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L’ETOILEMENT MYSTIQUE.

1. La disparition d’une langue. 3

2. Mystiques juifs, protestants, orthodoxes 4

La mystique juive. 4

La Kabbale 4

Baruch Spinoza ( ? -1677) 4

Dov Baer de Loubavitch et le Hassidisme 5

Le nord protestant. 7

Luthériens, calvinistes, « troisième voie ». 7

Mystiques allemands au XVIIe siècle (Böhme, Silesius, C. von Greiffenberg). 7

Des piétistes à Kierkegaard. 8

Piétistes 8

Gerhard Tersteegen (1697-1769). 9

S. Kierkegaard (1813-1855). 9

Mystiques écossais (Scougal, les Garden). 9

Poètes anglais (Herbert, Traherne). 11

Les Quakers. Robert Barclay (1648-1690). 13

William Law (1686-1761) et John Wesley (1703-1792). 14

L’est orthodoxe. 15

La Philocalie (1782). 15

Seraphim de Sarov (1759-1833). 15

La paternité spirituelle en Russie. 15

Récits du Pèlerin russe. 16

Modernes (Frank, Lev Gillet). 16

Simon Frank ( ?-1950). 16

Lev Gillet, un « Moine de l’Église d’Orient » (1893-1980). 17

3. Mystiques catholiques. 18

Claude-François Milley (1668-1720), messager de la voie d’abandon. 18

Jean-Nicolas Grou (1731-1803). 18

Pierre de Clorivière (1735-1820). 20

Maine de Biran (1766-1824). 20

Madame Swetchine (1782-1857). 20

François Libermann (1802-1852). 20

Cécile Bruyère (1845-1909). 20

Vital Lehodey (1857-1948). 21

Lucie Christine (1870-1908). 21

Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897). 22

Edith Stein (1891-1942). 22

Jean-Baptiste Porion ( ?-1987). 24

Paul Agaësse. 25

Marie-Dominique Molinié. 27

4. Contemporains en recherche. 30

Mystiques. 30

Simone Weil (1909-1943). 30

Etty Hillesum (1914-1943) 30

Explorateurs de textes. 31

Bremond. 31

Baruzi. 31

Témoins (Proust, Mandelstam, Carlo Levi, Koestler). 33

Marcel Proust (1871-1922). La recherche des instants mystiques : 33

Ossip Mandelstam (1891-1938).. 34

Carlo Levi (1902-1975).. 34

Arthur Koestler (1905-1983). 34

« Avocats » (Bergson, A.Huxley, Wald). 37

Henri Bergson (1859-1941). 37

Erwin Schrödinger (1887-1961).. 38

Aldous Huxley (1894-1963).. 39

George Wald (1906-) 40

La physique d’aujourd’hui. 40

 

Nous rappelons l’existence de « mystiques parallèles » au XVIIe siècle, juive et protestante, ce qui ne pouvait trouver place précédemment sans rompre le fil de notre approche historique au sein du catholicisme français. Ensuite nous abordons la période plus récente couvrant les trois derniers siècles afin de montrer la permanence d’un vécu mystique, même si ses expressions prennent des formes plus variées.

La forme est anthologique, suggérant ainsi au lecteur dans un espace limité, par quelques brèves citations, la personnalité de figures très diverses présentées en suivant l’ordre chronologique. Leur nombre approche de cinquante : il est ainsi très proche de celui des figures mystiques ayant connu le XVIIe siècle (tables III et IV du premier chapitre ouvrant la seconde partie, « l’invasion mystique »).


1. La disparition d’une langue.

Le Crépuscule des mystiques ne signifie pas leur disparition, mais celle d’un langage commun tel qu’il fut précisé dans le monde catholique, en latin puis en français, par Sandaeus, Civoré, Guyon, Honoré de Sainte-Marie. Leur « Source » ou « Energie divine » demeure. 

Ces deux termes « vagues » sont-ils préférables à celui plus traditionnel que nous avons partagé avec les figures évoquées jusqu’ici de « Dieu » ? Ou bien ajoutent-il une dispersion supplémentaire ? Autant de représentations de « Dieu » que de religions différentes ou bien s’accordent t-elles avec le refus de toute image de Dieu (judaïsme, islam) ? L’adepte de la tolérance positive - allant au-delà d’une tolérance subie acceptant l’existence de l’autre en vue de la paix commune - espère être enrichi grâce à la diversité des représentations, sans rechercher leur cohérence à ce niveau humain, ceci à l’image des théories physiques s’appuyant sur des représentations en apparence contradictoires, tel le modèle corpusculaire / ondulatoire. Cet adepte n’est pas encore fréquemment rencontré dans le domaine religieux. [1]. Peut-être faut-il y voir une méfiance justifiée vis-à-vis d’une subtile récupération possible par abandon de la rationalité, contre lequel s’élevait un Albert Schweitzer ?

Le christianisme, divisé en diverses confessions qui s’affontèrent, s’est replié de par ses contradictions internes, ce qui a contribué à sa mise à l’écart progressive des développements liés à la prise de contrôle de la nature (sciences physiques puis humaines). La mystique, étant le plus souvent perçue comme une façon de vivre son rapport avec Dieu au sein d’une religion, semble partager leur effaçement. Mais certains mystiques ne s’expriment plus par rapport à un « Dieu » et s’ouvrent à la non-dualité, rejoignant parfois (le plus souvent sans le savoir ce qui s’avère heureux) des traditions vénérables d’orient (bouddhisme, sivaisme, taoisme). Mais s’exprimant approximativement - une langue reste à inventer en occident tandis que celles d’orient apparaissent mortes, du moins en sommeil – ces « mystiques sans Dieu » contribuent à diluer l’expression d’une expérience insaisissable et sans couleur quand on la dévêt de tout habit religieux.

La brève revue qui suit, de mystiques ou du moins d’esprits très sensibles à cette dimension, qui exprimèrent leur vie intérieure colorée par diverses confessions, puis qui se situèrent hors de toute religion, veut indiquer que leur disparition n’est qu’apparente, à ne pas confondre avec celle de regroupements traditionnels. Nous les classons encore à l’aide de ces regroupements en commençant par la religion la plus vénérable :

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2. Mystiques juifs, protestants, orthodoxes

La mystique juive.

Malgré le faible nombre des juifs vivant en France sous la royauté - trente mille sous Louis XIV, « portugais » du sud-ouest assez bien intégrés, « allemands » plus ou moins misérables d’Alsace, « juifs du pape » avignonnais, seulement quelques centaines à Paris, ville qui ne voit passer que des juifs de passages munis d’un laisser-passer - l’influence de la plus ancienne des traditions religieuses s’exerça par l’intermédiaire des hébraïsants et ne déborda guère du domaine des idées au XVIIe siècle [2]. Mais elle fut considérable à ce niveau  par la mystique juive, la Kabbale transmise par les cabalistes chrétiens, ces derniers fort mal acceptés de part et d’autre. La Kabbale sera relayée par le Hassidisme en Europe orientale. Une révolution naissante, celle des études bibliques, sera provoquée par le « mystique athée » Spinoza. On ne peut ici que citer quelques sources facilement accessibles.

La Kabbale

La Kabbale, redécouverte depuis un siècle environ [3], est le nom donné à la mystique juive médiévale. Le Zohar en constitue le joyau perpétuellement commenté [4]. Ses mystiques spiritualisent les commentaires bibliques, tel celui du Cantique,  qui célèbre l’amour mystique [5]. La Kabbale s’est rapprochée de son environnement chrétien, par exemple par sa conception de la présence divine, et par là a pu l’influencer. Une cabale chrétienne prit son essor lors de la Renaissance en Italie, ce dont témoigne, entre autres écrits, les 900 Conclusions de Pic [6].

Baruch Spinoza ( ? -1677)

Le philosophe peut être considéré comme un mystique même si son panthéisme et  sa mise à plat des textes bibliques en font aux yeux de ses contemporains l’ennemi premier des religions de son temps [7]. Mystique pour qui :

…c’est par la raison que l’on connaît la volonté de Dieu et non par les prétendues révélations qu’invoquent les Eglises [8].

La vision large de Spinoza a pâtie de sa condamnation par Bayle comme athée alors que l’ « on pourrait même dire que Spinoza ne parle que de Dieu », comme H. Laux  le montre dans sa présentation des cinq premières définitions de  l'Ethique [9]. Dieu est un « être unique dont toutes les autres choses ne sont que des modifications », « Il ne crée pas, il produit, il est ce qu'il produit, de sorte que tout est Dieu ». Nous sommes en présence d’une « expérience de paix intérieure par rapport à soi et de générosité vis-à-vis d'autrui », « mystique de pleine affirmation et d'intelligibilité ». C’est ce que nous avons ressenti à la lecture de l’Appendice contenant les Pensées métaphysiques.

Dov Baer de Loubavitch et le Hassidisme

Dov Baer a dirigé l’approche habad en faveur d’une contemplation mentale sobre, qui prit place par son père Schnéour Zalman au sein du mouvement hassidique créé par Israël ben Eliézer, le « Maître du Nom » ou Ba’al Shem Tov [10]. Pour le habad, « ce n’est que du point de vue de Ses créatures que le monde semble jouir d’une existence indépendante … Il a voilé à leurs yeux la divine lumière afin que puissent durer les créatures…[11] ». Dieu est ainsi transcendant par rapport à l’univers, bien qu’il n’y ait pas d’univers sans Lui, ce qui distingue cette conception du panthéisme de Spinoza. « L’âme divine est revêtue de l’âme naturelle à travers laquelle elle s’exprime, tout comme l’âme naturelle est revêtue de volonté, pensée, émotions et actes [12] ».

Nous allons citer assez longuement l’« échelle » habad parce que, loin d’être théorie, elle traduit avec précision une expérience mystique vécue du côté juif – égale aux plus profondes rapportées dans ce volume du côté chrétien. Les cinq degrés de l’âme sont  présentés avec clarté par L. Jacobs : « Le plus bas est celui de néphesh ; c'est un simple désir, pas davantage, d'être proche de Dieu ; l'homme réfléchit sur son indignité et son grand éloignement du divin ; il souhaite ressentir le divin, mais ne trouve aucune réponse en son âme. (C'est ce que Dov Baer exprime par l'« entendre-du-lointain ».) Mais, comme il a reconnu qu'il est loin de Dieu, il décide de mener une vie meilleure. Le degré de néphesh a donc des implications dans l'action, mais sans chaleur spirituelle, même pas dans l'action. Vient ensuite le degré de rouah qui engage les émo­tions. Dieu est suffisamment proche pour que soit pris l'enga­gement de mener une vie selon le bien, et la chaleur spirituelle est assez grande pour être transmise à l'acte. Celui qui parvient à ce stade se comporte suivant l'importance du bien qu'il accorde à la proximité de Dieu. Mais la véritable expérience du divin est encore très faible ici. Vient ensuite le degré de neshamah : le cœur est vraiment impliqué. Il ne s'agit plus seulement de désirer Dieu ou de vouloir accomplir Sa volonté. L'homme jouit véritablement de Dieu. Plus haut est le degré de hayyah où le mental, autant que le cœur, est transporté d'extase. A ce degré, l'homme est si proche de Dieu que le divin est perçu avec une grande plénitude. Aussi le ravissement peut-il se prolonger. Enfin, supérieur à tous, est le degré de yehidah où il y a « simple vouloir », volonté pure de connaître Dieu, plus haute que tout intellect et toute émotion. A ce stade, l'homme a virtuellement accompli le dépassement de soi, et il aborde le divin par-delà toutes les limites normales impo­sées par sa nature physique [13]. » On retrouve ainsi une expérience comparable à celle des mystiques chrétiens qui donnent la première place à la volonté, comme par ex. Canfield (qui suit une longue tradition). Au-delà de ce bref résumé, citons Dov Baer qui précise et donne vie aux trois derniers degrés de la vie mystique, en commençant par celui de neshamah :

…extase essentielle de l'âme divine. Si même elle pénètre dans le cœur avec une forte sensation, elle n'est en rien une extase consciente. Elle est en effet si peu ressentie par celui qui l'éprouve, que, au moment de l'extase, il ne se rend absolument pas compte qu'il est transporté d'extase. ... Telle est la nature de toute extase essentielle ; par exemple, de l'extase essentielle de l'âme naturelle dans le désir physique. Nous voyons bien que lors­qu'on est transporté d'extase à cause de quelque chose d'agréable, on est totalement inconscient de cet état : l'extase est vécue dans le cœur, mais sans conscience de soi. Plus l'extase essentielle est profonde (par exemple, l'amour ou la volonté, et le ravissement d'une très grande profondeur), moins on la sent. On rencontre ce stade chez la plupart des hommes dont l'âme divine n'est pas devenue impure et n'a pas été fortement souillée par la contamination du corps dans le désir étranger du cœur charnel extérieur. Comme il est écrit (Ps. 24, 4) : « Celui dont les mains sont sans tache et le coeur pur... » L'intention de son esprit irradiant son cœur, il est dit de lui (Ps. 119, 10) : « De tout mon cœur je Te cherche »[14].

Le degré de hayyah :

…doit, par la force des choses, venir sponta­nément et sans artifice. Exactement comme survient sponta­nément, par exemple, une soudaine extase de l'âme qui vous fait frapper des mains, etc., de même ce chant pénètre de lui­-même et involontairement le cœur charnel à la manière de toute extase essentielle. Et ce spontané est la principale carac­téristique du divin … Cette concentration donc n'est autre que celle de la véritable lumière divine en elle-même, et ne provient pas de la compré­hension ou de l'intelligence de la lumière divine. [15].

Enfin le dernier degré de yehidah est :

…l'essence véritable qui s'élève dans le chant, chant simple essentiel [la mélodie avant qu’elle ne soit traduite dans la suite des notes, (n. Jacobs)], et non « chant double ». Car le « chant double » dont nous avons parlé est le ravissement essentiel qui se produit de manière détaillée ... cela s'appelle aussi simple vouloir essentiel, qui n'est pas res­senti et ne se morcelle pas ... le vouloir essentiel est un. Il comprend toutes les volontés, et celles-ci lui sont secondes. On peut en donner une illustration. Lorsqu'un homme lutte contre une mort toute proche, toute la pointe de la volonté essentielle de l'âme s'éveille en lui, car ce qui est enjeu est de la plus haute importance pour son essence véritable. Toutes ses autres volontés à propos d'autres sujets qui ne concernent pas son essence véritable, comme l'amour de la nourriture ou l'amour pour sa femme et ses enfants, sont toutes considérées comme rien, car elles sont toutes incluses dans sa volonté essentielle qui concerne son essence tout entière. C'est cela « l'extase de l'essence tout entière ». En d'autres termes, tout son être est si totalement absorbé que rien ne subsiste et qu'il n'a aucune conscience de soi. Tel est l'amour sans limite ... Ce stade est radicalement plus élevé que la raison et la connais­sance [16].

Ce qui touche le plus chez Dov Baer, c’est son souci de répondre à la tâche écrasante qui lui est confié auprès des « amis » qu’il corrige et réveille du sommeil provoqué par leurs soucis de la dure survie dans l’empire russe. En même temps est décrite avec vivacité la pesanteur de novices qu’il doit éveiller. Car le spirituel non accompli :

…paraît humble et méprisable à ses propres yeux et semble être parvenu à l'« anéantissement de soi », mais c'est en réalité le contraire : il a une haute idée de lui-même, c'est l'orgueil dans toute son ampleur. La preuve en est que lorsqu'on le réprimande vertement (on lui dit Shah !) , il est grande­ment troublé jusqu'à tomber malade. Il désirait parvenir au stade de l'« anéantissement », comme si c'était bien la seule chose qui manquait en lui. De là surgissent, chez de nombreux jeunes, les divers appétits de domination, le besoin d'influencer les autres, et cela n'est dû qu'à l'illusion que leur but est désintéressé. Cette maladie se rencontre fréquemment chez la majorité des « enfants », ces hommes jeunes et fragiles qui n'ont jamais vraiment goûté la saveur de la vraie amertume de la mélancolie naturelle [non la dépression mais celle du « cœur brisé » qui apprend à ne désirer rien pour lui-même], de la « brisure », et qui aspirent à atteindre trop rapidement la divine sagesse dans toute son ampleur. Cela est dû principalement à l'enchevêtrement (du bien et du mal) dans l'âme naturelle qui lui a été transmise par ses parents, - et le résultat en est qu'il est conscient de soi, et cela, comme on le sait, est le mal de nogah [excès de conscience de soi (n. J.)]. C'est pourquoi, dans tout ce qu'il entreprend, même à propos de sujets divins, il ne se débarrasse jamais [de la conscience de soi].

C'est là une des causes fondamentales. Tel homme possède peut-être une âme [parcelle de Dieu] plus haute que d'autres, et pourtant l'âme naturelle, quant à elle, peut provenir d'un « lieu » très bas. C'est pourquoi il possède un plus haut degré d'extase divine essentielle, mais, dans les vêtements de nogah dans le corps, elle est d'une grande conscience de soi. Réciproquement, tel autre aura l'âme divine humble et éloignée de l'extase divine, par comparaison à d'autres, mais son âme naturelle peut être très affinée, au niveau de l' « anéantissement » et de l'absence de conscience de soi ; il n'a même pas le sens du bien qu'il fait, ignorant être parvenu à accomplir quelque chose. Et celui dont l'âme et le corps viennent tous deux d'un « lieu » élevé, le Seigneur est avec lui puisqu'il est un vase prêt à rece­voir toute chose.

Ceux qui sont parvenus au degré le plus haut dans ce domaine, ce sont les plus anciens d'entre nous qui ont reçu en leur âme chaque goutte amère à l'âme même, et cela en rap­port avec les paroles du Dieu vivant [par l’exercice du « cœur brisé » (n. J.)]. Lorsque même ils parviennent à l'extase de l'esprit, ce n'est pas dans l'intention d'atteindre un « degré », ni dans leur propre intérêt, mais, au fond d'eux-mêmes, ils désirent seulement la proximité de Dieu. Ce sont alors délices divines en intention droite. Là réside le Seigneur, en chacun selon le degré de pureté dans les profon­deurs de la concentration divine. La preuve en est qu'ensuite, on parvient à l'humilité vraie, au « rien » ; on n'est rien, en essence et non de ce « rien » artificiel qui vient en considérant sa propre indignité [réfléchir à son néant serait attirer l’attention sur son moi (n. J.)] C'est pourquoi, il n'est nullement ému par une insulte (comme ce « chut ! ») et ne la sent même pas, car il est vraiment méprisable à ses propres yeux, puisqu'il ne possède rien en propre, et c'est là le contraire même de l'orgueil [17].

En conclusion il affirme avec autorité un pouvoir spirituel dont il est le canal :

Je veux également mentionner cette indulgence que l'on s'ac­corde en engageant tout son cœur dans la recherche de sa sub­sistance au point que tous les jours de l'homme sont gaspillés en vain. Car telle est la cause principale de l'effondrement pour la majorité de nos amis, grands et petits, anciens et nouveaux, jusqu'à ce que le Seigneur répande des Hauts ­Lieux Son esprit sur eux, et qu'ils s'éveillent de leur torpeur. ... Mais, ô mes frères bien-aimés ! vous dont l'âme est attachée à la mienne, qui cherchez les paroles du Dieu vivant  ... vous me croirez lorsque je dis que toutes les paroles de ma bouche sortent en vérité de la pointe de mon cœur, telles qu'elles sont dans mon cœur et mon âme, en ma nature et mon être essen­tiels, telles que j'y ai été formé depuis ma jeunesse sous la direction de mon Maître et père, qui m'a enseigné et instruit - bénie est sa mémoire, jour après jour. On ne doit pas dire - Dieu nous en garde - qu'il y a ici des secrets à ne révéler qu'au « modeste » (c'est-à-dire : aux « initiés »), ou au contraire des choses qui ne s'adressent qu'à ceux qui n'ont pas encore été formés à la vérité ... je jure, par ma vie, que pas même la moitié d'un mot, dans tous les sujets que je vous ai expliqués, ne vient d'ailleurs que de la pointe de mon cœur, et tous sont destinés à être découverts et compris par chacun de ceux qui ont goûté la saveur de l'engagement depuis sa jeunesse dans les paroles du Dieu vivant. Car toutes ces paroles que j'ai pro­noncées sont bâties sur l'expérience que j'ai acquise depuis ma jeunesse, depuis vingt années et plus, dans le saint temple de mon Maître et père qui m'a enseigné et guidé, - bénie est sa mémoire -. De lui, j'ai connu dans tous leurs détails les souffrances de nos amis, et j'ai examiné par moi-même le cœur de chacun et l'erreur de chacun, autant que l'a permis ma compréhension. C'est pourquoi, que celui qui le désire, obéisse. J'attends votre réponse de la main de notre distingué ami, le messager ... Dov Baer, fils du Rabbi notre Maître et père, qui nous a enseignés et guidés, le vrai Gaon…[18].

Le hassidisme fut très présent dans toute l’Europe orientale. On connaît surtout ses beaux apologues [19]. Il a été cependant décrit de première main par un ami de Kafka [20]. La branche des « Loubavitch » a survécue à la shoah.

 

Le nord protestant.

Luthériens, calvinistes, « troisième voie ».

Il y a peu de points communs, au XVIIe siècle, entre les Eglises issues de la Réformation soit majoritaires, soit persécutées [21] : on peut distinguer le luthéranisme fortement rénové par le piétisme de Spener (1635-1705), par l’actif Zizendorf (1700-1760), par le rayonnement de l’université de Halle impulsée par A.-H. Francke (1663-1727) ; le calvinisme solidement implanté en Hollande et en Suisse ; l’église d’Angleterre illustré par la naissance de réveils dont celui issu de J. Wesley, fondateur du méthodisme ; les dissidents de la « troisième voie », en particulier les Quakers en Angleterre, les anabaptistes-mennonites des Pays-Bas, les hussites ou frères moraves, les sociniens. Cette énumération sèche recouvre des trésors qui ne peuvent trouver place dans ce volume déjà conséquent. 

Mystiques allemands au XVIIe siècle (Böhme, Silesius, C. von Greiffenberg).

Avant l’émergence du piétisme, le rayonnement d’un groupe de mystiques, principalement silésiens, doit être mentionné. Il fut peu connu en France au XVIIe siècle, malgré une appartenance catholique pour certains d’entre eux. Nous n’avons donc pas eu à situer auparavant les deux noms, célèbres aujourd’hui, de Böhme et de Silesius.

Leur père est Jakob Böhme (1575-1624), qui combat l’idée de Zwingli selon laquelle la foi se définirait comme l’assentiment intellectuel  à des articles de doctrine. Pour le cordonnier de Görlitz la foi est :

…un esprit avec Dieu, elle opère en Dieu et avec Dieu ; elle est libre et sans attache quelconque qu’au vrai amour, dans lequel elle puise sa vie et sa force … Elle est par l’éternelle liberté divine comme un néant et se trouve pourtant en tout … elle n’est saisie par rien et cependant elle est une belle habitation dans la grande puissance divine [22].

