MERE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT 1614-1698
MERE MECTILDE
DU
1614-1698
ITINÉRAIRE SPIRITUEL
&
ORIGINE DES CONFERENCES
Par Véronique Andral, osb. ap.
1997
Suivi des
ENTRETIENS FAMILIERS
1984
Réimpression assurée par D. Tronc, 2016
Depuis une vingtaine d’années, les Bénédictines du Saint Sacrement, en France d’abord, puis en Italie, en Allemagne et aux Pays-Bas, ont fourni un effort remarquable pour faire connaître la pensée de leur fondatrice, Mère Mectilde du Saint Sacrement (1614-1698). La documentation la concernant est très étendue, puisqu’on a gardé des milliers de lettres de la fondatrice, en partie autographes, en partie transcrites par des contemporains. Elle se trouve dans les archives des différents monastères étant ou ayant été membres de l’Institut des Bénédictines du Saint Sacrement, mais également à la Bibliothèque Nationale à Paris et ailleurs. Afin de maîtriser quelque peu cette masse de documents, qui se recoupent en partie, les archivistes du monastère des Bénédictines de Rouen les ont ordonnés en un fichier, ce qui en facilite l’usage et l’exploitation.
Sœur Véronique Andral, du monastère d’Erbalunga en Corse, vient d’écrire un livre, paru également en italien, qui retrace, à partir de ces documents, l’itinéraire spirituel de Mère Mectilde du Saint Sacrement 1. L’auteur avait déjà écrit l’article du D.S. 2 ; et dans le livre de J. Daoust « Mectilde de Bar », un chapitre de sa main rénovait et mettait dans ses justes perspectives la spiritualité de la fondatrice 3. Pendant le XIXe siècle, on avait, en effet, retouché assez profondément, dans un sens doloriste, les écrits de Mère Mectilde. Dans sa contribution au livre de J. Daoust, comme aussi dans l’article du D.S., Sœur Véronique a replacé cette spiritualité. dans la perspective pascale qui lui est propre.
Il est probable que H. Brémond, dans son « Histoire du sentiment religieux », s’est laissé guider par ces éditions du XIXe siècle, jointes à quelques pratiques propres au temps, dans son jugement quelque peu réservé sur Mère Mectilde de Bar 4. Sœur Véronique dissipe cette équivoque.
Son livre est utile à un autre titre : il traduit en français de notre temps des expressions et des termes qui, au XVIIe siècle, avaient un sens différent. À cela s’ajoute que chaque époque connaît ses mots et expressions-slogans qui sont, pour ainsi dire, en l’air et que tout le monde emploie sans en bien cerner le sens précis. En notre temps, liberté, communication, démocratie ou conscience personnelle appartiennent à cette catégorie de mots-slogans. Au XVIIe siècle, pour se limiter au domaine spirituel, réparation, victime, anéantissement ressortent du même genre d’expressions et il est assez délicat, prêtant parfois à un contresens, de s’en servir sans une « traduction » appropriée.
Ceci vaut pour tous les écrits spirituels et mystiques du Grand siècle, d’autant plus que la langue était encore en évolution. Du Bellay, Ronsard et le groupe de la Pléiade avaient, au XVIe siècle, fortement contribué à créer un français noble, une véritable langue. Mais ce n’est pas sans raison que Richelieu, lorsqu’il fonda en 1635 l’Académie française, lui assigna comme première tâche la publication d’un Dictionnaire français.
L’abondance des écrits de Mère Mectilde du Saint Sacrement, aussi bien que la langue utilisée encore en formation, en rendent l’accès peu aisé. Ce livre nous en facilite la lecture. Ce n’est qu’une esquisse, « un essai qui voudrait tracer quelques pistes en vue d’une recherche ultérieure, plus approfondie ». Mais les pistes en sont déjà bien tracées.
On survole, en quelques pages, la jeunesse : naissance à Saint-Dié le 31 décembre 1614, entrée à 17 ans chez les Annonciades de Bruyères, expulsion pendant la guerre de Trente Ans avec sa communauté décimée par la famine et la peste, son élection à 22 ans, en 1636, comme supérieure de ce qui reste de la communauté, que les malheurs du temps conduisent bientôt à l’extinction totale. C’est alors qu’elle entre en 1639 chez les Bénédictines de Rambervillers, où elle fait profession le 11 juillet 1640.
C’est à ce moment que commence la première étape de son ascension spirituelle, caractérisée ainsi : « Vers la mort mystique et la résurrection ». Cette période se clôt au début de 1662. Jusqu’en 1653 la vie reste mouvementée : fuite de Rambervillers à cause de la guerre, séjours à Paris, en Normandie, de nouveau à Paris, d’où elle est appelée comme prieure d’abord à Caen, puis à Rambervillers ; nouvelle fuite de là à Paris, alors que la ville est en pleine ébullition de la Fronde. Cette vie avec ses attaches en différents endroits explique en partie les influences diverses qu’on constate dans la spiritualité de Mère Mectilde : influence bénédictine avec les réformes en Lorraine (D. Didier de la Cour), des Mauristes et de Montmartre à Paris ; influence de la mystique espagnole avec saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d’Avila ; influence de l’École Française ; et enfin, celle prépondérante, du groupe de spirituels normands, notamment le Père Jean Chrysostôme de Saint-Lô et surtout Jean de Bernières.
Malgré ces multiples influences, Mère Mectilde connaît sa voie spirituelle bien propre. Elle passe par une purification, « anéantissement », qu’elle résume vers la fin de cette période (le 17 octobre 1657) en six points : « 1. Ne tenir à rien. 2. Aimer l’abandon. 3. Souffrir en silence. 4. Vivre sans choix. 5. Épouser la croix. 6. Se conformer en tout au bon plaisir de Dieu » 5. Cette étape se termine sur une union très intime qu’elle caractérise elle-même comme un passage « en Jésus Christ comme en la source de sa vie ». Cette « néantisation » est plutôt « une transformation de notre nature qui dépasse et accomplit notre être en le faisant passer dans le domaine divin, but de sa création et de sa rédemption dans le Christ » 6.
Une deuxième étape suit alors, qui durera douze ans. On peut dire que, durant ces années, Dieu a pris au sérieux le désir de Mère Mectilde d’être « victime ». Elle se sent alors sous le coup de la justice divine, qui la fait entrer dans ce que saint Benoît écrit au douzième degré d’humilité : « Conscient à toute heure du fardeau de ses péchés (le moine) se voit déjà traduit au redoutable jugement de Dieu ». Dieu forme pour ainsi dire en elle l’état de victime, afin de la libérer plus parfaitement d’elle-même et de la préparer à entrer dans l’union substantielle. Saint Benoit décrit ainsi cette union : « Il parviendra bientôt à cette charité divine qui dans sa perfection chasse dehors la crainte ; ... Alors il agira par amour du Christ... sous l’action de l’Esprit Saint » 7.
Malgré l’union substantielle qu’on peut qualifier de mariage mystique, l’ascension spirituelle de Mère Mectilde continue pour aboutir à sa Pâque au moment de sa mort en 1698. Car, dans notre participation au mystère eucharistique, nous sommes unis à la mort et à la résurrection du Seigneur ; les deux aspects de ce mystère vivent en même temps en nous. Mais, dans notre expérience humaine, c’est tantôt l’un, tantôt l’autre aspect qui l’emporte. Mère Mectilde a donc connu une alternance de souffrances et de consolations. Celles-ci ont parfois une cause extérieure, mais la plupart du temps il s’agit d’expériences spirituelles, par lesquelles Dieu avive l’amour en elle et la rend plus malléable à la perfection.
En chaque étape de sa vie, le mystère eucharistique est vécu très profondément par Mère Mectilde, avec cet aspect de victime qui lui est propre. Nous pouvons penser que ce sont surtout les malheurs du temps (guerres de religion, sacrilèges commis par des soldats protestants) qui ont retenti dans sa vie. N’est-ce pas plutôt un germe de sainteté que Dieu a semé en elle dès sa jeunesse, germe qu’elle a accueilli et que Dieu a fait grandir ? Quoi qu’il en soit, Dieu a pris au sérieux ce que Mère Mectilde lui a offert. Sa vie et son expérience mystique sont à la fois un honneur et une interrogation pour l’humanité et pour chacun de nous : que faisons-nous des grâces reçues ? Quelle place prend dans notre vie, en particulier, le mystère eucharistique, don du Seigneur Jésus à son Église et à chaque chrétien ?
Avant de conclure, disons encore un mot du livre que Mère Mectilde a écrit et fait imprimer déjà de son vivant : « Le véritable esprit des religieuses adoratrices du T.S. Sacrement ». La rédaction en a été commencée durant la retraite de fin 1661— début 1662. Le livre, imprimé dès 1683, a reçu des compléments durant toute sa vie et est passé de 10 à 19 chapitres en la dernière édition. Sœur Véronique Andral montre à plusieurs reprises à quel point ce livre est autobiographique. Une édition moderne, faisant état des divers remaniements, s’impose afin de mieux connaître la vie spirituelle de Mère Mectilde du Saint Sacrement.
Dom Vincent Truijen, osb
Abbé de Clervaux
Feuille des Oblats de Paris et de Clervaux — 1991
Ceci est une esquisse seulement, un « essai » qui voudrait tracer quelques pistes en vue d’une recherche ultérieure plus approfondie. Nous nous sommes contentées de coudre ensemble des textes que nous versons au dossier. Trop et trop peu, car nous sommes en face de documents d’une richesse extraordinaire. Et nous n’avons pu tout explorer.
Grâce à la compétence et à la bienveillance des Sœurs archivistes de Rouen, nous avons pu consulter des vies manuscrites inédites, la correspondance avec Bernières, les « Relations » de Mère Mectilde au Père Chrysostôme et nombre d’autres écrits. Sans compter tous ceux qui ont été déjà publiés. Nous n’avons pu utiliser que les textes datés, cela nous a privées de bien des richesses, mais il fallait choisir.
Tout au long de notre recherche a paru une route, vertigineuse certes, mais cohérente et fidèle à elle-même dans sa progression. Après l’enfance et la vie tourmentée qu’elle connût chez les Annonciades, Mère Mectilde semble commencer la première grande étape de sa vie lors de sa Profession de vie Bénédictine. Elle atteint son som met lors de la retraite de 1661-1662. On pourrait 1' intituler :
« Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». « Vous êtes morts... mourez donc ! » insiste saint Paul (Col. 3, 3-5). C’est la seule route de la vie. Nous le verrons amplement.
La deuxième étape commence aussitôt et dure douze ans. On pourrait dire que Mère Mectilde a gravi les douze degrés de l’humilité de la Règle de saint Benoît selon laquelle plus on s’abaisse, plus on s’élève. Ainsi, « terrassée » sous le poids de la divine justice, comme le publicain de l’Évangile et le moine de saint Benoît, elle parvient bientôt à l’amour parfait du Christ, sous la conduite de l’Esprit.
Nous arrivons ainsi au sommet de l’union « substantielle » que d’autres nommeraient « mariage spirituel ». Mais l’épouse doit être en tout semblable à son Époux crucifié.
Voici la dernière étape, et c’est encore saint Paul qui paraît bien l’illustrer :
« Offrons notre personne comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu » (Rm. 12,1) et « nous portons sans cesse la mise à mort de Jésus dans tout notre être afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous » (2 Co. 4, 10 ; Ant. Ben. XIIème dim. T.O.).
Ces trois étapes nous parlent de l’unique Mystère qui éclaire toute sa vie : cette route est la route pascale de Jésus-Christ où Il entraîne son Église tout au long des siècles en se donnant à Elle dans son Corps livré et son Sang répandu pour la transformer en Lui-même et continuer, par Elle, le mystère de la Rédemption.
« J’ai désiré d’un grand désir, dit notre aimable Sauveur, de manger cette Pâque avec vous, avant que de souffrir » (Lc. 22, 15).
« Jésus-Christ, dans le Très Saint-Sacrement conserve ce désir, Il n’est pas encore rassasié, Il dira jusqu’à la consommation des siècles : Desiderio desideravi. Et tant qu’il y aura une âme sur la terre capable de sa grâce, I1 sera dans un désir infini de l’attirer à son Amour en mangeant la Pâque eucharistique avec elle... et parce qu’Il nous regarde comme les membres de son corps mystique, Il ne peut être satisfait que nous ne soyons unies et transformées en Lui. Courons donc, mes Sœurs, courons au Très Saint Sacrement, allons rassasier les désirs infinis de ce Cœur adorable ! » (Véritable Esprit, chap. 8).
Les textes de l’Itinéraire Spirituel de Mère Mectilde sont pris dans les Manuscrits suivants :
— P 101 (cf. note 1).
— P 108 et P 105, manuscrits XVIIème et XVIIIème siècles, très fidèles, provenant du monastère de la rue Cassette, conservés au monastère de Rouen.
— Les références Mg. concernant les manuscrits archives du monastère du Mas-Grenier, dont certains sont des copies de manuscrits anciens donnés par le couvent de Saint Nicolas de Port au XIXème siècle, mais appartenant au « fonds Lorraine ».
— Rumbeke (Z 4).
— D 12
— N 250
— P 108 bis
— Les numéros, entre parenthèses, sans autre référence, renvoient au fichier alphabétique de tous les textes de Mère Mectilde.
Les textes déjà édités appartiennent à :
— Catherine de Bar, Documents Historiques,
Rouen, 1973 = D.H.
— Catherine de Bar, Lettres Inédites,
Rouen, 1976 = L.I.
— Catherine de Bar, Fondation de Rouen,
Rouen, 1977 = F.R.
— Catherine de Bar, En Pologne avec les Bénédictines de France, Téqui, 1984 = En Pologne.
— Mère Mectilde du Saint Sacrement,
Entretiens Familiers, Bayeux, 1984 = E.F.
— Catherine de Bar, Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Téqui, 1989 = Amitié spirituelle.
Catherine de Bar est née à Saint-Dié, le 31 décembre 1614. Elle est baptisée le jour même de sa naissance.
Le P 101 [1] 8 , p. 5. nous apprend que « la Mère Mectilde a dit plusieurs fois qu’elle avait eu la vocation religieuse à deux ans, et même auparavant, ce sont ses propres termes », rapportés, dit la rédactrice, d’après les Mémoires de la comtesse de Châteauvieux. « La raison lui a été avancée » dit le même manuscrit. C’est une enfant précoce !
Giry [2], de son côté, écrit : « Elle n’avait pas encore atteint l’âge de trois ans, comme elle l’a dit plusieurs fois depuis, qu’elle se sentît portée à se donner entièrement à Dieu, d’une manière particulière, pendant tout le cours de sa vie, et l’impression qu’elle en a conservé lui a toujours fait penser qu’elle appartenait à Dieu et qu’elle ne devait vivre que pour Lui » (Vie, p. 2).
L’abbé Berrant [3] rapporte le même fait « d’après les Mémoires de Madame de Rochefort qu’il a en mains » et ajoute : « C’est ce que Dieu permit qu’elle déclarât à une personne de confiance, en s’affligeant et se condamnant elle-même de n’avoir pas été fidèle à de si précieuses grâces » (Ber. p. 2).
Son désir d’être religieuse date donc de l’éveil de sa raison. C’est une constante de son enfance. Témoin cette anecdote rapportée par le P 101 : « Comme elle était douée d’une volonté tenace et d’un tempérament très vif, il était fort difficile de venir à bout de ses caprices, jusqu’au jour où ses éducatrices trouvèrent le mot magique pour faire céder le petit personnage : « Si vous agissez ainsi, vous ne serez point religieuse ».
Elle montre très tôt de l’attrait pour la prière, la pénitence, la charité. On souligne déjà son amour pour le Très Saint Sacrement. À six ans elle lit les « Vies des Saints » et essaie de les imiter. Elle voit en songe sept ostensoirs et s’écrie : « Ha ! venez voir le Saint Sacrement que j’ai ! » Mère Mectilde a toujours pensé que ce songe était prophétique. « Elle s’est souvenue toute sa vie de ce songe... elle a toujours assuré qu’elle n’établirait que sept maisons et qu’à la septième elle s’en irait » (P 101).
À huit ans, une maladie d’yeux mal soignée lui fait perdre la vue. La veille de l’Ascension 1624, sa mère la conduit à une procession. « Cette dévote mère, prit pour intercesseurs auprès de Dieu les saints dont on portait les reliques, et en particulier sainte Odile ». Elle est subitement guérie. Miracle ! (P 101, p. 7).
Peu de temps après, sa mère tomba malade. Catherine la croit perdue, monte sur son lit, et lui fait cette prière : « Je vous prie, ma bonne maman, quand vous irez en Paradis après que vous aurez fait la révérence à la Sainte Trinité, de lui demander pour moi la grâce que je sois religieuse. Après, vous vous tournerez vers la Très Sainte Vierge et la supplierez qu’elle me prenne sous sa protection et me serve de mère » (P 101, p. 6). Sa mère guérit, mais n’oublia pas sa prière. Après sa mort, alors que la vocation de sa fille était si traversée, elle lui apparaîtra pour l’encourager et l’assurer qu’elle sera religieuse.
D’après Giry, elle fit sa première communion à. l’âge de neuf ans « contre la coutume, parce que l’on vit en elle des dispositions qui permettaient de lui avancer cette grâce ». Bien plus tard, Mère Mectilde, parlant à des petites filles qui se préparaient à leur première communion leur dit : « De la première communion dépendent toutes les autres, et quand elle est bien faite, on s’en ressent toute la vie. Je sais une personne (et ici nos biographes y voient une confidence personnelle, Giry p. 3), que la grâce qu’elle y a reçue a été comme un germe qui en a produit une infinité d’autres et l’a conduite à la perfection où Dieu l’appelait. Ce qui est aussi arrivé à plusieurs autres »... et poursuivant son discours elle dit : « Tout ce que l’on y demande à Notre Seigneur, on l’obtient. Pour ce qui est de moi, je lui demandai la grâce de vaincre mes passions » (P 101, p. 10). D’après Collet 4 (1 p. 7) la deuxième grâce qu’elle demanda fut celle d’être toute à Dieu.
« Elle allait à la messe aux Capucins qui n’étaient pas loin » (P 101, p. 11). Elle lit la formule des vœux du Tiers Ordre qui l’enchante, et se met à prêcher l’Évangile à ses frères et sœurs et à ses amies. Un franciscain l’ayant entendue, lui prédit qu’elle serait une sainte religieuse et une excellente supérieure (C. 1, p. 7). C’est encore un capucin qui au cours d’une de ses maladies, lui donne une image du Nom de Jésus. Elle guérit.
Son zèle manifeste sa vivacité de caractère. Entendant un garçon proférer toutes sortes de blasphèmes, elle le supplie de se taire, lui offre dans ce but son goûter, puis sa petite bourse, puis, n’obtenant aucun résultat, elle se jette sur lui et l’étend à terre à coups de poing... Elle avouera plus tard s’en être confessée plusieurs fois ! Elle va trouver bientôt un meilleur moyen de « venger l’honneur de Dieu » !
On lui propose de pousser ses études, elle s’y livre avec enthousiasme. Trop. Elle voit qu’elle y perd la paix et risque de s’éloigner de Dieu, alors elle y renonce pour jamais (C. 1, p. 9). Ceci est peut-être un trait hagiographique, car elle eut une excellente formation. Mais cela nous montre aussi l’absolu de son caractère.
« À l’âge de quatorze ou quinze ans, le récit des effroyables sacrilèges commis par les hérétiques contre le Très Saint Sacrement dans le temps des guerres d’Allemagne en l’année 1629, la touchèrent si vivement qu’animée d’un zèle ardent pour venger les intérêts de la gloire de cet auguste Mystère, elle s’offrit dès ce temps-là à la divine Majesté pour en être la victime » (Giry p. 3). Voilà donc la meilleure manière de « réparer » ! Mais elle ne se doute pas encore de ce que cela pourra signifier dans la suite. C’est un premier germe qui va se développer.
À seize ans, dit Collet elle convertit un gentilhomme qui avait pour elle un « penchant très vif », et il entre en religion.
On essaie de la marier contre son gré, elle en tombe malade. Son prétendant croit faire sa conquête en se couvrant de gloire. Il part en guerre. Il y est tué. Catherine est libre et son désir de vie religieuse grandit de plus en plus.
Ce désir datait de sa plus tendre enfance, nous l’avons vu, et, écrit-elle au Père Chrysostôme en juillet 1643 : (239) 9 « Plus elle croissait en âge, plus ce désir prenait de l’accroissement. Bientôt il devint si violent qu’elle en tomba dangereusement malade... ce désir... épuisait en quelque sorte toute son attention et tous ses sentiments. Il ne lui était pas possible de s’en distraire... Dans différentes assemblées de personnes de son âge, le désir qui dominait son cœur prenait un tel ascendant sur ses sens même qu’elle restait insensible et comme immobile, en sorte qu’elle était contrainte de se retirer »... « les cartes lui tombaient des mains », précise le P 101, p. 15.
Le bon Père lui répond : « Je dirais que dans cette vocation je vois beaucoup de Dieu, mais aussi quasi beaucoup de nature. Cette lumière qui pénétrait son entendement venait de Dieu. Tout le reste... était Pouvrage de la nature ». Mais le P 101 rapporte que le Père disait aussi « en parlant de la vocation de cette vénérable Mère, que ce n’était pas seulement une vocation de volonté, comme ont ordinairement les autres personnes qui désirent se consacrer à Dieu... mais que c’était plutôt une passion qui la portait à embrasser ce saint état. C’est ce que le Révérend Père a déclaré à une religieuse du même hospice » (P 101, pp. 4-5).
Après bien des résistances, son père céda à son désir, elle guérit.
Ces quelques notes nous révèlent déjà le caractère et les dispositions de Catherine : vive, passionnée, entière, puissamment saisie par la main de Dieu qui l’attire. Son extrême impétuosité a besoin d’être maîtrisée.
Dans la relation au Père Chrysostôme que nous venons de citer, Mère Mectilde dit d’elle-même : « Cette âme, dans l’ardeur de la soif qui la dévorait, ne se donnait pas le temps de la réflexion : elle ne s’arrêta point à considérer de quelle eau elle voulait boire. Elle voulait être religieuse, rien de plus... »
Elle a recours aux Capucins. Ils lui indiquent les Annonciades de Bruyères qui étaient sous leur juridiction. Elle est attirée par le « côté marial » de l’Ordre. On pourrait souligner d’ailleurs tout au long de sa vie le rôle et la présence de la Sainte Vierge.
À dix-sept ans, en novembre 1631, elle entre au monastère. Elle prend l’habit en janvier 1632. Sa devise « Ego Dei sum » date de cette époque, mais elle était déjà en germe dans la grâce de ses trois ans.
Son tempérament a un besoin impérieux de nourriture et de sommeil. Jeûnes et veilles lui sont très durs à supporter. Elle emploie tous les moyens héroïques pour se vaincre. À la suite d’une violente tentation de gourmandise, elle a recours à la Sainte Vierge, et, « par le pouvoir de son Fils » « demanda de perdre le goût, dans le manger, ce qui lui fut accordé de manière qu’il ne lui resta que ce qu’il faut pour prendre sa nourriture et non pas pour se flatter de la délicatesse des viandes. C’est de son propre témoignage qu’on le sait. » (P 101, p. 21). Autrement dit, elle est délivrée de la gourmandise, mais n’a pas « perdu le goût ».
Plus tard, ses lettres nous révéleront qu’elle trouve « admirable » l’orge qui la nourrit, apprécie le raifort (sorte de radis noir), les confitures et le chocolat d’Espagne... ajoutant avec humour qu’elle en « régale » ses infirmières (Lettre à la Mère Prieure de Toul, 9 octobre 1675, L.I. p. 327), (508).
« Elle avait la parole prompte et la réplique incisive. Quand elle rencontrait l’erreur ou qu’elle attaquait un désordre, elle se laissait aisément entraîner à une impétuosité de langage qui donnait à son ton quelque chose d’altier » (C. p. 16). Encore un remède héroïque : un caillou dans sa bouche. Le biographe nous assure qu’elle n’éleva plus la voix. Nous verrons qu’elle n’en a pas fini avec son caractère.
On remarque aussi, dans les débuts de sa vie religieuse chez les Annonciades, combien elle est sujette aux « hauts et bas ». Après les accès de la plus grande ferveur, elle tombe dans des dégoûts non moins profonds « la solitude lui causait un ennui accablant » (alors que plus tard ce sera sa plus grande tentation) ; sa « douleur était de ne pas aimer et servir Dieu ». Marie la console, tandis que sa supérieure l’accable, pour la « former ».
Au cours d’une épidémie qui ravagea la communauté, sa détresse fut à son comble. Elle demanda alors à Marie d’être sa Mère maîtresse.
Voici comme elle le racontera plus tard : « Un jour, me trouvant dans de grandes peines et n’ayant personne à qui ouvrir mon cœur, je m’adressai à la sainte Mère de Dieu en ces termes : “O Très Sainte Vierge, m’auriez-vous amenée ici pour me faire périr ? Il ne fallait que me laisser dans le monde puisque je ne trouve pas ici les moyens de servir Dieu avec plus de sainteté et de pureté. Vous voyez que je ne sais à qui recourir pour m’apprendre mes devoirs, que je n’ai personne, que je ne sais ni prier ni faire oraison. Servezmoi donc, s’il vous plaît, de mère et de maîtresse. Apprenez-moi tout ce qu’il faut que je sache”.
“Cette très aimable mère lui servit en effet de maîtresse et lui apprit aussitôt par une impression intérieure à faire l’oraison sur l’Ave Maria, en sorte que jour et nuit elle y demeurait appliquée. Quelque temps après, cette divine maîtresse lui donna les souffrances de Notre Seigneur à considérer, et elle en fit, avec la même fidélité, son occupation continuelle, et la très sainte Mère de Dieu lui fit passer sa tentation par le secours qu’elle lui donna intérieurement. Cette digne Mère ajouta : ‘Je puis dire que c’est de la très Sainte Vierge que j’ai appris tout ce que je sais. Elle a toujours été depuis ce temps, ma sainte maîtresse. J’étais toujours appliquée à elle, m’y adressant pour toutes choses’ (2896).
Et voici que le Père Étienne, capucin, la lance vers la perfection avec trois moyens infaillibles : n’avoir que Dieu en vue, par une grande pureté d’intention, remplir bien ses devoirs, tendant toujours au plus parfait (P 101, p. 25).
Catherine part à fond de train vers cette perfection, et après une période d’extrême ferveur, retombe dans une prostration générale, ‘mélancolie’ ! : ‘tout la fatiguait, l’ennuyait... les paroles les plus inoffensives l’irritaient, elle avait peine à se supporter elle-même’. Nous dirions : après un fort surmenage par excès de zèle, elle fait un peu de dépression. De ce temps date la parole : ‘Quoi ? Faire toujours la même chose, toujours à la même heure, de la même manière, quelle servitude !’ et la ‘prophétie’ de Mère Angélique, sa Supérieure : ‘Rassurez-vous, ma Sœur, vous ne serez pas si heureuse que de faire toujours la même chose’. Elle ne croyait pas si bien dire.
De cette expérience, on pourrait peut-être conclure que Catherine n’a pas encore trouvé sa ‘petite voie’ d’abandon, d’humilité, d’anéantissement : elle découvre ses limites et apprend que la perfection se reçoit plus qu’elle ne se conquiert.
Convaincue de son indignité, elle demande à faire une retraite de quarante jours pour se préparer à sa Profession. Pas de demi-mesure ! et le P 101, p. 28 nous rapporte que : ‘la nuit de devant sa Profession... elle se vit en esprit conduite par deux anges au pied de la Sainte Vierge qu’elle voyait comme dans un trône ; elle fut présentée à cette Reine du Ciel par ces Esprits angéliques, lui offrant humblement ses vœux ; cette Mère d’amour les reçut et les présenta à la Très Sainte Trinité qui les eut si agréables que Jésus-Christ les signa de son Précieux Sang’.10
Catherine reçoit des grâces inexprimables sous le drap mortuaire en prévision des croix à venir. ‘Elle trouva sous ce drap de mort le principe de la vie’ (P 101, p. 29).
Une nouvelle étape commence. Nous sommes en 1633. Mais la ‘mélancolie’ reparaît, pire que jamais. Elle dépérit, elle a de violents maux de tête. Quand on lui fait des compliments, la préférant aux autres, elle s’en trouble outre mesure croyant les peiner. Ses Sœurs la rassurent et l’embrassent tendrement, elles n’en sont pas jalouses. Mais son humilité s’en alarme un peu trop, dirait le Père Chrysostôme.
Sœur Saint Jean, tel est son nouveau nom, est aux prises avec Dieu qui se sert de tout pour réaliser en elle une ‘formation accélérée’, et c’est bien nécessaire, puisqu’à vingt ans, elle est nommée Vice — Gérante, avec une Supérieure qui ne 1'accepte pas. Elle essuie bien des humiliations, mais ‘notre Mère Saint Jean a toujours aimé ses ennemis, même d’un amour de préférence’ (P 101, p. 38). Elle est cependant très appréciée de ses Sœurs. On reconnaît déjà son talent pour exprimer les mystères de la foi. Elle fait une conférence sur l’Eucharistie ‘qui par sa vertu change et transforme les âmes en Jésus Christ’. La Communauté en est émerveillée, mais la Supérieure lui dit :” Taisez-vous, vous n’êtes qu’une bête, vous ne savez ce que vous dites », craignant qu’elle ne s’enorgueillisse d’un tel succès (P 101, p. 31).
C’est alors qu’a lieu la grâce de la Pentecôte 1634 : « Depuis son entrée en religion, elle avait travaillé sans relâche à. vaincre deux défauts qui étaient d’autant plus difficiles à surmonter qu’ils semblaient lui être naturels : c’était d’être extrêmement prompte et d’ailleurs très sensible au point d’honneur. Elle joignait au travail, la prière, demandant sans cesse à Notre Seigneur qu’il lui fit la grâce de les lui ôter, et particulièrement dans le temps de la sainte Communion. Le jour de la Pentecôte de l’année 1634, ses désirs furent accomplis : la douceur et la modération lui furent données en échange et furent comme naturalisées en elle » (Berrant, p. 18).
Donc, le caillou dans la bouche n’avait pas été tout à fait efficace ; d’ailleurs, il ne faut pas croire qu’il n’y eut plus de combats, nous en verrons des traces, mais une étape est franchie.
Voici la guerre, la famine, sa Supérieure meurt et, à vingt-deux ans, Mère Saint Jean va gouverner la maison. Elle se fait l’humble servante de ses Sœurs (C. 1, p. 35). La Communauté est comblée de grâces, mais dès 1635, c’est l’exode. Le monastère est brûlé. Les Sœurs se réfugient à Commercy en février 1636 ». C’est dans cette situation dramatique, que Mère Saint Jean est élue Supérieure.
À la guerre, à la famine, s’ajoute la peste. Mère Saint Jean se fait infirmière. Atteinte elle-même, elle reste quinze heures sans donner signe de vie. Tandis qu’on la croit morte, elle « parait au jugement de Dieu », mais est renvoyée sur terre en vue d’une mission mystérieuse. D’après son propre témoignage, ce fait étrange se renouvellera trois fois dans sa vie (2600). Nous le verrons en son temps.
Plusieurs de ses Filles meurent de la peste, d’autres s’en retournent dans leur famille. Les Annonciades mènent une vie pleine de dangers. C’est alors que se situe la grande tentation dont elle parle dans la « Relation » déjà citée.
Voici le récit du P 101, p. 50 :
« Comme Dieu se servait du mérite personnel qu’Il avait mis lui-même dans cette sainte fille pour insinuer et inspirer le respect à des gens de guerre qui pour l’ordinaire ne sont que trop sujets à la dépravation 11, le diable, par un contrepied, voulut se servir du même mérite pour gâter et corrompre le cœur et l’esprit de quelque personne qui par la sainteté de son état et le rang où Dieu l’avait mis et établi au-dessus d’elle aurait dû servir de rempart à sa pureté. Mais Dieu, plus puissant, tira sa propre gloire de la malice du démon, puisqu’il s’en servit pour l’accomplissement des grands desseins qu’il avait sur sa servante... »
« Elle se trouva dans des dangers si évidents de perdre sa pureté qu’il lui fallut une Providence spéciale pour la préserver ». La Providence lui donna le moyen de s’en tirer en lui faisant conseiller de changer d’Ordre. Il est donc probable qu’elle fut poursuivie par un de ses Supérieurs.
Elle dit dans sa « Relation » : « Des personnes dont elle devait le moins se défier et qui par état ne devaient la porter qu’à Dieu, lui furent une occasion de tentations les plus violentes » (Duquesne [5] p. 60).
Pour la première fois, la tentation trouve en elle un écho, la pauvre Mère en est épouvantée et se croit perdue. Le Père Chrysostôme assure que c’est un miracle qu’elle s’en soit sorti. Elle croit ne plus pouvoir revenir à Dieu, mais bien conseillée par un séculier, puis par son confesseur, enfin par un religieux qui acheva de l’éclairer, elle comprit que le seul moyen qui lui restait pour échapper à tant de périls était de quitter son Ordre pour un autre plus strict où elle vivrait en clôture.
Mère Saint Jean cherche avec anxiété l’Ordre où le Seigneur la veut. La Sainte Vierge l’invite à entrer dans la plaie du côté de son Fils sur ses genoux tel qu’il était quand on le descendit de la croix (P 108bis, c. III), et elle fait le vœu de n’avoir jamais plus d’autre volonté que celle de Dieu. Ceci est aussi un premier pas. Nous retrouverons ce vœu. Elle devra le refaire, et cela ne l’empêchera pas d’être « en procès avec Notre Seigneur » qui voulait ce qu’elle ne voulait pas. Et il ne s’agissait de rien moins que de notre fondation (P 101, p. 405).
Durant son séjour chez les Annonciades, Mère Saint Jean fit un « songe mystérieux » qu’elle a rapporté sous la figure d’un rêve.
Ce songe est comme l’anticipation symbolique de tout son cheminement. Les biographes le citent au début, au milieu ou à la fin de sa vie, et en font l’exégèse. Il nous suffit pour le moment d’en lire le texte, selon la version du P 101, p. 33 :
« Il me sembla que j’étais dans une foire où il y avait grand nombre de boutiques enrichies de tout ce que l’on peut imaginer de plus beau et de plus précieux ; et que j’étais marchande, et que j’avais une boutique qui paraissait encore plus magnifique que les autres.
Comme j’étais occupée à regarder toutes mes richesses, j’entendis un grand bruit et chacun courait en disant : “Voici le Seigneur !”. Je me sentis aussitôt dans une si grande ardeur de le voir que je fis mon possible pour découvrir où il était ; et l’ayant vu qui s’arrêtait à toutes les boutiques, je pensais en moi — même qu’il viendrait aussi à la mienne ; ce qui m’obligea de me tenir à l’entrée pour le recevoir, ne pouvant me résoudre d’abandonner cette belle boutique pour aller plus loin au-devant de lui.
Enfin mon Seigneur arriva, au milieu d’une grande foule de peuple : il était vêtu d’une longue robe blanche avec une ceinture d’or, les cheveux tirant sur le blond pendaient sur ses épaules, le visage un peu long et les yeux si charmants qu’ils enlevaient tous les cœurs.
Il ne fit, à la vérité, que passer devant moi ; mais en passant il me jeta un regard si pénétrant que j’en demeurai toute transportée et vivement pressée de quitter ma boutique pour le suivre, ce que je fis dans le même moment. Je pris néanmoins dans ma robe ce qu’il y avait de plus beau et de plus facile à emporter, et je le suivis, ainsi dans la foule qui était si prodigieuse que je ne pouvais presque l’apercevoir.
Je ne me sentis pas seulement pressée de le suivre, mais encore obligée de marcher sur les vestiges de ses pieds. Il fallait une grande attention pour les reconnaître parmi ceux de ce peuple ; ce qui fut cause que je négligeai tout le reste et que je perdis insensiblement tout ce que je portais.
Cette populace s’étant petit à petit dissipée, je me trouvai hors de la ville, seule avec Notre Seigneur que je tâchai de suivre de plus près qu’il m’était possible. Alors je tombai : toute mon attention et ma plus grande hâte furent de me remettre sur ses vestiges.
Il me mena par des chemins très difficiles, fort étroits, tout pierreux et pleins d’épines qui emportaient mes souliers, ma coiffure et mes habits. J’avais les bras, les mains, les pieds et tout le corps ensanglantés.
Enfin, après des peines si inconcevables, et que les ronces et les épines m’eurent dépouillée de mes habits, je me trouvai revêtue d’une robe blanche et d’une ceinture d’or comme Notre Seigneur, dans un beau chemin où je le suivais toujours de près, sans pourtant qu’il me regardât. Je pensais en moi-même : “Au moins s’il me regardait, je serais contente !” Ensuite je me disais pour me consoler : “Il sait bien que je l’aime !”, sentant une certaine correspondance de son Cœur au mien, comme d’une espèce de cornet (sic) ou conduit qui aboutissait de l’un à l’autre et qui les unissait de telle sorte que les deux ne faisaient qu’un.
Après avoir bien marché à la suite de Notre Seigneur, je me trouvai dans une grande prairie où l’herbe paraissait d’or (qui signifie la charité) tout émaillé de fleurs, où étaient de gros moutons, la tête levée, qui ne se repaissaient que de la rosée du ciel, car quoi qu’ils fussent jusqu’au cou dans ces pâturages, ils n’en mangeaient point.
Il me fut montré que ces moutons représentaient les âmes contemplatives qui ne se repaissent que de Dieu et ne se rassasient que de sa divine plénitude. Parmi ces moutons, j’en remarquai un qui était fort maigre et s’éloignait du troupeau : il s’en retirait si fort qu’à la fin il le quitta tout à fait.
J’aurais bien voulu jouir du bonheur de ces âmes que ces moutons me représentaient, mais il ne me fut permis que de les regarder, et ainsi je passai outre, en suivant toujours mon divin guide.
Il me mena ensuite dans une grande plaine, à I » extrémité de laquelle était un palais magnifique ; mais la porte était si basse et si étroite qu’à peine la voyait-on, ce qui me fit croire que jamais je n’y pourrai passer. J’en fus extrêmement affligée. Alors Notre Seigneur, qui n’avait pas fait semblant de me voir depuis ce regard qu’il m’avait jeté en passant devant ma boutique, se retourna et me regarda.
Je compris en même temps qu’il fallait pour entrer dans ce palais que je fusse toute anéantie : dans le moment, Notre Seigneur entra, et moi avec lui : mais je fis tant d’efforts pour passer après lui que, non seulement ma tunique fut emportée, mais que j’y laissai ma peau étant tout écorchée.
Je me perdis en Lui, mais si perdue que je ne me retrouvai plus ».
Enfin Mère Saint Jean fait connaissance du monastère de Rambervilliers. Elle est séduite par la règle de saint Benoît et commence son noviciat le 2 juillet 1639. D’après l’abbé Berrant (p. 28) c’est pendant son noviciat avec Mère Benoîte de la Passion [6] qu’elle reçoit la grâce mariale dont nous possédons le texte qui fut « écrit de sa propre main » ou du moins copié sur l’autographe. Nous le donnons ici intégralement (2876). Il se passe de commentaire.
Écrit de la propre main de notre vénérable Mère Institutrice parlant d’elle-même en tierce personne.
À la Gloire et Louange de l’Auguste et toute Immaculée Mère de Dieu.
« Une personne ayant confiance en la très Sainte Mère de Dieu dès le commencement de sa vie religieuse, elle la supplia de lui apprendre à prier et à méditer sur les sacrés mystères de Notre Seigneur. Elle continuait de s’appliquer à elle et d’y avoir toujours recours, y fondant toutes ses espérances et en quelque façon s’appliquant plus à elle-même qu’à Dieu même (cf. p. 13 de ce travail).
Un jour, étant à l’oraison le matin à l’ordinaire, cette personne s’adressant à cette aimable Mère de bonté, comme elle avait coutume de faire, et voulant s’occuper intérieurement, cette auguste Mère d’amour sembla disparaître, ce qui surprit beaucoup cette personne, et la voulant toujours voir et l’avoir pour objet, elle lui présenta Notre-Seigneur Jésus-Christ et se tint comme debout derrière son divin Fils ; et comme cette personne ne comprenait point pourquoi cette souveraine de son cœur en usait de la sorte, elle lui fit entendre qu’elle était cachée en son Fils, et qu’il était de son pouvoir et de sa bénignité de le produire dans les âmes et de le faire connaître, mais qu’en le produisant de la sorte elle était encore plus intime à l’âme, et qu’elle devait apprendre que cette grâce était le fruit des petites dévotions et pratiques qu’elle avait faites en son honneur et l’effet de sa confiance ; et lui ayant fait comprendre l’utilité de cette confiance filiale que nous devons avoir en sa bonté, cette âme fut éclairée des vérités suivantes :
1° Que tous les devoirs d’amour, de tendresse, de confiance, de respect et de fidélité à son service, retombaient en Dieu d’une manière avantageuse à l’âme ; en ce que cette auguste Mère de bonté étant divinement abîmée en Dieu, tout ce qui est fait en son honneur retourne dans cette adorable source, y étant elle-même anéantie d’une manière incompréhensible à nos esprits ; et j’ose dire et assurer que la sincère dévotion à la très pure et très immaculée Mère de Dieu est la porte du salut et de la vie intérieure.
2° La deuxième vérité est qu’encore qu’il semble que l’âme s’est attachée par tendresse à la très Sainte Vierge plus qu’à Dieu, si l’âme est fidèle, elle sera fort instruite des voies de la grâce, et cette tendresse, si elle est sainte comme elle doit être, ne manquera jamais de porter l’âme à une union à Notre Seigneur Jésus-Christ très intime, et j’ose dire singulièrement, parce que la très Sainte Mère de Dieu, n’ayant point de vue en elle-même, ne peut retenir aucune créature pour elle, c’est pourquoi de nécessité elle les réabîme toutes en Jésus-Christ.
Plût à Dieu que tout le monde connaisse cette vérité ; l’on n’aurait jamais scrupule de trop aimer cette glorieuse souveraine du ciel et de la terre. Selon ma petite expérience et de la manière dont je l’ai appris, il faut commencer par la Mère ; puis elle-même nous conduira à son divin Fils, et, qui a le plus de pouvoir de le faire connaître et de le produire en nous, que celle qui l’a conçu par l’opération du Saint — Esprit ?
Aimez Marie et vous ne mourrez pas qu’elle ne vous fasse aimer Jésus ; c’est son propre et c’est ce qu’elle ne manque jamais de faire si nous voulons correspondre aux grâces qu’elle nous présente.
Quand je rencontre une âme qui a ce qu’elle doit avoir pour la Mère de mon Dieu, je tiens, ce me semble, son salut en mains, je veux dire que je m’en tiens en assurance. Si toutes les âmes en étaient persuadées, elles l’aimeraient tendrement et y auraient confiance entière. L’on ne doit point craindre de lui trop donner ni d’excéder aux devoirs qu’on lui rend, puisque rien ne demeure en elle et que tout retourne à Jésus et en Jésus.
J’aurais bien plus à dire, si je pouvais exprimer les avantages de cette dévotion, mais ce peu suffira pour cette fois.
Il est certain qu’elle ouvre l’intelligence et fait comprendre des choses ineffables sur les sacrés Mystères, sur les voies de la grâce. Elle apprend à faire oraison, la mortification ; elle soutient et console dans les peines. Elle préserve de tomber dans les tentations. Elle chasse nos ennemis visibles et invisibles et nous défend contre leurs malicieux desseins.
O. Mère admirable, vos bontés ne se conçoivent point faute de confiance et de nous abandonner amoureusement entre vos mains. Faites-moi la miséricorde de me regarder en votre bénignité, quoique j’aie toute ma vie abusé de vos grâces, ne rejetez pas le cœur contrit et humilié qui se connaît infiniment indigne ».
Comment ne pas penser à Grignion de Montfort ?
PREMIÈRE GRANDE ÉTAPE
« Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col. 3, 3).
Le 11 juillet 1640, Mère Saint Jean fait Profession. Elle se nomme désormais Sœur Catherine Mectilde. D’après Giry (p. 9) : « Ce fut dans ce temps où l’on peut dire qu’elle commença à être élevée au— dessus du commun des justes et à avoir part aux communications les plus sublimes dont Dieu favorise ses épouses quand il lui plaît ».
De cette époque date l"'Abrégé d’une retraite de l’année 1640 ». On ne saurait majorer l’importance de ce texte pour la suite du cheminement de Mère Mectilde. Nous le citons donc aussi intégralement :
(2621). Qui me donnera la grâce d’être tellement crucifiée au monde que le monde et toutes les créatures me soient croix, que je sois si profondément plongée dans la vérité véritable de mon néant et de mon abjection que je me tienne le reste de ma vie sous les pieds de tous les démons, que l’est i m e et l’honneur des créatures me soient un enfer, que je sois hors de leurs idées et de leurs affections, et puisque je suis intérieurement en la disposition que Dieu connaît et qu’il me fait ressentir, je dois vivre dans un éloignement si grand de tout ce qui peut donner vie et satisfaction à mes sens et à mon propre esprit, que ma vie doit être une mort continuelle.
Je me voue à la grâce et à la puissance de Jésus-Christ pour entrer dans la vérité véritable de ce que dessus, et pour demeurer le reste de ma vie en abjection à moi-même et à tout le monde.
Mon âme sent toujours quelque agitation si elle n’est dans le véritable anéantissement. Toute autre disposition me semble étrangère et je n’y puis quasi avoir d’application.
Mon Dieu, il n’y a que vous qui concevez ce qui se passe dans votre esclave, il me suffit que vous le connaissiez, que votre miséricorde et votre justice achèvent votre ouvrage et qu’il en soit selon vos éternels desseins.
Je sens un mouvement quasi perpétuel qui tend où Dieu me veut réduire : « Tôt, tôt, tirez-moi de mon être et me mettez dans l’opération de ma fin » (sainte Catherine de Gênes).
Silence en esprit d’anéantissement.
Cette petite phrase, tirée du même manuscrit, peut déjà nous servir de clé d’interprétation :
« Pouvoir être anéantie c’est un grand mystère et le plus grand qui se puisse faire en l’âme, parce qu’elle n’est plus en elle, mais toute à Jésus-Christ ».
N’oublions pas, en lisant ce texte, de quelle épreuve Sœur Mectilde vient de sortir, et la motivation de son changement d’Ordre : « être crucifiée au monde... » elle rejette ce « monde » qui a failli la perdre. « La vérité véritable de mon néant... » : de quoi ne suis je pas capable, si je ne suis ensevelie dans l’humilité. « L’estime et l’honneur... », n’ont-ils pas été, en partie, la cause du piège qui lui a été tendu ? Elle veut être effacée de leur souvenir et de leur affection. Elle sent sa faiblesse en face de tout ce qui peut « donner vie » à ses sens et à son propre esprit... c’est pourquoi elle parle de devoir vivre dans une mort continuelle. Or, la Profession est une « mort au monde », elle la désire ardemment. Mais qui peut accomplir cela ? « La grâce et la puissance de Jésus-Christ seul » peut la faire demeurer dans « l’abjection » : l’humiliation profonde à ses propres yeux et aux yeux de tous. Elle n’a la paix que dans le « rien ».
Elle sent en elle une opération de Dieu qui la purifie : elle s’est donnée à Dieu pour cela. Elle se livre à sa justice et à sa miséricorde pour que tout lui advienne selon ses éternels desseins. Elle reprend l"'Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum ». Ancilla = esclave. Et ce but où Dieu la mène c’est d’être arrachée à elle-même pour être transformée en Celui par qui et pour qui elle a été créée : Dieu.
Mais tout cela est scellé dans le « silence » pour demeurer dans le « Rien » : l’humilité parfaite qui seule laisse libre l’action de Dieu.
Dès avant l’entrée en scène de Bernières, nous avons les mots-clefs : néant, abjection, mort continuelle, tendance au véritable anéantissement. Tout son désir la porte à être tirée de son être pour parvenir à sa fin : être transformée en Dieu. Il y a là en germe le mouvement pascal qui domine sa vie, dit dans le vocabulaire du temps, avec la radicalité qui la caractérise : « sortir de moi-même pour entrer en Jésus — Christ ».
Nous pouvons relever deux citations qui nous apprennent qu’elle lit sainte Catherine de Gênes. D’abord cette expression étrange : « Sous les pieds de tous les démons ». Pour la bien comprendre, il faut recourir aux explications de sainte Catherine : le démon est fixé dans un état de méchanceté qui ne peut empirer. Il ne peut nuire aux hommes que dans la mesure où ces derniers lui en laissent la possibilité en cédant à la tentation ; tandis que l’homme peut toujours croître en méchanceté et, donnant au démon la possibilité de nuire, il est « pire que lui ». Cela signifie donc plus simplement que l’on prend conscience d’être capable de tout mal.
Et puis la sentence qui clôt cet « Abrégé » : « Tôt, tôt, tirez-moi de mon être et me mettez dans l’opération de ma fin ». Pour la comprendre il faut relire le chapitre trente-deuxième de son livre « Comment se fait l’anéantissement de l’homme en Dieu par l’exemple du pain ». (La vie et les œuvres de Catherine Adorna, traduite par Desmarets, Paris, 1662).
Le pain proteste parce que celui qui le mange lui « ôte son être » et elle lui répond : « Pain, ton être est ordonné pour sustenter mon corps qui est plus digne que toi ; et tu dois être plus content de la fin pour laquelle tu es créé que de ton être propre : parce que ton être ne serait point estimable si ce n’était à cause de sa fin. Ta fin est ce qui te donne une dignité à laquelle tu ne peux parvenir que par le moyen de ton anéantissement. Donc si tu ne vis que pour parvenir à ta fin, tu ne te soucieras pas de ton être, mais tu diras : “Tirez-moi promptement de mon être et me mettez en l’opération de ma fin pour laquelle je suis créé”. C’est ainsi que Dieu fait de l’homme, lequel a été créé pour la fin d’être uni à Dieu et d’être transformé en Dieu » (op. cit. p. 159).
Voilà donc ce vers quoi Mère Mectilde aspire de toutes ses forces.
Mais la guerre se rallume en Lorraine. En septembre de la même année, Mère Mectilde quitte son monastère pour Saint Mihiel en compagnie de Mère Benoîte et de Mère Bernardine ? Elles connaissent une extrême misère et sont secourues par Monsieur Guérin8, un envoyé de saint Vincent de Paul. Mère Mectilde et ses compagnes vont en pèlerinage à Benoîte-Vaux les 1er et 2 août 1641. Elles demandent à Marie de les protéger du « péril des soldats » et de trouver quelque bonne Abbesse qui veuille bien les recevoir en attendant des jours meilleurs. Le 21 août, Sœur Mectilde et une de ses compagnes partent pour l’abbaye de Montmartre où elles sont accueillies huit jours plus tard par l’abbesse Marie de Beauvillers. Elles y restèrent un an (Documents Historiques, Rouen, 1973, pp. 53 et 56).
En continuité avec l « 'Abrégé » de sa retraite, nous relevons ce passage dans une lettre qu’elle écrivait de là à Mère Benoîte en octobre 1641 :
« Je vous supplie, donnez-moi fortement et instamment à Dieu et le priez qu’il captive toutes les puissances de mon âme en sorte que je meure mille fois plutôt que de l’offenser. Cette crainte de tomber dans le vice me donne mille frayeurs et m’empêche d’être si parfaitement résignée de sortir d’ici (Montmartre), encore que je m’abandonne à Dieu autant que je puis. Je voudrais de très bon cœur descendre dans les enfers plutôt que de déplaire à Dieu, secourez-moi de vos prières à ce sujet.
Or, la plus ordinaire pensée que j’ai de présent, c’est le désir d’être parfaitement anéantie et d’être attachée sur la très précieuse croix. Quant à l’anéantissement, je le comprends intérieur et extérieur, m’étant avis que sans icelui je n’avancerai pas vers Dieu ; et pour l’extérieur, il est facile avec la grâce ; mais l’intérieur, je le trouve difficile parce qu’il me semble que toute la diligence est peu si Dieu même n’anéantit les puissances. La vivacité de mon esprit me travaille beaucoup, et le peu de constance qui est en moi me prive de beaucoup de grâces ». (L.I., p. 123).
Deux choses qu’elle reprochera plus tard à sa chère comtesse de Châteauvieux !
Mère Mectilde réalise que cet « anéantissement » est l’œuvre de Dieu, et que le mieux est de s’y soumettre et abandonner et, comme elle l’écrit à une de ses Sœurs en 1643 :
« Je vous convie encore de vous aider à détruire en vous abandonnant de bon cœur à toutes sortes de désolations, vous abaissant devant sa Majesté pour recevoir les effets de sa miséricordieuse justice qui vous purifie par son éternel amour ». (L.I., p. 125).
N’oublions pas ce lien que Mère Mectilde fait toujours entre la justice, la miséricorde et l’amour. C’est très important pour comprendre ce qu’elle entend par « victime de la Justice ». Elle parlera plus tard à Anne de Béthune [9] de sa « miséricordieuse justice qui n’est autre que son amour ». C’est par miséricorde que sa justice purifie l’âme pour la transformer dans l’amour. Et c’est par amour que la Justice la rend capable de recevoir la miséricorde !
Le 7 août 1642, Mère Mectilde quitte Montmartre. Elle se réfugie à Barbery, fait la connaissance de Dom Louis Quinet 1° qui lui amène Bernières [11], accompagné du fidèle Roquelay [12]. C’est désormais dans leur correspondance que nous verrons surtout le cheminement de Mère Mectilde jusqu’à la mort de Bernières.
Le processus de mort vers la résurrection va aller s’amplifiant :" Je meurs sans mourir, je ne sais plus où j’en suis » (5 mars 1643), (1244). « Qu’il me convertisse ou que je meure ! » Le 15 mars 1643, elle écrit encore à Roquelay : « Il me semble avoir un grand attrait pour chérir la sainte abjection, le sacré abandon et sainte dépendance. Pour moi, je trouve celui qui goûte parfaitement ces points, qu’il possède une béatitude en terre et qu’il se peut estimer un des heureux hommes du siècle. Quelles félicité et béatitude y a-t-il au ciel que Dieu ? Et si une âme en terre est toute absorbée et perdue en lui, que peut-elle désirer ? Il faut que je vous avoue que je n’envisage point le Paradis, qu’il me suffit d’être toute à Dieu, non seulement de m’être donnée à Dieu, mais d’être toute délaissée à Dieu. II me semble que cet abandon se conçoit bien mieux de pensée qu’il ne s’explique de parole. Désirez, mon cher frère, cette sainte perte de moi-même. J’aime beaucoup cette béatitude :
Bienheureux qui se voit réduit
à porter dans son impuissance
la Puissance qui le détruit.
(Béatitude dite « de la Mère de S. Jean (Le Sergent). Désirez qu’elle s’accomplisse en moi (908).
Mais voici juin 1643 : c’est la rencontre avec le Père Jean Chrysostôme 13. Nous avons là des documents de première valeur : juillet 1643, la Relation de Mère Mectilde au Père Chrysostôme, avec la réponse du Père (239). Une deuxième série de propositions avec réponses, et une troisième série de réponses.
Mère Mectilde fait une relation de toute sa vie pour se faire bien connaître. Nous avons déjà noté son violent désir de vie religieuse où le Père voit beaucoup de “nature”. Ensuite, Mère Mectilde raconte la grâce extraordinaire qu’elle a eu la nuit précédant sa profession, dont nous avons aussi parlé. Elle fait allusion à la couronne lumineuse qui parût ce jour-là au-dessus de sa tête. Très sagement, le Père l’exhorte à ne pas faire fond sur les grâces extraordinaires sujettes à beaucoup d’illusions, et à fonder sa perfection sur “la mortification et la vertu”. Cela revient comme un refrain dans ses réponses, mais en même temps il ne cesse de l’encourager et d’approuver son cheminement. Elle raconte ensuite la grande tentation et sa résolution de changer d’Ordre. On remarque aussi l’attrait de Mère Mectilde pour la “volonté de Dieu” que nous avons déjà noté.
Dès son entrée à Rambervillers, elle se donne à l’oraison “de bonne sorte”, son attrait pour la contemplation se développe. Sa Mère Maîtresse (Mère Benoîte) la pousse vers l’oraison passive et silencieuse. Le Père met en garde et encourage en même temps. Il lui conseille de ne pas se livrer sans discernement à la “passivité”.
À Montmartre, elle est dans l’épreuve : privations, réprobation, peines intérieures, “cachots ténébreux” (que l’on retrouvera dans sa correspondance avec A. de Béthune.. ). Elle souffre par soumission à la divine justice.
Le Père lui répond : ce sont des purifications. Il faut les souffrir patiemment et remercier Dieu qui purifie et dispose ainsi à la passivité de la contemplation. “L’âme étant affective, l’opération d’amour refluera en l’appétit sensitif (d’où tourments et maladies). L’âme, se purifiant, cet amour résidera davantage en la partie intellectuelle”.
Il lui recommande : “Quant à la nourriture et au dormir, c’est à elle d’être fort discrète, comme aussi à toutes les austérités”, “elle aura besoin d’ailleurs de soulager son corps”. (Donc, la fameuse scène du parloir où il lui intime les plus effrayantes mortifications était peut-être une exception, qu’on aura d’autant plus remarquée. Ici, le Père paraît fort sage).
Enfin, il l’exhorte à ne pas mettre tout le fond de la perfection sur la seule oraison, mais plutôt sur la tendance à la pure mortification. Il donne des conseils sages et modérés pour la conduite de cette oraison passive.
Mère Mectilde parle de ses peines et aridités à la communion : “En ses communions, elle allait de tout son cœur recevoir son Dieu avec le désir d’être tout à Lui et qu’il fut tout pour elle, mais toujours sans sentiments sensibles, et lorsqu’elle avait communié, elle entrait dans son obscurité ordinaire et captivité sans pouvoir le plus souvent adorer son Dieu, ni parler à sa Majesté. Il lui semblait qu’il se retirait au fond de son cœur ou pour le moins en un lieu caché à son entendement et à son imagination, la laissant comme une pauvre languissante qui a perdu son Tout. Elle cherche et ne trouve pas. La foi lui dit qu’il est entré dans le centre de son âme, elle s’efforce de l’y aller adorer, mais toutes ses inventions sont vaines, car les portes sont tellement fermées et toutes les avenues, que ce lieu est inaccessible, du moins il lui semblait, et lorsqu’elle était en liberté, elle adorait sa divine retraite et souffrait ses sensibles privations, néanmoins son cœur s’attristait quelques fois de se voir toujours privé de sa divine présence, pensant que c’était un effet de sa réprobation.
D’autres fois elle souffrait avec patience, dans la vue de ce qu’elle a mérité par ses péchés, prenant plaisir que la volonté de son Dieu s’accomplisse en elle selon ce qu’il plaira à sa Majesté”.
Le Père l’exhorte à s’abandonner à la conduite de Dieu, car ces peines lui sont données pour la conduire à la pureté de perfection à laquelle elle est appelée, et de laquelle elle est encore bien éloignée.
De cette expérience sortira le chapitre du Véritable Esprit : “De la sainte communion en général”. De plus, nous verrons que Mère Mectilde entrera un jour dans ce centre de son âme qui lui est actuellement fermé, et... qu’elle n’en pourra plus sortir !
Enfin elle lui fait part de l' « état » d’épreuve où elle se trouve en ce moment : « Il semble qu’elle aura une joie sensible si on lui disait qu’elle mourrait bientôt ; la vie présente lui est insupportable voyant qu’elle l’emploie mal au service de Dieu et combien elle est loin de la sacrée union. Il y avait lors trois choses qui régnaient en elle assez ordinairement ; savoir : langueur, ténèbres et captivité ».
Sur quoi le bon Père conclut : « Voilà des marques de l’amour habituel qui est en cette âme... » 12
La deuxième série de propositions est aussi datée de juillet 1643. Le Père modère l’impétuosité de Mère Mectilde et l’exhorte à la discrétion, c’est le maître mot de cette série. (Nous la résumons à regret).
Mère Mectilde : « Mon attrait particulier est un entier abandon de tout moi-même à Dieu et un parfait anéantissement, en un mot, je voudrais être abîmée en Dieu ». 13
Le Père : « Cet attrait serait fort saint, mais il le faudrait ménager discrètement... »
Mectilde : « Est-il bon de se laisser entièrement à l’amoureuse Providence de Dieu et en cet abandon ne prendre pas grand soin des choses temporelles, ni même de ce que l’on deviendra, mais se satisfaire de cette pensée : Je suis toute à Dieu ? (Ego Dei sum) ».
Le Père : « Il faut user de discrétion : il faut que le spirituel soit très indifférent à tous états, mais ainsi que le disait saint Ignace, il doit travailler comme s’il n’était point attaché à la Providence, et en même temps néanmoins il doit tout espérer de Dieu comme si son travail n’était qu’une chose adjointe ».
Mectilde : « En l’oraison faut-il forcer son entendement ?...»
Le Père : « Il ne faut point forcer son entendement, mais il le faut conduire doucement »... Mectilde : « J’ai un désir ardent de solitude et de me retirer de tant d’occupations... »
Le Père : « Il faut tendre à la solitude discrètement... Rester dans l’obéissance... »
Ce désir de solitude sera pour Mère Mectilde une vraie tentation qui la poursuivra longtemps.
Bref, il semble que Mère Mectilde ait trouvé le directeur qu’il lui fallait et qu’on pourrait beaucoup nuancer le portrait traditionnel de ce bon Père grâce à ces sages conseils.
Le troisième écrit est un vrai petit traité où le Père confirme les attraits de Mère Mectilde. Essayons de les résumer en quelques mots.
— Désir de vie solitaire et séparée des créatures. Retraite, secret, silence.
— Attrait et disposition pour l’oraison. C’est l’anticipation du ciel : contempler et aimer.
— Dévotion au Saint-Sacrement où Jésus est « caché » et appel à honorer « par état » cette vie cachée.
— Pour entrer en communication de l’Esprit de Jésus et dans les opérations de sa vie divine, il faut entrer dans ses états d’anéantissement et d’abjection. Imiter Jésus serviteur et humilié, participer à tous ses « états ». (Ceci ne saurait être trop souligné. Chaque mot porte).
