and sweetness that may
befall in this life be to it but as it were accidents.
AND
therefore I pray thee, lean listily to this meek stirring of love in thine
heart, and follow thereafter: for it will be thy guide in this life and bring
thee to bliss in the tother. It is the substance of all good living, and
without it no good work may be begun nor ended. It is nought else but a good
and an according will unto God, and a manner of well‑pleasedness and a
gladness that thou feelest in thy will of all that He doth.
Such a
good will is the substance
Which is chaste love; and how in some
creatures such sensible comforts be but seldom, and in some right oft.
AND
hereby mayest thou see that we should direct all our beholding unto this meek
stirring of love in our will. And in all other sweetness and comforts, bodily
or ghostly, be they never so liking nor so holy, if it be courteous and seemly
to say, we should have a manner of recklessness. If they come, welcome them:
but lean not too much on them for fear of feebleness, for it will take full
much of thy powers to bide any long time in such sweet feelings and weepings.
And peradventure thou mayest be stirred for to love God for them, and that
shalt thou feel by this: if thou grumble overmuch
And all
this is after the disposition and the ordinance of God, all after the profit
and the needfulness of diverse creatures. For some creatures be so weak and so
tender in spirit, that unless they were somewhat comforted by feeling of such
sweetness, they might on nowise abide nor bear the diversity of temptations and
tribulations that they suffer and be travailed with in this life of their
bodily and ghostly enemies. And some there be that they be so weak in body that
they
That men should have great wariness so that
they understand not bodily a thing that is meant ghostly; and specially it is
good to be wary in understanding of this word «in,» and of this word «up.»
AND
therefore lean meekly to this blind stirring of love in thine heart. I mean not
in thy bodily heart, but in thy ghostly heart, the which is thy will. And be
well wary that thou conceive not bodily that that is said ghostly. For truly I
tell thee, that bodily and fleshly conceits of them that have curious and
imaginative wits be cause of much error.
Ensample
of this mayest thou see, by that that I bid thee hide thy desire from God in
that that in thee is. For peradventure an I had bidden thee
A young
disciple in Gods school new turned from the world, the same weeneth that for a
little time that he hath given him to penance and to prayer, taken by counsel
in confession,
How these young presumptuous disciples
misunderstand this word «in,» and of the deceits that follow thereon.
AND on
this manner is this madness wrought that I speak of. They read and hear well
said that they should leave outward working with their wits, and work inwards:
and because that they know not which is inward working, therefore they work
wrong. For they turn their bodily wits inwards to their body against the course
of nature; and strain them, as they would see inwards with their bodily eyes
and hear inwards with their ears, and so forth of all their wits, smelling,
tasting, and feeling inwards. And thus they reverse them against the course of
nature, and with this curiosity
And yet
in this fantasy them think that they have a restful remembrance of their God
without any letting of vain thoughts; and surely so have they in manner, for
they be so filled in falsehood that vanity may not provoke them. And why?
Because he, that same fiend that should minister vain thoughts to them an they
were in good wayhe, that same, is the chief worker of this work. And wit thou
right well, that him list not to let himself. The remembrance of God will he
not put from them, for fear that he should be had in suspect.
Of divers unseemly practices that follow them
that lack the work of this book.
MANY
wonderful practices follow them that be deceived in this false work, or in any
species thereof, beyond that doth them that be Gods true disciples: for they
be evermore full seemly in all their practices, bodily or ghostly. But it is
not so of these other. For whoso would or might behold unto them where they sit
in this time, an it so were that their eyelids were open, he should see them
stare as they were mad, and leeringly look as if they saw the devil. Surely it
is good they be wary, for truly the fiend is not far. Some set their eyes in
their heads as they were sturdy
Many
unordained and unseemly practices follow on this error, whoso might perceive
all. Nevertheless some there be that be so curious that they can refrain them
in great part when they come before men. But might these men be seen in place
where they be homely, then I trow they should not be hid. And nevertheless yet
I trow that whoso would straitly gainsay their opinion, that they should soon
see them burst out in some point; and yet them think that all that ever they
For some
men are so cumbered in nice curious customs in bodily bearing, that when they
shall ought hear, they writhe their heads on one side quaintly, and up with the
chin: they gape with their mouths as they should hear with their mouth and not
with their ears. Some when they should speak point with their fingers, either
on their
I say not
that all these unseemly practices be great sins in themselves, nor yet all
those that do them be great sinners themselves. But I say if that these
unseemly and unordained practices be governors of that man that doth them,
insomuch that he may not leave them when he will, then I say that they be
tokens of pride and curiosity of wit, and of unordained shewing and covetyse of
knowing.
How that by Virtue of this word a man is
governed full wisely, and made full seemly as well in body as in soul.
WHOSO had
this work, it should govern them full seemly, as well in body as in soul: and
make them full favourable unto each man or woman that looked upon them.
Insomuch, that the worst favoured man or woman that liveth in this life, an
they might come by grace to work in this work, their favour should suddenly and
graciously be changed: that each good man that them saw, should be fain and
joyful to have them in company, and full much they should think that they were
pleased in spirit and holpen by grace unto God in their presence.
And
therefore get this gift whoso by grace get may: for whoso hath it verily, he
shall well con govern himself by the virtue thereof, and all that longeth unto
him. He should well give discretion, if need were, of all natures and all
dispositions. He should well con make himself like unto all that with him
communed, whether they were accustomed sinners or none, without sin in himself:
in wondering of all that him saw, and in drawing of others by help of grace to
the work of that same spirit that he worketh in himself.
His cheer
and his words should be full of ghostly wisdom, full of fire, and of fruit
spoken in sober soothfastness without any falsehood, far from any feigning or
piping of hypocrites. For some there be that with all their might, inner and
outer, imagineth in their speaking how they may stuff them and underprop them
on each side from falling, with many meek piping words and gestures of
devotion: more looking
And what
shall I more say of these venomous deceits? Truly I trow, unless they have
grace to leave off such piping hypocrisy, that betwixt that privy pride in
their hearts within and such meek words without, the silly soul may full soon
sink into sorrow.
How they be deceived that follow the fervour
of spirit in condemning of some without discretion.
SOME men
the fiend will deceive on this manner. Full wonderfully he will enflame their
brains to maintain Gods law, and to destroy sin in all other men. He will
never tempt them with a thing that is openly evil; he maketh them like busy
prelates watching over all the degrees of Christian mens living, as an abbot
over his monks. ALL men will they reprove of their defaults, right as they had
cure of their souls: and yet they think that they do not else for God, unless
they tell them their defaults that they see. And they say that they be stirred
That this
is sooth, it seemeth by this that followeth. The devil is a spirit, and of his
own nature he hath no body, more than hath an angel. But yet nevertheless what
time that he or an angel shall take any body by leave of God, to make any
ministration to any man in this life; according as the work is that he shall
minister, thereafter in likeness is the quality of his body in some part.
Ensample of this we have in Holy Writ. As oft as any angel was sent in body in
the Old Testament and in the New also, evermore it was shewed, either by his
name or by some instrument or quality of his body, what his matter or his
message was in spirit. On the same manner it fareth of the fiend. For when he
appeareth in body, he figureth in some quality of his body what his servants be
in spirit.
Therefore
it is that I say, and have said, that evermore when the devil taketh any body,
he figureth in some
How they be deceived that lean more to the
curiosity of natural wit, and of clergy learned in the school of men, than to
the common doctrine and counsel of Holy Church.
SOME
there be, that although they be not deceived with this error as it is set here,
yet for pride and curiosity of natural wit and letterly cunning leave the
common doctrine and the counsel of Holy Church. And these with all their
favourers lean over much to their own knowing: and for they were never grounded
in meek blind feeling and virtuous living, therefore they merit to have a false
feeling, feigned and wrought by the ghostly enemy. Insomuch, that at the last
they burst up and blaspheme all the saints, sacraments, <pb n=253> statutes, and ordinances of Holy
Church. Fleshly living men of the world, the which think the statutes of Holy
Church over hard to be amended by, they lean to these heretics full soon and
full lightly, and stalwartly maintain them, and all because them think that
they lead them a softer way than is ordained of Holy Church.
Now truly
I trow, that who that will not go the strait way to heaven, that they shall go
the soft way to hell. Each man prove by himself, for I trow that all such
heretics, and all their favourers, an they might clearly be seen as they shall
on the last day, should be seen full soon cumbered in great and horrible sins
of the world in their foul flesh, privily, without their open presumption in
maintaining of error: so that they be full properly called Antichrists
disciples. For it is said of them, that for all their false fairness openly,
yet they should be full foul lechers privily.
How these young presumptuous disciples
misunderstand this other word «up»; and of the deceits that follow thereon.
NO more
of these at this time now: but forth of our matter, how that these young
presumptuous ghostly disciples misunderstand this other word up.
For if it
so be, that they either read, or hear read or spoken, how that men should lift
up their hearts unto God, as fast they stare in the stars as if they would be
above the moon, and hearken when they shall hear any angel sing out of heaven.
These men will sometime with the curiosity of their imagination pierce the
planets, and make an hole in the firmament to look in thereat. These men will
make
That a man shall not take ensample of Saint
Martin and of Saint Stephen, for to strain his imagination bodily upwards in
the time of his prayer.
FOR that
that they say of Saint Martin and of Saint Stephen, although they saw such
things with their bodily eyes, it was shewed but in miracle and in certifying
of thing that was ghostly. For wit they right well that Saint Martins mantle
came never on Christs own body substantially, for no need that He had thereto
to keep Him from cold: but by miracle and in likeness for all us that be able
to be saved, that be oned to the body of Christ ghostly. And whoso clotheth a
poor man and doth any other good deed
But how?
Not as these heretics do, the which be well likened to madmen having this
custom, that ever when they have drunken of a fair cup, cast it to the wall and
break it. Thus should not we do if we will well do.
And what
thereof, though our Lord when He ascended to heaven bodily took His way upwards
into the clouds, seen of His mother and His disciples with their bodily eyes?
Should we therefore in our ghostly work ever stare <pb n=261> not for no manner of bodily bearing
that He hath in heaven. See by ensample. By standing is understood a readiness
of helping. And therefore it is said commonly of one friend to another, when he
is in bodily battle: «Bear thee well, fellow, and fight fast, and give not up
the battle over lightly; for I shall stand by thee.» He meaneth not only bodily
standing; for peradventure this battle is on horse and not on foot, and
peradventure it is in going and not standing. But he meaneth when he saith that
he shall stand by him, that he shall be ready to help him. For this reason it
was that our Lord shewed Him bodily in heaven to Saint Stephen, when he was in
his martyrdom: and not to give us ensample to look up to heaven. As He had said
thus to Saint Stephen in person of all those that suffer persecution for His
love: «Lo, Stephen! as verily as I open this bodily firmament, the which is
called heaven, and let thee see My bodily standing, trust fast that as verily
stand I beside thee
ghostly by the might of My Godhead. And I am ready to help thee, and therefore
stand thou stiffly in the faith and suffer boldly the fell buffets of those
hard stones: for I shall crown thee in bliss for thy meed, and not only thee,
but all those that suffer persecution for Me on any manner.» And thus mayest
thou see that these bodily shewings were done by ghostly bemeanings.
That a man shall not take ensample at the
bodily ascension of Christ, for to strain his imagination upwards bodily in the
time of prayer: and that time, place, and body, these three should be forgotten
in all ghostly working.
AND if
thou say aught touching the ascension of our Lord, for that was done bodily,
and for a bodily bemeaning as well as for a ghostly, for both He ascended very
God and very man: to this will I answer thee, that He had been dead, and was
clad with undeadliness, and so shall we be at the Day of Doom. And then we
shall be made so subtle in body and in soul together, that we shall be then as
swiftly where us list bodily as we be
And wit
well that all those that set them to be ghostly workers, and specially in the
work of this book, that although they read «lift up» or «go in,» although all
that the work of this book be called a stirring, nevertheless yet them behoveth
to have a full busy beholding, that this stirring stretch neither up bodily,
nor in bodily, nor yet that it be any such stirring as is from one place to
another. And although that it be sometime called a rest, nevertheless yet they
shall not think that it is any such rest as is any abiding in a place without
removing therefrom. For the
And it
should by some reason rather be called a sudden changing, than any stirring of
place. For time, place, and body: these three should be forgotten in all
ghostly working. And therefore be wary in this work, that thou take none
ensample at the bodily ascension of Christ for to strain thine imagination in
the time of thy prayer bodily upwards, as thou wouldest climb above the moon.
For it should on nowise be so, ghostly. But if thou shouldest ascend into
heaven bodily, as Christ did, then thou mightest take ensample at it: but that
may none do but God, as Himself witnesseth, saying: «There is no man that may
ascend unto heaven but only He that descended from heaven, and became man for
the love of man.» And if it were possible, as it on nowise may
That the high and the next way to heaven is
run by desires, and not by paces of feet.
BUT now
peradventure thou sayest, that how should it then be? For thee thinkest that
thou hast very evidence that heaven is upwards; for Christ ascended the air
bodily upwards, and sent the Holy Ghost as He promised coming from above
bodily, seen of all His disciples; and this is our belief. And therefore thee
thinkest since thou hast thus very evidence, why shalt thou not direct thy mind
upward bodily in the time of thy prayer?
And to
this will I answer thee so feebly as I can, and say: since it so was, that
Christ should ascend bodily
That all bodily thing is subject unto ghostly
thing, and is ruled thereafter by the course of nature and not contrariwise.
NEVERTHELESS
it is needful to lift up our eyes and our hands bodily, as it were unto yon
bodily heaven, in the which the elements be fastened. I mean if we be stirred
of the work of our spirit, and else not. For all bodily thing is subject unto
ghostly thing, and is ruled thereafter, and not contrariwise.
Ensample
hereof may be seen by the ascension of our Lord: for when the time appointed
was come, that Him liked to wend to His Father bodily in His manhood, the which
was never nor never may be absent in His Godhead, then mightily by the virtue
of the
This same
subjection of the body to the spirit may be in manner verily conceived in the
proof of this ghostly work of this book, by them that work therein. For what
time that a soul disposeth him effectually to this work, then as fast suddenly,
unwitting himself that worketh, the body that peradventure before ere he began
was somewhat bent downwards, on one side or on other for ease of the flesh, by
virtue of the spirit shall set it upright: following in manner and in likeness
bodily the work of the spirit that is made ghostly. And thus it is most seemly
to be.
And for
this seemliness it is, that a manthe which is the seemliest creature in body
that ever God madeis not made crooked to the earthwards, as be an other
beasts, but upright to heavenwards. For why? That it
And
therefore be wary that thou conceive not bodily that which is meant ghostly,
although it be spoken in bodily words, as be these, up or down, in or out,
behind or before, on one side or on other. For although that a thing be never
so ghostly in itself, nevertheless yet if it shall be spoken of, since it so is
that speech is a bodily work wrought with the tongue, the which is an
instrument of the body, it behoveth always be spoken in bodily words. But what
thereof? Shall it therefore be taken and conceived bodily? Nay, but ghostly, as
it be meant.
How a man may wit when his ghostly work is
beneath him or without him, and when it is even with him or within him, and
when it is above him and under his God.
AND for
this, that thou shalt be able better to wit how they shall be conceived
ghostly, these words that be spoken bodily, therefore I think to declare to
thee the ghostly bemeaning of some words that fall to ghostly working. So that
thou mayest wit clearly without error when thy ghostly work is beneath thee and
without thee, and when it is within thee and even with thee, and when it is
above thee and under thy God.
All
manner of bodily thing is without thy soul and beneath it in nature,
All
angels and all souls, although they be confirmed and adorned with grace and
with virtues, for the which they be above thee in cleanness, nevertheless, yet they
be but even with thee in nature.
Within in
thyself in nature be the powers of thy soul: the which be these three
principal, Memory, Reason, and Will; and secondary, Imagination and Sensuality.
Above
thyself in nature is no manner of thing but only God.
Evermore
where thou findest written thyself in ghostliness, then it is understood thy
soul, and not thy body. And then all after that thing is on the which the
powers of thy soul work, thereafter shall the worthiness and the condition of
thy work be deemed; whether it be beneath thee, within thee, or above thee.
Of the powers of a soul in general, and how
Memory in special is a principal power, comprehending in it all the other
powers and all those things in the which they work.
MEMORY is
such a power in itself, that properly to speak and in manner, it worketh not
itself. But Reason and Will, they be two working powers, and so is Imagination
and Sensuality also. And all these four powers and their works, Memory
containeth and comprehendeth in itself. And otherwise it is not said that the
Memory worketh, unless such a comprehension be a work.
And
therefore it is that I call the powers of a soul, some principal, and
And for
this cause is Reason and Will called principal powers, for they work in pure
spirit without any manner of bodilyness: and Imagination and Sensuality
secondary, for they work in the body with bodily instruments,
Of the other two principal powers Reason and
Will; and of the work of them before sin and after.
REASON is
a power through the which we depart the evil from the good, the evil from the
worse, the good from the better, the worse from the worst, the better from the
best. Before ere man sinned, might Reason have done all this by nature. But now
it is so blinded with the original sin, that it may not con work this work,
unless it be illumined by grace. And both the self Reason, and the thing that
it worketh in, be comprehended and contained in the Memory.
