Collectes au sein de traductions françaises et anglaises
Dominique Tronc, 2020
préparé pour le web sans lignes blanches
Je propose à l’usage d’Amis un choix de poèmes et de commentaires en un « vol » opéré sur les travaux de divers traducteurs.
Les entrées de premier niveau regroupent les poèmes assemblés par auteur ou proposés en florilège (entrées ou chapitres séparés par « §§ ).
Les poèmes sont titrés en second niveau ( pièces séparées par « § »).
Chaque pièce occupe une ou parfois deux pages. Ce treizième volume est plus épais que les précédents mais en plus aéré et en débordant le « domaine de la mystique ».
Trente-cinq sources, un demi-millier de poèmes. Consultez la table des matières.
Un même auteur ou un même poème peut se retrouver présenté sous des sources distinctes. Pour respecter les choix des traducteurs, leurs idiotismes et leurs commentaires - profonds, ils sont ici parfois repris partiellement - je n’ai pas cru bon d’opérer des regroupements. Parfois plusieurs traductions sont mises côte à côte dans une même source - diverses adaptations à fin de mieux faire regretter de ne pouvoir remonter au chinois.
Les entrées de niveau 2, ‘titre de livres (traducteur)’, correspondent aux sources utilisées.
Les entrées de niveau 3, ‘nom d’auteur’ ou ‘titre donné par le traducteur’ ou ‘début (incipit) de traduction’, correspondent aux poèmes.
Un même corps assez petit gras lisible pour les poèmes ou normal pour les commentaires.
D’un chapitre, l’entreprise est devenue un volume. Une collecte prévue initialement comme chapitre du tome douzième dédié à une ‘Chine mystique’ limitée au taoïsme est maintenant rattaché aux Anthologies, seconde partie du présent volume. Entreprenant une collecte parallèle, destinée à laisser respirer le lecteur parvenu à mi-chemin de son parcours du tome onzième ‘Bouddhisme Sino-japonais’, j’ai réalisé, outre la fusion vécue par les chinois entre leurs (au moins) ‘deux religions’, qu’il fallait donner la plus grande place à des poètes ‘humanistes’. Confucius ne réglait-il pas la société, donc le vécu de chacun parmi tous, et celui de ceux, les poètes-érudits-fonctionnaires qui en rendaient compte ?
En clair : j’ai élargi une cible dont le blanc demeure à mon sens « mystique », le terme étant suffisemment ambigü pour englober toute vie profonde. Allant ainsi au-delà de toute ‘religion’.
Ce treizième tome poursuit la série de grands textes présentés sous l’appellation de mystiques. Il pallie à une ignorance partagée.
Bremond, dans son Histoire du sentiment religieux - le mot mystique lui fut déconseillé - ouvrait sur un tome “L’Humanisme dévot” avant de traiter tout à tour des membres de ‘religions’ au sein d’une ‘école française’ du dix-septième siècle. Ce mot ‘religion’ - pris au sens ancien comme l’intérieur d’une culture chrétienne commune du dix-septième siècle français, celui d’Ordre religieux - fut vécu de même en Chine en une grande diversité au sein d’une culture centralisée.
Première partie
PAR NOMS D’AUTEURS
§
Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod)
Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846)
Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy)
Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren)
Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren)
Deuxième partie
La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937)
Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957)
Anthologie (Paul Demiéville 1962)
Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971)
Poems From Korea (P.H.Lee 1974)
Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975)
Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984)
« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986)
Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987)
La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987)
Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990)
Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997)
Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001)
Antologie (Jacques Pimpaneau 2004)
427 Tao Yuan Ming (365-427) 606 Seng Ts'an (- ~606?) 761 Wang Wei (701-761) 762 Li Po ou Li Bai (701-762) 770 Tu Fu (712-770) 109 800 Han-shan (P. Carré) (~800) 804 Lu Yu (733-804) 145 846 Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846) 858 Li Shangyin (812-858) 1000 Le Dit du Genji (~1000) 1101 Su Tung po ou Su Dongpo ou Su Shi (1036-1101) 1200 Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200) 1206 Yang Wan Li (1127-1206) 1481 Ikkyû (1394-1481) 1694 Bashô (1644-1694)(Sieffert)§ Deux siècles favorables : sous les Tang (de 761 à 858) puis sous les Song (de 1101 à 1206) §§
« La poésie se définit comme un regard nouveau sur la Nature au moyen du rythme et du son. La mystique est une union au principe lumineux par transmission entre un maître et un disciple de l’amour éternel. Or, précisément, la mystique permet la simplification du regard, de la vision, et fait du poète le chantre de la Nature. Les mystiques s’expriment souvent par le poème qui permet seul d’évoquer l’accès au sans accès par le détour, l’allusion.
L’Extrême-Orient a particulièrement illustré le lien entre Nature éternelle et nature naturée. Elle est par excellence « l’essence de l’éveil » (Wei king-tche, XIIe siècle). « Le sommet de la poésie est unique et s’appelle accès à l’esprit » (idem). La poésie d’extrême-orient a profondément été marquée par le taoîsme et le bouddhisme tchan/zen. Le poète est un « voyageur au départ infini » (Wang-wei). Elle « ouvre un champ d’énergie accordé à la justesse du vivant » (Patrick Carré et Zéno Bianu).
La Chine a dominé la poésie est-asiatique par son ancienneté, sa richesse et sa durée. « La poésie est partout en Chine » (Paul Demiéville). « Une des raisons de cette primauté tient à la nature intrinsèque de la langue chinoise » (idem). Ses quatre poètes principalement reconnus sont Li Po, Tu fu, Wang wei et Su Dongpo. Elle imprègne la poésie de la Corée et du Japon. Elle constitue la langue véhiculaire des lettrés japonais et coréens, comme le latin en occident.
De nombreux poètes japonais et coréens se rendent en Chine. La poésie japonaise réussit à prendre son autonomie en développant des formes originales comme le Tanka, le Renga ou le Haïku. Dogen et Basho sont les poètes les plus importants du Japon.
Quant à la poésie coréenne, elle est marquée elle aussi par l’influence chinoise. L’alphabet coréen naît au quatorzième siècle seulement.
Ce recueil est un florilège, un bouquet de fleurs poétiques et mystiques. Souhaitons bon voyage au lecteur qui plongera dans l’inconnu pour y trouver du nouveau. »
Emmanuel Cheiron.
TAO YUAN MING l'homme, la terre, le ciel enfin je m'en retourne poèmes présentés et traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET calligraphie de CHENG Wing fun deuxième édition revue et corrigée Moundarren chemin des bois Millemont 78940 France
12ème mois de l'année kui mao, composé pour mon cousin Chin yuan [8]
je me suis retiré dans mon humble demeure,
éloigné du monde extérieur avec lequel j'ai rompu
alentour personne ne me comprend
mon portall en branchages reste tout le temps fermé
c'est la fin de l'année, le vent est froid
le temps est maussade, toute la journée il neige
j'écoute attentivement, pas le moindre bruit
je contemple toute cette blancheur immaculée qui m'entoure
l'air vif assallle ma poitrine et mes manches
même un repas frugal je ne puis me procurer
dans la pièce vide, désolante,
que je considère du regard, rien pour me revigorer
j'ai parcouru les livres de mille années,
y rencontrant souvent des hommes exemplaires
[pour la noblesse de leur caractère
la vertu je n'ose y prétendre,
je me contente d'accepter humblement la pauvreté
le chemin droit d'une carrière officielle
[depuis longtemps je n'emprunte plus
qu'y aurait-il de condamnable à vivre retiré ?
je confie mon sentiment au-delà des mots,
à part toi qui peut comprendre ?
pluie incessante, buvant seul
c'est un processus naturel, la naissance conduit à la mort
depuis les temps anciens il en est ainsi
[…]
[16]
enfin je m'en retourne
les champs et le jardin doivent déjà être en friche,
pourquoi ne m'en suis-je pas retourné plus tôt ?
j'ai laissé mon coeur être l'esclave de mon corps
inutile pourtant de rester accablé, de m'attrister sur mon sort
je réalise que si au passé on ne peut remédier,
l'avenir par contre on peut l'infléchir
mon chemin finalement ne s'est peut-être pas trop égaré
aujourd'hui j'ai raison, hier j'avais tort
la jonque vogue allègrement,
le vent souffle, souffle dans mon vêtement
j'interroge des voyageurs pour trouver le bon chemin,
regrettant qu' à l'aube la lumière soit encore indécise
dès que j'aperçois mon humble hutte,
ravi aussitôt je me mets à courir
le jeune serviteur vient à ma rencontre,
mes jeunes enfants m'attendent sur le seuil de la porte
les trois sentiers sont déjà envahis par les herbes folles,
pins et chrysanthèmes sont toujours vivaces
tenant les enfants par la main j'entre dans la maison
il y a un pot rempli de vin
je prends le pot, me sers et bois seul
à contempler les arbres dans la cour mon visage se réjouit
appuyé à la fenêtre au sud je confie mon dédain
[envers le monde de poussière
si l'on se contente d'avoir de quoi caser ses genoux,
[on est facilement satisfait
au jardin tout le jour je me promène avec plaisir
même s'il y a un portall, la plupart du temps il reste fermé
une canne à la main je déambule pour me détendre
parfois je lève la tête et contemple au loin
les nuages, sans intention, surgissent des cimes des montagnes
les oiseaux, las de voler, spontanément s'en retournent
la lumière du soleil diminue, il va bientôt se coucher
je caresse un pin solitaire et continue à musarder
enfin je m'en suis retourné
j'ai souhaité rompre avec les obligations du monde,
le monde de poussière et moi nous opposons
pourquoi voyager en carrosse ? il n'y a rien à rechercher
me réjouit une conversation sincère avec mes proches,
je jouis de mon ch'in et de mes livres, ils chassent les soucis
quand le printemps arrive, les paysans me donnent des conseils
il faudra bientôt travalller les champs à l'ouest
parfois j'emprunte une charrette avec une capote,
parfois je rame sur ma barque solitaire
tantôt je longe une gorge profonde et sinueuse,
tantôt je franchis une colline accidentée
là où des arbres luxuriants s'épanouissent,
une petite source lentement sourd
m'émerveillent les dix mille choses, chacune au moment propice
mais, n'est-ce pas navrant,
ma vie atteindra bientôt son terme
c'est ainsi
je confie mon corps au ciel et à la terre,
[pour combien de temps encore ?
pourquoi ne pas suivre son coeur et se laisser aller à son gré ?
pourquoi donc ?
on s'affaire, on s'agite, à quoi cela mène-t-il ?
la richesse et le statut ne sont pas mon ambition,
le pays des immortels je ne puis non plus l'espérer
[…]
§
Eté 413, au Village du sud- Le Hua shan est la montagne sacrée de l'ouest, le Song shan la montagne sacrée du centre.
le 1er jour du 5ème mois, composé en réponse au secrétaire Tai
quand la barque est vide, les coups de rames sont allègres et rapides
jours et nuits alternent, le temps file
l'année commence à peine,
que soudain elle en est déjà à la moitié
la fenêtre au sud regorge des choses de la saison,
la forêt au nord est vivace et luxuriante
de la mer des nuages célestes se déverse la pluie propice,
la couleur du matin annonce comment sera le vent
ce qui est venu doit repartir,
la vie d'homme observe le même principe
vivre humblement en attendant sa fin,
la tête reposée sur son bras replié, n'est pas contraire à la voie
que le cours des choses soit paisible ou périlleux,
je laisse mon coeur aller, sans souci des hauts et des bas
si la compréhension des choses qu'on a devant les yeux est élevée,
nul besoin de grimper sur les montagnes sacrées Hua et Song
[53]
§
en buvant du vin
la vertu a décliné depuis presque mille années
tout le monde est devenu avare sur le sentiment
il y a du vin mais plus personne ne veut boire,
on se préoccupe seulement de laisser un nom
ce qu'il y a de plus précieux en nous,
n'est-ce pas de notre vivant ?
la vie, combien de temps dure-t-elle ?
rapide comme l'éclair elle passe
être affairé pendant cent années,
si l'on s'en tient à ça, comment s'accomplir ? [77]
§
[120] La Source des fleurs de pêchers
Lors du règne de la dynastie Chin, durant l’ère Tai yuan (376-396), un homme de Wu ling, pêcheur de son état, remontait une rivière, sans se soucier de la longueur du chemin parcouru. Soudain il arrive dans une forêt de pêchers qui borde les deux rives sur plusieurs centaines de pas. A l'intérieur nul autre arbre. Sur les herbes odorantes, fraîches et belles, les pétales de fleurs tombent profusément, confusément. Le pêcheur, fort intrigué, continue d'avancer et décide d'explorer cette forêt jusqu'au bout. Là où la forêt se termine, à la source de la rivière, il découvre une montagne. Au flanc de la montagne il y a une petite ouverture, on dirait qu'il en sort de la lumière. Il abandonne là sa barque et se glisse dans l'ouverture. Au début c'est très étroit, juste la place pour que passe un homme. Il fait ainsi quelques dizaines de pas quand brusquement ça s'élargit. Il débouche bientôt sur un vaste plateau. Il y a là des maisons bien disposées, de beaux champs, un bel étang, des mûriers, des bambous et d'autres arbres du même genre. Les sentiers se croisent, on entend des coqs et des chiens. Des gens vont et viennent, vaquant à leurs occupations. Hommes et femmes sont vêtus comme tout le monde. Les vieux et les enfants ont tous l'air content et joyeux. Les premiers à rencontrer le pêcheur sont très surpris. Ils lui demandent d'où il vient. A toutes leurs questions il répond. Puis ils l'invitent chez eux, préparent du vin et tuent un poulet pour le repas. Quand au village on entend parler de cet homme, tous viennent lui demander des nouvelles. Ils lui racontent que leurs ancêtres, fuyant le chaos de l'époque Ch'in, partirent avec leurs femmes et leurs enfants. Ils aboutirent ici dans ce territoire retiré. Ils ne sont plus jamais repartis, vivant ainsi définitivement coupés des gens à l'extérieur. Ils lui demandent quelle dynastie règne aujourd'hui, ils ne connaissent pas les Han, encore moins les Wei et les Chin. Le pêcheur raconte en détall tout ce qu'il sait, tous en sont bouleversés et soupirent. Les uns après les autres ils l'invitent dans leurs maisons, lui offrent du vin et de quoi manger. Il séjourne là plusieurs jours. Avant de repartir, les gens d'ici lui demandent de ne pas parler d'eux aux gens de l'extérieur. Une fois ressorti, il retrouve sa barque, suit le chemin par lequel il est venu, prenant soin de laisser des repères derrière lui. Quand il arrive à la ville, il se rend aussitôt chez le chef de district et lui raconte son aventure. Immédiatement le chef du district charge des hommes de retourner là-bas avec lui. Il recherche ses anciennes marques, mais s'égare et ne parvient pas à retrouver le chemin. Liu Tzu chi, de Nan yang, un homme au caractère noble, entendant parler de cette histoire, se réjouit au projet de rechercher cet endroit, mais ne put finalement le réaliser. Peu de temps après il tomba malade et mourut. Depuis, plus personne n'a demandé le chemin.
§
si luxuriants sont les arbres devant la salle de séjour,
en plein été leur ombrage conserve la fraîcheur
le vent du sud arrive au moment propice,
tournoyant il ouvre légèrement ma robe sur ma poitrine
retiré du monde, je m'abandonne à l'activité oisive
je m'allonge, me lève, jouis de mes livres et de mon ch'in
dans le potager les légumes sont abondants,
du grain de l'année dernière il reste encore aujourd'hui
de se nourrir le besoin a un seuil,
dépasser ce seuil n'est pas ce à quoi j'aspire
j'ai décortiqué du riz pour fabriquer du bon vin
le vin est mûr, je me sers
mon jeune fils joue à mes côtés
il apprend à parler, il babille encore
ces choses-là donnent vraiment à se réjouir,
et font oublier les insignes officiels
je contemple au loin les nuages blancs
ma nostalgie des temps anciens, comme elle est profonde [7]
§
longtemps j'ai quitté les montagnes et les lacs pour une [fonction officielle désormais je me consacre aux joies des forêts et de la campagne j'emmène mes fils et mes neveux écartant les buissons nous nous promenons dans un [village en ruine, et musardons au milieu des tombeaux on distingue vaguement les demeures des hommes d'autrefois, il y a des traces de puits et de fourneaux mûriers et bambous sont desséchés, les racines ont pourri j'interroge un bûcheron "que sont devenus tous ces gens ?" le bûcheron répond "ils sont tous morts, il n'y a plus personne" en une génération la cour impériale et le marché sont renouvelés, ce n'est pas là un vain dicton la vie est comme une illusion on finit toujours par retourner au vide. [43] §
Printemps 414, de retour à Nan chuan, le Village du sud, à cinquante li à l'ouest du Lu shan où il vient de séjourner. Liu Yi min, ancien préfet de Tsai sang (le village natal de Tao Yan ming), s'est retiré, cinq années auparavant, sur le Lu shan pour y vivre en ermite. Il invite Tao Yuan ming à venir rejoindre Hui yuan, le sage bouddhiste du temple Tung lin, et les autres moines et ermites du Lu shan.
montagnes et lacs depuis longtemps m'appellent
pour quelle raison hésité-je encore ?
c'est simplement à cause de la famille et des vieux amis,
que je ne puis envisager de vivre en ermite
le temps splendide me bouleverse le coeur,
tenant ma canne je regagne ma chaumière à l'ouest
sur le chemin en broussailles nul passant
de temps à autre j'aperçois un hameau abandonné
le toit en chaume vient d'être réparé
un nouveau champ a été défriché, il faut maintenant le labourer
le vent d'est devient frais,
le vin printanier calme ma faim et ma fatigue
bien que le vin soit léger, qu'il manque de caractère,
pour me consoler pourtant c'est mieux que rien
agitées, si agitées sont les affaires du monde
de mois en années je m'en suis éloigné
je cultive et tisse juste pour mes besoins
dépasser cela vaut-il la peine ?
file, file le temps, dans cent années,
corps et renom auront ensemble disparu.
[63] §
420. Série de six poèmes. Au pays Chan, personne n'offrit l'hospitalité à maître Kong (Confucius) qui resta dix jours sans manger.
la fin de l'année est froide et maussade vêtu seulement d'une toile grossière, dans la véranda je me réchauffe au soleil dans le potager au sud la verdure a disparu le jardin au nord est peuplé de branches dénudées du pichet je me sers à boire, plus la moindre goutte je regarde le fourneau, aucune fumée mes livres de poèmes sont entassés dans un coin le soleil décline déjà, je ne suis pas d'humeur à étudier je vis retiré, sans pour autant me retrouver dans l'embarras au pays Chan quand insidieusement monte l'amertume, comment me consoler le coeur ? avec les sages des temps anciens [101] §
C'est sur la montagne Shou yang que Po yi et Shu ch'i, les deux fils du roi de Shang, se retirèrent lors du renversement de la dynastie par les Chou, en 1122 av., refusant de manger le grain de Chou. N'ayant que des fougères pour se nourrir, ils moururent de faim. Po Ya est le fameux joueur de ch'in qui s'arrêta de jouer quand mourut son ami Chong Chi, le seul à vraiment s'accorder à sa musique. Chuang Chou est un autre nom de Chuang tzu, le sage philosophe taoiste du 4ème siècle av. qui arrêta de philosopher le jour où mourut som ami Hui shi. Chang yi est dans l'ouest de la Chine, Yu chow et la rivière Yi dans le nord.
quand j'étais jeune, robuste et fougueux, avec mon épée, seul je partis en pérégrination qui dit que mon voyage ne fut pas long ? de Chang yi jusqu'à Yu chow, affamé j'ai mangé les fougères de la montagne Shou yang, assoiffé j'ai bu l'eau de la rivière Yi je n'ai pas rencontré d'hommes avec qui m'entendre, j'ai seulement vu leurs tombeaux anciens sur le bord du chemin, deux hautes stèles, celles de Po Ya et de Chuang Chou des hommes de leur trempe, difficile d'en rencontrer encore je voyageais pour chercher quoi au juste ? [119] §§
Troisième patriarche de l’école bouddiste Chan
Seng Ts'an, Hsin Hsin Ming Ecrit d'un cœur confiant
Traité de spiritualité Ch'an du Vie siècle
Traduction et présentation de Daniel Giraud
Arfuyen, Paris, 1992
§ Ne discernant pas le sens profond Vous travaillez en vain à pacifier votre esprit Union parfaite, grande vacuité1 Sans manque ni superflu En réalité accepter ou renoncer Cause ce qui n'est pas Ainsi2 [9] § Ne demeurez pas dans les vues duelles Veillez à ne pas chercher à les suivre Dès qu'il y a bien et mal Le coeur égaré est ainsi embrouillé A l'origine de deux il y a l'Un Ne vous attachez pas à l'Un [19] L'ultime, au fond N'est pas gardé par des lois Le coeur éclairé s'unit à l'égal Siégeant au lieu où tout cesse Doute et méfiance s'épuisent complètement La confiance droite3 s'accorde et se redresse [41] § L'esprit de la foi n'est pas duel Non-dualité au coeur de la foi4 Discours et paroles cessent Plus de passé, futur, présent [53] §§
CENT QUATRAINS DES T'ANG TRADUITS DU CHINOIS PAR LO TA-KANG PRÉFACE DE STANISLAS FUMET [...] A LA BACONNIÈRE — NEUCHATEL 1947
[...] Peu à peu, imitant le style des yo-fou, les lettrés créèrent à leur guise des formes poétiques nouvelles. Cette tendance aboutit, sous les premiers empereurs des T'ang (VIIe et VIIIe siècles), à un genre de yo-fou tout nouveau, petits poèmes de quatre vers composés par des poètes célèbres du jour, des lettrés et de grands magistrats, que l'on chantait, en s'accompagnant de la flûte, dans tout l'Empire, depuis la cour jusqu'aux humbles cavernes : les quatrains.
Créé spécialement pour la musique, le quatrain n'était pas exclusivement destiné à la flûte, il s'adaptait aussi bien aux instruments à cordes. Néanmoins, que ce soit la flûte qui l'épouse avec le plus parfait bonheur, cela reste un fait acquis. Les innombrables anecdotes historiques en font foi.
Ces petites cantates de quatre vers ne furent vraiment vivantes que sous les T'ang. Plus tôt, on n'en voit que le germe ; plus tard, que l'écho faussé, pastiches ou plagiats. Car, si la poésie chinoise atteint son apogée sous la dynastie des T'ang, ce fut surtout le quatrain qui suscita l'engouement du jour. Sous les Song, Hong Maï a pu encore établir une Anthologie de Dix Mille Quatrains dee T'ang. Sans doute, dans cette floraison exubérante, un choix strict s'avère indispensable aux yeux de l'amateur de poésie pure. Nous n'avons osé en cueillir que cent, ayant à tenir compte des difficultés de traduction.
En quoi consiste enfin le charme du quatrain, ce sanglot long et monotone de la flûte ? Pour être parfait, un quatrain, avec la vingtaine de mots qui le compose, doit réunir ces trois vertus essentielles : la sonorité harmonieuse, l'évocation d'un état d'âme lointain et ineffable et la nouveauté des images poétiques. [...]
Neige sur le fleuve [27] Au-dessus de mille montagnes, nul oiseau ne passe. A dix mille lieues à la ronde, aucune trace humaine. Une barque. Le vieillard en manteau et chapeau de jonc, Solitaire, pêche la neige sur le fleuve gelé.
§
Réponse de la montagne [29] Vous me demandez pourquoi je perche sur la montagne bleue ; Sans répondre, je souris, le cœur en paix : Fleurs qui tombent, eau qui coule, tout s'en va et s'efface... C'est là mon Univers, différent du monde des humains. § Wang wei « Clôture aux cerfs » [35] Dans la montagne déserte, l'on ne voit personne. A peine parviennent quelques voix lointaines. Le reflet du jour envahit le bois sombre, Eclairant encore de la mousse dans l'ombre. §
Jouant du luth [43] Sur les sept cordes frissonnantes J'entends, calme, le vent dans les sapins fraîchir. C'est un morceau antique, de moi seul préféré, La mode du jour ne le reprend plus guère. §
Promenade LI CHANG-YIN [67] Vers le soir, ne sachant où fixer ma pensée, Je conduis mon char à travers la plaine antique. La splendeur du soleil couchant est ineffable ; L'ombre du crépuscule s'approche comme à regret. §
Ecrit sur la cellule d'un bonze [79] Les fleurs de palmier couvrent la cour, La mousse envahit la cellule solitaire. L'hôte et le visiteur ayant échangé des paroles sublimes se taisent. Dans l'air, on sent flotter un parfum inconnu. §
A un bonze [81] Sous les bois, dans la cour, montent les couleurs de la nuit. Sur la véranda de l'Ouest, on allume les lanternes de soie. Parfois, mon souvenir revient vers les ombres des grands pins, Où s'assoit, solitaire, un bonze de la montagne. §
Lettre de la montagne [85] Au milieu des nuages brouillés, je construis ma chaumière. De la poussière du monde mes traces s'éloignent de plus en plus. Ne me demandez pas comment je passe mes jours ! Devant ma fenêtre, l'eau qui coule, à mon chevet, des livres. §
Au maître Yang alchimiste PAO YONG [89] Le taoïste récite, la nuit, les prières des « Perles Fleuries », Une cigogne blanche descend et voltige autour de l'encens en écoutant. A la fin de la nuit, les prières finies, le taoïste monte sur la cigogne. Poussés par les vents du ciel, ils se perdent dans le lointain Infini de l'automne. §
Fraîcheur d'automne [99] Calme et tranquille, je dors le long du jour, Malade et vieilli, je suis un homme qu'on oublie. Au crépuscule du soir, devant l'entrée de ma maison, Les fleurs d'acacias couvrent profondément le sol. §
TSE LAN [115] En pensant à celui qui voyage dans le Sud, Je quitte ma maison, pour habiter sur la grande digue. Mille voiles, dix mille voiles passent... Nulle ne s'arrête devant ma porte ! §
Adieux à mon frère [117] Mouvantes sont les eaux du Grand Fleuve, Interminables les pensées du voyageur lointain. Les fleurs qui tombent ont-elles des regrets ? En touchant le sol, elles ne font même pas de bruit. §
Poème indolent [193] Le saule de mon voisin traîne gracieusement ses rameaux frêles, Telle la taille d'une fille de quinze ans. Par quel accident malheureux, ce matin, Le vent violent a-t-il brisé sa plus longue branche ! §
La fée de la lune [223] Sur la cloison de nacre s'obscurcit l'ombre de la chandelle, Peu à peu, la voie lactée décline, les étoiles du matin s'éteignent. La Fée de la lune regrette-t-elle d'avoir dérobé le breuvage d'immortalité ? Mer d'émeraude, ciel d'azur, nuit après nuit, tout témoigne de son coeur. §
Le palais de repos [225] Silencieux, désertique, c'est ici l'ancien palais de repos. Les fleurs du palais flamboient dans la solitude. Les dames de la cour aux cheveux blancs sont là, Assises, désoeuvrées, elles évoquent le souvenir de l'empereur défunt. §§
Paysages : Miroirs du coeur par Wang Wei CONNAISSANCE DE L'ORIENT TRADUIT DU CHINOIS SÉRIE CHINOISE PAR WEI-PENN CHANG ET LUCIEN DRIVOD collection « Connaissance de l'Orient », cette traduction a été relue par Etiemble.
Wang Wei Paysages : Miroirs du coeur [Quatrième de couverture:]
Wang Wei (701-761) est contemporain de Li Bai (701-762) et de Du Pu (712-770). Il vit durant la période où la poésie chinoise atteint ses plus hauts sommets : la splendeur des Tang. Lettré-fonctionnaire, il occupa des postes variés et connut des périodes de faveur et d'autres de disgrâce : ceux notamment de « fonctionnaire de droite chargé de reprendre les oublis de l'empereur», et de « fonctionnaire de gauche chargé de reprendre les omissions de l'empereur ».
Poète célèbre, Wang Wei fut aussi musicien, et peintre de grand renom. En peinture, il est considéré comme le père de l'École du Sud. Les historiens des lettres chinoises font de lui un représentant de l'École de la vie rustique. Wang Wei fut un fervent bouddhiste, marqué par l'enseignement du Uh'an, école centrée sur la pratique de la méditation. Le cosmos vit et traverse l'âme du poète, laquelle coïncide avec l'univers.
« Il est évident que toute la poésie moderne qui compte et qui se bande vers des puretés, hélas! souvent contradictoires, sinon incompatibles, résonne en harmonie avec les quatrains des Tang 1. » Pour un Occidental familier avec le développement de la poésie moderne, la lecture des poèmes chinois des Tang et en particulier de Wang Wei, donne à la fois une impression de proximité et de distance. Le sentiment de proximité peut s'expliquer de plusieurs façons. On peut en chercher la raison dans l'évolution du langage poétique occidental qui, depuis deux cents ans, s'est allégé des articulations syntaxiques pour aboutir à une sorte de juxtaposition de valeurs sémantiques bénéficiant d'une certaine liberté d'association. Cette liberté qui restitue aux mots leur polyvalence est inscrite dans la structure même de la langue chinoise. L'étude de François Cheng sur l'écriture poétique chinoise 2 comme la préface de Paul Demiéville à l'Anthologie de la poésie chinoise' le mettent clairement en évidence. Citons Paul Demiéville :
« Une autre conséquence du monosyllabisme est la fréquence du mot chinois, sa polyvalence grammaticale qui, en l'absence de toute morphologie, la forme du mot restant en principe invariable, fait qu'un mot comme ju qui vient d'être cité peut s'employer aussi bien comme nom que comme verbe : « phrase » et « phraser ». Il en résulte une imprécision qui nuit à l'expression analytique de la pensée (et il n'y a pratiquement jamais eu de logique
1. Stanislas Fumet, Préface à 100 quatrains des Tang, O. Zelück, éditeur, Paris, 1947, p. 18.
2. François Cheng, L'écriture poétique chinoise, Éditions du Seuil, 1977.
3. Paul Demiéville, Préface à l'Anthologie de la poésie classique chinoise, coll. Connaissance de l'Orient, Gallimard, 1962.
17
formelle en Chine), mais aussi une souplesse, une richesse de sens, une puissance de suggestion qui sont éminemment favorables à l'art poétique.
En corrélation avec l'évolution du langage poétique moderne, et peut-être en est-ce la véritable cause, la poésie moderne s'est dégagée de toute fonction extérieure à elle-même, de tout ce que Baudelaire appelle « l'hérésie de l'enseignement » (Art romantique) 2, hérésie qui commande l'éloquence et le discours : « Prends l'éloquence et tords-lui le cou » (Verlaine, Art poétique). La poésie classique n'a guère eu à surmonter cette tendance au discours, cette volonté d'être utile, de servir des causes. Son développement largement influencé par le taoïsme l'a presque constamment éloignée de cette tendance. En effet il n'existe pas de critique plus radicale de l'utilitaire que celle proposée par les taoïstes! « Produire sans s'approprier, agir sans rien attendre, guider sans contraindre, voilà la vertu suprême 3. » « L'homme parfait oublie qu'il a un foie et une vésicule biliaire, ne se soucie ni de ses yeux, ni de ses oreilles, il se promène sans but en dehors du monde poussiéreux et trouve sa liberté dans la pratique du non-agir (wu wei), cela veut dire qu'il agit sans rien attendre et guide les hommes sans les contraindre 4. » « Alors qu'il traversait une montagne, Zhuang Zi vit un grand arbre aux longues branches et au feuillage luxuriant. Un bûcheron qui coupait du bois, près de là, ne touchait pas à cet arbre. Zhuang Zi lui demanda pourquoi. " Parce que son bois n'est bon à rien, dit le bûcheron. — Grâce à son inutilité, cet arbre atteindra sa durée naturelle ", conclut Zhuang Zi 5. » Écoutons maintenant Rilke :
Le chant de ton enseignement n'est pas désir,
Ni la quête d'un bien qu'on peut saisir enfin.
Le chant est existence 6.
C'est bien l'existence qu'expriment les grands poètes chinois des Tang et particulièrement Wang Wei, c'est-à-dire ce lieu où
1. Paul Demiéville, op. cit., p. 10.
2. Baudelaire, Art romantique, Garnier-Flammarion.
3. Lao-tseu (Lao Zi), Tao-to-king, chap. 51, Gallimard, 1967.
4. Tchouang tseu (Zhuang Zi), OEuvre complète, trad. Liou Kia-hway. Connaissance de l'Orient, Gallimard, 1969, p. 157.
5. Tcouang-tseu (Zhuang Zi), op. cit., p. 159.
6. R.M. Rilke, Poésie (« Troisième sonnet à Orphée »), Éditions du Seuil, 1972, p. 380.
18
sujet et objet s'abolissent, où le cosmos vit et traverse l'âme du poète, où l'âme du poète se fait univers. Un intense sentiment de présence au monde se dégage des meilleurs poèmes des Tang et particulièrement de ceux de Wang Wei. Univers et homme entrent en résonance. Le paysage s'intériorise, les sentiments s'objectivent dans le paysage. Ce double mouvement est exprimé à travers plusieurs procédés qu'analyse remarquablement François Cheng dans son étude sur L'écriture poétique chinoise. Voilà réalisée la poésie objective rimbaldienne, la poésie du « Il y a » :
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir,
Il y a une horloge qui ne sonne pas,
il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches
Mais à entendre Rilke ou Rimbaud, nous vient immédiatement à l'oreille un sentiment opposé de distance. L'expression de l'existence se fait d'emblée dans l'univers poétique des Tang. Pas de révolte contre l'ordre cosmique, pas de sentiment d'absence. La vraie vie n'est pas ailleurs. Les poètes chinois n'ont pas à conquérir l'accord au-delà de la séparation tragique. Le taoïsme et le bouddhisme Chan à travers lesquels les poètes chinois se comprennent sont des doctrines de l'immanence. Le secret de la vie est dans la plus humble et la plus grossière des choses : « C'est l'esprit ordinaire qui est la voie 2 » Le tout est de se tenir dans l'ordinaire : chier et pisser, se vêtir et manger 3 » : « Un poil absorbe la vaste mer, un grain de moutarde contient le sumeru 4 »; « Une particule de poussière s'élève et la terre entière réside en elle, une fleur s'épanouit et l'univers se lève avec elle 5. »
La présence au monde, l'accord avec l'univers sont donc des données immédiates de la poésie des Tang ; à l'inverse, le poète occidental moderne vit son rapport au monde sous le signe de la séparation. D'où l'impression que les poètes des Tang ne font que dire la nature de façon brute là où le poète occidental philosophe sur la nature, exprime ses sentiments sur la nature. Prenons exemple chez les meilleurs :
1. A. Rimbaud, OEuvres complètes, Illuminations (« Enfances III »), Gallimard, 1972, p. 123.
2. Lin Tsi, Entretiens, trad. Paul Demiéville, Fayard, 1977, p. 99.
3. Lin Tsi, op. cit., p. 71.
4. Lin Tsi, op. cit., p. 178.
5. Yuan Wu, cité dans Oswald Sirén, Chinese Painting. Leading Masters and Principles, vol. Il, p. 132.
19
Avec des poires jaunes
Et tout fleuri de roses sauvages
Se suspend
Le paysage dans le lac.
cygnes pleins de grâce!
Et tout ivres de baisers
Vous plongez votre tête
Dans les eaux sobres et sacrées
Malheur à moi, Malheur! Où vais-je prendre
Quand viendra l'hiver, les fleurs, où
L'Éclat du Soleil
Et les Ombres de la Terre ?
Les murs se dressent,
Silencieux, glacés, et dans le vent
Les girouettes crient'.
(Hôlderlin, « Moitié de la vie ».)
§
À la cime des arbres on dirait des fleurs de Lotus
Dans la montagne s'ouvrent de rouges corolles.
La hutte, près du ravin, silencieuse et déserte,
Pêle-mêle des fleurs éclosent et se flétrissent.
(Wang Wei, « Le Talus aux magnolias ».)
Si la nature est énoncée de façon directe et immédiate, l'esprit du paysage, le sentiment y est énoncé en creux, dans les rapports entre les choses. Il surgit indirectement dans le vide qui relie et sépare les éléments de la nature 2. On pourrait presque dire que dans la poésie occidentale, la présence de la nature est toujours médiatisée par le discours, par le sentiment ou la réflexion esthétique et métaphysique. La nature n'est jamais tout à fait nue. Dans la poésie des Tang, le rapport serait plutôt inverse. Le sentiment est médiatisé par la nature. La description de la nature n'exprime pas un sentiment, un état d'âme. Le sentiment surgit de la description de la nature.
C'est que l'Esprit n'est pas séparé du monde, il est immergé dans la vie de l'Univers. La vie du cosmos c'est l'interrelation de toutes choses. L'univers est harmonique. C'est pourquoi par exemple, Wang Wei peut exprimer le Temple Xiangji sans le
1. F. Hôlderlin, Œuvres (« Moitié de la vie »), trad. de G. Roud, Pléiade, Gallimard, 1967, p. 833.
2. Sur ce point, voir François Cheng, La peinture chinoise et le vide, Éditions du Seuil, 1980.
20
décrire mais en faisant surgir sa présence de la description du paysage qui l'entoure :
Je ne sais où se trouve le Temple Xiangji
En quelques li, je pénètre la cime perdue dans les nuages.
De vieux arbres, point de sentier.
Dans les montagnes profondes, où résonne cette cloche?
Le murmure de la source sanglote aux rochers escarpés.
Le soleil colore les pins froids et verts.
À la tombée de la nuit, près du gouffre vide,
La méditation paisible maîtrise les dragons venimeux.
(Wang Wei, « Le Temple Xiangji ».)
Là où l'Occidental, distinct et séparé du monde, s'approprie les choses, en prend possession directement, face à face, le poète des Tang, taoïste au fond de l'âme, immergé dans la vie de l'univers, laisse la vie s'exprimer d'elle-même.
§
Un pêcheur remontait en barque une rivière, il aimait les montagnes au printemps, Sur les rives les pêchers en fleur enserraient un ancien embarcadère. Assis à regarder les arbres roses, il oublia la distance. Rendu aux limites de la rivière bleue, il ne vit plus personne. Par une anfractuosité de la montagne, il se glissa là où commençaient des gorges tortueuses. Les montagnes s'ouvrirent, aussitôt il aperçut une plaine immense. Il regarda au loin un endroit où se mêlaient arbres et nuages. Tout près il pénétra entre mille habitations disséminées parmi fleurs [et bambous. Le bûcheron pour la première fois parla des noms de la Dynastie Han 2. Les habitants avaient conservé les costumes de l'époque Qin 2. Ils habitaient tous à la source près de Wuling 3, Loin du monde extérieur, ils cultivaient leurs jardins et leurs champs. La lune brillait entre les pins, les maisons aux fenêtres treillissées [respiraient le calme. Quand le soleil surgit des nuages on entendit le tintamarre des chiens [et des coqs. Étonnés d'entendre un visiteur du monde extérieur, les habitants se bousculèrent pour l'approcher. Ils voulaient tous l'inviter chez eux pour s'enquérir des villes et de la capitale. Dès le point du jour, ils balayèrent les fleurs dans les allées et ruelles. Au crépuscule, pêcheurs et bûcherons rentrèrent par voie d'eau. Au début ils avaient quitté le monde pour trouver un refuge. Une fois rendus dans ce paradis, ils n'avaient plus voulu s'en revenir. Qui aurait pu savoir qu'à l'intérieur de ces montagnes vivaient des hommes? Du monde extérieur, on ne voyait que nuages et montagnes. Le pêcheur savait qu'il était difficile d'atteindre ce pays des merveilles. Mais son coeur n'avait pas épuisé son attachement au monde des hommes, il pensait au pays natal. Il quitta ce site enchanteur indifférent à la barrière des montagnes et des eaux. Ayant fait ses adieux à sa famille, il comptait y retourner pour un plus long séjour. Il se disait qu'il reconnaîtrait le chemin. Mais comment savoir que cimes et vallées sont maintenant changées? De son premier voyage il n'a retenu que l’entrée dans la profondeur des montagnes. Mais combien de rivières bleues mènent à des forêts qui touchent les nuages? Quand le printemps revient, partout il y a des eaux entourées de pêchers en fleur. On ne sait où chercher la source paradisiaque!
1. Wang Wei s'inspire d'un conte en prose du poète Tao Qian (Tao Yuan-ming, 365-427). Vivant à une époque troublée, Tao Qian se retire des affaires mondaines et se réfugie dans la contemplation de la nature. Il inaugure en poésie les thèmes du retour à la nature, du retour à la vraie vie. Wang Wei s'inscrit dans cette tradition.
2. D'après le conte de Tao Qian, les ancêtres de ces habitants ont trouvé refuge dans ce lieu durant les troubles qui marquèrent la fin de la dynastie Qin. Isolés du monde extérieur depuis cette époque, les habitants ignorent les changements et les dynasties postérieures aux Qin (221-209 avant J.-C.) et ont gardé coutumes et costumes de cette époque.
3. Dans le conte de Tao Qian, Wuling est le lieu d'origine du pêcheur.
§
Vous descendez de cheval, je vous offre un verre; Je vous demande où vous allez. Vous dites votre désillusion, Vous vous retirez sur les pentes du Mont Zhongnan. Alors, allez, je ne vous en demande pas plus. Là-bas, éternellement les nuages blancs. 139 §
Ma chaumière au Mont Zhongnan, Donne sur la montagne. À l'année longue, pas de visiteurs, la porte reste close. À chaque jour, j'y demeure sans désir et en paix. Pourquoi ne pas venir prendre un verre et pêcher à la ligne. Si seulement vous pouviez me rendre visite. 155 §
En ce temps proche du sacrifice d'hiver, le paysage est si paisible, le temps si beau, nos montagnes familières sont vraiment splendides. Je n'oserai te déranger, en passant chez toi, au moment où tu révises tes classiques, aussi je vais dans les montagnes, je me repose au Temple Ganpei, mange avec les moines de la montagne ; sitôt fini, je m'en vais. Vers le nord je traverse les eaux noires de la Rivière Ba, le clair de lune éclaire le rempart. Le soir je monte sur la Butte Huazi, l'ondulation des eaux de la Rivière Wang fait danser le reflet de la lune. Dans les montagnes froides, des feux éloignés scintillent au-delà des forêts. Aux ruelles profondes, le froid donne à l'aboiement des chiens l'apparence de rugissements de léopard. La nuit au village à nouveau le son du pilon alterne avec le tintement d'une cloche lointaine. En ce moment, je suis assis seul, mon jeune serviteur reste silencieux, je pense à autrefois, quand nous composions des poèmes main dans la main, marchant sur le sentier étroit, et approchant du courant limpide. Il faudra attendre le milieu du printemps pour qu'herbe et arbres retrouvent pleine verdeur. On pourra alors contempler le printemps dans les montagnes : les petits poissons sautent hors de l'eau, le goéland blanc bat des ailes. L'herbe est humide de rosée, sur la berge verte, le matin les faisans criaillent sur le talus emblavé. Tout cela n'est plus très loin. Ah ! si tu pouvais venir te promener avec moi. Si tu n'étais pas homme à apprécier les secrets du ciel, comment pourrais-je t'inviter pour une affaire si peu urgente ? Cependant cette affaire présente un intérêt et un agrément profond. Ne la néglige pas. Je confie cette lettre à l'herboriste qui s'en va et ne t'en dirai pas plus long. De Wang Wei, l'homme des montagne. 171
au débouché de la vallée de la Rivière Wang, je me souviens du Mont Zhongnan. Pour cette raison, je dédie ce poème à Wang Wei La pluie continuelle obscurcit les gorges désertes. Étales, sablonneuses, les eaux anéantissent les reflets de couleur. La Rivière Wang coule paisiblement. Le Mont Zhongnan 1 comment le retrouver ?
1. Le mont Zhongnan est le mont le plus élevé d'une chaîne de montagnes au sud de la sous-préfecture de Lantian. Il donne d'ailleurs son nom à la chaîne.
PEI DI 173 Composé en réponse à Pei Di qui, surpris par la pluie au débouché de la vallée de la Rivière Wang, se souvient du Mont Zhongnan La rivière en crue coule, froide et vaste. La verdure est obscurcie par la pluie d'automne. Tu demandes où est le Mont Zhongnan. Mon coeur le sait au-delà des nuages blancs. 175
Personne dans ces montagnes désertes, Seul, on entend l'écho de voix humaines, Les reflets du soleil couchant pénètrent la forêt profonde. Et à nouveau éclairent la mousse verte. WANG WEI Du matin au soir, je vois la montagne froide, Alors je me sens promeneur solitaire. J'ignore ce qui se passe dans la forêt de pins. Je sais seulement qu'il y a des traces de cerfs. PEI DI
L'étroit sentier à l'ombre des sophoras. Au plus secret du couvert, les mousses vertes prospèrent. Le portier s'applique à balayer Par égard pour le moine de la montagne qui doit venir. WANG WEI Au Sud, la porte donne sur le sentier aux sophoras. C'est le chemin qui conduit au lac Yi. L'automne amène des pluies abondantes dans la montagne. Personne n'a balayé les feuilles tombées. PEI DI 195
Seul, assis au plus secret des bambous, Je joue du luth et siffle longuement. Forêt profonde, personne ne sait ma présence. Seule la lune vient m'éclairer. WANG WEI Je suis passé à la Résidence aux bambous. Chaque jour je me familiarise avec le Tao. Je ne fréquente que des oiseaux de montagne. Retraite profonde, loin des gens de ce monde. PEI DI 213
Zhuang Zi 1, lui n'est pas un fonctionnaire hautain. Il se considère peu doué pour les affaires publiques. À l'occasion on lui donne un poste modeste. Il flâne insoucieux sous les arbres.
1. le philosophe.
WANG WEI Le goût pour la vie oisive est tôt devenu ma seconde nature. Ainsi s'accomplit mon ancienne promesse. Aujourd'hui, je me promène dans le jardin aux laquiers. Puissé-je avoir la joie du vieux Zhuang Zi. PEI DI 217
Au milieu de mon âge, je me consacrai au Tao, Au soir de ma vie, je me retirai sur les pentes du Mont Zhongnan. Au gré de l'inspiration, j'y vais souvent seul. Je ne connais plus que la beauté des choses. Je marche jusqu'à la source des eaux. Je m'assieds et regarde les nuages s'élever. Par hasard, je croise un vieux bûcheron. On parle, on rit, on oublie l'heure du retour. 235
On dit que pour accéder à la rivière Huanghua 1, Il faut toujours suivre les eaux de la Rivière d'azur. Au gré des montagnes, elle fait mille détours, Pourtant la distance n'atteint pas cent li. Elle se fait clameur dans le chaos des rochers, Couleur paisible au profond des pins. L'ondulation des eaux fait danser macres et lentilles d'eau. L'eau est si limpide que les roseaux s'y mirent. Depuis longtemps déjà mon coeur est paisible, Clair comme cette rivière limpide, Alors pourquoi ne pas rester sur les rochers À pêcher jusqu'à la fin de mes jours.
1. rivière au Shaanxi
245
En bateau, ballotté par les eaux, je suis sur le grand fleuve. L'eau est si vaste qu'elle touche aux confins du ciel. Soudain le ciel et les vagues se séparent Et apparaissent des villes et des milliers de maisons. En avançant encore on voit remparts et marchés Comme si c'était mûriers et chanvres. Je me retourne et regarde la région d'où je viens. L'immensité des eaux rejoint les nuages roses.
1. district du Hebei
255
Jour après jour les hommes ne peuvent s'empêcher de vieillir. Année après année on ne peut retenir le printemps. La joie est dans ce verre de vin. Inutile de regretter que les fleurs s'envolent. 295
Nous ajoutons en annexe la traduction de deux textes sur la peinture qui sont attribués à Wang Wei, dans l'édition de l'Œuvre complète faite par Zhao Diancheng (1737). Le Hualun Congkan (édité à Pékin, 1960) attribue à Wang Wei le premier texte le Huaxue Mijue, et à Jing Hao le deuxième texte le Hua Shanshui Fu 1. Osvald Sirén pense qu'aucun de ces textes ne peut être attribué à Wang Wei ; ils auraient été écrits par un représentant tardif de l'École du Sud 2.
1. Nous avons regroupé les deux textes : le Huaxue Mijue constitue la première partie du texte traduit et se termine par la phrase « Les personnes n'ont pas plus d'un pouce, pins et cyprès ont une longueur de 2 pieds » ; le Hua Shanshui Fu constitue la deuxième partie du texte traduit et commence par la phrase souvent citée « Pour peindre un paysage, l'Idée doit précéder le pinceau. »
2. O. Sirén, op. cit., vol. I, p. 133.
Dans l'art pictural, la peinture à l'encre 1 est l'art par excellence. Elle commence par exprimer la Nature et parachève l'oeuvre de la Création 2. Sur un tableau de quelques pieds, on peut reproduire des paysages d'une centaine ou d'un millier de li. L'est comme l'ouest, le nord comme le sud sont là comme s'ils étaient devant nos yeux. Le printemps comme l'été, l'automne comme l'hiver naissent sous le Pinceau. En premier lieu lorsqu'on répartit les eaux, il faut éviter que les montagnes paraissent flotter. Ensuite, si on dispose des chemins qui bifurquent, il ne faut pas que ces chemins soient représentés sans interruption. On doit surélever le pic principal, vers lequel se dirigent les montagnes moins élevées. Là où les montagnes s'entrelacent, on peut placer une demeure de moine. Sur la berge, on peut disposer des habitations. Aux alentours des villages, il est bon de peindre plusieurs arbres qui fassent forêt. Leurs branches doivent envelopper le tronc. Les eaux des
1. Shuimo, mot à mot, signifie l'encre à l'eau. Il s'agit d'une peinture à l'encre de Chine, plus ou moins délayée, ce qui donne des qualités d'encre différentes. Sur ce point, voir Pierre Ryckmans : Les « Propos sur la peinture » de Shitao, 1970, p. 28.
2. Wang Wei énonce dans ce court aphorisme un principe fondamental de la théorie esthétique chinoise. L'artiste n'imite pas la nature mais prolonge son mouvement créateur et l'idéal du peintre serait de s'effacer pour que la nature produise elle-même son parachèvement dans le tableau. On peut en voir l'expression dans le poème « Inscrit sur le paravent en mica d'un ami » :
Le paravent en mica de votre maison est déployé devant la libre nature. Ainsi montagnes et sources y entrent. Elles n'ont pas surgi de la couleur.
Voir aussi sur ce point, P. Ryckmans, op. cit., p. 43.
ravins de montagne sont réunies en un torrent qui se précipite en cascade. Les eaux des sources coulent paisibles et claires. L'embarcadère est presque désert, les voyageurs sont rares. Le pont où accostent les bateaux doit être surélevé. Quant aux barques des pêcheurs, on peut les peindre basses, cela ne dérange pas la composition. Entre les rochers escarpés et les précipices vertigineux, mettons des arbres aux formes tourmentées. Là où les montagnes sont abruptes et périlleuses, ne plaçons pas de chemin. Les cimes lointaines se perdent dans les nuages. La lumière du ciel lointain se confond avec la couleur des eaux. Là où les montagnes se resserrent, l'eau coule avec plus d'abondance. Dans le passage dangereux, on peut placer des palissades. Dans la plaine, à côté du pavillon, des saules élevés ombragent des habitations. Sur les montagnes célèbres, temples et sanctuaires sont entourés de pavillons élégants et de cèdres aux formes étranges. Les scènes lointaines se perdent dans la brume, les rochers escarpés sont enveloppés de nuages. L'enseigne d'étoffe du débit de boissons est arborée haut. Les voiles de bateaux de plaisance sont abaissées. Au loin, les montagnes sont basses. Au premier plan se dressent les arbres. Après s'être exercé au pinceau et à l'encre souvent on parvient à la liberté d'expression 1. Avec les mois et les années, on arrive à percer les secrets de l'Art. Ceux qui saisissent intuitivement ces secrets n'ont pas besoin de beaucoup de paroles. Ceux qui sont doués pour l'étude, qu'ils suivent les principes énoncés plus haut. Si le sommet de la pagode touche le ciel, il ne faut pas qu'on voie la base. Tantôt la pagode apparaît, tantôt elle disparaît. Soit on voit le haut, soit on voit le bas. La meule de paille, le monticule de terre ne seront montrés qu'à moitié, soit le haut soit le profil. De la hutte de chaume et du pavillon de roseau n'apparaissent que les contours 2. La montagne se répartit en huit faces et le rocher en trois parois. Quant au nuage vagabond, il faut à tout prix éviter qu'il ressemble à une plante à ombelle.
1. Sanmei, terme bouddhique, abréviation de Sanmeidi, sanskr. Samâdhi. Selon le dictionnaire français de la langue chinoise de l'Institut Ricci, Youxi Sanmei désigne L'état de parfaite liberté d'esprit et de coeur » ou « agir sans contrainte ».
2. Pour laisser place à l'imaginaire, il faut que les choses ne soient pas complètement données, il faut du masqué, du vide; il faut donner à penser, à rêver. Voir sur ce point, François Cheng, Vide et plein, le langage pictural chinois, Éditions du Seuil, 1979, p. 52.
325 Les personnes n'ont pas plus d'un pouce, pins et cyprès ont une longueur de deux pieds. Pour peindre un paysage (Shanshui), l'Idée doit précéder le Pinceau 1. Si on peint des montagnes de dix pieds, l'arbre aura un pied, le cheval un pouce, l'homme un dixième de pouce. Si l'homme est éloigné, ses yeux sont invisibles. Si l'arbre est éloigné, on ne voit pas ses branches. Si la montagne est éloignée, on ne distingue pas les rochers, ses formes se fondent comme la ligne d'un sourcil. Si les eaux sont éloignées, on ne peut voir les vagues, alors les eaux s'élèvent et se fondent avec les nuages. Voilà les secrets de la peinture de paysage. Les flancs de la montagne sont masqués par les montagnes 2; les parois du rocher se dissimulent sous les sources; la vue des pavillons et terrasses est obstruée par les arbres; la vue du chemin est cachée par l'homme. Le rocher est perçu par ses trois faces; les chemins sont saisis par leurs deux bouts; les arbres sont appréhendés par leur cime; les eaux par leurs rides. Voilà les règles de la peinture de paysage. Dans la peinture de Paysage, on appelle dian, c'est-à-dire pic, la montagne qui s'élève en pointe au-dessus de la plaine; on appelle ling, c'est-à-dire chaîne, les montagnes hautes et escarpées qui s'entrelacent; on nomme xiû les montagnes trouées de cavernes; les falaises escarpées s'appellent yai; les rochers suspendus s'appellent yan, c'est-à-dire surplomb; les montagnes aux formes arrondies se nomment luan. Les montagnes qui laissent passer un chemin on les désigne par le mot chuan. Le passage étroit entre deux montagnes s'appelle huo, c'est-à-dire défilé. Le cours d'eau entre deux montagnes s'appelle torrent, jian. Ce qui ressemble à une chaîne et s'élève s'appelle colline, ling. Ce qui porte la vue à l'extrême et s'aplanit s'appelle versant, ban. Celui qui suit ces points connaît sommairement les formes des paysages. Celui qui observe doit d'abord saisir l'aspect, ensuite distinguer le clair du confus. Dans un ensemble montagneux, il doit savoir répartir les sommets principaux et les sommets secondaires, mettre en relief la majesté des cimes. Trop de montagnes entraîne la confusion, trop peu paralyse le mouvement. Ni trop, ni trop peu permet de distinguer le proche et le lointain. Les
1. Cette phrase célèbre peut ètre interprétée à juste titre de diverses façons. Dans le contexte, le sens qui nous paraît s'imposer est le suivant : le paysage doit être rêvé, médité, intériorisé avant le premier coup de pinceau.
2. Le terme sai utilisé dans ce texte exprime la nécessité pour le peintre d'introduire un rythme qui vienne briser la monotonie du paysage.
montagnes lointaines et les montagnes proches seront séparées; les eaux lointaines et les eaux proches seront séparées. Nichés au flanc de la montagne, on peut placer un temple et des habitations. Sur les rives escarpées et les talus élevés, on peut disposer un petit pont. Là où se trouve un chemin, il y aura des arbres. Aux limites de la berge il faut un vieil embarcadère. Aux limites des eaux, les arbres sont enveloppés de brume. Quand les eaux sont vastes, il faut des bateaux à voiles. Si la forêt est dense, il faut quelques habitations. S'il y a un vieil arbre au bord d'un précipice, ses racines sont cassées et les lianes l'enveloppent. Au bord du courant, les rochers de la rive ont des formes étranges et creusées par les eaux. Si on peint les arbres de la forêt, ceux qui sont éloignés doivent être clairsemés et bas, ceux qui sont proches, hauts et denses. S'ils ont des feuilles, leurs branches seront délicates; s'ils n'ont pas de feuilles, leurs branches seront solides. L'écorce des pins est semblable aux écailles de poissons. Celle des cyprès s'enroule autour du tronc. Ceux qui poussent sur la terre, leurs racines sont profondes, leurs troncs droits. Ceux qui poussent sur le rocher ont des formes tourmentées et sont solitaires. Les vieux arbres sont noueux et presque morts. En hiver les arbres sont dépouillés et sévères. S'il pleut on ne peut distinguer le ciel de la terre, ni l'est de l'ouest. S'il vente et qu'il ne pleut pas, on voit surtout les branches des arbres. S'il pleut et qu'il ne vente pas, la cime des arbres paraît écrasée. Les passants portent leur chapeau de pluie, les pêcheurs leur manteau de paille. Après la pluie, les nuages se dissipent, le ciel devient bleu. Brumes et vapeurs légères rendent le vert des montagnes presque palpable. Le soleil jetant ses rayons obliques semble proche. Si on peint un paysage au matin, les montagnes doivent donner l'impression de vouloir s'illuminer, il faut des brumes légères, la lumière voilée de la lune à son déclin, une atmosphère de clair-obscur. Si on peint un paysage le soir, les montagnes saisissent le soleil rouge, près des îlots du fleuve on a plié les voiles, sur le chemin les passants se hâtent et les portes de broussailles sont entrouvertes. Au printemps, le paysage est enveloppé de brumes et de fumées, les fumées s'étirent comme des bandes de soie, l'eau semble teintée de bleu, la couleur des montagnes se rapproche du vert. En été, de vieux arbres cachent le ciel, les eaux vertes sont sans ride, les cascades semblent traverser les nuages; près de l'eau, il y a un pavillon retiré. En automne, le ciel a la couleur de l'eau, les massifs de bambous sont profonds comme la forêt, il y a des oies sauvages sur les eaux d'automne, et des oiseaux de marais sur les bancs de sable. En hiver, la neige recouvre le sol, un bûcheron porte un fagot, la barque d'un pêcheur est échouée sur un banc de sable là où l'eau est peu profonde 1. Pour peindre un paysage, il faut suivre les saisons; ainsi le paysage enveloppé de fumées et de brumes, les nuages qui rentrent aux montagnes du pays de Chu, le ciel d'automne qui s'éclaircit le matin, les stèles délabrées sur des tombeaux antiques, les couleurs printanières du lac Dongting, un homme égaré sur un chemin désert. Tout cela peut être sujets de peinture. Les sommets des montagnes ne doivent pas être semblables; les cimes des arbres ne doivent pas être pareilles. Les montagnes utilisent les arbres comme vêtements; les arbres se servent des montagnes comme support. Les arbres ne doivent pas être trop denses, il faut qu'ils laissent voir la splendeur des montagnes. Les montagnes ne doivent pas être trop confuses, il faut qu'elles laissent apparaître l'esprit des arbres. Celui qui peut maîtriser ces principes, on peut le considérer comme un maître paysagiste.
1. La composition du paysage obéit à une exigence poétique. Le paysage procède d'une poétique a priori. Wang Wei ne vise pas au réalisme au sens occidental du terme. Certains lui ont d'ailleurs reproché des incohérences comme peindre un bananier sous la neige. En fait il s'agit pour lui d'exprimer l'essence de la nature en composant à partir d'accords naturels, de scènes typiques : ainsi l'hiver, avec les bûcherons portant fagots, la barque échouée, ou encore l'automne avec les oies sauvages.
Le peintre construit à partir de résonances contrastées, d'unités poétiques toutes faites comme le jardinier chinois reconstitue en les concentrant, en les miniaturisant les accords naturels entre eaux et végétations, rochers et eaux…
328
L'oeuvre de Wang Wei poète et peintre
Texte français par Patrick Carré
© Éditions Phébus, Paris, 1989
Les hétaïres du seigneur Tchou ne sont pas de médiocres artistes. Musiciennes, elles laissent aux saules et aux sophoras les échappées du temps et rendent au rire et à la joie leur nécessaire identité avec la vie. « Comprendre la vie, écrit maître Tchouang, c'est ne pas prendre en charge ce qui est inutile à la vie; comprendre le destin, c'est ne pas rechercher ce qui le rend impossible. »
Une nuit dans la Cité interdite avec Ts'ouei Nuit d'automne à l'Établissement des Rites, Attente de l'aube au Legs de la Lumière. Les froides clepsydres dorment aux neuf portes, Les cloches du matin volent aux mille fermages. La lune se cache dans les perles du Boisseau, Les nuages fondants quittent le fleuve Écarlate. Tout honteux de ma décrépitude — Nos agates tintent en choeur sur la route du Midi.
Son cousin Ts'ouei Sing-tsong, secrétaire aux affaires d'État, attire le poète au coeur même du palais du plus grand empereur du monde. Dûment impressionné, Wang se cantonne à la langue de Cour pour exprimer son « complexe d'infériorité » et sa résolution dans la fuite. Fuite toujours contenue.
§
Deux chansons pour un ami qui rentre à la montagne I Les montagnes se taisent, inhabitées, Vertes encore de tant d'arbres. La compagnie des dragons comble la Cour, Que partez-vous pour une vallée vide? Rare douceur de votre art au penser profond — La Voie est inconnaissable et le voyage, solitaire, Jusqu'aux cailloux qu'arrose la source, Jusqu'aux pins autour de la cahute. Vous entrez dans les nuages en élevant des poules, Vous grimpez sur la cime un veau entre les bras. Les génies vous offrent des jujubes gros comme des courges, Les tigres vous échangent des abricots contre du grain. Honteux d'être sans talent, et de nuire aux sages, Vous abhorrez la vieillesse et l'amour des gages. Jurez de détacher votre sceau et de me suivre — Que pourra vous prédire Tchan Yin? II L'homme-dans-la-montagne veut s'en retourner — Les nuages sont noirs, la pluie dure, Les vagues folles de l'eau couchent les eupatoires, Le héron blanc soudain s'envole en tourbillonnant. Vous ne pouvez pas même vous retrousser… Dix mille monts se répètent sous un seul nuage, Ciel et terre se fondent indistinctement. Les arbres sont si sombres — on dirait les nuées D'où jaillissent les cris des singes invisibles. Soudain à l'ouest des montagnes s'enfonce le soleil, Révélant aux terres d'Orient un lointain village. La lande verdoie sur mille lieues — Subtilement navré, je songe à vous.
Ces deux chansons illustrent si bien le dilemme wangwéïen que l'on peut se demander si l'ami que raccompagne le poète n'est pas le poète lui-même « l'homme dans la montagne » de la Lettre à P'ei Ti.
La « compagnie des dragons » n'est autre que l'assemblée des sages ministres du souverain légendaire Yao de T'ang. « Cour comble » et « vallée vide » : première antinomie. [132-134]
Au monastère de la Porte en Pierre, sur le mont des Champs Bleus [180-181] Le couchant parfait les monts et l'eau Tangue-barque se fie au vent du retour. Émerveillé, je ne sens la distance Et parviens où la source s'épuise. Vague désir — fleurs de nue aux arbres, Premier doute — la route a changé. J'ignorais que les détours du clair ruisseau Déboucheraient sur la montagne en face. Je laisse la barque et me fais un bâton, Heureux d'aller où je vais. Quatre, cinq vieux moines Flânent à l'ombre des pins et des cyprès : Liturgie du matin avant l'aurore au bois, Méditation du soir aux monts plus silencieux... L'esprit de la Voie : chez le petit bouvier; Les nouvelles du monde viennent du bûcheron! Nuit passée sous les grands arbres, Vapeurs d'encens, couche jadine. Les senteurs du torrent imprègnent mes habits, La lune des sommets illumine le mur des rocs. Plus avant, je me perdrais... Je reprendrai mon ascension avec le jour. Congé rieur — « gens des Pêchers Fleuris, Je reviendrai vous voir quand ils auront rougi »!