Johann Scheffler (1624-1677) étudie à Leyde, devient l’ami de Frankenberg , médecin comme lui, qui venait faire éditer Böhme en Hollande : de retour à Oels en 1649, Scheffler compose au milieu du siècle, sous le nom d’Angelus Silesius, le Pèlerin chérubinique (1657, 1675), une oeuvre qui se rattache à la mystique médiévale[23]. Il s’inspire certes de l’Aurora, le premier ouvrage écrit par Böhme, et des distiques de Czepko, un ami de Frankenberg, mais le fond, mystique plutôt que théosophique, provient de Ruusbroec et de nombreux extraits qui éclairent les termes mystiques définis dans la Clavis (1640) du jésuite Sandaeus[24], dictionnaire dont on possède l’exemplaire soigneusement annoté de sa main. Il n’est pas certain que ses distiques traduisent une expérience personnelle[25], mais ils soulignent son génie métaphysique, à rapprocher de celui d’Eckhart :

Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais : une chose sans être une chose ; un point et un cercle. (I, 5). …c’est Toi sans doute qui est Moi en moi : aussi je te rends à Toi seul, mon Dieu, la gloire. (II, 180). La déité est une source, tout provient d’elle ; et tout s’écoule de nouveau en elle : aussi est-elle également une mer. (III, 168). Quand tu amènes ton navire dans la haute mer de la Déité, heureux es-tu alors, si tu t’y noies. (IV, 139). Dieu n’aime pas la multiplicité, c’est pour cela qu’Il nous attire en Lui… (V, 149). Homme, tout change de forme : comment donc peux-tu seul être toujours, sans un progrès, le même bloc de chair ? (VI, 33).

Le génie germanique n’est pas seulement métaphysique : parmi ses poètes baroques  se détache Catharina Regina von Greiffenberg :

Sur le malheur, mer amère

Naviguer devient trop rude.

Je me jette par temps rude

En Dieu grand comme la mer [26].

Des piétistes à Kierkegaard.

Piétistes

Silesius influença profondément les piétistes[27] par son exigence d’une religiosité toute intérieure et de la nécessité du pur amour de Dieu.

Le Pèlerin est l’ « aboutissement de la mystique médiévale de toute l’Europe, et de la spiritualité protestante hétérodoxe des XVIe et XVIIe siècles, et départ vers un renouvellement  de vie intérieure, vers ce piétisme qui s’est inspiré de lui », en commençant par Gottfried Arnold, l’auteur de l’Histoire impartiale des Eglises et des hérétiques (1699), « cet essai mémorable et paradoxal de renverser les opinions recues sur les rapports des hérétiques et des églises… » [28]. Les piétistes s’efforcent de parvenir à une communauté marqué par l’amour fraternel dans laquelle les différences de confession et d’appartenance ecclésiale auront perdu de leur valeur séparatrice. Ils se fondent sur les traditions de mystiques (Tauler, Arndt, Böhme…), et renouant avec divers courants, dont celui du quiétisme. P.-J. Spener [29], les fondations d’A.-H. Francke à Halle à partir de 1698, les frères moraves de Zizendorf [30] dès 1722, assurent le rayonnement sur l’église officielle et sur la pratique de la piété [31]. On sait l’importance des textes piétistes chez J.-S. Bach. 

Ils inspirent plus tard le revivalisme ou « réveils » en Suisse et en Amérique, utile conversion du cœur même si le recours à l’autorité stricte de la Bible sclérose le mouvement et souvent conduit, par une imitation déraisonnable, à un rôle exagéré donné au prophétisme « enthousiaste ». Seul J. Wesley [32] sait éviter un tel « esclavage biblique » par sa création originale d’une bibliothèque d’auteurs mystiques. Enfin le thème de la prière silencieuse contemplative est « balisé » par le vaudois J.-Ph. Dutoit, disciple éditeur de Madame Guyon [33].

Gerhard Tersteegen (1697-1769).

Gerhard Tersteegen (1697-1769), influencé lui aussi par Madame Guyon, ceci par l’intermédiaire de Pierre Poiret dont il est disciple, devient un véritable maître spirituel : « Son Dieu est calme, et il crée la paix dans l’âme de ses amis. Mais il est aussi dynamique » et façonne son serviteur qui s’abandonne totalement à lui [34]. A partir de son illumination de 1724, travaillant en communauté avec H. Sommer comme tisserand rubanier, ce qui rendait possible une vie quasi-monacale, « de  6 h. à 11 h., ils travaillaient ; ils consacraient ensuite une heure à la prière privée. Le travail reprenait de 13 h. à 18 h., suivi d’une autre heure de prière. Tersteegen occupait la soirée à la lecture ou à la traduction de textes spirituels [35]. » Il fonda une maison communautaire, fut en contact avec les frères de Herrnut, de Zizendorf, avec des mennonites. Il rédigea des strophes exaltant le cœur de l’homme habité par Dieu [36], traduisit Le Chrétien intérieur de Bernières, le Soliloquium de G. Peters, Madame Guyon. Il apprécia enfin la spiritualité carmélitaine, ce qui est original pour un protestant. On complétera ces brèves indications par la présentation donné en tête de la traduction toute récente de trois Traités spirituels [37]. Ils incitent à se mettre en route sur le chemin de la « réalisation de la vérité », celle-ci comprise comme une vie en union à Dieu.

Nous devons seulement aimer, nous devons seulement être reconvertis dans l’amour ; et , tout en étant par nous-mêmes des sarments secs, nous laisser pénétrer par la pure et divine sève et par la force du suave amour du Christ. … [par l’amour ] il accomplit mille bonnes œuvres, sans qu’on se demande si l’on doit en accomplir, et il ne se soucie nullement du mérite [38].

S. Kierkegaard (1813-1855).

Tersteegen influencera S. Kierkegaard (1813-1855), qui trouve en lui la simple vérité. « Le christianisme est une cure radicale, qui doit transformer l’homme » - S.K. s’oppose donc à l’effort désengagé spéculatif de Hegel - mais il « reste fidèle à la thèse … protestante de la différence absolue entre l’homme et Dieu [39] » :  pour S.K., il n’y a pas d’union mystique possible.

Mystiques écossais (Scougal, les Garden).

L’Ecosse a eu un rayonnement bien supérieur à ce que l’on pouvait attendre d’un pays pauvre à la population clairsemée, situé aux confins de l’Europe (de même on retrouvera un siècle plus tard un rayonnement comparable dans son caractère inattendu venant de la Suède) : les noms de David Hume (1711-1776) et d’Adam Smith (1723-1790) illustrent le dynamisme d’un pays qui ne comptait qu’un peu plus d’un million d’habitants vers 1750.

Sa situation excentrée permit une évolution moins radicale qu’en Angleterre et peut-être facilita le maintien d’une tradition mystique liée au maintien d’une vie monacale médiévale. Une filiation de spirituels traverse le XVIIe siècle à Aberdeen, dont se détachent quelques figures épiscopaliennes remarquables [40]. Elle rencontrera, au début du siècle suivant, celle animée par Madame Guyon, chance due à des liens politiques avec la France de Louis XIV et ses exilés à Saint-Germain, et aussi à des liens spirituels maintenus par l’intermédiaire de Keith à Londres, et de Poiret, sur la route maritime puis terrestre passant par la Hollande. Nous présentons la figure de Henry Scougal (d’autres écossais ont été présentés comme disciples de Madame Guyon, dont Ramsay, les Garden, etc.) .

Henry Scougal (1650-1678).

The Life of God in the Soul of Man, est l’œuvre toujours vivante d’un admirateur de Renty et d’un disciple des platoniciens de Cambridge, mort trop tôt, qui eut cependant le temps d’être Professor of Divinity at King’s College, Aberdeen - comme ce fut le cas de John Forbes auteur de The Spiritual Exercises (1624-1647) et de James Garden, auteur de Comparative Theology (1699), apprécié par Poiret : Forbes, Scougal et Garden se succèdent ainsi dans une tradition spirituelle propre à Aberdeen, autour de la “cathédrale” d’Old Machar, belle église entourée de tombes, au centre du vieil Aberdeen, lieu de promenade paisible et presque champêtre, à côté de la vivante capitale du pétrole.

Le livre fut publié en 1677 et exerça son influence au siècle suivant sur J. Wesley (1703-1791), le fondateur du méthodisme, et sur G. Whitefield (1714-1770), évangéliste célèbre des deux côtés de l’Atlantique. Il reste apprécié [41], car le texte limpide est remarquable par sa fraîcheur, par l’absence de tout caractère morbide (trop souvent présent dans le catholicisme français de l’époque), enfin par son refus de tout sectarisme comme de tout “enthousiasme” fanatique.

Il comporte trois parties : I. Présentation de la vie naturelle et divine, dont Jésus-Christ est le prototype, II. Sur l’amour divin, III. Sur les difficultés concrètes rencontrées  dans une vie chrétienne. Le début de la première partie situe clairement la position du christianisme intérieur vécu en liberté ou vraie religion dans les formes religieuses ou sectes du temps :

Je ne peux parler de la religion mais dois regretter que dans le nombre de ceux qui y prétendent, si peu comprennent ce qu’elle signifie : quelques-uns la réduisent à la compréhension, aux notions orthodoxes et aux opinions ; le témoignage qu’ils peuvent en donner tient en ce qu’ils ont tel ou tel avis, qu’ils se sont attachés à l’une ou l’autre des nombreuses sectes entre lesquelles le christianisme est bien malheureusement divisé. D’autres placent la religion à l’extérieur de l’homme, dans une course perpétuelle pour accomplir des devoirs selon un modèle performant. S’ils vivent en paix avec leurs voisins, observent la tempérance, le calendrier des obligations en fréquentant l’église et si parfois ils font l’aumône, ils pensent s’être acquitté de leurs devoirs. D’autres placent toute la religion dans les sentiments, dans les cœurs exaltés et la dévotion extatique ; tout leur but est de prier passionnément, de penser au ciel et d’être sensibles à ces expressions tendres par lesquelles ils font la cour à leur Seigneur, jusqu’à ce qu’ils se persuadent qu’ils sont amoureux de Lui : ils affichent alors une grande confiance dans leur salut, qu’ils estiment être la principale grâce chrétienne ... Mais la religion est très certainement tout autre chose ; ceux qui en ont la pratique ont des pensées bien différentes et dédaignent toutes ces ombres et fausses imitations.  Ils savent par expérience que la vraie religion est l’union de l’âme avec Dieu, une participation réelle à la nature divine, la véritable image de Dieu dessinée en l’âme, ou, selon l’Apôtre, « le Christ formé en notre intérieur. » - Je ne vois pas comment la nature de la religion peut être mieux et pleinement exprimée de manière brève, qu’en la nommant une Vie Divine : et je vais en parler sous ces termes, montrant d’abord, comment elle est nommée une vie ; et ensuite, comment elle est appelée divine. / J’ai choisi premièrement de l’exprimer sous le nom de vie à cause de sa permanence et de sa stabilité. La religion n’est pas un départ soudain, ou une passion de l’esprit ; on ne doit pas penser qu’elle doive s’élever à la hauteur d’un rapt et sembler porter l’homme à des performances extraordinaires. ... / La religion peut encore être désignée du nom de vie, parce qu’elle est intérieure, libre, principe auto-moteur : ceux qui ont progressé ne sont pas seulement conduits par des motifs extérieurs, par des craintes, ni achetés par des promesses, ni limités par des lois ; mais ils sont puissamment inclinés vers ce qui est bon, et trouvent leur joie dans cet accomplissement. L’amour qu’un homme pieux porte à Dieu et à la bonté, n’est pas tant le fait d’un commandement lui enjoignant d’agir ainsi, que d’une nouvelle nature l’instruisant et le poussant.[42]

La seconde partie est un hymne à l’amour non sans référence à l’expérience de l’amour humain :

µ« Love is the greatest and most excellent thing we are masters of and therefore it is folly and baseness to bestow it unworthily. It is indeed the only thing we can call our own: other things may be taken from us by violence, but none can ravish our love. ...

« First, I say, love must needs be miserable, and full of trouble and disquietude, when there is not worth and excellency enough in the object to answer the vastness of its capacity. ...

« Again, Love is accompanied with trouble, when it misseth a suitable return of affection. Love is the most valuable thing we can bestow, and by giving it, we do, in effect, give all that we have; and therefore it must needs be atfflicting to find so great a gift despised, that the present which one hath made of his whole heart, cannot prevail to obtain any return. Perfect love is a kind of self-dereliction, a wandering out of ourselves; it is a kind of voluntary death, wherein the lover dies to himself, and all his own interests, nor thinking of them, nor caring for them any more, and minding nothing but how he may please and gratify the party whom he loves. Thus he is quite undone, unless he meets with reciprocal affection ...

« In fine, A lover is miserable, if the person whom be loveth be so. They who have made an exchange of hearts by love, get thereby an interest in one another’s happiness and misery ; and this makes love a troublesome passion, when placed on earth. ...

« The severities of a holy life, and that constant watch which we are obliged to keep over our hearts and ways, are very troublesome to those who are only ruled and acted by an external law, and have no law in their minds inclining them to the performance of their duty: but where divine love possesseth the soul, it stands as sentinel to keep out every thing that may offend the beloved, and doth disdainfully repulse those temptations which assault it: it complieth cheerfully, not only with explicit commands, but with the most secret notices of the beloved’s pleasure, and is ingenious in discovering what will be most grateful and acceptable unto him: it makes mortification and self-denial change their harsh and dreadful names, and become easy, sweet, and delightful things.[43]

La dernière partie, la plus longue, tente avec moins de bonheur de trouver un chemin :

« He may sit down in sadness, and bemoan himself, and say, in the anguish and bitterness of his spirit, “They are happy indeed whose souls are awakened unto the divine life, who are thus renewed in the spirit of their minds; but, alas! I am quite of another constitution, and am not able to effect so mighty a change. If outward observances could have done the business, I might have hoped to acquit myself by diligence and care; but since nothing but a new nature can serve the turn, what am I able to do? I could bestow all my goods In oblations to God, or alms to the poor, but cannot command that love and charity, without which this expense would profit me nothing. ...

« All the art and industry of man cannot form the smallest herb, or make a stalk of corn to grow in the field; it is the energy of nature, and the influences of Heaven, which produce this effect. It is God " who causeth the grass to grow, and herb for the service of man;" and yet nobody will say, that the labours of the husbandman are useless or unnecessary. ...

« Especially, if we hereunto add the consideration of God’s favour and good-will towards us; nothing is more powerful to engage our affection, than to find that we are beloved. Expressions of kindness are always pleasing and acceptable unto us, though the person should be otherwise mean and contemptible; but to have the love of one who is altogether lovely, to know that the glorious Majesty of heaven hath any regard unto us, how must it astonish and delight us, how must it overcome our spirits, and melt our hearts, and put our whole soul into a flame![44]

Poètes anglais (Herbert, Traherne).

Deux figures mystiques autant que religieuses se succèdent sur la durée du XVIIe siècle :

Georges Herbert (1593-1633).

Georges Herbert a été célébré en France par S. Weil comme par A. J. Festugière [45]. Love est le poème aimé par Simone Weil, du recueil The Temple (1633), une réponse au Château de Kafka, né de la même angoisse :

Love bade me welcome: yet my soul drew back,

Guilty of dust and sin.

But quick-eyed Love, observing me grow slack

From my first entrance in.

Drew nearer to me, sweetly questioning

If I lacked anything.

 

A guest, I answered. worthy to be here.

Love said, You shall be he.

I, the unkind, ungrateful? Ah, my dear,

I cannot look on thee.

Love took my hand and smiling did reply:

Who made the eves but I ?

 

Truth, Lord ; but I have marred them; let my shame

Go where it doth deserve.

And know you not, says Love; who bore the blame?

My deare, then I will serve.

You must sit down, says Love, and taste my meat.

So I did sit and eat.[46]

 

Thomas Traherne (1637-1674).

Nous ne pouvons entreprendre ici un panorama des poètes métaphysiciens et mystiques anglais mais la figure choisie ici, dont les manuscrits de poèmes ont été redécouvert récemment [47], rend compte de leur esprit qui célèbre la beauté de la création dans la tradition platonicienne et dans la joie.

First Century of Meditations, n°2 : “Do not Wonder, that I promise to fill it, with those Truths you love, but know not: For tho it be a Maxime in the Scholes,That there is no Lov of a thing unknown: yet I hav found, that Things unknown have a Secret Influence on the Soul: and like the Centre of the Earth unseen, violently Attract it. We lov we know not what: and therfore evry Thing allures us. As iron at a Distance is drawn by the Loadstone, there being some Invisible Communications between them: So is there in us a World of Lov to somwhat, tho we know not what in the World that should be. There are Invisible Ways of Conveyance, by which som Great Thing doth touch our Souls, and by which we tend to it. Do you not feel your self Drawn with the Expectation and Desire of som Great Thing?

N°30 : « Till your Spirit filleth the whole World, and the Stars are your Jewels, till you are as Familiar with the Ways of God in all Ages as with your Walk and Table: till you are intimatly Acquainted with that Shady Nothing out of which the World was made: till you lov Men so as to Desire their Happiness, with a Thirst equal to the zeal of your own: till you Delight in GOD for being Good to all: you never Enjoy the World. Till you more feel it then your Privat Estate, and are more present in the Hemisphere, Considering the Glories and the Beauties there, then in your own Hous. Till you remember how lately you were made, and how wonderfull it was when you came into it: and more rejoyce in the palace of your Glory, then if it had been made but to Day Morning.

Second Century, n°68 : « … They lov a Creature for Sparkling Eys and Curled Hair, Lillie Brests and Ruddy Cheeks; which they should love moreover for being GODS Image, Queen of the Univers, Beloved by Angels, Redeemed by Jesus Christ, an Heires of Heaven, and Temple of the Holy Ghost: a Mine and fountain of all Vertues, a Treasurie of Graces, and a Child of GOD. But these Excellencies are unknown.They lov her perhaps, but do not lov God more: nor Men as much: nor Heaven and Earth at all. And so being Defectiv to other Things, perish by a seeming Excesse to that. We should be all Life and Mettle and Vigor and Lov to evry Thing. And that would Poys us. I dare Confidently  say, that evry Person in the Whole World ought to be Beloved as much as this…

Fourht century, n° 55 : « He was a Strict and Severe Applier of all Things to Himself: And would first hav his Self Lov satisfied, and then his Lov of all others. It is true that Self Lov is Dishonorable, but then it is when it is alone. And Self endedness is Mercinary, but then it is when it endeth in oneself. It is more Glorious to lov others, and more desirable, but by Natural Means to be attained.That Pool must first be filled, that shall be made to overflow. He was ten veers studying before he could satisfy his Self Lov. And now finds nothing more easy then to lov others better than oneself. And that to love Mankind so is the comprehensiv Method to all felicity. For it makes a Man Delightfull to GOD and Men, to Himself and Spectators, and God and Men Delightfull to Him, and all creatures infinitly in them. But as not to lov oneself at all is Bruitish: or rather Absurd and Stonish: (for Beasts do lov themselvs) so hath GOD by rational Methods enabled us to lov others better then our selvs, and therby made us the most Glorious Creatures. Had we not loved our selvs at all we could never hav been obliged to lov any thing. So that self Lov is the Basis of all Lov. But when we do Lov our selvs, and self Lov is satisfied infinitly in all its Desires and possible Demands, then it is easily led to regard the Benefactor more then it self, and for his sake overflows abundantly to all others. So that God by satisfying my self Lov, hath enabled, and engaged me to love others.

Les Quakers. Robert Barclay (1648-1690).

Le mouvement fut fondé par Georges Fox (1624-1691), un apôtre Paul du XVIIe siècle, homme simple, mystique [48] d’une énergie prodigieuse - et d’une santé à toute épreuve - ce qui lui permit de résister à de terribles épreuves « à Doomsdale dans un cachot dont, généralement, on ne sortait pas vivant. Les excréments des prisonniers qui y avaient déjà séjourné n’avaient pas été enlevés depuis des années et, par places, on enfonçait jusqu’aux chevilles dans l’eau et dans l’urine. Des personnes compatissantes leur apportaient des chandelles et un peu de paille, et ils brûlaient un peu de leur paille pour combattre la puanteur »[49].

Sa « patience vis-à-vis des insultes ou même des coups, possédé qu’il était par sa conviction d’avoir à répondre à ce qu’il y a de Dieu en chacun » [50], n’est pas étrangère à l’émergence d’une solide communauté. A sa mort il laissait cinquante mille quakers dans les Iles britanniques ainsi que des groupes en Hollande et dans les colonies américaines. Beaucoup quittaient ainsi croyances et dogmes, sources de terribles conflits dans l’Angleterre du XVIIe siècle, au profit de la « lumière intérieure », découverte intime dans le silence de leurs réunions (car les excès des premiers « trembleurs » furent limités après les troubles provoqués par J. Nayler, un courageux mais fol disciple de Fox). Après stabilisation du mouvement, et parce que la vie mystique provient d’une source unique, « Aubrey de la Mottraye, en1727, remarque la ressemblance qui existait entre le Quakerisme et le Quiétisme de Madame Guyon et de Fénelon, (dont on trouvait, du reste, les œuvres presque dans chaque foyer quaker, tant en Angleterre qu’en Amérique). » [51].

Robert Barclay (1648-1690), homme exceptionnellement cultivé dans  la communauté de « la secte des trembleurs », devint le « théologien  quaker » ; son Apologie [52]  nous éclaire très profondément sur la Lumière intérieure ou Grâce ou Vie, expérience mystique vécue en silence :

…Ainsi donc, la conscience naturelle de l’homme se distingue nettement de la Lumière, car la conscience suit le jugement mais ne l’éclaire pas ; la Lumière, au contraire, si elle est bien accueillie, dissipe l’aveuglement du jugement, ouvre l’entendement et rectifie à la fois le jugement et la conscience (187) ... c’est donc vers la lumière du Christ dans leur conscience, et non vers cette conscience naturelle, que nous invitons sans cesse les hommes à se tourner ... Mais cette lumière ou semence de Dieu en lui, il ne peut l’éveiller et la faire agir quand il veut : ce n’est que lorsque le Seigneur le juge bon qu’elle se manifeste, brille et lutte avec l’homme (188) ...

C’est donc de ce principe, à savoir que l’homme doit rester en silence et ne pas agir de lui-même dans les choses de Dieu tant qu’il n’y est pas poussé par sa Lumière et sa grâce dans le cœur, qu’a pris tout naturellement naissance cette manière de s’asseoir ensemble en silence et de s’attendre à Dieu. (249) … [Le cas suivant] peut même se produire. Plusieurs personnes réunies, gardant extérieurement le silence, mais laissant cependant leur esprit errer à l’aventure, ne prêtent pas attention à la mesure de grâce qui est en elles … mais en revanche, il se trouve dans l’assemblée, ou il y entre, quelqu’un qui, lui, y est attentif, et en qui la Vie se manifeste intensément. Ce dernier … sent alors un travail secret en faveur des autres personnes … et comme il veille fidèlement dans la Lumière et persévère dans cette œuvre divine, Dieu répond souvent à ce travail secret de sa propre semence à travers lui, et touche alors les autres au plus intime d’eux-mêmes, sans l’aide d’aucune parole. Semblable à une sage-femme, ce fidèle, par le travail secret de son âme, fait naître ainsi la Vie en eux, tout comme un peu d’eau versée dans une pompe y fait monter le reste. Cette Vie s’épanouit alors en tous, leurs vaines imaginations sont réduites à néant… (251)

Les quakers, en vrais mystiques, furent actifs, luttant contre l’esclavage dès le XVIIIe siècle. On lira l’émouvant Journal de John Woolman (1720-1772), grand texte du début de la littérature américaine, qui fait revivre l’existence aventureuse d’un visiteur des petites communautés isolées. On y trouve le contact avec  la nature (qualité américaine qui sera bientôt révélée dans les romans de F. Cooper), le sens de l’unité profonde dans toute la création (autre qualité rencontrée chez quelques poètes américains) :

We then secured our horses and gathering some bushes under an oak we lay down ; but  the mosquitoes being numerous and the ground damp I slept but little. Thus lying in the wilderness, and looking at the stars, I was led to contemplate on the condition of our first parents when they were sent forth from the garden ; how the Almighty, though they had been disobedient, continued to be a father to them…

…I was brought so near the gates of death that I forgot my name. Being then desirous to know who I was, I saw a mass of matter of a dull gloomy color between the south and the west, and was informed that this mass was human beings in as great misery as they could be, and live, and that I was mixed with them, and that henceforth I might not consider myself as a distinct or separate being.[53].

