Mère MECTILDE 1614-1698
Médiocrité des lettres à la duchesse d’Orléans
Ce gros dossier ne peut être lu rapidement ni en entier. Il ne saurait être réduit ni même simplement « retaillé » sans perdre une grande partie de son intérêt. Des regards très variés et complémentaires convergent sur la mystique figure de Mectilde.
Ce Totum – il demeure incomplet - constitue l’« ouverture » vers d’innombrables manuscrits accumulés en plusieurs siècles par les copistes bénédictines des écrits de leur fondatrice. Nous sont proposées quelques études incontournables comprenant des textes intérieurs soigneusement choisis par des religieuses intérieures. Ces transmettrices demeurent méconnues. Le labeur de plusieurs siècles mérite reconnaissance et redécouverte.
Destinés à usage interne, les supports papier édités au sein d’un Ordre à l’avenir incertain deviennent rares. Il m’a semblé urgent d’en photographier un Essentiel – j’ai eu la chance d’être guidé par des archivistes de l’Ordre aujourd’hui disparues.
Transcrits à l’aide d’un bon outil en reconnaissance de caractères et corrigés a minima pour en assurer la lecture aisée, cela permet de proposer ces ouvrages convertis en présentations informatisées (fichiers doc, odt, pdf, epub) pour une découverte par de futurs inconnu(e)s 1. Quelques-uns en recherche d’intériorité seront comfortés et prêts à suivre l’exemple offert par des « aîné(e)s », s’ils y ont accès sans déplacement ni limitation géographique ou culturel.
C’est le devoir de transmettre les traces de toute Tradition authentique.
Je propose de forts volumes (en format A4 proche des antiques in-folio, en corps Garamond petit mais lisible), après avoir réédité les principaux écrits mystiques de « l’autre » mystique de même mouvance : Madame Guyon, « Sœur dans le monde », et pour qui Mectilde était « une sainte ».
L’ancienne fut religieuse, la plus jeune demeura laïque ; changement d’époque. Ce sont les deux grandes mystiques qui ont atteint la fin du Grand Siècle.
Le fonds manuscrit protégé dans l’Ordre fondé par la Mère Mectilde est partiellement couvert dans ce Totum. Celle que ses proches appelaient également « notre Mère » - en compagnie de Fénelon « notre Père » - a été sauvé par des disciples dont le fidèle pasteur-imprimeur Poiret. Des milliers de textes de Mectilde recueillis, copiés et recopiés sur trois siècles par ses « filles » sont présentés en un « Fichier Central »2. Le Totum Mectilde repose sur une Base Mectilde.
C’est fort surprenant et unique - peut-on y voir un effet de grâce ?- que de disposer de deux immenses ensembles de textes intérieurs3.
Un travail comparatif devrait être entrepris : les deux femmes ont bien des points communs même si elles ont vécus fort distinctement, ce qui élargit encore le spectre des conditions et milieux rencontrés, des monastères aux Cours, des puissants aux prisons.
On relève l’approche intérieure commune qui leur a attiré des « ennuis » au sens ancien fort de prisons pour Guyon, de vieillesses sans repos pour les deux qui partagèrent le même souci de service à rendre, lavement des pieds de jeunes bénédictines ou de disciples et visiteurs étrangers. Même intensité exigeante – elle provient de leur origine intérieurement commune puisqu’elles sont rattachées à une filiation née du franciscain Chrysostome de Saint-Lô, passant par Monsieur de Bernières (son chapelain Bertot dirige la jeune Guyon).
Même dons d’écriture et de parole qui porte intérieurement. Contacts successifs avec deux épouses royales, donc expérience des Puissants. Les différences seraient les espaces où elles rayonnent : celui « interne » clôturé du monastère, celui « externe » - à peine plus libre - de la ville et de la Cour.
Ce dossier rassemble les imprimés dans l’Ordre d’Ame offerte …. à Rouen suivi de contributions en collection Mectildiana.
Mes préférences :
Partout : lettres de Mectilde à sortir de ce Totum.
Dans Ame offerte, ‘Comme un encens devant la face du Seigneur’ de dom Joël Letellier, une clé bibliographique.
Dans Ecrits Châteauvieux, l’Introduction de Louis Cognet & son choix dans le Bréviaire : certaines pièces sont admirables, d’autres sont faibles et suspectes [confirmation faite par l’archiviste Molette].
Dans Amitié, Introductions : de Molette très utile pour l’histoire des mss et sa confirmation de réécritures ; de Dupuis et Milcent [dont on peut omettre première lecture, aussi ne sont-elles pas corrigées soigneusement] – Lettres nombreuses mais moins intéressantes que le choix d’ Ecrits Chateauvieux opéré par Louis Cognet. [réécritures suggérées par Molette] - A la lecture il me semble que l’ouverture du Bréviaire aux ‘filles’ par Mectilde a du s’accompagner d’une refonte. Hypothèse à étendre sur d’autres mss. Provenant de l’Ordre (?) d’où s’impose UN CHOIX mystique plutôt qu’une édition intégrale aveugle ...Sauf si le ms. Paris ou tel autre révèle une source pure ignorée ...Sauf si le recours direct aux mss. révèle une saisie avant manipulations 4. Etude de Mectilde à faire en partant du Fichier central, ce qui demanderait un temps considérable.
[...]
Itinéraire spirituel, Origines…, Entretiens familiers... ont été revus car ces oeuvres de sœurs « intérieures » remarquables ont été auparavant formatées livre pour réédition éventuelle.
Dans Pologne l’histoire douloureuse polonaise culmine par le récit des années de guerre.
1500 pages A4
6 853 000 car sans espaces
soit ~4500 car / page A4
page nbp date L
Ame offerte 16 84 98 L-
Ecrits Châteauvieux 98 50 65 L-
Amitié Châteauvieux 148 182 89 L
Documents historiques 330 151 79
Ecoute 481 88 88
Inédites 569 169 76 L
Itinéraire spirituel 738 68 97-
Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral] 806 7
Entretiens familiers [Sœur Castel] 813 32 84
Pologne 845 180 84 L
Rouen 1025 180 77 L-
Les Amitiés Mystiques de Mère Mectilde 1205 155 17
Correspondance Bernières 1360 135 16 L
Il s’agit de « sauver » l’universel mystique au moment où les Traditions qui l’accueillent au sein de chaque culture ancienne (chrétiennes, en terres d’Islam, bouddhistes… ) ne résistent pas aux bouleversements qui caractérisent notre siècle. Au moment où l’écriture laisse place au direct visuel, il faut transmettre l’intériorité vécu et suggérée par paroles recueillies de figures exemplaires.
Dans le cas particulier du dix-septième siècle et pour Mère Mectilde / Catherine de Bar, il y a urgence car l’Ordre qu’elle fonda ne recrute plus guère de nos jours des jeunes désirant devenir bénédictines. Les archives centrées sur elle5 sont très soigneusement stockées et classées à Rouen – aujourd’hui sous la houlette de sœur Marie-Hélène Rozec du couvent proche de Craon, avec laquelle j’ai exploré le fonds ; ayant eu la chance de rencontrer quinze ans auparavant lors de brefs séjours à Rouen ses prédécesseurs archivistes, je pouvais lui être utile et même guide. Mais ces dossiers connaîtront peut-être le sort des fonds de la bibliothèque jésuite de Chantilly : ces derniers sont préservés physiquement à Lyon, mais perdus quant à l’orientation spirituelle qu’ils transmettaient. Seuls des bibliothécaires d’antan pouvaient la suggérer aux visiteurs (dans mon cas, la transmission eut lieu par André Derville qui assura la bonne fin de l’édition du Dictionnaire de Spiritualité jusqu’à la dernière lettre Z)6.
J’ai constitué entre 2002 et 2017 une base photographique unique par sa taille (37 000 photographies de 74 000 pages choisies – quelques centièmes des archives – 39 Gigaoctets) et son organisation structurée (racine unique ouvrant sur 454 dossiers et sous-dossiers). Dom Joël Letellier, animateur de la collection « Mectildiana », ami sur une vingtaine d’années, m’a accueilli dans sa collection7.
Il s’agit aujourd’hui de mettre à la disposition des chercheurs spirituels le « double » informatisé de manuscrits choisis outre le présent fichier rassemblant les principaux ouvrages sur Mectilde publiés par ses soeurs. En recommandant sa première étude qui suit immédiatement cet Avertissement. Rédigée par dom Joë, elle est le guide qui ouvre sur des travaux et sur leur esprit (rares aux deux sens du terme : difficiles d’accès, peut-être bientôt perdus ? Qui révèlent l’exceptionnelle profondeur de vie de leurs auteures).
Il s’agirait maintenant de l’exploiter : je n’ai qu’effleurer les contenus de ces manuscrits.
Préfacer l'édition critique des lettres de Mère Mechtilde ne devrait être confié qu'à un historien familier de longue date de l'Institut que fonda Catherine de BAR. Un Pierre MAROT, par exemple, ou mon regretté confrère d'études au Séminaire des Carmes (cette maison si proche de l'endroit où se bâtit le monastère de la rue Cassette), Louis COGNET, ont su écrire ainsi en tête du volume naguère publié des «Documents historiques» concernant Catherine de BAR.
Pour introduire le présent ouvrage - les Lettres de Mère Mechtilde si on a sollicité l'actuel évêque de Saint-Dié, c'est sans doute parce que, dans ce diocèse tel qu'il est délimité depuis 200 ans, se trouvent, outre la ville natale de Catherine de BAR, les bourgs de Bruyères, où elle se fit «Annonciade», et de Rambervillers, où elle devint «bénédictine». Sans oublier l'importante abbaye d'Etival, dont l'Abbé de l'époque eut une telle influence sur Mère Mechtilde ; ni Remiremont, foyer historique - depuis l'époque des religieuses du «Saint Mont» - de la chrétienté dans la montagne des Vosges, le Remiremont des «Dames Chanoinesses» ensuite, tellement lié, par Mère Alix Le CLERC, à l'oeuvre réformatrice et à la fondation religieuse de saint Pierre FOURIER, peu avant que naisse Catherine.
Il m'est souvent advenu de réfléchir sur ce que fut le puissant mouvement de renouveau catholique qui, dès les lendemains du Concile de Trente, souleva cette région de Lorraine, dont une partie est devenue, plus tard, l'actuel diocèse de Saint-Dié. - Contre-Réforme ? - L'expression ne me plaît guère. Mais élan spirituel et pastoral, provoqué par le grand Concile réformateur que la Lorraine - qui n'était pas la France alors - put mettre en pratique, sans trop d'entraves et rapidement, sous l'influence d'évêques et de prêtres lucides et actifs, puissamment aidés en cela par des hommes et des femmes d'Eglise que l'Esprit suscita, en temps opportun, vigoureux et saints, pour que revive, en une sorte de printemps, un catholicisme à la sève féconde. En ce terreau spirituel naquit, grandit, pria, se forma à la vie chrétienne cette petite fille de Saint-Dié que fut Catherine de BAR.
Mais chaque pas de ce renouveau post-conciliaire à la fin du XVIe siècle comme dans la première moitié du XVI le, fut compromis - humainement - par les ravages de la guerre... Et voilà pourquoi Mechtilde, hormis un bref retour à Rambervillers, ne vécut plus en ce pays qui
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l'avait vue accéder à la vie consacrée. Néanmoins nous savons - et la présente édition des lettres le révèle abondamment - combien demeurèrent forts les liens de Mère Mechtilde avec le courant religieux de cette terre lorraine.
Aujourd'hui, il n'y a plus de monastère à Saint-Dié, ni à Etival, ni à Bruyères, ni à Rambervillers, pas plus d'ailleurs qu'à Remiremont ou à Epinal. Et trois fois encore, dans les cent dernières années, la guerre a ravagé cette région besogneuse et paisible. Quant à la décennie qui s'achève, elle a vu les premières applications du Concile «pastoral» (sinon réformateur) que fut Vatican II. Ayant moi-même vécu la participation à ce Concile comme une grâce initiale de mon épiscopat, je me suis souvent référé, depuis, à cette époque des lendemains du Concile de Trente en Lorraine. La vie et l'oeuvre spirituelle de notre compatriote, Catherine de BAR, ainsi que tout son environnement, m'apparaissent en parallèle frappant avec les temps d'aujourd'hui. Non pas qu'il faille attendre une réédition littérale de l'histoire, mais du moins celle-ci est-elle maîtresse de vie et surtout signe de Dieu ou «signe des temps».
* *
Tel est l'état d'esprit avec lequel j'ai parcouru les lettres de Mère Mechtilde qui vont être éditées. Je dis avoir «parcouru» ce volume comme on parcourt les salles d'un musée lorsqu'on n'est pas un intime connaisseur... et lorsque l'on est pressé par le temps. On est alors impressionné par une certaine atmosphère : on se prend à s'arrêter devant un tableau, un détail. Est-ce le meilleur aux yeux des connaisseurs ? Peut-être pas. C'est du moins ce qui a retenu un instant le visiteur avide et attentif.
Les documents que voici m'ont frappé par ce que Mère Mechtilde y révèle de son sens de l'union à Dieu, simple, paisible, en quelque sorte permanente, profondément mystique sans pour autant planer à des hauteurs qui seraient inaccessibles.
Evidemment son secret est (si j'ose ainsi m'exprimer) la «médiation» de la rencontre entre l'âme et Dieu qu'est l'Eucharistie. Sans doute devrons-nous, pour transposer à notre temps, faire la part du langage de l'époque. La part aussi de l'influence de la Contre-Réforme, qui explique l'insistance sur la «réparation» due au Saint-Sacrement après les affres des luttes de la Réforme. On ne pourrait non plus se permettre aujourd'hui de parler d'un Jésus «enfermé dans le ciboire» et d'un appel à l'union à Lui en s'y enfermant 'avec Lui. Et je ne pense pas qu'il faille accepter sans nuance ce qu'on lit dans telle lettre à la duchesse d'Orléans, à savoir : contempler en l'Enfant Jésus supportant les souffrances normales d'un bébé, celui qui expie ainsi afin d'apaiser la colère de Dieu son Père envers l'humanité pécheresse. II en va de même d'une certaine insistance sur la coupure radicale avec un monde corrompu, batailleur et corrupteur. Ce langage ne peut exprimer exactement aujourd'hui la pleine signification de la vie contemplative et adoratrice, au coeur d'une Eglise présente par vocation à un monde dont «rien ne peut lui être étranger». (Vatican II, G audium et Spes, no 1).
Toute époque a son langage, ses schèmes et ses images, opportuns certes, ou tolérables dans leur contexte culturel, mais évidemment relatifs comme le sont, à nos yeux, par exemple, les naivetés des miniatures du Moyen-Age ou les faux-reliefs de la Renaissance.
Mais ceci dit, quelle aide puissante nous trouverons à lire et à relire les conseils spirituels de Mère Mechtilde tant à ses filles qu'aux grands et aux grandes de ce monde. Ses consignes de vie spirituelle fondées sur l'expérience, sont tout autant, me semble-t-il, du Vincent de Paul que du Marie de l'Incarnation ou, plus tard, du Caussade ou du Lallemand. Contemplation prolongée de Dieu présent à notre existence ; abandon à sa volonté ; union à Lui tant dans la contemplation par état que dans la vie active et charitable.
«Il y a trois demeures ou maisons de Dieu : le ciel, l'église et l'intime de l'âme chrétienne écrit Mère Mechtilde à la duchesse d'Orléans. Il faut espérer d'aller un jour au ciel pour n'en jamais sortir. Dans l'église, on n'y peut pas toujours demeurer, mais dans l'intime de nous-même il faut tâcher de ne point sortir puisque Dieu Trine et Un y réside continuellement.»
Les saints, les mystiques de ces siècles qu'on appelle «les temps modernes» n'ont cessé de nous apprendre à concilier ainsi l'inconciliable : vivre intensément uni à Dieu, au milieu même des affaires de ce monde et des relations avec les autres auxquelles nul n'échappe, fût-il cloîtré, puisque la vie sociale, comme la vie sociétaire en Eglise, en font la condition universelle.
Mère Mechtilde était élue de Dieu pour nous réapprendre, en quelque sorte, que le lieu privilégié de cette rencontre avec Dieu à aimer et avec nos frères les hommes à aimer et à servir pour Dieu, c'est le Fils, l'Unique, toujours vivant près du Père pour intercéder pour nous, toujours présent dans l'Eucharistie.
La théologie et le renouveau liturgique suscités par Vatican Il ont rappelé aux chrétiens que le Christ est présent à son Eglise et à chaque frère croyant, par sa Parole et dans la communauté des frères. Puissions-nous ne pas oublier qu'il l'est aussi par son Eucharistie ! D'une messe à l'autre, dans le temps et l'espace, la Présence réelle fait signe au croyant et à toute l'Eglise. Elle rappelle et actualise l'Incarnation, la mort et la Résurrection du Seigneur. Elle est comme ce point de rencontre, unique, entre la Trinité Sainte et le peuple des hommes en qui Dieu s'est choisi son Eglise. Elle est foyer de contemplation, livre ouvert pour le croyant sur la Parole unique qui taille, purifie, éclaire et transforme. Elle est le lieu de convergence et le ciment de toute communauté de baptisés. où se trouve, vivante et agissante, l'unique Eglise sainte, catholique et apostolique (cf. Vat 11, Décret Christus Dominus, no11).
Le mystère eucharistique est surtout «source et terme» de tout ce qu'annonce l'Eglise (cf. Const. sur la Liturgie no 7,10), de ce qu'elle vit, de ce qu'elle fait, de ce qu'elle est, de ce qu'elle prie, de ce vers quoi elle tend.
Comme Mère Mechtilde aurait été heureuse - j'imagine - de monnayer à temps et à contretemps pour ses filles, ses soeurs, ses amies, ses correspondantes, cette doctrine, traditionnelle certes dans l'Église, mais comme ravivée par Vatican II ! C'est la charge et la vocation de son Institut de continuer son oeuvre spirituelle pour notre temps.
19 mars 1976
évêque de Saint-Dié
SAINT-D1É
Notre-Dame de Galilée Vierge à la rose - X I Ve
Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, fut une protectrice insigne de l'Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Les lettres de la prieure à la duchesse dont la copie est conservée aujourd'hui par les Bénédictines révèlent l'étroitesse des liens qui unissaient Marguerite à Catherine de Bar. Marguerite, comme la Mère Mechtilde, avait vécu les heures douloureuses de la Lorraine éprouvée par la guerre et la peste. Toutes deux avaient émigré, dans des conditions très différentes certes, et se retrouvèrent à Paris, toutes proches, puisque la rue Cassette où les religieuses du Saint-Sacrement s'étaient installées se trouvait à proximité du palais du Luxembourg où résidait la duchesse.
Née le 22 juillet 1613, Marguerite était le cinquième et dernier enfant de François de Vaudémont, frère du duc de Lorraine Henri II, et de Christine de Salm. Elle fut confiée aux soins de sa tante Catherine de Lorraine, fille du duc Charles III, qui s'était vouée à l'Eglise de la Contre-Réforme, de cette réforme dont la Lorraine donna l'exemple. Marguerite fut profondément marquée par Catherine. Celle-ci, depuis 1611 abbesse de Remiremont dont elle était la coadjutrice dès 1609, avait vainement essayé de réformer le fameux chapître de dames nobles, mais elle fonda à Nancy l'abbaye bénédictine de Notre-Dame de la Consolation elle avait pris l'habit, en 1624, au Val-de- Grâce où elle s'était pénétrée de la réforme de Marguerite d'Arbouze et entra dans son monastère en 1625, gardant toutefois son titre abbatial de Remiremont en se donnant comme coadjutrice Marguerite de Lorraine. Elle devait obtenir en 1631 la création d'une nouvelle congrégation bénédictine de l'Etroite observance. Marguerite, comme sa tante, avait l'âme mystique.
La confusion dont la Lorraine allait être le théâtre devait perturber considérablement la vie de la jeune princesse. Le duc de Lorraine Henri II, son oncle, était mort en 1624. Il n'avait eu que deux filles : l'aînée Nicole avait épousé son cousin germain Charles, frère de Marguerite. Il avait été convenu que Charles et Nicole règneraient conjointement, mais, au nom de la masculinité, le père de Charles, François, revendiqua la couronne et abdiqua, après quelques semaines de règne, en faveur de son fils. Charles IV, bon soldat, ambitieux, mais piètre politique, versatile et débauché, se montra d'une folle imprudence à l'endroit du roi de France, qui, installé dans les Trois Evêchés depuis
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1552, était un voisin redoutable. Charles pactisa avec les ennemis du roi et de son ministre Richelieu. C'est ainsi qu'il accueillit, en août 1629, Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, qui s'était brouillé avec celui-ci.
La cour de France était traversée d'intrigues auxquelles participait continuellement le frère du roi ; des factions divisaient le royaume. On sait les difficultés qu'éprouvait Richelieu et le rôle que devait avoir la reine-mère, Marie de Médicis. Louis XIII n'ayant pas eu jusque-là d'enfants d'Anne d'Autriche, Gaston était l'héritier présomptif ; son mariage avec Marie de Montpensier avait été l'occasion de graves querelles. La jeune femme était morte en donnant naissance à celle qui devait devenir la grande Mademoiselle (1626). Marie de Médicis et Louis XIII voulaient le remarier, d'où de nouvelles cabales qui se muèrent en « conspirations ». Gaston s'opposait à son frère et à Richelieu, sa mère jouait un rôle douteux. Il passa la frontière du royaume. A Nancy, Charles IV le reçut avec honneur. Il donna des fêtes brillantes auxquelles participèrent les princesses lorraines. Un favori de Gaston, Puylaurens, séduisit la soeur aînée de Marguerite, Henriette, qui avait épousé contre son gré le prince de Phalsbourg. Gaston, ce viveur, apprécia les charmes pudiques de Marguerite, cette jeune fille de seize ans. Puylaurens, soutenu par Henriette, le poussa au mariage. Marguerite demeura d'abord réservée.
Bientôt, d'ailleurs, le duc d'Orléans regagna la France où il renoua avec son frère. Mais il revint en Lorraine en avril 1631, après s'être mis en rebellion ouverte contre Louis XIII. Charles IV était au service de l'empereur tout prêt à entrer en lutte avec les ennemis du roi de France. La Lorraine se trouvait dans une situation périlleuse, par surcroît la peste décimait ses habitants. C'est alors que Gaston revint à l'idée d'un mariage lorrain. Monsieur se montra très épris de Marguerite et celle-ci ressentit une véritable passion pour lui. La reine-mère Marie de Médicis, alors en exil, approuva le projet de cette union contre le gré du roi et de Richelieu. Emu de ces conjonctures, Louis XIII vint à Metz et menaça la Lorraine. Charles IV, en hâte, regagna le duché et fit sa soumission au roi en signant le 6 janvier 1632, à Vic, un traité par lequel il s'engageait à se départir de toute action qui pourrait porter préjudice au souverain. Or, le 3 janvier à Nancy, dans l'abbaye qu'avait fondée Catherine de Lorraine, en secret, Gaston avait épousé Marguerite, avec les dispenses qui lui avaient été accordées par le cardinal Nicolas-François de Lorraine, évêque de Toul, frère du duc et de la princesse.
Les nouveaux époux se séparèrent rapidement. Gaston, qui redoutait la proximité de Louis XIII, gagna les Pays-Bas et poursuivit une vie de dissipation à Bruxelles ; Marguerite était abandonnée par son mari et aussi par son frère. Gaston traversa furtivement la Lorraine où il rencontra sa femme en juin. Marguerite devait subir longtemps l'ostracisme de la cour de France qui s'employa par tous les moyens à faire rompre son mariage. En juillet, Gaston envoyait à Nancy un agent pour réclamer son épouse. Ce qu'apprenant, le roi envahit la Lorraine et, pensant s'assurer la personne de Marguerite, mit le siège devant Nancy à la fin du mois d'août. Le 4 septembre, Catherine réussit à faire évader sa nièce ; déguisée en page, celle-ci s'échappa à travers les lignes françaises et, par Thionville, gagna Namur où elle retrouva Monsieur, Se rendit à Bruxelles à la cour de l'Infante Isabelle, repaire des ennemis de Richelieu où résidait sa belle-mère Marie de Médicis.
Nancy tomba sans résistance aux mains du roi et, par le traité de Charmes, le 28 septembre 1633, Charles IV souscrivit à l'annulation du mariage qui devait être obtenu « par voies légitimes et valables » et s'engageait à livrer sa soeur à Louis XIII. Gaston affirma de son côté que Marguerite était sa femme ; mais, ménageant en quelque manière son frère, il ne répondit pas au manifeste que le roi de France venait d'adresser au Parlement sur la nullité du mariage que devait déclarer cette cour le 5 septembre 1634.
Au début d'octobre, Monsieur quitta Bruxelles. Marguerite était seule désormais. Elle fit face avec beaucoup de dignité et de courage pendant huit années à la situation qui lui était faite. Elle trouva sans doute dans l'éducation chrétienne qu'elle avait reçue la force d'âme dont elle donna la preuve. Elle réussit à faire ajourner par le Saint-Père la ratification de l'annulation de son mariage par le Parlement, malgré la pression de Richelieu et les propositions de l'Assemblée du clergé de France. Elle était dans une situation matérielle précaire. Comme elle le disait alors à son frère Charles IV, elle « mendiait son pain », sans aide et sans une bonne parole de Gaston. Celui-ci vivait en France dans l'agitation et la dissipation. Elle avait conservé cependant son attachement à cet homme volage qui, s'il se refusa toujours à l'annulation de son mariage, ne fit pas grand effort pour que sa femme pût le rejoindre. Les lettres qu'elle lui écrivit nous révèlent sa grande détresse :
« Je plains plutôt mon malheur que de me plaindre de vous, car vous jugerez facilement, avec le reste des personnes, que je suis la plus malheureuse des femmes... Il y a tant d'années que je suis en état le plus chétif qui ait jamais été, ne sachant à qui me tourner, à qui m'adresser, sinon à Dieu et à mes larmes ; ce qui m'afflige davantage, c'est que cette vie préjudicie à votre honneur..., car enfin je vous ayme et vous honore du fond du coeur ; je sais aussi que vous m'aimez bien ; certes, vous en avez sujet ; faites-le donc paraître..., afin que je sois bientôt auprès de vous pour me faire une vie selon Dieu et qui soit d'édification au monde (19 mars 1638) ».
Elle menait une vie exemplaire ; sa constance eut finalement raison des oppositions, des passivités qu'elle subissait. Elle avait essayé de fléchir Richelieu qui mourut en 1642 ; elle s'adressa ensuite à Mazarin. Le 4 avril 1643, Louis XIII lui permit enfin de venir en France. Le
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5 mai, il donna le consentement qu'il avait promis, «y étant convié, déclarait-il, par l'estime très particulière que nous avons eue par le mérite et la piété singulière de notre belle-soeur ». Le 26 mai, à proximité de Paris, elle rencontra Gaston. Louis XIII était mort le 14 mai ; elle, parut pour la première fois dans une cérémonie à l'occasion des obsèques du souverain. Le même jour, l'archevêque de Paris, Jean-François de Gondy, avait béni une seconde fois son union avec le duc d'Orléans.
Elle allait résider désormais au palais de Luxembourg, ce somptueux édifice que Catherine avait légué à Gaston. Ainsi commençait pour elle une vie nouvelle. Gaston à la mort de son frère, devint lieutenant général du royaume, il participa aux campagnes de 1644, 45 et 46, non sans succès, mais il eut la faiblesse d'intriguer comme il l'avait fait naguère et se rangea parmi les frondeurs au service desquels se mit le duc Charles IV. Au retour de Louis XIV à Paris, il se retira dans son château de Blois (le comté de Blois constituait son apanage). La duchesse l'y rejoignit en janvier 1653 et y demeura jusqu'à la mort du prince (2 février 1660). Elle se fixa ensuite au Luxembourg. Elle avait donné cinq enfants à son mari : à sa mort, ne survivaient que deux filles, l'aînée était la grande duchesse de Toscane, la cadette la duchesse de Guise.
Marguerite se mêla peu, semble-t-il, à la vie de cour. A son retour en France, elle n'était plus la gracieuse princesse dont le peintre Van Dyck nous a laissé le souvenir dans un tableau qui se trouve aujourd'hui aux Offices, à Florence. Sa belle-fille, l'altière Mlle de Montpensier, qui lui causa tant de tracas, dit que « la manière dont elle était habillée ne contribuait pas à réparer le tort que ses chagrins lui avaient causé ». Mme de Motteville nous la montre timorée et chagrine :
« Elle étoit belle par les traits de son visage... mais elle n'étoit point agréable et toute sa personne manquait d'un je ne sais quoi qui plaît... On a toujours dit de cette princesse qu'elle étoit belle sans l'être ; qu'elle avoit de l'esprit et n'en paraissoit point avoir, parce qu'elle n'en faisoit nul usage... ».
Monsieur qui lui était cependant attaché semble l'avoir plus d'une fois brocardée. Elle le convertit finalement, aidée de sa dame d'honneur, Anne-Marie de Saujon. Il devait prendre comme confesseur Armand-Jean Bouthillier de Rancé.
Elle souffrit beaucoup des intrigues qui infestaient la cour. Elle était restée très lorraine de coeur et soutint le duc Charles, celui qu'elle appelait dans sa jeunesse son « frérot » ; elle essaya de le détourner de passions honteuses. Elle ressentit cruellement les querelles qui opposaient celui-ci à leur frère Nicolas-François qui, pour assurer le destin de la famille avait renoncé à l'Eglise et souffrit de la jalousie sordide que le duc témoignait au fils de celui-ci, le prince Charles qu'elle affectionnait.
Elle eût aimé donner au jeune homme la main de sa fille Marguerite-Louise, à laquelle Louis XIV imposa le mariage avec le grand duc de Toscane. Pendant un temps, elle abrita au palais du Luxembourg Nicolas-François et son fils.
Peu après son arrivée à Paris, en 1644, elle avait recueilli dans ce palais sa tante Catherine qui avait fui pour l'Allemagne, la Lorraine occupée par le roi, avait regagné ensuite Remiremont et avait finalement abandonné le duché. L'abbesse vécut auprès d'elle ses dernières années, se consacrant à la prière. Marguerite avait donc recouvré l'appui et le conseil de celle qui l'avait guidée. Après la mort de sa tante, le 9 mars 1648, recommandant sa fille Elisabeth, âgée d'un an et demi (!) aux chanoinesses de Remiremont pour qu'elles en fissent leur abbesse en remplacement de Catherine, la duchesse rappelait « la passion qu'elle avait toujours eue pour leur maison et la nourriture qu'elle y avoit pris pendant tant d'années ». Elle retrouva une décennie après la mort de Catherine le soutien d'une autre mystique, la Mère Mechtilde.
Nous ne savons pas exactement les circonstances dans lesquelles Marguerite encouragea la fondation de l'Institut du Saint-Sacrement. La Mère Mechtilde qui était restée fidèle à la Lorraine devait tout naturellement rechercher l'appui d'une princesse de la famille ducale réputée pour sa piété. Lorsque fut établi le monastère de la rue Férou en 1654, Marguerite vivait encore à Blois. Mais nous savons qu'une fille d'honneur de la princesse, Mlle d'Urcelle, entra au couvent peu après sa fondation. Lorsque Marguerite revint au palais du LuxembsSurg, en 1660, le couvent était transféré depuis deux ans rue Cassette. C'est alors sans doute que des relations plus étroites se nouèrent entre la duchesse et la prieure. En 1664, Marguerite décida de léguer à l'Institut du Saint-Sacrement 10.000 écus et d'en servir les intérêts, sa vie durant, pour aider à l'établissement d'une abbaye à Nancy.
En 1665, la duchesse scellait la première pierre de l'aile nouvelle du couvent de la rue Cassette que nécessitait l'accroissement du nombre des religieuses. Elle convainquit la Mère Mechtilde d'appliquer la donation qu'elle avait faite à l'abbaye Notre-Dame de Consolation fondée par sa tante. à Nancy, qui périclitait, et d'intégrer ce monastère à l'Institut du Saint-Sacrement.
Ainsi, après avoir établi un monastère à Toul et associé celui de Rambervillers à son oeuvre, la mère Mechtilde réunit à son institut celui de Nancy. Sur les cent douze lettres de la prieure à la princesse que nous conservons, trois seulement sont datées, expédiées de Ramber-villers et Nancy (1667, 1669) où sont évoquées les cérémonies de la première exposition du Saint-Sacrement dans les couvents de ces villes.
Les lettres de la Mère Mechtilde à Marguerite sont des exhortations d'une. « mère maîtresse » qui s'exprime avec liberté et déférence à la fois. Elles ont été écrites entre les fréquentes visites que faisait la
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duchesse au couvent de la rue Cassette, pour continuer des conversations ou pour remplacer celles qui n'avaient pu avoir lieu, notamment du fait de la santé de la princesse.
Il est, en effet, souvent question de la santé de la duchesse, de ses « incommodités, des « vapeurs qui la tourmentent », de son « mal ». Constamment aussi il est question de ses « chagrins », de ses « afflictions », des « contradictions » qui « l'environnent », de « conjectures d'affaires qui touchent [sa] maison », d'« étranges épreuves que Dieu donne à sa vertu ». La Mère Mech tilde parle de l'« héroïsme » de la princesse, reconnaît qu'elle est une « femme forte », mais parfois déclare qu'elle « ne combat pas assez son chagrin ». « Permettez-moi de vous dire, remontre-t-elle, que vous demeurez trop accablée. Prenez courage ». Elle lui montre que toutes ses difficultés, ses mortifications la conduiront au salut et constituent autant « d'échelles pour monter au ciel ».
La duchesse doit s'abîmer en Dieu. Mechtilde lui conseille de se livrer à la prière. Elle devait trouver le réconfort en venant adorer le Très-Saint-Sacrement le jeudi, à l'église du couvent. Tout cela est dit «dans un style magnifique », où l'on apprécie, pour reprendre les mots de l'abbé Cognet « l'élévation et la cohérence de la pensée ».
A travers les propos de la Mère, de la « Mère maîtresse », on a parfois l'impression que la princesse se montrait quelque peu dolente, ainsi que le constatait non sans désinvolture Mme de Motteville. Mais, quand on mesure toutes les difficultés qu'au cours de sa vie subit Marguerite, on éprouve pour elle non seulement un sentiment de compassion, mais aussi d'admiration. Elle avait conservé toute sa pureté au milieu d'inextricables intrigues et d'insondables turpitudes qu’avaient exacerbées les troubles du temps. Elle aspirait au renoncement complet. Elle le dit « beaucoup de fois » à la Mère Mechtilde et à ses compagnes : « si sa santé qui était très faible, [le lui avait permis], elle [eut] préféré d'être soeur religieuse converse dans la maison du Saint-Sacrement ». Marguerite mourut le 3 avril 1672.
Pierre MAROT
Membre de l'institut
Président de la Société
d'archéologie lorrain
et du Musée
historique lorrain
La description des manuscrits employés pour cette édition : voir fin du volume.
[photo omise]
Vous avez trop de bonté et de soin, de ma santé. Elle est si grande que je vous la souhaite aussi entière et parfaite (1), et vous supplie très humblement de ne vous point fâcher pour un si chétif sujet. Je mange des oeufs et j'ai pris des bouillons gras pour vous obéir et contenter notre Mère Sous-Prieure qui se tient forte comme une citadelle, de vous avoir de son parti. J'espérais hier l'honneur de vous voir pour nous bien entretenir et vous réveiller doucement. Voici, Madame, le temps des désirs. L'Eglise en est toute remplie et elle le manifeste par les saints offices. Unissons-nous à elle et crions avec les Justes : RORATE COELI DE SUPER ET NUBES PLUANT JUSTUM(2). Réjouissons-nous de la venue du Verbe éternel revêtu de notre chair ; préparons-nous à le recevoir et à lui donner un pouvoir absolu sur nous. Comme il vient pour y régner, et son Règne ne doit point avoir de fin non plus que de borne, ne lui en donnons point. O quel bonheur d'être sujette d'un Roi qui donne sa vie pour ses sujets et qui les associe à sa gloire ! Mais plus il nous fait ses enfants et nous communique ses saintes dispositions, mérites, perfections et mystères, mais surtout sa vie divine, plus sommes-nous obligées d'y correspondre. O quels dons et quelles faveurs ! Une âme serait bien dégoûtée qui les refuserait ou qui ne voudrait pas s'abandonner toute à lui. Donnons-lui tout pour le tout. Heureuse l'âme qui possède son aimable Jésus et qui ne cherche, qu'à lui complaire ! Aimez, Madame, aimez, c'est le plus doux et le plus facile et même le plus conforme à sa grâce en vous. Nous dirons le reste quand nous aurons l'honneur de vous voir. J'ai une grande joie de la bonne espérance que vous me donnez. J'ai vu l'écclesiastique que vous connaissez. Il ne faudrait rien négliger. Je dois le voir demain, je vous en écrirai (3).
J'embrasse vos pieds avec profond respect.
(1) Le Ms N267 s'arrête à : parfaite et ne reprends qu'à : j'espérais hier.
(2) Isaïe X LV - 8.
(3) Le Ms N267 omet depuis : j'ai une grande joie, jusqu'à : je vous en écrirai.
Vous me donnez une nouvelle que je chéris de tout mon coeur, de quoi je rends grâce du profond de mon âme à Dieu, de ce qu'il vous conserve la santé. Vous êtes excessive en bonté pour une créature qui ne le peut mériter et voudrait être le reste de sa vie à vos pieds, pour me sacrifier avec vous, Madame, à celui qui s'immole tous les jours sur l'autel à son Père pour nous. Je suis pressée de me rendre à Jésus en la manière la plus parfaite qu'il le veut de moi.
Il me semble que nous n'avons quasi plus de temps et qu'il ne faut plus retarder. L'âge avance et l'éternité approche. Si je suivais mes petits sentiments, je m'enfuirais dans les déserts pour n'être plus dans le monde. Mais je ne prends pas garde que la principale affaire c'est de sortir de moi-même pour donner vie à Jésus.
Donnez-moi Madame un peu de part à vos saintes prières, et faites l'acte de charité que vous savez, pour honorer la naissance du Saint Enfant Jésus, dans votre très cher et très aimable coeur. C'est la très humble prière de celle qui est plus intimement à vous qu'elle ne peut dire, toute en Jésus.
Je viens de recevoir les ci-jointes que je vous envoie promptement en vous désirant le bon jour et demandant des nouvelles de votre santé, que je souhaite parfaite, afin que votre âme puisse plus facilement s'élever à Dieu. Comme c'est présentement toute votre occupation, je désire qu'elle vous soit continuée et vous supplie de ne plus différer d'être toute à lui. Vous avez un bon père-maître qui vous y conduira, incomparablement, mieux qu'une mère-maîtresse [et vous trouverez tout en lui] (1). C'est beaucoup quand on peut dire : Ego te... La mère-maîtresse ne le peut dire. Mais puisque votre humilité le veut, elle prendra la liberté d'exciter votre âme, de fois à autre, pour aller toujours plus fermement à son centre.
Ce saint temps est admirable pour nous y faire avancer. Les mystères de l'enfance de Notre Seigneur sont si pleins de douceur et d'amour que les âmes s'y appliquant en demeurent tout enivrées. .Goûtez la suavité d'un Dieu anéanti dans le sein virginal de sa bénite Mère. Attachez-vous à ses pieds et ne les quittez pas. Entrez dans les dispositions de son très saint Coeur : d'abaissement très profond devant cette grandeur infinie, abîmée et comme perdue, devant le néant et l'infirmité de la nature humaine ; de reconnaissance de son amour qui le réduit en cet état, pour nous relever de notre misère et nous ouvrir le paradis ; la tendresse et l'amour d'une bonté qui s'oublie de soi-même pour nous combler de grâces. Ne vous éloignez point de sa sainte Présence. Tâchez d'y entrer lorsque vous sortez des occasions, qui, par la nécessité des affaires, vous ont obligée d'en sortir. Entretenez-vous avec cette auguste Mère, et la suppliez qu'elle vous fasse entrer dans les dispositions que vous devez avoir pour participer aux grâces que le renouvellement des divins mystères doit opérer en votre âme. Croyez que tant plus vous serez à Dieu, plus vous aurez de bénédictions dans vos affaires, et plus de joie et contentement dans le coeur.
Commencez, pour ne plus finir, à communier tous les samedis et fêtes. Je n'aurai jamais de consolation, quelque grâce que vous me fassiez de m'honorer de votre amitié, que je ne voie votre âme dans cette sainte pratique. Je vous le demande avec autant d'instance qu'un ambitieux ferait la plus haute fortune, et j'ose dire que je vous le demande de la part de mon Dieu qui veut cela de vous. Il veut venir à vous et cependant vous ne le recevez pas. Vous avez plusieurs petites faiblesses qui ne seront anéanties que par l'usage de ce pain Eucharistique. Pourquoi priver votre âme d'un bien infini ? Ecoutez la voix de cet adorable Sauveur qui crie au fond de votre coeur : « Aperi, aperi, mihi soror, mea sponsa» (2) ouvrez-moi, ouvrez-moi, ma soeur, mon épouse, ma bien-aimée votre coeur pour y faire ma demeure éternelle et y prendre mon repos. Il veut s'unir à vous, pour vous faire une même choe avec lui. Ne refusez point ce que les anges s'estiment infiniment heureux et indignes de recevoir. Certes, si vous n'écoutez cette divine voix, je m'en affligerai mille fois plus que si j'étais condamnée à la mort. Je vois que les moments passent, les semaines et les mois, et que, par je ne sais quelle tentation, vous retardez votre bonheur éternel. Je vous supplie que cela ne soit plus, de crainte que, quand vous le voudrez, vous ne le puissiez plus ; et cependant vous privez votre âme de la vie divine.
Pardon, Madame, et vous dis ma coulpe de ma témérité, mais je ne vous promets pourtant pas de m'en corriger, car j'ai trop de tendresse pour votre âme. Elle m'est trop chère et précieuse, pour ne lui souhaiter pas, avec passion, le plus grand bien qu'elle puisse jamais posséder.
(1) Variante du manuscrit P110 p. 306.
(2) Cant. V.2.
Aurons-nous l'honneur d'être consolée de votre très honorée présence ? Si je pouvais rompre les liens qui me tiennent dans ma chère prison, je ne tarderais pas de me rendre à vos pieds pour m'assurer de votre santé et vous demander des nouvelles de ce Dieu-enfant, que nous pouvons nommer le roi nouveau-né, dans un Louvre où tout l'ornement qui s'y trouve est une extrême pauvreté, un berceau tapissé de foin, paré de toiles d'araignée, avec un délaissement universel de toutes les créatures. Jésus, Marie et Joseph sont seuls dans l'étable, en un oubli général de tout le monde, après la visite des pasteurs, et dans une solitude admirable. Jésus enfant, dans sa captivité et son silence, s'immole à son Père, comme victime, pour réparer sa gloire et réconcilier les hommes [à son Père] (1) : Marie, sa précieuse Mère, entre dans les dispositions de son cher Fils et se rend une même hostie avec lui, par un amour et transformation incompréhensibles ; Joseph est adorant et contemplant dans un mystérieux silence, ce que l'esprit humain ne peut comprendre.
Trois choses sont communes entre les personnes sacrées de Jésus, Marie et Joseph : le silence, l'oraison et le sacrifice ; or ces trois choses nous sont nécessaires pour nous rendre conformes à leurs dispositions et pour que nous leur soyons agréables ; demandez-les pour moi comme de tout mon coeur je le fais pour vous. Voilà la grande Messe qui m'oblige de finir.
(I) Variante du manuscrit P 110 p. 317.
Je n'ai point réveillé votre chère personne, parce que je ne l'ai point crue endormie. Le désir d'être à Dieu et de l'aimer m'a paru animer votre coeur, plusieurs fois. Il voudrait bien s'élever au-dessus de soi-même, pour demeurer en Dieu ; mais le poids de la misère humaine ne lui permet pas de jouir sans intermission de ce bonheur en cette vie. Il faut souffrir en patience la durée de notre exil. Il nous sera plus doux à supporter, si nous regardons le Verbe Eternel sous la figure de notre chair, qui se vient aujourd'hui faire compagnon de notre pélerinage.
Il vient au monde, et le monde ne l'a pas reçu. Il vient chez les siens, et ils ne l'ont pas connu. Voilà donc Jésus sur la terre, comme un étranger, il n'a pas où loger ni reposer son chef. C'est l'amour qu'il nous porte qui le réduit à cette indigence. Mais, mon Dieu, que cet amour est grand, de mettre Jésus dans le néant ! Il est parmi ses sujets comme esclave, et toutes ses conduites ne sont que dés inventions merveilleuses de son amour, pour nous attirer à lui : C'est pour gagner nos coeurs, et nous donner la liberté de converser avec lui, de ne plus douter de ses bontés vers nous ; et afin que nous n'adhérions plus à des pensées de défiance et de crainte qui gênent et inquiètent nos esprits. Le Père Eternel a donné son Fils à la Sainte Vierge, et cette bénite Mère nous l'a donné aujourd'hui. Réjouissons-nous d'un tel don, dans lequel toutes choses sont comprises. Trouvons en lui tous nos besoins. Nous en recevrons secours, si nous tâchons d'entrer dans sa nouvelle vie. Mais quelle est cette vie ? C'est le sacrifice, la mort, l'anéantissement. Il n'est pas plutôt sur la paille qu'il est fait la victime de la justice et sainteté divine. Toutes ses grandeurs sont ensevelies dans la bassesse, et ses forces dans l'impuissance.
Quoique votre bonté, Madame, m'ait fait la grâce de me faire avertir que votre indisposition n'était pas de conséquence, je n'ai pu m'empêcher d'en être fort en peine et (que je n') j'ai fait redoubler les prières demandant à Dieu, plus ardemment que jamais, votre conservation. Nous allons toutes faire la communion pour ce sujet et pour tous vos besoins spirituels et temporels. Si Notre-Seigneur daigne écouter mes gémissements, il vous comblera de grâce et .de l'esprit du Sacré Mystère que nous révérons aujourd'hui. Si ce Dieu Enfant se manifeste dans l'intime de votre coeur, sa présence vous réjouira et son amour vous fortifiera.
Il n'y a rien de plus doux que d'aimer et connaître (et d'aimer) Jésus, c'est le prophète qui nous l'assure. Aimez, aimez cet aimable Sauveur qui vous aime si tendrement et qui vous applique ses mérites et tout ce qu'il est en lui-même. Possédez-le et trouvez en sa plénitude tout ce qui vous manque. Servez-vous de ses vertus et de son amour pour suppléer à tout et vous reposer en sa bonté par une confiance filiale. Et vous expérimenterez que votre espérance ne sera pas vaine, ni votre confiance confondue. Prenez donc courage, Madame, et tâchez de vivre pour les intérêts de Dieu, et la consolation de votre pauvre et indigne sujette, mais très respectueuse et fidèle servante, qui est en esprit à vos pieds et y souhaiterait être d'effet, pour un peu vous parler du règne de notre Petit Roy Jésus et comme il est venu en ce monde, pour régner dans le coeur de ses élus et singulièrement dans le vôtre Madame. Mais il faut souffrir ma captivité et me contenter d'y être en esprit.
Je prie Notre Seigneur Jésus Christ de vous remplir de la grâce et sainteté de sa divine Enfance, et que votre pauvre coeur soit un peu dilaté de l'amour de cet ineffable mystère, qui nous imprime les tendresses du Coeur de Dieu et l'excès de sa charité divine. Je tâche de l'adorer pour vous, Madame, mais c'est si indignement, que je n'ose paraître en la présence de cette auguste et suprême Majesté abaissée, quoique son état d'enfant, voile sa grandeur infinie, et nous donne la liberté d'approcher de lui. Ce qui me donne plus de confiance, c'est qu'il est venu pour faire miséricorde aux pécheurs, et qu'il est déjà la victime de la justice et sainteté de Dieu, pour les réparer. Il est immolé dans la crêche, comme sur l'autel et sur la croix. Ses. larmes et ses petits cris apaisent la colère de son Père, et sans parler et sans agir, il nous mérite le paradis. Nous n'avons qu'à le contempler dans son mystérieux sacrifice et nous unir à son Coeur, à ses intentions et aux desseins de son amour pour nous ; nous insinuant doucement et suavement dans la grâce de sa sainte Enfance, qui renferme des merveilles infinies qui feront l'admiration éternelle des anges et l'étonnement des hommes. O Dieu Enfant, que vous êtes aimable et incompréhensible à l'esprit humain ! Il faut vous adorer en silence, et nous perdre dans l'abîme de vos sacrés abaissements, en nous anéantissant de tout notre possible en sa divine présence.
C'est ce que vous faites, Madame, d'autant plus efficacement que cette belle disposition est accompagnée de souffrance, et c'est ce qui vous fait entrer en conformité d'état avec ce Dieu Enfant, qui n'est point exempt de douleur dans sa crêche. Je le supplie. néanmoins de diminuer les vôtres, et de couronner votre patience par l'augmentation de votre amour vers sa bonté, avec une pleine confiance qu'il fera tout bien pour sa gloire et votre sanctification, demeurant en paix dans cette ferme croyance que l'esprit de Dieu imprime dans votre coeur. Courage, allons à Dieu par les voies qu'il lui plaira, pourvu que nous arrivions à notre fin bienheureuse, c'est assez, le reste sera tôt ou tard anéanti.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous fortifie, et vous donne la grâce de ne rien négliger de ce que vous lui devez : UN DIEU ET RIEN DE PLUS. Si il écoute ma prière, il vous soutiendra et vous fera demeurer en lui, par une grâce singulière. Tout ce que je vous prie, c'est de demeurer dans votre cher et aimable abandon, laissant agir Dieu en vous, et surtout demeurez ferme dans la confiance que tout réussira pour votre bien et salut, portant la marque de ses élus, puisque vous êtes crucifiée avec lui.
Quoique l'occupation de ce Saint Jour soit grande. je ne puis empêcher d'envoyer apprendre de votre santé, le Père N... m'ayant dit que vous étiez mal. J'en suis en peine et doublement touchée, à cause de la dévotion de cette nuit, où vous ne pourrez assister, ce qui vous mortifiera d'autant plus, que vous avez coutume d'y faire la sainte Communion, par laquelle votre âme participe à la grâce et sainteté du mystère ineffable de la naissance du Fils de Dieu en notre chair
C'est une fête que vous aimez tendrement et qui est bien conforme aux dispositions de votre coeur qui ne veut que le pur amour. Il y a de quoi se ravir en cette naissance adorable et se transporter d'une sainte ardeur, voyant son Dieu s'anéantir sous la figure d'un enfant, qui n'a pour tout apanage que la pauvreté, la douleur et l'impuissance où l'amour qu'il a pour vous le réduit. Faites s'il vous plaît comme sainte Térèse, ne voyez que Jésus et vous dans cet excès d'amour, étant certaine de foi que le mystère est uniquement pour vous, quoiqu'il soit appliqué encore à d'autres. Si vous vous considérez comme l'objet de l'amour et de la miséricorde d'un Dieu, qui l'a fait descendre du ciel en terre pour se donner tout à vous et vous attirer toute à lui, vous sentirez votre coeur si animé d'une humble reconnaissance et d'un sincère désir de vous rendre toute à lui que. sans quasi vous en apercevoir, il se fera un divin incendie qui vous tirera hors de vous-même, vous brûlera sans y penser. Oh, Madame, que votre âme sera heureuse si elle brûle de ce feu sacré ! Gardez-vous bien de le laisser éteindre. Conservez-le par une sainte et profonde humilité, vous assurant que plus vous vous abaisserez, plus Dieu s'approchera de vous, et il n'est pas croyable combien Dieu se communique aux âmes anéanties. Hélas! si nous avions le courage de nous laisser à Jésus comme son domaine, il ferait de grandes choses chez nous, mais nous ne demeurons pas dans un saint abandon, en foi. Nous voulons tout faire, tout savoir et tout sentir ; mais l'âme anéantie demeure en Dieu, devient un même esprit avec lui. Tâchez, Madame, de communier pour recevoir cette grâce. Rendez-vous à Jésus naissant. Vous êtes son domaine, il est votre roi et votre souverain, ne lui refusez pas vos hommages, ni vos soumissions. Promettez-lui une nouvelle fidèlité à dépendre de sa conduite et à ne désister jamais de faire ce que vous croyez qu'il veut de vous. Obéissez à sa lumière en celui qui vous tient sa place.
Mon Dieu que j'aurais de choses à vous dire, mais voilà Vêpres, et je vous quitte pour vous trouver tantôt, dans l'étable, adorant un Dieu Enfant. Je me tiendrai aux pieds de la Sainte Vierge pour apprendre d'elle comme je me dois comporter dans un prodige si surprenant, d'un Dieu devenu enfant sur un peu de foin entre deux bêtes. Tenez-vous y prosternée pour y adorer tout ce qu'il y dit à son Père pour vous, et tâchez de vous faire sa victime comme il s'est fait la vôtre dans la crèche. Adhérez à tous ses desseins. Il faut finir voilà le dernier coup.
(8 février)
Je ne saurais passer en repos cette nuit, sans vous désirer le bon soir, espérant que demain nous aurons l'honneur de vous voir, si le temps est raisonnable, pour solenniser la précieuse fête du très Saint Coeur de l'auguste Mère de Dieu.
C'est une fête toute d'amour, puisque ce Coeur très aimable en a été la fournaise dans laquelle le Père éternel a jeté son Verbe, pour y être revêtu de notre nature, et par son incarnation dans ce sacré Coeur, devenir notre victime et nous aimer d'un amour infini. O Coeur admirable ! O Coeur brûlant du pur amour ! Donnez-nous part à vos divines flammes ! Consommez-nous en holocauste avec vous en odeur de suavité. Heureuse l'âme qui pourrait pénétrer dans ce Coeur virginal, et plus heureuse encore si elle recevait de cette Mère de grâce quelque liaison à ses saintes dispositions.
Mon esprit me représente ce très délicieux Coeur comme le sacré cabinet où sont renfermés tous les dons de Dieu. Toutes les vertus s'y rencontrent dans une souveraine perfection. Si nous y cherchons de la douceur, il en est tout rempli ; si de l'humilité, il est tout anéanti ; si de la soumission aux volontés divines, elle prononce un mystérieux «flat» qui la rend esclave du vouloir divin ; si de la patience, nous en avons assez de preuves dans sa sainte conduite. Mais où je m'arrête le plus, c'est à sa charité et bonté pour les pécheurs, dont elle est le refuge, et son très Saint Coeur est toujours plein de miséricorde pour les recevoir et les réconcilier à Jésus Christ. Toute notre fortune est entre ses bénites mains. Nous sommes assurés d'un heureux succès quand elle se mêle de nos affaires. Je la prie de prendre soin des vôtres et que par son moyen vous ayez toutes les bénédictions que je vous souhaite.
Demandez à ce Saint Coeur tous vos besoins. Nous n'oublierons point M... - et nous le prierons qu'il soit votre force, votre lumière et votre protection ; que vous trouviez en lui tout ce qui vous manque pour vos affaires et pour votre sanctification. Je vous suis, en lui, plus que moi-même. Avec profond respect...
La Providence m'a voulu priver hier de l'honneur de vous écrire pour vous rendre mille humbles grâces de la peine que vous avez prise de me donner exactement des nouvelles de votre mal ; c'est la seule consolation que je reçois en la longue absence de votre présence. Il faut que je souffre cette peine dans ce saint temps, en esprit de pénitence et de sacrifice, en mortifiant mon ardeur ; la vôtre ne doit pas être si grande, considérant ce que je suis en toute manière. Mais je veux faire comme vous, m'en remettant tout à Dieu, prenant toute ma complaisance dans son bon plaisir, quoique vous ayez l'avantage en tout, et notamment au bonheur d'avoir rapport à Notre Seigneur Jésus Christ souffrant, étant sur la croix avec lui, et dans son sacré désert, où il n'a pas à reposer son divin Chef. Vous honorez effectivement cet aimable Sauveur dans ses états douloureux, et peut-être d'esprit aussi bien que de corps. Courage, courage! Soyez victime de son pur amour, et vivez pour lui seul. C'est votre dessein et mon désir de vous voir toute à lui et pour cet effet il faut demeurer en Lui : «CELUI QUI N'EST PAS AVEC MOI EST CONTRE MOI » (1), ce sont ses divines Paroles. Soyons donc toute en lui. Ne nous mouvons et n'agissons que par son esprit et pour son plaisir et nous possèderons une paix admirable, qui n'est connue que de ceux qui la possèdent.
O bonheur infini, que tu es rare ! D'où vient cela ? C'est que la créature ne se sait pas laisser dans le saint abandon de tout elle-même à Dieu, qu'elle n'a pas assez de confiance en sa bonté, ni de patience à l'attendre. Heureux abandon où l'âme est divinement soutenue ! Dieu
(I) Mt.XII-30.
est sa vie, sa force et son soutien sans qu'elle le sache, mais si le commencement de cet état est ténébreux, la suite en devient toute lumineuse. Dieu se donnant à l'âme et tirant cette âme toute à Soi, elle devient une même chose avec lui ; j'ai donc raison de dire qu'elle possède un bonheur infini.
En voilà assez, je ne sais ce que je dis, c'est pour un peu vous divertir, car vous en expérimentez bien plus que moi. Je suis en impatience de savoir comme vous avez passé cette nuit.
Je ne puis passer ce jour sans vous témoigner que je suis fort en la douleur de la continuation de votre mal ; et j'en suis d'autant plus touchée que j'ai désir de vous en délivrer sans toutefois vous diminuer du mérite et des avantages que votre âme en reçoit. Il fallait encore ce surcroît pour rendre votre croix accomplie, c'est-à-dire que le dedans et le dehors fût en souffrance présentement, afin d'être immolée avec Jésus, sur le calvaire et sur l'autel, par conformité d'état. Je vois bien que c'est toute sa complaisance de vous appliquer à son amour douloureux et vous en faire porter les marques. Oserais-je dire Madame que je les souffre avec vous et prends part à vos anuoisses de corps et d'esprit vous recardant comme victime sur votre bûcher. Jetez vos amoureux reuards sur le divin soleil qui doit allumer son feu et consommer votre être. Je vous vois Madame dans votre douceur ordinaire. édifier tous ceux qui sont auprès de vous et qui n'ont autre soulagement à vous donner que la compassion. O quelle peine de voir souffrir ce que l'on aime ! Il serait mille fois plus doux de souffrir soi-même. Hélas ! que je m'estimerais heureuse d'attirer vos douleurs en moi ! Si je savais dignement et saintement porter les croix comme vous j'espèrerais que Dieu me ferait la grâce de partager les vôtres, mais je suis trop pécheresse ; c'est pourquoi il n'exauce pas mes désirs. Je le prie du moins qu'il augmente ses grâces avec tant d'abondance que votre coeur soit tout enivré de son amour, et que vos sens soient si charmés par la douceur de ses délices et ineffables communications que vous en soyez submergée. C'est le souhait d'une pauvre impuissante qui est en Jésus toute à vous. Avec les profonds respects...
J'appréhende fort Madame que votre incommodité et le mauvais temps ne me privent de l'honneur de vous voir, mais il vaut mieux que je sois mortifiée, que d'augmenter un moment votre mal. Voilà Madame comme Notre Seigneur vous fait entrer dans ce saint temps de pénitence, en l'union de ses états. Priez-le qu'il le sanctifie en vous. Nous avons pris ici trois dispositions ou états de notre divin Sauveur pour l'honorer et nous conformer à lui durant ces quarante jours. Je crois qu'il vous sera bien aise d'y avoir part et d'en faire quelques pratiques. .
La première c'est la solitude de Jésus dans le désert et dans le Saint Sacrement de l'autel ; la seconde est sa pénitence ; et la troisième est sa mort douloureuse.
Il faut honorer ces trois états en Jésus qui sont renfermés dans sa pénitence. Mais comme vous êtes toute pleine de ces bonnes pensées et toujours occupée saintement, c'est assez d'un petit mot pour vous donner matière d'un entretien intérieur sur ce sujet. Si j'ai la grâce de vous voir demain nous dirons le reste.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne une meilleure santé, et toutes les bénédictions que je vous souhaite.
Votre incommodité me donne bien de l'inquiétude ; cependant ma peine ne vous en peut exempter. Dieu qui vous veut sanctifier, vous fait part de la croix, tantôt d'une sorte et après de l'autre. Il se joue ainsi avec les élus, et un auteur dit que : « les souffrances sont les jeux de l'Amour Divin », et que « Dieu prend ses délices et ses complaisances dans une âme qui souffre, et jamais il ne détourne ses regards de cet aimable objet ». Voyez l'avantage que la croix vous donne. Elle vous purifie, elle vous rend digne des approches de Dieu, et vous ouvre le paradis. Heureuses souffrances qui produisent de si admirables effets! Notre Seigneur vous fait part des siennes, et quoique j'en connaisse un peu l'excellence, je voudrais les pouvoir tirer dans mon coeur pour en délivrer le vôtre, sans néanmoins vous priver du mérite.
Je vois bien qu'il se faut résoudre à être privée de l'honneur de vous voir et qu'il ne m'appartient pas d'aspirer à une faveur si avantageuse. Il faut que je demeure dans mon néant et que je me contente de vous protester avec mille profonds respects, que je suis indigne de toutes vos bontés.
Je suis ravie de voir que vous prenez toujours le bon parti : Servir à Dieu et l'aimer c'est régner. Il est vrai que vous sacrifiez beaucoup, mais aussi vous trouverez une ample récompense. Si votre naissance n'est pas accompagnée de tous les avantages qu'elle mérite sur la terre, le Ciel lui rendra au centuple. Ne vous affligez point, mais liez-vous à Jésus Christ de plus en plus ; entrez de coeur dans tous ses desseins sur vous et sur votre maison. Je ne puis croire qu'il la laisse périr. Il en relèvera la gloire. Il faut en attendre les moments, tout est en Dieu. Vous le voyez, les soins et les empressements des créatures n'y avancent guère.
Ayons toujours notre recours vers l'auguste Mère de Dieu; c'est la souveraine de vos Etats, elle ne souffrira pas qu'ils soient anéantis. Remettez-lui en le soin totalement, et vous, cachez-vous dans son très Saint et Sacré Coeur avec vos chers enfants. C'est un asile qui vous sera toujours très favorable et vous obtiendrez de ce saint lieu tout ce que vous demanderez à Jésus Christ, et cette précieuse solitude vous sera un lieu de repos et de délices. L'amour divin y sera votre force et rien ne pourra ébranler votre courage, tandis que vous serez sous les ailes de cette aimable Mère. Mais souffrez que je vous supplie que nous en renouvelions la dévotion, afin que vous lui protestiez de nouveau votre confiance. Dieu nous donne selon notre foi et, comme il vous a fait la grâce de préférer sa très Sainte Volonté, par tout elle aura soin de tout ce qui vous touche. Mais faites ce que vous pouvez pour ne vous point abattre dans les évènements contraires à vos désirs. Soyez ferme sur votre croix où le bon plaisir de Dieu vous lie; son amour y doit faire votre consommation, comme sa grâce y fera votre soutien. C'est dans ce sacrifice actuel où vous vous sanctifiez et où vous deviendrez une même hostie avec Jésus Christ. Je ne laisse pas de le prier de tout mon coeur d'en adoucir l'amertume et la peine, car je ressens ce qui vous touche jusqu'au centre de mon coeur.
Je ne doute point, Madame, que vous ne soyez dans une nouvelle ferveur d'amour en ces Saints Jours, et que la vue de Jésus souffrant ne soit le cher objet qui occupe toutes vos pensées. Je le prie qu'il comble de grâces et de bénédictions votre chère solitude. Nous lui offrirons, de notre part, la privation que nous portons de votre chère présence, comme une très rigoureuse pénitence. J'espère que Notre Seigneur l'agréera, étant rude à un coeur qui a reçu du vôtre, Madame, trop de marques et témoignages de vos bontés d'en être si longtemps séparée. Je ne vous perdrai pas de vue et tâcherai de vous voir en esprit au Cénacle et sur le Calvaire où je crois que vous serez plus que nulle autre part.
J'embrasse vos pieds avec un profond respect, en attendant une sainte Résurrection qui me rendra plus digne de posséder votre présence. Voyez comme je ne puis m'empêcher de vous en témoigner mon déplaisir. En celà vous jugerez que je ne suis pas morte et connaitrez mon imperfection et que je tiens si fort à vous, Madame, que je ne m'en puis séparer qu'avec une peine extrême.
Je serai bien consolée Madame si j'ai l'honneur de vous voir, étant en peine de votre indisposition. Je voudrais de tout mon coeur avoir tous vos maux, pour un peu vous soulager dans les croix qui renaissent tous les jours. Certes il faut conclure que Dieu vous veut dans une haute sainteté, puisqu'il tient sur vous une conduite si crucifiante, qu'on peut dire que c'est sans relâche et sans fin. Votre consolation doit être toute en Notre Seigneur qui a été souffrant dès le premier moment de son Incarnation, et vous Madame par ressemblance d'état, êtes du nombre de ceux qui ont porté le joug du Seigneur dès la jeunesse. Prenez donc courage, le paradis consommera tous les maux de cette vie et là vous n'aurez point de plus grande joie que d'avoir souffert en ce monde par amour et conformité à Jésus Christ Notre Seigneur.
Je ne pus hier au soir vous rendre réponse sur ce que vous me fites l'honneur de m'écrire, et n'en puis faire la lecture que je n'en sois dans une nouvelle admiration, ne pouvant comprendre vos bontés. Hélas ! si vous recevez quelquefois de bons effets de nos entretiens, c'est la récompense de votre humilité qui s'abaisse jusqu'à ce point de souffrir [à vos pieds], une pécheresse (à ses pieds) que la terre devrait abîmer. Ce ne sont point les choses que je dis qui vous fortifient, mais la grâce de celui qui est caché en vous, comme le levain de la parabole de l'Evangile, caché sous les trois mesures de farine. C'est Jésus l'unique tout de votre coeur qui vous soutient et qui vous anime de son esprit, et vous attire toute à lui, par son opération divine, dans le secret de votre intérieur ; qui vous tient lieu de retraite et de solitude, en attendant qu'il vous sépare entièrement des créatures. Il sait que ce sont les plus tendres sentiments de votre coeur, et qu'il a déjà pris son vol dans les trous de la pierre, qui sont les plaies adorables de l'humanité sainte de Jéstfs, et dans ces précieuses cavernes, où vous gémissez incessamment après la jouissance de celui qui a blessé votre coeur par les flèches de son divin amour, et qu'il ne peut se réjouir d'aucune chose sur la terre hors de cette délicieuse union.
« Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux et suave » (1). Je le prie qu'il vous fasse porter l'effet de ses divines paroles que l'Evan-gile nous donne aujourd'hui pour sujet de notre méditation. Cet aimable Sauveur nous dit : « Si je suis une fois élevé de terre, j'attirerai toute chose à moi » (2). 0 bienheureux ravissement qui nous arrachera de la terre de nous-même, pour nous unir et transformer toute en Jésus ! Prions-le, Madame, qu'il s'exalte en nous, afin qu'il nous tire tout à lui. Je lui ai demandé cette grâce ce matin à la communion, pour vous, et crois qu'il vous la donnera abondamment et amoureusement, étant conforme à vos désirs et à l'ardeur qui vous dévore intérieurement.
Je retiens ma plume qui serait importune par l'abondance de ce que je ressens pour vous. Je dois vous laisser adorer ce sacré calvaire où est la croix de mon divin Maître et Sauveur, puisque demain j'aurai l'honneur de vous le voir adorer sur son trône eucharistique, où l'amour l'immolera pour vous et vous tirera dans son sacrifice, pour être faite une même hostie avec lui. C'est dans ce mystère de gloire et d'humiliation que je suis à vous d'un coeur très sincère.
Avec profond respect...
( 1) Ps XXX111 - 9. (2) Jn X11 32.
Je vous rends mille actions de grâces de l'honneur que vous me fîtes hier. Je vous souhaite aujourd'hui une glorieuse résurrection et vous la désire telle, en qualité de membre de Jésus Christ, qui participe aux avantages de ce divin chef et qui ne doit plus être animée que de sa vie. NON QUAE SUPER TERRAM. Il n'est plus sur la terre, c'est pourquoi il ne s'y faut plus arrêter.
Allons le chercher dans lui-même, au Très Saint Sacrement de l'autel, où il renouvelle tous les jours ses sacrés et adorables mystères. Je le prie de tout mon coeur en faire porter les effets à votre âme, comme je les voudrais avoir en moi-même. Que cet aimable Sauveur vous fasse entrer dans sa vie nouvelle qui vous sépare de la vieille créature, pour vivre en lui. Mon Dieu quand sera-ce que Jésus règnera en nous en plénitude, qu'il y trouvera son repos et qu'il sera triomphant de tout notre être ? Il n'y a ni bien, ni joie, ni consolation hors de cette disposition : ÊTRE SOUMIS À JÉSUS, C'EST RÉGNER GLORIEUSEMENT. Nous sommes ses conquêtes, il nous a rachetés de son prix infini, c'est de justice qu'il nous possède absolument. Il ne lui faut désormais, plus rien refuser, tout est à lui. Mais aussi nous pouvons dire qu'il est tout à nous, et qu'en lui, rien ne nous peut manquer. VIVE JÉSUS GLORIEUX ET TRIOMPHANT DANS NOTRE COEUR! AMEN.
J'ai reçu avec bien de la joie l'honneur que vous m'avez fait, me donnant des nouvelles de votre santé, en étant fort en peine, pour la fatigue de ces Saints Jours. Je vous remercie de la continuation de vos bontés pour nos affaires de Rome (1). Si elle a quelque heureux succès, après Dieu, c'est à vous que j'en dois toute la reconnaissance. Je suis assurée que le Très, Saint Sacrement paiera votre zèle. C'est pour sa gloire que vous travaillez incessamment. Si je suis exaucée en mes pauvres prières, vous serez comblée de bénédictions divines ; sachant bien que celles de la terre n'ont plus de charmes pour votre coeur qui
( 1 ) Ceci est peut être une allusion aux sollicitations faites par la duchesse d'Orléans par l'entremise de son ambassadeur en Cour de Rome, afin d'obtenir l'approbation des Constitutions. (Cf Catherine de Bar, Documents historiques. p. 237 et sv).
ne veut plus vivre que de la vie de Jésus réssuscité et qui ne goûte plus que les choses du ciel.
Je prie cet adorable Sauveur de vous attirer si puissamment que vous entriez en lui, pour y Vivre de son amour et consommer en vous la grâce et la sainteté de ses adorables mystères. Je vous suis avec un respect qui m'anéantit à vos pieds...
Je suis dans l'impatience d'apprendre ( I ) des nouvelles de votre santé Madame, et si votre rhume continue. J'en serais d'autant plus mortifiée qu'il nous priverait de la consolation d'embrasser vos pieds, et de l'honneur de vous voir dîner dans la petite maison du Saint Sacrement qui réjouirait beaucoup de sa très honorée présence ses petites servantes, qui aspirent après ce bonheur et moi plus que les autres ; désirant savoir si vous êtes entrée dans ce mystère de vie que nous adorons, et qui est rempli de tant de grâces que je ne puis m'empêcher de vous en souhaiter la plénitude. Mon zèle est toujours grand pour votre âme et sa sanctification. Et je puis dire que je voudrais donner ma propre vie pour vous établir dans la plus haute sainteté que Dieu demande de vous, qui n'est autre que l'effet du mystère de la Résurrection, qui nous fait vivre de la vie nouvelle de Jésus Christ.
Oh ! que cette vie est divine ! Plût à Dieu que nous en fussions tout animée ; notre coeur et notre esprit agiraient bien d'une autre manière. Jésus en serait le principe et nous ne pourrions plus rien voir, ni désirer hors de lui ; mais pour recevoir cette faveur il faut être fidèle à l'opération du Saint Esprit. Il faut demeurer cachée en Jésus Christ comme il dit lui-même par ces sacrées paroles : « Celui qui demeure en moi et moi en lui portera beaucoup de fruit » (2). Voilà des paroles de vie. Demeurons donc en Jésus, et que nous y soyons si cachées qu'on ne nous trouve plus, afin que nous puissions dire avec vérité : « Non quae super terram ». Certes il faut penser de la bonne sorte à être toute à Dieu par Jésus Christ.
(1) Le Ms N 267 s'arrête ici et reprends à: savoir si vous êtes entrée... complété par le P110. (I) Lire : Je prendrai la liberté de vous écrire comment vous devrez-vous y comporter.
(2) Jn XIV - 5.
Je demande des nouvelles de votre santé et si l'Evangile de ce jour n'a pas dilaté votre coeur, se voyant sous la conduite d'un si bon Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis, dont votre âme est du nombre.
Je vous supplie, donnez liberté à l'amour d'opérer des transports de joie et de reconnaissance, des soins, des tendresses et des bontés infinies de ce bon Pasteur qui vous garde depuis tant d'années, vous préservant de tomber entre les pattes du démon. Jetez les yeux sur le Coeur adorable de ce divin Pasteur: vous le verrez tout regorgeant d'amour pour vous, tout appliqué à vous et tout immolé à son Père pour vous. Ecoutez sa sainte voix dans l'intime de votre coeur; intérieurement il vous dit qu'il est la voie, la vérité et la vie. Nous n'avons besoin que de cela. Suivons cet aimable Pasteur: Ses brebis entendent sa voix et le suivent ; si nous l'écoutons nous l'entendrons et si nous sommes fidèles, nous le suivrons. O le bonheur de suivre Jésus Christ ! Il est la voie et le sentier où nous devons marcher ; la vérité que nous devons croire et la vie qui nous doit animer. Plût à Dieu que ces trois vérités fussent imprimées dans nos coeurs et que nous en portassions les effets! O que nous serions heureuses de marcher en Jésus et de croire Jésus en tous ses sacrés mystères et ses divines paroles, et vivre de Jésus. Goûtez ce bonheur ; vous le pouvez et vous le devez comme une fidèle brebis du troupeau de notre bon Pasteur.
Une âme qui vit de l'esprit de notre saint Evangile n'a que de la joie et du repos en Dieu. Nourrissez-vous de Jésus Christ ; et pour son amour ne me refusez pas un quart d'heure que je vous demande, pour vous exposer en sa sainte Présence, tous les jours, afin de recevoir en vous les impressions de sa grâce et entrer dans une disposition de foi, d'amour et de respect sur cette infaillible et puissante vérité qui renferme tout : Dieu est, et cela suffit à une âme chrétienne. Si vous voulez vous assujettir à cette petite pratique tous les jours, je prendrai la liberté de vous écrire comme vous vous y comporterez (1). Je suis assurée que votre âme en recevra de grandes bénédictions, et que si vous continuez, vous pourrez sans peine faire plusieurs heures d'oraison. Accordez-moi cette grâce et que votre humilité souffre que je lui en demande compte quelquefois, pour voir si Notre Seigneur fait impression sur votre intérieur. Si vous y entrez comme il faut, vous vous jouerez du monde et de tout ce qu'il contient.
Pardonnez à mon zèle ; je dirais volontiers que vous êtes plus dans mon coeur que moi-même, mais c'est pour vous donner incessamment à Jésus et à sa sainte Mère.
Agréez que je vous dise de vous tenir prête pour partir demain avec notre aimable Sauveur qui s'en retourne à son Père. Il n'y a point d'apparence de le laisser aller seul. Il faut faire notre possible pour l'accompagner en esprit, et renfermer notre coeur dans le sien, pour ne plus vivre que de sa vie.
C'est aujourd'hui que vous pouvez dire avec vérité que « Votre royaume n'est pas de ce monde », que vous le quittez de bon coeur pour suivre Jésus Christ et retourner avec lui dans votre céleste patrie. Vous êtes sortie de Dieu, il y faut retourner. Voilà votre devise, souvenez-vous en toujours, et prenez garde que rien ne vous empêche de rentrer dans ce centre glorieux.
Comme le membre suit le chef, ainsi devons-nous suivre Notre Seigneur dans le ciel. Hélas ! qui pourrait demeurer sur la terre sans lui ? C'est le gémissement des saints en cette vie, et ce leur est un vrai enfer d'être un moment Séparé de ce divin objet. Soupirons avec les bonnes âmes, et désirons être, comme dit Saint Paul, «déliés des liens de notre captivité». Oh ! qu'il ferait bon mourir demain ! Le ciel est ouvert, et Jésus y faisant son entrée triomphante on peut facilement y entrer avec lui. Les miséricordes sont abondantes, et le Père éternel étant si occupé à se complaire en la gloire de son Fils, il ne rebutera point ceux qui entreront avec lui.
Je ne sais si vous viendrez demain adorer notre bon Maître et recevoir sa bénédiction à l'heure qu'il monta au ciel ; je l'espère de votre piété, si le temps est beau pour votre santé. Je le désire du même coeur que je suis avec profond respect...
Si je ne mortifiais mon inclination vous seriez souvent importunée de votre petite servante, pour savoir des nouvelles de votre santé et si le quart d'heure n'est point oublié. Vous avez promis d'y être fidèle. De temps en temps, je vous en ferai souvenir. Il ne faut pas se rebuter : si la facilité n'est pas si grande au commencement, la suite adoucira la peine.
Je vous supplie que ces trois jours nous servent de préparation pour suivre notre aimable Sauveur dans le ciel. Il ne faut plus demeurer sur la terre. Le membre doit toujours accompagner le chef. Je vous prie faites un peu de lecture sur le mystère de l'Ascension dans le Père Bourgoing ou Hayneuve (1), afin d'en remplir votre esprit et que votre amour se renouvelle. Oh ! quand serons-nous séparées du monde et des créatures ? Quand irons-nous dans notre céleste patrie ? Nous sommes de pauvres bannies sur la terre et en un pays étranger. Mais réjouissons-nous dans l'espérance que nos maux finiront quelque jour, et que nous irons dans la maison de notre Père pour l'aimer et le posséder éternellement. O quelle joie de voir Dieu et d'être transformée en lui à jamais !
Soyons donc fidèles et courageuses. Vivons uniquement pour Jésus. C'est en lui que je vous suis…
( 1 ) Bourgoing François, 1585 - 1662. né à Paris d'une célèbre famille de robe. Un des premiers compagnons du Cardinal de Bérulle, il lui succèdera comme 3e général de l'Oratoire : 1641 - 1662. Il fonde 10 maisons en France et en Flandre. Il écrit plusieurs ouvrages, celui que cite Mère Mectilde doit être : Vérités et excellences de Jésus Christ Notre Seigneur disposées en méditations pour tous les jours de l'année. D.T.C. fasc. XII I col. 1099.
Hayneuve Julien, 1588 - 1663. né à Laval, entre au noviciat de la Compagnie de Jésus le 31 mai 1608. Théologien ascétique, il fut un des maîtres de la vie spirituelle au XVI le siècle. L'ouvrage cité doit être : Méditations sur la vie de Jésus Christ pour tous les jours de l'année et les fêtes des saints. 4 Tomes in 4° Paris 1611-1642. D.T.C. fasc. X LV 111 col. 2069.
Je n'ose espérer l'honneur de vous voir aujourd'hui; c'est pourquoi je vous envoie la lettre que je viens de recevoir, demandant des nouvelles de votre santé et si le quart d'heure continue. Il ne le faut quitter pour quoi que ce soit. C'est pour Dieu et à Dieu que vous le donnez directement, et c'est ce qui vous doit obliger à y être fidèle. Employez-le, s'il vous plaît, cette octave, pour vous rendre à la puissance et amour du Saint-Esprit ; simplifiant vos pensées pour demeurer en simple attention et abandon à sa grâce et à son opération ; l'adorant en silence. Recevez passivement ce qu'il lui plaira d'opérer, et vous rendez flexible à ses impressions ; il ne manquera pas de vous en donner, et d'éclairer votre esprit sur les vérités évangéliques, et d'échauffer votre volonté pour les pratiquer généreusement.
Mon Dieu que cette vie est dure à supporter lorsque l'on voit les périls dont nous sommes environnés, et combien il est facile de se séparer de Dieu ! Il m'a pris une grande envie de mourir pour ne le plus offenser, et pour avoir la grâce de me nourrir dans l'éternité de ces beautés et excellences des mystères de Jésus Christ. Oh ! qu'il fait bon s'en occuper, et encore bien meilleur d'en porter les effets en nous ! Rien ne nous peut contenter en cette vie parce qu'elle n'a rien en soi digne d'une âme créée pour être éternellement occupée de Jésus, et consommée en son amour ; prenons Madame la résolution, en attendant la délivrance de notre captivité, de ne plus vivre qu'en l'amour, de l'amour, et pour l'amour de Jésus. Puisque nous avons reçu le Dieu de l'amour, qui est le Saint-Esprit, ne vivons plus que de l'amour qui nous unit et nous transforme tout en Jésus, pour le temps et l'éternité.
Si j'avais reçu le Saint-Esprit, j'aurais le don de vous réjouir en vous embrasant de son feu tout divin. Il n'en faudrait qu'une étincelle pour consommer tout ce qui fait sa douleur et nous ravir dans le Coeur de Dieu ; pour n'avoir plus qu'un même respir et une même volonté avec ce Coeur adorable, dans lequel vous devez trouver force et courage dont vous avez besoin, pour soutenir tant de coups que la divine Providence décharge incessamment sur vous Madame ; et s'il vous blesse, il vous peut guérir, et s'il mortifie, il vivifie. Ayons de la foi et de la confiance. Quand il abîmerait et consommerait tout nous-même, nous ferons comme saint Augustin, car notre foi deviendrait plus vigoureuse. Et quand tout serait perdu sans ressources, c'est lors que l'on doit croire plus constamment, parce que la foi n'est pas pure quand il y a de l'apparence ; mais elle est pure et nue lorsque tout l'humain est anéanti ; et c'est en vertu et respect de cette foi vers Dieu que Notre Seigneur fait des miracles. Nous les devons espérer de sa bonté, au temps qu'il lui plaira les opérer pour sa gloire.
Soyez, Madame, ferme et constante, dans un simple regard amoureux en Dieu. Attendez ces moments. Si vous pouvez modérer l'activité naturelle, vous aurez un peu de repos. Je vous souhaite un comble de repos et de grâces, avec un parfait assujettissement au règne de Jésus Christ.
Je prends la liberté de vous avertir que c'est demain la fête de votre intérieur, où les Trois Personnes Divines reposent comme dans leur Temple. Souvenez-vous de renouveler à la sainte Communion vos saints voeux de baptême et de lui rendre grâce de votre vocation à la foi. Je vous supplie que cette auguste fête soit dignement solennisée, renouvelant la dédicace que Jésus en a faite [de vous-même] à la Sainte Trinité. Vous remarquerez donc que vous n'êtes point à vous ni à vos usages, que vous êtes à Dieu par Jésus, et que vous n'avez pas un respir qui ne lui soit consacré. Vivez dans cet esprit de foi et tendez plus que jamais à vous séparer de vous-même. Remettez tout en Dieu. Pensez à l'aimer et il s'appliquera à tous vos besoins, car il veut que vous soyez à lui sans réserve, vous reposant en son amour.
Je vous demande pardon de ma trop grande liberté, mais votre bonté en est la cause. Je suis avec le dernier respect tout à vous.
Béni soit Dieu d'apprendre que votre santé est meilleure ! Il faut la bien conserver pour jeudi célébrer la fête des Epuisements de l'amour de Jésus vers les hommes. Oh ! que ce mystère est grand et profond pour les âmes chrétiennes ! Celui que nous célébrons demain est ineffable ; il faut l'adorer sans le comprendre, se soumettant avec une profonde humilité à la vérité proposée de l'auguste et individue (1) Trinité. Mais comme cette fête est mieux solennisée au ciel que sur la terre, nous appliquerons notre coeur et notre esprit pour la célébrer magnifiquement dans notre intérieur. C'est la fête de la Dédicace du temple mystique.
Nous savons de foi que le coeur du chrétien est le temple du Dieu vivant : l'Apôtre nous en assure, et l'Eglise nous apprend que ce temple intérieur est dévoué et consacré au baptême à la Sainte Trinité par Jésus Christ et que les Trois Divines Personnes : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sont continuellement résidentes dans ce temple, et jamais n'en sortent, quoiqu'il puisse arriver durant le cours de cette vie. Cette vérité étant de foi, il ne faut donc que se recueillir en soi-même pour adorer en nous l'auguste Trinité, lui présenter nos hommages et nos sacrifices, dont le plus excellent est de nous immoler à sa gloire, incessamment, par Jésus Christ qui nous présentera à son Père.
(1) Qui ne peut être divisée. Ne s'emploie qu'en parlant de la sainte Trinité. M. Bescherelle, Dictionnaire universel, Paris, 1851.
La première réflexion, c'est de voir la dignité de notre âme et comme elle appartient irrévocablement à la Très Sainte Trinité.
La seconde sera que, comme elle est toujours en nous, nous devons toujours être en elle, et effectuer en nous les paroles de Jésus à la Samaritaine, lorsqu'il lui dit que « le temps était venu que le Père aurait des adorateurs qui l'adoreraient en esprit et vérité » (1), non plus en Jérusalem seulement, mais partout et surtout en nous-même ; en esprit par la foi, et en vérité du fond du coeur par amour et profond et sincère anéantissement de nous-même devant cette Suprême Majesté.
La troisième sera de demander à notre âme quels sont ses devoirs devant cette ineffable déité ; si elle la croit en soi ; si elle l'y adore, et s'y réfère elle-même et toutes ses opérations ; si elle se regarde et se voit actuellement dépendante du secours divin, source intarissable de grâce et de sainteté cachée en elle. En suite de ces petites considérations et réflexiôns vous connaîtrez si vous rendez à Dieu les hommages et les devoirs que vous lui devez dans son temple intérieur ; et si vous remarquez y avoir manqué, faites-en amende honorable à la Très Sainte Trinité, et renouvelez les voeux et promesses faites au baptême pour vous obliger à une plus exacte fidélité.
Vous voyez que je tâche de faire ce que je vous ai promis, de vous réveiller de temps en temps et exciter à une nouvelle ferveur. Je crois que vous en savez mille fois plus que moi, qui ne suis qu'une pauvre misérable, qui mérite d'être éternellement anéantie. En parlant, j'obéis à ce que vous m'avez commandé et vous donne occasion d'exercer votre humilité et patience et devenir une grande sainte ; c'est ce que je vous désire et vous souhaite avec ardeur et respect.
(I) Jn IV-23.
Je n'ai pas besoin d'exciter votre coeur à l'amour de notre adorable et très auguste Mystère ; je sais trop bien que c'est votre vie et la félicité de votre âme, laquelle n'a point de plus grande joie que de se consommer en sa sainte Présence, par amour et adoration, faisant ici-bas ce que les anges et les bienheureux font au ciel. O quel don le Père éternel nous a fait ! O quelle bonté en Jésus de vouloir demeurer avec nous jusque la consommation des siècles ! Un Dieu avec nous, sans jamais s'en retirer, quoique l'ingratitude des hommes l'obligerait de les abandonner : O grande et excessive charité ! Il faut être bien transporté d'amour pour demeurer avec des pécheurs qui n'ont que de la malice pour outrager sa bonté. On se perd en la vue de cet abîme de miséricorde, et on n'en peut plus parler. Oh ! que ne pouvons-nous mourir par l'amour de l'amour de cet infiniment aimable, Dieu d'amour !
Cette grande et admirable fête ne se peut dignement solenniser que par l'amour, que je partage en deux actes :
L'amour reconnaissant les grâces infinies que Dieu a mises pour nous dans la divine Eucharistie et singulièrement du don ineffable qu'il nous y fait de tout lui-même.
Et l'amour unissant et transformant l'âme en Jésus Christ, qui s'épuise tout en amour dans ce glorieux Sacrement, qui est la fin de son institution.
Il nous y donne tout sans aucune réserve. Dieu n'a rien en soi qu'il ne nous donne dans la sacrée Communion, aussi ne devons-nous rien avoir en nous, ni hors de nous, que nous ne lui donnions en le recevant. Il entre en nous pour nous faire entrer en lui. 11 consomme son être sacramentel en nous, pour consommer notre propre vie en lui. Il s'abaisse pour nous élever. Il se sacrifie en nous pour nous sacrifier en lui. Il veut vivre en nous afin que nous vivions en lui et par lui. Vous êtes toute remplie des lumières de ce grand Mystère, il ne me reste seulement qu'à prier Notre Seigneur Jésus Christ qu'il vous en fasse porter les effets ; c'est à lui de les opérer et c'est ce qu'il veut faire si nous ne l'empêchons.
Je prends l'humble hardiesse de me recommander à vos saintes prières. Il me semble que je sens une petite émulation intérieure pour commencer à mieux faire ; mais je sais que si l'esprit est prompt la chair est faible, ainsi j'ai besoin d'être soutenue. J'espère que cette sainte octave ne se passera pas que nous n'ayons l'honneur d'embrasser plusieurs fois vos pieds. En attendant je vous souhaite toutes les bénédictions de l'adorable Eucharistie.
Est-il possible qu'au milieu de vos souffrances, votre bonté puisse penser à sa très indigne servante ? J'en suis dans l'étonnement. C'est un effet d'une charité très grande. Plût à Dieu pouvoir attirer dans mon coeur tous les maux que vous souffrez ; j'en aurais une singulière satisfaction.
Mon Dieu, qu'il y a de plaisir d'aimer le Fils de Dieu dans le Très Saint Sacrement ! Mon âme semble se ravir d'admiration de ses ineffables bontés qui souffrent non seulement qu'on lui dise qu'on l'aime, mais qui veut être notre aliment, qui descend en nous pour nous élever en lui et nous combler de ses plus délicieuses faveurs. Je ne puis que je ne m'écrie : o mon adorable Sauveur que vous êtes bon, d'une bonté infinie ! Vous le savez, Madame, et vous le goûtez plus purement que moi. Je sais que ce sont vos délices et les charmes de votre coeur, qui n'a point de plus grande joie en ce monde que de lui rendre, aux pieds de ses autels, ses adorations. Ce m'est une joie bien sensible quand j'ai l'honneur de vous y voir céans. Il me semble que Notre Seigneur reçoit avec complaisance les hommages que vous lui rendez et je les lui offre souvent en réparation de mes négligences et indé-votions. Continuez-les, Madame, vous en recevrez de grandes bénédictions.
Celui-là ne sera jamais sans gloire dans le Ciel, qui aura honoré et confessé Jésus Christ en terre sous les espèces sacramentelles. Je vous regarde comme une prédestinée et la bien aimée de Notre Seigneur dans le Très Saint Sacrement. Aimez-le de tout votre possible dans ce Mystère puisque c'est celui où il souffre plus d'humiliation. Cachez-vous dans ce sacré ciboire avec lui, et soyez ensevelie sous les accidents par un effet d'amour qui vous y tienne unie, vivant de la vie cachée de Jésus, en lui-même, pour la gloire de son Père. Vivez pour lui uniquement ; c'est son dessein dans la divine Eucharistie, et c'est pour cela qu'il vient à nous. Je le prie qu'il vous tire de plus en plus dans son sacré amour, et qu'aucune créature ne vive plus en vous. Que Jésus seul y soit vivant et y puisse avoir la plénitude. C'est le souhait de celle qui sait que vous n'estimez rien en ce monde que Jésus Christ, dans lequel je vous suis avec profond respect...
Je suis très en peine de votre santé. Si vous eussiez pu venir adorer le Très Saint Sacrement qui était exposé dans notre église, vous auriez reçu une force divine, pour soutenir la douleur et les déplaisirs continuels de la vie. Je désirerais la consolation et l'honneur de vous y voir plus ardemment que de coutume, me semblant que votre âme y devait beaucoup recevoir de grâces et de miséricorde.
Dans l'état où la divine Providence vous tient présentement, qui a besoin d'être soutenu de Dieu - les créatures n'ayant pas en elles-mêmes la vertu pour y subvenir - Dieu seul, et vous l'expérimentez bien, peut réjouir et consoler votre coeur. Vous le trouverez pleinement dans l'adorable sacrement de l'autel, où l'amour le renferme, pour nous donner les moyens de nous approcher de lui et de trouver un paradis en terre en attendant le bonheur d'entrer dans le ciel, pour le posséder avec les bienheureux, par la vision béatifique. Il faut achever votre pénitence dans la captivité où vous êtes, espérant qu'il vous ouvrira la porte du sacré repos, où votre âme aspire avec tant d'ardeur.