— Bien avare à qui Dieu ne suffit. 14 Dans la pauvreté suprême de toute créature, vous vous trouverez riche par la pure jouissance du Dieu de votre amour. C’est un repos et joie inconcevables.
— Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice. Bienheureuse l’âme qui n’a point d’autre désir que d’aimer du pur amour, la faim que vous sentez est une grâce qui n’est donnée qu’à peu... Elle ira toujours croissant... à mesure que vous vous purifierez.
— Par tout cela, vous acquerrez la paix de l’âme et reposerez en Dieu. Je vous annonce beaucoup de combats et de tentations pour parvenir à la possession du Pur Amour.
— Ayez une dévotion particulière à Marie (et là nous trouvons un tableau raccourci du mystère de Marie qui annonce ce qu’en dira Mère Mectilde dans ses conférences).
— La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les lumières servent beaucoup, ne pas négliger de s’instruire.
— Dévotion à l’Âme de Jésus : entrer dans ce ciel intérieur vous merveilles d’amour ».
On peut dire que Mère Mectilde a bien profité de tout cela. Par ailleurs, le Père Chrysostôme a une très haute estime de sa dirigée. « Il a dit souvent qu’il trouvait plus de spiritualité dans le petit réduit de Saint Maur que dans toute la grande ville de Paris, et que, tout théologien qu’il était, la Mère Mectilde du Saint — Sacrement lui avait appris des secrets qu’il ne trouvait point dans les livres » (Giry, p. 11).
« Un ami de Bernières écrit de son côté : “Je n’ai point encore pu voir les religieuses dont notre bon Père Jean Chrysostôme fait un grandissime état, particulièrement de la Mère Mectilde du Saint Sacrement : il dit qu’elle va comme un géant dans les grandes voies de l’amour, et qu’elle est fortement fondée en pure vertu”. Une religieuse qui a demeuré avec elle à Saint Maur nous assure qu’elle était toujours en prières, autant qu’elle pouvait, et que lorsqu’elle en sortait, son visage paraissait extraordinairement animé de l’amour de Dieu, dans une ardeur à mettre tout le monde en ferveur » (P 101, p. 151).
« Monsieur Boudon [14], archidiacre d’Évreux, fit bientôt connaissance avec la Mère Mectilde lorsqu’elles furent arrivées à Saint Maur, de laquelle il écrivit ainsi à une Supérieure : “J’ai eu la grâce de voir la Mère Mectilde pour avoir avec elle une conversation du Royaume du ciel, d’où nous primes occasion de nous écrire mutuellement... Les paroles de cette servante de Dieu étaient un or purifié au feu...". Dans une autre lettre qu’il écrivit à une autre Supérieure, il parle ainsi : “J’ai eu la grâce de voir à Saint Maur pour la première fois la Mère Mectilde, car j’estime cela comme une véritable grâce. Je puis assurer que je l’ai trouvée tellement remplie de Dieu que j’en sens en moi-même les effets. Elle me causa une véritable joie céleste... ce que la présence de cette pieuse fille a opéré en moi est inexprimable” (ibid. p. 50).
Voyons maintenant la correspondance avec Ber — fières et Roquelay. Dès Montmartre, Mère Mectilde nous apprend qu’elle souffrait par soumission à la divine justice. Elle va être de plus en plus aux prises avec cet attribut divin. N’oublions pas qu’elle la définit : “La miséricordieuse justice qui n’est autre que son amour”. L’amour qui purifie.
Le 15 mai 1644, elle écrit à Jourdaine de Bernières 15 : “Priez, très chère Mère, Celui qui nous est tout qu’il me rende digne de faire un saint usage des croix ; mais notamment des intérieures, lesquelles met-tent quelquefois dans quelque sorte d’agonie ; dites pour moi, je vous supplie, pensant à mes misères :” Iustus es Domine ». Oh ! que mes péchés, mes libertinages passés et mes infidélités présentes méritent bien ce traitement, lequel je trouve (nonobstant ses violences) tout plein de miséricorde. « Bénie soit la main adorable qui me fait ressentir quelque petite étincelle des effets de sa divine justice. Aimez pour moi cette justice de Dieu, c’est ma félicité lorsque j’ai la liberté de lui faire hommage ». « Adorez cette divine justice » (2524).
Le 7 juillet : « Je suis toute à sa puissance, attendant avec paix et repos les effets de son adorable justice » (75 b).
Et le 13 août 1644 ce texte étonnant à Bernières : « Ne pouvant me persuader que la Majesté adorable d’un Dieu daignât bien abaisser les yeux pour regarder la plus impure des créatures et le plus sale néant qui ne fut jamais sur terre... Si elle me mandait que la très sainte et très aimable justice de mon Dieu m’abîmerait au centre des enfers, je n’aurais nulle difficulté de porter croyance à une telle sentence. Car en esprit j’y suis en quelque manière abîmée, ne voyant aucune place qui me soit convenable que le plus affreux de ces cachots que je porte par hommage à la divine, très sainte et amoureuse justice de mon Seigneur et de mon Dieu, que j’aime d’une tendresse égale à sa sainte miséricorde. Si j’osais je dirais davantage, prenant un plaisir plus grand dans l’effet de la première que de l’autre, parce que je vois une main d’amour qui fait justice à soi-même, faisant ce que mon amour-propre m’empêche de faire. Aimez Dieu pour moi, mon très cher frère, voilà tout ce que je puis dire dans l’état présent » (2276).
Tout est œuvre de l’amour, il n’y a pas d’antinomie. Mais sur ses vieux jours, on entendra un autre son de cloche : « Il est juste, Il est vrai, mais penchez plutôt du côté de sa bonté que de celui de sa justice » (Entretien sur l’abandon, 2436). La miséricorde deviendra première, nous le verrons.
Ainsi Mère Mectilde est prise entre le sens très aigu de son néant, de son péché, et l’impétueux désir d’être toute à Dieu.
Le 18 août 1644, elle écrit à Bernières : « Mon actuelle occupation est de tendre à lui et d ’être à lui sans aucune réserve » (572).
Le 30 septembre 1644, Mère Mectilde écrit au Père Chrysostôme :
« Mon très Révérend Père, l’obéissance m’a donné dix jours de temps pour entrer en retraite, commençant dès la veille de saint Denys. Je vous supplie, mon très cher Père, de me dire votre pensée et votre sentiment sur cette retraite, à quoi je dois occuper mon esprit et quels doivent être les sujets de mes méditations ; je vous supplie aussi de prier notre bon Seigneur pour moi et de m’appliquer votre sainte bénédiction pour commencer cette œuvre que je désire faire à la plus grande gloire de Dieu. Je vous supplie que je sache de vos nouvelles avant ce temps, si je ne puis avoir la consolation de vous voir. En ce temps je vous écrirai très particulièrement ; recommandez-moi, je vous prie, aux saintes prières du bon frère Jean Baptiste et de toutes les bonnes âmes que vous connaissez. Vous savez mes besoins et connaissez mes misères ; je me repose sur votre charité, espérant qu’elle continuera ses effets puisque Notre Seigneur en sera glorifié et que mon âme en pourra être convertie, selon SES désirs. Notre Très Révérende Mère et toutes mes Sœurs vous présentent leur humble recommandation. Je suis en Notre Seigneur, toute vôtre... » (2135).
Le Père lui répond :
« Notre très chère Mère, Jésus soit votre lumière et votre conduite !
Dans votre retraite, tendez à l’amour divin, car vous y avez disposition particulière. Prenez pour vos sujets d’oraison ceux auxquels la grâce vous inclinera intérieurement, auxquels vous pourrez joindre l’amour de Dieu qui vous parait en l’Incarnation, en la sainte Eucharistie et au crucifiement. Voyez aussi si vous vous porterez aux méditations de l’Être divin, de l’immensité, bonté, sainteté, infinité et toute-puissance. Ne lisez que des sujets d’amour divin.
Je soumets tous ces avis à votre Révérende Mère Supérieure à laquelle je présente mes humbles recommandations, et aussi à nos Mères de la Résurrection, Dorothée et Angélique (moniales de Rambervillers).
Je vous renvoie les papiers de la Mère Benoîte et ma réponse. Je tâcherai de vous voir au plus tôt, dans la fin de vos exercices, je prierai chaque jour pour vous, je vous supplie de faire le même, car à présent j’en ai grand besoin. Écrivez chaque jour ce que vous aurez fait et ensuite je vous en dirai mon sentiment. Bon courage, Dieu est avec vous » (312).
Dans une lettre écrite à Bernières le 25 de l’an 1645, nous voyons que Mère Mectilde continue son chemin vers le Rien-Tout : c’est le Mystère pascal.
« Le plus intime sentiment qui me possède est de rentrer en Dieu. Cette simple pensée est mon occupation ordinaire et le plus intime de mes désirs... la mort, l’anéantissement est mon affection... La vue de ma misère est actuelle, mais je me réjouis en Dieu qui est la souveraine perfection et qui est suffisant à soi — même » (1304).
« Au commencement de l’année 1645, la Mère Bernardine avec la Mère Mectilde furent obligée de retourner à Rambervillers. Cinq mois après, elles retournèrent à Saint Maur où elles trouvèrent M. de Bernières qui leur découvrit le dessein qu’il avait de se retirer en une solitude. Elles louèrent son dessein et lui avouèrent qu’il y avait longtemps qu’elles pensaient à faire la même chose, et depuis ce temps, leurs entretiens ne roulèrent que sur cette matière. La Mère Mectilde écrivit deux lettres à M. de Bernières à Paris, dans lesquelles elle lui représente au vif les grands désirs qu’elles avaient pour la solitude. Elle lui fit aussi savoir qu’elles sont déjà au nombre de cinq qui avaient ce dessein, qu’elles le prient de prendre cette affaire en mains, et d’avertir en même temps le Père Chrysostôme pour en savoir son sentiment là-dessus » (N 250, p. 53).
Le 30 juin Mère Mectilde écrit à Bernières : « (Je) vous assure de la constante et ferme résolution des cinq solitaires qui augmente tous les jours dans l’affection à une sainte retraite telle que votre bonté se propose de nous faire observer, nos désirs sont extrêmes... Et comme je ne reconnais au ciel ni en la terre point de bonheur plus grand que celui d’aimer Dieu d’un amour de pureté, faisant quelquefois réflexion sur le genre de vie que nous prétendons d’embrasser, il me semble que c’est le chemin raccourci qui conduit au sacré dénuement... Il faut être pauvre de toutes sortes pour l’amour de celui qui nous appelle dans sa voie » (1386).
Elle conclut une de ses lettres : « Les cinq hermitesses vous saluent ! » Et Bernières écrit à un ami, à Caen, le 4 juillet 1645 : « Monsieur... Au reste j’ai trouvé cinq ou six personnes de rare vertu et attirées extraordinairement à l’oraison et à la solitude, qui désirent se retirer dans quelque ermitage pour y finir leur vie et pour vivre dans l’éloignement du monde et dans la pauvreté et abjection, inconnues aux séculiers qu’elles ne voudraient point voir, et connues de Dieu seul. Il y a longtemps que Notre-Seigneur leur inspire cette manière de vie. J’aurais grand désir de les servir au-dehors et de favoriser leur solitude, puisque Notre-Seigneur nous a donné l’attrait à ce genre de vie qu’elles entreprennent, sans aucun dessein de se multiplier ni augmenter de nombre, même en cas de mort. C’est un petit troupeau de victimes qui s’immoleraient à Dieu les unes après les autres.
Ce sont d’excellentes dispositions que les leurs, et leur plaisir sera de mourir dans la misère, la pauvreté et les abjections, sans être vues ni visitées de personne que de nous. Cherchez donc un lieu propre pour ce sujet où elles puissent demeurer closes et couvertes, avec un petit jardin, dans un lieu sain et auprès de pauvres gens, car le dessein est d’embrasser et de marcher dans les grandes voies et les états pauvres et abjects de Jésus... Ces personnes sont fortes en nature et en grâce. Faites donc ce dont je vous prie pour ce sujet, et surtout gardez le silence, sans en parler à personne du monde » (P 101, p. 200).
Le 12 juillet il écrit encore à ses amis de Caen : « Cherchez tous ensemble par-delà une maison qui soit propre à nos ermites, leur dessein est approuvé... La Mère Mectilde est une âme toute de grâce... »
Le 4 juillet Mère Mectilde avait écrit de son côté parlant encore de son projet : « La résolution est toujours ardente ». Et le Père Chrysostôme lui répondait : « Un peu de patience pour votre ermitage, entrez maintenant dans la pure solitude du cœur ».
Mais Bernières est ruiné (il devait fournir ledit ermitage), ce qui renverse le projet. Le désir ardent de solitude n’est donc pas réalisé. Détachement, suivi d’un bond en avant, ce que nous vérifierons plusieurs fois dans la suite.
L’œuvre de Dieu avance dans son âme :
Le 10 février 1646, elle écrit à Bernières : « Notre-Seigneur m’a fait beaucoup de miséricordes (qui me plongent dans le) silence... La puissante et très adorable main de mon Dieu me touche et m’attire efficacement... Il me semble que je commence à vivre depuis que mon Dieu règne plus absolument en moi » (794).
Le 26 mars 1646 le Père Chrysostôme meurt. Grande désolation et grand détachement. Elle assiste en esprit à son agonie et en reçoit de grandes grâces. Elle y fait allusion dans une lettre du 12 mai 1646 : « Depuis l’instant de sa mort, il m’a fait changer de disposition... Il me semblait que Jésus-Christ me remplissait (de son Esprit). Je me trouve changée, mais non au point que j’espère l’être... Je me trouve plus forte et plus abandonnée » (758).
Boudon raconte de son côté dans la « Vie » du Père Chrysostome « L’homme intérieur » p. 319 : « L’homme de Dieu, par les mouvements de sa grâce et d’une sainte confiance en la bonté de son Dieu, avait promis à une personne avec laquelle l’esprit de son aimable Maître l’avait uni très saintement, qu’avant trois jours après son décès, il la viendrait entretenir du Royaume de Dieu à l’imitation de son divin Sauveur dont il est rapporté dans les Actes des Apôtres qu’il leur apparut après son humiliante mort et sa glorieuse résurrection, leur parlant beaucoup du Règne de Dieu. La personne avec qui il avait fait cette promesse fut persuadée qu’elle fut accomplie par Notre Seigneur même qui lui dit dans l’intérieur de l’âme que son bon serviteur lui avait été tellement uni qu’il était comme un autre lui-même, et qu’ainsi il voulait qu’elle sût qu’il lui paraissait en sa personne sacrée, et que c’est ainsi qu’il s’acquittait de ce qu’il lui avait promis ».
D’après l’abbé Berrant (p. 54), voici le récit de cette grâce, récit que lui a fourni le Père Guilloré 16 :
« L’emploi de la Mère Mectilde à Saint Maur était de pourvoir aux nécessités journalières de la communauté. Le dimanche de la Quasimodo, étant à la cuisine occupée dans les fonctions de ce même emploi, mais bien plus du désir qu’elle avait de participer à l’esprit de son bienheureux Père (Chrysostôme), ayant éprouvé depuis sa mort, en plusieurs occasions que je serais trop longue à rapporter, des secours qui ne lui laissaient aucun doute de sa béatitude, il lui sembla que Notre Seigneur dans ce moment la remplissait du Sien propre. (Notons l’humour du Seigneur : tu veux l’esprit de ton Père Chrysostôme ? Je te donne le mien !). Ce qui produisit dans son âme d’admirables effets. Elle se trouva changée de dispositions intérieures, étant plus courageuse, plus abandonnée et toujours plus fortifiée pour aller à Dieu dans la pureté de ses voies et de son Esprit. Elle fut encore pénétrée d’une lumière qui lui fit connaître, même sensiblement, la manière dont Dieu remplit le monde par son immensité, et que toutes choses sont abîmées en lui comme en leur centre ; il lui donna l’intelligence du droit qu’il s’était acquis par sa mort sur toutes les créatures animées et inanimées, et cette impression fut si forte qu’elle resta plusieurs mois gravée dans son âme qui ne voyait que Dieu en tout. Si elle agissait et parlait, c’était sans autre réflexion que sur cette plénitude de Dieu et ce domaine de Jésus-Christ, et tout ce qu’elle touchait semblait perdre son être naturel, tant elle le voyait investi de celui de Dieu ».
Après la mort du Père Chrysostôme le manuscrit P 108 bis, p. 43, nous apprend que : « Ne pouvant pas ensuite, tout éclairée qu’elle était, se conduire autrement que par l’obéissance, elle se mit sous la direction de la Mère de Saint Jean l’Evangéliste1, religieuse de Montmartre d’un très grand mérite, qui était Supérieure d’une petite Communauté au Faubourg de la Ville-l’Évêque. Cette nouvelle directrice lui interdit absolument toutes les pénitences que le Père Chrysostôme lui avait ordonnées ». Elle quitte sa ceinture de fer. (L’abbé Berrant situe ce fait en juin 1646, p. 56) : « Que si elle n’était si crucifiée de corps sous la Mère de Saint Jean, elle le fut beaucoup plus du côté de l’esprit, car ce fut alors qu’elle entra par ses avis dans le creuset purifiant où il faut se tenir pour arriver à l’indépendance de toutes les créatures et au Pur Amour de l’Être incréé, et pour mettre sa félicité dans un parfait dénuement de tout soi-même. Sur quoi elle disait souvent qu’elle sentait à toute heure la main du divin Amour qui se faisait justice en elle et qui y détruisait, par la voie d’un crucifiement douloureux, jusqu’au moindre reste de son amour-propre ».
Cette Mère de Saint Jean n’est autre que Charlotte Le Sergent [18]. Brémond en fait l’éloge dans l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France (Tome II, pp. 467 à 484), où il renvoie à l"'Abrégé » de sa vie par la Mère de Blémur 18 (pp. 481-483). Il parle de ses relations avec Mère Mectilde.
« De toutes les élèves de Charlotte Le Sergent, c’est Catherine de Bar qui lui fut la plus chère et qu’elle a le mieux façonnée à sa propre image. Elle avait connu d’avance la vocation particulière de cette future “victime” dont nous admirerons plus tard le génie et l’apostolat ».
« Étant en oraison ce matin, lui écrivait-elle, je vous ai vue entre les bras de Jésus-Christ, comme une hostie qu’il offrait à son Père pour lui-même et d’une manière où votre âme n’agissait point, mais elle souffrait en simplicité ce que l’on opérait en elle... Vous n’avez rien à craindre, le je ne sais quoi qui vous va séparant de toute douceur est ce que j’estime le plus simple et le plus sûr de votre voie... Je vous dis ce que l’on me met en l’esprit sans le comprendre, étant dans un état où je n’ai rien, rien, rien, sinon une certaine volonté qui veut ce que Dieu veut et qui est disposée à tout » (Abrégé p. 116-118).
« J’ai vu tout votre être absorbé dans une lumière devant laquelle la vôtre a disparu, et je voyais en cette région lumineuse un jour sans ténèbres où la créature n’était plus rien, Dieu étant tout » (Abrégé p. 127).
Au mois de juillet, Mère Bernardine s’en va à Rambervillers et demande à Mère Mectilde de la remplacer à la tête de la petite communauté. À cette idée, Mère Mectilde a une réaction si violente que les Sœurs en sont effrayées. Elle a fait vœu de ne vouloir que la volonté de Dieu, mais il lui faut trois jours de combat pour retrouver la paix avec l"'indifférence ». « Je ne pouvais plus avoir de volonté que pour l’anéantir en la Sienne ». Elle progresse dans le détachement et l’abnégation, mais ce n’est pas fini.
6 novembre 1646. Autre coup de massue : on la demande comme supérieure à Caen. Mère Mectilde résiste tant qu’elle peut. Elle écrit à Bernières : « La lecture des vôtres m’a surprise et je vais vous dire tout simplement ce que j’en pense. Premièrement : je doute aussi bien que vous si l’ordre de Dieu m’appelle en cette maison. Secondement : je n’ai ni grâce ni capacité pour être supérieure. Troisièmement : je crains de perdre l’esprit d’oraison qui semble prendre quelque petit accroissement, celui de pénitence, de la sainte pauvreté et abjection que notre bienheureux Père nous a si saintement imprimée en nos esprits. Quatrièmement : notre Communauté n’y consentira jamais. Il faut un coup de la toute-puissante main de Dieu pour me tirer d’avec elles : vous savez l’amitié que nos Sœurs ont pour nous.
Je sais bien quelle est cette maison, il y a longtemps que l’on m’en a parlé. Mais comme j’ai une très grande répugnance à la supériorité, et que d’ailleurs je suis liée à une Communauté de laquelle je ne sortirai jamais par moi-même, je me laisse et m’abandonne à Dieu sans réserve pour être et faire tout ce qui Lui plaira au temps et à l’éternité. Et si d’aventure vous voyez jour pour faire cette affaire, pour l’amour de Dieu, avant que de vous conclure demandez bien son saint Esprit pour connaître la divine volonté. Je m’en repose entièrement sur votre charité ; vous connaissez mes petites dispositions, et Notre Seigneur nous ayant liés par les chaînes de son divin Amour, portez-moi toujours à ce qui est plus purement sa gloire. Je porte un certain état d’insensibilité à toutes choses pour me rendre à Dieu seul, et si vous y remarquez son bon plaisir, je m’y sacrifierai de très bon cœur, car je ne veux plus vivre que pour Jésus — Christ.
Pour moi, je pense que dès aussitôt que l’on nous aura vue, que cette bonne dame désistera de ses poursuites. Vous savez, mon très cher frère, que je ne suis qu’une pauvre idiote et incapable de quoi que ce soit.
Voilà ce que j’avais à vous dire sur cette affaire. Ne serait-ce point cette croix que notre bon frère Jean nous a annoncée de la part de Dieu ? Car elle est de supériorité. Bon Dieu ! N’y a-t-il point moyen de souffrir sans être supérieure ! Recommandez le tout à Dieu autant qu’il vous sera possible. C’est l’affaire de sa gloire, il la faut conduire discrètement et purement pour Lui seul. J’ai une grande joie de la voir entre vos mains. J’ai de la peine à quitter mon état pauvre et abject pour posséder plus de commodités, et, en apparence, plus d’éclat. Mon cœur se pourra résoudre à faire le voyage, mais non à accepter la supériorité. Je ne pense pas que cela soit, ou bien Dieu me donnera d’autres grâces.
À Dieu, mon très cher frère ; voyez avec quelle simplicité je vous écris. Vous voulez bien, car vous êtes un bon frère et celui qui m’est donné de Dieu par la bouche de notre bienheureux père. Je suis en son amour... (775).
« J’aime mille fois mieux un petit coin dans mon état d’abjection que toutes les abbayes de France » (1287). Mais au milieu de mille orages : « de quelque côté que le navire tourne, l’âme envisage toujours son Dieu, mais d’un regard simplement amoureux qui la fait perdre et abîmer dans le sein de la divinité... Qu’il fait bon être tout à Dieu, que l’âme s’anéantisse pour laisser régner Jésus-Christ en elle, de son règne de puissance et d’amour ». Elle a un désir ardent que Jésus soit tout. « Je n’ai pu avoir d’autre désir depuis qu’il m’a fait connaître que la créature n’a rien à faire en ce monde que de s’anéantir pour laisser vivre en elle Jésus-Christ » (17 novembre 1646), (1714). Voici un mot-clé de tout son cheminement.
Le 16 février 1647 encore un écho de la lutte : « Les créatures me pourchassent. Je ne suis point morte, mais toute vivante à moi-même dans la recherche de mon repos. O. Sainte Solitude !... Je n’irai pas à Caen ! » (Elle a eu un accident de santé : palpitations ?).
Mais le 26 février elle rend les armes : silence et éloignement de toutes choses. Captivité à l’ordre de Dieu. Abandon par adhérence amoureuse à son divin plaisir. La santé va mieux. Lorraine, Saint Maur, Caen... (des trois côtés la même croix l’attend). « Que je ne fasse rien de ma volonté... il faut être anéanti et mourir à tout » (2962).
Le 11 mai 1647, elle annonce : « Notre bonne Mère remet tout à mon choix ». Et elle se tourne vers Bernières : « Choisissez pour moi ce qui est le plus de Dieu ». Elle a horreur de la supériorité qui l’attend de tous côtés, mais elle est prête à tout. Le 25 mai : « J’ai reçu mes obédiences », elle va partir à Caen.
Dès son arrivée, qui n’est pas saluée avec enthousiasme, Mère Mectilde demande au Seigneur de lui inspirer quelle conduite adopter. Il lui répond : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». Et c’est ainsi qu’elle gagne le cœur de cette communauté. Le 25 juin 1647, elle a un grand dégoût de sa charge, mais elle est dans la paix au milieu des contrariétés. En août elle fait une retraite et écrit à Bernières :
« Puisque je n’apprends point de vos nouvelles, je vous en donnerai des nôtres, et vous dirai que j’ai fait quatre ou cinq jours de retraite avec tant de consolations, que je reprenais vie et rajeunissais à vue d’œil. II me semblait que j’étais dans mon centre, me voyant séparée des créatures, et seule avec le divin objet de notre amour. Je vous confesse que mon âme y prit grand plaisir ; mais d’autant que l’ordre de Dieu ne la veut point dans cette jouissance, on l’a fait passer avant que de sortir de retraite dans un nouveau sacrifice au bon plaisir de Jésus. J’ai vu comme le divin plaisir me devait être toute chose, et à même temps mon cœur plein d’amour et de respect pour Lui. Il rendait les hommages les plus intimes que la grâce lui fournissait, et à même temps abîmait le désir de perfection et de jouissance.
Mon âme disait à son Seigneur : « Mon Dieu, il me semblait du passé que vous me faisiez l’honneur de m’attirer à la contemplation de vos divines grandeurs et dans une sorte d’amour qui semblait me devoir consommer. Et à présent vous retirez votre abondance pour me lier à votre divin plaisir et pour le respect duquel vous me faites faire ce que naturellement je répugnais. Mais c’en est fait : je suis toute à vous et toute sacrifiée à votre adorable plaisir. Je suis pour votre amour la servante de vos servantes. Que si en nettoyant les robes de vos épouses, la mienne en est poudreuse, je me confie et m’abandonne à votre bonté. Mes intérêts, ma perfection et mon salut est entre vos mains, et je proteste que je ne suis plus qu’une victime de votre bon plaisir.
O Plaisir divin que vous êtes précieux aux yeux de mon âme ! Que votre amour fasse ma consommation puisque Jésus-Christ le désire.
Au reste, mon bon, mon très cher et très intime frère, je ne doute plus de la volonté de Dieu sur notre demeure ici. J’ai connu assez manifestement que tel était son ordre, et les effets de ses miséricordes me confirment tous les jours. Durant les jours de ma retraite, il a touché jusqu’au fond un de nos esprits qui s’est venu jeter entre nos bras pour avoir quelque assistance. Votre, etc. » (2529). C’était la plus rebelle. Le 12 décembre 1647 elle écrit : « qu’il me donne la force et le courage pour me bien surmonter et être toute à tous » (1177). Mère Mectilde se donne tout entière à sa tâche, elle y réussit, et le Seigneur la comble de grâces (10 septembre 1648) : « Depuis notre petite retraite, il me semble que je suis toute renouvelée... Je reçois des forces tout autres que du passé ; mon esprit est plus libre, plus dégagé et moins sensible qu’il n’était... au reste, je ne sais ce que je fais ni ce que je suis, il faut mourir dans le pur abandon à la sainte Providence » (1268).
On sait combien fut bénéfique pour cette Communauté son séjour à Caen. Nous en avons quelque écho dans le témoignage d’une de ses religieuses, qui n’était pas des plus faciles, et que Mère Mectilde parvint à dompter. Ainsi nous le rapporte le P 101 : « Un jour, elle crut que j’avais besoin de prendre quelque chose de plus que la Communauté à la collation, à cause que j’étais indisposée. Comme je suis d’une humeur prompte, je lui résistai ; elle me fit venir au milieu du réfectoire pour me faire manger ce qu’elle m’avait fait servir, je ne le voulus point ; elle me menaça de la discipline, je n’en fis point d’état. Le soir elle vint voir nos Sœurs qui coulaient la lessive (car elle avait grand soin de celles qui étaient dans le travail). Je descendis pour voir nos Sœurs, et lorsque je l’aperçus, je m’enfuis et barrais la porte de la chambre où je couchais. Le lendemain étant allée à la cuisine, pour quelque chose de mon emploi, j’y rencontrais deux de nos Mères qui me parlèrent sur ma résistance et me conjurèrent de ne point demeurer dans ma mauvaise disposition ; mais tout ce qu’elles me dirent m’endurcit encore plus et je leur parlai même avec mépris et murmure de notre digne Mère. La lecture pour le travail sonna, et je m’y en allais : je ne sais ce qu’elle y dit, mais sa présence me changea tout d’un coup, en sorte que de moi-même je m’accusai de ma rébellion et de toutes les fautes que j’avais faites dont elle me parut touchée en m’en imposant pénitence. Les deux Mères, à qui j’avais déchargé mon cœur, s’entreregardaient l’une l’autre, car elles me croyaient endurcie ; ce fut Dieu qui me toucha par la présence de notre digne Mère. Cela m’est arrivé bien des fois.
Nous nous assemblions à ses pieds pendant les récréations, où elle nous parlait de Dieu. Les jours où nous communiions, elle prenait du temps avant la sainte messe pour faire une conférence sur la fête ou sur l’Évangile pour nous entretenir pendant l’Action de grâces. Quelquefois elle nous disait que le bon Dieu ne lui avait rien donné pour nous dire.
Un soir qu’elle était fort occupée, elle m’envoya pour elle au parloir à M. de Roquelay, ami de M. de Bernières, en attendant qu’elle pût s’y rendre. Je ne sais ce que ce bon prêtre me dit, mais je lui répondis sans façon. Le lendemain, le bon Dieu me donna la pensée de demander à notre digne Mère mes intentions pour la communion, car elle ne nous avait rien dit ce jour-là. Elle se mit à me chapitrer et à me dire que je trompais les créatures et me priva de la sainte communion. Je puis assurer que je fus aussi satisfaite de cette mortification que si j’avais communié. Elle me disait souvent que l’affection qu’elle avait pour moi ne lui permettait pas de me rien pardonner. J’avais de mon côté tant de respect pour elle que, quoiqu’elle fut bien aimable, je tremblais néanmoins quand elle tenait chapitre et quelle prenait son sérieux.
Les personnes qui l’avaient le plus désobligée étaient celles pour qui elle passait les nuits et qu’elle assistait davantage dans les maladies, les servant dans les choses les plus basses et les comblant de marques de bonté et d’affection.
Un jour que l’on avait assemblé le chapitre pour proposer une affaire sur laquelle j’étais fort opposée, je me laissai emporter avec quelques autres et je n’y voulus point consentir ; je parlais fort mal à propos ; mais comme j’aimais notre digne Mère, je fus touchée de ma faute et lui en demandai pardon. Elle refusa de m’écouter plusieurs fois que je me jetais à ses pieds pour lui demander pardon, la guettant partout où elle allait. Le vendredi suivant, elle tint chapitre et quand je vins à dire mes coulpes, elle m’ordonna de prendre sur l’heure la discipline pour les emportements que j’avais faits et me fit demander pardon à chacune en particulier au chapitre, et puis le finit. À la sortie, plusieurs me plaignaient de la pénitence que j’avais faite pour elles et pour moi ; mais j’y avais reçu tant de grâces que je 1'attribue aux prières que notre digne Mère fit pour moi. Après cette mortification, elle m’envoya quérir pour savoir ma disposition. Je la lui dis simplement et quoiqu’on voulut me porter à la désapprouver auprès de Monsieur l’Abbé de Barbery, je ne le fis pas et je lui dis au contraire qu’elle avait eu raison d’agir de la sorte : Je lui disais à elle-même les peines que j’avais contre elle sur ce que je voyais qu’elle souffrait à d’autres des choses pour lesquelles elle me mortifiait : elle me répondait que mes fautes lui étaient sensibles.
Lorsqu’il arrivait que j’avais quelque peine qui me portait à me priver de la sainte communion, je lui allais dire ce que j’avais fait et lorsqu’elle jugeait que je ne devais pas me confesser, elle me donnait pénitence et j’étais en repos, sans plus réfléchir sur ma peine. Que si au contraire elle me disait de me confesser, je le faisais sans réflexions, et souvent ma peine était levée tant elle avait de grâces pour mettre les consciences en repos.
J’avais souvent l’avantage d’être auprès d’elle pour lui aider à faire des ouvrages, ce qui me procurait bien des instructions pour ma conduite. Nous avions une telle confiance en elle que nous ne nous rebutions jamais quoiqu’elle eût bien de la fermeté dans ce qu’elle jugeait être pour notre perfection et que son extérieur fût majestueux, ce qui la faisait craindre et respecter » (P 101, p. 278).
Voici donc, en passant, un petit portrait de Mère Mectilde réformatrice.
Tout au long de cette correspondance, on pourrait souligner aussi un autre cheminement : son attachement-détachement pour Bernières, les « bonnes âmes » et les serviteurs de Dieu. Elle est amenée progressivement au silence sur son intérieur. Il faut noter aussi que, passant par des épreuves non communes, elle avait bien besoin de secours. De plus, il y a beaucoup d’affinité entre son attrait personnel et la voie de Bernières. Ils ont tous deux le même Père spirituel et en sont marqués, chacun selon sa grâce propre.
Dès novembre 1643, Mère Mectilde et Bernières échangent une sorte de « carte du Tendre » nommée « terre d’anéantissement » où ils décrivent leurs fermes de « pauvreté », de « délaissement ou abandon », reliées à la ferme de « mépris ». La quatrième ferme est « douleur ». Divertissement dans le goût du temps, mais typique.
La litanie : abjection, abandon, mépris, pauvreté, privation (779) reviendra souvent, sinon à toutes les pages. Par exemple dans cette lettre du 1er décembre où elle ajoute en substance : « C’est l’Avent, je n’écris plus, mais vous, écrivez-moi ». Le même mois, une lettre à Roquelay réclame lettres et visites.
En mars, elle parle à Bernières de ses écrits, demandant qu’on ne les montre à personne « car de plus de mille personnes vous n’en trouverez pas une de ma voie ni qui lui soit arrivé tant de choses. Vous n’en verrez qu’un petit échantillon dans cet écrit » (2546). Bernières est donc peut-être le seul entre mille à pouvoir la comprendre.
Il y avait d’ailleurs un continuel échange d’écrits et de « dispositions » dans ce petit groupe : Mère Benoîte, le Père Chrysostôme, le Père de Gondran [19], Mère Mectilde, la « bonne âme » [20] la chère S... (cf. la lettre à Roquelay du 10 décembre 1644), (25). Sans parler de la Mère de Saint Jean.
Mère Mectilde attend beaucoup de Bernières : le 18 août 1644 : « Il me veut convertir par votre moyen... puisque c’est par les secours que vous m’avez donnés et procurés que je suis sortie de certains états intérieurs où mes imperfections me tenaient liée... » (P 101, p. 176), (572).
Et voilà qu’on lui reproche ses lettres trop fréquentes !
21 octobre 1644 : « J’ai trouvé long votre silence... M. de Barbery m’écrit que j’étais trop prolixe en mes lettres, notamment en celles que je vous écrivais (je ne sais où il les avait vues !) et qu’en cela j’agissais contre la grâce. Ceci arrêta un peu ma plume jusqu’à ce que j’en serai assurée d’ailleurs... Vous me dites que je suis devenue muette... Que j’aime ce dénuement, mais que j’en suis éloignée ! » (61).
Sa plume ne s’arrête qu’à moitié. Mais le 3 janvier elle dit : « Écrivez-moi... si vous y êtes poussé par le Saint Esprit ». Le 29 janvier, nous entendons encore la double note : « Abandon, perte, anéantissement », mais « ne m’oubliez pas, écrivez-moi ».
En juin, c’est le projet d’ermitage dont nous avons déjà parlé. Le bon Père Chrysostôme tombe malade, Bernières devient « l’ange » de Mère Mectilde (753).
Le 25 septembre : « Je vous désire la perfection des trois degrés de la sainte pauvreté de toutes créatures, le mépris véritable, actif et passif de toutes créatures, et la souffrance sans consolation d’aucune créature ». Ces trois souhaits sont une citation du Père Chrysostôme (cf. H. Boudon « L’homme intérieur », p. 411), ce qui n’empêche pas son désir de communiquer avec Bernières (il n’est donc pas une « créature » ?).
5 novembre 1645 : elle est mortifiée d’être privée de son entretien : « Tâchez de revenir pour me dire ce que la grâce vous a donné » (1728). Le 7 novembre (sa plume ne chôme pas) elle dit à Roquelay son bonheur d’avoir lu les écrits de Bernières, et le 11, elle écrit à Bernières : « C’est donc aujourd’hui que j’entre dans la privation de votre chère présence... Je ne puis vous dire les bons effets que vos écrits font en moi... Que vous êtes heureux, mon très cher frère, d’être hors des créatures et de vous-même ! ... Dieu est Dieu... Je vous supplie, envoyez-moi la suite de votre disposition présente... (elle lui fait des adieux très touchants) : À Dieu, le cher amant de mon Dieu !...» (P 101, p. 205) (et surtout, ne m’abandonnez pas !), (185).
Le 15, encore une lettre à Bernières (que dirait l’Abbé de Barbery ?), tout enflammée du désir d’être blessée d’amour. « J’ai plus de passion que jamais de me retirer en solitude pour me délaisser toute à Jésus... vivre sans l’aimer, c’est mourir » (428).
Une autre lettre de 1645 nous apprend que le cher Ange est en solitude avec le bon Père. Elle est en « privation » et exprime son désir de rencontre et d’échange sur « les petits sentiments que la miséricorde de Dieu me donne de tendre à la pureté de son saint amour... il y a un je ne sais quoi qui m’arrête encore en ce passage, et je crois que la divine justice n’est point encore satisfaite... qu’elle détruise en moi tout ce qui empêche l’établissement de son règne et la pureté des saintes unions » (1721).
On voit que la Justice continue son œuvre de purification et ce n’est pas fini.
Le 16 février, Bernières est malade, le Père aussi. Elle sacrifie les deux âmes incomparables « les deux plus rares trésors du cabinet 15 de mon affection ». Encore un échange de billets de « dispositions » entre les trois ou les quatre (Bernières, Roquelay, le Père et Mère Mectilde). « C’est un de mes plus singuliers plaisirs que de savoir une âme qui par la douce violence du divin amour souffre le total anéantissement d’elle-même » (52).
À la mort du Père Chrysostôme, Bernières devient son père et son frère (1061) : « Soyez en ce monde ce qu’il m’était » (130).
Et le 5 octobre 1646 : « Comment vous portez-vous vous trois ? Votre silence est bien grand... vous commencez d’abandonner votre pauvre Sœur ».
Le 18 janvier 1647, elle aspire à « Votre saint entretien que je désire autant qu’il m’est possible sans me retirer de la soumission que je dois avoir à toute privation » (630).
Le 15 juin 1647, elle est Supérieure à Caen : « Vos saintes instructions sont la seule consolation qui me reste dans la douleur que mon peu d’anéantissement me fait ressentir sur cette élection » (1966). Durant son séjour à Caen, elle est près de Bernières, ce qui explique le peu de correspondance en ce temps-là.
Le 7 septembre 1648, Mère Mectilde lui écrit : « Je vous demande part à la belle conférence du Rien que vous avez eue avec la chère Mère de Saint Jean ». Ce « rien » est celui de saint Jean de la Croix. Ici, nous pouvons signaler l’influence du grand Docteur mystique sur la Mère de Saint Jean, Bernières et Mère Mectilde.
Bernières connut et apprécia saint Jean de la Croix. Nous en avons pour preuve cette lettre que lui adressa la Mère de Saint Jean : « Je me doutais bien, lorsque vous me dites que vous tiriez des lumières du Père Jean de la Croix, que vous seriez bientôt conduit dans le sentier secret des peines et des doutes où j’aime mieux votre âme que dans les clartés où elle semblait être auparavant ». Et elle le pousse résolument dans le sentier du « rien » sanjuaniste (Mg 7, p. 603).
Il serait fort intéressant de relever dans le « Chrétien Intérieur » mainte et mainte page directement inspirée de saint Jean de la Croix ; mais Bernières n’en a pas moins sa physionomie bien particulière : tout son « rien » semble se cristalliser autour de « Jésus pauvre, abject et souffrant », autour de « l’amour de l’abjection » 16 . La méditation assidue de l’Evangile le pousse à la pauvreté, au dénuement, à la « dernière place » d’une manière qui en fait un ancêtre authentique du Père de Foucauld — avec cette différence essentielle qu’il mène cette vie abjecte, non au cœur du Sahara, mais en pleine ville de Caen.
Mère Mectilde partage avec ardeur l’amour de « l’abjection » de Bernières, elle s’engage sur la voie du rien pour imiter le Christ qui s’est « anéanti », le Mystère Rédempteur étant au centre de sa vie et de sa doctrine, mais elle ne s’arrête pas à l’abjection, elle va jusqu’au bout du Mystère Pascal, et comme elle a profondément assimilé la doctrine de saint Jean de la Croix, elle se plaît à nous décrire cette voie comme le chemin qui mène droit à Dieu dans une marche intrépide qui est celle de la « Montée du Carmel », écartant délibérément tout ce qui n’est pas Dieu seul, guidé par la lumière — obscure — de la pure foi.
« Pour se laisser guider sûrement par la foi, à cet état de contemplation, écrit saint Jean de la Croix, l’âme non seulement doit se tenir dans l’obscurité dans cette partie d’elle-même qui a rapport avec les créatures et le temporel, c’est-à — dire sa partie sensitive et inférieure, mais aussi dans cette partie qui a rapport à Dieu et aux choses spirituelles ; c’est-à-dire sa partie raisonnable et supérieure ».
« L’âme doit se dépouiller complètement et volontairement de tout ce qu’elle peut contenir d’affection aux choses d’en haut ou d’en bas ; elle le fera dans toute la mesure où cela dépend d’elle, et alors qui empêchera Dieu d’agir en toute liberté dans cette âme soumise, dépouillée, anéantie ? Que celui qui aspire à s’unir à Dieu ne s’appuie pas sur ses connaissances, qu’il ne s’attache pas à ses goûts ni à ses sentiments, ni à son imagination, mais qu’il croie que Dieu est, ce qui ne peut être saisi ni par l’entendement, ni par les tendances, ni par l’imagination, ni par un sens quelconque » (cf. La Montée du Carmel, livre II, chap. 4, Éd. 1641-1665).
Et l’on sait comme saint Jean de la Croix passe en revue tous les biens auxquels l’âme risque de s’arrêter sans excepter les plus hautes grâces surnaturelles, répétant toujours comme un refrain : « A cela, il ne faut pas s’attacher, cela il faut le fuir, cela il faut l’oublier ».
Mère Mectilde connaissait la Montée du Carmel, elle sait le rappeler à ses Filles qui se désolent dans leurs ténèbres :
« Dieu donc est et nous ne sommes rien ; mon Dieu, très chère, que je trouve de grandes forces et de grandes grâces dans la pratique de ce néant en foi ! Il porte l’âme à un si précieux abandon qu’elle y demeure toujours dans une paix toute divine. Souvenez-vous de ce qui est dans “La Montée du Carmel” qui est la figure de la perfection où l’âme spirituelle doit atteindre : le commencement du sentier dit : RIEN ; plus loin : RIEN ; avancez, il vous dit encore : RIEN ; après avoir fait quelques progrès dans cette montée, vous trouvez encore cette même leçon : RIEN ; un peu plus avant, vous entendez cette devise : “Vous serez d’autant plus que vous voudrez être moins” ; continuant le chemin, l’âme dit, avec une admirable expérience : “Depuis que je me suis mise au rien, j’ai trouvé que rien de me manque” (1707), à Mère Saint Placide.
Et voici le commentaire des sentences du “graphique” dans une lettre à la comtesse de Châteauvieux dont l »'esprit vif et curieux » lui donnait beaucoup de fil à retordre. Ne lui lança-t-elle pas un jour : « Vous avez grand sujet de dire que votre esprit va trop vite, car en effet il prévient celui de Dieu ! » (2804)
« Depuis que je me suis mise à rien
J’ai trouvé que rien ne me manque ».
Ce sont les paroles d’un grand saint qui l’avait bien expérimenté. Vous vous trompez, ma chère Fille, la vie intérieure n’est pas dans les lumières, mais dans le pur abandon à la conduite et à l’Esprit de Jésus.
L’unique moyen pour faire un grand progrès dans la vie spirituelle, c’est de connaître devant Dieu notre néant, notre indigence, notre incapacité. En cette vue et dans cette croyance que nous avons tant de fois expérimentées, il faut s’abandonner à Dieu, se confiant en sa miséricorde, pour être conduite selon qu’il lui plaira : soit en lumières, soit en ténèbres ; et puis simplifier son esprit sans lui permettre de tant voir et raisonne r.
Il faut vous contenter de ce que Dieu vous donne sans chercher de le posséder d’une autre façon. Ce n’est point à force de bras que la grâce et l’amour divin s’acquièrent, c’est à force de s’humilier devant Dieu, d’avouer son indignité, et de se contenter de toute pauvreté et basseté. Il faut vous contenter de n’être rien et
« Vous serez d’autant plus
Que vous voudrez être moins ».
La vie de grâce n’est pas comme la vie du siècle : il faut s’avancer et se produire dans le monde pour y paraître et y être quelque chose selon la vanité ; mais dans la vie intérieure, on y avance en reculant. C’est-à-dire : vous y faites fortune en y voulant rien être et vous paraissez d’autant plus aux yeux de Dieu que moins vous avez d’apparence et d’éclat aux vôtres et à ceux des créatures.
« Pour être quelque chose en tout
I1 ne faut rien être du tout ».
Les richesses de la vie de grâce, c’est la suprême pauvreté.
« Ut iumentum factus sum... », dit David (Ps. 72) : « J’ai été fait comme la jument » et j’ai demeuré avec vous. Demeurez à Dieu comme une pauvre bête incapable de quoi que ce soit, sinon d’être ce qu’il lui plaira ; ignorant tout et ne sachant rien que sa très sainte volonté à laquelle vous serez abandonnée et soumise sans le connaître. Et vous verrez que sa grâce, son amour et son Esprit régneront en vous » (1391). (cf. Une amitié spirituelle au grand siècle, Lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Téqui, Paris, 1989, pp. 115 à 117).
Comment ne pas rappeler ici le chapitre 7 du même Livre II de la « Montée du Carmel », que Mère Mectilde a sûrement lu et médité :
« Ayant dit que le Christ est le chemin, et que ce chemin c’est mourir à notre nature, tant pour le sensible que pour le spirituel, je veux donner à entendre comment cela se fait, à l’exemple du Christ ; car il est notre exemple et notre lumière.
« Tout d’abord, pour le sensible, il est certain qu’il mourut, en esprit pendant sa vie, et en réalité pendant sa mort ; attendu, comme il dit, qu’il n’eut pas en sa vie où reposer sa tête, et encore moins en mourant.
« Pour le spirituel, il est manifeste qu’à l’instant de sa mort il fut aussi anéanti en l’âme, sans aucune consolation ni soulagement, le Père le laissant ainsi dans une intime aridité selon la partie inférieure. Ce qui le contraignit à crier, en disant : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Ce fut, dans la partie vulnérable de son être, la plus grande déréliction qu’il ait connue en sa vie. Et c’est en elle qu’il fit la plus grande œuvre qu’il ait opéré en toute sa vie par ses mi-racles et ses autres œuvres, tant sur la terre que dans le ciel, à savoir de réconcilier et unir le genre humain par grâce avec Dieu. Ce qui se fit au moment et à l’instant où ce Seigneur se trouva le plus anéanti en tout : soit quant à l’estime des hommes, car, le voyant mourir, ils s’en moquaient plutôt que d’en faire aucun cas ; soit quant à la nature, puisque, mourant, il s’anéantissait en elle ; soit quant à la protection et consolation spirituelle du Père, qui en ce temps l’abandonna, afin qu’anéanti et réduit ainsi comme à rien, il payât purement la dette et unis l’homme à Dieu. D’où vient que David dit de lui : J’ai été réduit à néant, sans rien savoir.
« Il faut donc que l’homme spirituel entende le mystère de la porte et du chemin du Christ pour s’unir à Dieu ; et qu’il sache que tant plus il s’anéantit pour Dieu selon ces deux parties : la sensible et la spirituelle, tant plus il s’unit à Dieu et fait une œuvre meilleure. Et lorsqu’il sera réduit à rien, ce qui sera l’extrême humilité, alors l’union spirituelle sera faite entre l’âme et Dieu : c’est le plus haut état où l’on puisse parvenir en cette vie. Il ne consiste pas en réconforts, en goûts, en sentiments spirituels, mais dans une vive mort sur la croix, sensible et spirituelle, c’est-à-dire intérieure et extérieure » [17]
On ne saurait mieux dire. Le dernier paragraphe éclaire tout le cheminement de Mère Mectilde. Nous verrons comment « réduite à rien » dans l’extrême humilité, elle sera unie à Dieu de la manière la plus parfaite « où l’on puisse parvenir en cette vie ».
Mais revenons en septembre 1648, où Mère Mectilde fait une retraite (notons l’importance des retraites dans sa vie). Il se fait alors un changement, et elle écrit le 28 que « ayant trouvé le souverain Bien », elle qui était si avide de converser avec les « bonnes âmes », les trouve insipides, mais pas Bernières ! Ils sont tous les deux dans un « état de silence » (155) et la Mère de Saint Jean, écrivant à Bernières, fait de longs développements sur cet « état ». Citons-en quelques passages :
« En ce nouvel état de silence, il se fait cette division de l’esprit avec l’âme, dont j’ai oui dire qu’a parlé saint Paul (Heb. 4, 12), et Dieu retire ses opérations dans l’intime de l’âme et semble rebuter toutes les autres puissances qu’il met en aveuglement et comme dans une léthargie spirituelle où elles ne peuvent mouvoir du côté de Dieu ni comprendre ce qu’Il fait dans ce fond, et comme elles se voient rejetées de cette partie, et qu’elles ont une inclination naturelle d’agir, sitôt qu’elles trouvent des appuis au dehors, elles s’éparpillent et font du tintamarre dont il ne se faut pas plus mettre en peine que du vent qui souffle, et vivre beaucoup séparé et en négligence de ce côté-là. Il doit suffire à l’âme que sa volonté en soit séparée et qu’elle porte ce tintamarre par esprit de pénitence, en patience et humilité ; car qui douterait que cet état de simple silence, de nudité et de mort d’esprit n’ait ses commencements, ses progrès et sa perfection qui, pour le dire en vérité, ne sera que dans l’état de la béatitude, en sa consommation, se tromperait. Il y a ses nuits, ses jours, ses printemps, ses étés, ses automnes et ses hivers ; et c’est de la sagesse toute puissante et souveraine de Dieu d’agir ainsi sur ses créatures, de leur donner pour leur ôter et les désapproprier de tout appui, et enfin de leur faire perdre terre en elles-mêmes, les mettant par état et disposition dans leur néant pour leur apprendre, par leur propre expérience, qu’ils sont enfants d’Adam. Oui, cela nous est très nécessaire pour nous tenir bas, petits et humbles, recourant à notre Père, nécessités par la connaissance de notre indigence et misère. Nous fâcher, nous ennuyer de cela, ou nous troubler, c’est amour-propre ; c’est méconnaître et oublier que nous sommes héritiers de l’impureté et misère de notre premier père ; et c’est humilité de porter tous ces effets misérables avec esprit de douceur, de pénitence et de résignation. L’entende qui pourra ! Il en faut venir là, ou bien n’avancer guère dans les voies de l’Esprit.
Sommes-nous plus que saint Paul qui a ressenti cette peine ? Mon Dieu, que je plains certaines âmes qui se donnent plus de peines que leurs peines mêmes ne leur donnent, par leur empressement d’esprit pour se faire quittes des ressentiments de leur partie inférieure, et voudraient vivre dans leur chair et corruption comme si elles étaient angéliques. Oui, c’est une bonne pratique d’humilité de porter son abjection devant Dieu avec résignation (Mg 7, pp. 604-606).
Vous ne vous devez étonner si dans cette voie de silence, vous ressentez plus vivement les attaques de vos passions ; c’est que dans l’oraison sensible qui frappe les sens, elles s’étourdissent, mais elles ne meurent point que par un bien long travail, après lequel peu y arrivent ; mais dans un “état de silence”, comme on travaille à leur mort totale, elles crient bien haut, mais patience !
Tout ne se fait pas en un jour, il faut monter les degrés de la montagne, et puis en haut se trouve le festin et les mets délicieux... Il faut dans cet état, abandonner nos intérêts spirituels et nous tenir content de tout... jetant les yeux vers Dieu en tout » (Mg 7, p. 613).
Mère Mectilde, à son tour, dans un « Escrit sur l’oraison » nous parlera longuement de cet « état de silence », d’une manière qui complète et approfondit ce qu’en dit la Mère Saint Jean. Il a pour nous son prix, car il fait écho à son expérience. Nous pouvons donc citer ici ce texte important, quoique non daté et probablement postérieur :
« Il me semble selon ma petite connaissance et expérience, qu’une âme que Dieu veut conduire dans le silence intérieur, doit passer trois voies sur lesquelles je n’ai dessein de m’arrêter, ce qui serait trop long, et mon ignorance trop grande pour en bien parler. Je dis donc que, selon ma pensée, il faut que l’âme entre premièrement dans l’anéantissement du sens extérieur et soit en état » que tout ce qui est sensible soit trouvé à dégoût et croix à cette âme, ou bien elle goûtera très imparfaitement le sacré repos et silence de l’âme où Dieu seul agit, mais à sa mode. Ce qu’il convient souffrir pour cela, quant aux sens extérieurs, l’expérience nous l’apprend, et tel parle de ce doux et sacré repos de l’âme en Dieu, que s’il savait les détroits qu’il faut passer pour y arriver, je ne sais s’il aurait assez de courage pour se mettre dans la poursuite d’icelui.
Mais pour entrer dans le second degré qui est l’anéantissement des vues et sentiments des sens intérieurs, il y a bien autre chose à souffrir, telle que si cette divine Sagesse qui semble être le martyre de ces âmes qu’elle veut faire entrer dans ses divins sentiers, ne ménageait ces opérations par des ressorts qu’elle proportionne à la petite capacité de l’âme, certes elle perdrait souvent courage dans le chemin. ll y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais ce n’est pas mon dessein que de m’y arrêter, non plus que sur le troisième degré ou anéantissement où il faut que cette âme entre, qui est dans les anéantissements de la mémoire, entendement et volonté 18. Combien de temps l’âme est à comprendre cela, bien qu’il lui en soit donné quelques petits rayons de lumière, où elle a bien peine à se rendre, tant elle trouve cela opposé à la raison et hors de sa compréhension. Et certes si Dieu ne retirait à l’âme tous les appas et tous les appuis qu’elle tire de ses propres lumières, des affections de la volonté et autres dispositions qui laisse en l’âme (sic) je ne sais pas bien comme elle s’en pourrait retirer, d’autant que les tentations sont extrêmes sur ce sujet, et les difficultés étranges sur toutes les appréhensions où l’on entre de perte de temps dans un état si obscur à l’esprit.
Ce serait une grande entreprise que de vouloir déduire les tentations que nous nous donnons à nous-même, et surtout celles que les directeurs qui n’ont pas entrée dans cette voie, donnent. Ce n’est pas une petite grâce quand Dieu lui en fait rencontrer un qui la puisse assurer et fortifier dans sa voie, où je tiens que c’est presque une chose impossible d’entrer sans ce secours, à moins que d’avoir un trait tout extraordinaire, ou une âme téméraire qui soit peu fondée en humilité et connaissance d’elle-même ; et telles personnes, selon ma pensée, ne sont pas appelées à ce silence, mais une oisiveté les y attire et non pas l’Esprit de Dieu qui n’est point contraire à ses ordres qui sont tels qu’il a mis la direction dans son Église dont il ne se faut retirer que quand Dieu nous en ôte tous les moyens : alors il supplée par lui-même en une manière digne de sa bonté.
L’âme donc étant arrivée à ces dénuements et comme toute anéantie en Dieu, entre dans ce sacré silence, dont les commencements sont un peu pénibles, bien que mêlés de suavités, par une certaine expérience de la présence de Dieu en l’âme, laquelle ayant passé du sens à l’esprit, de l’esprit ou raisonnement à la lumière de la foi, est conduite dans une autre lumière qui, selon ma pensée, doit ou peut-être nommée une lumière « mestoyenne » entre la lumière de la gloire et celle de la foi. Si elle a un autre nom, je ne le sais pas. Dans cette lumière, l’âme est possédée de Dieu qui agit en elle comme un peintre sur une toile préparée pour son ouvrage, où il met divers traits de son pinceau. D’abord il semble que Dieu fasse un silence dans toutes les puissances qu’il tient liées et obscurcies, mais en disposition de tout ce que le maître veut. L’esprit remue un peu pour connaître ce que l’on veut faire. Il est rebuté et obscurci, l’on le fait simplifier, et dit par disposition : « Que vous plaît-il faire ? ». L’on le simplifie, l’on le captive de tous côtés, enfin il perd terre et n’a sur quoi s’appuyer. Il demeure en Dieu comme tout perdu, et Dieu est l’âme de son âme qui n’a autre capacité qu’en lui, de sorte que s’il opère, il se fait quelque chose, sinon elle repose en lui en patience et humilité, connaissant qu’il ne lui doit rien.
Autre fois, Dieu se manifeste, mais comme retiré en lui-même, et l’âme le connaît présent et est en respect comme un valet devant son maître. Autre fois l’on la désapproprie de tout et l’on la met dans le néant de toute opération où elle jouit d’un grands repos et quiétude, ne voulant ni n’étant appliquée à rien en particulier, mais est prête à tout ce que l’on voudra lui manifester ; et me semble que c’est la plus ordinaire disposition de cet état de silence.
Autre fois, elle sent une plénitude de Dieu qui semble la posséder toute, et même quelquefois les sens y participent par des goûts et suavités qui leur sont communiqués. Et l’âme est dans des actes ou dispositions continuelles de sacrifice. Autre fois, toute captive d’une impression du saint amour qui la dégage de tout, qu’elle trouve insipide, pour apparence de bon qu’il ait, et n’estime que ce qui procède de l’amour. Et comme elle connaît que c’est de Dieu même, elle ne peut vouloir que Dieu ou son bon plaisir.
L’entendement semble élevé dans cette lumière, sans les opérations de son raisonnement, mais par une manifestation qui est prompte et subite, et les effets qui s’ensuivent le sont aussi, faisant un si subit changement en l’âme qu’elle n’a le loisir de s’apercevoir comme il se fait, mais elle y est sans savoir comment, et ne l’aperçoit qu’après qu’elle y est établie.
Autre fois, quand l’âme est en doute ou agitée de quelque dérèglement, ou bien abattue en elle-même, il semble que Dieu se manifeste à elle pour l’accoiser 19 , instruire, relever. Enfin, selon son besoin, il lui dit quelques paroles distinctes qui tout d’un coup l’élèvent à Dieu et fait les effets selon que Dieu le veut et les besoins de l’âme qui, enfin pour le faire court, n’a rien à faire en cet état qu’à laisser faire et recevoir tout passivement, et laisser Dieu dans son repos en elle, quand il veut, et opérer quand il désire ; être simple, abandonnée, simplifiée, humble, fidèle en ses obligations et surtout éviter la dissipation des sens, égarement d’esprit, empressement intérieur et extérieur dans ses opérations, tant de l’un que de l’autre. La pureté de cœur et de conscience et désengagement d’esprit sont absolument nécessaire. Mon ignorance m’empêche d’en dire davantage, sinon que le rien est disposé à tout, ne désire rien, ne fait élection de rien, il ne refuse rien, Dieu y agit comme bon lui semble. C’est, ce me semble, l’état où doit être l’âme.
De dire les morts, les agonies, les tentations qu’il faut souffrir pour y arriver, l’expérience l’apprend mieux que le discours d’une simple et ignorante fille. Mais enfin les fruits qui s’en recueillent sont très doux, la paix que l’âme y goûte, la font passer par-dessus bien des difficultés, et connaît que c’est en vérité que Dieu seul peut contenter notre esprit et que c’est son véritable centre. J’y crois bien d’autres avantages, mais il ne m’est pas donné la liberté de les pouvoir dire : il m’en faut demeurer là, suppliant Notre Seigneur de nous y conduire par telles voies qu’il voudra.
Quand j’ai parlé de cette lumière qui est « mestoyenne » entre la lumière de gloire et celle de la foi, je veux dire qu’encore bien que l’âme, dans l’état du silence intérieur, soit en foi en Dieu qui agit en elle à sa manière, elle y reçoit une autre lumière qui éclaircit celle de la foi, le propre de laquelle est de captiver et assujettir l’entendement humain à la vérité des mystères que la foi nous enseigne, sans les voir ni comprendre, les croyants dans la vérité de ce qu’ils sont sans autres distinctions. Mais en celle qui est donnée à l’âme en cette voie, l’entendement est élevé avec tant de certitude des choses qui lui sont proposées, qu’elle n’en pourrait jamais douter, bien qu’elle le voulût, ayant une belle intelligence secrète et intime qui la tient très certaine de tout ce qui lui est donné à croire, qui, selon ma pensée, peut être appelé don d’intelligence que le Saint Esprit verse en l’âme.
Je me suis aussi oubliée de dire qu’en cet état de silence intérieur l’on ne peut donner aucune loi ni exercice, ni l’âme en prendre, mais qu’elle doit attendre et recevoir ce qui lui est donné en toute simplicité. Sa règle et méthode est de n’en point avoir, étant souffrante et non agissante dans cette voie, (566).
Le 8 octobre 1648, Mère Mectilde demande à Bernières de lui écrire sur la « pure union ». Pure et nue foi et silence prodigieux y conduisent... ses puissances ne se taisent pas comme il faut, que faire ? Ne gardez pas le silence à mon égard ! « Allons à Dieu purement en nous entr’aidant l’un l’autre » (781).