 

Les quakers ne furent jamais nombreux, compte tenu de l’exigence de vie impliquée, telle au XVIIIe siècle, celle de la libération des esclaves, grande richesse perdue volontairement par les premiers abolitionistes. Actuellement la Religious Society of Friends ne comporte que seize mille membres en Grande-Bretagne.[54]. Mais le mouvement est toujours vivant et ouvert comme l’indique le témoignage suivant venant du Maryland [55] :

µThe faith was lost when … my God was revealed  as the Church’s creation … I turned to Buddhism, a faith founded, like Christianity, on a profound reaction against human suffering … [after “poring over sutras … Madhyamika dialectics”, he began to worship among Friends:] There was a real spiritual power among the Friends … The experience was strong and sure enough, I felt, to warrant belief in the resurrection of Jesus … [follows an interesting review of the problem of control of “enthusiasm” encountered by Fox leading to] tension between individual and community claims to divine revelation … Quaker practice ‘works’ only when love is paramount… When individual and group desires are “brought low” under love’s leading, all participants in the process are equal, and the community primary goal is not to judge but to love each other … And there I found the key : Quaker practice is nothing more or less than the actualization of love.”

William Law (1686-1761) et John Wesley (1703-1792).

Wiliam Law écrivait vers 1738 :

Je désirais presque, qu’il n’y eut pas de livres de spiritualité en dehors de ceux qui ont été écrits par des catholiques. Vous  trouverez chez Bertot toutes les instructions qu’une personne descendue du Ciel pourrait vous donner [56].

µ

John Wesley est au centre de la renaissance qui fait suite à la période sèche des lumières en Angleterre, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : « Plus que tout autre, son action a permis la survie dans le monde anglo-saxon du goût de la vie intérieure et de la croyance à la possibilité de la sainteté. Elle n’aurait pas été possible sans les efforts de Poiret qui lui ont fourni la charte du méthodisme…[57]. »

Il admet la possibilité de la délivrance « du pouvoir de pécher par la complète domination de Dieu dans le cœur qu’Il remplit entièrement de son amour » (Orcibal). Contre ses nombreux critiques, qu’ils soient des églises officielles ou morave, il peut citer les biographies de mystiques : Grégoire Lopez, frère Laurent. Son « pure love » rejoint l’union avec Dieu défendue par Madame Guyon [58].

L’est orthodoxe.

La Philocalie (1782).

La Philocalie des saints neptiques … dans laquelle, par la pratique et la théorie de la philosophie morale [spirituelle], l’intellect est purifié, illuminé et rendu parfait…[59] est une collection de textes ascétiques et mystiques rassemblés par deux moines et publiée à Venise en 1782. Ouvrage destiné aux laïcs autant qu’aux moines, il omet les textes régulant la vie quotidienne monacale, cherche par contre toujours à montrer les effets intérieurs et le but des conseils délivrés, accorde une valeur fondamentale à la vigilance, à l’attention et au recueillement, insistant sur la sobriété spirituelle, sur l’invocation du Nom de Jésus pour réaliser l’unité de l’intellect et du cœur. Son influence a contribué à la renaissance de l’orthodoxie « intérieure ».

Seraphim de Sarov (1759-1833).

Ermite reclus, il fut à la fin de sa vie, surtout après l’âge avancé de soixante-six ans, un père spirituel ou « starets ». L’Entretien avec Motovilov, « Sur la lumière du Saint-Esprit », reflète un enseignement qu’il ne dicta jamais, dont l’interprétation littérale biblique n’est plus de notre goût, mais dont l’appel à la prière demeure vif :

Supposez que vous m’eussiez invité chez vous, que je me fusse rendu à votre invitation … et vous, malgré cela, auriez quand même continué à m’inviter : « Veuillez venir chez moi ! ». J’aurais dit certainement : « Qu’a-t-il ? Il n’est plus en possession de sa tête… » C’est la même chose avec le Seigneur Dieu, l’Esprit-Saint. / C’est pour cela qu’il est dit : « Effacez-vous et comprenez queje suis Dieu ! J’apparaîtrai aux peuples. J’apparaîtrai sur la terre. » Cela veut dire : Je vais apparaître à celui qui croit en Moi, qui M’appelle, et je vais m’entretenir avec lui…[60].

On y trouve la description d’une transfiguration corporelle sur le thème de la lumière Thaborique qui n’est perçue que lorsque le témoin reçoit en partie l’état mystique de celui qui la porte (il ne s’agit donc pas seulement d’un phénomène physique), mais surtout l’écho de la plénitude ressentie par ses visiteurs :

Les signes de la présence du Saint-Esprit en saint Séraphim furent, selon ses biographes, la joie et la paix surnaturelles qu’il répandait autour de lui. … « l’état d’âme du starets semblait couler dans l’âme des affligés et ils s’en retournaient ranimés par sa joie » (Annales de Divéév) … la source profonde de cette action spirituelle était un amour sans bornes pour les humains, qui, avec la paix et la joie, lui apparaissait comme le don essentiel du Saint-Esprit. Il a exprimé la nature de sa propre tendresse pour ses enfants spirituels par l’exhortation adressée à un higoumène [abbé de monastère] d’être pour les siens « non seulement comme un père, mais comme une mère ». [61].

La paternité spirituelle en Russie.

On retrouve le grand rôle de la direction spirituelle, issue de la tradition des pères du désert, ranimée par saint Nil Sorskij (1433-1508), dont le monastère du lac blanc garde de nos jours encore la paix du skit proche [62].

Homme de prière, Nil se tient à distance de cette utopie politique [l’alliance des pouvoirs prônée par le réformateur Serge de Radonèje]. Proclamant hautement la transcendance de Dieu et de ses commandements, il s’établit sur le roc de la liberté intérieure ... Le jeune moine russe séjourne assez longtemps sur la Sainte Montagne [le mont Athos, qui rayonnait encore sur la Russie malgré sa décadence : il n’y trouve pas de maître vivant] … ce qu’il lit est ainsi appelé à se transformer en expérience personnelle vécue … [de retour, près du Lac Blanc, au nord de Moscou, s’installant] dans une région inhospitalière … le Skit  se compose de quelques cabanes éparpillées dans une clairière bordée de sapins et de bouleaux. Elles entourent uneéglise construite en bois … les moines vivent frugalement du travail de leurs mains … la question posée par Nil et ses amis n’est pas « que croire pour être sauvé ? » mais « comment vivre en conformité avec l’appel évangélique à la perfection ? »… ses auteurs préférés incluent Syméon le Nouveau Théologien.

Parmi les disciples de Nil, plusieurs connurent, un destin tragique. ... Les idées et les écrits de Nil n'en continuèrent pas moins à circuler dans le milieu des moines, en particulier dans les loin­tains skits et ermitages du Nord, refuge des startsy persécutés, marginalisés, accusés de cacher les héré­tiques. La petite flamme de la prière mystique allumée par Nil continuera d'y être transmise de maître à disciple. Elle couvera sous la cendre jusqu'au moment où elle sera ranimée, paradoxalement, par un moine de la Russie méridionale. En quête de ressourcement lui aussi, un jeune ukrainien, Païsij Velitelkovski, découvre au Mont Athos, à la fin du 18e siècle, les écrits du starets de la Sora [lieu du premier skit]. Cette découverte est à l'origine du renouveau philocalique qui, à partir de l'oeuvre de Païsij, a insufflé une vie nouvelle au monachisme orthodoxe en Roumanie, dans les pays slaves et en Russie. Représenté par saint Seraphim de Sarov et par les starets d'Optino, plus tard par Ignace Briant­elaninov et Théophane le Reclus, ce printemps spirituel ramène à l'Église une partie de la classe intellectuelle et influence la « renaissance » spirituelle du début du 20e siècle, dont les principaux protagonistes, après la révolution de 1917, émigrent en Europe et en Amé­rique.

Les vieux croyants [63], Seraphim puis l’école d’Optino fréquenté par les intellectuels, dont Dostoïevsky, gardèrent vivants cette tradition au cours des siècles [64] - comme de nos jours quelques membres isolés de l’église orthodoxe, non compromis avec les régimes politiques qui se succèdent.

Récits du Pèlerin russe.

µ

Modernes (Frank, Lev Gillet).

Simon Frank ( ?-1950).

Le philosophe Simon Frank « affirmait qu’il est impossible d’établir une conception scientifique du monde, à plus forte raison religieuse, si l’on ne se sert d’une vision essentiellement « mystique » … [65].

L’humain en l’homme est sa théandrie … l’homme est destiné à être le vase de la Divinité » (150/1).

L’Églisedu Christ » n’est pas autre chose que l’unité des hommes en Dieu … qui se révèle à l’amour, c’est-à-dire à une religieuse et respectueuse perception de la nature divine en la figure humaine comme telle. (156).

Le Christ a proclamé et manifesté non pas la religion de la loi, mais celle de la grâce ; Il ne pouvait donc absolument rien « fonder », ni être un « législateur ». (230)

Les anciens Pères de l’Églisecomprenaient déjà qu’à tout le moins des personnalités comme Héraclite, Socrate, Platon, étaient des « chrétiens avant le Christ ».  En ce sens toute l’humanité qui a cherché et pressenti la vérité du Christ à toutes les époques de l’histoire humaine, est incluse dans l’Églisemystique du Christ. (232).

On peut dire que le seul « dogme » … qui distingue le chrétien du non-chrétien, est la foi en la valeur absolue et au sens divin de l’amour (257).

Lev Gillet, un « Moine de l’Église d’Orient » (1893-1980).

Il a « assumé, au jour le jour, le noble risque de la foi qui est à l’opposé de la crédulité … le chemin de vie du « moine de l’Église d’Orient » n’a pas été simple et rectiligne … C’est le Christ - j’ose le dire - qui sait l’unité de ma vie et de ses voies multiples, me confiait Lev Gillet vers la fin de sa vie », résume sa fille spirituelle dans une biographie dont l’intérêt dépasse la personne du mystique car elle fait revivre tout un espoir œcuménique naissant trop tôt [66]. Moine bénédictin brillant envoyé en mission en Galicie uniate, il rejoindra l’orthodoxie en 1928, ce qui n’ira pas sans apporter son lot d’incompréhensions et d’épreuves. Mais en naîtra le rayonnement spirituel qui permit par la suite à de jeunes communautés orthodoxes de langue francaise de se développer à Paris - plaque tournante de l’émigration russe - et à Beyrouth.

Un esprit d’intense pauvreté lui assura une grande liberté durant toute sa vie ; il partagea sans retenue la misère d’émigrés russes, puis plus tard de juifs avec la mère sainte Marie Skobtsova. Une intelligence jointe à un amour sans limite (mais non sans vigueur) aidera bien des hommes et des femmes à retrouver un sens à leur vie, au-delà de toute Eglise ou opinion particulière. Après la guerre il partagera son temps entre Londres et Beyrouth, passant par Paris, apportant ainsi le concours de sa prière intérieure à Jésus aux trois communautés locales (et à des « auditeurs libres » qui se sentaient fraternellement acceptés), à travers une parole très simple mais issue d’une intelligence aussi profonde que discrète des sources (érudit aux très vastes intérêts, il assurait sa subsistance en composant au British Museum, rangée A, siège 7, de nombreuses revues de livres).

Son ouverture intellectuelle fut en avance sur son temps : ainsi Communion in the Messiah, ouvrage composé en 1941, demeure aujourd’hui  encore un texte séminal sur l’enrichissement mutuel par complétude - sens achevé du terme tolérance - que l’on serait en droit d’attendre d’une rencontre sans réserve entre judaïsants et christianisants. Toute la richesse de cette vie, cachée car mal reconnue par les diverses autorités spirituelles, distribuée à des interlocuteurs très divers qui ne partageaient que la certitude intime d’avoir croisé un messager de la grâce, a certainement tiré sa source d’une rencontre ineffable vécu au lac de Tibériade, discrètement évoquée dans une lettre de 1935. Nous choisissons de citer Communion in the Messiah, plutôt que l’une de ses nombreuses allocutions spirituelles, pour l’originalité de passages rapprochant chrétiens et juifs :

µAs Abelson said, speaking of the Zohar “Some of the cardinal doctrines of Christianity are embedded in these ideas [of the shekinah, etc.]. It seems that the starting point of such ideas was a spiritual experience, a deep need of a " coming down " of God to man and of the expiation of sin by a perfect Mediator. These inner experiences, which agreed with several passages of the Scripture, gave birth to certain thought-tendencies, still vague. At a further stage of development these thought-tendencies became crystallized in definite conceptions [97]

The Jewish book Kuzair (12th century) said that Judaism, Christianity and Islam, are like three rings having such a close resemblance that one can hardly distinguish one from the other. In a recent comment on this saying, the French Arabic scholar Louis Massignon wrote that on each ring one could inscribe a name - on the ring of Islam, faith ; on the ring of Christianity, love ; on the ring of Judaism, hope. Judaism is certainly more than a mere religion of hope ; nevertheless, the Messianic hope remains the centre of Israel's religion.[104]

Having lost the original sense of the word " Christ," Christians (or, to be exact, most of them) have also lost the Messianic vision, i.e., the expectation of the divine future, the orientation towards " what is coming."[105]

In each Thou we address the eternal Thou. If I have both, will and grace, the tree on which I gaze is now no longer it. I have been seized by the power of exclusiveness. I encounter no " soul " of the tree, but the tree itself. " So long as the heaven of Thou is spread out over me, the winds of causality cower at my heels." Causality has an unlimited reign in the world of it. The Thou meets me through grace ; it is not found by seeking.[117]

3. Mystiques catholiques.

Claude-François Milley (1668-1720), messager de la voie d’abandon.

Ce jésuite vécut en Provence, assurant les emplois ordinaires de l’enseignant, du prêcheur et du confesseur successivement à Apt, Embrun, Aix, Nîmes. Il rencontra à Apt la mère de Siry, visitandine, qui l’orienta mystiquement. Il devint le « messager de la voie d’abandon », en cela très proche de l’esprit qui animera J.-P. de Caussade. Résidant à Marseille à partir de 1710, il se dévouera lors de la grande épidémie de 1720, y laissant sa vie, seul religieux cité nommément dans le mémorial qui rappelle l’héroïsme de quelques-uns : « Milley, jésuite, commissaire pour la rue de l’Escale, principal foyer de la contagion », quartier populaire qui fut interdit et barricadé pendant cette peste. Le frère de l’historien Bremond lui a consacré une biographie attachante, éditant une moitié de ses lettres dont se détache l’échange avec la mère de Siry (-1735) [67]. Cette dernière figure, qui fut supérieure de la Visitation de Caen (la ville de Bernières), reste à étudier [68].

Soyez d’une indifférence qui aille jusqu’à vous oublier et à ne pas jeter un regard sur vous, si ce n’est pour y voir Dieu que vous portez en vous104 

Je le demande ce rien … de me jeter à corps perdu dans cet abîme sans fond de la divinité179

L’amour divin … ne peut se sentir, quand il est bien pur. 183

Résolu de me laisser aller à l’aventure … Je me suis jeté à corps perdu je ne sais où, je demeurerai là…195

Ce je ne sais quoi … c’est ce qu’on appelle la Présence de Dieu dans l’intime de l’âme. Cela n’est pas fort sensible, mais les effets le sont … regardez ce rien perdu dans l’immensité de Dieu d’où vous ne sauriez sortir  que par les fautes volontaires et considérables. 206 

La seule pensée qu’on n’est qu’un petit atome perdu dans cette immensité … qu’un petit rien réuni à ce tout unique … opère plus …que toutes les pratiques … Quelle témérité de prétendre par son opération et son travail arriver à ce terme invisible et insensible… comme un insensé qui veut construire une échelle pour monter au soleil. 213

Jamais nous ne sommes assez persuadés  de notre impuissance pour le bien et de l’inutilité de tous nos efforts, c’est pour cela que nous voulons  toujours les y faire entrer pour quelque chose ; mais c’est aussi pour cela que (268) Dieu, pour nous en faire voir l’inutilité, renverse tous nos projets et nous laisse dans le vide 269 le pays des âmes perdues267

Aussi ne devez-vous plus vous regarder que comme une ombre que Dieu anime, sous laquelle Il se rend sensible… 348

C’est le néant, c’est le rien, c’est / Milley, Jésuite. 391

Jean-Nicolas Grou (1731-1803).

Enseignant, traducteur de Platon, chassé de France comme jésuite et réfugié en Lorraine puis à Avignon, il retourne à Paris sous le nom de Le Clerc. Sa conversion mystique se produit en 1769 sous l’influence de Françoise-Pélagie Lévêque, visitandine de la rue du Bac, qui sera sa « mère spirituelle » jusqu’à son exil en 1792. Il achève sa vie en Angleterre comme directeur des familiers de T. Weld au manoir de de Lulworth, où il compose ses principaux ouvrages. Le « plus insigne contemplatif du 18e siècle français » selon Bremond définit la voie intérieure passive comme « un état de tendance continuelle au pur amour » ce qui a inquiété ses premiers éditeurs [69].

L'amour de Dieu est une passion à sa manière, et beau­coup plus forte même que les passions naturelles les plus violentes, puisqu'elle peut les dompter toutes. Or, le propre des passions n'est-il pas de nous tenir toujours occupés de leur objet, à ce point de ne vivre que pour lui, et moins en nous qu'en lui? Il en doit être ainsi de l'amour de Dieu, il faut qu'il ramène à soi toutes nos pensées et toutes nos affections, et que ses actes se suc­cèdent presque sans interruption dans notre coeur. C'est ce qu'on éprouve dans les premiers temps de la vie inté­rieure, alors que tout est amour, qu'on ne respire que l'amour, et que ce sentiment absorbe tous les autres, et cela dans les délices et de grandes douceurs. Il serait alors impossible de compter les actes qu'on multiplie le jour et la nuit, et qui vraiment n'en font qu'un seul par leur continuité. ... L’amour-propre vient s’y mêler tout d’abord. C’est presque inévitable, et Dieu le souffre pour un temps.[70].

Les âmes entre lesquelles Dieu forme une union spi­rituelle, ne reçoivent pas pour elles seules les grâces que Dieu leur fait ; elles se les communiquent, et leur progrès dépend de leur correspondance mutuelle. Ces unions de grâces sont rares ; mais lorsqu'elles ont lieu, Dieu les fait connaître à des marques dont il n'est pas possible, de douter. Les personnes qui en ont l'expé­rience m'entendent; et comme c'est un secret que Dieu se réserve, il y aurait tout au moins de l'imprudence à le divulguer. / Ce que j'en puis dire, c'est que ces unions sont sou­mises à de saintes lois, auxquelles il faut être extrêmement fidèle de part et d'autre. Elles se forment presque entre une âme déjà avancée et une autre qui commence. La première se sent pressée de prier pour la seconde : elle le fait avec une ardeur, une persévé­rance, et même une continuité qui ne peut venir que de l’Esprit de Dieu. En vain, dans la crainte de l'illusion,s’efforce-t-elle de détourner ailleurs sa pensée : elle est  ramenée sans cesse au même objet ; et cela dure jusqu’à ce que l'âme pour qui elle prie se soit enfin rendue aux volontés de Dieu. Alors celle-ci, par un mouvement de la grâce se met sous la direction de l’autre: elle se sent portée à lui ouvrir son cœur avec une confiance sans réserve, à s'en rapporter en tout à son jugement et à sa décision, et  à lui obéir comme elle ferait à Dieu même.[71].

Jésus-Christ qui venait réformer les idées humaines, et fonder l'oeuvre de la conversion de l'univers, non sur les richesses, ni sur la puissance. ni sur l'élo­quence, ni sur aucun moyen naturel ; mais sur la pauvret, sur la faiblesse, sur le défaut de science et de talents, et qui ne devait employer à l'exécution de son dessein que des moyens surnaturels ; qui lui-même a affecté de ne montrer dans tout son extérieur rien que de méprisable : Jésus-Christ, dis-je, ne pouvait choi­sir pour ses apôtres que des hommes qui lui ressem­blassent, pauvres, sans lettres, sans crédit, dépourvus de toutes les choses qui dans le monde attirent l'es­time et la considération. Il fallait que Dieu seul parût ... / Il les prit la plupart dans une profession vile, grossiers, ignorants, sans éducation : il exigea que, pour le suivre, ils renonçassent au peu qu'ils possédaient et qu'ils sacrifiassent jusqu'au désir de rien acquérir. Il ne se les attacha par aucune promesse humaine : et durant tout le temps qu'il fut avec eux, il ne sappli­qua à rien tant qu'à étouffer dans leur coeur tout germe d’ambition. Il ne leur annonça que des contradictions, des persécutions, des souffrances, des opprobres de la part du monde déchaîné contre eux ; et il commença par leur faire voir dans sa propre personne à quels traitements ils devaient s'attendre.[72]

Il met souvent l'âme dans une oraison sim­ple, où l'esprit n'a point d'autre objet qu'une vue confuse et générale de Dieu : le cœur point d'autre sen­timent qu'un goût de Dieu doux et paisible, qui la nour­rit sans effort comme le lait nourrit les enfants. L’âme aperçoit alors si peu ses opérations, tant elles sont subtiles et délicates, qu'il lui semble quelle est oisive, et plongée dans une espèce de sommeil. Encore au bout de quelque temps ne lui permet-il pas d'y réfléchir, ni même d'y jeter quelque regard. Enfin, Il la dégage d'une multitude de pratiques dont elle se servait aupa­ravant pour entretenir sa piété, mais qui, comme autant d'entraves, ne feraient plus que la gêner et la retirer de sa simplicité. / Voilà ce que Dieu fait de son côté pour simplifier une âme, et l'introduire dans la sainte enfance. Ce qu'elle doit faire du sien, est de se tenir fidèlement dans l'état où Dieu la met ; de ne point laisser travailler son esprit ; d'arrêter tout raisonnement, toute réflexion, toute pensée inquiète ou curieuse ; de ne s'appliquer à aucun sujet particulier, à moins que Dieu le lui pré­sente ; de ne point lire les livres spirituels pour les étudier, mais pour les goûter ; de se conserver libre dans le cours de la journée, s'occupant uniquement de ses devoirs, ne se mêlant point des affaires d'autrui, et ne se livrant point trop aux siennes propres.[73].

Pierre de Clorivière (1735-1820).

Auteur jésuite d’un traité sur l’oraison qui ne présente guère d’originalité mais qui donne une place à l’oraison de quiétude, à une époque peu favorable très influencée par le dernier jansénisme, il reprend le Moyen court et facile pour faire l’oraison en foi et de simple présence de Dieu, attribué à Bossuet, en fait repris par Caussade d’une copie rapportée de la Visitation de Meaux par madame de Bassompierre qui « répond, en tout cas, à la spiritualité de l’abandon commune à plusieurs courants spirituels du XVIIe siècle, de saint François de Sales à Madame Guyon, en passant par l’ursuline Marie de l’Incarnation. » [74].

Maine de Biran (1766-1824).

Maine…µ

.

Tout ce dont l’existence ne peut être aperçue immédiatement, mais seulement conçue au moyen d‘une certaine déduction comme cause de perceptions données, n’a qu’une existence douteuse (29)

Si la philosophie platonicienne a été fondée à signaler un ordre de facultés supérieure, où l’âme se trouve comme identifiée avec son objet intellectuel et (182) absorbée en Dieu qui est sa source, la philosophie physiologique ne doit pas être moins fondée à reconnaître et spécifier un ordre inférieur de facultés animales où le moi se trouve aussi absorbé dans la sensation et identifié avec elle.