Jour d'été au monastère du Dragon Vert : visite au maître-d'éveil Tsao Le vieillard chancelant Rejoint à pas lents le palais d'éveil —
Repas offert aux moinesdu mont de la Marmite Renversée J'ai connu tard le principe de pureté — Chaque jour m'écarte de la foule. En attendant les moines du mont lointain, Je balaie mon humble chaumière. Depuis leurs pics dans les nuages, Ils voient les joncs de mon refuge. Coussins d'herbe dînent de poudre de pin — Vapeur d'encens déchiffrent les livres de la Voie… Les lampes s'allument à la fin du jour. La pierre qui chante annonce le début de la nuit. Éveillé à la paix comme félicité, La vie se fait liberté sans restes. Le désir du retour doit-il être profond ? Le monde et moi : espace vide.
Pensée mahâyâniste avancée : le vide se transcende en félicité. « Liberté sans restes » du pur quotidien. Le « désir de retour » est l'envie de fuir le monde — état d'esprit proprement insondable, puisque le sujet, les objets et leur relation sont semblables à l'azur. [182]
Par la retraite montagnarde du révérend T'an-sing, au monastère de la Sensible Conversion [182-183] Le soir empoigne un bâton de bambou Pour m'attendre en haut du torrent du Tigre. Me presse l'écho de la montagne — Nous rentrons le long de l'eau. Sauvages fleurs en grappes de beauté — L'oiseau de la vallée lance un cri de silence. Assis la nuit au calme du bois vide, Le vent des pins vient de l'automne.
POEMS OF WANG WEI
TRANSLATED WITH AN INTRODUCTION
BY G. W. ROBINSON
PENGUIN BOOKS 1973
Meng Wall Hollow
New home near this Meng Wall Old Crees — some dying willows still — And who will live here in the future To grieve vainly for him that was here before ? [27]
APPENDIX I
A letter to Pei Ti from the hills
THis twelfth month the weather has been bright and agreeable, and I could have come over the mountain, but I hesitated to disturb you, deep as you are in the Classics. So I went off for a walk in the hills. I rested at the Kanp'ei Temple, where I had something to eat with the hill monks, before I left and went north over the Black Water. The clear moon lit up all the country. In the night I went up Huatzu Hill, and the waters of the Wang River were rippling up and down with the moon. Distant lights in the cold hills were coming and going beyond the woods. The barking of the winter dogs in the deep lanes sounded like leopards. The pounding of grain in the village could be heard between the strokes of a distant bell. Now I am sitting by myself. The servants are asleep. I am thinking a lot about old days, our composing poems as we walked arm in arm along steep paths beside clear streams.
We must wait for the spring, when all the grasses and Crees will corne out again and we can look at the spring hills. The light dace coming out of the water. The gulls soaring. Dew wetting the green banks. The morning call of the pheasants in the corn. All this is not far off, and then you can surely corne and wander about with me ? If it weren't for your natural genius, I would of course not impose anything so inessential on you. But it holds deep interest. No urgency. This goes t o you by a hillman. No more now.
From Wang Wei, man of the hills. [141]
LI PO l'immortel banni buvant seul sous la lune poèmes traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET calligraphie de CHENG Wing fun Moundarren chemin des bois Millemont 78940 France 1988
naviguant vers Ching men au loin, je voyage au royaume de Ch'u aux montagnes qui se terminent succède une vaste plaine le Fleuve coule désormais dans une étendue immense la lune descend comme un miroir dans le ciel en plein vol des nuages naissants tissent des pavillons sur la mer toujours j'aimerai le fleuve de mon pays natal à dix mille li il accompagne encore la jonque du voyageur
[…]
A Chiang ling, capitale de l'ancien royaume de Ch'u, Li Po rencontre le grand maître taoiste Ssu Ma Cheng chen, âgé de soixante-dix ans, douzième patriarche de l'école de la Grande pureté, auteur d'un traité sur l'art de la contemplation.
"...A Chiang ling je rencontre Ssu Ma. Il me dit que j'ai l'allure d'un mortel, l'ossature d'un taoiste. Je l'accompagne dans les voyages de l'esprit au-delà des huit pôles. Pour exprimer cela, je compose mon ode le Grand rapace rencontre l'Oiseau rare..."
Li Po continue son voyage en aval du Long Fleuve, passant par le lac Tung ting, le lac Po yang, jusqu'aux grandes villes de l'est de la Chine, Chin ling (Nan king) et Yang chow, aussi appelée Kuan ling, élégantes villes d'eaux, de commerce et de plaisirs. Kuan ling, la ville du sel, point de départ du grand canal qui relie le Long Fleuve au Fleuve Jaune, est très réputée pour ses courtisanes. Là, en moins d'un an, il dépense trois cents mille écus d'or. Il visite les montagnes célèbres du pays de Shan, au bord de la mer de Chine: le Tien tai (la Terrasse du ciel), le Ssu ming, le Rempart rouge, le Tien mu (la Mère du ciel), où sont nichés de nombreux temples et monastères taoistes et bouddhistes. Li Po commence alors à se consacrer à l'étude et à la pratique du "ch'an" (transcription chinoise du sanskrit "dhyana", contemplation). Le ch'an est une subtile infusion de l'enseignement du buddha ("l'éveillé") indien Sakyamuni dans le taoisme chinois de Lao tzu et Chuang tzu. Il met l'accent sur l'expérience même de l'éveil, éveil à l'identité profonde de notre nature originelle et de l'univers dans la plénitude de l'instant présent. Le ch'an vient alors de trouver son expression propre sous l'impulsion de Hui neng (638-713), le sixième patriarche, dont les propos et les sermons ont été retranscrits dans le Soutra de l'Estrade.
...Un jour, un moine qui naguère avait été général lui demandant de façon pressante et menaçante quelle est l'essence du ch'an, il lui dit: "ne pense plus ni au bien ni au mal, à ce moment-là même, quel est ton véritable visage?"
Durant la vie de Li Po, le ch'an connaît son âge d'or. Sa philosophie radicale de libération de l'être attire de nombreux lettrés et moines dans les temples des montagnes où enseignent les grands maîtres. Ma tsu (709-788), " au regard de tigre, à la démarche de buffle ", et Nan yueh, " le paresseux ", les deux grands maîtres de l'Ecole du sud qui enseignent au Tien tai, au pays de Shan, […]
le voyageur des mers chevauche les vents du ciel, il appareille sa jonque pour de longues expéditions comme un oiseau dans les nuages, une fois parti pas la moindre trace
la nuit je loge au Temple du sommet je lève la main, touche les étoiles je n'ose parler à voix haute, de peur de déranger les habitants du ciel
composé lors d'une visite à un moine de la montagne sans le rencontrer le sentier de pierres pénètre dans un val de cinabre la porte en pin est bloquée par de la mousse verte sur le perron désert, des traces d'oiseaux la salle de méditation, personne pour ouvrir je regarde par la fenêtre, une brosse blanche, accrochée au mur, couverte de poussière vaine visite, je soupire sur le point de repartir, je musarde un moment des nuages parfumés s'élèvent de la montagne une pluie de fleurs tombe du ciel joie de la musique du ciel plus encore, les cris plaintifs des singes allègre, dégagé des affaires du monde, ici, enfin à l'aise §
Chuang tzu (4ème siècle av.), le grand sage et philosophe taoiste, raconte qu'un jour, rêvant qu'il est un papillon, quand il se réveille il ne sait plus s'il est Chuang tzu qui vient de rêver qu'il était un papillon, ou s'il est ce papillon en train de rêver qu'il est Chuang tzu.
Chuang tzu rêve qu'il est un papillon le papillon c'est Chuang tzu le corps se métamorphose, comme les dix mille choses innombrables on sait ainsi que les flots de Peng lai, redeviennent un ruisseau clair et peu profond qu'à la Porte bleue, l'homme qui plantait des melons, avait été autrefois duc de Tung ling pour la richesse et l'honneur il en va de même on s'affaire, pour chercher quoi au juste ?
ne voyez-vous pas les eaux du Fleuve Jaune descendre du ciel, et se précipiter vers la mer sans jamais revenir ? ne voyez-vous pas, dans de hautes salles, devant les miroirs clairs on s'attriste face aux cheveux blancs ? à l'aube comme de la soie noire, au crépuscule comme de la neige durant cette vie suivons notre gré et épuisons la joie ne laissons pas nos coupes en or en vain face à la lune le ciel nous a comblé de talents, employons les mille pièces en or, dépensons les toutes, elles reviendront un jour qu'on cuise un mouton, qu'on découpe un boeuf, réjouissons-nous, et d'un trait buvons trois cents coupes maître Tsen, Tan Chiu, buvez, ne vous arrêtez pas pour vous je vais chanter, prêtez l'oreille et écoutez maintenant cloches, tambours, mets précieux, n'y accordons pas d'importance n'aspirons qu'à une ivresse éternelle, à ne plus se réveiller depuis les temps anciens sages et saints tous ont sombré dans l'oubli seuls les buveurs ont laissé un nom quand autrefois le prince Ch'en festoyait au Palais de la Félicité, un vin à dix mille écus faisait monter la joie à son comble notre hôte dit qu'il manque d'argent ? qu'on apporte du vin, ensemble buvons mon cheval aux cinq fleurs, ma fourrure de mille pièces d'or, j'appelle un garçon, qu'il aille les échanger contre du bon vin ensemble noyons la tristesse de dix mille générations §
Le mont Lang ling est au nord de la Huai. Du kiosque du Pavillon blanc, à Hui ti, le regard embrasse de multiples montagnes et lacs. Un moine, surnommé "Traversant sur une tasse", avait traversé une rivière sur une tasse en bois.
autrefois, à l'est du Lang ling, j'ai appris la contemplation avec Kong, le sage aux sourcils blancs j'ai vu distinctement la grande terre comme un miroir clair, tournant appuyée à la roue du vent quand on saisit les forces de la création, on possède des pouvoirs merveilleux plus tard j'ai rendu visite à l'esprit du Tai shan mes yeux ont vu le soleil disparaître dans les nuages au milieu de la nuit, allongé sur la montagne sous la lune, ayant secoué mon vêtement et fui la foule des hommes, je fus initié au tao du buddha en or durant d'innombrables kalpas je n'en avais jamais entendu parler des ténèbres a jailli une lumière céleste seul, illuminé, débarrassé de la poussière et de la souillure, comme une barque libre, ne m'attachant plus aux choses contemplant le changement, j'ai voyagé vers la source du fleuve à la source du fleuve j'ai rencontré un homme du même élan que moi Tao ya, un moine extraordinaire quand il parle de la voie, les mers et les montagnes tressaillent il voyage dans le monde pour l'enseigner aux ducs et aux mandarins
le Ruisseau clair me purifie le coeur la couleur de son eau diffère de celle d'autres eaux si l'on compare avec la rivière Hsin an, pour ce qui est de voir le fond, elle est sans pareille un homme vogue sur ce miroir clair des oiseaux traversent ce paravent la nuit tombe, les gibbons crient pourquoi t'attrister lointain voyageur ? le feu du fourneau illumine ciel et terre des étincelles rouges jaillissent des fumées pourpres s'embrase le visage des forgerons la nuit sous la lune claire leur chant fait frémir le fleuve froid
L'ermite Chie Yu (sème siècle av.), "le fou de Ch'u", simula la folie pour ne pas avoir à servir le souverain. Il refusa même de parler à maître Kong (Confucius). L'Archer est une constellation.
chant du Lu shan, envoyé à Lu Hsu chou, le censeur impérial je suis le fou de Ch'u, dont le chant de phénix se moque de maître Kong une canne ornée de jade vert à la main, à l'aube je quitte le Pavillon de la Grue jaune sur les cinq montagnes sacrées je recherche l'immortalité, sans souci de la distance toute ma vie j'ai aimé me promener dans les montagnes célèbres le Lu shan, splendide, surgit près de l'Archer, comme un paravent à neuf battants sous un brocart de nuages son reflet, lueur mauve, plonge dans le lac limpide la Porte en or s'ouvre entre deux pics allongés le Fleuve céleste est accroché au-dessus du Pont des Trois rochers le pic du Brûle-encens et la cascade au loin se font face les falaises serpentent, les pics abrupts rassemblés percent le ciel immense dans les lueurs émeraude et les brumes rouges scintille le soleil levant les oiseaux ne volent pas jusqu'ici, le ciel de Wu est trop long je grimpe haut, la vue sur le ciel et la terre est grandiose le Long Fleuve, vaste, coule au-delà de tout retour les nuages jaunes sur dix mille li animent la couleur du vent les vagues blanches des Neuf Affluents déferlent des montagnes enneigées
parmi les herbes sauvages j'aperçois une boule de pissenlit ivre je me rends à la ferme je marche en chantant dans la campagne sauvage est-ce possible ? dans les herbes vertes, un autre vieillard à la tête blanche je le cueille, face à face comme devant un miroir clair les mêmes tempes blanches humble plante, tu sembles rire de moi mais déjà le vent d'est emporte ma tristesse
TU FU une mouette entre ciel et terre poèmes traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET calligraphie de CHENG Wing fun Moundarren chemin des bois Millemont 78940 France
De la capitale me rendant à Feng hsien, cinq cents mots pour exprimer mon sentiment6 -17- […] Chi yao, le dieu du brouillard, bouche le ciel froid prudent j'avance pas à pas, précipices et ravins sont glissants au bord d'un étang de jade aux vapeurs bouillonnantes, des gardes impériaux sont alignés, leurs armes se touchent l'empereur et sa suite ici séjournent et festoient la musique s'élève comme le tonnerre dans le vaste ciel le bain n'est accordé qu'aux bonnets à longs cordons participer aux banquets n'est pas pour les vestes courtes en toile grossière la Cour vermillon distribue la soie, tissée par des filles de familles humbles, dont on a fouetté les maris, afin de l'extorquer pour contribuer au tribut de la Cour quand le saint empereur en fait don, c'est pour que le pays et la nation soient prospères mais les mandarins négligent cette raison suprême, et poussent l'empereur à gaspiller ces présents nombreux sont ceux qui emplissent la Cour, celui qui est vertueux doit être vigilant on entend dire que la vaisselle en or du palais intérieur, se trouve maintenant chez les belles-familles de l'empereur, Wei et Huo dans le grand hall dansent de jeunes déesses, la fumée et la brume enveloppent leur peau de jade pour réchauffer les convives on apporte des manteaux de martre les flûtes plaintives accompagnent les claires cithares -18- on honore les invités d'un potage de bosse de chameau des oranges étincelantes sont entassées avec des mandarines odorantes devant la porte vermillon vin et viande pourrissent sur le chemin, les os de ceux qui sont morts de froid l'abondance et la misère distantes d'à peine un pied affligé, j'ai du mal à continuer ce récit les roues de ma charrette se dirigent vers le nord, j'approche de la Ching et de la Wei les embarcadères publics ont été déplacés les flots abondants descendent de l'ouest, à perte de vue des vagues hautes et abruptes on dirait que le mont Kong tong se rue avec elles, à craindre qu'elles ne heurtent et brisent les piliers du ciel les ponts heureusement n'ont pas encore rompu, on entend leurs piliers grincer " si su " les voyageurs se donnent la main le fleuve est large, impossible de traverser ma vieille épouse séjourne dans un pays étranger, de mes dix bouches je suis séparé par le vent et la neige qui supporterait aussi longtemps de ne pas les voir? j'ai décidé d'aller les retrouver et de partager avec eux la faim et la soif quand je passe la porte, j'entends des lamentations mon jeune fils, affamé, est déjà mort vais-je pouvoir contenir mon chagrin? les voisins aussi sanglotent -19- j'ai honte d'être son père il n'y a plus rien à manger, il en est mort précocement comment imaginer qu'après l'automne, alors qu'on vient de récolter les céréales, une famille même pauvre soudain soit ainsi frappée? par mon origine sociale j'ai été exempté de l'impôt, et mon nom ne figure pas sur les listes de mobilisation pourtant, à retracer ma destinée, je n'ai que de l'amertume le peuple humble est inquiet et apeuré en silence je pense à ceux qui ont perdu tous leurs biens je pense aussi aux soldats, au loin, qui gardent les frontières ma peine et mon souci sont aussi hauts que la montagne Chung nan, leur flot immense, sans borne, impossible à endiguer
je me souviens autrefois, quand nous fuyions les rebelles -23- fuyant vers le nord, affrontant dangers et difficultés la nuit est profonde sur la route de Peng ya, la lune éclaire la montagne d'Eau Blanche toute la famille depuis longtemps marche quand nous croisons quelqu'un, je me sens honteux dans les ravins on entend les cris confus des oiseaux on ne voit personne ayant déjà fui revenir ma sotte fille, affamée, me mord ses pleurs, je crains que tigres et loups ne les entendent j'enfouis sa tête dans ma poitrine pour fermer sa bouche, mais elle se débat et pleure de plus belle mon petit garçon se force à être raisonnable souvent il réclame des prunes âpres pour manger sur dix jours, la moitié sous le tonnerre et la pluie dans la boue mutuellement nous nous tirons nous ne sommes pas équipés contre la pluie, le chemin est glissant, nos vêtements froids parfois nous sommes si épuisés, que dans toute une journée nous ne parcourons que quelques li les fruits sauvages nous servent de nourriture, les branches basses de maison et de poutres à l'aube nous marchons sur des pierres ruisselantes, au crépuscule campons dans les nuées au bout du ciel après un bref repos aux marais de Tong chia, nous franchissons la passe de Lu tzu […]
[…] les dessins de mer et de vagues y sont brisés les vieilles broderies sont rapiécées de façon dissymétrique, le dieu de la mer et le phénix pourpre sont à l'envers sur leurs vestes courtes le vieillard en a le sentiment mauvais plusieurs jours j'en resterai alité, souffrant de nausée et de diarrhée mais j'y pense, il y a dans mon sac du tissu, pour vous sauver tous du froid coupant d'une enveloppe je sors de la poudre et du khôl j'étale aussi une couverture le visage de ma femme amaigrie retrouve sa lumière mes filles candides vont aussitôt coiffer leurs cheveux imitant leur mère, rien ne leur échappe avec le maquillage elles se barbouillent les mains, et un instant après appliquent le fard sur leur visage maladroites elles peignent leurs sourcils trop larges d'être revenu vivant auprès de mes jeunes enfants, j'en oublie presque la faim et la soif en se bousculant ils m'interrogent et tirent sur ma barbe qui les gronderait? me rappelant le malheur d'avoir été capturé par les rebelles, ce brouhaha qui me casse les oreilles je l'accepte avec joie… [...]
Le 9ème mois 757 Ch'ang an est repris par les troupes impériales. L'empereur est bientôt de retour dans la capitale […]
742, dans la région de Lo yang. visite au temple Feng hsian à Long men -53- je viens de me promener dans le monastère, je compte y passer la nuit dans l'ombre des ravins naît la brise de la lune la forêt disperse les rayons clairs sous la voûte céleste les astres sont proches allongé dans les nuages, mon vêtement est froid au moment où je me réveille j'entends la cloche du matin elle m'inspire une profonde compréhension
-62-
751, à Ch'ang an. Hsien yang est un ancien nom de Ch'ang an. L'Océan bleu est un lac dans le nord-ouest de l'empire.
ballade des chariots de guerre les chariots grondent "lin lin" les chevaux hennissent "hsiao hsiao" les soldats partent en expédition, arcs et flèches à la taille pères, mères, femmes et enfants courent après eux pour leur dire adieu dans la poussière on ne voit plus le pont de Hsien yang ils s'accrochent à leur vêtement, trépignent et barrent le chemin en pleurant leurs pleurs montent tout droit troubler le haut ciel au bord du chemin le voyageur interroge un homme de l'expédition l'homme de l'expédition dit seulement qu'on ne cesse de recruter certains à quinze ans sont partis défendre le nord du Fleuve à quarante ans ils sont encore à entretenir les terres de l'armée à l'ouest le jour du départ le chef du village leur a bandé la tête quand ils reviennent, la tête blanche, il faut encore partir défendre les frontières aux frontières le sang coule comme une mer l'empereur Wu des Han voulut repousser les frontières, son ambition n'est pas encore apaisée n'avez-vous jamais entendu dire que dans les deux cents districts de la maison des Han à l'est du mont Hua, dans mille villages, dans dix mille hameaux ne poussent plus que des ronces et des buissons? -63- même si c'est une femme robuste qui tient l'araire, le riz pousse dans des sillons sans est ni ouest comme les soldats du pays de Ch'in sont résistants et courageux, ils sont maltraités, on ne les considère guère différents de chiens ou de poulets malgré mes questions, le soldat n'ose se plaindre en plus, cette année pour l'hiver, on ne démobilise pas les troupes à l'Ouest de la Passe malgré cela les chefs de district sont pressés de réclamer l'impôt l'impôt, d'où le sortir? faire naître un garçon est vraiment un malheur mieux vaut avoir une fille un fille peut épouser un voisin proche un garçon finit enterré sous les cent herbes ne voyez-vous pas, sur les rives de l'Océan bleu, depuis les temps antiques ces os blancs que personne ne ramasse? les nouvelles âmes sont exaspérées, les vieilles âmes pleurent sous le ciel couvert, la pluie mouille leurs gémissements plaintifs
Automne 757, au village Chiang, à Fu chow. trois poèmes sur le village Chiang hauts et majestueux, les nuages s'embrasent à l'ouest les rayons du soleil rasent la terre au portail en branchages les oiseaux jacassent le voyageur de retour arrive de mille li ma femme est ébahie de me voir l'émotion passée, nous essuyons nos larmes dans ce monde en tourbillon je vis dans l'errance de revenir vivant j'ai sans doute de la chance les voisins sont là aussi, leurs têtes dépassent du mur émus ils soupirent et sanglotent eux aussi au profond de la nuit je renouvelle la bougie l'un en face de l'autre, comme dans le rêve
-92- Printemps 758, à Chang an. ballade étriquée, dédiée à Pi Yao étriqué! comme c'est étriqué! j'habite au sud de l'allée, toi au nord de l'allée comme c'est regrettable, entre voisins, en dix jours pas une seule fois je n'ai vu ton visage depuis que j'ai rendu mon cheval de fonction aux autorités, je dois emprunter des sentiers difficiles où l'on marche péniblement à travers les ronces je suis pauvre et n'ai point de monture, mais ne suis pas sans pied avant je te rendais visite, aujourd'hui je ne puis le faire ce n'est pas que je prenne soin de mon humble corps, ni que mes pieds manquent de force, mais s'ils me voient marcher à pied, je crains la colère de mes supérieurs mon coeur est sincère, tu le sais à l'aube la pluie cingle, le vent printanier est comme fou je dors profondément et n'entends pas la cloche et les tambours sonner le voisin à l'ouest a un âne boiteux, il est d'accord pour me le prêter la boue est glissante, je n'ose le chevaucher pour me rendre à l'audience impériale d'ailleurs j'ai déjà envoyé ma demande de congé la vie d'homme est vraiment pitoyable, comment pouvoir garder toute la journée le coeur serré?
-101- ma longue houe! ma longue houe au manche en bois blanc! je dépend de toi pour survivre les taros sauvages n'ont plus de fane, dans la montagne la neige est abondante mon manteau est court, j'ai beau tirer dessus il ne peut couvrir mes mollets quand il arrive qu'avec toi je revienne les mains vides, mes garçons soupirent, mes filles gémissent, entre les quatre murs le silence "wu tu" ma deuxième chanson je la chante à haute voix les voisins pour moi en ont le visage qui se rembrunit
-102- sur les les montagnes alentour le vent souffle, les torrents sont fougueux la pluie froide "sa sa" détrempe les arbres morts au-dessus de la ville ancienne envahie par les herbes sauvages, les nuages ne s'écartent pas des renards blancs sautillent, des renards jaunes se dressent pourquoi ma destinée débouche-t-elle dans cette vallée perdue? au milieu de la nuit je me lève et vais m'asseoir, dix mille pensées m'assaillent "wu tu" je chante, longuement chante j'appelle mon âme mais elle n'arrive pas, comment retourner au pays natal?
Automne 760, à Ch'eng tu. vivant retiré tard dans la vie j'ai construit ma maison n'ayant rien de spécial à entreprendre, j'ai choisi un endroit tranquille la lumière des bambous concentre la couleur du paysage le reflet de ma hutte se balance dans le courant de la rivière ils manquent d'instruction, je laisse mes enfants paresser tout le temps dans la pauvreté, je laisse ma femme se tracasser cent années d'insouciance tant qu'il y a l'ivresse! un mois durant sans me peigner les cheveux
-110- Printemps 761, à Ch'eng tu. Improvisation sur les berges de la rivière déjà le milieu du printemps sous les arbres en fleurs de nouveau les matinées claires je lève le visage, curieux de regarder les oiseaux je tourne la tête, j'ai cru reconnaître quelqu'un quand je lis un livre, je saute les caractères difficiles face au vin je remplis souvent ma coupe je viens de faire la connaissance d'un vieillard du mont O mei il a tout de suite compris que l'oisiveté est ma véritable nature
Printemps 761, à Ch'eng tu. l'eau printanière au troisième mois, les vagues sont couvertes de pétales de fleurs de pêchers la rivière retrouve son ancien cours à l'aube elle couvre déjà le sable au bord sa couleur émeraude scintille devant le portail en branchages je répare mes lignes et jette un appât parfumé je raccorde les tuyaux en bambou pour arroser le petit jardin ajouté à cela, des oiseaux, innombrables, en se bousculant se baignent et ensemble jasent
-121- Printemps 761, à Ch'eng tu. éclaircie du soir ce soir un vent violent traverse le village la cour tranquille est mouillée par une pluie passagère le soleil du crépuscule réchauffe les petites herbes sur le store ajouré se reflète la couleur de la rivière mes livres sont en désordre, qui voudra bien les remettre dans leur étui? je vide ma coupe et la remplis moi-même à entendre parfois des propos si vains, comment s'étonner que le vieillard ici se cache?
-127- Automne 761, à Ch'eng tu. ballade des cent soucis accumulés je me souviens, à quinze ans, le coeur encore celui d'un enfant, robuste comme un veau j'allais et venais devant la cour, au huitième mois poires et jujubes étaient mûres, je montais dans les arbres, mille fois dans la même journée depuis, cinquante ans ont déjà passé souvent assis ou allongé, rarement debout je marche peu je me force à sourire quand je vais m'entretenir avec mes bienfaiteurs, consterné de constater que dans ma vie cent soucis se sont sans cesse accumulés en rentrant, quand je franchis la porte, les quatre murs sont toujours aussi vides ma vieille femme me regarde de la même mine triste mon fils sot ne sait ce qu'est l'égard envers son père, il hurle furieusement et réclame à manger en pleurant devant la cuisine
-146- Eté 767, au Village à l'ouest de la Nang. des visiteurs me rendent successivement visite pauvre, vieux, vraiment sans affaire, dans la montagne au bord du fleuve je suis bien installé l'endroit est reculé, j'oublie de me laver et de me coiffer un visiteur arrive, je pose ma cithare et mes livres, et du mur décroche le panier de fruits j'appelle le garçon et lui demande de cuire un poisson c'est alors que j'entends qu'on attache une barque quelqu'un d'autre vient me rendre visite dans ma chaumière
-147- Eté 767, au Village à l'ouest de la Nang. le garçon rentre pêches et poires sont à peine ornées d'émeraude, prunes et abricots à moitié colorés d'or le jeune garçon revient du verger du panier léger monte le parfum des pommes sauvages mûres dans une pleine poignée il y a encore du vent de la montagne la rosée rend leur goût plus frais envers l'hôte des fleuves et des lacs, appuyé à l'oreiller, le soleil et la lune éternels sont en vérité bienveillants
-148- Automne 767, au Village à l'ouest de la Nang. automne limpide le haut ciel d'automne soulage mes poumons je puis moi-même coiffer mes cheveux blancs les médicaments j'en ai assez d'en augmenter ou d'en diminuer la dose la cour devant la porte je suis las de la balayer avec ma canne en chénopode je raccompagne les visiteurs j'aime les bambous, je charge mon fils d'aller écrire dessus au dixième mois, quand la rivière sera calme, sur ma barque légère j'irai où bon me semble
-158- Eté 767, au Hameau de l'est. après m'être rendu momentanément à Pai ti, de retour au Hameau de l'est me voilà de retour aux champs les travaux de récolte du riz ne sont pas encore finis pour construire l'aire de séchage je fais attention aux trous de fourmis pour glaner les épis je laisse faire les garçons du village le martèlement du pilon répand une lumière blanche la balle du riz décortiqué est rouge des repas plus copieux aideront à soutenir ma vieillesse le grenier plein console la graine ailée errante que je suis
-163- Hiver 767, au Hameau de l'est. décrivant mon sentiment entre ciel et terre, partout la même vie pénible si selon les provinces les coutumes diffèrent, partout on s'affaire, on rivalise de toutes parts surgissent des entraves s'il n'y avait pas de noblesse, humble on ne s'attristerait pas s'il n'y avait pas de richesse, pauvre on se contenterait de ce qu'on a une fois mort ne reste qu'un cadavre dans les maisons voisines tantôt on chante, tantôt on pleure depuis que, homme modeste, je suis arrivé dans la gorge de Wu trois années ont passé comme la lumière vacillante d'une bougie étant parvenu à entretenir ma vie, même de façon précaire, je me suis résigné à vivre en pays étranger laissant aller mon sentiment je ne me soucie guère de la gloire ou de l'humiliation quand j'ai assité à l'audience impériale du matin, j'avais déjà les dents du crépuscule de la vie pour mes besoins journaliers je n'ai que du riz grossier j'ai tressé une chaumière à l'est de la ville en pierre, et cueille des plantes médicinales dans les ravins au nord de la montagne je m'y consacre de tout mon coeur, qu'il neige ou qu'il gèle nul besoin de tige touffue et verdoyante -164- cela ne correspond pas à un arrangement particulier de ma part, je me conforme seulement à ma nature solitaire l'homme noble est droit comme une corde tendue l'homme petit ressemble à un crochet tordu tordu ou droit, je m'en moque me réchauffant au soleil j'attends les bûcherons et les garçons de vache
-165- Hiver 767, au Hameau de l'est. décrivant mon sentiment au profond de la nuit, assis dans la véranda du sud, la lune brillante éclaire mes genoux une brusque rafale de vent renverse le Fleuve céleste, sur les poutres de la maison déjà le soleil se lève au sein de la multitude des êtres, chacun, après avoir passé la nuit, vole ou rampe en compagnie de ses congénères je dépêche moi aussi mes fils, afin qu'ils s'affairent pour notre profit personnel sous le ciel froid les voyageurs sont rares, à la fin de l'année le soleil et la lune sont pressés la gloire et le renom égarent les hommes, dans ce monde chaotique ils s'agitent comme des poux les anciens, bien avant les trois souverains saints, une fois leur ventre rempli, n'avaient d'autre désir pourquoi avoir inventé l'écriture en noeuds de corde? c'est elle qui nous a piégé, qui nous a englué en tête des criminels celui qui frotta du bois pour produire le feu le malheur empira avec le pinceau de l'historien Tong Hu regardez autour de la flamme de la lampe, tournoyer le papillon de nuit -166- pourtant, si on laisse aller son esprit au-delà des huit extrémités, qu'on regarde en haut ou en bas c'est partout la même quiétude quand on comprend enfin sa véritable nature, n'obtient-on pas l'or magique de l'immortalité?
-171- Printemps 769, naviguant vers Heng chow. départ à l'aube d'avoir à solliciter autrui cause cent soucis d'être lettré est en outre ma maladie c'est pourtant grâce à cela que j'ai beaucoup d'amis vieux et pauvre, je suis toujours sur les chemins nous partons tôt, le batelier est indolent il hisse la voile, le vent n'est pas bon les hommes de jadis s'abstenaient de se rendre dans les endroits dangereux aujourd'hui au contraire je cours après les risques dans les vagues qui roulent des dragons noirs sautent le soleil se lève, illuminant le brouillard jaune en plus d'être oppressé, les miasmes m'assaillent épuisé je m'endors, je ne suis pas encore réveillé, quand le garçon déjà prépare ma toilette mon visage crépusculaire est confus devant le miroir en bronze au hasard j'épingle mon bonnet en coton levant le regard, ému j'aperçois la profusion de fleurs dans la forêt j'entends dire que la nuit dernière des brigands ont sévi, je me réjouis que ma bourse soit vide la peine et le danger sont le lot du voyageur du lointain, avoir à quémander blesse ma nature intransigeante -172- être affamé à ne manger que des fougères retiré sur le mont Shou yang, ou être reçu sur un cheval bai en tant que lettré itinérant, j'ai voulu suivre ces deux voies incapable de trancher entre les deux je me suis égaré
Printemps 770, naviguant vers Heng chow. passant devant l'embarcadère de la montagne sacrée du sud maintenant on approche la Siang coule vers l'est et disparaît dans le lointain le vent est faible, on tire sur les rames en cannelier le soleil du printemps imprègne les nuages et les montagnes je tourne la tête, on passe devant l'embarcadère au-delà il y a une forêt d'érables innombrables des poissons blancs, piégés, sont prisonniers dans les filets les loriots chantent de belles mélodies parmi les êtres humbles, les uns sont libres, les autres captifs l'homme de vertu en éprouve de la compassion la jarre n'est pas terminée, il y reste un peu de vin sur mes genoux, ma cithare est silencieuse le saint et le sage sont tous deux dans la solitude regarder au loin suffit à m'ouvrir le coeur
-177- voyage nocturne, décrivant mon sentiment des herbes drues des berges arrive une brise légère dans la nuit solitaire s'élance le mât de la jonque les étoiles sont suspendues au-dessus de la plaine immense la lune s'agite dans le grand fleuve qui s'écoule mes poèmes auraient-ils donc fini par me forger un renom? à un poste officiel, parce que vieux et malade, j'ai désormais renoncé errant, errant, à quoi ressemblé-je? entre ciel et terre, sur le sable, une mouette
le vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise poèmes traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET calligraphie de CHENG Wing fun Moundarren chemin des bois Millemont 78940 France
[13-14] me rendant au bureau [...] toujours volontaire pour aller à la frontière je suis aussi fou qu’autrefois je regarde le givre dans ma barbe, la vieillesse me harcèle la matinée est fraîche, peu de papiers et de dossiers appuyé à la table basse devant la fenêtre au sud j'écoute le fracas du tonnerre
L'hiver de la même année il est censuré et limogé sur la charge que ses poèmes ne sont que "chanson de vent et de lune", c'est-à-dire désinvoltes. Il retourne à Shan yin, où dès lors il va mener la vie d'un poète paysan. Il cultive la terre avec ses fils, se promène dans les montagnes avoisinnantes, continue à étudier les Classiques, s'enivre toujours autant et compose d'innombrables poèmes.
[14-15]
journée d'automne, je sors me promener, composé en m'amusant un chapeau de bambou, un manteau de paille, je me trouve parfait ainsi sans me soucier de la pluie ou du beau temps je les porte mi-sobre mi-ivre, les gens se bousculent pour me voir passer sage ou péquenaud, qui peut savoir?
[15-16] en visite dans les hameaux de montagne pour distribuer des médicaments à dos d'âne souvent j'emporte une sacoche de médicaments dans les ruelles des hameaux, joyeux les gens viennent m'accueillir tous disent qu'autrefois je les ai sauvés les garçons qui naissent pour la plupart sont prénommés Lu
-18- le nouvel automne l'air de l'automne souffle dans une flûte claire à la taverne la bannière est hissée, on peut y acheter à crédit je chante joyeusement en traversant le petit marché à mon chapeau bas est épinglée une fleur sauvage une fille de la rivière me garde des crabes frais un vieux jardinier m'offre des courges tardives qui devinerait que le vieillard oisif fait de sa vie une longue ivresse?
[19-20] pensée d'automne une haie de ronces tressées, toute la journée le portail reste fermé mûriers et chanvre cachent le chemin, on ne distingue plus le village toute ma vie mes poèmes se sont répandus sous le ciel la tête blanche je suis retourné au pays pour arroser le jardin décrivant mon sentiment le toit fuit, je déplace mon lit la fenêtre est déchirée, je répare le trou j'enfile ma veste, plus fier que si c'était du renard ou de la marmotte ma nourriture est frugale, j'en oublie les fines tranches de poisson ou de viande rôtie dans la vie lorsqu'on est vieux on devient vraiment pitoyable les cent choses tournent au déclin et à la décrépitude je me réjouis d'avoir pu retourner dans mon village natal je goûte sa douceur comme lorsqu'on croque de la canne à sucre ma chaumière a beau être rudimentaire, cela n'empêche pas la sagesse de se répandre dans la maison mes fils savent élever les poules et les porcs moi-même je sais planter les mûriers et le chanvre à la taverne du village on peut facilement acheter du vin à crédit dans l'écurie du voisin je peux emprunter un âne quand je dors je laisse mes disciples me railler quand je suis ivre je n'ai aucun supérieur pour me blâmer dès que je vois un livre mes yeux aussitôt se ferment d'être aussi paresseux pourtant je me pardonne dans cinq cents ans peut-être, dans les forêts je serai un bon sujet de conversation
-25-
Année 1181. Quand le poète Chang An (258-319) démissionna de son poste à la capitale pour se retirer, il dit que c'est parce qu'il avait hâte de manger à nouveau les perches de son pays natal.
le jardin potager le vieillard de la montagne dans sa vieillesse a appris à jardiner en riant de sa maladresse à peine trois arpents de terre pierreuse et stérile pour le labeur pénible j'ai engagé deux hommes le carré de terre divisé en plates-bandes ressemble à un échiquier à peine humecté le sol devient comme du beurre fondu on a coupé et dégagé le terrain jusqu'à ce que ronces et buissons soient exterminés on a noué et hersé jusqu'à ce qu'il n'y ait plus ni pierre ni motte au-dessus du fossé on a placé un tronc en travers pour faire un pont avec des tuiles glanées on a construit une petite pagode sur la terre encore libre on a dressé des tuteurs pour les courges avec l'énergie en reste on a planté un carré de taros les jeunes pousses de laitue forment déjà un fil mince les courgettes cuites à la vapeur sont fondantes comme du canard l'affaire est aujourd'hui bien engagée ce n'est pas pour les perches que je suis retourné à l'est
-39- Année 1184 me levant de bon matin de mon rêve mélancolique soudain je me réveille en sursaut à la petite fenêtre percent les premiers rayons un oiseau précieux siffle dans un arbre de la cour, adorable, j'ignore son nom jadis occupant des fonctions j'ai voyagé, au milieu de la poussière passant la moitié de ma vie sur un ordre j'attachais ma ceinture et sortais, " dong dong " on frappait la dernière veille maintenant que j'habite dans la montagne, bien que libre, je me lève de bon matin avec un programme devant moi je rince la pierre à encre et essuie la table je me mets à sourire, satisfait, le sentiment tranquille
-42- étudiant les livres à l'écart je me suis réfugié, au bord des fleuves et des lacs, séjournant sagement au milieu du vent et de la pluie le papier neuf à la fenêtre est extrêmement blanc dans le poêle chaud le feu vif rougeoie marque-pages et étuis de livres je viens à l'instant d'arranger la prononciation et la forme des caractères j'étudie en détail si je ne meurs pas tout de suite et surmonte la décrépitude, pendant dix années encore je me consacrerai à l'étude
-47- Année 1186 juste après mon retour, par hasard je me rends dans un village proche, composé en m'amusant la pluie traverse le village assombri le vent soulève les senteurs de cent herbes ramant dans ma barque je longe le quai ancien appuyé à ma canne, debout je contemple le nouvel étang ivre je réalise l'immensité du Ciel et de la Terre oisif je comprends l'éternité du Soleil et de la Lune de retour au crépuscule je remplis un rouleau de poèmes bien que vieux, ma vigueur se manifeste toujours autant
-48- la nuit vogant dans la Crique aux libellules des quatre côtés l'eau sans limite à la troisième veille la lune n'est pas encore levée au hasard je navigue à la rame, comme si j'avançais en chevauchant le vent dans la crique embrumée le chant des pêcheurs a cessé sur l'île aux roseaux scintille une lumière mystérieuse de retour à la maison tout le monde est déjà couché un bon moment je reste là à frapper au portail en branchages
-55- une soirée soirée d'automne du paysan mon âge approche des soixante-dix ans avec le monde depuis longtemps nous nous ignorons la force de mes muscles heureusement je puis encore solliciter elle soutient mon corps décrépit quand je m'occupe du labour et des mûriers pour les vers à soie me voilà paysan parmi les vieux paysans, soucieux de m'abriter du vent et du givre au milieu de la nuit je me lève pour aller donner à manger au boeuf la Grande Ourse est suspendue au-dessus de la campagne immense
-58- 4ème jour du llème mois, le vent et la pluie se déchaînent le vent soulève le fleuve et le lac, la pluie assombrit le village les montagnes alentour rugissent comme les vagues déferlantes de la mer un feu doux de fagots du torrent, une chaude couverture barbare laine, le chat et moi ne franchissons pas la porte
-70- à l'intention des visiteurs dans l'ombrage formé par les mûriers l'odeur de cent herbes à midi dans le vent frais le bruit des rouets sur lesquels sont dévidés les cocons à soie visiteurs qui arrivez, ne parlez pas des affaires du monde mieux vaut avec la montagne et la forêt partager cette longue journée d'été
-83- dans la Salle de la Tortue, à la fenêtre à l'est jouant avec un pinceau et de l'encre j'improvise un poème dans la chambre au nord, de la sieste je me réveille et vais m'asseoir dans l'aile à l'est sans affaire sur le coeur je réalise que journées et mois sont bien plus longs le ciel envoie au poète matière à poème deux papillons jaunes en train de jouir de la lumière de l'automne
-84- Année 1198 assis dehors rester devant la fenêtre bonnet enlevé laisse le sentiment insatisfait aussi, traînant ma canne en bambou, je sors dans la cour l'automne clair est proche, la rosée trempe les herbes la lune brillante n'est pas encore montée, le ciel est plein d'étoiles pour franchir l'écluse les bateaux se bousculent, demain à l'aube il y a le marché des hommes pédalent pour actionner la roue à aubes, de toute la nuit ils ne dorment pas les gens simples, pour manger à satiété, doivent besogner ainsi assis à manger le riz des greniers gouvernementaux j'éprouve souvent de la honte
-85- Année 1200 journée de printemps dix mille replis de montagnes enneigées je contemplais sans me lasser la neige a fondu, les montagnes bleues sont tout aussi merveilleuses aujourd'hui au Sud du Fleuve nul bon peintre sur une courte feuille de papier le Vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise les déplace dans son poème
-88- dans le studio jouant avec mon pinceau, improvisation, montré à mon fils Yu à gauche et à droite ma lyre et une coupe de vin, quiétude, nulle clameur le Vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise a récemment réorganisé sa vieille vie l'encens brûle tandis que je lis le Recueil de la Vallée oblique surveillant le feu je prépare moi-même du thé de Ku chu à moitié ivre ma calligraphie rivalise presque avec celle des anciens malgré la peine endurée pour composer mes poèmes je ne suis pas devenu un grand maître à la fenêtre le soleil couchant réveille la mélancolie dans le village de la rivière, au crépuscule le sanglot mélodieux d'un pipeau
-93- dans la Salle de la tortue, divers plaisirs jeune j'ai séjourné au milieu de la Cour et du marché les propos vulgaires s'entremêlaient à m'en casser les oreilles comment deviner alors qu'aujourd'hui je connaîtrais la quiétude et le repos? dormant tranquillement, toute la nuit j'écoute le vent dans les pins
dans la Salle de la tortue, divers plaisirs du tao merveilleux depuis toujours je n'avais entendu parler que grossièrement j'ai fermé ma porte et m'y suis consacré, dix années de travail du petit art au bout de mon pinceau aujourd'hui je me repens mes vieux manuscrits, hauts comme une montagne, je vais les brûler tous
-97- Année 1201 me réjouissant de l'éclaircie dans ce pays de fleuves et de lacs le printemps se termine dans le vent et la pluie le bruit des gouttes sur le perron désert, je suis vraiment las de l'entendre ce matin me réjouit un évènement extraordinaire dans l'encadrement de la fenêtre un beau soleil, je me mets à calligraphier les Classiques de la Cour jaune7
-100- la nuit du 18ème jour du 7ème mois, composé sur l'oreiller un éclair jaillit, il fait clair comme en plein jour pas encore apaisé le tonnerre gronde les nuages défilent confusément puis disparaissent lentement monte la lune solitaire dans les herbes couvertes de rosée des criquets conversent le vent dans les branches effraie les pies dès que la fraîcheur naît je me sens enfin à l'aise je dors profondément jusqu'à ce qu'à la fenêtre il fasse jour
-105- décrivant ma joie d'habiter au village du pont rouge du Hameau des pruniers les montagnes à l'aube s'étendent à la pagode blanche au bord de la rivière Fan l'eau printanière gonfle les odeurs des fleurs m'assaillent, j'en discerne toute la douceur les cris des pies traversent les arbres, je me réjouis de la nouvelle éclaircie sur la place du village le vin est bon marché, bien que pauvre je puis m'enivrer dans les champs la boue est profonde, le vieillard peut encore labourer le plus réjouissant est qu'avant la fin du délai j'ai déjà réglé taxes et impôts toute l'année sans qu'un huissier ne vienne frapper à mon portail en branchages
-109- au début de l'hiver toute ma vie le temps qui passe m'a inspiré des poèmes j'aime tout particulièrement, au début de l'hiver, le givre sur dix mille tuiles les feuilles des érables presque flétries sont encore plus belles des fleurs des pruniers pas encore écloses on devine déjà le parfum au crépuscule de l'âge je suis à l'aise, nullement gêné de vivre à l'écart bien que le jour soit court, n'ayant rien à faire la journée semble longue en plus j'ai un fils pour partager ce plaisir devant la fenêtre ensemble nous nous divertissons avec le rouge et le jaune de la palette
-115- la Véranda de l'allégresse suprême dans la poussière jaune et le soleil rouge la sueur a trempé mon vêtement au milieu des bambous on prépare le thé, ma joie est à son comble il convient d'en rire, le Vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise a eu une idée de génie emprunter ton pavillon sur l'étang pour y consulter tes livres
-123- les nuages solitaires il y a quarante années je suis venu m'installer sur cette montagne je me suis rendu à la cour, mais ne servant pas à grand chose suis revenu de nouveau à l'est ne vous étonnez pas si je reste longtemps debout appuyé à la balustrade j'aime les nuages solitaires toute la journée oisifs
-132- décrivant ce qui se passe le papier est neuf, à la fenêtre ensoleillée il fait bon le riz nouveau du repas de midi est parfumé j'aime dormir, c'est une joie sublime se simplifier les choses est une merveilleuse recette un papillon solitaire jouit des couleurs de l'automne une confusion de choucas croassent dans le soleil couchant de toutes parts abonde le sentiment poétique je laisse aller mon pinceau, tout seul il compose un poème
-135- Année 1207 me levant à l'aube pour casser un rameau de prunier la Lyre décline, la clepsydre s'écoule l'étoile du Berger rejoint la lune, la nuit va bientôt se terminer un petit pont, un sentier secret, personne je casse un rameau de prunier en fleurs pour me tenir compagnie dans l'aube froide
-143- me réjouissant du beau temps au moment où je commence à être las d'entendre les tourterelles appeler la pluie, soudain j'entends les pies jacasser du beau temps le chemin est dégagé, l'eau est descendue j'ouvre un livre et me réjouis devant la fenêtre lumineuse le soleil filtre à travers les ombres éparses sur le store le vent apporte le son de la corne du crépuscule les enfants se bousculent pour me dire qu'au portail il y a le marchand de cerises rouges
-150- à la Mi-automne décrivant ce qui se passe mes vieilles habitudes de lettré je les ai toutes éliminées le plaisir du vin et la passion des poèmes aussi se sont atténués ce matin, chose étonnante, je me suis à nouveau approché du pinceau et de la pierre à encre, des villageois sont venus me demander d'écrire un charme pour chasser les criquets migrateurs on vient vient me rendre visite, je suis profondément ému par l'amitié des voisins depuis peu, à cause d'un affaiblissement et de défaillance, je ne vais plus accueillir ni raccompagner les visiteurs aussi ai-je fait installer à côté de moi un petit réchaud pour préparer du thé de Ku chu une conversation animée peut encore me réchauffer le coeur
l'ermite du mont Parfumé un homme sans maire portrait & poèmes poèmes choisis et traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET deuxième édition augmentée Moundarren chemin des bois Millemont 2011 [8]
par une belle lune j'aime m'asseoir seul juste devant l'auvent, il y a deux pins du sud-ouest arrive une légère brise, elle se glisse dans les aiguilles de pin, produisant un chant mélancolique au milieu de la nuit, sous la lune brillante, on dirait le bruissement de la pluie dans les montagnes froides, ou le son pur des cordes d'un ch'in en automne d'emblée est rincée la chaleur caniculaire à écouter plus encore sont chassés tous les tracas et les soucis de toute la nuit je ne dors pas, le coeur et le corps libres dans l'avenue au sud circulent carrosses et chevaux de chez mon voisin à l'ouest retentissent les chansons et la musique qui devinerait que, sous cet auvent, ces sons qui remplissent mes oreilles n'ont rien de bruyant? [11]
leur allure arrogante envahit la grande avenue les selles de leurs chevaux étincellent au milieu de la poussière je demande qui sont ces gens on me dit que ce sont des eunuques ceux à la ceinture vermillon sont de hauts mandarins, ceux au ruban pourpre sont des généraux ils se vantent de se rendre au banquet de la Garde impériale leurs chevaux au galop filent comme les nuages les jarres en terre débordent du vin aux neuf fermentations les huit mets précieux de l'eau et de la terre sont disposés les fruits épluchés sont des mandarines de Tung ting, les fines tranches de poisson, des écailles de la mer ils mangent à satiété, en ont le coeur comblé exaltés par le vin, leur air est encore plus hautain cette année, au Sud du Fleuve sévit la sécheresse à Chu chow des hommes mangent des hommes 17
[...]
des maîtres zen, des amis poètes, tour à tour me rendent visite toute la nuit nous échangeons des propos pénétrants si j'ai envie de dormir, je dors toute la journée à part assister à l'audience matinale, je n'ai aucune autre obligation l'âge avançant ma santé est encore bonne d'un poste humble mon coeur se contente...
À cette époque Po Chu yi s'intéresse vivement à l'expérience du bouddhisme ch'an (zen en japonais). Le mot ch'an est la transcription chinoise du sanscrit dhyana, contemplation, et le bouddhisme ch'an résulte de la subtile infusion du bouddhisme indien dans la pensée taoïste chinoise de Lao tzu (5e siècle avant), l'auteur du Tao te king, le Classique du tao et de ses vertus, et de Chuang tzu (4e siècle av.), auteur du livre éponyme, et dont le premier chapitre est intitulé "Libre et à l'aise". Le mot tao signifie le cours naturel des choses et, par extension, appliqué à l'homme, l'accord au cours naturel des choses. Po Chu yi se tourne vers l'enseignement de l'Ecole ch'an du Sud, fondée par Hui neng (638-713), le sixième patriarche. LEcole ch'an du Sud, aussi appelée Ecole de l'éveil immédiat, de l'illumination silencieuse, insiste sur l'expérience même de l'éveil à notre nature profonde et originelle, foncièrement libre. Quand on s'aperçoit que fondamentalement il n'y a rien, comme disait le maître Feng kan, un contemporain de Po Chu yi, il n'y a plus alors qu'à lâcher philosophiquement prise et à s'accorder au cours des choses.
[37]
le matin je monte me promener sur le coteau à l'est le soir je monte me promener sur le coteau à l'est qu'y a-t-il donc à aimer sur le coteau à l'est ? j'aime les jeunes arbres je les ai plantés au début de l'année ils s'épanouissent promptement à la fin du printemps je les ai plantés à ma guise, au hasard, sans ordre, sans compter le soleil en déclinant déplace leur ombrage verdoyant la légère brise soulève leur parfum suave les oiseaux descendent dans le nouveau feuillage les papillons s'envolent des fleurs fanées oisifs, tenant ma canne en bambou moucheté, j'y traîne mes sandales en chanvre jaune vous voulez savoir la fréquence de mes allées et venues ? les mauvaises herbes sont devenues un chemin net 43
Il fréquente les officiels en retraite, notamment Hsia Yueh, le fameux peintre de bambous. Dès qu'il en a le loisir, il va se promener dans les montagnes environnantes où se trouvent de nombreux temples et monastères taoïstes et bouddhistes. Au sud-ouest du temple Ling yin, il découvre un endroit enchanteur, le kiosque de la Fontaine froide, où il aime aller se délasser.
«... Par une journée de printemps, j'y aime l'odeur des herbes et des arbres luxuriants. Elle conduit à l'harmonie, concentre l'énergie, fait circuler le sang et le souffle. Par une nuit d'été, j'y aime le calme de la fontaine et la fraîcheur du vent. Ils chassent les soucis, soignent le mal aux cheveux et réjouissent le coeur. Les arbres de la montagne servent de toit, la falaise rocheuse de paravent. Les nuages naissent au bout des poutres, l'eau arrive à ras du perron. Celui qui s'assoit pour en jouir, de son siège peut se rincer les pieds. Celui qui s'allonge pour être à son aise, de son chevet peut pêcher à la ligne. L'eau coule lentement, propre, claire, recueillant la fraîcheur et la douceur. Gens vulgaires ou hommes du tao, dès qu'on la voit, la poussière des yeux et des oreilles et la souillure du coeur et de la langue, sans les laver ni les rincer, sont aussitôt éliminées... » 67
À soixante-sept ans Po Chu yi compose, à la manière d'une biographie littéraire, sa propre biographie.
Celui qui s'appelle le Maître qui s'enivre et compose des poèmes a oublié son nom, son village natal, sa fonction et son titre. Dans le flou il ne sait plus qui il est. Il a été officiel pendant trente ans, puis à la vieillesse s'est retiré à Lo yang. Où il vit il y a un étang de cinq à six arpents, plusieurs milliers de bambous, plusieurs dizaines de grands arbres, une terrasse avec un kiosque, une barque et un pont. Il y a tout, mais de façon humble. Le maître s'en contente. Bien que la maison soit pauvre, le froid et la faim ne l'assaillent pas. Bien qu'il soit déjà vieux, il n'est pas encore sénile. Sa nature est amoureuse du vin, vénère le ch'in avec ferveur et est éperdument éprise des poèmes. Il fréquente tous les buveurs de vin, les joueurs de ch'in et les amateurs de poèmes. En dehors de ces fréquentations, son coeur s'est réfugié dans le bouddhisme. Il a compris la loi du petit, du moyen et du grand véhicule. Yu meng, un moine de la montagne sacrée Song, est son ami de la Porte vide'. Wei Chu, l'hôte de Ping chuan, est son ami des montagnes et des eaux. Liu Yu hsi, de Peng cheng, est son ami de poésie. Huang fit Lang chi, d'An ting, est son ami de vin. Chaque fois qu'il les rencontre, il est joyeux à en oublier de rentrer. À l'intérieur et à l'extérieur de la ville de Lo, sur soixante à soixante-dix li, tous les temples et toutes les villas sur la colline où il y a des sources, des rochers, des fleurs et des bambous, il s'y est promené. [...]8
1. La Porte vide désigne le bouddhisme chan (zen)
73
la tête étourdie, je ne pêche plus la main engourdie, je ne joue plus de ch'in toute la journée silencieux, sans affaire là où je demeure c'est vaste et profond extérieurement je repose mon corps invalide, intérieurement je cultive un coeur vide et tranquille la fenêtre et la porte accueillent le paysage d'automne dans le crépuscule limpide, l'ombre des bambous et des arbres assis oisivement au bord du petit étang, la brise légère de temps à autre soulève le pan de mon vêtement
Po Chu yi vend son cheval et se résout à se séparer de Fan su, surnommée "Rameau de saule", une jeune courtisane musicienne qui l'accompagnait depuis une dizaine d'années.
la maladie reste en compagnie de Lo tien le printemps suit Fan su, ensemble ils s'en retournent
Accablé par la vieillesse et la maladie, ce poème pour me consoler prospérité et décrépitude, joie et souci, longévité et mort précoce, tout cela dans le monde des hommes n'est qu'un jeu mes bras comme des vers et mon foie de rat ne m'étonnent déjà plus ma peau de poule et mes cheveux en duvet de grue, rien de grave hier, atteint par la paralysie je m'étais résigné à partir pour toujours aujourd'hui, retrouvant le printemps rayonnant, une légère amélioration au fond, ça ressemble à un long voyage, les bagages sont déjà prêts indécis je m'attarde, il n'y a pas de mal à cela
Po Chu yi se réfère souvent à Vimalakirti, "Nom sans souillure", un disciple du Bouddha, le saint laïc par excellence, libre et d'une intelligence pénétrante. Par son exemple, Vimalakirti nous montre que l'éveil à notre nature profonde, originelle, est compatible avec une vie "dans la famille" (par opposition au moine "hors de la famille"), au coeur même du monde des hommes. Le tout est de ne pas être le jouet des passions ni emporté par l'agitation générale.
Dans la famille, hors de la famille le vêtement et la nourriture sont suffisants, les enfants tous mariés les affaires de la maison, désormais je ne m'en occupe plus la nuit, quand je dors, mon corps est comme un oiseau qui retourne dans la forêt le jour, quand je mange, mon cœur est comme celui d'un moine qui mendie sa nourriture 86
l'homme en vieillissant est souvent malade et souffrant aujourd'hui je n'ai par bonheur aucun trouble l'homme en vieillissant a beaucoup de soucis et de tracas aujourd'hui j'ai fini de marier mes enfants le coeur en paix, plus rien ne vient me déranger le corps tranquille, sans attache c'est ainsi que, depuis dix ans, mon corps et mon esprit sont oisifs et paisibles en plus, au crépuscule de l'âge, je n'ai pas besoin de grand-chose une fourrure pour rester au chaud quand passe l'hiver un seul repas me rassasie pour toute la journée pourquoi dire que la maison est petite? une seule chambre suffit pour dormir inutile d'avoir plusieurs chevaux sellés, on ne peut en chevaucher deux en même temps des gens privilégiés et chanceux comme moi, parmi les humains il y en a sept sur dix mais des gens au coeur content comme moi, parmi les humains il est rare d'en trouver un sur cent pour observer à l'extérieur, même les imbéciles sont clairvoyants mais quand il s'agit de soi-même, même la plupart des sages se trompent comme je n'ose parler de tout cela aux autres, ces paroles insensées je vous les adresse, mes chers neveux 90
Composé à propos de mon vieux corps et montré aux membres de ma famille une longue vie, jusqu’à soixante-quinze ans un salaire confortable, cinquante mille sapèques mari et femme vieillissent ensemble nos neveux habitent avec nous la soupe est délicieuse, je déguste le nouveau riz mon manteau est chaud on a changé la vieille doublure en coton la maison est humble, toute la famille heureusement unie au pied du lit est installé un paravent simple on a déplacé le poêle devant la tenture bleue j'écoute mes petits-enfants réciter leurs leçons je supervise la jeune servante qui prépare une décoction j'écris promptement quelques lignes pour honorer mes dettes de poèmes je trie mes vêtements pour les échanger contre l'argent des médicaments après m'être acquitté de ces tâches insignifiantes, je m'endors, le dos au soleil
90
enfoncé dans l'oreiller, le corps confortablement installé sous une couverture chaude le soleil filtre sous la porte de la chambre, le rideau n'est pas encore ouvert l'odeur du printemps de ma jeunesse, encore, de temps à autre entre fugitivement dans mon rêve 109
d'abord je m'étonne, la couverture et l'oreiller sont glacials puis je m'aperçois que la fenêtre est lumineuse dans la nuit profonde, la neige doit être abondante de temps à autre, le bruit d'un bambou qui casse
113 sq. [...] à ce moment-là le silence est plus fort que la musique d'un vase en argent qui explose soudain un liquide jaillit des cavaliers en armure chargent à l'improviste, leurs épées et leurs lances résonnent la mélodie est terminée, d'un trait elle tire le plectre vers son coeur les quatre cordes sonnent comme de la soie qui se déchire dans les barques à l'est et les jonques à l'ouest, un même silence au milieu du fleuve, seule la lune blanche d'automne songeuse, elle raccroche le plectre entre les cordes elle arrange son vêtement et se lève, le visage grave « à l'origine je suis une fille de la capitale ma famille habitait au pied du Tombeau du crapaud à treize ans j'ai appris le pip'a mon nom figurait dans le groupe des meilleures musiciennes quand ma mélodie se terminait, mes maîtres en restaient admiratifs avec mon maquillage, j'étais souvent enviée par la belle dame Chiu aux Cinq tombeaux les hommes jeunes pour moi rivalisaient de générosité, pour un air ils ne comptaient plus la soie rouge ils frappaient le rythme avec leurs épingles à cheveux incrustées de pierres précieuses qui se cassaient ma jupe en soie de couleur sang était tachée par le vin renversé
Les Cinq tombeaux, près de Chang an, sont le site des mausolées des empereurs Han de l'ouest (202 av.-9).
133
cette province est le pays des bambous au printemps les pousses remplissent les montagnes et les vallées les montagnards les cueillent et, à pleines brassées, les emportent tôt au marché pour les vendre quand une chose est abondante, elle est bon marché en échange de deux sapèques, une botte on la place dans la marmite, on la cuit en même temps que le riz l'écorce pourpre éclate comme un brocart usé, s'ouvrant sur une chair blanche comme du jade nouveau j'en mange tous les jours depuis un long moment je n'ai même plus envie de viande j'ai longtemps séjourné dans la capitale et à Lo yang, mais de ce goût j'ai rarement été rassasié j'en mange à profusion, sans scrupule quand le vent du sud souffle, il les transforme en bambous
134 De Ching men me rendant au relais des Cinq pins, à cheval je m'assoupis et au réveil compose ce poème la route est longue, je suis parti il y a longtemps déjà je me rapproche de l'auberge au loin, mais ne suis pas encore arrivé mon corps est fatigué, mes yeux déjà obscurs j'ai sommeil, finalement je m'endors à ma manche droite pend encore mon fouet ma main gauche lâche momentanément le licol brusquement je me réveille et interroge l'homme de service nous avons avancé d'à peine cent pas mon corps et mon esprit avaient changé de lieu bref et long sont tous deux relatifs sur le cheval c'était peu de temps, mais dans le rêve d'innombrables évènements se sont déroulés la parole du sage est vraie, cent années ne durent que le temps d'un somme 165
le cri d'une cigale précoce s'arrête plusieurs points lumineux, les nouvelles lucioles volettent la lampe à résine d'orchidée est claire, sans fumée la natte en bambou est fraîche, une légère rosée je ne regagne pas encore ma chambre pour me coucher je descends musarder dans la véranda du devant la lune déclinante entre dans la galerie basse le vent frais remplit les grands arbres je laisse aller mon sentiment, toujours à l'aise à contempler le paysage je trouve mon plaisir comment suis-je parvenu à cela ? je n'ai dans le coeur aucune affaire futile 191 Rêvant que je grimpe sur la montagne, alors que mon mal aux pieds n'est pas encore guéri cette nuit j'ai rêvé que je grimpais sur la montagne Song seul, saisissant ma canne en chénopode, je suis sorti mille falaises, dix mille ravins, partout j'ai déambulé dans le rêve mes pieds n'étaient pas malades j'étais robuste comme lors des jours de ma jeunesse doit-on en conclure que si l'esprit peut revivre sa jeunesse, ce vieux corps, lui, reste le même comment distinguer, entre corps et esprit, qui est malade et qui est bien portant ? corps et esprit, les deux ne sont qu'illusion rêve et éveil, les deux sont sans réalité le jour je marche avec difficulté, en boitant la nuit mon pas est allègre puisque jour et nuit sont à part égale, entre les deux je ne perds ni ne gagne
Le Mangeur de brumes
l'oeuvre de Han-shan poète et vagabond
texte français par Patrick Carré
Phébus, Paris, 1985.