Le 5 novembre 1648 : « Mon âme aime et chérit la vôtre plus intimement, plus cordialement et fortement que jamais... Plût à Dieu vous tenir une ou deux heures à notre parloir... À Dieu jusqu’à lundi, je ne peux me pouvoir mortifier de me priver de vous écrire le plus souvent que je pourrai, je vous conjure de l’agréer » (804).
Le 7 décembre 1648 : « Mon âme ressent une grande tendresse pour la vôtre ». La dirigée devient peu à peu directrice : « courage, demeurez fidèle... ». On voit aussi dans cette dernière lettre que Mère Mectilde s’enfonce toujours davantage dans la « nuit obscure » : « Notre Seigneur me conduit par les ténèbres et la pauvreté, je ne sais plus ce qu’il fera de moi, je ne connais plus, je ne goûte plus, je ne vois plus, je ne sais plus rien sinon qu’il faut se perdre, et encore ne sais — je de quelle sorte je me dois perdre. Tout ce que je puis faire c’est de demeurer paisible en m’abandonnant à la divine conduite sans retour » (169).
Mère Mectilde a terminé son séjour à Caen. On la retrouve à Rambervillers où elle vient d’être élue Prieure.
Le 7 de l’an 1651 : « C’est ici une étrange solitude... » Elle est dans le « tintamarre » et en éprouve une révolte à en tomber malade. Elle est perplexe et a la tentation de se retirer dans un monastère où elle aurait la paix. Elle projette de demander un « Bref » au Pape pour se tirer de là. Mais « je ne veux rien faire de ma volonté ». Elle ne désire qu’oraison et solitude. Une abbaye en Alsace, comme sa sœur le lui avait proposé ? Non, elle préfère porter la besace que la cros
se ! Ce qu’il lui faut, c’est un petit coin en Provence ou devers Lyon, (pour n’être plus connue de personne). Elle craint que sa « petite oraison » ne s’évapore dans ce tracas (2158).
Bernières lui répond avec beaucoup de sagesse :
De l’hermitage de saint Jean Chrysostome
ce 14 février 1651.
Dieu seul et il suffit.
Je répondrai brièvement à vos lettres, qui sont les premières et les dernières que j’ai reçues de votre part, lesquelles m’ont beaucoup consolé d’apprendre de vos nouvelles, et de votre état extérieur et intérieur. Je ne vous ai jamais oubliée devant Notre Seigneur, quoi que je ne vous aie pas écrit, notre union est telle que rien ne la peut rompre. Ces souffrances, nécessités et extrémités, où vous êtes, me donneraient de la peine si je ne connaissais le dessein de Dieu sur vous, qui est de vous anéantir toute, afin que vous viviez toute à lui, qu’il coupe, qu’il taille, qu’il brûle, qu’il tue, qu’il vous fasse mourir de faim, pourvu que vous mouriez toute sienne, à la bonne heure. Cependant, ma très chère Sœur, il se faut servir des moyens dont la Providence vous fera ouverture pour vous tirer du lieu où vous êtes, supposé l’extrémité où vous réduit la guerre. J’ai bien considéré tous les expédients contenus dans vos lettres ; je ne suis pas capable d’en juger, je vous supplie aussi, de ne vous pas arrêter à mes sentiments. Mais je n’abandonnerai pas la pauvre Communauté de Rambervillers, quoique vous fussiez contrainte de quitter Rambervillers ; c’est-à-dire qu’il vaut mieux que vous vous retiriez à Paris pour y subsister, et faire subsister votre refuge qui secourra vos Sœurs de Lorraine ; que d’aller au Pape pour avoir un couvent, ou viviez solitaire, ou que de prendre une abbaye : La divine Providence vous ayant attachée où vous êtes, il faut mourir, et de la mort de l’obéissance et de la croix. Madame de Mongommery vous y servira et Dieu pourvoira à vos besoins, si vous n’abandonnez pas les nécessités spirituelles de vos Sœurs. Voilà mes pensées pour votre établissement, que vous devez suivre en toute liberté !
Pour votre intérieur, ne vous étonnez pas des peines d’esprit et des souffrances que vous portez parmi les embarras et les affaires que votre charge vous donne, puisque ce sont vos embarras et affaires de l’obéissance. Les portant avec un peu de fidélité, elles produiront en votre âme « une grande oraison », que Dieu vous donnera quand il lui plaira. Soyez la victime de son bon plaisir, et le laissez faire. Quand il veut édifier dans une âme une grande perfection, il la renverse toute ; l’état où vous êtes est bien pénible, je le confesse, mais il est bien pur. Ne vous tourmentez point pour votre oraison, faites-la comme vous pouvez, et comme Dieu vous le permettra, et il suffit. Ces unions mouvementées, ces repos mystiques que vous envisagez ne valent pas la pure souffrance que vous possédez, puisque vous n’avez ce me semble ni consolation divine, ni humaine. Je ne puis goûter que vous sortiez de votre croix, par ce que je vous désire la pure fidélité à la grâce, et que je ne désire pas condescendre à celle de la nature. Faites ce que vous pourrez en vos affaires pour votre Communauté, si vos soins ont succès à la bonne heure ; s’ils ne l’ont pas ayez patience, au moins vous aurez cet admirable succès de mourir à toutes choses. Si vous étiez comme la
Mère Benoîte religieuse particulière, vous pourriez peut-être vous retirer en quelque coin ; mais il faut qu’un capitaine meure à la tête de sa compagnie, autrement c’est un poltron. Il est bien plus aisé de conseiller aux autres que de pratiquer. Dieu ne vous déniera pas ses grâces... Courage, ma chère Sœur, le pire qui vous puisse arriver c’est de mourir sous les lois de l’obéissance et de l’ordre de Dieu.
À Dieu, en Dieu, je suis de tout mon cœur, ma très chère Sœur, votre très humble, obéissant, frère Jean hermite, dit Jésus pauvre", c’est le nom qu’il avait pris en renonçant à ses biens (P. 101, p. 320).
Mais la guerre redouble et la Communauté se disperse. Mère Mectilde part avec quatre des plus jeunes Sœurs le lé mars 1651. Elles arrivent à Paris le 24 mars, en pleine Fronde. Mère Mectilde retrouve la paix de l’âme. Elle rejoint ses Sœurs réfugiées au faubourg Saint Germain dans la plus grande pauvreté.
Ici se place sa grande et « presque dernière tentation de fuite à la Sainte Baume » (voir la lettre à Bernières de janvier 1651).
Voici le récit du P. 108 bis, p. 54, qui nous paraît le plus complet :
« Cependant la tentation qui la poussait à se renfermer dans un hermitage alla dans ce temps si loin qu’elle avait déjà formé tout le plan de sa retraite. Elle s’était proposé d’aller dans les rochers qu’on lui avait dit être sur les côtes de Marseille, et pour cela de sortir de la maison, sur une obédience qu’elle aurait obtenue à l’insu de ses Sœurs, et de passer ensuite à Lyon d’où elle leur enverrait par la poste une lettre qu’on a trouvée parmi ses papiers, de son écriture, mais contrefaite, où il y avait seulement ce peu de mots : “Une religieuse nommée Mectilde du Saint Sacrement a passé par ici. Dieu en a disposé. Priez Dieu pour le repos de son âme”. De là, elle espérait, comme son Père saint Benoît, se renfermer dans quelque grotte en Provence où, inconnue à tout le monde et dénuée de tout autre secours que de celui de la Providence, elle se serait immolée comme une victime par les plus cruelles mortifications, sans qu’aucune personne vivante n’eût jamais pu la déterrer. Mais Dieu, qui avait de toutes autres vues sur elle, mit deux grands obstacles à ce projet lorsqu’elle s’y attendait le moins, et qui ne furent pas longtemps sans le renverser.
Le premier fut une grâce très particulière dont Il lui plut de la favoriser en une veille de Pâques. Elle avait passé tout le Carême dans une grande application à l’oraison pour se soutenir par ce pain spirituel, au défaut du matériel dont elle était privée, et lorsqu’elle était, durant la nuit de cette grande solennité, toute remplie du mystère que l’Église y célèbre, et qu’en considérant Jésus Christ qui, étant mort aux créatures dans son sépulcre, y trouve cette résurrection par laquelle Il vit uniquement à Dieu son Père, elle lui demandait qu’il opérât en elle quelque chose de semblable et bénit la résolution où elle était de se renfermer dans un hermitage comme dans un tombeau, pour y reprendre une nouvelle vie en Lui seul.
Et voici que tout à coup il lui fut dit d’une voix intelligible : “Adore et te soumets” 20 à tous les desseins de Dieu qui te sont inconnus à présent ». Ces paroles furent comme un coup de foudre qui la terrassa. Elle se trouva renversée, le visage contre terre, toute anéantie de corps et d’esprit, et ayant comme un grand poids sur elle qui l’empêchait de se relever ; de quoi elle n’eut la permission qu’après qu’elle eût fait à Dieu une solennelle promesse de ne plus disposer en rien d’elle-même par sa propre inclination, mais d’attendre qu’il la plaçât par ce qu’elle verrait être uniquement de sa sainte volonté.
L’autre accident qui rompit le dessein de Marseille et arrêta la Mère Mectilde, malgré qu’elle en eût, à Paris, fut la maladie violente dont elle fut attaquée qui la réduisit à toute extrémité...
Remarquons que ce grand désir de « reprendre une nouvelle vie en Lui seul » sera exaucé, d’une autre manière, en 1662. Nous le verrons. À propos de cette « vie nouvelle » nous pouvons citer ici une lettre de Bernières, malheureusement non datée, mais qui montre bien la parenté profonde de ces deux âmes
« Cette vie nouvelle que vous voulez n’est autre que la vie de Jésus Christ, qui nous fait vivre de la vie surhumaine (pour cette expression voir le « Chrétien Intérieur » qui en parle surabondamment) vie d’abaissement, vie de pauvreté, vie de souffrance, vie de mort et d’anéantissement, voilà la pure vie dans laquelle se forme Jésus Christ, et qui consomme l’âme en son pur et divin amour. Soyez seulement patiente et tâchez d’aimer votre abjection. Vous dites que vous êtes à charge et que vous êtes inutile ; cette pensée donnerait bien du plaisir à une âme qui tendrait au néant. O ! qu’il est rare de mourir comme il faut ! Nous voulons toujours être quelque chose et notre amour-propre trouve de la nourriture partout. Rien n’est si insupportable à l’esprit humain que de voir que l’on ne l’estime point, qu’on n’en fait point de cas, qu’il n’est point recherché ni considéré. Vous ne croiriez jamais si vous ne l’expérimentiez, le grand avantage qu’il y a d’être en abjection dans les créatures. Cela fait des merveilles pour approfondir l’âme dans sa petitesse et dans son néant, quand elle sent et voit qu’elle n’est plus rien qu’un objet de rebut. Cela vaut mieux qu’un mont d’or. Vous n’êtes pas pourtant dans cet état, car l’on vous aime et chérit trop. C’est une pensée qui vous veut jeter dans quelque petit chagrin et abattement. Présentez-la à Notre Seigneur et sucez la grâce de la sainte abjection dans les opprobres et confusions d’un Jésus Christ (P 105, p. 481).
Le 3 juin, elle écrit à Bernières : « Je suis dans un lieu où les serviteurs de Dieu sont en grand nombre (le Paris dévot de l’époque)... mais Notre Seigneur ne veut pas que je fasse en cela ma fortune. Il me retire dans le fond où je trouve en Lui seul infiniment plus par la sainte union que tout ce que les créatures me peuvent donner par leur éloquence... O Que c’est un grand secret d’être seule avec Dieu seul et de lui laisser faire son ouvrage ». Elle dit aussi : « Je trouve quantité d’âmes qui vont à Dieu, mais j’en trouve peu dans la profonde voie de mort et d’anéantissement... Cette voie n’est pas connue... il faut pourtant laisser tout mourir afin que Dieu seul soit P » (684). Logique implacable qui ravirait le Père de Condren.21 !
Le 14 juillet, elle lui demande « un pauvre petit mot » si son trait intérieur le lui permet : « S’il ne vous le permet pas, je n’en veux pas » (383). Voici un progrès très net.
Fin juillet, début août, elle tombe malade d’une étrange manière (N 250, p. 74). Elle sort de la messe et semble « une morte ». Une religieuse la suit : « Cette religieuse s’assit auprès d’elle et la tint entre ses bras une demi-heure, après elle revint à elle et poussant un profond soupir elle dit : “Quelle privation !”. On n’a jamais pu apprendre d’elle ce que ce soupir voulait dire, mais une autre personne vertueuse assura qu’en ce moment elle avait vu la Mère Mectilde devant Dieu, et qu’elle avait été renvoyée pour être mise sous la presse des souffrances et des croix ». Est-ce sa deuxième comparution au jugement de Dieu ?
Elle parle de sa maladie dans une lettre du 25 novembre : « J’aurais bien voulu vous écrire durant le fort de ma maladie. J’avais besoin de votre secours, mais... je ne pouvais tenir ma plume... je ne devais vivre que trois jours d’après les médecins. Le jour de saint Louis on me croyait morte... Il n’y a que quinze jours j’étais encore à l’extrémité... Dieu est admirable dans ses conduites, il me mène à la mort et me remet dans la vie... (J’étais dans un entier abandon...) une i mpuissance de faire autre chose que de me laisser dans cet état de mort pour me rendre sans réserve à celui qui pouvait me donner la vie...".
Elle est « demeurée en Dieu » tout au long de cette maladie : « Il y a je ne sais quoi au fond qui fait que l’âme passe tellement en Dieu qu’elle n’a et ne peut plus avoir de vouloir ou non vouloir, tout lui est un » (796).
Le 2 décembre, elle est encore malade, elle a eu trois rechutes... Le 5 mars 1652, elle écrit à Roquelay et lui parle de sa « grande maladie qui fut au mois d’août » et lui décrit son « état de mort » : « Il me tient dans un état qui me semble plus tenir de la mort que de la vie... Je suis quasiment sans être... C’est une vie de mort... Sans désirs, sans choix, sans inclinations, sans volonté, sans ardeur et sans affection de quoi que ce soit... Pourvu que je meure dans l’état de mort, rien ne me fait peine » (150).
Mais voici une nouvelle étape :
Le 7 septembre 1652, Mère Mectilde écrit à Bernières : « Je ne sais et ne connais plus rien que le tout de Dieu et le néant de toutes choses. J’ai bien passé par le tamis, depuis que je vous ai écrit... Je vous dirai un jour les miséricordes que Notre Seigneur m’a faites depuis un an et demi, et qu’il les a bien augmentées depuis quelques mois ». « J’observe tant le silence pour les choses intérieures que j’ai perdu l’usage d’en parler... Je n’ai pas la liberté intérieure de communiquer » (799).
Elle s’enfonce dans le silence et écrit le même jour à Mère Benoîte : « Je suis devenue muette et je n’ai plus rien à dire, car je ne sais et ne connais plus rien dans la vie intérieure. Je n’y vois plus goutte... » (L.I., p. 145), (946).
Et le 24 septembre elle écrit au frère Luc de Bray [22] : « ... Depuis que je ne vous ai écrit, Notre Sei-gêneur a bien permis de choses ! Je voudrais vous en pouvoir dire le détail, mais le papier n’est pas assez secret. Tout ce que je vous puis dire c’est que Dieu est bon d’une bonté infinie et que sa sainte conduite est admirable et adorable tout ensemble. La Providence m’a fourni quelques sujets d’humiliation par le saint zèle de quelques bonnes personnes. Je laisse cette histoire pour vous dire que Notre Seigneur me fait la miséricorde de me soutenir en m’humiliant ; mais je ne puis vous cacher les sentiments de mon cœur qui ressent les effets de la grande miséricorde de Notre Seigneur, ce me semble. Néanmoins je suis en doute de l’état que je porte depuis quelque temps, je ne le puis bien exprimer : je suis et ne suis point, je ne sais où je suis, je ne sais ce que je suis ni ce que je veux ou ce que je ne veux pas. Concevez, si vous pouvez, ce que je voudrais dire... Je n’ose pas passer plus outre, je n’ose rien dire de plus parce que je ne sais pas, si je suis plus ou moins anéantie ; Dieu seul sait ce qui se passe et ce que je suis. Il me semble que je vois un peu plus de séparation des créatures, et que même je dois m’abstenir de la conversation des saints qui sont sur la terre, à raison de la malignité de mon orgueil ou de la subtilité de ma vanité... Je suis en état d’observer plus de silence que du passé et de me tenir dans mon néant où l’on m’a fait reculer d’une étrange sorte pour en trouver le fond, et là, n’être plus trouvée des créatures. O Quel bonheur d’avoir trouvé le centre de son néant. Je ne suis point dans les lumières ni dans l’oraison, je ne sais plus ce que c’est que d’être intérieure, je ne sais plus ce que c’est que grâce ou faveur, je ne sais plus rien désirer, mon âme est devenue stupide, elle n’a plus aucune inclination : le ciel, la terre, la vie, la mort, c’est la même chose. Je ne sais plus rien que le Rien même. O bienheureux néant ! Voilà tout ce que j’en peux dire. C’est à vous et à vous seul que je le dis, car je garde un plus grand silence que du passé ; je n’écris plus, même à notre très bon M. de Bernières. Ce n’est pas que j’aie volonté de rien lui cacher, mais ma loi m’abîme dans le néant et je ne trouve rien à écrire parce que je ne puis dire ce que je voudrais pouvoir exprimer, si Notre Seigneur me le permettait... » (658).
Elle complète sa pensée dans la lettre suivante adressée au même frère : « Je ne veux au ciel ni en la terre que sa très sainte et très pure volonté. Je fais banqueroute à tout le reste, même à ma propre perfection, car je commence à voir que Dieu seul est et que lui seul doit être, et le reste tout anéanti...
J’ai un grand désir d’être fidèle à l’avenir, et je crois que Notre Seigneur me veut dans le silence et dans le néant. Je n’ai jamais si bien connu ma petite voie, et il me semble que Notre Seigneur me donne quelquefois de petites lumières qui me font tenir dans mon centre.
Priez-le bien qu’il me fasse la grâce de me bien laisser à sa vertu et à sa puissance afin qu’il fasse sa très sainte volonté, sans que j’y mette opposition. Il me semble que je ne me soucie plus de rien et je vois bien l’amusement où j’ai été en ma vie passée sous des apparences de perfection et de vertu ; mais j’en suis, par le secours divin, détrompée, et je vois bien que pour être à Dieu il ne faut que se taire et laisser agir Dieu sans vouloir tant d’appuis dans les créatures... J’y ai renoncé et par une espèce de vœu pour me lier à une fidélité plus grande. Je ne communique plus et n’écris plus, je ne parle plus de mon intérieur. Je me tiens en silence et m’en trouve parfaitement bien. Pour ce qui est des discours que l’on fait de moi, ils ne me font point de peine ; il me semble que Dieu fait son œuvre et je l’adore sans me troubler ; sa grâce me soutient et me fait tout porter avec respect de ses ordres. Faut-il pas être détruite ? Et que m’importe par qui Dieu passe et opère ma destruction, pourvu que je le sois, si par les anges ou par les démons ou par les saints de l’Église militante : tout est bon et tout est égal en la vue du bon plaisir de Dieu. Voilà ce que je vous puis dire » (1094).
Mère Mectilde a trouvé le « fond » de son néant, mais il y a plusieurs fonds, et elle va aller de fond en fond au moins jusqu’en 1662, comme nous le verrons. Il est évident que sa voie s’approfondit et se simplifie. Elle va en reparler à Bernières en lui envoyant le livre de « La Sainte Abjection », 21 œuvre du Père Chrysostôrne, le 23 novembre 1652 :
« Notre Seigneur me fit la miséricorde de me faire rentrer d’une manière toute particulière dans le centre de mon néant où je possédais une tranquillité extrême, et toutes ces petites bourrasques (elle vient de subir de très grandes humiliations) ne pouvaient venir jusqu’à moi parce que Dieu, si j’ose parler de la sorte, m’avait comme caché en Lui... Cela a bien détruit mon appui et ma superbe qui m’élevait de pair avec les saints, et à qui ma vanité semblait se rendre égale ! Oh ! Je suis bien désabusée de moi-même. Je vois bien d’un autre œil mon néant et l’abîme de mes misères ! J’étais propriétaire de l’affection et de l’estime des bonnes âmes. Notre Seigneur a rompu mes liens de ce côté-là... Il m’a semblé que Notre Seigneur faisait un renouvellement en moi d’une manière bien différente des autres dispositions que j’ai portées en ma vie : il me dépouillait même de lui-même 22 et m’a fait trouver repos et subsistance hors de toutes choses, n’étant soutenue que d’une vertu secrète qui me tenait unie et séparée. C’est que Notre Seigneur me fait trop de miséricordes » (830).
Cette rafale de persécutions vient de ce que l’on commence à parler de notre fondation. Mère Mectilde écrit à Bernières le 2 janvier 1653 et lui demande conseil : « Déterminez-moi ».
Elle raconte toute la genèse de la fondation, ses résistances : « Il n’y a que moi qui suis sous la presse et qui ai sujet de trembler. J’ai déjà voulu rompre trois ou quatre fois, mais parce que cette œuvre pourrait
être anéantie en même temps, l’on m’en fait scrupule de péché d’y résister ou d’empêcher l’effet... Je ne sais, mon très cher frère, si je dois tout quitter, ou soutenir le poids qui sans doute me fera succomber, je n’ai point de fond intérieur pour y subvenir et je ne vois en moi que misères si effroyables que la moindre serait capable de me faire mourir, si Notre Seigneur ne me soutenait... Je voudrais bien m’en retirer si j’en savais le moyen. C’est donc à vous que j’ai recours en cette angoisse... Déterminez-moi et me dites absolument ce que je dois faire pour la gloire de Notre Seigneur. Vous savez quelque chose de ma voie et ce que Dieu veut de moi » (P 101, p. 430), (1057).
Bernières lui fait un devoir de ne pas résister. elle écrit encore à Marguerite du Saint Sacrement23, carmélite, fille de Madame Acarie qui l’exhorte aussi vivement à accepter le fardeau de la supériorité (P. 108, p. 295).
Mère Mectilde n’hésite plus et on entre en pourparler avec Dom Placide Roussel, Prieur de Saint Germain des Prés, qui ne va pas faciliter les choses. Elle écrit à Madame de Rochefort, une de ses bienfaitrices : « Notre affaire n’est pas si avancée que M. Picoté 24 le fait croire partout où il parle. Rien n’est conclu... J’y ai des répugnances toujours plus grandes, et certainement, si elles augmentaient, je pourrais bien en mourir. Ce qui me console c’est que tant de malheurs viendront qu’il faudra tout abandonner. Il faut faire l’impossible pour aller à la Sainte Baume, et je veux toujours espérer » (P 101, p. 445). La nuit de Pâques n’a donc pas été tout à fait concluante ? Mais Collet continue (c’est à lui que nous empruntons la suite VI, p. 17). « Elle priait Dieu avec ardeur de lui faire connaître sa volonté, prête à partir au moindre signal ; mais il arriva au contraire cinq ou six fois différentes que, s’entretenant de son projet avec Jésus Christ après la sainte communion, elle se sentit arrêtée, comme si deux mains puissantes l’eussent retenue par les épaules... Elle comprit par là que Dieu lui ordonnait de renoncer à ses projets de retraite ». Ce sont les derniers sursauts de sa tentation du désert.
Mère Mectilde apprend donc à « mourir » de toutes les manières. Le 22 janvier 1653, elle écrit à Mère Dorothée :
« O ma très chère Sœur ! Que d’abîmes je conçois, mais dans un silence si grand que je n’en puis rien dire !... Il n’y a que Dieu qui soit capable de son œuvre : nous n’avons qu’à nous laisser mourir et il saura bien nous donner la vie... Je ne veux plus avoir de pensée que pour la mort. Voilà à quoi nous sommes appliquées, mais mort sans relâche en la manière que Dieu l’entend... Lui seul doit être et tout le reste anéanti » (L.I., p. 152), (1359).
Et le 15 février à Anne Loyseau (future postulante) : « ... C’est ma passion présente d’être réduite au néant en toutes manières... Et quand je serai anéantie, je ferai des merveilles devant Dieu pour vous, et d’une manière efficace, CE NE SERA PLUS MOI, MAIS JÉSUS EN MOI ! » (L.I., p. 154). (Voilà le secret de son « désir de mort ! »
Le 22 février 1653, elle écrit encore à Mère Benoîte : « O que de morts il faut faire avant que de l’être !... J’apprends une leçon bien rigoureuse, qui me va dépouillant de toute la vie que je prenais dans les âmes saintes ; je m’y suis trop souillée et j’y ai pris trop de satisfaction, c’est pourquoi Notre Seigneur m’en prive tous les jours, et me va tellement dénuant qu’il me semble me vouloir faire vivre comme un mort sur la terre, sans prendre plus aucune vie en quoi que ce soit ; et je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n’est que silence et anéantissement. Demeurons dans l’abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d’amour, n’étant plus rien qu’une pure capacité de son bon plaisir. Laissons-nous consommer comme il lui plaira » (L.I., p. 154), (55).
Le même jour, à Roquelay : « Il y a des degrés dans le saint anéantissement, je n’y suis pas encore tout — à-fait, j’ai bien besoin d’un entretien avec notre bon frère (Bernières) » (842).
Et encore à Mère Benoîte : « Car pour vous parler en fond de vérité, je ne suis que ténèbres et misère extrême ; mais il ne se faut pas toujours regarder : si je m’arrêtais à ce que je suis, jamais je n’ouvrirais la bouche. O Mon Dieu, je ne vois en moi qu’abomination et péché. Croyez que je suis bien réduite, et pas encore assez, j’espère descendre dans un plus profond abîme. Priez Dieu qu’il soutienne l’âme pendant qu’il la détruit jusqu’à la moelle des os... Il ne m’est plus permis d’avoir aucun désir ni l’ombre d’aucune curiosité. Il nous faut tout perdre et laisser abîmer, chacun dans sa voie, et dans la sainte et adorable conduite de Dieu. Demeurons chacune dans nos degrés ; quoique le mien soit extrême, je n’en veux jamais sortir, car il faut perdre son être propre afin que Dieu seul soit » (L.I., p. 161), (1354) 23.
On voit d’ailleurs dans cette lettre comme Mère Mectilde est passée de dirigée à directrice avec son ancienne Mère Maîtresse, et qu’elle la distance maintenant dans la voie du Rien.
Mais la fondation approche. Le deuxième dimanche de Carême, 9 mars 1653, (ici nous citons le N. 249, D.H. p. 159) : « Madame la comtesse de Châteauvieux25 et Madame la Duchesse de la Vieuville25, sa fille unique, étant toutes deux malades en sorte qu’on n’en espérait pas vie, notre Révérende Mère Supérieure mit en prière la Communauté, et elle encore plus que toutes s’appliqua avec ferveur à demander à Dieu leur guérison ».
Et Mère Mectilde, dans un entretien familier, dit elle-même : « Comme je voulais prier pour la santé de Madame la Duchesse de la Vieuville, fille unique de ma chère comtesse de Châteauvieux, “on” me dit :
“Applique-toi à l’œuvre que l’on veut de toi et laisse — là ta duchesse, on en aura soin”. En effet en peu de temps elle se porta mieux, et l »'On » me fit voir comme Dieu serait adoré dans l’Institut, me montrant un grand nombre de personnes dehors et de dedans, appliquées comme de véritables adorateurs. Je voyais des âmes toutes unies et toutes collées à Dieu d’une manière qui me consolait beaucoup, car je voyais que Notre Seigneur y prenait ses complaisances, et qu’il aurait des victimes selon son cœur » (« On » désigne Jésus — E.F., p. 34).
N 249 continue : « Et tout cela se passa avec tant de majesté et de splendeur que, touchée d’un étonnement profond, elle lui dit : “Seigneur, puisqu’il en va ainsi, que c’est votre œuvre, et que c’est une chose si admirable, que ne la faites-vous réussir par vous-même, car quelle est la créature digne d’y travailler ? Moins encore moi, la plus chétive” (D.H., p. 159). Et toutefois, se voyant assurée que Dieu voulait qu’elle le fît, elle baissa le col et se soumit à cette adorable volonté, acceptant dès lors d’y travailler et de se consommer en holocauste à ce Dieu d’amour qui daigne ainsi se glorifier en ses créatures. (...) Dix jours après, qui fut le jour de la fête de saint Joseph, cette même vue lui revint, et avec plus de clarté, et de véhémence de l’esprit de Dieu pour l’animer. Il y eut cela de particulier, qu’il lui fut montré que saint Joseph serait le protecteur spécial et le pourvoyeur de la maison du Saint Sacrement, comme il l’avait été de la sainte Famille du Verbe incarné, sur la terre.
Et comme Notre Seigneur lui faisait entendre sa complaisance particulière sur cette œuvre, par ces mots, qu’il lui répéta plusieurs fois : » C’est mon œuvre, et je la ferai", elle prit la hardiesse de lui dire : « Seigneur, si c’est votre œuvre, donnez-en moi donc le signe : que le Saint Sacrement nous soit accordé, et vous, grand saint Joseph, employez-vous pour cela ». À la sortie de son oraison, elle écrit d’elle-même au Père Prieur pour le lui demander. C’est la seule fois, dit — elle, qu’elle agit d’elle-même dans cette affaire. Contre toute attente la permission est accordée.
Mère Mectilde laisse déborder sa joie dans une lettre à la comtesse de Châteauvieux (D.H., p. 187) : « Ma doublement vraie et unique fille, je vous viens dire bonjour dans un transport de joie très grand que je ressens dans le fond de mon âme, au regard de la possession aimable du Très Saint Sacrement de l’Autel. O ! que je me sens infiniment votre obligée, de m’avoir donné tout ce que le Paradis aime et adore, et qui est l’objet béatifique des saints ! Que de mystères pleins d’étonnement ! C’est à vous, ma chère fille, que je dois cet honneur et cette grâce... »
« De ces deux dernières visites divines, il en demeura à cette digne Mère, comme elle l’a confessé, d’admirables effets pour son âme, entre autres une occupation intérieure très élevée qui lui dura plus d’un an » (D.H., p. 161).
Le 25 mars 1653, l’abbé Berrant nous rapporte d’après le Père Guilloré, que « pendant la grande messe du jour heureux de cette première Exposition, la Mère Mectilde fut ravie en esprit dans le temps de la consécration ; elle vit à l’élévation de la sainte Hostie, la sacrée Mère de Dieu qui présentait ce nouvel Institut et toutes les âmes qui y étaient comprises, à Notre Seigneur Jésus Christ pour (en) obtenir la bénédiction, afin que par elle, ce petit nombre de victimes se multipliât au centuple. Notre Seigneur eut pour agréable cette offrande des mains de la Sainte Vierge et lui dit qu’il prendrait ses complaisances dans cet établissement » (p.102). C’est à cette époque que l’abbé Berrant situe le vœu que fit Mère Mectilde de ne jamais se plaindre, et l’acte suivant dont il cite la deuxième partie : « Prosternée... etc. » (p. 108). Le voici en entier d’après le D 55, p. 271 :
« Mon Dieu, je me sacrifie derechef et totalement à vous en Jésus et avec Jésus et par Jésus. Et comme l’offrande de moi-même est déjà faite, et par cela, j’espère, acceptée de Dieu par sa grande miséricorde, je demeure dans l’attente de l’accomplissement de ses desseins sur moi en qualité de victime de la divine justice pour le péché 24 , et même dans un désir extrême de l’heure aimable des souffrances par lesquelles il plaira à Dieu me consommer et m’anéantir comme une victime sur la croix de Jésus.
Prosternée aux pieds de mon Dieu et tout infiniment adorable au Très Saint Sacrement de l’Autel, je choisis aujourd’hui par votre miséricorde la grâce d’être en opprobre et abjection dans toutes les créatures, et ce pour votre amour et union de vous-même, et seulement parce qu’il vous plaît, et par obéissance à votre pur vouloir divin sur moi. J’accepte la mort humiliante et dans votre amour je la désire. Je ne veux plus prendre part à aucune créature, mais être traitée comme une abominable et une excommuniée 25. Voilà la résolution que votre pure grâce a mise en mon âme, ne pouvant rien que par la force de votre Esprit ».
Remarquons combien Mère Mectilde ne s’appuie pas sur elle-même en prenant une telle résolution, mais agit seulement « par obéissance à son divin vouloir ». C’est ainsi que Mère Mectilde s’enfonce toujours plus dans sa vocation et éprouve un attrait toujours plus grand pour le silence et le rien.
Le 3 mai 1653, elle écrit à Bernières : « Le silence et la solitude sont ma vie ! »... « Je commence à bien voir d’une autre manière que du passé le néant de toutes choses et le misérable amusement des âmes qui ne se rendent pas tout à Dieu... Mon âme semble ne vouloir plus rien en ce monde ni en l’autre que de se laisser toute à son Dieu et qu’il soit en elle selon son bon plaisir... (Boudon l’a soutenue et rassurée sur son état passé)... Je ne sais si je vais à la perfection dans l’état où je suis, je ne vois plus rien. Dieu, Dieu et il suffit, car je sais seulement qu’il EST » (811). Et le 20 mai à Roquelay : « Je ne fais que de me laisser à Dieu avec un esprit de complaisance à son bon plaisir... Je ne sais plus rien de la vie intérieure et je dirais, si j’osais, ce verset de votre cantique :
“Une très sincère innocence
me met toute à l’indifférence”.
C’est un grand repos que d’être bête... Priez Notre Seigneur qu’il me fasse taire et qu’il me tienne en solitude » (1718).
Bernières essaie de la confier au Père Lejeune [26], Mère Mectilde s’enquiert « s’il est homme d’oraison et de foi nue... Qu’il ne brouille pas, car il y a des docteurs qui défont ce que Dieu fait » et elle ajoute : « Je suis résolue de plus jamais rien écrire de moi, ni des faveurs, ni des grâces reçues... Écoulons-les en Dieu et demeurons nous-mêmes en Lui... Je ne veux plus rien être. Il faut que Dieu seul soit et que nous ne soyons plus. Autrefois j’ai dit ces choses, mais je crois que je n’en avais pas si bien l’expérience que je la goûte aujourd’hui » (Lettre à Roquelay, 22 juin 1653), (1049).
Le 9 août, nous apprenons qu’elle a encore envie de se retirer de la fondation (1747).
Le 2 septembre, grande lettre à Bernières. La direction avec le Père Lejeune ne marche pas, elle ne peut rien dire, mais elle est prête à essayer et obéir. De son état présent elle ne sait comment parler à Bernières : « Il y a quelque effet de miséricorde, mais il y a aussi beaucoup de misère, je me défie de tout, laissant tout à Dieu en Dieu... Une chose me rebute de parler de ce qui se passe en moi, c’est l’amusement où je vois quelques âmes en ce pays, et j’en connais qui consomment toutes leurs grâces à l’évaporer en remarques, en paroles et en écritures ».
Autre cause de son silence : elle ne sait pas si ce qui lui arrive est réel. Sur le moment, elle n’en doute pas, mais ensuite crains d’être trompée et donc préfère le silence et l’abandon. Donc pas besoin de directeur « qui soit après moi toutes les semaines »... « Ma paix est grande et ma joie intime, toutefois sans attache... Je me vois sur la terre quasi comme n’y étant point, et cependant je suis, avec ces dispositions, le néant, la misère et le péché même. Le moyen d’accorder tout cela ? C’est ce qui me fait taire ».
Elle est censurée par tout le monde. Le P 101, p. 345 raconte que pendant qu’elle était à l’hospice du « Bon Amy » elle fut persécutée par « un religieux ». « Cette persécution de ce religieux dont il est parlé ici dura plusieurs années, après lesquelles il vint voir la Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Aussitôt qu’elle fut avertie qu’on la demandait, elle se leva d’une grande vitesse, avec une joie extraordinaire qui paraissait sur son visage. Une religieuse lui demandant qui elle allait voir “Un des plus grands amis que j’aie au monde, répondit-elle, et si la modestie et les grilles ne m’en empêchaient, je l’embrasserais de tout mon cœur, tant je lui suis obligée, Dieu s’étant servi de lui pour humilier et détruire mon orgueil et mon amour propre”. En disant ces paroles, elle courut au parloir comme si elle eût volé. C’est la religieuse qui était présente qui nous l’a raconté ».
Elle écrit donc à Bernières : « J’avais une joie si extrême de ce que Dieu faisait son œuvre en détruisant mon orgueil et ma propre excellence que je ressentais un amour sensible pour tous ceux qui m’humiliaient... Ces petites rencontres, m’ont à ce que je crois, fait beaucoup de bien et je puis dire avec un peu d’expérience que Dieu nous fait une merveilleuse grâce quand il nous abandonne à la croix des humiliations, des souffrances, etc. Car je ne vais que de moment en moment : j’oublie tout, mais je ne m’oublie pas assez moi-même. Je ne fais plus d’austérités particulières, il y a longtemps que cet attrait n’est plus, ma générale pénitence, c’est d’être dévorée par la sainte et amoureuse Prouidence, d’être toujours disposée pour faire ce que Dieu veut ». « Les desseins particuliers de cette fondation sont admirables... Je suis un pauvre instrument pourri... » et elle termine : « Hé bien, mon très cher frère, je me suis bien épanchée aujourd’hui avec vous ! Mon esprit a produit plus que je ne pensais... » (745). Heureusement pour nous qui voyons mieux ainsi l’œuvre de la grâce en elle.
Le 25 novembre, Mère Mectilde écrit à Roquelay : « Votre silence me pesait un peu... » Le Père Lejeune ne la contente pas, elle préférerait Bernières. Elle parle de la fondation, s’en trouve indigne, est « dans son néant ». « Ce néant me tient lieu de tout : Dieu et il suffit. À Dieu, très cher frère, je vous prie, ne me laissez pas si longtemps » (743). Toujours ce même contraste savoureux.
Le 12 mars 1654, a lieu la pose de la croix où l’on remarque son visage tout rayonnant d’une joie surnaturelle. Anne d’Autriche fait la première amende honorable28
Mère Marguerite de la Conception nous a conservé un « Acte fait au moment du commencement de l’Institut, rue Férou. Mars 1654 ». Nous allons mettre ici (écrit-elle) un acte que la Mère Mectilde du Saint Sacrement a écrit de sa main et signé de son sang, qu’elle fit dans ce temps-là, qui est comme une rénovation de toutes les consécrations qu’elle avait faites à Notre Seigneur. Elle commence en ces termes :
« En l’union et par l’Esprit Saint de mon Seigneur Jésus Christ que je crois, que j’adore et pour lequel je veux mourir : moi, sœur Catherine Mectilde du Saint Sacrement renouvelle toutes les donations, consécrations, sacrifices et immolations de tout moi-même que j’ai faites dans ma vie passée à mon Sauveur Jésus Christ et à sa très Sainte Mère. Je les réitère de tout mon cœur, je les ratifie et les confirme par ce présent acte et par lequel je me rends (sans) réserve à Jésus. En foi de quoi j’ai signé de mon sang :
Sœur Catherine Mectilde du Saint Sacrement, religieuse indigne, victime de Jésus au Très Saint Sacrement et esclave de Marie sa très Sainte Mère.
“Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l’Autel” Jésus, Jésus, Jésus que j’aime et que je veux aimer en sacrifiant ma vie pour lui. Oh que je puisse mourir de l’amour de mon adorable Jésus ! Ainsi soit-il. Toute la grâce que je demande c’est d’aimer et de mourir uniquement pour Jésus. Jésus faites-moi la grâce que je puisse mourir de regret de vous avoir déplu et que je puisse mourir de votre amour. Rien en moi que pour Jésus. C’est ma volonté pour jamais.
Sœur Catherine Mectilde du Saint Sacrement, religieuse indigne » (N 248. p. 449).
Le 16 mars, nous apprenons que le Père Lejeune n’a pas encore approfondi ses dispositions... « Mon esprit est au comble de l’ignorance ». Elle a une espèce de rebut pour tout ce qui la tire du néant. « Au reste, je ne sais plus ce que c’est que dévotion, goût, ferveur, vous diriez d’un mort ou d’un insensible à tout, sinon à la sainte abjection, mépris et rebut des créatures »... Elle a le désir de se lier plus particulièrement aux opprobres de Jésus (Souvenons-nous de l’acte cité plus haut) : « Il faut se perdre sans ressource pour ne plus se retrouver. Il me semble que c’est là, où la main adorable de Dieu me conduit ». C’est bien ce que nous verrons.
Elle parle ensuite de la maison du Saint Sacrement : « Je n’ai jamais vu une affaire si détruisante... l’on me croit au comble de mes plaisirs et satisfactions, et j’y suis au comble de mon abjection... Voilà comment il faut être : crever de peine, de honte, de i m puissance et d’abjection, et que l’on vous croie dans la félicité. C’est mourir sans secours et porter sa peine dans le néant » (149). Le Seigneur a pris son offrande au sérieux.
Le 20 mars elle lui demande une lettre à défaut de visite. « Je usus supplie de m’aider à mourir parfaitement ». « Associez cette pauvre petite maison à votre saint ermitage et faites prier Dieu pour nous afin que nous puissions être tout à fait anéanties et n’être plus rien en nous pour être tout à Jésus et en Lui »... « Je me recommande à tous et les prie nous obtenir la grâce de silence, de retraite et de néant pour toutes les âmes qui viendront céans, car c’est l’esprit de la fondation » (1125). Elle a donc reçu une grâce « capitale » !
Voici maintenant l’installation de Notre Dame Abbesse qui lui donne une grande joie ; elle en écrit à Mère Dorothée le 28 mai 1654 : « Je ne trouve plus en moi la capacité de me réjouir de quoi que ce soit. Il faut pourtant excepter une chose qui m’a donné grande satisfaction : c’est qu’ayant fait faire une Notre Dame plus haute, sans comparaison, que moi tenant son enfant sur son bras droit, et de la main gauche tenant une crosse, comme étant la généralissime de l’Ordre de saint Benoît et très digne Abbesse, Mère et Supérieure de cette petite maison du Saint Sacrement, on nous l’apporta samedi veille de la Pentecôte. Je vous avoue que son abord me fit frémir de joie et de consolation, voyant ma sainte maîtresse prendre possession de son domaine ». « Il me semble que ma confiance passée s’est renouvelée en moi plus fortement que jamais » (L.I., p. 162), (1361).
Le 23 juin 1654 Mère Mectilde écris à Bernières : « ... Je tends à être toute anéantie dans le bon plaisir de Dieu qui est l’âme de mon âme et la vie de ma vie... Je ne veux plus rien attendre ni recevoir des créatures si ce n’est la contradiction ou le mépris... Il me semble que j’ai une plénitude de Dieu et une plénitude de misère. Voilà une grande contrariété et cependant cela ne me trouble pas, je ne m’afflige plus du tout de ce qui m’aurait fait peine autrefois » (1162).
« j’ai quelquefois des distractions dans le temps de l’oraison et de la sainte messe, et ces jours passés je voyais d’une manière ineffable comme Jésus répare dans le très Saint Sacrement. Cela fut bien étendu, et j’appris comme nous devions faire l’amende honorable que nous sommes tous les jours obligées de faire dans cette maison devant le très Saint Sacrement. Après, j’ai reçu encore une autre intelligence qui fait, ce me semble, de bons effets, où j’ai appris qu’il n’y avait que Jésus Christ digne des regards et de l’amour de son Père. Cela me porte à m’oublier moi-même et attendre que toute cette petite Communauté le fasse aussi, nous oubliant toutes et oubliant aussi les créatures pour être toutes occupées de Jésus Christ en la manière qu’il lui plaira » (Ibid.)
Encore une grâce « capitale » que l’on retrouvera dans la suite. Elle ajoute : « Le petit noviciat fait très bien ; il semble entrer dans l’esprit de saint Benoît qui est de mort et de séparation... Je vous recommande instamment cette petite troupe qui doivent être les victimes du très Saint Sacrement ». Encore deux thèmes qui feront fortune. Le 15 septembre elle réclame des lettres et se dit indigne de cette fondation.
Elle écrit à une religieuse de Rambervillers en 1654 : « Depuis quelque temps, je vois une espèce de béatitude à être rejetée, méprisée, crucifiée et maudite des créatures, et me semble que je ne serai jamais parfaitement à Dieu si je ne passe par là. Il plaît à Dieu m’y mettre au regard de plusieurs, mais non pas de tous. Ainsi le bonheur n’est pas accompli. J’avoue qu’il faut une très haute grâce pour le soutenir, mais ma confiance est dans la vertu et miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Il sait détruire et soutenir, et si vous entendez dire beaucoup de choses de moi, ne vous en étonnez pas... Laissons-le faire, tout ira bien et il ménagera notre sanctification au milieu des obstacles que la nature, les créatures et le démon nous dressent. Il me semble que l’âme ne peut plus prendre aucun plaisir sur la terre que dans le bon plaisir de Dieu ; dès aussitôt qu’on l’envisage, il calme tout, jusqu’au premier mouvement qu’il a la puissance de retenir. Apprenons à nous perdre. Soyons victimes en vérité et non en figure. Immolons nos vies, nos intérêts et nos sentiments au bon plaisir de Dieu. Préférons-le à tout 26 et prenons notre complaisance dans le renversement de nos desseins. Je vois que c’est une infidélité à l’âme de désirer quelque chose ; c’est à Jésus Christ de désirer pour elle et de former des desseins sur elle. Je n’oserais plus rien souhaiter. Il me semble que Notre Seigneur veut que nous demeurions plus en lui qu’en nous et que nous soyons plus agies de son Esprit que du nôtre. Commençons à vivre pour lui dans la pureté de son amour. Donnons-lui cette gloire, que le reste de nos années qui sont bien courtes, soient purement pour lui sans plus de retour sur nous, non pas même sur notre propre perfection » (L.I. p. 166), (2483). Après quoi elle déclare qu’elle n’a jamais vécu un moment pour Jésus Christ, mais pour elle et les créatures ! Nous nous permettons d’en douter, car cette lettre est bien l’écho de son expérience et de sa vie. Mais enfin, elle n’est qu’à la moitié de sa course (elle a quarante ans).
Le 26 janvier 1655 elle a encore un désir : elle écrit à Bernières : « Il me semble que la plus grande et la dernière de mes joies serait de vous voir et entretenir encore une fois avant de mourir, et autant qu’il m’est permis de le désirer, je le désire, mais toujours dans la soumission, car la Providence ne veut plus que je désire rien avec ardeur. Il faut tout perdre pour tout retrouver en Dieu ». Quand on sait la véhémence des désirs de Mère Mectilde dans sa jeunesse, on voit le chemin parcouru.
Elle parle ensuite de son monastère « ce petit trou solitaire » et ajoute : « s’il m’était permis de me regarder en cette maison, je serais affligée de son établissement, me sentant incapable d’y réussir. Mais il faut tout laisser à la disposition diuine ». Elle le consulte sur son désir de ne s’appuyer que sur Dieu seul et ajoute : « Il me semble aussi que je n’ai point d’ambition de faire un monastère de parade. Au contraire, je voudrais un lieu très petit et où on ne soit ni vu ni connu de qui que ce soit. Il y a assez de maisons éclatantes dans Paris et qui honorent Dieu dans la magnificence. Je désirerais que celle-ci l’honorât dans le silence et dans le néant ». Elle termine : « un mot, je vous supplie » (878).
D’après Collet, Bernières lui répond : « Ne doutez pas que je fasse mon possible pour aller vous voir cetété prochain afin de nous entretenir encore une bonne fois en notre vie, y ayant l’apparence que ce sera la dernière, soit que la mort nous surprenne, soit que l’incommodité de mes yeux ne me permette pas de faire ce voyage plus souvent... Je vous confesse que c’est la plus haute fortune qu’une créature puisse faire en la terre que de sortir de soi-même pour entrer en Dieu et y vivre de la même vie de Dieu, à l’image de Jésus Christ qui n’a d’autre support (suppôt ?) 27 que le Verbe divin, et dont la vie, par conséquent toutes les opérations, ont été divines. Si nous nous voyons jamais, n’attendez pas d’autre discours de moi que de vous déduire les merveilles d’une âme anéantie et qui ne subsiste qu’en Dieu seul, tant pour vivre que pour opérer. C’est le principe de la grandeur de nos actions. Pour arriver là, vous faites très bien de ne point chercher l’éclat ni la magnificence pour votre maison, et de ne mettre aucun appui sur les créatures. L’abjection, la pauvreté, la petitesse, le mépris, attirent plus Jésus Christ dans un monastère que tous les moyens dont la prudence humaine se sert » (P 101, p. 633), (C. VII, p. 24). Il faudrait s’arrêter à chaque mot de ce texte important, et l’on comprend la joie de Mère Mectilde à la lecture de ces lignes.
Nous pouvons placer ici un petit épisode qui fut soigneusement caviardé dans le P 101, où, à une certaine époque, on a tâché d’effacer ce qui regardait les relations de Mère Mectilde avec Bernières (serait-ce au moment où Rome a mis à l’index le « Chrétien intérieur » ?). Bref, voici, en résumé, ce que nous avons pu déchiffrer : Bernières est venu voir Mère Mectilde à Paris, les voilà tous deux au parloir, perdus en Dieu. Cet entretien dura plusieurs heures, si bien qu’ils en oublient de prendre leur repas, au grand désespoir de la Sœur tourière et de la Communauté. Ils étaient tous les deux plus ou moins en extase... Pourquoi s’en étonner ? Cela n’arriva-t-il pas à sainte Thérèse avec saint Jean de la Croix ? Et saint Benoît avec sa sœur Scholastique, n’ont-ils pas passé la nuit à louer Dieu ? Honnis soit qui mal y pense !
C’est à peu près à cette époque que commence une période très douloureuse de la vie de Mère Mectilde qui ne se terminera qu’avec la retraite de 1661-1662. L’auteur du N 249, parlant de cette période, écrit :
« Pendant plus de sept ans, après l’établissement de l’Institut, elle porta des peines intérieures si extrêmes que son corps ne les pouvait soutenir. L’on crut souvent qu’elle en mourrait... Aussi elle a confessé depuis que la peine était pour lors si grande que selon les sentiments de la nature, elle aurait reçu en grâce très singulière la mort... Même il lui est échappé de dire à une de ses amies intimes que notre Institut était fait à la pointe de Pépée contre toutes les puissances de l’enfer qui l’avaient combattu sept ans durant, que les détresses mortelles qu’elle portait en esprit en ce temps étaient si épouvantables qu’elle appelait cela le poison infernal dont tous les jours elle en buvait à pleine coupe, disait-elle. C’est tout ce que nous pouvons en dire (car elle ne s’en expliquait pas) ».
Nous avons donc beaucoup moins de textes que du temps de la grande correspondance avec Bernières. Et l’auteur du N 249 ajoute :
« Mais il est certain qu’avec tous ces horribles maux et de corps et d’esprit, son visage ne fut jamais moins doux et son esprit moins quiet et agréable que pendant sa plus grande santé. Au contraire, dans ses entretiens spirituels en discours ou par écrit, c’était une fluidité de paroles, une clarté et netteté à s’énoncer, et surtout une onction si grande de grâce que tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’admiration. Ils l’auraient été bien davantage s’ils eussent su les rudes états que son intérieur portait lors » (N 249, p. 68).
Nous pouvons suivre un peu cette période dans les lettres qu’elle écrivit à Mère Benoîte et à Mère Dorothée. Elle est malade depuis janvier 1657. En avril 1657, elle écrit à Mère Dorothée : « Si je considérais le poids que je porte, je serais abîmée de douleur ; mais autant que je le puis, je le laisse sur les épaules de Notre Seigneur et tâche de m’anéantir sous ses pieds. Mais c’est avec tant d’infidélité que j’en ai horreur et je vous supplie d’en demander pardon pour moi » (L.I., p. 170), (746). Elle fait allusion à son prochain départ pour la Lorraine, car les médecins lui ont ordonné les eaux, et elle a choisi Plombières. Elle passe par Nancy, Rambervillers, Épinal, et reste un mois à Plombières d’où elle écrit à Mère Benoîte le 24 juin : « I1 est vrai que vous êtes bien crucifiée, et j’espère que je le serai un peu avec vous, et toutes deux dans le silence, sans se plaindre à personne qu’à Dieu seul. Je ne doute point qu’il soit votre force, priez-le qu’il soit la mienne. Plus je considère les affaires, plus je vois d’embarras pour moi et dans l’embarras ma ruine, si Dieu n’a pitié de moi... Heureuse l’âme qui possède la solitude ! » (L.I., p. 172), (1595).
Le 21 juillet elle écrit encore à Mère Dorothée. Dans ces deux lettres elle manifeste le désir de retourner un jour en Lorraine : « Ma santé est assez bonne, mais sitôt que je clocherai, je ferai tant de bruit que l’on me renverra, et pour lors sera bien habile qui me retiendra à Paris (L.I., p. 174), (46).
Et le 18 août à Mère Benoîte : « Pour ma retraite (elle espère encore pouvoir se retirer de sa charge) je l’ai toujours fort à cœur, et espère que le temps viendra ou que la mort me retirera. Ma santé est bien ébranlée... mais cela n’est encore rien, il n’en faut pas parler » (L.I., p. 177), (95).
Le 17 octobre, elle écrit à Mère Dorothée et lui parle de la consultation qu’elle vient de faire avec les « serviteurs de Dieu ». Voici ce qu’en dit Collet : (accablée d’épreuves de toutes sortes) « elle perdit courage et résolut de quitter la France, de retourner en Lorraine et d’abandonner une œuvre qu’elle se jugeait incapable de mener à sa perfection. D’ailleurs, pensait — elle, la fondation étant achevée, les raisons qu’on avait alléguées pour l’obliger d’y prêter les mains n’existaient plus. M. de Bernières se rendit à Paris sur ces entrefaites. Elle le pria de conférer de ses doutes avec quelques-uns des plus saints et des plus éclairés serviteurs de Dieu qu’elle connût. Selon ses désirs, il choisit saint Vincent de Paul, M. Olier, ancien curé de Saint-Sulpice, M. Boudon et le Père Hayneuve..., jésuite. Les ayant réunis au parloir du monastère, il leur présenta un écrit où elle exposait l’état de son âme et les motifs de sa démission en ces termes :
« Nous supplions très humblement les serviteurs de Dieu que la divine Providence assemble ici, de nous vouloir donner leurs conseils selon les lumières que le Saint Esprit leur communiquera, sur cette maison et particulièrement sur ce que Notre Seigneur veut de moi au regard d’icelle, portant un grand désir de la remettre entre les mains de quelques âmes qui aient la capacité d’y établir la pure gloire de Dieu, me trouvant absolument incapable de le faire pour les raisons suivantes : la première est que je n’ai point les grâces, ni les talents nécessaires pour y agir de la manière qu’il faut ; la seconde est que me trouvant fort impuissante, stupide et ténébreuse, je ne puis m’appliquer sans violence d’esprit à la conduite, n’ayant que des ignorances extrêmes. Troisièmement, je connais par expérience que ma conduite n’y établira jamais le bien en sa perfection, n’ayant pas, comme j’ai déjà dit, ce qu’il faut pour cela, perdant la mémoire, mon entendement étant hébété et plein de ténèbres causées par un fond d’orgueil épouvantable qui est en moi et par lequel je suis toute opposée à Jésus Christ, cet orgueil faisant de si mauvais effets en moi que toutes mes opérations en sont corrompues. Je le crois la source de tous mes maux puisqu’il me rend indigne des miséricordes de Dieu pour moi et pour les autres.
Au regard de ce monastère, voici mes petits sentiments : premièrement je conçois un si grand malheur de faire une œuvre de telle conséquence qui ne soit point l’œuvre du pur esprit de Dieu, qu’il vaudrait mieux qu’elle s’abîmât dans le néant que de subsister un moment hors de cette pureté.
Le dessein de cette fondation étant très saint en apparence, il est fort à douter que l’excellence extérieure d’icelle n’épuise la grâce et la substance intérieure, à moins que Notre Seigneur y donne des sujets capables de la maintenir par une très grande fidélité.
La principale pensée sur ladite fondation a été de la recevoir pour un petit nombre d’âmes qui veulent se donner à Dieu sans réserve, oubliant la conversation avec les créatures autant qu’il est possible, les religieuses devant vivre en icelle comme des recluses ; l’on n’y devrait rien connaître que la vie et les états de Jésus Christ. Point de parloirs que pour la nécessité des affaires.
Le motif le plus important de ladite fondation est d’y vivre de la vie cachée et anéantie du Fils de Dieu dans le très Saint Sacrement selon les degrés de grâce d’une chacune, d’y être pauvres, abjectes, inconnues et rebutées par hommage et union à Jésus Notre Seigneur dans la sainte Hostie.
La difficulté étant de trouver des âmes assez généreuses pour entrer dans ces saintes dispositions, mon âme en souffre une douleur extrême.
Je souffre au regard de cette maison, tant d’amertume dans l’âme et des angoisses si crucifiantes que je suis dans un regret continuel de cet établissement et voudrais donner mille vies pour l’anéanti r s’il n’est pas dans l’esprit et dans les desseins de Jésus Christ et je prie ardemment les serviteurs de Dieu d’en examiner les circonstances et de voir si c’est l’œuvre de Dieu et ce qui se doit faire pour la mettre dans un état où il la veut pour sa gloire.
Pour moi, je confesse derechef qu’il m’est impossible d’y réussir, ayant toujours cru et assuré plusieurs fois que je ne ferai point le plus important de cette œuvre, et connu que je n’en avais point les talents, mon trait intérieur me portant à la solitude pour me rendre à Dieu, sortant du tracas des charges que j’ai exercées depuis plus de dix ans sans discontinuation, mon âme gémit sous le poids de mes misères et je crois ne me pouvoir sauver qu’en quittant tout et me retirant en profond silence et en lieu inconnu pour y faire mourir mon orgueil naturel duquel je ne puis me défaire et qui prend vie dans les grandes occupations. J’ai toujours cru que Notre Seigneur voulait que je me retirasse puisque j’ai fait, ce me semble, ce qui m’était donné à faire en cette œuvre et jusqu’à présent je n’avais point eu la liberté de la quitter, mais depuis quelques mois il me semble que je puis me retirer sans en porter aucun scrupule et mon âme a une pente si grande et si profonde à me jeter dans un trou caché, gardant un profond silence, que la seule pensée me donne une nouvelle vie. Je ne vois pas lieu de rendre à Notre Seigneur ce que je lui dois, ni de me sauver que par là.
Pour augmenter mon incapacité, j’ai perdu l’ouïe d’un côté et commence à être fort étourdie de l’autre.
Dans les affaires il me faut une si grande attention pour les comprendre que j’en souffre violence. Mon âme ne voudrait être captive de rien comme elle n’est capable de rien que de s’abaisser devant Dieu, gémir sa vie pleine de crimes, demander miséricorde et tâcher de me séparer du péché ».
Les arbitres, après avoir mûrement examiné, chacun en particulier ce mémoire, le discutèrent ensuite tous ensemble. Ils convinrent unanimement et déclarèrent que l’attrait de Mère Mectilde pour la solitude et ses projets de retraite n’étaient qu’une tentation ; que l’établissement était véritablement l’œuvre de Dieu ; qu’elle devait s’y consacrer toute entière et qu’elle résisterait à la volonté divine en l’abandonnant (P 101, p. 638 ; P 105, p. 363 ; D.H., p. 295), (C. VII, pp. 25-26), (2379).
Voici maintenant comme Mère Mectilde en parle à Mère Dorothée dans sa lettre du 17 octobre 1657 : « Il est vrai, ma très chère Mère, que nous avons fait consultation pour quitter cette maison, mais l’on ne nous a pas accordé notre demande. L’on me condamne d’y rester tant que les supérieures en disposeront : vous êtes mes supérieures, je suivrai toujours vos ordres le plus expressément que je pourrai ; je vous assure du moins que c’est ma volonté. Si vous saviez comme je deviens, vous auriez pitié de moi. Je n’entends quasi plus, et comme je suis sourde, je deviens aussi stupide ; vous diriez qu’on parle à une bête ; on voit cela et on ne me laisse pas quitter. Il faudra bien en venir là, si la Providence continue à me laisser devenir bête tout à fait, comme j’en prends le chemin. J’aspire à un petit trou, n’étant plus capable de rien, et ne crois pas pouvoir être totalement à Dieu que lorsqu’il me séparera de tout. Je suis trop faible pour être parmi les créatures, je m’y souille sans cesse, etc. Si ma surdité augmente, malgré le monde, il faudra me laisser aller. J’abandonne le tout à Notre Seigneur : il sait ce qu’il veut faire de nous ; il faut demeurer dans son bon plaisir et attendre ses ordres. Il me semble que par sa grâce je suis toujours prête. J’aspire sans vouloir déterminé, je désire et je meurs à tout désir. Ma toute chère Mère, c’est une belle et bonne chose de n’avoir plus de choix.
Voici six points que je trouve excellents, voyez s’ils vous agréent : 1° ne tenir à rien. 2° aimer l’abandon. 3° souffrir en silence. 4° vivre sans choix. 5° épouser la croix. 6° se conformer en tout au bon plaisir de Dieu. En voilà assez. À Dieu, jusqu’à une autre fois... Priez Dieu que je meure incessamment afin que lui seul soit notre unique vie » (L.I., p. 178), (2593).
Le 5 février, elle écrit encore à Mère Dorothée : « Mourons donc incessamment, chacune dans sa voie... Plus nous tardons à mourir, plus nous retardons la vie, le règne et la consommation de Jésus Christ en nous ». (L.I., p. 179), (156). C’est donc bien la mort pour la vie, et quelle vie : celle de Jésus en nous !
Le 21 mars 1659 c’est l’inauguration du monastère de la rue Cassette, et le 3 mai Bernières meurt. Mère Mectilde l’écrit à Mère Dorothée : « Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout, et nous pouvons dire de lui ce que dit l’Écriture : « Beati mortui qui in Domino moriuntur », « Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur » (Ap. 14, 13), (L.I., p. 182), (146). Et elle ajoute : « mourons incessamment, mourons toujours, car dès que nous cessons de mourir nous cessons de vivre » (L.I., p. 183), (146).
