Figures et témoignages proposés par Dominique Tronc
Carmélites espagnoles
MARIE DE L’INCARNATION 1599-1672
Femmes mystiques au XVIIe siècle
Catharina Regina von GREIFFENBERG ~1662
Figurent supra.
Isabelle des Anges (1565-1644) fut la seule des six fondatrices espagnoles qui demeurera jusqu’à sa mort en France. Pendant quarante ans — légèrement plus de la moitié de sa longue vie — elle exerça une influence de fondatrice « discrète, mais puissante » dans le sud de son nouveau Royaume : à Amiens, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Limoges où elle meurt en 1644. Au parloir de Bordeaux le jeune Surin la rencontre et découvre sa vocation — choisissant toutefois l’ordre actif jésuite qui convenait peu à une sensibilité fragile. La Mère Isabelle ne laissa pas d’écrits, mais des lettres. Voici « quelques paroles d’une belle douceur que notre vénérable Mère Isabelle des Anges a dites en diverses occasions à ses filles »1 :
‘Pour l’amour de Dieu, mes filles, que chacune de vous pense au lieu d’où Dieu l’a tirée, et en celui où il l’a mise, et aux choses pour lesquelles il nous y a appelées. Nos obligations sont très grandes, et puisque nous avons trouvé, comme l’on dit, la table mise, et que nous n’avons pas à chercher ce qu’il nous faut pour être parfaites, soyons fidèles à garder notre Règle et nos Constitutions, car ce n’est pas sans grande raison que nous trouverons tout là, avec tant de douceur et de suavité, que je ne sais comment on peut dire qu’il y a de l’austérité dans notre Religion. Tout y est si doux pour les âmes qui ont un peu d’amour de Dieu, qu’encore qu’il y ait beaucoup de pénitence et de mortification, je confesse néanmoins que tous les plaisirs du monde, et tous les contentements qu’il promet à ceux qui le suivent ne sont rien en comparaison. …
« Nous ne devons pas regarder ce qui paraît au-dehors pour aimer le prochain, car encore qu’il soit mal conditionné, il a une âme en laquelle Dieu habite, et peut-être même que celui qui nous semble le plus imparfait et négligeant est vertueux devant Dieu. Ainsi il est très dangereux de juger des actions d’autrui, et l’on s’y trompe très souvent, pensant que la vertu est vice, et que ce qui est imperfection est vertu. Pour éviter cette tromperie, il faut honorer Dieu en notre prochain, et nous jouirons de la paix des enfants de Dieu. Si je demandais à toutes mes filles si elles veulent faire la volonté de Dieu, chacune répondrait qu’elle aimerait mieux mourir que de manquer à l’accomplir, et je vous dis de sa part que c’est sa volonté que nous nous aimions les unes les autres, comme il nous a aimées. …
« Lorsque l’âme se sent si délaissée qu’il lui semble que toutes choses lui manquent, ne lui restant rien qu’une grande crainte d’offenser Dieu, et de le perdre pour jamais, cette expérience lui faisant connaître clairement qu’il n’y a que le bras de Dieu seul qui soit assez fort pour la soutenir, elle en est d’autant plus obligée de faire un total abandon d’elle-même…
« Je vous ai dit souvent, mes filles, qu’il n’est pas besoin de multiplier nos exercices, mais que l’importance est de perfectionner tous les jours nos exercices… »
/17e s H-L /Isabelle des Anges / lettres (non éditées mais transcription en photos reconnues sous
« E12 Isabelle des anges correspondance ocr à réviser.odt » dans nos « !L IVRES... » qui reste à corriger d’après nos photos
Cécile de la Nativité naquit à Valladolid en 15702. Son père, François Sobrino, était Portugais de nation ; sa mère, Cécile Marillas, possédait un savoir tout à fait exceptionnel chez une femme. Ils eurent cinq fils et deux filles. Deux des fils furent Carmes Déchaussés ; un troisième devint Évêque de Valladolid ; un autre mena dans le monde une vie très édifiante ; le cinquième mourut en odeur de sainteté dans l’Ordre de Saint-François. Les deux filles entrèrent chez les Carmélites déchaussées de Valladolid. La première y reçut le nom de Marie de Saint-Albert ; la seconde devint la célèbre Cécile de la Nativité.
Cécile avait des dispositions peu communes à la vertu, une intelligence singulièrement ouverte et avide d’apprendre. Elle fit de rapides progrès dans les différentes branches du savoir. Sans parler des travaux propres à son sexe, elle étudia — sans doute guidée par sa mère — non seulement la langue latine et l’Écriture sacrée, mais la rhétorique, la philosophie, la théologie, la poésie et la peinture. Tout d’abord cet esprit si bien doué se laissa quelque peu éblouir par les vanités du siècle, mais Dieu l’en détacha promptement, et enflamma son cœur du divin amour. Renonçant au monde, elle prit l’habit des Filles de sainte Thérèse cinq ans après la mort de la Réformatrice et lorsque saint Jean de la Croix vivait encore.
Sa profession, à son propre témoignage, eut lieu le 2 février 1589. Sans délai, elle embrassa la pratique des plus hautes
vertus et se donna tout entière à la vie d’oraison. Dieu répondit à sa générosité par un don de contemplation très sublime, ainsi que ses écrits en font foi. Ses Supérieurs l’employèrent à la
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fondation du monastère de Calahorra. Elle revint ensuite en celui de Valladolid, où elle ne cessa d’être pour ses sœurs un modèle de perfection. Elle y mourut l’année 1646, âgée de près de soixante-seize ans, laissant de nombreux écrits spirituels d’une valeur singulière.
Un beau texte mystique introduit par la traductrice mystique des Oeuvres de Jean de la Croix dans son quatrième et dernier tome3. Elle utilise une partie du texte espagnol de l’édition parue à Tolède en 19144.
Malgré la difficulté que j’éprouve à exécuter l’ordre que m’a donné l’obéissance, je vais pour m’en acquitter dire ici quelque chose au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Son très saint Esprit, qui est aussi celui de son Père, est assez puissant pour guider ma plume, et mon incapacité d’ailleurs lui est bien connue.
Les choses de Dieu, lorsqu’elles surpassent la raison et les sens, sont d’autant plus difficiles à exposer qu’elles sont plus hautes, plus divines, plus éloignées des choses communes et temporelles. Par là même aussi, elles sont très peu connues et très peu comprises des mortels, à qui la claire vue de Dieu est encore refusée. Mais plus on les goûte, plus elles se manifestent, bien que par des fissures seulement et dans une demi-obscurité, et plus on en est abondamment gratifié, plus elles se font clairement connaître. À la vérité, on ne les perçoit point par les sens extérieurs, et bien des personnes ne font cas que des choses sensibles, s’arrêtant peu à celles qui sont plus intérieures : je veux dire à celles qui concernent l’Essence de Dieu et l’essence des âmes créées par lui.
Je traiterai ici de l’union de ces deux essences. J’ai grand besoin de l’assistance divine pour réussir à en dire quelque chose de juste, car l’entreprise est bien malaisée pour une personne à la fois dépourvue de savoir et de perfection 1. Je me garderai donc d’expliquer l’essence de l’union, parce que c’est l’affaire des théologiens ; j’exposerai seulement quelques traits et linéaments de ce que l’âme éprouve dans cette union, sans le sentir ou en le sentant. Et ceci même, j’ose à peine l’entreprendre, tant il est difficile de le rendre par des paroles. Mais
Cécile de la Nativité, nous l’avons dit, avait au contraire une connaissance profonde de la théologie dogmatique, comme le montrent la clarté et l’exactitude avec lesquelles elle touche les questions les plus difficiles.
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la puissance de l’obéissance est grande. Si la volonté de Dieu est que j’exécute ce qu’elle m’impose, qu’il me donne ce qu’il me commande, et qu’il me commande ensuite ce qu’il voudra. Je crois être certaine que mon seul désir est d’obéir, et comment une personne qui voit si clairement son néant pourrait-elle en avoir d’autre ?
Tout le monde sait que Dieu renferme en soi toutes choses et, en tant que leur auteur, leur communique l’être et la vie. En ce sens, il est présent aussi dans les enfers, mais pour un plus grand tourment des damnés. Il l’est également dans les pécheurs, quoiqu’ils soient dans un état de mort par rapport à lui et en eux-mêmes, ce qui dure tant qu’ils ne rentrent point dans son amitié. En cet état, rien ne leur profite et Dieu ne se communique point à eux de la manière dont nous parlons.
Enfin il est présent dans les âmes qui sont en grâce, pour leur plus grand mérite et pour leur salut éternel. Il est vrai qu’à moins d’une révélation surnaturelle nous ne pouvons avoir la certitude d’être en grâce ; et cependant, Dieu a parmi ses créatures un grand nombre d’âmes qui ont ce bonheur. Mais celles-là sont singulièrement heureuses, auxquelles il se révèle comme par une fissure, ou pour mieux dire, celles-là qui ont su profiter des biens qu’il découvre à tous ceux qui sont en sa grâce. Je laisse de côté pour le moment les cas particuliers, alors que Dieu trouve bon de dévoiler ses merveilles.
Au reste, elle n’est pas petite, la faveur accordée par lui à beaucoup d’âmes fidèles, de ne se lasser jamais de le chercher, tandis qu’il se dérobe sans cesse. À la fin, tôt ou tard, il viendra récompenser surabondamment leur foi et désaltérer leur soif des biens éternels.
Puisque nous sommes sur ce sujet, disons que lorsque l’âme s’est appliquée aux premiers exercices spirituels sans se lasser, qu’elle a surmonté ses ennemis par le parfait renoncement à soi-même, Dieu la dispose graduellement aux divers degrés d’oraison qui précèdent celui dont nous allons parler. Afin de l’en rendre capable, il la visite par des épreuves nombreuses. Enfin, voyant la continuité de ses désirs et de son anxiété, il en vient à lui accorder un contact substantiel avec lui. Cette
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touche est de si haut prix, qu’elle apporte à l’âme une joie et un rassasiement ineffables. Quiconque en a été gratifié ne saurait l’ignorer. Cette touche, il est vrai, n’a rien de corporel et n’est point perçue par les sens ; mais à la jouissance délicieuse qui se répand dans son essence, jointe à une notion extrêmement délicate de l’immensité de Dieu, l’âme connaît avec une certitude entière qu’elle touche Dieu même et se joint à lui, de la même manière que se touchent deux choses auparavant séparées. Ce n’est pas que Dieu fût séparé de l’âme, mais par rapport à cette communication, il semble qu’il en était ainsi. Et, en effet, l’essence de l’âme ne le sentait pas auparavant de cette manière, et une pareille certitude lui eût été impossible.
Ainsi, à moins de vouloir s’aveugler soi-même — comme le ferait une personne qui, fixant le soleil dans son éclat, déclarerait qu’il fait nuit, — il est impossible à celui qui a reçu cette touche divine, de l’ignorer. J’ai dit : à moins de vouloir s’aveugler soi-même. C’est qu’effectivement il y a des âmes si dépourvues d’intelligence quant aux choses spirituelles — ou peut-être Dieu les leur voile-t-il parce que cela convient pour lors, — il y a des âmes, dis-je, qui reçoivent de Dieu des faveurs très certaines et qui cependant ne parviennent pas à se rassurer. Supposez qu’on ait été gratifié de ce don, sur lequel on n’a pour l’instant aucun doute, et que la partie inférieure vienne ensuite à s’obscurcir et à douter. Il n’en reste pas moins vrai, si la grâce a été réelle, que l’essence de l’âme se trouve renouvelée et changée : en un mot, elle est fort différente de ce qu’elle était auparavant. Et si elle continue à se disposer à recevoir cette grâce, le doute durera peu, parce que la grâce dont il s’agit étant de sa nature immense, elle communique à l’âme un goût d’immensité et d’infinité. L’âme qui en est là, à moins d’une notable négligence, fera, à n’en point douter, de grands progrès dans la transformation en Dieu.
Mais que fera, je le demande, l’âme qui ayant expérimenté une fois cette touche divine, se sent tourmentée d’une soif inextinguible, et ignore ce qu’elle doit faire pour boire une nouvelle gorgée de cette eau de la Vie éternelle, surtout si,
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après cette première faveur, Dieu la laisse dans une obscurité profonde et de rigoureux tourments ? Il est vrai, le tourment de l’âme parvenue jusque-là ne consiste plus, comme autrefois, à faire effort pour briser les pierres qui ferment sa voie. Quoique déjà élevée à la contemplation, cette âme, dans sa souffrance, se trouvait comme éloignée de Dieu. Ses puissances avaient bien joui de lui comme par des fissures, mais son essence n’avait pas été admise à en jouir de cette façon : de là, cette séparation si douloureuse et cette difficulté terrible à trouver l’union désirée.
Mais une fois que l’âme a été favorisée, ne fût-ce qu’une seule fois, du contact substantiel avec son Bien-Aimé, son angoisse grandit, car celle-ci est toujours proportionnée à la connaissance, à l’estime et à l’expérience. L’estime et le désir font donc croître avec intensité l’angoisse de cette âme, elle est violemment altérée et désireuse du bien dont il lui a été donné de jouir.
Il est à noter néanmoins que pour de telles âmes l’entrée à la jouissance est beaucoup plus facile que pour les autres. Comme elles sont toutes disposées à la pure contemplation et que le Seigneur la leur accorde, non seulement il n’est pas loin d’elles, mais il en est même très proche. Pour obtenir les touches substantielles, la foi est à ces âmes de la plus haute importance. Il ne suffit pas qu’elles s’absorbent dans le goût spirituel qui leur est accordé, il faut de plus qu’elles s’unissent à ce qu’il y a en Dieu de substantiel, tel que la foi nous l’enseigne, il faut qu’elles s’attachent fortement à Dieu en sa substance même, jusqu’à ce qu’elles expérimentent d’une manière intime et secrète la touche divine.
Supposé qu’elles aient atteint cette divine union, il leur importe extrêmement de continuer à exercer ce contact avec Dieu, si toutefois Dieu ne l’opère lui-même sans autre moyen ni disposition préalable. Quand je parle d’exercer ce contact, j’entends, avant qu’il se produise, car une fois produit, l’union est immédiate, puisqu’il s’agit de la jonction de deux substances. Au reste, cette disposition de foi est, d’une manière générale, nécessaire à ces âmes dans l’oraison.
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C’est par une lumière vive et pleine de douceur « que l’âme reconnaît ici son Créateur. Elle sait par la foi d’une manière certaine qu’il est présent en elle. Tandis qu’elle s’attache à cette vérité de toute la force de son amour et de son embrassement — et cela, non d’une manière quelconque, mais, suivant l’expression de notre Sauveur, de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces et de tout son esprit/1 — elle expérimente en elle-même le divin et amoureux contact — » fort et terrible aussi — avec Celui qu’elle aime.
Lorsque cet effet vient à s’affaiblir et à se relâcher un peu — en cet état, à moins de faute grave, le relâchement n’est jamais entier et le désir de Dieu demeure toujours, — l’âme peut sentir quelque difficulté à une entreprise aussi sublime que celle d’une nouvelle emprise sur la Substance de Dieu, car chacune de ces touches lui procure cet ineffable bien. Et pourtant chacune d’elles lui apporte une disposition à une autre touche, plus intérieure et plus forte : je veux dire, plus perçue, plus habituelle et plus parfaite. Non que Dieu devienne plus grand, ou qu’à chaque fois l’âme ne touche pas sa Substance tout entière, mais comme il est impossible de connaître ce grand Dieu tel qu’il est en lui-même, cette succession de contacts avec lui le fait connaître d’une manière de plus en plus parfaite.
C’est un insigne bienfait du Seigneur envers nos âmes que cette capacité qu’il leur a donnée de toujours croître en lui — et lui en elles — tout le temps que dure l’état de la vie présente. Les unes grandissent en plus intense, les autres en moindre degré, mais toutes croissent et progressent. Quant au degré de vie spirituelle dont nous parlons, il y a un grand nombre d’âmes qui ne parviennent point aux richesses qu’il comporte, même parmi celles qui atteignent l’état de pure contemplation et de divine union. Il faut donc reconnaître que les âmes ainsi favorisées sont en petit nombre, et de fait ce degré est de soi très élevé, c’est même le plus sublime qui soit ici-bas. Il conduit l’âme, si elle ne s’arrête pas en chemin, à se perdre tout entière en Dieu.
/1 Diliges Dominum Deum tuum ex Loto corde tuo, et ex iota anima tua et ex lotis scribus Luis, et ex Iota mente tua. (Luc, x, 27.)
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De même que celui qui se noie dans une mer profonde est perdu pour ce monde, que celui qui se consume dans les flammes est réduit à rien, ainsi cette âme bienheureuse, noyée dans la mer sans fond de la Divinité, consumée dans un feu qui surpasse en violence et en activité celui de la sphère céleste, et dont l’activité à dévorer est de beaucoup supérieure, demeure très véritablement engloutie et consumée.
Au commencement de cette divine union, les sens extérieurs ne sont pas suspendus, et chez certaines personnes ils ne le sont jamais, en sorte qu’étant appelées, elles se trouvent parfaitement conscientes : ce qui dénote moins de faiblesse dans la partie inférieure et montre que Dieu l’a fortifiée. Par une perception puissante et toute divine, l’âme connaît qu’elle s’approche de son Bien-Aimé, ce qui a lieu purement dans la substance de l’âme et sans sortir de ses limites, qui, il est vrai, sont immenses.
J’ai dit que l’âme sent très clairement qu’elle s’approche de son Bien-Aimé et qu’il s’en faut de peu qu’elle ne le touche. Dans l’immense soif qu’elle a de lui, elle peut le chercher et le désirer avec tant d’ardeur, qu’elle en vienne au contact avec lui. Ce divin contact cause à l’âme un rassasiement infini, car Celui auquel elle s’unit est Vie éternelle pour l’âme. L’Être divin qui la porte en soi, qui soutient sa vie naturelle, qui lui donne la connaissance et le goût de la vie éternelle, est le même qui se révèle ainsi à elle, qui se joint à sa substance même, non plus seulement par la foi, mais par un goût intérieur expérimental de son Être divin et éternel, tel qu’il est en lui-même.
Comme les puissances ne comprennent pas ce que Dieu opère ici, elles sont dans l’obscurité, et cependant beaucoup plus illuminées qu’elles ne le seraient par des connaissances particulières. Dans une simplicité intime, elles connaissent ici une Vérité éternelle, un immense et puissant Seigneur qui, s’unissant à l’âme, la change et la transforme en soi.
Il peut se faire qu’au début et avant cet effet d’union, l’âme se trouvât vivement impressionnée par tel mystère en parti —
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culier. Alors, à mesure qu’elle approche du divin contact, elle perd de vue le mystère qui l’occupait, et ne sent plus que cette Puissance infinie, avec la certitude d’être jointe à son Bien-Aimé. Il peut arriver aussi qu’elle ne perde point de vue le mystère, mais seulement ce mode plus bas de connaissance, qui n’était basé que sur la foi.
Ici, c’est la jouissance qui lui révèle son Bien-Aimé tel qu’il est dans la vérité, et, sans comprendre, elle expérimente la substance et la réalité du mystère. De là sans doute l’impression si vive produite sur certaines personnes par tel ou tel mystère en particulier. Au seul mot de paradis, le saint Frère Gilles demeurait ravi et hors de lui-même. II est d’autres âmes qui, entendant parler d’un mystère de la foi, en sont profondément émues et sentent intérieurement de merveilleux effets. C’est qu’au souvenir de ces mystères ou de ce qui s’y rapporte, l’Essence et la Substance du Seigneur leur Dieu qui les a opérés agit sur elles avec plus de force. Et, après tout, c’est par le moyen de ces mystères qu’il s’est révélé et fait connaître à ses créatures, et c’est en qualité de vérités accomplies en lui et par lui, en un mot c’est en tant qu’émanées de lui qu’ils produisent sur l’âme cette divine impression.
Ce qui surpasse tout, c’est l’Être de Dieu, et comme ici c’est lui qui se communique substantiellement à l’âme, lui qui la touche et l’unit à soi, cet effet d’union et ceux qui découlent des œuvres qu’il a opérées se trouvent ici joints ensemble. Supposez une personne qui en aime une autre. C’est la personne même qui est aimée, et cependant tout ce qu’elle fait, tout ce qu’on entend dire d’elle vient aviver l’affection qu’on lui porte.
Ainsi, notre grand Dieu étant ce qu’il est, rien d’étonnant si l’union avec lui change et transforme l’âme, avec une incroyable puissance d’amour, en l’Être même du Bien-Aimé, et si cette transformation en un Être si fort et si divin la tire d’elle-même et de son opération naturelle, pour la faire passer à des opérations surnaturelles et divines. Rien d’étonnant non plus si, après cela, quelque œuvre ou quelque souvenir que ce soit se rattachant à Dieu, produit en l’âme le même
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effet d’union, puisque Dieu a créé l’essence de l’âme apte et disposée par nature à l’union.
Cette union est beaucoup plus parfaite que celle d’un feu s’incorporant à un autre feu, que celle d’une eau se mêlant à une autre eau, parce que ces éléments sont corporels et qu’il s’agit ici de deux substances spirituelles : l’une éternelle, toute-puissante, forte à l’infini, divine, incompréhensible, immense, et si opérante que d’un seul acte de sa volonté elle a tiré du néant d’innombrables créatures, l’autre, qui est notre âme, très semblable à la première, mais non cependant quant à la force, quant au pouvoir, quant à la grandeur, quant à la nature de son Être, ni quant aux propriétés infinies qui sont en Dieu. Par le fait, il y a entre les deux substances toute la distance qui sépare le Créateur incréé, éternel, sans bornes, d’une créature qui, vu la petitesse de son être, est par rapport à lui comme un néant. D’ailleurs, une fois qu’il a engendré son Fils unique, qui emporte toute la force de son Être, qu’il a spirée le Saint-Esprit qui procède de l’un et de l’autre et a le même Être, Dieu ne peut rien faire qui soit comme lui, et il ne peut y avoir qu’un seul Dieu et Seigneur. Ce sont les fondements de notre foi, et l’âme connaît ici ces vérités d’une manière tout autre qu’auparavant et entièrement ineffable, qui lui montre avec évidence comment toutes les créatures en présence de cet Être infini sont comme rien.
Et pourtant il est vrai de dire que Dieu a fait l’âme très semblable à lui, puisqu’il l’a faite spirituelle, immortelle, incompréhensible. Saint Augustin nous dit que nul ne sait ce qu’est l’essence de l’âme, sinon celui qui l’a créée. Outre cela, une fois unie à Dieu, elle est immense ; en lui elle est vie, elle est sanctification et perfection. Enfin elle en arrive à être Dieu en Dieu, parce qu’elle est une avec Dieu, et avec le temps elle acquiert des propriétés fort semblables à celles de Dieu lui-même.
Oui, redisons-le, celle qui est néant devient Dieu ; celle qui est mortelle devient vie ; celle qui par le péché est corruption devient sanctification. Et néanmoins, même avec la partici —
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pation que lui communique une si étroite union avec l’Océan de la Nature divine — union plus parfaite que celle de l’eau tombant du ciel dans la mer, — les deux natures restent distinctes, et la distance qui sépare le Dieu Créateur de la créature, l’Éternel de celle qui vient du néant, subsistera toujours.
Mais pourquoi ai-je dit qu’avec le temps l’âme acquiert leS propriétés divines ? Parce que si l’âme, après avoir reçu de Dieu une touche substantielle, au lieu de se montrer reconnaissante d’une si immense faveur et de se joindre à lui de nouveau, se néglige et se sépare de lui par le péché, sans retourner à son bienfaiteur, il est visible que le don reçu ne lui servira de rien et lui sera même un sujet de plus rigoureuse condamnation. Si, au contraire, une fois ce don reçu, elle se défait et se dégage des choses terrestres, et, pour s’en mieux détacher, continue avec d’ardents désirs à s’approcher davantage de son Bien-Aimé, le gain est infaillible. Or, ce qu’elle gagne, c’est Dieu même, puisqu’elle en vient à le posséder très heureusement en état de continuelle transformation.
Elles ont bien raison, les âmes qui ne se contentent pas d’un degré d’oraison quelconque et n’en font pas le dernier objet de leurs prétentions, les âmes qui ne s’arrêtent à rien de limité, comme font celles qui demeurent toute leur vie au même point, à placer et déplacer une petite tuile qu’elles ont trouvée à leur convenance. Celles dont je parle ont pris Dieu même pour leur fin, et en ce grand Dieu elles ont beau découvrir, toujours il leur reste en lui des immensités voilées à désirer, des immensités voilées à pénétrer, et toujours beaucoup plus à découvrir.
Et comment n’en serait-il pas ainsi, puisque dans l’éternité celui qui aura de Dieu le plus de connaissance, connaîtra forcément que ce qui lui reste à connaître est infini ?
Au début, cette divine union à laquelle l’âme est parvenue n’est pas continuelle, bien que les contacts substantiels puissent être fréquents, suivant qu’il plaît au Seigneur de les accorder, et aussi suivant la disposition de l’âme et son plus ou moins d’assiduité à l’oraison. Avant d’en venir à l’union, on jouit d’ordinaire d’une disposition à la contemplation, dans laquelle
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l’âme cherche Dieu sans vouloir s’arrêter à rien de particulier, qui puisse la distraire et l’entraver, mais se laisse emporter suavement par la force divine et cherche son Dieu avec le désir de se joindre à lui.
Une âme, même ayant expérimenté une très pure contemplation, se trouvera au moment d’arriver à l’union — j’entends la première fois — en proie à la sécheresse et fortement attachée à une vérité de la foi, avec un ardent désir de recevoir ce que nous promet l’Écriture, c’est-à-dire, en substance, la pénétration de l’âme par son Dieu et son union avec lui. Se sentant donc enflammée de ce désir, elle expérimente la jouissance de Dieu, avec la ferme croyance qu’il peut accomplir cette œuvre en elle.
Quand ensuite elle cherche Dieu, elle a de la facilité à se joindre à lui dans ce contact substantiel. Et cependant, après en avoir été favorisée, elle pourra passer par bien des souffrances. Dieu les envoie beaucoup plus rigoureuses aux âmes de cette classe qu’aux autres, parce qu’il leur donne de quoi les porter sans défaillir. Il prend d’ailleurs un soin très particulier de ces âmes, comme de chose qui est déjà très spécialement sienne.
La première fois, je l’ai dit, cette touche divine a été précédée d’une anxiété marquée de sécheresse ; mais ensuite les désirs de l’âme se trouvent bien largement récompensés. Après tout, il n’est point de désirs qui puissent mériter un don si libéral de la main de Dieu, pas plus que nous n’avons mérité d’avoir été créés de rien, capables de lui. Néanmoins il entend qu’ici la volonté de l’homme intervienne, qu’un bien si élevé soit ardemment désiré et que, tout en étant ainsi poursuivi, il reste un don purement concédé par grâce.
Dieu ne le refusera pas à ceux qui n’y mettront pas obstacle et qui au contraire s’y disposeront. Que s’il le refusait à un vrai et fidèle serviteur, c’est que ce don ne lui conviendrait pas ou qu’il n serait pas appelé à marcher par cette voie. Encore est-ce à regret que j’écris ceci, car en toute vérité je crois que la faute est à nous. Nous ne nous dépouillons pas sérieusement avec
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Jésus-Christ, nous ne rendons pas notre âme nette et pure, en sorte que son essence puisse se joindre à celle de Dieu. C’est parce que tous ne sont pas capables d’une telle perfection, que tous ne sont pas intimement unis à Dieu.
À la vérité, quelques-uns possèdent Dieu, à qui cependant il se dérobe. Quant à ce feu intense qui s’empare de l’âme et qui croît puissamment, il ne peut manquer, s’il est vraiment tel, de percer par mille endroits, car celui qui possède Dieu si intimement fait les œuvres de Dieu. La participation qu’il acquiert avec lui le conduit graduellement jusqu’à l’état parfait et dépose en lui des richesses infinies, des merveilles divines. Et qui pourra dire les richesses dont il est en possession celui dont le centre jouit de la Substance même de Dieu et lui est uni ?
Si Dieu est la souveraine Sainteté, la souveraine Bonté, la souveraine Sagesse, la Toute-Puissance, la Majesté, la Beauté, la Paix, la Gloire infinies, avec d’autres attributs sans nombre ; si, de plus, il est en lui-même beaucoup plus que tout ce que nous pouvons lui attribuer, que tout ce que nous pouvons saisir et comprendre de lui naturellement et surnaturellement, je le déclare, lorsqu’une âme est devenue à ce point une avec lui, elle a une participation et une union avec Celui qui est au-dessus de tous les attributs et qui les possède tous en lui-même à l’infini.
Simultanément avec cet ineffable Bien, supérieur à tout le reste, l’âme reçoit communication de la Bonté, de la Sagesse, de la Beauté, de la Puissance divines. Dieu lui-même la rend bonne, sage ; il la fait participer à tous ses autres attributs.
Ainsi l’âme se trouve transformée en Dieu substantiellement ; elle jouit de son Essence en sa Substance, en même temps que des propriétés excellentes qu’elle puise dans le Bien infini auquel elle participe. Comme elle a en elle-même la vie substantielle de Dieu, toutes les autres excellences lui arrivent comme accidentellement.
L’âme une fois jointe à ce grand Dieu, à ce souverain Seigneur, reçoit donc en elle substantiellement et véritablement tous les
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biens que nous avons dit. Rien d’étonnant dès lors que celui qui aura une première fois reçu la touche divine et par là expérimenté quelque chose d’une telle Immensité, soit perpétuellement altéré de Celui qui est la vie et la jouissance de son âme, en un mot qu’il désire vivre en son Bien-Aimé. Il sait, du reste, — et c’est la vérité — que certaines âmes vivent en lui de cette vie essentielle et privilégiée, Il sent combien il est juste de se joindre de plus en plus ici-bas à Celui qui doit se donner éternellement, et qui, dès cette vie même, s’unit aux âmes par un lien si étroit. Il n’ignore pas qu’il peut avoir ce Bien-Aimé sans cesse avec lui comme un soutien puissant, par le moyen de cette union si intime que Dieu se plaît à communiquer aux âmes, même avant leur sortie de cette vie.
Qui donc, je le demande, pourra redouter les épreuves, quelles qu’elles soient ? Qui perdra cœur dans les périls ? Qui ne foulera aux pieds les obstacles pour en venir à un état de si intime participation avec Dieu, où l’on traite avec lui, comme Moïse, ainsi qu’un ami avec son ami ? Oui, cette haute Majesté semble vouloir en quelque sorte s’égaler à son serviteur et l’élever jusqu’à lui pour le faire Dieu avec lui, de façon qu’on puisse dire avec vérité non seulement que l’homme sera comme Dieu, mais qu’il est Dieu et le fils du Très-Haut/1.
Saint Augustin eût désiré, s’il eût été Dieu, cesser de l’être pour que Dieu le fût, tant l’amour qu’il lui portait était extrême. Dieu ne peut cesser d’être Dieu, et cela n’est pas nécessaire pour que l’homme le devienne. Il prétend l’élever d’une façon sublime à la participation de lui-même ; il veut être la vie qui le soutienne, et donner de telle sorte vie à son âme, que cette vie divine devienne son être même. Il veut résider en sa créature au point qu’elle ne se sente plus elle-même, mais que, réduite à rien en son fond le plus intime, elle vive de la vie même de son Dieu.
A force de mourir et de défaillir ainsi en Dieu, l’âme en arrive à voir tout ce qui est sien disparaître entièrement : son essence est devenue celle de Dieu, en laquelle elle s’est transformée.
/1 Eritis sicut dii. (Gen., in, 3.) — Ego dixi Dii estis et fui Excelsi omnes. (Ps. Lxxxl, 6.)
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Elle est toute consumée et changée au feu divin, au feu du Dieu qui l’a absorbée en soi. Elle est pacifique en la Paix de Dieu, elle est sage de la Sagesse de Dieu, et ainsi du reste.
Les âmes parvenues à cette transformation s’occupent des choses d’ici-bas sans en rien retenir. Comme la Force qui les a absorbées en sa Substance est immense, éternelle, infiniment active et efficace, elles peuvent traiter toutes sortes d’affaires sans que rien en pénètre en elles, les affaires étant pour elles de simples accidents sans subsistance. En les traitant, elles n’ont qu’un désir : accomplir la volonté de Celui qui les a absorbées en soi.
À la vérité, pour ces âmes parvenues à la transformation, Dieu permet d’ordinaire de très cuisantes souffrances dans la partie inférieure. Elles en éprouvent quelque trouble et se demandent si elles offensent Dieu. De fait, il peut arriver que ces âmes tombent en quelque offense. Cependant le meilleur d’elles-mêmes est toujours parfaitement soumis à la divine volonté ; il leur serait même impossible de lui opposer la moindre résistance. Elles ne le voudraient pas, quand il s’agirait d’endurer les plus grands tourments du monde. Elles sont prêtes à tout souffrir et même à laisser Dieu les anéantir entièrement, si tel était son bon plaisir, parce qu’elles n’ont d’autre vouloir que le vouloir de Dieu.
Comme une telle âme a perdu toute propriété et qu’elle se trouve transférée en la Substance de Dieu, il peut se communiquer à elle soit douloureusement, soit glorieusement : l’essence de l’âme, qui est son centre intime, étant transformée en Dieu, elle demeure attachée à lui en conformité de volonté, pour qu’il fasse de sa partie supérieure ou de sa partie inférieure selon son beau plaisir et conformément. à son divin vouloir.
Ainsi, depuis que l’âme est arrivée à l’union et à la transformation permanente, le meilleur d’elle-même, je le répète, est toujours soumis à Dieu dans la paix, quelque épreuve qui s’offre à elle. Cette âme porte en elle-même la marque de Dieu et une vive étincelle qui ne s’éteint jamais, quels que soient les peines. et les tourments qui l’assaillent.
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Je l’ai dit, c’est dans la partie inférieure que se fait sentir la plus grande souffrance ; mais graduellement cette souffrance se spiritualise et se consume, et l’âme sent moins de perturbation en sa partie inférieure, qui devient mieux disposée à souffrir et beaucoup plus pacifiée. A mon avis, cette âme atteindra une pacification et une conformité complètes avant que Dieu la retire de cette vie.
L’union stable et permanente produit de si grands effets que, par la continuité des touches substantielles, la substance de l’âme, nous l’avons vu, en vient à ne faire plus qu’un avec la Substance de Dieu.
Lorsque cette continuité d’union a duré un certain temps, comme elle va nécessairement toujours croissant, l’effort de l’âme n’est plus pour chercher à s’approcher du Bien-Aimé afin de l’embrasser, mais pour se joindre plus étroitement à Celui qui l’embrasse, à recevoir plus puissamment la Substance de Dieu, à se livrer plus pleinement à elle, à s’identifier davantage avec elle, à vivre plus intimement de sa vie, en demeurant plus morte à son être propre.
Ici les touches substantielles ne sont plus pour l’âme quelque chose de nouveau, puisqu’elle a toujours en elle la Substance de Dieu ; mais elle comprend, sans toutefois le comprendre, qu’elle pénètre plus profondément en lui.
C’est un peu ce qui arriverait à quelqu’un qui entrerait dans la mer. Tant qu’il ne se noierait pas, il sentirait sa propre vie naturelle ; mais à mesure que les eaux lutteraient contre lui, elles le noieraient progressivement, jusqu’à l’engloutir tout à fait. Supposez qu’ainsi englouti, il conserve quelque sentiment intérieur et surnaturel — comme il arrive à l’âme en cet état, car plus elle meurt, plus elle est vivante, et plus elle est engloutie, plus elle éprouve de jouissance, — il pourrait sentir et comprendre qu’une fois mort il meurt davantage, qu’une fois englouti il se noie davantage, et que plus il se noie, plus il pénètre dans les profondeurs de la mer, où il perçoit toujours de nouveaux trésors et de nouvelles richesses.
Supposez maintenant que cette mer soit si profonde qu’elle
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n’ait point de fond, et que plus on pénètre dans ses abîmes, plus les beautés et les richesses deviennent immenses, et c’est la réalité quand il s’agit de notre Dieu, qui seul comprend infiniment l’infinité de son Être. Il y aurait alors quelque justesse dans la comparaison, bien que les choses spirituelles n’aient point de ressemblance avec les corporelles, ni les surnaturelles avec les naturelles, puisque les premières surpassent les secondes sans limite et à l’infini. Comme nous les entendons bassement, nous sommes obligés pour les faire saisir de recourir à des comparaisons.
Heureuse l’âme qui les expérimente ! Il n’est pas de meilleure voie pour les entendre, parce qu’alors on les entend sans moyen et telles qu’elles sont en elles-mêmes. Comme en leur présence l’entendement et la raison restent courts — et c’est par leur moyen nécessairement que cherchent à les comprendre ceux qui n’ont encore ni connu ni goûté les richesses spirituelles-de l’union avec Dieu, — l’âme alors les entend surnaturellement au-dessus de l’entendement et au-dessus de la raison.
De là vient que lorsque l’âme n’est pas encore entièrement perdue à elle-même et qu’elle se sent approcher de son Bien-Aimé, il lui reste encore une certaine perception naturelle qui lui permet de s’en rendre compte : aussi la joie et les délices qu’elle goûte sont-elles très vives. Mais dès qu’elle en est venue à se perdre entièrement, elle perd en même temps toute perception intérieure naturelle, avec l’usage de ses puissances, et elle se trouve en possession de Dieu, objet de tous ses désirs. Quand elle revient à elle-même, elle voit qu’elle a connu Dieu d’une connaissance nouvelle, qui n’est point celle de la raison et de l’entendement naturels, en usage entre les mortels. Elle voit qu’elle l’a perçu en son Être éternel, en dehors de la perception naturelle ; elle voit qu’elle l’a vu en dehors de la vision humaine.
Tout ceci doit s’entendre du mode selon lequel il a plu à Dieu de se découvrir surnaturellement, car il ne s’agit point de la vision selon laquelle les bienheureux le voient dans le ciel. C’est une vue très surnaturelle de Dieu en son Être divin, de la manière possible à l’homme encore revêtu d’une chair mortelle.
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Une fois que Dieu a résolu de se communiquer à sa créature autant qu’il est possible conformément à son infinie Bonté, et qu’il veut bien lui faire ce don, il ne manque pas de moyens pour cela.
Il a mis cette âme en état de connaître sa divine Essence et d’en jouir, en l’unissant à lui immédiatement par la communication de son Être éternel. De même qu’il est véritable que Dieu est en nous, nous donnant la vie, de même il est véritable qu’il communique surnaturellement son Être à cette âme, et cela de telle sorte qu’elle en ait la perception surnaturelle.
Il est clair qu’une telle perception ne peut se rendre par des paroles humaines, qu’on n’en peut même exprimer que la moindre partie, par la raison qu’elle ne vient pas de l’intelligence et du sentiment naturels. Aussi quelques saints nous disent-ils que l’âme alors entend sans entendre, parce que sa compréhension n’est pas humaine, mais divine. Elle entend sur-naturellement, mais, à proprement parler, elle ne comprend pas.
Ici les puissances sont suspendues, parce que tout ce qui est naturel défaille et devient divin. La substance de l’âme s’anéantit pour se transformer en Dieu, elle demeure déifiée, changée en Dieu.
Il est certain que toutes les âmes ont en elles-mêmes l’image de Dieu. Il est certain aussi que Dieu les porte dans son Essence, où il leur donne l’être et la vie. Mais ici l’essence de l’âme défaille d’une manière spéciale, pour se transformer en l’Essence du Dieu qui l’a faite, par nature, capable de lui-même et apte à recevoir ce bienfait.
L’âme ici se rend compte qu’elle perçoit en Dieu même, Vérité souveraine, des vérités qu’elle ignorait. Elle voit qu’elle se transforme maintenant en lui d’une manière qu’elle ne connaissait pas.
Non, il n’est pas d’âme capable de cet ineffable bien qui ne doive faire tout ce qui dépend d’elle pour s’y disposer et pour renverser les obstacles qui s’y opposent. Qu’elle s’efforce constamment de s’unir à Dieu, en sorte que tout ce qu’elle fait, que tout ce que réclament les exigences de la vie présente soit accompli en lui et pour lui. En un mot, que ses œuvres soient
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moins les œuvres de la creature que les œuvres de Dieu en sa créature. Je veux dire, que la part qu’y a nécessairement la créature devienne celle de Dieu.
J’ai dit plus haut qu’il en est de l’âme comme d’une personne qui se noie et qui n’est pas encore morte. J’ai appliqué cette comparaison à l’état d’une âme qui progresse dans l’union divine et qui approche de la mort à elle-même, d’une âme qui connaît très clairement que Jésus-Christ vit en elle, qui peut dire avec vérité qu’elle vit et qu’elle ne vit pas, parce que c’est Lùi qui vit en elle et que si elle vit, ce n’est plus pour elle, mais pour Celui qui est mort et ressuscité/1.
Et cependant cette mort ne va pas jusqu’à la dissolution du corps, afin que l’âme puisse progresser encore dans la mort spirituelle et recevoir en Dieu une vie plus haute et plus intime.
On peut aussi appliquer cette comparaison à ce qui se passe actuellement dans l’âme. Bien qu’elle soit dans l’habitude de l’union et de la transformation, elle est encore à elle-même et elle sent. Mais voici que tandis qu’elle goûte ainsi Dieu, elle se sent peu à peu défaillir, le sentiment intérieur lui manque, elle est comme une personne qui perd la respiration et va mourir. Mais qui dira ce qu’elle acquiert par cette mort ? L’éternité nous l’apprendra. L’âme elle-même est incapable de comprendre ce dont elle jouit, bien moins encore peut-elle l’exprimer. Qu’il nous suffise de dire qu’elle jouit de Dieu et qu’elle est devenue un autre lui-même par participation.
Des biens que Dieu envoie à l’essence de l’âme, une partie s’épanche sur la partie supérieure, et de là passe à l’inférieure et au corps lui-même, atteignant ainsi la substance des forces naturelles. L’âme se trouve ensuite et pour longtemps comme si on les lui avait enlevées, et le corps est habituellement réduit à une grande faiblesse, à quoi vient se joindre la répugnance à prendre ce qui soutient les forces physiques. Mais tout le temps que dure ce qu’il y a de plus sublime dans l’union — et ce temps est court — on ne sent ni ne perçoit rien de tout cela. On ne fait que percevoir Dieu surnaturellement.
/1. Vivo ego, iam non ego ; vivit vero in me Christus. (Gala., II, 2.)
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Je le répète, la perception naturelle des effets de l’union n’accompagne pas l’union divine : elle la précède et la suit. Cependant, quand la transformation est très continue, très puissante, très supérieure à toute perception, l’âme, après être revenue à elle, demeure encore unie. Elle fait alors peu de cas de tout le reste et l’oublie, car elle possède Dieu dans une immensité et une grandeur souverainement paisibles. De là, nous l’avons dit, le prix merveilleux de l’union et de la transformation continue ; car lorsque les excès de l’esprit sont passés, l’âme s’attache tellement à la Vérité pure, qu’un moment vient où il n’y a plus pour elle de porte fermée pour aborder l’Être divin, auquel elle est toujours plus unie et qu’elle tient toujours plus étroitement embrassé.
Les progrès de l’âme sont ici tellement spirituels, qu’il est bien difficile de dire ce qui se passe en son intérieur et les différents effets qui se produisent non seulement chez les diverses personnes, mais chez la même âme. De fait, c’est Dieu qui ordonne et dispose tout ce qu’il lui plaît d’opérer ici, soit spirituellement, soit corporellement, soit surnaturellement, en chaque temps, suivant son ordonnance et son divin vouloir, pour la plus grande purification et la plus grande perfection de l’âme. C’est lui qui fait choix des modes admirables par lesquels il l’élève surnaturellement, modes fort au-dessus de l’entendement humain.
Dieu se communique à ses saints de manières très diverses, et cependant tous sont saints, tous reçoivent essentiellement un seul et même esprit : de même les hommes, qui ont tous une même nature, ont tous un visage différent. Cependant, une fois que les âmes sont parvenues à ce qu’il y a de substantiel en Dieu, et qu’il se donne à connaître à elles surnaturellement, il y a beau y avoir de grandes différences quant à l’immensité de l’âme et quant au mode sous lequel l’Être divin se communique : il reste vrai que toutes les âmes qui parviennent à cette union et à cette transformation en Dieu, parviennent à un immense abîme. Cet abîme n’est autre que notre Dieu, abîme dans lequel il n’y a ni variété ni diversité d’objets, mais une très simple unité, celle de l’Être divin, qui est tout entier et
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à l’infini Substance très pure. Et dans cette unité sont renfermées toutes les variétés, qui deviennent en elle vie et pureté de su bstan ce.
L’âme se voit unir à cette très pure Substance, qui pour l’instant l’aveugle de sa Force infinie, et elle se trouve obté-nébrée au sein de l’Être divin, car la créature humaine est incapable de voir son Dieu tant qu’elle est retenue dans la chair mortelle. En conséquence, plus elle le voit véritablement, plus elle est aveugle ; plus elle le goûte véritablement, moins elle le sent ; plus elle le perçoit véritablement, moins elle le comprend.
C’est qu’alors tout ce qui est humain et naturel s’obscurcit, afin que seule la Substance de l’âme s’unisse à la Substance de Dieu et se transforme en elle.
Ceux qui ont le mieux compris cette divine perception l’ont appelée un rayon de ténèbres. Dès lors, en effet, que cette lumière excède à l’extrême notre entendement, que cette divine intensité d’amour excède notre volonté, que cette toute-puissance et cette grandeur excèdent notre mémoire, rien d’étonnant qu’elles les fassent totalement défaillir et leur enlèvent leur opération naturelle, les laissant réduites à rien dans les grandeurs de Dieu. Rien d’étonnant, dis-je, puisque non seulement ces puissances, mais l’essence même de l’âme, qui est ce qu’il y a de plus noble en l’âme, se trouve elle-même engloutie, quand elle en arrive à se joindre à l’Essence de Dieu par cette merveilleuse communication.
L’âme donc, tant que dure ce qu’il y a de plus sublime dans l’union, défaille totalement en toutes ses parties ; mais ensuite elle voit et connaît clairement qu’elle est en Dieu, ou plutôt qu’elle a été en lui tandis qu’elle était hors de tout le reste.
Ainsi l’obscurcissement et la défaillance sont complets, et l’on n’a plus alors connaissance de soi-même. Mais en réalité, jamais l’âme ne s’est appartenue davantage ; jamais son être n’a eu plus d’excellence ; jamais elle n’a connu Dieu plus véritablement ; jamais elle ne l’a aimé d’un plus grand amour. Dans cette défaillance à son être propre, elle n’a jamais vécu d’une vie plus véritable ; car, grâce à cette mort en Dieu, où
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elle a défailli à toute connaissance, à tout sentiment, à toute intelligence, à tout amour, Dieu est devenu sa vie. Dieu est désormais en elle la Sagesse qui la rend surnaturellement sage. Elle goûte désormais par Dieu même, et non plus par les sens. Elle entend désormais par l’intelligence que Dieu met en elle au-dessus de tout ce qui se peut comprendre. Enfin Dieu est désormais l’amour qui aime en elle.
Ainsi, ces âmes aiment Dieu non plus seulement par leur propre amour, mais par l’amour de Celui qu’elles aiment, amour que lui-même met en elles. De là vient qu’elles ne l’aiment plus seulement, ni même principalement par leurs actes propres, mais en souffrant et pâtissant en elles son amour ; en outre, elles consentent aux opérations de Dieu en elles, liées qu’elles sont par son amour infini ; et tant que cet amour demeure en elles, elles ne peuvent ni ne veulent empêcher ses divines opérations. Rien de surprenant en cela, puisqu’elles savent la souveraine excellence de leur Créateur, et qu’elles la connaissent d’une science qui dépasse de beaucoup la notion que peuvent en avoir ceux qui ignorent ces ineffables biens et ne les ont jamais goûtés.
Ah ! qu’il est lamentable de voir tant d’âmes, — sans parler de l’immense multitude qui n’a jamais goûté ces biens : Goûtez et voyez, dit David, combien le Seigneur est doux/1 — qu’il est lamentable, dis-je, de voir tant d’âmes qui, faute de savoir attendre quelque peu, perdent de pareils trésors, parce qu’elles manquent de la persévérance et de l’endurance que réclament les grandes difficultés inhérentes à ces divines voies !
Bienheureux au contraire tous ceux qui espèrent au Seigneur et se confient en lui ! Car il est impossible que la fidélité de Dieu et sa miséricorde fassent jamais défaut à celui qui a mis en lui son espérance, à celui qui, s’étant mortifié et vaincu lui-même, s’est résolu de le servir au-dessus de la raison et par delà toute mesure. Si les forces corporelles ont une limite, si le courage et la vie en ont une, l’amour n’en a point. Tout
/1 Gustate et videte quoniam suavis est Dominus. (Ps. xxxiii, 8.)
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ce qu’il espère de son Dieu surnaturellement, Dieu le lui accordera, et infiniment davantage, parce que dans les voies divines il n’y a point de bornes. Dieu comble des espérances sans bornes par des dons infinis. Aussi un amour fervent n’acquiert jamais de si grandes richesses, qu’il n’en puisse espérer de son Dieu bien plus encore, puisque son Dieu lui-même est son infinie richesse. Lorsqu’on a atteint en lui des biens immenses, il demeure encore infini ; lorsqu’on le connaît, il reste encore inconnu ; lorsqu’on l’a compris, il est encore incompréhensible. Lui seul se connaît, lui seul se comprend ; lui seul s’aime comme il mérite d’être aimé.
Tout cela est l’exacte vérité. Et cependant, il reste vrai qu’il a plu à Dieu de communiquer en immensité son Être divin à ses créatures, autant qu’elles sont capables de le recevoir, non toutefois à la mesure de son immensité infinie, que lui seul connaît.
Heureuse l’âme qui possède en soi ce Dieu infini tel qu’il se connaît lui-même, et à laquelle il veut bien se découvrir ! Bienheureuse celle qui le perçoit par l’entendement de Dieu même, parce qu’il veut bien lui communiquer son entendement divin pour qu’elle le perçoive ! Bienheureuse celle qui aime Dieu par l’amour de Dieu même, qui veut bien lui donner son amour pour qu’elle l’aime, lui qui, étant la Vie éternelle, lui communique la vie pour qu’elle vive en lui éternellement !
Ce dossier n’a pas été mené à terme, mais a été poursuivi au Centre Jean-de-la-Croix par sœur-ermite Marie. Sœur Marie a réalisé un beau volume prêt à être édité dont elle m’a communiqué le fichier. Je l’ai nommé « carmélites françaises 2021 (sœur-ermite Marie Centre JnX). odt » et l’ai rendu disponible pour lecture privée sous le répertoire B51/LIVRES DT/3b Carmel (déchaux) [base de données 2021]. Son orientation religieuse ne reprend naturellement pas ce que l’on va trouver ici en « travail suspendu ».
Il s’agit du projet issu de multiples visites au Carmel de Clamart (qui succéda au premier carmel de Paris après une « excursion » belge en 1905). J’y ai été introduit aux archives, guidé par sœur Thérèse (je conserve le souvenir de son regard lumineux lorsque qu’un cancer l’obligea à avancer plus lentement aidée d’un déambulateur). Elle rédigea par ailleurs la notice du Dictionnaire de Spiritualité présentant la Mère Marie du Saint-Sacrement5.
Je maintiens inchangées infra « Histoire et Florilège », orientations qui précisent un projet interrompu par la fermeture du Carmel de Clamart. Les sources disponibles dans ma base sont aujourd’hui partagées entre carmélites de Pontoise et carmes d’Avon. Travail suspendu qui demanderait deux années de jeunesse. Les carmélites constitueraient une seconde filiation du siècle, parallèle à celle passant par Mme Guyon.
but : présenter de beaux textes pour « lectio divina ».
domaine : mystique ! (ordres et coutumes sont déjà bien couverts — abondance de publications mettant en avant le religieux, ce qui limite au seul public catholique),
plan : chronologique : un réseau de figures en trois « générations ». Ce qui suggère une filiation et — pb annexe — règle la concurrence Acarie (Pontoise) — Madeleine de St-Joseph (Paris).
Pour l’instant on a accolé à des fragments tirés d’une future « Littérature et expérience mystique en France à l’époque classique » (qui forme ici la partie « I Fondations… »), les extraits que nous avons recueillis à Clamart et à Pontoise, ainsi que les saisies faites à Chatou/Concarneau, largement augmenté de celles par sœur Thérèse et communiquées en 2004/5 (partie « II Écrits et témoignages).
Il faudra compléter et ajouter des extr. d’articles de la revue « Carmel », des saisies de textes…
Ce fichier constituera — par adjonction de saisies futures — les « sources étendues » dont on tirera par sélection le premier mince volume « mystique »… à suivre par un autre volume intéressant plus particulièrement le vécu intra-carmélitain soit l’intégrale des Avis…, etc.
2.Présentation Centre JnX, Août 2010 :
Assemblage révisé en août 10 soit après la fermeture du carmel de Clamart héritier du premier carmel de Paris et le transfert de ses archives à Pontoise, de ses livres à Avon.
Le travail débuta en ~2003. Il était prévu d’ouvrir la collection « Sources Mystiques » publiée aux Editions du Carmel par un volume assez mince, sans prétention historique, mais offrant quelques « belles feuilles » mystiques. (Le volume « Jacques Bertot, Directeur mystique » prit la place).
Le travail considérable de mise en ordre des archives réalisé par madame Sanson et celui des livres réalisé par sœur Marie-Sylvie, fut achevé en 2010 — juste à temps !
Il m’est en même temps devenu évident que les contributions de carmélites étaient très souhaitables, en se situant au-delà d’une guidance au sein des sources (qui me fut offerte par sœur Thérèse) et de saisies (réalisées par sœur Thérèse et sœur Odile).
La Providence semble de nouveau favorable… On trouvera donc ci-dessous l’assemblage accompagné d’un choix de sources utiles pour un premier travail. Ces dernières sont signalées comme « Document numéro… » ou « =Doc… » (soit 15 dossiers).
De très nombreuses sources laissées de côté pour l’instant, mais disponible dans ma base « MYS. CARMÉLITES. FSES_17e » seront utiles lors d’un approfondissement — ils serait cependant prématuré de se perdre dans un arbre qui couvre 209 dossiers…
Note : On ajoutera Isabelle des Ange, seule espagnole restée en France : souvent ignorée elle peut prendre place au sein de ce volume : =Doc15.
Enfin nous suggérons de débuter par les transcriptions du manuscrit Doc7_3 Vies… (que nous venons de photographier de nouveau avec haute résolution) et d’un texte imprimé de Madeleine de Saint-Joseph (choix laissé à l’appréciation).
3.Révision 2014, notes :
On a rédigé à partir de la rédaction 2006 (2. Présentation 2010 ayant seulement ajouté des commentaires soulignés et des références = Doc 1 à 15)
… le chapitre : 3. Le Carmel « déchaussé », pages 167 à 252 de Expériences mystiques en Occident II L’Invasion mystique des Ordres anciens, Les Deux Océans, Paris, 2012.
On complète maintenant (fév.2014) infra, à l’intention de sœur Marie, par quelques indications relatives à la base entière de données.
Où se trouvent actuellement les documents du Grand couvent de Paris photographiés à Clamart ?
Les Doc1 à Doc15 se trouvent actuellement (2014) dans notre base sous :
! MY-xE [Mystique — XianismeEtudes] /Et[udes]_carmels/ doc c.Jn X / MYS.Carm.17e_chx.DT _août 2010/ ! PROJET… & Doc1 à 15
!.... / doc c. Jn X/MYS.. Carm.etc_addition_nov2010
Les Doc1 à 15 ont été parallèlement redistribuées en doubles voire en triple dans notre base complètement remodelée, privilégiant les entrées par auteurs plutôt que par domaines :
! MY-xE [Mystique – XianismeEtudes] /Et[udes]_carmels/ Au [teurs] francais/MADEL.ST-JOSEPH [en capitales pour indiquer l’abondance des documents]/Doc4, 5, 9, 10, 11,
!.... / Marie de J (de Bréauté)/Doc7_3, 12
!.... / Marie de l’Incar (Mme Acarie)/Doc2 6
!.... / Brétigny (J de Quintadanavoine)/…=doc1
!.... / Agnès de JM (de Bellefonds)/Doc13 7
!MY-xE [Mystique — XianismeEtudes] /Et[udes]_carmels/ Et[udes] France /Doc_14
! MY-x1/17e s A / !TEXTES 17e A/Acarie/Transcription CD Pontoise/Témoignages Acarie TOTAL/Doc8
Doc6 Petite instruction ?
Les sources non retenues en 2010 pour un premier travail (dont de précieux manuscrits) figurent maintenant dispersés dans notre base arborescente surtout à proximité des Doc1 à 15 : il faudra donc retrouver les documents autres que ! PROJET… + Doc1 à 15 +… addition nov2010 en analysant l’ensemble de notre base, aidée en cela par deux outils (gratuits sur web) :
Picasa 3 permet la recherche dans l’immense arborescence par mots clés, par exemple « carmel » affiche tous les noms de dossiers ou directoires le comportant,
TreeSize Free permet d’établir une bonne « table des matières » ou synthèse en choisissant la profondeur d’exploration. Suit le projet rédigé :
Le thème cher au Carmel est celui de l’humilité, comme celui des franciscains est celui de la pauvreté, les deux ne s’excluant guère dans la pratique. Il est souligné par le rôle exceptionnel et inattendu de sœurs converses, dites du voile blanc : on le voit, dès la transmission de l’Espagne en France, par le rôle central assumé par Anne de Saint-Barthélemy. Ce qui fut bien mis en valeur par Anne de Jésus, lorsque cette dernière fit passer en tête, le jour de la prise de voile des premières carmélites françaises, deux figures : la laïque madame Acarie aux côtés de l’humble Andrée Levoix, arrêtant ainsi, par quelque inspiration bienvenue, les autres paires de postulantes accompagnées, qui les précédaient à l’entrée solennelle de la cérémonie.
Madame Acarie, tout à la fin de sa vie, obéira - non sans avoir éprouvé une première résistance - à l’ordre intimement reçu de Thérèse : devenir un jour sœur converse. Madeleine de Saint-Joseph avait demandé d’être converse ; elle restera très discrète, au risque d’apparaître à certains comme l’ombre du cardinal de Bérulle. À la fin du siècle, le frère convers Laurent de la Résurrection inspirera un Fénelon avant bien d’autres. Dans la réforme parallèle dite de Touraine, l’aveugle convers Jean de Saint-Samson assura la formation mystique d’une génération de Grands carmes.
En effet, l’humilité est bien adaptée à la vie contemplative, qui peut abriter un orgueil nourri de l’évidence d’une différence, comme la pauvreté est bien adaptée à une vie active, qui peut se satisfaire des richesses acquises. Dieu cisèle délicatement ce qui convient à chacun.
Il reste à rendre justice à ces figures négligées par suite de leur humilité, de l’effacement volontaire de leurs personnes – elles se retrouvent alors à l’ombre de ceux qui les gouvernent - même si la vérité jointe à l’humilité dans une limpide rectitude permet à une discrète Madeleine de Saint-Joseph d’être ferme et libre dans ses rapports avec les Grands. Aussi nous privilégions ici Anne de Saint-Barthélemy, Jean de Quintadanavoine, madame Acarie, Madeleine de Saint-Joseph et Marie de Bréauté, leurs dirigées… Il s’agit de l’intérieur mystique vécu au sein des carmels et non plus les aspects extérieurs et leurs acteurs très visibles, dont le cardinal de Bérulle. Ces derniers ont été largement couverts et mis en valeur par de nombreuses études historiques.
Évoquer le cadre qui a permis la naissance des textes et des témoignages fait l’objet d’une première partie biographique qui présente brièvement les concours établissant en deux générations une vie mystique carmélitaine en France (I. Figures et fondations à l’âge classique).
Suit la présentation de textes et témoignages de carmélites du XVIIe siècle, trésors enfouis par humilité (II. Écrits et témoignages). Une anthologie peut seule en effet refléter la vie mystique, tandis qu’une étude ne peut en être l’expression, même de façon lointaine : il n’y a pas plus de « pensée mystique » que de « pensée » poétique ou musicale. Notre but est de présenter des textes liés à l’expérience vécue, s’adressant au cœur plutôt qu’à l’intelligence.
L’implantation du carmel réformé en France est un cas exemplaire de l’Invasion mystique chère à l’historien du Sentiment religieux Bremond. Privilégiant ceux qui vécurent « au carmel » ou du moins qui furent en accord étroit avec les religieuses, plutôt que ceux qui l’administrèrent, assure la reconnaissance des figures mystiques, et évite de s’attacher au cadre formel des règles et des conflits compliqués propres à l’histoire de l’Institution. Nous commençons par illustrer l’humilité carmélitaine en soulignant le rôle du co-fondateur Jean de Quintadanavoine.
Jean de Brétigny est la figure qui fut la plus active en ce qui concerne l’acculturation du Carmel espagnol en France et en Flandre. Extrêmement humble, ne recevant que tardivement la prêtrise, il a été méconnu — jusqu’à l’étude fine du P. Sérouet, dont l’intérêt va au-delà de Jean, car il retrace l’histoire de l’arrivée en France des carmélites espagnoles8. Prototype du laïc pieux de l’époque — plus profondément, quelques traits discrets suggèrent l’efficacité de sa prière — il apparaît à nos yeux comme le préféré des moniales parmi les nombreux ecclésiastiques qui en assuraient de gré ou par force les directions. Il est apprécié par Anne de Jésus et par Anne de Saint-Barthélémy qu’il accompagnera en France puis à Bruxelles. Il tire une efficacité certaine de son origine, - de Quintanadueñas - liée au milieu international de Séville et de Rouen. D’intelligence concrète à défaut de facilités d’abstraction, sa double culture espagnole et française s’avérera très utile. S’y prenant très tôt pour implanter la réforme dans une France plongée encore dans l’affrontement des deux religions catholique et réformée, sa constance assurera le succès de l’équipée prise en main par Bérulle. Il ne cherchait par contre aucunement à s’adapter à l’habileté des puissants ecclésiastiques et des politiques, ce qui fut un handicap lors des négociations précédant la venue en France de premières carmélites réformées espagnoles.
Résumons le récit de P. Serouet mêlant intimement sa biographie au célèbre voyage assurant l’arrivée en France des carmélites. Long récit de la vie d’un « missionnaire intérieur » allant et venant entre deux royaumes ennemis.
Rouen est à l’époque la deuxième ville du royaume. Le milieu de marchands espagnols immigrés, marranes pour la majorité, contrôle le commerce maritime entre Rouen et Séville. La famille vient de Burgos, « l’extension de la firme familiale exige qu’elle soit représentée sur les marchés extérieurs », aussi conserve-t-elle des liens étroits avec ses membres demeurés en Espagne. Jean est envoyé à Séville à six ans où il arrive après une navigation dangereuse9. Il y demeure huit ans. Un événement vaut d’être noté : sa lecture de la vie de François d’Assise. Revenu à quatorze ans à la maison natale de Rouen, fils aîné suivi de deux filles, il est initié aux affaires commerciales. Il ne semble pas avoir de dons intellectuels mais compense cet handicap par une grande détermination : « si Jean n’avait pas de mémoire, il suppléait à cette déficience trop réelle par une extrême minutie et notait par écrit tout ce qu’il avait fait comme tout ce qu’il devait faire10. » De plus il lui était difficile de composer, ce qui est bien nécessaire dans le commerce, car il « aimait singulièrement la vérité, en sorte que jamais, quoi qu’il fût arrivé, il n’usait d’aucune dissimulation…11 » Il soulage les miséreux, refuse le mariage.
Il entreprend un second voyage en Espagne, l’été 1581, s’occupe efficacement de neuf religieuses flamandes réfugiées, rencontre Philippe II au Portugal, revient probablement à Séville en décembre 1582, juste après l’installation des religieuses à Lisbonne, enfin s’occupe des affaires familiales… Son « coup de foudre » se produit au premier entretien avec Maria de San José, prieure du couvent déchaussé de Séville pendant neuf ans : appréciée de Teresa, cette religieuse fonda le carmel de Lisbonne en 1584 puis en fut prieure, avant de mourir en 1603. Il rencontre le confesseur de Teresa, le Père Gratien (Graciàn) qui « lui fit suivre quelques mois les exercices du noviciat, ce qui était une faveur assez extraordinaire12. » Ce dernier lui avait raconté qu’avant d’entrer dans les ordres il « allait souvent trouver ces sortes de femmes qui mettent leur honneur à prix d’argent, et leur donnait largement ce qu’elles eussent pu recevoir en faisant le mal, les obligeant à passer ce jour-là sans pécher ; et même passait souvent la nuit en leur chambre, en prières et en oraisons pour leur conversion, pendant qu’elles dormaient…13 » Il s’en inspire — mais sans aller jusqu’à prendre de risques ! Compagnot déclare qu’« au lieu d’un monastère de pauvres repenties qui l’appelaient leur père, comme lui reprochait sa cousine et de cinquante enfants que lui souhaitait sa tante, Dieu avait voulu que les religieuses de plus de cinquante monastères… l’appelassent leur père…14 ».
Jean de Brétigny rencontre Jean de la Croix en tant que jeune laïc assistant exceptionnellement au chapitre des carmes déchaussés : « Enfin, tous les problèmes importants ainsi réglés, on fit comparaître ce curieux jeune homme qui avait la bourse si bien garnie et le cœur si généreux. Jean de Brétigny plaida avec ferveur la cause de sa patrie…15 ». Il obtient l’accord du chapitre pour la fondation de couvents de carmélites en France — à la condition qu’un couvent de carmes précède leur établissement, l’état de la France étant peu sûr. Il rentre en France en octobre 1586 après être passé par Madrid, avoir rencontré Anne de Jésus et financé partiellement une édition des Fondations (qu’il traduira plus tard – et fort bien). Ainsi le « fils prodigue… n’avait fréquenté que les prostituées et les carmélites » ! La situation politique troublée — quel roi ? Henri III ? Charles X ? Henri IV ? — ne permet pas de faire avancer le projet du transfert de religieuses espagnoles.
Il fait un nouveau séjour en Espagne en 1593 et 1594. Les carmes, tombés sous la coupe de Doria, refusent de laisser partir des carmélites « en France, où l’on veille à soutenir la foi catholique plus avec les armes qu’avec l’observance régulière de deux ou trois moniales étrangères ; elles ne savent pas la langue et ce n’est pas leur profession de prêcher ni de disputer contre les hérétiques… il faudrait faire accompagner ces religieuses d’une demi-douzaine des pères les plus graves de l’Ordre…16 ». Mais Brétigny tient bon. Il forme une sorte de petite communauté à Madrid avec Étienne Fouquet, prêtre, et Romain Le Doux, serviteur. On y lit à trois l’excellent Art d’aimer Dieu d’Alonso de Madrid. On pratique deux heures d’oraison journalière.
Après de nouvelles tentatives pour instaurer un couvent en France, il reçoit le sacerdoce en 1598, formé par « un jeune curé savant et pieux, Jacques Gallemant ». Ce dernier lui ordonne t-il de faire le sermon à sa place ? il se contente de réciter posément le Notre Père, « ce qui toucha plus les cœurs que le beau sermon de Gallemant. » Il traduit fidèlement Teresa : paraît en 1601 cette première édition française qui demeurera longtemps la seule. Il assure la délicate réforme du couvent de bénédictines de Montivilliers (qui sera attribuée à Gallemant par les historiens).
Des réunions prennent place à Paris chez madame Acarie, dans la cellule de dom Beaucousin et dans la chapelle publique de la chartreuse de Vauvert, réunissant : le Père vicaire, Gallemant, Duval, Bérulle (cousin de Mme Acarie), Brétigny. Occasionnellement, les Pères Pacifique et Archange, capucins ; enfin François de Sales (devenu confesseur de madame Acarie) : « Il laissait discuter tous ces grands personnages… quand on avait besoin d’un renseignement pratique, il était seul à pouvoir le fournir, le seul qui connut vraiment le sujet…17 ». Finalement l’affaire est prise en main par un « triumvirat d’ecclésiastiques, Messieurs Gallemant, Duval, Bérulle… on se défiait de lui. On pensait qu’il considérerait sa mission de supérieur comme une charge provisoire ». « Jean de Brétigny reprit sa correspondance avec les carmes espagnols. Ce n’était pas chose facile de leur expliquer qu’on allait fonder des monastères de carmélites en se passant d’eux : on leur demandait des sujets de valeur pour ces fondations, dont on serait bien reconnaissant de ne plus s’occuper par la suite ». On réquisitionne le terrain du prieuré bénédictin à Saint-Germain des Prés pour construire le nouveau monastère, mais il « n’aimait pas négocier en menaçant l’autre partie des foudres royales ou papales »18.
Le voyage d’Espagne qui ramènera les carmélites a enfin lieu (1603-1604). Jean parti en premier fait montre d’une apparente inaction suite à la lettre comminatoire de Bérulle :
Contentez-vous, s’il vous plaît, de mettre le pied dans le pays… sans vous adresser ni au roi, ni à la reine, ni à monsieur le nonce, ni à monsieur l’ambassadeur, ni même aux pères de l’Ordre…19.
Quand Bérulle et Gaultier arrivent :
… notre bienheureux Père de Quintanadoine eut un grand champ pour exercer sa patience et charité en ce pays, car n’y ayant que lui et mademoiselle du Pucheuil qui y fussent connus, tout tombait sur lui, il fallait qu’il répondît et rendît raison de tout… y introduire Monsieur de Bérulle et Monsieur Gaultier, qui faisaient toutes les affaires20.
La famille de Jean se porte caution d’une forte somme pour financer le retour des mères espagnoles dans le cas où il se produirait avant deux années. À quarante-huit ans, Jean voit enfin son rêve exaucé. « On n’a plus besoin tellement de lui au carmel de Paris » - mais il sera encore actif pendant trente ans.
Fondation du Carmel de France à Paris (1604), de celui de Pontoise. Il s’entend bien avec Anne de Saint-Barthélémy qui écrit en février 1605 : « Je ne sais comment il se fait que l’on vous laisse si longtemps là-bas. Ce doit être pour nous mortifier… Que ceci soit pour vous seul, parce que, si l’on pense que nous le désirons, ce sera pis ». Il escorte en effet les trois religieuses salmantines dont Anne de Jésus (on n’est pas mécontent de les voir quitter Paris) pour la fondation de Dijon, car il a toute leur confiance. C’est à ce moment qu’il traverse une « nuit spirituelle la plus noire ». Il est le confident d’un « ténébreux passage » vécu par la mère Isabelle des Anges21.
Il fait un séjour préparatoire pour la fondation du carmel de Bruxelles en 1606, car il connaît bien l’Infante Isabelle et va ensuite à Dijon porter la lettre de l’Infante à Anne de Jésus. S’ensuit le départ de sœurs pour la Flandre. Bérulle et Duval nomment Gallemant comme accompagnateur d’Anne de Jésus, mais ce dernier passe outre à leur souhait en inscrivant le nom de Jean sur le bref… Supérieur des carmels des Pays-Bas (1607-1610), il prend part aux trois fondations de Bruxelles, Louvain et Mons, sans oublier de fonder le Carmel de Rouen (1609).
Il eut la tentation de partir comme missionnaire au Congo, à l’époque de sa nuit, car « considérant ma tiédeur… Il me ferait [ainsi] la grâce de me pardonner mes péchés. » Mais il demeure en Bourgogne à Dole de 1614 à 1622, car cette ville dépend de l’Espagne tout en étant près de Dijon, enfin à Besançon. Les voyages entre Rouen et Bourgogne sont fréquents tandis que la tentation du Congo revient. À soixante-cinq ans son activité est inlassable : « Ce sont mes folies, mais, comme elles sont faites par amour, elles sont dignes de pardon 22 ». Au service des carmélites de 1622 à 1634, il s’efface au moment de la « crise des années 1620 », liée aux règles.
L’introduction à Paris de la réforme espagnole fut l’œuvre conjointe d’un grand nombre de religieux et laïcs rassemblés autour de madame Acarie, même si le premier ouvrier en fut Brétigny ; outre François de Sales et le cardinal de Bérulle et laissant de côté Beaucousin et ses chartreux actifs par leurs traductions et leurs conseils, se détachent quatre figures dévouées à la cause du carmel. L’élan apporté à l’œuvre commune par madame Acarie donne à cette dernière droit au titre de « fondatrice du carmel français ».
Commençons par deux membres du « triumvirat » qui sera chargé de la direction des carmélites. La forte personnalité du groupe en est le futur cardinal de Bérulle, ne sera abordée (ce n’est pas un mystique). Les deux autres membres sont Jacques Gallemant et André Duval.
Jacques Gallemant (1559-1630) 23 « souple et nuancé, prudent et désintéressé, sait… montrer avec les carmes une condescendance qui contraste avec l’attitude de Bérulle ou de Marillac. Doctrinalement, il est dans le sillage de Benoît de Canfield », ce qui est remarquable compte tenu de l’opposition entre christo-centrisme carmélitain et mystique « abstraite » rhéno-flamande, illustrée par le combat de Graciàn24 contre les capucins de Flandre.
Gallemant sera aux côtés de Duval contre Bérulle, et saura libérer Brétigny en le faisant nommer à sa place supérieur en Flandres. Enfin il est profondément spirituel :
« La mère Marie de Hannivel de la Sainte Trinité, la première carmélite professe de France m’a assuré… qu’elle était entièrement persuadée, que pas une de ses pensées, ni les plus déliés mouvements de son cœur, ne lui étaient point cachés. Il connaissait même pendant ses visites, ce que la grâce opérait dans un monastère, dès qu’il s’en approchait. … Dieu lui mettait dans les mains en ces conjonctures [les ministères de la pénitence et de l’eucharistie] comme une balance, dont il pesait les âmes. Ce sont les termes dont il a déclaré confidemment cette haute prérogative. Il y voyait d’ordinaire les formes différentes que la grâce y prenait… le point de Justice où elles arrivaient… il y ressentait avec des peines horribles, les indispositions criminelles de ceux qui lui demandaient avec des consciences de démons les dons de Dieu25. »
André Duval (1564-1638) protège Vincent de Paul en opposition avec Bérulle et s’oppose au vœu de servitude que ce dernier voulait imposer aux carmélites. Il est le conseiller et le biographe de madame Acarie qu’il soutint lors du dernier terrible affrontement à Pontoise. Il approuva, comme Gallemant, la Règle de perfection de Benoît de Canfield : ainsi la fortune de l’école abstraite « s’explique en bonne partie par la protection active du ‘bon monsieur Duval’ enseignant pendant plus de quarante ans » selon Dodin. Bérulle et Condren furent ses élèves26.
Nous allons retracer brièvement la vie de Madame Acarie en me centrant non sur son rôle historique, mais sur les seuls aspects personnels. Puis nous aborderons quelques thèmes en essayant de cerner son vécu sans recourir à des grilles d’analyse psychologiques, c’est-à-dire en la respectant en s’appuyant sur les témoignages nombreux recueillis lors d’un procès de canonisation qui ne put aboutir par suite de querelles qui affligèrent le carmel réformé français28. Il existe également de nombreux témoignages moins directs29.
Barbe Avrillot est née en 1566 à Paris pendant les guerres de religion — elle a six ans lors de la Saint-Barthélemy. Elle voulut être religieuse à l’Hôtel-Dieu mais on la maria à seize ans et demi à Pierre Acarie, âgé de vingt-deux ou vingt-trois ans. Sa vie est agréable : ils sont amoureux l’un de l’autre, et la belle-mère chérit sa belle-fille. Elle eut six enfants entre dix-huit et vingt-six ans, dont elle s’occupa très bien conjointement avec sa servante Andrée Levoix, puiqu’ils restèrent tous vivants. Ils furent élevés très strictement, apprenant très tôt à donner et haïssant le mensonge. La belle Acarie aimait les fêtes, lisait Amadis de Gaule, éprouvait beaucoup de déplaisir à rencontrer plus belle qu’elle.
À vingt et un ou vingt-deux ans, elle lit cette maxime : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit », et c’est le choc qui la fait basculer vers l’intériorité. Jusqu’à sa mort, elle sera sujette à des états mystiques profonds où elle pense « mourir de douceur ». Bien qu’elle ait honte de montrer ces états, elle ne peut les cacher et elle reste sans mots, « hors des sens ». Les médecins ne savent qu’en penser et prescrivent des saignées qui l’anéantissent. Elle craint beaucoup de se tromper, d’autant plus qu’à cette époque la peur du diable est répandue. En témoignent les crises et les conversions non dénuées de crainte de contemporains : le jeune François de Sales, les mystiques Benoît de Canfield, Augustin Baker, Marie des Vallées. Heureusement le père Benoît de Canfeld reconnaît en elle la présence de la grâce.
À l’époque du siège de Paris par Henri IV elle se dévoue pour soigner les blessés et les malades comme pour nourrir les affamés.
Puis viennent de nombreuses épreuves qu’elle assume avec grand courage : son mari dévôt choisit la Ligue, est retenu prisonnier en 1594, lorsque Henri IV entre à Paris. Leur maison est saisie, Barbe et ses six enfants se retrouvent sans ressource. On voit alors son extrême patience dans l’adversité. La carmélite Marguerite du Saint-Sacrement, raconte comment sa mère fut obligée de demander de l’argent à une relation 30 :
Elle se mit à genoux, lui supplie lui faire la faveur lui prêter au moins cinq sols pour lui avoir du pain, lui remontrant sa nécessité et la charge de ses enfants, lui pensant amollir le cœur ; au contraire avec paroles piquantes lui fait refus et lui dit qu’elle ne mettait ses enfants en métier chez quelque cordonnier ou savetier — l’aîné de tous avait environ huit à neuf ans — et la renvoya de la sorte sans lui bailler un sol.
La même Marguerite témoigne du calme de sa mère dans l’épreuve 31 :
Et un jour pendant qu’elle prenait sa réfection les sergents entrèrent en sa maison qui saisirent tout même les plats qui étaient sur la table jusqu’à l’assiette qui était devant elle sans qu’elle s’en émût aucunement. Et nous a dit qu’elle ressentit une joie très grande de se voir réduite à cet état de pauvreté…
Elle a un très grave accident : au retour d’une visite à son mari, autorisé à se rapprocher de Paris, elle est désarçonnée et traînée longuement par son cheval ce qui provoque la rupture du fémur en trois endroits : elle marchera dorénavant avec des béquilles. Deux autres chutes qui succèdent à la première la rendront définitivement infirme.
En 1599 elle obtient d’Henri IV la grâce de son mari et l’hôtel de la rue des juifs leur est restitué. Il devient un centre de la spiritualité catholique fréquenté en particulier par Bérulle et par François de Sales. Ce dernier confia au P. Jean de Saint-François :
… quand il approchait de cette sainte âme [il s’agit de Barbe], elle imprimait en la sienne un si grand respect à sa vertu [au sens latin de virtus], qu’il n’eut jamais la hardiesse de l’interroger de chose qui se passait en elle…
À trente-deux ans, Madame Acarie demeure toujours belle, gaie et agréable. Elle déploie une grande activité, par exemple en faveur de prostituées.
Son premier contact, à trente-cinq ans, avec l’œuvre traduite en 1601 de Thérèse d’Avila ne l’emballe pas : trop de visions ! Mais la sainte se manifeste intérieurement par deux « visions » espacées de sept à huit mois - Barbe n’utilise pas un tel terme, mais celui de « vues de l’esprit » 32 - et le projet d’introduire le Carmel réformé féminin en France prend forme : les futures jeunes carmélites françaises se placent sous sa direction, réunies à l’hôtel de la rue des Juifs. Les travaux du premier monastère de Paris commencent en 1603, dirigés et financés par Barbe (et par Marillac). Les sœurs espagnoles arrivent enfin le 15 octobre 1604 après l’équipée célèbre de Madrid à Paris. Le second monastère est ouvert à Pontoise dès janvier 1605. Barbe est liée aux nombreuses fondations suivantes.