- 4 - Eh bien moi, mon plaisir, c'est la vie solitaire! Là où j'habite, il n'y a ni bruit ni poussière. J'ai tracé trois sentiers en piétinant les herbes Et d'un coup d'oeil aux nues je vois tous mes voisins. Il y a les oiseaux pour chanter avec moi, Mais pas un être humain pour parler religion. Voici un Arbre d'Endurance : Combien d'années encore durera son printemps?
Quelques pas vers les brumes amies... Tout comme T'ao Yüan-ming, notre bonhomme se révèle d'emblée sourd aux bruits inutiles, aveugle à la poussiéreuse agitation du siècle. La pollution inhérente à l'être — et à l'être humain en particulier — n'atteint pas son domaine. On y respire enfin à la même altitude que les oiseaux.
On comprend son plaisir — c'est même le premier mot qui vient sous son pinceau. Et le quiétisme béat qui s'ensuit en bonne logique n'a dès lors plus trop l'air d'une leçon. Le petit taoïste vante sa retraite et le petit bouddhiste s'apitoie. Soit. Le « champ de Bouddha » de Shâkyamuni s'appelle « Endurance » et la douleur même y est un tel accomplissement spirituel qu'éternel en paraît le printemps. [89]
- 22 - Il est un mangeur de brumes Dont le seuil est tabou, que nul ne franchit. A dire vrai, quelle désinvolture Automne comme été! Des torrents ténébreux les eaux chantent toujours Et le vent murmure dans les sapins altiers. C'est juste là qu'assis quasiment tout le jour Il oublie les chagrins de son siècle de vie.
Le vieil Immortel s'assied et avale les brumes bleues qui enrubannent les monts et, dans l'oubli des illusions profanes et sacrées, il s'illumine. Que souhaiter de plus? [111]
- 25 - Vous, les sages, point ne voulez de moi, Et moi, des fous, ne veux guère plus! Or, n'étant ni fou ni sage, De vous tous ne veux plus rien savoir! Quand il fait nuit, je chante au clair de lune, Et le matin, je danse avec les nues : Comment pourrais-je rester calme et coi, Le dos bien droit, avec ma trogne hirsute!
Suprême défi : je suis un clown, et voilà tout! Suis-je libre? — Qu'en sais-je, et qu'en ferais-je? Sage ou idiot, voilà bien des histoires! L'ultime et ses contraires valent pour les gens bornés, les rêveurs insatisfaits, les idéalistes de tout poil. Un peu de folie, que germe le grain! Plus de méditation assise, de quête éberluée, plus de componction! Montfroid, en tant que « distance subtile », s'est détaché de la dualité des sages et des fous. Le sage est celui qui rejette tout sous prétexte de vacuité, et l'ignorant est le réaliste primitif. Être et vide sont deux extrêmes dont la réalité n'a que faire.
Peut-être cet extrait du Sens des deux vérités de Chi Tsang des Sui éclairera-t-il notre lanterne : « Il en est de même pour toutes choses : pour le vulgaire, elles sont, et pour le saint, elles sont vides. Le vide des saints et l'être du vulgaire ne sont en fait ni vide ni être. La dualité vulgaire-saint n'est en fait aucune dualité. Leur dualité relève de la vérité mondaine, tandis que leur non-dualité appartient à la vérité absolue. » [114]
- 51 - Mon coeur est comme la lune d'automne, Blancheur immaculée de l'abîme bleu-vert. Il n'est rien à quoi je le puisse comparer Si vous ne me soufflez ce qu'il faut que je dise…
En automne, l'atmosphère, nettoyée par plusieurs mois de pluie, est transparente et immatérielle. Quand la pleine lune y brille, l'espace entier rejaillit de lumière.
L'état originel de toute expérience peut, dans son fonctionnement, être appelé « esprit » (mon coeur). C'est une énergie pure qui a pour « substance » la lumière (la lune d'automne). Cette énergie enveloppe et pénètre toutes choses, événements de la matière ou du mental, et joue au jeu des formes-couleurs jamais distinctes de leur essentielle vacuité, absence d'être en soi, indifférence vécue entre néant et éternité.
Mais jamais le langage, et surtout pour un poète du coeur, ne saura dire exhaustivement la Réalité. Tant de pure lumière n'a pas de nom. Montfroid cependant est libre et sa liberté ne souffre pas du désespoir habituel des écrivains à qui manquent les mots susceptibles de communiquer l'ineffable frisson du simple « tel quel ». C'est pourquoi il laisse aux « autres » les comparaisons et les dénominations.
A nous de trouver! [143]
- 64 - Houleuse immensité, les eaux du Fleuve Jaune Coulent vers l'orient et jamais ne s'arrêtent. Elles n'en finissent pas, jamais immaculées... Mais les vies les plus longues, elles, ont une fin. Vous voudriez vraiment enfourcher un nuage? Pourquoi ne vous faites-vous pas pousser des ailes! Tant que votre cheveu est encore bien noir, Faites plutôt l'effort de vivre comme il faut.
« Combien passent de vies humaines », disent les Printemps et Automnes (Ch'un-ch'iu tso-chuan), « avant que ne soient pures les eaux du Fleuve Jaune? »
A cheval sur un nuage, physiquement immortel... Toujours la même vieille chimère chez le mortel angoissé : vraiment, fabriquons-nous une « âme » avant qu'il ne soit trop tard! Montfroid se moque d'ailleurs aussi bien de lui-même — et de tous ceux qui s'imaginent pouvoir jouer à l'Immortel en enfourchant simplement leurs pauvres fantasmes. C'est à ras de terre, plus modestement, que doivent oeuvrer ceux dont le coeur appartient aux nuages. [158]
- 106 - Splendides s'étagent les monts et les torrents, Mystère des bleus-verts sous le verrou des brumes. Le brouillard caresse mon serre-tête en gaze, Ma pèlerine en paille, humectée de rosée. J'ai les pieds chaussés de sandales vagabondes, Et une tige en rotin me sert de canne. Je considère encor le siècle poussiéreux : Ce pays n'est qu'un rêve où je n'ai plus de rôle!
Tout est flou. Les communs remue-ménage soulèvent leur vieille poussière en nuages qui atténuent les lignes tranchantes de la bêtise et de l'agressivité. Et ces nues montent en brumes bleues sur les monts occultes et grandioses. Le rêve de fer et le rêve aérien se séparent. Le premier enfonce et le second enlève. Pourquoi ces deux extrêmes seraient-ils à jamais incompatibles?
Et quel bonheur que le nôtre : Han-shan II, une fois n'est pas coutume, a réussi à se hisser à la même altitude que son modèle! [204]
- 134 - Cette nuit, j'ai rêvé que je rentrais chez moi. Ma femme était assise au métier à tisser. Elle avait l'air songeur, et stoppa sa navette. Ses forces l'avaient fuie, elle ne bougeait plus. Je l'appelai. Se retournant, elle me vit, Mais elle ne me reconnut pas. Nous nous étions quittés depuis bien des années : Mes cheveux n'avaient plus leur couleur d'autrefois.
Son mariage, si ce poème nous parle de sa vraie vie, dut mettre Montfroid dans l'embarras. Il avait quitté cette femme dont il avait dû « essuyer le mépris », en quête qu'il était d'une chimère absolue. Il s'avère pourtant qu'il ne peut pas vraiment se détacher d'elle... comme il paraît, d'ailleurs, ne vouloir se détacher de personne... Mais les années ont passé, et ses cheveux blancs sont là pour lui rappeler l'inéluctable : une fois sur la Voie, point de retour… [233]
- 135 - « Bien que la vie ne couvre pas un siècle, Des soucis de mille ans sans cesse nous occupent. » A peine guérissons-nous de nos propres maux Que ceux de nos enfants déjà nous font souci. Voyez en bas le sol où le riz s'enracine Et en haut, la cime des mûriers. Les poids de la balance qui tombent à la mer Ne connaissent le repos qu'en arrivant au fond.
J'ai repris pour le premier distique de cette élégie la traduction de J.-P. Diény... puisque Montfroid lui-même me donne l'exemple en choisissant d'y reproduire verbatim deux vers du quinzième des Dix-neuf poèmes anciens. Il n'est décidément pas facile de s'arracher à la pesanteur, qui paralyse notre esprit comme elle brime notre corps... A moins précisément de sauter à pieds joints dans l'abîme, jusqu'à en toucher le fond. Parvenu là, plus de chute à craindre! [234]
- 161 - J'ai une grotte, Une grotte où il n'y a rien : Grandiose et pure vacuité, Soleil des soleils, radieuse lumière! Mon vieux corps se nourrit d'une bien maigre chère, Toiles et peaux voilent ma chair illusoire. A vous les mille visions saintes, J'ai en moi un Bouddha inné!
Rien... de ce qu'on a l'habitude de croire; rien... de ce qu'on souhaiterait; rien, somme toute, mais pas un vide creux et vain, un vide nihiliste, un vide triste et négatif : pas de miroir, mais des reflets; pas de poussières, mais de merveilleuses émotions... Et pratiquement? Considérons, à titre d'exemple, l'ouverture du Chant-témoin de l'absolu (Cheng-tao-ko) que Hsfian Chiao composa vers la fin de la dynastie des T'ang :
Sans étudier, sans agir, oisif, le mystique
Ne chasse pas les représentations mentales
illusoires et ne cherche pas la vérité.
L'ignorance, en sa vraie nature, est bouddhéité.
Le corps, fantasmagorique et vide,
est le corps absolu,
Le corps absolu qui réalise qu'il n'y a rien
Et que sa propre nature originelle,
c'est le Bouddha inné...[261]
- 176 -
« Or donc, cet endroit où je vis en paix »
Or donc, cet endroit où je vis en paix N'est qu'un indicible et profond mystère. Les lierres frémissent sans qu'il y ait de vent, Les bambous sont obscurs en l'absence de brumes... — Mais pour qui sanglotent les torrents Tandis que sur les monts les nuées se rassemblent? Assis dans ma cabane, il est déjà midi; Le vieux soleil s'est levé sans que je le sache.
Faire le vide en soi conduit dans un premier temps à voir le monde tout autrement : « indicible et profond mystère » des choses qui révèlent soudain leur angoissant pourquoi. Que l'âme cependant ne se trouble pas pour si peu. Laissons les sables mouvants de la cérébration s'assécher doucement, et la conscience simple pourra bientôt s'éveiller... et contempler le réel tel qu'il est : à la clarté tranquille du soleil de midi. [278]
- 210 - D'une eau pure et lumineuse On peut naturellement voir le fond. Quand il ne se passe rien dans l'esprit, Rien ne peut le détourner. L'esprit qui ne se livre plus à l'illusion Reste inchangé pour d'éternels éons. Capable de cette récognition, On sait qu'aux choses, il n'est ni face ni dos.
Voilà la méthode suprême du ch'an et du tantrisme : la fin des pensées discursives (vide et pureté) est concomitante aux pensées discursives (apparences et luminosité). Les émotions du samsâra et la paix du nirvâna sont la paume et le dos d'une seule main : entre les deux, nous nous accrochons à une limite illusoire. [315]
- 238 - Allez dire aux gens de bien Ce que j'ai au fond du coeur : Atteindre l'absolu, voir sa propre nature... Et sa propre nature, c'est le Tathâgata! La vérité innée, depuis toujours parfaite, Que toute pratique ne peut que compliquer. Qui rejette le fond pour s'attacher aux formes Ne fait que se targuer d'un médiocre triomphe.
Voilà les thèses du moine Shen-hui, c'est-à-dire celles que le ch'an développera au Xe siècle. Le Tathâgata désigne le Bouddha, ce ou celui qui connaît la réalité véritable et qui la montre et la démontre aux « ignorants ». [347]
- 271 - Les choses de ce monde ont beau être incertaines, Jamais ne s'éteindra notre passion de vivre. Écrasez les cailloux qui recouvrent la terre, Vous ne verrez jamais la fin de votre ouvrage! Avec leurs changements, les saisons virevoltent, Inexorablement, les douze mois déferlent. Avis, donc, au maître de la maison en flammes : « Enfourchez à l'air libre le buffle blanc! »
Élargissons notre horizon, lit-on déjà aux poèmes 189 et 254. Et, pour être précis, adoptons le point de vue spirituel le moins limité : celui du Véhicule Unique du Bouddha, tel que le présente le Soûtra du Lotus de la Bonne Loi à travers le symbole du Buffle Blanc tirant un char qui a tout l'air d'un jouet. La quête du réel, pour celui qui a reconnu l'inutilité de toute « croyance », est essentiellement ludique, Seul l'attachement à une quelconque conviction la rend — inutilement — tragique. [383]
- 277 - Devant un haut rocher, tranquillement assis, Avec la lune ronde, au ciel, qui resplendit, — Au coeur du jeu d'ombres où se jouent les apparences, Jamais ce disque seul n'a rien illuminé! — Immense est mon esprit, vide et pur par nature, Et toute-vacuité de l'occulte merveille... Du doigt, donc, je montre cette lune : La lune, ou mon coeur en raccourci!
L'esprit est lumineux comme la pleine lune et, comme elle, parfaitement « rond », c'est-à-dire complet. Comme la lune illumine la nuit, l'esprit ne renie pas les ténèbres de l'ignorance, il dessine les contours et laisse à la liberté le soin des couleurs...
« L'examen attentif, dit le Bouddha dans le Lankâvatâra-sûtra, révèle que les particularités n'ont rien de particulier. Quand du doigt on montre à un idiot la lune, celui-ci s'occupe du doigt et ne voit pas la lune. Ceux qui s'attachent aux mots ne voient pas mon esprit tel qu'il est. »
Lettre et métaphore ne valent qu'à titre d'expédients. Il n'est aucune caractéristique à l'expérience vivante de notre absolu. Être la lune, sa lumière, et être le ciel, ne sont malgré tout que des façons de parler, ou, tout au plus, que des façons d'être… [390]
306 Les monts sont ma demeure, Et nul ne me connaît. Dans les nuages blancs, Éternelle est ma paix!
Il s'est échappé des sentiers battus et plane par-delà les cimes, par-delà tout horizon. Qui pourrait s'en rendre compte? Vide du vide : tel est le domaine secret où il se meut, délivré des contraintes. Paisible sagesse qu'il partage avec les seuls nuages! [421]
Cold Mountain
100 POEMS BY THE T'ANG POET Han-shan
Translated and with an Introduction by Burton Watson
JONATHAN CAPE THIRTY BEDFORD SQUARE LONDON
First published in Great Britain 1970 Reprinted 1972
2.
A thatched hut is a home for a country man;
Horse or carriage seldom pass my gate :
Forests so still all the birds come to roost,
Broad valley streams always full of fish.
I pick wild fruit in hand with my child,
Till the hillside fields with my wife.
And in my house what do I have?
Only a bed piled high with books.
10. Here we languish, a bunch of poor scholars, Battered by extremes of hunger and cold. Out of work, our only joy is poetry : Scribble, scribble, we wear out our brains. Who will read the works of such men ? On that point you can save your sighs. We could inscribe our poems on biscuits And the homeless dogs wouldn't deign to nibble.
12. If you have wine, call me in to drink; When I have meat, come feast with me. All bound for the Yellow Springs sooner or later, We must work while we're young and strong. Jewelled belts glitter but a little while; Golden hairpins won't be needed long. Did you know about Father Chang and old lady Cheng? They went away and no one's heard from them since.
48. Wonderful, this road to Cold Mountain — Yet there's no sign of horse or carriage. In winding valleys too tortuous to trace, On crags piled who knows how high, A thousand different grasses weep with dew And pines hum together in the wind. Now it is that, straying from the path, You ask your shadow, 'What way from here?
55. Cold cliffs, more beautiful the deeper you enter — Yet no one travels this road. White clouds idle about the tall crags; On the green peak a single monkey wails. What other companions do I need I grow old doing as I please. Though face and form alter with the years, I hold fast to the pearl* of the mind.
*« Why should you look
for treasure abroad ?
Within yourself you
have a bright pearl ! »
Priest Pao-chih (518-514)
60. I look far off at T'ien-t'ai's summit, Alone and high above the crowding peaks. Pines and bamboos sing in the wind that sways them; Sea tides wash beneath the shining moon. I gaze at the mountain's green borders below And discuss philosophy with the white clouds. In the wilderness, mountains and seas are all right, But I wish I had a companion in my search for the Way.
68. Would you know a metaphor for life and death? Compare them, then, to water and ice. Water binds together and becomes ice; Ice melts and reverts to water. What has died must live again, What has been born shall return to death. Water and ice do not harm each other; Life and death are both of them good.
86. The clear water sparkles like crystal, You can see through it easily, right to the bottom. My mind is free from every thought, Nothing in the myriad realms can move it. Since it cannot be wantonly roused, For ever and for ever it will stay unchanged. When you have learned to know in this way, You will know there is no inside or out!*
*That is, no duality.
88. By chance I happened to visit an eminent priest Among the mist-wrapped mountains piled peak on peak. As he pointed out for me the road home, The moon hung out its single round lamp.
89. In my house there is a cave*, And in the cave is nothing at all — Pure and wonderfully empty, Resplendent, with a light like the sun. A meal of greens will do for this old body, A ragged coat will cover this phantom form. Let a thousand saints appear before me — I have the Buddha of Heavenly Truth !
*The cave of the mind.
93. Here is a tree older than the forest itself; The years of its life defy reckoning. Its roots have seen the upheavals of hill and valley, Its leaves have known the changes of wind and front. The world laughs at its shoddy exterior And cares nothing for the fine grain of the wood inside. Stripped free of flesh and hide, All that remains is the core of truth.*
*When a monk asked the Zen master Ma-tsu what enlightment he had achieved, he replied,
« stripping away all flesh and hide,
I have only a single truth. »
(Ma-tsu yü-lu, in Ssu-chia yü-lu)
Yves HERVOUET
Amour et politique dans la Chine ancienne
Cent poèmes de LI Shangyin (812-858)
[...]
Je ne veux pas aborder vraiment le problème général de la traduction, ni même celui de la traduction de la poésie chinoise en particulier, mais ne puis éviter d'en dire quelques mots. Il est impossible de bien traduire, sous tous ses aspects, la poésie chinoise ancienne. Parfois la traduction est élégante, poétique même, et produit dans l'esprit d'un lecteur français de notre époque une impression qui correspond en partie à ce qu'est la poésie chinoise, par exemple par des procédés tels que la concision qui est en effet une caractéristique importante. L'exactitude est fonction de la culture chinoise du traducteur et surtout de sa volonté d'être fidèle au texte. De ce double point de vue, nul doute que les traductions de M. François Cheng, dans ses deux volumes (L'écriture poétique chinoise, déjà mentionné, et Entre source et nuage : la poésie chinoise
XXXVII
réinventée, Paris, Albin Michel, 1990), sont probablement ce qu'on peut faire de mieux en joignant recherche poétique et exactitude. J'aurais pu demander à l'auteur et aux éditeurs de reproduire les sept poèmes de Li Shangyin que mon ami François Cheng a traduits. Deux raisons m'en ont dissuadé. La première est que ces traductions sont d'un style qui ne correspond pas aux autres traductions et auraient nui (? !) à l'unité du volume. L'autre raison, outre mon incapacité à faire aussi bien pour un grand nombre de poèmes, est que j'ai préféré l'exactitude littérale à l'emploi de procédés, tels que la transposition du sens premier d'un mot en un mot plus poétique, l'emploi de phrases nominales qui permettent une concision proche de celle du chinois, alors que la phrase chinoise est généralement une phrase verbale normale, même si le sujet peut en être sous-entendu, ou encore les ellipses grammaticales. Cela ne veut pas dire que je n'aie pas essayé de garder un certain rythme dans mes traductions. Il n'est pas possible de traduire comme on le faisait autrefois en phrases qui s'étirent. Il me paraît impossible également de suivre les règles de la prosodie française avec des décasyllabes pour les pentamètres et, encore pire, des alexandrins pour les heptamètres, surtout si l'on y ajoute le carcan de la rime régulière et des règles d'euphonie et de césure. J'ai choisi, sans en faire une règle absolue, des décasyllabes ou des dodécasyllabes pour les pentamètres, et des phrases de quatorze, seize, dix-huit ou même parfois vingt pieds pour les heptamètres, avec une coupure graphique de la phrase dans les derniers cas. Si j'emploie de temps en temps, lorsque le sens le permet, des rimes ou des assonances à la fin du vers, parfois des allitérations ou des rimes intérieures, je n'ai suivi aucune autre règle ; j'ai voulu donner la priorité à l'exactitude d'une traduction aussi littérale que possible. […]
Le paravent de mica fait resplendir ma beauté.
Dans la cité du phénix où s'achève l'hiver, je crains les nuits du printemps.
Pourquoi ai-je donc épousé un homme à la « tortue d'or » ?
Ingrat pour le lit parfumé, il se rend à l'audience de l'aurore.
Ce poème peut être considéré comme un « Sans titre », car ce sont simplement les deux premiers caractères du texte qui ont été pris comme titre. Or, ces deux caractères sont difficilement utilisables comme tels en français car ce sont deux mots grammaticaux qui signifient « en raison de », « parce que... », « la présence de... », expressions qui ont été utilisées par divers traducteurs. J'ai préféré prendre pour titre les premiers mots de la phrase française où ces termes grammaticaux sont implicites.
Comme pour beaucoup de poèmes sans titre, les commentateurs ont vu plus ici que ne disent les mots. Le texte lui-même parle d'une jeune femme délaissée par son mari qu'elle regrette d'avoir épousé. Les paroles peuvent être mises dans la bouche de la jeune femme, à moins que le poète ne parle pour elle : peut-être exprime-t-il, à la place d'une courtisane qu'il a aimée et qui est mariée maintenant, les regrets qu'elle doit ressentir des nuits d'amour d'autrefois. Ou essaie-t-il de détourner une courtisane de devenir la concubine d'un haut fonctionnaire. Selon un autre interprétation symbolique, la femme délaissée serait le poète lui-même dont les talents sont aussi grands que peut être belle une jolie femme, et qui n'en vieillit pas moins dans des travaux obscurs de secrétariat auxquels il passe ses journées de l'aurore au crépuscule. Cependant, il est probable qu'il s'agit d'un poème d'amour, quel que soit le sujet pré-24cis, poème écrit au printemps, la saison de l'amour, et je crois plus significatif de le traduire à la première personne, même si le poète écrit pour quelqu'un d'autre.
Le texte parle de « paravent de nuages », mais il faut comprendre « paravent de mica » (« mère des nuages »), comme dans le poème précédent. Les commentateurs citent ici un texte ancien qui raconte qu'un paravent de mica fut offert à Zhao Feiyan (« Hirondelle en vol »), la célèbre danseuse puis concubine, avant de devenir impératrice, d'un empereur des Han. La fin du vers est comprise de diverses façons par les traducteurs. Pour les uns, il s'agit du paravent de mica dont la beauté est sans limites. Pour d'autres, qui donnent leur plein sens aux deux premiers mots grammaticaux, c'est « grâce au » paravent de mica qui l'éclaire de sa lumière ou qui la cache à moitié, et par suite fait ressortir sa beauté, que celle-ci apparaît d'autant plus éclatante.
La « cité du phénix » est la capitale des Tang, Chang'an. Le nom viendrait d'une légende ancienne qui raconte que tandis que la fille du duc de Qin au vile siècle avant J.-C. jouait de la flûte, un phénix vint à l'intérieur de la cité, située dans la région de Chang'an. La jeune femme craint la brièveté des nuits de printemps, car les hauts fonctionnaires doivent se lever avant la fin de la nuit pour se rendre à l'audience impériale dès l'aurore.
La « tortue d'or » est un insigne en deux parties dont les fonctionnaires de haut rang portaient une moitié sur eux ; l'autre, gardée à l'intérieur du palais, permettait de contrôler leur identité, car les deux parties devaient s'adapter parfaitement l'une à l'autre. Ces insignes étaient, sous la dynastie des Tang, en forme de poisson, sauf pendant le règne de Wu Zetian (690-705) qui leur fit donner la forme d'une tortue. Pour un poète du IXe siècle, il y avait un charme poétique à évoquer des objets disparus depuis un siècle et demi.
24-25
Le soleil couchant a gagné les monts de l'Ouest. Je cherche la chaumine où vit un moine ermite. Feuilles qui tournoient… Mais où donc est l'homme ? Nuages glacés, sentiers qui serpentent… On a frappé soudain le gong du soir. Je m'appuie, immobile, au tronc du lierre. Dans cet infime univers de poussière, Mieux vaut l'amour, mieux vaut la haine.
Rien ne nous indique à quelle date il faut situer ce poème dans la vie de Li Shangyin. Inutile aussi de chercher à identifier la montagne où vit l'ermite bouddhiste que le poète va visiter, ou d'essayer de mettre un nom sur cet ermite. Le titre enfin fait problème : le mot chinois qui signifie « plante grimpante » (glycine, vigne vierge, liane..., dont le nom générique est « vine » en anglais), est précédé d'un adjectif qui désigne la couleur vert-bleu sombre, d'où l'idée de « lierre ». L'expression chinoise n'est pas expliquée clairement dans les dictionnaires mais existe dans l'histoire de la littérature : on la trouve à plusieurs reprises dans la poésie des Tang et c'était le nom du cabinet de travail d'un poète, Cen Shen (ca. 715-770), antérieur d'un siècle à Li Shangyin. Peut-être Li Shangyin se souvient-il de cet écrivain dont plusieurs poésies font une description proche de celle-ci, mais le thème de la recherche infructueuse d'un ermite dans la montagne est tellement fréquent dans la poésie des Tang que c'est le nom seul du cabinet de travail, d'un emploi relativement rare, qui autorise ce rapprochement.
Le poème a été plusieurs fois traduit, en anglais du moins, car il avait été choisi par l'éditeur anonyme de la collection des trois cents (trois cent onze en fait) plus beaux poèmes de la dynastie des Tang. En revanche, il a été peu commenté, sans doute parce qu'il est un peu à part dans l'oeuvre de Li Shangyin et même dans la poésie du temps. La pièce est originale [...]
Tous les commentateurs et traducteurs, sauf un, ont compris la dernière phrase comme l'expression de l'indifférence au monde qui découle de la doctrine bouddhique de la vacuité : peut-il y avoir encore place pour l'amour ou la haine dans ce monde de l'illusion ? Seul un jeune savant chinois estime que Li Shangyin a voulu dire qu'il refuse absolument de renoncer à l'amour et à la haine. Cette idée rappelle un vers du poème « Le soir à l'automne je me promène seul au Qujiang » (poème 19) :
Tant que j'aurai vie, je le sais, ma tendresse toujours vivra...
Cette interprétation découle naturellement du texte. Mais la tendance à chercher ce qu'on attend normalement dans un contexte bouddhique s'est largement imposée.
Murasaki-shikibu, Le Dit du Genji illustré par la peinture traditionnelle japonaise, Traduction de René Sieffert, Diane de Selliers Editeur, 2008. (livre V cité en Avant-Propos, 17).
Au fond des montagnes Pour une fois j’ai ouvert Ma porte de pin Et j’ai aperçu la fleur Que jamais je n’avais vue.
Claude Roy
L'AMI QUI VENAIT DE L'AN MIL
SU DONGPO
1037-1101
Gallimard
1994
[…] Les penseurs chinois ont manifesté une extrême prudence avec la vérité. Plus ancienne sans doute que le mythe de la caverne transmis par Platon, les Chinois racontent une fable qui a d'ailleurs inspiré Su Dongpo. L'apologue évoque les expériences d'un aveugle de naissance qui voudrait, dans sa ténèbre, se faire une idée du soleil. À quoi ressemble l'astre ? Quelqu'un répond : à ce plateau de cuivre rond. L'aveugle tourne et retourne le plateau dans ses mains, le fait résonner et dit : « J'ai compris. » Quand il entend le son du gong frappé au maillet par les moines du monastère voisin : « C'est le soleil », dit-il. Quelqu'un ajoute : « Le soleil ressemble à cette chandelle. » L'aveugle prend dans ses mains la chandelle, la tourne et retourne et conclut : « Voici donc la forme du soleil. » Alors quelqu'un allume la chandelle. L'aveugle se brûle un peu les doigts. « Mais, dit-il, je sais maintenant ce qu'est la vérité du soleil ; c'est celle d'un plateau de cuivre, d'un gong frappé au maillet, d'une chandelle ronde, d'une petite flamme. » Ceux qui près de l'aveugle ont des yeux pour voir, savent que le soleil n'est pas un plateau de cuivre, n'est pas un [21] gong, n'est pas une chandelle, n'est pas la flamme de la chandelle. Mais pour ne pas chagriner en vain le pauvre homme, ils lui laissent croire que le soleil est tout ce qu'il n'est pas, cuivre, gong, chandelle, flamme. Ce qui prouve qu'on peut ne pas dire la vérité par ignorance, par entêtement, par paresse, par ruse, par malice. Mais aussi par compassion.
20
Shiao Shiao - Un vent léger froisse les aiguilles de pin Est-ce la pluie ? J'ouvre l'huis C'est la pleine lune sur le lac Les pêcheurs - les oiseaux de rivage - un même rêve Un grand poisson bondit comme un renard s'enfuit Au noir de la nuit hommes et bêtes s'ignorent Mon ombre joue avec mon corps et moi je joue avec mon ombre Pas à pas la marée obscure monte sur la rive comme rampent les vers de vase dans le froid et l'humide Suspendue aux tiges - grande araignée qui danse la lune est accrochée aux branches d'un saule pleureur La vie passe si vite - Son charroi de tristesse et de deuil Nuit - Lune Lac - instant si beau qui n'êtes qu'un instant Un coq chante - Une cloche sonne Un vol d'oiseaux s'enfuit On entend les tambours à l'avant des bateaux et résonner sur l'eau les voix des bateliers
Su écrit ce poème en 1079, en route vers son nouveau poste de gouverneur à Huchou, dans le Szekiang, au nord de Hangchou. Sa vie de fonctionnaire est une interminable série de hauts et de bas, de grâces et de disgrâces, d'exils puis de faveur revenue. Il demeure égal dans la misère et la prospérité, toujours digne, et la tête vraiment ailleurs —plutôt à la poésie qu'à la réussite, à l'amitié qu'à sa fortune.
30-31
[…] Pendant des années, après cette nuit de pleine lune sur le lac et la rencontre de Su Dongpo, j'ai collectionné au passage les métaphores qui, d'Archiloque le Grec à Emily Dickinson de la Nouvelle-Angleterre, ont décrit la lune « accrochée », « suspendue », « amarrée en haut ». Trente ans plus tard, j'ai écrit un poème qui s'appelle La transmigration des métaphores, où l'image de la lune tenant à un fil passe de siècle en siècle et d'esprit en esprit, ce qui expliquerait la croyance de ceux qui ont supposé que les âmes vont de corps en corps ainsi qu'un voyageur va d'auberge en auberge. À moins que chaque homme - nouveau venu au monde défini par sa différence - garde en lui ce qu'un philosophe nomma le miroir essentiel de l'être et avec des yeux absolument neufs et sans pareils voie de la même façon que ceux qui le précèdent l'astre comme suspendu
35-36
un petit poème de Su, dans un de ses jours d'inspiration bouddhique Entrouvrir le rideau pour les petites hirondelles Laisser un trou dans la fenêtre pour que les mouches puissent partir Abandonner dix grains de riz pour laisser leur part aux souris Éteindre la lampe à huile pour sauver la vie des phalènes[…]
La vie de Su, c'est un peu celle d'une boule de billard. Il aura parcouru des milliers de li, de poste en charge, d'honneurs en disgrâce, du rang de gouverneur à l'épreuve de la prison, de l'extrême Nord-Est au Sud profond, des climats frais à la chaleur tropicale de l'île de Hainan.
39
Chaque fois qu'il espère jeter l'ancre, se construire une maison, défricher des champs pour devenir gentleman-farmer et tirer un peu moins le diable par la queue, chaque fois qu'il se réjouit d'amitiés nouvelles, il est convoqué à la capitale, parce qu'il est rentré en grâce — ou expédié au diable, parce que ses adversaires dans la bureaucratie ont gagné une manche.
Nous avons un peu oublié que la terre est très grande et que bouger demande longue patience. Dans l'immense Chine, voyager prend encore du temps. Le jeune Su devra de surcroît combiner l'utile travail de voir du pays, le sien, avec le travail du deuil, sa forme rituelle et familiale.[…]
47
Le riz cette année met longtemps à mûrir On voit déjà venir le gel et le vent Givre Gel Vent Grêle Pluie Le manche des outils est moisi la laine de la faucille est rouillée La paysanne n'a plus de larmes ses yeux sont secs Il pleut toujours Les rafales couchent les épis jaunes Elle dort au bord de son champ guettant les éclaircies pour rentrer le riz Elle peine et sue pour le porter au marché Elle supplie qu'on le lui achète mais le prix est trop bas Comment va-t-on payer les impôts ? Elle vend son boeuf démantèle sa maison Les magistrats veulent des espèces et n'autorisent pas à s'acquitter en riz Tout cela pour acheter la paix aux Barbares Est-ce qu'il ne valait pas mieux être les femmes d'autrefois qu'on sacrifiait aux dieux du fleuve ? 74-75
Qui dit qu'une peinture doit être ressemblante ? Celui qui dit cela a l'esprit d'un enfant Qui dit qu'un poème doit traiter un sujet ? Celui qui dit cela ne sent pas la poésie. Poésie et peinture ont un seul et même but la fraîcheur très exacte l'habileté sans effort. Les hirondelles de Bian Luan volent sur le papier Les fleurs de Chuo Chang embaument sur la toile. Mais que sont-elles en dehors du rouleau ? La hardiesse du trait l'esprit dans chaque touche Qui donc aurait pu croire qu'une légère tache rouge suffise à faire surgir le printemps sauvage? 86
Mais quand Su, une fois de plus, se retrouve en disgrâce, en exil, solitaire, séparé de Tseyu, c'est [95] vers celui-ci que va sa pensée, vers les souvenirs des belles années disparues.
Les cent rivières coulent jour et nuit et nous aussi comme toutes choses Seul le coeur ne bouge pas qui s'accroche au passé Je me souviens des jours près de la Huai Nous fermions les portes pour nous protéger de la chaleur d'automne Nous faisions griller des pois Nous étudiions les classiques Nous essuyions la sueur sur nos fronts Soudain le vent d'Ouest soufflait glacé Tu te levais pour prendre un vêtement plus chaud et tu m'en apportais un La jeunesse s'en est allée de nous Est-ce que le bonheur reviendra ? Je sens un frisson de tristesse et maintenant nous sommes vieux Il est trop tard pour retrouver la route trop tard j'en ai peur pour étudier la Voie Je m'occupe seulement d'acheter une terre de construire une petite maison Elle sera prête au printemps Si nous pouvions y passer les nuits avec le vent et la pluie dehors J'entends déjà ta voix qui me parle
Dès que le passé resurgit, il a la voix de Tseyu. Quand Dongpo revoit et revit les fêtes de printemps à la campagne, au moment où les citadins vont pique-niquer aux champs, on sent une présence rieuse à ses côtés, dans la foule des badauds : « le petit frère ».
Le vent d'Est couvre la route de fine poussière
C'est l'occasion pour les flaneurs
de savourer le printemps
le temps de vivre à la douce
de boire un petit verre à l'échoppe
Les céréales sont trop courtes encore
pour avoir peur des roues
Les citadins en ont assez des murs
Ils sortent dès l'aube et la ville se vide
Chansons et tambours et rires dans les collines
L'herbe et les arbres battent la mesure
Partout dans les champs des paniers de pique-nique
C'est la fête des corbeaux voleurs
Les gens sont attroupés là-bas
Qu'est-ce que c'est ?
Le bonimenteur prétend être un saint homme
Il embouteille la rue
Il vend des charmes en aboyant
« Garanti extra pour les vers à soie !
Vous aurez des cocons gros comme des jarres
Garanti extra pour le bétail et pour les gens
Vous aurez des moutons aussi gros que des daims »
Les badauds ne sont pas sûrs de croire ce qu'il dit
mais ils achètent ses charmes
pour saluer le printemps
Le saint homme empoche leur argent
et va faire un détour chez le marchand de vin
Ivre mort il marmonne
« Mes charmes sont garantis »
96-98
Sa femme a acheté quelque temps après leur arrivée à Hang-chou une jeune servante de douze ans, Chaoyun. Elle en fera plus tard la concubine de son mari. Celui-ci a appris à lire à Chaoyun. Elle s'est initiée aux écritures bouddhiques. Intelligente, fine, elle est pour Su la fraîcheur des années d'exil. Que demander de plus ? En 1083, Chaoyun donne un fils à Su. À l'occasion du Bain-du-Troisième-Jour du bébé, Su écrit un petit quatrain ironique :
Les parents veulent tous des enfants brillants Brillant je l'ai été bien trop toute ma vie Je te souhaite, mon fils, d'être bête et stupide d'éviter les calamités et de finir premier ministre 102-103
Pour une famille de paysans pauvres, trop d'enfants est une punition et trop de filles une malédiction. Une bassine d'eau froide dans la chambre de l'accouchée peut servir de régulateur démographique. L'usage constant de l'infanticide des nouveau-nés inspire à Su une lettre adressée au magistrat du chef-lieu, à Wuchang.
« Au moment de la noyade, les parents ferment les yeux, détournent la tête et attendent que l'enfant devienne silencieux. Un de nos voisins a tué ainsi deux jumeaux. L'été dernier sa femme a accouché de quadruplés. La mère et les petits sont morts. Il ne suffit pas de rappeler aux gens que la loi punit des travaux forcés le meurtre des enfants, ni de frapper les coupables connus. Il faut obtenir des familles riches qu'elles aident les pauvres, collecter de l'argent et des dons, organiser l'action, récompenser et subventionner [104] les familles qui adoptent des enfants que les parents n'ont pas la possibilité d'élever. »
Jusqu'à la fin de sa vie, Su Dongpo reste un « militant » fidèle de l'association qu'il avait fondée à Huangchou, Sauvons les nouveau-nés!
C'est pendant la troisième année de son exil champêtre que Su écrit, pour se consoler de la fatigue du travail de la terre, un long poème sur sa vie de fermier, une bucolique devenue un classique célèbre.
Une terre abandonnée qui n'intéresse personne des murs écroulés parmi les broussailles qui voudrait gaspiller là ses forces pendant un an sans rien récolter ? Que fait ici cet étranger tout seul ? Le Ciel est contre lui Nulle part où aller Se courber Ramasser des débris Sécheresse Sécheresse La terre est sèche Essayer de mettre au jour un peu de terre meuble Soupirer Soupirer Laisser là la charrue La grange quand la verra-t-on pleine ? Même dans la friche et les broussailles le haut et le bas peuvent toujours servir Là où la terre est humide planter du riz Au levant jujubiers et châtaigniers Un ami du pays de Shu m'a promis des grains de mûrier Les bons bambous poussent facilement Si on empêche les pousses d'aller partout Il n'y a plus qu'à choisir l'endroit où installer notre maison Le garçon qui fait brûler des herbes dit qu'il a trouvé un bon puits Il faudra attendre pour manger son saoul mais je sais maintenant où remplir ma gourde Si je plante à temps des jujubiers et plante des pins un jour je pourrai les couper Il suffit d'attendre dix ans ou un peu plus mais j'ai bien fait de prévoir de loin Qu'est-ce que c'est dix petites années quand mille ans passent comme grêle ? Li Heng disait Planter des orangers c'est mettre à son service des esclaves fidèles Je vais l'imiter en cela Un vieil ami en poste dans le Sud m'a offert de grosses oranges douces Leur feu illumine la chambre S'il peut me procurer des grains je les plante à la fonte du printemps et au milieu de la haie de bambou je vois déjà briller leur or et vert 103-105
Et c'est le même Su Dongpo qui peut parler du ciel étoilé en passant avec naturel du ton de Lucrèce ou de Blake au ton familier de l'Art d'être grand-père :
Avant que la lune soit haute les montagnes étaient plus élevées Une nappe de lumière inonde le ciel de blancheur Avant que j'aie vidé ma coupe la porte d'argent s'est ouverte Les amas de nuages battent en retraite comme reculent les vagues Qui pourra laver les yeux étincelants du ciel sinon le flot lustral de la Voie lactée ? La lune contemple la terre avec sérénité Elle me trouve apaisé résigné calme puits Au sud-ouest du ciel des météores jaillissent par salves D'habitude l'étoile blanche brille très fort à l'est mais en scrutant le ciel cette nuit je ne la vois pas Des particules de feu rougeoient dans l'espace Quelle est cette flottille de clarté qui sillonne l'océan-nuit ? Des milliers de lanternes font peur aux dragons cachés Les barques de lumières tissent les rides des eaux noires et se balancent sur la nuit au rythme des chants Les lucioles glissent et flottent jusqu'à l'horizon et le vent d'automne éclabousse d'étincelles le courant La lune décline lentement et les promeneurs se dispersent De retour à la maison je demande qu'on m'apporte du vin pour encore un moment contempler le ciel Dans la cour le clair de lune est de plus en plus calme Dans l'herbe les grillons jouent de leur petit violon Je soulève le rideau de perles et j'écoute le silence Mon petit-fils couine réveillé par la lumière Loin de la capitale nous sommes des gens pauvres mais combien de gens peuvent chanter par cette nuit d'automne ? Demain matin il faudra reprendre la roue des travaux et cette nuit apparaîtra comme un rêve de la lune 109-110
en ce temps-là, Su Dongpo n'était pas à l’aise dans la peau du juge :
C'est la veille du Nouvel An Je devrais rentrer tôt à la maison Mais je garde en main mon pinceau J'ai devant moi de pauvres bougres chaînes aux mains chaînes aux pieds Petites gens qui avaient faim tombés dans le piège des lois sans comprendre ce qui leur arrive Et moi ? J'ai besoin de mon traitement et je garde mon poste au lieu de vivre libre Est-ce bêtise ? Est-ce sagesse ? Chacun se débrouille pour manger le juge comme les prisonniers Dans l'ancien temps on les aurait libérés pour le Nouvel An Est-ce que moi j'oserais le faire ? Je garde le silence et j'ai honte 112
Su dit qu'il lui suffit de deux coupes pour flotter délicieusement. La barque descend vers les rapides, dans la lumière de perle pâle. Les amis ne savent plus s'ils glissent sur l'eau ou volent dans l'air. Su rythme de la main sur le flanc de l'embarcation la Chanson des rimes rieuses. Il dit :
Nous fraternisons avec les langoustes, nous sommes les amis des daims, nous levons nos coupes en l'honneur de la Grande Rivière reflétant la Grande Lune. Je prends celle-ci dans mes bras et je la berce au son de la flûte. L'eau coule, mais ne disparaît jamais. La lune ne décroît que pour croître à nouveau. Le temps n'est rien, qu'un instant de l'éternité qui nous emporte avec l'eau, avec les étoiles et la lune, avec le vent, avec le vol des grues qui naviguent vers l'Ouest. Elles font route vers la Contrée de Nulle Part, où il n'y a ni Nord, ni Sud, ni Est, ni Ouest, ni ciel, ni terre, ni soleil, ni lune, mais simplement la joie de vagabonder au gré de l'imagination. Les notes de la flûte de Wang glissent comme un fil de soie, elles charment les perches et les crevettes, les papillons et les phalènes, les élans et les cerfs. Nous nous couchons sur le fond [114] de la barque, Wang guide les rames de magnolia et la perche de cannelier pour maintenir la barque au fil du courant, et nous rêvons du rêve de Maître Tchouang-tseu, qui ne savait plus s'il était Tchouang-tseu qui rêvait d'être un papillon ou un papillon qui rêvait d'être Tchouang-tseu. » 113-114
À son retour à la maison, Su écrit un poème avant d'aller dormir :
Est-il ivre Dongpo ? Est-il dégrisé ? Il fait déjà jour et soleil Le petit serviteur ronfle comme une toupie et n'entend pas que je frappe à la porte Appuyé sur ma canne j'écoute la rivière Il est tôt Tout est calme L'eau n'est qu'un reflet lisse Je voudrais remonter en bateau et passer au-delà des mers le reste de mes jours 113-114
Le vent clair qu'est-ce donc ? Quelque chose à aimer sans lui donner de nom qui bouge comme un prince partout où il va L'herbe et les arbres chuchotent sa louange Il se promène sans aller nulle part Il laisse la barque glisser comme elle veut libre légère et vive la confiant au courant Bienvenue au vent qui va de l'avant Je lève ma coupe de vin à sa caresse Je bois à la santé du vent qui va sans se soucier de nous beau vent qui vole de la vallée aux nuages Le long de l'eau qui brille dans la nuit
(Il m'est arrivé en Chine de chercher à retrouver dans le vin de riz de l'année, qui n'a pas dû changer beaucoup de saveur et de degré depuis les Song, ce presque bonheur insouciant et cette souplesse d'humeur que décrit très bien Su. Mais ce qu'il m'arrive d'obtenir aisément avec quelques coupes de champagne ou — avec les différences de « couleur » mentales — grâce à un peu d'herbe, le vin de riz chinois ne m'en fait pas don. Ce qu'il m'accorde, c'est la petite chaleur cordiale de certaines eaux-de-vie, cette cerise de feu doux que la jeune prune ou un très vieux cognac dispensent sans effort.)
115-116
J'ai rêvé que j'étais à l'école primaire mes cheveux en deux petits chignons comme les gosses (J'oubliais qu'aujourd'hui ce sont des cheveux gris) Je récitai au maître ma leçon d'Analectes Qu'est-ce que le monde ? Un jeu d'enfant comme dans mon rêve sens dessus dessous Il n'y a que dans le vin qu'on n'est soi-même et que l'esprit est libre d'angoisses et de doutes L'homme ivre tombe de cheval sans se faire de mal Tchouang-tseu le sait Tchouang-tseu le dit J'appelle mon fils Apporte-moi pinceaux encre papier et avec les pensées du vin capturons un poème 118
« Mon traitement a été supprimé, écrit-il au souverain. J'ai du mal à joindre les deux bouts. Mes ressources s'épuisent. Ma famille est malade. J'ai perdu un fils. La faim est à notre porte. Que Votre Majesté m'autorise à m'établir dans cette petite ferme, qui pourra nous donner au moins une bonne soupe de riz. » Il n'obtient pas cette permission, attend en vain qu'on lui assigne une charge. L'hiver est rude. Les perspectives peu encourageantes. Un ami attentif envoie au poète de la crème et du vin :
La neige au crépuscule fait tournoyer ses grains de riz Le torrent chuchote sur son lit de sable jaune Plus de visiteurs ce soir Rêvons nos rêves Un exilé est comme un moine Où réside-t-il ? Au fur et à mesure que j'écris la pierre d'encre gèle Une fleur de givre Cela porte bonheur Au milieu de la nuit votre serviteur arrive nous apportant de la crème et du vin Je saute de surprise Ma femme et les enfants rient crient battent des mains
En 1085 Su est cependant nommé dans la capitale […]
122
Su se trouve aux prises avec l'envasement des canaux, la pollution toujours menaçante des eaux potables, le mouvement des marées, l'interaction complète et souvent dangereuse des eaux de mer avec les eaux douces. Pendant la première année de son second terme à Hangchou, Su va mener à bien le curetage du réseau des canaux. Il va ensuite poser et résoudre en théorie et en pratique les problèmes de l'eau salée, de la vase, du trafic et des communications entre le lac, les canaux, le fleuve et la mer, celui des réservoirs d'eau potable, celui des algues et des plantes aquatiques qui risquent toujours de ralentir le flux et de troubler les eaux, et, lait but not least, les nécessités de l'irrigation des terres. Avec la clarté d'analyse d'un professionnel de l'hydraulique et la décision d'un chef de guerre, Su obtient de l'armée le concours de 200 000 journées de travail. Il persuade l'Impératrice douairière de financer l'essentiel des travaux et résout avec une ingéniosité que le visiteur d'aujourd'hui admire encore le problème des montagnes d'herbes aquatiques, de boue, de vase et de terre provenant du nettoyage des canaux. Su décide qu'on en fera une levée de terre, une longue digue, qui sera coupée par six ponts en
[125]
arches et neuf pavillons, étendant ainsi une aire de promenade sur la surface du lac. Quand en 1092 il est de nouveau déplacé, envoyé dans une petite ville du Yangtze, il peut en s'éloignant regarder le lac de l'Ouest avec fierté. Il laisse la ville qu'il aime plus belle qu'avant lui. Elle l'est toujours. Mais sur le bateau qui l'emmène il écrit un poème mélancolique
La corne de l'aube gémit
Un faible vent fait frissonner les écailles sur l'eau
Vais-je passer toute ma vie sur les fleuves et les lacs ?
Je compte sur mes doigts
J'ai fait dix fois l'aller-retour sur le
fleuve Huai…
125-126
Il dédie à sa jeune concubine des poèmes où s'allient la mélancolie d'un amour de fin du jour et la sérénité bouddhique :
Quand la marche du temps blanchit nos cheveux et que même Vinalakirti en subit la loi ne redoute pas d'être blessée par les pétales de fleurs que les vierges célestes éparpillent sur toi Les fleurs ne blessent pas une fleur Elles caressent tes lèvres Elles effleurent tes cheveux Ainsi va le cycle éternel de la vie des battements du coeur aux mouvements des astres Je te vois tu brosses tes cheveux tu les dénoues Je vois flotter sur tes lèvres un sourire pensif Demain c'est jour de fête Reçois cette orchidée et tu découvriras sur la soie de ta robe le poème pour toi que j'inscris dans ses plis
Su commence à s'acclimater un peu quand le dernier coup du destin le frappe : Chaoyun meurt en juillet 1095, probablement de malaria. Elle est allée rejoindre l'enfant de Su qu'elle perdit autrefois. Le poète la fait enterrer près d'un temple, dans une forêt de pins, et consacre à sa mémoire des poèmes-prières :
Os de jade chair de neige que ton esprit n'ait pas peur À travers la brume noire et dans le vent qui vient des marais que les esprits de la mer t'accompagnent que les perroquets et les aras soient tes amis que ton visage clair n'ait pas besoin de poudre que les fruits rouges imitent tes lèvres Chair de neige os de jade rêve ton rêve perle des perles née pour un monde encore plus beau
Chaoyun dans son tombeau, la maisonnette achevée, la haine du clan au pouvoir va rejoindre Su. Il est condamné à s'exiler encore. Une fois de plus, vagabond du destin politique, il reprend la route de plus en plus amère de l'exil
Chaque année je suis triste que le printemps s'en aille mais ça n'empêche rien personne n'en tient compte Pour tout arranger la pluie n'arrête pas Il y a deux mois déjà qu'on se croirait en automne Étendu j'écoute les fleurs de cerisier laisser tomber leurs pétales roses dans la boue Les forces mauvaises viennent au noir de la nuit et nous volent les choses auxquelles nous tenions comme celui qui se couchant un soir encore jeune s'éveille le lendemain avec les cheveux gris 129-131
À Hainan, Su se sent assiégé par l'eau :
« Eau sans borne, ciel sans limite [...] Découragé, j'ai soupiré : " Quand pourrai-je fuir cette île ?" Mais je me suis dit aussitôt que tout est île. La terre est une île encerclée par l'océan du cosmos. Qui, parmi les vivants, n'habite pas une île ? Les Neuf Continents sont entourés par le Grand Océan. Si on renverse une bassine par terre, sur un brin d'herbe sauvage auquel s'accroche une fourmi, elle se demande comment elle va se tirer de cette situation. Mais l'eau sèche. La fourmi aussi. Elle reprend la route. Elle retrouve sa fourmilière et dit : " J'ai bien failli ne jamais vous revoir." Comment aurait-elle pu deviner qu'en un instant elle serait sauvée, libre d'aller dans les huit directions ? »
La surveillance à distance ne cesse pas. On assigne à Su une nouvelle masure. Les nuits, pendant la saison des pluies, il est obligé de déplacer constamment son lit parce que les gouttières le trempent. [136] Mais les lettrés de l'île viennent visiter Su où qu'il soit. Il se construit une sorte de « case » en palmes et bambou. Les chasseurs lui font don de tranches de gigot de daim. Les lettrés lui prêtent des livres. Les voisins lui apportent des fruits, du riz, des cornichons. Il écrit dans son journal qu'il a observé que certains animaux et quelques humains privilégiés parviennent à se nourrir avec les rayons du soleil. Dans les moments de pénurie, il semble prêt à essayer cette méthode. Mais on sent qu'il reste sceptique, comme pour le projet taoïste de conquête de l'immortalité. L'argument qui lui semble décisif c'est qu'il n'a jamais rencontré d'immortel.
Une lettre à son ami Cheng décrit la triste réalité, où il n'est plus question de se nourrir des rayons du soleil ou de trouver le secret de l'Élixir d'immortalité :
Ici on mange, mais sans viande, on est malade, mais sans médicament, on habite, mais sans maison, on se promène, mais sans ami, on passe l'hiver, mais sans charbon, on subit l'été, mais sans eau fraîche. Ai-je tout dit ? En un mot : il n'y a rien. Mais pas non plus de malaria, c'est l'unique bonne chose. Avec mon fils Kuo, j'ai construit une maisonnette de plusieurs pièces pour y vivre. Elle nous protège du vent et de la pluie. Nous avons taillé des bambous et installé du chaume pour nous abriter. Nous mangeons des patates douces et des taros. Mais le travail, la dépense, c'est dur. »
Autant que de nourriture et de confort, Su manque de pinceaux, d'encre et de papier. Il se lance avec Kuo dans des exercices de fabrication d'encre qui ont failli mal tourner : il provoque un incendie qu'on aura du mal à maîtriser. Avec les débris du désastre et une petite pierre à encre survivant à l'incendie, Su peut néanmoins se remettre à écrire et à peindre.
Chanson triste du voyageur Le vent pleure dans la campagne Un feu lointain Les étoiles déjà vont se coucher Les yeux me brûlent À quoi bon ne pas dormir ? Personne de mon pays n'est ici Que la maison est loin ! Mon corps habite ce monde ou rêve qu'il y habite Ma natte de jonc est rapiécée usée tournée retournée Ma robe est pleine de trous jamais raccommodés Ma pensée remue les cendres du passé Les yeux fermés j'écoute la pluie qui tape sur le toit
Aux amis du voisinage, aux visites des lettrés, à l'arrivée venant de si loin du vieux compagnon taoïste, une autre présence s'est ajoutée à Hainan.
que j'ai de chance d'être ton maître ! Mangeant les restes gros comme une citrouille ne réclamant jamais des mets plus fins gentil le jour connaissant les amis féroce la nuit gardien de la maison quand je t'ai annoncé ma grâce et que nous retournions au Nord tu as remué la queue et dansé de joie et fait la ronde autour des enfants Langue pendante salive coulant tu ne veux pas prendre le pont Tu nages en raccourci à travers la baie gigotant dans l'eau plus agile qu'un tigre et léger et rapide comme un oiseau de mer Je sais parfois tu voles un peu de viande mais je ne te fouetterai pas Tu dis merci du museau puisque le Ciel te refuse la parole J'ai envie de te confier une lettre à porter comme fit le grand Lu Chi avec Chien Jaune qui porta le courrier de son maître de Loyang à Wu 136-139
Pelotonné sur ma natte dans la nuit j'ai dormi profond comme une tortue gelée Au matin il y a une grande étendue blanche et le vent froid secoue la cime des arbres Les collines vertes sont un jeune homme dont la nuit a blanchi soudain moustaches et cheveux Le froid a dévalé jusque sur la rivière et le glouglou de l'eau s'est tu complètement Les flocons volettent sans savoir où aller Ils tombents'effacent disparaissent fondent avant la rivière se perdent dans l'espace Quand ils entrent dans le bateau ils vont à pas légers de duvet et se posent sur nous comme des fleurs découpées Est-ce que le Ciel les a dessinés un par un ? Qui les a ainsi semés à pleines mains ? Je vois les montagnards qui transportent des bûches Ils n'ont pas le temps de boire un peu de vin ni de chanter des poèmes Le pinceau du poète est durci de gel et risque de se casser net Les rideaux ne sont pas tirés et je vois dans la nuit une jeune fille penchée sur son métier à tisser Il y a un ermite traînant ses sandales dans le froid glacial qui gèle ses orteils Le vent qui souffle dans son capuchon le fait ressembler à un dieu du froid Un autre moine balaie la neige sur son seuil Il a la goutte au nez et elle a gelé Que veut le voyageur à bord du bateau ? Il voudrait un pur-sang plus vite que le vent Un lapin gelé se cache dans l'herbe et un faucon descend en piqué sur la bête Ah faire bouillir le gibier dans la glace fondue lever très haut sa coupe de vin jaune Les gens de mon pays sont de grands chasseurs Je suivrai volontiers celui qui mène le train Je laisserai les flocons tournoyer et caresser mes joues puis je prendrai mon pinceau et de tout cela je ferai un poème 149-150
Je suis un vieux singe qui a peur et s'est réfugié dans la forêt un cheval fatigué dont on a désanglé la selle Mon esprit est un vide qui cherche ses pensées Les environs je les connais par coeur et c'est encore eux que je vois dans mes rêves Les bandes de mouettes sont de plus en plus amicales Les vieux paysans viennent me visiter Le lotus de l'étang fait éclore de belles pièces de monnaie verte Les bambous font pleuvoir des graines rouges Qu'on nous apporte une jarre pleine de vin et qu'elle m'inspire de belles idées 152
Pendant la Révolution culturelle, Lo [compagnon de Claude Roy en Chine] avait écrit un recueil de poèmes français, que nous pûmes faire publier lors de son séjour à Paris :
On m'a foulé au pied J'ai refusé de haïr On m'a traîné dans la boue J'ai refusé de haïr On m'a accroché une pancarte au cou J'ai refusé de haïr Je lutte pour pouvoir écrire mon dernier mot sur la porte d'un horizon lointain
« Écrire en français, disait-il, dans un village misérable où personne ne connaissait cette langue, c'était entrer un petit instant dans un monde de liberté... »
Dans un livre publié en Suisse en 1948, Homme d'abord, poète ensuite, Lo écrit, à propos de Tu Fu : « Il supporta tête basse, sans plaintes ni colère, le calvaire de sa propre misère. Ce n'était à ses yeux que la part infime qui lui revenait de la détresse générale. » L'étudiant chinois de Genève qui écrivait cela au lendemain de la guerre mondiale ne savait pas que, près de cinquante ans plus tard, il allait [158] gravir lui aussi « le calvaire de sa propre misère » dans la détresse générale de la Révolution culturelle.
Dans sa dernière lettre Lo Dakang m'a envoyé un texte de Su Dongpo, « un fragment de poème de votre ami de l'An Mil traduit par votre ami de la fin du siècle XX ».
Quand on ne voit plus ses amis peu importe qu'ils soient loin ou près Si la vie ne nous séparait pas comment saurait-on qui on aime ? Le vent d'automne vient puis s'en va Les souvenirs ne s'effacent pas
SU TUNG PO
l'hôte de la pente de l'est
fumée du Lu shan, marée du Che Liang
poèmes traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940 France
1061, au 11ème mois, se rendant à Feng hsiang. Tzu yu est resté à la capitale avec leur père. Lors de leur premier voyage à Kai feng cinq années auparavant, les trois Su ont logé au temple de Mian chi.
l'errance d'une vie, à quoi ressemble t'elle? elle ressemble au vol d'une oie sauvage qui se pose dans la neige et la boue sur la boue au hasard elle laisse son empreinte, déjà s'envole, comment savoir si c'est vers l'ouest ou vers l'est? le vieux moine est mort, on a construit une nouvelle pagode le mur est délabré, on ne voit plus nos anciennes inscriptions naguère le voyage fut pénible, tu te souviens? le chemin long, les hommes fatigués, l'âne boiteux ne cessait de braire
1063, à Feng hsiang. Marcher sur le vert est un jour de fête du début du printemps.
sur les sentiers le vent d'est soulève une fine poussière pour la première fois de l'année, les promeneurs jouissent de la floraison nouvelle des hommes oisifs au bord des chemins, en train de boire le blé est court, il ne craint pas encore les roues des carrosses les citadins sont las de la ville, de ses murs clameurs dès l'aube, les quatre voisins sortent, la ville se vide chansons et tambours ébranlent la montagne, agitent herbes et arbres bols et coupes parsèment les prés, les corbeaux sont apprivoisés qui est cet homme qui attire la foule, se proclamant taoiste? il barre le chemin pour vendre ses charmes, l'allure furieuse, menaçante "bon pour les vers à soie, rendra vos cocons comme des jarres bon pour les bêtes, rendra vos moutons comme des cerfs" les passants ne croient pas vraiment à ses paroles, pourtant achètent le charme, le portent pour bénir le nouveau printemps le taoiste ramasse l'argent, file acheter du vin ivre il s'écroule, se disant "mes charmes marchent à merveille"
1072, à Hang chow, sur le Mont du phénix.
cinglant le vent souffle, oblique la pluie entre dans le pavillon scène prodigieuse, un beau poème pour l'honorer la pluie est passée, la marée s'est calmée sur le fleuve et la mer émeraude de temps à autre un éclair fulgurant, serpent or et pourpre
1072, à la fin de l'automne, dans le district de Hang chow.
passant la nuit au Temple eau et terre, adressé au moine Ching sun du Mont du nord
la rive du fleuve est enfouie dans les herbes, la pluie obscurcit le village
le temple est caché sous de hauts bambous, je ne sais où est le portail
on ramasse du bois, prépare une décoction de plantes, un moine est malade
on balaie par terre, brûle de l'encens, purifier l'âme du visiteur
les travaux des champs ne sont pas encore terminés, la petite neige est proche
la lampe du Buddha vient d'être allumée, c'est la tombée de la nuit
ces derniers temps je commence à apprécier le goût de la vie tranquille,
rêve de discuter avec le moine éminent, nos lits se faisant face
147
1073, au 2ème mois, visitant le district. Hsin cheng est à 150 li au sud ouest de Hang chow.
le vent d'ouest sait que j'ai l'intention de me promener dans les montagnes sous son souffle cesse le son de la pluie, abondante sur l'avant toit sur la crête, des nuages d'éclaircie, la coiffent d'un bonnet de coton au sommet des arbres le soleil naissant, suspendu comme un gong en bronze les pêchers sauvages sourient, les haies de bambous sont basses seuls les saules de la rivière se balancent, on distingue le sable au fond de l'eau les familles de la Montagne de l'ouest sont les plus heureuses on cuit le cresson, on rôtit les pousses de bambou pour se nourrir lors des labeurs du printemps
les coqs chantent, je quitte Hang chow j'arrive au temple, il est déjà midi pour la méditation, je n'ai pas assez de temps manger pour me rassasier avant toute autre chose de toute ma vie je n'ai pas assez dormi soudain un vent frais balaie la demeure je ferme la porte, les multiples causes d'agitation se dissipent d'un encens en spirale monte la fumée, comme un fil je me réveille, fais bouillir de l'eau de la source sur le rocher le thé infuse, léger, laiteux fraîcheur du soir après le bain mes cheveux ont vieilli, clairsemés on peut les compter je chante à voix haute en franchissant le portail la couleur du crépuscule descend sur le village la lune pâle est à moitié cachée par la montagne des feuilles de lotus rondes laquelle renversera la rosée la première? je le rencontre sur le pont en pierre, ensemble, toute la nuit à parler avec un vieil ami le lendemain matin je me rends à l'ermitage dans la montagne le Miroir de pierre brille, barre le chemin autrefois il reflétait la silhouette des ours et des tigres, aujourd'hui singes et oiseaux s'y mirent décadence, prospérité, inutile de se lamenter dix mille générations, un bref instant
en visite à la Pagode du haut pic un bon repas matinal, je mets mes vêtements de campagne automne, les nuages de feu ne sont pas encore éteints, je profite de la fraîcheur de l'aurore le brouillard est épais, rochers et vallées sombres le soleil surgit, parfum des herbes, des arbres j'encourage les compagnons venus avec moi depuis longtemps j'ai pris nuages et eaux pour pays, je leur conseille de ne pas trop lever les pieds, le chemin est long, escarpé pins antiques, comme des dragons et des serpents qui grimpent rochers étranges, commes des boeufs et des moutons assis on entend maintenant le son de la cloche et du gong en pierre des oiseaux planent, descendent en tournoyant je franchis la porte, vide de l'avoir et du non avoir la mer des nuages est immense, profonde je rencontre un seul moine, il est sourd, vieux, malade, souvent à court de graines je lui demande son âge, il rit, ne répond pas il montre son lit en chénopode, percé je sais que je ne reviendrai sans doute jamais ici sur le point de partir, j'hésite en cadeau d'adieu je lui laisse un rouleau de tissu, disant "cette année le givre viendra bientôt"
1073, à Hang chow. Dans les temps anciens, lors de la crue d'un fleuve, on offrait une jeune femme en sacrifice au dieu du fleuve.
cette année le riz rustique péniblement tarde à mûrir on a prévu que le givre et le vent allaient arriver bientôt givre et vent viennent au moment où la pluie se déverse le manche du rateau est couvert de moisissure, la faucille tachée de rouille les yeux sont secs, les larmes épuisées, la pluie ne cesse insupportable de voir les épis jaunes couchés dans la boue sous un abri en paille, tout le mois elle dort au bord du champ une éclaircie dans le ciel, elle récolte le riz et rentre en suivant la charrette la sueur coule sur ses épaules rouges, elle le porte au marché elle mendie pour se voir accorder un prix bas, comme pour de la balle de riz ou du riz en poussière elle vend son boeuf pour payer les taxes, démonte la maison une solution à court terme ne préviendra pas la famine l'année prochaine aujourd'hui les officiels veulent de l'argent, ils ne veulent pas de riz c'est pour recruter des barbares au nord ouest, à dix mille li quand la cour est pleine de gouverneurs tels Kong et Huang, pour les gens c'est encore plus pénible mieux vaut sans doute devenir la femme du dieu du fleuve
1077, se rendant à la capitale.
la veille du nouvel an, une tempête de neige me retient à Wei chow. Le matin du 1er jour de l'année, une éclaircie, je reprends mon voyage. A mi chemin il neige à nouveau veille du nouvel an, la neige me retient premier jour de l'année, le beau temps m'accompagne le vent d'est souffle mon vin de la veille mon cheval maigre bouscule mon rêve finissant le vert sombre s'éclaircit, perce la lumière de l'aube en tournoyant tombent les derniers flocons je descends de cheval, en plein champ me mets à boire félicité, avec qui la partager? le soir, soudain les nuages se referment une rafale de neige implacable des plumes d'oie s'accrochent aux crins de mon cheval j'ai l'impression de chevaucher un phénix blanc depuis trois ans, dans l'est la sécheresse les familles ont fui, les maisons sont en ruine un vieux paysan arrête sa charrue, soupire il ravale ses larmes, elles brûlent ses intestins affamés "neige de printemps, même si on la dit tardive, le blé de printemps on peut encore le planter" comment oserais je me plaindre de mon voyage pénible? pour l'encourager je chante, priant que la récolte soit bonne
1078, à Hsu chow. Adressé à Wu Yen lu, chargé de sélectionner les candidats au Bureau des rites. Extrait.