Je prie Notre Seigneur Jésus Christ que ce soit bientôt, afin que vous puissiez goûter, avant la mort, les délices d'un coeur qui jouit de Dieu, et qui le possède, et qui en est possédé, et qui, par cette divine union, se voit tout séparé des créatures. Il me semble que c'est l'état où votre désir tend et où vous voudrez être établie solidement. C'est une grande grâce d'en connaître la grandeur, l'excellence et le mérite, et encore plus grande d'y aspirer de toutes ses forces, autant que Dieu le veut ; du moins s'y affectionner et désirer y tendre, par une sainte désoccupation de ce qui n'est point Dieu, se séparant doucement de ce qui embarrasse l'esprit, pour conserver la paix et la tranquillité du coeur, si nécessaires pour jouir suavement de la présence de Dieu. Le souvenir de la précieuse personne que Dieu a mise en son paradis, et les sensibilités présentes ne vous empêcheront point de devenir une grande sainte. C'est de quoi faire des sacrifices à Dieu qui lui seront très agréables. C'est ce que vous faites, avec une sainte humilité. Il faut l'accompagner de persévérance.
Je vous demande mille pardons de la trop grande liberté que je prends de vous écrire de la sorte. Etant avec très profond respect...
J'ai toujours cru que Dieu voulait se servir de vous pour faire honorer Jésus Christ, son Fils, dans notre Institut, et qu'il veut vous couronner dans le ciel, pour la gloire que vous lui procurez en terre, stabiliant l'Adoration perpétuelle que nous avons professée, et qui ne peut subsister [del longues années que par le soutien de notre Congrégation.
Si Notre Seigneur accomplit les paroles qu'il vous a données, nous serons trop heureuses ; mais ce sera à votre seule bonté et piété que nous en aurons l'obligation et que nous en devrons des éternelles actions de grâces. Il [y] fallait un zèle aussi grand que le vôtre, et une autorité aussi puissante. Je prie Dieu qu'il nous rende dignes de reconnaître, en sa Présence, mais efficacement, ces signalées grâces. Nous ne cesserons de prier Notre Seigneur Jésus Christ au divin Sacrement de l'autel, qu'il vous donne toutes les bénédictions que je vous souhaite depuis longtemps, et surtout une confiance toute filiale et amoureuse vers Jésus Christ : qu'il vous fasse ressentir les tendresses de son divin Coeur et qu'il attire puissamment le vôtre, par la force de son pur amour, en sorte que vous preniez votre repos dans un doux abandon à son bon plaisir ; que votre âme soit comme un petit enfant de sa sainte Providence, sans soin et sans empressement qu'une simple adhérence à son amour.
Voilà ce que Notre Seigneur veut de vous et où vous trouverez la parfaite paix du coeur et un saint dégagement de tout ce qui le peut troubler. Je ne sais si j'oserais demander des nouvelles du quart d'heure et s'il est encore en usage ?
Si vous souffrez mes importunités, je vous réveillerai quelquefois pour un peu vous divertir, en attendant que Notre Seigneur vous inspire de nous honorer de votre présence. En attendant cette grâce, je me dirai avec profond respect...
Il est vrai. Madame, qu'à votre respect Monsieur N… nous a accordé notre demande. C'est une grâce que nous devons à votre bonté. Sans votre autorité jamais nous ne l'aurions osé espérer. N ... ira vous en faire nos humbles remerciements. Nous sommes étroitement obligées de redoubler nos prières pour votre conservation et la prospérité de vos pieux desseins. Si nous étions dignes d'être exaucées les vapeurs qui vous tourmentent seraient bientôt dissipées ; mais elles sont d'une qualité qu'il n'y a que le soleil éternel qui les puissent consommer. J'en suis d'autant plus persuadée que les remèdes humains ne les ont pu guérir jusqu'à présent. C'est donc à Jésus d'opérer ses adorables effets sur l'âme et sur le corps et d'allumer le feu divin qu'il dit lui-m'aie avoir apporté du ciel en terre pour brûler et consommer les coeurs de ses élus.
Vous êtes heureuse Madame si vous brûlez de ses précieuses flammes. Je vous supplie de n'y faire aucune opposition, et puisque l'infirmité vous tient solitaire, que l'amour de Jésus soit votre occupation ; et pour y réussir avantageusement, abaissez-vous devant cette Majesté infinie, jusqu'à l'abîme du néant. Plus votre âme sera petite en sa Présence, plus il prendra de complaisance en vous, et ses grâces seront plus abondantes. Honorez par votre captivité Madame celle de Jésus en l'Eucharistie. Renfermez-vous en esprit dans le sacré ciboire avec lui. Tâchez de ne le quitter jamais en ce monde, puisque vous devez être éternellement avec lui. Il faut apprendre à l'aimer en la terre pour continuer dans le ciel.
Je le prie vous donner une bonne nuit et une nouvelle vie de grâce et sainteté ; j'embrasse vos pieds avec profond respect.
Oh ! que Dieu est bon, qu'il est adorable et tout amour pour vous ! Voyez par ces conduites qu'il ne vous traite point comme les grands du monde, mais comme la chérie de son coeur et comme une de celles qu'il a choisies sur la terre pour honorer, par état, les dispositions de son Fils. Oh ! que vous dites vrai que Dieu réveille votre foi par ce dernier coup, que sa sainte Providence vous envoie.
Je suis ravie de voir les sentiments que la grâce divine épanche dans votre coeur. Vous voyez le soin que Notre Seigneur a de vous tirer dans sa sainteté. Il vous sépare de l'appui des créatures, pour vous faire trouver en lui seul les secours dont vous avez besoin. O les belles et divines paroles que vous dites de tout votre coeur à Dieu, et que vous exprimez si suavement dans votre chère lettre : « Mon Père qui est aux cieux »; dites-les souvent avec foi et confiance amoureuse, vous en ressentirez d'admirables effets et expérimenterez qu'il est véritablement votre Père, votre Epoux et votre Tout. Ce n'est point mes prières qui ont attiré sur votre âme tant de forces et de bénédictions. C'est que votre foi s'est renouvelée, et que Dieu vous fait la miséricorde de faire un saint usage de votre affliction, en la recevant de sa main adorable et vous soumettant à son bon plaisir. Continuez je vous supplie, ma très chère, de vous abandonnez toute à Jésus Christ! Conservez les grâces qu'il vous présente et jamais ne faites plus de fond ni d'appui sur aucune créature. Trop est avare à qui Dieu ne suffit. Voilà votre devise, adieu tout le reste ; il ne vaut pas un soupir de votre bon coeur, qui doit être consommé dans les flammes du pur amour. comme un parfait holocauste en odeur de suavité.
Quant à la demande que vous faites à Dieu, je ne sais quel esprit vous pousse. Je suis pécheresse et trop opposée à la sainteté où Dieu vous attire. Je craindrais de faire obstacle à votre âme. Mais comme c'est une saillie de votre profonde humilité et votre amour pour la solitude, si votre bonté m'y souffrait à ses pieds, j'avoue que j'aurais la plus sensible joie du monde, dans lequel je ne puis rien trouver d'agréable que d'être toute à Dieu et à votre service.
[page 46 à refaire µ]
Il faut un coeur aussi ferme que le vôtre pour ne se point troubler des événements si subits et si surprenants de la divine Providence. Un coeur bien uni a Dieu est inébranlable, et je serai ravie si le vôtre est dans cette disposition. Cela n'empéche pas qu'on ne fasse un peu de réflexion sur la brièveté de la vie et l'incertitude du temps. Notre Seigneur dit qu'il viendra comme un larron par surprise pour nous obliger d'être sur nos gardes et nous tenir toujours prêtes à partir. C'est la meilleure disposition d'une belle âme qui vit dans un saint dégagement. Rien ne la retient sur la terre. sachant bien qu'elle y est en exil, et que le Ciel est sa maison paternelle et son palais éternel. où elle doit aspirer sans relâche et demandant d'y retourner comme faisait le roi prophète. Ce que nous voyons arriver aux autres, peut de même s'exécuter en nous, et bienheureuse l'âme que le Seigneur trouvera veillante. C'est le plus ardent désir que j'ai pour vous, à qui je suis, avec tous les respects profonds que je dois.
Hélas ! que l'honneur de votre souvenir m'est d'une douceur merveilleuse ! J'espère que jeudi, s'il fait beau. vous nous ferez la grâce de venir pour vous y divertir, en parlant de Celui qui fait les délices de votre coeur, et que vous aimez si parfaitement. Oh ! qu'il fait bon parler de cet adorable objet, qui fait la félicité des Saints ! Venez. venez. Madame. vous saintement divertir dans les bontés de Jésus. Ce discours charmera vos ennuis. et augmentera son amour en votre âme. Apprenons comme il faut connaître et aimer celui que nous devons adorer toute une éternité.
En vérité, il n'y a que Jésus capable de consoler un coeur. et de lui donner une véritable joie. Tout le créé n'est rien. Hélas. le monde est un lieu de malédiction ! C'est une terre étrangère aux enfants de Dieu qui gémissent en la vue de leur exil. Mon Dieu quand sortirons-nous de cette horrible captivité ? Soupirons après notre patrie. il est permis à tin enfant de désirer de retourner en la maison de son père. et d'en regretter le retardement. Le prophète demandait à Dieu. très instamment. de demeurer dans sa maison tous les jours de sa vie. Or il y a trois demeures ou maisons de Dieu : le Ciel. l'église et l'intime de l'âme chrétienne. 11 faut espérer d'aller un jour dans le Ciel pour n'en jamais sortir. Dans l'église, on n'y peut pas toujours demeurer : mais dans l'intime de nous-même, il faut tâcher de ne point sortir, puisque Dieu Trine et Un y réside continuellement. C'est là où l'âme doit faire une stable et ferme demeure, et où elle trouvera le paradis en terre. Je prie Notre Seigneur qu'il vous y attire suavement et puissamment de sorte que vous y puissiez prendre le repos, la force et la joie que je vous souhaite.
Je vous laisse à penser si le courrier m'a donné de la crainte. En le voyant venir si promptement, il m'a donné sujet de croire qu'il ne vous fût arrivé quelques nouvelles afflictions, sachant bien que notre Bon Dieu ne laisse pas un petit moment de votre vie, qui ne soit remplie de sa croix. C'est le chemin royal par lequel il vous faut marcher. A mon avis, il ne faut pas que vous en cherchiez d'autre. C'est la conduite de son aimable Providence sur votre âme. Il faut l'adorer et s'y soumettre aveuglément, car Notre Seigneur veut que vous ayez le repos d'esprit par la solitude, en vous séparant [du monde I totalement.
µµJe suis plus persuadée que jamais que vous devez vous retirer avec Jésus Christ, et mettre fin à une vie tracassée que vous menez depuis longtemps. Pour vous y préparer, je vous dirai ingénuement que vous ne devez rien espérer, de-par, de-ça, de l'aîné, ni du cadet. Cherchez et trouvez votre repos de vous-même et ne l'espérez qu'en Dieu. Il ne faut plus se flatter dans l'attente des créatures. Regardez toujours
Dieu, sa gloire, et votre salut, et celui de Mlle N 1 I les faut préférer
à tout le reste, qui n'est que passage et que vanité. L'éternité le doit emporter par-dessus le temps, et Dieu par-dessus les créatures, qui ne sont que des néants. Continuez vos sollicitations à Rome pour l'office du très Saint Coeur ( I). Cependant nous ferons prier Dieu pour vous faire connaître sa très sainte Volonté. Il le faut bien consulter, et puis suivre constamment ce qu'il vous aura fait connaître. Je suis de ma part dans un ardent désir de vous voir en repos sur ce sujet. Tout mon zèle, après la gloire de Dieu, est d'attirer du Ciel sur vous, et sur tout ce qui vous touche, l'abondance des bénédictions que je vous souhaite, et que vous avez besoin pour être une pure victime de son divin amour. Je suis à vous, toute en lui, avec profond respect...
n°1763
(I) l'office du très Saint Cœur de Marie, composé par saint Jean Eudes a été édité en 1648. Saint
Jean Eudes. Oeuvres complètes, i X I.
POUR LA FÊTE DE SAINTE ELISABETH (1)
J'ai prié de tout mon coeur la Sainte Vierge de vous visiter aussi efficacement pour l'achèvement de votre sanctification et consommation, qu'elle fit à sainte Elisabeth. Je ne sais si vous aurez reçu les bénédictions que je vous ai souhaitées. Oh ! qu'il fait bon recevoir de cette sorte la Mère et l'Enfant !
Nous avons bien sujet de dire avec étonnement : « UN DE HOC MIH I » ? (2). Après une telle visite, il ne faut plus nous soucier de rien, d'autant que nous avons en Jésus et Marie tout ce que l'on peut désirer. Un coeur serait bien avare, à qui Jésus et sa bénite Mère ne suffirait pas. Heureuse l'âme qui ne s'en sépare jamais ; qui conserve leur présence, et qui les sait renfermer dans son intérieur pour s'en souvenir à tout moment, et s'enflammer par leur doux entretien, des plus ardentes flammes du saint amour ! C'est leur dessein et le motif de leur précieuse visite. Nous y voyons comme saint Jean dans le sein de sa mère a été embrasé. C'est par ce divin feu que sainte Eli-sabeth a prophétisé, et par la même visite, dans la sainte Communion que nous devons être changées et transformées en Jésus.
Apprenons, apprenons bien, Madame, les usages de ce bel amour qui a tant de puissance qu'on permet à celui qui aime de faire ce qu'il veut. C'est saint Augustin qui nous l'assure. Si mon souhait avait lieu, certes nous brûlerions de cet amour, et nous dirions avec saint Paul : « Nous ne vivons plus nous-mêmes, mais c'est Jésus qui vit en nous ». O quel bonheur si cela était ! Nous serions au-dessus de la Fortune et du temps, au-dessus du créé et de tout ce qui peut être. Nous serions en Dieu, avec Jésus et en Jésus. Nous vivrions de sa vie, et serions animées de son esprit. Qu'aurions-nous plus à craindre et à désirer en ce monde ? Tout nous serait indifférent, nous laisserions les morts ensevelir les morts, et Dieu nous serait tout en toutes choses.
Il y a grand plaisir de penser aux avantages d'une âme qui vit de cette sorte ou pour mieux dire qui est passée en Jésus Christ. C'est cependant où vous devez humblement et ardemment aspirer. Toute votre tendance doit être de rentrer dans votre centre qui est Dieu et ne devez souffrir et agir que pour cet effet, faisant fort peu de cas de tout le reste. Tenez votre esprit libre et dégagé, en telle sorte que rien n'empêche son vol vers l'unique objet de son amour.
C'est assez de cette petite leçon jusqu'à la chère entrevue, qui sera quand il plaira à la divine Providence et que la santé le permettra. Vous protestant que je serai toujours avec profond respect...
no 738
(I) Le Ms N258 dit : Pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge.
(2) Lc 1, 40 et sv.
50 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 51
MANIÈRE DE S'ABANDONNER À DIEU
Je viens de faire la sainte Communion où vous avez été si présente devant Notre Seigneur que je ne puis m'empêcher de vous écrire les mouvements que j'ai reçus pour vous.
Il m'a semblé que l'esprit de Jésus se plaignait que votre foi et votre abandon vers sa bonté n'étaient pas entiers, et qu'il voulait de vous une remise de tout vous-même en lui ; et qu'il voulait prendre un soin paternel de vous et de tout ce qui vous touche ; et que si vous saviez bien vous laisser toute à lui et au soin de son amoureuse Providence, vous verriez, des merveilles de sa bonté. Faites-le donc de tout votre coeur au lieu de vous arrêter à vos pensées et réflexions, pleines d'angoisses et de douleurs. Il y a longtemps que je vous en supplie très instamment. Il .ne faut plus différer. La sainteté de Jésus veut opérer en votre âme ; c'est pourquoi il faut qu'elle se sépare de ses propres pensées, pour adhérer fortement à son amour. Ne vivons plus que de cet amour qui nous transforme toute en Jésus. J'ai un grand désir de me voir à vos pieds pour en parler, et par ce doux entretien, chasser vos ennuis. Courage, continuez le quart d'heure avec plus de soins que jamais.
n° 1576
QU'IL NE FAUT PAS SE RETIRER DE LA COMMUNION
Permettez-moi de vous dire que vous demeurez trop accablée et écoutez trop le mal. Vous n'avez pas assez de retour vers Dieu. Ne savez-vous pas qu'il n'y a que sa bonté qui vous puisse protéger et qu'il ne faut rien espérer que par sa très Sainte Mère, qui peut obtenir tout ce que vous avez besoin. Vous ne prenez pas assez de force où elle est. La communion fréquente vous est absolument nécessaire et vous ne la faites pas assez souvent. Vous vous noyez et abîmez dans la réflexion, et ce n'est pas là où vous trouverez la force et le remède. Il fait bon recourir à Dieu et le recevoir. Il ne faut plus s'en dispenser si vous ne voulez perdre infiniment. Où prendrez-vous des lumières que dans ce divin sacrement ? Et la grâce d'agir comme il veut, dans l'esprit de ce divin Jésus ? Vous ne le pouvez qu'en communiant souvent, et votre coeur ne devrait respirer qu'après ce pain Eucharistique. Vous expérimentez assez votre besoin. Je vous assure que Dieu veut cela de vous, et que si vous y êtes fidèle, vous recevrez des effets de grâce qu'on ne peut exprimer. Je vous les souhaite du même coeur que je suis en tout respect...
no 2464
PETITE MÉDECINE SPIRITUELLE
Je ne puis attendre jusqu'à ce soir d'envoyer savoir de votre santé et si votre sirop vous aura profité. Je le désire avec bien de l'ardeur, mais je ne sais s'il aura la vertu de purger et évacuer l'humeur qui engendre les vapeurs. J'estimerais qu'il y faudrait mettre une certaine drogue qui ne se trouve point dans la boutique d'apothicaire ; il la faut prendre dans le Coeur de Jésus qui est un non-souci de tout ce qui n'est point Dieu et une dragme (1) d'abandon à son amour, avec un scrupule de la sacrée indifférence à toutes les conduites de Dieu qui font un calme et une sérénité merveilleuse.
Souffrez, Madame, que je vous dise ce mot que la tendresse ne peut retenir sans sortir du respect ; qu'il n'y a plus moyen de rompre le cordon qui lie mon coeur avec le vôtre en Jésus. Pardonnez à ma trop grande liberté que l'amour ne peut cacher, quoique je tâche de le renfermer en Jésus Christ pour le purifier en lui, et n'avoir pour vous aucune chose hors de lui, sachant bien que vous ne voudriez pas une affection purement naturelle, parce que vous ne pouvez pas vous contenter de l'amitié qu'un sujet doit à son souverain ; mais qu'elle soit pure, sainte et divine, qu'elle parte du ciel pour y retourner ; et j'ose vous assurer qu'elle est telle et que pour avoir pris racine dans le Coeur de Jésus, elle n'en est pas moins forte et inviolable. L'amitié du monde est une paille qui se consomme au premier feu d'une légère contradiction, mais la dilection sainte qui prend sa source en Dieu, rien d'humain ne la peut rompre. C'est de cette sorte que la liaison de nos coeurs est faite. C'est Notre Seigneur qui les a unis ; la chair ni le sang n'y ont point de part, c'est pourquoi elle sera inébranlable et d'une durée éternelle.
Je l'espère de votre bonté qui le veut bien souffrir et qui me fera justice de croire que je suis d'une manière que Dieu seul connaît, toute à vous.
n° 1096
(1) Mesures de poids au XV 11e siècle :
1 livre = 16 onces. 1 once = 8 dragmes ou gros.
1 dragme = 3 scrupules ou deniers.
I scrupule = 24 grains. 1 grain = 24 carats.
LETTRES INÉDITES
52 CATHERINE DE BAR 53
IL FAUT DEMEURER EN JÉSUS
Je vous prie que je puisse savoir comme vous vous portez, et si votre coeur demeure toujours ferme et uni à Jésus Christ, pour ne faire qu'un même esprit, même amour et un même sacrifice avec Lui. Si votre volonté ne s'en sépare point, vous trouverez toujours une force secrète, et une grâce intime au fond de votre coeur qui soutiendra tout. Je ne doute point de sa protection. Par Dieu, Madame, conservez votre âme dans le calme, et c'est ce que vous ferez facilement si vous demeurez en Jésus que vous avez reçu ce matin, [ce] dont j'ai ressenti une fort grande joie. Tâchez doucement et fortement de vous mettre au-dessus de tous les objets de la terre. Vous êtes citoyenne du Ciel, soyez donc un ange du Paradis, en ne vivant que de Jésus, en Jésus et pour Jésus. Je suis en son amour toute à vous.
n° 1778-
IL NOUS FAUT RÉSIGNER À DIEU DANS L'ADVERSITÉ
J'étais hier si en gronderie contre vous, que je n'osais vous écrire, crainte de sortir du respect, et ma fâcherie était que vous vous faites mourir, et avancez vos jours par votre chagrin que vous ne combattez pas assez, ne regardant pas les choses du côté de Dieu et de sa Providence, sans vous laissez accabler, ce qui ne se peut faire sans imperfection. Vous aurez la bonté de souffrir que je vous en fasse chapitre, et que je vous dise, avec autant de respect que de zèle pour votre sainteté, que vous ne faites pas ce que Dieu veut, vous laissant trop pénétrer des choses qui choquent l'esprit et sont contraire à vos volontés.
Il faut un peu plus d'abandon à Dieu, de soumission à ses conduites, et de foi à ses bontés, autrement vous ne ferez pas ce qu'il veut. Je vous supplie de penser à ceci. C'est une petite leçon que je prends la liberté de vous donner, très cordialement, mais à condition que vous y travaillerez doucement et sans inquiétude. Voulez-vous rendre les grâces de Dieu inutiles en votre âme, et négliger les moyens qu'il vous donne de devenir une grande sainte ? 11 est temps de rendre les desseins de Dieu efficaces en vous. Il vous veut toute à lui, mais en amour et par la voie d'amour, et non par la tristesse et la crainte, qui est la ruine du pur amour et qui le chasse d'un coeur quand on lui donne l'entrée. Certes, si la novice voulait croire la mère maîtresse, elle sortirait bientôt de ses chagrins, et goûterait la joie du Saint Esprit, et la paix des enfants de Dieu qui vivent en foi et en espérance certains des promesses de Notre Seigneur qui sont infaillibles.
Plût à Dieu que l'on pût tenir de près cette chère novice : on ne lui
permettrait pas de s'accabler par tant de réflexions inutiles, et des
• retours qui sont sans fruits. Votre expérience vous doit rendre plus dépendante du bon plaisir de Dieu, et augmenter votre foi, sans troubler un moment votre paix. Mais disons que cette aimable novice fuit la mère maîtresse pour ne point sortir de la douleur et de la peine qui détruit sa santé et qui afflige puissamment ceux qui l'honorent et estiment parfaitement...
no 1549
IL FAUT SE CONFIER ET ABANDONNER TOUTE À DIEU
Mon âme se trouve en la présence de Notre Seigneur Jésus Christ toute remplie de vos intérêts, qui fait que, sans cesse, nous offrons à Dieu nos humbles prières pour vos intentions , mais d'une manière toute particulière pour votre sainteté, ne pouvant penser aux conduites
de la Providence divine sur votre Maison, que je crois que Dieu
.
a dessein de la sanctifier , et que s'il l'a prive sur la terre de la gloire et du repos, la renversant comme celle du saint homme Job, il la relèvera un jour dans le Ciel plus glorieusement. Et ce qui me console dans tous ces événements fâcheux, c'est de voir votre Maison s'élever saintement au-dessus de toutes choses, pour ne rien estimer que la possession de Dieu.
Oh ! que vous êtes heureuse de vous savoir tenir ferme parmi les tempêtes de cette mer orageuse, dans le sacré abandon de tout vous même à Dieu. C'est dans cette confiance et cette foi admirable que vous goûterez la paix et la tranquilité, tandis que les créatures se perdent et se consomment dans les embarras de la vie humaine.
Je vous supplie humblement de vous tenir intérieurement le plus dégagée que vous pourrez, afin de conserver votre âme et la tenir dans une sainte liberté, par laquelle vous jouirez de la douce et amoureuse union avec Dieu d'une manière très facile, et expérimenterez ses bontés infinies et les soins qu'il prendra pour le bon succès de vos affaires. Vous verrez qu'il en fera plus en une heure que tous les hommes avec toutes leurs industries et empressements. C'est une très haute grâce qu'il vous fait de ne faire aucun cas des choses de ce monde. Cette disposition vous tient séparée de la corruption. aussi n'êtes-vous pas du monde. Vous êtes à Dieu, créée pour Dieu, sortie de Dieu, et obligée indispensablement de retourner à Dieu. Tous les moments de votre vie vous y doivent rendre. Je le prie, Madame.
LETTRES INÉDITES 55
54 CATHERINE DE BAR
de vous y attirer si fortement, par les chaînes sacrées de son Divin amour, que vous en soyez toute embrasée, et que dans la durée de l'éternité, vous le glorifiez avec les bienheureux.
C'est le plus ardent désir de mon coeur pour vous, à qui je suis avec profond respect ...
no 2187
IL FAUT DEMEURER DEVANT DIEU DANS L'ABÎME DE SON NÉANT
les contradictions de la vie qui sont ordinairement inévitables. C'est l'impossible de passer la vie en repos dans tant de fâcheuses vicissitudes si l'on a son retour à Dieu et qu'on ne se retire en lui-même.
C'est ce que vous tâchez de faire, Madame, et ce que je prie Notre Seigneur d'accomplir en vous par sa grâce et par son amour. Pardonnez à ma témérité, c'est sans sortir du profond respect avec lequel je suis...
no 1097
DIEU EST SANS CHANGEMENT
Je ne puis attendre l'honneur de vos lettres, étant dans l'inquiétude de votre santé. Je crois que mes plus fréquentes applications, après Jésus Christ et sa très sainte Mère, sont à votre très honorée personne, ne vous oubliant pas même la nuit.
Nous prions et adorons Dieu ensemble pour vos affaires, vos intérêts étant les miens ; et si j'osais vous parler comme aux personnes du commun, je dirais qu'il se fait en Jésus, par Jésus, des liaisons intimes entre nous ; mais je ne vous parle pas de la sorte, je serais trop hardie. C'est assez dire que Notre Seigneur fait ce qu'il lui plaît, et comme il lui plaît. Je sais que je ne suis rien et jamais je ne perds la vue de mon néant et le sentiment de mon indignité ; c'est ce qui me tient devant Dieu qui connaît tout, et cela me suffit ; il sait ce qu'il imprime en moi pour vous. Quand je serai bien à Dieu, vous expérimenterez ce que je vous suis en son amour et en son divin Esprit.
Prenez courage, et remettez-vous en Dieu, en son bon plaisir. Adorez les conduites de son aimable Providence qui retarde les moments heureux de votre chère et précieuse solitude. Tâchons de la faire au milieu et fond de notre coeur, en attendant que nous puissions fuir les créatures pour nous aller ensevelir toutes vivantes, où nous n'aurons plus d'autre occupation que d'aimer et contempler celui qui doit être l'objet éternel de notre amour et de notre félicité. O Madame, un peu de pain et un verre d'eau suffisent pour rendre une âme parfaitement heureuse quand elle a Dieu ! Oh ! quand serons-nous en ce bienheureux séjour où Dieu seul sera notre unique vie ? Hors de là ce n'est que langueurs, soupirs et larmes. Le coeur de l'homme ne peut être satisfait que de Dieu, et quand il est privé de cette délicieuse possession, il ne ressent que de l'amertume, et c'est le paiement que nous recevons dedans le tracas des créatures, si notre âme n'a pris cette sainte habitude de se retirer en Dieu, laissant tout le crée dans le néant, pour se tenir cachée en Jésus-Christ, chez Dieu. Si nous n'apprenons à faire cette douce retraite, nous serons en hasard d'être souvent troublées par
Si j'avais le don d'agilité, je me trouverais souvent à vos pieds pour apprendre de votre santé. Laissez tout chagrin, et mettez tout en oubli, et négligez les créatures ; Oh ! qu'il fait bon être à Dieu qui ne change point et est toujours lui-même ! Vous le savez par l'expérience que vous en faites incessamment.
Tenez-vous ferme et fortement attachée à sa bonté, par une confiance inébranlable - QUI A DIEU A TOUT, et qui ne veut que sa très sainte volonté trouve son repos et sa joie partout. Je ne puis m'empêcher de me désirer à vos pieds pour vous protester comme je vous suis sans aucune réserve, avec respect...
no 2682
DE LA PATIENCE ET CONFORMITÉ À DIEU
Pourvu que je sois assurée de votre santé, il me suffit. Ce mot est pour vous en demander ; ne voulant vous importuner, mais seulement assurer votre chère personne que je pense à ses maux et aux moyens de vous en délivrer. Je l'espère de celui à qui rien n'est impossible, et qui ne peut éconduire l'âme qui se confie_ entièrement en lui, comme vous tâchez de faire. Il y faut persévérer et dire avec le saint homme Job : «Quand il m'aurait tué, j'espérerais en sa bonté». Voilà la foi vive et animée qui transporte les montagnes et qui opère des miracles. C'est de cette foi pure que le juste doit vivre, et qui vous doit agir puisque vous êtes écrite au livre de vie, et que vous êtes du précieux nombre des prédestinés. Réjouissez-vous dans cette amoureuse confiance; vos maux finiront un jour et la joie et le repos éternel succè-deront sans fin, et cela sera bientôt. Courage, souffrons avec amour
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LETTRES INÉDITES 57
CATHERINE DE BAR
dans cette belle espérance qui a tant donné de force et courage aux martyrs, et qui les faisait chanter- délicieusement au milieu des flammes et de leur plus violent supplice : « DOMINUS ILLUMINATIO MEA ET SALUS MEA QUEM TIMEBO ? DOMINUS PROTECTOR VITAE MEAE, A QUO TREPIDABO ?» (l). Que peut-on craindre quand Dieu est notre protecteur, notre lumière et notre salut ?
no 2510
(I) •I's XXVI,I-3
POUR LA FÊTE DE SAINT DENIS
Oui Madame, le Saint Sacrement est exposé demain en notre église par fondation de N . qui a été faite fille de l'Eglise ce jour-là.
Je rends grâce à Notre Seigneur de votre meilleure santé, et le prie instamment vous l'augmenter jusqu'au point que je le désire, afin que vous la puissiez employer à la gloire de Dieu et à votre sanctification. Je crois que vous y pensez tous les jours, et ne passez aucun moment de la vie que vous n'aspiriez à la sainteté où la grâce de Jésus Christ vous appelle et vous a destinée. Je prie le grand saint Denis vous donner un peu de part à son esprit d'oraison, et au parfait amour qui consomma son coeur, et 'qui l'a rendu capable d'un très rigoureux sacrifice de martyr. C'est la joie et le plaisir des saints de souffrir et de mourir pour Dieu, et se voir une victime unie au sacrifice de Jésus Christ.
Je crois que si j'avais l'honneur de vous voir que je ne vous connaîtrais plus, tant vous avez fait de progrès dans les voies de la grâce, et ne vous trouverais plus parmi les créatures, mais en Dieu, où vous vous êtes retirée, pour converser intérieurement, comme dans un Ciel avec lui où les Trois Personnes de l'auguste Trinité habitent incessamment, et y faites votre Paradis. En terre c'est la vie de pure foi qui vous met dans ce bienheureux séjour, que je nomme l'avant courrier de celui de la gloire.
Si vous y êtes je me réjouis infiniment plus de ce bonheur que de vous voir comblée de toutes les fortunes de la terre, qui ne sont en toutes leurs grandeurs qu'une fumée et affliction d'esprit. Mais en Dieu servir (à lui) c'est régner et être au-dessus de toutes les disgrâces des temps : «GUSTATE ET VIDETE QUONIAM SUAVIS EST DOMINUS>k Ps XXXIII,9.
n°2439
(1) PS. XXX1I1- 9.
Le Ms P110 ajoute en finale : A Dieu, Madame, je vous laisse à Dieu pour jamais.
LA VOLONTÉ DE DIEU TIENT LIEU DE TOUTES CHOSES
Notre Seigneur, par sa conduite Madame, fait connaître à votre âme qu'il prend plus de plaisir aujourd'hui que vous l'adoriez sur la croix que sur l'autel. C'est pourquoi il la met dans l'impuissance de venir dans la pauvre petite maison et solitude du très Saint Sacrement. Il faut aimer sa très sainte volonté et s'immoler à son bon plaisir. En quelque état que son aimable Providence nous mette, servons-lui à sa mode, et non selon nos inclinations. Tous les accidents qui rompent nos desseins, nous donnent moyen de mourir à nos désirs, en sacrifiant incessamment tous nos petits projets. Je crois que vous en faites souvent. De même, les occasions ne manquent point à votre personne; il faut tâcher de bénir Dieu en tout, et s'accoutumer doucement à ses conduites. C'est ainsi qu'il agit pour perfectionner ses élus. J'entre en conformité de disposition avec vous sur ce sujet, souffrant la privation de votre chère personne, qui m'est la plus sensible du monde, puisqu'il le veut. Je le prie de tout mon coeur que votre mal n'augmente pas. Je m'en vais prier Notre Seigneur pour cet effet.
no 2294
L'ÂME UNIE À DIEU EST INCAPABLE DE CHANGEMENT
Je fus- hier au soir bien consolée de la lettre qu'il vous a plu m'honorer. La sainte résolution d'être de plus en plus à Dieu que jamais a réjoui mon pauvre coeur, étant certaine que si vous êtes fidèle, la moitié de vos affaires se consommeront en Dieu par les pures flammes de son amour, sans quasi les ressentir. Mais il faut un peu tenir ferme, si vous voulez vous délivrer de mille petites amertumes que les vicissitudes de la vie causent à tout moment ; il s'en faut défendre, en se tenant fortement attachée à Dieu, par une foi vive, adorant son immutabilité divine qui le rend toujours égal à lui-même, et incapable d'aucun changement. L'âme qui vit de Dieu, en Dieu, participe à ses adorables qualités, elle devient immuable, se tenant étroitement unie à Dieu, disant avec le prophète : « Que veux-je au ciel, ni en la terre ? Sinon, vous, mon Dieu ». Je sais bien que le monde n'a rien d'aimable et qu'il n'a aucun charme pour Nous' y lier; vous n'y voulez pas même avoir aucune part. Mais quoiqu'on ne l'aime pas, il ne laisse pas de vous produire mille sujets d'inquiétude, si nous ne savons bien nous tenir cachées en Jésus Christ, en Dieu ; car il faut tâcher de n'en jamais sortir, afin que les choses humaines ne nous séparent point de notre
58 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 59
amoureuse union avec Dieu, que le démon ne peut souffrir. J'attends de vos nouvelles avec confiance en la bonté de Dieu que nous prions sans cesse.
no 978 Cette lettre est donnée selon le Ms : DR p 669.
LAISSER RÉGNER JÉSUS, DIEU SEUL
de le connaître en simplicité de grâces. Quand on fait ce que l'on peut, il n'en demande pas davantage. Je le prie de vous tirer au-dessus des créatures et de vous lier et attacher et abandonner tout à lui ; et vous verrez que la paix s'établira dans votre coeur et que vous jouirez en terre d'un paradis. Je vous le souhaite du même coeur que je suis avec un profond respect...
no 2958 Ms : P110 Les lettres suivantes sont toutes prises dans ce manuscrit.
J'ai reçu hier au soir une grande joie, lorsque j'appris par celle dont il vous a plu m'honorer que votre santé est meilleure et que nous aurons l'honneur de vous voir demain. J'éconduirai toutes choses et dirai mes Patenôtres dès le matin, afin d'avoir un grand loisir. Oh, qu'il y a longtemps que je n'ai possédé cette grâce ! J'en suis dans l'impatience, et j'apprends que le mauvais temps me joue un tour, vous empêchant de m'écrire. J'ai depuis de longues années expérimenté que tout ce que je désire avec grande ardeur, la Providence ne me le donne pas. Si j'avais moins de tendresse, je serais moins ardente, je n'en perds pas pourtant l'espérance. Si vous avez beaucoup de choses à nous dire, j'en ai aussi de ma part. Si la Providence me mettait dans un coin à vos pieds, nous parlerions de Dieu tout à notre aise, et prendrions les moyens de bien faire ses aimables volontés, et de ne nous occuper que de lui. O heureuse vie qui se passe de Dieu en Dieu et pour Dieu ! Elle n'est point remplie d'amertume comme la vie du monde, elle participe à la paix du paradis et à la joie du Saint Esprit, qui est dans l'intime de l'âme et du coeur, qui opère en amour ce qui ne s'exprime point, mais qui est plus suave que toutes les délices de la terre. Aimons donc vite vitement Celui qui est seul si uniquement aimable. Je vous supplie très humblement de l'aimer et adorer pour moi.
no 763 Cette lettre est donnée selon le Ms : DR p 673
EXHORTATION A LA PATIENCE
Votre chère lettre me navre le coeur. Mon Dieu, que la conduite des hommes est différente de celle de Dieu ! Quand sera-ce que son divin Esprit sera notre guide et que les créatures ne le contrarieront plus ? Madame, prenez courage, je vous promets que Dieu prendra un soin tout particulier de vous et de toutes vos affaires. Prenez une bonne résolution de bien faire ce que Dieu demande de vous, et tâchez
La Providence ne me donna pas hier un petit moment de temps pour achever une lettre que j'avais commencé de vous écrire après Matines. J'en fus fort mortifiée. Mon esprit se trouve souvent à vos pieds, Madame, et je pense souvent à vos affaires, plus qu'aux miennes propres. Votre salut m'est précieux, mais mon souhait serait que vous tendiez généreusement à la sainte perfection, puisque Notre Seigneur nous dit : « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (1). Je vous conjure humblement Madame d'y travailler, et commencez tout de bon ce Carême à vous rendre à Dieu, et de profiter en son amour.
Nous en reparlerons jeudi, si vous venez au Saint Sacrement.
no 1912
(1) Mt V-48.
REMERCIEMENTS D'UNE RELIQUE
QUI LUI AVAIT ÉTÉ DONNÉE
C'était bien mon dessein de rendre aujourd'hui à votre chère personne mes très humbles actions de grâce, du précieux trésor que nous possédons par votre autorité (1). J'espère que vous viendrez visiter cette sainte relique qui a rempli, en entrant dans cette maison, toute la communauté d'une joie toute extraordinaire. C'est une consolation infinement grande de posséder un si rare dépôt. Je ne doute point que votre âme n'en reçoive de grandes grâces. Nous prierons cette Sainte de vous faire part du grand amour qu'elle avait pour Dieu et que vous puissiez marcher sur les vestiges de ses excellentes vertus. Mon Dieu, que les
(I) En 1660, la duchesse d'Orléans fit don à Mère Mectilde du corps entier de sainte Ide. mère de Godefroy de Bouillon, qui se trouvait dans l'église abandonnée de Saint-Waast à quelques kilomètres de Boulogne-sur-Mer. A la révolution, les ossements de sainte Ide purent-être transportés en notre monastère de Bayeux où ils sont toujours en vénération. Cf. Hervin Vie de Mère Mectilde. p. 400, et aussi : Catherine de Bar, Documents historiques, p. 109.
60 CATHERINE DE BAR
saints sont aimables ! Heureuses les âmes qui aspirent à la sainteté, qui oublient les créatures pour se souvenir du Créateur, et qui se séparent de la terre pour converser au Ciel. Dieu me fasse la grâce de vous y voir.
J'embrasse vos pieds et vous souhaite une bonne nuit.
no 225
ELLE TÉMOIGNE LE PLAISIR QU'ELLE AVAIT À LUI ÉCRIRE
Si je suivais mon inclination, vous seriez trop souvent importunée de mes lettres ; mais je fais autant de sacrifices que je me prive de cette consolation, sachant bien que je ne puis rien dire qui soit capable de vous réjouir si ce n'est de lui parler de la félicité des saints, dont vous grossirez un jour le nombre.
Je voulais, quoique très indigne, vous en écrire samedi quelque chose ; mais le souvenir que le bon père N... vous pouvait entretenir sur ce ravissant sujet, plus efficacement que je ne pouvais faire, je lui en laissais la commission, croyant qu'il vous en ferait participante. Je remarque des mystères ineffables dans la conduite que Dieu tient sur votre âme. Si vous y faites un peu de réflexion, vous verrez visiblement que votre coeur doit être tout séparé de la terre, qu'il doit tellement tout remettre en Dieu que vous ne vous y trouviez que par son ordre. Il faut faire place à l'esprit de Jésus qui veut occuper le fond de votre âme. Si vous pouvez le laisser faire, vous verrez comme il vous mènera dans les voies de la sainteté ; c'est votre vocation. Il vous commande d'y aspirer lorsqu'il vous dit : « Soyez saint, parce que je suis saint » (1). Il ne faut pas douter que ce commandement soit sans grâce, et sans moyen d'y parvenir, et comme Notre Seigneur demande nôtre sanctification infiniment, il nous donnera tout ce que nous aurons besoin pour nous sanctifier. Commençons d'être fidèle à correspondre aux desseins de Dieu sur nous ; nous ne pouvons nous en dédire. Je crois que vous le voulez de tout votre coeur. Le petit livre de la contemplation vous mènera droit à Dieu pour vous reposer dans son Sacré Coeur. Or le Coeur de Dieu n'est autre chose que la divine volonté, mais d'une façon toute pleine d'amour et de confiance : « Gustate et videte quoniam suavis est Domine ».
Nous attendions le Gardien (2) pour savoir s'il voudra loger le P.N..., mais au nom de Dieu avant que de l'arrêter, voyez devant Dieu si Notre Seigneur met de l'onction dans ses paroles pour élever votre âme en l'amour de notre Divin Sauveur. J'attendrai votre volonté.
LETTRES INÉDITES 61
Ne vous gênez point, gardez votre paix intérieure et sainte liberté que Notre Seigneur vous a donnée, et „tâchez de l'aimer du pur amour avant que de mourir.
no 2689
(1) Lév. XI, 45.
(2) Le Père Gardien : Supérieur d'un couvent de frères mineurs de l'Ordre de Saint-François.
SUR SES CROIX CONTINUELLES
J'ai lu la lettre du Père N... où je vois quasi toujours la même chose. Je veux dire qu'elles sont toujours assaisonnées du goût de la croix. Vous n'en recevez guère de ce côté qui ne porte ce caractère. Vous en seriez accablée si vous étiez accoutumée à digérer de tels morceaux ! Mais, Dieu merci, vous êtes la femme forte dont l'Ecriture parle. Vous ne vous troublez point de tout ce que les hommes disent, ni de ce qu'ils font. Vous avez fixé l'ancre de votre espérance en Dieu, rien ne vous peut ébranler.
Dieu est ! c'est une grande vérité, ce qui donne une merveilleuse consolation aux âmes de foi qui se reposent en lui et qui attendent tout de sa bonté. Ne perdez point votre repos, n'altérez point votre paix. Dieu est, et c'est tout dire à qui le peut entendre. Il est non seulement ce qu'il est en lui-même, mais il est en vous ; il est avec vous ; il est pour vous. Il est en vous pour soutenir et animer votre être ; il est avec vous pour agir et opérer ; il est pour vous défendre et protéger. Il est votre lumière, il est votre conseil, il est votre force et votre vertu.
Mais il est votre Père. Si vous demeurez en lui, il demeurera en vous. Croyez donc d'une foi certaine et qui n'hésite point, qu'il prend un soin singulier de tout ce qui vous touche ; que non seulement il pense à vous sanctifier, mais qu'il s'applique jusqu'à un cheveu de votre tête, qui ne tombe point sans sa permission. O si notre Père céleste a soin d'une si petite chose, que n'aura-t-il point pour tout le reste ? Et si vous savez bien tout lui remettre entre ses divines mains, que ne fera-t-il pas en faveur d'une âme si elle se confie en lui de la bonne manière, sans tant de retour sur l'indignité de sa créature? Hélas il sait bien que l'homme est pécheur et cependant il ne refuse point son secours. Nul ne connaît expérimentalement les bontés de Dieu qui ne s'abandonne totalement entre ses mains, remettant tous ses intérêts à son aimable Providence. Où est celui qui s'est confié en lui et a été confondu ? Là où les moyens humains manquent, sa puissance ne manquera pas, si sa sagesse infinie juge que les choses soient utiles à sa gloire et au salut de'ses créatures.
62 CATHERINE DE BAR
C'est ici où vous pouvez exciter une foi toute divine, appuyée sur les bontés de Dieu, sur son infallibilité en ses ouvrages, et sur son amour en sa conduite sur vous et sur ce qui vous touche. Dépouillez-vous autant que vous pourrez des vues humaines, vous attachant uniquement au bon plaisir de Dieu, afin que les embarras de la vie ne troublent point la tranquillité de votre coeur, ne regardant jamais les choses que comme Dieu les regarde, ne les voulant que pour lui, ne les faisant que pour lui et n'y prenant de vie qu'en lui. Ne perdez parmi vos tracas les moments de votre sainteté. Allez toujours droit à Dieu sans vous détourner ni à droite, ni à gauche. Dieu, Dieu suffit à l'âme qui sait aimer. Aimez et pensez à Dieu, et Dieu pensera à vous et à vos affaires pour vous.
no 708
LES GRÂCES PARTICULIÈRES D'UNE BONNE ÂME
Je crains, Madame, que la grande chaleur ne vous empêche de venir, ce qui me fait avoir l'honneur de vous écrire ce mot pour vous dire qu'il n'y a nul traité de ce qu'on se doutait. Dieu voit tout, il faut s'en remettre à sa très sainte volonté. Quand vous avez fait tout ce que vous avez pu, il faut attendre d'en haut le succès que vous désirez, et cependant s'en remettre tout à Dieu, voyant toutes choses dans la conduite de sa Providence, dirigée par sa divine sagesse. Rentrez en Dieu et vous fortifiez en son amour, et sans plus attendre, employez les moments de votre vie à vous sanctifier de plus en plus.
La bonne âme, dont je vous ai parlé, se rendra ici un des jours de notre sainte octave, celui qu'il vous plaira, pour avoir l'honneur de vous faire la révérence : elle vous honore d'autant plus parfaitement qu'elle vous regarde comme une prédestinée, et je puis vous assurer que cette personne n'est pas du commun en élévation de grâce ; mais comme elle ne veut pas être connue en son degré d'union à Dieu, elle se tient fort petite et indifférente et sans aucune affectation. Je serais bien aise que vous la connaissiez. Elle vous obtiendra du ciel bien des bénédictions, étant certaine qu'elle y est bien puissante ; elle a des dons sublimes, même de prophétie. Mais au nom de Dieu, qu'elle ne sache pas ce que je vous en dis. 11 la faut laisser en Dieu, jusqu'à ce qu'il la manifeste. J'assure votre piété qu'elle prie Dieu pour vous de la bonne sorte.
LETTRES INÉDITES 63
DE LA SOUMISSION À LA VOLONTÉ DE DIEU
Je ne sais si nous devons avoir de la joie des nouvelles que l'on me vient d'apporter. Je prie Dieu qu'il en tire sa gloire. Il le faut bénir de tout et dire de coeur et de bouche : « Fiat voluntas tuas ».
Les conduites de Dieu sont si admirables que souvent les créatures n'y peuvent rien pénétrer. Il s'y faut soumettre à l'aveugle et tâcher de ne point perdre la paix et la tranquillité de l'âme. Il vaut mieux posséder la grâce et l'amour de Jésus Christ que de gagner tous les empires du monde. Il faut mourir et tout perdre pour avoir le paradis. Les croix, les souffrances, les mépris, etc... servent de monnaie pour l'acheter. Vous avez l'avantage d'en être partagée suffisamment pour l'emporter. Courage Madame, vos maux n'empêcheront que vous ne deveniez une grande sainte, en vous sacrifiant comme une victime d'amour au bon plaisir de Dieu.
C'est dans cette humble disposition que vous trouverez le remède infaillible à vos maux, et que votre âme se perfectionnera d'une excellente manière. Dieu vous aime trop pour vous laisser sans souffrance, puisque c'est le bois et la matière qui tiennent le feu de son divin amour allumé dans votre coeur ; et si vous n'en voyez. les flammes, c'est la cendre des petites répugnances de la nature qui les couvre. Elles ne laissent pas de brûler imperceptiblement et de consommer mille inclinations de l'amour-propre, qui se trouve souvent en captivité et qui gémit sous le poids de la puissante main de Dieu qui le terrasse de la sorte, dans tout ce qui me paraît des miséricordes divines sur vous.
Dieu vous veut faire sainte et je le prie qu'il vous donne la grâce nécessaire pour y correspondre, et qu'en perdant tous les jours les créatures, vous trouviez plus facilement et abondamment le Créateur. Je sais Madame que c'est votre unique désir et la félicité où votre âme aspire, étant trop bien persuadée qu'il n'y a que Dieu seul qui la peut satisfaire et rassasier. En vérité tout le reste ne vaut pas une pensée, ni un moment d'inquiétude, quelque renversement qu'il puisse arriver (1).
Nous fûmes jeudi toutes mortifiées de ne vous point voir dans la petite maison du Très Saint Sacrement. C'est au pied du saint autel Madame où vous recevez une force divine, capable de vous faire tout surmonter et de tenir votre coeur dégagé de toutes choses, pour demeurer en Dieu seul, et y vivre de son pur amour. Je le prie de régner si fortement sur tout votre être qu'il ne soit vivant, ni animé, que de son Esprit. C'est l'ardent désir de...
n° 1192
(I) Le Ms elio termine ici cette lettre. Le dernier paragraphe y figure comme un court billet séparé
Les MsTII et P121 font une seule lettre de ces 2 textes.
no 929
64 (-A I rILKI IN C. LJE. OMR
LETTRES INÉDITES 65
SUR L'ACCABLEMENT OÙ LA RÉDUIT LE CHAGRIN
C'est une impossibilité que vous puissiez résister longtemps à vous laisser ainsi accabler dans vos afflictions. Notre Seigneur veut que votre âme s'élève au-dessus de tout ce qui l'environne, et que vous vous attachiez doucement à Dieu, que vous le possédiez en foi, en vous-même, sans le chercher plus longtemps et que vous vous renru-veliez en son esprit. Il faut faire faire un petit effort à la nature souffrante, que je vois quasi sans plus de vigueur. Il ne faut pas qu'une si belle victime soit consommée d'un autre feu que du pur et divin amour ; ce serait manquer aux desseins de Dieu sur votre âme qui ne peut ignorer que sa conduite ne soit la douceur et l'amour qui la fait reposer en Dieu par une simple remise de tout elle-même à sa sainte Providence, lui abandonnant tout pour ne plus s'inquiéter d'aucune chose.
Je sais bien que cette pratique est fort difficile à un esprit plein de vivacité qui, pénétré, voit dans un moment plus que les plus éclairés ne lui sauraient dire. Je l'avoue, mais il faut un peu plus simplifier, ou du moins négliger les vues de l'esprit, et là où il n'y a point de remède, ou qu'il n'est pas à notre puissance, il faut s'en remettre à la bonté de Dieu avec une humble résignation et confiance. Je suis certaine que si nous avions un peu plus de foi, nous verrions souvent des miracles dans nos affaires, mais le plus grand serait la paix et la tranquillité du fond. intérieur. J'ai un ardent désir que vous possédiez cet état, que vous soyez si intimement unie à Jésus que vous soyez inaltérable au milieu des vicissitudes de cette vie, qui n'est composée que de vanité, inconstance et d'affliction d'esprit. C'est pourquoi il n'y faut tenir que passagèrement usant des choses comme si on n'en usait point, demeurant libre au milieu des embarras, appuyée sur cette vérité infaillible : Dieu est. C'est sur cette vérité que je vous ai humblement suppliée d'employer un quart d'heure chaque jour, pour vous en occuper en foi. Voici comment : à l'heure du jour la plus libre et commode, il faut que vous vous renfermiez dans un cabinet où, à genoux ou assise si vous ne pouvez autrement, et, par un .acte de foi simple, croire Dieu présent dans l'intime de votre âme, le croire sans distinction, dans tous ses attributs et perfections divines. On peut dire : « Mon Dieu, vous êtes, je vous crois ce que vous êtes,' et je me crois un pur néant en votre sainte Présence ». Après ces paroles ou autres que le Saint Esprit inspire, il faut demeurer en silence dans un profond respect de cette grandeur infinie, s'abîmant profondément, laissant toute. opération, raisonnement et considération, pour se laisser abîmer dans ce Tout adorable. Il faut captiver durant cè quart d'heure les actes de l'esprit, pour ne ressentir que les touches délicates du Saint Esprit, dans l'intime du coeur. Ne croyez pas que ce soit perdre le temps ; si vous y êtes fidèle, vous verrez que cette oraison renferme un trésor de grâce inépuisable ; mais comme les commencements sont un peu difficiles, vous ne la ferez qu'un quart d'heure ; mais que ce soit sans y manquer, et si vous nie faites la grâce de venir, nous en parlerons plus particulièrement. Apprenons à vivre ici-bas comme les saints dans le Ciel et à faire en terre l'exercice que nous espèrons de faire durant toute notre éternité. Aimons, adorons et possédons en nous le même Dieu qui fait la gloire et la félicité des bienheureux. Ainsi soit-il.
no215
LE COEUR DE JÉSUS EST LE CENTRE DE NOTRE REPOS
Vous me fîtes hier beaucoup de grâces de m'assurer de votre santé. C'est une nouvelle qui me donne bien de la joie. Je prie Notre Seigneur
qu'il vous la continue. Mais avec toutes les bénédictions que je vous souhaite, vous serez dans un parfait repos, par une sainte union et transformation au sacré Coeur de Jésus, qui est le bienheureux centre de votre âme, où vous aspirez depuis si longtemps. C'est en vérité, le vrai et essentiel repos.
Toute la terre et les créatures ne sont qu'amertume et affliction d'esprit, vous le savez ; et le plus sensible regret de notre âme à la mort, sera de n'avoir pas séparé notre coeur de tout le créé et de l'avoir préféré souvent à l'amour de Jésus, en nous' laissant trop préoccuper l'esprit des choses humaines. Allons à Dieu tous les jours, avec une sainte résolution de ne rien faire que pour lui, de ne rien désirer hors de lui et de ne rien aimer qu'en lui.
Voyons et faisons tout dans cette immensité adorable dans laquelle nous nageons comme une éponge dans la mer. De quelque côté que nous nous tournions, nous sommes en Dieu, nous nous mouvons, nous vivons et respirons en lui, mais c'est souvent sans y penser. Gardons-nous de continuer nos petites négligences et hâtons-nous de nous rendre attentives à cette Présence admirable. Jésus mérite bien nos regards. Il les faut souvent arrêter sur ce divin objet et nous souvenir de cette précieuse leçon que Dieu fit à Abraham : « Marche en ma Présence et tu seras parfait ». Voilà une loi de perfection très aimable, très douce et très suave. En nous y rendant fidèles, nous participerons au souverain bonheur des saints, qui est de posséder Dieu en ce monde par la foi, en attendant que nous le possèdions au Ciel par la gloire. Une âme qui ne prend plus de satisfaction aux objets de la terre n'a pas beaucoup de peine à converser avec Dieu
66 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 67
et d'y prendre toutes ses complaisances. Soyez bien aise de n'avoir plus de joies .parmi les créatures, afin que désormais, vous les preniez toutes en celui qui vous aime d'un amour éternel et infini.
Je le prie qu'il vous consomme de ses plus précieuses flammes et qu'il me rende digne d'être, avec tous les profonds respects que je vous
dois, toute à vous.
no 3097
Voici la lettre de Monsieur l'abbé... que je vous renvoie et vous souhaite le bon jour, rempli d'autant de bénédictions que j'en voudrais pour moi, mais surtout d'un ardent amour de Jésus-Christ. C'est ce que je demande pour vous afin que, par les adorables opérations de ce feu divin, votre âme soit élevée de telle sorte à Dieu, qu'elle soit inaccessible à toutes les choses de la terre, mais singulièrement à celles qui peuvent vous donner du déplaisir. Certes, il n'y a que l'union du coeur à Dieu qui puisse soutenir sans abattement les amertumes de la vie. On ne peut, en ce monde, être sans contradictions. La Providence divine se mêle même d'en fournir des occasions, mais si nous savons bien adorer la main qui nous blesse, nous trouverons le bien dans nos maux, et la vie dans la mort. Il faut pour cela se tenir unie à Jésus et ne vouloir rien que le bon plaisir de son Père, comme il ne voulût que sa très sainte volonté.
Voyez-vous toujours, Madame, comme une petite boule de cire dans la main de Dieu, pour être formée selon son plaisir. Soyez sans choix et sans désir, afin que vous soyez capable de l'opération de son pur amour. Ne mettez rien de vous en vous, mais laissez-vous toute, sans réserve, sans crainte et sans réflexion, à celui qui a plus de bontés pour vous que vous n'en pourrez jamais avoir pour vous-même. Vivez de foi, de confiance et d'amour. C'est la voie de la grâce en vous et le dessein de Dieu sur vous. Votre humilité veut bien souffrir que je vous parle de la sorte.
no 2933
Je viens vous souhaiter le bonjour et vous demander l'état de votre mal. Dieu veuille que tout soit mieux qu'il n'était hier. Toute la communauté va communier pour votre santé, la demandant à Dieu par Jésus Christ et l'intercession de sa très sainte Mère ; et qu'il vous donne toutes les grâces dont vous avez besoin, et singulièrement une confiance amoureuse et une paix inébranlable. C'est le fruit du Saint-Esprit ; quand une âme la possède, elle en goûte les effets qui sont admirables. Je le prie qu'il achève en vous la sainteté qu'il y a si bien commencée, perfectionnant cette grande multitude de grâces qu'il vous a données dès votre enfance, et qu'il vous a conservées heureusement parmi la corruption du monde.
Vous portez la marque des prédestinées, il est très vrai ; mais continuez, parce que vous savez que celui qui n'avance, recule. Or, en fait de perfection chrétienne, il ne faut jamais désister de tendre à Dieu de tout le coeur, de se conformer à son bon plaisir et d'espérer en sa sainte bonté, qu'il fera par sa grâce ce que nous ne pouvons faire, quoique nous ayons bonne volonté. Il faut aimer notre dépendance d'une bonté si ineffable et qui nous aime d'un amour infini. Faute de foi et de confiance nous n'expérimentons jamais les sacrés effets de cet amour ; nous ne connaissons point ses conduites amoureuses, ni les soins paternels de son aimable Providence. Il faudrait que l'âme soit toute remise en Dieu, qu'elle attendît tout de sa bonté, qu'elle ne se mît en peine de rien que de lui plaire. Elle verrait dans la suite ce que ma plume n'est pas capable d'exprimer, mais que les bons et fidèles serviteurs de Dieu savent bien goûter et expérimenter. Je vous désire toutes ses précieuses bénédictions.
no 1618
Si la mère maîtresse osait, elle imposerait pénitence à la chère novice, toutes les fois qu'elle penserait qu'elle lui est à charge et que, sous ce prétexte, elle réserve dans son coeur les déplaisirs et les amertumes de son âme. Elle n'ignore pas que la grande marque d'amitié c'est la confiance; or la mère maîtresse n'en demande point d'autre que celle qui peut soulager son aimable novice. Il y a des choses qui se peuvent dire sans conséquence et qui ne laissent pas d'être en nous des objets de douleurs. Pourquoi les retenir puisque la suite les rend publiques, et que cette novice pourrait un peu, en les disant, diminuer l'angoisse de son coeur ? Quand la plaie est découverte, le mal est à demi guéri, du moins il n'est pas si dangereux. Je sais que ce n'est point un défaut de confiance, quoique la mère maîtresse en soit indigne, mais c'est que la novice se rebute de soi-même et ne prend consolation en rien. Il est vrai aussi que rien d'humain n'est capable de la consoler ; mais les choses de Dieu la peuvent fortifier et encourager à soutenir les croix qui sont dans l'ordre du bon plaisir de Dieu. Il faudrait se faire une petite violence et l'impossible deviendrait facile; avec la grâce on peut tout. Je retiens mon sentiment pour ne point gronder trop fort la précieuse novice. Mais je la supplie très humblement de venir voir la mère maîtresse, si elle ne veut subir une petite correction ; si elle
68 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 69
engagée à Dieu de la pousser doucement jusque dans le Coeur de Jésus
tarde elle oubliera sa leçon, et le quart d'heure que deviendra-t-il ?
N'en rendant point de compte s'il se fait ou non. Cependant je suis il est trop court et trop cher : le sang de Jésus Christ en est le prix.
votre âme ne cesse de le chercher jusqu'à ce que vous le possédiez. Il nous le donne pour l'aimer : ne désirons plus rien que lui et que
Christ où elle doit trouver la vie, le repos et la joie que le monde et Il se faut perdre et abîmer en lui. C'est le bonsoir que je vous souhaite. les créatures ne peuvent donner. Si je m'intéresse si fort et si je la
tiens si près... no 1436
no 2692
Je bénis Dieu que votre santé est meilleure, nous sommes dans de grandes appréhensions de vous perdre ; pour moi je confesse que j'en verse souvent abondance de larmes. Notre Seigneur les voit, et je le prie de tout mon coeur qu'il vous donne toutes les grâces que je lui demande pour vous, et surtout qu'il vous attire à la sainte communion plus souvent que vous ne faites. Souvenez-vous que toute votre force et votre sainteté sont en Jésus Christ et qu'il est la vie de votre âme. Comment pourra-t-elle vivre sans recevoir cette divine vie ? Au nom
•de Dieu, tâchez de communier plus souvent : votre santé en sera plus forte, votre intérieur plus éclairé, votre union à Dieu en sera plus parfaite et la joie et la paix feront le paradis de votre âme ; hors de là ce n'est qu'amertume et douleur. Allons à Dieu à toute heure ; honorons en tout sa divine volonté ; quittons les créatures qui nous retirent du pur amour que nous devons à Dieu ; apprenons à l'aimer parfaitement en ce monde, puisqu'il faut l'aimer dans l'éternité. Oh ! que de regret de n'avoir pas aimé celui qui est uniquement aimable !
Je prie cet adorable Sauveur de vous tenir en son amour, et que toute votre félicité en cette vie soit de consommer votre être dans ses divines flammes.
Je vous souhaite une bonne nuit et un comble de grâce, qui vous fasse vivre uniquement pour Jésus Christ.
no 903 bis
J'espère avoir l'honneur d'embrasser vos pieds avant que j'entre en retraite. Je la diffère encore quelque jour pour vider des petites affaires domestiques, et ne m'y renfermerai pas sans recevoir vos commandements, vous assurant que si Dieu exauce mes voeux, (que) vous ressentirez quelque bénédiction de ma retraite. C'est là où je • prétends parler à Dieu de tous mes intérêts, et singulièrement votre haute perfection que Dieu veut de vous. Il ne faut plus perdre de temps,
sanctification, et des moyens qu'il vous faut tenir pour parvenir à la no 3123
Vous ne pouvez, Madame, me donner plus de joie qu'en m'assurant de la meilleure santé de votre très honorée personne. Je la tiens comme un don de Dieu par un temps si fâcheux. J'en tire une fort bonne conséquence pour l'avenir.
Mais, Madame, vous dites bien qu'il faut être toute à Dieu, sans plus retarder. Convertissons-nous tous les jours de plus en plus toute à lui dans le moment présent. Il n'attend que notre retour intime. Il nous est bien facile, puisque nous l'avons en nous-même et qu'il ne faut pas l'aller chercher dans nos églises pour cela. Nous n'avons qu'à nous recueillir intérieurement, en foi, et l'adorer en nous avec profond respect. Sitôt que l'âme s'est convertie à lui, par un simple et amoureux retour, elle le trouve par l'impression de sa grâce ; comme s'il disait : « Me voici, sois à moi et je serai tout à toi ». O parole qui emporte le coeur et qui, nous ravit quelquefois même les sens ! Trouver un Dieu si près de nous, et d'une manière si ineffable qu'il semble qu'il n'ait plus rien à faire qu'à se donner tout à nous et nous combler de ses grâces !
Oh, que de grandes et admirables choses se passent dans le coeur du juste, je veux dire, d'une âme en grâce qui agit par son Esprit ! Hélas, pour ne le pas croire ou ne le goûter point, nous sommes toujours à chercher Dieu et nous ne le trouvons point. C'est que nous le cherchons hors de nous-même et c'est dans le fond intime où il réside et où il fait ses douces et charmantes opérations de son amour. Ne le cherchons donc plus dans les créatures, ni dans nos sens. Croyons-le en nous, puisque l'Evangile nous assure que le royaume de Dieu est en nous. N'allons point ailleurs. Oh ! qu'il fait bon être dans ce fond de paix où on ne trouve que Dieu seul et où les créatures et le monde ne peuvent troubler le calme qu'on y possède !
C'est dans ce petit paradis, Madame, où je souhaite ardemment votre belle âme pour y trouver son asile et son repos parmi les ennuis et chagrins de cette triste vie. Je prie votre saint ange de vous y introduire et que vous y puissiez toujours demeurer ; vous y expérimenterez ce que je ne vous puis dire. Je suis certaine que votre corps en serait même fortifié. Pardon, Madame, c'est un peu pour vous divertir.
LETTRES INÉDITES
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70 CATHERINE DE BAR
Pardonnez, Madame, à un coeur qui a trop de tendresse : l'amitié fait
quelquefois sortir du respect, et dire ce qu'il ne faudrait pas penser. Oubliez cette petite saillie. Quand on possède un bien qu'on ne peut
mériter, on craint toujours de le perdre. Vous m'avez fait trop de grâces, votre extrême bonté m'a rendue téméraire, mais je finis aujourd'hui toutes les productions de mon amour-propre.
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sera conservée précieusement, pour guérir les atteintes des tentations aux premières approches ; c'est un remède fort souverain : plût à Dieu qu'on en puisse trouver un pareil pour les vapeurs et le mal de rate, qui ne vous laissent point en repos ! Je sais bien ce qui la pourrait soulager : c'est un remède qui demande un peu de courage, pour sacrifier à Dieu beaucoup de petites choses que vous pouvez surmonter, qui étouffent votre pauvre coeur. Je le vois partir et quasi mourir à toute heure. S'il n'y a point de secours en terre, allons en chercher dans le ciel. Faut-il vous savoir Madame, dans une mort continuelle, sans ressentir votre douleur. C'est l'impossible, il faut crever, si j'ose dire ce terme, de vous voir agoniser tous les jours. Je prie Dieu de toutes mes forces qu'il vous soutienne. J'espère que sa toute-puissance le fera et qu'il inondera votre âme d'une abondance de grâces. Je le lui demandais hier quasi tout le jour, et qu'il dilate votre coeur dans les douceurs de son divin amour, en vous faisant participer à la joie des saints. En attendant qu'il ne vous trans-ferre de ce monde à la gloirç, il faut prendre courage, dans une sainte espérance de vous y voir un jour. C'est votre patrie, la terre est un lieu d'exil et de bannissement ; mais nous en sortirons avec la grâce divine, pour aller chez notre Père qui est ès cieux ; cette vérité réjouit le coeur. Je m'en vais continuer mes pauvres prières pour vous et pour tous ceux qui vous touchent, quoiqu'on peut espérer qu'ils sont à présent dans la gloire et plus en repos que nous.
Courage Madame, allons à Dieu par les voies qu'il lui plaira; pourvu que nous arrivions à notre fin bienheureuse c'est assez, le reste sera tôt ou tard anéanti. Je prie Notre Seigneur de vous fortifier de plus en plus et vous donner la grâce de ne rien négliger de ce qu'elle doit, et de ne se point troubler des mauvais succès qui suivent quelquefois les affaires. Un Dieu et rien plus. Le pur abandon attire du ciel d'admirables effets de la protection divine; si vous y demeurez tout ira pour vous en bénédiction.
no 2449
Je reçois Madame, celle qui vous a plu m'honorer. Pour réponse, je prends la liberté de vous dire avec confiance et respect que vous vous affligez trop de ce qu'on vous écrit, et devez vous façonner aux coups sans s'affliger tant soit peu, et savoir une bonne fois que Dieu se mêle de ses affaires, et puis qu'il faut s'attacher à lui uniquement et inébranlablement. Tous ceux qui font le plus de bruit ne sont pas ceux qui font le mieux leurs affaires. Soyez certaine Madame, que Dieu a soin de vous et de tout ce qui vous touche. Ne diminuez point votre confiance, vous tuez votre corps et votre esprit par tant d'amertume et me faites une pitié et compassion qui transpercent mon coeur. J'ai une confiance non pareille au très Saint Coeur de la Mère de Jésus. Un peu de patience vous en fera voir l'effet. J'ai un désir extrême de me voir à vos pieds, j'espère que ce sera bientôt. Je fais venir N... et une autre ici pour établir une excellente maison de Saint Sacrement et que vous ayez la consolation de vous y venir retirer (1). C'est en ce lieu Madame où il faut venir posséder le repos d'une douce et tranquille solitude, que votre piété désire depuis si longtemps. J'espère toujours que j'aurai l'honneur d'être de la partie ; pourvu que je sois à vos pieds, il me suffit. Je me hâte pour posséder cette chère consolation.
no 1340
(1) Est-il question ici du monastère de Toul ? La lettre serait alors de 1664-1665 ou de l'agrégation de
Notre-Dame de Consolation de Nancy, soit 1.668-1669.
Je demande permission à votre très chère et honorée personne de me consoler avec elle de la croix que Notre Seigneur m'a remise sur les épaules (1). 11 me semble qu'elle ne me serait pas si sensible, si j'avais les qualités requises et les dispositions nécessaires pour en bien user. Il faut dans mon insuffisance bénir Dieu, et demeurer .toute abandonnée à son bon plaisir, le suppliant de tout mon coeur qu'il ait pitié de son oeuvre. J'appréhende avec grande raison qu'elle ne périsse entre mes mains, si vos saintes prières Madame ne m'attirent du ciel quelques bénédictions pour la soutenir.
no 965
(1) D'après P 121 M. Mectilde fait ici allusion à sa réélection de Prieure du monastère de la rue Cassette. On pourrait alors dater ce billet de 1664 ou 1667.
La croix Madame, fut la victoire de votre sainte patronne ; c'est pourquoi je prends la liberté de vous en présenter une petite figure, qui marque que ses pensées et ses soucis sont en la croix de Jésus Christ. Je l'accompagne d'une autre miniature, qui fait l'image de la très Sainte Vierge, de laquelle vous attendez le secours et la protection pour l'heureuse conduite de votre vie. Nous prierons cette auguste
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Mère d'amour, de vous combler des grâces et des bénédictions dont son coeur virginal est rempli, et qu'elle découle sur le vôtre autant d'étincelles du pur amour qu'il en faut pour faire un divin incendie. C'est le bouquet le plus précieux que je désire vous présenter, pour honorer le jour de votre fête. Toute la communauté va communier pour vos saintes intentions, et pour demander à Notre Seigneur qu'il vôus embrase, Madame, des aimables flammes qui consomment glorieusement les saints dans le paradis.
IL FAUT ESTIMER LES CROIX PLUS QUE LES RAVISSEMENTS
J'admire votre bonté, Madame, que vous prîtes la peine de m'honorer hier de vos lettres, pour soulager ma crainte et me donner quelque repos d'esprit, pour passer la nuit avec plus de douceur par l'assurance de votre meilleure santé. M. N... a assuré que nous aurons l'honneur d'embrasser vos pieds le jour de notre grande fête ; infailliblement. Nous vous en prions instamment.
En attendant cette grâce, nous continuerons nos petites prières avec tout le zèle possible pour votre parfaite guérison et sanctification, sachant bien que vous n'aimez point la vie, si elle n'est tout à fait sainte. Soyez la Madame, Notre Seigneur le veut ; il vous en donne les moyens dont le plus excellent sont les souffrances ; c'est de quoi vous ne manquez jamais. Il ne reste que d'en faire un saint usage ; c'est ce que vous faites de tout votre coeur, vous estimant heureuse d'être conforme à notre adorable Sauveur crucifié. Saint Paul a fait plus de cas dé cette grâce que de son ravissement au troisième ciel. C'est toute la félicité des belles âmes que d'être attachées à la croix avec Jésus ; vous êtes de ce nombre puisque vous souffrez quasi incessamment ; il couronnera vos souffrances.
Prenez courage, je vous supplie, et vous tenez assurée de son secours et de ses divines bénédictions. Je vous le souhaite abondamment en embrassant vos pieds avec profond respect.
n° 1840
SUR LA FÊTE DE SAINTE MARGUERITE
Le jardin des Filles du Saint Sacrement ne produit point de fleurs dignes d'être présentées aujourd'hui à votre Altesse Royale; j'en aurais un fort grand déplaisir, Madame, si je ne trouvais dans le parterre eucharistique un supplément admirable : c'est la fleur des champs, le lis des vallées, Jésus le Verbe éternel, qui s'est fait lui-même le bouquet des âmes pures. C'est ce fleuron divin, Madame, que je vous présente et que toute la Communauté a reçu pour votre Altesse Royale ce matin, le suppliant opérer dans votre intérieur, toutes les vertus qui doivent rendre votre âme une précieuse marguerite aux yeux de votre céleste époux, par la constance et la générosité dans les souffrances, à l'imitation de votre sainte patronne, qui ne se rebute point pour les difficultés qui se rencontrent dans la vie de la grâce, où vous, Madame, aspirez incessamment. C'est ce que nous avons demandé à Dieu pour votre Altesse Royale et pour N... qui me semble porter votre nom (1). Recevez donc, Madame, ce bouquet du paradis : ceux de la terre sont trop chétifs pour une âme qui ne se peut récréer que des beautés de ce lis adorable que vous aimez si tendrement, et que vous .contemplez si suavement sur nos autels. Je le prie ardemment de vous attirer avec sa force divine, à l'odeur de ses sacrés et précieux parfums ; que votre âme en soit tellement embaumée que tout ce qui est sur la terre lui soit à dégoût et que, n'étant plus animée que de la vie de Jésus, elle soit un jour consommée des pures flammes de son saint amour. C'est le désir continuel de celles qui ont l'honneur d'être, avec très profonds respects, toutes, sans réserve...
no 657
Si vous fûtes mortifiée jeudi de n'avoir pu assister au Salut du Très Saint Sacrement, je puis assurer que je le fus moi-même, d'autant plus sensiblement, que j'envisage votre chère personne comme le plus bel ornement de notre choeur et l'objet auquel Notre Seigneur Jésus Christ prend ses plus délicieuses complaisances ; vous n'y manquez jamais que je n'en ressente de la peine, m'étant avis que l'hommage que nous rendons à Dieu en ce mystère d'amour n'est pas rempli.
C'est pourquoi, Madame, je prie Dieu de tout mon coeur que les majestés de la terre ne vous empêchent plus de venir rendre vos adorations à celui du ciel qui repose sur l'autel comme dans son trône eucharistique, pour votre amour et pour vous attirer toute à lui. J'espère que jeudi prochain, vous réparerez ce manquement, quoiqu'il ne soit pas de votre faute. Vous goûterez plus suavement sa divine Présence et il consolera pleinement celle qui n'a point de plus grande félicité [parmi les] choses de la vie présente que d'être à vos pieds, pour admirer
n° 1983. Cette lettre est prise au Ms : Sor p. 216.
(1) Peut-être Marguerite-Louise, l'aînée de ses filles.
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les bontés de Dieu sur votre âme, et les conduites de son aimable Providence, pour votre sanctification. Je puis dire, Madame, que
Dieu vous tient en ses divines mains et fait ressentir, à celles qui offrent leurs voeux au Seigneur pour vous, qu'il s'applique tellement à votre intérieur qu'il en veut faire le cabinet de ses complaisances, et qu'il vous veut tirer des créatures. Si mon coeur pouvait exprimer ce qu'il conçoit et que Dieu permît que vous y vissiez quelque croyance, vous prendriez une singulière joie de voir comme il avance son ouvrage ; ce qu'il vous prépare pour vous introduire au lieu du repos, auquel nulle créature ne peut interrompre la paix de l'âme et la détourner un moment de celui qui est sa vie et son tout. O quand sera-ce, Madame, que nous sortirons de cet exil pour retourner dans le coeur de Dieu, notre Père, duquel nous sommes sorties ?Je crois que le vôtre, Madame, n'a pas de plus ardent désir, et moi de plus grande passion que de vous y suivre et être sous vos pieds, en ce précieux séjour, comme je m'y prosterne d'esprit et suis avec profond respect...
ELLE L'EXHORTE À QUITTER LE MONDE
Ces précieuses lignes que vous voulûtes hier prendre la peine de m'écrire pour ma consolation me rendent infiniment obligée à votre bonté, et me font prendre la liberté de vous dire que je bénis Dieu de tout mon coeur de la résolution qu'il vous a fait prendre de rompre vos liens. Votre santé est si fluette qu'on ne s'en peut assurer humainement : l'accident survenu montre bien que la nature a souffert un grand assaut. Il faut tâcher autant que l'on pourra, de l'éviter. Je ne vois point de plus efficace moyen que votre retraite du monde.
Cherchez, Madame, votre repos et votre sanctification, cela vous est permis (1). Nous voyons dans les histoires que plusieurs grands monarques ont tout abandonné pour posséder quelques années de solitude avant que de mourir. Nous connaissons même de grands prélats qui, par leur sacré ministère semblaient être inséparablement attachés au gouvernement de l'Eglise, qui se sont de même retirés. C'est à mon avis une grande grâce d'avoir un peu de temps pour penser sérieusement à Dieu et à soi-même ; il ne faut pas partir de ce monde sans L'aimer, et pour bien réussir en cette divine science, il faut quitter, autant qu'on le peut, le tracas des créatures. Ce n'est pas qu'on ne puisse aimer Dieu dans les maisons des grands, mais comme Notre Seigneur est peu connu dans ces lieux-là, il est rare d'y trouver des âmes bien pénétrées de son divin amour. Nous voyons même que celles qui en ont quelques touches n'y demeurent pas, sachant bien qu'elles ne s'y pourront longtemps conserver. Fuyons le monde, fuyons les créatures, si nous voulons jouir pleinement de Dieu seul. On ne le peut posséder pleinement si l'on ne s'éloigne de son contraire et de ce qui nous le dérobe. Croyez-moi, Madame, si vous êtes la nuit dans notre cellule, je suis bien en esprit à vos pieds pour vous accompagner dans vos souffrances et vous encourager à les porter saintement ; mais permettez-moi de vous dire, Madame, que vous les voulez porter trop généreusement dans le secret du coeur, sans prendre un peu de soulagement. Je sais bien que c'est là souffrir héroïquement, , mais aussi cruellement, si j'ose me servir de ce terme, parce que votre bon coeur, qui veut tout dévorer pour Dieu, par des sacrifices continuels, altère si fort la pauvre nature qu'elle y succombe et n'y peut résister. Si votre corps était assez fort pour faire ainsi, il serait bon, mais Dieu ne veut pas qu'on se précipite au tombeau. Je le prie de toute mon affection qu'il vous donne du secours par quelque bonne personne, pour un peu décharger votre coeur et que vous en receviez consolation. J'espère que Notre Seigneur y pourvoira. Je sais combien votre âme lui est chère et comment sa bonté vous protège et vous prépare de grandes bénédictions. Il faut penser sérieusement à rétablir votre santé et après former devant Dieu une sainte résolution. Vous pouvez conférer avec le bon Père J. qui est grand serviteur de Dieu et auquel le Saint Esprit donnera lumière. Vous pourrez joindre à votre conseil M. l'Abbé N. qui sera bientôt ici et d'autres en qui vous aurez confiance. Il faut enfin vous tirer de ce pas d'une façon ou d'une autre, parce qu'un esprit incertain dans une affaire importante ne se peut garantir de peine.
no 171
(I) M. Mectilde fait peut être allusion au projet de la Duchesse de se retirer au monastère de Notre-Dame de Consolation à Nancy, soit en 1660 après la mort de Monsieur, soit en 1668-69 lors de l'agrégation à notre Institut.
Voici un vent qui s'élève avec tant d'impétuosité, qu'il me faut perdre l'espérance de l'honneur de votre présence aujourd'hui. Ce qui me fait vous importuner de ces lignes, pour vous apprendre la rechute du Père J. Il n'en faut quasi plus espérer, il est trop cassé. On nous mandera qu'il est allé au Ciel. Cependant, j'aurais fort désiré qu'il vous eût conseillée sur ce que Dieu veut de vous pour votre entière sanctification. Il faut s'abandonner sans réserve à son aimable Providence : elle y pourvoira. Je suis bien aise que vous ayez résolu de faire demain vos dévotions : vous avez besoin de force, de lumière et de grâce pour avancer toujours dans la perfection, nonobstant les évènements de cette vie. Vous trouverez en Jésus Christ tout ce dont
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vous avez besoin. Recevez-le, le plus souvent que vous pourrez, et lui dites de tout votre coeur plusieurs fois durant la journée : Mon Dieu, que voulez-vous que je fasse ? Mon coeur est préparé pour vos saintes volontés. Tout de bon, Madame, il faut vous sanctifier dans vos maux et être toujours prête à souffrir. Nous ferons prier pour cela.
no 2943 LETTRES INÉDITES 77
indignes prières.
Recevez, Madame, d'un coeur qui est sous vos pieds, et qui ne vous parle qu'avec profond respect, ce qu'il est contraint intérieurement de vous dire. Si cela vous déplaît, je ne le ferai plus ; mais sachez que votre âme m'est plus précieuse que la mienne, et qu'il me semble qu'elle est à moi, et que je la dois rendre à mon divin Maître. Pardon si en cela je manque de respect.
no 99
Ce mot est pour vous demander des nouvelles de votre santé et vous témoigner que vos intérêts et ceux de Mesdames vos filles sont dans mon cœur. Vous savez, Madame, que je suis toute à vous en Notre Seigneur et (qui est) plus intimement que jamais ; que j'ai une passion très grande de votre sanctification et voudrais mourir pour votre salut.
Je vous supplie, par les entrailles de la divine charité de Jésus Christ, que vous pensiez sérieusement à vous séparer de tout ce qui peut faire obstacle à votre perfection. Allons à Dieu de la bonne sorte, avec confiance et amour. Prenez une ferme résolution de mettre ordre à ce qui peut gêner votre âme. N'attendez point au moment que la puissance vous en sera ôtée. Ne remettons point à la mort le bien que nous avons à faire, et notamment ce qui pourrait inquiéter la paix de notre âme. Je suis pressée intérieurement de vous solliciter à faire ce que Dieu et votre conscience vous demandent, pour vous donner ce repos suave et tranquille, que le Saint Esprit produit' dans un coeur bien épuré.
Voyez ce que Notre Seigneur vous demande, écoutez la voix de son amour qui vous dit d'être toute à lui. Faites une revue sur votre état temporel et sur vos dettes, pour prendre moyen d'y satisfaire ; voir si vos aumônes sont faites selon l'ordre et la charité, avec la pureté d'intention qui les doit rendre dignes de Dieu ; si vous n'agissez point en quelque rencontre trop humainement, et si votre bon coeur ne s'épanche point trop par libéralités, où il ne faudrait pas tant ; si vous écoutez les cris des misérables pour en avoir pitié et les soulager selon votre pouvoir ; si vous prenez garde que le vice soit retranché chez vous, et que la paix règne dans vos domestiques.
Direz-vous pas, Madame, que je suis bien téméraire ? Vous avez sujet de le dire et de le croire, si votre bonté ne se souvient pas qu'elle m'a chargée de son âme. Je vous assure que j'en suis souvent très occupée devant Notre Seigneur et que je cherche, en sa lumière, ce qui pourrait faire le moindre obstacle à votre bonheur éternel. J'ai le coeur tout plein de zèle, de tendresse et d'amour pour tout ce qui vous touche ; mais beaucoup plus pour les choses du Ciel que pour celles de la terre, quoique je ne les oublie point, en mes pauvres et
Vous me donnâtes hier une nouvelle bien consolante, mais je n'en puis prendre la joie entière, que je ne sache si vous avez eu du repos cette nuit. Il faut bien qu'il y ait une vertu secrète qui vous soutienne. Je ne doute point que ce ne soient les mains adorables de Notre Seigneur, ma confiance est en lui, pour la conservation de votre très honorée personne. Si je l'envisageais selon ce qu'elle souffre, de corps et d'esprit, je serais dans une continuelle désolation. Mais vous êtes bien, vous avez une puissante protection. Il ne faut pas qu'un enfant appréhende rien, quand il est entre les bras de son Père ; votre âme et tout votre être sont environnés de Dieu ; vous êtes soutenue de sa main toute puissante ; vous reposez dans son immensité comme dans un lieu
d'assurance, et sa douce et aimable Providence prévient vos besoins, sa grâce vous fortifie et son amour vous attire toute à lui.
C'est une grande joie à l'âme qui se voit de cette sorte en Dieu, qui vit en lui, de lui et pour lui. C'est un paradis commencé ; mais il faut persévérer dans l'amour et la fidélité, et surtout dans les actions de grâces continuelles des infinies bontés de Dieu. Il ne les faut jamais oublier, si nous n'en voulons tarir la source. Je sais que vous avez grand soin, Madame, de le bien remercier. Commençons et finissons toujours nos prières par l'action de grâces et jamais elles ne seront stériles. C'est un secret infaillible qu'une bonne âme a appris de Notre Seigneur, un jour étant en oraison. Pardon, je suis trop importune. Il faut que vous m'imposiez silence si vous voulez que je vous laisse en repos.
J'attends de vos nouvelles avec impatience.
no 3091
Il me semble que vous vous retirez si fort, que vous ne voulez plus soulager votre coeur par quelque petite communication des croix que vous souffrez quasi sans relâche. On ne laisse pas de compatir
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à tant de souffrances, mais c'est avec d'autant plus de douleur qu'on se voit incapable de vous soulager, renfermant votre peine pour la dévorer toute seule en la présence de Dieu.
Je sais bien que cela est héroïque et qu'une grande âme marque son courage en surmontant les afflictions de la vie, mais quelque générosité que la nature donne, le coeur ne se peut garantir d'être blessé en mille rencontres, et Dieu ne défend point qu'on se confie à quelqu'un pour aider à porter son poids. Le Fils de Dieu voulut bien que Simon le Cyrénéen prit le bout de sa croix pour un peu diminuer sa peine. Je sais bien que, quand Dieu veut qu'une âme souffre, il suspend toutes les consolations du ciel et de la terre, mais je ne crois pas, Madame, qu'il vous veuille dans un si grand dénuement. Il vous est bien permis de prendre quelques secours dans les conseils de quelques bons serviteurs de Dieu ; consultez-les, Madame, et voyez devant Dieu s'il y a quelque remède à vos peines, les sujets qui les causent et ce qui se doit faire pour vous en délivrer.
Il y a des croix qui ne sont point bonnes à garder et que la Providence nous envoie, sans borner les moyens de nous en soulager. Il y en a d'autres que la main de Dieu applique si sensiblement et si profondément qu'il met l'âme dans l'impuissance d'en pouvoir sortir. De ces sortes de croix, il faut se résigner et avec la patience de Jésus Christ, souffrir et mourir sur son bois. Celui qui crucifie soutient secrètement ; il sait mortifier et vivifier tout ensemble ; il ne faut que s'abandonner aux desseins inconnus de son amour, qui sait mener en enfer et en retire. Jamais une âme ne peut périr quand elle demeure assujettie à ses divines opérations. La main qui blesse en telles dispositions est rigoureuse et douce ; elle fait la plaie et la guérit ; elle porte le glaive et le remède tout ensemble. On ne doit point se troubler dans cette épreuve que l'amour divin fait dans une âme qui veut être sans réserve toute transformée en Jésus Christ. Il faut qu'elle soit purifiée et les tribulations servent de feu à cet effet. On a besoin dans ce creuset de quelqu'un qui aide à soutenir le courage, par une amoureuse confiance en Dieu et une remise de tout soi-même à son bon plaisir ; du reste on doit laisser agir cet aimable Sauveur qui n'a autre motif que de sanctifier l'âme et la transformer en son amour.
Mais si les croix sont quelquefois causées et produites par des choses temporelles, prenons conseil et cherchons les remèdes ; s'il n'y en a point qui réussissent, laissons tout à la disposition divine, et avec une foi inébranlable, espérons que Dieu tout bon y pourvoira infailliblement, par les conduites de sa divine sagesse qui ne se peut tromper et qui agit toujours pour notre bien, quoique l'esprit humain n'en soit pas toujours bien persuadé. Il ne faut point demeurer accablée sous le poids des choses qui nous peinent. Si elles nous détournent de Dieu et nous ôtent la paix intérieure, il les faut surmonter par un saint mépris en retirant l'esprit en Dieu pour lui laisser la conduite de telles peines, et (les) accepter doucement et amoureusement, les renversements, les abjections et contradictions qui en peuvent survenir ; et jusqu'à temps que l'âme se soit totalement résignée à Dieu, pour tout ce qui lui plaira et de quelle manière il voudra, il est du tout impossible que l'âme puisse avoir un calme solide en son intérieur. Plût à Dieu, Madame, que vous possédassiez celui que je vous souhaite! Les vapeurs n'auraient plus la puissance de vous incommoder.
Remettez toutes choses en Dieu et vous y laissez vous-même ; il fera de tout ce qui vous touche [selon] sa très sainte volonté ; embrassez-là à l'aveugle et vous dégagez doucement de tout pour vous attacher à Dieu seul ; s'il renverse tout, il le faut bénir avec le saint homme Job ; c'est de cette sorte qu'il fait des saints. Dieu est admirable en ses ouvrages, parmi toutes vos croix, il opère divinement en vous ; il y fait un ouvrage digne de lui-même et d'une félicité éternelle, qui couronnera toutes vos souffrances en les convertissant en joie. Qu'importe ce que l'on soit en ce monde, pourvu que nous jouissions de Dieu éternellement.
Courage donc, Madame, la fin viendra ; tout le créé retournera au néant duquel il est sorti, et vous passerez en Jésus pour vous reposer en Dieu sans fin, « Cujus regni non erit finis ». Pardonnez-moi la peine que je vous donne de lire ce brouillon ; pourvu qu'il puisse servir à vous divertir un moment, ce sera assez pour moi qui ne suis pas digne de vous servir, quoique mon zèle et ma tendresse pousseraient au delà. Dieu suppléera, je l'en prie de tout mon coeur, et qu'il vous fasse connaître, Madame, ce que je vous suis en son amour et avec profond respect.
no 569 - Cette lettre est donnée selon le Ms Sor. p. 216 verso.
Je suis consolée dans les disgrâces qui arrivent incessamment à votre Altesse Royale de vous voir tenir ferme sous le bon plaisir de Dieu, et vous accoutumer à la croix. C'est, Madame, où l'âme trouve une grâce toute divine qui l'élève et la tire de soi-même pour la porter à Dieu. J'ai toujours cru que le revers des affaires de votre maison vous servirait d'échelle pour monter au Ciel.
Si les chrétiens pouvaient comprendre la grâce que Dieu renferme dans les souffrances, leur félicité serait de souffrir sans relâche, car il est certain que le Fils de Dieu ne nous donne jamais de croix que par un amour infini. Mais la chair et le sang n'entendent point ce langage, et la foi n'est pas assez vive en nous, pour nous persuader cette vérité. Vous êtes trop chrétienne pour l'ignorer. Il faut seulement prendre courage et vous tenir près de Dieu, pour être fortifiée de sa grâce, qui vous élèvera infailliblement au-dessus de tout le créé. Prenez
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votre joie en lui, puisqu'il est tout à vous et que ses conduites sont pleines d'amour et de miséricorde. J'ai une furieuse envie que vous soyez toute à lui. Je suis fort touchée de l'indisposition de S.A. L'âge et le chagrin ne sont pas bien ensemble et les défaillances qu'elle a, ne me ,plaisent point. Je fais prier Dieu pour elle du plus intime de mon coeur. Je ne puis m'empêcher de dire, sans sortir du respect. que j'aime ce Prince au-delà de ce que je peux dire. C'est mon souverain
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à qui je dois ma vie, après Dieu. Je me sens si pressée intérieurement de prier Notre Seigneur pour ses besoins que j'ai communié aujourd'hui pour cet effet, mais je peux dire, d'une manière toute particulière. J'espère que Dieu lui fera miséricorde. La Très Sainte Vierge est son avocate et l'amour du Très Saint Sacrement le sauvera, je m'en tiens certaine. Reposez-vous en Dieu, Madame, dans cette confiance. Il y a plusieurs jours que je désire l'honneur de parler à votre Altesse Royale.
nu 1461. Cette lettre est donnée selon le Ms : Sor p. 218 v"
Ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire me touche sensiblement devant Notre Seigneur : comme il vous a donné une grande naissance selon la nature, il veut vous donner une grande perfection par sa grâce, se servant de la grande sensibilité que vous avez de votre perte, pour vous tenir dans un sacrifice continuel devant sa Majesté. Il vous donne, par cet exercice douloureux. les moyens de vous immoler sans cesse et de vous rendre à Jésus sacrifié. par un réciproque d'amour et de douleur. Vous êtes en croix continuellement. et quoique vous ressentiez sa rigueur, vous ne laissez pas de vous y sanctifier admi-
rablement car vous laissant l'humiliation de ressentir votre peine. elle vous crucifie d'autant plus qu'elle vous ôte la satisfaction de voir le progrès que vous faites dans la pratique des vertus.