Will is a
power through the which we choose good, after that it be determined
Of the first secondary power, Imagination by
name; and of the works and the obedience of it unto Reason, before Sin and
after.
IMAGINATION
is a power through the which we portray all images of absent and present
things, and both it and the thing that it worketh in be contained in the
Memory. Before ere man sinned, was Imagination so obedient unto the Reason, to
the which it is as it were servant, that it ministered never to it any
unordained image of any bodily creature, or any fantasy of any ghostly
creature: but now it is not so. For unless it be refrained by the light of
grace in the Reason, else it will never cease, sleeping or waking, for to
portray
This
inobedience of the Imagination may clearly be conceived in them that be
newlings turned from the world unto devotion, in the time of their prayer. For
before the time be, that the Imagination be in great part refrained by the
light of grace in the Reason, as it is in continual meditation of ghostly
thingsas be their own wretchedness, the passion and the kindness of our Lord
God, with many such otherthey may in nowise put away the wonderful and the
diverse thoughts, fantasies, and images, the which be ministered and printed in
their mind by the light of the curiosity of Imagination. And all this
inobedience is the pain of the original sin.
Of the other secondary power, Sensuality by
name; and of the works and of the obedience of it unto Will, before sin and
after.
SENSUALITY
is a power of our soul, recking and reigning in the bodily wits, through the
which we have bodily knowing and feeling of all bodily creatures, whether they
be pleasing or unpleasing. And it hath two parts: one through the which it
beholdeth to the needfulness of our body, another through the which it serveth
to the lusts of the bodily wits. For this same power is it, that grumbleth when
the body lacketh the needful things unto it, and that in the taking of the need
stirreth us to take more than needeth in feeding
Before
ere man sinned was the Sensuality so obedient unto the Will, unto the which it
is as it were servant, that it ministered never unto it any unordained liking
or grumbling in any bodily creature, or any ghostly feigning of liking or
misliking made by any ghostly enemy in the bodily wits. But now it is not so:
for unless it be ruled by grace in the Will, for to suffer meekly and in
measure the pain of the original sin, the which it feeleth in absence of
needful comforts and in presence of speedful discomforts, and thereto also for
to restrain it from lust in presence of needful comforts, and from lusty
plesaunce in the absence
That whoso knoweth not the powers of a soul
and the manner of her working, may lightly be deceived in understanding of
ghostly words and of ghostly working; and how a soul is made a God in grace.
LO,
ghostly friend! to such wretchedness as thou here mayest see be we fallen for
sin: and therefore what wonder is it, though we be blindly and lightly deceived
in understanding of ghostly words and of ghostly working, and specially those
the which know not yet the powers of their souls and the manners of their
working?
For ever
when the Memory is occupied with any bodily thing be it taken to never so good
an end, yet thou art beneath thyself in this working, and
Above
thyself thou art: for why, thou attainest to come thither by grace, whither
thou mayest not come by nature. That is to say, to be oned to God, in spirit,
and in love, and in accordance of will. Beneath thy God thou art: for why,
although it may be said in manner, that in this time God
Lo,
ghostly friend! hereby mayest thou see somewhat in part, that whoso knoweth not
the powers of their own soul, and the manner of their working, may full lightly
be deceived in understanding of words that be written to
That nowhere bodily, is everywhere ghostly;
and how our outer man calleth the word of this book nought.
AND on
the same manner, where another man would bid thee gather thy powers and thy wits
wholly within thyself, and worship God therealthough he say full well and full
truly, yea! and no man trulier, an he be well conceivedyet for fear of deceit
and bodily conceiving of his words, me list not bid thee do so. But thus will I
bid thee. Look on nowise that thou be within thyself. And shortly, without
thyself will I not that thou be, nor yet above, nor behind, nor on one side,
nor on other.
«Where
then,» sayest thou, «shall I
Let be
this everywhere and this
How that a mans affection is marvelously
changed in ghostly feeling of this nought, when it is nowhere wrought.
WONDERFULLY
is a mans affection varied in ghostly feeling of this nought when it is
nowhere wrought. For at the first time that a soul looketh thereupon, it shall
find all the special deeds of sin that ever he did since he was born, bodily or
ghostly, privily or darkly painted thereupon. And howsoever that he turneth it
about, evermore they will appear before his eyes; until the time be, that with
much hard travail, many sore sighings, and many bitter weepings, he have in great
part washed them away. Sometime in this travail him think that it
For he
that abideth feeleth sometime some comfort, and hath some hope of perfection;
for he feeleth and seeth that many of his fordone special sins be in great part
by help of grace rubbed away. Nevertheless yet ever among he feeleth pain, but
he thinketh that it shall have an end, for it waxeth ever less and less. And
therefore he calleth it nought else but purgatory. Sometime he can find no
special sin written thereupon, but yet him think that sin is a lump, he wot
never what, none other thing than himself; and then it may be called the
Yea!
think what he think will; for evermore he shall find it a cloud of unknowing, that is betwixt him and his God.
That right as by the defailing of our bodily
wits we begin more readily to come to knowing of ghostly things, so by the
defailing of our ghostly wits we begin most readily to come to the knowledge of
God, such as is possible by grace to be had here.
AND
therefore travail fast in this nought, and this nowhere, and leave thine
outward bodily wits and all that they work in: for I tell thee truly, that this
work may not be conceived by them.
For by
thine eyes thou mayest not conceive of anything, unless it be by the length and
the breadth, the smallness and the greatness, the roundness and the squareness,
the farness and the nearness, and the colour of it.
For by
nature they be ordained, that with them men should have knowing of all outward
bodily things, and on nowise by them come to the knowing of ghostly things. I
mean by their works. By their failings we may, as thus: when we read or hear
On this
same manner ghostly it fareth within our ghostly wits, when we travail about
the knowing of God Himself. For have a man never so much ghostly understanding
in knowing of all made ghostly things, yet may he never by the work of his
understanding come to the knowing of an unmade ghostly thing: the which is
nought but God. But by the failing it may: for why, that thing that it faileth
in is nothing else but only God. And therefore it was that Saint Denis said, the most goodly knowing of God is that, the
which is known by unknowing. And truly, whoso will look in Denis books, he
shall find that his words will clearly affirm all that I have said or shall
say, from
That some may not come to feel the perfection
of this work but in time of ravishing, and some may have it when they will, in
the common state of mans soul.
SOME
think this matter so hard and so fearful, that they say it may not be come to
without much strong travail coming before, nor conceived but seldom, and that
but in the time of ravishing. And to these men will I answer as feebly as I
can, and say, that it is all at the ordinance and the disposition of God, after
their ableness in soul that this grace of contemplation and of ghostly working
is given to.
For some
there be that without much and long ghostly exercise may
Moses ere
he might come to see this Ark and for to wit how it should be made, with great
long travail he clomb up to the top of the mountain, and dwelled there, and
wrought in a cloud six days: abiding unto the seventh day that our Lord would
vouchsafe for to shew unto him the manner of this Ark‑making. By Mosess
long travail and his late shewing, be understood those that may not come to the
perfection of this ghostly work without long travail coming before: and yet but
full seldom, and when God will vouchsafe to shew it.
But that
that Moses might not come to see but seldom, and that not without great long
travail, Aaron had in his power because of his office, for to see it in the
Temple within the Veil as
That a worker in this work should not deem nor
think of another worker as he feeleth in himself.
LO!
hereby mayest thou see that he that may not come for to see and feel the
perfection of this work but by long travail, and yet is it but seldom, may
lightly be deceived if he speak, think, and deem other men as he feeleth in
himself, that they may not come to it but seldom, and that not without great
travail. And on the same manner may he be deceived that may have it when he
will, if he deem all other thereafter; saying that they may have it when they
will. Let be this: nay, surely he may not think thus. For peradventure, when it
liketh unto God, that
How that after the likeness of Moses, of Bezaleel,
and of Aaron meddling them about the Ark of the Testament, we profit on three
manners in this grace of contemplation, for this grace is figured in that Ark.
THREE men
there were that most principally meddled them with this Ark of the Old
Testament: Moses, Bezaleel, Aaron. Moses learned in the mount of our Lord how
it should be made. Bezaleel wrought it and made it in the Veil after the
ensample that was shewed in the mountain. And Aaron had it in keeping in the
Temple, to feel it and see it as oft as him liked.
At the
likeness of these three, we profit on three manners in this grace
Lo!
ghostly friend, in this work, though it be childishly and lewdly spoken, I
bear, though I be a wretch
How that the matter of this book is never more
read or spoken, nor heard read or spoken, of a soul disposed thereto without
feeling of a very accordance to the effect of the same work: and of rehearsing
of the same charge that is written in the prologue.
AND if
thee think that this manner of working be not according to thy disposition in
body and in soul, thou mayest leave it and take another, safely with good
ghostly counsel without blame. And then I beseech thee that thou wilt have me
excused, for truly I would have profited unto thee in this writing at my simple
cunning; and that was mine intent. And therefore read over twice or thrice; and
ever the ofter the better, and the
Yea! and
it seemeth impossible to mine understanding, that any soul that is disposed to
this work should read it or speak it, or else hear it read or spoken, but if
that same soul should feel for that time a very accordance to the effect of
this work. And then if thee think it doth thee good, thank God heartily, and
for Gods love pray for me.
Do then
so. And I pray thee for Gods love that thou let none see this book, unless it
be such one that thee think is like to the book; after that thou findest
written in the book before, where it telleth what men and when they should work
in this work. And if thou shalt let any such men see it, then I pray thee that
thou bid them take them time to look it all over. For peradventure there is
some
Fleshly
janglers, flatterers and blamers, ronkers and ronners, and all manner of
pinchers, cared I never that they saw this book: for mine intent was never to
write such thing to them. And therefore I would not that they heard it, neither
they nor none of these curious lettered nor unlearned men: yea! although they
be full good men in active living, for it accordeth not to them.
Of some certain tokens by the which a man may
prove whether he be called of God to work in this work
ALL those
that read or hear the matter of this book be read or spoken, and in this reading
or hearing think it a good and liking thing, be never the rather called of God
to work in this work, only for this liking stirring that they feel in the time
of this reading. For peradventure this stirring cometh more of a natural
curiosity of wit, than of any calling of grace.
But, if
they will prove whence this stirring cometh, they may prove thus, if them
liketh. First let them look if they have done that in them is before, abling
them thereto in cleansing of
I say not
that it shall ever last and dwell in all their minds continually, that be
called to work in this work. Nay, so is it not. For from a young ghostly
prentice in this work, the actual feeling thereof is ofttimes withdrawn for
divers reasons. Sometime, for he shall not take over presumptuously thereupon,
and ween that it be in great part in his own power
Sometimes
it is withdrawn for their carelessness; and when it is thus, they feel soon
after a full bitter pain that beateth them full sore. Sometimes our Lord will
delay it by an artful device, for He will by such a delaying make it grow, and
be had more in dainty when it is new found and felt again that long had been
lost. And this is one of the readiest and sovereignest tokens that a soul may
have to wit by, whether he be called or not to work in this work, if he feel after
such a delaying and a long lacking of this work, that when it cometh suddenly
as it doth, unpurchased with
And if it
be thus, surely it is a very token without error, that he is called of God to
work in this work, whatsoever that he be or hath been.
For not
what thou art, nor what thou hast been, beholdeth God with His merciful eyes;
but that thou wouldest be. And Saint Gregory to witness, that all holy desires
grow by delays: and if they wane by delays, then were they never holy desires.
For he that feeleth ever less joy and less, in new findings and sudden
presentations of his old purposed desires, although they may be called natural
desires to the good, nevertheless holy desires were they never. Of this holy
desire speaketh Saint Austin and saith, that all the life of a good
Farewell,
ghostly friend, in Gods blessing and mine! And I beseech Almighty God, that
true peace, holy counsel, and ghostly comfort in God with abundance of grace,
evermore be with thee and all Gods lovers in earth. Amen.
HERE
ENDETH THE CLOUD OF UNKNOWING.
Collection des MYSTIQUES ANGLAIS
LE NUAGE DE L'INCONNAISSANCE ET LES ÉPITRES QUI S'Y RATTACHENT - PAR UN ANONYME ANGLAIS DU QUATORZIČME SIČCLE
TRADUITS PAR D. M. NOETINGER MOINE DE SOLESMES Deuxičme édition SOLESMES 1977
CI-COMMENCE L'ÉPITRE DE LA DIRECTION INTIME. CET ÉCRIT DÉPEND DU " NUAGE " ET SUPPOSE LA PRATIQUE DE CE QU'ENSEIGNE LE " NUAGE ". IL PEUT ČTRE TRČS UTILE AUX CONTEMPLATIFS QUI VEULENT ARRIVER A L'AMOUR DIVIN.[10]
Ami en Dieu et dans la vie spirituelle, cet écrit voudrait t'apprendre ą quelle occupation intérieure tu dois te livrer, d'aprčs ce que je crois savoir de tes dispositions intimes ; je m'adresse donc ą toi aujourd'hui, non ą tous ceux qui prendront connaissance de ma lettre. Si j'écrivais pour eux tous, je devrais traiter un sujet qui leur convīnt ą tous en général ; mais puisque c'est pour toi en particulier que je veux écrire, je me bornerai ą ce qui me semble le plus avantageux pour toi, le plus en harmonie avec ton état actuel. Si d'autres se trouvent dans les mźmes dispositions et peuvent tirer profit de cet ouvrage, tant mieux ; j'en serai heureux. Il reste cependant que mes réflexions visent tes seuls besoins personnels. C'est donc ą toi et ą ceux qui te ressemblent, que s'adresseront mes avis.
Que la pričre dont est ici traité consiste ą tendre vers Dieu dans l'obscurité de la foi, et ą lui offrir ainsi son titre sans considération ni analyse /1.
Lorsque tu veux te recueillir, ne réfléchis pas d'avance ą ce que tu vas faire /2. Laisse de cōté toutes pensées, les bonnes comme les mauvaises ; et, ą moins de t'y sentir porté, ne cherche pas ą prier des lčvres. Lorsque alors tu commenceras ta pričre, ne te mets pas en peine de sa durée, ne t'occupe pas de ce qu'elle sera ni du nom qu'on lui donnera : oraison, psaume, hymne, antienne ou toute autre pričre, pričre générale ou particuličre, pričre mentale, consistant dans l'attention intérieure de la pensée, ou pričre vocale et rendue extérieure par les paroles.
Veille seulement ą ce qu'il n'y ait dans
/1 Les divisions et titres Introduits dans l'EptIre ne se trouvent pas dans les mss. ; ils ont paru utiles pour faciliter la lecture.
/2 Ce conseil s'adresse ą un contemplatif dont la vie est employée ą la lecture, ą la méditation, etc., et n'est qu'une préparation ą la pričre : il ne peut s'appliquer dans tous les cas.
ton āme qu'une seule opération, un simple regard fixé sur Dieu, sans que vienne s'y mźler aucune pensée particuličre sur lui. Ce n'est pas le moment de considérer comment il est en lui-mźme ou dans ses oeuvres, mais seulement qu'il est ce qu'il est. Oui, qu'il soit tel qu'il est : ne le conēois pas autrement, je t'en prie. Ne cherche rien de plus ą son sujet par subtilité d'esprit ; et que ta foi soit l'unique fondement de ta pričre /1.
Ce simple regard vers Dieu, s'appuyant librement sur une foi sincčre, sera perēu et compris par toi comme une pensée nue et un sentiment obscur de ton źtre propre. Ce sera comme si tu disais intérieurement ą Dieu : « Ce que je suis, mon bon Seigneur, je vous l'offre, sans m'arrźter ą aucune des qualités de votre źtre, mais en affirmant seulement que vous źtes ce que vous źtes, et rien de plus ! » Que cette humble obscurité soit tout ton objet et toute ta pensée.
/1 Ainsi que l'auteur l'a remarqué déją au ch. IV du Nuage, il ne s'agit pas d'un exercice de gymnastique intellectuelle qui produirait la contemplation par une sorte d'entraīnement naturel. Le seul exercice recommandé est celui des actes de foi et de charité, en quoi consiste « ce simple regard sur Dieu s'appuyant sur la foi ». Lorsqu'elle se sent portée ą cette pričre, l'āme ne doit pas chercher ą méditer ; mais elle ne doit pas non plus oublier que c'est Jésus l'agent principal de ce qui est décrit ici (Cf. infra, ch. VII).