Pierre meurt en novembre 1613. Barbe entre au carmel d’Amiens à l’âge de quarante-huit ans comme sœur laie, suivant le vœu exprimé par Thérèse, en février 1614. Elle aide à la cuisine. On rapprochera Marie de l’Incarnation du frère Laurent de la Résurrection : « tous deux sont affectés à des travaux dits abjects à cette époque […] avec un handicap physique lourd : Laurent avait une jambe de bois et madame Acarie des “potences” pour suppléer à l’infirmité de ses jambes. »33. Elle ne peut être prieure comme le désiraient les carmélites et la nouvelle prieure imposée, qui gouverne « à la Turque », lui interdit de guider les autres sœurs sans les prévenir de cette interdiction… Elle est finalement transférée à Pontoise en décembre 1616 où elle peut donner conseil aux novices : tout est paix. Mais elle est fondamentalement opposée à toute idée de servitude, et le conflit né du vœu à Jésus et Marie demandé par Bérulle lui est particulièrement pénible.
Elle est très malade et là encore sa patience est totale. Sa fille raconte :
En ses maladies sa vertu paraissait en elle par-dessus tout autre temps. Jamais je ne l’ai ouï plaindre par mouvement d’impatience et comme j’étais toujours en sa chambre et y couchais, je l’entendais la nuit se lever seule et chanter des Hymnes à Dieu pour ne se laisser aller à donner plaintes pour les grandes douleurs qu’elle souffrait de sa jambe rompue. 34.
Lors de sa dernière maladie, Agnès de Jésus — des Lyons
… a remarqué qu’Icelle Sr Marie de l’Incarnation fût vingt-deux jours et vingt-deux nuits sans reposer aucunement et néanmoins demeura si tranquille et unie à Dieu qu’elle disait quelquefois la nuit : « Mon Dieu je n’en peux plus, pouvez pour moi. » 35
Barbe Acarie, devenue la converse Marie de l’Incarnation, meurt le mercredi de Pâques 1618.
Elle aurait détruit ses écrits. On ne possède que quinze lettres ou extraits de lettres, un petit opuscule des Vrais exercices…, enfin des dits rapportés dans les témoignages, en particulier par le P. Coton, André Duval, etc. D’où l’importance des témoignages que nous présenterons dans les textes qui suivent cette introduction.
Ayant présenté les deux principales figures de Brétigny et de madame Acarie, nous pouvons revenir sur l’histoire de l’implantation carmélitaine. Nous serons bref, n’oubliant pas que tout ce déroulement n’est qu’un des moyens mis en œuvre pour faciliter l’essor de la vie mystique. Tout commence par le voyage qui, après ceux de Brétigny, assure enfin le transfert de six religieuses espagnoles en France. Nous avons déjà placé cet événement dans le contexte de la biographie de son premier ouvrier. Outre le récit de Bremond et l’approfondissement — mais cela est-il vraiment utile ? — des politiques et des querelles, il est plaisant de revivre par leurs propres récits les aventures et les traverses surmontées par les principales intéressées36.
Un contexte plus parisien, débordant l’infatigable protecteur des carmélites Brétigny placé dans l’ombre de la forte personnalité de Bérulle, montre le rôle central de madame Acarie qui découvre en 1601 les récits des fondations de Teresa (il semblerait toutefois que cette dernière ait dû intervenir ensuite directement pour convaincre la future Marie de l’Incarnation !). À la seconde assemblée à la chartreuse de Paris, en 1602, « tout le monde est là » : dom Beaucousin, Mme Acarie, Jacques Gallemant (figure méconnue qui saura « équilibrer » Bérulle), André Duval (docteur de la Sorbonne, toujours utile), Jean de Brétigny, Pierre de Bérulle (dans toute l’énergie de la jeunesse) et François de Sales (brièvement lors de son passage à Paris)37.
On n’oubliera pas le rôle très important de Michel de Marillac (1560-1632), futur garde des sceaux au destin tragique. Il était familier de Pierre, le mari de madame Acarie, ayant fréquenté le même collège de Navarre. Il avait eu indépendamment l’idée d’établir la réforme en France, et se joignit ainsi à madame Acarie pour l’aider à obtenir les lettres patentes du roi, obtenir la permission du pape38, enfin faire hâter les travaux de construction du futur monastère :
Je ne sais si j’ose dire… que j’ai toujours vécu avec elle dans la plus grande et la plus entière amitié qui peut être entre deux personnes et plus liberté et de franchise qui s’en puisse avoir39.
Les négociations commencent, elles sont compliquées par la politique de l’époque où les catholiques dévôts sont écartelés dans leurs fidélités : au pays de France ou à la religion hispano-romaine ? Henri IV sera un temps excommunié et finalement assassiné par un dévot fanatique40.
Jean de Brétigny, son compagnon serviteur Jean Navet, René Gaultier (le futur traducteur de Jean de la Croix) et son domestique Claude, Mme Jourdain qui deviendra en religion Louise de Jésus (1569-1628)41, une cousine de Brétigny et une servante, future carmélite, forment l’équipe qui part de Paris à la fin septembre 1603. À l’exception de Gaultier et de son domestique, l’équipe prend le bateau à Nantes à la mi-octobre, arrive au Pays basque espagnol le 20 novembre après une tempête prévisible en la saison — la saisie des livres au débarquement par l’Inquisition locale, dont Thérèse en français, l’était moins — enfin voyagent par temps de neige pour arriver à Burgos et à Valladolid le 30. Gaultier et Bérulle les rejoignent trois mois plus tard. Les négociations furent difficiles.
Enfin, le 15 septembre 1604, passent au retour, à Irùn, six sœurs espagnoles et non des moindres, comptant parmi elles Anne de Jésus, Anne de Saint Barthélémy, Isabelle des Anges (1565-1644) qui ne quittera plus la France et demanderait à être mieux connus : elle vécut en France quarante ans et « exerça une influence discrète, mais puissante », fondant de nombreux carmels ; mais elle ne laissa aucun écrit : « Nos actions n’ont pas à être multipliées, mais perfectionnées » disait-elle42.
Un mois plus tard, le convoi arrive à Paris, car les Français sont moins sauvages que ne le craignaient les sœurs. Elles pensaient (ou désiraient ?) être martyres aux mains de protestants. Accueillies par les bénédictines de Montmartre, elles sont dès le lendemain installé dans le monastère de Notre-Dame-des-Champs en voie d’achèvement.
Le récit de la religieuse espagnole Ana de San Bartolome qui eut la plus grande influence sur la naissance du carmel thérésien en France est resté inédit en français jusqu’à maintenant43, tandis que celui de madame Jourdain devenue par la suite la vénérable Mère Louise de Jésus est disponible44.
§1. Un de nos supérieurs m’a ordonné d’écrire ce qui s’est passé au cours du voyage d’Espagne, mais je ne sais si je me souviendrais, car il fut très long, il s’y est passé bien des choses.
§2. Il n’y a ni terre, ni lieu si abandonné que Dieu ne lui envoie quelque Moïse pour prier et élever les mains et le cœur vers le ciel comme nous le voyons dans le cas de la France. Quand tout paraissait perdu, Dieu laissa en elle, non un seul Moïse, mais beaucoup qui devaient intercéder pour leur peuple avec des veilles, des mortifications et des larmes.
§3. Comme je l’ai déjà dit, en ce temps de souffrances et de désolation pour les catholiques — car il y avait beaucoup de bons et d’excellents chrétiens — voyant qu’en Espagne s’était levée la grande Thérèse, la sainte Mère des carmélites, qui avait un grand zèle pour Dieu et à qui — pour cela—Dieu avait donné la grâce et le charisme pour réformer et renforcer son Ordre avec la rigueur nécessaire pour que celles qui s’y réuniront, comme elle le dit dans ses livres, soient toujours en oraison, en exercice de mortification et de pénitence pour aider le Christ et les catholiques dans la conversion du royaume de France. Elle portait toujours en son âme un vif désir qui la poussait à l’implorer pour lui. C’est vraiment une chose que se racontent beaucoup de ceux qui en ont été témoins que le jour même où fut fondé le premier monastère — jour de la saint Barthélemy — ce jour même eut lieu une si grande bataille entre chrétiens et hérétiques que dans les rues de beaucoup de villes de France le sang de ceux qui mouraient coulait comme de l’eau tant il y en avait45. Bien que de part et d’autre beaucoup moururent, les chrétiens eurent la victoire. Depuis ce jour, à cause de ce pauvre petit monastère que cette sainte avait élevé, on ne voit aucune église, si petite soit-elle, qui ait été détruite
§4. Après avoir fondé beaucoup de monastères de sœurs et de frères, Dieu lui donna de jouir du fruit de ses travaux et permit la séparation de la Province. À sa mort, et depuis, comme Dieu voulait la faire connaître ; il se fit beaucoup de miracles. À ce moment-là, il y avait beaucoup de Français catholiques en Espagne qui désiraient le salut de leur peuple. Parmi eux Dieu avantagea un de ses bons serviteurs appelé Monsieur de Brétigny 46qui, avec beaucoup d’ardeur, s’efforçait d’emmener des religieuses. Mais à ce moment là il ne put y arriver et donc emporta les livres de la Sainte et les fit traduire en français. Elle y parlait de la France si favorablement que les dévots s’intéressèrent à elle et prirent courage. Ils réunirent de jeunes filles dans quelques villes pour les instruire selon l’esprit de cet Ordre. Voyant qu’elles étaient dans de bonnes dispositions, ils demandèrent licence au Roi de fonder ce monastère de Paris avec le désir d’y amener des religieuses et si cela ne pouvait se faire d’apporter les Constitutions et d’instruire celles qui étaient réunies et de leur donner l’habit de l’Ordre de notre Sainte Mère.
§5. A partir de cela, ce serviteur de Dieu dont j’ai parlé, retourna en Espagne et prit avec lui trois dames honorables 47 pour que — si on lui donnait les religieuses — elles reviennent en leur compagnie et leur apprennent la langue. Il y eu aussi don René48. C’est au grand péril de leur vie qu’ils prirent la mer. Sa Majesté éprouvait leur courage en toutes sortes d’occasions, mais ils étaient si fidèles au dessein de Dieu que rien ne les abattit.
§6. Ils restèrent en Espagne quelques mois sans pouvoir obtenir ce qu’ils désiraient, c’est-à-dire que l’Ordre leur donne des religieuses. Voyant cela Monsieur de Bérulle vint et tous y travaillèrent presque une année. Avant d’obtenir la permission de l’Ordre, ils supportèrent de gros affronts et difficultés, car on ne les reconnaissaient pas comme les bons serviteurs de Dieu qu’ils étaient. Ils le sont beaucoup, les œuvres et le zèle pour l’honneur de Dieu qu’ils ont montrés, témoignent de leur grand esprit de foi, mais pour que leur vertu soit éprouvée, Dieu permettait qu’on ne les reconnaissent pas comme tels. Certains disaient qu’ils étaient hérétiques ou d’autres choses semblables, qu’ils allaient tromper leur monde. Ils supportaient tout avec grande patience et humilité et, persévérant malgré tout, obtinrent ce qu’ils désiraient. Il y avait en Espagne beaucoup de serviteurs et de servantes de Dieu à qui Dieu avait révélé que c’était sa volonté qu’elles aillent en France. Notre Seigneur dit à quelque une d’entre elles 49 qu’elle dise aux français que ce qu’ils faisaient lui plaisait beaucoup et qu’une bonne couronne leur était réservée.
§7. Les religieuses qui devaient partir se réunirent au premier monastère fondé par notre Sainte Mère, à Saint Joseph d’Avila. Ce fut chose merveilleuse de voir que cette réunion eut lieu le jour même où elle l’avait fondé : jour de Saint Barthélemy, apôtre. Elles restèrent là sept ou huit jours jusqu’à l’arrivée de notre Père Général 50 et d’autres pères de l’Ordre pour donner le coup d’envoi à ce voyage.
§8. En fait elles partirent d’ici le jour de la décollation de Saint Jean 51 Notre Père Général, frère François de la Mère de Dieu, les accompagna une partie de la première étape et quand il fit ses adieux, elles lui demandèrent de les bénir. Il le fit avec beaucoup de peine tant de sa part que de celle des religieuses : lui de voir partir des filles qu’il aimait, seules en terre étrangère, avec des personnes étrangères. Bien que ceux-ci étaient et sont grands serviteurs de Dieu, comme je l’ai déjà dit, notre Père ne connaissait pas à ce moment là ce qu’était leur vertu et les filles et le Père faisaient un grand sacrifice à Dieu. Il ne faut pas s’étonner de cette peine et de ces larmes, car leurs cœurs ressentirent très violemment la peine de cette séparation. Elles quittaient pour toujours leur pays et des supérieurs — si religieux — et étant de faibles femmes et plus sujettes au changement que les hommes, elles ne pouvaient manquer de craindre et de se demander si ce voyage était l’œuvre de Dieu bien qu’il y eut beaucoup de raisons de l’espérer. Les cœurs bien qu’ils sentaient cette faiblesse étaient par ailleurs forts et remplis de détermination pour endurer et souffrir pour Dieu et le bien des âmes jusqu’à la mort. Je sais de quelqu’une 52 que pendant tout le voyage, elle avait la certitude que Dieu était avec elles, aussi sûrement que si elle le voyait avec les yeux du corps. Elle le voyait aussi avec les yeux de l’âme et recevait très souvent bien des grâces particulières au cours desquelles Dieu l’assurait que venue de toutes ces religieuses devait lui être très agréable.
§9. Deux religieux, grands serviteurs de Dieu, 53 venaient avec nous ainsi que deux prêtres français54, un autre gentilhomme 55 et trois cavaliers plus quelques Espagnols. Il y avait aussi trois Françaises56, seules dans un coche et dans un autre les six religieuses ensemble.57. Nous nous retrouvions seulement dans les auberges et elles nous apprenaient la langue, mais nous ne sommes pas arrivé à la maîtriser et bien que la plupart d’entre nous la comprenons, nous ne la parlons pas bien si ce n’est pour quelques expressions. Notre Seigneur nous a mortifiées, mais je crois que c’est pour un bien, car parler peu n’a pas eu qu’un mauvais côté : chaque nation a ses usages et ceux qui y habitent en possèdent les caractères, ils ne désirent pas toujours, ni ne trouvent bon de les changer. Aussi cela a été mieux pour eux que nous ne parlions pas bien pour que les choses aillent avec plus de douceur. Cependant en ce qui touche la rigueur et le respect de la Règle qu’elles gardent très scrupuleusement, elles nous comprennent bien, mais c’est en d’autres choses que cela manque. Ainsi le silence est une bonne chose pour toutes.
§10. Revenons à notre voyage. Il se poursuivait avec bonheur et contentement, mais le mauvais esprit voyant que ceci pourrait nuire à ses prétentions, commença, Dieu le permettant, à semer le trouble et le désordre. Ce ne fut pas une petite peine pour les françaises que vienne à quelques-unes des religieuses une grande tentation de mécontentement et le désir de s’en retourner, car il leur semblait qu’elles allaient à leur perte. Ceci troubla tout le monde, car le voyage était déjà commencé et tout était organisé. Mais le Seigneur, bien qu’il éprouve, ne laisse pas le démon arriver à ses fins. Bien que les trois 58 étaient très perturbées et avaient le plus de poids, les trois autres ne voulaient pas et disaient qu’elles poursuivraient la route, faudrait-il mourir. Ainsi fut désamorcée la tentation parce que la volte-face des unes et non des autres aurait donné lieu à des rumeurs et pardessus tout Dieu le voulait. Pendant tout le trajet jusqu’en France, elles ne manquèrent pas de peine et de déplaisir, mais elles décidèrent de rester un an et après avoir fait faire profession à quelques Françaises, de repartir. Telle était leur idée, mais Dieu en avait d’autres et a dirigé les choses autrement et jusqu’à présent — cela fait quatre ans que nous sommes sorties d’Espagne — aucune n’est retournée ni, je crois, ne retournera. Elles ont fait et font beaucoup de bien, car elles ont traversé et traversent beaucoup de difficultés, chaque jour, mais c’est inévitable parce que c’est l’occasion de beaucoup de conversions et de paix dans les Royaumes59 et comme on dit : « Qui divise en sort toujours blessé. » Mais ces blessures sont pour le salut des âmes.
§11. Je crois que toutes mes compagnes sont des saintes et le montrent par leurs œuvres, leur patience et leur persévérance au milieu de tant de contradictions. Je pourrais facilement en dire beaucoup et aussi au sujet de ce qu’elles ont souffert pendant le voyage, mais j’en ai déjà parlé ailleurs et d’autres écriront ce qu’ils en savent et le feront comprendre mieux que moi.
§12. On ne peut imaginer la difficulté pour des femmes et qui plus est des religieuses, que ces grands voyages. Obligatoirement on devait faire à pied beaucoup de trajet et à découvert, il fallait se servir du premier venu capable d’aider à sortir des périls quand on se voyait au milieu d’obstacles et de la boue. Mais il faut louer le soin et de la vertu des Français qui nous emmenaient : leur prévenance pleine de délicatesse pour nous rendre service nous confondaient toutes, car pendant tout le voyage, on ne remarqua en eux aucune parole déplacée, ni impatience, ni quelques légèretés causées d’habitude par la fatigue des grandes routes, car cette fatigue même égaie et fait dire des impertinences. Ceci me fait beaucoup rendre grâces à Dieu et admirer la sainteté et la perfection qu’ils montaient en respectant l’habit de la Vierge et de la sainte Mère, notre fondatrice Thérèse de Jésus. Tout ceci est pour nous un exemple de vertu et un motif de confusion.
[…]
Notre connaissance de la vie en clôture de cette religieuse est par chance excellente, grâce à de très nombreuses sources60. Les « brouillons » des carmélites qui déposèrent en vue du procès de béatification donnent de précieuses informations, car les plus intéressantes d’un point de vue intérieur ne sont pas retenues dans les dépositions d’un procès exigeant des faits objectifs et le summarium du procès présente donc peu d’intérêt61. La belle biographie par Louise de Jésus, à compléter par des études particulières, demeure incontournable62. De nombreux écrits nous sont parvenus grâce aux sources manuscrites, aux citations de ses biographes, aux publications faites au XVIIe siècle à l’intention des carmels nouvellement fondés63.
Née à Paris en mai 1578 elle habite en Touraine et fait connaissance au cours de l’hiver 1603-1604 de Bérulle : ce dernier travaille alors à introduire les carmélites en France. Madeleine décide de se joindre à la fondation : elle fait profession le 12 novembre 1605, soit treize mois après l’arrivée des Espagnoles ; immédiatement chargée des novices, elle prendra effectivement cet emploi au printemps 1606. Son père désire fonder un couvent à Tours sous la direction d’Anne de Saint-Barthélemy qui s’y rend. Madeleine de Saint Joseph est alors élue prieure du premier couvent de Paris en avril 1608, puis réélue en 1611. Déchargée en 1614, elle fonde en 1616 le carmel de Lyon. Elle est rappelée en 1617 pour établir le deuxième couvent de Paris, rue Chapon, dont elle est prieure pendant six ans.
Sa vie intime est traduite par quelques notes « échappées à son humilité destructrice ». Elle peint ainsi un état de séparation et de mort mystique :
… la vérité qui est en elle lui montre que de faire quelque chose, c’est dérober à Dieu. Et lors l’âme dit : Je ne dois pas Seigneur, me trouver en quelque lieu, puisque je ne suis pas64.
Elle est assistée dans cette nuit :
Le 15e janvier 1622, il me fut montré que le degré de gloire que je devais posséder dans l’éternité était arrêté, et qu’au moment de ma mort, il me serait appliqué une grâce conforme à ce degré de gloire, sans égard à la longueur ou à la brièveté de ma vie. Je vis aussi que je mourais à moi-même dès ce moment, que ma vie serait désormais pour les autres et non plus pour moi-même65.
Sa biographe ne doute pas d’une filiation dont les chaînons sont Jean de la Croix, Anne de Jésus, Madeleine de Saint-Joseph66, Marie-Madeleine de Jésus67.
En 1624 Madeleine est de nouveau élue prieure du premier couvent, qu’elle gouverne pendant onze ans. Elle ne nous apparaît pas comme une créature soumise aux cardinaux de Bérulle et Richelieu. Elle est estimée de ce dernier68, tout en ne manquant pas de courage politique69.
Elle fut longuement malade :
Ses douleurs atteignaient parfois une telle acuité, « qu’elle se trouvait obligée de s’écrier … “Mon Dieu, patience !”… Son esprit était dans une aussi grande paix, et sa conversation avec les sœurs aussi libre que si elle n’eût rien souffert70.
Le premier médecin de la reine lui ayant demandé quelque chose sur ses maladies, lui offrant de la traiter, elle se contenta de sourire et lui répondit qu’elle savait un bon remède qui était la résurrection, détournant ainsi l’entretien… elle en faisait de même à nos sœurs… si je meurs de ce mal, je ne mourrai pas d’un autre71.
Elle meurt en avril 1637. Cette vie en communauté sous la clôture, et donc sans événements particulièrement originaux qui nous soient parvenus, cache une action très profonde qui assure le développement et l’unité des carmels par la formation intérieure de leurs fondatrices.
Une “élévation” ou courte homélie faite par Madeleine à ses religieuses, ainsi qu’une “instruction” ou méditation proposée pour la semaine constituent des témoignages intéressants sur la spiritualité des carmélites, au-delà de la présentation d’une d’entre elles. Le caractère de joie qui en est la marque mystique disparaîtra malheureusement dès la fin du siècle par l’arrivée d’influences du (second voire troisième) jansénisme.
Dans l’“Elévation” proposée par Madeleine de Saint-Joseph à ses religieuses à l’occasion de la fête de saint Jean l’Evangéliste :
Nous devons faire ce que vous commandez, rien de plus, sans nous mettre en peine de ce que votre sainte volonté ordonne à l’égard des autres, n’étant point à nous à entrer dans vos secrets ; votre disciple bien-aimé nous en a donné l’exemple, n’ayant pas voulu pénétrer votre dessein sur lui, s’y abandonnant sans le connaître, il a eu le privilège de reposer sur votre sein en la Cène, c’est là où il a puisé les vérités si relevées qu’il nous a laissé par écrit, ce qui nous fait voir que ce sera par un humble repos en vous, dans l’Eucharistie, que nous connaissons bien mieux les vérités saintes, que par toute autre étude […] ce repos de saint Jean sur votre sein est l’image du repos que tous les chrétiens doivent trouver en vous et le modèle du silence intérieur où ils doivent se tenir, pour vous écouter parler, que de parler eux-mêmes extérieurement aux hommes ; car on peut dire, que comme la vie du Ciel est un amour tranquille dans la vue et connaissance que les esprits bienheureux ont de vous, celle du Chrétien sur la terre doit être dans un amour et repos en vous. Je vous adore au Très saint Sacrement comme mon repos, faites-moi la grâce que je ne le cherche qu’en vous seul, et que je trouve toutes mes délices dans l’union intérieure avec vous […] Exaucez-moi, Seigneur, puisque votre miséricorde est si prête à faire du bien et tournez vos regards sur moi selon la grandeur de vos miséricordes. Psal.68. 72 »
D’autres « Elévations » montrent une visée directe vers Dieu sans concession et affirment une unité possible :
… aller en haute mer, cela marque l’état de perfection… [les âmes] doivent toujours chercher ce qui est plus parfait… vous voulez entrer en mon âme comme vous entrâtes en la barque de saint Pierre et vous me recommandez comme à lui de m’éloigner de la terre73.
Quoi que je ne sois que poudre et cendre, j’oserai dire, appuyée sur l’autorité de l’Écriture Sainte, que je ne suis qu’un seul esprit avec Vous, pourvu que je sois attachée à Vous. Ainsi que l’est un de ceux qui demeurent en Votre amour, c’est-à-dire en Vous-même, comme Vous demeurez en eux… celui qui est uni à Dieu n’est qu’un seul esprit avec Lui. Si donc vous disez, mon Seigneur, « Je suis dans mon Père et mon Père est dans moi », l’homme a l’avantage de pouvoir dire aussi, « Je suis en vous mon Dieu et vous êtes en moi, et nous ne sommes qu’un seul esprit74.
Sa direction journalière demeure toujours en référence à la grâce divine et traduit un recours à Dieu dans un élan renouvelé 75 :
Éprouvant toujours plus son impuissance… [elle] recourait aussi toujours plus à Dieu… elle consacrait ses journées presque entières à l’oraison… ne faisait point d’action… qu’elle n’eût été faire prière au chœur.
A propos d’une personne qui disait « Ma voie est de cette sorte », elle déclare :
J’ai déjà cinquante ans, et je ne pourrais parler de moi avec cette assurance… Rien ne m’appartient… nous allons à Dieu comme nous pouvons… cette voie n’est pas circonscrite si exactement… que Dieu n’y puisse renfermer d’autres sentiers… Que peuvent savoir ces âmes parmi les ténèbres de ce monde, qu’elles puissent dire avec assurance : telle est ma voie ? Peut-être le disent-elles au moment même où cette voie leur est ôtée.
L’on passe la vie comme l’on peut ; l’on tombe, l’on se relève ! Le propre de la terre c’est l’inconstance et la diversité. Dieu, qui voit cela, excuse la faiblesse de sa créature. Il faut vivre en liberté d’esprit, nonobstant la vue et l’expérience de ces choses, et se confier en la divine bonté. … Oh que si les âmes pouvaient voir combien Dieu les aime et est prêt de les aider et leur faire miséricorde, elles marcheraient bien d’un autre pas qu’elles ne font ! … Mes enfants, or sus ! Ne nous lassons jamais de commencer, et novices et professes ! Il faut toujours commencer jusqu’à la mort.
Son gouvernement de 1624 à 1635 montre une grande autorité jointe à la douceur et au souci de prêter toute son attention à autrui 76 :
[Elle avait une] grâce toute extraordinaire… pour assister ses filles en ce dernier passage… Elle dit à plusieurs de nous sur la mort d’une de nos sœurs, que comme nous ne sommes toutes qu’unes [sic] en Jésus-Christ, nous devions regarder notre sœur comme quelque chose de nous qui était allé à Dieu. Continuant ce discours, elle disait : Nous devons… nous appliquer beaucoup à Dieu pour elle, afin de lui aider à faire son chemin… Les âmes qui sont séparées du corps languissent de ne pas voir Dieu, de telle sorte que cela ne se peut comprendre… Aussitôt qu’une autre de mes sœurs eut rendu l’esprit, cette servante de Dieu dit tout haut dans l’infirmerie : maintenant cette âme est dans un parfait amour et une parfaite souffrance !
Je n’ai jamais vu [la mère] en émotion d’esprit ni de corps. Si elle reprenait, c’était avec tant de douceur, des termes si charitables et une façon si affable qu’elle donnait grande humiliation… Elle le faisait à voix basse… après… il ne lui en restait plus rien ; elle était tout de même vers la personne qu’elle avait reprise… et lui parlait avec plus de tendresse et de charité… Elle agissait en ce sujet, selon ce que j’en ai pu reconnaître, tout à fait divinement
Notre Mère Madeleine portait Dieu en soi et le répandait avec efficace dans les âmes qui s’en voulaient rendre dignes… je sentais, lorsque j’approchais d’elle, qu’elle répandait dans mon âme je ne sais quoi de divin… ses paroles… ont fait en un instant en moi ce qu’elle voulait de moi.
Elle sépare l’Essentiel de l’accessoire :
Ayant été élue prieure au loin, cette religieuse vint, avant son départ, passer quelque temps auprès de la Mère Madeleine pour profiter de ses conseils. Or la mère l’entretenait souvent, mais toujours de sa sanctification personnelle… « Je lui fis paraître quelque petit étonnement de ce qu’elle ne me disait rien du tout de la charge où l’on me mettait… — Ma fille, rien n’est important que d’être à Dieu, je veux que vous y soyez. La charge n’est qu’un accident ; et en vérité quand vous serez à Dieu par état, vous verrez que ce n’est rien d’aller ici ou là. Ne vous en occupez point. » 77
Enfin un « exercice de retraite » montre comment la méditation de la Passion propre à la tradition du carmel espagnole est revêtue de douceur tourangelle dans la Petite Instruction… à faire l’Oraison 78 :
[…] Et voyons seulement la préparation [de l’oraison mentale]. Voir et se représenter que l’on est devant cette Majesté Divine qui est ce grand Tout que nous pouvons seulement adorer et aimer, et que les anges même ne pouvant comprendre, tous ravis de sa gloire, ne peuvent plus dire que cette parole : « Saint, saint, saint est le Seigneur. » Ainsi l’âme demeure Angélique par la présence de son Dieu, L’admire, Le révère et se remplit tout de Lui, ne pouvant plus parler.
[…] Et puis si l’âme pénètre dans cet amour divin qui fait pâtir et qui fait désirer souffrir encore davantage à ce Seigneur impassible, et que l’amour de nos âmes tient ici si patient. Sur ces sujets donc, qui sont sans nombre, l’âme un peu désireuse de son Époux trouvera bien de quoi s’occuper et s’en approcher, lui rendant grâce et donnant mille bénédictions pour ses infinies miséricordes. […]
Mais pour ce que les dispositions de l’esprit sont diverses, ceux qui auront moins de facilité à ce que nous venons de dire, soit par la faiblesse ou incommodité du corps, ou sécheresse, pourront se servir d’un moyen bien aisé à l’âme qui a quelque fidélité et amour vers notre Seigneur. L’âme pourra donc prendre son point sans user de discours, mais par un œil et douce inclination, et regard vers notre Seigneur, souvent elle lui ouvrira l’intime et fonds de son âme, désirant L’aimer au plus profond de soi, et se lier à Lui par l’effort doux et paisible de sa volonté, qui est seule en Sa puissance, et dont parfois même, il lui semble ne pouvoir entièrement user si l’amour n’est pas assez puissant pour l’assurer de ce que dit saint Paul : « Qui nous séparera de la charité ? »
Que si l’âme parfois se trouve ne pouvant rien faire de ceci, elle peut néanmoins souffrir ses peines en sa présence, et avec Lui se résigner ainsi qu’il fit, s’humilier comme elle le voit abaissé, être patiente, et enfin exercer toutes les vertus à son exemple.
Madeleine de Saint-Joseph écrivit la vie de cette jeune religieuse dont elle avait été maîtresse des novices et prieure 79 : Catherine de Jésus (1589-1623) est une figure attachante, typique des vies brèves sans histoire de carmélites, intentionnellement proposée par Madeleine comme modèle. Voici quelques « dits » qui situent l’esprit qui anime la mystique carmélite en ses débuts français :
Je me jette en Dieu comme dans un abîme profond pour faire de moi des choses qui semblent n’avoir point de limites ni de fin. […] il me suffit que Dieu est suffisant à Lui-même80.
Il est en tout ce que vous portez ; c’est Lui qui vous soutient ; encore que vous ne Le voyiez ni ne Le sentiez pas. Nous en savons par sa grâce de bonnes nouvelles que je ne vous écris pas, parce qu’Il ne ne veut pas. Entrez… dans la voie inconnue […] J’ai eu quelque vue que votre âme se doit perdre toute dans l’amour pur […] Je dis donc que cette perte nous fait retrouver en Dieu et que c’est une très heureuse perte, mais qu’elle doit être persévérante ; elle ne doit avoir fin qu’avec notre vie […] C’est un travail sur lequel on trouve peu à dire, mais beaucoup à faire81.
Dieu me montra […] quelle netteté et simplicité il me faut avoir pour être transformée en cet amour82.
Elle témoigne dans sa lettre dix-neuvième d’un rapport étroit avec Madeleine de Saint-Joseph, portant sur sa vie mystique :
… il y a eu plusieurs choses […] auxquelles Dieu s’est servi de notre mère Prieure, pour m’y assister ; et elle m’y a beaucoup aidée. Ensuite il me fut présenté de me perdre en Dieu […] Je donnai mon consentement à cette perte, avec la permission de notre mère Prieure ; et depuis l’avoir donné, je me vois comme dans un abîme, où je ne puis trouver le fond ; et cela sans connaître où je vais83.
Une religieuse témoignera par ailleurs de l’efficience spirituelle de la mère depuis sa mort :
Elle m’est demeurée fort présente, depuis ce jour-là, et je la sens toujours proche de moi, avec plus de certitude que si je la voyais en la terre ; elle me met dans une continuelle présence de Dieu […] Je la ressens vers moi comme une Mère […] Je la vois comme une guide, que Dieu m’a donnée pour aller à lui… 84.
Marie-Madeleine de Jésus (1579-1652) fut la compagne très proche de Madeleine de Saint-Joseph85. Mariée à dix-huit ans au marquis de Bréauté, brillant dans le métier des armes, et qui lui plut davantage qu’un prétendant prudemment éconduit, elle se trouve veuve avec un enfant de treize mois, le 5 février 1600. Elle rencontre madame Acarie et rentre au Carmel le 8 décembre 1604. Elle est à l’infirmerie, puis sous-prieure en 1606, responsable des novices en 1608, lorsque Madeleine de Saint-Joseph devient prieure. Prieure à son tour en 1615, elle fait bâtir une infirmerie. Elle exprima l’ardent désir de ne plus accepter de charge en 1624. À la fin de la même année, son fils meurt en combat singulier :
Je sais par expérience… les efforts que le diable fait dans les âmes… afin de les porter au désespoir… lorsque Dieu nous traite plus rigoureusement86.
Depuis 1641 sa santé était ruinée : elle disait « n’avoir pas assez de mal pour mourir et en avoir trop pour appeler cela vivre. » Elle meurt le 29 novembre 1652. Son portrait nous est donné par ses lettres
Il [Dieu] ne nous donne pas toujours en nous-mêmes toute la lumière dont nous avons besoin pour notre conduite, Il la met souvent en autrui afin de nous lier les uns avec les autres d’une plus grande charité87.
Ne sentant rien de Dieu pour assister les âmes… [il suffit de] lui demander par ce regard que ce soit lui qui fasse votre charge, puisque vous n’êtes, et ne pouvez rien, et puis faites doucement selon votre conscience… sans faire tant de réflexion sur vos actions pour voir comme vous avez fait, car ce n’est que perte de temps88.
… l’abandon que l’âme doit faire continuellement à Dieu de tout ce qu’elle est… nous n’avons pas le droit de lui rien demander, sinon la grâce de le bien servir… nous ne devons faire autre chose que recevoir tout de sa main89.
… Je rends grâces très humbles avec vous à notre Seigneur, de ce qu’il lui plaît vous donner pour mère au ciel, celle qui l’a été en la terre, elle ne vous y sera pas moins utile qu’elle était ici, et même il se peut dire qu’elle vous la sera davantage parce que sa condition l’enfermait entre quatre murailles dont elle ne pouvait sortir, et ne pouvait humainement savoir le besoin des âmes absentes que par lettres, ce qui était quelquefois un peu long : mais maintenant elle écoute les prières, voit les besoins, et y remédie. Grand nombre de religieuses de cet Ordre l’ont déjà éprouvé en divers endroits, et ce m’est une grande consolation que vous en soyez une90.
Des lettres montrent son intelligence des situations tout autant que sa profondeur spirituelle : elle n’a pas trop d’illusion sur le monde et sait se battre pour préserver les vocations :
… En faisant le service du roi, il est bon, Monsieur mon neveu, de conserver la vie des hommes autant qu’il se peut, ils l’ont reçu de Dieu pour chose grande, et il ne faut pas la leur faire prodiguer sans grande nécessité. Je sais bien que peu de généraux d’armée s’y appliquent pour y penser, mais quand vous seriez un peu meilleur que le commun, il n’y aura pas de mal91.
… Ces personnes-là n’ont d’autre dessein que de vous amuser et gagner du temps, sachant bien que vous ne pouvez, étant privée de toute assistance, persévérer en vos bonnes intentions [de quitter le monde] si vous ne sortez promptement du lieu où vous êtes, et en cela ils ont raison. C’est pourquoi, ma très chère fille, il vous faut bien garder de prolonger le temps que vous avez donné quoique l’on vous puisse dire pour vous le persuader. Si la plupart de nous autres religieuses avions écouté quand nous quittâmes le monde, tout ce que nos amis et nos parents nous disaient, et faisaient dire par des personnes de très grande piété et doctrine, pour nous y retenir, et cela sous de beaux et apparents prétextes, il n’y en a guères qui n’y fussent demeurées. Pour moi, j’avais un fils qui n’avait pas encore six ans, qui apparemment pouvait avoir besoin de moi, il y avait bien des choses à dire là-dessus pour m’empêcher de le quitter, et on ne manquait pas de me représenter que lorsque je l’aurais mis dans un état plus assuré, je pourrais après me faire religieuse. Mais Dieu me fit la grâce de me fortifier contre ces tentations, et d’entrer où je suis depuis quarante-cinq ans, malgré toutes leurs raisons, et je vous assure devant Dieu que je ne m’en suis jamais repentie, et que j’aimerais mieux être morte de cent mille morts, que d’y avoir manqué92.
Ma fille, il court un bruit chez vous que la personne que vous savez a bien plus d’espérance sur votre sujet que de coutume, que vous lui avez parlé avec bien plus de douceur que par le passé, que vous commencez à changer un peu votre habillement et votre coiffure, et que vous portez maintenant des gants d’Espagne. Mais comme nous connaissons la facilité que le monde a de parler, nous ne prenons pas garde à ces discours… Je vous prie, ma fille, de ne point croire ceux qui vous disent qu’il est nécessaire que vous voyez cette personne pour essayer de le convertir, c’est une tromperie. Jamais Dieu ne vous prendra pour faire cette œuvre-là, il n’y est pas disposé, au contraire votre vue et vos paroles entretiennent sa passion, et ne peuvent faire nul bon effet que de lui donner des espérances très préjudiciables pour vous. Votre âge ne vous permet pas de connaître le monde comme moi, c’est pourquoi je vous supplie de croire en cela mon conseil, et d’être toujours le plus retirée et solitaire que vous pourrez, hormis la visite des Églises qui ne vous peut être qu’utile, pourvu que vous n’y entreteniez que celui que vous y allez chercher. Je suis bien aise que vous ayez un bon confesseur pour votre âme comme vous me mandez, mais je ne sais s’il est vrai ce que l’on m’a dit, qu’il y a un autre religieux qui vous voit tous les jours, et qui est envoyé vers vous sans que vous le sachiez par ceux qui désirent détruire vos bons desseins. Prenez-y bien garde, s’il vous plaît, il est très propre à faire ce métier-là, et très adroit pour le faire, en sorte que vous ne vous en aperceviez pas jusqu’à ce qu’il ait trouvé moyen de faire son coup. Si j’étais à votre place je diminuerais peu à peu ces communications jusques à ce qu’elles soient réduites à une fois le mois. La lecture des deux livres que je vous ai mandé vous sera bien plus utile que son entretien ; vous n’avez besoin que de fidélité à Dieu pour poursuivre ce que vous avez commencé jusques à son accomplissement…93
D’autres informations, dont de nombreuses précisions biographiques intéressantes, demeurent manuscrites 94 :
Elle dit à la Mère Marie-Madeleine de Bains :
« J’ai vu… que notre union ne périra pas et qu’elle sera stable pour l’éternité, et j’ai une grande consolation de voir que ma mort n’y changera rien. C’est Dieu qui l’a faite et je l’emporte, elle ne s’évanouira pas. Oh ! que j’en ai de joie et que c’est une grande chose que cette volonté de Dieu ! Elle conserve elle-même tout ce qui vient d’elle. »
Elle fut supérieure durant trois périodes couvrant dix-neuf années et eut la charge de maintenir intérieurement vivante la communauté. Elle semble être la dernière grande spirituelle de la filiation. Ses réponses à la (future) sœur Anne Marie d’Epernon s’avèrent intéressantes, en particulier sur la prière :
… la vraie oraison est un entretien de l’âme avec Dieu et une parole intérieure par laquelle l’âme se communique à Dieu et Dieu se communique à elle, mais comme c’est chose si grande, il ne faut pas penser que nous la puissions acquérir par nous-mêmes, quoique nous devions y employer tous nos soins ; mais il la faut demander à Dieu avec beaucoup d’humilité et de connaissance que nous ne la méritons pas, l’attendre avec patience et confiance et la recevoir avec action de grâce95.
Nous avons approché d’autres figures, dont les deux célèbres carmélites de Beaune, Marie de la Trinité et Marguerite du Saint-Sacrement, avec lesquelles Gaston de Renty était en relation suivie. Nous y avons trouvé des manifestations de la dévotion, mais sans « dits » rapportés qui laisseraient transparaître une vie intérieure mystique et surtout qui la justifieraient par une exemplarité des comportements de la vie quotidienne. L’instrumentalisation de sœur Marguerite dans divers milieux est suspecte. Marie de Jésus de Bréauté se serait opposée à l’impression de la vie de la sœur Marguerite96.
Le lecteur curieux est invité à recourir à la Vie rédigée par Amelote97, un prêtre de l’Oratoire par ailleurs fort savant, qui fut chargé de la réédition d’un Nouveau Testament largement distribué dans le royaume après la révocation de l’Edit de Nantes. Nous y relevons bien des déformations et caricatures de la « sainteté mystique » et l’adoption sans aucun sens critique des représentations propres à l’époque : diables bérulliens, almanach évangélique. Les « dits » rapportés sont très généralement incolores.
La liste qui suit constitue une anthologie étonnante. Elle est donnée ici parce que ses excès sont typiques des publications dévotes du siècle : Cette liste avec l’indication des paginations souligne la valeur des témoignages mystiques sobres, que nous avons concentrés dans ce manuel au point de fatiguer le lecteur par leur répétition, mais qui sont en réalité très largement minoritaire au sein du surabondant genre littéraire dévôt…
Le pus d’un malade est léché et avalé « deux ou trois heures » (15) : on ne peut donc trop reprocher ce topos de l’excès ascétique repris par Marie de l’Incarnation (du Canada), comme par la jeune madame Guyon, grande lectrice de textes religieux ; leurs excès sont modérés en comparaison. Puis les spectres apparaissent (20), ainsi que « la fumée d’enfer » (41), tandis que la sainte éprouve convulsion et assoupissement (43), affrontant les bataillons de malins esprits (51). Il s’ensuit bien naturellement convulsions, traitées par un cautère sur la tête (59), lequel est remplacé fort efficacement par le camail de Bérulle ! (65). Mais la « rage des diables » (ou « épilepsie » ?) perdure (67). Une attestation médicale décrit une tétanisation hystérique (76).
Dans la partie consacrée aux visions, « le Fils de Dieu habitait en elle comme dans son temple » (142), ou bien elle est « enfermée dans la croix » (163). Aussi « dix jours pâmée de douleur, les mains et les pieds attachés l’un sur l’autre […] elle ne cessa de prier pour les Ordres religieux… » (167). La puanteur de l’enfer se manifeste à nouveau (185). Elle fait de nombreux « voyages » au jardin des Olives, pour assister à la capture du fils de Dieu, pour rencontrer Anne ou Caïphe, etc. (285 sv.). Ceci annonce la reprise du même genre visionnaire par A.-C. Emmerich assistée de C. Brentano au début de la période romantique.
On n’oubliera pas « la pesanteur du péché de Judas et de celui des Juifs » (227). Des dévotions sont organisées avec une minutie étonnante (316 sv., 350 sv., 391 sv.). Elle obtient « les grâces sublimes » pour Renty (383). Suivent des questions puériles : « s’ils avaient cherché l’étable de Bethléem », etc. (428-453). On respire enfin dans les dernières pages (627, 630, 716 cités ci-après).
Dans ce dernier beau passage, l’on retrouve heureusement exprimée (introduite toutefois par des « Il faut… Il veut… », et sous forme d’une injonction à son confesseur) la grande humilité propre au carmel, caractéristique dont l’évocation ouvrait ce chapitre :
Il faut que vous viviez selon Lui, dans une très grande pureté, simplicité et humilité de cœur… attentif à la grâce pour le faire… comme s’il n’y avait que Lui et vous au monde… Il veut que vous conserviez une égalité ferme et stable, soit dans l’intérieur ou dans l’extérieur, en sorte que vous ne vous éleviez en aucun bon succès, ni ne vous laissiez emporter à la joie, et que vous ne vous abattiez dans les disgrâces et désolations. Il faut que vous vous laissiez entre Ses mains divines, afin qu’Il dispose de vous, pour la vie et pour la mort, pour la santé et pour la maladie, pour l’estime et pour le mépris… que vous Lui laissiez tout ce que vous êtes… il vaut bien mieux penser à Dieu et à Ses divines perfections, qu’à nous-mêmes et à nos fautes et misères.
Nous serons encore plus bref sur ce sujet qui a fait l’objet de nombreuses études98. Il souligne la difficulté d’assurer un minimum de liberté intérieure à des femmes qui prennent une voie mystique en choisissant le cadre carmélitain. Les frictions entre Anne de Jésus et Bérulle (1575-1629) commencent bientôt : Anne (1545-1621) avait déjà dû lutter en Espagne pour préserver les Constitutions de la fondatrice, contre la volonté des carmes de régenter leur vie intérieure en s’imposant comme confesseurs ; elle a cinquante-neuf ans lorsque l’étranger Bérulle en a vingt-neuf et veut régenter les abords d’une vie intérieure dont il méconnaît la profondeur :
Bérulle aurait pu remarquer dans les carmels thérésiens la place donnée à l’oraison, à l’humanité du Christ, au silence, à la joie des récréations… non : il souligne l’abnégation, « la mortification extrême de la nature », cet anéantissement… renoncement à cette autonomie illusoire qui empêche la nature d’être totalement disponible dans les mains de Dieu99.
Et les mains de Dieu passent par ses clercs. Se greffe le problème des Constitutions : faut-il adopter le premier texte élaboré par Thérèse entre 1562 et 1567 (il est perdu, probablement détruit en 1567), la forme approuvée en 1567 par Rubeo, les constitutions d’Alcalà de 1581 (introduites par Gracian donc acceptées par Thérèse ; elle meurt en 1582), l’édition corrigée de 1588, la traduction castillane de l’édition latine de 1590 modifiées sous l’influence de Doria, approuvées par le pape en 1592 qui constitueront le texte législatif légal ? Toutes ces dates montrent la pression permanente subie, c’est pourquoi nous les énumérons. Anne de Jésus est arrivée en France avec les constitutions de 1588 (traduites par Brétigny vers 1590, donc accessibles aux carmélites françaises) bien décidée à défendre l’esprit de la mère Thérèse. Se pose enfin le problème du choix parmi les confesseurs imposés : carmes espagnols ou supérieurs français (le triumvirat Gallemant — Duval — Bérulle) ?
Pour faire vite en ce qui concerne l’histoire complexe des rapports entre espagnoles et français, nous résumons ainsi : des fondations multiples (Pontoise, Dijon, etc.) vont faire éclater le noyau des espagnoles ; Anne de Jésus part à Dijon — elle y rencontrera au parloir la baronne de Chantal 100 – puis dès 1607 décide de quitter la France à ses yeux hostile 101 pour les Pays-Bas espagnols ; elle est accompagnée des deux sœurs espagnoles dont nous n’avons pas cité les noms et de quatre sœurs françaises, pour fonder à Bruxelles. Anne de Saint-Barthélémy paraît plus souple — elle ne fut longtemps qu’une simple converse, même si elle accompagna Thérèse sur tous les chemins d’Espagne — et elle l’est — au début, d’où une incompréhension de la part d’Anne de Jésus. Mais se rendant compte de tentatives de manipulation102, elle se rebiffe et part à son tour : d’abord à Tours en 1608, puis aux Pays-Bas en 1611. Seule Isabelle des Anges reste : elle fonde en province, à Amiens, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Limoges où elle meurt en 1644.
A partir de la fin du siècle et culminant dans la première moitié du XVIIIe siècle, des influences tarissent la vie mystique : nous ressentons l’angoisse de religieuses soumises alors à une prédication que l’on peut résumer ainsi : Vous qui avez reçu tant de grâces, vous devrez en rendre compte au jugement de Dieu…
Les « livres » des carmélites portées sur elles-mêmes, où ces dernières transcrivaient des textes aimés et mystiques (on trouve dans l’exemplaire que nous avons analysé des textes de Bernières puis de Milley), ainsi que des notes de leurs retraites annuelles de dix jours. Ces notes montrent comment la mystique vivante des années ~ 1640 laisse place à la « vertu de crainte » un siècle plus tard. Une monographie analysant les centaines de feuillets écrits dans ces livres intimes, par des mains anonymes qui se sont succédées entre les années 1650 et 1750, dont certaines sont admirables, éclairerait l’involution de la spiritualité carmélitaine en conservant une grande intensité, et dans le rendu mystique, et dans le rendu d’angoisse — involution parallèle à celle plus générale d’une censure étouffant les mystiques. Les sources « externes » imprimées demeurent en comparaison bien pâles103.
Voici un terrible témoignage tiré de l’un de ces recueils104. Il est annoncé comme « 3e point » de « Méditations sur les peines de l’enfer ». Il traduit l’angoisse inscrite au cœur de malheureuses femmes soumises à de mauvais directeurs. Il illustre la source de l’assèchement mystique qui atteindra les carmels à la fin du siècle et au début du XVIIIe siècle :
Un ver immortel : Ce ver n’est autre chose qu’un souvenir fixe et funeste des grâces et des moyens de salut qu’on aura eu durant la vie, et un reproche rongeur de l’abus qu’on en aura fait par sa négligence et par ses crimes, c’est proprement le supplice des chrétiens et des religieux. L’enfer de l’enfer, dit le chrétien intérieur, c’est d’avoir pu si aisément éviter l’enfer et de ne l’avoir pas voulu faire. Qu’est-ce qu’il faut pour me délivrer de cet abîme de douleur, revenir à Dieu par une sincère et prompte pénitence […] Que vois-je ici de tous côtés sur moi, une pluie de sang, ou des ruisseaux de feu, l’un et l’autre tout ensemble, c’est le sang de Jésus-Christ qui coule de toutes ses plaies transformé en des torrents de flammes et de colère.
La situation fut redressée autoritairement en 1748105, peu avant les effets, dévastateurs en ce qui concerne les communautés, de la grande Révolution.
Nous clôturons ce chapitre sur les influences issues des carmels : la rencontre à Dijon d’Anne de Jésus orienta dès le début du siècle la grande mystique Jeanne de Chantal et des liens se tissèrent ensuite entre visitandines et carmélites dont on trouve des traces dans les « livres » que portaient sur elles ces dernières.
Madame Guyon eut une correspondance avec le Grand carme Maur de l’Enfant-Jésus et le rencontra ; on a conservé vingt et une lettres qu’il lui adressa106. D’autre part, si l’on ajoute les passages cités de Jean de Saint-Samson à ceux de Jean de la Croix et de Thérèse, ainsi que ceux de quelques carmes « secondaires », l’ensemble carmélitain représente la moitié du nombre de passages mystiques cités dans l’anthologie des Justifications 107 (1694). Elle attribuait beaucoup d’importance au Carmel comme étant l’école mystique récente antérieure à sa filiation. Fénelon connut directement frère Laurent, comme l’attestent ses lettres à la mère du Saint-Sacrement, Catherine de Bar.
De nos jours l’influence des fondateurs de l’école carmélitaine déborde le cadre chrétien, comme le montre la présentation d’une réédition récente des œuvres de Jean de la Croix108.
Il est plus important de faire vivre les figures intérieures aux couvents du carmel, directement en prise avec l’aventure mystique, que de retracer les péripéties des traverses qu’elles durent surmonter et le détail de règles diverses auxquelles elles se soumettaient volontiers dès lors qu’on leur laissait leur liberté intérieure sans exercer une inquisition des âmes.
Nous avons présenté, dans la section consacrée à l’Espagne, les figures des deux carmélites espagnoles les plus proches de Jean de la Croix et de Thérèse d’Avila : Anne de Jésus (1545-1621) et Anne de Saint-Barthélémy (1549-1614). Elles contribuent brièvement, mais de façon décisive à la transplantation du carmel en France. Anne de Saint-Barthélémy fut chargée du noviciat du premier carmel de l’Incarnation. Elle était remarquable par sa douceur non dénuée de fermeté109.
Dès sa nomination comme prieure, elle désigna Madeleine de Saint-Joseph (1578-1637) pour la remplacer comme maîtresse des novices ; elle gardera une « estime particulière » pour Marie de Jésus (de Bréauté), intime de Madeleine et pour Marie de la Trinité (Sevin). Nous allons sortir de l’ombre ces trois figures. Madeleine de Saint-Joseph est la plus importante d’entre elles, car la majorité des fondatrices de carmels en France se forment sous la direction spirituelle de cette maîtresse des novices puis supérieure du couvent de Paris.
On devine un réseau spirituel symétrique du réseau que nous mettrons en évidence chez les préquiétistes normands puis parisiens où se mêlent religieux et laïcs dans le monde. Mais dans le cas du carmel il est délicat d’en trouver des preuves explicites parce que tout se passe au sein de communautés réglées et fermées ne livrant que peu de traces écrites personnelles tandis que dans le monde ouvert, où vivaient un Bernières ou plus tard une Madame Guyon, l’échange de lettres de direction palliait à l’éloignement physique.
Nous pensons qu’une filiation mystique existe chez les carmélites réformées comme chez les grands carmes. En témoignent indirectement des textes normatifs expliquant la « demeure » intérieure ou le sens mystique de l’Écriture, des lettres même si ces dernières remplissent d’abord une fonction de contact intercommunautaire, des dépositions faites à l’occasion de procès de béatification même si les témoins ont en vue de souligner la sainteté plutôt que l’activité mystique (les témoignages retenus dans les procès n’incluent pas ce qui reste du domaine « psychologique » tandis que les miracles sont considérés comme des faits « objectifs » pouvant avancer la cause d’un procès). Puis ces traces disparaissent à la fin du siècle, comme c’est le cas pour la génération qui suit les disciples directs de Jean de Saint-Samson, tandis que l’on perçoit une involution ascétique dans les « livres » de religieuses, sous l’influence jansénisante.
Les influences passent d’Espagne en France selon un réseau dont nous situons les figures en deux tableaux complémentaires, à la fin de ce chapitre. Une chaîne passe par Pierre d’Alcantara — Teresa et Jean de la Croix — Ana de San Bartolome et Ana de Jesus — Madeleine de Saint-Joseph… sans préjudice d’influences adjacentes, convergentes ou divergentes dont se détachent les figures de Madame Acarie co-fondatrice du Carmel français, de Gallemant… Elle irrigue les fondations religieuses de Jeanne de Chantal et de la Mère Mectilde du Saint Sacrement. Parallèlement (mais sans contact semble-t-il) Jean de Saint-Samson, carme de la réforme dite de Touraine (réforme française indépendante de celle de Jean de la Croix) initie des disciples dont Maur de l’Enfant-Jésus. Ce dernier — comme plus tard la Mère du Saint Sacrement — seront en relation avec Madame Guyon. Enfin, des influences probables venant « de l’extérieur » ne sont pas répertoriées, puisque nous nous limitons à l’ordre du Carmel : influences de conversos sur Teresa ; influences possibles venant du vieux fond islamique sur Jean de la Croix ; influences certaines des « mystiques du Nord » sur Jean de Saint-Samson.
[cette étude constituée pour le moment de « collages » empruntés à un projet historique est à reprendre : insister sur Anne de Saint-Barthélemy ! adjoindre un ou deux diagrammes utilisants le fascicule des fondations des carmels réalisé à Cherbourg ! articles du quatrième centenaire… etc.]
Reprenant le titre souvent donné aux recueils des dits de Pères du désert, une trentaine de « dits » amorcent une telle collection :
Je Vous offre, mon Dieu, ma volonté, que je ne veux plus faire et suivre, mais remettre totalement à la Vôtre, afin que je n’en aie plus du tout. (E26).110
C’est pourquoi je prendrai la hardiesse de demander non seulement vos dons et vos grâces, mais aussi Vous-même. (E27).
Je les jette [les péchés], mon Bien-aimé, dans le feu admirable de votre divin amour, afin qu’il Vous plaise les anéantir et consumer entièrement. (E31).
Je ne sais, Seigneur, que vous rendre, sinon ce que Vous m’avez donné. (E81).
Je reconnais que tout ce que je pourrais faire jusqu’à la mort, n’est rien : c’est pourquoi je vous supplie de tout mon cœur de vous glorifier en moi, selon que vous trouverez plus expédient, et en la manière que vous rechercherez. (E139).
Je me tiens ici avec une profonde révérence et une très grande reconnaissance de mon néant. Je ne suis rien, je ne puis rien, je ne sais rien. (E140).
Ô mon Dieu, tirez-moi à Vous pour me brûler de ce feu très ardent de Votre Amour, dans lequel je sois toute consumée et anéantie. (E143).
Je Vous supplie de regarder avec Votre œil de miséricorde ma désolation, la grande disette que j’ai de Vos grâces, le grand aveuglement où je suis. (E144).
Pour la vertu, il suffirait que nous en ayons l’usage, sans en vouloir la possession. (v64).111
Il est vraiment trop insatiable celui à qui Dieu ne suffit pas. (v64)
L’office de Marthe était bon, mais c’est du trouble et de l’inquiétude qu’il faut se garder. (v71).
Ceux qui sont fervents tant que dure la dévotion sensible et après demeurent là sans courage, sont tout comme les bêtes qui suivent seulement ce à quoi leurs sensations les porte (s. Anne de Saint-Laurent de Saint-Lieu, Pontoise). (v72).
(Mère Agnès de Jésus des Lyons, Pontoise, lui demande si elle a dormi cette nuit :) Oh ! non ma mère. Mon esprit travaille [souffre] fort. il est question d’une âme qui ne se donne à Dieu qu’à demi, et je désire la mettre tout en Dieu. Il faut que ce soit aujourd’hui ; je vous supplie, laissez-moi pour suivre cette affaire. (v74).
une âme ne peut jamais bien faire, si elle ne se jette à perte de vue entre les bras de la Providence divine… (v76).
Il ne faut pas vouloir trouver en nous ce qui ne peut pas y être si Dieu ne l’y met pas. (Mère Françoise de Jésus de Fleury, Amiens) (v81).
Il faut être humble et dépendre en tout de sa Providence. (s. Marie du Saint Sacrement de Marillac) (v88).
(Dans sa dernière maladie :) Ceux qui sont au faubourg entendent bien les joies de la ville, mais c’est leur tourment de n’être pas dedans. (v99).
Mourir et n’avoir pas aimé ! (v112).
Il faut se dégager peu à peu de tous ces respects, ne regarder que Dieu, arriver à la parfaite simplicité d’esprit où l’âme est en une merveilleuse liberté. (v128).
On ne peut se fier aux moyens humains, mais à la Providence. Mais il faut se fier aux moyens humains comme s’il n’y avait pas de Providence. (v133).
David disait à Dieu qu’il avait le désir du désir : et qui sommes-nous, qui voudrions paraître avoir quelque chose ? (Mère Marie de saint Joseph Fournier, Pontoise). (v134).
Les fautes doivent servir à l’âme, ce que le fumier sert à la terre, qui est à l’engraisser et la rendre plus féconde. (v137).
Il faut nous étonner, non pas de nous voir tomber, mais de ce que nous ne retournons pas plus vite à Dieu, même plusieurs fois par jour. (v143).
(se tenir devant Dieu :) comme les pauvres gens qui, sur la place, attendent d’être embauchés. (v145).
(je m’étonnais… qu’elle n’en ai rien écrit :) autrefois je l’ai fait, mais j’ai tout brûlé, parce que ce qui part de moi me semble être si fade et si bas. (s. Marie du Saint Sacrement de Marillac) (v151).
Nous ne sommes devant Dieu que comme un pauvre pot de terre tout sale, lequel sera bien riche, si le roi le remplit de ses trésors. (Mère Françoise de Jésus de Fleury, Amiens) (v153).
… toujours prête d’entreprendre de grandes choses ! Mais c’est en la vue de Dieu et non de soi. (v156).
… Dieu est infiniment meilleur que je ne suis méchante, plus puissant que je ne suis faible, plus miséricordieux que je ne saurais être misérable. (v189).
Mon âme hors de la présence de Dieu est comme un poisson hors de l’eau. (v192).
Tout d’abord Dieu : Madame Acarie connaissait à la fois le Château de l’âme de Thérèse dont la traduction était récente112, et la tradition rhéno-flamande. On sait que son conseiller spirituel dom Beaucousin et ses compagnons chartreux ont traduit Ruusbroec et la Perle évangélique. Madame Acarie recevait aussi le frère minime Antoine Étienne qui traduisait Tauler. On est donc dans une tradition d’absolue nudité dans l’offrande de soi au divin. Mère Marie du Saint-Sacrement raconte :
Je demandais une fois à cette Bienheureuse la manière et exercice de l’actuelle présence de Dieu. Elle me répondit qu’elle n’en savait pratique que par une continuelle vue et conversion à Dieu et confusion de soi-même Et qu’elle estimait l’actuelle présence de Dieu être l’état des bienheureux au ciel qui sans cesse sont toujours unis et appliqués à Dieu sans nul détour et que l’homme en sa première justice originelle avait cette droiture […] que le remède est aussi une continuelle conversion à Dieu et détour de nous-mêmes par humiliation et propre confusion.113
Mais Dieu seul a l’initiative :
Hélas ! mon Bien-aimé, si vous voulez que je vous regarde, regardez-moi, premièrement114.
… rapporte le père Duval. Elle n’a laissé aucune description de ses états, et ce que nous en savons provient des témoins qui l’ont vu en oraison :
Son visage était lumineux et si plein de beauté qu’il donnait en même temps de la dévotion et du respect.115
La place où j’étais au chœur durant l’office et l’oraison était tout proche d’elle ; j’avoue que son seul aspect me mettait en recueillement. Elle était toujours comme immobile et cela les heures toutes entières. Elle avait très souvent la face belle et fort enflammée… 116
Elle devenait totalement inconsciente de son entourage :
Un jour après la Sainte Communion étant en oraison à la grille de l’infirmerie devant le précieux Corps de Notre Seigneur je l’appelai par deux fois et voyant qu’elle ne me répondait point je me mis à la tirer pour lui faire prendre quelque chose à cause de son infirmité. Elle ne m’entendit non plus que si elle eut été morte, la voyant ainsi je pris la hardiesse de la considérer. Elle était d’une façon si modeste et anéantie les yeux et la bouche fermés, les mains jointes dessous son scapulaire. Ce qu’elle continua par l’espace d’une heure sans souffler ni remuer. 117.
… bien souvent il est arrivé que la deposante allant ayder à deshabiller et coucher ladicte Sr Marie de l’Incarnation, comme la deposante ayant allumé le feu pour la chauffer, et lui ayant osté son voile pour la desabiller, ladicte Sr Marie de l’Incarnation tomboit en extase et ravissement qui lui duroit bien souvant jusques sur le minuit, ore qu’il ne fust que dix heures lorsqu’on l’aloit coucher sy bien que la deposante estoit contraincte de lui remettre son voile, et esteindre le feu jusques à ce qu’elle fust revenue en elle. Pendant lesquels extases la deposante a remarqué qu’icelle Sr Marie de l’Incarnation avoit le visage beaucoup plus beau qu’à l’acoustumé, et estoit son visage tout enflambé… 118.
Et pourtant elle avait honte que ses états se voient et elle les dissimulait le plus possible :
Elle se frottait les mains et les bras pour mettre empêchement à ses abstractions et ravissements auxquels elle eût été quasi continuellement si elle n’y eut apporté ses artifices. 119.
Elle… estoit si fort pressée des visites et des assautz de Dieu, qu’elle jestoit parfois de grands cris comme sy le cœur lui eut voulu crever, puis pour couvrir cela elle s’en prenoit à une cuisse, disant que c’estoit sa cuisse qui de temps en temps lui donnoit des douleurs extremement aigues et fort sensibles. 120.
En fait ces « plongées » deviennent une unité vécue où contemplation et action sont indissociables :
En ce mesme temps et longues années depuis elle voioit sans veoir, escoutoit sans escouter et respondoit sans apperceuvoir ses responses, faisant toutes ces choses tellement en Dieu et avec Dieu qu’elle n’en eut sceu rendre compte après pour ce qu’elles estoient faictes sans réflexion ny destour de la veue actuelle et action de Dieu. Et ce néantmoings etoient telles qu’on n’y eut sceu remarquer aucune défectuosité ny presque apercevoir la différence de sa conversation avec les aultres sy ce n’est en la suavité d’esprit, modestie composition du visage qui respiroit saincteté et en l’efficace et secrete energie de ses parolles qui perçoient les cœurs et illuminoient les entendementz de ceux qui lui parloient d’une manière du tout admirable. Ceste disposition Intérieure de l’âme avec Dieu faisoit qu’elle estoit en extaze sans y estre. 121.
L’élan dans ses paroles comme les absences qui touchent la mémoire sont d’autre signe d’un état continu de contemplation :
… elle me disait souvent qu’elle était fort étonnée de ce qu’on faisait tant d’état de ses paroles vu que bien souvent elle ne savait ce qu’elle disait, au moins n’y avait-elle pas pensé. (Père Étienne Binet122).
Une fois elle me dict que quand Dieu lui donnoit de telles lumières qu’après les avoir dictes à ceux à qui elles touchoient elle en pardoit la souvenance entièrement. (Père Pierre Coton).
La raison en était qu’elle ne voulait parler ou agir que sous l’impulsion de la grâce :
Je l’ai vue en plusieurs occasions ou affaires qu’elle n’entreprenait rien et même en ses paroles ne disait rien si elle ne se sentait mue de Dieu. Je lui ai demandé sur divers sujets d’importance et prié de me dire ce qu’elle en pensait et jugeait. Elle me répondit : « Ma mère, en telle et telle chose que vous me demandez, je ne vous puis rien dire ; Dieu ne me donne rien pour cela, et je n’en dois pas parler par moi-même. » (déposition de Marie de Saint-Joseph — Fournier).
En communauté, elle restait donc très silencieuse :
Elle ne parlait jamais en la communauté des choses de Dieu, mais écoutait seulement sans s’avancer d’en rien dire. Et quelquefois notre Mère lui en demandant son avis, elle répondait : « Nous avons ouï dire ceci ou cela sur ce sujet », ne faisant rien paraître d’elle, et encore le disait en trois ou quatre mots dont nous étions grandement édifiées, son humble silence nous instruisant beaucoup plus que n’eut fait sa parole et ne pouvions converser avec elle sans rentrer en nous-mêmes » (Marie de Saint-Joseph — Castellet123).
En réponse à la grandeur de Dieu et à Ses dons, l’humilité est la marque propre de Madame Acarie. C’est d’ailleurs le thème carmélitain par excellence, parallèle à celui de la pauvreté chez les franciscains. C’est ce que voulut souligner Anne de Jésus, lorsqu’elle fit passer en premier, le jour de la prise de voile des premières françaises, deux figures : madame Acarie aux côtés de l’humble Andrée Levoix, arrêtant par quelque inspiration bienvenue les autres paires de postulantes accompagnées, qui les précédaient à l’entrée solennelle de la cérémonie. Les mystiques du Carmel furent souvent des converses ou des convers : Anne de Saint-Barthélemy, Madame Acarie ; plus tard Laurent de la Résurrection ; du côté de la réforme dite de Touraine, Jean de Saint-Samson.
Chez Madame Acarie, l’humilité n’est pas une simple vertu morale, c’est une conséquence de l’expérience mystique : la nature humaine est nue devant la Face divine, et le seul désir du mystique est qu’elle disparaisse pour laisser place à Dieu :
ay ouy dire que pour peu qu’il y eust de l’impur en l’union de l’âme avec Dieu, elle demeuroit ternie comme la glace d’un miroir par le souffle et que cela se sentoit aussy tost. (Père Pierre Coton).
Une image forte fait le point de la situation :
Elle disait que si un Roi mettait en un chaudron force richesses et pierreries et que puis après il les fit ôter, le chaudron n’en serait pas plus [ou moins] riche. Et qu’ainsi était de nous (Marie du St Sacrement — de St Leu).
Elle appelait ses compagnes à l’humilité en réponse à la grandeur divine, mais radicalement distincte d’une pusillanimité qui rendrait lâche ou craintif 124 :
Une fois, nous étions dans sa cellule avec elle. Elle en vint à nous parler de l’humilité : comme elle retient toujours l’âme en son devoir, lui fait sentir son néant, sa petitesse (qu’elle ne peut rien, qu’elle n’est rien et choses semblables). Elle était si fort plongée dans le sentiment de ce qu’elle disait qu’en parlant de cet abaissement profond où est l’âme qui se connaît en vérité, elle se baissait aussi extérieurement et son visage était fort pâle. Je la regardais attentivement, étant ainsi debout devant elle, sans lui dire un seul mot. Je pensais en moi-même, avec quelque sentiment de dégoût de ce qu’elle nous disait : « Mais celui qui serait toujours ainsi n’aurait point de courage, il n’entreprendrait rien ! » À peine avais-je achevé de penser cela, […] qu’elle se leva comme en sursaut de dessus son siège et, étant droite avec un visage beau et vermeil, elle dit, dans une grande ferveur, en me regardant : « Oh ! l’âme humble est toujours vigoureuse, toujours courageuse, toujours prête à entreprendre de grandes choses, mais c’est en la vue de Dieu et non de soi, car de soi-même elle n’attend rien, mais tout de Dieu. La confiance qu’elle a de Dieu lui fait faire de grandes choses125.
Pour elle, la grâce entraînait automatiquement l’humilité par une lucidité implacable envers soi-même :
Un jour il y avait une personne religieuse qui […] lui parla de ce qui se passait en elle des dispositions de son âme de son oraison ; quand notre bienheureuse eut tout entendu ce que cette personne lui disait en des termes que notre bienheureuse n’aimait point, elle lui dit qu’elle n’entendait point tout ce qu’elle lui disait, qu’elle n’avait pas la capacité d’entendre ses termes et dit : “Or sus parlons de l’intérieur puisque vous voulez que nous en parlions. Pour moi mon intérieur est de voir le fond de mon orgueil et les passions mal mortifiées qui sont en moi”. (Marie de Saint-Joseph-Fournier).
… surtout elle avait une pratique d’humilité admirable qui faisait que voyant quelques âmes qui avaient reçu quelque grande grâce et n’en ayant point la fidélité à pratiquer l’humilité, elle ne pouvait quasi supporter que l’on dît ces âmes avoir reçu telles grâces et sur cela on pouvait bien dire des particularités. » (Jacques Gallement).
Certes cette clairvoyance conduit à un juste réalisme :
Un jour je lui parlais d’une âme qui d’ordinaire mettait une partie de ses fautes sur la tentation et avait plus de discours que d’œuvres […] elle me dit seulement : « Que voulez-vous, ma mère […] pour y avoir un grain d’amour de Dieu il leur en faut laisser huit d’amour d’eux-mêmes » (Marie de Saint-Joseph — Fournier).
Cette lucidité allait de pair avec une extrême droiture :
Cette bienheureuse avait une si grande pureté et droiture vers Dieu qu’elle n’eût pas voulu faire la plus petite action qu’elle eût pensé ne lui pas être agréable et dirigeait tellement ses intentions qu’elle semblait ne pouvoir rien faire sans une particulière vue de Dieu. (Marie du St Sacrement — de St Leu).
Elle ne supportait pas la plus petite pensée dirigée vers elle-même :
Une fois qu’un des serviteurs de sa maison tombe malade, il lui vint en pensée qu’il en fallait avoir du soin parce qu’il était fort utile au bien de sa maison ; en lui donnant un bouillon elle se sentit intérieurement reprise d’avoir prêté l’oreille à cette pensée, voulant mêler les intérêts de sa maison avec les offices de charité desquels elle se dépouillait entièrement Cela la toucha si fort qu’elle en pleura fort amèrement… (Marie de Saint-Joseph — Castellet).
Cette rectitude s’appliqua aussi à l’éducation de ses enfants faite,
… ne nous parlant jamais de religion. Entre les fautes qu’elle avait le plus d’aversion, c’était le mensonge quoique léger, et ne nous en pardonnait jamais aucun pour le plus petit sujet que ce fût ; elle nous disait souvent à tous ses enfants : « quand vous auriez perdu et renversé toute la maison l’avouant lorsqu’on vous le demandera je vous le pardonnerai de bon cœur. Mais je ne vous pardonnerai jamais la plus petite menterie »… (Marguerite du Saint Sacrement — Acarie)
Cette constante plongée dans la grâce alliée à une lucidité parfaite lui permirent d’assurer la direction de ses sœurs. Les sœurs parlent beaucoup de sa clairvoyance :
Elle avait une si claire lumière pour connaître l’intérieur des personnes et discerner l’esprit dont on était mu en ses actions que souvent on demeurait sans lui pouvoir répondre autre chose sinon : « Il est vrai » et avouer tout ce qu’elle disait. Une fois, elle était entrée en ce couvent avant qu’elle fût religieuse et comme je parlais à elle en particulier elle me dit : « Je parlais une fois à une personne et lui disais telle et telle chose », et par cette manière me fit voir beaucoup de fautes que je connaissais point et quoiqu’elle parlât toujours d’une autre personne, je répondais de bouche et de cœur : « Il est vrai, il est vrai… » (Anne de Saint Laurent — de St Lieu).
Tout comme le pratiquait Jean de la Croix,
Elle écrivait des passages des Évangiles et Épîtres de Saint Paul sur des petits papiers qu’elle donnait comme remèdes et instructions des besoins qu’elle voyait dans les âmes. (Seguier).
Elle répondait ainsi aux besoins spirituels d’une façon qui paraissait quasi miraculeuse :
Il arriva aussi à notre Sœur Magdeleine de la Croix défunte et qui a été la première professe de ce Couvent que ne se pouvant supporter elle-même à cause d’un extraordinaire délaissement intérieur dans lequel il lui semblait que sa conscience fut morte, et que Dieu l’eut abandonnée, et soustraite toutes ses grâces, elle crut que notre Bienheureuse sœur la pouvait soulager en ses peines et s’en allant la chercher en sa cellule elle la trouva qu’elle écrivait et quand elle eut achevé d’écrire sans attendre que notre Sœur Magdeleine de la Croix eut ouvert la bouche pour lui parler, elle lui mit en main le billet qu’elle venait d’écrire dans lequel notre susdite sœur Magdeleine trouva représenté bien au net l’état de son intérieur, et ce qu’elle devait faire pour se tirer de ses peines dont elle et toutes nous autres qui avons vu ce billet demeurâmes fort étonnées… (Marie de Saint-Ursule — Amiens).
Partout où elle allait, elle assurait la direction des âmes, mais sans le vouloir, et tout en pratiquant la plus extrême obéissance envers ses supérieures. À Amiens, la sœur Marie de Saint-Ursule raconte qu’à l’infirmerie, le soir où Madame Acarie était en extase,
… arriva Notre Mère Prieure qui était pour lors la Mère Isabelle de Jésus-Christ qui la reprit bien fort de ce qu’elle n’avait pas pris un bouillon, la force de l’obéissance la fit promptement revenir à soi du ravissement qui l’avait reprise et se levant en hâte de sa chaire, prenant ses potences et venant au-devant de notre Mère d’une façon si humble qu’il semblait une pauvre criminelle qui demanda pardon, et prit en cet acte son bouillon et comme notre Mère l’interrogeait de ce qui s’était passé en son intérieur elle lui fit réponse : « Hélas ma mère, je suis une pauvre créature. » Notre Mère lui répliqua : « Comment dites-vous cela, cette sœur vous a vue, vous a appelée et tirée et vous ne lui avez pas répondu. » (Marie de Saint-Ursule — Amiens).
C’était une direction joyeuse et bien ancrée dans la réalité :
Elle en chargeait fort particulièrement aux novices et le disait aussi aux autres sœurs de faire chaque chose parfaitement en son temps et se bien accoutumer à bien chanter au chœur quand elles y étaient d’être bien ferventes à l’oraison, bien manger quand elles étaient au réfectoire, d’être gaies et se bien réjouir… quand elle en voyait quelqu’une qui ne paraissait pas assez gaie à la récréation elle la regardait doucement et s’adressait à lui dire quelque parole gracieusement. (Marie de Saint-Joseph — Fournier).
Elle combat toute mélancolie (directrice, elle s’opposait au défaut d’espérance) :
Il me souvient qu’une fois cette Bienheureuse me rencontrant en la sacristie du Monastère de l’Incarnation à Paris et me voyant triste et fort abattu, elle me tira à part et me dit : « Il me semble que je vous vois d’une façon fort contraire à la vie des âmes qui sont à Dieu comme vous désirez d’être. »… Elle me dit plusieurs autres choses à ce propos avec tant de grâce et avec un si grand efficace que dès lors cette tristesse s’évanouit. Et du depuis je ne pense pas être tombé en une semblable mélancolie. (Jean-Baptiste).
Joie, liberté :
Elle disait qu’elle n’aimait pas quand on met son principal soin à ne point faire des fautes extérieures que cela souvent procède d’orgueil, qu’il vaut mieux marcher avec une sainte liberté, joie, ouverture de cœur et rondeur parce qu’encore que quelquefois on fit des fautes extérieures, après cela sert beaucoup à humilier l’âme et la rend plus docile et affable (Marie de Saint-Joseph — Fournier).
Elle est optimiste et dynamique :
Elle dit plusieurs fois que les fautes que nous faisons doivent servir beaucoup pour réveiller l’âme, et que ce lui doit être un coup d’éperon pour la faire courir plus vite… Elle nous disait que les fautes doivent servir à l’âme ce que le fumier sert à la terre qui est à l’engraisser et la rendre plus féconde. (Seguier).
Elle était très sensible à la beauté de la nature comme signe de Dieu :
… je dirai que toutes choses portaient cette bienheureuse à Dieu : quand elle allait au jardin, les fleurs, les feuilles tout ce qu’elle y voyait lui servaient à cet effet, elle prenait une feuille et la montrait en admirant la puissance de Dieu, elle s’entretenait quelquefois toute une récréation sur cette feuille et toutes les autres à l’écouter comme si c’eût été un ange qui leur parlait. Elle avait d’ordinaire des feuilles, des fleurs et des feuilles d’arbres dans ses livres et les considérait de temps en temps… (Marie de Saint-Joseph — Fournier).
Le dernier jour de notre voyage, sur les neuf heures du matin, il se leva un très beau soleil de sorte qu’il semblait être au printemps ; lors cette bienheureuse commence si fort à s’enflammer à la considération d’iceluy qu’elle se mit à parler de telle ferveur du grand soleil de justice qu’illumine tous les hommes et des grands effets qu’il cause dans les âmes qui sont en grâce et qu’il illumine (Marie du St Sacrement — de St Leu).
Ce qui a frappé aussi les contemporains est son continuel va-et-vient entre oraison et charité, car en réalité les deux ne font qu’un :
… à l’Église si ravie et absorbée en Dieu qu’elle n’avoit que son chappelet en la main pour contenance, n’usant d’aucune prière vocalle, estant quasi toujours et partout abstraicte en son intérieur, et ni avoit que la charité qui la peut rappeller à soy, vertu si eminente en elle qu’elle a converti pendant ce temps la plus de dix mille ames. Se rendant debitrice à tous ceux qui l’emploioient, sa porte n’estant jamais fermée à personne ni a heure que ce fust elle touchoit si vivement les cœurs par son exemple et remonstrances, que j’admirois ses cochers et lacquaiz bref toute sa famille mieux convertie que s’ils eussent demeuré dix ans en religion… » (René Gaultier).
Sa bonté envers les humbles qu’elle traitait comme des égaux :
La première fois que je fus chez elle pour lui parler du désir que j’avais d’être religieuse, encore que je ne fusse qu’une pauvre fille de basse condition, elle me reçut avec autant d’amour et de charité que si j’eusse été quelque chose ; me donnant autant de temps qu’il en fut besoin avec autant de tranquillité que si elle n’eût eu que moi à satisfaire. Il me semble même qu’il y avait lors des personnes de qualité. Et ne vis point qu’elle leur satisfit premier que moi. (Anne de Saint Laurent — de St Leu).