« L’amour ôte tout mais il donne tout » Fénelon … Le principe de la 3ième vie (celle de la grâce) consiste dans la présence d’un esprit supérieur à celui de l’homme, qui se met pour ainsi dire à la place de son esprit et ouvre à ses yeux une perspective infinie de perfection et de bonheur et remplit son âme d’une joie (200)

On m’a demandé si c’était une révélation… les mots n’y font rien ; il suffit que nous ayons le sentiment de cette lumière supérieure que nous ne créons pas en nous-mêmes (235) [75].

Madame Swetchine (1782-1857).

Russe convertie, elle exerca une « influence extrêmement profonde et surnaturelle » sur des « hommes de valeur qu’elle fut amenée à éclairer », dont Lacordaire.  Après avoir tenu salon à Saint-Pétersbourg, veuve, elle se fixa à Paris en 1825.

 …la nuit est la vieillesse de la journée, et néanmoins la nuit est pleine de magnificences, et pour bien des êtres elle est plus brillante que le jour. Pour beaucoup la nuit est le lieu de la pensée, comme Dieu est le lieu des esprits et l'espace celui des corps. C'est là que la réflexion donne rendez-vous, que le recueil­lement cherche un asile, que l'on entend, que l'on comprend mieux ce silence qui, selon la parole de Philon, est la voix de Dieu! C'est à la vieillesse qu'est accordée la manifestation de Dieu la plus intime et la plus évidente, comme c'est à la nuit qu'il a été donné d'être témoin de la naissance du Christ et de sa résurrection… [76].

François Libermann (1802-1852).

Juif converti, il se consacra à « l’oeuvre des noirs ». Très profondes Lettres spirituelles. [77]µ.

Cécile Bruyère (1845-1909).

La première abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes est l’auteur de La vie spirituelle et l’oraison, Solesmes, 1899 … 1984, manuel tranchant sur la littérature pieuse de son époque, sans autre originalité que de présenter pour tous, d’un regard contemplatif, une synthèse claire et très cohérente de la voie mystique chrétienne, plus particulièrement bénédictine. Encore un ouvrage dont des citations ne peuvent retenir ni la solide charpente ni l’onction :

L’âme simple n’a qu’un regard … elle ne voit que Dieu ; un amour, elle n’aime que Dieu ; une intention, elle ne tend qu’à Dieu… (333) …[elle] rayonne diversement tout autour d’elle sur les âmes qui appartiennent à la vie purgative, illuminative ou unitive…(395)

Vital Lehodey (1857-1948).

Dom Vital Lehodey prône un abandon très proche de celui des quiétistes et sa direction forme un contrepoint moderne à celle de madame Guyon, inspirée par François de Sales et Caussade. On a la filiation par influences Guyon > Caussade > Ramières > Lehodey.[78].

Au fond, le manque de confiance, et le découragement qu’il inspire, sont le grand obstacle aux desseins de Dieu ; ils sont même l’unique danger, mais un danger redoutable ; car ils pourraient nous précipiter dans l’abîme du désespoir. 406.

Le désir d’avancer dans les voies mystiques est parfaitement légitime en soi, et nous avons le droit de le traduire en une prière confiante et filiale … tempéré par un filial abandon. 442.

[l’âme] évite de chercher ou même d’accepter des considérations suivies, des affections variées  et compliquées … Mais elle reçoit l’action divine avec révérence et soumission, avec confiance et reconnaissance ; elle s’y adapte. 454.

Lucie Christine (1870-1908).

Les cahiers de cette mystique dansle monde furent publiés par Auguste Poulain, l’auteur des Grâces d’oraison, « botanique mystique » que nous avons critiquée en introduction [79].

24 octobre 1884.  Le plus parfait ne peut être ni le but, ni la pensée  dominante de ma vie, même dans ses détails. Il est comme le balancier, que tient l'équilibriste tandis que ses yeux sont fixés sur le but [final] qu'il espère atteindre. Il est comme le gouvernail dans la main du pilote dont tous les regards et les mouvements ne tendent cependant qu'au port.

9 juillet 1885. Cette lumière me démontrait, par l'état même où mon âme se trouvait alors, qu'il n'y a que Dieu qui puisse se faire voir ainsi à nous, ou nous faire voir en lui certaines vérités, sans aucun intermédiaire qui nous les représente. Tandis que tout ce que nous connaissons naturellement nous est repré­senté par un signe, soit image, soit parole, soit idée ou langage intérieur.

11 mars1886. - Il y a quelques jours, le dimanche des Quarante-Heures, comme j'exposais à Dieu toute ma misère et mon extrême ignorance du premier mot de la perfection, il me dit intérieure­ment : « La sainteté, c'est moi », et dans la lumière et la paix qui accompagnaient ces paroles, je le vis en effet comme un centre mystérieux vers lequel rayonnaient, convergeaient toutes les âmes, par les voies qu'il leur avait tracées, et la sainteté consistait à approcher le plus près possible de ce Centre divin, et même à se perdre en Lui…

2 juillet 1891. La région où Dieu se montre n'est pas séparable de Lui-même. Tout intermédiaire cesse.

1er  novembre 1891.  [Hier] je pensai avec une extrême confusion que Dieu s'était donné à mon âme qui n'avait jamais rien fait qui pût mériter cette récompense, bien assurément ; et je deman­dai à mon époux comment il avait pu et voulu se prodiguer ainsi à ma misère. / Il me répondit avec une grande netteté et une grande tendresse :  L’Amour n’a d'autre raison que lui-même.

14 mai 1895-7. - Au cours de l'oraison de l'après-midi, mon âme, comblée de la possession divine, fut pour un temps, sortie de cet état très simple, et se vit tout à coup comme le prisme qui reçoit la lumière, laquelle est une, ou nous semble une, et pourtant se décompose dans le prisme en toutes les couleurs connues, et Dieu me faisait entendre que le rayon unique de la lumière divine engendre ainsi dans l'âme toutes les oeuvres que Dieu veut d'elle, pour elle-même et pour les autres. Ainsi c'est Dieu présent en elle qu'elle donne sous toutes formes, ainsi que Jésus le disait au fond de mon âme : « Donne-moi aux autres. » Il se donne à nous pour que nous le donnions. Mystère d'amour, source vraie de la pure charité chrétienne. Le donner en tout et à tous, constamment et autant de fois et en autant de manières diverses et de dévouement qu'il le voudra, par la parole, par l'action, parle pardon, par le conseil, par la prière, par l'aumône, par l'oubli de soi, par le don de soi. Mais, en même temps, l'âme a besoin, surtout dans cette voie intérieure très simple, de penser que c'est Dieu même qu'elle donne. En effet, dans cette voie, elle ne peut guère se regarder elle­-même. Elle est exercée, attirée à ne voir que Dieu dans tous les états où il la met : joie ou vide spirituel, présence ou absence, paix ou tentation, épreuves ou succès, joie ou douleur, repos ou travail. / Pour ce bien donner au prochain, elle ne peut donc guère penser qu'elle se donne ; ce serait un retour sur elle-même.

8 février 1908 ; Au milieu de cette tourmente, de cette doulou­reuse crise qui déchire le cœur, de cet acca­blement d'affaires, je suis touchée de voir que, sitôt que mon âme se souvient de Dieu, elle trouve qu'il est déjà là présent, plus présent à mon cœur  que mon cœur  même, de sorte que le recueillement et l'union ne sont point à refaire, mais qu'ils subsistent à un certain degré et en permanence, au fond de toutes les multiplicités, travaux et douleurs, même trou­blants, de la vie.

Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897).

µ.[80].

Manuscrit C :

[243] …il me semble que les ténèbres … me disent en se moquant de moi : « Tu rêves la lumière … la possession éternelle du Créateur … réjouis-toi de la mort qui te donneras non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. »

[270] …cela m’étonnait d’autant plus d’être tombée si juste. Je sentais bien que le bon Dieu était tout près, que, sans m’en apercevoir, j’avais dit, comme un enfant, des paroles qui ne venaient pas de moi mais de Lui.

Le Carnet jaune :

[1048] Souvent, sans le savoir, les grâces et les lumières que nous recevons sont dues à une âme cachée parce que le bon Dieu veut que les saints se communiquent les uns aux autres la grâce par la prière, afin qu’au ciel ils s’aiment d’un plus grand amour…

[1054] …nous ne devons pas penser à ce qui peut nous arriver de douloureux dans l’avenir, car alors c’est manquer de confiance et c’est comme se mêler de créer.

[1077] Quand je prie pour mes frères missionnaires, j’offre pas mes souffrances, je dis tout simplement : Mon Dieu, donnez-leur tout ce que je désire pour moi.

[1081] On éprouve une si grande paix d’être absolument pauvre, de ne compter que sur le bon Dieu.

[1085] …j’admire le ciel matériel ; l’autre m’est de plus en plus fermé. Puis aussitôt je me dis avec une grande douceur : Oh ! mais si, c’est bien par amour que je regarde le ciel … les mouvements, les regards, tout … c’est par amour.

[1104, note des Cahiers verts] Elle conjure que l’on prie pour elle, par ce que, dit-elle, « c’est à en perdre la raison ». Elle demande que l’on ne laisse pas à sa portée les médicaments poisons pour l’usage externe et conseille qu’on n’en laisse jamais près des malades qui souffriraient les mêmes tortures…

[1114] Tenez, voyez-vous là-bas le trou noir où l’on ne distingue plus rien ; c’est dans un trou comme cela que je suis pour l’âme et pour le corps. Ah ! oui, quelles ténèbres ! Mais j’y suis dans la paix.

[1136] Si vous saviez dans quelle pauvreté je suis ! Je ne sais rien de ce que vous savez ; je ne devine rien que par ce que je vois et sens. Mais mon âme, malgré ses ténèbres est dans une paix étonnante.

Edith Stein (1891-1942).

Philosophe assistante de Husserl, juive convertie (en 1922), marquée par le thomisme, entrée au Carmel (en 1933), devenue progressivement mystique, gazée à Auschwitz. Elle propose une doctrine spirituelle distinguant dans la personne trois éléments, corps, âme et esprit, en accord avec sa tradition. Elle se propose d’expliciter l’expérience intérieure et non d’en faire la théorie, d’où l’intérêt de la citer malgré son intellectualisme. [81].

 µ[22] A la vie psychique naïve-naturelle nous opposons une vie psychique de structure essentiellement différente, que nous appelons libérée (terme qui demande quelques éclaircisse­ments) : la vie de l'âme qui n'est pas mue de l'extérieur, mais qui est conduite d'en haut. Le d'en haut est en même temps un de l'intérieur. Car être élevé au royaume du Haut signifie pour l'âme qu'elle est totalement implantée en soi. Et inversement : elle ne peut pas être solidement établie chez soi si elle n'est pas élevée au-dessus de soi - précisément dans le royaume du Haut. Ainsi ramenée à soi-même et ancrée en Haut, elle est pacifiée; délivrée des impressions du monde, elle ne lui est plus livrée sans défense. C'est cela que nous appelons libérée. / Le sujet psychique libéré, comme le sujet naturel-naïf, accueille le monde avec son intelligence /Geist/. Il reçoit aussi en son âme /Seele/ les impressions du monde. Mais l'âme n'est pas mue immédiatement par ces impressions. Elle les accueille à partir de ce centre, d'où elle est ancrée dans le Haut; ses prises de position partent de ce centre et lui sont dictées d'en Haut. Tel est l'habitus spirituel des enfants de Dieu. Leur liberté est la liberté du chrétien; ce n'est pas la liberté dont il vient d'être question. On y est libéré du monde. Le genre d'attitude qui correspond à cette liberté est à son tour une activité passive, mais d'une autre sorte que celle du royaume de la nature. Les processus de la vie psychique natu­relle restent éloignés du centre, où la liberté a son lieu et l'activité sa source. Depuis ce centre, l'âme oriente son écoute vers le haut, reçoit les messages d'en haut, et soumise, elle se laisse conduire par eux. L'activité cesse à sa source même, au lieu même de la liberté il n'est fait aucun usage de la liberté.[82]

La vie consciente de l'âme relative à son fondement n'est na­turellement possible que lorsqu'elle s'éveille à la raison. Alors déjà elle porte la marque de ce qui s'est produit auparavant en elle et avec elle: elle ne peut se saisir dès le début de son existence et ce qu'elle était au début de son existence. D'ailleurs sa vie naturelle se pose en s'opposant au monde et en agissant en lui. C'est pour­quoi l'orientation naturelle de sa vie c'est l'extériorisation hors d'elle-même et ce n'est pas le retour sur soi ni le séjour prolongé en elle-même. Elle doit être ramenée à l'intérieur d'elle-même: ce qui se produit gràce aux exigences qui se présentent à elle et à la voie de la conscience; mais naturellement l'appel vers l'extérieur sera toujours plus fort, si bien que le séjour dans l'intériorité ne dure pas longtemps. Nous ne devons pas oublier non plus que le Je ne rencontre pas grand chose lorsqu'il rentre en lui-même et rompt tout lien avec le monde extérieur: c'est-à-dire non seulement lors­qu'il ferme les portes des sens, mais aussi lorsqu'il fait abstraction des impressions du monde conservées dans la mémoire et de ce qu'il perçoit en lui-même, en se considérant comme un homme dans ce monde, autrement dit le rôle qu'il joue dans le monde, ses talents et ses aptitudes. En tant qu'objet de la perception, de l'ex­périence et de l'observation intérieure, l'homme - et l'âme autant que le corps - offre une ample matière à réflexion. Ainsi même [439] pour beaucoup, le Je personnel est plus important que le reste du monde tout entier. Mais ce qui est saisi dans cette per­ception et cette observation intérieures, ce sont des forces et des capacités d'agir dans le monde et les effets d'une telle action: Il ne s'agit point de l'intériorité proprement dite mais d'un dépôt de la vie psychique originelle, des croûtes qui se déposent, en augmentant continuellement, autour de l'intériorité. Si l'on quitte tout cela pour se retirer réellement dans l'intériorité, on ne ren­contre sans doute pas le néant, mais un vide et un silence inha­bituels. Le fait d'écouter les battements de son propre cœur, c'est­-à-dire l'être psychique intérieur lui-même, ne saurait satisfaire la tendance à la vie et à l'action du Je. Il ne s'y arrêtera pas long­temps s'il n'est pas retenu par quelque chose d'autre, si l'intériorité de l'âme n'est pas remplie et mise en mouvement par autre chose que le monde extérieur. C'est bien une telle expérience qu'ont fait de tous temps ceux qui connaissent la vie intérieure: ils ont été entraînés dans leur intériorité la plus profonde par quelque chose qui a exercé une pression plus forte que l'ensemble du monde extérieur: là ils ont éprouvé la présence d'une vie nouvelle, puissante, supérieure, celle de la vie surnaturelle, divine. ...

[444] Dieu est l'amour, c'est là le point de départ d'Augustin et c'est déjà en soi la Trinité. En effet, font partie de l'amour un aimant, un aimé et enfin l'amour lui-même. Lorsque l'esprit s'aime lui­-même, l'aimant et l'aimé sont alors une seule et même chose, et l'amour qui appartient aussi à l'esprit et à la volonté ne fait qu'un avec l'aimant. Ainsi l'esprit créé, qui s'aime lui-même, devient une image de Dieu. Cependant, pour s'aimer lui-même il doit se con­naître. L'esprit, l'amour et la connaissance sont trois et un. Ils se trouvent dans un juste rapport lorsque l'esprit n'est ni plus ni moins aimé que ce qui lui correspond: ni moins que le corps et ni plus que Dieu. Ils sont un, puisque la connaissance et l'amour se trouvent dans l'esprit; ils sont trois, puisque l'amour et la connaissance sont différents en soi et se rapportent l'un à l'autre. Ils sont semblables à deux matières corporelles dans un mélange: chacune se trouve dans chaque partie du tout et cependant elle est distincte de l'autre. ...

[454] comment parviendra-t-il à l'amour de Dieu, qu'il ne voit pas, sans être aimé d'abord par Lui ? Toute connaissance divine naturelle venant des créatures ne découvre certes pas son essence cachée. En dépit de toute l'analogie qui doit unir la créature et le créateur, cette con­naissance le conçoit toujours comme l'être entièrement autre. Cette conception pourrait déjà suffire - dans la nature corrompue -pour reconnaître qu'un amour plus grand que celui de n'im­porte quelle créature revient au Créateur. Mais pour se donner à lui en l'aimant, nous devons apprendre à Le connaître en tant qu'aimant. Ainsi Lui seul peut s'ouvrir à nous. ... / Puisque l'âme accueille en elle-même l'esprit de Dieu, elle mérite le nom de réceptacle spirituel. Mais le mot réceptacle ne nous fournit qu'une image assez inexacte pour la sorte d'ac­cueil dont il est ici question. Un réceptacle spatial et son contenu restent extérieurs l'un à l'autre; ils ne se fondent pas en un seul étant et lorsqu'ils sont de nouveau séparés, chacun redevient ce qu'il était avant l'union (à moins que ce soient des matières qui se compénètrent, mais dans ce cas le réceptacle serait imparfait; même s'il est pénétrable, il demeure impropre en tant que ré­ceptable). L'union d'une matière avec sa forme - par exemple l'union entre le corps et l'âme - est beaucoup plus intime. Ici nous nous trouvons en présence d'une imbrication que l'on ne peut plus comprendre spatialement. ...

[456] A partir de maintenant, nous comprenons mieux la trilogie dont nous avons déjà parlé, corps-âme-esprit. En tant que forme du corps, l'âme occupe la place intermédiaire entre l'esprit et la matière, qui appartient aux formes des choses corporelles. En tant qu'esprit, elle possède son être en elle-même et elle peut en toute liberté personnelle s'élever au-dessus d'elle-même et rece­voir en elle une vie plus haute. [83].

Pour parvenir à l'union avec Dieu, il faut « simplement croi­re que Dieu est, ce qui n'est l'affaire ni de l'entendement, ni de l'imagination, ni d'un sens quelconque. En cette vie en ef­fet, on ne peut le connaître tel qu'Il est. Aurait-on ici-bas les connaissances, les sentiments et les goûts les plus relevés qui soient sur Dieu, tout cela est à une distance infinie de ce qu'il est en Lui-même et de ce que sera pour nous sa pure pos­session». / ... L'âme s'appuie-t-elle encore sur ses propres forces, elle se prépare ainsi uniquement des difficultés et des obsta­cles. L'abandon de sa propre voie équivaut, en ce qui concerne son but, à prendre la véritable voie. Au fond, «son effort vers le but, l'abandon de son mode propre c'est déjà arriver à ce but, qui n'a pas de mode et qui est Dieu. Car l'âme qui par­vient à cet état n'a plus ni modes ni manières d'agir qui lui soient propres. [64] Elle n'est plus liée à ses manières d'entendre, de goûter et de sentir. Elle les possède toutes en même temps comme celui qui n'a rien et qui cependant possède tout [Ed. Cr. I, p.108] / En franchissant ses limites naturelles, tant intérieures qu'ex­térieures, «elle entre pleinement dans le surnaturel qui ne connaît plus, lui, ni modes ni manières parce qu'il les contient toutes en substance». Elle doit s'élever au-dessus de tout le spirituel qu'elle peut connaître et comprendre par voie natu­relle, même au-dessus de tout le spirituel que l'on peut goûter et percevoir en cette vie par les sens. Plus elle estime que tout cela est de grand prix, plus elle s'éloigne du plus grand des biens. Considère-t-elle cependant: que tout cela est de peu de valeur par rapport au Bien suprême, alors «dans l'obscurité elle s'avance à grands pas vers l'union au moyen de la loi» [Montée, vol. II, chap. 3 (Ed. Cr. I, p.108 sv.)]. / Arrivé à cet endroit, le Bienheureux a inséré un bref com­mentaire nous permettant de mieux comprendre ce qu'il en­tend dans tous ces exposés, par union. Il ne s'agit pas de cette union essentielle que Dieu possède avec toutes choses et par laquelle elles sont maintenues dans leur être, mais d'une «union et une transformation de l'âme en Dieu par amour. Celle­ci ne persiste pas toujours comme celle-là, mais seulement lorsque l'âme a atteint à la ressemblance par amour». Cette union-là est naturelle, celle-ci surnaturelle. / ... / La surnaturelle se produit lorsque la volonté de l'âme et: la volonté de Dieu se confondent en une seule, si bien qu'il n'y a rien dans l'une qui puisse s'opposer à l'autre. Quand l'âme «se sera dépouillée intérieurement de ce qui répugne et n'est pas conforme à la volonté divine, elle demeurera transformée en Dieu par amour. Ce qui doit s'entendre non seulement de ce qui lui répugne selon l'acte, mais aussi selon l'habitude ... Et parce qu'il n'est rien de créé qui par son action et sa capacité puisse atteindre à l'être de Dieu ou avoir un rapport avec lui, ainsi l'âme doit-elle se détacher de tout le créé, de toutes ses [65] actions, de tout ce dont elle est capable ... Ainsi seulement peut s'accomplir sa transformation en Dieu». La lumière divi­ne habite déjà naturellement dans l'âme. Mais celle-ci ne peut être illuminée et transformée en Dieu que lorsqu'elle se vide, selon la volonté divine, de tout ce qui n'est pas Dieu. Et c'est ce qui s'appelle aimer ! [84].

Jean-Baptiste Porion ( ?-1987).

Jean-Baptiste Porion est un chartreux qui fut guidé par dom Guillerand[85] et nous a livré la belle traduction des béguines Hadewijch ainsi que des textes anonymes [86], suivant une antique tradition chartreuse.

 [29] Il ne faut pas que l'âme soit agitée ; aussitôt qu'on la trouble, il faut l'essuyer (comme le miroir) par un acte de confiance en Dieu. Une âme qui est ainsi simple, franche, abandonnée, est vraiment comme un miroir très pur et res­titue à Dieu l'image de Sa simplicité et de Sa pureté divines. / Remarquons bien que ce n'est pas ce que nous sommes qui importe, ce n'est pas la matière du miroir qui fait sa valeur; c'est, au contraire, d'être tout effacé, tout uni, de n'être rien en quelque sorte, de façon à refléter intégrale­ment l'image qu'on lui envoie. ... / Plus notre âme est calme et humble, plus elle est silen­cieuse, mieux elle joue son rôle d'instrument de la gloire divine. Elle rend gloire à Dieu. Remarquez cette expression elle suppose que nous recevons la gloire de Dieu puisque nous rendons cette gloire.

[30] L'orgueil c'est de se croire quelque chose. Pour être humble, il faut d'abord savoir qu'on n'est rien. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi savoir que Dieu est tout, c'est-à-dire que Son amour est toujours présent et tout-puissant.

[55] La charité envers le prochain consiste à aider les autres à trouver leur but dans la vie et à atteindre ce but.

[63] Remarquez bien que ce manque de confiance dont nous souffrons c'est une espèce de peur. Nous avons peur que Dieu ne nous aime pas ou ne vienne pas à notre secours. Et comme nous avons peur de Dieu, nous avons peur de toutes choses.

[69] L'âme qui fait des progrès dans la vie intérieure devient stable, et, en même temps, elle devient désintéressée. Elle est heureuse de prier, de travailler, de souffrir pour les autres, elle ne pense plus à sa propre récompense, et c'est au moment où elle y pense le moins qu'elle la possède déjà dans son cœur.

[72] Chacun peut et doit se dire: la place qui me convient à moi, ma place, la place où je dois être, c'est la dernière. Pourquoi ? Parce que le « moi », le « je », tout ce qu'il y a en nous de propre, c'est cela qui s'oppose à l'amour.

[82] C'est l'abandon qui est la solution des situations les plus désespérées. Car jamais nous ne sommes réduits à une telle extrémité que nous ne puissions toujours répandre devant la divine Majesté les parfums d'une sainte soumission à sa sainte volonté et d'une continuelle promesse de ne point L'offenser.