Ne fais pas plus de réflexion sur toi-mźme que sur Dieu afin de devenir un avec lui en esprit, sans dispersion ni distinction. Il est la base de ton źtre /1 ; car c'est
/1 Le texte anglais de ce passage est le suivant : « He (God) is thy being, and ln Him thou art what thou art, not only by cause and by being, but also He is in thee both thy cause and thy being... evermore saving this difference betwixt thee and Him, that He is thy being and thou not His. For though it be so that all things be in Him by cause and by being and He be in all things their cause and their being, yet In Himself only He is His own cause and His own being. For as nothing may be without Him, so may He not be without Himself. He is being both to Himself and to all. And in that only is He separated from all, that He is being both of Himself and of all. And in that is He one in all and all in Him, that all things have their being in Him as He is the being of all. Plus loin il dira : « That that I am, o Lord, I offer unto thee, for Thou art » (ch.1); ou bien : «All I have of Thee Lord, and Thou it art » (ch. III); et encore « For that thou art thou hast it of Him and He it is. And although thou hast a beginning in the substantial creation the which was sometime nought, yet hath thy being been evermore in Him without beginning and ever shall be without ending as He Himself is » (ch. IV).
Ce dernier texte déją pourrait servir ą expliquer les autres ; mais pour les comprendre, il faut rappeler d'abord les textes souvent cités de la Sainte Écriture : Ipse (Deus) est in omnibus, le grec dit : Dieu est le tout (Eccli., XLIII, 29) ; in Ipso vivimus, movemur et sumus (Act., XVII, 28); Deus est omnia in omnibus (I Cor., XV, 28); omnia in Ipso constant (Col., 1, 27). A ces textes Il faudrait ajouter les commentaires qu'en ont laissés les docteurs les plus orthodoxes de l'École, chez qui l'on trouverait des expressions aussi fortes que celles de l'auteur inconnu. Cf. par exemple : S. Anselme,
en lui que tu es ce que tu es, non seulement parce qu'il est cause et źtre, mais aussi parce qu'il est en toi tout ą la fois et
Monologium, ch. I, III, IV, V, X-XII, etc. ; Proslogium, ch. XIX, XXII, etc. (P. L., t. CLVIII, col. 144 ; 147-150 ; 157-160 ; 237-238, etc.) ; Hugues de Saint-Victor, Alleg. in Nov. Test., l. V (P. L., t. CLXXV, col. 858) ; in Hier. cl., l. III, V (P. L., ibid., col. 976, 1009); S. Bernard, De consider., l. V, ch. VI (P. L., t. CLXXXII, col. 796) : Quid Deus? sine quo nihil est. Tam nihil esse sine ipso, quam nec ipse sine se potest. Ipse sibi, ipse omnibus est. Ac per hoc quodammodo ipse solus est qui suum ipsius est et omnium esse. L'auteur s'est certainement souvenu de ce passage (V. plus loin). Mais il est inutile de multiplier ces citations, puisqu'il est reconnu que toute la portion de l'Epītre oł se rencontrent de telles expressions est une paraphrase du De div. Nom. de S. Denys et s'explique par lui (Cf. Préface). Or S. Denys, plus que tous les autres théologiens, aime ą employer des termes aussi forts que possible : « Dieu est la cause, l'origine, l'źtre et la vie de tous les źtres » (De div. Nom., II, 3) ; « tout ce qui est a son źtre en lui » (ibid., V, 4. Cf. Sum. theol., la III, Q. LXIX, art. 2) ; « il est l'źtre de tout ce qui a existence, ... il possčde la plénitude totale de l'źtre ; en lui comme dans sa source réside et subsiste l'źtre de toutes choses » (ibid., V, 4)); « l'existence relčve de lui, et il ne relčve pas d'elle ; elle est comprise en lui, et non lui en elle ; elle participe de lui, et non lui d'elle » (Hier. cael., IV, 7). On devrait citer tout le ch. IV de la Hiérarchie céleste, et le ch. V des Noms divins.
Mais si l'Epītre s'inspire du Pseudo-Aréopagite, il est bien clair qu'elle demande ą źtre entendue dans le mźme sens que son modčle. Or, plus qu'aucun autre peut-źtre, S. Denys a insisté sur la transcendance divine. Il était donc légitime d'interpréter dans la traduction le texte anglais d'aprčs les idées certaines de l'auteur, et c'est ce qui a été fait dans une certaine mesure (du reste, Cf. Préface).
ta cause et ton źtre. Donc dans cette oeuvre pense ą Dieu comme tu penses ą toi-mźme, et ą toi-mźme comme tu penses ą Dieu : qu'il est comme il est, que tu es comme tu es /1; de sorte que ta pensée ne soit pas dispersée ni divisée, mais rendue une en celui qui est tout.
Encore faut-il maintenir toujours cette différence entre toi et lui, qu'il est l'źtre dont tu participes et que tu n'es pas le sien. Toutes choses sont en lui par cause et par źtre, et il est cause et źtre pour toutes ; mais ce n'est qu'en lui-mźme qu'il est sa propre cause et son źtre propre. Rien ne peut źtre sans lui, et ainsi il ne peut źtre sans lui-mźme. Il est źtre pour toi et pour toutes choses, mais il se distingue de toutes parce qu'il est l'źtre ą la fois de toutes et de lui-mźme. Et s'il est en toutes, et toutes en lui, c'est que toutes choses ont leur źtre en lui, comme il est éminemment l'źtre de toutes.
Ainsi tu lui seras uni dans la grāce, sans séparation, par l'intelligence et la conscience ; ą condition de rejeter toutes recherches subtiles sur les qualités de ton źtre
/1 Plusieurs chapitres du De consider., de S. Bernard, sont précisément consacrés ą examiner ce qu'est Dieu et ce qu'est l'homme : l. II, ch. iv et s. ; l. V, ch. vi et s. (P. L., t. CLXXXII, col. 746 et s., 802 et s.).
aveugle et du sien ; ą condition aussi que ta pensée soit nue et tes impressions purifiées. Alors, dans cette nudité, par la touche de la grāce, tu seras secrčtement nourri de lui seul tel qu'il est ; mais ce sera dans l'obscurité et d'une maničre partielle seulement, comme il est possible de l'źtre ici-bas, si bien que ton désir ne cessera de s'exercer et de s'aviver. Alors lčve les yeux sans crainte et dis ą ton Seigneur, soit en paroles, soit au fond de ton coeur : « Ce que je suis, Seigneur, je vous l'offre ; car vous źtes éminemment ce que je suis. » Et pense purement, simplement, que tu es ce que tu es, sans raffinement ni recherche.
Il n'est pas besoin d'źtre passé maītre pour prier ou penser ainsi, semble-t-il : ce procédé est ą la portée du plus ignorant des hommes ou des femmes, et de l'intelligence naturelle la plus vulgaire ici-bas. Aussi je m'étonne doucement et ne puis retenir un sourire mźlé de tristesse, quand me reviennent les réflexions de certaines personnes, non des plus ignorantes, mais savantes et trčs instruites. A les entendre, mes écrits sont si élevés et si durs ą lire, si extraordinaires, si étranges, qu'ą peine peuvent-ils źtre saisis par les gens les plus instruits ou les plus intelligents.
A ceux qui parlent de la sorte, je répondrai qu'ils donnent un sérieux motif de s'affliger, et vraiment ils méritent d'źtre, dans une intention de miséricorde, raillés par Dieu et ceux qui l'aiment, et sévčrement réprimandés, puisque leur préoccupation de science et d'intelligence les rend si aveugles : et je ne parle pas de quelques personnes seulement, mais du plus grand nombre des chrétiens, sauf peut-źtre, dans chaque pays, une ou deux āmes spécialement choisies de Dieu. C'est leur prétention qui les empźche de comprendre le vrai sens de cette oeuvre facile, par laquelle toute personne, fūt-elle la plus ignorante et la plus inculte, peut s'unir ą Dieu dans une charité parfaite, au moyen d'une humilité amoureuse. A la vérité, dans leur aveuglement et leur inquiétude, ils n'y comprennent rien, pas plus qu'un enfant ą l'A B C n'apprécie la science des plus grands érudits. Pour la mźme raison ils traiteront ą tort de doctrine subtile un enseignement trčs simple ; alors qu'ą y regarder de prčs, ce n'est qu'une leēon facile donnée par un ignorant. N'est-il pas vraiment trop peu instruit et trop peu spirituel celui qui ne peut pas penser qu'il est; je ne dis pas : penser ce qu'il est, mais : penser qu'il est? N'est-il pas naturel ą la vache la plus ignorante, ą la bźte la plus dépourvue de raison (si tant est que l'on puisse dire, par impossible, que l'une le soit plus que l'autre), d'avoir le sentiment de leur źtre propre? A plus forte raison est-il naturel ą l'homme, qui est doué d'une maničre éminente de raison, et au-dessus de tous les animaux, d'avoir la pensée et la conscience de son źtre.
Abaisse-toi donc dans la partie la plus basse de ton intelligence (que certains, expérience faite, tiennent pour la pointe la plus élevée) ; et, de la maničre la plus simple (que d'aucuns regardent comme la plus sage), considčre, non pas ce que tu es, mais seulement que tu es. Penser ą ce que tu es, avec tout ce qui est propre ą ta nature, suppose beaucoup de science et d'intelligence, exige les recherches approfondies de tes facultés. Ce travail a été fait par toi, je suppose, bien des fois déją avec le secours de la grāce, si bien que tu sais aujourd'hui ce que tu es, du moins partiellement et autant qu'il t'est profitable pour le moment ; en d'autres termes, tu sais que tu es, par nature, un homme, et, par le péché, un misérable aussi hideux que répugnant /1. Et peut-źtre ne penses-tu que trop parfois ą toutes les ordures qui sont la suite
/1 Cf. S. Edmond, Specul. Ecclesiae (Bibliot. Max. Patrum (1624), t. V, col. 767-768).
de ta misčre /1. Honte ą elles ! laisse-les de cōté, je. t'en prie ; ne les remue pas davantage de crainte de l'odeur. Au contraire, pour penser que tu es, il te suffit de ton ignorance et de ta simplicité, sans grande science, ni naturelle ni acquise.
De quelle maničre on
doit faire offrande de son źtre ą Dieu ; et qu'il faut imposer silence ą nos
facultés discursives.
Ne fais donc autre chose, je t'en prie, sinon de penser simplement que tu es comme tu es, quelque souillé ou misérable que tu sois, peu importe. Il faut, bien entendu, que tu te sois au préalable, et je suppose que tu l'as fait, purifié de tous tes péchés en particulier et en général, selon les rčgles établies et d'aprčs les instructions véridiques de la Sainte Église /2. Car, sans cette purification, ni toi ni nul autre, de
/1 Cf. Cassien Coll. XX, ch. IX in fine (P. L., t. XLIX, col. 1167).
/2 Ct. S. Augustin, de Quantit. anim., no 75 (P. L., t. XXXII, col. 1076).
mon aveu, ne devez źtre assez hardis pour entreprendre l'oeuvre dont je parle. Mais si tu as conscience d'avoir fait ce qui est en toi, alors tu peux t'appliquer ą cette oeuvre. Et te sentirais-tu encore abject et misérable, si encombré de toi-mźme que tu ne saches que faire de toi, suis mes indications.
Dieu est bon et plein de grāce ; prends-le en toute simplicité, comme tu ferais d'un baume, et applique-le sur ton źtre malade tel que tu es ; autrement dit, avec l'źtre malade que tu es, va toucher par ton désir le Dieu bon et plein de grāce tel qu'il est/1. Car son contact est le salut infini, comme le témoigne la femme de l'Évangile, disant : « Si tetigero vel fimbriam vestimenti ejus, salva ero ; si je touche seulement le bord de son vźtement, je serai sauvée » (Cf. Matth., IX, 20-21). A plus forte raison seras-tu guéri de ta maladie par le contact céleste de son źtre mźme. Approche-toi donc résolument et use de ce remčde ; présente-toi sans crainte tel que tu es ą Dieu plein de grāce
3 Cf. S. Augustin, Enarr. in psalm. xxxi, serm. II, n° 12 ; in psalm. xliii, n° 14 ; in psalm. Lxv, no 5 ; in psaim. Lxix, no 1; in psaim. txxxv, n0 9; in psalm. xc, sermo II, no 6; S. Bernard, sermon VI, vigile de Noėl, no 1 et 2 (P. L., t. XXXVI, col. 266; 487; 790; 866; t. XXXVII, col. 1088, 1164 ; t. CLXXXIII, col. 109).
tel qu'il est, sans te livrer ą aucune considération particuličre et raffinée au sujet des qualités de ton źtre et de l'źtre de Dieu : pureté ou misčre, grāce ou nature, Divinité ou humanité, peu importe ; il suffit que tu offres avec joie et dans la spontanéité de l'amour ce regard aveugle sur ton źtre tel que tu le vois, pour que la grāce l'unisse étroitement ą l'źtre ineffable de Dieu tel qu'il est en lui-mźme, sans rien de plus.
Il est vrai, tes facultés vagabondes et inquičtes ne trouveront pas d'aliment dans cette maničre d'agir ; aussi te presseront-elles, en murmurant, de délaisser cette oeuvre et de faire quelque chose qui satisfasse ą leur curiosité, car elles ne voient rien qui vaille dans ce que tu fais et n'y comprennent rien ; mais je l'en aime d'autant mieux, c'est une preuve qu'elle leur est supérieure. Dčs lors pourquoi ne pas la préférer? Certes, rien de ce que je pourrais faire, ou de ce que pourraient accomplir les recherches de mes facultés ou de mes sens, ne peut m'amener si prčs de Dieu et me conduire si loin du monde que ce sentiment simple et nu de mon źtre aveugle, et l'offrande que j'en fais.
Peu importe donc que tes facultés ne trouvent aucun aliment dans cette oeuvre et cherchent ą t'en détourner ; veille ą ne pas l'abandonner ą cause d'elles, mais maītrise leurs divagations, ce sont des folles. C'est revenir en arričre et nourrir tes facultés, que de leur permettre des recherches et réflexions subtiles sur les qualités de ton źtre : de telles méditations sont, ą certains moments, trčs bonnes et trčs utiles ; mais comparées ą ce sentiment aveugle et ą cette offrande de ton źtre, elles te dissipent et te distraient de l'unité parfaite qui devrait rester entre Dieu et ton āme. Tiens-toi dans la fine pointe de ton esprit qui est la pensée de ton źtre, et ne retourne en arričre pour rien au monde, quelque bon et saint que paraisse l'objet auquel tes facultés veulent t'entraīner.
Que cette pričre est
prescrite par la Sainte Écriture; et qu'en elle se trouvent accomplis tous les
préceptes et particuličrement celui de la charité.
Suis le conseil et l'enseignement de Salomon disant ą son fils: « Honora Dominum de tua substantia, et de primitiis frugum tuarum da pauperibus; et implebuntur horrea tua saturitate, et vino torcularia tua redundabunt; honore le Seigneur avec ta substance et nourris les pauvres des prémices de tes fruits; alors tes greniers seront pleins jusqu'ą déborder et tes pressoirs regorgeront de vin /1 » (Prov., III, 9-10). Dans ce texte, Salomon parlait ą son fils, selon le sens littéral ; mais pour l'appliquer ą ton intelligence, je l'interpréterai au sens spirituel et te dirai en son nom : Ami en Dieu, veille ą laisser de cōté toute l'activité de tes facultés naturelles, et ą rendre ą ton Seigneur Dieu un culte plénier au moyen de ta substance /2; offre-lui en toute simplicité ton źtre tout entier, tout ce que tu es et tel que tu es, mais offre-le comme un tout sans le morceler, c'est-ą-dire sans considérer en détail ce que tu es. Par lą ton regard ne sera pas dispersé, tes impressions resteront pures, et il n'y aura plus d'obstacle ą ton unité intérieure avec Dieu dans la pureté du coeur.
« Et nourris les pauvres des prémices de
/1 Le texte dont se sert l'auteur diffčre en plusieurs endroits de celui de la Vulgate. Ici la Vulgate lit : « donne ą Dieu, et l'Epītre : « donne aux pauvres les prémices de tes fruits.
/2 Cf. S. Thomas in IV Sent., dlst. IV, Q. 111, art. 3, q. 3 ad 3.
tes fruits, » c'est-ą-dire nourris-les des premičres de tes qualités spirituelles et corporelles, celles qui ont grandi avec toi depuis le commencement de ta création jusqu'aujourd'hui, tous les dons de la nature ou de la grāce que tu tiens de Dieu. Je les appelle des fruits, avec lesquels tu dois entretenir et nourrir en cette vie, corporellement et spirituellement, tous tes frčres et soeurs selon la nature et la grāce, comme tu dois le faire pour toi-mźme.
C'est le premier de ces dons que j'appelle « les prémices de tes fruits /1 ». Dans toute créature le premier don reēu est l'źtre. Sans doute, les qualités /2 de l'źtre sont si intimement liées ą l'źtre mźme, qu'elles ne peuvent s'en séparer ; néanmoins, puisqu'elles dépendent de lui, on peut dire avec certitude qu'il est le don premier. Ainsi c'est ton źtre seul qui constitue les prémices de tes fruits. En effet, si ton coeur veut se répandre en de multiples considérations sur une ou plusieurs des qualités intimes de l'źtre humain et sur ce qui en
/1 Cf. S. Grégoire, in Buck, liv. I, hom. y, 13 (P. L., t. LXXVI, col. 826-827).