Je m’appelle Marguerin Goubelet, tailleur de pierre… Elle était lors fort incommodée de sa personne et marchait aux potences avec beaucoup de peine, mais elle portait une si grande suavité sur son visage qu’il paraissait bien que son mal lui était bien précieux. J’étais extrêmement consolé quand je lui pouvais parler parce que quoiqu’elle parlât de bâtiment et d’autres semblables choses elle assaisonnait tellement toutes choses de l’esprit de dévotion que tout ce qu’elle disait servait d’édification. » (Goube).
Les pauvres sont l’image de ce que nous devons être pour Dieu :
… quand elle allait voir les ouvriers, elle était quelquefois qu’elle s’arrêtait de parler puis elle disait : « Je regarde ces pauvres gens qui sont attentifs à leurs ouvrages. Les voilà comme tremblants devant leur maître. Ils se rendent diligents à lui obéir et à lui agréer pour ce qu’ils dépendent de lui pour gagner leur vie… Elle nous a dit que cela lui a beaucoup servi dès que l’on faisait le bâtiment de Notre Dame des Champs de Paris que quelquefois, y allant du matin avec une personne signalée qui passait par une place qu’elle nommait où sont les gens qui vont pour gagner leur journée, qu’elle les voyait les uns avec un outil, les autres avec un autre, que ces gens sortaient de leurs maisons sans savoir qui les emploierait ni à quoi ils seraient employés. (Marie de Saint-Joseph — Fournier).
Elle se mettra à l’image des pauvres :
En sa dernière maladie, elle buvait dans un biberon de verre, quelqu’une dit qu’un de terre serait plus aisé. Je dis qu’il n’était pas si propre, que je ne les aimais point, que j’en avais vu à l’Hôtel-Dieu aux pauvres de même. Quand elle entendit que les pauvres en avaient de semblables, elle me pria instamment qu’elle eût celui-là, et qu’elle était pauvre. Elle s’en servit durant toute sa maladie pour ce qu’il était pauvre. (Marie de Saint-Joseph — Fournier).
Sa charité est active à l’exemple du bon Brétigny de Quintadanavoine à Séville 126 :
Elle s’emploioit fort heureusement à la conversion des filles desbauchées et les assistoit jusques à les retirer en sa maison et les touchoit tellement quelle menoient une vie exemplaire de vertu… (Père Jean Sublet de la Guichonnière).
Et avec les malades, son exigence de perfection dans l’amour des autres a frappé son entourage d’admiration :
Une fois étant à la cuisine elle faisait un bouillon pour une personne malade avec une telle ferveur et y prenait telle peine qu’elle faisait dévotion à la voir. Et après qu’elle y eût bien travaillé, il lui en fallut faire un autre parce que, quoiqu’elle y eût goûté plusieurs fois, il lui semblait toujours n’avoir point de goût. … Elle se remit tout aussitôt avec la même charité à en faire un autre… (Anne de Saint Laurent — de St Leu).
Elle soigne un malade qui dégoûte tout le monde :
Aussitôt que Sœur Marie de l’Incarnation s’en aperçut elle retira ce malade à part en une chambre séparée du reste de son logis défendant à tous ceux de la maison de s’en approcher sans leur dire pourquoi c’était afin de ne les pas effrayer elle prit toute seule le soin de le servir. Elle faisait son lit elle pansait cet apostume qui suppurait et jetait un pus si puant que le malade même n’en pouvait supporter l’infection. Elle lui donnait à manger et le servait avec un si grand soin et charité qu’il en fut tout guéri. (Mère Françoise, 322).
Elle exprime ainsi l’union requise entre la grâce et l’activité :
… il faut laisser à la providence divine, comme s’il n’y avait point de moyens humains et travailler et avoir soin comme s’il n’y avait point de providence divine… (Marie de Saint-Joseph — Fournier, 99).
Je conclurai en disant combien Madame Acarie fut une mystique complète : sa vie est totalement unifiée en Dieu. Elle vit plongée dans la Réalité divine, dans l’oubli de soi, allant et venant entre l’oraison et l’action, mais en fait toujours en raison même de l’action. Comme le disait dom Sans, Général des Feuillants :
… encore que s’occuper avec Dieu soit une action plus divine et noble et plus douce à l’ame, que s’occuper pour Dieu ; néantmoings quand il est necessaire il fault descendre, et se divertir de Dieu aux choses de ceste vie pour le service du mesme Dieu, ce qui s’appelle laisser Dieu pour Dieu. (Dom Sans de Sainte Catherine, 69).
Constamment plongée en Dieu, elle irradiait l’amour divin autour d’elle comme en témoigne le père Sans :
… elle allumait les cœurs, détrompait les âmes et changeait les intérieurs, de telle sorte qu’il n’y avait presque personne qui l’allât voir, qu’elle ne s’en retournât touchée extraordinairement par Dieu… 127.
[1965] [Madeleine de Saint-Joseph], Lettres spirituelles, présentées par Pierre Serouet, Présence du Carmel, Desclée de Brouwer, 1965, 435 pages. [OCR corrigé =Doc6]
Notre choix en fin du vol. Chatou : en éditant un certain nombre de lettres complètes ou leur début ou leur fin. No pages : 45 46 5152 7273 104 105 136 138 149 154 159 186 191 196 199 200 217 218 219 224 229 234 238 241 242 244 251 253 254 255 258 261 265 268 274 291 296 311 à regrouper par thèmes ? prière, direction spirituelle, volonté propre…
On se limitera à une ou deux lettres, compte tenu de leur réédition prévue
[1628] [Madeleine de Saint-Joseph], La vie de sœur Catherine de Jésus, religieuse de l’Ordre de nostre Dame du Mont-Carmel […] decedée à Paris le dix-neuviesme fevrier 1623, Paris, chez Edme Martin, 1624 ; Toulouse, chez Jean Boude, 1625 ; Paris, 1626, 1628 ; Paris, chez Fiacre Dehors, 1631 ; Paris, chez Pierre Le Petit, 1656.
Voir la section consacrée à Catherine de J
[1645] La Vie de la Mère Magdelaine de S. Joseph…, par un prêtre de l’Oratoire [les P. Gibieuf et J. — F. Senault ; la bibliogr. de Louise de Jésus cite seulement Senault, Paris, chez la veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit, 1645, 460 pages. [=Doc4b]
Apparaît comme la première source, reprise et augm. par Talon en 1670.
A.S.S K4-89.
[1670] La vie de la Mère Magdeleine de S. Joseph, religieuse carmélite […]/Par un prêtre de l’Oratoire de Jésus-Christ N. S., [Senault], nouvelle édition revue et augmentée [par le P. Talon], Paris, chez Pierre Le Petit, 1670, 756 pages. [=Doc4]
96 102 144 145/6
149 164 181/2
204 240 241
299-314 (avis)
319 326 329
334-335 (transcriptions écriture)
337
355-361 (mort)
406-408 (la foi)
420-421
425-426 (autres transcriptions de l’écriture)
430-432 (! amour)
439, 443 (influences)
459 (charité)
476 487 505
(ensuite beaucoup de faiblesse chez Talon)
592 599
612-613 (compréhension de l’évangile)
618 (3e recueil de l’écriture)
624 (je suis une pauvre vieille…)
639 655
673-675 (novices sans dots)
693-694 (D lui demande anéantissement)
697 (l’état stable)
700 (présence intérieure de JC)
702 (4e recueil de l’écriture)
712 (ne pas se retourner sur soi)
713 (à 50 ans ma voie : ?)
715 (un fort inexpugnable)
717-718,721 (ne pas jouir ds la voie)
756 findu txt
* commun avec lecture ci-dessus été 06 soit 18* sur 31 presque 2/3 ;
or 83pages retenues/765… = bon accord !
à faire : comparer Senault et Talon ! puis compléter les saisies (chez Senault ou chez Talon ?) : au moins correspondant aux * de notre liste, au plus tout ce qui intéresse s. Odile ! prendre les citations complètes + les débuts et fins de § ouvrant et fermant ces citations (donnent le contexte).
96*, 108,144*, 146*, 149*, 181*, 182*, 197,
204*, 213 223 241*, 291 320 344,
407*, 408*, 422,431*, 432*, 433,443*, 455,496,
624*, 633,697*, 712*, 713*, 715*, 711 ci-après :
La parfaite charité n’est pas dans les sens, elle réside dans le cœur, et ne regarde que Dieu ; et comme elle ne regarde que Lui, elle ne cherche que ce qui peut aider à s’en approcher davantage, et non ce qui peut satisfaire les sens, et qui est conforme aux inclinations de la nature corrompue que nous avons reçue d’Adam. Si vous êtes véritablement animée de cette parfaite charité, vous ne verrez que Dieu dans vos sœurs, vous ne considérerez en elles, que ce qu’il y a de bon et de vertueux pour l’estimer, pour l’aimer, et pour vous y lier. Elle leur disait aussi, Ne soutenez jamais vos pensées, mais soyez faciles à les quitter, et à céder à vos sœurs ; car c’est la marque d’une âme vertueuse, et une partie de la charité que nous nous devons les unes aux autres. (96).
Il y a à peu près 25 ans, dit cette servante de Dieu, qu’étant travaillée d’une forte et violente migraine, à laquelle j’étais sujette dès ma jeunesse, je fus contrainte de me mettre sur le lit, avec d’autant plus de peine et de regrets, que c’était un jour solennel, auquel j’étais obligée de faire l’office à matines : notre mère Madeleine me vint visiter, et comme elle était toute remplie de charité, et ne pouvait voir souffrir personne sans y compatir, ayant connu par des marques que je ne pouvais cacher, que le mal était fort pressant, elle mit sa main sur ma tête, et me dit d’un accent qui témoignait bien le tendre sentiment de son cœur : Si j’étais une grande sainte, je vous guérirais. Dieu bénit sa parole, et l’imposition de sa main fut si efficace, qu’au même temps, je me trouvai non seulement guérie, et en parfaite santé, quant au corps, mais je ressentis jusque dans l’intérieur l’effet de cet attouchement, car mon esprit en cet instant reçut une nouvelle liberté, et une nouvelle ferveur, pour m’élever à Dieu avec plus de vigueur, et pour m’occuper de Lui avec une application toute particulière. (108).
Une de ses novices fut un jour enquis par une dame de grande qualité, si les sœurs de ce monastère étaient de bonne maison : la mère l’entendit et le dissimula selon sa prudence ordinaire : mais au sortir elle dit à cette novice : ma fille, quand quelques-unes vous feront cette demande, répondez-leur, que nous sommes toutes de très bonne maison, puisque nous avons l’honneur d’être filles de roi, sœur de roi et épouse de roi : c’est-à-dire filles du Père éternel, sœurs de Jésus-Christ son fils, et épouses du Saint Esprit ; c’est la maison dont nous sommes à présent, et celles qui se sont données à Dieu, n’en doivent pas considérer d’autre. (144).
Quelquefois, que d’un lui pouvant parler, parce qu’elle était occupée pour des choses importantes, je rappelais dans mon esprit quelques-unes de ses paroles, et je m’en allais aussi contente, et avec autant de peine que si j’eusse eu le bonheur de lui parler, le seul souvenir de ce qu’elle m’avait dit portant une vertu dont je ne saurais pas exprimer la force et le pouvoir, et qui m’élevait à Dieu. (146).
Le quinzième janvier 1622, il me fut montré que le degré de gloire que je devais posséder dans l’éternité était arrêté, et qu’au moment de ma mort il me serait appliqué une grâce conforme à ce degré de gloire, sans égard à la longueur ou à la brièveté de ma vie. Je vis aussi que je mourrais à moi-même dès ce moment, que ma vie serait désormais pour les autres et non plus pour moi-même : et je vis encore que j’étais dédiée à l’amour, que le Verbe porte à son Père dans l’éternité dans le temps. (149).
Ma fille, les âmes qui se laissent aller à tant de choses différentes, ne feront jamais grand fruit, liez-vous à Dieu par une adhérence intérieure et simple, chassez toute autre pensée de votre esprit, et ne vous arrêtez qu’à Lui, sous quelque prétexte que ce soit. Elle lui avoua que ces paroles avaient fait tant d’impression sur son esprit, que plus de douze années qui s’étaient depuis écoulées n’avaient pu les effacer ; mais qu’elles lui étaient aussi présentes, que si la mère les lui répétait à chaque moment. (181).
Souvent pendant que j’ai eu la bénédiction de demeurer avec elle, lorsqu’elle me rencontrait en allant par la maison, elle m’arrêtait, et me parlait charitablement sur ma disposition présente, avec autant de clarté que si je fusse venu de lui rendre compte. Une fois sur la fin de mon noviciat, comme je passais auprès d’elle sans lui rien dire, elle connut une grande peine que j’avais dans l’esprit sur le sujet de ma profession : elle m’arrêta tout à l’heure, et me regardant fixement, me demanda ce que j’avais et qu’est-ce qui me troublait. Je lui avouai que tout le jour, j’avais vu cet esprit de ténèbres en une forme épouvantable, jetant le feu par la bouche, et qu’il me suivait partout comme s’il m’eût voulu étouffer, que (182) j’en avais une très grande frayeur, et que la nuit précédente cela m’avait entièrement ôté le sommeil. La bienheureuse me fit le signe de la croix sur le front et me dit : Allez n’ayez pas de peur, ce méchant n’a pas de pouvoir sur vous, donnez-vous bien à Notre Seigneur Jésus-Christ, auquel je vous offre de tout mon cœur. Au même moment je me trouvai délivré de cette horrible vision et de toutes les autres peines et difficultés, me sentant revêtu d’une nouvelle force.
Je me souviens que ne faisant alors que commencer à prêcher, elle m’encouragea et me fortifia extrêmement. Mais elle ne pouvait se lasser de m’avertir que je prisse garde à ne pas altérer la pureté de la parole de Dieu par un mélange affecté des choses profanes et curieuses ; à ne m’attacher pas tant à la délicatesse qu’à la force de mon discours, à ne m’étudier pas tant à contenter un auditoire qu’à le toucher, et à ne chercher pas ma réputation au préjudice de la gloire de Jésus-Christ, du salut des âmes, que je devais uniquement envisager (197) en cette fonction. Elle avait accoutumé de me dire qu’il ne fallait imputer à autre chose qu’à cela, le peu de profit et le peu de succès que l’on voyait des sermons des personnes auxquelles Dieu même avait donné de bons talents, qui ne manquaient ni de doctrine ni d’éloquence, et qui les étalaient dans les chaires avec tant d’ostentation, que c’était des trompettes qui n’avaient qu’un son qui battait l’air et les oreilles sans être porté jusqu’au cœur ; et que prêchant sans dessein de convertir et de sauver les autres, ils se pervertissaient et se perdaient eux-mêmes, selon le dire de saint Paul (I Corinthiens 9,17).
La Mère Madeleine s’appliquait aux bonnes œuvres avec plaisir et joie, et nous y excitait avec des sentiments si pleins d’amour et des paroles si efficaces qu’elles touchaient le fond du cœur (…) Tantôt elle nous exagérait la grande (204) bonté de Dieu a récompenser la moindre des bonnes œuvres que nous faisons. Elle pesait grandement ces vérités et les imprimait fortement à la plupart des dames qui la hantaient, qui étaient les principales de la Cour. Ce fut elle qui me donna la pensée et me sollicita de visiter les hôpitaux pour y servir des malades. Ce fut elle qui porta feu Madame la princesse de Condé et Madame la Duchesse de Longueville à entrer dans les prisons pour y consoler et assister les pauvres prisonniers. Et quoique ce fut une chose que les dames de grandes conditions ne pratiquaient pas en ce temps-là, elle représentait néanmoins avec tant de grâce, de force et de douceur, l’excellence ces œuvres de miséricorde, que l’on était insensiblement contraint de se rendre à ce qu’elle désirait. Je me souviens qu’elle me disait quelquefois : Je n’y puis pas aller, allez-y je vous en prie, pour moi.
J’ai un très grand besoin de vos prières dans les continuelles maladies dont il plaît à Dieu de me visiter ; car il est vrai que c’est chose étrange d’être chargée d’un si grand nombre de filles avec si peu de santé, et il n’y a que la seule obéissance que je dois à Dieu qui m’y puisse faire soumettre ; mais quand je Le regarde, je ne puis que Lui représenter mes raisons et mes misères ; et puis Le laisser faire ; car ce serait le plus grand mal de tous, que de ne pas vouloir ce qu’Il veut puisque toutes choses doivent être assujetties à sa (213) très sainte volonté ; tout ce que je sais faire, c’est de prier et de patienter. Elle fit ce qu’elle dit, elle rentra dans ce pénible exercice par obéissance, elle s’en acquitta avec charité, et l’on remarqua que toutes ces vertus me furent jamais plus éclatantes que dans cette dernière Supériorité.
Quand notre bienheureuse mère était devant le très-saint Sacrement, c’était une chose admirable de voir son humilité, sa gravité, son attention, sa sainte crainte et son recueillement, car toutes ces choses paraissaient rassemblées en elle : et pour moi j’avoue que j’étais plus instruite de la foi en cet état, que mon esprit s’élevait plus promptement à Dieu, et que ma foi étais plus vivifiée de la présence de Notre Seigneur Jésus-Christ au très saint sacrement, que si j’eusse ouï dire, ou lu, toutes les plus belles choses du monde sur ce sujet. (223)
Mon père, toute mon application est à demander à Notre Seigneur Jésus-Christ que je ne sois qu’une capacité toute remplie de son pur amour. (241)
Comme elle se disposait plus soigneusement au baptême, elle fut si agitée, ce qui auparavant n’était jamais arrivé, que le devant de sa tête répondait au dos et le derrière à la poitrine ; elle roulait les yeux comme une possédée, elle écumait, elle agitait son corps, elle criait « je tremble » et disais à haute voix qu’elle voyait comme dans les ténèbres je ne sais quoi d’épouvantable. La vénérable mère Madeleine connut en France les efforts du Démon, peut-être même avant que le Démon les eût faits, car par une lettre écrite avant, ou environ le temps de ce fait, elle me pria de donner le nom de Madeleine à la fille tourmentée du démon et de l’assister des aumônes qu’elle m’envoyait. Je ne fis pas d’abord réflexion à ceci, lors que je reçus et que je lus sa lettre ; mais après qu’au baptême elle fut nommée Madeleine, et tout à fait délivrée, et que les vaisseaux furent partis, je commençais à songer par qu’elle voie cette vénérable mère l’avait pu apprendre ; je fis réflexion au temps et je conclus que cela s’était fait par une vertu divine, et je louai Dieu qui Se fait voir admirable en ceux qui le servent. /Dieu lui donna même cette consolation que de pouvoir travailler en personne à la conversion de quelques-unes de ces âmes : car les révérends pères jésuites ayant envoyé en France (291) une femme iroquoise, et deux petites canadiennes, cette bienheureuse s’en voulut charger ; elle les retira au logis des Tourières de son monastère, où elle prenait soin de tout ce qui leur était nécessaire ; mais surtout de leur instruction à notre sainte foi comme si elles eussent été ses enfants. Lors qu’elle vit les deux canadiennes en état de recevoir de sa baptême, elle en eut une extrême joie ; elle pria deux de Messieurs les Évêques de les vouloir baptiser et choisit la fête de la glorieuse manifestation de Jésus-Christ. Cette cérémonie, qui se fit dans l’église de son monastère, avec toute la solennité possible. La reine assista et presque toute la Cour. Après leur baptême elles entrèrent dans le couvent où la bienheureuse leur fit dss caresses extraordinaires ; sa joie la porta à les embrasser en la présence de la reine et cette princesse ayant dit : Ma Mère, vous avez bien de la charité et du courage, car ces pauvres créatures étaient fort sales et ointes (selon la coutume de leur pays, d’une graisse très dégoûtante) Elle répondit agréablement à sa Majesté : Elles sont mes sœurs, Madame, maintenant qu’elles sont filles de Dieu, je les aime, elles sont membres de Jésus-Christ, nous irons tout en paradis ensemble.
Quelques-unes des Mères les plus vertueuses et plus considérables de son couvent, touché des grandes traverses qu’elle souffrait, et particulièrement de ce que l’on disait qu’il fallait la déposer de la manière qu’on le prétendait, ne purent s’empêcher de lui en témoigner leur douleur ; elle répondit à visage content : je vous avoue que si Dieu l’ordonne ainsi, je serais plus satisfaite d’être hors de charge par cette voie, que si j’en étais sorti par (320) mon choix ; je connaîtrai par là, que Dieu veut que j’en sorte maintenant, et je ne serai pas en scrupules d’avoir quitté la croix et les travaux et d’avoir mis notre Ordre en quelque hasard de trouble pour avoir cherché mon repos, lorsque ceux à qui je dois obéir, n’avaient pas dessein de me le donner.
Et ce même jour, comme on l’avertit que Madame la Princesse arrivait, elle ne parut pas entendre la voix de celle qui lui parlait : on le lui dit une seconde fois, à quoi n’ayant pas encore pris garde, cette pieuse Princesse entra dans le Chœur et s’approcha d’elle pour lui dire quelque chose selon sa coutume ; mais leur entretien fut court, car la Mère se contenta de lui dire : Eh bien, Madame, que nous direz-vous de la croix et de la mort de Jésus-Christ ? Nous apprendrez-vous quelque chose de ce qui s’est passé sur le Calvaire ? Puis ayant ajouté encore quelques paroles touchant la grandeur de ces mystères et de la vénération qui leur est due, elle rentra incontinent dans son silence… (344).
La foi est un don que Dieu fait à Sa créature, par lequel elle croit et adore cette puissance souveraine et lui rend l’honneur qui lui est dû : et comme cette foi est au-dessus de toutes les choses que nous pouvons sentir en la terre, l’âme s’y doit attacher aussi, au-dessus de tout ce qu’elle voit et de ce qu’elle sent. C’est un don très pur, que l’âme doit suivre avec une grande et haute pureté, se séparant même de tous les sentiments intérieurs, ou ne s’en servant qu’autant qu’ils la peuvent fortifier ; encore faut-il qu’elle se fonde toujours sur la foi, quelque lumière qu’elle reçoive d’ailleurs, et qu’elle reconnaisse que c’est (407) un guide, sous la conduite duquel elle ne peut s’égarer ; mais parce que la tentation, et l’obscurité qu’elle produit, nous empêche quelquefois de faire usage de cette vertu, et diminue en nous la liberté de nous élever à Dieu par elle, il faut souffrir avec patience cet empêchement, et ne pas croire que pour en avoir perdu l’usage sensible, nous en ayons perdu l’habitude ; car le don de la foi ne sera jamais ôté quelque chose qui arrive, si nous-mêmes n’y renonçons volontairement ; Dieu sera toujours ce qu’Il nous a enseigné qu’Il est, et Il nous aimera en toute éternité, si nous Le servons, Sa grâce sera toujours présente, jusqu’à la mort, et il faut que l’âme soit fidèle à rendre hommage à son Dieu par cette croyance.
La Foi établit les âmes dans les lumières de Dieu, et les élève au-dessus d’elles-mêmes par une intime union à Dieu, et à toutes Ses divines perfections, pour croire humblement tout ce qui Lui plaît de leur révéler de ses grandeurs, de ses conseils, et de ses œuvres, sans consulter la raison, pour agir avec confiance en Lui, et en Jésus-Christ Son Fils, sans s’appuyer sur leurs propres forces, et enfin pour se contenter de Lui, sans chercher le vain supplément des biens périssables. La Foi, poursuivait-elle, demeure aussi bien dans la tempête que dans le calme, pourvu que nous soyons toujours fidèles à Dieu, et que notre volonté soit soumise à la Sienne. (408).
Reconnaissez, ma sœur, le peu de pouvoir qu’à votre âme pour suivre parfaitement la voie par laquelle Dieu veut que vous marchiez : regardez-le humblement, abandonnez-vous toute à Lui, rendez-vous fidèle aux occasions, et entièrement dépendant de Sa bonté, pour Lui rendre ce qu’Il demande de vous, et ainsi appuyée sur Lui, vous espérerez tout de Lui et rien de vous-même. (422).
Dans un papier écrit de sa main : L’état de mon âme est une union avec Dieu si totale, si puissante, et si transformante, que n’ayant pas de terme pour l’exprimer, je m’abstiens le plus souvent d’en parler. Ces opérations sont si intimes, et l’amour, au moins ce que j’appelle ainsi, est si secret, que quelquefois je dis : Amour, vu que vous êtes si puissant, comment opérez-Vous avec si peu de bruit ? Et comment êtes-Vous si caché, qu’on ne Vous peut nommer, sinon que Vous-même Vous formiez dans l’âme ce (431) nom d’amour ?
Le plus souvent mon âme se trouve comme la boue des rues, ou comme une chose très immonde, sur laquelle repose une grande pureté ; et comme un jour mon âme demandait à Dieu, pourquoi Il l’aimait ainsi, Il lui montra par une grande vérité, qu’il n’y avait pas d’autre oraison en l’amour, sinon qu’il était amour pur, et qu’il aimait à cause de Lui-même. Je sens un extrême bien que l’on m’humilie par toutes sortes d’abaissements, et j’ai grande dévotion (432) à un passage des cantiques qui dit : « Si tu te méconnaîs, ô la plus belle des femmes, va paître tes troupeaux », c’est-à-dire, comme je l’ai pensé, retourne à ta première condition, rentre dans la connaissance de toi-même, et du peu que tu es devant Dieu, afin que la vue de tes misères t’éloignant de toi-même, te rapproche de Lui. /Rien ne l’étonnait davantage que de penser que Dieu la daignait aimer. Elle disait à ce propos dans un autre papier écrit de sa main. Ma raison et mon intelligence ne peuvent comprendre comme Dieu se veut communiquer à une personne telle que moi…
Il me semblait, il y a quelques jours, que Notre Seigneur me disait que je voulais (432) cacher Sa gloire, pourquoi j’avais tant de contradictions à parler, que ce ne serait pas par moi-même que je me préserverai de vanité. Depuis ce moment je me trouvai si abandonnée à Lui, que Son opération anéantit toutes choses en moi. Or je ne puis dire comme ceci se fait, car je sens l’usage libre de tout mes sens, et je ne me trouve empêchée de nulle action.
Étant un jour accablé une grande tristesse, je demandai à parler à la vénérable Mère : quoiqu’alors elle ne fut pas en bonne santé, elle prit la peine de venir en même temps au parloir : je sentis aussitôt que sa présence dissipait comme un soleil les ténèbres qui offusquaient mon esprit, et par la suite je reconnus clairement que c’était la force de la grâce qui résidait dans son âme qui avait apaisé cette tempête. (443).
Faisant tout le reste avec tant de circonspection et de mesure, elle n’en pouvait garder lorsqu’il était question de servir quelqu’un qui était tombé dans quelque malheur. (…) Une personne de fort grande condition (455), à qui néanmoins, ni la Mère ni son Ordre n’avaient aucune obligation particulière, avait été arrêté et souffrait une fort longue et ennuyeuse prison ; dans le seul mouvement de la charité et par la seule compassion qu’elle eut de l’affliction de cette personne et de quelques-uns de ses proches qu’elle savait être pleins de vertu et de piété, elle osa intercéder plusieurs fois pour lui, auprès de ceux de qui dépendait sa liberté, encore qu’elle connut bien qu’ils n’y avaient pas d’inclination ; que d’en entendre seulement parler leur donnait même de la peine, et cela dans un temps auquel personne n’eût entrepris d’ouvrir la bouche pour parler en sa faveur.
Priez Celui qui vient vous visiter avec tant d’amour, que comme Il s’est donné à toute notre nature, Il se donne à chacune de vos personnes, et qu’en se donnant à vous, Il vous prenne aussi en Lui, qu’Il vous élève, et vous tire en Lui ; qu’Il vous tire de votre pauvreté dans Ses richesses, de votre bassesse et de vos misères dans Son bonheur, et dans Ses grandeurs. Enfin qu’Il vous tire et qu’Il vous élève de tout ce que vous êtes, dans tout ce qu’Il est. Dans un autre entretien qu’elle eut avec elle, elle ajouta encore : Demandez au Fils de Dieu, que comme Il s’est uni à votre nature, Il s’unisse (496) à vos personnes, qu’Il s’unisse à votre esprit, qu’Il s’unisse à votre cœur, qu’Il s’unisse à votre volonté, enfin qu’Il s’unisse si parfaitement à tout ce que vous êtes, que vous demeuriez pour jamais toutes unies et consommées en Lui, et Lui consommé en vous.
Une jeune religieuse prit la liberté de lui dire tout naïvement : Je crois, ma mère, que votre intérieur est bien beau, s’il vous plaisait de nous en dire quelque chose. La bienheureuse se plût dans la simplicité de sa fille et lui répondit en riant : vous dites vrai, ma fille, c’est une belle chose que mon intérieur, il est fait comme celui de plusieurs autres, il y a du bon et du mauvais, un peu de bons désirs et beaucoup de mauvaises œuvres. Elle ajouta encore. Je suis une pauvre vieille, de qui Notre Seigneur n’attend pas grand-chose, il me laisse aller mon grand chemin. (624)
Quand nous nous abaissons devant Dieu, Dieu s’abaisse vers nous, et c’est alors qu’Il nous regarde, parce que nous nous mettons dans notre véritable lieu. (633).
L’état de mon âme est une union si totale, si puissante et si transformante, que je n’ai pas de terme pour l’expliquer. Ce qui fait voir, que ce qu’elle ressentait (697) en elle-même, n’était pas une disposition passagère, mais un état qui marque quelque chose de stable et de permanent ; que son âme n’était pas seulement unie à Dieu par quelqu’une de ses puissances, mais par tout ce qu’elle était, que Dieu l’attirait à Lui avec autant de force que de douceur, et qu’enfin ce grand effet allait jusqu’à transformer son âme, en Celui qui était l’objet de son amour.
Elle lui dit qu’un des usages plus continuels qu’elle faisait elle-même, était de se séparer de toute occupation et de tout retour sur les effets de Dieu en elle, et d’aller droit à Lui sans application à aucune autre chose ; afin de ne pas retenir aux voies de Dieu, qu’autant qu’il l’y voudrait tenir par Lui-même, et ainsi d’être toujours pleinement dans Sa main, pour être appliqué et tourner du côté qu’il Lui plairait, et en la manière qui Lui serait la plus agréable. (712).
Je suis toute étonnée de ce que ces personnes parlent avec tant d’assurance de leur voie : pour moi j’ai tantôt cinquante ans et quand mon supérieur et même mon bon Ange m’obligerait à dire quelle est ma voie, je ne le pourrais pas faire ; on va à Dieu comme l’on peut et l’importance est d’y arriver. (713) (et la suite ?)
C’est un grand abus en quelques âmes de croire qu’elles ne peuvent pas ce qu’en effet elles peuvent, non pas en leur propre force, mais en celle de Jésus-Christ. Elle se doit souvenir de ces paroles de saint Paul : « Je puis tout en celui qui me conforte », (Filip. 4,13), et quelques combats que l’âme souffre, et en quelque accablement qu’elle se trouve, il faut qu’elle essaie de s’élever et de se donner à Dieu, par-dessus tous les obstacles. (715)
Vous avez raison de n’être pas satisfaite de ces deux sœurs, qui s’occupent si fort des effets de Dieu qui se passent en elles, car c’est un défaut des plus dangereux que les âmes puissent commettre dans la vie intérieure. Elles font justement comme des voyageurs, qui étant bien pressés d’avancer leur voyage, s’amuseraient aux belles maisons et aux autres choses agréables qu’ils trouveraient par les chemins. Nous allons à Dieu, et toute notre vie n’est qu’un continuel voyage dont Il est la fin. Nous ne devons penser qu’à cela, tous nos usages intérieurs, aussi bien que toutes nos actions extérieures y doivent tendre, et c’est une espèce de (711) folie de se laisser arrêter par les mêmes choses qui nous doivent avancer.
Un jour une ancienne religieuse dit à la bienheureuse Mère, qu’elle se trouvait dans une grande pauvreté, et que tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de se tenir humblement devant Dieu et de l’adorer selon ce que la foi nous enseigne. Sur quoi la Mère répondit : Jésus ma fille, appelez-vous pauvreté d’adorer Dieu et de l’adorer dans la conduite de la foi ? N’est-ce pas la foi qui nous rend agréables à Dieu ? Et l’adoration n’est-elle pas l’usage le plus saint et le plus important que nous puissions faire ? N’est-ce pas l’occupation de tous les saints dans le ciel, qui sont dans une continuelle adoration et dans un continuel anéantissement devant Dieu et devant Jésus-Christ ? Le même Fils de Dieu en tant qu’homme n’est-il pas dans un état perpétuel d’adoration et de sacrifice à son Père ? Ô ténèbres ! Ô incapacité de l’esprit humain ! Il est très petit et borné, et Dieu est infini et immense, et il le voudrait comprendre : il est très bas et Dieu est la souveraine grandeur, et il faudrait en quelque sorte s’égaler à Lui : gardez-vous en bien, ma fille, mais tenez-vous humblement dans cette voie de foi et d’adoration, qui est la plus sainte et la plus solide. /Elle dit à une autre religieuse sur le même sujet : Cette manière d’aider à Dieu est la plus sainte et la plus parfaite, mais pourvu qu’elle soit véritable. Car il y (713) a bien des âmes qui se trompent en prenant leur inutilité et leur inapplication à Dieu, pour une voie qui ne tient rien des sens, mais qui est bien au-dessus, et toute de la foi. Je supplie Notre Seigneur de vous garder de cette méprise et de vous faire la grâce de l’adorer continuellement sous la conduite de la foi tant que vous serez en la terre…
[1672] Avis de la vénérable Mère Madeleine de S. Joseph, pour la conduite des novices, Paris, de l’Imprimerie d’Antoine Vitré, 1672, 1-74 suivi de Petite Instruction que la V. Mère Madeleine de Saint Joseph, étant Maîtresse des Novices, donna par écrit à quelques-unes d’entre elles, pour leur apprendre à faire l’Oraison, 1-5. =Doc9
On a fait un choix indiqué par ** dans la transcription intégrale par s.Thérèse des Avis. On omet la Petite Instruction qui suit.
Avis que notre bienheureuse Mère Madeleine de Saint-Joseph a donné… ms. XVIIe siècle référencé dans « Vives flammes », 1987, 168.
(38)… quoique je nomme ici toutes ces parties de l’oraison et que j’ai dit qu’il soit bon de les faire observer aux jeunes âmes, je n’entends pas pourtant qu’elles s’en servent toujours, si l’on voit qu’elles puissent être occupées d’une seule… tout ce que nous cherchons en cela… est pour éviter l’inutilité dans laquelle plusieurs esprits pourraient être (39) n’ayant pas suffisamment de quoi s’occuper. Mais pour celles qui peuvent facilement s’appliquer à Dieu, il ne faut pas les obliger à cela : car ce serait une grande contrainte et les gêner par trop, et l’on pourrait même, en les assujetissant à cette manière d’oraison les tirer de l’application que Dieu leur donnerait, pour les faire passer en d’autres, où elles ne feraient que se divertir, ayant plus de soin de suivre toutes ces parties les unes après les autres, que de se rendre dans les choses auxquelles sa DivineMajesté les attire, et ce serait les faire reculer au lieu de les faire avancer. …
(préparation : se mettre en présence de la Majesté Divine — considération : « [42] tant de livres qui en traitent… je dirai seulement qu’il faut bien se souvenir que l’Oraison est beaucoup plus l’ouvrage de la grâce que celui de la nature » — l’action de grâces : « [43] émouvoir la volonté à adorer Dieu, à l’aimer et à aimer les choses qu’Il nous commande »)
AVIS de la vénérable mère MADELEINE
DE S. JOSEPH, POUR LA CONDUITE des novices
Paris 1672
Il ne se peut dire de quelle importance il est que les âmes soient bien élevées dès leur commencement. Pour cela il est nécessaire d’en avoir un très grand soin et de tâcher d’y former et reformer jusqu’aux plus petites choses et il faut veiller sur tous les traits de la nature corrompue pour les effacer et pour y mettre à leur place ceux de la grâce et des vertus.
Quand elles entrent dans le Monastère, si ce sont des personnes qui sortent du grand monde et de la vanité, il faut travailler à le leur faire oublier et à leur en donner de l’horreur parce que pour peu qu’il leur en reste, soit en paroles, soit en façons ou en affections, il est fort dommageable dans la Religion. J’ai trouvé que ces paroles de Notre Seigneur les touchaient fort : Je ne suis point pour le monde, mais pour ceux que vous m’avez donnés (Jean 17, 9). Et
celles-ci :: Le monde les a haïs parce qu’ils ne sont pas du monde, comme aussi je ne suis point du monde (id, 14).
J’ai trouvé utile de les accoutumer doucement dès les premiers jours à toutes les choses de la Religion parce que lorsqu’elles viennent elles sont préparées à observer tout ce qui se garde ici, ne croyant qu’il y ait lieu de faire autrement ; et si on les laissait pendant quelques jours parler et faire toutes leurs volontés, on aurait après bien plus de peine à les accoutumer à notre sorte de vie. Mais j’entends ceci pour le silence, la modestie, la régularité et l’assujettissement, car pour les austérités corporelles, il faut considérer la manière dont les personnes ont été nourries afin de les faire passer plus doucement à celle dont on vit ici.
*Il faut bien employer leur ferveur quand elles en ont. Et si elles sont froides et peu courageuses, il faut essayer de les émouvoir, leur parlant souvent en particulier et quelques fois en commun, et tâchant de leur faire voir et goûter quelque chose des grands avantages qui sont renfermés dans la liaison intérieure de l’âme avec Dieu, de leur en donner envie et de les rendre fort affectionnées à la grâce : car après qu’elles y ont fait quelque progrès, on tire de là tout ce qui est nécessaire pour la pratique des vertus.
Peu après qu’elles sont entrées, il leur faut faire lire une fois le Catéchisme du cardinal Bellarmin et prendre garde qu’elles soient suffisamment instruites de ce qui est de la foi et, si elles ne les sont pas, il les faut en instruire très soigneusement.
Il faut s’enquérir si elles ont été confirmées. Si elles ne l’ont pas été, il les faut faire confirmer et s’appliquer auparavant à leur faire bien entendre la vertu de ce sacrement et à les faire disposer avec beaucoup de soin à le recevoir ;
*Il faut les élever dès le commencement à la dévotion et à l’amour de la personne Sainte du Fils de Dieu et de ses Mystères, leur en parler souvent et leur représenter comme c’est l’objet que le Père éternel nous a donné pour le regarder, pour l’aimer, pour l’adorer et pour nous y conformer en toutes choses. Il les faut porter à élever souvent leur esprit à lui, soit par quelques Actes d’Adoration envers sa Personne Sainte, soit en unissant leurs actions à ses actions, leurs paroles à ses paroles, leurs pensées à ses pensées et à leur montrer jusqu’aux plus petites choses comme elles les doivent toutes faire avec quelque regard envers lui : car il n’y a rien qui soit plus utile aux âmes religieuses (autant que je le puis connaître) que de les porter beaucoup à regarder et à imiter vraiment, et par œuvres, les exemples et les actions du Fils de Dieu qui est la voie qui nous conduit à son Père et la porte par laquelle nous entrons dans la vie éternelle. (Jn 14, 6 ; 10,9)
Mais encore que l’on doive avoir un très grand soin de les porter généralement à tout ce qui est du Fils de Dieu et à faire qu’elles y ouvrent leurs âmes pour en recevoir les effets, comme pour l’ordinaire il y a quelque chose de sa Personne Sainte et de ses Mystères à quoi il les attire plus particulièrement, on doit aussi prendre un soin particulier de les faire suivre son attrait.
Entre les Mystères du Fils de Dieu, un de ceux dont on doit parler des premiers, et le plus souvent aux Novices, c’est celui de sa sainte Enfance ; et il les faut beaucoup porter à u grand amour et application à cette vie commençante de Notre Seigneur et à le prendre dans cet état pour Maître et pour modèle des Vertus auxquelles elles doivent travailler : à la douceur, à l’humilité, à la simplicité et particulièrement à l’assujettissement dans lequel elles doivent vivre et par lequel elles doivent honorer et imiter celui que le même Fils de Dieu a rendu dans cet humble état, non seulement à son Père, mais encore à sa Sainte Mère et à son Bienheureux Époux Saint Joseph (Luc 2,51).
Ensuite, il faut les porter à honorer fort particulièrement la Sainte Vierge dans le même état de son Enfance, leur parlant des Vertus qu’elle y a pratiquées en particulier de sa retraite, de son recueillement, de sa modestie, de son silence et de son humilité ; comme aussi à recourir à cette vie commençante de la Vierge afin d’en recevoir grâce pour honorer plus parfaitement celle de son Fils et ensuite pour commencer elles-mêmes la vie sainte et parfaite à laquelle elles sont appelées.
Il faut aussi leur apprendre à être fort soigneuses d’honorer la Vierge dans tous ses états et dans tout ce qu’elle est : la regardant premièrement comme Mère de Dieu, puis comme notre Mère et notre Patronne. Après ce que nous devons rendre à Notre Seigneur Jésus-Christ, notre plus grande application doit être envers Elle, et il nous faut souvenir que, comme la plus grande joie de la Mère de Dieu, c’est de voir son Fils parfaitement honoré de toute créature, c’est aussi l’un des plus grands plaisirs que l’on puisse faire à Notre Seigneur Jésus-Christ que d’honorer sa Sainte Mère.
Il faut avoir grand soin de leur faire entendre les fins de notre Institution qui sont de prier pour l’Église, pour la conversion des Hérétiques et pour ceux qui s’emploient à y travailler, à quoi elles doivent joindre, comme notre Mère Sainte Thérèse nous le recommande aussi, les Princes et ceux qui gouvernent les États (dont la bonne ou mauvaise conduite est si importante à la gloire de Dieu et au bien de tant d’âmes), les Bienfaiteurs et les autres sujets que la charité et notre Profession nous obligent à recommander à Dieu
Et tous les soirs, après Complies, il faut dire un Veni Creator pour ceux qui se sont recommandés aux prières du Monastère dans la journée et un Sub tuum praesidium ou un Sancta Maria pour toutes les personnes qui sont à l’agonie et qui doivent mourir la nuit.
Quand elles auront été quelque temps dans la Maison, il sera bon de leur enseigner en perfection ce qui est des Cérémonies tant pour ce qui regarde le chœur que pour les humiliations et autres choses extérieures qui s’observent parmi Nous, leur ouvrant l’esprit, et les portant à faire usage de la grâce intérieure que Dieu leur donne pour s’appliquer à cela afin que joignant l’un à l’autre, l’action serve à leur accroître la présence de Dieu et la présence de Dieu leur fasse accomplir l’action avec perfection parce qu’il semble qu’il soit pénible aux âmes intérieures de leur parler de quelque chose que ce soit si l’on ne leur montre, dans cela même, la vertu intérieure.
Il faut leur parler aux Fêtes principales au Noviciat leur donnant à entendre les mystères que l’Église célèbre en ces jours-là.
Il faut en leur parlant essayer de leur donner une grande estime des dévotions de l’Église, leur faisant bien entendre que ce sont les principales, les plus saintes et les plus solides puisqu’elles lui sont inspirées par l’Esprit de Dieu qui la régit en toutes choses. Il les faut beaucoup porter à les prendre dans les Fêtes qu’elle nous propose pour honorer les Mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ, laissant leurs propres pensées sur ces sujets-là pour suivre celles d’une Mère si sainte et si éclairée.
Il faut essayer de leur donner du désir et de l’estime de la solitude et du silence dont nous faisons profession particulière dans cet Ordre, leur faisant connaître les grands avantages qui s’y trouvent, et les accoutumer peu à peu à notre manière de vie et de retraite intérieure avec Dieu à laquelle notre Mère Sainte Thérèse nous exhorte si souvent dans ses Livres.
Dès qu’elles entrent il faut prendre un grand soin de leur faire estimer toutes les choses qui s’observent dans la vie religieuse, leur montrant qu’encore qu’elles soient petites en apparence, elles sont néanmoins très grandes en effet parce qu’elles ont été établies par des Saints et des Saintes qui ont reçu l’esprit de Dieu pour nous donner nos Règles et parce que jusqu’à la moindre petite action, tout s’y fait pour Dieu, qu’ainsi elles n’en doivent négliger aucunes, mais les honorer toutes et se rendre fort soigneuses et exactes à les observer. Et comme le Noviciat doit être tout dédié à l’Enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ, il faut élever leur esprit à lui et faire qu’en s’assujettissant à tous ces petits règlements, elles le fassent par hommage à l’assujettissement parfait qu’il a rendu à sa très sainte Mère et à S. Joseph, dans cet humble état de son Enfance.
**Une des choses que je trouve plus importantes à faire dans les âmes dès le commencement, c’est de prendre un grand soin de voir ce que Dieu fait en elles et à quoi il les tire parce qu’il conduit les unes d’une façon et les autres d’une autre, et l’on doit suivre exactement ce qu’il fait sans les en détourner. Il faut cultiver la grâce peu à peu dans ces jeunes âmes se servant de leur application vers le Fils de Dieu et des autres choses dans lesquelles elles peuvent être, pour les former en la vie intérieure et parfaite, y faisant un jour une chose et l’autre une autre, et cela selon que l’on voit qu’elles le peuvent porter, usant de grande prudence et de grande adresse pour les conduire doucement dans ce que Dieu demande de chacune : car quelques fois pour trop surcharger une âme, on la recule de bien loin. C’est un grand secret que doivent apprendre celles que Dieu a choisies pour cet emploi que la nécessité qu’elles ont d’attendre avec patience, le temps ordonné de sa Divine Majesté pour faire ses œuvres dans les âmes : car alors on fait plus en un jour que l’on aurait fait en beaucoup d’années, et cela, je l’ai vu par expérience en plusieurs. Ce n’est pas qu’il n’y faille toujours faire quelque chose, car les âmes commençantes ont besoin qu’on s’applique beaucoup à elles, qu’on leur fasse estimer le prix de la vertu et aimer le joug de Jésus-Christ en leur faisant voir combien c’est chose grande et excellente que de vivre de sa vie, d’appartenir à ses Mystères, de participer à ses travaux et à sa Croix. Mais je dis que lorsqu’on ne voit pas en elles le progrès en toutes ces choses que l’on y pourrait désirer, il ne faut pour cela s’étonner ni faire violence aux âmes pour les contraindre d’entrer dans les dispositions où nous croyons qu’elles devraient être, quoique nous le fissions par grand zèle ce nous semblerait : car cette manière est fort peu utile. Les âmes sont à Dieu ; il les lui faut commettre incessamment et nous souvenir que c’est de lui et non pas de nous et de nos forces que dépend leur avancement. Voyez avec quelle patience le Fils de Dieu supportait les faiblesses et les défauts des hommes, ne se lassant point de voir, même ses Apôtres qui étaient instruits en son école, manquer tantôt en la Foi, tantôt en la Charité et ainsi dans les autres Vertus. Ce qui nous est un merveilleux exemple de patience et nous doit apprendre à la pratiquer envers les âmes, faisant avec douceur ce qui nous est possible pour les faire entrer dans les Vertus en attendant qu’il plaise à Dieu donner bénédiction à nos travaux et les établir parfaitement dans la grâce de leur vocation.
**Il me semble que la manière dont on doit parler aux âmes n’est pas de beaucoup d’étendre à les entretenir sur leur voie. Je trouve que l’on y perd le temps et même que cela ne fait que les divertir et les détourner de la simplicité et droiture dans laquelle elles doivent aller à Dieu et les remplir davantage d’elles-mêmes. Le besoin principal des âmes n’est pas qu’on leur donne lumière dans leurs dispositions, mais qu’on leur enseigne à entrer vraiment dans la force, dans la fidélité et dans l’usage parfait qu’elles doivent rendre au Fils de Dieu dans tout ce qu’elles ont.
**Lorsqu’on voit que Dieu donne quelquefois des grâces extraordinaires à des âmes qui ne font que d’entrer à son service, ou bien qui n’ont pas fait grand progrès dans la perfection, il ne faut pas pour cela s’en étonner puisque nous ne devons chercher la raison des effets de la bonté de Dieu que dans sa même bonté envers sa Créature. Il me semble que nous pouvons appliquer à ces âmes-là, ces paroles du Fils de Dieu, et même leur conseiller de les dire : Ita Pater, quoniam sic placitum fuit ante te (Mt 11,26). Ces visites de Dieu leur doivent servir à entrer dans une grande humiliation et confusion, voyant la bonté et la libéralité de Notre Seigneur qui donne même à ceux qui ne sont pas disposés à recevoir, et cela leur doit faire entreprendre avec grand courage le travail de la Vertu. Et si ces dons de Dieu ne produisent en elles ces effets, elles n’en peuvent pas attendre la continuation.
Il faut apprendre aux Novices dès leur commencement, la pratique d’une vertu solide et d’une grande mortification de leurs sens, car sans cela, il n’y a pas grands sujet d’estimer toutes les plus grandes et les plus hautes élévations dans lesquelles elles pourraient quelques fois paraître, parce qu’aucun édifice spirituel ne saurait être solide s’il n’est fondé dans une véritable et constante vertu, et particulièrement dans un continuel renoncement de soi-même, comme il nous parait dans les instructions que le Fils de Dieu nous a données sur ce sujet dans l’Évangile.
Il leur faut montrer qu’elles doivent porter beaucoup de respect à toutes leurs sœurs, et particulièrement aux Professes, et qu’elles se doivent bien garder de juger de leurs actions.
Il leur faut apprendre à parler humblement et bassement de leurs dispositions, sans aller chercher des termes extraordinaires pour cela ; et si l’on voit qu’elles en usent quelques fois, il faut essayer de leur ôter doucement cette manière, parce qu’elle n’est pas conforme à celle que les Saints ont tenu pour parler des choses grandes que Dieu faisait en eux et ainsi les accoutumer dès leurs commencements à dire simplement et naïvement ce qu’elles ont, nommant les choses par leur nom sans y faire aucune autre façon.
Il faut faire voir qu’elles doivent dire tout ce qui est en elles soit tentations, ou sentiments excessifs de penne, ou de consolation, de dérèglement ou d’imperfection, bref qu’elles ne doivent rien avoir qu’elles cachent volontairement, étant nécessaire qu’une âme soit toute ouverte à celle qui la conduit et qu’une Carmélite porte son âme dans sa main.
Il faut aussi leur faire observer cet article des Constitutions qui ordonne aux Novices de dire à celle qui a soin d’elle, toutes leurs nécessités.
Il est nécessaire de prendre bien garde qu’elles ne disent jamais aucune parole légère, car l’esprit de Dieu est sérieux et il faut des Âmes sérieuses pour le recevoir et pour le conserver. L’esprit malin tâche continuellement de mettre les âmes en légèreté et c’est un des principaux moyens dont il se sert pour dissiper la grâce en elles. C’est pourquoi il faut prendre grand soin qu’elles parlent toujours vertueusement et les accoutumer doucement à faire profit de tout sans se laisser divertir par les choses qu’elles voient. Mais particulièrement il ne faut point souffrir qu’elles disent jamais aucune parole qui sente la moquerie ou la raillerie, pour peu que ce soit.
Il faut prendre un très grand soin d’empêcher qu’elles ne se communiquent jamais les unes aux autres leurs tentations et leurs sentiments imparfaits, car cela leur ferait un grand tort parce que notre nature nous incline bien davantage au mal qu’au bien que nous voyons dans les autres, et aussi l’esprit malin qui connaît bien ce défaut, ne vient pas ordinairement dans une âme pour elle seule, mais avec dessein de nuire encore par son moyen à plusieurs autres.
Il faut aussi leur enseigner qu’elles ne doivent pas du tout faire paraître leurs inclinations naturelles comme qu’une religieuse leur plaît davantage qu’une autre, qu’elles aimeraient mieux être en ce lieu ici qu’en celui-là, ou être employées à une chose qu’à une autre. Mais qu’elles doivent toujours paraître et être en effet dans une entière indifférence, sans choix, sans retour et sans réplique à tout ce qu’on voudra faire d’elles. Et s’il leur vient quelque sentiment contraire à cette disposition, elles doivent beaucoup s’en humilier et prendre bien garde de n’en témoigner à personne, excepté à celle qui a soin de leur conduite, à qui elles ne doivent rien cacher.
On doit se souvenir qu’une Religieuse devant être une âme parfaite, il faut y travailler beaucoup et voir comme elle fait toutes choses, soit intérieures, soit extérieures, d’obligation ou de perfection, n’oubliant rien de ce que Dieu nous fait voir que nous y devons faire : car la négligence se coule facilement dans les esprits si l’on ne les veille de près.
Il faut traiter les jeunes âmes avec beaucoup de douceur et de charité et leur témoigner quelquefois de la satisfaction de ce qu’elles font pour les encourager davantage au travail de la vertu particulièrement celles que l’on voit qui ont l’esprit timide et craintif.
J’ai trouvé qu’il leur nuisait de les louer les unes aux autres et que cela y mettait quelques petites envies.
Il les faut peu reprendre aux récréations de petites fautes qu’elles y peuvent faire, car pour les grandes on ne les doit pas laisser passer, mais pour des choses légères, il vaut beaucoup mieux les laisser écouler sans leur en rien faire paraître, attendant au Noviciat à leur en parler, parce que, comme elles y viennent avec disposition de dire leurs fautes et qu’on les en avertisse, et que pour l’ordinaire Dieu donne grâce et quelque sentiment de respect particulier aux âmes pour recevoir ce qui leur est dit en ce lieu-là, elles y prennent tout d’une autre façon les représentions qu’on leur fait et elles en tirent un bien plus grand profit qu’elles ne le feraient ailleurs.
Celles que l’on peut rabaisser en entrant en religion jusqu’à leur apprendre comme à des enfants les premiers principes des Vertus, profitent beaucoup dans l’esprit de simplicité et d’humilité religieuse, mais c’est ce que l’on ne peut et que l’on ne doit pas f&ire dans toute âme, car il y en a telle, qui venant se donner au service de Dieu et ayant déjà fait quelque progrès dans la Vertu, soit par connaissance, soit par pratique, aurait bien de la peine à être remise à tout recommencer. C’est pourquoi je dis sur ce sujet, comme je l’ai souvent dit sur plusieurs autres, qu’il ne faut pas faire dans toute âme une même chose et qu’on ne le doit pas, car ce qui est bon et utile aux unes, ne l’est pas aux autres et par les mêmes choses par lesquelles plusieurs s’avancent, d’autres reculent. L’expérience nous l’apprend tous les jours et nous fait voir qu’il faut une grande sapience de Dieu pour la conduite des âmes et que c’est une chose fort importante que de faire dans chacune ce qui est nécessaire.
Il faut remarquer qu’il y a des esprits vertueux et portés au bien, mais peu intelligents et où l’on ne trouve presque rien à faire pour les choses intérieures. À celles-là, il me semble nécessaire de leur parler souvent — et dès le commencement — d’une très exacte observation De la Règle afin de tâcher que si elles n’arrivent pas à l’un, elles excellent en l’autre.
Il faut leur apprendre dès le commencement à porter les petites peines et indispositions d’esprit qu’elles peuvent avoir dans une grande force et tâcher qu’elles s’y accoutument de bonne heure, car après elles ont bien muons de peine que lorsqu’elles se sont accoutumées à les porter faiblement et imparfaitement. Et c’est pourquoi il est très nécessaire de leur parler souvent de la grande fidélité que les âmes de Dieu sont obligées de rendre à sa Divine Majesté dans leurs épreuves, ne se laissant jamais aller à en faire paraître aucune chose, ni en leurs paroles, ni en leur visage, ni en leurs actions, mais étant toujours égales et toujours vertueuses quoiqu’il leur arrive. Ce point ici est fort important, car souvent les âmes croient qu’elles ne peuvent se rendre à Dieu et à la vertu dans leurs peines, ce qui est très faux, la grâce de Jésus-Christ leur étant toujours présentée pour leur donner la force qui leur est nécessaire, pour accomplir parfaitement les choses qu’il demande d’elles. Et ainsi il faut leur faire voir qu’elles peuvent beaucoup plus qu’elles ne pensent, n’y ayant rien d’impossible à une âme de Dieu pourvu qu’elle soit fidèle à recourir à lui humblement en toutes ses nécessités. Voyez ce que dit S. Paul : « Je puis toutes choses en celui qui me conforte » (Ph 4, 13).
De la Communion.
Il est bon, ce me semble, qu’elles ne communient pas si souvent au commencement, car quand on les en retient, cela augmente leur ferveur et le désir de travailler à se rendre dignes d’approcher du Fils de Dieu dans le Saint Sacrement, et il me semble aussi qu’il est nécessaire de leur parler beaucoup, je dis à celles qui commencent, et à celles qui sont plus avancées, de l’obligation qu’elles ont, communiant si souvent, de vivre d’une vie sainte, d’une vie parfaite et qui adore et imite celle de Notre Seigneur Jésus-Christ, leur faisant voir que ce sont les effets que doit produire en elles cette Divine Viande, qu’elles doivent recevoir avec grande disposition et préparation. Il faut bien prendre garde que la fréquentation ne diminue point en elles la ferveur et qu’il ne s’y glisse point de la négligence, c’est pourquoi il est besoin de leur faire beaucoup peser l’importance de se bien disposer à recevoir le Fils de Dieu : car pour l’ordinaire les âmes désirent assez de communier, mais fort peu travaillent à ce qui est nécessaire pour le faire comme il faut.
Je pense qu’il serait bon que celles qui sentiront quelque froideur aux jours ordonnés pour communier, demandent si elles le doivent faire dans cette disposition afin de leur faire voir combien il importe de faire cette grande action avec ferveur et désir du Fils de Dieu. Car il est vrai qu’il n’y a rien qui puisse être si profitable que le très Saint Sacrement aux âmes qui en font bon usage et je pense que dans celles-là le Fils de Dieu y venant, renouvellerait chaque jour la vie de l’âme et lui enseignerait la voie et la vérité que lui seul peut apprendre et la conduirait jusqu’à être crucifiée avec lui : à quoi il semble que par tant de manières et de voies, il attire les âmes.
Il faut que le jour qu’elles communient, elles soient beaucoup plis recueillies que les autres et il faut recommander cela particulièrement aux Sœurs Laies et prendre garde qu’elles l’observent parce que leur condition les obligeant à tant d’action, il est nécessaire qu’elles prennent encore plus de soin de se recueillir que les autres.
Pour ce qui est de l’Oraison, il faut essayer de connaître les conditions de leur esprit et s’enquérir de leur vie passée, et si ce sont des personnes qui aient été fort du monde, il les faut tenir quelque temps à la connaissance de l’énormité du péché, leur faisant regretter leurs fautes passées et faire avec grand soin une Confession générale, s’il en est besoin.
Après qu’elles auront suffisamment arrêté sur leurs plus grosses fautes, il les faut conduire à l’horreur de tout péché, pour petit qu’il soit, et puis de toute imperfection et ensuite de cela, il faut leur donner lumière et désir autant qu’on le peut de la perfection, leur exagérant beaucoup sa beauté, sa grandeur, ses richesses et la gloire qui la doit suivre, particulièrement si ce sont des esprits capables de ses connaissances. Que si ce sont des âmes qui aient déjà quelque commencement, il leur faut faire seulement renouveler le désir de cette perfection prenant sujet sur leur changement de vie en un état plus parfait et il faut avoir grand soin de ceci.
**Selon le temps que l’on verra à propos et les conditions des esprits, on les pourra tenir quelque temps en la considération des bénéfices reçus de Dieu, tant généraux que particuliers, et puis les arrêter aux mystères de la Passion et il faut pour celles qui sont toutes nouvelles, leur ordonner de lire tous les jours ce qu’elles doivent méditer et leur enseigner à observer les parties, la préparation, la considération, les actions de grâces, les offres et demandes et il leur faut parler de toutes ce s choses l’une après l’autre et les leur faire faire afin de tenir leurs esprits occupés pendant le temps de l’Oraison, car autrement les âmes qui ne viennent que de sortir du monde demeureraient en grande inutilité devant Dieu. Néanmoins quoique je nomme ici toutes ces parties de l’Oraison et que j’ai dit qu’il soit bon de les faire observer aux jeunes âmes, je n’entends pas pourtant qu’elles s’en servent toujours, si l’on voit qu’elles peuvent être occupées d’une seule, ou de deux plus ou moins, pendant le temps qu’elles emploient à faire Oraison. Car tout ce que nous cherchons en cela, et que nous devons essayer de faire, est d’éviter l’inutilité dans laquelle plusieurs esprits pourraient être, n’ayant pas suffisamment de quoi s’occuper. Mais pour celles qui peuvent facilement s’appliquer à Dieu, il ne faut pas les obliger à cela, car ce serait une grande contrainte et les gêner par trop et l’on pourrait même, en les assujettissant à cette manière d’Oraison, les tirer de l’application que Dieu leur donnerait pour les faire passer en d’autres où elles ne feraient que se divertir, ayant plus de soin de suivre toutes ces parties les unes après les autres, que de se rendre dans les choses auxquelles sa Divine majesté les attire, et ce serait les faire reculer au lieu de les faire avancer. C’est pourquoi il faut voir avec prudence ce qui est propre à chacune et s’y conduire selon ce que l’on en découvre. Il est bon néanmoins qu’elles sachent toutes ces parties d’Oraison, quoi quelles ne les suivent pas toujours et il leur faut apprendre ce que l’on doit faire en chacune parce qu’elles peuvent être occupées une fois sur l’une, une fois sur l’autre.
La première partie, qui est la préparation, est, comme chacun sait, pour se mettre en la présence de Dieu et il leur faut beaucoup parler du grand respect, de la grande révérence et du profond abaissement dans lequel elles doivent être en la présence de celui devant qui les Anges tremblent. Car comme la plus grand partie de notre vie se doit passer au chœur à parler à Dieu, soit en récitant l’Office, soit en faisant l’Oraison, il faut que nous sachions en quelle manière nous devons approcher de lui en ce saint exercice, et il est d’une importance qui ne se peut dire, d’apprendre aux Novices dès leur commencement, ce qu’elles ont à faire lorsqu’elles vont communiquer avec sa Divine Majesté qui est l’occupation la plus grande et la plus sainte, sans nulle comparaison, qu’elles puissent avoir. Il leur faut enseigner qu’elles doivent bien se souvenir de traiter toujours avec Dieu dans une humilité la plus profonde qu’il leur est possible, qu’elles doivent se regarder comme un néant devant celui qui est, par essence, la grandeur infinie et comme des pécheresses devant celui qui est la Sainteté même. Voyez ce que dit Abraham : « Je parlerai à Monseigneur quoique je ne sois que poudre et cendre » (Gen 18,27) et ce que l’Écriture dit des plus hauts Séraphins qui semblent être tous honteux de paraître devant cette Majesté suprême et qui ne font autre chose que de confesser sans cesse sa Sainteté dans un profond respect. (Is 6,2) Or il serait bien injuste que de pauvres créatures viles et pleines de souillures et de crimes comme nous sommes, fissent un si mauvais usage de la grâce qu’elles ont d’approcher si souvent de Dieu, que de s’en servir pour le faire avec moins de soin et d’application. C’est pourquoi celles qui sont chargées d’instruire les Novices, doivent extrêmement prendre garde à ce point qui est essentiel et fondamental parce que notre misère est telle que peu à peu, lorsque les choses nous sont ordinaires, quoique très grandes, nous les négligeons et les faisons presque sans y penser.
**Pour la seconde partie qui est la considération, et un discours de l’entendement sur les sujet que l’on a pris pour s’occuper pendant l’Oraison, il y a tant de livres qui en traitent, et si amplement, qu’il n’est pas besoin d’en parler ici. Je dirai seulement qu’il faut bien se souvenir que l’Oraison est beaucoup plus l’ouvrage de la grâce que celui de la nature, comme il faut prendre un grand soin d’éviter l’oisiveté, il n’en faut pas avoir moins de retrancher les trop grandes activités et empressements de son esprit afin de ne pas empêcher par ses propres opérations celles de Dieu et enfin que dans ce saint exercice, l’âme doit encore beaucoup plus écouter Dieu qu’elle ne lui doit parler.
** La troisième qui est l’Action de grâces et les deux autres qui sont les offres et les demandes, appartiennent à la volonté, comme l’on sait bien aussi, car l’esprit ne s’applique à la considération que pour émouvoir la volonté à adorer Dieu, à l’aimer et à aimer les choses qu’il nous commande, à haïr ce qu’il nous défend et autres choses semblables. Et quand en l’Oraison, la volonté est occupée à l’une de ces chiasses, elle ne doit pas passer à une autre tant que cette occupation durera. Enfin je dis que je ne prétends en aucune façon obliger personne à suivre toutes ces parties d’Oraison, et qu’il n’est nullement nécessaire, sinon en cas que l’on perdit le temps en faisant autrement. Et je redis encore que l’on ne peut donner de règle générale sur ce sujet, mais que la meilleure manière d’Oraison et la plus utile est celle qui nous fait davantage entrer par œuvre dans l’imitation des Vertus de Notre Seigneur Jésus-Christ. Voyez la pensée d’Avila sur ce sujet ; il dit que celui qui s’humilie le plus et qui gémit le plus, demandant miséricorde à Dieu, est le plus savant en l’Oraison et non pas celui qui en sait beaucoup de règles. Je ne m’étends pas à expliquer ces Actes parce qu’on peut les voir dans les Auteurs qui ont écrit de l’Oraison, Arias et les autres.
La Passion est le sujet le plus ordinaire dont on se sert pour l’Oraison et il me semble qu’il est aussi le plus utile pour nous porter à l’amour et à l’imitation du Fils de Dieu. Néanmoins comme toutes les âmes ne peuvent pas être appliquées à une même chose, elles peuvent prendre ce qui leur donnera le plus de dévotion et pourvu que ce soit ou des Mystères de Jésus-Christ ou de ses Miracles, ou de ses paroles, ou de ses actions, de ses perfections et autres choses semblables, tout cela est fort bon et il n’y a qu’à suivre l’application que Dieu leur donne là-dessus. Car nous ne pouvons rien faire qui soit plus agréable au Père éternel que de nous occuper à regarder, à aimer et à écouter son Fils comme lui-même nous l’ordonne, et que d’employer tout ce que nous pouvons et tout ce que nous sommes, en nature et en grâce, à lui rendre de continuels hommages. C’est pour cela que nous sommes créés, c’est à quoi nous oblige la grâce du Christianisme et de plus nous avons une double obligation en cet Ordre où nous avons l’honneur d’être Filles de la Vierge, car la Vierge étant tout ce qu’elle est par rapport à Notre Seigneur Jésus-Christ, et toutes ses grandeurs étant fondées sur sa qualité de Mère de Dieu, celles qui ont l’honneur d’être ses Filles doivent avoir une dévotion toute particulière à son Fils.
En ce même temps qu’on leur parle de l’Oraison et qu’on leur apprend à la faire, on doit aussi leur enseigner la pratique de quelques vertus, et ceci avec grand soin, en leur parlant souvent, et usant de termes enflammés, pour essayer d’émouvoir leur volonté et de leur en donner beaucoup de désir. Il me semble qu’il est bon de s’arrêter plus particulièrement sur celles-ci.
La première sera l’humilité qui est le fondement de toutes les autres et celle par laquelle chaque âme doit commencer pour faire un grand progrès dans la vie intérieure et parfaite. Voyez l’exemple que nous en donne Notre Seigneur Jésus-Christ : sa venue au monde n’est qu’humilité, toute sa vie, toutes ses actions nous enseignent cette grande vertu, ses paroles nous l’ont toujours prêchée et il semble que ses inspirations en nos cœurs nous la demandent sans cesse. C’est cette grande vertu qui nous rend semblable à lui, qui nous dit dans l’Évangile : » Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mat 11,29). C’est pour quoi il est nécessaire de prendre un grand soin d’y établir vraiment et profondément les Novices, leur montrant que la vraie grandeur en la terre ne se trouve que dans l’humilité. Une âme vraiment humble est toujours retirée au Fils de Dieu en toutes ses actions et, ne voyant rien en elle, va sans cesse à lui comme à sa seule élévation et à sa seule grandeur. Et lui arrive-t-il une occasion de trouble et de renversement au lieu de se divertir à regarder d’où cela peut venir et qui en est la cause, aussitôt elle s’élève à lui et le regarde comme son principe, sa source, le seul nécessaire, comme son soutien, son appui, sa force et sa fermeté. Ainsi l’âme humble est toujours paisible, tranquille, attentive à Dieu et à sa grâce et soumise à toute créature, car voyant qu’elle n’est rien, elle n’a garde d’avoir peine de se soumettre aux autres et de se rendre à leurs pensées et à leurs sentiments. Tant s’en faut, elle le fait avec joie et avec grande facilité, de sorte que dans une âme humble l’on y met tout ce que l’on veut sans y trouver aucune résistance et c’est la disposition où doit être une Novice. Ce qui oblige celles qui ont la charge de les élever d’avoir un très grand soin de les faire avancer de bonne heure dans une vraie humilité parce qu’il est nécessaire d’y mettre et d’en ôter plusieurs choses ce que l’on ne saurait faire si elles ne sont fort dociles, et elles ne le sauraient être et se rendre avec douceur à tout ce que l’on veut d’elles si elles ne sont profondément et solidement fondées dans cette vertu.
Cette disposition est la plus importante et la plus nécessaire aux âmes pour se préparer aux grâces que Notre Seigneur veut leur communiquer et elle ne consiste pas seulement en lumière, mais dans les effets, dans un sincère aveu et confession devant Dieu de notre propre bassesse et indignité, dans le désir que nos imperfections soient connues et dans la joie d’être traitées selon ce que nous sommes par nous-mêmes, c’est-à-dire rien que néant et péché. Or cette vraie humilité doit retrancher en nous toutes les superfluités, les jugements, les curiosités, les paroles inutiles, les vanités, les légèretés et toutes les défectuosités de notre nature imparfaite.
La seconde vertu est l’obéissance qui a été si admirable en la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ qu’il dit de lui-même dans son Évangile qu’il n’est pas venu pour faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l’a envoyé (Jn 6,38) et qu’elle l’a enfin conduit à souffrir tant de tourments et jusqu’à mourir sur la Croix. Une âme obéissante est vraiment Fille de Dieu et toujours unie à lui, car, par l’obédience, il la possède et prend en elle son Divin plaisir. C’est pourquoi il faut apprendre aux Novices qu’il leur importe beaucoup, pour acquérir la perfection qu’elles sont venues chercher ici, de se rendre fort exactes en cette grande vertu.
Il leur apprendre à porter un très grana respect à leur Prieure, et à tout ce qui regarde la supériorité comme dérivant de la suprême autorité de Dieu et elles doivent être si fortement établies dans cette disposition que jamais (rien), quoique ce puisse être, ne soit capable de les en faire sortir. Il me semble que ce point ici est très important parce que le défaut de respect envers une Supérieure est cause que l’on fait peu d’estime de tout ce qu’elle dit et ainsi quand cela manque, elle aurait beau faire de belles Ordonnances, elles seraient sans doute bien mal observées.
Elles doivent aussi par ce même respect recevoir toujours fort sérieusement les choses que leur Supérieure leur ordonne de faire et non pas en riant, ce qui ne serait pas une petite imperfection à une Religieuse. Vous savez ce que dit Jésus-Christ dans l’Évangile : « Celui qui vous écoute, m’écoute et celui qui méprise, me méprise » (Luc 10,16). Ce sont ses propres termes ; lesquels elles doivent avoir souvent en la mémoire afin que la force de ses saintes paroles les fasse entrer dans un profond respect, dans un assujettissement très grand et dans une simplicité parfaite au regard de l’obéissance, recevant ce que leur Supérieure leur ordonne comme si le Fils de Dieu le leur disait lui-même de sa propre bouche. Et à mon avis cette pensée, qui est une très grande vérité, leur peut servir beaucoup pour les rendre fort affectionnées et exactes à l’obéissance, c’est pour quoi je penserais qu’il serait bien utile de leur en parler souvent pour l’imprimer davantage dans leur esprit.
Il leur faut enseigner que, quand même ce qui leur serait ordonné par leur Supérieure leur paraîtrait impossible, elles ne devraient pas laisser de s’y rendre avec simplicité, leur faisant voir que la perfection de l’obéissance ne consiste pas à se soumettre seulement à ce qui est facile et que notre raison nous montre que nous devons faire, car en cela nous n’avons pas grand mérite, mais nous rendons beaucoup au Fils de Dieu, lorsque que nous captivons notre esprit et que nous l’assujettissons à croire que ce que nous voyons ne se pouvoir faire par nos propres forces, peut néanmoins être fait par obéissance. Voyez ce que dit notre Mère sainte Thérèse au livre de ses Fondations (chap.1), qu’il lui est quelquefois arrivé d’ordonner sept ou huit choses contraires à une même sœur et qu’elle s’en allait sans répliquer un mot, croyant qu’il lui était possible de les faire toutes. Et nous voyons ce qu’elle rapporte dans ces mêmes Fondations (chap. 15) que l’obéissance était si grande parmi les Religieuses de son temps, qu’il fallait que la Supérieure prit bien garde à ce qu’elle ordonnait parce qu’aussitôt, quoique ce fut, il était exécuté. Témoin cette sœur qui s’alla jeter dans une mare d’eau quoique la sainte ne lui en eut parlé qu’en riant. Or nous ne devons pas maintenant être moins exactes à l’obéissance qu’elles l’étaient alors, puisque nous sommes obligées à une même perfection.
Ainsi il faut que la Maîtresse des Novices travaille à les élever dans une grande simplicité à l’égard de cette vertu et à ne faire jamais aucun retour sur les choses qu’on leur ordonne, mais à les exécuter dans le même temps et en la même façon qu’on leur dit.
Il me semble qu’il faut les tenir fort assujetties et qu’elles aient leurs exercices réglés sans qu’elles puissent rien laisser, changer ou diminuer, sans permission et qu’il est nécessaire de les accoutumer à cela de bonne heure parce qu’autrement on a bien de la peine ensuite à les faire rendre à cette manière d’agir si opposée à l’esprit humain qui cherche toujours à suivre sa raison, sa lumière et sa volonté en toutes choses.
Pour les perfectionner en cette vertu, il est bon quelquefois de les obliger à observer plusieurs petites choses, mais il se faut souvenir de ne les en pas trop charger et avoir soin de leur en ôter quand on voit que cela les inquiète ou quand elles l’ont suffisamment pratiqué et quand elles en ont retiré l’effet que l’on désirait, car autrement elles quittent ces choses par elles-mêmes et cela leur fait un grand tort.
Oh ! que j’aurais un grand désir que les âmes de cette Maison excellassent en l’obéissance et que l’on pût revoir en chacune d’elles, ce que l’on voyait autre fois en tant de grands Saints qui nous ont devancés et qui ont été éminents en cette vertu. Car enfin nous servons le même Dieu qu’eux et la même grâce qu’ils recevaient pour faire de si saintes œuvres ne nous sera pas déniée si nous travaillons fidèlement pour nous disposer à la recevoir.
(Cet avis n’a pas été donné à la Mère Marie de Jésus, mais à une autre) Il y a une chose que je trouve fort importante et dont je veux donner avis aux Maîtresses des Novices qui est qu’elles soient très soigneuses de les élever dans une grande liaison et amour envers leur Prieure, car si elles n’y font pas attention, il arrive quelquefois qu’elles se lient tellement les âmes qu’il semble qu’elles ne connaissent point du tout leur Prieure et que quand la Prieure leur parle, si elle leur dit quelque chose qui ne soit pas conforme à ce que leur Maîtresse leur dit, elles pensent aussitôt qu’elle ne les entend pas et qu’elle n’a pas autant de grâce pour les conduire que leur Maîtresse. Or c’est une mauvaise manière de les élever et qui leur peut faire un très grand tort. Il est bon que la Maîtresse des Novices s’en fasse aimer parce que dans les âmes de Dieu l’on y fait beaucoup plus par l’amour que par la crainte, mais elle doit avoir grand soin qu’elles aient leur principale liaison et leur principal rapport à leur Prieure comme étant celle qui est leur Mère et que Dieu a principalement chargée d’elles et, si les autres y font quelque chose, ce ne doit être qu’en suivant ses pensées et ses avis. Pour cela il faut que la Maîtresse des Novices ait soin de lui rendre souvent compte de leurs dispositions afin de n’y rien faire que ce qu’elle jugera à propos et qu’elle doit bien savoir qu’elle n’est pas dans cette charge pour conduire les âmes à sa mode et selon ses inclinations, mais selon ce que la Supérieure lui dit qu’elle doit faire.
Elle doit essayer de les rendre fort libres et familières avec leur Prieure, mais d’une familiarité accompagnée de respect. J’entends qu’elle doit les porter, autant qu’elle peut, à avoir leur principal recours à elle dans leurs besoins autant que ses affaires et sa santé le lui permettront, car quoiqu’il soit vrai qu’elle travaille plus souvent que la Prieure dans ces jeunes âmes et qu’elle leur parle beaucoup davantage, elle doit néanmoins les élever en sorte qu’elles aient pour leur Prieure une entière ouverture de cœur et qu’elles soient toujours dans la disposition de lui en faire connaître tous les replis quand l’occasion s’en offrira. Si les Maîtresses des Novices se conduisent de cette façon, je crois que Dieu bénira leur travail et que les âmes profiteront beaucoup dans leurs mains.
Il faut que dans les Maisons de Dieu tout se fasse avec ordre. Or c’est l’ordre que chacun demeure en son lieu et ne passe pas plus outre. Et ainsi la Maîtresse des Novices étant seulement employée à cette charge par la Prieure qui peut choisir qui bon lui semble pour cela, il ne faut pas qu’elle se lie les âmes davantage que ce qui lui convient, c’est à dire qu’elle doit travailler à faire que la Prieure ait toujours le premier lieu dans leurs esprits et dans leurs cœurs et leur faire bien entendre que, s’il arrive que la Prieure leur dise quelque chose qui soit différente des instructions qu’elle leur aurait données, il faut qu’elles préfèrent les pensées et les avis de leur première Mère aux siens, car comme je l’ai déjà dit, il faut que chacun demeure en son lieu, autrement tout serait en désordre
La troisième vertu est la simplicité sur laquelle il faut s’arrêter fort particulièrement étant une vraie vertu des Novices qui ne doivent voir, entendre ni juger volontairement aucune chose que dans l’esprit qu’on leur donne, quelques commencements qu’elles eussent auparavant dans la vie spirituelle. Car puisqu’elles viennent à naître, il faut qu’elles soient comme des petits enfants qui n’ont point encore de jugement ni de raison pour se conduire par elles-mêmes, toutes innocentes, simples et petites, sans fiel ni amertume, plaisantes à Dieu et agréables même à celles qui les voient.
Mais il faut que les Maîtresses des Novices veillent sur une chose dont je leur donne avis, c’est qu’il y a des âmes qui prennent une certaine simplicité affectée qui n’est pas simplicité en effet parce qu’elles voient fort bien ce qu’elles font et ne manquent point d’y faire bien des retours. Or cette sorte de simplicité est aussi préjudiciable aux âmes que la vraie leur est utile et agréable à Dieu.
La simplicité est une vertu si nécessaire aux âmes commençantes dans la vie religieuse que sans elle on ne peut espérer qu’elles arrivent jamais à la perfection où Dieu les appelle. Et d’ailleurs cette vertu est si difficile à acquérir et à conserver qu’il faut pour l’un et l’autre un très grand travail et une merveilleuse garde sur soi-même. C’est une vertu propre à l’état d’innocence et un des premiers effets du péché a été de la faire perdre à nos premiers parents comme il paraît par ce que l’Écriture nous rapporte de leur chute et de ce qui se passa ensuite (Gen 3,7 et s.)