Dieu, Madame, vous fait marcher à la suite de Jésus inconnu, abject et méprisé, pour sanctifier votre âme et la préserver de la malignité que le monde contient en soi, et de laquelle les personnes de votre illustre naissance ne se peuvent garantir sans miracle. Dieu. qui vous a choisie pour le Ciel, ne veut point que les choses de la terre vous empêchent d'y parvenir. Il veut, par les déplaisirs continuels., vous faire goûter qu'il n'y a qu'amertume et affliction d'esprit dans la possession des créatures que celui-(1à] seul est heureux, qui en connait le mensonge et la vanité, pour ne s'y point engager : et qui connait la vérité de Dieu pour s'y fortement attacher et confier : tout passe, et il n'y reste qu'un moment pour ménager l'Eternité.
Pardonnez-moi, Madame, si je suis si téméraire. que de vous exposer si librement mes chétives pensées : c'est avec un profond respect et une confusion extrême. Mais comme j'ai une très grande obligation d'aimer et honorer parfaitement votre Altesse Royale, je ne puis lui mieux témoigner qu'en lui protestant que ses intérêts me sont très chers et que, comme Dieu veut vous faire une grande sainte. par les contradictions etc..., il me donne une ardente affection de le prier que vous soyez remplie et soutenue de sa grâce. comme de ce qui est le plus précieux, et par laquelle vous triompherez de tout le monde.
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Petite It et Gronde Porterie (tsto)
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du Dut Antoine (18st)
82 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 83
et posséderez un repos au fond de votre esprit pour vous rendre inébranlable à tous les événements fâcheux ; et quoique je sois la plus indigne de toutes les créatures, je me présenterai à Dieu tous les jours pour la lui demander et ferai faire des prières et communions journalières pour tous les besoins de votre âme, pour vos intentions particulières, pour N. et pour N.N. Je ne puis penser à la conduite que Dieu a tenue sur toute cette illustre Maison que je n'en sois sensiblement touchée : il veut l'humilité des grands et qu'ils connaissent qu'ils relèvent de sa suprême grandeur. J'espère qu'il aura pitié de tout et qu'il se contentera des gémissements de votre coeur, et des voeux que vous lui présentez ; il accomplira vos saints désirs et couronnera votre personne d'une récompense éternelle qui vous fera heureusement régner dans l'Eternité.
C'est l'espérance de celle qui ne sera jamais digne de l'humble qualité de votre...
no 164. Cette lettre est donnée selon le Ms : Sor p. 219 v"
Communion, rassasiez ses désirs qu'il exprime par ces paroles : « DESI-DERIO DESIDERAVI » (1). 11 ne demande que d'être reçu, ne le privez point de ses complaisances, puisqu'il fait ses délices de converser avec les enfants des hommes ; et comme il entre en vous par cette divine manducation, entrez en lui par une profonde démission de tout vous-même et une entière remise à son amour. C'est l'effet de la Pâque, qui est le passage de Jésus, afin que Jésus soit vivant en vous et que votre âme soit toute abîmée en lui. C'est Madame le souverain bien que je vous souhaite, et ce que le temps me permet d'écrire. Je sais bien que votre Altesse Royale n'a pas besoin d'être excitée, son coeur a trop d'amour pour Jésus, mais c'est pour un peu vous divertir, Madame, et vous assurer que je me souviens de faire prier Dieu pour tout ce qui vous touche, et que je m'oublierais plutôt moi-même que vos intérêts.
On m'a dit que vous nous honorerez de votre présence, c'est pour combler notre fête de bénédictions. Je demande humblement part en vos saintes prières.
no 1123. Cette lettre est donnée selon le Ms : N 258 p. 233.
Je ne puis, Madame, passer ces Saints Jours sans vous souhaiter la plénitude de grâces renfermées dans nos précieux mystères. Celui que nous célébrons aujourd'hui est l'épuisement de l'amour de Jésus ; on ne le peut considérer sans un divin étonnement. Le prophète contemplant les oeuvres de Dieu demeurait tout hors de lui-même, ne pouvant comprendre les abaissements de sa haute et suprême majesté lorsqu'il s'est fait homme.
Je trouve que la divine Eucharistie est un sujet d'un plus grand ravissement, puisque nous y adorons un Dieu si épris de l'amour de sa chétive créature qu'il trouve un moyen de demeurer avec elle jusqu'à la consommation des siècles, et d'opérer tous les jours, en elle, les effets de ses ineffables mystères. On nous prêche souvent des merveilles de ce sacrement d'amour, mais tout ce que la science en peut dire est au-dessous de ce que la foi en fait comprendre. Après qu'un Dieu s'anéantit sous les Espèces, pour entrer dans nos coeurs, il n'y a plus moyen de se jamais défier de sa bonté. Il ne faut plus souffrir en nous d'autres dispositions que l'amour ; étant une certitude de foi que celui qui donne le plus ne refuse pas le moins. Je dis que les dons de Dieu et ses faveurs, et la béatitude même, étant moins que Dieu, il ne nous les refusera pas, puisqu'il se donne soi-même avec tant d'amour et de tendresse que je ne sais comment l'âme le peut contenir sans mourir. Votre Altesse Royale est plus capable d'en recevoir la grâce que moi d'en parler.
Goûtez, Madame, les douceurs du Coeur de Jésus dans la sainte
(I) Luc XXII, 15
DE L'IGNORANCE OÙ NOUS SOMMES DES DESSEINS DE DIEU
[1661]
Je ressens vivement les nouveaux sujets de déplaisirs que vous avez reçus. Je voudrais qu'il plût à Dieu écouter nos gémissements sur cette affaire. Mais comme la créature n'est que ténébre et ignorance, elle ne peut pénétrer les conseils de Dieu, ni les caùses pourquoi il permet des crucifixions si sensibles, sinon pour nous faire adorer la profondeur de ses jugements et l'inscrustabilité de ses pensées, qui néanmoins sont toujours pleines d'amour et de miséricorde pour les âmes qui s'y soumettent et s'y abandonnent entièrement. Vous le savez par une longue expérience. Dieu éprouve votre constance et votre fermeté en son amour. Mais pourquoi ? Si ce n'est pour purifier de plus en plus votre âme. et la rendre digne de son union. Il veut par mille accidents différents vous séparer des créatures, pour vous faire entrer en sa sainteté. C'est là en vérité tout le bonheur de l'âme ; et pour trouver la paix et le repos sur la terre, il ne faut rien estimer que le salut éternel ; tout le reste n'est rien, qu'amertum.e et affliction d'esprit. Recevez de la part de Dieu les déplaisirs de la vie. Baisez la main adorable qui vous attache avec Jésus son Fils, sur la croix,
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et qui n'a eu en ce monde pour partage que les hontes, les affronts, les mépris, contradictions, douleurs, angoisses, délaissements et la mort. C'est aussi le présent qu'il fait à ses élus, d'où vous devez inférer du dessein de Dieu sur votre âme, puisqu'il lui donne si bonne part aux sacrés états de Jésus Christ et d'où elle tirera une force divine pour recevoir sans s'ébranler les événements contraires qu'il est impossible d'éviter, sachant bien que nous sommes dans un siècle où il n'y a rien d'assuré. Il n'y a que l'âme bien unie à la très sainte volonté de Dieu qui demeure ferme et sans changement. Permettez-moi de vous supplier de ne vous point laisser aller dans la douleur extrême, mais d'agir avec un saint abandon et pleine de confiance à la bonté de Dieu. Nous ferons augmenter les prières pour vous obtenir les lumières du Saint-Esprit et les grâces nécessaires pour soutenir cette chère affligée (1), qui me touche sensiblement. C'est ce que peut la plus indigne de vos servantes.
no 1398. Ms : P110.
(1) Est-ce une allusion au mariage de la fille aînée de la duchesse, Marguerite Louise, avec le duc de Toscane, Cosme Il! de Médicis, éxigé par Louis XI V, au grand désespoir de la jeune fille ? Mme de Motteville. dans ses Mémoires, en fait un récit dramatique.
[1661/1662]
Bien que vous me fassiez espérer l'honneur de vous voir demain, je ne puis différer jusqu'à ce cher moment, de vous témoigner la part que je prends à vos déplaisirs ; je ne m'en consolerais jamais, si je ne savais que c'est par la voie des tribulations que Notre Seigneur vous peut détacher de la terre, pour vous unir et transformer toute en lui.
Il y a longtemps que je tâche d'observer ses conduites sur votre âme et que je vois qu'il fait sans cesse de nouveaux renversements dans vos affaires et vos prétentions, quoiqu'elles soient justes. Il est bien malaisé de se voir traiter de la sorte, sans que la nature ne le ressente et qu'elle en souffre des agonies, se voyant abandonnée de ceux qui vous sont les plus obligés, selon le raisonnement humain ; mais ne croyez pas que tous les accidents soient casuels (1) en Dieu : ce sont des épines de sa couronne et donc petite portion des peines et des humiliations qu'il a souffertes en ce monde, auxquelles il faut que vous ayez part, si vous voulez parvenir à la sainteté et conformité d'état avec Jésus Christ. Le peu que vous trouvez dans les hommes
(1) Casuel : qui dépend des cas, des accidents : choses casuelles, emplois casuels, emplois révocables.
Littré, Petit dictionnaire universel.
vous fera retirer vers Dieu, et leur infidélité à votre égard ne vous permettra plus de vous y confier, ni d'en espérer aucun secours. Dieu ne veut point que vous trouviez d'appui dans les créatures. II est jaloux de votre coeur il ne le possèderait pas sans réserve s'il trouvait en elles (2) où se reposer. Je sais qu'il- en coûte furieusement pour vivre séparée, mais courage il ne faut qu'un bon coup, vous avez fait le plus grand pas lorsque vous avez rendu à Dieu ce que vous aviez de plus cher. Il ne vous reste quasi plus que vous-même à immoler ; c'est demain le jour que Jésus s'offre à son Père éternel c'est aussi le même auquel il a reçu de votre fidélité l'hostie que vous lui présentâtes en la personne de feu Monsieur (3). Je vous supplie que ce soit le même auquel vous sacrifierez tout votre être à Dieu ; et s'il diffère de vous mettre dans la chère solitude que vous désirez, ne le privez point du repos que vous lui pouvez donner en vous-même, par la solitude et retraite intérieure, où vous pouvez jouir de sa douce Présence et commencer en ce monde un paradis anticipé. C'est dans ce divin commerce où votre âme prendra une nouvelle vie et recevra des forces, pour soutenir tout ce que la divine Providence lui envoyera d'amer et de pénible. Je pourrais même assurer que votre pauvre corps y trouverait de la santé et que rien au monde n'est meilleur pour le réconforter dans ses douleurs que .la joie de l'esprit et la dilatation du coeur. Je ferai demain faire à toutes nos Soeurs la sainte Communion pour les intentions que vous désirez. Oh ! si j'étais digne d'être exaucée, vous sentiriez d'admirables effets de grâces. Il y a je ne sais quoi en moi qui voudrait vous mettre dans le Coeur de Jésus Christ. Je vois de si grands avantages pour vous faire sainte que je ne puis m'empécher de demander à Dieu qu'il vous tire fortement, qu'il vous arrache de vous-même. Permettez-moi de vous dire que je regarde les contradictions des hommes comme autant de coups de glaive et de verges que sa main toute puissante vous donne pour vous tirer de la Cour. Vous appartenez à Jésus Christ crucifié. Les armes de votre maison étant une double croix, jugez si vous ne devez pas être crucifiée au monde, et que le monde, comme dit Saint Paul vous soit crucifié. Je vous conjure avec respect de n'en jamais plus rien espérer et d'élever votre coeur en foi vers celui qui veut vous être tout en toutes choses. Contentez-vous de Dieu puisqu'il se contente de vous, et ne vous fâchez plus d'aucune chose. Tout est au-dessous d'une âme qui aime son Dieu, rien n'est capable de la troubler. Je sais qu'il est bien rude de se voir sans secours et comme abandonnée, mais celui-là est bien gardé que (de) Dieu garde et protège ; pardonnez ma simplicité aussi bien que ma témérité, vous êtes trop bonne et vous me donnez trop de liberté ; si vous voyez mon coeur vous vous blâmeriez encore davantage, et diriez que j'ai droit
(2) Dans les créatures.
(3) Gaston d'Orléans, Monsieur, frère de Louis XI II. est mort en la fête de la Présentation 2 février 1660.
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sur le vôtre, et que je ne puis souffrir qu'il manque d'être fidèle aux attraits de Jésus Christ qui le veut pleinement posséder.
Je me jette à vos pieds pour vous demander mille humbles pardons et vous supplier de jeter promptement la présente dans le feu, c'est une saillie d'affection trop hardie.
no72. Ms PII0 p. 295.
IL FAUT IMMOLER ET SACRIFIER À DIEU
CE QUI NOUS EST PLUS CHER
PAR UNION À SON SACRIFICE DE L'AUTEL
[29 janvier 1664] (1)
Comme tout le monde se met en peine de vous consoler dans votre affliction par toutes les manières que l'on peut, je n'ai point cru pouvoir mieux réussir que par la prière, qui a été continuée sans relâche, depuis les dernières nouvelles que vous avez reçues demandant instamment à Notre Seigneur Jésus Christ qu'il fasse en vous, par sa grâce, ce que les créatures n'y peuvent faire. Et quoique je sois très pénétrée de votre douleur, je le suis de plus très sensiblement de vous savoir mal.
Votre fidélité me fait honte, et me fait admirer les grandes miséricordes que vous recevez de Dieu et la force généreuse avec laquelle vous achevez de lui sacrifier ce qui vous est si cher. Vous l'avez déjà donnée à Dieu dans les premières nouvelles de sa mort supposée, et vous n'aviez point voulu flatter votre espérance dans l'incertitude de sa vie, aimant mieux vous tenir dans une humble soumission, devant la majesté divine de notre Dieu, que dans la joie qui pourrait adoucir votre peine. Dieu n'a pas voulu que vous manquassiez à un seul petit point du pur sacrifice. Et bien que l'on vous dit de descendre de la croix, par cette vaine espérance, la fermeté de votre coeur a été si grande que vous y êtes demeurée constante, sans y recevoir d'autre soulagement que le sacré abandon à la volonté divine.
Vous devez être bien persuadée que Dieu vous veut toute à lui, et qu'il ne cessera jamais de vous poursuivre par les peines et les croix, jusqu'à ce qu'il soit pleinement victorieux de vous-même. C'est son plaisir de vous posséder, et de vous rendre conforme à son Fils sur le Calvaire et dans la divine Eucharistie, où l'amour et la douleur l'immolent à tout moment. Soyez immolée de la sorte, et que l'amour douloureux fasse votre consommation. Vous ne serez jamais heureuse que dans cette sainte disposition où la grâce vous fera entrer, et par laquelle votre âme s'élèvera au-dessus des objets des sens.
Souvenez-vous que vous devez rendre à Dieu ce qui est à Dieu.
Rien n'est à vous, que le néant et le péché. Vous n'êtes point à vous-même, mais toute à Jésus Christ. 11 est donc très juste qu'il fasse ce qui lui plaira de vous, et qu'il vous conduise par toutes les tribulations à l'éternité bienheureuse, où bientôt vous recevrez la récompense de tant d'amertume dont votre vie est remplie. Mais il faut prendre courage, tout passera et se réduira au néant. Ce n'est pas la peine de s'affliger des accidents de cette vie, la mort emporte tout et nous réduit et ensevelit nous-mêmes. Ne pensons qu'à notre heureux retour vers Dieu, qui est notre centre, et dans lequel il n'y a nulle vicissitude, mais une durée de paix inaltérable. Achevez donc de couronner Jésus [en vous] par votre patience et humble résignation, et il vous comblera un jour de sa gloire, par son amour. Ce doit être votre unique désir comme votre souverain bonheur. Je l'en prie de tout mon coeur vous étant en lui avec respect...
n° 276. Ms N267 p. 35.
(I) Cette lettre paraît avoir été écrite à l'occasion de la mort de la seconde fille de la duchesse d'Or-
léans, qui avait épousé, sur l'ordre de Louis XIV, le prince Emmanuel de Savoie. Mariage heureux. mais de très courte durée.
de Rambervillers, le 18 avril 1666
La part que votre Altesse Royale prend aux intérêts de la gloire du Très Saint Sacrement me fait donner l'honneur de lui en dire des nouvelles, en lui rendant compte de ce qui s'est passé ici, touchant là mission qui m'a été donnée pour venir établir, en notre monastère, notre Saint Institut.
J'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs si bien disposées et si soumises à tous les règlements et constitutions que nous professons, que nous ne trouvons aucune difficulté à résoudre et si les Saints Jours n'interrompaient le cours de nos conférences et ne nous ôtaient la liberté d'agir, pour achever ce que nous avons commencé, nous aurions conclu dans huit ou dix jours. Mais, étant obligées de différer jusqu'après les fêtes de Pâques, nous avons choisi le jeudi, 29ème d'avril - dans l'octave de Pâques -, pour faire la première cérémonie de l'Exposition du Très Saint Sacrement et prendre possession du monastère.
Chacune se prépare tout de son mieux; il n'y a que moi qui suis misérable et la plus opposée à la sainteté de Jésus, et c'est une grande humiliation pour moi. Je n'oublie point de faire prier Dieu pour Votre Altesse Royale. C'est pour elle que nous offrirons à Dieu la première Exposition qui se fera dans cette maison, avec toutes les communions de la Communauté, qui a pour vous, Madame, tous les respects qu'elle doit et toute la reconnaissance de vos excessives bontés.
titi CATHERINE DE BAR
Je suis ici dans un pays éloigné, où je ne puis avoir de lettres de k. si je ne les envoie quérir à Toul. C'est ce que je ferai demain, ne pouvant plus souffrir la privation des nouvelles que j'attends de Votre Altesse Royale, que je vois toujours environnée de contradictions. Mais, courage, Madame, vos maux finiront quelque jour et vous jouirez d'une paix et d'un repos éternels. Ne désistez point de votre sainte résolution et soyez plus que jamais toute à Jésus et à sa très sainte Mère et je continuerai d'être, avec un très profond respect, Madame, de votre Altesse Royale.
LETTRES INÉDITES 89
liens, afin que vous puissiez prendre votre vol dans la douce et aimable solitude où vous aspirez si souvent, et vous reposer dans le trou de la pierre, qui n'est autre que le Sacré Coeur de Jésus. C'est là, Madame, et non ailleurs que vous jouirez d'un parfait repos, et que les flammes de son Coeur adorable consommeront le vôtre. J'en souhaite avec ardeur le précieux moment et de me voir à vos pieds pour être témoin de votre bonheur et avoir un peu de part aux miettes qui tomberont de la table où vous ferez, Madame, ce festin délicieux.
En attendant ce grand bien, souffrez que je sois toujours ce que votre bonté m'a permis d'être, avec très profonds respects...
Ir 1895. 'eue lettre est donnée selon le Ms : P101 p. 804.
nt, 123 Ms P110 p. 282
(1) Jeudi de Pâques 29 avril 1666. L'histoire de ce monastère et de son agrégation à l'Institut est rapportée dans : Catherine de Bar, p. 220 à 231 et p. 304 à 309.
de Rambervillers, avril 1666
Ce ne sera point par ces mots que je vous rendrai grâces très humbles de la continuation de vos bontés vers la plus indigne de toutes vos servantes. J'ai trop peu de loisir pour épancher les • sentiments de reconnaissance dont mon coeur se trouve rempli : j'en réserve les productions pour mon retour à vos pieds.
Nous faisons jeudi la première Exposition du Très Saint Sacrement dans cc monastère pour introduire et établir l'Adoration perpétuelle (1) ; après cette cérémonie nous n'aurons plus à faire ici ; nous irons à 1 oul pour faire faire profession à deux filles novices (2). Je voudrais avoir déjà fait tout ce que ma commission porte, pour accomplir avec plus de diligence vos volontés et aller• prendre part aux croix que la divine Providence vous envoie journellement, que je souhaite ardemment être toutes transférées dans mon coeur, pour en soulager le vôtre. La croix est le partage des élus, c'est par elle que Jésus les sanctifie. Doutez-vous, Madame, qu'il n'ait pas un dessein sur votre âme. Oui, certainement. Plus je fais prier Dieu pour vous, plus je suis confirmée et certifiée intérieurement qu'il vous veut toute à lui, et qu'il ne cessera point de vous crucifier qu'il ne vous ait purifiée et rendue digne de son union éternelle et des pures opérations de son amour, qui est l'unique bonheur où vous aspirez. Il faut toujours relever le courage dans les différents effets que la grâce opère, d'autant que la nature pâtit et qu'il est dur de mener une vie toujours souffrante. Il faut une haute estime de Dieu, pour être toujours soumise à ses conduites et porter dans le coeur l'amour de ses volontés, notamment lorsqu'elles sont si crucifiantes. C'est tout ce que les saints ont pu faire sur la terre et que vous tâchez de faire, Madame, pour vous conformer à Notre Seigneur Jésus. Je le prie qu'il vous fortifie afin que vous puissiez soutenir tout ce que Dieu veut faire en vous de grand et de saint.
Je continue de faire prier Dieu pour vous et pour la rupture de vos
(2) Françoise Charbonnier (Sr St François de Paule) fait profession le 15 mai. Anne Parisot (Sr Marie du St Sacrement) le 19 mai.
août 1666
La Providence nous a donné bien de l'exercice. Nous avons quasi perdu notre bonne Mère de St J... (1) par les maux de tête et vomissements violents. Nous ne savons encore quelle sera l'issue de son mal. Notre Seigneur semble prendre plaisir de la purifier par les douleurs, pour la rendre une digne victime de son amour. Elle souffre de si bonne grâce, et avec tant de soumission au bon plaisir de Dieu. qu'il y a consolation de l'envisager sur son lit, comme une victime sur son bûcher, que l'amour et la douleur consomment.
C'est la joie d'une fille du Saint Sacrement, qui sert tous les jours de sa vie immolée avec son adorable Jésus, et qui ne vit que pour mourir à tous moments, en réparation de sa très auguste Majesté offensée. Heureuse une âme qui se voit ainsi sacrifiée avec son divin Sauveur, et qui n'a point de plus grande passion que de se voir consommer pour l'amour de son Dieu, par le feu des souffrances! Vous le savez mieux que personne, ayant si bonne part à la croix de Jésus, et la portant avec une si généreuse patience qu'elle édifie tout le monde. C'est ainsi, Madame, que votre âme se sanctifie et qu'elle avance sa bienheureuse éternité.
Je prie Dieu qu'il vous augmente incessamment ses grâces, et me rende digne d'être. avec autant d'effet que de zèle, et de profond respect...
no 1913. Ms : P110 p. 278.
(I) Probablement Mère de Saint Joseph. Cf. lettre du 11 aoùt 1666 p. 276.
LETTRES INÉDITES
90 CATHERINE DE BAR
91
Je ne sais, Madame, ce que vous avez, mais je sens bien que depuis quelques jours vous pâtissez beaucoup plus que l'ordinaire, et quoique vous le vouliez cacher aux créatures, mon esprit ne laisse pas de le pénétrer, et mon coeur souffre avec vous. Cherchons au nom de Dieu les moyens efficaces d'en sortir.
Je n'ai rien fait sur les mémoires de l'autre jour. Nous les enverrons aux R.P.... Je prie Dieu qu'il les inspire sur votre Maison de Nancy. Je n'ose rien vouloir, crainte que je ne fasse ce que saint François de Sales ne veut pas, qui est d'avoir trop de désirs. J'anéantis de tout mon coeur tout ce que mon esprit pourrait produire là-dessus, pour me laisser en proie au bon plaisir de Notre Seigneur. Je le prie de faire en tout cela sa très sainte volonté, et qu'il vous comble des grâces que je vous souhaite, pour être une aussi grande sainte que je le désire et que Dieu veut. Le reste à demain puisque j'aurai l'honneur de vous voir après-midi. Je vous souhaite cependant une bonne portion de la félicité des Saints et que vous soyez remplie de l'abondance des grâces divines.
no 1154. Ms : P 1 IO p. 315.
Vers 1667 (1)
L'occupation d'hier et d'aujourd'hui m'a dérobé l'honneur et la douce consolation de vous rendre mes respects, et aussi mille humbles actions de grâces, de tout ce que vous faites pour votre maison et pour notre Institut ; mais singulièrement de votre zèle pour la gloire du Très Saint Sacrement et l'adoration perpétuelle. Vous trouverez Madame, une admirable récompense dans le paradis, pour toutes ces belles et excellentes choses. Vous faites exalter le Fils de Dieu, humilié dans l'Eucharistie, et il vous glorifiera dans son éternité bienheureuse. On ne rend en ce monde aucun service à Notre Seigneur qu'il ne le récompense au centuple dès cette vie. Je congratule celles qui ont le pouvoir de le faire. Je les estime infiniment heureuses. Oh, Madame, réjouissez-vous en Jésus de ce qu'il veut couronner vos désirs et recevoir la gloire et les hommages que vous lui voulez procurer. Je suis dans l'impatience de voir tout réussir à votre contentement. Je vous supplie de me tenir toujours dans un petit coin de votre cher souvenir, pour m'honorer des nouvelles de votre santé et de celles du quart-d'heure, s'il se fait...
no2137. Ms: P110 p 314
(I) Le monastère de Notre-Dame de Consolation de Nancy a été agrégé à notre Institut en février 1669 après 2 ans de tractations.
DE L'INDIFFÉRENCE POUR TOUT LE CRÉE
Paris, 1667
Puisque vous nous privez de l'honneur de votre présence, je vous demande permission de vous importuner de ces lignes, pour savoir l'état de votre santé et si les impressions qu'on a jetées dans votre esprit, contre ma sincérité, ont encore quelque place dans votre pensée.
J'avoue que j'ai eu quelque retenue sur votre maison de Nancy, mais rien ne me l'a causé que la croyance que Notre Seigneur ne vous donnait point d'instinct particulier pour cela, et je m'en étais dépouillée devant Dieu avec résolution de n'en faire aucune avance, afin d'y mieux connaître les ordres et les volontés de Dieu, et que je devais attendre de vous les réponses. J'espère que demain vous apprendrez quelque chose. Je serai toujours prête de partir quand il vous plaira. C'est le plus grand bonheur qui me puisse arriver sur la terre, de finir ma vie à vos pieds. Mais avant que de jouir de ce doux et paisible repos, il faut rompre vos liens. Je crois que vous y penserez plus fortement que jamais. Je fais prier Notre Seigneur qu'il vous donne une forte délibération de ce que vous devez faire, et après la conclusion, nous prendrons l'essor pour voler dans notre chère solitude. Hâtez-vous Madame, Notre Seigneur vous y attend pour vous y combler des grâces et des douceurs de son Divin Amour. C'est ce qui vous tient le plus à coeur, et ce que vous désirez avec une sainte impatience.
Je le souhaite de ma part avec ardeur, mais je vous supplie, avant que de nous embarquer, ôtez de votre croyance le défaut dont vous me voulûtes accuser hier ; il ferait un obstacle à votre repos et à l'union des coeurs que Notre Seigneur lie par son amour et qui ne se doivent plus séparer, ni en ce monde, ni en l'autre, puisque c'est en son Esprit qu'ils sont unis et pour cela qu'ils seront inséparables.
no 2553. Ms : N267 p. 45.
[1668/16691
J'ai reçu, Madame, celle dont il vous a plu m'honorer, par laquelle je comprends l'angoisse de votre coeur ; mais je vous supplie très humblement de prendre courage et de vous assurer que Notre Seigneur, par les intercessions de sa bénite Mère, vous délivrera de l'oppression ; et j'ai confiance que, comme vous voulez faire exalter le Fils et la Mère dans votre maison de la Consolation, Jésus et Marie prendront un tel soin des affaires de votre Maison Sérénissime, que vous aurez sujet de vous en réjouir et de chanter de tout votre coeur « Quo-
92 CATHERINE DE BAR
niam bonus, quoniam in aeternum misericordia ejus».
Je vous conjure humblement de relever votre courage. Nous ne serons pas encore longtemps sans ressentir la puissance de son bras ; attendons avec confiance - et je dis en secret - avec assurance. Plût à Dieu que je puisse être une heure auprès de vous ! Je vous dirais bien des choses qui ne vous affligeraient pas. En attendant que je possède cette grâce, je vous dirai avec respect que son Altesse Sérénissime, à votre considération, Madame, nous a accordé ce que nous lui avons demandé pour la suppression du titre d'Abbesse. Il en est d'accord et a pris la peine de me donner à cet effet, des lettres pour Rome (1). Reste donc à signer le traité avec ces bonnes Mères et ensuite nous prendrons possession de la maison, au nom de l'Auguste Mère de Dieu. qui en sera la très digne et unique abbesse perpétuelle. Nous aurons l'honneur de vous dire davantagé au premier ordinaire.
no 749. Ms : Sor. p. 219.
(I) Le 10 décembre 1668. Dom Espinasse. grand vicaire de l'abbaye de Saint Germain des Prés donne «obédience à Mère Mectilde pour se rendre en Lorraine pour l'union de la maison de Notre Dame de Consolation de Nancy. à notre Institut». Le 26 janvier 1669. Monseigneur du Saussay, évêque de Toul donne «obédience pour l'union de ce monastère à notre Institut». Le 6 des Calendes d'août - 12 août 1670, 2ème année du pontificat de Clément X, un Bref de la Pénitencerie de Rome est envoyé à Monseigneur de Toul pour faire passer les religieuses de Notre Dame de Consolation de Nancy à notre Institut. cf. A rch. de notre monastère de Tourcoing.
Voir le récit de l'agrégation du monastère N.-D. de Consolation de Nancy à notre Institut : C. de Bar- Documents, 1973, p. 259 et sv.
DISPOSITION POUR PROFITER DU JUBILÉ
[décembre 1668]
J'espérais bien l'honneur de vous écrire, devant que vous me l'eussiez ordonné, pour vous dire un mot sur le Jubilé. (1)
Je crois que vous savez bien avec quelle pureté d'intention on doit travailler à le gagner, et combien il est important de s'y bien préparer. Notre âme en reçoit de merveilleux effets lorsqu'elle est revêtue des dispositions qu'elle doit avoir. Le bon Père de Gondran (2) a laissé
tin petit livre qui en parle dignement si vous le désirez, je vous
l'enverrai.
Le principal effet du Jubilé, c'est le changement de vie. C'est ce que je voudrais avoir et que je demanderai de tout mon coeur. Il faut aller de bien en mieux, autrement le Jubilé ne servira de rien. Je sais que vous en avez le désir et que vous voulez être, sans réserve, toute à Dieu. Voyons en sa Présence et en sa lumière ce qui nous arrête et nous empêche :
Les petits péchés d'habitude nous font un tort notable. C'est un pas fort glissant et qui nous engage quelquefois à de plus grandes
LETTRES INÉDITES 93
fautes, si nous n'y prenons garde. Il faut que la grâce du Jubilé retranche tout cela et nous prépare à une sainte mort, étant peut-être le dernier que nous recevrons.
Je voudrais bien que vous ayez un second Père N... Il vous serait bien utile dans cette occasion. Il faudrait un confesseur qui avec la douceur de la grâce poussât votre âme suavement, parce que, dans le chemin de la perfection ne point avancer, c'est reculer, et cela arrivera imperceptiblement à moins d'avoir une grande vigilance intérieure. La raison est que nous sommes environnés de nos ennemis, dont le plus violent c'est nous-même, et duquel nous avons souvent moins de défiance. Je voudrais bien vous porter dans le Coeur de Jésus, mais vous êtes plus digne d'y entrer que moi-même qui ne suis qu'abomination devant Dieu.
Cependant j'ai du zèle pour votre âme et sa sanctification. C'est pourquoi je vous supplie avec profond respect, que vous examiniez simplement devant Dieu, en sa lumière, sans gêner votre esprit, si vous faites ce qu'il demande de vous, et si vous correspondez pleinement à la grâce et aux touches du Saint Esprit.
Tout ce que je désire, c'est que vous sortiez de vous-même pour entrer en Jésus Christ, car il faut que les paroles de l'Apôtre portent leur effet en vous : « Vous êtes morts dit-il et votre vie est cachée en Jésus Christ ». Une âme qui ne vit point de cette vie, n'est ni heureuse, ni agréable à Dieu. Il n'est point si difficile d'y vivre que l'on s'imagine. Un bon fond comme le vôtre est une terre bien disposée pour recevoir les divines impressions. Il me semble que le plus fort est de vous défendre d'être trop humaine, et que Dieu ne soit pas assez l'unique objet qui vous anime, ni le pur motif qui vous fait agir. Vous savez les paroles de Notre Seigneur : « Si votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux ». Si vous regardez purement Dieu en toutes vos paroles et en toutes vos actions, toute l'économie de votre intérieur ira bien, vous ne serez ni en inquiétudes, ni en ténèbres. C'est ce qui vous peut rendre heureuse.
Je vous conjure de vous tirer de mille embarras d'esprit, qui ne laissent pas de vous gêner et qui retardent votre consommation en Dieu. Je le prie de vous donner la force de vous surmonter, et de vous faire entrer dans sa paix, pour bien et saintement gagner le Jubilé, et faire naître en vous le Saint Enfant Jésus, en qui je vous suis sans réserve, avec profond respect...
n,, 1432
(I) Le Pape Clément IX accorda un Jubilé à la France en 1669 pour demander l'aide de Dieu contre
les Turcs.
(2) Certains manuscrits de cette lettre portent -le bon Père de Condren». mais la liste des œuvres du second Général de l'Oratoire, qui a fort peu écrit, ne fait pas mention de cet opuscule. c'est pourquoi nous conservons le nom de Gondran.
94 CATHERINE DE BAR
[1669J
Vous ne doutez point que je ne sois touchée du dernier sensible, bien que je ne croie point votre maison anéantie. Mais quoi qu'il en soit : « Levate capita vestra », levez votre esprit de la terre et des créatures et voyez des yeux de la foi la conduite de l'adorable Providence de Dieu.
Laissons les causes secondes pour nous lier à ces premières, et dites en vérité et de tout le coeur unie à Dieu : « Mon règne n'est point de ce monde», et il sera désormais dans le coeur de Jésus Christ. C'est là où vous devez établir votre royaume en mettant votre couronne à ses pieds. Puisque vous avez remis vos Etats entre les mains de sa très sainte Mère, vous lui en abandonnez totalement la conduite, pour n'y prendre plus de part qu'en l'esprit de son Fils ; et puisqu'il n'attend point le temps de la mort corporelle qui dépouille de tout nécessairement, pour vous séparer de ce que la naissance avait mis à votre possession, entrez dans ses desseins par une intime union de votre volonté à la sienne. Dites lui d'un coeur plein d'amour et de confiance que son bon plaisir vous suffit, que vous renoncez à tous les royaumes de la terre, pour vous renfermer en esprit dans le coeur de Jésus, où vous vous ferez gloire de régner paisiblement, par une soumission amoureuse à ses conduites, qui veut que sa grâce fasse en vous un usage tout divin de votre croix.
Et si vous ne pouvez remédier aux maux présents, tâchez de gagner pour le Ciel des biens immenses que vous pouvez acquérir à tout moment. Plus vous êtes accablée, pour ne point dire terrassée, plus votre bon coeur se doit soutenir en foi, disant avec saint Augustin : «J'espèrerais en Dieu, quand même il m'abîmerait». Oh si, par les indignités que vous recevez de vos ennemis, vous en tirez votre sainteté, n'est-ce pas un bien infini ? N'en perdez point l'occasion. Faites devant Dieu comme si tout était perdu, pour vous, afin que vous lui puissiez désormais dire : « Je me contente de vous seul. Mon règne est dans votre Coeur et le vôtre est dans le mien ». Oui, si Jésus règne en vous, vous régnez en lui, doux règne qui n'aura point de fin. C'est où il faut s'établir solidement et où les atteintes des hommes ne pourront plus ébranler votre constance. Mais quelle joie de régner, de ce beau règne qui rend une âme immuable aux renversements ! Rien ne peut plus altérer sa paix. Les ordres du bon plaisir de Dieu font sa gloire et son amour, sa félicité éternelle.
Tout ceci n'empêche pas que vous n'agissiez en ce qui vous sera possible. Mais faites toutes choses avec cette union du coeur et d'esprit à Dieu, ne vous laissez point submerger par la tristesse. C'est dans cette rencontre où vous pouvez faire des merveilles pour votre éternité : « Dominus dedit, Dominus abstulit, sit nomen Domini bene-dictum » (1). Pour moi, je ne perds pas la foi, quoi qu'il semble que
LETTRES INÉDITES 95
tout s'abîme et que tout périt. Cependant que je suis pénétrée de douleur, sachant que vous l'êtes humainement parlant, très justement. Il faut redoubler les prières, nous le ferons de tout le coeur.
n°3119
(I) Job. 1.21.
Plût à Dieu, Madame, avoir des paroles de grâces, pour vous consoler et fortifier dans les angoisses que je sais que vous souffrez, dans ces conjectures d'affaires qui touchent votre Maison!
Voici d'étranges épreuves que Dieu donne à votre vertu ; mais comme vous êtes accoutumée à faire des actes héroïques d'aniour et de sou-
mission aux volontés de Dieu, il faut envisager les maux présents dans les ordres de la divine sagesse, pour en faire l'usage qu'il veut,
et par toutes ces sortes d'afflictions, élever votre âme à une haute sainteté. C'est un dernier trait qu'il donne à votre vertu pour la rendre parfaite. Ce n'est pas que je dise que tout soit perdu ; celui qui nous blesse nous peut guérir. Mais ce sont des crises difficiles à soutenir, et où la nature succombe si la main de Dieu ne la tient.
Je vous regarde Madame, dans cette main adorable toute abandonnée à son plaisir. Je vous supplie de n'en jamais sortir et ne point perdre la paix de l'âme pour quoiqu'on vous puisse dire. Vous savez que tout ce qui vous touche n'est plus à vous. Vous les avez données à la très Sainte Vierge. C'est à elle de les défendre et à vous, Madame. de demeurer inébranlablement dans une pleine et entière confiance en sa bonté. C'est ainsi que vous triompherez de tout ce qui s'opposerait à votre tranquillité, et tandis que cela durera, vous éleverez vers le ciel, où cette puissante avocate recevra vos voeux par son très Saint Coeur pour les rendre agréables à son Fils. Je ne vous puis dire les tendresses respectueuses que mon coeur ressent pour le vôtre, dans les diverses agitations où je le vois. Je n'ai pas besoin d'être à vos pieds pour les connaître, je les pénètre assez en les portant, par je ne sais quelle liaison que le respect m'empêche de nommer , mais qui se sent vivement, et que j'ai vue très particulièrement ce matin à la Sainte Communion que j'offrais à Dieu pour vous et ce qui vous touche. J'ai connu, ce me semble, l'angoisse de votre pauvre coeur, qui m'a fait verser des larmes en la Présence de mon Dieu. le priant de toute l'ardeur de mon âme de consoler la vôtre, et vous animer de sa grâce et de son Esprit. J'ai impatience de me voir à vos pieds pour partager vos douleurs et les attirer toutes dans mon coeur. qui est, Madame, en Jésus, plus à vous qu'à moi-même.
n° 2475
( RINI DI PAR LETTRES INÉDITES
1 - ( hal les, par la glace de Dieu. duc de 1.ot-raille. M;u duc de ( glabre, Bar, Gueldre, marquis
de Polit a NIoii,,›,od et de Nomeny, comte de Provence. Vaudemont, Marmont, lulphen, Saverden,
salin et, r tous crus qui ces présentes verront, salut. Depuis la donation et le transport irrévocable
que nous avons lait de nos nias a la 'Ires Sainte Vierge, mère de Dieu. en l'honneur de son Immaculée onception. et que nous ne nous sommes réservés que le pouvoir de maintenir son autorité, et le soin de l'exécution de ses droits. l'égard de nos peuples ses sujets : nous avons estimé que pour mériter les effets sensibles de sa protection particulière, nous étions obligés de rendre tous nos Etats et nos peuples ses tributaires et que, comme l'oblation des prémices dont Dieu a voulu être honoré, marque est le principe de nos biens, aussi le tribut que nous en donnerons à la Sainte Vierge fasse voir que nous la consideions comme la cause (après Dieu) de leur conservation, que chacun sache à qui nous
sommes piotecnice qui nous défend. et la souveraine sous laquelle nous vivons. A ces causes,
don, on. or doline et ordonnons que tous les peuples de nos Etats, commenceront ci-après, à lui
donne, haque mince le tribut de leurs biens ir leur dévotion, et qu'à cet effet dans chaque lieux de dos dits I tais. On lira incessamment chois d'une personne de probité, qui lève et reçoive de chaque L'indic, par tete, le tribut dut a 1;1 Sainte Vierge, pour être employé à son honneur, à la décoration de ses autels et images. dans chacune des villes, bourgs, villages et communauté de nos dits Etats, ou a telle autre chose qui concerneront son honneur. aux choix et dévotion de nos peuples. Voulons et nous plaît qu'il soit incessamment satisfait a notre intention, mandant à tous ceux qui sont sous notre obeissance, de contribuer à l'e‘ecution des présentes, tel étant notre bon plaisir. Donné à Nancy, le ‘111 t-deuxieme de janvier de l'an mil sis cents soixante et neuf. Signé : Charles. «Monseigneur l'évêque de Toul a octroyé quarante jouis d'indulgences à toutes les personnes qui s'acquitteront de ce
ibut envers Notre-Dames.
de Nancy, le 13 avril 1669
nfin, Madame, Notre Seigneur a exaucé les désirs de votre coeur
royal sur sa maison de la Consolation : il a augmenté le nombre des
Victimes de son divin Sacrement, sans les priver de la grâce qu'elles
ont d'être les Filles de votre Altesse Royale.
Jeudi, le Fils de Dieu, en cet auguste Mystère, en prit possession par une Exposition solennelle, mais pas encore dans la magnificence que j'aurais souhaitée. La musique de son Altesse suppléa aux défauts de nos voix. Le Sérénissime Prince eut la bonté d'y assister (1), et ce fut avec tant de satisfaction qu'il dit hautement n'en avoir point
ressenti de plus tendre, ni de plus cordiale, depuis qu'il est rentré dans
ses Etats. Ce qui marque bien la piété de son coeur et l'amour qu'il porte à Jésus Christ.
Notre fête eût été accomplie si votre Altesse Royale y eût été pré-
sente : elle ne doute pas qu'elle ne fut ardemment souhaitée de toute
la Communauté et très particulièrement de sa très indigne servante.
Notre Seigneur n'a pas voulu que notre joie fût entière : il laisse tou-
jours quelques petites douleurs dans les consolations de cette vie,
quoiqu'elles soient saintes dans leur sujet, pour montrer qu'il n'y a de
félicité parfaite que dans le Ciel. Quoiqu'il en soit, Madame, votre
zèle a produit des Victimes à Jésus Christ et des réparations conti-
nuelles pour les outrages que mes péchés lui ont faits. Vous verrez par
la suite le grand bien que vous avez fait. Madame, et la récompense
en sera éternelle.
Il était temps que votre Altesse Royale apportât quelque remède
alix souffrances de ces bonnes Mères, qui languissaient et soupiraient
après le repos qu'elles témoignent posséder avec beaucoup de recon-
naissance. Elles le doivent, Madame, à votre Altesse Royale. Elles
ne manqueront pas de lui en faire leurs très humbles remerciements. Madame la Duchesse de Lorraine (2), étant au Salut, nous fit l'honneur de nous témoigner à la grille qu'elle avait une grande joie de
notre établissement en cette ville et de la satisfaction que votre .Altesse
Royale en recevrait.
Voilà en raccourci le détail de notre petite cérémonie, qui sera bien plus éclatante lorsque la grande église sera en état d'habiter.
n0 388
(1) Charles IV. duc de Lorraine. Prince régnant.
(2) Probablement Louise d'Apremont.
Rue Saint-Dizier, vue de la porte Saint-Nicolas.
Le monastère Notre-Dame de Consolation se trouvait sur la droite. L'église a été démolie pour k perce-
ment de la rue Général-Drouot en 1843.
CATHERINE DE BAR
[photo omise]
COMMENT IL FAUT FINIR ET COMMENCER L'ANNÉE
décembre 1669
e ne puis finir l'année sans vous souhaiter une heureuse conclusion V et un saint renouvellement en son amour. Je vous supplie d'entrer dans la pratique que nous nous sommes proposée cette nouvelle année : C'est l'amour et la confiance filiale en Dieu. Il veut cela de ses enfants, et comme il vous a purifiée dans le sang de son Fils au Saint Jubilé, il veut que vous oubliez votre vie passée pour ne plus vous souvenir que de ses bontés et de son amour. C'est la plus digne réparation que vous pouvez faire des infidélités commises, aimant ce Dieu uniquement aimable, et vous confier en ses soins, vous attacher à son Coeur et vous complaire en ses saintes volontés. C'est de ne vous plus affliger dans les accidents de la vie, mais d'avoir une foi vive, croyant que Dieu vous aime du même amour qu'il s'aime soi-même, et veut que vous vous reposiez en lui.
Je vous prie de ne plus sortir de cette douce et amoureuse confiance et soyez bien persuadée que Dieu veut cela de vous, et que hors de cette conduite, vous vous serez éloignée de votre centre et de la peix intérieure que vous aimez tant. L'amour et la confiance sont votre partage pour cette nouvelle année. La Providence me l'a donné pour vous comme votre loi sûre et facile qui vous mènera sûrement où vous aspirez de tout votre coeur. Goûtez un peu les tendresses de l'infinie miséricorde de Dieu, il ne la peut faire paraître plus grande qu'en nous donnant son Fils. C'est le don qu'il vous fait pour gage de votre bonheur éternel, vous donnant en lui les clefs du paradis. Remplissez donc votre coeur d'une sainte joie et ne pensez plus qu'aimer : c'est votre portion, n'en demandez point d'autre.
Je prie l'Enfant Jésus qu'il allume en vous le feu divin qu'il est venu apporter en terre, et qu'il vous donne un comble de bénédictions en cette nouvelle année : la sainteté et consommation de tout vous-même en son amour. Je suis en lui tout à vous, pour le temps et l'éternité. Avec profonds respects...
no1110- Ms: N267
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME] À SAINT-MIHIEL (1) Sous-Prieure du monastère des bénédictines de Rambervillers [Vosges]
De l'Abbaye de Montmartre, octobre 1641 Ma très Révérende et très chère Mère (2),
Que la divine lance qui a percé le cœur adorable de Jésus transperce le vôtre et le consomme de ses divines et amoureuses ardeurs, pour très affectionné salut !
e ne vous saurais exprimer la grande consolation que j'ai reçue
en la lecture des vôtres et combien j'ai ressenti de tendresse et de désir d'effectuer les promesses que je vous ai faites. Je vous aurais déjà consolée en ce point, n'était la charge que vous possédez qui m'en ôte le pouvoir ; si vous pouvez obtenir votre obédience, c'en sera bientôt fait, et ce en un lieu pour lequel vous avez tant d'inclination ; souvenez-vous du lieu dont nous avons si souvent parlé ensemble, étant à Saint-Mihiel [Meuse], et où il y a une religieuse qui s'appelle la soeur Saint-Joseph, favorisée et ornée de toutes les vertus ; je ne vous nomme pas le lieu ; vous vous en souviendrez s'il vous plaît. Je vous dirai seulement que j'ai eu l'honneur d'y entrer et d'embrasser cette âme favorisée de Dieu, mais avec tant de consolation que volontiers j'aurais
(1) Chassées de leur monastère par les guerres, les Bénédictines de Rambervillers ont trouvé un refuge provisoire à Saint-Mihiel. M. Guérin, envoyé par M. Vincent de Paul pour porter secours aux provinces dévastées de l'Est, parvient à faire accepter, par Mahe de Beauvillier, abbesse de Montmartre, de recevoir au moins deux moniales Lorraines._ C'est ainsi que Mère Mectilde et sa compagne, Mère Louise de l'Ascension, arrivent à Paris le 28 aout 1641 ; cf. Catherine de Bar, Documents historiques, 1973, p. 49 et suiv.
(2) Elisabeth de Brême est née à Sarrebourg en 1609 de Dominique de Brême, maître échevin de la ville. Nous ne connaissons pas le nom de sa mère. Mais «nous savons qu'un de ses oncles, Roger de Dainville, était chanoine de Saint-Etienne de Sarrebourg et avait une réputation de très grande vertu. Elevée très •chrétiennement, elle désirait embrasser la vie religieuse, et, envoyée par ses parents à Nancy pour y apprendre le français, elle essaya plusieurs fois d'être reçue chez les Annonciades. Son père s'opposa formellement à sa vocation et lui fit épouser à 17 ans un officier lorrain, M. Chopinel. Elle eut une fille et devint veuve après trois ans de mariage. A 23 ans, malgré les oppositions de ses parents, elle se retire chez les Bénédictines de Rambervillers où sa haute et solide vertu ne tarde pas à attirer l'attention. En 1634, elle est maîtresse des novices, puis sous-prieure. En 1653, elle est élue prieure, et le restera jusqu'à sa mort, le 24 octobre 1668. L'échange de correspondance avec Mère Mec-tilde que nous publions montre la qualité de ces deux grandes âmes. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 226.
ael MO IIIIIII 1111111 1111111 811111
122 CATHERINE DE BAR LFTTRFS INÉDITES 123
dit comme saint Pierre. Or, en cette maison, la Règle s'observe dans une grande pureté. Je n'ai jamais remarqué une soumission plus grande, ni
une charité et humilité plus parfaites ; tout s'y observe avec un ordre
admirable, accompagné d'un grand silence. Ce n'est pas tout. Il faut que je vous dise que cette âme de question n'est pas seule en sa vertu ;
la plupart la suivent de près, signamment une bonne maîtresse des no-
vices et quelques autres que je ne nomme point. Elles sont vingt-quatre religieuses en tout qui néanmoins se ressentent de la pauvreté, mais
non pas comme nous. Que direz-vous de la charité que ce Dieu d'amour versa dans leur coeur pour moi ? Jusqu'à ce point que de me vouloir retenir ; et sur ce sujet me firent promettre que je les reverrais plus particulièrement. De vrai, je reçus un grand combat, savoir si je devais m'arrêter ou suivre l'obéissance qui m'engageait. Je me résolus d'obéir et leur fis promesse de faire mon possible de les revoir ; elles m'en donnèrent les moyens. Or, ma très chère Mère, pour vous témoigner combien je vous suis fidèle en mes promesses, je leur parlai de votre désir et de la sincère affection que vous avez pour cette maison ; je vous puis assurer que toutes me promirent d'avoir la même volonté pour vous qu'elles me daignaient témoigner, moyennant un point que je ne vous puis mander, qui n'est pas très important, car je ferais bien facilement cela si l'occasion était à moi. Voyez donc, s'il vous plaît, si je vous oublie. Non, il m'est impossible de vous ôter de mon souvenir, quand bien même je m'efforcerais de le faire. Vous m'êtes en Dieu actuellement présente, mais d'une manière très singulière, sur la sainte Croix où je vous donne et abandonne à ce doux Seigneur mourant. Si vous saviez combien j'ai de désir de vous tirer de la misère où vous êtes, peut-être que vous seconderiez mes volontés en les présentant à Dieu pour recevoir de sa miséricorde leur effet. Courage, ma très chère Mère, je vous promets de me priver de ce lieu de question pour vous en faire jouissante, et si le bon Dieu me donne les moyens d'agir, je vous promets qu'en ce point vous aurez contentement.
.le vous ai déjà souhaitée plus de mille fois en ce saint lieu où je suis. 0 Dieu, que vous auriez de consolation ! ou plutôt de sainte appréhension de marcher sur une terre arrosée et trempée du sang du sacré martyr saint Denis (3), ce urand maître de la théologie mystique ! Il faudrait un grand volume pour vous dépeindre la dignité du lieu et la sainteté qui s'y trouve. Il y a grande quantité de saintes reliques et des corps saints tout entiers, et s'il y a un paradis en terre, je puis dire que c'est Montmartre, qui est un vrai paradis terrestre où les vertus se pratiquent en perfection et où notre sainte Règle est gardée dans une
(3) 11 y eut trois saint Denys : 1) l'Aréopagite dont parlent les Actes des Apôtres 17.34 - 2) saint Denys, le premier évêque de Paris au Ille siècle - 3) le «grand maître de la théologie mystique» à qui est attribué le Corpus dionysiacum et qui vécut probablement vers le I Ve siècle. A l'époque de Mère Mectilde la confusion entre ces trois personnages était encore fréquente. Jean Rupp, L'église de Paris, R. Laffont. Paris, 1948, p. 15 - 23 - D.T.C., art. Ménard, fasc. LXXX I - LXX XII, col. 548 - D.T.C., le Pseudo-Denys, fasc. XXVI I, col. 429 436.
observance très exacte. Je sais que vous avez été autrefois dans la pensée que la réforme n'y était pas. Je vous puis assurer et protester qu'elle y est si particulièrement pratiquée par les saintes religieuses de ce lieu que cela ravit d'admiration et je vous supplie d'en louer et remercier notre bon Dieu et qu'il continue ses saintes bénédictions. Souvenez-vous, s'il vous plaît, d'une lettre que je vous écrivis il y a quelque temps, où je vous racontais quelques merveilles de ce sacré lieu. Tout ce que je vous dis en cette lettre n'est rien à l'égal de ce que j'y trouve; 'en glorifierai Dieu éternellement.
.l'ai toujours grandement à l'esprit ma pauvre Marguerite (4). Je vous promets de faire mon possible pour elle. Si l'obéissance me laisse agir, je tâcherai de lui trouver quelque lieu vertueux et saint. Courage, ma très chère Mère, je prierai toutes les saintes âmes de ce lieu sacré de prier Dieu pour vous : elles me l'ont déjà promis, mais à condition que vous ferez le même pour elles, mais surtout pour Madame l'Abbesse, qui est la première et la plus favorisée du Ciel. Je vous assure que tou-
tes les vertus sont amassées en elle priez la divine bonté de les lui
continuer puisqu'elle l'a choisie pour une oeuvre si sainte.
Si vous saviez combien vos lettres me consolent. vous prendriez la peine de m'écrire plus souvent : vous connaissez mon esprit et mon néant. J'aurais infiniment désiré de vous parler encore une fois, mais il plaît à ce Dieu d'amour me tenir dans la privation : j'embrasse la sainte Croix avec vous, et désire de tout mon coeur mourir sur icelle. Je ne sais comment remercier cette adorable bonté de m'avoir retirée en un lieu où, par le secours divin et l'exemple que j'ai journellement devant les yeux, je peux devenir parfaite. Il faut que je vous dise que je crains bien qu'il ne durera guère et j'en suis déjà dans les appréhensions. Je vous supplie, donnez-moi fortement et instamment à Dieu et le priez qu'il captive toutes les puissances de mon âme, en sorte que je meure mille fois plutôt que de l'offenser. Cette crainte de tomber dans le vice me donne mille frayeurs et m'empêche d'être si parfaitement résignée de sortir d'ici, encore que je m'abandonne à Dieu autant que je puis. Je voudrais de très bon coeur descendre dans les enfers plutôt que de déplaire à Dieu, secourez-moi de vos prières à ce sujet. Or, la plus ordinaire pensée que j'ai de présent, c'est le désir d'être parfaitement anéantie et d'être attachée sur la très précieuse Croix. Quant à l'anéantissement, je le comprends intérieur et extérieur, m'étant avis que sans icelui je n'avancerai pas vers Dieu ; et, pour l'extérieur, il est facile avec la grâce ; mais l'intérieur, je le
(4) Marguerite Chopinel, tille de M. Chopinel et d'Elisabeth de Brême. née le 25 octobre 1628, fut élevée au monastère de Rambervillers. Quand sa fille eut 10 ans, sa mère la confia à sa famille à Sarrebourg, mais elle fut obligée de chercher refuge à Saint-Mihiel à cause de la guerre. Là. Mère Mectilde s'occupa d'elle comme de sa propre fille. Elle put la faire venir à Paris, à Saint-Maur-des-Fossés, où elle avait ouvert un petit pensionnat en 1643. En 1646, elle prend l'habit de saint-Benoit au monastère de Rambervillers et. le 21 août 1647, elle y fait profession sous le nom de Soeur Marie de Jésus. En mars 1651, elle revient à Paris avec Mère Mectilde, qu'elle ne quittera plus. Elle sera maîtresse des novices du premier monastère où elle meurt en singulière vénération en 1687.
124 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 125
trouve difficile parcequ'il me semble que toute la diligence est peu si A UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS RESTÉE À BARBER! (1)
Dieu même n'anéantit les puissances. La vii :tcité de mon esprit me tra- Saint-Maur, 25 février (1643 ou 44]
vaille beaucoup, et le peu de constance qui est en moi me prive de beau- celui qui nous est toutes choses unisse nos coeurs en lui pour toute Eiernité
coup de grâces. Je vous remercie de toutes les prières que vous faites e suis bien consolée d'avoir de vos nouvelles et de savoir comme va
faire pour la confirmation de notre sainte promesse ; pour moi, je dirai votre santé. Prenez bon courage en la voie de la sainte Croix ; il faut encore un peu de temps souffrir. Votre voie est sainte et très assurée : j'en ai des sentiments tout particuliers lorsque j'y fais quelque réflexion.
à cet effet : le Te decet lares, Te decet hymnus et le Stabat Mater Vous dites que mon absence vous est une bonne mortification ; je vous assure que je ne vous vois point éloignée mais très présente en mon Dieu, à qui je vous donne de tout mon coeur sans réserve, souhaitant de lvous] voir toute à lui selon ses desseins éternels. Courage ! Très assurément vous y serez un jour : la patience en persévérance fait merveille. Je suis bien aise que notre bon Seigneur vous fait profiter de mon éloignement ; il est admirable pour trouver des inventions qui nous obligent de nous quitter nous-mêmes. Néanmoins, selon ce que je puis juter pour le présent, je retournerai avec notre Mère (2), si la divine Providence ne fait naître quelqu'autre occasion que je ne prévois point. Nous sommes à sa toute puissance sans réserve. J'ai quelque consolation de voir que vos peines continuent ; j'en tire des conséquences très avantageuses pour votre âme, encore que cela vous soit bien sensible. Il faut passer par le creuset des peines pour être digne de la sacrée union. Laissez-vous à Dieu et vous abandonnez à sa sainte conduite. Consentez à tous les desseins qu'il a de vous anéantir par ces peines et souffrances ; il faut être plus passive qu'avilissante, en votre état. Encore que la violence d'icelles vous emporte quelquefois, la puissante main de Dieu fera un jour calmer cet orage. Attendez tout de lui et vous perdez dans son infinie bonté qui vous souffre dans les désordres de la nature. Laissez-vous à lui pour être entièrement détruite ; je vous convie encore de vous aider à détruire en vous abandonnant de bon coeur à toute sorte de désolation, vous abaissant devant sa Majesté pour recevoir les effets de sa miséricordieuse justice qui vous purifie par son éternel amour.
dolorosa, à ce que cette Mère de douleur et de compassion nous rende Je ne doute pas que votre peine ne soit grande vers le sujet que vous savez, c'est bien fait de vous faire violence, il faut dompter la nature, notamment en ces occasions où nous voyons clairement la vertu.
conformes au Coeur de son Fils crucifié. Il est vrai que, dans nos exer- Tenez-vous bien joyeuse et tâchez de vous fortifier ; ne négligez
cices derniers, j'ai changé les roses en épines très poignantes dont j'ai ressenti de très vives piqûres. Je ne me soucie pas de quoi je souffre, pourvu que je sois fidèle à Dieu et qu'avant mourir je sois parfaitement délaissée à son Coeur divin. (1) Mère Louise de l'Ascension ou Angélique de la Nativité de Mangeon, toutes les deux professes, du monastère de Rambervillers, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 64.
Je finis, ma très chère Mère ; voilà une longue importunité que vous recevez de moi, je vous en demande mille pardons. Je vous supplie ( (2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Celle-ci entrée au monastère de Rambervillers en avril 1629, y fait profession à 23 ans. Prieure en 1637, elle cherche refuge à Saint Mihiel avec les plus jeunes membres de sa communauté en 1640, puis à Paris, où elle rejoint Mère Mectilde à Noël 1642. En 1647, elle retourne en son monastère puis rejoint définitivement Mère Mectilde à Paris en 1653. Sous-prieure de la rue Cassette, prieure de Toul, puis du second monastère de Paris, elle a toujours été l'appui le plus ferme de Mère Mectilde. A partir de 1692, elle n'est plus mentionnée dans aucune correspondance. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 222.
humblement de prendre la peine de saluer mes très chères Mères et
Soeurs, je les prie de ne point oublier leur indigne servante. Croyez-
moi. ma très chère Mère, que c'est à mon grand regret que notre Révé-
rende Mère Prieure vous a quittée. Il faut croire qu'il n'est plus possible de vivre à Saint-Mihiel, puisqu'elle en sort. En outre le désir qu'elle a du bien de la pauvre maison de Rambervillers lui fait prendre beaucoup de peine. Sa personne étant ici, elle pourrait faire auprès de Madame l'Abbesse et avec Monsieur Guérin que plusieurs de mes soeurs seront placées en de bonnes abbayes (5). Quant à vous, ma très chère Mère, je vous souhaite au lieu que j'ai ci-devant dit. Je vous en écrirai quelque jour plus particulièrement. Je vous conjure de m'envoyer tous les jours en esprit votre bénédiction et de me tenir à vos pieds lorsque vous serez devant Dieu pour me sacrifier à lui en qua-
lité de votre
Monsieur Guérin vous salue ; il ne vous oublie point en ses prières, • il vous prie de faire le même pour lui. Je lui ferai vos saluts.
n.' 1269 N248
(5) Cf. C. de Bar. Documents, 1973, p. 57.
Sceau de
126 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 127
point votre santé. Je suis bien aise que nos bonnes âmes de Caen (3) ne sont encore venues ; je pense que nous les verrons, s'il plaît à notre bon Dieu, car notre Mère veut partir la première semaine de Carême. Donnez quelque relâche à votre esprit en le divertissant quelquefois afin de soulager votre faible nature.
Je vous dis adieu, je vous laisse à Dieu et vous assure qu'en son saint amour je vous serai sans finir, votre etc...
Il " 1447 D13
(3) Peut-être Jean de Bernières-Louvigny ou le Père Jean Eudes
PROMESSE ÉCRITE DE MÈRE MECTI LDE
AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS QUAND ELLE FUT ENVOYÉE A CAEN (1)
Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le 23 mai 1647
X")ous, Soeur du Saint Sacrement, très indigne religieuse du monastère . de Rambervillers en Lorraine, prosternée aux pieds sacrés de Jésus Christ, aux desseins adorables duquel je m'abandonne sans réserve, faisons la promesse et protestation suivante à notre très Révérende Mère Prieure et à toutes les Mères et Soeurs de notre sainte communauté, conformément au bon plaisir de Notre Seigneur, savoir : ne les quitter, ni abandonner jamais pour me tirer hors de leur sainte compagnie par mon choix, par mon mouvement, par mon élection, ou persuasion quelconque, leur promettant leur être fidèle jusqu'à la mort et de les servir toutes, selon la puissance qu'il plaira à Dieu me donner, en reconnaissance de la grande grâce qu'elles nous ont faite de nous recevoir dans leur sainte communauté.
Me prosternant derechef aux pieds de toutes, en général et en particulier, leur demandant pardon très humblement de toutes les peines et mauvaise édification que je leur ai données, je les supplie pour l'amour de Jésus Christ et de sa très sainte Mère, de me continuer leur sainte amitié et me tenir toujours pour membre de leur corps, quoique très indigne d'une telle grâce, leur protestant derechef que je n'ai point d'autre volonté que de mourir avec elles, si tel est l'ordre et le dessein de Dieu, en la présence duquel et par son amour j'ai fait et signé la présente promesse à Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le vingt troisième Mai l'an mil six cent quarante-sept.
no 2369 P101 ajoute : l'original est conservé au monastère de Rambervillers.
(I) Envoyée à Caen pour établir la réforme dans le monastère des Bénédictines de N. - D. de Bon-Secours. Mère Mectilde doit s'engager à n'y résider que temporairement, son monastère de profession ne voulant à aucun prix se séparer d'elle. cf. C. de Bar. Documents. 1973. p. 67 - 68.
ACTE PAR LES VICAIRES GÉNÉRAUX DE BAYEUX
8 juin 1647
Nous Vicaires Généraux de l'Evêché de Bayeux, le siège vacant, à la Mère Mectilde du Saint Sacrement, Professe du Monastère de Rambervillers en Lorraine, Ordre de Saint Benoît, et de présent demeurant au Monastère de Saint Maur des Fossés lès-Paris. Nos chères filles les Religieuses de Notre Dame de Bon Secours de la ville de Caen, du même Ordre de Saint Benoît, vous ayant canoniquement élue et choisie par leurs suffrages, en la confiance qu'elles ont en votre prudence et charité, pour leur Prieure, l'espace de trois ans, nous vous donnons permission, après avoir reçu les obédiences nécessaires de vos Supérieurs, de venir dans le dit Monastère de Notre Dame de Bon Secours de la dite Ville de Caen, et, louant et approuvant la dite élection ou postulation faite de votre personne par les dites Religieuses, nous vous autorisons pour y exercer la dite
charge de Prieure pendant le dit temps, priant Dieu qu'il vous donne sa sainte grace pour vous en
acquitter dignement.
Donné à Bayeux, sous le sceau du Chapitre de l'Eglise Cathédrale de Notre Dame du dit Bayeux le huitième jour de Juin mil six cent quarante sept.
Les Vicaires Généraux
et plus bas par le commandement de Messieurs les Vicaires Généraux.
A. Hüe, Notaire Apostolique
CONVENTION FAITE AVEC MONSIEUR LE GRAND VICAIRE DE BAYEUX
12 août 1649
Je, Soeur Bernardine de la Conception, Prieure du Monastère de la Conception de Notre Dame de Rambervillers, Ordre de Saint Benoît, consens que la Mère Mectilde du Saint Sacrement, Religieuse professe du même monastère, demeure encore Prieure des Religieuses Bénédictines de Caen, fondées par Madame de Moüy, jusqu'à la Saint Jean Baptiste de l'année 1650, à condition toutefois, et non autrement, que la Communauté ne pourra après le dit terme expiré, ni par soi, ni par l'entremise de qui que ce soit, s'opposer à son retour en notre maison de Rambervillers aux premières obédiences qui lui seront envoyées. A quoi, pour obvier aux difficultés qui pourraient naître et aux instances que l'on pourrait faire, je supplie très humblement Monsieur le Grand Vicaire de Bayeux, Monsieur l'Abbé de Barbery, Madame de Moüy et les Religieuses de cette communauté, de se vouloir obliger, en signant le présent écrit, que je garderai vers moi pour m'en servir en temps et lieu et en cas de besoin.
Fait au dit monastère de Notre Dame de Bon Secours de Caen ce 12 Août 1649.
Nous, Vicaire Général de Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Evêque de Bayeux, acceptons la condition et les autres contenues en ce présent écrit. Le 12 Août 1649.
« M. Rocher (1) de Barbery.
Madeleine de Moüy, Sr Marie de Saint Benoît, Sr Scholastique de Saint Jean, Sr du Saint Sacrement, Sr Catherine de Jésus, Sr Anne de Saint Maur, Sr Marie Madeleine de Saint Placide, Sr Marguerite de Saint Joseph, Sr Marie de l'Incarnation, Sr Marie des Anges ,.
( 1) Dom Louis Quinet (1595-1665) fut abbé de Barbery de 1639 à 1659. Monsieur Rocher était peut-être l'un de ses religieux, Abbé G.-I-1. Simon, Dom Louis Quinet, abbé de Barbery, L. Jouan et R. Bigot, Caen, 1927, et C. de Bar, Documents, 1973, p. 63 et suiv.
Pour ces deux pièces : Acte et Convention avec l'évéché de Bayeux, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 67-69.
128 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 129
FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS
en résidence à Saint-Maur-des-Fossés
[de Rambervillers, fin 1650]
... Courage donc, ma très chère Mère, rendez-vous toute à Jésus Christ, la grâce duquel vous tirera de vous-même. Je vous conseille de vous exposer tous les jours à la puissance de Jésus au Très Saint Sacrement et à ses anéantissements suprêmes. Suppliez cette divine toute-puissance de vous attirer fortement, de rompre vos chaînes et de détruire en vous tout ce qui est contraire au règne de Jésus Christ. N'écoutez plus les plaintes et les tendresses de votre amour-propre, qui, par une compassion trompeuse vous détourne de votre salut et vous rend chiche au regard d'un Dieu qui, après vous avoir tout donné, se donne si libéralement et amoureusement soi-même.
Goûtez un peu, ma très chère Mère, la suavité de Dieu et vous n'aurez plus de répugnance de vous séparer de tout ce qui peut déplaire à Dieu. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ». Gardez-vous des reproches qu'il fait par ces paroles d'un prophète : « Ils se sont creusés des citernes d'eau bourbeuse et m'ont laissé, moi qui suis la fontaine des eaux vives (1) ». Hélas ! combien de fois nous nous sommes creusés des citernes bourbeuses et fangeuses par notre amour-propre et l'amusement des créatures qui nous retirent de Dieu ! Allons à la source, ma très chère Mère, allons à Dieu, ne nous arrêtons plus à la créature. Voyez depuis combien d'années il nous attend avec une patience admirable, nous donnant tous les jours de notre vie pour nous convertir et nous purifier de nos fautes. Les sacrées plaies de Jésus Christ nous sont ouvertes pour y puiser la pureté de son divin Esprit que je vous désire, et que vous vous rendiez toute à lui, ma très chère Mère.
Résolvez-vous d'être totalement morte à tout le créé, car les créatures ne méritent pas notre coeur, ne pouvant nous donner ce qu'elles n'ont pas. Je vous supplie de demander à Dieu une grâce pure et efficace pour vous soumettre à tout ce que sa puissance et sa sainteté veulent faire en vous. Qu'elles y opèrent un parfait anéantissement et que votre fond intérieur étant bien purifié, le règne de Jésus Christ y soit glorieusement établi comme Souverain ; qu'il triomphe de vous et de votre être ! C'est ce que je le prie de faire en vous et vous combler de ses grâces et de ses miséricordes. Je vous supplie me donner toujours part en vos saintes prières et de m'obtenir du Ciel quelque part aux grâces et aux bénédictions que je vous souhaite avec abondance.
Je ne vous mande rien de St N. La visite n'y est pas encore faite. Ce que vous savez commence de s'anéantir, je crois qu'il ne passera pas plus avant. Je vous promets de vous mander fidèlement ce que j'en apprendrai. Nos Pères de M... sont très affligés ; notre Mère Sous-Prieure vous racontera l'histoire.
Toute la pauvre Lorraine périt si Dieu par un miracle ne la soutient ; vous apprendrez bien des misères.
Sans doute vous serez étonnée de voir cette bonne Mère, mais vous saurez aussi le sujet de son voyage. Certes, nous avons bien des maux en ce désolé pays ; priez Notre Seigneur qu'il en tire sa gloire. Toute la Communauté vous salue d'affection, et moi je vous embrasse en l'amour de Notre Seigneur, par lequel je suis toute votre fidèle et très affectionnée.
no 292
(1) Jer. 2,13.
A LA REVERENDE MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION I DE BRÊME 1
en réponse d'une de ses lettres du 7ème novembre 1650
alors réfugiée à Sélestat en Alsace
de Rambervillers, 9 novembre 1650 (1)
Ma toute chère Mère,
e vous fais ces mots en hâte, parce que la divine Providence nous
fournit une occasion pressée, et j'ai désiré vous assurer que j'ai reçu fidèlement celle que votre charité m'a fait la grâce de m'écrire en date du 7è du courant, la lecture de laquelle me donne un très grand sujet de louer Notre. Seigneur des grandes miséricordes qu'il fait à votre âme de vous instruire par lui-même des sacrés sentiers de l'oraison. Je vous conjure de lui être fidèle. li est vrai que, lorsque la passivité est entière, l'âme n'a. point de peine d'être longtemps à l'oraison ; je voyais bien que votre âme y était encore opérante, quoique délicatement. Ne vous étonnez pas de voir cet abîme de malice en vous ; c'est une grâce et une lumière annexées à l'état de question et qui opèrent un anéantissement profond. Gardez-vous d'aucune activité sur cette vue de péché, non plus que sur l'autre qui, en vous manifestant les fautes que l'on commet en cet état, vous fait voir que vous avez un pied dans l'enfer.
Recevez ces lumières passivement, et vous rendez à la fidélité de la pure grâce qui vous mène à la parfaite mort de vous-même, et dont vous êtes, en quelque manière, encore très loin. Dieu fera son ouvrage ; laissons-le opérer selon ses desseins. Cet état, dans sa réalité, ne peut jamais produire de vanité, mais il n'empêche pas la connaissance véritable de nos misères, voire il la découvre. Si l'humilité n'est pas
(1) Mère Mectilde avait été élue prieure de son monastère de Rambervillers à la fin de son triennat à Caen. Elle rejoignait la Lorraine en septembre 1650. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 68.
130 CATHERINE DE BAR
assez dans votre âme, la main toute-puissante de Dieu l'y établira. Ayez patience et, sous prétexte de ce défaut que vous remarquez en vous, gardez-vous des opérations propres, secrètes, de votre esprit. Souffrez passivement la vue de votre fond de malice quand elle vous est donnée ; mais je vous prie ne vous y point appliquer par vous-même, ni par votre propre esprit.
Quand le trait de la grâce est puissant et qu'il fait cessation de toutes opérations en l'âme, il n'y a point d'instruction pour lors à prendre, sinon de se laisser abîmer.
Cette« parole qui vous a été dite par rapport à la grande pénitente Thaïs (2) est réelle et procède d'un bon principe, lequel aura son effet; vous l'avez compris dans la vérité. Je vous conjure d'y être fidèle.
Cet état demande une grande pureté de vie, qui n'est autre que de se laisser mourir à toute heure et en toutes choses. Ce degré de grâce que vous vîtes une nuit, être donné à certaines âmes, etc..., vous doit encore marquer plus particulièrement l'obligation que vous avez d'être fidèle à votre voie. C'est par là que Dieu veut absolument que vous marchiez. Je vous en donne assurance de sa part et vous ordonne autant que sa Providence et sa toute puissance me donnent d'autorité sur vous, de vous y rendre fidèle, selon l'attrait et la grâce que la divine miséricorde verse dans votre âme si abondamment. Voilà ce qu'il m'est permis de vous dire sur ce sujet, vous priant de nous mander de temps en temps, si toutefois vous le pouvez, ce que Notre Seigneur fait en vous ; *non que je veuille que vous remarquiez les opérations que sa grâce fait en votre âme, mais vous entendez bien ce que je veux dire en ce point.
Quant à l'attrait que vous avez toujours de n'être point ici avec moi, hélas ! ma très chère Mère, c'est la grande impureté de mon âme qui vous en fait retirer, car si ma présence vous fait commettre des infidélités, je ne vous la veux jamais procurer et j'aime mieux que les paroles que la bonne âme m'a dites soient sans effet et anéanties, que de contribuer en aucune sorte à la moindre imperfection que vous pourriez commettre. Dieu seul sait à quel point votre âme m'est chère et combien il m'a donné d'affection pour vous, mais s'il veut me réduire dans une privation entière, je consens à tout, lui seul me doit suffire pour le temps et pour l'éternité. C'est assez que vous m'obteniez de sa miséricorde de lui être fidèle et de me laisser comme vous totalement ané-
antir.
'r) 1751
(2) Egyptienne, vivait vers le milieu du IVe siècle. Courtisane, elle est convertie par saint Paphnuce, celèbre anachorète de la Thébaïde. Elle demeura enfermée dans une cellule pendant 3 ans, ne se nourrissant que de pain et d'eau et répétant sans cesse pour toute prière : «Vous qui m'avez formée, ayez pitié de moi». Le temps de sa pénitence terminé, Paphnuce la fit sortir de sa cellule. Elle mourut quinze jours après. On célèbre sa fête le 8 octobre, cf. J.B. Claire, Dia. universel des sciences écclésiastiques. Poussielgue, 1868, p. 2255.
LETTRES INÉDITES 131
A LA MÊME en Alsace
[Février 1650]
Ma très chère Mère,
`T e suis en peine si vous avez reçu mes dernières, lesquelles contenaient beaucoup de choses, tant pour les réponses de deux de vos chères lettres que pour mon particulier. Je vous y faisais aussi mes adieux, doutant si je pourrais encore vous écrire avant mon départ ; mais la Providence veut que je possède encore cette satisfaction, m'en donnant le loisir parmi la presse de beaucoup d'affaires qu'on a coutume d'avoir lorsqu'on est sur le point de voyager.
Disons donc sur le premier article de votre dernière lettre, que touchant le respect avec lequel je vous traite, je vous assure n'en avoir aucun scrupule, et ne crois pas contrevenir à l'attrait de la grâce en agissant de la sorte avec vous ; et si cela vous peine d'une sorte, il vous humiliera d'une autre. Je ne puis traiter autrement avec vous, ni même avec d'autres, car les âmes qui tendent à Dieu ont un je ne sais quel rapport à Notre Seigneur Jésus Christ qui m'oblige à respecter, non les âmes simplement, mais la grâce de Jésus Christ opérant en elles. Ce n'est donc pas vous que je respecte en tant que créature, mais Dieu essentiellement régnant en vous. Voilà pour le premier point,
et vous devez ne faire point de retour là-dessus.
Secondement, vous dites que vous avez ressenti les effets de notre assistance, jointe à la miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous enseigner, et que jamais vous n'auriez entré dans la voie etc... J'avoue que la Providence s'est voulue servir de moi pour vous, comme elle fit autrefois d'une ânesse pour enseigner un prophète (1). Elle se sert de qui il lui plaît, des bêtes et des créatures. Il faut toujours demeurer dans le néant et croire que, si Dieu ne m'avait envoyée vers vous, il vous aurait instruit plus efficacement lui-même, ou aurait suscité d'autres âmes à vous aider à développer votre sentier. J'ai une grande consolation de vous y voir entrer et persévérer. Il est vrai qu'il se faut toujours défier de soi-même, mais il faut aussi beaucoup s'abandonner et ne se point tant réfléchir.
Soyez très simple dans les diverses dispositions, et très passive aux différents attraits de la grâce et mouvements du Saint Esprit. Tous les différents attraits que vous expérimentez sont bons, mais gardez-vous seulement - sans pourtant vous distraire ni gêner - de l'activité de votre esprit, par l'habitude qu'il a prise d'aspirer aux biens et perfections intérieurs. Donnez votre temps d'oraison au sacré silence d'esprit selon l'attrait, mais discrètement pourtant ; n'atténuez point votre corps et
ne soyez trop à charge à votre prochain en vous rendant
(I) Nm. 22, 22 - 35
132 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 133
Je comprends très bien tout ce que vous me dites, mais tenez-vous paisible ; vous êtes bien, tâchez de persévérer et de vous laisser dans la main de Dieu.
Oui, ma très chère Mère, Notre Seigneur veut détruire votre être ; c'est son dessein, et la fin de son oeuvre. Soyez très passive à son opération, vous n'avez qu'à le laisser faire. En vous écrivant, ma toute chère Mère, j'ai été interrompue plus de cinquante fois ; je vous prie, excusez les fautes que j'ai pu faire, il ne fait pas bon écrire les matières de pur esprit dans les tintamarres des affaires temporelles.
Je vous renvoie votre billet qui exprime votre vocation à l'état que vous savez, vous y devez être très fidèle et ne jamais plus hésiter là-dessus ; toutes les tentations de doutes, etc... n'en tenez aucun compte, et tout ce qui vous retirera ou détournera de ce bénit état, tenez-le pour tentation et n'y faites aucune adhérence. S'il est possible, mandez-moi promptement si vous avez reçu ma dernière lettre du R.P. Dom Arnould (2), elle contenait quatre grandes pages de mon écriture ; ce serait pour moi une très bonne mortification si elle était égarée ou perdue ; elle est cachetée de fil blanc et de papier entortillé ; prenez garde si elle aura point été décachetée.
Je vous supplie, ma très chère Mère, de vous rendre à Notre Seigneur pour le prier qu'il nous conduise dans notre voyage. Je vous supplie me recommander à toutes les bonnes âmes que vous connaissez, surtout aux bonnes religieuses (3) que je salue d'une très grande affection et leur rends derechef un million d'humbles remerciements de toutes les bontés qu'elles nous ont fait l'honneur et la grâce de nous communiquer. Je ne les oublierai point devant Notre Seigneur ni Madame Hermand, ni vos autres bienfaitrices.
Etant à Toul, je ferai dresser votre obédience, et étant à Paris, je vous
manderai de mes nouvelles et ce que la Providence nous y fera rencontrer. L'on parle d'une paix générale. Si Notre Seigneur nous la donne,
nous nous reverrons bientôt, si toutefois il lui plaît de vous conserver. Nous partirons pour certain vendredi 'prochain au plus tard, etc...
nu 1480
•
(2) Dom Romain Arnould était né à Verdun. 11 fut profès cje.Saint-Mihiel le 6 août 1632, deux fois
prieur de Saint-Vanne et Abbe de Saint-Airy, trois fois président de la congrégation réformée des Saints-Vanne-et-Hydulphe. 11 meurt à Saint-Vanne le 11 août 168. - II a été longtemps le visiteur du monastère de Rambervillers. Cf. J. Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, archives de la France monastique, Ligugé, 1925, p. 4.
(3) De 1245 à 1790 a existé à Sélestat un couvent de Dominicaines, dit de Sylo, dont les bâtiments servent maintenant d'hospice. Il était en général prospère. On y pratiquait bien l'hospitalité : chaque fois que Turenne séjournait dans la forteresse de Sélestat, il tenait à loger chez les Dominicaines. C'est sans doute là aussi que Mère Benoite a été reçue. Renseignements fournis par M. l'abbé P. Adam, conservateur de la Bibliothèque humaniste de Sélestat.
A LA MÊME
[de Rambervillers] 27ième février 1651
Ma toute chère Mère,
dy- orsque la Providence me fournit un moment de loisir, je l'emploie
à me consoler avec vous. Le R.P. Dom Arnould m'a apporté les vôtres, par lesquelles j'apprends le très grand accident survenu à ma Soeur Jeanne [de la Croix Parmontel . J'en suis très marrie, et c'est un miracle qu'elle n'a pas été tuée. Notre Seigneur l'a conservée dans cet accident pour lui donner moyen de se sanctifier. C'est avec déplaisir que je ne l'emmène point avec nous à Paris. J'en avais bien le désir, mais notre Sous-Prieure dit qu'il faut attendre que vous alliez aux Hermittes (1), pour la faire revenir ici avec la mère Joseph [Som-mien et, après Pâques, elle nous viendra joindre à Châlons où une partie de nous demeurerons un mois ou six semaines, pour y procurer ou un refuge ou une bonne quête. Notre Mère Sous-Prieure m'a promis qu'elle nous l'enverra, si elle n'y a point de répugnance, avec ma Soeuç Dorothée [Heurelle] (2) qui veut aussi venir après nous. Je vous supplie de lui dire ces choses et la saluer de notre part ; je ne l'oublierai point. Je lui enverrai son obédience que je ferai faire. à Toul avec la vôtre.
J'ai reçu le paquet que vous açlre.ssez au R.P. de Lescale (3) ; je lui donnerai fidèlement.
(1) II y avait au XV I le siècle, un pélerinage à Notre-Dame des Ermites, à Einsiedeln, très fréquenté ptr les Alsaciens. Plusieurs moines de la célèbre abbaye étaient Alsaciens. On a retrouvé des traces du passage des pélerins sur les routes des cols des Vosges. (Renseignement communiqué par le R.P. Joachim Salzgeber, archiviste de l'abbaye bénédictine d'Einsiedeln). Saint Meinrad, 797 - 861, est à l'origine de ce pélerinage. Ce saint ermite de la famille des Hohenzollern, retiré dès l'âge de 30 ans dans les montagnes au-delà du lac de Zurah, puis derrière l'Etzel, avait un pouvoir extraordinaire sur la nature. Les fidèles affluèrent vers le saint ermite. Hildegarde, fille de Louis le Germanique lui fit bâtir une chapelle et lui offrit une vierge noire à laquelle on attribua de très nombreux miracles : le pélerinage de Notre-Dame des Ermites était né ; cf, Mgr Paul Guérin, Vie des Saints, Paris, 1896, t. 1, p. 344.
( (2) Mère Catherine de Sainte Dorothée Heurelle, professe du monastère de Rambervillers. Elle fait partie du petit groupe des réfugiées à Saint-Mihiel, en 1642. Mère Mectilde la fait recevoir à l'abbaye de Saint-Cyr, près de Versailles, puis à Vignas. Elle est à Saint-Maur des Fossés de 1643 à 1646 et accompagne Mère Mectilde à Caen à titre de maîtresse des novices, de 1647 à 1650, puis rentre avec elle à Rambervillers. Elle signe plusieurs actes en qualité de sous-prieure jusqu'en 1666. Nous la retrouverons souvent dans la correspondance de Mère Mectilde, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 et suiv.
(3) Dom Antoine de Lescale ou de l'Escale, né à Bar-le-Duc, fait profession chez les bénédictins de la réforme des St Vanne-et-Hydulphe à Moyenmoutier le 7 novembre 1617. Prieur de Senones en 1624 - 1625, il va à Rome en 1625. Il est successivement prieur de Moyenmoutier, du Saint-Mont, de Saint-Mansuy et de Saint Eyre de Toul et de Senones. Visiteur de Champagne en 1639, de Lorraine en 1641, 1645, 1652. Il est nommé le premier, prieur de la réforme à Munster (14 mars 1659 à 1663). Il fait un long voyage en Allemagne, d'avril 1665 à juin 1666, recherchant les manuscrits de l'imitation de Jésus-Christ. Il est de nouveau prieur de Senones de 1665 à 1666, où il meurt le 8 avril 1667 ; cf. J. Godefroy, Bibliothèque des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne-et-Saint-Hydulphe, Ligugé-Paris, 1925, p. 128 et C. de Bar, Documents, 1973, p. 16 note (15).
134 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 135
Pour ce qui est de Saint-Jean-des-Choux (4), je l'abandonne à la Providence. Je crois pourtant que l'archiduc peut tout et mon frère a grande affection pour la lui demander. Pour moi, Notre Seigneur me dépouille de tous desseins ; nous verrons ce que la bonne âme nous dira. Je sais bien qu'elle s'étonnera de notre séparation et qu'elle sera touchée, autant qu'elle le peut être, du sujet qui m'y oblige, mais si elle nous dit qu'il faut vivre et mourir ensemble, c'est-à-dire vous avec nous, le voulez-vous, n'y serez-vous point opposée ?
Je ferai avant que de sortir, ce que vous désirez devant la sainte image de l'Ecce Homo.
Ma soeur (5) m'avait promis de vous aller voir, mais son mari l'a mandée en diligence ; c'est ce qui l'a privée du bonheur de vous voir.
J'ai, ma très chère Mère, répondu à toutes vos chères lettres, mais je ne sais si vous lisez bien ce que je vous écris; ma soeur de Sainte-Madeleine de Saint Joseph MAIRE vous peut aider.
Ecrivez donc à la borine âme candidement et très cordialement, selon le mouvement que Notre Seigneur vous en donnera ; écrivez aussi à Mr de Barbery (6), et adressez le tout à la Mère Gertrude pour me les envoyer promptement, car nous partirons mercredi pour l'assurée et voici la dernière fois que je vous écrirai ici. Je ne vous ferai point d'autre adieu que de vous laisser dans Dieu, avec Dieu, puisque son saint amour nous rend pour jamais inséparables. Je vous conjure en lui et pour lui, de m'être fidèle.
Il est vrai, ma très chère Mère, que la vraie récollection, ou plutôt le recueillement de l'âme en Dieu, est bien rare et de peu de durée en cette vie. 11 sera sans interruption dans la bienheureuse éternité. Dans cet état de paix et d'anéantissement, l'âme prie en criant bien haut, quoiqu'en silence et sans dire mot. Demeurez dans cette paix puisque Dieu vous y met, et laissez tout le reste à son amoureuse Providence. Portez cette crainte que Dieu permet que vous ressentiez, l'âme qui se laisse et abandonne toute à Dieu ne peut jamais périr ; mais puisque Notre Seigneur vous tient dans cette peine sans inquiétude, portez-la sans y faire beaucoup de retour.
Vous êtes bien, et devant Dieu et ses anges, j'en réponds. Bien que je sois une très abominable pécheresse, je prends la hardiesse en sa divine Présence de vous parler ainsi, d'autant que çà a été par son
(4) Abbaye bénédictine au nord de Saverne (1126-1791). Le fondateur et propriétaire en était le comte de Lutzelbourg. A 'l'époque de Mère Mectilde, l'évêque de Strasbourg, ou plutôt l'administrateur du diocèse (il n'était même pas prêtre) était l'Archiduc Léopold II d'Autriche (1625-1662). Renseignement fourni par A.P. Adam.
(5) Marguerite de Bar, soeur ainée de Mère Mectilde, qui avait épousé le colonel Dominique Lhuillier. Ce dernier se trouve sur la liste des lieutenants du duc chargés de la ville de Saint-Dié, gouverneurs des portes et du château. Or le lieutenant de Saint-Dié prenait le titre de « Prévôt en chef et capitaine » des châteaux ducaux de la cour (à Saint Dié) puis de Spitzemberg. Le frère dont parle Mère Mectilde est ce colonel Lhuillier. (Renseignement fourni par Mr A. Ronsin, Conservateur de la Bibl. mun. de Saint Dié), cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 13 note (5).
(6) Dom Louis Quinet, abbé de Barbery, près de Caen, jusqu'en 1659, décédé le 2 janvier 1665, âgé de 68 ans. Il fut un grand artisan de la réforme monastique au XVII" siècle. cf. Abbé G.-A. Simon,
Dom Louis Quinet, op. cit.
ordre de tout ce que je vous ai dit, et que vous tâchez de suivre. Vous en verrez un jour la bienheureuse fin dans votre consommation.
A Dieu, en Dieu, puisque c'est lui seul qui doit être ; que tout le reste soit anéanti et que nous soyons en lui une, éternellement !
Sr du Saint Sacrement
Je salue de tout mon coeur toute votre chère compagnie et me recommande à leurs saintes prières. Ma Sr de Jésus [Chopinell se porte assez bien Dieu merci. Elle est bien joyeuse de venir avec nous. Je suis très mal satisfaite de ma Sr M. Je n'y ai reconnu qu'un grand aheurtement et...
Je salue en particulier, ma ,chère Mère de Sainte Madelaine, et vous la recommande ; tâchez de vous conserver et m'écrivez souvent et à notre Mère Sous-Prieure. Sr Marguerite [de la Conception de Les-cale] (7) demande réponse des lettres qu'elle vous a écrites.
Sr Barbe promet de faire merveille pour m'obliger de revenir.
no 2154
(7) Nièce de Dom de Lescale. Elle est envoyée à Saint-Maur des Fossés avec Marguerite Chopinel pour y parfaire son éducation et la préserver de la guerre en Lorraine. Elle fait profession à Rambervillers vers 1647 - 1648 et accompagne Mère Mectilde à Paris lors de son retour définitif en mars 1651.