Celui qui est né aveugle ne connaît pas le soleil. Il interroge celui qui a la vue, qui peut être lui répond "le soleil a la forme de cette bassine en cuivre". Il frappe la bassine, en retient le son. Plus tard il entend une cloche et la prend pour le soleil. Ou peut être on lui explique "le soleil éclaire comme cette bougie". Il touche la bougie, en retient la forme. Plus tard il touche une flûte et la prend pour le soleil. Du soleil cloche et flûte sont très éloignées, pourtant l'aveugle ne fait pas la différence. Parce que n'ayant jamais vu, il a demandé aux autres. Le tao est difficile à voir, bien plus que le soleil. L'homme qui ne l'a pas encore atteint n'est pas différent de celui qui est aveugle. Si celui qui l'a atteint essaie de lui expliquer, même une juste métaphore habilement tournée hélas ne dépasse guère la bassine ou la bougie. De bassine en cloche, de bougie en flûte, on se perd en comparaisons insinuantes. Comment pouvoir tout englober? Ainsi dans ce monde ceux qui parlent du tao, soit à partir ce qu'ils ont entrevu et alors expliquent, soit à partir de ce qu'ils n'ont pas vu et alors conjecturent, tous recherchent en vain le tao. N'est ce pas dire ainsi qu'on ne peut rechercher le tao? Je dis, le tao on peut l'atteindre, mais pas le rechercher. Que signifie atteindre? Le stratège Hsun Wu a dit "celui qui est doué pour la bataille mène l'ennemi, il ne se laisse jamais entraîner par lui". Chi Hsia a dit "si comme les cent artisans qui restent dans leur atelier pour accomplir leur tâche l'homme vertueux se cultive, alors il atteint le tao". Quand on ne le recherche pas, ainsi naturellement on l'atteint. Voilà comment on l'atteint.
1078, à Hsu chow.
Wang Ting kuo, amoureux des jolies femmes et du bon vin, et maitre Tsan liao, moine et poète de Nang chow, sont deux de ses plus proches amis. Silla est un ancien royaume de la péninsule coréenne. Les chameaux de bronze qui gardent la porte du palais impérial de Lo yang datent de la dynastie Han. Dans la terminologie bouddhiste, un kalpa est une méga unité de temps, 4320 millions d'années.
Wang Ting kuo un jour m'a rendu visite à Hsu chow. Avec Yen Chang tao et trois courtisanes, Pan, Ying et Ching, à bord d'un sampan il est parti se promener sur la rivière Ssu. Au nord ils sont montés sur le Mont de la jeune sainte, au sud ils ont descendu le Rapide de cent pas, soufflant dans les flûtes et buvant du vin, de retour sous la lune. J'étais alors très occupé et n'avais pu les accompagner. Le soir j'ai mis ma robe taoiste et suis monté en haut de la Tour jaune, restant longuement debout. Nous nous sommes aperçus et avons ri. J'ai alors pensé que depuis la mort de Li Po, il y a trois cents ans, le monde n'avait connu une telle joie. Puis Ting kuo est reparti. Un mois plus tard, avec maitre Tsan liao j'ai descendu le Rapide en barque. Réalisant que la balade de Ting kuo appartenait déjà au passé, ému j'ai poussé un long soupir. J'ai composé deux poèmes, j'en ai offert un à Tsan liao, et envoyé l'autre à Ting kuo. Je les ai montrés à Yen Chang tao et Shu Yao wen, les invitant à composer sur le même thème : le long rapide soudain descend, abrupt, les vagues jaillissent la barque légère file vers le sud, comme une navette qui plonge le batelier crie de toute sa voix, les canards sauvages s'envolent dans une confusion de rochers l'eau comme un fil perce son passage, comme un lièvre s'enfuyant sous le vol descendant de l'aigle féroce, un cheval superbe galopant sur une pente raide de dix mille pieds, [...] une corde qui casse et déserte le manche, une flèche qui s'échappe de la main, un éclair dans une embrasure, une perle qui roule sur un lotus les quatre montagnes à pic tournoient, le vent coupe les oreilles je ne vois que de l'eau qui bouillonne, mille remous au milieu du danger ma joie est intense, je suis comme le dieu du fleuve se vantant, ivre des crues d'automne je confie ma vie au cours du changement, où jour et nuit alternent assis, illuminé, ma pensée dépasse Silla dans la confusion on passe son temps à se quereller, comme dans un rêve d'homme saoul, refusant de croire que les ronces peuvent recouvrir les chameaux de bronze quand on s'éveille, en un clin d'oeil s'évanouissent mille kalpa je me retourne, regarde le courant libre, sinueux voyez sur les rives, sur les rochers verts, les trous creusés depuis jadis par les perches forment une ruche veiller seulement à ce que le coeur soit sans attache, la création se poursuit, mais ainsi ne nous affecte pas nous ramenons la barque, montons à cheval et rentrons je suis trop bavard, le maître m'en blâme
1080, à Kai feng, à sa sortie de prison.
le 28ème jour du 12ème mois je suis gracié, et reçois une affectation spéciale comme surnuméraire au bureau des eaux et adjoint du garde local de Huang chow
cent jours, on me libère, opportunément au printemps pour le reste de ma vie la joie sera ma première préoccupation je franchis la porte, allègre, le vent souffle sur mon visage mon cheval léger galope, les pies chantent face à une coupe de vin, tout n'est que rêve nonchalant je prends mon pinceau, déjà inspiré pourquoi essayer de remonter les causes du malheur? ces années durant j'ai usurpé des fonctions que j'aurais dû refuser
1080, en arrivant à Huang chow.
Quand j'étais jeune, passant dans le temple d'un village, j'ai vu sur le mur un poème où était écrit nuit fraiche, on dirait qu'il pleut le temple silencieux semble sans moine Je ne sais qui a composé cela. Aujourd'hui je passe la nuit au Temple ch'an de la sagesse, à Huang chow. Les moines sont tous absents. Au milieu de la nuit il se met à pleuvoir, je me souviens du poème, et en compose un :
la lampe de buddha peu à peu s'assombrit, affamés les rats sortent la pluie soudain arrive de la montagne, les bambous élancés bruissent qui a écrit cet ancien poème? il devait alors savoir mon sentiment de maintenant
Extrait d'une lettre écrite le 11ème mois de 1080, en réponse à son ami et disciple Chin Kuan, de douze ans son cadet. Les pièces de monnaie sont trouées au milieu.
Quand je suis arrivé à Huang chow, la part de mon salaire en grain a été supprimée. Le nombre des membres de ma famille n'étant pas négligeable, j'étais secrètement très tracassé. J'ai alors décidé de devenir économe. Nos dépenses journalières ne dépassant pas 150 tsien, au début de chaque mois je sors 4500 tsien et les divise en trente colliers que j'accroche aux poutres. Le matin je prends un bâton à suspendre les peintures, décroche un collier, et range ensuite le bâton. Nous avons aussi un large tube en bambou où l'on garde les pièces qui n'ont pas été dépensées, c'est pour recevoir des invités. C'est la méthode de mon ami Chia Yun lao. J'ai calculé que nous avions de quoi vivre un an largement. A ce moment là, je trouverai une autre solution. C'est quand l'eau arrive qu'on creuse un fossé. Inutile donc de prévoir, ainsi il n'y aura dans ma poitrine aucune préoccupation. Sur la rive en face de celle où j'habite est située Wu chang. Montagnes et eaux y sont prodigieuses. Il y a dans la ville un homme du pays de Shu, Wang. Souvent, quand vent et vagues m'empêchent de rentrer, Wang pour moi va tuer un poulet et cuire du millet. Je peux rester plusieurs jours, cela ne le dérange pas. Il y a aussi Pan, qui tient une taverne de vin à l'embarcadère de Fan kou. Sur une petite barque je rame directement jusqu'à son échoppe. Le vin du village a du corps, mandarines et kakis abondent. Les taros ont plus d'un pied de long, ils n'ont rien à envier à ceux du pays de Shu. Le riz, qui vient d'autres régions par voie d'eau, ne coûte que 20 tsien le boisseau. La viande de mouton vaut celle du nord, porc, boeuf et chevreuil sont bon marché, poissons et crabes ne coûtent presque rien. Hu Ting chih, l'inspecteur du bureau du vin de Chi ting, a apporté avec lui dix mille livres qu'il prend plaisir à prêter aux autres. Il y a à Huang chow plusieurs officiels en fonction, tous sont doués pour la cuisine et aiment offrir des banquets. Tu peux sentir d'après tout cela que ma vie se passe de façon plutôt agréable. J'aurais aimé parler plus avec toi de ces innombrables choses, mais la feuille de papier se termine. Tu viens de lire ma lettre, je t'imagine maintenant lissant ta barbe, riant d'acquiescement.
[…] même d'une terre en friche, d'un désordre de broussailles, le haut et le bas ont chacun leur usage la terre est humide en contrebas, j'y ai planté du riz dans le champ à l'est j'ai transplanté des jujubiers et des châtaigniers au sud du fleuve, il y a un homme du pays de Shu, il m'a déjà promis des graines de mûrier les bons bambous ne sont pas difficiles à cultiver il faut seulement veiller à ce que les branches ne s'élancent pas partout il me reste à choisir un bon endroit, pour y installer une masure le garçon est en train de brûler des herbes mortes, en courant il vient m'annoncer qu'il a découvert un puits caché manger à satiété je n'ose encore l'espérer, mais boire de l'eau à la gourde est maintenant assuré
la pluie a lavé la Pente de l'est, couleur fraiche de la lune les gens de la ville sont passés, maintenant les paysans passent pourquoi serais je gêné par les cailloux qui jonchent le chemin de la Pente? j'aime le tintement de ma canne qui les heurte 1082, se rendant à Sha hu, à 30 li au sud est de Huang chow.
Le 7ème jour du Sème mois, sur le chemin de Sha hu, nous rencontrons la pluie. Comme les parapluies ne sont pas avec nous, mes compagnons sont très embarrassés, moi seul n'en éprouve aucune gêne. Peu de temps après il fait à nouveau beau, je compose ce poème :
n'écoutez pas le bruit de la pluie qui pénètre dans la forêt, tape les feuilles pourquoi ne pas fredonner en continuant à marcher tranquillement? une canne en bambou, des sandales de paille, légères, mieux qu'un cheval qu'y a t'il donc à craindre? en manteau de jonc sous la brume et la pluie, ma vie est ainsi le vent frais du printemps souffle, dissipe mon ivresse, j'ai légèrement froid le soleil se couche derrière la montagne, face à nous je tourne la tête vers l'endroit d'où venaient le vent et la pluie sur le chemin du retour, plus de vent, ni de pluie, ni de rayon du couchant
1084, à Huang chow. Il vient d'apprendre qu'il est nommé à Ju chow, sur la rivière Lo.
sur l'air de "la cour pleine de fleurs". Le 1er jour du 4ème mois de la 7ème année yuan feng. Comme je vais prochainement quitter Huang chow, transféré à Ju chow, je fête l'adieu avec quelques voisins au Studio de la neige. Il y a aussi Li Chung nan, venu de l'est du Fleuve pour me dire au revoir. Je calligraphie ce poème et lui offre.
je m'en retourne vers où mon retour? dix mille li, mon pays natal, fleuve Min et mont O mei cent ans, j'en ai fait plus de la moitié les jours à venir, je crains qu'il n'y en ait guère j'aurai donc vu à Huang chow deux années à double mois mes enfants tous parlent la langue de Ch'u, chantent les chansons de Wu amis de la montagne, du poulet, du porc, ensemble buvons vous me conseillez de rester vieillir sur la Pente de l'est pourquoi? je dois partir les choses de la vie, vont, viennent, comme la navette oisif, je regarderai dans le vent d'automne, l'onde limpide de la rivière Lo devant le studio, les beaux petits saules pensez à moi, ne coupez pas les jeunes branches je vous laisse aussi un message, que les villageois du Sud du fleuve, de temps en temps exposent au soleil mon manteau de jonc au Lu shan, au Pont des trois gorges où perchent les sages
j'ai entendu dire que dans les rochers du Tai shan, avec le temps l'eau a creusé son cours comme un fil ici, rien à voir, violente comme cent tonnerres, dix mille générations de lutte avec les rochers son cours profond, sous la neuvième terre, surgit brusquement à droite des trois gorges courant intrépide jusqu'à la rivière interminable, il va remplir la mare sans fond les vagues sautent, retournent les poissons cachés l'écho vibre, fait tomber les gibbons qui volent la fraîcheur, le froid pénètrent l'os de la montagne, herbes et arbres sont maigres et robustes dans la pluie fine, indistincte, la fumée et la brume, l'eau jaillit sans limite, jouant d'une cloche en or et d'un gong en pierre courbé, le pont volant se dresse, dans l'eau comme un arc en demie lune sur la mare de jade, près du dragon divin, la pluie et la grêle s'abattent, dérangent le beau temps de ce jour je penche ma gourde et puise à l'onde douce, claire pour la boire, pas pour me rincer la bouche
sortant de la capitale pour aller au pays Chan, sur la jonque sont inscrits huit petits poèmes dont on ne sait qui est l'auteur. Ils me plaisent beaucoup, je m'amuse à composer sur le même rythme. mes poèmes sont dit-on rudes quand le coeur est en paix, mélodie et rythme s'accordent avec l'âge de tout souci on se débarrasse dans un vieux puits, pas moyen de soulever une vague
Six mois après la mort de Wen Yu ko, quand Su Tung po était à Hu chow, un jour ou il exposait au soleil ses peintures et ses livres, il revit une peinture de bambous de Wen Yu ko.
de bambous de la vallée de Yun tang, de Wen Yu ko Quand le bambou vient de naltre, jeune pousse d'à peine un pouce, déjà les sections et les feuilles y sont inscrites. De la cigale au serpent jusqu'au bambou qui s'élance à dix toises, la nature ainsi procède. Aujourd'hui, ceux qui peignent ajoutent section après section, feuille après feuille. Que reste t'il du bambou? Quand on peint un bambou, il faut d'abord avoir tout le bambou dans la poitrine, tenir le pinceau en se concentrant. Au moment où l'on voit ce qu'on veut peindre, immédiatement on se met à exécuter, manipulant le pinceau d'un seul trait à la poursuite de ce qu'on voit. Comme lorsqu'un aigle fonce sur un lièvre qui détale, à la moindre relâche il a déjà disparu.
1087, à la capitale. Pien Luan est un peintre du Sème siècle, Chao Chang du début du 11ème siècle.
inscrit sur une branche peinte par Wang, secrétaire de Yen ling
qui dit que la peinture doit être ressemblante? sa vue voisine avec celle d'un enfant que lorsqu'on compose un poème, il faut s'en tenir au thème? assurément pas un connaisseur de poèmes poème et peinture reposent sur la même règle, force divine et fraicheur nouvelle Pien Luan peignait des oiseaux vivants, Chao Chang des fleurs vivaces ici, rien à voir avec ce genre de peinture dépouillé, simple, dégageant l'essence, le rythme comment imaginer qu'une tache de rouge, puisse porter un printemps illimité?
1094, sur le chemin d'exil à Hui chow. La Tzu hu chia est un ffluent du Long fleuve, près de Tang tu.
le mât et ses cordages se dressent, sifflent dans le ciel le batelier dort profondément parmi les vagues qui moutonnent les filins des amarres doivent deviner ma vraie pensée fragiles cordes résistant à un vent de dix mille li dans cette vie de rentrer chez moi l'espoir se perd les montagnes sont interminables, les eaux vertes frappent le ciel même ici, une petit barque qui vient vendre des galettes heureux j'entends qu'il y a un village de ce côté de la montagne allongé je regarde la lune se coucher, parcourir dix mille pieds je me lève, hèle le vent frais dans la demie voile on frôle un village au bord de l'eau, il passe en tanguant dans ce monde, partout un haut et un bas
Quand je séjournais à Hui chow au temple Chia yu, je me suis promené vers le Pavillon du vent dans les pins. Fatigué, la force m'a manqué dans les jambes. J'ai alors pensé aller jusqu'au sous bois, m'y reposer. J'apercevais le kiosque et le pavillon au dessus des arbres, me demandant si je pourrai y arriver. Comme ça un long moment. Soudain je me suis dit "rien ne m'empêche de rester me reposer ici où je suis". Ce fut comme si on poisson pris à l'hameçon subitement se libérait. Si l'on comprend cela, même en pleine bataille, quand les tambours résonnent comme le tonnerre, quand avancer c'est pour mourir par l'adversaire, et reculer pour mourir par la discipline, à ce moment là même, rien n'empêche de bien se reposer.
[…] sur les pics verdoyants, conbien de chignons de nuages? j'ai honte face à maître Pao pu, l'alchimiste, je néglige le tripode en or et la métamorphose de la cigale mais je tire meilleur parti que Liu Tsung yuan dans sa chapelle aujourd'hui, dans le bol de sacrifice, des litchis rouges la vie originellement n'attend rien, un bref instant déjà elle se termine chaque bref instant, d'innombrables kalpas dans le monde de poussière, chacun vit dans son monde d'en haut je regarde les êtres vivants respirer, ils se soufflent mutuellement dessus, comme des moustiques et des moucherons
1097, à Hai nan. Le palais Pong lai est le lieu de séjour mythique des immortels.
Sur le chemin de Chiang chow à Tan chow, assis dans le palanquin je m'endors. Dans le rêve me viennent les vers : mille montagnes, bougent leurs écailles dix mille ravins, résonnent cloches et orgues à bouche Je me réveille, le vent est frais, la pluie cinglante. Pour m'amuser je compose ces quelques vers : quatre districts englobent l’île cent grottes partout essaiment mon trajet a commencé dans le coin nord ouest, traçant comme une lune en demi arc je monte sur une hauteur, voir le continent je ne vois que de l'eau, elle se mélange au ciel dans cette vie, quand pourrai je y retourner? je regarde autour de moi, nul chemin au loin j'aperçois la grande mer d'au delà, songe au vieillard qui parle du ciel dans les immenses greniers impériaux, qui se soucie de savoir si un grain de riz est grand ou petit? mon songe soudain éclate, se dissipe le long souffle du vent arrive du ciel mille montagnes, bougent leurs écailles dix mille ravins, résonnent cloches et orgues à bouche n'est ce pas une bande d'immortels? 1098, à Tan chow. Les Li sont des familles aborigènes de Hai nan.
ayant un peu bu, seul je me promène, et rends visite à quatre Li, Tzu yun, Wei, Hui et Hsien chueh mi sobre mi ivre j'ai rendu visite à des Li bambous, ronces, lianes et branches à chaque pas s'embrouillent je n'ai qu'à suivre les bouses de vaches pour trouver mon chemin de retour ma maison est à l'ouest de l'étable à vaches, toujours plus à l'ouest
Mon écriture est comme une source exubérante, elle ne choisit pas l'endroit où elle jaillit. Dans la plaine son cours s'élance, mille li en un jour sans difficulté. Parmi les rochers de la montagne elle ondule, suivre les choses lui donne sa forme, ceci on ne peut le prévoir. Tout ce que je peux prévoir, c'est de toujours avancer là où je dois avancer, et de toujours arrêter là où je dois arrêter. C'est simplement cela. C'est comme les nuages qui défilent, l'eau qui coule. Au début je ne fixe aucune forme, mais toujours j'avance là où je dois avancer, toujours j'arrête là où je dois arrêter. Si expression et sens sont spontanés, l'allure est jaillissante.
Quand je suis arrivé à Hai nan, j'ai vu alentour l'eau et le ciel sans limite. Emu et navré, me demandant quand je pourrai partir de cette île. C'est alors que j'ai pensé: ciel et terre sont au milieu de l'eau, les neuf continents dans l'immense océan d'au delà, la Chine au milieu des quatre mers. Qui, durant cette vie, n'habite pas sur une île? On renverse une bassine d'eau par terre, un brin d'herbe flotte sur l'eau, une fourmi y est accrochée, perdue, ne sachant comment s'en sortir. Peu de temps après, l'eau sèche, la fourmi tout de suite s'en va, revoit ses congénères, fond en larmes et leur dit "j'ai bien failli ne plus vous revoir”. Comment aurait elle pu savoir qu'en un clin d'oeil des chemins menant dans les huit directions allaient se découvrir? Pensant cela, je me suis mis à rire. Le 12ème jour du 9ème mois de l'année wu yin, buvant avec des invités un vin léger, quelque peu ivre je prends un pinceau, et écris ceci sur une feuille.
SELECTIONS FROM A SUNG DYNASTY POET
Translated and with an Introduction by BURTON WATSON
COLUMBIA UNIVERSITY PRESS New York and London
[...10]
When later Chinese critics sometimes complained that his poetry lacks suggestiveness, it was probably this very fullness and precision they were objecting to.
He was also, like most major Sung poets, a philosopher. Although he has left no systematic exposition of his ideas, repeatedly he breaks into the descriptive passages of his poems with philosophical meditation. By Sung times, the sea of faith that had been Chinese Buddhism at its height was receding, and native Confucian ways of thought, oriented about the family and the state and strongly rational and humanistic, were beginning to reassert themselves. Su's own philosophy represents a combination of Confucian and Buddhist ideas, with a large mixture of philosophical Taoism.
The Confucian side of his thinking is less apparent in his poetry than in his political papers and his life as a whole—his strong family devotion, the fact that he chose a career in politics, the fearlessness with which he spoke out against abuses in government, the numerous public works for the benefit of the local inhabitants that he undertook at his various provincial posts. In his poetry it is rather the Buddhist and Taoist aspects of his thinking that find expression. His mother, it will be recalled, was a devout Buddhist. He himself took considerable interest in Buddhist literature and doctrine, and spent much time visiting temples in the areas where he was assigned. After his dismissal from office and banishment to Huang-chou in io8o this interest deepened; and the influence of Buddhist thought, particularly that of the Zen sect, the most active and intellectual of the Buddhist schools at this time, is apparent in his writings of this period. h was also at this time that he began to call himself Tung-p'o chü-shih or "The Layman of Eastern Slope," after the plot of land he farmed. From this title his literary name Tung-p'o derives.
The influence of Taoism is most clearly seen in his sensitivity to the natural world. He was fascinated by stories of immortal spirits, elixirs of long life, and other popular Tore, and good-naturedly took part in prayers for rain and similar ceremonies of the folk religion, though the rational Confucian side of his nature told him there was no basis for such acts or beliefs. And yet he repeatedly refers to a supernatural force which he calls "The Creator," a word taken from the works of Chuang Tzu, and which he of ten describes in terms of a child. It is a force which moves throughout the natural world, childlike in its lack of thought or plan, yet capable of influencing the des-tinies of all beings in the universe. And when man learns to be equally free of willfulness and to join in the Creator's game, then everything in the natural world will become his toy. It is no accident that Su in his descriptions of nature makes far freer use of personification and pathetic fallacy than any of his predecessors.
Su experimented with nearly every form in traditional Chi-nese literature. In my selection, three poetic forms are repre-sented (plus an excerpt from one of his letters). Most of the poems I have translated are in the shih form, the standard form of classical Chinese poetry, characterized generally by lines of equal length and, with rare exceptions, an even number of lines. Enjambment is rare; there is almost always a pause at the end of each line. Poems in this form fall into two groups: those in the so-called old style, which allows occasional lines of irregular length and does not require any set tonal pattern within the lines; and those in the "modern style," […]
East wind stirs fine dust on the roads: First chance for strollers to enjoy the new spring. Slack season—just right for roadside drinking, Grain still too short to be crushed by carriage wheels. City people sick of walls around them Clatter out at dawn and leave the whole town empty. Songs and drums jar the hills, grass and trees shake; Picnic baskets strew the fields where crows pick them over. Who draws a crowd there? A priest, he says, Blocking the way, selling charms and scowling: "Good for silkworms—give you cocoons like water jugs! Good for livestock—make your sheep big as deer!" Passers-by aren't sure they believe his words— Buy charms anyway to consecrate the spring. The priest grabs their money, heads for a wine shop; Dead drunk, he mutters: "My charms really work!"
Written while the poet was an official in Feng-hsiang in Shensi. "Treading the Green" refers to a day of picnics and outings tra-ditionaily held in early spring. Tzu-yu had written a poem dc-scribing the festival, and Su Tung-p'o here adopts the same theme and rhyme for his own poem. 7-character.
Line 9. "A priest." Tao-jen, a term used for both Buddhist and Taoist pricsts.
[25]
[34]
I took an outing to Lone Hill and visited two Buddhist priests, Hui-ch'in and Hui-ssu. The sky threatens snow, Clouds cover the lake; Towers appear and disappear, hills loom and fade. Clear water cut by rocks—you can count the fish; Deep woods deserted—birds call back and forth. Winter solstice: I refuse to go home to my family; I say I'm visiting priests, though really out for fun. These priests I visit—where do they live ? The road by Jewel Cloud Mountain twists and turns. Lone Hill's alone indeed—who'd live here? These priests—the hill's not lonely after all. Paper windows, bamboo roof—rooms sheltered and warm; In coarse robes they doze on round rush mats. Cold day, a long road—my servant grumbles, Brings the coulage, hurries me home before dark. Down the hill, looking back, clouds and trees blend; I can just make out a mountain eagle circling the pagoda. Such trips—simple but with a joy that lasts; Back home, I'm lost in a dreamer's daze. Write a poem quick before it gets away! Once gone, a lovely sight is hard to catch again.
Written shortly after the poet took office in Hangchow. Lone Hill is a small island in West Lake at Hangchow. 7-character.
[34]
New Year's Eve—you'd think I could go home early But official business keeps me. I hold the brush and face them with tears: Pitiful convicts in chains, Little men who tried to fill their bellies, Fell into the law's net, don't understand disgrace. And I? In love with a meager stipend I hold on to my job and miss the chance to retire. Don't ask who is foolish or wise; All of us alike scheme for a meal. The ancients would have freed them a while at New Year's— Would I dare do likewise? I am silent with shame.
No title. Written in Hangchow. In 1090, when Su wrote another poem on the same rhyme, he described the circumstances under which he wrote this poem. "New Year's Eve I was on duty in the city office, which was full of prisoners in chains. Evening came and still I could not get away and return to my quarters, and so I wrote a poem on the wall." By custom, cases involving the death penalty had to be settled before the New Year, and it was such cases that kept the poet at his office. 5-character. [35]
From the side, a whole range; from the end, a single peak : Far, near, high, low, no two parts alike. Why can't I tell the true shape of Lu-shan ? Because I myself am in the mountain.
In the third month of this year, the poet was ordered to move to Ju-chou in Honan, an indication that his sentence had been lightened and he was free to move beyond the confines of Huang-chou. Before proceeding ta Ju-chou, he crossed the Yangtze and traveled south to visit his brother in Yfin-chou. West Forest Temple was in Chekiang at Lu-shan or Mount Lu, famous for its scenery and as a center of Buddhist activity from early times. The poet stayed at the mountain for a few days on his way to Yün-chou. 7-character. [101]
New Year's Eve at Ssu-chou; snow. Huang Shih-shih sent us a present of cream and wine.
Twilight snow whirls down handfuls of powdered rice;
Spring river whispers over yellow sand.
Past visits—dreams to be recounted only.
An exile is like a monk : where is home ?
Before I can write, ink on the cold slab freezes;
Lone lamp—I wonder why ?—forms a flower.
In the middle of the night you send us cream and wine.
I jump up in surprise, my wife and children laugh and shout.
The poet arrived in Ssu-chou, which he had visited a number of times in the past, in the twelfth month, on his way to Ju-chou. Huang Shih-shih was an official of the region; he was related to the poet, two of his daughters having married Tzu-yu's sons. 7-character.
Line 6. "Flower." The formation of a so-called snuff flower—a peculiar twisting of the wick—was believed to be a lucky omen.
[103]
For a long time I have heard of the mirage to be seen off the coast of Teng-chou. The eiders of the place told me that it usually appeared in spring or summer, and since I arrived so late in the year, there was little hope I could see it now. Five days after I reached my new post, I was ordered to leave, and I was very annoyed at having had no chance to see the mirage, so I went to pray at the shrine of the Sea God, the King of Broad Virtue. The next day I saw the mirage and wrote this poem.
To the east, clouds and sea: emptiness on emptiness;
And do immortals come and go in that bright void?
From undulations of the floating world all forms are born,
But no gates of cowrie locked on palaces of pearl—
It is all illusion! My mind knows,
But my eyes dare plead to see the god's invention:
Cold days, icy sea—though heaven and earth are sealed, Consent for my sake to rouse your sleeping dragons!
Banked towers, blue-green hills rise in the frosty dawn—
The mirage! a wonder to astound the elders.
In this world, all is won by human strength alone;
Beyond the world is nothing. Who works these wonders?
I blurted out a plea and it was not denied;
Troubles too must be man-made and not a blight from Heaven.
[…]
[104]
Written on paintings of flowering branches by Secretary Wang of Yen-ling: two poems.
Who says a painting must look like life ?
He sees only with children's eyes.
Who says a poem must stick to the theme?
Poetry is certainly lost on him.
Poetry and painting share a single goal—
Clean freshness and effortless skill.
Pien Luan's sparrows live on paper;
Chao Ch'ang's flowers breathe with soul.
But what are they beside these scrolls,
Bold sketches, with spirit in every stroke?
Who'd think one dot of red
Could call up a whole unbounded spring!
The full name and identity of Secretary Wang are unknown. This is the first of the two poems, probably written to accompany a picture of a branch of flowering plum, the symbol of early spring. 5-character.
Lines 7-8. Pien Luan lived in the late eighth century; Chao Ch'ang's dates are 998-1022.
[109]
Written on a painting entitled "Misty Yangtze and Folded Hills" in the collection of Wang Ting-kuo.
Above the river, heavy on the heart, thousand-fold hills:
Layers of green floating in the sky like mist.
Mountains? clouds? too far away to tell
Till clouds part, mist scatters, on mountains that remain.
Then I see, in gorge cliffs, black-green clefts
Where a hundred waterfalls leap from the sky,
Threading woods, tangling rocks, lost and seen again,
Falling to valley mouths to feed swift streams.
Where the river broadens, mountains part, foothill forests end,
A small bridge, a country store set against the slope:
Now and then travelers pass beyond tall trees;
A fishing boat—one speck where the river swallows the sky.
Tell me, where did you get this painting
Sketched with these clean and certain strokes?
I didn't know the world had such places-
I’ll go at once and buy some land!
Perhaps you've never seen those hidden spots
Near Wu-ch'ang and Fan-k'ou, where I lived five years—
Spring wind shook the river and sky was everywhere;
Evening clouds rolled back the rain on gentle mountains;
From scarlet maples, crows flapped down to keep the boatman company;
From tall pines, snow tumbled, startling his drunken sleep.
The peach flowers, the stream are in the world of men!
Wu-ling is not for immortals only—
Rivers, hills, clean and empty: I live in city dust,
And though roads go there, they're not for me.
I give back your picture and sigh three sighs;
My hill friends will soon be sending poems to call me home.
A note by the poet states that the painting was by Wang Chin-ch'ing, who was married to a sister of Emperor Shen-tsung (r. 1067-84). 7-character old style, with occasional fines of irregular length.
Line 18. "Wu-ch'ang and Fan-k'ou." Places south of the Yangtze opposite Huang-chou; see Su's letter, No. 46 above. In the four fines that follow, he recalls these places during the four seasons of the year.
Line 23. "The stream." This is Su's answer to a poem by Li Po (701-62) entitled "Dialogue in the Mountains":
You ask why I live in these jade-green mountains—
I smile and do not answer—my mind is still.
Peach flowers on the stream flow far away;
This is another world, not that of men.
The peach flowers refer to the paradise which the poet T'ao Yüan-ming (365-427) described in his "Record of the Peach Flower Spring," an isolated valley inhabited by happy peasants and approached through a peach forest in Wu-ling, which a fisherman stumbled upon once but could never find again.
[111]
Following the rhymes of T'ao's "Drinking Wine." As far as quantity goes, I drink very little, but I always enjoy having a wine cup in my hand, and very often I drop off to sleep right where I'm sitting. People think I'm drunk, though in fact my head is perfectly clear—nactually you couldn't say I’m either drunk or sober. Here in Yang-chou I drink as usual, though I always stop after noon. When my visitors for the day have left, I loosen my clothes, stretch out my feet, and sit where I am the rest of the day. I haven't had enough to drink to be really happy, and yet I feel an almost excessive exhilaration. So I decided to write some poems using the same rhymes as those used by T'ao Yüan-ming in his twenty poems entitled "Drinking Wine," in hopes that I could give some sort of expression to these name-less feelings. I am showing them to my brother Tzu-yu and to the scholar Ch'ao Pu-chih.
Master T'ao, I can't compete with you!
Forever snarled up in official business,
What can I do to break away,
Live just once a life like yours ?
Thorns grow in the field of the mind;
Clear them and there's no finer place.
Free the mind—let it move with the world
And doubt nothing it finds there!
In wine I stumbled on unexpected joy.
Now I always have an empty cup in hand.
[114]
I dreamed I was back in primary school,
My hair tied in two knots like a boy
(I'd forgotten that now it's gray),
And I was reciting the Analects.
The world at best is a children's game;
Like my dream—upside-down.
Only in wine is man himself,
His mind a cave empty of doubt.
He can fall from a carriage and never get hurt—
Chuang Tzu told us no lies.
I call my son to fetch paper and brush
And take down drunken thoughts as they come.
Ch'ao Pu-chih was at this time serving as vice governor of Yang-chou. T'ao Yüan-ming's famous set of poems, written after he had quit official life in 405 and was living in retirement as a farmer, are philosophical meditations on the ills of the time and the pleasures of rural life. The following are the first and twelfth of Su's series. 5-character.
72, line 9. "Fall from a carriage"—a reference to Chuang Tzu, Sec. 19, Ta-sheng chapter: "When a drunken man falis from a carriage, though the carriage may be going very fast, he won't be killed . . . because his spirit is whole. He didn't know he was riding, and he doesn't know he has fallen out."
[115]
Stays and mast whine in the sky;
The boatman sleeps soundly by white-blossomed waves.
Mooring lines must know how I feel—
Their weak strands hold fast against measureless wind.
Slimmer and slimmer—my chances of going home;
Endless green hills ahead, water touching sky.
Even here a small boat cornes selling cakes.
I'm glad to hear there's a village this side the mountain.
In the previous year the poet had been assigned to the post of governor of Ting-chou in the far northeast, near Peking. This year an order came for his exile to the region of Canton; once more his enemies were in power at court. He left Ting-chou, visited his brother on the way, and had passed Nanking on the Yangtze when his boat was detained by adverse winds in the Tz'u-hu-chia, a tributary of the Yangtze. The first and second poems of the series. 7-character.
[121]
To the same rhymes as T'ao's "Going Back to the Country," six poems. On the 4th day of the 3rd month, I took a trip to the Grotto of Buddha's Footprint at White Water Mountain. I bathed at the hot spring there, dried my hair in the sun at the foot of the waterfall, and came home singing at the top of my voice. Returning by palanquin, I became absorbed in conversation with my companions and did not realize we had reached Lichee Nut Cove. The evening sun was pale and washed-out, the shadows of the bamboo deserted and lonely, and the lichee nuts hung in great clusters like water chestnuts. An old man of eighty-five who lived nearby pointed to the nuts and said, "When these are ready to eat, why don't you bring some wine and come visit me?" I was delighted at the idea and promised I would do so. I took a nap as soon as I got home, and woke up to hear my son Kuo chanting T'ao Yiian-ming's six poems on "Going Back to the Country." I decided to compose poems of my own using the same rhymes. When I was living in Yang-chou, I wrote twenty poems on the rhymes of T'ao's "Drinking Wine" series, and now I have written these. I intend to keep on until eventually I have composed poems to the rhymes of T'ao's complete works.
I'm a frightened monkey who's reached the forest,
A tired horse unharnessed at last,
My mind a void to fil with new thoughts;
Surroundings are old to me—I see them in dreams.
River gulls flock around, growing tamer;
Old Tanka men drop in to visit.
South pond lotus spreads green coins;
North hill bamboo sends up purple shoots.
Bring-the-jug (what does he know about wine?)
Inspires me with a fine idea.
The spring river had a beautiful poem
But, drunk, I dropped it somewhere far away.
Written at Hui-chou. Kuo was Su's third son. He and the poet's concubine, Chao-yün, were the only members of his household who accompanied him in exile. (His first wife had died in 1065, his second wife in 1093; Chao-yün, who had been living with the poet since 1074, died in 1096.) Actually there are only five poems in T'ao Yüan-ming's "Going Back to the Country" series; Su's sixth poem follows the rhyme of a poem about T'ao Yüan-ming by Chiang Yen (444-505). This is the second poem in the series. 5-character.
Line 9. "Bring-the-jug." The name of a bird, so called because its cry is said to resemble the words t'i-hu or "Bring the jug!"
[127]
le son de la pluie
poèmes traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940
Toute sa vie Yang Wan li a considéré la vie de mandarin comme une chaussure trouée, toujours prêt à l'abandonner. A Nang chow il avait mis de côté dans une boite fermée à clé l'argent nécessaire pour rentrer avec sa famille à Chi shui. Il avait aussi recommandé aux autres membres de la famille d'acheter le moins possible pour ne pas être encombré par les bagages s'il décidait de partir.
Sa sincérité et son impartialité dans son comportement politique ne sont qu'une des facettes de son attitude poétique envers le monde: être accorda au cours naturel des choses, Une musique naturelle du monde. Ce qu'en chinois on appelle " tao ". A l'état pur.
La poésie de Yang Wan li est toute imprégnée du parfum du « ch'an » (transcription chinoise du sanscrit "dhyana"), la contemplation, la contemplation de la réalité immédiate et évidente dans la plénitude de l'instant présent. La contemplation sincère et impartiale du monde donne à vivre l'identité de notre nature profonde et de l'univers, ainsi que le recul poétique et philosophique permettant d'en apprécier toute la saveur et l'humour. De cette saveur et de cet humour poétiques du monde les poèmes de Yang Wan li sont la traduction. Il y a de quoi s'émerveiller.
Moundarren, Décembre 1987
Dans la préface du recueil La Rivière des Ronces, il décrit son illumination poétique:
" Le jour du Nouvel an de l'année 1178, en vacances et ayant peu d'affaires officielles à régler, je me mets à composer des poèmes. Soudain j'ai comme une illumination. Je prends congé des poètes Tang, de Wang An shih, de Chen Shih tao et de ces messieurs de l'Ecole du Chiang hsi. Je décide de ne plus imiter personne et me sens tout à coup libéré. Je demande à mon fils de prendre un pinceau et lui dicte plusieurs poèmes. Ils coulent de façon aisée, sans la laborieuse élaboration d'auparavant. Depuis, tous les après-midi, aussitôt que mes subordonnés se sont dispersés et que la cour est redevenue déserte, emportant un éventail rond je flâne dans le jardin de derrière, grimpe sur les murailles de la ville antique, cueille des lyciets et des chrysanthèmes, musarde à travers les fleurs et les bambous. Dix mille choses se présentent comme matière à un poème. Si j'essaie de les écarter, elles refusent de partir. A peine ai-je le temps de traduire la première que déjà les autres suivent. Mon écriture coule librement, je n'éprouve plus de difficultés à composer des poèmes. Non seulement je n'éprouve plus de difficultés à composer des poèmes, je n'éprouve plus de difficultés non plus à gouverner une province. "10
la troisième veille, sans lune, le ciel est vraiment noir
un éclair jaillit suivi d'un coup de tonnerre
la pluie perce le coeur du ciel, s'abat sur le dos de l'auvent
fougueux le vent cinglant la souffle oblique puis droite
espacé et troué l'auvent fuit, ma couche est mouillée
le bruit des vagues frappe l'oreiller, il en est seulement séparé par une feuille de papier
du rêve je me réveille en sursaut, impossible de me rendormir
enveloppé dans ma veste solennellement je m'asseois, plusieurs fois soupire
lors de mes voyages, des difficultés j'en ai souvent rencontrées
mais de toute ma vie jamais je n'ai connu pareille nuit
le ciel effraie le voyageur, bien mauvaise plaisanterie
il ne m'a pas prévenu, cela était imprévu
pour calmer le vent, arrêter la pluie, je suis désarmé
il est encore trop tôt pour guetter si à l'est le jour se lève
je rentre ma tête, ramasse mes pieds, dans une position étriquée
soudain, sur mon crâne une nouvelle goutte tombe.
pour remercier Wu Te hua, commissaire du thé de Chian chow
L'or jaune, le jade blanc, des perles claires comme la lune, des chansons limpides, des danses merveilleuses, une jeune beauté à renverser une ville, les autres ont tout cela, moi seul n'ai rien. Comme Hsiang yu je n'ai que quatre murs pour m'entourer. A part cela j'ai aussi une étagère de livres. Si elle ne suffit à me rassasier, au moins elle rassasie les termites argentés.
Un vieil ami au loin vient de m'envoyer un recueil de Tung po. Les vieux livres quittent tous la natte pour lui céder la place. Quand j'étais enfant, espiègle, pour les cent choses je n'étais pas paresseux, mais quand il s'agissait d'étudier, exprès je me levais tard. Mon père se fâchait, blâmait son fils sot et m'ordonnait, l'estomac affamé, de dévorer de vieux livres abîmés.
Avec la vieillesse pour les dix mille choses je suis à la traîne derrière les autres. Quand avec nonchalance je prends un vieux livre pour occuper mes yeux malades, dès qu'ils rencontrent le livre mes yeux malades se brouillent. Les caractères gros comme des mouches deviennent de vieux corbeaux. Mes yeux malades, que peuvent-ils donc faire avec de vieux livres? Quand je feuillette un vieux livre, tout le long je soupire. Ce recueil de Tung po je l'ai déjà, mais avant d'arriver au dernier chapitre ma main s'arrête. L'encre est imprimée de façon floue, le papier n'est pas bon. Ni bon papier, ni bonne calligraphie.
Mais le texte vient d'être gravé sur du bois de jujubier de Fu sha. La gravure fidèle, vigoureuse et svelte ne trahit pas l'original. Le papier est comme un cocon de couleur de neige qu'on sort d'une bassine de jade, les caractères comme le dessin des oies sauvages du givre sur les nuages d'automne.
Avec la vieillesse mes deux yeux voient comme à travers le brouillard, quand ils croisent des saules, quand ils croisent des fleurs ils ne les remarquent même pas. Mais chaque fois qu'ils croisent un beau livre neuf, toute la journée ils l'apprécient, ne veulent plus le quitter.
Tung po est encore plus fou que moi, il a refusé d'échanger sa veste de toile grossière pour devenir l'un des trois ministres. De son pinceau surgit un langage étonnant, à balayer les chevaux ordinaires de dix mille générations.
Vieil ami, tu t'apitoies, colline en vieillissant je deviens plus obtus, au lieu de m'envoyer un élixir pour soigner mes os malades, tu m'envoies ce livre pour me bousculer un peu. Je gratte ma tête blanche jusqu'à ce que la lampe bleue s'éteigne.
Dans la cour de ma résidence au Pont des roseaux, dans unE pierre creuse remplie de terre, mon petit-fils cultive des fleurs et plante des légumes. Pour m'amuser je l'ai appelée le potager d'enfant.
la cour de ma résidence mesure à peine la moitié de cinq pieds
un potager en terre d'hirondelles, des cailloux pour murette
des daphnés, des lis, un ou deux bulbes
de la ciboule, de la moutarde, trois ou quatre bottes
le jeune enfant inaugure son petit Jardin de la Vallée en or,
où des escargots ont choisi d'installer leur palais de perles
j'ai l'intention, chaque jour où je serai ici, de l'accompagner pour me distraire,
d'aller regarder le chemin où seules des fourmis passent
aurore de neige dans la jonque, on allume du feu
quand le charbon rencontre la flamme, une fumée verte monte
on dirait une épaisse colonne d'encens à l'aloès
parfois elle s'interrompt puis reprend encore plus épaisse
quand elle commence à s'atténuer, veste et pantalon se réchauffent
peu de temps après la fumée devient claire, jaillit alors une lueur rouge,
lumineuse, comme si au-delà des nuages le soleil se levait rayonnante,
comme un doux soleil printanier réchauffant la cabine
mon vieux visage est tout rouge, comme si j'étais ivre
tout à coup le feu refroidit, la fumée cesse
on ne voit plus qu'un poêle rouge où s'est entassée de la neige
blanche
de l'autre côté de la fenêtre, plus de trois pieds de neige
de ce côté-ci de la fenêtre, un pouce de neige blanche parfumée
en plus d'être malade, j'ai mal aux pieds et suis las de rester assis toute la journée, écrit pour tromper l'ennui
ma vue est brouillée, la neige couvre mon crâne
dans le flou sont passées les trois ou quatre dernières années
qui sait que c'est le mal aux pieds qui m'empêche de marcher ?
à me voir rester sagement à la maison, on pense que je suis assis en méditation
si mon éventail tombe de la table, je suis trop paresseux pour le ramasser
aller consulter un livre prés de la fenêtre, comment me déplacer ?
les gens de ce monde tous envient les immortels parce qu'ils volent
moi j'envie ceux qui marchent, c'est ça pour moi être immortel
Paysage du lac et du ciel au crépuscule
la surface du lac est collée au ciel, on ne voit pas le quai au milieu du lac, les racines des joncs sont toutes entremêlées dans l'eau crépuscule, les oies sauvages volent en formation, les corbeaux en ligne à peine se perchent-ils qu'à nouveau ils s'envolent, un long moment avant de se poser assis je regarde à l'ouest le soleil tomber au bord du lac il n'est caché ni par les montagnes ni par les nuages à de pouce en pouce il descend, soudain il a entièrement disparu je l'ai bien vu entrer dans l'eau, plus la moindre trace
lire un livre, je ne suis pas las de m'y consacrer mais si je m'y consacre trop, ça me fatigue, ça m'étourdit je range alors le livre et m'asseois l'homme et le livre tous deux oublient les mots quand le goût revient, sans tarder j'ouvre à nouveau le livre j'arrive directement à la Source des Cent sages appeler cela illumination, fondamentalement il n'y a pas d'illumination parler de mystère, originellement il n'y a pas de mystère quand je rencontre un passage en accord avec mon coeur, un long moment je me réjouis cette joie, qui la crée ? ce n'est pas moi, ni le ciel non plus je ris, au fond ça n'a aucune importance je pose le livre à côté de l'oreiller
CH'AN, ILLUSION, AND SUDDEN ENLIGHTENMENT
IN THE POETRY OF YANG WAN-LI, BY J. D. SCHMIDT,
T’oung Pao, Vol. LX, 4-5, 230 sq.
According to the Wu Men Kuan, "to realize Ch'an one must pass beyond the barriers of the patriarchs." Thus, Yang uses the process of Ch'an illumination obtained by the study of the Ch'an masters as a metaphor for the similar process whereby the poet attains his own illumination by mastering the teaching of one poetic master after another. The study of masters is not the final goal, for as the Wu Men Kuan further teaches us :
The great Way has no gates,
Yet thousands of roads enter it.
Once one has penetrated this barrier,
He walks alone between heaven and earth.
[243]
Playing with the Moon on a Summer Night When I raise my head, the moon's in the sky, But when it shines on me, my shadow's on the ground. As I walk, my shadow walks, too; When I stop, my shadow also stops. I wonder if my shadow and I Are one thing or maybe two. The moon can trace out my shadow, But if it traced its own, I wonder what it'd be like, By chance, I pace by the bank of a stream, And now the moon is in the stream I Above and below, altogether two moons; Which of them is the real one ? Or is the water the sky ? Or the sky the water ? [257]
« Two Days After Double Nine I Climb with Hsü K'e-chang to Myriad Flower River Valley and Pass the Wine Cup Beneath the Moon : »
This old fellow's really thirsty, but the moon's thirstier still; As soon as the wine falls into my cup, the moon's already inside. She brings in the blue sky along with her, So both moon and sky are soaking wet. "The sky loves wine" has been handed down from antiquity, But "the moon doesn't know how to drink" is really reckless talk. I raise my cup and swallow the moon down with one gulp, Yet when I raise my head I see the moon still in the sky. This old fellow laughs and asks his guest, "Is there just one moon or are there two ?" The wine enters my poet intestines—wind and fire burst out; The moon enters my poet intestines—ice and snow pour forth. Before I can down one cup, my poem is already finished; I recite the poem to heaven and even heaven is startled. How do I know that the myriad ages are just some dried-up bones ? I pour out some wine and gulp down another moon!
Yang obviously regarded this poem as one of his most important creations. […] The style of the poem is certainly influenced by Li Po, but there is a deeper philosophical message in the wine drinking than can be found in any similar work of Li's. The moon in the wine corresponds to the same moon in the creek water in, our first poem, with the difference that the illusion and reality are so mixed that in the end, the reader is not even sure which moon is the real one. Through the elixir of Chinese poetry, namely vine, an Indian philosophical concept is expressed in a uniquely Chinese way.
[260]
CHU HSI THE POET
BY LI CHI
Article11
[…] In expressing this captured spirit, the poet's concern is never literal faithfulness: "He may depart from the square and deviate from the compasses; for he is bent on exploring the shape and exhausting the reality". Beauty is not a direct objective, but the pursuit of beauty becomes an end for the poet when his concern is spiritually faithful expression: the search for this perfection is a longing for beauty. The poet, in this double aspiration, has to depend upon his senses; they are the instruments through \vhich his poetic intuition is a wakened. Permeated with color, smell, and sound, they lead his intuition to engender the form he seeks to grasp, which in turn transforms both his subject and his language. The energy which fills the recesses of the poet's mind and makes him create is inspiration:
As for the interaction of stimulus and response, and the principle of the flowing and ebbing of inspiration,
You cannot hinder its coming or stop its going.
It vanishes like a shadow, and it comes like echoes.
When the Heavenly Arrow is at its fleetest and sharpest, what confusion is there that cannot be brought to order ?
But when it goes, you have no power to retain it. This notion of inspiration is essentially similar to that of Western poets in ancient times: the creative self of the poet is different from his normal self. 28). Chu himself wrote of this in connection with shamanistic possession in the Ch'u Tz'u [63]
28) Compare the Homeric Hymns to Apollo, Aeschylus' description of Cassandra in the Agamemnon and of the prophet of Apollo in the Pindar's story of Bellerophon's dream in the thirteenth Olympian, the description of the Cumaean Sybil in book six of the Aeneid, and, more generally, Plato's Phaedrus and Ion.
[63]
« The spirit of the sharnan while possessed is the deity, which has « descended into the shaman's body... In Ancient times, shamans « were used to bring down deities. When the deity descended, it was « embodied in the sharnan and took on her beautiful form and dress, « because the body was the shaman's but the spirit was the deity's. »
Whatever their differences, all descriptions of inspiration agree that it extends beyond man's ordinary faculties, with its roots deep in the soul. It should be clear that poetry writing is basically antithetical to a Neo-Confucian program of spiritual cultivation. Although they did not say so explicitly, the Neo-Confucians must have sensed, perhaps dimly, that growing \vith the conscious faculties of the mind which they sought to grasp, indeed, from the same root, was another shoot of vigorous potential, insusceptible of direct knowledge and analysis. With its own laves of growth, it pursues a private development and frees the poet to follow that development. Can there be any doubt as to the reasons why Neo-Confucians regarded poetry writing as an anomalous and useless activity ? […]
[62-63]
[…] If Chu had not occupied the preeminent position of sage-teacher down to the first decade of the present century, and if his poetry were examined in its own right, it would not offer a great deal. That he had a genuine poetic impulse, however, is beyond doubt; directly after he had vowed to stop wasting his time on poems, he would hasten to write one. This is a short preface he wrote for a poem:
because a lot of verbiage is damaging to [the cultivation of] the Way. During the last two days I have been reading the chapter on "Sincerity" in The Great Learning and some thoughts came to me. On the morning of the winter solstice, I wrote this to serve as a warning for myself.[...] [65]
Chu's best verse has a grace and spiritual nobility that is enjoyable ; these typical lyrics exemplify those qualities :
I go out on this fine day for the fragrance by the Ssu's edge 38). This scene, full of light, has no edges and is suddenly new: In the face of an east wind, I begin to see without effort Ten thousand purples, a thousand reds. Everything is spring.
38) Chu was far from the Ssu in, the river mentioned here, when he wrote the poem; he alluded to it instead of the river in his area because the Ssu is in Shantung passes Ch'ü-fu, the home of Confucius, where he taught his disciples. There is also an indirect allusion to the famous story of Tseng Shen's spring outing.
All three poems arise from the joy of having found the true principle. The boundless beauty of spring, the wandering of clouds mirrored in a pond and the easy sailing of a junk all speak of a mind liberated from the narrowscope—according to Chu—of Taoism and Buddhism. The waters are now fresh and clear because they have been united with their fountainhead, a reference to the Mencius, IV B, 18.
1. This half-measure pool: an open mirror, Sky light and shadows both stop and go. You ask, how can it be so clear ? This fountainhead water is alive. 2. Last night, spring water rose at river's edge. The towering junk is light as a feather. Yesterday, I wasted my strength trying to push it off. Today, in mid-stream, the glide is easy.
These poems do not embody striking philosophical ideas, but they were not meant to. They were rather the poet's spontaneous expression of joy in attaining the truth he was seeking. At the moment of composition, he had emerged, exhausted, from a long period of doubt and intense self-searching and he burst into effortless singing.[…]
[66]
1. The mist, with its shadows, has already dispersed, But deep in the mountain, the night is still cold. Lying alone, my cell empty, unable to sleep, I think over and over: At leisure, my mind grows in the Way. It is vanity to reach for the true place 60). I bow my head and then I look up to the spirit, Swearing I’ll sever my connections with dust. 2. This clear morning I knocked at the high hall, And with leisurely steps circled empty corridors. The purified rnind opens to the mystery of truth. The burning incense blows ten ways 61). Going out of the gate of the immortals' home, I raise my head to the cloudy blue peaks. Lingering at the edge of a rural stream, I suddenly forget my dusty worries.
60) Chen-ching (true place), a Taoist term, signifying the realm of the imrnortals.
61) Shih-fang (ten ways), north, south, east, west, northeast, north-west, southeast, southwest, up and down.
Almost directly after writing these poems about Taoist truths, he was studying Buddhist scripture, as he describes in his poem entitled "During a Long Rain, I Stayed in My Study Reading Canons :
[74]
Living alone, no business at hand,
I open Buddhist books,
And briefly abandon my connections with dust.
Rising above them, I am one with, the Way.
Doors open onto a quiet grove of bamboo;
Birds sing after the mountain rain.
Understand: this way of doing nothing 63)
Is, body and mind, entire delight.
63) Wu-wei, a Taoist term, was adopted by interpreters of Buddhism for the term nirvana. See Erik Zürcher, The Buddhist Conquest of China, fie spread and adaptation of Buddhism in Early Medieval China (Leiden, E. Brill, 1959), 13 and 174.
Although He read both Buddhist and Taoist books, the latter had a stronger appeal. His imagination was fired by Taoist descriptions of ethereal heavens where immortal men, forever young, dressed in
diaphanous clouds, fly freely about. He looks longingly at the blue sky wishing that one of them would give him a prescription for immortality, as he says in the third of a series called "After reading Taoist Books, I wrote Six Poems :
In the white dew of autumn Green shadows rise in the evening cool. I stand and pace the vide yard; Looking up, I see the sky, a deep blue. Tung-hua, a blue-haired old man, 65) Gives me the recipe for no death. Willing to work hard, train and study, I join, in a vision, the three mysterious homes.
65) Tung-hua is one of the dwellings of immortals.
Autumn quickened his fear of growing old and ugly if he remained ignorant of the way of the "flying immortals". A short poem written after "Staying Overnight at Yün-tang P'u" expresses his hopes for Taoist practices 67) :
In the courtyard, shadows of two trees merge. At the window, in the evening, one cicada shrills. Throwing off my gear, things are not so close. My heart shakes as it grows in this Way 68).
68) Ch'ao-yao, a term Chu used more than once in describing the heights he reached by his training, seems to have been derived from Chuang Tzu, where the upward movement of the huge bird p'eng is described as "t'uan fu-yao erh shang" (Mounts upwards on a whirlwind as on the twirls of a goat's horn). Fu-yao describes the spiralling, upward motion of the whirlwind.[…] [76]
The mysteries of man's mind cannot be measured; They go out and return, riding the air's power: Both condensed ice and burning fire, Now sunk in a pool, now heavenward flying. The man of extremest truth holds fast to change: Still or in motion, his body is not opposed. Pearls hidden in a stream male it charming, The jade embraced in a mountain vein shines. Divine light reflecting the vine terraces 112), Thought, in mystery, grasps ten thousand nuances. The dusty volumes are now few and fallen: I stop and sigh: where can I return? 4. Quietly, I watch wonders on my mind's terrace 113). Ten thousand transformations from here go out. Tell me: whv would a man befoul this, Enslave it to a multitude of forms ? Too many extravagant tastes lead to a fleshy face, And brillant looks to the fall of a nation. A landslide runs away; without self-awareness, You race yourself, chasing without end. Look at Mu, the Son of Heaven, And the traces of his ten thousand mile trek: If he hadn't had the Ch'i-chao poem, Hsü-fang would rule his empires' extremes.
112) "The nine terraces of heaven" are the highest reach of heaven.
113) Ling-t’ai (mind's terrace) has been used in several classical literature.
Transmission of knowledge from master to disciple was called ch'uan-hsin ,felt, by the Confucians. Chu, in the last two lines, expresses regret for the low esteem ancient works are held in, and for the quandary of the men searching for their illumination. The fourth poem contrasts the state of the pure mind with the mind destroyed by "selfish desire", the latter a Neo-Confucian concept influential in later generations.
The fourth poem's conclusion, which refers to the travels of King Mu, leads Chu to consider the lessons of history from the Chou dynasty […]
[89-90]
Contemplation of nature was a way to transcendental wisdom; a wild mountain was best suited for the recognition of universal emptiness because the mind realized emptiness more easily and clearly in an empty environnent. Buddhists always emphasized the great peace of nature as a mirror of prajñâ and a teacher of sûnyatâ.
The distinction can be seen more clearly in the work of the two T'ang poets, Wang Wei and Li Po. Although both generally conformed to Confucian ethics, Wang Wei was clearly a Buddhist and Li Po a Taoist in philosophical orientation; it is this difference which determines the difference in their nature poetry. Intoxicated by the radiance of the sun and moon, and the magnificence of natural beauty, Li Po's imagination aspired to the celestial home of the immortals, hoping to enjoy its wonderful sights. This is a selection from his poem "In a Dream, I visit T'ien-mu Mountain : A Song before Leaving" (see next page).
Beneath these lines of grandeur and magnificence pulsate the year-nings of the poet for the infinite in both life and beauty, yearnings finally for the fullest possible enjoyment. The poet wants desperately to know how a man can prolong his life, become an immortal, forever enjoying heavenly as well as earthly pleasures. Li Po's poems of soaring inspiration prompted Ho Chih-chang (659-744) to call him "the banished immortal": Li was a man above and beyond this world and the reader sometimes forgets that these poems grew out of landscapes seen, lived in and loved. The mixture of joy and melancholy in Li Po's poems always refers back to his overreaching feeling for the world.
Wang Wei, a painter and musician as well as poet, lived entirely in his keen artistic sensitivity. As a Buddhist, he enjoyed nature in… 12
Feet shod in Lord Hsieh's clogs, My body mounted the blue clouds' ladder 123). Midway on the wall, I saw the ocean and the sun. Through the empty air, I heard the heavenly cock 124). A thousand cliffs, ten thousand turns—the path was uncertain. Confused amid flowers, I leant on some rocks—suddenly, it was already dark. Bears' roar and dragons' song rumbled through crags and streams. The forest depths trembled, the layered summits were startled. The blue clouds were dark, ready to rain. The pale water faded, giving birth to smoke. A thunderbolt crashed. Shattered hills and knolls collapsed.
123) A reference to the poet Hsieh Ling-yün, who designed special clogs for mountain climbing.
124) According to the Shu-i chi (Strange tales) by Jen Fang (460-508), the heavenly cock perches on t'ao-tu, a magic tree of immense height and circumference; it leads all the cocks in crowing as the sun shines on the tree at dawn.
The stone gate to heaven's cave Clattered half-way open; The blue deep was so vast, no limits could be seen Sun and moon shone brilliantly on the gold and silver terraces. Clothed in rainbows, on winged horses, The cloud rulers crowded and descended in disorder Tigers played the lute as the phoenix turned before their chariots. The immortal men were ranged like fields of hemp. Suddenly, my senses frightened and my soul shaken, I sat up with a wild start and gave a long sigh. When I awoke on my pillow and mat I lost all this, smoke and glowing clouds.