La quatrième est la résignation qui est une autre grande vertu, toujours nécessaire à l’âme et de grand prix devant Dieu. Elle est toute intérieure et fait naître dans l’âme d’infinies perfections, car autant de fois qu’une âme se résigne au divin plaisir, soit pour embrasser des travaux pour la gloire de Dieu, soit pour souffrir des mépris et des humiliations extérieures, soit enfin pour souffrir des peines intérieures comme des sécheresses, distractions, tentations ou de quelque autre sorte, autant de fois elle se rend plus proche de Dieu et change son vouloir au sien.
La cinquième est la patience qui est un habillement dont l’âme doit être toujours revêtue et qui accoise les impétuosités, les promptitudes et les mouvements déréglés qui rendent notre esprit instable et diverti et bien souvent plein d’aigreur, de troubles et séparé de Dieu. L’âme patiente est liée avec le Dieu de paix et a toujours le regard amoureux et paisible de son esprit ouvert à lui.
La sixième vertu est la mortification. Comme la vie religieuse ne doit être depuis son commencement jusqu’à sa fin qu’une continuelle pénitence et mortification, la Maîtresse des Novices doit avoir grand soin de leur apprendre à travailler par elles-mêmes et pour l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, à vaincre leur nature en toutes choses et elle doit essayer de les rendre fort affectionnées à la pénitence, car il faut qu’une Religieuse abandonne entièrement son corps, ne l’écoutant point, ne s’en occupant point, mais le faisant servir fidèlement à Dieu pour qui il est créé, quelque peine qu’il y ait. C’est à quoi il faut les accoutumer de bonne heure et leur en parler souvent parce qu’il est très important, je le redis encore, qu’une âme de Dieu soit dans un entier dégagement d’elle-même et dans la pratique d’une continuelle mortification à laquelle notre manière de vie austère nous oblige particulièrement
Comme c’est un ouvrage où il se rencontre de grandes difficultés, il est besoin qu’on les y encourage beaucoup leur montrant combien est grande la gloire dont sera récompensée un jour la fidélité qu’elles auront rendue au Fils de Dieu dans les petites occasions où elles auront remporté la victoire sur elles-mêmes et sur l’Esprit malin, et plusieurs autres choses semblables pour leur rendre le travail de la vertu facile et agréable. Mais surtout, il faut les porter à regarder le même Fils de Dieu dont la vie n’a été qu’une continuelle pénitence et à faire tout ce qu’elles font pour honorer tout ce qu’il a fait, unissant leurs actions à ses actions très saintes parce que c’est lui seul qui peut les rendre méritoires et agréables à son Père. Ce regard vers Notre Seigneur et cette union que nous devons avoir avec lui, donne un grande force aux âmes pour surmonter toutes les choses les plus difficiles et une grand ferveur pour travailler à l’imiter parfaitement. Et cette ferveur s’augmente ou diminue à proportion de l’application qu’elles ont à la personne Sainte du même Fils de Dieu. Car comme il est seul la voie et la vie de ses Elus (Jn 14,6 ; 15,5) et tout le soutien de sa créature, ce ne sera que dans lui et dans la conformité de leurs petites peines avec la grandeur de ses travaux et de ses souffrances, qu’elles trouveront cette force dont elles ont besoin pour soutenir le faix et la dureté des choses pénibles qu’il faut sans cesse porter dans cette vallée de larmes. Vous voyez aussi qu’il dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai » (Mat 11,28). Nous faisant voir par ces paroles combien nous devons recourir à lui dans toutes nos nécessités non seulement pour être soulagés dans nos travaux et dans nos peines (selon la vérité de sa parole), mais encore pour recevoir de sa Divine Majesté la grâce de les porter saintement et parfaitement, ce qu’une âme de Dieu doit sans doute estimer bien davantage. Car comme tout le bonheur de ses Elus et de ses serviteurs sur la terre, c’est de pâtir et d’endurer pour lui, leur plus grand désir doit être, non pas qu’il les décharge de leurs croix, mais qu’il les aide à les porter, lui qui a daigné, par l’excès de son infinie charité pour nous, se revêtir de nos misères pour compatir à nos infirmités, selon ce que dit l’Apôtre. Ainsi, en faisant voir aux âmes qu’il a expérimenté en sa personne toutes les choses pénibles dont la vie de la créature par sa condition basse, infirme et misérable, est toujours accompagnée, il les faudra porter à aller à lui en toute confiance, le regardant comme leur modèle dans l’exercice continuel des pratiques de la pénitence religieuse. Par exemple, ont-elles quelque difficulté à être tout le jour dans la solitude et dans le silence, qu’elles regardent Jésus-Christ dans le désert et dans la vie cachée et inconnue aux hommes l’espace de trente ans. Ont-elles de la peine à être privées de plusieurs choses que leur corps et leur nature imparfaite leur pourraient faire désirer, qu’elles se souviennent qu’il a dit que : « Les renards ont des tanières et que les oiseaux du ciel ont des nids, mais que le Fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête » (Mat 8,2 ; Luc 9,58). Ont-elles des difficultés à manger ce qu’on leur donne, qu’elles le regardent en la Croix abreuvé de fiel et de vinaigre. Se sentent-elles abattues et accablées par le travail du corps, qu’elles le regardent las et fatigué du chemin, car l’Évangile ne dit-il pas que quand il fut trouvé par la Samaritaine, il était assis, étant fatigué du chemin (Jn 4,6) et qu’elles le considèrent encore dans les extrêmes douleurs qu’il souffrit allant au Calvaire lorsqu’il était accablé sous la pesanteur de sa Croix. Si elles ont de la peine à se rendre à la mortification et à la pénitence, qu’elles regardent sa vie pendant son séjour sur la terre, comme elle a été pauvre, austère, pleine de grands labeurs, endurant la faim, la soif et les autres incommodités auxquelles nos corps sont sujets et qu’elles se souviennent encore de l’excès de douleur et de souffrance qu’il a porté en sa Passion, par le Couronnement d’épines et par les plaies dont son Corps sacré fut tout couvert à la flagellation. C’est dans ce regard, que je dis, que les âmes doivent avoir vers lui, qu’elles trouveront (si elles s’y rendent fidèlement sans aucun détour sur elles-mêmes) leurs austérités bien légères, voyant la différence qu’il y a entre ce qu’elles font et ce qu’il a fait et, au lieu de la répugnance et de l’aversion que leur nature leur pourrait faire sentir à la mortification et à la pénitence, elles auront de la joie de pouvoir imiter Jésus-Christ en quelque petite chose. C’est pourquoi les Maîtresses des Novices ne leur peuvent trop parler de ce regard vers Notre seigneur pour les accoutumer de bonne heure à dompter leur nature et à renoncer à elles-mêmes pour son amour et pour rendre hommage à la vie pénible et souffrante qu’il a menée sur la terre, qui est l’ouvrage auquel elles doivent travailler avec persévérance jusqu’à la mort.
Or il me semble que la pénitence, dont on doit parler davantage aux Novices, c’est de faire avec perfection toutes les choses de la Règle, leur montrant que c’est la principale, celle qu’elles doivent préférer à toutes les autres et qu’il faut qu’elles commencent par celle-là si elles veulent être dignes d’en faire quelque jour de plus grandes.
Il faut dès le commencement leur composer l’extérieur et leur apprendre que leur corps doit être en tous lieux, et en tous temps, (même dans leur Celle où personne ne les voit), dans la mortification et la modestie Religieuse mais particulièrement au Chœur où elles doivent toujours se tenir dans un très profond respect intérieur et extérieur par hommage au Fils de Dieu présent sur l’Autel, et au parloir où il ne faut point qu’elles lèvent les yeux pour y rien regarder, mais qu’elles paraissent comme mortes à toutes les choses de la terre et du monde, par l’entière séparation qu’elles doivent en avoir.
Enfin, comme l’âme de toutes les vertus, c’est la Charité, il faut sur toutes choses avoir soin d’élever les jeunes âmes dans la vérité et la perfection de cette vertu et dans un grand amour les unes envers les autres qui est ce que le Fils de Dieu nous recommande davantage dans l’Évangile : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés et en cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples » (Jn 13,34-35). Et saint Jean nous dit dans ses Épîtres pour nous montrer la grandeur et l’excellence de la Charité : « Que Dieu est Charité et que ceux qui sont en Charité, sont en Dieu et que Dieu est en eux » (1Jn 4,16). Ce point de s’entr’aimer les uns les autres est grandement important à tout le Christianisme, mais surtout dans les Maisons de Dieu, pour conserver la parfaire union que doivent avoir ensemble les Épouses de Jésus-Christ, à l’exemple des premiers chrétiens qui n’avaient tous qu’un même cœur et une même âme, comme enfants d’un même Père et serviteurs d’un même Maître, et c’est une des choses auxquelles la Maîtresses des Novices doit travailler davantage dès le commencement qu’à les établir profondément dans cette charité parfaite. Mais il ne faut pas qu’elle oublie de leur bien faire entendre que cette charité n’est pas dans les sens, ni selon les sens, mais qu’elle est en Dieu, selon Dieu et toute pour Dieu, leur faisant remarquer que son Fils unique, en nous commandant de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés nous oblige de former notre charité sur le modèle de la sienne très sainte, très pure et très parfaite. Ensuite il leur faut montrer que pour l’honorer et pour s’y conformer, selon qu’elles le peuvent dans leur petitesse, il faut qu’elles rendent à leurs sœurs tous les effets d’une véritable charité qui seront en leur pouvoir, qu’elles aient un grand soin de les soulager en tout ce qu’elles pourront, jusqu’à donner leur vie pour elles, s’il en était besoin, puisque Jésus-Christ a donné la sienne pour tous. Qu’elles ne appliquent jamais à leurs fautes, mais qu’elles les estiment toutes ne voyant rien en elles que ce qui est bon, que ce qui est vertueux et non tout le reste. Ainsi elles seront parfaitement unies les unes aux autres ; se fortifiant et s’encourageant à la perfection comme Filles de Dieu, comme Filles de Grâce et de Sanctification.
Il leur faut aussi apprendre à ne jamais soutenir leurs pensées contre celles de leurs sœurs, mais à être grandement faciles à quitter leur sens. C’est la marque d’une âme humble et vertueuse que de préférer toujours, autant qu’elle le peut, selon Dieu, les pensées des autres aux siennes et même une partie considérable de la charité que nous nous devons les uns aux autres.
Enfin il faut travailler de tout son pouvoir à mettre dans ces jeunes âmes une vraie et parfaite charité parce que c’est ce que le Fils de Dieu nous commande uniquement et par ce que ce qui rend une Communauté plus ou moins parfaite, c’est ce qu’il y a plus ou moins de charité.
Après qu’on leur aura parlé quelque temps des Vertus, on leur doit appliquer cela en pratique, selon leurs besoins, soit aux temps de consolation, soit en ceux de sécheresses, de tentation, peines et autres choses semblables, qui arrivent souvent dans cette pauvre et misérable vie. Et à celles qui ne peuvent point avoir de discours à l’Oraison, il leur faut montrer qu’elles peuvent au moins pratiquer et produire des actes des Vertus, s’abandonnant et se résignant à Dieu, demeurant patientes, humbles, douces et soumises à lui dans leurs peines. Il me semble que cette sorte d’Oraison ne fait point de mal et qu’elle est la plus profitable.
Il faut prendre soin de leur parler plusieurs fois d’une même vertu parce que si on la leur change avant qu’elles aient pris quelque habitude, elles quitteront la première vertu pour prendre la seconde et ainsi elles n’y entreront que fort superficiellement.
PETITE INSTRUCTION
que la vénérable Mère Madeleine de Saint Joseph, étant Maîtresse des Novices, donna par écrit à quelques-unes d’elles pour leur apprendre à faire l’Oraison.
L’ordre des points que l’on prendra pour la méditation de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ :
— Le Lundi, la prière au Jardin des Oliviers.
— Le Mardi, la prise et toutes les confusions reçues en ce jour-là.
— Le Mercredi, la Flagellation et le Couronnement d’Epines.
— Le Jeudi se doit employer tout au Saint Sacrement.
— Le Vendredi, le Crucifiement et la mort en la Croix.
— Le Samedi, la Sépulture et les douleurs de la sainte Mère de Dieu.
— Le Dimanche, la Résurrection glorieuse de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Prenant donc tous les jours au matin un de ces points, l’on tâchera de s’y occuper, selon la grâce que l’Esprit-Saint nous donnera, nous employant fidèlement de notre part à donner lieu à l’infusion de la Grâce qui ne nous sera point déniée, si ce n’est par notre faute, en l’une ou l’autre des parties, ou manières d’Oraison, que nous dirons brièvement ci-après.
Il faut donc savoir qu’il y a plusieurs parties en l’Oraison mentale et que le sujet de la Passion est une chose si admirable, si grande et si ample qu’il contient en soi tout ce qui peut former les plus hautes et les plus parfaites pensées que nous puissions avoir.
Voyons seulement la préparation :
Voir et se représenter que l’on est devant cette Majesté Divine, qui est ce grand Tout que nous pouvons seulement adorer et aimer et que les Anges mêmes ne pouvant comprendre, tous ravis de sa gloire, ne peuvent plus dire que ces paroles : Saint, Saint, Saint est le Seigneur.
Ainsi l’âme devenue comme Angélique par la présence de son Dieu l’admire, le révère et se remplit toute de lui. Mais si l’âme peut voir que ce Seigneur si puissant, abaissant sa grandeur infinie, se fait homme ainsi que nous, souffre des douleurs, prie son Père avec angoisse et sueur de sang et porte tant d’autres souffrances, quel cœur ne sera touché d’amour pour cet admirable objet ?
Et si nous voyons pour qui, pour l’homme misérable, de qui chacun en particulier voit en soi le démérite et les défectuosités, et puis, si l’âme pénètre un peu dans cet amour immense qui fait tant pâtir ce Seigneur impassible dans sa nature Divine et qui lui fait désirer de souffrir encore davantage pour nos âmes, que ne sentirait-elle pas ?
Sur ces sujets donc, qui sont sans nombre, l’âme un peu désireuse de son Époux, trouvera bien de quoi s’occuper et s’en approcher, lui rendant grâces et lui donnant mile bénédictions pour ses infinies miséricordes et s’offrant à lui en sacrifice, en résignation, en vraie obéissance et le suppliant aussi de lui accorder quelqu’une des vertus qu’elle aura vue reluire le plus au mystère auquel elle aura pensé le jour.
Mais parce que les dispositions de l’esprit sont diverses, celles qui auront moins de facilité à ce que nous venons de dire, soit par la faiblesse ou incommodité du corps, soit par la sécheresse de l’esprit, pourront se servir d’un moyen bien aisé à l’âme qui a quelque amour et quelque fidélité envers N.S.
L’âme pourra donc prendre son point, sans user de discours, mais par une douce inclination et un regard de respect et d’amour vers Notre Seigneur souffrant, lui ouvrir l’intime et le fonds d’elle-même, désirant de l’attirer au plus profond de soi et de se lier à lui par l’effort doux et paisible de sa volonté, qui est seule en sa puissance, et dont parfois il lui semble même ne pouvoir entièrement user, si l’amour est assez puissant l’assurer de ce que dit S.Paul : « Qui nous séparera de la Charité de Jésus-Christ, sera-ce la tribulation ou l’angoisse, etc... e suis certain que ni la mort, ni la vie, etc... ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ Notre Seigneur » (Rom 8,35, 38-39).
[1684] [Madeleine de Saint-Joseph], Jesus, Maria, Theresia. /Élévations au Fils de Dieu, sur toutes les Évangiles des Dimanches, Carêmes, Quatre-temps et Fêtes de l’année,/Tirées en partie des Pensées des Saints Pères, p.1-394 et retraite p. 1-89, 1684. Suivi d’une Paraphrase du Magnificat. =Doc5 [Page de titre sans nom d’auteur ni d’imprimeur, car relié avec d’autres txts ; les approbations, etc. ont été enlevées ; la note :
« L’ouvrage qui suit… est attribué à… Madeleine de Saint-Joseph par le décret de 1789 sur ses écrits… rarissime… 29 pages qui ont été suppléées à la main. Le tout a été relié — après la Révolution — avec divers autres opuscules qui n’ont aucun rapport… prêté par le carmel d’Aix en 1932… »]
un très grand nombre d’élévations : « je vous adore… » en gral 3 pages
= en choisir une ou deux !
9-12 (humilité de Jn le baptiste)
70-73 (l’aveugle)
78-80 (le vaisseau 4e age de la vie)
96-98 (Thabor)
128 (l’aveugle né)
142-144 (la divine amante)
146-148 (trouble)
162-164 (Emmaus)
175-177 [le sépulcre ds cette vie)
188-190 (JC médiateur)
199-201 (la pierre mystique)
220-222 (pardon)
225-228 ms (amour)
176-179 (le samaritain)
298-302 (esprit simple immortel)
356 Quis ut deus St Michel
389fin txt
suivent autres txts « sans rapport » selon la note ms :
suit la Consécration à la SteVierge paginée [1 à 4)
suit Retraite sur l’amour de Dieu paginé 7 à 60
qui continue par Cantique d’amour
paraphrase du Magnificat 61 à 80 (peu de car/p) ! très belle
= voir à la fin des œuvres, car probablement pas de Mad de SJ
suit Amende honorable à Jésus-Christ [1 à 12] « L’esprit de réparation… »
55 57 7980 88 104105 159 161 166 186 191192 198 200201 203 212213 216217 253256 319320 323+ 380
ajout 11,01 : 319 320 323 ss : oui ! 380 ; autres pages d’intérêt : 16-19 22 33 57
Je vous adore, ô mon Seigneur Jésus-Christ, entrant dans une barque comme Maître Divin, apprenant à vos disciples à ne se pas étonner dans les périls. Vous permettez qu’ils tremblent dans les dangers du naufrage, et vous avez voulu en même temps que par le danger dont vous les avez délivrés, leur apprendre à ne pas perdre le courage ni la confiance dans les maux, vous dormiez dans cette barque durant la tempête de la mer pour nous marquer votre présence dans les plus grands périls, et que nous vous laissons dormir dans notre cœur, en laissant dormir la foi que nous avons en Vous ; ce n’est donc pas un mal, lorsque nous sommes dans cet état d’assoupissement, qu’il nous arrive quelque affliction, pour nous réveiller et pour recourir à (58) vous comme les Apôtres, vous disant, « Domine salva nos perimus », cette tempête nous marque le trouble que les passions excitent quelquefois en l’âme, et lorsque nous nous en sentons agitées, nous devons vous prier de faire goûter le calme et la douceur que sentirent vos Apôtres, lorsque vous commandâtes à la mer de se calmer et arrêter ses flots, d’imprimer en nous comme vous fîtes en eux, une haute idée de Votre toute-puissance, avec laquelle vous rendez en un moment la paix à nos âmes : Vous éprouvez souvent ceux qui sont à vous, Vous entrez dans leurs cœurs, Vous y dormez comme dans la barque, permettant qu’aussitôt il s’y lève des tempêtes pour voir s’ils vous seraient fidèles, et auront recours à vous avec confiance. C’est en la sainte Eucharistie où vous n’êtes pas seulement comme endormi, mais comme mort, quoique vous n’y soyez ni mort ni endormi, mais plein de vie pour la donner abondamment à ceux qui Vous cherchent et à ceux qui se confient en Vous, Vous trouvant toujours veillant sur tous leurs besoins. Vos yeux sont ouverts sur notre état, et Vos oreilles (59) attentives à nos prières, si nous sommes dans l’affliction Vous êtes notre consolateur, si nous sommes faibles Vous êtes notre force, si nous sommes troublés Vous êtes notre paix, si nous sommes en quelque danger Vous êtes le seul tout puissant pour nous en retirer ; je vous adore dans le très saint sacrement où vous vous donnez à nous comme un Vaisseau pour me recevoir, soutenir dans la tempête et conduire au port de salut. Mon Seigneur, faites-moi s’il Vous plaît ressentir le calme de mes passions, qui s’élèvent dans mon cœur comme autant de tempêtes qui me menacent de la mort, et puisque Vous êtes le même qui d’une seule parole calma la mer, et que je reçois votre corps qui est le même qui marcha sur elles et foula aux pieds ses ondes les plus irritées, je n’ai qu’à m’abandonner à Vous, ne pouvant douter de Votre présence et de Votre puissance ; je dois tout espérer de Votre miséricorde et de la vertu de Votre sainte Eucharistie. Vous voyez, Seigneur, le vaisseau de mon cœur agité de violentes tempêtes, que mes cris vous empêchent de dormir dans mon âme, ou qu’ils Vous réveillent, afin qu’étant en (60) moi vous disiez à cette tempête qui m’afflige, de se calmer, « verba mea auribus percipe Domine, intellige clamorem meus », Seigneur prêtez l’oreille à ma parole et écoutez mes cris. (Psalm. 5).
(79)… Me voici déjà à la quatrième veille de la nuit, cad sur le déclin de ma vie, sans avoir rien fait… entrez maintenant dans ce pauvre navire
(88)… mon cœur pour être votre Temple vivant, exercez, s’il vous plaît en lui le même zèle qui vous fit autrefois chasser du Temple les vendeurs et acheteurs
… que la pauvreté, l’abandon des créatures et les maladies sont utiles… (105) pauvre Lazare… dans la paix et le silence jusqu’à ce que vous-même m’en retiriez, je vous expose les ulcères de mon âme…
(159)… roulez s’il vous plaît la pierre de mon âme, ôtez-en la dureté… il faut qu’un Ange cad votre vertu invisible renverse la pierre afin que mon âme donne une libre entrée à votre grâce, afin que vous ressuscitiez en elle et que je puisse dire (160)… que j’ai pris une nouvelle vie en vous
(161)… que je me puisse regarder comme mort au péché et comme ne vivant plus qu’en vous pour vous et mener une vie non seulement sainte et innocente, mais aussi céleste et toute divine.
(198)… l’oraison n’est pas un effort de notre propre esprit, mais une faveu spéciale de votre miséricorde…
(200)… la pierre mystique de laquelle je vous supplie de faire sortir l’eau, l’huile, le feu et le miel… l’eau pour purifier,… l’huile pour adoucir… le feu pour consommer… le miel pour nourrir
J’adore, ô mon seigneur Jésus-Christ, ces paroles que vous nous avez dit, « personne ne peut venir à moi que mon père ne le tire » ; nous sommes attirés à vous par la voie intérieure et toute-puissante de Dieu votre Père, par la foi et la charité, l’un et l’autre est un don singulier et particulier de Dieu ; si nous voulons être à Vous mon Seigneur, il ne suffit pas de penser à Vous, mais il faut à tout moment avoir le cœur et l’esprit élevé vers Vous, et prendre garde à ne s’engager dans l’amour à aucune chose créée, pour ne pas rompre cette chaîne céleste et divine, qui nous doit toujours tenir unie et liée à Vous ; Vous n’avez pas dit mon Seigneur « duxerit », mais « traxerit », cette violence se fait qu’au cœur et non au corps ; aimons, et nous serons attirés, ne croyons pas que l’on nous attiremalgré nous, l’esprit est aussi attiré par l’amour comme le cœur, je vous supplie mon Seigneur de m’attirer et me (213) faire sentir cette douce violence « trahe me per te », faites-moi sortir de ma langueur, excitez-moi afin que je coure, entraînez-moi en quelque sorte malgré moi afin que je coure ensuite volontairement, il m’est bien plus avantageux que vous m’entreniez (sic) et que vous me fassiez quelque violence, ou en m’épouvantant par vos menaces ou en m’’exerçant par vos châtiments ; que non pas que vous me pardonniez, et laissiez en paix dans ma langueur.
… une même divinité dans laquelle il se passe trois merveilles admirables, la première que Dieu est tellement seul qu’il n’y a que lui et il ne peut y avoir jamais autre Dieu que lui, la seconde qu’il (217) garde un très profond silence, mais pourtant il ne cesse jamais de parler ; la troisième qu’il est dans un très parfait repos et il agit perpétuellement…
… aller en haute mer, cela marque (254) l’état de perfection… [les âmes] doivent toujours chercher ce qui est plus parfait et aller si avant… qu’elles ne voient plus la terre ! … (255)… vous voulez entrer en mon âme comme vous entrâtes en la barque de saint Pierre et vous me recommandez comme à lui de m’éloigner de la terre… (256)… dans cette grande Mer de grâces, [une âme] en devrait faire une pêche abondante…
Vous dites « mon père et moi ne sommes qu’un » : moi aussi comme dit Saint-Bernard ; quoique je ne sois que poudre et cendre, j’oserai dire, appuyé sur l’autorité de l’Écriture sainte, que je ne suis qu’un seul esprit avec Vous, pourvu que je sois attachée à Vous : ainsi que l’est un de ceux qui demeurent en Votre amour, c’est-à-dire en Vous-même, comme Vous demeurez en eux, parce qu’ils vous mangent et qui sont mangés par Vous : car c’est de cette union si étroite qu’il est dit, que celui qui est uni à Dieu n’est qu’un seul esprit avec Lui. (323).
323+ : Quoi que je ne sois que poudre et cendre, j’oserai dire, appuyé sur l’autorité de l’Écriture Sainte, que je ne suis qu’un seul esprit avec vous, pourvu que je sois attaché à vous. Ainsi que l’est un de ceux qui demeurent en votre amour, cad en vous-même, comme vous demeurez en eux… celui qui est uni à Dieu n’est qu’un seul esprit avec lui. Si donc vous disez, mon Seigneur, « je suis dans mon Père et mon Père est dans moi », l’homme a l’avantage de pouvoir dire aussi, « je suis en vous mon Dieu et vous êtes en moi, et nous ne sommes qu’un seul esprit ». Faites-moi la grâce de le dire avec vérité et qu’il n’y ait rien qui soit capable de rompre cette union sainte avec vous.
À comparer les 5 pièces « M » à l’imprimé ! (paginations en marges du ms facilitent le travail). Transcrire la pièce sûre ou plus.
=Doc10
M.S.J/R no 4
[d’une écriture ancienne 17e s. ; paginé 1 à 317, pages petites
+ annotation en p de garde : « Les 2 livres in-8° dont la transcription suit [1933] sont mentionnés par le décret d’approbation des écrits de la V.… parmi les Œuvres imprimées que l’on croit être de la servante de Dieu (4e classe, nos 4 & 5)… sur des exemplaires prêtés par les carmélites d’Aix. Elévations in-extenso, Recueil… partiel » [car première partie tirée de la Vie de la V. ou des Avis pour la conduite des novices]
+ table des matières probablement de la main de Louise de J qui marque d’un M rouge ce qu’elle pense être de Madeleine de SJ. outre des discours du Cal de Bérulle : 5 discours « probablement d’elle » : pages 215-221 Incarnation (?), 257-262 Transfiguration (?), 278-283 Simplicité (oui ! confirmé été 06), 292-296 ordre des points transcrits ici (oui), 302-306 Visite (oui) : la pièce sûre p293 « L’ordre des points que l’on prendra pendant la méditation de la passion de NSJC chaque jour de la semaine » : passion, mais aussi « douce inclination »…
(21)… les anges ne vous offrent point des présents, ils ne font que vous adorer pour nous apprendre que le principal et l’essentiel de la Loi nouvelle consiste dans l’adoration intérieure de Dieu, en esprit et en vérité, qui peut nous suffire pour opérer notre salut, lors que nous sommes dans l’impuissance d’exercer les bonnes œuvres
(28) [nous transcrivons une élévation entière pour exemple :]
Jour de saint Jean l’Evangéliste. S. Jean c.21 v.19 :
Je vous adore, ô mon Seigneur Jésus-Christ, disant ces paroles à saint Pierre sur le sujet de saint Jean ; si je veux [p39 du texte original] qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que vous importe-t-il pour vous, suivez-moi : nous devons faire ce que vous commandez, rien de plus, sans nous mettre en peine de ce que votre sainte volonté ordonne à l’égard des autres, n’étant point à nous à entrer dans vos secrets ; votre disciple bien-aimé nous en a donné l’exemple, n’ayant pas voulu pénétrer votre dessein sur lui, s’y abandonnant sans le connaître, il a eu le privilège de reposer sur votre sein en la Cène, c’est là où il a puisé les vérités si relevées qu’il nous a laissé par écrit, ce qui nous fait voir que ce sera par un humble repos en vous, dans l’Eucharistie, que nous connaissons bien mieux les vérités saintes, que par toute autre étude ; les hommes ne nous peuvent faire entendre que des paroles, s. Jean même, tout éclairé qu’il a été, n’a pu faire passer en nous que le fors des vérités qu’il nous a dites, mais non pas les vérités mêmes qu’il comprenait ; c’est de vous seul dont il les a apprises, que nous les devons recevoir, au moins par petites gouttes. Ce grand saint que nous honorons en a reçu la plénitude dans le repos qu’il a pris sur [40] votre poitrine sacrée, c’est le lieu qu’il prit pour sa retraite le reste de ses jours, ce repos de s. Jean sur votre sein est l’image du repos que tous les chrétiens doivent trouver en vous et le modèle du silence intérieur où ils doivent se tenir, pour vous écouter parler, que de parler eux-mêmes extérieurement (29) aux hommes ; car on peut dire que comme la vie du Ciel est un amour tranquille dans la vue et connaissance que les esprits bienheureux ont de vous, celle du Chrétien sur la terre doit être dans un amour et repos en vous. Je vous adore au Très saint Sacrement comme mon repos, faites-moi la grâce que je ne le cherche qu’en vous seul, et que je trouve toutes mes délices dans l’union intérieure avec vous, rien ne sera capable de m’en détourner si j’ai soin de m’enfermer dans votre sein, il n’y a que mes infidélités qui m’en puissent retirer, et faites-moi la grâce de n’y point adhérer. Exaucez-moi, Seigneur, puisque votre miséricorde est si prête à faire du bien et tournez vos regards sur moi [41] selon la grandeur de vos miséricordes. Psal.68.
(41)
………….! à faire. Table p.271 (de la copie) sûr : pp.293-296
que nous transcrivons comme exemple de la méditation carmélitaine au début du 17e s. et qui est de Madeleine, car contenu dans les Elévations !
D désigne : [1684] [Madeleine de Saint-Joseph], Jesus, Maria, Theresia. /Élévations au Fils de Dieu, sur toutes les Évangiles des Dimanches, Carêmes, Quatre-temps et Fêtes de l’année,/Tirées en partie des Pensées des Saints Pères, p.1-394 et retraite p. 1-89, 1684
La Petite Instruction incluse dans les Elévations imprimées et ms. se trouve également dans Avis… : voir plus haut la transcription par s. Thérèse : donc trois versions à comparer ! Compte tenu de la solidité de ces sources faut-il revenir sur notre décision antérieure de l’écarter ?
Petite Instruction… à faire l’Oraison.
(293) L’ordre des points que l’on prendra pour la méditation de la passion de notre s jésus christ chaque jour de la semaine.
Le premier la prière au jardin. / Le 2 la prise et les contusions reçues ce jour-là. / Le 3 La flagellation/Le 4 doit être employé au st sacrement/Le 5 la mort de la croix/Le 6 la sépulture et les souffrances de la sainte Vierge. / Le 7 la Résurrection.
Prenant donc tous les jours au matin un de ces points, l’on tâchera de s’y occuper, selon la grâce que l’Esprit de Dieu (nous add D) donnera, nous employant fidèlement de notre part, à donner lieu à l’infusion de la grâce, qui ne nous sera point déniée, si ce n’est par notre faute, en l’une ou en l’autre des parties ou manières d’Oraison que nous dirons brièvement ci-après.
Il faut (donc D) savoir qu’il y a plusieurs parties à l’oraison mentale, et que le sujet de la passion est une chose si admirable, si grande et (si D) ample, qui contient en soi (294) (toutes les perfections et tout omis D) ce qui peut former les hautes et parfaites pensées que nous puissions avoir.
(Et omis D ; dorénavant on corrige parfois en suivant D) voyons seulement la préparation. Voir et se représenter que l’on est devant cette Majesté Divine qui est ce grand tout que nous pouvons seulement adorer et aimer, et que les anges mêmes ne pouvant comprendre, tous ravis de sa gloire, ne peuvent plus dire que cette parole : st, st, st est le Seigneur. Ainsi l’âme demeure (comme D) Angélique par la présence de son Dieu, L’admire, Le révère et se remplit tout de Lui, (ne pouvant plus parler omis D).
Mais si l’âme peut voir (que D) ce S si puissant, abaissant sa grandeur (infinie D), se fait homme ainsi que nous, souffre (des D) douleur (s D), prie son Père avec angoisse, et sueur de sang, et (porte D) tant d’autre (s D) souffrance (s D). Quel cœur ne sera touché d’amour de ce si fort objet. (d’amour pour cet admirable objet D)
(295) Que si nous voyons pourquoi (Et si nous voyons pour qui, D) pour l’homme misérable de qui chacun (e ms) en particulier voit en soi le démérite et les défectuosités.
Et puis si l’âme pénètre (un peu D) dans cet amour divin (amour immense D), qui fait (tant D) pâtir et qui fait désirer souffrir encore davantage à ce S impassible, et que l’amour de nos âmes tient ici si patient. (et qui lui fait désirer de souffrir encore davantage pour nos âmes, que ne sentira-t’elle pas ? D)
Sur ces sujets donc, qui sont sans nombre, l’âme un peu désireuse de son Époux trouvera bien de quoi s’occuper et s’en approcher, lui rendant grâce et (lui D) donnant mille bénédictions pour ces infinies miséricordes. Et s’offrant à Lui en sacrifice, en résignation et (en D) vraie obéissance, et le suppliant aussi de lui accorder quelqu’une des vertus qu’elle aura vu le plus reluire (vues reluire le plus D) au mystère, où elle aura pensé le jour.
Mais pour ce (parce D) que les dispositions de l’esprit sont diverses, ceux (celles D) qui auront (296) moins de facilité à ce que nous venons de dire, soit par la faiblesse ou incommodité du corps, ou sécheresse (soit par la sécheresse de l’esprit D), pourront se servir d’un moyen bien aisé à l’âme qui a quelque fidélité et amour vers (envers D) n S.
L’âme pourra donc prendre son point sans user de discours, mais par un ? œil et douce inclination, et regard vers notre S, souvent elle lui ouvrira l’intime et fond de son âme, désirant L’aimer (de l’attirer D) au plus profond de soi, et (de D) se lier à Lui par l’effort doux et paisible de sa volonté, qui est seule en sa puissance, et dont parfois même, il lui semble ne pouvoir entièrement user si l’amour n’est pas (pas omis D) assez puissant pour l’assurer de ce que dit saint Paul : qui nous séparera de la charité (de Jésus-Christ, sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, etc. Je suis certain que ni la mort ni la vie, etc. ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de la Charité de Dieu qui est en Jésus-Christ Notre Seigneur D complète ainsi la cit.)
Que si l’âme parfois se trouve ne pouvant rien faire de ceci, elle peut néanmoins souffrir ses peines en sa présence, et avec Lui se résigner ainsi qu’il fit, s’humilier comme elle le voit abaissé, être patiente, et enfin exercer toutes les vertus à son exemple. (cette dernière phrase omise D)
(ms serait plus proche de la source que D)
[1689] [Madeleine de Saint-Joseph], Jésus, Maria, Joseph. Theresia. /Recueil de plusieurs paroles et sentiments de piété sur les Mystères du Fils de Dieu, tirées de la Vie de la Vénérable Mère Magdeleine de Saint Joseph…, à Aix, chez Charles David, 1689. =Doc11
Recueil d’Aix imprimé 1689 « M.S.J. »
annotation en p de garde
avant-propos : « tiré du livre de sa Vie »
en marges paginations crayon (de la Vie, à vérifier : concordance exacte ?)
suit une précieuse table ms de Louise de J
dont « c’est le chap XXIX de Talon p717’
contient ensuite : Recueil de quelques avis, Table, p.294-296 ; Applications… “sur notre bienheureuse mère [Thérèse]” & qq. autres txts p.297-388. [informatique : /Recueil Aix 1689].
(5)… tiré du livre de sa Vie [de Talon ? cf. numéros crayon marge et table ms. ajoutée d’une main moderne]
peu d’intérêt ? se limiter à citer le Recueil en bibliogr.
[1937] [Madeleine de Saint-Joseph], L’oraison à l’école de la V. Madeleine de St J., opuscule, Clamart, 1937, 46 pages. [Lettre à la prieure d’un carmel p. 5-10 ; Avis pour la conduite des Novices p. 10-22 ; Lettres à des Novices p. 22-26 ; divers extraits de lettres… p. 22-46 ; annonce d’un vol. d’œuvres en préparation ! ; Chatou impr.]
l » oraison n » est pas l » ouvrage de la nature, mais celui de la grâce – l » enfant prodigue — il faut tj commencer et toujours continuer et ne jamais finir. Toutes nos actions dans le service de Dieu ne sont que des commencements tant elles sont faibles… — l » oraison… cet unique nécessaire… votre vraie vie — quand vous vous trouvez dénuée de toutes les vertus, allez à Notre Seigneur comme à vos richesses et la source — cette manière est la plus sainte et la plus parfaite, mais pourvu qu’elle soit véritable, car il y a bien des âmes qui se trompent en prenant leur inutilité et leur inapplication à Dieu pour une voie qui ne tient rien des sens, mais qui est bien au-dessus et toute de la foi. — une lumière fort extraordinaire est néanmoins tj une chose passagère… qui ne subsistera point ds l » éternité.
Centurie en faisant un choix dans les transcriptions suivantes dûes à s.Thérèse !
(et retrouver les sources !), soit Avis… + Table et txt thématiques extraits de Lettres + Txts du procès (ce qui permet d’introduire les perles des lettres dans une présentation alternative de ces dernières) :
a donné tant à ses religieuses
qu’à d’autres personnes
sur des dispositions et besoins différents
1. Puisque l’homme n’a été créé de Dieu que pour l’honorer et le servir, il est obligé pour ne se point détourner de la fin pour laquelle il a reçu l’être, de bannir de lui toute autre pensée, tout autre désir, tout autre amour et tout autre intérêt et il doit employer toute sa puissance, qui est si petite, à honorer un Dieu qui est si digne d’honneur.
2. Comme la puissance de Dieu sur sa créature est infinie, la créature lui devrait rendre une soumission infinie si elle en était capable, mais comme elle ne l’est pas, au moins doit-elle s’y soumettre autant qu’elle peut, en tout temps, en tous lieux et en toutes choses, sans aucune réserve.
3. L’âme se doit rendre toute au désir de la gloire de Dieu et de l’accomplissement de ses volontés, quelque contraire qu’elles soient à ses inclinations, car elle n’est pas créée pour se contenter elle-même, mais pour contenter Dieu.
4. Dans les divers événements de cette vie, nous ne devons pas nous arrêter à ce qui se passe sur la terre, mais il faut élever nos esprits à ce qui est caché dans la Sapience, adorer ses desseins et nous y rendre fidèlement autant que nous le pouvons connaître.
5. Dieu demande de sa créature un retour continuel vers lui de tout ce qu’elle est, de tout ce qu’elle a, de tout ce qu’elle fait et de tout ce qui lui arrive, comme étant la source de son être, de sa vie, de sa voie et de sa perfection.
6. En tous lieux, en tout temps et en toutes choses, ne pensez qu’à rendre à Dieu ce qu’il y demande de vous et il aura soin de disposer de tout pour votre sanctification.
7. Il ne faut pas nous donner, mais seulement nous prêter, aux choses créées puisque nous ne sommes pas à nous-mêmes, mais à Dieu qui a seul le droit de disposer de nous.
8. Il ne faut jamais, où il s’agit de l’intérêt de Dieu, regarder celui des créatures, ni si on leur plaît ou si on leur déplaît, mais il faut toujours faire ce qui est le plus droit devant Dieu, et lui qui est l’auteur des vraies joies saura bien contenter sa créature autrement que nous ne pouvons penser.
9. Nous ne devons jamais remplir nos esprits de nous-mêmes, de ce que nous faisons, de ce qui se passe en nous ou de ce qui nous arrive, mais oublier tout cela comme chose de néant et nous occuper du Fils de Dieu et de ce qu’il a opéré en la terre pour notre salut qui doit faire toute notre plénitude.
10. Toutes nos richesses sont la vie, les actions, les paroles et les mystères du Fils de Dieu et nous nous devons tenir heureuses de passer le cours de notre pèlerinage sur la terre à contempler, à adorer et à imiter ces choses si grandes et si divines, comme ce sera une grande partie de notre bonheur dans l’éternité de les voir à découvert.
11. Les mystères de Jésus-Christ doivent être honorés non seulement par de bonnes pensées, mais principalement par la pratique exacte des vertus chrétiennes et religieuses qui sont les plus remarquables dans les mêmes mystères.
12. Lorsque vous vous sentirez plus distraite et plus pauvre dans la prière, demandez à l’âme sainte de Jésus Christ qu’elle daigne vous donner quelque part aux hommages qu’elle lui a continuellement rendu sur la terre, à sa révérence vers lui, à ses adorations, à son amour et à ses louanges et unissez-vous y de tout votre pouvoir.
13. Si vous voulez parler des choses intérieures, parlez du Fils de Dieu qui est à l’intérieur de tous les intérieurs, le principe et le soutien de toutes les bonnes dispositions où les âmes peuvent être.
14. Comme le Fils de Dieu s’est donné à nous par la Sainte Vierge, il veut aussi qu’elle nous soit vie et moyen pour aller à lui.
15. Nous devons beaucoup demander à la très Sainte Vierge qu’elle nous apprenne à adorer et à aimer son Fils et nous souvenir que le privilège incomparable de sa divine maternité lui donne un droit et un pouvoir qui vont infiniment au-delà de tout ce que nous en pouvons comprendre pour nous faire accomplir ces grands devoirs avec perfection.
16. Bien que le Fils de Dieu soit le Dieu de la Sainte Vierge, il est aussi son fils et comme il a toutes les perfections à un degré plus éminent sans comparaison qu’il ne les a répandues dans ses créatures, il aime et il honore sa Mère plus que nous pouvons penser. Liez-vous donc à cet honneur et à cet amour qu’il lui rend, pensant qu’il n’y en a point d’autre digne d’une Mère de Dieu.
17. Nous ne pouvons rien faire qui soit plus agréable à la Sainte Vierge que de pratiquer la vertu qui l’a rendue digne d’être la Mère de Dieu, qui est l’humilité.
18. Demandez beaucoup à la Sainte Vierge qu’elle vous donne part aux dispositions de son âme lorsqu’elle dit ces paroles : « Ecce ancilla domini » et souvenez-vous que plus vous serez esclave de Dieu par amour, et que plus toutes vos actions porterons la marque de cette servitude, plus vous serez en possession de la véritable liberté de ses enfants.
19. Il faut beaucoup demander au grand Saint Joseph qu’il exerce sur nous sa qualité de père, laquelle il a sur toutes les âmes ensuite de ce que le Fils de Dieu l’a voulu reconnaître pour père sur la terre et, nous autres carmélites, avons un droit particulier de le regarder en cette qualité.
20. Il faut avoir grand recours aux saints dont on porte le nom puisque Dieu nous les a donnés pour avoir soin de nous.
21. La charité est une vertu si précieuse et si nécessaire, et elle nous a été si particulièrement recommandée par le Fils de Dieu, que nous ne devons point laisser passer de jour sans la lui demander. Lui-même l’a demandée pour nous à son Père quand il lui a dit : « Qu’ils soient tous un ainsi que vous, mon Père, êtes en moi et que je suis en vous afin qu’eux aussi soient un en nous. »
22. La vertu de charité est grande et tout ce qui la regarde est grand aussi, pour petit qu’il paraisse, c’est pourquoi il faut bien prendre garde de n’y pas manquer dans la moindre de nos actions, de nos paroles et même de nos pensées.
23. Il faut aimer toutes sortes de personnes quoique de partis contraires et d’humeurs différentes car la charité de Dieu unit tout en lui.
24. Soyez douce vers autrui et rigoureux vers vous-même et quand il se présente quelque chose de pénible, chargez-vous-en toujours pour en décharger les autres.
25. Il ne faut jamais parler de personne que pour dire ses vertus, et faire le contraire c’est donner lieu à la malignité de notre nature et aller ouvertement contre l’obligation de la charité.
26. C’est une chose très périlleuse de juger de son prochain quand on n’en a pas le droit, car bien souvent ce que nous jugeons imperfection en autrui ne l’est pas et, quand il le serait, nous ne devons pas faire une chose que Dieu nous défend si expressément : « Ne jugez point et vous ne serez point jugé. »
27. On verra souvent dans une personne 50 vertus auxquelles on ne pensera point et s’il y a en elle la moindre imperfection, on la remarquera, mais tout au contraire s’il y avait dans le prochain 50 imperfections et qu’il n’y eut qu’une seule vertu, il faudrait fermer les yeux à celles-là et s’arrêter à celle-ci pour l’en estimer selon ce que dit Saint Paul de la charité : « Elle ne pense point en mal, elle ne se réjouit point de l’iniquité, mais elle se réjouit de la vérité. »
28. Nous jugeons bien souvent des âmes qui nous jugeront un jour. Les supérieurs mêmes, qui ont droit de juger ceux qui leur sont inférieurs, ne le peuvent bien souvent faire néanmoins sans danger.
29. Tant qu’une âme s’occupe à remarquer les défauts des autres, dont Dieu ne l’a pas chargée, elle ne saurait être parfaite.
30. La parfaite charité que nous devons à nous-mêmes consiste en grande partie à nous refuser continuellement ce que notre nature imparfaite nous demande.
31. C’est une grande chose que l’humilité de cœur. Il y a vraiment peu d’âmes qui soient de ces humbles et de ces petits dont parle Notre Seigneur dans l’Évangile et cependant c’est cette vertu qui lui prépare dans l’âme une demeure agréable et sans laquelle toutes les autres ne lui peuvent plaire.
32. Ce qui nous fait croître en humilité nous doit être grandement agréable et nous devons tenir plus chère une humiliation de quelque part qu’elle nous arrive, que si l’on nous donnait la possession de quelque grand trésor.
33. Recherchez toujours les choses les plus humbles et les plus basses et vous réjouissez quand vous serez méprisées.
34. Dieu n’a que faire de notre esprit pour avancer ses œuvres et lorsqu’il veut s’en servir, il commence par l’humilier et l’abattre à ses pieds, car c’est par ces dispositions d’abaissement, de destruction et de mort à soi-même qu’il veut préparer à entrer dans ses conseils et si nous voulons nous en rendre digne il faut suivre fidèlement sa conduite sur nous.
35. S’il vous vient des pensées ou des sentiments contraires à l’humilité, adressez-vous à la sainte Vierge qui a su s’abaisser jusqu’à la qualité d’esclave, lorsque même Dieu l’élevait jusqu’à celle de sa mère, et lui demandez qu’elle vous apprenne à pratiquer cette grande vertu.
36. Comme c’est une marque d’une âme vraiment humble d’aimer à être méprisée de tout le monde, c’est un orgueil intolérable et une espèce de folie lorsqu’étant tout remplis de fautes, nous ne voulons pas souffrir que l’on nous en fasse voir une seule.
37. C’est une joie aux enfants d’Adam d’être exaltés et d’entendre dire leurs louanges et de parler d’eux-mêmes à leur avantage, mais au contraire c’est la joie des enfants de Dieu d’être humiliés et méprisés, d’entendre dire leurs défauts et de les faire connaître eux-mêmes.
38. Regardez-vous comme la dernière de toutes et obéissez à toutes vos sœurs comme vous voyant leur inférieure et la plus imparfaite.
39. Tenez pour règle de suivre toujours plutôt la volonté et les pensées des autres que la vôtres, autant que vous pourrez selon Dieu, vous souvenant que sans la soumission d’esprit et la démission du propre sens, l’on ne peut être à Jésus-Christ selon sa parole que « l’on ne peut être son disciple ni le suivre si l’on ne renonce à soi-même. »
40. Lorsque les âmes sont assez dociles pour être toujours en disposition d’apprendre de tout le monde, celui qui est la sagesse même et le docteur des humbles ne manque point de leur enseigner la science du salut et le chemin de la vie éternelle.
41. La qualité d’enfants de Dieu que nous avons reçue au baptême et qui nous a été acquise par le sang de Jésus-Christ, nous oblige à renoncer continuellement à nous-mêmes et à tout ce qui est du péché, pour vivre de la vie des enfants de Dieu, laquelle n’est pas une vie de délices, mais de souffrances, de croix et de mort
42. La souffrance est le chemin que le Fils de Dieu nous a enseigné dans sa vie, dans ses actions et dans sa mort. C’est ce qu’il a laissé en partage à ses enfants et à ses élus pour les sanctifier et plus particulièrement ceux qui lui doivent appartenir davantage dans l’état de la grâce et dans celui de la gloire.
43. Souvenez-vous que Jésus-Christ a choisi la voie des souffrances pour entrer dans sa gloire et qu’il les a laissées pour partage à ses élus voulant que leurs richesses en la terre fussent l’assujettissement, l’humiliation et la croix par laquelle il faut qu’ils se lient à celui qui est mort pour eux.
44. Jésus-Christ n’a pas dit à ceux qui possèdent des biens, vous serez bienheureux, mais il l’a dit à ceux qui sont pauvres et à ceux qui souffrent pour son amour.
45. La vie des saints est accompagnée de beaucoup de travaux. Il faut couler le temps en patience et en humilité jusqu’à ce que nous soyons faits dignes de recevoir la couronne de vie que le Saint et le Véritable a promise à ceux qui lui auront été fidèles jusqu’à la mort.
46. Beaucoup cherchent la croix de paroles et de désirs qui après la fuient dans les occasions. Or il faut qu’ils se souviennent que ce n’est pas aux paroles ni aux désirs qu’est promise la récompense de la vie éternelle, mais aux œuvres.
47. Portez humblement vos petites peines sans vous en occuper et sans en rien faire paraître au-dehors. Elles ne vous sont pas données pour vous en entretenir ni les autres, car le conseil de Dieu en vous éprouvant n’est pas de vous dissiper, mais de vous élever à lui en silence, en patience et dans l’oubli de vous-même.
48. La patience est grandement nécessaire dans la vie tant pour porter ses propres misères que pour toutes les autres choses difficiles qui s’y rencontre continuellement.
49. Lorsque l’on se trouve dans de grandes peines, il faut se souvenir de ces paroles que le Fils de Dieu a dit à ses apôtres au jardin des Olives : « Ne sauriez-vous veiller une heure avec moi » et en tirer force pour demeurer veillant et souffrant avec lui.
50. Quand il nous arrive des afflictions intérieures ou extérieures, il nous faut souvenir que ce sont des peines dues à nos péchés et que bien loin d’avoir à droit de nous en plaindre, nous avons sujet d’admirer la bonté de Dieu et de lui rendre grâces de ce que, méritant de si grands châtiments pour nos crimes, il se contente de nous en envoyer de si petits.
51. Il nous faut bien souvenir que nous sommes appelées à la religion pour suivre de plus près le Fils de Dieu et pour participer davantage à sa croix qui est une très grande grâce. Il vous est donné, dit Saint Paul, non seulement de croire en Jésus-Christ, mais aussi de souffrir pour lui.
52. La vie religieuse ne doit être depuis le commencement jusqu’à la fin qu’une continuelle mortification et si nous manquons d’y travailler, nous serons religieuse seulement d’habit et non pas en effet.
53. Si vous ne mortifiez pas votre nature, elle prendra le dessus et vous serez enfin pénible à vous-même et aux autres.
54. L’âme qui se résout à travailler courageusement à se vaincre elle-même et qui en effet met la main à l’œuvre, emporte cet avantage que si aujourd’hui elle se surmonte en une chose, demain elle aura plus de force pour se surmonter en une autre et ainsi la nature meurt et la grâce vit. L’âme se rend la maîtresse et les sens demeurent soumis.,
55. Quand la mortification cesse, la grâce se perd et la grâce quoique très grande se retire quand nous abandonnons les œuvres.
56. L’on doit avoir un grand recours au Fils de Dieu dans la tentation et regarder en lui les vertus contraires aux imperfections dont l’on se sent combattu.
57. Quand vous serez attaqué de quelque tentation, entrez dans un profond abaissement devant le Fils de Dieu et, avec cette disposition, retirez-vous dans son âme très sainte comme dans un refuge assuré afin qu’elle vous environne, qu’elle vous protège et qu’elle vous défende des desseins et de la puissance de vos ennemis.
58. Les âmes qui ont quelques tentations ou peines d’esprit se doivent bien garder de se servir de ce prétexte pour s’exempter d’obéir ponctuellement, car en tout temps l’on doit s’assujettir, mais particulièrement en celui-ci où l’âme étant plus combattue a besoin de se tenir plus fortement à la grâce qui est renfermée pour elle dans la pratique de l’obéissance et des autres vertus.
59. Les saints n’ont pas acquis l’entrée au Royaume de Dieu pour avoir été tentés, mais pour avoir été fidèles dans leurs tentations en les portant fortement et en travaillant sans cesse à les vaincre.
60. La prière et la patience sont les armes avec lesquelles il faut vaincre toutes les adversités de cette vie.
61. La prière donne beaucoup de force à l’âme. En priant et en cherchant, l’âme trouve selon la promesse de Jésus-Christ : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez. »
62. L’âme devrait toujours désirer l’oraison comme un pauvre qui est affamé désire manger, car l’oraison est la nourriture de l’âme.
63. Il ne faut jamais quitter la prière sans grand sujet, car c’est par l’oraison que nous recevons les grâces de Notre Seigneur et que nous sommes unis en ses mains pour faire ses œuvres.
64. Souvenez-vous toujours que c’est le conseil du Fils de Dieu que, tout ce qu’il a demandé pour nous à son Père, nous le demandions aussi avec lui, et dans la même demande qu’il lui en a faite afin que nous soyons exaucés.
65. Pour obtenir de Dieu ce qu’on lui demande, il faut accompagner sa prière d’une profonde humilité et une des principales causes pour lesquelles nos oraisons ne sont point exaucées, c’est qu’elles ne sont point assez humbles.
66. Quand nous prions ou demandons pardon à Dieu pour les pécheurs, il nous faut mettre toujours les premières du nombre.
67. Si vous vous trouvez dans la facilité, servez-vous-en pour travailler fidèlement à la vertu et si vous vous trouvez dans la peine et dans la souffrance, alors soyez forte pour rendre à Dieu ce que vous lui devez en cet état et allez à lui en patience et humilité.
68. Quand vous vous trouvez dénuées de toutes les vertus, allez à Notre Seigneur Jésus-Christ comme à votre richesse et la source inépuisable de tous les biens et le priez qu’il vous en remplisse. Il ne lui faut ni des mois, ni des jours pour le faire. En un moment il peut vous enrichir, selon ce que dit l’Écriture, qu’il est facile à Dieu de revêtir un pauvre tout d’un coup.
69. Dieu n’est pas comme les rois de la terre, lorsque vous leur faites une demande pour plusieurs, cela vous empêche d’obtenir pour vous-même, mais au contraire ce Roi souverain, plus on lui demande et plus la charité par laquelle on le prie est étendue, plus il se rend libéral à accorder.
70. La vraie retraite ne consiste pas seulement à être tout le jour seule, mais bien à retrancher toutes les pensées, tous les désirs et toutes les occupations vaines et inutiles.
71. Si les âmes veulent avancer dans la vie intérieure, il faut qu’elles prennent un très grand soin d’éviter toute légèreté et dissipation, car l’esprit de Dieu est sérieux et il faut des âmes sérieuses pour le recevoir et pour le garder.
72. Notre Seigneur prend grand plaisir à voir les âmes qui sont à lui, passer leur vie en silence, en patience et en prière.
73. Aimez la retraite, priez beaucoup, parlez peu et soyez humble, car c’est ce qui met les âmes dans la voie sainte et les dispose à l’accroissement des dons de Dieu.
74. Parlez beaucoup à Dieu et peu aux créatures. Le silence est une grande chose et très nécessaire pour acquérir la perfection.
75. La langue nous est donnée pour louer Dieu et pour dire les choses nécessaires et non pour en dire d’inutiles. C’est pourquoi il la faut soigneusement garder et vous voyez aussi que Notre Seigneur n’a pas dit seulement : « Quand vous médirez, quand vous mentirez, vous en rendrez compte au jour du jugement », mais que « vous rendrez compte de chaque parole oiseuse que vous aurez dites. »
76. Un des usages par lesquels nous pouvons honorer le Fils de Dieu comme Verbe et Parole de son Père, c’est la parole. C’est pour cela que nous devons avoir un très grand soin que toutes celles que nous sommes obligées de proférer, soient saintes et parfaites et comme paroles de Dieu, selon ce que dit saint Pierre.
77. Soyez fort reconnaissante des charités que l’on vous rend, vous ressouvenant que la justice vous y oblige et que Dieu hait autant l’ingratitude qu’il aime la reconnaissance.
78. Les âmes qui vont simplement et innocemment sont remplies de la plénitude de Dieu et vous voyez que son Fils lui rend grâce « de ce qu’il a caché ses secrets aux sages et aux prudents et les a révélé aux petits qui sont les simples et les humbles. »
79. Il n’y a rien que l’homme ne craigne davantage que l’assujettissement, ni rien qu’il aime mieux que la liberté, c’est pourquoi Dieu veut qu’il lui en fasse un sacrifice et pour moi je ne fais nulle estime de toutes les dévotions d’une âme si elle n’est assujettie.
80. Lorsque les âmes se retirent de l’assujettissement, elles entrent dans une fausse liberté et sortent de la liberté des enfants de Dieu que l’on ne reçoit que dans le parfait assujettissement à Dieu et aux hommes pour son amour.
81. Il ne faut rien demander, ni rien refuser, mais être disposé à tout ce que l’obéissance voudra faire de nous.
82. Les vraies carmélites doivent faire toutes choses par amour.
83. La perfection à laquelle sont appelées les âmes chrétiennes et religieuses ne consiste pas seulement en la pratique de quelque vertu et pour un temps, mais à les pratiquer toutes, en tout temps, en toutes occasions et quelque difficulté que l’on y rencontre de la part de la nature ou de la tentation.
84. Comme Dieu peut agir sur le néant et en tirer quelque chose, il pourrait bien mettre en nous les vertus en un moment et sans qu’il nous en coûtât rien, mais il ne lui plaît pas d’agir de cette sorte que très rarement, car il veut que nous les acquérions par un long et pénible travail joint à l’opération de sa grâce sans laquelle tout ce que nous pourrions faire de notre part serait vain et inutile.
85. Travaillez sans cesse à toutes les vertus, mais particulièrement à l’humilité et à la douceur, vous souvenant que le Fils de Dieu nous les a singulièrement recommandées lorsqu’il a dit à ses apôtres : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. »
86. Une âme qui veut suivre Jésus-Christ ne doit jamais chercher le repos, mais travailler continuellement sans se lasser jusqu’à la mort.
87. Souvenez-vous que la terre n’est pas une région de clarté, mais de ténèbres, que ce n’est pas le lieu où l’on voit, mais bien celui où l’on travaille et ainsi résolvez-vous à le faire quoique vous n’ayez point de lumière.
88. La perfection chrétienne n’est pas l’œuvre d’un jour, elle ne s’acquiert que par un long travail et en se renonçant et en se mortifiant soi-même en toutes choses petites et grandes et cela sans relâche. Elle ne consiste pas en belles paroles, en bon dessein, ni en bonnes résolutions, mais en œuvres saintes et parfaites.
89. Ne vous y trompez pas, la perfection chrétienne est très difficile à acquérir et si quelqu’un la croit facile, il fait bien voir non seulement qu’il ne l’a pas acquise, mais même qu’il n’y a pas essayé, et néanmoins cette difficulté ne vous dispense pas d’être parfaite puisque le Fils de Dieu nous y oblige dans l’Évangile lorsqu’il dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
90. Ce n’est pas la peine, mais l’indisposition de l’âme qui l’empêche de travailler à la pratique de la vertu, car la grâce de souffrir n’empêche jamais celle de se rendre à toutes les choses auxquelles on est obligé.
91. Dieu se plaît quelquefois à se cacher à ses élus pour éprouver leur foi, leur amour et leur fidélité, et alors il faut qu’ils prennent double soin d’agir en l’intérieur et à l’extérieur, non pas selon ce qu’ilssentent mais selon ce qu’ils croient conformément à ce que dit saint Paul : « Le juste vit de la foi. »
92. Pour l’ordinaire, Dieu nous fait désirer ce qu’il veut nous donner, c’est pourquoi quand l’âme ressent quelque désir particulier pour quelque vertu, elle doit aussi travailler avec un soin particulier à l’acquérir et espérer que celui qui peut tout ce qu’il veut, bénira son travail et l’accompagnera de sa grâce.
93. Quand on reçoit quelque grâce de Dieu, il ne faut pas s’y arrêter pour en jouir, mais l’accepter par amour vers lui et pour l’honorer davantage, retranchant la part que notre amour propre y pourrait prendre.
94. Toute la vie nous est donnée pour commencer à servir Dieu. La pratique d’une vertu est une disposition pour en acquérir une autre. Après la mort on commencera une vie de gloire dans le ciel qui durera toujours et où tout sera parfait, mais en la terre, il faut toujours et à tout moment commencer. David était un grand prophète, néanmoins il disait : « Ecce nunc coepi. Maintenant je commence. »
95. Quand on veut se résoudre à travailler pour acquérir la perfection, il ne faut pas regarder à son âge, car ce n’est pas l’âge qui donne les vertus, mais la seule grâce de Dieu suivie de la fidélité de l’âme à y correspondre.
96. Soyez fort fidèle à la parole intérieure de la grâce, car la grâce a une parole et les âmes doivent être très attentives à l’écouter et très promptes à se rendre à ce qu’elle demande.
97. Souvent les âmes se trompent beaucoup croyant des choses impossibles qui leur seraient faciles si elles avaient plus de soin de recourir à Dieu, dans leurs besoins et plus de courage et de fidélité pour bien user de la grâce qu’il leur présente pour se surmonter elle-même et pour se rendre à leur devoir.
98. Lorsque quelque chose du service de Dieu ou de votre perfection vous paraîtra extrêmement difficile, ne vous arrêtez pas à regarder cette difficulté, mais dites dans votre cœur ces paroles de saint Paul : « Je puis tout en celui qui me conforte ». Recourez humblement à lui et vous souvenez qu’il ne refuse point sa grâce à ceux qui persévèrent à la lui demander avec humilité et confiance.
99. Si les âmes n’ont un grand soin de se rappeler souvent à l’estime et à l’amour du joug de Jésus-Christ, non seulement elles n’arriveront jamais à la perfection, car elles en demeureront toujours très éloignées, mais elles ne trouveront jamais le vrai repos que le cœur de l’homme désire et cherche continuellement, car Jésus-Christ ne donne sa paix qu’à ceux qui aiment son joug et qui s’y assujettissent de toutes leurs puissances.
100. Il importe peu que l’on soit dans l’action ou dans le repos, mais il importe beaucoup que l’on soit séparé de soi-même dans l’un et dans l’autre.
101. Il nous importe peu que l’on nous loue ou que l’on nous blâme, que l’on ait bonne ou mauvaise opinion de nous, car les hommes passeront en un moment, alors toutes leurs pensées passeront, c’est pourquoi nous ne devons faire estime que du jugement qui demeure éternellement.
102. Il n’importe pas à l’âme de savoir en quelle voie Dieu la met, mais il importe infiniment en quelque état où elle soit d’y être à Dieu et d’y accomplir parfaitement toutes ses saintes volontés sur elle.
103. Faites plus d’état de la pratique solide de la vertu que de plusieurs visions et révélations, car si elles ne sont accompagnées d’une grande humilité, mortification et soumission d’esprit, l’âme se pourrait perdre dans ces dons extraordinaires.
104. Quand vous rendez compte des dispositions de votre âme, il ne faut pas que ce soit pour recevoir de la satisfaction de ceux à qui vous parlez, mais pour recevoir la grâce que Jésus-Christ vous a méritée et qu’il vous veut donner par cette communication.
105. Le besoin le plus ordinaire des âmes n’est pas de recevoir de nouvelles lumières, mais bien de faire un saint usage de celles qu’elles ont déjà reçues.
106. Il ne faut pas que les âmes fidèles reviennent à deux fois à demander avis sur une même chose, une seule doit suffire et en peu de paroles.
107. Ceux qui ont la conduite des âmes doivent leur parler non par leur esprit propre, mais par celui de Jésus-Christ qui est bénin et tout ensemble fort et puissant, selon ce qui est écrit de la Sagesse de Dieu qui est si son même Fils, qu’elle atteint d’une extrémité jusqu’à l’autre fortement et dispose toutes choses suavement.
108. C’est une chose si dangereuse que la direction des âmes, que si l’on envoyait les périls, bien loin de s’y ingérer par son propre choix, lors même que l’on serait contraint de s’y rendre pour se soumettre à l’ordre de Dieu, l’on ne le ferait qu’avec crainte et tremblement.
109. Il faut, travailler soigneusement à retrancher en nous jusqu’à la moindre petite imperfection, car puisqu’il n’y en a pas une qui, en quelque manière, ne nous détourne de Dieu, nous n’en devons négliger aucune.
110. Jamais imperfection ne donne de joie à l’âme qui s’y laisse aller, au contraire elle lui laisse une certaine tristesse qui ne peut s’exprimer et elle ne la lui fait pas ressentir seulement pendant qu’elle est dans le monde, mais aussi lorsqu’elle en sort, et encore plus quand elle en est sortie, si bien qu’une âme imparfaite porte la tristesse de son imperfection dans la vie, dans la mort et jusqu’après la mort, et au contraire les âmes vertueuses ont toujours joie et paix en elles-mêmes, quelque sujet de trouble et de tristesse qu’elles puissent avoir au dehors.
111. Lorsque nous nous laissons aller à quelques imperfections, nous manquons non seulement aux vertus, mais aussi à Jésus-Christ qui en est l’auteur.
112. Il ne faut point écouter la nature qui tend toujours du côté de l’imperfection, mais quand elle veut quelque chose conforme à son inclination dépravée, il la faut faire obéir à la grâce et entrer dans l’assujettissement à la loi de Dieu, car c’est notre devoir et notre ouvrage.
113. Lorsque nous manquons à Dieu dans les petites décisions, c’est un grand abus de croire que nous ferons mieux dans les plus importantes, car, comme la fidélité que nous lui rendons dans ces petites choses nous dispose à lui en rendre dans les grandes, ainsi les légères imperfections où nous tombons nous font un chemin pour passer à en faire de plus grandes.
114. C’est par les petites choses que le Fils de Dieu nous veut élever aux plus grandes selon cette parole qu’il dit dans l’Évangile : « Bon serviteur et fidèle qui avez été fidèle en peu de choses, je vous constituerai sur beaucoup. »
115. Quand nous sentons notre nature émue et dans quelque passion, il faut peu parler afin d’éviter de dire quelque chose qui soit conforme à ses sentiments imparfaits, ce qui serait encore un plus grand mal et un sujet de nouveau trouble pour l’âme, mais il faut aussitôt aller au Fils de Dieu chercher notre remède.
116. Il ne faut pas se décourager à la vue de ses fautes, mais il faut s’en humilier. C’est le propre des enfants d’Adam de tomber et celui des enfants de Dieu de se relever et de tirer profit de leurs chutes, selon ce qu’il est dit qu’« à ceux qui aiment Dieu, toutes choses coopèrent en bien. »
117. L’âme ne doit jamais s’abattre en sorte qu’elle manque à l’espérance que Dieu veut qu’elle ait de jouir de lui et de le posséder éternellement, et pour témoigner combien cette espérance lui est agréable, il nous y oblige sous peine de péché.
118. Quand vous aurez fait quelque faute, demandez-en pardon à Notre Seigneur Jésus-Christ avec une profonde humilité et le remerciez de ce qu’il a donné son sang pour l’effacer puis rentrez dans la paix et dans la confiance en Dieu et recommencez de nouveau comme si vous n’aviez rien fait.
119. Lorsque nous recevons l’absolution de nos fautes, il faut nous lier aux actes de contrition que Notre Seigneur Jésus-Christ a fait pour nous quand il était sur la terre et supplier son Père que pour l’amour de lui, il daigne nous regarder non plus comme des ennemies, mais comme ses filles et servantes.
120. Il faut avoir une grande confiance en Jésus-Christ comme en celui qui peut seul remédier à tous nos maux, et qui ne se lasse jamais de nous faire du bien.
121. Souvenez-vous que plus nous avons soin de nous-mêmes et de ce qui nous regarde conformément à l’inclination de notre amour propre, moins Notre Seigneur en a et que moins nous en prenons pour nous abandonner à sa providence, plus il en prend par sa bonté infinie.
122. Il faut être égal en tout temps, ne se laissant aller ni à la joie, ni à la tristesse et toujours soumise à ce qu’il plaît à Dieu d’ordonner sur nous, acceptant également le travail et le repos, la peine et la facilité. Un jour vient que nous entrerons dans une autre vie et dans une autre terre où la joie et la paix seront éternelles.
123. Nous devons passer chaque jour comme si c’était le dernier de notre vie et faire chaque action comme si c’était la dernière que nous eussions à faire.
124. Prenez toujours le moment présent pour en faire un bon usage, car vous n’avez que cela entre les mains. C’est un effet de notre pauvreté et de notre bannissement en la terre que nous ne possédons ni pour nous, ni pour les autres que le monde où nous sommes, car ce qui est passé n’est plus en notre pouvoir et personne ne nous saurait répondre de l’avenir.
125. Comme notre corps tend continuellement à la terre de laquelle il a été tiré et en laquelle il doit en fin être réduit par la mort, notre esprit doit de même, et à bien plus forte raison, tendre à Dieu continuellement lui qui est son principe et sa dernière et souveraine fin.
126. Le temps de la mort étant si terrible et si incertain et « la porte du ciel si étroite » comme le Fils de Dieu nous l’apprend, il est nécessaire de veiller et d’être toujours sur ses gardes afin de ne point se détourner de Dieu et de n’être pas pris à l’impourvue de cette dernière heure.
127. Il ne s’y faut pas tromper, jusqu’au dernier moment de notre vie il n’y a point d’assurance non seulement pour la perfection, car il n’y a point d’âme pour avancée qu’elle soit qui puisse croire y avoir fait le premier pas, mais même pour le salut, c’est pourquoi nous devons travailler sans cesse jusqu’à la mort sans nous lasser et opérer notre salut en crainte et tremblement comme nous l’apprend l’Écriture et vous savez ce qu’elle dit ailleurs que « l’homme ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. »
128. Cherchez la paix, souffrez de tout le monde et vous réjouissez dans l’espérance des biens à venir que Dieu a préparés et promis à ceux qui l’aiment.
par Sœur Thérèse !
Abandon à Dieu L 37 ; 62
Adoration L 67,3 ; 77 ;
Amour de Dieu pour nous L 2, 2
Amour pour Dieu L 8, 2
Bérulle L 45 ; 47 (cf enfance) ; 96 (cf Vierge Marie) ; 97 (cf Monastère — fermeture)
Bonnes œuvres L 8, 2
Cloture L 64
Combat spirituel L 2, 1, 2 ;
Conseils pour la vie intérieure L 10 1, 2
Conseils pour la conduite des novices L 11 1 ; L 22, 1
Conseils à une prieure L 31, 3 ; L 111, 1-2 ; 112 ; 133 ; 114 ;
Croix de Jésus-Christ L 81
Désintéressement : L 99,1
Dévotions : 109, 2 ; 110
Diable L 2, 2 ;
Douceur L 22, 1 ; 97 ; 116
Enfance (mystère de l’état) L 47, 2
Foi L 1, 1, 2 ;
Force L 26, 1 ;
Guerre L 98, 1 ; 117, 2 ; 120,1-2 ;
Homme L 1, 3 ;
Honorer Dieu : L 39 ; 41
humilité : L 1, 1 ; 8, 2
mort : L 33, 1
Madeleine de St Joseph : L 23, 1 ; L 39, 1 ; 93 ; 95 ; 96 ; 108 ; 115 ;
Monastère : L 97, 3 ;
novices : L 19, 3 ; 69 ;
Obéissance : L 1, 1,2 ;
Pauvreté L 100, 4 ;
Prieures : L 6, 1 ; 9, 1 ; 96
Prière : L 15, 1 ; 17,1 ; 68
protestant : L 1, 1 ;
protestantisme : L 1, 2 ;
renoncement à soi-même : L 80
Saint Sacrement : L 122
Santé : L 100, 5 ; 104, 2 ;
Vierge Marie : L 1, 1 ; 96 ; 98 ; 121 ; 122, 3 ;
Vie religieuse L 2, 3 ;
Voie de Jésus-Christ : L 1, 1 ; 2, 2 ; 49, 2
Volonté de Dieu : L 2, 1 ; L 27, 1 ;
Zèle des âmes L 1, 3 ; 2, 1 ; 3, 1 ; 101 ; 117, 4 ; 123 :
Abandon à Dieu L 37 : Il est vrai que c’est une chose étrange d’être chargée d’un si grand nombre de filles avec si peu de santé ; et il n’y a que le seul abandon à Dieu qui me puisse faire soumettre… ce serait le plus grand mal de tous de ne pas vouloir ce qu’il veut puisque toutes choses doivent être entièrement assujetties à sa très sainte volonté.
L 62 :… Il faut élever son esprit à Dieu et lui laisser conduire la terre comme il lui plaît, sans y apporter de notre part autre chose que de la bénignité et de la charité envers tous, les regardant dans celui qui les a crées er rachetés de son sang et qui sait seul la fin et le jugement qui sera fait de chacun..
Adoration L 67, 3 :… les mystères du Fils de Dieu. C’est à quoi je désire occuper le reste de mes jours adorant jusqu’à ses pas et jusqu’au plus petites particularités de sa vie, s’il y a quelque chose de petit dans celui qui est la grandeur même.
L 77 : Ne vous occupez pas tant à y résister ou à faire des actes contraires, comme à vous élever par ces petites peines, adorer les grandes de Jésus-Christ en sa vie voyagère et en tout ce qu’il a été.
Amour de Dieu pour nous L 2, 2 : Je supplie J-C par la grandeur de son amour qui lui a fait donner son sang et sa vie en la croix pour notre salut… qui vous appelle depuis si longtemps avec tant d’amour et de miséricorde
Amour pour Dieu : L 8, 2 : saintes âmes qui ont aimé et servi J-C en patience, humilité et bonnes œuvres et en donnant le bon exemple au prochain.
Bérulle : L 45 : entière (éloge de Bérulle)
L 96 : cf Vierge Marie
Cloture : L 64 :.. ne pas demander de permission au Pape pour entrer en ce monastère.
Combat spirituel — vocation : L 2, 1 : Je ne doute point que vous ne soyez bien combattue dans la résolution que vous avez prise de vous donner à Lui 2, mais il faut que cette grâce vous coûte et que vous l’achetiez par la fidélité
L 2, 2 :… de vous donner la force de quitter la terre avec un généreux courage
Conseils pour la vie intérieure : L 10, 1, 2 :.. la chose la plus nécessaire en la vie et qui nous peut tirer hors de nous et nous élever à la divine Majesté que de se servir des occasions quelles qu’elles soient et les recevoir humblement
Conseils pour la conduite des novices : L 11, 1 : il est nécessaire de tenir quelques sévérités aux âmes, non pas de paroles ni rudes ni sévères, mais avoir un œil à Dieu pour ne pas adhérer aux faiblesses et défectuosités de leur nature
L 22, 1 : j’en au vu plusieurs… en qui la dévotion n’est venue de quelques années même après leur profession… et cela vient avec le temps et quelques fois les humilie et donne par la vertu ce qu’elles n’ont pas par la dévotion… mais enfin N-S fait son œuvre petit à petit et non pas tout d’un coup et sans s’accommoder à la misère et à la petitesse humaine.
Conseils à une prieure L 31, 3 : Ne craignez pas de montrer quelque tendresse à ses âmes ; il les faut prendre par où elles sont prenables et ne point regarder ni dire les manières conformes à nous-mêmes, mais prendre humblement celles que J-C nous donne, c’est-à-dire celles par lesquelles nous voyons que nous leur pouvons servir
L 111,1 : Je vous recommande cela tant que je peux et de ne jamais dire de paroles dures aux Sœurs, mais toujours doucement, et avec un visage ouvert et charitable leur parler et leur dire ce qui sera besoin, sur tout élevant votre esprit à Dieu pour elles et sur elles et ne leur parlant pas par l’esprit naturel, mais par l’esprit de Jésus-Christ, qui est bénin, doux fort et puissant, non pour charger les âmes, mais pour travailler avec persévérance jusqu’à ce que vous les ayez mises au point où sa divine Majesté les demande. Offrez continuellement cet œuvre à Jésus-Christ afin qu’il l’élève et qu’il le sanctifie…
L 111, 2 : Pour ce qui est de vous, laissez fa ire à Dieu. Vous serez bienheureuse si sa Majesté vous rend digne de la servir en ses œuvres et que vous puissiez y apporter quelque chose par prières et par patience : ce sont les armes par lesquelles il faut vaincre. Pour toutes les choses qui ne concernent point le service que nous devons à Dieu, il les faut laisser écouler doucement et patiemment. Elles sont une heure et ne sont pas une autre, nous font de la peine et puis n’en font plus. Il faut tout laisser passer, hors Jésus-Christ et ses voies sûres et véritables. Continuez à vous laisser à Dieu et à ne chercher aucune assurance en vous-même, la créature n’étant que bassesse et néant.
L 112 : Nous devons faire trois choses en la vie qui nous la doivent faire écouler et passer dans quelque sorte de disposition que l’on ait : c’est de soumission à Dieu, d’abandon total de nous-mêmes à sa divine conduite et de référence de tout ce que nous sommes entre les mains de Jésus-Christ à ce qu’il nous donne à son Père.
L 113 : Ne vous souciez pas de ce qui vous occupe, si c’est peine ou plaisir, difficulté ou facilité, mais seulement regardez à être droite, simple et pure devant Dieu, jamais ne cessant de vous rendre à lui.
L 114 : Ayez soin de ne pas laisser les voies intérieures sous quelque prétexte que ce soit ; mais en grande patience d’esprit suivez Dieu et ce qu’il demande de vous, soit par liaison avec lui, soit par une humble pratique des vertus intérieures et extérieures. Il n’y a jamais rien qui nous en puisse empêcher : il faut bien s’établir sur cette vérité afin que nous en soyons pas trompées et que sous un prétexte ou un autre nous ne soyons toujours à recommencer.
Croix de Jésus-Christ L 81 : c’est chose précieuse que la croix de Jésus-Christ ; et, quoiqu’il lui plaise de nous en départir, il faut la tenir chère. Et ne pas chercher à ; nous en défaire.
Désintéressement L 99, 1 : (Les supérieurs réfutèrent à la petite de V. de faire faire profession avant son âge) Je vous dirai que pour attendre son temps, l’on a pensé perdre tout ce qu’elle donnait, qui était la moitié de notre couvent de Troyes.
Dévotions L 109, 2 : C’est une dévotion que j’ai depuis quelque temps que les âmes soient liées aux saints et aux anges qui ont soin particulier du lieu où elles sont.
L 110 :… avoir part à l’humilité qu’il donna à sainte Madeleine étant à ses pieds. Ce sont là mes dévotions et mes désirs d’avoir une petite place en la terre et au ciel aux pieds de Notre-Seigneur.
Diable L 2, 2 :… résistant à toutes les poursuites du diable et en méprisant généreusement tout ce qu’il vous montre
Douceur L 22, 1 : je me suis accoutumée de telle sorte à la douceur que je ne pense pas avoir donné de pénitence à pas une sœur plus grande depuis six ans que d’une mortification au réfectoire et si, jamais je n’ai au plus de respect et plus d’obéissance véritable et sincère
L 97, 1 :.. faisant entendre avec prudence et respect vos raisons à ceux qui vous traversent, afin de les adoucir. Il est nécessaire dans ces rencontres d’écouler beaucoup de petites choses qui ne sont pas importantes et d’accommoder les autres avec adresse.