Elle devra retourner à son monastère de profession en novembre 1659, comme on le voit d'après la
correspondance de son oncle : cf. Journalier de Dom de Lescale, Arch. dép. du Haut-Rhin, Colmar H Munster 34/3 n»2, p. 9 et suiv.
A UNE DEMOISELLE POSTULANTE qui était sur le point de prendre le Saint Habit au monastère de Rambervillers
Paris, 27 septembre 1651
Mademoiselle,
Ou plutôt ma très chère Soeur (1), puisque la grâce de Jésus Christ nous lie en son saint amour par une espérance de vous voir un jour engagée dans une même profession que nous. Les nouvelles que j'en ai reçues me donnent une joie très grande et votre persévérance dans les combats me fait espérer qu'un jour Dieu tout bon vous comblera de ses miséricordes et établira dans la sainteté qu'il désire de vous, si vous lui êtes fidèle.
( I) Catherine Thérèse Bagnerelle. Lorsque Mère Mectilde quitta Rambervillers en mars 1651, une jeune fille, que ses parents avaient confiée aux religieuses en attendant son Mariage, vint se jeter aux pieds de la supérieure. Mère Mectilde la bénit et lui prédit qu'elle serait un jour une de ses filles. Le comportement de la jeune fille ne paraissait pas alors la prédisposer tant soit peu à la vie religieuse. La vénérée Mère était cependant éclairée de Dieu, car la jeune fiancée quittait tout peu après et faisait profession au monastère de Rambervillers, le ler janvier 1653. Elle sera sous-prieure vers 1666 et prieure en 1670. (Archives au Monastère de Rouen, manuscrit coté Paris 101).
136 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 137
Ce n'est pas assez d'avoir triomphé du monde, il faut encore vous armer contre vos autres ennemis. Vous avez le démon et vous-même
qui seront toujours animés de furie. Mais si vous voulez suivre le Saint Esprit et les conseils que l'on vous donnera pour votre perfection, vous vous rendrez victorieuse et Dieu se glorifiera en vous.
Considérez bien que Notre Seigneur ne vous a donné la urâce de persévérance dans vos bons desseins que pour vous rendre fidèle à ses divins attraits et aux sacrés mouvements de son Saint Esprit. Vous avez besoin
lè. d'un grand couraue ou plutôt d'une forte résolution de vous rendre à Dieu à quelque prix que ce soit, sans en jamais démordre, ni vous en relâcher sous quelque prétexte que ce soit. La détermination forte et généreuse dans le commencement fait des merveilles, et le démon craint une âme animée de courage et de résolution.
2è. Quelque tentation qui vous arrive, ne vous découragez jamais ; ouvrez votre coeur à votre Mère Maîtresse ou Supérieure comme à Jésus Christ, et vous accoutumez de faire une haute estime des avis qu'on vous donnera ; et surtout aimez l'obéissance et établissez votre bonheur à être la victime du bon plaisir de Dieu.
3è. Ayez un grand respect pour votre sainte Règle et honorez tous les exercices d'icelle, et faites grand cas de tous les plus petits points de perfection qui vous seront enseignés.
4è. Je vous conseille de prendre à tâche de devenir comme un petit enfant entre les mains de la sainte Providence, vous exerçant à faire souvent des actes d'abandon de vous-même aux dessein.s de Dieu qui
• vous sont inconnus, afin que, dans le temps que Notre Seigneur les consommera en vous, il y trouve le consentement qu'il désire de votre part.
5è. Je vous supplie d'avoir une entière et parfaite confiance en Dieu. Vous avez bien sujet de vous y confier, après tant de grâces qu'il vous a faites : mais que votre confiance ne soit pas dans les sens, mais dans la pure foi. J'espère beaucoup de sa bonté pour vous, mais vous avez besoin d'un grand courage et d'une sincère fidélité.
6è. Défiez-vous de votre propre esprit et ne croyez jamais avoir plus grand ennemi que vous-même. Craignez votre propre volonté comme l'enfer. Aimez l'humilité et la douceur d'esprit. Soyez condescendante par esprit de charité et jamais ne sortez intérieurement ni extérieurement, du respect que vous devez avoir pour la religion et pour les choses saintes.
Je ne sais pourquoi je prends la liberté de vous dire ces choses, mais c'est l'expérience que j'ai - à mon grand regret qu'une âme qui commence lâchement ne fait jamais rien qui vaille ; d'autant que la nature la tire toujours en bas et la retire facilement des choses saintes. Oh ! qu'il est important de bien commencer, de vous jeter à corps perdu entre les bras de Dieu, et vous faire de bon coeur sa victime ! Mais souvenez- vous que la victime est liée, menée au lieu du sacrifice, puis elle est égorgée et consommée par le feu.
Vous serez liée, ma très chère Soeur, par les saints voeux que vous espérez de faire et, par celui de stabilité, vous serez menée au lieu du sacrifice : c'est dans le cloître où Dieu vous appelle. Vous y serez égorgée par la pure mortification et abnégation parfaite de vous-même, et vous y serez consommée par le feu sacré que Notre Seigneur Jésus Christ est venu apporter en terre. Soyez donc à la bonne heure liée, égorgée et consommée, et qu'un jour nous ayons la grâce de nous voir toutes ensemble donner gloire à Dieu dans le Ciel.
Mais pour avoir ce bonheur il faut souffrir des tentations. Saint Jacques nous l'assure (2) et Notre Seigneur nous dit qu'il n'y a que ceux qui se font violence qui ravissent le Ciel. Faisons, ma très chère Soeur, violence à nos passions et demandons à Dieu la grâce de persévérance. C'est ce que je vous souhaite et que je tâcherai de lui demander pour vous, selon ma petite capacité. Je vous embrasse en son saint amour et le prie qu'il vous décore de ses divines grâces én abondance et qu'il vous fasse la miséricorde d'arriver à une haute sainteté.
Si j'avais l'honneur d'être auprès de vous, je vous dirais beaucoup d'autres choses assez importantes, mais nos chères Mères ne manqueront pas de vous dire plus que tout ceci et avec plus de grâce. Ecoutez-les avec respect et leur obéissez ponctuellement ; simplifiez beaucoup votre esprit. Enfin, soyez sainte de la sainteté de Jésus Christ, et je serai en lui toute vôtre et assisterai en esprit à votre cérémonie, pour y prier selon la grâce qu'il aura agréable me donner. Qu'il vous comble de ses plus saintes bénédictions, et qu'il vous donne tout ce qui vous est nécessaire pour être ce qu'il veut que vous soyez.
Je vous donne à la puissance du Père, je vous donne à la sagesse du Fils et je vous donne à l'amour du Saint Esprit, suppliant les trois divines Personnes de la très adorable Trinité de vivre et de régner en vous, et de vous abîmer en elles par Jésus Christ, en l'amour duquel je suis toute votre très affectionnée servante.
no 2538
(2) Jac. LI2.
A LA MÈRE BEN01.1E I.A PASSION Di: BRÊME]
Paris, ler mars 1652
J'ai lu et relu votre lettre contenant vos dispositions, et plus je les considère plus j'y remarque les effets d'une miséricorde toute particulière de Dieu sur votre âme, et je suis par icelle très confirmée d'une pensée que j'ai très souvent : qu'il fait bon s'abandonner à Dieu
(38 CATHERINE. DE BAR LETTRES INÉDITES 139
et que le défaut du secours des créatures nous est très avantageux, puisqu'il nous met en état de recevoir immédiatement de Dieu les instructions qui nous sont nécessaires sur notre conduite. Ma très chère Mère, Dieu ne vous manque point ; soyez lui très fidèle par une parfaite mort d'esprit. Le premier article vous y oblige puissamment, puisqu'il vous commande d'observer un silence si exact qu'il ne vous est pas permis de dire un seul petit mot, en quelque état que l'on vous mette, soit au Ciel, soit en la terre, soit aux enfers. Dieu se glorifie et prend ses délices dans une âme tout anéantie, il opère en elle et il y fait son ouvrage selon son bon plaisir. Toutes les différentes dispositions de votre état présent ne demandent de vous qu'une totale mort ; c'est l'unique chose que vous avez à faire : de vous laisser mourir. Vous avez la vraie intelligence du silence qu'on vous impose, c'est pourquoi je ne vous en dirai rien. Seulement je vous exhorte à faire peu de retours sur vos dispositions ; laissez-vous perdre et consommer.
Il est très bon pour votre âme que vous soyez sans lumières et sans connaissances, mais vous n'y êtes point encore tout à fait ; il faut y être encore davantage. Laissez-vous conduire à l'esprit de Dieu. Je suis très aise de vous voir éloignée des désirs de savoir et connaître ce qu'il opère en vous.
Sur la disposition, ou effet particulier, qui se passa durant la sainte Messe et qui fut interrompu pour alle'r au travail de la communauté, il est bon. ma très chère Mère, de préférer l'observance à notre satisfaction il se faut surpasser soi-même en telles occasions.
J'en dis de même des jours de la sainte Communion. Chantez l'office divin quand vos forces vous le pourront permettre et laissez opérer Dieu dans le secret ; l'office divin n'interrompt pas son oeuvre. Il y a un peu de privation pour nous, mais il faut la vouloir pour nous acquitter, pour l'unique respect de Dieu, de notre obligation. Soyez dans la récollection autant qu'il vous sera possible, mais ne vous rendez point insupportable à votre prochain. Je vous trouve secrètement attachée à l'intérêt de votre propre perfection. Soyez très libre, sans vous divertir de Dieu ; cette sainte liberté n'est pas encore bien établie en vous.
Communiez plus souvent que vous ne faites, si vous en avez l'attrait : l'obéissance vous le permet. Voilà, ma très chère Mère, ce que je puis dire sur vos dispositions. Je vous enverrai sur icelles les sentiments de plusieurs bonnes âmes, très éclairées dans ces voies. Vous savez mon incapacité, et si ce n'était en vertu de la charge que j'occupe, je ne mé serais pas mise en devoir de vous en écrire ; mais c'est par la vertu et puissance de Notre Seigneur Jésus Christ, lequel je supplie consommer son oeuvre en vous et vous donner la pensée de prier quelquefois pour celle qui est en son saint Amour toute à vous, ma très chère, et plus que très chère Mère.
Sr Mectilde du Saint Sacrement
Je vous supplie d'aider ma chère Mère de Sainte Madeleine dans ses besoins. Donnez-nous souvent de vos nouvelles, je vous en prie. Ma Sr de Jésus L Chopinell fait très bien.
n u 707
A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]
religieuse à Rambervillers
Paris, [probablement après la fin mai 16521
Ma très chère Mère,
faut que vous m'excusiez si je vous fait de si courtes lettres ;
.1, mon temps est si bref que je ne puis vous écrire tout ce que la nécessité et mon affection demanderaient, niais je vous prie d'agréer ce que la Providence nie donne pour vous, qui est un grand désir de vous voir bien établie dans la sainte perfection, bien abandonnée à sa conduite, et entièrement assujettie à ses desseins. Je vous exhorte, ma très chère Mère, d'aimer ce qui détruit votre amour-propre, vos intérêts et vos satisfactions. Perdez-vous autant qu'il vous sera possible, et soupirez de tout votre coeur après l'établissement du règne de Jésus Christ. N'épargnez rien de ce qui est en votre puissance pour le procurer en vous, et pour vous conserver en son amour. Toute autre chose que Jésus Christ n'est rien que misère et pauvreté et affliction d'esprit. Celui qui possède Jésus a une plénitude de toute chose et son repos sera une participation de l'état des bienheureux.
Courage, ma très chère Mère, allez à Dieu sans réserve, fidélité en tout.Qui dit tout n'excepte rien. C'est un Dieu que vousservez et que vous adorez. Jésus Christ mérite bien votre amour ; donnez-lui donc tout entier sans faire de partage, n'ayez point d'égard à votre amour-propre qui crie toujours dans la vue de ses intérêts. Dieu, DIEU, ma chère Mère, ET IL SUFFIT, DIEU SEUL PEUT CONTENTER UNE ÂME, MALHEUREUSE, ET MILLE FOIS MALHEUREUSE, CELLE QUI N'EST PAS SATISFAITE DE LUI. Allez à corps perdu dans la sainte obéissance. Exposez-vous discrètement lorsqu'on vous ordonne quelque chose que vous sentez répugner à vôs inclinations, et même à votre perfection. Après que vous aurez humblement représenté la crainte que vous avez d'y être infidèle, si elle persiste, abandonnez-vous, sans retour sur vous-même, vous confiant en la bonté de celui qui est votre force .et sans lequel nous ne pouvons rien faire. Agissez selon l'ordre de l'obéissance, mais toujours avec humilité, en la vue de Dieu, et dans une grande soumission à sa conduite. Si vous
140 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 141
demeurez appliquée à sa divine Présence, vous ne recevrez point de détriments de ce qui vous sera commandé. Gardez le plus qu'il vous sera possible la paix intérieure et la récollection d'esprit. Parlez néanmoins sans scrupule lorsque la charité le requerra, ou que l'obéissance vous l'ordonnera ou vous appliquera dans ces petites affaires de votre communauté et de vos offices. Soyez libre dans votre opération, et prompte à retourner dans votre application lorsque vous en aurez le loisir. Prenez garde à ne point vous diriger vainement ; tendez toujours à honorer Dieu dans tous les moments de votre vie, puisqu'ils ne vous sont donnés que pour ce sujet.
En votre oraison soyez adorante et humiliée aux pieds de Jésus Christ. S'il a agréable de vous donner de quoi vous occuper en ses divins mystères, faites-le en bénédiction. Si vous demeureï pauvre, aimez votre abjection et souffrez de bon coeur les états où la sainte Providence vous met. Votre oraison ne doit point tendre à votre satisfaction, mais à rendre à Dieu l'obéissance, le respect et les sacrifices que vous lui devez, ou le moyen de les lui rendre comme il faut. L'entier abandon à sa conduite en est le principal effet; et la suprême indiffé: rence le couronne, d'autant qu'il fait agréer à l'âme tout ce qui plaît à Dieu lui envoyer ; car ne faisant oraison que pour le seul plaisir de Dieu, elle [l'âme I sera toujours contente parce qu'elle ne veut que ce que Dieu veut. Je suis en son amour toute vôtre.
no 538 B505
A LA MÊME
Paris, 1652
Jésus anéanti soit votre force et la grâce de votre âme, pour vous souffrir vous-même et adhérer aux desseins de la sagesse éternelle sur vous !
'ai reçu les vôtres et, pour y répondre, je vous dirai que le peu de
loisir m'a empêchée de vous entretenir sur votre peine ; mais je vous en dirai à présent mes pensées. Je n'ai fait aucune estime de cela, et ce d'autant que le démon en peut faire bien davantage pour vous amuser, et qu'il fait trophée de vous distraire de Dieu sous prétexte de Dieu même. Laissez toutes ces choses pour vous humilier et agréez votre abjection ; mais l'agréer dans la paix profonde du coeur, c'est-à-dire vous donner à Notre Seigneur pour être toute votre vie abjecte en vous-même. Il remarque que le désir des vertus que vous avez vient en partie de vous-même. Votre sacrifice ne sera pas entier si vous ne vous délaissez toute à Dieu dans vos misères par une générale et totale démission de vous-même à son bon plaisir. Ne recherchez pas vos intérêts. Si Dieu vous veut laisser ressentir vos imperfections, c'est assez que nous soyons ce qu'il veut et rien plus. Votre orgueil est grand, vous y faites trop d'application par amour-propre. Il faut devenir plus simple et plus abandonnée à la sainte abjection. Vous n'aimez pas assez cette sainte vertu et vous n'imitez pas saint Paul qui se glorifie en ses propres infirmités. N'allez pas si vite, étudiez-vous d'être comme un petit enfant sans tant de réflexions ni de retours. Notre Seigneur n'est pas un Dieu de rigueur, mais un Dieu d'amour et de bénédiction. Laissez-vous doucement à sa conduite. Pour ce qui regarde N. rendez-lui toujours vos devoirs humblement et cordialement ; si Dieu ne vous donne rien par ses paroles, ayez patience et ne vous découragez pas, lui-même vous soutiendra si vous êtes humble et patiente. Ne laissez pas de vous adresser à elle pour vos besoins et souffrez doucement la peine que vous y ressentez. Dieu tout bon veut que vous y goûtiez un peu d'absinthe, elle purge le coeur et guérit des vers. Courage, les petites inquiétudes que vous ressentez sont des vers d'amour-propre et de vous-même qui vous piquent et vous rongent ; il les faut faire mourir. Or vous le ferez, ma chère Mère, en n'écoutant pas tant les plaintes et les gémissements de votre nature, je ne dis pas pour les travaux extérieurs, cela se dira à part, mais pour le reste, qui regarde votre intérieur et vos dispositions. J'ai un grand mouvement de vous dire que vous devez être plus simple. Je serais d'avis que votre oraison fût plus libre et sans une application si forte, comme vous faites, et je voudrais que vous apprissiez quelque vérité ou vertu de Notre Seigneur, pour vous en occuper et voir comme il l'a pratiquée. Rabaissez la pointe de votre esprit qui veut une oraison dont il n'est point capable, et ne le sera jamais qu'après s'être parfaitement anéanti dans toutes sortes d'abjections. Donc retirez votre pensée et demeurez constante dedans votre petitesse, puisque Notre Seigneur le veut ainsi. Si la Providence me donne du temps, je vous dirai le reste de mes pensées au plus tôt sur votre dernière qui contient beaucoup de peines de corps et d'esprit. Je pense néanmoins que vous trouverez dans la présente suffisamment pour vos besoins,.si vous le savez bien trouver. Je vous prie, ma chère Mère, de prier pour la conversion de celle qui est en Jésus Christ toute vôtre.
nu 783 B505
or
9
142 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 143
Ce 2 août 1652
Jésus Maria Joseph
Notre très Révérende et plus chère Mère,
Nous n'avons pas sitôt connu vos volontés que les nôtres se sont portées avec toute soumission à consentir à ce que vous désirez de nous, sans considérer nos intérêts que 17011S quittons volontiers pour votre satisfaction, puisque c'est vous qui demandez de n'être en aucune élection. Nous croyons que vous ne faites rien que par la conduite de l'Esprit de Dieu. En préférant donc votre sentiment à tous les nôtres, nous consentons à ce que vous désirez. Si vous en voulez un acte plus exprès que cette lettre, vous prendrez s'il vous plaît la peine de le faire et nous l'envoyer, nous le signerons toutes. Il n'y a rien que nous ne fassions pour votre repos et contentement. Pourvu que votre bonté nous promette de ne pas quitter notre pauvre Maison, nous nous estimerons trop heureuses de vous y posséder, en quelle manière qu'il vous plaira. Si la divine Providence permet que les bons desseins que vous avez d'honorer le Très Saint-Sacrement réussissent et que votre charité daigne les accomplir en notre Maison, nous nous • offrons toutes pour être autant de victimes qui voulons consommer nos vies avec vous, pour lui rendre, par nos hommages, l'adoration que nous sommes obligées, et que tant de créatures lui dénient par leurs méchantes actions. Nous aurons beaucoup d'obligations aux personnes qui contribuent à nous associer à une œuvre si sainte. Si cela ne réussit pas, notre chère Mère, que cela n'empêche votre retour à notre pauvre Maison quand vous jugerez qu'il en sera temps. Nous vous protestons toutes que nous vous recevrons avec plus d'affection que jamais et que vous nous trouverez très disposées à vous rendre toutes sortes de devoirs, avec la soumission la plus parfaite que vous doivent,
Notre très Révérende et plus chère Mère,
Vos très obéissantes et plus obligées et toutes affectionnées filles et humbles servantes.
Notre très chère Mère, nous vous rendons toutes les actions de grâce qu'il nous est possible de la grande charité que vous nous avez faite, mais nous appréhendons que votre bonté n'en soit incommodée.
Sœur Bernardine de la Conception [G romaine]
Sœur Benoîte de la Passion [de Brême)
Sœur Placide de Saint-Benoit [Gérard]
Sœur Gertrude de la Trinité [de Vomécourt]
Saur Anne de Sainte-Magdeleine
Sœur Marie Joseph [Sommier]
Sœur Dorothée de Sainte-Gertrude [Heurelle
Sœur Marie de la Conception [de Lescale]
Sœur Jeanne de la Croix [Parmnontel]
A LA RÉVÉRENDE MÈRE
Révérende Mère du Saint-Sacrement
Prieure des Bénédictines de Rambervillers
Réfugiée à Paris
A Paris
no2354a Al n'2 A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION (DE BRÊME'
[Paris] 1652, le jour de saint-Augustin - 28 août
Ma très chère Mère,
Jésus soit l'unique de nos coeurs dans le Très Saint Sacrement de l'autel !
e vous fais ce mot pour réponse aux vôtres et vous assurer que je
les ai reçues très fidèlement et avec grande joie, car intérieurement j'avais quelque chose qui semblait contenir ce désir et j'aurais bien souhaité que vous soyez vous-même témoin et juge tout ensemble, de l'oeuvre dont j'ai écrit à notre bonne mère Sous-Prieure [Mère Bernardine) - et que je crois que vous aurez vue - parce qu'étant partie lorsque mes lettres sont arrivées à Nancy vous les aurez possible reçues, et je le souhaite pour vous donner intelligence de ce que c'est afin que vous la présentiez à Notre Seigneur et que vous le priiez autant qu'il vous sera possible qu'il en fasse selon son très bon plaisir.
Voyez, ma très chère Mère, ce que je mande sur ce sujet à nos chères Soeurs de Sainte-Madeleine et Dorothée [Heurelle], pour ne point faire une répétition dans votre lettre. Je ne sais comme Notre Seigneur me tient, ni ce qu'il veut 'faire de moi ; je me laisse tellement à sa disposition que je ne dis pas une parole pour avancer ou reculer cette oeuvre. Elle n'est point à moi et l'on m'y fait porter un état d'anéantissement si grand que je n'ai reçu intérieurement aucune connaissance qui m'y lie. J'ai bien un lien secret mais je vous avoue que je ne le comprends pas : Tout ce qui m'a été donné, çà a été un jour à la Sainte Communion ; je compris la dignité et sainteté de cette adoration perpétuelle , j'en connus l'importance, et avec quelle pureté il y fallait agir. Mon esprit fut fait comme un mort, sans complaisance, sans désirs, sans ardeur et même sans avoir aucun être en cette affaire je crois que vous me concevez - et dès lors je demeurais passive à cette oeuvre, sans pouvoir résister ni l'avancer, car j'étais, ce me semble, morte à tout cela, et suis demeurée de la sorte, de manière que je n'y suis rien et n'y dispose de rien ; Dieu seul s'en est réservé la maîtrise. Il est vrai que les personnes qui fondent cette adoration, quelques-unes sont si soumises aux sentiments que la Providence me donne pour leur perfection, qu'elles se soumettent à ce que Notre Seigneur aura agréable de m'en faire connaître ; d'autres ne veulent point que cela soit porté hors de Paris. Enfin, le tout est entre les mains adorables de Notre Seigneur ; qu'il en fasse ce qu'il lui plaira. Je suis si indifférente que, [du moment que je parle], je suis disposée d'aller où il lui plaira, et pour ce qui est de notre chère Maison, si j'étais libre intérieurement, j'aurais un extrême désir d'y retourner, et la grâce que vous m'avez faite de me recevoir sans voix active et passive me donne de puissants attraits de retourner, et tout ce que Dieu me permettra de faire pour cela, je n'y négligerai rien, je vous le promets.
144 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 145
Non, ma très chère et plus chère Mère, mon silence n'est point une marque que je sois morte pour vous. Je suis toute vivante en Jésus Christ pour votre âme, si Notre Seigneur me donnait la grâce de la servir. Et il y a plus de six mois que vous seriez ici avec moi, si l'on ne m'avait mandé que vous n'y voulez point venir, et que vous portiez aversion très grande de demeurer ici. Je n'osais vous violenter, mais si Notre Seigneur nous y attache, je voudrais bien qu'il vous donnât la pensée et la disposition d'y venir. Nous en trouverions bien les moyens. Je vois par vos lettres et celles de nos chères Mères que vous priez beaucoup. Priez tant, ma très chère Mère, que vous attiriez cette adoration perpétuelle chez nous. O que j'y consens de bon coeur et là nous serons toutes les victimes du Très Saint et adorable Sacrement !
Ecrivez-nous, ma très chère Mère, tout ce que Notre-Seigneur vous permettra de m'écrire pour votre intérieur. Je suis indigne de grâces et de lumières, mais je suis à Notre Seigneur pour vous, telle qu'il lui plaira me faire être. Je sais qu'il vous fait de très grandes miséricordes, mais il veut toujours la soumission. Continuez votre charité pour mon âme, je vous en supplie, puisque Notre Seigneur vous en donne
le mouvement : et par obéissance priez pour ma Soeur de Jésus [Chopinel], afin que Notre Seigneur la guérisse pour sa gloire. Elle fait très bien, et Dieu lui fait de grandes grâces sans qu'elle les connaisse, cela est très bon. Je n'ai jamais cru qu'elle soit pour mourir de sa dernière maladie mais je voulais m'assujettir au sentiment des médecins. Il me semble que Notre Seigneur la veut bien plus épurée qu'elle n'est encore. Priez donc pour sa guérison par obéissance.
J'ai reçu depuis peu des nouvelles de la bonne âme. Elle a reçu votre lettre avec grande joie. Ecrivez-lui quand Notre Seigneur vous en donnera la pensée. Le bon frère qui m'écrivait pour elle est malade depuis quatre ou cinq mois; priez Dieu pour lui.
J'ai bien des choses à vous écrire, mais la poste va partir. Vous trouverez dans les lettres de nos chères Soeurs ce que je ne puis vous dire pour cette fois.
Communiez souvent, je vous l'ordonne. J'écris à ma Soeur Dorothée, mais si elle n'est point chez vous, ne lui envoyez point, parce je n'ai pu encore écrire à ma chère Soeur Scholastique, cela lui ferait peine ; elle croirait que c'est par rebut, non je vous assure...
no 1743 A LA MÊME
du 7ème septembre 1652
Ma très chère Mère,
Jésus dans le Très Saint Sacrement soit notre tout pour jamais !
e crois que vous avez reçu celles que je vous écrivis il y a près
de quinze jours, par lesquelles vous aurez connu l'état des choses. Aujourd'hui je réitère pour vous supplier que si Notre Seigneur vous donne mouvement de prier, ou plutôt de continuer à le prier, pour obtenir que l'oeuvre de sa continuelle adoration soit transférée à notre Maison de Rambervillers. Il y a grande apparence que la chose pourra être ; et quelqu'une des personnes intéressées m'en a parlé de son propre mouvement, avec quelque sorte de désir que cela soit. Priez toujours. Pour moi je vous assure que je n'y résisterai pas, car où Notre Seigneur m'enverra, je suis prête d'aller sans réplique. Je vois bien que ce ne peut être cette année, mais vous m'avez mandé que c'était peu de chose de deux ou trois ans, peut-être n'en faudra-t-il pas la moitié ; je vous promets que je n'en négligerai pas les ouvertures.
J'ai aussi à vous supplier de ne point retarder ma Soeur de Sainte-Thérèse [Bagnerelle] de sa sainte profession, d'autant que notre bonne Mère ne peut retourner présentement ; les dangers sont trop notables.
Il ne faut point l'exposer présentement, outre qu'elle ne le pourrait, étant encore bien malade. Elle vous prie, et moi aussi, de faire faire la dite profession au temps qu'elle doit être faite, sans retarder cette bonne fille qui a tant de désir d'être à Dieu. J'ai une grande joie de la savoir dans de si bons sentiments. Je prie Notre Seigneur qu'il lui continue ses miséricordes. Je ferai bien prier pour elle, car j'ai un grand désir qu'elle soit bien sainte. Les maux continuent en ce pays, nous ne savons ce que nous deviendrons, l'on est entre l'espoir et la crainte. La très sainte volonté de Dieu soit accomplie en tout. Il se faut résoudre à tout, la vie et la mort nous doivent être une même chose.
Ma chère Mère, je suis bien en peine de votre santé; je vous prie de la conserver autant qu'il. vous sera possible. Rendez obéissance à la Mère de Sainte-Madelaine pour votre corps ; faites cela par soumission et Notre Seigneur l'aura très agréable. Si vous m'objectez qu'elle vous aime trop, je vous assure qu'elle n'agira pas selon la nature. Elle ne voudrait pas faire, à ce que je crois, une imperfection pour l'amour d'une créature. Abandonnez-vous pour ce point, aussi bien que pour d'autres, car il faut tout perdre, il faut mourir en tout. Il y en a peu qui se laissent anéantir en toutes choses, car bien souvent sous [de] bons prétextes notre volonté respire, quoiqu'il ne nous le semble point. O ma chère Mère, si je pouvais parler, je dirais bien des choses ; mais je suis devenue muette et je n'ai plus rien à dire, car je ne sais et ne connais
146 CATHERINE DE BAR
plus rien dans la vie intérieure. Je n'y vois plus goutte. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse connaître comme je suis ; il m'est impossible de le pouvoir ex primer. Je ne tiens plus de place. Je n'ai plus de voie, je ne sais plus ce que c'est [que la vie] intérieure ; je ne sais plus ce que je suis, ni où je suis ; je vis et il semble que je sois morte. Le néant est ma portion. Donnez-nous de vos nouvelles et priez Dieu pour nous, mais surtout pour la conservation de notre bonne Mère Sous-Prieure. Elle est
i ndisposée et je crains fort qu'elle ne tombe tout à fait malade.
Je salue toutes nos chères Mères et Soeurs, je les prie de prier Dieu pour nous. A Dieu. ma très chère Mère. Je suis votre pauvre servante en Jésus Christ.
Toutes nos Soeurs vous présentent leurs affectionnés saluts.
n " 946
LETTRE QUE LA REYNE REMIT
A MONSIEUR PICOTTÉ POUR LA REMETTRE
A MONSIEUR L'ABBÉ DE SAINT-GERMAIN, MONSIEUR DE METZ
Mon Frère,
Il y a quelque temps que je fis voeu d'employer tous les moyens qui seraient jugés les plus propres pour rendre honneur au Très Saint Sacrement de l'autel, en réparation des sacrilèges qui ont été commis durant ces malheureuses guerres. Et comme on a trouvé que cela ne se pouvait mieux faire qu'en établissant une maison de religieuses, dont le principal soin consisterait à le louer et adorer incessamment, et à prier jour et nuit pour la paix du Royaume, et pour la conservation du Roy : J'ai jetté les yeux sur la Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Prieure de Rambervillers, qui est une personne d'un grand mérite et d'une insigne piété, pour être Supérieure d'un couvent de Religieuses bénédictines, que j'ai dessein d'établir dans le faubourg Saint-Germain pour l'accomplissement de mon voeu.
Je désire de vous que vous donniez les permissions nécessaires pour cet établissement ; et que vous apportiez ce qui dépendra de vous pour le faire réussir, à la décharge de ma conscience et à l'édification publique. Il y a déjà un fond suffisant et assuré pour la fondation, qui augmentera encore sitôt que vous aurez accordé la permission que je vous demande, et que vous ne me refuserez pas, je m'assure, puisqu'il y va de la gloire de Dieu, et que je vous en prie.
Cependant je demeure votre bonne Soeur. ANNE (1)
A PARIS LE 12 DECEMBRE 1652
et à l'inscription est écrit
A MON FRERE L'EVESQUE ET PRINCE DE METZ (2)
et scellé de cite noire du petit cachet de la dite Dame Reine. Cette lettre a été collationnée à l'original le dix huitième décembre 1652 par
MEURES ; Gabillon ; notaires.
P101
(1) C'est ici la première intervention de la reine Anne d'Autriche permettant à Mère Mectilde d'obtenir les autorisations nécessaires à la fondation de notre Institut. La reine montrera toujours beaucoup de bienveillance à Mère Mectilde, comme nous aurons l'occasion' de le voir plus loin. (Pour le récit de notre fondation ; cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 87 et suiv.).
(2) Henri de Bourbon (1601-1682), évêque de Metz, prince du Saint-Empire, marquis de Verneuil, fils légitimé de Henri IV et de Catherine Henriette de Balzac d'Entraigues, abbé de Saint-Germaindes-Près (1623-1669) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 87.
148 CATHERINE DE BAR
A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAUJ (1)
12 décembre .1652
Ma très chère soeur,
la lus je vais en avant, plus je suis étonnée de l'occupation que votre
âme me donne devant Notre Seigneur. Depuis le jour de la Conception de Notre-Darne, à la sainte communion, vous n'êtes quasi point sortie de ma pensée, et je ne sais pourquoi la Providence m'assujettit à vous y souffrir, cela ne m'étant point ordinaire, et ma tendance intérieure serait de m'en séparer entièrement pour n'être occupée d'aucune créature. Je ne puis cependant me défaire de vous, et je ressens même dans le fond de mon âme une liaison qui se fait avec la vôtre, par Jésus Christ 'qui me presse de souhaiter votre sanctification et de demander à Dieu, de tout mon coeur, qu'il rompe vos liens et vos attaches, afin que vous lui puissiez rendre un sacrifice d'amour et de louange, selon ses adorables desseins.
Je me sens obligée, voire pressée intérieurement, d'avoir un soin très particulier de votre âme, et il me semble que ce qui m'engage à cela, c'est la connaissance que l'on me donne de l'état de perfection où la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ vous destine, pour laquelle j'ai tant de respect que je me voudrais consommer pour vous y servir. Et c'est aussi ce qui me donne la liberté de vous prier très instamment d'être fidèle et de suivre l'appel de Jésus Christ, qui vous veut toute à lui sans réserve. Seriez-vous si misérable que de le négliger ? Le châtiment que vous mériteriez serait très grand et je ne saurais souffrir que vous soyiez si résistante. Ne perdons point le temps et oc notre connaissance ne soit pas vaine, ni inutile à notre perfection. Puisque vous me donnez la liberté de vous parler, ce sera désormais sans retour ; mais je vous conjure de garder à notre égard cette même
(I) La famille Loyseau était originaire de Nogent-le-Roi. Le grand-père d'Anne, Regnault Loyseau s'installa à Paris comme avocat au Parlement et avocat ordinaire de Diane de Poitiers. Il eut trois fils et deux filles. Le père, Charles Loyseau, naquit à Paris en 1564. Il fit une brillante carrière dans le barreau. Lieutenant particulier au bailliage de Sens en 1593, puis bailli de Dunois en 1600. 11 épouse, à Châteaudun, Louise Tourtier, puis s'installe définitivement à Paris. Il est élu bâtonnier en 1620, meurt en 1627 et est enterré dans l'église des Saints-Côme et Damien. Il laisse .six gros traités de droit de grande notoriété, et six enfants : quatre garçons et deux filles. L'une Jeanne, épouse Guy Joly et, après son veuvage entre au Carmel où elle meurt comme supérieure de la maison de Poitiers. L'autre, Anne, née en 1623, prend l'habit au monastère de la rue Cassette en octobre 1660 et fait profession le 31 janvier 1662 et reçoit le nom de Mère Anne du Saint-Sacrement. Elle apporte une dot importante et obtient l'autorisation pour sa belle-soeur et sa nièce (avant le mariage de celle-ci) d'entrer en clôture six fois par an pour quelques jours de retraite. Connue de Mère Mectilde plusieurs années avant son entrée au monastère, elle sera un de ses meilleurs appuis tant pour la bonne organisation de la rue Cassette, dont elle est cellerière en 1684 et sous-prieure en 1689, qtie pour la fondation du
monastère de Rouen en 1677. Elle sera élue prieure à la mort de Mère Mectilde, mais elle ne pourra en porter la charge qu'une année. Elle meurt le Vendredi-Saint 1699. Sa tante Catherine avait épousé
Nicolas Absolu, receveur général du Taillon à Rouen, dont la soeur Jeanne Absolu, entra en religion après son veuvage et l'établissement de ses enfants. Elle mourra en 1637 en odeur de sainteté au monastère fontevriste de Haute-Bruyères (près de Montfort-l'Amaury).
(cf. Abbé Joseph Augereau, Jeanne Absolu une mystique du grand siècle, Ed. du Cerf, Paris, 1960, et renseignements aimablement communiqués par M. Jean Lelièvre, conservateur du Musée d'art et d'histoire de Dreux).
LETTRES INÉDITES 149
liberté, sans vous gêner ni contraindre, et lorsque je vous serai à charge vous m'en devez avertir. Gardez-moi, ma très chère soeur, cette fidélité que je vous demande comme un témoignage de votre affection. afin que l'Esprit de Dieu ne soit point contraint. Je vous supplie aussi de me dire si vous avez quelque chose qui vous soit plus pressant qu'à l'ordinaire, et si vous ne vous laissez pas un peu trop occuper et pénétrer de la peine et tristesse dont la personne que vous savez est pénétrée Gardez-vous d'y excéder. La plus grande charité que vous devez faire, c'est de conserver votre âme dans le dégagement où Dieu l'attire, c'est de vous défendre de la tendresse naturelle qui vous nuira beaucoup, si vous n'y prenez garde. On ne s'aperçoit quasi pas de son désordre, ni des maux qu'elle cause en nous, jusqu'à ce qu'elle nous fasse ressentir le trouble, et bien d'autres misères auxquelles elle vous assujettira si vous n'êtes pas plus fidèle que du passé. Cette occasion vous servira d'une tentation bien rude si vous ne savez bien prendre les armes pour vous défendre. Je vous en avertis pour vous tenir sur vos gardes, et vous dire que vous devez aimer vos amis comme Dieu les aime. Il faut trouver bon que Dieu les purifie en les crucifiant et qu'il les sanctifie par sa Croix.
Si la très sainte Vierge eût aimé Jésus Christ d'un amour purement naturel, elle n'aurait jamais souffert qu'il fût mort en Croix ; mais elle, qui savait la dignité et la sainteté de la souffrance, et la gloire que le Père éternel en retirait, consentit à sa mort par une profonde soumission aux volontés de Dieu. Voilà comment il faut que vous en usiez. Vous devez plus aimer la perfection et la sainteté des âmes que la douceur et le repos du corps et de la nature. Consentons humblement aux desseins adorables de Notre Seigneur Jésus Christ qui veut se glorifier en ses élus et l'es rendre conformes à son humanité crucifiée. Soumettez votre esprit à ses ordres, et tâchez d'encourager cette personne à la Croix que la divine Providence lui a imposée. Il faut qu'il en fasse un usage digne de Jésus Christ, qu'il porte sa peine avec respect et soumission à sa conduite. Il veut le sanctifier par cette voie et lui donner les moyens de taire des actes héroïques de sacrifice, de mort et d'abandon, de patience, d'humilité, etc... et par ces saintes pratiques il se sauvera et se fera saint. Consolez-le pourtant autant qu'il vous sera possible, sans vous engager ni trop attendrir par les sentiments de nature.
Soyez généreuse, ma très chère soeur, ne vous laissez point gagner à tant de considérations humaines. Soyons toute à Jésus, Christ. Priez pour moi, très chère, vous ferez une charité très grande, car mes besoins sont extrêmes et dignes de votre compassion et je vous en serai éternellement obligée. Je vous supplie d'offrir à Notre Seigneur l'affaire que vous savez ; on espère en faire parler à la Reine ; priez àrdemment que la divine volonté se fasse en nous et qu'il m'anéantisse totalement.
A Dieu, priez pour moi.
no 2472 N254
150 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 151
•
A UNE NOVICE
au sujet de sa profession qu'elle était sur le point de faire à notre monastère
de Rambérvillers (1)
le Sème de l'an 1653
Ma très chère Soeur•,
e prie Notre Seigneur Jésus Christ• qu'il vous donne une année
toute sainte et vous fasse la grâce de faire une profession digne de lui. Je vous assure que vous avez grande obligation à notre bonne Mère de vous avoir préférée à son repos, ayant entrepris un voyage si fâcheux et si dangereux et en une saison extrêmement rigoureuse. Elle et moi nous nous sommes sacrifiées pour vous, au moins mes intérêts et ma consolation ; mais c'est dans l'espérance que vous glorifierez Dieu par la profession que vous désirez de faire, pour vous lier plus étroitement à Jésus Çhrist. Ce point vous oblige à y être fidèle, mais les grandes miséricordes de Dieu en votre endroit vous pressent doublement de vous rendre à lui sans réserve. Je vous témoigne par ces mots la part que je prends à votre bonheur et la grande satisfaction que j'ai d'apprendre votre persévérance. Je me réjouis que vous soyez toute à Dieu par une profession si sainte ; mais, je vous supplie avant que de vous. y engager, concevez-en bien l'importance. Vous entrez par icelle dans une captivité si grande que vous n'aurez plus aucun droit sur vous. La religion en sera désormais la maîtresse sans qu'il vous soit permis de trouver à redire à ses lois. L'âme religieuse est une victime, continuellement immolée à Jésus Christ. Il y a de quoi sacrifier tous les jours à la grandeur divine. C'est un état sacré, mais il n'est pas connu de la plupart de ceux qui l'ont professé. Vous n'en pourrez jamais trop connaître les excellences et l'obligation que vous avez de vous y établir saintement et si solidement qu'il ne vous sera plus permis de retourner en arrière. Je voudrais bien que toutes les âmes qui ont à se vouer à Dieu aient bien approfondi l'importance de leur engagement ; il ne faut point se jouer au regard de Dieu. Ce sont des promesses éternelles sur lesquelles est compris notre salut ; il n'y va pas moins que de la perte irréparable d'une âme qui est si téméraire que de les enfreindre volontairement.
Donc, vous vous captivez et vous engagez sans réserve, car personne ne peut vous en relever. Il faut mourir en portant le joug et la croix que vous avez choisis et ,embrassés ; vous ne les pouvez plus quitter. Vous avez donc besoin d'un grand courage et d'une résolution si forte
(1) Probablement Soeur Catherine de Sainte-Thérèse Bagnerelle. Cf. note 1, lettre du 27 septembre 1651.
et si sainte que rien ne la puisse ébranler : d'être sacrifiée, égorgée, immolée, crucifiée et consommée tous les moments de votre vie en la manière qu'il plaira à Notre Seigneur. Vous serez désormais sans choix, sans élection, sans désirs, sans affection, sans volonté et sans aucune possession. Vous serez pauvre de la pauvreté de Jésus Christ qui n'a pas où reposer son sacré chef. Vous serez en proie aux mépris, aux souffrances, aux privations, aux rebuts, aux dépouillements, aux contradictions, aux renversements, aux agonies et aux tourments, bref à la mort, sans que vous ayez droit de vous plaindre, ni de rechercher dans les créatures les soulagements que votre amour-propre désirerai. Il sera condamné à la mort et tous les jours il éprouvera de nouveaux supplices, sans pitié et sans miséricorde, et lorsqu'il voudra se reposer on redoublera les coups: En un mot, vous serez sans relâche dans les souffrances et dans les croix, jusqu'à tant que vous soyez parfaitement anéantie. Et lorsque vous aurez atteint ce bienheureux état, vous expérimenterez ce que je ne suis pas digne de vous dire, mais je ne puis assez vous exhorter à vous sacrifier généreusement et persévérer dans le sacrifice constamment.
Il y en a beaucoup qui commencent avec coeur et ferveur, mais nous n'en voyons quasi point qui persévèrent ni qui arrivent au comble du vrai bonheur. Ils sont bien amoureux de la vie religieuse tant qu'ils ne ressentent point sa rigueur, ni sa crucifixion, mais quand il faut entrer dans les morts et les agonies, ils y renoncent et ne savent plus ce que c'est que suivre Jésus Christ : ils ne le connaissent plus et commencent dès lors à se retirer de leur grâce et de la sainteté de leur profession. O ma très chère Soeur, que je m'estimerais heureuse si je vous pouvais bien persuader cette vérité et que vous en fissiez bon usage. Commencez donc d'un grand coeur, ne vous effrayez de rien, ne vous rebutez point des difficultés, ne prenez point l'épouvante de l'ombre que le démon et' votre amour-propre vous représenteront pour vous effrayer. Passez par dessus toutes les répugnances de la nature ; n'ayez point de pitié, soyez sans tendresse pour votre âme, puisque Notre-Seigneur vous dit qu'il la faut perdre pour la sauver. Aimez-là de l'amour que le Père éternel aime Jésus Christ, son Fils, pour-vous sacrifier actuellement à la croix et à la mort.
Le premier pas que vous devez faire, c'est de vous humilier très profondément et d'apprendre, non seulement par lumière mais par expérience, ce que vous êtes et ce que vous méritez. Le second sera de vivre dans l'esprit de vérité, qui vous oblige à une estime de Dieu la plus haute qu'il vous sera possible, et un mépris actuel de votre personne. Le troisième sera de quitter les créatures de n'en rien espérer, de n'en rien désirer, de n'en rien prétendre, bref dé vous en séparer si entièrement que vous n'y ayez jamais aucune alliance. Vous les devez regarder comme les plus pernicieux obstacles à votre perfection etc. Le quatrième sera de tendre à Dieu et de ne rien préférer à son amour,
I5? CATHERINE DE BAR' LETTRES INÉDITES 153
mais d'être prête à donner votre vie à tous moments pour la pure gloire de sa Majesté, sans retour, sans recherche et sans récompense. Le cinquième sera la perte totale de vous-même sans vous plus retrouver, ni pour le temps, ni pour l'éternité.
Je ne vous parle point de vos saints voeux : vous avez des maîtresses plus savantes que moi en toutes manières, elles vous apprendront ce que vous êtes obligée d'en savoir pour les bien pratiquer. Ainsi il ne reste autre chose à vous dire sinon de vous prier de vous souvenir de mes misères en vos bonnes prières. et de prier Notre Seigneur que je ne sois point contraire à ses desseins. Qu'il me fasse la grâce d'avoir un peu d'humilité et d'amour avant ma mort, et je le prierai qu'il vous fasse sainte, de la sainteté dont il est saint. Adieu, je suis en lui votre toute affectionnée.
no 1317
A LA MÈRE DOROTHÉE IHEURELLEI
Religieuse du monastère de Rambervillers
Le jour de Saint Vincent 1653 [22 janvier'
Ma très chère Soeur.
je reçois votre chère lettre avec beaucoup de consolation et. si je
ne vous écris point si souvent que je devrais, ce n'est pas que je n'aie quelque loisir suffisant pour cela. Mais un autre motif me jette dans un si profond silence que je voudrais être éternellement dans le néant et n'occuper jamais l'idée des créatures. puisqu:étant ce que je suis, je ne dois plus avoir d'être. O ma très chère Soeur, que d'abîmes je conçois, mais dans un silence si grand que je n'en puis rien dire ! Je ne m'étonne point que vous commenciez à ne me trouver plus en vous comme vous faisiez du passé. Il est juste, et plus que très juste, que je ne sois plus rien dans les saints et dans les amis de Dieu. 1 I faut que j'y sois toute anéantie, pour le temps et pour l'éternité, sans ressource. Je me laisse à la vertu divine pour cet effet ; il n'y a que. Dieu qui soit capable de faire son oeuvre; nous n'avons qu'à nous laisser mourir et il saura bien nous donner la vie... Je ne veux plus avoir de pensée que pour la mort. Voilà à quoi nous sommes appliquée, mais mort sans relâche en la manière que Dieu l'entend. Au reste, je ne converse plus avec les saints ; je ne vois plus personne. Je suis plus dans le silence et la retraite que du passé et je goûte bien le bonheur que je possède, mais il nie passe de petites appréhensions de n'y être pas longtemps ; si l'établissement que l'on poursuit vient à avoir son effet, il m'en fera bien sortir. Je vous avoue que c'est un sacrifice le plus grand que je puis faire que d'y consentir. Je n'y adhère que dans l'espérance que Notre Seigneur aura pitié de moi et qu'il me fera la grâce d'y trouver bientôt la mort. Cette espérance me console et me donne quelque courage, si je puis m'y appuyer. Quelquefois je ne le puis, et aussi d'autres fois il m'est permis d'en avoir la vue.
Je serai bien aise d'apprendre, si Notre Seigneur vous le permet, le changement qu'il fait en vous. J'ai une joie de m'y voir anéantie. 0 ma très chère, Dieu veut occuper en vous la place que j'y tenais, n'est-il pas juste ? Ne regrettez point la perte que vous faites ou pouvez faire de moi en toute manière. Réjouissez-vous de ce qu'une pécheresse n'aura désormais plus de vie en vous et que le seul Jésus Christ y règnera plus parfaitement. Mon Dieu, que ne sommes-nous dans un oubli éternel dans tout le monde, et qu'on ne se souvienne plus que de Dieu ? Lui seul doit être et tout le reste anéanti. Qu'est-ce que toutes les créatures ? Ce sont des êtres qui doivent être réduits au néant, par hommage à l'être infini de Dieu. Ne soyons donc désormais plus rien, ni pour les créatures, ni pour nous-mêmes.
Oui, ma santé est bonne, et mon humeur je ne sais ce qu'elle est sinon que, n'ayant plus rien à perdre ou à gagner, tout me doit être indifférent, et je vis sans beaucoup de souci: Notre Seigneur étant celui qui seul doit être, tout le reste ne nous doit point occuper que dans l'ordre de sa conduite, pour sa gloire et non pour notre repos ou nos intérêts. Voilà deux petits mots qui vous feront connaître quelque chose de ma misère. Priez Dieu pour môi et nie croyez toute à vous de même coeur que du passé, car je ne change point. Ayez bien soin de notre bonne Mère, conservez-la ; elle m'est bien chère et à toute la Maison. C'est notre trésor et sans elle que ferions-nous '? Donc je vous la recommande très instamment, divertissez-la et la soulagez et me donnez de ses nouvelles et des vôtres et croyez que si nous nous pouvons revoir une fois... A Dieu, je suis votre pauvre...
no 1359
A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAUJ
15 février 1653
Ma très chère et honorée soeur,
ous avons reçu les effets de votre très grande charité, dont nous vous
rendons mille grâces très humbles et prions Notre Seigneur qu'il vous en soit la très digne récompense. L'on dit tous les jours dans notre petite chapelle les messes que votre dévotion vous a donné le sentiment
154 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 155
de faire dire, et nous y communions à votre intention.
La bonne personne que vous savez, qui a fait parler touchant la vocation de Melle N., a encore fait un peu de bruit, et a fait parler à la dite demoiselle. Pour moi, je ne fais qu'admirer et adorer les ressorts de la. Providence et trouver bon qu'il me détruise totalement. C'est ma passion présente d'être réduite au néant en toutes manières. J'en espère quelques effets de la divine miséricorde, et je vous supplie employer vos saintes prières pour obtenir ce saint état ; et quand je serai anéantie, je ferai des merveilles devant Dieu pour vous, et d'une manière efficace, car ce ne sera plus moi mais Jésus en moi. Le désir que j'ai de votre sanctification demeure toujours dans mon âme et nonobstant que je ne vous écrive point, vous m'êtes toujours très présente. J'aurais quelquefois assez de mouvement de vous dire deux mots, mais je ne crois pas cela utile ; ma pensée est de vous laisser toute à Dieu, sous la conduite où sa sainte Providence vous a mise. Et je craindrais faire plus d'obstacle à votre perfection en continuant de vous écrire qu'en observant un profond silence, que j'aurai pourtant peine de garder avec vous, après une si grande liberté que vous avez eu la bonté de me donner. Je ne puis m'empêcher de m'intéresser devant Dieu pour vous. Il faut que votre charité me souffre, car vous m'êtes, en son saint amour, plus ch ère que je ne suis à moi-même.
Soyez, ma très honorée soeur, à Jésus Christ; je vous y sacrifie de tout mon coeur avec Monsieur votre frère. Depuis que j'ai eu l'honneur de le voir il occupe très souvent mon esprit et je crois que Notre Seigneur le veut plus dans sa grâce et dans son amour qu'il n'en n'a, possible, la pensée. Je vous supplie qu'il trouve ici mes respects, et vous, les assurances de ma fidélité, qui sera pour vous inviolable en l'amour de Jésus Christ et par Jésus Christ, puisque je suis en lui toute votre plus petite et très obligée servante.
ni, 2324 N254
A LA MÈRE BENOITE [DE LA PASSION DE BRÊME] Sous-Prieure de Rambervillers
22 février 1653
Ma très chère Mère, (1)
jyant appris par les lettres de notre bonne Mère l'état d'infirmité où vous êtes continuellement réduite, je me suis trouvée dans la disposition d'être fort touchée de la perte que je ferai de votre chère personne lorsque Notre Seigneur vous retirera de cette vie. C'est un sacrifice très grand et des plus grands que je puis faire ; mais il faut se résoudre à être dépouillée de tout sans aucune réserve. O que de morts il faut faire avant que de l'être ! En effet, ma toute chère Mère, selon les apparences et la continuation de vos maladies, il se faut résoudre de vous voir partir. J'ai été obligée ce matin à la sainte Communion de vous rendre à Dieu et à me désapproprier de tous les usages et de tous les appuis que j'avais en vous. C'était une vie secrète que je conservais, dans la consolation que je ressentais de notre sainte union. Je sais bien que Dieu vous a donné charité pour moi autant que pour vous-même, et lorsque je voyais la part que votre bonté me donnait en votre sainte affection, mon âme s'en réjouissait et il me semblait que je ne pouvais manquer ayant votre charité pour appui. Mais, hélas ! j'apprends une leçon bien rigoureuse, qui me va dépouillant de toute la vie que je prenais dans les âmes saintes ; je m'y suis trop souillée et j'y ai pris trop de satisfaction, c'est pourquoi Notre Seigneur m'en prive tous les jours, et me va tellement dénuant qu'il me semble me vouloir faire vivre comme un mort sur la terre, sans prendre plus aucune vie en quoi que ce soit ; et je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n'est que silence et anéantissement. Demeurons dans l'abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d'amour n'étant plus rien qu'une pure capacité de son bon plaisir. Laissons-nous consommer comme il lui plaira.
Votre âme, ma très chère Mère, approche de sa fin et du moment de sa totale consommation. Je la vois, ce me semble, se laisser en proie à l'amour divin qui fait ses opérations en différentes manières; je les révère de tout mon coeur. Je le supplie, puisqu'il me jette dans l'obligation d'un dépouillement éternel, qu'il vous permette de me donner encore une fois de vos nouvelles, et que je demeure unie à vous, comme lui-même nous a unies. J'espère qu'il ne me déniera pas cette consolation qui m'est si chère et que, s'il vous permet de me faire savoir l'état de votre âme en l'autre vie, vous m'accorderez cette grâce, par laquelle j'espère être instruite des volontés de Dieu sur mon âme. Vous avez été ma bonne et chère maîtresse sur la terre, soyez-là encore au ciel, ma très chère Mère.
S'il m'était permis d'avoir encore quelque désir, ce serait de vous revoir avant la mort. Et même la pensée de ce cher bien me voudrait faire trouver quelque invention pour obliger les personnes d'ici à consentir qué je fasse un petit voyage, qui ne durerait qu'un mois ou six semaines. Je ne sais si je l'obtiendrai, mais si j'étais libre j'en aurais le désir, que je sacrifie pourtant pour être anéantie dans les ordres du bon plaisir de Dieu, qui nous doivent être plus précieux que toutes les joies du paradis. Je fais un très grand sacrifice en votre personne et Dieu veut que je le fasse sans réserve. Je m'y abandonne, et consens que Notre Seigneur fasse en vous sa très sainte volonté pour la vie
L
156 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 157
et pour la mort. Je vous remets à sa disposition divine, et toute la part que j'avais en vous, je la remets en lui-même, ne voulant plus rien
en vous que lui-même. Je vous rends à lui en me désappropriant de votre sainte
affection, et de tous les biens que je possédais par icelle. Je ne veux plus rien être en vous, Dieu seul y doit avoir vie, et je suis indigne de
celle que sa grâce m'y a donnée. Je ne veux plus vous aimer pour mes intérêts mais pour ce que vous êtes à Dieu et qu'il prend sa complaisance en votre âme. Je veux aimer Dieu en vous et vous aimer anéantie en son amour. En cette vue je vous aimerai au ciel comme je vous ai aimée sur la terre et notre liaison sera sans interruption.
Adieu donc, ma très chère Mère, allez à Dieu s'il vous retire de ce monde ! Oh, que de bonheurs dans la mort ! Mais je ne les veux pas envisager de crainte que le respect et l'amour de la mort ne me retirent de la mort même. Si Notre Seigneur vous emporte, vous serez bienheureuse de le suivre ; et s'il vous retire durant les quatre mois de ma supériorité, je vous envoie toutes les bénédictions qu'il me donne pouvoir, en vertu de cette charge, de vous donner et appliquer. Je vous les souhaite avec toute la sainteté que je vous les puis désirer, en la grâce et vertu de celui qui, par lui-même, donne la puissance. Et si ces quatre mois sont écoulés, je vous demande humblement la vôtre en qualité de votre très indigne novice. Et dans cet esprit je vous remercie de toutes les bontés que vous avez eues pour mon âme et que vous aurez éternellement, si mes péchés ne m'en rendent indigne. Je vous la recommande pour, de votre main, être rendue à son Dieu. Je vous supplie de lui rendre encore ce bon office, et je le ferai prier pour sa gloire en vous, et qu'il vous consomme en lui, par l'amour et vision béatifique qui vous abîmera à jamais en lui. Au reste, ma très chère Mère, ne pensez pas que ce que je vous écris soit par quelque connaissance que j'aurais de votre mort, je vous assure que non. Vous savez ma conduite, je n'ai point de lumière ; mais je préviens le temps auquel je n'aurai pas, peut-être, les moyens de vous écrire : la Providence m'ayant donné ce mouvement, je m'en dois servir, et vous assurer que le temps ni l'éternité ne désunira point nos coeurs que Notre Seigneur a unis en lui, et c'est par lui que je vous serai éternellement fidèle.
Adieu, ma très chère et plus que très chère Mère, je ne vous fais point d'adieu dans les sentiments de tendresse que tant de fois je vous ai témoignés. Je ne sais comme je suis, je ne me dois plus regarder. Soyez à Dieu, allez à Dieu, pourvu que vous soyez consommée dans l'amour de son bon plaisir, il me suffit, je ne dois plus rien désirer, puisque je ne dois plus rien être, ni en. moi, ni ès créatures ni en Dieu comme du passé, mais que lui seul soit. Amen
C'est votre pauvre et fidèle...
nu 55
(1) Mère Mectilde, élue en 1650 prieure du monastère de Rambervillers, le restait de droit jusqu'en juillet 1653, bien qu'elle résidât à Paris depuis le 25 mars 1651. Ce n'est donc qu'en juillet 1653 que Mère Benoite de la Passion fut élue prieure, bien qu'elle en eût rempli déjà la charge en fait.
A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU
3 avril 1653
Ma très chère soeur,
puisque vous m'avez donné la liberté de vous écrire lorsque j'en aurais le sentiment, je vous prie de me donner de vos nouvelles. Je ne sais si je dois être en peine de vous, mais je puis vous assurer
qu'il y a plus de douze jours que vous m'êtes pressamment dans l'esprit. Etes-vous malade, ou plus triste ? C'est possible un simple effet de mon affection qui est très grande pour vous et qui voudrait être en état de vous le témoigner. Je ne le puis que par désir, car l'impuissance où Dieu me tient depuis longtemps borne le reste. Mais quant à la volonté, elle ne le peut être, car Notre Seigneur me donne une liaison trop étroite avec vous, et semble augmenter en mon âme les soins et les désirs de votre perfection. Je souffre avec peine le retardement d'icelle, parce que les moments de notre vie sont chers à Jésus Christ. Mais l'heure n'est pas encore venue, il faut l'attendre, et cependant vous rendre attentive à sa divine voix, vous souvenant des paroles du prophète qui dit : « Si aujourd'hui vous entendez la voix du Seigneur, gardez-vous bien d'endurcir votre coeur (1) ». Rendez-vous flexible aux touches de son divin Esprit et vous laissez pénétrer de son amour. Vous, ma très chère soeur, à qui Dieu a donné un coeur tout d'amour, pouvez-vous bien le divertir en d'autres objets que lui ? N'a-t-il pas assez de charme pour vous contenter ?
La Magdeleine ne voulut point s'arrêter avec les anges ; son amour
la transportait vers celui qui était le Seigneur des anges. Plût à Dieu que vous en puissiez faire autant et que les créatures ne vous, puissent plus arrêter, ni occuper ! C'est assez, convertissez-vous toute à Jésus Christ ; donnez-lui ce qui vous reste. Je vous supplie que ce saint Jubilé fasse quelque changement en vous ; quittez ce qui vous retarde d'être à Dieu. O ma très chère, que vos oppositions sont grandes ! vous êtes bien enchaînée et, nonobstant que vos liens soient petits en apparence, ils vous lient bien serré ! Votre vie me paraît si humaine, vos opérations si peu animées de l'onction de Jésus Christ ; votre âme ne sent point l'odeur de Dieu, la créature y vit encore ! Cependant vous êtes chrétienne et obligée de vous revêtir de Jésus Christ. Je vous supplie d'en avoir au moins le désir et de vous donner à lui pour cet effet. Il y a quelque chose en votre âme qui la tient en terre et qui l'empêche de prendre son vol à Dieu. Je le prie vous le faire connaître et vous donner la grâce de l'arracher et vous en séparer.
Je serai bien aise de vous voir quand la Providence vous en donnera le loisir. Je vous veux faire part de la joie que nous avons de posséder le Très Saint Sacrement. On nous l'a donné sans que nous soyions établies ;
158 CATHERINE DI BAR LETTRES INÉDITES 159
je vous supplie le venir adorer et lui demander ma totale conversion. Je suis en son saint amour, de tout mon cœur, toute votre fidèle amie et très acquise servante.
nt> 2551 N254« (1) Ps. 94,7-8.
A UNE RELIGIEUSE JEUNE PROFESSE
du monastère de Rambervillers
le 16 août 1653
Ma très chère Soeur,
Je prie la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous donne part à son esprit d'anéantissement, afin que vous soyez rendue digne de la suivre dans sa gloire.
U'ai reçu les vôtres du 4è du courant, lesquelles ne contiennent que
des reconnaissances et des remerciements sans sujet, car je ne suis pas en état d'obliger personne. Nonobstant que j'aie la volonté de vous servir, vous m'en ferez croître le désir quand j'apprendrai que vous êtes fidèle à Notre Seigneur et que vous tâchez d'être une vraie religieuse de saint Benoît. Je vous prie, ne vous relâchez point dans la voie étroite qui conduit à là vie. Le temps est bref, ne le consommez point inutilement et, puisque vous connaissez les grandes miséricordes que Notre Seigneur vous fait, correspondez de votre part et soyez toute à lui sans réserve. Ne vous flattez jamais intérieurement, et ne souffrez jamais que votre esprit humain raisonne sur les conduites de Dieu sur votre âme, soit au dedans, soit au dehors . Abandonnez-vous si parfaitement à Dieu et si continuellement que jamais vous ne rentriez en la possession de vous-même. Nous commençons quelquefois très bien, mais nous n'allons pas loin, et cela vient de ce que l'on ne veut pas mourir à soi-même, ni donner vie à Jésus en nous. Perdez-vous, ma chère Soeur, et vous assurez que la meilleure et la plus haute fortune que vous 'puissiez faire, c'est de vous perdre vous-même et toutes les créatures, car jamais Dieu ne se communiquera pleinement à votre âme que vous n'ayez tout perdu. Prenez donc bien garde que rien ne prenne vie en vous, et que vous ne preniez vie en aucune chose. Accoutumez-vous à vous contenter de Dieu seul, et vous expérimenterez qu'il est infiniment suffisant pour vous satisfaire. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ».
Je ne sais pourquoi la Providence me donne un si grand zèle de votre sanctification. Je voudrais vous pouvoir dire trois mots à l'oreille de votre coeur. Je suis assurée que, si vous voulez, Dieu se glorifiera en vous et vous comblera de très grandes miséricordes. Mais si une fois vous les négligez, en vous jetant dans vos sens et dans les créatures, vous perdrez ce que peut-être vous ne recouvrerez jamais. Prenez-y bien garde et ne vous mettez point dans une si malheureuse expérience. Il faut être tout à Dieu ou ne s'en point mêler. Je ne puis souffrir une âme partagée qui accommode Dieu avec le monde et avec soi-même. Soyons à Dieu tout seul et laissez-là tout le reste. Vous connaîtrez un jour que je vous dis de grandes vérités en peu de paroles et d'un style très simple et chétif. J'ai une extrême affection que vous soyez tout ce que Dieu veut que vous soyez selon ses desseins adorables, et que vous n'y fassiez point d'opposition. A Dieu, ne vous fâchez point si je vous parle de la sorte, je n'ai point d'autres motifs que l'amour de votre sanctification.
Je prie Notre Seigneur qu'il me rende digne de prier pour Mademoiselle votre bonne Mère. Je vous prie de la saluer de ma pàrt et de vous assurer, ma très chère Soeur, qu'en tout ce que je pourrai contribuer à votre perfection, que je m'y emploierai de même coeur que je suis en Jésus et sa très sainte Mère„ votre très acquise seryante.
Sr du Saint-Sacrement
Je vous conjure de prier Dieu pour moi: mes besoins sont extrêmes. Dieu vous en récompensera. Je vous prie qu'il n'y ait que notre Révérende Mère et votre bonne Mère Maîtresse qui sachent que je vous écris.
ni. 1308
A LA RÉVÉRENDE M ÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME I
Prieure du monastère de Rambervillers
le 10 octobre 1653
Ma très Révérende et ma très chère Mère,
Jésus soit éternellement glorieux en nous par l'accomplissement de ses divines volontés et la consommation de ses adorables desseins!
ey3:ussitôt que j'appris l'ordre de la sainte et aimable Providence qui vous a établie Supérieure de notre' Maison, je me suis trouvée en désir de vous en témoigner mes sentiments, aussi bien que mes devoirs d'obéissance et de respect. Je bénis Dieu de son élection et selon lui j'en ai joie, croyant qu'il en tirera sa gloire. Mais selon l'affection intime que j'ai pour vous, ma très chère Mère, je ressens de la peine de vous savoir en croix, et je vous y porte d'autant plus de compassion que je sais d'expérience qu'elle vous sera rude et pesante, bien que je
160 CATHERINE DE BAR
sois certaine que le bras de Dieu la soutiendra, et que celui qui vous a établie chef de sa petite famille vous donnera les grâces et les lumières nécessaires pour y établir sa gloire et y trouver votre sanctification. Il faut être, par état, dans un profond anéantissement, pour ne se point troubler en semblables événements qui semblent causer des renversements étranges, et il faut une merveilleuse fidélité pour demeurer morte en telles occasions et se laisser appliquer par la main de Dieu sur la croix et être dévorée selon ses plaisirs et desseins éternels. Je vous crois trop prévenue de ses grâces pour être en d'autre disposition que celle où votre état vous oblige d'être ; à moins que d'une infidélité très grande, cela n'empêche pas les vues de l'esprit et la peine des sens, mais tout demeure sous le pressoir de la Croix pour être consommé et détruit. J'adore donc la conduite adorable de Notre Seigneur sur vous, ma très chère Mère, et quoique cette élection me tire de l'espérance que j'avais de vous posséder, il faut que mes intérêts soient anéantis et que je n'aie plus aucune vie, ni appui dans les créatures.
Mon Dieu, que j'aurais de choses à vous dire, ma très chère Mère, et que deux ou trois heures d'entretien me donneraient de satisfaction ! Il me semble que c'est le seul désir qui demeure en moi. Tout le reste se passe et se consomme ; je l'abandonne àY Dieu pour en être ce qu'il lui plaira. Cependant je vous supplie très humblement recevoir les assurances de mes respects et de la soumission que je désire vous rendre de tout mon coeur, comme à notre très honorée et très digne Supérieure. Il y a longtemps que Dieu a voulu que vous soyez ma Mère ; présentement il vous confirme encore plus particulièrement dans cette qualité, et me donne des désirs très grands de vous rendre mes très humbles obéissances. Je supplie votre charité, en l'amour et pour l'amour de Jésus et de sa très sainte Mère, de me conserver toujours la qualité de fille et l'affection d'une vraie Mère. Usez de votre autorité et m'honorez de vos commandements, car je veux vous obéir en tout ce qui sera de mon possible, et au-delà si je puis. Je vais mander à la bonne âme votre élection afin qu'elle prie Dieu pour vous. Je puis vous assurer qu'elle vous aime de tout son coeur, elle me demande souvent de vos nouvelles. Vous lui écrirez, s'il vous plait; elle recevra vos lettres avec joie ; ce qui est tout à fait extraordinaire en elle, car elle ne peut souffrir qu'on lui écrive. Je ferai aussi prier Dieu pour vous par beaucoup d'autres saintes personnes que je connais.
Je ne vous fais pas compliment sur votre élection; vous me connaissez, ma très chère Mère, et savez ce que je suis, je vous supplie n'en jamais douter. A Dieu, ma très chère Mère. Je suis en Jésus toute votre très obéissante fille et très fidèle servante.
no 48 LETTRES INÉDITES 161
A LA MÊME
[1653 au plus tôt]
Jésus soit l'unique de nos coeurs !
Dee reçois les vôtres du 7ème du courant, je vous y fais une prompte réponse pour votre consolation. Ecrivez à la bonne âme avec autant de franchise et de liberté comme si c'était à moi et plus encore, parce qu'elle est infiniment plus sainte et plus éclairée que moi. Car pour vous parler en fond de vérité, je ne suis que ténèbres et misères extrêmes ; mais il ne se faut pas toujours regarder.: si je m'arrêtais à ce que je suis, jamais je n'ouvrirais la bouche. O mon Dieu, je ne vois en moi qu' abomination et péché. Croyez que je suis bien réduite, et pas encore assez, j'espère descendre dans un plus profond abîme. Priez Dieu qu'il soutienne l'âme pendant qu'il la détruit jusqu'à la moëlle des os. Nonobstant mes misères, je suis toute dans l'affection de rendre a votre âme tous les services que votre humilité désire. Je prendrai la liberté de vous dire mes petits sentiments comme du passé ; seulement il y aura cela dé différence que je le faisais par obligation, et à présent ce sera par soumission à l'ordre que j'en reçois de votre bonté, qui veut être soumise à la plus pécheresse du monde. Cette impression que vous avez eue pour la bonne âme vient sans doute de Dieu, car elle est dans un excès de souffrance plus qu'à l'ordinaire depuis quelque temps, et avait désiré que vous ayez mémoire d'elle en vos prières. Elle a de grandes affections pour vous. Cela est bien particulier car c'est une personne morte à tout; elle sera consolée d'entendre de vos nouvelles. Il ne faut point de cérémonies avec elle : c'est une âme qui n'est plus de ce monde.
Je loue et benis Notre Seigneur pour tant de miséricordes qu'il vous fait. Je crois qu'il veut bien que vous en remarquiez quelqu'une pour nous en faire part, en attendant qu'il vous ait introduite dans la perte totale de tout vous même en lui. Néanmoins le tout sans contrainte et comme Dieu le voudra, car, pour moi, je n'ai plus de vie pour Ces choses, que pour la pure gloire du règne de Jésus. Il ne m'est plus permis d'avoir aucun désir, ni l'ombre d'aucune curiosité. Il nous faut tout perdre et laisser abîmer, chacun dans sa voie, et dans la sainte et adorable conduite de Dieu. Demeurons chacune dans nos degrés ; quoique le mien soit extrême, je n'en veux jamais sortir, car il faut perdre son être propre afin que Dieu seul soit. J'aurais besoin de vos saintes prières, ma très chère Mère, et si je ne craignais-de vous être à charge, je vous supplierais très instamment de faire une neuvaine pour demander le règne de Dieu en moi selon son divin plaisir, et que je sois réduite au suprême ; mais qu'il soit le soutien de l'âme, afin que dans ces extrémités elle ne succombe point. O Dieu, que son bras est
puissant ! Quand lui plait, il fait d'étranges choses. J'adore tout,
162 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 163
m'abîmant dans le silence et le néant où je vous suis par lui et en tout ce qu'il veut que je vous sois.
Continuez d'aller le vendredi devant le Très Saint-Sacrement s'il vous plait, cela ne nuira point à votre charge, une matinée se passe bientôt. Pour les jeûnes de la Règle, je ne crois point que vous en devez faire. Il y aura moins de vous même en ne jeûnant point et plus d'abjection. Je vous prie soumettez-vous à celles qui vous en prient.
A Dieu, ma très chère Mère, c'est votre très indigne Fille.
nu 1354 N267
A RÉVÉRENDE MÈRE DOROTHÉE IHEURELLE1
Sous-Prieure du monastère de Rambervillers
28 may 1654, mercredi de la Pentecôte
Ma très chère Mère,
:1> e reçus avant-hier les vôtres au plus fort d=une cérémonie que nous
faisions, qui était la vêture de Mademoiselle d'Uxelles (1). Priez Notre Seigneur qu'il la revête de son divin Esprit et de la grâce de sa sainte vocation. Quelqu'une de nos Mères vous en dira le détail. Je me contenterai seulement de vous dire qu'il me semble que toutes ces choses se font si hors et si loin de moi que je ne les sens point. Je ne trouve plus en moi la capacité de me réjouir de quoi que ce soit. 11 faut pourtant excepter une chose, qui m'a donné grande satisfaction : c'est qu'ayant fait faire une Notre-Dame plus haute sans comparaison que moi, tenant son enfant sur son bras droit, et de la main gauche tenant une crosse, comme étant la généralissime de l'Ordre de SaintBenoit, et très digne Abbesse, Mère et Supérieure de cette petite maison du Saint Sacrement, on nous l'apporta samedi veille de la Pentecôte. Je vous avoue que son abord me fit frémir de joie et de consolation, voyant ma sainte Maîtresse prendre possession de son domaine et de tout ce petit couvent. Elle n'est pas encore parfaite, car on la doit dorer et la rendre parfaitement belle, et après qu'elle sera achevée en sa perfection, on la fera bénir (2), et puis élever sur un trône préparé à cet effet au milieu de notre choeur, entre la chaise de notre Mère Sous-Prieure et la nôtre. On l'admire, et certainement elle est belle et• me console extrêmement.
Il me semble que je n'ai plus rien à faire quand je vois cette aimable princesse tenir son rang d'autorité et de bonté én nos endroits. Je vous
(11 Cette jeune fille ne put persévérer pour raison de santé.
(2) Cette vierge est la «Notre Dame Abbesse» du monastère de la rue Cassette, bénie le 15 août 1654. Cette statue a disparu pendant la révolution. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et 296 - 297.
prie de l'honorer pour nous et la supplier de prendre une souveraineté absolue sur nous toutes, et qu'elle nous rende dignes d'être ses vraies filles. NoÉis vous manderons toute la cérémonie quand elle sera faite ; ce ne sera encore de plus de deux mois. Nous vous prions de nous aider de vos saintes prières à nous disposer à ce saint jour, qui m'est un des plus précieux de ma vie. J'espère tout de ma sainte Mère et très aimable Maîtresse. C'est bien ma bonne Mère en vérité, et il me semble que ma confiance passée s'est renouvelée en moi plus fortement que jamais. J'attends d'elle un grand secours pour la bonne conduite de ce petit monastère qui n'est pas encore parfaitement établi. Il ne fait que naître. Priez cette sainte Mère d'y verser ses saintes et abondantes bénédictions. Dieu y veut beaucoup de sainteté, mais je suis bien opposée à ses desseins. A moins que d'être très anéantie, il n'y a pas moyen de correspondre à un ouvrage si saint et qui fait bien enrager le démon. Il en fait bien des tempêtes.
Ma très chère Mère, je suis en bonne santé, quoique nos Mères ne le croient point. J'ai été plus languissante que je ne suis maintenant. Pour ma vie, je l'abandonne et n'en sais pas la fin. Seulement, il serait à désirer que je la termine en agissant dans mes obligations, parce que nous avons trop d'occupation pour appliquer mes Soeurs à m'assister à ce dernier passage. Je ne crois pas que ce soit sitôt, car j'ai bien de la vie dans le coeur. Je vous assure qu'on n'a pas seulement le loisir d'y penser, car il ne se faut réfléchir que le moins que l'on peut et se laisser perdre sans ressource. Hélas ! Je ne me consomme pas devant le Très Saint Sacrement, mais je me consomme dans le tracas et dans les créatures. Voyez quelle effroyable consommation ! A Dieu, priez-le qu'il se glorifie en tout. Je suis en lui, et à toute la chère communauté, votre toute acquise et plus fidèle ...
no 1361
A LA MÊME
le jour St Mathieu 1654 [21 septembre]
Ma Révérende et très chère Mère,
Jésus dans son divin Sacrement soit notre consommation !
D'e viens tout présentement, Je recevoir les vôtres, très chère, en date du- 10ème du courant. Elles nous ont apporté bien de la joie, car je
ne pouvais plus supporter votre silence, ni un si long retardement de vos lettres. Je vous prie, ma chère Mère, une fois pour toujours, de ne nous en priver si longtemps ; cela me met trop en peine, et je demande à' votre charité cette satisfaction d'avoir, de temps en temps, des nou-
164 CATHERINE DE BAR LETTRF,S INÉDITES 165
velles de vos santés et de la maison, à laquelle je prends le même intérêt que si j'étais encore Supérieure. Je l'ai trop aimée et l'aime encore trop pour l'oublier. C'est une chose impossible, et souvent notre Mère Sous-Prieure (1) et moi cherchons un moyen d'y faire un petit voyage, pour avoir la consolation de vous entretenir encore une bonne fois avant que de mourir. Je n'en vois point de plus prompte et meilleure occasion que d'aller à Plombières au lieu de Bourbon, pour un bras que j'espère être un jour perclus. J'en ressens des atteintes très grandes et je n'y veux point faire de remèdes, afin que les médecins m'ordonnent sans autres ressources les eaux chaudes, et Dieu sait comme je drillerai [j'irai droit] à Rambervillers. C'est là où je ferai mes remèdes et, si Dieu voulait, mon cercueil sans avoir la peine de revenir.
Voilà une de nos petites saillies, mais hélas ! cela dure peu, car nous avons si peu de temps à respirer qu'à peine en trouvons-nous pour un peu nous divertir. Mais tout de bon, si ce mal de bras ne me contraint à faire un voyage, je ne vois pas lieu, de longtemps, de l'espérer ; partant il faut prier pour l'augmentation de mon mal, qui n'est pas si grand que je le désire. J'ai été languissante deux mois et plus, avec une fièvre et faiblesse de poitrine assez grande. Ce qui était plus mauvais, c'est ,que j'avais les jambes et les pieds fort enflés et les marques y demeuraient et, de là, je pouvais douter d'être bien plus mal. Mais de tout cela, la nature en moi s'en joue ou Notre-Seigneur s'en rit, car je passe toujours par dessus tout et n'alite pas. J'ai traîné ainsi ma pauvre vie. Présentement je suis bien mieux selon le corps, mais toujours très mal selon l'esprit, car je suis toujours tant opposée à Dieu que cela est pitoyable.
Ma Soeur Marie de Jésus [Chopinel] souffre beaucoup de corps aussi bien que d'esprit depuis quatre ou cinq jours. Continuez de prier. Je vous avais écrit une lettre à son sujet, de trois ou quatre pages, mais je la crois perdue, car vous n'en avez jamais dit mot. Hélas ! ma très chère Mère, je suis indigne de servir cette âme et toutes celles qui sont ici. Je me vois bien l'esclave de toutes, mais je suis si ténèbres que je ne vois goutte à leur conduite. Ce qui me console, c'est que la Mère de Dieu a dit à la bonne âme qu'elle aura soin de cette communauté. Cela me donne un peu de repos, et lui abandonne plus confidemment, puisqu' elle assure d'en prendre le soin. Elle prie bien pour ma Soeur de Jésus, mais il faut qu'elle se résigne à Dieu ; je ne sais quand il lui plaira la soulager. J'ai bien de la dévotion a Notre-Dame de Repos et, pour son amour, je vous y demande une neuvaine, afin qu'il lui plaise me donner-le vrai repos, que l'on peut avoir en cette vie, qui est d'être toute anéantie. Je ne sais point de repos pour moi que le centre de mon néant, dans lequel j'aspire d'être toute abîmée.
(1) Mère Bernardine de la Conception Gromaire a quitté son monastère de Rambervillers avec Mère Anne de Sainte-Madeleine fin 1653. Elles rejoignent Mère Mectilde à Paris pour la seconder dans la fondation de l'Institut.
Faites part à notre très chère Mère Prieure de nos nouvelles, et lui dites que la plus grande satisfaction que je reçois des choses de la vie ce sont ses lettres ; quand il lui plaira, elle nous écrira. J'ai différé de dire vos sentiments pour notre Marie pour quelques raisons. Si elle n'avait l'affection pour R., elle serait déjà reçue céans. Elle se change bien, mais elle a peine à se résoudre de penser à nos retours et qu'elle demeure ici. Si la Providence nous manifeste ma mort en France, je lui donnerai l'habit pour cette maison ; car si nous y mourons, il faut qu'elle se résolve - d'y demeurer, ou de n'être point religieuse puisque vous ne la voulez point. Nous en ferons le mieux qu'il nous sera possible. Faisant bien, elle n'aura pas de peine ici, car partout il faut se rendre à Dieu ; elle en témoigne bien du désir. Je la servirai de tout mon possible pour céans, elle s'en peut assurer. Mais pour ailleurs, je n'y ai point de pouvoir, et ne voudrais pas en avoir, car j'aime que tout se fasse dans une sainte liberté, ne prétendant jamais violenter les inclinations ou les sentiments d'une Communauté.
Ma chère Mère, faites bien mes recommandations à toutes, je vous en supplie, et particulièrement à notre très chère Mère Prieure. Notre Mère Sous-Prieure vous écrira plus amplement de tout et de notre Sainte Mère Abbesse. Je ne vous oublie pas, je la prie récompenser toute la charité que son Fils vous a donnée pour moi et qu'il vous consomme en son amour. A Dieu, ma très chère Mère, Messieurs de Bernières et Roquelay (2) vous saluent. Ils font des merveilles dans leur ermitage ; ils sont quelquefois plus de quinze ermites. Ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne Mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à M. de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l'état du saint et parfait anéantissement. Nous avons ici pour notre sacristain le bon vigneron de Montmorency (3). Je ne sais si vous l'avez connu, c'est un ange en terre. A Dieu, je ne puis finir. Je suis en Jésus toute vôtre...
no 1594
(2) Jean de Bernières-Louvigny. M. de Roquelay, prêtre, lui servait de secrétaire. Cf. M. Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVIle siècle, Perrin, 1923 et C. de Bar. Documents, 1973, p. 64.
(3) Jean Aumont, dit de la Croix. né à Montmorency en décembre 1608 et mort le 19 avril 1689. Il a été inhumé aux Filles Pénitentes de Saint-Magloire, rue Saint-Denis à Paris..Aumont semble avoir été l'un des chefs de cette école mystique pré-quiétisté, qui cherchait à répandre «l'oraison du coeur, cf. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Bloud et Gay, 1916. t. VII, chap. V, p. 326 et suiv. P.J. van Schaick dans Revue d'histoire de la spiritualité, t. 50 (1974), n''199200, p. 457 et suiv.
166 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 167
EXTRAIT D'UNE LETTRE À UNE RELIGIEUSE
du monastère de Rambervillers
Paris, 1654
Ma très chère Mère,
Pour ce qui est de mes croix, je ne vaux pas la simple application de votre esprit à mes humiliations. J'espère que la Providence me rendra digne d'en avoir de plus grandes. Priez Dieu que je ne l'offense
point. .
Depuis quelque temps, je vois une espèce de béatitude à être rejetée, méprisée, crucifiée et maudite des créatures et me semble que je ne serai jamais parfaitement à Dieu si je ne passe par là. Il plaît à Dieu m'y mettre au regard de plusieurs, mais non pas de tous. Ainsi le bonheur n'est pas accompli. J'avoue qu'il faut une très haute grâce pour le soutenir, mais ma confiance est en la vertu et miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Il sait détruire et soutenir, et si vous entendez dire beaucoup de choses de moi, ne vous en étonnez pas. Pour moi je ne sais comme je suis faite au regard de ces choses ; je suis devenue toute insensible ; il me semble que ma complaisance est au bon plaisir de Dieu. Je trouve ses voies si saintes et si adorables que je ne me puis lasser de les admirer. Mon Dieu, qu'il fait bon nous laisser dans sa sainte main ! O qu'il nous conduira bien et à bon port ! Il me semble que si Dieu nous voulait damner, il y aurait plaisir de l'être de sa main, et par son divin vouloir. Laissons-le faire, tout ira bien et il ménagera notre sanctification au milieu des obstacles que la nature, les créatures et le démon nous dressent. Il me semble que l'âme ne peut plus prendre aucun plaisir sur la terre que dans ce bon plaisir de Dieu ; dès aussitôt qu'on l'envisage, il calme tout, jusqu'au premier mouvement qu'il a la puissance de retenir. Apprenons à nous perdre. Soyons victime en vérité et non en figure. Immolons nos vies, nos intérêts et nos sentiments au bon plaisir de Dieu. Préférons-le à tout et prenons notre complaisance dans le renversement de nos desseins. Je vois que c'est une infidélité à l'âme de désirer quelque chose ; c'est à Jésus Christ de désirer pour elle et de former des desseins sur elle. Je n'oserais plus rien Souhaiter. Il me semble que Notre Seigneur veut que nous demeurions plus en lui qu'en nous et que nous soyons plus agies de son Esprit que du nôtre. Commençons à vivre pour lui dans la pureté de son amour. Donnons-lui cette gloire, que le reste de nos années, qui sont bien courtes, soient purement pour lui sans plus de retour sur nous, non pas même sur notre propre perfection.
Il faut que je vous dise ma juste douleur et dont je suis un peu touchée, ce me semble, c'est de voir qu'en quarante années qu'il y a que je suis
sur la terre, je n'ai jamais vécu un moment pour Jésus Christ, je n'ai vécu que pour moi et pour les créatures. En vérité cela est tout à fait affligeant. O ma chère Mère, j'ai une grande espérance que Notre Seigneur m'en retirera. Je vous conjure de l'en prier pour moi, et qu'après avoir donné à cette oeuvre ce que Dieu veut de moi, je puisse m'en retourner dans notre chère Maison, y commencer et finir ma pénitence. Nous sommes plus à Dieu et pour Dieu qu'à nous, pour nous-mêmes. J'ai la pensée que nos vies sont si brèves qu'il ne faut plus retarder. Il faut marcher bien vite sans plus s'arrêter et je le dis souvent à nos Soeurs, je voudrais que nous tendions toutes au parfait dégagement de toutes les choses créées et à la pure adhérence à Jésus Christ. Hélas ! qu'est-ce de tout le reste ? je ne vois rien dans les créatures qu'amertume, vanité et afflictions d'esprit. Priez Notre Seigneur qu'il m'en fasse sortir, et dites, je vous supplie, à nos chères Mères, que je leur demande encore derechef très humblement pardon et que je les prie d'aller bien vite à Jésus Christ. Je les conjure de ne point retarder, et ce n'est pas sans raison que je leur fais cette instante prière, il y va de leurs intérêts etc...
no 2483
DE LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]
du monastère de Rambervillers
[en date du 31 mars 1655]
Ma Révérende, toute chère et plus intime Mère,
J'ai fait la lecture de celle que votre charité a pris la peine de m'écrire, avec une joie toute particulière, en y considérant les belles lumières et les belles vérités que Notre Seigneur verse en votre âme. Je crois bien que les vues et les sentiments d'humiliation que Dieu donne font tous les biens du inonde à l'âme ; mais si en suite de cela vous veniez à mettre votre talent dans un mouchoir et l'enterriez, je voudrais bien savoir s'il l'aurait pour agréable. Vous avouez vous-mê-ne que vous concevez des secrets et des merveilles dans les voies et conduites particulières de Dieu sur les âmes, et que le secret des secrets c'est de savoir bien demeurer dans sa voie. Voilà beaucoup dire en peu de mots, et je crois que c'est là tout le noeud de l'affaire, en la voie spirituelle.
Que j'aurais de choses à vous dire là-dessus, car je trouve qu'il n'est pas bien facile à de certaines âmes de connaître leur voie et qu'il faut .bien souvent qu'elles marchent sans savoir si elles avancent ou reculent, si elles gagnent ou si elles perdent, si elles sont en grâce ou en disgrâce, et ce leur serait une grande consolation si, dans leurs plus grandes peines d'esprit elles savaient que c'est là leur voie pour aller à Dieu et que ces mêmes peines nous y condui-
168 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 169
sent. Vous me répondrez qu'elles ne seraient plus peines. Je vous l'avoue : au contraire, ce serait une merveilleuse joie de les souffrir. Je ne sais si j'oserais dire que Notre Seigneur m'a mise dans un exercice, depuis la mi-Carême, qui m'est bien pénible. Je crois qu'il vaut mieux avouer devant lui et les créatures que ce sont mes péchés et mes infidélités. Que je serais en disposition de causer ! Mais il faut finir et vous dire que j'ai bien pensé à ce que vous dites : que le poids d'une nouvelle maison naissante est effroyable ; je le crois certainement. A une âme à qui Dieu en donne la lumière et connaissance, et qu'il lui fait concevoir la grandeur d'une chose qui est dédiée au culte e au service et à l'adoration d'un Dieu, il faudrait des anges, et encore serait-ce peu. Néanmoins il se sert de faibles créatures pour lui rendre des hommages que les plus hauts Séraphins s'en estimeraient indignes ; cela est étonnant. Il faut que je vous avoue qu'en lisant vos sentiments là-dessus, vous me les avez imprimés à mon esprit, et vous m'en avez fait concevoir des choses que peut-être je n'y aurais jamais pensé. Car quand on vient à considérer le haut état où Dieu nous a appelées, nous avons bien sujet de nous humilier, et ces belles vérités viennent de lui, quand nous les avons, et il s'en sert pour disposition et fondement, pour rendre une âme capable d'être en état qu'il s'en puisse servir selon ses desseins. C'est un Dieu qui donne grâce aux sujets qu'il se veut servir; pourvu qu'on n'y muette point d'opposition, encore sait-il bien compâtir à nos infirmités et faiblesses de sa créature. Il connaît bien ce que nous sommes.
Je fus touchée de compassion, en lisant votre lettre, de voir que vous dérobiez à vos yeux le temps que vous preniez pour m'écrire. Je vous prie, ma toute chère Mère, de ne le plus faire, car, comme je vous ai déjà mandé, un mot me suffit. Je sais bien que le temps vous est cher et que vous n'avez que trop d'autres occupations. Quand je vous dis ceci, ce n'est point que je ne désire bien que vous m'écriviez quelquefois, mais sans vous incommoder. Je pense bien écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure, mais je ne saurais cette fois ici, j'en suis bien mortifiée ; ce sera pour la première poste, je la salue de coeur et d'affection. Notre Mère ne manque point de faire prier Dieu pour vous, et qu'il vous donne son Saint Esprit pour la réception de vos filles (1). Nous avons aussi bien affaire de prières, car nous allons avoir la visite devant l'Ascension? Monsieur Caillier nous l'a mandé. Demandez à Notre Seigneur que toutes choses se fassent à sa gloire et pour le salut des âmes.
Toutes nos Mères et Soeurs vous présentent leurs très humbles obéissances. Je salue tout votre noviciat et leur suis à toutes, très humble Soeur, et à vous, ma Révérende Mère, votre très humble obéissante et obligée fille.
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(1) Nous ne trouvons dans le registre des vêtures et professions, à cette date, que la réception de Louise Guisselain. Celle-ci connaissait Mère Mectilde depuis son séjour à Saint-Maur-des-Fossés (1643 - 1646). C'est elle qui avait conduit M. Boudon, qui n'était pas prêtre alors, près de Mère Mectilde C'est pourquoi nous le retrouvons, comme prêtre, à la vêture et à la profession de Soeur Marie du Saint Sacrement Guisselain. Elle avait pris l'habit le 27 mai 1654 et fera profession le 8 mai 1655. Il s'agit ici de sa réception à la7 profession par la Communauté. Elle meurt le ler juin 1660, âgée de 40 ans. (cf. lettre de la Mère Benoîte de la Passion de juin 1660).
A UNE RELIGIEUSE MALADE À L'EXTRÉMITÉ [À RAMBERVILLERSI
[avant mars] 1657
ésus ressuscité soit la force, la grâce et la sanctification de votre
âme, dans l'état de maladie où sa Providence vous tient, laquelle nous rend inconsolable ! Nous n'avons point les yeux essuyés depuis la réception de ces tristes nouvelles.