* ...tranquil observation; untroubled by ulterior interests, his spirit found its freedom within the strictures of nature. In his lines :
Walking, I reach the place where the waters end. I sit down and watch the clouds rise in time,
He writes of enjoying nature simply as it is. The single image of lis poem on his "Deer Park Hermitage" embodies a Buddhist concept vividly :
An empty mountain: no men to be seen, But listen: the sound of voices. Reflected light enters the forest deep. To shine again on the green moss.
Ikkyû
NUAGES FOUS
Traduit par Maryse et Masumi Shibata
Albin Michel 1991
« Ikkyû naquit à Kyôto en 1394 et, à l’âge de six ans, il devint bonze […] Les « Nuages Fous » sont constitués de 880 ou 1056 stances selon l’édition. Ikkyû y traite … de tous les sujets en général :vie, histoire, époque, nature, amour, même des conflits dans son temple. » (Préface)
11. J'ai noté par écrit cette stance à la fin du cahier d'inventaire de l'ermitage « Comme désirs » J'ai laissé à l'ermitage Les objets bouddhiques et officiels quotidiens. La cuiller de bois et le panier, Je les ai accrochés au mur Est. Je n'ai même pas besoin De ces bricoles. Je passe les années sur le fleuve et sur la mer, Le vent sur mon manteau de paille et sur mon cimier.
Le temple n'est pas une chose privée, il faut donc laisser au successeur les objets de la communauté.
[Le 21 novembre 1481, Ikkyû écrivit cette stance avant de mourir. Hiu-t'ang (en japonais Kidô) (1185-1269) était le Maître de Daiô. Donc, Daitô, successeur de Daiô, et Ikkyû appartenaient à cette ligne du Zen.]
42. Dernière stance En ce monde, Qui comprend mon Zen ? Même si Hiu-t'ang m'apparaissait, Cela ne vaudrait pas un demi-sou.
[…] En entendant cette leçon, je fus encore plus chagriné et je quittai ma ville natale. J'ai marché sans destination fixée et je suis arrivé à un temple en ruine, au milieu d'un champ inconnu. C'était déjà le soir et il faisait sombre. Je m'allongeai par terre, la tête sur mes manches mouillées par la rosée, mais je ne pouvais pas m'endormir. Mon regard circulait çà et là et je découvris un cimetière au-delà du chemin, près de la montagne. Il y avait plusieurs tombeaux. Un squelette très misérable apparut derrière la chapelle et me dit :
Le vent d'automne commence A souffler dans la nature. Si les graminées Nous invitent, Allons en campagne et en montagne. Comment faire ? La robe noire du bonze est le symbole Des vicissitudes de la vie. On a tendance à passer sa vie en vain. Comment modifier l'esprit humain ?
[140]
Bashô
Friches Arano
Traduction du japonais et commentaires par RENÉ SIEFFERT
Verdier / poche, 2006
Un « collectif » de 1078 versets par 181 auteurs, « la part du lion revenant, Bashô mis à part, à Kakei (101) , à Etsuijin (114) et à Okada Yasui (97), soit aux pilier d’un groupe dont ils étaient les principaux animateurs et probablement les fondateurs », Préface, [9].
Ça alors ça alors pour les fleurs de Yoshino il n'est d'autre mot Teishitsu
Depuis les temps du Man.yôshû (VIIIe siècle), et de nos jours encore, les montagnes de Yoshino, au sud de Nara, sont considérées comme le haut lieu des fleurs de cerisier. Aux VIIe et VIIIe siècles, la plupart des souverains séjournèrent, plusieurs fois par an pour certains, au « palais de Yoshino » dont eux-mêmes et leurs courtisans ont chanté les beautés. Au XIIe siècle, le moine poète Saïgyô (1118-1190) y vécut en ermite et composa là quelques-uns de ses poèmes les plus célèbres. Teishitsu, dans son hokku ici rapporté, constate, en somme, avec une modestie qui ne lui est pas coutumière, que tout a été dit sur le sujet. Bashô, quant à lui, restera sans voix devant tant de splendeurs :
« Sous les fleurs de Yoshino, je demeure trois jours, je contemple le paysage à l'aurore, au crépuscule, le poignant spectacle de la lune de l'aube me serre le coeur, emplit ma poitrine; ou encore, transporté par le poème du seigneur Régent, troublé par les "rameaux brisés" de Saïgyô, quand le fameux Teishitsu avait jeté son "ça alors ça alors': moi je ne trouve rien à dire et reste penaud, bouche cousue, à mon grand dépit » (Le Carnet de la hotte, JV, p. 57 ; voir aussi La Calebasse, p. 14, n° 5).[17]
Sur le mont fleuri pour faire du menu bois pas un seul rameau Issei
Le moindre rameau étant couvert de fleurs, il serait malséant de s'en servir pour allumer un feu que la fraîcheur de la nuit rendrait pourtant bien agréable.
Les noires ténèbres donneraient-elles des forces au chant du coucou Sanka
Dans l'obscurité et le silence de la nuit profonde encore, tous les sons paraissent amplifiés. Ainsi en va-t-il du chant du coucou.
Encore sans fleur les ramilles du prunier m'emplissent d'espoir Tôshô
Les fleurs se forment sur les rameaux de l'an passé, mais déjà les nouvelles pousses portent la promesse de la floraison de l'année prochaine.
À la direction d'où souffle le vent le saule tourne le dos Yasui
L’image purement descriptive évoquée dans ce verset se passe, je crois, de commentaire.
ZEN IN ENGLISH LITERATURE AND ORIENTAL CLASSICS
By R. H. BLYTH
A Dutton Paperback Everyman NEW YORK
1960 by E. P. Dutton & Co., Inc.
Reprinted by special arrangement with The Hokuseido Press
[Voici son plus célèbre haiku précédé par Wordsworth, annoté par Montaigne:]
[214]
The nature mystics, on the other hand, are forgetful of God, either leave him out altogether or put him in perfunctorily, or use the word God as a synonym for Nature or Reality. As pointed out above, passion distinguishes their attitude from pantheism, though there is often an insensible flowing from one to the other. The finest example of nature mysticism is found in Wordsworth, The Excursion, (I, 199.)
He beheld the sun Rise up, and bathe the world in light ! He looked—Ocean and earth, the solid frame of earth [215] And ocean's liquid mass, in gladness lay Beneath him :—Far and wide the clouds were touched, And in their silent faces could he read Unutterable love. Sound needed none Nor any voice of joy ; his spirit drank The spectacle: sensation, soul and form All melted in him ; they swallowed up His animal being; in them did he live, And by them did he live; they were his life. [...]
One more extract, from Tintern Abbey :
A sense sublime Of something far more deeply interfused, Whose dwelling is the light of setting suns, And the round ocean and the living air And the blue sky, and in the mind of man - A motion and a spirit, that impels All thinking things, all objects of all thought, And rolls through all things.
These two passages represent the high water mark of nature mysticism in English Literature. They are full of Zen.
[ … ]
[217] The most famous of all haiku, of which I give an unconventional translation, has this same quality, that is, of ex-pressing an unsymbolical, unallegorical fact, which is nevertheless a Fact, and The Fact.
The old pond. A frog jumps in— Plop !
Against this translation it may be urged that " plop " is an unpoetical, rather humorous word. To this I would answer, " Read it over slowly, about a dozen times, and this association will disappear largely." Further, it may be said, the expression " plop " is utterly different in sound from " mizu no oto." This is not quite correct. The English "sound of the water " is too gentle, suggesting a running stream or brook. The Japanese word " oto " has an onomatopoeic value much nearer to "plop." Other translations are wide of the mark. "Splash" sounds as if Bashô himself had fallen in. Yone Noguchi's " List the water sound," shows Bashô in a graceful pose with finger in air. " Plash," by Henderson, is also a misuse of words. Anyway, it is lucky for Bashô that he was born a Japa-nese, because probably not even he could have said it in Eng-lish. Now we corne to the meaning. An English author writes as follows: [...]
[223] (i) « No more » means there is no symbolism, no mysticism, no diving into infinity, no listening to the voice of Universal Nature. " No less " means that the mind is spread out in a smooth glassy surface ; the mind is green (" a green thought in a green shade ") with goggle eyes and webbed feet. It is " Plop ! " The real pond, the real frog, the real jumping were seen, were heard, were seen-heard, when Bashô's eyes were flicked open by the plop ' of the water. This is the state of being undivided from a thing, from all things, a state in which we are as Divine as God Himself, described by Eckehart [...]
(ii) At the moment of the ‘plop,' the sound and the silence, the movement and the stillness, were perceived un-separated, uncontrasted, unantagonised, as they were before the Spirit of God brooded over the Chaos. And if you have seen one piece of reality, you have seen all, for the parts are not less than the whole.
Montaigne says :
« Et si vous avez vécu un jour, vous avez tout vu. Un jour est égal à tous jours. Il n'y a point d'autre lumière, ny d'autre nuit. Ce Soleil, cette Lune, ces Etoiles, cette disposition, c'est celle même que vos aïeux ont jouyé, et qui entretiendra vos arrière-neveux » Non alium videre patres : aliumve nepotes Aspicent.
Suzuki says :
" This leap is just as weighty a matter as the fall of Adam from Eden."
Le moine aux semelles de vent
Vie et paroles du dernier maître bouddhiste chinois
Dervy 2004
Tsu Yun fut le dernier des grands maîtres du Tchan13.
Lorsqu'il disparut, à l'âge de cent vingt ans, il était très célèbre. Des centaines de jeunes disciples venaient écouter ses discours.
Sa vie nous montre ce qu'était le quotidien d'un moine bouddhiste pendant cette période troublée de l'histoire chinoise : ses relations avec ses maîtres, sa vie d'ermite dans les montagnes, ses voyages, non seulement en Chine, mais aussi en Inde et au Tibet. Son enseignement, clair, lumineux, est celui de tous les grands maîtres du Tchan, de Hui Neng à Han Chan, auquel on l'a souvent comparé.
Une porcelaine se brisant lui fit instantanément réaliser l'essence de son esprit et lui enleva ses derniers doutes. Sa vie entière avec ses multiples épreuves, ses rencontres, ses errances, lui apparut alors comme une préparation à cette expérience et il composa le poème suivant :
Une tasse tombe sur le sol, avec un bruit clair, comme si l'espace était effacé, le mouvement de l'esprit s'arrête.
L'objet de cette semaine Tchan est la méditation Tchan. Pour cette raison, cette salle est appelée « salle Tchan ». Tchan est la traduction du mot sanscrit Dhyana et signifie « méditation ». Il y a de nombreuses formes de Tchan, comme les Tchan Mahayana et Hinayana, les Tchan matériels et immatériels, les Tchan Shravaka et hérétiques. Celui que nous pratiquons est le Tchan insurpassable. Si l'un de vous réussit à traverser l'état de doute et à briser la racine de l'illusion, il sera semblable au Tathagata. Pour cette raison, la salle du tchan est aussi appelée la demeure du Bouddha. Elle est la salle de la Sagesse (Praha). Le dharma enseigné dans cette salle est le Wu Wei dharma. Wu Wei signifie « non agir ». En d'autres termes, en réalité, aucune chose ne peut être acquise et [64] aucune ne peut être faîte. Si quelque chose est produit cela amènera naissances et morts. Si une chose est acquise, elle pourrait être perdue. Pour cette raison, le Soutra dit: « Les mots et les phrases n'ont pas réellement de sens ». En fait, la récitation des soutras est seulement un artifice utilisé par les maîtres d'école. Dans notre école, l'enseignement consiste en la vision directe de notre essence propre, que les mots et les phrases ne peuvent exprimer. Autrefois, un étudiant demanda au vieux maître Nan Quan : « Qu'est-ce que le Tao?» Nan Quan répondit: « L'esprit ordinaire est le Tao ». Chaque jour, nous portons des vêtements et nous mangeons du riz, nous allons travailler et nous allons nous reposer. Toutes nos actions sont l'expression de la vérité. C'est simplement parce que nous nous aveuglons nous-mêmes que nous ne pouvons réaliser que notre nature propre est le Bouddha.
LA LITTÉRATURE CHINOISE SIX CONFÉRENCES AU COLLÈGE DE FRANCE ET AU MUSÉE GUIMET (Novembre 1926) PAR BASILE ALEXÉIEV LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER — 1937
CONFÉRENCE V
Une synthèse poétique de la poésie chinoise
Dans ma précédente leçon, j'ai expliqué la marche et le développement de la poésie chinoise, comme la lutté permanente du phantasme confucianiste et du classicisme contre la fantaisie taoïste ou autre, avec son libre humanisme et ses tendances universalistes. Je veux maintenant présenter, d'après mes principes des grandes lignes, un aperçu des sujets mêmes de cette poésie. Je n'énumérerai pas tous les sujets chinois poétiques, mais je me propose de m'arrêter sur une synthèse poétique du IXe siècle de notre ère, où sont passés en revue les types de visions qui hantaient le poète chinois depuis la plus haute antiquité, jusqu'aux jours où florissait l'auteur de la synthèse. Il est très regrettable que ce poète ne nous donne qu'une synthèse partielle, bornée au domaine de la fantaisie pure. Mais cette phase représente, dans ses limites, l'intimité d'un poète chinois fantai-160siste, quoique de formation confucéenne, dont le phantasme est à peine dompté par la fantaisie taoïste.
Il s'agit d'un poème sur le poète, dont l'auteur est lui-même un poète. Les anthologies des traductions européennes le connaissent peu ; mais son oeuvre est estimée des chinois cultivés. Il est vrai pourtant qu'il doit surtout sa renommée historique à son intransigeance politique et à sa haute morale, qui puisent directement leur inspiration aux sources confucéennes. Mais c'est la valeur poétique et synthétique de son oeuvre qui nous intéresse ici. Pour les détails sur la personnalité de ce poète, je prendrai la liberté de renvoyer à mon livre russe, paru il y a dix ans. Son nom, Sseu-k'ong T'ou, et ses dates (837-908), permettront au lecteur de s'orienter d'une manière générale. Mais il faut que je m'arrête un peu sur la source de son poème et de sa synthèse.
Sseu-k'ong est une de ces individualités éclectiques qui luttent toute leur vie contre des éléments hétérogènes, dont un l'emporte à tel moment donné. En poésie il repoussait l'élément confucéen et admettait tacitement l'élément bouddhiste; mais celui qui dans sa conception poétique dominait tous les autres était l'élément taoïste. Ce sont les mystères de Tchouang-tseu, grand écrivain, philosophe et poète du IVe siècle avant notre ère, qui lui fournirent son idée principale. Ainsi, l'inspiration poétique a trouvé sa synthèse et sa forme confessionnelle chez un homme d'Etat qui avait reçu un apprentissage laïque et confucéen.
Le poème de Sseu-k'ong est intitulé Che-p'in : « Catégories des poésies ». Ce terme n'est pas une invention de l'auteur, mais au lieu d'avoir placé, d'après leurs qualités et leur importance, les poètes connus dans tel ou tel groupe, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, il songea à qualifier, à nommer et caractériser leurs inspirations et leurs facteurs poétiques. Les deux caractères qui constituent le titre d'une stance ne sont qu'une expression abstraite de forme adjective, pour dire le mot, ils représentent une idée, un état de choses ou un état d'âme, ou enfin l'inspiration du poète. Ce titre est suivi de douze vers rimés dont le sens est strictement gouverné par le titre même. J'essayerai de vous traduire quelques stances qui vous donneront une idée du poème. Je le ferai le plus littéralement possible, car je ne saurais songer à donner une traduction élégante en français. Les vers chinois sont de quatre mots. Voici deux stances sur l'exaltation taoïste. [162]
Le Puissant, l'Universel 1. La grande vue enfle le dehors, La vraie essence emplit le dedans 2. Partant aux vides, j'entre au chaos, Entassant forces, rendues puissances. 3. Pleinement emparé par les myriades d'êtres, Je perce à travers des déserts colossaux. 4. Masses et masses des grosses nues, Gros et gros, le long vent. 5. Passant vers les sans-formes J'atteins le centre de l'anneau. 6. Je le tiens sans effort, L'attirant toujours et sans fin.
Le Fluent, le Mobile 1. Comme l'axe prenant l'eau, Comme la perle roulant en boule, 2. Pourrait-on l'exprimer ? Les formes figurées je laisse aux sots. 3. Grand, grand, l'axe terrestre, Loin, loin, le pivot céleste. 4. Soit atteindre son terme, Soit joindre ses parties. 5. Là-haut, là-haut ! Vers les dieux-lueurs ! En bas, en bas ! Vers le néant-nuit ! 6. Çà et là — par les millénaires — C'est cela que cela signifie.
Les transes et extases du surhomme taoïste apparaissent ici avec une netteté parfaite. Voici maintenant de la poésie à la fois pessimiste, hédoniste et calme.
Largeur, Pénétration 1. La vie. — disons, cent ans : Ses termes, de combien sont-ils distants ? 2. Gaîté — joie, hélas ! sont brèves, Douleurs — tristesses vraiment, abondent. 3. Quoi d'égal à une tasse de vin A la promenade chaque jour, aux lierres sombres ? 4. Les fleurs couvrent ma pauvre hutte, La claire pluie passe devant. 5. Une fois fini de verser mon vin, Avec mon bâton je marche, et chante. 6. Qui de nous ne devient pas un ancien ? Les Monts du Sud sont hauts et hauts !
On voit ici un thème commun à beaucoup de poètes en ce monde, les images chinoises étant la seule particularité du poème.
Beauté, Luxe 1. Mon génie possédant et richesse et noblesse, Me voilà négligeant l'or jaune. 2. L'épais s'épuise et se doit dessécher, L'insipide est souvent profond. 3. Débris de brouillard au bord d'un fleuve, Abricots, rouges aux bois. 4. Lune luit sur ma demeure luxueuse. Pont décoré sous ombres bleues, 5. Coupes d'or remplies de vin, L'hôte-ami touche son luth. 6. J'accepte cela et je me suffis, Exauçant mes idées du beau.
[164] On voit maintenant la nature du poème et le caractère de sa langue. Il diffère de nos Arts poétiques en ce qu'il ne prescrit rien, et surtout, rien d'extérieur.
Je voudrais maintenant vous donner de cet ouvrage une espèce de synthèse thématique qui vous le représente d'une manière fidèle, textuelle et systématique. Je laisserai, autant que possible, parler le poète lui-même, en traduisant fidèlement l'essentiel et paraphrasant le reste, de manière à conserver les proportions du tout. J'ajoute, pour vous assurer de la qualité du matériel dont je me sers, l'appréciation du fameux catalogue de l'empereur K'ien-long, qui dit que l'auteur de ce poème a parfaitement compris les traits fondamentaux de la poésie (chinoise), dont il a, sans longueur, épuisé toutes les formes et toutes les images.
On peut distinguer vingt-quatre espèces ou catégories d'inspiration ou intuition poétique.
Toutes sont gouvernées par le Tao.suprême, dont on s'instruit en lisant les oeuvres parfaites de Lao-tseu et Tchouang-tseu.
L'âme du poète-ermite est ainsi inondée par l'effusion céleste, qui la transforme en âme-tao et elle redevient la réalité même du tao, semblable au fruit d'un arbre qui contiendrait l'essence de la vie future. Alors le son, trop clair pour être entendu par une oreille ordinaire, chante au poète la céleste mélodie de la nature.
L'inspiration peut être spontanée, en tant que nature, et au niveau même du tao. Le poète pénètre alors la grande création cosmique, la création de la Roue du Potier Céleste, dont la révolution transcendante donne forme à tout être. Mais bien avant cette pénétration cosmique, le poète peut se concentrer, aux fonds mêmes de son essence psychique, pour se détacher de la terre et fuir vers le Vrai et le Grand Tao. Ce n'est qu'après cet élan suprême qu'il manifeste le tao invisiblement vivant dans les faces et les apparences du monde visible. Et ces images, ces formes de la nature qui demeure muette pour tout le reste du monde, prennent vie dans la vision du poète, devenant des faces et des formes transcendantes, des faces tao et des formes tao.
L'inspiration se cristallise jusqu'à l'état d'un noyau inépuisable d'esprit poétique, et cette phase -de l'inspiration est témoin de la création du tao spontané, au fond des mystères magiques qui font ressortir l'esprit vivant des cendres mortes de notre vie quotidienne. L'inspiration se condense alors dans l'âme poétique, tout comme le vin qui dépose, et elle y vit en parfaite harmonie avec son Vrai Seigneur, le Grand Tao, maître de toute matière aussi bien que de toute âme. Avec ce Grand Maître, elle s'immerge ou surnage et ses apparitions suivent le rythme dicté par le Seigneur. Elle est une vacuité idéale, semblable au tao qui ne se laisse jamais remplir par rien et garde son vide comme le gardent un vase ou un soufflet de forge. Elle est simple, de cette simplicité insipide et idéale qui distingue le tao, car le tao garde aussi jalousement son absence de tous les goûts humains. Ainsi l'eau pure n'a pas besoin d'assaisonnements, qui détruisent immédiatement son essence. C'est seulement alors que, nette de tout vain ornement humain, l'inspiration se laisse envahir par l’Harmonie Suprême, expression du tao dans les sphères célestes. Il n'est que très naturel, d'ailleurs, qu'elle disparaisse aussitôt que la conscience humaine tend à s'en approcher. L'inspiration vit dans l'âme du poète ravie [167] loin de la surface ordinaire de la vie courante. IL fuit cette vie pour la vie d'ermite taoïste. Il aime la nature, et ses vers les plus beaux et les plus profondément inspirés ne sont qu'une chose froide auprès de l'extase de son amour. Son âme, lavée, refondue, comme un métal pur délivré de la mine grossière, vit de la vie du tao, qui la détache du monde. Rien ne l'entrave maintenant dans les profondeurs où elle plane, et la lune claire emporte son enfant vers la vraie demeure du vrai tao.
Le vol de l'âme s'élève très haut, haut comme les empyrées où monte l'ascète taoïste qui est resté, de son vivant, incommensurable aux autres, tel un morceau de terre qui n'entre pas dans les carrés d'un laboureur pédant.
L'inspiration devient antique comme le tao des âges oubliés, et l'on peut appeler l'Ancêtre Primordial. Cet Ancêtre vit maintenant dans l'âme du poète, triomphal dans sa grande séparation d'avec le monde. Elle franchit toute limite, elle plane par delà la terre, comme les nuages dans le vent pur. Elle s'associe à l'intuition profonde qui ne se transforme cependant pas en mystère secret de la nature. A cette phase de l'inspiration, le poète participe au tao même; il est avec lui comme un des fragments du contrat gardé par les contractants; il s'y gare du monde vivant. Cette inspiration ne se laisse plus [168] exprimer par les rimes du poète, car le son en serait aussi clair que le son suprême du Grand Tao raréfié à l'extrême et devenu inaudible.
L'âme du poète peut vivre en planant dans les espaces infinis, comme la grue divine qui vole dans le vent et qui assure à l'ascète taoïste libéré de la terre l'ascension au ciel. La force du tao pénètre son inspiration et elle n'est plus qu'une intuition au-delà des formes. On ne peut pas l'attendre, elle ne reste ouverte qu'à celui qui l'a connue dans une communion indicible.
A ce moment se place une phase de l'inspiration que l'on peut caractériser comme une énergie puissante, perçant les vacuités célestes, comme les traverse la tempête. Elle garde, en même temps, sa plénitude universelle, comme le chaos primordial, état idéal de toute matière, comme des nuages saturés d'humidité. Elle emporte l'âme au delà des limites et des formes, au centre de cet anneau d'éternité qui ne connaît plus les arbitraires distinctions humaines, centre de toute vérité, zénith du Tao Absolu.
Cette énergie de l'âme peut être remplacée par la vigueur et la puissance qui s'emparent d'elle pour l'agiter et la mouvoir dans l'espace des cieux. Ces sources la nourrissent et l'abreuvent [169][...] surhumaines, s'ajoutant au dualisme Ciel-Terre, la triade est formée. En cet état passif, succombant aux forces du Tao Suprême, le poète plonge dans la simplicité sauvage, négligeant les activités et les convenances de ce monde factice. Mais son activité n'en est pas moins réelle, bien qu'invisible aux autres, qui le traitent d'insensé et de fou. Et, en effet, une folie sublime l'enlève et le fait participer aux mouvements cosmiques, qu'elle livre même à sa volonté, géniale et indomptable.
Et voici le poète dans les transes des rotations cosmiques, accomplissant la révolution des millénaires, dans un mouvement incessant, semblable à celui d'une perle sur la paume de la main. Roulant à volonté du grand néant, noir, profond, couleur de l'éternité, aux empyrées resplendissants, le poète est envahi par son inspiration gigantesque, bien au-dessus du pouvoir chétif de la parole poétique.
Sortant alors de ses transes taoïstes, sans jamais cesser d'être uni au tao, le poète peut vivre à travers une série d'autres inspirations que l'extase permanente et surhumaine. Il peut s'associer à la pénétration perçante et à l'étendue vide, prenant pour image, le vide d'une vallée percée par les rayons du soleil. Dans cette [illumination de son âme, la vie humaine lui apparaît comme une suite de moments insupportables où il faut saisir à tout prix quelques instants de gaieté et de joie.. Sa volonté suit les courbes et les sinuosités du monde, où l'on trouve toujours des traces de la vie permanente du tao. Parfois le poète se donne le plaisir d’utiliser sa finesse et son érudition à la manière du lettré confucéen dans la contemplation de la beauté de la nature. Mais l’insapide idéal du tao est toujours présent à sa conscience. Il ne se permet donc pas de s’en éloigner et de faire des vers rnanquant de cette simplicité souveraine.
La beauté de la nature peut aussi inspirer le poète de son luxe prodigieux et de son charme fin, car elle lui est connue dans la lumière éternelle du vrai tao. Le poète peut être aussi entouré, parmi cette beauté spontanée de la nature, d'un luxe humain et artificiel, tel qu'une maison de luxe, par exemple, mais ce luxe, dans sa fine perception, n'a nullement la grossièreté et le sort éphémère des autres. Sa richesse et sa splendeur n'ont rien de commun avec les qualités extérieures vantées par les mondains. Le génie du poète seul est riche, hautain, tout pénétré par la lueur du tao. Il vit donc dans ce luxe, en jouissant d'une manière complète et [171] spontanée, incommensurable aux manières familières du monde.
L'inspiration devient sublimement subtile et intégralement serrée, comme les veines et les lignes du jade, compact, imperceptiblement solide, bien que différencié et nuancé en son intérieur charmant. Tel est le tao, Créateur des Métamorphoses Cosmiques et des formes terrestres, qui vit dans tout ce qu'il crée d'une façon imperceptible, bien que multiple et varié. Le tao est intégralement Un, comme son image, le jade, et leur compacte unité habite l'âme du poète. La transparente pureté, associée aux charmes indicibles des mystères éternels, l'envahit partout des beautés transparentes de la nature et surtout du même tao, antique, mystérieux, caché, secret, extraordinaire. Le tao le plonge dans le sans goût spirituel et inépuisable.
Mais, tout en s'associant au tao indicible et mystérieusement amorphe, le poète s'associe aussi au tao confucéen, à la grande vérité enseignée et active. Il voit que ce tao, unique Voie vers le Bien Souverain, ne vit plus chez ses contemporains et que personne ne 'proteste contre le mal triomphant. Il est plein de tristesse, une émotion chevaleresque le saisit. Il agite son sabre, décidé à libérer ce monde de la catastrophe im[172]minente. L'automne est profond. La pluie ennuyeuse augmente et enforce son âme émue.
C'est ainsi que l'inspiration du poète est réglée par le Grand Tao qui y fait une révolution de vingt-quatre phases différentes, coexistant à la fois séparément et intégralement. Comment donc exprimer ce Grand Tao qui vit dans l'intuition féconde et multiple du poète ? Il est indicible. Laissons aux stupides d'en préciser les formes et apparences; disons seulement quelles sont ses images mystérieuses et défiant la parole rigide.
Il est la substance absolue et statique, centre du cercle, point éternel, par delà la connaissance et la mesure, le seul vrai et le seul juste. Il est le Grand, qui vit dans la verve poétique, tout en restant inexprimable, car il n'est pas. une chose qu'on puisse manier à volonté en lui donnant la forme désirable. Il est spontané, et la spontanéité elle-même, la volonté impersonnelle et amorphe. Mais il est aussi l'auteur de l'univers et de notre monde, avec sa matière, ses choses, ses hommes et ses poètes. Pour eux, aussi bien que pour l'inspiration du poète, il est le Vrai Seigneur, l'Ancêtre Primordial, le-Créateur des Métamorphoses, le Réformateur Spirituel, la Roue du Potier Céleste qui façonne toutes les formes. Plein de mystère, incom-173préhensible, il est le Grand Mécanisme aux charmes insaisissables, la Suprême Harmonie. Il est l'Aimant qui attire à lui, sans résistance, l'âme du poète. Il est le Principe Antique proclamé par les grands patriarches, Houang Ti et T'ang Yao, et dès lors oublié. Il est Quelque Chose, se nivelant aux cendres et à la poussière du monde. Il est le Néant, le Surnoir, le Primordial.
Parlons maintenant de l'homme idéal, dépositaire du tao. Le poète est plein de cette inspiration taoïque et englouti en elle, il est le surhomme, le poète tao. Il s'assimile toutes les qualités mystérieuses du tao; il se tient au juste centre des choses; il absorbe et incarne la foncière simplicité, qui s'extrait de la vie du monde, par les rayons du tao. Il se plonge dans le Sans-goût et le Sans-saveur, noble chrysanthème. Il s'enfonce pour ne plus remonter à la surface des choses que l'on dit normales. Ce qu'il cherche, c'est la vraie profondeur. Il se distingue de ces esprits faussement profonds, dont la profondeur n'est qu'un simulacre, une parure d'efforts, un entassement de détails. Il vide son âme du compliqué et de l'inutile pour en faire un réceptacle digne du tao qui va y habiter. Il se fait le dépositaire du pur et du puissant. Il part de la terre pour les vides abstraits et la pléni-174tude idéale du cosmos intact. Pénétrant ainsi vers l'aimant puissant du tao, il se débarrasse de toutes les entraves, devient l'innocent-fou, et dans sa sainte folie il participe à la liberté céleste. Sa substance illuminée ne mange et ne boit plus que de l'énergie cosmique, harmonie suprême de l'Univers, et finalement du vrai tao. Il chevauche la lune, se laissant inonder par les forces surhumaines du tao, et dès maintenant il n'a plus de mesure commune avec rien ni personne. Il atteint le centre idéal du cercle mondial, accompagne le tao, se fond en son mystère, reçoit de lui une âme vive. Il agite son génie comme une tempête, ignorant les bornes terrestres, il appelle à lui les astres, attire le phénix, fouette les six tortues géantes du cosmos en se rendant au Fou-sang où le soleil se baigne et où il lave ses pieds. ll dépasse les formes du monde qui se trouvent maintenant quelque part à son côté; il flotte dans les espaces infinis, comme vole à l'air la feuille desséchée; il nage des millénaires dans l'éternité et le vide absolu, ou se balance entre le Pivot du Ciel et l'Axe terrestre. Il se subjugue l'esence du Vrai et, y montant, s'en va vers le tao. Là, il tend vers les dieux-lumières, les quittant ausitôt pour le néant noir. Il forme la triade avec le Ciel-Terre, participe à l'hégémonie, universelle et est [175] à même de traiter le monde en domestique, l'acceptant ou, écoeuré de lui, le chassant.
Tel est l'homme-tao et le poète-tao dans ses perspectives cosmiques et dans ses perfections illimitées et abstraites. Voyons maintenant comment il vit parmi les hommes. Sa vie terrestre est pleine d'efforts pour se séparer d'eux et partout s'opposer à eux. C'est un homme à l'âme haute, pénétré d'une grande idée et d'une intuition perçante. Riche de soi-même, il se suffit. Silencieux, seul et solitaire parmi les hommes, le principe antique l'anime et son âme a rompu les liens de la terre. Il ne veut plus se trouver dans le troupeau humain et se sépare décidément du quotidien fâcheux. Il méprise l'or qui achète le bonheur des autres; leurs richesses, considération et noblesse ne sont pour lui que cendres mortes. Méprisant le monde, l'homme-tao peut vivre dans sa folie de liberté parfaite, sans tenir compte du jugement du troupeau. Cependant, il se laisse toucher par les douleurs de ceux qui veulent, contrairement à ses idées, gouverner le monde par l'enseignement aux bons; et quand ceux-ci désespèrent, il sympathise avec eux et s'élance violemment à la défense du tao humain.
Sentir en soi la vie du tao, se détachant du [176] monde et planant dans les empyrées ; unir son rêve aux rêves anciens du surhomme, image du tao, et voir incessamment resplendir sur son oeuvre la grande face du tao, tel est le sort de « cet homme-là. », dont les vers peuvent trouver place dans .les « Catégories » de la poésie.
Quelle est la nature d'une telle inspiration ? Elle part du tao, à qui elle est identique. Elle vient habiter l'âme du poète où elle vit de manières variées. Elle fait son nid dans l'essence divine de son âme, dans son génie spirituel, tendu vers le tao par la séparation du normal et de l'ordinaire. La nature intime du poète, son sentiment, pénètrent le tao par la force même de leur non résistance à son émanation. L'inspiration vit dans l'esprit du poète revenu des cendres mortes du monde à la lumière du tao. L'inspiration pénètre la substance foncière du poète, lui emplit le coeur, comme de la vraie essence de l'univers. Elle exauce le rêve du beau qu'il couve et le guide. C'est elle qui est l'idéal et le désir du poète, coïncidant avec tous les mouvements spontanés de son individualité poétique. Illuminée, éternelle, inépuisable, elle est l'Antique, le Non-ordinaire, le Neuf et le Jeune, surtout quand le poète chante le printemps. Attendue, désirée, elle est entendue comme un son, elle se rencontre, plutôt qu'elle n'est [177] atteinte, elle descend du ciel, se laissant reconnaître par celui qui est profondément pénétré. Elle va du tao à l'âme du poète, dans sa plénitude inépuisable. Elle semble venir chez celui dont l'appelle la voix, lancée aux espaces lointains. Elle arrive réellement pour celui qui l'attend. Ainsi le poète l'atteint, la prend, dans sa liberté Sans freins. Il se suffit à lui-même, et la garde sans effort dans son intimité. Elle le sert, et il l'exprime dans ses chants printaniers.
L'inspiration poétique peut passer par une série de limitations négatives. Ainsi, elle ne doit pas être quelque miracle divin, ou même un mystère de la nature. Elle n'est pas nécessairement profonde. Elle n'exige pas d'efforts pour rester dans l'âme : au contraire, si on l'y force, elle s'appauvrit. Elle ne se combat pas, ne se restreint pas, ne se retient pas; elle ne se prête nulle part, ne doit pas être recherchée, ne relève pas de la conscience; elle n'a ni limites, ni fond, ni fin. Elle n'est pas cendres mortes, mais esprit vivant, chaîne mystérieuse que l'on n'ose rompre, surtout par la parole, son principal ennemi.
Il y a toute une série de cas où cette inspiration taoïque fuit le poète. Elle le quitte s'il l'attend. Elle se raréfie à zéro, si le poète l'atteint et devient, en tous cas, toute autre chose. [178]
Elle part quand on veut l'utiliser. Elle s'envole vers son intégrité mystérieuse, quand le poète crée pour elle idée et image, et surtout quand il veut l'incarner en formes tangibles. C'est alors comme si on couvrait de la main une abstraction : elle échappera bientôt de sa prison. On ne peut l'exprimer, exemples et comparaisons n'étant destinés qu'aux sots. Il ne faut pas non plus y réfléchir, ni la chanter en des phrases trop sonores, car, devenue audible, l'inspiration originale est anéantie.
Peut-on imaginer d'exprimer par nos paroles ordinaires la verve taoïque du poète ? Non. Elle exige une langue à part, pittoresque, mais sans précision, ni imagerie bornée de paroles. Analogue au tao inconnu et inconnaissable, elle le reflète. Et si l'on admet qu'à ces qualités du tao doivent correspondre des complexes de sons qui permettent d'impliquer ou de donner une image subtile de la Grandeur de la Roue du Potier Céleste ou du Pivot des Cieux ; si l'on essaye de peindre dans cette langue, intentionnellement confuse, soit l'Ancêtre Primordial, incommensurable et séparé de tout être, soit la masse inconcevable de l'axe terrestre, l'éternité sans fond, le son raréfié du tao, et les autres intuitions taoïques, il faut bien adopter une langue à part, des combinaisons phonétiques, [179] des adaptations parallèles, des images et des paroles aussi approximatives qu'évasives, en tous cas intentionnellement dénuées de précision et qui, tout en se trouvant dans la langue bornée des hommes, n'indiquent plus ce qu'elles expriment d'ordinaire et demeurent au fond impuissantes à rendre cette inspiration taoïque, laquelle aboutit ainsi fatalement à des bizarreries d'expressions ne voulant pas exprimer ce qu'elles expriment. On peut donc dire, qu'elle quasi-vient [sic], qu'elle est soi-disant imperceptible, qu'elle semble entendre un appel quelconque; elle est semblable à des réminiscences confuses de l'antiquité; elle peut, enfin, être représentée comme l'image d'un homme stupéfié, et muet devant la grande nature. Il n'existe plus de parole fixe pour exprimer la qualité spirituelle de son dépositaire, le poète-tao, et tout ce qu'il tient du tao, son ancêtre. On se sert en pareils cas d'onomatopées, de comparaisons, de paraboles et d'euphonies, d'une langue extraordinaire et implicite.
Mais si elle ne peut être exprimée dans une langue positive; l'inspiration taoïque se prête aux images qui gardent la tradition des paraboles mystérieuses des écrivains mystiques de l'antiquité. Aussi pouvons-nous imaginer l'intuition poétique comme un son raréfié jusqu'à [180] être inaudible…
[omission de la suite soit des pages 180 à 192]
ZEN FLESH, ZEN BONES
A COLLECTION OF ZEN & PRE-ZEN WRITINGS À COMPILED
BY PAUL REPS
PUBLISHED BY THE CHARLES E. TUTTLE COM-PANY A RUTLAND, VERMONT & TOKYO, 1957
[27] RYOKAN, a Zen master, lived the simplest kind of life in a little hut at the foot of a mountain. One evening a thief visited the hut only to discover there was nothing in it to steal. Ryokan returned and caught him. "You may have come a long way to visit me," he told the prowler, "and you should not return empty-handed. Please take my clothes as a gift." The thief was bewildered. He took the clothes and slunk away. Ryokan sat naked, watching the moon. "Poor fellow," he mused, "I wish I could give him this beautiful moon."
[27-29] THE ZEN MASTER Hoshin lived in China many years. Then he returned to the northeastern part of Japan, where he taught his disciples. When he was getting very old, he told them a story he had heard in China. This is the story: One year on the twenty-fifth of December, Toku-fu, who was very old, said to his disciples : "I am not going to be alive next year so you fellows should treat me well this year." The pupils thought he was joking, but since he was a great-hearted teacher each of them in turn treated him to a feast on succeeding days of the departing year. On the eve of the new year, Tokufu concluded: "You have been good to me. I shall leave you tomorrow afternoon when the snow has stopped." The disciples laughed, thinking he was aging and talking nonsense since the night was clear and without snow. But at midnight snow began to fall, and the next day they did not find their teacher about. They went to the meditation hall. There he had passed on. Hoshin, who related this story, told his disciples: "It is not necessary for a Zen master to predict his passing, but if he really wishes to do so, he can." "Can you?" someone asked. "Yes," answered Hoshin. "I will show you what I can do seven days from now." None of the disciples believed him, and most of them had even forgotten the conversation when Hoshin next called them together. "Seven days ago," he remarked, "I said I was going to leave you. It is customary to write a fare-well poem, but I am neither poet nor calligrapher. Let one of you inscribe my last words." His followers thought he was joking, but one of them started to write. "Are you ready?" Hoshin asked. "Yes, sir," replied the writer. Then Hoshin dictated: I came from brilliancy And return to brilliancy. What is this? The poem was one line short of the customary four, so the disciple said: "Master, we are one line short." Hoshin, with the roar of a conquering lion, shouted "Kaa I" and was gone.
[48] DAIJU VISITED the master Baso in China. Baso asked: "What do you seek?" "Enlightenment," replied Daiju. "You have your own treasure house. Why do you search outside?" Baso asked. Daiju inquired: "Where is my treasure house?" Baso answered: "What you are asking is your treasure house." Daiju was enlightened Ever after he urged his friends: "Open your own treasure bouse and use those treasures."
[48-49] WHEN THE NUN Chiyono studied Zen under Bukko of Engaku she was unable to attain the fruits of meditation for a long time. At last one moonlit night she was carrying water in an old pail bound with bamboo. The bamhoo broke and the bottom fell out of the pail, and of that moment Chiyono was set free! In commemoration, she wrote a poem: In this way and that I tried to save the old pail Since the bamboo strip was weaknening and about to break Until at last the bottom fell out. No more water in the pail! No more moon in the water!
Zen has many classic texts, of which this work is one. Mu-mon-kan—literally, "no gate barrier"—was recorded by the Chinese master Ekai, also called Mu-mon, who lived from 1183 to 1260. The work consists of narrated relationships between ancient Chinese teachers and their pupils, illustrating means employed to sublimate the dualistic, outgoing, generalizing, intellectualizing tendencies of students in order that they might realize their true nature. The problems or inner challenges with which the masters confronted their pupils came to be called koans, and each of the following stories is a koan in itself.
The stories use slang freely to actualize the highest teaching, the seeing into one's being. Occasional instances of apparent violence might be better interpreted as vigor and earnestness. None of the stories make any pretense at logic. They are dealing with states of mind rather than words. Unless this is understood, the point of the classic will be missed. The whole intent was to help the pupil break the shell of his limited mind and attain a second eternal birth, satori, enlightenment.
Each problem is a barrier. Those who have the spirit of Zen pass through it. Those who live in Zen understand one koan after another, each in his own way, as if they were seeing the unseen and living in the inimitable.
Mu-mon wrote the following words in bis introduction to the work :
"Zen has no gates. The purpose of Buddha's words is to enlighten others. Therefore Zen should be gateless.
"Now, how does one pass through this gateless gate? Some say that whatever enters through a gate is not family treasure, that whatever is produced by the help of another is likely to dissolve and perish.
" Even such words are like raising waves in a windless sea or performing an operation upon a healthy body. If one clings to what others have said and tries to understand Zen by explanation, he is like a dunce who thinks he can beat the moon with a pole or scratch an itching foot from the outside of a shoe. It will be impossible after all.
"In the year 1228 I was lecturing monks in the Ryusho temple in eastern China, and at their request I retold old koans, endeavoring to inspire their Zen spirit. I meant to use the koans as a man who picks up a piece of brick to knock at a gate, and after the gate is opened the brick is useless and is thrown away. My notes, however, were collected unexpectediy, and there were forty-eight koans, together with my comment in prose and verse concerning each, although their arrangement was not in the order of the telling. I have called the book The Gateless Gate, wishing students to read it as a guide.
"If a reader is brave enough and goes straight forward in bis meditation, no delusions can disturb him. He will become enlightened just as did the partriarchs in India and in China, probably even better. But if he hesitates one moment, he is as a person watching from a small window for a horseman to pass by, and in a wink he bas missed seeing.[113-114]
"The great path has no gates, Thousands of roads enter it. When one passes through this gateless gate He walks freely between heaven and earth."
[123] A MONK TOLD Joshu: "I have just entered the monastery. Please teach me." Joshu asked: "Have you eaten your rice porridge?" The monk replied: "I have eaten." Joshu said: "Then you had better wash your bowl." At that moment the monk was enlightened. Mumon's comment: Joshu is the man who opens his mouth and shows his heart. I doubt if this monk really saw Joshu's heart. I hope he did not mistake the bell for a pitcher. It is too clear and so it is hard to see. A dunce once searched for a fire with a lighted lantern. Had he known what fire was, He could have cooked his rice much sooner.
[137-138]
WHEN HE BECAME emancipated the sixth patriarch received from the fifth patriarch the bowl and robe given from the Buddha to his successors, generation after generation.
A monk named E-myo out of envy pursued the patriarch to take this great treasure away from him. The sixth patriarch placed the bowl and robe on a stone in the road and told E-myo: "These objects just symbolize the faith. There is no use fighting over them. If you desire to take them, take them now."
When E-myo went to move the bowl and robe they were as heavy as mountains. He could not budge them. Trembling for shame he said: " I came wanting the teaching, not the material treasures. Please teach me."
The sixth patriarch said: "When you do not think good and when you do not think not-good, what is your true self?"
At these words E-myo was illumined. Perspiration broke out all over his body. He cried and bowed, saying: "You have given me the secret words and meanings. Is there yet a deeper part of the teaching?"
The sixth patriarch replied: "What I have told you is no secret at all. When you realize your own true self the secret belongs to you."
E-myo said: "I was under the fifth patriarch many years but could not realize my true self until now. Through your teaching I find the source. A person drinks water and knows himself whether it is cold or warm. May I call you my teacher?"
The sixth patriarch replied: "We studied to-gether under the fifth patriarch. Call him your teacher, but just treasure what you have attained."
Mumon's comments: The sixth patriarch certainly was kind in such an emergency. It was as if he removed the skin and seeds from the fruit and then, opening the pupil's mouth, let him eat.
You cannot describe it, you cannot picture it, You cannot admire it, you cannot sense it. It is your true self, it has nowhere to hide. When the world is destroyed, it will not be destroyed.
ZEN IS nothing new, neither is it anything old. Long before Buddha was born the search was on in India, as the present work shows.
Long after man has forgotten such words as Zen and Buddha, satori and koan, China and Japan and America —still the search will go on, still Zen will be seen even in flowers and grass-blades before the sun.
The following is adapted from the preface to the first version in English of this ancient work.
Wandering in the ineffable beauty of Kashmir, above Srinagar I come upon the hermitage of Lakshmanjoo.
It overlooks green vice fields, the gardens of Shalimar and Nishat Bagh, lakes fringed with lotus. Dater streams down from a mountaintop.
Here Lakshmanjoo —tall, full bodied, welcomes me. He shares with me this ancient teaching from the Vigyan Bhairava and Sochanda Tantra, both written about four thousand years ago, and from Malini Vijaya Tantra, probabiy another thousand years older yet. It is an ancient teaching, copied and recopied countless times, and from it Lakshmanjoo bas made the beginnings of an English version. I transcribe it eleven more times to get it into the form given here.
Shiva first chanted it to his consort Devi in a language of love we have yet to learn. It is about the immanent experience. It presenis 112 wqys to open the invisible door of consciousness. I see Lakshmanjoo gives his life to its practicing.
Some of the ways may appear redundant, yet each differs from any other. Some may seem simple, yet any one re-quires constant dedication even to test it.
Machines, ledgers, dancers, athletes balance. Just as centering or balance augments varions skills, so it may awareness. As an experiment, try standing equaly on both feet; then imagine you are shifting your balance slightly from foot to foot: just as balance centers, do you. If we are conscious in part, this implies more inclusive consciousness. Have you a hand? Yes. That you know without doubt. But until asked the question were you cognizant of the band apart?
Surely, men as inspiritors, known and unknown to the world, have shared a common uncommon discovery. The Tao of Lao-tse, Nirvana of Buddha, Jehovah of Moses, the Father of Jesus, the Allah of Mohammed —all point to the experience.
No-thing-ness, spirit—once touched, the whole life clears.
Anthologie de la poésie chinoise classique sous la direction de PAUL DEMIÉVILLE GALLIMARD 1962
Sur l'air La joie du revoir.
Wôu yèn tôu châng si leôu /
Yûe jôu keôu I
Tsi mô wôu t'ông chèn yuàn, sô ts'ing ts'ieôu
Tsiên pôu touàn J
Li houân louàn
Ché li tch'eôu
Piê ché yi pin tsèu wéi, tsài sin t'eôu
Mot à mot :
Sans parole seul(e) monter ouest pavillon /
Lune comme crochet /
Tranquilles silencieux sterculias paulownias profond cour, cadenasser pur automne
//
Couper pas rompu /
Ranger encore désordonné /
Être séparation chagrin /
Singulière est une sorte saveur goût, dans coeur suffixe //
Traduction de Mme Kaltenmark :
Silencieuse, esseulée, je monte les degrés du pavillon de l'ouest.
La lune est comme une faucille.
Dans la cour profonde plantée de platanes, le frais automne enferme ma solitude.
O insécable fil de ma pensée,
Inextricable écheveau de mes peines,
Douloureux éloignement,
Quelle singulière saveur tu mets en mon coeur !
Le schème prosodique est celui de l'air intitulé La joie du revoir,
air remontant aux T'ang et sur lequel ont été composés de nombreuses paroles de ts'eu :
[…]
[…] La métrique est à base ternaire, les vers comptant trois, six ou neuf syllabes, ces derniers avec une césure après la sixième syllabe. Tous les vers riment, les trois premiers et les derniers en -eôu (ton plan), le quatrième et le cinquième en -ouân (ton oblique). La prosodie n'impose des tons plans ou obliques que pour certaines syllabes de chaque vers, les autres restant tonalement libres […]
Les effets tonaux paraissent difficiles à interpréter et à apprécier en l'absence de la musique, [18] qui est perdue, et dont les tons des mots devaient suivre, on ne sait trop dans quelle mesure, la marche mélodique, le cursus plan, ascendant, descendant.
Tels sont quelques-uns des obstacles d'ordre formel qui hérissent l'abord de la poésie chinoise et compromettent tout essai de traduction.
Les mécomptes ne sont pas moindres en ce qui concerne le contenu, la thématique. Comme toute grande poésie, la poésie chinoise est chargée d'associations traditionnelles et dispose d'un matériel de thèmes, d'une topique d'autant plus riches qu'en raison de la continuité de sa tradition, soutenue par une langue littéraire et par une écriture qui ont à peine évolué au cours d'une vingtaine de siècles, la Chine a toujours incliné à se retourner vers son passé pour y puiser des exemples ou des inspirations. En dehors des « allusions littéraires » proprement dites, qui se réfèrent à des textes ou à des faits historiques déterminés et dont l'érudition chinoise a dressé des répertoires monumentaux, il y a un fonds immense de thèmes convenus et tellement courants qu'aucun commentaire ne songe même à les relever, une réserve d'archétypes poétiques qui relèvent du subconscient collectif et qui vont de soi pour tout lecteur chinois, mais dont la méconnaissance risque d'induire le lecteur étranger à de graves malentendus. Nous avons aussi nos thèmes traditionnels, dont nous ne sommes guère plus conscients et qui déroutent les Chinois tout autant (le thème du baiser les scandalise) ; qui nous donnera une thématique comparée des littératures universelles? Il me souvient qu'étant professeur en Chine, et cherchant une lecture française le plus directement accessible à mes élèves, je crus pouvoir recourir au Discours de la méthode. je n'en avais pas lu cinq lignes que je sentis se dresser devant moi un mur d'incompréhension et me rendis compte de ma naïveté ; Descartes s'avérait chargé d'une thématique à laquelle mes auditeurs n'entendaient rien.
C'est sur un tel canevas de thêmes traditionnels que le poète chinois brode ses variations les plus originales : à prendre pour bon argent toutes les figures au milieu desquelles il se joue, on passe à côté de sa pensée et on se méprend sur ses intentions esthétiques. Le blanc signifie pour nous pureté ; pour les Chinois, couleur du deuil, il évoque plutôt tristesse, froidure, solitude, par exemple dans une expression comme la lune blanche ». Il s'oppose au rouge, couleur des épousailles, qui évoque les joies de ce monde : la « poussière rouge », c'est le monde avec ses plaisirs, ses pompes, sa vaine agitation. Les poètes chinois, qui restent ou se piquent de rester des ruraux, sont très sensibles aux saisons ; la philosophie nationale a toujours insisté sur les rapports qui lient la vie humaine à celle de la nature. Les mots « printemps » et « automne » reviennent donc constamment dans le vocabulaire poétique : le premier est presque synonyme de « vitalité, exubérance, excitation » (en particulier érotique), le second suggère les notions opposées. Or la Chine est [19] soumise au régime des moussons, et le printemps s'y annonce par les vents tièdes et humides du sud-est, l'automne par les vents froids et secs du nord-ouest. « Est » est donc synonyme de « printemps », comme « ouest » l'est d' « automne » ; dans le système de correspondances cosmiques dont les Chinois étaient friands, le printemps se classe avec l'est et avec l'élément du bois, l'automne avec l'ouest et l'élément du métal. Dans le ts'eu de Li Yu, qui a été cité plus haut, il est question d'un pavillon de l'ouest et non de l'est : c'est qu'il s'agit d'un poème d'automne et de mélancolie ; l'ouest était d'autre part, dans l'antiquité, la partie de la maison réservée à la femme, laquelle relève du yin, principe d'ombre et d'humidité ; la mention, dans un tel contexte, d'un pavillon de l'est produirait sur le lecteur chinois l'effet d'une fausse note.
Innombrables sont les clichés plus ou moins euphémiques qui se rapportent aux choses de l'amour. L'expression « les fleurs en buée » (yen-houa) est une de celles qui évoquent l'atmosphère du printemps, avec ses effluves vaporeux qu'apporte la mousson maritime :
Dans le léger brouillard sur l'eau mêlé de fleurs, comme dit Claudel paraphrasant Li Po (ci-dessus,p.13). La buée est yin ; les fleurs, en poésie, ce sont les femmes ; yen-houa suggère une ambiance de fête qu'égaient des courtisanes, et finira par signifier un lieu de débauche. Dans le quatrain d'adieu de Li Po, il se peut qu'à l'emploi de cette expression ne soit pas étrangère la vision de la vie de plaisir qui attend son ami à la préfecture de Yang. Lorsqu'un poète parle du « vent printanier » il sous-entend un souffle de sensualité ; « le vent et la lune », c'est-à-dire le vent du printemps et le clair de lune de la mi-automne, si beau à l'équinoxe dans les pays de mousson où l'on célèbre des fêtes pour en jouir, est une autre expression qui a subi la même déviation sémantique ; de même «le nuage et la pluie », plus réaliste, et qui fait allusion à un mythe érotique de l'antiquité. Le « nuage blanc », à la dérive dans le ciel, implique au contraire un sentiment d'exil et de dépaysement. « La lune dans l'eau », reflet insaisissable, est une image bouddhique de l'illusion universelle ; la fleur de lotus, dont les racines trempent dans la vase, mais qui élève sur la surface de l'eau sa grande corolle immaculée, c'est, dans le bouddhisme aussi, la pureté transcendante du saint ; Judith Gautier, dans son Livre de jade, commet un contresens lorsqu'elle nous montre un poète adressant une déclaration d'amour à un lotus. Les oies sauvages, auxquelles on confiait naguère des messages comme à nos pigeons voyageurs, s'associaient à l'idée de la séparation qui est un des thèmes constants de la poésie chinoise, thème lié à l'immensité du territoire et aux expéditions militaires lointaines, et auquel s'apparente celui du retour au pays natal, qu'il s'agisse du soldat licencié ou du fonctionnaire retraité, enfin rendus à la paix champêtre. Tels sont quelques-uns des idiotismes du langage poétique chinois, sans parler des [20] doubles sens allégoriques selon lesquels, par exemple, une femme abandonnée devient un vassal ou un fonctionnaire méconnu par son prince ; c'est à de tels doubles sens moralisants que nous devons la conservation de tant de pièces d'inspiration plus ou moins populaire et qui comptent parmi les joyaux de la poésie chinoise, tels les Airs des seigneuries qui ouvrent le Canon des Poèmes (Che-king) et la présente anthologie.
Il faut souligner qu'en Chine la poésie, art qui plonge dans le subconscient, est toujours restée plus proche que la prose de la spontanéité populaire, et cela tant par les sujets dont elle traite que par sa langue elle-même ; les vulgarismes abondent jusque chez les poètes les plus châtiés de l'époque des T'ang. Les lettrés mandarins trouvent dans la poésie un moyen de revenir à la nature sans mauvaise conscience ; ils y célèbrent les vacances du ritualisme et de l'intellectualité. De là le thème si fréquent du retour à la campagne, à la terre natale où reposent les ancêtres et où le haut dignitaire en retraite remise sa robe de cour pour revêtir le manteau de paille du paysan et entonner des airs rustiques. Toute l'histoire de la poésie chinoise est une suite de recours aux sources populaires, en particulier dans le domaine des formes qu'on voit se renouveler périodiquement par ce moyen. Les Airs des seigneuries passent pour être des chansons recueillies par l'administration des Tcheou, avec leurs « airs » musicaux, dans les différentes principautés ou seigneuries de la Chine féodale, en vue de renseigner la cour royale sur l'opinion publique, les moeurs locales, l' « air » politique et moral qu'on respirait dans le peuple ; l'idée que le tao s'exprime par la voix du peuple, resté plus près de la nature, est très ancienne en Chine, et plus d'un empereur ou d'une impératrice a dû ou a su tenir compte des chansons satiriques, ritournelles plus ou moins prophétiques, slogans rimés à base de jeux de mots, qui n'ont jamais cessé de courir dans le peuple. Les chansons du Che-king, bien entendu, avaient été mises en forme dans le dialecte de la cour par des scribes qui ne tardèrent pas, en outre, à leur appliquer une interprétation allégorisante et didactique : c'était la mainmise de la classe lettrée et gouvernante sur l'art du peuple, accaparé à des fins politiques.
Lorsqu'après la chute de la féodalité antique l'empire des Han veut se constituer une musique et une poésie de cour, on le voit recourir au même procédé et faire recueillir par son Conservatoire de Musique (yue-fou) le folklore régional qui allait inspirer tout un genre littéraire au cours des premiers siècles de notre ère. Sous les Six Dynasties, la Chine du Nord est envahie par les barbares et les dynasties nationales légitimes se réfugient dans le bassin du Fleuve Bleu, à Nankin, où pendant deux siècles et demi (317-589) elles se perpétuent dans l'attente trompeuse d'une restauration. […]
MONTÉE AU PAVILLON DES CIGOGNES Le soleil blanc vers les monts penche et disparaît ; Le Fleuve Jaune à l'océan court se jeter. Si tu veux d'un coup d'oeil embrasser mille stades, Monte encore un étage.
Wang Tche-houan a vécu au milieu du Ville siècle. Il faisait partie d'un célèbre groupe de poètes, qui comprenait notamment Wang Tch'ang-ling.
Le Pavillon des Cigognes (Kouan-ts'iue leou), situé dans le sud-est du Chan-si, au coude du Fleuve jaune, a été souvent célébré par les poètes des T'ang pour la beauté de son panorama.
Teng kouan ts'iue leou : Pai je yi chan tsin, houang ho jou hai lieou...
Tr. Tch'eng Ki-hien. Rv. Diény. [255]
INSCRIPTION POUR LE CHALET DE TS'OUEI L'ERMITE Le sentier aux simples, couvert de mousse rouge, La fenêtre en montagne, emplie d'azur léger... Ami, je vous envie votre vin, sous les fleurs, Et tous ces papillons qui volent dans vos rêves.
Ts'ien K'i (Ts'ien Tchong-wen) est un poète du VIIIe siècle, docteur en 752 L'un des « dix génies » de l'ère Ta-li (766-799).
Ce gracieux compliment, à l'adresse d'un hôte de montagne, se conforme aux règles du quatrain dit « vers interrompus » : un croquis rapide suivi d'un « envoi » (cf. Kia Tao, « Pour l'ermitage de Li Ning », p. 313). Les motifs du sentier moussu (cf. Kia Tao, même texte), de la fenêtre lumineuse (cf. Yang Sou, « Au Président Siue », p. 195 ), des fleurs et du vin (cf. Li Po, « Libation solitaire au clair de lune », p. 226 ), appartiennent à la tradition. L'image délicate du dernier vers est plus originale, avec son rappel du fameux rêve de Tchouang-tseu. Les « simples » rappellent les expériences diététiques des taoïstes solitaires.
T'i ts'ouei yi jen chan t'ing : Yao king chen hong t'ai, chan tch'ouang man ts'ouei Tr. Tch'eng Ki-hien. Rv. Diény.
À QUI JE PENSE C'est le printemps, mais pour qui reverdir, Saules penchés au bord de la rivière ? Hélas ! aux lieux qu'hier j'ai parcourus, Je ne vois plus les mêmes gens qu'hier. En circulant dans l'immense cité, Les cavaliers soulèvent la poussière. Je ne dis point qu'ils me sont inconnus ; Mais à mon coeur aucun d'entre eux n'est cher.
Yeou so sseu : Tsie wen t'i chang lieou, ts'ing ts'ing wei chouei tch'ouen… Tr. Royère, loc. Cit. [280]
EN PASSANT AU MONT LANG-YE Sur la route, au portail rocheux, il n'est pas une trace ; Un flot d'encens vient, dans la brume, emplir le val aux pins. Les mets qui restent dans la cour attirent les oiseaux ; Aux arbres pendent des haillons : le moine s'est éteint.
T'ong yue lang ye chen : Che men yeou siue wou hing tsi, song ho ning yen man tchong hiang...
Tr. Royère, loc. Cit ; [281]
LES ROCHERS DE LA MONTAGNE Dans la montagne aux rocs enchevêtrés, vagues sont les sentiers ; Au monastère où j'arrive à la nuit, les chauves-souris volent. Je monte à la salle, je m'assieds sur les marches. La pluie vient de cesser ; Les palmes des bananiers s'étalent, et les gardénias sont en fleur. Le moine me dit la beauté des fresques bouddhiques sur les vieux murs ; Quand le feu vient les éclairer, ce que j'en vois est sans pareil. Il dresse le lit, balaie la natte, dispose la soupe et le riz ; Bien que rustique, la nourriture suffit à me rassasier. La nuit s'avance ; je m'étends dans le calme ; les insectes se taisent ; La lune limpide franchit la crête, et sa clarté passe ma porte. A l'aube, tout seul je m'en vais. Pas de chemins : Je vais, je viens, je monte et je descends ; je m'enfonce dans le brouillard. Rouges les monts, verts les torrents, tout brille de mille feux ; Des pins, des chênes, que dix bras ne pourraient ceinturer... A même le torrent, pieds nus, je foule les cailloux ; Les eaux grondent, ma robe s'agite dans le vent. Voilà le genre de vie où l'homme trouve joie ; Pourquoi se laisser brider comme un cheval au mors ? Ah ! que ne pouvons-nous, à deux ou trois amis de mêmes sentiments, Ne plus quitter ces lieux jusqu'à nos derniers jours !
Han Yu (Han T'ouei-tche, Han Tch'ang-li, 768-824), après avoir obtenu difficilement un poste à la capitale, se fit exiler pour l'audace de ses critiques. Pardonné, il récidive bientôt ; il suscite la colère de l'empereur en attaquant violemment le bouddhisme. Exilé dans le Kouang-tong, sa santé ne résiste pas à l'épreuve. En littérature, Han Yu est surtout célèbre comme réformateur de la prose chinoise, qu'il voulait ramener à la simplicité et au naturel de l'antiquité. Dans l'histoire religieuse de la Chine, il annonce la réaction confucianiste des temps modernes, contre le bouddhisme qui avait dominé le Moyen Age. Mais ce poème montre qu'il savait apprécier les charmes de la vie bouddhique.
Chan che : Chan che lo k'iue hing king wei, houang houen tao sseu pien fou Tr. Tchang Fou-jouei. Rv. Hervouet. [289]
SOUVENIR DE MIN—TCH'E,
EN RÉPONSE À UN POÈME DE TSEU—YEOU 1
Notre vie ici-bas, à quoi ressemble-t-elle ?
A un vol d'oies qui, venant à poser leurs pattes sur la neige,
Parfois y laissent l'empreinte de leurs griffes.
L'oie envolée part-elle vers l'Est, vers l'Ouest ?
Le vieux moine n'est plus ; un pagodon neuf se dresse 2.
Sur le mur abîmé, plus rien ne se voit de notre inscription...
Te souvient-il des épreuves que nous rencontrâmes alors ?
La route était longue, nous étions épuisés ; et mon âne boitillant ne cessait de braire 3.