L 116 : J’offre votre âme au Fils de Dieu pour recevoir la qualité de sa douceur afin que vous rendiez hommage à cette grandeur que saint Paul nous annonce quand il dit : La bénignité et l’humanité de notre Sauveur nous est apparue etc...(Tite 3, 4)
Enfance (mystère de l’état d’) L 47, (Bérulle) Il avait promis à Dieu de porter toutes les maisons de notre Ordre à une particulière application à Notre Seigneur Jésus-Christ en son état d’enfant.
Foi L 1, 1 ; Vous avez changé la foi et la religion qui vous devait accompagner jusqu’au jugement de Dieu.... 2 chercher les passages dans l’Écriture pour censurer la vérité de la foi catholique, apostolique et romaine dont la vérité, dont l’antiquité et dont la sainteté rendront à jamais d’autant plus de gloire à Dieu qu’elle a dès le commencement été combattue et que de temps en temps, elle a par nouvel assaut gagné nouvelle victoire
Force : L 26, 1 : vous devez vous séparer de l’attachement que vous pourriez peut-être avoir à celles qui ne sont plus avec vous, ne vous laissant pas aller aux faiblesses de la nature et vous souvenant de cet esprit de notre mère sainte Thérèse, je veux dire de cet esprit de force qu’elle nous a tant désiré et que le Fils de Dieu départ aux âmes qui sont à lui.
Guerre : L 98,1 : Il semble que la charité et la bénignité qui nous sont apparues en Jésus-Christ (Tite 3,4) soient éteintes sur la terre : tout est rempli de guerre, de troubles et de misères dans la France et dans toute l’Église....
L 117, 2 : Je vous rends grâces très humbles aussi de la très grande charité avec laquelle vous nous offrez de nous loger. Nous n’avons pas été trop loin de quitter notre monastère pour le grand effroi où l’on était ici de l’armée ennemie ; car on disait que toutes les religieuses seraient obligées de se retirer dans un lieu de sûreté. (cf. aussi L 120)
Humilité : L 1, 1 ; Je ressens beaucoup l’état où est votre âme, qui est séparée de l’humilité chrétienne… voyez par quelle voie vous avez changé la foi et la religion qui vous devait, accompagner… comme humble sujette de ses commandements.
8, 2 : saintes âmes qui ont aimé et servi J-C en patience, humilité et bonnes œuvre et en donnant le bon exemple au prochain.
Homme Faiblesse L 1, 3 : sachant la faiblesse de l’homme
Honorer Dieu L 39 : Que pouvons-nous mieux faire que d’adorer sa personne sainte et tous les mystères de notre salut qu’il a accomplis ?
L 41 : Rendez hommage au Fils de dieu humilié.
Mort L 33, 1 : je vous dirai qu’elle (la mort) m’est fort présente et qu’il me semble que Dieu m’oblige de m’y préparer. J’essaie de le faire et pour cela d’entrer tous les jours dans les dispositions où je voudrais être en ce temps-là.
Madeleine de St Joseph L 23, 1 : Je sens une grande dévotion à l’amour que J-C porte à son père
L 39, 1 : Pour ce que vous croyez que j’ai toutes choses ensemble, les grandes et les ordinaires, je vous dirai librement ce qu’il en est : je n’ai rien du tout de ces subtilités, mais il est vrai que je puis avoir quelque chose comme les autres, quelques applications, mais la manière dont j’ai les choses est pour y tendre, non pour m’y voir établie et je suis tout étonnée de ces âmes qui tout aussitôt ont tout fait.
L 93, 2 : Il y a certaines personnes qui m’attribuent tout ce qui se fait en notre Ordre qui donne peine à quelqu’un. Je les laisse dire et si Dieu en retire quelque gloire pour petite qu’elle soit, cela me suffit.
L 95, 3 : Je suis toujours dans mes incommodités ordinaires et je marche avec très grande difficulté. Enfin, ma mère, cette vie n’est que travail et il la faut souffrir dans l’espérance d’une meilleure à laquelle nous nous acheminons tous les jours. Je n’en passe aucun où quelque chose ne m’oblige à me disposer à ce que je dois et à ce pourquoi je suis créée, dont je rends grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ, car, quand j’aurais encore beaucoup à vivre, je ne désirerais pas d’autres dispositions ni d’autre part en la terre. Tout ce qui s’y passe me semble maintenant comme un songe et je sens et connais clairement que je n’en suis plus.
4 : Je cache tout ce que je puis de mes infirmités, tant pour ne pas donner de la peine à mes sœurs que pour que ceux qui troublent l’Ordre en tirent des espérances, quoiqu’il y en ait bien peu de sujets ! car le Fils de Dieu, qui défend ses ouvrages, n’a que faire de ses créatures et moins encore d’une telle que moi pour maintenir celui-ci.
L 96, 1 : Je vous écris pendant que j’ai la vue un peu plus forte
L 108 : Je suis tout étonnée de ce que les âmes parlent ainsi de leur voie, car j’ai tantôt soixante ans et si je ne pourrais pas dire cela ; quand mon supérieur m’obligerait et même mon bon ange à dire qu’elle est ma voie, je ne le pourrais pas faire, car je n’ai rien et ne sais que c’est de parler ainsi. L’on va à Dieu comme l’on peut. Ce n’est pas que les âmes n’aient une voie, par où elles vont à Dieu, ni qu’elles n’en puissent avoir quelque petite connaissance, tant par la lumière que Dieu leur en donne immédiatement par lui-même que par la personne qui les conduise, mais cette vois n’est pas tellement limitée à une certaine disposition qu’elle n’en enferme beaucoup d’autres selon le vouloir de Dieu qui fait à ses créatures ce qu’il lui plaît, ni l’âme ne se doit tellement approprier sa voie et s’en assurer qu’elle ne pense que Dieu la changera quand il lui plaira : et que peuvent savoir ces âmes dans les ténèbres de la terre, quand ils disent si assurément : ma voie ? Pour être que leur voie est déjà changée quand ils parlent ainsi et les inégalités que nous expérimentons tous les jours dans cde qui se passe en nous nous empêchent bien, ce me semble, de pouvoir parler de cette sorte, car un jour Dieu élève l’âme et lors elle est dans une voie d’élévation par laquelle il faut qu’elle cherche, le lendemain il lui ôte tout et la laisse dans sa petitesse et sa misère et lors c’est une vois d’humiliation et de patience.
L 115 : Je supplie Notre Seigneur de se donner lui-même à vous comme doux et bénin. J’offre de tout mon cœur votre âme à son âme sainte et désire qu’elle entre en la mansuétude et patience de Jésus-Christ souffrant et mourant, étant une des choses dont j’ai plus de désir pour moi-même.
Monastère L 97, 3 :… on presse Messieurs nos supérieurs de défaire le monastère de N (Guingamp) et de détruire une œuvre de Dieu pour huit religieuses mortes en quatre ou cinq ans....Je crains bien que, si on donnait lieu à ces appréhensions et que l’on commença à se défaire de nos maisons, l’esprit malin ne s’arrêterait pas pour une. Il lui serait bien facile dans le temps où nous sommes, plein de troubles et de guerre, de tirer profit de cet exemple.
Novices L 19, 3 : (future novice) il faut les élever et accoutumer à être gaie, ouverte et de douce humeur, ne leur endurant jamais de se renfermer, de faire de petites mines que font quelques fois les enfants, ni de disputer avec les autres enfants.
L 69 : Il faut une grande douceur et quand vous leur parlerez, parlez à vous premièrement. Quand nous reprenons les fautes, il faut aussi parler à nous-mêmes plutôt qu’à celle qui a failli, et en cette sorte nos avertissements font de bons effets parce qu’ils sont accompagnés d’humilité.
Obéissance : L 1, 1 : Je ressens beaucoup l’état où est votre âme, qui est séparée de l’humilité chrétienne… voyez par quelle voie vous avez changé la foi et la religion qui vous devait accompagner… comme obéissante à ses saints apôtres. 2, Mais qui a tiré votre âme de l’obéissance ?
Pauvreté : L 100, 1 : Nous avons grande compassion de votre pauvreté, mais nous sommes dans un temps si cher et l’on a tant de peine à vivre qu’il est vrai qu’on ne fait pas tout ce qu’on voudrait bien. Mandez-nous, s’il vous plaît, par quelle voie nous vous pourrions envoyer cent livres que notre Mère et nous désirons vous donner.
Prieures - Choix L 6,1 : Vous savez que l’on ne peut pas trouver si promptement des supérieures
L 9, 1 : Celle qu’on a choisie est très vertueuse et très propre à cette chose… je vous assure qu’elle est très grande servante de Dieu et fort humble et charitable.
L 96, 1 :.. afin que la grâce s’accroisse tous les jours en vous et l’amour à ses mystères, à sa personne sainte et à l’imitation de ses vertus : de son humilité, en servant ses servantes, et de sa charité en souffrant leurs défauts et les incommodités qui se trouvent ne servant les âmes et en leur enseignant plus par la pratique que par la parole.
L 15,1 : Il nous faut beaucoup prier, car ce sont les armes par lesquelles nous nous devons défendre et combattre nos ennemis
L 17, 1 : Je vous conseille de retrancher toutes les communications que vous ne voyez pas absolument nécessaires ou pour le moins d’en diminuer le temps afin d’en avoir davantage pour la prière ; car c’est par l’oraison que nous recevons les grâces de N-S et que nous sommes mis en ses mains pour faire ses œuvres… je vous conseille de ne point passer de jour sans prendre quelque heure d’extraordinaire outre celles de la communauté. Le peu de paroles que vous direz feront plus d’effets que beaucoup de discours étant dissipée vous-même.
L 68,3 : La prière donne beaucoup de force et j’y porte toutes les âmes d’ici le plus que je puis, particulièrement celles qui sont assurées par leur âge de ne plus pouvoir guère vivre.. car en priant et en cherchant, l’âme trouve avec le temps et la patience selon la parole de Jésus-Christ.
Protestant : L 1,1 Je ressens beaucoup l’état de votre âme qui est séparée de l’humilité chrétienne. Entrez, je vous supplie, dans le fond de votre conscience et voyez par quelle voie vous avez changé la foi et la religion qui vous devait accompagner jusqu’au jugement de Dieu comme fille de la vraie et ancienne Église… 2,. Qui vous a enseigné à délaisser la vraie et parfaite voie de Jésus-Christ, suivie par vos pères il y a seize cents ans ?...
Protestantisme : L 1, 2 ; nouvelle et fausse religion
Renoncement à soi-même : L 80 ; Encore que sa divine Majesté ne vous envoie point de croix particulière, il faut porter celle qui est commune et, ce semble, la plus pénible de toutes, qui est le renoncement à soi-même et l’assujettissement à toute créature.
Saint Sacrement : L 122, 1-3 : Je vous dirai que je voudrais que l’on composât un traité du Saint Sacrement. Je désirerais que celui qui composerait ce livrevmontrât que Jésus-Christ a multiplié sa pré&sence en tant de lieux par desz conseils très élevé&s et cependant peu connus et moins honorés. Je voudrais qu’il fît voir que dans ce Sacrement se trouve l’abrégé de tous ses états et de tous ses mystères. ...
Santé : 100, 5 : La fluxion qui me continue toujours fort fâcheuse sur mon œil m’empèche de vous donner la consolation de vous écrire de ma main.
L 104, 2 : Je suis fort incommodé de mon mal de jambe et de plusieurs infirmités, qui ne sont, comme je coirs, tant pour me faire sitôt aller voir Dieu, comme pour obliger une âme faible comme la mienne à une pluis particulière disposition pour cela.
Vierge Marie : L 1,1 ; Je ressens beaucoup l’état où est votre âme, qui est séparée de l’humilité chrétienne… voyez par quelle voie vous avez changé la foi et la religion qui vous devait accompagner.. comme servante de sa sainte Mère et de ses saints et saintes.
3, 1 La pensée de servir la Vierge en l’Ordre m’a beaucoup aidé
L 96, 1 : Sur toutes choses ayez soin de les rendre bien dévotes à la Mère de Dieu, leur Patronne. C’est un des plus grands désirs de notre bon Père Monseigneur le Cardinal de Bérulle et il tenait que c’était par cette dévotion que notre Ordre tirerait le plus de grâces et ferait plus de profit.
L 98, 2 : Il faut avoir aussi, tant pour cela que pour toutes les autres nécessités présentes, un grand recours à la sainte Vierge qui est la Mère de Miséricorde et la Mère de l’Église. C’est en elle que Dieu a rassemblé tous ses trésors…
L 121… 2 : Demandez-lui qu’e’lle vous dispose pleinement à recevoir les effets de sa maternité ? C’est une grâce qui est communiquée en plénitude à très peu d’âmes. Je la supplie par sa grande bonté que nous soyons de ce petit nombre. …
L 122, 3 : Dieu… m’a montré que la Vierge avait une prérogative d’adorer son Fils en tous les lieux où il est en même temps. Et je lui ai demandé qu’elle nous y donnât quelque petite part
Vie religieuse L 2, 3 : vivre ici-bas de la vie des anges, en pureté, en sainteté et en élévation continuelle vers lui.
Voie de Jésus-Christ : L 1, 1 ; Qui vous a enseigné à délaisser la vraie et parfaite voie de Jésus-Christ.
L 2, 2 ; la voie la meilleure et la plus assurée pour arriver au ciel
L 49, 2, 4 ; Qui donc est le plus parfait ? Celui qui est le plus en Jésus-Christ, qui est notre voie. Or nous entrons en Lui par une perpétuelle adhérence à lui soit par notre esprit, soit par nos œuvres en imitant sa profonde humilité, sa patience, sa soumission et obéissance jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Nous nous unissons à lui encore par l’adoration de ses mystères....Or si la sainte Vierge n’a par cherché d’autre dévotion que voulons-nous nous autres et où pourrons-nous trouver rien qui peut en approcher ?
(§ 4) Je sais que tous ne peuvent pas d’appliquer par discours à nos mystères… Je parle d’une adhérence de volonté, ou simple ou plus forte selon la facilité, le don de Dieu et la liberté d’esprit ; je parle d’une adhérence de tout soi-même au Fils de Dieu, je parle d’une patience ayant relation à la sienne et à ses travaux et d’un hommage permanent et continuel qui ne finit qu’avec nous.
Volonté de Dieu : L 2, 1 vous rendre plus facile le passage que vous devez faire pour accomplir sa volonté
L 27, 1 :… vous ne puissiez être appliquée qu’à une dépendance entière et parfaire de sa grandeur et de sa souveraineté sur ses créatures, en laquelle il ne nous est pas permis de disposer de nous un seul moment mais comme de pauvres néants, nous devons remettre notre être entre les mains de celui à qui il appartient
Zèle des âmes : L 1, 3 ; touchée au vif du désir de vous voir rentrée dans la bergerie de J-C. je ne sache rien, pour pénible qu’il fut, que je voulusse porter pour votre salut....Je ne sache rien pour pénible qu’il fut que je ne voulusse porter pour votre salut
2, 1 Je voudrais qu’il plût à Dieu de m’envoyer quelque nouvelle croix pour adoucir celle que vous portez et vous rendre plus facile le passage que vous devez faire pour accomplir sa volonté ; je la recevrais avec joie et tiendrais à bénédiction d’augmenter mes souffrances pour diminuer les vôtres.
3, 1 âmes que vous savez qui sont en de si grands besoins, ce que vous (Bérulle) m’avez ordonné de recevoir
L 101, 3 : lequel (Jésus-Christ), s’il nous fait miséricorde, comme je le lui demande et l’espère de sa bonté, nous ne vous oublierons pas ni la moisson à quoi vous êtes appelés. (Le Père Le Jeune s.j.)
L 117, 4 : Nous ne savons jusqu’à quel point ira la colère de Dieu. Je vous supplie de lui faire beaucoup demander l paix de la chrétienté par nos bonnes sœurs de votre monastère et de les prier de laisser toutes les autres choses pour s’appliquer seulement à cela.
L 123, 1 : baptême des deux petites Sauvages tant pour la célébrité de l’action que pour la grande dévotion qu’un grand peuple y témoigna. (description du Baptême)
NOTES : L 86 (vers 1634) L e conflit avec l’Oratoire s’apaisait après les brefs d’Urbain VIII réglant la visite des carmélites (2 avril 1632 et 29 janvier 1633) ; quand la déposition d’une prieure (celle de Saint Denis ?) fille spirituelle du P. de Condren, vint en novembre 1633 aigrir de nouveau les esprits. La Mère Madeleine surtout fut critiquée, car on la regardait comme l’instigatrice d’une mesure qu’elle s’était au contraire efforcée d’empêcher.
Textes sur Madeleine de saint Joseph tirés du procès
Par sœur Thérèse !
les dossiers sont ceux de la malle
BÉRULLE
2 C 16 (des Rochers p. 16) Monsieur de Bérulle disait qu’il avait plus appris des grandeurs de Dieu en sa communication qu’il avait fait dans toutes ses études
ABANDON A DIEU
2 C 16 (des Rochers p. 17) toute ma consolation est de pratiquer le conseil de cette bienheureuse qui était un grand abandon à la conduite de la divine providence, mais pourtant elle disait qu’il fallait travailler et faire tout ce que l’on pouvait et d’attendre tout de Dieu comme si nous ne faisions rien
CONFIANCE EN DIEU
2 C 2 (Gibieuf p.11) Elle disait : « Qu’il est très utile de se défier de soi-même et de faire peu de cas de nos propres pensées, afin que mettant entre les mains de Dieu tout l’ouvrage de notre salut, il en fasse selon sa volonté et qu’étant dégagés d’une infinité de chemins embarrassants, il nous conduise simplement où il souhaitera et qu’il nous donne une tranquillité d’esprit, une longue vie et une assiduité à le prier et avec tous ces avantages nous attendions en repos et avec humilité qu’il nous fasse connaître sa sainte volonté ; c’est de vivre selon l’évangile que de prier, mais de prier sans relâche
DOUCEUR
2 C 4 — (évêque de Bazas) p. 4 La douceur de son esprit, la force de son entendement, les clartés et les lumières de son âme, le goût et le sentiment qu’elle avait des choses de Dieu, l’intelligence de ses mystères, le don qu’elle avait de pénétrer les cœurs, de discerner les esprits et pour comprendre toute une sagesse vraiment évangélique…
GOUVERNEMENT :
2 C 12 (Castaing p. 4 s.) Dans la charge de prieure elle s’est si bien gouvernée dans l’esprit de J-C qu’elle n’agissait jamais que par l’esprit de servitude et non de domination et au lieu d’être maîtresse et supérieure de ses religieuses, elle paraissait et était la servante de toutes en général et de chacune en particulier et sa conduite était si douce et si solide qu’elle imprimait aux religieuses l’amour et la crainte tout ensemble, qu’elles avaient pour elle c’est-à-dire un amour filial en N-S et une crainte de respect
GRÂCES INTÉRIEURES :
D (Catherine du Saint Esprit) p. 17 “Dieu met en moi par grâce, tout d’un coup, et ne fait pas les choses peu à peu, j’ai après un grand travail pour l’établir. cela me consomme toute”.
p. 22 : Elle se voyait souvent en un état que l’essence de son âme se voyait séparée de ses sens inférieurs et qu’elle opérait vers Dieu en cette manière et qu’une personne qu’elle lui nomma lui avait voulu donner une conduite conforme à cela, mais qu’elle avait plutôt choisi de suivre une voie commune et ordinaire et qu’elle n’ait pas voulu y entrer et que quand cela n’était pas présent qu’elle n’y pensât plus et elle avqit si peu d’estime de tout ce qu’elle avait en elle qu’elle disait que son oraison était de dire un miserere.
p. 24 : An commencement qu’elle se résolut de quitter le monde et de servir (?) entièrement à Dieu, elle lui demanda soigneusement et avec grand désir de le connaître et persévéra longtemps en cette demande après laquelle il lui donna une connaissance particulière de lui comme elle l’a dit elle-même, et qu’ensuite de cela elle pensa : après la connaissance, il faut l’amour auquel elle s’appliqua soigneusement.
Elle dit un jour à Notre-Seigneur : » Voilà une telle personne qui reçoit tant de contentement dans une recherche qu’il fait d’une chose de la terre et moi qui ne veut plus chercher que vous, ne me donnerez-vous rien ? » Et lors Dieu lui donna quelque chose de particulier, mais l’on en sait point ce que c’est parce que sa sœur à qui elle dit ces deux choses ne lui demanda pas.
HUMANITÉ DU CHRIST
2 C 12 (Castaing p. 35) Je ne saurais exprimer l’amour et la dévotion que la servante de Dieu avait à la sainte Humanité du Fils de Dieu et comme son âme en était possédée parce qu’elle en parlait à ses religieuses. elle y faisait une telle impression dans les âmes de cette sacrée Humanité du Fils de Dieu ou pour mieux dire J-C-N-S le faisait lui-même par sa servante que c’était merveille de voir les âmes liées et unies par amour à cette sacrée Humanité et toutes ses appartenances.
MARIE
2 C 2 (Gibieuf p.13) Combien de fois m’a-t-elle dit et à ses sœurs : » Nous sommes des filles de la Vierge. Notre vocation nous élève et nous attache à la Vierge comme mère et par la Vierge nous entrons dans l’alliance de J-C, c’est là tout l’honneur et la couronne de notre ordre. » :
MARIE DE MÉDICIS.
2 C 2 (Gibieuf p.6). plutôt que de faire la moindre chose, elle aima beaucoup lieux se voir abandonnée de tout le monde, exilée…
MORTIFICATIONS
2 C 16 (des Rochers p. 18) Ses mortifications et pénitences corporelles ne paraissaient pas grandes, je sais pourtant qu’elle en faisait.
ORATOIRE
2 C 2 (Gibieuf p.7). (sur la fondation) ..à Bérulle : « qu’attendez-vous, est-ce que vous attendez de Dieu des preuves plus certaines que ces inspirations et ces commandements ».
PAUVRES
2 C 17 (Nicole Bourgoing p. 8) Ma sœur Marguerite Casserat, ma compagne, m’a dit que M. de Fontaines donna une fois à sa fille Notre bse Mère, une somme notable d’écus d’or qui ont duré un fort longtemps et elle en donnait à ma dite sœur Marguerite pour distribuer aux pauvres selon leurs besoins ;;; étant celle que la Ste avait choisie pour avoir soin des pauvres.
TEMOIGNAGES — Madeleine de St Joseph, une autre Thérèse
2 C 2 — (Gibieuf p.5) Michel de Marillac. a souvent dit que la v.m. était une autre Thérèse et que Dieu avait permis exprès que cette fille entrât dans l’ordre des carmélites pour faire en France ce que Thérèse avait fait en Espagne. Tout le monde sait pour avoir entendu cet oracle d’un véritable homme de Dieu, et comme la suite l’a fait voir, que la v.m. a parfaitement représenté sainte Thérèse tant par ses propres vertus que pour avoir saintement gouverné ses religieuses
2 C 16 (des Rochers p.12) Mlle Acarie disait qu’elle serait un jour aux religieuses carmélites de France ce que Ste Thérèse était à celles d’Espagne. Elle en avait une très haute estime et qu’elle pourrait être régente
2 C 16 (des Rochers p. 12) Chancelier de Sillery disait : « Il n’avait jamais connu d’esprit plus digne d’être régent en France qu’elle ».
(idem p.16) Ces bonnes mères sont trop heureuses d’avoir ce bon esprit, car il est capable de gouverner un empire (d’autres disent un royaume)
(idem p. 18) M Louytre, doyen de Nantes et visiteur disait : » Cette servante de Dieu que j’estime comme une autre Thérèse ».
TOURIÈRES
2 C 17 (Nicole Bourgoing p.2) Instruction et Règlement du tour
UNION DES MONASTÈRES
2 C 12 — (Castaing p. 8) (les monastères) avaient recours en toutes leurs affaires temporelles et spirituelles à la Mère Mad. comme si elle restait leur prieure et supérieure… comme si elle n’eut d’autre soin ;
il y avait une telle liaison de tous les couvents qui sont en France avec la Rev. M. Mad. et avec le couvent de l’Incarnation dont elle était prieure qu’il semblait que dans toute la France, il n’y eut qu’un couvent..
VOCATION
2 C 16 (des Rochers p.25) Je lui disais ma chère mère, dites-moi quand nonobstant vous êtes d’avis quand je quitte tout et que j’entre ; je le ferai. elle me répondit sérieusement : : « Non, ma fille, je ne le ferai jamais, ce n’est pas à nous à prédestiner les âmes, donnez-vous à Dieu et attendez de lui la connaissance de ses volontés.
VOIX
2 C 17 (Nicole Bourgoing p.2) J’ai vu souvent Mlle Acarie venir céans demander à parler à notre Bse mère qu’elle aimait fort. Elle venait les faire chanter ici les chants que les mères espagnoles avaient apportés. Notre Bse Mère avait la voix fort douce.
D (Lezeau p.6) : Elle avait un ton de voix fort doux et agréable. Elle était gaie et joviale dans son entretien.
ZÈLE APOSTOLIQUE
2 C 1 — (princesse de Condé) Je rends témoignage pour la vérité que c’est la mère Mad. qui m’a donné les premières pensées de l’éternité, car avant de la connaître j’étais fort du monde et ne pensais guère de m’en retirer.
2 C 4 — (évêque de Bazas) p.4. Prendre garde de ne pas altérer la pureté de la parole de Dieu par un mélange affecté des choses profanes et curieuses, de m’attacher plus à la délicatesse qu’à la force dans mes discours, à ne pas étudier à plus contenter un auditoire qu’à le toucher, à ne pas chercher ma réputation au préjudice de la gloire de J-C. et du salut des âmes que je devais en cette fonction uniquement envisager.
D (Lezeau p. 11) : Elle m’a dit qu’une fois, voyant la Reine-Mère, Marie de Médicis, entrer dans son couvent, elle résolut d’entreprendre une princesse de grand esprit et fort mondaine qui était à la suite pour la réduire au service de Dieu et qu’elle y employa tous ses meilleurs discours, mais qu’elle reconnut bien qu’il n’appartient qu’à Dieu de convertir les âmes.
Par sœur Thérèse !
N’est pas notre objet, mais peut être commenté dans une présentation de Madeleine
Instructions et règlements donnés
par la Mère Madeleine de saint Joseph
aux tourières du carmel de l’Incarnation
Tels qu’ils ont été retenus par Nicole Bourgoing, tourière,
et écrits par Sœur Marguerite de Jésus (1646)
(extraits de la déposition. Cf. malle Dossier 2 C 17)
Que les tourières se levassent à pareille heure que les religieuses.
En s’habillant qu’elles récitassent les litanies de Jésus toutes ensemble.
Elles doivent faire une heure d’oraison quand cela se peut.
Tous les jours entendre la messe et les fêtes et dimanche assister à la grand-messe par tour tantôt l’une tantôt l’autre.
Vêpres, celles qui pourront les iront entendre tous les jours.
Les samedis, le salut quand elles pourront…
Aller faire oraison à l’église à cinq heures du soir comme les religieuses.
Elles diront les Pater et Ave comme les sœurs layes.
Elles doivent aller tour à tour entendre les sermons à l’église du couvent.
Elle nous faisait communier les dimanches et les fêtes qui se rencontrent la semaine, ou le jeudi, et cela selon l’âge de chacune et qu’elle jugeait devoir leur permettre
Elles doivent se confesser au confesseur des religieuses ou à d’autres selon qu’elles auront dévotion. (nota de sœur Marguerite : Je crois qu’il fallait pourtant demander permission).
Elles feront leur examen de conscience avant le dîner.
Durant le repas quelles fassent la lecture de la vie des saints ou autres livres de dévotion
Le soir, elles se retireront à 9 heures en leur chambre, prieront là Dieu toutes ensemble, diront le Veni Sancte Spiritus, les litanies de la Vierge, le salve, feront leur examen et un petit peu de lecture tout haut, dans les méditations de Dupont ou autres livres de dévotion qu’on leur doit donner du couvent.
Elles garderont le silence tout ce temps-là.
(nota : peut-être depuis la fin de complies comme les religieuses)
Et seront couchées à dix heures.
Elle avait donné charge à une religieuse capable de parler à chacune des tourières pour les instruire et voulait que quand il y avait eu quelque petit différent entre elles, elles le disent à cette religieuse, laquelle y remédiait…
La Bienheureuse Mère parlait quelquefois elle-même.
Elle nous portait à ne nous point laisser aller au divertissement
Une parole d’elle faisait beaucoup d’effet.
Elle était douce et quand on lui disait que l’on désirait communier extraordinairement, ou quelque chose semblable, elle acquiesçait.
Elle nous avait prescrit de ne point aller au logis des ecclésiastiques du couvent, mais quand on avait besoin d’eux nous nous contentions de frapper à leur porte sans entrer. Eux non plus ni pas un autre homme n’osait entrer dans notre chambre si ce n’était quand quelqu’une de nous était malade, comme le médecin, chirurgien, et le confesseur. Cela était de grande édification aux voisins et nous l’observons encore.
Dans (voir précédemment) : [1684] [Madeleine de Saint-Joseph], Jesus, Maria, Theresia. /Élévations au Fils de Dieu, sur tous les Évangiles des Dimanches, Carêmes, Quatre-temps et Fêtes de l’année,/Tirées en partie des Pensées des Saints Pères, p.1-394 et retraite p. 1-89, 1684. Suivi d’une Paraphrase du Magnificat. [Page de titre sans nom d’auteur ni d’imprimeur, car relié avec d’autres txts ; les approbations, etc. ont été enlevées.] [situé après les retraites ; approbation de 1707 ; cet opuscule n’est probablement pas de la mère Madeleine ? voir Louise de Jésus, note en tête du livre]
Ce txt ne serait pas de Madeleine ; à déplacer dans txts génération suivante ?
Cantique d’amour, de reconnaissance et d’humilité. Paraphrase du Magnificat.
I. Mon âme glorifie le Seigneur.
Je suis à Lui. Il n’avait pas besoin de me former pour son bonheur, mais il m’a formée (62).
II. Et mon esprit a été ravi de joie en Dieu qui est mon salut.
Ma joie vient de Lui : il est bien juste qu’elle se rapporte, et qu’elle me rapporte moi-même à Lui. Elle inonde toute mon âme ; elle en pénètre toute la substance et tout le fond, et elle fait par là ce que ne pourraient jamais faire les autres joies. Malheur à (65) l’âme qui les cherche ces autres joies. Malheur encore plus grand à l’âme qui les trouve ; et souverain malheur à l’âme qui les goûte et qui s’y plaît jusqu’oublier la joie pure qui ne peut être qu’en Dieu, de même que le véritable salut n’est qu’en Lui.
III. Parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante.
Ne cherchez pas (66) ailleurs la cause du bien que vous apercevez en moi. Le regard de Dieu a tout fait. O regard de mon Dieu, source féconde tous les biens ! Ce regard tombe sur la profondeur de l’abîme, et aussitôt on en voit sortir l’Univers. Il est tombé sur ma bassesse, et Il m’a faite ce que je suis. Rien ne n’appartient en propre. Tout est à Lui, jusqu’à moi-même.
C’est à Lui que toute louange est due : si vous pensez m’en donner (67) quelqu’une, je m’enfuis dans l’humilité, je me cache dans ma petitesse, et je ne me réserve de toutes les qualités que vous pouvez m’attribuer que celle de « servante du Seigneur ».
De là toutes les générations m’appelleront heureuses.
Oui. De ce moment où Dieu m’a regardée d’un œil favorable : de cet amour (68) de prédilection qu’Il a eu pour moi ; de ce choix qu’Il a daigné faire de moi naîtra comme de son véritable principe le sentiment universel et perpétuel que je suis heureuse. Je n’ai garde de le nier ; je tomberais dans l’ingratitude ; je méconnaîtrais les dons de Dieu ; et d’ailleurs ce bonheur, quoiqu’il me soit donné, retourne encore comme tout le reste à la gloire de sa Grâce. (69)
IV. Parce que le Tout-puissant a fait pour moi de grandes choses ; et son Nom est saint.
Je ne suis heureuse en effet que parce qu’il Lui a plu de me rendre l’objet de Ses grandes miséricordes. J’en suis comblée : mais tout ce que vous pouvez inférer de là, c’est que Son Nom est saint et digne (70) d’une louange éternelle. Que tout ce qu’il y a de créé, quelqu’éclatant qu’il soit à vos yeux s’éclipse et disparaisse en présence de cette sainteté souveraine qui remplit tout.
V. Et Sa miséricorde se répand d’âge en âge sur ceux qui Le craignent.
Au reste ne croyez pas qu’Il ne soit bon, libéral (71) est magnifique que pour moi seule : ses faveurs sont pour toutes les âmes qui voudront Le craindre comme les enfants craignent leur père, et l’aimer comme les épouses aiment leur époux.
VI. Il a déployé la force de Son bras ; Il a dissipé les superbes et tous les desseins qu’ils avaient formés dans leur cœur.
Le Seigneur a une autre (72) puissance bien redoutable ; et ceux qui refuseront d’éprouver ce qu’Il peut en bonté, éprouveront à leurs dépens combien Il est puissant en justice et en rigueur. Voyez-en l’exemple dans tant de rois qui nous ont précédés, et qu’Il a confondus dans leur vains projets ; parce qu’Il n’y trouvait que de la superbe et de l’enflure de cœur.
VII. Il a renversé les Grands de leur Trône, et Il a élevé les petits.
Ces Trônes éclatants et magnifiques où ils étaient placés sur la tête des autres hommes, éblouissaient tous ceux qui les regardaient, et attiraient de la part des sujets un hommage mêlé de respect et de frayeur. Le Dieu jaloux a tout renversé, tout réduit en (74) poudre ; et de cette même poussière, Il a tiré par un merveilleux revers les petits et les humbles. Il en a fait les véritables Grands et les véritables rois de son royaume, afin que tout esprit comprenne, et que toute langue publie que Dieu fera à jamais la gloire des humbles et la confusion des superbes.
VIII. Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés ; et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches.
C’est par une suite de mêmes conseils adorables et éternels qu’Il a pris plaisir à rassasier ceux qui étaient pressés par la faim et par la soif : et qu’Il a laissé tomber dans l’épuisement ceux qui étaient dans la plénitude. Pour opérer (76) le premier miracle, il a fallu qu’il tirât de ses Trésors les richesses de la Grâce ; mais pour produire le second effet, il n’a eu besoin d’autre chose que d’ouvrir les yeux à ceux qui étaient remplis de faux biens, pour leur en laisser voir la fausseté ; et conséquemment pour leur faire ressentir leur pauvreté véritable.
Il continuera de faire la même chose dans tous les siècles ; et rien en tout temps ne sera plus propre (77) à nous attirer les richesses de son amour qu’une vive faim et qu’une ardente soif de la justice.
IX. Il a pris soin d’Israël Son serviteur, Se ressouvenant de Sa miséricorde.
Il suffit d’être sous la protection de Dieu. Il conserve avec une fidélité inviolable ceux qui sont à lui, et qui se font un devoir de le (118) servir. S’il paraît les oublier dans de certains intervalles, il les tient néanmoins toujours dans Sa main et sous Ses yeux. Le cours de Sa miséricorde qui semblait interrompu se remontre bientôt après ; et il n’est pas en nous de meilleur titre pour continuer d’attirer Sa grâce que d’avoir commencé de l’obtenir et de s’efforcer d’y être fidèle. On va de lumière en lumière, et de trésor en trésor : « un jour annonce la nouvelle (119) au jour suivant, et un abîme appelle un autre abîme » encore plus profond.
6. Selon les promesses qu’Il a faites à nos Pères, à Abraham, et à Sa postérité pour jamais.
Le ciel et la terre passeront, mais une seule de ses paroles ne passera pas sans s’accomplir. Heureuse la confiance qui a pour (80) soutient un fondement inébranlable, et pour bornes une éternité. Telles sont les promesses de notre Dieu. L’assurance en est infaillible pour le passé, Il les a faites ; l’exécution en est immanquable pour un certain temps, Il les remplira : et l’effet en est solide et durable pour jamais, elles ne finiront point.
Transcription complète par s. Thérèse
… Et notre choix (* en tête de §) éliminant surtout la fin
Procès 1647 tome I
[402] Moi, Charlotte de Harlay, dite sœur Marie de Jésus, de l’Ordre de Notre-Dame du Mont Carmel selon la réforme de sainte Thérèse en France et professe du premier monastère de cet Ordre, sis au faubourg Saint Jacques à Paris, ci-devant prieure dudit monastère, âgée de soixante-huit ans et de religion quarante-deux, atteste et certifie pour rendre témoignage à la vérité que la famille de Messieurs de Fontaines d’où est sortie la vénérable Madeleine de Saint Joseph est une des nobles et anciennes de la Touraine. J’ai connu plusieurs parents de cette servante de Dieu et très particulièrement Monsieur de Fontaines, son père, qui s’appelait Antoine du Bois et j’assure que depuis l’année 1604 que j’ai commencé de communiquer avec lui jusqu’en l’année où il mourut (1627) je n’ai rien remarqué ni en sa conversation, ni en la conduite de sa vie qui ne m’ait confirmé en la croyance que j’ai qu’il était un grand serviteur de Dieu, ses paroles étaient pleines de vérité, de vertu et de modestie ; je ne lui ai jamais vu faire [403] ou entendu dire qu’il ait fait aucune action qui ne fût digne d’un très bon et parfait chrétien et d’un homme très religieux ; il visitait souvent les églises et entendait tous les jours la messe et je suis certaine qu’il était grand aumônier [il faisait beaucoup d’aumônes]. Il a fondé notre monastère de Tours et une maison de prêtres de l’Oratoire de Jésus en sa terre de Fontaine pour l’utilité et l’instruction de ses sujets. Je sais qu’il avait un grand amour pour notre mère Madeleine et qu’il fit un si grand sacrifice en se séparant d’elle pour la laisser être religieuse qu’il en fut malade jusqu’au mourir, ce que j’atteste comme l’ayant vu, car je le visitai assez souvent pendant cette maladie et suis témoin de sa vertu. Il ne se contenta pas de donner ses enfants à Dieu, mais il s’y consacra lui-même dans le saint Ordre de prêtrise et, plus de dix ans avant sa mort, il entra dans la congrégation des prêtres de l’Oratoire où il a consommé ses jours dans une sainte retraite et a assisté les pauvres nécessiteux. Il m’a souvent témoigné qu’il n’avait plus d’autre plaisir en la vie que de s’adonner à ses pieux exercices. Je sais que notre [404] Mère Madeleine de Saint Joseph a beaucoup contribué par ses bons conseils à faire embrasser ce saint état à son père.
Je commençai à connaître cette servante de Dieu en l’année 1604 qui fut lorsqu’elle vint à Paris pour être religieuse. Peu de temps après, elle et moi-même entrâmes en ce monastère à trois semaines l’une de l’autre où nous avons demeuré vingt-cinq ou vingt-six ans ensemble et le temps qu’elle en a été absente pour aller fonder notre monastère de Lyon et celui de la Mère de Dieu en cette ville de Paris, j’ai toujours communiqué avec elle par lettres ce qui m’a donné beaucoup de connaissance de ce qu’elle était, joint qu’elle avait particulière confiance en moi. Il faut pourtant que je dise à la plus grande gloire de Dieu et pour rendre la témoignage que je dois à la vertu de cette sienne servante que tout ce que je pourrais dire et ce que les autres rapporteront de ses vertus, ne sera que la moindre partie de ce qui en serait dire parce qu’elle a toute sa vie rendu une très exacte fidélité à l’attrait que Dieu lui avait donné pour être cachée aux yeux de la créature [405] parce que aussi elle a observé dans la conduite de sa vie une grande uniformité et égalité d’esprit qui ne se laissait pas aller à ces saillies de ferveur qui rendent les actions plus visibles, enfin parce que, dans cette conduite toujours égale, ses actions vertueuses étaient si pressées que l’attention de ceux qui les voyaient opérer, ne s’attachait pas tant à discerner ses actions particulières comme à considérer la suite continuelle et la raison d’opération d’actions vertueuses de façon que, pour parler dignement et véritablement de la sainteté de cette grande servante de Dieu, il ne la faut pas prendre par le détail de ses actions, mais en bloc, car on ne saurait parler dignement de sa vertu ni égaler la vérité de ce qu’on pourrait dire à ce qu’elle a fait qu’en disant que toute sa vie a été une constante et continuelle pratique de vertu.
J’ai appris de sa propre bouche que plusieurs années avant d’être religieuse, elle eut par disposition de grâce, un grand éloignement du monde et de la vanité et un si grand désir d’honorer notre Seigneur dans un état d’humilité qu’elle eût penser de passer ses jours dans [406] une vie inconnue demandant l’aumône avec les pauvres qui mendiaient aux portes, mais voyant le libertinage des paroles des pauvres mendiants, cela l’en détourna parce qu’ils étaient éloignés de la sainteté de leur condition. Elle était dans sa jeunesse si soigneuse de vaincre ses répugnances qu’elle ne laissait pas de visiter les pauvres malades en des lieux sales et puants et embrassait de pauvres filles fort sales et gâtées de mal, et elle était si courageuse et pénitente que quoiqu’elle fût fort faible et maladive, elle n’a jamais pu regarder pour elle autre religion que celles où il y avait beaucoup d’austérités comme des feuillantines, des capucines, des carmélites ou bien des filles pénitentes à cause de la confusion qu’elle croyait recevoir en y entrant et qui lui était plus dur que toutes les austérités du monde. Je sais cela de sa propre bouche. Enfin elle se résolut d’être carmélite selon la réforme de Sainte Thérèse. Mais pour exécuter ce dessein, elle eut de grandes oppositions à combattre. Monsieur de Fontaines, son père, fut fort longtemps [407] sans y vouloir consentir par le grand amour qu’il lui portait. M. le Chancelier de Sillery, son oncle, fit ce qu’il pu pour l’en empêcher, mais le plus violent de ses combats, comme elle me l’a confessé, fut celui qu’elle eut de l’appréhension de ne pouvoir observer une règle si austère que celle de notre Ordre à cause de ses infirmités qui à la vérité étaient grandes et continuelles et il lui fallut un merveilleux courage pour passer par-dessus.
Peu de temps après qu’elle fut entrée dans ce monastère, elle tomba gravement malade. Comme la maison était encore fort commençante, Notre Seigneur permit qu’elle fut assez mal secourue ce qui donna sujet à l’esprit malin de lui représenter les soulagements et les viandes qu’elle eut reçus dans la maison de son père et de lui faire beaucoup appréhender les infirmités et l’état de vie austère et pénitente qu’elle embrassait. Mais cette servante de Dieu, ne pouvant souffrir des pensées si lâches, fit vœu de ne point quitter cette sorte de vie où elle avait rencontré la pénitence qu’elle avait tant souhaitée [408]. Son noviciat fut si saint et si parfait qu’elle paraissait une âme toute consommée dans les vertus plutôt qu’une novice commençante. Son obéissance était si exacte que, la regardant de près comme je le faisais, je ne lui ai jamais vu faire un manquement en cette vertu et pour une preuve entre mille autres de son exacte obéissance, il me souvint qu’elle fut une fois un temps notable sans toucher à une dartre vive dont elle était fort travaillée parce que la maîtresse des novices le lui avait défendu, ce qui lui fut une continuelle pratique d’obéissance bien pénible à cause de la grande ardeur et démangeaison qu’elle endurait en cette partie. Elle s’appliquait avec grand soin à tout ce qui regardait la régularité et son esprit était si simple et soumis à tout le monde qu’on n’a jamais trouvé aucune résistance quoiqu’on eût désiré d’elle. Je l’ai vu en tant d’occasions que le nombre m’en confond la mémoire. Elle était si fervente et allait directement à Dieu ne regardant que lui dans toutes ses actions ce qui faisait qu’elle ne rencontrait rien de si difficile ni de si contraire à ses sens en matière [409] d’obéissance qu’elle n’accomplît aisément de façon que dès son noviciat, sa vie et son exemple étaient la règle par laquelle les autres novices pouvaient se régler.
Dieu avait donné à ses paroles un si grand effet de grâce que celles à qui elle parlait se trouvaient beaucoup aidées à s’employer à la perfection de leur vocation.
Elle était très austère et rigoureuse sur elle-même. Il n’y a personne qui puisse dire que dès son entrée en religion jusqu’au dernier moment de sa vie, elle ait fait une action ou dit une seule parole qui ait pu flatter la nature. Elle ne se plaignait jamais de quelque chose qui lui arrivât, il ne lui est jamais échappé de dire par imperfection qu’elle manquât de quelque chose quoique cela arrive souvent dans les infirmités continuelles.
Si on la blâmait de quelque chose comme on a fait quelquefois, toujours à tort, elle ne répondait jamais rien ni pour excuser de ses intentions ni pour défendre son innocence. Enfin je puis dire avec vérité que je n’ai jamais vu une âme qui eut tant de douceur et de tendresse pour le prochain et tant de rigueur pour soi-même.
[410] Cette servante de Dieu, tout le couvent en est témoin, aimait grandement la sainte pauvreté et la pratique de cette vertu lui était si précieuse qu’elle la cherchait pour tout, comme en sa nourriture, en ses habits et petits meubles de sa cellule, aux livres qui étaient à son usage, jusqu’à ses chapelets et aux croix qui y étaient attachées. Ses habits étaient les plus pauvres, elles les rapiéçait elle-même et ne les quittaient jamais qu’ils ne fussent entièrement usés. Elle était si pauvre dans son manger que dans ses longues maladies qui étaient ordinairement accompagnées de grands dégoûts, elle n’usait jamais que de viandes communes. Elle voulait aussi que ses religieuses fussent nourries pauvrement et les portait par son exemple et par les louanges qu’elle donnait à cette vertu à la pratiquer en toutes choses.
Tout ce qu’elle a fait bâtir dans nos monastères a toujours été avec grande simplicité et pauvreté et meublé de même hormis ce qui regardait l’église. Je suis témoin des choses susdites et qu’elle a reçu quantité de filles, les unes pour rien, les autres avec fort peu de dots et qu’elle n’en refusa pas [411] pour leur pauvreté pourvu qu’elle reconnut que leur vocation fut bonne. Et une fois on lui conseilla de retarder la profession d’une novice très riche afin de jouir du revenu de ses grands biens qui, étant notables, eût beaucoup pu accommoder son monastère qui était fort nécessiteux. Mais elle n’en voulu rien faire disant que pour tous les biens de la terre, elle n’eût voulu retarder d’un moment une âme de se sacrifier à Dieu. Enfin je puis dire en très grande vérité qu’elle était si parfaitement désappropriée de toutes choses qu’on n’a jamais aperçu qu’elle eut aucune sorte d’attachement ou d’engagement ou la moindre inclination à quoique ce soit hors de Dieu et de sa grâce.
Elle avait un très sensible amour pour les pauvres et les appelait ses amis. Elle quêtait autant qu’elle pouvait aux personnes de condition pour soigner les pauvres quoiqu’elle eût naturellement une grande répugnance à importuner. Elle m’a dit que souvent elle se faisait effort à demander l’aumône pour les pauvres à des personnes à qui elle savait bien qu’elle ne faisait pas plaisir.
La vertu de chasteté était éminente chez cette servante [412] de Dieu. Je sais qu’elle a passé ses jours en une si grande pureté que je ne saurais douter qu’elle ne possède dans le ciel la couronne d’une parfaite virginité. Le peu de temps que je l’ai vue dans le monde, elle paraissait extrêmement sage et modeste particulièrement dans ses habits. Elle n’a jamais mis ni blanc, ni rouge, ni aucune sorte de fard sur son visage. Elle portait la pudeur sur le front, sa façon était honnête et fort recueillie, son entretien sage et judicieux, sa parole fort agréable, son esprit par disposition de nature si sage et si sérieux qu’elle n’aimait l’entretien que des personnes capables et qui excellaient en quelques sciences. Je sais que son cœur avait un grand éloignement de toutes les créatures sur quoi elle me disait une fois qu’« il lui semblait que son âme était entre le ciel et la terre, ce qui lui causait une incroyable dureté de vie pour le grand détachement que cela faisait en elle ». Elle disait une autre fois « Quand j’entends dire qu’on est consolé ou qu’on affectionne quelque créature, je pense : hélas ! comment cela se peut-il faire, les bons et les mauvais doivent tous mourir et moi comment [413] pourrait mon âme rechercher quelque chose pour la perdre à l’heure même. »
Ce sont là ses propres paroles. Je suis témoin qu’elle a aidé plusieurs âmes à sortir du monde et à rompre les attaches qui les y tenaient arrêtées, qu’elle les avertissait dans l’entretien et par lettres de fuir les engagements et les occasions de péché.
Elle était très attachée à l’observance de la clôture et à ne pas souffrir l’ouverture de la grille.
Enfin cette servante de Dieu m’ayant toujours témoigné une grande ouverture de cœur et m’ayant fait voir le détail de tout le cours de sa vie, je n’ai jamais remarqué qu’il y eût rien d’impur en ses inclinations ni qu’elle ait jamais eu le moindre sentiment d’affection pour personne. Comme « elle n’aimait que Dieu en la créature » comme elle me l’a dit, que quoique ses religieuses l’aimassent avec tendresse, c’était néanmoins sans attache et d’un amour par-dessus les sens. J’ai expérimenté par moi-même que ce qui était de Dieu dans les âmes les inclinait à l’aimer d’un amour spirituel et intime et pour cela [414] celles de qui les inclinations ne se mouvaient que par les sens n’avaient pas grande affection pour elle, car elle ne donnait rien aux sens si ce n’était que quelquefois elle reconnut que les âmes n’avaient pas les dispositions d’être gagnées par d’autre voie et encore lors attirait-elle les sens par l’Esprit de Dieu de façon que ce n’était pas sa douceur et adresse naturelle qui attiraient les âmes, mais la bénignité de Jésus-Christ qui opérait en elle et attirait les âmes à Lui par elle.
Elle avait un si grand respect pour ses supérieurs, une si grande déférence à leurs volontés et à leurs paroles que la voix de Dieu et celle de ses supérieurs lui était une même chose. Elle disait que quand « on lui aurait ordonné de passer sa vie à coudre des feuilles ensemble, qu’elle tiendrait son temps bien employé, le faisant par obéissance et que nous devions être indifférentes à tout ce qu’on nous fait faire. » Elle l’accomplissait, comme elle-même disait, « simplement et sans retour, humblement et sans appréhender le jugement des hommes, généreusement sans intérêt
p. 415 - et sans crainte des difficultés par inclination de son esprit et de ses intentions à Dieu, fermant les yeux à toutes autres considérations. » Je l’ai vu mille fois le pratiquer ainsi et, quoique ses grands talents l’aient tenue une partie de sa vie dans les charges de supérieure, sa vertu n’a pas manqué d’occasions pour ses saintes pratiques. Aussi, disait-elle, « qu’elle n’avait point trouvé que sa charge la priva de la bénédiction de l’obéissance et que sous ombre de commander elle avait souvent obéi. » Et je l’ai vue en diverses sortes de rencontres ou d’affaires où sa charge ne l’obligeait pas à se conduire par elle-même, qu’elle prenait volontiers l’avis des autres et s’y rendant entièrement avouant après en particulier « qu’elle était bien aise d’avoir de semblables occasions qui tenaient sa raison dans la pratique de la sainte soumission et que c’était un des soins que devaient prendre les supérieures parce que, ne trouvant point de résistance, il serait à craindre que leur esprit ne contracta quelque mauvaise habitude contraire à la perfection. » Elle enseignait, par son exemple, l’obéissance
p. 416 — à ses religieuses et leur en faisait comprendre l’importance par la relation spéciale que les âmes chrétiennes, et particulièrement les religieuses, ont à Dieu par cette vertu et que c’est rendre hommage à Dieu que de ne pas obéir seulement à ses commandements, mais aussi à ceux qui nous commandent de sa part. Elle était si obéissante à nos Règles et Constitutions que je l’ai vue refuser généreusement des personnes de haute condition qui tâchait de l’obliger de relâcher quelque chose de la rigueur de nos observances pour leur accorder quelque privilège.
Quant à la dépendance de Dieu qui est la source de la souveraine obéissance et la première règle à la quelle nous devons rapporter toutes nos actions, je puis assurer cette vérité que je n’ai jamais connu une désappropriation si parfaite ni une plus active dépendance de Dieu que celle que j’ai vue en notre Mère Madeleine de Saint Joseph. Je proteste que je ne lui ai jamais rien vu entreprendre qu’en la pure vue de Dieu et de l’annonce de son royaume dans les âmes, que je ne lui ai jamais rien vu [417] commander qu’après avoir consulté l’esprit de Dieu dans l’oraison, que je n’ai jamais découvert qu’elle eut autre espérance, ni appui qu’en la divine Providence et c’est la conduite dans laquelle elle s’est tenue depuis l’année 1604 que j’ai eu la bénédiction de la connaître et d’entrer en religion avec elle jusqu’à l’année 1637 qu’elle passa à l’éternité.
Cette servante de Dieu était si humble que, se voyant proche de faire profession, elle désira d’embrasser la condition de sœur laye et qu’elle supplia Monseigneur de Bérulle, supérieur de notre Ordre, de lui bien vouloir accorder, mais, comme il connaissait les rares talents que Dieu avait mis en elle pour la conduite des âmes et le gouvernement de l’Ordre, l’en refusa et Mademoiselle Acarie à qui elle avait aussi fait la proposition, la dissuada d’insister davantage. Je suis témoin qu’elle a fait profession dans notre monastère le 12ème de novembre 1605 au contentement de [418] nos supérieurs et de toutes les religieuses de cette maison. Elle fit ce sacrifice de soi-même avec tant de disposition qu’elle y reçut des grâces très extraordinaires. Elle m’a dit que « le lendemain de sa profession, en lisant au chœur le chapitre des vêpres : O altitudo divitiarum, Dieu éleva son esprit en la vue des secrets de sa providence divine et la conduite qu’il tenait sur ses créatures, mais particulièrement celle qu’il avait tenue pour la conduire au point où elle était, comme il l’avait soutenue durant son noviciat pendant lequel elle avait été fort durement éprouvée tant par de rigoureuses infirmités du corps comme par de violentes peines d’esprit et par la fureur des esprits malins qui tâchaient à la troubler. »
Je suis témoin que peu après sa profession, les supérieurs lui donnèrent la charge de maîtresse des novices qu’elle accepta avec beaucoup d’humilité et par pure soumission. Elle l’exerça en bénédiction et avec un incroyable avancement du royaume de Dieu dans les âmes. La crainte qu’elle avait de manquer en une charge si importante la tenait toujours devant Dieu pour y [419] implorer son assistance. Elle était si remplie de grâce dans cet emploi qu’elle portait une odeur de sainteté en tout. Ses paroles étaient toutes saintes et élevantes à Dieu et si efficaces qu’elles imprimaient sans difficulté dans les âmes les dispositions telles qu’elle voulait. Elle ne disait rien dont elle ne montra l’exemple par ses actions, car elle était la première dans la pratique de toutes les vertus.
Sa douceur était admirable, car outre qu’elle était naturellement fort douce et charitable, elle l’était encore beaucoup plus par un principe bien plus haut et bien plus saint. J’assure que je l’ai ressentie en moi-même et que je l’ai ouï assurer à plusieurs personnes et qu’on ne la pouvait connaître sans sentir en soi-même impression de sa douceur et de son humilité.
Sa charité pour les âmes et le zèle de leur avancement à la perfection était si pressante qu’elle perdait souvent le manger et le dormir pour satisfaire aux besoins de ses novices et quoiqu’elle fut fort infirme et qu’elle fut travaillée d’un continuel mal [420] de tête auquel le bruit et les continuels entretiens étaient extrêmement contraires. Il n’y a personne qui puisse dire qu’elle se soit jamais plainte, ni qu’il lui soit échappé ni peine ni excuse pour s’en exempter. Cette vérité est connue de toutes les religieuses qui l’ont fréquentée.
Elle ne regardait dans les âmes que le gloire de Dieu et de leur faire rendre à chacune correspondance et fidélité en ce que Dieu demandait d’elles.
Elle avait un grand don de Dieu pour connaître et discerner à quoi chacune d’elles était appelée et les voies par où il fallait les conduire.
Elle pénétrait jusqu’au fond de leurs humeurs et inclinations naturelles et avait admirable adresse pour les séparer d’elles-mêmes et pour les faire aller à Dieu par le chemin de la mortification de la nature et, ce qui était bien remarquable chez elle, c’est que quoiqu’elle fut extrêmement humble, douce et supportante, on ne lui manquait jamais de respect. Dieu avait mis chez elle je ne sais quel air de sainteté qui faisait qu’on ne [421] la pouvait voir sans concevoir de la dévotion et un grand respect pour elle, ce qui ne se perdait jamais quelque fréquentation ou familiarité qu’on eût avec elle. Il n’y a pas une sœur qui ne témoigne de cette vérité.
Les grands talents que Dieu avait mis chez cette sienne servante conduisirent les religieuses de ce monastère de l’élire prieure deux ans et demi après sa profession : ce qui fut fait par le consentement de toutes les voix dont j’étais l’une, le 2ème dimanche d’après Pâques de l’année 1608. Je ne saurais rien dire de la consolation qui s’épancha dans les âmes pour une si heureuse élection, mais le succès surpassa encore de beaucoup nos attentes et fut plus grand que ce que nous avions conçu de son esprit et de sa grâce nous en avait fait espérer.
Pour moi je confesse et assure que je voyais une si grande plénitude de Dieu chez elle que je ne la pouvais regarder qu’avec vénération et grand respect et je me [422] voyais en comparaison d’elle si petite devant Dieu que je n’osais approcher d’elle.
Il parut un si grand renouvellement dans tout le monastère lorsqu’elle y fut faite prieure que je puis dire avec vérité qu’il semblait un paradis tant on voyait de ferveur dans les âmes et de désir de la perfection. C’était à qui serait la plus humble, la plus pénitente, la plus mortifiée, la plus vertueuse, la plus solitaire, la plus charitable, bref à qui serait la plus conforme à l’esprit de Notre Seigneur Jésus Christ et tout cela dans une paix, dans une innocence, dans une exaction et dans une élévation à Dieu qui ne se peut exprimer et cette servante de Dieu était parmi nous comme une règle vivante de laquelle nous pouvions apprendre à devenir saintes comme ont fait plusieurs de ses filles dont Notre Seigneur s’est servi pour étendre notre Ordre et l’esprit de notre mère Sainte Thérèse dans la France, dont plusieurs sont mortes très saintement après avoir donné beaucoup d’édification [423] par leurs vertus et leur sainte vie.
Notre vénérable sœur Marie de l’Incarnation, nommée au monde Mademoiselle Acarie, ayant permission de notre Saint Père d’entrer dan ce monastère avec Mademoiselle de Longueville, notre fondatrice, y passa une semaine quelque temps après que notre Mère Madeleine y fut élue prieure et elle s’appliqua selon le grand talent que Dieu lui avait donné par-dessus sa condition séculière dans laquelle elle était encore, à remarquer de bien près le train de toute la communauté et la conduite de cette servante de Dieu qui en était la prieure et, à ce qu’elle témoigna depuis, elle trouva tant de solides vertus dans la communauté, et la conduite de la prieure si sage et si sainte, qu’elle en était ravie et n’en parlait qu’avec admiration et, à sa sortie, elle disait avec beaucoup de sentiment : vraiment je sors d’avec des Anges, cette maison est un paradis en la terre.
Notre Mère Madeleine avait une forte [424] application à faire goûter les règles et les constitutions et toutes les coutumes et observances de l’Ordre et d’imprimer l’exaction pour toutes ces choses dans les esprits des religieuses, leur représentant que « c’était toutes ordonnances que Dieu avait données et que nous n’en devions rien estimer petit de ce qui vient de cette part » et confirmait par son exemple ce qu’elle nous enseignait de bouche.
Son affection à la régularité trouvait toujours quelque temps parmi ses plus importantes affaires pour les exercices humbles : c’était ceux qui lui étaient le plus agréables comme de balayer les lieux de la communauté, laver les écuelles, travailler au jardin et autres choses semblables.
Elle disait quelquefois sur ce sujet qu’« étant la première en charge, elle devait être la première en l’observance et l’humilité. »
Elle était si ferme en l’observance des règles et constitutions qu’elle refusait librement les privilèges [425] aux grandes dames qui exigeaient d’elle l’ouverture des grilles et l’entrée dans le monastère même à celles qui lui apportaient les permissions de Rome allégeant la liberté que le Saint Siège laisse aux religieuses d’en user ou de ne pas accepter ses privilèges, conservant en ce rencontre le respect qui est dû au Saint Siège. Je sais ces choses comme témoin oculaire, lesquelles sont connues aussi à la plupart de nos sœurs et à plusieurs amis de l’Ordre.
Elle était fort portée aux pénitences et ressentait une grande joie quand elle voyait les religieuses animées de cet esprit, mais elle mesurait leurs forces avec beaucoup de discrétion.
Elle portait puissamment les âmes à la retraire intérieure et à la solitude. Elle disait que « c’était l’esprit de notre sainte Mère Thérèse qui avait prétendu que chaque maison de son ordre fut un ermitage. » Elle nous enseignait comme il fallait vivre avec Jésus Christ et converser avec les Anges. [426] Elle imprimait dans les âmes une grande vénération pour tout ce qui regardait le culte divin et son saint service, une très haute estime pour l’obéissance et un grand respect aux supérieurs comme à ceux à qui Dieu avait commis son autorité sur nous.
Elle avait soin, sur toutes choses, de tenir les esprits dans la paix et dans la tranquillité intérieure et Dieu lui avait donné une grande grâce pour les maintenir en cet état et pour y mettre celles qui n’y étaient pas.
Sur la sagesse de sa conduite et sur les dons que Dieu lui avait fait pour cela, il y aurait des choses infinies à dire. Je sais par les assistances que j’ai reçues d’elle et par ce que j’en ai appris de nos anciennes mères qui sont passées par sa direction, que l’esprit de Dieu nous conduisait par elle. Je n’ai guère eu de recours à elle que je n’ai ressenti les effets de Dieu en moi par l’organe de cette sienne servante.
Ce qu’elle opérait dans les âmes était par un pur [427] esprit de charité, mais charité toute surnaturelle qui lui faisait porter leurs peines et leurs afflictions avec plus de sentiment que les siennes propres, aussi opéraient-ils en elle des effets miraculeux comme je l’ai expérimenté en ma propre personne. J’étais fort travaillée d’une grande migraine et cette servante de Dieu m’étant venue voir, connut à mon visage que la douleur était extrême, ce qui lui fit par compassion mettre sa main sur ma tête et me dit en riant : « Si j’étais sainte, je vous guérirais. » Au même instant, je fus guérie et je sentis mon esprit extraordinairement élevé à Dieu.
J’ai entendu dire d’une de nos sœurs qui était tombée en de grandes peines intérieures dont elle ne pouvait être tirée parce qu’elle n’avait pas facilité de découvrir son mal, dont cette servante de Dieu étant en peine, elle entendit une voix qui lui fit connaître en un moment l’état de cette âme affligée, elle les lui représenta comme si elle eût lu dans son cœur et lui donna de si bons remèdes qu’elle fût sur le champ hors de [428] ses peines et en une liberté d’esprit par laquelle elle fit de notables progrès dans la vertu.
La sainteté de sa conduite consistait proprement à ce qu’elle ne conduisait pas les âmes par la lumière de son propre esprit, mais par celle qu’elle recevait de Dieu en l’oraison. Je dépose de ceci comme de choses que j’ai remarqués en sa conduite et que j’ai appris dans la communication que j’ai eue avec elle.
Toutes celles qui ont eu le bonheur de sa conduite avouent qu’il y avait tant de saintes adresses en sa douceur et une efficace si puissante qu’elles ôtaient la difficulté aux choses les plus austères et qu’il n’y avait rien de si pénible que sa douceur ne rendît facile. Enfin nous n’avons jamais entendu parler d’une âme qui fit tant goûter la suavité du joug de Notre seigneur Jésus Christ.
Dès le commencement que j’ai connu cette servante de Dieu, j’ai remarqué qu’elle avait un parfaitement bon esprit, mais depuis le temps que j’ai demeuré avec [429] elle et la bénédiction que j’ai reçue d’avoir eu beaucoup de part en sa confiance, m’a encore plus particulièrement fait connaître l’étendue de sa capacité et je puis assurer sur ce que j’en ai pu comprendre qu’elle avait l’esprit selon la nature aussi bien fait que je n’en aie jamais connu, mais infiniment meilleur selon la grâce.
Elle avait le sens grand et profond et qui d’abord pénétrait les affaires jusqu’au fond et les démêlait à merveille ; elle avait un grand jugement et qui n’agissait que par de fortes raisons et sur des maximes solides ; elle avait une grande expérience et usait extrême bien du passé pour sa conduite de l’avenir ; elle comprenait les difficultés avec une facilité incroyable ; elle avait l’esprit présent et abondant pour remédier aux fautes et en expédients sur les difficultés qui tranchaient les bons desseins et avec cela si soumise qu’à la moindre parole de ses supérieurs elle quittait toutes ses raisons pour s’abandonner entièrement [430] à leur ordre. Ça a été la conduite de sa vie de laquelle elle ne s’est jamais départie et j’en dépose de science certaine pour l’avoir toujours vu marcher dans cette voie.
Ses conseils étaient fort solides. Elle conseillait toujours ce qui était le plus sûr pour la conscience, disant que ceux qui voulaient se ranger du côté des choses douteuses ne devaient pas venir à elle.
La prudence et tout ensemble la force de son esprit s’est bien fait voir dans les grandes et très fâcheuses affaires de l’Ordre qui sont passées par ses mains dans lesquelles elle a souffert les efforts de très puissants adversaires. Les supérieurs de l’Ordre avec les meilleurs et plus grands esprits de nos amis qui y étaient employés ne faisaient rien que par son avis. Monsieur de Marillac depuis garde des Sceaux de France, l’un des grands personnages de notre temps qui, ayant embrassé fortement nos affaires, avoue qu’il n’avait rien fait en tout cela que par les lumières qu’il avait reçu [431] de cette servante de Dieu.
Je me souviens que dès le commencement que cette servante de Dieu fut religieuse que la grande capacité de son esprit et la sagesse de Dieu chez elle paraissaient déjà avec tant d’éclat que les supérieurs de l’Ordre et Mademoiselle Acarie ne faisaient rien dans ce monastère sans l’avis de cette servante de Dieu quoiqu’elle ne fût que jeune novice et les mères espagnoles se déchargeaient sur elle d’une partie de ses compagnes de noviciat.
Ce n’était point sur les règles de la prudence humaine que notre Mère Madeleine formait sa conduite, mais sur les lumières du ciel et sur les maximes de l’Évangile qu’elle avait toujours bien présentes. Ses desseins étaient conçus sur une très innocente droiture et elle n’avait d’autre vue en ses intentions que la pure gloire de Dieu et l’établissement de son Royaume dans les âmes, aussi n’a-t-elle jamais formé des desseins ni pris de résolution qu’après avoir consulté l’esprit de Dieu dans la [432] prière et cette conduite lui était si ordinaire qu’elle n’y manquait point. Je parle de cette vérité avec aptitude d’observation que j’en ai faite de tant d’années que j’ai été auprès d’elle sans que je l’ai jamais vu manquer à cela.
Ses désirs de souffrir pour Dieu étaient si grands qu’elle a préféré la vie pénible de la terre à la gloire qui lui était offerte ainsi que je l’ai vu dans un billet écrit de sa main plus de vingt ans avant sa mort où elle dit « Il m’a été montré que le degré de gloire que je devais posséder dans l’éternité était arrêté et que, si je voulais maintenant sortir de la terre, il me serait appliqué une grâce conforme à ce degré de gloire sans égard à la longueur ou à la brièveté de ma vie. »
Elle était si pénitente qu’encore qu’il semblât que ses grandes maladies et infirmités habituelles l’eussent dû rendre incapable de ces rigueurs, Dieu lui donnait assez de force et de courage pour en prendre quelquefois au-delà de celles de l’Ordre, comme toutes nos sœurs [433] l’ont vu.
Les nœuds de sa discipline étaient garnis de fil de fer et de rosettes. Elle couchait sur une pauvre paillasse et ne se déshabillait pas la nuit du jeudi au vendredi. Elle était austère en son boire et en son manger et ne refusait jamais les choses malpropres ou mal apprêtées qu’on lui donnait. L’on ne l’entendait pas se plaindre de la rigueur des saisons ni de l’incommodité du temps.
Un de ses soins à l’entrée des âmes au service de Dieu, était de les porter à l’oubli du monde, à la mortification des sens et haine de soi-même. Elle les enseignait de s’unir au Fils de Dieu et à ce qu’il avait souffert pour leur salut et disait que « les âmes ne se relâchaient dans la pénitence que parce qu’elle cessent de regarder Jésus Christ pour se regarder elles-mêmes et s’occuper de leurs misères, que nous ne devons désirer qu’il nous décharge de notre croix, mais qu’il nous aide à la porter. »
La vie de cette servante de Dieu a été une [434] continuelle pénitence tant pas les maladies perpétuelles dont elle a été travaillée dès sa jeunesse jusqu’à sa mort, que par d’autres diverses souffrances : elle avait un continuel mal de tête et cela dès sa jeunesse avec des fluxions en diverses parties de son corps qui la travaillaient extrêmement particulièrement sur les yeux, sur le poumon et sur les jambes, un dégoût perpétuel et au lieu de se plaindre de tous ces maux, elle les dissimulait et les portait avec gaieté et patience admirables, ne voulant point qu’on s’appliquât à lui donner soulagement.
Elle a aussi beaucoup souffert par la malice des démons qui la tourmentaient en diverses manières, tantôt en l’épouvantant par d’effroyables apparitions, d’autres fois par de puissantes impressions de troubles intérieurs qui l’affligeait au mourir.
Notre Seigneur par lui-même imprimait d’autres fois des effets de peines intérieures dans son âme. Un jour elle écrivit à Monseigneur le Cardinal de Bérulle et lui mandait entre autres choses « Dieu m’a [435] mise dans des prisons et dans des liens pour les âmes que vous savez qui sont en de si grands besoins. »
Elle souffrait beaucoup de la crainte des jugements de Dieu par la vue qu’il lui donnait que c’était chose terrible que de paraître devant lui. Je lui demandai un jour quelle était pour lors sa plus grande souffrance, elle me répondit que « c’était la crainte de la mort et des jugements de Dieu et que si Dieu ne l’eût soutenue dans cela que la peine lui en eût été insupportable ».
Je l’ai vu souffrir avec une patience admirable beaucoup de contradictions dans diverses affaires épineuses qu’elle a été obligée de soutenir pour la gloire de Dieu et le bien de notre Ordre ; enfin je l’ai vue surchargée de peines, d’infirmités et d’affaires, mais parmi tout cela l’ayant observée, j’ai remarqué que son esprit ne paraissait jamais si fort que quand la nature était sous le faix.
Elle me dit lorsqu’elle fit profession que « Notre Seigneur lui fit connaître par devant qu’elle prononça [436] ses vœux qu’en la suite de sa vie elle souffrirait beaucoup pour lui. » Ce qui a été véritablement accompli.
Elle a passé une grande partie de sa vie dans de très fâcheuses traverses et persécutions pour la conservation de l’Ordre.
Elle a eu toute sa vie des charges en la religion et dans des emplois traversés de peines et de contradictions. Ceux qui ont connu particulièrement cette servante de Dieu savent qu’elle avait une humilité parfaite produite chez elle par la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ, car, quoique naturellement elle méprisait les sujets de vanité auxquels les personnes de sa condition et de son sexe s’attachent ordinairement, elle ne pouvait néanmoins concevoir un vrai mépris de soi-même et de son esprit qu’elle avait naturellement bon et il n’y eut que l’exemple du Fils de Dieu qui gagna cela sur elle, mais ces saintes paroles « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ” entrèrent si avant dans son âme que depuis qu’elles eurent fait [437] impression dans son esprit, elle a été fort éloignée de la complaisance de soi-même et de toutes vanités. Ce que j’ai observé en sa conduite et de ses fréquentes communications, m’en fait parler avec cette certitude.
Elle ne se servait des dons de Dieu que pour s’élever à lui et les cachait avec beaucoup plus d’humilité que de discernement disant qu’« on devait craindre de les anéantir à force de les considérer et d’en tirer vanité au lieu d’en tirer avantage. »
Elle me dit un jour « Il s’est passé un effet dans mon âme si grand et si puissant que si je m’étais appliquée à le discerner, il m’aurait bien donné sujet de parler huit jours entiers, mais je ne l’ai pas voulu faire laissant à Dieu de juger de tout et pensant en moi-même qu’au jour du jugement on verrait ce qui en avait été. »
J’ai remarqué que plus les grâces divines et les lumières croissaient chez elle, plus ses moindres imperfections se représentaient grandes à ses yeux comme des [438] fautes notables. Elle entrait toujours plus avant dans la créance qu’elle était une grande pécheresse et s’en allait plusieurs fois le jour devant le Très Saint Sacrement pour demander le pardon de ses péchés.
Elle priait les sœurs avec beaucoup d’humilité de lui obtenir le pardon de ses péchés. Elle leur dit une fois : « Ne pensez pas qu’il vaille mieux demander chose plus grande et plus élevée. Si Dieu nous pardonne nos péchés, nous serons dans la véritable élévation étant faits dignes par cette grâce de posséder Notre Seigneur Jésus Christ qui est la seule et souveraine grandeur »
Le grand désir qu’elle avait d’être reprise faisait qu’elle priait quelquefois les religieuses de l’avertir de ses fautes et elle-même s’en accusait au réfectoire avec tant d’exagération et d’humilité qu’il semblait qu’elle se devait enfoncer dans la terre.
Lorsque sa charge l’obligeait de reprendre quelqu’une des religieuses, elle n’usait jamais de paroles de mépris. [439] Elle ne parlait à la communauté qu’avec révérence et respect et comme à ses égales, non pas comme à ses inférieures et elle disait bien souvent « que d’être prieure, c’était être servante des autres et que cette charge ne devait porter qu’humiliation à celle qui y était. »
Elle était si fortement établie dans l’abîme de son néant que ni l’éclat de tant de grandes choses que Dieu a opérées en elle, ni tant de grâces extraordinaires dont il l’avait prévenue, ni même les miracles qu’il a faits par elle, ne l’ont jamais jetée ni dans les sentiments de vanité, ni dans le moindre retour de complaisance. J’ai reconnu cette vérité chez elle parce qu’elle m’a fait assez souvent voir ses dispositions et parce qu’elle dit une fois à la Mère Marie de Saint Bernard de qui je le tiens traitant avec elle de quelques affaires : « Depuis que je suis religieuse, je n’ai jamais pris de satisfaction en moi-même ni penser d’estime de quoi que j’aie fait. » [440] Cette vue continuelle de son néant la rendait très soigneuse à cacher les choses grandes de Dieu qui se passaient dans son âme jusqu’à ce que Notre Seigneur l’en eût reprise comme elle me l’a avoué, de façon que depuis elle les communiquait sans intéresser son humilité lorsqu’elle s’y sentait poussée de Dieu.
Elle aimait tellement d’être cachée que quoiqu’elle fût prieure et qu’en ce temps la reine Marie de Médicis vint quasi toutes les semaines en ce monastère, elle fut plusieurs années avant que la reine la connut particulièrement. Elle me la faisait entretenir et s’éloignait tellement que si la reine ne l’eût recherchée sur ce qu’on lui avait fait entendre de sa sainteté, elle ne l’eût jamais abordée. Toutes nos sœurs en sont témoins.
Elle avait grand soin de cacher ses pénitences et quoiqu’elle se mortifiât en toutes choses, il était bien difficile de découvrir comme elle le faisait.
Elle était fort industrieuse à taire ses vertus cachées [441] et paraître commune et ordinaire en toutes choses.
Pour le dernier temps de sa vie, il parut visible que Dieu la tirait de plus en plus en lui-même, la cachant pour l’ordinaire à ses yeux propres.
Elle lui demandait tous les jours que les grâces que par sa bonté il lui plaisait de lui faire, ne fussent reconnues que de lui seul et nous voyons que d’autant qu’elle augmentait, d’autant plus ce désir aussi augmentait en elle.
Non seulement elle désirait être inconnue et méprisée durant sa vie, mais encore après sa mort. Elle disait « que son corps fut mis sur un fumier si cela eût pu seulement causer une bonne pensée à quelqu’un ou empêcher que Dieu ne fût offensé en la moindre chose. »
Pour empêcher qu’il ne demeurât aucune mémoire d’elle après sa mort, elle retira les lettres qu’elle avait écrites à Monseigneur le Cardinal de Bérulle et les mit au feu comme aussi plusieurs papiers où elle avait [442] marqué quelques-unes des grâces extraordinaires qu’elle avait reçues de Dieu pour lui servir de mémoire.
Son humilité était généreuse qui embrassait les humiliations avec joie. J’aurais beaucoup d’autres choses à dire des exemples et des enseignements que cette servante de Dieu nous a donnés sur cette sainte vertu d’humilité ; mais je les retranche crainte d’être trop longue. Je dirai seulement qu’elle parlait souvent de cette vertu et disait que « l’humilité s’étend très loin et qu’une âme humble ne se plaint jamais de quoi que ce soit. L’âme parfaitement humble, disait-elle, n’a jamais rien contre personne quelque chose qu’on lui fasse non pas même une seule pensée, elle se met et voit au-dessous de tout, elle excuse et estime tout le monde et bien éloignée de condamner ou de reprendre sinon elle-même, n’étant appliquée qu’à ses propres défauts. Que c’est une grande chose, disait-elle, que l’humilité de cœur et qu’il y a peu d’âmes qui l’aient vraiment. »
Elle avait une très grande connaissance [443] de cette vertu et de très claires lumières pour discerner si les âmes étaient véritablement humbles ou seulement en apparence.
Cette servante de Dieu avait une foi très grande et de très excellentes lumières sur les plus hauts mystères de notre religion. Elle nous faisait souvent des entretiens admirables sur les matières de la foi. Il n’y avait rien d’embrouillé en son esprit ni d’ambigu en ses paroles, au contraire les lumières que Dieu avait infusées dans cette sainte âme étaient si nettes et ce qu’elle disait sur les choses de Dieu était si énergique et si communicant qu’elle ne faisait pas seulement connaître les choses, mais il semblait qu’on les vit et qu’on les touchât et avec cette certitude elle imprimait dans nos cœurs une haute estime et une très grande vénération pour Dieu et pour sa sainte parole et pour les mystères de la foi.
Elle avait une continuelle application de son esprit à Dieu et à son admirable présence en tous lieux, qui était [444] la grande règle de ses actions tant extérieures qu’intérieures. Sa dévotion et le respectueux et humble recueillement qu’elle avait en la vue des choses saintes de l’Église étaient admirables et sont des marques très manifestes de sa foi.
Elle me disait souvent que « la foi est un don de Dieu à sa créature par lequel elle avait ce qu’elle ne voit pas, adore cette puissance souveraine et lui rend l’honneur qui lui est dû, que c’est un don très pur et très grand, lequel il faut aussi que l’âme suive avec une très grande et très haute pureté, qu’il faut pour cela qu’elle se sépare des sentiments intérieurs et qu’elle n’en reçoive que l’usage lequel elle en doit tirer pour fortifier cette foi, sur laquelle elle se doit appuyer, quelque lumière ou autre effet qu’elle reçoive d’ailleurs, reconnaissant que cette foi nous est donnée pour un guide qui jamais ne nous défaudra. »
Je pourrais rapporter plusieurs autres belles choses qu’elle nous disait sur la foi dont je me tais parce que ce [445] n’est rien que des paroles auprès de l’esprit qui les animait dans sa bouche et qui nous faisait bien voir que ce qu’elle en disait n’était pas tiré des livres ni étudié, mais que c’était des connaissances que le Saint Esprit lui donnait.
Elle ne parlait jamais des choses de dévotion qu’avec respect et modestie et ne pouvait du tout souffrir ceux qui faisaient le contraire disant que « cela était opposé à la vertu et fort dommageable aux âmes nouvelles dans la piété. »
Sa foi était vive et féconde en bonnes œuvres comme il a paru en la conduite de toute sa vie et elle était ennuyée des dévotions savantes et qui ne se portent pas à la pratique des vertus.