O ma pauvre Mère, faut-il se résoudre de vous savoir mourante sans vous voir et vous embrasser encore une fois ? Jamais je n'aurais cru que votre mort me fût autant douloureuse et sensible. Mon coeur vous sacrifie sans cesse et mon âme vous donne à Jésus Christ dans un intime désir qu'il vous possède et vous consomme toute en lui. O Dieu ! quelle nouvelle, ma bonne Mère qui se meurt ! C'est me faire mourir que d'entendre que nous faisons une telle perte, et j'en suis si pénétrée et dans une telle crainte que ma lettre ne vous trouve plus en ce monde que je ne sais si je la dois continuer. Je l'écris à tout ha,ard, dans l'espérance et la crainte. Je meurs et je vis tout ensemble, pour porter la douleur de mon grand sacrifice. 11 fallait entendre ces nouvelles, autant inopinément que moins je les attendais, pour faire épreuve de ma véritable affection. En vérité, je la connais à présent, mon coeur est touché, mais sensiblement, et je ne vous saurais rien témoigner que ma douleur et ma peine. N'y a-t-il pas moyen de prendre encore un peu de courage pour achever votre perfection ? Je prie Notre Seigneur vouloir regarder ma tristesse et la perte que je fais en votre chère personne. 0 mon Dieu, je veux et j'adore vos desseins et vos secrets. Je me sacrifie à toute privation et, ce qui m'afflige davantage, c'est que Notre Seigneur me laisse dans une incertitude de votre guérison, et je n'en ai quasi point ou bien peu d'espérance. Cela me fait croire que Dieu me veut faire entrer dans la privation, dans le sacrifice et dans la perte que la Providence me prépare ; car dès que cette chère Mère sera au Ciel, je dois commencer ma carrière dans les croix. Hélas ! qui me retirera de ma captivité, si cela arrive ? ll y faudra mourir. Laissons cela à part, il n'en est pas le temps, je m'abandonne à tout sans réserve.
Ma chère et unique iv1ère, il faut que je vous dise deux mots avec une peine extrême : je ne vous dirai pas que vous vous donniez à Jésus Christ, je sais que votre âme est dans une soumission totale ; seulement je vous dirai : allez à mon Seigneur et mon Maître ; allez donc à Jésus Christ ; allez dans la consommation de son pur et saint amour ; allez posséder votre repos en Dieu ; entrez dans sa divine béatitude ; sortez de la misère à laquelle notre vie nous assujettit ; sortez des créatures pour rentrer dedans Dieu ; n'ayez point de retour sur vous-même ; appliquez tellement à la bonté de Dieu votre âme et .votre esprit que vous reposiez en lui par une amoureuse confiance ; goûtez sa
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bonté et sa miséricorde. Je le supplie de vous fortifier de sa grâce et de son amour, de vous prévenir de ses saintes bénédictions, enfin de vous donner une mort toute sainte. Allez, ma bonne Mère, n'ayez point de regret de quitter la terre. Le Ciel est infiniment plus digne. Vous êtes créée pour Dieu et vous devez retourner à Dieu. Rentrez donc dedans votre centre et dans votre bonheur ; ne nous oubliez pas. Priez pour nous lorsque Jésus vous fera la grâce de vous conduire en son Royaume. Priez-le, je vous supplie, qu'il me rende digne de vous y suivre un jour et de prier pour vous efficacement. Soyez certaine que nuit et jour je vous offrirai à Notre Seigneur et ferai sans cesse prier Dieu pour vous. Si je suivais mes sentiments, je ne finirais pas la présente que je ne l'aie remplie de toutes mes pensées ; mais je vois qu'il n'est pas le temps de les continuer. Je finis en vous protestant qu'en la vie et en la mort, je vous serai parfaitement fidèle.
no 1540 N267
A LA MÈRE DOROTHEE [HEURELLE à Rambervillers
[avril/mai 1657]
Ma toute chère Mère,
'ai reçu celle que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, qui m'a
donné une sensible consolation, me voyant dans votre cher souvenir. Je vous assure, ma très chère Mère, que j'en ai un très grand besoin. Si je considérais le poids que je porte, je serais abîmée de douleur ; mais autant que je puis, je le laisse sur les épaules de Notre Seigneur et tâche de m'anéantir sous ses pieds. Mais c'est avec tant d'infidélité que j'en ai horreur, et je vous supplie d'en demander pardon pour moi, et de réparer les outrages que je fais à sa divine Majesté. Je voudrais bien qu'il lui plût me faire la grâce d'accomplir ses volontés en la manière qu'il veut. Aidez-moi ma très chère Mère, par vos saintes prières, et ne me séparez jamais de la charité que Notre Seigneur a mise en vous pour moi. Je vois et conçois la tendresse de votre bon coeur, mais je prie Jésus Christ mon Sauveur qu'il ne souffre pas que mes péchés me retranchent de cette union que je considère comme un effet de sa miséricorde. sur moi, que je chéris plus que je ne vous puis dire.
Hélas, ma très chère Mère, c'est bien moi qui dois vous demander pardon des peines que je vous ai données, et surtout des mauvaises édifications. Mon Dieu, que votre bonté a été grande de me souffrir, mais ne me la retranchez pas, je vous supplie ! Ayez toujours un peu de soin de mon âme, et plus encore des intérêts de Dieu en moi. Priez-le qu'il vive lui seul, et qu'il détruise tout ce qui lui est contraire, afin qu'il règne, et que celui qui fait votre vie fasse la mienne, et qu'il soit uniquement tout en tout, et vous et moi cachées et abîmées en lui, pour ne nous jamais retrouver en nous-mêmes.
Adieu, ma toute chère Mère, je ne partirai qu'après l'octave (1) s'il ne me vient des nouvelles qui m'obligent de changer de sentiments. Le chaud est si ardent que nous craignons bien de demeurer en chemin. Je sens bien que je deviens vieille, la vigueur se passe. Hélas, si je la consommais pour Dieu, quel bonheur ! Mais la nature ravage tout. J'ai bien de la peine de laisser notre très chère Mère assez mal ici. Elle est plus à son centre avec nous. Je crois qu'elle ne sera pas longtemps sans y retourner. ll faut 'bien prier Notre Seigneur qu'il nous la conserve pour sa gloire. Selon l'humain elle ne le peut faire longtemps, mais Dieu peut tout, il faut nous confier en sa bonté et espérer qu'il aura pitié de son oeuvre. Si je savais me tenir au néant, tout irait bien. Priez Notre Seigneur qu'il me tienne sous ses pieds adorables et que je ne m'en retire jamais.
Je vous prie de saluer très cordialement toutes nos très honorées Mères et chères Soeurs. Je ne vous puis exprimer la tendresse que j'ai pour toutes. J'espère de n'être pas longtemps sans les revoir. Mais comme toutes les choses de la vie sont incertaines, il faut vivre et mourir dans un total abandon, sans cesser d'être en Jésus tout à vous.
no 746 B505
(1) Le manuscrit Paris 101 p. 712, dit : Au début de 1657, elle se trouva attaquée d'une fluxion de poitrine et d'un mal de côté avec une oppression considérable joints à un engourdissement du bras gauche qui lui ôtait tout mouvement... Les médecins lui ordonnèrent d'aller aux eaux... elle choisit Plombières située en Lorraine... Elle donna à Mère Bernardine, sous-prieure, un pouvoir pour acheter le terrain rue Cassette destiné au futur monastère... et partit en avril... Elle s'arrêta à Nancy... où elle descendit chez les religieuses de la Congrégation. « Elle y avait deux nièces », c'est-à-dire deux cousines de son neveu Claude Gaulthier. La famille Gaulthier a donné un grand nombre de religieuses à la Congrégation Notre-Dame. Celle-ci a été fondée par Alix le Clerc, née le 2 février 1576 à Remiremont (Vosges) et décédée le 9 janvier 1622 à Nancy. La congrégation est née de la prière du Père Fourier dans la nuit du 20 janvier 1598. Le Père Pierre Fourier né à Mirecourt le 30 novembre 1565, réformateur des Chanoines réguliers de Saint-Augustin et curé de Mattaincourt (Vosges), de 1597 à 1640 est enterré dans sa paroisse et son coeur est conservé à Gray où il mourut le 9 décembre 1640 en soignant les pestiférés. cf. Père Rogie Histoire du bienheureux Pierre Fourier Verdun 1887.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME ]
[de Plombières, après son passage à Rambervillers]
le 24 juin 1657
Ma Révérende et ma plus chère Mère,
e viens tout présentement de recevoir votre chère lettre qui m'a
toute redoublé ma douleur. Je vous puis dire et protester, ma plus
172 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 173
intime et chère Mère, que j'ai le coeur plus touché que jamais de votre séparation ; et me semble que je suis si liée à vous que vous faites partie de moi-même, mais d'une façon que je ne puis exprimer. Plût. à Dieu que je sois libre et que je puisse retourner sans aller plus outre ! Vous êtes à mon âme ce que Dieu sait et que je ne puis dire ; prenez courage, ma très chère Mère et priez un peu pour nous. Il est vrai que vous êtes bien crucifiée, et j'espère que je le serai un peu avec vous, et toutes deux dans le silence, sans se plaindre à personne qu'à Dieu seul. Je ne doute point qu'il ne soit votre force, priez-le qu'il soit la mienne. Plus je considère les affaires, plus je vois d'embarras pour moi, et dans l'embarras ma ruine, si Dieu n'a pitié de moi. Car encore que le fond soit adhérent, la trop forte occupation du dehors le distrait, ou du moins l'affaiblit beaucoup. Heureuse l'âme qui possède la solitude !
Je vous supplie, ma très chère Mère, de vous souvenir de la lettre que vous pourrez écrire dans un mois au Père Prieur de Saint-Germain (1), si toutefois Notre Seigneur vous l'inspire. Ne l'écrivez point pour moi, car je serais en scrupule si vous me considériez. Si Dieu veut me remettre avec vous, j'espère qu'il vous donnera le mouvement d'écrire ; n'attendez pas que je sois élue à Paris pour la deuxième fois.
Je vous écrivis hier, pensant vous envoyer un exprès. Mais ma soeur voulant retourner demain, j'ai cru qu'il suffirait qu'elle vous porte mes lettres et qu'elle se console un peu avec vous. Je n'ai rien qui me retienne en France, et cependant je n'ose dire absolument que je reviendrai. Il faut tellement mourir à tous désirs qu'il faut travailler à mon retour sans que je m'y applique. Il me semble que je suis à vous par surcroît, à cause du renouvellement de mes voeux entre vos mains. Je suis plus liée à votre pouvoir et me trouve plus assujettie à ce qu'il vous plaira me commander.
Je vous supplie faire réponse à la ci-jointe et donnez votre lettre à M. Mercier si vous n'avez point d'autre voie, car toutes les semaines il vient à Nancy. Il sera bien aise d'apporter de vos nouvelles et paquets quand vous en aurez. Adressez vos lettres et paquets à Mademoiselle de Vienville (2). A Dieu, ma plus chère Mère, je suis votre pauvre et très indigne fille.
ni' 1595 R17
(I) Dom Bernard Audebert. né à Belloc, (Haute-Vienne), fit profession à Nouaillé le 11 novembre 1620 après avoir été prieur et abbé de plusieurs maisons, il est assistant du père général en 1648, prieur de Saint-Germain-des-Près en 1654 et supérieur général de 1660 à 1672. Il meurt le 29 août 1675. Dom Martène. Histoire de la congrégation de Saint Maur, Ligugé, 1928, t. 1. p. 35 (Arc•hives de la France monastique, vol. 311.
(2) Françoise Lhuillier, nièce de Mère Mectilde avait épousé en 1652, à Cléfcy, canton de Fraize, Claude Gaulthier maître es arts, licencié ès droits, seigneur de Frémifontaine et sieur de Vienville, gentilhomme ordinaire de la maison de Gaston d'Orléans.
A LA MÈRE DOROTHÉE (HEURELLEI À RAMBERVILLERS
Paris, Saint Alexis, 21 juillet 1657
Ma très chère Mère,
uriez-vous jamais cru que je sois encore sensible pour vous et pour
votre Communauté, si vous ne l'aviez vu de vos propres yeux ? Mon -coeur était touché, et Notre Seigneur, ma chère Mère, voulut que vous soyez convaincue de ma sincère affection, puisque c'est lui-même qui me l'a donnée pour vous et pour nos chères Mères et Sdeurs. J'ai bien de la consolation de vous avoir vue et je l'aurai encore plus grande quand il plaira à Notre Seigneur me retirer avec vous, je crois qu'il m'en fera la grâce si vous lui demandez. La solitude est non seulement précieuse, mais absolument nécessaire pour se rendre à Dieu. J'éprouve ici des conduites de Providence bien obscures, mais en tout et surtout outre la souche, il faut tout passer et se laisser crucifier : nous verrons si la croix nous mènera à la mort.
J'espérais de vos chères lettres par lesquelles vous nous diriez des nouvelles de la joie de vos coeurs, et de la magnificence du Jeudi où le très Saint et très auguste Sacrement vous honora de sa présence. Combien de grâces avez-vous reçues ? Sans doute une infinité. Pour moi, j'estime que vous" recevreztoutes celles que je perds et profane ici, et bien d'autres. Courage, ma très chère Mère, faites hommage et réparation pour nous, rendez à Jésus anéanti ce que mon infidélité. lui ôte. Je prie la sainte Communauté, par vous, de faire le même. Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de la consolation qu'il m'a donnée en ce monde de m'avoir donné les moyens de vous procurer cette sainte bénédiction ; elle est grande et pleine de miséricorde, je crois que chacune en reçoit abondamment. Mandez-nous un peu de vos nouvelles sur ce sujet, mon esprit vous y fait compagnie, quoique très indignement. Adieu en Dieu, je suis en lui toute à vous.
Monsieur de Bernières vous salue. Ecrivez-lui si vous y avez inclination : je lui enverrai vos lettres, au cas qu'il soit de retour. Frère Luc (1), qui est à Rome, vous salue et vous prie de vous souvenir de lui. Si Notre Seigneur le préserve de la peste, qui y est encore bien forte, il m'enverra un corps saint, que le Cardinal Protecteur lui a promis pour nous ; c'est un fidèle ami et qui peut bien servir en ce lieu-là. Dites à notre chère Mère Prieure que si elle veut des indulgences pour les Jeudis de votre Exposition, elle en fasse faire un écrit signé et attesté de l'Ordinaire, c'est-à-dire de Mgr I'Evêque, ou, en son absence, de son Grand Vicaire, et nous écrirons à Rome pour cela. Tout ce que je pourrai faire pour la Maison, je le ferai d'un plus grand coeur que je ne le saurais dire. Notre Seigneur m'a fait faire le voyage que j'ai fait [à Plombières] pour nous rallier toutes et nous unir plus fortement que jamais en lui : qu'il soit béni à jamais !
174 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 175
Adieu, c'est bien en hâte, comme vous pouvez voir par ce griffon. Un million d'humbles et très affectionnés saluts à toutes nos chères Mères et Soeurs, mais sans en oublier aucune, pas même ma soeur Marguerite [Lhuillier] (2) ; je vous prie de lui dire que je prétends toujours lui donner satisfaction. Adieu, en Dieu, je suis en lui toute à vous.
Je prie notre chère compagne de Plombières de nous mander si sa santé continue ; la mienne est assez bonne, mais sitôt que je clocherai, je ferai tant de bruit qu'on me renverra, et pour lors sera bien habile qui me retiendra à Paris.
Ma plus chère Mère. je reçus hier votre chère lettre avec des consolations que je ne vous puis exprimer. Courage, ma chère Mère, vous glorifiez plus le Très Saint Sacrement dans un jour que nous ne ferons toute notre vie : je vous en écrirai mes sentiments avec plus de loisir.
no 46
(1) Frère Luc de Bray - religieux Cordelier - de l'ordre de Saint François d'Assise, parait avoir été de l'entourage de Jean de Bernières
(2) Cf. Annexe : lettre de Mademoiselle de Vienville.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME
Prieure des religieuses de Rambervillers
le 9ème aoust 1657
Ma Révérende et très chère Mère,
:1> e suis très obligée à votre charité de nous avoir donné de vos chères
nouvelles ; elles me sont si chères que c'est la seule consolation que je reçois en terre. Je vous en remercie et de la peine que vous avez prise d'écrire au R. Père Prieur. Nous tarderons encore un peu de lui donner votre lettre, espérant que la divine Providence ménagera encore un voyage pour moi, et par ce moyen nous ferons notre affaire. J'espère quelques bons effets pour vous faire bâtir, si Notre Seigneur agrée d'y donner bénédiction. Pendant que je suis en ce pays, il faut faire ce que je pourrai pour le service de la maison de Rambervillers. J'en ai un très grand désir et vous puis assurer que je ferai tout mon possible pour cela. Je vous prie, quand vous aurez vu le R.Père Dom Antonin, je vous prie que je sache son sentiment, sans me flatter ni craindre de m'humilier tant soit peu ; autrement je croirais que vous ne m'êtes paS fidèle. La première preuve de la vraie amitié c'est de procurer la perfection de l'âme ; vous m'y pouvez plus aider que vous ne pensez. Ne refusez point à mon âme ce que votre bonté donne aux autres. Vous êtes plus que jamais ma Mère et ma Supérieure, puisque Notre Seigneur m'a fait la grâce de renouveler ma profession entre vos mains. Usez donc sur moi du pouvoir que Dieu et sa sainte Mère vous donnent ; je tâcherai de vous témoigner que je suis votre fille en vérité, quoique j'en sois très indigne.
Parlons maintenant un peu d'affaires. Si vous pouviez trouver voie assurée pour m'envoyer votre calice rompu, je le ferais changer contre un plus beau. J'ai grand regret que je ne le pris pour l'apporter. J'espère vous en envoyer un petit d'argent pour tous les jours, afin que vous rendiez celui de l'hôpital et que vous n'ayez plus rien d'emprunt. J'ai aussi dessein de vous acheter un ornement complet. Mandez-nous s'il vous plait, si ma Mère Gertrude [de Sainte-Anne de Vomécourt] fera bien les dalmatiques ; je tâcherai qu'il soit beau pour les solennités du Très Saint Sacrement ; je crois que votre encensoir est bien vilain.
Je vous prie, ma très chère Mère, d'écrire à Madame la Comtesse de Châteauvieux (1) pour la remercier de la fondation qu'elle a faite chez vous. Elle y a donné 4 mille, et le cinquième vient de nous. Vous ne spécifierez que deux mille livres, que vous avez reçues de sa part, qui font la somme de quatre mille francs. Faites une lettre la plus affectueuse et la plus reconnaissante que vous pourrez, et surtout comme incessamment on prie Dieu pour elle et pour son illustre famille, surtout pour Madame la Duchesse [de la Vieuville] sa fille. Mandez-lui qu'elle ne pouvait faire cette oeuvre en aucun lieu qui fût mieux reçue et secondée de tout le peuple, que si elle pouvait voir les louanges que l'on donne au Très Saint Sacrement, les adorations qu'on lui rend, et les bénédictions qu'on lui souhaite en récompense, qu'elle en aurait une singulière consolation. Mandez-lui que vous remerciez Dieu de la grâce qu'il lui fait de l'avoir choisie pour le faire honorer, que c'est une des plus hautes miséricordes qu'elle peut recevoir en ce monde. Bref vous lui direz tout le plus que vous pourrez. N'oubliez pas de lui dire que vous voulûtes me charger d'un écrit pour lui donner assurance de la reconnaissance que vous lui aurez à jamais, mais que notre Sr du St Sacrement [Mère Mectilde, elle-même] ne voulut pas, qu'elle n'ait su de vous, à son retour, si vous l'auriez agréable, pour des raisons qu'elle ne nous dit pas. Cependant, vous trouvant toutes si parfaitement obligées à sa bonté, que vous croyez qu'elle souffrira du moins par une simple lettre les témoignages de vos coeurs et les humbles reconnaissances dont ils sont tous remplis pour elle devant Notre Seigneur ; que sa modestie et son silence ne voulant pas être connus, ni nommés publi-
(1) Marie de la Guesle, dame de la Chaux fille de Jean de la Guesle, fut mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux. Ils eurent un fils qui mourut jeune et une fille. Françoise Marie de Vienne, qui épouse en 1649 Charles 11 de la Vieuville.
Le comte et la comtesse de Châteauvieux sont considérés à juste titre comme les «fondateurs» de notre institut pour leur générosité et leur dévouement. Après son veuvage, la comtesse se retira au monastère de la rue Cassette où elle meurt le 8 mars 1674, cf. C. de Bar, Documents, 1973.
176 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 177
quement en ce saint oeuvre feront que son nom et sa mémoire seront éternellement dans Dieu etc.
Ma très chère Mère, voilà la substance ; vous l'arrangerez s'il vous plait. Je n'ai pas encore envoyé les étoffes et l'argenterie
des Mères d'Epinal, c'est pourquoi elles ne
no 1516
A LA MÊME
18 aoûst 1657
Ma très chère Mère,
cce mot en hâte est pour vous assurer que j'ai fait tout mon possible pour avoir quelque bonne conclusion touchant l'affaire de ma très chère Soeur d'Arconas (1). Voici un petit mémoire que j'ai fait dresser, qui vous fera connaître les sentiments du Parlement et du Grand Conseil. Ces Messieurs m'ont fait dire de vous avertir que votre utilité serait d'accorder avec Monsieur son frère pour une dot comptant, de moindre prix que vous n'espériez, pour vous tirer d'affaire en sûreté et éviter des procès dont vous ne verrez pas la fin et qui coûteront plus que le bien ne vaut. Voilà ce que je vous puis dire sur ce suiet,; le mémoire vous instruit du reste.
J'ai douleur de voir tant de difficultés, et que cette chère Soeur pourra . être retardée si elle n'agit promptement et que votre charité ne l'assiste. Peut être que Notre Seigneur la veut réduire dans une condition comm.- ne dans la Sainte Religion, lui ôtant les moyens de posséder des titres d'honneur et des privilèges autres que' ceux de la charité, qui exerce toujours ses effets dans une maison bien ordonnée. Notre Seigneur l'ayant mise où elle est, si elle est fidèle rien ne lui manquera. Il vaut bien mieux être une sainte religieuse dans la profonde humilité et dépendance de Jésus Christ, que d'avoir quelque petite liberté en son particulier. Une âme qui se donne à Dieu sans réserve croit que sa sainte et adorable Providence ne lui manquera pas. Nous voyons souvent des miracles en faveur de telles âmes qui abîment leurs intérêts dans l'amour de Dieu.
Je vous assure aussi, ma très chère Mère, que je vous rendrai ce que vous avez déboursé pour nous, tant au R.P. Dom Arnould deux pistoles et demie, celle de Mad. de Bilistain et de M. de Vomecour ; je vous supplie de voir s'il y en a davantage. Je vous écrivis ces jours passés
(1) Reçue en février 1658 au monastère de Rambervillers. Des difficultés se sont élevées au sujet de sa dot au moment de sa profession et le monastère s'est trouvé engagé dans des tractations et des procès pénibles. Elle demeure près de Mère Mectilde à Paris quelque temps. Rentrée à son monastère de profession en 1664, nous la retrouvons comme signataire de plusieurs actes de ce monastère.
assez amplement. Ma prétention ne se borne pas à vous rendre ces quatre pistoles et demie, mais à quelque chose par delà. Si la divine Providence m'assiste, je ferai encore peut-être un voyage pareil à celui que j'ai fait ; c'est assez dire, mais je ne tiens encore rien, qu'en espérance : il faut du temps.
Pour ma retraite, je l'ai toujours fort à coeur, et espère que le temps viendra ou que la mort me retirera. Ma santé est bien ébranlée depuis quatre ou cinq jours ; je reviens comme j'étais et ne puis quasi manger, mais cela n'est encore rien, il n'en faut pas parler. Nous verrons ce que Notre Seigneur fera.
Je vous prie d'assurer derechef Monsieur de Vomecour que je ne manquerai pas à la somme de vingt pistoles, que je lui ai promise pour la confrérie du Saint Sacrement, et quelque chose de plus. Je vous prie de lui dire que s'il m'en veut envoyer un extrait pour Rome, bien dressé en latin, que je le ferai confirmer et y appliquer des indulgences. Faisons tout notre possible pour la gloire de celui que mes infidélités anéantissent encore tous les jours dans mon coeur ; aidez-moi à réparer, je vous en conjure.
Permettez-moi de saluer chèrement toute la communauté et de l' assurer que mon affection est entière. C'est si en hâte que j'écris que je ne fais que brouiller. Je suis, ma plus chère Mère, en Jésus toute à vous.
La bonne Mère Marie (2) se prépare par une petite retraite de quatre ou cinq jours avant que de partir. Que ma chère Mère Dorothée [Heu-relie] ait un peu de part à mon souvenir, s'il vous plaît, puisque je ne puis lui écrire.
no 95
(2) Pour la tentative de fondation à Saint-Dié, cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.206. Après avoir été demandées par les notables et la population, les religieuses durent se retirer devant l'opposition acharnée du Chapitre de Sainte-Croix ( Arch. des Vosges, Epinal, liasse 40 H.) voir aussi le Journalier de Dom Antoine de Lescale, pour un fréquent échange de correspondance à ce sujet avec la mère Bernardine de la Conception et la mère prieure de Rambervillers.
A LA MÈRE DOROTHÉE I HEURELLE1
Religieuse bénédictine à Rambervillers
[Couvent] du Saint Sacrement 17ème octobre 1657
Qu'elle apparence, ma très chère Mère, de me priver de ce petit mot de satisfaction que je prends en vous écrivant, quoique je sois extrêmement pressée. Je vous suis tant obligée de la bonne réception que vous avez faite à la Mère Marie, que je ne vous en puis assez remercier ; je la reçois comme faite à moi-même, et je n'oublierai jamais votre bonté.
178 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 179
Il est vrai, ma très chère Mère, que nous avons fait consultation pour quitter cette maison, mais l'on ne nous a pas accordé notre demande. L'on me condamne d'y rester tant que les Supérieurs en disposeront ; vous êtes mes Supérieures, je suivrai toujours vos ordres le plus expressément que je pourrai ; je vous assure du moins que c'est ma volonté. Si vous saviez comme je deviens, vous auriez pitié de moi. Je n'entends quasi plus, et comme je suis sourde, je deviens aussi stupide ; vous diriez qu'on parle à une bête ; on voit cela et on ne me laisse pas quitter. Il faudra bien en venir là, si la Providence continue à me laisser devenir bête tout à fait, comme j'en prends le chemin. J'aspire à un petit trou, n'étant plus capable de rien, et ne crois pas pouvoir être totalement à Dieu que lorsqu'il me séparera de tout. Je suis trop faible pour être parmi les créatures, je m'y souille sans cesse etc... Je crois bien, parlant humainement, que l'on aura de la peine à me tirer ; mais si ma surdité augmente, malgré le monde il faudra me laisser aller. J'abandonne le tout à Notre Seigneur : il sait ce qu'il veut faire de nous ; il faut demeurer dans son bon plaisir et attendre ses ordres. Il me semble que par sa grâce je suis toujours prête. J'aspire sans volonté déterminée ; je désire et je meurs à tous désirs. Ma toute chère Mère, c'est une belle et bonne chose de n'avoir plus de choix.
Voici six points que je trouve excellents, voyez s'ils vous agréent : 10 ne tenir à rien ; 2° aimer l'abandon ; 3° souffrir en silence ; 4° vivre sans choix ; 5° épouser la croix ; 6° se conformer en tout au bon plaisir de Dieu. En voilà assez. A Dieu jusqu'à une autre fois. Ecrivez-nous de vos nouvelles et si vous mourez toujours. Priez Dieu que je meure incessamment, afin que lui seul soit notre unique vie. Je suis en lui toute à vous.
Vous avez acheté la grange et vous avez bien fait. Notre Seigneur y pourvoira. Il m'ouvre un moyen de vous aider encore de quelque peu de chose ; je suis ravie quand j'ai jour pour avoir de quoi vous envoyer. Votre Maison et toute la communauté est bien dans mon coeur, je vous l'assure et je ne néglige rien, ce me semble, de mon petit pouvoir.
Un million d'humbles saluts à toutes nos chères Mères et surtout la Mère Placide [Gérard] et la Mère Gertrude de Vomécourt ; je vous plains bien de la guerre (1) ; je vous prie qu'on la tienne renfermée crainte de plus grand mal.
no 2593
(I) Après le traité de Wesphalie, le duc de Lorraine, Charles IV, s'engage dans. les troubles de la Fronde, louvoyant entre les partis, par goût de l'intrigue et dans l'espoir de retrouver une plus grande indépendance pour ses Etats. Jusqu'à sa mort - 18 septembre 1675 - sa politique maladroite et souvent tortueuse engagera ses duchés dans une guerre désastreuse ; cf. Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, Berger-Levrault, Pari . 1925, p. 275 - 280. •
A LA MÊME
Paris, 5 ème février 1658
Ma très chère Mère,
ae petit mot n'est que pour vous assurer de mon souvenir et de mon affection, quoique votre bonté n'en demande point de témoignage par mes lettres, sachant bien le peu de loisir que j'ai et l'impuissance où je suis de posséder cette consolation aussi souvent que je la désirerais. Néanmoins, je prends cette heure après Matines aujourd'hui pour demander de vos nouvelles et si vous avez bien « sauté la souche » [expression locale]. Je. vous assure que partout il y a à sacrifier. Ah, que j'estime heureuse une âme qui n'en néglige aucune occasion ! Nous n'avons rien à faire en ce monde qu'à nous ruiner nous-mêmes. Il faut tout abattre : pour peu qu'il reste en nous de nous-même, il est capable de faire tout périr. Mourons donc incessamment, chacun dedans sa voie et selon la conduite de Dieu sur nous, qui ne tend qu'à nous anéantir. Plus nous tardons de mourir, plus nous retardons la vie, le règne et la consommation de Jésus Christ en nous. Priez-le, très chère Mère, qu'il me fasse la grâce de mourir, au moins un peu, avant que de mourir. La mort est horrible à une âme qui n'a point appris à mourir dans tous les moments de sa vie.
Je ne vous parle que de mort, je crois que c'est qu'on en parle céans. Notre bonne Mère Sous-Prieure étant en alarme à cause que mon cierge s'éteignit en le prenant, le jour de la Purification, elle dit qu'il en arriva autant à feu le R. Père Chrysostôme (1) et que je mourrai cette année. Elle en pleure tout de bon, mais je ne fais point cas de ce pronostic : nos jours sont dans la main du Seigneur. Quand il lui plaira, il faudra partir. Si c'est cette année, à la bonne heure, pourvu que Notre Seigneur nous trouve comme il veut que nous soyons. Je ne regrette point la vie, elle est pour moi trop misérable et trop remplie de péchés. Si la divine Providence voulait que j'allasse mourir avec vous, je crois que j'en aurais beaucoup de satisfaction. Néanmoins Notre Seigneur est le Maître, il fera tout ce qu'il lui plaira ; on peut parvenir au Ciel de tous les endroits de la terre. Mais si je ne meurs avant que de mourir, tout ira mal à ma mort.
Je continue dans le dessein de vous envoyer notre bonne Mère Sous-Prieure pour achever de la guérir à Plombières. Elle répugne à cela, mais il faut faire tout ce que l'on pourra pour la conserver.
Nous allons entrer dans les grands embarras des bâtiments. Nous
(1) Jean Chrysostôme de Saint-Lô, pénitent du Tiers Ordre de saint François, né à Saint-Frémont, diocèse de Bayeux. Durant son séjour au couvent de Saint-Lô, il connait sai d Jean Eudes, Jean de Bernières et leurs amis. Il meurt le 26 mars 1646 au couvent de Nazareth, à Paris, alors qu'il était provincial de la province de France. cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.68.
180 CATHERINE 1)I BAR 1.I-TIRES INÉDITES 181
commencerons dans trois semaines ou un mois. Redouble/ pour nous VOS saintes prières : c'est la ruine ordinaire des âmes mal fondées en vertu. J'ai bien envie de ne m'y point trop fourrer, mais je crains de me trahir moi-même. La charge donne bien des occupations. J'ai écrit à notre Révérende Mère Prieure, je crois qu'elle vous en dira le sujet. Ne faites rien à ma considération, laissez crier mon âme, faites ce que Dieu veut. Je ne vous en dis point davantage.
Je suis très aise de la réception de notre chère Soeur de Saint-Prosper
d'Arconas], je vous en remercie. J'espère que cette bonne fille se perfectionnera. Je vous recommande la pauvre Soeur de Saint-Alexis ; je voudrais qu'elle fût professe avant que de mourir. Je ne crois pas qu'elle vive longtemps de la manière qu'elle est faite.
Je vous supplie de saluer pour moi toute la Communauté. Je voudrais bien pouvoir écrire à toutes mais le temps me manque, je tâcherai petit à petit. Je suis bien en peine de la chère Mère Placide (2) qui s'est blessée : mandez-nous, je vous prie, de sa santé.
Nous avons eu tant de malades depuis Noël que je me suis quasi vile seule à Matines. La bonne Mère Madeleine est toute indisposée et doute fort si elle ira loin sans tomber tout à fait. Je voudrais bien qu'elle fût à Rambervillers pour sa consolation. Nous aspirons toutes à retourner, du moins notre Mère Sous-Prieure, la Mère de Sainte Madeleine, ma Soeur de Jésus [Chopinel] et moi, nous sommes toujours prêtes à partir et l'on s'en étonne. Les Pères (3) qui nous gouvernent ne peuvent assez admirer notre dégagement et que nous ne nous appropriions point cette maison. Cela les surprend, et ils disent que nous ne sommes pas comme les autres. Certainement il me semble que je n'y tiens à rien et que je n'ai plus rien à espérer en ce monde. Je suis vieille, je commence à regarder la terre comme pour le partage de mon corps. Je voudrais bien rendre mon âme à Jésus Christ ; priez-le qu'il la possède sans réserve.
Je suis en lui toute à vous très cordialement, ma très chère Mère, votre pauvre Soeur et servante
Sr Mectilde du St St.
J'oubliais de vous dire que nous faisons vendredi prochain, 8e de février, la fête du très saint Coeur de la Mère de Dieu (4). Nous avons grande joie de solenniser cette fête ; j'en espère, quoiqu'indigne, quelque bénédiction. Samedi, ma Soeur Marthe (5) fera profession avec ma Soeur de l'Enfant Jésus.
no 156
(2) Mère Placide Gérard. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51.
(3) de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont dépendait notre monastère de la rue Cassette.
(4) Fête instituée par saint Jean Eudes. Notre Institut fut parmi les premières maisons religieuses a inscrire cet office dans son ordo. cf. R.P. Emile Georges, Saint Jean Eudes,Lethielleux, Paris, 1936, p. 252 - 259.
(5) Marguerite Foin dont il est parlé au Journal de Toul note 7.
Soeur de l'Enfant-Jésus (Marie Zocoly) reçut l'habit en janvier 1657, lors d'une cérémonie présidée par son oncle le P. Zocoly. Elle fit profession le 9 février 1658 et, en 1684, elle est sous-prieure. Elle fait encore partie des listes de moniales en 1705, mais y figure en tête comme la plus ancienne. Ses parents généreux bienfaiteurs du monastère, ont été inhumés dans l'église. Sa dot a servi à payer une part importante des travaux de l'architecte Jittard pour la construction du monastère de la rue Cassette.
A UNE NOVICE
du monastère de Rambervillers
Sème février 1658
Ma très chère Soeur (1),
U'e prie Notre Seigneur Jésus Christ vous cacher toute en lui dans son divin Sacrement. 11 n'y a pas d'apparence de vous savoir si étroitement liée à la Croix de Notre Seigneur sans vous témoigner la part que j'y veux prendre avec vous, puisqu'il a voulu se servir de nous pour vous donner quelques moyens extérieurs d'être immolée à sa grandeur dans la sainte Religion. J'ai intérêt que Notre Seigneur soit satisfait de l'hostie que je lui ai présentée. Donc, ma très chère Soeur, j'ai quelque droit de vous prier de lui être fidèle, en l'état où son amoureuse Providence vous tient, vous assurant qu'il n'y a rien de meilleur en ce monde que les souffrances, et qu'une âme qui marche par cette voie fait plus de chemin dans un jour, étant fidèle, que l'on ne ferait en plusieurs années dans une autre conduite.
Dieu, qui est notre diN;in Père, ne nous donne que ce qui nous est non seulement utile mais absolument nécessaire. Par la croix, notre amour-propre et les inclinations naturelles sont crucifiées. L'infirmité nous rend abjecte et petite aux yeux du monde. Nous devenons souvent des néants et des objets de rebuts, et c'est ce que nous devons aimer pour nous vider des créatures, nous retirer d'elles, se retirant elles-,mêmes de nous. Nécessairement il faut souffrir, soit au dedans, soit au dehors, et pour moi je tremble quand je vois une âme qui ne souffre point Il me semble qu'elle est ensevelie dans la nature et l'amour-propre, et qu'elle est bien loin de la pure mortification, qui nous sépare jusqu'au plus petit point de ce qui déplaît à Dieu, dans l'intime de notre âme.
Ma chère Soeur, aimez votre croix, baisez-la avec amour et respect. Unissez-vous à votre adorable Seigneur que vous trouvez attaché en icelle. Jamais Jésus Christ n'a été sans sa croix. Il l'a toujours contemplée, il l'a toujours aimée, et dès le moment de son adorable incarnation, il a été crucifié. Ne serez-vous pas bien heureuse si vous...
...pouvez, avant que de mourir, avoir un peu de rapport avec lui. Vous
n'avez que lui seul à complaire ; le monde et les créatures ne vous doivent plus rien être. Jésus tout seul vous doit suffire. Je le prie de vous' animer de sa force divine pour souffrir saintement. Qu'il soit triomphant de tout vous-même et que son amour fasse votre consommation ! Je suis en lui, ma très chère Soeur, votre très affectionnée.
n° 1319 L14 et B505. L14 s'arrête à : heureuse si vous ... La suite est copiée sur le B505.
(1) La date et le texte de cette lettre font penser que la novice est soeur Benoite de Saint-Prosper d'Arconas dont il est parlé à la lettre du 18 août 1657.
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DE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME]
Toussaint 1658
J'ai une ,joie particulière d'apprendre la charité que vous exercez envers les âmes du Purgatoire. Et je ne puis m'empêcher de vous dire que, quelques jours avant la Toussaint, je fis un songe qui me toucha beaucoup à mon réveil. Je vis donc un grand nombre d'âmes de nia connaissance qui étaient dans les flamines purifiantes depuis longtemps, qui étaient douloureusement affligées et pleuraient amèrement. Comme je les compatissais, elles me témoignèrent avoir reçu bien du soulagement de votre maison de Paris, et qu'elles y allaient en diligence pour vous rendre un service considérable, parce que votre nouveau bâtiment menaçait une ruine prochaine, et qu'elles y interviendraient avec bien de l'ardeur ; en vérité, ces âmes sont remplies de charité ! Elles me firent aussi connaître qu'elles avaient une obligation particulière à la Mère Bernardine de la Conception, votre sous-prieure : mais cependant qu'elles étaient dans une pauvreté très grande, etc...
extraits du Ms P101 cf. Catherine de Bar », Documents, 1973, p. 171 qui rapporte exactement les faits.
dit l'Ecriture : Beati mortui qui in Domino moriuntur (2). 0 ma très chère Mère, en puissions-nous dire autant les unes des autres ! Mourons incessamment, mourons toujours, car, dès que nous cessons de mourir, nous cessons de vivre. Je voudrais vous dire en secret qu'on me veut persuader que je n'ai que cette année à vivre. Gardez-vous de dire ceci à notre Révérende Mère Prieure. La très sainte volonté de mon Dieu soit faite ! Je ne tiens plus à rien qu'à la corruption de moi-même qui est effroyable. Priez Dieu qu'il la consomme et que je meure avant que de mourir, c'est mon désir plus que jamais. Je suis fort excitée à cela et, à tout perdre, il me semble que tout s'abîme à tout moment et que je ne dois plus rien avoir que la mort intérieure à laquelle je dois une grande fidélité.
no 146 B505
(2) Apoc. 14, 13.
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
Prieure de Rambervillers
A LA MÈRE DOROTHÉE [HEU RELLE]
de Rambervillers
Paris, mai 1659
Ma très chère Mère,
e petit mot est en hâte pour vous dire une nouvelle qui vous sur-
prendra sans doute, puisque c'est pour vous dire que Notre Seigneur a tiré M. de Bernières, notre cher frère, dans son sein divin, pour le faire jouir d'un repos éternel, samedi dernier, 3 mai. Après avoir soupé, sans être aucunement malade, il s'entretint à son accoutumée avec ces Messieurs, et après, s'étant retiré et fait ses prières pour aller coucher, il s'en est allé dormir au Seigneur (1), de sorte que sa maladie et sa mort n'ont pas duré le temps d'un demi quart d'heure. Voilà comme Notre Seigneur l'a anéanti. J'en suis touchée en joie et en douleur, mais la joie l'emporte de beaucoup, d'autant que je le vois réabîmé dans son centre divin où il a tant respiré durant sa vie.
Que faisons-nous sur la terre, sinon de soupirer après Jésus Christ pour être réunies à lui ? Nous sommes sorties de Dieu et nous y devons retourner ; hors de là l'âme n'a point de repos et n'en pourra jamais trouver. Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout, et nous pouvons dire de lui ce que 31 août 1659
Ma très Révérende Mère,
1 me semble qu'il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que j'en
souffre un peu de peine, car mon plus grand bonheur en ce monde est de me trouver dans votre sainte union au Coeur de Jésus douloureux en croix, et anéanti dàns le Très Saint Sacrement. Monsieur [Bertot] (1) a dessein de vous aller voir l'année prochaine, il m'a promis que si Dieu lui donne la vie il ira. Il voudrait qu'en ce temps là, la divine Providence m'y fit faire un voyage afin d'y venir avec vous
Hélas, je ne serais assez heureuse ; ma croix n'est pas encore finie; il faut que je l'embrasse, et peut être faudra-t-il que j'y meure. Je dois être hostie de Jésus Christ, qu'il me consomme selon la complaisance de son amour. Ce me serait trop de grâces de posséder la solitude, que je désire et que j'ai toujours fort à coeur, ne voyant point de véritable moyen de posséder plus intimement Dieu que dans cette retraite, mais mes péchés s'y opposent et Notre Seigneur fait justice de me la dénier. Néanmoins ma fin approche, et je meurs de n'être pas à lui comme je dois. C'est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d'être un moment privée de la vie de Jésus Christ : je veux dire, qu'il
(1) lire : il s'est endormi dans le Seigneur.
(1) Monsieur Bertot, ainsi que le dit la lettre de mère Benoite de la Passion, du 22 janvier 1660. Né à Caen, le 29 juillet 1622. il mourut à Paris (abbaye de Montmartre) le 28 avril 1681. (Renseignement fourni par le Rd P. Charles Berthelot du Chesnay).
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soit privé de sa vie en nous ; c'est ce que je fais tous les jours, en mille
manières. J'en suis en une profonde douleur et c'est pour cela que je gémis, et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières. Au nom de Jésus en croix et sacrifié sur l'autel, faites pour moi quelques prières extraordinaires, par des communions et applications à bieu dans votre intérieur. J'en ai un besoin si grand que je me sens périr, ma très chère Mère; soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que, si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal, il m'a dit de vous presser de prier Dieu pour moi ardemment et s'il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi con-
fidemment. Voici un coup important pour moi, et qui fait dire à ce
bon Monsieur que je suis dans mon dernier temps. Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le Coeur de Jésus Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus Christ. Oh ! que je vous dirais de choses si je pouvais ! Je prie Dieu qu'il vous les fasse connaître...
...Je vous avoue que j'admire quelquefois comment je le puis soutenir, mais je vois que c'est la force divine de Jésus Christ qui fait et souffre
tout. 11 faut une patience étrange dans ces conduites. Je vous conjure de brûler la présente après que vous l'aurez lue ; vous en savez l'importance. Quand il plaît à Notre Seigneur me laisser seulement approcher de l'ombre de la croix, hélas ! je suis à demi-morte, mais il la suspend au-dessus de moi et la soutient par sa vertu divine. Cependant je ne me saurais plaindre ; aussi n'ai-je pas le mot à dire. Je demeure comme abîmée aux pieds de Notre Seigneur, le laissant faire ma ruine, ma destruction et ma consommation comme il lui plaît. Quelques servantes
de Dieu ont eu des pensées de l'état où Dieu me tient, entre autres la bonne Mère Marguerite du Saint Sacrement (2), qui me manda, lorsque j'étais fort malade, que je n'en mourrais point et que celui qui faisait le mal ferait lui-même la guérison. Cela arriva de la sorte, car ayant tous les jours la fièvre, avec des redoublements de frisson, un samedi, avant l'Immaculée Conception de Notre-Dame, l'on m'enleva mon mal tout d'un coup et je ne sais où on l'a mis ; il est à quartier [en rémission] pour revenir quand il plaira au Souverain Maître lui commander de revenir. Nous demeurons ainsi mourante sans mourir souffrante sans souffrir, car en vérité je ne puis dire que je souffre. • Tout ce qui était plus fort à soutenir, c'est une effroyable destruction qui se fait au fond de l'âme ; tout y meurt et tout y est perdu ; je ne
(2) Fille de Mademoiselle Acarie, née à Paris le 6 mars 1590. Elle est reçue au Carmel en 1605 et fait profession entre les mains de la Vénérable Anne de Saint-Barthélemy le 18 mars 1607. Sous-prieure à Tours en 1615, puis prieure. On l'envoie à Bordeaux en 1620, à Saintes en 1622. Elle est élue prieure du couvent de la rue Chapon à Paris en juillet 1624, en 1628, de nouveau en 1650 et en 1654. Elle est déchargée de toutes charges le 15 avril 1657 et meurt le 24 mai 1660, ayant fait l'édification de ses soeurs et d'un nombre considérable de personnes. (Archives de nos monastères. Le manuscrit P. 108 rapporte une partie de la lettre écrite par la mère Marguerite du Saint-Sacrement à l'occasion de cette maladie).
sais où je suis, ce que je suis, ce que je veux, ce que je ne veux pas, si je suis morte ou vivante, cela ne se peut dire . Priez Dieu qu'il me fasse sortir du péché ; je suis horrible devant ses yeux divins.
A Dieu, ma bonne et toute chère Mère, en voilà bien plus que je n'espérais pouvoir vous dire, car je suis si fermée et si obscure et ense-
velie que je n'ai pas le mot à dire. Priez bien Dieu pour cette Maison ;
demandez bien à Notre Seigneur qu'il y règne lui seul et que tout y soit anéanti. Si vous jugez à propos de dire quelque petite chose à la bonne Mère Dorothée, de ce que je vous mande qui me regarde, pour sa satisfaction et lui témoigner toujours un peu de souvenir et de confiance, parce que je ne lui peux écrire comme je voudrais ; je n'ai quasi pas le temps de respirer ; je lui écrirai quand je .pourrai et à ma chère Soeur d'Arconas. Je suis ravie qu'elle soit bonne religieuse. Je me recommande à toute la Communauté. A Dieu, ma très chère Mère, je suis en Jésus votre pauvre et indigne fille.
ri. 570 et n° 1685. Le Ms L 14 rattache cette lettre à la précédente. D'autres manuscrits en font une autre lettre dont le début manque (brûlé peut-être) et qui est datée du 15 septembre 1659.
A LA MÈRE DOROTHÉE [IEURELLE] Sous Prieure de Rambervillers
Paris 3ème septembre 1659
Ma très chère Mère,
yous avez bien juste raison de ne m'écrire plus, étant si paresseuse à vous faire réponse, et Dieu fera justice quand il vous mettra dans l'impuissance de me pouvoir écrire. Je tâcherai de l'adorer toujours dans ses conduites, même les plus rigoureuses. Il est Dieu, c'est tout dire, et moi ie suis une ingrate et une infidèle à sa grâce. Priez-le qu'il me retire de cette vie, car je lui suis si contraire que, si je vis encore quelque temps, je crains bien de lui déplaire et l'offenser.
Il ne faut point vous étonner de votre silence ; je vois des âmes, au milieu des serviteurs de Dieu, sans qu'elles se puissent ouvrir ni prendre aucune consolation. Il faut quelquefois porter ces états de silence et même d'impuissance à parler. Cette vue de Dieu est un effet assuré de sa sainte présence. Vous n'avez qu'à remarquer quelle est votre fidélité, comme vous vous trouvez et quelle est votre mort au dedans et au dehors. Voilà la pierre de touche. Faites, si vous pouvez, cette petite remarque sans gêner votre esprit. Il ne faut que s'observer fort doucement et quasi sans y faire d'application. Voyez si la contradiction ne vous émeut point, si le calme demeure en vous au milieu des bourras-
186 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 187
ques. Cette présence de Dieu est ainsi que vous la dites, je la comprends fort bien. Ne vous étonnez pas qu'elle soit si peu sensible, mais soyez plus fidèle que vous pouvez à vous tourner vers lui. Je vous enverrai pour votre divertissement un petit brouillon de la messe mystique qui se célèbre dans l'intime de l'âme (1). Si Notre Seigneur me donnait'grâce et lumière je l'étendrais .un peu plus et la rendrais fort intelligible et très suave, car tous les jours et à tous moments nous la pouvons célébrer. Mais je voudrais dire quelque chose de plus, si Dieu le voulait, qui serait comme Jésus Christ est. immolé incessamment en nous, et comme il y continue son sacrifice et nous sacrifie avec lui, vous le savez mieux que moi. Mais il se faut un peu divertir quand Dieu en donne la liberté et ça a été mon divertissement de l'écrire. Mais je n'ai point de temps, et n'ai pas capacité de rien faire.
Il y a près de six mois qu'on me tient dans les remèdes pour cette grande toux qui m'est revenue avec la fièvre. Je suis bien mieux maintenant ; il y a trois jours que je ne l'ai point eue. Je suis au lait d'ânesse, j'ai pris les bains, j'ai bû les eaux, j'ai fait tout ce qu'on a voulu sans aucune résistance. Jamais je n'ai été si soumise que je suis, et c'est ce qui a mis l'alarme parmi nos Mères disant que c'était une marque de mort puisque j'étais si amortie dans mes sens et mon raisonnement. Je n'avais pas le mot à dire ; j'étais tuée de corps et d'esprit ; on ne m'entendait plus parler tant j'étais affaiblie (2). Enfin je suis dans l'incertain et plus encore pour l'année prochaine. Croyez, ma très chère Mère, que la mort ne m'est douloureuse qu'à cause que Jésus Christ n'a point vécu en moi, et que c'est une chose effroyable d'avoir empêché sa vie divine de s'établir en .moi. Oh ! quel enfer dans une âme quand Jésus Christ n'y vit point !
11 faut finir. Adieu, je vous conjure de saluer et embrasser pour moi toutes nos chères Mères et Soeurs, et leur faites mes excuses que je ne leur écris point. Notre Révérende Mère Prieure (3) vous dira comme il faut que je souffre encore un trienne (4) ici, croyez qu'il se faut bien sacrifier.
Ma Soeur de Jésus [Chopinel] est malade de son mal ordinaire, mais bien plus fort et plus fréquemment, n'ayant point de relâche. Elle me
(I) Allusion aux thèmes familiers de Mère Mectilde et qu'elle développera au cours de sa retraite de 1662. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 128 - 154 et le Véritable Esprit des Filles du Saint Sacrement.
(2) Le 23 septembre suivant 'Mère Mectilde écrit à Mademoiselle Loyseau «Je ne puis douter que les saintes messes que vous m'avez fait la grâce de faire dire à Notre-Dame de Chartres ne m'aient entièrement guérie, car je puis vous assurer que tout d'un coup je me suis bien portée et que la fièvre n'est point revenue... ce n'est pas dès aujourd'hui que je vous suis obligée, tant pour mon particulier que pour toute la maison... Nous sommes dans un siècle où la sincère affection est très rare». (Lettre n' 1105).
(3) Mère Bernardine de la Conception Gromaire était sous-prieure du monastère de Paris, mais comme elle avait été prieure de Rambervillers, Mère Mectilde lui garde souvent ce titre par une amicale déférence, surtout avec ses correspondantes de Rambervillers.
(4) Mère Mectilde doit avoir été élue pour un second mandat de trois ans en juillet 1659. Elle espérait pouvoir retourner ensuite en son monastère de profession, comme simple religieuse.
fait si grande pitié que je .ne puis m'empêcher de fondre en larmes très souvent. II faut bénir Dieu de tout. Cette maison est une maison de croix, et je ne m'en étonne pas, étant dévouée, par hommage et réparation, au Très Saint Sacrement; il faut se résoudre d'y être foudroyée. Quelques serviteurs de Dieu nous prédisent de furieuses souffrances : il les faut adorer dans la volonté et complaisance de Jésus Christ. Je suis en lui toute à vous.
Sr du St Sacrement
Je vous prie de faire part de ma santé à la Mère de la Nativité, qui a la bonté d'en être en peine. Dites je vous prie à ma Sr d'Arconas que je ne l'oublie point. Je lui écrirai quand je pourrai et surtout recommandez-moi bien à nos chères Soeurs converses.
no 3007
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
ce 15ème septembre 1659
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et ma très chère Mère,
Pse devrais commencer ma lettre par vous faire des excuses de mon long silence et d'avoir tant différé à vous rendre ce que je vous dois. Mais vous ne voulez point que je consomme les moments que la Providence de Dieu me donne à vous dire ce que votre bonté sait déjà et à vous demander ce que votre charité me donne. Je vous écris, ma toute chère Mère, sans autre liberté intérieure que celle que le néant me donne, et je me sens si indigne de vous occuper un moment, nonobstant les besoins où je me trouve, que si je suivais mon sentiment, je serais dans un silence perpétuel, même avec les serviteurs de Dieu, ne trouvant rien à dire dans l'abîme où je suis descendue et dans lequel je trouve la paix, la tranquillité et la joie au-dessus de moi-même. Je suis devenue bien plus petite que je n'étais, mais pourtant encore très éloignée de ce que je dois être et que Notre Seigneur veut de moi. Je n'ai plus rien à désirer. Je n'ai, ce me semble, plus de capacité de parler et cependant je ne sais où je suis, mais DIEU EST, et Jésus Christ, [lui] qui est ma vie, ou qui la doit être en vérité, et hors duquel il n'y a point de vie, mais mort éternelle. Vous l'expérimentez mieux que moi qui suis toujours plongée dans les embarras des créatures, qui ne sont guère convenables à la disposition que je porte qui en demanderait l'éloignement entier. Je trouve néanmoins que Notre Seigneur me soutient dans ce tracas continuel ; mais ce n'est pas sans sacri-
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fice et je vois tous les jours que la solitude est un moyen excellent pour jouir de Dieu et pour recevoir ses opérations miséricordieuses. Et cependant il en faut souffrir la privation et me tenir abandonnée jusqu'au moment qu'il lui plaira de me donner la liberté de me retirer.
Il faut un peu vous demander de vos chères nouvelles. Ma Soeur de Jésus [Chopinel] me fait la charité de m'en dire quelquefois ; elle sait que je n'ai point de plus grande consolation en ce monde. Je l'ai souvent priée de vous dire quelques petits mots pour moi, me confiant en la bonté de Notre Seigneur que ce qu'il vous a mis dans le coeur pour moi continue d'y être toujours, nonobstant mes indignités. Je vous supplie, ne m'abandonnez pas. Je vous demande par grâce une neuvaine à l'âme sainte de Jésus et à son très adorable Coeur, pour honorer toutes les douleurs intérieures et secrètes, et qui sont encore inconnues. dont il a été navré et cruellement blessé en sa douloureuse passion et qu'il continue d'être dans le Très Saint Sacrement de l'autel, quoiqu'il ne soit plus passible ni mortel. Je vous supplie de me faire cette aumône pour les adorer pour moi et y avoir la part que son amour et sa miséricorde m'y veut donner, quoiqu'infiniment indigne. Je ne vous mande point de nouvelles : notre chère Mère Sous-Prieure s'en acquitte pour moi. Priez Dieu qu'il nous la conserve, elle n'est point bien, et ne veut pas souffrir qu'on la soulage. Je ne crois pas qu'elle vive encore longtemps ; je ferais une perte irréparable, mais tout est à Dieu ; il faut être privée et séparée de tout. Trois choses font goûter Dieu divinement à l'âme, savoir : l'abjection, la mort des créatures et la croix cuisante, c'est-à-dire pénétrante ; avec ces trois choses on entre parfaitement et pleinement en Jésus Christ.
Je connais à fond Mr Desmarets ; nous le voyons souvent ; il est en croix de la bonne manière. Les intérêts de Dieu et de l'Eglise le touchent puissamment ; il vous écrivit il y a quelques jours, et comme je prétendais vous écrire aussi, je retins sa lettre potir la joindre à celle-ci.
Je ne sais si vous savez que, la bonne Soeur Anne Marie est à Paris depuis plus d'un mois. Notre bonne Mère Sous-Prieure n'en sait encore rien. Cette pauvre fille fera des discours qui nous causeront un peu de peine, mais il faut tout recevoir dans l'ordre de Dieu ; s'il l'a choisie pour cela, il le faut souffrir comme il veut. Priez pour elle, je vous en suppl ie, et me recommandez aux saintes prières de toute la Communauté, vous suppliant me permettre de la saluer et d'embrasser toutes nos chères Mères et Soeurs en esprit. Je voudrais bien leur pouvoir rendre mes devoirs à chacune en particulier, mais...
ni' 969
DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
Rambervillers, 22 janvier 1660
Ma Révérende et très chère Mère,
Ces mots sont pour vous congratuler de la joie que vous aurez de voir bientôt notre chère Mère Bernardine de la Conception [Gromaire] laquelle nous avons quittée avec une extrême douleur. S'il me restait encore des désirs en ce monde, j'aurais bien souhaité qu'elle demeurât en notre pauvre maison ; il faut soumettre nos volontés à celle de notre Bon Dieu, qui, vous a donné cette bonne Mère pour vous aider à soutenir le fardeau dont la divine Providence vous a chargée. Lorsqu'elle était ici, sa présence me consolait beaucoup et il me semblait que j'étais déchargée de mon fardeau. L'amour et le respect que Dieu m'a donnés pour elle, dès mon entrée en religion s'augmentant toujours, et nonobstant que je sois séparée de sa chère personne, si est ce qu'il me semble que je suis toujours avec elle en Notre Seigneur. Je n'ai que faire de vous raconter la cordiale amitié que cette chère Mère a pour votre personne, vous le savez mieux que moi : je fais d'autant plus d'estime de l'amitié qu'elle a pour vous que je sais qu'elle vient de Dieu. Je trouve une grâce en elle qui est excellente pour son salut, qui est qu'elle est honorée et chérie de tout le monde ; si est qu'elle n'y fait point de fonds. Je prie Notre Seigneur qu'il lui augmente ses grâces et qu'il nous la conserve.
Enfin, ma très chère Mère, ma Soeur de Jésus [Chopinel] s'en retourne avec notre chère Mère. Après que nous avons bien sérieusement considéré toutes choses, nous avons conclu de suivre les sentiments de Mère de Sainte-Marie. Je l'abandonne de nouveau sous la protection de la très Sainte Mère de Dieu comme l'objet de ses miséricordes. Elle ne m'a su exprimer les bontés très grandes que vous avez pour elle ; les sentiments de l'intime reconnaissance que j'en ai me causent plutôt le silence que de pouvoir vous en remercier, d'autant que tous les remerciements ne sont rien. C'est pourquoi je suis infiniment obligée de prier Notre Seigneur et sa très pure Mère qu'ils soient votre éternelle récompense ! Il faut que je vous dise, ma très chère Mère, que la liaison que mon âine a avec la vôtre va toujours croissant devant Dieu d'une manière que je ne peux vous dire et que Dieu seul connaît. Dimanche dernier après [a sainte Communion, une personne a eu connaissance, ou plutôt impression, de ce qui s'est passé en vous pendant votre incommodité dernière, avec plusieurs circonstances ; et comme cette personne était obligée d'anéantir toutes les connaissances pour écouter son âme en Dieu, nonobstant, elle eut impression que tout ce qui s'était passé en vous était une singulière grâce de notre Bon Dieu, et que vous en ressentiriez les effets partkuliers en votre âme. Le jour de Saint Antoine, après la sainte Communion, recommandant une personne à la divine Majesté, je vis, par impression dans un moment que cette personne était écrite dans le livre de vie, qui n'est autre que le cœur de Marie, et que le doigt délicat de Dieu l'y avait écrit tout au long, en feu et en sang : le feu signifie le pur amour dont il a touché le fond de cette âme, lequel lui est imperceptible ; le sang est son état crucifiant ; je laisse à part une multitude de secrets qui sont en ce. mystère, que j'ai voulu anéantir à mon propre esprit, abîmant toutes ces impressions et connaissances en Jésus Christ, source de toutes lumières. Je ne croyais pas vous en tant dire.
190 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 191
Je suis en peine d'une lettre que j'ai donnée à notre chère Mère, lorsqu'elle était ici, pour vous envoyer ; c'était pour Monsieur Bertot. Je la lui donnai ouverte, ce me serait une satisfaction de savoir si vous l'avez reçue. Notre chère Mère nous a dit que ledit Monsieur voulait avoir la bonté de nous venir voir a Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de m'obtenir ce bien là, car il me semble que j'ai grande nécessité de personnes pour mon âMe. Je voudrais bien que Dieu vous donnât la pensée d'en avoir soin en sa présence, soyez assurée, ma très chère Mère, que je chéris infiniment la vôtre, en Jésus Christ et sa très pure Mère. Je vous suis sans réserve très humble, très obéissante et très obligée servante.
Toutes nos religieuses vous présentent leurs très humbles saluts, particulièrement nia Soeur Marie ; j'en aurai tout le soin qu'il me sera possible. Je salue très humblement .votre sainte communauté, particulièrement la Mère Made-laine : j'avais grande envie de lui écrire, mais je n'ai pas eu le temps. Ce sera pour une autre fois.
Ms : T9
DE LA MÊME
qui se font en la terre. Pour conclusion, cette âme devait être encore quelque temps dans cet état béatifique, adorant le Très Saint Sacrement avant que de voir Dieu, et Dieu prend ses complaisances dans les regards des adoratrices qui se sont rendues à sa Majesté divine au Très Saint Sacrement dans ce monastère.
• Je vis ensuite cette âme montant les degrés pour aller voir son Dieu dans sa béatitude. Elle fut arrêtée dans le degré que je viens de dire pour quelque temps, qui était un lieu de splendeur et de beauté béatifique, lequel peut être hors de la vision immédiate de Dieu. Sur le sujet de cette chère Soeur dry Saint Sacrement, deux autres personnes rapportantes à celle-ci, et un autre serviteur de Dieu (2), considérable et bien connu pour véritable, m'assura de sa propre bouche qu'il avait vu cette chère Sœur dans l'état de repos et de contentement susdits, et ensuite qu'il lui avait été montré la complaisance que Dieu prenait aux hommages què l'on rendait à sa divine Majesté dans le Très Saint Sacrement en cette maison. Il me dit plus, mais je ne sais si je les dois .dire, qu'il avait des assurances du bonheur éternel pour toutes les religieuses qui y étaient présentement, et ensuite me dit avec admiration :
«Oh ! que c'est grâce d'être victime en ce lieu du Très Saint Sac'r'ement !» et il suffit, le reste se doit garder en silence. Notre joie unique est d'être membres de Jésus, il faut laisser le reste dans ses jugements divins.
juin 1660
Pour satisfaire à votre désir, je vous dirai simplement mes pensées touchant ma Soeur du Saint Sacrement (1), dans l'assurance que votre bonté me tiendra le secret.
Je vous dirai donc, ma chère Mère, que, après la dernière messe de Requiem que l'on a chantée pour le repos de son âme, pendant l'action de grâce de la sainte Communion, je nie trouvai tout d'un coup pénétrée d'une douce et cordiale affection vers cette âme, et cette pénétration fut accompagnée de douces et violentes larmes. Je sentais dans mon âme une admirable liquéfaction, comme si elle eût été présentée à mon intérieur, ce qui me causa' une joie et liesse très grandes vers elle. Je fus si bien pénétrée des paroles suivantes dans mon intérieur que je les prononçai de bouche :
«Je suis au milieu du repos, des plaisirs et des contentements, je suis heureuse sans être bienheureuse, je suis l'une des plus heureuses de celles qui ne sont pas heureuses».
Je compris que cette âme était dans un état autant heureux qu'elle pouvait être, à la réserve de la vision de Dieu. Elle disait qu'elle n'était pas parfaitement heureuse à raison de cette privation. Mon entendement entra dans une grande occul ation, comme dans une nuit obscure qui occupa toutes mes puissances, et je fus certifiée que cette âme avait été privilégiée et avait reçu des miséricordes ineffables de la divine Majesté, tant à cause du nom qu'elle portait «du Saint Sacrement», que du très grand bonheur qu'elle avait d'être la première professe de l'établissement des adoratrices et des victimes consacrées à la gloire du Très Saint Sacrement ; et comme elle en avait été une adoratrice en terre, elle serait pour un temps dans cet état béatifique avant que de voir Dieu, pour rendre durant ce temps ses adorations au Très Saint Sacrement de l'autel, mais bien d'une autre manière que vous ne faites en terre. Je vis qu'un seul moment de ces adorations, en l'état où elle est, surpassait toutes celles
n. 2503 a) Ms : N267
(1) Louise Guisselain première professe du monastère de la rue Cassette, décédée le ler juin 1660, âgée de 40 ans.
(2) Il est peut être question ici de Henri-Marie Boudon (1624 - 1702) archidiacre d'Evreux que Louise Guisselain connaissait depuis de longues années. Cf. lettre du 31 mars 1655, note 1. Pour M. Boudon cf. H. Bremond op. cit. t VI p. 240 et suivis.
DE LA MÊME
A Rambervillers, ce 8 août 1660
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel à jamais ! Nos Révérendes et très Chères Mères,
Vous ne nous pouviez pas faire une proposition qui nous touche plus sensiblement que celle que vous faites par la requête que vous avez pris la peine de nous présenter : à raison que c'est nous toucher à la prunelle de l'oeil que de nous demander tout ce que nôus avons de plus cher et de plus considérable en ce inonde. Mais comme nous ne condamnons pas vos désirs ni vos sentiments, nous croyons que vous n'improuverez pas les nôtres, et que, même si vous possédiez du corps de votre communauté nos Révérendes Mères - dont d'est question vous n'auriez très assurément pas moins de peine à les en séparer que nous, que si vous souhaitiez de nous tout autre service,. la résolution en serait bientôt arrêtée et l'exécution accomplie, car nous aurions grande joie de vous pouvoir témoigner la véritable affection de nos coeurs ; mais de désunir de notre Communauté la principale partie d'icelle, la chose est trop de conséquence pour la
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conclure si promptement. Elle mérite bien que nous prenions un peu de temps pour la présenter à Dieu et nous dégager en sa Présence de tous nos intérêts, (d'in d'être plus capables de sa lumière et des impressions de son divin Esprit pour entrer dans le zèle de sa gloire. C'est pourquoi nous supplions très humblement vos Révérences d'agréer un peu de retardement, et de nous obtenir la grâce de connaître la volonté de Notre Seigneur et de la suivre avec fidélité, qui est tout ce que nous souhaitons de tous nos cœurs, et afin de ne nous pas tromper dans nos propres lumières, nous suivrons celles de notre Révérend Père Visiteur (1) que nous attendons tous les jours, qui est une personne d'une vertu éminente et d'une rare expérience, qui très assurément ne nous conseillera rien que la gloire de Dieu ; et comme vous ne demandez que cela, vous avez sujet. de bien espérer, et nous d'abandonner tous nos intérêts aux ordres de la divine Providence, dans laquelle nous les abîmons pour ne jamais les regarder. C'est une miséricorde que nous attendons de vos saintes prières et de vos bontés, la faveur de la continuation de votre sainte amitié, et l'honneur d'être à jamais en Notre Seigneur.
Nos Révérendes et très chères Mères.
Vos très humbles, très obéissantes et très affectionnées servantes.
Soeur B. de la Passion [de Brême] prieure
Soeur C. de Ste Dorothée [Heurelle]
Soeur P. dè St Benoit [Gérard]
Sœur G. de Ste Anne [de Vomécourt]
Soeur M. de St Joseph [Sommier]
Soeur A. de la Nativité
Sœur A. de St Paul [Pierre]
Sœur.M. de la Conception [de Lescale]
Sœur J. de la Croix [Parmontel]
Sœur M. de St Joseph [Maire
Soeur Catherine de Ste Térèse [Bagnerelle]
Soeur M.M. de St Michel [Bellet
Sœur B. de St Prospère [d'Arconasi
Sœur A. Marie de Jésus [Lambert]
no 3122a Al no9
(1) Nous savons par le Journalier de Dom Antoine de Lescale que Dom Arnould devait se rendre à Rambervillers pour la vêture de Mademoiselle Noirel, le 15 août suivant. Il est fait mention, plusieurs fois de ce bénédictin dans la correspondance de Mère Mectilde. On peut penser que c'était lui le «Visiteur».
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME
octobre 1660
Louré soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
oute autre que votre bonté, ma très Révérende et plus chère Mère, ,
s offenserait de mon silence et croirait que ce serait une marque
de mon ingratitude ; mais je puis vous assurer, ma très chère Mère, qu'il ne part point de ce mauvais principe, mais de l'occupation si continuelle où la divine Providence me tient et que je souffre comme un châtiment que mes infidélités méritent ; il faut que je tâche d'avoir patience et de me perdre dans le bon plaisir de Dieu.
Il faut encore que je confesse qu'il me fait trop de miséricorde. Je suis au dernier jour d'une petite retraite que j'ai faite pour reprendre un peu de respir pour continuer ma course et me rendre aux desseins- de Notre Seigneur qui veut que je marche dans la mort continuelle, que je demeure en lui et que j'attende tout de lui ; et cela me paraît si vrai qu'il me semble que je n'ai pas un bon mouvement que je ne le voie sortir de son Coeur divin. Je vois sa force et sa patience qui m'environnent et je suis toute surprise que, dans les occasions assez fâcheuses à l'esprit humain, il retient tous les sens et fait un si grand calme dans le fond que l'âme en demeure toute étonnée ; elle voit bien que ce n'est point son ouvrage ; enfin c'est son plaisir d'agir ainsi à l'endroit de la plus infidèle de ses créatures. Je vous dirais encore bien des choses si j'en pouvais prendre le temps. Mais j'espère que Notre Seigneur vous donnera quelques pressentiments de ce que je suis ; je n'en sais rien moi-meme, j'aime mieux me perdre et m'abandonner que de le connaître.
Au reste, ma très chère Mère, ce que vous m'avez fait la grâce de me mander touchant ma Soeur du Saint Sacrement [G uisselain] est conforme en substance à ce que deux autres personnes en ont connu, dès le jour meme de son décès et la nuit suivante. Je vous suis infiniment obligée de m'avoir confirmée. Une de ces deux personnes est un grand serviteur de Dieu auquel elle s'apparut dans ce grand repos et contentement et *le remercia d'avoir prié Dieu pour elle. Elle lui fit connaître son état et il eut aussi une vue sur l'agrément que Notre Seigneur prenàit aux hommaues qu'on rend à son divin Sacrement dans cette pauvre petite maison, que les démons tâchent de troubler et renverser tant qu'ils peuvent ; et quand il semble que tout va périr, c'est pour lors qu'on voit que Dieu soutient tout. Mais croyez qu'il faut être bien abandonnée et ne tenir à rien du tout. Il faut toujours être prête de voir tout perdu sans se troubler. Votre . .
n " 2814
194 CATHERINE DE BAR 9 novembre 1660 LETTRES INÉDITES 195
DE LA COMMUNAUTÉ DE RAMBERVILLERS rations. Après la gloire (le Dieu, le zèle que vous avez pour votre perfection est très louable, mais il fiait qu'il soit accompagné de justice et de charité pour celle de votre prochain. Et comme nous faisons le plus, il faut que pour Dieu vous souffriez le moins ; cela est très raisonnable pour maintenir la parfaite union des deux Communautés ; nous espérons que vous y contribuerez, et qu'étant assurées de nos prières, vous nous continuerez le secours des vôtres, et la qualité,
Nos Révérendes Mères,
Après avoir beaucoup prié Notre Seigneur, et nous être dégagées en sa divine 1- résence de tous nos intérêts pour être plus capables et susceptibles de sa lumière - sur l'affaire dont il est question au sujet de nos Révérendes et chères Mères -, et en avoir exposé les impressions que nous en avons reçues à notre très Révérend Père Visiteur pour nous en soumettre à son jugement, lequel ayant mûrement examiné le tout devant Dieu, et animé du zèle de sa gloire, a résolu et arrêté que nous céderions nos susdites Révérendes Mères pour autant de temps qu'elles-mêmes se trouveront être nécessaires dans votre maison pour son parfait établissement (1) ; mais que nous nous conserverons le droit de les rappeler après qu'elles y auront fait ce que Notre Seigneur y demande d'elles.
Vous ne trouverez donc pas mauvais, s'il vous plaît, nos Révérendes Mères, que nous en demeurions arrêtées au sentiment d'une personne si sainte que notre susdit Révérend Père, qui n'ayant autre vue que Dieu et la justice pour les deux communautés, il donne à la vôtre tout ce qu'elle peut - légitimement prétendre, en lui laissant les personnes qu'elle souhaite pour son soutien et perfection, autant de temps que dessus, et à la nôtre, il la partage de l'espérance de posséder à notre tour ce que nous estimons et avons de plus cher en ce inonde ; vous avez grand sujet, nos très Révérendes Mères, d'être satisfaites de votre heureux sort, car il est bien avantageux par dessus le nôtre. Vous êtes dans la possession d'un bonheur dont nous n'avons qu'une attente bien incertaine, l'effet de laquelle n'arrivera peut-être jamais, la mort nous en pouvant ravir l'espoir dans la longueur du temps qui vous est nécessaire. C'est pourquoi nous faisons, en vous le cédant pour un temps, le plus grand sacrifice à Dieu qu'il est à notre pouvoir, et ne pouvons pas vous donner une plus signalée marque de notre très sincère affection. Nous vous supplions d'en bien considérer toutes les circonstances, et très assurément vous connaîtrez que notre dépouillement est grand et pénible ; jugez-en, s'il vous plaît, par vous-mêmes, et voyez devant Dieu si vous feriez le surplus que vous exigez de nous, et que nous ne ferons jamais ; ce serait une injustice que .nous nous ferions à nous-mêmes que de consentir à la désunion de nos Révérendes et chères Mères de notre maison pour les stabilier à une autre ; c'est ce qu'il ne faut jamais espérer de nous par quelque voie que ce puisse être, et quand toute la terre nous serait opposée. Voilà nos dernières invariables résolutions.
Nous croyons, nos Révérendes Mères, que vous êtes trop judicieuses pour ne le pas apprOuver et pour n'être satisfaites de ce que nous faisons à vos considé-
(1) Dans une lettre au Frère Luc de Bray du 27 juin 1659, Mère Mectilde écrit déjà : «On me presse étrangement de renoncer à notre maison de Rambervillers et de ma stabilier dans ce monastère [à Paris] pour jamais. Je n'y sens point de pente, ni de rebus formel, mais j'ai promis fidélité à mes Mères et que je ne les quitterais qu'à la mort». Au cours de ces deux années 1659 - 60, le Journalier de Dom de Lescale, fait état d'un échange de correspondance sur ce sujet. Il semble que les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, supérieurs du monastère de Paris, tenaient à obtenir la stabiliation de Mère Mectilde, de mère Bernardine et d'au moins deux autres religieuses de Rambervillers pour assurer l'avenir de l'oeuvre. La décision finale a été prise en ce sens par le Chapitre de Rambervillers par un acte du 9 août 1661 ; cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 304.
Nos Révérendes Mères,
De vos très humbles, très affectionnées et très obligées servantes.
Sr Benoiie de la Passion [de Brême Prieure ;
Sr Catherine Dorothée [Heurelle] Sous-Prieure ;
Sr Placide de St Benoist [Gérard] ;
Sr Gertrude de Ste Anne [de VomécourtI ;
Sr Marie Joseph [Sommier] ;
Sr Angélique de la Nativité ;
Sr Anne de St Paul [Pierre] ;
Sr Marguerite de la ConceptionIde Lescale] ;
Sr Jeanne de la Croix [Pannonie! ;
Sr Magdelaine de St Joseph [Maire ;
Sr Catherine Térèse [Bagnerelle] ;
Sr Marie Magdelaine de St Miche! [Bellet1 ;
Sr Benoiste de St Prospère [d'Arconas ;
Sr A .Marie de l'Enfant Jésus[Lambert].
AUX RÉVÉRENDES MÈRES
les Révérendes Mères Révérendes professes
du monastère des Bénédictines
du Très Saint Sacrement
au fauxbourg de
Saint-Germain A PARIS
no 29 a) AI no 10
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME Prieure au monastère de Rambe rvillers
18 février 1661
(a st-il possible, ma très chère et plus intime Mère, que je vous sache dans une maladie extrême, et que je sois privée de la chère et douce consolation de vous écrire un pauvre petit mot ? Si je réfléchissais sur la conduite de l'adorable Providence, sans doute je la trouverais un peu sévère de me tenir dans la privation de ce qui me pourrait donner de la satisfaction. Mais il faut tout recevoir et tout adorer de cette part c'est un Dieu qui le veut et qui l'ordonne, c'est tout dire. Après cela l'âme ne peut plus rien vouloir ni désirer.
L'union très sincère qu'il m'a fait la grâce d'avoir avec vous, ma
A Rambervillers
ce 9 novembre 1660
196 CATHERINE DE BAR
très chère Mère, quoique j'en sois infiniment indigne, m'a fait ressentir la perte que j'aurais faite en ce monde si Notre Seigneur vous en avait retirée. Je vous donnais à son plaisir et cependant je vous retenais encore. Je ne me trouvais pas à votre égard dans le total dégagement. Toute la communauté m'était présente et il me semblait qu'elle avait un extrême besoin de vous, quoique peut-être vous êtes dans un sentiment bien contraire. Mais Dieu connaît tout et j'espère de sa bonté que, toute languissante que vous êtes et toute anéantie, il vous fera encore vivre. Hélas, ma très chère Mère, je sais que ce souhait vous est à charge, et que la vie vous est une espèce de martyre, puisqu'elle vous retarde de votre totale consommation ; et c'est être cruelle que de vous retenir. Pardonnez-le, ma très chère Mère, à vos enfants. Et si je demande à Dieu votre vie, étant loin, que doivent faire celles qui—ont la grâce de vous posséder '!
Je voudrais bien, ma très chère Mère, vous écrire un peu amplement, tant pour ce qui me regarde que pour beaucoup d'autres choses, mais je n'ose rien avancer que je ne vous sache en état de pouvoir lire nies lettres. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection. Voyez si vous avez quelque chose à lui faire dire. Pour moi, il faut qu'en passant je vous dise que, quoiqu'accablée dans de continuels tracas je ressens d'une singulière manière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur. Certainemeint, quand il lui plaît, tous temps et toutes occasions lui sont propres. Il opère ce qu'il veut et fait connaître à l'âme que son oeuvre est indépendante - même au-dedans et qu'il n'a besoin que de son amour et de sa toute puissance quand il veut opérer souverainement.
Avec tout cela je suis plus que jamais plongée dans l'abîme de mon abjection, car son ouvrage ne m'ôte pas cette connaissance et ce sentiment. N'en disons pas davantage ; mais pour l'amour de ce même pur et divin amour, priez-le qu'il fasse sa très sainte volonté en moi, et qu'il se contente lui seul en toutes les différentes dispositions que sa divine Providence me fait porter.
Je ne sais qu'un secret dans la vie intérieure : c'est le cher et précieux abandon de tout nous-même au plaisir de Dieu. Qu'il vive et règne lui seul, et il suffit, sans nous réfléchir, ni sur le progrès ni sur les dons de Dieu, ni même sur notre éternité. Que le pur et divin amour nous consomme comme il lui plaira, puisque nous ne sommes créés que pour lui seul.
Je vous supplie, ma très chère et plus chère Mère, de me faire donner de vos nouvelles lorsque vous serez en état. Et si Dieu veut disposer de vous, je vous somme de votre promesse faite et renouvelée devant le Très Saint Sacrement ; je vous conjure par le sacré Coeur de Jésus et celui de sa très sainte Mère de m'être fidèle, et si vous pouvez nous dire ce qu'il vous inspire pour nous, vous nous ferez une charité très grande. Si vous voyiez comme je 'suis dévorée, vous auriez pitié de
LETTRES INÉDITES 197
moi. Le corps même n'y peut quelquefois subvenir. Mon Dieu, ma très chère Mère, il me semble que Notre Seigneur veut que je me perde
entièrement ; mais je suis encore toute pleine de moi-même et des créatures.
Je ne vous dis rien des cérémonies que M. de Toul (1) a faites céans: notre bonne Mère Sous-Prieure vous aura tout écrit. Si vous aviez
quelque chose à lui faire demander, il est en très bonne disposition. il nous témoigne une affection merveilleuse.
Nous avons appris, ma très chère Mère, que vous avez reçu à profession ma Soeur Mectilde du Saint Sacrement [Philippe]; j'en remercie
Notre Seigneur et le prie qu'il lui donne la grâce de faire un saint usage d'une telle faveur. Je n'ay...
n " 412
(I) Monseigneur du Saussay. 11 y a trois examens de vêture en janvier 1661 : Marguerite Marie des Champs (soeur Marie de Sainte Madeleine). Marie de Brumen (soeur Marie-Thérèse de Jésus). Catherine du Vay (soeur Marie des Anues). qui fera partie des fondatrices de Toul. Peut être Monseigneur du Saussay est-il venu leur donner l'habit le 10 février. cf. fourna/ (le Toul note 2.
A LA MÊME
20 juillet 1661
ry roiriez-vous, ma plus que très chère Mère, que le silence que
j'observe à votre égard ne me soit pas crucifiant ? Oui, certainement, puisque vous êtes la seule au monde à qui je puis confier mes pauvres et chétives dispositions et tous les plis et replis de mon coeur. Il y a plusieurs mois que je suis tombée dans un état que je ne sais ce que ce pourra être, s'il sera bon ou méchant. Ce n'est pas toujours les occupations qui me privent de la chère consolation de vous écrire. Depuis le voyage de notre bonne Mère (1), j'ai pris plus de repos et de temps, remettant à son retour les affaires qui se pouvaient différer. Mais il m'est survenu une étrange suspension des organes et puissances de mon âme, en telle sorte que mon corps en restait affaibli, et me trouvais sans vigueur et quasi à la mort, me semblant qu'un souffle me pourrait ôter la vie. J'ai été fréquemment de cette sorte durant ces
temps.
Quoique l'interdiction soit grande et que je n'aie d'usage que pour
. le nécessaire de mes obligations qui survenaient dans ces rencontres, mon âme avait en fond une occupation profonde non distincte, mais qui semblait dévorer et consommer quelque chose, quelquefois dans une paix et cessation si profonde qu'il n'y paraissait pas seulement,
(I) Mère Bernardinè de la Conception Gromaire. Le 20 juin. elle écrit de Rambervillers à Dom de
[escale que : «les eaux de Plombières ne lui ont pas beaucoup servi». Journalier de Dom de Lescale.
198 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 199
même dans le fond, un petit respir de vie. Il y aurait encore d'autres petites circonstances à dire, mais je serais trop longue. C'est assez de vous pouvoir dire ce peu que j'écris, pour exciter votre très grande bonté à mon endroit de redoubler vos saintes prières et de vous appliquer à Notre Seigneur pour moi, autant qu'il vous en donnera la grâce et le mouvement, car il faut que je meure aux secours, aux lumières et à tout ce qui peut donner le moindre appui. Cependant vous voyez que j'en cherche auprès de vous, ma très chère Mère. Il est vrai, et tout en le cherchant et le demandant, je le remets dans le Coèur adorable de Jésus Christ, voulant me tenir dans l'abîme où je suis suspendue,
\ sans assurance de rien. Je puis dire dans l'apparence - selon le raisonne-
1 ment - de tout perdre et de faire naufrage.
Si vous pouvez, ma très chère et intime Mère, prier Dieu pour moi, ne m'en dites que ce qu'il lui plaira. Il faut tout perdre, je le vois bien mais la nature intérieure cherche à mettre le bout du pied pour avoir quelques respirs. Oh ! que la mort totale est rare ! Ce qui fait le comble de la croix c'est que je ne vois point que ce qui se passe soit opération de
1 Dieu. D'une part, je crains la certitude, à cause de l'appui que j'y 1 prendrais, et, de l'autre part, je vois tout perdu. Enfin je ne puis juger de mes dispositions ou états présents, sinon qu'ils seront ma ruine ou
la résurrection de mon âme éternellement, ou grande miséricorde, ou grande justice.
J'adore dans le silence de mon coeur tout ce que Dieu en ordonnera. Je suis et ne suis plus. Vous seriez étonnée de me voir : à ce qu'on dit, je parais bien plus morte que je ne suis. Bref, ma très chère Mère,
t je ne sais plus que dire,je demeure quasi sans parole, je n'ai rien à
1 dire, je suis abandonnée ; il faut demeurer là, ne pouvant aller ni haut ni bas, ni de côté ni d'autre. Si l'âme savait qu'elle expire en Dieu, vraiment elle serait plus que très contente ; mais elle ne sait où elle est, ni ce que l'on fait, ni ce qu'elle deviendra. Le seul abandon au-dessus de l'abandon est le soutien secret de l'âme. Je ne sais si la divine Providence prend ce moyen pour me retirer de la charge où je suis, car à moins d'une grâce particulière je n'y puis subsister sans y faire confusion, car je ne vois ni n'entends pas pour l'ordinaire, du moins très souvent. Voici un échantillon de ma pauvreté, ma très chère Mère ; votre charité la présentera à Notre Seigneur. Je crains fort que je ne lui sois tout à fait contraire et peut-être pleine de péchés. Je le profane sans cesse, j'abuse de ses grâces. Soyez mon supplément, ma très chère Mère, et me donnez de vos nouvelles, si Notre Seigneur nous le permet, mais surtout efforcez-vous de réparer les excès que je commets sans cesse contre l'amour infini de Jésus dans la divine Eucharistie. Je vous
y laisse toute abîmée et vous y désire consommée. Je suis en lui, quoiqu'indigne, votre vraie fille.
ni.293 DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
Rambervillers, 21 novembre 1661
Ma Révérende et toute chère Mère,
J'ai reçu votre chère lettre avec grande joie ; néanmoins la lecture d'icelle a pénétré mes sens de douleur ; par ce peu de mots que vous me mandez, j'ai reçu impression de votre disposition ; j'adore en Jésus Christ et par Jésus Christ la hauteur et la profondeur des desseins que Dieu son Père a sur les âmes : il faut que son règne soit accompli et le vouloir de ses divines complaisances ; il me semble que votre état de mort est effroyable et capable d'ôter la vie au corps, à moins que d'un miracle ; ce qui m'étonne est que votre état a peu d'intervalle, car l'expérience nous apprend qu'après cet état de mort, le corps est quasi épuisé de ses forces. J'avoue que celui qui fait mourir fait revivre notre faiblesse, par la puissance de sa très sainte main ; laissons-nous perdre dans les abîmes de sa conduite adorable et de ses miséricordes infinies. L'abandon parfait d'une âme n'empêche pas que l'on ne cherche un peu à se soulager ; il est vrai, que quand il plaît à Dieu, l'on ne trouve point de soulagement au ciel ni en la terre. Il faut donc mourir et être ensevelie en celui qui prend son triomphe de gloire dans la mort de ses créatures. Bienheureux mille fois les morts qui sont passés et trépassés en Jésus Christ qui est notre pure vie
Nous prions incessamment la majesté de notre Bon Dieu selon vos intentions, et une des plus grandes joies que je puisse avoir en ce inonde est de vous pouvoir assister en vos besoins ; et ne pouvant le faire, c'est ce qui m'est croix. Je n'ai pas encore parlé à nos anciennes de la Mère Benoîte[d'Arconas](1),j'attendais que vous ayez fait choix d'une seconde ; je dis tout le reste à la lettre de la Révérende Mère Sous-Prieure. Nous vîmes ces jours passés le Révérend Père Rembault (2), lequel me dit, si vous étiez dans le dessein de faire un établissement, que c'était la plus belle chose du inonde de le faire à Gondreville (3), qu'il n'y avait point d'embarras. Il est vrai que c'est un passage aussi bien que Saint-Dié. Je trouve deux raisons assez notables pour m'ôter la volonté de m'y établir, si j'étais à votre place, à moins d'un ordre exprès de la volonté de Dieu ;
(I) La convention passée entre le monastère de la rue Cassette et celui de Rambervillers stipulait que, hormis Mère Mectilde et Mère Bernardine, deux religieuses seraient toujours en résidence rue Cassette, pour aider à la fondation de l'Institut et soulager le monastère de Rambervillers toujours
excessivement pauvre.
(2) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 306 à 309.
(3) Bourg ancien datant des premiers siècles et dont l'histoire fut particulièrement illustre du Vile au IXe siècle. Il abrita plusieurs rois de la première race et même de la deuxième. Les rois de France, Thierry IV, Louis le. Débonnaire, Charles le Chauve, Charles le Simple y séjournèrent ainsi que Charlemagne. Charles le Gros, empereur d'Allemagne, y reçut la couronne de France lors des invasions normandes, en 887. Le Palais des Rois mérovingiens a subsisté pendant plus de huit siècles. Il ne reste rien de ce glorieux passé. Gondreville, qui se trouve à 6 km de Toul ne compte plus que 1600 habitants. H. Lepage, historien qui fait autorité, ne cite au XV1Ie siècle qu'une chapelle de Notre-Dame de Pitié et de Saint Urbain, érigée dans l'ancien cimetière et transférée à l'abbaye Saint-Léon de Toul et enfin un ermitage dans le bois. Au XVIlle siècle, on signale qu'une dîme de la 17e gerbe est réservée au profit des religieux de l'hôpital, qui sont des Bénédictins. Le siège de cet établissement est simplement désigné sous le nom de Maison-Dieu. (Renseignement fourni par M. le Directeur du groupe scolaire
de Gondreville, Meurthe-et-Moselle).
200 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 201
la première raison qui m'y J'ait répugner, c'est les Chanoines, dont il y a plusieurs choses considérer : la seconde est le passage des soldats. Si Dieu le veut, je souhaite bientôt de vous voir il faudrait que vous eussiez un peu (le repos ; Je veux éternellement avec vous ce que Dieu veut; en lui, je vous suris de tout Mon c(rur, ma Révérende Mère, votre, etc...
nu 805 a) Ms : T9
A LA COMTESSE DE CHÂTEAUVIEUX
sur la mort d'une personne de qualité
16 juin 1663
rf e mot est en hâte, la poste allant partir... C'est seulement pour
vous assurer, ma très chère, que nous avons reçu les vôtres avec une grande affection, portant impatience d'apprendre de vos chères nouvelles. Nous y avons appris la mort de la bonne Madame la Duchesse de la Vieuville qui nous a fort touchée, en considération de Madame l'Abbesse, que j'aime et que j'honore chèrement, et de toute l'illustre famille, que je sais être dans une profonde douleur d'une perte si considérable et qui causera tant de déplaisir dans la continuation des temps, si la main toute-puissante de Dieu ne renverse les desseins des hommes. Il le faut prier pour cela ; c'est ce que je ferai de tout mon coeur, prenant intérêt à tout ce qui touchera cette famille que je chéris en Notre Seigneur. J'emploierai les prières des bonnes âmes que je connais et que je pourrai rencontrer dans mon voyage ; mais, puisque Dieu a voulu vous donner cette affliction, recevez-la de sa part et vous soumettez amoureusement à sa très sainte volonté. Tout est à lui. Il en est le maître et le souverain, mais apprenez dans ces événements que nous sommes sujettes à la mort et que c'est un pas qu'on ne peut éviter ni reculer, quand le moment est arrivé, selon le décret de la Sagesse divine. Nous ne vivons que pour mourir et, quand je pense à la mort, je n'ai aucun désir ni aucune inclination pour les choses de la vie. Mourons tous les jours pour nous apprendre à bien mourir ; le meilleur moyen, c'est d'être fidèle à conserver en son intérieur la présence de Jésus Christ et de suivre les sacrés mouvements qu'il nous donne.