Sou Che adresse ces vers à son frère Sou Tchei ( Sou Tseu-yeou, 1039-1112), poète, lui aussi.
1. En 1061, au onzième mois, Sou Che et son frère Sou Tchô (Sou Tseu-yeou) passèrent à Min-tch'e au Ho-nan, où antérieurement ils avaient passé la nuit dans un monastère bouddhique et avaient inscrit des vers sur le mur d'un vieux moine. Mais celui-ci, lors du second voyage, n'était plus en vie. — 2. Le stûpa funéraire du moine. — 3. Sou Che rapporte que, lors du premier voyage, son cheval vint à mourir et qu'il dut le remplacer par un âne.
Ho tseu yeou min tch'e houai kieou : len cheng tao tch'ou tche ho sseu, k'ia sseu fei t'a siue ni… Tr. Bourgeois. Rv. M. Kaltenmark.[351]
NOCTURNE EN BARQUE Une brise susurre, légère, dans les joncs ; J'ouvre la porte : c'est une pluie de lune qui inonde le lac 1. Les bateliers et les oiseaux des eaux rêvent ensemble ; De grands poissons s'enfuient tels des renards agiles. En cette nuit profonde où hommes et choses s'ignorent, Seuls mon corps et mon ombre ensemble jouent. La houle nocturne dessine comme des vers de terre sur les berges ; La lune qui tombe s'accroche aux saules comme une araignée suspendue. En cette vie qui se hâte, au milieu des tracas du monde, Une image éthérée passe parfois ainsi devant nos yeux, mais combien fugitive ! Le chant du coq soudain, le son d'une cloche au loin : les oiseaux se dispersent; J'entends les tambours des pêcheurs qui s'interpellent pour le retour.
1. Le bruit de la brise lui avait fait croire qu'il pleuvait.
Tcheou tchong ye tso : Wei fong siao siao tch'ouei kou p'ou, k'ai men k'an yue yu man hou...Tr. Bourgeois. Rv. M. Kaltenmark.[352]
Anthologie de la poésie japonaise classique
TRADUCTION PRÉFACE ET COMMENTAIRES DE C. RENONDEAU GALLIMARD 1971
* La princesse Asuka était fille de l’empereur Tenchi.
Son mari était le prince Osakabe, fils de l’empereur Temmu.
Elle mourut en 700.
Sur la rivière Asuka Au nom qui évoque un oiseau en vol A un gué de l'amont On a posé des pierres pour passer, A un gué de l'aval On a jeté des rondins de bois, Les belles algues Qui ondulent Au passage de pierres Repoussent si on les coupe, Les algues de rivière Qui croissent dru Au pont de bois Repoussent après s'être desséchées. Oh! Pourquoi, Ma princesse, Pourquoi oubliez-vous Au matin Et désertez-vous Au soir le palais De l'époux parfait Sur qui vous vous appuyiez Comme une algue ondulante Quand vous étiez debout, Comme une souple algue de rivière Quand vous étiez étendue à son côté ? Lorsque vous étiez En ce monde, Au printemps Vous piquiez des fleurs dans vos cheveux [...] [28]
[Ce poète qui vécut au début du mile siècle avait été un fonctionnaire d'un rang assez élevé. Il se fit moine en 721.]
A quoi comparer Notre vie en ce monde ? A la barque partie De bon matin Et qui ne laisse pas de sillage. (Man. III; 351.) [32]
[LE PREMIER PAUVRE]
Dans la nuit où la pluie tombe
Mêlée au vent,
Dans la nuit où la neige tombe
Mêlée à la pluie,
Il fait un froid
Contre lequel on ne peut rien.
Je mâche à petits coups
Un morceau de sel dur
Je bois à petites gorgées
De la lie de saké dans l'eau tiède.
Tout en soufflant
Et reniflant
Je caresse une barbe
Rare.
Je puis bien me vanter
Qu'en dehors de moi
Il n'est homme qui vaille...
Mais il fait si froid
Que je tire sur ma tête
Ma couverture de chanvre.
J'y ajoute
Autant que j'en possède
Mes vêtements de toile sans manches.
Mais la nuit est vraiment froide...
De ceux plus pauvres encore
Que je ne suis
Le père et la mère
Sans doute ont faim et se gèlent.
La femme et les enfants
Sans doute gémissent d'une faible voix.
En pareille circonstance
Comment t'y prends-tu
Pour mener ta vie ?
[...][49]§
Faisant le tour de l’île, Une fleur j'ai vue sur le rivage, Même si le vent souffle, Si la vague me menace, Avant de l'avoir cueillie je n'aurai de cesse. (Man. VII; 1117.) [62]
Personnage dont la biographie est obscure.
Peut-être s'agit-il d'un homme qui fut gouverneur
d'Owari en 741 et de Sanuki en 743.
Dans la nuit où solitaire Je songe avec mélancolie Le coucou Passe en criant, Il semble qu'il ait lui aussi un coeur. (Man. VIII; 1475.) [65]
Pour rentrer au port, Ma barque, fendant les roseaux Rencontre maints obstacles Mais, d'arriver bientôt à vous Ne croyez pas qu'ils m'empêcheront I (Man. XII; 2998.) [79] A Mi Yoshino Dans le fracas des cascades Tombent les vagues blanches Ah qu'à mon aimée Demeurée à la maison Montrer voudrais ces blanches vagues ! (Man. XII; 3233.) [79] Sur le rivage de Nagato (Qui évoque un écheveau suspendu A la corbeille D'une fille*) Dans le calme du matin Monte la marée, Dans le calme du soir Accourent les vagues. Comme le flot Qui ne cesse de monter Comme les vagues Qui gagnent, gagnent, Rempli d'amour pour ma mie Je m'approche. Sur la plage rocheuse De la mer d'Alto, Ramassant des algues, Les pêcheuses Ont à leur cou Des foulards qui brillent au soleil. [...] [79]
*jeu de mot en japonais
Notre corps est une poussière Qui sans demeure fixe S'en va dans le vent. Quelle direction prendra-t-il ? Il ne paraît pas le savoir. (Kok. XVIII; 989.) [113]
(Mort en 907)
La blanche rosée N'a qu'une couleur ; Comment Teint-elle de mille nuances Les feuilles d'automne ? (Kok. V; 257.) [I29]
Actif dans les dernières années du IXe siècle et les premières années du Xe, il avait beaucoup subi l'influence de la poésie chinoise.
N'était le chant Que lance dans la vallée Le rossignol, Qui donc saurait Que le printemps est arrivé ? (Kok. I; 14.) Plus vite qu'on ne voit Se disperser sous le vent Les feuilles d'érable Passe, éphémère, La vie de l'homme. (Kok. XVI; 859.) [132]
Fils de Munehari et petit-fils de Nariltira.
Actif dans let dernières années du IXe siècle et au début du Xe.
L'année courait encore Que le printemps est venu. De cette année Faut-il dire : l'an passé ? Faut-il dire : l'an nouveau ? (Kok. I; 1.) Au printemps le brouillard s'élève Sur la montagne Lointaine Mais le vent qui en souffle Apporte le parfum de ses fleurs. (Kok. II; 103.) [138]
Adressé à un ami qui partait pour les provinces de l'Est :
A mon grand regret Je ne puis me partager en deux Mais, invisible, Mon coeur vous suivra En tous lieux. (Kok. VIII; 373) [147]
993-1045, Fils de KINTÔ
[Paysage à l'aube]
Au point du jour Sur la rivière d'Uji le brouillard Peu à peu se déchire Et découvre les pieux Des claies de pêche sur les bas-fonds. (Senzaishû VI; 419.) [163]
(Mort en 1165)
Avant le jour
J'ai été réveillé sur ma couche
Par un bruit.
C'était la clôture de bambou
Qui se brisait sous le poids de la neige.
(Shin Kok. VI; 667.)
[170]
(1155-1216)
[Hiver]
Je ne t'oublierai pas ! M'avait-elle assuré En me disant adieu, pourtant Depuis cette nuit-là, seule la lune Suivant son cours, est revenue. (Shin Kok. XIV ; 1277.) [182]
(Mort en 1221 A l’âge de 52 ans)
Sur les montagnes de Yoshino* Souffle le vent d'automne, La nuit s'avance. Dans le vieux village** il fait froid, On entend le bruit des battoirs sur les étoffes***. (Shin Kok. V; 483.)
*Yoshino avait été résidence impériale.
**Expression convenue pour désigner le village natal ou un lieu où l'on a longtemps vécu et, ici, par extension, le lieu de l'ancienne résidence impériale.
***On bat les étoffes avec des maillets sur des billots pour les assouplir.
(Fin du XIIe, Début du XIIIe Siècle)
[Éloge de la lune]
Après avoir avec peine Émergé de la montagne Pour luire entre les pins Elle doit faire de grands efforts La lune de l'aube. (Shin Kok. XVI; 1520 ou 1522.) [192]
(1473-1549)
Tombée de la branche Une fleur y est retournée : C'était un papillon! (Miyamori, 3.) [218]
La cascade est limpide. Dans les vagues immaculées Luit la lune d'été. Réveille-toi, réveille-toi, Tu seras mon ami, Papillon qui dors. (Bashô kushû, 80.) [222]
(1571-1653)
Quand elle fond, La glace avec l'eau Se raccommode. (Miyamori, 7.)
(1647-1732)
Ses enfants vont l'attendre, Tant l'alouette Monte haut! (Kinze haiku shû, 436; Miyamori, 223.) J'y suis résolu : Je vais de ce pas m'enrhumer Pour voir la neige. (Miyamori, 225.)
(1757-1831)
Le voleur M'a tout emporté, sauf La lune qui était à ma fenêtre, (Miyamori, 632.)
[1320-1376]
En ouverture à l’anthologie anglaise « Poems from Korea » infra . Source : « Koreana », hiver 1997.
Le monde n’est pas notre oeuvre : Inutile d’en chercher la raison. Il n’est de vérité qu’en moi, que dans mon coeur. Quand j’ai soif, je prépare du thé, Quand la fatigue me prend, Je me réfugie dans le sommeil.
POEMS FROM KOREA
FROM THE EARLIEST ERA TO THE PRESENT
Compiled and translated by PETER H. LEE
London GEORGE ALLEN & UNWIN LTD
Ruskin House Museum Street
First published in Great Britain in 1974
[917-973]
The contents of the poems are as follows: 1) the worship and venera-tion of Buddha; 2) the praise of Tathâgata; 3) the search for and offer-ings to Buddha; 4) repentance of sins and retribution in this life for the sins of a previous existence; 5) rejoicing in the welfare of others and in the reward of virtue; 6) the entreaty for the turning of the wheel of Law; 7) the entreaty for the coming of Buddha among the living; 8) the constant following of the way of Buddha; 9) the constant har-mony with the living; 10) dedication of one's merits for the salvation of all living beings; 11) conclusion.
ELEVEN DEVOTIONAL FORMS
I bow today before the Buddha, Whom I draw with the mind's brush. O this body and mind of mine, Strive to reach the end of ends. He who is in every atom, He Who presides over the four corners, He Who overwhelms the world like the sea; Would that I could always serve Him. Idle body, mouth, mind, Approach Him, be with Him, unimpeded. [43]
As water and ice are of the same staff, Illusion and enlightenment are one. Our Master defies both You and Me, He and we the living are one. Were we able to study His merits, Were we able to master His ways, Then would we obliterate self and other-self, Then rejoice in the bliss of others. Were we to follow in His footsteps, How could the jealous mind be aroused ? [44-45]
The "Song of the Gong" is an anonymous hymn which sings of an unbroken line of kings and prays that the lives of kings be coeval with heaven and earth. The poem offers a series of impossibilities, and then claims that if these are ever resoived, as the refrain states, then only—not before—do we part from the virtuous lord, our King.
SONG OF THE GONG The King reigns; ring the gong. In this age, calm and lucky, Let us, let us live and love. In a sand dune, fine and plain, Let us plant roasted chestnuts, five pints. When the chestnuts shoot and sprout, Then we'll part from the virtuous lord. Let us carve a lotus out of jade, And graft the lotus in the stone. When it blossoms in the coldest day, Then we'll part from the virtuous lord. Let us make an iron suit of armor, Stitch the pleats with iron thread. When it has been worn and is spoilt, Then we'll part from the virtuous lord. Let us make an iron ox, and put him To graze among the iron trees. When he has grazed all the iron grass, Then we'll part from the virtuous lord. Were the pearls to fall on the rock, Would the thread be broken? If I parted from you for a thousand years, Would my heart be changed? [59-60]
[c. 1401-1410]
He became a chinsa ("Doctor in Letters") in the early part of the four-teenth century, but soon left the capital and lived hidden in the country, because the royal court was upset with political upheavals toward the end of the Koryô dynasty.
Rise and fall is a destiny turning;
The palace site is overgrown with weeds.
Only a shepherd's innocent pipe
Echoes the royal works of five hundred years.
Stranger, keep back your tears
In the setting sun.
[71]
[…] In the autumn of 1573 she accompanied Ch'oe Kyông-ch'ang (15391583), a noted poet of the day, on his official mission to the north. When, in 1574, Ch'oe had to retum to the capital, she sent him the following poem of farewell.
I send you branches of the willow— Plant them, my Lord, to be admired, Outside your bedroom window. Perhaps the night rain will make them bud: Think, then, that it is I Who have come to be with you.
They say dream visits are "only a dream." My longing to see him is destroying me. Where else do I see him but in dreams? Darling, corne to me even if it be in dreams : let me see you, let me see you time and time again.
[1537-1594]
Poet, politician, and musician, Chông became a chinsa in 1561. He had a turbulent political career and became Second State Counselor in the reign of King Sônjo. His lite was thorny due to party strife, and he had to suffer many exiles. He died on Kanghwa Island on Feb-ruary 7, 1594. The Pine River Anthology, a collection of his kasa and sijo, contains seventy-four shorter poems and five long poems. He was subtle in weaving words together and relied for effect on a cunning juxtaposition which "gave back a familiar word as new."
A dash of rain upon the delicate Lotus leaves. But the leaves Remain unmarked, no matter How bard the raindrops beat. Mind, be like the lotus leaves, Unstained by the mad world. [87, 90]
[1566-1629]
He was Commanding General of the Army in the time of King Injo, and subjugated the Jurchen. He also suppressed the rebellion of a gen-eral and won a victory in 1624. Only the following poem survives.
Scared by wind and storm, A boatman bought a horse. But he found the winding paths More tortuous than a heavy sea. "Henceforth, no ship, no horse, From now on I'll follow the plow." [121]
[1587-1671]
Without exception, he is the greatest poet in the sijo form and also in the Korean language. A chinsa of 1612, he did not take office because of the unsavory political situation under Tyrant Kwanghaegun. In 1616, despite his father's advice, he sent in a memorial criticizing the maladministration of the corrupt minister. The script was intercepted, and as a result his father was robbed of his position as governor, and the poet was transported to Kyi5ngwôn. There he wrote his earliest poems.
This marked the beginning of his thorny and turbulent political life that consisted of exile, recall, and retreat. In 1623, upon enthrone-ment of King Injo, he was released. In 1628 he passed another exami-nation and was appointed Tutor to the Heir Apparent (later Hyo-jong, 1619-1650-1659).
[...]
The following series of poems, entitled "Dispelling Gloom," was written in Kyôngwôn during his first banishment. They are the earliest poems of his that we know; nevertheless, they sing with an
125
intensity of their own, and the native reader can anticipate in them the greatest Korean poetic genius. The young poet expresses his pure longing for the king and for his parents, and declares that his sins were nothing but expressions of his loyalty and love. In the poem, "After the Rain," the poet echoes a famous Chinese poem, tradition-ally attributed to Ch'ü Yüan, a loyal minister of the state of Ch'u who suffered the same predicament, in which a fisherman satirizes Ch'ü Yüan with the words : "When the Ts'ang-lang's waters are clear, I can wash my hat strings in them; when the Ts'ang-lang's waters are muddy, I can wash my feet in them." The meaning is that one should seek office at court when times are favorable and should retire when the times are troubled.
1618 Whether sad or joyful, Whether right or wrong, order and polish Only my duty and the Way. As for other matters, I’ll not split hairs. I know it: sometimes I've been Absurd, sometimes I've Missed the mark. A Foolish mind, you say. Yet I desired always Only to honor thee, great King. Beware The slanderous tongues of Fools with more cunning. (...) [126]
Close the brushwood door; winds are neighing. Blow out the candies; night is deepening. Let's prop on the pillows, Let's sleep out the night. Don't wake me until the sky Is full of the dawn.
How many friends have I? Count them: Water and stone, pine and bamboo— The rising moon on the east mountain, Welcome, it too is my friend. What need is there, I say, To have more friends than five? They say clouds are fine; I mean the color. But, alas, they often darken. They say winds are clear; I mean the sound. But, alas, they often cease to blow. It is only the water, then, That is perpetual and good. [129]
[1890-1957]
The greatest historian of modem day, Ch'oe edited Korean classics and standard histories of Korea. One of the thirty-three patriots, he signed the "Declaration of Independence," which he wrote himself. He is the pioneer of free verse in Korea.
FROM THE SEA TO CHILDREN The sea—a soaring mountain— Lashes and crushes mighty cliffs of rock. Those flimsy things, what are they to me? "Know ye my power?" The sea lashes Threateningly, it breaks, it crushes. No fear assaults, no terror Masters me. Earth's power and pride Are tedious toys to me. All that the earth Imagines mighty is to me no more Than a mere feather floating by. Who has not bowed his head Before my sovereignty, let him tome forth. Princes of earth, challenge me if you will. First Emperor, Napoleon, are you my adversary? Corne, corne then, compete with me. Perched on a small hill or possessed Of an islet or a patch of land, Thinking that you alone reign supreme In that kingdom small as a grain, Approach me, coward, gaze on me. Only the arching vault of sky, my kin, Can equal me, only the vast sky, Whose bright image my waters beat. Free from sin, free from stain It ignores earth's little multitudes. [161]
LE CLODO DU DHARMA
25 POEMES DE HAN- SHAN
présentés par Jacques PIMPANEAU
CALLIGRAPHIES DE LI KWOK-WING
UNIVERSITE PARIS VII
CENTRE DE PUBLICATION ASIE ORIENTALE
1975
[Exceptionnellement je donne la quasi intégralité de ce fascicule de grand format devenu introuvable - dont la variété des traductions mises côte à côte me fait regretter de n’avoir pas poursuivi au-delà d’une introduction à la langue chinoise classique]
Han-shan était un poète chinois qui vécut probablement au VIIe siècle. Son nom est associé au bouddhisme chan (zen en japonais). 311 poèmes lui sont attribués. Devenu un personnage de légende, souvent représenté dépenaillé et hilare en compagnie de son ami Shi-de, il fut en quelque sorte le hippy de son époque ; reconnu comme tel aujourd'hui il est devenu l'un des étendards d'une autre façon de vivre.
Arthur Waley, le grand traducteur anglais, l'introduit dans le monde anglo-saxon en publiant 27 de ses poèmes dans le numéro de septembre 1954 de la revue Encounter. Puis Gary Snyder, un des poètes de la « beat generation » qui avait étudié le chinois à Berkeley, s'intéressa à Han-shan après avoir vu une peinture japonaise dans une exposition. Il traduit 24 poèmes qui seront publiés dans le numéro d'août 1956 de la revue littéraire de San Francisco Evergreen Review (note:)1. Burton Watson, professeur à l'Université de Columbia, après avoir étudié les commentaires et les éditions japonaises, en particulier celle de Iriya Yoshitaka, donna cent poèmes en traduction anglaise dans un recueil intitulé Cold Mountain, 100 poems by the T'ang poet Han-shan. 2.
Jack Kerouac, qui a donné voix au hippy, libre, vagabond, à la recherche du monde des ailleurs, dégagé des objets et du train-train de la vie petite bourgeoise, consacra tout un livre, les Clodos du Dharma, 3, à son amitié avec Snyder, le traducteur de Han-shan ; il y montre Snyder, appelé ici Japhy, en train d'essayer plusieurs façons de traduire (pp. 18-21 de l'édition Panther Books). L'ouvrage tout entier est dédié à Han-shan, qui est aussi mentionné dans d'autres oeuvres de Kerouac, et c'est pour cela que le présent volume lui est en retour dédié.
Les ouvrages d'Alan Watts et de Suzuki ont intéressé au zen une bonne partie de « l'avant-garde » américaine. Cette rencontre n'était pas un hasard : hors de la mauvaise mayonnaise en boîte de la civilisation chrétienne et de la technologie industrielle il était inévitable que les enfants perdus de Wall-Street ou du Middle-West cherchent à retrouver une certaine liberté « naturelle », à tordre le cou à la logique et à son rendement pour échapper à ses limites. Le zen avait eu le même but. Et les hippies ont fait scandale comme Han-shan avait pu le faire à son époque. Fous d'une sainteté qui se passe de toute théologie, solitaires, étrangers au monde, Han-shan et son compagnon Shi-de rejoignent à des siècles de distance certains héros de Kerouac ou de Hermann Hesse. [7]
Mais qui était Han-shan ? Personne peut-être, simplement un recueil de poèmes ayant une même inspiration, mais datant d'époques différentes 4. Wu Chi-yu croit l'avoir identifié : il s'agirait du bonze Zhi-yan qui, avant sa conversion, était officier dans l'armée du fondateur de la dynastie Tang, Li Shi-min 5. Mais Han-shan semble résister aux historiens et préférer rester un personnage mystérieux sur qui l'imagination peut vagabonder.
Han-shan signifie Montagne-Froide ; il s'agit d'une des montagnes de la chaîne du Tian-tai, située sur la côte sud-est de la Chine, dans la province du Zhejiang, au sud de Hangzhou. Il prit le nom de la montagne où il s'était installé un ermitage. Il fréquentait le monastère voisin, où son ami Shi-de travaillait aux cuisines et lui gardait les restes. Au cours de ses visites, il déambulait dans les couloirs en criant et en riant tout seul. Quand les bonzes se moquaient de lui, il battait des mains et partait de grands éclats de rire. Habillé de haillons avec un chapeau en écorce et des sandales à semelle de bois, il allait bavarder avec les gardiens de buffles dans les champs. Un jour, un fonctionnaire vint lui rendre visite, car un bonze assez original lui avait signalé Han-shan et son ami Shi-de en disant qu'ils étaient les réincarnations de deux bodhisattvas, Manjusri et Samantabhadra : « Quand vous le voyez, vous ne le reconnaissez pas, quand vous le reconnaissez, vous ne le voyez pas. Si vous voulez le voir, vous ne pouvez vous fier aux apparences. Alors vous pouvez le voir. » Mais Han-shan et Shi-de se sauvèrent à son arrivée et traitèrent de voleurs les serviteurs envoyés à leur suite pour leur apporter des cadeaux. Ce fonctionnaire eut la bonne idée de faire réunir les poèmes inscrits sur des bambous, des arbres, des murs, des pierres, des falaises et d'en faire un volume. Telle serait l'origine de la poésie de Han-shan, si la préface du recueil n'est pas elle aussi une légende.
Deux anecdotes citées par Wu Chi-yu donnent le ton des histoires imaginées sur le personnage :
« Shi-de un jour balayait le sol quand l'abbé du monastère passant par-là l'interrogea :
« On vous appelle le Trouvé parce que Feng-gan vous a recueilli. Mais quel est votre vrai nom et où viviez-vous ? »
Shi-de posa son balai et resta les mains croisées. Quand l'abbé renouvela sa question, il reprit son balai et recommença à balayer. En voyant cela, Han-shan se battit la poitrine et répéta :
« Ciel ! Ciel ! »
— Pourquoi fais-tu cela ? demanda Shi-de surpris.
— Ne sais-tu pas, répondit-il, que quand un homme meurt dans la maison de l'est, les voisins de la maison de l'ouest doivent montrer leur sympathie en se lamentant ! »
Tous deux éclatèrent de rire, dansèrent, crièrent et s'en allèrent. »
La deuxième histoire raconte comment un maître zen ayant rencontré Han-shan et Shi-de leur dit ce qu'il pense d'eux :
« Il y a longtemps que j'ai entendu parler de vous, mais maintenant je m'aperçois que vous n'êtes rien d'autre que deux buffles. »
Alors Han-shan et Shi-de firent semblant de se battre comme deux buffles. Le maître leur cria après, et ils grincèrent des dents en réponse.
Un autre jour, ils demandèrent au maître ce qu'il venait de faire. Il répondit qu'il avait prié les cinq cents arhats. « Les cinq cents têtes de buffles », corrigèrent-ils aussitôt.
« Pourquoi cinq cents têtes de buffles ?
— Ciel ! s'écria Han-shan et le maître leur répondit par un grand rire. » [9]
Han-shan et Shi-de sont devenus des immortels du panthéon chinois ; et certains les identifièrent aux Deux Saints de l'Harmonie, que l'on représente sous les traits de deux garçonnets en train de jouer. Avec leur mine hilare et leur air dépenaillé, ils ont inspiré de nombreux peintres chinois et japonais, en particulier Liang Kai (mue siècle), dont le style est aussi libre que l'allure de ses personnages.
Pourtant en Chine même, Han-shan n'a jamais connu le succès qu'il a maintenant auprès de la jeunesse américaine. S'il est mentionné dans les Nouvelles Annales des Tang et s'il fut apprécié jusqu'au XIe siècle, il fut pratiquement ignoré du mie au XVIIe siècle. Il figure dans deux grandes compilations littéraires du XVIIIe siècle, les Poèmes complets des Tang (1707) et Tous les livres des Quatre Réserves (1782). Entre les deux guerres mondiales, il y eut un court regain d'intérêt en sa faveur : Hu Shi le mentionne parmi les trois poètes du début de l'époque Tang qui ont utilisé la langue parlée vulgaire, et ses oeuvres ont été republiées en 1929 (note:) 6.
Par contre au Japon, où la poésie religieuse, surtout d'inspiration zen a eu une importance inconnue en, Chine, les oeuvres de Han-shan ont été périodiquement rééditées. La Bibliothèque impériale conserve la plus ancienne édition connue de ses poèmes, datée de 1189. Le romancier Mori Ogai, qui fut un des artisans de la littérature japonaise moderne, a écrit une de ses meilleures nouvelles sur la vie de Han-shan
Pour un Occidental, Han-shan introduit les paysages chinois et avec eux une vision nouvelle sur l'univers comme une autre façon de vivre. La culture qui le nourrit est différente, mais il en fut assez indépendant pour ne pas nous être étranger. Il a inventé une pensée qui échappe à la logique, aux règles, et il a poursuivi cette recherche jusqu'à ses limites. La philosophie taoïste de Lao-zi et Zhuang-zi aussi bien que le bouddhisme zen ne lui ont été qu'une aide, comme la drogue ou l'alcool peuvent l'être pour d'autres. Il n'a jamais accepté d'être bonze ou de se soumettre à la cloche du monastère. Fou de liberté, il a entamé un travail intérieur dans la solitude sans se laisser tenter par les ornières des religions ou des philosophies établies. Il a voulu se dégager jusqu'au bout du monde ou, pour reprendre son expression bouddhiste, de la poussière rouge.
Avec lui la poésie reprend alors son sens. Ce n'est plus un exercice esthétique, mais le seul langage assez dégagé de la logique pour donner un équivalent de ce que la raison ne peut atteindre. L'objectif et le subjectif ne font enfin plus qu'un : Montagne-Froide c'est en même temps son nom et celui de la montagne où il vivait ; « assis » c'est à la fois le terme bouddhiste pour indiquer l'état de méditation et l'action physique de s'asseoir ; le paysage c'est aussi la pensée ; et la prosodie comme les images, malgré leurs limitations essaient d'exprimer cette union du moi et de l'univers.
Li Kwok-wing est un calligraphe qui vit à Hong Kong, où il est né en 1929 ; il y enseigne la peinture au Grantham College of Education. Héritier d'une extraordinaire collection de peintures anciennes et modernes réunie depuis trois générations, il a commencé par s'intéresser aux techniques picturales occidentales, en particulier à la peinture à l'huile. Il a fait ainsi une première série de tableaux, dont la poésie et l'imagination auraient pu en faire de merveilleuses illustrations de livres pour enfants. Ils ont été exposés à Londres en 1959, à l'Institut d'Art Contemporain et tous vendus. Frappé par ce succès, Li Kwok-wing a décidé de refuser la facilité et de ne plus jamais refaire de peintures occidentales. Depuis il se consacre entièrement à la calligraphie chinoise. Là les règles sont trop strictes, l'ascèse trop nécessaire pour permettre des effets. Les vingt-cinq calligraphies présentées ici montrent les différents styles « d'écriture », mais elles ont une unité fondamentale puisqu'il s'agit à chaque fois d'un poème de Han-shan.
[… suite omise ] Juin 1974 J. P.
(Notes:) 1 à 6
1. La traduction de Snyder est reprise dans Riprap and Cold Mountain, San Francisco, Four Season Foundation, 1965, & Londres, Mandarin Books ; et dans Anthology of Chinese Literature, edited by Cyril Birch, Grove Press, New York, 1965, & Penguin Classics, Londres, 1967, pp. 211-220.
2. Grove Press, New York, 1962.
3. The Dharma Bums, André Deutsch, Londres, 1959, Panther Books, Londres, 1972 ; traduction française : les Clochards célestes, N. R. F., Paris 1963.
4. Communication du Professeur Pulleyblank au Congrès des Orientalistes de juillet 1973
5. Wu Chi-yu, « A study of Han-shan », T'oung Pao, vol. 45, Livres 4-5, 1957, pp. 392450. Article où sont réunies de nombreuses légendes sur Han-shan et la traduction d'un choix de
poèmes.
6. Références dans : Zhong Ling, « la Position de Han-shan dans le monde littéraire oriental et occidental », préface en chinois à une édition de la traduction de B. Waston avec texte chinois, Taipei.
7. Œuvres complètes de la littérature japonaise moderne, vol. 7, p. 259.
[Cette introduction avec notes est suivie d’un choix de poèmes:]
B. Watson
A thatched hut is a home for a country man;
Horse or cardage seldom pass my gate:
Forests so still all the birds corne to roost
Broad valley streams always full of fish.
I pick wild fruit in hand with my child,
Till the hillside fields with my wife.
And in my house what do I have ?
Only a bed piled high with books.
Wu Chi yu
Country-folk in thatched cottages,
Before the door carnages and horses are rarely seen.
Birds seem to like to gather in gloomy woods;
Fish choose a wild stream in which to hide.
I bring my children to pluck the fruit of the mountain.
I plough the high fields with my wife.
What do I have at home
Except a mere couchful of books.
A. Waley
I have thatched my rafters and a peasant hut ;
Horse and carnage seldom come to my gate-
Deep in the woods where birds love to forgather,
By a broad stream, the home of many fish.
The mountain fruits child in hand I pluck;
My paddy field along with my wife I hoe.
And what have I got inside my house?
Nothing at ail but one stand of books.
B. Chin
Chaumière de gens de campagne
Charettes et chevaux passent rarement devant ma porte
Bois serein où les oiseaux aiment se rassembler
Large torrent où les poissons vont se cacher
Fruits de la montagne qu'avec mon fils je cueille
Champs qu'avec ma femme je laboure
Et qu'y a-t-il dans ma maison ?
Sinon un simple lit couvert de livres.
J. Chiffert
Une chaumière pour tout gîte
Des équipages, peu s'y risquent
Le bois est calme, les oiseaux y nichent
La rivière large, les poissons s'y cachent
Ces fruits sauvages, mon fils et moi nous les cueillons
Sur les hauteurs, ma femme et moi nous travaillons
Ma maison, qu'y trouve-t-on'?
Sinon des livres pour tout lit.
Wu Chi-yu
Riding my horse by a ruined town,
was touched by its vanished past.
High and low are the parapets,
Large and small are the ancient graves.
The drifting shadow belongs to a solitary pêng
Long moans come from the graveyard trees.
It is a pity that our flesh is too mundane
To be immortalized as in the Taoist annals.
B. Watson
I spur my horse past the ruined city;
The ruined city, that wakes the traveller's thoughts:
Ancient battlements, high and low;
Old grave mounds, great and small.
Where the shadow of a single tumbleweed trembles
And the voice of the great trees cling forever,
sigh over all these common bones-
No roll of the immortals bears their names.
G. Snyder
I spur my horse through the wrecked town,
The wrecked town sinks my spirit.
High, low, old parapet-walls
Big, small, the aging tombs.
I waggle my shadow, all alone;
Not even the crack of a shrinking coffin is heard.
I pity all these ordinary bones,
In the books of the immortals they are nameless.
D. Roussel
Je pousse mon cheval dans la ville morte
Et la ville morte m'invite à rêver.
Dans le dédale des créneaux emmêlés,
Vieux mausolées, modestes tombes,
Une ombre, solitaire et fugitive, passe.
Le vieil arbre pousse sa plainte lugubre
Et je me mets à penser à ces os,
Legs pourrissant des temps oubliés.
M.-C. Pilière
Au galop mon cheval passe la ville morte,
La ville morte en moi suscite mille songes
Droits, effondrés, murs d'une ancienne place forte
Fières, humbles tombes, le temps des cimetières vous ronge
Seule la pâle ombre d'une ronce s'agite
La plainte des vieux bois se fige pour toujours
Face aux communs sépulcres, je soupire et médite
Livre des immortels à leur nom tu es sourd.
B. Watson
I climb the road to Cold Mountain,
The road to Cold Mountain that never ends.
The valleys are long and strewn with stones;
The streams broad and baked with thick grass.
The moss is slippery, though no rain has fallen ;
Pines sigh, but it is not the wind.
Who can break from the snares of the world
And sit with me among the white clouds?
G. Snyder
Clambering up the Cold Mountain path,
The Cold Mountain trail goes on and on:
The long gorge choked with scree and boulders,
The wide creek, the mist-blurred grass.
The moss is slippery, though there's been no rain
The pine sings, but there's no wind.
Who can leap the world ties
And sit with me among the white clouds?
A. Waley
I make my way up the Cold Mountain path;
The way up seems never to end.
The valley so long and the ground so stony;
The stream so broad and the bush so tangled and thick.
The moss is slippery, rain or no rain;
The pine-trees sing even when no wind blows.
Who can bring himself to transcend the bonds of the world
And sit with me among the white clouds?
F. Combrisson
Je grimpe le sentier qui me mène à Han-shan,
Le chemin de Han-shan qui jamais ne finit,
Les longues gorges pleines de rochers et de pierres,
Où les bords des torrents sont couverts d'herbe grasse.
La mousse est très glissante : il n'a pas plu pourtant.
Les longs pins soupirent : pas un souffle de vent.
Qui voudraient bien du monde arracher tous ses liens
Pour s'asseoir près de moi dans les nuages blancs ?
C. Illouz et P. Octo
Grimpant le chemin de Han-shan
Le chemin infini de Han-shan
Les longues vallées jonchées d'éboulis
Les larges torrents voilés par les herbes
La mousse glissante sans qu'il ait plu
Les pins sussurant sans que le vent souffle
Qui saura se défaire des rêts de ce monde
Et s'asseoir avec moi sur le nuage blanc
It's so quiet in the ruins walking through the old town
Stones crumbling under my feet I see smoke for miles around
Oh it's enough to make you weep, all that remains of the main street
Up in the park on Sunday, dogs chasing and the children played
Old man with his head down, can't see nothing more around; no
Ah But it's all changed winter turned on man
Came down one day when no-one was looking and it
Stole away the land, people running scared, losing hands
Dodging shadows of falling land, buildings standing like empty shells.
...You came back here to find your home is a black horizon
That you don't recognize, evil destruction has taken everything
You'd better walk on the side while you're still walking
Just keep on walking on down the street, keep your distance
From the people you meet…
Blue bird on a rock, slow wind blowing soft
Across the base face of the sleeping lake
Rise up and be free, voice whispered to me
And in this way you will awake
Go climb up on a hill, stand perfectly still
And silently soak up the day
Don't rush and don't you roam, don't feel so alone
And in this way you will awake
Miles from nowhere, guess I will take my time,
oh yeah, to reach there. Look up at the
mountain I have to climb, oh yeah, to reach there.
Lord my body has been a good friend, but I won't
need it when I reach the end. Miles from nowhere,
guess I will take my time, oh yeah, to reach there.
I creep through the valleys, and I grope
through the woods, 'cause I know when I find it,
my honey, it's gonna make me feel good. Yes, 1
love everything, so don't it make you feel sad,
‘cause I'll drink to you, my baby
think to that, I'll think to that.
Miles from nowhere, not a soul in sight,
oh yeah, but it's allright. I have my freedom,
I can make my own rules, oh yeah, the ones that I choose.
Lord my body has been a good friend,
but I won't need it when I reach the end.
I love everything, so don't it make you feel sad,
'cause I'll drink to you my baby. I think to that,
yes I'll think to that, I'll think to that.
Miles from nowhere, guess I’ll take my time,
oh yeah, to reach there.
[allégé des caractères chinois !]
[Mot à mot suivi de la traduction proposée:]
Désirer obtenir tranquille corps endroit
Froide montagne pouvoir longtemps garder
Léger vent souffler retirés pins
Proche entendre son encore-plus bon
Dessous y-avoir grisonnant homme
Marmonner lire Huang Lao
Dix ans revenir ne-pas obtenir
Oublier venir moment voie
Je désirais obtenir un endroit pour reposer mon corps Froide Montagne peut vous garder longtemps Un léger vent souffle dans les pins retirés Quand on l'écoute de près le son est encore meilleur Dessous il y a un homme aux cheveux grisonnants Qui en marmonnant lit le Livre de l'Empereur Jaune et celui de Lao-zi Au bout de dix ans je ne peux plus revenir J'ai oublié le chemin de quand je suis venu.
Moi cœur semblable-à automne lune
Vert lac brillant immaculé pur
Ne-pas-y-avoir être pouvoir comparaison
Enseigner moi comment dire
Mon coeur est comme la lune d'automne Brillant pur et immaculé sur un lac jaspé Rien ne peut servir d'objet de comparaison Enseignez-moi comment le dire.
[20]
Avancer cheval traverser à-l'abandon ville
A-l'abandon ville émouvoir visiteur sentiments
Haut bas anciens créneaux
Grand petit vieux tombés
De-lui-même s'agiter solitaire conysa ombres
Longtemps se-solidifier bois-de-cimetière son
Ce-sur-quoi soupirer tous communs ossements
Immortels histoire encore-plus ne-pas-avoir nom.
Avançant à cheval, je traverse la ville abandonnée La ville abandonnée émeut les sentiments du visiteur Les anciens créneaux hauts et bas Les vieilles tombes grandes et petites D'elle-même s'agite l'ombre du conysa solitaire Depuis longtemps s'est solidifié le son des arbres du cimetière Ce sur quoi je soupire ce sont tous les ossements communs Les histoires des immortels n'ont pas leur nom.
[22]
Risible froide montagne voie
Et ne-pas-avoir chars chevaux empreintes
Reliés torrents difficile retenir méandres
Accumulés pics ne-pas savoir succession
Pleurer rosée mille sortes herbes
Murmurer vent une-seule espèce pins
Ce moment égare sentier endroit
Forme interroger ombre quoi à-partir-de
La voie de Montagne Froide est risible Et il n'y a pas trace de chars ou chevaux Les torrents reliés entre eux il est difficile de retenir leurs méandres Les pics accumulés on ne sait pas combien de fois répétés La rosée qui pleure sur mille sortes de plantes Le vent qui murmure dans les pins à l'unisson En ce moment quelque part ayant perdu le sentier Ma forme interroge mon ombre : à partir d'où ?
Soi-même prendre-plaisir-à ordinaire vie voie
Brume armoise pierres grottes parmi
Sauvage sentiments beaucoup relâche large
Longtemps compagnon blancs nuages oisif
Y-avoir route ne-pas communiquer monde
Ne-pas-avoir coeur qui pouvoir attirer
Pierre lit solitaire nuit être-assis
Ronde lune monter froide montagne
Personnellement je prends plaisir à la voie d’une vie ordinaire Parmi l'armoise dans la brume et les grottes pierreuses Mes sentiments sauvages ô combien spontanés et à l’aise Avec longtemps comme compagnons les blancs nuages oisifs Il y a des routes mais elles ne communiquent pas avec le monde Sans passion qui pourrait m'attirer Sur un lit de pierres solitaire dam la nuit je suis assis La lune ronde monte sur la Montagne Froide.
Désoeuvré moi-même rendre-visite-à élevé bonze
Brume montagne dix-mille dix-mille couches
Maître en-personne montrer retour chemin
Lune être-suspendue une roue lanterne
Désoeuvré j'ai rendu visite à un bonze éminent La brume et les montagnes se succédaient en milliers de couches Le maître en personne m'a montré le chemin du retour : Une lune était suspendue, lanterne comme une roue.
[28]
Aujourd'hui falaise devant être-assis
Etre-assis longtemps brume nuages se-retirer
Une-seule voie clair cours-d'eau froid
Mille toises verts-de-jade monts têtes
Blancs nuages matin ombres tranquilles
Brillante lune nuit lumière flotter
Corps sur sans poussière saleté
Coeur milieu comment plus soucis
Aujourd'hui devant une falaise assis Après être assis longtemps brume et nuages se retirent Une seule voie : le cours d'eau clair froid A mille toises les sommets des monts verts Les ombres matinales des nuages blancs sont calmes La lumière nocturne de la lune brillante flotte Sur mon corps il n'y a ni poussière ni saleté Au milieu de mon corps comment y aurait-il encore des soucis ? (Au milieu de mon corps comment y a-t-il encore des soucis !)
[30]
Froide montagne nombreux retiré étrange
Ascensionner ceux-qui tous souvent avoir-peur
Lune éclairer eau claire-et-translucide
Vent souffler herbes bruit-du-vent
Fâné prunus neige faire fleurs
Dénudé bois nuages servir-de feuilles
Rencontrer pluie tourner frais animé
Ne-pas-être temps-clair ne-pas pouvoir traverser
Montagne Froide ô combien retirée et étrange Tous ceux qui l'ascensionnent ont souvent peur Quand la lune éclaire l'eau devient claire et translucide Quand le vent souffle les herbes font un bruissement Sur les prunus fanés la neige forme des fleurs Dans les branchages dénudés les nuages servent de feuilles Mais quand survient la pluie cela devient frais et animé S'il ne fait pas beau on ne peut pas traverser
[32]
Chaume poutre-faîtière sauvage homme habiter
Porte devant chars chevaux rares
Forêt retiré écarté se-rassembler oiseaux
Cours-d'eau-de-Montagne large fond se-cacher poissons
Montagne fruits emmener fils ramasser
Champ surélevé ensemble femme biner
Famille milieu quel il-y-a
Seulement avoir un lit livres
Sous toit de chaume homme de la campagne habiter Devant la porte chars et chevaux rares Dans la forêt retirée dans un coin se rassemblent les oiseaux Dans cours d'eau larges au fond se cachent les poissons Les fruits de la montagne emmenant mon fils je cueille Les champs en terrasse en compagnie de ma femme je bine Dans mon foyer qu'y a-t-il ? Seulement il y a un lit de livres.
[34]
Mille nuages dix-mille eaux parmi
Milieu y-avoir un oisif personnage
De jour se-promener vertes montagnes
Nuit revenir falaise sous dormir
Rapidement passer printemps automnes
Solitairement sans poussière impliqué
Joyeux ! quoi sur quoi s'appuyer
Calme comme automne fleuve eau
Parmi mille nuages et dix-mille eaux Au milieu il y a un personnage oisif En plein jour il se promène parmi les vertes montagnes La nuit il revient sous la falaise dormir Rapidement passent printemps et automnes Solitairement sans liens avec le monde de poussière Joyeux ! sur quoi m'appuyerais-ie ? Je suis calme comme l'eau du fleuve à l'automne
[36]
Humaine vie ne-pas remplir cent
Souvent contenir mille années chagrin
Soi-même corps maladie commencer aller
De-nouveau à-cause-de fils petit-fils se-faire-du-souci
En-bas contempler céréale racine terre
En-haut regarder mûrier arbre sommet
Balance tomber orientale mer
Arriver fond commencer savoir se-reposer
La vie humaine ne remplit pas cent ans Souvent elle contient mille années de chagrin Quand la maladie de son propre corps commence à aller mieux De nouveau à cause de son fils ou petit-fils on se fait du souci On baisse les yeux vers la terre (où poussent) les racines des céréales On lève le regard vers le sommet des arbres de mûrier Quand la balance tombera dans la Mer de Chine Et arrivera au fond vous commencerez à savoir vous reposer.
[38]
Avoir corps et ne-pas-avoir corps
Etre moi de-nouveau ne-pas-être moi
Ainsi interroger pensée compter
S'écouler-doucement appuyé-contre falaise assis
Pieds parmi vertes herbes pousser
Sommet-de-la-tête sur rouge poussière tomber
Déjà voir commun au-milieu-de hommes
Lit-de-mort déposer vin fruits
Ai-je un corps ou n'en ai-je pas Suis-je moi ou ne suis-je pas moi Ainsi ma pensée qui s'interroge suppute Le temps s'écoule doucement et je reste assis appuyé à la falaise Entre mes pieds les herbes vertes poussent Sur le sommet de ma tête la poussière rouge tombe J’ai déjà vu des hommes parmi le vulgaire Sur mon lit de mort déposer offrandes de vin et de fruits.
[40]
Se-souvenir autrefois rencontrer endroits
Hommes parmi successivement célèbres parcourir
Prendre-plaisir-à montagnes ascensionner dix-mille toises
Aimer eau flotter mille bateaux
Accompagner invités luth vallée
Tenir cythare perroquets île
Comment savoir pin arbre sous
Enlacer genoux froid bruit-du-vent-cinglant
Je me souviens des endroits que j'ai rencontrés autrefois Parmi les humains j'ai successivement parcouru les lieux célèbres Prenant plaisir aux montagnes j'ai escaladé dix-mille toises Aimant l'eau j'ai flotté sur mille bateaux J'ai accompagné des visiteurs à la vallée du Luth Je tenais ma cythare à l'île des Perroquets Comment aurais-je su que sous un pin En enlaçant mes genoux j'aurais froid dans le vent cinglant.
[42]
Moment hommes chercher nuages route
Nuages routes sans-ombre-ni-son sans trace
Montagnes hautes beaucoup dangereuses escarpées
Vallées larges peu-nombreux bruit-de-métal-ou-de-jade
Verts pics devant en-outre derrière
Blancs nuages ouest de-nouveau est
Désirer savoir nuages route endroit
Nuages route être-dans vide
Les hommes de notre époque cherchent la route des nuages La route des nuages est sombre et silencieuse sans trace Les hautes montagnes sont ô combien dangereusses et escarpées Dans les larges vallées rares sont les tintements Les verts pics sont devant comme derrière Les nuages blancs sont à l'ouest aussi bien qu'à l'est Désirez-vous savoir où se trouve la route des nuages La route des nuages est située dans le vide Souvent les hommes cherchent le chemin des nuages Le chemin des nuages est vaste profond sans traces les montagnes sont hautes et ont beaucoup d’escarpements dangereux […] Si cous désirez connaître la vacuité du chemin des nuages le chemin des nuages se trouve dans cette vacuité même. [ma transcription au crayon de ce poème préféré]
[44]
Champ famille éviter canicule mois
Boisseau vin ensemble qui prendre-plaisir
De toutes sortes et mélangés être-disposé montagne fruits
Séparés-les-uns-des-autres entourer vin récipient
Roseaux prendre remplacer natte
Bananier feuilles momentanément servir-de assiette
ivre après soutenir joue être-assis
Sumeru petit arquebuse boulette
Les foyers à la campagne évitent le mois caniculaire (J'ai) un boisseau de vin, avec qui en profiterai-je ? Des fruits de montagne de toutes sortes j'ai disposées Les uns à côté des autres des tasses à alcool j'ai alignées Des roseaux j'ai pris pour remplacer la natte Et des feuilles de bananier pour remplacer momentanément les assiettes Après l'ivresse en soutenant mes joues je suis assis Le mont Suméru est plus petit qu'une balle d'arquebuse.
[46]
Humaine vie être-dans poussière trouble
Juste comme cuvette milieu insecte
Toute-la-journée avancer tourner tourner
Ne-pas quitter sa cuvette milieu
Immortels ne-pas pouvoir obtenir
Soucis plans sans épuisé
Années mois comme courante eau
En-un-instant être vieillard
La vie humaine est située dans le trouble de la poussière Juste comme un insecte au milieu d'une cuvette Toute la journée il avance en tournant en tournant Il ne quitte pas le milieu de la cuvette Ses soucis et ses plans sont inépuisables Tandis que années et mois sont comme l'eau courante En un instant il devient un vieillard.
[48]
Vous regarder feuilles milieu fleurs
Pouvoir obtenir combien moments bon
Aujourd'hui jour craindre homme tirer
Demain matin attendre quelqu'un balayer
Qui-attire-la-sympathie charme éclat sentiments
Années beaucoup tourner devenir vieux
Prendre monde comparer à fleurs
Rouge couleur comment longtemps garder.
Vous regardez les fleurs au milieu des feuilles Elles peuvent obtenir combien de temps bon Aujourd'hui elles craignent qu'une personne les cueille Demain matin elles attendront que quelqu'un les balaie Attachants, les élans du coeur pleins de fraîcheur et de charme Après plusieurs années se transforment en vieillesse Si l'on compare le monde aux fleurs L'éclat rouge comment longtemps le préserver.
[50]
Pécher fleurs désirer passer été
Vent lune presser ne-pas attendre
Rendre-visite chercher Han époque homme
Pouvoir ne-pas-avoir un seul exister
Matin après matin fleurs mouvoir tomber
Année après année hommes se-déplacer changer
Aujourd'hui soulever poussière endroit
Autrefois époque être grande mer
Les fleurs de pêcher désirent passer l'été Mais le vent et les lunaisons les pressent et n'attendent pas Bien que vous cherchiez les hommes de l'époque Han Il ne peut pas y en avoir un seul qui soit là Matin après matin les fleurs se fanent et tombent Année après année les hommes sont emportés et passent Aujourd'hui à l'endroit où la poussière se soulève A une époque antérieure c'était une grande mer
[52]
Elevé élevé mont sommet sur
De-tous côtés considérer extrémité sans limite
Seul assis sans homme savoir
Solitaire lune éclairer froide source
Source milieu momentanément sans lune
Lune elle-même être-dans bleu ciel
Wurmurer ce un mélodie chant
Chant finalement ne-pas être zen
Haut haut sur le sommet du mont De tous côtés je regarde l'extrémité sans limite Seul assis personne ne le sait La lune solitaire éclaire le source froide Au milieu de la source pour le moment il n'y a pas de lune La lune elle-même est dans le ciel bleu Je récite en murmurant ce chant mélodique Ce chant finalement n'est pas zen.
[54]
Désirer vers est falaise aller
A aujourd'hui ne-pas-avoir compter années
Hier venir escalader plantes-grimpantes sur
Moitié route pénible vent brume
Chemin étroit habits difficile entrer
Mousse coller chaussures ne-pas complet
S'arrêter maintenant rouge cannelier sous
Pour-le-moment oreiller blancs nuages dormir
Depuis que je désirais aller vers la falaise de l'est Jusqu'à aujourd'hui je n'ai pas compté les années Hier je suis venu escaladant et m'aidant aux lianes A mi-chemin le vent et la brume sont devenu pénibles Dans le sentier étroit avec mes habits il était difficile d'entrer La mousse collait et mes semelles de bois y restaient le moment avec comme oreiller les nuages blancs je dors.
[56]
Grimper froide montagne voie
Froide montagne route ne-pas épuisé
Torrents longs pierres accumulées
Cours-d'eau larges herbes gouttelettes
Mousse glissante ne-pas fermer pluie
Pins crier ne-pas utiliser vent
Qui pouvoir dépasser monde être-impliqué
Ensemble être-assis blancs nuages milieu
J'ascensionne la voie de Montagne Froide La route de Montagne Froide n'a pas de fin Dans les longs torrents les pierres accumulées Au bord des rivières larges l'herbe couverte de gouttelettes La mousse est glissante sans être enfermée dans la pluie Les pins crient sans avoir besoin du vent Qui peut dépasser les liens du monde Et s'asseoir avec moi au milieu des nuages blancs
[58]
Maison être-situé verte falaise sous
Cour herbes-sauvages plus ne-pas désherber
Nouveau rotin suspendre entourer
Anciennes pierres se-dresser abruptes falaises
Montagne fruits singes cueillir
Bassin poissons blanc héron prendre-dans-son-bec
Immortels livres un deux volumes
Arbre sous lire marmonner
Ma maison est située sous une verte falaise Les herbes folles de la cour ne sont plus désherbées Le rotin nouveau se suspend et entoure Les anciennes pierres des falaises abruptes se dressent Les fruits de la montagne les singes les cueillent Les poissons dans le bassin un héron blanc les prend dans son bec Avec des livres sur les immortels un volume ou deux Sous un arbre je lis en marmonnant.
[60]
Couche (sur) couche montagnes eau saillant
Brouillard nuages-roses enfermer vert-irise fin
Vapeur-d'eau caresser gaze coiffe mouiller
Rosée humidifier cape de pluie en herbes
Pied piétiner pélerin chaussure
Main tenir vieux rotin branche
Encore contempler poussière monde extérieur
Rêve domaine de-nouveau quoi faire
Etage sur étage de montagnes et d'eaux merveilleuses La brume et les nuages rosés du couchant enferment la finesse de leur vert-irisé La vapeur d'eau caresse ma coiffe de gaze et la mouille La rosée humidifie ma cape de pluie en végétaux Mes pieds chaussent mes sandales à semelle de bois de pèlerin Ma main tient une vieille branche de rotin Je regarde encore le monde de poussière qui est au dehors Mais le domaine du rêve que me ferait-il encore ?
[62]
Les monts Tian-tai pas besoin d'en dire plus Les singes crient torrents froids dans la brume La couleur des monts se relie à ma porte en herbe Je cueille des feuilles et recouvre ma pièce en bois de pin Je creuse un bassin et y amène une source par un cours d'un Déjà de bon coeur j'ai cessé toutes les choses du monde Je cueille des fougères pour passer les années qui me restent
[64]
Oiseaux langage sentiments ne-pas pouvoir-supporter
Ce moment se-coucher herbe chaumière
Cerises rouges brillant et lumineux
Saules droits laineux
Levant soleil tenir-sa-bouche bleu-verts pics
Clairs nuages se-laver vert étang
Qui savoir sortir-de poussière commun
Avancer monter froide montagne sud
Le langage des oiseaux mes sentiments ne peuvent le supporter En ce moment je suis couché dans ma hutte d'herbe Les cerises sont d'un rouge brillant et lumineux Les saules sont droits avec des chatons laineux Le soleil levant est retenu entre les mâchoire des pics bleu-verts Les nuages clairs se lavent dans les lacs verts Qui sait que je suis sorti du monde de poussière Et que je m'avance en montant le flanc sud de Montagne Froide ?
[66]
édités par Jean-Pierre Diény
Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres
L'Asiathèque
1984
Quatrième de couvertur
Au cours de ses lectures, Paul Demiéville avait recueilli bon nombre des stances qu'il est d'usage en Chine d'écrire ou de réciter à l'article de la mort. En Europe on parle des «mots de la fin », dont on a fait des recueils. Mais en Chine les lettrés recourent si naturellement à l'expression poétique que c'est en «vers de la fin» qu'ils adressent à leurs enfants ou à leurs disciples une sorte de testament moral. Les moines bouddhistes ont adopté cet usage qui a fini par s'institutionnaliser dans l'école du Tch'an (Zen). Les traductions rassemblées dans ce livre, le dernier auquel ait travaillé son auteur, sont léguées au public français comme «l'adieu au monde» d'un maître des études chinoises.
Une ville de mille mois, cela est en principe difficile à mener à terme ; La raison naturelle veut que les trois temps facilement s'écoulent. La flamme de la pierre à feu est sans durée; La lumière de l'éclair ne brille pas longtemps. Vains sont ces textes que je laisse à pleins paniers, Ils ne font que brouiller ma naissance à venir. Voici que s'assombrit la route vers les Sources; Voici pur et glacé le tumulus transi. Avec chaque matin la rosée s'évapore ; Il n'y a plus que dans la nuit le bruit des pins.
v. 1 « Mille mois » (var. « mille automnes »): quatre-vingt-huit ans.
v. 2 « Les trois temps »: le temps sous ses trois formes, passée, pr »sente, future. Peut aussi désigner les trois saisons de l'anné eindienne.
v. 7 « Les Sources »: les « Sources jaunes », l'outre-monde souterrain.
v. 10 « Le bruit des pins » ou « du pin.»: c'est l'arbre qu'on plantait volontiers sur les tombes.
[v. 5] Particulièrement émouvant et humain est le troisième distique, dans lequel il proclama la vanité des travaux littéraires et érudits qui avaient occupés sa vie, comme il est arrivé à tant d’autres grands écrivains, notamment à saint Thomas d’Aquin [...]
17-18
Nom de religion d'un fonctionnaire des Souei (589-618) puis des T'ang (618 sq.), nommé Tcheng T'ing, originaire de Ying-yang dans le Ho-nan actuel, et qui abandonna son poste pour aller courir les séances de prédication bouddhique, finissant par se raser les cheveux, revêtir le kâsâya et prendre en main le khakkara pour aller proclamer à la porte du palais impérial qu'il était sorti de la famille.
Il fut condamné à la décapitation, déclarant lorsqu'on le lui annonça que « son voeu était accompli ». En se rendant au supplice, il s'inclinait dans les dix directions en récitant un texte de Prajñâ , et demanda un pinceau pour écrire ce quatrain (pentasyllabique, rimant en -en):
Illusoire la naissance, illusoire la mort.
Mais la grande illusion ne survit pas au corps.
Il y a une idée où s'apaise l'esprit :
Si vous cherchez un homme, aucun homme n'existe !
25
Compté comme le cinquième des six premiers patriarches de l'école du Tch'an en Chine, Hong-jen fut dès l'âge de sept ans l'élève du quatrième patriarche, Tao-sin (580-651); il devint le maître du sixième, Houei-neng (638-713), avec lequel commence la branche dite du Sud, et aussi de son concurrent Chen-sieou (f 706), de la secte du Nord. […] Plus curieux est le «mot de la fin» qu'il aurait adressé au moment de mourir, le 28 mars 674, à Hiüan-tsö, qui fut son disciple de 670 à 674 et composa vers 710 un recueil de biographies et de logia intitulé «Monographie des hommes et des doctrines de [l'école du Dhyâna qui s'inspire du Lankâ[vatâra] […] On y lit qu'au moment de mourir, le 28 mars 674, Hong-jen demanda à son futur biographe:
La connais-tu maintenant, ma pensée?
Le disciple se récusa.
Le patriarche, agitant alors la main dans les dix directions,
lui dit :
Tout cela un à un raconte la pensée dont je fais l'expérience
et il mourut.
[28-29]
Originaire du Kien-nan (région de Tch'eng-tou au Sseu-tch'ouan); s'installa lors de la proscription du bouddhisme en 845 au Tô-chan de Wou-ling, dans le Hou-nan ; appartient à la branche du Tch'an remontant au disciple de Houei-neng, Hing-sseu de Ts'ing-yuan (- 740). On le comparaitpour le maniement du bâton dans l'enseignement du Dhyâna à son contemporain Lin-tsi (866 ou 867) pour l'usage de l'éructation [cri]. Ces deux maîtres jouissaient alors d'une égale célébrité dans l'école du Tch'an.
Avant de mourir, le 25 décembre 865, il adressa ces mots de la fin (en prose) à ses disciples :
« A vouloir mettre la main sur le vide ou courir après l'écho, vous vous fatiguez l'esprit ! Une fois éveillé de rêve, il n'y a plus rien du tout à percevoir. »
[Autre traduction envisagée par l'auteur :]
« Vous vous apercevez qu'il n'y a plus rien du tout. »
36
Dans la conclusion des «Entretiens» (Yu-lou) de ce grand maître de la fin des T'ang (Taishô, no. 1985, p. 506c ; trad. Demiéville, Entretiens de Lin-tsi, 1972, p. 240), le récit de sa mort est précédé d'un bref dialogue avec un de ses disciples, auquel il confie sa succession par cette parole inimitable:
«Qui l'eût dit, que mon Trésor de l’Oeilde la Vraie Loi s'éteindrait avec cet âne aveugle !»
Tout Lin-tsi est dans ce mot ; s'il n'est pas authentique, rien ne l'est de ce qui nous est parvenu de ses logia. L'injure est le témoignage suprême de la confiance et de l'amour. Cependant dans deux éditions (Song et Yuan) de sa biographie telle qu'on la trouve dans le recueil des Song intitulé «Transmission de la lampe», qui date de 1004 (Taishô, no. 2076, XII, p. 291a), ce dialogue est suivi d'une gâthâ que Lin-tsi aurait prononcée avant de mourir; c'est là sans doute une variante, peut-être même postérieure à 1004, qui fut introduite à une époque où l'usage des «gâthâ léguées» était devenu un rite quasi impératif pour les maîtres de Dhyâna. Par son contenu comme par son style la stance reflète du reste assez sensiblement le Tch'an sophistiqué des Song.
Quelqu'un demande-t-il ce qu'il en est de suivre un cours d'eau sans arrêt, Répondez-lui qu'en vérité c'est là tout comme l'infini. Tant qu'il ne vous sera pas donné de vous départir des phénomènes et des mots, Hâtez-vous, chaque fois que vous l'aurez utilisé, d'aiguiser votre souffle-poit
v. 4 Un «souffle-poil» (tch'ouei-mao). une épée, si bien aiguisée qu'un poil soufflé sur son tranchant se coupe en deux.
37-38
Un des deux patriarches fondateurs de la secte dite Ts'ao-tong. Originaire de K'ouei-ki au Tchô-kiang, il finit ses jours au Tong-chan, du Kiang-si (non loin au sud-ouest de Nan-tch'ang), d'où son surnom usuel de Tong-chan [...] dernières paroles qu'il adressa à sa communauté avant de mourir le 23 avril 869, avec la stance qu'il laissa :
Si de tant d'apprentis, nombreux comme les grains de sable du Gange, pas un seul n'a réalisé l'éveil,
La faute en est à ce qu'ils l'ont cherché par la voie de la langue d'un autre.
Si l'on veut obtenir l'oubli des formes sensibles, toute trace étant effacée,
Qu'avec ardeur on fasse effort pour marcher dans le vide !
«Par la voie de la langue d'un autre»: le Tch'an condamne l'enseignement discursif d'un maître ou de la tradition ; c'est par soi-même et hors de toute parole que l'éveil doit être cherché.
Le texte ajoute qu'après avoir «révélé » cette stance, le maître se fit raser la tête, laver puis revêtir le corps, et qu'aux sons de la cloche il prit congé de sa communauté, pour accomplir la transformation, assis bien droit.
39-40
Disciple de Leang-kiai dit du Tong-chan, un des deux fondateurs de la secte Tch'an de Ts'ao-tong. Originaire de la région de Nan-tch'ang (au nord du Kiang-si actuel).
Ma route va hors des espaces azurés,
Tel un nuage blanc qui flâne sans lieu fixe.
Il y eut en ce monde un arbre sans racines,
Dont les feuilles jaunies reviennent dans le vent.
Lin-tsi, dans ses «Entretiens» (Taishô, no. 1985, p. 49b c; trad. Demiéville, p. 31), compare ce qu'il appelle «l'homme vrai sans situation », le saint désindividualisé, à un tronc sans racines.
44
Moine qui aurait résidé sur le mont Sseu-ming près de Ning-po au Tchô-kiang et serait mort sous les Leang Postérieurs, à la 3e lune de 916, assis bien droit sur un rocher du cloître oriental d'un des grands monastères de la capitale dynastique, Pien (K'ai-fong au Ho-nan). Avant sa «transformation », il aurait prononcé la gâthâ suivante (quatrain penta-syllabique non rimé ) :
Maitreya — le vrai Maitreya !
Il divise son corps en des mille et des cent fois cent mille.
De temps en temps il les fait apparaître aux gens soumis au temps ;
Les gens soumis au temps ne s'en aperçoivent pas.