/2 Au sens scolastique, employé ici, la qualité est « tout ce qui perfectionne ou détermine une substance H faut donc l'entendre non seulement des qualités morales, mais de tous les attributs d'un źtre.
fait la plus noble des créatures corporelles, toujours tu trouveras que le point premier et l'objet foncier de ta considération, quelle qu'elle soit, est l'źtre pur et nu /1.
Ainsi donc dans chacune de tes considérations tu t'exciteras ą l'amour et ą la louange de ton Seigneur Dieu, qui t'a donné d'źtre et d'źtre avec une telle noblesse, comme le prouvent les qualités que tu as reēues ; et tu te diras en toi-mźme : « Je suis, je constate et je sens que je suis ; non seulement je suis, mais je suis de telle et telle maničre ; » et tu rappelleras ą ton souvenir toutes les qualités particuličres de ton źtre. Puis, ce qui est beaucoup plus considérable, tu les réuniras en faisceau et tu diras : « Mon źtre et ma maničre d'źtre, selon la nature et selon la grāce, tout cela je le tiens du Seigneur ; tout cela est de vous, mon Dieu, et vous l'źtes éminemment, et je vous l'offre, d'abord pour vous louer, et aussi pour venir en aide ą tous mes frčres dans la foi et ą moi-mźme /2. » Par lą tu peux voir que l'essentiel de ta considération consiste avant tout et premičrement dans ce simple regard et dans cette
/1 Cf. Hugues de Saint-Victor, Soli!. de arrha anime (P. L., t. CLXXVI, col. 960).
/2 Cf. Nuage, ch. ix.
conscience aveugle de ton źtre qui constitue « les prémices de tes fruits ».
Sans doute ce ne sont lą que les prémices de tes fruits, de qui dépendent tous les autres ; mais ce n'est pas le moment d'envelopper la considération que tu en fais, en la revźtant en quelque sorte des qualités particuličres de ton źtre, que j'appelle tes fruits et sur lesquelles tu t'es exercé auparavant. Qu'il te suffise, ą l'heure présente, « d'honorer » pleinement « Dieu de ta substance » et de lui offrir ton źtre nu, c'est-ą-dire tes prémices, en un continuel sacrifice de louange ą Dieu, pour toi et pour tous les hommes, comme le demande la charité. Ne l'enveloppe /1 donc d'aucun attribut spécial, ni de rien qui appartienne ą ton źtre ou ą celui d'autrui ; comme si tu voulais par lą subvenir ą tes besoins ou ą ceux du prochain et accroītre ce qui peut źtre avantageux ą tous et les faire avancer davantage dans la perfection.
Néglige cela, tu ne réussirais pas ainsi. Une considération aveugle et générale, dans la pureté de cur, est plus conforme ą tes besoins, plus utile ą ton avancement,
/1 Peut-źtre y a-t-il, dans cette expression, soit une allusion ą l'habitude d'envelopper l'offrande dans le voile ą l'autel, soit mźme une réminiscence de la Rčgle de saint Benoīt qui parle de cette coutume (ch. LIX).
plus profitable ą ta perfection et ą celle d'autrui, que n'importe quelle considération particuličre, si sainte qu'elle paraisse.
La vérité de mes paroles est assurée par le témoignage de l'Ecriture, par l'exemple du Christ et par la raison. En effet, tous les hommes ont été perdus en Adam /1, parce qu'il s'est distrait de cette adhésion amoureuse dont je parle. D'autre part, tous ceux dont les oeuvres, faites selon leur vocation, témoignent de leur volonté d'źtre sauvés, le sont et le seront par la seule Passion du Christ. Or, dans sa Passion, il s'est offert lui-mźme avec tout ce qu'il était, en un sacrifice trčs réel, par une offrande d'ensemble; non pas en considération particuličre d'aucun homme en cette vie, mais en général et pour tous sans distinction. De mźme, celui qui réellement et parfaitement s'offre en sacrifice dans une intention générale pour tous les hommes, fait tout ce qui est en son pouvoir pour les unir tous ą Dieu aussi réellement qu'il l'est lui-mźme ; car nul ne peut avoir plus grande charité que de s'immoler ainsi pour tous ses frčres et soeurs dans la grāce ou selon la nature. L'āme est plus précieuse que le corps ; il vaut donc mieux unir les āmes ą Dieu qui en
/1 Cf. Nuage, ch. XXIII.
est la vie, par le pain céleste de la charité, que d'unir le corps ą l'āme qui en est la vie, en lui procurant en ce monde la nourriture matérielle. Cette derničre espčce de charité, sans aucun doute, est bonne ą pratiquer ; mais sans la premičre elle n'est jamais bien pratiquée. Joindre les deux est préférable ; mais la premičre est, en elle-mźme, la plus excellente. A les considérer en soi, la seconde ne mérite pas le salut, tandis que la premičre non seulement le mérite, mźme si l'autre fait défaut, mais elle conduit au sommet de la perfection.
Que pour qui pratique
cette pričre, il n'est pas besoin de considérations particuličres sur soi-mźme
ou sur Dieu.
Pour avancer dans la perfection, il ne t'est donc pas nécessaire, ą ce moment, de revenir en arričre ni de donner des aliments ą tes facultés, en considérant les qualités de ton źtre pour exciter ton affection, et nourrir celle-ci de douces et amoureuses impressions de Dieu et des choses spirituelles. Tu n'as pas besoin non plus de rassasier ton intelligence de la sagesse spirituelle et de méditations pieuses, pour obtenir la connaissance de Dieu. Si tu veux, la grāce t'en donnera la force, te tenir avec soin et sans te lasser dans la fine pointe de ton esprit, et offrir ainsi ą Dieu ce sentiment nu et aveugle de ton źtre, que j'appelle les prémices de tes fruits, tu peux źtre sūr de voir se réaliser la deuxičme partie du texte de Salomon, selon sa promesse ; et tu verras l'inutilité des recherches inquičtes et de l'analyse ą laquelle voulaient te pousser tes facultés intellectuelles, sur les qualités de ton źtre ou mźme celles de l'źtre de Dieu.
Sache-le bien en effet : dans cette oeuvre, tu ne dois pas plus considérer les qualités de l'źtre de Dieu que les tiennes propres. Il n'y a ni nom, ni sentiment, ni considération qui s'accorde plus et mieux avec l'Infinité qui est Dieu, que ce que l'on peut avoir, voir ou sentir dans l'aveugle et amoureuse considération de ce mot : il est. Les expressions : « mon bon Seigneur, mon beau Seigneur, doux, miséricordieux, juste, sage ou tout-puissant, tout intelligent ; » ou encore : « Intelligence, Sagesse, Puissance, Force, Amour, Charité ; » et tous les autres termes, quels qu'ils soient, que tu puisses dire de Dieu : tous sont cachés et renfermés dans ce petit mot : il est. Car avoir toutes ces perfections, pour Dieu, n'est autre chose qu'źtre /1. Et si tu accumules cent mille expressions de tendresse comme celles-ci : « bon, beau, » et toutes les autres ensemble, tu ne t'écartes pas de ce petit mot : il est; tu ne lui ajoutes rien quand tu les prononces toutes, tu ne lui enlčves rien si tu n'en dis aucune (Cf. Eccli., XLII, 21).
Reste donc aveuglément dans la considération amoureuse de l'źtre de Dieu, comme dans celle de ton źtre propre, sans employer curieusement tes facultés ą examiner les attributs de Dieu ou les qualités de ton źtre ; mais, laissant de cōté toute recherche intellectuelle, « honore Dieu au moyen de ta substance », offrant tout ce que tu es, tel que tu es, ą celui qui est tel qu'il est, et qui, comme tel et sans plus, est non seulement son źtre propre, mais aussi la raison du tien. Cette offrande de toi-mźme rendra
Tout ce paragraphe est tiré de S. Bernard, De Consider., liv. V, ch. vi, n° 13 (P. L., t. CLXXXII, col. 795); cf. S. Denys, De div. Nom., ch. z, § 6 (P. G., t. III, col. 596); Bossuet, Instruction sur les états d'oraison, second traité, ch. xxx.
ą Dieu un hommage trčs élevé et t'unira ą lui. Car ce que tu es, tu le tiens de lui et il l'est éminemment. Certes tu as eu un commencement, dans la création de ta substance qui n'a pas toujours existé ; mais pourtant ton źtre a toujours été en Dieu sans commencement et sera toujours en lui sans fin, comme il est lui-mźme /1. C'est pourquoi je crie et répčte sans cesse : « honore Dieu avec ta substance » pour le commun profit de tous les hommes, et « nourris les pauvres des prémices de tes fruits ».
Alors aussi « tes greniers seront pleins jusqu'ą déborder ». En d'autres termes, tes affections seront remplies d'amour et de délectation en Dieu, sur qui tu t'appuies et vers qui seul tu tends. « Et tes pressoirs regorgeront de vin. » Tes sens spirituels, que tu as l'habitude d'exercer et de presser par de laborieuses méditations, par des recherches et par des raisonnements portant sur la connaissance de Dieu et de toi-mźme, sur ses attributs et tes qualités, laisseront échapper le vin en abondance. Par ce vin, les Saintes Écri-
/1 C'est la théorie de l'exemplarisme divin ; mais si l'auteur semble bien la connaltre, il ne la développe pas : ce n'est pas pour lui le chemin qui mčne ą la contemplation.
tures désignent au sens mystique, qui est le vrai, la sagesse spirituelle, dans la véritable contemplation et la perception savoureuse la plus haute de la Divinité.
Et tu te trouveras enrichi de ces dons ą l'improviste, par une douce action de la grāce, sans effort ni travail de ta part, par le seul ministčre des anges et la vertu de cette oeuvre d'amour aveugle. Car tous les anges y emploient trčs particuličrement leur science, comme les servantes servent leur maītresse.
Que dans cette oeuvre,
l'Éternelle Sagesse, le Verbe de Dieu, descend dans l'āme et s'en empare ; des
effets de cette union.
En cette oeuvre, qui demande aussi peu d'effort qu'elle exige d'habileté, se trouve renfermée dans toute sa profondeur la sagesse de la Divinité, qui par la grāce pénčtre l'āme, pour se l'attacher et se l'unir dans la prudence et l'art spirituels. Le sage Salomon en fait cet éloge remarquable : « Beatus homo qui invenit sapientiam et qui affluit prudentia; melior est acquisitio ejus negotiatione argenti et auri; primi et purissimi fructus ejus /1... Custodi, fili mi, legem atque consilium et erit vita animae tuae et gratia faucibus luis. Tune ambulabis fiducialiter in vita tua et pes tuus non impinget. Si dormieris, non timebis : quiesces et suavis erit somnus tuus. Ne paveas repentino terrore, et irruentes tibi potentia impiorum; quia Dominus erit in latere tuo et custodiet pedem tuum ne capiaris. » (Prov., III, 13, 14, 21-26.)
Voici comment il faut entendre ces paroles :
« Béni celui qui peut trouver cette sagesse » (v. 13), et, en elle, s'unir ą Dieu avec tant d'habileté amoureuse et de prudence spirituelle, en faisant offrande du sentiment aveugle de son źtre et laissant bien loin derričre lui les problčmes subtils de la nature et de la science. « L'acquisition de cette sagesse spirituelle et de cette science de prudence est meilleure que celle de l'or et de l'argent (y. 14). » L'or et l'argent signifient toutes les autres connaissances naturelles et spirituelles que nous obtenons par nos études et en exerēant nos facultés sur ce qui est inférieur ą nous, sur nous-mźmes et sur les objets qui sont au mźme niveau que nous : exercice consistant ą considérer les qualités de l'źtre de Dieu ou des créatures.
De la supériorité de cette sagesse, Salomon donne la raison, quand il dit : « Primi et purissimi fructus eius ; ses fruits sont les plus précoces et les plus purs » (y. 14). A cela rien d'étonnant : le fruit de cette oeuvre n'est autre que le sommet de la sagesse spirituelle. Soudain et librement, elle naīt dans l'esprit, par une opération intérieure, sans intervention de l'imagination, sans qu'elle soit obtenue par effort ni soumise au travail de l'intelligence naturelle. Auprčs de cette sagesse, toute opération naturelle, si sainte ou subtile qu'elle soit, ne mérite que le nom de folie sans réalité ; elle est le produit de l'imagination et reste aussi loin de l'éclat du vrai soleil que la pāleur d'un clair de lune en décembre peut l'źtre de la splendeur d'un soleil d'été en son plein midi.
Et le texte poursuit : « Garde, mon fils, cette loi et ce conseil » (v. 21) ; en eux sont vraiment et parfaitement accomplis tous les commandements et tous les conseils du Nou-
/1 La Vulgate donne un autre sens au y. 14: «L'acquisition de la sagesse est meilleure que celle de l'argent, et ses fruits sont préférables ą l'or le plus fln et le plus pur. Au V. 23, la Vulgate porte in via tua, et non in vita tua (« dans ta voie », et non « dans ta vie O.
veau comme de l'Ancien Testament, bien qu'aucun d'eux n'y soit envisagé en particulier. Cette oeuvre n'est-elle pas ą juste titre appelée une loi, puisqu'elle contient en elle toutes les branches et les fruits de la loi? A y regarder avec sagesse, il parait bien que le fondement de cette oeuvre, et tout ce qui en fait la force, n'est autre chose que le don glorieux de l'amour dans lequel, selon l'enseignement de l'Apōtre, se trouve réunie toute la loi; n'a-t-il pas dit, en effet : « Plenitudo legis est dilectio; la plénitude de la loi est l'amour» (Rom., XIII, 10).
Salomon ajoute que cette loi et ce conseil d'amour seront,
si tu les observes, au dedans, « la vie de ton āme » (v. 22), dans la douceur
de l'amour pour Dieu, et qu'au dehors «ils mettront la grāce sur tes lčvres »,
pour le profit de tes frčres dans le Christ, auxquels tu donneras le plus vrai
des enseignements par la parfaite convenance de toute ta conduite et de ta
maničre de vivre /1. C'est bien en ces deux points, l'un intérieur, l'autre
extérieur, que, d'aprčs le Christ, consistent toute la loi et les prophčtes,
puisqu'il les résume dans l'amour de Dieu et du prochain : « In his enim duobus man-
/1 Cf. Nuage, ch.
LIV,
datis iota lex pendet et prophetae (scilicet in dilection Dei et proximi); ą ces deux préceptes sont suspendus la loi et les prophčtes (c'est-ą-dire ą l'amour de Dieu et du prochain). » (Matth., xxii, 40.) Aussi, lorsque tu auras atteint la perfection de cette oeuvre, intérieurement et extérieurement, « tu marcheras avec confiance » (v. 23), appuyé sur la grāce qui est le guide de la voie spirituelle, offrant avec amour la nudité et les ténčbres de ton, źtre ą l'źtre béni de ton Dieu, de sorte que l'źtre de Dieu et le tien soient un dans la grāce, tout en restant distincts par nature.
Alors « le pied » de ton amour « ne heurtera pas » (v. 23). Une fois acquise l'expérience de cette oeuvre spirituelle grāce ą la persévérance de ton intention, tu ne seras plus arrźté ni ramené en arričre avec autant de facilité qu'au début, par les interrogations inquičtes de tes facultés. On peut encore l'interpréter ainsi : « le pied » de ton amour « ne trébuchera » ni ne butera sur aucune imagination soulevée par la curiosité de tes facultés. Et pourquoi ? Parce que dans cette oeuvre, comme il a été dit déją, toute recherche inconsidérée de nos puissances est radicalement déconcertée et laissée de cōté, ą cause des dangers de l'imagination et des faussetés qu'elle peut suggérer dans cette vie ; tout ce travail ne pourrait que troubler le sentiment nu de ton źtre aveugle et te faire déchoir de la dignité de cette oeuvre.
Si la pensée d'un objet quelconque se présente ą ton intelligence, j'en excepte celle de ton źtre nu qui te mčnera ą Dieu, si tu y concentres toute ton application, te voilą emporté au loin, réduit ą t'appuyer sur les ressources et l'activité de tes facultés; dispersé et séparé, toi et ton souvenir, de toi-mźme et de Dieu. Evite donc toute dispersion et reste recueilli aussi longtemps que la grāce et ton habileté te le permettront. C'est dans la considération aveugle de ton źtre nu, ainsi uni ą Dieu, que tu dois faire tout ce que tu as ą faire : manger et boire, dormir et veiller, marcher et t'asseoir, te coucher et te lever, źtre debout et t'agenouiller, courir et chevaucher, travailler et te reposer.
Ainsi en toutes tes actions tu maintiendras cette offrande ą Dieu comme la plus précieuse que tu puisses lui présenter. Ce sera la partie principale de tes occupations, soit actives soit contemplatives. Car, selon le mźme texte de Salomon : « Si tu t'endors » (v. 24) dans cette aveugle considération, loin du bruit et des mouvements qu'excitent l'ennemi infernal, le monde trompeur et ta propre fragilité, « tu ne redouteras aucun » péril ni aucune embūche de l'ennemi /1. Et pourquoi? Parce que dans cette oeuvre il est déconcerté et rendu aveugle ; il reste dans une ignorance pénible et s'égare ą force d'étonnement, faute de comprendre ce que tu fais. Peu importe ; pour toi, demeure en repos dans cette union amoureuse entre Dieu et ton āme /2.