11 faut cependant vous dire un mot de notre voyage qui est autant heureux qu'il le peut être. Nos Mères de Rambervillers font un peu les renchéries. Je prétends qu'elles nous prieront plutôt que je les prie. Je ne suis en peine de rien pourvu que vous soyez en santé et que la Communauté de Paris soit en paix.
Son Altesse Royale de Lorraine m'a fait prier de faire diligemment l'établissement de Saint-Dié, qu'il désirait ardemment, et que je prisse la peine d'y aller et d'y mener des Reliuieuses (1) ; nous verrons ce qu'il faudra faire pour la plus grande gloire de Dieu. Pour ma santé, elle est entière ; notre Mère Sous-Prieure de même, à ses jambes près : ne soyez en peine de nous. Je vous assure que j'ai plus d'envie d'être auprès de vous que vous n'avez de nous y tenir. Conservez-vous, je vous en prie, c'est la plus grande satisfaction que vous me pouvez donner ; ma Soeur Hostie Hardy I (2) est ravie des bontés que vous lui témoignez ; elle m'a écrit pour me le mander et moi je vous en remercie. Voilà ce que je vous puis dire aujourd'hui ; nous allons voir des médecins pour les eaux que vous désirez que je prenne. Je
crois que je serai obligée d'aller à Saint-Dié après avoir bu ; nous vous manderons toutes choses. Nous avons déjà fait dire deux cents messes ; je vous en porterai les certificats. A Dieu, très chère enfant, je suis de coeur toute à vous, n'en doutez jamais. J'approuve ce que vous faites pour l'hôtel de la Vieuville, etc.. Ecrivez-moi de votre santé ; un million d'humbles respects à Madame l'Abbesse ; témoignez-lui la part que je prends à sa douleur ; je n'oserais lui écrire, étant trop dans l'affliction. Je vous prie de dire à ma Soeur Hostie que j'ai reçu ses chères lettres fidèlement.
no 97 Ms: D12
(1) On sait que les échevins et les bourgeois de Saint-Dié désiraient la présence des religieuses pour ouvrir une maison d'éducation pour leurs tilles. Le duc de Lorraine et la duchesse d'Orléans étaient favorables à cet établissement. les habitants de Saint-Dié ayant toujours été fidèles au duc. Quelques filles de Mère Mectilde étaient installées depuis 4 à 5 ans dans la maison de M. de Bar. Gondreville, au contraire. était «en France» et présentait l'avantage d'être proche de "Foui. (Cf. Dom Rabory, Vie manuscrit ch' Mère Mectilde, arch. de l'abbaye de Limon).
(2) Marie Hardy reçoit l'habit à 33 ans. le 25 mars 1659. des mains de Mgr de Maupas du Tour (C. de Bar Documents, 1973. p. 109) et fait profession le 2 avril 1660. Elle est mentionnée comme dépositaire et « discrète » sur la liste des moniales de 1689. Nous ne la trouvons plus sur les listes à partir de 1692. Elle a dû mourir vers cette date.
Sa soeur, Anne Hardy (mère Anne victime de Jésus) prend l'habit le 15 avril 1659. fait profession le 16 juillet 1660. Elle n'est plus sur les listes dès 1684.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME
A Toul, ce 13 juillet 1663
Ma très Révérende et ma très digne et chère Mère,
Jésus dans le divin sacrement soit notre unique vie et notre consommation !
y 1 faut vous dire, ma très chère Mère, que j'ai porté avec une extrême mortification l'impuissance où je nie suis trouvée de vous écrire un peu amplement et vous exprimer les sentiments de mon cœur que Notre Seigneur a rempli de joie et de consolation sur le saint traité (I) que
(1) Le monastère n'a été agrégé à l'Institut qu'en avril 1666, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 220 et suiv.
202 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 203
l'amour du Très Saint Sacrement vous a fait contracter de coeur et d'affection avec nous. J'admire la conduite de l'adorable Providence et ne puis contenir les mouvements de mon esprit, qui adore et remercie cette aimable bonté qui sait si bien ménager toutes choses en la manière qu'il connaît être plus à sa gloire et à notre bien. Enfin, je puis dire en vérité que je suis sortie de votre sainte maison avec la dernière satisfaction. Je n'aurais jamais cru que Notre Seigneur y eût donné tant de bénédiction. Je suis comblée de vos bontés et de la sainte affection de la chère communauté qui se rend avec tant de grâce et de générosité les victimes de l'adorable Eucharistie. Et sans parler des intérêts de la gloire de cet auguste mystère, pour laquelle nous nous devons immoler-et consommer entièrement, je chéris singulièrement l'étroite union que nous avons faite en son amour ; et quand il n'y aurait point d'autre utilité que cette sainte liaison, qui s'est rendue par cette occasion indissoluble, c'est un bien qui ne se peut assez estimer et qui portera son fruit dans son temps. La patience conduira toutes choses heureusement. Il me semble que je suis avec vous continuellement et que nous sommes inséparables. Néanmoins j'étais combattue en vous quittant : une partie de moi restait avec vous et l'autre partie était à Paris, dans la maison du Saint Sacrement, mais d'une manière si particulière que toutes ne faisaient qu'une en ce mystère d'amour. Je trouvais qu'il était la vie et le mouvement de tout. C'est donc en vérité que nous dirons désormais toutes ensemble d'un même coeur et d'une même voix : «Jésus dans l'adorable hostie est l'unique Roi et le seul tout de nos âmes : nous n'avons plus qu'un même amour, un même respir et une même vie ». Le divin Sacrement fera la consommation de toutes. Croiriez-vous que je me trouve à l'égard de toute votre sainte maison et pour toutes mes chères Mères comme je suis pour notre maison de Paris, et je ferai pour vous ce que je tâche de faire pour elle. Madame la Comtesse [de Châteauvieux m'a mandé qu'elle avait une parfaite joie de notre étroite union ; elle a passion de vous venir voir et veut qu'on fasse l'affaire de Gondreville pour y faire une solitude du Saint Sacrement. J'ai peine de l'empêcher d'y venir et selon son zèle ce sera peut-être avant la fin de l'année ; il ne faut pas douter qu'elle n'aille chez vous.
Au reste, la pauvre mère Saint-Joseph sera une vraie victime de douleur aussi bien que d'amour pour Jésus au Très Saint Sacrement ; elle ne peut vivre sans miracle. Ma Soeur de Jésus [Chopinel I me mande que c'est une chose pitoyable de la voir. On lui coupa samedi dernier quatre doigts de la main et, le lendemain, on lui devait couper le poing ou le bras. Voilà d'étranges douleurs que cette pauvre fille souffre avec une patience du Ciel qu'on peut dire toute divine ; nous avons sujet de douter si elle est présentement en vie. Je suis fort touchée de n'être point auprès d'elle dans son extrémité ; elle ne demande rien plus ardemment que de nous voir avant qu'elle meure. Je ferai mon possible pour m'y rendre, quoique peut-être trop tard pour elle et, pour cet effet, nous partirons par le coche qui viendra demain de Nancy. Je prie Dieu que j'y trouve nos chères Soeurs d'Arconas et de Ste Gertrude [Noirel] (2) pour les emmener avec nous. Je priai M. Chasselle de vous le mander en partant de chez lui pour aller à Metz où nous avons été sans aucun accident, grâce à Notre Seigneur. Il y a lieu d'y faire une bonne maison du Saint Sacrement, mais je ne me hâterai pas de l'entreprendre : il suffit que nous ayons remarqué le lieu et donné ma parole pour une bonne affaire en cas qu'il plaise à Notre Seigneur la faire réussir ; je vous en écrirai plus particulièrement. Nous avons été à Vézelise, et .sommes ici à Toul pour aller voir la maison et les terres de Gondreville demain du matin avant l'arrivée du coche. J'espère, moyennant la grâce de Notre Seigneur, arriver dans huit jours à Paris.
Priez Dieu pour cette pauvre Mère souffrante qui rend hommage à Jésus dans sa passion ; recommandez-la à toute la Communauté, je vous en supplie. Voilà ce que je puis écrire présentement ; le reste sera à Paris où je tâcherai de vous écrire amplement toutes choses. Vous aurez la bonté d'écrire à Madame la Comtesse pour lui mander notre union et m'envoyerez s'il vous plaît les billets pour les présenter au Très
Saint Sacrement...
no558
(2) Soeur Gertrude de l'Assomption Noirel. de Flavigny, a reçu l'habit des mains de Dom Arnould le 15 aout 1660. cf. Journalier de Dom de Lescale.
A LA MÊME
23 février 1664
Ma Révérende et très chère Mère,
Jésus captif d'amour dans la divine Eucharistie soit notre unique vie !
I1 faut du moins que je vous fasse ce petit mot, ma très chère Mère, puisque je ne puis posséder un plus grand loisir pour vous écrire et vous dire beaucoup de choses. Je viens tout présentement de voir M. l'Abbé d'Etival [Dom Epiphane Louys] (1) qui m'a assurée de votre santé ; nous le voyons souvent avec consolation ; il a pour vous, ma très chère Mère, une fort grande charité et témoigne être fort édifié de votre soumission. C'est un bon serviteur de Dieu.
(1) Né à Nancy en 1615, il fait profession en 1632 dans la congrégation réformée des Prémontés. Docteur en théologie. il est nommé prieur de saint Paul de Verdun, puis on l'oblige à accepter l'abbaye d'Etival (Vosges) en avril 1663. En juin il prêchait le panégyrique de Saint Jean-Baptiste au monastère de Rambervillers. C'est là qu'il rencontre mère Mectilde. Ces deux âmes se comprennent si bien 'que l'abbé d'Etival va devenir le soutien le plus ferme de mère Mectilde. Grand mystique et homme d'action, il a aussi beaucoup écrit. Quelques unes de ses oeuvres ont été spécialement rédigées pour les bénédictines du Saint Sacrement. Cf. Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilcle. (arch. de l'abbaye de Limon), C. de Bar, Documents, 1973, p. 20 et DS, fasc. LI X - LX.
204 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 205
J'appris par celle que vous avez écrite à notre chère Mère Sous-Prieure les bénédictions que vous recevez de l'adoration du Très Saint Sacrement. Je suis très aise que la communauté goûte par expérience la suavité de Jésus dans ce mystère d'amour ; elle connaîtra dans la suite des temps que ce n'est point une dévotion, ni une obligation onéreuses. Hélas ! où peut-on mieux être qu'aux pieds de son Seigneur, de son Dieu, de son Epoux et de son Tout ? Vous le savez mieux que moi, qui suis une pauvre créature abîmée dans les affaires et toute environnée d'occupations ! Heureuse l'âme qui possède cette précieuse solitude qui est un véritable paradis ! Qu'est-ce que la vie si Jésus ne s'y rencontre ? Oh ! c'est un enfer commencé. J'avoue que je ne puis comprendre comme toutes les maisons religieuses ne sont liées et attachées à ce divin sacrement qui nous est toutes choses. Est-ce pas le même qui fait la béatitude des saints dans le Ciel ? Il n'y a de différence que d'un voile qui le couvre à nos yeux ici-bas, mais qui n'empêche pas de le voir en esprit par la foi et d'en avoir la jouissance. Oh ! que nous sommes obligées à cet amour ineffable qui a trouvé une invention si divine de faire habiter le paradis sur la terre et de le renfermer dans un tabernacle ! N'est-ce pas devenir un petit prisonnier, que cet amour tient dans un morceau de bois comme dans un cachot, où son amour l'a rendu captif pour nous ! Il me semble que nous n'avons plus besoin de livres ni de science ; tout est renfermé dans le pain eucharistique. Jésus crucifié et sacrifié est science des saints. Je vous demande pardon, ma très chère Mère, c'est une petite saillie de mon coeur qui vous en dirait bien plus s'il en avait le loisir.
Je rends grâce à Notre Seigneur de votre meilleure santé et de tout ce qui s'est passé dans votre maladie. C'est la main de Dieu qui purifie. J'aurais trop de joie si je pouvais un peu me dilater le coeur avec vous, mais je suis si souvent interrompue en vous écrivant la présente qu'il faut que je la finisse, remettant le reste à une autre fois. Nous allons chanter le service du bout de l'an de notre pauvre Soeur de la Présentation [Carrel] (2), que je crois être en état de sûreté. Je vous supplie de vous en souvenir devant Notre Seigneur et de le prier qu'il me donne son esprit, afin que j'agisse en lui et par lui et pour lui, ou plutôt qu'il fasse lui-même tout pour lui. Croyez, ma chère Mère, que personne n'a plus grand besoin que moi du véritable anéantissement. Hé ! que Jésus fasse en moi son oeuvre puisqu'il le veut ainsi, demandez-lui cet anéantissement de tout votre coeur - c'est pour sa gloire - et que je ne me puisse jamais trouver en rien qui soit, afin qu'il y soit uniquement tout. Je salue chèrement toute la sainte Communauté et particulièrement ma chère Mère Dorothée [Heurelle I. Je suis en Jésus toute à vous, Votre ...
no 520
(2) Anne Carrel (Mère Marie Anne de la Présentation) connitissait Mère Mectilde dès son séjour à Saint-Maur. C'est elle qui, avec Mademoiselle Louise Guisselain, a conduit M. Boudon près de Mère Mectilde. Elle reçoit l'habit des mains de M. Boudon le 20 novembre 1654 et fait profession le 22 janvier 1656 ; elle avait alors 43 ans. Elle est la seconde moniale professe de l'Institut.
A LA MÊME
7 juin 1664
Ma toute chère Mère,
ae mot est seulement pour vous très humblement supplier de faire porter la ci-jointe par un messager exprès à Epinal, où je crois à présent notre chère Mère Sous-Prieure, ou à Plombières, bref, où elle pourra être. Il est très important qu'elle reçoive la dite lettre pour plusieurs affaires qu'elle contient.
Je pensais bien, ma très chère Mère, avoir la chère consolation de vous écrire, mais c'est l'impossible aujourd'hui, ce sera au plus tôt. Cependant je vous supplie de me mander ce que vous savez de la mort de M. Lhuillier ; dites m'en vos sentiments devant Dieu sans rien appréhender. Je crois que sa pauvre famille en est bien affligée. Ma Soeur d'Arconas est prête de partir aussitôt qu'elle aura une forme d'obéissance de votre part. J'espérais être de la partie, mais nos affaires ne sont pas prêtes. Je voudrais bien être auprès de vous pour bien des choses. Je crois que vous aurez reçu des lettres de notre chère Mère Sous-Prieure qui de présent est en Lorraine. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui envoyer une religieuse (1) pour l'aider dans ses besoins car elle s'est tuée de fatigue, soulageant les autres, malade qu'elle est elle-même, et pour l'accompagner dans ses voyages. J'avais prié de renvoyer ses compagnes qui la peineront partout, et qu'elle ne peut conduire sans extrêmes fatigues. C'est pourquoi ma très Chère Mère, je vous supplie de lui donner du secours. C'est ce que je vous puis dire, espérant que notre chère Mère vous dira toutes choses en vous voyant. A Dieu, ma très chère Mère ; un mot si Dieu vous le permet et sur la mort de mon frère : je n'en sais point le détail, et s'il est bien mort.
Je recommande à vos prières Monsieur le Duc de Guise qui mourut lundi dernier. Madame de Montmartre (2) en est furieusement affligée. Il se faut contenter de ce mot, la poste va partir. Je suis de coeur en Jésus votre très indigne fille,
Sr M. du St Sacrement
Ju vous demande mille humbles pardons de vous écrire si en hâte et tant brouillé. C'est la presse où je suis aujourd'hui.
Je vous recommande très instamment la lettre de notre chère Mère Sous-Prieure, qu'elle lui soit envoyée exprès là par où elle sera, je vous en supplie, étant choses pressées.
n. 1 1 1
( 1 ) Ici, des corrections du X IXème siècle rendent illisible ce qui a été écrit dessous.
(2) Françoise-Renée de Lorraine, coadjutrice en 1644. abbesse en 1657, meurt le 4 décembre 1682.
20() CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 207
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
Juin 1664
e n'oserais écrire à notre affligée Princesse pour lui témoigner
la part que je prends à sa douleur, que je pourrais dire être si sensible que la nouvelle que je viens de recevoir de la mort de mon frère ne me touche pas, comparée à celle de M. le Duc (1), qui surprend tant de monde, et qui le regrette véritablement. Voilà un prodigieux sacrifice que Dieu a exigé de cette chère âme. C'est le plus rude coup qu'elle avait à soutenir en terre. Mais, comme la main de Dieu l'a blessée, cette même divine main l'a soutenue par une grâce abondante, qui pourtant n'ôtera pas la douleur des sens. La perte est trop grande et l'affection trop tendre pour rendre moins sensible cette rude privation..1e vous puis dire, ma très chère Mère, que je la ressens jusqu'au fond du coeur, et que nous avons gémi devant Dieu pour les besoins de cette âme, qui est retournée à son centre, et pour celle qui en ressent la très vive douleur, demandant miséricorde pour l'un et force et grâce divines pour l'autre ; car, en vérité, on ne saurait porter une telle affliction sans le secours d'une grâce divine. Je n'ai point trouvé en moi de parole pour exprimer mes sentiments. Je me sens pénétrée de douleur en la présence de Jésus Christ que je prie la vouloir- consoler par lui-même. Je serais mille fois plus peinée si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de père et de frère et l'aidera à porter la croix que le Saint-Esprit a mise dans son coeur. Je sais que vous en êtes vous-même tout à fait affligée. Vous aviez trop de respect pour lui et trop de liaison aux sentiments de Madame pour- n'en être touchée comme vous êtes. Mais je sais d'ailleurs la vertu que Dieu a mise en vous, et de quelle manière vous recevez les événements crucifiants de sa divine Providence qui nous fait d'admirables leçons. Enfin c'est un Dieu qui se rend le maître de ses ouvrages et qui en dispose comme il lui plait,Sans que nous ayons droit de nous en plaindre. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui témoigner les vifs sentiments de mon coeur sur sa douleur, lorsque vous le jugerez à propos. Je n'oserais lui écrire en l'état où je la crois, n'ayant nulle capacité de la consoler mais des larmes à verser à ses pieds. Je vous proteste, ma très chère Mère, que je n'en puis revenir et que je vois bien dans cette occasion que je suis tout à fait sensible aux intérêts et à tout ce qui touche cette digne Princesse. C'est tout ce que je puis dire dans ce moment où vous n'êtes pas sans douleur, ma très chère Mère. Je vous supplie, quand vous verrez Mlle N, de lui témoigner ma douleur sur sa perte.
no 1275 Ms : N254
(1) Henry II (4 avril 1614 - 2 juin 1664), duc de Guise, était le frère de l'abbesse ; fils de Charles de Lorraine et de Henriette Catherine , duchesse de Joyeuse. Cf. P. Anselme, Histoire généalogique et , chronologique de la maison de France, Paris, 1728, t. I I1. p. 488.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÈME
28 juin 1664
Ma très Révérende et très chère Mère,
Jésus soit l'unique vie de nos coeurs !
CC'est l'unique souhait que nous devons faire, et qu'il se glorifie
par sa toute-puissance, en détruisant et anéantissant toutes les créatures. Cela est juste et j'adore sa souveraineté sur toute la terre ; quoique le péché s'y oppose il le consommera et détruira absolument, et c'est la joie des coeurs qui n'aiment que sa pure gloire, de le voir agir en Souverain. Mon Dieu, ma très chère Mère, que ne règne-t-il partout dès à présent, sans résistance de la part des créatures ? Ce serait le paradis en terre ! Mais Jésus continue sa.vie cachée et captive dans la plupart des âmes, dans lesquelles il n'a pas la liberté d'opérer selon son amour, et cela est affligeant. Priez-le, ma très chère Mère, que je ne sois pas de ce nombre, qu'il vive et règne en nous par l'adorable Eucharistie. Oh ! que ce mystère est grand et peu connu des hommes ! Je m'étonne que tout le monde ne s'occupe à le considérer et à en expérimenter les effets. Quelle union ineffable ! Pour moi, je ne &mande point d'autre grâce que de porter en moi les effets de ce divin mystère : tout s'y renferme et Dieu même ne peut rien faire de plus à notre faveur. Si j'étais remplie de cette grâce eucharistique, ma très chère Mère, je ne pourrais m'affliger des événements de Providence et je crois qu'une fille du Saint Sacrement doit avoir tout sacrifié à Jésus dans ce mystère, parce que Jésus, par ce divin Sacrement, lui devient tout en toutes choses.
J'ai tâché de lui présenter le mieux que j'ai pu la perte que j'ai faite de mon frère et de ma soeur (1). Je les estime trop heureux s'ils sont sortis de ce monde en sa grâce. En vérité, rien n'est à regretter que la perte de Dieu, et, s'il leur a fait miséricorde, c'est trop de faveur ; nous l'en devons infiniment remercier. La vie du monde est trop opposée à Dieu pour avoir le moindre regret de la quitter : heureuse l'âme qui retourne à son Dieu et qui se trouve délivrée de cette malheureuse servitude ! Je sais que l'un et l'autre de ces deux pauvres défunts ont beaucoup souffert durant le cours de leur vie, et que même leur mort a été accompagnée de douleur. Je prie Notre Seigneur qu'il les sanctifie par la dignité des siennes et qu'elles leur soient utiles pour la vie éternelle. Vous m'avez bien consolée sur ce sujet, ma très chère Mère, d'avoir pris la peine de me dire vos pensées. O que les jugements de Dieu sont profonds et éloignés des lumières des hommes et de leurs sentiments ! Continuez vos saintes prières pour leur secours, je vous
(1) Son beau-frère le colonel Lhuillier et sa soeur ainée Marguerite décédés tous les deux en juin 1664.
2O CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 209
en supplie, et m'obtenez de Dieu la miséricorde de bien mourir. J'ai cette pensée de mort si continuelle depuis quelques années que je doute si ce n'est point un avertissement : elle m'est augmentée de beaucoup cette année et je vois que cela fait de bons effets parmi tant d'affaires dont je suis environnée. Certainement, ma très chère Mère, il
me semble que je ne les fais qu'en passant et que je n'y ai ni le coeur ni l'esprit, mais je tâche d'y agir parce que l'on m'assure que Dieu le
veut ainsi ; du reste, qu'il en arrive ce que Dieu voudra, le succès m'en est indifférent, pourvu que je ne néglige rien de mon petit devoir ; assez souvent Dieu semble vouloir des choses qu'il n'achève pas, se contentant de notre bonne volonté, comme il fit .en David pour son temple, se contentant qu'il en préparât seulement les matériaux. Dieu n'a besoin de personne pour ses ouvrages...
no 193
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE [EN RÉSIDENCE À RAMBERVILLERSI
16 juillet 1664
e vous suis bien obligée,.ma très chère Mère, de la part que vous
avez prise à la perte que j'ai faite de mon frère et ma soeur. Je les recommande instamment à vos saintes prières ; c'est le seul bien que je leur puisse faire à présent et votre charité sera récompensée.
J'ai bien cru que vous seriez puissamment touchée de la mort du bon M. de (luise. C'est un coup qui a surpris et étonné tout le monde, mais c'est où il faut que nous arrivions tous, et bientôt heureuse l'âme qui se tient en un continuel état de mort, car elle ne sera point surprise dans ce dernier moment. Madame de guise m'a écrit avec beaucoup de bonté ; elle commence un peu à se mieux porter. J'espère que Notre Seigneur se la conservera à lui-même pour sa uloire et la perfection des âmes qu'il a mises sous sa conduite. C'est un grand coup de tonnerre pour cette chère Dame, qui fera de très bons effets et qui la déuauera un peu des créatures. Puisqu'il a commencé, il achèvera et fera le reste dans peu de temps, je l'espère, de la main toute-puisssante de celui qui a fait ce coup, car elle doit être sans partaue, toute à Jésus Christ.
Au reste je suis bien aise que vous soyiez à Rambervillers dans notre petite maison, et que vous voyiez la Révérende Mère Prieure qui est plus que je ne vous puis dire. J'appréhendais que vous ne souffriez beaucoup d'incommodités dans notre pauvre maison, mais votre charité souffrira tout pour l'amour de Notre Seigneur et excusera la grossièreté du pays. Je disais à notre chère Mère Sous-Prieure de vous laisser toutes chéz les bonnes Mères d'Epinal (1), d'autant que vous seriez beaucoup mieux que chez nous ; mais, puisque vous l'avez désiré et que Notre Seigneur vous y a conduites, j'en suis bien aise. Mandez-moi en simplicité comme vous vous y trouvez, et vous unissez bien avec notre très digne Mère Prieure la Révérende Mère Benoîte [de Brème s : elle peut vous attirer du ciel de grandes bénédictions. Je pense à vous très souvent avec tendresse, car c'est de coeur que je vous aime et que vous m'êtes chère en lui. Les lieux ne nous séparent point. Je vous trouve aux pieds de mon adorable Maître dans son divin Sacrement où je sais que votre esprit fait sa demeure, autant qu'il peut, pour lui rendre ses hommages et les devoirs d'amour et de sacrifice qu'il lui doit.
A Dieu, ma très chère Mère, profitez de l'exemple de la digne Supérieure. C'est une âme qui est toute à Dieu je vous en assure. Croye.z que je suis, en Notre Seigneur, toute à vous.
no 1797 Ms : N254
(1) La congrégation Notre-Dame, fondée par Alix Le Clerc et le Père Pierre Fourier en 1598. La maison d'Epinal date de 1620 ; sa fondation est due à Madame de Bagrone, chanoinesse de Remiremont, et à François Palissier, abbé de Chamousey (aujourd'hui Chaumoussey, Vosges). En 1638, lors de son départ de Commercy, Mère Mectilde fut reçue avec beaucoup de bienveillance pendant trois semaines dans cette maison. Elle songea même quelque temps à entrer dans la congrégation mais elle comprit que Dieu l'appelait ailleurs cf. Edmond Renard, La Mère Alix Le Clerc 1576 - 1622, Paris, 1935 Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilde (Arch. de l'Abbaye de Limon).
A MADEMOISELLE SA NIÈCE
[FRANCOISE LHUILLIER -GAULTHIER DE VIENVILLE1
30 juillet 1664
Ma très chère nièce et mon cher enfant,
Jésus soit votre force et votre consolation !
'ai reçu votre chère lettre du 20 courant par laquelle vous me Ci témoignez votre douleur sur la perte que vous avez faite. Certainement, ma chère nièce, vous avez beaucoup perdu ; cela se peut dire et que votre bon coeur continue de souffrir tous les jours par le souvenir de cette sensible affliction et par mille autres déplaisirs qui se rencontrent dans la vie et desquels l'on ne se peut garantir.
Je vous plains et voudrais de tout mon coeur être en état de vous pouvoir consoler. Je sais que vous avez recours à Dieu et à sa très Sainte Mère et c'est ce qui me console dans votre douleur.
Croyez, mon cher enfant, que si vous avez perdu en terre un bon père et une bonne mère, vous en aurez de meilleurs dans le Ciel. C'est Jésus et sa très Sainte Mère qui ne vous abandonneront jamais. Je vous conjure d'y avoir une entiere confiance et de tâcher de faire un saint usage de tant de maux que vous souffréz incessamment. Elevez
210 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 211
souvent votre coeur au Ciel disant en vous-même : « Courage mon âme, nous n'avons qu'un peu de temps à vivre pour souffrir et témoigner à Dieu notre amour et nous aurons une éternité de repos et de délices ».
Pensez quelquefois à la mort et tâchez de vous tenir dégagée des choses de la vie et, surtout, n'aimez point les biens ni la vanité. Tout périt et une âme est malheureuse qui met son coeur aux choses de la terre.
Aimez Dieu, mon cher enfant, et tâchez de ménager votre salut éternel. C'est là, la grande et principale affaire.
On ferait une chose bien agréable à. Notre Seigneur de se défaire de tant d'embarras qui détournent de Dieu pour penser sérieusement à la mort. La vie est plus courte que l'on ne pense. Je prie Dieu qu'il lui donne une forte inspiration de mettre ordre à ses affaires intérieures et extérieures, qu'il pense à son salut de la bonne sorte (1). On ne meurt qu'une fois pour une éternité. Apprenons, ma chère nièce, à bien mourir puisqu'il y va de notre perte ou de notre gain éternel.
Pour un peu modérer votre douleur, le bon Dieu fait réussir l'établissement dans Saint-Dié (2). Vous aurez la consolation d'y voir les religieuses et d'y mettre vos trois filles. Je vous conseille, ma chère nièce, pour les bien élever à la crainte de Dieu et les apprendre au travail et, si Dieu les touche, faitesen de bonnes religieuses. Voyez par votre expérience que ce serait leur plus grand bonheur et que, dans le monde, il n'y a que des maux et des misères en toutes manières. Prenez le plus certain et laissez celui qui est rempli de périls.
Je vous recommande toujours la bonne Mère de Sainte-Marie ; je vous prie -de l'assurer que je n'oublierai jamais les services qu'elle a rendus à ma soeur. Je ne veux point vous en parler, ni de la tendresse de mon coeur sur sa mort ; laissons-la à Dieu puisqu'il lui a fait la tendresse de l'attirer dans le Ciel. Nous ne devons plus la pleurer, mais prier Dieu qu'il nous fasse la grâce de la suivre, car nous mourrons toutes plus tôt que nous ne croyons.
J'envie son bonheur d'être hors des occasions de déplaire à Dieu.
Courage, ma très chère nièce, écrivez-moi souvent et ne me faites point d'excuses de votre liberté. Vous n'en avez point trop avec moi. Prenez-la toute entière et croyez qu'en tout ce qui sera de mon pouvoir, je vous témoignerai que je vous aime très sincèrement.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous comble de bénédictions et votre chère famille que je salue et embrasse tendrement.
Je suis en Jésus, ma très chère nièce, votre toute affectionnée.
( I) Mère Mectilde fait peut-être allusion ici à son neveu, le mari de Françoise Lhuillier, Claude Gaulthier, seigneur de Vienville.
(2) D'après le Journalier de Dom. A. de Lescale, il semble bien que le projet d'établissement à Saint-Dié était sur le point de réussir à cette date. Les religieuses avaient obtenu le consentement de Claude Gaulthier de Vienville, prévost de Saint-Dié, et des bourgeois, le 22 avril 1659. Le Substitut du procureur général de Lorraine en l'officialité de Saint-Dié a enregistré cet acte le 17 ème may 1660. Signé C. Cherrier. L'opposition violente du chapitre de Sainte-Croix a obligé Mère Mectilde à y renoncer. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 206 (Archives des Vosges, 40 H)
Vous pouvez vous consoler avec notre chère Mère Sous-Prieure qui vous aime chèrement. Je vous recommande votre pauvre frère (3) qui a beaucoup perdu. Tâchez de le consoler et de vous aimer tous sans aucune diminution. Vous aurez une bonne Mère à Saint-Dié qui vous aimera beaucoup. Donnez-lui vos enfants, si vous m'en croyez,
ils seront bien entre ses mains. Je vous recommande tout le petit couvent.
A Dieu, j'ai écrit depuis peu à Monsieur votre mari. S'il est avec vous, présentez-lui mes respects et mon affection.
Ms : T8
(3) Nicolas Lhuillier, seigneur de Spitzemberg, Vauzel, Saint-Marcel, etc.. écuyer ordinaire de Son Altesse Royale madame la duchesse d'Orléans, épousa Charlotte-Thérèse de Castres, par contrat pàssé devant Le Vaseur et Le Lorge, notaires au Châtelet de Paris. le 14 janvier 1670. Son fils aîné,
Charles Léopold, héritier des titres de son père, épousa Anne Florentin. Il mourut à Bertrimoutier (Vosges) le 13 avril 1712. Une de ses filles, Catherine, est religieuse à Malnoue (voir lettre no 2697 et 1095. juillet 1695). Une autre. Elisabeth-Françoise, épousa Paul Benoit, chevalier, comte de Braque ; elle décéda à 51 ans et fut inhumée à la paroisse Saint-Roch à Paris. en 1730. ( cf. Arch. mit. 98 A.P. En appendice, lettre du 19 décembre 1679). Dom Ambroise Pelletier. Nobiliaire de Lorraine, Nancy, 1758. p. 492 - 493.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME]
30 juillet 1664
Ma très Révérende et ma très chère Mère,
Jésus soit notre unique tout dans la divine Eucharistie !
1 est bien juste que je fasse un effort dans nos continuelles occupa-
tions pour vous rendre par ces mots les très humbles remerciements que je dois à votre bonté, pour la bonne et charitable réception que vous avez faite à notre chère et digne Mère Sous-Prieure et à toute sa compagnie. Je m'en tiens tout à fait redevable à la charité de toute la Communauté et particulièrement de la vôtre, ma très chère Mère. La pauvre Mère de Saint-Joseph [de Laval Montignyl est ravie d'être entre vos mains ; elle ne me peut assez écrire vos bontés et les soins que vous avez de la consoler en toutes manières dans ses douleurs, qu'elle dit se diminuer par la force de vos saintes prières. Elle est tout à fait édifiée de la Maison. La bonne Mère de Sainte-Catherine fait le même et la pauvre Soeur de Sainte-Madelaine qui est heureuse d'être auprès de vous ; je crois que vous connaissez que ce sont toutes trois de bonnes filles. Je crois, ma très chère Mère, que notre bonne Mère Sous-Prieure reconnaîtra votre charité. Il ne faut point vous ruiner par tant de visites de notre part ; nous y subviendrons moyennant la grâce de Notre Seigneur. Vous aurez appris de cette chère Mère comme la divine Providence remet en état l'affaire de Toul, et que nous espérons de partir
212 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 213
au mois de septembre prochain (1) avec M. L'Evêque de Toul qui est arrivé à Paris et qui en doit partir pour retourner à Toul à la fin de septembre. Je vous supplie de bien prier Notre Seigneur qu'il tire sa gloire de tout et qu'il nous fasse la grâce d'agir en son esprit. Je ne demande rien plus en ce monde que de le contenter. Demandez-lui pour moi cette miséricorde, ma très chère Mère, et que tout mon moi-même soit fondu en Jésus Christ. Je ne vous dis rien de l'affaire de Saint-Dié ; notre bonne Mère Sous-Prieure vous dira toutes choses. Je crois que vous avez bien de la consolation de voir cette chère Mère et elle d'être auprès de vous pour prendre un peu vos avis dans nos affaires.
Notre chère Soeur d'Arconas s'en retourne entre vos mains, bien heureuse de posséder cette douce consolation. J'en suis toute édifiée et nos Soeurs aussi. Elle commençait un peu à sortir de ses scrupules lorsqu'elle est partie ; elle se trouvait fort bien de communier souvent. Je crois, ma très chère Mère, que vous lui continuerez cette grâce si vous le jugez à propos. Je ne sais si vous serez satisfaite de sa négociation auprès de Son Altesse ; je n'y ai jamais rien espéré, mais il fallait faire une tentative pour ne rien négliger de ce que l'on peut. Je crois que l'on vous donnera du temps et que l'on réduira les sommes. C'est le moins qu'il devrait faire pour Dieu.
Si la divine Providence nous permet de faire le voyage de Toul, Mad. la Comtesse Ide Châteauvieux] sera de la partie ; elle se réjouit fort de vous voir, vous en serez édifiée. Elle est bonne servante de Dieu et bien zélée pour le Très Saint Sacrement. J'aurais beaucoup de choses à vous proposer touchant nos établissements, mais l'espérance que j'ai sur le voyage que nous devons faire d'avoir l'honneur et la grâce de vous entretenir me fait réserver mes pensées pour ce temps. Je vous supplie, ma très chère Mère, de faire quelques communions à votre particulier pour toutes nos affaires et que rien ne vive en nous que Jésus, afin que tout soit pour lui seul et sa très glorieuse Mère. Je suis en lui, ma très Révérende et très chère Mère, votre très indigne fille et très obéissante servante.
Je vous assure que la chère Mère de Jésus [Chopinel] se porte bien, mais elle dit que vous l'avez oubliée. Cela la mortifie un peu.
n°468
( I) Pour le détail de cette fondation. cf. Journal de Toul.
A I.A MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION [GROMAIRE] À TOUL
août 1664
1 faut bénir Dieu de tous les événements contraires, comme de tout ce qui réussit à nos souhaits. Je vous assure, ma très chère Mère,
qu'il faut toujours être prête à voir tout périr et renverser, et l'on ne peut avoir de vrai repos que dans le renversement et dans les contradictions. Abandonnons tout à la divine Providence ; Dieu sait bien ce qu'il veut faire : s'il ne veut rien, j'en suis contente. Sa divine volonté soit triomphante en tout et partout ! Ne vous fâchez de, rien, nous ne faisons rien pour nous. Il faut se laisser dévorer et anéantir par les événements de Providence. Si les affaires que nous manions pour Dieu et qu'il nous a confiées ménagent notre destruction, nous ne perdons pas nos peines. Il ne faut pas douter que nous ne trouvions partout des oppositions. Notre Institut n'est pas agréable à tout le monde, outre que mes péchés peuvent être la seule cause de tant d'oppositions. Ayons patience, ma très chère Mère, et nous tenons ferme à l'ordre de Dieu pour le vouloir en sa manière, et non selon notre esprit.
no 509 Ms : Cr. C
A LA MÊME, À TOUL
12 août 1664
our répondre à votre chère lettre, ma très chère Mère, par laquelle
vous me témoignez le déplaisir que vous avez du renversement du prétendu établissement de Toul, je vous conjure de ne vous fâcher de cela, ni d'autre chose qui me doive affliger. Je ne sais si c'est la grâce ou la stupidité qui opèrent, mais rien ne m'a surprise ni affligée. Que peut-on attendre de tout ce qui est sur la terre, sinon un perpétuel changement ? C'est une divine et tout adorable Providence qui permet toutes ces vicissitudes pour ne se point lier à la créature et ne s'appuyer que sur la bonté de Dieu. Croyez-moi, je ne fais jamais une affaire que je ne sois toute prête, avec la grâce de Notre Seigneur, d'en voir le renversement. C'est ainsi que l'on me fait marcher, et c'est ce qui me tient en repos quand les coups arrivent.
Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne autant de tranquillité qu'il m'en donne sur ces deux sujets qui, selon la raison humaine, seraient insupportables, mais qui, dans l'ordre de Dieu, sont pleines de mystères qu'il nous fera connaître un jour. Que si nous regardons l'affront qui \nous en revient, hélas, ma très chère Mère, nous n'avons encore rien souffert en comparaison de Jésus Christ, lorsqu'il était sur la terre et qu'il travaillait jour et nuit pour établir la gloire de Dieu son Père. Il ne faut pas penser que l'on puisse faire des maisons du Saint Sacrement sans que le démon les contrarie. Il fera même ses efforts pour renverser l'Institut, mais tout est dans la main du Seigneur. S'il est pour nous,_ qui sera contre nous ? Il ne faut point se rebuter. Si nous avons le coeur droit, ne nous affligeons de rien, laissons _faire Dieu.
ng' 2501 Ms: Cr C
214 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 215
A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT 1LOYSEAU1
Toul, 24 septembre 1664
... Nous apprenons par notre propre expérience que le démon est bien animé contre notre Institut : nous en avons trouvé un, à notre arrivée, «qui fait tout ce qu'il peut pour tout renverser ; je ne sais quelle gloire Notre Seigneur veut tirer de cette entreprise. Apparemment, les efforts du démon seront vains et Jésus dans le« Divin Sacrement en triomphera et fera, dans le temps, réussir toutes choses à sa gloire.
Toul, octobre 1664
... Nous attendons nos conclusions de Messieurs du Chapitre : après nous cherchons une maison pour y mettre la Croix et y dresser un autel au Seigneur, si néanmoins il tient le démon enchaîné, car s'il le laisse faire, il susçitera encore de nouveaux orages ; je ne crains point : « Si Deus pro nobis, quis contra nos ? » [Rm VI II 31]
..Je ne sais d'où vient que notre bonne Comtesse [de Châteauvieux] est si mal satisfaite de cet établissement, sinon que Dieu lui fait faire pénitence de l'avoir voulu faire pour détruire celui de Rouen. Il faut bénir Dieu de tout !
... Nous ne chômons ni de persécutions, ni de contradictions, ni même d'abjections et cela en plusieurs manières, de sorte que nous n'avons pas toujours mangé du pain depuis notre départ de Paris, ayant fait très souvent et quasi toujours nos repas de fiel et d'amertume (1). Je commence à voir que [dans] la souffrance et la douleur on enfante les Monastères de l'Institut et non autrement. Mais la joie d'y voir adorer le Très Saint Sacrement nous paiera bien nos peines et j'ose avancer qu'une seule Exposition essuiera tous nos déplaisirs, et ne crois pas être trompée. Prenons donc courage et bénissons Dieu en tout et partout ; n'ayons rien au coeur que son amour et en la bouche mille louanges : « quoniam bonus »...
Je m'attends de passer ma vie dans la contradiction, soit que je fasse des établissements ou non. C'est ma portion pour le reste de mes jours. Le pain d'abjection ne me manquera pas, d'autant qu'il me faudrait une suffisance angélique pour remplir dignement la place que j'occupe et je suis la plus misérable de toutes les créatures. Tout ce que je vois et expérimente me confirme de plus en plus qu'il faut tout attendre de Dieu seul. Si cette affaire avait été à mon entière disposition, j'aurais attendu - sans importuner personne - que la main puissante de Dieu fît son oeuvre, m'étant toujours bien trouvée quand j'avais peu recours aux créatures auxquelles Dieu ne veut point que je mette mon appui, mais en lui seul. Oh ! qu'il y a longtemps que je suis dans ces sentiments. ; mais quand j'y demeure abandonnée, ceux qui ne connaissent pas le trait de cette conduite ne la peuvent supporter en autrui, non plus qu'en eux-mêmes. C'est pourquoi il leur faut adhérer, puisque Dieu m'y assujettit : Notre Seigneur le veut ainsi, il faut avoir patience.
Au milieu de tous ces tracas et persécutions, Notre Seigneur m'a toujours tenue en sa sainte main, sans permettre que ma paix soit altérée un moment. Je vis comme une personne en l'air, flottée de toutes parts, sans néanmoins être accablée, et qui n'ose chercher le moyen de se délivrer. Il faut que je demeure dans ma captivité autant qu'il plaira à Notre Seigneur, me laissant crucifier en patience. En vérité, je le mérite bien. Je vous assure que si tous les établissements que Notre Seigneur voudra faire donnent autant de contradictions et de peines que celui-ci, il faut faire une bonne provision de patience : les personnes bien actives y auront à souffrir. Pour moi, je suis ici dans mon repos ordinaire, comme une stupide, qui ne sait quasi ce que l'on dit, ni ce que l'on fait, et qui espère toujours que Notre Seigneur fera son ouvrage comme il lui plaira. Soyez en repos sur ma santé ; elle est très bonne en ce pays.
no 2355 P101
( I) Mère Mectilde rencontra aussi des sympathies en particulier auprès des prêtres de la Mission de
la maison de Toul :
lu supérieurs :
1664-1667. Emerand Bajoue
1667-1669. Pierre Deheaume
1669-1674. Nicolas Demonchy
1674-1678. Claude Luchet
1678 - 1683. Joseph Ignace Marthe
1683 - 1687. Jean Le Hall
1687 - 1689. Charles Charbon
• 1689 - 1698. Guillaume Doucet
2" confrères :
1670 et 1671 présent Barthélemy Gérard
1693 et 1695 présent René Clerc
1693 et 1695 présent Nicolas Hannequin
1694 et 1695 présent Jean-Pierre Manderscheidt
liste aimablement communiquée par le R.P. Raymond Chalumeau, archiviste de la congrégation de la Mission.
FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE
de Toul 1664
... Je vois votre coeur préparé pour recevoir la Croix qui vous menace et qui ne peut tomber sur vous qu'elle ne tombe sur moi plus violemment. S'il plait à Dieu nous l'envoyer, il en faut bénir son Saint Nom, et ce sera le châtiment que mes péchés méritent.
Le vingt-cinquième de septembre, fête de la diyine 'Volonté, c'est le jour que N6tre Seigneur nous mit en Croix dans la ville de. Toul, et le jour que nous y arrivâmes. Que toute la Communauté remercie Notre
216 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 217
Seigneur et lui demande pardon des fautes que j'ai commises dans l'établissement de ce saint oeuvre. Je prie Notre Seigneur qu'il exalte lui même sa sainte Croix dans nos coeurs, et qu'il nous. tire tout en lui par l'efficace de ses divines paroles. La confiance en Dieu et en sa très Sainte Mère, avec la patience, mettra fin à tout. Cependant vivez en paix au milieu de la guerre. Que votre foi et votre confiance soient en Dieu, par dessus tous les appuis que nous pouvons avoir aux créatures ! Oh ! que je porte envie au bonheur de la pauvre défunte N. ! Enfin elle a fait sa course qui n'a été qu'une continuelle souffrance etc...
no 1641 Ms : N267
A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [LOYSEAU]
Toul, 21 novembre 1664
.... Nous sommes dans la maison de Monsieur du BAREI L (1), en calme, Dieu merci. Selon les apparences on ne nous fera plus de tempêtes. Le démon, qui a fait sa furie ici, n'y ayant plus rien à faire, s'en est retourné à Paris pour me tailler de l'ouvrage. Soyez sur vos gardes toutes, de crainte qu'il ne nous arrive pis.
no 2375 Ms : P101
(1) La maison de Monsieur du Bareil était située à Toul, dans la rue Michâtel qui partageait la zone d'influence entre les deux chapitres rivaux de la cité : le chapitre de la cathédrale Saint-Etienne et celui de la collégiale Saint-Gengoult. Cette situation «frontière» créera pour le monastère bien des difficultés avec Fun ou l'autre chapitre. Cependant, d'après le livre des élections priorales et celui des actes de vêture et profession, on peut voir que l'influence du chapitre de la cathédrale fut prépondérante (Renseignements concernant la topographie du monastère de Toul, aimablement communiqués par Mois ieurJ. 011ier). cf. Journal de Toul.
A LA MÊME
Toul, 8 décembre 1664
e n'ai pu vous écrire ces jours passés parce que nous étions toutes occupées à travailler pour dresser un autel au Seigneur, où il lui a plu venir prendre séance parmi nous. O Dieu, que cela est étonnant ! un Dieu parmi nous, un Dieu avec nous ! « Il est venu chez les siens, dit Saint Jean, et les siens ne l'ont point connu». «Il est venu au milieu des ténèbres et les ténèbres ne l'ont point compris» (Jn 1, 11). 0 chère enfant, que je crains d'être du nombre de ces malheureux qui ont Dieu avec eux et au milieu d'eux et ne le connaissent point. Quel malheur de ne point connaitre Dieu, de ne le point aimer et de ne lui point adhérer !
0 mon Dieu, il n'y a que vous d'aimable, de véritable et de permanent! Malheureuse que je suis, je ne vous aime point, je ne vous reçois point et ne vous adhère point comme je devrais ! En vérité cela abîme jusqu'au fond des enfers. Que je ne puis-je mourir de douleur et de regret des affronts que je fais à mon Dieu! O Jésus comment me souffrez-vous ? Chère enfant, je vous appelle à mon secours, gémissez et réparez pour moi. Je sors de notre cérémonie où j'ai fait la première amende honorable au Très Saint Sacrement avec une humiliation si profonde et si grande que je ne la puis exprimer. O mon Dieu, que j'en ai de sujet ! Je n'en dis pas davantage, mais je loue Dieu et le bénis de ce qu'il fait son oeuvre sans nous et qu'il n'a besoin de personne «QUON I AM BONUS». Demandez miséricorde pour moi afin que mes péchés n'attirent point l'ire de Dieu sur la terre. Voyez, chère enfant, l'état où je suis. Mon Dieu, mon Dieu, sauvez les pécheurs et faites régner votre divin Fils.
A Dieu, très chère, tendez à être une victime d'amour au Saint Enfant Jésus et honorez sa solitude dans le sein virginal de sa très Sainte Mère.
no 1047 Ms : P101
A LA MÈRE BENOITE DE I.A PASSION [DF BRÈME
Toul, ce 12è décembre 1664
Ma Révérende et ma toute chère Mère,
Jésus (1,1115 le Très Suint Sacrement de l'autel soit mn', unique vie
uisque son amour l'immole pour nous, il est juste que nous ne vivions qu'en lui, de lui et pour lui. Ayez la bonté, ma toute chère Mère, de m'en obtenir la grâce.
J'espérais toujours, pendant mon séjour ici, que la divine Providence me ferait approcher de vous et que j'aurais la chère consolation de vous voir et, si le temps eût été favorable, j'aurais fait une petite course, allant à Nancy parler à Son Altesse. Je suis si captive de Madame notre bonne Comtesse [de Châteauvieux] qu'elle ne peut souffrir que je fasse ce petit voyage que j'ai néanmoins espéré par celui de Nancy. Mais me voyant quasi à la veille de mon retour à Paris, je crois que je dois sacrifier à Notre Seigneur cette douce satisfaction, pour aller reprendre ma croix dans la maison du Très Saint Sacrement. S'il avait plu à Dieu me laisser ici, j'aurais trouvé bien plus de repos en toute manière ; mais ce n'est pas à moi de faire aucun choix, ainside me laisser à la divine Providence qui semble avoir été ma mère Maîtresse jusqu'à présent. Je crois que M. l'Abbé Ld'Etivall vous aura dit de nos
218 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 219
nouvelles comme je l'en suppliai très humblement. Les pensées que vous m'avez fait la grâce de m'écrire ont été véritables touchant les établissements. L'humiliation me vient toujours en partage, aussi bien après que l'oeuvre est faite comme auparavant. J'en remercie Notre Seigneur et vous supplie d'en faire autant pour moi. La honte, l'opprobre et la contradiction sont mon partage et je me sens si confondue devant Notre Seigneur que je ne sais où me mettre. Son très Saint Nom soit éternellement béni! Je suis indigne de le faire honorer, étant moi-même la plus grande profanatrice de sa Majesté adorable dans le Très Saint Sacrement. Cette vérité m'oblige de lui procurer des réparatrices par l'Institut qu'il lui a plu établir dans son Eglise et qui est présentement confirmé en Cour de Rome (1), ce qui donne plus de force et de valeur à l'adoration perpétuelle de ce mystère d'amour.
Je vous supplie et conjure, ma très chère et plus chère Mère, de m'aider de vos saintes prières et de ne me point abandonner dans mes plus grands besoins, car au milieu de tant de tracas il faut être à Dieu et se tenir en état de mort. J'en ai souvent la pensée, mais qui n'a pas l'efficace que je désirerais pour me porter à la pénitence. Je n'ambitionne qu'une chose, c'est de mourir de douleur pour les outrages que mes péchés ont fait à Jésus mon Sauveur et ceux de mes frères les pécheurs. Plût-il à sa bonté me donner cette grâce, puisque je ne lui puis rien rendre pour tant de crimes ! Du moins que ma vie se consomme en douleur d'amour vers sa bonté infinie ! Et après cette saillie, je demeure comme abîmée dans le néant, m'en trouvant infiniment indigne. Je vous supplie, ma toute chère Mère, de témoigner à toute la chère Communauté la dure privation que je souffre de n'avoir pas l'honneur de la voir. Je l'aime toujours très chèrement et tendrement, ne pouvant jamais oublier les grâces que j'ai reçues de leur bonté. Et quoique la société ne se puisse faire de votre chère Maison et des nôtres, cela ne diminue en rien ce que je vous dois être et que je serai tant que Notre Seigneur me laissera sur la terre.
Je crois que notre chère Mère Sous-Prieure demeurera ici pour Supérieure (2). C'est une rude croix pour elle, qu'elle souffre pour l'amour du Très Saint Sacrement. Je vous la recommande, ma très chère Mère, et vous supplie de lui donner les secours qu'elle vous demandera si elle en a besoin. Je ne parle point des biens temporels de votre sainte Maison, mais du reste. Ecrivez-lui souvent, et si vous croyez que je puisse vous rendre quelque service, je suis, ma toute chère Mère, toute à vous, mais très sincèrement.
Au reste, je vous ai la dernière obligation des bontés que vous
(1) Malgré les interventions faites en cour de Rome par la duchesse d'Orléans, qui fit intervenir plusieurs membres de sa famille, la confirmation ne put être obtenue à cette date faute de constitutions approuvées, cf. Dom Rabory, op. cit.
(2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire, sous-prieure du monastère de Paris, a été prieure de Toul depuis la fondation 1664 jusqu'à la nomination de Mère Anne de Sainte-Madelaine par Mère Mectilde. le 20 février 1666.
avez pour Mademoiselle Gérard. Cette pauvre enfant n'a fait ici que pleurer. Elle a bien besoin d'être consolée et protégée de votre bonté. Elle n'a que vous à qui recourir dans ses afflictions qui ne sont pas petites. C'est une pauvre victime sur son bûcher, qui est la croix de sa condition. Elle doit tâcher d'y adorer la volonté divine et de s'y sacrifier doucement et confidemment. Il faut qu'elle se tire de la tendresse naturelle qu'elle a pour elle-même en la vue de ses peines, pour envisager l'ordre de Dieu et s'y conformer, élevant son coeur à Jésus Christ, se souvenant qu'elle est chrétienne et que la profession qu'elle a faite au baptême l'oblige de suivre Jésus Christ en portant sa croix et d'y être crucifiée avec lui. Je vous supplie, ma très chère Mère, de l'encourager dans ses douleurs, le mal étant sans remède. Elle sera doublement misérable si elle n'y prend les moyens de s'y sanctifier. Je vous supplie d'en faire une bonne et fidèle servante de Dieu, et je vous en aurai une infinie obligation. En vérité, tout le reste n'est rien l'expérience nous l'apprend tous les jours. Cette enfant vous dira comme il a plu à Notre Seigneur avancer son oeuvre et comme sa charité divine s'est donnée à nous dans le Très Saint Sacrement, ayant posé son trône eucharistique dans notre pauvre petite chapelle le jour de l'Immaculée Conception de la très Sainte Vierge, de sorte. que nous sommes maintenant en clôture. Et je puis dire que nous en avons l'obligation à M. l'Abbé d'Etival que Dieu a choisi pour avancer son ouvrage. Je le prie que le tout soit à sa pure gloire, et uniquement pour lui et pour le salut des âmes qui se damnent incessamment sans vouloir faire usage du sang adorable de Jésus Christ. Je vous conjure humblement, ma très chère Mère, de lui offrir cette petite maison, le priant de tout votre coeur qu'il y vive et règne lui seul et sa glorieuse Mère, qu'il en retranche tout l'humain, que son divin Esprit en soit le premier et principal directeur. C'est une grande joie quand quelque chose se fait pour Dieu seul, mais l'impureté de mon fond m'empêche d'avoir cette consolation. Suppléez pour moi, ma très chère Mère, et soyez ma réparatrice devant ce Dieu d'amour. Je suis en lui tout ce que je vous puis dire et au-delà. Donnez-moi si vous pouvez un peu de vos nouvelles pour ma consolation. A Dieu, ma toute chère Mère. « Dieu est, Jésus est en Dieu », et je désire ardemment que nous soyons en Jésus pour le temps et l'éternité. Amen, cela suffit. C'est votre indigne fille et très obligée servante.
Sr M du St Sacrement Ind. Rse
Je suis bien mortifiée de ne pouvoir écrire à ma chère Mère Dorothée [Heurelle] on ne m'en donne pas le loisir. Ce sera pour le retour de M. l'Abbé d'Etival. J'écrirai aussi à ma pauvre Soeur Mectilde [du St Sacrement Philippe], à la Mère Paul [Pierre] et à celles qui m'ont fait la grâce de m'écrire. Je les embrasse toutes en Jésus très cordialement.
no 2547
220 CATHERINE DE BAR
A LA MÈRE ANNI DU SAINT SACREMENT ILOYSEAU1
Toul, le 12 décembre 1664
Vous auriez plaisir d'entendre parler ces bonnes gens, ce ne sont plus que des louanges et bénédictions.
Véritablement si cela continue. nous aurons plus de témoignages de bonté de tous ces peuples dans une heure, que nous n'avons reçu de calomnies et de mépris depuis que nous sommes dans cette ville.
Dieu en soit éternellement béni!
no 3002 M.: P101
A MONSEIGNEt R L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME ÉVÊQUE
El COMTE DE TOUL, PRINCE DU SAINT EMPIRE, CONSEILLER DU ROI. ETC.
le 12 décembre 1664
upplie avec profonde humilité sa très obéissante fille et très indigne
servante la. Supérieure du monastère du Très Saint Sacrement de votre ville de Toul, lui permettre d'introduire dans la clôture du dit monastère, toutes fois et quantes que besoin sera : les confesseurs pour administrer les sacrements et consoler les malades, les médecins, chirurgiens et apothicaires pour les traiter et visiter ; et les artisans pour les ouvrages de leur métier, soit menuisiers, charpentiers, serruriers, maçons et autres pour travailler au dit monastère. Demande aussi avec humble respect la dite Mère Supérieure qu'il lui soit permis, pour le temps de sept ou huit mois seulement, d'entrer dans leur église avec le nombre de religieuses nécessaires pour l'accommoder et ajuster quand elle jugera à propos, y ayant encore plusieurs choses à orner que leurs tourières ne peuvent faire, et ce en attendant qu'elles aient stylé leurs dites tourières ou un sacristain, comme elles ont fait en leur monastère de Paris, les portes de la dite église demeurant closes et fermées tout le temps que les dites religieuses y travailleront, n'y laissant entrer-que les ouvriers ou personnes nécessaires à leurs dits ouvrages. Grâce qu'elles espèrent de votre bonté, Monseigneur, qui les obligera d'augmenter leurs prières pour la santé et prospérité de votre Grandeur.
Sr M. du Saint Sacrement, Prieure.
Sr Bernardine de la Conception, Sous Prieure.
Nous octroyons l'effet de la présente requête aux charges et conditions qui y sont exposés. Fait à Toul, en notre Palais Episcopal, le 12 décembre mil six cent soixante-quatre.
André, Evêque et Comte de Toul
Par commandement de Monseigneur : Bichebois
n " 2757 Ms : PI60 LETTRES INÉDITES 221
A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT [LOYSEAU
Toul, le 15 ou 16 décembre 1664
ous avons reçu les vôtres par lesquelles nous apprenons la part
que la communauté de Paris prend à notre joie et qu'elle en a solennisé la fête ; je vous en remercie du plus intime de mon coeur. En vérité l'union que nous avons toutes en Jésus Christ nous oblige de nous réjouir quand il se présente quelque occasion de le glorifier. Je crois, en tout ce qui me parait ici, qu'il sera bien honoré. Nous travaillons à établir l'adoration perpétuelle au dehors ; presque toute la ville en veut être. Nous faisons des règlements pour cela. et ensuite je m'appliquerai à en faire pour les religieuses de ce monastère.
Depuis quelques jours Notre Seigneur m'a fait la miséricorde de me tenir plus près de lui et de me rendre certaines petites vues de lui et de sa conduite qui me soutenaient du passé et qu'il m'avait suspendues dans nos grandes contradictions. Il lui a plu éprouver notre constance ou, pour mieux dire, épurer nos intentions et nous séparer de son oeuvre, comme indigne d'y mettre la main. Il n'appartient qu'à lui de nous confondre et anéantir, qu'il soit à jamais béni ! Je vous en dirais davantage si j'en avais le loisir ; conjecturez le reste et remerciez Notre Seigneur pour nous.
0 très chère, les conduites de Dieu ne sont pas comme celles des hommes. Mais, de quelque manière qu'il agisse, il est toujours Dieu, toujours bon, saint et juste ; son saint Nom soit béni ! Je ne puis assez l'adorer, bénir et remercier ; aidez-nous, je vous en conjure.
no 2327 Ms : P101
222 CATHERINE DE BAR • LETTRES INÉDITES 223
A MONSEIGNEUR L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME ÉVÊQUE ET COMTE DE TOUL, PRINCE DU SAINT EMPIRE, ETC.
Le 19 janvier 1665
upplient en toute humilité ses très obéissantes filles et très indi-
gnes servantes, la Mère Prieure et religieuses du monastère du Très Saint Sacrement de votre ville de Toul, disant que, comme leur profession les oblige de procurer de tout leur possible la gloire du Très Saint Sacrement de l'autel et d'exciter les âmes à lui rendre leurs hommages et vénérations, ce qu'ayant tâché de faire avant qu'elles soient renfermées, en' sorte que plusieurs demoiselles et autres personnes de piété ont demandé avec beaucoup d'instances d'être associées à leur saint Institut, désirant participer à l'adoration perpétuelle et se rendre présentes, quelque heure de la journée, devant l'infinie Majesté de Dieu en ce précieux Mystère , ce que les dites suppliantes n'ont voulu accorder sans en avoir premièrement obtenu permission de votre Illustrissime Grandeur .et l'approbation des petits règlements dressés à cet effet, il plaise à votre bonté, Monseigneur, les confirmer s'ils voH sont agréables, afin de donner commencement à ce saint oeuvre qu' lie peut avoir d'heureux succès s'il n'est gratifié de votre h4nédiction épiscopale et de quelques faveurs, dons et privilège que l'Eglise a mis en votre puissance, pour animer par le gain de quelque indulgence les associés à rendre leur adoration plus fervente et plus continuelle, étant certains que le ciel ne laissera jamais sans couronner d'une glorieuse récompense les devoirs que l'on rendra à Jésus Christ en ce divin Sacrement. Cette dévotion, que l'on peut dire l'exercice des anges, attirera de grandes grâces sur les âmes qui s'y rendront fidèles. C'est le souhait des humbles suppliantes, et que toute la ville soit remplie de vrais adorateurs de ce sacré Mystère. Votre Grandeur Illustrissime en aurait de la joie et de la gloire tout ensemble, ne désirant rien plus en ce monde que de le voir connu, aimé et adoré dans ce Mystère d'amour par toute la terre. C'est la prière actuelle des religieuses du Saint Sacrement, et qu'il conserve en santé et prospérité votre Illustrissime Grandeur, puisque vous soutenez si dignement les intérêts du Fils de Dieu dans le mystère eucharistique contre les ennemis de sa gloire.
Sr. Mectilde du Saint Sacrement
Nous octroyons entièrement les fins de la présente requête et concédons, à tous cèux et celles qui entreront à la susdite association, à perpétuité quarante jours d'indulgence avec notre bénédiction épiscopale. Fait à Toul, le 19 janvier de l'année 1665.
André, Evêque et Comte de Toul
A la 4e page de cette lettre autographe restée blanche, on a écrit : « Permission de M. Dussaussay, Evesque de Toul, d'associer au culte du Saint Sacrement
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
à Toul, ce janvier 1665
Loué et adoré soit àjamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et ma toute chère Mère,
7."1> e ne puis partir sans vous témoigner la douleur que je ressens
de m'éloigner de vous sans avoir pu posséder la chère consolation de vous parler. C'est un sacrifice que je fais à mon Dieu, puisqu'il le veut ainsi. Il faut mourir à tous désirs et n'en avoir point d'autres que ceux du Sacré Coeur de Jésus. C'est où je vous remets, ma très chère Mère, et où je tâche de me laisser avec vous, me semblant que la divine volonté doit faire notre vie.
Je m'en retourne à Paris et, si je suivais mon sens, je dirais avec saint Paul : « Je m'en vais en Jérusalem pour y être liée et garrottée » (1). Jésus, mon Divin Sauveur, l'a dit de lui-même : « Nous montons, dit-il en Jérusalem pour être moqué, bafoué et crucifié ». Je ne sais ce qu'il me prépare où je vais, mais je sens bien que j'ai besoin du grand secours de sa grâce et de vos saintes prières pour l'obtenir. Je trouve bien la vérité de ce que vous m'avez dit par vos avant-dernières. Soyez certaine, ma très chère Mère, que l'abjection et la douleur seront mon partage dans les ouvrages du Seigneur. Sa sainte Providence est si bonne ménagère que, parmi les applaudissements apparents de plusieurs créatures, je ne manque jamais d'avoir une bonne portion d'humiliation que je chéris plus que toutes choses, sachant bien que c'est le don précieux par lequel je peux demeurer aux pieds du Seigneur et me défendre de la vanité qui m'est naturelle.
Je ne vous puis dire, ma très chère et intime Mère, combien je suis obligée à l'infinie bonté de Dieu. Si j'avais pu vous entretenir, je vous en aurais dit quelque chose, mais il ne l'a pas voulu ; son saint Nom soit béni ! Je laisse ici notre très chère Mère Sous-Prieure pour gouverner le petit troupeau des victimes de Jésus Christ. Je vous la recommande de tout mon coeur ; consolez-là de vos chères lettres dans le sacrifice rigoureux, à son sens, qu'elle fait en nous laissant aller. J'espère que la grâce la soutiendra par vos saintes prières. Elle vous apprendra comme Notre Seigneur bénit son oeuvre et comme l'adoration perpétuelle s'établit parmi les séculiers, venant à notre chapelle faire leurs heures de réparation, la corde au col et le cierge à la main, avec des sentiments pleins de Dieu. Le démon, ou plutôt mes impuretés, empêchaient cette gloire, mais Jésus, mon Divin Seigneur, en a triomphé et, sans considérer ce que je suis dans mes indignités effroyables, il a fait sa sainte volonté, dont je vous prie le remercier.
(1) Peut-être allusion à : Ac. 20, 22 - 23 et Mt. 18,19 et parallèles.
nu 2758 Ms : 1'160
224 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 225
Je voudrais bien vous dire quelques petites choses de cette fondation, mais je n'ai pas assez de loisir. C'est assez de vous dire que c'est la sacrée Vierge qui l'a faite pour son Fils, et qu'elle est consacrée à l'honneur de son âme sainte et de toutes les opérations du Verbe divin en elle, et de ses adorables retours vers lui. Priez cette âme sainte, ma très chère Mère, qu'elle soit l'âme de notre âme et qu'elle nous tire dans ses sacrés anéantissements ; c'est l'état qu'elle a toujours porté sous les opérations du Verbe éternel. Nos chères Mères que je laisse ici vous en manderont quelques choses.
Cependant je pars et vous dis à Dieu dans Dieu, vous laissant dans le Très Saint Sacrement de l'autel avec Jésus Christ qui fait l'amour et le lien de nos coeurs. Qu'il soit à jamais aimé et adoré de toutes les créatures ! A Dieu, j'espère de vous écrire à Paris et de vous dire ce que je ne puis présentement.
Je suis en Jésus votre très' indigne fille et servante
Sr M. du St Sacrement
C'était bien mon dessein d'écrire à notre chère Mère Dorothée [Heurelle] et à notre chère Soeur du Saint Sacrement [Philippe]. Si je puis trouver un petit de temps, je le ferai, sinon ce sera pour Paris. Je les salue et vous embrasse cordialement aux sacrés pieds de Jésus et toute la chère Communauté.
Je vous estime heureuse d'avoir M. d'Etival. S'il était à Paris, je lui demanderais la même grâce qu'il vous fait. J'aurais bien désiré de lui parler encore avant mon départ. Je vous supplie de lui faire mes très humbles respects et actions de grâces. Je lui suis obligée, infiniment plus que je ne puis dire. purger deux ou trois fois avant le Carême ; tâchez de la divertir autant que vous pourrez. Soyez bien soumises et soyez fidèles à Dieu, cela la réjouira.
Nous nous portons bien. Dieu nous conduit par les saintes prières que notre chère Mère et vous toutes, faites pour nous, mais néanmoins mon esprit est demeuré à Toul. Priez Notre Seigneur qu'il me donne le sien pour conduire son oeuvre à Paris comme à Toul et que je lui sois fidèle. J'ai le coeur aussi gros qu'une montagne ; il est plein de douleur d'être hors de la petite maison de Toul ; mais il faut marcher et aller où Dieu m'envoie : «Misit me vivens Pater, et ego» etc... (1) il faut que chacune fasse ce que Dieu lui commande.
A Dieu, mes chères enfants, Jésus dilate vos coeurs et les remplisse de sa sainte paix et joie ! Je suis à vous en lui.
Sr du St Sacrement
Vous m'obligerez de me donner des nouvelles de la santé de notre chère Mère, de nia soeur Marthe [Marguerite Foin] et de toutes en général et en particulier ; prenez bien garde que notre chère Mère ne couche au cabinet sans feu et qu'il ne soit point de charbon à cause du catarrhe. Elle y pourrait être étouffée ; elle serait bien plus en sûreté dans la chambre pour la nuit et, de jour, elle serait au cabinet. Consolez-la, conservez-la, réjouissez-la, autrement je m'en prendrai à vous.
no 248 Ms : T5 copié sur autographe (1) Jn. 17, 18.
IA MADEMOISELLE CHARBONNIERI
no 1121 Sur la vocation religieuse
Mars 1665
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
Pour toute la çhère petite troupe des Victimes du Saint Sacrement
Début de février 1665, jeudy au soir
Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
fnes chères enfants, comme bien obéissantes je vous ordonne de prendre courage pour l'amour de Jésus et de sa Sainte Mère, et de faire effort d'un peu vous divertir ; soulagez-vous les unes les autres et n'ayez qu'un coeur en Jésus Christ ; ayez soin de la santé de notre pauvre et toute chère Mère [Prieure]. Nous lui ordonnons de se laisser conduire ; pour son coeur, pensez à la purger lundi ou mardi ; il l'a faut
I est juste que j'entre avec vous dans le sacrifice, puisque la
Provi-
dence m'a donné pour vous des entrailles de mère et un coeur rempli d'une intime affection. C'est donc en quelque .façon de mon devoir de vous immoler et de faire en esprit ce que la mère de Melithon (1) fit, portant son cher enfant sur l'amphithéatre pour y être brisé et coupé par morceaux pour l'amour de Jésus. J'entre de tout mon coeur dans les tendresses de mère que Notre Seigneur veut que je vous sois. Je vous reçois non seulement dans la maison du Très Saint Sacrement
(1) Ou Méliton, le plus jeune des quarante martyrs de Sébaste (Arménie) qui souffrirent la mort sous l'empereur Licinius. Comme il vivait encore lorsque les païens emmenèrent les corps de ses généreux compagnons, sa mère suivit le convoi en portant son fils mourant, reçut ses derniers soupirs, et le déposa sur le bûcher qui consomma toutes ces victimes. Dict. Univ. des sciences écciésiostiques, p. 1456.
226 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 227
mais dans moi-même : et, par le courage, je vous immole et vous sacrifie à mon adorable sauveur Jésus Christ, qui est l'unique motif qui vous a fait quitter ce que vous aimez le plus en ce monde, pour vous rendre sa victime et consommer votre vie pour son amour. C'est ici donc que vous avez besoin de toutes les forces de la générosité de votre coeur, pour vous rendre à celui qui s'est donné et se donne incessamment sans réserve tout à vous. Vous l'expérimentez en recevant l'auguste Eucharistie. Il est bien juste que vous lui donniez amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Y a-t-il rien de plus glorieux dans le christianisme que d'être tout à Jésus et se consommer pour lui. C'est ce que vous avez entrepris de faire et qu'il faut continuer jusqu'à la mort. C'est pour cela que vous êtes entrée dans la sainte Religion. Oui certainement, je réponds pour vous que vous n'avez point d'autre motif que de plaire à Dieu, que de suivre Jésus Christ et de mourir pour son amour et de son amour, même en vous immolant avec lui. Vous avez commencé le jour de son entrée dans le sein de sa très glorieuse Mère, où il fait sa première démarche sortant du sein de son Père pour venir au monde. Il entre dans un abîme infini d'anéantissement devant la Majesté de son Père ; il s'offre à lui pour être la caution des pécheurs et pour satisfaire à la justice divine. Il entre dans un état d'humiliation et de souffrance perpétuelle ; il est victime au moment qu'il est incarné ; il est immolé dès l'origine du monde et il se sacrifie et meurt sur la Croix. Voilà, ma chère M. N., où vous le devez suivre.
1. Entrant dans le monastère, vous honorez la captivité de Jésus dans le sein de sa bienheureuse Mère, captivité si grande qu'elle est incompréhensible. Vous devez la considérer, adorer et imiter.
2. L'assujettissement, que les lois de la Religion vous imposent, vous doit lier à la servitude de Jésus sur la terre, et singulièrement son obéissance à sa sainte Mère, à saint Joseph et même aux bourreaux qui l'ont attaché à la croix, envisageant sans cesse et en toutes rencontres l'obéissance de Jésus jusqu'à la mort de la croix.
3. Son état de victime vous doit animer à souffrir et à mourir pour lui. En un mot, il faut que la Religion vous tire de vos propres usages et qu'elle vous rende à Jésus. Prenez bien garde de devenir humaine dans le lieu où vous devez trouver votre sanctification. Elevez toujours votre esprit au-dessus de tout le créé, ne vous mettant en peine de quoi que ce soit que d'obéir à Dieu en la personne de vos Supérieures et de vous rendre actuellement à lui. Mettez dans votre esprit le plus fortement qu'il vous sera possible : DIEU TOUT, et le reste rien du tout. Gravez donc cette vérité dans votre coeur : MON DIEU VOUS -ETES, ET LE RESTE N'EST POINT. Tout ce que vous voyez n'est qu'une ombre, toute la terre et les créatures ne sont rien ; tenez-vous ferme dans cette vue de foi.
Rendez-vous ponctuelle et exacte aux plus petites choses. C'est en cela que vous ferez progrès dans la sainte perfection. Vous savez que
rien n'est petit de ce qui est ordonné de Dieu et qui est fait pour lui. Il dit lui-même : « Serviteur fidèle en petites choses, je le constituerai sur des grandes choses » (2). Conservez aussi un saint mépris de vous-même et une haute estime de la sainte Religion, estimant à grande miséricorde la grâce que Notre Seigneur vous a faite d'y entrer. Ne vous surprenez point des tentations qui vous viendront attaquer. Soyez sincère à les déclarer à vos Supérieures et fidèle à y résister. Ne raisonnez jamais en votre propre esprit et ne croyez jamais à votre sens propre ; renoncez à vous-même pour devenir comme un petit enfant. C'est le dessein de Notre Seigneur qui dit à l'âme religieuse : « SI VOUS NE DEVENEZ COMME UN PETIT ENFANT VOUS N'ENTREREZ POINT AU ROYAUME DES CIEUX » (3). Oh ! que de rares merveilles sont comprises dans ces divines paroles ! Ne vous rebutez de rien. Le démon vous aveuglera et vous fera voir plus de sainteté au monde et votre vie passée meilleure que celle qu'on mène en Religion ; ne le croyez point. Dites, pour répondre aux raisonnements de votre esprit propre et aux objections de la tentation : je ne suis point venue en Religion pour ma propre perfection, mais purement pour obéir à Dieu qui l'a voulu et pour me sacrifier pour lui avec Jésus, souffrant toutes sortes de. peines et d'humiliations pour son amour. Enfin, chère N., vous devenez victime, c'est-à-dire que vous êtes destinée à la mort, et que la Religion du Saint Sacrement sera le lieu de votre supplice, où vous devez être égorgée et rendre votre âme à Jésus Christ. «CELUI QUI PERD SON AME POUR L'AMOUR DE LUI LA GARDERA POUR LA VIE ETERNELLE (4). Ne retournez point en arrière. Je me rends à Notre Seigneur pour être votre caution et pour être toujours votre pauvre et très indigne Mère qui a pour vous tout ce que vous pourrez désirer dans cette qualité. Le désir, la crainte, l'amour et la timidité font un combat dans votre coeur ; jetez-vous à corps perdu entre les bras de Notre Seigneur ; vous ne voulez rien que pour lui. Il aura soin de votre conduite et de tout le reste. Je le prie d'être votre force.
Si vous persévérez, j'aurai grande joie de vous présenter au Père Eternel avec Jésus Christ son Fils (5), le jour que l'amour le sacrifie
dans le mystère eucharistique et qu'il l'y fait la victime du monde,
épanchant son Sang mystiquement sur l'autel pour nous obtenir miséricorde, et sur nos coeurs pour nous consommer en son amour. Je serais
bien aise qu'à ce grand et admirable jour, auquel l'amour divin épuise tout ce qu'il a de puissance en faveur des hommes et de votre âme en particulier, que vous lui rendiez le réciproque, selon votre possible, amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Courage donc, M. N. ; faites courageusement votre sacrifice.
n.. 478 Ms : N267
(2) Mt 25,21 - 24. (3) Mt 18.3. (4) Luc 9,24.
(5) Françoise Charbonnier (Soeur François de Paule), née à Saint-Mihiel, évéché de Verdun. Fille de noble Charles Charbonnier, l'aîné, et de Marguerite La Vesle. Elle entra au monastère de Toul le 24 mars 1665 et prit l'habit à 23 ans, le lundi de Pâques, 6 avril 1665. Elle fit profession le 15 mai 1666. Elle sera prieure en mars 1685 du second monastère de Paris, rue Saint Louis, où elle mourra en 1709, après 24 ans de priorat.
228 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 229.
[A LA MÊME]
mars 1665
771'
écus immolé sur nos autels soit la force et l'amour de cette chère enfant qui brûle de désir de s'immoler soi-meure à sa pure gloire, mais qui souffre de cruels combats de toutes parts ! Il faut se résoudre
d'avoir des assauts violents que le démon et l'amour propre ne manque-
ront pas de susciter; j'ajoute à ces deux ennemis un troisième qui est le raisonnement humain de l'esprit, qui fait pour le moins autant de rava-
ges que les deux autres, et ce d'autant plus fort adroitement qu'il paraît
juste et raisonnable. Je vois en esprit ce coeur au milieu de ces combats, ne sachant quelquefois à quoi se déterminer. D'un côté, elle se sent
attirée à la solitude et à la séparation du monde pour conserver une vie
innocente et agréable à Dieu, ne voyant pas les moyens de faire saintement dans le monde ce que l'on fait dans la vie religieuse ; de l'autre,
elle craint l'avenir, les scrupules, les timidités d'une conscience qui
lui reproche qu'elle a suivi son propre mouvement, qu'elle n'a ni ordre ni permission de son directeur et qu'elle s'expose à de grands incon-
vénients de peines et inquiétudes. Et à tout cela, très chère en Jésus,
je vous répondrai : Sondez votre coeur, pourquoi voulez-vous vous sacrifier dans la sainte religion si ce n'est pour vous rendre plus confor-
me à Jésus Christ, pour vous séparer plus entièrement de vous-même et pour aimer Dieu uniquement ? Sur cela, j'ai à vous dire une chose, c'est que vous devez former solidement le dessein que vous avez pour la Religion.
Premièrement, pour suivre l'attrait de la grâce de Notre Seigneur-en vous qui vous y appelle.
Secondement, pour y vivre dans l'obéissance perpétuelle où jamais votre volonté ne doit trouver de place et où le sacrifice perpétuel sera votre pain quotidien ; que même il ne vous sera pas permis de
faire les bonnes choses à votre mode, mais à la manière qu'elles se pratiquent par les Règles et Constitutions ; que vous serez bornée en tous vos désirs ; que vous ne ferez rien moins que ce que vous aurez
inclination de faire ; et comme Notre Seigneur n'a jamais fait sa volonté sur terre, de même vous ne ferez pas la vôtre en Religion.
Que ce divin Sauveur ayant pratiqué une obéissance éternelle, je veux dire jusqu'à la mort de la Croix et sur l'autel où il continue son obéissance, de même, dans notre Institut, il faut vivre et mourir dans l'obéissance sans jamais discontinuer d'obéir.
Ayant donc examiné ce que votre âme cherche dans le monastère, et trouvant qu'elle ne prétend autre chose que de suivre Jésus son divin Maître et son aimable époux sur le calvaire, elle n'a rien à craindre pour le reste. Courage donc, allez où Notre Seigneur vous appelle, soyez contente et généreuse pour lui. Priez-le qu'il conduise vos pas.
Entrez pour vivre et mourir avec lui. Je consens que l'on vous donne le saint habit le jour de Pâques, si vous persévérez, afin que vous entriez avec Jésus Christ en sa vie nouvelle et que, comme dit saint Paul, vous ne cherchiez plus rien sur la terre. Que le monde et les créatures soient demeurés dans le tombeau et vous que vous entriez dans la vie ressuscitée du Fils de Dieu, où l'âme ne goûte plus rien de la terre, devenant impassible à tout ce qui est de la nature et des sens, passant ensuite dans les autres dots de gloire, mystérieusement, dès cette vie, pour entrer dans une jouissance éternelle de Dieu présent.
A Dieu, c'est le bonheur que je vous désire. Je suis en lui toute à vous.
[T5 ajoute : Faites-moi savoir si vous êtes dans la pensée de faire
votre sacrifice le Jeudi Saint, afin que je vous serve. n- 1536 Ms:C405
A LA SOEUR M. DE SAINT-FRANCOIS DE PAULE 'CHARBONNIER'
Avril 1665
no 'est donc tout de bon que vous êtes revêtue de l'habit des victimes de Jésus au divin Sacrement de l'autel. C'est donc maintenant que vous devez marcher en « nouveauté de vie » et que rien de la terre ne doit plus avoir d'empire sur vous. C'est à présent que vous pouvez dire : « Je ne suis plus du monde », je n'ai plus rien du monde, et n'attends plus rien au monde ; le monde m'est excommunié, je n'ai plus de part avec lui ; désormais ma conversation sera avec les anges et avec les victimes de Jésus. Oh ! que vous serez heureuse si vous vous séparez effectivement des créatures ! Que vous serez heureuse si vous v ivez de la vie de Jésus !
Est-il pas juste que, comme il a quitté en une manière le sein de son Père pour venir dans le mystère eucharistique pour l'amour de vous et. pour demeurer par son amour infini «USQUE AD CONSOMMATIONEM SAECU LI », que vous quittiez le sein de votre mère, les tendresse de messieurs vos parents, pour vous retirer aux pieds des saints autels, où Jésus fait sa résidence, et y demeurer avec lui ? Oh ! que nos coeurs sont durs au regard de l'amour si tendre et si ardent de ce divin Sauveur pour nous ! Considérez souvent, ma très chère fille, les bontés ineffables de cet aimable époux qui se captive sous les espèces et se tient renfermé dans les tabernacles pour l'amour de vous. On s'estime heureux de demeurer chez les monarques de la terre. Hélas ! qu'est-ce de leur grandeur sinon vanité et affliction d'esprit, comme nous l'apprenons du plus grand roi qui ait été jamais sur la terre : Salomon. Mais quel bonheur de demeurer chez Dieu, d'être logé sous un même toit, de
230 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 231
n'avoir qu'une même maison ! Pouvant dire que vous demeurez avec Dieu, n'est-ce pas un bonheur extrême ? Je vous conjure de le bien estimer. David ne demandait point à Dieu de plus grande fortune, et il aimait mieux être le plus abject de tous les hommes du monde dans la maison de Dieu que d'être le plus grand de tous dans la demeure des pécheurs, qui est le monde.
Aimez l'honneur que Dieu vous fait. Conservez-vous en sa grâce par une fidélité inviolable, sans gêne ni contrainte d'esprit, mais avec une sainte liberté de coeur. Ne cherchez et ne désirez que Dieu, ne demandez que Dieu. ne préférez rien à Dieu. Que votre coeur n'aime que lui, en lui, et pour lui, et vous aurez une paix continuelle. Mais sachez que les sens ne nous font point trouver Dieu ni le posséder véritablement, mais bien la foi et la pureté du coeur. C'est pourquoi ne vous mettez nullement en peine quand les douceurs et les lumières intérieures viennent à manquer ; il faut aimer d'un amour plus fort. Une victime doit aimer Dieu du pur amour, puisqu'elle ne vit que pour être égorgée et immolée à son Dieu. Soyez indifférente à tous états, mais ne sortez jamais de la confiance et abandon de tout vous-même à Jésus. Adieu ; j'ai une grande joie des miséricordes que vous recevez de Notre Seigneur, priez-le pour moi et me croyez en lui toute à vous.
nii 187 Ms : C405
A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I Prieure à Toul
1 1 avril 1665
e ne vous fait qu'un petit mot aujourd'hui, ma chère Mère, ayant ç-e été la matinée obligée à une action de réparation que nous avons faite pour un accident funeste, arrivé hier la nuit dans l'église des Religieuses de la Congrégation de Notre-Dame (1) du Chasse-Midy, où on déroba, entre une et deux heures après minuit, le saint ciboire et, par providence, les saintes hosties jetées sur l'autel, ce qui a causé une sensible affliction à ces pauvres religieuses et à nous aussi. Or, comme la muraille d'entre elles et nous est tombée depuis quelques jours, nous avons cru que nous devions aller rendre hommage au Très Saint Sacrement
(I) Anne Marguerite de Rohan, abbesse de la Trinité de Caen, à la mort de Madame de Budos, échangea sa charge en 1664 pour l'abbatiat de Malnoue. Son oeuvre principale fut le rachat de la maison des Augustines de Laon. rue du Cherche-Midi (anciennement Chasse-Midy), à l'intersection de la rue d'Assas. Elle leur donna la règle de Saint Benoit. Leurs Constitutions furent approuvées par Dom Claude Bretagne, au titre de Prieur de Saint-Germain-des-Prés et de Grand Vicaire de Monseigneur François de Harlay de Champvallon. En 1687, elles furent éditées chez Jean-Baptiste Coignard, rue Saint-Jacques.
dans leur maison ; c'est pourquoi nous y sommes allées toutes en procession, ce matin, après la basse messe.
L'ordre y a été fort bien observé et voici comment : celle qui portait la croix marchait la première avec les deux acolytes; toute la communauté suivait, deux à deux, et chacune la corde au col et la torche en main. Nous étions la dernière, portant sous une grande écharpe un saint ciboire sans hosties, et à côté de. nous Madame la Comtesse [de Châteauvieux] et la N., la corde au col comme les autres et nous de même, tenant ce sacré vase où le Très Saint Sacrement devait être logé. Les bonnes Mères du Chasse-Midy apercevant la sortie de notre procession, elles ont commencé à sonner leur cloche et, en même temps, se sont mises aussi en ordre de procession et sont venues à la rencontre pour nous recevoir. • Ayant approché, elles se sont retirées de part et d'autre se rangeant en haie pour nous laisser passer, et puis elles se sont jointes à notre procession. Entrant dans leur choeur, nous avons fini le « miserere » que nous chantions par le chemin et, nous jetant toutes à genoux, nous avons chanté : « Domine non secundum peccata nostra... » Ensuite nous avons chanté une antienne au Très Saint Sacrement et une à la très sainte Vierge, et moi, entrant au choeur, la supérieure m'ayant prise par la main pour me conduire à un siège d'honneur qui était préparé, je lui ai mis entre les mains le sacré ciboire que je lui portais, et l'ayant pris avec la grande écharpe, l'a porté sur la grille. Et le confesseur, revêtu du surplis, est venu le prendre dévotement et y a mis les saintes hosties, et toute notre compagnie ayant fini l'antienne de la sacrée Mère de Dieu, nous nous sommes prosternées contre terre avec nos flambeaux allumés entre les mains et la corde au col. Le rideau de la grille étant levé, tout le peuple qui s'est trouvé dans l'église et les bonnes religieuses du Chasse-Midy se sont mis à pleurer, à sangloter fondament. Entre autres, un monsieur de qualité qui s'y est trouvé a tant pleuré qu'il n'en pouvait revenir. Il ne s'est pas contenté d'éclater en gémissements, il est venu à notre « tour » achever de verser ses larmes et nous dire qu'il aurait mieux aime perdre un royaume que de ne s'être pas trouvé à cette action, et qu'elle serait la cause de sa conversion, qu'il allait se donner à Dieu de toutes ses forces, et plusieurs autres choses fort touchantes qu'il a dites à nos soeurs, se noyant dans ses larmes et entrecoupant ses paroles de sanglots.
Revenant à notre procession, j'achèverai en disant qu'après avoir demeuré toutes prosternées l'espace d'un demi-quart d'heure, nous nous sommes relevées et avons chanté : «Pange lingua». Et à la fin, le prêtre, ayant dit l'oraison du Très Saint Sacrement, nous a donné la bénédiction du Très Saint Sacrement. Après un petit de temps, nous avons commencé le «miserére» et, après en avoir chanté trois versets, la croix ayant marché, nous sommes toutes revenues processionnellement en chantant et les bonnes mères nous ont reconduites de même jusqu'à la brèche.
232 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 233
Voilà, ma chère Mère, remploi de notre matinée qui nous a ravi le temps de pouvoir écrire comme je le souhaitais à nos chères soeurs. Il semble que Notre Seigneur ait, par une providence particulière, permis la rupture de nos murailles pour nous donner moyen de lui aller rendre nos adorations au lieu où il a été profané. Nous en avons été si touchées que nous n'en pouvions revenir, mais, à présent, en suis consolée car je vois que Notre Seigneur tire sa gloire du péché même. Il en soit à jamais béni !
no 1265 Ms : CrC
A LA MÉME
15 avril 1665
e ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles e—P de Jésus « Pax vobis », la paix de Jésus soit en vous, règne en vous et demeure éternellement avec vous !
C'est cette paix que Jésus donne à ses disciples et qui est la marque ou un effet de sa glorieuse résurrection. Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son Esprit, il lui donne son amour ; c'est une grâce merveilleuse d'avoir cette paix qui calme le trouble de nos intérieurs, qui chasse les craintes, qui tient l'âme dans un simple et amoureux abandon à l'opération divine. Oh ! que cette paix est précieuse, ma toute chère ! Je vous la désire du plus intime de mon coeur et prie Notre Seigneur de la mettre pour toujours au milieu de votre coeur. Que cette paix soit dominante sur tout vous-même, en sorte que votre âme soit environnée et soutenue de cette paix divine, que rien de la terre ni de l'enfer même ne vous la puisse ôter. Et qu'en tout et partout, vous portiez la paix de Jésus, c'est ce que je vous souhaite, ma toute chère Mère. C'est la bonne portion que Notre Seigneur nous donne dans le mystère de sa vie ressuscitée. Il faut la recevoir avec respect et le supplier qu'il la rende immuable par sa vertu divine.
Et qu'est-ce que cette paix, sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos coeurs ? C'est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l'assure : « In pace locus ejus ». Et si nous l'avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour. O la grande et adorable possession ! Priez Notre Seigneur, ma toute chère, qu'il nous donne sa paix ; mais que dis-je, nous la donne, mais qu'il nous fasse la grâce de recevoir la sainte paix avec toutes ses suites et ses sacrés effets, afin que nous soyons en vérité les enfants de Dieu qui sont mus et animés de son même Esprit.
no 1120 : Cr C A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
avril 1665
e suis, ma toute chère Mère, dans une très grande impatience
d'apprendre de vos nouvelles. Je vous les demande instamment dans l'appréhension où je suis que l'affliction que Dieu vous a donnée en la mort de Madame votre chère soeur n'ait intéressé notablement votre santé. Tirez-moi de peine, je vous en supplie, et croyez que vous m'êtes tous les jours plus intime devant Notre Seigneur. Je ne sais ce qu'il veut de moi pour vous, mais votre âme est bien mêlée avec la mienne. J'ai honte à vous dire cela, étant ce que je suis, mais vous le voulez bien souffrir par une humilité très profonde. Je ne vous en dis pas davantage. Je voudrais que vous vissiez mon pauvre coeur, qui est plus à vous qu'à moi-même. A Dieu, Caton vous dira de nos nouvelles, et comme nous sommes dans la douleur d'un accident arrivé cette nuit aux religieuses du Chasse-Midi, nos voisines. On a volé le saint ciboire et, par miséricorde, ils ont renversé sur l'autel les saintes hosties. J'en suis demeurée si transie que je n'en suis pas encore bien revenue.
Toute notre communauté vous aime furieusement et me sollicite de vous prier de venir avec nous. Soyez assurée que la pauvre petite Maison du Saint Sacrement est toute à vous, mais si certainement que Montmartre n'est pas plus à vous que cette pauvre petite retraite. Priez Notre Seigneur qu'il s'y glorifie ; ses bénédictions augmentent dans la petite communauté de jour en jour. J'avoue que j'en suis admirée, [dans l'admiration ]. Si je n'y fais obstacle, tout ira en bénédiction.