[94] Toute vie se traduit par un épanouissement de beauté. La vie d'union à Notre Seigneur se manifeste par la beauté, c'est-à-dire la noblesse spirituelle. Qu'est-ce que c'est qu'une âme belle et noble? C'est simplement une âme qui porte sa croix en silence et en souriant. Nous avons tous à souffrir, à souffrir des autres, et à souffrir de nous-mêmes.

[104] La confiance est au principe de toute la vie spirituelle. On peut dire que la plupart des âmes manquent de confiance et de liberté avec Dieu. Il est l'amour même et nous doutons d'être aimés par Lui... Pourtant, nous sommes séparés des hommes, jamais de Dieu. L'âme humaine est comme un oiseau enfermé dans une prison sans toit : il y a des murs de tous les côtés, excepté du côté du ciel.

[105] Si vous êtes certain d'être aimé - comme vous devez l'être - et d'être aimé gratuitement (car Dieu ne se vend pas, Il se donne) votre coeur sera rempli d'une certitude divine, comme un vase plein d'une liqueur précieuse. / Alors, cette pensée, cette présence de l'amour divin en vous, vous voudrez la préserver ; ce calice de votre coeur, vous le porterez délicatement et doucement, c’est-à-dire que vous serez recueillis et silencieux, vous serez appliqués à votre travail et vous serez charitables.

[122] D'une façon générale, nous devrions vivre comme si nous étions constamment en présence de Dieu seul (et c'est la réalité!).

[123] Ce que l'on gagne à être tourné vers Dieu seul, c'est d'abord la liberté. Car Dieu nous demande toujours ce que nous pouvons donner tandis que le souci de plaire aux hommes ou de les imiter nous jette nécessairement dans les plus grandes angoisses.

 [146] Je tâche aussi de me tenir à ce point où nous laissons Dieu régner en nous et hors de nous, tandis que nous ces­sons, pour ainsi dire, d'exister. C'est la seule façon, à mon avis, de tenir en chartreuse, dans une charge ou en cellule. On pourrait dire en somme que demeurer en chartreuse est impossible : il faut en sortir, soit par l'extérieur, soit par l'intérieur. Malheureux dans le premier cas, bienheureux dans le second.

Paul Agaësse.

Paul Agaësse offre plutôt une réflexion profonde sur notre rapport avec Dieu que son expérience mystique [87] :

µSaint Augustin, Commentaire de la Première épitre de saint Jean, SC 75, Cerf, 1984 :

(43) Si Dieu prend l'initiative du salut de l'homme, c'est qu'il appartient à l'amour de commencer, de n'être pas déterminé par autre chose que lui-même, mais de trouver en soi le principe de son acte. Non qu'il soit aveugle, il est au contraire tout pénétré de sagesse, mais il est à lui-même sa propre clarté et sa propre justification, son mérite et sa récompense, son principe et sa fin. L'amour en Dieu n'est pas déterminé par le besoin ou le manque : il ne trouve aucun avantage utilitaire en celui qui en est l'objet, il n'est pas moyen pour obtenir autre chose, pour atteindre une perfection qui ne serait pas déjà possédée. Cet amour est à lui-même sa propre raison d'être. Saint Augustin va jusqu'à dire que cette gratuité et cette sorte d'indépendance de l'amour explique que Dieu soit le vrai maître, le seul maître. Sa transcendance suprême est celle d'un amour qui aime pour aimer, sans tirer aucun avantage de ceux qui sont aimés : “Celui-là est le vrai maître qui ne cherche rien de nous... Il ne cherche rien de nous, il nous a cherchés alors que nous ne le cherchions pas.

(45) Dieu justifie, non parce qu'il feint de ne pas voir la faute, ni même parce qu'il l'efface en quelque sorte négativement, mais parce qu'en nous communiquant la charité, qui est sa Vie et son Essence, il nous rend semblables à lui…

Augustin est donc en droit de conclure : « Si tu aimes ton frère que tu vois, par le fait même tu verras aussi (50) Dieu, car tu verras la charité et Dieu habite en elle » (V, 7) ... Il s'agit d'une invasion transformante de Dieu en nous, d'une présence active par laquelle Dieu, dès ici-bas, nous rend semblables à lui en nous initiant à son propre acte d'aimer et nous prépare à la vision face à face. Cette connaissance est encore obscure, elle est susceptible de progrès, car la charité n'est pas parfaite en nous. Mais elle est de même nature que la vision béatifique, puisque Dieu est la source de cet acte qui dépasse nos forces naturelles. Elle lui est homogène, comme la grâce est homogène à la gloire, car, même dans l'au-delà, l'homme ne verra Dieu qu'en participant à son acte d'aimer. Dieu n'est pas comme un objet qui apparaît dans un lieu où il n'était pas et qui commencerait alors à être connu. Non. La connaissance de Dieu est liée à la purification et à la transformation du connaissant et la vision sera parfaite quand la ressemblance de l'âme avec Dieu, par la croissance en elle de la charité, sera devenue parfaite.

(52) L'homme n'imite pas Dieu de l'extérieur, comme on copie un modèle. Il l'imite, parce qu'il reçoit de lui l'impulsion qui le pousse à aimer. / Tirons au clair toutes les conséquences de cette doctrine. L'homme veut aimer Dieu. Mais il ne peut l'aimer qu'avec un amour qu'il reçoit de lui : or cet amour qu'il reçoit de Dieu, gratuit comme celui de Dieu, c'est l'amour de ses frères. Dieu ne peut être objet d'amour que parce qu’il en est la source : répondre à son amour, c'est nous laisser envahir par lui, aimer avec lui et comme lui.

(53) L'homme commence à être heureux, parce qu'il commence à devenir semblable à Dieu en aimant comme lui, gratuitement…

“Le désir de Dieu”, (choix de notes manuscrites en suppl. à Vie Chrétienne no 233) :

[34-35] Dire que nous sommes créés, c'est dire: « Nous ne sommes rien par nous-mêmes. » Mais, d'une façon corrélative et aussi catégorique, c'est dire en même temps : « Nous avons un prix Infini, puisque nous sommes faits par Dieu.,, Il n'y a dans l'humilité de l'acte de foi aucune dépréciation, s'il y a dépossession. ... / Nous consentons à nous dépouiller de tout ce que nous avons, nous reconnaissons que Dieu est le bienfaiteur et le donateur. Mais nous avons comme le sentiment qu'il doit y avoir une sorte de « reste», un domaine qui nous appartient en propre parce qu'il est comme notre centre, qu'il nous constitue et s'identifie à nous-mêmes. Qu'on l'appelle le « moi », la personne ou la liberté, peu importe. II y a toujours pour l'homme une tentation, plus ou moins consciente, de se retrancher dans ses propres limites et de circonscrire son propre domaine. Cela nous semble presque essentiel, ne serait-ce que pour nous distinguer de Dieu. / Mais c'est là une illusion. Ce n'est pas nous qui nous posons en face de Dieu, comme si nous commencions d'abord à exister sans Lui, indépendamment de Lui. C'est Dieu qui nous pose en face de Lui. Dans l'acte même par lequel nous nous reconnaissons autres que Dieu, il y a la reconnaissance que cette altérité même vient de Lui. ... / Oubliant que la grâce n'est pas quelque chose qui s'ajoute à la liberté, mais ce qui la fonde, nous nous figurons en droit de protester : « Laisse-nous faire quelque chose ! Tu es le Tout-puissant et je veux bien Te servir. Mais je Te demande un coin d'ombre où je sois enfin chez moi, un peu de vacances, queltiues heures de liberté rien qu'humaine! » Or cela n'a pas de sens, parce que nous ne pouvons pas sortir de la volonté de Dieu pour Le rejoindre par un acte qui serait purement nôtre. L'épreuve de la foi, c'est précisément l'expérience de cette pauvreté absolue…

[36] Mais dans notre protestation même est impliquée la réponse. Si l'homme n'a pas le droit de se détacher un seul instant de Dieu, d'échapper à son regard, de vouloir quelque chose que Dieu ne voudrait pas avant lui, c'est qu'il a du prix aux yeux de Dieu. C'est qu'il naît à chaque instant d'une pensée, d'un vouloir de Dieu. En raison de cette dépendance fondamentale, il ne peut pas être un étranger pour Dieu, pas plus que Dieu n'est un étranger pour lui. La pensée de Dieu et son action entrent dans la définition de l'homme, dans tous ses gestes, dans toutes ses décisions. L'homme ne rejoint pas Dieu de l'extérieur, jamais. Il n'y a pas d'affrontement d'un plus fort et d'un plus faible qui se seraient rencontrés par hasard. Non, l'homme est tout entier de Dieu. Cette relation le constitue : « Quelque chose a surgi qui s'origine au sein de la volonté profonde, ultime et enveloppante de la divinité, là où le Père dispose de sa Parole » (U. von Balthasar).

[36] C'est parce que je suis néant que je puis être dans la joie. Si j'étais quelque chose par moi-même, je pourrais [37] désespérer : comment rejoindre Dieu ? Mais si tout ce que je suis vient de Lui, alors ce qui vient de Dieu et ne cesse de venir de Lui peut faire retour à son origine

“La grâce du moment présent”, Christus, mai 1997 :

Il peut sembler étonnant que ce que nous avons à imiter en Jésus-Christ, ce soit précisément ce qu’il y a en lui de plus haut, de plus intime, de plus mystérieux : cette vie de Fils de Dieu dans le détail et le quotidien d’une vie humaine. Mai c’est [97] justement que le chrétien, par la grâce de l’incarnation, est devenu fils de Dieu et que la vie divine l’atteint et lui est communiqué à chaque instant. ... c’est dans le moment présent que se rejoignent l’éternel et le temps, la grâce offerte par Dieu et l’acte libre de l’homme.... [102] Le moment présent est donc, comme le dit encore le Père de Caussade, l’ouverture par laquelle l’abîme de la volonté divine entre en nous.

“Gratuité”, Dict. de Spir., vol. 6, col. 787 à 800 :

[791] Dieu nous a aimés le premier. – “En ceci consiste son amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est Lui nous a aimés le premier”, II Jean. Cette priorité signifie d'abord que Dieu est l'auteur de tout être et de tout bien créés ... / Pour essayer de le comprendre, reportons-nous au don initial, qui n'est pas le plus élevé, mais qui est la condition de tous les autres : la création. Inévitablement, quand nous parlons de don, nous distinguons entre le bienfait et celui qui le reçoit. Or, quand il s'agit de création, cette opposition signifie sans doute que la nature possédée est distincte du sujet quj la possède, puisque celui-ci ne se donne pas 1’être, mais elle ne signifie pas que le sujet préexistait à sa création. Il n'y a pas seulement don fait à quelqu'un, mais don qui suscite et fait être ce quelqu'un. Nous ne pouvons pas essayer de nous dépouiller de tout ce que nous avons reçu pour isoler un reliquat, un support, si pauvre soit-il, qui ne serait pas don de Dieu. Même notre “moi”, notre personnalité, notre liberté, bref tout ce qu'il y a en nous de plus autonome et de plus intime est encore don de Dieu. ... L'homme se mettrait en état de recevoir la grâce. / Mais ce serait affirmer qu'il y a de notre part une initiative qui ne vient pas de Dieu, mettre une limite à la gratuité de ses dons, inverser la relation de la créature au Créateur. Non seulement l'homme ne peut pas prétendre à la grâce comme à un dû, ni la récupérer par ses propres forces quand il l'a perdue, mais il n'est pas capable de se préparer à la recevoir ni de la désirer. / Il n'y a pas de mouvement spirituel, même inchoatif, qui aille de l'homme à Dieu, si ce mouvement n'est pas prévenu et porté par la démarche de Dieu qui vient vers l'homme.

...

[796] Le plus grand obstacle à la vie spirituelle est le refus de la grâce, la confiance exclusive de l’homme en ses vertus et en ses mérites, la prétention d'être juste par lui-même et de se sauver par ses seuls efforts. L'attitude de l'homme qui se complaît dans ses vertus et celle de l'homme qui s'enferme dans sa misère, l'orgueil et le désespoir, procèdent d'une même volonté de se suffire.

“Liberté, libération, IV Expérience des mystiques”, Dict. de Spir., vol. 9, col. 824 à 838 :

[830] La naissance et la consommation de la liberté humaine trouvent donc leur source dans la transcendance de Dieu, dans ce mystère d'amour qui fait que, gratuitement, il décide de communiquer sa propre vie aux esprits qu'il crée, de leur donner accès à son amour et à sa sainteté. Du côté de l'homme, elles se fondent sur son néant, autrement dit sur l'acceptation de n'être rien par soi, ce qui le rend propre à tout recevoir de Dieu, son être initial comme le mouvement par lequel il va vers lui : la vie divine afflue là où le vide est plus grand. De sorte que le mystique fait l'épreuve, concrètement et continuellement, de l'identité de la confession « Toi seul es saint » et de l'exigence « Parce que je suis saint, tu seras saint ».

 / ... Le fond de l'attitude mystique est donc passivité, consentement à laisser Dieu agir. Le « vouloir et le faire », la capacité et l'exercice, tout procède de la liberté divine. Néanmoins, cette dépendance fonde l'autonomie; cette capacité et cet exercice sont réellement nôtres, l'amour reçu de Dieu devient notre amour pour lui. Dieu fait vouloir, mais ne dispense pas de vouloir. Il fait agir librement.

[834] Toutefois, précisément parce que l'homme n'est pas capable d'emblée d'accéder à l'union parfaite, cette vie comporte des seuils, et les mystiques distinguent une purification active, par laquelle la volonté se détache du créé, et une purification passive, où elle subit l'action de Dieu au point de n'être plus qu'un consentement à le laisser agir. / Cette distinction surprend, puisque l'action divine est toujours transcendante à l'action humaine, qu'elle la suscite et la fonde. .... A travers l'appropriation [835] de biens finis, ce que cherche l'homme pécheur, c'est sa propre indépendance, une valorisation de son « moi », une auto-suffisance, une sécurité qui repose sur ce qu'il croit posséder ... / Le remède pour que la volonté retrouve son vrai mouvement, qui est aspiration vers Dieu, est d'être « sevrée », de tout ce qui nourrit l'égoïsme, de renoncer à toute complaisance en quelque bien créé que ce soit, et par là d'établir les puissances spirituelles dans le vide.

[837] Trouver en un autre toute sa raison d'être, être soi en sortant de soi, être saisi pour saisir, ne donner qu'en recevant, ne recevoir que pour donner sans rien altérer et sans rien réserver, tel est le caractère extatique de l'amour. Dieu, en se donnant, lui qui est amour substantiel, fait que son amour pour nous devienne amour pour lui. Il est l'origine et le terme…

Marie-Dominique Molinié. 

Dominicain atypique, excessif, etc. …mais profond et vrai. V. www.asett.com., « Une interview… »

µ[20] Aimer, ce n'est pas d'abord être héroïque dans le désinté­ressement : au contraire, cette perfection ne vient qu'à la fin. Aimer, c'est d'abord être attiré, séduit, captivé. Le premier acte libre et méritoire qui nous est demandé, c'est de céder à cette séduction, à cet attrait, de se laisser prendre, de se laisser « avoir »... de se laisser faire. ... Les efforts les plus durs que nous faisons sont quelquefois désespérés et désespérants, parce qu'ils procèdent très peu de l'amour, et beaucoup de la volonté de se convaincre qu'on aime : ce qui revient à vouloir faire les œuvres de l'amour sans aimer.

[21] « Je n'ai rien fait humainement - je n'ai rien fait surnaturellement : je suis prête pour la Miséricorde de Dieu. »

[31]  La psychanalyse enseigne qu'un homme guéri de ses complexes débouche dans un état qu'elle aussi appelle oblatif, un état où l'intéressé s'offre à la « réalité » sans inter­poser entre elle et lui le jeu de ses pulsions et de son imagi­nation. Seulement, pour la psychanalyse, la réalité c'est la société. Pour nous c'est Dieu et, pour l'amour de Dieu, les autres, donc la société : on est offert au réel quand on est offert à Dieu ; on est réconcilié avec le réel quand on est réconcilié avec Dieu. C'est le seul équilibre véritable, celui qui nous donne le bonheur. / Si on va jusqu'au bout de cette oblation pour aimer Dieu par-dessus toutes choses et le prochain comme soi-même, on accomplit la loi. La loi n'est pas cette chose extérieure que constitue le droit positif. La loi d'un germe est de grandir, la loi de chaque nature est de s'épanouir... la loi de la nature humaine est d'aimer Dieu et le prochain. Cette loi n'est pas dans le code civil ni même le code sacerdotal, c'est la loi du bonheur, en dehors de laquelle l'homme sera profondément malheureux.

[54] Le Christ Lui-même en tant qu'homme n'ajoute rien à Dieu : Il est un serviteur inutile, et la Sainte Vierge aussi. Elle le proclame, elle met sa joie à le proclamer. Elle sait que tout cela est gratuit, que c'est le luxe de Dieu... et elle le chante dans un Magnificat éternel. ... / Cela doit nous délivrer de toute inquiétude (Ne vous inquiétez de rien, dit S. Paul). Dans la mesure où une créa­ture pourrit d'inutilité, elle remplit parfaitement sa fonction de créature. L’intérêt de notre vie c’est de ne pas en avoir : nous sommes un chant à la gloire de Dieu et nous ne sommes que cela.

[55] La vie est sérieuse parce qu'il ne faut pas perdre son temps : il ne faut pas oublier un seul instant d'être insouciant. La moindre goutte de notre vie, Dieu peut en faire quelque chose de merveilleux si nous voulons bien la Lui offrir, mais telle qu'elle est. Pour être délivré de nos complexes, le plus simple est de les donner tels qu'ils sont: ne pas essayer de s'en délivrer avant de se présenter à Dieu. Ceux qui font leur toilette avant de se présenter, cela veut dire qu'ils ne veulent pas tout donner, ils ne veulent donner que ce qui est beau.

[62] Réjouis-toi de mon Etre comme je me réjouis de ton néant parce que je l'aime, et réjouis-toi de ton néant comme tu te réjouis de mon Etre, car c'est grâce à lui que tu m'offres un visage nouveau…

[64] …notre tendance naturelle est évidemment de fuir cette misère - non par un effort constructif pour la guérir ou l'améliorer, mais par le refus, obscur et farouche, d'en prendre conscience, d'être affronté au spectacle d'une indigence dont la profondeur métaphysique dépasse tout ce que nous pouvons soupçonner. Il est plus facile de reconnaître « ses péchés » - dans lesquels nous voyons au fond des accidents - que de contempler cette indigence fondamentale…

[65] dans cette misère même l'arme absolue qui nous donne tout pouvoir sur le coeur de Dieu - parce que c'est cela qui Le séduit en nous et non pas les dons qu'Il nous a déjà faits, ni aucun de ceux qu'Il est prêt a déverser en avalanche sur cette misère qui L'attire (ce qui se comprend bien au fond si l'on songe qu'elle est la seule chose qu'il ne puisse pas trouver en Lui, la seule par conséquent qu'Il puisse aimer en dehors de Lui). / La réaction humaine qui consiste à « avoir un faible pour les êtres les plus ingrats, les moins doués, les plus malheureux, ne relève pas seulement de la psychanalyse, elle est porteuse d'une immense vérité métaphysique et théologique : là encore, les coeurs purs risquent d'aller plus vite que les sages et les intelligents.

[82] Il y a en effet incompatibilité absolue entre le mouvement de recevoir et le mouvement de s'emparer - et le renoncement porte justement, non sur le Bien convoité, mais sur la prétention de nous en emparer si peu que ce soit : recevoir n'est pas moins actif que prendre - mais c'est une activité d'un autre ordre et qui, aux yeux de l'impatience humaine, ressemble fâcheusement à de la passivité.

[83] [témoignage « d’un Kafka » :] Ce qui est nouveau, c'est que je réalise maintenant ce que je savais intellectuellement, à savoir que : La Porte s’ouvre dans l’autre sens, et qu'étant toujours à presser derrière, je la force à rester fermée ; de l'autre côté, je crois que Dieu essaie de l'ouvrir. ... Jusqu'à présent, il a donc été toujours question de moi. / Dieu aussi était évoqué dans la mesure où il était tout « pour moi ».

[94] Ce qui est douloureux, dans l'agitation de certains pour « se réformer », c'est l'effort de la créature pour substituer son initiative à la seule activité infinie qui nous soit offerte, et qui est le silence. Il n'y a pas d'autre choix - le silence ou l'action : savoir attendre ou ne pas savoir attendre... ... Préférer une oeuvre humaine à une oeuvre divine, c'est renoncer à faire tout parce qu'on veut faire quelque chose. Il n'y a qu'une seule manière de faire tout : c'est de se laisser faire complètement par Dieu. Alors notre action aura les dimensions de la sienne, elle sera aussi vaste « que les rivages de la mer »...

[95] l.a difficulté, même pour Dieu, c'est de trouver une liberté qui se donne vraiment.

[98] La grâce de la conversion n'est pas d'abord une grâce de force mais de lumière - une lumière que nous ne pouvons pas fabriquer nous-mêmes. Dieu ne nous demande pas de la fabriquer mais de l'accueillir, et pour nous y disposer de l'attendre avec désir : telle est la fidélité de ceux qui veillent en attendant la visite du Maître. Nous obtiendrons la grâce de cette visite dans la mesure où nous accepterons d'en avoir besoin, de plus en plus douloureusement.

[99] Extraordinaire exemple de ce qu'on peut appeler les purifications passives. Toute conversion est essentiellement passive: c'est une grâce qui fond sur nous, une lumière imprévue et imprévisible par laquelle on se laisse prendre jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit. On est retourné…

[122] Comment faire ce discernement' ? En recherchant le domaine où s'exerce le plus profondément l'orgueil de la vie. Certaines fautes sont presque de pure faiblesse en nous ... la plupart du temps elles ne le sont pas car elles n'impliquent pas ce vertige, cette griserie agréable ou douloureuse dans laquelle nous sentons une certaine exaltation de notre moi, un épanouissement et une auto-satisfaction auxquels notre subconscient est férocement attaché (c'est pourquoi cela coincide souvent avec ce que la psychanalyse appelle nos complexes).

[123] Bien souvent - les psychanalystes l'ont remarqué après S. Augustin - l'orgueil de la vie vient se fixer sur une certaine idée de nous-mêmes, un idéal que nous cherchons à atteindre à travers l'ambition ou la vertu (peu importe), ce que Freud appelle « l'idéal du moi ». ... Nous croyons avoir le droit et même le devoir de nous cramponner à certaines valeurs, naturelles et surnaturelles…

[212] Cela explique pourquoi certaines gens très simples sont imprégnées de Dieu sans s'en apercevoir. Ils mènent leur vie tranquillement au service des autres, toujours paisibles, toujours dans la joie. On les cite en exemple en disant « Vous voyez bien qu'il n'y a pas besoin d'être mystique pour être un saint! » Mais justement, ce sont des mystiques. ... Angèle de Foligno dit par exemple : « J'ai été introduite en Dieu, et j'ai été faite le Non-Amour, ayant perdu l'amour que je traînais jusque-là. »

[213] Quelqu'un me disait a propos d'une souffrance physique : « Elle n'a rien de comparable avec une souffrance connue. Avec les pires souffrances, vous pouvez encore être un homme - tandis qu'avec ça, on ne peut plus être un homme. » Au fond, ce qu'on appelle supporter la souffrance, c'est essayer de rester un homme sous ses coups. C'est justement ce que les saints et le Christ n'ont pas essayé de faire : ils n'avaient pas besoin d'essayer de rester un homme, ils n'avaient rien à craindre - ils pouvaient tout lâcher parce qu'ils avaient l'onction du Saint-Esprit. Moins on lutte, plus cette onction nous pénètre : elle est stable, car c'est Dieu.