« Ton sommeil sera plein de douceur », car tu y trouveras une nourriture spirituelle et la vigueur de ton corps et de ton āme. Salomon ajoute plus loin /3 : « Universae carni sanitas est; cette oeuvre est santé
/1 Cf. Cassien, Coll. IX, ch. xxxv (P. L., t. XLIX, col. 816-817).
/2 Les démons peuvent bien savoir ce qui se passe dans notre sensibilité et notre imagination ; mais ils n'ont aucun accčs dans notre volonté ni dans notre intelligence. Encore moins peuvent-ils connattre les grāces que Dieu donne ą l'āme. Aussi, plus la contemplation se dégage de la sensibilité et de l'imagination, plus elle échappe ą la connaissance des démons. Les bons anges eux-mźmes n'ont pas, par les forces de leur intelligence naturelle, le pouvoir de connattre ce que nous voulons et ce que nous pensons ; mais ils le voient dans le Verbe et selon que Dieu le leur révčle (Cf. Sum. theol., I, Q. tivit, art. 4 et 5). Ils peuvent donc s'intéresser ą notre contemplation, tandis que les démons n'y peuvent rien comprendre.
/3 Ce verset que la Vulgate rejette au ch. IV, 22, se trouve dans la version des Septante, aprčs le y. 24 du ch. nt, c'est-ą-dire ą la place oł le met l'auteur.
pour toute chair ; » ce qui signifie qu'elle guérit toutes les faiblesses et toutes les infirmités de la chair. Et c'est ą bon droit qu'il parle ainsi, car aussitōt que l'āme s'est détournée de cette oeuvre, maladies et corruption ont envahi la chair ; de mźme celle-ci recouvrera la santé lorsque l'āme sera de nouveau élevée ą cette mźme uvre par la grāce de Dieu qui en est le principal agent. Sois-en convaincu, tu ne l'obtiendras que de la miséricorde de Jésus, ą laquelle s'ajoutera ton adhésion amoureuse. Aussi je joins mon instance ą celle de Salomon dans ce chapitre, pour te prier de rester fidčle ą cette oeuvre et d'y offrir de plus en plus, dans l'empressement de la charité, le consentement de ton amour.
« Ne redoute pas les terreurs subites ni les attaques des puissances ennemies » (v. 25). Le diable cherchera ą l'improviste ą t'effrayer, mais ne te laisse pas surprendre et ne perds pas ta tranquillité ą cause de lui /1; il heurtera et frappera les murs de la maison oł tu reposes, il mettra mźme en
/1 Cf. Richard Rolle; Julienne de Norwich, Oasien (Colt XVIII, ch. vi; P. L., t. XLIX, col. 1101) et, avec lui, toute la tradition ont souvent représenté la vie anachorétique, n'oublions pas que notre auteur s'adresse ą un solitaire, comme un combat singulier avec le diable.
mouvement ses satellites les plus puissants pour t'attaquer par surprise. Car sache-le bien, toi qui entreprends cette oeuvre, tu auras ą voir ou ą sentir, ą goūter ou ą entendre des choses étranges que le diable provoquera extérieurement dans l'un ou l'autre de tes sens, dans l'unique intention de te faire déchoir de la hauteur oł tu as été élevé. Mais « garde bien ton coeur » (Prov., iv, 23) pendant l'épreuve ; et appuie-toi avec une souplesse confiante sur l'amour de Notre-Seigneur.
« Car le Seigneur sera ą ton cōté » (v. 26), tout contre toi et prźt ą t'aider ; « il gardera ton pied » c'est-ą-dire la marche ascendante de ton amour qui te mčne ą lui, « si bien que tu ne seras pas trompé » par les artifices et les ruses de tes ennemis : le diable et ses suppōts, le monde et la chair. Oh 1 oui, ami; alors, celui qui est notre Seigneur, et auquel nous adhérons avec amour, nous secourra avec Puissance, Sagesse et Bonté ; il gardera et défendra tous ceux qui, pour l'amoureuse confiance qu'ils portent ą Dieu, renoncent complčtement ą se garder eux-mźmes.
Que l'āme doit
s'abandonner entičrement ą Dieu, persuadée qu'il veillera sur elle ;
avertissement ą ceux qui critiquent loeuvre.
Mais oł trouver une āme si librement fixée dans la foi et y prenant si pleinement son appui, ayant acquis une telle humilité dans l'anéantissement complet d'elle-mźme /1? Elle est conduite par la dilection de Notre-Seigneur, et y trouve amoureusement sa nourriture ; elle connaīt et goūte pleinement quelle est la Puissance infinie de Dieu, sa Sagesse insondable et sa glorieuse Bonté ; elle sait qu'il est un en tous et que tout est en lui ; enfin elle voit qu'ą moins de lui rendre sans réserve tout ce qui est de lui, en lui et par lui, une āme qui aime n'atteint pas l'humilité véritable dans l'anéantissement d'elle-mźme.
En échange de ce sublime anéantissement dans une vraie humilité, et de cette reconnaissance absolue de tout ce qu'est Dieu dans une charité parfaite, elle obtient de posséder Dieu, dans l'amour du-
/1 Cf. Nuage, ch. XIII et s.; S. Bernard, sermon V, pour la vigile de Noėl, n° 4 (P. L., t. CLXXXIII, col. 107).
quel elle est comme plongée, grāce ą cet abandon plénier et définitif d'elle-mźme, oł elle se tient pour néant et moins encore s'il était possible. Alors la Puissance, la Sagesse et la Bonté de Dieu la secourent, la gardent et la défendent contre tous les ennemis corporels et spirituels, sans qu'elle y apporte ni soin ni travail, sans qu'elle se considčre ni réfléchisse sur elle-mźme.
Laissez de cōté vos objections humaines, vous tous, coeurs qui n'źtes humbles qu'ą demi ; abstenez-vous de juger selon votre raison ; ne venez pas dire que l'on tente Dieu en abandonnant ainsi complčtement, par humilité, la garde de son coeur, lorsqu'on y est poussé par la grāce : votre raison mźme vous fera reconnaītre que c'est par manque de courage que vous reculez devant cet abandon. Tenez-vous satisfaits de votre part : elle suffit au salut dans la vie active qui est vere degré ; mais laissez les āmes contemplatives ą leur audace. Ne les jugez pas ; ne vous étonnez pas de leurs paroles et de leurs actes, mźme lorsqu'ils vous semblent dépasser le niveau de votre raison et le jugement qu'elle prononce.
Ah honte ! Combien de fois avez-vous lu et entendu cette doctrine, sans y ajouter foi ni créance C'est pourtant un point que tous nos anciens Pčres ont rappelé et nous ont enseigné, un point qui contient la fleur et le fruit de toutes les Écritures. Ou bien vous źtes aveugles et incapables de comprendre ce que vous lisez ou entendez ; ou bien vous źtes touchés de quelque secret dépit, et vous n'arrivez pas ą admettre qu'un si grand bien puisse échoir ą vos frčres, alors que vous en źtes vous-mźmes privés. Il vous convient d'źtre vigilants, car votre ennemi est perfide ; il cherche ą vous donner de plus en plus confiance en votre esprit propre, de préférence ą l'enseignement traditionnel des vrais Pčres, au travail de la grāce et ą la volonté de Dieu.
Combien de fois avez-vous lu, combien de fois avez-vous entendu des personnes, et saintes, et sages, et véridiques, vous dire que, sitōt la naissance de Benjamin, Rachel mourut /1? Par Benjamin on entend
/1 Dans son Benjamin Minor ou Préparation ci la contemplation (P. L., t. CXCVI, col. 1-64), Richard de Saint-Victor compare les deux épouses de Jacob aux deux facultés de l'āme : Lia est la volonté, et Rachel la raison. Les enfants de Jacob sont alors les vertus et les habitudes de l'āme. S'appuyant sut le passage du Ps. Lxvn : ibt Benjamin adolescentulus in mentis excusa, Richard de Saint-Victor fait de Benjamin le type de la contemplation, et remarque, ą plusieurs reprises (ch. Lxxin, Lxxiv, Lxxxu, LXXXV, LXXXVI), que la mort de Rachel est la condition de la naissance de Benjamin. « A la naissance de Benjamin Rachel meurt, parce que l'āme élevée ą la contemplation constate la défaillance de la raison (ch. Lxxiv). L'expression était devenue classique au moyen āge. L'abdication de la raison qu'elle exprime est partie intégrante du dépouillement total de soi que l'āme doit pratiquer, si elle veut źtre admise ą la contemplation. En le rappelant avec insistance, l'auteur est d'accord avec tous les mystiques.
Ainsi qu'on l'a dit (Cf. Préface), il avait donné un abrégé, en anglais, du Benjamin Minor.
la contemplation, par Rachel, la raison. Dčs qu'une āme reēoit une touche de la vraie contemplation, ainsi qu'il arrive dans ce sublime anéantissement de soi et cette reconnaissance que Dieu est tout, il est certain et véritable que la raison de l'homme meurt. Puisque vous l'avez lu si souvent, non pas exceptionnellement, mais dans plusieurs auteurs trčs saints et trčs dignes d'estime, pourquoi ne pas le croire? Et si vous le croyez, pourquoi oser discuter et examiner avec votre raison les paroles et les actes de Benjamin?
Benjamin représente tous ceux qui, dans l'excčs de leur amour, sont ravis au-dessus de leur esprit, selon la parole du Prophčte : « Ibi Benjamin adolesceniulus in mentis excessu; lą l'enfant Benjamin dans un transport d'esprit » (Ps. Lxvii, 28). Veillez donc ą ne pas źtre comme une malheureuse femme qui tuerait son nouveau-né. Prenez-y bien garde et ne levez pas la pointe de votre lance présomptueuse contre la Puissance, l'Intelligence et la Volonté de notre Dieu : ce serait, de votre part, vous raidir par aveuglement et défaut d'expérience, et vouloir jeter Benjamin ą terre alors qu'il vaudrait mieux le soutenir dans son transport.
Eh quoi I Aux premiers jours de la Sainte Église, pendant les persécutions, combien ne vit-on pas de fidčles, de conditions trčs diverses, subitement touchés d'un si vif mouvement de la grāce que, sans autre préparation, et sans plus raisonner, les artisans laissant leurs outils et les enfants leurs tablettes, tous couraient au martyre avec les saints 11 S'il en a été ainsi, pourquoi ne pas croire qu'aujourd'hui encore, en temps de paix, Dieu a le pouvoir et la volonté de toucher, avec la mźme soudaineté, certaines āmes de la grāce de la contemplation, et qu'il le fait réellement?
C'est ainsi qu'il agira dans ses élus, j'en suis convaincu ; car il veut, ą la fin, manifester sa gloire comme il sied, et provoquer l'admiration du monde (II Thess., I, 10). Aussi, l'āme qui s'anéantit amoureusement elle-mźme, et reconnaīt que son Dieu est
1 Cf. Martyrologe romain, 6 aoūt; Sum. cont. Gent., l.I, Ch.VI.
tout, sera protégée par la grāce contre tous les assauts de ses ennemis corporels et spirituels ; non pas en récompense de ses efforts et de son travail, mais par l'opération de la seule bonté de Dieu. Il est dans l'ordre de sa bonté de garder ainsi tous ceux qui, uniquement attentifs ą son amour, négligent de s'occuper d'eux-mźmes; et cette préservation admirable n'a rien d'étonnant, car ils sont devenus pleinement humbles dans la hardiesse et la vigueur de leur amour.
Celui qui n'ose agir ainsi, mais critique cette humilité, doit avoir dans son sein quelque diable ; et celui-ci lui enlčve la confiance amoureuse qu'il devrait avoir en son Dieu et la bienveillance ą l'égard du prochain. Ou bien il n'a pas encore l'humilité parfaite qu'il devrait avoir, j'entends s'il prétend ą la vraie vie contemplative.
Ne ressens donc nulle confusion ą t'humilier de cette sorte devant ton Seigneur, et ą t'endormir dans cette aveugle considération de Dieu tel qu'il est, malgré tout le bruit de ce monde mauvais, malgré les tromperies de l'ennemi, malgré la faiblesse de la chair. « Notre-Seigneur est lą, » prźt ą t'aider, « et il garde ton pied pour que tu ne sois pas pris au pičge » (v. 26).
C'est donc ą juste titre que cette oeuvre est comparée ą un sommeil. Lorsqu'on dort, les sens n'agissent pas, afin que le corps puisse prendre son plein repos et donner soulagement et vigueur ą la nature. Ainsi dans le sommeil spirituel dont nous parlons, toutes les recherches capricieuses, suites du dérčglement de nos sens spirituels, et tout ce qui vient de l'imagination, sont liés et annulés. Et Pāme simple peut dormir doucement et se reposer dans l'amoureuse contemplation de Dieu tel qu'il est, pour donner aliment et force au principe spirituel.
Rassemble donc tes facultés dans l'offrande de cet aveugle sentiment de ton źtre ; et, je te le répčte ą satiété, veille ą ce que ce sentiment soit nu et non enveloppé d'aucune de tes qualités. Sinon, si tu le revźts de considérations sur l'excellence de ton źtre ou toute autre condition de la créature, tu donnes pāture ą tes facultés, tu leur fournis l'occasion et le pouvoir de distraire ton attention et de te dissiper, sans que tu saches comment.
Prends bien garde ą ce pičge, je t'en prie.
Que la perfection
consiste dans cette oeuvre, ainsi que le prouvent les vertus qui en résultent ;
qu'elle exige l'appel et la grāce de Dieu.
Mais peut-źtre tes facultés curieuses ont-elles fait un examen subtil de cette oeuvre ą laquelle elles ne peuvent s'exercer? Et tu te demandes de quelle maničre elle s'accomplit, et tu la tiens pour suspecte ? Je ne m'en étonnerais pas, car jusqu'ici l'habileté avec laquelle tu t'es servi de tes facultés t'empźche d'obtenir aucune habileté dans une oeuvre pareille.
Peut-źtre aussi te demandes-tu intérieurement si cette oeuvre plaīt ą Dieu ou non, et dans l'affirmative, comment elle peut lui plaire autant que je l'ai dit? C'est lą une question posée par une intelligence inquičte qui veut, ą tout prix, t'empźcher de te livrer ą cette oeuvre avant que sa curiosité ait été satisfaite par quelque bel argument. Je ne refuse pourtant pas d'y répondre ; mais, me rendant d'une certaine faēon se.nblable ą toi, je donnerai satisfaction ą ta raison orgueilleuse, pour qu'ensuite tu sois comme moi et que tu suives mon, conseil, sans mettre de bornes ą ton humilité. Car, selon le témoignage de saint Bernard, l'humilité parfaite ne connaīt pas de bornes /1. Et c'est mettre des bornes ą ton humilité que de refuser de suivre la direction de ton supérieur spirituel, si ce n'est de l'aveu de ta raison /2.
Mais ne vas-tu pas me reprocher ma prétention ą te diriger? En vérité, je désire le faire et veux źtre ton directeur. C'est l'amour qui m'y excite, j'en ai la ferme conviction ; et ce n'est pas une prétendue aptitude résultant de l'éminence de ma science, ou de mon labeur, ou de mon genre de vie. Que Dieu corrige ce qui est défectueux, car il connaīt pleinement et je ne connais qu'en partie (Cf. I Cor., XIII, 9).
Ceci dit, je vais donner satisfaction ą ta raison orgueilleuse en faisant l'éloge de cette oeuvre. En vérité, si l'āme qui s'y adonne avait une langue pour exprimer ses sentiments, il n'est pas de savant dans toute la chrétienté, qui ne restāt émerveillé de la sagesse renfermée dans cette oeuvre I Oui ; et ą cōté d'elle, toute leur science leur apparaītrait comme une folie manifeste. Ne t'étonne donc pas si je ne puis en dire la sublimité avec ma langue rude et charnelle ; et Dieu veuille qu'elle
/1 Cf. S. Bernard, De preeeepto et dispens., ch. vz (P. L., t. CLXXXII, col. 868).
/2 Cf. S. Grégoire, Reg. Pastor., 1. I, ch. z (P. L., t. LXXVII, col. 14).
ne soit pas profanée et opprimée sous les efforts d'une langue aussi grossičre. Cela ne doit pas źtre ; cela ne sera pas ; Dieu me préserve mźme d'en avoir la tentation.
Tout ce qu'on a dit de cette oeuvre ne la dit pas, mais ne fait que parler d'elle. Parlons-en donc malgré notre impuissance et confondons ainsi les esprits superbes et en particulier l'orgueil de ta raison, puisque c'est lą le but de ma démonstration. Je te demanderai donc en quoi consiste la perfection de l'āme humaine et quelles sont les propriétés /1 de cette perfection? Et je répondrai ą ta place que pour l'āme humaine la perfection n'est autre que l'unité réalisée entre Dieu et elle dans une charité parfaite. Cette perfection est si haute et si pure, si au-dessus de l'intelligence humaine, qu'elle ne peut źtre connue ou perēue en elle-mźme. Mais lą oł les propriétés de cette perfection se voient et se constatent, lą sans doute la substance mźme de cette perfection se trouve en abondance. Il importe donc de connaītre les propriétés de cette perfection, pour pouvoir affirmer que cet exercice spirituel dépasse tous les autres en noblesse.