Nous l’avons vue, et moi en particulier, fort affligée par une fausse dévotion qui s’éleva de son temps qui n’ayant que l’orgueil et certaines formes et subtilités pour fondement, jetait les âmes dans la vanité et dans la fainéantise et les éloignait de la [446] pratique des vertus, leur en faisant mépriser l’application qu’on doit avoir à y travailler. Cette servante de Dieu y fit tant par ses soins qu’elle retira quelques personnes de ces erreurs et empêcha quelques autres d’y tomber. J’en pourrais nommer quelques unes si ce que je dois à leur honneur ne m’en empêchait.
Son zèle pour le salut des âmes et pour l’établissement de la foi embrassait tout le monde. Je ne saurais dire ce qu’elle n’a pas fait pour obtenir de Dieu l’humiliation et l’extirpation de l’hérésie en ce royaume et les grandes prières qu’elle a faites pour ce sujet spécialement pendant le siège de La Rochelle. Elle ne partait quasi point de devant Dieu et fit veiller la communauté grand nombre de nuits en prières devant le Très Saint Sacrement.
Elle employait une bonne partie de ses prières durant les dernières années de sa vie, pour la conversion du Royaume d’Angleterre. Ce fut en particulier à cette intention qu’elle établit la dévotion dans ce [447] monastère qui, par la bonté de Dieu, continue encore à présent, d’exposer le Saint Sacrement depuis les 7 heures du jeudi au matin jusqu’au vendredi à la même heure et que les religieuses tour à tour y assistent jour et nuit.
Elle a rendu grande assistance aux pauvres prêtres écoliers anglais et ibérois pour les aider à étudier et se rendre capables d’aller travailler à la conversion de leur nation.
Dieu avait imprimé en cette sainte âme une dévotion particulière pour le peuple du Canada et pour la publication de l’Évangile parmi ces pauvres sauvages. Elle avait une inclination singulière pour les religieux qui étaient envoyés en ce pays-là pour travailler aux fonctions apostoliques. Elle leur écrivit quelques fois. Entre autres elle écrivit une fois au Père Le Jeune, jésuite, qui était en ce pays-là, d’assister des aumônes qu’elle lui avait procurées, une petite fille canadoise que l’esprit malin tourmentait fort, par où l’on découvrit que [448] Dieu lui faisait connaître par des voies extraordinaires, l’état de cette nouvelle chrétienté, car elle écrivit cela en un temps qu’on n’avait point de nouvelles du Canada.
Elle faisait toutes les années des quêtes pour l’entretien de ces nouveaux convertis et de leurs enfants et y contribuait du bien de ce monastère autant qu’il lui était possible.
Une de ses plus pressants désirs était de faire bâtir des églises en ces pays-là. Les pères jésuites lui ayant témoigné qu’un hôpital y était nécessaire, elle persuada Madame la Duchesse d’Aiguillon d’en faire bâtir un et de le renter. Ce qu’elle fit.
On envoya de ce pays-là deux petites filles canadiennes et une jeune femme iroquoise afin qu’ayant été instruites au christianisme, elles puissent servir à l’instruction des autres sauvages. Cette servante de Dieu s’en chargea et les logea avec les tourières de dehors, prit soin de leur instruction et après les fit baptiser avec beaucoup de magnificence. [449] Sa charité embrassait aussi les chrétiens qui vivent parmi les infidèles et spécialement ceux de la Terre Sainte. Leurs nécessités la touchaient jusqu’au cœur et elle faisait des quêtes pour leur soulagement.
Elle ne lassait de prier et de faire prier ses religieuses, disant qu’elles y étaient obligées comme filles de l’Église et d’autant plus qu’elles avaient été assemblées par notre sainte mère Thérèse à cette intention et pour aider les ouvriers qui travaillent à la vigne de Notre Seigneur.
Elle appelait les dévotions de l’Église les grandes dévotions et réglait les siennes par celles-là. Elle les estimait infiniment par-dessus les particulières quand c’eût été des visions et des révélations, disant « qu’encore que les dévotions particulières soient bonnes, ce qui est de l’Église est toujours beaucoup meilleur, que Jésus Christ en est le chef, que le Saint Esprit la gouverne et régit et que en tout nous ne pouvons nous tromper en nous conformant à elle ». [450] Elle portait un grand honneur à la mémoire et aux reliques des saints martyrs parce qu’ils ont répandu leur sang pour soutenir la foi de Jésus Christ et elle disait « qu’il avait fallu une grâce extraordinaire et merveilleusement grande pour exposer leurs corps à tant et de si cruels tourments, qu’ils ont enduré et pour se résoudre à mourir pour des biens qu’ils ne voyaient pas, et ne connaissaient que par la foi ».
Elle disait que « les miracles que Dieu opérait par les saints causaient grande consolation parce qu’ils servaient à réveiller la foi ».
Elle témoignait une grande dévotion au symbole des Apôtres et le disait plusieurs fois le jour et faisait de fort fréquents actes de foi.
Elle ne nous faisait jamais de discours en commun sur les vertus qu’elle ne les appuyât sur l’Évangile et sur la parole de Notre Seigneur qu’elle rapportait si à propos et expliquait si nettement que nous ne pouvions pas douter que le même esprit qui les avait prononcés [451] ne parlât par la bouche de cette servante de Dieu.
Dieu lui fit connaître que tous les mystères de la vie de Jésus Christ sont enclos et enfermés dans celui de l’Eucharistie. C’est pour cela qu’elle nous exhortait et plusieurs autres personnes de ma connaissance, de les y adorer « car ils y sont, disait-elle, compris en sorte que nous n’avons rien perdu des états de sa vie très sainte pour n’avoir pas été dignes de converser avec lui sur la terre ».
Elle a eu en divers temps des apparitions de la sainte Vierge, de divers saints et âmes bienheureuses dans lesquelles elle a eu connaissance de l’état des âmes dans la gloire et plusieurs autres choses touchant la conduite de Notre Seigneur Jésus Christ sur son Église, plusieurs mystères de la foi et sur les desseins de Dieu tant pour des personnes particulières que pour tout notre saint Ordre.
Il me serait difficile d’exprimer la grande espérance que notre mère Madeleine avait en Dieu, mais je [452] suis témoin qu’elle n’a jamais rien entrepris ni exécuté d’important qu’après de longues prières, faisant voir par là que toute sa confiance était en Notre Seigneur. Elle disait « qu’il fallait bien prendre garde que les âmes ne manquassent pas à l’espérance que Dieu veut qu’elles aient de le posséder en l’éternité et que Dieu exige tellement cette espérance de nous qu’il nous y oblige sous peine de péché. Qu’il ne faut rien regarder de ce qu’il y a sur la terre ni pour crainte ni pour assurance, mais chercher en Jésus-Christ seul notre force, notre appui, notre puissance et nous donner tout à lui, le priant que comme il est venu en terre pour élever les âmes au sein de son Père, il daigne tirer les nôtres selon son bon plaisir et son conseil ».
Je sais que dans les affaires de notre Ordre pour nous conserver dans la conduite de nos révérends pères supérieurs dont elle porta quasi tout le poids, sa patience surmonta les montagnes de peines et de difficultés et sa [453] confiance en Dieu, demeura immobile parmi les grands orages.
Il se passa une autre affaire fort fâcheuse de laquelle tout l’orage tomba sur cette servante de Dieu qui demeura durant tout ce temps en une paix si profonde qui naissait de sa grande confiance en Dieu qui faisait que nous ne la pouvions regarder sans l’admirer.
Ses espérances étaient souvent suivies de la Providence de Dieu sur elle qui lui voulait montrer que sa confiance en sa protection n’était point vaine, car il a fait réussir des affaires selon ses désirs contre toute apparence humaine.
Une grande espérance de cette servante de Dieu paraissait lors principalement qu’elle était en la considération des grands biens que Dieu a réservés à ses élus dans la bienheureuse éternité et des promesses qu’il a faites aux âmes de les assister dans le chemin de leur sanctification. La seule pensée du ciel remplissait son âme d’une joie et d’une consolation si abondante qu’elle s’épandait sur [454] ses infirmités et lui rendait douces les afflictions les plus amères. « Or sus, disait-elle sur le sujet de ses plus fâcheuses maladies et infirmités habituelles, toutes les misères de la vie passeront et puis nous irons dans ce beau pays de l’éternité où il n’y a ni pleurs, ni douleurs, ni gémissements et où nous posséderons tous les biens dans l’unité du Souverain Bien. Elle avait aussi fréquemment ces paroles pour se consoler de ses maux : « Béni soit Dieu qui réparera toutes nos misères. » Je lui ai fort souvent entendu faire ces discours et d’autres que je ne saurais rapporter non plus que la ferveur de laquelle elle les animait. Je dirai seulement ce que j’ai très souvent expérimenté en moi-même que quand elle était dans le discours de l’éternité et du bonheur des âmes que Dieu y attire par le chemin de la croix et du renoncement à soi-même et à toutes les créatures, j’en ai reçu de grandes aides pour suivre Notre Seigneur sur le chemin de la sanctification.
Un jour de Pâques elle me dit sortant d’un [455] ermitage dédié à la sainte Vierge « que si les âmes savaient ce que c’est que la gloire, elles ne pourraient s’empêcher de la désirer d’un grand désir tant c’est une chose si belle et admirable et ce qui fait que l’on ne la désire pas, c’est qu’on ne la connaît point. » Elle parlait de cela avec une disposition qui faisait bien connaître qu’elle avait reçu de Dieu ce jour-là quelque lumière bien particulière sur ce mystère.
Cette servante de Dieu m’a souvent fait connaître qu’elle n’avait point de plus grand désir que d’être unie à Jésus Christ et que sa grande et singulière dévotion était à la vie à la mort, aux mystères de Jésus Christ et à tout ce qu’il est en tant que Dieu est homme. Elle en parlait avec tant de ferveur que nous la considérions comme un séraphin qui, par l’ardeur de son amour et par la lumière divine, pénétrait si avant dans la profondeur des mystères qu’elle ne laissait rien passer qui regardât Jésus Christ sans s’y appliquer par amour et par adoration [456] continuelle, car elle honorait tout ce qui appartenait à Notre Seigneur quelque petit qu’il pût être. Ses paroles, ses actions, les mouvements de son cœur, ses pensées, ses désirs, les lieux où il avait été, ses pas et les vestiges de ses pieds, les choses qui lui avaient servi et celles qu’il avait touchées. Enfin il n’y avait rien où elle ne trouvât moyen de lui rendre hommage.
Une fois qu’elle me parlait de ses dispositions et de quelques effets de l’amour de Dieu qui se passaient en son âme, ce qu’elle me dit me parut si beau que je le mis par écrit pour n’en pas perdre la mémoire. En voici les propres termes : “Je ne puis dire combien ce que je sens est éloigné de toutes mes paroles, les opérations de Dieu en nom âme sont si intimes et l’amour, au moins ce que j’appelle ainsi, est si secret que je dis quelquefois : Amour vu que vous êtes si puissant, comment opérez-vous avec si peu de bruit ? Comment êtes-vous si caché ? Comment est-ce qu’on ne peut vous nommer ? Sinon que vous-même formez [457] dans l’âme ce nom d’amour sans qu’elle ait autre connaissance, car il la laisse bien peu parler parce qu’il fait qu’elle meure et il me semble que sans cesse mon être ne fasse autre chose et que tout me serve à cela c’est-à-dire à mourir.” J’ai su de sa propre bouche que sainte Marie-Madeleine lui apparut en notre monastère de Lyon et lui fit entendre qu’elle lui donnait part en son amour en Jésus. Elle me dit aussi « que cette sainte lui avait fait connaître que l’esprit malin par la haine qu’il porte à cet unique et véritable amour contrefait mille sortes de faux amours dans la monde pour le détruire. »
J’étais une fois en prière pour elle devant le Très Saint Sacrement dans le chœur de ce monastère, j’entendis une voix qui me dit en paroles distinctes et intelligibles : « Cette âme est appelée à un amour séraphique, elle peut le perdre. Mais elle y est appelée. Ayez soin de prier et de faire prier pour elle, car elle porte de grandes épreuves. » [458] Elle-même m’a fait connaître qu’« elle avait une dévotion très particulière à l’ordre des Séraphins » ce qui me confirme dans la croyance qu’elle avait participation à l’amour de ces esprits bienheureux.
Je puis rendre témoignage que, quoique cette servante de Dieu ait un cœur naturellement doux et affectif et une âme la plus reconnaissante que j’aie vue, parmi tout cela depuis le premier moment que j’ai eu la bénédiction de la connaître jusqu’au dernier de sa vie, je ne l’ai jamais vue attachée à chose aucune que par une très pure, très sainte et très parfaite charité et par une très simple vue de Dieu. Elle a eu toujours une très grande charité pour toutes sortes de personnes spécialement pour les pauvres nécessiteux et un très grand soin de pourvoir à leurs besoins sans en vouloir éconduire aucun, disant que “elle aimait mieux donner à quelqu’un qui n’avait pas nécessité que de manquer à ceux [459] qui en avaient”.
En l’année 1631, il y eut une grande cherté à Paris. Elle nourrit un grand nombre de pauvres, elle fit augmenter le pain qu’on donnait à l’ordinaire à chaque pauvre et eut soin qu’on le fît meilleur et ne voulût pas que, pour cela, on refusa aucun de ceux qui viendraient demander hors de la distribution commune.
Elle était la mère commune des pauvres de ce faubourg et une des tourières du dehors avait charge de les visiter, de reconnaître leurs besoins et d’en rendre compte tous les jours à cette servante de Dieu qui redoublait ses soins pour eux à mesure que leurs nécessités étaient plus grandes. Quand elle savait qu’ils étaient malades, elle leur faisait faire des bouillons, elle leur envoyait des confitures, des matelas, de l’argent et de tout ce qu’elle pouvait. Elle leur donnait si libéralement que les charités qu’elle quêtait et recevait de dehors pour [460] leur distribuer avec ce qu’elle prenait au monastère n’étaient point pour faire les continuelles aumônes qu’elle faisait.
Lorsque les pauvres étaient en danger de mort, elle avait soin de les faire confesser, administrer les sacrements et préparer à bien mourir.
J’ai remarqué chez elle un talent très extraordinaire pour la consolation des affligés parce que, outre la grande compassion qu’elle avait par laquelle prenant part à la peine du prochain il semblait qu’elle partageait l’affliction avec lui et l’en déchargeait d’autant, on sentait en son entretien un certain effet de grâce qui élevait les âmes à Dieu et leur faisait connaître et estimer ce que vaut la croix quand elle se porte avec celle de Notre Seigneur Jésus Christ. J’ai connu plusieurs personnes de diverses conditions qui ont reçu beaucoup d’assistance et de consolation de cette servante de Dieu en leurs afflictions. [461] Sa charité était si générale que je puis assurer qu’il n’y a âge ni condition de personnes à qui cette servante de Dieu n’ait servi autant qu’elle ait pu pour les attirer à la connaissance et au service de Dieu. Je lui ai vu donner de très saintes et très belles instructions à la reine Marie de Médicis, à la reine qui est aujourd’hui régente, à Mesdames, filles de France, et depuis reines d’Espagne, d’Angleterre et duchesse de Savoie. Elle a fait le même à plusieurs autres princesses de ce royaume. Enfin depuis les plus grands jusqu’aux plus petits et jusqu’aux enfants, elle s’appliquait à les faire aimer et servir Notre Seigneur selon leur condition et la portée de leur âge.
Elle retira une fois une fille d’entre les mains de sa mère qui la voulait vendre pour avoir de quoi vivre, la mit pensionnaire aux Ursulines où depuis elle est demeurée religieuse et cette servante de Dieu quêta sa pension et sa dot avec une grande joie [462] d’avoir tiré cette âme d’un si évident danger. La mère irritée de ce qu’on lui avait ôté sa fille, vint en ce monastère dire mille injures à notre mère Madeleine qui parla si efficacement à cette pauvre femme qu’elle s’en retourna toute adoucie et lui promit de s’amender.
Elle avait un soin, pour toutes les sœurs, qui n’est point imaginable principalement quand elles étaient malades notablement. Elle n’oubliait rien de ce qu’elle voyait les pouvoir soulager ou adoucir leur mal. Elle les visitait souvent oubliant elle-même ses propres infirmités et sa faiblesse. Je me souviens que quoiqu’elle fut accablée de mal et eut peine à se soutenir, elle ne laissait pas pour cela d’aider à marcher une sœur paralytique pour lui faire faire 3 ou 4 pas en quoi elle seule réussissait mieux que les plus fortes du couvent.
Elle ne regardait que Dieu dans la charité et la plus pressante nécessité sans s’arrêter à la condition [463] des personnes. Et j’ai souvent remarqué qu’elle s’appliquait aux sœurs laies comme aux premières du monastère selon le besoin de chacune.
Elle avait une dévotion très particulière à la douceur de Notre Seigneur Jésus Christ conversant avec les hommes et j’ai remarqué assez souvent qu’étant occupée en des affaires importantes, elle recevait avec une douceur incomparable les religieuses qui la venaient interrompre pour des choses assez petites : elle s’appliquait à les écouter et leur répondre et à satisfaire à leur esprit avec autant de douceur et de paix comme si elle n’eût rien à faire ; aussi ne voyait-elle pas qu’il n’y eût rien de si important en la vie après ce que nous devons à Dieu, comme de donner la paix et la satisfaction à l’esprit du prochain.
Sa charité était supportante et elle avait un grand soin de pratiquer une sainte maxime que je lui ai souvent ouï dire “qu’il fallait supporter en toutes sortes de personnes ce qu’il y avait en elle [464] de plus pénible et plus fâcheux et se si bien comporter avec toutes que personne n’eût rien à souffrir de nous.”
Elle nous disait « que ce n’est pas dans les sens que la charité habite, mais dans le cœur, que la charité n’arrête sa vue qu’en Dieu et que par conséquent nous ne devons considérer les unes dans les autres que ce que Dieu y a mis, qui est la vertu et la grâce. »
Je sais qu’elle a fait de si grandes prières pour obtenir cette grâce que Dieu lui a accordée, comme il a paru en toutes rencontres.
Sa charité était tellement généreuse que rien ne lui semblait difficile particulièrement là où il y allait de l’honneur de Dieu et du salut des âmes. Elle vainquait pour cela toutes sortes de peines et ne se lassait jamais.
Cette servante de Dieu avait grande dévotion à la décoration des églises et à l’embellissement des autels. Tout ce qu’il y a d’enrichissement à l’église de céans, les beaux tableaux, les peintures et dorures, les riches ornements d’autel est le fruit de sa piété. C’est elle [465] aussi qui a fait réparer la chapelle de la Vierge qui est au-dessous le grand autel de l’église de céans où Dieu a fait anciennement un grand nombre de miracles. C’est elle qui l’a fait mettre en l’état où elle est et qui a réveillé la dévotion du peuple qui y accourt et y fait dire un bon nombre de messes à l’autel de la sainte Vierge devant lequel il y a une lampe d’argent allumée depuis plusieurs ans.
Elle avait une grande dévotion pour les saints Lieux que Notre Seigneur Jésus Christ et sa sainte Mère ont sanctifié par leur présence et auxquels ont été opéré les grands mystères de notre rédemption et disait assez souvent que « si sa condition religieuse lui eût permis de sortir, elle eut employé une grande partie de sa vie à cette sorte de voyage ; elle les faisait en esprit. »
Elle honorait fort les lieux où reposent les corps des saints et principalement ceux qui sont en plus grande vénération dans l’église. [466] Elle vénérait aussi beaucoup tous les lieux où la sainte Vierge s’est manifestée par quelques miracles et y envoyait des aumônes pour y faire dire des messes.
Elle avait une grande vénération pour les sacrements de l’Église et les regardait comme les canaux par lesquels le Fils de Dieu verse son sang sur son Église et ses grâces dans les âmes. Elle nous a quelques fois entretenues sur le sacrement du Baptême et sur l’effet qu’il produit dans les âmes nous en disant chose admirable.
Elle a toujours fait paraître combien elle estimait le sacrement de la Confession par le soin qu’elle prenait de le recevoir souvent et celui de l’Extrême Onction, le faisant donner soigneusement aux malades qu’elle savait en danger de mort.
Quand il entrait céans des novices qui n’avaient pas reçu le don de la Confirmation, je suis témoin qu’elle avait grand soin de leur faire recevoir et [467] leur faire connaître la dignité et l’importance de ce sacrement, les effets qu’il produit dans les âmes et les dispositions qu’il faut y apporter.
Pour le Très Saint Sacrement de l’autel, c’était l’objet le plus ordinaire de la dévotion de cette servante de Dieu et de ses adorations et c’était l’occupation la plus forte de son intérieur. C’était tout son recours en ses nécessités, c’était là d’où elle tirait toute la force en la tentation et toutes ses consolations en ses peines et afflictions et pour tout dire j’avoue pour la longue connaissance que j’ai de cette servante de Dieu que si elle a eu quelque sentiment de piété — comme elle en a eu de très grands et très signalés, ce qui en a paru en toutes les autres choses saintes — n’est rien auprès de ce qu’elle a témoigné à l’endroit de ce divin sacrement.
Elle avait les indulgences en grande vénération [468] et grand soin de les gagner. Elle portait avec beaucoup de dévotion les chapelets et les médailles bénites pour les gagner. Nous l’avons toutes vue en une dévotion très particulière aux Jubilés qui ont été de son temps et en de grandes applications à se disposer pour participer à ces grâces et pour en faire usage. Elle nous disait « que comme les saints nous communiquent l’esprit et la grâce du Fils de Dieu, les indulgences nous en appliquent ces satisfactions ; que la sainte Église qui garde en ses trésors ces inestimables richesses en tire de temps en temps pour nous en enrichir ; qu’il n’y a rien en Jésus qui ne nous doit être en vénération singulière et à quoi nous ne devons souhaiter de prendre part. » Elle avait aussi grande estime de l’eau bénite et en prenait plusieurs fois le jour.
Sa charité pour les âmes du Purgatoire était très grande et particulière. Elle avait un grand soin d’insinuer cette dévotion dans les âmes. Quand [469] on apprenait la mort de quelqu’un, elle voulait que d’abord on se mît en prière pour son âme sans s’amuser de s’enquérir des causes ou des accidents de sa maladie.
Cette grande charité mérita qu’elle eût la connaissance de l’état de plusieurs âmes qui étaient sorties de cette vie : les unes qui la priaient de les secourir, les autres en reconnaissance du secours qu’elle leur avait rendu se faisaient voir à elle en l’état de la gloire qu’elles possédaient. Elle m’en a nommé plusieurs qui lui ont apparu.
Elle récitait l’office divin avec grande dévotion et disait « que nous devions beaucoup peser et reconnaître le grand avantage que nous avions d’être appelées à faire en la terre l’office des Anges dans le ciel. »
Quoiqu’elle eût en vénération toutes les cérémonies et les observances de l’Église, il n’y en avait point qui la touchât si fortement et qui réveillait sa ferveur comme celles de la Semaine sainte et celle de la [470] très sainte Messe. Elle ne s’y appliquait jamais qu’elle n’entrât dans les sentiments particuliers de dévotion sur les divines opérations du Fils de Dieu qui nous sont si saintement et si vivement représentées par ces sacrées cérémonies, et ne pouvait pas s’imaginer comme le monde négligeait des choses si saintes pour passer son temps comme il le fait à des choses si vaines comme sont celles de la vie.
Notre mère Madeleine de Saint Joseph a toujours eu un grand respect pour notre saint Père le Pape. Il ne venait rien de sa part qu’elle ne reçût avec honneur et profonde soumission. Elle considérait en lui la qualité de Vicaire de Jésus-Christ en terre et de chef ici de la sainte Église catholique, ce qui imprimait chez elle grand amour et estime et elle ne parlait jamais de lui qu’avec une grande révérence.
Notre Saint Père le Pape Urbain VIII ayant donné à ce monastère les indulgences des sept [471] autels de Saint Pierre de Rome, et une autre fois qu’il donna l’indulgence plénière à l’heure de la mort pour toutes les religieuses qui étaient lors en ce monastère, elle reçut ces grâces du Saint Siège avec plus de joie que si on lui eût donné tous les trésors de la terre.
Elle honorait les décrets du Saint Siège et des Conciles comme la parole de Dieu. Elle avait aussi en très particulière vénération le Saint Concile de Trente. Je lui en ai quelques fois ouï rapporter quelque point qu’elle en avait appris.
Lorsque Monsieur le cardinal Barbarin vint légat en France du temps du Pape Urbain VIII, elle le fit supplier de venir donner sa bénédiction à cette communauté, qu’elle reçut avec grande consolation et respect.
Elle a toujours rendu de très grands respects à Messieurs les Nonces, tenait à grand bonheur [472] quand ils lui faisaient la grâce de venir dire la Sainte Messe dans notre église, communier la communauté de leurs mains aux fêtes solennelles et lui donner la bénédiction.
Elle respectait aussi beaucoup Messieurs les Évêques, leur parlait avec une profonde révérence et recevait leur bénédiction avec grande humilité comme je l’ai vu en plusieurs rencontres.
Elle avait en très grande vénération la dignité sacerdotale et respectait comme des Anges ceux que Dieu y avait appelés. Lorsqu’il paraissait en eux quelques défauts, elle avait grand soin de les couvrir. Elle recommandait soigneusement de prier pour eux afin que Dieu fut honoré en eux et qu’il les rendit dignes de leur ministère. Elle avait un grand respect pour les prédicateurs et voulait qu’on les honorât comme venant de la part de Dieu et annonçant sa sainte Parole. Elle ne [473] pouvait souffrir qu’on n’en parlât qu’avec respect. Elle prenait la liberté de reprendre les plus grandes dames quand elle les entendait parler avec peu de dévotion et estime des sermons et des prédicateurs.
Je lui ai souvent ouï parler de la condition religieuse avec une grande estime et vénération. Elle témoignait une grande joie quand quelques personnes l’embrassaient et disait sur ce sujet que « la grâce de la religion était si grande qu’on n’en reconnaîtrait la grandeur que dans le ciel, que c’était vivre ici-bas de la vie des Anges en pureté et sainteté et en élévation continuelle vers Dieu. »
C’est dans cette vue qu’elle rendait tant de respect à toutes les religieuses même à celles dont elle était la supérieure, qu’elle ne leur parlait jamais qu’avec douceur et humilité.
C’est aussi pour cela, qu’encore qu’elle ait beaucoup d’humilité en toutes choses et beaucoup de déférence pour les puissants de la terre, c’était toujours sans [474] souffrir aucune sorte d’avilissement en la condition religieuse qu’elle voulait que tout le monde honorât. Elle reprit une fois une religieuse de ce monastère de ce qu’elle se familiarisait trop avec une princesse encore enfant et de quoi elle souffrait qu’elle lui donnât de petits soufflets en se jouant parce qu’elle ne trouvait pas cette action assez respectueuse.
Notre Mère Madeleine avait une très grande dévotion aux saints et un grands recours et confiance en leur intercession. Et il y en avait entre autres quelques-uns vers qui sa dévotion était plus particulière comme les Saints Apôtres, saint Joseph, sainte Madeleine, saint Jean Baptiste, saint Michel, notre Mère sainte Thérèse étaient des premières et ensuite quelques autres que je serais trop longue à nommer.
Elle révérait beaucoup les images de Notre Seigneur, de la sainte Vierge et des saints et fit faire quantité de tableaux qui les représentaient. Elle [475] les fit mettre par tous les endroits de ce monastère pour exciter la dévotion et en visitait grand nombre tous les jours.
Sa dévotion envers la sainte Vierge était très grande et extraordinaire. Il me serait difficile de la pouvoir exprimer. Elle en parlait souvent à toutes les religieuses et disait que « nous devions avoir soin de regarder et honorer la sainte Vierge en tous les mystères du Fils de Dieu et de joindre nos honneurs à ceux qu’elle rendait à son Fils. »
Elle disait aussi qu’« elle honorait tous les jours une des grandeurs de la sainte Vierge, lui demandant quelques-unes de ses vertus et qu’elle lui donnât son Fils. »
Elle faisait ordinairement recourir à la sainte Vierge pour tous les besoins des personnes qui se recommandaient à nos prières.
Elle exhortait les prieures et les maîtresses des novices de l’Ordre de porter fortement les âmes à [476] cette dévotion de la sainte Vierge et disait que « c’était un des plus grands privilèges de l’Ordre d’avoir pour patronne, pour mère et pour maîtresse la mère du Fils de Dieu et que cela nous obligeait d’avoir un regard très spécial vers elle. »
Elle fut cause que le Père Gibieuf écrivit le livre des grandeurs de la sainte Vierge.
Sa vénération pour les saintes reliques était très grande. Elle en portait sur elle avec beaucoup de respect et de dévotion. Elle recevait une grande joie lorsqu’on lui en donnait, mais sur la fin de sa vie, sa dévotion s’accrut si fort et le désir d’enrichir ce monastère de ces saints trésors, qu’elle n’a rien oublié pour en amasser de tous côtés. Et Notre Seigneur a tellement béni son travail qu’elle en a eu un grand nombre de très belles et fort assurées que la reine Marie de Médicis, la reine à présent régente, la feue reine d’Espagne, plusieurs princesses, prélats et autres personnes de condition [477] lui ont données. Elle les faisait enchâsser fort richement et placer très décemment ainsi qu’il se peut voir dans ce monastère et avait grand soin de les faire vénérer par les religieuses.
Une de ses grandes dévotions — comme elle nous l’a témoigné assez souvent — était d’aller plusieurs fois le jour devant le Saint Sacrement pour rendre honneur à la demeure que Notre Seigneur y a fait parmi nous, pour se lier à l’adoration qu’il rend à son Père et pour y honorer sa très sainte Passion et pour satisfaire à une des grandes obligations des religieuses qui est de suppléer au peu d’amour et d’adoration que les hommes rendent à la Croix et à la mort de Notre Seigneur Jésus Christ.
Depuis qu’elle fut la première fois prieure de ce monastère, Monseigneur le cardinal de Bérulle lui ordonna de communier tous les jours, ce qu’elle faisait avec beaucoup de dévotion.
Sa dévotion au Saint Sacrifice de la Messe était [478] très grande et elle nous recommandait sur toutes choses de nous appliquer à ce qui se fait en cet adorable sacrifice comme à chose grande et importante « qu’il faut tout quitter pour cela, que nous nous devions souvenir que c’est Jésus Christ qui nous appelle à son sacrifice et que, quand on perd la grâce qu’il y eût donnée, on perd beaucoup plus qu’on ne saurait gagner par toutes les meilleures choses que l’on pourrait avoir en la vie et qu’elle estimait beaucoup plus le don que Notre Seigneur nous fait dans le Saint Sacrement que toutes les grâces extraordinaires et les lumières les plus élevées. »
Cette servante de Dieu employait tous les jours plusieurs heures en oraison mentale et je puis dire selon la connaissance qu’elle m’a donné de son intérieur que sa manière d’oraison était une union de tout ce qu’elle était à la personne sainte de Notre Seigneur Jésus Christ.
Je la voyais souvent avec des effets de Dieu si [479] puissants qu’ils étaient capables de mettre en extase une âme moins forte que la sienne. .Les grands et continuels emplois qu’elle avait, ne séparaient point son esprit de l’application à Dieu. Et quoi qu’elle apportât grand soin à tenir caché les choses grandes et extraordinaires qui se passaient en elle, on ne pouvait pas beaucoup converser avec elle qu’on ne reconnût bien facilement qu’il se passait quelque chose de grand en son âme. J’en parle en témoin de vue.
À mesure que cette servante de Dieu avançait en âge, elle s’adonnait avec plus d’assiduité à ce saint exercice de l’oraison de façon que les dernières années de sa vie on ne la trouvait quasi plus qu’au chœur devant le Saint Sacrement, ce qui est si vrai que les sœurs avaient peine de trouver le temps de balayer le chœur tant elle s’y rendait assidue. Elle disait elle-même qu’« elle savait faire état de patience et de prières et que ses infirmités qui allaient accroissant l’obligeaient à recourir à Dieu [480] avec plus de soin que par le passé. »
Elle disait que « l’esprit malin faisait tous ses efforts pour détourner les âmes de la prière sachant bien que ce sont les armes que Dieu nous donnait pour nous défendre et pour le vaincre. »
Elle disait aussi que « l’opinion qu’avaient certaines personnes que ceux qui ont facilité de s’appliquer à Dieu en tout temps et en tous lieux, n’avaient nécessité de beaucoup prendre de temps pour faire oraison, était une grande erreur puisque Notre Seigneur Jésus Christ qui était toujours en une si haute contemplation ne laissait pas de prendre du temps et de se retirer les nuits pour prier Dieu, son Père, ainsi que le rapporte l’Évangile. »
Elle disait que « pour obtenir de Dieu ce qu’on lui demandait, il fallait accompagner notre prière de grande humilité, qu’il y avait peu d’âmes dignes de demander et d’obtenir parce qu’il y en avait peu de vraiment humbles ». Sa façon en la prière [481] était fort simple, humble et attentive et pleine de révérence.
Cette servante de Dieu était souvent élevée en une très haute contemplation et elle avait des communications et apparitions de Notre Seigneur, de la sainte Vierge, de son bon Ange, de sainte Madeleine, de sainte Blandine et autres saints et de plusieurs âmes bienheureuses et elle m’a fait connaître que ses visions et apparitions lui étaient si communes qu’elle ne s’en étonnait, ni émouvait nullement.
Elle m’a aussi fait connaître que l’application à la personne sainte de Notre Seigneur Jésus Christ a été la plus ordinaire et la plus constante disposition de sa vie, qu’elle avait une très particulière application à l’état du Fils de Dieu incarné et sa première oblation à Dieu son Père et à son état d’adoration et d’immolation au Très Saint Sacrement sur quoi elle a eu de très grandes lumières. [482] Sa grande capacité était la cause qu’on la consultait souvent sur l’oraison et sur les dispositions intérieures. À quoi elle répondait toujours par des avis qui tendaient à la pratique des vertus chrétiennes.
Je l’ai toujours vue fort difficile à asseoir jugement sur des voies extraordinaires, disant qu’« il fallait des années pour les considérer et examiner. » Elle éprouvait beaucoup les âmes qui étaient en ces voies et désirait surtout que la vertu égalât les lumières en elles.
Elle faisait bien plus d’estime de la solide vertu que de plusieurs visions ou révélations parce que, disait-elle « l’âme se pouvait bien perdre dans ces dons extraordinaires, s’ils ne sont accompagnés d’une grande humilité, mortification et soumission d’esprit. »
J’ai reconnu en plusieurs choses que cette servante de Dieu avait le don de prophétie dont je ne rapporterai que quelques-unes pour éviter la longueur. Elle m’assura une fois de la mort d’un gentilhomme [483] qui avait été tué bien loin d’ici et qu’elle avait apprise par des voies extraordinaires, Dieu lui ayant révélé.
Elle disait fort souvent que « les malheurs des guerres présentes étaient causés par les irrévérences que l’on commet vers la personne sainte de Notre Seigneur Jésus Christ. » J’ai cru que ce qu’elle en disait venait d’une connaissance surnaturelle.
Cette servante de Dieu a su le temps de sa mort plusieurs années avant qu’elle fut arrivée. Et une fois je la suppliai de me dire combien elle pensait vivre, elle me répondit environ soixante ans, ce qui est ainsi arrivé.
Le même jour qu’elle revint de notre second monastère de Paris pour être la deuxième fois prieure en celui-ci, elle me dit que Dieu lui avait montré clairement que ce serait sa dernière charge et qu’elle avait encore un peu de temps pour se disposer à la mort, ce qui a été véritable, car elle a été deux ans hors de charge devant sa mort. [484] Un an avant son décès, elle écrivit à la Mère Marguerite de Saint-Élie qui était fort malade en notre second couvent de cette ville, qu’« elle ne mourrait pas de cette maladie, au contraire que c’était elle qui mourrait la première. » Ce qui fut ainsi, car la Mère Marguerite de Saint-Élie survécut huit jours cette servante de Dieu.
Je suis aussi très certaine que notre Mère Madeleine avait en un haut degré le discernement des esprits. Je me souviens que lorsqu’elle était prieure en ce monastère, sur le jugement que l’on faisait de la différente capacité de deux de ses religieuses pour la conduite, elle dit à la personne qui faisait le jugement que « quand celle qu’on estimait le plus serait en charge, on y découvrirait des défauts qui n’avaient pas paru jusqu’alors et au contraire on découvrirait parmi les charges en celle qu’on estimait le moins des perfections qu’on n’y avait pas remarquées auparavant. » Le temps vérifia ses paroles et comment les autres s’étaient méprises au jugement de ces deux religieuses. [485] La conduite qu’elle a tenue à la réception de plusieurs religieuses a bien fait voir qu’elle agissait par d’autres lumières que celles de la prudence naturelle. Elle reçut entre autres une jeune dame, veuve du comte de Bury, laquelle était d’une complexion si délicate, si faible et si infirme que les médecins ne jugeaient pas qu’elle dut vivre longtemps ni qu’elle put en aucune façon garder aucune des austérités de notre règle. Elle la reçut non seulement pour être du chœur, mais pour être sœur laie qui est une condition bien plus pénible et laborieuse. Dieu fit un si grand changement en cette dame que dès lors et toujours depuis elle a eu assez de santé et de force pour garder la règle et pour la charger de la cuisine. J’aurais beaucoup d’autres preuves à donner que je tais pour éviter la longueur.
Je dirai seulement que par la lumière que Dieu [486] lui donnait, elle connaissait des choses très cachées dans les âmes. Il y en a plusieurs de celles-ci qui ont été sous sa conduite, qui m’ont témoigné qu’elle leur parlait des dispositions de leur intérieur et leur en représentait l’état comme si elle eût lu dans leurs âmes et qu’elle avait un grand don de Dieu pour débrouiller les esprits qui, par défaut de lumière, ne pouvaient pas se découvrir.
J’assure que la vie de cette servante de Dieu depuis qu’elle a été religieuse a été une préparation continuelle à mourir comme elle a fait de la mort des saints. La pensée de la mort lui était fort présente dès ses premières années et l’appréhension des jugements de Dieu qui lui a toujours continué comme elle me l’a fait connaître diverses fois. J’ai cru et avec beaucoup de raison que cette pénible appréhension de la mort était un effet de la grâce et non de faiblesse de nature. Et que comme le mystère de la passion de Notre Seigneur Jésus Christ avait [487] toujours été l’objet principal de ses dévotions, que Notre seigneur par opération de grâce en elle lui faisait boire en son calice et participer à l’état pénible de son agonie et aux dispositions avec lesquelles il portait la fâcheuse vue de la mort.
Elle fut quinze jours malade de la maladie dont elle est morte pendant lesquels elle fut tous les matins communier au chœur et y passait plusieurs heures tous ces jours nonobstant l’extrémité de son mal.
Trois jours devant sa mort elle désira aller visiter un ermitage dédié au mystère de l’Incarnation qui est dans le fond du jardin et voulut faire ce pèlerinage à pied quoiqu’il fut très éloigné, qu’elle eut les jambes extrêmement enflées et qu’elle fut si mal qu’à peine se pouvait-elle soutenir pendant ce voyage. Elle adoucissait par la douceur de ses paroles la tristesse des sœurs qui l’accompagnaient, causée par la crainte de la perdre, car quoiqu’elle fut en cet [488] état et qu’elle souffrit de très aiguës douleurs, sa douceur, sa gaieté ordinaire et son application aux sœurs n’étaient en rien diminuée et pour ne pas nous affliger de la pensée de sa mort, elle s’empêchait de rien dire qui pût nous y faire penser.
Parmi tout cela elle était dans une humilité si profonde qu’elle prenait occasion de tout d’entrer dans le mépris de soi-même.
Le mercredi, veille de sa mort, elle communia au chœur où, ayant été un temps notable, la faiblesse et le mal la pressaient si fort qu’il fallut la remporter à l’infirmerie où elle fut saisie d’une oppression si violente qu’il semblait qu’elle dût mourir. Elle revint de cet accident et voyant notre mère prieure et toutes les sœurs alarmées et éplorées, elle les consola d’une façon douce, agréable et élevant à Dieu.
Le jeudi, jour de sa mort, on lui apporta le Saint Sacrement dans son lit, notre mère prieure l’ayant priée de ne se point lever pour l’aller recevoir au [489] chœur ne jugeant pas qu’elle en eut la force à quoi elle obéit. Elle communia par viatique et reçut ce divin Sacrement avec tant d’amour et dans des dispositions si saintes que la joie qui en rejaillissait sur son visage nous la faisait voir comme un Ange. Elle se tint dans ces sentiments jusqu’environ 10 heures devant midi, sentant sa fin approcher. Elle désira d’aller rendre à Notre Seigneur dans le chœur les dernières adorations de sa vie, mais comme on l’y portait, elle tomba en une si grande faiblesse que nous croyons qu’elle en dût mourir. Elle en revint. Et comme le révérend Père Gibieuf, un de nos supérieurs, était entré pour l’assister en la nuit, elle lui témoigna beaucoup de joie de le revoir, se confessa à lui et lui demanda l’Extrême-Onction.
Monseigneur Bolognety, lors Nonce de Sa Sainteté en France, revint en propre personne, reprendre des nouvelles de la santé de cette servante de Dieu. et quand il sut qu’il n’y avait plus d’espérance de sa vie, il témoigna un fort grand regret et se recommanda à ses prières et lui envoya une médaille de l’indulgence plénière avec la bénédiction de Notre Saint Père, qu’elle reçut avec beaucoup de dévotion et fort grande reconnaissance.
Lorsqu’elle vit arriver le révérend Père Gibieuf portant les sainte huiles de l’Extrême-Onction, elle en témoigna une très grande satisfaction disant : « Je ressens une grande joie, me voyant sur le point de recevoir la grâce de Jésus-Christ par ce dernier sacrement. » Elle les reçut avec des dispositions dignes de sa vie et de sa mort et demeura jusqu’au dernier moment de sa vie, l’esprit fort libre et fort tranquille.
Un quart d’heure devant l’agonie, passant sa main sur son visage, elle dit fort doucement ces paroles « Les inquiétudes de la mort m’environnent. » Et demeurant le visage fort élevé, elle dit ces autres paroles « Jésus Christus, filius Dei, miserere nobis. » et tomba au même temps en l’agonie [491] où elle ne fut qu’environ un quart d’heure, les yeux toujours élevés au ciel, le visage majestueux et plein d’une grande douceur, paraissant si remplie de Dieu et si profondément appliquée à lui que ceux qui la voyaient en cet état et un de nos ecclésiastiques qui accompagnait le Révérend Père Gibieuf en cette action, a témoigné d’avoir été plusieurs jours occupé de ce qu’il avait vu en cette servante de Dieu.
Elle rendit l’esprit entre les mains de Notre Seigneur en cet état d’élévation que j’ai dit, le trentième avril, jour de jeudi de l’année 1637, une heure et demie après midi, âgée de 59 ans moins dix huit jours dont elle en avait saintement vécu 32 et demi dans la religion.
Son corps fut porté au chœur avec les cérémonies accoutumées. Nous récitâmes les prières et suffrages pour satisfaire aux coutumes de la sainte Église et de l’Ordre quoique nous nous sentions plus portées [492] à la prier qu’à prier pour elle, car sa seule vue portait odeur de sainteté. Notre dévotion et la croyance que nous avions toutes conçu que cette âme jouissait déjà de Dieu fut beaucoup fortifiée par ce qui arriva la même nuit : le corps commença d’exhaler une très agréable odeur qui n’avait en tout rien de commun avec les parfums de la terre et qui les surpassait de beaucoup. Cette odeur dura quelques heures ne se faisant pas sentir généralement à toutes, mais à quelques-unes. Après avoir cessé elle recommença lorsqu’on chantait la messe et au temps de la communion. Plusieurs sœurs témoignent l’avoir sentie incomparablement plus suave et plus excellente qu’auparavant.
Le concours du peuple fut si grand dans notre église que nous n’en avons jamais vu un tel. On y accourut à la foule de plusieurs endroits de Paris et toutes sortes de personnes. Il y en eut quelques-unes des endroits les plus écartés qui dirent céans [493] à une de nos mères qu’ils y étaient accourus sans savoir pourquoi sinon qu’ils s’étaient sentis obligés par un mouvement particulier fort puissant de venir à notre église.
Plusieurs personnes passaient leurs chapelets par la grille priant les religieuses de les faire toucher à ce saint corps. Ils demandaient des fleurs dont elle était couverte et la presse était si grande que les religieuses ne pouvaient suffire.
Les reines et les princesses voulurent avoir quelque chose qui eut appartenu à cette servante de Dieu et le nombre des personnes qui en demandaient était si grand, qu’après avoir distribué ses croix, médailles, chapelets et images, il fallut mettre ses habits en pièce pour satisfaire à la dévotion du peuple. Il s’en trouva qui demandèrent jusqu’aux épingles qui lui avaient servi.
Je sais que Dieu fait beaucoup de miracles par l’intercession de cette servante de Dieu par [494] l’attouchement des choses qui lui avaient servi, ce qui se pourra voir par quelques procès-verbaux qui en ont été faits devant les Évêques quoiqu’on en ait recueilli qu’un très petit nombre en comparaison de ceux que Dieu a opéré par cette sienne servante.
Je sais aussi que Dieu a continué de temps en temps de la manifester par diverses odeurs surnaturelles et moi-même j’ai joui quelques fois de cette faveur.
J’atteste et certifie que tout ce que j’ai dit ci-dessus est très véritable et que l’estime que j’ai des grâces et des vertus de cette servante de Dieu est incomparablement plus grand que tout ce que j’en ai dit et tout ce qui m’en reste à dire. En foi de quoi, je l’ai signé de mon seing en présence de deux notaires apostoliques de Paris en notre monastère de l’Incarnation ce dixième juillet 1647.
Sœur Marie de Jésus.
Déposition de Agnès de saint Michel
Entrée au carmel de l’Incarnation en 1616, Professe du carmel de la Mère de Dieu, prieure à Angers, Procès tome 1.
[690] Michelle Josse, dite sœur Agnès de saint Michel, religieuse de l’Ordre de Notre-Dame du Mont Carmel selon la réforme de notre mère sainte Thérèse, de la congrégation de France, professe du second couvent de la ville de Paris, dit de la Mère de Dieu, et humble prieure des religieuses du même Ordre de la ville d’Angers, âgée de quarante neuf ans et de trente de religion, certifie et atteste que j’ai eu le bonheur [691] d’être instruite pendant mon noviciat par feue notre très révérende mère Madeleine de saint Joseph.
J’ai fait profession entre ses mains et demeurés depuis sous sa conduite quatre ans pendant lesquels j’ai reconnu chez elle tant et de si grandes vertus que je confesse que je n’ai point de paroles suffisantes de les exprimer.
Je fus reçue en notre premier couvent de Paris en l’année mil six cent seize où je trouvais les religieuses dans un si grand esprit de retraite et de silence qu’il semblait que ce fussent des ermites. Et il y avait tant de perfection dans le monastère et la régularité y était si parfaitement observée, qu’il paraissait bien que celle qui avait formé en la vie religieuse tant de saintes âmes était elle-même très sainte et très capable.
Lorsque j’entrais dans le couvent, notre révérende mère Madeleine était allée en établir un en la ville [692] de Lyon par l’ordre de nos révérends pères supérieurs. Elle revint comme j’étais encore en habit séculier et cinq semaines après que j’eus celui de la religion, la fondation du second couvent de Paris fut faite par cette servante de Dieu. Elle me demanda quelque peu de temps auparavant : « si je voulais bien aller avec elle pour être une des pierres vives de la maison de la sainte Vierge ». Je lui dis franchement que oui, me sentant très contente de la suivre quoiqu’il y eut si peu qu’elle fut revenue de Lyon et moi si peu que j’étais novice. Je ne pouvais pas en avoir autre connaissance que par l’intérieur de mon cœur que je sentis, dès cette heure, tout à elle. Depuis cet instant je ne m’en suis jamais sentie séparée, au contraire ma soumission, mon respect et liaison vers elle croissaient toujours de plus en plus de sorte que les paroles de cette bonne mère portaient une telle impression en mon âme que, quand elle me disait quelque chose, je la croyais comme si ç’eût été mon bon Ange qui me l’eût dit clairement de la part de Dieu.
[693] Je ne croyais pas qu’on pût avoir tentation ou peine contre elle tant je sentais que sa sainteté et que sa conduite, ses actions et ses paroles étaient remplies de l’esprit de Dieu. En même temps qu’elle me faisait donner à Dieu, je sentais que son esprit était tout en lui et que c’était lui-même qui me parlait en elle. Quelquefois je la priais de me redire ce qu’elle venait de me dire sur mes dispositions intérieures, elle me répondait : « Je ne peux, que ne les reteniez-vous. » Ce qui m’a fait voir fermement que Dieu ne lui donnait rien au moment présent que pour la pure nécessité de mon besoin, et elle ne m’en voulait pas dire davantage à l’heure, mais elle m’envoyait devant le Saint Sacrement m’offrir à Notre Seigneur pour ce qu’elle m’avait dit.
Ce qui se sentait continuellement, étant avec notre bonne mère Madeleine, c’est qu’elle était dans un respect continuel devant la majesté de Dieu ce qui s’imprimait dans celles qui l’approchaient et les élevait à Dieu. [694] Ce qu’elle disait aux âmes était si profond et si efficace qu’il semblait que ce fut Dieu qui parlât lui-même par sa langue et que sa puissance divine portât ses paroles dans les âmes et dans les cœurs pour les incliner du côté qu’il voulait.
Sa paix et tranquillité étaient chose admirable et dans toutes les grandes affaires de notre Ordre dont elle avait principal soin et celles du monastère qu’elle avait toutes sur les bras et lesquelles lui étaient une charge d’autant plus grande qu’elle n’avait avec elle que des jeunes filles qui ne la pouvaient soulager, mais seulement accroître son travail par l’assiduité qu’elle était obligée de rendre à leur conduite, nonobstant tout cela et encore ses grands maux de tête et plusieurs autres infirmités, il ne m’est jamais arrivé qu’une seule fois de l’avoir vue un peu retirée et qu’elle ne m’ait fait l’agrément accoutumé lorsque j’allais à elle. Une fois étant tourière et lui allant porter quelque chose qu’une personne lui envoyait, [695] elle me regarda doucement sans dire mot, ce qui me fit juger que les affaires de notre Ordre étaient en fort mauvais état. J’ai su depuis qu’elle était lors en grande angoisse des affaires de l’Ordre, mais c’était de quoi elle ne parlait point que de sa peine et de ceux qui en étaient la cause.
Elle avait aussi beaucoup de peine pour pourvoir au temporel tant pour ce qui regardait en particulier la maison que pour les grands frais qu’il fallait faire pour les affaires de notre Ordre. Mais elle se contentait de recourir à Dieu et d’employer les moyens qu’elle trouvait convenables et n’en parlait jamais à la communauté. Une fois elle me dit qu’une personne qui travaillait aux affaires de l’Ordre la pressait de lui donner de l’argent dont il avait besoin et qu’elle n’en avait point et qu’elle se sentait si chargée de voir que d’un côté on la pressait si fort et que de l’autre elle était sans moyen d’y satisfaire, que les jambes lui en tremblaient.
J’admirais sa grande prudence en toutes choses. Elle [696] s’appliquait aux affaires grandes et petites et toujours élevée à Dieu. Je considérais en toutes rencontres son grand jugement et le grand ordre qu’elle donnait à tout : en trois mots elle résolvait les affaires importantes. Une fois un des amis de ce monastère d’Angers qui avait traité avec elle, me dit en admirant sa prudence, qu’en deux ou trois mots elle avait conclu l’achat de cette maison d’Angers. Il est à remarquer que cette affaire était fort difficile : une dame à qui appartenait la maison ne nous la voulait laisser qu’à condition de nous obliger à plusieurs messes et prières pour les morts, ce qui nous eut été une très grande charge, mais la prudence et la charité de notre bonne mère nous en délivrèrent et fut cause que nous avons eu la maison sans cela.
Quoiqu’elle fut chargée de si grandes affaires et si importantes à notre Ordre et qu’elle eut tant d’infirmités, elle ne laissait pas de s’appliquer aux besoins intérieurs et extérieurs des sœurs avec tant de soin que si elle n’eut d’autre chose à faire.
[697] Je peux dire que son seul regard conduisait tout le couvent de la Mère de Dieu (où elle était prieure) qui était dans une grande observance et les religieuses fort élevées à Dieu, et notre bonne mère me dit une fois que : « C’était la sainte Vierge qui gouvernait le monastère. » Ce fut au temps que les anciennes de la maison furent choisies pour être prieures en d’autres couvents et qu’il ne demeurait plus que des jeunes avec elle.
Elle était extrêmement exacte à tout ce qui était de la régularité. Il me souvient qu’elle ne me voulut pas faire parler, un jour de fête, à un mien frère Capucin qui était venu à leur chapitre et s’en retournait, quelque prière qu’on lui en fit.
Une fois je lui fus demander durant Prime si j’irais aider à des sœurs qui faisaient quelques affaires de nécessité à la cuisine, elle me dit fort sérieusement qu’il ne fallait pas parler devant que Prime fut dit et ne m’y voulut jamais envoyer.
Cette bonne mère se comportait avec tant de bénignité [698] et de conduite de Dieu avec chacune de nous, qu’il semblait qu’à chacune elle n’eut que celle-là à faire. Avec celles qui étaient d’âge, c’était chose admirable que la douce familiarité avec laquelle elle les traitait et les faisait rendre à la mortification. Il y avait une si grande bénédiction en sa conduite que trois de nos bonne sœurs, qui avaient chacune près de soixante ans, étaient dans toute la régularité, car, encore que la servante de Dieu fut extrêmement douce, néanmoins elle voulait que la régularité et la charité fussent toujours observées.
Pour les jeunes, je n’ai point de paroles pour exprimer sa très grande charité vers elles, et comme elle ses rendait à leurs besoins, elle passait des heures entières avec elles, en quoi connaissant la grandeur de son esprit et de sa capacité, je la trouvais plus admirable que si je lui eusse vu faire des miracles : comme elle révérait Dieu dans chaque âme, il n’y avait point de soin et de travail qu’elle ne trouvât bien employé pour les servir tant soit peu.
En mes commencements dans la vie religieuse, Dieu [699] permettait que je fusse travaillée de tentations qui augmentaient la répugnance que j’avais par ma nature imparfaite à me rendre aux pratiques de vertu que Dieu demandait de moi. Quelquefois notre bonne mère me faisait mettre auprès d’elle et s’élevait à Dieu pour moi et de temps en temps me demandait : « Comment êtes-vous ? » et ne me renvoyait point que je ne fusse libre de tentation.
Elle avait un très grand soin de nous faire instruire des points de notre sainte foi : toutes les semaines le révérend père Gibieuf, docteur en théologie, dont la capacité et piété sont assez reconnues nous les avait enseignés, une fois chaque semaine. C’était la plus grande dévotion qu’elle nous donnait : elle nous recommandait beaucoup d’adorer Notre Seigneur Jésus Christ en son père, dans son enfance en ses souffrances et en sa croix et d’honorer très singulièrement la sainte Vierge.
J’ai remarqué qu’elle ne souffrait point de bassesses aux âmes, ni attaches à leur propre volonté pour peu que ce fût [700], mais elle les voulait dans un grand dégagement d’elles-mêmes et de tout ce qui est avec, et dans une élévation continuelle vers Dieu jusque dans les choses les plus petites, et elle avait une grâce très puissante pour les établir dans cette disposition. Pendant mon noviciat ce qu’elle m’enseignait le plus était ce dégagement parfait dont je viens de parler et l’obéissance. Ce fut ce qu’elle me représenta davantage en me faisant faire profession et ce qu’elle enseignait à toutes plutôt par effets que de paroles.
Vers ce temps-là, elle offrit elle-même à nos révérends pères supérieurs quasi toutes les anciennes de son couvent pour aller en d’autres de notre Ordre voyant qu’elles y étaient nécessaires pour être en charge. Elle se priva premièrement de sa sous-prieure, puis de la maîtresse des novices qui était une fort sainte âme et en qui elle avait une parfaite confiance, après elle donna l’infirmière qu’elle aimait beaucoup et qui lui était bien nécessaire dans ses grandes infirmités qui n’étaient presque connues que d’elle, enfin elle se privait très volontiers de tout pour la charité.
Une fois, une de nos mères qui allait être prieure à un [701] autre couvent, me demandant si je voulais bien aller avec elle, et lui en ayant fait paraître que je n’en avais point d’envie, notre mère Madeleine m’en reprit et une autre fois lui ayant dit que j’étais prête d’aller partout où on me voudrait envoyer, elle m’en témoigna grande amitié.
J’ai remarqué aussi la droiture et la force de sa conduite en ce que quelque affection qu’elle daigna me porter, jamais elle ne m’a accordé chose conforme à ma faiblesse lorsqu’il m’arrivait lui faire paraître de le désirer, mais toujours elle tenait ferme dans ce qu’elle connaissait que Dieu demandait de moi.
Elle reprochait les fautes avec tant d’efficace que l’on n’y pouvait plus retourner : son regard seulement m’enseignait tout ce que je devais faire. Je peux bien dire que cette servante de Dieu me servait de vraie mère. Encore qu’elle me fit accomplir l’obéissance qui m’envoyait hors d’avec elle, ce fut avec tant d’amour et de charité que quoi que je [702] fisse tout le plus grand sacrifice que j’eusse à faire en la terre, ce fut pourtant avec élévation à Dieu telle que je ne la puis exprimer : il ne me fut pas possible de dire une parole pour en témoigner la moindre répugnance et cela par la grâce que Dieu mettait en cette sainte âme. Elle voulait que la liaison fut selon Dieu et non selon les sens et la donnait ainsi vers elle. Celle que j’y avais toujours eu s’augmenta encore par cette séparation et ma dépendance à sa sainte conduite que, par sa très grande charité, elle m’a continué par ses lettres fréquentes jusqu’à un mois devant sa sainte mort que je reçus sa dernière, et sa bonté était telle que c’était toujours de sa main quoiqu’elle eut de grandes incommodités aux yeux. Toutes les lettres que cette servante de Dieu m’écrivait étaient remplies d’une sainte et divine doctrine par laquelle elle m’instruisait de ce qui m’était nécessaire tant pour moi en particulier que pour les âmes dont Dieu m’avait chargée. Elle m’excitait très particulièrement à la charité et à la douceur et me disait « Je vous recommande cela autant que je peux et de ne [703] jamais dire de paroles rudes aux sœurs, mais toujours doucement et avec un visage ouvert et charitable, leur parler et leur dire ce qui sera besoin, surtout élevant votre esprit à Dieu pour elles et ne leur parlant pas par l’esprit naturel, mais par l’esprit de Jésus Christ qui est bénin, doux, fort et puissant non pour charger les âmes, mais pour travailler avec persévérance jusqu’à ce que vous les ayez mises au point où sa divine Majesté les demande. Offrez continuellement cet œuvre à Jésus Christ afin qu’il l’élève et qu’il le sanctifie selon son conseil très saint et très grand. Je vous offre à lui pour cela selon tous les pouvoirs et vouloirs qu’il a sur votre âme. Pour ce qui est de vous, ma Mère, laissez faire à Dieu, vous serez bien-heureuse si sa Majesté vous rend digne de la servir en ses œuvres et que vous puissiez y apporter quelque chose par prières et par patience : ce sont les armes par lesquelles il faut vaincre. Pour toutes les choses qui ne concernent point le service que nous devons à Dieu, il les faut laisser écouler doucement et patiemment. Elles sont une heure et ne sont pas une [704] autre, nous font de la peine et puis n’en font plus. Il faut tout laisser passer hors Jésus Christ et ses voies sûres et véritables. Continuez à vous laisser à Dieu et à ne chercher aucune assurance en vous-même, la créature n’étant que bassesse et néant.
Nous devons faire trois ou quatre choses en la vie qui nous la doivent faire écouler dans quelque sorte de disposition que l’on ait : c’est de soumission à Dieu, d’abandon total de nous même à sa divine conduite et de référence de tout ce que nous sommes entre les mains de Jésus Christ à ce qu’il nous donne à son père. »Et disait à une religieuse de notre Ordre de qui je l’ai su : « Prenez garde de ne vous pas trop embrouiller en la vue de vos fautes et de n’y appliquer votre esprit qu’avec disposition intérieure et particulière, parce qu’autrement cela vous pourrait aigrir la nature et activer ? l’esprit ou du moins se rendre en coutume en sorte vous y penseriez et en parleriez sans en tirer les effets humbles et véritables que cela doit produire.
Ne vous souciez point de ce qui vous occupe, si c’est peine [705] ou plaisir, difficulté ou facilité, mais seulement regardez à être droite, simple et pure devant Dieu, jamais ne cessant de vous rendre à Lui.
Ayez soin de ne pas laisser les voies intérieures sous quelque prétexte que ce soit, mais en grande patience d’esprit suivez Dieu et ce qu’il demande de vous, soit par liaison avec lui soit par une humble pratique des vertus intérieures et extérieures. Il n’y a jamais rien qui nous en puisse empêcher. Il faut bien s’établir sur cette vérité afin que nous ne soyons point trompées et que sous un prétexte ou un autre nous ne soyons point toujours à recommencer. »
La bénignité que possédait cette sainte âme était si extraordinaire que je ne peux dire ce que j’en sens. Elle portait celles qui étaient sous sa conduite avec une affection très grande à la pratique de cette vertu comme à une de celles qui les pouvait rendre plus semblables à Notre Seigneur Jésus Christ et à sa sainte mère. Elle m’en a souvent parlé avec très grande efficace. Quelquefois elle priait la sainte [706] Vierge de me faire appartenir à la bénignité de son Fils, d’autres fois elle priait le même Fils de Dieu de m’appliquer cette sienne qualité. Dans une de ses lettres, elle me disait que : « Je supplie Notre Seigneur de se donner lui-même à vous comme doux et bénin. J’offre de tout mon cœur votre âme à son âme sainte et désire qu’elle entre en la mansuétude et patience de Jésus Christ souffrant et mourant, étant une des choses dont j’ai plus de désir pour moi-même. »
Encore dans une de ses lettres : « J’offre votre âme au Fils de Dieu pour recevoir la qualité de sa douceur à qui vous êtes dédiée par son Père éternel afin que vous rendiez hommage à cette grandeur que saint Paul nous annonce quand il dit : “La bénignité et l’humanité de Dieu notre Sauveur nous est apparue” et afin qu’elle remplisse votre âme de l’effet de cette grâce en cette vie et de la gloire à quoi elle est destinée et dont elle sera glorifiée en l’autre. »
J’ai vu pratiquer cette vertu de bénignité à notre mère Madeleine non seulement pour ce qui regardait l’intérieur, mais aussi l’extérieur. Pendant l’année de mon noviciat, comme [707] j’étais fort maladroite, il ne se passait guère de jours que je ne rompisse quelque chose comme cruches, plats, écuelles, que je ne répandisse quelque lampe ou autres choses semblables. Notre bonne mère portait cela doucement et m’en disait fort peu de choses. À la fin comme elle vit que cela continuait, elle me prit un jour et me demanda si j’en étais bien fâchée, je lui répondis que oui. Elle me conseilla et m’ordonna dans sa douceur accoutumée de faire quelque petite mortification pour cela et enfin petit à petit cela se passa.
Je peux bien dire que sa charité était sans borne et sans se lasser de la rendre depuis qu’elle croyait que quelque chose était nécessaire pour l’avancement d’une âme. Après avoir travaillé tout le jour avec son mal de tête et ses autres très grandes infirmités, quoiqu’elle fût lasse à n’en pouvoir plus, elle nous donnait (je dis à moi et aux autres jeunes religieuses qui étaient avec elle au couvent de la Mère de Dieu) le peu de temps qui lui restait pour se reposer.
Elle avait un grand soin des malades et lorsqu’elles [708] l’étaient notablement, elle ne partait presque point d’auprès d’elles, les consolant et encourageant à faire bon usage de leur mal, et avait un soin qui ne se peut dire qu’elles eussent tous les soulagements qui leur étaient nécessaires. Elle en avait aussi un très grand de toutes les autres religieuses tant pour l’intérieur que pour l’extérieur : sa charité ne se refermait pas dans son couvent, mais s’étendait à plusieurs personnes que Dieu lui adressait pour les conduire dans les voies du salut. Elle a servi aux unes à les retirer du péché et à d’autres à les établir dans une piété fort solide. Entre celles-ci il y en a eu quelques-unes de fort considérables comme Madame de Longueville, la douairière, et Madame la Duchesse de Longueville, sa belle-fille qui la respectaient comme la mère de leurs âmes et se conduisaient pas ses saints avis. Celles qui étaient de notre temps au couvent de la Mère de Dieu en peuvent rendre témoignage aussi bien que moi
Dieu lui adressait aussi des personnes pauvres et peu [709] considérables selon le monde dont elle avait autant de soin que de celles qui l’étaient davantage parce qu’elle regardait incomparablement plus la grâce de Dieu dans les âmes que les biens, la grandeur et tout ce que le monde a accoutumé d’estimer davantage. Je me souviens entre autres qu’il y eut une pauvre femme boulangère qui fit un grand progrès en la vertu sous sa conduite.
Elle était grandement charitable vers les pauvres particulièrement vers les pauvres filles. Elle a eu soin de plusieurs qu’on les mît en lieu de sécurité pour leur honneur. Et tous les pauvres gens du voisinage qui avaient besoin de quelque chose soit pour vivre, soit de conseil ou de recommandations, s’adressaient à elle et elle n’en renvoyait jamais pas un sans lui rendre toute la charité qu’elle pouvait.
Il ne se peut dire avec quelle charité elle servait toutes nos maisons tant pour l’intérieur que pour l’extérieur. Elle avait un soin très grand que la régularité y fut [710] parfaitement gardée, aidant à cela les prieures par ses saints avis qu’elle leur donnait continuellement par ses lettres en toutes occasions et encore beaucoup plus par ses prières qui étaient continuelles pour obtenir de Dieu qu’il lui plut maintenir notre Ordre dans la perfection où notre mère sainte Thérèse l’avait établi.
Elle aidait aussi nos susdites maisons en toutes leurs affaires extérieures, chacune ayant recours à elle comme à celle qu’elles savaient avoir un cœur de vraie mère pour toutes. Ce que je viens de dire sur ce sujet est reconnu si universellement de toutes nos maisons que je ne crois pas qu’il y en ait une dont on n’en puisse recevoir quelque témoignage. J’en ai en mon particulier fait l’expérience les trois fois que j’ai été en charge du temps de cette servante de Dieu. Sa charité s’étendait jusqu’à nous quêter des livres, tableaux et autres choses de dévotion que mes sœurs et moi désirions avoir. Et enfin je ne m’adressai jamais à elle en quelque besoin que ce fut, petit ou grand, sans recevoir son secours. [711] Sa grande charité s’est encore fait voir en ce qu’elle reçut plusieurs filles sans dot ou si petite que c’était presque rien.
Cette servante de Dieu voulait que nous eussions un fort grand soin de ne jamais rien dire du prochain contre la charité, pour peu que ce fut, et non pas même en nous récréant. Une fois m’étant arrivé de dire quelque petit mot en riant à la récréation sur des dévotes qui avaient des visions, après elle me reprit fort sévèrement. Je n’avais pas encore fait profession.
Celle qui était si remplie de charité et de bénignité, était très rigoureuse vers elle-même : pendant que j’ai été avec elle au second couvent de Paris, quoiqu’elle fut fort faible et eut de grandes infirmités, jamais elle ne voulait manger de viande. Elle venait presque tous les jours à matines, était levée des premières. Elle était fort exacte aux heures d’oraison et à toutes les autres de la communauté quoiqu’elle eut de grandes affaires.
[712] Elle eut durant plusieurs mois une douleur de dents si excessive, qu’elle ne lui laissait point de repos et qu’elle souffrait avec une très grande patience. J’ai vu le chirurgien mettre des fers chauds dans sa bouche pour brûler ses gencives et elle riait pendant ce remède. Enfin durant tout le temps que le grand mal lui dura, ni pour quelque autre mal ou peine qu’elle ait eu, jamais je ne l’ai vu plaindre ni changer de visage et sa douceur à recevoir les sœurs était toujours de même.
Cette grande servante de Dieu avait tant d’amour pour la pénitence, même dès qu’elle était encore séculière. Elle eut désir d’entrer dans l’Ordre des Capucines comme celui qu’elle croyait plus austère et elle-même a eu la bonté de me le dire en particulier. Mais feu Monsieur de Bérulle qui n’était pas encore cardinal, ni notre supérieur, lui ayant parlé de notre Ordre, Dieu lui donna mouvement d’y entrer quoique les austérités de notre règle lui fussent assez difficiles à porter à cause de sa (713] faiblesse et de ses très grandes et continuelles infirmités et ne laissant pas d’y en ajouter d’autres : elle mettait de petits bouts de fer aux nœuds de sa discipline et une sœur m’en a donné par dévotion.
Elle avait un si ardent amour pour les souffrances que c’était sa plus grande joie quand elle en avait : elle les regardait, pour elle, comme un très grand trésor. Il ne se peut représenter avec quelle efficace elle nous enseignait et nous incitait à les aimer. Elle nous faisait dédier très particulièrement au mystère des souffrances de Notre Seigneur Jésus Christ et nous le recommandait continuellement. L’un des usages ordinaires qu’elle nous faisait faire devant le Très Saint Sacrement était de nous unir aux souffrances du même Fils de Dieu et à son amour vers son Père. Son exemple nous était un enseignement encore plus efficace que sa parole et elle nous témoignait tant de congratulation lorsqu’elle voyait quelqu’une de nous particulièrement affectionnée à la croix, à la mortification et à la pénitence que cela nous encourageait à les aimer de plus en plus : et [714] nous semblait en la contentant que c’était Dieu que nous contentions et qui nous faisait sentir avoir agréable le peu que nous faisions pour lui. Il y en avait plusieurs dans le couvent qui faisaient de fort grandes pénitences, entre autres notre bonne sœur Catherine de Jésus et la mère Marguerite de Saint-Élie. Celle-ci passa tout un carême à ne manger qu’un petit morceau de pain tous les jours qu’elle allait demander comme par aumône à la servante de Dieu et le mangeait au milieu du réfectoire.
Du temps que j’étais au second couvent de Paris, il y eut des dames qui voulurent, le carême, donner tous les jours de la semaine du poisson pour la communauté. La servante de Dieu voulut que l’on achetât le vendredi de la morue salée pour marque de la mortification. Une fois Madame de Longueville leur envoya un grand morceau d’un poisson fort rare et de grand prix, notre mère Madeleine en fit un présent en disant que cela était trop bon pour des carmélites.
[715] Une fois la tourière fit acheter quelque poisson pour la servante de Dieu qui se trouvait mal : elle la reprit si fortement que quand ç’eut été une des plus grande fautes de l’Ordre, je crois qu’elle ne l’eût pas fait davantage et n’en voulut point manger.
Elle avait un si grand mépris d’elle-même que jamais elle n’en parlait, se laissant là comme chose qui ne vaut pas la peine qu’on y pense. Elle ne parlait non plus de ses souffrances ni des dons rares et extraordinaires qu’elle recevait de Dieu et ne pouvait souffrir qu’on la louât. Si c’était personne sur qui elle eut quelque pouvoir qui le fit, elle la faisait promptement taire. Il me souvint qu’une fois étant encore avec le voile blanc, je lui dis qu’elle me faisait souvenir de notre mère sainte Thérèse. Elle me reprit bien sévèrement et me montra que cela lui était fort désagréable. Quand on la priait de donner quelque image ou autres petites dévotions, elle disait : « Je n’ai rien que du péché. ». Une fois madame [716] de Longueville, la mère, lui demandant si elle n’avait pas des visions, la servante de Dieu lui répondit fort humblement : « Madame, je n’ai que du péché. »
Quelques années devant sa mort, elle me mandait dans une de ses lettres qu’« un de ses plus grands désirs était d’avoir part à l’humilité que Notre Seigneur Jésus Christ donna à sainte Madeleine étant à ses pieds » ajoutant sur ce sujet : « Ce sont là mes dévotions et mes désirs d’avoir une petite place en la terre et au ciel aux pieds de Notre Seigneur. »
Lorsque m’en allant être prieure, cette servante de Dieu m’instruisit pour parler aux âmes, elle me dit entre autres choses « que je le fisse toujours humblement même en parlant des choses de Dieu et me servant de termes communs comme d’abaissement, d’humilité, de patience et que je ne prisse point de termes si élevés dont quelques [717] uns se servaient. » Elle me recommanda aussi (bien que je fusse prieure) « de traiter les religieuses avec respect et de prendre garde de ne leur jamais dire aucune parole de mépris ou qui les put offenser. »
Elle avait la vertu d’obéissance en singulière recommandation. Lorsqu’elle nous expliquait nos constitutions au noviciat, elle pesait davantage ce qui concernait l’obéissance et nous recommandait beaucoup de regarder le Saint Esprit agissant en nos révérends pères supérieurs. L’extrême respect qu’elle leur rendait portait un poids grand en nos esprits et ne se peut dire combien nous toutes avions de révérence et d’amour pour eux. Elle a porté de très grands travaux pour conserver toutes les maisons de notre Ordre sous l’obéissance de nos dits révérends pères supérieurs, ce qui a été reconnu généralement de tous nos monastères.
Son amour vers la sainte pauvreté était très remarquable. Comme savent toutes celles qui ont eu le [718] bonheur de converser avec elle : c’était un dégagement total de tout ce qui touchait sa personne, son vêtement, son manger, sa cellule. Elle était la plus pauvre de toutes. Elle n’avait rien de propre et se privait très volontiers des choses mêmes qui lui étaient nécessaires pour en accommoder les autres. Lorsque nous étions au couvent de la Mère de Dieu, au commencement de la fondation et qu’il y avait encore peu de logement, une religieuse étant tombée malade, la servante de Dieu lui donna sa petite cellule et n’avait pour se retirer qu’un passage exposé au vent.
Elle avait un amour singulier pour les pauvres et leur allait volontiers parler quand ils la venaient demander et leur faisait fort bon accueil. Elle leur témoignait tant de compassion de leurs maux et leur donnait toute l’assistance qui était en son pouvoir. Les pauvres l’aimaient aussi comme si ç’eût été leur mère ; ils lui faisaient quelquefois de petits présents qu’elle recevait avec reconnaissance. Une fois une pauvre femme ayant donné des noix au [719] couvent, la tourière ayant oublié de le dire à notre communauté, afin qu’on la recommandât à Dieu selon ce qui se pratique en notre Ordre à toutes les aumônes qu’on y fait, elle prit soin elle-même de faire recommander cette pauvre femme.
Cette servante de Dieu était dans une si grande pureté qu’elle paraissait un ange. Pour moi je ne sentais que Dieu en elle. Il ne se peut dire la vigilance qu’elle apportait pour conserver ses religieuses dans un entier oubli du monde et de toutes les vanités. Elle avait un très grand soin d’empêcher que celles qui en venaient de nouveau ne disent rien aux autres qui leur en pût rafraîchir la mémoire ou leur apprendre quelque chose qu’elles n’eussent pas su de ce qui se passe dans le monde, et, si quelqu’une de ces nouvelles venues en voulait dire quelque chose, elle leur faisait doucement signe de se taire ou détournait prudemment le discours. Enfin elle disait que nous étions venues en religion pour [720] ne nous occuper que de Dieu et des choses du ciel, qu’il fallait oublier entièrement tout le reste qui nous en pouvait tant soit peu détourner.
Dieu l’avait douée d’une très grande lumière pour discerner ce qui se passait dans les âmes de sorte que bien souvent, sans qu’elles lui disent leurs besoins, elle en avait connaissance : ceci a été si ordinaire que je crois qu’il serait bien aise d’en avoir un très grand nombre de témoignages de celles qui ont eu le bonheur de vivre avec cette sainte âme. J’en ai fait l’expérience en mon particulier et me souviens qu’une fois entre autres, au commencement que je fus religieuse, j’avais quelque tristesse en l’esprit et n’en voulais point du tout parler ayant ouï dire qu’il fallait être toujours contente en religion. Notre bonne mère me demanda comme j’étais, je lui dis que je n’avais rien, elle me pressa fort et m’assura que j’avais quelque chose, ce qu’enfin je fus contrainte de lui avouer comme j’étais où je gagnais [721] beaucoup, car depuis elle prit un grand soin de mon âme qui a reçu abondance de bénédictions de Dieu par son moyen.
Je lui ai vu recevoir quelques filles pour être religieuses qui paraissaient fort peu et que même plusieurs ne croyaient pas être propres, mais comme notre bonne mère avait une plus profonde connaissance des desseins de Dieu sur les âmes et de ce qu’il mettait en elles pour s’en servir, elle ne laissait pas de les admettre et elles ont parfaitement bien réussi.
Dieu lui a aussi souvent donné des lumières extraordinaires sur ce qui la regardait elle-même comme on le reconnut soit par des paroles qu’elle disait sans y prendre garde soit parce qu’elle-même en a quelquefois témoigné à des personnes à qui elle avait particulière confiance. Elle m’écrivit une fois : « J’ai cinquante ans, je m’en vais me disposer à la mort quoique ce ne sera pas sitôt. » Ceci fait voir qu’elle savait bien le temps qu’elle devait sortir [722] de la terre, car en effet elle n’est morte que neuf ans après.
Cette servante de Dieu était si remplie de piété qu’elle reluisait en toutes ses actions. Il paraissait continuellement en elle un si profond respect et recherche vers la majesté de Dieu, que cela portait une puissante impression dans les âmes de celles qui l’approchaient, à quoi elle ajoutait encore les paroles, étant la chose qu’elle nous recommandait davantage que cette sainte recherche vers Dieu et de toutes les choses divines.
Elle nous parlait aussi sans cesse du Fils de Dieu incarné et de tout ce qu’il a fait pour la gloire de son père et notre sanctification et nous exhortait avec des paroles toutes de feu à nous oublier nous-mêmes et toutes les choses basses de la terre, pour nous occuper continuellement à le regarder, à l’adorer et à conformer notre vie à la vie très sainte qu’il a menée sur la terre et nous disait que c’était pourquoi le Père éternel nous avait donné son Fils que pour être adoré et imité de ses enfants et élus.
[723] Elle nous recommandait avec soin incroyable de prier pour l’Église et que nos dévotions fussent toujours conformes à ce qu’elle nous représente dans les mystères de notre sainte foi. Elle nous disait aussi, pour nous porter à recevoir la grâce que Notre Seigneur Jésus Christ nous voulait donner par les mystères, qu’ils étaient toujours présents pour la répandre dans les âmes qui étaient disposées à la recevoir.
Elle avait une dévotion très extraordinaire à la très sainte mère de Dieu et ne se peut dire avec combien de poids, elle me parlait de l’obligation que nous avions à l’honorer et de reconnaître la grâce que Dieu a fait à cet Ordre la donnant pour mère et pour patronne : quand elle voyait quelque novice fort dévote à la sainte Vierge, elle en avait une joie toute particulière.
Je ne peux exprimer sa recherche vers le saint bois de la Croix de Notre Seigneur Jésus Christ : on lui en donna [724] un morceau assez notable peu après la fondation du couvent de la Mère de Dieu dont elle reçut une si grande joie qu’elle était répandue dans tout le monastère. Elle promit à celui qui lui donna beaucoup de prières en reconnaissance de ce précieux gage et lui fit ériger un oratoire bien pavé et fit enchâsser la sainte Croix dans une croix d’or enrichie de beaux diamants.
Elle était bien aise lorsqu’on lui donnait quelque tableau ou image de Notre Seigneur, de la Vierge ou des saints et leur rendait beaucoup d’honneur : elle nous enseignait cette sainte coutume de leur demander la première fois que nous les voyons quelque grâce particulière.