Voici un fidèle écho de l’enseignement du P. Chrysostôme rapporté par Boudon dans « L’homme intérieur » p. 241 : « O mort ! o mort donc qui vaut mieux que toutes les vies ! Que mon âme te désire incessamment le reste de mes jours que je ne veux plus être que des jours de mort. O Mon aimable Jésus que je ne vive plus que de cette mort afin que vous viviez uniquement en moi. O Que bienheureux sont ceux qui meurent dans le Seigneur ! »
Elle l’écrit aussi au frère Luc de Bray qui était alors à Rome, le 27 juin 1659 : « Cette mort qui me serait très sensible si je ne la regardais dans l’ordre du bon plaisir de Dieu, et ne le trouvais plus proche de nous que lorsqu’il vivait parmi nous ». Elle essaie de s’ouvrir : « Je suis plus seule que jamais, ne parlant à personne et me sentant portée à un grand éloignement de tout le monde. Sans doute c’est par pauvreté et par ma très grande abjection ; je suis infiniment au-dessous de tout le monde ; il me semble que je ne tiens plus de place dans qui que ce soit, et je voudrais bien être cachée en Jésus Christ dans le très Saint Sacrement de l’Autel. J’appauvris tous les jours et suis si rebutée de moi-même que je ne voudrais plus paraître. Mais, mon Dieu, il faut que je soutienne la charge que mes péchés m’ont attirée, et si j’en pouvais être quitte, je m’enfuirais dans le fond d’une solitude pour y apprendre à mourir. Je suis dans un état intérieur que je ne puis dire. Dieu seul le connaît. Je n’ai pas le pouvoir ni la capacité de l’exprimer... Il faut demeurer dans l’abandon nu et crucifié, quelquefois jusqu’à l’extrême » (1163, autographe). Elle espère pouvoir lui parler plus facilement s’il vient la voir, de retour à Paris, dans un an !
Le 31 août, elle écrit à Mère Benoîte une lettre de détresse : « Ma croix n’est pas encore finie ; il faut que je l’embrasse et peut être faudra-t-il que j’y meure. Je dois être hostie de Jésus Christ, qu’il me consomme selon la complaisance de son amour. Ce me serait trop de grâce de posséder la solitude que je désire et que j’ai toujours fort à cœur... mes péchés s’y opposent... et je meurs de n’être pas à lui comme je dois. C’est un enfer, au dire du bon M. de Bernières, d’être un moment privé de la vie de Jésus Christ, je veux dire qu’il soit privé de sa vie en nous 28. C’est ce que je fais tous les jours en mille manières. J’en suis en une profonde douleur et c’est pour cela que je gémis et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières... J’en ai un besoin si grand que je me sens périr. Ma très chère Mère, soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir... Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le Cœur de Jésus Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus Christ » (L.I., p. 183), (570).
Cette dernière phrase est très importante et s’éclairera pendant la retraite de 1662 par le texte : « Dieu tient l’âme dans la mort avant que de lui donner sa vie divine ». En ce moment, elle vit cette « mort » et commence à comprendre que Jésus Christ seul peut la ressusciter. Mère Mectilde continue (ceci est peut-être une deuxième lettre) :
« Je vous avoue que j’admire quelquefois comment je le puis soutenir, mais je vois que c’est la force divine de Jésus Christ qui fait et souffre tout. Il faut une patience étrange dans ces conduites... Quand il plaît à Notre Seigneur me laisser seulement approcher de l’ombre de la croix, hélas ! je suis à demi-morte, mais il la suspend au-dessus de moi et la soutient par sa vertu divine. Cependant je ne me saurais plaindre : aussi n’ai-je pas le mot à dire. Je demeure comme abîmée aux pieds de Notre Seigneur, le laissant faire ma ruine, ma destruction et ma consommation comme il lui plaît... Nous demeurons ainsi mourante sans mourir, souffrante sans souffrir, car en vérité je ne puis dire que je souffre. Tout ce qui était le plus fort à soutenir, c’est une effroyable destruction qui se fait au fond de l’âme : tout y meurt, tout y est perdu ; je ne sais où je suis, ce que je suis, ce que je veux, ce que je ne veux pas, si je suis morte ou vivante, cela ne se peut dire. Priez Dieu qu’il me fasse sortir du péché : je suis horrible devant ses yeux divins » (L.I., pp. 184-185), (570-1685).
Le 3 septembre 1659 elle envoie la « Messe mystique » à Mère Dorothée, pour son divertissement. C’est peut-être bien la « Messe mystique » de M. Quatorze30, que l’on trouve souvent recopiée parmi ses écrits, mais elle ajoute : « Si Notre Seigneur me donnait grâce et lumière, je l’étendrais un peu plus et le rendrais fort intelligible et très suave, car tous les jours et à tout moment nous la pouvons célébrer. Mais je voudrais dire quelque chose de plus, si Dieu le voulait, qui serait comme Jésus Christ est immolé incessamment en nous, et comme il y continue son sacrifice et nous sacrifie avec lui ».
Cela sera développé au cours de la retraite de 1662 et dans le « Véritable Esprit ». Textes bien préférables à celui de M. Quatorze. Puis, elle fait encore allusion à ses épreuves de santé et autres. « J’étais tuée de corps et d’esprit », et elle ajoute : « Croyez, ma très chère Mère, que la mort ne m’est douloureuse qu’à cause que Jésus Christ n’a point vécu en moi, et que c’est une chose effroyable d’avoir empêché sa vie divine de s’établir en moi. Oh ! quel enfer dans une âme quand Jésus Christ n’y vit point ! » (L.I., p. 186), (3007).
Le 15 septembre nous relevons encore dans une lettre à Mère Benoîte : « Je vous écris, ma toute chère Mère, sans autre liberté intérieure que celle que le néant me donne, et je me sens si indigne de vous occuper un moment, nonobstant les besoins où je me trouve, que si je suivais mon sentiment, je serais dans un silence perpétuel, même avec les serviteurs de Dieu, ne trouvant rien à dire dans l’abîme où je suis descendue et dans lequel je trouve la paix, la tranquillité et la joie au-dessus de moi-même. Je suis devenue bien plus petite que je n’étais, mais pourtant encore très éloignée de ce que je dois être et que Notre Seigneur veut de moi » (L.I., p. 187), (969).
Mère Mectilde continue donc sa route vers le Rien/Tout. Elle aspire toujours à la solitude et à être retirée du « tracas » (elle a été réélue en juillet 1659). « Je vous supplie, ne m’abandonnez pas. Je vous demande par grâce une neuvaine à l’Âme sainte de Jésus et à son très adorable Cœur, pour honorer toutes les douleurs intérieures et secrètes et qui sont encore inconnues, dont il a été navré et cruellement blessé en sa douloureuse Passion et qu’il continue d’être dans le très Saint Sacrement de l’Autel, quoiqu’il ne soit plus passible ni mortel. Je vous supplie de me faire cette aumône pour les adorer pour moi et y avoir la part que son amour et sa miséricorde m’y veut donner, quoiqu’infiniment indigne » 29.
Nous avons déjà rencontré cette dévotion à l’Âme de Jésus chez le Père Chrysostôme et chez Bernières. Ici, elle communie à sa Passion intérieure (voir aussi le chapitre IV du « Véritable Esprit »). Ceci est un indice de l’objet de sa contemplation à cette époque. Elle est appelée à avoir part à ces souffrances inconnues. (Les révélations du Sacré Cœur à sainte Marguerite Marie datent de 1672)
« Un samedi dans I'octave de Tous les Saints » 1659, elle reçoit une grâce particulière de la Sainte Vierge : « Je crois que c’est une manifestation intellectuelle qui lui laissa une joie et une liesse intime dans une pleine assurance et sentiment de bienveillance de la Mère de miséricorde ». Elle avoue que pendant sa vie elle reçut plusieurs fois de semblables grâces. Un autre jour, dans la même octave pendant la sainte Messe, elle reçut « une joie inénarrable que je ne saurais exprimer... C’est une paix au-delà de ce que l’on saurait dire, en un mot c’est une calme béatifique »... (2916). Voici donc un intermède.
Le 9 octobre 1660, nous retrouvons Mère Mec — tilde en route vers le rien. Elle écrit au frère Luc de Bray : « Tout va d’un bon air d’abjection pour moi et j’ose vous assurer que jamais je ne fus réduite dans la plus profonde abjection et petitesse... Je commence à voir clairement que j’ai toute ma vie abusé de la grâce et trompé les serviteurs de Dieu... J’aspi re au centre du néant » (P 101, p. 700), (2064).
Mais dans ce même mois, elle fait une petite retraite qui lui donne un peu de « respir ». Elle en parle à Mère Benoîte : « Il faut encore que je confesse qu’il me fait trop de miséricordes. Je suis au dernier jour d’une petite retraite que j’ai faite pour reprendre un peu de respir pour continuer ma course et me rendre aux desseins de Notre Seigneur qui veut que je marche dans la mort continuelle, que je demeure en lui et que j’attende tout de lui ; et cela me paraît si vrai qu’il me semble que je n’ai pas un bon mouvement que je ne le voie sortir de son Cœur divin. Je vois sa force et sa patience qui m’environnent et je suis toute surprise que dans les occasions assez fâcheuses à l’esprit humain, il retient tous les sens et fait un si grand calme dans le fond que l’âme en demeure toute étonnée : elle voit bien que ce n’est point son ouvrage ; enfin c’est son plaisir d’agir ainsi à l’endroit de la plus infidèle de ses créatures »... « Je vous dirais bien des choses si j’en pouvais prendre le temps. Mais j’espère que Notre Seigneur vous donnera quelque pressentiment de ce que je suis : je n’en sais rien moi-même, j’aime mieux me perdre et m’abandonner que de le connaître » (Octobre 1660), (L.I., p. 193), (2814).
Voici, à n’en pas douter, un petit début de « résurrection ».
Dès janvier 1661, Mère Mectilde est malade. Le 18 février, elle écrit à Mère Benoîte :
« Pour moi, il faut qu’en passant je vous dise que quoiqu’accablée dans de continuels tracas, je ressens d’une manière singulière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur. Certainement quand il lui plaît, tous temps et toutes occasions lui sont propres. Il opère ce qu’il veut et fait connaître à l’âme que son œuvre est indépendante, même au-dedans, et qu’il n’a besoin que de son amour et de sa toute-puissance quand il veut opérer souverainement.
Avec tout cela je suis plus que jamais plongée dans 1'abîme de mon abjection, car son ouvrage ne m’ôte pas cette connaissance et ce sentiment. N’en disons pas davantage ; mais pour 1'amour de ce même pur et divin Amour, priez-le qu’il fasse sa très sainte volonté en moi et qu’il se contente lui seul en toutes les différentes dispositions que sa divine Providence me fait porter.
Je ne sais qu’un secret dans la vie intérieure : c’est le cher et précieux abandon de tout nous-mêmes au plaisir de Dieu. Qu’il vive et règne lui seul et il suffit, sans nous réfléchir ni sur le progrès, ni sur les dons de Dieu, ni même sur notre éternité. Que le pur et divin Amour nous consomme comme il lui plaira, puisque nous ne som mes créées que pour lui seul... si vous voyez comme je suis dévorée, vous auriez pitié de moi. Le corps même n’y peut quelquefois subvenir. Mon Dieu, ma très chère Mère ; il me semble que Notre Seigneur veut que je me perde entièrement ; mais je suis encore toute pleine de moi-même et des créatures » (L.I., p. 195), (412).
Au mois de mai, Mère Mectilde est à toute extrémité ; c’est le dernier assaut, dedans et dehors, avant la retraite de novembre. Nous avons un bon témoignage de son état dans sa lettre du 20 juillet 1661 à Mère Benoîte qui est « la seule au monde » avec qui elle puisse encore parler.
« Il y a plusieurs mois que je suis tombée dans un état que je ne sais ce que ce pourra être, s’il sera bon ou méchant. Ce n’est pas toujours les occupations qui me privent de la chère consolation de vous écrire... mais il m’est survenu une étrange suspension des organes et puissances de mon âme, en telle sorte que mon corps en restait affaibli et me trouvant sans vigueur et quasi à la mort, me semblant qu’un souffle me pourrait ôter la vie. J’ai été fréquemment de cette sorte durant ce temps.
Quoique l’interdiction soit grande et que je n’ai d’usage que pour le nécessaire de mes obligations qui survenaient dans ces rencontres, mon âme avait en fond une occupation profonde non distincte, mais qui semblait dévorer et consommer quelque chose, quelquefois dans une paix et cessation si profonde qu’il n’y paraissait pas seulement, même dans le fond, un petit respir de vie... I1 faut que je meure aux secours, aux lumières et à tout ce qui peut donner le moindre appui. Cependant vous voyez que j’en cherche auprès de vous, ma très chère Mère. Il est vrai, et tout en le cherchant et le demandant, je le remets dans le Cœur adorable de Jésus Christ, voulant me tenir dans l’abîme où je suis suspendue, sans assurance de rien. Je puis dire dans l’apparence — selon le raisonnement — de tout perdre et de faire naufrage.
Si vous pouvez, ma très chère et intime Mère, prier Dieu pour moi, ne m’en dites que ce qu’il lui plaira. Il faut tout perdre, je le vois bien, mais la nature inférieure cherche à mettre le bout du pied pour avoir quelques respirs. Oh ! que la mort totale est rare ! Ce qui fait le comble de la croix, c’est que je ne vois point que ce qui se passe soit opération de Dieu. D’une part je crains la certitude, à cause de l’appui que j’y prendrais, et, de l’autre part, je vois tout perdu. Enfin je ne puis juger de mes dispositions ou états présents, sinon qu’ils seront ma ruine ou la résurrection de mon âme éternellement : ou grande miséricorde, ou grande justice.
J’adore dans le silence de mon cœur tout ce que Dieu en ordonnera. Je suis et ne suis plus. Vous seriez étonnée de me voir : à ce qu’on dit, je parais bien plus morte que je ne suis. Bref, ma très chère Mère, je ne sais plus que dire, je demeure quasi sans parole, je n’ai rien à dire, je suis abandonnée : il faut demeurer là, ne pouvant aller ni haut ni bas, ni de côté ni d’autre. Si l’âme savait qu’elle expire en Dieu, vraiment elle serait plus que très contente : mais elle ne sait où elle est, ni ce que l’on fait, ni ce qu’elle deviendra. Le seul abandon au-dessus de l’abandon est le soutien secret de l’âme... voici un échantillon de ma pauvreté, ma très chère Mère » (L.I., pp. 197-198), (293).
Nous ne pouvons que renvoyer au chapitre XII du « Véritable Esprit » : « Dieu tient l’âme dans la mort avant que de lui donner sa vie divine », qu’elle écrivit au cours de sa retraite de 1661. La seule différence entre ces deux textes c’est que l’un est écrit pendant l’épreuve et l’autre après.
Mère Benoîte tâche de la réconforter dans une lettre datée du 21 novembre 1661 (a-t-elle tant attendu ? Où est-ce la réponse à une autre lettre ? Pourtant elle paraît bien répondre à celle de juillet... ou est-ce dû à la « Poste » de ce temps-là entre la France et la Lorraine ?).
"... J’adore en Jésus Christ et par Jésus Christ la hauteur et la profondeur des desseins que Dieu son Père a sur les âmes : il faut que son règne soit accompli et le vouloir de ses divines complaisances ; il me semble que votre état de mort est effroyable et capable d’ôter la vie au corps, à moins d’un miracle ; ce qui m’étonne est que votre état a peu d’intervalle, car l’expérience nous apprend qu’après cet état de mort, le corps est quasi épuisé de ses forces. J’avoue que Celui qui fait mourir fait revivre notre faiblesse par la puissance de sa très sainte main. Laissons-nous perdre dans les abîmes de sa conduite adorable et de ses miséricordes infinies. L’abandon parfait d’une âme n’empêche pas que l’on ne cherche pas un peu à se soulager ; il est vrai que quand il plaît à Dieu, l’on ne trouve pas de soulagement au ciel ni en la terre. Il faut donc mourir et être ensevelie en celui qui prend son triomphe de gloire dans la mort de ses créatures. Bienheureux mille fois les morts qui sont passés et trépassés en Jésus Christ qui est notre pure vie » (L.I., p. 199), (805a).
Entre temps, le 1er novembre 1661, Notre Seigneur demande à Mère Mectilde une « victime totalement perdue ». Elle décrit elle-même dans un long texte l’état extrême de cette vocation extrême. Elle cherche sans la trouver, cette victime parmi les Sœurs de sa Communauté. Elle crut un moment que cette victime était Anne de Béthune, abbesse de Beaumont-Lez-Tours avec qui elle eût une correspondance assidue. Mais l’abbesse mourut avant d’arriver au point où Mère Mectilde s’efforçait de l’entraîner. Pour ses filles, et pour ses biographes, c’est clair : cette « victime » était Mère Mectilde elle-même, car en la décrivant elle fait son propre portrait. Durant les grandes épreuves de la fin de sa vie, une de ses filles le lui rappellera, elle s’en trouvera trop indigne !
Victime totalement perdue et abandonnée au bon plaisir de Dieu pour porter l’effet de cette qualité de victime
(Écrit de Notre Mère)
« Je ne sais par quel moyen je pourrai réussir à contenter Notre Seigneur qui semble me presser de lui donner une hostie sur laquelle il puisse faire les impressions de sa sainteté pour réparer les profanations qu’elle reçoit en son divin Sacrement par les impies. J’ai jeté les yeux sur toute l’étendue de ce monastère et je n’ai su sur qui arrêter ma vue quoique toutes les âmes qui y sont semblent lui être immolées à cet effet. Il est vrai, elles le sont, mais celle que l’on demande est un surcroît, d’autant que Jésus Christ la veut pour se l’unir à lui-même dans son état d’anéantissement et d’hommage à la sainteté divine pour en porter avec lui les effets selon l’étendue de sa grâce en elle, sans laquelle aucune âme n’est capable de la soutenir pour peu que ce soit, voire même en la plus petite partie.
O. divin Jésus, s’écriait mon âme, choisissez-vous à vous-même cette hostie victimée à votre sainteté profanée. Vous me la demandez et vous savez que je n’en puis trouver si vous-même ne l’amenez dans le lieu destiné à les y préparer. Mais que désirez-vous de si particulier en cette victime par-dessus celles qui vous sont dans ce lieu sacrifiées ? Vous voulez, ô divin Jésus, une âme toute séparée d’elle-même et des créatures, toute dépouillée et toute anéantie, capable de porter les états que vous avez portés durant votre très sainte vie, et que vous portez encore dans ce mystère divin. Vous voulez qu’elle soit tellement abandonnée à votre divine et très sainte volonté que vous en fassiez tout à votre plaisir, sans retours, sans plaintes, et sans jamais se lasser d’être hostie avec vous, plongée dans un abîme de douleurs, de peine, d’amertume, d’angoisse, d’agonie et de mort, tellement remplie de désolation que l’on puisse dire d’elle ce que les prophètes ont dit de vous-même : “l’homme de douleur” ; sans secours sensible d’aucune créature ni de vous-même, portant un état de rigoureuse privation, de soustraction, de ténèbres, d’impuissance, de captivité, de délaissement extrême, et si j’ose dire, de réprobation, et tout ceci par union à Jésus Hostie à son Père et victime du péché pour la gloire de la sainteté et justice divine. O Mon Dieu, où trouverons-nous une âme qui vive dans une perte non d’une année ou de quelque temps, mais de perte éternelle, sans ressource pour elle-même, demeurant ainsi abîmée dans la volonté divine et dévouée à son bon plaisir, qui en fera sa complaisance éternelle, et cela pour toujours, sans relâche, sans retour et sans appui.
Il faut une âme pure, touchée d’un trait de grâce toute singulière pour entrer et porter ces états ; il faut être dévorée par la sainteté divine en la manière qu’il lui plaira faire son opération. Il faut qu’une telle âme se résolve de tout perdre, les secours et consolations humaines des créatures, qu’elle s’assure qu’elle en sera le rebut et le mépris très sensible, et peut-être très cruellement traitée, voire même jusqu’à la persécution. Il faut qu’elle ne sache plus où poser son pied ni reposer son chef sur la terre, et que toute agonisante sur la croix, elle y expire avec Jésus hostie et victime à la sainteté divine.
Qui sera l’âme fortunée et million de fois très heureuse qui remplira ce dessein amoureux et infiniment adorable de Jésus, qui sera cette généreuse prostituée et toute perdue dans la volonté divine de Jésus hostie et victime ? O quel bonheur, quelle grâce, quel avantage, quel honneur, quelle gratification ! O mon divin Sauveur, permettez-moi de vous dire que vous voyez une troupe de victimes en ce lieu qui vous sont dévouées par un ardent désir de réparer votre gloire. Choisissez vous-même celle qu’il vous plaira appliquer à votre sainteté d’une manière si particulière, et qui soit comme l’objet sur lequel vous imprimiez et insinuiez plus précisément votre divine ressemblance de victime. Nous voilà toutes à vos pieds. Faites votre élection selon votre bon plaisir, et la remplissez de la plénitude de la grâce de ce sacré état où votre bonté la veut établir, et si aucune ne vous agrée pour ce singulier et très auguste dessein, prenez celle qu’il vous plaira et la placez en ce lieu afin qu’en elle vous ayez une double complaisance, mais plutôt, ô divin Jésus, appropriez-vous toutes les âmes de cette maison en la manière la plus intime qu’il vous plaira, et en faites autant de pures et de véritables victimes de votre sainteté, profanée dans l’hostie. Elles s’y vouent et s’y consacrent toutes par la parole de mon cœur qui la verse dans le vôtre, et spécialement celle sur qui de la troupe sainte vous voulez vous appliquer par dessus toutes. Car je vois que c’est votre particulier dessein, et que c’est le sujet qui me presse et m’empresse. Qui est celle-là qui se donnera à moi dans les dispositions que je viens de dire, ou du moins dans une sainte et sérieuse résolution par grâce extraordinaire de ferveur et d’abandon, par amour pur et union à Jésus Victime, se donnera librement, volontairement, pleinement, absolument, cordialement, constamment et éternellement à moi pour que j’en fasse, par la puissance qui m’en est donnée de Jésus, mon hostie, et que comme telle, je la présente à Jésus Christ le Saint des saints, pour rassasier son désir et lui donner le plaisir en ce lieu d’avoir une victime_ singulière en l’état et en volonté de tout souffrir, tout soutenir, et de mourir éternellement sans relâche pour l’amour, gloire et louange à sa sainteté divine. Je vous supplie, mon adorable Seigneur, de donner mouvement à celle que vous voulez qui vous soit de cette sorte immolée, de venir me rendre le vœu de son cœur et que je vous en fasse l’hostie que vous me pressez de vous donner, et que je voudrais pouvoir acheter au prix de mille vies, pour votre pur amour et entière satisfaction.
Ceci est une petite expression de la victime que Notre Seigneur a demandée ; c’est un petit crayon de son abandon, pour être la proie du plaisir de Jésus Christ au divin Sacrement.
Il y a environ vingt-six ou vingt-sept ans le jour de la fête de tous les Saints de l’année 1661 que Notre Seigneur demanda une victime totalement perdue et abandonnée à son plaisir pour porter l’effet de cette qualité de victime » (1157).
Mère Mectilde continue donc à être très malade. C’est une véritable agonie. Reprenons le récit du N 249 :
Comme à la fin cette horrible peine l’avait réduite aux derniers abois, ses religieuses firent de nouveau appeler les médecins qui ne manquèrent point de lui ordonner toutes sortes de remèdes, ni cette patiente Mère ne manqua pas non plus de les faire fort exactement quoiqu’elle fut bien assurée qu’ils ne lui feraient que du mal, parce qu’elle savait bien que sa maladie, dont elle ne voulait pas s’expliquer, ne procédait point d’une cause naturelle ; mais elle voulut obéir aveuglément à sa Communauté qui l’en priait avec instance, ignorant ce qui se passait... (Au bout de ces traitements) les médecins la trouvèrent tellement empirée qu’ils la condamnèrent à n’en relever jamais... et comme elle vit cela, elle ne laissa point échapper l’occasion de faire une retraite, de quoi elle avait un grand désir, en ayant demandé à la Communauté le consentement sous prétexte de se préparer à la mort, quoiqu’en son âme, elle ne croyait point trop ce que disaient les médecins, puisqu’elle était fort assurée qu’ils ne connaissaient point du tout son mal, mais elle ne demandait pas mieux que de s’al l e r unir à son véritable Médecin qui saurait bien autrement la guérir que ceux de la terre, et sa Communauté y consentit à la fin, quoiqu’avec bien de la répugnance pour le désir qu’elle avait de la servir dans ses maux et de ne la point perdre de vue pour le peu de temps qu’on leur disait qu’elles avaient à la garder, mais le grand respect qu’elles avaient toutes pour elle fit qu’elles y donnèrent les mains. I1 est vrai qu’elles commençaient de s’apercevoir déjà de quelque chose de sa vraie maladie et de juger que ce remède lui serait le plus propre de tous.
Ainsi elle y entra le 21ème de novembre, jour de la fête de la Présentation Notre Dame 1661, et n’en sortit que la veille de Notre Dame de février 1662, et y recouvra en effet une parfaite santé, parce que, comme nous l’avons su depuis, dans sa retraite Dieu lui changea sa voie et lui ôta cette étrange peine intérieure qui la tuait et qui lui fut enlevée, dit-elle un jour, comme qui lui aurait ôté un casque de dessus la tête, et son tempérament premier fut si parfaitement rétabli que quand ses religieuses la virent, elles furent tout à fait surprises de la trouver ainsi rajeunie et refaite ; même depuis ce temps-là Dieu lui a continué une santé très forte, parce que cela était nécessaire à sa gloire à cause qu’elle n’eût autrement pu agir à l’établissement de la congrégation qui l’a obligée de faire plusieurs voyages et porter de grands travaux ; et ce fut dans cette retraite qu’elle fit l’écrit suivant qui ne sortit pas tout d’un trait de sa plume comme les autres, mais à diverses reprises parce que, pour consoler ses filles à qui une si longue absence ennuyait fort, elle leur envoyait de fois à autre quelques feuillets pour leur servir d’entretien et de consolation spirituelle, et leur donner part en même temps, avec une bonté de vraie mère, des dispositions qu’elle portait dans sa chère solitude, comme cela il s’est trouvé bien plus long que les autres (N 249, p. 61).
Suivent les « feuillets » de cette retraite :
1. Dieu ayant fait ce monastère... D.H., p. 128), (334).
2. Quand je considère... (D.H., p. 135), (2562).
(On retrouvera ces deux textes dans les deux premiers chapitres du « Véritable Esprit », remaniés, mais non notablement changés).
3. Suite de la même retraite : O quel abîme !... (D.H., p. 139), (2424).
(C’est le chapitre XII du « Véritable Esprit » : « Dieu tient l’âme dans la mort avant que de lui donner sa vie divine ». C’est la description de sa propre expérience « pascale », qui nous fait un peu entrevoir quelle est cette vie divine, achetée par une telle mort. On pourrait en faire un commentaire ligne à ligne à partir de tout le chemin parcouru jusqu’ici).
4. Voici encore une suite de la même retraite : « De la vie cachée en Jésus Christ » (D.H., p. 142), (485).
(C’est le chapitre XI du « Véritable Esprit »).
« Pour consoler ses filles »... parmi tant de sublimités, elle savait aussi glisser des billets pleins d’humour, au goût du temps, dont voici un échantillon :
« Épître à la Communauté de Paris pour les divertir dans une retraite qu’elle fit de six semaines.
« Je ne suis pas encore au pays des morts, quoique ces jours passés on parlait d’y faire voile. Je ne sais si le vent nous sera bon. Je ne sortirai pas des frontières de l’Arabie Heureuse sans prendre, par un mot, congé de mes compagnes et surtout de mon vice-roi dont les assurances que vous me donnez qu’il est satisfait, me console merveilleusement. Commandez partout de notre part que l’on continue, et que j’en saurai gré à mon retour à. celles qui n’y auront pas manqué.
La santé est admirable en ce pays, l’air qu’on y respire fortifie le cerveau. Néanmoins celles qui l’ont fort affaibli, je ne leur conseillerais pas d’y venir. 11 y faut de bons estomacs. Mais quoi qu’il en soit, vous diriez que c’est mon air natal.
C’est une contrée où il y a mille sortes de fruits, mais par malheur mon estomac n’en peut point digérer. C’est pourquoi je les souhaite aux délicats qui aiment les choses exquises. J’ai toujours mangé également, jusques ici on ne parle point de nous retrancher les vivres. Ils sont en ce pays plus abondants qu’en France. Je conseillerais à ceux qui y meurent de faim d’y venir. Il est vrai qu’il faut y avoir des amis pour s’y introduire. Pour moi, j’y suis venue à la faveur d’une Dame de mérite qu’on y reconnaît la Toute Puissante. Elle domine sur les Etats du Roi. Personne ne lui ose contredire. Si quelqu’un s’adresse à vous pour y venir, dites-leur de ma part qu’ils envoient des messagers à cette Grande Princesse, et qu’il n’y a pas moyen d’y subsister que sous sa souveraine protection.
Au reste, j’ai ri de tout mon cœur quand vous me dites que les tambours manquent à ma suite, et que c’est pour cela que j’ai demandé des bâtons. Au pays où je suis, les tambours n’y sont point en usage, on n’y entend que des sons harmonieux et qui ne sont point composés d’instruments musicaux dont on use à Paris. Il faudrait un temps pour en faire une description plus entière.
Le panier postillon ne peut différer de partir, il est retenu plus qu’il ne faudrait, dans une autre rencontre, vous aurez de mes nouvelles.
Je salue d’affection toute la compagnie.
Aux lieux Hérauts » (N 255 p. 478) (1207).
Mais revenons au N 249 où la rédactrice cite une lettre à la comtesse de Châteauvieux écrite durant cette retraite :
« Je ne puis différer davantage la consolation que je prends de vous demander de vos chères nouvelles ; vous verrez en cela que je ne suis point morte, non certainement je ne le suis point, au contraire, il me semble que je prends vie et qu’au lieu d’être occupée de la mort, je suis appliquée à aimer. Je ne puis penser au passé, encore moins à 1' avenir. Mon âme ayant rencontré son Dieu à l’entrée de sa solitude, elle s’y est liée d’une telle sorte qu’elle n’a pu encore entreprendre d’autre pensée. Il faut qu’il me serve de tout et que son amour fasse ma préparation pour la mort, car je n’y puis nullement réfléchir. O très chère, que je vois par expérience que si les âmes se laissaient à Dieu, qu’il leur serait toutes choses. Il les soutiendrait et les substanterait de lui-même et de ses ineffables miséricordes. Oh ! que la solitude est désirable, puisqu’elle nous fait posséder Dieu plus pleinement et avec moins d’ombrage ; elle est, si je ne me trompe, le centre de mon âme et la santé de mon corps. Je m’y porte très bien jusqu’à présent, nous n’espérons pas moins de la suite » (N 249, p. 202).
« Je vous avoue que j’aurais un très ardent désir que Dieu seul soit en moi et en toutes choses. Demandons bien la perte et la ruine totale de nous — mêmes, car Dieu ne vit en nous qu’à mesure que nous mourons à nous. Hâtons-nous donc de mourir pour ne plus retarder un bien si grand. Et si vous me demandez en quoi il faut mourir, je vous dirai : en tout. Vous le verrez plus distinctement dans le petit livre du Mantelet de l’Époux où vous apprendrez les diverses sortes d’habillements dont il faut se dépouiller. L’adorable Providence en fournit mille rencontres à l’âme qui voudra être fidèle. Combien de petites occasions de douceur, de condescendance, d’humilité, de soumission ! Combien de sacrifices dans une journée ! Tout cela avance notre mort. Mais le coup qui nous ôte la vie ne peut être donné que de Dieu même. I1 faut l’attendre avec une prodigieuse patience, souffrance et profonde humilité, nous en estimant très indignes, mais nous confier en sa bonté sans empressement. Ce sera quand il lui plaira.
Nous ne vivons par pour nous-mêmes (Rom. 14, 7), aussi ne devons-nous pas mourir pour nous-mêmes » (1102), (suite de cette lettre d’après le N 256, p. 131. Elle serait à citer entièrement).
Elle écrit de même à Madame de Rochefort [31], avec qui elle parlait « plus à cœur ouvert qu’à toute autre, leur liaison étant très intime » : « Je suis entre la vie et la mort, sans me pouvoir occuper de l’un ni de l’autre. Je suis entrée en retraite par le sentiment de M. Bertot pour me préparer à bien mourir, et je ne suis à rien moins appliquée : toute ma capacité semble se vouloir fondre et consommer en Dieu sans pouvoir faire de retour sur le passé ni mettre ordre au présent. Il faut vivre et mourir de cette sorte, ce qui fait que je ne puis juger si ce sera pour ce coup que la main toute puissante de Dieu tranchera le fil de cette languissante vie » (P 101, p. 706), (L.I., p. 398), (cité par l’abbé Serrant p. 127).
« Il me semble que je me suis vue en ma retraite comme Moise sur la montagne, d’où on lui fit considérer la beauté et l’étendue de la Terre Promise sans y entrer. Hélas ! j’ai bien sujet de croire que mon sort sera à peu près semblable et que je n’aurai eu dans ma solitude que quelque faible connaissance des beautés du ciel, en suite de quoi je pourrai recevoir un commandement de mourir sans entrer dans cet heureux séjour, et en cela Dieu fera justice, ayant trop abusé de ses grâces ; après tout, je suis prête à la mort et je ne puis rien dire ni faire que de demeurer en respect et en amour. Si la main de Jésus Christ me fait mourir en mon désert, il fera un coup de justice et de miséricorde, et ma destruction me sera agréable, pourvu qu’il y trouve son bon plaisir » (cité par Giry, p. 25). (On peut voir comment le parallèle entre Moise et Mère Mectilde a été « interprété » par Hervin p. 415 : Moise sur le mont Nebo est devenu Moise sur le Sinai » !).
Dans une autre lettre à la même, elle parle ainsi :
« Je prie Notre Seigneur qu’il soit votre divin Maître et qu’il grave au fond de votre cœur les leçons de son Pur Amour. C’est lui seul qui le peut faire efficacement, et moi je dois demeurer dans mon néant où parmi les morts je me vois comme ensevelie sans espérance de vie que la pure bonté de Jésus Christ qui est la seule et unique Vie. J’adore ce Verbe divin anéanti sous la figure d’un enfant (nous sommes au temps de Noël) et caché sous la sainte hostie, comme une source de vie de laquelle dépend notre résurrection et hors de laquelle il n’y a que mort et enfer éternel. Il me semble que nous devrions avoir une singulière dévotion à Jésus comme Principe et Source de Vie, et que nous devrions nous tenir incessamment en cet état de mort en sa sainte présence, afin qu’il nous spire un petit mouvement de sa Vie divine. Oh ! que cette vie est adorable et efficace ! Un moment de cette vie en nous vaut mieux que tout ce qu’il y a de grand au ciel et en la terre. Je voudrais que nous en fussions bien persuadées afin que nous eussions plus de fidélité à mourir, car cette précieuse vie ne vient en nous qu’après la mort de notre propre vie. Mourons donc, et mourons avec plaisir, puisque cette mort nous cause un bien infini en son excellence et en sa durée. Ayez cette charité pour moi de prier Notre Seigneur qu’il consomme toute la malheureuse et impure vie de moi-même, afin de faire place à sa Vie divine par laquelle seule il reçoit des hommages purs et saints de nous » (P 101, p. 709), (207), (cité par Berrant p. 129).
Tout ceci serait à confronter avec le chapitre XII du « Véritable Esprit », et particulièrement la fin de ce chapitre qui nous livre, à n’en pas douter, l’expérience décisive de cette retraite.
Voici donc Mère Mectilde « passée en Jésus Christ comme en la source de sa vie » et ce « germe ou fond de vie » qui demeure en elle « n’est autre que Jésus-Christ lui-même. Ce n’est point une grâce ou participation de quelque faveur, il faut dire que c’est Jésus Christ lui-même qui est dans ce fond misérable, comme vie et centre de vie, mais vie essentiellement vie. Je dis “Vie” et ne puis dire autrement parce que je n’ai pas de terme pour mieux exprimer ce que je comprends » (2424). Elle est « heureusement ressuscitée », par la pure bonté et miséricorde de Jésus Christ. « Cette vie divine est sans prix, et elle n’est achetée que par la mort ». À ce point, on peut dire que c’est une grâce exceptionnelle, mais ce n’est rien d’autre que la mort/vie pascale où nous a plongés notre baptême et qui s’approfondit à chaque communion, afin d’être vécue dans l’humble quotidien. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20).
Mère Mectilde écrivait à sa chère comtesse, quelque peu épouvantée devant ce chemin si radical de mort universelle : « Ma chère fille ne vous rebutez point sur cet état de mort totale de soi-même. Ce n’est point l’œuvre de la créature, mais l’œuvre de la main toute puissante de Dieu qui y fait entrer l’âme à mesure qu’elle se dépouille et qu’elle se désapproprie de tout ce qui occupe et qui remplit son fond. C’est l’état pur et saint que vous avez voué au baptême. C’est celui qui nous fait cesser d’être ce que nous sommes pour faire être et vivre Jésus-Christ en nous » (A.S. = Une amitié spirituelle au grand siècle, p. 228), (2258).
Cette résurrection coïncide, ô paradoxe ! avec ce qu’elle nomme « état d’anéantissement ». Voici ce qu’elle en dit dans une relation de retraite : « Aujourd’hui en mon oraison et tout particulièrement après la sainte communion, j’ai eu lumière sur l’état d’anéantissement que je compris mieux que je ne peux l’exprimer. Il me semble que c’est une grâce, laquelle dénuant l’âme d’elle-même, la revêt de Jésus Christ d’une manière spéciale et que le même Jésus Christ demeure en elle, il y est présent par union intime et devient ensuite le principe de ses actions et de sa vie. J’eus l’intelligence de ces paroles de saint Paul “Je vis, mais non pas moi, c’est Jésus Christ qui uit en moi”, lesquelles décrivent naïvement l’état d’anéantissement, car si Jésus Christ vit en nous, il faut qu’il y soit présent d’une présence d’union que sa grâce opère quand il lui plaît. Il faut que l’âme en soit prévenue passivement, et alors elle doit cesser d’agir par elle-même, laissant faire l’Esprit de Jésus Christ qui vit en elle » (B.N. 19693, p. 278), (418).
Ceci nous rappelle bien des pages de M. Olier (pour ne citer que lui) qui a si vivement vécu cette transformation après de terribles épreuves. 30
Même du temps de Mère Mectilde cette doctrine du « Rien » avait du mal à passer, et notre rédactrice du N 249 en fait cette glose :
« Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas. C’est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes par des impressions de grâce et par des infusions de lumières : par conséquent l’esprit humain n’y saurait voir goutte pour les comprendre par lui-même. Ce Rien dont notre Mère parle avec tant d’admiration, se trouve de cette nature. C’est sans doute un dépouillement de l’âme effectué par la grâce qui la met en nudité et en vide pour être revêtue de Jésus Christ et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter. Mais nous pouvons dire encore que la nature par elle-même ne peut arriver à cet état. Il n’appartient qu’à Celui qui a su du rien faire quelque chose, la réduire de quelque chose comme à rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre où il la peut mettre » (copie du manuscrit de Tourcoing, p. 33).
Il ne s’agit donc pas d’une « néantisation » ni d’une « mutilation » de notre nature, mais d’une transformation qui à la fois dépasse et accomplit notre être en le faisant passer dans le domaine divin, but de sa création et de sa rédemption dans le Christ.
À partir de cette « résurrection » le ton de la correspondance change, il ne sera plus guère question que des affaires de l’Institut ou de la destinataire. Ses conseils spirituels sont adaptés à chaque personne et jaillis de sa propre expérience. Son dynamisme et son intrépidité, guidés par l’Esprit Saint, l’emportent et emportent ses correspondantes à travers la mort en toutes choses vers le saint abandon et la pureté de l’amour divin. Son amour du très Saint Sacrement éclate et le terme de victime résume de plus en plus l’essentiel de sa vocation : don total à Jésus dans l’Eucharistie pour participer à tous ses « états », lui être « associée » en sa qualité de victime « pour la gloire de Dieu et le salut des hommes ». Entrer dans son sacrifice avec ses dispositions, car c’est ainsi seulement que l’on peut réparer sa gloire offensée dans l’Eucharistie. Il est le seul et unique « réparateur » (cf. Bérulle et l’École française. Cochois, p. 90). L’adoration perpétuelle, signe et moyen de cette union continuelle à Jésus Eucharistie, n’a de valeur que si toute notre vie tend à être une union à sa vie « eucharistique » d’adorateur du Père et d’intercesseur pour les hommes. Et sa propre vie nous envahira vraiment si nous sommes fidèles à mourir sans cesse à tout ce qui fait obstacle à cette vie é nous. Toute notre tendance doit être de « devenir des Jésus Christ ». « La communion est la consommation de l’Institut », mais il la faut faire saintement.
Bien sûr, Mère Mectilde n’est pas au bout de son chemin, et si la comtesse de Rochefort fait allusion à sa « résurrection », elle se récrie dans une lettre datée de Pâques 1662 : « Il me tarde de vous entretenir pendant qu’il me semble avoir la liberté de parler ; vous savez que je ne la possède pas toujours et que souvent je suis dans un silence de mort. Ce n’est pas que je sois ressuscitée, hélas, nenny ! mais j’ai vu un petit brin du bonheur de l’âme qui ne vit que de Jésus, en Jésus. Je ne sais s’il me sera possible de vous l’exprimer ». (P 101, p. 709), (cité par l’abbé Berrant, p. 128).
Nous verrons dans le « Véritable Esprit » qu’elle a eu la grâce d’en dire quelque chose, bien que, chaque fois, elle proteste de n’en pouvoir rien dire, et cela se comprend : certaines expériences sont au-delà de toute explication. Cependant elle avait un don pour parler des choses de Dieu, et de ces années 1661-1662 datent nombre de conférences remarquables dont certaines sont reprises dans le « Véritable Esprit ». Il faudrait un volume pour en explorer les richesses, sans parler de sa correspondance où on ne peut que glaner.
Mais reprenons son itinéraire. Ici commencent les douze ans qui vont la conduire au mariage spirituel.
Le moine « conscient à toute heure
du fardeau de ses péchés,
se voit déjà traduit
au redoutable jugement de Dieu...
Il parviendra bientôt à cette charité divine qui dans sa perfection
chasse dehors la crainte...
alors il agira par amour du Christ...
sous l’action de l’Esprit Saint »
(R.B., 7, 64. 67. 69).
Mère Mectilde « terrassée » sous le poids de la divine justice, parviens à l’union parfaite avec le Christ, dans l’Esprit.
Les biographes de Mère Mectilde signalent bien des grâces reçues au cours de ses mystérieuses maladies. Ainsi l’abbé Berrant nous rapporte que « Le 9 janvier 1663... la Mère Mectilde se trouva mue intérieurement de prier Dieu qu’il la terrassât comme il avait fait le grand Apôtre, afin qu’elle n’eût plus le malheur de s’opposer à son domaine sur elle, s’étant donnée en même temps à la divine justice pour en porter les effets en la manière qui donnerait le plus de gloire à Dieu : une secrète confiance qu’elle sentait alors lui faisait attendre avec quelque sorte d’impatience le jour de la conversion de saint Paul, dans l’espérance que Notre Seigneur lui ferait quelque grâce par les mérites de ce grand saint. Ce jour étant arrivé, elle redoubla ses instances : étant à l’oraison elle sentit une grande inquiétude par tout le corps, avec une défaillance si excessive qu’il lui était presque impossible de se tenir l’espace d’un “Miserere” en une même posture. Elle ne laissa pas d’aller communier et ensuite l’action de grâce, de faire la lecture dans la chambre commune ; mais son mal augmentant d’un moment à l’autre l’obligea de quitter le livre pour se mettre contre terre, lui étant impossible de se soutenir, ce qui ayant effrayé ses filles, elle s’efforça de les rassurer ; mais elles la prièrent de trouver bon que le chirurgien qui était alors dans la maison, la vit pour en juger, lequel lui ayant touché le pouls, il la trouva très mal et dit qu’il la fallait saigner au plus tôt. S’étant mis en devoir de le faire, dans le moment qu’il piqua la veine, elle vit une ombre qui lui fut représentée comme si c’eût été l’ombre d’une main divine qui passait sur elle, et se sentit percer le cœur de même que si on lui avait passé une épée au travers du corps. Ce coup fut si puissant que la violence de la douleur jointe au poids terrible dont elle se sentit opprimée lui ôta le sentiment et la connaissance. On ne peut être plus mal qu’elle ne fut sans mourir.
Pendant le temps qu’elle demeura sans parole et sans connaissance, elle se trouva comme écrasée sous le poids de la divine justice en sorte que depuis ce moment l’impression de son néant et du domaine que Dieu a sur sa créature a produit des effets d’abaissement intérieur et extérieur où elle a été le reste de sa vie. Étant revenue à elle, on la mit au lit où elle demeura tout le temps de sa maladie dans un accablement et anéantissement universel : à peine pouvait-elle prononcer une seule parole. Le ressentiment du coup lui demeura longtemps, souffrant les mêmes douleurs que si elle avait eu une véritable plaie.
Elle souffrit de corps et d’esprit des maux qu’on ne peut exprimer, et sa seule consolation en cet état était de se faire lire le Livre de Job. Elle disait quelquefois agréablement à la Mère Anne du Saint Sa-crement32 : “Ma Mère, l’orgueil est abattu !” (...) Tout ce qui s’est passé dans cette maladie lui avait fait tant d’impression que dix-huit mois avant sa mort elle en dit quelque chose à une de ses plus proches parentes, ce qui fit juger que l’impression lui en était resté toute sa vie » (Berrant, p. 131).
Le 16 juin 1663, elle écrit à la comtesse de Châteauvieux : « Mourons tous les jours pour nous apprendre à bien mourir » (1 Cor. 15, 31) ; le meilleur moyen c’est d’être fidèle à conserver en son intérieur la présence de Jésus Christ et de suivre les sacrés mouvements qu’Il nous donne... Pour ma santé, elle est entière » (97).
Le 28 juin 1664, elle écrit à Mère Benoîte : « Jésus soit l’unique vie de nos cœurs ! C’est l’unique souhait que nous devons faire... C’est la joie des cœurs qui n’aiment que sa pure gloire de le voir agir en souverain. Mon Dieu, ma très chère Mère, que ne règne — t-il partout dès à présent, sans résistance de la part de ses créatures ! Ce serait le paradis sur terre. Mais Jésus continue sa vie cachée et captive dans la plupart des âmes, dans lesquelles il n’a pas la liberté d’opérer selon son amour, et cela est affligeant. Priez-le, ma très chère Mère, que je ne sois pas de ce nombre, qu’il vive et règne en nous par l’adorable Eucharistie. Oh ! que ce mystère est grand et peu connu des hommes ! Je m’étonne que tout le monde ne s’occupe à le considérer et à en expérimenter les effets. Quelle union ineffable ! Pour moi, je ne demande point d’autre grâce que de porter en moi les effets de ce divin mystère : tout s’y renferme et Dieu même ne peut rien faire de plus à notre faveur » (L.I., p. 207), (193).
Dans cette année 1664, le P 101 (p. 746), nous fait assister à une scène qui ne manque pas de saveur et que les hagiographes ont parfois défigurée : « Dans le temps dont nous parlons, (vers Pâques 1664), il fut donné un avis important à la Mère Mectilde pour le communiquer à la Reine Mère, de laquelle il devait sans doute être fort bien reçu ; mais comme elle n’entreprenait jamais rien qu’elle n’eût consulté le Seigneur, elle fit d’instantes prières pour connaître sa divine volonté. Dans ces dispositions, il arriva qu’un soir, pendant l’examen après Complies, elle fut ravie en extase et vit Notre Seigneur Jésus Christ au très Saint Sacrement de l’Autel, comme dans un trône avec deux cercles, l’un plus éloigné dans lequel il semblait renfermer tout le monastère pour le séparer du monde par cette espèce de clôture, le second qui était auprès de Notre Seigneur contenait seulement les religieuses qu’elle voyait toutes ramassées dans ce cercle autour du Fils de Dieu, comme des brebis à l’entour de leur pasteur qui les aime et les caresse ; et elle entendit le très aimable Seigneur qui disait : » Je suis le Roi des Filles du Saint Sacrement et ma mère en est la Reine ». Elle comprit aussitôt que Dieu ne voulait pas qu’elle donnât cet avis, qu’elle prit appui dans les grands de la terre, mais qu’elle se reposât absolument sur le soin de son amoureuse Providence pour tout ce qui regardait cette Maison. Elle s’y rendit si fidèle que la Reine étant venue peu de jours après au monastère, elle ne lui en dit pas un mot. Elle n’avait pas de peine à suivre le conseil du Prophète en se déchargeant sur le Seigneur du poids de toutes ses affaires *31, et d’attendre de sa main libérale ce qui était nécessaire pour la subsistance de son troupeau.
Mais, pour achever ce que nous avons commencé, cette vision durant trop longtemps, une religieuse, se doutant que cette favorite du ciel était au festin de son Maître, la tira par sa robe et la fit revenir pour donner l’eau bénite, selon la coutume ; qui avait été retardée de plus d’une demi-heure à ce sujet ».
Si nous comprenons bien la « pointe » de la parabole, c’est le Seigneur qui a donné une petite leçon à Mère Mectilde, tentée de trouver appui du côté de la Reine. « Que vas -tu chercher Anne d’Autriche ? C’est moi le Roi, et c’est ma Mère la Reine... » pourrait-on traduire. Et ce n’est pas la première fois de sa vie, ni la dernière, que le Seigneur lui donne des leçons d’abandon et de confiance.
La nuit, faisant l’adoration, elle fut terrifiée par un vacarme extraordinaire, et Jésus : « Pourquoi crains — tu ? Je suis avec toi. De quoi te mets-tu en peine, petit avorton ? Est-ce ici ton œuvre ? N’est-ce pas la maison de Jésus et de Marie ? » (P 101, p. 639).
Au moment de la fondation de Rouen, tandis qu’elle disait : « Seigneur, je n’ai pas d’argent, donc je n’irai pas à Rouen », I1 lui répond encore : « Petit avorton, t’ai-je jamais manqué ? »
Les hagiographes ont cru bon de gommer la « leçon » de Jésus, et supprimer le « petit avorton » et le « tu ». Merci à Monique des Anges et à Mademoiselle de Vienuille de nous les avoir conservés (F.R. p. 32, P 101, p. 875).
Mais reprenons notre histoire. 1664 est l’année de la fondation de Toul. Dès le 8 décembre 1663, la sainte Vierge lui avait donné l’inspiration de cette fondation qui fut très laborieuse. Mais nous n’en retenons que l’aspect « intérieur », selon notre propos.
En août 1664, Mère Mectilde écris à Mère Bernardine (qui se trouve à Toul) : « Il faut bénir Dieu de tous les événements contraires, comme de tout ce qui réussit à nos souhaits. Je vous assure, ma très chère Mère, qu’il faut toujours être prête à voir tout périr et renverser, et l’on ne peut avoir de vrai repos que dans le renversement et dans les contradictions. Abandonnons tout à la divine Providence : Dieu sait bien ce qu’il veut faire : s’il ne veut rien, j’en suis contente. Sa divine volonté soit triomphante en tout et partout... Ayons patience, ma très chère Mère, et nous tenons fermes à l’ordre de Dieu pour le vouloir en sa manière et non selon notre esprit » (L.I., p. 212), (509).
Et le 12 août de la même année : « Pour répondre à votre chère lettre, ma très chère Mère, par laquelle vous me témoignez le déplaisir que vous avez du renversement du prétendu établissement de Toul, je vous conjure de ne vous fâcher de cela ni d’autre chose qui me doive affliger. Je ne sais si c’est la grâce ou la stupidité qui opèrent, mais rien ne m’a surprise ni affligée... Croyez-moi, je ne fais jamais une affaire que je ne sois toute prête, avec la grâce de Notre Seigneur, d’en voir le renversement. C’est ainsi que l’on me fait marcher, et c’est ce qui me tient en repos quand les coups arrivent.
Je prie Notre Seigneur qu’Il vous donne autant de tranquillité qu’Il m’en donne sur ces deux sujets qui, selon la raison humaine, seraient insupportables, mais qui, dans l’ordre de Dieu, sont pleins de mystères qu’Il nous fera connaître un jour. Que si nous regardons l’affront qui nous en revient, hélas, ma très chère Mère, nous n’avons encore rien souffert en comparaison de Jésus Christ... Mais tout est dans la main du Seigneur. “S’Il est pour nous, qui sera contre nous ?” (Rom. 8, 31). Il ne faut point se rebuter. Si nous avons le cœur droit, ne nous affligeons de rien, laissons faire Dieu » (L.I., p. 213), (2501).
En octobre 1664, elle écrit une longue lettre à la Mère Anne du Saint Sacrement qu’il faudrait citer en entier : « Je ne crains point : « Si Deus pro nobis, quis contra nos ? » (Rom. 8, 31)... Je ne sais d’où vient que notre bonne comtesse (de Châteauvieux) est si mal satisfaite de cet établissement, sinon que Dieu lui fait faire pénitence de l’avoir voulu faire pour détruire celui de Rouen. Il faut bénir Dieu de tout !... Je commence à voir que dans la souffrance et dans la douleur on enfante les monastères de l’Institut, et non autrement. Mais la joie d’y voir adorer le très Saint Sacrement nous paiera bien de nos peines... Prenons donc courage et bénissons Dieu en tout et partout ; n’ayons rien au cœur que son amour et en la bouche mille louanges : « Quoniam bonus... » (Ps. 105).
« Je m’attends à passer ma vie dans la contradiction, soit que je fasse des établissements ou non. C’est ma portion pour le reste de mes jours. Le pain d’abjection ne me manquera pas, d’autant qu’il me faudrait une suffisance angélique pour remplir dignement la place que j’occupe et je suis la plus misérable de toutes les créatures. Tout ce que je vois et expérimente me confirme de plus en plus qu’il faut tout attendre de Dieu seul... Au milieu de tous ces tracas et persécutions, Notre Seigneur m’a toujours tenue en sa sainte main, sans permettre que ma paix soit altérée un moment... » (P 101, p. 760), (L.I., p. 214), (2355).
Le 8 décembre 1664, elle fait la première amende honorable à Toul. Elle en écrit à Mère Anne du Saint Sacrement : « Que ne puis-je mourir de douleur et de regret des affronts que je fais à mon Dieu ! O Jésus comment me souffrez-vous ? Chère enfant, je vous appelle au secours, gémissez et réparez pour moi. Je sors de notre cérémonie où j’ai fait la première amende honorable avec une humiliation si profonde et si grande que je ne la puis exprimer. O mon Dieu, que j’en ai de sujet ! Je n’en dis pas davantage, mais je loue Dieu et le bénis de ce qu’il fait son œuvre sans nous et qu’il n’a besoin de personne “quoniam bonus”. Demandez miséricorde pour moi afin que mes péchés n’attirent point l’ire de Dieu sur la terre. Voyez, chère enfant, l’état où je suis. Mon Dieu, mon Dieu, sauvez les pécheurs et faites régner votre divin Fils ! » (L.I., p. 217), (P 101, p. 765), (1047).
Elle reprend les mêmes pensées dans une longue lettre à Mère Benoîte de la Passion le 12 décembre : « L’humiliation me vient toujours en partage, aussi bien après que l’œuvre est faite comme auparavant. J’en remercie Notre Seigneur et usus supplie d’en faire autant pour moi. La honte, l’opprobre et la contradiction sont mon partage et je me sens si confondue devant Notre Seigneur que je ne sais où me mettre. Son très saint nom soit éternellement béni ! Je suis indigne de le faire honorer... Je n’ambitionne qu’une chose, c’est de mourir de douleur pour les outrages que mes péchés ont fait à Jésus mon Sauveur et ceux de mes frères les pécheurs... » (Rom. 9, 3). (L.I., p. 218), (2547).
Mais voilà une éclaircie : elle écrit le 15 décembre à Mère Anne du Saint Sacrement : « Depuis quelques jours Notre Seigneur m’a fait la miséricorde de me tenir plus près de lui et de me rendre certaines petites vues de Lui et de sa conduite qui me soutenaient du passé et qu’Il m’avait suspendue dans nos grandes contradictions... Je ne puis assez l’adorer, bénir et remercier : aidez-nous, je vous en conjure » (L.I., p. 221), (P 101, p. 768), (2327).
Mère Mectilde racontera plus tard, en 1697, qu’un jour « faisant la réparation, il y a plus de vingt ans (était-ce ce jour-là ?), j’avais quelques petits mouvements extraordinaires qui faisaient que j’étais fort touchée, autant et plus de mes propres péchés dont j’a-vais la vue présente, que de ceux des autres, me trouvant donc fort peinée intérieurement en (la) vue de mes péchés qui m’étaient d’un grand poids, et comme je craignais de communier dans cet état, ne sachant plus que faire de moi, tant j’étais désolée, me voyant si misérable et si chargée de péchés, il me fut dit intérieurement : “Puisque tu as percé ton Dieu, que tu l’as outragé, que tu lui as fait des plaies par tes péchés, fourre-toi dans ces même plaies que tes péchés ont faites, tu y trouveras ta guérison, ton salut et enfin tu trouveras la vie dans ce qui t’avait donné la mort”. Celles de dessous les pieds de Notre Seigneur est mon attrait. On y peut toujours demeurer parce qu’on y est caché, séparé, et que Notre Seigneur nous y souffre et prend plaisir à nous y voir ».
(Une sœur lui demande : « et celle du côté ? »). « On peut y aller aussi quelquefois, mais pour y demeurer toujours il faudrait des âmes bien épurées et bien séparées d’elles-mêmes et de tout le créé, car c’est une fournaise qui veut tout consommer. Il faut aimer du pur amour ou l’on n’y peut demeurer » (2303) et (1947).
À propos de la plaie du côté, nous pouvons relever cet aveu, encore dans un « Entretien familier » (2374) :
« Pour arriver à cet état bienheureux (où dans son néant on trouve Dieu) il faut se dépouiller de tout — quand je dis : tout, je ne réserve rien. Oui, il faut se dépouiller aux pieds de Notre Seigneur, à ses pieds, non dans son Cœur, on ne peut entrer dans le Cœur divin, que l’âme ne soit toute dépouillée. C’est donc aux pieds de ce divin Sauveur que l’on met bas ce que l’on possède, puis l’on se coule doucement dans son Cœur où l’âme se trouve unie sans apercevoir comme cela se fait ».
Souvenons-nous que, lorsqu’elle était encore annonciade, Marie l’a invitée à entrer dans la plaie du côté de son Fils (p. 17) et nous verrons comment elle est « passée » dans ce Cœur adorable en 1697 (p. 184).
Mais revenons à cette journée de « réparation » où Jésus l’a invitée à entrer dans ses plaies, car nous avons la prière qu’elle composa à la suite de cette grâce. Donnons-en du moins quelques extraits : (...) « O excès, ô bonté, ô amour infini, ô charité trop grande ! ô mon Sauveur, vous souffrez que mes péchés vous f as — sent d’innombrables blessures sans vous plaindre ! et après avoir navré ainsi votre humanité sainte, vous me dites d’entrer dans ses douloureuses et délicieusement amoureuses ouvertures pour y trouver un asile et mon lieu de défense contre la juste colère de votre Père ; et comme si vous étiez insensible à vos propres douleurs, vous me dites si amoureusement que je demeure dans vos sacrées plaies, que je me cache dans ces cavernes divines 32 que je m’y tienne comme perdue... O excès, ô amour ! voilà le langage que vous tenez à l’âme criminelle qui devrait la noyer dans les larmes d’une sincère contrition et d’un amour dévorant le cœur et la vie ! O. Jésus, vous êtes le Sauveur des pécheurs, vous êtes celui à qui je dois tout ! Faites-moi la miséricorde de ne sortir jamais de ces adorables blessures que mes péchés et votre amour vous ont faites. Que mon âme y soit si profondément plongée qu’elle n’en puisse jamais revenir, que là votre précieux sang la purifie, et que votre amour la consomme en vous pour ne plus paraître hors de vous. Amen » (Mg 7, p. 636).
Mère Mectilde s’en retourne à Paris en 1665. Elle sait que mille tribulations l’attendent, mais cela ne trouble ni son intrépidité, ni son action de grâce. Elle en écrit à Mère Benoîte : « Je ne vous puis dire, ma très chère et intime Mère, combien je suis obligée à l’infinie bonté de Dieu. Si j’avais pu vous entretenir, je vous en aurais dit quelque chose, mais Il ne l’a pas voulu : son saint nom soit béni ! ... Je voudrais bien vous dire quelques petites choses de cette fondation, mais je n’ai pas assez de loisir. C’est assez de vous dire que c’est la sacrée Vierge qui l’a faite pour son Fils, et qu’elle est consacrée à l’honneur de son âme sainte et de toutes les opérations du Verbe en elle et de ses retours adorables vers lui. Priez cette âme sainte, ma très chère Mère, qu’elle soit l’âme de notre âme et qu’elle nous tire dans ses sacrés anéantissements : c’est l’état qu’elle a toujours porté sous les opérations du Verbe éternel » (L.I., p. 223), (1121).
Ici Mère Mectilde situe la source et le modèle de l’anéantissement, à la manière de Bérulle 33 dans celui de l’âme sainte de Jésus à l’égard du Verbe. Pensée que l’on retrouve dans un écrit du « Bréviaire » (418), une lettre à un serviteur de Dieu (2133) et plusieurs autres écrits.
« Il ne vivait que du Verbe de Dieu pour nous ap-prendre à ne vivre que de Lui ». Voici donc un « anéantissement » bien positif. « Anéantissement par plénitude », disait Bérulle.
Nous donnons ici quelques textes sur ce sujet fort important :
« Le Fils de Dieu qui nous doit servir d’exemple et à qui nous nous devons conformer en tout, qui seul, comme homme a dignement servi Dieu, qu’a-t-il fait ? “exinanivit semetipsum”. Il s’est anéanti d’un anéantissement qui ne se peut concevoir. Pour laisser régner en lui la divinité, il a été l’homme le plus anéanti de tous les hommes et jamais personne ne le peut être si fort, ayant perdu le “suppôt” humain. Je ne puis dire ce que je voudrais, et je viens à la pratique de ce parfait néant que je vois en ce divin Jésus, qui rend à son Père toute la gloire qu’il mérite par cet anéantissement où il demeure en sa présence dans une soumission parfaite et respect à tous ses ordres dans un état d’hommage et d’adoration, dans cet esprit de mort et de victime en la présence de Dieu, qui honore sa grandeur parfaitement, et sa sainteté et souveraineté » (Mg 6, p. 42).