/1 La « propriété », au sens philosophique, est ce qui découle de l'essence d'un źtre et lui convient en propre.
Ces propriétés, qui se rencontrent dans toute āme parfaite, sont les vertus. Or, si tu veux considérer ce qui se passe en ton āme et, en mźme temps, examiner ce qui constitue chaque vertu en particulier, tu
trouveras que les vertus sont toutes comprises clairement et parfaitement dans cette oeuvre, qu'elles y entrent aisément et sans źtre détournées de leur fin /1. Je ne parlerai ici d'aucune vertu en particulier : c'est inutile, et il en est question ą divers endroits de mes propres écrits.
Car cette mźme oeuvre, si tu la conēois bien, est l'adoration amoureuse, le fruit séparé de l'arbre dont j'ai parlé dans la petite Epītre sur la Pričre; c'est le Nuage de lInconnaissance ; c'est l'amour renfermé dans la pureté du coeur /2 ; c'est l'Arche du Testament; c'est la Théologie de saint
/1 Cf. Sap., viii, 7.
/2 L' amour renfermé dans la pureté du coeur » (Cf. Préface) désigne l'Epītre sur la Discrétion. La Théologie est le De mystica Theologia de S. Denys, dont l'auteur avait donné une traduction anglaise. Quant ą l'Arche du Testament, c'est le symbole sous lequel Richard de Saint-Victor avait décrit la contemplation dans son Benjamin Major seu de Gratta contemplationis (P. L., t. CXCVI, col. 63-202). Il ne semble pas que l'auteur du Nuage ait traduit le Benjamin Major, mais il avait donné un abrégé du Benjamin Minor; et dans ce dernier traité, Richard de Saint-Victor parle déją de l'Arche d'alliance comme représentant la révélation et l'état de perfection (P. L., t. CXCVI, col. 59).
Denys, sa sagesse, son trésor caché, son obscurité lumineuse et sa science ignorante. Elle nous établit dans le silence, silence de pensées aussi bien que de paroles. Elle rend notre pričre brčve. En elle nous apprenons ą abandonner le monde et ą le mépriser.
Mais il y a plus. C'est en elle que tu apprendras ą t'abandonner et te mépriser toi-mźme, selon l'enseignement de Jésus-Christ dans l'Évangile : « Si quis vult post me ventre, abneget semetipsum et tollat crucem suam et sequatur me; si quelqu'un veut venir aprčs moi, qu'il s'abandonne soi-mźme, qu'il porte sa croix et me suive » (Matth., xvi, 24). Par ces mots, il s'adresse ą ton intelligence ; et voici l'enseignement qu'il te propose ą l'appui de notre doctrine.
« Celui qui veut venir » humblement, non avec moi, mais « aprčs moi », au bonheur du Ciel ou ą la montagne de la perfection... Car le Christ nous a précédés dans sa nature ; et nous, nous le suivons par grāce /1 : sa nature est plus noble que
/1 Dans l'homme, la grāce, similitudo divinitatis participata in homine : « ressemblance de la divinité ą laquelle nous participons, » est supérieure ą la nature qu'elle perfectionne ; mais dans l'Incarnation, la nature humaine n'a pas reēu seulement une ressemblance participée de la nature divine, elle a été unie ą la nature divine elle-mźme dans la personne du Verbe. Aussi, selon l'expression de S. Augustin (Enchir., ch. xi.) citée par S. Thomas, la grāce devient en quelque sorte naturelle au Christ-homme (Sum. theol., III, Q. u, art. 10 et 12 ; Q. vii, art. 12). n en est de mźme des vertus qui découlent de la grāce (ibid., Q. vu, art. 2). C'est sans doute ą cette doctrine que l'auteur fait ici allusion, lorsqu'il dit que le Seigneur nous a précédés naturellement, en gravissant avant nous la montagne de la perfection, c'est-ą-dire en pratiquant les vertus.
La mźme explication vaut probablement pour la fin du ch. xxxviii du Nuage.
la grāce, la grāce est plus noble que notre nature ; et ceci nous montre bien qu'il nous est radicalement impossible de le suivre sur la montagne de la perfection, ce qui est l'objet de cette oeuvre, s'il ne nous met en mouvement et ne nous conduit par sa grāce.
Et cela est absolument vrai. Qu'il soit en effet bien compris de toi, et de tous ceux qui te ressemblent et qui lisent ou entendent ce que j'écris : Si je t'invite ą aborder cette oeuvre en toute simplicité et hardiesse, néanmoins je me rends bien compte que Dieu tout-puissant avec sa grāce est, sans erreur ni doute possible, celui qui te met en mouvement; il reste l'agent principal mźme s'il se sert d'instrument. Pour toi, tu ne peux que consentir et źtre passif ; cependant, au moment oł tu te livres ą cette oeuvre, ce consentement et cette passivité supposent une disposition et une aptitude réelle qui se manifestent par la pureté du coeur, et doivent źtre, comme il convient, l'objet d'une offrande ą ton souverain Seigneur. C'est ce que l'expérience te fera constater intérieurement.
Puisque Dieu dans sa bonté meut et touche chaque āme d'une faēon différente, usant d'instruments, ou n'en usant pas, qui oserait affirmer que Dieu ne se servira pas de cet écrit pour te mouvoir, toi ou tout autre gui le lira ou l'entendra, en se contentant de me prendre pour instrument, malgré mon indignité? Mais qu'il daigne vouloir faire ce qui lui plaīt et comme il lui plaīt ; pour le reste, il faut s'en remettre au témoignage de l'expérience.
C'est pourquoi je t'invite ą te disposer ą cette grāce de ton Seigneur, et ą entendre ses paroles, que j'ai commencé de t'expliquer : « Quiconque veut me suivre doit s'abandonner soi-mźme. » Comment, je te le demande, peut-on mieux s'abandonner soi-mźme et abandonner le monde, qu'en dédaignant de penser aux qualités de l'un et de l'autre?
Que lāme doit oublier
jusqu'ą son źtre propre pour obtenir le sentiment de l'źtre de Dieu ; de la
souffrance qu'implique ce dépouillement.
Il est une chose, en effet, que tu dois tenir pour certaine : je t'ai dit, il est vrai, de tout oublier, sauf le sentiment aveugle de ton źtre nu ; toutefois je veux, et je l'entendais ainsi dčs le début, que tu oublies ce sentiment mźme, pour obtenir celui de l'źtre de Dieu /1. C'est précisément dans cette intention que je t'ai expliqué, au commencement, comment Dieu est ą la base de ton źtre. Mais, ą mon avis, l'imperfection de tes impressions spirituelles devait t'empźcher de t'élever aussitōt jusqu'au sentiment spirituel de l'źtre de Dieu ; aussi, pour que tu puisses le faire par degrés, t'avais-je conseillé de t'appliquer au sentiment nu de ton źtre propre, jusqu'ą l'heure oł, en persévérant dans cette oeuvre intérieure, tu pourrais parvenir au sentiment bien plus relevé de Dieu. Car toujours, lorsque tu te livres ą cette oeuvre,
/1 Ct. S. Bernard, De dilig. Deo, ch. x (P. L., t. CLXXXII, coL 990).
tu dois avoir pour but et objet de ton désir le sentiment de Dieu.
Si je t'ai ordonné au début d'envelopper et comme de voiler le sentiment de Dieu du sentiment de toi-mźme, c'est ą cause de ton manque d'expérience et de la pesanteur de ton esprit ; mais plus tard, lorsqu'un exercice assidu t'aura fait progresser dans la pratique de la pureté du coeur, il faudra te dénuder, te dépouiller et comme te dévźtir entičrement de tout sentiment de toi-mźme, pour mériter d'źtre revźtu, par la grāce, du sentiment de Dieu. Et telle est la véritable condition de celui qui aime parfaitement : il doit sans réserve se dépouiller de lui-mźme pour ce qu'il aime, et il ne doit admettre ni souffrir d'źtre revźtu de quoi que ce soit, sinon de ce qu'il aime. Et cette transformation ne doit pas se limiter ą un temps ; mais sans fin il doit s'envelopper dans le plein et définitif oubli de lui-mźme.
Telle est l'oeuvre d'amour que nul ne peut connaītre, excepté celui qui en a l'expérience. Telle est la leēon que donne Notre-Seigneur quand il dit : « Celui qui veut m'aimer, doit s'abandonner soi-mźme ; c'est assez affirmer qu'il lui faut se dépouiller de lui-mźme s'il veut źtre vraiment revźtu de moi, qui suis l'ample vźtement de l'amour, de l'amour éternel et sans fin. » Aussi chaque fois qu'en te livrant ą cette oeuvre, tu vois et constates en toi le sentiment de ton źtre, et non celui de Dieu, tu dois t'en affliger pour tout de bon, et aspirer du fond du coeur au sentiment de Dieu ; il faut, de plus en plus et toujours, chercher ą te débarrasser de la conscience douloureuse et du laid sentiment de ton źtre nu, et souhaiter de fuir loin de toi-mźme comme loin d'un serpent. Mors tu t'abandonnes toi-mźme et tu te méprises ą fond, comme ton Seigneur te l'ordonne.
Tu désireras donc uniquement, non pas de ne pas źtre, ce qui serait folie et dépit envers Dieu, mais de t'oublier et de perdre jusqu'au sentiment de ton źtre, ce qui est absolument nécessaire pour goūter parfaitement l'amour de Dieu autant qu'il est possible ici-bas. Mais tu verras alors et tu éprouveras ton incapacité complčte ą réaliser ton intention : si recueilli que tu sois, tu seras toujours suivi et accompagné dans ton exercice par le sentiment de ton źtre aveugle, sauf ą de rares et courts moments oł Dieu se fera sentir ą toi dans l'abondance de l'amour ; et ce sentiment pčsera sur toi et s'interposera entre toi et ton Dieu, comme jadis les qualités de ton źtre l'ont fait entre toi et ton źtre. Alors tu trouveras bien lourd et bien pénible de te porter toi-mźme. Ta peine ne sera que trop justifiée ; et que Jésus te vienne en aide, car tu en auras besoin.
Toutes les souffrances possibles ne sont rien auprčs de celle-lą, puisque tu es maintenant une croix pour toi-mźme /1. Mais c'est bien l'oeuvre nécessaire et le chemin qui mčne ą Notre-Seigneur. N'a-t-il pas dit lui-mźme : « Qu'il porte » d'abord « sa croix », dans la souffrance qu'il trouvera en lui-mźme; et puis, « qu'il me suive », dans la béatitude et sur la montagne de la perfection, goūtant la douceur de mon amour dans le sentiment ineffable de ma présence.
Ainsi, tu le vois, il t'est bon d'źtre dans la tristesse et de porter comme une croix le désir de t'oublier /2, et le fardeau de toi- mźme avant d'źtre uni ą Dieu dans le sentiment spirituel de son źtre : ce qui est la charité parfaite.
Tout ceci te fera voir et comprendre en partie, dans la mesure oł la grāce t'a touché et marqué spirituellement, la dignité suréminente de l'oeuvre ą laquelle tu t'exerces.
/1 Cf. Nuage, ch. XLIV.
/2 Lorsque, ici et au ch. Xliv du Nuage, l'auteur parle sous cette forme un peu énigmatique et sommaire de la purification passive de l'esprit, il se maintient dans la vraie discipline contemplative. Celui qui cherche Dieu, et Dieu seul, doit porter peu d'attention sur tout le reste. Il ne lui est pas bon de s'appesantir sur ses souffrances et ses épreuves. A les considérer, il ne fait que les accroitre, ou risque de s'enorgueillir. Moins il y attache d'importance, mieux cela vaut pour lui : il ne doit s'arrźter ą rien, si ce n'est Dieu. Aussi le Nuage et les Epttres insistent-ils trčs peu sur les épreuves de la vie contemplative. Seules, les derničres pages de l'Epttre de la Dir. int. font exception, sans doute parce que le destinataire avait besoin d'avis sur ce point.
Que l'on ne parvient
pas ą cette oeuvre par le travail de la méditation ; mais que, néanmoins, la
vraie porte de la contemplation consiste ą méditer sur le Christ
Notre-Seigneur.
Et, je te le demande, comment parviendrais-tu ą cette oeuvre par l'exercice de tes facultés? Jamais tu n'y arriveras, ni par de belles, hautes et subtiles considérations, ni par le travail de ton imagination, ni en réfléchissant ą ta misčre et aux défauts de ta vie, ni mźme en méditant sur la Passion du Christ et les joies du Ciel, sur Notre-Dame, les Saints et les Anges, ou sur les qualités, les attributs les plus ardus et en général sur tout ce qui appartient ą ton źtre ou ą l'źtre de Dieu. A coup sūr, il m'est préférable d'éprouver cet aveugle sentiment de moi-mźme, dont j'ai dit quelque chose... (je dis : de moi-mźme, et non : de mes actions. Beaucoup de personnes confondent leurs actions avec elles-mźmes, mais ą tort : autre est le moi qui agit, autres sont mes actes ; et de mźme pour Dieu : autre il est lui-mźme, autres sont ses uvres). Aussi j'aime mieux avoir ce sentiment aveugle de moi-mźme ; je préfčre gémir, jusqu'ą me rompre le coeur, de ne pas éprouver le sentiment de Dieu, mais de sentir le pesant fardeau de moi-mźme ; il vaut mieux pour moi exciter ainsi mon désir d'amour et ma soif du sentiment de Dieu, que de me livrer aux imaginations et aux méditations, mźme les plus relevées ou les plus extraordinaires qu'homme ait jamais lues ou faites, si saintes qu'elles soient, si belles qu'elles paraissent ą mes facultés curieuses.
Encore faut-il ajouter que, pour un pécheur, ces méditations sont, dans les débuts, le meilleur moyen de parvenir au sentiment spirituel de lui-mźme et de Dieu. Il y a plus : il me paraīt impossible, réserve faite du bon plaisir de Dieu, qu'un pécheur puisse se maintenir paisiblement dans le sentiment spirituel de soi-mźme et de Dieu, si par avance, par le travail de l'imagination et la méditation, il ne s'est représenté sensiblement ses uvres et la vie du Seigneur, et s'il ne s'est livré ą la joie oł ą la tristesse selon que ces représentations peuvent motiver l'une ou l'autre. Qui ne passe par cette voie, ne peut aboutir ; il restera au dehors ą l'instant précis oł il croit źtre entré. Car beaucoup croient avoir franchi la porte spirituelle, qui sont encore ą l'extérieur ; et ils y resteront jusqu'ą ce qu'ils la cherchent dans l'humilité. Certains la trouvent facilement et entrent plus tōt que d'autres : tout dépend du portier, et non pas du prix qu'ils paient ni de leurs mérites.
La spiritualité est, ą la vérité, une demeure bien étonnante I Notre-Seigneur n'en est pas seulement le portier, il est aussi la porte : il est le portier par sa Divinité, la porte par son Humanité. Et il dit lui-mźme dans l'Évangile : /1 « Ego sum ostium; si quis per me intraverit, salvabitur : et sive egredietur, sive ingredietur, pascua
/1 La citation est formée des versets 9 et 1 du chapitre x de S. Jean. Les deux sive du texte manquent dans la Vulgate ; mais cette leēon, ainsi que l'application ą la Divinité et ą l'Humanité de N.-S., est empruntée au Miroir de S. Edmond, ch. rut (Margari de La Signe, Bibi. Max. Palrum, t. XXV, p. 323), qui donne lui-mźme comme référence S. Augustin.
inveniet. Qui vero non intrat per ostium, sed ascendii aliunde, Ille fur est et latro; je suis la porte ; si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé : et, qu'il entre ou qu'il sorte, il trouvera de gras pāturages. Quant ą celui qui entre, non par la porte, mais par escalade ou ą la faveur d'une brčche, il est un voleur et un brigand. » (Joan., x, 9 et 1.) Et, pour appliquer ce texte ą notre sujet, il semble te dire : « Moi qui suis tout-puissant par ma Divinité et qui suis, comme portier, libre d'ouvrir ą qui je veux, néanmoins je veux qu'il y ait une voie ordinaire et simple, une porte ouverte ą tous ceux qui veulent entrer, de sorte que nul ne puisse prétexter l'ignorance du chemin. C'est pourquoi je me suis revźtu de la nature commune ą tous les hommes ; j'ai si bien ouvert l'entrée que je suis la porte par mon Humanité ; « et qui accčde par moi, sera sauvé. »
Celui-lą entre par la porte, qui considčre la Passion du Christ, qui s'attriste d'en źtre cause par sa misčre et se reproche amčrement d'avoir mérité de telles souffrances, sans avoir ą les subir ; il doit en outre éprouver pitié et compassion pour le Seigneur qui, malgré sa dignité, s'est abaissé ą tant souffrir sans l'avoir mérité ; il doit lever son coeur vers l'amour et la bonté de la Divinité qui a daigné s'humilier jusqu'ą prendre notre humanité mortelle. Celui qui agit ainsi, entre par la porte et sera sauvé. Qu'il pénčtre plus avant, en considérant l'amour et la bonté de la Divinité, ou qu'il s'en tienne ą méditer les souffrances de l'Humanité, peu importe : il trouvera l'aliment spirituel de sa dévotion en suffisance et abondance, pour la santé et le salut de son āme, mźme si, durant cette vie, il ne va pas plus loin.