 


4. Contemporains en recherche.

Des écritures sacrées et du modèle immobile « parfait » à l’« évolution créatrice » ?

Mystiques.

Simone Weil (1909-1943).

Simone…[88]

Présence, impression de contact

‘L’âme ne se donne pas, elle est prise.’Cahiers II 293

‘on ne voit pas Dieu ...on se sent vu par lui’ Conn. Surnaturelle 117

Sainte Marie des Anges, Assise, 1937

Love de Herbert, 1938

Configurer au Christ

(Devaux, S. Weil et la rencontre du Christ, Communio sept/oct 1998)

Etty Hillesum (1914-1943)

Etty…[89]. Résumé : être instrument de l’ énergie divine (deux phases : préparation – instrumentale)

(161) ou bien on en est réduit à penser uniquement à soi-même et à sa survie en éliminant toute autre considération, ou bien l’on doit renoncer à tout désir personnel et s’abandonner. Pour moi cet abandon n’équivaut pas à la résignation, à une mort lente, il consiste à apporter tout le soutien que je pourrai là où il plaira à Dieu de me placer, au lieu de sombrer dans le chagrin et l’amertume.

 (181) Quand je prie, je ne prie jamais pour moi, toujours pour d’autres, ou bien je poursuis un dialogue extravagant, infantile ou terriblement grave avec ce qu’il y a de plus profond en moi et que pour plus de commodité j’appelle Dieu.

 (185) Je suis ...si parfaitement exempte de rancœur, j’ai tant de force et d’amour en moi ...je ne me laisserai pas anéantir, je persiste à croire au sens le plus profond de cette vie ; je sais comment vivre

 (188) En traversant aujourd’hui ces couloirs bondés j’ai été prise d’une impulsion soudaine : j’avais envie de m’agenouiller sur le carrelage au milieu de tous ces gens. Le seul geste de dignité humaine qui nous reste en cette période terrible : s’agenouiller devant Dieu. Chaque jour j’apprends à mieux connaître les hommes et je vois de plus en plus clairement qu’ils n’ont aucune aide à offrir à leurs semblables : on est réduit à ses propres forces intérieures.

 (202) Le cœur pensant de la baraque.

 (207) Le sentiment de la vie est si fort en moi, si grand, si serein, si plein de gratitude ...Et ce ‘moi-même’, cette couche la plus profonde et la plus riche en moi où je me recueille, je l’appelle ‘Dieu’.

(226) Quand, au terme d’une évolution longue et pénible, poursuivie de jour en jour, on est parvenu à rejoindre en soi-même ces sources originelles que j’ai choisi d’appeler Dieu ...alors on se retrempe constamment à cette source et l’on n’a plus à redouter de dépenser trop de forces.

(240) chaque fois qu’une femme, ou un enfant affamé, éclatait en sanglots ... je m’approchais et je me tenais là ... et en moi-même je m’adressais à cette créature tassée sur elle-même et désemparée : « allons ce n’est pas si grave, ce n’est pas si terrible ». Et je restais là, j’offrais ma présence, que pouvait-on faire d’autre ?

(277) Les wagons de marchandise étaient entièrement clos, on avait seulement ôté cà et là quelques lattes et, par ces interstices, dépassaient des mains qui s’agitaient comme celles de noyés. Le ciel est plein d’oiseaux, les lupins violets s’étalent avec un calme princier, ... le soleil m’inonde le visage et sous nos yeux s’accomplit un massacre, tout est si incompréhensible. Je vais bien. Affectueusement. Etty

(288) Un être humain ne reçoit peut-être pas plus de souffrance à endurer qu’il ne peut – et si la limite est atteinte, il meurt de lui-même. ... Je vais essayer de vous décrire comment je me sens, mais je ne sais si mon image est juste. Quand un araignée tisse sa toile, elle lançe d’abord les fils principaux, puis elle y grimpe elle-même, n’est-ce pas ? L’artère principale de ma vie s’étend déjà très loin devant moi et atteint un autre monde. On dirait que tous les événements présents et à venir ont déjà été pris en compte quelque part en moi

(296) si l’on voulait donner une idée de la vie de ce camp, le mieux serait de le faire sous forme de conte. La détresse, ici, a si largement dépassé les bornes de la réalité courante qu’elle en devient irréelle. Parfois en marchant dans le camp, je ris toute seule, en silence, de situations totalement grotesques, il faudrait vraiment être un très grand poète pour les décrire.

(308) je ne cesse de faire cette expérience intérieure : il n’existe aucun lien de causalité entre le comportement des gens et l’amour que l’on éprouve pour eux. L’amour du prochain est comme une prière qui vous aide à vivre.

Explorateurs de textes.

Bremond.

Le plus influent explorateur de textes spirituels au XVIIe siècle fut Henri Bremond (1865-1933) dont l’approche de la mystique est voilée sous le titre, seul recevable à son époque, d’histoire du sentiment religieux [90]. Derrière la figure de l’érudit qui ressuscite un monde oublié et fixe les grandes lignes devenues canoniques de son histoire, se devine l’image émouvante du chercheur pour qui « l’expérience mystique fournit le paradigme de toute connaissance réelle »[91].

Tout converge sur la nature de la prière, ce qui se justifie pour découvrir la porte de la vie mystique. Mais classer les auteurs autour de ce thème peut conduire à des regroupements trompeurs car la prière change au cours du chemin mystique. Tandis que l’individu et sa vie intérieure sont préservés, la dynamique de son vécu reste cependant rarement évoquée, ce qui s’explique par l’approche « généraliste » requise dans le panorama très vaste entrepris pour la première fois par ce défricheur. Il n’eut pas le temps d’achever son œuvre.

Baruzi.

L’iranologue Henry Corbin témoigne ainsi sur

…Jean Baruzi qui suppléa Alfred Loisy au Collège de France, avant d’y devenir lui-même titulaire de la chaire d’Histoire des religions. Ses cours étaient suivis avec une fidélité passionnée par une pléiade d’étudiants, comptant parmi eux un bon nombre d’élèves de la Faculté de théologie protestante de l’époque. C’est lui qui nous révéla la théologie du jeune Luther, qui était alors à l’ordre du jour des recherches théologiques en Allemagne : puis, à la suite, les grands spirituels du protestantisme : Sebastian Franck, Caspar Schwenkfeld, Valentin Weigel, Johann Arndt, etc. Le maître ne dissimulait aucune des difficultés que rencontrait son exposé de première main, mais un flot de vie spirituelle les emportait toutes. C’était tout neuf, captivant. Je commençai à percevoir certaines consonances, comme l’appel d’un carillon lointain conviant à explorer les régions que couvre ce que je devais appeler plus tard « le phénomène du Livre saint ».  …il était impossible d’entendre la voie des Spirituels interprétés par Jean Baruzi, sans prendre la décision d’aller voir sur place. ... Le cercle d’amis groupés autour des inséparables frères Baruzi était lui-même une invite à tenter les aventures de l’Esprit. Par leur immense culture, leur sens des valeurs les plus délicates, les plus subtiles, de l’art et de la vie, les deux frères étaient les témoins d’un autre siècle, éminemment représentatifs d’une Europe et d’une société européennes, disparues avec la première et la seconde guerre mondiale, et que nous n’avons pas réussi  à refaire, fût-ce de loin, tant est obstinée et profonde l’emprise des démons et des possédés qu’a prophétisés Dostoïevsky. Il y avait chez eux, place Victor Hugo, des réunions fréquentes, outre les séances de « séminaire » que Jean Baruzi tenait chez lui et qui se prolongeaient fort tard dans la soirée. On rencontrait au nombre des participants toutes sortes de personnalités européennes inattendues. La présence de nos camarades allemands était toujours importante. Jean Baruzi donnait aux entretiens la tournure qu’ils auraient eue, s’ils s’étaient tenus dans le Weimar de Goethe. Il fut par excellence le professeur qui abolissait toute distance officielle entre le maître et l’étudiant. Seule subsistait celle de l’amitié déférente, une amitié qui allait grandissant d’année en année. »[92].

Baruzi a compris Jean de la Croix autant que cela est possible intellectuellement et son ouvrage reste le premier à lire sur ce maître. Il comprit aussi Fénelon et Mme Guyon plus profondément qu’aucun érudit d’origine catholique ne pouvaient le faire à son époque compte tenu de l’ombre portée par la condamnation du quiétisme. Nous concentrant sur ce dernier point :

…la doctrine de Saint Jean de la Croix, en son affirmation essen­tielle (« l'amour est travailler à se dépouiller et dénuder pour Dieu de tout ce qui n'est pas Dieu... »), a été si profondément comprise par Fénelon, et aussi par Mme Guyon, que l'on serait d’abord tenté de faire appel à eux pour la ressaisir [93].

Il cite Fénelon : 

Cette obscurité de la pure Foi ne donne par elle-même aucune lumière extraordinaire. Ce n'est pas que Dieu, qui est le maître de ses dons ne puisse y donner des extases, des visions, des révélations, des communications intérieures. Mais elles ne sont point attachées à cette voie de pure foy et les Saints nous apprennent qu'il ne faut point alors s'arrester volontairement à ces lumières extraordinaires, pour s’en faire un appui secret, mais les outrepasser, comme le dit le bienheu­reux Jean de la Croix, et demeurer dans la foi la plus nue et la plus obscure[94].

Puis Baruzi revient à Madame Guyon :

Plus encore que Fénelon qui, parlant de notre adhésion à Dieu, nous demande d'outrepasser « tout autre objet distinct » et ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne sou­tiendrait pas l'évidence de l'autorité, Mme Guyon voudrait aller au delà de toute donnée distincte ; elle songe à une immersion ; elle trouve « partout, dans une immensité et vastitude très grande, celui » qu'elle ne possédait plus mais qui l'avait « abîmée en lui ». Et telle est la seule « extase » qu'elle juge « parfaite », extase qui ne « s'opère que par la foi nue, la mort à toutes choses créées, même aux dons de Dieu », lesquels « étant des créatures, empêchent l'âme de tomber dans le seul incréé ». On pourrait, plus profondément, dire qu'elle n'admet pas l'extase transitoire mais accepte seulement une « extase permanente » ou absorption, en Dieu, de l'âme anéantie ». Mme Guyon estime qu'elle retrouve en tout cela la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement choisis et oppose avec rigueur « la voie de lumière distincte » et « la voie de la foi ». Elle sait « qu'il est de très grande conséquence d'empêcher les âmes de s'arrêter aux visions et aux extases; parce que cela les arrête presque toute leur vie ». C'est sans doute encore l'influence de saint Jean de la Croix qu'elle subit, lorsqu'elle constate, avec la purification passive, un extrême élargissement de son expérience. « Sitôt que mon esprit fut éclairé sur la vérité de cet état », dit­-elle, « mon âme fut mise dans une largeur immense... Aupara­vant tout se recueillait et concentrait au dedans, et je possédais Dieu dans mon fond et dans l'intime de mon âme ; mais après, j'en étais possédée d'une manière si vaste, si pure et si immense, qu'il n'y a rien d'égal. Autrefois, Dieu était comme enfermé en moi et j'étais unie à lui dans mon fond : mais après, j'étais comme abîmée dans la mer même ». Et elle explique ensuite comment, aux pensées qui se « perdaient » naguère « mais en manière aperçue » a succédé un complet oubli de nous-mêmes par nous­-mêmes et après que Dieu, écrit Fénelon, a « peu à peu arraché à l'âme tout son senti ou aperçu » ... Fénelon et Mme Guyon n'en sont pas moins les deux êtres qui, pour la pre­mière lois, ont donné à la doctrine de saint Jean de la Croix un prolongement de caractère métaphysique. Par eux, par Mme Guyon surtout, une notion de la foi pure et de l’anéantissement intérieur s'est propagée au delà de l'Eglise catholique et dans les groupes spirituels qui, s’ils n'ont sans doute pas connu profondément Jean de la Croix, l'ont du moins inséré dans une tradition de catholiques persécutés où il serait inexact de l'enfermer, mais d’où il serait non moins faux de l'exclure.

Ici Baruzi introduit une longue note et suggère un programme de recherche en continuité avec le nôtre :

Une étude historique concernant Poiret, Dutoit, le comte de Fleischbein, Charles-Hector de Saint-George de Marsay (cf. l'autobiographie inédite de ce dernier, conservée en Suisse aux Archives du château de Changins) et les ermi­tages tels que ceux qui furent créés par Poiret à Rheinsburg en 1688 ou, par Fleischbein, à Hayn, devrait s'appliquer à démêler ce qui, par delà l'influence de Mme Guyon, rejoint saint Jean de la Croix lui-même ... Jurieu lui-même ... établit une distinction entre la mystique qui est un allé­gorisme et celle qui conduit à l'union avec Dieu. « d'essence à essence, sans images et sans milieu ». « Quand on en est, là » (à l'état de contemplation), écrit-il, « selon le Bienheureux Jean de la Cour » (sic), « la méditation devient un moyen bas et un moyen de boue. » (Id., p. 27). Dans un opuscule inédit de Marsay ... il est fait allusion à la nécessité de la purification de la nuit obscure. / Une enquête de ce type aurait une portée générale. Elle conduirait celui qui l’entreprendrait à reconstituer un milieu spirituel encore ignoré…

Enfin il poursuit :

Il y a plus. Fénelon et Mme Guyon ont nettement compris que saint Jean de la Croix est étranger à toute expérience qui ne renierait pas les révélations et les visions. Et, en effet, si unies qu'elles soient finalement, si parentes qu'elles soient aussi dans leur plus profond développe­ment, l’expérience de sainte Thérèse et celle de saint Jean de la Croix divergent. Que sainte Thérèse ait dépassé les paroles et les visions, elle n'en a pas moins combiné l’expérience ineffable  et un langage divin qui s'articule. Peu importe ici que Mme Guyon ait eu une expérience chargée de troubles pathologiques. Dans la mesure où elle a compris saint Jean de la Croix, elle adhère à une ligne idéale qui est la seule qui compte pour elle. Henri Delacroix a raison de dire, à propos du mysticisme de Mme Guyon, que c'est à l'Eglise « de juger ce qui s'accorde ou non avec l'idée qu'elle se fait de la sainteté et de l'expérience chrétienne [Etudes, p. 240] ». Mais il a raison aussi de marquer que seul celui qui n'aurait pas lu attentivement « les mystiques approuvés, ou tout au moins, certains d'entre eux », pourrait « ignorer ce par quoi Mme Guvon leur est, semblable ». Ce sont les étrangetés du langage de Mme Guyon et le drame de sa vie qui ont fait méconnaître le substrat de sa doctrine. De même et, inversement c'est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est arrivée mutilée et déformée que l'intuition fondamentale n'y est pas aisément discer­nable. Cette intuition, qu'on le veuille on non, est ressaisie de façon aigüe à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et Mme Guyon, qu'elle qu'ait pu être la doctrine qui s’y ajoute et dont Jean de la Croix n'est nullement responsable. Cette doctrine est par elle-même de si grande portée, et si inattendu est le langage qui la recouvre, que nous n'avons pas le droit de percevoir, à travers le guyonisme on le fénelonisme, la pensée de Jean de la Croix. Mais il était indispensable de noter, à propos d'un exemple significatif, que la mystique de Jean de la Croix, plus intimement que toute autre expérience catholique, rejoint la vie spirituelle de ceux, à quelque confession qu'ils appartiennent et qu'ils soient ou non attachés à un dogmatisme déterminé, qui ont chassé de leur pensée toute représentation et même toute notion de Dieu et se sont perdus en une Foi qui, en un autre sens que la raison mais aussi puissamment qu'elle, élimine les pensées médiocres, l'anthropomorphisme grossier, les puérilités, le con­tenu empirique arbitraire. Par là même, la doctrine de saint Jean de la Croix est liée, non seulement à l'histoire de la spiritualité et de la mystique, mais à l'histoire des idées religieuses et, plus généralement encore, à l'histoire de la pensée. L'état théopa­thique où nous serons conduits ne nous fera pas découvrir un Dieu à peine dégagé de l'expérience humaine. Quelles que puissent être par ailleurs leurs affirmations, ceux des mystiques qui, comme sainte Thérèse, ont eu un entretien avec un Seigneur, maître de leur activité, ordonnateur de leur pensée, se situent sur un autre plan et, en dépit d'eux-mêmes, sur un plan humain. Jean de la Croix voudrait instaurer en nous une vie divine, au sens strict du mot. Il est de ceux qui ont cru éprouver une expé­rience de l'infini et, selon la remarque de Fritz de Hügel [t. II, p. 343], peut être compté comme l'un des plus grands parmi ceux-là. C'est cette expérience qu'il faudrait surprendre à sa source et en nous fondant, pour remonter jusqu'à elle, sur les textes mêmes, réfléchis en leur pureté native.

Témoins (Proust, Mandelstam, Carlo Levi, Koestler).

Marcel Proust (1871-1922). [95] La recherche des instants mystiques :

Elles étaient fort mal pavées à ce moment là, mais dès le moment où j’y entrai, je n’en fus pas moins détaché de mes pensées par cette sensation d’une extrême douceur qu’on a quand tout d’un coup la voiture roule plus facilement, plus doucement, sans bruit, comme quand les grilles d’un parc s’étant ouvertes on glisse sur les allées couvertes d’un sable fin ou de feuilles mortes. Matériellement il n’en était rien; mais je sentis tout d’un coup la suppression des obstacles extérieurs parce qu’il n’y avait plus pour moi en effet l’effort d’adaptation ou d’attention que nous faisons même sans nous en rendre compte devant les choses nouvelles : les rues par lesquelles je passais en ce moment étaient celles, oubliées depuis si longtemps, que je prenais jadis avec Françoise pour aller aux Champs-Elysées. Le sol de lui-même savait où il devait aller; sa résistance était vaincue. Et comme un aviateur qui a jusque là péniblement roulé à terre, « décollant » brusquement, je m’élevais lentement vers les hauteurs silencieuses du souvenir. 696

Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé et que les dernières oeuvres de Vinteuil m’avaient paru synthétiser. Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité de mes dons littéraires, et même de la réalité de la littérature, se trouvaient levés comme par enchantement. Sans que j’eusse fait aucun raisonnement nouveau, trouvé aucun argument décisif, les difficultés, insolubles tout à l’heure, avaient perdu toute importance. Mais cette fois j’étais bien décidé à ne pas me résigner à ignorer pourquoi... 703

Ossip Mandelstam (1891-1938).[96].

Non je ne suis pas mort, je ne suis pas seul,

Tant qu’avec ma compagne-mendiante

Je savoure l’immensité des plaines,

Et la brume, et la faim, et la tempête.

 

Dans la splendide pauvreté, dans la somptueuse misère,

je vis seul, satisfait et serein,

Ces jours et ces nuits sont bénis

Et le travail mélodieux est innocent.

(Janvier 1937, Voronèje) 305

 

Sur la terre vide, rebondissant malgré soi

D’une exquise démarche claudicante,

Elle s’avance, à peine, à peine devançant

Sa rapide compagne, et l’ami d’un an plus âgé.

Elle est portée par la pesante liberté

De l’infirmité qui donne de l’âme,

Et l’on dirait qu’une splendide énigme,

Voudrait en sa démarche s’attarder,

Nous enseignant que ce temps printanier

Est l’aïeule de la pierre tombale,

Et que tout va commencer éternellement.

...

Ce qui fut démarche va devenir inaccessible.

Les fleurs sont immortelles. Le ciel est compact.

Et ce qui sera n’est qu’une promesse.

(Mai 37, Voroneje) 333

Carlo Levi (1902-1975).[97].

... C'était une péritonite avec perforation ; le malade était désormais à l'agonie ... Il ne me restai plus qu'à calmer ses douleurs avec quelques piqûres de morphine et à attendre. ... De la porte me parvenait la plainte continue du mourant : "jésus, aide-moi; docteur, aide-moi ... comme une litanie d'angoisse ... la mort était dans la maison; j'aimais ces paysans, je sentais la douleur et l'humiliation de mon impuissance. Alors pourquoi une si grande paix descendait-elle en moi? Il me semblait être détaché de toute chose, de tout lieu, éloigné de toute détermination, perdu hors du temps, en un ailleurs infini. Je me sentais caché, ignoré des hommes, comme une pousse sous l'écorce de l'arbre. Je tendais l'oreille à la nuit et il me semblait être entré, d'un coup, dans le coeur même du monde. Un bonheur immense, jamais éprouvé, était en moi, me remplissait tout entier, avec le sentiment fluide d'une plénitude infinie. Vers l'aube, le malade approcha de la fin. ... J'étais libre dans ces étendues silencieuses: je sentais encore en moi le bonheur de la nuit. Je devais pourtant rentrer au village, mais en attendant j'errais dans ces champs, faisant tourner allègrement mon bâton et sifflant mon chien... »

Arthur Koestler (1905-1983).

Dans Bricks to Babel [98], Arthur Koestler nous livre les dures conditions qui précèdent une remarquable description d’une « irruption mystique » suivie d’un non moins remarquable commentaire. Nous n’hésitons pas à laisser à ce récit en trois parties une large place.

Ce qui précède la description souligne combien le vécu mystique n’est pas limité par l’innocence religieuse du sujet et ne demande aucune préparation volontaire - mais suppose un état de grande honnêteté intellectuelle et par dessus tout un besoin extrême et urgent :

... j'avais pénétré par ruse dans le camp ennemi et j'avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour nuire à sa cause. Mon état était donc la conséquence logique d'un risque consciemment accepté ; la situation était nette, propre, équitable. ... On ne peut même pas dire, songeais-je en arpentant la cellule 40, que le châtiment soit hors de proportion avec le crime. Une guerre civile, comme une révolution, a des normes plus dures que le droit international. La ruse à laquelle j'avais eu recours à Lisbonne était particulièrement infâme. Dans L'Espagne ensanglantée, j'avais accusé l'adversaire de certaines atrocités tout en doutant de l'authenticité de la documentation employée; il était normal que je fusse mis à même de contrôler mes dires par une expérience personnelle. ...[125]

Mon journal de prison contient cette prière faite avec un demi-sérieux : « Accorde-moi, ô Seigneur, le droit de rouspéter, le droit de maudire mon travail, de ne pas répondre aux lettres, et d'être un poison pour mes amis. Vais-je jurer de devenir meilleur si ce calice s'écarte de moi? Nous savons bien tous les deux, Seigneur, que ces promesses arrachées par la contrainte ne sont jamais tenues. Ne me fais pas chanter, Seigneur Dieu, et n'essaye pas de faire de moi un saint. Amen. »

Les réflexions que j'ai notées jusqu'ici étaient toutes sur le plan rationnel. Mais, à mesure que nous procéderons vers l'intérieur, nous en rencontrerons d'autres, de plus en plus gênantes et difficiles à réduire en mots. En outre, ils se contrediront l'un l'autre, car nous traversons ici des couches liées par le ciment de la contradiction.

Le jour où je fus arrêté, je crus trois fois mon exécution imminente : la première, dans la sala de la villa Santa Lucia, trois revolvers dirigés vers mes côtes ; pour la seconde, lorsque la voiture s'arrêta sur le terrain d'exécution improvisé du camino nuevo; la troisième, quelques heures plus tard, lorsque, m'ayant annoncé que je serais fusillé dans la nuit, on me fit sortir du poste de police au crépuscule et monter dans un camion, avec cinq hommes derrière moi, le fusil sur les genoux, de sorte que je crus que nous roulions vers le cimetière alors que c'était seulement vers la prison.