Sous le nom de «Sac de toile » (Pou-tai), il passait pour une incarnation du messie Maitreya ; il est devenu une des figures les plus populaires de l'iconographie bouddhique dans le monde chinois, avec sa grosse panse, sa mine réjouie de goinfre bie nnourri et ses instrumetns de mendicité, d’où son nom « sac de toile ».
49
dont la biographie me reste inconnue, a vécu sans doute sous les Song du Sud, antérieurement à 1200, date à laquelle fut achevé par Tsong-hiao (1151-1214) le recueil de textes sur la Terre pure intitulé «Répertoire par genres de textes sur le Pays Bienheureux » (Sukhâvatî), Lo-pang wen-lei, quarante-six morceaux en prose et en vers, dont six gâthâ en vingt pièces hymniques ; cet ouvrage passa aussitôt au Japon, où il est cité par Shinran (1174-1268). L'« Eloge hymnique d'adieu au monde » de Jo-yu y est classé à la suite d'«Eloges hymniques de la Terre pure». L'auteur est qualifié de «prédicateur» (kiang-tchou).
Hymne d'adieu au monde
Lorsqu'on n'a point de home, où ferait-on retour ?
S'il est une route au bord des nues, qui vraiment la connaît ?
Tombant de la montagne à l'ouest, le clair de lune ondoie sur le torrent ;
La voici, l'heure où s'interrompt le rêve d'un gouffre aux immortels.
Le «retour », comme partout c'est la mort.
La «route au bord des nues »: celle de l'infini.
Le «gouffre aux immortels» doit être un trou d'eau sans fond,
inépuisable. Une pointe contre les taoïstes férus d'immortalité.
85-86
Moine de l'école du Tch'an, établi au Tchô-kiang (les monts King sont proches de Hang-tcheou), comme tant de maîtres de cette école sous les Song du Sud (1127-1276).
«Stance d'adieu au monde»
A quatre-vingt-cinq ans,
Je ne connais Buddha ni patriarches...
Et je m'en vais, les bras ballants,
Toute trace coupée, dans le grand vide !
« Les bras ballants »: attitude de promenade insouciante.
«Je ne connais Buddha ni patriarches»: c'est le boycottage des saints prôné par Lin-tsi.
89
Tch'ou-tsiun, moine Tch'an de la secte de Lin-tsi, appellation Ming-ki, était originaire du Tchô-kiang (de l'actueYin-hien , près de Ning-po), comme tant de moines chinois qui émigrèrent au Japon à l'époque mongole, et y introduisirent la dernière mode du Tch'an. Il y fut invité en 1330 et couvert d'honneurs tant à Kyôto qu'à Kamakura et ailleurs. Il mourut à Kyôto le 8 octobre 1336 ; ses ossements furent partagés entre les deux centres les plus importants de la secte de Lin-tsi (Rinzai-shû) au Japon, le Nanzen-ji de Kyôto et le Kenchô-ji de Kamakura. Il laissait cette gâthâ assez énigmatique :
Soixante-quinze années —
Un bout de fer brut...
La terre réduite en poudre,
L'espace mis en pièces !
Le « fer brut » est une image de la solidité, de la résistance. Il a résisté à une longue vie ; c'est pour voir l'univers s'écrouler dans la mort (?)
[NDE : ou bien : après soixante-quinze années, le fer brut rouillera... Comme tout le visible terrestre, comme la croyance d’être inscrit dans l’espace].
93
Je dois mon salut au maître-patriarche, qui m'a tiré de la rouge poussière ; L'arbre de fera ouvert ses fleurs, et alors j'ai vu le printemps. Cycle des transformations — transformations et transformations ; Roulement des naissances — naissances et renaissances. Qui veut savoir que ce qui est matière c'est encore le sans matière, Doit reconnaître que le sans forme n'est autre que le qui a forme. La matière, c'est le vide ; et le vide, c'est la matière ; Il faut discriminer vide et vide, et matière et matière.
La « rouge poussière » est celle du monde impur, aux couleurs vives, souillé de la poussière (sanscrit rajas) des objets des sens.
« L'arbre de fer » qui produit des fleurs est l'image du miracle bouddhique en vertu duquel la « substance » métaphysique produit des effets, des « fonctions » phénoménales. La matière phénoménale est désignée ici sous son nom bouddhique de «couleur » (sö), du sanscrit rûpa; «vide» (k'ong) traduit sûñya.
95
[En guise d'introduction, l'auteur [Paul Demiéville mis en forme par Jean-Pierre Diény] n'a rédigé que les lignes suivantes sur la fin de Lou Ki. Le poète, originaire du pays de Wou, s'était rallié aux Tsin en 289. Entré au service du prince de Tch'eng-tou, il participa à la campagne malheureuse lancée par celui-ci contre le prince de Tch'ang-cha. C'est à la suite de cette défaite qu'il fut mis à mort.]
[Troisième poème:]
Toutes ces collines, qu'elles sont hautes ! Et cachées parmi elles, les huttes sombres... Vaste est la terre jusqu'à ses quatre extrémités. La voûte céleste abrite le firmament d'azur. 5 Penché, je tendrai l'oreille au jaillissement des canaux souterrains. Et je contemplerai, couché, le plafond suspendu du ciel. Ô quel silence et quel désert dans ces vastes ténèbres ! Quand donc le grand soir pourrait-il redevenir matin? Lorsqu'un vivant s'en est allé, il y a une année pour le retour; 10 Mais pour moi, une fois parti, plus jamais de retour. Naguère j'habitais parmi le peuple des quatre clans; Maintenant j'ai pour voisines les âmes des morts par myriades. Naguère j'étais un corps haut de sept pieds ; Maintenant je suis devenu cendre et poussière. 15 A ma ceinture je portais l'or et le jade ; Je ne puis soulever maintenant fût-ce une plume d'oie. Ma chair copieuse sert à nourrir les fourmis ; Ma gracieuse carcasse est à jamais défunte. Les goules qui s'inviteront dans ma salle de longévité 20 N'y trouveront personne pour les traiter en hôtes. Fourmis, pourquoi m'en voulez-vous? Goules, vous suis-je apparenté ? Je me presse le coeur de la main, tant je souffre ; Ce sont des soupirs sans fin, sans personne pour m'épancher.
v. 1 D'après le commentaire, il ne s'agit pas ici de tertre funéraire,
mais de collines kang-fou. Les cimetières se trouvaient souvent sur des hauteurs, qui dans la Chine ancienne n'étaient guère cultivées.
v. 2 Ou « mystérieuses, obscures ». Il doit s'agir des cabanes qu'on élevait auprès des tombes.
v. 4 Le ciel et la terre sont symboliquement présents dans les quatre parois et le plafond de la tombe (souterraine).
v. 6 II s'agit du mort. Dans le tombeau monumental du Premier Empereur des Ts'in, près de Si-ngan, les cours d'eau terrestres et la mer étaient représentés par des machines de mercure, et en haut étaient figurés « tous les signes du ciel » (Che-ki, VI ; Chavannes, II, p. 194). J'ai traduit ici à la première personne, bien qu'elle ne soit pas spécifiée dans le texte ; elle l'est un peu plus bas, aux vers 10 et suivants. Le futur n'est naturellement pas non plus exprimé en chinois: peut-être le présent serait-il préférable ici, car ce n'est sans doute pas de l'auteur lui-même qu'il s'agit, mais de l'homme en général.
v. 7 Variante : dans les ténèbres de la fosse (k'ouang).
v. 11 Lettrés, agriculteurs, artisans, marchands.
v. 18 Variante : apparence, mine (tseu).
v. 19 D'après le commentaire, il s'agit du sanctuaire où la parenté présentait des offrandes à l'âme du mort.
124-128
Auto-doléance
I Depuis le jour où j'ai accédé aux lumineux appartements, Je n'ai pu m'acquitter de ma profonde gratitude. Pendant mes sept ou huit années au palais de la Porte longue, Jamais je n'ai revu le roi mon seigneur. II Le froid du printemps me pénètre les os de sa pureté glacée; Et me voici qui reste là, couchée tristement dans la chambre vide ; Ou bien, dans les rafales du vent, je m'en vais faire quelques pas dans la cour en bas... Sombres pensées, vaines doléances. III Tous les jours je suis là à aimer et à regretter ; Ce n'est pas souvent que je me vois appelée au service personnel; La beauté ne me sert qu'à me voir rejetée. Mince est le mandat de vie: à combien peut-on l'estimer ? IV La faveur du seigneur est bien lointaine en vérité; Les désirs de sa concubine restent irrésolus. N'a-t-elle pas à la maison des parents proches comme os et chair? Et surtout sa vieille mère, dans la salle du Nord... V Mais sur ce corps, point de plumes ni d'ailes: Qu'inventer pour pouvoir sortir hors des hauts murs? La nature innée et la vie sont assurément précieuses; Il est certes bien dur de devoir s'en séparer. VI. Je pends une pièce de soie à la poutre maîtresse vernie au vermillon; Mon foie et mes entrailles brûlent comme eau bouillante. Tout en tendant la nuque, je suis prise encore de regrets; C'est comme si avec un fil on me tirait les boyaux. VII Approchons avec fermeté le lieu de notre mort ; D'ici nous ferons retour au pays des ténèbres.
Il s'agit d'une concubine de l'empereur Yang des Souei, qui régna de 605 à 617 et jouit d'une fâcheuse réputation de « souverain de perdition », adonné au luxe, au gaspillage, à la débauche et à la cruauté.
[…]
Les femmes se comptaient par milliers et bien peu d’entre elles avaient accès au lit impérial. Tel était le cas de la dame Heou, qui finit par se pendre à une poutre faîtière, laissant dans un sachet attaché à son bras le poème ci-dessus […] [l’empereur] fit ensevelir la malheureusee femme en grande cérémonie. On mit le feu au fâcheux bâtiment qui aurait brûlé pendant plusierus jours.
166-168
Troisième fils de Siao Yen (464-549), le premier empereur de la dynastie des Leang, qui régna de 502 à 549 sous le titre ancestral d'empereur Wou (Leang Wou-ti) et se distingua par sa dévotion bouddhique effrénée. A sa mort, Siao Kang lui succéda sous le titre d'empereur Kien-wen (Leang Kien-wen-ti). Mais dès le ler octobre 551 il fut destitué par Heou King (502-552). Ce militaire originaire du Nord-Ouest avait d'abord servi les Wei du Nord (386-534) puis était passé au service des Leang, mais les avait trahis en s'emparant de leur capitale, Kien-k'ang (Nankin). Il avait laissé Leang Wou-ti mourir de faim et mis sur le trône des Leang Siao Kang, qu'il avait bientôt destitué et ravalé au rang de prince (ou roi, wang), puis mis en prison et fait exécuter le 15 novembre 551, après qu'on l'eut enivré en musique puis étouffé ivre-mort sous un sac de terre. Six de ses fils et une vingtaine de ses petits-fils furent mis à mort avec lui. Heou King prit alors le titre d'Empereur Han, mais pour être chassé l'année suivante et mis à mort au Tchô-kiang où il s'était sauvé (Leang-chou, IV, p. 108, Tseu-tche t'ong-kien, CLXIV, p. 5071 sq. de l'édition ponctuée de Pékin). Cette dernière source qui suit le Nan-che, VIII, p. 234, ajoute (p. 5073) que depuis qu'il était en prison Siao Kang n'avait plus d'assistants ni de papier, et qu'il mania lui-même le pinceau pour inscrire ses poèmes de mort sur les murs de la prison et les cloisons de bois de sa cellule. [...]
« deux pièces en (style de) perles enfilées ».
La première décrit les funérailles et la tombe ; la seconde traite de la mort.
I Brumes confuses, vapeurs éparses; Bruit du vent dans les pins et cyprès assombris... Sur la montagne obscure, les peupliers ont une allure antique. Sur la route en terrain inculte, profonde est la poussière jaune. II En fin de compte, nulle vie ne saurait durer mille mois; Pourquoi recourrait-on à l'or des neuf cinabres? K’iue-li a pour toujours disparu sous les herbes,- C'est en vain que l'azur du ciel illumine le coeur.
«Mille mois»: quatre-vingt-huit ans
Les «neuf cinabres» (kieou tan), ou drogues d'immortalité, liées aux neuf cieux, soit ceux des huit orients et du centre, servent à fabriquer de l'or.
«K'iue-li»: lieu d'origine de Confucius, où se trouve sa tombe.
160-163
Le poète Kiang Wei, originaire de K'ao-tch'eng dans la préfecture de Song )+1 au Ho-nan, vécut dans la période troublée des Cinq Dynasties. Il s'établit tout d'abord au Fou-kien, qui restait relativement en paix, puis à Nankin chez les T'ang du Sud, dont le dernier empereur Li Yu, qui régna de 961 à 975, apprécia son talent. Coupable d'arrogance et de mauvaises moeurs, il fut impliqué dans un complot et mis à mort par ordre de cet empereur; d'après une autre source, ce fut sous Yin-ti des Han Postérieurs, qui réguèrent à Pien, l’actuel K’ai-fong du Ho-nan, de 947 à 950.
À l'approche du supplice
Les tambours dans les rues pressent les passants qui se hâtent; Le soleil infléchi vers l'ouest s'apprête à décliner. Aux sources jaunes, il n'y a point d'auberge ; Cette nuit chez qui coucherai-je ?
Les tambours sont ceux des gardes de nuit, qui assuraient la police aux carrefours.
186-187
[Malade et se sentant mourir, Ts'ai Tchen dicta à son frère cadet le poème suivant.]
Rien de trop dans la vie; Mais rien non plus qui manque dans la mort. Il faut marcher avec le temps: Et voilà, c'est une autre aventure.
188
Célèbre héroïne de la révolution anti-mandchoue, fille aînée d'une famille de lettrés originaires de Chao-hing k ô e au Tchô-kiang, mais née à Amoy (Fou-kien) dont son grand-père était préfet. Elle reçut une éducation classique, épousa en 1896 le fils d'un riche marchand du Hou-nan qui l'emmena à Pékin, où elle fréquenta des cercles d'intellectuels réformistes et de féministes, en particulier la Société de Restauration, Kouang-fou houei. En 1904 elle quitte sa famille pour aller étudier au Japon, où elle fonde des groupes de radicaux et de progressistes féminines. En 1906 elle rentre définitivement en Chine, où elle prend à Chao-hing la direction d'une école normale dont elle fait un centre d'agitation. Avec un de ses cousins, elle prépare un soulèvement au Tchô-kiang et au Ngan-houei ; le cousin est exécuté, elle-même est faite prisonnière et décapitée, ayant refusé de se laisser extorquer des aveux. On rapporte qu'au moment de rédiger une déposition qui commençait par son nom Ts'ieou, qui signifie «l'automne », elle en avait fait le premier mot d'un vers resté fameux dans les annales de la révolution chinoise :
Pluie de l'automne. vent de l'automne — c'est le chagrin qui tue ! 198-199
TAO POETIQUE vrais poèmes du vide parfait
Poèmes traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET,
calligraphie de CHENG Winf fun
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940 France
1986
[Fin de l’introduction sans titre de l’ouvrage non paginé de nos deux anthjologistes :]
[…] “Pour le Ch'an, seul compte l'éveil à notre nature véritable, originelle, spontanée, identique à celle de l'univers. Cet éveil est accompagné d'une sensation intense de liberté et de compassion envers le monde. A travers nous, l'univers se contemple, se réfléchit (réfléchir, c'est refléter le monde). Expérience de l'éternité de l'instant présent, et de l'universalité de l'endroit où l'on se trouve (le temple). Le vide parfait, tel que l'a merveilleusement décrit Hui neng dans un sermon :
“« Vénérable auditoire, le vide contient le soleil, la lune, les étoiles, la grande terre, les montagnes, les rivières, les arbres, les herbes, les hommes bons, les hommes mauvais, les bonnes choses, les mauvaises choses, le paradis, l'enfer. Tous sont dans le vide. Le vide de la nature de de l'homme est de la même sorte. »
“L'instant signifie étymologiquement se tenir dans, être debout dans (racine sta-, être debout). C'est là, au coeur des circonstances telles qu'elles sont, que s'épanouit l'ex-stase, où individu et univers se réfléchissent. Debout dans le chemin où l'on marche, pas à pas, s'arrêtant pour contempler, repartant. C'est ce chemin, le plus souvent en montagne, que des mandarins, des moines et des ermites qui vécurent en Chine aux 8ème et 9ème siècles, ont décrit dans les poèmes qui suivent. Ils nous convient à suivre leurs pas et à partager leur extase.
“Moundarren, printemps 1986.”
“Sung Chih wen (656-712), un brillant mandarin qui, compromis dans un complot, fut exilé
la Crête des vautours, verte, haute, abrupte le Palais du dragon renferme la quiétude du pavillon on contemple le soleil qui se lève sur la mer immense le portall fait face à la marée du Chekiang les fleurs des canneliers dans la lune tombent un encens céleste flotte au delà des nuages je grimpe à des lianes, monte à la pagode, regarde au loin des rigoles en bois creusé, je cherche la source givre mince, les fleurs sont encore plus épanouies légère glace, les feuilles ne sont pas encore flétries depuis mon enfance je rêve de paysages lointains, merveilleux m'y confrontant je me nettoie des soucis et des clameurs bientôt je prendrai le chemin de la montagne T'ien t'ai je me vois déjà traversant le Pont en pierre
sommeil de printemps, je n'ai pas vu le jour se lever partout j'entends gazouiller les oiseaux toute la nuit, le bruit du vent et de la pluie les fleurs sont tombées, sait on combien ?
du temple de la montagne sonne la cloche, il fait déjà sombre au Pont des pêcheurs, à l'embarcadère on s'agite pour traverser, clameurs des gens longent le sable au bord, vers le village de la rivière je monte aussi sur ma barque, retourne à la Porte du cerf à la Porte du cerf, la lune claire perce la fumée des arbres bientôt j'arrive là où maître P'ang s'est retiré un rocher comme porte, le sentier dans les pins, toujours le silence seul un ermite, solitaire, va, vient
“Meng Hao jan convalescent, en visite au monastère de la Source du dragon, dédié aux maîtres Yi et Yip
midi, j'entends la cloche dans la montagne
je me lève marcher, que tristesse se dissipe
je vais dans la forêt, ramasse des champignons magiques
le val tourne, les lianes sont épaisses
sur un côté j'aperçois le monastère, il est ouvert
sous la longue veranda, les moines terminent leur repas
dans un ravin rocheux coule l'eau de neige
or scintillant, les mandarines sont givrées
le bâtiment dans les bambous, je pense à mes deux vieux amis
j'entre, m'y reposer, passer la journée
je pénètre dans une grotte, admire les stalactites
au bord de la falaise, on récolte du miel
au soleil du crépuscule je dis adieu aux maîtres
jusqu'au Torrent du tigre ils me raccompagnent
Wang Wei (701-761) mena la vie d'un disciple laïc du ch'an, ermite tant au milieu du monde de poussière (il exerça diverses fonctions officielles), que dans sa retraite de la rivière Wang. Dans sa demeure, une bouilloire pour le thé, un mortier pour piler le grain, une table pour les sutras, un lit de corde. Son expérience du ch'an s'exprima tant dans la musique, la peinture que la poésie.
ma villa dans la montagne Chung nan
au milieu de ma vie, je me suis épris du tao
sur mes vieux jours, j'habite dans la montagne du sud
l'envie me prend, je pars seul
choses merveilleuses, je suis seul pour en jouir
je marche jusque là où l'eau s'arrête
assis, je regarde les nuages s'élever
par hasard je rencontre un vieillard de la forêt
nous parlons, nous rions, oubliant le retour
réponse à Chang le magistrat
sur mes vieux jours, je n'aime que la quiétude
les dix mille choses ne m'encombrent plus le coeur
je me retrouve sans projet durable,
je sais seulement que je retourne dans la forêt ancienne
le vent souffle dans les pins, dénoue ma ceinture
la lune de la montagne m'éclaire, je joue du ch'in
tu me demandes la vérité ultime
le chant du pêcheur s'éloigne, le long de la rive
[162] la nuit à la fenêtre
notre nature propre possède naturellement la lumière
quand voiles et obstacles se lèvent le tao spontanément s’accomplit
mes mains fauchent les roseaux pour le chaume de ma maison à plusieurs solives
je déracine des légumes pour préparer un bol de potage
le ciel et l'homme vainquent en alternance, qui peut prédire?
malheur et bonheur ne durent pas, inutile de s'y arrêter
à mon coeur seul je puis sans réserve me fier
la nuit à la fenêtre, les mains dans les manches, j'écoute le bruit des pins
chanson du vieillard sur la rivière
sur la rivière un vieillard, assis sur un vieux radeau
pour préparer son élixir, il n'utilise que des fleurs de lotus bleu
aujourd'hui quatre vingts ans, comme quarante
il dit " la mer immense est ma maison "
visite à un moine de la montagne sans le rencontrer
le sentier de pierres pénètre dans un val rouge
une porte en sapin, obstruée par de la mousse verte
sur les marches désertes, des traces d'oiseaux
la salle de méditation, personne pour ouvrir
je regarde par la fenêtre, une brosse blanche,
accrochée au mur, couverte de poussière
vaine visite, je soupire
je musarde un moment, sur le point de partir
des nuages parfumés s'élèvent des montagnes
une pluie de fleurs tombe du ciel
joie de la musique du ciel !
plus encore, le cri des singes, clair
illuminé, coupé des affaires du monde,
ici, à mon aise
Han Yu (768-824) mena une brillante carrière officielle. Il fut gouverneur de Chlang an, la capitale impériale, et ministre de la justice. Il connut cependant deux fois l'exil. Son deuxième exil fut causé par le célèbre memorandum contre la vénération impériale d'une relique du Buddha (un prétendu os du doigt) qu'il adressa à l'empereur.
rochers dans la montagne, rugueux, le sentier est étroit
au crépuscule j'arrive au temple, volent des chauves souris
j'entre dans le hall, vais m'asseoir sur le perron, la nouvelle pluie est abondante,
les feuilles des bananiers larges, les fleurs des gardénias opulentes
un moine me vante une belle fresque bouddhiste sur un mur ancien
il l'éclaire avec une torche, on ne distingue pas grand chose
il installe mon lit, essuie la natte, me sert un repas
du riz grossier, qui suffit pourtant à me rassasier
nuit profonde, en paix je m'allonge, les cent insectes se taisent
la lune claire émerge de la crête, sa lumière pénètre par la porte
à l'aube seul je pars, il n'y a pas de chemin
j'avance, monte, descends, dans les fumées et la brume
montagne rouge, torrent émeraude, les couleurs chatoient
de temps à autre je croise des pins, des chênes, tous dix tours de bras
j'arrive à un torrent, pieds nus traverse sur les callloux
bruit de l'eau fougueux, le vent souffle mon vêtement
la vie ainsi, on en jouit de façon naturelle
pourquoi piétiner sur place, bridé ?
avec deux ou trois comparses,
jusqu'à la vieillesse sans jamais partir d'ici
passant la nuit au kiosque de Li
à la tête de ma couche, pour oreiller une pierre du ruisseau
la source au fond du puits communique avec l'étang au pied des bambous
passant la nuit, le voyageur ne dort pas encore, minuit passé
seul il écoute la pluie, au moment où elle arrive dans la montagne
nuit de neige
d'abord je suis étonné, la couverture et l'oreiller sont si froids
puis je m'aperçois que la fenêtre est lumineuse
nuit profonde, la neige doit être abondante
de temps à autre, le bruit d'un bambou qui casse
au pavillon de Hsieh, adieu
chanson d'adieu terminée, le voyageur défait la barque
feuilles rouges sur la montagne verte, la rivière coule fougueuse
soleil couchant, réveil après l'ivresse, tu es déjà loin
plein le ciel vent et pluie, je descends du pavillon de l'ouest
Hsu Hun est célèbre pour avoir écrit
la pluie de la montagne est sur le point d'arriver le vent remplit le pavillon
Les Chinois prononcent ces vers lorsqu'ils sentent poindre un grand changement.
dédié au moine éminent Chi
assis à méditer ou bien pérégrinant, hors du monde de poussière
sans gourde ni bol pour t'accompagner
rencontres tu quelqu'un, tu ne lui parles pas des affaires de ce monde
tu vas ainsi, dans le monde des hommes un homme sans affaire
Tu Fu (712-770) est souvent associé à Li Po par contraste de tempérament, de destin, de style. Quand ils se rencontrèrent, leur amitié fut immédiate. Li Po avait quarante quatre ans, venait de quitter les fastes de Ch'ang an, Tu Fu avait trente trois ans, était à la fin de sa période "fourrure, cheval et fougue", comme on dit en Chine. Tu Fu écrit alors à propos de Li Po
son pinceau se pose, provoque vent et pluie
son poème achevé, dieux et diables pleurent
Tu Fu, qui descend d'une famille de lettrés, décide alors de se rendre à Chang an, obtenir un poste. A partir de là, sa vie va rencontrer des circonstances difficiles. Il n'eut jamais de poste important, connut l'exil et la misère. Son fils cadet mourut de faim en 755. Il n'eut de répit et de tranquillité que durant trois ans, de 759 à 762, au pays de Shu, dans l'ouest de l'empire. Jamais il ne réussit à retourner chez lui, à Lo yang. Malade, il mourut pendant le voyage, sur le Long fleuve, sur sa barque. Les poèmes qui suivent datent tous de la période où il vécut au pays de Shu.
Improvisation
la lune dans la rivière, à quelques pieds seulement de moi
la lanterne de vent éclaire la nuit, bientôt la troisième veille
sur le sable, endormis, un groupe de hérons, roulés en boule, calmes
à l'arrière de la barque un poisson saute, " po la " dans l'eau
quatrain composé selon mon humeur
elles savent bien que ma chaumière est très basse,
pourtant les hirondelles de la rivière viennent exprès, sans cesse
elles apportent de la terre dans leur bec, salissent mon ch'in et mes livres
en plus, les insectes volants sans arrêt me rentrent dedans
visite à un ermite de la montagne de l'ouest sans le rencontrer
au sommet, une chaumière
ascension en ligne droite, trente li
je frappe à la porte, personne pour ouvrir
je regarde à l'intérieur, rien qu'une table
il a dû sortir dans sa charrette en branches,
ou bien partir pêcher dans l'eau d'automne
nous nous sommes croisés sans nous voir
vain enthousiasme, je contemple alentour
couleur de l'herbe, sous la dernière pluie
bruit des pins, ce soir près de la fenétre
à ces merveilles je m'accorde,
elles me lavent le coeur et les oreilles
pourtant, sans plaisir de l'hôte et du maître
je comprends alors la claire et pure loi
joie épuisée, je redescends la montagne
pourquoi t'attendre ?
de mon studio à la bouche de la vallée,
envoyé à Yang le censeur
eaux et montagnes ceinturent ma chaumière
nuages et brumes s'élèvent des rideaux de lianes
les bambous, je les aime après la dernière pluie
la montagne, je la chéris au crépuscule
les hérons oisifs tôt viennent se percher
les fleurs d'automne tombent, saison tardive
le garçon balaie le sentier de lierres
hier vieil ami, nous avons fixé rendez vous
au temple dans la forêt de cyprès,
contemplant le sud
sur la rivière, j'entends au loin la cloche du monastère
j'amarre la barque, le sentier sinueux traverse les pins denses
éclaircie sur la montagne verte, encore quelques nuages
nets contours, au sud ouest quatre ou cinq pics
Chiao jan (chiao immaculé, jan spontané) était un ami de Lu Hung chien, plus connu sous le nom de Lu Yu, célèbre auteur du Classique du thé.
visite à Lu Hung chien sans le rencontrer
tu as déménagé près du rempart de la ville, pourtant,
le sentier est sauvage, entre dans mûriers et chanvre
récemment tu as planté, le long de la haie, des chrysanthèmes
l'automne arrive, ils n'ont pas encore fleuri
je frappe à la porte, pas de chien pour aboyer
sur le point de partir, j'interroge le voisin à l'ouest
il répond " il est parti dans la montagne,
il revient toujours quand le soleil décline "
printemps dans la montagne, nuit de lune
au printemps la montagne regorge de choses merveilleuses
j'en jouis jusqu'au soir, oubliant le retour
j'écope de l'eau, la lune dans mes mains
je joue avec les fleurs, leur parfum embaume mon vêtement
quand la joie monte, nulle attention à la distance
sur le point de partir, déjà je regrette la senteur des fleurs
je contemple vers le sud, où sonne une cloche
pavillons et terrasses sombrent dans l'émeraude de la montagne
inscrit dans un hameau au sud de la capitale
il y a un an aujourd'hui, devant cette porte,
son visage et les fleurs du pêcher se répondaient, rouges
ce visage, où est il maintenant ?
les fleurs du pêcher, comme hier, rient dans le vent printanier
Liu Tsung yuan (773-819), poète, penseur, politicien, érudit. Le groupe des rénovateurs politiques dont il faisait partie ayant perdu le pouvoir, à trente trois ans il fut exilé à Yong chow, dans le sud de l'empire. Il ne sera rappelé que dix ans plus tard. Un mois après son retour à Ch'ang an, la capitale, on l'exile à nouveau, encore plus loin, dans le Kuang si, où vivaient des minorités barbares. C'est là qu'il mourut.
au milieu de la nuit, me levant contempler le jardin de l'ouest, au moment où la lune se lève
je me réveille, entends goutter la rosée dense
j'ouvre la porte, face au jardin de l'ouest
la lune froide monte sur la crête à l'est
son clair au pied des bambous épars
la source dans les rochers, au loin encore plus bruyante
dans la montagne, de temps à autre un oiseau crie
je m'adosse à un pilier, ainsi jusqu'à l'aube
solitude, comment en parler ?
le matin, arrivant au monastère du maître
Chao, lisant les sutras
je puise de l'eau, me rince les dents, glaciales
me purifier le coeur, je secoue la poussière de mon habit
serein, je prends un livre en feuilles de pattra
je sors de la salle de l'est, lire
la source originelle, jamais on ne l'embrasse
des traces illusoires, ce que suivent les hommes de ce monde
cet enseignement j'aimerais m'y accorder
cultiver sa nature, comment s'y familiariser ?
homme du tao, la cour est silencieuse
la couleur de la mousse se mélange aux bambous denses
le soleil sort, brume et rosée demeurent
les pins verts sont comme lubrifiés
libre, par delà la parole
compréhension joyeuse, coeur de lui même comblé
Réponse
par hasard je suis venu au pied de ce pin
à l'aise, posant la tête sur une pierre, je me suis endormi
dans la montagne, pas de calendrier
le froid passe, on ne sait quelle année
Roger Caillois Jean-Clarence Lambert Trésor de la poésie universelle COLLECTION UNESCO D'CEUVRES REPRÉSENTATIVES Gallimard / Unesco 1987
(Chine. 372-427.) EN REVENANT A MES CHAMPS ET A MON JARDIN [704] Dès ma jeunesse, je n'ai pu m'habituer à la foule. C'est ainsi : j'aime mieux les montagnes. Par mégarde je tombai dans le filet de la poussière. Et depuis, trente années se sont écoulées. L'oiseau capturé languit après sa forêt d'antan Et le poisson pêché après son lointain étang. Jadis, j'ai cultivé les champs vierges du Sud. Pour me sauver, et mes pensées, j'y retourne. J'y ai une maison rustique de huit ou neuf pièces. Autour d'elle s'étendent quelques méou de terrain. Derrière, les ormes et les saules font de l'ombre, Et les pêchers et les poiriers l'estompent par devant. On voit vaguement de lointains villages D'où les fumées s'élèvent en spirale. Les chiens aboient dans une longue ruelle. Les coqs chantent au sommet des mûriers. Nulle poussière n'envahit ma maison. La quiétude en baigne les salles. Ah, depuis si longtemps en cage, Je retourne au sein de la nature! Au pied du Mont du Sud, j'ai semé des fèves, Mais les herbes sauvages les ont empêchées de grandir. Aussi dès le matin dois-je sarcler. Je ne rentre chez moi qu'au clair de lune. Le chemin est étroit, et l'herbe y foisonne. La rosée du soir mouille mon habit. Que m'importe la rosée si mon voeu De vie en paix est exaucé !
(Chine. IIe-IVe siècle.) [705]
Je n'ai pas encore fait ma toilette ce matin, Mes cheveux fins comme soie couvrent mes épaules. Je pose mes poignets sur les genoux de mon bien-aimé. Je demande : — En quelle partie de mon corps ne suis-je point charmante? Je pense à mon amant, je pense à mon amant, Toi aussi, tu ne peux te détacher, hésitant à partir, Le brouillard matinal a tout enseveli, On ne voit même pas les fleurs du lotus. Je passe ma jupe sans l'agrafer, Je lisse mes sourcils pour paraître à la fenêtre. Ma jupe de soie légère flotte avec aisance. Je gronde le vent printanier qui la soulève. Les broderies de ma robe chatoient au soleil naissant, La brise balance la soie blanche. Dans mes deux fossettes fleurissent les sourires, Mes longs cils levés filtrent mes regards caressants. Nous sommes si unis que nos pensées sont mêmes. Nous nous levons ensemble et nous nous asseyons. — Compare-moi aux racines couleur de jade, A la fleur d'or du nénuphar, Mais ne me nomme pas graine de lotus.
(712-770)
[713] DANS LA MONTAGNE Le pavillon des fleurs s'enfonce au penchant bleuissant. Le soleil d'automne répand sa confuse clarté. Les pierres tombées s'appuient aux arbres de la pente. Les rides claires tirent le vêtement de l'eau. Les poissons roux sautent jusqu'au rivage, Les éperviers bleus reviennent du pillage des nids. Le soir tombe et je cherche ma route. Aux côtés du cheval un reste de nuage plane.
[713] LE TEMPLE BOUDDHIQUE Au pied du temple les eaux immobiles sourient. Au flanc de la montagne le pavillon lointain s'afflige. Au-dessus du mur bleu un nuage au gré du vent s'effile. A l'abri du soleil les érables touffus se pressent. La véranda entoure une douce solitude. Canards et hérons s'envolent dans le soir attristé. Autour de ce gazon les dieux sont assemblés, Attendent que la nuit jusqu'à leurs fronts s'élève.
[713] LA MAISON DANS LE CŒUR Les flammes cruelles ont dévoré entièrement la maison où je suis né. Alors je suis monté à bord d'un bateau d'or pour distraire mon chagrin. J'ai pris ma flûte sculptée et j'ai dit une chanson à la lune. Mais j'ai attristé la lune qui s'est voilée d'un nuage. Je me suis retourné vers la montagne, mais elle ne m'a rien inspiré. Il me semblait que toutes les joies de mon enfance avaient brûlé dans ma maison. J'ai eu envie de mourir et je me suis penché sur la mer. A ce moment une femme passait dans une barque, j'ai cru voir la lune se refléter dans l'eau. Si elle voulait, je me rebâtirais une maison dans son coeur.
CHANT DU DEPART [714-715] Les fourgons s’ébranlent, Les chevaux hennissent. Les partants portent l’arc et le carquois à la ceinture. Mères, femmes , enfants à pied les accompagnent, Mais déjà la poussière cache le pont du sud. Ramassant leurs haillons, traînant les pieds, au retour ils gémissent. Et leur gémissement monte droit jusqu'au ciel. Les passants sur la route interrogent les soldats Qui répondent : « On est toujours sur la liste de départ. » Tel qui à quinze ans allait défendre au nord la ligne du Fleuve jaune A quarante ans tient garnison à l'ouest. Jadis sergent en son village, un foulard sur la tête, Il y revient les cheveux gris, pour repartir à la frontière. A la frontière le sang coule. Un lac de sang. Le seigneur de la guerre veut ouvrir notre frontière et s'obstine. Ne vous a-t-on pas dit que dans notre province du Chan-toun en deux cents villes, Mille villages, dix mille hameaux ne poussent plus que des épines? Si la femme est assez forte elle mène la charrue. Que la maison pousse sur les tombes, peu importe. Et toujours nos soldats endurent de pénibles combats, Poussés en avant comme s'ils étaient chiens ou volailles. Si le chef l'interroge, L'homme ne cache pas son chagrin. Et encore l'hiver dernier, Qu'on ne nous avait pas retirés des passes de l'ouest Le percepteur exigeait l'impôt. L'impôt, mais où le prendre? Maintenant c'est un malheur d'avoir un fils, Un bonheur s'il naît une fille Car on peut encore la marier dans le voisinage. Mais un fils n'a pour sépulture que l'herbe sauvage. Vous n'avez pas vu Aux rives de Koukou-noor Les ossements blanchis que nul n'a recueillis? Les morts récents s'indignent, les anciens se plaignent. Sous le ciel sombre et la pluie pénétrante on les entend gémir 1.
1. Tr. L. LALOY, Choix de poésies chinoises, Sorlot (I, II, III, IV, VII). SUNG. NIEN Heu, Anthologie de la littérature chinoise, Delagrave (VI). TRAN VAN TUNG, Poésies d'Extrême-Orient, Grasset (V).
[728] (Chine. 1056-1121.) AVENTURE DE JEUNESSE Les Couteaux semblent de l'eau. Le sel est plus blanc que la neige. De ses doigts effilés, elle déchire une orange nouvelle. Dans la première tiédeur de l'alcôve de brocart Le parfum du musc ne cesse pas. Puis assise en face de moi, elle joue du luth. Enfin, à voix basse, elle demande : « Vers quel endroit allez-vous la nuit? La troisième veille a déjà sonné sur les murailles. Votre cheval glisserait sur l'épaisse gelée blanche. Il est mieux de ne pas me quitter. Vraiment, il y a trop peu de passants dehors.1 »
1. Tr. G. SOULIÉ DE MORANT, Florilège de poèmes Song, Plon.
L'OCÉAN DU CIEL [745] Sur l'océan du ciel, Les nuages en vagues se dressent Et la lune, frêle esquif, A travers la forêt d'étoiles Fait rame, sombre, et disparaît.
La Montagne vide
Anthologie de la poésie chinoise (IIIe - XIe siècle)
Traduuite et présentée par P. CARRÉ et Z. BIANU
« Spiritualités vivantes » Albin Michel 1987
[...]
La métaphysique de l'instant
La simplicité parfois déconcertante de ces poèmes exige un état de pleine réceptivité. Intériorisez-moi, murmurent-ils. « Le poème, écrit Bachelard, est une métaphysique instantanée (...). En un court poème, elle doit donner une vision de l'univers et le secret d'une âme, un être et des objets tout à la fois » ; et Hölderlin de préciser que « l'objet particulier et le tout forment un seul ensemble vivant ». Dans cette poésie de l'inlassablement même, la fraîcheur est sans cesse renouvelée ; les clichés — « lune claire », « bleu des brumes », « oubli des mots », « extrême rivage » — sont les paillettes d'un kaléidoscope aux lumières imprévisibles. Le poète chinois combine les figures d'un stock d'images limité pour fixer, dans son infinie diversité, la particularité de l'instant, comme s'il déployait les accords élémentaires du monde jusqu'à faire du poème un état spécifique de la nature :
« Le sens du poème est parmi les bambous.
L'esprit de la Voie naît au-dessous des pins. »
(Ts'ien K'i)
Ainsi, notre anthologie n'a d'autre visée que de transmettre les éclats de transparence de cette poésie du réel où vibrent la gaieté sereine et le sourire du visage du vent d'est, saisir ces instants-déclics où se dévoile la lumière du vide.
(fin du VIe siècle)
Nulle part je n'habite. Je couche dans l'Absolu, Je grimpe au Nirvâna : Au temple du bois d'encens,je joue. Le plus souvent, je fais sans faire. Fortune et renom ? Bulles d'illusion. Si même l'océan se couvrait de mûriers, Nos esprits ne sauraient se rencontrer. [52]
(665-713)
Voie (1)
Clair miroir de l'esprit libre en tous reflets, Pleine lumière du vide en chaque grain d'univers. Aux dix mille ombres de l'exubérante multitude Une perle irradie dans l'oubli de l'espace. [54]
La mer Pourpre au matin m'enivre ; Je porte le soir un manteau de brumes rouges. De l'arbre à soleils* je brise une branche Pour balayer les rayons du couchant ! Porté par un nuage, je voyage aux Huit Pôles : Mille givres de jade gèlent mon visage ! Je pénètre l'infini tournoyant Et me prosterne devant le Maître des Hauteurs. Il m'invite à traverser l'Ultime Blancheur**, Me verse le Nectar dans une coupe de jade. D'une goutte surgissent dix mille ans ! Pourquoi retourner au pays ? Au souffle du bon vent, sans fin je m'abandonne, Libre tourbillon par-delà le ciel.
* »L’arbre à soleils », littéralement « arbre Jo » aux fleurs cramoisies, est l’arbre du couchant. Le poète K’iu Yuan (340-278) av. J.-C. Dans le Li-sao, en casse une branche pour arrêter le soleil dans sa chute et empêcher la venue de la nuit.
** « L’ultime Blancheur », ou « Grande Simplicité », est, selon Lie-tseu (T’ien-jouei), l’état originel de la matière.
[note, 151]
[70]
Portant le bois divin, le moine du Sseu-tch'ouan Au versant ouest descend le mont Omei. Sa main glisse sur les cordes — Le chant des pins résonne aux mille vallées. L'esprit se lave à l'eau des rivières, L'ultime écho retourne à la cloche de givre. Je n'ai pas vu le soir venir aux monts de jade Qu'ombraient déjà les nuages d'automne. [78]
(695- ?)
Montée au pavillon des Cigognes
Le soleil sur les monts épuise sa blancheur ; Le fleuve Jaune coule vers la mer. Si tu veux voir à perte de vue, Gravis un autre étage ! [106] §
(seconde moitié du IXe siècle)
Séjour en montagne, début d'automne
Le matin froid glisse de la montagne proche : Devant mon refuge, s'ouvrent les vapeurs de givre. Nudité des forêts, soleil à ma fenêtre — Au plein étang, le silence de l'eau. Les fruits tombent au passage des singes ; A la foulée des biches, les feuilles craquent. Le luth blanc apaise le bruit des pensées ; La source pure est ma compagne de la nuit. [137]
le jour du sacrifice de fin d'année
Neige qui vient sur le lac empli de brumes. S'éclairent et s'éteignent les palais : parfois la montagne, parfois son absence. Jaillie des rochers, l'eau révèle les poissons évidents. Le bois profond est vide, où les oiseaux s'appellent. En ce jour de fête, j'ai délaissé femme et enfants A la recherche d'un homme de la Voie — ma vraie joie ! Où habite un tel homme ? Au mont des Nuages précieux, le chemin serpente. Qui construirait son refuge dans les solitudes du Mont-Orphelin ? Pour les adeptes, qui vivent de la Voie, la montagne n'est plus solitaire ! Dans l'intime chaleur d'une maison de bambous, aux fenêtres en papier, Ils méditent et dorment, vêtus de coton, sur un coussin de joncs. La route longue au froid du ciel chagrine mon serviteur. Il prépare l'attelage et me presse de rentrer avant le soir. Au sortir des montagnes, je me retourne — arbres et nues se confondent. Un aigle seul plane au-dessus des pagodes. Errer à l'abandon fait ma joie ! Le retour me surprend comme un rêve évanoui. Je me hâte d'écrire ce qui déjà disparaît. Comment restituer un paysage perdu ? [145]
ENTRE SOURCE ET NUAGE, LA POÉSIE CHINOISE RÉINVENTÉE
Albin Michel 1990
[...] Au point que la poésie, en liaison avec la calligraphie et la peinture — appelées en Chine la Triple-Excellence — devient l'expression la plus haute de la spiritualité chinoise. On sait que cette spiritualité s'est nourrie de trois courants de pensée : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. A la fois opposés et complémentaires, s'interpénétrant sans cesse, ceux-ci contribuent à féconder la pensée chinoise en la douant d'un regard multiple et en l'empêchant de demeurer univoque et figée. A sa manière, la poésie participe de ce mouvement d'une pensée en continuelle transformation interne.
Elle débute environ mille ans avant notre ère avec le Shih-ching (« Livre des Odes »), un ensemble des chants produits essentiellement dans la « Plaine centrale » située au nord de la Chine et parcourue par le fleuve Jaune et son affluent la Huai. Cette poésie est caractérisée par son style dépouillé et concis, non épique, au rythme sobre et aux thèmes très proches de la vie réelle des hommes, leurs travaux des champs, leurs rites et fêtes, les joies et les peines qu'ils éprouvent, ainsi que leurs règles de conduite. Confucius lui-même et par la suite les confucéens se réclameront de cette tradition. Quelques siècles après le Shih-ching (vers le Hie siècle avant notre ère), une autre poésie chantée a pris son essor dans le royaume de Ch'u, situé lui au coeur du bassin du fleuve Yang-tse, au centre-sud de la Chine, poésie fortement marquée par cette région à la végétation luxuriante et aux paysages par endroits féeriques ou fantastiques. D'inspiration chamaniste, au rythme long et incantatoire, débordants d'images rêvées ou mythiques, les chants de Ch'u sont avant tout une recherche de la communion avec les éléments de la nature transformés en autant d'esprits, et par là, une quête nostalgique du divin. Par leur tendance à donner libre cours à l'imagination, à s'affranchir des contraintes trop formelles, ils sont proches de l'esprit taoïste. Ainsi, dès son origine, la poésie chinoise ancienne, avec ces deux sources majeures, possède sa chance de se maintenir mouvante, ouverte. Plus tard, lorsque la Chine aura assimilé pleinement le bouddhisme, introduit en Chine vers le IVe siècle, une troisième source viendra se joindre aux deux sources originelles, en apportant la vision particulière qu'elle véhicule, notamment un certain accent mis sur la pure méditation et l'intériorité, une interrogation sur l'ultime salut.
A l'époque des T'ang où le pays, après l'effondrement des premiers empires Ts'in et Han et la longue période de désordre et de division dus aux invasions barbares, retrouve son unité, les trois courants de pensée,
12
Avant-propos
reconnus à présent comme base idéologique de la société, imprègnent les créations artistiques. Dans le domaine poétique, trois figures représentatives se détachent : Li Po, de tendance taoïste, épris de liberté, chante la communion totale avec la nature et les êtres ; Tu Fu, essentiellement confucéen, soucieux de l'engagement, exprime avant tout le destin douloureux de l'homme, mais également sa grandeur ; Wang Wei, l'adepte, vers la fin de sa vie, du bouddhisme Ch'an, fixe ses expériences méditatives dans des vers d'une parfaite simplicité. A côté de ces géants se trouvent bien d'autres poètes, contemporains à eux ou venus une ou deux générations après, qui exaltent, chacun à leur manière, les thèmes qui leur sont chers : un Meng Hao-jan et un Chiao Tao qui, en des vers dépouillés, révèlent leur désir d'évasion et de communion spontanée ; un Po Chü-i qui dénonce l'injustice sociale et décrit la souffrance des humbles en recourant à la forme du chant populaire ancien ; un Ch'ien Chi dont les chants rythmés, proches de l'incantation, se veulent un médium qui permet d'accéder au mystère de l'au-delà ; un Li Ho, hanté lui aussi par la vision de l'au-delà, par le monde des morts, dévoile, avec un accent pathétique, la tragique beauté de la vie terrestre ; un Li Shang-yin, chantre ardent de la passion de l'amour ; un Tu Mu et un Wen T'ing-yun qui, à la fin des T'ang, expriment toute la nostalgie d'un bonheur vécu ou rêvé, désormais inaccessible.
Sous les Sung, une certaine synthèse est faite sur le plan de la pensée, notamment par les philosophes néo-confucianistes qui tentent d'intégrer les apports du taoïsme dans leur conception cosmologique, et les éléments du bouddhisme dans leur théorie de la connaissance. A partir de cette synthèse, un nouveau type de lettré-artiste est né. Le représentant le plus éminent en est sans doute Su Tung-po dont la voix inspirée domine toute son époque, pourtant foisonnante de créations nouvelles. Peu après lui, une autre voix, au milieu de tant d'autres, se fait entendre, la plus pure, la plus fine, la plus singulière aussi, celle de la poétesse Li Ch'ing-chao. Cette figure infiniment attachante, chère au coeur de tous les Chinois, honore la poésie chinoise par son chant frémissant de sensibilité, tout de nuances subtiles et de musicalité. [...]
Li Po
Pourquoi vivre au coeur de ces vertes montagnes ? Je souris, sans répondre ; l'esprit tout serein. Tombent les fleurs,coule l'eau,mystérieuse voie... L'autre monde est là, non celui des humains.
Li Po
Pichet de vin, au milieu des fleurs.
Seul à boire, sans un compagnon.
Levant ma coupe, je salue la lune : A
vec mon ombre, nous sommes trois.
La lune pourtant ne sait point boire.
C'est en vain que l'ombre me suit.
Honorons cependant ombre et lune :
La vraie joie ne dure qu'un printemps !
Je chante, et la lune musarde,
Je danse, et mon ombre s'ébat.
Éveillés, nous jouissons l'un de l'autre ;
Et ivres, chacun va son chemin...
Retrouvailles sur la Voie lactée :
A jamais, randonnée sans attaches !
Tu Fu
Eau claire, méandres enserrant le village. Longues journées d'été où tout est poésie. Sans crainte, vont et viennent les couples d'hirondelles ; Les mouettes, les unes contre les autres, dans l'étang. Ma vieille épouse dessine un échiquier sur papier. Mon fils, pour pêcher, tord son hameçon d'une aiguille. Souvent malade, je cherche les plantes qui guérissent : Quoi d'autre peut-il désirer, mon humble corps ?
* Ce poème et le suivant ont été écrits probablement vers 761, à Ch'eng-tu (au Ssu-ch'uan), où Tu Fu venait de construire sa chaumière. C'est la période la plus heureuse et la plus paisible de sa vie.
Ch'ien Ch'i
Seul en voyage, maintes fois j'oublie le retour. D'autant moins je le regrette quand le lieu est reclus. Trempant mes cheveux dans la source fraîche et claire Longuement je me laisse retenir par la clarté lunaire. Attirante est la figure du vieux pêcheur, là, Calme et immobile, pareil à l'aigrette sur le sable. En partage nous n'avons qu'un coeur de nuage blanc Ensemble nous savourons le délice de l'espace sans limite. Parmi les roseaux, les feux nocturnes peu à peu s'éteignent ; Bientôt les monts d'automne accueilleront l'aube. Destin des oiseaux qui s'assemblent puis se séparent : En leur errance n'est-il jamais de retrouvailles ? 80
Po Chii-i
Vieux charbonnier, au mont du Sud, Coupe du bois et puis le brûle... Visage couleur de feu, de suie, Tempes grisonnantes, mains noircies. A quoi lui servirait le peu d'argent gagné ? Des habits pour son corps, des vivres pour sa bouche. Quelle pitié ! Si mince déjà son vêtement, Et lui, il souhaite un temps plus froid encore. Cette nuit, la neige est tombée sur la ville : Dès l'aube, il pousse son chariot sur la route gelée ; A midi, le boeuf est las et l'homme affamé. Porte du Sud : tous deux se reposent dans la boue. Qui sont ces cavaliers qui arrivent fringants ? Un messager en jaune, suivi d'un garçon en blanc. Un parchemin dans la main : « Par ordre impérial!» Huant le boeuf, ils tournent le chariot vers le nord. Une charretée de charbon — plus de mille livres —, Prise par les gens du palais : à qui se plaindre ? Une demi-pièce de gaze, dix pieds de soie légère Attachés au boeuf : voilà le prix qu'ils te payent !
* Vers 14 : Agents de réquisition du palais impérial.
Vers 19: Indemnité dérisoire dont le charbonnier ne saura que faire.
106 [j’y adjoint un poème extrait de:]
François CHENG
L'ÉCRITURE POÉTIQUE CHINOISE
SUIVI D'UNE ANTHOLOGIE DES POÈMES DES T'ANG
ÉDITIONS DU SEUIL 1977
Visite à un ermite sans le trouver 1 Sous le sapin / demander jeune disciple Dire maître / cueillir simples partir Seulement être / au milieu de cette montagne Nuages profonds / ne point savoir où Sous le sapin, j'interroge le disciple : « Le maître est parti chercher des simples, Par-là, au fond de cette montagne. Nuages épais : on ne sait plus où... »
La visite est souvent l'occasion d'une expérience spirituelle; l'absence de l'ermite accentue l'écart spirituel entre celui-ci et le visiteur.
Dans ce poème, les quatre vers qui contiennent le renseignement donné par le jeune disciple (renseignement de plus en plus vague) marquent en réalité les quatre étapes dans l'ascension spirituelle du maître : vers 1 : un lieu habité; vers 2 : un chemin ou une voie; vers 3 : communion profonde avec la nature; vers 4 : esprit complètement détaché. [146] François CHENG
LES BELLES LETTRES 1997
À la campagne les liserons Tout chargés de rosée, ah! Voici une beauté Limpide et mignonne, ah! Je l'ai rencontrée Elle me convient, ah! À la campagne les liserons Tout dégouttants de rosée, ah! Voici une beauté Mignonne et candide, ah! Je l'ai rencontrée Quel trésor! ah ! 35
Longtemps je suis parti, bien des errances Je cours aux joies des bois et des champs Je m'essaie à emmener par la main enfants et neveux Ecartant les coudriers, nous marchons dans un village ruiné Allons et venons parmi les tombes Apercevons à peine les antiques demeures Voici un puits, un four : simples vestiges Mûriers, bambous : restent des souches pourries J'interroge des bûcherons : Que sont devenus tous ces gens ? Les bûcherons me répondent : Morts, sans retour "En une seule génération changent et les villes et la Cour" Ce dicton n'est vraiment pas faux La vie humaine c'est comme illusions et transformations A la fin, on retourne au néant 49
En automne les chrysanthèmes ont un charme 1 fou Imbibés de rosée, on cueille leur gloire On vogue sur leur parfum, oubliant tout souci Il est loin mon moi, j'ai laissé les affaires du monde Une coupe! quoique tout seul, je me sers La coupe est-elle vidée ? le pot se penche de lui-même pour servir Le soleil se couche, les gens reprennent souffle Les oiseaux reviennent, vite vers la forêt pour chanter Je chante à tue-tête, sous la vérandah-est Heureux d'avoir obtenu ce genre de vie
1. sè signifie à la fois "couleur" et "séduction (sexuelle souvent)".
55
Me rendant en groupe au cimetière de la famille Zhou, sous les cyprès Aujourd'hui il fait beau Une brise claire souffle, sons de flûte et de cithare Pensant à ces morts sous les cyprès Comment ne pas être heureux ? Des chansons limpides se répandent Le vin vert épanouit les visages parfumés J'ai oublié les affaires du lendemain Mes vêtements sont encore assez bons pour être usés jusqu'au bout 58
Sous une poutre de chaume un sauvage habite Devant la porte bien rares passent chars et chevaux Dans le secret de la forêt se rassemblent des oiseaux Dans la largeur des cours d'eau, au fond se cachent des poissons Fruits de la montagne : j'emmène mon fils les cueillir Champs surélevés : avec ma femme je les sarcle Dans la maison, qu'y a-t-il ? Seulement un lit de livres 60
Ecoutant le bonze de Shu gratter de la harpe Le bonze de Shu étreignant sa harpe bariolée de vert A l'ouest, a descendu les cimes du mont Emei Pour moi, il effleure son instrument On croirait entendre bruire les myriades de pins dans les gorges Les eaux courantes purifient le coeur de l'invité Les sons de la harpe résonnent avec les clochettes saisies de givre On ne s'aperçoit pas même pas du crépuscule de jade qui tombe sur les montagnes Ni de la pénombre qui envahit les nuages de l'automne 1
1. Et jam somma procul villarum culmina fumant
Majoresque cadunt altis de montibus umbrae
Virgile, Bucoliques, I, fin.
84
Au printemps, réveillé par l'aurore 1 On entend partout crier les oiseaux La nuit venue, bruit du vent et de la pluie Les fleurs choient, sait-on combien ?
1. Quel champ accorder aux déclins des saveurs,
quand l'aurore se formule en buissons d'étamines ?
Et jamais ne survit la digression des fleurs
Jacques Garelli, L'ubiquité d'être (Corti, 1986).
(bonheur de lire des alexandrins dans un recueil d'où ils sont bannis ; le dernier rappelle le fameux vers de Ronsard : Et les fruits passeront la promesse des fleurs).
87
(712-770) Rêvant à Li Bai Séparation par la mort : j'avale mes sanglots Séparation mais vivant : je pleure sans cesse Du sud du Fleuve, pays de malaria On n'envoie pas de nouvelles L'ami est entré dans mes songes Il sait donc que je pense à lui toujours Toi, maintenant, pris au filet, Comment as-tu repris l'usage de tes ailes ? C'est peut-être un simple fantôme La route mène loin. On ne peut sonder le vrai. Le fantôme vient d'un bois d'érables vert sombre Le fantôme retourne par une passe noire La lune qui tombe éclaire les poutres de ma pièce Comme si elle faisait luire un visage Eaux profondes, vagues étendues Ne laisse pas les dragons t'attraper! Les nuages flottant ne cessent d'aller L'errant depuis longtemps ne revient pas Trois nuits de suite, voilà que tu me hantes en songe Tes sentiments pour moi sont bien visibles A l'instant des adieux, tu es bien inquiet Pénible est le chemin ; pas facile de marcher Sur fleuve et lacs, beaucoup de vent et vagues On a peur pour les rames, qu'elles sombrent En sortant, tu te grattais le chef blanchi Comme accablé des soucis de la vie ordinaire Chapeaux de mandarins, baldaquins, plein la capitale! Toi, seul, tu te ronges de chagrin Qui dit que les mailles du filet enserrant le ciel sont lâches ? Un homme vieillissant s'y est pris! Pour mille automnes et dix mille ans, tu seras célèbre Une vie passée dans la misère, voilà le prix! 90-91 CONCLUSION Voir un ami en rêve
En lisant le merveilleux poème de Du Fu (p. 90-91) qui voit en songe le fantôme de son pauvre ami Li Bai dans son triste exil, comment ne pas se souvenir des "Deux amis" que La Fontaine (Fables, VIII-11) faisait vivre au Monomotapa (lieu mythique, inexistant, montrant bien que de tels amis ne se trouvent pas) ?
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ; J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru. Ce maudit songe en est la cause. [...] Qu'un ami véritable est une douce chose. Il cherche vos besoins au fond de votre coeur ; Il vous épargne la pudeur De les lui découvrir lui-même. Un songe, un rien, tout lui fait peur Quand il s'agit de ce qu'il aime.
On connaît moins le poème que Ronsard écrivit quelques mois après la mort de Joachim du Bellay (qui survint le ler janvier 1560) ; il vaut la peine d'être cité un peu longuement (dans l'orthographe originelle), afin de le mettre auprès de celui de Du Fu :
L'autre jour en dormant (comme une vaine idole, Qui deça qui dela au gré du vent s'en volle) M'apparut du Bellay, non pas tel qu'il estoit Quand son vers doucereux les princes arrestoit, Et qu'il faisoit courir la France après sa lyre, Qui encore sur tous le plaint et le désire : Mais have et déscharné, planté sur de grands os [...] Il me disoit : "Ronsard, que sans tache d'envye J'aymé, quand je vivois, comme ma propre vie, Qui premier me poussas et me formas la voix A célébrer l'honneur du langage françois" [...] Ronsard, retire toy Vy seul en ta maison, et jà grison delaisse A suivre plus la Court, ta Circe enchanteresse. 276
Limpide, peu profonde, l'arène aux cailloux blancs sous l'eau Les verts roseaux, on pourrait les saisir Des familles habitaient aux rives du ruisseau Elles lavaient la soie grège au clair de lune 105
Du torrent aux épineux émergent des rocs blancs L'espace est froid, les feuilles rougies se font rares Sentier de montagne : plus de pluie Le ciel devenu bleu, mes habits encore humides
En amont, la rivière est droite et limpide En aval, sinueuse et ridée De la barque décorée, je me penche sur le clair miroir Souriant j'interroge :"Eh, toi! qui es-tu ?" Soudain apparaît une carapace écailleuse 1 Qui trouble ma barbe et mes sourcils Les disperse en cent Dong-po Un moment après, me voilà derechef ici
1. Le poète aurait-il vu son effigie dispersée par une tortue ?
126
Quand Yu-ke 1 peint un bambou Il voit le bambou, il ne voit pas les gens Comment! non seulement il ne voit plus personne Mais encore, il s'oublie lui [son corps]-même Son corps s'est changé en bambou Inépuisablement sort clarté et fraîcheur Tchouang-tseu 2 n'est plus là Qui connaît maintenant un tel pouvoir magique ?
1. Poème écrit en 1087 à la capitale, à propos de son cousin Wen Yu-ke, célèbre peintre de bambous.
2. Zhuâng Zhôu est le vrai nom du sage taoïste plus connu sous celui de Maître Tchouang. On peut lire ses oeuvres en français dans La Pléiade.
127
(712-770)
Vent furieux, ciel haut, les singes crient leur chagrin Îlot clair, sables blancs, les oiseaux tourbillonnent Sans limite, les arbres laissent tomber leurs bruissantes feuilles 1 Sans arrêt, le Grand Fleuve roule vers nous ses flots A mille lieues de ma famille, tristesse automnale, je suis étranger Toute mon existence, valétudinaire! seul encore, j'escalade cette hauteur Soucis, chagrins, rancoeur, j'en ai plus que de cheveux de givre sur mes tempes Effondré, bon à rien, j'ai cessé de boire le vin nouveau 2
1. L'arbre est morne en grand appareil
Et se désole feuille à feuille
P. Reverdy, Main d'oeuvre, (p. 443).
2. Il devrait pourtant ce jour-là aussi suivre le conseil du poète anacréontique :
"Quand je bois le vin, dorment les soucis ;
que m'importent gémissements, peines, soucis ?"
157
La rivière embrasse dans ses courbes le village Long été, village fluvial en pleine torpeur calme Vont et viennent les hirondelles au-dessus du temple Les mouettes font des travaux d'approche amoureuse Ma vieille épouse peint sur papier pour faire un échiquier Mes enfants frappent une épingle pour fabriquer un hameçon Mon vieil ami m'a fourni du riz sur ses émoluments 1 Ma chétive personne, que voudra-t-elle de plus ?
1. Fort contraste entre le superbe premier quatrain, et le second, "chétif" et humble. Belle illustration de la "juxtaposition" chère à Eva Chou (op. cit.)
Uma gaviota que passa "Une mouette passe
E a minha ternura é major et ma tendresse grandit"
F. Pessoa, Oeuvres complètes (La Différence, 1989, t. 3, p. 101).
Mouette à l'essor mélancolique
Elle suit la vague, une pensée,
A tous les vents du ciel balancée,
Et biaisant quand la marée oblique
Verlaine, "Sagesse"
161
(768-824)
Parmi les blocs de rocs raboteux 1 passe un sentier mince Jaunes du crépuscule, j'arrive au temple, chauves-souris de voler Je m'assieds sur les marches de la grande salle, la pluie a cessé Feuilles de bananier larges, jasmins du Cap luxuriants Un bonze dit la beauté des vieilles fresques de bouddhas au mur Il vient avec une torche les éclairer, comme elles sont rares! Il étend le lit, secoue la natte, pose la soupe 2 et le riz cuit Le riz non décortiqué suffit à me rassasier La nuit s'approfondit, je me couche, les bestioles cessent de crier Une claire lune sort, illumine les cimes, entre par l'écran L'aurore point, je sors seul, sans prendre le chemin De tous côtés, les brumes s'effilochent dans l'immensité Montagnes rouges, torrents de jade, tout flamboie et brille Parfois on voit des chênes 3 aux troncs énormes Pieds nus, je passe à gué les torrents de pierre en pierre Bruit de l'eau, le vent s'engouffre dans mes habits Une vie humaine dans ces conditions, quel bonheur! Pourquoi faut-il endurer ? blanchir sous le harnois ? Puissé-je avec deux ou trois copains Revenir ici et ne plus en repartir
1. qiào : caractère rare, la pierre ( ) à gauche de la corne : "raboteux". Dans son Parti pris des choses, Ponge nous dit que tous les rocs sont issus par scissiparité d'un même aïeul énorme. De ce corps fabuleux l'on ne peut dire qu'une chose, savoir que hors des limbes, il n'a point tenu debout. La raison ne l'atteint qu'amorphe et répandu parmi les bonds pâteux de l'agonie. (p. 92).