« Il faut que vous soyez comme une capacité de Dieu : c’est-à-dire que nous soyons tellement conformes aux volontés de Dieu en nous et sur nous, que nous n’ayons plus d’autre volonté et d’autre désir que ceux de Jésus, par une soumission si entière à ses conduites sur nous, quelles qu’elles soient : soustractions, crucifiement, contradictions, toujours soumises, comme à proportion que l’Humanité de Notre Seigneur a été adhérente à la divinité : que notre âme soit une capacité de Dieu par la soumission entière et déiforme 33 à tout ce qui sera de son bon plaisir » (Mg 4, p. 182).
« Il me semble que Notre Seigneur veuille dans notre petite retraite nous communiquer quelque part de l’anéantissement parfait où la grâce peut élever une âme fidèle dès ce monde icy ; parce que dès la première oraison il nous fut représenté la manière que la divine Sagesse a gardé au mystère de l’Incarnation en détruisant et en anéantissant la subsistance humaine et terminant par la Personne du Fils cette nature humaine dénuée, et ainsi accomplissant cette merveille si profondément cachée en Dieu jusqu’alors, et faisant qu’un homme fut Dieu, menant une vie divinement humaine, d’où arrive que le moindre regard, soupir, parole, la plus petite action et la plus légère souffrance de Jésus-Christ est divine et d’un mérite infini.
« Quand l’âme découvre cet admirable secret, elle entre dans des admirations qui ne se peuvent exprimer, de cette nouveauté si étrange qu’un Dieu soit homme, qu’il soit le frère des hommes, quoique chétifs et misérables, qu’il vive et qu’il meure : l’âme est contente puisqu’elle a de quoi glorifier infiniment Dieu en la personne de Jésus Christ, c’est pourquoi elle désire vivre continuellement en Lui, par une union très étroite, et être toute perdue et abîmée en Lui, car le plus grand de ses désirs et la grâce après laquelle elle soupire, c’est celle-là ; mais grâce qui ne peut être accordée que dans l’anéantissement et par le dénuement parfait d’elle-même, par participation à celui de la nature humaine en l’Incarnation.
« Pour devenir Jésus Christ par grâce, il faut que la grâce nous fasse entrer dans la privation de nous — même correspondante à celle qui se passa à l’Incarnation à l’égard de la nature humaine par l’union hypostatique qui deuint le principe de sa vie et de ses actions et qui lui fit mener une vie divine et ineffable : car Jésus Christ ne vivra jamais en nous dans la perfection de sa grâce, qu’elle ne nous anéantisse aussi d’une manière inconcevable et qu’elle ne devienne heureusement pour nous le seul principe de notre vie et de nos actions. Il n’appartient qu’à la nature humaine de Jésus Christ d’avoir le Verbe divin pour suppôt, mais il est donné au parfait chrétien qui entre dans le dénuement parfait de soi-même, que Dieu soit la source de sa vie.
« C’est cet état que je conçois et que je ne puis exprimer. Il est pourtant totalement nécessaire, et l’âme y doit avoir sa principale attention, c’est-à-dire d’être anéantie à elle-même et vivante en Jésus Christ et par Jésus Christ seulement. En cette disposition, l’Esprit divin la possède, lui donne les mouvements et les conduites pour tout ce qu’elle a à faire et à souffrir conformément à ses desseins, de sorte qu’elle n’est pas, c’est Dieu qui vit en elle, mais d’une vie intime et profonde et si cachée qu’elle ne se découvre que par lumières particulières.
« Le dénuement de la nature humaine dans l’in carnation n’est opéré que par l’union immédiate de Dieu ; et c’est la foi qui lui procure ce bonheur incomparable. Dieu qui est essentiellement lumière et amour ne vient à l’âme que par une lumière amoureuse qui est la foi... C’est un divin rayon obscur, mais néanmoins d’une splendeur admirable qui met l’âme en possession d’une connaissance divine de toutes choses et son écoulement est la source de la pure oraison...
« Notre Seigneur après la communion imprimait en mon âme quelque connaissance et quelques effets de l’état susdit et que c’était le premier effet de ce sacrement admirable dans les âmes... là, l’âme anéantie puise dans sa source...
« Le fond de l’âme étant anéanti par l’union amoureuse à Jésus Christ, cet état porte l’âme à toutes sortes d’anéantissements intérieurs et extérieurs, c’est-à-dire dans la privation des lumières humaines, des conduites de notre esprit... dans la mortification, dans la pauvreté, le mépris et la croix. Enfin ce fond anéanti par grâce, comme nous avons dit, engendre et produit Jésus Christ en nous, nous faisant mener une vie conforme à la sienne. C’est le principal effet de la grâce chrétienne que cet anéantissement et c’est l’unique voie pour tendre à la perfection de l’amour.
« Cette grâce donc, autant que je la peux comprendre, est une communication spéciale et abondante de Jésus Christ en l’âme, c’est une assistance particulière de son divin Esprit qui la possède et y fait sa demeure. L’union qui s’en suit est étroite, anéantissant l’âme en elle-même et la faisant vivre toute en Dieu, par rapport de la vie de l’âme de Jésus Christ dans le Verbe et du Verbe dans l’Humanité sainte, et c’est en ceci que consiste la parfaite imitation de Jésus Christ. La plupart des âmes s’appliquent à l’imiter en faisant des actions semblables aux siennes, souffrant et opérant comme lui : mais tout cela est extérieur, si l’on n’entre dans la manière dont il opérait et vivait en la terre, savoir par la conduite et union du Verbe 34....
“Ces paroles : ‘A meipso nihil facio ; opera Patris facio semper’ me furent fortement imprimées dans mon oraison, et reçu, il me semble, éclaircissement sur celle qui me donnait à connaître le progrès admirable de l’Humanité sainte au regard de la divinité ; et que l’âme, par rapport, doit entrer dans une manière d’opérer semblable. C’est là aussi où elle puisera la grâce pour mener une vie toute unie et anéantie en soi-même. Car comme chaque mystère de Jésus Christ a sa grâce et influence particulière, cet assujettissement de l’Humanité sainte au Verbe opère beaucoup de grâce en l’âme qui contemple et s’y unit en foi” (B.N. Ms. Fr. 19.693, pp. 218-291), (418).
Le mardi de Pâques 1665, Mère Mectilde écrit à Mère Bernardine une lettre où affleure son expérience profonde : 15 avril 1665 :
“Je ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles de Jésus ‘Pax vobis’, la paix de Jésus soit en vous, règne en vous et demeure éternellement avec vous !
C’est cette paix que Jésus donne à ses disciples et qui est la marque ou un effet de sa glorieuse résurrection. Quand Jésus donne sa paix à une âme, il lui donne son Esprit, il lui donne son amour : c’est une grâce merveilleuse d’avoir cette paix qui calme le trouble de nos intérieurs, qui chasse les craintes, qui tient l’âme dans un simple et amoureux abandon à l’opération divine. Oh ! que cette paix est précieuse, ma toute chère ! Je vous la désire du plus intime de mon cœur et prie Notre Seigneur de la mettre pour toujours au milieu de votre cœur. Que cette paix soit dominante sur tout vous-même, en sorte que votre âme soit environnée et soutenue de cette paix divine, que rien de la terre ni de l’enfer même ne vous la puisse ôter. Et qu’en tout et partout, vous portiez la paix de Jésus, c’est ce que je vous souhaite, ma toute chère Mère. C’est la bonne portion que Notre Seigneur nous donne dans le mystère de sa vie ressuscitée. I1 faut la recevoir avec respect et le supplier qu’il la rende immuable par sa vertu divine.
Et qu’est-ce que cette paix, sinon la présence de Jésus et sa demeure dans nos cœurs ? C’est pourquoi le Saint Esprit réside au milieu de la paix, le prophète nous l’assure : ‘In pace locus eius’. Et si nous l’avons, le Saint Esprit nous enverra le divin amour. O la grande et adorable possession ! Priez Notre Seigneur, ma toute chère, qu’il nous donne sa paix : mais que dis-je, nous la donne, mais qu’il nous fasse la grâce de recevoir la sainte paix avec toutes ses suites et ses sacrés effets, afin que nous soyons en vérité les enfants de Dieu qui sont mus et animés de son même Esprit” (L.I. p. 232).
Grâce pascale et trinitaire qui aide puissamment à porter les épreuves de la vie.
Il y a des âmes, ma toute chère Mère, que Dieu conduit par des sentiers de perte et d’actuelle abnégation d’elles-mêmes. Il semble que tout conspire à la ruine des moindres choses qui les pourrait un peu consoler. Leurs voies ne sont que mort et que langueurs, que des abjections qui semblent presque infinies, et ce n’est pas un petit sacrifice de vivre de cette sorte, notamment quand la Religion nous charge de ses emplois les plus forts.
Pour moi, je puis dire que Dieu a trouvé un moyen de me rendre abjecte effroyablement en faisant notre Institut. Je n’en puis revenir. Vous diriez que tout aboutit à m’y plonger toujours plus avant. Il faut bénir Notre Seigneur et le laisser faire comme il lui plaira, quoique l’esprit humain et la superbe crèvent de voir sa conduite si renversante de nos desseins. Cependant il faut marcher, agir et faire bonne mine comme si tout succédait selon nos désirs. Il ne faut pas seulement qu’on voie la moindre amertume dans nos paroles ni dans nos actions ; nul n’est capable de nos peines, comme aussi personne ne nous peut consoler quand Dieu se mêle de nous crucifier » (391).
Nous pouvons citer ici un témoignage du Frère Luc de Bray adressé à la comtesse de Châteauvieux le 30 juillet 1671, qui nous donne un portrait spirituel de Mère Mectilde à cette époque par quelqu’un qui l’a bien connue :
« Madame, Jésus soit la vie de notre vie et l’esprit de notre esprit pour le temps et l’éternité !
« Plusieurs raisons m’obligent à garder le silence au sujet de la connaissance que j’ai de la vie et vertu de la Révérende Mère Mectilde du Saint Sacrement ; mais le respect que j’ai pour votre piété et pour votre personne, à qui je dois tout, m’oblige à le rompre. Je vous dirai, Madame, qu’il y a environ vingt ans que j’ai le bonheur de connaître ladite Révérende Mère, et depuis ce temps-là j’ai eu une étroite liaison et communication avec elle, tant de vive voix que par écrit, là où j’y ai toujours remarqué l’Esprit de Dieu en toutes choses et la pratique des vertus au suprême degré : 1° une humilité profonde, 2° une pureté et chasteté angélique, 3° une très véritable pauvreté, 4° une pénitence au-dessus des forces humaines, 5° une charité sans bornes, 6° une oraison sans intermission, c’est — à — dire une union très intime et continuelle avec Dieu, 7° un dénuement total, 8° un amour de Dieu et du prochain autant qu’une âme le peut avoir pendant sa détention corporelle, 9° l’amour de la croix et du mépris ne s’est jamais départi de chez elle : la plupart de ses amis l’ont abandonnée et méprisée, et dans cet état elle s’est conformée à Jésus Christ abandonné et méprisé. Je ne vous dis rien, Madame, de son zèle pour faire régner son divin Époux dans les âmes, votre piété en a l’expérience. Je ne vous dis rien de la grande conformité qu’elle a eue en toutes choses à la très sainte et adorable volonté de Dieu, vous en êtes vous-même témoin depuis plusieurs années que la divine Providence vous a étroitement unies pour travailler de concert à l’établissement de plusieurs monastères de l’Institut de l’adoration perpétuelle du Très Saint et très adorable Sacrement de l’autel.
Voilà, Madame, ce que je puis dire pour le présent de cette sainte âme que je considère comme ne vivant plus, mais que Jésus Christ vit en elle. Je la révère comme l’âme la plus unie et transformée en Dieu qu’il y ait au siècle. Je la considère comme une seconde sainte Térèse sur la terre : aussi y a-t-il beaucoup de rapport en plusieurs choses, lesquelles on est obligé de tenir présentement secrètes.
Comme tout ce que dessus, Madame, n’a été écrit que pour satisfaire votre pieux désir et obéir à vos ordres, c’est pourquoi je vous supplie qu’il ne soit vu et lu que de vous seule. C’est la grâce que vous demande celui qui est en tout respect et en l’amour de Notre Seigneur Jésus Christ, Madame, votre... » (D 12, p. 518).
On comprend que la comtesse ait été ravie de cette lettre et... qu’elle n’ait pu la garder pour elle seule. Le bon Père Luc gardera son estime pour Mère Mectilde jusqu’au bout de leur longue vie. Dans sa lettre du 14 juin 1694 à Jeanne Marguerite de Montmorency, il écrira : « Je vous recommande la santé de la Révérende Mère du Saint Sacrement de la rue Cassette : Que Dieu bénisse ses bons desseins ! Vous savez que c’est mon intime amie ». (Lettres d’une solitaire inconnue ou Jeanne Marguerite de Montmorency, révélée par la correspondance avec le Père Luc de Bray. Première édition publiée par les soins d’un ancien supérieur de séminaire. Orange. Chez Jules Escoffier, imprimeur libraire. 1841, p. 153.
Nous pouvons peut-être compléter ce témoignage par quelques extraits de « Vues et dispositions très saintes et très solides de notre digne et précieuse Mère » que ses filles ont si fidèlement recopiées :
« À la sainte communion, je me trouvai dans un grand silence avec tranquillité d’amour, sans production, mais avec attention et désir d’union. Je compris que le plus grand empêchement des âmes à l’oraison était qu’elles faisaient trop d’elles-mêmes et qu’elles ne se laissaient pas assez à Dieu dans une passive attention à son bon plaisir.
« M’entretenant par une humble application à la douce présence de Dieu sur une autre vue de l’actuelle application de Jésus Christ à son divin Père, je voyais qu’en tout ce qu’il a opéré, son âme sainte était actuellement regardant Dieu, j’étais excitée d’être actuellement adhérente à Dieu.
« Je vis une âme dans un état pitoyable et digne de compassion : elle était excessivement pauvre et très languissante, elle expérimentait un si grand délaissement que je ne le puis quasi exprimer. Notre Seigneur, la très Sainte Vierge ni les saints n’en prenaient pitié, elle soupirait et gémissait sans sans cesse. Après, je fus consolée par une vue de la bonté de Dieu qui l’avait retirée de si abominables péchés pour lui faire la grâce de tendre à la voie de son pur amour.
« Un jour, étant à l’oraison, il me fut montré un chemin, lequel comme je crois, était le sentier secret par lequel l’âme doit marcher pour entrer dans la vie, or ce chemin conduisait l’âme à Dieu, mais il était grandement difficile et bien rude au commencement ; il y avait des obscurités épouvantables et des dangers très grands, quantité de ronces et d’épines qu’il fallait traverser et en ressentir les piqûres ; ces choses retenaient quelquefois longtemps l’âme dans le chemin sans avancer ; plus avant, il était étroit, mais moins dangereux, la lumière n’était pas pénétrante, il fallait marcher sans appui, sans secours et sans lumière ni assistance de quelque côté que ce fut. L’âme allait à Dieu par tendance aveugle au-dessus des sens, elle n’était, ce lui semblait, soutenue ni du ciel ni de la terre et il fallait marcher sans aucune consolation ni appui. Au bout de ce chemin, la divinité y paraissait comme dans une lumière inaccessible qui considérait ou regardait cette âme, mais nonobstant qu’elle la voyait dans des peines et des souffrances très grandes à raison de cette terrible nudité, elle ne lui donnait aucun secours qu’elle ait pu remarquer ni sur quoi prendre quelque appui. Je remarquai une chose en cette voie, c’est que l’âme, ne pouvant s’arrêter sur aucune chose, elle paraissait fort élevée de terre, tendante immédiatement à Dieu, mais elle ne pouvait se reposer sur aucune chose de la terre ni s’attacher au ciel. Elle était comme suspendue, uoltigeant sans se pouvoir arrêter sur rien qui soit, et quoique quelque petite faveur semblait paraître quelquefois, elle ne s’y pouvait appliquer, d’autant qu’il y avait autre chose que cela qui l’attirait sans toutefois rien distinguer ni connaitre. La vue de ce chemin fut très prompte, néanmoins je vis et compris bien tout ceci et quelque intelligence m’en demeura dans l’esprit que je serais trop longue à rapporter 35.
« Mon âme, voulant se donner à son Dieu incontinent après la sainte communion, se trouvant dans Dieu et lui appartenant sans aucune réserve, elle ne pouvait lui offrir aucune chose, mais seulement prenait une singulière et merveilleuse complaisance de se voir toute à Dieu et que Dieu était tout plein et satisfait de lui-même. Incontinent après, je vis mon âme élevée au-dessus de toutes créatures et adhérente amoureusement à son Dieu qui lui était très présent, car il lui semblait que lui-même l’élevait et lui faisait voir comme elle devait être indépendante de toutes les créatures, qu’elle devait marcher dans un grand éloignement de tout le créé et des créatures sans en retenir aucune, même dans l’oraison, qu’elle devait s’appliquer à la pureté d’icelle sans se lier ou captiver aux moyens (...).
« Au reste, il ne faut plus rien cacher : au milieu de mes infidélités Notre Seigneur me continue ses miséricordes et me découvre un pays dans lequel on le peut posséder seul dès ce monde ici. Tout mon soin est de me laisser conduire à ce bienheureux état et de souffrir les dépouillements et dénuements dans lesquels il faut entrer. I1 est vrai que l’expérience seule peut apprendre à l’âme la vraie union, c’est-à-dire qu’il faut que Dieu y mette l’âme avant que de savoir ce que c’est. Si je désirais encore quelque chose, ce serait de revoir N... et d’être aussi avec vous quelques jours pour recevoir des avis propres à l’état où Dieu me veut mettre. Mais dans la privation de tous secours, je m’abandonne à Dieu et le laisse opérer en moi ses saintes volontés. Vraiment Dieu se trouve dans le néant, et c’est une pure ignorance de le chercher ailleurs, ce qui fait que mon âme est dans une indépendance de toutes les créatures, il les faut toutes outrepasser pour arriver à Lui (Ct. 3, 4), et si on ne les perd toutes on ne le peut rencontrer. Mais aussi quand on l’a trouvé, on ne peut rien dire, on ne peut rien faire que de se reposer en Lui sans connaissance et sans amour particulier de choses quelconques, tout est abîmé dans la divinité et il semble que l’âme dans son fond a la connaissance et l’amour éternel que Dieu se porte à lui-même *. Tant plus on avance dans les voies de Dieu, tant moins on a de choses à dire. Dieu qui ne s’exprime point est celui qui possède l’âme et qui la plonge dans un silence extérieur et intérieur (...).
« La chose du monde qui crucifie plus mon intérieur c’est la louange et l’estime des créatures. Quand l’on me prie de quelque chose ou qu’on me demande quelque avis et qu’on croit que j’ai quelques grâces et que je suis bien unie à Dieu, que je suis pure et dégagée des choses de la terre, ou qu’on dit que j’ai des perfections, des vertus, etc. c’est la chose du monde qui me crucifie et afflige le plus, parce que mon âme éclairée du fond de la pure vérité qui voit par une lumière véritable et d’expérience l’abîme profond de son néant, non seulement d’être, mais encore de péché, dans cette vue mon âme souffre de se voir gratifiée de quelque don et miséricorde de Dieu et elle se voudrait toujours voir au-dessous de tous les démons, sans être ni paraître aucune chose en elle-même ni aux créatures. Mon Dieu, pourquoi souffrez-vous qu’on ait recours à mes prières ? Pourquoi ne détrompez-vous pas ceux qui m’ont en estime ? Vous savez tout, et quand il vous plaira de me manifester en fond, tout le monde connaîtra qu’il est en vérité abomination, superbe ; l’orgueil souffrirait bien l’estime et la louange des hommes, mais la vérité de Dieu ne le peut supporter et l’un détruit l’opération de l’autre. Lorsque cette adorable vérité paraît, l’orgueil s’enfuit, se cache et s’absente. O Divine Vérité, régnez en mon âme ! Je vous adore comme Dieu même, car rien n’est vérité que Dieu. Dieu donc est vérité et sa vérité est Dieu. Il faut donner l’empire à la vérité, Dieu seul est tout, tout le reste n’est rien. Je me voue et me consacre à la divine Vérité, je veux y adhérer de tout mon cœur par la force de la grâce et voir tout le reste dans le rien... Il serait à désirer d’un intime souhait d’être en profonde solitude pour éviter le mensonge et la vanité des créatures, pour ne les point amuser dans de vaines créances de moi-même, puisque Dieu me connaît servante inutile (Lc 17, 10), je dois avoir peine à souffrir que les créatures me croient quelque chose de meilleur (...).
« Quand tout semble renversé, que je me voie quasi accablée et à ne savoir plus où on en est, trouvant opposition partout, dans les esprits, dans les affaires, je me retire au Très Saint Sacrement ou dans mon intérieur et je demeure là quelque temps comme une personne qui n’est point, et cependant que je suis ainsi abîmée dans mon néant, Dieu opère son œuvre et fait ses affaires, et je vois dans la suite que toutes réussissent ; en vérité, il faut s’abandonner à Dieu (...).
« Je porte une disposition que tout me crucifie. La supériorité me serait d’un poids insupportable si Dieu ne me soutenait. Je ne sais comment font les autres, mais pour moi, je porte le faix de tous les intérieurs de mes Sœurs. Je les vois plus clairement que le jour qui m’éclaire : les faiblesses des esprits, les infidélités, tout cela me charge devant Dieu. Croiriez-vous même que l’affection qu’on me témoigne me crucifie ? Tout ce qui satisfait les autres n’est pour moi qu’amertume. Je n’aurai désormais autre chose. Dieu ne m’a pas renvoyée pour enfiler des perles.
« Dieu m’a donné une tendresse et un je ne sais quoi pour les âmes affligées et peinées qui fait qu’elles me sont toujours présentes à l’esprit et que je n’en saurais quitter le soin tant que leurs peines durent. Il semble qu’il m’ait fait pour telles âmes. Ah ! si elles connaissaient leur bonheur ! Je suis certaine qu’il y en aura plus de sauvées par cette voie que par celle des consolations. C’est un piège où plusieurs se perdent, parce qu’il faut une grande humilité et beaucoup de fidélité pour recevoir ces dons sans s’en rien approprier ou attribuer. J’estime ces âmes ainsi consolées, mais je ne les envie pas. Il ne faut point nous regarder ni son —
* à nos intérêts, cela est trop bas. Je voudrais faire ce qu’on raconte d’une femme qui ayant d’une main un flambeau allumé et de l’autre une cruche d’eau, parcourait la ville, et étant interrogée de ce qu’elle voulait faire, répondit qu’elle voulait brûler le Paradis et noyer l’enfer afin que les hommes n’eussent plus que
Dieu seul en vue et qu’ils fissent le bien pour son pur amour et qu’ils évitassent le mal par la seule crainte de lui déplaire » (R 19, p. 300), (15).
Reprenons le récit de l’abbé Berrant (p. 160).
« En l’année 1674, elle a déclaré à son directeur (Guilloré) avoir porté douze ans entiers la disposition intérieure suivante qui était un esprit terrassé (allusion à la grâce du 25 janvier 1663) et humilié pour ses péchés et ceux de son prochain jusque sous les pieds des démons et ceux de toutes les créatures qu’elle connaissait, en la lumière de Dieu, être plus innocentes qu’elle, ne voyant à son égard qu’un poids de la justice de Dieu qui la réduisait dans un abaissement où elle n’aurait pu subsister un moment si elle n’eût reçu la force des plaies sacrées de Notre Seigneur dont elle tirait incessamment sa vie et son soutien. Cette disposition a produit en elle un fond si prodigieux d’abaissement qu’elle n’était presque plus capable d’aucun mouvement de vanité ni d’estime d’elle-même ; en sorte qu’elle ne pouvait comprendre comment on pouvait seulement en avoir quelque pensée 36.
« Après ces douze ans, Dieu l’attira si profondément dans l’intime de l’âme qu’elle n’en sortait point. (Souvenons-nous du temps où elle ne parvenait pas à y rentrer !). Cette union était si simple et si surnaturelle qu’elle ne la pouvait exprimer autrement qu’en disant qu’elle était abîmée dans une région qu’elle nommait « substantielle » 37 et que cette partie était si profonde et si délicate que l’on pouvait dire que c’était la portion de Dieu en l’âme. Tout ce qu’elle faisait dans l’exercice de sa charge et dans les emplois distrayants où elle était occupée sans cesse, ne la tirait point de ce fond où elle opérait tout sans se distraire un moment de son abstraction, d’autant que ce n’était point proprement elle qui agissait au-dehors, puisqu’il lui semblait qu’on lui faisait faire toutes choses sans qu’elle s’y appliquât. Les sens ni l’esprit humain n’avaient point d’entrée dans ce cabinet sacré dont elle ne pouvait sortir, quand même elle l’eût voulu.
« Dans la sainte communion, elle était bien plus retirée dans ce divin centre que dans les autres temps ; elle était alors comme incapable de faire autre chose que de jouir du divin Objet qu’elle possédait et dont elle était possédée. C’est pourquoi ses Actions de grâce duraient si longtemps » (Guilloré).
« Selon le rapport d’un de ses directeurs, très expérimenté dans les voies surnaturelles (le P. Guilloré), « elle a souvent expérimenté en la sainte communion une présence presque sensible de Notre Seigneur Jésus Christ, lequel s’appliquait à elle si admirablement qu’il semblait même unir son divin cœur à celui de cette âme sainte. Ce qui opérait en elle une union très intime qui a duré plusieurs années. Elle était en cet état toute à son bien-aimé et son bien-aimé tout à elle » 38.
Ainsi donc, après les sept ans qui l’ont conduite à la « mort mystique » et à la « résurrection » de 1662, commencèrent ces douze ans d’épreuve qui creusent en elle un « abîme » d’humilité et la préparent aux très hautes grâces d’union que nous venons de rapporter. Deuxième sommet de sa vie, plus élevé que le premier. Mais la route n’est pas terminée et nous allons entrer bientôt dans la troisième période qu’elle nommera « l’enfer du Pur Amour » où toutes ces belles grâces passeront aussi par le creuset d’une manière qui ne s’explique que par sa vocation particulière de « victime » telle que nous l’avons vue décrite dans le texte de novembre 1661.
Le 1er décembre 1675, Mère Mectilde tombe gravement malade, maladie mystérieuse d’ailleurs, où elle comparait au jugement de Dieu et fait une expérience d’abandon et de « délaissement ».
Voici deux textes qui nous en portent quelque écho :
Le premier est une lettre d’un serviteur de Dieu (signé G.) du 26 avril 1676. D’après l’abbé Berrant, c’est le Père Guilloré qui l’a écrit et signé de sa propre main (p. 162) :
« Le 25 avril 1676, me rendant compte des dispositions où elle (la Mère Mectilde) avait été dans sa maladie qu’elle avait eue sur la fin de 1675, lorsque j’ent rai pour la confesser, voici ce qu’elle me dit : « Je sentis pendant trois jours que je fus en péril de mort, un transport qui se fit de mon esprit en Dieu, peut — être était-ce une imagination, mais je vous le dis comme je le pense : pendant ce temps ce fut non pas un abandon, car l’âme est pour lors à elle-même, mais un délaissement de moi-même, toute perdue à la souveraineté et à la justice de Dieu ; et tout cela sans aucune pensée particulière ni raisonnement, en sorte que je n’avais pas même le moindre retour sur mon mal et n’avais aucune distraction qui me tirât de cet état, tant j’y étais perdue et anéantie ». Et puis elle m’ajouta : « Cela même m’a encore duré deux mois après ; et comme toutes les nuits je ne dormais pas, étant à mon séant, toute ramassée et les mains jointes, je les passai entières devant cette souveraineté et cette justice de Dieu, sans distraction qui m’en divertit, avec une pénétration qui ne se peut dire ».
Le deuxième texte est cité par l’abbé Berrant (p. 162) d’après le témoignage de la Mère de Blémur :
« Le 4 décembre elle communie et annonce qu’elle sera guérie le 8, mais « elle fut ce même jour 4 décembre, depuis 11 heures du soir jusqu’à 3 heures du matin sans parole et sans connaissance, et comme une personne en suspens. Pendant cette interdiction, elle se trouva en esprit dans un lieu fort spacieux où Dieu lui paraît comme sur un trône élevé autour duquel étaient quantité d’adorateurs qui avaient chacun un autel d’or sur lequel chaque âme immolait à Dieu son être en sacrifice, lequel retournait à Dieu par Jésus Christ, seule victime digne de Dieu. Ils étaient tous dans un si profond respect et si abîmés que rien n’était capable de les distraire un moment de leur application ; elle se vit au milieu de cette sainte assemblée comme étant moins que rien, attendant son arrêt au pied de l’Agneau. Elle l’entendit enfin prononcer : il fut rigoureux, mais ne fut pas pour des peines éternelles. On lui commanda de reprendre son corps dont l’esprit ayant été tiré comme hors de la région de ce monde, se croyait déjà hors de sa prison, laquelle paraissait insupportable à une âme si proche de son retour à Dieu. Son corps lui parût, à ce qu’elle a dit à une amie, comme un vêtement blanc où était écrit partout en gros caractères le nom de Dieu en lettres d’or, mais d’un or qui ne se trouve point ici-bas. L’âme se retrouva donc dans le corps par la volonté divine, mais si séparée d’elle-même et de toute créature que sans cet ordre et l’avantage qu’elle avait de voir son Dieu partout où elle se voyait elle-même, elle eût succombé sous le poids de la douleur. Étant un peu revenue, on entendait qu’elle disait par des paroles entrecoupées : “Mes ennemis n’ont point paru : je n’en aurais pu supporter la vue sans mourir... J’avais bien des dettes, mais mon Sauveur Jésus Christ a tout payé. Hélas ! faut-il encore se trouver dans les mêmes effrois ? O terrible jugement ! Si toutes les créatures le connaissaient, elles vivraient bien d’une autre manière qu’elles ne font”. Et puis élevant la voix elle disait : “Mes Sœurs, travaillez à établir le règne de Dieu en usus : tout le reste n’est qu’amusement. J’ai vu devant la majesté Divine que toute la terre n’était rien, et de plus je l’ai vue digne de l’ire de Dieu, et si un jour il me le permet, je vous en dirai davantage. J’en avais assez pour mourir, mais dans le moment où j’étais prête à passer, il a exaucé vos vœux ; il a eu plus d’égard à vos désirs qu’aux miens, il ne m’a pas renvoyée pour enfiler des perles, mais pour souffrir et travailler sur nouveaux frais”.
Elle est hors de danger le 8 décembre, mais passe encore plus de six mois avant d’être rétablie. Écrivant à M. l’abbé d’Etival, elle lui dit : “C’est à présent que je commence à vivre, car jusqu’ici je n’ai pas encore vécu”. Et elle lui marque plusieurs choses semblables qui lui firent juger que Dieu avait fait en cette âme un renouvellement de grâce et de miséricorde qui l’avait fait entrer dans un degré plus sublime. Elle demeura six mois dans les dispositions intérieures dont Dieu l’avait favorisée les trois premiers jours de sa maladie » (Berrant, p. 168).
Elle disait bien que Dieu ne l’avait « renvoyée » que pour souffrir et travailler plus que jamais pour le bien de l’Institut. 1676 ne se termine pas que le pape In-nocent XI n’ait érigé en congrégation les maisons de Paris, Toul, Rambervillers et Nancy. La même année commence les pourparlers pour la fondation de Rouen, qui ne fut pas une petite affaire. La comtesse de Châ teauvieux était morte le 8 mars 1674 et c’est pendant la convalescence de cette maladie, en janvier 1676, que Mère Mectilde voit en songe sa comtesse qui lui dit : « Hâtez-vous » de faire la fondation de Rouen qu’elle avait empêchée (cf. Fondation de Rouen, p. 25 et suiv.). Mère Mectilde y part pour la première fois le 8 mars 1677. La fondation a lieu le 1er novembre 1677, mais cet établissement n’est vraiment achevé que sept ans après, en 1684.
La supériorité est toujours pour Mère Mectilde une très lourde charge. Nous le voyons le 3 juillet 1680. Elle éprouve une grande peine de sa réélection, mais, écrit-elle à Mère Bernardine : « A la très sainte communion, il m’a semblé que Notre Seigneur m’a dit qu’il se trouvait avec sa très sainte Mère pour soutenir le poids, et que ce seraient lui et elle qui présideraient et soutiendraient tout. J’en ressentis les effets dans le moment, me trouvant dans un grand calme avec une douce indifférence, me semblant que Notre Seigneur et sa très sainte Mère étaient en moi qui recevaient cette charge » (L.I., p. 344), (470).
Et le 1er octobre à une religieuse de Montmartre : « J’aurais besoin d’un peu de solitude et de séparation d’une vie pleine de tracas, cependant il faut marcher... » (730).
En décembre 1680, elle est encore malade. Elle en écrit le 3 janvier 1681 à une religieuse de Rouen : « Cette maladie, très chère, m’a bien plus étourdie que celle que j’eus il y a cinq ans. Je vous confie dans le secret du cœur que Notre Seigneur, en frappant le corps, a assommé l’esprit. J’ai été cinq jours sans quasi savoir où j’étais ni ce qu’il voulait faire, le mal était assez grand pour mourir, mais je n’avais certitude de vie ni de mort ; je fus ainsi suspendue dans un abandon qui n’était connu que de Dieu seul, cependant, il a plu au Seigneur me renvoyer, j’ai la créance que ce n’est que pour souffrir, mais d’une manière que je ne pourrais l’exprimer ni trouver de consolation sur la terre ; je n’y en dois plus chercher, je ne sais pas même si il lui plaira me rendre digne d’achever son ouvrage. Je puis vous assurer que je n’y agirai qu’avec un entier anéantissement, car je suis encore à ne savoir où je suis, mais n’importe, il faut n’être rien et cependant agir comme si l’on était capable de quelque chose... » (F.R. p. 253) (236)
Le 2 juillet 1683, elle écrit à son amie Anne de Béthune : « Il faut vous dire que j’ai été remise aujourd’hui sous le pressoir de la charge, quoique j’y eusse renoncé d’une manière particulière. Notre Seigneur m’a réduite sous sa justice. Je mérite bien d’en porter le poids. Il me serait bien doux, si j’y faisais mon devoir » (2036).
« Offrons notre personne comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu
(Rom. 12, 1).
Nous portons sans cesse la “mise à mort” de Jésus dans tout notre être, afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous" 39 (2 Cor. 4, 10).
1684. Nous ne pouvons mieux faire que de citer encore l’abbé Berrant qui résume parfaitement cette épreuve, en s’appuyant sur un récit de Mère Mectilde dont on retrouve l’écho tout au long de sa correspondance avec Anne de Béthune.
Il nous parle d’abord, en résumé, de ses épreuves extérieures, puis il cite Mère Mectilde (pp. 228 et suivantes) :
« Tout ce qui s’est passé depuis ce temps (1684) jusqu’à la fin de sa vie nous fait juger que sans une grâce extraordinaire, il eût été impossible qu’une personne accablée sous le poids de l’âge et des infirmités continuelles les eût pu soutenir comme elle l’a fait avec une douceur angélique, une paix divine et une égalité d’âme que rien au monde n’a pu troubler, toutes les différentes épreuves qu’elle a portées dans ses dernières années qu’on peut dire avec certitude avoir été les plus sensibles de sa vie. Pendant ces jours d’épreuve, tout ce qu’elle entreprit tourna en croix pour elle, et ces croix, se succédant les unes aux autres par un secret de la sainte Providence, ne la laissèrent pas un moment sans souffrance. Elle ne s’en plaignait jamais, et elle louait et bénissait Dieu avec plus d’ardeur lorsqu’il la mettait sous le pressoir des humiliations et des afflictions les plus sensibles qu’elle portait plutôt en ange qu’en pure créature, quoiqu’elle n’y fut pas insensible. Sa plus grande peine était de voir souffrir la Communauté à son occasion ; elle disait quelquefois avec sa paix et sa douceur ordinaires : “Je suis le Jonas, il faut me jeter dans la mer, et la tempête s’apaisera”.
Dans ces années d’épreuve, on noircit sa réputation par des calomnies, on désapprouva sa conduite, on blâma sa trop grande confiance en Dieu, on trouva même à redire à sa grande bonté. Ce qui avait été dans sa prospérité des sujets d’admiration devint ensuite la matière de son humiliation. Monsieur l’abbé de La Pérouse, grand serviteur de Dieu, lui dit un jour : “Ma Mère, vous avez à présent si peu d’amis que si, par malheur, on vous menait en [place de] grêve 40 pour vous exécuter, il ne faudrait point de mouchoir pour vous pleurer”. Comme il avait été quelques années absent, il était si surpris de ce qu’il voyait, comparé avec ce qu’il avait vu autrefois, qu’il n’aurait pu en revenir s’il n’avait regardé les choses de plus haut et admiré les voies dont Dieu se sert pour la sanctification de ses élus. Plus on abaissait cette digne épouse de Jésus anéanti, plus elle s’abaissait elle-même : on ne voyait en elle en toute rencontre que mort et anéantissement. Dieu même s’est souvent mis de la partie pour la crucifier, lui faisant porter des états de ténèbres, de sécheresse et d’une mort terrible dans l’intime de son âme, et lorsqu’il lui plût de consommer le sacrifice de la victime, il l’affligea par une vue continuelle qui lui faisait croire qu’elle était réprouvée et perdue sans ressource. C’était toujours la conduite de Dieu sur cette sainte victime que de lui donner par avance la vue des états par lesquels il la voulait faire passer ; ce qu’on remarqua surtout sur la fin de sa vie ».
Ici, l’abbé Berrant cite le texte de la « Victime totalement perdue » du 1er novembre 1661. II affirme que c’est bien d’elle qu’il s’agit. Il cite ensuite une lettre à Madame de Béthune et conclut : « Les personnes qui ont connu particulièrement l’une et l’autre assurent que l’état qu’elle a exprimé lui convenait mieux qu’à Madame de Beaumont » (p. 239).
Voici ce que rapporte Mère Mectilde 41 :
« Le 15ème de juin 1684, étant sur notre lit après matines, environ sur les trois heures et demie, je tâchais de prendre un peu de repos, mais bien loin de pouvoir dormir, je me suis sentie tirée dans une grande application pour voir comme dans un miroir une âme que Dieu avait choisie pour son plaisir et de laquelle il se jouait et sa très sainte Mère aussi.
« L’on m’a fait voir les différents états de cette âme, et comme elle avait été blessée de plusieurs flèches du divin Amour qui l’on tirée des créatures et l’ont fait marcher dans plusieurs degrés de purification. Elle est arrivée à un point de très grande mort dans ses sens, étant sevrée de tout ce qui les peut contenter et même de ce qui semble absolument nécessaire pour soutenir la vie, la nature en elle étant dans un extrême dénuement qui cause de très profondes souffrances, ne sachant où s’appuyer ni où prendre quelque peu de réconfort, étant dans un dépérissement qui ne se peut exprimer ; et après que Notre Seigneur l’a conduite jusqu’à ce point que l’on peut dire une terrible mort, et qu’il n’y a plus de goût en rien de créé pour elle, que même toutes les créatures animées et inanimées lui sont croix, ce Dieu saint ayant lié et comme garrotté son cœur par des sacrifices presqu’infinis, et par des recoulements (sic) ineffables en lui, de telle manière que la pauvre âme ayant tout sacrifié et abandonné toutes choses pour être plus intimement et parfaitement toute à lvi, jusqu’aux intérêts éternels qu’elle a remis en lui, bref par une remise entière et totale, autant que l’âme le peut dans l’étendue de la lumière de la grâce.
Étant donc dans cet état de pure immolation où il semblait qu’ayant tout rendu à son Dieu, elle ne pouvait porter son amour et sa fidélité plus loin, ce Dieu infiniment adorable dans ses desseins ayant reçu cette âme avec les agréments de son amour et de sa complaisance infinie, trouve un nouveau moyen de la plonger dans un état que nous pouvons nommer, ainsi qu’il nous l’a fait connaître, l’enfer de l’Amour, et je crois que l’on peut appliquer ici ces paroles du Cantique que : “l’amour est plus fort que la mort” (Ct. 8,6). Cette âme donc qui s’était ainsi abandonnée par amour pur au divin Objet aimé, a été mise dans cet enfer que je viens de dire, et j’ai vu comme Notre Seigneur l’a traitée et achèvera de la traiter jusqu’à la satiété de son divin plaisir, pouvant dire qu’il en fait son jouet par rapport de son humanité adorable qui l’a été de sa divinité.
Concevez, s’il vous plaît, que l’Époux a lié cette âme par un contrat entre lui et elle que l’on peut dire irrévocable, et étant assuré de sa fidélité par le divin mariage qu’il a contracté avec elle, il fait une nouvelle épreuve de son amour, mais d’une manière qu’on peut appeler cruelle, sans sortir du respect que l’on doit aux opérations de Dieu. Et sans m’arrêter à toutes ces démarches, je dirai seulement ce que cette âme soutient présentement et ce que l’on fait pour la faire crever et je dis désespérer, si Dieu secrètement ne la soutenait. Il lui a ôté les appuis de ses sacrifices, les joies de voir ses pures et sincères immolations, les consolations de l’avoir toujours préféré en toutes choses et de n’avoir rien refusé à son amour. Ce divin Époux semble ignorer ce qu’elle a fait pour lui ; et comme s’il avait lieu de s’en plaindre, il lui soustrait le plaisir de penser à lui, il s’arrache lui-même de son cœur (s’il est permis de parler ainsi pour exprimer les angoisses infernales de cette âme). Il semble qu’il s’est séparé d’elle jusques à la substance, ne le pouvant trouver en aucun endroit d’elle-même ; il a fait de son intérieur une affreuse solitude 42 où il ne se trouve que des monstres effroyables qui à tout moment semblent la vouloir engloutir, elle croit périr à toute heure.
Les démons sont déchaînés pour la tourmenter par mille spectres et craintes terribles : on lui imprime la perte éternelle sans ressource, ils lui font mille insultes et, pour la crever de douleur, ils lui demandent : “Où est ton Dieu que tu as tant aimé et servi avec tant de zèle ? Où est sa sainte Mère que tu as tant fait honorer et qui était toute ta confiance ? etc.” Ils font mille et mille autres insolences, et en feraient encore bien davantage s’ils en avaient la liberté ; et cette chère âme, se croyant abandonnée de Dieu, ne ressentant plus l’amour tendre et ardent qu’elle avait pour son Dieu, et de plus excitée par ses ennemis, se plonge dans une mer de douleurs, des crêve-cœur continuels, des désespoirs profonds, et j’ose dire qu’elle devient quelquefois comme toute forcenée de furie et d’espèce de rage, qui la ferait abîmer et précipiter dans l’enfer.
O Mon Dieu, qui pourrait exprimer ce qui se passe dans cette âme et ce qu’elle souffre actuellement sans quasi point de relâche, elle n’ose quasi penser à son Dieu ! Elle voudrait n’avoir plus d’être ni de vie, toute sa tendance serait de pouvoir rencontrer la mort, sans se soucier de quelle manière elle lui arrive : elle l’avancerait même de tout son cœur, s’il lui était possible. Je puis dire que la langue humaine ni la plume ne sauraient exprimer la profondeur ni l’étendue de ce que cette âme souffre, et je crois que l’on peut dire de cet état ce que l’on dit des derniers temps où la persécution et les fléaux de Dieu seront tels que “si ces jours n’étaient abrégés en faveur des élus” (Mt. 24, 22), aucun ne se pourrait sauver. Mais Notre Seigneur qui sait jusqu’où il porte la puissance de sa grâce, sait soutenir divinement et non sensiblement.
Je ne finirais pas si je continuais à dire quelque petite circonstance de cet état : Notre Seigneur me l’a fait voir comme l’enfer du Pur Amour où l’âme soutenait la jalousie de l’Epoux divin par une épreuve in — concevable et inexplicable 43. C’est, me semble, un arrachement de Dieu qui fait sentir à l’âme comme s’il lui disait un A Dieu éternel à ne jamais revenir, comme s’il ne voulait plus de son amour ni de sa fidélité, comme s’il méprisait sa tendresse, son zèle et son amour qui avait été si sincère pour lui qu’elle s’est séparée vigoureusement de toute autre chose, comme s’il l’abandonnait aux démons et à l’enfer, à toutes les révoltes de la nature et même à la persécution des créatures. Et cette chère âme qui dans les commencements de cet état, tenait son divin Sauveur dans son cœur qui la fortifiait, ne trouve plus à présent que des rebuts, des délaissements éternels, sans se soucier d’elle en aucune manière, et se voyant ainsi rebutée et méprisée, il s’élève une certaine furie en elle qui la ferait éclater d’un bout du monde à l’autre, mais se trouvant resserré par une violence intérieure, son cœur semble s’écarteler et se briser en mille pièces. Et je puis assurer qu’elle serait capable d’être transportée hors d’elle-même, si elle n’était retenue par une main invisible. Je suis obligé de finir ». (15 juin 1684).
Et l’abbé Berrant poursuit :
« C’est avec grande raison que la Mère Mectilde exprime son état de peine extrême par le mot d’enfer du Pur Amour, qui est selon les maximes des maîtres de la vie spirituelle 44 un purgatoire effroyable par lequel passent quelques âmes d’élite appelées à une perfection peu commune. L’Ecriture en fait le tableau dans Job, Jérémie, Jonas et le saint roi David. Ces passages s’adressent premièrement et principalement à Jésus Christ, le modèle des élus, et ensuite à quelques âmes à qui il a daigné communiquer ses souffrances et les délaissements de sa Passion.
“Dieu abaisse beaucoup l’âme, écrit le bienheureux Père Jean de la Croix, afin de l’élever ensuite beaucoup, et s’il ne modérait promptement les sentiments que l’âme a si vivement imprimés dans l’esprit, elle abandonnerait son corps en peu de jours ; mais le feu de ces peines ne se fait sentir que de temps en temps et non pas continuellement ; il est quelquefois si violent que l’âme croit voir l’enfer ouvert sous elle et tout près de l’engloutir. Ces sortes de gens sont du nombre de ceux qui descendent tout vivants dans les enfers et qui y sont purifiés comme dans le purgatoire”.
Et dans le chapitre suivant : “Les hommes qui sentent l’amertume de cette nuit ont été prévenus ordinairement des douceurs divines et ont rendu à Dieu des services considérables, c’est pourquoi la privation d’un état si heureux et l’impossibilité apparente de le recouvrer leur perce le cœur d’une douleur infiniment sensible”.
Il marque ensuite comme rien ne peut adoucir son chagrin, jusqu’à ce que Notre Seigneur achève de la purifier dans le temps et en la manière qui lui plaira.
“Elle ressemble, dit-il, à un homme qu’on tient les mains et les pieds liés dans une obscure prison : il ne peut ni se remuer, ni rien voir, ni recevoir le moindre soulagement ; de même l’âme gémit dans les chaînes, dans les croix, dans les ténèbres, immobile, sans aide, jusqu’à ce que l’esprit soit amorti, humilié, purifié, si dégagé des choses matérielles et sensibles, si subtil, si simple qu’il puisse devenir en quelque sorte un (seul) esprit avec l’Esprit de Dieu, selon la mesure et le degré de l’union d’amour à laquelle la miséricorde divine voudra l’élever”.
Tout ce que nous venons de dire me semble renfermé dans ce principe de saint Augustin, lorsqu’il explique ces paroles du Psaume 121 “Fiat pax in virtute tua”. “O Jérusalem, ô cité qui est bâtie comme une ville dont tous les habitants sont en une parfaite union, que la paix s’établisse dans votre force, parce que votre force est votre dilection et charité mutuelle. Écoutez le Cantique des Cantiques : ‘L’amour est fort comme la mort’. L’admirable expression, mes frères, ‘l’amour est fort comme la mort !’ Pouvait-on exprimer plus noblement et plus vivement l’efficacité de la charité ? Qui résiste, je vous prie, à la mort ? On résiste au feu, à l’eau, au fer ; on résiste aux puissances et aux rois ; mais quand la mort vient seule, qui est-ce qui lui résiste ? Il n’y a donc rien de plus fort qu’elle ; c’est pour cela que la charité lui est comparée et que l’on dit qu’elle est forte comme la mort. Et parce que la charité a la force de tuer en nous ce que nous avons été afin que nous commencions d’être ce que nous n’étions point auparavant, on peut dire en un sens qu’elle cause en nous une espèce de mort très réelle” (saint Augustin. Ps. 121, 12, Enarrationes in psalmos).
On ne peut douter que cet état dont on vient de parler n’ait été celui de la vénérable Mère Mectilde dans ses dernières années ».
Mais reprenons le cours de notre histoire : 1684 est l’année de la fondation de la deuxième maison de Paris. En 1685, c’est l’agrégation du monastère de Caen, et surtout, à cette époque c’est le procès Ta-1on34 qui fut dramatique. L’abbé Berrant le raconte tout au long d’après la Mère de Blémur (pp. 184-220). Ce fut une très lourde croix pour Mère Mectilde. Le 3 mars 1685, elle écrit à Mère Gertrude de Sainte Oppor-tune : « Il a plu à Notre Seigneur nous visiter en nous faisant porter une grosse croix qui semble faire un tort inconcevable à notre Institut. Bénissez le Seigneur qui me l’a envoyée. Il est trop juste que je souffre. Je l’adore et veux ses adorables volontés pour toutes les humiliations et destructions qu’il lui plaira. Mais priez-le, chère Mère, qu’il conserve l’Institut. Jésus Christ en est le père, et la très sainte Vierge la mère ; Jésus Christ en est le roi et sa très sainte mère la reine. Je ne puis avoir d’autre appui. Je leur abandonne tout. C’est ici le temps que Notre Seigneur a choisi pour m’anéantir. C’est peu de chose de ma ruine et de ma mort. C’est une pécheresse que l’on traite comme elle le mérite. N’en soyez pas en peine, mais priez ardemment la mère et le fils de bénir l’Institut et de le conserver... Nous sommes toutes, ou peu s’en faut, bien consternées et bien humiliées. Toute ma douleur c’est de n’être pas seule à porter cette croix. Ce qui la rend si terrible, c’est que c’est une victime qui la produit, qui sort de son état de victime et qui hasarde son salut, et voilà où et sur quoi il faut gémir, verser des larmes de sang et mourir. À Dieu, ne parlez de cela qu’à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. Le reste n’y peut apporter aucun soulagement » (462).
Mère Mectilde fait une supplique à Notre Dame de Benoîte-Vaux et s’of f re en sacrifice pour le salut de sa malheureuse fille. Elle tombe gravement malade, mais ne parvient pas à toucher le cœur de la rebelle (cf. Fondation de Rouen, p. 182, note).
De cette année date un petit billet écrit de sa propre main que l’on trouva plus tard dans son bréviaire et qui contenait ce qui suit : « Le premier vœu est de ne me justifier jamais d’aucune accusation que l’on ferait de moi. Le second de ne me plaindre jamais, quelque mauvais traitement que l’on me fit » (N 261/2, p. 75), (A l’écoute de Saint Benoît, p. 91), (2026).
Le 14 mars, elle compose l’acte suivant qui dans le manuscrit porte ce titre : « Acte de notre digne Mère après sa maladie de l’année 1685. Le 14 mars » (N 261/2, p. 74) :
« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ainsi soit-il.
Il est bien juste, mon adorable Sauveur, que je vous laisse en proie l’être que vous m’avez rendu, et que je ne le tienne plus comme rendu à moi-même, mais que vous retenez dans le vôtre divin, comme l’ouvrage de votre toute-puissance, pour vous être présenté à toute heure, pour le faire porter ce que vous jugerez être de votre gloire, n’ayant plus rien à savoir, à considérer et à voir que votre unique plaisir. C’est uniquement pour lui donc, ô mon Dieu, que je suis sur la terre et que je ne puis avoir aucun autre motif, quelque bon qu’il puisse être, et comme je dois être toujours sous votre bras adorable, je ne dois plus rien attendre ni espérer que l’accablement de cet être que vous m’avez reproduit. Il n’est plus à moi, il n’y a plus rien pour moi. Je suis et ne suis plus. C’est Dieu seul qui est. Oserai-je continuer sans me plaindre TETIGIT ME DOMINE 45 (sic), mais avec tant de justice que si l’on avait la capacité de tous les êtres, ce serait pour les fondre en votre présence. Votre justice m’a touchée » (P 105, p. 387), (465).
En août 1685, nous avons l’autographe d’une supplique de Mère Mectilde au Prieur de Saint Germain des Prés, en vue de la prochaine élection. Point n’est besoin d’en faire un commentaire :
[ici l’autographe]
En septembre 1687, à propos de la mort de Sœur Marie des Anges, maîtresse des novices à Rouen, elle écrit : « Qui dit victime, dit une âme collée à la croix, qui ne vit que dans la croix et n’est pas un moment sans la croix... Les Filles du Saint Sacrement ont deux apanages : l’humilité et la croix. Les voilà assez bien partagées ; mais c’est le don que Notre Seigneur au divin Sacrement leur fait, celui qu’il a porté lui-même et qu’il souffre encore lui-même dans le divin Sacrement. Hélas, combien de mépris et de mauvais traitements y souffre-t-il encore ? C’est pour avoir rapport à ces états qu’il nous y a donné une si bonne part, tâchons d’y bien remplir ses desseins. Amen » (2772).
L’affaire de Liesse 35 lui donne une surabondance d’ennuis et d’humiliations, que l’on peut suivre dans sa correspondance avec Anne de Béthune, toujours à la même époque. Et en 1688, commence la fondation de Pologne qui lui réserve aussi bien des tracas. Il suffit de lire les lettres si touchantes qu’elle leur adresse. On y voit sa tendresse maternelle, son humour, ce qui n’exclut pas de sérieux examens de conscience à l’usage de la Prieure et de la Communauté, son grand souci de l’union dans la charité qui est fort battue en brèche par la reine au caractère difficile (Cf. En Pologne avec les Bénédictines de France, pp. 184-210).
En 1688, Mère Mectilde reçoit une grâce d’abandon ainsi relatée par l’abbé Berrant. En 1694, nous retrouverons cette même grâce qui ira cette fois jusqu’au « délaissement » »
« Le jour des Rois de l’année 1688, Notre Seigneur fit pendant le Salut des reproches à cette digne Mère de ce qu’elle n’était pas encore abandonnée totalement. Ces reproches la touchèrent vivement et elle dit à Notre Seigneur : « N’êtes-vous pas le Maitre Souverain ? Je veux vos volontés et je m’y abandonne ». Ce fatal abandon, effrayant la nature qui en envisageait les suites, faisait qu’elle avait peine à y entrer. Mais malgré ses répugnances elle s’abandonna simplement à. tout ce que Notre Seigneur voudrait faire d’elle, en quelque extrémité qu’il la pût réduire. Il lui tomba en même temps dans l’esprit qu’elle deviendrait comme percluse entre les mains d’autrui, ce que naturellement elle appréhendait le plus, n’aimant point à dépendre des autres par l’état d’infirmité. Cependant Notre Seigneur voulut cette épreuve. Le lendemain, après la messe du convent, elle fut encore faire la lecture dans la chambre commune et parla à ses filles avec tant de bonté qu’elles furent comblées de sa charité. Étant remontée à sa cellule, elle y fut attaquée d’apoplexie. Ayant dit à Notre Seigneur : « Est-ce ici la vie ou la mort ? », il ne lui fut répondu autre chose sinon : « Abandonne-toi ! ». Ce qu’elle fit sans retour. On courut aux sacrements : à la dernière onction, elle perdit la parole et la connaissance, mais non sa tranquillité. Une paix divine parut toujours sur son visage mourant... Elle souffrit des douleurs inconcevables... Elle fut quelque temps abandonnée à la douleur, c’est-à-dire que son esprit en était occupé. Quelque moment après, elle en fut tirée sans savoir où elle était, n’étant ni au ciel ni en la terre, mais comme passée en Dieu dans une grande paix et un parfait repos. Elle aurait bien désiré, s’il lui eût été permis, de rester dans cet heureux état : mais à peine en eût-elle goûté la douceur qu’on l’obligea à revenir, sans savoir pourquoi ni ce que l’on voulait faire d’elle, sinon qu’elle eût à s’abandonner ; elle reçut alors la grâce d’un entier abandon ; elle revint en effet, mais une partie d’elle-même resta dans ce bienheureux centre, se trouvant bien plus dégagée et séparée de tout le créé qu’auparavant » (p. 223).
Elle en revint... et le jour de la Purification elle guérit.
Le 17 février 1688. Elle écrit à Anne de Béthune : « Je suis comme dans un pays étranger ou comme tombée des nues. Je ne sais quasi où je suis. Je dirais volontiers que je ne suis plus de ce monde. J’aurais besoin d’être dans un trou, cachée aux créatures. Je ne sais ce que Notre Seigneur veut faire de moi, mais je puis vous dire que je porte un fond d’anéantissement un peu extraordinaire, je crois que j’achève mon triennat pour le dernier. Il y a encore quatorze mois... (560).
Et elle poursuit : « Je portais une disposition qui semblait désirer d’être broyée sous le sacré pressoir de la conduite de Dieu qui me réduirait dans l’abîme du néant, comblée d’abjections. Je ne sais comme je me voyais, il me semblait que par là serait accomplie la pensée de la bienheureuse Mère de Saint Jean : que je sortirais des créatures et que les créatures me laisseraient au néant. Cette vue me donnait du charme que j’ai cependant laissé en Dieu pour ne pas m’occuper de ce qui n’est pas encore présent. Il faut néanmoins être toujours dans la main du Seigneur et souffrir qu’il nous tourne de tous côtés selon son plaisir » (17 et 18 février 1688) (1662).
Le 3 février 1691, elle écrit à la Mère Prieure du deuxième monastère de Paris, très éprouvée : « Ce sont mes péchés qui attirent tous ces malheurs... demeurons bien abandonnées et nous confions en sa miséricordieuse bonté... Pour moi, Notre Seigneur fera justice, mais je suis touchée vivement quand je vois que mes péchés font et attirent un tel malheur. Je voudrais qu’il tombât sur moi seule et point sur vous ni sur l’Institut » (591). Et le 26 novembre : « C’est une terrible croix que d’être croix à tant de victimes et à tout l’Institut » (559).
Le 5 janvier 1692, elle parle encore « des abîmes d’abjection où la divine Providence m’a plongée. Je vous avoue que Notre Seigneur m’y a fait trouver la joie et la satisfaction qui n’est pas concevable... Notre Seigneur connaît ma faiblesse. J’avais besoin de son secours pour me soumettre à ses adorables conduites qui n’étaient pas très agréables à l’esprit humain. Je crains que je ne les chérisse pas assez et que Notre Seigneur les retire. Cependant je ne demande pas le retour de la médaille, je connais les merveilles de grâce qui sont renfermées dans les états humiliés. Il me semble que mon dégagement est plus grand et que je n’ai plus rien à craindre : j’ai tout perdu ce que l’amour propre chérissait le plus » (2967).
En mars 1693, a lieu la visite canonique. Elle va trouver le visiteur au parloir et rapporte ainsi l’entretien :
« J’ai été au scrutin où je n’ai dit que très peu de paroles, les voici : « Mon Révérend Père, je ne viens pour accuser personne, mais pour m’accuser moi-même, et c’est ce que je fais de tout cœur, vous disant, mon Révérend Père, que je suis la seule criminelle, je mérite les châtiments qu’il vous plaira. Si vous aviez agréable de faire un acte de justice, ce serait de me mettre en prison. Vous me feriez une grâce singulière dont je vous serais sensiblement obligée ». Il me dit qu’il me mettait dans la prison de l’amour divin, après quoi il me renvoya » (P 137/2, p. 376).
Voilà une petite scène qui ne manque pas d’humour.
Mère Saint François de Paule, une de ses chères filles, Prieure du deuxième monastère de Paris, lui rappelle la « victime » que Notre Seigneur jadis lui demanda, (cf. p. 116) serait-ce elle ? Elle lui répond : « Vous me parlez d’une victime que Notre Seigneur me demanda il y a plusieurs années. Oh ! chère Mère, je suis trop pécheresse et infiniment indigne de remplir cette place ».
Et pourtant... nous en voyons l’accomplissement.
En janvier 1694 elle est encore malade, et s’en — fonce toujours plus dans le rien et l’abandon. Voilà ce qu’elle en dit dans un entretien familier :
24 février 1694 : « Je puis vous dire que j’ai été plusieurs jours qu’il me semblait que je n’étais plus. Vous ne pouvez croire le contentement et la paix où on est. Je ne vous dirai pas que je n’avais pas de répugnance ni de sentiments du côté de la nature... mais c’est une bête, elle sera toujours bête et toujours sensible... il la faut souffrir en patience... C’est un bonheur infini de se laisser ainsi dans un pur abandon » (1951).
26 février 1694 : « Je ne suis pas revenue pour être sur le trône ni pour être à mon aise, ni pour avoir des consolations et être caressée... J’ai été dans un pays perdu où j’ai connu bien des choses. J’imagine vous, si vous étiez je ne sais pas où, et que l’on vous prit en l’air sur un gouffre affreux, et que vous y fussiez suspendue plusieurs jours, prête à tomber, sans sa-voir ce qui vous soutient, n’étant que comme un filet, que feriez-vous ?... J’ai vu ce gouffre et j’ai connu que je le méritais bien, et il me semblait qu’il n’aurait pas fallu grand-chose pour me faire tomber dans cet abîme dont je n’étais soutenue que par un filet de la bonté et de la miséricorde de Dieu » (2126).