Les trois fois, je bénéficiai du phénomène bien connu de la double conscience, un détachement qui tient du rêve et de l'étourdissement et sépare le moi conscient du moi agissant - le premier devenant un observateur détaché, le second un automate, tandis que l'air vous vibre aux oreilles comme au creux d'un coquillage. Cela n'est pas du tout désagréable ; ce qui le devient, c'est la réunion des deux parties séparées ramenant avec elle tout son poids de réalité.

Ces événements du même jour et des trois suivants avec leurs exécutions en masse, avaient apparemment provoqué un ébranlement et un déplace­ment des couches psychiques profondes, une diminution des résistances et [126] une nouvelle disposition de structure qui les laissa provisoirement ouvertes au nouveau type d'expériences dont je veux parler.

Ici commence la description du vécu précédant immédiatement l’état mystique, émerveillement indescriptible d’une libération. Soulignons « la légère gêne tapie » qui termine provisoirement la grande paix, surtout l’état « encore plus réel » et  l’effet « tonique » qui s’ensuit :

Je le rencontrai pour la première fois, un jour ou deux après mon transfert à Séville. J'étais devant la fenêtre de la cellule 40 et, avec une tige de fer arrachée au ressort du matelas, je gravais des formules mathématiques sur le mur. Les mathématiques, la géométrie descriptive en particulier, avaient été le passe-temps favori de ma jeunesse, négligé par la suite pendant des années. J'essayai de me rappeler comment l'on établit la formule de l'hyperbole, et n'y parvins pas ; puis je recherchai celles de l'ellipse et de la parabole et, à ma grande joie, les trouvai. Enfin, je m'appliquai à la démonstration d'Euclide prouvant que la suite des nombres premiers est illimitée.

Les nombres premiers sont les nombres non divisibles, tels que 3, 13, 17, etc. On pourrait croire que, en s'élevant dans les séries numériques, les nombres premiers deviennent plus rares, chassés par les produits de plus en plus nombreux des petits nombres, et que l'on finirait par arriver à un nombre qui serait le nombre premier le plus élevé, la dernière vierge numérique. La démonstration d'Euclide prouve de façon simple et élégante qu'il n'en est rien, et que, à quelque région astronomique que l'on accède, on trouve toujours des nombres qui ne sont pas le produit de nombres plus petits, mais sont engendrés, pour ainsi dire, par immaculée conception [99]. Depuis que j'avais fait connaissance à l'école avec la démonstration d'Euclide, celle-ci m'avait toujours rempli d'une satisfaction profonde, plus esthétique qu'intellectuelle. En retrouvant à présent la méthode et en gravant les symboles sur le mur, j'éprouvai le même enchantement.

Et voici que je compris soudain pour la première fois la raison de cet enchantement : les symboles griffonnés sur le mur représentaient un des rares cas où la description d'une qualité significative de l'infini est atteinte par des moyens précis et finis. L'infini est une masse mystique environnée de brume : pourtant, il était possible d'en acquérir une certaine connais­sance sans s'embourber dans des ambiguïtés louches. La signification de ceci m'envahit comme une onde. L'onde avait son origine dans une découverte verbale articulée, mais celle-ci s'évapora aussitôt, ne laissant dans son sillage qu'une essence ineffable, un parfum d'éternité, un frémissement de la flèche dans l'azur. Je dus rester ainsi quelques instants immobile, en transe, habité par une réalisation sans parole : « C'est parfait - parfait » ; jusqu'au moment où je m'avisai d'une légère gêne mentale tapie au fond de mon esprit, quelque détail trivial gâtant la perfection de l'instant. Puis, je me [127] rappelai la nature de cette gêne irritante : j'étais en prison et pouvais être fusillé. Mais à cela répondit aussitôt un sentiment dont la traduction en mots serait : « Et alors? Ce n'est que ça? Tu n'as pas de préoccupation plus grave? » - réponse aussi spontanée, vive, amusée, que si la gêne intruse avait été la perte d'un bouton de col. Puis, je me remis à flotter dans un fleuve de paix sous des ponts de silence. Il ne venait de nulle part et n'allait nulle part. Puis il n'y eut plus ni fleuve ni moi. Le moi avait cessé d'exister.

Il est très embarrassant d'écrire une telle phrase quand on a lu The Meaning of Meaning et grignoté du positivisme logique, quand on aspire à la précision verbale et déteste le vague et le nébuleux. Mais l'expérience « mystique », comme nous l'appelons de façon équivoque, n'est ni nébu­leuse, ni vague, ni molle - elle ne le devient que lorsque nous l'avilissons par l'expression verbale. Cependant, pour communiquer ce qui est incom­municable par nature, il faut bien le traduire en mots, et l'on se trouve dans un cercle vicieux. Quand je dis : « le moi avait cessé d'exister », je rapporte une expérience concrète aussi incommunicable verbalement que le senti­ment provoqué par un concerto de piano, mais tout aussi réel - encore plus réel. En fait, sa marque essentielle est la sensation que cet état est plus réel que tous ceux qu'on a éprouvés jusqu'alors, que, pour la première fois, le voile est tombé, et qu'on est en contact avec « la réalité réelle », l'ordre caché des choses, le tissu du monde révélé par les rayons X et obscurci, à l'état normal, par des couches opaques.

Ce qui distingue ce genre d'expérience du ravissement émotif causé par la musique, les paysages ou l'amour, est que le premier a un contenu nettement intellectuel ou plutôt nouménal. Il a un sens, bien que celui-ci ne s'exprime pas en termes de discours. Les transcriptions verbales les plus proches sont l'unité et l'interdépendance de tout ce qui existe, une interdépendance comme celle des champs de gravitation ou des vases communicants. Le « moi » cesse d'exister parce qu'il est, par une espèce d'osmose mentale, entré en communication avec le tout universel, et a été dissous en lui. C'est cet état de dissolution et d'expansion illimitée que l'on éprouve sous forme de « sentiment océanique », comme la disparition de toute tension, la sérénité absolue, la paix qui transcende toute intelligence.

Le retour au bas ordre de la réalité se fit pour moi peu à peu comme le réveil de l'anesthésie. je retrouvai l'équation de la parabole gravée sur le mur sale, le lit de fer et la table de fer, la bande bleue de ciel andalou. Mais il ne me restait aucun arrière-goût pénible comme dans les autres modes d'intoxication. Au contraire, un effet tonique de sérénité, destructeur de la peur, se prolongea pendant des heures et des jours. On eût dit qu'une dose massive de vitamines m'avait été injectée dans les veines. Ou, pour changer de métaphore, je repris mon voyage autour de ma cellule comme une vieille voiture dont on vient de recharger les batteries.

Je ne sus jamais si l'expérience même avait duré quelques minutes ou une heure. Elle se reproduisit, au début, deux ou trois fois par semaine, puis les [128] intervalles devinrent plus longs. Elle ne pouvait jamais être provoquée volontairement. Après ma libération, elle devint plus rare encore, ne revenant qu'une ou deux fois par an. Mais, à cette époque, les fondations d'un changement de personnalité étaient accomplies.

Je désignerai désormais ces expériences par « les heures à la fenêtre ».

Koestler sépare ici par un espace blanc son témoignage de son  commentaire :

La conversion religieuse du lit de mort ou de la cellule du condamné est une tentation presque irrésistible. Cette tentation a deux côtés :

L'un joue sur la peur nue, sur l'espoir d'un salut individuel par une capitulation sans condition des facultés critiques à quelque forme archaïque de démonologie. L'autre est plus subtil. Face à l'Absolu, au suprême nada, l'esprit peut s'ouvrir à l'expérience mystique. Celle-ci peut être considérée comme « réelle », à la manière d'un élément subjectif indiquant une réalité objective qui échappe ipso facto à la compréhension. Mais, l'expérience étant sans expression verbale, sans forme sensorielle, couleur ni mots, se prête à toutes sortes de transcription, soit visions de la croix, soit déesse Kali ; celles-ci ressemblent aux rêves d'un aveugle-né et peuvent prendre l'inten­sité d'une révélation. Ainsi, une expérience mystique authentique peut amener une conversion de bonne foi à n'importe quelle religion : christia­nisme, bouddhisme ou adoration du feu.

Je livrai donc une guerre sur deux fronts : contre la façon de penser concise, rationnelle, matérialiste qui, en trente-deux ans d'entraînement à la netteté mentale, était devenue une habitude et une nécessité comme l'hygiène corporelle - et contre la tentation de céder et de rentrer dans le ventre chaud et protecteur de la foi. Avec ces nocturnes cris étouffés de madre et socorro dans l'oreille, la seconde solution paraissait aussi attirante et naturelle que de se mettre à couvert d'un tir dont on est la cible.

Les « heures à la fenêtre » qui avaient commencé par la réflexion rationnelle que les propositions finies sur l'infini étaient possibles - et qui, en fait, représentaient une série de ces propositions sur un plan non rationnel - m'avaient convaincu qu'il existe un ordre plus haut de réalité qui seul donnait un sens à la vie. J'en vins plus tard à l'appeler « la réalité du troisième ordre ». Le monde étroit de la perception sensorielle constituait le premier ordre ; ce monde sensoriel était enveloppé par le monde conceptuel qui contenait des phénomènes non directement perceptibles, tels que la gravitation, les champs électromagnétiques et l'espace courbe. Ce second ordre de réalité comblait les lacunes et donnait un sens au décousu absurde du monde sensible.

De même, le troisième ordre de la réalité enveloppait, pénétrait le second et lui donnait un sens. Il contenait des phénomènes « occultes » qui ne pouvaient être appréhendés ou expliqués ni au niveau sensoriel ni au niveau conceptuel, et pourtant les envahissaient parfois comme des météores spirituels perçant la voûte primitive des cieux. Tout comme le monde       [129] conceptuel révélait les illusions et les déformations des sens, le « troisième ordre » révélait que le temps, l'espace et la causalité, que l'isolement, 1a séparation et les limitations spatio-temporelles du moi n'étaient que des illusions d'optique d'un niveau plus élevé. Si l'on s'en remettait aux illusions du premier type, le soleil se noyait chaque soir dans la mer, et un moucheron dans l'oeil était plus grand que la lune; si c'était l'ordre conceptuel que l'on prenait pour l'ultime réalité, le monde devenait un conte tout aussi absurde, conté par un idiot ou par des électrons idiots qui faisaient que des enfants étaient écrasés par des autos et que des petits paysans andalous recevaient des balles de fusil dans le coeur, la bouche, les yeux, sans rime ni raison. De même que l'on ne sent pas dans sa peau l'attirance de l'aimant, de même on ne pouvait espérer enfermer dans des termes connus la nature de la suprême réalité. C'était un texte écrit avec de l'encre invisible; et, bien qu'on ne pût pas le lire, le fait qu'on savait qu'il existait suffisait à altérer la texture de notre existence et à faire se conformer nos actions au texte.

Je me plus à la métaphore suivante : le capitaine d'un bateau s'embarque, ayant en poche des instructions dans une enveloppe scellée qu'il n'aura le droit d'ouvrir qu'en pleine mer. Il attend avec impatience cet instant qui mettra fin à toute incertitude, mais, le moment venu, et l'enveloppe ouverte, il ne trouve qu'un texte invisible qui défie tous les efforts de la chimie. Par-ci par-là, un mot devient visible, ou le chiffre d'un méridien, puis s'efface de nouveau. Il ne connaîtra jamais d'instructions précises; et ne saura pas s'il les a accomplies ou bien s'il a failli à sa mission. Mais la présence des instructions dans sa poche, même indéchiffrables, fait qu'il pense et agit différemment du capitaine d'un bateau de plaisance ou d'un navire de pirate.

J'aimais aussi à penser que les fondateurs de religion, prophètes, saints et mages avaient été par moments capables de lire un fragment du texte invisible; après quoi, ils l'avaient tellement gonflé, dramatisé, orné, qu'ils n'auraient pu dire eux-mêmes quelles en étaient les parties authentiques.

Un testament espagnol ne contient que quelques allusions à tout cela; en partie, comme je l'ai dit, parce qu'à l'époque où je l'écrivais la guerre d'Espagne n'était pas terminée, et je ne voulais pas m'abandonner à l'introspection, et en partie parce que j'étais encore trop bouleversé pour rendre clairement compte, fût-ce à moi-même, de ce qui s'était passé dans la cellule 40.

Quand je fus autorisé pour la première fois, au bout de soixante-quatre jours de cellule, à sortir pour la promenade et eus mes premiers contacts avec d'autres prisonniers, ils étaient trois dans le patio ...

 « Avocats » (Bergson, A.Huxley, Wald).

Henri Bergson (1859-1941).[100]

µ...la vie est chose au moins aussi désirable, plus désirable même pour l’homme que pour les autres espèces, puisque celles-ci la subissent comme un effet produit au passage par l’énergie créatrice, tandis qu’elle est chez l’homme le succès même , si incomplet et si précaire soit-il, de cet effort. Pourquoi, dès lors, l’homme ne retrouverait-il pas la confiance qui lui manque, ou que la réflexion a pu ébranler, en remontant, pour reprendre de l’élan, dans la direction d’où l’élan était venu? Ce n’est pas par l’intelligence, ou en tout cas avec l’intelligence seule, qu’il pourrait le faire: celle-ci irait plutôt en sens inverse; elle a une destination spéciale et, lorsqu’elle s’élève dans ses spéculations, elle nous fait tout au plus concevoir des possibilités, elle ne touche pas une réalité. Mais nous savons qu’autour de l’intelligence est restée une frange d’intuition, vague et évanouissante. Ne pourrait-on pas la fixer, l’intensifier, et surtout la compléter en action, car elle n’est devenue pure vision que par un affaiblissement de son principe et, si l’on peut s’exprimer ainsi, par une abstraction pratiquée sur elle-même?

Une âme capable et digne de cet effort ne se demanderait même pas si le principe avec lequel elle se tient maintenant en contact est la cause transcendante de toute chose ou si ce n’en est que la délégation terrestre. Il lui suffirait de sentir qu’elle se laisse pénétrer, sans que sa personnalité s’y absorbe, par un être qui peut immensément plus qu’elle, comme le fer par le feu qui le rougit. Son attachement à la vie serait désormais son inséparabilité de ce principe, joie dans la joie, amour de ce qui n’est qu’amour. A la société elle se donnerait par surcroît, mais à une société qui serait alors l’humanité entière, aimée dans l’amour de ce qui en est le principe. La confiance que la religion statique apportait à l’homme s’en trouverait transfigurée: plus de souci pour l’avenir, plue de retour inquiet sur soi-même; l’objet n’en vaudrait matériellement plus la peine... 1155

A nos yeux, l’aboutissement du mysticisme est une prise de contact, et par conséquent une coincidence partielle, avec l’effort créateur que manifeste la vie. Cet effort est de Dieu, si ce n’est pas Dieu lui-même. Le grand mystique serait une individualité qui franchirait les limites assignées à l’espèce par sa matérialité, qui continuerait et prolongerait ainsi l’action divine. 1162

Qu’on adhère ou non à la religion, on arrivera toujours à se l’assimiler intellectuellement, quitte à se représenter comme mystérieux ses mystères. Au contraire le mysticisme ne dit rien, absolument rien, à celui qui n’en n’a pas éprouvé quelque chose.... posez cette incandescence, la matière en ébullition se coulera sans peine dans le moule d’une doctrine... Nous nous représentons donc la religion comme la cristallisation, opérée par un refroidissement savant, de ce que le mysticisme vint déposer, brûlant... la religion est au mysticisme ce que la vulgarisation est à la science.

Ce que le mystique trouve devant lui est donc une humanité qui a été préparée à l’entendre par d’autres mystiques, invisibles et présents dans la religion qui s’enseigne. De cette religion son mysticisme même est d’ailleurs imprégné, puisqu’il a commençé par elle. Sa théologie sera généralement conforme à celle des théologiens. Son intelligence et son imagination utiliseront, pour exprimer en mots ce qu’il éprouve et en images matérielles ce qu’il voit spirituellement, l’enseignement des théologiens. Et cela lui sera facile, puisque la théologie a précisément capté un courant qui a sa source dans la mysticité. 1177-1178

Pourquoi Aristote a-t-il posécomme premier principe un Moteur immobile, pensée qui se pense elle-même, ...qui n’agit que par l’attrait de sa perfection; pourquoi... l’a-t-il appelé Dieu? ... Pour qui ne voit dans les idées que des produits de l’intelligence sociale et individuelle, il n’y a rien d’étonnant à ce que des idées en nombre déterminé, immuables, correspondent aux choses indéfiniment variées et changeantes de notre expérience: nous nous arrangeons en effet pour trouver des ressemblances entre les choses malgré leur diversité, et pour prendre sur elles des vues stables malgré leur instabilité; nous obtenons ainsi des idées sur lesquelles nous avons prise tandis que les choses nous glissent entre les mains. Tout cela est de fabrication humaine. Mais celui qui vient philosopher quand la société a déjà poussé fort loins son travail, et qui en trouve les résultats emmagasinés dans le langage, peut être frappé d’admiration pour ce système d’idées sur lesquelles les choses semblent se régler. Ne seraient-elles pas, dans leur immutabilité, des modèles que les choses changeantes et mouvantes se bornent à imiter? 1180-1181

mysticisme... l’amour divin n’est pas quelque chose de Dieu: c’est Dieu lui-même. Le philosophe pensera par exemple à l’enthousiasme qui peut embraser une âme... la personne coincide alors avec cette émotion; jamais pourtant elle ne fut à tel point elle-même: elle est simplifiée, unifiée, intensifiée. 1189

Une énergie créatrice qui serait amour, et qui voudrait tirer d’elle-même des êtres dignes d’être aimés, pourrait semer ainsi des mondes dont la matérialité, en tant qu’opposée à la spiritualité divine, exprimerait simplement la distinction entre ce qui est créé et ce qui crée... Dans chacun de ces mondes, élan vital et matière brute seraient les deux aspects complémentaires de la création, la vie tenant de la matière qu’elle traverse sa subdivision en êtres distincts, et les puissances qu’elle porte en elle restant confondues ensemble dans la mesure où le permet la spatialité de la matière qui les manifeste. ... Des êtres ont été appelés à l’existence qui étaient destinés à aimer et à être aimés, l’énergie créatrice devant se définir par l’amour. Distincts de Dieu, qui est cette énergie même, ils ne pouvaient surgir que dans un univers, et c’est pourquoi l’univers a surgi... Sur la terre, ...l’espèce qui est la raison d’être de toutes les autres n’est que partiellement elle-même. Elle ne penserait même pas à le devenir tout à fait si certains de ses représentants n’avaient réussi, par un effort individuel qui s’est surajouté au travail général de la vie, à briser la résistance qu’opposait l’instrument... à retrouver Dieu. Ces hommes sont les mystiques. 1193-1194.

Erwin Schrödinger (1887-1961).[101].

... La grande avancée fut [218] d'avoir l'idée que cette chose unique - esprit ou monde - peut fort bien être capable d'autres formes d'apparence que nous ne pou­vons pas appréhender, et qui n'impliquent pas les notions d'espace et de temps. Cela implique une libération complète de notre pré­jugé invétéré. Il y a probablement d'autres ordres d'apparence qu'en forme d'espace-temps. Ce fut, je crois, Schopenhauer qui détecta cela le premier chez Kant[102]. Cette libération ouvre la voie à la foi, dans un sens religieux, sans aller systématiquement contre les résultats clairs que l'expérience du monde, tel que nous le connaissons, ainsi que la pensée pure énoncent indubitablement. Par exemple - pour parler du cas le plus important - l'expérience telle que nous la connaissons impose indubitablement la convic­tion qu'elle ne peut survivre à la destruction du corps, avec la vie duquel (telle que nous connaissons la vie), elle est inséparablement liée. Ne doit-il donc rien y avoir après cette vie ? Non. Pas dans le type d'expérience dont nous savons qu'elle doit nécessairement se dérouler dans l'espace et dans le temps. Mais, dans un ordre d'ap­parence dans lequel le temps ne joue aucun rôle, la notion d' « après » est dénuée de sens. La pure réflexion ne peut, bien sûr, nous garantir que cette sorte de chose existe. Mais elle peut lever les obstacles apparents qui s'opposent à ce qu'elle soit considérée comme possible. C'est cela que Kant a fait par son analyse, et c'est cela qui, selon moi, fait son importance philosophique.

Dans le seul domaine de la physique, la « libération de notre préjugé invétéré » s’accentue aujourd’hui par l’adjonction de dimensions permettant la diversité des résonances de « cordes » identiques. Elles rendraient ainsi compte de l’ensemble des manifestations physiques connues actuellement – il s’agit d’un vaste chantier unificateur qui mènera peut-être à une théorie [103].

Aldous Huxley (1894-1963­).[104].

...le roitelet...dresse la tête, et l’espace d’une ou deux secondes, prend conscience de lui-même, attendant, parmi l’obscurité du labyrinthe des branches, attendant une délivrance dont il ne peut avoir la moindre notion. Mais nous, qui pouvons atteindre, si nous le voulons, à la pleine connaissance de cette délivrance, nous avons totalement oublié qu’il y a quoi que ce soit à attendre. ...

A la surprise des Humanistes et des Anglicans libéraux, l’abolition de Dieu a laissé un vide perceptible. Mais la Nature a horreur du vide. La Nation, la Classe, le Parti, la Culture et l’Art, se sont précipités pour occuper la niche vide. ...

Les potins, les rêves éveillés, la préoccupation de ses propres humeurs et de ses sentiments, tout cela est funeste à la vie spirituelle. Mais entre autres choses, même la meilleure pièce de théâtre, ou le meilleur récit, ne sont rien de plus que des potins glorifiés et des rêves éveillés, artistiquement disciplinés....

La troisième chose dont il faut se souvenir, c’est que la beauté est intrinsèquement édifiante; et que les potins, les rêves éveillés et la simple expression du moi, sont intrinsèquement inédifiants. Dans la plupart des oeuvres d’art, ces éléments positifs et négatifs se neutralisent mutuellement. ...

La recherche, au moyen d’intuitions sensorielles dirigées, afin d’explorer la réalité matérielle... Telles sont les sciences de la nature.

...La religion est aussi une recherche... au moyen de l’intuition intellectuelle pure, afin d’explorer la réalité purement spirituelle...

Pour motiver cette recherche et la guider (dans ses stades préliminaires) quelle sorte d’hypothèse explicative, et en quelle quantité, nous faut-il?

Aucune, disent les humanistes sentimentaux; simplement un brin de Wordsworth, disent les gars qui prônent le dôme bleu de la nature. Résultat: ils n’ont pas de motif qui les pousse...

A l’autre bout de l’échelle, il y a les papistes, les juifs, les mahométans, possédant tous des religions historiques, cent pour cent révélées. Ces gens possèdent une hypothèse explicative au sujet de la réalité non-sensorielle, ce qui signifie qu’ils ont un motif pour faire quelque chose afin de parvenir à quelque connaissance de la question. Mais, parce que leurs hypothèses explicatives sont trop soigneusement dogmatiques, la plupart d’entre eux ne découvrent que ce qu’on leur a appris à croire. Mais ce qu’ils croient, c’est un pot-pourri de choses bonnes, de moins bonnes et même de mauvaises. Les relations des intuitions infaillibles des grands saints en matière de réalité spirituelle la plus élevée sont entremêlées de relations des intuitions moins sûres et infiniment moins précieuses de « psychiques » en matière de niveaux inférieurs d’existence non-sensorielle; et à cela s’ajoutent de simples imaginations, des raisonnements déductifs et des sentimentalismes projetés dans une sorte d’objectivité secondaire, et adorés comme s’ils étaient des faits divins. Mais à toute époque, et en dépit de la gêne imposée par ces hypothèses explicatives excessives, quelques rares persistants passionnés poursuivent la recherche jusqu’au point où ils prennent conscience de la Lumière Intelligible et sont unis avec le Fondement divin.