Elle gagnait les indulgences avec une telle dévotion que je lui ai vu faire des stations d’un Jubilé qu’elle n’en pouvait plus de faiblesse ; elle me dit qu’elle ne pouvait presque dire les Cinq Pater et néanmoins elle voulut les gagner à jeun.
[725] La foi et la confiance en Dieu se reconnaissaient en cette sainte âme en un degré très éminent comme aussi son zèle pour la gloire de sa divine Majesté. Elle ne se lassait point de travailler à ses œuvres quoiqu’il y eut de grandes difficultés. Mais au contraire quand il semblait que tout fut renversé, c’était lorsqu’on la voyait avec un nouveau courage qui nous animait toutes et quand je lis, dans quelques mémoires dressés pour sa vie, les assurances que Notre Seigneur et la sainte Vierge lui ont données de garder l’Ordre, cela m’a fait souvenir du temps qu’on lui apportait souvent des lettres pleines de très fâcheuses nouvelles sur nos affaires et qu’elle les recevait avec un visage serein et gai. Ceux qui la voyaient disaient en eux-mêmes : je ne m’en étonne pas puisque Dieu l’assurait ainsi.
Pendant ce temps même, des affaires de notre Ordre, lesquelles durèrent plusieurs années, elle faisait et faisait faire des prières et des dévotions continuelles pour obtenir [726] le secours divin. Elle ordonna que le jeudi il y aurait toujours une sœur devant le Saint Sacrement, le vendredi toujours une devant la vraie croix, le samedi devant la Vierge. Elle faisait quelquefois exposer le très Saint Sacrement la nuit et y demeurait en prières avec les autres.
Elle avait aussi grand recours à Dieu et aux saints pour tous les besoins publics. Elle faisait faire force prières et processions et exposer les saintes reliques à quoi elle avait grande dévotion. Ceux à qui je me souviens qu’elle avait particulièrement recours sont : la sainte Vierge, saint Pierre aux Liens, saint Paul et sainte Madeleine. Elle m’écrivit quelque temps devant sa mort : « Je vous prie faites prier aux lieux saints du pays où vous êtes et pour tant de maux qui troublent toute la terre. Je vous prie nous quêter une octave de messes que vous distribuerez aux lieux de dévotion que vous connaissez. Je vous offre aux saints [727] du pays où vous êtes et à la protection de l’Ange de la province. C’est une dévotion que j’ai depuis quelque temps que les âmes soient liées aux saints et aux Anges qui ont soin particulier du lieu où elles sont. » Elle était fort soigneuse de prier pour les âmes du purgatoire et nous faisait demander à Dieu que par sa bonté, il rendit ces âmes bientôt jouissantes de lui.
Sa grande capacité et sainteté lui avaient acquis une telle estime dans l’Ordre qu’on la consultait de toutes parts tant les religieuses pour les besoins particuliers de leurs âmes que les prieures pour la conduite des maisons qui leur étaient commises et les unes et les autres recevaient ses avis comme si ç’eût été Dieu même qui leur eût donnés tant elles la croyaient pleine de lui et je crois qu’il y a encore bon nombre de religieuses de notre Ordre qui pourraient rendre témoignage qu’elles ont toujours trouvé très grande bénédiction à les suivre
[728] Lorsque la servante de Dieu revint du couvent de Lyon en notre premier couvent de Paris où j’étais encore en habit séculier, je remarquai que toutes les religieuses étaient ravies de joie de son retour et le jour que nous partîmes pour aller à la fondation de celui de la Mère de Dieu, dix des plus anciennes religieuses du susdit couvent de l’Incarnation m’estimaient très heureuse de m’en aller avec une si sainte mère. Celles qui furent choisies pour l’accompagner en cette fondation reçurent cette obédience comme une grâce de Dieu bien particulière. Ma sœur Marie de saint Joseph, sœur de feu monseigneur le cardinal de la Rochefoucauld la demanda avec instance à nos révérends pères supérieurs par le grand désir qu’elle avait de ne se jamais séparer de notre bonne mère. Ma sœur Catherine de Jésus qui a été reconnue, dans notre Ordre et de quantité des plus saints personnages de son temps qui ont conversé avec elle, pour une âme des plus pures et des plus saintes qui ait été depuis son établissement en ce royaume, tenait à grand honneur et [729] bénédiction de Dieu de suivre en toutes choses sa sainte conduite et remerciait beaucoup sa divine Majesté de lui avoir fait la grâce d’être venue avec elle.
Le jour où la nouvelle fondation du couvent de la Mère de Dieu fut transportée en la maison où les religieuses sont à présent, tout le jour le parloir fut plein de personnes de condition qui venaient voir la servante de Dieu et j’ai remarqué qu’elles lui parlaient avec un fort grand respect en particulier Monsieur de Marillac, depuis garde des Sceaux de France, et son fils qui entra quelque temps après dans l’ordre des Capucins où il a vécu en grande réputation de vertu et de religiosité et j’ai appris que ce fut en cet après dîner qu’il prit sa dernière résolution d’entrer dans le susdit Ordre à quoi il avait longtemps combattu.
Nos révérends pères supérieurs la consultaient ordinairement sur toutes les choses importantes qu’ils voulaient faire en notre Ordre. Feu monseigneur le Cardinal de [730] Bérulle en particulier en faisait une estime incroyable. Il disait que c’était un trésor caché dans le sable de son humilité et qu’il admirait sa foi. Une fois, lui parlant de quelques choses particulières qui se passaient en mon intérieur, il me conseilla d’en parler à la servante de Dieu me témoignant qu’elle avait beaucoup plus de lumières que lui pour discerner ce qui se passait dans les âmes.
Feu monseigneur le Cardinal de la Rochefoucauld, feu monsieur le Duc de Mantoue, messieurs de Marillac, père et fils, monsieur de Lezeau, maître des requêtes, monsieur de Crauan, conseiller au parlement, et plusieurs autres personnes tant ecclésiastiques que séculières dont je ne me souviens pas en particulier, la visitaient souvent et témoignaient faire beaucoup d’estime de son grand jugement et de sa rare vertu.
Monsieur le Duc de Mantoue lui fit un présent de deux tableaux de saint Charles et de notre mère sainte Thérèse qu’elle reçut avec grande dévotion.
[731] Monsieur de Roissy l’aimait et l’honorait très particulièrement et elle l’aida beaucoup par ses discours à entrer dans la piété. Il lui donnait quelquefois de bonnes aumônes pour distribuer aux pauvres.
Monsieur de Laubrière (?) président au parlement de Rennes, personne de probité et de capacité et qui était fort des amis de ce couvent d’Angers disait que la mère Madeleine de saint Joseph était le plus grand cerveau de fille qu’il eût jamais vu.
Feu monsieur le Curé de saint Nicolas qui était fort renommé dans Paris pour sa sainte vie et bonnes mœurs, l’aimait et estimait beaucoup et déférait fort à ses pensées comme aussi monsieur Louytre, docteur de Sorbonne et doyen de Nantes et l’un et l’autre ont très charitablement assisté la servante de Dieu et notre Ordre dans les grandes affaires qu’il a eus.
Feu madame du val de Grâce, religieuse de très [732] grandes vertus, désirant de venir établir dans Paris une maison de saint Benoît qui fut dans une parfaite réforme et régularité, celle où elle était auparavant n’y étant pas, avant qu’exécuter ce dessein elle visita notre révérende mère Madeleine et l’entretint plusieurs fois pour prendre ses avis sur tous les règlements qu’elle prétendait mettre dans sa maison et elle lui parlait avec tant de respect et de révérence qu’il paraissait qu’elle la regardait comme une sainte. Elle essayait d’apprendre tout ce qui se faisait au couvent et les religieuses qui l’accompagnaient s’enquêtaient aussi fort soigneusement de tout ce que nous faisions dans les offices pour s’y conformer et prendre nos méthodes.
Madame de Longueville, la douairière, venait souvent visiter notre mère Madeleine et avait une entière confiance en elle particulièrement pour ce qui regardait son âme qui profita beaucoup sous la conduite de notre susdite mère qu’elle respectait beaucoup. [733] Elle était (séjournait) dans le monastère avec grande dévotion et recueillement, demeurant fort longtemps au chœur. Madame la duchesse de Longueville, sa belle-fille, l’imitait en son respect et confiance vers notre bonne mère laquelle s’appliquait de son côté fort particulièrement à la former à la solide piété, et cette dame y fit un tel progrès, qu’étant morte bien jeune, elle a laissé un grand exemple de vertu à toutes celles de sa qualité.
Madame la marquise de Maignelay venait se retirer souvent au couvent où elle entrait comme fondatrice. Elle fit une retraite de dix jours pendant que j’étais au dit couvent, demeurant ce temps-là en silence, sans parler qu’à notre révérende mère Madeleine dont on voyait bien qu’elle prenait conduite pour ce qui regardait son âme et aussi pour ses plus importantes affaires. Elle avait un grand respect pour sa sainteté. Elle eut même dévotion de donner le pain qu’elle mangeait, et toutes les semaines [734] ne manquait point d’en envoyer au couvent pour cela.
Madame la duchesse d’Halluin, sa fille était dans les mêmes sentiments et recevait avec reconnaissance comme encore la comtesse de Fiesque, madame Zamet et madame de la Châteigneraie. Outre cela Dieu se servait de cette sienne servante pour plusieurs autres dames et demoiselles de Paris qui prenaient entière conduite d’elle et y avaient une telle confiance et respect que quand ç’eût été un ange du ciel, elles n’y eussent pas eu, ce semble, plus de révérence et de soumission.
C’est ce que j’atteste être véritable et en témoin de quoi je l’ai signé et sous seing en notre couvent à Angers le seizième jour de juillet mil six cent quarante-sept, jour de la fête de Notre Dame du Mont Carmel, à la grille du parloir de notre dit couvent. Ainsi signé : sœur Agnès de saint Michel, religieuse carmélite.
…
sur feuille séparée, mais insérée dans le procès :
[738] Je, sœur Agnès de saint Michel, humble prieure des carmélites selon la réformation de notre mère Ste Thérèse au couvent d’Angers, ajoute ce que j’ai omis en la relation que j’ai faite des vertus que j’ai reconnues en notre vénérable (d’heureuse mémoire) mère Madeleine de saint Joseph pendant sa vie en religion. J’ai cru devoir aussi rendre hommage pour la gloire de Dieu et l’honneur de cette bienheureuse âme de ce que j’ai vu et reconnu s’être passé tant à mon regard en particulier qu’au-dehors après son décès. Je dis donc :
Que lorsque Dieu tira à lui cette sainte âme, j’étais dans notre couvent de Poitiers et j’avoue que, la nouvelle que j’en reçus me causa la plus grande affliction que j’eusse pu ressentir en ce monde. Aussi était-ce la plus grande perte que je pouvais faire, cette bonne mère ayant toujours eu pour moi un cœur vraiment maternel et un soin continuel de m’assister en tous mes besoins soit que je fusse présente ou absente. Je considérais encore que notre Ordre perdait son soutien en perdant celle qui était le secours général de nous toutes qui, à bon droit, la regardions comme une seconde sainte Thérèse en France à cause des grands et continuels travaux qu’elle avait portés depuis son entrée en l’Ordre pour y maintenir la liberté, la paix et la perfection où Dieu l’avait établi par cette grande sainte en Espagne.
Ma douleur ne fut pas seulement en cette occasion pour ce qui me concerne en particulier et notre Ordre en général, mais aussi pour beaucoup de personnes qui en recevaient assistance parce que je savais que le zèle de cette Ste âme était si ardent pour tout ce qui regardait le service de Dieu, les affaires importantes de l’Église et le salut et avancement des âmes qu ’il ne se pouvait [739] faire qu’elle n’y servît beaucoup par ses prières à donner œuvres et en donnant des conseils à plusieurs qui s’adressaient à elle.
Ma douleur fut bientôt adoucie et changée en consolation apprenant de plusieurs endroits que Dieu avait commencé de manifester sa fidèle servante par diverses merveilles et particularités par de célestes odeurs d’une admirable suavité qui furent senties pendant que son corps était exposé à la grille du chœur de notre monastère de l’Incarnation de Paris où elle était décédée ce qui peut être témoigné par plusieurs personnes qui y ont participé.
Il nous faut aussi rapporter par quelques voies de ceux qui avaient vu son corps exposé à la grille qu’ils apercevaient le visage d’une beauté si grave, si douce et si élevante à Dieu que tout le monde en était attiré à dévotion et ne pouvait se lasser de la considérer. Ce qui était plus admirable est que cette beauté augmentait de plus en plus sur son visage jusqu’à ce que son corps fut porté au tombeau.
J’ai encore appris qu’il vint dans l’église pour la voir et l’honorer une grande multitude de peuple et que leur dévotion fut telle que ce fut à qui aurait quelque chose qui eut servi à cette grande servante de Dieu.
Nonobstant la grande douleur que me causa, comme j’ai dit, la mort de notre bonne mère, je sentis mon esprit fort élevé à Dieu et résigné à sa sainte volonté et toutes nos sœurs et moi nous nous trouvâmes portées à la prier et invoquer en tous nos besoins avec grande confiance et plusieurs en ont reçu beaucoup d’assistance en leur âme et en leur corps et même je crois qu’elles en témoigneront volontiers.
Dix ou vingt mois après le décès heureux de cette grande servante de Dieu il se fit un signalé miracle par son intercession à Poitiers en la personne d’un enfant de huit ans lequel ayant [740] l’esprit troublé il revint en bon sens sitôt après que ses parents eurent mis sur lui un linge qui avait servi à la servante de Dieu.
Ce miracle donna commencement à un grand nombre d’autres qui se firent par la suite en la même ville de Poitiers et aux environs dont il y en a de très remarquables bien connus. J’en ai su les particularités que je serais trop longue à dire ici et j’ai même envoyé les dépositions de plusieurs en notre grand couvent de Paris où on les peut voir.
La dévotion de ceux du pays était si grande vers cette servante de Dieu pendant que j’y ai demeuré que je ne peux dire l’abord (l’afflux) du monde en notre couvent pour avoir de l’eau où avait trempé du linge teint de son sang. Les uns venaient faire des neuvaines pour l’invoquer et d’autres en action de grâces de quelques assistances reçues par ses intercessions.
Depuis que je suis en ce monastère d’Angers j’ai appris plusieurs beaux miracles que Notre Seigneur y a opéré par les intercessions de cette sienne servante et je peux dire que si on les voulait tous recueillir, il y en aurait un gros volume. La dévotion et le recours vers elle y continue et augmente tous les jours en sorte que nous avions peine à suffire (?). On nous demande souvent de ses images ou quelque chose d’elle aussi bien que les diverses sortes de guérisons qui sont arrivées en suite du recours qu’on y a eu. L’eau où l’on met tremper du linge teint de son sang a une propriété qui a été remarquée par plusieurs : qu’après l’avoir gardée longtemps, elle est aussi belle, saine et fraîche que si elle venait d’être puisée de la fontaine. Aussi avons-nous appris qu’un morceau de linge qui avait touché à cette servante de Dieu, ayant passé par notre tour le troisième juin dernier, pour être envoyé à une demoiselle de cette ville qui avait une grande érésipèle à une jambe et était réduite à l’extrémité, ce linge exhala une odeur si suave que [741] celle qui l’était venu quérir commença à être émue en elle-même et à recourir à cette bonne mère à qui elle n’avait point de dévotion auparavant. En emportant ledit linge à la demoiselle malade, elle sentit toujours cette suave odeur. Toute la chambre en fut parfumée et tout le monde y participa, hormis la malade sur la jambe de laquelle les assistants ayant appliqué le linge, elle en reçut un grand soulagement.
Dans ce monastère d’Angers il y a eu quelques religieuses qui ont été délivrées de leurs infirmités ayant eu recours à cette servante de Dieu et plusieurs qui en ont reçu de grandes assistances intérieures.
On pourra témoigner plus amplement et en particulier des merveilles que j’ai dit être arrivée depuis la mort de notre vénérable mère Madeleine de saint Joseph quand il plaira à notre Saint Père envoyer des commissions pour en informer.
Je ne peux omettre une chose que j’ai apprise en ce monastère, c’est qu’une religieuse de l’Ordre de la Visitation Sainte Marie qui connaissait la servante de Dieu vit une grande lumière au temps de sa mort et en eut un sentiment que Dieu ôtait de ce monde une personne fort remarquable. Elle vint trouver sa supérieure et lui demanda si elle n’avait point reçu de lettres de Paris. Bientôt après elle apprit les nouvelles de la mort de notre vénérable mère Madeleine et cette bonne religieuse lui dit : « C’est ce que j’ai vu par la lumière qui m’a apparu, étant en prière » C’est la supérieure de cette religieuse qui a écrit ceci à celle qui était prieure de ce monastère en ce temps-là. J’affirme que tout ce que j’ai dit ci-dessus est très véritable. En foi de quoi je l’ai signé de ma main en présence de deux notaires apostoliques en notre couvent des carmélites d’Angers, ce vingtième jour (742] de juillet l’an de Notre Seigneur mil six cent quarante-sept : sœur Agnès de saint Michel, religieuse carmélite.
Sa douceur à reprendre les fautes était admirable et tout ensemble très efficace. J’en éprouvai une fois entre autres un grand effet. Étant infirmière, par mon indiscrétion je pensai donner à une malade un remède pour un autre, et sans une sœur qui survint cela eût été fait, laquelle sœur par charité (17) en ayant averti notre bienheureuse mère elle me vint trouver au lieu où j’étais et fis sortir une sœur qui était présente, puis me dit dans une très grande douceur : « ma sœur Anne vous avez failli de donner à ma sœur telle, un remède pour un autre, si elle l’eût pris elle était morte, vous auriez un regret pour toute votre vie si un tel accident vous était arrivé prenez-y bien garde, ne donnez jamais aucun remède sans savoir de celle qui la prépare ce que c’est. Elles ne m’en dit pas davantage, mais ce peu servit tout autant et plus, ce qu’une autre qu’elle, moins remplie de l’esprit de Dieu eu pu ajouter ou exagérer. Après cela elle dit à la première infirmière, je lui en ai parlé ne lui en dites rien. Pour mon particulier je puis dire avec vérité avoir expérimenté qu’elle avait une grâce très grande pour conduire les âmes, accompagnée d’une rare prudence et d’une force et puissance merveilleuse pour imprimer ce qu’elle disait, et faire même changer de disposition, et était quasi impossible de lui répliquer, dans sa seule présence imprimer le respect et de soumission à ses pensées. Il m’arriva un jour de lui dire en riant que dans le changement qu’elle avait fait d’une maîtresse des novices on avait bien pleuré au noviciat. Elle prit cela tout sérieusement et me demanda si je l’avais fait, mes larmes sur le champ lui en confessèrent la vérité. Lors elle me le fit quitter mon ouvrage, me fit approcher d’elle et me dit, dans une force et douceur tout ensemble, “je veux que vous parliez à celle-ci (c’était notre nouvelle maîtresse) c’est une âme de Dieu. Et bien qu’intérieurement je fusse très opposée à cela, néanmoins je me soumis à ce qu’elle me disait et au même instant je changeais et demeurais dans la disposition que la bienheureuse Mère désirait de moi au regard de cette sœur ; même j’y ai (18) eu depuis une liaison très particulière en Notre seigneur, et ai reçu beaucoup de consolation de sa sainte conduite et conversation.
(20) Elle nous dit une fois au chapitre que Dieu nous ayant donné notre libéral arbitre, Sa grande bonté et bénignité nous présentait la grâce et ne nous forçait pas, qu’il était en nous de la prendre ou de la laisser, c’est-à-dire d’en faire usage ou non.
… Dit (28) un jour en riant sur quelque chose de ces habits qui se réeemploient, tout se rompt. Je la vis aussitôt dans un grand recueillement et me répondit, « Ainsi ma fille je décline en toutes choses et c’est grande pitié que de tout ce que je suis. »
Elle nous dit un jour que l’âme vraiment humble était toujours en paix et ne se troublait jamais parce qu’elle voyait toutes choses au-dessus d’elle, et que dans sa bassesse elle s’élevait à Dieu qui était sa véritable grandeur.
(30) Dans ces infirmités qui étaient continuelles et très notables et de tant de sorte qu’il m’est impossible de les exprimer, elle n’en parlait quasi jamais, et j’ai souvent eu la bénédiction de passer de long espace de temps avec elle sans entendre la moindre petite plainte. En une certaine occasion elle dit le jugeant nécessaire, et non pas par manière de plainte que quand elle se mettait à genoux elle était surprise d’une extrême douleur, et d’un tremblement des nerfs depuis la tête jusqu’au pied. Quand elle était plus mal elle tâchait de parler avec encore plus de douceur que son ordinaire et une sœur ayant remarqué cela prit une fois la liberté de lui en demander la cause, que la sainte lui dit tout naïvement en ces termes, c’est dit-elle que ne pouvant rien faire je tâche au moins de parler avec plus de douceur.
[Feuillet séparé, plié en huit avec en adresse : “Songe de la Mère Marie Madeleine où l’intérieur de notre vénérable mère Madeleine de Saint-Joseph me fut montré [d’une écriture tremblante]]
+Ceci a été dicté par notre mère Marie-Madeleine de Jésus, c’est d’elle, sur notre bienheureuse mère Madeleine de Saint-Joseph.
L’estime particulière que j’avais de la grande sainteté de notre mère Madeleine m’avait donné désir depuis un long temps de savoir l’état intérieur de son âme, mais pour le très grand respect que je lui portais, n’osant pas prendre la liberté de lui demander, Notre seigneur voulu par Sa bonté satisfaire Lui-même mon désir en cette manière. Il me sembla une nuit que j’étais en quelque lieu où je parlais avec notre mère Madeleine et je lui dis : ‘ma mère je voudrais bien avoir connaissance de votre intérieur à quoi elle me répondit d’une façon douce et gracieuse : “Bien ma fille je m’en vais vous le montrer. Alors je vis une âme toute revêtue de Jésus-Christ, toute possédée de Jésus-Christ et avec une telle plénitude de lui qu’il ne paraissait rien que Jésus-Christ en elle duquel elle était entièrement pénétrée et je voyais cette âme dans une si merveilleuse gloire et beauté qu’il me serait impossible de le pouvoir faire entendre. Il me sembla que la servante de Dieu me disait : « voilà mon intérieur », c’est-à-dire Jésus-Christ qu’elle me montrait. D’où j’entendis que c’est grande âme était tellement transformée en Jésus-Christ que lui et elle ne faisait qu’une même chose. Je demeurai dans une très grande joie de ce (verso) que j’avais vu, et le lendemain ayant rencontré notre bonne mère je lui dis : ‘Je ne vous prierai point de me dire votre intérieur, car je le sais fort bien à cette heure, le bon Dieu me l’a montré cette nuit. Là-dessus elle me demanda ce que c’était et lui ayant dit elle répliqua en se souriant, « c’est mon bon ange qui vous a voulu faire voir cela pour vous consoler ». Ne me disant rien davantage et ne me désavoua pas que la chose ne fut comme je l’avais vue.
(14) Elles passait une partie de sa vie devant le très Saint-Sacrement adorant Notre seigneur Jésus-Christ selon les qualités que je viens de dire, s’offrant à Lui avec toutes les âmes qu’Il lui avait commise et lui demandant avec beaucoup d’instance et d’ardeur qu’il daignât Lui-même les régir en elle et par elle.
(15) Les mêmes personnes témoignent en particulier que l’esprit, la lumière et la grâce de cette grande Supérieure n’était pas bornés à conduire les âmes dans une sorte de voie ou à remédier à une sorte de besoin, mais qu’en quelque voie, en quelque état, dispositions ou besoin que les âmes fussent, elles l’a trouvaient aussi pleine de Dieu et de sa grâce pour y être conduite (16) et aidée puissamment que si son talent propre et particulier eût été seulement pour cette sorte de disposition ou de besoin.
Elle disait que la grandeur des merveilles de Dieu paraissait en ce que l’état des âmes est si différent et ces voies si diverses en elles qu’on en voie que rarement deux de même, et qu’il ne se trouve pas de saint dans le ciel qui aient été sanctifié par une voie pareille (…) Qu’on ne devait pas faire même chose dans chaque âme parce que ce qui était bien bon et utile aux unes ne n’était pas aux autres, et que par les mêmes choses par lesquelles les unes avançaient, d’autre reculaient, que l’expérience nous l’apprenait tous les jours et nous faisait voir qu’il fallait une grande grâce et une grande sapience de Dieu pour la conduite des âmes.
(17) Comme elle était fortement persuadée de ces vérités, outre le recours continuel que j’ai dit qu’elle avait à Dieu pour la conduite des âmes, elle étudiait soigneusement sa voie sur chacune de celles qu’elle avait sous sa charge, et y faisait selon cela, diversifiant sa conduite conformément à ce qu’elle connaissait être du conseil de Dieu sur elles. (…) Aux âmes que Dieu menait par des voies de consolation et de lumière et à qui Il faisait des grâces extraordinaires, elle leur apprenait à recevoir les dons de Dieu avec une humilité profonde et un parfait dégagement d’elles-mêmes, n’y cherchant aucune complaisance ou propre satisfaction, et enfin à ne s’en servir que pour s’élever à Celui (18) qui en était l’auteur.
Ce grand amour qu’elle avait pour toutes nos maisons a persévéré en elle jusqu’à la fin, car en ses derniers temps, une des choses qu’elle me recommanda plus particulièrement fut d’apporter tout ce qui serait en ma puissance pour maintenir cette maison en parfaite charité vers les autres et qu’elle fut le recours en toutes choses. Encore peu d’heures avant qu’expirer notre révérend père Gibieuf étant auprès d’elle, elle laissait l’explication de son état mourant pour lui parler de notre ordre avec un cœur vraiment maternel.
(…) Elle faisait et procurait aux pauvres toutes les aumônes qui lui était possibles, elle les envoyait visiter par des personnes qui l’avertissaient en particulier de leurs besoins afin d’y pouvoir mieux remédier. Quand ils la venaient demander (54) elle quittait avec joie ses autres occupations pour les aller entretenir et consoler, enfin elle leur donnait toutes sortes de témoignages d’affection, et le faisait d’autant plus volontiers qu’ils étaient plus pauvres et avaient moins de pouvoir de lui en rendre quelque reconnaissance.
Elle avait une dévotion et application toute particulière à l’amour pur que Notre seigneur Jésus-Christ porte aux âmes et désirait beaucoup d’y rendre hommage et d’y avoir quelque part, de sorte que ce qui regardait le salut et la perfection des âmes lui était infiniment plus considérable que tout autre chose. C’est à quoi était employés tous ses soins, c’est à quoi tendaient tous ses travaux, prières, pénitences et bonnes œuvres et à quoi elle nous exhortait souvent avec beaucoup de zèle d’employer les nôtres, disant qu’une des plus grandes obligations des âmes retirées de l’indignité du siècle est de prier pour les grands besoins qui sont au monde (…) (16) Entre tous les usages intérieurs que l’on peut faire vers Dieu celui qui lui était le plus ordinaire et qu’elle conseillait le plus aux autres était celui de l’adoration et elle disait que l’adoration prise dans toute son étendue comprenait aussi l’amour.
… et toute la suite, soit 39 ou 41pages ? = faire un tri !
[En tête, carré collé sur feuille] notre chère mère disait quelquefois dans le temps des premières traverses de l’ordre, qu’elle pensait au commencement qu’après que les choses seraient passées elle aurait du repos, mais qu’en voyant qu’ensuite d’une chose en venait une autre et que cette vie n’était que pour souffrir, il fallait mieux se soumettre à ce qui se présentait en chaque…
Déposition de notre très révérende, très honorée et très chère mère Marie de la Croix sur ce qu’elle a vu et connu de la vie et des vertus de notre bienheureuse mère Madeleine de Saint-Joseph.
Nous tenons à l’une des plus grandes grâces que nous ayons reçues de Dieu en notre vie d’avoir eu la bénédiction d’être reçue en notre saint ordre par notre bienheureuse mère Madeleine de Saint-Joseph, de qui les exemples nous ont plus instruites que les paroles, quoique l’un et l’autre fussent fort efficaces, et imprimasse de très puissants effets de grâce en l’âme, et sa seule présence m’a souvent mise en application vers Dieu, fait sortir de la dissipation et imperfection, et rappelée dedans la disposition, ou nous parlant, elle nous avait dit que Dieu nous demandait, et quoiqu’il y ai plus de dix-sept ans qu’elle est allée à Dieu, le seul souvenir de ce qu’elle nous paraissait en son extérieur porte le même effet toutes les fois que je me la rends présente ; et si je n’étais si infidèle à Dieu comme je suis, produirait de (v°)
L’on remarqua en elle, une si solide et parfaite vertu, qu’elle fut élue prieure dans le couvent de l’Incarnation du contentement général de toutes les religieuses, avant que trois ans fussent accomplis depuis sa profession. Notre Seigneur bénit si avantageusement ses travaux, qu’Il a fait de cette maison comme une source abondante qui ne se tarit pas et qui a fournie à toute la France, comme par un débordement qui peut la rendre heureuse, un si grand nombre de saintes filles qui sont : 1. La mère Thérèse de Jésus, qui est aujourd’hui prieure à Lyon, qui a fondé les monastères de Marseille, d’Aix et d’Arles. 2. La mère Geneviève que Saint-Bernard, qui a été prieure à Sens, et qui a fondé le monastère de Chartres. 3. La mère Renée de Jésus Maria qui a fondé le monastère d’Angers, qui a été prieure à Lyon, à Châtillon sur Seine, a Aix et à Arles. 4. la mère Marguerite de Saint-Joseph, qui a fondé les monastères de Nevers, de Bourges, et de Mâcon. 5. La mère Denise de Jésus, qui a fondé les monastères de Chaumont et de Moulins. 6. La mère Catherine du Saint-Esprit, sœur de la vénérable mère, qui a fondé le monastère de Metz dans lequel elle a été prieure. Je peux encore trouver un plus grand nombre de filles célèbres qui ont fait profit des instructions qu’elles ont reçues de la vénérable mère, lesquelles ont été toutes prieures ; comme : 7. La mère Marie de Saint Gabriel qui mourut à Bordeaux après avoir été prieure à Tours, à (blanc) à Poitiers, à Toulouse et à Bordeaux. 8. La mère Marguerite du Saint-Sacrement, à Tours et au monastère de la mère de Dieu à Paris. 9. La mère Marie de Saint-Bernard, à Orléans, à Tours, à Sens, et à Gisors. 10. La mère Hélène de la Croix, à Châtillon sur Seine, à Bordeaux, et à Saintes. 11. La mère Marguerite de l’Incarnation, qui été prieure à Caen. 12. La mère Agnès de Saint-Michel qui l’a été à Dieppe, à Angers, et à Poitiers. 13. La mère Élisabeth de Jésus, à Nantes, à Chaumont, et à Poitiers. 14. La mère Catherine de la mère de Dieu, à Dieppe et à Caen. 15. La mère Anne du Saint-Sacrement, à Amiens et à Saint-Denis en France. 16. La mère Anne de Saint-Joseph, qui l’a été à Caen, à (blanc), à Amiens et à Compiègne. 17. La mère Marie de Jésus à Orléans. 18. La mère Marguerite de Saint-Élie, à [5] Tours. 19. La mère Marguerite de la Croix à Blois. 20. La mère Élisabeth de Saint Paul à Nevers et à Saintes. (20bis). La mère Marguerite de Jésus à Tours et à Verdun. 21. La mère Jeanne de Saint-Joseph à Metz et à Aix. 22. La mère Anne des Anges, à Amiens et à Paris au couvent de la mère de Dieu. 23. La mère Marguerite de la Trinité qui l’a été à (blanc). 25. La mère Élisabeth de Saint-Joseph dans le grand couvent de Bordeaux. 26. La mère Angélique de la Passion, à Nantes et à Orléans. 27. La mère Isabelle de Jésus, à Morlaix et à Amiens. 28. La mère Charlotte de Jésus Maria à Tours. 30. La mère Marie de la Croix, à Moulins. Mais entre toutes les autres il faut éterniser la mémoire de la mère Marie de Jésus qui ensuite de la vénérable mère a été prieure du monastère de l’Incarnation, et de la mère Madeleine de Jésus, qui parfaitement imbu des rares qualités de la vénérable mère elle en a puisé tout le zèle, par lequel elle a tant pris de soin à mettre tout l’ordre dans un haut point de perfection, qu’il n’a rien perdu de sa première ferveur, et présentement dans le couvent de l’Incarnation, on ne l’estime pas seulement comme une prieure, mais comme la plus considérable et dans l’opinion de toutes elle est digne d’avoir succédé la vénérable mère.
J’avais l’honneur de coucher en sa chambre. Sitôt qu’elle était levée, qui était sur les six heures, elle entrait en son cabinet proche de sa chambre pour y faire oraison. Son heure étant passée elle se venait habiller, pendant qu’on la peignait elle faisait lecture de quelque livre spirituel tant pour elle que pour celles qui la servaient. Après elle allait donner le bonjour à M. son père, de là s’en allait en la chapelle se préparer à entendre la sainte messe et à la sainte communion qu’elle faisait tous les jours.
Je l’ai maintes fois admirée la voyant à genoux un si long temps vu sa faiblesse naturelle ; voyant sortir de ses yeux si grandes quantité de larmes, sans aucun mouvement extérieur. [5] quand elle sortait de la, elle avait un esprit aussi égal et aussi gai que si elle fut sortie de la plus grande récréation du monde.
Secondement une fille âgée de dix ans ou environ laquelle avait pour père un homme tout à fait Barbare, et à ce que l’on disait magicien, était tombée malade ; émus de compassion envers elle, nous demandâmes à son père de nous permettre de guérir sa fille et de la faire élever par une honnête femme à qui nous la commettrions. D’abord le Barbare, n’y voulut consentir, mais se voyant à la veille de perdre sa fille, sur l’espérance que nous lui donnions qu’elle reviendrait en convalescence, nous la donna pour deux ans, à condition que si elle voulait y demeurer après ce temps-là, il ne l’empêcherait pas : peu de temps après, la fille se porta bien, le père la demanda devant le temps dont on était convenu, on la lui refusa. Voire même après les deux ans, elle ne voulut pas sortir de la maison de cette femme qu’elle honorait comme sa mère. Or comme nous avions la pensée, la voyant avancée en âge et bien instruite aux choses de la foi de la baptiser, l’esprit malin s’apercevant que cette proie lui serait bientôt enlevée (nous ne savons s’il s’empara du corps de cette fille y étant envoyé de la part du père, ou bien si lui-même par permission de Dieu, de sa propre malice s’en était saisi), mais nous tenant pour assurés, que lorsque nous la disposions avec tous les soins que nous pouvions y apporter au sacrement de baptême, elle fut tourmentée deux ou trois fois de telle façon que (ce qui ne s’était jamais vu) le devant de la tête répondait au dos et le derrière venaient répondre à l’estomac. Elle tournait les yeux dans la tête comme un démoniaque, écumait, tourmentait son corps, « je tremble » criait-elle et disait qu’elle voyait « Je ne sais quoi d’horrible et d’effroyable à travers les ténèbres ». La vénérable mère Madeleine de Saint-Joseph eut connaissance de tels effets apportés de l’esprit malin et peut-être le connut-elle auparavant que le Démon s’était fait connaître, car elle me pria par une lettre écrite devant ou durant que (2) cela se faisait, non toutefois rendue, de donner le nom de Madeleine à la possédée, d’abord que je reçus et lus sa lettre. Je n’y pris pas garde, mais après cette fille ayant reçu au baptême le nom de Madeleine et ayant été entièrement délivré et après que les navires furent partis je commençai à penser en moi-même par quels moyens la vénérable mère Madeleine avait pu apprendre ce que dessus après avoir pris garde au temps, je reconnus que cela lui avait été révélé du ciel. Je me pris à louer Dieu qui se fait admirer en ses serviteurs.
… cette bienheureuse avait une grande grâce pour les âmes. Dès ce temps-là, elle ne tenait autre manière pour faire ce changement que sa grande douceur ordinaire. À ce commencement, comme plusieurs étaient un peu neuves dans la voie de la perfection, elle les assemblait quelquefois pour leur parler de la vertu, ce qu’elle faisait en paroles simples, familières et telle qu’elle la rendait tout facile, qui est une grâce qu’elle avait spéciale et que Dieu lui avait donné très rare. On lui a quelquefois ouï dire : Je voudrais vous pouvoir rendre votre règle toute la plus facile qu’il se peut ; elle ne laissait pour cela d’être des plus exacte à la garder et faire garder, ce qu’elle a continué jusqu’à la fin de sa vie comme aussi cette grâce de rendre toutes choses faciles qui est allé croissant avec ces années, car sans qu’elle fit aucune répréhension (sic), mais par une (18) application qu’elle avait à Dieu et une manière d’écouter ce qu’on lui disait sur les imperfections que l’on sentait ou que l’on avait faites sans qu’elle dit quasi rien, demeurant dans sa douceur ordinaire, elle mettait les âmes dans la vertu et l’on sortait d’auprès d’elle fortifiée et liée à Jésus-Christ. L’on amena pour quelque bonne raison une jeune religieuse d’un des autres couvents, laquelle encore qu’elle fut fort bonne fille avait le naturel un peu fort. L’on voulait que cette bienheureuse usât de quelque sévérité vers elle croyant que cela lui serait utile. Elle dit familièrement à une religieuse : « L’on m’a dit que je fisse telle chose à cette bonne religieuse, mais j’ai répondu que l’on me le fit à moi-même si on le trouvait bon, mais que je ne le pouvais faire à personne. Elle n’usât vers elle que de sa manière ordinaire de douceur et dans une année qu’elle l’eut en sa charge elle devint tout autre et fut tellement changée que la grâce y paraissait particulière, elle était si humble qu’encore que sa manière de traiter avec ses sœurs fut si douce et familière (v°) elle craignait de prendre trop d’autorité tellement qu’elle demanda un jour à une religieuse familièrement ce qu’elle en connaissait. Elle lui dit : « Je vous prie dites-moi si je ne le prend pas trop d’autorité. » Cette religieuse qui n’avaient pas pensé de prendre garde à cela ne lui pouvait rien répondre, mais elle la pressa. Elle fut contrainte de s’y appliquer ainsi elle l’assura que non ; c’était les premières années de sa charge l’on remarqua qu’elle fut élue cette fois le jour de l’Évangile du bon Pasteur. À l’une des visites que l’on fit durant qu’elle était en charge, le révérend père visiteur ne trouvant rien en elle à reprendre lui dit que c’était une incapacité d’être en charge que cette grande douceur qu’elle avait et de ne pouvoir juger d’autre manière. Elle lui répondit qu’il fit tout ce qui lui plairait. Elle était si humble qu’elle se croyait (19) facilement incapable.
Petit cahier :
Disant un jour à notre très honorée mère quelque chose d’une de mes sœurs qui se voyait si pauvre devant Dieu qui lui semblait ne pas pouvoir avoir seulement une bonne pensée elle ne répondit : “Il y a diverses manières d’honorer Dieu, les unes sont avec facilité et les autres avec grand travail et grande peine, mais cela n’importe pourvu que cela se fasse et que cela soit. Car c’est là le point et notre pauvreté et notre abondance nous doivent conduire à Lui, la vie de la terre est une vie de ténèbres et d’obscurité et peu souvent l’âme est éclairée et en facilité, mais elle a Jésus-Christ qui lui doit être toutes choses. O quelle richesse, quelle grandeur, quel privilège de l’avoir comme voie, comme chemin qui nous doit conduire à son père, selon les paroles de l’Évangile. Nul ne peut venir au père sinon par moi, l’âme donc le doit suivre elle le doit (v°) regarder sans cesse quoiqu’à travers des voiles bien épais, car la misère et la pauvreté de l’âme lui rendent très difficile ce regard, par ce qu’elle l’attire vers elle-même et (les applique à ses misères dont souvent elle est toute occupée barré) lui applique en étant souvent toute occupée et sans aucun fruit, mais plus nous nous voyons en besoin et plus nous devons recourir à Dieu, et c’est l’usage que nous devons faire, et non pas nous tourner vers nous-mêmes, si ce n’est pour nous humilier, et tirer par notre propre expérience, un sujet de connaître quelles nous sommes, et ce que nous en pouvons attendre. Si Dieu ne se mêle de nos affaires, (ligne blanche)
Souvent sa divine majesté nous laisse dans la pauvreté et est bien aise que nous marchions par cette voie afin que n’ayant nulle confiance en nous, nous l’ayons toute à fait en Lui, et il aime (dte) tant cette confiance en l’âme, qu’Il la voit comme un fondement sur lequel Il veut établir Sa grâce, afin que nous la regardions non pas comme chose méritée par nos services et par nos œuvres, mais comme un effet de Sa miséricorde, qui paraît d’autant plus grande sur les sujets sur lesquels elle s’applique que plus ils sont éloignés de la recevoir. Je pense quelquefois, et qui est-ce qui pouvait être en nous qui peut obliger Dieu à nous enrichir de ses dons, Sa seule bonté en est la cause et non ce que nous pouvions y apporter du nôtre. Cette vérité me console grandement, et il me semble qu’il nous est bien plus avantageux que Dieu nous donne parce qu’Il nous aime, que par nulle autre chose qui peut venir de nous. (Fin de page blanche)
Je pensais l’autre jour toute seule que ce n’est pas sans raison que le fils de Dieu a dit en l’Évangile que la porte est étroite et le chemin étroit qui mène à la vie, car je voyais tant de choses en l’homme (pour le détourner de le suivre barré) pour l’empêcher de le suivre et pour lui en faire prendre un autre, qu’il me semblait que chaque pas qu’il fait qu’il s’en détournait tantôt pour un sujet tantôt pour un autre, aujourd’hui pour un intérêt, demain pour un[e] autre raison et enfin mille choses semblables qui nous arrêtent, qui nous amusent, sans regarder ce chemin qui est le seul qui nous conduit à Dieu. O qu’il y a de chemins écartés, ô que de portes larges par où volontiers nous passons. Car nous n’avons pas de peine à suivre et entrer par celles de nos sens, par celle de la nature et de l’amour (dte) propre et tant s’en faut cela nous plaît grandement et nous est fort agréable, mais pour entrer par un autre, il faut sans cesse combattre contre nous-mêmes et contre nos inclinations, et ce combat se donne et se rend en nous et au milieu de nous et c’est ce qui nous le fait sentir si difficile, quand on combat contre un autre la peine et la difficulté qui s’y rencontre est merveilleusement diminuée par la victoire que nous prétendons remporter contre notre ennemi, mais en celui-ci il n’en va pas de même, et nous gagnons en perdant en ce qui nous est le plus cher, et contre nous, de sorte qu’il est bien plus malaisé que l’autre, et nos forces seraient bien petites si Dieu ne nous fortifiait par Sa grâce et ne nous ouvrait les yeux pour nous faire connaître le vrai d’avec le faux, car pour moi il me semble que toutes la vie (page suivante) l’homme sur la terre n’est qu’un mensonge perpétuel aimant ce qu’il devrait haïr, estimant ce qu’il devrait mépriser, louant ce qu’il devrait blâmer, et se détournant sans cesse de Celui seul qu’il devrait chercher, et en comparaison duquel tout ne lui devrait être rien, pour moi je ne m’étonne pas pourquoi nous avons tant de peine à prendre ce chemin étroit que nous disions à cette heure, étant certain que nous avons de merveilleux empêchements à cela, et chacun le sait par sa propre expérience et n’a pas besoin de celle de son compagnon, la sienne propre lui suffisant bien.
Je lui dis une fois lui parlant d’une âme que Dieu conduisait par une voie de grande facilité et à qui Il donnait mille belles choses, elle me répondit : ‘voilà qui est bien, (mais il faut encore quelque autre chose barré) (dte), mais ce n’est pas assez, et qui n’aurait rien de plus de ferait pas grand chemin, ce n’est pas que cette manière aisée et pleine d’occupation de Dieu, ne puisse produire de très bons effets, mais il faut que cela soit et les effets dont je parle est une grande humilité qui nous fasse désirer le mépris et d’être traité conformément à ce que nous méritons, une grande soumission d’esprit sans laquelle nulle âme ne peut être vraiment à Dieu selon les paroles de l’Évangile, Qui ne renonce à soi-même tous les jours de sa vie ne peut être mon disciple, et c’est ce que nous faisons par la démission de notre propre sens. Or c’est ce que les choses de Dieu doivent opérer en nous, et non une certaine complaisance qui nous fait être bien aise de nous voir ainsi élevés, qui est un piège très dangereux et dans lequel beaucoup d’âmes (page suivante) se perdent, les dons de Dieu ne tendant pas à cette fin et au contraire, ils tendent à les abaisser et à leur faire connaître qu’en les recevant, ils les rendent vains, s’ils ne les réfèrent à Celui qui en est l’auteur. Je dis donc encore une fois que ce n’est pas assez d’avoir application à Dieu, sentiment d’amour vers lui, et choses semblables si nous n’en venons aux œuvres. C’est là où gît la difficulté et c’est là aussi où le fils de Dieu connaît quelles nous sommes, disant Lui-même qu’au fruit on connaît l’arbre, et cela ne peut être autrement, et ne nous y trompons pas. (Fin de page blanche et du texte).
Ce qu’à dit notre très honoré mère Marie de Jésus sur notre bienheureuse mère Madeleine plusieurs années devant qu’elle sortit de la terre.
(1) C’est une grande sainte. Il y a trente ans que nous nous connaissons, il ne faut pas s’étonner si on lui fait tant la guerre. Je sais bien ce qu’elle est, vous ne devez rien perdre de ce qu’elle vous dit et cela vous servira bien dans les occasions et Dieu vous fait une grande mesure (?) de ce qu’une âme si sainte a charité et liaison pour vous.
Pour nous ma sœur ce n’est pas grand-chose que d’avoir liaison avec nous au prix de cette grande servante de Dieu. Cela ne vous peut pas être utile, car comme je suis peu tout en est petit.
Parlant sur cette bienheureuse qui alors était en charge, dit : « Notre mère est une âme qui se consomme tout dans l’œuvre de Dieu et et à qui sa divine Majesté donne une grande puissance en ses paroles. Et le peu qu’elle en dit fait dans les âmes de très grands effets. Il semble que ce silence accroît la puissance que Dieu lui donne dans une application très souffrante dans ce qu’elle fait comme œuvre de Dieu et à son imitation pour la sanctification des âmes qui lui sont si chères et qu’il a racheté par le sang de son fils. »
(3) Il y a deux choses qui nous doivent consoler dans la perte des âmes saintes que nous avons connues dans la terre et qui ont eu pour nous charité particulière. La première est, être entièrement dépendant de de la volonté de Dieu et voir que c’est Lui qui qui l’a ainsi ordonné. La seconde chose, est de ce qu’on voit leur bonheur et de ce qu’elles jouissent de sa divine Majesté et par cela hors des peines de la vie.
(9) Notre bienheureuse mère nous a dit qu’ayant une fois une grande application sur la bonté de Dieu, et voyant comme elle était grande, elle commença à s’étonner de ce qu’il y avait un enfer (…) Elle vit que Dieu ne n’avait pas fait et que c’était une œuvre hors de Dieu…
(18) Sa résignation au vouloir divin fut aussi très entière et parfaite ; ne voulant rien choisir pour elle, mais laissant à Dieu à choisir et à ordonner de tout ce qui la concernait, ce qui était plus agréable à sa Majesté. C’est ce que nous avons remarqué en nos rencontres durant sa vie, et qui parût plus clairement lorsqu’elle fut proche de sa mort. Pendant sa maladie elle disait très souvent de bouche et encore plus souvent de cœur, ces sacrées paroles que le Fils de Dieu dit à son père au jardin des olives, « non mea voluntas sed tua fiat », elle nous disait que ce n’était pas chose de grande conséquence de partir un petit plus tôt ou un petit plus tard et que Dieu étant le maître de la vie et de la mort, il fallait nous soumettre à ce qu’il Lui plaisait ordonner de nous. /(19) elle donna encore une grande preuve de sa foi, de sa piété et de son ardent amour pour Jésus-Christ en ce que, durant sa maladie, toute défaillante et mourante qu’elle était, elle se contraignit à ne rien prendre toutes les nuits, et à se lever et tous les matins pour aller communier au chœur et rendre ses hommages au Fils de Dieu jusqu’au pied de son autel, et même elle y retournait encore l’après-dîner, ne se pouvant lasser d’être en la présence de Jésus-Christ à l’adorer et à lui offrir son âme et son corps en sacrifice. Seulement la veille de sa mort elle ne fit pas ce second voyage au chœur, le défaut de ses forces lui en ayant ôté le pouvoir, et le même jour de sa mort sa faiblesse fut si extrême qu’elle fut contrainte de souffrir qu’on lui apportât le très Saint-Sacrement pour viatique à l’infirmerie, lequel elle reçut avec un respect, un amour et une ferveur qui ne se peuvent représenter. Mais quelque temps après et seulement trois ou quatre heures avant mourir, elle se sentit si vivement et si fortement pressée de l’amour extraordinaire qu’elle avait pour la personne sacrée de Jésus-Christ dans l’eucharistie, que quoique déjà mourante, l’amour de ce Dieu dont elle était toute possédée lui donna assez de courage pour nous demander avec insistance qu’on la portât encore une fois dans le chœur pour rendre ses derniers devoirs à Jésus-Christ. Le respect que nous avions pour une âme si éminente en grâce et la crainte de nous opposer aux mouvements de Dieu, nous fit condescendre à ses instantes prières, mais une grande défaillance qui la surprit obligea celles qui la portaient de s’arrêter au milieu du chemin. Ce repos lui ayant donné un peu de vigueur, le révérend père Gibieuf, un de nos supérieurs qui était revenu (20) de Rouen en grande diligence pour l’assister à la mort, la vint visiter, elle témoigna une extrême joie de le voir devant que partir de cette vie ; ce qu’elle avait beaucoup désiré ; et comme elle avait très ardemment aimé durant sa vie toutes les maisons de notre ordre, elle fit paraître par sa grande application d’esprit et la tendresse d’une vraie mère avec laquelle elle en parla à ce bon père, qu’à l’exemple du Fils de Dieu elle les aimait jusqu’à la fin. Elle voulut se confesser encore à lui, l’ayant déjà fait auparavant ; s’étant donc confessée avec une profonde humilité de sa faiblesse, nous contraignit de la remporter dans l’infirmerie pour la remettre au lit, comme elle vit qu’elle ne pouvait satisfaire au désir ardent qu’elle avait d’aller au chœur devant le très Saint-Sacrement, elle pria de la tourner au moins du côté où il reposait, d’où elle l’adora et lui offrit les derniers moments de sa vie. Ensuite on la reporta à infirmerie où étant arrivée et remise dans le lit, elle demanda instamment par deux fois le sacrement de l’extrême onction et le reçut avec beaucoup de révérence des mains du révérend père Gibieuf ; à qui elle dit qu’elle voyait notre très honoré père feu monseigneur le cardinal de Bérulle qui priait pour elle ; et après avoir évoqué plusieurs fois le saint nom de notre Seigneur, elle entra dans l’agonie, laquelle ne dura qu’un petit quart d’heure. Durant ce temps elle eut continuellement le visage et les yeux tournés vers le ciel, et paraissait dans une application si forte et si profonde que je ne crois pas que cela puisse être suffisamment exprimé (…) Chacun était attentif non à pleurer, mais à prier et à admirer la consommation de l’œuvre de Dieu sur cette grande âme. Ce ne fut pas seulement les religieuses et les ecclésiastiques qui se trouvaient dans ce sentiment, car les médecins ayant encore demandé à rentrer pour voir s’ils ne pourraient pas sinon allonger sa vie au moins lui apporter quelque petit soulagement, lorsqu’ils furent arrivés en l’infirmerie ils se mirent à genoux pour prier comme les autres (…) Durant ce temps une religieuse de ce monastère vit notre seigneur Jésus-Christ, sa très Sainte mère et les saints Anges, qui étaient présents à la servante de Dieu pour l’assister en ce dernier passage et pour recevoir son âme à la sortie du corps, et d’un autre côté elle vit les démons en un coin qui montraient une extrême rage de la sainteté de cette âme et se plaignaient de ce qu’elle leur en avait ravi un très grand nombre.
(38) de son temps il s’éleva de grandes traverses contre notre ordre, certaines personnes s’efforçant de le diviser et de soustraire quelques-unes de nos maisons de l’obéissance des supérieurs qui nous avaient été donnés par les saints Pères en ce royaume. On fit pour ce sujet de grandes poursuites tant en France qu’à Rome et ces poursuites étaient accompagnées de tant de violences, de calomnies et d’injures si atroces contre nos supérieures et d’autres circonstances si aigres et si dures à porter que si nous n’avions dans ce monastère les papiers de toutes les procédures qui vérifient ces choses, il serait impossible de les croire de personnes de la condition de ceux qui les faisaient. Le principal faix de toutes ces fâcheuses affaires tomba sur la servante de Dieu, qui eut à porter durant sept à huit ans qu’elles durèrent d’extrêmes fatigues du corps et d’esprit. Et néanmoins quand tout cela fût passé elle dit en confiance à notre mère Marie de Jésus qui nous l’a rapporté, que durant tout ce temps elle n’avait rien eu à confesser sur ce sujet, ce qui est d’autant plus remarquable qu’elle avait la conscience si tendre et si pure qu’elle se confessait de choses extrêmement légères (…) (39). En l’année 1630 et les suivantes il arriva certaines autre affaires à notre ordre qui furent aussi très fâcheuses et dans lesquelles quelques ecclésiastiques qui y étaient intéressés la désobligèrent beaucoup par leurs paroles et leurs actions…
(19) elle disait que quoique toutes les âmes chrétiennes et en particulier les religieuses et entre les religieuses les Carmélites ont l’honneur d’être fille de la très sainte Vierge, doivent vivre dans un soin continuel d’employer tout ce qu’elles sont à révérer et adorer, a aimer et imiter la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ : que pour l’ordinaire il attirait chacune à rendre un hommage particulier à quelqu’un de ses états ou mystères, que l’âme devait être fort fidèle à suivre cet attrait et soigneuse de référer tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle fait et tout ce qu’elle souffre, non seulement au Fils de Dieu mais à lui dans ce même esprit, ou mystère et qu’il faut que ce soit son refuge en tout ses besoins. (barré ce qui suit, que l’on retrouve dans l’imprimé ascétisant et favorisant l’activité :) or elle ne voulait pas que les âmes se contentassent de faire ce que je viens de dire seulement par pensées et applications d’esprit, car elle comptait pour rien et plus belle pensée et les meilleurs désirs…
(41) Elle disait que souvent les âmes croient qu’elles ne se peuvent rendre à Dieu ni à la vertu dans leurs peines et que cela est très faux parce que la grâce Jésus-Christ leur est toujours présentée pour leur donner la force qui leur est nécessaire pour porter parfaitement leurs petites épreuves et qu’il n’y a rien d’impossible à une âme de Dieu pourvu qu’elle soit fidèle à recourir à Lui dans toutes ses nécessités. Voyez disait-elle ce que dit que l’Apôtre : « je suis toute chose en Celui qui me conforte. »
Elle désirait que toutes les âmes fussent dans une grande droiture et simplicité et elle m’a témoigné plusieurs fois que cette disposition leur était une des plus nécessaires pour s’établir profondément dans la grâce et dans les voies intérieures, et que lors qu’elle manquait en elle, il n’y avait pas lieu d’espérer qu’elles y fissent de un grand progrès.
(42) sur les âmes commençantes en particulier elle disait que la simplicité était une vraie vertu des novices, et il ne se peut dire combien elle travaillait à l’établir vraiment en elles. Or elle leur faisait entendre que ce qu’elle leur désirait n’était pas de ces certaines simplicités qui font faire par soi-même plusieurs choses sans raison et qui souvent tiennent plus de la bêtise que de la vertu, mais bien d’une disposition par laquelle l’âme n’ayant pour objet que Dieu, et n’écoutant que Lui en ceux qui lui tiennent Sa place, reçoit ce qu’ils lui disent dans une entière soumission de son jugement et sans en penser davantage ni en chercher aucune raison, et ensuite l’accomplir à la lettre sans en rien retrancher ou y ajouter aucune chose du sien.
(44) quand on les interrogeait sur ces mêmes choses elle voulait qu’elles répondissent toujours avec grande naïveté et candeur disant aussi librement leurs inclinations imparfaites que les bonnes et leurs manquements que les vertus qu’elles avaient pratiquées, sans juger qu’on les estimerait plus ou moins pour les choses qu’elles auraient pratiquées, sans penser que peut-être on ne les entendait pas bien (…) Et leur enseignait que cette même disposition mettait l’âme dans un grand d’éloignement de faire aucun jugement sur les actions du prochain puisque même elle lui interdisait de juger des siennes propres et de s’en occuper, outre la nécessité, pour en rendre compte à ceux à qui on doit et s’humilier devant Dieu de ses manquements et que retranchant en elles toute multiplicité, elle lui faisait en tout lieu en tout temps et en toutes choses regarder et rechercher cette unique nécessaire duquel parle Notre seigneur dans son Évangile, et tendre à Lui de toutes… (fin de feuillet)
(45) quoique cette servante de Dieu fût si soigneuse que je viens de dire d’établir les âmes que Notre Seigneur lui adressait pour les former à son service, dans toutes les vertus chrétiennes les religieuses comme je viens de dire, son attention principale était de remarquer soigneusement dès lors commencement ce que Dieu faisait en elle.
(47) Elle disait qu’une des choses qu’elle trouvait plus importante pour la conduite des âmes, c’est de prendre un grand soin de remarquer dès leur commencement ce que Dieu fait en elles et à quoi Il les tire, par ce disait-elle, qu’Il conduit les unes d’une façon et les autres d’une autre et il faut suivre ce qu’Il fait sans leur rien apprendre davantage et cultiver peu à peu ces petites âmes se servant de leur application vers le Fils de Dieu ou autres choses dans lesquelles elles peuvent être, pour les former dans la vie intérieure et parfaite y faisant un jour une chose et l’autre une autre, et cela selon qu’on voit qu’elles le peuvent porter, usant de grande prudence et adresse pour les conduire doucement dans ce que Dieu demande de chacune, parce que quelquefois pour trop surcharger une âme on la recule de bien loin.
Elle disait avoir vu par expérience que c’était une chose très nécessaire aux personnes qui conduit ces âmes, d’attendre avec grande patience le temps ordonné de Dieu pour faire ses œuvres dans les âmes, et que lors on n’y fait plus en un jour qu’on aurait fait en beaucoup d’années. Qu’il ne fallait pas néanmoins laisser de s’appliquer beaucoup aux jeunes âmes, lesquelles ont besoin d’être cultivées soigneusement, et qu’on leur fasse estimer le prix de la vertu à aimer le joug de Jésus-Christ et qu’on leur fasse voir la grandeur et l’excellence qu’il y a de vivre de sa vie, d’appartenir à ses mystères, de participer à ses travaux et à sa croix. Mais que lorsqu’on ne voit pas en elle de progrès et… de toutes choses qu’on n’y pourrait désirer il ne faut pas (48) s’étonner pour cela ni faire violence aux âmes pour les contraindre à entrer dans les dispositions où nous pourrions croire qu’elles devraient être. Elle disait que quoique l’on fasse cela par grand zèle (comme il semble) cette manière est fort peu utile. Que les âmes sont à Dieu et qu’il faut les y commettre incessamment et se souvenir que c’est de Lui et non de nous ni de nos forces que dépend l’avancement des âmes.
(52) sœur Anne de Saint-Barthélemy dit à M. Duval que sœur Madeleine de Saint-Joseph avait beaucoup pour les âmes, et que la sainte Vierge lui avait donné à entendre. Mon dit sieur Duval ledit à notre mère (illis…) La vénérable mère Anne de Saint-Barthélemy était lors prieure du monastère et la vénérable mère Anne de Jésus allant en Flandre y passa et séjourna quelques jours. La servante de Dieu assembla ses novices qu’elle désirait qu’elles grandissent compte de leur intérieur à cette vénérable Mère qui était la première prieure du couvent, ce que les novice firent avec tant de naïveté et sincérité que la vénérable mère Anne de Jésus fut ravie de joie voyant l’état des âmes que sœur Madeleine de Saint-Joseph conduisait avec tant de perfection, que cela accrut encore l’estime qu’elle faisaient d’elle, et possible le désir de l’emmener avec elle en Flandre, car elle lui en parla lors… (Fin de feuillet) (en travers : de sœur Marie de saint Jean-Baptiste de Chartres)
dans ceux et celles qui avaient la grâce de l’approcher je l’ai su de plusieurs qui en avait fait l’expérience lesquelles ont rapporté que quelquefois par les saints avis qu’elle leur donnait, quelquefois par sa bénédiction et d’autres par sa seule approche, des tentations impures dont ils étaient fort travaillés ont été dissipées. Quelques-uns m’ont dit qu’étant auprès de la servante de Dieu, ils sentaient comme découler d’elle une certaine pureté qui anéantissait tout sentiment et pensée contraire. Le même est aussi arrivé en plusieurs autres sortes de tentations, ce que je sais comme j’ai déjà dit des mêmes personnes qui ont reçu ces assistances.
… Que le grand talent qu’ils [les supérieurs] connaissaient en elle pour la supériorité leur fit désirer qu’elle instruisit le plus qu’il se pouvait des religieuses qui allaient exercer des charges dans les monastères de notre ordre, de sorte que, outre celles qui étaient professes de celui-ci et qui allaient faire des fondations, ou gouverner des maisons déjà établies, ils en faisaient venir d’ailleurs demeurer quelque temps auprès d’elle pour recevoir ses saints enseignements (13) la conviant encore de les donner par lettre aux absentes qui ne pouvaient venir jouir de ce bien…
(18) Monseigneur le cardinal de Richelieu disait que c’était un des plus grands esprits qui eût jamais connu et il n’avait pas moins d’estime de sa sainteté, ainsi qu’il le témoignait par le soin qu’il prenait de recommander à ses prières, tant sa personne que les grandes affaires du royaume…
du procès (deux in-folio), 1655, imprimé à Rome, 1782 & 1785
Vol.1 latin et italien vol.2 surtout en italien.
de la Mère Magdelaine de S. Joseph, Clamart, ms. [cité par Louise de Jésus et par Serouet, art. DS].
[1921] J. — B. Eriau, La Vénérable Madeleine de Saint-Joseph. Essais sur sa vie et ses écrits, Paris, 1921. [voir du même : L’ancien carmel du faubourg Saint-Jacques, 1604-1792, Paris, 1929, surtout le ch. 16]
Reprendre Louise de J (extraits à compléter, bios dont Bréauté) en voyant les notes de relecture, v. réf. en fin de vol. Chatou
[1935] La Vénérable Madeleine de Saint-Joseph, première prieure française du premier monastère des Carmélites déchaussées en France (1578-1637), sans nom d’auteur [Louise de Jésus], Carmel de l’Incarnation (Clamart), 1935, 612 pages. [dont de nombreux extraits, parfois : v. p. 117-123, 372-386]
cit extraites le plus souvent des dépositions ou de Talon. Extraits :
(204) « Tandis que l’âme sent en soi quelque résistance à ce qu’on lui commande ou qu’on lui fait faire, elle est bien éloignée… Et même elle a peine de se nommer et de paraître qu’elle est, parce quela vérité qui est en elle lui montre que se faire quelque chose, c’est dérober à Dieu. Et lors l’âme dit : Je ne dois pas Seigneur, me trouver en quelque lieu, puisque je ne suis pas ; mais je dois demeurer comme chose si basse que je sois à jamais ignorée. »
(208) « Le 15e janvier 1622, il me fut montré que le degré de gloire que je devais posséder dans l’éternité était arrêté… sans égard à la longueur ou à la brièveté de ma vie. Je vis aussi que je mourais à moi-même dès ce moment, que ma vie serait désormais pour les autres et non plus pour moi-même. » (Talon p.149)
(212) Filiation Jn de la X – Anne de Jésus — Madeleine
(231) bio de la 2e supérieure Française Marie-Madeleine de Jésus
sur la simplicité dans la maladie : (274, 276, 277 : à un médecin proposant ses services : « elle savait un bon remède qui était la résurrection »)
(290) estime de Richelieu
(303, 328) courage politique
(309, 310) protection du démon d’une sœur par bilocation
(312) bio Gibieuf
Ch.17 : La mère au milieu de ses filles. Sa direction spirituelle.
(365) Éprouvant toujours plus son impuissance… recourait aussi tj plus à Dieu… s’efforçait de ne donner aux devoirs de sa charge que les instants strictement nécessaires, et elle consacrait ses journées presque entières à l’oraison… ne faisait point d’action… qu’elle n’eût été faire prière au chœur.
(365) Elle ne faisait point d’action, elle ne se mettait point à parler aux sœurs de leurs dispositions intérieures, qu’elle n’eut été faire prière… les sœurs avaient peine de trouver le temps de balayer le chœur
Sobriété spirituelle : (367, 369, 371, 373 Thérèse : qu’elle n’avait pas été récompensée au ciel pour ses ravissements, mais bien pour ses travaux) Contre les lumières : (371, 373, 375)
(378) « C’est un grand abus en quelques âmes de croire qu’elles ne peuvent point ce qu’en effet elles peuvent, non pas en leur propre force, mais en celle de Jésus-Christ. »
(367)… s’il faut donner aux âmes tout le temps qu’elles désirent, je vous dirai que je ne suis pas de cet avis… assez de parler un quart d’heure… pour les âmes nouvelles… elles ont besoin qu’on leur parle davantage pendant quelques années…
C’est une chose si dangereuse que la direction des âmes… on ne le ferait qu’avec crainte et frayeur.
(368) Il faut parler humblement et simplement, et employer les termes les plus communs lorsqu’on parle de soi. … il me semble… quelque désir que l’on estime ce qu’elles disent.
(369) à propos d’une personne qui… disait… Ma voie est de cette sorte. … J’ai déjà cinquante ans, et je ne pourrais parler de moi avec cette assurance ; ni à un supérieur, ni même à mon ange, je ne pourrais dire quelle est ma voie. Rien ne m’appartient… nous allons à Dieu comme nous pouvons… cette voie n’est pas circonscrite si exactement… que Dieu n’y puisse renfermer d’autres sentiers… Que peuvent savoir ces âmes parmi les ténèbres de ce monde, qu’elles puissent dire avec assurance : telle est ma voie ? peut-être le disent-elles au moment même où cette voie leur est ôtée
(371) la servante de Dieu faisait une estime tout autre de la dernière (dirigée sans visions) que de la première (dirigée avec visions et phénomènes). Ce qui me donna quelque sujet de croire que peut-être elle tenait que celle-ci était trompée. Et comme elle m’avait chargée de travailler sous elle à la conduite de ces deux âmes, je voulus m’en éclaircir. Lui ayant donc demandé ce qu’il en était, elle me répondit que ce n’était point qu’elle crût cette religieuse trompée, qu’au contraire, elle tenait que les effets extraordinaires qui se passaient en elle étaient de Dieu ; mais que c’était sa sorte de voie, et que celle de l’autre ne renfermait pas cela. Et en même temps elle me fit entendre que la grandeur de la grâce dans les âmes n’était pas mesurée selon ces choses, et que la religieuse qui n’en avait point ne laissait pas de passer beaucoup l’autre (ce qui se vérifia).
(372-373) (longue cit dans le même sens, à reproduire)
(375) (à reproduire) (les grâces ne sont que semences pour aller)
(383) elle a supporté des années entières… de certaines âmes qui n’avaient nulle dévotion ni entrée aux choses de Dieu, essayant néanmoins d’y faire toujours petit à petit tantôt une chose, tantôt l’autre
(384) il faut prendre garde à un défaut où la plupart des âmes se laissent aller, qui est de laisser les voies essentielles de leur perfection pour s’arrêter à des choses particulières qui, bien souvent, ruinent la même perfection. [l’immense divin]
(386) L’on passe la vie comme l’on peut ; l’on tombe, l’on se relève ! le propre de la terre c’est l’inconstance et la diversité. Dieu, qui voit cela, excuse la faiblesse de sa créature. Il faut vivre en liberté d’esprit, nonobstant la vue et l’expérience de ces choses, et se confier en la divine bonté. …
Oh que si les âmes pouvaient voir combien Dieu les aime et est prêt de les aider et leur faire miséricorde, elles marcheraient bien d’un autre pas qu’elles ne font ! …
Mes enfants, or sus ! Ne nous lassons jamais de commencer, et novices et professes ! il faut toujours commencer jusqu’à la mort.
Ch. 18 : La mère au milieu de ses filles. Son gouvernement. 1624-1635.
(390) (délicatesse : elle fait intervenir des ouvriers pour ne pas refuser la construction d’une cheminée particulière à une sœur âgée)
(394) elle lui dit (à Marie de Médicis) dans une sainte liberté qu’ayant une religieuse malade, elle ne pouvait guère penser à autre chose.
(394-395) grâce toute extraordinaire… pour assister ses filles en ce dernier passage… elle lui parlait sur les privilèges de cette vie heureuse dans laquelle on aimerait, on adorerait, on louerait sans cesse… Elle dit à plusieurs de nous sur la mort d’une de nos sœurs, que comme nous ne sommes toutes qu’unes (sic) en Jésus-Christ, nous devions regarder notre sœur comme quelque chose de nous qui était allé à Dieu. Continuant ce discours, elle disait : Nous devons… nous appliquer beaucoup à Dieu pour elle, afin de lui aider à faire son chemin… Les âmes qui sont séparées du corps languissent de ne pas voir Dieu, de telle sorte que cela ne se peut comprendre… Aussitôt qu’une autre de mes sœurs eut rendu l’esprit, cette servante de Dieu dit tout haut dans l’infirmerie : maintenant cette âme est dans un parfait amour et une parfaite souffrance !
(397) Elle estimait toutes les âmes et ne les appréciait (sic) jamais, et disait qu’elles sont toutes d’un prix infini… que Dieu a des trésors cachés dans les âmes, lesquels… il ne faut point laisser de les vénérer ; qu’elle ne voyait point d’âme qui n’eût quelque don particulier de Dieu, et en laquelle in ne fut honoré.
(398) maxime du P. Pacifique : vivre avec les parfaits comme s’ils eussent été imparfaits, prenant garde à ne rien dire qui les pût le moins du monde indisposer ; et vivre avec les imparfaits comme s’ils eussent été parfaits, en leur rendant toutes sortes de soumission et de respect.
(401ss.) (nbreux exemples d’indépendance vis-à-vis des puissants)
(407) douceur. suavité… cachet définitif de son gouvernement et de son action sur les âmes.
(409) Et moi qui à présent n’ai presque plus de capacité d’observer les austérités religieuses, je désirai au moins exercer les vertus que nous pouvons toujours pratiquer, qui sont la douceur, la patience, l’humilité et les autres.
(410) il est nécessaire de tenir quelque sévérité aux âmes, non pas de paroles ni rudes ni sévères ; mais avoir un œil à Dieu pour ne pas adhérer aux faiblesses ou défectuosités de leur nature, ains leur parler par la grâce… ne cherchez nulle sévérité en la nature ni par vos industries. Mais élevez votre esprit à Jésus-Christ en parlant et en traitant avec les âmes, et vous donnez à lui pour parler selon lui et selon ses voies, mortes et anéanties.
(411) (témoignage sur sa façon de reprendre) Je n’ai jamais vu [la mère] en émotion d’esprit ni de corps. Si elle reprenait, c’était avec tant de douceur, des termes si charitables et une façon si affable qu’elle donnait grande humiliation… Elle le faisait à voix basse… après… il ne lui en restait plus rien ; elle était tout de même vers la personne qu’elle avait reprise… et lui parlait avec plus de tendresse et de charité… Elle agissait en ce sujet, selon ce que j’en ai pu reconnaître, tout à fait divinement (toute la note longue est à reprendre)
(412) (traitement indirect de l’anorexie en reprenant la maîtresse de la novice)
(414) elle ne laissait pas… de se démettre de ses pensées et se soumettre à celles d’autrui : « c’est un des soins que doivent prendre les supérieures que de se servir de ces légères occasions, parce que, comme on leur cède toujours, il serait à craindre que l’esprit ne contractât quelque habitude très préjudiciable à la perfection ».
(417) témoignages : « notre Mère Madeleine portait Dieu en soi et le répandait avec efficace dans les âmes qui s’en voulaient rendre dignes. » (418) « … je sentais, lorsque j’approchais d’elle, qu"elle répandait dans mon âme je ne sais quoi de divin… ses paroles… ont fait en un instant en moi ce qu"elle voulait de moi… j" en sens encore la force et la vertu dans le fond de mon cœur, où je les conserve comme une semence de vie éternelle… » « … elle avait une puissance d’ » établir les âmes en Dieu et Dieu en elles… Ceux qui l » ont expérimenté et qui ont reçu l » effet de ces grâces, savent que je dis vrai et que cela ne se peut exprimer. »
(421) « Il semblait… qu’ » elle vit les âmes et tout ce qui s » y passait presque aussi facilement que nous faisons les corps… j » en ai fait l’expérience en tant d’occcasions que je ne puis les nombrer. »
(428) « Vers l » année 1634… je fis la visite au couvent de l’Incarnation [le « grand couvent »], où la V.M. Madeleine de Saint-Joseph était prieure, et je sentis qu’elle portait une plénitude de Dieu si présente et si abondante, même pour autrui… je ressentis ce que je dis fort efficacement »
(429) (influence prolongée jusqu’à la fin du XVIIe s. ; ensuite jansénisme selon note intéressante ! … Dans la première moitié du XVIIIe s.les Carmélites, à la suite de leurs confesseurs… adhérèrent au Jansénisme… mesures énergiques (1748) pour bannir l’hérésie de la maison, qui revit alors quarante ans de prospérité spirituelle… (jusqu’en 1792 ; puis reprise en 1802 jusqu’en 1901 ; 19 ans d’exil à Anderlecht-les-Bruxelles ; en 1920 à Clamart)
(429)… la Thérèse de notre France a gravé… dans le cœur de ses filles… ce grand couvent… m’a paru toujours un grand désert, mais un désert dans lequel la grâce parle incessamment au cœur… ce lieu m’a toujours semblé un sanctuaire rempli de tous côtés de la sainteté de Dieu et qui m’excitait à l’aimer… » (Melle de Budos)
Ch. 19 La V. et les carmélites de France.
(elle apparaît comme le pivot)
(elle a formée une trentaine de prieures…)
(438) Ayant été élue prieure au loin, cette religieuse vint, avant son départ, passer quelque temps auprès de la Mère Madeleine pour profiter de ses conseils. Or la mère l’entretenait souvent, mais toujours de sa sanctification personnelle… « Je lui fis paraître quelque petit étonnement de ce qu’elle ne me disait rien du tout de la charge où l » on me mettait… — Ma fille, rien n’est important que d’être à Dieu, je veux que vous y soyez. La charge n’est qu’un accident ; et en vérité quand vous serez à Dieu par état, vous verrez que ce n’est rien d’aller ici ou là. Ne vous en occupez point. »
(439/40) vraie et fausse humilité
Ch.20 (445)… Ch.21…
(481) aspiration : « Seigneur, vous avez pris ma nature, prenez encore ma personne ! »
! le livre a été totalement relu 01/01, v. réf en fin
[1966] Th. Bailloud, Sillages de foi, Blois, 1966. [95 pages, Les Dubays de Fontaines, Madeleine de Fontaines.]
[1977] Ü « Madeleine de Saint-Joseph » par P. Serouet, vol. 10, col. 57-60.
[1987 ?] Madeleine de Saint-Joseph ou l’accomplissement d’une vocation, Stéphane-Marie du Cœur de Jésus ocd, mémoire de licence, Univ. de Fribourg, [200 pages env., 1987 (?) date de la thèse].
histoire du voyage en Espagne ; (45) sur Marie de Jésus (de Bréauté), « l’amie la plus intime de Mère Madeleine de Saint-Joseph » ; synthèse des sources surtout concentrées au carmel de Clamart ; dépositions ; annexes : liste des religieuses professes du grand couvent — des prieures — des carmels fondés jusqu’en 1637 ; bibliogr. : les archives du carmel de l’Incarnation sur Madeleine (31 vol. !) + paquets + bibliogr grale.
[1987] Vives Flammes, no. 168 consacré à « Mère Madeleine de Saint-Joseph, o.c. d. », 1987. 5 [p.1-34 ; contient huit titres : études et textes ; inform.]
[2000] Stéphane-Marie Morgain, « La disgrâce de Michel de Marillac, édition critique du Papier envoyé de Lisieux à la révérende Mère Madeleine de û, du 26 décembre 1630 », Histoire et Archives, no.7, janvier-juin 2000, 49-80.
1563— août 1632 — son frère Louis sera exécuté en mai 1632 — sur la mort de Mlle Acarie : « elle est morte religieuse, mais vous savez l’état de ses dernières années, et comme elle y a été délaissée et semble en quelque mépris, même dans le couvent d’Amiens… » et note106 explicitant le mépris de la prieure Anne du SS (Viole) favorable à la dévotion de servitude — belle glose ACC note 98 : « il ne faut jamais prendre un état opposé à l’attrait qui nous attire à Dieu, sous prétexte d’y faire un bien qui n’est point une suite de notre situation actuelle. C’est un écueil très délicat… mais aussi il ne faut pas sortir de l’état où Dieu nous a mis, sous prétexte du déchet de notre âme. Car ce ne sont pas les maux que l’âme voit et sent qui la perdent, ce sont ceux qu’elle porte sans les connaître. Il faut abandonner à Dieu le degré de perfection et les moyens, sûre qu’il nous fera sortir de l’état qui nous est effectivement contraire… (et la suite)
Biographie dans La Vénérable Madeleine de Saint-Joseph, première prieure française du premier monastère des Carmélites Déchaussées en France (1578-1637), sans nom d’auteur [Louise de Jésus], Carmel de l’Incarnation (Clamart), 1935 :
p. 231 (bio en note longue) et 505 (confidente ordinaire de Madeleine de Saint-Joseph)
Carmel, Revue trimestrielle de spiritualité, 1962, II, “Aux origines du Carmel de France, Mère Marie de Jésus, marquise de Bréauté, 125-147.
Bonne bio. : naissance 8 mai 1579. mariée à 18 ans 17 déc 1597 au marquis de Bréauté, “brillant dans le métier des armes, [il] lui plut davantage [qu’un prétendant prudemment éconduit]”. veuve avec un enfant de 13 mois le 5 fév 1600. Rencontre Madame Acarie. Entre au Carmel le 8 déc 1604. Infirmerie. S/prieure en 1606. Responsable des novices en 1608 lorsque Madeleine de SJ devient prieure. Prieure en 1615 ; fait bâtir une infirmerie. “Exprima l’ardent désir de ne plus accepter de charge” en 1624. Fin de l’année : mort de son fils en combat singulier. = “je sais par expérience… les efforts que le diable fait dans les âmes… afin de les porter au désespoir… lorsque Dieu nous traite plus rigoureusement… il agit avec plus d’amour” Lettres p163. 1629 mort des parents. “Depuis 1641 sa santé était ruinée… coliques pierreuses et bilieuses… elle disait n” avoir pas assez de mal pour mourir et en avoir trop pour appeler cela vivre” Mort 29 nov 1652.
Bonnes références.
Cit : Elle dit à la Mère Marie-Madeleine de Bains : « … j’ai vu… que notre union ne périra pas et qu’elle sera stable pour l’éternité, et j’ai une grande consolation de voir que ma mort n’y changera rien. C’est Dieu qui l’a faite et je l’emporte, elle ne s’évanouira pas. Oh ! que j’en ai de joie et que c’est une grande chose que cette volonté de Dieu ! Elle conserve elle-même tout ce qui vient d’elle. » réf à la Vie ms de la Mère Marie-Madeleine de Bains, p.385 et suiv.