28 mars 1694 : « Portons-lui en esprit d’humilité toutes nos fautes, nos misères... Si nous faisons des fautes involontaires... ne nous en étonnons point... si vous tombez, mettez-vous encore plus bas et avouez votre misère devant Notre Seigneur et croyez que c’est là ce dont vous êtes capables. Criez à lui et il vous pardonnera, et si vos fautes sont volontaires, il faut crier plus haut, et il ne laissera pas de vous les pardonner. Notre Seigneur est si aisé à contenter ! Je ne l’aurais jamais cru, mais je l’ai appris. Il m’a fallu pourtant faire quelques sacrifices un peu durs et sensibles, mais ils ont été adoucis par la bénignité de Notre Seigneur. »
Et elle entretient longuement ses filles sur l’abandon et le délaissement, faisant allusion à sa maladie.
« Oui, mes enfants, dans l’abandon il y a une grâce ineffable qui conduit l’âme jusque dans le sein de Dieu... Je trouve néanmoins qu’il y a encore quelque chose de plus dans le délaissement que l’âme fait d’elle-même. Car dans l’abandon nous nous avons encore en vue, mais dans le délaissement nous nous perdons... Il y en a très peu qui se délaissent, parce que les retours que nous faisons sur nos intérêts nous font reprendre ce que nous avions abandonné. Et voilà comme j’ai appris le délaissement : mon imagination, après deux ou trois jours de ma maladie, me présenta à mon jugement, et Dieu me fit la miséricorde de me mettre dans un état d’abandon et de délaissement. En ce même temps, mon âme me fut représentée comme une chiffe, et je voyais cette chiffe toute marquée de Dieu. Cela me fit comprendre que Dieu voulait que je me délaissasse ainsi que l’on fait d’une chiffe, qu’à peine relève-t-on de terre, ou du moins si on la relève, ce n’est que pour la mettre en quelque coin, et non pour la serrer dans un coffre. En vérité, mes enfants, il fait bon être chiffe ! »... « Dieu m’a renvoyée afin que je commence à vivre en simplicité comme un enfant, toute abandonné à lui sans retour sur moi ».
Et elle parle longuement de la paternité de Dieu :
« Je ne vois rien de plus consolant et de plus ravissant pour une âme que de dire : Dieu est mon Père. En plusieurs endroits de l’Evangile, il nous le montre, et même il semble nous en faire un commandement exprès comme en celle d’aujourd’hui : « N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’en avez qu’un qui est au ciel » (Mt. 23, 9). Cette parole qu’il dit à sainte Magdeleine après sa résurrection me charme : « Je monte à mon Dieu et à votre Dieu, à mon Père et à votre Père » (Jo. 20, 17). Quelle consolation à une âme : mon Dieu est mon Dieu, mais il est aussi mon Père !...
« Avant hier, après la sainte communion, il me semblait que mon âme criait après les pécheurs et qu’elle disait : Venez, venez, pécheurs, venez voir l’amour ineffable d’un Dieu et les merveilles qu’il opère dans les âmes. Venez voir cet abîme sans fond de miséricorde et d’amour ! Abyssus abyssum (Ps. 11, 8 Vulg.)... S’il est Dieu il a aussi un cœur de père. Chose admirable : celui qui est le Principe de la très Sainte Trinité est mon Père, le Père d’un Dieu est mon Père ! Et c’est une vérité de foi que nous devons croire aussi fermement que le très Saint Sacrement, puisque Jésus Christ l’a dit.
“Voyez qu’il ne dit pas : ‘Soyez parfaits comme MON Père céleste est parfait’, mais ‘comme VOTRE Père céleste est parfait’. Nous sommes d’une origine divine. Quelle gloire pour nous, mes Sœurs, d’avoir un Dieu pour Père ! Quoi ? Celui qui est mon Dieu est mon Père ! Confions-nous donc en lui. Non, mes Sœurs, il ne vous abandonnera pas. Vous aurez le poison dans le cœur sans en mourir. C’est un Dieu juste, il est aussi infiniment bon. Croyez-moi, penchez plutôt du côté de la bonté que de la justice. Non, il ne veut point perdre les âmes, je vous l’ai déjà dit. Il les aime et les porte toutes dans son Cœur adorable” (2436). Ceci nous rappelle une lettre de Mère Mectilde à la comtesse de Châteauvieux où elle lui écrivait : “Dieu est tout bon, mon enfant, et très miséricordieux, aussi bien que très juste” que l’auteur du “Véritable Esprit” a traduit, un peu sèchement : “Dieu est aussi bon qu’il est juste” (2706) et (841).
Relevons encore dans les “Entretiens familiers”, le 1er avril 1694 : “Puisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l’out rage que vous lui faites en vous défiant de sa bonté. Il se tient moins offensé d’un crime que de la défiance en sa miséricorde”... “Gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur... regardez-le en ces qualités et non comme un tyran. C’est lui faire une injure insupportable que de se défier de sa bonté... Quelque criminelle ou méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père et il a plus de bonté pour vous que vous n’avez de malice. Quant à moi, j’ai fait pis que tout ce que vous pourriez avoir fait... néanmoins, je le regarde toujours comme mon Père et dans cette confiance, je ne crains point qu’il me perde, j’espère en ses miséricordes” (2004).
Le Samedi Saint 10 avril 1694 : “La maladie que j’ai eue m’a été très utile, elle m’a fait voir la grande miséricorde de Dieu dans laquelle je suis demeurée. Je ne puis assez admirer cette divine miséricorde dont je suis environnée et qui me soutient toujours... (tout ce texte serait à relire)... Je suis restée entre les mains de mon Dieu pour être tout ce qu’il lui plaira, souffrir tout ce qu’il voudra et demeurer toujours dans la mort. C’est ce que ma maladie m’a appris de vivre dans cet esprit de mort. Et cet ‘esprit de mort’ consiste à demeurer toujours en Dieu. Oui, toujours en Dieu, sans jamais m’en séparer un seul moment. Dieu en tout, Dieu partout, Dieu toujours”... Je lisais hier aux Ténèbres, un verset que j’aime bien : “Je dormirai et me reposerai” (Ps. 4). Voilà comme je désire être. Oh ! le bonheur d’une âme de se reposer en Dieu... Dieu est dans l’intime de votre âme. Vous l’y trouvez à tout moment y faisant actuellement sa demeure. Regardez-le donc toujours pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu’il veut, pour vous y soumettre. Priez-le de vous attirer toute à lui “Trahe me post te” (Ct. 1, 3). Il y a deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : adorer et adhérer toujours. Donc adorer et adhérer à tout ce qu’il permet, l’aimant, le voulant et l’agréant par soumission à ses ordres... C’est ainsi que vous dormirez et reposerez doucement en Dieu, l’adorant et lui adhérant toujours » (1875).
Sa confiance et son abandon ne sont pas toujours bien reçus. Elle écrit à Mère Saint François de Paule le 10 mai 1694 : « Si nous avions autant de foi et de confiance en la bonté de Notre Seigneur que vous en avez, nous serions plus à notre aise que nous ne sommes, mais je n’ose rais dire qu’il faut espérer que la divine Providence se souviendra de nous : c’est une espèce de crime, parce que l’on se moque de ma confiance et que l’on en fait une raillerie. Cependant je ne désiste point, ce sont mes péchés qui retardent les effets de cette aimable Prouidence, mais Notre Seigneur ne les regardera pas toujours, sa miséricorde préviendra en bénédictions, ayons patience ».
Dans la même lettre, on relève aussi ce passage significatif pour bien comprendre notre vocation : « Les chères vôtres du 8 courant, ma très honorée et très chère Mère, m’ont consolée de voir les grâces que Notre Seigneur vous fait dans vos croix qui sont quasi comme les nôtres, mais c’est l’état des victimes. Il ne faut point se flatter d’autre chose. Voilà notre portion et celle de tous les chrétiens qui sont tous victimes par le saint baptême, mais qui ne le connaissent pas. C’est une grande grâce que Dieu nous a faite de nous donner la lumière et de nous y avoir engagées par notre Institut » (2048, autographe).
Le 26 mai 1694, elle écrit à Mère Marie de Jésus, en Pologne : « Ce mot, ma très chère Mère, est seulement pour vous assurer que j’ai ressenti l’effet de vos saintes prières, dont je vous rends mille grâces de tout cœur ; elles m’ont ramenée de l’autre monde où j’étais déjà par la meilleure partie de moi. Je ne sais pourquoi Notre Seigneur m’a renvoyée, sinon pour commencer à faire pénitence ; mais mon âge si avancé me la fera faire bien petite et indigne d’être présentée à Notre Seigneur ; mon recours est sa très sainte Mère qui sera mon avocate et qui suppléera à mon impuissance. Je vous conjure de la bien prier pour moi. Si j’étais près de vous, je vous dirais les miséricordes qu’elle m’a faites dans ma maladie qui a duré près de trois mois et dans laquelle je me suis trouvée plus de trois fois à l’agonie... j’ai pensé retomber plusieurs fois ; il faut que je demeure toujours abandonnée à son divin plaisir » (En Pologne, p. 186), (110).
Nous pouvons deviner les miséricordes que lui a faites la Vierge Marie en reprenant ces précieux « Entretiens familiers » :
« Le 16 février 1694, notre digne Mère nous dit : « Je suis bien pauvre et bien indigente de toutes ma-nières... Je suis dans l’abjection, l’humiliation, l’anéantissement... Dieu soit béni ! Je suis dans un terrible état dehors et dedans, je ne suis rien en toutes manières, même dans l’Institut. Mais quoique je n’y sois plus rien en tout, ma consolation et ma joie est que la très Sainte Mère de Dieu en prend soin et qu’elle en est la Mère. J’en suis déchargée, non d’une manière, sachant que j’ai encore en main l’autorité de supérieure, mais toujours voilà qui est fait ! La très Sainte Vierge réparera pour moi les fautes que j’ai commises. Elle a tout pris sur elle, elle aura soin de tout, elle en a fait son affaire ; je l’en ai remerciée. Prenez bien garde à ce que je vous dis : je ne parle pas en l’air ni de ma tête : je mourrai dans cette certitude, et c’est ma joie, que l’Institut est dans ses saintes mains : elle aime cette œuvre, c’est son ouvrage, vous le connaîtrez au ciel... Je le dis encore : rien de plus saint dans l’Église de Dieu que l’Institut quand il sera dans sa perfection. Oui, la Sainte Vierge a tout entre ses mains, elle a tout pris » (2058).
Le 20 février 1694, notre digne Mère dit à une autre religieuse : « OUI, la très Sainte Mère de Dieu est votre Mère... elle l’a toujours été et le sera toujours, n’en doutez jamais. Il est vrai qu’elle a pris un soin nouveau de l’Institut et de vous toutes... elle pourvoira à tout. Donnez-vous seulement bien à elle, lui faisant toutes une dédicace nouvelle de vos cœurs et que ce soit avec joie, avec confiance et avec certitude qu’elle est votre mère et que l’Institut est dans ses bénites mains » (2122).
Le 25 février, une autre religieuse revient à la charge et elle reprend :
« L’Institut est la très sainte œuvre de l’Église de Dieu, et premièrement l’ouvrage de la très Sainte Vierge et sa très sainte œuvre, car l’Institut est sien et elle l’a repris tout de nouveau entre ses mains sacrées. Présentement, je me trouve déchargée d’un grand poids. Lorsque je me vis sur le point de quitter la terre, ne sachant sur qui me démettre de cette œuvre, je priai cette Mère de bonté d’en prendre soin. Elle le fit, mais d’une manière si admirable et si consolante pour l’Institut et pour moi, que j’en fus dans un très grand transport de joie, et si j’auais suivi les mouvements de mon cœur, j’aurais fait assembler la Communauté pour venir rendre hommage à cette Mère de miséricorde, en action de grâces de ses bontés pour l’Institut... Je vous assure de nouveau que j’eus une grand joie de le voir retourner d’où il était sorti » (2119).
Enfin, le 19 mars, elle nous révèle le sujet de sa grande joie : « Je ne saurais me lasser de répéter la joie et la consolation que j’ai eues pendant ma maladie, de voir que la très Sainte Mère de Dieu avait remis l’Institut DANS SON CŒUR D’OU IL ÉTAIT SORTI » (1971).
Le 7 juin 1694, Mère Mectilde écrit à Mère Anne de Sainte Madeleine en vue des élections : « Pour moi, je m’en suis retirée et déclaré que je renonçais à tout ce que l’on pourrait faire à mon sujet. Jugez, très chère Mère, si je serais assez misérable de souffrir à l’âge de 80 ans que l’on me remit dans cette terrible charge... J’y ai renoncé par écrit bien signé » (L.I., p. 355), (1455). Mais elle sera sur la brèche jusqu’au bout.
Le 22 juin, elle fait part à Mère Marie de Jésus du retard des Constitutions 46 : impossible d’achever le reste qui doit avoir rapport aux Constitutions... elle ajoute : « Hélas, ma très chère Mère, je ne sais pourquoi Notre Seigneur m’a renvoyée des portes de la mort, sinon pour vivre encore un peu de temps dans un rude sacrifice : je ne suis revenue que pour cela. Priez Notre Seigneur qu’il me fasse la grâce d’y être bien fidèle, car il faut que tout ce qui reste encore soit absolument et entièrement détruit » (En Pologne, p. 187), (2776).
Le 28 juin, elle écrit à la Mère Prieure du deuxième monastère de Paris à propos de « babil de filles » qui tentaient de mettre la brouille entre les deux maisons : « Ne me plaignez point, mes souffrances ne sont que des mouches... Ne vous inquiétez de rien, ne vous troublez de rien, laissez tout tomber aux pieds de Notre Seigneur. I1 consommera tout par sa miséricorde. Ne me plaignez point, très chère, hélas, je ne souffre rien, je ne mérite que l’enfer, voyez que je ne souffre que des pailles. Allons, souffrons et mourons ! Ne vous faites point malade... ayez courage et patience, et à toute extrémité l’on n’en peut que mourir ! Mais il faut vivre et soutenir ce que le Seigneur voudra » (1740).
Relevons en passant ce mélange d’intrépidité, d’humour, et de sollicitude maternelle : « souffrons et mourons ! », mais « ne vous faites point malade »... « l’on n’en peut que mourir ! »... « mais il faut vivre I »...
Le 12 juillet 1694, elle écrit à la Mère Prieure de Rambervillers : « Comme c’est à l’ordinaire la conduite de la divine Providence de me tenir sur la croix que je veux de tout mon cœur toujours adorer et embrasser, à peine suis-je sortie de ma maladie qui m’a duré près de six mois, que je m’en trouve environnée d’un grand nombre qui renouvellent quasi à toute heure mes sacrifices... son saint nom soit béni » Elle lui parle ensuite de Monsieur leur nouveau supérieur qui « fait bien le martyre » : « ménagez-le le plus honnêtement que vous pourrez, et n’en espérez guère de secours. Ne vous attendez qu’à Dieu seul qui est l’unique, fidèle et parfait ami ; ayez-y un entier recours. Prenez donc vos mesures pour ne point choquer le personnage... il pourrait bien vous causer des croix. Croyez-moi, ne vous en faites pas, car elles viennent en dormant et au moment que l’on ne les attend pas (L.I., p. 357), (249).
Au milieu de tout ce tracas, l’humour et le bon sens n’ont pas perdu leurs droits.
En août 1694, elle revient encore sur l’abandon : « Abandonnez-vous entièrement entre les mains de Dieu... c’est le seul moyen d’avoir toujours la paix... car une âme qui lui est ainsi toute abandonnée lui est plus agréable que cent autres qui ne sont point dans cette disposition, et lorsqu’il la troue dans une âme, il y vient répandre des profusions de grâces. Oui, des profusions, tant il aime cet abandon et que partout où il trouve cette vertu, il la comble de bénédictions (E.F., p. 59), (2654).
Le 26 août 1694, elle parle encore de ce mystérieux jugement qui a eu lieu lors de sa maladie, dans une lettre à Mère Suzanne de la Passion : « Plus je vais en avant, et plus je crains le compte qu’il faut rendre de ce terrible emploi (celui de prieure). Cependant il faut espérer ses divines miséricordes avec une humble confiance. Si je pouvais vous entretenir, je vous dirais bien des choses en confiance, m’étant trouvée moi — même à ce terrible passage dans ma maladie. J’en devrais être convertie, mais ma lâcheté me fait perdre les miséricordes que Notre Seigneur m’a faites. Employez uos saintes prières pour me faire commencer à être plus fidèle. Réparez pour moi, car je ne puis être encore longtemps en ce monde. Il faut payer la dette du péché par la mort qui doit détruire l’être pécheur »...
« Je vous dirai seulement ce qui fit mon plus grand poids dans mon agonie : ce fut la sainteté de l’Institut que je n’ai jamais bien rempli, et si la sacrée Mère de Dieu ne fut venue à mon secours en me déchargeant du poids de l’Institut, j’aurais péri immanquablement. O. très chère ! Quel épouvantable état de se trouver suspendue sur l’embouchure de cet effroyable abîme ! Priez Notre Seigneur me faire la miséricorde, par sa très Sainte Mère, que je n’y retourne plus. Le seul effroi serai capable de faire mourir » (En Pologne, p. 188), (179).
Ensuite, elle lui fait part de son projet de leur envoyer le Règlement des Offices auquel elle travaille assidûment. (Ce Règlement est d’ailleurs en tous points remarquable. Celui de la Mère Prieure est un « véritable portrait » de Mère Mectilde par elle-même).
Le 30 décembre 1694, elle écrit à Mère Saint François de Paule : « Il faut que j’aime ma petitesse et mon abjection, je crois qu’il sera permanent et que ce sera celui qui consommera ma vie ; j’y suis, par la grâce de Dieu, si bien apprivoisée que je suis aussi contente que si j’étais dans un meilleur état ! » (Autographe n° 78), (1179).
On peut ainsi suivre Mère Mectilde au cours de ses dernières années grâce surtout aux Entretiens familiers et à sa correspondance avec Mère Saint François de Paule. Mais son chemin est tout tracé et nous avons déjà tout dit. Abandon et miséricorde sont les maîtres-mots, comme dans cette lettre du 4 février 1695 à Mère Saint François de Paule :
« Il faut s’abandonner à Dieu au-dessus de l’hu-main. Il lui plaît nous tenir dans l’épreuve, en vérité elle est grande, mais sa bonté est plus grande que notre désolation. Il faut croire que son infinie miséricorde prendra soin de vous en l’aimant et en le ser-vant de tout votre cœur. Ne vous accablez pas, la sacrée Mère de Dieu est votre Mère. Je vous conjure de saluer souvent son très Saint Cœur tout plein de bonté pour l’Institut. Ne vous affligez point, mais perdez-vous en Dieu par votre saint abandon, en priant et espérant » (511).
Le 20 mai 1695, samedi avant la Pentecôte, Mère Mectilde fait une confession extraordinaire relatée en détail par une de ses filles. Elle était bien malade lorsque, ce jour-là, « elle se leva dès 5 heures et s’habilla disant qu’il fallait qu’elle allât à confesse, entendre la Messe et communier. La Mère Sous-Prieure lui fit toutes sortes de remontrances pour l’en empêcher, lui faisant voir qu’elle se faisait mourir. Malgré tout ce qu’elle lui put dire, cette digne Mère tint toujours ferme en lui répondant seulement que Dieu demandait cela d’elle et que la très Sainte Vierge la pressait de le faire et lui avait dit dès le matin : « Va t’en ! », qu’elle n’y pensait point du tout, « mais, ma pauvre Mère, quand on me chasse, il faut bien y aller ! Que voulez-vous que je fasse ? Je me suis bien doutée que vous vous y opposeriez et je lui ai dit : “Très Sainte Mère de Dieu, elles ne me laisseront pas aller ! Faites donc qu’elles ne me contraignent point, si vous voulez que je fasse ce que vous demandez de moi”. Elle lui ajouta : “Mais, ma Mère, ne vous en mettez pas en peine, j’espère avec la grâce de Dieu, que je n’en serai pas plus mal”. Sur cette parole, la Mère la laissa descendre. Elle marchait avec tant de vitesse et de légèreté que nous en étions tout étonnées. Elle ne voulut ni bras ni bâton, sans doute que la Sainte Vierge lui donnait des forces, car autrement cela lui eût été impossible. Et en effet, elle a avoué depuis qu’il lui avait semblé qu’on la soulevait pour la faire aller plus vite. Avant que de descendre, elle nous disait de prier la très Sainte Mère de Dieu, et elle le faisait elle-même, qu’elle lavât ses péchés dans le sang de son divin Fils. Et quand elle fut remontée dans sa chambre, elle dit qu’elle avait auparavant représenté à la très Sainte Mère de Dieu qu’il fallait qu’elle se confessât, et qu’elle lui avait répondu : “Hé bien, confessez-vous !” Mais comment ferai-je ? lui dit-elle, sera-ce au Père N. ? Celui que j’attends ne viendra pas assez tôt. Elle me répartit : “Dites ce que vous savez et ne vous inquiétez pas”. (C’est qu’elle avait envie de faire une confession extraordinaire). Il m’a donc semblé qu’elle s’en chargeait, nie disant que je ne m’en misse pas en peine, et je me suis mise en devoir de me confesser, sans savoir ce que je voulais dire. Je n’ai pas plus tôt commencé qu’une si grande multitude de choses me sont venues à l’esprit que je ne finissais point. Je me suis confessée des résistances que j’ai eues au Saint Esprit, des obstacles que j’ai mis à ses grâces, à ses desseins, et de toutes les infidélités que j’ai faites contre lui et des mauvais effets que j’ai pu causer dans les âmes qui ont pu retarder leur perfection, enfin j’ai dit tout ce que j’avais à dire » (E.F.), (2918).
Et la narratrice continue : « Le même jour, étant seule avec elle, elle me dit qu’elle avait été à même de s’en aller dans cette maladie, que l’on l’y avait même comme invitée avec beaucoup d’honnêteté, que l’on (« on » c’est Jésus) n’a pas coutume de lui en tant faire, que la très Sainte Mère de Dieu lui avait dit « Vous pouvez, si vous voulez, venir », me laissant espérer une issue favorable sous sa protection, et comme mes affaires me reuinrent dans l’esprit, comme la chose qui y mettait plus d’obstacle, il me semblait qu’elle s’en chargeait, me disant que je ne n’en misse point en peine, mais je n’ai choisi ni la vie ni la mort ; je me suis contentée de dire : « Il en sera tout ce que Dieu voudra », ne sachant pas si ce ne serait pas une tentation, mais si ce n’en était pas, j’ai perdu un bon coup, je n’y reviendrai jamais ! (E.F.), (2918).
« Le lundi de Pentecôte, elle dit : « la seule chose qui me ferait désirer de mourir serait pour connaître Dieu plus parfaitement que nous ne le faisons en cette vie, et l’aimer davantage, car la connaissance produit l’amour ; mais Dieu en sait le moment, ce sera quand il voudra. Il ne faut pas vouloir en retarder ni avancer le temps ». Le mardi : « Je suis aussi languissante intérieurement qu’extérieurement, je ne saurai plus rien faire, je n’ai plus de vigueur, mais je porte ma langueur en esprit de pénitence... Il faut demeurer dans la disposition où Dieu nous met, le bénir toujours et toujours ». Et le jeudi : « Il faut tout avaler... encore s’il n’y avait que moi qui en goûte ! » (Br III, pp.21-23).
Voici bien Mère Mectilde peinte au naturel. Mais ses affaires la poursuivent et elle les poursuit courageusement. Elle écrit à ses chères filles de Pologne où cela marche mal. Un bon chapitre pour la Mère Prieure (949), des exhortations aux anciennes (1738). Elle travaille aux Constitutions, au Règlement des offices. Elle se sent trop vieille : « Nous verrons bien des affaires, surtout une prieure, car je n’y puis demeurer davantage. Cela perd la Religion, car il y en a qui n’obéissent plus à ce que nous disons. Je ne corrige plus et cependant les habitudes se forment... » Elle trouve la Communauté difficile et plaint celle qui lui succédera. Nous verrons cependant que quelques jours avant sa mort, elle saura très bien reprendre une de ses filles, lui laissant cette algarade comme dernier souvenir.
Nous avons ensuite trois lettres au Père Paulin, son directeur qui fut aussi, dans sa jeunesse, son fils spirituel. Elles nous montrent la grande détresse intérieure où elle se trouvait en 1695, 1696 et 1697.
Le 30 décembre 1695, elle lui écrit :
« J’avais bien prétendu avoir la consolation, mon très cher Père, de vous dire deux mots sur l’état que je porte qui est fort touchant. J’ai besoin de vous parler pour vous faire concevoir que, selon ce que je vois, il faut abandonner mon salut. Je vois toute ma vie si effroyable que je conclue que sans un secours extraordinaire de grâce, il faut périr. Je vous conjure, mon bon Père, par les entrailles de la divine miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ, de vous appliquer pour moi en sa sainte présence et que par le saint ange, vous me disiez ce que Notre Seigneur veut de moi, car je ne saurais jamais vous exprimer comme je suis, sinon de vous dire en deux mots que je ne vois qu’horreur et péché dans tout le cours de ma vie, je ne vois que crimes et péchés, dans l’incertitude de ma perte éternelle. Une autre que moi en serait au désespoir, mais je suis insensible à mon malheur. Je partirai sans que vous en ayez aucune compassion, je vous conjure, au nom du divin enfant Dieu, de vous y appliquer et de me dire ce que Dieu vous en fera connaître, en attendant que je puisse vous mieux exprimer ce que je sens. Comptez que je ne suis que péché, orgueil, vanité et tout ce qu’il y a de plus indigne. Je ne vois en moi que tout cela. Je ne me suis jamais vue de la sorte. Je vous prie au nom de Notre Seigneur et de sa très Sainte Mère, de m’écrire un mot après que vous aurez prié pour moi. Ne m’abandonnez pas, je suis moi-même dans l’abandon, car je ne puis me tirer de l’état où je suis. Je me vois périr avec une espèce de paix qui me devrait effrayer. C’est votre indigne fille » (885).
En 1696 un autre billet, elle le supplie de lui répondre, de demander son salut par la Sainte Vierge : « Je ne sais si je dois demeurer dans le silence, abandonné à l’adorable Providence sur plusieurs choses que je devrais vous dire, mon Révérend Père, et sur les réponses que j’attendais de votre charité. Ma détestable vie me fait une terrible frayeur pour passer à l’éternité. Si vous n’avez rien à me dire par la sollicitation de votre saint ange, redoublez du moins vos saintes prières. Je puis m’en aller sans avoir la consolation de vous revoir, je ne suis mal que d’un rhume, mais l’on meurt en tout temps, je ne puis m’assurer d’un moment. J’ai toujours espéré que usus m’obtiendrez miséricorde par la très puissante et très immaculée Mère de Dieu. Je vous supplie que ma confiance ne soit pas sans effet. Je sais que si vous lui demandez mon salut, elle vous l’accordera. Ne tardez pas un moment de lui demander, s’il vous plaît, et m’en donner des nouvelles. Ne refusez pas, mon très Révérend et bon Père, d’em — ployer pour cet effet tout le pouvoir que Notre Seigneur vous a donné. Votre charité ne sera pas sans récompense. J’attends ce secours comme d’un des vrais et sincères amis qui me reste sur la terre. Il y a longtemps que je sollicite intérieurement votre charité, mais il faut que Notre Seigneur parle à votre bon cœur. Écoutez donc sa divine parole et me la faites entendre. S’il ne vous donne rien, je tiendrai mon doute véritable. Un petit mot en charité pour la plus indigne qui soit sur la terre, indigne d’être dans l’honneur de votre bonté » (1185).
Le 4 mai 1697, elle lui écrit : « ... Priez (Dieu) mon très cher et bon Père, qu’il me regarde en sa divine miséricorde, je n’ai plus que vous sur la terre, et que je vois déjà un pied dans le ciel. Si vous allez le premier, comme je le crois, venez me secourir dans ce terrible passage qui sera pour moi plus que terrible parce que je mourrai comme une misérable pécheresse sans pénitence, à moins que vous ne m’obteniez miséricorde, c’est la charité que j’espère de votre bon cœur qui en recevra une éternelle récompense. C’est votre indigne fille et servante » (P 105, p. 352).
Puis elle s’explique davantage (p. 354) :
« Je vous avais écrit trois mots très cher (Père) dans la dernière confiance, mais Notre Seigneur m’a retenue et n’a pas voulu que j’augmente votre douleur. Je confesse que je n’étais pas raisonnable, mais comme mon cœur était fermé à tout le monde, mon penchant se tourna vers vous pour vous faire la confidence de l’état que je portais, qui est des plus surprenants, mais il est juste et saint dans la conduite de Dieu. Je ne dis pas : je le veux, il est déjà voulu, et je suis sans choix et sans élection ; mon Dieu étant le maître, je veux qu’il en use comme il lui plaira, et comme un martre absolu qui n’a pas besoin du consentement de sa créature. Son très saint Nom soit béni ! Continuez-moi vos saintes prières, car je ne sais ce que je deviendrai. En ma vie, je n’ai été de la sorte. Attendons-en les suites comme Dieu les voudra... j’ai été assez mal depuis quinze jours, je m’attendais tous les jours de suc-comber, mais l’on me fait vivre malgré moi et l’on me souffle de la vie quand je n’en puis plus. Adorons et attendons ce qu’il plaira au Seigneur de conclure. Je ne sais où tout cela aboutira. Bénissez, aimez et adorez-le pour moi ; je n’en puis dire davantage, je ne puis plus tenir ma plume, tout me quitte. Priez Notre Seigneur pour moi et sa très Sainte Mère, qu’il ne me quitte jamais » (1684).
La même année, elle écrit encore :
« Quoique vous soyez persuadé que je vous oublie...
... Il faut attendre la fin qui sera peut-être un effet très rigoureux de sa justice. Il y a déjà bien du temps que je portais quelque chose, mais à présent l’on m’y a abîmée. C’est ce qui a arrêté ma plume.
... Avec cela vous saurez que j’ai été toutes ces saintes fêtes dans une langueur mortelle, avec oppression quasi continuelle, tout cela n’est rien, n’y pensez pas, il faut mourir. J’ai pensé plusieurs fois que c’était la fin. Je vous confie mon enfer ou mon purgatoire, avec défense d’en parler à qui que ce soit, cette saillie est un effet de ma parfaite confiance en vous, mais avec confiance que vous brûlerez cette lettre sans y manquer, vous me ferez plaisir de me la renvoyer, pour me donner lieu de vous en écrire d’autres » (2632).
Elle est donc bien plongée dans « l’enfer du Pur Amour ».
Entre temps, elle a eu une « joie », ainsi le rapporte une de ses filles dans un entretien familier du 21 novembre 1696 :
« Notre digne Mère étant à la récréation nous dit : « Il faut que je vous fasse part d’une petite joie que j’ai eue ce matin qui n’a pas duré longtemps, puisque ce n’a été que depuis la sainte communion jusqu’au retour à notre place, où heureusement une de nos Sœurs m’aidait, car je crois que sans cela j’aurais eu de la peine à y retourner. Ce n’est qu’une idée ou une imagination, comme usus voudrez, que j’ai eue sur la fête d’aujourd’hui, quoique cela n’ait guère duré ».
Une religieuse lui dit : « Ma Mère, usus n’avez pas laissé de voir bien des choses ? » Elle lui répondit « Oui, il n’en faut guère pour cela. Ce que nous disons est en manière de récréation : il faut autant se divertir à cela qu’à autre chose. La joie n’est pas une chose qui me soit ordinaire, mais quoique je n’en aie point, je n’ai pas laissé d’en avoir une très sensible au sujet du mystère de la Présentation de la très Sainte Mère de Dieu au Temple, où il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire, quoique ce terme ne soit pas propre, dans l’admiration et toute transportée hors d’elle-même à la vue de cette petite colombe si belle et si parfaite, parce que jusques alors il ne s’était rien uu sur la terre qui en approchât. Et le Père éternel n’avait encore rien vu hors de lui-même de si beau ni de si parfait que cette petite créature, l’Humanité Sainte du Verbe n’étant pas encore formée. Il en fut charmé, à notre façon de comprendre, car je sais que le transport et l’admiration marquent une surprise dont
Dieu ne peut être capable ; mais je me sers de ces termes pour m’expliquer.
« Il me semblait donc voir la très Sainte Trinité tout appliquée à la considérer, y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer ce qui est dit dans la Genèse, et à plus juste titre, qui est dans la création du monde : « Dieu ayant considéré ses œuvres, il vit qu’el-les étaient bonnes », parce qu’ici c’est le chef d’œuvre de ses mains, c’est pourquoi il ne la trouve pas seulement bonne, mais très parfaite, très excellente et très digne de lui. Il se complaît dans son œuvre, s’applaudissant lui-même d’avoir si bien réussi dans ce chef d’œuvre de grâce et de nature...
« Le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s’y est vu comme dans un miroir, et voilà ce qui l’a charmé et rempli d’admiration, et la joie qu’il en a eue a été si grande que, quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd’hui avec autant de complaisance que s’il ne l’avait jamais hue. Toute la très Sainte Trinité s’est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâce qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes.
« Le Père la regardant et l’aimant comme sa fille. Le Fils qui ne s’est point encore incarné... la regarda dès ce moment comme celle qui devait être sa mère. Le Saint Esprit comme son épouse. Et en ces trois qualités, elle fut comblée par les Trois divines Personnes. La joie de Dieu en a fait ma joie dans cette rencontre ».
Et notre narratrice de conclure : « Ceci n’est qu’une faible expression de ses paroles qui étaient si sublimes et élevées que l’on ne les a pu bien retenir, cela surpassant nos pensées et notre compréhension. De fois à autre elle répétait comme toute pénétrée : « Il est vrai que j’ai vu de belles choses en un moment qui m’ont transportées de joie. J’en ai pensé tomber, étant presque hors de mois » (2120) et (D 12, p. 9).
En 1697, nous pouvons relever encore deux échos de son âme :
Le 22 mai, elle écrit :. « Quand il plaît à Dieu d’anéantir l’on ne peut s’échapper de ses divines mains. J’y suis si plongée que de ma vie je n’en reviendrai ; mais, à vous dire vrai, pour mon particulier j’y ai trouvé le paradis, mais il n’en est pas de même d’une Communauté qui n’a que des murmures et des plaintes... Mais si j’y ai trouvé la paix et le repos dans ma destruction, j’y ai trouvé une douleur mortelle de ce que vous souffrez et que les autres maisons en peuvent souffrir. La mort serait plus agréable, mais elle n’est pas à notre choix » (3020).
Et le 16 septembre de la même année : « Notre Seigneur est si miséricordieux qu’il donne par sa grâce le soutien dans les croix que son adorable Providence fournit. Comme il me fait la grâce de ne rien voir que dans sa très sainte volonté, je suis calmée au moment que je l’envisage, quoique la nature y trouve de quoi sacrifier, mais il le faut vouloir. Je n’ai pas de peine pour ce que je puis souffrir et qui peut tomber sur moi, mais j’en ressens pour ce que vous en souffrez vous-même et que tout l’Institut pâtit. C’est là ma croix, et non ce qui me pourrait toucher moi seule. Mon Dieu me paraît si saint, si juste et si adorable en tout ce qu’il m’envoie, que je n’ai rien à dire sinon : lustus es Domine ! (1178).
Ceci rappelle ce qu’elle écrivit à Fénelon36 la même année : « Je sens en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu’aussitôt qu’il m’y met, je baise, je caresse ce précieux présent ; et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon cœur éclate en bénédictions et est content d’être détruit et écrasé sous toutes ces opérations pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée » (D.H., p. 31).
Le 12 octobre 1697, elle nous dit en nous parlant de Dieu comme à son ordinaire : « Jamais je n’ai eu moins de lumière et jamais je n’ai été si éclairée que je le suis à présent. Comment — nous dit-elle agréablement — comprendre et entendre cela ? C’est pourtant véritable : c’est une antithèse. Je vous dirais qu’il ne faut pas tant de multiplicité pour la vie intérieure, mais je conseille d’aller tout simplement à Notre Seigneur ».
Une religieuse lui ayant demandé si l’abaissement de l’âme devant Dieu faisait son anéantissement, elle lui répondit : « L’abaissement de l’âme devant Dieu, quoique ce soit une très sainte disposition, ne fait pas son anéantissement. Il faut bien que Dieu fasse en elle d’autres opérations pour la disposer à cet anéantissement. Et quand il l’en a rendue capable, il la détruit et anéantit comme il lui plant, par des dispositions pénibles et crucifiantes et si intimes et secrètes qu’elle ne les connaît pas elle-même. Il y aurait bien des choses à dire là-dessus, si Notre Seigneur m’en donnait la grâce. Mais il faut qu’il me la donne, je ne l’ai pas à présent. Il m’est très pénible de parler et d’agir, mais pour souffrir j’y prends mon plaisir ».
Ce même jour au soir, qui était le samedi, nous parlant de la sainte communion elle nous dit : « A quoi me sert-il de manger Dieu s’il ne me mange ? Nous le mangeons par la sainte communion, mais cela ne suffit pas pour demeurer en lui, il faut qu’il me mange et qu’il me digère ; c’est ce que je lui demanderai demain à la sainte communion ». Une des religieuses qui était présente quand elle dit ces paroles ne manqua pas le lendemain de l’interroger pour savoir si Notre Seigneur lui avait accordé ce qu’elle lui aurait demandé. Elle lui répondit avec une certaine allégresse : « Oui, il m’a. mangée, et je dirais même là-dessus les plus jolies choses du monde, mais dans le temps où nous sommes, cela serait fort mal tourné. Notre Seigneur est un trop gros morceau pour moi, je ne peux pas le digérer, mais moi, il me digère en un moment. Et comment ? Ce n’est pas à la façon que nous digérons les viandes... La réponse donc que Notre Seigneur a faite à ma demande, puisque vous la voulez savoir a été : “Oui, je le veux, passe en moi”. Je me suis coulée comme un petit mou-cheron en Dieu ; c’est proprement le Tout qui absorbe le néant. Voilà ce que j’appelle être mangée et digérée de Dieu. Une âme mangée et digérée de la sorte est passée en Dieu, il la cache dans sa face, elle est absorbée en lui et pour ainsi dire elle fait partie de lui-même ».
Et elle poursuit : « J’ai vu en passant son Cœur adorable comme un brasier ardent capable de consommer toute la terre. Je ne suis pas restée cependant dans ce divin Cœur parce que je suis trop impure ; il y a plus de trente ans que je l’ai prié de me tenir sous ses pieds. J’ai été effrayée de voir l’amour infini de ce Cœur adorable envers les créatures. Il ne s’irrite point contre elles, pour tous les outrages qu’il en reçoit à tout moment. Au lieu de nous foudroyer comme nous le mériterions, il n’en a pas même de ressentiment. Il n’est pas vindicatif : toujours prêt à nous recevoir, il n’attend pas même que nous allions à lui. Il nous pré-vient par ses grandes miséricordes. Il nous presse intérieurement de retourner à lui, et nous n’avons pas plutôt conçu le regret de nos fautes et demandé pardon qu’il nous a déjà pardonné, oubliant tout le passé sans nous en faire aucun reproche. Un auteur dit qu’un flocon d’étoupe jeté dans un brasier n’est pas plus tôt consommé que nos péchés le sont en Jésus Christ aussitôt que nous avons du regret de les avoir commis » (1974).
Cet « auteur » est peut-être bien sainte Marguerite-Marie. Du moins elle s’exprime ainsi.47 Ce texte est très important, car il nous montre combien la vue de la miséricorde l’a emporté sur celle de la justice. Mère Mectilde « n’en revient pas » (ainsi pourrait — on traduire son « effrayée ») de voir jusqu’où va la miséricorde du Seigneur. Elle reparlera de cette expérience à une de ses filles en particulier, qui le rapporte comme suit :
« Ces jours-ci je pensais que comme nous communions et que nous mangeons Notre Seigneur, il faut aussi que Notre Seigneur nous mange. Savez-vous bien comment il nous mange ?... c’est que quand l’âme est fidèle, Notre Seigneur l’attire en lui et se l’unit si intimement qu’il en fait une petite portion de lui-même, si bien que, étant ainsi toute unie à Jésus Christ, elle demeure en lui. O Précieuse demeure ! elle est ineffable : c’est une fournaise ardente où l’âme est toute embrasée, toute remplie de lumières et toute inondée de grâces. Si vous aviez été un moment dans cette demeure, vous concevriez ce que je ne puis exprimer, car c’est quelque chose de si divin et délicieux que je n’ai point de paroles pour le dire.
Elle me dit des termes encore plus forts et expressifs que je n’ai pu retenir, tant ils étaient élevés ; mais d’une manière si suave qu’il me semblait qu’elle goûtait ce qu’elle me disait, et que c’était par la divine expérience qu’elle en avait » (P 123, p. 46).
Un autre jour du même mois elle dit : « On m’a appris depuis peu que lorsqu’on se trouve occupé d’inutilités, il faut s’en séparer aussi promptement que l’on se déferait d’un charbon de feu qui serait tombé sur la main, parce qu’il n’y doit point avoir de vide dans notre vie et que tout appartient à Dieu. C’est une sorte de petit reproche que l’on m’a fait, me disant intérieurement : “Tu ne l’ignorais pas, mais tu n’en faisais pas mieux”. C’était une de ces nuits passées... J’apprends — encore tous les jours bien des choses ».
— Mais, ma Mère, quand on s’aperçoit qu’on est dans l’inutilité, c’est souvent après y avoir perdu des heures...
« Qu’importe ! Sortez-en au plus tôt sans songer au passé. Pour peu qu’une âme fasse de son côté, Dieu est si bon, il a un amour et un penchant si grand pour sa créature qu’il ne saurait se tenir en repos : il faut qu’il lui fasse des grâces » (E.F., p. 119), (1974).
Dans la même conversation, elle nous apprend qu’elle ne fait point de résolutions : « Une religieuse disait qu’elle ne commettait point de fautes sans en concevoir du regret, et la preuve qu’elle en donnait c’est qu’elle prenait toujours la résolution de n’y point retomber. Notre digne Mère prit la parole : « Qu’est-ce que c’est de vos résolutions ? vous empêchent-elles de faire des fautes ? Je suis assurée qu’après toutes ces belles résolutions, vous en faites aussi facilement. Pour moi, je ne sais point faire de résolutions, mais ce que je fais, c’est de me tenir auprès de Notre Seigneur. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour m’empêcher de tomber ! Je vous conseille de vous en servir et vous verrez que vous vous en trouverez bien... Oh ! qu’il fait bon être à Dieu ! (Ego Dei sum !). Pour moi, je me tiens toujours sous sa main adorable » (1970).
Nous arrivons à la dernière année. Elle n’a pas quatre mois à vivre. Et voici un « écrit de notre digne Mère sur la disposition à la mort » daté de 1698. Il est très précieux pour nous, aussi nous le donnons en entier :
« Une Fille du Saint Sacrement qui a usé ses jours à adorer Notre Seigneur au divin Sacrement doit mourir en parfaite adoratrice, c’est à quoi elle doit remplir son obligation et consommer son sacrifice de la manière la plus parfaite puisqu’il y consomme son être en réalité par la mort qui le détruit. Il est donc important d’en remplir l’esprit de la religieuse mourante afin qu’elle perfectionne sa mort dans l’esprit du Sacrifice. Je crois qu’une religieuse adoratrice voudra de bon cœur consommer saintement son adoration en se rendant soumise à la très sainte volonté de. Dieu, prétendant se reconcentrer en Dieu, passant de la vie à la mort pour n’en jamais revenir. C’est là le parfait Sacrifice. C’est pourquoi celles qui assistent les mourantes diront dévotement l’oraison du Saint Sacrement qui est à notre usage en esprit de réparation pour l’agonisante, priant Notre Seigneur de lui faire la grâce de consommer dignement son sacrifice par une adoration parfaite et éternelle qui sera l’effet d’une sainte mort » (2870).
On aimerait suivre jour après jour les deux dernières semaines de Mère Mectilde, et l’on voit presque comme un « signe » sur sa vie que ces deux dernières semaines soient la Semaine Sainte et celle de Pâques.
Mardi Saint : 25 mars. C’est le jour anniversaire de la naissance de l’Institut.
Ensuite son biographe note seulement : « Elle assista encore, quoique très languissante, à tout l’office de la Semaine Sainte ».
Comment a-t-elle passé son dernier Jeudi Saint ? Qu’a-t-elle dit à ses Filles ce jour-là ? On peut le présumer en — relisant une de ses conférences. Malheureusement elle n’est pas datée, mais elle est sans aucun doute une des dernières :
« J’aurais assez d’ambition pour désirer faire cette action encore pour la dernière fois de ma vie, mais Notre Seigneur m’en ayant ôté le pouvoir, je me contenterai de vous exhorter à le faire saintement.
« Quand on vous lavera les pieds, ne regardez point celle qui vous les lave, mais regardez que c’est Notre Seigneur qui le fait et qui est à vos pieds. Ne voyez que Jésus. En un mot, faites cette action avec un esprit intérieur pour honorer celle de Notre Seigneur. C’est ainsi qu’il faut toujours agir et vous y trouverez bénédiction.
« Préparez-vous et appliquez-vous à recevoir les grâces que Notre Seigneur veut vous départir par celle qui fera le lavement des pieds. Demandez-les-lui aussi pour elle et priez-le de l’y préparer.
« Je vous le répète, agissez toujours ainsi, avec esprit intérieur. Quand je vois qu’on fait humainement les choses divines, cela me tue. Appliquez-vous à tous les mystères de Notre Seigneur et à ses souffrances excessives. C’est réellement qu’il est mort, ce n’est pas une imagination. Il n’y a pas une créature sur la terre qui, si elle avait une entière connaissance des souffrances de Notre Seigneur, en pourrait supporter la vue sans mourir. II n’y a que le Père éternel, qui les a fait souffrir à Jésus, et son Fils Jésus Christ qui les a endurées, qui en connaissent toute la grandeur. Hélas, nous sommes si sensibles au moindre affront qu’on nous fait, les grands cœurs les ressentent si vivement, et Notre Seigneur qui avait le plus grand et le plus beau de tous les cœurs, jugez de ce qu’il a dû éprouver au milieu de tant d’opprobres et de souffrances en tous genres.
« Ah ! j’ai un cœur de chair pour moi, et pour mon Dieu je n’ai qu’un cœur de pierre. Je suis sensible à tout ce qui me regarde et si insensible pour Jésus Christ notre Seigneur ! Si nous ne pouvons nous occuper comme nous le voudrions des souffrances de notre adorable Sauveur, soyons-en dans l’humiliation et la confusion et entrons au moins dans quelque compassion des excessifs tourments qu’il endure pour l’amour de nous. On dit que ce n’est qu’au jour du jugement que nous connaîtrons tout ce que Notre Seigneur a souffert pour nous et l’étendue de son excessive charité pour les pécheurs. O Mon Dieu, permettez-moi de vous dire que cette connaissance alors ne nous servira de rien. Je vous prie donc de nous avancer ces lumières et ces connaissances, de nous les donner à présent afin que nous en profitions, que nous vous connaissions et que nous vous aimions !
« Le Père éternel nous a donné son fils unique : c’est beaucoup, mais en un sens ce serait peu pour nous, s’il ne nous l’avait encore donné pour nous sauver et nous racheter en mourant pour nous. Oh ! quelle excessive charité !
« C’est bien en ce saint temps que Dieu fait toutes choses nouvelles (Apoc. 21, 5), que tout va être renouvelé. Recevez donc une nouvelle vie en Jésus Christ et par Jésus Christ.
« C’est par la communion que Jésus Christ se met à vos pieds. Oui, Jésus Christ est à nos pieds dans la communion. Hélas, s’il n’y est pas encore plus mal qu’à nos pieds ! Notre Seigneur n’a jamais regardé que la gloire de son Père, le salut et la conversion des pécheurs, et sa plus grande douleur en mourant fut de voir combien il y en aurait qui ne voudraient profiter de sa mort. Ah ! combien n’y en a-t-il pas qui ne veulent pas que les souffrances de Jésus leurs soient appliquées et qui n’en profitent point ! Priez beaucoup en ces saints jours pour la conversion des pécheurs et pour les âmes du purgatoire » (880).
Le mardi de Pâques, elle était encore en pleine activité, puisqu’elle se préparait à faire le chapitre des emplois. Écoutons plutôt ce dernier souvenir d’une de ses filles :
« Le mardi 1er avril 1698, sachant que notre digne Mère allait faire les officières, je la priai de ne me point donner d’emploi parce que j’étais bien aise de me retirer pour m’appliquer davantage à Dieu. Elle prit la parole, ne me donnant pas le temps d’achever ce que je lui voulais dire, et me parla d’une manière forte, me témoignant qu’elle n’était pas contente de ma demande : “Vous serez ce que Notre Seigneur voudra, me dit-elle, je ne puis souffrir les âmes qui disent qu’elles seront bien aises de ceci ou de cela, il ne faut être bien aise que de faire la volonté de Dieu et de souffrir pour lui”. Ce sont les dernières paroles qu’elle m’a dites en particulier avant que de mourir » (2003).
Et cependant, le même jour, elle va dans le jardin à une chapelle dédiée à la Sainte Vierge, et y reste plus d’une heure en prière ; et comme ses filles la pressent de rentrer, elle leur dit : « je ne le puis, il faut que je remette l’Institut entre les mains de la sainte Mère de Dieu ». Est-ce un pressentiment ? C’est à croire, car, encore ce mardi, elle fait part à une de ses filles de sa mort prochaine, et prie une autre d’aller à sa place voir au parloir une de ses amies pour lui faire dire qu’elle n’était plus de ce monde et lui disait « A Dieu ! ».
Le mercredi, elle fait encore cette confidence : « Je me sens attirée et pressée d’aller à Dieu ; la seule douleur de mes chères filles me fait peine ; mais il faut qu’elles s’y disposent, et dans peu ».
Et c’est dans la nuit du mercredi au jeudi — ce précieux jeudi — qu’après avoir fait ses trois heures d’oraison et dit son office, elle est terrassée par la maladie. Vers la fin de la matinée on lui donne les derniers sacrements et on lui porte la communion.
Le vendredi elle semble un peu mieux, mais le samedi on juge son état désespéré. À une dame pensionnaire qui lui disait : « Hé ! quoi, ma Mère, vous nous délaissez ! » Elle répond par les paroles du Seigneur à Marie-Madeleine : « Je m’en vais à mon Dieu, je m’en vais à mon Père ! »
Enfin le dimanche de Quasimodo, jour de « Pâques closes », 6 avril, (anniversaire présumé du premier Jeudi Saint) entre minuit et une heure elle fait sa dernière communion et prolonge longtemps son Action de grâce. Vers six heures, le Père Paulin, son confesseur, lui demande : « Ma Mère, que faites-vous ? à quoi pensez — vous ? » Elle lui répond par ces deux mots qui ouvrirent jadis sa mission de fondatrice et qu’elle redit si souvent depuis : « J’adore et me soumets ». Quelque temps plus tard, comme il lui demandait un mot pour ses filles en pleurs autour d’elle : « Dites-leur, mon père, qu’elles me sont et me seront toujours présentes. Qu’elles se jettent à corps perdu dans les bras de la très Sainte Vierge ».
Ce sont ses dernières paroles. Vers les deux heures, elle se redresse et s’assied sur son lit, puis elle incline la tête et rend l’esprit si doucement qu’on ne peut saisir son dernier soupir. Elle avait quatre-vingts-trois ans.
Elle avait dit un jour de Quasimodo : « C’est aujourd’hui “Pâques closes”. Voilà qui est fait pour cette année. Nous ne reverrons plus les jours saints. Pâques signifie “passage”. Où êtes-vous ? Passées en Jésus Christ ? Vous avez toutes communié, et par la sainte communion vous êtes passées en Jésus Christ. Mais ce n’est pas tout, il y faut demeurer et n’en plus revenir » (10 avril 1695). (1967).
Ainsi s’acheva la Pâque de Mère Mectilde.
Le Lundi de Quasimodo, en la fête (transférée cette année-là) de l’Annonciation, tandis que la Communauté « versant un torrent de larmes », se trouvait dans l’impossibilité de chanter, les moines de Saint Germain des Prés vinrent fraternellement à leur secours et chantèrent le premier service pour Mère Mectilde. On la déposa « à la chapelle de Saint Joseph où il y a une grande grille qui donne sur l’église du dehors ».
Voici la « première épitaphe » relevée par l’abbé Berrant (p. 280) :
Au pied de cet autel gît la parfaite amante d’un Dieu qui, par amour,
dessus le même autel en victime innocente pour nos péchés s’immole chaque jour.
Mectilde qui se fit, lorsqu’elle était vivante, une loi d’imiter en tout ce même Dieu
par une charité tout à fait surprenante
se fit, pour les pécheurs, victime dans ce lieu. Pleine du feu divin qu’animait un grand Zèle, tous les jours aux yeux du Sauveur
elle immolait son esprit et son cœur
pour réparer t’offense criminelle
que la créature infidèle
tous les jours commettait contre son créateur. Elle mit tous ses soins à réparer la gloire
de son Dieu méprisé par les profanateurs.
Pour une œuvre si sainte, si digne de mémoire, elle établit ici de vrais adorateurs
qui jour et nuit en ta présence
de ta divine Majesté
immolent par l’austérité
d’une sévère pénitence
leurs esprits et leurs corps
pour fléchir la clémence
d’un Dieu irrité.
Elle fut la première à leur donner l’exemple : on la vit jour et nuit adorer dans ce temple, le faire retentir de ses saintes louanges.
Ne soyons pas surpris qu’ayant dans ces bas-lieux dès son vivant fait l’office des anges
elle le fasse à présent dans les cieux.
La deuxième épitaphe, qui ne nous est pas connue, est peut-être plus simple que celle-ci, qui le saura jamais ? À ce jour, le cercueil de Mère Mectilde n’a pas été retrouvé. Seul il avait disparu parmi ceux de toutes ses filles de la rue Cassette. Peut-être, même dans la gloire, ne veut-elle pas que nous nous arrêtions à « cet objet humain » (comme elle disait), mais que nous recueillions comme héritage son cœur et son esprit, comblés par l’Esprit de Dieu.
Mère Monique des Anges, une des plus fidèles copistes des écrits de Mère Mectilde, a consigné dans le manuscrit D 12 quelques « lettres de plusieurs personnes de vertu et de mérite touchant la Révérende Mère Mectilde du Saint Sacrement, tant durant sa vie qu’après sa mort, qui feront voir combien elle était en estime et réputation de sainteté de tous ceux qui avaient le bonheur de la connaître » (D 12, p.518).
Elle commence par la lettre du Frère Luc de Bray, déjà citée. On y trouve aussi le témoignage du Père Guilloré, relevé en son temps.
Enfin, pour la petite histoire, nous relevons quelques passages parmi les lettres d’un certain « Monsieur de V. grand serviteur de Dieu ». Les sages, les savants, etc. peuvent arrêter ici leur lecture. Mais enfin ce nouveau « Pélerin d’Emmaüs » clôt assez bien la « route pascale » de Mère Mectilde, et nous donne, à tout le moins, une idée de l’estime en laquelle la tenaient « ceux qui avaient le bonheur de la connaître ».
Cette première lettre est adressée à une de ses religieuses et datée du 16 avril 1698 :
« Jésus soit aimé.
J’ai reçu votre lettre ce matin, après avoir dit ma messe pour votre sainte défunte, dans laquelle vous me marquez sa maladie : c’était un fruit mûr pour le paradis ; Jésus Christ la voulait récompenser de ses travaux qu’elle avait souffert pour sa gloire. Oh ! qu’elle est heureuse et grande devant Dieu ! Adressons-nous à elle dans nos besoins, car j’espère (tout pécheurs que nous sommes) qu’elle nous assistera. Je veux bien vous dire un petit secret comme à une de mes amies, que vous ne direz à personne : vous ne m’en parlerez pas même. C’est qu’étant parti le lendemain de l’Annonciation pour aller voir mes sœurs religieuses à Rosay48, comme je revenais, entrant dans un bois, j’eus une présence de la vénérable Mère du Saint Sacrement, et à l’instant je la vis à mon côté droit qui m’accompagnait et qui marchait avec moi : tout cela se passait dans le plus intime de mon âme, sans que les sens y eussent part. Je ressentais une grande paix et une douceur de paradis : elle m’entretenait de la grandeur de Dieu :
“Magnus Dominus et laudabilis nimis in civitate Dei nostri” Ps. 47, 2 et de sa grande bonté
"Quam bonus Israël Deus his qui recto sunt corde" Ps 72, 1-7.
Je lui répondais durant cette contemplation : cela dura un peu de temps. Après quoi je dis en moi-même, cette vue étant passée : Hélas ! Ma Mère Mectilde du Saint Sacrement serait-elle morte ? Car je ne savais pas qu’elle l’était : ceci arriva à une heure après midi.
Je poursuivis mon chemin, toujours très content et plus que je ne vous saurais dire, à pied, mon bâton à la main.
Vers les 4 heures après midi, je trouvai un de mes amis qui me dit entre autres choses que la Révérende Mère du Saint Sacrement était morte et que ses
filles étaient en pleurs ; je baissai la tête et lui dis fort peu de choses ; mais quand je l’eus quitté, je disais et redisais les paroles des pèlerins d’Emmaüs :
“Nonne cor nostrum ardens erat in nabis dum loqueretur in via ?” (Luc 24, 3). Je ne m’étonne plus de ce que mon cœur était si ardent pendant que cette digne Mère m’entretenait des bontés et de la
sainteté de son divin Maître.
Brûlez ma lettre et me croyez, ma très chère Mère, votre très humble... ».
Vaine recommandation ! La lettre suivante nous apprend que la Mère n’a pu tenir sa langue :
« Jésus soit aimé ! 1er Mai 1698.
Ma révérende Mère, je viens de recevoir votre lettre que la personne qui vient de Paris m’a remise ; elle m’a promis qu’elle vous donnerait celle-ci en mains propres. Vous me faites grand plaisir de me dire que vous n’avez communiqué ma lettre à personne, cependant d’autres le savent : je ne sais pas comment cela se fait !...»
Monsieur de V. n’en continue pas moins ses confidences. Relevons-en encore deux : A la même religieuse.
« Jésus soit aimé 1 » Mai 1698.
Je prie Dieu qu’il vous fasse sainte, et ma chère Mère de Jésus aussi. Je vous renvoie vos écrits et vous suis fort obligé.
J’ai été bien en peine, ma chère Mère, depuis que je ne vous ai vue, mais Dieu merci, notre vénérable Mère Mectilde du Saint Sacrement, que j’ai invoquée, m’en a ôté et m’a fait un grand plaisir. Vous saurez qu’un nommé Monsieur Chevreuil, peintre, étant venu ici et s’en retournant à Paris, je le priai de vouloir bien porter un paquet de papiers de conséquence aux Feuillantines, à la Mère de Sainte Cécile, qui les ferait tenir à leur adresse ; il me le promit et les mit dans une boîte, afin d’être plus en sûreté : je lui réitérai encore en partant d’en avoir bien soin et de prendre garde de la perdre. Je fus bien surpris le soir du même jour de recevoir une lettre de lui qui m’écrivait que la boîte s’était crevée en chemin et que mes papiers étaient perdus. Je fus sensiblement mortifié et je m’en allai à mon oratoire prier la vénérable Mère du Saint Sacrement de me faire recouvrer mes papiers.
Madame notre Abbesse qui sut ma peine m’envoya quérir et elle me dit qu’elle prenait bien part à ma mortification ; elle ajouta : « Mais comment n’invoquez-vous point de ces grandes âmes que vous avez connues ? »
— Je l’ai déjà fait, lui dis-je.
— Et qui ?
— La vénérable Mère Mectilde du Saint Sacrement.
— Oh ! bien, repartit-elle, si elle est si sainte que l’on dit, elle vous fera trouver vos papiers.
— Madame, je l’espère, lui dis-je.
Quatre jours après, on me manda des Feuillantines qu’un pauvre homme inconnu leur avait apportées exprès mes papiers qu’il avait trouvés le long d’un bois, à quatre lieues de Paris ; et nos gens qui conduisaient la charrette me dirent qu’ils croyaient que la boîte s’était défaite au commencement du faubourg Saint Antoine.
Remerciez notre bonne Mère pour moi. Mes très humbles saluts à la Révérende Mère Prieure, à la Mère Sainte Madeleine, à la Mère de Jésus et à toutes vos bonnes amies. Je suis votre... »
On aimerait savoir le nom de cette bonne Abbesse, nouveau Saint Thomas !
Enfin, voici une dernière lettre de Monsieur de V. à un religieux, cette fois, où il résume ses relations ante et post mortem avec notre Mère Mectilde :
« Jésus soit aimé » 1698. Mon Révérend Père,
Un abbé de mes amis me priant d’aller avec lui aux Filles du Saint Sacrement, remercier la Révé-rende Mère Fondatrice Mectilde du Saint Sacrement, d’un grand plaisir qu’elle lui avait fait, car elle tâchait de faire plaisir à tout le monde ; nous y fûmes, nous la remerciâmes : et en prenant congé d’elle, elle me dit de la venir quelquefois voir : je le souhaitais beaucoup ; mais je fus vingt ans sans y aller ; Notre Seigneur ne m’en donnant pas la pensée, jusqu’à l’année 1695 que je la fus voir, et que je continuais à lui parler jusqu’à sa précieuse mort. Il est vrai que c’était un plaisir de l’entendre parler de Dieu et des grandeurs de la Sainte Vierge. J’étais surpris et j’admirais la force de son esprit à son âge, et son grand amour pour Dieu.
Environ dix mois avant sa mort, elle m’apparut. Je connus dans ma vision qu’elle mourrait bientôt et qu’elle ne passerait pas l’année, comme il arriva ; c’était le jour de la Sainte Trinité, deux de juin de l’année 1697, et elle est morte le six d’avril 1698. Je vis quelque temps après des anges qui la portaient et qui disaient : « Nous la voulons, nous l’aurons, vos prières ne seront plus exaucées ».
Elle m’a assisté depuis sa mort en diverses rencontres, et je l’ai vue dans la gloire parmi les saints.
Une fois, disant une grand messe de Requiem pour elle, je la vis pendant que le chœur chantait l’offertoire « libera animas... » sous la forme d’une colombe très blanche qui prit son vol de dessus la crédence par-dessus l’autel et alla dans la plaie du côté du Christ qui était sur l’autel, et elle s’y cacha.