Celui, au contraire, qui n'entre pas par la porte mais s'efforce d'atteindre ą la perfection comme par escalade, au moyen des recherches subtiles et des efforts de ses facultés déréglées, qui délaisse l'entrée commune dont nous avons parlé, et les directions autorisées des Pčres spirituels ; celui-lą, quel qu'il soit, n'est pas seulement un voleur de nuit, mais un brigand de jour. Il est un voleur de nuit ; car il marche dans l'obscurité du péché, se fiant plus ą sa présomption et ą son esprit propre, qu'ą un directeur véridique et ą cette grande route décrite plus haut. Il est un brigand de jour ; car, sous le prétexte d'une vie purement spirituelle, il s'approprie les signes extérieurs et le vocabulaire de la contemplation, sans en avoir la réalité. Lui arrive-t-il de sentir intérieurement un désir qui lui plaīt, si menu soit-il, d'approcher de Dieu? il se laisse aveugler par cette impression et croit bon tout ce qu'il fait. C'est pourtant l'entreprise la plus périlleuse qui puisse tenter un jeune homme, de suivre l'ardeur de son désir sans le laisser régler par aucune direction. Il en est ainsi surtout lorsqu'il s'agit d'escalader des hauteurs qui non seulement sont au-dessus de lui, mais qui sont en dehors de la route simple et commune ą tous les chrétiens, alors que cette route n'est autre, selon l'enseignement du Christ, que la porte de la dévotion et le moyen le plus sūr de parvenir ici-bas ą la contemplation.
Que chacun doit suivre
l'appel de Dieu, sans juger autrui ; et que cette oeuvre n'est pas réglée par
la sagesse humaine, mais par la Sagesse mźme de Dieu et l'inspiration du
Saint-Esprit.
Mais je reviens ą ce qui te concerne en particulier, toi et tous ceux qui sont dans les mźmes dispositions. Si telle est la porte, celui qui l'a une fois trouvée doit-il rester toujours au dehors ou se tenir ą l'entrée, sans jamais pénétrer plus avant? /1 Je réponds pour toi qu'il lui est bon de rester ainsi jusqu'ą ce qu'il soit, en grande partie tout au moins, débarrassé de la rouille venant de l'insubordination de la chair, et qu'il ait obtenu l'approbation de son directeur et celle de sa conscience. Mais surtout il lui faut attendre d'źtre appelé par l'inspiration intérieure de l'Esprit de Dieu. Cette inspiration lui attestera, plus vite et plus sūrement que tout autre signe, s'il est appelé et attiré ą l'intérieur pour une oeuvre plus particuličre de grāce.
Voici comment on peut constater cette touche de la grāce. Elle existe si l'on sent continuellement, dans ses exercices, comme un désir délicat et toujours croissant de s'approcher de plus en plus de Dieu, autant qu'if est possible de le faire en cette vie, au moyen d'un sentiment spirituel ; et si l'on éprouve le mźme sentiment lorsqu'on entend parler de ce désir ou qu'on le trouve
/1 Ce passage ne signifie nullement qu'il faut laisser ą la porte, comme on ferait d'un portier, Celui qui est et qui sera toujours, au Ciel comme sur terre, la tźte du corps mystique formé de tous les chrétiens. Ici c'est précisément la Divinité du Seigneur qui est représentée par le portier. Ce point a été développé dans la Préface. Cf. aussi Walter Hilton. Scala Perfectionis, 1. II, ch. xxx.
mentionné dans les livres. Quant ą ceux qui ne se sentent pas ainsi mūs dans leurs lectures, et surtout dans leurs exercices journaliers, par ce désir toujours croissant de s'approcher de Dieu, ils feront bien de demeurer ą la porte : ils sont appelés au salut, non encore ą la perfection.
Puis il y a une chose ą laquelle tu dois prendre garde, toi qui lis ou entends mes paroles, et en particulier en ce moment oł je fais une distinction entre ceux qui sont appelés au salut et ceux qui sont appelés ą la perfection /1. Quelle que soit ta part, ne te permets pas de juger ou de discuter les actes de Dieu ou ceux d'un homme ; borne-toi ą examiner les tiens. Ne t'inquičte pas par exemple de savoir qui Dieu meut et appelle ą la perfection, et qui il n'y appelle pas, ni aprčs combien de temps il l'appelle, et pourquoi il appelle celui-ci plus rapidement que celui-lą. Si tu ne veux pas commettre une erreur, ne juge pas ; mais écoute et cherche ą comprendre. Si tu es appelé, loue Dieu et veille ą ne pas
/1 Tous les chrétiens sont appelés ą la perfection, c'est-ą-dire ą la charité (Cf. Sum. Theol., II, Q. cxxxav et cxxxv) ; mais en opposant ici le salut ą la perfection, l'auteur montre qu'il entend parler de la vie parfaite, et principalement de la vie contemplative et de la contemplation habituelle.
tomber ; si tu n'es pas encore appelé, demande humblement ą Dieu qu'il t'appelle, et quand il le voudra. Mais ne prétends pas lui faire la leēon ; laisse-le agir : il est puissant, il est sage et il veut faire ce qui vaut le mieux pour toi et pour tous ceux qui l'aiment /1. Tiens-toi pour satisfait de ta part, quelle qu'elle soit. De toute faēon tu n'as pas ą te plaindre, car les deux parts sont d'un grand prix. La premičre est bonne et indispensable ; la seconde est meilleure : que celui qui peut l'avoir, l'obtienne ; ou, plus exactement, que celui-lą l'obtienne qui y est mené par la grāce et appelé par Notre-Seigneur. De nous-mźmes nous pouvons bien insister orgueilleusement : mais nous n'aboutirons qu'ą, tomber ; et vraiment, sans Notre-Seigneur, tout ce que nous faisons n'est rien. N'a-t-il pas dit lui-mźme « Sine me nihil potestis face.re; sans moi vous ne pouvez rien faire » (Joan., xv, 5) ? C'était nous dire : «Si je ne vous mets pas en mouvement moi-mźme, si je ne suis pas agent principal dans votre acte (vous ne faisant que consentir et étant passifs), vous ne pouvez rien faire qui me plaise parfaitement. » C'est pourtant ce que devrait réaliser l'oeuvre dont nous parlons /1.
Tout ce que je viens de dire est pour confondre la fausse présomption de ceux qui, poussés par l'exubérance de leur savoir et de leur intelligence naturelle, veulent źtre toujours les agents premiers de leurs actes (Dieu restant passif ou ne faisant que consentir), alors que le contraire seul est exact lorsqu'il s'agit de contemplation. En cette matičre, il faut mettre de cōté les recherches subtiles de la science et .de la perspicacité naturelle, et laisser Dieu źtre l'agent principal.
Au contraire, dans les choses de la vie active, le savoir de l'homme et son intelligence doivent collaborer avec Dieu (Dieu ne faisant que consentir spirituellement), pourvu que l'on suive le témoignage de l'Écriture, les indications du directeur et les coutumes qui varient pour chaque nature, chaque degré, chaque āge et chaque tempérament. Personne ne doit suivre l'impulsion de son esprit, encore qu'elle lui paraisse trčs sainte, si elle l'entraīne au delą de sa science ou de ses capacités ē alors mźme que l'un des trois témoins cités plus
/1 Cf. S. Augustin, in Joan., Tract. XXVI no 2 (P. L., t. XXXV, col. 1607).
/1 Cf. S. Bernard, De Gratta et lib. arbilr., ch. xiii-xiv (P. L., t. CLXXXII, col. 1024-1027).
haut, ou tous les trois ensemble l'y encourageraient de tout leur pouvoir. Et certes il est trčs sage que l'homme soit supérieur ą sa tāche. C'est pourquoi les statuts et ordonnances de la Sainte Église ont réglé que nul ne serait admis ą une prélature, qui est le plus haut degré de la vie active, sans un examen attestant que la charge n'est pas au-dessus de ses forces.
Dans la vie active, le savoir de l'homme et ses facultés naturelles doivent s'exercer pleinement avec le consentement et la grāce de Dieu, auxquels s'ajoutent l'approbation des trois témoins et les ressources de notre habileté ; car toutes les choses de la vie active sont dominées et réglées par la prudence humaine. Mais dans les choses contemplatives, la plus haute sagesse que l'homme puisse avoir ne peut s'élever assez haut : Dieu doit źtre l'agent principal ; l'homme ne fait que consentir et źtre passif.
Cette parole de l'Écriture : « sans moi vous ne pouvez rien faire, » je l'interprčte donc différemment selon qu'il est question des actifs ou des contemplatifs /1. Pour les
/1 Cette distinction un peu sommaire aurait besoin d'explication. L'auteur oppose la contemplation infuse, oł Dieu est nécessairement agent principal, aux oeuvres de la vie active qui peuvent étre faites, et bien faites, par l'homme avec le concours de la grāce. Mais pour źtre complet, il faut ajouter que tout acte surnaturel a Dieu pour cause, et aussi que les actes de la vie active peuvent źtre accomplis sous l'influence des dons du Saint-Esprit, celui-ci étant alors le !notenr de l'āme. C'est mźme alors qu'ils sont accomplis parfaitement.
actifs, Dieu consent ou laisse faire, ou fait l'un et l'autre ą la fois, suivant que l'acte est licite ou non, qu'il lui plaīt ou non. Lorsqu'il s'agit des contemplatifs, il est agent principal et ne leur demande que de le laisser faire et de consentir. De la sorte, il est vrai que dans toutes nos actions, licites ou non, actives ou contemplatives, sans lui nous ne pouvons rien faire. Il est avec nous quand nous péchons, parce qu'il nous laisse faire, bien qu'il ne donne pas son consentement ; et ce sera pour notre réprobation finale, si nous ne nous corrigeons dans l'humilité. Pour les oeuvres de la vie active, dans les choses licites il est avec nous, en laissant faire et consentant : pour notre plus grand reproche si nous reculons, pour notre plus grande récompense si nous avanēons. Mais dans ce qui concerne la vie contemplative, il est avec nous comme principal moteur et agent premier : nous, nous ne faisons que consentir et źtre passifs, pour notre plus grande perfection et pour arriver ą l'union spirituelle de notre āme avec lui dans la charité parfaite.
En résumé. les hommes se divisent en trois classes : les pécheurs, les actifs et les contemplatifs : la parole de Notre-Seigneur s'applique aux trois. Sans lui, qui laisse faire les pécheurs et ne consent pas ą leurs oeuvres, qui, pour les actifs, laisse faire et consent, et qui, pour les contemplatifs, est principal moteur et agent, nul ne peut rien faire.
Voilą bien des mots pour peu de doctrine. (Si pourtant je me suis étendu sur cette matičre, c'est afin de t'apprendre quand tu dois faire travailler tes facultés et quand tu ne le dois pas, comment Dieu est avec toi dans tels actes et comment dans tels autres ; par lą tu pourras peut-źtre éviter des erreurs que tu aurais commises faute de cet enseignement.) Mais puisque ces réflexions sont écrites, laissons-les, bien qu'elles ne se rattachent que de loin ą notre sujet, auquel nous devons maintenant revenir.
De deux signes
auxquels on peut reconnaītre si Dieu nous appelle ą cette oeuvre.
Tu vas probablement m'adresser cette demande : Y a-t-il un ou plusieurs signes auxquels je puisse reconnaītre, rapidement et sans me tromper, ce qu'est ce désir croissant que j'éprouve dans mes exercices quotidiens, et ce mouvement de complaisance intime que je ressens en lisant ou en entendant parler de loeuvre /1? Est-ce vrai-
/1 L'auteur revient ici, avec plus de développement, sur le sujet qu'il a déją abordé aux ch. Lxxiv et Lxxv du Nuage, et indique ą quels signes on peut reconnaītre si l'on est appelé ą l'oeuvre. Ces signes n'ont pas besoin d'explications. Pour celui qui ne les connaīt pas par expérience, ils seront sans doute lettre morte ; mais celui qui les a éprouvés ne s'y trompera pas et tressaillira de les trouver si clairement notés. On peut seulement ajouter deux remarques. S. Jean de la Croix a donné, dans sa Montée du Carmel (I. II, ch. xiii), trois signes pour indiquer ą quel moment on peut laisser la méditation pour la contemplation; et ces signes ont été adoptés comme classiques dans tous les traités modernes de mystique. Ce ne sont pas ceux qu'indique notre auteur, mais ils s'y ramčnent en grande partie. Du reste, « ils ne s'entendent pas d'un état habit, mais du temps de la contemplation » (Maynard, Traité de la vie intérieure, t. I, p. 164-165), tandis que ceux décrits ici s'entendent plutōt de la disposition générale requise pour pratiquer la contemplation, sans rien préjuger de chaque oraison particuličre.
A ces signes doivent s'ajouter normalement certaines conditions générales Indiquées précédemment par l'auteur : d'abord la pratique des vertus de la vie active (Prologue du Nuage), ou tout au moins une purification sincčre et complčte de la conscience, jointe ą l'abandon du monde et ą une conversion totale de la vie (Nuage, ch. xxvit et xxvin ; Ep. Dit% int., ch. n); il faut aussi ne pas avoir l'esprit inquiet (Nuage, Prol., ch. Lxxiv ; Ep. Dir. int., ch. iv); et enfin il faut mener une vie contemplative. Mais ce ne sont lą que des conditions préalables : elles ne suffisent pas sans les signes qui indiquent l'appel de Dieu.
ment un appel de Dieu m'invitant ą une grāce spéciale comme celle dont tu parles?
ou n'est-ce qu'une opération de mon esprit et un aliment dont il se nourrit, mais une preuve qu'il doit attendre et s'exercer encore dans la grāce commune, celle qui est la porte et l'entrée de tous les chrétiens, ainsi qu'on l'a dit plus haut?
A cette question je répondrai de mon mieux. Comme tu peux le voir, je t'indique deux sortes de preuves pour vérifier si tu es appelé de Dieu ą l'oeuvre dont nous parlons : l'une est intérieure, l'autre extérieure. Aucune des deux ne suffit pleinement sans l'autre, s'il me semble bien ; mais si toutes deux se rencontrent, tu peux źtre assuré de ne pas te tromper.
La premičre de ces deux preuves, celle que j'appelle intérieure, est précisément ce désir croissant que tu éprouves en t'exerēant chaque jour ą l'oeuvre. A son sujet, il est une chose que tu dois savoir : ce désir en lui-mźme est un acte aveugle de ton āme (il est pour l'āme ce que la marche et les pas sont pour le corps /1, et tu sais fort bien que ce sont lą des actes inconscients) ; mais tout aveugle qu'il soit, il est accompagné et suivi d'une sorte de vue spirituelle qui est, en partie, la cause du désir et, en mźme temps, un moyen de l'augmenter. Ceci dit, considčre avec soin en quoi consiste cette vue dans ton exercice spirituel quotidien. Si tu t'occupes du souvenir de ta misčre, de la Passion du Christ ou de tout autre sujet qui appartient ą l'entrée commune dont nous avons parlé ; si ces considérations font naītre la vue spirituelle qui accompagne et suit ton désir aveugle : c'est pour moi un indice manifeste que la croissance de ton désir n'est qu'une nourriture donnée ą ton esprit pour qu'il demeure dans la grāce commune et s'y exerce ; il n'y a lą ni appel ni motion de Dieu pour t'élever ą une grāce particuličre.
Quant au second signe, celui qui est extérieur, c'est le mouvement de complaisance
/1 Pour l'explication de cette phrase, cf. Nuage, ch. LXX et les textes cités en note.
que tu ressens en lisant ou en entendant lire ce qui a trait ą l'oeuvre. Je l'appelle un signe extérieur, parce qu'il vient du dehors, par les fenźtres des sens corporels, les oreilles ou les yeux. Eh bien, si ce mouvement ne persiste pas au delą du temps de la lecture, s'il cesse aussitōt ou peu aprčs ; s'il n'est pas en toi ou avec toi lorsque tu te lčves ou tu te couches, si tu n'a pas conscience qu'il t'accompagne dans ton exercice quotidien, entrant et s'interposant pour ainsi dire entre toi et lui, avivant et dirigeant ton désir : c'est pour moi un signe trčs véridique qu'il s'agit seulement du plaisir naturel que prend tout chrétien ą entendre la vérité. Ce plaisir est d'autant plus vif qu'il est provoqué par une explication plus précise et exacte des conditions de la perfection qui s'accordent le mieux avec l'āme de l'homme et la nature de Dieu. Mais ce n'est pas une motion spirituelle de la grāce, ni une invitation de Dieu ą délaisser l'oeuvre qui sert de porte commune ą tous les chrétiens.