Pour ceux d’entre nous qui ne font congénitalement partie d’aucune Eglise organisée, qui ont constaté que l’humanisme et le culte du dôme bleu ne suffisent pas, qui ne se contentent pas de rester dans les ténèbres de l’ignorance spirituelle, dans la malpropreté du vice, ou dans cette autre malpropreté de la simple respectabilité, il semble que l’hypothèse explicative minima soit sensiblement comme suit:

Il y a une Divinité ou Fondement, qui est le principe non manifesté de toute manifestation.

Le Fondement est transcendant et immanent.

Il est possible aux être humains d’aimer, de connaître, et de s’identifier, non plus virtuellement, mais effectivement, avec le Fondement.

Atteindre à cette connaissance unitive, réaliser cette identité suprême, tel est le but final et l’objet de l’existence humaine. 276-277

...les ordures avaient été de la qualité absolument supérieure - l’austérité personnelle, le service public, les connaissances générales, l’idéalisme politique. Mais la réalité spirituelle était non moins efficacement enfouie qu’elle ne l’eût été sous la passion du jeu, par exemple, ou l’obsession du plaisir sexuel. 288

L’une des choses qui m’ont le plus frappé, dit-il, c’est que Bruno était capable, je ne sais comment, de vous convaincre que tout l’ensemble avait un sens. Non pas en parlant, bien entendu; simplement en étant. 293

George Wald (1906-)

Quelque peu hors sujet… [105]

...the quote I like best is that of Wolfgang Pauli, who said: « To us... the only acceptable point of view appears to be the one that recognizes both sides of reality - the quantitative and the qualitative, the physical and the psychical - as compatible with each other, and can embrace them simultaneously. It would be most satisfactory if physis and psyche (i.e. matter and mind) could be seen as the complementary aspects of the same reality ». Just realize what Pauli is saying to us: one has as little reason to ask for the presence of matter without its complementary aspect of mind as to ask for particles that are not also simultaneously waves.

Although this matter of mind embarrasses biologists, it is much easier to talk with physicists about it because they tend to deal with mind, day in and day out. ...at the very center of modern physics is the realization that you cannot keep yourself out of the experiment, and in fact, all scientific observations are ultimately subjective.

There is a simple example of the entry of consciousness into physics experiments. Any physicist setting up an experiment on radiation, or elementary particles for that matter, must decide beforehand which set of properties - particle or wave - they intend to find. If a wave experiment is set up, they get a wave answer. If a particle experiment is set up, they get a particle answer. One cannot get both answers in one experiment. 11

<bon> Schrödinger... asks whether we are perhaps mistaken in thinking that there are as many minds as there are bodies. Clearly there are many bodies, but perhaps there are many fewer minds, perhaps only one. 73

(Would any of the panel care to comment on paranormal phenomena?) What most interests me is the very concept of a system of communication that we don’t have to pay the telephone company for - a universal mind or a collective mentality... What goes on in a good mathematician’s head is close to the answer... 78

(on the process of imagination?) The degree to which we program our children is fantastic. A child is a wonderful thing, and it lives in the whole universe. It does everything - it dances, it sings, it paints pictures, it makes objects. Then comes the point, in our culture at the age of eight or so, at which the family, the school, the whole of society say to a child that it is time to stop playing... the track prevents the child from going anywhere else. Einstein and Bohr, the greatest persons I have ever known, were also the most childlike in the sense of being eager to explore just everything. Something terribly traumatic has happened to all of us, as evidenced by our lack of memory of early childhood. ...Superconsciousness, the idea of using more than what is said  to be a small fraction of our brains... 7

La physique d’aujourd’hui.

µ voir ajouts.doc

 



[1] On trouvera des exceptions. Par ex. L. Gillet, Communion in the Messiah, Londres, 1941, Cambridge 2003.

[2] « Port-Royal et le peuple d’Israël », Chroniques de Port-Royal, 2004, dont l’introduction de P. Sellier qui emprunte son titre à Pascal, fr.694, « La rencontre de ce peuple m’étonne… », p. 13-28.

[3] Gershom Scholem, La kabbale, 1974 ; Gallimard, “Folio”, 1998. Intéressante préface sur l’historique de sa redécouverte par trois générations illustrées par Buber, Scholem, Idel et d’autres.

[4] Nombreuses traductions d’un ensemble aux limites textuelles difficiles à déterminer, demeurant hermétique en l’absence de commentaire. Traduction française de Pauly dépassée par celle d’Idel, cette dernière malheureusement peu commentée. The Zohar, Pritzker edition, tr. & comm. by D. C. Matt, Stanford, 2003 sv., remplacera bientôt l’éd. par Soncino press en 6 vol.

[5] Par ex. v. Chir Hachirim, Le Cantique des cantiques, compilation des comm. [de Rashi et d’autres] par Meir Zlotowitz…, New-York ; tr. fr. : Paris, éd. Colbo.

[6] Pic de la Mirandole, 900 Conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, ed. B. Schefer, Allia, 1999.

[7] Spinoza, Œuvres complètes, « La Pléiade », 1954.

[8] cité par Orcibal, « Les Jansénistes face à Spinoza », Etudes…, op. cit., p. 61. (réf. au Tractatus, Préface, ch. iv, v, xii, xiii).

[9] H. Laux, « Penser Dieu en un temps de crise et de renouvellement : de la figure de Spinoza à quelques enseignements »,  Dieu au XVIIe siècle, éd. fac. jésuites de Paris, 2003, 277-295, contribution à laquelle nous empruntons quelques citations.

[10] Dov Baer de Loubavitch [1773-1827], Tract on Ectasy, intr. et notes par L. Jacobs, 1963 ; tr. fr. : Lettre aux Hassidim sur l’extase, Fayard, 1975 [on regrette certaines simplifications des notes].

[11] Dov Baer… op. cit., « Introduction » par L. Jacobs, 10-11.

[12] Ibid., p.20.

[13] Ibid., p. 21.

[14] Ibid., p. 101.

[15] Ibid., p. 102. Importance du spontané.

[16] Ibid., p. 104-105.

[17] Ibid., p. 127-128. Intéressant aperçu sur la typologie spirituelle : Tel homme possède…

[18] Ibid., p. 133-134.

[19] M. Buber, Contes hassidiques ; Adin Steinsaltz, Le maître de prière, six contes de Rabbi Nahman de Braslav, Albin Michel, 1994, (hébreu : 1981).

[20] Jiri Langer, Les neuf portes du ciel, Albin Michel, 1997, (tchèque : 1937).

[21] « Les églises issues de la Réformation », p. 409, in Histoire du Christianisme IX L’âge de raison, 1620/30-1750, Desclée, 1997. Voir le chapitre entier, présentant un panorama en sept sections, p. 409-499 ; signalons ici le puissant ouvrage de G. Mursell, English spirituality, 2 vol., Louisville, London, Leiden, 2001, qui apporte en tout irénisme un contrepoint protestant britannique bienvenu (il complète le DS sur de nombreux points, grâce à ses remarquables notes et bibliographies placées en fin de sections).

[22] De l’incarnation de Jésus-Christ… 1620, cité par C.-A. Keller et D. Müller, La spiritualité protestante, Labor et Fides, 1998, p.41.

[23] Johannis Angeli Silesii Cherubinischer Wandersmann… 1675, ajoutant un sixième livre et atténuant partiellement les audaces de pensée de la première édition de 1657. (Scheffler est entre temps devenu catholique)  – On se reportera à la traduction par H. Plard, éd. bilingue, Aubier, 1946, qui demeure inégalée, ainsi qu’à : H. Plard, La Mystique d’Angelus Silesius, Aubier, 1943.

[24] M. Sandaeus, Theologia mystica clavis..., 1640 (repr. Louvain, 1963).

[25] Ce que nous confirmerait Orcibal : « …nullement à notre avis, l’expression spontanée d’expériences personnelles, mais bien une traduction artistique en style baroque des idées qui ont le plus frappé l’auteur dans ses lectures. » (J. Orcibal, Les sources du « Cherubinischer Wandersmann », Etudes…, op. cit., p. 43.) – Orcibal insiste par ailleurs sur la source première constituée par Ruusbroec, choix très sûr de Silesius, et par l’importance probablement faible de Böhme, et quasi-nulle de la littérature occulte provenant de Frankenberg (p. 35-36).

[26] Poètes baroques allemands, trad. par M. Petit, Maspero, 1977, p. 75.

[27] DS 12.1743/58.

[28] Introduction d’H. Plard au Pèlerin, op.cit., p.25 et 24.

[29] DS 14.1121/4.

[30] DS 16.1646/50.

[31] H.-J. Schrader, notice « Piétisme » dans La spiritualité protestante, dossiers de l’encyclopédie du Protestantisme n°2, Labor et Fides, 1998.

[32] DS 16.1374/92.

[33] La spiritualité protestante, op. cit., p. 30.

[34] C.-A. Keller et D. Müller, La spiritualité protestante, Labor et Fides, 1998, p. 51.

[35] DS 15.262.

[36] DS 15.260/71.

[37] Gerhard Tersteegen, Traités spirituels, introduits, traduits et commentés par Michel Cornuz, Labor et Fides, Genève, 2005, [v. p. 10, 30, 46, 55, 57, 110, 115 sv., 122, 124, 132], & M. Cornuz, Le protestantisme et la mystique. Entre répulsion et fascination, 2003 [p. 73-100 sur Tersteegen].

[38] DS 15.267.

[39] DS 8.1723/9. 

[40] G.D. Henderson, Mystics of the North-East, Aberdeen, 1934, belle étude consacrée aux spirituels écossais dont des disciples de Madame Guyon ; v. du même : Religious life in Seventeen-century Scotland, Cambridge, 1937.

[41] H. Scougal, The Life of God in the Soul of Man, Christian Heritage, Christian Focus publ., 1996 & Christian Classics Ethereal Library (internet) ; The works of Mr Henry Scougal, professor of divinity in the King's College Aberdeen, containing the Life of God in the Soul of Man ; On the nature and excellency of the Christian religion. with nine other discourses on important subjects. Also a brief account of the author's life and a sermon preached at his funeral by George Garden d d., in two volumes, Aberdeen,1759. [preface, Life of God 1-108, nine discourses -205 & vol II, 206-369, a sermon... -458 (fin)].

 

 

[42] Part I, from § 2 - 5. (Notre adaptation).

[43] Part II, from § 2, 5, 7, 10, 14.

[44] Part III, from § 1, 5, 24.

[45] S. Weil envoie le poème Love à Joë Bousquet le 12 mais 1942 (Simone Weil, Oeuvres, “Quarto”, Gallimard, 1999, p. 799-800) ; A. J. Festugière, compose à la fin de sa vie l’émouvant : Georges Herbert poète saint Anglican (1593-1633), Vrin, Paris, 1971.

[46] Amour m'a dit d'entrer, mon âme a reculé, / Pleine de poussière et péché. / Mais Amour aux yeux vifs, en me voyant faiblir / De plus en plus, le seuil passé, /Se rapprocha de moi et doucement s'enquit / Si quelque chose me manquait.

Un hôte, répondis je, digne d'être ici. / Or, dit Amour, ce sera toi. / Moi, le sans-cœur, le très ingrat ? Oh mon aimé, / Je ne puis pas te regarder. / Amour en souriant prit ma main et me dit: / Qui donc fit les yeux sinon moi?

Oui, mais j'ai souillé les miens, Seigneur. / Que ma honte / S’en aille où elle a mérité. / Ne sais-tu pas, dit Amour, qui a porté la faute? / Lors, mon aimé, je veux servir. / Assieds-toi, dit Amour, goûte ma nourriture. / Ainsi j'ai pris place et mangé. [Traduction de Jean Mambrino].

[47] Thomas Traherne, Poetry and prose, selected and introduced by Denise Inge, SPCK, London, 2002 ; v. aussi sur cette “étoile montante” de la poésie anglaise : G. Mursell, English spirituality, vol. I, p. 335-342.

[48] V. le Journal de George Fox, dicté car il ne sut jamais écrire correctement, trad. française, 1935.

[49] H. van Etten, Georges Fox et les Quakers, « Maîtres spirituels », Seuil, 1966, p. 63.

[50] Ibid., p.50.

[51] Ibid., p. 131.

[52] An Apology for the True Christian Divinity, 1678 (trad. par lui-même du latin de l’original de 1676), 2002, (www.qhtext.org) – trad. partielle française : R. Barclay, La lumière intérieure, source de vie, Apologie de la vraie théologie chrétienne…, Dervy, 1962(?).

[53] Journal of J. Woolman, 1774, 1909, 1999 sur Internet (Univ. of Virginia Library), p.223 et 320.

[54] The Economist, June 22nd, 2002, p.41.

[55] G. Amoss, 1999, The making of a Quaker Atheist, www.quaker.org

[56] J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Etudes…, op. cit., 527-559. Citation : p. 530.

[57] J. Orcibal, « Les spirituels français et espagnols chez John Wesley et ses contemporains », op.cit., p. 220.

[58] J. Orcibal, op. cit., p. 551-552 (et la suite, sur les affinités avec Madame Guyon et sa “voie de foi”, p.553-554.)

[59] La Philocalie, trad de J. Touraille, Desclée de B. / Lattès, 2 forts vol., 1995. - DS 12.1336/52.

[60] « Spiritualité orientale » 11, Bellefontaine. Seraphim de Sarov… (Vie, Entretien, Instructions), I. Gorainov ; nous utilisons la trad. Mouraview, section III, p. 10 ;  sur la figure de Seraphim, v. aussi E. Behr-Sigel, réf. de la citation suivante, et DS 14.632/6.

[61] E. Behr-Sigel, Prière et sainteté dans l’église russe, 1950, « Spiritualité orientale » 33, Bellefontaine, 1982, p. 128 ; v. le chapitre VIII sur les starets dont les pages 118-130 sur Seraphim.

[62] DS 11.356/67 (E. Behr-Sigel). Cit. : DS 11.366.

[63] P. Pascal, La vie de l’archiprêtre Avvakum écrite par lui-même…, Gallimard, 1960 et du même auteur le passionnant : Avvakum et les débuts du Raskol, la crise religieuse en Russie au XVIIe siècle, Paris, Champion, 1938, qui offre un contrepoint à l’histoire religieuse de l’époque en France.

[64] V. Lossky et N. Arseniev, La paternité spirituelle en Russie aux XVIIIe et XIXe siècles, « Spiritualité orientale, n° 21, Bellefontaine, 1977. Sur l’abandon p. 44 & 60 ; sur l’humilité, p. 66-67.

[65] DS 13.1187, art. « Russie », « Le problème de la connaissance chrétienne » - Oeuvres de S. Frank : La conscience de l’être, 1937 ; God with us, 1941 (trad. citée : Dieu est avec nous, Aubier, 1955).

[66] E. Behr-Sigel, Lev Gillet « Un moine de l’Église d’Orient », Cerf, 1993 ; p. 617 sv., bibliographie de ses nombreux écrits ; outre l’ouvrage Communion in the Messiah, 1941, v. Amour sans limites, 1971.

[67] DS 10.1226/9 ; P. Jean Brémond “Le courant mystique au XVIII°siècle. L’abandon dans les lettres du P. Milley”, Paris 1943.

[68] DS 14.940/1, art. “Siry” (par M.-P. Burns) ; J. Bremond, “Témoins de la Mystique au XVIII° s., les écrits de la Mère de Siry”, RAM, t. 24, 1948, 240-68, 338-75 – Le même n’édite aucune des lettres de cette dernière dans son édition de la moitié de la correspondance de Milley. On possède de cette dernière “une soixantaine” de lettres et divers textes dont des Maximes réparties selon les trois voies, v. Le courant mystique … Milley, liste & sources, p. 150 & 152.

[69] DS 6.1059/83 ; L’école de Jésus-Christ, 1885, L’Intérieur de Jésus et de Marie, éd. critique en 1909, etc. ; “Toute étude devra recourir nécessairement aux manuscrits, car la plupart des textes édités ont été remaniés” (Rayez).

[70] L’école…, p. 98-99 (v. aussi les pages suivantes).

[71] Ibid., p. 71-72. (avec l’ajout d’une note prudente de l’éditeur : « …Les unions spirituelles dont il parle ici se rencontrent quelquefois dans la vie des saints, mais l’illusion est bien facile et très dangereuse »).

[72] Ibid., p. 108-109.

[73] Ibid., p.215. [l’ouvrage comporte 544 pages ; p.222sv. non lues]

[74] Note 2, p. 148 dans : Pierre de Clorivière, Prière et Oraison, « Christus », Desclée de Brouwer, 1961 (Le Moyen court… couvre les pages 149 à 155). – Nous pensons que Madame Guyon, qui fut particulièrement appréciée par les religieuses lors de son séjour forcé dans ce couvent,  en fut l’inspiratrice sinon la rédactrice (selon nous, elle le dicta). Notons la présence suggestive de Madame Guyon en fin du courant spirituel cité dans cette note du P. Rayez.

[75] Maine de Biran, Journal, Etre et penser, 3 vol., Ed. de la Baconnière, 1954-1957 – Les citations sont extraites du Journal III.

[76] Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres publiées par le comte de Falloux, II Œuvres et méditations, Paris, 1916 : “Traité de la vieillesse”, p.63. – Citations : DS 5.976/7 : art. « France » &  DS 14.1359/61 : biographie.

[77] DS 9.764/80.

[78] DS 9.546/8 - Dom Vital Lehodey, Le Saint Abandon, Paris, 1919.

[79] Journal spirituel de Lucie Christine (1870-1908), publié hors commerce par Aug. Poulain, Beauchesne, Paris, 1910.

[80] DS 15.576/611 – Thérèse de l’Enfant-Jésus, Œuvres complètes, Cerf, 2001.

 

[81] DS 14.1198/1204.

[82] De la Personne, Corps, âme, esprit, Cerf/ Fribourg, 1992.

[83] L’être fini et l’être éternel, essai d’un atteinte du sens de l’être, Louvain/ Paris, 1972.

 

[84] La science de la croix, passion d’amour de saint Jean de la Croix, Louvain/ Paris, 1957.

[85] L’auteur de Un moine, L'ermitage, Ad Solem, 1969. Biographie par A. Ravier, Dom Augustin Guillerand, Un maître spirituel de notre temps, Desclée de Brouwer, 1965.

[86] v. la section consacrée aux deux Hadewijch – Nous citons des extraits d’allocutions à la communauté de la chartreuse de la Valsainte, Fribourg, parues dans : Un chartreux, Ecoles de silence, Parole et silence, 2001. – A paraître en 2009 : Correspondance et écrits, documents rassemblés par Nathalie Nabert, coll. Spiritualité cartusienne, Paris, Beauchesne.

[87] Son œuvre méconnue mériterait la réédition d’un choix de textes : L’âme image de Dieu dans la philosophie de St Augustin, chute et purification, (thèse, 109 pages) ; Introduction à Saint Augustin, Commentaire de la Première épitre de saint Jean, SC 75, Cerf, 1984, p. 7-102  ; L’anthropologie chrétienne selon saint Augustin, Centre Sèvres 1986, (cours, 122 pages) ; Introduction, p. 7-22, et notes à : Saint Augustin, La Trinité, livres viii-xv, Bibl. Augustinienne 1991, vol. 16 ; « Le désir de Dieu », choix de notes manuscrites en supplément à Vie Chrétienne no. 233) ; « La grâce du moment présent », Christus, mai 1997 ; Articles du DS  : “Ecriture sainte, 4° Saint Augustin”, 4.155/8 – “Fruitio Dei, la fruitio augustinienne”, 5.1547/52 – “Gratuité”, 6.787/800 – “Humanité du Christ, B. La contemplation de l’humanité du Christ, 3. Saint Augustin”, 7.1049/53 – “Liberté, libération, IV Expérience des mystiques”, 9.824/38 – “Mystique, III La vie mystique chrétienne” (en collaboration avec Michel Sales), 10.1939/84.

 

[88] S. Weil, Œuvres, « Quarto », Gallimard, 1999.

[89] E. Hillesum, Une vie bouleversée…  (journal, lettres de Westerbork), Seuil, 1995.

[90] H Bremond, Histoire Littéraire du Sentiment Religieux en France, huit volumes parus : I L’Humanisme dévôt, II  L’Invasion mystique, III-VI La Conquête mystique : * L’Ecole Française, ** L’Ecole de Port-Royal, *** L’Ecole du Père Lallemant, **** Marie de l’Incarnation. Turba Magna, VII-VIII La Métaphysique des saints : * et **.

[90] E. Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux, Ophrys, 1982, p. 293 (et v. p. 306).

 

 

[92] Site internet : « Amis de Corbin ».

[93] Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, 1931, Livre IV « la synthèse doctrinale », chap. II, p. 439 ; les citations suivantes proviennent du même chapitre, dont la note de la page 442.

[94] Explication des maximes des Saints sur la vie intérieure. Edition critique publiée d’après des documents inédits, par Albert Cherel, Paris. 1911. art. VII, Vray, p. 169-170. – Nous omettons les références données par Baruzi pour les citations des extraits qui suivent.

[95] Proust, A la recherche du temps perdu, « Le temps retrouvé », Bouquins, 694.

 

[96] O.Mandelstam, Tristia et autres poèmes, Gallimard.

 

[97] Carlo Levi, Le Christ s'est arrêté à Eboli, trad. J. Modigliani, Gallimard, Folio, 1997, pp. 254sv. 

[98] Athur Koestler, La quête de l’absolu, Calmann-Lévy, Paris, 1981.

[99] Voici cette démonstration, à l'intention des amateurs. Supposons que P est le plus grand nombre premier; puis supposons un nombre égal à l x 2 x 3 x 4 x … x P. Ce nombre est représenté par le symbole P ! Ajoutons-y 1 : (P ! +1). Ce nombre n'est évidemment pas divisible par P ni par aucun nombre plus petit que P, ceux-ci étant tous contenus dans P ! [note de l’auteur].

 

[100] Bergson, Oeuvres, PUF, 1959 ; Mélanges,  PUF, 1972.

 

[101] E. Schrodinger, L'esprit et la matière, éditeur Bitbol, Seuil, 1990, chap. 5. « Science et religion. »

 

[102] [Note de Bitbol, éditeur de L'esprit et la matière, op.cit.] : Chez Kant, la chose en soi ne comprend par elle-même aucune détermina­tion d'espace et de temps, puisque ces dernières sont « ... inhérentes à leur rap­port à la sensibilité », et constituent la forme du phénomène ... Si Schopenhauer crédite Kant de cette découverte, il lui reproche cependant d'avoir conservé un certain lien organique entre chose en soi et phénomène conditionné par les formes a priori spatio-temporelles, en les unissant par une forme directe de relation causale. Dans le système de Schopenhauer, au contraire, étant assimilée à la volonté, « ... la chose en soi devient quelque chose qui diffère du tout au tout (toto genere) de la représentation et de ses éléments », Le Monde comme volonté et comme représen­tation, op. cit., p. 546. Kant lui-même aurait montré le chemin de cette dernière conception « ... lorsqu'il a représenté la valeur morale indéniable de l'action humaine comme étant sui generis et indépendante des lois du phénomène. [...1 » (et donc en particulier des formes a priori spatio-temporelles), op. cit., p. 528.

[103] Brian Greene, L’Univers élégant, Laffont, 2000 (The elegant universe, 1999), rend compte de la démarche qui impose des dimensions cachées pour retrouver la cohérence d’un univers où tout est énergie vibrante. Cette ouverture du modèle ponctuel (particule) à une dimension (corde) se généraliserait-elle si nécessaire (de la corde au ruban…) ?

[104] A.Huxley, L’éternité retrouvée (Time must have a stop), Plon.

 

[105] G.Wald, « Cosmology of Life and Mind », Los Alamos Science Fellows colloquium 1988, Los Alamos Science, n°16.

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