Saisies ds Ms 3A2 vies de MJ Bréauté, AJM de Bellefonds, MJ de Bains (à partir de la table succincte relevée à première lecture)
[= Doc7&Doc7b début de saisie]
Ms. 3A2
Verso couverture : “I Vie de la Mère Marie de Jésus de Bréauté II p.180 Vie de la Mère Agnès de Jésus Maria (de Bellefonds) III Vie de la Mère Madeleine de Jésus de Bains p195”
Après 1691 par un P. de L’ Oratoire ? (annot. marg.)
I
4 Cette sainte dont j’ai même éprouvé l’onction quand j’ai voulu en écrire… quelqu’un avait même proposé… qu’on donnât un chronique entière de l’ordre des carmélites… elles [vertueuses Mères] ont répondu qu’il y avait du danger pour elles de si fort publier les grâces que Dieu 5 avait faites à l’ordre
9 (début de la bio I reprise dans l’article résumé ci-dessus — intéressant ex d’intolérance quant aux réformés)
10 (la gouvernante huguenote)
18 (mort du mari)
20 (et sa tristesse ; l’imprimé efface ce côté attachant de l’amour pour le mari)
23 [lecture de Seneca, etc. tout ceci repris dans l’article ; il vaudrait beaucoup mieux éditer un choix du ms. qui est plus vivant ; la maladresse « elle n » était plus athée » p.151 est levée ds le ms !]
25 cette peine qui la faisait passer à ses yeux pour une athée…
(le ms s’améliore grandement lors que les protestants ou les dignitaires sont loin de vue !)
(il éclaire spirituellement cf. contre terre courbée devant la grandeur de Dieu)
27 s’étant retirée en un coin pour y faire son Action de grâces elle y employa trois heures… en sorte… qu’elle commençait à croire que quand elle serait tout à fait engagée ds la dévotion…
28 de deux choses : l’une où nous croyons qu’il y a un Dieu, ou nous croyons qu’il n’y en a pas (et la suite)
31 Beaucousin
34 (nouvelle main) ô que je suis heureuse de n’être point religieuse… croyez mes sœurs… (conversation directe)
35 (proche de Mme Acarie)
38 (début d’un récit historique de la fondation du Carmel en France Gallement Duval Bérulle, etc)
42 (Bérulle manque de se noyer)
44 (les sœurs échappent à l’abîme, leur carrosse volant en l’air comme Élie !)
44 (reprise du récit concernant Mme de Bréauté restée avec Mme Acarie
45 mon fils je vous aime bien, mais j’aime encore mieux Dieu que vous
48-49 Coton Bérulle Acarie pour fléchir ce père par leurs prières
50 hélas Mgr vous paraissez bien affligé : vous ne venez pas à un enterrement, mais à une noce ! (sur l’exemple qu’elle donne) je ne me sens pas assez de vertu pour être imitée de personne
52, car je m’imaginais que cette confiance en Jésus-Christ me donnait une espèce de droit au mérite de ses œuvres
54 Livre second. (depuis son entrée au carmel)
58 quant aux demandes que je lui fis alors… que je le pusse aimer d’un amour bien pur et bien dégagé de l’amour de moi-même ; car ce mélange m’a toujours fais frayeur ; il est souvent si imperceptible qu’on croit aimer Dieu lorsqu’on s’aime soi-même. D’ailleurs c’est une alliance qui me paraît monstrueuse quand il se trouve qq chose d’humain ds cet amour de Dieu
59 Magdelaine de saint Joseph
61 que Dieu qui avait pris soin d’elle en prendrait jusqu’au bout
62 (infirmerie, réfectoire)
64 (pruneaux âpres)
67 (prieure)
70 (pb des carmes espagnols des Flandres, etc.)
76 (Condren se démet de la charge de visiteur en 1632)
77 une occasion à un nouveau désordre, mais qui ne dura pas longtemps (grâce au) bref de… 1659 (!)
78 son humeur pacifique devait être à l’abri de cette tempête. Elle en ressentit pourtant comme les autres des coups de vent…
79 (Magdelaine à Tours)
90 (soin des converses)
97 (marie-magdelaine de J lui succède en 1624)
98 mère et fille
99 une espèce de résolution de n’y jamais rentrer (dans les charges)
101 infirmités
104 tellement courbé l’épine… elle ne savait en quelle situation se mettre… si maigre et si décharnée que n’ayant que la peau, c’était une de ses peines de demeurer ainsi longtemps au lit
105 regarder cette majesté de Dieu… tous nos maux, quelques grands qu’ils soient, ils deviennent non seulemetn supportables, mais aussi agréables à porter
107 l’intérieur
112 Adieu A Dieu… elle paraissait ne pas entendre ce qu’on lui disait. On lui en faisait un peu la guerre et pour la tirer en quelque façon de ce profond oubli d’elle-même (…)
113 toute dépendance n’étant dûe qu’à Dieu seul (…)
120 (liste de saints anciens et nouveaux dont Magelaine de St Joseph et Lopez)
122ss (revue des vertus, etc. selon plan classique des bios = moins d’intérêt)
123 (conversation rapportée avec Magdelaine)
125 (sa comparaison avec frère Élie, Magd étant François)
126 (psy)
131 la marchandise, disait-elle en riant, ne vaut pas grand-chose, ainsi ne l’épargnez pas
SS.
148 (recueil de divers avis…)
149 no 8
150 no 24
156 c’est aimer qqchose plus que Dieu, que d’y penser plus qu’à Dieu no 75
160 (bio : maladie et mort)
162 (dits des deux derniers mois)
164 (gangrène, récit de la fin…) 169
175 (fin)
II
178
III
195 (autre main)
212 (à Blois)
213 (lettre : crainte de la mort et du jugement 1647)
231 (maladie prières de Magd et d’autres grâces reçues)
235 (vœux en 1620)
[ds toute cette bio style pâle et pas de « dits » !]
249 (source :) que nous nommions le petit logis
253 (union de cœur avec la mère Marie-Madeleine)
254 (combat d’humilité entre) la Mère Marie Madeleine et Marie de J
254 (élection de Marie de la passion — du Til) la regardant avec la mère Marie de J comme l’âme du monastère, elle ne fit rien sans l’avis de ces deux respectables mères
258 (terrible maladie) du démon ?
260 esprit… couvert de ténèbres
…..sur photos
449 fin du ms.
Lettres de la Révérende Mère Marie de Jésus, seconde prieure française de ce premier monastère de l’Incarnation à Paris, 203pp copie en 1872 d’un ancien ms. des Carmes du couvent de Santa Maria della Vittoria à Rome.
Lettres à transcrire (copie 1872) =Doc12
(4 : je ne crois point qu’une âme puisse approcher de JC à son autel pour quelque besoin que ce soit, et s’en retourner les mains vides… 6 : il ne nous donne pas tj en nous-mêmes toute la lumière dont nous avons besoin pour notre conduite, il la met souvent en autrui afin de nous lier les uns avec les autres d’une plus grande charité. 7 : Quand les âmes font quelques fautes, il vaut mieux les en reprendre charitablement, sans les contraindre par votre froideur à deviner ce qu’elles ont fait, elles s’en amendent bien plutôt et ne demeurent pas peinées comme souvent elles le sont, quand on paraît renfermée à leur égard. 15 : peu de personnes à qui l’on puisse parler de sa disposition utilement, et cela même oblige à se lier davantage à JC et à sa Ste Mère qui ne manquent à personne quand on les cherchent, ils vous le font connaître par eux-mêmes 17 : votre lettre que j’ai trouvée humble et sincère. (26) Ce ne sont pas nos prévoyances et diligences qui font les œuvres de Dieu, c’est sa grâce et l’assistance de son esprit. (42) je suis marrie… du peu de confiance qu’elle a à notre R.P. Gibieuf…
(43ss. À faire… suite depuis p.53 :)
(57) lettre 32 [à une Prieure] :… Quant à la maladie de la mère Madeleine a commencé, nous n’y voyons qu’un mal commun, dans son progrès dangereux, et dans son période mortel. En sorte que sans une grâce très extraordinaire, elle n’en pouvait réchapper, et il semble que Dieu ait fait tout cela pour lui demander la liberté de demander sa décharge, qu’elle avait fort en l’esprit depuis un an. Ce fut moi, qui par l’instante et pressante prière qu’elle m’en fit, en portai la parole à la communauté que je trouvai si docile, si dégagée des créatures, et si soumises à la volonté de Dieu, qu’elles accordèrent ma demande tout aussitôt, quoiqu’elles fussent toutes en larmes.
(65) Lettre 37 :… ne sentant rien de Dieu pour assister les âmes… lui demander par ce regard que ce soi lui qui fasse votre charge, puisque vous n’êtes, et ne pouvez rien, et puis faites doucement selon votre conscience… sans faire tant de réflexion sur vos actions pour voir comme vous avez fait, car ce n’est que perte de temps.
(66)… je vous dirai que Dieu vous a menée en un lieu où vous êtes seule… il veut que vous soyez toute pour lui… Car vous êtes si aisée à vous attacher aux objets vers lesquels vous avez quelque correspondance, que ce bon Dieu a été contraint de vous séparer de tous, tout d’un coup : j’en ai de la joie pour l’amitié que je vous porte, voyant que c’est le plus grand bien qui vous pouvait arriver…
(75) Lettre 42 :… comme la mère Marie Magdeleine de Jésus et moi sommes unies… (76) bienheureux sont ceux qui seront fidèles dans le combat (…) M. le Cardinal de Bérulle nous ayant appris que nous ne devons faire usage de la tendresse de notre nature que vers l’humanité sainte de Jésus-Christ. …
(87) Lettre 48 à la mère Béatrix à Salamanque : (88)… après notre bonne mère Magdeleine, il n’y est jamais entré personne qui y soit si utile…
(le pb des structures c’est l’exemple que l’on est contraint ou tenté de donner, qui vite met la vertu avant la grâce parce que cette dernière ne dépend pas de notre appréciation de nos besoins)
(93) Lettre 2 à une Sous-prieure :… l’abandon que l’âme doit faire continuellement à Dieu de tout ce qu’elle est… nous n’avons pas le droit de lui rien demander, sinon la grâce de le bien servir… nous ne devons faire autre chose que recevoir tout de sa main…
(95) Lettre 1re à une religieuse :… Je rends grâces très humbles avec vous à notre Seigneur, de ce qu’il lui plaît vous donner pour mère au ciel, celle qui l’a été en la terre, elle ne vous y sera pas moins utile qu’elle était ici, et même il se peut dire qu’elle vous la sera davantage parce que sa condition l’enfermait entre quatre murailles dont elle ne pouvait sortir, et ne pouvait humainement savoir le besoin des âmes absentes que par lettres, ce qui était quelquefois un peu long : mais maintenant elle écoute les prières, voit les besoins, et y remédie. Grand nombre de religieuses de cet Ordre l’ont déjà éprouvé en divers endroits, et ce m’est une grande consolation que vous en soyez une… notre R P Gibieuf est parti d’ici pour aller voir plusieurs de nos monastères, dont le vôtre… c’est un saint personnage en qui repose l’esprit de M. le Cardinal (96) de Bérulle…
(148) Lettre 3e à M. le duc de Villeroy son neveu :… En faisant le service du roi, il est bon, Monsieur mon neveu, de conserver la vie des hommes autant qu’il se peut, ils l’ont reçu de Dieu pour chose grande, et il ne faut pas la leur faire prodiguer sans grande nécessité. Je sais bien que peu de généraux d’armée s’y appliquent pour y penser, mais quand vous seriez un peu meilleur que le commun, il n’y aura pas de mal. …
(177) Lettre 3° à Mlle de M. :… Ces personnes-là n’ont d’autre dessein que de vous amuser et gagner du temps, sachant bien que vous ne pouvez, étant privée de toute assistance, persévérer en vos bonnes intentions (de quitter le monde) si vous ne sortez promptement du lieu où vous êtes, et en cela il sont raison. C’est pourquoi, ma très chère fille, il vous faut bien garder de prolonger le temps que vous avez donné quoique l’on vous puisse dire (179) pour vous le persuader. Si la plupart de nous autres religieuses avions écouté quand nous quittâmes le monde, tout ce que nos amis et nos parents nous disaient, et faisaient dire par des personnes de très grande piété et doctrine, pour nous y retenir, et cela sous de beaux et apparents prétextes, il n’y en a guères qui n’y fussent demeurées. Pour moi, j’avais un fils qui n’avait pas encore six ans, qui apparemment pouvait avoir besoin de moi, il y avait bien des choses à dire là-dessus pour m’empêcher de le quitter, et on ne manquait pas de me représenter que lorsque je l’aurais mis dans un état plus assuré, je pourrais après me faire religieuse. Mais Dieu me fit la grâce de me fortifier contre ces tentations, et d’entrer où je suis depuis quarante-cinq ans, malgré toutes leurs raisons, et je vous assure devant Dieu que je ne m’en suis jamais repentie, et que j’aimerais mieux être morte de cent mille morts, que d’y avoir manqué. …
(186) Lettre 6° à la même : Ma fille, il court un bruit chez vous que la personne que vous savez a bien plus d’espérance sur votre sujet que de coutume, que vous lui avez parlé avec bien plus de douceur que par le passé, que vous commencez à changer un peu votre habillement et votre coiffure, et que vous portez maintenant des gants d’Espagne. Mais comme nous connaissons la facilité que le monde a de parler, nous ne prenons pas garde à ces discours… Je vous prie, ma fille, de ne point croire ceux qui vous disent qu’il est nécessaire que vous voyez cette personne pour essayer de le convertir, c’est une tromperie. Jamais Dieu ne vous prendra pour faire cette œuvre-là, il n’y est pas disposé, au contraire votre vue et vos paroles (187) entretiennent sa passion, et ne peuvent faire nul bon effet que de lui donner des espérances très préjudiciables pour vous. Votre âge ne vous permet pas de connaître le monde comme moi, c’est pourquoi je vous supplie de croire en cela mon conseil, et d’être toujours le plus retirée et solitaire que vous pourrez, hormis la visite des Églises qui ne vous peut être qu’utile, pourvu que vous n’y entreteniez que celui que vous y allez chercher. Je suis bien aise que vous ayez un bon confesseur pour votre âme comme vous me mandez, mais je ne sais s’il est vrai ce que l’on m’a dit, qu’il y a un autre religieux qui vous voit tous les jours, et qui est envoyé vers vous sans que vous le sachiez par ceux qui désirent détruire vos bons desseins. Prenez-y bien garde, s’il vous plaît, il est très propre à faire ce métier-là, et très adroit pour le faire, en sorte que vous ne vous en aperceviez pas jusqu’à ce qu’il ait trouvé moyen de faire son coup. Si j’étais à votre place je diminuerais peu à peu ces communications jusques à ce qu’elles soient réduites à une fois le mois. La lecture des deux livres que je vous ai mandés vous sera bien plus utile que son entretien ; vous n’avez besoin que de fidélité à Dieu pour poursuivre ce que vous avez commencé jusques à son accomplissement… (et toute la suite de la lettre mérite reproduction)
Saisie par OCR sur réimpr. Eriau
[1628] [Madeleine de Saint-Joseph], La vie de sœur Catherine de Jésus, religieuse de l’Ordre de nostre Dame du Mont-Carmel […] decedée à Paris le dix-neuviesme fevrier 1623, op.cit.
J.-B. Eriau, Une mystique du XVIIe siècle, sœur Catherine de Jésus, Carmélite (1589-1623), Paris, Desclée, 1929, Introduction, I-XVI, réimpression de La Vie… d’après l’édition de 1656, pages 1-204.
06.02 choix de fragments surtout de Catherine de J, sur Eriau, exempl. À Chatou : pages 43 67 68 125 126 127 135 136 152 176 180 193 soit env. 6kcar ou 3 pages à intégrer ds une brève présentation de ce seul ouvrage publié du vivant de Mad.
Saisies lettres qui s’avèrent intéressantes en particulier sur la prière ! =Doc13
extraits :
1ere lettre de sr Agnès : (folios non numérotés)… la prière est celle qui nous unit avec Dieu et dans laquelle nous tirons force pour surmonter (f2r) ce qui oppose à ses divines volontés, on apprend par la prière à connaître dieu, à communiquer avec lui, à mépriser les choses périssables et estimer les éternelles, enfin il instruit l’ame de se séparer de tout pour le posséder plus parfaitement et il lui fait sentir que toute abondance qui n’est pas dieu meme est l’indigence meme… donner soigneusement l’aumone aux pauvres
2e lettre (f2v) :… je vous conjure de continuer Mademoiselle à avoir recours à notre bienheureuse mère Madeleine, car je ne doute point que vous n’en receviez beaucoup d’assistances, elle avait une affection qui n’est point imaginable pour vous… (f3r)… les choses quoique grandes Mademoiselle doivent néanmoins etre considérées petites par la brièveté de leur durée qui passe à véritablement parler comme un songe… je vous assure (f3v) que dieu récompense si abondamment dès cette vie… Melle du Vigean en rend maintenant un témoignage tout nouveau…
4e lettre (f3r)… la vraie oraison est un entretien de l’ame avec dieu et une parole intérieure par laquelle l’ame se communique à dieu et dieu se communique à elle, mais comme c’est chose si grande il ne faut pas penser que nous la puissions acquérir par nous_meme quoique nous devions y employer tous nos soins, mais il la faut demander à dieu avec beaucoup d’humilité et de connaissance que nous ne la méritons pas, l’attendre avec patience et confiance et la recevoir avec action de grace.
La vie de la V.M. Marguerite Acarie, dite du S. Sacrement… Fille de la B. Sœur Marie de l’Incarnation… Ecrite par M.T.D.C. [Tronson de Chenevière], Paris, Chez Louis Sevestre 1689 [cité et largement utilisé par Bremond, Invasion mystique, 344 ; il s’agit de la seconde fille de Madame Acarie] 416 p. (Clamart C3 M.AC 1 a 1689)
(31) (lettre à Anne de St Barthélemy) :… J’ai seulement les vertus dans l’imagination… ce qui me fait bien connaître le peu de force que j’ai de moi-même, et qu’elle est toute en Dieu seul.
(61) (en réponse à question, témoignage !)… si elle n’avait point trouvé de différence dans leurs gouvernements : Il est vrai qu’il y en avait en quelque manière. Notre Sœur Marie de l’Incarnation était fort appliquée à faire travailler les âmes à mourir à leurs sens, à l’orgueil et à la nature. A l’égard de notre Mère Magdelaine, sa grâce et son esprit intérieur faisaient entrer dans une grande séparation de soi-même, et dans une mort à toutes les choses de la terre. Pour notre honoré Monsieur de Bérulle, sa conduite était de lier les âmes à Jésus-Christ, à ses états, et à ses mystères. Je trouvais que ces trois sortes de conduites se rencontraient parfaitement bien pour m’aider…
(149) Lettre (choisie comme exemplaire) du 31 oct. 1634 :… Vous ne devez point régler votre salut dans vos impuissances et misères, puisque vous ne le pouvez pas même acquérir par votre puissance… Ne vous arrêtez pas à vous-même, si ce n’est pour vous élever à lui (Jésus-Christ) par vos misères et par vos impuissances ; car de chercher en vous une autre voie, c’est y chercher ce qui n’y est point. C’est pourquoi il faut que vous soyez à Dieu selon ce que vous y pouvez être, pour demeurer en la vue et en l’impuissance de vous-même sans vous y affaiblir, s’il vous ôte votre puissance ; et ce qu’à votre vue vous trouverez nécessaire de faire, portez cela puisqu’il le veut, et perdez votre âme, puisqu’il vous veut dans cet état ; car il veut que votre âme soit à lui sans acceptation et sans appui ni vue d’aucune chose, hors la puissance de son amour et de sa miséricorde pour nous sauver, afin qu’en toutes choses vous lui sacrifiez tout ce que vous êtes. Il veut vous laisser pauvre sans volonté du bien, afin de voir si vous serez fidèle, et si dans cette nudité vous vous tiendrez attachée à lui par cette nudité même, et par la tentation qu’il permet qui vous arrive, vous mettant presque dans la mécréance de votre salut ; l’esprit malin vous faisant sentir et porter tout ce qu’il lui plaît, selon la permission que Dieu lui donne de vous travailler. …
(172) A M. de Gondy : (Dieu) ne vous contraindra point ; mais il vous charmera doucement par les attraits de sa miséricorde, en sorte que votre volonté se soumettra à ses inspirations ; il appellera Madame votre femme hors de ce monde dans un tel temps et après sa mort il vous fera entrer parmi les Pères de l’Oratoire…
(178) Au P. de Gondy : Le moins que vous pourrez penser aux événements de la terre, c’est le meilleur… La patience et la bonté de Dieu est l’objet de notre méditation dans tout ce qui se passe… (218) Je me trouve acheminée dans une disposition si séparée de la terre et de toute occupation, que j’achève notre charge comme une préparation à une entière solitude de tout ce qui se trouve ici-bas et dans une vue de tendre à Dieu sans divertissement de toute passion et sollicitude.
(230) tout passe, ma fille, la peine, la douleur, l’affliction et le tourment. Dieu seul demeure comme le centre et le premier mobile de toutes choses. Liez-vous à cette vérité, que Dieu est, et qu’il ne vous peut rien arriver de plus souhaitable que ce qui part de son aimable conduite. C’est une béatitude anticipée de prendre les événements de ce biais.
(250) Il n’y a point, selon mon sens d’enfer, que la privation de l’amour de Dieu. Les autres peines que les damnés endurent, ne sont rien en comparaison ; et s’il y avait une étincelle de l’amour de Dieu dans ce lieu de ténèbres, et que par son ordre j’y fusse envoyée, j’aimerais mieux y être que dans le paradis.
(291) Lors qu’un jour Monsieur de Lorme son médecin lui promit quelque breuvage plus propre que les communs à la désaltérer, et à diminuer cette soif excessive qui la tourmentait sans cesse, elle lui dit tout bas : Je suis bien plus altérée de votre salut. Mais si vous ne m’aidez pas à travailler à ce grand ouvrage, vous deviendrez plus malade que moi ; et votre maladie surpassera d’autant plus la mienne que l’âme est plus considérable que le corps. Et comme si elle eut connu toutes les pensées de M. de Lorme, qui a laissé par écrit ces particularités, elle lui dit ensuite tous les remèdes qu’il pouvait apporter aux passions qui le dominaient alors…
(302) Il faut s’abandonner à Dieu, pour être dirigée par sa sagesse, et pour diriger les autres sur les besoins qu’ils vous communiquent ; et si l’on ne parle en humilité, on est en hasard de tomber en de grands aveuglements ; vu que l’intelligence spirituelle n’entre dans l’intelligence de l’homme que par une grâce spéciale, opérant le plus souvent ses plus admirables effets dans l’ignorance même de celui dont Dieu se sert. Ainsi l’âme n’a autre chose à faire qu’à adorer Dieu, qui est la souveraine intelligence, se désapproprier par désaveu de ses propres pensées, et néanmoins s ’y abandonner avec humilité, lors que par nécessité elle ne se trouve avoir autre chose.
(362) Je ne trouve pas seulement en soixante-dix ans une action raisonnable… je n’y vois qu’abominations.
(373) Je ne souhaite que la volonté de Dieu, et c’est ce que je lui dis dès le matin : mon Dieu, voulez-vous que je vive ? je le veux bien. Voulez-vous que je meure ? je le veux bien aussi : un peu plus tôt, un peu plus tard, il n’importe pas beaucoup, pourvu que l’on fasse la volonté de Dieu…
Conduite chrétienne et religieuse selon les sentimens de la V.M. Marguerite du S. Sacrement… avec un abrégé de sa vie (par Jean Marie de Vernon, selon la fiche Clamart), Lyon, chez François Comba, 1687, 434 p.
(Clamart C2 M. AC 1687 2)
(tout à fait différent du vol. précédent)
Préface servant d’abrégé de la vie… non numérotée avec une bio et des dates précises !
Table, approbations…
Conduite… 1-434. (Conseils généraux… Excellentes règles… Élévations… Maximes ou pratiques de vertus…)
Réécrit, peu inspirant.
Saisies par OCR sur éd. Serouet
Marguerite Acarie, Lettres Spirituelles, présentées par Pierre Sérouet, Cerf, Ed. du Carmel, documents, 1993, 232p.
p.63 65 83 90 120 à faire!!!
Contient des passages jugés beaux ou caractéristiques. =Doc14
Ass. au St Amour, Carmel de Clamart, 701 pages manuscrites à l’exception de l’« Association au saint Amour » proprement dit.
— voir à part les lettres choisies de Milley p.287-400, à comparer à l’édition : forme contractée ou d’origine ?
Table (5.5p suivie d’annotations personnelles 2.5p)
Association au saint Amour (le seul imprimé de ce « livre » relié au Carmel) paginé 3-34 :
« elle tomba sur la vie de la V. Mère Élisabeth de Brême, prieure de Rambervilliers… sentit ses premiers sentiments [d’amour de Dieu] se renouveler… les communiqua à deux personnes de confiance, qui lui dirent avoir eu aussi de leur côté des touches assez semblables. C’est ainsi que se forma entre elles cette Association. (réf. À Blémur 2e tome premier éloge) …. 2. L’Association que l’on propose ici, n’est point une Association extérieure et visible, mais une Association qui consiste uniquement à s’unir de cœur et d’esprit entre les fidèles qui aiment Dieu, afin, comme on vient de le dire, de donner plus de vivacité et plus d’étendue à son amour, et d’obtenir, par une communication de prières, la grâce de faire chaque jour de novueaux progrès… 3. Il doit y avoir une très particulière participation de biens spirituels entre les associés et un grand soin de prier en tout temps les uns pour les autres. … 5. La sainte amitié n’étant en rien sujette à la mort, parce qu’elle a pour lien la charité, qui, comme parle saint Paul, ne finira jamais, même après la mort ; cette communauté de biens spirituels se continuera entre les associés… 6. Les associés regarderont la Pentecôte comme leur principale fête… (9) (Marie Forneri fondatrice de l’ordre de l’Annonciade céleste morte en 1617, Magdeleine de Pazzi) (11-13) (liste de saints du calendrier dont Néri, Catherine de Gênes) (13) Maximes du pur Amour : Donnez à Dieu sans réserve et il vous donnera sans mesure. (et d’autres un peu ascétisantes) (17) Sentiments… (19) 6. L’amour divin peut être comparé au grain de moutarde. Une étincelle de ce feu sacré dans un cœur disposé… y croît comme à l’infini… (Bonaventure et frère Gilles) (22) Une célèbre pénitente morte Carmélite en 1710… (23) Quatrains : Pour nous rendre savants, l’amour n’a qu’à paraître,/Ses divines leçons ont de quoi nous charmer,/Il ne nous faut point d’autre maître ; /On sait tout quand on sait aimer. Etc. (30) Extr. d’une lettre du R. Père Surin… que l’espace de six mois notre âme se disposât… à recevoir le Fils de Dieu en sa Nativité, et les six autres mois à recevoir le Saint Esprit à la Pentecôte… » (33) (Prière de saint Bonaventure).
35ss. Manière courte et facile pour faire oraison en foi et de simple présence de Dieu par Mgr Bossuet…
(! recherche le 29.11.00 > Pierre de Clorivière, Prière et Oraison, Christus, 1961 pp.148ss. : le texte n’est pas de Bossuet [note Rayez] en fait il est « d’une main guyonnienne » [selon l’éditeur de Caussade, Traité…, p. 31] et même [selon nous] de Mme Guyon)
« I Il faut s’accoutumer à nourrir son âme d’un simple et amoureux regard en Dieu et en NSJC et pour cet effet il faut la séparer doucement du raisonnement, du discours et de la multitude d’affection pour la tenir en simplicité, respect et attention, et l’approcher ainsi de plus en plus de Dieu son unique souverain bien, son premier principe et sa dernière fin.
II La perfection de cette vie consiste en l’union avec Notre souverain bien et tant plus la simplicité est grande l’union est aussi plus parfaite. C’est pourquoi la grâce sollicite intérieurement ceux qui veulent être parfaits à se simplifier (36) pour être enfin rendu capable de la jouissance de l’un nécessaire, c’est-à-dire de l’unité éternelle ; disons donc souvent du fond du cœur…
III La méditation est fort bonne en son temps… mais il ne faut pas s’y arrêter…
VI La continuation de cette attention en foi lui servira pour remercier Dieu des grâces reçues pendant la nuit et en toute sa vie, d’offrande de soi-même et de toutes ses actions, de direction, d’intention et autres. … »
(Etc. intéressante adaptation à la vie conventuelle)
51ss. Sur la garde du cœur
……
75ss. L’oraison de silence « est une simple et respectueuse vue de Dieu, une amoureuse attention à la présence de Dieu et un doux repos de l’âme en Dieu. … cette simple vue de Dieu n’exprime distinctement aucune connaissance particulière, c’est une notion confuse et universelle du souverain être… Ce simple acquiescement… » (belle description des débuts)
(87) (vraie et fausse oraison de silence) (94) (les empêchements) (manque le maître)
(101) Pieux sentiments du R. P. Rigoleuc tirées de sa vie (assez morne ; mais en bas de page 118, autre main :
« Liaison entre notre âme et le S.Esprit : Le S. Esprit est un sacré soupir du cœur de Dieu qui le comble d’une joie infinie en lui-même ; et notre âme est un souffle de la poitrine de Dieu qui lui donne de la complaisance au dehors de lui-même… notre âme est la dernière de toutes les admirables productions au dehors de lui. O mon âme qui a la gloire de porter l’image de Dieu… qui a ce grand honneur d’être un Esprit de son Esprit, d’être sortie comme de sa poitrine, d’être un soupir de son cœur… »
(il y a trois mains pages 118-119)
(119) Des peines surnaturelles…
(120) Boudon – Simon du ? Bouvez capucin (intéressante description par ce dernier) (126) (Surin catéchisme spirituel)
(142) (autre main a) « V. Mère de Chantal remarquait que les perfections de la Très sainte Vierge ne consistaient pas en des actions extraordinaires et éclatantes, on ne voyait dans sa vie rien que de commun de simple, que cette vie était toute intérieure… »
(143) (autre main b) Avis pour les âmes que Dieu conduit par les voies communes de la grâce (montre l’esprit de la communauté)
(150) (main a) sans titre ; « nous dirons que le vrai amour a quatre ou cinq âges… »(une seule page)
(151) (main b) Retraite de dix jours… (160) « “je me suis assise à l"ombre de mon Bien-aimé… » C’est à l’ombre d’une foi nue que je me reposerai tout le jour ; s’il me vient des lumières je ne fermerai pas les yeux, mais si mon esprit les voit il ne s’y arrêtera pas… (161) les lumières ne sont donc que des moyens que Dieu nous donne pour augmenter les désirs que nous avons de le posséder… fortifier notre foi… (164) le silence n’est point une inaction volontaire et oisive… pour reconnaître mieux l’infinie disproportion qui est entre son Dieu et elle… (165) sans impétuosité, sans bouillonnement ; dans une paix profonde… pour vouloir toujours faire, je ne fais rien ! la nature se fortifie, et je m’oppose à l’action de Dieu même, il est dans la substance de mon âme… »
(171) [nouvelle main pour une nouvelle retraite, assez plate (collée dans pages percées), mais commentaire profond d’une autre main, celle de la p.150 :] « le fruit de l’oraison la plus sublime et la plus excellente, c’est de sortir de soi-même et de son amour propre pour suivre sa volonté ou plutôt la perdre heureusement en celle de Dieu même. » (Ste Chantal souvent citée).
(Txt collé parfois bon :) (179) « … ne tirez jamais d’autre avantage de la connaissance de la vérité que celui d’en être plus humble »
(180) (main de la p.150 :) Saint Jure, saint Fr de Sales (182) La mère de l’Incarnation
(184) ! M. de Bernières : « il n » y a pas de plus grande tiranie que celle de la grâce dans une personne qu"elle a entreprise de former à la ressemblance de Jésus-Christ »
(187) (tj en ajout même main) « Dieu est un feu consumant et un Esprit Exterminateur qui ne peut faire alliance avec la créature sans la détruire, s’il ne l’élève ? par quelque qualité divine qui la fortifie, ou s’il ne s’abaisse lui-même en modérant l’éclat de sa Majesté et de sa puissance »
(188) (id) « il faut à une âme immortelle un objet qui soit digne d’elle, qui sans fin la puisse assouvir, un Dieu qui la comble de gloire et la fasse incessamment boire au torrent de son doux plaisir. (et en bas de page) Si ma douleur devient extrême/L’amour rend léger mes tourments. »
(172) ! M de Bernières cité aussi pages (173) et (174)
(178) préparation à la mort (Txt collé)
(241) (autre main) Alphabet de préparation à la mort plat
…
(287) Fragments de quelques [nombreuses !] lettres choisies du R. P. Claude François Milley SJ mort en odeur de sainteté en assistant les pestiférés de Marseille l’an 1720… en particulier à des moniales de la Visitation… lettre 43
(! recherche le 29.11.00 = DS 10 – 1226ss. par Olphe-Galliard ; nombreux recueils de lettres col.1227)
(403) Lettres spirituelles du P. Rigoleuc (proche de ce que l’on connaît : v. notre table comparative)
(479) Méditation de la mort en général L’enfer, etc. (! déviation, témoignage intéressant : influence janséniste ? nous relevons un passage caractéristique :)
(530) « 3e point Un ver immortel : Ce ver n’est autre chose qu’un souvenir fixe et funeste des grâces et des moyens de salut qu’on aura eu durant la vie, et un reproche rongeur de l’abus qu’on en aura fait par sa négligence et par ses crimes, c’est proprement le suplice des chrétiens et des religieux. L’enfer de l’enfer, dit le chrétien intérieur, c’est d’avoir pu si aisément éviter l’enfer et de ne l’avoir pas voulu faire. (531)… de tous côtés sur moi, une pluie de sang, ou des ruisseaux de feu, l’un et l’autre tout ensemble, c’est le sang de Jésus-Christ qui coule de toutes ses plaies transformé en des torrents de flammes et de colère. »
(puis les vertus, l’obéissance, etc. plat)
(634) (autre main) « Celui qui aime véritablement n’a point d’autre soin que celui d’aimer qui n’en est pas un. Il se prête à tout et il peut dire qu’il n’a jamais rien à faire, parce que tout lui est égal et que pourvu qu’il aime, il a toujours réussi quoi qu’il arrive. Le moindre souci qui entrerait dans son âme y ferait le même effet qu’une paille dans son œil : il faudrait l’en chasser. Son amour ne pouvant souffrir qu’il soit en peine pour quoi que ce soit, tandis que tout est réglé par la volonté de celui qu’il aime »
[— à reprendre pour mieux comprendre la « vie intime » carmélitaine au XVIIIe s. ; recueil de choix de lettres, de retraites, d’annotations personnelles ; plusieurs mains se succèdent, dont l’une est particulièrement profonde]
(intérieur) 7A1 ; ms. 649 p. + env. 25 f° non numérotés
Belles élévations et considérations christocentriques
puis (426) lettres (444) retraite de 10 jours (478)… (499) lettre, avis, pratique, (527) copie de lettre de Thérèse de Jésus de Dole + 1657, etc., etc.
signets : « … son esprit ne souffrant rien de sombre, ni de mélancolie, parce qu’elle agit par amour… (427) Dès le premier regard elle va au pur amour… Voilà pourquoi l’esprit de l’Ordre est d’une exactitude si sévère et si étendus. Parce qu’il porte le cœur droit au souverain bien et qu’il n’a pour but que de plaire à Dieu, il ne modifie rien, il ne se dispense de rien, il ne peut supporter de mitigation, il n’accorde rien à la nature, il ne capitule point avec l’amour-propre. Charmé de la noblesse de l’amour divin, il ne trouve rien de difficile. L’Amour lui fait goûter des douceurs dans les plus grandes austérités. (…) Permettez-moi de vous dire à vous et à toutes vos chères sœurs qu’il faut que la grâce maintienne en vous trois dispositions. Premièrement l’amour de la retraite afin que vous puissiez être admise dans le cabinet de Jésus, et y entendre les secrètes paroles qu’il dit aux (433) vrais solitaires. Secondement la perpétuelle ferveur de l’amour, qui ne se contente de rien de médiocre, s’efforçant par une vigilance fidelle de tendre toujours au plus grand bien de la grâce, troisièmeement une affectation particulière pour la vie pénitente de sorte que vous y trouviez non seulement la vigueur de votre esprit, mais encore vos délices. » (lettre à une carmélite, annoncée p.425 ; lettre suivante :) (434)… Thérèse est un feu qui ne s’éteint jamais, c’est une fournaise ardente où l’amour divin fabrique tout ce qui est à son usage… elle devient une excellente Maîtresse. L’école de la théologie mystique est (435) chez elle. … (436) l’éloignement non seulement du monde, mais de tout amour propre. Leur caractère est dans exterminer jusqu’à la racine et jusqu’aux moindres fibres, de tendre toujours au pur amour, et faire uen continuelle étude du recueillement intérieur. … (437) elle veut que dès votre noviciat que vous soyez dans une disposition qui semble devoir être le travail de plusieurs années… (439) Voilà ce me semble, ma chère sœur, ce que votre sainte mère attand de vous, etc. (fin de correspondance)
(f° non numérotés :) La ? Synthèse de l’esprit du Carmel : L’Ordre de N. D. du mont Carmel est par choix divin un ordre d’âmes choisies liées au Verbe incarné. Leur vocation est de perpétuer sur la terre sa Vie cachée en qulité de victime, d’aodoration, de ?, de médiateur, etc. … Une véritable et parfaite carmélite est et doit être une âme intérieure et d’oraison continuelle fondée et exercée sur une profonde humilité, un détachement universel, une mortification générale et constante, une obéissance parfaite. L’on peut appeler ces quatre vertus les Elémens de la Vie Intérieure. C’est une âme morte et ensevelie au monde… C’est un cœur à Dieu sans partage, un esprit uni à Jésus-Christ sans division. C’est une épouse du verbe incarné substituée à sa place… C’est un cœur mâle et généreux… une médiatrice de la conversion… pour donner soutien et secours aux âmes.
[dans tout ceci et d’autres txts lus ce jour, grande intériorité, mais risque d’une part de confir en dévotion, d’autre part d’orgueil caché sous la perfection que l’on se fixe — certes droitement et directement — pour but, enfin problèmes posés par l’efforcement dès que le rôle premier de la grâce est oublié (ce qui n’est pas le cas de passages transcrits) : alors la notion de mérite surnage. S’en tenir fermement à : Il n’y a pas de mérite, tout est donné, nous ne pouvons rien et nous ne sommes rien ! ceci à la pointe de l’âme, car le fonctionnement en charité est permis et même recommandé, mais de manière spontanée [car donné].]
Exposition simple et abrégée des principes et des règles principales de la vie intérieure
(contenu dans l’Abrégé des Anonymes 7A1, numéroté de 1 à 279, puis 9 feuillets sans n°s dont des extraits de M de Bernières)
(4)… s’appliquer constamment à ne suivre que les mouvements de la grâce et que c’est dans cette application proprement que consiste la vie intérieure.
(6) Dieu… se doit à lui-même tout ce qu’il a fait, et en cela il ne peut jamais rien relâcher de ses droits. La créature intelligente et libre n’est pas moins à lui que la créature sans (7) intelligence et sans liberté. … Il est vrai qu’il veut notre bonheur, mais notre bonheur n’est ni la fin principale de son ouvrage, ni une fin égale à celle de sa gloire… il est lui-même sa fin unique et essentielle en toutes choses
(8) c’est vous qui bien loin de recevoir donnez à tout ce qui n’est pas vous-même
Mais pourquoi fîtes-vous toutes ces choses ? Elles furent toutes (10) faites pour l’homme, et l’homme fut fait pour vous, voilà l’ordre que vous établîtes : malheur à l’âme qui le renverse et qui veut que tout soit pour elle et qui se renferme en soi ! C’est là violer la loi fondamentale de la création.
(11) O néant tu veux te glorifier, tu n’es qu’à condition de n’être jamais rien à tes propres yeux. Tu n’es que pour celui qui te fait être. Il se doit tout à lui-même, tu te dois tout à lui.
(13) C’est sa volonté règle de tout bien qui doit vouloir en nous.
(15) Le dévouement parfait d’où le terme de dévotion a été formé, n’exige pas seulement que nous fassions la volonté de Dieu, mais que nous la fassions avec amour. Dieu aime qu’on lui donne avec joie et dans tout ce qu’il nous prescrit c’est toujours le cœur qu’il demande.
(21 Bourdaloue cité)
Tout fidèle… doit s’appliquer (26) constamment à ne suivre que les mouvements de la grâce, et c’est dans cette application que consiste proprement la vie intérieure.
L’unique affaire… (31) c’est de s’appliquer à ne suivre que les mouvements de Sa grâce. Or telle est la conduite d’une âme véritablement intérieure.
(34) (tout) pour le motif de l’amour surnaturel et souverain
(36) Elle reconnaît même dans ces actions… une bonté morale et de l’Ordre naturel. … (37) L’on ne peut pas s’élever à un ordre surnaturel par les seules forces de la nature : elle sait par conséquent que quelque louable que soit le motif d’un acte quelconque et quand bien même elle croirait s’y déterminer par quelqu’un des motifs que la foi lui découvre, un tel acte n’est pas néanmoins surnaturel si elle s’y porte d’elle-même et par le seul mouvement de sa volonté. (39)… des œuvres toutes naturelles parce que la grâce n’en est pas le principe.
(40)… s’interdire tout acte libre et volontaire auquel elle ne serait excitée que par le mouvement de sa propre volonté, elle s’applique en un mot à ne suivre que les mouvements de la grâce
(54) demandez et on vous donne
(70) Jamais occupée sans de bonnes raisons ni du temps qui s’est déjà écoulé ni de celui qui est encore à venir, elle s’applique uniquement (71) à être fidèle à Dieu dans chaque moment… Dieu ne lui accorde le secours de sa grâce que pour lui faire accomplir sa (72) sainte volonté, ne lui accorde ce secours que pour le moment ou elle peut l’accomplir en coopérant à cette grâce, or le moment présent est le seul où elle puisse y coopérer… ne se permettre aucun retour inutile… de même que toute prévoyance inutile
(76) vigilance simple et tranquille… aussi éloignée du trouble perpétuel et de l’inquiétude désolante du scrupule que de la fausse paix
(passages psy très fins sautés)
(83) intimement persuadée suivant l’expression de Mr de Fénelon que tout le bien ainsi que tout le mal est dans la volonté
(86) (ne pas juger par les goûts sensibles ou les sentimens des passions) il ne s’agit pas de ce que l’âme sent, mais de ce qu’elle veut.
(87… grande finesse)
(95) L’oubli est le martyre de l’amour-propre suivant la remarque de Mr de Fénelon
(105) qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu (et finesse de l’analyse)
(134) admirable simplicité… sans affecter l’air de modestie… de ces personnes qui ne veulent pas montrer ce qu’elles ont de bon, mais qui sont bien aises que les autres le leur découvrent pour avoir l’honneur tout ensemble et de leur vertu et du soin de leur cacher.
(139) Simple enfin dans toute sa conduite, elle n’a qu’une affaire, c’est de se tenir étroitement unie à Dieu… moyen le plus sûr d’attirer le secours surnaturel dont elle a besoin sans cesse
(141) craint toute voie extraordinaire
(nombreuses réf à Teresa d’où attribution à une carmélite par ex 144)
(147 réf Fénelon 155)
(156) le dépit de l’orgueil pour un sentiment de pénitence… comme si l’œuvre de Dieu se pouvait accomplir par notre chagrin ! Comme si on pouvait s’unir au Dieu de paix en perdant la paix intérieure.
(157) Soyez seulement fidèle à vous tourner simplement vers Dieu seul
(et beau passage et indique écrit pour une sœur)
vous aurez beau chicaner avec (158) vous-même, ce n’est point avec vous-même que vous devez prendre vos mesures… qui vous tendra la main… sera ce vous ? Hé…
(160) le grand archevêque de Cambrai
(162) Mr de Fénelon
(167) J’ai fait attention mon bon duc, écrivait Mr de Fénelon à un de ses amis… à votre difficulté pour discerner les mouvements de la grâce… (170) Il ne faut pas s’étonner suivant la pensée du même auteur… (171) Mr de Fénelon
(grande finesse d’analyse du scrupule appliqué à la recherche de confirmation de la grâce)
(178) Marchez à la lumière pendant qu’elle luit au lieu d’en examiner la source et les causes. La pratique du vrai amour dissipe tous doutes et dégoûte de tous les raisonnements spéculatifs. Il faut suivre ce que Dieu met au cœur dit ailleurs Mr de Fénelon (et analyse très fine du risque de fanatisme)
(180) Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple très directe, très rapide qui suffit pour agir avec droiture
(181) Marchez comme Abraham sans savoir où ; suivez le mouvement de la grâce : mais n’en cherchez point la certitude par raisonnement. Si vous la cherchez avant que d’agir vous vous rendrez juge de votre grâce (182) au lieu de lui être docile et de vous livrer à elle comme les apôtres le faisaient. Ils étaient livrés à la grâce de Dieu dit St Luc dans les Actes (et ce qui suit ; accent guyonnien !)
(rédaction en 3 Propositions + 40 articles titrés + conclusion 222)
(223) (se conformer à Jésus-Christ)
(226-234) table détaillée des propositions et articles
(235-266) récapitulation des principes de la vie intérieure
Dans petit volume relié noir intitulé « 7A1 abrégé », contenant : « Maximes spirituelles de Mr Zamet… » 3 pages non numérotées, page de garde avec citation « En matière de spiritualité il est bien malaisé de s’exprimer d’une manière claire et intelligible et encore plus difficile de le faire avec brièveté Ste Thérèse, lettre 13e tome Ier. »,
« Exposition simple… » numéroté de 1 à 279, puis
« Différents passages de l’Écriture Sainte et de pieux auteurs » 267-279 suivi de
9 feuillets sans n° s dont des extraits de M de Bernières, 1 feuillet blanc,
« Traité pour conduire des âmes à l’étroite union d’amour avec Dieu pour les y maintenir et faire profiter »/Recueilly de la doctrine des Sts en faveur de la vraie dévotion… dernière éd. revue corrigé et augmenté, A Paris chez la veuve Denis Thierry rue St Jacques… 1669, 1-155 puis 1 feuillet approbation par Alain, évêque de Cahors puis 2 f. table. [Tout le ms. est de la même main ; la seconde partie est une copie d’un livre anonyme ; il en est peut-être de même pour la première partie].
(77) Seconde partie : Adresse pour se maintenir et pour profiter en la possession de l’union divine.
Quand une âme est parvenue à l’état d’union avec Dieu qu’on appelle déiformité, ou le parfait anéantissement spirituel où la mort à tout nous conduit, elle n’a pas tant besoin de préceptes et d’enseignements particuliers pour se maintenir et perfectionner en ce sublime état comme elle en a besoin pour s’y conduire. L’esprit de Dieu est en elle et la possède et a assez de soin de l’instruire. (78) Il la traite comme son épouse et lui sert de soleil en beaucoup d’occasions, obscurcissant la lumière naturelle dont elle jouissait auparavant comme à la venue du soleil la lumière des astres s’obscurcit pour notre regard. Dieu lui est tout et c’est une chose pour ainsi dire naturelle d’être en Dieu, traiter de Dieu, parler de Dieu, vivre en Dieu, et pour Dieu comme à l’homme de respirer l’air ; et au poisson d’être dans l’eau. Agir pour Dieu est son exercice ordinaire, son manger, son boire et toute sa vie et pour ce qu’elle est comme transformé en Dieu, elle ne pense plus d’ordinaire, ni ne veut plus, ni n’opère plus comme auparavant par conduite et détermination de son esprit naturel, mais par l’Esprit de Dieu, et (79) par le pur amour qui vit en elle son esprit propre étant comme interdit de ses fonctions et de sa charge ordinaire, suspendu en son office et rendu sujet à un Esprit supérieur qui semble être venu gouverner en sa place, s’être coulé en tout l’homme, avoir tout pénétré, pris la conduite de tout en cette âme. Néanmoins comme elle n’est pas ici impeccable ni exempte de toute imperfection et qu’elle peut coopérer aux grâces de Dieu plus ou moins et se perfectionner en son état, aussi la peut-on aider beaucoup par des avis et enseignements convenables, et la volonté de Dieu est qu’elle s’y soumette humblement comme nous dirons à la fin de ce traité. L’humilité et la docilité sont les vraies marques (80) des Enfants de Dieu.
Chap. 2e. Elle doit vivre selon l’esprit et selon la grâce que Dieu lui a communiqué en cet état.
(83)… aussi ne vit-elle plus qu’en Dieu qu’elle regarde seul droitement, qu’elle contemple amoureusement, qu’elle aime fortement, qu’elle honore singulièrement et qu’elle sert tout seul uniquement. Dieu lui a ôté ses yeux de chair, ses vues et ses lumières pour lui en donner d’autres, pour être lui-même son œil et sa vue et sa lumière, c’est pourquoi elle ne considère plus les créatures si elle est fidèle à Dieu qu’avec lui-même, cad comme Dieu les considère, approuvant ce qu’il approuve…
(84) Chap. 3e. Elle ne se doit pas divertir de Dieu…
En cet état excellent l’âme ne se doit pas divertir de Dieu tout à fait ni quitter la manière d’agir avec lui surnaturelle qui lui a été communiquées. Elle converse avec Dieu non comme elle sait ou peut d’elle-même, mais comme notre Seigneur veut et le lui donne par une vue de Dieu confuse et générale, accompagné d’amour. Elle ne s’abaisse ni ne s’élève presque plus par actes exprès si particuliers (85) et si distingués, elle ne s’offre à Dieu ni ne lui demande rien si elle ne s’y trouve obligée et si Dieu ne l’y pousse… (86)… c’est une erreur de penser que l’âme soit alors en oisiveté comme si c’était un tronc ou un marbre, elle agit autant en vérité qu’elle voit et aime et goûte ce que Dieu lui fait goûter voir et aimer de sa grandeur, bonté (87)…
…………(intéressant !)
(réf à S. Grégoire sur Job, solitude sainte = religieux ?)
(133) Chap.14e. Elle doit être parfaitement simple aux yeux de Dieu.
En cet état toutes choses sont indifférentes à l’âme excepté Dieu et sa pure volonté, c’est pourquoi elle accepte tout ce qui se présente de moment en moment, mais avec un contentement doux et paisible qui ne ? dépends pas plus de l’adversité que de la prospérité, qui prend tout comme venant de la main de Dieu (134)…
(155) Conclusion
C’est tout ce que j’avais à dire… la fin et le terme de la perfection chrétienne, la communication divine qui porte le terme d’unité et de consommation en un comme Jésus-Christ même l’appelle, bref la vie parfaite où nous aspirons dans la voie… nos esprits un avec lui en sortent qu’ils se noient dans la mer immense de sa divinité et (156) s’y perdent heureusement pour jamais…
Approbation de Mgr l’Evêque Cahors.
… je supprime le nom de l’auteur qui m’est très bien connu… en l’abbaye de la Chancelade/Alain, évêque de Cahors.
Table :
Ouvrage de très petit format contient relié peau recouvert cuir fermoir :
Règle et constitutions… sainte Thérèse, Lyon, J Gaudion, 1626 : prologue, règle (1-210), table
Advis de sainte Thérèse de Jésus à ses religieuses 1-19
Advis que notre mère sainte Thérèse a donné après sa mort à quelques personnes de son ordre 8 pages
« Pendant que la joie en Dieu durera, le vrai esprit persévérera dans l » âme… »
Advis spirituels du B Père Jean de la Croix 3-41
(ascétique en 58 points)
Cantique d’amour… Thérèse 42-48
(« … que je meure de ne mourir pas »)
Points notables pour un religieux désireux d’acquérir une profonde humilité, Paris, Huré, 1656 1-96
Conduite pour la retraite du mois, Paris, Pierre de Bats, 1675 1-172
(examens…)
Traité… Martial d’Estampes
Suivi de
Homélie de la Magdelaine faite par Origène 264-320
Formulaire de prières 600-639
Oraison à la sainte Vierge 12-16
Litanies 25-42, une centaine de pages diverses
= un « manuel » de carmélite
ms. 18° voire 19° s.
+ en 1735
(2) Explication des cérémonies
(61-389) retraite annuelle (dont lettre de Chardon) de 10 jours : bien écrit, explications sur ces retraites érémitiques personnelles (65) assez religieux « une parfaite carmélite… »… (283) il y a un certain carcan des thèmes, etc. qui empêche l’expression de la vie profonde, et une certaine crainte « que rendrai-je au Seigneur… », beaucoup de « réflexions pour servir… » (je comprends ce que l’on peut traduire par « confit en dévotion » sans négativité : une bonté confite)
et tout est très subtilement faussé par le devoir, cependant parfois onction : « cette pauvreté que nous demandons et dont nous faisons profession, nous engage à la perfection de ce conseil évangélique, elle consiste en trois choses qu’une carmélite doit demander à Dieu et pratiquer sans relâche : 1° Un détachement universel de toutes choses petites et grandes, intérieures et extérieures ; ayant tout quitté pour Dieu il serait honteux de s’attacher à des bagatelles comme livres, images, cellules, etc. ou autres choses dont la possession occupe quelquefois autant que quelque chose de grand. Pour l’intérieur, une dévotion, un secours, un moyen de perfection, etc. tout cela est saint dans l’usage pauvre, mais non l’attache, qui pourrait s’y trouver et le corrompre comme lien du cœur. Ce n’est pas assez d’être détachées du cœur et sans désir de superflu et d’abondance, il faut être pauvre dans l’usage du nécessaire, un pauvre se contente de peu, de (168) choses simples, il estime richesse et abondance ce qui serait misère et disette pour un riche, il reçoit comme grâce les moindres services qu’on lui rend… voilà notre modèle, ce qui est à notre usage n’est que prêté et une chose d’emprunt se conserve avec soin telle qu’elle est, sans l’accomoder à notre goût comme étant à soi… »
Ouvrage « catéchèse » de très petit format contient relié peau (non recouvert cuir), mais fermoir :
(/ /donc au précédent recouvert de peau) imprimés
Catéchèse de la manière de vie parfaite… (3-140 & 1-92 pour la seconde partie)
Exercices sur la vie et passion de Jésus-Christ (au crayon « Taulère ») (1-317) « Confession très humble et imploration de la bonté divine Ch.I – Dévote méditation et action de grâces de l’Incarnation et vie de Jésus Ch.2 (6)… Marie mère très ennuyée suit son fils très dolent Ch.30 (175)… — Oraison très dévote pour se conformer à la vie très sacrée, et à l’image crudifiée de Jésus-Christ Ch.55 (311)
(en très petits caractères :) Prières chrétiennes (17-28), règles de la vie chrétienne (246-266), Des contemplations d’Idiote, de l’amour divin (119-140) « … ta bonté redonde tellement que tu viens au-devant, tu nous aimes et ta grande dilections’étend même sur tes ennemis ; tu ne te refuses à aucun, tu ne méprises aucun… tu nous forces quelquefois à revenir.. » (mais le reste est moins bon).
à partir de l’exposé de sœur Thérèse :
1604-2004
4ème centenaire de la fondation du carmel en France
Rencontre de deux désirs.
Après les grandes difficultés religieuses, politiques et sociales des guerres de religion, arrive le temps où le royaume retrouve sa stabilité politique avec Henri IV, sacré à Chartres le 27 février 1594.
Le catholicisme bousculé par la réforme protestante a besoin d’une restauration. C’est une époque de discussions théologiques, mais aussi d’enseignement. On peut citer, parmi d’autres, l’évêque de Genève, François de Sales (1567-1622), qui dans son diocèse, passé en masse au calvinisme, emploie tout son dynamisme et ses dons à expliquer à chacun la doctrine catholique tout en proposant aux fidèles en quête de vie intérieure un chemin simple et pratique pour vivre sous le regard de Dieu (Introduction à la vie dévote paru en 1608).
En même temps des groupes de catholiques fervents (les dévots) se réunissent et cherchent une voie : leurs efforts tendent à promouvoir une renaissance religieuse tant pour l’Église que pour les monastères ou abbayes dont beaucoup sont ruinés ou relâchés. À Paris on se réunit autour de madame Acarie (1566-1618), mère de six enfants aussi connue pour sa beauté et sa sagesse que pour les extases dont elle est favorisée. Chez elle se rencontrent des laïcs, des prêtres, des religieux.
Un hôte assidu, Jean de Brétigny (1556-1634), avait lors de ses voyages en Espagne, rencontré assez fortuitement une des compagnes préférées de la grande sainte espagnole Thérèse de Jésus, Marie de saint Joseph, et vu aussitôt quel service rendrait à la France cette nouvelle manière de vivre la vie religieuse en perfection avec un tel zèle pour la gloire de Dieu et le salut du prochain. Puisque toutes les tentatives qu’il avait faites depuis 1586 pour introduire le Carmel en France avaient échouées, il s’était résolu a faire connaître Thérèse en traduisant ses écrits. En1601, on lit donc à l’hôtel Acarie les œuvres de sainte Thérèse. Après mûre réflexion madame Acarie, l’abbé Pierre de Bérulle (1575-1629) et les docteurs en théologie Jacques Gallemant et André Duval, appuyés par François de Sales, décidèrent alors de faire venir d’Espagne de proches compagnes de la sainte Fondatrice pour établir le Carmel en France et, par leur exemple, aider à la réforme des Ordres religieux et au renouveau de l’Église.
La Mère Thérèse de Jésus dès 1562 priait pour la France et encourageait ses sœurs à le faire. Elle meurt en 1582. Son zèle missionnaire se transmet. Dès que le désir de Jean de Brétigny de faire venir en France des carmélites est connu, un certain nombre se préparent à répondre à l’appel : elles apprennent le français, s’informent. Certaines demandent explicitement à partir comme la Mère Anne de Jésus, d’autre, telle la sœur Anne de Saint Barthélemy a la certitude intérieure que cela se fera et qu’elle-même ira fonder. Ni le manque de santé pour certaines, ni les difficultés du voyage, ni le fait de quitter leur pays et ses coutumes pour d’autres très différents, ni la perspective du martyre en pays hérétique — ainsi était vue la France de l’Espagne — ne font obstacle à ce qu’elles considèrent comme l’œuvre de Dieu.
Madame Acarie écrivait à l’abbé de Bérulle le 18 mars 1604 : « Plus je vais en avant, plus je pense combien il est important que Dieu nous donne des âmes propres pour la conduite de cet édifice ; nous l’attendons du choix qu’il vous fera la grâce de faire… Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ faites choix d’esprits où reluise particulièrement la vertu de charité qui n’est jamais sans la vraie lumière des cœurs pleins d’amour, des âmes grandement compatissantes aux besoins de leur prochain »
Le choix de porta sur :
— Mère Anne de Jésus (1545-1621) une des plus proches de la Mère Thérèse. De son vivant elle avait été plusieurs fois prieure et avait fondé Grenade. En 1586 elle fonda Madrid. Au milieu des difficultés qui s’étaient élevées dans l’Ordre, elle se montra un chef d’où l’appellation « Capitaine des prieures ».
— Sœur Anne de saint Barthélemy (1546-1626) infirmière et secrétaire de la fondatrice. Elle l’avait accompagnée dans ses fondations les dernières années de sa vie et c’est entre ses bras qu’elle mourut.
— Les sœurs Isabelle des Anges (1565-1644), Béatrice de la Conception (1569-1646), Isabelle de saint Paul (1560-1641) et Eléonore de saint Bernard (1579-1639) n’avaient pas connu la sainte Mère mais formées à son école, elles portent en elles tous les désirs et les qualités nécessaires à cette fondation qui doit devenir source d’autres fondations.
Le 24 août 1604, 42ème anniversaire de la fondation du carmel Saint Joseph à Avila, elles s’y rassemblent. Elles en partiront quelques jours plus tard avec la ferme détermination d’implanter le Carmel en France. Elles sont accompagnées de Pierre de Bérulle, Jean de Brétigny et de trois dames françaises venues les chercher.
Madame Acarie avait regroupé autour d’elle de jeunes femmes portant en elle le désir exigeant d’une vie toute consacrée à Dieu. Ce groupe s’appelait « la congrégation sainte Geneviève ». Les œuvres de Thérèse leur étaient lues, la vie des carmélites leur était expliquée ainsi que les vertus religieuses telles la pauvreté et l’obéissance, on apprenait à réciter l’office. Parmi elles, madame Acarie choisit celles dont les qualités spirituelles et humaines permettaient de penser qu’elles seraient des pierres de fondation capables de recevoir le charisme, de l’intégrer et de le transmettre.
En ce jour les six carmélites espagnoles fondent à Paris, le carmel de l’Incarnation, dans l’ancien prieuré de Notre-Dame des Champs, au faubourg saint Jacques.
La rencontre des fondatrices espagnoles et des aspirantes françaises se révèlera un terreau magnifique qui portera de nombreux fruits. La mère Anne de Jésus écrit : « Les gens sont surpris de voir une si grande amitié et un si bon accord entre nous et leurs françaises… Dieu nous fait la grâce que, sans connaître leur langue, nous nous comprenons et vivons bien en paix suivant en tout ponctuellement les exercices de notre communauté. » (lettre de mars 1605)
Elle leur transmet l’expérience de Thérèse en essayant « de leur faire regarder et imiter Notre Seigneur Jésus-Christ, car ici on se souvient peu de lui : tout consiste en une simple vue de Dieu, je ne sais comment ils peuvent faire cela tout le temps. » (idem) et leur montrera comment vivre en petite communauté (21 sœurs maximum) dans le silence et la solitude, dans un climat de connaissance mutuelle, de charité fraternelle, de joie qui s’extériorise très spécialement lors des « récréations » (2 h. par jour) qui équilibrent une vie nécessairement très simple puisque les sœurs vivent du travail de leurs mains.
Dès mars 1605, 17 novices ont été admises et un carmel a été fondé à Pontoise en janvier. En septembre un autre l’est à Dijon et en mai 1606 un autre à Amiens.
Dès janvier 1607, soit à peine 2 ans et trois mois après la fondation de Paris, la mère Anne de Jésus et trois de ses compagnes partent fonder en Belgique. Elles seront suivies par la mère Anne de saint Barthélemy en 1611. Une seule fondatrice espagnole restera en France mère Isabelle des Anges. Mais le grain est semé et les françaises assurent la relève.
*Parmi elles Madeleine de saint Joseph (Madeleine de Fontaines–Marans 1578-1637) douée de rares qualités d’intelligence et de jugement tient une place particulière. Élue prieure du carmel de l’Incarnation à Paris, en 1608 à 30 ans, elle appuya de tous ses dons la rapide extension du Carmel en France. À sa mort en 1637, il y avait 52 carmels et en 1668, ils étaient 63. Elle-même fonda Lyon et le second carmel de Paris (carmel de la Mère de Dieu), mais surtout elle possédait à un degré éminent le don d’éclairer et de diriger les âmes de sorte que non seulement ses sœurs bénéficiaient de sa direction, mais que de province les évêques envoyaient celles qui se destinaient au Carmel afin que, formées par la mère Madeleine, elles puissent à leur retour assurer la transmission de l’expérience de Thérèse. Des sœurs de Paris étaient aussi envoyées dans les carmels à leur début. Cela créait tout un réseau qui donna aux jeunes carmels français un riche fond commun. L’avenir et les accidents de l’histoire montreront la solidité de l’édifice.
En 1789 les carmels français sont au nombre de 74 en incluant ceux fondés par des carmels italien ou belges. Tous sont fermés et les sœurs expulsées de leurs monastères. En 1794, les 16 carmélites de Compiègne montent ensemble à l’échafaud dans la sérénité montrant à tous la profondeur de leur attachement au Christ et à leur communauté.
Dès 1795 les premières communautés se reconstituent et l’histoire de leur renaissance au milieu d’énormes difficultés est une page de foi et de courage. En 1850 ils sont 72 et en 1901 au moment des expulsions. 132.
C’est au carmel de Lisieux que vivra de 1888 à 1897, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et en celui de Dijon de 1900 à 1906, la bienheureuse Élisabeth de la Trinité dont les messages ont parcouru le monde entier.
Aujourd’hui l’appel existe toujours, mais les entrées sont moins nombreuses tant pour des causes démographiques que culturelles. Des regroupements sont devenus nécessaires et il y a en France 97 carmels.
On peut aussi mentionner la grande extension missionnaire des carmels issus de France au 17ème siècle, au 18ème et au 19ème siècle aussi bien en Europe que sur les autres continents, ces nouvelles fondations assurant elles-mêmes de nouvelles fondations.
Les deux tableaux récapitulent les figures des carmels féminin et masculin, espagnols et français.
Le tableau I : Carmel et milieux associés rassemble les nombreuses figures rencontrées jusqu’ici et à venir, en les regroupant en trois colonnes, les deux premières relatives à la réforme espagnole, la dernière relative à la réforme française dite de Touraine. On y ajoute les influences au-delà du carmel sur les visitandines, les bénédictines du Saint Sacrement, des cercles mystiques quiétistes. On le fait suivre d’annotations faisant ressortir les influences (« > ») et les liens (« ^ »), signalant des noms de figures intéressantes omis dans le tableau, enfin donnant quelques indications quantitatives sur la durée des supériorats exercés dans le couvent fondateur parisien : en dehors de Madeleine et de Marie de Jésus (de Bréauté), du même âge, deux figures se détachent, que nous avons donc étudiées : Marie-Madeleine de Jésus de Bains (1598-1679) et Agnès de Jésus Maria de Bellefonds (1611-1691). Compléments au tableau I :
Références à des influences ou à des liens :
P. d’Alcantara > Teresa : DS 12.1492b
Marie-Madeleine de J. < Madeleine de Saint-Joseph (v. La Vén. Madeleine…, 231, 505)
Marie de Jésus (de Bréauté) ^ Marie-Madeleine de Jésus (v. La Vén. Madeleine…, app. II)
Anne de J > M de Chantal (au parloir de Dijon)
Isabelle des Anges > Surin (v. Surin, Poésies…, Catta, Vrin, 1957, 8)
D’autres sœurs dignes d’intérêt ne figurent pas dans ce tableau :
Marguerite Acarie
Anne Marie de J d’Epernon (petite fille d’Henri IV)
Marie de la Trinité d’Hannivel (est l’amie de Mme de Chantal,
v. Eriau, L’ancien carmel…, 442 ; pour sa bio. v. Gosselin, Carmel de Beaune…)
Durées de supériorats dans le couvent fondateur parisien :
Anne de Jésus et Anne de Saint-Barthélémy 4 ans
Madeleine de Saint-Joseph 7+11=18ans
Marie de J de Bréauté 9 ans
Marie-Madeleine de J de Bains 7 +4 +6 +3=20 ans
Agnès de J Maria de Bellefonds 7 +6 +6=19 ans
Marie du Saint Sacrement de la Thuillerie 6+5=11ans
Autres entre 1604 et 1705 : 16 ans soit seulement 15 % de la durée totale
Le Tableau II : Fondatrices du Carmel français présente la population nombreuse des premières fondatrices de couvents en France et date quelques-unes de leurs fondations. Notes du tableau II :
1 1ers vœux de France 1.11.1605 ; Pontoise
2 vœux 12.11.1605
3 9.09.1605, arrive de Pontoise en 10,160 5
4 vœux 24.12.1605
5 arrive d’Amiens fin 1616, + 18.04.1618
6 de Pontoise à Dijon 08.1605
7 après avoir été parmi les 4 premières novices à la fondation de Pontoise
8 01 et 02 puis 08,160 5 ; première professe de Pontoise ; sera MN à Dijon
9 Protestante dans sa jeunesse
10 à l’initiative de Mme Acarie
11 à l’initiative de la Mère Anne de Jésus
12 apprend l’espagnol, familière d’Anne de J avec Marie de la T
13 Isabelle des Anges part de Paris le 10.05.1606 avec Marie de la Trinité (Sevin) ; elles iront à Rouen
en 1609 ; Is. fondera Amiens, Bordeaux en 1610, Toulouse, Limoges en 1618 où elle meurt le 14.10.1644.
14 18.05.1608 ; Claire (de Pontoise) SP ; Marguerite de la Trinité
Admirée au Canada comme en France, l’ursuline et canadienne « seconde » Marie de l’Incarnation132 est souvent considérée comme la plus grande mystique du XVIIe siècle français. Brémond qui l’a redécouverte, lui consacra la moitié du tome IV de son Histoire. Aussi lui donnons-nous une place exceptionnelle qui ne sera égalée que par celle que nous réserverons à Madame Guyon au tome IV.
Sa vie fut extraordinaire : elle est partie vivre au Canada au milieu des Indiens. Elle a donc vécu la mystique en plein cœur de l’action. Elle n’est l’héritière d’aucune école : même si elle a eu des confesseurs, elle a surtout suivi la direction intérieure que lui donnait l’Esprit Saint.
Marie Guyart, quatrième enfant d’un maître boulanger, fut mariée avant dix-sept ans à un maître ouvrier en soie, Claude Martin, qui mourut en 1619, peu après la naissance d’un fils, Claude. La jeune veuve prit la tête de la fabrique, termina les procès en cours, remboursa les créanciers et se retira chez son père avec le bébé. Mais le 24 mars 1620, elle fut foudroyée par l’amour divin : Je m’en revins à notre logis, changée en une autre créature, mais si puissamment changée que je ne me connaissais plus moi-même, racontera-t-elle à son fils en 1654. Puis, tout en pratiquant de sévères mortifications, se faisant « la servante des servantes de la maison », elle fut appelée à seconder son beau-frère dans la direction de son entreprise de transports par voie d’eau et de terre (elle avait « le soin de tout le négoce »).
En 1631, à l’âge avancé (pour l’époque) de trente et un ans, bien que son fils n’ait que douze ans, elle céda à l’appel de la vie religieuse et entra chez les ursulines où contemplation et action s’équilibraient. Elle y fut accueillie sans dot. La famille tenta de la dissuader en lui faisant rencontrer son fils désespéré par son départ, mais en vain. Elle passa une dizaine d’années cloîtrée. En 1633, elle fit un songe qui lui dévoilait un pays mystérieux plongé dans la brume : celui-ci se révélera être le Canada.
Nous avons vu avec Bernières que partir convertir les sauvages était le grand rêve de tout spirituel de l’époque. En 1639, elle accepta donc une mission pour la Nouvelle-France (le futur Québec). Elle était accompagnée d’une moniale de Tours et d’une autre de Dieppe, ainsi que d’une jeune veuve d’Alençon, Marie-Madeleine de la Peltrie, fondatrice temporelle (que nous avons vue « fiancée » à Bernières) : nous avons raconté les péripéties de leur embarquement dans la section sur Bernières.
À Québec, qui n’était encore qu’un village de deux cent cinquante colons, commença une nouvelle vie : Marie supervisa la construction du couvent, prit contact avec les Hurons pour éduquer leurs petites filles. Les épreuves ne manquèrent pas : destruction de la communauté des Hurons, nuit intérieure jusqu’en 1647, incendie du couvent, épidémies… La guerre indienne décima les Français laissés sans secours de la métropole elle-même déchirée par les luttes de la Fronde. Puis vinrent les maladies douloureuses et les infirmités. Parvenue à un état d’union intime à Dieu, « d’une simplicité telle qu’il lui est difficile d’en rendre compte », elle mourut le 30 avril 1672 133 &134.
Comme son éditeur Dom Oury le montre, elle était d’un tempérament énergique et bien trempé : il faut être impitoyable à soi-même et courir sans relâche pour arriver au Roi135. Elle aimait aller droit au but en évitant tout retour sur soi-même :
Depuis qu’une âme veut une chose, si elle est courageuse, c’est demi-fait […] Pour prendre un chemin bien court, il me semble que le retranchement des réflexions sur les choses qui sont capables de donner de la peine est absolument nécessaire. Il importe de fortifier son âme contre une certaine humeur plaintive et contre de certaines tendresses sur soi-même136.
Dieu s’était révélé à elle comme l’Amour :
Il est si passionné [de notre âme] qu’il en veut faire les approches137.
C’est donc par la voie de l’amour qu’elle fut conduite :
Dieu ne m’a jamais conduite par un esprit de crainte, mais par celui de l’amour et de la confiance138.
Les petits font de petits présents, mais un Dieu divinise ses enfants et leur donne des qualités conformes à cette haute dignité. C’est pour cela que je me plais plus à l’aimer qu’à me tant arrêter à considérer mes bassesses et mes indignités139.
La meilleure façon de découvrir Marie est de la lire ! Ses deux Relations comme sa Correspondance forment un ensemble vaste (près de deux mille pages), mais qui demeure tout au long très vivant. On y voit la dynamique d’une vie mystique au cœur d’une vie difficile.
C’est à l’admiration fidèle de son fils que nous devons la conservation de tous ces documents. Les deux Relations furent écrites à près de vingt ans d’intervalle, en 1633 puis en 1653-1654 : indépendantes l’une de l’autre — car Marie perdit tous ses documents pendant l’incendie du couvent canadien, — elles couvrent en grande partie les mêmes périodes de sa vie. Disposer de relations séparées par près de vingt ans est un cas unique parmi tous les témoignages que nous ont laissés les mystiques. De plus, ces écrits ne subirent aucune censure140, ce qui est rare. La seconde Relation fut écrite à la demande d’un fils très cher qui était entré chez les bénédictins et s’était engagé dans le même chemin intérieur141 : elle est particulièrement belle et intime. Le récit des instants forts ou d’événements intérieurs précis que donnait la première Relation, laisse place à une division en treize « états d’oraison » qui ont un début, une durée et une fin, et qui englobent toute la vie : à chaque étape, se manifeste une nouvelle expérience donnée par la grâce, une nouvelle phase qui fait progresser Marie dans son chemin mystique.
La Correspondance nous apporte enfin des témoignages spirituels de la pleine maturité et de la fin de vie : ce complément précieux sur sa vie intérieure s’étale sur la longue période de dix-neuf années qui va de la seconde Relation à sa mort. Là se trouvent les admirables lettres à son fils que nous citerons abondamment. En même temps, Marie qui a appris et composé dans les langues indiennes y décrit la vie quotidienne et concrète, l’isolement et l’insécurité de la dure vie canadienne, le retentissement de l’isolement et des menaces exercées sur une petite communauté.
Parsemées de notations colorées, parfois étranges ou sanglantes, les lettres restent plus spontanées que les Relations. Elles étaient écrites annuellement, au rythme des rares voyages maritimes saisonniers : les bateaux arrivaient de France en juillet et partaient fin août ou début septembre. On note pourtant le soin des rédactions qui nous sont parvenues : répondant aux demandes des correspondants, certaines sont longues et s’apparentent à de petits traités. Ce type d’écrit concret et libre de toute théorie ne se retrouvera que chez Mme Guyon.
Grâce à une correspondance bien datée et aux deux Relations, nous avons donc la possibilité assez exceptionnelle d’établir une série chronologique d’extraits qui relatent les événements extérieurs biographiques sans les séparer de l’évolution mystique : comment vit-on intériorisé, tout en étant environné de contraintes terribles ?
Le lecteur va trouver ici entrelacés des textes de la première Relation de 1633, de la seconde Relation de 1654, et de la Correspondance. Leur classement chronologique couvre les trois périodes d’une vie pleine et longue : la vie laïque de Marie Guyart (une trentaine d’années), la vie religieuse cloîtrée en France (dix ans), puis la vie religieuse active au Canada.
28 octobre 1599 : elle naît à Tours. Elle rêve de Jésus-Christ à sept ans : l’effet fut une pente au bien (rr47)142. Mariée à dix-sept ans, elle est veuve à dix-neuf ans. Elle aspire à Dieu et se livre aux excès ascétiques classiques à son époque :
Elle avoue que les disciplines d’orties, dont elle usait l’été, lui étaient extrêmement sensibles, à s’en ressentir trois jours durant. Elle usait aussi de chardons, et l’hiver d’une discipline de chaînes qui ne semblait rien au regard des orties, dit-elle. Pendant quelque temps, elle se contraignit à manger avec un peu d’absinthe et à garder dans la journée par moment de l’absinthe dans la bouche. Cela lui causa des maux d’estomac… (b87)143.
Heureusement la grâce prend les choses en main :
24 mars 1620 : En cheminant, je fus arrêtée subitement, intérieurement et extérieurement, comme j’étais dans ces pensées, qui me furent ôtées de la mémoire par cet arrêt si subit. Lors, en un moment, les yeux de mon esprit furent ouverts et toutes les fautes, péchés et imperfections que j’avais commises depuis que j’étais au monde, me furent représentées […] voir un Dieu d’une infinie bonté et pureté, offensé par un vermisseau de terre surpasse l’horreur même […] En ce même moment, mon cœur se sentit ravi à soi-même et changé en l’amour de celui qui lui avait fait cette insigne miséricorde […] Ce trait de l’amour est si pénétrant et inexorable pour ne point relâcher la douleur, que je me fusse jetée dans les flammes pour le satisfaire. Et ce qui est le plus incompréhensible, sa rigueur semble douce. Elle porte des charmes et des chaînes qui lient et attachent en sorte l’âme qu’il la mène où il veut, et elle s’estime ainsi heureuse de se laisser ainsi captive. (rr69).
Elle entre dans l’église où elle rencontre celui qui va devenir son confesseur, Dom Raymond de Saint-Bernard, Feuillant, puis rentre chez elle :
[…] je m’en revins en notre logis, changée en une autre créature, mais si puissamment changée que je ne me connaissais plus moi-même (rr71).
1621 : Après avoir goûté un an de tranquillité chez son père, à vingt et un ans, elle est appelée chez sa sœur pour aider le couple dans leur entreprise. Là s’affirme sa capacité à rester très absorbée intérieurement tout en agissant dans le monde :
Je me sentais tirée puissamment, et en un moment, sans avoir le loisir ni le pouvoir de faire aucun acte intérieur ni extérieur […] J’étais ainsi une heure ou deux, et cela se terminant avec une grande douceur d’esprit, j’étais toute étonnée que je me retrouvais en mon entretien ordinaire (r159). Je me suis trouvée parmi le bruit des marchands, et cependant mon esprit était abîmé (r162) ; cela n’a apporté aucun trouble à ceux avec qui j’étais. Je les quittais doucement et pendant qu’ils s’entretenaient de diverses choses, je donnais à Dieu le temps qu’il voulait (r174). Qui m’eut demandé : Que voulez-vous ? J’eusse dit : Je ne veux rien, Dieu est mon tout (r166). Quand je voyais que quelqu’un avait besoin de quelque chose, je lui disais : Mon amour, cette personne a besoin de cela ; je vous prie qu’on le lui donne. Il m’exauçait et je trouvais aussitôt ce qui faisait besoin à ces pauvres (r182).
1623 : Elle lit des livres sur la méditation et s’imagine bien faire en les suivant : Le mal violent que je m’étais fait à la tête, en tentant de méditer au lieu de s’abandonner à la conduite de Dieu, me demeura plus de deux ans (rr86).
Elle passe au-delà de l’imaginaire humain pour entrer dans la réalité divine :
J’avais quelquefois un sentiment intérieur que Notre Seigneur Jésus-Christ était proche de moi, à mon côté, lequel m’accompagnait. Cette présence et compagnie m’étaient si suaves et étaient une chose si divine que je ne pouvais dire la manière comme cela était […] l’âme se sentant appelée à choses plus épurées, ne sait où l’on la veut mener […] elle s’abandonne, ne voulant rien suivre que le chemin que Celui à qui elle tend avec tant d’ardeur lui fera tenir […] Dieu lui fait voir qu’il est comme une grande mer, laquelle, tout ainsi que la mer élémentaire ne peut souffrir rien d’impur, aussi que lui, Dieu de pureté infinie, ne veut et ne peut souffrir rien d’impur, qu’il rejette toutes les âmes mortes, lâches et impures 144 (rr 91,93).
[…] ce grand Dieu comme un abîme sans fond, impénétrable et incompréhensible à tout autre qu’à lui-même. En quelque lieu que je me trouvasse, à quelque occupation que