Il en va tout autrement si ce mouvement de complaisance est si abondant qu'il t'accompagne ą ton coucher, se lčve avec toi le matin ; et s'il te suit le long du jour dans tout ce que tu fais. Il t'arrache ą ton exercice spirituel quotidien et se met entre toi et lui ; il s'associe ą ton désir et le suit si bien, que tous deux semblent ne plus faire qu'un ou former ensemble un je ne sais quoi que tu ne saisis pas. Il transforme tes gestes et donne de la grāce ą ta contenance ; tant qu'il dure, tout te plaīt et rien ne peut te faire souffrir. Tu ferais volontiers des lieues pour t'entretenir avec celui qui, ą ta connaissance, aurait éprouvé ce mźme mouvement ; et dans ce cas, tu ne peux parler d'autre chose, parle qui voudra, car seul ce sujet t'intéresse. Tes paroles sont rares alors, mais pleines de fruit et de feu. Un simple mot de ta bouche contient un monde de sagesse ; et pourtant il ne paraīt que folie ą ceux qui se confient en leurs facultés naturelles. Ton silence est aimable, ta parole opportune, ta pričre secrčte, ton élčvement trčs pur ; tes maničres sont humbles, ta joie trčs douce, et la contemplation fait ton délassement /1. Tu aimes ą źtre seul, ą rester assis ą l'écart ; parce que tu considčres comme un obstacle la compagnie des hommes, sauf s'ils se livrent ą la mźme uvre ; tu ne désires faire ou entendre de lecture que sur ce sujet.
S'il en est bien ainsi, le signe intérieur et le signe extérieur sont d'accord et ne font plus qu'un.
/1 La traduction littérale serait : « Tu aimes ą jouer avec un enfant. » On pourrait prendre les mots au pied de la lettre ; mais il semble plus vraisemblable que l'enfant dont il est ici question est Benjamin adolescen-tulus, « l'enfant Benjamin » mentionné plus haut (ch. vi) et qui désigne la contemplation. Si cette explication est correcte, il faut sans doute interpréter l'élévation dont il vient d'źtre parlé, du mentis excessus de Benjamin.
Des désolations et des consolations qui se rencontrent dans l'exercice de cette oeuvre, et pourquoi Dieu envoie les unes et les autres ; conclusion au sujet des signes.
Tout cela est vrai ; mais peut-źtre lorsque tu auras constaté en toi tous ces indices et leurs caractéristiques tels que je les ai décrits ici, ou du moins quelques-uns d'entre eux, ils viendront ą disparaītre pour un temps : tu te trouveras comme dépouillé de tout, privé aussi bien de cette ferveur nouvelle que de l'ancien exercice auquel tu étais habitué ; et tu auras l'impression d'źtre tombé entre les deux, n'ayant plus ni l'un ni l'autre et souffrant de la perte de tous deux. Ne te laisse pas appesantir pour autant ; supporte avec humilité ce qui t'arrive, et attends avec patience la volonté de Notre-Seigneur. Car ą ce moment tu es, pour employer une comparaison, lancé sur la mer spirituelle, et tu as laissé ce qui est de la chair pour faire voile vers ce qui est de l'esprit.
Bien des tempźtes et des tentations se lčveront peut-źtre, et tu ne sauras oł trouver un refuge, tant la tristesse t'aura envahi. Il te semblera que tout a disparu : grāce ordinaire et grāce spéciale. Ne t'effraie pas trop alors, mźme s'il te semble qu'il y a lieu de craindre. Reste plutōt dans une confiance amoureuse, si faible soit-elle, en Notre-Seigneur ; car il n'est pas loin. Peut-źtre va-t-il bientōt jeter les yeux sur toi et te toucher d'un mouvement plus fervent de la mźme grāce qu'il t'a donnée déją.. Aussitōt tu te sentiras remis ; et tout te semblera bien, du moins tant que durera cette grāce. Et soudain, avant mźme que tu comprennes comment, tout s'éloigne ą nouveau et tu te retrouves dépouillé de tout sur ton navire, au milieu des coups de vent qui soufflent de partout, sans que tu saches d'oł ils viennent.
Pourtant ne te laisse pas déconcerter, car, je te le promets, « le Seigneur viendra et sans tarder » (Habacuc, 11, 3 ; cf. Hebr., x, 37) ; lorsqu'il lui plaira de te consoler, sa puissance te délivrera de toute tristesse, d'une maničre plus éminente qu'il ne l'avait jamais fait. Oui ; et s'il s'éloigne souvent, autant de fois il reviendra ; et chaque fois, si tu supportes humblement l'épreuve, il reviendra avec plus d'empire et t'apportera plus de joie. Il n'agit en tout cela que pour te rendre spirituellement aussi souple ą sa volonté qu'un gant de peau l'est ą la main. Ainsi, qu'il s'agisse de son éloignement ou de son retour, son action intime en toi tend ą un but unique : faire en toi son uvre propre. En te retirant la ferveur dont, bien ą tort, tu confonds l'absence avec celle de Dieu, c'est avec beaucoup d'ą-propos que Dieu éprouve ta patience ; mais sache-le bien, s'il retire parfois ces douceurs sensibles, ces sentiments de ferveur et ces désirs brūlants, néanmoins il n'ōte pas pour autant sa grāce ą ses élus.
Je ne puis croire, en effet, qu'il leur enlčve jamais la grāce spéciale dont il les a touchés une fois, sauf s'ils tombent dans le péché mortel. Car toutes les douceurs dont j'ai parlé, ne sont pas la grāce elle-mźme, mais seulement des indices de la grāce ; aussi peuvent-elles nous źtre reti- rées pour exercer notre patience et par lą nous procurer des avantages spirituels plus considérables que nous ne saurions l'imaginer. La grāce elle-mźme est si pure, si haute, si spirituelle qu'on ne peut la constater dans la sensibilité : les signes indiqués plus haut peuvent źtre perēus ; elle, non. Ainsi Notre-Seigneur nous prive parfois de la ferveur sensible ą la fois pour augmenter et éprouver notre patience ; parfois aussi il le fait pour d'autres raisons que je n'ai pas ą développer ici. Poursuivons notre sujet.
D'autres fois, au contraire, il te donne ces douceurs sensibles, que tu prends ą tort pour son retour, d'une maničre plus relevée, avec plus de fréquence et de force ; il le fait pour nourrir ton ąme et lui apprendre ą demerer et ą vivre dans l'amour et l'adoration.
Ainsi, par la patience que tu gardes dans l'absence de ces consolations, signes de la grāce, et par cette nourriture vivante et pleine d'amour que leur retour procure ą ton āme, dans un cas comme dans l'autre, Dieu te rendra joyeusement souple et soumis ą sa volonté dans une parfaite union spirituelle (union qui est le sommet de la charité) ; si bien que tu seras aussi joyeux et content de perdre ces douceurs ą son gré, que de les posséder et d'en jouir pendant toute ta vie /1.
A ce moment ton amour est ą la fois chaste et parfait. A ce moment tu vois Dieu et ton amour réunis ; et, dans la pureté de cette union spirituelle avec son amour, par la fine pointe de ton esprit tu prends conscience de lui ; mais c'est dans l'obscurité, ainsi qu'il est possible de le trouver ici-bas, lorsqu'on est dépouillé de soi-mźme et revźtu de lui seul, et que l'on a rejeté toutes les impressions sensibles, quelque douces ou saintes qu'elles puissent źtre ; il est perēu alors dans la pureté de l'esprit avec vérité et perfection, en lui-mźme et tel qu'il est, bien loin de toute représentation imaginaire ou de toute idée naturelle.
Pour ton intelligence qui en prend conscience, cette vue et ce sentiment de Dieu tel qu'il est, ne peuvent pas plus źtre séparés de Dieu lui-mźme que Dieu ne peut źtre séparé de son źtre, qui est un, substantiellement et par nature. Comme il ne peut źtre séparé de son źtre ą cause de l'unité de sa nature, ainsi l'āme qui jouit de cette vue et de ce sentiment ne peut źtre loin de ce qu'elle voit et de ce qu'elle sent, ą cause de l'unité qui résulte de la grāce.
Et partant, ces signes te permettront de constater et d'éprouver en partie quelle est la nature et la noblesse de ce mouvement de grāce qui t'appelle intérieurement dans ton exercice spirituel, ou qui te parvient extérieurement au moyen des lectures. Lors donc que tu as expérimentés toi ou tous ceux qui sont dans les mźmes dispositions, ces marques ou quelques-unes d'entre elles (car bien peu d'āmes sont assez touchées de cette grāce pour les ressentir toutes au début), si du moins tu en as vraiment éprouvé une ou deux, ce qui peut suffire, il faut les contrōler par le témoignage de l'Écriture, par l'examen de ta conscience et par l'avis de ton directeur. Cela fait, tu auras profit ą abandonner parfois les méditations et leurs recherches, les représentations raffinées qui portent sur les qualités de ton źtre et de l'źtre de Dieu, sur tes actions et les oeuvres de Dieu : jusqu'ici elles ont nourri tes facultés, elles t'ont affranchi de tout ce qui tient au monde et ą la chair ; ainsi elles t'ont préparé ą la grāce qui t'est donnée maintenant.
1/ Cf. Nuage, ch. XLIX et L.
Que Notre-Seigneur
lui-mźme nous enseigne comment pratiquer cette uvre ; et que les contemplatifs
doivent persévérer dans l'humilité et l'amour.
Laissant donc cette connaissance de Dieu acquise par la réflexion et l'imagination, si tu veux t'instruire de cette occupation spirituelle qui se borne au sentiment de toi-mźme et de Dieu, considčre l'exemple que le Christ nous a donné dans sa vie.
En effet, s'il n'y avait pas de plus haute perfection ici-bas que de considérer et aimer son Humanité, je suis convaincu qu'il ne serait pas remonté au Ciel avant la fin du monde ; il n'aurait pas privé de sa présence corporelle ceux qui ont pour lui un amour spécial. Mais il y a une perfection plus haute, accessible ą l'homme dčs cette vie : c'est l'expérience toute spirituelle de l'amour de sa Divinité. Et c'est pourquoi il a dit ą ses disciples qui murmuraient de perdre sa présence corporelle, (ce que tu fais d'une certaine maničre toi aussi, quand tu regrettes d'avoir ą laisser le travail de la méditation et l'exercice inquiet de tes facultés) : « expedit vobis ut abecu n ; il est bon pour vous que je m'en aille » corporellement (Joan., xvi, 7). Et le Docteur /1 dit ą ce propos : « Si la vue de l'Humanité n'est pas retirée ą nos yeux corporels, l'amour de la Divinité ne s'emparera pas de nos yeux spirituels ». Aprčs lui, je te répčte qu'il est bon parfois de laisser les recherches de nos facultés, pour apprendre ą goūter intérieurement quelque chose de l'amour spirituel de Dieu.
C'est par la voie que je t'indique que tu parviendras ą ce sentiment spirituel, aidé et prévenu de la grāce. Applique-toi de plus en plus et sans relāche ą rester dans ce sentiment nu de toi-mźme, offrant avec une perfection toujours croissante ton źtre ą Dieu, comme la plus pure des oblations. Mais si tu veux éviter toute erreur, veille bien ą ce que ce sentiment soit nu. Et s'il est tel, ce sera au début une grande souffrance de t'y maintenir, parce que, je te le redis encore, tes facultés n'y trouveront
/1 L'idée, sinon les mots, se trouve dans S. Augustin, fn Joan., Tract. xcv no 4 ; Serm. caxx, no 2 (P. L., t. XXXV, col. 1869; t. XXXVIII, col. 1238). Elle se trouve aussi dans deux passages de S. Grégoire, Mor. liv. VIII, n° 41 ; Dial., liv. II, ch. xxxvin (P. L., t. LXXV, col. 866; t. LXVI, col. 204). S. Thomas les cite tous deux dans son commentaire sur l'Évangile de S. Jean, ch. x ; peut-źtre est-ce lui que l'auteur désigne par l'expression « le Docteur », ainsi qu'il l'a déją fait dans l'Epttre sur la Pričre (no 3).
aucun aliment. Mais cela n'importe, et je ne l'en aime que mieux. Laisse donc tes facultés jeūner, faute de trouver leur satisfaction naturelle dans la connaissance. L'homme, a-t-on dit avec raison /1, désire naturellement savoir. Mais en vérité c'est par la grāce seule qu'il peut goūter un sentiment spirituel de Dieu, quelle que soit sa science et son intelligence. Cherche donc, je t'en prie, plus ą goūter qu'ą connaītre. La science fait souvent tomber dans l'erreur ą cause de l'orgueil ; mais il ne peut y avoir d'illusion ą goūter dans l'humilité ce sentiment d'amour. « Scientia in-flat, charitas vero dificat; la science enfle, tandis que la charité édifie » (I Cor., viii, 1), La science exige le travail, l'expérience du sentiment spirituel donne le repos.
Mais ici tu m'arrźteras une derničre fois : « Quel repos y a-t-il donc dans l'oeuvre dont tu me parles? Je n'y trouve au contraire qu'un travail douloureux, sans aucune tranquillité. Ah oui ! lorsque j'essaie de suivre tes indications, ce n'est pas le repos que je rencontre, mais la souffrance, et de tous cōtés il me faut lutter. D'une part mes facultés voudraient me ramener ą autre chose, et je résiste ; d'autre part je voudrais goūter Dieu et perdre le sentiment de moi-mźme, et je n'y parviens pas. Partout la lutte et la souffrance : étrange repos en vérité ! »
Je te répondrai que tu n'es pas encore accoutumé ą cette oeuvre ; c'est pourquoi elle te fait souffrir davantage. Si tu y étais entraīné, si l'expérience t'en avait montré l'utilité, tu ne voudrais pas la quitter volontairement pour tout le repos corporel et toute la joie du monde. J'avoue qu'on y rencontre une grande souffrance et un grand travail ; pourtant je l'appelle un repos, parce que l'āme n'est pas en guerre contre elle-mźme et n'a aucun doute sur ce qu'elle doit faire. De plus, elle est, pendant ce temps, garantie de la plupart des erreurs.
Poursuis donc cette oeuvre dans l'humilité et avec un fervent désir : elle commence dans la vie présente ; elle durera sans fin dans la vie éternelle, ą laquelle je prie Jésus tout-puissant de mener tous ceux qu'il a rachetés de son sang précieux. Amen.
/1 Aristote, Métaphys., I.
Table des matičres
« Sur
le Nuage d'Inconnaissance » par Lilian Silburn
« Le
Nuage dInconnaissance » traduit par Armel Guerne
COMMENCE ICI LA PRIČRE DU
PROLOGUE
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
DEUXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TROISIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUATRIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SEPTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
DIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
ONZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
DOUZIEME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TREIZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUATORZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUINZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SEIZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
DIX-SEPTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
DIX-HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
DIX-NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET UNIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET DEUXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET TROISIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET QUATRIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET CINQUIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET SIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
VINGT ET NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET UNIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET DEUXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET TROISIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET QUATRIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET CINQUIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET SIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET SEPTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
TRENTE ET NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET UNIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET DEUXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET TROISIČME
COMMENCE ICI LE
CHAPITREQUARANTE ET QUATRIČME.
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET CINQUIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET SIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET SEPTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
QUARANTE ET NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET UNIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET DEUXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET TROISIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET QUATRIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET SIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET SEPTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
CINQUANTE ET NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET UNIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET DEUXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET TROISIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET QUATRIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET CINQUIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET SIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET SEPTIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET HUITIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET NEUVIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET DIXIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET ONZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET DOUZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET TREIZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET QUATORZIČME
COMMENCE ICI LE CHAPITRE
SOIXANTE ET QUINZIČME
HERE BEGINNETH THE FIRST
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SECOND
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THIRD
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOURTH
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIFTH
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SIXTH
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
SEVENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE EIGHTH
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE NINTH
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TENTH
CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
ELEVENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
TWELFTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
THIRTEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
FOURTEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
FIFTEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
SIXTEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
SEVENTEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
EIGHTEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
NINETEENTH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE ONE
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TWO
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THREE
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOUR
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIVE
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SIX
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SEVEN
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE EIGHT
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE NINE
AND TWENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE ONE
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TWO
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THREE
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOUR
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIVE
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SIX
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SEVEN
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE EIGHT
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE NINE
AND THIRTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE ONE
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TWO
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THREE
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOUR
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIVE
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SIX
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SEVEN
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE EIGHT
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE NINE
AND FORTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE ONE
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TWO
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THREE
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOUR
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIVE
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SIX
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SEVEN
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE EIGHT
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE NINE
AND FIFTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE ONE
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TWO
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THREE
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOUR
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIVE
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SIX
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE SEVEN
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE EIGHT
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE NINE
AND SIXTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE
SEVENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE ONE
AND SEVENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE TWO
AND SEVENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE THREE
AND SEVENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FOUR
AND SEVENTIETH CHAPTER
HERE BEGINNETH THE FIVE
AND SEVENTIETH CHAPTER
« Epītre
de la direction intime » traduite par D.M. Noetinger