Ils font merveille à Toul. Les réparations publiques se sont faites
cette Semaine Sainte par les personnes de qualité. Les dames et demoiselles s'y sont rendues exactement au nombre de cinq à chaque heure du jour, à la vue de tout le monde, la corde au col et la torche à la main. On n'a jamais rien vu de si touchant. Tout le monde fondait en larmes. Mademoiselle Charbonnier y a pris le saint Habit lundi dernier on la nomme : Marie-Françoise-Angélique (1). Priez Dieu pour sa persévérance ; c'est un excellent sujet selon que notre chère Mère me mande (2), elle vous fait mille embrassements.
A Dieu encore une fois ; je vous conjure de me faire savoir si vous avez besoin de quelque chose. Nous vous tenons comme Fille du Saint Sacrement et, par conséquent, notre très chère et intime.
Ce Vendredi, octave de Pâques 1665.
no 1470 Ms : N254
( 1) Elle figure sur les registres de vêture et profession du monastère de Toul (actuellement aux archives du monastère de Bayeux) sous le nom de Soeur Marie dé Saint-François de Paule.
(2) Mère Bernardine de la Conception, bien connue des religieuses de Montmartre où elle a séjourné de décembre 1641 à décembre 1642, cf. C. de Bar. Documents, 1973, p. 38 et 64.
234 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 235
A UNE RELIGIEUSE DE TOUL (I)
[1665 date probable I
IL. 'on voit manifestement la main de Dieu qui soutient son oeuvre. Li Nous n'attendions point de si favorables nouvelles que celles que vous avez eu la bonté de nous mander ; il en faut bien louer et remercier Notre Seigneur. Hélas ! n'étaient mes infidélités, sa bonté ferait bien d'autres choses encore plus importantes à sa gloire dans notre Saint Institut. Mais je lui suis si opposée, que je l'obligerai à le priver de très grandes grâces. C'est pourquoi je recevrai la mort de bon coeur pour n'être plus opposée à la sanctification d'une si bonne oeuvre. Priez Dieu qu'il ne me considère pas, et qu'il ne retire pas sa bénite main de dessus cette maison qui me serait un sujet de tentation, si je voulais y approfondir mes pensées.
Elevez les âmes dans l'abnégation d'elles-mêmes, et de bonne heure qu'elles renoncent à leur propre jugement etc... Recommandez le tout à la très sainte Vierge, et la priez qu'elle remercie son Fils du bon secours qu'elle vous a donné dans le temps le plus contraire, et où les hommes étaient plus secrètement opposés à nos prétentions. Mon Dieu, que tous ces événements favorables de la divine Providence nous doivent bien attacher à Dieu êt -tout espérer de sa pure miséricorde ! Vous voyez comme il fait tout, et que nous n'avons qu'à nous confier et abandonner à son aimable protection. JESUS EST LE ROY ET LE SOUVERAIN DES FILLES DU SAINT SACREMENT. 11 sait bien que je n'ai aucun pouvoir au Ciel ni en la terre et que toute mon attente est en Lui et à sa très sainte Mère. Nonobstant nos infidélités, ayons toujours recours à lui par dessus tout ; « NISI DOMINUS EDIFICAVERIT DOMIN U M (2) » etc... S'il ne le fait, rien ne se peut faire.
no 2148 Ms : N267
(1) Mère Anne de Sainte Madeleine. maîtresse des novices.
(2) Ps 126,1.
A LA M ÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION IGROMAIRE 1
Prieure à Toul
16 mai 1665
Ma très chère Mère,
e vous fais ces mots dans ma solitude où j'entrai hier. Il me semble que je suis dans un autre monde d'être un peu en solitude ; j'en avais un extrême besoin. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse la
grâce de son Ascension et nous donne son Saint Esprit : c'est ce que je veux demander tous les jours. J'ai commencé ma solitude par l'action de grâces, me sentant reprocher de l'ingratitude avec laquelle j'ai vécu toute ma vie sans reconnaître les bontés de mon Dieu, mais singulièrement sa patience divine qui m'a soutenue et soufferte depuis tant d'années que j'ai consommées dans le péché. Et son aimable bonté a fait la sourde oreille, ne voulant pas entendre les cris de sa justice qui demandait qu'il m'abîmât dans les enfers. Je m'en sens si obligée à la patience et à la charité de Jésus mon Sauveur, que je suis résolue de passer cette retraite en action de grâces de tous les bienfaits de Dieu, tant de ceux que je sais que- de ceux que je ne connais pas et dont il me gratifie tous les jours. Oh ! combien de fois les démons nous feraient-ils tomber en mille désordres, si cette ineffable bonté n'arrêtait le cours de leurs malices sur nous ! Je vous prie, ma très chère Mère, que l'action de grâces soit aussi l'occupation de votre esprit. Combien en est-il de malheureux qui n'ont pas tant offensé Dieu que moi ! Cependant il les laisse misérables dans l'erreur et dans d'effroyables calamités. O mon Dieu, que de miséricorde en Jésus pour nous ! Pourquoi être conservé pendant que les autres périssent. Je vous prie encore une fois de vous occuper des bontés de Dieu sur votre âme, afin que nous y fassions en ce même temps une même action de grâces, et que votre âme reçoive de nouvelles forces en la vue de tant de bienfaits que nous avons reçus toute notre vie, et que nous ne mourions pas dans 1 'ingratitude.
Voilà déjà une petite saillie de ma retraite mais, si vous le voulez bien, je continuerai, quand je vous écrirai, à me divertir un peu avec vous.
no 1750 Ms : Cr C
A LA MÊME
20 mai 1665
Jésus soit votre force, votre vie et votre consommation ! Ma chère Mère,
"'Te le prie qu'il vous unifie par les dons de ce Saint Esprit que je Le désire au fond de votre coeur comme je le voudrais pour moi. Si nous avions cet esprit d'amour, cet esprit de paix, cet esprit de force et de sapience, nous serions avantageusement partagées. Je le demande pour vous, mon unique Mère, de toute la capacité de mon coeur qui est tout compatissant au vôtre. La visite s'est passée fort doucement et tout est en calme le plus grand du monde. Pour moi, je suis dans la soli-
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tude que je goûte plus intimement que je n'ai fait depuis longtemps. Il me semble que j'en suis déjà quasi sortie. Je n'ai plus que, trois ou quatre jours qui s'écouleront comme le vent et, après cela, il faudra retourner au tracas. Dieu soit béni ! Il me semble qu'il me fait beaucoup de miséricordes quand il conserve le fond dans la paix. Pourvu qu'il ne permette point que je l'offense ! Il n'a du reste qu'à faire comme il lui plaira. C'est de bon coeur que je le veux dire. Nous devons croire par la foi qu'il nous aime comme ses enfants et c'est une vérité infaillible ; donc, nous devons nous reposer en ses soins et en sa maternelle bonté. Oh ! qu'une demi-once de foi nous ferait grand bien et nous délivrerait de plusieurs peines, ayant une entière confiance en lui! Il veut cela de nous, et cela d'autant plus que c'est par sa pure bonté qu'il nous fait grâce et miséricorde et non par nos mérites. J'aime mieux qu'il me sauve par sa charité et bonté divine que par mes oeuvres. C'est un souverain bonheur de relever de cette essentielle bonté et de se voir lui être redevable de toutes choses. Mon Dieu, ma toute chère Mère, tenons nous-y fortement attachées; jamais la justice divine ne nous en arrachera, c'est un vrai et assuré moyen de nous en délivrer.
no 982 Ms : N267
A LA MÊME
23 mai 1665
err e prie l'Esprit de vérité éternelle, le divin Paraclet que Jésus nous
a promis et qui viendra demain renouveler dans l'Eglise la descente qu'il fit autrefois sur les apôtres, qu'il nous éclaire de ses lumières et nous brûle de son feu. Et je le prie encore qu'il orne votre âme de ses dons divins pour faire et soutenir toutes choses dans l'ordre de la volonté de Dieu. Je ne vous écris que très peu aujourd'hui étant la veille de la Pentecôte et le dernier jour de ma chère solitude que je quitte avec quelque sorte de regret, d'autant que le tracas des affaires est un poids à mon esprit, qui s'y plonge de telle sorte qu'il en devient stupide pour Dieu. J'ai bien besoin de vos saintes prières pour vivre de son Esprit et avec les soumissions que je dois à ses saintes volontés.
1.1 faut marcher par les ténèbres et les obscurités quand il faut faire ce que Dieu veut. C'est en vérité être victime, car il y a bien à soutenir, et le plus fort est le poids de l'intérieur qui est souvent crucifié et dans des dispositions qui donneraient beaucoup d'inquiétudes si l'on ne s'abandonnait. Je trouve que c'est ce que nous devons faire au-dessus de toutes choses, c'est-à-dire de nos vues, de nos sentiments et même de notre éternité qui est la chose la plus rude à sacrifier. Or que Dieu fasse donc en nous et de nous selon son bon plaisir ; il n'y a plus rien à dire puisque nous sommes les ouvrages de ses mains, et qu'il a droit de faire de nous tout ce qu'il voudra sans que nous puissions y trouver à redire. Tâchons de vouloir ce qu'il veut, même d'adorer et d'accepter ses conduites secrètes et ses desseins sur nous. Ne sortons jamais de cette disposition quelques vues que nous puissions avoir de nos misères et de notre perte. Laissons le soin de notre éternité à Jésus Christ, et tâchons de le faire honorer sur la terre et de lui rendre nos hommages et nos adorations pour chétives qu'elles soient, sans retour sur nous non plus que sur l'enfer, d'autant que nos retours ne sont que pour nous affliger et nous tirer de notre saint abandon, qui donne plus de gloire à Dieu, dans notre pauvreté, que dans toutes nos réflexions, douleurs et tristesses, qui, sous de beaux prétextes, nous tirent de la confiance aux mérites de Jésus Christ, de sa charité divine. Je vous prie, ma toute chère Mère, observons ceci et nous trouverons le repos et la paix du Saint Esprit.
no 1313 Ms : N267
A LA MÊME
2 juin 1665
`.""re devance le temps, prévoyant bien que je n'aurai pas le loisir de Le vous dire deux mots sur les vôtres du 27ème du mois passé, par laquelle je vois le peu de confiance que vous avez à ce que je vous promets de la part de Notre Seigneur. Je ne puis que je ne vous le réitère, et vous proteste que ce n'est point pour vous consoler ce que je vous en écris, mais pour aider à vous délivrer d'une tentation que je sens que vous portez en fond, jusque dans la moelle de vos os, et qui vous serre le coeur et empêche la dilatation vers Dieu, et que vous goûtiez ses infinies bontés.
Je puis vous dire, ma très chère Mère, que vous offensez plus Notre Seigneur par le peu de confiance que vous avez en sa charité divine sur votre âme que par tous les plus grands crimes que vous puissiez commettre. Il ne peut souffrir que vous blessiez son amour. Je vous conjure de porter croyance à ce que je vous dis. Cette crainte que vous avez, et ce fond imprimé de la justice de Dieu sur vous, ne portent point de bons effets dans votre âme. Notre Seigneur veut que vous le regardiez dans ses bontés infinies sur vous, non selon ce que vous sentez en vous-même ; vous diminueriez cette adorable bonté qui est un attribut divin. Mais élevant votre foi, confiez-vous en elle, par elle-même, sans envisager ce que vous êtes et ce que vous méritez d'être. Voilà le moyen de vivre comme Jésus veut et de recevoir les effets de sa miséricorde dans la pureté de son Esprit. Autrement vous donneriez des bornes à sa bonté et la mesureriez selon le bien ou le mal que vous
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sentez en vous-même. Or Dieu n'est pas bon parce que nous sommes bonnes ou que nous avons de bonnes dispositions, mais il est bon par essence, il est bon par lui-même. Sa gloire et sa félicité sont d'être bon, notamment envers les pécheurs. C'est pour eux que Jésus est venu sur la terre et point pour les justes. Voilà des effets infaillibles de cette divine bonté, à laquelle nous devons avoir d'autant plus de confiance qu'il n'a rien considéré, après la gloire de son Père, que le salut des pécheurs. Je vous conjure de vous jeter à corps perdu dans cet abîme de bonté, et vous y perdez sans jamais vous réfléchir volontairement sur vous-même, ni sur les misères de la vie passée. Dieu nous donne selon notre foi, qu'est-que cela veut dire, sinon qu'il nous exauce selon la confiance que nous avons à sa bonté ? Il ne demande que cela des pécheurs. Pour le reste il y a fourni par son sang et par ses mérites.
Nous voyons dans le saint Evangile que le Fils de Dieu, voulant guérir un lépreux, un hydropique, un aveugle, il ne leur disait autre chose : « QU'IL TE SOIT FAIT SELON TA FOI », c'est à dire selon ta confiance. Ayez, ma très chère Mère, cette amoureuse confiance, c'est la seule chose qui manque à votre intérieur, et qui vous donnera une sainte vigueur d'esprit et chassera la crainte excessive et mercenaire et la timidité et défiance de vous-même, qui est bonne quand elle n'est pas dans l'extrémité où est la vôtre. Voilà vous dire ce que vous n'ignorez pas. Je suis pressée intérieurement de vous le redire encore, et ne sens point en vous rien qui contrarie le Saint-Esprit que cela ; et si vous tâchez de vous en retirer, vous verrez la plénitude de bénédiction qui vous sera donnée. Tout ce que vous voyez en vous qui vous touche et qui vous rend criminelle dans votre pensée n'est rien. Il n'y a que ce seul point qui s'oppose à l'amour de Dieu. Je vous conjure par son Sang adorable de vous persuader de cette vérité que je reçus hier à la sainte Communion pour vous. La seule confiance en Dieu est votre nécessaire et la pièce principale de votre intérieur. Négligez tout le reste pour avoir de celle-ci, avec laquelle je vous promets plus de bien et de grâce que vous n'oseriez penser, et croyez que je ne vous trompe point, ni ne vous flatte point. Je vous le dis avec la même force et sincérité que je voudrais vous le dire si j'étais au moment de la mort. Encore une fois mettez la confiance à la place de la crainte et Dieu sera content de vous. Mais vous n'aurez point de vrai repos en ce monde avec lui si vous ne faites cela. Il le veut absolument de vous et que vous vous confessiez quand vous aurez, par réflexion sur vos misères, manqué à cette amoureuse confiance.
n0968 Ms : N 267
A LA RÉ VÉ RENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION DE BRÊME I Prieure de Rambervillers
2ème de juin 1665
Loué soit à jamais la Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et ma plus chère Mère,
e m'est une rude mortification d'être toujours dans la captivité
de nos affaires, d'autant qu'elles me privent de la douce consolation de vous pouvoir entretenir comme mon affection le désirerait. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'en sortir cette année et que j'aurai ensuite un peu plus de loisir. En attendant je vous fais ce mot, ma très honorée et plus chère Mère, sur celle que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, pour seulement vous assurer que je l'ai reçue comme une manne du Ciel, tant elle m'a semblé remplie d'onction, et je l'ai reçue d'autant plus cordialement qu'il y avait très longtemps que je n'en avais reçu.
Je remercie Notre Seigneur Jésus Christ dans la divine Eucharistie de toutes les bénédictions que votre chère Communauté reçoit de ce mystère d'amour : -ce sont de petites étincelles du feu qui brûle votre coeur. J'ai bien de la joie d'apprendre les faveurs extraordinaires que la chère Mère Scholastique en a reçues. Je prie Dieu qu'elles soient si avant imprimées dans le centre de son âme qu'elle ne s'en puisse jamais dédire. O le grand bonheur pour les âmes de connaître un peu Jésus Christ humilié sous l'hostie ! C'est là où il communique non seulement le trésor de ses divines grâces, mais où il se donne et se perd quasi soi-même par l'excès de son amour.
Voici un mot pour la bonne Mère Scholastique ; je vous supplie de lui donner si vous le jugez à propos, étant bien aise de lui témoigner-la part que je prends aux faveurs que Dieu lui a présentées ; je la prie de les bien recevoir. Je vous supplie que je sache si la grâce est entière ; je veux dire si elle persévère et si les actions suivent la lumière divine qu'elle témoigne avoir reçue.
Il me reste bien des choses à vous écrire, tant de nos affaires que des vôtres, vous aurez peut-être reçu une lettre du R.P. Dom de Lescale (1).
Je voudrais, si Notre Seigneur l'avait agréable, être quelques jours auprès de vous pour plusieurs raisons importantes. Je vous estime
heureuse d'avoir un si bon appui que M. l'Abbé d'Etival. Pour moi, je lui ai des obligations infinies et prétends bien les augmenter encore en plusieurs occasions qui regardent la gloire de Notre Seigneur. Je
(1) A la date du 27 août. Dom de Lescale note dans son Journalier qu'il a reçu des lettres de Mère Mectilde, Mère Bernardine, Mère Benoîte de la Passion «touchant le projet de Mons. notre Rme Abbé pour l'établissement d'une maison de leur congrégation par les deux prieures».
240 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 241
vous supplie de lui présenter mes respects et mes très humbles remerciements en attendant que je lui puisse rendre mes devoirs. Je finis malgré moi. Je suis en Jésus, ma très intime Mère, toute à vous par Jésus, et pour Jésus
Sr M du Saint Sacrement
Je vous assure de la bonne disposition de la Mère de Jésus [Chopineli, quoique son corps soit un peu languissant par la chaleur qu'il fait ici ; je crois qu'elle vous écrit. Je salue avec votre permission toute la sainte Communauté et me recommande à ses saintes prières ; vous voyez bien, ma toute chère Mère, que je vous écris avec précipitation; je tâcherai de réparer au premier jour.
nu 92
A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION (GROMAIRE]
Prieure à Toul
7 ou 17 juin 1665
e prie Dieu qu'il vous conserve et tout votre petit troupeau que
je salue, et souhaite mille bénédictions et la consommation de la perfection à laquelle elles sont appelées. Je les prie toutes de correspondre à leur sainte vocation, se rendant dignes par leur fidélité de l'accomplissement des desseins de Dieu sur elles.
Je vous prie, ma chère Mère, que dans les lectures communès de table et autres l'on lise : «l'Homme religieux» du P. de Saint Jure (1), et «le Religieux intérieur». Je vous prie que les règles soient observées ; tenez ferme pour l'exactitude des règlements : que personne n'aille seule au parloir, que le silence soit observé, et surtout n'oubliez pas la sainte coutume de faire la visite des cellules, et qu'aucune n'ait plus de coffre, ni cassette fermant à clef -cela a été retranché à la visite-si ce n'est que la supérieure ait une clef pour les ouvrir, et que rien du tout ne lui puisse être caché. Il y aurait du péché mortel de faire autrement, étant contre le voeu de pauvreté qui défend d'avoir rien en propre ni en retenue, cela étant d'une dernière conséquence. C'est pourquoi, ma chère Mère, je vous supplie d'y tenir la main et crainte qu'il ne se glisse quelque abus, nous retractons toutes les permissions secrètes et particulières de posséder quoi que ce soit sans votre connais-
(1) Né à Metz en 1588, il entra chez les Jésuites en 1604. Il vécut sucessivement à Amiens, à Alençon, à Orléans et à Paris où il mourut en 1657. « L'homme religieux », ouvrage en 2 tomes fut édité à Paris en 1657 et 1658. Ecrivain spirituel très goûté au XVI lème siècle, l'oeuvre du Père de Saint Jure a été souvent rééditée et traduite en plusieurs langues, cf. DTC, fasc. CXXV-CXXV I I, col. 763 - 765.
sance, sachant bien que votre prudence agira en cela, comme en toute autre occasion, dans l'ordre de la charité. Et si quelqu'une était si malheureuse que de vous rien cacher, elle encourrait un péril notable de péché.
Et pour remédier à tout ce qui se pourrait glisser dans la communauté, je vous prie, ma chère Mère, que tout ce que dessus soit lu à toutes nos chères Mères et Soeurs professes, se souvenant toutes qu'elles ont fait voeu solennel à Jésus Christ d'obéissance et de pauvreté, je veux dire de n'avoir aucune propriété, pour petite qu'elle soit. L'exemple des histoires effroyables qui sont arrivées pour de pareilles choses, et peut-être moindres que ce que l'on pourrait posséder, nous doit tenir en crainte, étant de plus une chose certaine que tout ce qui est possédé à l'insu de la supérieure, ou qui l'est même avec attache et propriété, le démon en fait son siège et y repose : c'est une chose qui est à sa possession. Je prie et conjure ardemment toutes en général et chacune en particulier d'être ponctuelle à la pratique de ces choses, pour la plus grande gloire de Notre Seigneur, et pour avancer leur propre perfection et sanctification. Etant Filles de Jésus dans le Très Saint Sacrement de l'autel la pauvreté et le dégagement de ce béni Sauveur doit être la règle de la leur, la considérant en toute occasion pour s'y conformer fidèlement et généreusement comme les vraies victimes de ce sacré mystère qui renferme en soi la personne, les vertus et les états de la vie, les grandeurs aussi bien que les anéantissements du Fils unique de Dieu. Je les prie toutes de prendre en bonne part les avis que je leur donne par vous, ma chère Mère, et qu'elles soient persuadées que je les aime tendrement et que je veux leur perfection et leur sainteté comme la mienne propre, comme une bonne mère qui ne
respire qu'après la bonne et riche fortune de ses enfants.
Qu'elles s'encouragent l'une' l'autre à la pratique des règles et constitutions, et surtout à la charité et l'union. Que jamais une soeur ne dise un mot qu'elle pensera pouvoir *donner peine à une autre. Qu'elles se regardent toutes comme membres de Jésus, s'honorant et chérissant les unes les autres. Et se rendant de même les devoirs de charité et les témoignages d'une société toute sainte, qu'elles se considèrent comme les plantes d'un institut naissant, qui doit donner au Fils de Dieu plus de gloire et de complaisance que tous les autres, puisqu'elles sont vouées et consacrées immédiatement à ses intérêts et à la mort pour leur divin Maître.
Je vous supplie encore que la modestie se garde au parloir, qu'on ne s'y entretienne avec les séculiers que de choses bonnes et d'édification, que l'on soit toujours deux et jamais seule, si ce n'est aux pères et mères ou pour traiter de la conscience. Je finis ce petit entretien cordial après m'être recommandée à vos saintes prières et vous assurer que je suis toute vôtre.
no 1305 Ms : Cr C
242 CATHERINE DE BAR
A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE ICHARBONNIERI
17 juin 1665
QIa pauvre enfant, ne croyez-vous point que je vous oublie intérieu-
rement puisque je suis si longtemps sans vous écrire. Soyez assurée que non et que vous êtes au milieu de mon coeur, où je vous rends à celui duquel vous êtes la chère victime. Je vous vois dans la douleur et dans l'angoisse ; votre pauvre coeur est souvent bien oppressé et l'esprit à demi accablé. Mais qu'il tâche de 'se relever et de prendre courage, se soumettant aux conduites secrètes de Dieu. Adorez-les, très chère enfant, et vous y abandonnez ; le démon fait ce qu'il peut pour vous troubler, et Dieu se sert de votre peine pour vous purifier. Ne vous étonnez pas de vos dispositions ; ayez courage, vous n'êtes plus à vous ; laissez-vous toute, sans réserve, à Jésus qui vous unit à sa croix et à sa mort et vous fait entrer dans son sacrifice. C'est lui, chère enfant, qui vous crucifie, c'est son amour, c'est sa sainteté. O ma très chère, aimez Jésus en tous les états qu'il lui plait de vous mettre ; suivez-le partout ; adhérez à ses desseins ; laissez-le faire ; mourez doucement afin d'entrer dans sa vie. Tout ira bien si vous vous laissez à lui. Relevez souvent votre coeur et dites à ce bon Seigneur que votre complaisance est de lui complaire à sa mode et aux dépens de votre propre perfection. Voilà ce que je vous puis dire én passant. Soyez généreusement fidèle en tous vos exercices ; vivez pour Jésus et non pour vous ; que rien n'ébranle votre constance, mais que dans toutes vos dispositions vous puissiez dire « Quid enim mihi est in coelo et a te quid volui super terram » (1) ; rien que Dieu seul.
Je vous laisse donc toute à lui et le prie de m'y renfermer avec vous. Ecrivez-moi cordialement, et me dites tout ce que vous voudrez sans réflexion. Je suis plus à vous que vous-même. A Dieu je salue cordialement votre chère Mère Maîtresse et toute la petite compagnie qui m'est chère en Jésus.
no 2222 Ms: D43
(I) Ps73,25. , ..,n et, 1.3'-"W
J
LETTRES INÉDITES 243
A LA RÉVÉRENDE MÈRE FfENOITE DE LA PASSION IDE BRÊME) Prieure de Rambervillers
7 juillet 1665
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et toute chère Mère,
e prends ce petit moment comme à la dérobée pour vous rendre
les humbles devoirs que je vous dois de soumission et de respect, puisque la divine et toute aimable Providence vous a continuée dans la charge de très digne Prieure de la chère Maison de Rambervillers. J'entre dans la joie de la Communauté qui ne poùvait faire un choix plus à la gloire de Notre Seigneur, mais cependant je vous compatis, sachant bien que ce joug est toujours fort pénible et difficile à supporter. Je prie Dieu vous y combler de nouvelles grâces et de nouvelles forces. Il me semble que ces sortes d'événements sont toujours surprenants et crucifient profondément, quoique le fond de l'âme soit totalement soumis aux ordres de la volonté divine. On soupirerait après la solitude et l'éloignement des créatures pour posséder les miséricordes que Dieu présente à l'âme ; mais il faut mourir à tout et demeurer, comme saint Jean Baptiste, dans le ministère où la main de Dieu nous a mis. Priez-le, ma très chère Mère, qu'il me fasse faire sa très sainte volonté.
Enfin la bonne Mère de Sainte Madelaine est présentement à Toul avec notre très chère Mère Sous-Prieure [Bernardine de la Conception qui a été malade périlleusement. Sa santé ne revient point comme il serait à désirer pour le bien de cette nouvelle Maison et pour le soutien de celle-ci ; nous avons besoin que Dieu nous la conserve pour sa gloire. Je me résous de la faire retourner avec nous avant l'hiver ; si vous avez besoin de sa présence avant son départ, vous pouvez, ma très chère Mère, la prier de vous aller voir si santé lui permet. Je sais qu'elle a pour vous une affection très sincère et qu'elle aime la Maison ; je serais bien aise qu'elle vous vît avant son retour, si cela vous est utile.
Au reste, j'ai une joie sensible d'apprendre les grâces et bénédictions que Notre Seigneur départ à toute votre sainte Communauté par l'entremise de Monsieur d'Etival. J'en remercie Dieu de tout mon coeur, et ce digne Prélat qui a une charité si ardente qu'il gagne tous les coeurs à Jésus Christ. Ce vous est, ma toute chère Mère, une singulière consolation d'avoir Un tel directeur, qui est si saintement animé de l'esprit de Jésus Christ et qui fait tant de bien à toutes nos' très chères Mères et Soeurs. Voilà un secours suffisant pour devenir de grandes saintes. C'est un trésor que la divine Providence nous a donné. Je prie Dieu qu'il le conserve pour vous et pour nous. Je vous supplie me
244 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 245
recommander à ses saintes prières, en lui présentant mes très humbles respects. Nos Mères de Toul m'ont mandé que nous aurions l'honneur de le voir bientôt à Paris ; si cela arrive, ce sera pour nous un surcroît de bonheur. Je me réjouis dans cette chère espérance. Je ne puis assez admirer les merveilleux effets que Dieu fait dans votre sainte Communauté par son ministère ; nous en apprendrons des nouvelles par lui-même si nous avons l'honneur de le voir.
Il faut encore vous dire un mot de la Mère Marie de Jésus [Chopinel I qui se porte autant bien intérieurement qu'on le peut souhaiter. Son corps se consomme dans les souffrances qui ne la quittent pas entièrement, mais elle les souffre angéliquement. Nous sommes seules ici de notre bande ; nous parlons souvent de votre chère personne et de la chère Maison de Rambervillers, que nous aimons toujours. Nous espérons elle et moi d'y aller encore avant que de mourir ; ce sera avec grande joie quand il plaira à Notre Seigneur. Je suis en lui, ma plus chère Mère, votre très indigne fille
Sr M du St Sacrement
Je vous supplie que je sache si la Mère Scholastique persévère dans sa ferveur et si les effets suivent les lumières ; je ne doute point de son progrès ni de celui de toute la communauté, puisque toutes sont sous la direction de ce digne prélat pour qui j'ai très grande vénération.
no 1293
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
7 juillet 1665
Mes très chères filles en Jésus,
a'est avec un extrême déplaisir que je ne puis rendre à chacune en particulier les témoignages de ma sincère affection, comme je le désirerais. Je vous fais ces mots pour vous en demander excuse et vous assurer que ce n'est pas que vous me soyez indifférentes.
Non, mes chères enfants, mon pauvre coeur est souvent au milieu de vous toutes et, quelquefois, je vous vois en langueur, les, unes malades, et d'autres un peu tristes ; enfin la souffrance de corps ou d'esprit accompagne toujours l'âme chrétienne en cette vie. Une fille du Saint Sacrement n'en sera pas exempte puisque son partage est la croix, savoir : les opprobres, les humiliations, les rebuts, les contradictions, les pertes, les soustractions, les souffrances, les tribulations, les peines, les tentations, en un mot tout ce qui crucifie, ou. tout ce que Jésus souffre tous les jours dans le Très Saint Sacrement. .
Voilà, mes très chères filles, notre héritage et nous sommes trom pée.s si nous espérons d'autres traitements. Nous ne pouvons être victime sans glaive, sans corde, sans tourments, sans douleurs et sans morts ; il faut que la consommation suive l'égorgement. Prenez donc courage, et ne dégénérez point de la précieuse qualité de fille et de victime de Jésus au Très Saint Sacrement. Remplissez votre mesure, achevez ce qui manque à la Passion de notre bon Seigneur, comme dit saint Paul. Relevez votre courage et votre confiance. Jésus souffre et meurt pour nous ; tirons notre force de ses faiblesses, et notre vie de sa mort.
Allons, mes enfants, allons à Dieu, hâtons-nous, le temps est bref, nous sommes pressées d'avancer le pas. 11 faut achever notre course et rentrer dans le Coeur de Jésus. Priez-le qu'il me fasse la grâce de me tourner toute vers lui et que de vous et de nous il ne soit fait qu'une même chose en Lui. Adieu.
no 150 Cr C
A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER
1665
uand Dieu veut posséder un coeur entièrement, il sait bien trouver
les moyens de le vider et purifier de l'attache des créatures et de la propriété de nous-même. Je reconnais, mon enfant, que sa main toute-puissante opère dans le vôtre une croix perpétuelle qui se fait ressentir en diverses manières de souffrances : tantôt de ténèbres, tantôt de craintes, tantôt de frayeurs et de saisissements : d'autres fois par des assauts impétueux, quelquefois par des peines violentes, quelquefois par une mélancolie horrible et insupportable qui porte le dégoût de toutes choses jusqu'au fond de l'âme, quelquefois jusqu'au point que le corps s'en trouve malade. Cet état d'épreuve va bien plus loin. Dans les tentations Dieu permet quelquefois au démon d'attaquer fortement par des atteintes infernales, et jusqu'au point que la pauvre âme ne trouve en elle que sa perte et reprobation. De qûelque côté qu'elle se tourne, elle voit sa misère et le désespoir de son état. L'impureté la tourmente par ses impressions, par ses images détestables et par ses agitations. Le saint homme Job fut abandonné, par une conduite adorable de Dieu, au pouvoir de Satan. Il ressentit en son corps et en son âme tout ce que la créature peut soutenir de crucifiant. Mais pourquoi fut-il réduit de la sorte ? Pour deux raisons : la première, c'est qu'il représentait la personne adorable de Jésus Christ dans l'excès de ses souffrances ; et la seconde c'est pour servir d'exemple et de modèle aux âmes que le pur amour veut dévorer et consommer. Il est vrai de dire que s'il n'y avait des exemples de telles et si rigoureuses conduites dans l'Église de Dieu,
246 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 247
celles qui les souffriraient ne pourraient être convaincues que [de] telles conduites renfermassent en elles une si haute pureté et sainteté. Puisque vous m'ouvrez votre coeur, mon enfant, je vous ouvrirai aussi le mien et vous dirai, que j'ai porté, en ma vie passée, ce que vous
ressentez présentement. Mais il faut confesser à ma honte éternelle que j'y ai été très infidèle. Mais je puis vous assurer que par telle sorte de souffrance Notre Seigneur fait son oeuvre au secret de votre âme. Tâchez de demeurer immobile dans le fond de votre volonté. Je vois que sa grâce vous prévient et vous soutient fortement, quoique ce soit secrètement. Je vois manifestement la conduite de Dieu sur vous et le remercie de tout mon coeur de toutes les miséricordes dont il prévient votre âme, et de ce qu'il avance son oeuvre, en vous mettant dans le creuset de la bonne sorte, pour purifier l'amour propre qui régnait en toutes vos opérations.
J'espérais bien qu'il vous ferait un jour cette grâce, mais je ne croyais lias que ce fût si promptement, à raison de la faiblesse des sens. Vous f voyant pénétrée d'une sensibilité fort tendre pour les choses de Dieu et d'une douceur intérieure, que Dieu donne ordinairement pour attirer les âmes a son service, je croyais qu'il ne vous lierait pas si tôt à sa Croix, ne vous croyant pas assez forte. Mais je vois qu'il a pris ses mesures en lui-même, et que tout d'abord il vous traite comme son Fils, qu'il fait victime dès le moment de son Incarnation, et qu'il traite dans tous les états de sa Sainte Vie comme un étranger et banni, qui n'a ni secours, ni appuis des créatures. En un mot il le traite comme un réprouvé, comme un pécheur qui mérite les rebuts de Dieu, et de porter sur lui toute la rigueur de la divine justice. C'est en cet esprit de Jésus humilié, rejetté, et immolé à la Justice et Sainteté Divine, que notre Institut a été établi dans son Eglise, et vous porterez la grâce et la sainteté que- Dieu y a renfermé, si vous souffrez toutes vos peines quelles qu'elles soient, si vous demeurez comme Jésus et avec Jésus abandonné aux volontés de son Père.
Ne vous étonnez de rien de tout ce que vous ressentez de misérable et de malin en vous. Souffrez, mon enfant, souffrez avec Jésus, et souffrez avec saint Paul pour achever ce qui manque à la Passion de son bon Maître et le vôtre. Ne vous surprenez de rien. Laissez-vous en proie à. son plaisir, en vous défendant le plus que vous pouvez des retours sur vous-même et des tendresses que l'amour propre excite sous des prétextes excellents de salut, d'éternité, ou des craintes excessives de péché, d'être hors de la grâce, et d'être dans un état qui n'est pas de l'ordre de Dieu. Il faut être ferme et un peu dure à soi-même en ces sortes de dispositions, autrement on pleurerait toujours, et on s'accablerait par l'esprit de nature. Au nom de Jésus l'unique tout de nos coeurs, soyez fidèle au sacré abandon à la volonté de Dieu. Voilà ce que vous avez à faire, et d'être fidèle à toutes vos obligations, surtout à l'obéissance, vous laissant conduire comme un petit enfant sans aucune
défiance de la bonté de Notre Seigneur. Continuez de découvrir vos sentiments et tout ce qui se passe en vous par simplicité chrétienne, pour éviter les illusions. Dieu soit à jamais béni de vous avoir jetée en cet état ! O quelle grâce, si vous demeurez fidèle ! Vous le serez, si vous faites ce que je vous dis, qui est abandonner tous vos intérêts spirituels, éternels, temporels et corporels à Jésus Christ, le laissant conduire votre âme en la manière qu'il lui plaira, conservant une pleine et entière confiance en sa bonté.
Voilà ce que je vous puis dire, vous conjurant de croire que je suis du plus sincère de mon pauvre coeur toute à vous, puisque Dieu vous a donnée à moi. Soyez assurée qu'il m'a aussi donnée toute à vous et que vos intérêts sont les miens, et les seront à jamais.
n " 2558 N 267
1665
A LA MÊME
Jésus soit votre soutien, votre force et votre unique vie !
Soyez assurée que l'état où sa main toute-puissante vous tient est un état plein de miséricordes. Il fait dans vos peines et dans vos ténèbres une oeuvre digne de sa bonté. J'ai bien cru que Dieu ferait en vous un renversement total. Oh ! quelle grâce ! Si vous la pouviez connaître, votre âme en aurait une joie sensible ; mais cela vous est bien caché, et le sera encore quelque temps. Méprisez généreusement tous les retours de l'esprit humain, et adorez en foi ce qu'il ne peut comprendre dans la conduite de Dieu. Hélas, mon enfant, vous êtes choisie pour être victime avec Jésus et par Jésus ; votre état est pour vous seule par élection divine. Ne pensez pas que votre bonne N., si elle était religieuse, souffrirait les peines que vous souffrez. Non assurément, les grâces et les vocations intérieures sont différentes. Si vous saviez ce que Dieu fait en vous, vous chéririez vos souffrances plus qu'un empire. Vous êtes appelée à la sainteté du sacrifice et vous devez être immolée avec Jésus. Ne craignez point, il sera votre soutien ; ne vous effrayez point ; vous êtes dans sa bénite main, et rien ne vous peut nuire. Toutes ces sortes de tentations nouvelles et qui n'ont point continué aident à purifier le fond de votre âme. Vous ne saviez ce que c'était des états de Jésus Christ ni de ses souffrances intérieures : prenez courage, ne vous rebutez point, allez sur le Sacré Calvaire, ne quittez point Jésus Christ souffrant et mourant, et vous souvenez que c'est dans la souffrance que la vertu triomphe. Nous n'avons de vraie vertu qu'alitant qu'elle est exercée. Tel pense être humble qui n'a que de la superbe s'il n'est humilié ; ainsi des autres vertus. Il faut
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toujours de la pratique et de la fidélité ; autrement c'est se nourrir de chimère et de pure imagination. Ne vous rebutez pas, vous ne faites que de commencer, vous n'avez pas encore sué le sang. O très chère, jusqu'au point faut-il mourir pour être unie à Jésus Christ. Prenez votre croix et allez généreusement sur le Calvaire, il n'y a point de saint s'il n'embrasse la Croix. C'est sur la croix que Jésus a sanctifié ses Saints, lorsqu'il souffrait en quelque manière la séparation de Dieu son Père et qu'il s'écriait DEUS, DEUS (1) etc... C'était pour lors que la sainteté divine faisait son opération sur tous les élus, en Jésus, qui en est le Chef.
n " 2741 N267
(I) Deus, Deus... quid me dereliquisti - Ps. XXI..
A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION I DE BRÊME 1 Prieure de Rambervillers
Paris, 17 octobre 1665
Loué soit le Très Saint Sacrement ! Ma très chère Mère,
:1>e commence ma lettre par la douleur de l'accident qui arriva le
jour de sainte Térèse à deux heures du matin à Saint-Sulpice, qui fut le vol de trois ciboires, de trois boîtes de saintes huiles et de vingt étoles. Ce qui est le plus affligeant, c'est qu'ils ont emporté les saintes hosties ou ils les ont brûlées. On les a cherchées partout, sans qu'on en ait pu trouver aucune. Les pauvres Messieurs de Saint-Sulpice sont fort affligés. Le frère de N..., l'écclésiastique, en fut pâmé trois heures entières ; il le fallut saigner sur le champ pour le faire revenir. Ce funeste accident a renouvelé la frayeur dans toutes les églises, et notamment chez nous. Je sortis hier pour visiter la cour de l'église du coté de notre sacristain pour prendre nos précautions. Mais nous ne pouvons nous renforcer de ce coté-là. Il faut veiller et se tenir sur nos gardes. Nous espérons et nous confions en la bonté de Notre Seigneur et au secours des anges, et singulièrement aux âmes du purgatoire qui sont de bonnes amies et fidèles dans les services que l'on exige d'elles. Nous vous supplions de les prier pour nous. Ces malheureux sacrilèges ont résolu, à ce que l'on dit, de n'épargner aucune église. Je prie Dieu qu'il confonde leur malheureux et détestable dessein.
On dit que, ce même jour, on a encore volé en deux autres églises, mais je n'en suis pas certaine. Nous pensions que ces horribles profanateurs avaient fini leurs malices parce que depuis quelques mois l'on
n'avait plus rien appris. Il faut craindre que cet hiver ne soit funeste et que ces effroyables accidents n'arrivent souvent à cause de la longueur des nuits. Dieu tout bon veuille avoir soin de soi-même. Hé, mon Dieu, que cette perte est épouvantable ! Un Dieu perdu entre les mains des pécheurs, brûlé et peut-être encore plus indignement outragé ! Nous avons été toutes bien touchées de ce malheur.
Ma Soeur Marie-Hostie [Hardy] se pensa noyer dans les larmes ; la douleur était dépeinte sur son visage, mais, hélas, quel remède ? Dieu seul l'y peut mettre. Les puissances de la terre ne l'y mettent point, personne ne s'en remue. Cet abandon que Dieu fait de lui-même dans ce divin Sacrement doit sensiblement toucher les âmes chrétiennes, et notamment les Filles du Saint Sacrement. Plût-il à sa bonté me donner la grâce d'adorer par état cet incompréhensible abandon et que je me puisse laisser aussi parfaitement et entièrement à sa bonté, comme il se laisse au pouvoir de ces impies, qui ne l'approchent que pour l'outrager et le profaner.
Il me semble que cet abandon nous fait une leçon admirable : je prie Jésus Christ la rendre efficace et que nous puissions toutes entrer dans cet adorable délaissement de nous-même à son divin plaisir. Hélas ! quel honneur pour nous d'être abandonnées à la puissance d'un Dieu infiniment bon, infiniment sage, et infiniment bienfaisant ; et Jésus au mystère de son amour par une humiliation infinie est abandonné aux infâmes pécheurs, abominables et pleins de rage infernale contre sa sainteté. Il est abandonné, pour . être maltraité et jeté dans la boue et dans les abîmes d'indignités qui ne se nomment point. Tandis que son amour ménage notre réconciliation avec son Père nous le foulons aux pieds ; voilà l'ingratitude et l'aveuglement des hommes.
Mais pour nous, ma très chère Mère, notre partage est l'amour douloureux qui s'exerce en deux façons ; la première est de voir un Dieu traité de la sorte, et la seconde de voir tant de pécheurs qui périssent sans faire aucun usage du corps de Jésus Christ, ni de sa présence dans le Très Saint Sacrement. Plût-il à sa bonté briser nos coeurs par la force de cet amour douloureux, et que nous puissions mourir de contrition pour nos péchés et ceux de nos frères qui sont les hommes pécheurs. Ce qui me console en ceci, c'est que les humiliations de Jésus Christ dans ce mystère honorent infiniment son Père, et qu'il a bien su, en l'instituant, qu'il souffrirait toutes ces choses et beaucoup d'autres que nous ne concevrons jamais, et qu'il a mieux aimé s'y abandonner que de manquer à y rendre ses hommages à son Père, et y continuer son sacrifice et son état de victime de la justice et sainteté divines pour les pécheurs. Oh ! que je dirais volontiers qu'il prend tant de plaisir d'être avec les enfants des hommes, qu'il paraît comme insensible aux injures et aux affronts qu'il reçoit d'eux ! (C'est qu'il est esprit d'amour pour les âmes, c'est qu'il ne vit que d'amour) (1) dans le Très Saint Sacrement, c'est que l'amour-l'y a rendu esclave et prisonnier et lui a ravi le pouvoir
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f
de s'en retirer. Lamour lui a donné des lois qui l'obligent d'y demeurer jusqu'à la consommation des siècles ; il s'y est soumis : «DEUS MEUS VOLU I ». Et que peut-on dire après cela, sinon qu'il veut bien souffrir les outrages des impies au respect d'une seule âme qui se donne totalement à lui ? Pourvu qu'il soit aimé de quelqu'une, si pauvre et abjecte qu'elle soit, le voilà content, et oubliés les mauvais traitements qu'on lui fait. Qui doute qu'il ne prenne sa complaisance dans la petite troupe de ses victimes, et notamment dans votre Maison où vous tâchez de l'aimer, honorer et faire adorer ? Continuez à la bonne heure. Rendez à ce divin amant l'amour qu'il vient mendier sur la terre et soyons plus que jamais toute à lui. Il me semble qu'il est à présent comme il était autrefois entre les mains de sa sainte Mère et de saint Joseph, qui le portaient en Egypte pour le sauver de la persécution d'Hérode. Nous ne pensons qu'à le sauver dans le Très Saint Sacrement, à le cacher, qu'il soit inconnu et invisible à ceux qui le viennent dérober. Hélas ! quelle humiliation à Jésus Christ de se réduire à l'impuissance de se délivrer lui-même de ses ennemis !
Messieurs de Saint-Sulpice ont ordonné à tous les peuples de jeûner vendredi et samedi prochain, et ceux qui ne le pourront, de faire quelque aumône pour obtenir de Dieu la grâce de connaître ce que ces malheureux ont fait des saintes hosties qu'ils ont prises (2). On espère d'en découvrir quelque chose, on prie Dieu sans cesse pour cela. Joignez-y, ma toute chère Mère, vos saintes prières et celles de toutes nos SCeurs : le sujet le mérite bien.
Aimons plus que jamais la captivité de l'obéissance pour honorer l'abandon et soumission de Jésus Christ dans la divine eucharistie. Il y est traité si indignement qu'on croirait qu'il n'y est que pour être outragé cruellement. Cependant il souffrirait plutôt qu'on le déchirât à belles dents, qu'on le portât au sabbat, et qu'on le donnât aux bêtes, en un mot, que l'on en fit tout ce que la rage infernale peut inventer, plutôt que de manquer à son adorable obéissance, qu'il rend si admirable qu'au même moment que le prêtre a prononcé les dernières syllabes des paroles sacrées, il est en l'hostie pour n'en jamais sortir que par l'altération des accidents. O abîmes de bonté, pourquoi faut-il que vous ayez tant d'amour pour les hommes qui ont si peu de reconnaissance de vos bienfaits et des prodiges que vous opérez incessamment en leur faveur ? Je suis en Jésus toute à vous.
no 913 N267
(1) Cette phrase manque au ms. N267 que nous suivons ; elle est prise au ms. L14.
(2) Dans une lettre à la Mère Bernardine de la Conception, à la même date, Mère Mectilde ajoute les quelques détails suivants : « Les voleurs ont encore retourné à Saint-Sulpice cette nuit et ont rompu une porte. Mais les voisins les ayant entendus, ils ont pris la fuite. Ce sont des gens à pieds et à cheval qui se cantonnent, et pendant que les uns tont la sentinelle, les autres font les vols et scient les barreaux. Je vous assure que l'on ne peut s'empêcher d'avoir peur. Nous avons redoublé le nombre des religieuses la nuit ; nous cherchons un moyen d'ôter le Très Sait Sacrement du tabernacle. Je crois que ce sont des démons sortis de l'enfer, ou bien qu'ils ont des charmes pour endormir les gens pendant qu'ils font leurs larcins ». P. 101, p. 793.
A LA SOEUR M. DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER
24 novembre 1665
e petit mot, ma très chère fille, est seulement pour vous assurer
que j'ai reçu vos chères lettres avec beaucoup de consolation.
Plus vous êtes pauvre et abjecte en vous-même, plus je ressens intérieurement de confiance en la bonté de Notre Seigneur. Il fallait, ma chère enfant, de nécessité absolue, que Dieu tout bon vous conduisît de la sorte, autrement vous ne vous seriez jamais connue vous-même, ni sortie de votre propre corruption. Vos belles pensées, vos beaux sentiments et le reste que vous receviez avec tant d'abondance, nourrissaient votre amour propre, et tandis qu'il vous semblait tendre à Dieu avec ardeur et l'aimer de tout votre coeur, la nature intérieure s'engraissait aux dépens de Notre Seigneur. Qu'il soit à jamais béni d'avoir fait ce coup de renversement ! Vous pourrez dire avec vérité que votre perte c'est votre gain, et que vous êtes infiniment heureuse dans votre misère et dans ce que l'amour propre appelle malheur à raison de sa ruine et de la perte qu'il fait de sa propre complaisance et satisfaction. Soyez certaine que l'état que vous portez est de Dieu et de sa conduite toute miséricordieuse, et si j'étais une heure auprès de vous, ma très chère fille, j'espérerais, qu'avec sa grâce, je vous ferais toucher au doigt et convaincrais votre raisonnement des avantages de votre état présent, et qu'il fallait que la main toute puissante de Dieu fit ce coup de renversement pour vous ouvrir les yeux et vous faire sortir de vous-même. Mais ce que je puis dire, c'est de le remercier pour vous èt de le supplier très humblement de continuer et de vous faire entrer malgré la tendresse naturelle qui vous fait réfléchir incessamment sur vous-même, dans la sainteté de ses desseins sur votre âme, et qu'il vous donne la force et la grâce d'y adhérer et de soumettre votre sens naturel à ses divines volontés, par un simple abandon de tout vous-même, sans envisager la perfection et l'impossibilité d'y parvenir, mais de vous laisser toute au pouvoir de Jésus Christ, attachant votre fortune et votre perfection à une sincère démission de vous-même à son bon plaisir.
Soyez fidèle en tout, sans vous gêner ni vous troubler de vos chutes et imperfections. Vous pouvez bien dire qu'il vous reste bien des choses à faire selon vos lumières, et moi, chère enfant, je vous dis que vous avez beaucoup à mourir. Prenez courage, Dieu ne vous commande pas d'avoir toutes les vertus tout d'un coup, mais 'il veut que vous expérimentiez votre propre indigence, faiblesse et indignité, et que, vous défiarit de vous-même, vous espériez tout de sa bonté. Ecrivez-nous durant l'Avent et en tout temps, quand vous voudrez. Vous savez que je suis'en Jésus toute 'à vous.
no 154 P104 Bis
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DE LA MÈRE AGNÈS IROLINI SUPÉRIEURE DE LA MAISON DE NANCY (1)
2 décembre 1665
Vous connaissez mieux que nul autre les ressorts de la divine Providence dans la conduite des âmes, et comme elle accomplit ses desseins éternels sans que personne y puisse apporter d'obstacles. Il y a longtemps que je les admire sans les connaître, par les orages dont notre pauvre Maison est attaquée de toutes manières. Ce n'est pas mon dessein de lasser votre patience par le détail de ces aventures, puisque vous en connaissez une partie, mais de vous déclarer que, depuis quelques années, j'ai des pensées très fortes que notre Monastère doit recevoir votre Institut. Il me semble que le temps est venu, qu'il faut y travailler.
Si vous agréez cette première proposition, je vous supplie qu'elle demeure secrète, entre vous et moi. Que si vous prenez la peine de me répondre, personne n'en soit informé. Je voudrais savoir si vous ne pourriez pas souffrir qu'on demande à Rome un bref de dispense sur le point qu'on dit être dans vos Constitutions de ne pouvoir souffrir le titre d'abbaye où les abbesses soient perpétuelles, c'est-à-dire à vie ; seulement pour Madame l'Abbesse d'à présent, notre insigne bienfaitrice, après laquelle il serait, par le même bref, que nous serions obligées à la triennalité. Si cela se pouvait,. j'en espèrerais une bonne issue, et ne doute point que, dans la suite, Madame notre Abbesse ne consente d'elle-même à faire ce qui sera nécessaire, et que Madame la Marquise d' H araucourt, sa soeur, ne continue à nous faire du bien.
P101
(1) Pour l'historique de ce monastère et de son agrégation à notre Institut, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 248 et suiv.
A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I
Prieure à Toul
9 décembre 1665
e prie la très sainte Mère de Dieu qu'elle vous tire dans la grâce
de son Immaculée Conception. J'ai pour ce saint mystère plus de respect et d'affection que jamais, et je vous sais bon gré d'aimer cette fête. Je puis vous assurer que toutes celles qui aimeront et honoreront ce précieux mystère de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge, qu'elle les récompensera de grâces en ce monde -et de gloire en l'autre ; et, après le Très Saint Sacrement et les mystères de Jésus, nous ne devons avoir rien de plus tendre dans notre coeur.
Et j'ose dire que cette bénite Mère prend un singulier plaisir qu'on honore son Immaculée Conception et que c'est un des plus grands délices qu'on lui puisse donner que de la congratuler de cette prérogative d'honneur et de bénédiction. Elle s'en tient si heureuse qu'elle a un redoublement de joie quand on lui fait souvenir de ce bonheur qui est sans pareil, et qui n'en aura jamais. C'est pour cela qu'elle a un surcroît de douceur et de compassion des pécheurs et qu'elle est toujours prête à les secourir. Elle les compatit miséricordieusement et les excuse dans leur faiblesse, et cache même leurs crimes pour attirer les regards bénins et gracieux de son Fils. Si on savait combien elle a d'industries pour s'opposer à la justice de Dieu sur les pécheurs, notre confiance serait si fort augmentée vers sa bonté que nous serions dans une tour d'assurance. C'est assez qu'on lui ait remis et confié son salut pour qu'elle le ménage admirablement. Je vous supplie de lui abandonner le vôtre avec une entière confiance. Oh ! si vous saviez ce qu'elle fait tous les jours pour les plus abandonnés au péché, votre coeur serait tout hors de lui-même d'étonnement. Enfin je conclus qu'il faut aimer son Immaculée Conception pour un uaue de son salut éternel. Je ne vous dis pas ceci en l'air ni pour vous divertir seulement, mais comme une chose dont je suis certaine. Et je suis très aise que la petite maison de Toul rende quelques hommages particuliers à ce urand mystère par le moyen des réparations journalières qui se font en l'honneur de son Immaculée Conception, de sa pureté viruinale et de sa maternité divine. Je vous prie de faire écrire ces trois mots en gros caractères pour être attachés à la porte du choeur ou en quelqu'autre etidroit pour être vus et que chacune prenne cette intention dans son amende honorable à la très sainte Vierge, mère de Jésus Christ.
Je ne vous dis point comme j'ai fait prier Dieu pour vous. Plût à Dieu vous pouvoir mettre dans le Coeur Sacré de cette divine Princesse et que vous soyez dans une amoureuse confiance en sa bonté comme je le souhaiterais ! Je lui demande et continuerai, car c'est d'elle que nous devons tout espérer. C'est elle qui prendra soin de nous défendre contre les sortilèges et les malheurs que l'on nous menace. Elle nous protégera et prendra un soin tout particulier de ceux et celles qui auront n-iis leur confiance en sa bonté. Je vous conjure de toutes mes forces de vous y confier et toute la petite maison de Toul.
no 1309 Cr C
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
1665
D'e ne puis dire, mes très chères enfants, combien je suis touchée
d'apprendre vos indispositions, et comme il a plu à la divine volonté vous lier sur la croix des souffrances. Je ne sais comme je m'en pourrais consoler si je ne vous considérais comme des victimes immolées à Jésus Christ par la douleur qui va vous consommant pour son amour-et qui vous fait devenir des objets de sa divine complaisance. En cette
254 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 255
vue je me sacrifie avec vous et veux que Notre Seigneur- dispose de tout à sa pure gloire, car il ne faut rien vouloir que lui, mais sans sortir de votre cher abandon. Il veut que vous preniez tout le soulagement que le médecin vous ordonne et que l'obéissance vous permet, faisant votre possible pour reprendre vos forces pour servir Dieu mieux que jamais. Je vous prie donc, mes très chères enfants, de prendre courage. Je sais bien qu'une des causes de vos plus grandes douleurs, c'est la maladie de votre très digne Mère Prieure. Je vous compatis et puis vous dire que j'en suis sensiblement touchée. Ma crainte est qu'elle manque à ce qu'elle doit pour recouvrer sa santé ; tenez la main qu'elle n'omette rien, et que rien ne soit épargné pour elle, ni pour vous toutes. C'est mon intention et n'y manquez pas. Je vous supplie que la moins incommodée d'entre vous me mande comme elle se trouve et toute la communauté, et surtout qu'on ne passe point d'ordinaire sans nous donner de vos nouvelles, quand ce ne serait qu'un mot si le mal s'augmente. Je me souhaite de tout mon coeur auprès de vous pour rendre à toutes mes petits mais très affectionnés services. Je fais prier Dieu pour la mère et les enfants. J'espère que le bon Dieu aura pitié de nous et qu'il vous guérira. De tout mon coeur, je voudrais être malade pour vous toutes, et vous conjure d'offrir vos douleurs à Notre Seigneur selon mon intention, pour quelque besoin particulier et pour la sanctification de la congrégation. Dites quelquefois avec la très sainte Mère de Dieu répondant à l'ange : « ECCE ANC1LLA DOMINI FLAT MIHI SECUNDUM VERBUM TUUM » (1). Soyons les esclaves du Seigneur afin qu'il fasse en nous sa très sainte volonté, et soyons attentives et soumises aux mouvements de son Saint-Esprit. Je le supplie opérer en vous la destruction de tout ce qui lui est contraire. Derechef donnez-moi la consolation de faire votre possible pour vous bien porter, et pour croire en Jésus, mes très chères enfants, que je suis en son amour...
no 1103 N267
( I) Luc 1,38.
A UNE RELIGIEUSE D E MONTMARTRE
Janvier 1666
Loué et adoré soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
et qu'il soit plus que jamais l'unique objet de votre amour, ma toute chère et aimable Mère, que vous trouviez en Jésus seul votre force et votre consolation dans les privations que la divine Providence vous fait porter du secours des créatures. Il n'y a que lui seul fidèle et sans changement, le reste n'est pas digne d'être aimé - je veux dire : ce qui est sur la terre - ce n'est que pauvreté et, si je l'ose dire, faiblesse et
inconstance. Vous ne serez heureuse, ma toute chère Mère, que lorsque vous tâcherez de vous contentez de Dieu seul, sans vous plus mettre en peine des rebuts et froideurs des créatures. Ne vous étonnez point de
cette conduite, elle n'est pas sans mystère de la part de Dieu, pour
votre âme qui a bien de la peine à sacrifier cet appui et cette douceur-que vous avez goûtés autrefois si abondamment dans les créatures.
En vérité, en vérité, c'est un effet de la miséricorde de Dieu pour votre
âme ; ne vous en fâchez point, c'est votre salut. Entrez donc par une simple adhérence dans les desseins de Dieu sur vous et agréez, le mieux
qu'il vous sera possible, ses conduites, et vous verrez un jour que ce qui peine votre esprit à présent sera un moyen de vous rendre heureuse, en vous faisant entrer dans une sainte indifférence pour tous les événements et vicissitudes des créatures. Aussi n'est-il plus temps de vous y arrêter.
Il faut que je vous avoue dans l'ingénuité de mon coeur et que je vous dise, ma plus chère Mère, qu'il me semble quelquefois que je crie à l'oreille de votre coeur : hâtez-vous de vous dégager des créatures, .
hâtez-vous de vous rendre à Dieu, séparez-vous généreusement de toutes les choses de la terre, le moment approche qu'il faut retourner
à Dieu. C'est, ma toute chère et intime Mère, sans vous faire frayeur,
où il faut que vous aspiriez. Mais si vous voyiez les bontés de Dieu pour vous et comme il attend, de l'entier retour de vous-même à lui,
vous en seriez pénétrée jusqu'au centre de votre être. Vous manquez
à un point très important : c'est à la confiance. Vous craignez Dieu d'une crainte trop mercenaire et trop intéressée ; votre paix intérieure
est souvent troublée par cette crainte. Vous ne vous ab'andonnez pas
assez aux soins de l'amoureuse Providence pour le présent et pour l'avenir. Je sais bien qu'il est dur de vivre sans pouvoir un peu dilater
son coeur avec une sainte franchise. Offrez cette privation à Notre
Seigneur en esprit de pénitence pour toutes les recherches et les complaisances que vous avez prises avec les créatures. Il faut, ma toute chère
Mère, que tout soit purifié et que ce qui a souvent partagé notre coeur
d'avec Dieu fasse un sujet de croix à notre intérieur. C'est pour cela que Dieu permet que vous trouviez si peu dans celles à qui vous avez
tant donné. Envisagez tous ces changements dans l'ordre de la Sagesse divine, et trouvez bon qu'il vous purifie de cette sorte. Pourvu qu'il trouve son compte il ne faut point nous soucier de nous-mêmes.
Je crois que, puisque vous avez divers confesseurs, vous ne devez pas gêner votre âme ; allez où vous trouverez plus Dieu.
Si je suivais ma pensée serait de vous souhaiter céans avec nous (I). Mais il faut s'en remettre à Notre Seigneur qui ne donne pas ce mouve-
(I) Phrase obscure - on devrait peut-être lire : Si je suivais ma pensée, je vous souhaiterais céans avec nous.
256 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 257
ment à celle qu'il a établie sur vous. 11 faut adorer la sainte Providence et conserver la paix du coeur. La vie est si brève qu'elle ne nous donne pas le loisir de nous occuper de tant de petites choses. Ma toute chère Mère, devenez généreuse et quittez les créatures. Aussi bien voyez-vous pas que, par une dispensation divine, elles vous quittent. Ne regrettez point la perte que vous faites quand une créature se sépare de vous, mais bien plutôt réjouissez-vous de voir que Dieu se mêle de rompre les liens qui attachent votre coeur à la terre. Nous n'avons plus qu'une petite poignée de jours; ne les perdons pas et ne les profanons point à nous amuser aux créatures, et à regretter les marmites d'Egypte (2). Ce peu de jours est pour mériter notre éternité et achever heureusement notre course vers Dieu. Je vous conjure donc, ma très chère Mère, de prendre une sainte résolution de tout abandonner le créé pour vous abandonner vous-même toute à Dieu et devenir la victime de son bon plaisir.
Pour nouvelles, je vous dirai que Dieu a fait des coups de miracles chez nos Mères de Rambervillers pour faire connaître ses bontés sur notre Institut et l'amour qu'il témoigne pour le peu que nous tâchons de lui rendre. Cela est admirable et tout à fait touchant : enfin, c'est des conversions miraculeuses, et je puis vous confier qu'il a fallu que Dieu fît en quelques-unes ce qu'il a fait autrefois en saint Paul. à proportion et selon les grâces des unes et des autres. Vous seriez bien consolée si vous saviez ce que Dieu a opéré en faveur de notre Institut, mais je ne saurais tant écrire qu'il faudrait pour vous le raconter. Quand Notre Seigneur me donnera le cher bien de vous voir, je vous le dirai. Pour conclusion elles embrassent toutes, avec des transports de joie, notre Institut et s'engagent par voeu comme nous à l'adoration perpétuelle ; mais d'une manière que l'on voit manifestement que c'est une opération de pure grâce. Je vous prie d'en bien remercier Notre Seigneur, ce sont des coups de sa main toute puissante. Si j'avais liberté de vous écrire sûrement et fidèlement, je vous enverrais quelques-unes de leurs lettres, mais je crains, parce que je ne veux point faire d'éclat. Il suffit que Dieu fasse son ouvrage et qu'il se glorifie. Il en soit éternellement béni !
11 est bien à propos que le nombre des adorateurs s'accroisse, puisque le nombre des profanateurs augmente tous les jours par des excès si infernaux qu'on ne saurait les raconter. Les serviteurs de Dieu sont tous dans les sentiments qu'il arrivera quelque chose d'extraordinaire de la justice de Dieu, parce que les outrages que l'on fait à Nôtre Seigneur dans le Très Saint Sacrement sont trop exécrables. Oh ! que je vous dirais de choses touchantes si j'avais la chère consolation de vous parler ! J'apprends souvent d'étranges choses et les bons prélats m'en viennent raconter de surprenantes. Oh ! que de malheur partout ! Jusque
(2) Ex 16.3.
dans le lieu saint les impiétés sont épouvantables, et le sortilège vient au comble. Ne parlez point de ceci, mais gémissez devant Dieu et tâchez d'apaiser sa juste colère. Oh ! si j'étais sensible pour Dieu, je mourrais mille fois le jour, si j'avais autant de vies. Je ne sais si c'est ce que j'entends qui fait sans y penser quelque effet dans mon coeur, mais je sens une négligence pour toutes choses, fort grande. Il me semble toujours que nous serons surprises et qu'il nous arrivera comme aux Hébreux. Tandis qu'ils se réjouissaient et faisaient bonne chère, la main vengeresse de Dieu les massacra.
Heureuses les âmes qui se tiennent prêtes par une sainte solitude intérieure, un dégagement des créatures, un abandon de soi-même à Dieu et une confiance amoureuse à la très sainte Vierge ! Voilà ce qu'il faut, ce me semble ; demandez-le pour moi. Je vous dis à Dieu en vous réitérant les protestations de ma sincérité, et que je suis en Jésus et sa très sainte Mère, pour le temps et l'éternité, toute vôtre.
Il faut encore vous dire que Dieu bénit la petite Maison de Toul, qui édifie et embaume tout le pays. Tout le monde en est ravi et les aime chèrement.
no 2157 N254
A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [ CHARBONNIER 1
Janvier 1666
Ma très chère fille,
Jésus soit votre vie et la consommation de vos années !
e petit mot, en attendant un plus ample, est pour vous assurer
que je suis à vous en son amour, et que je vous porte dans mon coeur très intimement et cordialement, et sens bien que notre union est inviolable. Je le bénis et remercie de toutes les grâces que vous recevez de sa bonté et que vous reçûtes le jour de l'Immaculée Conception de sa très Sainte Mère.
Il me semble que j'ai beaucoup de choses à vous dire, mais en attendant, prenez courage et mourez toujours doucement et fidèlement à vous- même. La plus grande consolation que je puisse avoir en ce monde est de vous savoir bien à Dieu, et que vous êtes entre ses mains comme une cire molle, pour être formée selon ses très aimables volontés. Conservez votre paix intérieure par dessus toutes choses ; ne vous attachez à rien, ne désirez rien et ne craignez rien, voilà le moyen de posséder un paradis en terre. Soyez cependant ponctuelle à vos obligations, et fort indifférente à tous les emplois et commandements de l'obéissance. Si vous observez ce que je vous dis, rien ne vous pourra
258 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 259
nuire. Soyez égale en tout, portez votre trésor en vous même, que rien de créé ne vous pourra ôter, si vous êtes fidèle. Il importe peu à quoi
l'on nous emploie si nous conservons l'attention amoureuse à notre divin objet qui est toujours au centre de notre coeur. Prenez tout ce qui vous est ordonné de sa part, et ne regardez jamais les créatures en vos Supérieures et en vos Soeurs. Accoutumez-vous à faire toutes vos actions en esprit de foi , et, vous élevant au dessus de l'humain, en regardant la volonté de Dieu en toutes choses, ne prenez. rien de la
part des créatures, soit bien, soit mal. Accoutumez-vous à voir en toutes rencontres Dieu et son bon plaisir. J'ai un si grand désir de vous voir
bien sainte que je voudrais être toujours auprès de vous, pour vous
redresser et vous animer à être toute à Jésus Christ, comme une pure victime de son amour. Je vous donne encore avis de ne vous point
soucier des goûts et consolations intérieures ; ne vous attachez à rien,
mais soyez comme une statue entre les mains du sculpteur, qui souffre d'être taillée à son gré. Dieu est le divin ouvrier qui travaille en vous
et qui vous doit rendre conforme à son Fils. C'est pourquoi laissez-vous dépouiller au dedans et au dehors, ne retenant rien qu'un simple et amoureux abandon au bon plaisir de Dieu, et quand vous ne l'aurez point sensible ni amoureux, vous l'aurez crucifiant et douloureux. Il est bon et plus sanctifiant que l'autre.
Il faut vous dire, chère enfant, que, selon l'apparence des affaires que la Providence me donne, j'aurai la consolation de vous voir vers
Pâques (I). Les choses se disposent pour m'obliger à faire un voyage ; priez Notre Seigneur qu'il le bénisse et que ce soit uniquement pour sa gloire. Si cela est, nous nous entendrions à coeur ouvert, et vous verrez que je suis en J ésus et sa très sainte Mère toute vôtre.
Je vous recommande l'amour et la tendresse vers la très Sainte Vierge, notre divine Mère et princesse et la souveraine de notre Institut. J'écrirai à nos chères Soeurs N.N.N. petit à petit, selon le temps que je pourrai dérober aux affaires. En attendant, saluez-les, je vous supplie, de ma part, et tout le cher Noviciat que j'aime avec tendresse. Je me souhaite souvent au milieu de vous toutes, pour un peu nous divertir en parlant de celui qui nous doit être uniquement toutes choses. Oh ! qu'il fait bon être toute à Lui et ne vivre que pour Lui ! Je porte envie à la paix et au repos que vous possédez toutes, tandis que je suis abîmée dans le tracas de mille affaires. Ne m'oubliez pas toutes dans vos saintes prières, et notre Congrégation.
no 145 P I 04bis
(I) Mère Mectilde projetait de se rendre à Rambervillers pour y recevoir l'agrégation du monastère (son «cher monastère de profession») à l'Institut, cf. C. de Bar, Documents, p. 227 et suiv, - 305 - 309.
A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I GROMAIRE I
Prieure à Toul
5 janvier 1666
Ma très chère Mère,
e vous dirai en passant que votre défiance est un peu trop extrê-
me et que vous ne donnez pas assez aux bontés de Notre Seigneur Jésus Christ. Vous savez qu'il n'est point venu pour les justes mais pour les pécheurs, et que le plus grand affront qu'on lui peut faire c'est de ne point se confier à sa bonté, qui est intime pour les pécheurs, et les plus misérables. Je vous conjure de ne point envisager vos misères et faiblesses passées que dans les plaies de Notre Seigneur Jésus Christ, c'est l'asile de tous les pécheurs ; et c'est offenser Dieu de ne le pas croire miséricordieux pour vous.
Vous regardez trop en vous-même, et ce fond de tristesse procède d'un fond de douleur secrète qui vous fait presque toujours voir et sentir votre misère et y être réfléchie. Et comme vous ne la perdez quasi jamais de vue, votre coeur en est comme submergé et confirmé dans un état douloureux qui vous résigne à Dieu, niais d'une résignation qui regarde une perte plutôt que votre salut ; et ces sortes de dispositions ôtent la joie du coeur et ne lui permettent pas de s'élever vers Dieu avec dilatation. Je sais bien ce que c'est d'un état pareil, mais il ne faut pas s'y enfoncer, d'autant que la tentation en est proche, et le démon, sous prétexte de nous humilier, nous jette dans l'abattement, la défiance, et nous approche du désespoir ; c'est ce qu'il prétend. Cet état est rigoureux à soutenir et, pour l'ordinaire, l'âme n'en veut sortir, ne croyant pas qu'il y ait de grâces ni miséricordes à espérer pour elle, donnant tout à la justice, disant qu'elle l'a mérité ; certainement cette disposition est rude. Je prie Notre Seigneur qu'il en délivre votre coeur, qu'il vous donne la grâce de l'aimer au-dessus de vousméme, sans envisager vos indignités ni ce que vous méritez pour vos péchés. Ayez un abandon plein de confiance, priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle vous l'obtienne. Ce n'est pas le dessein de Notre Seigneur que vous demeuriez là, et si vous ne trouvez en vous de quoi appuyer votre confiance, vous trouverez en son sang, en ses plaies et en sa mort tout ce qu'il faut pour sauver les plus criminels. Il se plaint souvent du peu de confiance que les pécheurs ont en ses mérites ; c'est pour eux qu'il a souffert la mort ; il le dit lui-même qu'il n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs.
Vous ne pouvez croire que Dieu ait des bontés et des miséricordes pour vous. Certes, ma très chère Mère, cela est trop fort et ne lui peut être agréable, parce que ce n'est pas son esprit qui produit cela. Je le prie qu'il vous ôte cette peine qui seule fait tout le poids de votre
260 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 261.
intérieur et qui vous empêche de goûter Dieu. Vous croyez que ce n'est pas à des âmes faites comme la vôtre qu'il fait ces miséricordes. Hélas !
à qui les fait-il tous les jours sinon aux pécheurs et aux plus impies, quand ils se tournent vers sa bonté ? Cette confiance ravit le coeur de Dieu et lui ôte les armes des mains. Et nous voyons en l'Evangile qu'il exauçait ceux qui le priaient de quelque chose selon leur confiance, leur disant : « Qu'il soit fait ainsi que tu croies » pour nous apprendre qu'il nous donne selon la confiance que nous avons en sa bonté, et c'est rétrécir sa sainte main que de s'en défier pour peu que ce soit. Il a châtié cette défiance en plusieurs rencontres dans l'Ancien Testament. Il ne la peut souffrir parce qu'elle empêche qu'il ne liquéfie nos coeurs en l'amour divin, et, nous le disons tous les jours, la confiance est une des plus fortes marques de l'amour. Quelle apparence de se défier de celui que l'on aime ?
Tâchez, ma très chère Mère, de relever votre coeur qui est capable de si bien et généreusement aimer. Fiez-vous à ma parole, vous ne serez point trompée. Je vois bien la conduite que Notre Seigneur tient sur vous; elle n'est pas à la perte de votre âme comme vous pensez, mais à la tirer de ses sens et de tout elle-même pour la perdre dans l'amour du bon plaisir de Dieu qui veut, ma très chère Mère, que votre âme soit sa victime, non en crainte éternelle mais en amour. Qui dit en amour, dit en confiance filiale. Vous ferez plaisir à Notre Seigneur d'agir de cette sorte ; il veut cela de vous, doucement et sans contrainte.
no 1704 N258
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION I DE BRÊME J
Prieure de Rambervillers
Le 6ème de l'an 1666
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma très Révérende et très chère Mère,
e pourrais bien dire aujourd'hui au sujet du contenu de_ votre chère
lettre que Jésus notre divin Sauveur s'est manifesté à vous dans le Sacré mystère de son amour au divin Sacrement de l'autel, comme il a fait autrefois aux saints Mages dans l'étable. Je pourrais bien aussi dire que c'est le jour que le Seigneur a choisi pour me donner une joie, la plus sensible que j'ai ressentie depuis l'établissement de notre saint Institut. Ce qui me la cause, ma très honorée et très chère Mère, c'est de voir la bonté d'un Dieu qui fait choix de votre personne et de votre sainte Communauté pour en faire des victimes d'amour à son Fils bien aimé Jésus Christ Notre Seigneur, immolé sur nos autels. Il me semble que c'est une haute grâce qu'il faut aux âmes qu'il approprie à ce précieux mystère, et j'ai d'autant plus de consolation des dispositions que vous me témoignez porter dans votre coeur pour embrasser l'adoration perpétuelle de cette auguste majesté humiliée, que c'est un pur effet de sa grâce. Dieu en soit à jamais béni ! Quand il lui plaît, nul ne peut lui résister. J'espère de sa grande miséricorde qu'il achèvera son oeuvre et qu'il se fera glorifier dans ce temps misérable où le crime est dans le dernier excès, notamment le sortilège et l'impureté, et ces deux monstres infernaux attaquent le Très Saint Sacrement d'une façon la plus exécra-
ble qui se puisse jamais imaginer. •
La rage des démons contre ce divin mystère est à tel point qu'on ne peut en inventer de plus horrible. C'est la félicité de ces impies de faire dérober les saintes hosties et d'en faire ce qui ne se peut dire sans mourir d'horreur. Et, bien que sa gloire essentielle soit en lui-même sans aucune diminution, nonobstant la grandeur de nos crimes, il ne faut pas laisser de gémir et de s'efforcer de lui rendre ce que ces malheureux lui ôtent. Toutes les créatures se doivent anéantir en sa présence, et consommer leur être, par hommage à son être infini et à toutes ses perfections divines. Si nous devons cette mort et anéantissement de nous-même à sa grandeur parce qu'il nous a créés, que ne lui devons-nous pas en la vue de ses adorables mystères, où l'amour le sacrifie et l'abandonne en quelque manière au pouvoir des pécheurs, pour en faire ce que la malice peut inventer ? Une âme .qui aime un peu Jésus Christ Notre Seigneur le verra-t-elle dans ces impitoyables et effroyables traitements sans en être touchée ? Oh ! certainement ! Il ne se peut qu'elle n'en soit navrée de douleur, plus ou moins selon le degré de son amour. Et c'est cet amour et tendresse pour les intérêts de Jésus Christ et pour le salut des pécheurs qui a pénétré vivement votre coeur. Ce divin amour y a fait une brèche mortelle qui ne guérira que par l'augmentation de ses traits. C'est le bonheur d'une âme chrétienne de s'immoler à son Dieu et d'entrer en conformité d'état avec Jésus Christ. S'il est caché et anéanti dans l'hostie, elle s'y renferme avec lui, mais s'il est déshonoré dans ce mystère d'amour, elle s'efforce de lui rendre hommage en réparant pour les pécheurs, et d'obtenir par ses larmes et sa pénitence leur conversion, sachant bien qu'elle ne peut donner plus de plaisir à son Seigneur, que de procurer le salut de ceux pour qui il a voulu mourir.
De sorte que notre petit Institut renferme ces deux obligations : la première, de rendre à Notre Seigneur toute la gloire et hommage qui nous est possible selon la faiblesse humaine ; et la seconde, de sauver les pécheurs, en priant et souffrant pour eux.
Je vous demande mille humbles pardons, ma toute chère Mère, des saillies de mon coeur en vous écrivant la présente que je devais réduire en deux mots. Si j'avais l'honneur et la douce consolation de vous pou-
262 CATHERINE DE BA-R O LETTRES INÉDITES 263
voir entretenir, je vous dirais ce que je ne puis exprimer. 11 en faut attendre le moment de la toute aimable Providence, espérant qu'elle achèvera ce qu'elle a commencé. C'est un miracle en vous ; enfin c'est un coup de la puissance d'un Dieu, c'est son ouvrage ; il le perfectionnera comme il lui plaira. L'expérience m'apprend que je n'ai qu'à mourir à moi-mime et à tous désirs et activités ; et Dieu fait ce qu'il veut faire lorsque je ne fais rien que de me tenir au néant. Priez-le, ma très chère Mère, qu'il détruise en moi tout ce qui s'oppose à ses desseins. C'est encore un des sujets de ma joie de vous envisager comme mes très dignes réparatrices. J'en rends grâce à Notre Seigneur ; il sait et connaît l'excès de mes crimes et qu'il m'est impossible de réparer sa gloire que j'ai outragée et profanée une infinité de fois. Je vous supplie et conjure, ma toute chère Mère, de gémir pour moi et de demander à Dieu qu'il ait soin de ses intérêts par toute la terre où il est offensé, mais particulièrement en moi.
Je ne vous dis rien de plus pour cette fois, ne pouvant aujourd'hui écrire davantage, à cause de la solennité. Nous ferons notre possible pour donner à toute la Communauté les satisfactions qu'elle désire, et ferai ma diligence pour vous aller rendre mes devoirs (1), et renouveler la joie de nos coeurs par une union parfaite en la charité de Jésus Christ, qui nous fait en lui une même chose avec lui dans la qualité de ses victimes. Je le prie qu'il nous consomme toutes en son amour. Je suis en lui avec tous les respects et cordialité possibles, ma très Révérende et ma toute chère Mère, votre très humble et très obéissante fille et très obligée servante.
no 1290
(1) Dans une lettre à la Communauté de Rambervillers, écrite à la même date et exprimant des pensées similaires, Mère Mectilde ajoute : «Je suis dans la volonté de vous aller rendre les témoignages de ma sincérité et je ferai toutes mes diligences pour vous porter nos Constitutions et nos Bulles que j'attends
de jour en jour. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de vous donner des marques de mon affection et que tout sera plus facile que vous ne croyez pour l'exécution». Lettre no 613.
A LA SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER ,
27 février 1666
Très chère enfant,
amais je n'ai. douté de votre vocation et en doute moins que jamais ;
la suite vous en fera connaître et goûter la sainteté. Ne vous étonnez pas de vos indispositions ; je ne crois pas qu'elles aillent jusqu'à vous exclure de la sainte profession. Prenez courage, je vous assure que je suis plus à vous que jamais. Je serais bien fâchée que votre sacrifice ne fût point consommé en hommage au Très Saint Sacrement comme sa victime. Si la main de Dieu a voulu crucifier et purifier votre esprit par les peines, il faut encore que vos sens et votre pauvre corps le soient aussi par les douleurs, que vous soyez toute renouvelée en Jésus Christ, enfin que vous entriez en nouveauté de vie avec lui. Tenez ferme, ne désistez point, c'est pour un Dieu d'un mérite infini, et c'est à lui à qui vous vous immolez par hommage et par rapport à ce qu'il s'est immolé et sacrifié sur la croix et sur l'autel pour vous. Il faut que son amour triomphe de vous, que vous soyez la proie et qu'il vous dévore et consomme en lui, par lui et pour lui. A Dieu jusqu'à l'entrevue où nous dirons à coeur ouvert ce que le temps ne nous donne pas la commodité de vous écrire. Soyez certaine que vous êtes toujours dans mon cœur en la présence de Jésus Christ, et que je suis en lui pour toujours toute à vous.
.J'ai bien à VOLIS dire sur toutes les dispositions crucifiantes et pénibles que vous avez portées. C'est une marque infaillible de la pureté et sainteté où il vous veut faire entrer. Il y a des âmes où il faut bien plus soutenir de morts et d'agonies que d'autres, parce qu'il y a plus de nature et plus de tendresse, et, en un mot, plus d'amour propre, et le vrai lieu où cette malignité se détruit sont les souffrances. les tentations, les pauvretés, les délaissements, les rebuts de Dieu et des créatures. Mais quand Dieu a fait son ouvrage par cette voie d'humiliation et que l'âme demeure fidèlement immobile entre les divines mains, par un saint abandon de tout soi-meme à la divine volonté, sans retour sur ses propres intérêts, niais se perdant pour elle-même en toutes manières pour n'être plus rien qu'une simple disposition d'agrément ou d'adhérence à tout ce que Dieu veut, sans aucun choix, pour lors, Dieu ayant ainsi purifié, vidé et consommé tout ce qui lui est contraire, il se produit lui-méme au fond de l'intérieur, et cette âme dit avec l'épouse au Cantique : « Jam hiems transiit » (I). Mais très chère enfant, il y a beaucoup à soutenir en cet état. C'est pourquoi relevez votre courage et vous estimez heureuse qu'un Dieu s'applique à vous et vous met dans le creuset des tentations. Il ne veut point que vous demeuriez en vousméme et à vous-méme par le tendre et délicat du sens, mais il veut que vous marchiez à urands pas dans l'abnégation de vous-même et dans la pure foi. Priez Dieu pour moi.
(2) Votre cœur est-il moins ardent et moins affectionné à sa vocation que du passé ? Je vous conjure de ne point désister, et de croire que c'est votre bonheur ; vous le connaîtrez dans quelque temps ; ayez patience ; vous verrez un jour que la Religion est sainte et qu'elle fait des saintes quand on veut vivre selon les Règles et les Constitutions. C'est où on donne tout sans réserve et où on sacrifie incessamment. C'est où on donne à Dieu tout ce qu'on lui peut donner, vie pour vie et mort pour mort. Enfin c'est l'école de Jésus Christ où on apprend
(1) Cant. 2.11.
(2) Le ms N256 s'arrête ici. Ce dernier paragraphe ne se trouve qu'au N267.
264 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 265
à vivre de sa vie. Je vous prie de prendre courage et de n'avoir aucun regret de vous être faite une victime de Jésus Christ ; vous ne faites en cela que vous conformer en ses états, et faire pour lui ce qu'il a fait pour vous. Soyez saintement généreuse, vous assurant que Dieu comble de grâce votre âme, car il faut étre uniquement toute à Dieu. C'est ce que je vous souhaite comme pour moi même puisque vous êtes toujours dans mon coeur où je vous immole à Jésus, ne faisant de vous et de moi qu'une victime, que je prie Dieu vouloir consommer du feu divin de son saint amour.
no 1023 N256 et N267
cachées en Dieu. Je suis en lui pour le temps et pour l'éternité toute à vous sans jamais changer. A Dieu.
Je salue très cordialement toute la chère Communauté. Je me réjouis de la revoir et me recommande aux saintes prières de toutes.
no 2320 N256
À LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT 1LOYSEAUI
Rambervillers, 21 avril 1666
Chère enfant
A LA MÊME
3 avril 1666
ous avons reçu, très chère enfant, celle que vous avez pris la peine
de nous écrire. Tout ce qui me vient de votre part n'est très cher, et vous ne devez nullement douter qu'il y ait en moi pour vous le moindre changement. Celui qui vous a donnée pour lui à nous, et qui de meure nous donne à vous, étant sans aucun changement, notre union doit être de même, puisqu'il en est le principe. Je le loue et le bénis incessamment de toutes les grâces que vous recevez de sa miséricorde. Je lui en demande la continuation, et qu'il vous donne la pensée de le prier-de tout votre cœur pour l'accomplissement de ses divines volontés en l'oeuvre que son aimable providence nous met entre les mains. Selon ce qui me paraît, il veut établir sa gloire. Toutes choses s'y disposent doucement. Nous ne voyons que soumission et respect. Pour moi, je n'y veux chercher que la gloire de mon divin Maître ; tout lé reste je l'anéantis de tout mon coeur. Il faut tâcher, chère enfant, que rien ne demeure en nous que le désir de lui plaire ; le reste n'est qu'un pur néant. Et pourvu que Dieu soit, il suffit. Priez-le donc qu'il règne en moi et en toutes les créatures. Je vous puis dire, chère enfant, avec la même confiance, que je ne sais plus rien, ni ne peux plus rien vouloir tant je suis abjecte. A peine sais-je où je suis ni ce que je suis ; je suis ici sans y être; priez Dieu qu'il y soit uniquement et que tout cesse d'être, afin qu'il soit lui seul.
Pour ce qui regarde votre état, mourez sans cesse, et avec le moins de réflexion que vous pourrez. Voyez-vous toujours dans le néant, laissez passer toutes choses comme si elles n'étaient pas, DIEU EST ! il suffit. Laissez-le donc être ce qu'il est, et soyez ce qui n'est point. Si vous savez comprendre ce que je vous dis, vous vivrez contente ; si vous le mettez en pratique, rien ne pourra troubler votre paix. Vous vivrez en terre sans toucher à la terre, votre vie et votre opération seront
Nous travaillons ici efficacement à la gloire de notre auguste Mystère, et je vous puis dire que si j'étais sensible aux intérêts de Dieu, j'aurais de la joie de voir toutes les saintes dispositions où j'ai trouvé toutes nos Mères et Soeurs qui embrassent notre saint Institut avec zèle et amour. Je sais que vous y prenez part et que toute la communauté se réjouira quand elle apprendra que Notre Seigneur est honoré au Très Saint Sacrement de l'autel par des âmes très saintes.
no 2380 Ms : P101
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION IDE BRÊMEI
à Toul, le 18ème mai 1666
Ma Révérende et ma très chère Mère,
Jésus anéanti dans le mystère de son divin amour soit votre consommation
Nous avons reçu avec joie celle qu'il vous a plu nous écrire par laquelle nous apprenons que votre santé est un peu meilleure. Nous en remerçions Dieu de bon coeur, le priant vous continuer ses grâces et vous conserver pour sa gloire.
Voici nos deux très chères Soeurs, les Mères de Saint Michel [Bellet] et d'Arconas (1), que nous renvoyons à Nancy pour expédier leurs affaires. Elles nous ont demandé obéissance, crainte d'en avoir besoin dans quelque rencontre; nous la leur avons donnée pour leur satisfaction, puisqu'elles n'en avaient point de votre part, ni de M. d'Etival. Nous avons cru, ma très chère Mère, que votre bonté aurait agréable que nous les ayons amenées avec nous dans notre monastère de Toul, pour leur
(1) Le 17 mai, Mère Mectilde avait écrit à ces deux religieuses. Seul Mgr Hervin a eu connaissance de cette lettre etla signale au registre t 3, p. 727. (A rch. du monastère de Tourcoing).
266 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 267
donner un peu de connaissance de cette communauté et faire une plus étroite liaison entre les esprits, désirant ardemment que toutes ne soient qu'un coeur en Jésus Christ.
La Mère de Saint Michel vous dira comme elle trouve cette petite maison et la manière de conduite qui y est observée; elle en a tiré des mémoires pour s'en servir dans le besoin. Nous croyons qu'elle et sa
bonne compagne n'auront rien perdu en ce petit voyage. Toutes nos mères et soeurs d'ici les aiment beaucoup et toute la communauté de Rambervillers, ayant une singulière joie de leur sainte union. Pour mon particulier, je loue Dieu de tout ce qu'il fait pour sa gloire, et de ce qu'en tout et partout je ne suis qu'un pauvre néant qui n'est capable d'aucune chose. C'est JESUS CHRIST MON SAUVEUR qui fait tout sans que j'aie aucune part.
Plus je vais en avant et plus je ressens cette vérité qui m'est précieuse, et qui fait que je suis comme si je n'avais point fait ce qui s'est passé en votre monastère. J'ai tâché de m'y tenir comme il me semblait que je devais être, pour n'y être rien et que Dieu et sa très Sainte Mère y fussent tout. Et jamais, ce me semble, je n'y ai été de la sorte, car je ne pourrais quasi dire que j'ai fait ce voyage. Notre Seigneur en soit béni éternellement, espérant qu'il y sera d'autant plus que j'y suis moins, et que j'ai tâché de ne point trouver de place, ou du moins de n'en point prendre, dans la chère' communauté que j'honore et chéris très précieusement, et à laquelle je souhaite la plénitude que Jésus Christ immolé a destinée pour notre saint Institut. Je le prie faire en chacune de ses nouvelles victimes une blessure de son pur amour. Qu'il leur donne une sainte impression de ses sacrés états de sacrifice, de mort et d'anéantissement, et qu'il les rende dignes de mourir pour sa gloire, intérieurement et extérieurement, par une parfaite mortification et séparation de tout ce qui est contraire à la sainteté de son esprit ! En un mot, qu'elles soient toutes ses véritables victimes, expirant avec lui et pour lui sur la croix. C'est, ma très chère Mère, le plus ardent désir de votre coeur, pour vous et pour les âmes qu'il a confiées à votre conduite. Et je peux dire que les humiliations, les souffrances et les agonies de Jésus doivent être la nourriture des Filles du Saint Sacrement. C'est leur joie et leur félicité d'y avoir rapport, et comme vous êtes, ma très chère Mère, par la grâce de Notre Seigneur, toute remplie de ces saintes dispositions, nous vous supplions de nous les inspirer et à toutes vos chères filles, priant pour nous qui en avons un extrême besoin et pour notre maison de Paris.
Pour ce que vous nous mandez, ma toute chère Mère, au sujet de la
bonne Mère de Saint Joseph [ de Laval-Montigny], je serais bien aise qu'elle vous rendît ses services, en reconnaissance des bontés que
Notre Seigneur vous a données pour elle. Mais la crainte qu'elle ne retombe malade, l'étant assez souvent, et qu'elle ne vous soit plus à charge qu'elle même ne voudrait, de plus la commodité étant avanta-
geuse pour la ramener à Paris, nous croyons, ma très chère Mère, que vous ferez bien de la laisser revenir avec Mad...
nn 2318
A LA MERE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER
après le 15 mai 1666(1)
Jésus soit la vie et l'amour de sa bien-aimée victime que je puis nommer à présent l'enfant de douleur !
ne vous étonnez, N..., de voir à présent les remerciements de vos dispositions passées, de ressentir des assauts et d'être saisie de crainte et de frayeurs. Sainte Térèse souffrit quelque chose de pareil lorsqu'elle se consacra à Dieu dans la sainte Religion. Quand Dieu veut faire un ouvrage digne de sa grandeur•, il fait des préparations qui sont inconnues à l'esprit humain. Le dessein qu'il a sur vous est de vous faire entrer en conformité d'état avec son Fils, c'est de vous tirer hors de vous-même et de vos propres usages pour vous faire entrer en Jésus Christ. En un mot, le dessein de Dieu sur vous est digne de lui-meme et, sans le connaître ni l'examiner plus particulièrement, e vous conseille de vous abandonner, vous jetant à l'aveugle entre les bras de son aimable bonté, qui vous reçoit et vous renferme dans le Coeur de Jésus, votre unique époux et le tout de votre âme. C'est en ce rencontre que le démon et la nature s'arment contre vous et s'efforcent de vous troubler. Le monde, la chair et le sang n'ont pu empêcher votre sacrifice ; l'enfer remue ses puissances pour jeter l'épouvante dans votre esprit et vous faire entrer dans une perplexité et appréhension très grandes de ne pouvoir réussir dans votre sainte entreprise. Quelquefois vous vous accuserez volontiers de témérité d'avoir osé entreprendre une profession si sublime à laquelle il vous est comme impossible de parvenir. Mille pensées de découragement ou de défiance voudraient se jeter sur vous- pour vous terrasser, mais Dieu tout bon et tout amour pour vous ne permet pas que vous soyez submergée de tant d'orages et de tempêtes qui s'élèvent contre votre sainte résolution. Relevez votre courage et soyez certaine que la main de Dieu vous soutient et qu'il est avec vous. C'est lui qui affermit le fond de votre coeur et qui le rassure dans ses craintes ; c'est lui qui vous défend secrètement des impressions malignes des dénions qui ne peuvent souffrir une retraite si sainte. Ne vous surprenez point des combats que ces malheureux
( I) Mère Marie de Saint François de Paule a fait profession le 15 mai 1666 entre les mains de Mère Mectilde. qui s'était arrêtée à Toul après avoir agrégé le monastère de Rambervillers. avant de rentrer à Paris.