Une autre fois, je la vis qui avait un grand crucifix : le bois prenait du haut de la guimpe jusqu’aux genoux, il tenait sur sa poitrine, quoique je ne le visse point attaché : le Christ était vers moi, et le bois de la croix tenait au scapulaire de la vénérable Mère Mectilde du Saint Sacrement. Après que j’eus bien regardé le Christ, je dis à la
Mère : « Je vous vois toujours ou caressée de Jésus Christ ou avec lui, et point Notre Dame que vous aimez tant ! » — Oh ! que je l’aime, me dit-elle, oh ! que je l’aime ! ». Elle ajouta ces paroles : « Mais voici (en serrant ce grand crucifix entre ses bras sur son cœur, avec une sainte ardeur, mais si tendre qu’en y pensant encore à présent j’en suis tout touché) elle disait ces paroles de l’hymne de Saint Bernard :
« Iam quod quaesivi video
quod concupivi teneo...
(Je vois déjà ce que j’ai cherché et je tiens maintenant ce que j’ai désiré avec tant d’ardeur...) » et plusieurs autres paroles de l’amour de Jésus Christ.
Comment ne pas penser à l’antienne de sainte Agnès ?
Ecce quod concupivi, iam video,
quod speravi, iam teneo :
Illi sum iuncta in coeiis
quem in terris posita
tota devotione dilexi. 37
1. P 101 : Biographie de Mère Mectilde, rédigée par sa nièce, Gertrude de Vienville. La lettre d’approbation, signée du
Chanoine Simon Gourdan, de l’Abbaye de Saint Victor est datée du 26 avril 1701.
2. GIRY François (1635-1688). Provincial des Minimes qui a écrit une Vie de Mère Mectilde, dans la Vie des Saints, trois volumes, 1719.
3. BERRANT Pierre. Aumônier de la Visitation de Melun. Directeur spirituel d’une haute valeur. Il a demeuré de 1690 à 1715 à Melun. Il était un des correspondants de Malebranche. Sa mère, Madame de Faverolles habitait à Marcilly.
4. COLLET (Dom Firmin-Dunstan), né le 21 juin 1824 à Fay-en-Haye (Meurthe et Moselle), profès de l’Abbaye Saint Pierre de Solesmes le 8 décembre 1848. Quitte Solesmes vers 1865 pour être secrétaire de Mgr Mermillod, évêque de Genève. Décédé en 1892. Il a écrit une Vie de Mère Mectilde, restée manuscrite, qui est conservée à l’Abbaye de Pradines.
5. DUQUESNE (abbé) : Vie de la Vénérable Mère Catherine de Bar, dite en religion Mectilde du Saint Sacrement, Nancy, 1775.
6. BREM (Elisabeth de), Mère Benoite de la Passion, à vingt — trois ans, veuve, entre chez les Bénédictines de Rambervillers ; en 1634, elle est maîtresse des novices, et de 1653 à sa mort en 1668, elle est Prieure. Mère Mectilde fut son amie intime (Documents historiques, Rouen, 1973, p.225).
7. GROMAIRE, Mère Bernardine de la Conception, Prieure du
monastère de Rambervillers lorsque Mère Mectilde y prit l’Habit de saint Benoît, était une des plus grandes religieuses de son temps. En 1653, Mère Bernardine vient rejoindre Mère Mectilde à Paris, elles travaillent conjointement à l’établissement de l’Institut. Sous-Prieure au premier monastère, elle aida à la fondation de Toul et en fut la première Prieure ; et fut Prieure pendant dix ans du deuxième monastère de Paris (Saint-Louis). Elle est décédée rue Cassette, le 28 janvier 1692 á minuit.
8. GUÉRIN (Julien), prêtre missionnaire à Tunis (1605 — 1648), soldat puis Lazariste en 1640. Envoyé par M. Vincent pour porter des aumônes en Lorraine. Il y perd sa santé, et envoyé à Saintes puis à Tunis (1643) où il s’occupe des esclaves, convertit le fils du « Dey » de Tunis. Il y meurt de la peste en 1648. Grandet, Les Saints Prêtres Français, du XVIIème siècle, 1897, T. I, p. 190 ; d’après le manuscrit original de Letourneau PSS.
9. BÉTHUNE (Anne-Berthe de) (1637-1689). Petite-nièce de Sully, ministre de Henri IV, petit-fils de Philippe, comte de Selles-sur—Cher, gouverneur de Gaston d’Orléans, fille d’Hippolyte de Béthune, qui légua à Louis XIV les 2 500 manuscrits qui forment le fonds Béthune, à la Bibliothèque Nationale. Anne-Berthe fut confiée, à l’âge de trois ans, à sa cousine Anne Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-lès-Tours. En 1669, à la mort de Madame de Vaucelas, elle fut choisie pour lui succéder à la tête de l’Abbaye de Beaumont—lès—Tours, où elle fit son entrée le 15 octobre 1669. Une amitié spirituelle la liait à Mère Mectilde (Les Bénédictines de France en Pologne, Rouen, 1984, p. 119).
10. QUINET (Dom Louis), religieux de l’Ordre de Citeaux, né à la Houblonnière (diocèse de Lisieux) vers 1595, mort à Barbery en 1665, se fit recevoir à Paris docteur en théologie, fut mis à la tête de l’Abbaye de Royaumont et devint Abbé de Barbery en 1638. Il introduisit dans ces deux maisons une discipline plus régulière. Il était confesseur de Richelieu. A.Glaire, Dictionnaire des Sciences Ecclésiastiques, Paris, 1868.
11. BERNIERES—LOUVIGNY (Jean de) trésorier de France à Caen. Né en 1602, mort en 1659, il avait établi une Communauté composée d’ecclésiastiques et de laïcs qui vivaient ensemble, unis par les liens de la ferveur et de l’oraison ; c’est ce qu’on appelait l’Ermitage. Il contribua aussi à l’établissement d’hôpitaux, de couvents, et à la fondation de l’Église du Canada. Il fut l’ami et le conseiller de saint Jean Eudes (1601-1680) et de Henri — Marie Boudon (1624-1702) et de nombreux « spirituels », prêtres et laïcs.
12. ROOUELAY, prêtre, était le secrétaire de Jean de Bernières.
13. Jean Chrysostême de Saint—Lé, né à Frémont, diocèse de Bayeux. Il étudie à Rouen auprès du P. Caussin s.j. À dix-sept ans, il entre au couvent de Picpus, du Tiers—Ordre de saint François, près de Paris. Professeur de philosophie et de théologie à 25 ans, « définiteur général » de son Ordre et supérieur du couvent de Picpus à trente et un ans, il est Provincial de France à quarante ans et habite au couvent de Nazareth à Paris. Il eut la confiance de Louis XIII et de Richelieu — lesquels lui confièrent des affaires épineuses qu’il mena à bonne fin, à leur satisfaction — et celle des reines Marie de Médicis et Anne d’Autriche. Ami de Bernières, qui le fait connaître à Mère Mectilde, il meurt le 26 mars 1646. D’après certaines lettres de Mère Mectilde à Bernières, il semble que l’authenticité et le très grand zèle du Père Jean Chrysostôme lui aient attiré beaucoup d’inimitié, même dans son couvent. C’est pourquoi quand Mère Mectilde, après la mort du Père, désirera obtenir un de ses portraits et surtout ses écrits elle sera obligée à de longues tractations diplomatiques et sera accompagnée de son amie Madame de Brienne. Elle n’obtiendra jamais les écrits qui seront publiés seulement plus tard : Henri Boudon, L’homme intérieur, Paris, 1 ? 58 — D.S. fsc. II Col. 1125 — (D.H. p.28, n.26).
14. BOUDON Henri-Marie, né le 14 janvier 1624 à la Fère (Aisne), filleul d’Henriette de France, fille de Henri IV et reine d’Angleterre, mort le 31 août 1702. Il est très lié avec les spirituels de son temps : le Père Bagot, Bernières de Louvigny, saint Jean Eudes. Il fut chargé de l’éducation du futur évêque de Québec, l’abbé de Laval-Montigny ; archidiacre d’Évreux, il connut dans ce ministère de très grandes épreuves. Il fut spirituellement très uni durant plus d’un demi-siècle à Mère Mectilde. C’est au monastère de la rue Cassette que l’abbé Boudon tint à dire sa première messe, le jour de l’Annonciation, reporté, en 1655, au lundi 5 avril. La cause de béatification de M. Boudon a été introduite à Rome en 1888, mais a été abandonnée depuis (Fondation de Rouen, 1977, p. 352). Un archidiacre d’Évreux au grand siècle, Henri-Marie Boudon, Pierre Coulombeau, 1988.
15. BERNIÈRES (Jourdaine de) (28 février 1596-1670), dite de Sainte-Ursule, sœur cadette de M. de Bernières, fille de Pierre de Bernières, sieur d’Acqueville et de Louvigny, et de Marguerite de lion—Roger, qui fondèrent un monastère d’Ursulines à Caen.Cf. Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Ursuline, Correspondance, Solesmes, 1971, P. 949-950.
16. GUILLORÉ François (1615-1684) né au Croisic, il est admis au noviciat des Jésuites le 22 octobre 1638. Il enseigne pendant onze ans, puis se consacre au ministère de la direction des âmes et à la prédication. Ce sont surtout ses œuvres spirituelles qui ont fondé sa réputation. Une édition complète de cinq volumes de ses œuvres spirituelles a été publiée en 1684 par l’auteur. Après avoir gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe, il mourut à Paris en pleine activité le 29 juin 1684. D.T.C. fasc. XLVIII, col. 1989.
17. « Abrégé de la vie de la vénérable Mère Charlotte LE SERGENT dite de Saint Jean l’évangéliste, religieuse de l’Abbaye Royale de Montmartre », par Madame de Blémur. Paris, Lambert, 1685 (B.N. Cote 8° L. n° 27. 12 442).
18. BLÉMUR (Marie Jacqueline Bouette de) (1618-1696). Entrée à cinq ans à l’Abbaye de la Trinité de Caen, peu de temps après sa profession, elle fut nommée Prieure. Vers 1678, elle entra au monastère de la rue Cassette.
19. P. de GONDRAN. Supérieur de la maison des Jésuites de Rouen.
20. Marie des Vallées, dite « la bonne âme », visionnaire et mystique, née à Saint-Sauveur-Lendelin (diocèse de Coutances) le 25 septembre 1590, d’une famille de petite noblesse sans fortune. Elle est atteinte de troubles psychologiques profonds qui la font passer pour possédée. Durant ce temps (1615-1618), elle accepte de souffrir des peines extrêmement profondes en réparation des fautes commises par les sorciers.
De 1621 à 1633, durant une période de douze ans elle est étroitement associée aux douleurs de la Passion du Christ. En 1641, elle rencontre saint Jean Eudes dont elle sera le soutien spirituel dans l’œuvre qu’il entreprenait alors.
Elle meurt le 25 février 1656. Les jugements portés sur la « sœur Marie » trop passionnés de son temps, sont aujourd’hui plus favorables et plus nuancés. Catholicisme fasc. 35, col. 665-666.
21. CONDREN (Charles de) Oratorien, Docteur de Sorbonne, né à Vaubrun, près de Soissons, en 1588, mort en 1641. Il fut le deuxième Supérieur Général de l’Oratoire. Il refusa l’archevêché de Reims et de Lyon, même le cardinalat. Ses œuvres ne furent imprimées qu’après sa mort. Il fut tenu en très grande considération par les plus hautes autorités religieuses de son temps.
22. BRAY (Luc de), religieux cordelier, de l’Ordre de saint François d’Assise a été en relations avec Mère Mectilde pendant plus de vingt-cinq ans. Elle l’avait connu par leur ami commun, Jean de Bernières-Louvigny (F.R. p. 354).
23. ACARIE Marguerite, sœur Marguerite du Saint Sacrement (1590-1660), quinzième professe du grand couvent de Paris. Élue prieure du petit couvent de la rue Chapon en 1624. Elle était la seconde fille de Madame Acarie.
ACARIE (Barbe Avrillot, Madame), (1565-1618), introductrice du Carmel en France avec le Cardinal Pierre de Bérulle. Veuve en 1613, elle entre au Carmel. Béatifiée par Pie VI en 1791.
24. PICOTÉ Charles, est le prêtre qui avait fait le vœu, au nom de la Reine Anne d’Autriche, d’établir un monastère de moniales vouées à l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement en réparation des profanations commises pendant les guerres et pour demander la paix du Royaume. Ce vœu va faciliter la réalisation de notre fondation. Monsieur Picoté, p.s.s. (1597-1679), confesseur de Monsieur Olier, prêtre en 1626.
25. La GUESLE (Marie de), mariée en 1625 au comte René de Vienne de Châteauvieux, décédée au monastère de la rue Cassette le 8 mars 1674. Elle fut, avec son mari, une aide infatigable et généreuse pour Mère Mectilde dans la fondation de notre Institut. Nos archives possèdent un très grand nombre de copies des lettres adressées par Mère Mectilde à la Comtesse. (Cf. Catherine de Bar, Une amitié spirituelle au XVIIème siècle, Rouen, 1989).
De ce mariage naquirent un fils, mort en bas âge et une fille, Françoise-Marie qui épousa en 1649, François II de la Vieuville (cf. op. cit.).
26. D’après le Père Charles Berthelot du CHESNAY (Revue « Notre vie » T. IV n° 28. 1952, pp.103 à 111, note 13), il s’agit du Père Paul LEJEUNE (1591-1664), jésuite, dont on connaît surtout les « Relations » du Canada. Il ne se contentait pas d’envoyer à Mère Mectilde des remèdes curieux, il lui prodiguait surtout des conseils d’ordre spirituel dont elle rendait compte à son directeur Bernières. (Corresp. T.IV, pp. 451-499, manuscrit Tourcoing). Ce bon serviteur de Dieu lui avait été présenté par la Duchesse de Bouillon. Bernières le tenait en haute estime, comme l’attestent les « Œuvres spirituelles » (2° éd. 1677, T. II, pp. 125-127 et p. 363 : « Un apôtre et un saint »).
[27. Le P 101, p. 345 raconte que pendant qu’elle était à l’hospice du « Bon Amy » elle fut persécutée par « un religieux ». « Cette persécution de ce religieux dont il est parlé ici dura plusieurs années, après lesquelles il vint voir la Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Aussitôt qu’elle fut avertie qu’on la demandait, elle se leva d’une grande vitesse, avec une joie extraordinaire qui paraissait sur son visage. Une religieuse lui demandant qui elle allait voir “Un des plus grands amis que j’aie au monde, répondit-elle, et si la modestie et les grilles ne m’en empêchaient, je l’embrasserais de tout mon cœur, tant je lui suis obligée, Dieu s’étant servi de lui pour humilier et détruire mon orgueil et mon amour propre”. En disant ces paroles, elle courut au parloir comme si elle eût volé. C’est la religieuse qui était présente qui nous l’a raconté »].
28. Note sur l’Amende Honorable. (E. Glotin, O.S. art. Réparation, T. 13, col. 388). Paris 12 mars 1654 : la paix revenue dans le Royaume et conformément à un vœu formé pendant la rébellion, la régente Anne d’Autriche présida la mise en clôture des premières Bénédictines de l’Adoration Perpétuelle du Saint-Sacrement, fondées par son amie Catherine de Bar (D.S. T. 10, col. 885-888 ; art. Mectilde du Saint-Sacrement). Elle fut invitée, devant l’ostensoir de la rue Férou, à lire, corde au cou et cierge allumé sur la « colonne de réparation », une amende honorable d’une belle facture trinitaire où, au nom de tous ses sujets, elle plaidait coupable pour les profanations eucharistiques commises pendant les troubles. Le pouvoir politique restituait au peuple chrétien, « sublimée » au service du Mystère d’universelle réconciliation (Eph. 2, 16) la « symbolique réparatrice » qu’il lui avait jadis empruntée.
L’Amende Honorable ou « Réparation d’honneur » (opposée à la réparation pécuniaire) introduite en France du XVème au XVIIème siècle, était une peine infligée, avant l’exécution capitale, pour tout délit grave contre Dieu, l’Église, l’Etat, l’ordre public... mais aussi le crime de sang... Le condamné, en chemise, le cierge à la main et la corde au cou, à genoux devant tous, demandait pardon (Cf. Glotin, ibid. col. 370-373). Mère Mectilde l’a adoptée pour signifier la solidarité dans le péché qui lie tous les hommes et donc aussi les moniales à leurs frères du monde, rachetés d’une manière surabondante par la solidarité dans le Christ (Rm. 5, 12-21...).
La Réparation d’honneur faite au Très Saint Sacrement, le Cierge en mains, est une action d’humiliation, nous confessant criminelles, mais elle ne peut être reçue du Père que par Jésus — Christ.
Donc en cette sainte action nous nous unirons très particulièrement à Jésus-Christ Notre Seigneur pour, par lui, réparer la gloire de son Père et la sienne dans son divin Sacrement. Cela fait il faut nous laisser en foi dans cette véritable croyance qu’il réparera en nous et nous rendra dignes, par lui, de le glorifier. I1 faut demeurer simplifiées dans cette union de soi à Jésus (Documents Historiques, Rouen, 19 ? 3, p.123).
29. HAYNEUVE Julien, né à Laval le 3 septembre 1588, entré dans la Compagnie de Jésus le 31 mai 1608. Théologien, disciple du Père Lallemant et son successeur à Rouen en 1631. Il mourut à Paris, le 31 janvier 1663. Catholicisme, Fasc. 19, col. 541.
30. M. QUATORZE, « Pieux solitaire laïc qui vivait inconnu à Paris ». Une note lui est consacrée dans la « Vie de M. Olier » par Faillon, 4° éd. Paris, 18 ? 3, p. 426.
31. ROCHEFORT (Comtesse de) Catherine de la CROIX de CHEVRIÈRES, née en 1614, épouse en 1633 Anne de la Baume de Suze, Comte de Rochefort. Elle est veuve en 1640 avec quatre enfants.
Des procès interminables l’obligent à demeurer à Paris. Installée rue Férou, elle rencontre Mère Mectilde en 1651. Très vite, Madame de Rochefort confie ses désirs de perfection à son amie. À travers les Lettres de Mère Mectilde à la Comtesse nous voyons les dépouillements et la montée d’une âme vers Dieu.
Rappelée en Dauphiné par de graves difficultés familiales en 1661, elle doit briser ses projets de vie religieuse à peine entrevus. Elle meurt sur ses terres de Savoie en 1667 assistée par son fils qui vient d’être sacré archevêque d’Auch.
La Comtesse était donc bien placée pour connaître les circonstances de la fondation de l’Institut ainsi que la pensée de la Mère Mectilde sur son œuvre.
32. LOYSEAU Anne, sœur Anne du Saint Sacrement, issue d’une famille de parlementaires. Née en 1623, elle prit l’habit rue Cassette en octobre 1660 et fit profession le 31 janvier 1662. Cellerière en 1684, sous-prieure en 1689, elle sera élue Prieure trois jours après le décès de Mère Mectilde. Elle mourut un an plus tard, le Vendredi-Saint 1699 (L.I p. 148, n° 1).
33. BÉRULLE (Pierre de), (1575-1629). Fondateur de l’Oratoire de France (1611). Introduit en France les carmélites réformées de Térèse d’Avila. Il fut l’un des plus profonds et plus prestigieux maîtres de « L’École Française » de spiritualité.
Une spiritualité de l’adoration. M. Dupuy, Desclée, 1964, pp. 211 à 221. Formule du vœu de servitude en 1614 version B : « Je révère le dénuement que l’humanité de Jésus a de sa subsistance propre et ordinaire, pour être revêtu d’une subsistance autre... et en l’honneur de cela je renonce à toute puissance, action, droit, propriété et liberté que j’ai de disposer de moi ». p. 218 : l’union à l’humanité du Christ est ce qui conduit à l’anéantissement. p. 221 : le dénuement de subsistance humaine du Christ intéresse particulièrement Bérulle, il peut être le point de départ d’un mouvement qui aboutit à l’adoration.
34. TALON Françoise, (sœur Françoise de la Résurrection) prit
l’habit en janvier 1672 à 28 ans et fit profession en janvier 1673. Elle apporta 6000 livres en présent, ainsi que des « joyaux » pour l’ostensoir, du linge et des étoffes. Sa mère était protestante et son père avait fait plusieurs dons au monastère en demandant des messes et des prières pour la conversion de sa femme. Il obtint cette grâce, mais, quelques années plus tard, devenue veuve, Madame Talon retournera au protestantisme et réclamera au monastère les dons faits par son mari, et, en outre, les intérêts des sommes données. Une partie de cet argent avait été employée pour la fondation de Rouen. On conseilla à Mère Mectilde d’intenter un procès afin de prouver son bon droit. Elle aurait préféré tout rembourser si elle avait eu la somme nécessaire, mais finalement, malgré ses répugnances, elle entama une procédure et l’on reconnut ses droits. Déboutée, la plaignante attaqua de nouveau. Tout cela entraîna de pénibles conséquences dans la vie du monastère, la Sœur de la Résurrection ayant fait cause commune avec sa famille. C’est alors que brilla l’immense charité de Mère Mectilde qui accepta, pendant plusieurs années, les rebuts, les injures, voire les méchancetés de cette Sœur pour sauver son âme aveuglée. C’est une page douloureuse de la vie du monastère de la rue Cassette, mais illuminée par la charité de la Mère et de ses Filles.
35. En 1683, la Prieure du monastère N.D. de Liesse du diocèse de Reims réfugiée à Paris, fait appel à Mère Mectilde pour réformer sa Communauté. Deux religieuses y sont envoyées et la Communauté fait les vœux de l’Institut en août 1686. Mais des difficultés insurmontables et très douloureuses vont rendre la situation intenable et obliger les filles de Mère Mectilde à rentrer dans leur monastère.
36. FÉNELON (François de SALIGNAC de La MOTTE), (1651-1715), attaché à la paroisse de Saint Sulpice, précepteur des ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry, archevêque de Cambrai. cf. Varillon, Fénelon et le Pur Amour, éd. du Seuil, 1957.
37. Antienne de sainte Agnès :
Ce que j’ai désiré, je le vois enfin,
ce que j’ai espéré, je le possède :
je suis unie dans les cieux à Celui que sur terre
j’ai aimé de toute mon âme.
[Chronologie et index omis]
[Ce texte dactylographié a servi à la préparation d’un article traduit puis publié en italien comme l’indiquent en tête les annotations manuscrites : « Introduction au 3e livre italien / Mère Marie-Véronique Andral (texte de l’introduction donnée à s. Marie-Bruno par Mère Marie-Véronique) / A USAGE PRIVE (ne pas communiquer avant l’impression de ce livre / Paru (Italien) en 1997 »]
Mère Mectilde a toujours eu grand soin d'instruire ses filles sur les mystères et les fêtes de l'année liturgique. Déjà en 1647 lorsqu'elle fut nommée Prieure au monastère du Bon Secours de Caen, nous pouvons relever ce témoignage d'une de ses religieuses :
"Nous nous assemblions à ses pieds pendant les récréations où elle nous parlait de Dieu... Elle prenait du temps avant la sainte messe pour faire une conférence sur la fête ou sur l’Evangile. L’explication de la Règle suivait celle de l’Evangile… Toutes les veilles de fêtes elle doublait la conférence et n'en laissait passer aucune sans instruire à fond du mystère qu'on y devait célébrer... On ne se lassait jamais de 1 'écouter".(P101 p.278)
Donc, dès avant notre fondation en 1653, on apprécie les conférences de Mère Mectilde. Mais bientôt ce sera elle-même qui les communiquera1à ses filles absentes. Nous en avons un exemple dans la lettre à Mère Saint François de Paule du 23 Juin 1666 :
"J'écrirai à la Mère N. pour la prier de vous prêter quelques petites choses qu'elle a recueillies sur quelques évangiles de l'année. Peut-être que cela pourra vous servir et aider à donner un peu d'intelligence pour les autres. J'aurai un singulier plaisir d'instruire votre âme, ce sera toujours le plus souvent que je pourrai".(3074)
Une autre lettre, sans date, à une demoiselle, nous apprend que le livre du(baptême, qui deviendra le Bréviaire de la Comtesse de Châteauvieux, commence à circuler :
"Voilà de petites pensées que l'on vous a promis sur le baptême. Je vous supplie d'agréer la simplicité avec laquelle elles sont exprimées. C'est le langage et la méthode que nous tenons entre nous... Je ne puis assez regretter le tort que l'on fait aux âmes de ne leur point faire connaître ce qu'elles sont et ce qu'elles doivent être par Jésus Christ".(181),
Enfin elle écrit à une Carmélite, à propos du "Véritable Esprit", le 5 Février 1683 :
"La chère Mère de Jésus m'a témoigné que vous désiriez un petit livret qui contient plusieurs petites simplicités utiles à nos novices postulantes pour leur faire un peu entendre l'esprit de notre saint Institut... La chère Mère de Jésus vous enverra quelque livret pour contenter votre piété, ou plutôt votre humilité. Elle les a fait imprimer à mon insu, j'en ai été très mortifiée et pour réparer cela, j'ai défendu de le produire à qui que ce soit hors de nos Maisons. Je ne vous exclue pas du nombre..."(140)
D'après ces trois indications, nous, pouvons deviner l'origine de tant de recueils manuscrits, écrits du vivant de la Mère, et contenant des conférences "recueillies par la Mère N.", le livre du baptême, si souvent recopié et dont nous avons encore de nombreux exemplaires. Et nous avons la certitude que la "chère Mère de Jésus" n'est pas étrangère à la publication du "Véritable Esprit". Nous pouvons comparer son travail de rédaction avec les textes plus archaïques que nous ont conservé les manuscrits, ce qui nous permet d'en apprécier la valeur.
Est-ce elle qui a falt le recueil en le recopiant ou, plus probablement, a-t-elle recueilli au vol les conférences faites par Mère Mectilde ? La critique interne du texte peut nous aider à voir plus clair.
Que des textes aient été "sténographiés", relevés presque mot à mot, c'est possible, vu la mémoire dont étaient douées certaines Soeurs en ce temps-là, vu aussi le texte lui-même quand il relève du langage parlé et que l'on trouve soudain, en cours de texte, des phrases comme celles-ci :
" Ma,Soeur, dites-moi, qu'est-ce que cette fête ?
- C'est la naissance du Fils de Dieu".(1591)
ou :
"Ayant fini par ces paroles son entretien..."(175)
ou :
"Elle interrogea une religieuse lui disant : -Ma Soeur, répondez-moi, qui est celui qui vient ? - elle lui dit :Ma Mère, c'est le Fils de Dieu. - Et pourquoi, lui répartit-elle, vient-il ? -la religieuse : pour nous racheter...etc (503)
On peut aussi relever une certaine différence entre les conférences datées des années 60-70 et celles de 80-90. Les premières sont souvent plus courtes, avec un plan plus précis (qui s'étend parfois d'une année à l'autre)
Par exemple pour la Toussaint, Mère Mectilde dit en 1663 :
"La fête de tous les Saints est la fête de la sainteté de Dieu, c'est ce que je vous fis voir il y a deux ans".
C'est la première conférence (2853)
La deuxième est datée de 1662, c'est le chapitre "Des trois demeures de Dieu"(2029) du Véritable Esprit. En 1663 elle poursuit :
"l'année passée je vous dis qu'il y avait trois maisons du Seigneur", elle ajoute "et aujourd'hui je vous ferai voir...que Jésus est cette demeure de Dieu".
C'est la troisième conférence (2084)
Toute la sainteté des saints est une participation à la sainteté de Jésus Christ ; d'abord la sainteté de Marie reine de tous les saints. Et suit le commentaire de "Soyez saints parce que je suis saint" (2807) Tout cet enchaînement ne paraît pas fortuit.
Certaines conférences paraissent rédigées et se trouvent mot à mot dans des lettres écrites à la même époque. On peut comparer par exemple la lettre du mardi de Pâques 1665 à Mère Bernardine (L.I. p.232) et la conférence datée du même jour (325) Il semblerait même que la lettre ait été transformée en conférence
On peut relever en ce sens quelques omissions ou variantes :
"(Je ne puis mieux commencer ma lettre que par les sacrées paroles de Jésus) :Pax vobis… .etc". "Oh que cette paix est précieuse (ma toute chère), je vous la désire...". La conférence porte : « désirons- la ", et tous les "vous" deviennent "nous". Plus loin : "C’est ce que je vous souhaite (ma toute chère Mère)". "Priez" devient "prions" etc. Le premier paragraphe de la conférence est absent de la lettre, il semblerait le fruit d’une expérience personnelle mis là pour étoffer la lettre un peu courte, et portant sur le même sujet, ce qui n’enlève rien à l’authenticité de l’ensemble.
Les conférences de la fin de sa vie n’ont certainement pas été rédigées à l’avance, du témoignage même de la Mère qui parle de l’abondance du cœur, se répète et n’en finit plus, mais avec une onction qui tenait son auditoire dans le ravissement. Une de ses secrétaires avoue même que ses termes étaient si sublimes qu’elle n’a pu les retenir tous (2120). On peut voir fonctionner cette manière de relever les paroles et entretiens de la Mère dans les dernières années de sa vie, au cours des récréations où elle leur parlait de Dieu et du mystère du jour. Tout était relevé par une ou plusieurs soeurs qui ensuite confrontaient leurs cahiers. Nous en avons un exemple au début de la conférence pour la fête de la Présentation (2467) :
"Ensuite elle parla à une partie de la communauté qui était présente ; j’en ai déjà écrit quelque chose en un autre endroit. Je rajouterai seulement ici ce qu’une autre a encore retenu, nous avons réuni le tout ensmble".
La Mère Monique des Anges de Beauvais, très fidèle copiste de Mère Mectilde, a relevé une longue liste de textes sur la charité, la présence de Dieu, Jésus Christ, la communlon, le pur amour, la divine volonté, et elle ajoute :
"Toutes ces diversités ont été tirées des entretiens familiers de notre Révérende Mère, dans les temps des récréations, et quoique je les aie mises par chapitres, ceux qui prendront là peine de les lire verront bien qu'ils ne sont point suivis, quoique les articles traitent du même sujet, et que ce sont choses qui ont été dites en divers temps". Voilà un beau réflexe d'honnêteté.
Mère Monique est aussi la seule à signaler les passages du "Bréviaire de la Comtesse de Châteauvieux" qui ont été tirés de St Jean Eudes, et elle précise qu'elle n'a pu "obmestre descrire" l'acte de renouvellement des voeux du baptême (de st Jean Eudes) parce que Mère Mectilde en fait le commentaire.
Tout cela nous montre que les Filles de Mère Mectilde ont travaillé avec une scrupuleuse honnêteté et que la Mère ne s'est pas sentie trahie puisque dès 1666 elle répand ces recueils dans les autres maisons et qu'elle en envoie à ses amies. On pourrait même avancer qu'elle exerçait un certain contrôle sur le travail de ses rédactrices. Certaines pièces portent un "Vu et approuvé" de sa main avec sa signature. D'autres, très recopiés, existent en "version primitive" et "version officielle". Par exemple les "Pensées sur l'Institut". On ne peut affirmer qui a fait ces corrections, mais elles ont été connues et approuvées par la Mère. D'ailleurs il est typique de remarquer que Mère Mectilde ne cesse de retoucher ses textes, en particulier les Constitutions, le Règlement des Offices, qui fut peut-être terminé après sa mort. La multitude des copies (en dépit de tout ce qui a été perdu) nous montre le succès de cet enseignement.
Parmi ces copies nous trouvons de véritables "Années Liturgiques" visiblement composées d'un choix de conférences ou autres écrits se rapportant au temps ou à la fête. Cela commence généralement au saint temps de l'Avent (parfois le 1er janvier) temporal et sanctoral mêlés, suivant le bréviaire monastique et quelques fêtes propres à notre Institut. Et pour finir, le commentaire d'évangiles de certains dimanches de l'année. On trouve aussi des conférences dispersées parmi d'autres écrits, L'ensemble de ces conférences a été dactylographié par le monastère de Bayeux, selon les meilleures versions. C'est sur cette base que nous avons travaillé.
Dans ces conférences Mère Mectilde cite abondamment la sainte Ecriture, comme l’a si bien remarqué sœur G. [illis.], sans séparer pour cela l’Eucharistie de l'office du jour ; elle commente autant l'évangile que telle ou telle antienne ou répons. Elle ne semble pas non plus séparer sa vie d'oraison de sa vie liturgique. Elle ignore les problèmes surgis de notre temps entre une piété dite subjective et une piété dite objective... une spiritualité de type carmélitain et une de type monastique ou bénédictin. Le mot "contemplation", quoique peu fréquent, ne porte pour elle aucune ambiguité,. Sa parenté avec St Jean de la Croix ne la détourne pas de sa contemplation "bénédictine" du mystère du Christ et de l'Eglise. Bien sûr, elle est tributaire de son temps, et l'Ecole Française aurait beaucoup à nous dire sur ce point. Il suffit de consulter quelques livres de l’introduction à Bérulle ou Olier, sans oublier St Jean Eudes. Au fond, Mère Mectilde ne cherche pas de "théories", elle s'instruit et elle vit, à la lumière de l'Esprit Saint, ce que lui donne "la sainte Eglise" : le missel, le bréviaire, les Pères, les docteurs, les saints, les spirituels de son temps, la tradition vivante où elle baigne. Un lien étroit fait un seul tout de la messe, de l'office, de l'adoration, de l'oraison, de la vie quotidienne, et le but est toujours le même : "devenir des Jésus Christ".
Son expérience personnelle, très riche et très profonde, lui porte un surcroît de lumières qui n'est pas à négliger. Donnons seulement un exemple où cette expérience affleure discrètement à la fin d'une conférence sur l'Avent :
"La sainte Mère de Dieu s'anéantit dans les âmes qui lui ont de la dévotion, pour les donner toutes à son Fils. Elle souffre que l'on l'aime, que l'on lui rende des hommages : cela lui plaît. Vous voyez des âmes si ardentes pour la Mère de Dieu qu'il semble qu'elles n'aient d'amour que pour elle. Mais savez-vous bien ce qu'elle fait, cette sainte Mère, possédant ainsi une âme ? Elle y fait entrer son Fils, et lorsqu'elle l'a unie à lui, elle s'anéantit, se retire et ne paraît plus, Non qu'elle ne prenne toujours soin de cette âme, mais elle a fait par son pouvoir qu'elle l'a toute convertie à son Fils. " (1431)
Voyons maintenant l'expérience source de ce texte :
« Ecrit de la propre main de notre vénérable Mère Institutrice, parlant d'elle-même en tierce personne. A lagloire et louange de l'auguste et toute immaculée Mère de Dieu.
"Une personne ayant confiance en la très sainte Mère de Dieu [au] commencement de sa vie religieuse, elle la supplia de lui apprendre à prier et à méditer sur les sacrés Mystères de Notre Seigneur. Elle continuait de s'appliquer à elle et d'y avoir toujours recours, y fondant toutes ses espérances et en quelque façon s'appliquant plue à elle-même qu'à Dieu même.
« Un jour, étant à l'oraison le matin à l'ordinaire, cette personne s'adressant à cette aimable Mère de bonté, comme elle avait coutûme de faire, et voulant s'occuper intérieurement, cette auguste Mère d'amour sembla disparaître, ce qui surprit beaucoup cette personne, et la voulant toujours voir et l'avoir pour objet, elle lui présenta Notre Seigneur Jésus Christ et se tint comme debout derrière son divin Fils ; et comme cette personne ne comprenait pas pourquoi cette souveraine de son coeur en usait de la sorte, elle lui fit entendre qu'elle était cachée en son Fils, et qu'il était de son pouvoir et de sa bénignité de l’introduire dans les âmes et de le faire connaître, mais qu'en le produisant de la sorte, elle était encore plus intime à l'âme, et qu'elle devait apprendre que cette grâce était le fruit des petites dévotions et pratiques qu'elle avait faites en son honneur, et l'effet de sa confiance ; et lui ayant fait comprendre l'utilité de cette confiance filiale que nous devons aroir en sa bonté, cette âme fut éclairée des vérités suivantes : cette auguste Mère de bonté étant divinement abîmée en Dieu, tout ce qui est fait en son honneur retourne dans cette adorable source ... la très Sainte Mère de Dieu, n'ayant point de vue en elle-même, ne peut retenir aucune créature pour elle, c'est pourquoi de nécessité elle les réabîme toutes en Jésus Christ" (2876) It. p.21-22.
La veille des Rois 1678, la Mère Monique des Anges écrit dans son histoire de la fondation du monastère de Rouen :
"Elle parût dans une gaîté extraordinaire, comme si elle eût été hors d'elle. Le matin elle nous fit une conférence admirable sur le mystère de l'Epiphanie. Tout le reste du jour, il semblait â la voir, qu'elle ne se possédait pas. Toutes celles qui venaient à sa rencontre, elle leur disait : "Nous avons vu son étoile et nous sommes venues l'adorer".
Le 21 novembre 1696 à la récréation elle leur dit :
"Il faut que je tous fasse part d'une petite jouissance que j'ai eue ce matin et qui n'a duré que depuis le moment de la communion Jusqu'à ce que je fusse arrivée à notre place. Heureusement qu'une de nos soeurs m'aidait car autrement je crois que j'aurais eu de la peine à y retourner. Ce n'est qu'une idée ou une imagination que j'ai eu sur ]a fête de ce Jour."
-- Ma Mère, dit une religieuse, quoique cela n'ait guère duré, vous avez probablement vu bien des choses.
-- Oui, il ne faut pas grand temps pour cela. Ce que je vais vous dire est en manière de récréation. Autant nous divertir à cela qu'à autre chose.
« La joie n'est pas un sentiment qui me soit ordinaire. Mais malgré cela, je n'ai pas laissé que d'en avoir une très sensible au sujet de la présentation de la Très Sainte Mère de Dieu au Temple : il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire dans l’admiratlon (si j'ose me servir de ce terme qui n'est pas propre) et comme transportée à la vue de cette petite colombe si belle et si parfaite, car jusqu'alors il ne s'était rien vu sur la terre qui en approchât. La sainte Humanité du Verbe n'étant pas encore formée, le Père éternel n'avait encore rien vu hors de lui- même de si beau, de si parfait que cette petite créature ; il en fut charmé (selon notre façon de comprendre et de parler, car je sais que ce terme, ainsi que le transport et l'admiration marque une surprise dont Dieu ne peut être capable). Il me semblait donc voir la Très Sainte Trinité tout appliquée à considérer cette incomparable Vierge et y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer à juste titre ces paroles de la Genèse : "Dieu ayant considéré ses oeuvres vit qu'elles étaient bonnes". C'est ici le chef d’oeuvre de ses mains, c'est pourquoi il ne îa trouve pas seulement bonne mais très parfaite; très excellente et très digne de lui(...) le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s'y est vu comme dans un miroir, et la joie qu'il en a eue a été si grande que, quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd'hui avec autant de complaisance que s'il ne l'avait jamais vue. Toute la Sainte Trinité s'est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâce qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes. Le Père la regarda et l'aima comme sa fille, le Fils ...la regarda comme celle qui devalt être sa Mère, le Saint Esprit la regarda comme son épouse, et en ces trois qualités elle fut comblée par les trois Personnes divines. La joie de Dieu a fait ma joie en cette rencontre". (2120)
Mère Mectilde nous rappelle d’abord que notre vie chrétienne s’enracine dans le Mystère Pascal de Jésus où nous plonge notre baptême, et que l’Eucharistie fait grandir en nous chaque jour.
Après l’Eucharistie, et ne faisant qu'un avec elle, le grand moyen qui nous est offert pour entrer dans la Pâque du Christ et participer à tous ses Mystères c'est la célébration de l'année liturgique vécue par l'Eglise toute entière, et singulièrement dans la vie monastique où elle a une telle place. Voici donc la première affirmation de Mère Mectilde :
L'EGLISE CONTINUE SUR TERRE LA VIE DE JESUS CHRIST
La vie de tous les chrétiens est une suite de sa vie.
"Un Père dit que tous les chrétiens jusqu’à la fin du monde font une suite des années de Jésus Christ. C'est pour cela qu'il s'est fait pain, voulant être une nourriture, afin qu'étant intimement uni à nous par la communion, nous devenions tout lui-même". (1240)
Or, les mystères de Jésus Christ sont passés en tant qu'évênements historiques, mais l'Eglise nous les représente chaque année pour nous les faire célébrer, contempler, adorer et surtout pour nous y faire participer. Voici ce qu'elle dit à propos de Noël. :
"Jésus naît dans les chrétiens au moment qu'ils sont baptisés, mais comme très peu conservent cette grâce qui est d'un prix infini, sa charité l'oblige à venir derechef et à se manifester dans les âmes" (2641)
"Il est donc venu et il vient encore incessamment, c'est ce que nous disons dans un répons de l'Office : "Veniens, veniet…». C'est de quoi il le faut prier sans cesse : "Venl, Domine.(2641 )
Cette venue est permanente :
"Préparons-nous pour avoir part à la grâce du mystère que l'Eglise nous propose. Le mystère est passé, je l'avoue, et il ne s'est fait qu'une fois ; mais la grâce n'en est point passée pour les âmes qui s'y préparent à faire naître Jésus Christ dans leur coeur. Il est né une fois en Bethléem, et il naît tous les jours par la communion qui est une extension de l'Incarnation, ainsi que disent les Pères".(2573)
La naissance de Jésus dans la chair n'a eu lieu qu'une fois, en un temps donné, en un lieu précis. Son retour n'aura pas lieu "ici ou là" mais à la fin des temps ; on pourrait dire : il mettra fin au temps. Entre les deux il y a la "venue" mystérieuse et sacramentelle de Jésus présent dans l'Eglise jusqu'à la fin du monde, au plus profond de notre être chrétien, grâce à l'Eucharistie.
"Notre Seigneur s'incarne pour ainsi dire de nouveau en tous ceux qui le reçoivent afin que nous le conservions et manifestions par nos bonnes oeuvres, et que nous exprimions ses vertus dans le cours de notre vie. Il y a des mystères infinis dans la sainte communion ; car, mes soeurs, quand vous possédez Jésus-Christ dans votre poitrine, Jésus Christ vous possède, et vous ne le changez pas en vous, mais il vous change en Lui, et vous présentant ainsi à son Père revêtues de lui-même, nous ne pouvons que lui être fort agréables". (1591)
Pour recevoir ce don infini, que nous est-il demandé ? désirer sa venue :
"Voici le temps des désirs. L'Eglise en est toute remplie et elle le manifeste par les saints Offices. Unissons-nous à elle et crions avec les justes : "Rorate..." (3021)
"Demandons incessamment la venue et la demeure de Jésus dans nos âmes, non pas comme il est né en Bethléem, n'y étant que pour un temps, mais c'est son dessein de demeurer pour toujours, jusqu'à la consommation des siècles, en nous qui sommes ses temples".(2573)
Mère Mectilde insiste beaucoup sur la foi : "Pour pénétrer dans la grâce du mystère, il faut se l'approprier par la foi" qui nous fait aller au-delà de toute intelligence humaine :
"Tous les mystères renferment en soi des choses si prodigieuses et si incompréhensibles à l'esprit humain que tout ce que l'on peut trouver dans les livres et tout ce que l'on en peut dire n'est rien moins que ce qui en est ; que la raison humaine se taise, elle n'en n'est pas capable. La foi seule peut nous le faire comprendre"(503)
Ici Mère Mectilde fait discrètement allusion à une foi éclairée par un don de contemplation qu'elle nomme une lumière "mestoyenne" entre la foi ordinaire et la vision béatifique : le don d'intelligence, ajoute-t-elle. Ceci est le fruit d’une expérience personnelle.
Ce n'est $as une foi spéculative, mais une foi agissante qui nous pousse à l'imitation :
"Mon Dieu, que nous avons peu de foi l Quand est-ce qu'elle nous animera et qu'éclairées de ses lumlères, nous agirons selon l'esprit et la grâce des mystères ! Car, mes Soeurs, il ne suffit pas de les adorer et admirer, mais il faut y entrer par imitation en nous conformant aux vertus que Jésus Christ y pratique. Nous devons entrer en conformité d'état avec Notre Seigneur...Voilà ce qui nous fera glorifier Notre Seigneur de nous conformer à lui dans ses souffrances, d'avoir part à ses états. C'est le fruit que nous devons rapporter de ce mystère... Les mystères n'opèrent rien dans les âmes quand nous n'entrons pas en l'imitation de ce qu'ils représentent" (2484).
et voilà le plus important. Mère Mectilde s'en explique :
"Les mystères nous sont représentés par notre Mère la sainte Eglise pour nous y conformer par état autant que nous le pouvons. Méditez et examinez sérieusement les circonstances qui s'y rencontrent pour entrer en communication de pratique, comme chrétiennes et membres de Jésus Christ votre chef ; et jamais nous ne serons unies à lui si nous ne faisons les mêmes choses que lui". (2573)
C'est le seul moyen pour en recueillir les fruits :
"Je ne fefai point la description du sacré mystère, mais seulement je dirai les fruits que nous devons en tirer. Il ne faut jamais que les mystères soient inutiles en nous, et après les avoir connus et adorés, il nous y faut lier et entrer en l'esprit et en la grâce du mystère". (2113)
"Tous les mystères de la vie de Jésus opèrent dans les âmes divers effets, et je prends plaisir quelquefois de voir les divers sentiments qu'un même mystère opère dans les âmes".(476)
Dans l'écrit déjà cité à la louange de la Mère de Dieu, Mère Mectilde ajoutait :
"Il est certain qu'elle ouvre l'intelligence et fait comprendre des choses ineffables sur les sacrés mystères" (2876)
Elle a dit ailleurs :
"C'est d'elle que j'ai appris tout ce que je sais"(2896) It.p.13(F) p.37(l).
Marie nous communiquera les dispositions de son propre Coeur pour y participer :
"Goûtez la suavité d'un Dieu anéanti dans le sein virginal de sa bénite Mère, Attachez-vous à ses pieds et ne les quittez pas. Entrez dans les dispositions de son très saint Coeur… Entretenez-vous avec cette auguste Mère et la suppliez qu'elle vous fasse entrer dans les dispositions que vous devez avoir pour participer aux grâces que le renouvellement des divins mystères doit opérer en votre âme". (1580) L.I.pp.20-21.
C'est avec prédilection que Mère Mectilde contemple tous les mystères dans le Mystère : "Tous les mystères de Jésus Christ sont renfermés dans le Très Saint Sacrement. Toujours ils s'y renouvellent" (2484)
"Nous ne devrions jamais nous départir du saint ciboire, ou plutôt du Coeur de Jésus Hostie. C'est là que nous recevons la grâce de tous les mystères, puisqu’ils s'y rencontrent tous dans le Très Saint Sacrement...Cet auguste Sacrement est tout ce que la sainte Eglise a de plus divin. O divin Jésus, venez vous-même nous instruire des vérités de vos adorables mystères, ou plutôt restez où vous êtes et attirez nos coeurs à vous !"(476)
Elle dira encore à propos de l'Epiphanie :
"Cette fête ... nous convient plus particulièrement qu'à aucune autre, selon l'esprit de notre sainte vocation qui nous destine à adorer comme eux le même Jésus Christ dans l'auguste Sacrement de l'autel qui renferme tous les autres mystères de sa vie. C'est pourquoi vous pouvez l'y fdorer comme enfant et dans la crèche avec les saints Rois"(2338).
Et pour l'ascension :
"Dieu renouvelle ses grâces et se miséricordes dans les grandes fêtes. C'est pourquoi, quoique les mystères ne s'opèrent plus, et que Notre Seigneur, par exemple, étant toujours dans sa gloire, n'y entre pas demain, il ne laisse pas de renouveler et opérer en nos âmes, dans la sainte communion, les effets et la grâce du mystère. Il viendra donc demain en vous, par cette précieuse communion, pour vous tirer en lui et vous unir à lui, faisant la même demande pour nous qu'il fit autrefois pour ses apôtres (Qu'ils soient un) Tout ce que vous devez désirer en ce monde est qu'elle ait son effet en vous"(3157)
Les mystères de Jésus Christ demeurent tous perpétuellement présents dans l'Eucharistie. Le "Mystère", au sens de Saint Paul est tout entier présent dans chaque mystère, et chacun des mystères est inclu dans le Mystère où nous fait entrer l'Eucharistie.
"Puisque nous ne pouvons comprendre ses divins mystères, adorons-les et nous anéantissons. Laissons-nous confondre et abîmer dans ses saints mystères. Il est bien meilleur pour nous d'en être remplies et d’en porter la grâce que de les comprendre. Abandonnons-nous pour cela à l'Esprit de Jésus. L'on ne connaît point Jésus Christ à moins de ruminer et de se nourrir de ses sacrés mystères, de ses "états" et de ses vertus. Les apôtres ne le connurent après sa résurrection qu’à la fraction du pain, et il se donne â nous à la sainte communion sous la figure du pain”(2690).
Mère Mectilde ne s'arrête pas à ce qui ressemblerait à un intimisme un peu individualiste et sentimental. Sa vue est ecclésiale. Tous les membres de Jésus Christ concourent au développement de son Corps mystique dans l'unité et la diversité de la même vocation.
C'est ce qu'elle veut dire en assurant que chaque âme honore un « état » ou mystère de Jésus, c'est toujours en vue du corps tout entier :
"Jésus Christ est le chef de l'Eglise, elle en est le corps et tous les fidèles doivent avoir rapport à leur chef, ils en doivent être animés et en tirer leurs influences et leurs mouvements. Si bien, mes soeurs, que Jésus Christ étant notre chef adorable, nous devons être animées de lui, n'agir et n'opérer que par sa grâce et sa lumière, et surtout avoir rapport à lui. Comment cela ? En portant ses états par pratique et conformité de vie. Chaque âme en honore quelqu'un...Voilà ce qui fait la perfection et l'achèvement du corps mystique de l'Eglise avec Jésus Christ son chef, par la liaison et l'union des membres avec lui”. (2484)
Comme nous l'avons vu, tout s'ordonne autour du Mystère Pascal de Jésus célébré et participé afin de "devenir des Jésus Christ". Relevons encore un texte qui résume bien cet enseignement :
« Voilà de grands mystères qui viennent de se passer et dont nous devons être encore toutes remplies : l'institution du Très Saint Sacrement, la mort et la résurrection de Notre Seigneur, Joignons-y l'Incarnation (25 mars).
« Voyons si nous avons participé à ces grands mystères. Si nous sommes mortes avec Jésus Christ, nous ressusciterons avec lui. Il n'y a pas de mystère qui ne porte ses grâces, mais tout cela est renfermé dans l'auguste Sacrement de l'autel et toutes les fois que nous communions, Jésus vient en nous les renouveler et nous donner part à sa glorieuse résurrection ; car les mystères de Notre Seigneur ne nous sont donnés que pour participer à leur grâce et pour opérer en nous l'effet et les grâces qu'ils renferment et nous faire mener une vie conforme à celle de Notre Seigneur (2949)
MERE MECHTILDE DU SAINT SACREMENT Catherine de Bar
Cum permissu superiorum
1984 – Monastère des Bénédictines BAYEUX
[5]
Entretiens familiers ? De quoi s’agit-il ?
D’un enseignement plus libre, agrémenté d’humour ou de propos plaisants, donné à la Communauté de la rue Cassette au cours de récréations, ou à quelques Sœurs restées auprès de leur Mère après une lecture du matin, ou encore à une de ses filles qui, pour le mieux retenir et en faire profiter d’autres, l’a consigné par écrit.
Il nous a semblé que ces textes pieusement recueillis par les premières moniales de l’Institut étaient toujours chargés d’une vie qu’il ne fallait pas laisser perdre. De plus, ils devaient nous faire pénétrer davantage dans l’intimité de notre Mère alors qu’elle achevait dans la souffrance une vie pleine d’expérience.
Sans doute y eut-il de tout temps des entretiens familiers dans la Communauté de la rue Cassette. Mais ceux qui nous ont été conservés intéressent une époque bien déterminée, les années où les filles de notre Mère Mechtilde ont commencé à craindre de la perdre. À l’exception du billet de 1685 mis en tête de ce recueil, c’est un peu en « novissima verba » que ses paroles ont été recueillies. Des textes dispersés entre 1687 et 1692. Puis très suivis, parfois jour par jour en 1694 et 1695, pendant la convalescence de graves maladies, puis à nouveau plus isolés en 1696 et 1697.
Avant de poser les yeux de notre cœur sur cet enseignement de notre Mère, peut-être convient-il de faire quelques remarques. Elles seront des points de lumière sur un style de vie et de langage qui n’est plus celui de notre XXème siècle finissant.
1. Les grandes maladies de notre Mère Mechtilde — elles ont jalonné toute sa vie — semblent avoir été voulues par le Seigneur pour lui révéler quelque chose de sa lumière, et aussi ses exigences. Dans l’abandon de ses retours à la vie, n’était-il pas normal qu’elle confie son expérience à quelques-unes de ses filles qu’elle savait capables de comprendre ? Si nous, qui lisons à trois siècles de distance, nous ne comprenons pas toujours, c’est que Dieu nous conduit par un autre chemin. Est-il meilleur ? Quoi qu’il en soit de notre adhésion personnelle, il reste à s’incliner devant une vie si pleine de souffrance, d’abnégation, de mépris de sa propre valeur, et toute donnée à l’amour et à l’adoration.
2. Le XVIIème siècle, c’est le Grand siècle. Tout y était grand y compris le style et la façon de converser, aussi bien que les exposés théologiques et les échanges spirituels. L’hyperbole y était d’usage courant. Alors avant d’aborder les textes de ce temps, il nous faut tout simplement savoir dépasser l’hyperbole. La lecture de la Bible nous a appris à le faire, spécialement celle des psaumes dans notre prière quotidienne.
3. Des mots se sont perdus ou ont changé de sens. À nous de les lire avec le sens qu’ils avaient à la fin du XVIIème siècle. Pour y aider nous avons demandé au dictionnaire de Furetière (1619-1688), un vrai contemporain de notre Mère Mechtilde, de nous donner une définition des termes un peu surprenants. Nous ferons donc précéder certains textes d’un bref lexique qui précisera la portée d’un mot. Dans d’autres cas quelques lignes pourront éclairer une situation, attirer l’attention sur une personne ou un point d’enseignement.
Pourquoi avoir choisi de mettre ces explications en tête du texte plutôt qu’en notes ? Parce que, pensons-nous, mieux renseigné, on s’intéressera davantage à la lecture, et prévenu de l’embûche, on la dominera plus facilement.
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De l’ensemble des textes groupés dans divers manuscrits sous le titre d’Entretiens familiers, nous avons éliminé pour cette publication ceux à qui manquait cette marque de familiarité. Ils seraient plutôt à classer parmi les conférences ou chapitres. Nous avons de même abrégé certains textes qui, après avoir commencé en « entretien », se faisaient trop spirituels. Quant aux fragments déjà publiés dans les livres précédents, nous les avons écartés s’ils pouvaient l’être sans dommage, mais maintenus s’ils étaient nécessaires à l’enchaînement de la pensée.
Nous avons gardé quelques récits d’entretiens privés avec une Sœur. C’est dans le cas où l’on percevait nettement que cette Sœur avait l’intention de partager avec d’autres.
§
Cette réflexion nous amène à nous demander à qui nous devons d’avoir accès à ce trésor de famille. Nous ne pouvons avoir aucune certitude, vu le caractère toujours impersonnel des manuscrits. Mais il nous paraît fort vraisemblable que Mère Monique des Anges, la narratrice de l’histoire de la fondation de Rouen, soit l’une de ces fidèles copistes. Peut-être n’a-t-elle pas recueilli elle-même tous ces propos, mais elle les a consignés et nous lui avons emprunté bon nombre de textes de ce recueil.
Monique de Beauvais, celle que notre Mère Mechtilde appelait « mon petit Ange », était entrée rue Cassette en 1667. Elle y fut maîtresse des novices avant d’être l’une des fondatrices de la maison de Rouen. Elle fut élue Prieure rue Cassette en 1713 et mourut en 1723. On lui doit plusieurs excellents manuscrits et nous pensons pouvoir faire confiance à sa « conscience professionnelle », vu la phrase inscrite à la page 6 du N. 254 : « J’avertis que toutes les lettres qui sont dans ce livre ont été tirées sur les originaux de Notre Mère ».
Nous pensons aussi être dans la vérité en reconnaissant dans une autre narratrice
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Mère Marie-Bénédicte du Saint-Sacrement (De Béon de Lamezan) qui fut la secrétaire particulière de notre Mère Mechtilde dans les dernières années de sa vie. Que savons-nous d’elle ? Bien peu de choses. Elle fit profession rue Cassette en 1683, fut Prieure du 2 juillet 1699 au 2 juillet 1705. Puis elle fut envoyée au monastère de Rouen où elle vivait encore en 1711. Comme secrétaire de notre Mère Mechtilde elle ne la quittait guère. Elle était habituée à saisir sa pensée, à la transcrire fidèlement et à l’écrire rapidement. Aussi pouvons-nous la deviner sous certaines expressions rencontrées au cours des dialogues rapportés.
Il est évidemment bien dommage que nous ne puissions identifier ces moniales qui conversent avec leur Mère, la poussant parfois dans ses retranchements, et « plaidant le faux pour savoir le vrai ».
Que l’Esprit Saint qui inspira l’enseignement de la Mère ouvre tout au long des siècles le cœur de toutes ses filles à le recevoir comme un don de Dieu.
§
Ainsi qu’il est dit au dernier chapitre de la Règle, les quelques explications données ici ou en tête des textes ne sont qu’une « faible ébauche ». Les introductions et les notes des volumes publiés par le monastère de Rouen et l’abbé Daoust renseigneront plus amplement sur les personnes et la spiritualité évoquées dans ce recueil.
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MANUSCRITS UTILISES
N 254 et N 261 : Saint-Nicolas-du-Port
Cr C : Craon
sont de l’écriture de Mère Monique des Anges.
P 123 : Paris
B 532 : Bayeux
ils sont identiques sauf quelques détails (ainsi que Limon D). Copies du XIXème siècle ou début du XXème dont certains textes ne se trouvent dans aucun manuscrit ancien, sans doute perdu ou passé en d’autres mains. Car on reconnaît à ces copies un véritable cachet d’authenticité.
C 404 : Caen
D 12 et D 55 : Dumfries
T 16 : Tourcoing
copie moderne de C 411 disparu.
Les références sont indiquées à la fin de chaque texte avec leur numéro d’ordre dans le catalogue général.
D’après les lettres du début de 1685 (Fondation de Rouen pp. 315-316) on comprend que Notre Mère venait d’être gravement malade. À la suite de cette maladie, elle écrivit le 14 mars un acte de nouvelle remise d’elle-même à Dieu (n° 465). Il est permis de penser que le billet suivant daté de 1685, est en rapport avec ces événements. Les mots de présentation appartiennent au manuscrit.
« Vœu ».
Il s’agit là, sans doute d’un engagement pris envers elle-même, d’une résolution, et non d’un vœu au sens fort de promesse faite à Dieu.
On trouva dans son bréviaire un petit papier, écrit de sa propre main, qui contenait ce qui suit :
Le premier vœu est de ne me justifier jamais d’aucune accusation que l’on ferait de moi.
Le second de ne me plaindre jamais quelque mauvais traitement qu’on me fît.
n° 2026 N261/2 p.75
Le 21 septembre 1687, Notre digne Mère étant à la récréation nous dit : « Hier soir en me couchant, je faisais réflexion en moi-même d’où vient qu’il y a si peu d’âmes unies à Dieu. La pensée me dit qu’il ne tenait pas à Notre Seigneur que nous ne fussions unies à lui, qu’il en avait un désir infini, et qu’il ne demandait pas mieux, et qu’il ne tenait qu’aux âmes d’avoir cette union. Que pour cela elles n’avaient qu’à être fidèles continuellement à la grâce qui leur était donnée à tout moment pour remplir le dessein qu’il avait sur elles. Et que si elles avaient cette fidélité à leur grâce, qu’en peu de temps elles arriveraient à la plus parfaite union où nous voyons que ces grands saints sont arrivés, n’y ayant eu que cette fidélité qui leur a attiré cette grâce d’union et d’élévation à Dieu ».
Là-dessus une religieuse lui dit : « Mais, ma Mère, ces âmes qui n’ont qu’une petite grâce, qui ne sont pas appelées à une si grande perfection n’arriveront pas à cette si haute union ». « Tout de même, lui répondit-elle, si elles sont fidèles à correspondre à tout moment à cette petite grâce, elles auront l’avantage d’être unies à Dieu selon leur degré de sainteté que Dieu prétend leur donner. C’est pourquoi donc nous n’avons qu’à être toujours fidèles chacune selon sa grâce, et nous serons unies à Dieu divinement et amoureusement, et plus rien sur la terre nous fera peine. Nous serons en Dieu et Dieu sera en nous. Oh ! quel souverain bonheur ! »
n° 2121 N254/2 p.108
Ces lignes sont un témoignage de la foi de Notre Mère Mechtilde envers les Anges, et de sa vénération pour ces créatures spirituelles en qui elle voyait des modèles de notre propre vocation. C’est toujours la même foi qu’aux jours de la fondation du monastère de Rouen. « Ma sœur, l’église est toute pleine d’Anges », disait-elle à la sacristine la veille du jeudi où l’on devait y exposer le Saint Sacrement pour la première fois (Fondation de Rouen p.59).
« Anéanti », « anéantissement ».
Il est bon peut-être de rappeler que ces termes signifiaient l’humiliation profonde que l’homme doit normalement éprouver devant la grandeur de Dieu. « L’anéantissement de soi-même devant la Majesté divine est une action fort chrétienne ». (Furetière).
On peut revoir aussi le petit lexique de « La source commence à chanter ».
Le jour des Saints Anges (1687) elle nous dit ce qui suit : « Ce que j’aime plus dans notre saint Ange, c’est le profond anéantissement, respect et abaissement où il est continuellement devant la majesté divine, dont il est si pénétré qu’il en est tout anéanti. Faisons une sainte liaison avec lui pour participer et entrer en communication de tout ce qu’il fait au regard de Dieu, à qui il rend incessamment des hommages, des adorations, des vénérations, comme à son Dieu de qui il sait qu’il dépend, et qui lui a donné l’être. Prions-le qu’il nous donne part à sa fidélité et soumission à lui. Oui, à sa fidélité, car il en a une très grande à accomplir les volontés de Dieu. Et enfin à son anéantissement profond qui l’abîme devant la grandeur de Dieu, se voyant comme un rien en sa divine présence.
n° 1993 N254/2 p.61
L’humain, c’est ce qui est propre à l’homme, ce qui vient « du monde », en opposition au divin, à la grâce. C’est la même pensée dans le conseil de « se séparer des créatures % ce qui écarte de Dieu et occupe inutilement l’esprit.