Parsemées sous bois par le Temps, d'inégales boules de mie de pierre, pétries par les doigts sales de ce dieu. Depuis l'explosion de leur énorme aïeul, et de leur trajectoire aux cieux abattus sans ressort, les rochers se sont tus. (p. 95).
2. gêng : soupe de viande et légumes.
3. Cronartium quercum.
197
(768-824)
Nuitée dans un temple du mont Heng, poème écrit sur le portail […] Dans le temple, un ancien connaît les volontés des dieux Il m’examine, scrute, fait des courbettes Dans sa main, une coupe de magie, il m'apprend à la manipuler II me dit : "Voilà du propice! le reste ne l'est pas autant" Fourré chez les Barbares du sud, par chance, je ne suis pas mort J'ai en suffisance de quoi manger et m'habiller Mais de devenir marquis, prince, général, ministre, l'espoir est perdu Les dieux seraient indulgents ? mon désir de fortune, peu de chances de succès Je passe la nuit dans un haut pavillon au temple bouddhique Lune et étoiles voilés par les brouillards de l'aube 1 Cris des singes, tintements des cloches ne me réveillent pas Les rayons du soleil glacial apparaissent à l'orient.
1. L'inspiration de ce poème fait penser à Hugo :
Là, sombre et s'engloutit dans des flots de désastres
L'hydre Univers tordant son corps écaillé d'astres
V. Hugo, "Ce que dit la bouche d'ombre".
203,205
161
La vie humaine, jusqu'où va-t-elle ? à quoi ressemble-t-elle ? Elle doit sembler un cygne qui vole, se pose sur la neige ou la fange Sur la fange, il arrive qu'il laisse vestiges de ses griffes Le cygne s'envole, savoir où ? est ? ou ouest ? Le vieux moine est déjà mort, devenu neuve pagode Le mur s'effondre, plus moyen de voir les anciennesinscriptions La journée de voyage, : des hauts et des bas, t'en souviens-tu ? La route est longue, les gens las, les ânes trébuchent et braient 1
1. Poème écrit en 1061 au temple de Mianchi. Interrogations hâchées, angoisse. Les traces hasardeuses des griffes du cygne sur la boue : les écrits des voyageurs sur les murs délabrés du temple où ils ont passé la nuit, les poésies du fonctionnaire en voyage, autant de choses périssables. Thème usé sans doute, un poncif sans doute, mais étrangement poignant ici. Comment ne pas évoquer les derniers vers de la Huitième Pythique de Pindare ?
"Ephémères! Etre quelqu'un? N'être personne? Rêve d'une ombre
est l'homme. Mais quand un rayon dieudonné survient
un vif éclat plane sur lui, et un âge miellé."
Pindare, (Oeuvres complètes (Trad. Savignac, La Différence, 1990, p. 233.)
222
Côteau oriental La pluie a lavé le coteau oriental 1, la lune a une teinte pure Les citadins marchent, et les campagnards marchent Je ne renâcle pas devant les cailloux du sentier pentu 2 J'aime le son de mon bâton les frappant
1. Ce pourraît être : "La pluie m'a lavé".
2. Si j'ai du goût ce n'est guère
Que pour la terre et les pierres
A. Rimbaud, Une saison en enfer, Faim.
Voyons aussi ces vers des Contemplations :
Une caresse sort du houx et du chardon ;
Tous les rugissements se fondent en prières ;
On entend s'accuser de leurs forfaits les pierres ;
Tous ces sombres cachots qu'on appelle les fleurs
Tressaillent ; le rocher se met à fondre en pleurs
[...]
Hélas le cygne est noir, le lys songe à ses crimes ;
La perle est nuit ; la neige est la fange des cimes.
V. Hugo, "Ce que dit la bouche d'ombre".
Quand vous vous promenez le soir parmi les chênes
Et les rochers aux vagues yeux
V. Hugo, "Horror".
224
Paysage vespéral au Pavillon "Bellevue sur la mer" Le vent souffle de biais, fait entrer la pluie dans le pavillon Superbe spectacle, il faudrait l'exalter par des vers La pluie finie, la marée apaisée, fleuve et mer sont de jade Quand l'éclair luit, il trace des serpents violets et dorés
Prenons comme second exemple [de vers irréguliers] le lisao de Qu Yuan (340-278 avant notre ère). C'est un poème d'environ 370 vers allant de cinq à dix pieds 1.
Le sens de lisao est l'objet de discussions : lî "séparer", sâo "agitation, ennuis". On peut interpréter ce titre comme "Tristesse de la séparation". (Voir d'autres explications dans Huang, op. cit., p. 55-56). Si l'on regarde la strophe commençant par le vers 65, on trouve une succession de vers de huit, sept, dix, et six pieds.
A l'aurore 2, je bois la rosée tombée sur les fleurs de magnolia, Au crépuscule, je mange les pétales tombés des chrysanthèmes, Il suffit de jouir d'une nature simple et belle Je ne serais pas hâve, triste même avec un visage blême.
On constate des parallélismes : aurore / crépuscule ; après la particule ( ) zhi de détermination, ( ) zhûi et ( ) lûo signifient tous deux "tomber" ; la marque de respiration xi (prononcé à l'époque /a/) apparaît à la fin du premier et du troisième vers. Le deuxième caractère du dernier vers cité est en fait ( )
1. On peut consulter Qu Yuan ( ), et le Lisao ( ) Texte, étude et commentaires, par Huang Shengfa (Pékin, 1985).
2. Pour que l'aurore avec sa tendresse tenace
Pour que l'entrée de la lumière au ras des monts
Comme elle éloigne la lune légère, efface
Ma propre fable, et de son feu voile mon nom
Ph. Jacottet, "Prière entre la nuit et le jour", L'ignorant (Gallimard, 1958).
230
Ce poète des Six Dynasties (220-589) naît au début du Ve siècle et meurt en 466, âgé d'une cinquantaine d'années 1. Dans le fu donné ci-dessous, on peut trouver des vers de cinq pieds, six ou sept pieds. Un xi ( ) est souvent inséré au milieu du vers.
yûn jing xi hâi jié
shàng zhàngxi Sông féng
(lift shili xi jià jin
liâng yàn xi wèi hông
mù qi qf xi yuân fèng hèi
yâng jing jiàn xi tiàn ji hông
bô mâng mâng xi wu dl'
shàn chichi xi wàn chông
Chemin des nuages, route des océans La mer monte, accompagne les vents Les eaux automnales chevauchent les gués Une brume fraîche mange un arc-en-ciel Vapeurs vespérales au loin, sommets noirâtres Le soleil diminue ah! l'horizon rougeoie Les vagues roulent sans fond Les montagnes s'accumulent sans fin 2
1. On peut consulter un recueil de traductions avec le texte original, présenté par Michel Kuttler, intitulé Sur les berges du fleuve (Orphée, La Différence, 1992).
2. Poids des pierres, des pensées
Songes et montagnes
N'ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l'intervalle
Ph. Jacottet, Poésies (Gallimard, 1995)
231
Ce ( ) yûe fû est en vers irréguliers, sur une structure à sept syllabes :
Offrande d'alcool Vous ne voyez pas que les flots du Fleuve Jaune descendant du ciel Se précipitent vers la mer et ne retournent pas Vous ne voyez pas que les miroirs clairs de la salle haute renvoient tristement vos cheveux blancs Le matin, soie bleu-noir, au soir, devenus neigeux Les humains en leur vie ne sont contents qu'en épuisant les plaisirs Qu'on ne laisse pas vide le hanap d'or face à la lune Le ciel m'a donné des talents, je dois les utiliser Si je disperse mille pièces d'or, il m'en viendra bien d'autres Que l'on cuise les moutons, que l'on tranche les boeufs pour notre joie Vidons nos trois cents coupes! Maître Cên, camarade Dan Qiu Voici de l'alcool! ne cessons pas de trinquer! Je vous chante un air, tendez l'oreille! Cloches, tambours, plats raffinés, cela ne me suffit pas! Ce que je veux c'est l'ivresse, et ne pas m'en réveiller! Saints et sages de l'antiquité sont bien au calme et ignorés Seuls ont laissé un nom les grands buveurs! Jadis le prince de Chen festoyait au palais de Pingle Dix mille boisseaux d'alcool permettaient de s'égayer et plaisanter Comment! notre hôte prétexterait qu'il n'a pas assez d'argent ? Qu'on aille tout de suite chercher à boire! Cheval à cinq couleurs, manteau de fourrure à mille écus Appelons le garçon! qu'il les échange contre du bon alcool! Ensemble noyons l'antique chagrin de l'humanité! 237
[…] La pluie tombe tranquillement 4, ah! apparaissent les brumes Le ciel se fend, éclairs, tonnerre, écroulements, avalanches La porte qui ferme la grotte céleste, soudain, boum! s'ouvre Antre sombre, infinie ; on n'en voit pas le fond Soleil et lune brillent, resplendissent sur les terrasses d'or et d'argent Arc-en-ciel pour habit, ah! le vent pour monture Les seigneurs des nuées, ah! descendent en foule Tigres de jouer du tambour et de la cithare ah! phénix de tirer un char Les immortels sont rangés comme des pieds de chanvre Soudain mon âme frémit, mon coeur tressaille Epouvanté, je me dresse, et pousse de longs soupirs Je venais simplement de me réveiller sur oreiller et natte Brumes et nuages de naguère ont disparu Les joies en ce monde sont comme cela Depuis toujours les dix mille choses coulent vers l'est 5 Je te quitte, je pars hélas! quand reviendrai-je ? Je pais mon cerf blanc parmi les ravins bleu-noir Si je dois partir, je le chevaucherai pour visiter les monts célèbres Comment serais-je capable de baisser les yeux, courber la taille, pour servir les Grands Et de m'interdire d'avoir le coeur et le visage ouverts ? 6
4. a est glosé par le Xinhuazidian ( ) "tranquille" ; on s'étonne que Tchang Fou-jouei et Hervouet aient traduit "en trombe" (in Demiéville, 1962).
5. Les dix mille choses coulent vers l'est comme les fleuves de Chine.
6. Les vers 42 et 43 évoquent Joachim du Bellay se lamentant d'avoir à servir à Rome son cardinal, et à faire des courbettes :
Marcher d'un grave pas et d'un grave sourci
Et d'un grave soubris à chacun faire fête
Balancer tous ses mots, respondre de la tête
Avec un Messer no, ou bien un Messer si
Entremesler souvent un petit è cosi
Et d'un son servitor contrefaire l'honneste
241
Auteur de mille quatre cents poèmes qui nous sont parvenus, et porté au pinacle par la critique chinoise unanime, Du Fu a fait l'objet de nombreux livres et articles. Le dernier d'entre eux, dû à Eva Chou, remarquable, nous aidera dans cette évocation de la stature et du mystère (ou miracle) de simplicité qu'offre l'oeuvre de ce poète. Sa poésie, en effet, c'est sa vie. Réalisme, et "juxtaposition" de scènes abstraites, objectives du moins, avec des détails presque triviaux, du moins directement tirés de la vie quotidienne du poète. Voyons aussitôt le troisième poème intitulé ( ) "Le village Qiang" :
Les poulets piaillent sauvagement Les invités arrivent en plein piaillement Nous les chassons, ils grimpent aux arbres On frappe au portail de ronces Voici quatre ou cinq vieillards Venus m'interroger sur mes longues errances Chacun a apporté quelque chose avec lui De leurs flacons 1 sort un alcool non tamisé ou clair Ils disent : "Ne m'en voulez pas si l'alcool est faible Nous n'avons personne pour labourer nos champs de millet La guerre n'a pas fini Les jeunes sont tous au combat à l'est". Ils demandent que l'on chante pour eux Ces temps difficiles : j'ai honte devant leurs sentiments profonds La chanson terminée, je lève les yeux au ciel, je soupire De toutes parts, les larmes coulent librement
Ce qui fait le charme de ce poème, c'est précisément, caractéristique de Du Fu, la nonchalance de la composition. Tout est prétexte pour écrire des vers. Voilà la poésie de circonstance telle que la prônera Goethe dix siècles plus tard. Le hasard, l'occasion déterminent la création poétique. Nullement la volonté bien arrêtée de composer une oeuvre importante.
1. En réalité, ke avec la clef du bois.
269 [...]
Mais revenons à Du Fu. Son réalisme semble s'en donner à coeur joie dans le second poème sur la ( ) "rivière qui serpente" :
Chaque matin, je mets en gage mes habits printaniers Chaque jour, je reviens du fleuve ivre-mort Mes dettes d'alcool il y en a partout où je mets le pied La vie humaine excède rarement soixante dix ans Les papillons vont de fleur en fleur' Les libellules frôlent les eaux, repartent en voltigeant Au paysage clair je dis : nous tournons ensemble Je n'ai qu'un moment à jouir de vous, ne me trahissez pas !
1. Les papillons jiadié ont des raies noires sur un fond rouge et jaune (Xinhua zidian, 1965). Collègues du papillon de Saint-Amant (Le soleil levant)?
L'abeille [...] sort de la ruche
Et va sucer l'âme des fleurs
Le gentil papillon la suit
D'une aile trémoussante,
Et, voyant le soleil qui luit,
Vole de plante en plante
Pour les avertir que le jour
En ce climat est de retour.
Là, dans nos jardins embellis
De mainte rare chose
Il porte de la part du lis
Un baiser à la rose
Et semble en messager discret
Lui dire un amoureux secret.
272
quatrains et huitains de chine traduits par jean-pierre diény
encre marine, fougères, 2001
« L'âge venant
«nul rêve qui ne soit de montagne ou forêt »
Li Dongyang
Ouyang Xin (1007-1072), l’un (les hommes de les plus éminents de la dynastie des Song, écrivit un jour. entre autres réflexions sur la poésie:
« Notre empire a connu autrefois neuf moines tenus dans le monde pour de bons poètes. Aussi publia-t-on à l'époque une anthologie intitulée « Poèmes des neuf bonzes », aujourd'hui disparue. Quand j'étais jeune,j'ai entendu beaucoup de gens en faire l’éloge. [...]
En ce temps-là, un docteur appelé Xu Dong, excellent écrivain et savant distingué, réunit ces moines poètes. entre lesquels furent partagés des [7] sujets de composition. La règle du jeu leur fut ainsi communiquée : « Défense d'utiliser ne serait-ce qu'un seul mot de la famille suivante : montagne, eau, vent, nuage, bambou, pierre, fleur, herbe, neige, givre, étoile, lune, bête, oiseau. » Sur quoi tous les moines déposèrent leur pinceau.
Cette plaisante comédie se passait au début des Song, au coeur de la période où s'épanouit la poésie paysagiste. Sans doute ces neuf moines, dans leurs temples reculés, s'adonnaient-ils avec prédilection à la peinture des monts et des eaux. Mais l'homme qui les prit au piège, Xu Dong, appartenait à un autre monde. Reçu au concours du doctorat en l'an 1000, fonctionnaire et spécialiste de l'un des classiques de la tradition confucéenne, il était prosateur plutôt que poète. Avec malice, il réduisit au silence ses invités, en leur interdisant de réemployer les matériaux bruts de son catalogue, dont il se doutait bien qu'ils ne pourraient se passer.
Voilà le lecteur prévenu : il trouvera peu de poèmes dans le présent recueil qui eussent échappé
1. Ouyang Wenzhong gong ji , 14, « Shama ».
à la censure de Xu Dong ! C'est à un nombre limité d'objets que s'attache ce genre poétique, et la relative monotonie de son lexique peut paraître un léger handicap. Mais il y a plus grave. En travaillant à la transposition de ces pièces subtiles, le traducteur est bien obligé de s'avouer l'ampleur de la perte. Si je renonce aux savants commentaires, comment tiendrai-je compte à la fois de la lettre et de son au-delà, des réminiscences de la tradition et des allusions à l'actualité, des passions de l'auteur et des drames de son temps ? Comment ferai-je passer le rythme bref et fort du poème chinois dans notre langue encombrée d'outils grammaticaux ? Suis-je en droit de substituer à une musicalité complexe, étrangère à nos oreilles, la douce mélodie de la phrase française ? Enfin, difficulté suprême, peut-être insurmontable pour tout autre qu'un lettré chinois, comment percevoir et conserver le « ton » propre à chacun des grands poètes qui ont évoqué la montagne et l'eau ?
Pour tourner autant que possible ces obstacles, j'ai choisi de « voler » des poèmes, comme disait Claude Roy, auxquels leur simplicité, leur dépouillement, leur transparence, m'ouvraient un accès immédiat. Une sélection, somme toute, révélatrice des goûts du « passeur » que je suis, plutôt que de la grandeur du génie de la Chine, qui créa la poésie paysagiste une bonne quinzaine de siècles avant nous 1, puis la développa puissamment sous le nom de « poésie de la montagne et de l'eau », tel un arbre merveilleux, frondaisons largement déployées sur un unique tronc nourricier. Pour éviter l'écueil des allusions érudites qui auraient fait peser sur la traduction des pièces les plus longues un lourd appareil de notes, je m'en suis tenu à des formes brèves. Le quatrain, issu de l'antique strophe de quatre vers, a conquis peu à peu son autonomie à partir des débuts de notre ère et s'est épanoui pleinement, en compagnie du huitain de formation plus récente, sous les dynasties des Tang (618-906) et des Song (960-1279).
Xu Dong moquait l'apparente pauvreté en images des poètes de la nature. Mais en proscrivant leur bagage de lieux communs, il se privait de la
1. Voir Paul Demiéville, « La montagne dans l'art littéraire chinois », France-Asie 183, 1965. Brillante introduction historique, reprise dans Choix d'études sinologiques (1921-197o), Leiden, 1973.
magie de leur art qui naît de la variété des situations respectives du sujet et de l'objet. Entre les deux peut exister une distance : la montagne est diversement regardée, d'un oeil attentif amusé, émerveillé, subjugué. Mais en sa présence le rêveur passe aisément de l'apaisement à l'oubli de soi, pour se perdre enfin au sein du grand tout.
Il existe des poètes randonneurs et c'est sur les brèves évocations de leurs courses en montagne que s'ouvre le volume. En peu de mots s'y concentrent les impressions que développe en prose le genre familier des récits de voyage. Au tour narratif la description associe ses esquisses, ses lavis, sous des éclairages variables selon les saisons ou selon les moments de la journée, notamment l'aube et le crépuscule où se noient les contours. Poésie et peinture sont si intimement liées que sous le regard du contemplateur le paysage se révèle oeuvre d'art. La montagne, antique divinité généreuse et redoutable, horrifique séjour des monstres, accueille aussi dans sa paix, en période de troubles, ceux qui fuient la poussière et les dangers du monde. Ermites et moines y établissent leurs retraites et monastères, et le regard serein qu'ils portent sur elle en découvre l'auguste majesté, la pureté sublime. Pas plus que de yang sans yin, il n'y a de montagne sans eau. Mais dans un deuxième groupe de poèmes c'est l'eau qui retient toute l'attention : limpidité des bassins et des lacs, inépuisable vitalité des torrents et des cascades, reflets, jeux d'ombre et de lumière. De vastes paysages défilent sous les yeux du voyageur à bord de son bateau, à moins que le poète, immobile sur la rive, ne voie s'évanouir une embarcation dans la brume, emportée mystérieusement vers d'autres cieux.
Hanshan
Qui se repose au sein des nuées blanches
N'a nul besoin d'acheter la montagne.
Le val est-il pentu, prends un bâton,
La montée rude, agrippe les lianes.
Les pins resteront verts au fond des gorges,
Au bord des eaux se marbreront les roches.
Les liens brisés, tu n'auras plus d'amis,
Mais au printemps le concert des oiseaux.
19
Wang Wei
Le Faîte unique
approche la cité céleste,
Sa longue arête
atteint les bords de l'Océan.
Nuages blancs,
on se retourne, ils se referment,
Brouillard bleuté,
on y pénètre, il se dissipe.
Tous les terroirs
que traverse le mont diffèrent,
Ombre et lumière
se jouent dans les gorges sans nombre.
Désir m'a pris
d'un gîte pour passer la nuit,
Sur l'autre rive
un bûcheron, je l'interroge.
Le Zhongnanslian (le mont du Fond du Sud) s'élève au sud de l'ancienne capitale, Chang'an.
Il s'appelle aussi "Taiyi", le Faîte unique.
23
Su Shi
Vie de profil c'est une chaîne
et de face une cime,
Entre le proche et le lointain,
le haut, le bas, tout change.
Si l'on ignore du Lushan
quel est le vrai visage,
C'est simplement qu'on est soi-même
au coeur de la montagne.
41
Yang Wanli
Une éclaircie au point du jour
dans un ciel sombre encore :
L’oeil captivé ne voit partout
que cimes merveilleuses.
Mais il arrive qu'une cime
soudainement grandisse,
Et l'on découvre qu'immobile
elle est vraiment montagne.
51
Yu Liangshi
La montagne au printemps
merveilles à foison
De plaisir on oublie
de rentrer à la nuit
Que je puise un peu d'eau
la lune est dans ma main
Que je me joue des fleurs
tous mes habits embaument.
Un même charme unit
le proche et le lointain
Au départ on regrette
les herbes parfumées
L'oeil cherche au sud : d'où vient
le son de cette cloche ?
D'une tour que dérobent
les vertes profondeurs.
67
Cui Hu
L'année dernière en ce jour même
dans cette porte s'encadraient
Un visage, un pêcher en fleur,
dont se mêlaient les reflets rouges.
Mais aujourd'hui ne puis savoir
où s'en est allé ce visage,
Fleur de pêcher comme autrefois
sourit aux souffles du printemps.
73
Jia Dao
Main sur sa canne il contemple
la neige après l'accalmie,
Des nuées sur les torrents
s'épaississent par milliers.
Les bûcherons s'en retournent
à leurs masures blanchies,
Et le soleil refroidi
descend sur les hautes cimes.
Parmi la campagne un feu
brûle l'herbe des collines,
Un fil de fumée s'élève
entre sapins et rochers.
En reprenant le chemin
du temple dans la montagne,
Il entend au crépuscule
sonner la cloche en plein ciel.
85
Ren Yuchen
Du ciel bleu sombre j'approche,
du vide où les troncs se tordent.
La voix des monts m'étourdit,
mais le vent reste invisible.
Mille cimes me fascinent,
est-ce donc une peinture ?
Mais au milieu du tableau
je me suis perdu moi-même.
97
Wu Weiye
Enfin j'ai compris
l'erreur de ma vie :
N'être pas venu
contempler du ciel
Des monts déchaînés
les nombreux détours,
Et des longues eaux
les brusques méandres.
Debout seul enfin
le calme est venu,
Le fond de mon coeur
soudain s'est ouvert.
Mais sur le sentier
déjà le soir tombe,
Pourrai-je à mon âge
revenir un jour ?
109
Jia Dao
Sous les pins j'avise
un petit valet.
"Le maître, dit-il,
récolte les simples.
Mais en vérité
dans cette montagne
Au fond d'un nuage
il a disparu."
113
Gui Hao
Elle avait hâte, ma barque légère,
D'atteindre le séjour du Bois brumeux !
Assis, debout, entre oiseaux et poissons,
J'ai troublé les reflets de la montagne.
Tandis qu'en haut les falaises dialoguent,
Nos voix sur l'eau amplifient le silence.
Me voici retiré de tout souci,
Rame en suspens face aux derniers rayons.
123
Wang Wei
Au soir de ma vie
j'aspire au silence,
Les dix mille affaires
mon coeur n'en a cure.
J'ai beau réfléchir,
aucun grand projet,
Sinon de revoir
ma vieille forêt.
Le vent dans les pins
délie ma ceinture,
La lune en montagne
éclaire mon luth.
Veux-tu pénétrer
jusqu'au fond des choses ?
Le chant d'un pêcheur
envahit la berge.
127
Chang Jian
Soleil de l'aube à l'entrée du vieux temple,
Le jour paraît sur la haute futaie.
Un sentier de bambous mène au secret
Des cellules tapies dans la verdure.
Clarté des monts où s'égaient les oiseaux,
Reflets des eaux où s'épurent les coeurs.
Toute rumeur du monde ici s'est tue,
Rien que le son de la cloche et du gong.
149
Zhu Xi
Dans un bassin de rien du tout
qui leur tend son miroir,
L'astre du jour, la nuée sombre,
ensemble se promènent.
Demandons-lui : "Comment fais-tu
pour être aussi limpide ?
- C'est simplement que de ma source
me viennent des eaux vives."
Le titre indique le sens symbolique de l'image,
161
Du Mu
On a creusé
le sol moussu
Et dérobé
un bout de ciel
Dans ce miroir
naît un nuage
Au pied des marches
glisse la lune.
163
Chu Guangxi
Il est un torrent
qui court la montagne
Comment il s'appelle ?
Nul ne sait son nom
À terre il reflète
la couleur du ciel
En vol il imite
le bruit de la pluie
Ses remous emplissent
de profonds ravins
Ses bras s'alanguissent
en petits bassins
Tranquille et modeste
inconnu des hommes
D'année en année
toujours aussi pur.
166
Jacques Pimpaneau Anthologie de la littérature chinoise classique Editions Philippe Picquier 2004
LE PRUNIER
Après que la glace et le gel ont tout broyé, Soudain éclosent quelques branches nouvelles. Solitaires, dans le paysage vespéral, Elles ouvrent le printemps de l'univers. Dans la nature, mort et vie se répondent ; Qui peut rivaliser avec la force de ces fleurs ? Quand on voit auprès d'elles l'ermite campagnard, C'est comme si l'on rencontrait un homme d'outre-monde 1.
Chen (Chen Tii-yu), bachelier du début des Ts'ing réputé pour son art impulsif et naturel.
1. L'ermite campagnard, c'est l'adepte du taoïsme qui cherche l'immortalité par une ascèse physique lui donnant un aspect plus voisin d'une chose morte que d'êtres aussi vivants que les bourgeons du printemps.
Mei : Ping chouang mo lien heou, hou fang hi tche sin...
Tr. Siao Che-kiun. Rv. Hervouet.
La littérature de l'antiquité
Classique des poèmes
Poème 1 [59]
Guanguan, crie l'aigle-pêcheur Sur un îlot au milieu du fleuve. La jolie fille est charmante, Le seigneur la recherche. Elle cueille le cresson, qu'il soit long ou court, Elle cueille le cresson de droite et de gauche, à l'est et à l'ouest. La belle jeune fille est charmante, Il la poursuit même quand il dort. Il la poursuit, mais ne l'obtient pas, Il pense à elle même quand il dort. Très longuement, très longuement, Il se tourne et se retourne, sur le dos, sur le côté. Le cresson pousse dans tous les sens, A gauche, à droite, elle en cueille. La belle jeune fille charmante, Le son de la cithare la conquiert. Le cresson pousse dans tous les sens, A gauche, à droite, elle en cueille. La belle jeune fille charmante, Cloches et tambours la réjouissent.
(1036-1101)
[396]
Par un exemple concret au lieu d'un discours abstrait, Su Dongpo reprend l'idée de Lao Zi : le Tao dont on parle n'est pas le Tao permanent ; le commencement du ciel et de la terre reste sans nom; ce qui a un nom, c'est la mère des êtres et des choses. On ne peut connaître que ce qu'on peut appréhender. Pourtant Su Dongpo pense qu'on peut atteindre le Tao, à condition de ne pas le rechercher, mais seulement le Tao sous-jacent à certains phénomènes, et encore faut-il l'étudier et le maîtriser.
Si un aveugle de naissance ne sait pas ce qu'est le soleil et qu'il interroge quelqu'un qui l'a vu, celui-ci sans doute lui dira : « Le soleil ressemble à une assiette en cuivre. » Alors si l'aveugle frappe une assiette de métal, il entendra ainsi un son; par la suite, entendant une cloche, il en conclura que c'est le soleil. Quelqu'un d'autre pourra lui dire : « La lumière du soleil est comme celle de la bougie. » Alors tâtant la bougie, il sentira une forme, si bien qu'en touchant une flûte, il croira que c'est le soleil. En fait, le soleil diffère fort d'une cloche ou d'une flûte, mais l'aveugle ne peut reconnaître la différence parce qu'il ne l'a pas vu et qu'il s'enquiert auprès d'autrui. Il est encore plus difficile de voir le Tao que le soleil, et ceux qui ne l'ont pas compris sont comme un aveugle. Si ceux qui l'ont compris les informent, aussi habiles que soient leurs images, aussi bon que soit leur enseignement, ils ne peuvent le faire mieux que celui qui plus haut recourait à une assiette ou à une bougie. Si l'on va de l'assiette à la cloche, de la bougie à la flûte et vice versa en tournant en rond, comment pourrait-on y parvenir ? Ceux qui autrefois parlaient du Tao, ou bien donnaient des noms à ce qu'ils avaient vu, ou bien élaboraient des concepts sans avoir rien vu: c'est là faire fausse route quand on essaie de rechercher le Tao. Est-ce à dire que finalement on ne peut rechercher le Tao ? Moi je dis : « On peut atteindre le Tao, mais on ne peut pas le rechercher. » Que signifie [397] alors « atteindre » ? Le stratège Sun Wu disait : « Un bon stratège attire l'ennemi pour l'atteindre, et il ne se fait pas attirer et atteindre par l'ennemi. » Le disciple de Confucius Zi Xia disait : « Les artisans restent dans leur atelier pour réaliser leurs objets, l'homme de bien étudie pour atteindre le Tao. » On l'atteint sans jamais le rechercher, voilà ce que je considère être « atteindre ». La plupart des gens dans le Sud savent nager sous l'eau, car ils habitent dans des régions chaudes où il y a beaucoup d'eau. A sept ans, ils savent passer à gué ; à dix ans, ils savent flotter, et à quinze, ils peuvent nager sous l'eau. Savoir nager sous l'eau ne peut se faire n'importe comment. Il est nécessaire de pouvoir maîtriser le Tao de l'eau. Résidant dans des régions chaudes où l'eau est abondante, à quinze ans, ils ont obtenu le Tao de l'eau. A leur naissance, ils ne connaissaient pas l'eau ; et, même en grandissant, ils auraient continué à avoir peur en voyant un bateau. C'est pourquoi les hommes du Nord les plus audacieux, s'ils demandent comment nager sous l'eau, cherchent la façon d'y arriver en se fondant sur des informations orales, et s'ils s'y essaient dans un fleuve, il n'y en a pas qui ne se noieront pas. Il en est de même pour tous ceux qui interrogent sur le Tao sans étudier; ils sont comme les gens du Nord qui veulent apprendre à nager sous l'eau. Autrefois, aux examens de lettrés, il y avait une épreuve de versification ; les candidats étudiaient en papillonnant sans se concentrer sur le Tao ; à présent, il y a une épreuve sur les Classiques; les candidats cherchent le Tao sans se consacrer à l'étude. Wu Yanlu de Bohai 1 est quelqu'un qui se consacre à l'étude et vient de demander à être promu et à entrer au ministère des Rites ; c'est pour lui que j'ai écrit ce texte sur l'image du soleil.
1. Wu Yanlu était inspecteur des alcools à Xuzhou quand Su Dongpo en était le préfet. Bohai est dans l'actuelle province du Shandong.
Souvenir d'un séjour à Mianchi avec mon frère Ziyou (1061)
Su Dongpo et son frère Ziyou avaient séjourné dans un temple à Mianchi et écrit un poème sur un mur.
Partout la vie humaine, à quoi ressemble-t-elle ? Elle ressemble au vol d'un cygne, à ses traces sur la boue enneigée. Sur la boue au hasard, il laisse les marques de ses pattes, Mais le cygne envolé se soucie-t-il de calculs sur ceci ou cela! Le vieux moine est mort, un nouveau stoupa fut élevé, Sur le mur en ruine, plus moyen de voir ce que nous avions écrit. Du chemin escarpé d'autrefois, t'en souvient-il encore? De la longue route, de la fatigue et du braiment de l'âne boiteux ?
(Mon cheval étant mort l'an passé à Erling, j'avais chevauché un âne jusqu'à Mianchi.)
La nuit du Nouvel An... (1071)
La nuit du Nouvel An, j'étais au tribunal. Les prisons étaient pleines de prisonniers. A la tombée du jour, je n'ai pas pu retourner chez moi, c'est pourquoi j'ai écrit un poème sur le mur.
La veille du Nouvel An, il convient de rentrer de bonne heure, Mais des tâches officielles me retiennent. Tenant mon pinceau, en face d'eux, j'ai pleuré De pitié pour ces prisonniers enchaînés, Petits hommes qui cherchaient à se nourrir. Ils sont tombés dans le filet, ignorant le sentiment de la honte. Moi aussi, par amour pour un maigre salaire, Je m'y accroche au lieu de prendre ma retraite. Sagesse ou sottise, inutile d'en parler, Tous nous recherchons de quoi nous nourrir. Qui pourrait les libérer, ne serait-ce qu'un moment ? Je reste silencieux, honteux devant les anciens sages.
Sur les rimes de « En buvant du vin » de Tao Yuanming (1092) *
Je bois peu, mais j'apprécie toujours d'avoir une coupe de vin à ma disposition et souvent je m'endors sur mon siège. On me croit ivre alors que j'ai l'esprit clair. Il est difficile de dire si je suis ivre ou à jeun. Ici à Yangzhou, je continue à boire, mais je m'arrête à midi. Mes visiteurs à peine partis, je déboutonne mes vêtements, me détends et reste assis ainsi le reste de la journée. Ce jour-là, je n'avais pas assez bu pour être vraiment heureux, mais je ressentais une sorte d'excitation. Aussi ai-je décidé d'écrire des poèmes en reprenant les rimes de Tao Yuanming dans sa série En buvant du vin afin d'exprimer, en quelque sorte, ces sentiments indéfinissables. Je les ai montrés à mon frère Ziyou et au lettré Chao Buzhi **.
* Tao Yuanming, poète qui refusa toute carrière officielle et qui était très admiré de Su Dongpo; il avait écrit une série de poèmes intitulée En buvant du vin. (Cf. la partie du chapitre III sur ce poète, p. 274 et suiv.)
** Alors vice-gouverneur de Yangzhou.
Je ne vaux pas Tao Yuanming, Les affaires officielles m'enferment dans leurs filets Et je me demande parfois comment m'en libérer Pour obtenir enfin une vie telle que lui: Un terrain minuscule sans ronces ni épines, Un endroit agréable, semblable à celui-ci. Que l'esprit sans entraves suive le cours des choses, Que là où il réside il n'y ait plus de doute, Obtenir par hasard du plaisir dans le vin Et m'accrocher souvent à une coupe déjà vide. J'ai rêvé être de retour à l'école de mon enfance, Me croyant revenu au temps de mes deux couettes. Sans plus me souvenir que j'ai des cheveux blancs, Je récitais encore les Entretiens de Confucius. La vie humaine est comme un jeu d'enfant, Tout est à l'envers, et ressemble à ce rêve. Ce n'est que dans l'ivresse que l'on est vraiment soi-même ; Etre une grotte vide sans plus d'incertitude, Tomber de char sans jamais se blesser; Le vieux sage Zhuang Zi* ne nous a pas trompés. Je demande à mon fils : prépare de quoi écrire ; Et désormais j'écris ce que dicte l'ivresse.
1. Allusion à un passage du Zhuang Zi (chapitre 19): « Si un homme ivre tombe d'une voiture, bien que contusionné, il ne sera pas tué. Ses os et ses articulations sont semblables à ceux des autres hommes, mais le mal qu'il subit en diffère, car son esprit est intact. Il monte en char et en tombe sans en être conscient. La peur de la mort et de la vie ne pénètre pas en lui. C'est pourquoi il heurte les choses sans frayeur. Il obtient cette préservation de son intégrité grâce au vin. Alors, s'il en est ainsi, à plus forte raison s'il obtient de préserver son intégrité grâce au Ciel ! »
Ecrit sur des branches peintes par le secrétaire Wang de Yanling (1087) [405] Discuter de peinture d'après la ressemblance des formes, C'est regarder presque comme un enfant; Dire que les poèmes doivent obéir à l'idée de poésie, C'est à coup sûr ne pas comprendre la poésie. Poésie et peinture relèvent d'une seule loi, D'un art inspiré, de fraîcheur et de nouveauté. Les oiseaux de Bian Luan* sont aussi vrais que nature,
* Peintre du VIIIe siècle.
En passant par le monastère des Parfums Accumulés* Je ne connais pas le monastère des Parfums Accumulés. Sur plusieurs lieues j'ai pénétré les hauteurs perdues dans les nuages. Parmi les vieux arbres, il n'y a pas de sentiers humains ; Au fond des montagnes, d'où vient un son de cloche ? Le bruit des sources résonne sur les pierres qui ressortent, La couleur du soleil sur les pins verts donne une idée de froid. Dans le vide du crépuscule ténu, des étangs sinuent, La méditation paisible y maîtrise les dragons venimeux **.
* Monastère qui date des Tang, situé près de la capitale.
** Les dragons venimeux représentent les espoirs, les pensées vaines. L'idée du poème est que la tranquillité de la méditation bouddhique peut exister dans la nature, même si l'on ne va pas jusqu'au monastère. [414]
Ma résidence secondaire aux monts Zhongnan* A partir de ma maturité, j'ai beaucoup aimé le Tao**, Au cours de ma vieillesse, j'ai installé mon foyer aux monts Zhongnan. Quand l'envie m'en prend, je pars seul, droit devant moi, J'ai compris ce plaisir suprême dans le vide. Je marche jusqu'à un endroit où l'eau ne coule plus Et je m'assieds pour regarder les nuages qui s'élèvent.
* Montagnes situées au sud-ouest de la capitale, où Wang Wei avait une maison.
** Ici, le Tao est plutôt le Tao au sens bouddhique: le Dharma. [414]
(701-763)
Dialogue dans la montagne [421]
Vous me demandez : quelle idée de percher sur ce mont bleuté ?
Je souris sans répondre. Mes pensées vagabondent
Comme les fleurs de pêcher que le courant emporte
Vers un autre monde étranger aux humains.
En écoutant Jun, bonze du Sichuan, jouer de la cithare* Le bonze du Sichuan tient dans son bras une cithare, Il descend à l'ouest du sommet du mont Emei**. Dès que pour moi il bouge ses doigts, C'est comme entendre le bruissement de pins dans dix mille vallées. Le coeur du voyageur en est lavé comme par un cours d'eau***, Le son qui dure semble celui de la cloche que la rosée fait sonner. Je ne m'aperçois pas que les vertes montagnes disparaissent dans le soir Et que les nuages d'automne en volutes répétées s'assombrissent.
* On ne sait rien de ce bonze. La cithare est ici appelée un Lüqi, nom d'une cithare célèbre, comme on parle d'un violon en disant un Stradivarius. C'est une cithare à sept cordes sans chevalet, instrument par excellence des lettrés, dont on joue en pinçant les cordes et en faisant glisser les doigts sur elles.
** Le mont Emei, parsemé de temples bouddhiques, est le plus célèbre massif montagneux du Sichuan.
*** Sans doute une allusion à l'anecdote rapportée dans le Lie Zi: quand Bo Ya improvisa sur sa cithare, le bûcheron Zhong Ziqi devina qu'il pensait à de l'eau qui coule. La cloche du mont Fengshan résonnait quand de la rosée tombait sur elle. [425]
Chanson d'adieu en parcourant en rêve le mont Tianlao [426-427]
Le voyageur revenu de la mer parle des immortels,
Perdus dans les brumes, difficiles à trouver.
Les gens de Yue vous entretiennent du mont Tianlao,
Visible à travers les nuages irisés dans la clarté déclinante.
Ce mont Tianlao raye le ciel de sa ligne,
Il dépasse les pics sacrés, surmonte le Mont Rouge.
Le mont Tiantai, aussi haut qu'il soit,
En face de lui, s'incline vers le sud-est.
Aussi ai-je voulu en rêve visiter cette région
Et une nuit sous la lune, j'ai volé jusqu'au lac Jinghu.
La lune sur le lac éclaire ma silhouette
Et m'accompagne jusqu'à la source à l'ouest du mont.
Existe toujours le lieu où Xie Lingyun* s'arrêta,
Ses vaguelettes d'eau verte, ses cris perçants de singes.
Chaussé des chaussures de montagne du poète,
Je monte à l'échelle des nuages sombres.
A mi-pente, je vois le soleil sur la mer,
Dans le vide, j'entends le Coq céleste.
La route erre parmi les gorges et ravins,
Perdu dans les fleurs, je m'appuie à une pierre; il est tard.
Les ours grognent, les dragons grondent, sources contre le roc,
Ils effraient les forêts profondes, font trembler les sommets étagés.
Les nuages sont noirs, il va pleuvoir,
L'eau tombe implacable et dégage une vapeur,
Les éclairs brillent, le tonnerre résonne,
La montagne va s'écrouler.
La pierre qui ferme l'antre céleste
S'ouvre avec fracas.
Vastitude du ciel dont on ne voit la fin,
La lune et le soleil éclairent la Terrasse d'or et d'argent.
Vêtus d'arc-en-ciel, avec le vent pour monture,
Les seigneurs des nuages descendent en désordre.
Des tigres jouent de la cithare, des phénix tirent des chars,
Les immortels sont aussi nombreux que plants de chanvre.
Soudain mon esprit est terrifié, mon âme prend peur.
Déçu, je me lève et pousse de longs soupirs.
A mon réveil, je ne trouve que natte et oreiller,
J'ai perdu les nuées d'il y a un instant.
Ainsi en va-t-il des plaisirs du monde,
Depuis toujours, tout n'est que cours qui courent à l'embouchure.
Je prends congé de vous. Quand reviendrez-vous ?
Maintenant je fais paître un daim blanc parmi les falaises vertes,
Plus tard je le chevaucherai pour visiter les monts célèbres.
Comment pourrais-je incliner les yeux et la taille devant les puissants
S'il faut renier l'allégresse d'un moment !
1. Xie Lingyun (385-433) est le grand poète de paysages qui influença Li Bai. On lui attribue l'invention de chaussures de montagne dont le talon relevé permettait de garder le pied à plat sur les pentes.
Ballade du vieux cyprès* [432-433] Devant le temple de Zhuge Liang** il y a un vieux cyprès, Ses branches sont comme bronze, ses racines comme rochers. Son écorce est comme entourée de gelée blanche, La pluie qui en coule enserre son tronc, Sa couleur sombre visite le ciel à deux mille pieds. Seigneur et vassal ont déjà rencontré leur moment Mais cet arbre est encore par les gens aimé. Les nuages arrivent, leur souffle vient de la longue gorge des Chamanes, La lune sort et le froid pénètre la blancheur des montagnes enneigées. Ceci me rappelle, sur la vieille route qui contournait ma maison à l'est, Le sanctuaire retiré de l'ancien souverain et du marquis Wu*** : Ses branches et troncs majestueux dans la plaine aux environs de la ville, Ses peintures décrépites, ses portes et fenêtres vides. Ce cyprès a beau se dresser, bien ancré dans la terre, Haut et solitaire dans le ciel, il est en butte aux vents violents. C'est une force divine qui le soutient et le maintient, C'est au travail de la création qu'est due son allure si droite. Un grand bâtiment va s'effondrer, il faut une poutre, Mais des milliers de boeufs détournent la tête devant sa lourdeur. Sans faire montre de sa valeur, il étonne déjà le monde; Il n'a jamais refusé d'être coupé, mais qui pourrait l'emporter? Son coeur souffrant, comment éviterait-il que les fourmis le pénètrent, Tandis que ses branchages odorants abritent des phénix. Hommes ambitieux qui vivez retirés, ne soupirez pas de regret, Depuis toujours ce qui est grand, il est difficile de l'employer.
* Du Fu a écrit ce poème sur un cyprès devant le temple de Zhuge Liang à Kuizhou, dans la pro-rince du Sichuan, où il résida un moment.
** Zhuge Liang était le grand stratège du royaume de Shu à l'époque des Trois Royaumes (220-265).
*** Ce temple de Zhuge Liang rappelle au poète le temple à Chengdu, où il résidait avant, dédié au même Zhuge Liang, marquis Wu, et à Liu Bei, le souverain du royaume de Shu.
POÈMES CHAN
Le plus célèbre de ces bonzes poètes est Hanshan, que Gary Snider a fait connaître en Occident en tant qu'ancêtre de la Beat Generation, mais il ne fut pas le seul moine à considérer que la poésie était peut-être un langage possible pour exprimer la pensée religieuse et philosophique du chan (zen en japonais). [458-461]
Je désirais obtenir un lieu pour reposer mon corps, Montagne Froide peut nous garder longtemps. Un vent léger souffle dans les pins retirés, Quand on l'écoute de près le son est encore meilleur. Dessous il y a un homme aux cheveux grisonnants Qui en marmonnant lit le livre de l'Empereur Jaune et de Lao Zi. Au bout de dix ans je ne peux plus revenir, J'ai oublié le chemin de quand je suis venu. Montagne Froide, ô combien retirée et étrange, Ceux qui l'ascensionnent ont souvent peur. Quand la lune éclaire, l'eau devient claire et translucide, Quand le vent souffle, les herbes font un bruissement. Sur les prunus fanés, la neige forme des fleurs, Dans les branchages dénudés, les nuages servent de feuilles. Quand survient la pluie, cela devient frais et animé; S'il ne fait pas beau, on ne peut pas traverser. Parmi mille nuages et dix mille eaux, Au milieu il y a un personnage oisif. En plein jour, il se promène parmi les vertes montagnes, La nuit, il revient sous la falaise dormir. Rapidement passent printemps et automnes, Solitairement, sans liens avec le monde de poussière. Joyeux ! sur quoi m'appuierais-je? Je suis calme comme l'eau du fleuve à l'automne. Ai-je un corps ou n'en ai-je pas? Suis-je moi ou ne suis-je pas moi? Ainsi ma pensée qui s'interroge suppute. Le temps s'écoule doucement et je reste assis, appuyé à la falaise, Entre mes pieds, les herbes vertes poussent, Sur le sommet de ma tête, la poussière rouge tombe. J'ai déjà vu des hommes parmi le vulgaire, Sur mon lit de mort, déposer offrandes de vin et de fruits. La vie humaine est située dans le trouble de la poussière, Juste comme un insecte au milieu d'une cuvette. Toute la journée il avance en tournant, en tournant, Sans quitter le milieu de la cuvette. Esprit ou immortel il ne peut le devenir, Ses soucis et ses plans sont inépuisables. Années et mois sont comme l'eau courante, En un instant il devient un vieillard.
Autres poèmes chan [461] Ma route se situe au-delà de l'azur, Où les nuages n'ont plus de lieu où errer. Dans le monde il existe un arbre sans racines, Telle une feuille morte, que le vent m'y ramène. (Sushankuangren)
(1716-1798)
[761]
De hauts tumulus la colline est couverte, Je les regarde brièvement et passe mon chemin. J'ai l'idée d'un poème, mais ne me résous à l'écrire, Trop de poètes avant moi s'y sont essayés. Maintenant que j'ai vieilli, je ne supporte plus de me voir dans un miroir, Mais j'ai trouvé moyen d'éviter la vue de ma décrépitude. Plus indulgente quand je me peigne est l'ombre que la lampe projette, Elle me montre sur le mur sans la gelée blanche de mes sourcils. Quand on ouvre un livre, on rencontre des anciens, Quand on marche dans les rues, on rencontre des contemporains. Des anciens, les ossements sont devenus poussière, C'est seulement leurs sentiments que nous pouvons approcher. Les contemporains forment notre génération, Mais les écouter est comme mâcher une chandelle. Je préfère vivre avec des objets et des pierres Que de passer mon temps avec des gens ordinaires. Heureusement il n'est pas nécessaire d'appartenir à son époque, Ma véritable époque est celle des livres que je lis. Qui sait si je n'errerai pas dans un ciel au-delà du ciel Où mes yeux verront ce qu'ils n'ont jamais vu. Quelle déception si la roue des réincarnations Se contentait encore une fois de faire de moi un poète ! A soixante-dix ans, je plante encore des arbres, Ne riez pas de moi en me voyant. Il est vrai qu'on ne vit pas éternellement, Mais il ne sert à rien de le savoir prématurément.
Table des matières
Poèmes de Chine, Corée, Japon 1
Chronologie des poètes disposant d’une entrée au premier niveau 6
« je me suis retiré dans mon humble demeure » 8
« quand la barque est vide... » 11
« Lors du règne de la dynastie Chin... » 12
retournant vivre au jardin et aux champs 15
Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod) 27
Quelques remarques sur les affinités entre la poésie moderne et la poésie des Tang 27
Ballade sur la source de la Rivière aux fleurs de pêchers 1 32
Dans les montagnes, lettre au bachelier Pei Di 34
Composé en traversant le fleuve pour aller à Qinghe 1 38
Chanson pour accompagner le printemps qui s'en va 38
Les secrets de l'art pictural 38
« Nuit d'automne à l'Établissement des Rites... » 43
« Les montagnes se taisent... » 44
« Le couchant parfait les monts et l'eau... » 46
« Jour d'été au monastère... » 47
« J'ai connu tard le principe de pureté... » 47
« Le soir empoigne un bâton de bambou... » 48
A letter to Pei Ti from the hills 49
naviguant vers Ching men, adieu 50
Extraits biographiques (Cheng & Collet) 50
inscrit au Temple du sommet 51
composé lors d'une visite à un moine 52
promenade sur le Ruisseau clair 54
« cinq cents mots pour exprimer mon sentiment » 56
« ...les dessins de mer et de vagues y sont brisés » 59
« je viens de me promener dans le monastère » 60
« les chariots grondent "lin lin" » 60
« hauts et majestueux, les nuages... » 62
« étriqué! comme c'est étriqué! » 62
« sur les les montagnes alentour le vent souffle... » 63
« tard dans la vie j'ai construit ma maison » 64
« sur les berges de la rivière déjà le milieu du printemps » 64
« ce soir un vent violent traverse le village » 65
« je me souviens, à quinze ans... » 65
« pauvre, vieux, vraiment sans affaire, » 66
« le haut ciel d'automne... » 66
« me voilà de retour aux champs » 67
« entre ciel et terre, partout la même vie pénible » 67
« au profond de la nuit... » 68
« d'avoir à solliciter autrui cause cent soucis » 69
« de la montagne sacrée du sud maintenant on approche » 70
voyage nocturne, décrivant mon sentiment 71
« je regarde le givre dans ma barbe... » 71
« un chapeau de bambou, un manteau de paille... » 72
« à dos d'âne souvent j'emporte... » 72
« l'air de l'automne souffle dans une flûte claire » 72
« une haie de ronces tressées... » 73
« le vieillard de la montagne... » 73
« de mon rêve mélancolique soudain... » 74
« à l'écart je me suis réfugié... » 75
« la pluie traverse le village assombri » 75
« des quatre côtés l'eau sans limite... » 75
« mon âge approche des soixante-dix ans » 76
« le vent soulève le fleuve et le lac... » 76
« dans l'ombrage formé par les mûriers... » 77
« dans la chambre au nord... » 77
« rester devant la fenêtre bonnet enlevé... » 77
« dix mille replis de montagnes enneigées... » 78
« à gauche et à droite ma lyre et une coupe... » 78
« jeune j'ai séjourné au milieu de la Cour... » 78
« du tao merveilleux depuis toujours... » 79
« dans ce pays de fleuves et de lacs... » 79
« du pont rouge du Hameau des pruniers... » 80
« toute ma vie le temps qui passe... » 80
« dans la poussière jaune... » 80
« il y a quarante années... » 81
« au moment où je commence à être las d'entendre les tourterelles... » 82
« mes vieilles habitudes... » 82
Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846) 82
Fourrures légères et chevaux gras 83
« ...des maîtres zen, des amis poètes » 84
Me promenant sur le coteau à l'est 85
«... Par une journée de printemps... » 85
Biographie du Maître qui s'enivre et compose des poèmes 86
« la tête étourdie, je ne pêche plus » 87
« Accablé par la vieillesse et la maladie... » 87
« Dans la famille, hors de la famille » 88
« une longue vie, jusqu’à soixante-quinze ans » 89
Mangeant des pousses de bambou 91
« Eh bien moi, mon plaisir, c'est la vie solitaire! » 93
« Il est un mangeur de brumes » 94
« Mon coeur est comme la lune d'automne, » 95
« Houleuse immensité, les eaux du Fleuve Jaune » 95
« Splendides s'étagent les monts et les torrents » 96
« Cette nuit, j'ai rêvé que je rentrais chez moi. » 96
« Bien que la vie ne couvre pas un siècle, » 97
« J'ai une grotte, / Une grotte où il n'y a rien » 97
« Sans étudier, sans agir... » 98
« Or donc, cet endroit où je vis en paix » 98
« D'une eau pure et lumineuse... » 99
« Allez dire aux gens de bien... » 99
« Les choses de ce monde... » 99
« Devant un haut rocher, » 100
« Les monts sont ma demeure, » 101
« A thatched hut is a home for a country man » 101
« Here we languish, a bunch of poor scholars, » 102
« If you have wine, call me in to drink; » 102
« Wonderful, this road to Cold Mountain — » 102
« Cold cliffs, more beautiful the deeper you enter » 103
« I look far off at T'ien-t'ai's summit, » 103
« Would you know a metaphor for life and death? » 103
« The clear water sparkles like crystal » 104
« By chance I happened to visit an eminent priest » 104
« In my house there is a cave, » 104
« Here is a tree older than the forest itself » 105
Introduction (Yves Hervouet) 106
Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy) 109
« Un vent léger froisse les aiguilles de pin » 110
« Entrouvrir le rideau... » 111
« Le riz cette année met longtemps à mûrir » 112
« Qui dit qu'une peinture doit être ressemblante ? » 113
« Les cent rivières coulent jour et nuit » 113
« Les parents veulent tous des enfants brillants » 115
« Une terre abandonnée... » 116
« Avant que la lune soit haute les montagnes étaient plus élevées » 118
« C'est la veille du Nouvel An / Je devrais rentrer tôt » 119
« Nous fraternisons avec les langoustes... » 119
« Le vent clair qu'est-ce donc ? » 120
« J'ai rêvé que j'étais à l'école primaire » 121
« La neige au crépuscule... » 122
La lune pâle plonge dans les nuages 123
« Quand la marche du temps... » 123
« Eau sans borne, ciel sans limite... » 124
Museau Noir chien de la mer du Sud 126
Un poème d'hiver pour avoir frais l'été 127
« Je suis un vieux singe qui a peur » 128
Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren) 129
à Mian chi, réponse à Tzu yu, songeant au passé 130
sur le rythme de "marchant sur le vert" de Tzu yu 130
au Pavillon d'où l'on contemple la mer, scène du soir 131
sur la route de Hsin cheng 131
passant la nuit au Temple de la terre pure, à Lin an 132
visite à la Pagode du haut pic, au temple Ling yin 133
plainte de la paysanne de Wu 133
« veille du nouvel an, la neige me retient » 134
le Rapide de cent pas, avec préface 136
« la lampe de buddha peu à peu s'assombrit... » 138
« ...même d'une terre en friche... » 139
« ...la pluie a lavé la Pente de l'est... » 139
« n'écoutez pas le bruit de la pluie... » 140
« je m'en retourne / vers où mon retour? » 140
« j'ai entendu dire que dans les rochers du Tai shan » 141
« mes poèmes sont dit-on rudes » 142
note à propos d'une peinture 142
« qui dit que la peinture doit être ressemblante? » 142
sur la Tzu hu chia, contrarié par le vent 143
récit d'une promenade au Pavillon du vent dans les pins 143
« Sur le chemin de Chiang chow à Tan chow... » 144
Rhyming with Tzulu's "Treading the Green" (1063) 147
Written on the Wall at West Forest Temple (1084) 150
Who Says a Painting Must Look Like Life? (1087) 151
Above the River, Heavy on Me Heart (1088) 152
Held Up by Head Winds on the Tz'u-hu-chia: Five Poems (1094) 155
I'm a Frightened Monkey Who's Reached the Forest (1095) 155
Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren) 157
passant la nuit au Relais de l'Etang des pierres 158
une nouvelle édition d'un recueil de Su Tung po 159
aurore de neige dans la jonque, on allume du feu 160
« en plus d'être malade... » 161
« la surface du lac est collée au ciel,... » 161
« The great Way has no gates » 162
« Playing with the Moon on a Summer Night » 162
« This old fellow's really thirsty... » 163
Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200) 164
« As for the interaction of stimulus and response... » 164
Recently I have absolutely renounced writing poetry 165
Contemplation of nature was a way to transcendental wisdom and poems 170
Ikkyû-Sôjun de la Mer-Est. 172
Bashô (1644-1694)(Sieffert) 173
« Une tasse tombe sur le sol » 178
La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937) 180
« Dans ma précédente leçon... » 180
« ...une espèce de synthèse thématique... » 183
Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957) 189
9.The Moon Cannot Be Stolen 189
10. The Last Poem of Hoshin 190
28. Open Your Own Treasure House 191
23. Do Not Think Good, Do Not Think Not-Good 193
Centering transcribed by Paul Reps 194
Anthologie (Paul Demiéville 1962) 195
[…] « Silencieuse, esseulée, je monte... » 195
Suite de l’Introduction de P. Demiéville 196
« Notre vie ici-bas, à quoi ressemble-t-elle ? » 202
« Une brise susurre, légère, dans les joncs » 203
Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971) 203
Sur la mort de la princesse Asuka * 204
[Dialogue de deux pauvres] 205
Le ministre Fujiwara no Norikane 210
Poems From Korea (P.H.Lee 1974) 213
Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975) 222
Le clodo du dharma (par J. Pimpaneau) 222
« A thatched hut... / Une chaumière… » 226
« Riding my horse… / Je pousse mon cheval... » 228
« I climb the road… / Je grimpe le sentier... » 230
Han-shan, Li kwok-wing Vingt-cinq poèmes à traduire 233
« Je désirais obtenir un endroit… » 233
« Mon coeur est comme la lune d’automne... » 234
« La voie de Montagne Froide... » 235
« Personnellement je prends plaisir... » 235
« Désoeuvré j'ai rendu visite... » 236
« Aujourd'hui devant une falaise assis » 236
« Montagne Froide ô combien retirée et étrange » 237
« Sous toit de chaume... » 238
« Parmi mille nuages et dix-mille eaux » 238
« La vie humaine ne remplit pas cent ans » 239
« Ai-je un corps ou n'en ai-je pas » 240
« Je me souviens des endroits... » 240
« Les hommes de notre époque cherchent la route des nuages » 241
« Les foyers à la campagne évitent... » 242
« La vie humaine est située dans le trouble… » 242
« Vous regardez les fleurs... » 243
« Les fleurs de pêcher désirent passer l'été » 244
« Haut haut sur le sommet du mont » 244
« Depuis que je désirais aller vers la falaise de l'est » 245
« J'ascensionne la voie de Montagne Froide » 246
« Ma maison est située sous une verte falaise » 246
« Etage sur étage de montagnes et d'eaux merveilleuses » 247
« Par géomancie j'ai choisi un terrain retiré pour y habiter » 248
« Le langage des oiseaux... » 248
Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984) 249
Tche-K’ai (518-568) Poème à l'approche de la fin 249
Siuan-kien dit de Tö chan (780-865) 251
K’ouang-jen ou Kouang-jen (837-909) 253
Jo-yu («Comme crétin»), dit Fa-king («Miroir-de-la-Loi») 254
Kiang wei (milieu du Xe siècle) 260
Ts’ieou Kin (1879? - 1907) 261
« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986) 262
de nuit, retournant à la Porte du cerf 264
en visite au monastère de la Source du dragon 264
Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987) 274
« Je n'ai pas encore fait ma toilette ce matin » 275
« Le pavillon des fleurs s'enfonce... » 276
« Les flammes cruelles... » 277
« Les fourgons s’ébranlent, » 277
La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987) 280
En écoutant Siun, moine du Sseu-tch'ouan, jouer du luth 282
Visite aux deux moines bouddhistes du Mont-Orphelin 283
Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990) 285
Avant-propos (François Cheng) 285
VILLAGE PRÈS D'UNE RIVIÈRE* 287
PASSANT LA NUIT EN COMPAGNIE D'UN PÊCHEUR SUR LA RIVIÈRE LAN-T’IEN 288
Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997) 290
Retour au potager, vie aux champs (4) 291
Me rendant en groupe au cimetière 292
« Sous une poutre de chaume un sauvage habite » 292
« Le bonze de Shu étreignant sa harpe... » 293
Quand Yu-ke' peint un bambou 297
« La vie humaine, jusqu'où va-t-elle ?... » 301
« La pluie a lavé le côteau oriental... » 302
« Le vent souffle de biais... » 303
« A l'aurore, je bois la rosée... », lisao 303
Adieux à la Mère céleste (Ballade onirique) 306
CONCLUSION / Le phénomène Du Fu 307
Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001) 309
Avertisssement (J.-P. Diény) 310
« Qui se repose au sein des nuées blanches... » 312
Zhongnanshan, Le mont du Fond du Sud 312
Inscrit sur le mur du temple de la Forêt de l'Ouest 313
Sous le regard d'un promeneur matinal nuages et montagnes 314
Montagne au printemps nuit de lune 314
Ce que j'écrivis sur une porte, à la sortie sud de la capitale 315
Contemplation du soir après la neige 315
en montant au pic Nord du Grand Marais 316
Vaine recherche de l'ermite 317
En barque sur la Lavandière 317
En réponse au sous-préfet Zhang 318
Inscrit dans la Salle de méditation, à l'arrière du Poshansi 318
Antologie (Jacques Pimpaneau 2004) 320
« Partout la vie humaine... » 323
« La veille du Nouvel an... » 324
« Je ne vaux pas Tao Yuanming... » 325
« Discuter de peinture... » 326
« Je ne connais pas le monastère des Parfums... » * 326
« A partir de ma maturité... » 327
« Vous me demandez : quelle idée de percher... » 327
« Le bonze du Sichuan... » 328
« Le voyageur revenu de la mer... » 328
« ...il y a un vieux cyprès... » 330
« Je désirais obtenir un lieu pour reposer... » 331
« Ma route se situe au-delà de l'azur... » 332
Table des matières
Poèmes de Chine, Corée, Japon 1
Chronologie des poètes disposant d’une entrée au premier niveau 6
Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod) 27
Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846) 82
Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy) 109
Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren) 129
Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren) 157
Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200) 164
Bashô (1644-1694)(Sieffert) 173
La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937) 180
Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957) 189
Anthologie (Paul Demiéville 1962) 195
Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971) 203
Poems From Korea (P.H.Lee 1974) 213
Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975) 222
Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984) 249
« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986) 262
Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987) 274
La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987) 280
Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990) 285
Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997) 290
Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001) 309
Antologie (Jacques Pimpaneau 2004) 320
© 2020.
Ce
travail est mis à disposition selon les termes de la Licence
Creative Commons Attribution 4.0 International. - This work by
Dominique Tronc is licensed under CC BY-NC-ND 4.0. To view a copy of
this license, visit https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0
1Hsü signifie aussi bien l’infini de l’espace céleste que celui du Vide où il n’y a rien à retrancher ou à ajouter.
2Ju, l’ainsi-té ou Réalité ultime (ju ju) chez les bouddhistes
3Cheng hsin : la bonne foi, la confiance juste, la rectitude sincère – dans le bouddhisme.
4Nous retrouvons ici le titre (hsin hsin) de ce traité… un « coeur confiant », un « esprit sincère » peut sans doute pressentir une telle non-dualité où les mots font défaut...
5 Aucune pagination !
6 Limité ici à la seconde moitié.
7 Les Classiques taoïstes
8 Début d’un texte long.
9 Livre non paginé
10Volume non paginé
11 T’oung Pao LVIII, 55 à 119 – En-tête : « Chu Hsi the Poet / Li chi ».
12 La suite figure en fin de ce long texte, après les poèmes, chercher : « *... »
13 Maître de Charles Luk / Lu K’uan Yu
14 Le vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise, Moundarren.
15 Je titre par les incipit chacun des extraits de Su !