268 CATHERINE DIHAR
esprits vous livrent ; il faut combattre pour vaincre, pour être couronnée. Souvenez-vous que vous êtes entrée en Religion pour Dieu seul, pour vous donner en proie à son amour et pour devenir une victime de sa douce complaisance, sans chercher d'autres intérêts dans votre sacrifice que la seule et unique consolation de lui plaire et de faire en cela sa divine volonté. Soyez certaine que vous avez eu cette intention, et je puis vous en assurer. Pourquoi donc à présent vous réfléchir sur l'état que vous portez ? Il ne faut qu'un sincère abandon de vous-même, disant à Jésus de tout votre coeur : «Mon bon. Seigneur Jésus, je suis venue pour vous seul, et je veux demeurer pour vous seul, en souffrant et en mourant comme il vous plaira ; je suis votre hostie et la victime de votre amour, immolée à votre gloire : il ne m'importe de quelle manière vous consumiez mon sacrifice ; pourvu qu'il vous plaise, il me suffit ».
Tenez-vous ferme en disant ceci et vous laissez comme un petit enfant entre les bras de son père. Vous êtes bien mieux que vous ne pensez. Suivez Jésus dans ses captivités, suivez-le dans ses privations, suivez-le dans le délaissement au milieu des déserts, environné de dénions qui s'efforcent de le tenter. Vous n'êtes plus mademoiselle N..., vous êtes devenue une pauvre. petite amante qui court après son bien-aimé Jésus et son divin Sauveur ; mais sachez qu'il le faut suivre non en un lieu de douceur et de délice comme le Thabor mais sur le calvaire. C'est pour cela que vous vous renfermez dans le cloître et que vous ne voulez plus converser parmi les créatures. C'est pour cela que vous entrez dans la maison du Seigneur et que vous embrassez la pénitence, et pour cela que Dieu permet tant de peines et de souffrances. Il est aisé de dire je veux être victime du Très Saint Sacrement, mais très rigoureux de soutenir les destructions que la grâce opère en nous pour nous faire porter dignement cette précieuse qualité. Jésus est la victime pure, et vous, vous devez être la victime de Jésus. Je le prie qu'il vous revête de son esprit ; c'est ce que je 'vous puis dire présentement*. Dites tous les jours devant l'image de la très sainte Vierge le verset « Monstra te esse Matrem », etc... Soyez assurée qu'elle aura soin de votre conduite et que tout ira en bénédiction et à la gloire de son Fils.
no 1541 0405
* I N267 4joutel : Soyez sincère. découvrez votre peine. ne cachez rien sous prétexte de vouloir souffrir sans vous plaindre et sans consolations : soyez petite comme un enfant. sans retour et toute pleine d'une sainte confiance en la bonté de Notre Seigneur.
LETTRES INÉDITES 269
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
2 juin, veille de l'Ascension sur la minuit, 1666 Mes chères enfants en Jésus,
ri ans la pensée que Monsieur de Saint Jean (I) s'en retourne demain,
je vous fais ce petit mot pour vous réitérer les sincères cordialités de mon coeur, vous protestant qu'il est demeuré au milieu de vous toutes, ou pour mieux dire dans les sacrées plaies de mon adorable Jésus, avec vous. C'est dans ce centre uniquement aimable où il faut faire notre chère solitude, et n'en jamais sortir que par l'ordre de la sagesse divine, quand il lui plaît de nous en faire sortir par les oeuvres qu'elle nous commande d'accomplir. Mon Dieu, mes toutes chères et les plus chères de mon coeur, que j'ai de tendresse pour vous toutes, et que j'ai d'ardeur pour votre sanctification ! Depuis dimanche à la récréation, j'ai une abondance de pensées à vous dire et de précieuses vérités à vous exprimer, mais je les renvoie d'où elles sortent, afin que Jésus vous les imprime lui:méme dans l'intime de vos coeurs, puisque je ne puis plus vous rien dire, et que la distance des lieux nous prive de la douce consolation de vous entretenir sur ce mystère d'amour de Jésus élevé au trône de sa gloire. Priez-le, mes enfants, qu'il s'élève lui-même en nous et qu'il nous élève à lui, que nous puissions une bonne fois quitter les choses de la terre, je veux dire nous-mêmes et les créatures, pour adhérer tout à lui. Souvenez-vous qu'il a emmené la captivité captive (2). Cela vous regarde, mes toutes chères, vous êtes ses victimes, et par conséquent ses esclaves et les captives de son divin amour. 11 faut qu'il vous emmène avec lui, et que désormais on ne vous trouve plus sur la terre, « NON QUAE SUPER TERRAM », mais toutes cachées en Jésus dans le sein de son Père dans l'auguste Sacrement. C'est là où je vous chercherai toujours et ne veux jamais vous trouver ailleurs, et je vous conjure d'y demeurer et d'y vivre séparées quant à l'affection et sensibilité de tout le reste, afin que vous n'ayiez et ne possédiez rien hors de lui.
Pour ma santé qui vous tient en peine, je vous assure qu'elle est bonne contre toute espérance. La première journée [de notre retour] je me trouvais fort ébranlée dans la tête, mais cela se dissipa, et me porte fort bien selon moi. Mais notre pauvre Mère est toute tuée, et ne sais comment elle pourra gagner Paris. Elle a besoin de vos saintes prières pour sa conservation.
(1) Au XIe siècle, des trois basiliques primitives de Toul, consacrées l'une à la Vierge, l'autre .à Saint-Etienne, deux furent réunies en un seul édifice qui prit le nom de Saint-Etienne. La troisième devint une église paroissiale sous le nom de Saint-Jean-des-fonds et servait d'église baptismale aux basiliques. Elle conserva son existence particulière jusqu'à la Révolution qui la détruira. Cf. Dictionnaire des églises de France, t. Va, p. 186.
«(2) Captivam duxit captivitatem : antienne de la fête de l'Ascension.
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Je vous dis encore une fois bonsoir, mes très chères enfants, en attendant que la. divine Providence me renvoie pour vous dire un petit bonjour, jusqu'à celui de l'éternité où il n'y aura plus de nuit, plus d'éclipse, ni plus de séparation. Le jour et la nuit jouissante étant sans fin, nous serons au comble de tout bonheur, et serons pour lors efficacement UNE EN JESUS COMME JESUS EST UN AVEC SON PERE, C'EST DANS CETTE AIMABLE UNION OU NOUS ASPIRONS TOUTES, ET OU JE PRIE JESUS OPERER NOTRE CONSOMMATION. AMEN.
no 303 Cr C
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUT_
Veille de la Pentecôte, 12 juin 1666
Mes chères enfants,
%vous m'êtes si présentes devant Notre Seigneur, que je ne puis penser à lui sans vous trouver si proches de moi qu'il faut que je lui parle de vous, et que je le prie très souvent de se pencher vers vous et qu'il vous tire toutes à lui. Qu'il vous tire de tout vous-même, pour ne vivre qu'en lui et pour lui. Mon Dieu, mes enfants, que puis-je vous dire autre chose à cette grande fête du Dieu de l'amour ?
Que veut dire la fête du Saint Esprit, sinon la fête de son triomphe dans son Eglise et dans tous les coeurs des fidèles ? Il faut qu'il célèbre sa fête en vous. Cela veut dire qu'il faut qu'il triomphe de vous, qu'il y établisse son empire et sa souveraineté qu'il soit le Maître absolu de vos intérieurs, qu'il y opère selon son bon plaisir et que vous ayez une entière soumission à ses mouvements, à ses touches et inspirations. Je vous conjure toutes de lui faire amende honorable de tant de profanations et de tant d'outrages que je lui ai faits et surtout de le réduire si souvent en esclavage en moi, l'empêchant d'opérer ses dons et de jouir de ses droits. Priez-le qu'il nous renouvelle en sa grâce et que nous puissions commencer une nouvelle vie avec vous. Priez ce Dieu d'amour qu'il nous prépare à recevoir en nous le sacré mystère de l'amour et qu'il consomme en nous tout ce qui lui est contraire.
Le Saint Esprit a deux effets en lui-même : le premier, de lumière ; le second, de feu. Il éclaire l'âme et lui apprend, comme dit Notre Seigneur, toute vérité ; et il l'échauffe et lui donne de l'ardeur pour l'embraser et s'y conformer. Le propre du Saint Esprit, c'est de manifester Jésus, de nous faire aimer ses divines paroles et de les réduire en pratique. Mais qui sera celle d'entre vous toutes qui recevra le Saint Esprit ? Le prophète Isaïe dit que ce sera l'humble. Hélas ! mes chères enfants, si le Saint Esprit n'est donné qu'aux humbles, très peu le recevront. Il ne faut pourtant point se décourager ; les opérations du Saint Esprit se font sur toutes les âmes et même sur celles des pécheurs, sans lequel ils ne pourraient se convertir. Mais si vous me demandez chez qui le Saint Esprit fait sa demeure tranquille et paisible, et qui possède l'objet pleinement, je réponds avec le Prophète.que c'est dans le coeur humble et tout anéanti, d'autant que Dieu résiste au superbe et qu'il ne peut avoir de repos en lui. Il est de vérité qu'il jouit de sa paix étèrnelle en l'humble. La raison est que rien ne résiste à ce divin et adorable Esprit, parce qu'en l'humble tout est anéanti, cela veut dire : parfaitement assujeti. Soyons humbles, mes chères filles, puisque sans l'humilité nous ne pouvons conserver le Saint Esprit ; et à quoi sert-il de le recevoir si on ne le garde en soi ? Parce que, sans lui, nous sommes sans vie de grâce. A Dieu, voilà ce que je puis écrire dans le tracas où je suis ; soyez certaines que, quelque grand et continuel qu'il soit, il ne m'empêchera jamais le zèle que je dois avoir de vos perfections, ni la tendresse d'une vraie Mère, puisque Notre Seigneur le veut ainsi et qu'en lui je suis toute vôtre.
n° 3105 CrC
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE ICHARBONNIERI
23 juin 1666
*vous m'avez, très chère enfant, bien consolée de me donner de vos chères nouvelles. Je les attendais avec un grand désir d'apprendre l'état présent de votre âme. Je rends grâce à mon Dieu de toutes ses miséricordes sur elle et le prie de les continuer. Vous faites bien de l'en remercier sans cesse et de vous tenir dans le pur abandon de tout vous-même à sa très aimable volonté. Si la divine Providence vous a consolée et réjouie de notre voyage, elle m'a donné sujet de le bénir et adorer de ses bontés infinies sur vous et de ses grâces sur vous et sur toute la petite Communauté , au milieu de laquelle Notre Seigneur se complaît et fait son ouvrage par les contradictions qu'il permet arriver. Mais cela ne doit faire nulle impression. Cette petite maison est dans la main de Dieu et soutenue de sa toute puissance. L'enfer ne la pourra renverser, si toutes les âmes se rendent comme il faut à Jésus Christ et qu'elles vivent dans la sainteté et l'esprit de l'Institut.
Pour vous, chère enfant, marchez sans retourner en arrière ; ne vous laissez surprendre d'étonnement sur les choses humaines ; il les faut toutes laisser à la disposition de l'adorable Providence de Dieu, pour vous tenir cachée en lui, ne prenant part à rien, pour vous troubler et inquiéter. C'est dans la souffrance que la vertu triomphe ; la vertu
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n'est vertu que lorsqu'elle est dans la peine. Estimez-vous avoir de la douceur et de la patience si vous n'êtes point contrariée, ou de l'humilité si vous n'êtes point humiliée, ou de la soumission si on ne vous commande des choses contraires à la nature ? Je me réjouis de vous voir si bien déterminée d'être à Dieu quoi qu'il vous en coûte. Allez, allez, chère enfant, quand vous vous perdrez vous-même en cette sainte entreprise, vous trouverez Dieu parfaitement.
Je voudrais bien vous dire quelque chose sur ce précieux et divin mystère qui fait l'objet de notre amour et de nos actuelles adorations. J'aurais grande joie de vous en parler selon ma pauvreté, mais le temps est trop bref et je tâche de répondre succintement à la vôtre pour vous soulager au besoin. Ce Sacrement d'amour étant prêché assez souvent vous donne des lumières et intelligences pour vous y appliquer. Mais la plus importante disposition est un fond d'abaissement en la présence de Jésus humilié en ce divin mystère, et une entière démission de vous-même pour être capable de son opération. Apprenez, ma chère fille, par ce pain eucharistique, que vous devez vivre de Jésus et pour Jésus, c'est ,son dessein. Vous le voyez par ces divines paroles : « M ISIT ME V1VENS PATER » ; « Comme mon père m'a envoyé et que je vis pour mon Père, de même celui qui me mangera vivra pour moi, à cause de moi » (1). Voilà les paroles du saint Evangile qui nous marquent cette belle et auguste vérité de la vie que, par la Communion l'âme est vivante de la vie de Jésus et ne vit que pour Jésus. Il est fait en nous un principe de vie divine, c'est-à-dire qu'il est en nous une cause de vie et que nous ne devons plus vivre en nous, ni pour nous. Je prie ce divin Sauveur qu'il rende ses sacrées paroles efficaces en vous et en nous, et que nous ne vivions plus désormais que par Jésus et pour Jésus. O la belle vie qui ne serait animée que de cet adorable principe ! Mourons à nous afin que Jésus vive !
J'achève de répondre à quelques articles de votre chère lettre. Premièrement, pour ce qui regarde les pénitences : ne vous y attachez point trop, et après qu'on vous les a refusées, soyez aussi tranquille comme si l'on vous accordait votre demande. Concevez bien, ma très chère fille, que votre grande et principale affaire, c'est de mourir à tous désirs, tous choix et affections de quoi que ce soit, pour être libre intérieurement de prendre votre vol vers Dieu. N'ayez d'attache à rien. Soyez toujours dans la volonté de faire tout le bien qui serait à votre possible et par delà, mais soyez sans inquiétude, indifférente à toutes les conduites de l'obéissance, vous souvenant que tout ce que vous pouvez désirer de bon peut être infecté de votre amour propre et de quelque impétuosité de la nature intérieure, mais dans la mort, tout se purifie. Ne craignez point d'être sans souffrances ; vous n'y serez jamais, Dieu en fera naître des occasions au dedans et au dehors de vous-même. Fixez votre paix, votre repos et votre amour en Dieu seul, et non en quoi que ce soit de créé pour bon qu'il soit. La foi nue sera une vie et le chemin par lequel vous passerez en Dieu, mais, chère enfant, ce chemin est d'autant plus rigoureux qu'il est la mort de l'amour-propre. Les retours, les raisonnements, les • goûts, les satisfactions y agonisent. Il faut outrepasser tout cela et entendre les plaintes et les gémissements de notre intérieur, qui crie qu'il meurt de faim, qu'il ne peut soutenir une destruction si cruelle, sans se soucier de nous-même. Il faut se résoudre à tout perdre, si nous voulons tout gagner. Secondement pour ce qui regarde les demandes que l'on vous fait sur votre intérieur, répondez, chère enfant, selon la simplicité du coeur et fort ingénument, sans vous mettre en peine du succès, ni de ce que l'on pourra dire. Je veux que vous ne regardiez que Dieu et que, sans réflexion, vous conserviez en tout et partout une sainte liberté. Je trouve que la simplicité fait cela, je veux dire, que votre âme regarde sans se détourner de cette vue ; c'est une disposition qui produit d'excellents effets. Si j'avais autant de temps que d'affection et de zèle pour votre sanctification, je vous dirais beaucoup d'autres choses, mais il faut nous contenter du peu puisque la Providence me donne tant d'occupations.
J'écrirai à la Mère N. pour la prier de vous prêter quelques petites choses qu'elle a recueillies sur quelques Evangiles de l'année. Peut-être que cela vous pourra servir et aider à donner un peu d'intelligence pour les autres. J'aurais un singulier plaisir d'instruire votre âme ; ce sera toujours le plus souvent que je pourrai soyez-en très certaine. Vous savez ce que vous m'êtes, je ne vous le réitère point. C'est pour le temps et l'éternité ce que je vous ai dit devant le Très Saint Sacrement avant mon départ. Si je puis durant le saint octave, je vous écrirai. Embrassez ma chère Soeur des [ Anges du Vay] (2) pour moi et l'assurez de ma fidélité. Vous pouvez m'écrire quand vous voudrez.
A Dieu en Dieu, il soit à jamais béni ! Nous vous exhortons d'être bien gaie, libre et dégagée, n'étant point trop sérieuse avec vos Soeurs, de sorte que votre humeur trop retirée leur soit à charge. Faites paraître de la joie dans votre sainte captivité à Dieu, afin d'encourager les petits à l'amour de Notre Seigneur, imitant saint Paul qui se fait tout à tous pour les gagner tous. Agréez, chère enfant, ce petit mot d'avis de votre pauvre et indigne Mère.
no 3074 D43
(I) Jn. V1,57.
(2) Catherine du Vay (Mère Marie des Anges) prit l'habit en janvier 1661 et fit profession en septembre 1662 au monastère de la rue Cassette. Elle fait partie du groupe des fondatrices du monastère de Toul (cf. Journal de Toul). Mère Mectilde l'enverra aussi aider à la fondation du monastère de Rouen.
A LA M ÊME
Je fais ce que je puis pour vouloir ce que Dieu veut et pour agréer son amour qui, dans l'état où la Providence vous tient, fait des coups de sa puissance. Je crois qu'en vous renversant le corps par l'infirmité,
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il anéantira l'esprit par sa grâce et fera de vous une nouvelle créature en Jésus Christ. Je vous prie de lui donner un pouvoir absolu de vous dominer, mais par un simple acquiescement d'amour vous soumettant et abandonnant à son plaisir. C'est à présent qu'il faut être victime par état et expirer en Jésus. Rendez-lui à tout moment votre être intérieur, désirez de n'eh plus avoir l'usage. Commencez demain à la sainte communion à vous séparer doucement de vos propres pensées, sentiments, raisonnements, etc., et allons avec ces pauvres peuples de l'Evangile de dimanche dernier à la suite du Seigneur en nous oubliant nous-mêmes comme ces pauvres gens. Et cela obligera miséricordieusement et amoureusement sa bonté à pourvoir à nos besoins et il dira pour nous : «Misereor super turbam» (1), j'ai pitié de cette troupe qui me suit. Par un sacré oubli de ses intérêts, il nous rassasiera de lui-même, se faisant notre nourriture. Eprouvez les soins de son amour et croyez qu'il est infiniment bon et qu'il vous aime plus que sa propre vie.
no 974 C405
(1) Mc VIII, 2. Cet évangile de la multiplication des pains était lu le 6e dimanche après la Pentecôte. Pâques étant cette année là le 25 avril, la lettre a dû être écrite vers le 20 juillet.
À LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]
7 juillet 1666
Ma très Révérende et toute chère Mère,
Loué soit àjamais le Très Saint Sacrement de l'autel
lya longtemps que je désire vous rendre mes respects et répondre
à celle que vous me fîtes la grâce de m'écrire à ma sortie de Toul. Mais j'ai toujours tant d'occupations que les unes abîment les autres. Ce petit mot sera par avance pour vous rendre grâce de ce que vous avez fait pour la bonne Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny qui en a toutes les reconnaissances qu'elle doit et qui travaille de la bonne sorte à la perfection. Nous en sommes ici fort édifiées et j'eusse été bien aise que vous l'ayez retenue pour former le choeur et régler le chant, mais la chose se pourra faire une autre fois, ou dans le premier voyage que la divine Providence nous fera faire, si vous en avez besoin.
Je bénis Dieu de tout mon coeur, ma très chère Mère, de toutes les grâces qu'il donne à votre sainte Communauté. Je ne les puis assez admirer. Je crois que toutes sont persuadées, présentement, que notre saint Institut n'est pas si rigoureux, ni si opposé à notre sainte Règle, comme plusieurs le croyaient. Monsieur d'Etival me fait l'honneur de m'écrire comme toutes choses se pratiquent parfaitement, dont j'en ai conçu une joie singulière. Soyez, certaine, ma toute chère Mère, que l'Institut est saint et que, nonobstant que Notre Seigneur se soit servi d'une très grande pécheresse pour l'établir, il ne laisse pas de contenir-les grâces et bénédictions qu'il y a mises et que vous y trouverez pour toutes vos chères filles autant de sainteté qu'elles en voudront puiser dans la source qu'il renferme en soi. Avouez, ma toute chère Mère, que vous y trouvez plus de grâces que vous ne pensiez et plus de facilité qu'il ne vous en paraissait. Béni soit infiniment le bras de la divine toute puissance qui a fait ce coup de miracle en vous, et de vous avoir choisies pour être les dignes adoratrices et réparatrices de Jésus, mon bon Sauveur, humilié sous les espèces ! J'ai mandé à Monsieur d'Etival une histoire fort touchante qui excitera votre amour en esprit de réparation. voyant comme Notre Seigneur se laisse à la puissance des impies. Quand nous serions éternellement abîmées dans notre néant en sa sainte Présence, ce ne serait pas assez pour reconnaître ses bontés ineffables dans le Très Saint Sacrement et les excès où son amour infini l'expose. Si vous saviez tout ce que je sais, votre coeur, ma très chère Mère, en serait navré. Rien n'est si sensible que de voir l'ingratitude des créatures vers la bonté infinie de Jésus qui, pour tous ses bienfaits et le don qu'il nous fait de lui-même, est outragé si cruellement. Je ne m'étends pas, ne le pouvant pour cette fois. Soyez assurée, ma très honorée et plus chère Mère, que je suis à vous et à votre sainte Communauté toute de coeur en Jésus et pour Jésus, votre très indigne fille et servante.
no 635
A LA MÊME
11 août 1666
Ma très Révérende et très chère Mère,
Jésus humilié sous les espèces soit l'objet de notre amour et de nos éternelles adorations !
n e n'est pas pour moi un petit sacrifice de me voir si environnée 'I' d'affaires que même elles me privent de la plus douce consolation que je puisse avoir en ce monde, qui est de vous donner de nos nouvelles et d'en recevoir des vôtres. Ma vie se passe dans les embarras, tandis que la vôtre se consomme dans la chère solitude. Mon sort est bien différent du vôtre, ma toute chère Mère, quoique tous les deux soient dans la main de Dieu et que c'est lui qui les opère. Il se faut contenter de sa divine volonté puisqu'il n'y a rien de meilleur au Ciel ni en la terre, et qu'elle fait la joie et le bonheur des bienheureux. Il faut qu'elle fasse ici-bas le nôtre et que nous trouvions en elle notre paix, notre repos et notre sanctification. C'est cette aimable volonté que nous devons
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de lumière de cet ineffable amour. Vous, ma toute chère Mère, qui avez reçu la grâce d'en être pénétrée, vous entrerez sans peine dans la douleur de voir cet aimable Sauveur si indignement traité. Je ne sais si je vous ai mandé comme les profanations continuent en différentes manières et que dans l'octave du Très Saint Sacrement on avait dérobé le saint ciboire aux filles de l'Ave Maria à Paris (2). Je crôis vous avoir dit que j'avais fait confesser une ...
no 134
(2) Le monastère des Clarisses de Paris, placé sous le vocable de l'Ave Maria, fut fondé en 1484. Il était situé entre l'Hôtel de Ville et l'église Saint-Paul-Saint-Louis, rue de l'Ave Maria. (renseignement fourni par le monastère des Clarisses de Paris).
toujours envisager dans tous les événements de la vie, soit agréables ou fâcheux, et c'est dans la soumission qu'on lui doit où l'on trouve le calme dans les accidents les plus douloureux.
La pauvre Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny] (1) a porté cette suave disposition de paix et d'amour dans le fort du mal que Notre Seigneur lui a envoyé depuis sept ou huit jours, qui lui fit recevoir dimanche dernier l'extrême-onction avec une sérénité admirable, qui attendait la mort par un mal de coeur et de tête très violent. Elle nous paraît beaucoup mieux aujourd'hui, quoique les médecins ne la croient pas encore hors de hasard. Je ne pense pas que ce soit si tôt ; elle-même ne désire pas la mort corporelle, mais elle a un extreme désir de mourir. de la bonne sorte. toute à elle-méme. Son seul reuret, dans les agonies qu'elle a souffertes, était de paraître devant la majesté de Dieu toute vivante, disant qu'elle croyait que c'était la plus cruelle peine qu'une âme pouvait avoir à la mort de voir que Notre Seigneur n'était point vivant en elle. C'est bien son dessein de bien travailler à la ruine d'elle-même ; pour moi j'estime que c'est une urande urâce d'en avoir un véritable désir. Elle m'a priée de la recommander à vos saintes prières et de vous assurer qu'elle a toutes les reconnaissances possibles de la grâce que vous lui avez faite. Elle m'avait fort priée dans son extrêmité de vous remercier pour elle, et de vous demander pardon comme à sa chère et précieuse Supérieure et votre bénédiction. vous assurant qu'elle avait une singulière joie d'avoir l'honneur d'être votre fille et associée à la sainte Communauté de Rambervillers qu'elle estime comme des anges du Ciel. Je crois que notre chère Mère Sous-Prieure vous en écrit.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet, mais je vous dirai, ma toute chère Mère. que j'ai rendu grâce à mon Dieu de vous avoir liée et engagée par voeux, vous et vos saintes filles, à l'Institut du Saint Sacrement ; vous en êtes à présent. par une promesse irrévocable, les victimes. Je ne doute point qu'en prononçant vos voeux vous n'en ayez reçu les grâces. dont la première est la tendresse, amour et respect pour la personne adorable du Fils de Dieu dans cet auguste mystère. La seconde est une sainte ardeur pour sa gloire et pour ses intérêts, ne pouvant souffrir qu'il y soit déshonoré et profané par les pécheurs. d'autant qu'il se donne par amour et que son amour est payé d'ingratitude. d'outrage et d'impiété, ce qui navre un coeur qui aime et qui a un peu
(1) Soeur de Monseigneur de Laval. Elle fait partie du premier groupe de religieuses qui entourent Mère Mectilde, rue Férou. en 1653. Souvent et très gravement malade, elle fera un long séjour au monastère de Rambervillers. C'est à elle que sera confiée la tâche délicate de former. le monastère de Nancy à l'esprit de notre Institut. Elle en sera prieure jusqu'à sa mort, en 1685.
Monseigneur de Laval (1622 - 1708). Il fréquenta l'Ermitage de Jean de Bernières plusieurs années. 11 s'embarqua pour le Canada dont il fut le premier évêque. en avril 1659. Il se démit de sa charge en 1685. C'est une très grande figure du XVIle siècle missionnaire, cf. Souri-au. op. cit.. p. 306 et suiv.
/ Daniel-Rops, L'église des temps classiques, Fayard, 1958, t. 11, p. 106, 150. Pour l'oeuvre si remar-
quable des séminaires. Cf. Noël Baillargeon. Le séminaire de ,Ouébec sous l'épiscopat de Mgr de Laval, Québeç. les Presses de l'Université Laval. 1973.
A LA MÈRE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER'
16 octobre 1666
Chère enfant,
ILa divine Providence vous mortifie en me mortifiant et m'ôtant la commodité d'achever une lettre, pour répondre aux vôtres, qui est commencée il y a plus de deux mois. Il faut bénir Dieu dans les accablements où je suis, et vous, chère enfant, entrez avec moi dans ses conduites, et tant s'en faut que mon silence vous doive rebuter et faire douter de mon affection. Il doit vous lier à nous plus étroitement par des dispositions conformes d'abandon, de sacrifice et d'union au bon plaisir de notre bon Maître, qui nous privé des innocentes satisfactions que nous aurions si nous pouvions nous entretenir par lettres aussi souvent que je le voudrais ; mais, une fois pour toujours, croyez que je suis toute à vous, mais invariablement et inviolablement et d'un coeur inaltérable ; et vous savez ce que je vous dis à ma dernière sortie de votre sainte Maison. Soyez certaine que ce sera pour le temps et pour l'éternité et que, dans les sacrées plaies des pieds adorables de mon Sauveur au Très Saint Sacrement, nous y ferons vous et moi notre demeure. Ne laissez pas cependant de m'écrire quand vous pourrez. J'ai une joie sensible d'avoir de vos nouvelles et, au pis aller, je vous ferai une ample réponse un de ces jours que j'espère être en retraite. Soyons à Dieu, chère enfant, plus ardemment et fidèlement que jamais. Laissons le reste s'abîmer dans le néant. Prêtons-nous à tout ce que l'obéissance nous impose et dans nos obligations de religion. Mais que le coeur, je veux dire la volonté, surnage toujours au-dessus de toutes choses. pour ne s'attacher au créé ni ne s'engager à rien, afin qu'il soit libre de prendre son vol à tous moments vers son tout, dans l'intime de son être. Courage, chère enfant, aimons Jésus et sa très sainte Mère et que tout notre plaisir soit de nous immoler pour leur gloire et de nous consommer au pur amour.
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Je suis en lui toute vôtre et à ma chère soeur N. qui a part si intimement à notre liaison. J'ai peine de n'avoir encore répondu à sa lettre ; je la prie que cela ne la rebute point ; je le ferai amplement dans notre retraite avec la grâce de Notre Seigneur ; je l'embrasse avec vous très cordialement.
il" 1916 N256
AUX RELIGIEUSES DU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS
15ème décembre 1666
Loué et adoré soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Mes Révérendes et mes très honorées et chères Mères,
ous avons reçu celle qu'il vous a plus nous écrire par laquelle vous
nous faites entendre la disposition merveilleuse que le Saint Esprit opère dans vos coeurs. Je l'en bénis et l'en remercie comme d'une grâce très singulière qu'il vous fait, mes très chères Mères de vous tenir dans une sainte adhérence et humble soumission aux règles que ce divin Esprit a inspirées pour la bonne conduite de notre Congrégation. J'espère avec l'aide de sa grâce que vous n'y trouverez rien de choquant, et que toutes seront satisfaites des précautions que nous avons prises pour éviter les inconvénients autant qu'il nous est possible. Monsieur d'Etival en sera juge et témoin et vous assurera de la sincérité de nos intentions, quoique vous en soyez déjà persuadées et que vous ayez assez de bonté pour croire que je ne veux et ne cherche que le bien général et particulier de tout l'Institut. Je ne fais rien qu'avec les conseils des personnes éclairées et expérimentées en telles affaires. Il se doit encore faire une assemblée le 16 ou le 17 du mois prochain de douze ou quinze docteurs savants et gens de haute piété pour prendre leurs avis et leurs approbations. Les Révérends Pères Général. Définiteurs, Visiteurs de la congrégation de Saint-Maur et les Révérends Pères Prieurs de Saint-Germain et de Saint-Denis seront de l'Assemblée (1) et ont agrée qu'elle se fasse dans leur abbaye, témoignant un grand zèle pour cet ouvrage et affection de nous y servir. Je ne crois pas qu'avec l'examen
(1) Le chapitre général de la congrégation de Saint-Maur avait nommé en juin 1666 : supérieur général de 1660 à 1672, Dom Bernard Audebert ; visiteur de France , Dom Claude Boistard (1620 - 1709). (il sera supérieur général de 1687 à 1708) ; prieur de Saint-Germain-des-Prés, Dom Antoine l'Espinasse (1600 - 1676) ; prieur de Saint-Denys, Dom Vincent Marsolles (1616 - 1681) (il sera supérieur général de 1672 à 1681). Cf. Dom Martène Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, t. IV, Ligugé, 1930, p. 221 (Archives de la France Monastique, vol. 34).
La rédaction des Constitutions et des Statuts de Congrégation de l'Institut a'été commencée dès 1663. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 214.
de tous ces grands hommes, on puisse manquer. Ceux d'entre eux qui les ont vus (2) les admirent. J'espère que Notre Seigneur en tirera sa gloire et qu'il y donnera sa sainte bénédiction. Si, après que vous les aurez vus et considérés devant Dieu, vous y trouvez quelques difficultés, nous tâcherons avec sa grâce de les résoudre et de vous consoler, vous assurant, mes très chères Mères, que vous aurez le centuple en ce monde et une glorieuse récompense en l'autre d'avoir bien voulu vous sacrifier à l'amour, à la gloire et aux intérêts de l'auguste Sacrement de nos autels. Vous donnez vos veilles et vos assiduités à un Dieu qui ne se laisse pas vaincre ni surmonter en bienfaits. Pour un peu d'honneur que vous lui rendez en terre, vous en aurez une gloire éternelle et toute particulière dans le Ciel et des bénédictions infinies en ce monde.
On ne perd rien de s'efforcer de réparer la gloire d'un si bon Seigneur et, quoi qu'on soit indigne de la moindre réparation, il ne laisse pas de prendre un singulier plaisir de voir ses épouses animées d'ardeur et de zèle pour rétablir sa gloire. Vous êtes, mes très chères Mères, des réparatrices d'amour et vos réparations doivent être faites en amour, puisque vous êtes les suppléments des pécheurs et des impies qui sont sans amour. Oh ! que nous serions heureuses si nous pouvions nous fondre en la présence de ce divin Sauveur et que nos coeurs soient brisés et consommés de ces précieuses flammes ! Plût-il à Dieu nous rendre dignes de l'aimer, de ce pur et violent amour qui transforme les bienheureux en Jésus dans le Ciel ! Amour violent et amour tranquille et paisible tout ensemble, amour qui brûle sans consommer, amour qui triomphe de tout et qui rend Dieu maître absolu de nous-même. Ayez de la joie, mes très chères Mères, d'appartenir à un si bon Seigneur, à un Dieu que l'amour transporte du sein de son Père dans le tabernacle pour être l'objet de nos hommages, de nos adorations et de notre amour, et pour nous faire vivre de sa vie. Mon Dieu, mes très chères Mères, que ce divin Sauveur a peu d'adorateurs ! Presque tout le monde l'ignore, ou, s'il est connu, il n'est point aimé. Si vous saviez ce que nous apprenons tous les jours, vos coeurs s'abîmeraient, vos yeux seraient toujours remplis de larmes, vous gémiriez incessamment, mais un coeur dur comme le mien s'accoutume à entendre dire tant d'horribles choses. Ne soyez pas de la sorte, mes très chères Mères, laissez-vous pénétrer de douleur de voir l'amour infini de Jésus au sacré mystère eucharistique récompensé d'une effroyable ingratitude. Je ne dis point le reste, je serais trop longue à vous l'exprimer. Aimez, mes très chères Mères, aimez l'amour qui, par amour, demande votre amour, et ne peut être satisfait que de l'amour. Soyez les victimes de l'amour renfermé au Très Saint Sacrement de l'autel. Ne souffrez point que cet adorable prisonnier d'amour soit frustré de votre amour. Ne voulez que lui, ne
(2) Lire : ceux d'entre eux qui ont vu ces projets de Statuts les admirent.
280 CATHERINE DE BAR
LETTRES INÉDITES 281
cherchez que lui, ne vous contentez que de lui, que tout ce qui n'est point lui soit banni éternellement de nos coeurs, et qu'il nous envoie la mort plutôt que de permettre que nous vivions un moment pour nous-mêmes et pour les créatures. Priez pour moi, mes très chères Mères, afin que je puisse moi-même faire ce que je vous dis, et que Notre Seigneur et sa très Sainte Mère soient à jamais les souverains de nos coeurs. Je suis en leur sacrée dilection toute votre pauvre fidèle et affectionnée servante
Sr M. du St Sacrement
Pardonnez aux petites saillies de mon esprit qui se confie en vos bontés, mes très chères Mères..
232
À LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE] SOUS-PRIEURE À RAMBERVILLERS
décembre 1666
a'.'aimerais bien mieux être auprès de vous que de vous écrire, ma très chère Mère, mais, comme la Providence me prive de cette consolation, je viens du moins vous assurer que je suis toute à vous et à toute la chère Communauté, que je salue de tout mon coeur en lui souhaitant une bonne et sainte année, comblée de toutes sortes de bénédictions, et au bout que je puisse bientôt, avec notre bonne Mère, vous allez rendre les marques de nos sincères affections.
Certes, ma très chère Mère, de toutes les maisons de l'Institut il n'y en a point où mon coeur respire de consommer son sacrifice [plus] qu'à la chère maison de Rambervillers. Elle m'est plus aimable que jamais, et toute ma passion serait de la bien établir avant que de mourir. Mais mes péchés me rendent indigne de l'effet de mes désirs. Si vous ne priez Notre Seigneur qu'il les consomme dans son sang, je ne pourrai jamais rien faire qui lui soit agréable, ni qui soit utile à cette chère maison.
J'ai un grand désir de vous voir encore une fois, et de parler un peu de ce qui doit faire notre félicité éternelle. Je sais que vous y aspirez avec tant de zèle et d'ardeur que vous ne vous souciez pas de m'attendre. Je vous prie de modérer cette ferveur, en sorte que je vous puisse encore trouver sur la terre pour y renouveler notre sainte union, qui sera inviolable en Jésus Christ. Je vous en assure plus que jamais.
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
ler janvier 1667
uelle apparence de laisser ce commencement d'année abîmer
comme les autres dans une foule d'occupations sans dérober ce petit moment pour saluer les chères victimes de Jésus, en leur souhaitant une bonne et sainte année, comblée de grâces et de bénédictions du ciel et de la terre, telles qu'autrefois Jacob les reçut de son père (1). Je prie Jésus et sa sainte Mère de nous renouveler dans l'esprit et la grâce de notre Institut, et que vous en soyiez les piliers et les colonnes, pour le soutenir en sa vigueur et en sa sainteté. Je prie ce divin Enfant qu'il vous revête de la grâce de sa divine enfance, qu'elle porte en vos coeurs les effets de pureté, d'innocence, de simplicité et d'humilité. Je le prie derechef qu'il vous rende digne d'être les victimes de son amour et de sa sainteté, que, comme il ne vit que pour son Père, de même vous ne viviez que pour lui et en lui. Je vous puis persuader que je vous aime très cordialement, et que je suis en esprit au milieu de vous, comme, selon l'apparence; nous espérons y être bientôt personnellement. Je me réjouis de vous voir, mes très chères filles en Notre Seigneur; vous êtes, ce me semble, la jôie de mon coeur et ma consolation. Quand je suis dans l'angoisse je me souviens de vous, et, voyant que vous servez Dieu, ou du moins que vous le voulez aimer et servir de tout votre coeur, le mien s'en réjouit. Bénites soyez-vous toutes du Fils et de la Mère, et que Jésus et Marie trouvent leur complaisance en vous et dans votre petit monastère ! Hélas ! mes chères enfants, toute la bonne fortune d'une âme c'est d'être à Jésus, de mourir pour Jésus, c'est de vivre de Jésus et de suivre Jésus ; hors de cet état, ce n'est que misère et péché. Toute la terre est pleine de corruption, jamais le péché ne fut si élevé ni si soutenu qu'à présent. Le mensonge et la vanité font la vie et l'entretien de tous les hommes ; très peu s'en séparent pour marcher dans les sentiers de la vérité ; les bons géinissent incessamment après le règne de Dieu. Les âmes qui aiment sa gloire le prient d'abréger les jours de l'homme, puisque tout se convertit en iniquité. Oh ! que vous êtes heureuses d'être choisies et élues de Dieu pour être associées à son Fils ! Oh ! que votre bonheur est grand de n'avoir qu'à complaire à Jésus ! Oh ! que vous êtes riches d'être pauvres de sa pauvreté ! Oh ! que votre liberté est glorieuse d'être ses esclaves ! Tous ses serviteurs sont rois, et saint Paul nous dit que «servir Jésus c'est régner». Oh ! le beau paradis que nous commençons en terre pour le consommer un jour dans la gloire que ce divin Jésus nous prépare comme à ses bien-aimées qui ont partagé ses croix et ses humiliations par la conformité à ses sacrés états, et par l'union à son bon plaisir !
n. 729 13505
(I) Cin. 27.
282 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 283
Entrez, mes chères enfants, dans la joie du Seigneur, et vous enivrez du torrent de ses délices et voluptés divines, dont les saints seront éternellement rassasiés, et n'oubliez point en vos saintes prières une pauvre pécheresse, qui n'est pas digne de porter la qualité de votre très affectionnée Mère et servante.
no 2592 CrC
A LA MÈRE ANNE DE SAINTE-MADELEINE
Prieure de Toul
Janvier 1667
an quelque occupation que je puisse être ce faut-il que je vous
souhaite une année de bénédiction pleine de urâce et de sainteté pour vous ma toute chère Mère et pour toutes vos filles, et prie le divin Enfant Jésus qu'il soit votre vie et qu'il commence en vous et en nous cette année et qu'il la consomme en son amour. Voilà les souhaits d'un coeur plein de tendresse et d'affeCtion pour votre âme et pour le petit troupeau que la divine Providence vous a confié. Je ne doute point qu'il ne vous donne tout ce que vous avez besoin pour le conduire au gré de celui à qui il appartient.
Prenez courage, très chère Mère, dans votre travail. Ne vous rebutez point, ni de la charue, ni de vos propres misères. Il faut nécessairement s'abandonner et se perdre dans le bon plaisir de Dieu. Il s'y faut, dis-je, abîmer, sans cela on ne saurait vivre contente dans les misères de cette vie. Mais si nous nous délaissons à Dieu il fera sa volonté tandis que nous mourons incessamment à la nôtre.
Il y a des âmes, nia toute chère Mère, que Dieu conduit par des sentiers de perte et d'actuelle abnégation d'elles-mêmes. Il semble que tout conspire à la ruine des moindres choses qui les pourraient un peu consoler. Leurs voies ne sont que mort et que lanuueur, que des abjections qui semblent presque infinies, et ce n'est pas un petit sacrifice de vivre de cette sorte, notamment quand la Reliuion nous charue de ses emplois les plus forts.
Pour moi, je puis dire que Dieu a trouvé un moyen de me rendre abjecte effroyablement en faisant notre Institut. Je n'en puis revenir ; vous diriez que tout aboutit à m'y plonger- toujours plus avant. 11 faut bénir Notre Seigneur et le laisser faire comme il lui plaira, quoique l'esprit humain et la superbe crèvent de voir sa conduite si renversante ide, nos desseins. Cependant il faut marcher, agir et faire bonne mine, comme si tout succédait selon nos désirs. 11 ne faut pas seulement qu'on voie la moindre amertume dans nos paroles, ni dans nos actions. Personne n'est capable de nos peines, comme aussi personne ne nous
peut consoler quand Dieu se mele de nous crucifier. Je vous prie, ma toute chère Mère, de commencer une neuvaine à la très sainte Mère de Dieu pour lui mander nos besoins spirituels et temporels, et singulièrement trois choses
1. L'esprit et la grâce de notre Institut :
2. Des sujets pour le remplir, le soutenir et perfectionner ;
3. De quoi le faire heureusement subsister. J'ai besoin de son secours extraordinaire. Il faut bien de la foi, de la confiance et de la patience. Dieu soit béni ! 11 en usera comme il lui plaira. Si j'écoutais le raisonnement humain, je ne croirais pas pouvoir jamais réussir. Recommandez le tout à la très sainte Vierge ; j'espère qu'elle aura pitié de nous.
Durant la neuvaine que je vous demande, une religieuse chaque jour fera 63 coups de discipline pour honorer les années de cette bénite
Mère de Dieu ; 2. fera la Sainte Communion à son honneur. 3. dira
« AVE MARIA Fl LI A DEI PATRIS » (1) etc... 4. jeûnera comme un jeûne de la Règle, et ajoutera quelque acte de vertu, d'humilité ou de charité, etc., priant humblement et ardemment qu'il lui plaise nous
reuarder en miséricorde, et nous envoyer des sujets capables de soutenir
et le reste que nous avons besoin. Vous changerez chaque jour de religieuse durant cette neuvaine, afin que chacune y contribue et qu'elle
ne soit point trop surchargeante. Vous voyez, ma toute chère Mère, ma confiance en votre charité et que c'est de coeur que je suis toute à vous.
no 391 N267
(1) Saint Jean Eudes a emprunté la première partie de cette pièce à sainte Gertrude , au livre Ill chapitre XX, du «Héraut de l'amour divin», y ajoutant les invocations et bénédictions finales. Le Père Eudes recommandait de la réciter pour la conversion des pêcheurs et au chevet des malades. (Renseignement fourni par les religieuses de Notre-Dame de Charité fondées par Saint Jean Eudes).
POUR LA CHÈRE COMMUNAUTÉ [À PARIS'
1_ de Plombières .1, ce 20 juin 1667
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !
'apprends, mes très chères Enfants, avec une extrême consolation les grâces que l'infinie bonté de Dieu verse dans vos coeurs et comme le Saint Esprit fait en vous toutes une entière union. Je suis ravie d'apprendre la plus douce et précieuse nouvelle que je pourrais jamais désirer. Voilà les effets de la divine Eucharistie par l'entremise de votre très sainte et glorieuse Abbesse, l'auguste Mère de Dieu. Oh ! qu'il fait bon l'avoir pour Mère et s'abandonner entre ses bénites mains ! Continuez votre confiance et d'y avoir un continuel recours. Vous verrez combien elle augmentera en vous ses faveurs, ses soins
284 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 285
et sa protection. Ne doutez pas que l'absence d'une pécheresse ne vous soit utile. Je vois manifestement que vous recevez plus de grâce que lorsque j'étais avec vous ; c'est un bonheur que je demeure longtemps dans mon voyage. Mais je vous aime trop pour me pouvoir priver si longtemps de vos chères présences. Vous ne croiriez jamais combien vous m'êtes chères ; mes paroles ne sont pas capables de vous le persuader, mais, croyez-le, je vous supplie et priez Notre Seigneur que mes péchés n'attirent point sa malédiction en ce pays.
Nous nous portons très bien, notre chère Mère Sous-Prieure et moi. Si elle avait de meilleures jambes, ce serait merveille. Mais elle ne peut marcher et [elle est] contrainte de demeurer longtemps au lit, voire quasi des journées entières. Ce pays est froid ; il y pleut toujours, ce qui fait craindre que les biens de la terre ne soient pourris.
Je vous sais bon gré du soin que la charité vous fait prendre de la pauvre Mère de Saint Joseph [de Laval-Montigny] dans son extrémité. Consolez-la ; je suis bien mortifiée de la savoir si mal et de n'être pas auprès d'elle. Assurez-la que j'y suis en esprit et que je fais bien prier Dieu pour elle. Je hâterai mon retour le plus que je pourrai. Nous faisons dire la sainte messe pour elle et continuerons tous les jours jusqu'à une meilleure nouvelle de sa santé.
Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de l'union qu'il fait dans vos coeurs. Soyez un comme il est un avec son Père. Voilà le désir de son Coeur. Mon Dieu, que vous me donnez de joie ! Là où est la charité, Dieu y est ; je suis certaine par ce moyen que Dieu est avec vous, qu'il y prend sa sainte complaisance et que vous êtes son jardin de délices. Si vous continuez à vivre d'amour et de charité en lui et pour lui, vous me donnez une nouvelle vie. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'être plus à lui par vos exemples et par vos saintes prières. Faites tant d'instances vers sa Bonté, que nous ne soyons toutes qu'un coeur en son amour, ou plutôt que nous n'ayons plus de coeur que le Sacré Coeur de Jésus et de Marie, que le divin amour a réduit en un.
Voilà ma passion et l'effet du très adorable Sacrement que nous aimons si chèrement. II me semble qu'il rallume en moi un nouveau désir d'être consommée en lui. Faisons tout notre possible pour y parvenir, et, pour cet effet, mourons le plus que nous pourrons, car c'est la mort de nous-même qui donne vie à Jésus en nous, et cette vie divine fait imperceptiblement la consommation de tout nous en Jésus pour être lui seul notre unique vie.
J'avance tant que je peux pour aller retrouver les chères enfants de l'adorable Eucharistie ; je n'oserais dire les miens, n'étant pas digne d'être votre Mère, mais par relation à la divine Mère de Jésus. Je vous nomme du plus intime de mon coeur. mes très chères et plus que très chères Enfants en Jésus et Marie.
A Dieu, c'est en lui que je suis toute vôtre.
Je prends des eaux bien vilaines et bien puantes à mon goût. Hier j'étais un peu dégoûtée le matin ; l'après dîner et cette nuit j'ai été très bien et ce matin encore mieux. Il me semble que je suis plus légère. Voilà pour contenter votre affection.
Priez Dieu qu'il me rende digne de rentrer dans sa sainte Maison du Saint Sacrement.
no 860
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE l CHARBONNIER I
[ 1667
gant appris que vous continuez d'être dans la douleur, j'ai cru que je devais vous dire ce que Notre Seigneur me donne sur vos dispositions.
Premièrement, je trouve que vous êtes tombée imperceptiblement dans une très grande réflexion et application à vous-même, à votre état et à votre éternité, que vous en êtes si remplie que vous ne le voyez pas, parce que le motif vous en parait juste, étant le respect d'un Dieu que vous outragez et que vous profanez par des sacrilèges et communions indignes, que vous êtes pleine de péché, que tout le passé n'a été que fantaisie, etc...
Je vous accorderai pour votre satisfaction tout ce que vous voudrez, quoique je sache ce qu'en est dans la vérité ; niais je vous dis de la part de Dieu que vous êtes trop occupée de vos misères de vos péchés, de vos malices, de vos sacrilèges, de votre damnation, de votre enfer-et de la perte que vous faites de Dieu. Je vois qu'au lieu d'aller à la mort de tout, vous avez réfléchi sur votre vide, et vous vous en êtes éffrayée. Vous avez voulu y apporter remède par vos industries intérieures et, au lieu de trouver du secours, vous avez trouvé le trouble dans l'impuissance et l'enfer dans la pauvreté. Vous avez été abîmée dans la douleur, vous n'avez plus observé de règle, ni de mesure. Vous avez pris des assurances de votre perte éternelle, bref tout est perdu, sans miséricorde, et il n'y a pas lieu d'espérer aucun retour. Ajoutez, si vous voul&, à tout ceci tout ce que votre esprit vous peut suggérer de vice et de péché. J'accorde tout. Soyez, si vous voulez, pis que tous les diables. Cela ne m'effraye et ne m'étonne pas. Vous n'avez de tout cela qu'un péché, c'est d'avoir quitté le néant pour quelque chose, d'avoir quitté l'état de mort pour prendre vie, d'avoir voulu être quelque chose en Dieu et dans la grâce, et vous n'êtes qu'un malheureux néant, qui doit être non seulement oublié de tout le monde mais de Dieu même, vous croyant indigne de son souvenir. Si j'étais auprès de vous, je vous convaincrais des vérités que je vous dis, mais, ne le pouvant, je vous prie de prêter croyance à ce que ma plume vous dit. Et commencez
286 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 287
au moment que vous aurez vu ce que dessus à vous mettre à genoux, disant de coeur et de bouche : MON DIEU ET MON SAUVEUR JESUS CHRIST, je vous demande pardon d'avoir voulu être, et d'avoir empêché votre grâce de m'anéantir ; je reçois toutes mes misères en pénitence, et renouvelle en votre Esprit mon voeu de victime qui me destine à la mort et qui me prive de tous les droits que mon amour propre a prétendu avoir sur moi et de tous mes intérêts de grâce, de temps et d'éternité. Je vous rends tout sans réserve, et ne retiens pour moi qu'un néant en tout et partout pour jamais, pour vous laisser être et opérer en moi tout ce qu'il vous plaira. Après cet acte, cessez vos examens, vos retours, vos réflexions, vos craintes, vos résistances à l'obéissance et à la communion. Nous vous ordonnons de la part de Dieu de vous tenir comme une bête dans la perte de tout et même de votre salut et perfection. Il n'est plus question de tout cela, mais seulement de vous tenir dans ce simple abandon avec tant de fermeté que, si vous voyiez l'enfer ouvert pour vous engloutir, vous ne feriez pas un détour de votre pur abandon pour vous en préserver.
Voilà jusqu'où il faut mourir, et où vous ne voulez pas passer. Volontiers je vous gronderais de résister comme vous faites à la conduite miséricordieuse de Dieu ; ne permettez pas à votre esprit humain, ni à votre raison de répliquer ni raisonner sur ce que nous vous ordonnons de faire. Marchez tête baissée sous la loi du Seigneur, il vous fait trop de grâce ; ne soyez pas si misérable que de le rejeter sous prétexte que vous l'offensez. Je vous défends de vous amuser à penser à vos péchés, ni de regarder vos communions comme des sacrilèges. Perdez et abîmez tous ces retours et réflexions dans l'abandon simple comme je vous le propose. Ne prenez aucune part en rien de ce qui se passe en vous ; soit bien, soit mal, laissez tout cela sans le discuter. Dieu en jugera et en fera ce qu'il lui plaira. Et vous, tenez vous dans un néant éternel, qui ne voit plus, qui n'entend plus et qui ne parle plus pour soi-même, ni pour autre. Mais je vous répète encore une fois, demeurez comme un mort à votre égard et même à l'égard de Dieu, comme ce qui n'est plus et qui ne doit plus être. Et si vous êtes fidèle à suivre la règle que je vous donne de la part de Dieu, vous trouverez ce que vous ne pouvez vous imaginer et que je ne dois point présentement vous expliquer. Allez aveuglément où je vous mène, et croyez que par la grâce de Dieu je sais ce que je vous dis. Mai'chez sûrement dans l'obéissance, et ne laissez pas de prier Dieu pour celle qui est en Jésus toute à vous. Souvenez-vous donc de demeurer comme une bête en la présence du Seigneur, sans pensée, sans acte et sans force ; le néant n'a rien de tout cela.
Lorsque vous serez dans la croyance que vous êtes damnée, laissez tout ce jugement à Dieu, croyant qu'il fera justice s'il vous met en enfer. N'en soyez pas plus inquiétée, laissez tout pour vous tenir encore au dessous de tout l'enfer et des démons. Le rien n'est rien de tout cela.
rr 56 N267 A UNE RELIGIEUSE E DE TOUL 1
5 juillet 1667
Ma chère enfant,
X1 faut que je vous dise un petit mot sur celle que vous m'avez écrite touchant vos dispositions, pour seulement vous affermir et ne vous laisser en peine.
Premièrement, sur cet attrait qui vous tire en vous-même : il est bon mais comme il y aurait de l'excès, tâchez de vous exercer à quelque travail qui ne vous donne pas le loisir d'écouter, comme autrefois, vos sentiments et la douceur de la présence de Dieu en vous.
Secondement, demeurez toujours dans un saint abandon dans tous les discours de nouvelles, soit de guerre ou autrement. Vous feriez tort à Dieu en vous, qui a tant de bontés pour vous, si vous vous occupiez de quelque chose. Quant aux effets de la présence de Dieu en vous qui vous fait posséder Dieu d'une manière si intime, cela doit être ainsi de temps en temps, mais apprivoisez-vous avec toutes les miséricordes de Dieu à souffrir votre propre misère et corruption, sans penser vous en totalement délivrer. Il faut avoir patience du fond vicié en nous et en faire le sujet de notre humiliation, mais il ne faut point suivre les mouvements déréglés qu'il produit. C'est cela qui serait péché, et nou la vue du fond malin qui est en nous. Il le faut souffrir sans inquiétude puisqu'il sert de trône à Jésus Christ et qu'il prend ses délices dans une âme qui aime et sent sa propre corruption de cette sorte. Ne gênez point votre esprit par contrainte, mais suivez doucement ce trait intérieur qui porte en vous la paix du Saint Esprit. Ce qui est pénible en vous, n'en faites nul cas ; c'est un désir de Dieu qui voudrait adroitement rendre les choses divines sensibles. Je vois ce que Notre Seigneur fait pour sa gloire en vous. Prenez courage. Vous ferez bien de nous écrire de cette manière de temps en temps. Soyez fidèle, et ne vous brouillez avec qui que ce soit. Soyez fidèle à vos supérieures et tenez vous intérieurement séparée de tout le tracas de la vie et le bruit des discours des créatures ; ne laissez cependant d'agir en toutes vos obligations. Ne vous mettez point en peine de votre état ; tout va bien si vous faites ce que je vous dis. Je vous recommande ma soeur N. Je crains qu'elle ne s'accable un peu. Son état est pénible, Dieu la crucifie fortement, mais aussi il la veut faire sainte et on ne le peut être sans souffrir. Encouragez-la, et priez toutes deux pour moi. Je vous aime et chéris en Jésus du plus intime de mon coeur. Adieu.
Il faut encore vous dire que tout ce qui se passe en votre intérieur qui trouble la paix de votre âme, vous le devez négliger sans vous mettre en peine.
Ir 535 PI04 Bis
2 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 289
A 1,A MÈRE DOROTHÉE I HEURELLEI
Le 24 septembre 1667
Loue soit le Très Saint Sacrement de l'autel !
e jugez point, ma très chère Mère selon l'apparence, mais que votre
charité excuse mes embarras. Elle le fera facilement si elle pénètre les sentiments de mon cœur qui sont toujours pleins de tendresse pour vous. Croyez-le, ma très chère Mère, et que l'union que Jésus Christ a faite en nous est inviolable. J'ai cette confiance en votre bonté qu'elle ne m'oublie point. .le suis au milieu de Paris sans voir les personnes spirituelles. Je suis si rebattue de tout que je ne vois que Dieu seul fidèle. O ma très chère Mère ! que vous seriez .affligée si vous saviez ce que je sais. Oh ! que la persévérance dans la grâce et dans l'union à Dieu est précieuse et qu'on peut bien dire que c'est le don de Dieu qu'on ne peut mériter ! Les cèdres du Liban, ma très chère Mère, sont ébranlés, et Dieu veuille qu'un très élevé ne tombe point tout à fait : ce serait un fracas et un scandale terrible. Priez Dieu pour lui : je ne vous le nomme point, vous l'avez connu. Priez Notre Seigneur qu'il le retienne ; et priez Dieu pour moi qu'il me confonde dans mon néant. O très chère Mère, il n'y a point de sûreté que dans la profonde petitesse ; une vie cachée et inconnue est bonne, et heureuse l'âme qui la possède. Je vous estime de ce nombre, très chère Mère ; achevez votre course dans le silence et priez Notre Seigneur qu'il me cache dans mon néant, que je sois dans les sacrées plaies de ,ses pieds tdute ensevelie. Chère Mère, allons à Dieu par Jésus Christ ou, pour mieux dire, laissons-nous perdre en lui. Si je pouvais me retirer du tracas où je suis, je m'enfuirais comme vous dans la solitude. Mon âme y aspire, je vois que tout est en péril hors de là, à moins d'une fidélité extrême.
Je vous écris si en hâte que je doute si vous pourrez lire ce brouillon. .1e ne sais quand j'aurai la consolation de vous voir ; mon voyage est rompu pour cette année. Priez Notre Seigneur qu'il me fasse faire sa très sainte volonté en tout et lui recommandez notre Institut. C'est ce que je vous puis dire. Oh ! que la pauvre Mère de la Nativité (1) est heureuse ! Priez-la qu'elle prie Dieu pour moi..le suis en son amour toute à vous.
Je pensais encore écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure et à ma chère Mère de Saint Michel I Bellet j, mais il est trop tard aujourd'hui ; à Dieu en Dieu ; mille humbles saluts à toutes mes chères Mères et Soeurs...
no 2229
( I ) Mère Angelique de la Nativité de Mangeon, professe du monastère de Rambervillers, fait partie du groupe des onze religieuses qui durent s'exiler au début de 1641 en raison de la guerre et de la famine. Elle rejoint Mère Mectilde à l'abbaye de Montmartre à Noël 1641 en attendant d'être reçue à l'abbaye de la Trinité de Caen en janvier 1642. Nous la retrouvons à Barbery, puis à Saint-Maur-
des-Fossés en 1643, dont elle fut supérieure jusqu'en 1650. 11 semble bien qu'elle se trouvait à Paris lors du retour de Mère Mectilde, le 25 mars 1651. Nous ne savons pas à quelle date elle est repartie à Rambervillers. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 à 71. Cette Mère est peut-être parente de Monsieur Marchal-Verdenal, qui a bien voulu nous communiquer la photo du portrait de Mère Mectilde appartenant à la famille Demangeon, publiée dans C. de Bar, Documents, 1973, p. 257.
A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER
à Toul
10 novembre 1667
Que direz-vous, ma très chère fille, du retardement de la présente, que je suis tous les jours en volonté de vous écrire mais que la divine Providence n'a point voulu, puisqu'elle m'a donné et continue de me donner tant d'occupations qu'à peine trouvai-je le temps nécessaire pour la prière. Je suis esclave en plusieurs manières. Je prie Jésus qu'il sanctifie ma captivité et qu'elle honore celle qu'il porte dans la divine Eucharistie. Soyez certaine, ma très chère fille, que, nonobstant
290 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 291
tous mes embarras, je vous porte dans mon coeur et que je me souviens de vous plus d'une fois par jour, quoique cela vous soit inutile. Je suis très aise lorsque je reçois de vos chères lettres, ne soyez jamais plus d'un mois sans m'en donner ; mais c'est sans prétendre de vous gêner ni tant soit peu incommoder que je vous donne cette loi. Je tâcherai de réciproquer dans l'espérance que Notre Seigneur me donnera_un peu plus de temps, et que je ne serai pas toujours si accablée. Priez-le pour cela, surtout que je puisse faire ce qu'il veut et comme il veut, en tout et partout.
Les vôtres dernières, sur lesquelles je m'arrêterai pour vous répondre, croyant qu'elles expriment votre disposition présente, et par conséquent celle qui serait plus de besoin, m'obligent de rendre grâce à Notre Seigneur de vous avoir éclairée de ses diyines lumières et animé votre courage pour surmonter les sentiments et tendresses et retours de la nature.
C'est ainsi, chère enfant qu'il faut mourir de bon coeur à vous-même et trouver en Dieu ce que vous ne pouvez trouver dans les créatures, pour bonnes qu'elles soient. Jésus Christ vous veut toute à lui sans réserve ; il faut tout quitter pour le suivre. Il vous fait une faveur infiniment grande de vous appeler et presser de si près que vous ne pouvez vous en dédire.
Voici une lettre pour ma chère Sr. N. commencée il y a plus de six semaines. Je prétendais l'achever, mais on ne m'en donne pas le loisir ; je [la] lui envoie telle qu'elle est, lui demandant excuse. Elle verra par ce petit mot que je me souviens d'elle. Je l'embrasse au sacré Coeur de Jésus. J'espère après le «Cérémonial» (1), où je travaille incessamment, que nous aurons un peu de temps pour lui écrire et à toute la communauté en particulier.
n02584 P104 Bis
(1) Le premier Cérémonial à l'usage de notre Institut a été imprimé chez Robert Ballard à Paris en 1668. Les monastères fondés par Mère Mectilde ou agrégés par. elle, possédaient plusieurs Cérémoniaux manuscrits adaptant en quelques détails particuliers ce texte commun cf. arch. de nos monastères.
A LA COMMUNAUTÉ DE TOUL
Paris, début de l'année 1668
Jésus soit le commencement et la consommation de nos âmes, nies très chères filles !
:--T e ne vous puis dire combien j'ai de confusion de tarder si longtemps à vous rendre les témoignages de la tendresse et de l'affection que je vous dois et que Notre Seigneur me donne pour vous avec abondance.
Quoique mes lettres ne vous le témoignent pas, soyez néanmoins persuadées de la vérité que je vous dis du plus sincère de mon coeur ; vous me ferez justice de le croire et que je pense à vous très souvent avec joie, apprenant que vous servez Dieu de si bon courage et que vous travaillez généreusement à vous rendre les fidèles victimes de Jésus. C'est la meilleure nouvelle qu'on me puisse donner, vous protestant que ma plus ardente passion est de vous voir toutes de grandes saintes.
J'ai sujet de bénir Notre Seigneur de toutes les grâces qu'il vous fait et singulièrement de vous avoir donné une bonne supérieure (1) sur laquelle je me repose avec assurance pour vos perfections. Je sais qu'elle ne manque point de vous donner tous les secours dont vous avez besoin. Soyez fidèles à ses conseils et ayez pour elle toute la soumission que vous devriez avoir si vous voyiez Dieu même ; elle tient sa place, ne lui manquez jamais de respect ; ayez aussi un grand soin de sa santé ; vous ne le ferez jamais plus efficacement que lorsque vous serez ponctuelles à l'obéissance et que vous ferez cas de ses bons avis. Vous ne doutez pas de son affection et du zèle qu'elle a de votre bonheur éternel.
Je suis toujours dans l'attente d'un voyage, mais je ne sais quand Dieu le voudra ; si les troupes se retirent, nous pourrions bien prendre la fin du Carême ; priez Dieu qu'il nous donne la paix et que le péché cesse de régner.
Je vous assure de l'amitié de toute la Communauté de Paris et que plusieurs ont un extrême désir de vous aller voir. Priez Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce de ne le point offenser cette année. J'ai besoin de vos saintes prières, mes chères enfants, étant toujours fort accablée et, l'âge avançant, je deviens fort paresseuse ; mon esprit ne voudrait plus de tracas, il demanderait un peu de relâche et de solitude pour se rendre à Dieu et faire pénitence. Mais j'apprends que le meilleur est de s'abandonner au bon plaisir de Dieu, d'être sans choix et sans volontés. Quand nous faisons ce qu'il veut, nous faisons notre sanctification sans vanité. Rien n'est meilleur que cette vie cachée en Jésus Christ ; il n'y a ni complaisance ni élévation ; il semble qu'on ne fait rien et cependant • elle fait tout sans le connaitre. Je vous prie, mes chères Filles, ayons un grand amour pour cette vie commune, aimons la Communauté et nous y conformons autant qu'il nous sera possible ; il est facile à l'âme qui a pris un peu l'habitude d'agir en foi. Tout ce que la Règle et les Constitutions et les Supérieurs vous ordonnent, c'est Dieu qui vous le demande et veut que vous lui obéissiez sans raisonnement. Dites donc
(1) Mère Anne de Sainte Madeleine, professe du monastère de Rambervillers, n'a pas quitté Mère Mectilde depuis leur sortie de ce monastère au début de 1641, pour trouver refuge en France. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 à 71. Nommée prieure de Toul par Mère Mectilde, le 21 février 1666, reconduite en sa charge le 8 juillet 1669, elle fut élue par la Communauté le 21 mars 1672, en présence de Dom François Castellan, prieur de l'abbaye de Saint-Mansuy et visiteur de la congrégation de Saint-Vanne, et de Monsieur Adrian Marcellis, curé de Saint-Jean. Elle exercera sa charge sans interruption jusqu'au 15 mai 1694. (Livre des élections priorales du monastère de Toul. Arch. de notre monastère de Bayeux).
292 • I 1-11CM11,4c LETTRES INÉDITES 293
quand la cloche sonne : mon Dieu, vous m'appelez et je vais vous obéir. Si vous faites une observance ou quelque fonction de communauté, dites quand la cloche sonne : mon Dieu, vous m'appelez et je vais vous obéir hardiment ; mon Dieu, je fais votre sainte volonté, mais donnez-moi la grâce de la faire comme vous voulez, avec les dispositions que vous désirez. Si vous êtes à la récréation, c'est l'ordre de Dieu, récréez-vous innocemment parce qu'il le veut. Si vous êtes au tour ou à la porte, Dieu le veut, vous lui obéissez en toutes les règles de Religion. Si vous êtes à la cuisine, vous faites le bon plaisir de Dieu, il le veut ; soyez-y avec joie et dans l'agrément de sa très sainte volonté. Ne portez point vos désirs dans la solitude quand Dieu vous appelle dans le travail ; soyez indifférentes aux ouvrages qu'on vous emploie, mais que votre intérieur conserve la paix et soit toujours soumis : c'est le moyen de faire un progrès admirable et de n'être empêché de quoi que ce soit. C'est le grand secret de la vie intérieure. Nous appelons cela trouver Dieu partout, et comment le trouver mieux que dans cet amoureux acquiescement à son bon plaisir qui fait la paix de l'âme et qui la dégage de tout ? Les saints agissaient de la sorte sans contrainte ni violenter l'esprit. C'est le coeur qui fait cette disposition parce qu'il est le siège de l'amour. Aime, dit Saint Augustin, et puis fais tout ce que tu voudras. C'est aimer véritablement de vouloir simplement et cordialement ce que Dieu veut ; et vivre dans sa volonté de cette sorte, c'est être cachée en lui. Adieu, mes chères enfants, on me presse de finir. Je suis à vous en Jésus d'une sincérité entière.
no 1261 N267
A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÈME]
le 14 février 1668
Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel ! Ma Révérende et très chère Mère,
Jésus anéanti dans l'auguste mystère de nos autels soit notre vie, notre amour et notre consommation !
e commence ma lettre à vous annoncer une profanation qui s'est
faite à Conflans (1), proche le faubourg Saint-Antoine à Paris ; ma Soeur Mectilde [Philippe] sait le lieu. Le Très Saint Sacrement fut volé dans l'église de la paroisse et les saintes hosties jetées au vent, dont une partie se trouvèrent dans la boue des rues, à demi usées et rompues ;
(I) Conflans-l'Archevêque, sur la Seine, près de Charenton.
d'autres étaient poussées par le vent dans les porches des maisons, et les servantes les trouvèrent dans les immondices en balayant devant leurs portes ; d'autres étaient recueillies par des petits enfants. qui s'en jouaient et les mangeaient. Voilà ce qui est arrivé ce mois de janvier dernier, et ce même jour, par un secret jugement de Dieu, trois églises en France ont été foudroyées du feu du Ciel. Sans doute vous en aurez entendu parler.
La semaine passée, le peuple de Paris, les plus zélés pour la gloire de Notre Seigneur au Très Saint Sacrement, furent faire des dévotions extraordinaires en ce lieu nommé Conflans, en réparation des mépris et outrages faits à la personne adorable de Jésus Christ immolé pour nous en ce divin mystère. On y fit des processions générales des prédications et expositions du Très Saint Sacrement. Il y eut plus de deux cents prêtres qui portaient chacun un flambeau en leurs mains et des enfants revêtus en anges.
Je sais bien que voici une triste salutation à ce commencement d'année et une flèche bien terrible par laquelle je navre votre cœur de douleur, de voir celui que vous aimez d'un amour si sensible traité si cruellement par les hommes, pour lesquels il donne tous les jours sa vie en sacrifice sur nos autels. O quelle ingratitude du coeur humain ! Tous ces vols si souvent réitérés en ce pays font craindre les châtiments de Dieu dont le plus effroyable serait de perdre la foi. Un saint prélat avant-hier m'en dit ses sentiments avec une extrême douleur ; les serviteurs de Dieu sont dans la même crainte, voyant de plus que lé péché d'abomination est sur le trône et qu'il triomphe avec une insolence épouvantable. Croyez, ma très chère Mère, qu'il y a bien de quoi nourrir les victimes du Saint Sacrement, puisque leurs viandes sont les outrages qu'on fait à leur divin Sauveur et les amertumes des péchés qui se commettent à toute heure. Voilà de quoi occuper le zèle d'une Fille du Saint Sacrement, qui fait pénitence pour les impies et qui doit rendre à Jésus la gloire qu'ils lui dérobent à tous moments. Je n'oserais dire ce que je sais de détestable qui se pratique en quelques endroits ; vous ne le pourriez entendre sans mourir. Moi qui n'ai qu'un coeur de pierre plus dur que le roc, je me trouve touchée. Redoublons nos gémissements et nos sacrifices pour les pécheurs ; mettons-nous entre Jésus et le péché afin qu'il nous foudroie plutôt de ses coups que de voir derechef percer le coeur adorable de notre victime d'amour. Hélas, quelle récompense pour ses bienfaits ! Et cependant très peu de personnes y pensent et le remercient de vouloir demeurer avec nous pour être traité si indignement de la plupart de ses créatures. Je vous prie, ma très chère Mère, de lui rendre action de grâce pour moi en lui demandant pardon de mes ingratitudes. Si j'avais de la foi, je serais en esprit dans ce village, adorant avec les anges la majesté de Dieu cachée dans la boue par mille petits fragments et particules des saintes hosties qui sont perdues dans les champs, dans les rues et sous les souliers
294 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 295
des passants. O abîme effroyable ! Il se faut taire et mourir d'étonnement voilà où l'amour a réduit mon Maître et mon Sauveur. Il y a de quoi confondre la superbe de l'esprit humain ; et, après avoir vu son Dieu anéanti de cette sorte, peut-on se plaindre qu'on ne fait pas assez d'estime de nous, que nous ne sommes pas dans des états d'élévation ? Une Fille du Saint Sacrement recherchera-t-elle d'être estimée des créatures ? S'offensera-t-elle de n'avoir pas ce qu'elle désire et qu'on ne la considère point comme elle voudrait ? Après avoir vu la hauteur infinie abaissée au-dessous de la poussière, il ne faut plus chercher d'autres dispositions que le néant. C'est bien dans cette profanation qu'on peut dire que le Fils de Dieu n'a pas où reposer son chef et qu'il n'a point de retraite. Hélas, il peut être mangé des bêtes, ou du moins demeurer inconnu et comme perdu. O parole surprenante, un Dieu perdu ! Ce sont des abîmes infinis dans lesquels nous nous devons perdre nous-mêmes, par amour humiliant et consommant. Vous ferez part de cette triste nouvelle à nos chères Mères et Soeurs, si vous le jugez à propos.
no912
A UNE RELIGIEUSE
14 février 1668
C>e vous aime trop chèrement ma très chère fille, pour différer plus
longtemps à vous ouvrir mon coeur sur les différentes dispositions que vous portez depuis longtemps. La crainte que vous ne preniez direction de personnes capables de vous donner de vraies lumières et de faire un saint discernement des opérations qui se font en vous, me donne une très grande peine. J'apprends tous les jours de nouvelles histoires, comme les âmes sont arrêtées en leur sens, qu'elles se croient elles-mêmes et qu'elles ne sont point soumises à la direction. Je vous conjure, ma très chère fille, de recevoir ce que je vous dis de la part de Notre Seigneur. Je regarde ses intérêts en vous et votre sanctification en lui. Souffrez en son amour que je vous dise que ce n'est pas son esprit qui vous conduit, ni qui vous donne quantité de lumières que vous recevez sur différents sujets. Vous vous mettez en hasard, par trop de croyance que vous y avez et d'adhérence secrète que vous y portez, de tomber dans un état duquel on ne peut quasi jamais sortir et qui a des suites du dernier affligeant. Je vous aime trop pour vous voir tomber petit à petit dans cet abîme sans vous en avertir et vous conjurer, par l'amour qui vous a portée si ardemment à embrasser l'Institut de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, de mettre un prompt remède au mal que vous n'éviterez pas infailliblement, si vous ne suivez le conseil des personnes qui ont la lumière de Dieu et qui la reçoivent pour
vous, puisqu'ils ont l'autorité du supérieur et qu'ils ont droit de vous diriger. Je vous en avais suppliée il y a quelque temps ; vous commençâtes ; je crois que vous avez désisté depuis quelques mois, ce qui me touche sensiblement, sachant bien que vous ne pourriez éviter le mal dont vous êtes menacée que par cette voie. Je voudrais pouvoir faire un voyage pour vous aller persuader plus fortement par mes paroles de la vérité très importante que je vous écris, mais, comme je ne le puis faire présentement pour un grand nombre de raisons, je vous prie, ma chère fille, ne différez pas davantage, donnez-moi cette consolation que je vous voie soumise comme un petit enfant à N.Vous ne doutez point de sa capacité. Il dirige dans ce pays des âmes très élevées ; ne le négligez point, ma très chère fille, vous ne l'aurez pas toujours et vous le regretterez quand vous l'aurez perdu. Connaissez le secours que la Providence vous donne en sa personne. Vous n'ignorez pas la marque de l'esprit de Dieu dans une âme : c'est la sincérité en l'ouverture de son intérieur et la soumission. Hors ces deux points, ce ne sont que vanité, superbe et effets du démon. On dit que vous avez pris la peine de nous écrire ; outre celle à laquelle je vous ai répondu, je n'en ai point reçu. Je souhaite avoir la consolation de vous voir et vous protester que je suis de coeur en Jésus.
no 1668 C405
296 CATHERINE DE BAR
À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME LE DUC DE LORRAINE
30 mai 1668
Monseigneur,
e zèle incomparable que Votre Altesse Sérénissime fait paraître
si hautement partout pour l'honneur du Fils de Dieu au Très Saint Sacrement de l'autel l'a portée à aimer une congrégation qui, par son Institut, s'est obligée de l'adorer perpétuellement de jour et de nuit et même à solliciter votre très humble sujette de vouloir l'établir en quelque ville de ses Etats (1), ce qui n'a pu réussir jusqu'à présent pour les causes qui lui sont connues ; et depuis, Madame Royale, duchesse douairière d'Orléans, a cru qu'elle ne pouvait mieux faire soutenir le monastère de Notre-Dame de la Consolation, situé en votre bonne ville de Nancy, dont elle prend le soin comme fondatrice (2) avec votre Altesse Sérénissime, qu'en l'unissant à notre congrégation de l'Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, du consentement et à l'instance des religieuses du dit monastère de la Consolation ; pour à quoi parvenir elle aurait demandé l'agrément de votre Altesse, qui lui aurait été accordé avec pouvoir d'en disposer comme elle jugerait plus à propos pour cette union ; à quoi elle n'a rien oublié pour l'exécution de son dessein, en sorte que, les choses se voyant en état, l'on va travailler incessamment à dégager le dit monastère de ses dettes et à pourvoir à la subsistance des religieuses.
C'est pourquoi, Monseigneur, nous assurant sur les bontés que votre Altesse Sérénissime témoigne en toute occasion pour Madame Royale, sur ce que cette union ne tend qu'à faire honorer en sa bonne ville le Fils de Dieu au Très Saint Sacrement d'un culte très particulier et édifiant, et à remplir un monastère tout bâti d'une plus grande communauté qui porte quoi y subsister, nous supplions avec de très profonds respects votre Altesse Sérénissime, qu'il lui plaise ratifier tout ce qu'elle a agréé et promis ci-devant pour cette union, prendre sous sa protection la suppliante sa sujette et toutes les religieuses, et autoriser de son pouvoir tout ce qui se fera pour l'établissement et le bien de cette maison de la Consolation. Ce sont les grâces qu'elles espèrent de votre bonté, Monseigneur, et elles continueront leurs vœux et prières pour la santé et prospérité de votre Altesse.
Soeur Mectilde du Saint Sacrement Prieure
n02131 P160
(I) Le duc avait autorisé Mère Mectilde a fonder une maison de son Institut à Saint-Dié, sa ville natale. Seule l'opposition irréductible des chanoines du chapitre de Sainte-Croix l'en empécha.
Il semble certain que le duc de Lorraine était très désireux de voir s'étendre dans ses Etats les monastères du Saint-Sacrement.
LETTRES INÉDITES 297
A SON ALTESSE LE DUC DE LORRAINE
[ 1668 1
Monseigneur,
IC es soins extraordinaires que- l'amour que votre Altesse a pour le très
adorable Sacrement de l'Autel lui inspirent pour l'établissement de son adoration perpétuelle dans le monastère des religieuses Bénédictines de la Consolation de la bonne ville de Nancy, la porteront sans doute à contribuer pour la solidité et la fermeté de cet ouvrage qu'il n'y ait plus ci-après en ce monastère de la Consolation d'autre Abbesse que la très sainte Mère de Dieu, puisque l'Institut de l'Adoration perpétuelle, ne voulant pas séparer le Fils d'avec la Mère, et honorant le Fils de Dieu en la divine Eucharistie par un culte perpétuel, et rendant à la très sainte Vierge tous les honneurs possibles, a réglé comme un point essentiel de ses constitutions qu'il n'y aura jamais d'autre Abbesse en tous les monastères du Saint Sacrement que la très digne et très imcomparable Mère de Dieu.
C'est pourquoi ces deux divins objets qui font le plus tendre de la dévotion de son coeur et qui attireront des grâces extraordinaires sur votre Altesse et l'assurance de son salut, donnent l'humble hardiesse à soeur Mectilde du Saint Sacrement, Prieure des religieuses de l'Adoration perpétuelle de Paris, de supplier votre Altesse comme elle fait, avec tous les respects et toutes les instances possibles, qu'elle daigne interposer son autorité pour en supprimer le titre, par son résident auprès de Sa Sainteté, vers laquelle Madame Royale agira aussi de son côté pour avoir toutes les expéditions nécessaires pour cet effet qui ne tend qu'à honorer le Fils de Dieu et sa très sainte Mère. Et, outre qu'une action de si grande piété ne peut que l'assurer toujours davantage des faveurs du Ciel, elle obligera la suppliante à continuer ses voeux pour l'heureuse prospérité de votre Altesse.
Soeur Mectilde du Saint Sacrement Prieure
no 2086 P160
(2) Catherine de Lorraine (1580 - 1648), fille de Charles III, duc de Lorraine, et de Madame Claude de France, d'abord abbesse de Remiremont, fonda en 1624 un monastère à Nancy pour y pratiquer la règle de saint Benoit dans toute sa rigueur primitive. Mais, en 1633, Louis XIII ayant envahi la Lorraine, pour empêcher le duc de s'allier aux Impériaux. Madame Catherine dut fuir Nancy assiégée et se réfugier chez sa soeur, la duchesse de Bavière, puis chez sa nièce l'archiduchesse d'Innsbrück, Ce n'est qu'en 1644 qu'elle put rentrer en Lorraine. Sa nièce, la duchesse d'Orléans la fit alors venir près d'elle à Paris où elle devait mourir quatre ans après. Par testament, elle confiait son monastère de Nancy à Marguerite, duchesse d'Orléans, sa nièce : «Tout ce qui s'y retrouvera à mon dit monastère de Notre-Dame de Consolation et duquel je suis première abbesse et fondatrice, à l'heure de ma mort, je le donne à mes dites religieuses et à l'abbesse... Je supplie son altesse royale Madame la Duchesse Dorléans de vouloir accepter la (susdite) que je luy supplye - au nom de Dieu destre l'exécutryse de ce mien testament et dernyer volonté... Ce dimanche pénultième de décembre mil six cent quarante six». (Arch. dép. de Meurthe et Moselle, H. 2399. - Edouard Gérardin, Histoire de Lorraine, BergerLevrault, Paris, 1925. Cf. C. de Bar, Documents, 1973. p. 248 et suiv.).
LETTRES INÉDITES 299
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
du jour les Trépassés, 2 de novembre 1668
Ma très chère Mère,
'est pour vous dire que notre bonne Mère Benoite de la Passion,
[de Bremèl, Prieure de notre maison de Rambervillers n'est plus de ce monde : elle a pris son vol au Ciel, comme sa sainte vie nous le fait espérer.
J'envoie à Madame une lettre qui vous en fera connaître davantage : tout ce que je puis vous dire, c'est que j'en suis fort touchée et que notre Institut fait une perte très considérable de sa personne.
Vous savez comme elle était estimée dans le pays ; tout le monde la pleure et la regrette. On a pensé forcer notre maison pour avoir la consolation de la voir et pour faire toucher à son corps quelques chapelets, linges et images.
C'est une chose surprenante des sentiments des peuples et de la peine qu'on a eue de faire son enterrement. On n'a voulu ni chanter, ni sonner pour qu'il fût fait plus secrètement ; mais au lieu d'être bien caché une foule de monde est venue tout d'un coup criant : La Sainte Mère, la Sainte Mère ! nous la voulons voir, on l'enterre.
On a pensé que plusieurs seraient morts dans la presse. De plusieurs années il ne's'est vu une chose si touchante ; trois jours n'ont pas suffi à quelques religieuses pour faire toucher incessamment quelques images, chapelets, taffetas à son corps. Vous verrez qu'on ne l'a pu enterrer que trois jours après sa mort, à cause d'une chaleur qui lui était restée au coeur et qui a donné de l'étonnement aux médecins et chirurgiens qu'on envoya quérir exprès pour avoir leurs sentiments ; doutant qu'elle fût morte ; tous ont attesté que cela n'était pas naturel.
Je ne puis vous mander les autres particularités ; je suis si pressée que je ne sais si vous pourrez lire ce brouillon.
Voilà une bonne amie que vous aurez au Ciel. Souvenez-vous de moi devant Notre-Seigneur et soyez assurée de la promesse que je vous ai faite qui sera inviolable en son amour.
no 199 18 Adieu
Monastère de Rambervillers
•
LETTRES INÉDITES 303
A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE
29 novembre 1668
ous pouvez croire, ma très chère Mère, que c'est par impossible que
je n'ai point fait ce que vous m'avez demandé. Notre bon Père est toujours malade et dans un péril très grand d'hydropisie ; il ne sort point du lit, on ne croit pas qu'il en puisse relever. Nous en avons toutes un fort grand regret ; c'est un rare homme pour la direction et il a l'humilité et la simplicité d'innocence d'un enfant, et cependant savantissime et homme de grande pénitence et d'oraison. Je le recommande à vos saintes prières. Vous me manderez si vous voulez le Père qui nous confesse. C'est celui que vous vîtes au mois d'octobre vers la Sainte Ursule. Si vous l'agréez, je le prierai d'aller entre ci et l'Immaculée Conception. Je suis ravie de vous voir dans des résolutions si saintes et que vous ayez eu le courage de dire ce qui a retardé votre perfection. Puisque vous avez maintenant la liberté de choisir un directeur, priez Notre Seigneur de vous en donner un qui vous mène dans le véritable sentier de votre sanctification. Ce bon Père Prieur en était capable, mais il faut le rendre à Dieu puisqu'il ne le met pas en état de vous y servir. Je ne sais présentement qui vous donner, car, à vous dire vrai, je suis fort difficile à planter mon bourdon ; j'ai tant vu et tant connu de choses et en apprends tant tous les jours que je suis, sinon défiante, du moins fort retenue. Faisons ensemble une prière à la très sainte Vierge pour trouver un homme selon le coeur de Dieu. Mandez-moi votre inclination intérieure, si un Jésuite, un Carme, un Augustin, etc...,
afin que je cherche ce qui sera de meilleur. Mais, en attendant, ne
laissons pas de nous rendre fidèles et d'aller à Dieu de tout le coeur. Laissons les morts ensevelir les morts [Mt 8,22] ne nous arrêtons plus. Je vous prie de lire les livres du Père Guilloré (1), ce sont «Les Maximes du christianisme». 11 vous servira - ; vous y apprendrez qu'une âme abjecte fait les délices du coeur de Jésus. Chérissez cet avantage mille fois plus que d'être honorée des monarques de la terre. Il est temps de lui complaire et de ne plus s'amuser aux créatures. Allons, ma très chère Mère, boire à longs traits de cette eau vive qui rejaillit à la vie éternelle, et ne courons plus aux citernes de ces eaux bourbeuses et qui nous souillent au lieu de nous purifier. Si, avant que de mourir, nous pouvions perdre ce que nous avons dans les créatures. nous ferions
(1) François Guilloré (25 décembre 1615 - 1684), jésuite français, né au Croisic, diocèse de Nantes, est admis au noviciat le 22 octobre 1638. Il enseigne avec succès pendant onze ans puis se consacre à la direction des âmes. Ses ouvrages sont encore d'un grand intérêt et justifient l'idée qu'avaient de lui ses contemporains qui le regardent comme un mystique profond. Le volume dont parle Mère Mectilde doit être «Maximes spirituelles pour la conduite des âmes» paru à Nantes en 1668. Après avoir saintement gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe, le Père est mort à Paris, le 29 juin 1684. Bulletin des Ecrivains de la Compagnie de Jésus, par les R.P.P. Augustin et Alois de Bacher, le série ; D.T.C., fasc. X LV I I I, col. 1989.
304 CATHERINE DE BAR LETTRES INÉDITES 305
une merveilleuse conquête. Soyons fidèles à la grâce et nous verrons qu'elle nous conduira dans ce bonheur. Je prie Notre Seigneur qu'il me fasse la miséricorde d'y entrer avec vous. Hâtons-nous, ma très chère Mère ; le temps nous presse, nous n'avons plus qu'une petite poignée de jours.
Je vous prie d'avoir la bonté de faire mes profonds respects à Madame et mes très humbles saluts à ma très chère Mère de Saint André. Je vous dirai avant que de finir que Notre Seigneur verse de grandes grâces sur la maison de Nancy yces bonnes Mères âgées de soixante ans d'années demandent humblement d'entrer au noviciat pour se renouveler et se préparer à faire le voeu de l'adoration perpétuelle. C'est une consolation très grande de voir que Notre Seigneur fait de ce lieu un objet de ses complaisances ; il le paraît par les grandes grâces qu'il y communique ; cela est surprenant ! Je vous prie de l'en remercier ; je sais la part que votre amitié pour nous y prend. Je vous dirais beaucoup de choses très particulières, mais je n'ai de temps que pour vous assurer que je suis en Jésus toute à vous.
no 3134 N254
A LA COMMUNAUTÉ DE NANCY
4 décembre 1668
C'e suis ravie, mes très Révérendes et très chères Mères, que l'amour du Fils de Dieu dans l'adorable Eucharistie s'allume si ardemment dans vos coeurs qu'il vous presse de vous y consacrer en qualité de ses victimes, pour lui rendre vos hommages jours et nuits et vivre de son esprit d'hostie et de sacrifice. J'ai une sensible joie que sa gloire soit augmentée par votre zèle et que, vous tâchiez de nous en donner des marques.
Permettez-moi de vous supplier, mes très honorées Mères et très chères Soeurs, de bien peser le voeu que vous prétendez faire. Ce n'est pas assez qu'il vous engage à l'adoration perpétuelle et qu'il vous incorpore à une congrégation qui lui est consacrée, mais il faut prendre l'esprit de notre saint Institut. 11 faut travailler à la mort de nous-mêmes pour n'être plus animées que de la vie de Jésus ; il faut lui demander la grâce incessamment de vivre désormais uniquement de lui et pour lui, comme il vit de son Père et pour son Père. Nous lui devons sacrifier tous nos désirs et nos affections. Nous devons même prendre à tâche de mourir aux inclinations de la nature et des sens et de n'agir plus par humeur naturelle. Le voeu de l'adoration perpétuelle doit être un renouvellement universel de toute votre vie et de toutes vos actions ; il doit opérer une nouvelle ferveur, un nouveau désir de perfection et surtout une fidélité inviolable. 11 renferme en soi celui de victime, qui vous oblige à soutenir jusques à l'épanchement de votre sang et la perte de votre vie pour la gloire et les intérêts de Jésus en ce mystère d'amour. Mais ce n'est pas comme le commun des hommes et des chrétiens qui se contentent de faire un peu honorer Notre Seigneur en faisant quelques oeuvres extérieures à sa gloire.
Il faut, mes très chères Mères, que nous ayons un zèle ardent d'arracher de nos coeurs tout ce qui l'empêche de régner souverainement en nous et d'y avoir ses complaisances. Ce n'est pas assez, il faut porter son amour dans les coeurs de ceux qui le profanent et contribuer à leur salut en réparant pour eux. Il faut même, pour abréger vos devoirs à cette auguste eucharistie, que vous tendiez à une si haute pureté de coeur et d'opération que le Fils de Dieu trouve en vous supplément de gloire et de plaisir, pour ce que les profanateurs de son divin sacrement lui dénient par leurs crimes. Il faut de plus qu'il n'y ait pas un respir en nous qui ne soit consacré à son honneur, nous persuadant bien sérieusement que nous n'avons plus aucun droit sur nous, ni de disposer de quoi que ce soit en nous. Jésus, par le voeu de victime, rentre dans tous ses droits en nous. Et nous devons de moment en moment mourir pour lui dans les occasions de sacrifice, afin d'être en état de mourir uniquement pour sa gloire, quand il lui plaira nous appeler au combat pour soutenir ses intérêts. Mais soyons assurées et certaines que nous ne les soutiendrons jamais par l'épanchement de notre sang que nous ne les ayons soutenus intérieurement en mourant à nous-même. C'est en nous qu'il faut commencer de réparer la gloire de cet aimable Sauveur ; c'est en nous qu'il f