L’année 1689, elle dit à une religieuse en retraite : « Nous avons une grande nécessité de recourir à Dieu fréquemment, devant faire comme dit saint Paul de prier sans intermission. Cela s’entend d’avoir toujours un penchant vers lui et d’être attentive à sa sainte présence ». Cette religieuse la fit ressouvenir de ce qu’elle nous avait dit d’elle là-dessus autrefois, qu’elle avait appris à prier sans intermission. « Oui, dit-elle, c’était nuit et jour, je ne dormais qu’à demi. Je demandais une grâce à Dieu depuis longtemps, qu’il ne m’a pourtant point accordée, c’était d’être recluse ; tellement qu’un jour de Pâques, il me fut imprimé une parole intérieure en ces termes : « Adore le dessein que j’ai sur toi, qui t’est inconnu, et t’y soumets ».
Le samedi 11 mars, elle dit encore à cette même religieuse en retraite : « Quand vous serez en des occasions où l’on dira des choses qui ne se doivent pas dire, au lieu de vous y joindre, dites : “Nous ne sommes pas à la récréation pour s’indigner, ou pour désapprouver, ou pour blâmer, etc., parlons de quelque chose de meilleur”. Ne vous amusez point à exhorter ou dire quelque chose par forme d’exhortation, car ceux-là en pourraient savoir autant, et n’en profiteraient pas ».
« Je vous exhorte à fuir l’humain, à vous tenir toujours dans le recueillement ; c’est assurément le plus parfait de ne point regarder la créature dans quoi que ce soit ». Elle lui disait cela à propos sur la peine que la religieuse lui témoignait d’être toujours dans le mépris dans sa pensée, qui faisait qu’elle s’y appliquait toujours. Elle dit encore là-dessus : « Tant que vous pourrez vous passer de vous en plaindre ce sera incomparablement mieux. Et pour obtenir cette force intérieure, il faut que vous fassiez quelques prières à la très Sainte Vierge ».
Sur quelque chose qu’elle lui proposait de faire, elle lui répondit : « Il n’est pas le temps à présent, et je n’en ai pas la lumière, mais on y verra ; Notre Seigneur nous éclaircira pour cela. Il ne faut pas prévoir tant de choses.
Jour à jour et de moment à moment, il faut attendre les croix ou les lumières que Dieu nous veut donner, et ne point tant prévenir les choses. Enfin, lui dit-elle, faites un bon usage de votre retraite en vous séparant bien des créatures et de vous-même ». n° 1892 T16 p.17
On demanda à notre vénérable Mère si elle n’avait pas demandé à la Sainte Vierge bien des grâces pour la Communauté et ce que la Sainte Vierge lui avait dit. Notre Mère répondit : « Elle m’a fait connaître qu’elle avait le cœur et les mains toujours pleines pour donner, mais que l’on n’avait pas la volonté disposée à recevoir ».
n° 2416 P123 p.135
Tout fait penser qu’il s’agit de Mère Bernardine de la Conception (Gromaire), Prieure du monastère de Rambervillers quand notre Mère Mechtilde y fit profession en 1640. Elle le restera jusqu’en 1643, puis Sous-Prieure rue Cassette, Prieure à Toul, à Nancy, à l’Hospice Saint Marc (plus tard Saint Louis au Marais), deuxième maison de Paris.
En 1685, elle fut remplacée par Mère Saint François de Paule. On ignore la date du décès de Mère Bernardine, mais à partir de 1692 il n’est plus fait mention d’elle dans les lettres. Par ailleurs, c’est sous le nom de « bonne Mère » que notre Mère Mechtilde en parlait dans les lettres de la fin de sa vie.
« J’aurais dit de belles choses à Notre bonne Mère, si je n’avais craint de l’attendrir, et de m’attendrir moi-même », dit-elle à une religieuse, qui lui répondit : « Si j’avais le bonheur de mourir entre vos bras, j’en serais si pénétrée que je mourrais avec joie, espérant aller tout droit en Paradis, mais après je trouverais bien à décompter ». Elle lui dit : « Non, non, il nous sera fait selon notre foi, ce n’est point sur notre mérite que nous fondons notre salut. Pour moi je crois certainement qu’une personne qui mourrait avec grande confiance en la bonté et au mérite de Notre Seigneur, pourvu qu’elle n’ait de péché volontaire, qu’elle irait tout droit en Paradis. Quelle consolation a une âme en mourant de dire : je quitte la terre pour aller à mon Père qui est aux cieux. Quel bonheur a cette âme de retourner à Dieu duquel elle est sortie ! Mais la réflexion vient bientôt troubler notre joie en vue de nos péchés et de nos fautes, par la crainte des jugements. Mais nous pouvons dire à Notre Seigneur : vous n’êtes point venu pour les justes, mais pour les pécheurs, dont je suis du nombre. Vous êtes notre Sauveur, sauvez-moi par vos mérites et votre infinie bonté. Pour moi je crois qu’une âme qui serait bien pénétrée de cette confiance n’aurait rien à craindre ».
Revenons aux comparaisons humaines. Quelle est la créature, pour peu qu’elle ait le cœur bien fait, qui voulût perdre une personne qui aurait en elle une entière confiance ? Je crois qu’il n’y en a point qui en soit capable, à plus forte raison devons-nous l’espérer de Dieu. Il nous fait une comparaison dans l’Évangile qui confirme notre confiance, lorsqu’il nous dit qu’il nous aime incomparablement plus que les pères charnels n’aiment leurs enfants, nous disant : quel est le père qui donnera une pierre à son enfant lorsqu’il lui demandera du pain. Il nous fait entendre par là que nous devons avoir plus de confiance et d’abandon en lui que les enfants n’en ont pour leur père. Si notre cause était entre les mains du Père éternel, et que nous n’ayons pas, en la personne de son Fils, un Sauveur et un Rédempteur qui n’est point venu pour les justes, mais pour les pécheurs, je vous avoue qu’une pécheresse comme moi aurait bien lieu de craindre.
n° 882 N261/3 p.48
Condition servile qui fait tomber une personne dans le mépris. Et aussi, mépris de soi-même. « Le mérite des premiers chrétiens, des premiers religieux, a été de vivre dans l’abjection, dans l’humilité, dans le mépris du monde. Ce mot vieillit, on ne s’en sert guère que dans les livres de dévotion » (Furetière). Ce mot a été employé par Saint François de Sales, Pascal, etc.
Une religieuse lui parlant sur ses affaires, à propos, elle dit : « Dieu fera de moi ce qu’il lui plaira, mais je ne veux jamais sortir de l’état où je suis, c’est-à-dire de l’abjection. Je commence à me connaître mieux que je n’ai jamais fait. Ah, que c’est une bonne chose de demeurer dans son abjection. Nous devons aussi demeurer dans la divine Providence sans nous mouvoir, nous laissant détruire comme il lui plaira, sans inquiétude et sans empressement. Que Dieu nous anéantisse couine il voudra, nous ne devons point sortir de l’état où il nous met. Il faut toujours avoir patience et être bien persuadé d’une vérité qui est que Dieu ne nous doit rien, que s’il nous fait souffrir nous en méritons cent fois davantage ». La religieuse lui dit : « Ma Mère, Dieu vous relèvera devant que de mourir ». « Je ne veux point que Dieu me relève, lui répondit-elle. Je veux mourir dans mon abjection, répéta-t-elle encore, et n’en veux point sortir ».
Ensuite, cette religieuse prenant l’occasion de lui parler sur elle, lui dit qu’elle était toujours bien misérable et infidèle, qu’elle était toujours surprise de ses passions, quoique depuis vingt-huit ans elle demandait à Dieu la fidélité dans les occasions sans pouvoir l’obtenir, qu’elle était toujours aussi prompte à dire plusieurs choses plus tôt qu’elle n’y avait pensé, et aussi superbe, ce qui l’affligeait beaucoup. D’autant que communiant presque tous les jours elle ne voyait point de changement en elle, ni point d’humilité quoiqu’elle ne cessait de prier Notre Seigneur de lui donner cette sainte vertu, qu’elle craignait d’abuser du Saint Sacrement puisqu’elle en profitait si peu.
Elle lui répondit : « Persévérez à demander et faites de votre côté ce que vous pourrez, et soyez certaine que Dieu vous accordera votre demande. Si ce n’est à la vie, ce sera à la mort et dans le temps que vous ne pourrez plus profaner ses grâces. Car à présent s’il vous donnait cette fidélité vous croiriez faire beaucoup et vous entreriez par là dans quelques vaines complaisances de vous-même. Il est bon que nous connaissions de quoi nous sommes capables et ce que nous sommes en nous-mêmes. Les grâces que Dieu nous fait ne servent bien souvent qu’à nous porter à l’élévation, non qu’elles fassent cet effet, mais parce que tout a été corrompu en nous en Adam. Nous portons un être malheureux de péché qui est toujours opposé à Dieu, et le Baptême, tout-puissant qu’il est, ne nous ôte point cette pente naturelle que nous avons toujours au mal. C’est pourquoi il nous est avantageux de connaître notre misère et de voir en nous plusieurs défauts, pour détruire en nous-mêmes la propre estime et l’orgueil qui nous est si naturel. Car autrement, quelque bonne volonté que vous ayez d’être humble, (...) si vous n’appreniez par votre propre expérience ce que vous êtes, jamais vous ne vous connaîtrez à fond ».
J’aime beaucoup que l’on sente sa misère, et j’estime plus une personne qui aura, si vous voulez, des passions à combattre, bien des choses à réprimer, quoiqu’elle tombe par fragilité involontairement dans plusieurs défauts, qu’une autre qui paraîtra mieux réglée. Parce que les fautes que nous commettons involontairement portent après elles leur humiliation, et tout ce que nous avons à faire est d’avoir patience et nous en humilier devant Dieu. Ce n’est pas une petite affaire que de se supporter soi-même ; il faut une grande patience pour attendre les moments de ses miséricordes. Nous n’avons rien de bon qui ne vienne de Dieu. En attendant qu’il achève de nous purifier il faut supporter nos misères. C’est encore un effet de sa miséricorde de nous les faire ressentir.
Cette religieuse lui dit encore qu’à l’égard de la présence de Dieu elle souhaitait fort en faire sa principale occupation, mais qu’elle n’y pouvait parvenir et que, quelquefois, une bagatelle, une chose de rien qu’une telle a dit ou fait, revenait sans cesse dans son esprit pendant toute la journée sans qu’elle pût s’en défaire, que cela lui faisait beaucoup de peine de se voir amuser par des bagatelles sans pouvoir faire autrement. Elle lui répondit : « Ce que vous avez à faire en pareille occasion est, sans vous tourmenter ni peiner davantage, ne plus regarder les choses comme vous avez fait du passé, mais vous en détourner et les regarder comme une croix que vous portez tant qu’il plaira à Dieu vous en délivrer. Cela n’est pas croyable la patience qu’il faut avoir pour se supporter dans ses misères, c’est notre principal exercice ».
n° 2885 N261/3 p.50
Le 13 février 1694, durant une maladie de notre digne Mère, elle nous dit : « Il me serait d’une douceur et d’une consolation inexplicables, si je reviens, de voir la Communauté vivre à l’avenir dans une paix et une union plus grandes que jamais, et dans un saint attachement à Dieu, qui ne voit plus que Dieu, qui n’aime plus que Dieu, qui ne cherche plus que Dieu, qui ne veut plus vivre que pour Dieu. Dieu m’a tenue plusieurs jours aux portes de la mort. Ah ! il est juste de rendre à son souverain domaine l’hommage qui lui est dû : ce n’est point dans les lumières et dans les clartés que la foi subsiste ; mais dans les précieuses ténèbres
Il serait avantageux que cet objet humain (Notre vénérable Mère parle d’elle-même, de l’affection qu’on lui portait), qui vous a occupées, ne soit plus, afin de faire place entièrement à Dieu, pour qu’il soit tout, qu’il anime tout, qu’il possède tout. Je sais que cette conduite est dure à la nature, que l’on y rencontre de cruelles crucifixions, d’étranges morts. Mais c’est dans la mort que l’on doit chercher la vie. Il semble que je rêvasse un peu, cependant je dis des vérités ». Quelques-unes de nos Mères lui ayant dit que, afin d’obtenir sa conservation de la bonté divine, elles avaient bien promis d’être plus fidèles à l’avenir, notre vénérable Mère répondit : « Mes Sœurs, vous ferez bien, car je vous assure qu’il n’y a que Dieu à contenter et à chercher, tout le reste n’est rien. Oh ! que je voudrais qu’on en fût persuadée ! Oh ! si l’on voyait cette vérité telle qu’elle est, on ne s’amuserait pas à la bagatelle comme on s’y amuse, ni à tant de petites choses auxquelles on s’arrête, dont on s’entretient. Une parole, par exemple, qu’on nous aura dite et qui nous choque, une autre qui déplaît. Et pour cela on laisse Dieu, on oublie ce qu’on lui a promis, on néglige ses obligations. Ainsi toute la vie se passe et l’on se trouve à la mort qui nous mène... où ? en enfer !...
À cette parole prononcée, dite d’un ton pénétrant, une religieuse s’écria : « Ah ! ma Mère, en enfer ! Qu’est-ce que vous nous dites ? Vous allez bien loin, vous voulez donc nous effrayer... » Notre digne Mère répondit : « Oui, ma Mère, je vous le dis encore : en enfer... je sais ce que je vous dis. Oui, j’ai vu quelque chose, mais je ne veux pas le dire. Ah ! si l’on pouvait concevoir ce que c’est que de n’être pas à Dieu, de ne pas faire ce qu’il demande de nous dans notre état et surtout de ne pas remplir une vocation religieuse ! Et quand on se voit au moment où il en faut répondre... Ah ! la terrible chose ! Cela ne se peut concevoir, pourtant c’est ce qui n’est que trop vrai... Nous y arriverons toutes, mes Sœurs, c’est à nous à y penser et à y bien penser, afin de vivre d’une autre manière que nous n’avons fait par le passé. Je vous conseille donc de vous bien attacher à Dieu, de n’avoir plus tant de petites complaisances humaines, de petites amitiés pour les créatures qui vous font faire des imperfections, et vous détournent de la fidélité que vous devez à Dieu. Ah ! plus rien que Dieu, mes Sœurs, croyez-moi, ne cherchez que lui, et faites tout votre possible pour lui plaire, le préférant à tout le reste. Tout mon désir est de vous voir ainsi tout à lui et le contentant en toutes choses ».
n° 2107 P123 p.124
Il semble bien que l’auteur de cette page soit la secrétaire de notre Mère Mechtilde, Mère Marie-Bénédicte du Saint Sacrement (Voir l’avant-propos).
« Rambervillers ».
Monastère de Bénédictines, agrégé à l’Institut le 29 avril 1666. C’est là que notre Mère Mechtilde fit profession de Bénédictine le 11 juillet 1640. Elle en fut meme Prieure pendant quelques mois avant son installation à Paris. Il demeura toujours très cher à son cœur. L’histoire de ce monastère est racontée dans le volume « Documents historiques ».
« Filles du Saint Sacrement ».
Ce terme de « fille » qui nous rebute aujourd’hui, était alors donné à toute personne qui n’avait pas été mariée et en particulier à celles qui se sont consacrées à Dieu, ayant fait vœu de virginité. Ainsi connaitra-t-on les Filles de l’Annonciation, les Filles du Calvaire, les Filles de la Charité, etc.
« Dans l’Église de Dieu il n’y a rien de plus saint que l’Institut ».
Sans doute va-t-on trouver forcée cette expression de notre Mère Mechtilde. Ce n’est pas chez elle une pensée passagère, mais une conviction profonde. « Je brûlerais pour cela », dit-elle. Elle ne canonise pas ses moniales, qu’elles soient de la rue Cassette ou d’ailleurs, loin de la. Mais elle comprend avec son intuition et ses lumières de Fondatrice que l’occupation de l’adoration du Fils de Dieu dans l’Eucharistie et l’adoration du Père en union avec le Fils, est effectivement l’occupation la plus sainte à laquelle des âmes puissent se livrer. Or, c’est proprement la raison digne de l’Institut.
Notre Révérende Mère m’ayant ordonné et recommandé fort expressément d’écrire à notre maison de Rambervillers, me dit de leur mander de sa part qu’elle les priait et leur recommandait sur toutes choses d’aimer bien leur vocation de Filles du Saint Sacrement, d’avoir une grande estime et un grand respect pour l’Institut, parce qu’il n’y a rien de plus saint dans l’Église de Dieu. « Je le dis avec vérité, ajouta-t-elle, je le sais et je pourrais même en dire davantage ; mais il ne faut pas tout dire, cela suffit ». Sur quoi je lui répartis : « Ma chère Mère, il serait pourtant fort nécessaire de nous faire savoir tout ce que vous en connaissez ». Mais elle ne voulut point dire davantage. Seulement elle me dit bien d’assurer nos Mères de Rambervillers que Dieu bénirait leur maison et les comblerait de bénédictions pourvu qu’elles fussent bien fidèles à aimer l’Institut et à bien remplir leurs devoirs envers le Saint Sacrement.
Elle me dit aussi que Dieu bénirait de même toutes les autres maisons de l’Institut, qu’elles ne devaient se mettre en peine de rien que de donner à Notre Seigneur par leur fidélité tout le contentement qu’elles lui doivent.
Quand je dis, continua notre Révérende Mère, qu’il n’y a rien de plus saint dans l’Eglise que l’Institut, je le dis sans intérêt, car mon Dieu sait bien que je n’y prends aucune part, Notre Seigneur me tenant dans un état que lui seul connaît. C’est son œuvre, c’est à lui seul qu’il en faut laisser la gloire. Pour moi, ma portion est le néant et l’abjection, je n’ai jamais prétendu autre chose.
Je dis à Notre Mère que j’allais écrire tout ce qu’elle venait de dire. « Oui ma Sœur, me répondit-elle, écrivez-le ; si vous voulez je le signerai de mon sang. Oui, encore une fois je vous le dis, et je brûlerais pour cela, dans l’Église de Dieu il n’y a rien de plus saint que l’Institut. J’en ai connu la sainteté plus que jamais depuis que Dieu m’a mise dans l’état où je suis. Il n’est pas connu comme il devrait l’être, peut-être le sera-t-il davantage dans la suite.
Il faut prier Dieu de donner tout son esprit à celles par qui il veut faire subsister cette œuvre, pour en soutenir les intérêts, pour la maintenir dans la sainteté, et pour réparer les fautes que moi, misérable, j’ai faites dans la place que j’ai remplie si indignement. Si ce désir m’était permis, je voudrais savoir celle qui doit venir après moi. Dieu demande d’elle de grandes choses. Que Notre Seigneur lui fasse la grâce de s’en bien acquitter, et de bien remplir ses devoirs pour soutenir la sainteté de l’Institut. Voilà les sentiments d’une pauvre mourante, d’une personne qui approche de sa dernière heure. Écrivez-le aux autres maisons, les exhortant à aimer de toute leur capacité ce saint Institut, et que toutes les âmes qui le professent s’y rendent fidèles autant qu’il leur sera possible. C’est là leur principale obligation ».
n° 2282 B532 p.3
Le 16 février 1694, notre digne Mère nous dit : « Je suis bien pauvre et bien indigente de toute manière. Notre Seigneur sait à quel point de misère je suis réduite en toute façon : je suis dans l’abjection, l’humiliation, l’anéantissement, je mérite bien aussi que tout l’enfer se soulève contre moi. Dieu soit béni ! Je suis dans un terrible état dehors et dedans, je ne suis rien en toute manière, même dans l’Institut. Je n’y tiens point de place, n’ayant fait que le profaner. Mais quoique je n’y sois plus rien en tout, ma consolation et ma joie c’est que la très sainte Mère de Dieu en prend soin et qu’elle en est la Mère. J’en suis déchargée, non d’une manière, sachant que j’ai encore en main l’autorité de Supérieure, mais toujours voilà qui est fait ! La très sainte Vierge réparera pour moi les fautes que j’ai commises. Elle a tout pris sur elle, elle aura soin de tout, elle en a fait son affaire ; je l’en ai remerciée. Prenez bien garde à ce que je vous dis : je ne parle pas en l’air, ni de ma tête : je mourrai dans cette certitude, et c’est ma joie, que l’Institut est dans ses saintes mains : elle aime cette œuvre, c’est son ouvrage, vous le reconnaîtrez au ciel. Il faut redoubler de dévotion envers elle et avoir pour elle une dévotion toute particulière. Je le dis encore : rien de plus saint dans l’Église de Dieu que l’Institut quand il sera sans sa perfection. Oui, la Sainte Vierge a tout entre les mains, elle a tout pris ».
Une religieuse demanda à notre vénérable Mère si c’était le jour de la Purification que cela était arrivé. Elle répondit : « Non, c’est le jour que Dieu connaît ; il s’y passa des choses que personne ne sait, et que je ne sais pas moi-même ». « Elle a donc repris tout ce qu’elle vous avait confié », repartit la religieuse. « Oui, j’en ai usé indignement ».
n° 2058 P123 p.127
Le 20 février 1694 notre digne Mère dit à une autre religieuse : « Oui, la très sainte Mère de Dieu est votre Mère. Je ne le dis pas seulement à présent que je suis malade, mais je vous dis qu’elle l’a toujours été, et elle le sera toujours, n’en doutez jamais. Il est vrai qu’elle a pris un soin nouveau de l’Institut et de vous toutes. C’est pourquoi ne vous mettez-en peine de rien que de lui plaire, vous laissant à sa protection maternelle : elle pourvoira à tout.
Donnez-vous seulement bien à elle, lui faisant toutes une dédicace nouvelle de vos cœurs et que ce soit avec joie, avec confiance, et avec certitude qu’elle est votre Mère et que l’Institut est entre ses bénites mains.
Il y a là-dessus des choses que l’on ne sait pas et que je ne veux pas dire, mais qui sont pourtant véritables. Pourvu que nos misères nous humilient devant Dieu, il est content. Allez, on perd bien du temps dans la vie, je le reconnais avec douleur ».
n° 2122 P123 p.128
Notre Mère Mechtilde explique elle-même sa pensée dans les lignes qui suivent. Terme cher à M. de Bernières. Il est plus aimable que « dépouillement », moins austère, mais tout aussi radical avec son sens de vide : oubli de soi, abandon, libération. Dégager le passage afin que Dieu pénètre.
Le dégagement intérieur met l’âme dans le repos, la paix et la tranquillité. Pour posséder cette paix et avoir ce saint dégagement, il faut ne s’attacher à rien, ne tenir à rien, ne se mêler de rien, ne prendre part à rien, être comme si l’on n’était point. Je puis vous dire que j’ai été plusieurs jours qu’il me semblait que je n’étais plus : vous ne pouvez croire le contentement et la paix où l’on est. Je ne vous dirai pas que je n’avais plus de répugnances, ni de sentiments du côté de la nature, qui a toujours fait voir ses immortifications ; mais c’est une bête, elle sera toujours bête et toujours sensible, jusqu’à ce qu’il plaise à Notre Seigneur de la réduire : il la faut souffrir en patience, en attendant la destruction entière.
Laissons-nous bien entre les mains de Notre Seigneur, mes Sœurs, pour être tout ce qu’il veut, pour aller où il veut, car c’est un bonheur infini et que l’on ne peut concevoir de se laisser ainsi dans un pur abandon : Dieu met haut, il met bas, il nous mène, nous ramène, il nous conduit partout où il lui plaît, sans que l’âme sorte de sa paix et de son repos. Ce n’est pas que je veuille dire que l’âme sorte de sa place, quand je dis que Notre Seigneur nous mène, nous ramène et nous fait aller où il lui plaît. Mais c’est que étant toute délaissée à son bon plaisir, il use de nous selon ses volontés adorables.
Alors l’âme sait une chose qui est que Dieu est et c’est là qu’elle s’arrête, ne s’amusant plus à regarder, ni à réfléchir sur tout ce qui se passe en elle ou hors d’elle. N’y faisant pas même attention, elle demeure toujours en Dieu.
n° 1951 P123 p.63
Le 25 février 1694, une de nos Mères demanda à notre digne Mère ce que Notre Seigneur lui avait fait connaître sur l’Institut, lui disant qu’elle avait bien envie de le savoir pour sa consolation. Elle répondit : « Il m’en a fait voir des choses si admirables qu’on ne les peut exprimer ; moi-même je ne puis vous en rien dire, sinon que l’Institut est la très sainte œuvre de l’Église de Dieu et premièrement l’ouvrage de la très sainte Vierge et sa très sainte œuvre, car l’Institut est sien et elle l’a repris tout de nouveau entre ses mains sacrées ».
La même religieuse ayant demandé quel jour cela s’était passé, notre digne Mère répondit : « Je ne puis vous le dire ne l’ayant pas remarqué ; mais ce qui est bien certain, c’est que la très sainte Vierge a bien voulu se charger de notre Institut et présentement je me trouve déchargée d’un grand poids. Lorsque je me vis sur le point de quitter la terre, ne sachant sur qui me démettre de cette œuvre, je priai cette Mère de bonté d’en prendre le soin. Elle le fit, mais d’une manière si admirable et si consolante pour l’Institut et pour moi, que j’en fus dans un très grand transport de joie, et si j’avais suivi les mouvements de mon cœur j’aurais fait assembler la Communauté pour venir rendre hommage à cette Mère de miséricorde, en actions de grâces de ses bontés pour l’Institut ».
Elle répéta encore, avec grande ardeur, toute pénétrée d’amour et de reconnaissance : « Oui, c’est son ouvrage, il est sien et présentement j’en suis entièrement déchargée, elle en aura soin. Je vous assure de nouveau que j’eus une grande joie de le voir retourner d’où il était sorti. Je vous dis cela comme une rêverie de malade ; mais n’en dites mot, je vous prie ».
n° 2119 P123 p.129
Notre digne Mère nous dit en jetant les yeux sur une descente de croix placée au pied de son lit : « Si j’avais l’esprit libre, je penserais à plusieurs choses, mais il est aux pieds de mon Maître, pour y être écrasé comme il lui plaira, et il faut qu’il y demeure. Je ne suis pas revenue pour être sur le trône, ni pour être à mon aise, ni pour avoir des consolations et être caressée, mais pour recevoir les coups de mon Maître et être écrasée comme il voudra. Aussi bien je ne mérite que l’enfer ».
Une religieuse lui dit : « Ma Mère, Notre Seigneur prend plaisir à vos souffrances » ! Elle répondit : « Ah ! si cela pouvait lui donner le moindre plaisir, j’en aurais cent fois plus que lui. J’ai été en un pays perdu où j’ai connu bien des choses. J’imagine, vous, si vous étiez je ne sais pas où, et que l’on vous prît en l’air sur un gouffre affreux, et que vous y fussiez suspendue plusieurs jours prête à tomber, sans savoir ce qui vous soutient, n’étant que comme un filet, que feriez-vous ?... J’ai vu ce gouffre et j’ai connu que je le méritais bien, et il me semblait qu’il n’aurait pas fallu grand-chose pour me faire tomber dans cet abîme, dont je n’étais soutenue que par un filet de la bonté et de la miséricorde de Dieu ».
n° 2126 B532 p.8
Quelques religieuses s’entretenant de croix et de souffrances avec notre digne Mère, elle leur dit : « Mes Sœurs, ne demandez pas de croix ni d’humiliations. Mais prions Notre Seigneur de nous faire la grâce d’accepter avec amour, respect et soumission, celles qu’il lui plaira de nous envoyer, et de demeurer abandonnées à son bon plaisir ». « Oui, ma Mère, mais quand Dieu voit une âme ainsi abandonnée, il ne l’épargne pas, nous le voyons en vous puisque vous avez tant souffert durant toute votre vie ».
« Je n’ai pas souffert grand-chose, n’en n’ayant pas été digne. Il est bien vrai que j’ai eu dans le cours de ma vie de petites contradictions et humiliations ».
Elle parla ensuite de ce qui lui était arrivé au commencement de l’Institut, disant que cela venait de ce que beaucoup de personnes, et même de personnes de piété, croyaient qu’elle entreprenait cette œuvre par vanité, par un esprit d’élévation et de complaisance. Puis se tournant amoureusement vers une image de la Sainte Vierge, elle ajouta : « Elle m’est témoin, et elle sait bien si j’ai jamais recherché de moi-même à faire cette œuvre, si je l’ai entreprise par mon propre esprit, ou si jamais je l’ai regardée avec complaisance, ou si j’en ai eu de la joie par rapport à moi. Elle sait combien, au contraire, j’ai prié Notre Seigneur de s’adresser pour cela à des âmes choisies et fidèles. Cette divine Mère sait encore ce qui m’en fut montré un jour, le deuxième dimanche de Carême, comme aujourd’hui, après la sainte Communion. Oui, je ferais des volumes entiers de toutes les choses admirables que l’on m’en fit voir. Comme je voulais prier pour la santé de Madame la Duchesse de la Vieuville, fille unique de ma chère Comtesse de Châteauvieux, on me dit : “Applique-toi à l’œuvre que l’on veut de toi, et laisse là la Duchesse, on en aura soin”. En effet en peu de temps elle se porta mieux, et l’on me fit voir comme Dieu serait adoré dans l’Institut, me montrant un grand nombre de personnes dehors et dedans, appliqués comme de véritables adorateurs. Je voyais des âmes toutes unies et toutes collées à Dieu d’une manière qui me consolait beaucoup, car je voyais que Notre Seigneur prenait ses complaisances, et qu’il aurait des victimes selon son cœur ».
Ici notre digne Mère s’arrêta, et comme on la pressait de dire tout ce qu’on lui avait fait voir, elle répondit : « Quand je le voudrais, je ne le pourrais pas, c’est au-delà de toute expression et de toute idée ».
n° 2600 B532 p.10
Le 19 mars 1694, elle dit : « Je ne saurais me lasser de répéter la joie et la consolation que j’ai eues pendant ma maladie de voir que la très sainte Mère de Dieu avait remis l’Institut dans son cœur dont il était sorti. Une Fille du Saint Sacrement ne devrait jamais avoir de peines, ni d’inquiétudes si elle savait ce que la très sainte Mère de Dieu lui est. Je vous dirai que moi-même, toute indigne et toute misérable que je suis, je l’ai expérimenté, ressentant une certaine joie ».
Quelques-unes lui dirent : « Ma Mère, vous vous récréez avec elle ? » Non seulement elle ne s’en défendit point, mais elle fit bien entendre que cela était vrai, qu’elle la consolait dans ses souffrances, dans ses croix et dans ses peines, qu’elle lui aidait à les porter.
n° 1971 P123 p.146
Ce même jour qui était la fête de Saint Joseph, une religieuse lui demanda le matin si ce grand saint ne lui avait rien dit. « Il faut l’aimer plus que jamais, lui répondit-elle, et avoir en lui une grande confiance. C’est un des plus puissants saints du Paradis (après la Sainte Vierge), et qui a plus de pouvoir. Le croirez-vous ? Oui, il a un très grand pouvoir. Il faut dire plusieurs Te Deum pour honorer les liaisons et rapports qu’il a à la très Sainte Trinité ; il n’y a pas de saint qui en ait comme lui. L’Institut lui a de très grandes obligations ; il faut lui en remettre l’intérieur dans ses mains et le prier d’en être le conducteur.
Je vous ai dit que l’Institut est fait pour les anéantissements d’un Dieu, et pour remplir ses desseins, il faut s’y conformer. Nous ne pouvons lui rendre la gloire que nous lui devons que par nos anéantissements.
La très sainte Mère de Dieu a pris un soin tout particulier de l’Institut ; que cela vous réjouisse ; ayez donc en elle plus de confiance et d’espérance que jamais : je ne suis plus rien qu’un vieux tison. Je ne suis plus rien dans l’Institut ». Une religieuse lui disant que cela lui devait donner de la joie, elle lui répondit : « Ma pauvre Mère, je n’ai jamais eu de joie depuis que l’Institut est entre mes mains ».
n° 2005 P123 P.146
La veille de notre glorieux Père saint Benoît (20 mars 1694), elle pria tout le monde de lui demander pardon pour elle de toutes les fautes et manquements qu’elle avait commis envers lui, de ne l’avoir pas assez honoré, ni prit son esprit en toute sa conduite.
Une religieuse lui ayant demandé comment il fallait honorer ce grand saint, elle lui répondit : « Il faut rendre grâces à la très Sainte Trinité de toutes les élévations et excellences singulières dont elle l’a gratifié, s’en réjouir avec le Ciel, et demander à Notre Seigneur la grâce de l’imiter en toutes ses vertus ».
n° 2124 P123 p.147
À cette époque, le mot « évangile » était indifféremment masculin ou féminin. (Dictionnaire de l’Académie Françoise 1694).
Oui, mes Sœurs, une âme abandonnée fait le jouet de Dieu, il s’en joue couille il veut, elle se laisse peloter, tourner, virer, et se laisse mener comme Dieu la mène, elle n’a aucune résistance. Il y en a qui disent qu’on ne peut pas retenir son esprit. Vous seriez bien habiles, mes Sœurs, si vous en veniez à bout, il court sans cesse, et il ne faut non plus s’étonner de ses courses que d’un oiseau qui vole. On dit qu’en mettant un grain de sel sur la queue, on l’attrape ; il en va de même de l’esprit. Laissez-le donc là et n’ayez soin que de retenir le cœur soumis et abandonné.
Je disais tantôt que l’abandon quoiqu’il soit le chemin le plus abrégé pour aller à Dieu, qu’il n’était pas pour cela le plus aisé, parce qu’il y a beaucoup à souffrir du côté de la nature, qui, se voyant toute délaissée et ne sachant plus où se prendre, entre quelquefois dans la rage et le désespoir. Il faut un courage étonnant pour demeurer ainsi, car mille retours de compassion et de tendresse sur soi-même viennent à la traverse. Ah ! mon Dieu, si j’avais le secours de cette personne, cette grâce qui me manque, ce soutien que je n’ai plus ! Et toutes ces plaintes viennent de ce qu’elle ne peut souffrir de se voir abandonnée ; mais laissez-la crier, elle trouvera à la fin son tombeau.
Il vous viendra, si vous voulez, une tentation, Dieu permettra que le démon vous fasse des impressions malignes, vous suggérant des pensées contre Dieu, dans lesquelles il semble que votre perte est assurée, qu’il vous abandonne et qu’il vous rebute, quoiqu’il n’en soit pourtant rien, mais nos sens, notre imagination et le démon se mêlent ensemble qui nous font croire ces choses. Mais croyez-moi, mes Enfants, cela n’est point, ne sortez point pour cela de votre abandon, puisque si vous ne voulez point être abandonnées c’est de vous abandonner. Plus ces pensées vous viennent, plus tenez-vous aux pieds de Jésus Christ : il prend un plaisir extrême à y voir ces pauvres âmes qui se sentent rejetées de lui et pour qui il a des tendresses infinies. Oui, si vous voyiez les bontés de ce cœur adorable, l’amour de ce cœur adorable, les tendresses de ce cœur adorable pour les âmes qu’il ne veut jamais perdre, oh ! que vous auriez de confiance ! Dites donc dans ces occasions, où il semble que votre perte est assurée, ne sentant point de grâce pour vaincre ce que vous ressentez : il est juste, ô mon Dieu, que n’ayant pas fait profit de vos grâces, j’en sois maintenant destituée pour pouvoir vaincre en moi ce qui s’élève contre vous.
Tournez-vous toujours du côté de Dieu. Soyez assurées qu’il ne vous veut point perdre. De nous-mêmes nous ne pouvons rien, et si Dieu ne nous soutenait par une grâce autant puissante qu’amoureuse nous tomberions à tous moments dans mille péchés, et tout présentement que je vous parle, vous et moi nous sommes capables d’en faire une infinité. Qu’est-ce qui me retient donc ? C’est mon Dieu qui veille sur moi ; et quand vous êtes retirées en solitude adorez cette puissance qui vous soutient et qui vous empêche de tomber. Dans ma maladie, que je fus délaissée à moi-même, je ne savais où j’en étais, je fis bien des choses qui m’ont rendue bien abjecte. En vérité on ne se connaît point, jusqu’à présent j’avais cru que j’étais capable de souffrir quelque chose, mais l’expérience m’a fait voir le contraire. Je disais : BONUM MIHI HUMILIASTI ME — il est bon, Seigneur, que vous m’ayez humiliée —, car ce fut pour moi une maladie d’abjection.
Je me plaignais, je n’avais point de repos et je disais : « Ah ! j’ai été malade bien des fois, j’ai eu des maux de poitrine, des coliques assez violentes, des fièvres ardentes, j’ai été plusieurs fois à la mort, mais celle-ci je ne sais où j’en suis, je n’ai plus de cœur, que suis-je donc ? Je ne me connais plus, Dieu m’a frappée jusque dans la substance de mon être. Il est vrai que j’en avais assez pour partir, mais Dieu m’a renvoyée afin que je commence à vivre en simplicité comme un enfant, tout abandonnée à lui et sans retour sur moi.
Abandonnons-nous donc mes Sœurs, Dieu est Père, nous voyons dans les conduites qu’il tient sur l’Eglise qu’il veut que nous nous abandonnions à lui. Voyez l’Évangile d’aujourd’hui, je ne l’ai point lu, mais dans quelques petits passages de l’Office j’ai compris que Jésus Christ disait : « N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’avez qu’un Père qui est au ciel et qu’un Maître qui est Jésus Christ » (Mt 23, 9). Vous me direz : mais j’ai un père qui m’a donné l’être ! Il est vrai, mais cet être n’est qu’un
être passager et fini, mais l’être que vous avez reçu de Dieu est un être qui ne finit point. Oui, c’est une vérité de dire que Dieu est notre Père, c’est lui-même qui nous a produits et c’est lui seul qui nous conserve, puisque s’il ne nous soutenait pas nous tomberions tout à l’heure dans le néant. Je ne vois rien de plus consolant et de plus ravissant pour une âme que de dire : « Dieu est mon Père ». En plusieurs endroits de l’Évangile il nous le montre et même il semble nous en faire un commandement exprès comme en celle d’aujourd’hui : « N’appelez, dit-il, personne sur la terre votre père, car vous n’en avez qu’un qui est au Ciel ». Cette parole qu’il dit à Sainte Magdelaine après la Résurrection me charme : « Je monte à mon Dieu et à votre Dieu, à mon Père et à votre Père ». Quelle consolation à une âme, mon Dieu est mon Dieu, mais il est aussi mon Père.
n° 2436 P123 p.166
Le texte porte : « Lui-même sera notre viande ». C’est le seul terme de ce recueil que nous avons cru bon de modifier pour éviter d’émouvoir les sensibilités. Il est cependant intéressant de préciser que dans le langage du XVIIème siècle, « viande » désignait simplement les aliments, la nourriture prise dans un sens général. C’est ce que dit Furetière. Et de même Littré : « Toute espèce d’aliment, tout ce qui est propre à soutenir la vie ». cf. Claudine Moine (1618-16 ?) Ma vie secrète (Desclée) p.119.
La misère du temps et le pressant besoin de la maison faisaient craindre à quelques-unes de manquer des choses nécessaires à la vie. Notre vénérable Mère tâchait de consoler celles qu’elle voyait plus inquiètes à ce sujet et qui appréhendaient même de mourir de faim.
Jamais, leur dit-elle entre autres choses, on n’a vu des victimes abandonnées de Dieu. Mais les victimes de leur côté doivent s’abandonner à Notre Seigneur, qui est leur Père, leur Dieu, et leur Sauveur : il prendra soin d’elles de quelque manière que ce soit. Ne nous mettons donc point en peine de quelle mort nous mourrons : la victime ne doit point envisager le genre de sa mort, mais l’objet de son sacrifice. Si Dieu nous laisse mourir de faim en ce monde, il nous rassasiera dans le Ciel par des mets infiniment délicieux : lui-même sera notre nourriture.
Jugez, mes Sœurs, quel bonheur d’être nourries éternellement de Dieu même. Je vous souhaite à toutes son pur amour et de n’avoir point d’autre objet que lui seul dès cette vie.
n° 1886 P123 P.137
Le 1er avril 1694, notre digne Mère reprit fortement une religieuse qui témoignait une crainte excessive de n’être pas du nombre de ceux qui gagneraient le Jubilé. « Vous allez toujours dans l’extrême, lui dit-elle. Puisez en Dieu un fond de confiance et demandez-lui pardon de l’outrage que vous lui faites, en vous défiant de sa bonté. Il se tient moins offensé d’un crime que de la défiance en sa miséricorde, témoin Judas qui fit un plus grand péché par son désespoir, que par celui qu’il avait fait en vendant Notre Seigneur. Voulez-vous un exemple plus fort ? Changez de sentiments et que je ne vous voie plus à la désespérade et menant tout le monde en enfer avec vous ». Puis elle lui dit agréablement : « Vous avez donc bien envie d’y aller, d’après ce que je vois, au moins il le paraît par vos paroles. Modérez-les aussi bien que vos sentiments et gardez-vous de la défiance : Dieu est votre Père et votre Sauveur. Croyez-vous qu’il vous veuille perdre ? Regardez-le en ces qualités et non comme un tyran, ainsi qu’il paraît que vous faites. À quoi bon se retirer de la confiance pour se jeter dans le désespoir ! »
Sachez, mes Sœurs, que vous trouverez Dieu à la mort conne vous l’avez fait pendant votre vie. Vous êtes ses enfants, ses épouses et ses victimes ; il est en vous, et vous le portez toujours dans vos cœurs ; il vous comble de ses grâces, vous tenant unies à lui par son amour, mais d’une manière si intime que vous êtes comme tout entrées en lui. Voudriez-vous vous en séparer ? C’est lui faire une injure insupportable que de se défier de sa bonté. Non, mes Sœurs, rien ne peut lui être plus désagréable que d’entrer dans un cœur où il trouve de la défiance. Quelque criminelle ou méchante que vous soyez, Dieu est toujours votre Père et il a plus de bonté pour vous que vous n’avez de malice. Quant à moi, j’ai fait pis que tout ce que vous pourriez avoir fait, et j’ai mérité l’enfer plus que tout le monde ensemble ; j’ai fait pis que tous les Juifs, ayant une infinité de fois crucifié Notre Seigneur par mes péchés. Néanmoins je le regarde toujours comme mon Père et dans cette confiance je ne crains point qu’il me perde, j’espère en ses miséricordes.
Parlant encore sur le Jubilé et sur la confession, elle dit à une autre religieuse : « Il faut vous examiner pour voir si en toutes choses vous n’avez cherché que le plaisir de Dieu, toute votre ambition devant être bornée à faire régner ce plaisir de Dieu en vous : rien d’humain n’y doit être préféré. Il ne faut pas que vous ayez d’autres vues : faites une chose, faites-en une autre (vos notes si vous voulez), toujours toutes choses dans cette vue du bon plaisir de Dieu ».
n° 2004 P123 p.138
Notre digne Mère, au mois d’avril 1694, nous entretenait familièrement de la confiance que nous devons avoir en la miséricorde de Dieu. Elle nous dit à ce propos : « Un jour, faisant la réparation, il y a plus de vingt ans, j’avais quelque petit mouvement extraordinaire qui faisait que j’étais fort touchée, autant et plus de mes propres péchés dont j’avais la vue présente, que de ceux des autres.
Me trouvant donc fort peinée intérieurement en vue de mes péchés qui m’étaient d’un grand poids, et comme je craignais de communier dans cet état, ne sachant plus que faire de moi tant j’étais désolée, me voyant si misérable et si chargée de péchés, il me fut dit intérieurement : « Puisque tu as percé ton Dieu, que tu l’as outragé, que tu lui as fait des plaies par tes péchés, fourre-toi dans ces mêmes plaies que tes péchés ont faites, tu y trouveras ta guérison, ton salut et enfin, tu trouveras la vie de ce qui t’avait donné la mort ».
n° 2303 CrC p.193
Les lignes suivantes ont été empruntées à un autre manuscrit qui est pour la première partie, moins personnel que le Cr C.
(...) « Celles de dessous les pieds de Notre Seigneur sont mon attrait, l’on y peut toujours demeurer, parce que l’on y est cachée, séparée, et que Notre Seigneur nous y souffre, et prend plaisir à nous y voir ». « Et celle du côté ? » lui dit-on. Elle répondit : « On y peut aller aussi quelquefois, mais pour y demeurer toujours il faudrait des âmes bien épurées, et bien séparées d’elles-mêmes et de tout le créé, car c’est une fournaise qui veut toujours consommer. Il faut aimer du pur amour, ou on n’y peut demeurer ».
n° 1974 (fin) D12 p.4
« Je me suis trouvée toute nature ».
Laissons Furetière nous expliquer l’expression : « Nature se dit figurement en matière de Religion, de la volonté de l’homme, du penchant au péché qui est né avec lui. L’homme dans l’état de nature corrompue est en état de péché. Il n’y a que la grâce qui lui fasse vaincre les passions de sa nature fragile et corrompue ».
Je ne saurais assez vous dire, mes Sœurs, combien nous sommes contraires à nous-mêmes. Nous sommes notre plus grand ennemi, d’autant plus dangereux que nous nous en défions moins et que nous vivons plus en assurance avec lui, quoiqu’il nous séduise à toute heure et à tout moment. On s’en prend à celle-ci ou celle-là. Hélas ! prenez-vous-en à vous-même, car c’est vous-même qui vous faites tout le mal que vous avez, et vous êtes à vous-même le plus grand obstacle que vous puissiez avoir au bien.
Je ne saurais assez m’étendre sur la misère, ni trop gémir sur l’aveuglement, la pauvreté et l’impuissance de la créature qui vit dans l’insensibilité, n’étant point touchée de ces grandes vérités que tout n’est rien, que tout passe, qu’il faut finir, qu’il faut mourir, quoiqu’elle soit tout près de la mort, car nous en approchons à toute heure. Si nous étions pénétrées de ces vérités, vivrions-nous comme nous le faisons ? Serions-nous aussi humaines ?
Il faut avouer que c’est une pauvre chose que la créature ! Je vous le dis d’après ma propre expérience. Je me suis vue en cette maladie tout près de la mort et je me suis trouvée toute nature. J’étais toute nature auparavant, et depuis que Dieu m’a renvoyée, je me trouve encore toute nature. Je prévoyais bien cela, et c’est ce qui faisait que je n’aurais pas été fâchée de mourir, mais bien de revenir, et que je ne l’ai fait que malgré moi et en versant des larmes. Nous sommes toujours nature : nature à la vie, nature à la mort. C’est une suite du péché de notre premier père. Qu’il a fait de désordre en nous ! Un de mes sujets d’étonnement dans les commencements était que le baptême, tout puissant qu’il est, ne nous ôte point cette misérable capacité de péché et la pente naturelle que nous y avons. Ni même la sainte Communion qui fait en nous des effets si merveilleux ; car un moment après, vient-il une petite occasion, nous y succombons.
Une religieuse dit alors à notre digne Mère : « Mais Dieu a pitié de notre faiblesse.
— Vraiment il le faut bien ; sans cela, il y a longtemps qu’il nous aurait foudroyées. Voyez s’il a pardonné seulement une seule fois aux Anges et comme il les a traités. Hélas ! s’il n’avait pas pitié de nous et de notre faiblesse, que ferions-nous ?
— C’est qu’il nous aime infiniment ».
n° 1199 B532 p.21
Je trouve à la vérité que c’est une très grande grâce que le jubilé. Mais à mon sens, et dès ma jeunesse, j’ai trouvé dans la confession quelque chose de si grand et qui m’imprimait tant de respect et d’estime pour ce sacrement que je ne voyais rien qui le surpassât. Car enfin quoique nous n’y recevions pas le Corps de Notre Seigneur Jésus Christ, ses mérites nous y sont appliqués et c’est (en) une participation et une action qui rend beaucoup de gloire à Dieu, parce que par là nous nous humilions devant, et en confessant nos fautes, nous avouons que nous sommes criminelles.
Mais nous devons regarder Dieu uniquement en la personne du prêtre, sans avoir égard à ses qualités naturelles ou surnaturelles. Il nous suffit qu’il nous tienne la place de Dieu. Je m’étonne que tant de personnes s’y entretiennent de bagatelles : il me semble que c’est un défaut de respect. Cela n’est pas bien et je ne le puis souffrir. Il faut nous confesser avec humilité et avec la résolution de nous corriger, et si nous ne pouvons nous empêcher de commettre les mêmes fautes que nous avons confessées, du moins tâchons que le nombre en soit diminué et que nos chutes deviennent moins fréquentes.
n° 1553 B532 p.23
La maladie que j’ai eue m’a été très utile, elle m’a fait voir la grande miséricorde de Dieu dans laquelle je suis demeurée. Je ne puis assez admirer cette divine miséricorde dont je suis environnée et qui me soutient toujours. Je ne sais d’où vient que j’ai été malade, comme j’ai été malade et ce qui s’est passé dans ma maladie. C’est une maladie que Dieu a faite exprès, qui m’a mise plusieurs fois à la mort. Et dans le temps où j’ai cru m’en aller, on m’a jetée et l’on n’a plus voulu de moi, on m’a renvoyée. Je suis restée entre les mains de mon Dieu pour être tout ce qu’il lui plaira, pour souffrir tout ce qu’il voudra, et demeurer toujours dans la mort. C’est ce que ma maladie m’a appris, de vivre dans cet esprit de mort. Et cet esprit de mort consiste à demeurer toujours en Dieu. Oui, toujours en Dieu sans jamais m’en séparer un seul moment. Dieu en tout, Dieu partout, Dieu toujours.
Je lisais hier aux Ténébres un vers que j’aime bien : « Je dormirai et je me reposerai... »
Voilà comme je désire être, dormir et me reposer en Dieu, que plus rien sur la terre ne me trouble, plus de créature, plus de moi-même. Oh ! le bonheur d’une âme de se reposer en Dieu, et de s’oublier d’elle-même et des créatures ! N’êtes-vous pas assez lasses de vivre en vous-mêmes et dans les créatures ? Pour moi, je le suis bien.
Croyez-moi, laissez là toutes les créatures aussi bien que vous, et demeurez en Dieu pour y dormir et vous y reposer. Il n’est pas nécessaire d’aller si loin pour cela, vous n’avez qu’à rentrer en vous-même, car Dieu est dans l’intime de votre âme. Vous l’y trouvez à tout moment y faisant actuellement sa demeure. Regardez-le donc toujours pour adhérer à lui, pour vouloir tout ce qu’il veut, pour vous y soumettre. Priez-le de vous attirer tout à lui. « Trahe me post te ». Il y a deux choses à faire dans la vie pour être à Dieu : Adorer et adhérer toujours. Donc adorer, et adhérer à tout ce qu’il permet, l’aimant, le voulant et l’agréant par soumission à ses ordres. Voilà le moyen que rien de tout ce qui peut arriver en la vie ne nous puisse troubler. C’est ainsi que vous dormirez et reposerez doucement en Dieu, l’adorant et lui adhérant toujours.
n° 1875 B532 p.24
Je ne veux plus souffrir l’humain, partout où je le trouverai je lui ferai la guerre et je donnerai des coups de bâton à celles qui n’en voudront pas sortir, je ne suis revenue que pour cela. Je veux le détruire en vous toutes, ou du moins j’y ferai mon possible, parce que dans ma maladie j’ai eu des connaissances là-dessus et j’ai su que cela déplaisait infiniment à Dieu. Il ne peut souffrir que dans ses victimes l’humain remplisse ce qu’il devrait seul occuper. Je vous ai vues toutes pleines de l’humain, et Dieu me l’a fait connaître. J’ai résolu de vous en faire sortir bon gré, mal gré, car, après ce saint jubilé et ces saintes Pâques, il faut que Jésus Christ règne en vous. Et si vous ne le faites régner par amour, il régnera par force à vos dépens : vous en aurez du déplaisir et vous vous en repentirez. Des Filles du Saint Sacrement ne devraient être que des filles du pur amour. Jamais, jamais elles ne devraient avoir de retours sur elles. Et, de même que Jésus Christ n’a eu en vue que la gloire de son Père et nos intérêts, elles ne doivent en toutes choses avoir d’autres vues que la gloire de Dieu et les intérêts de Jésus Christ.
Or quels sont ses intérêts ? Son règne, son amour dans les âmes. Faites-le donc régner en vous, aimez-le pour lui-même, ne souffrez plus que l’humain tienne en vous la place de Dieu, ne regardez point les causes secondes, ne vous arrêtez point à raisonner : pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? C’est une telle qui m’a choquée, c’est une autre qui m’a offensée. Ne vous en prenez à personne : c’est vous-mêmes qui vous faites tout le mal que vous avez. Sortez de l’humain. Je ne dis pas que vous en sortirez tout à fait, cela ne se peut en cette vie, nous en sommes toujours environnées ; mais j’entends que vous ne vous y reposiez pas, que vous ne vous en occupiez pas volontairement. Aussitôt que vous vous trouvez dans l’humain, quittez-le pour ne voir que Dieu et son bon plaisir.
L’Ange dans le ciel, avant qu’il eût péché, était beau, plein de gloire et de lumière, parce qu’il regardait Dieu. Mais du moment qu’il s’est recourbé vers lui-même il est devenu une laide bête, et, par le péché du premier homme, il a communiqué son venin à toute la nature. Voilà pourquoi nous nous regardons toujours, c’est le malheureux penchant de la nature corrompue et, comme je le disais hier, c’est que nous avons en nous un fond de démon qui nous porte toujours à l’élévation.
n° 1214 P123 p.131
« Temps ».
C’est l’état de l’atmosphère ;
le ciel, l’espace dans lequel se déplacent les nuages. Ainsi : « Un temps sans nuages » (Furetière).
Oh ! que j’aime la présence de Dieu dans une âme ! Que je trouve qu’elle y fait du bien. Penser que l’on est environné de Dieu, que nous sommes en lui, que nous vivons et nous nous mouvons en lui, que c’est lui qui nous soutient et nous anime, qu’il nous fait être ce que nous sommes, que sans lui nous ne serions point, quel effet cela ne produit-il pas dans le cœur ? Je compare cette présence de Dieu au temps : vous le voyez quelquefois rempli de petits moutons. Lorsqu’il fait un grand air et du vent ils se dissipent et il n’en demeure pas un : il devient d’une beauté et netteté admirable. Ou bien, si vous voulez, que quelques rayons de soleil viennent à paraître ils opèrent le même effet.
De même aussi : ayez l’intérieur rempli de mille choses qui vous peinent, vous inquiètent, vous troublent et vous embarrassent l’esprit, appliquez-vous à cette divine présence, remettez-vous en Dieu, regardez-le, n’ayez en vue que lui, pensez à ses bontés, à ses miséricordes, occupez-vous de ses grandeurs et de ses perfections infinies, perdez-vous dans son immensité divine et adorable, vous voyez qu’imperceptiblement tout se dissipe. Vous trouvez votre âme dans un calme, dans une paix et dans un repos si grand que cela surprend.
n° 176 P123 p.165
Jésus manifeste, communique ses états à l’âme. Ils s’impriment en elle, laissent en elle une trace, et à son tour elle doit les manifester extérieurement par ses actes.
Le 3 mai 1694 à la récréation du soir, notre digne Mère parla sur les dispositions que demande la sainte Communion.
Communiez tous les jours si vous voulez, dit-elle, je le veux bien, mais aussi que la sainte Communion opère en vous la mort à vous-même ! Jésus Christ doit faire une expression de ses états dans une âme qui communie souvent ; ils doivent être imprimés en elle et on les y doit voir pour y conformer sa vie. Elle les doit exprimer dans ses actions et ses paroles, et dans les occasions elle doit mettre en pratique les vertus de Jésus Christ, comme son esprit de sacrifice et de mort, son humilité, etc... etc. Pour communier avec fruit, il faut que cet adorable Sacrement produise en vous ces effets. Et en vérité j’ai de la peine quand je vois que l’on communie fréquemment et que l’on ne prend pas l’esprit de Jésus Christ et que l’on n’a point de rapport avec lui.
Je ne vous dis pas de ne point communier, prenez bien mes paroles. Mais je vous dis, en communiant souvent, de vivre selon la grâce de la Communion, vous revêtant de Jésus Christ, en prenant son esprit et en ne vivant que pour lui. Et pour cela il faut, je vous le répète, mourir à vous-même.
Une religieuse prenant la parole dit qu’elle était bien éloignée de ces pratiques et par conséquent de répondre à la grâce de la Communion ; c’était sa grande peine de n’être pas à Dieu comme elle désirait.
Notre vénérable Mère répondit : « Pour être à Dieu, il n’y a pas à faire tant de choses que l’on se l’imagine ; il ne faut pas tant se tourmenter et s’inquiéter pour le connaître. Deux choses suffisent. L’une, de regarder uniquement Dieu en tout et partout, dans toutes nos actions, nos pensées, nos paroles, n’ayant que la seule vue de le contenter et de faire sa sainte volonté, sans nous amuser à vouloir plaire aux créatures. La seconde, c’est de nous séparer toujours de l’humain. C’est cet humain qui nous arrête et nous amuse toujours, qui nous entortille et nous embarrasse l’esprit à mille réflexions et retours inutiles, à mille bagatelles qui nous détournent de l’attention que nous devons avoir continuellement à Dieu et à sa sainte présence. Ôtez-moi ce misérable humain, je ne le peux souffrir ».
Notre digne Mère ajouta en plaisantant : « Depuis que j’ai été malade, je suis colère, et si colère que je voudrais toujours me fâcher quand je le rencontre quelque part. Il m’est insupportable. Je ne veux plus le voir en vous autres. Je ne veux plus que Dieu en vous. Je vais être bien méchante, car partout où je trouverai ce misérable humain, je le battrai ».
Et regardant la religieuse qui venait de parler, elle lui dit, en plaisantant toujours : « Assurément, je vous taperai bien si vous ne détruisez tout l’humain, et si vous ne l’ôtez de vos cœurs. C’est indigne à des âmes qui ne sont créées que pour Dieu, de regarder autre chose que lui et de s’amuser ainsi à la créature. Vous voyez que je ne me lasse point de vous rabattre la même chose et de me récrier sur cet humain. C’est que dans ma maladie, j’en ai connu l’amusement, et comme toutes les âmes s’y laissent aller, perdant par là une infinité de grâces et se retardant beaucoup dans la perfection. Car tant qu’elles s’y arrêtent, elles n’avancent point et demeurent toujours humaines. Sortez-en donc bien vite, mes Sœurs ! Faites-le tomber dans le néant avec vous afin de vous retrouver en Dieu. C’en est le moyen véritable et sûr. Croyez-moi, je vous dis vrai. Faites-en l’expérience en vous séparant de l’humain qui, jusqu’à présent, n’a fait que vous souiller et vous retirer de Dieu ».
n° 2108 B532 p.27
Un jour, à la récréation, notre vénérable Mère nous parlant d’une manière qui nous tenait toutes fort attentives, une religieuse entra, qui ne s’apercevant pas de notre application, fit beaucoup de bruit et empêcha la Communauté d’entendre. On s’en plaignit en la priant de cesser, sur quoi notre digne Mère nous dit : « Voilà comme nous n’entendons point la voix de Dieu, quand nos sens et nos passions font du bruit : la voix de Dieu est si délicate qu’il faut un grand calme pour la pouvoir entendre ».
n° 2895 P123 p.134
Le vendredi d’après l’Ascension elle dit aux novices : « Écrivez en gros caractères : telle je suis étant novice, telle je serai après ma profession. Si vous avez été lâche avant votre profession vous le serez encore après. Celles-là seraient heureuses qui se seraient mortifiées et vaincues, afin d’entrer ensuite dans les dispositions de la grâce ».
n° 2117 P123 p.135
Notre vénérable Mère s’adressant à une novice qui devait faire profession trois jours après, parla de la grandeur de cette action et des obligations qu’elle nous impose en des termes les plus forts.
Les religieuses qui étaient présentes se récriant sur la difficulté de remplir ces obligations : « Hélas, dit Notre Mère, trop heureuse si à quatre-vingts ans je pouvais dire que je suis religieuse ! Mais j’en suis bien éloignée et je peux dire au contraire que je ne l’ai jamais été, et qu’à l’âge où je suis, je ne sais encore ce que c’est qu’être religieuse. Car c’est quelque chose de si grand et de si divin qu’il est impossible à l’esprit humain de le pouvoir comprendre. La profession est un second baptême, c’est de plus un engagement d’éternité, c’est une promesse faite à Dieu même, après laquelle nous n’avons plus aucun droit sur nous, et nous ne devons plus disposer de nous en aucune manière.
Le vœu de conversion de mœurs nous oblige à combattre sans cesse nos penchants, nos humeurs, nos inclinations. En un mot il faut nous préparer à être contraires à nous-mêmes, à sacrifier à tout moment. C’est de plus l’obligation d’une victime qui ne doit plus vivre de sa propre vie. De nous croire capables de remplir par nous-mêmes toutes les obligations où la profession religieuse nous engage, ce serait une grande témérité. Que faut-il donc faire ? Il faut, pour bien faire profession hors de nous-mêmes, faire, c’est-à-dire considérant d’un côté la grandeur d’une obligation où nous nous engageons et de l’autre notre incapacité, faiblesse et impuissance, mettre tout notre appui et notre confiance en Dieu, espérant qu’il nous fera la grâce d’être fidèles et de remplir nos devoirs, et ne faire aucun fond sur nous-mêmes. La plupart des personnes qui font profession ne savent pas ce qu’elles font. Hélas ! je ne le savais pas moi-même, quoique je fisse tout ce que je pus pour m’y préparer, et que je paraissais avoir beaucoup de feu et d’ardeur, et avec tout cela je n’ai rien fait. Je ne sais ce que tout est devenu, car j’ai bien mal rempli mes devoirs ».
Une lui ayant dit qu’elle souhaitait fort être à recommencer, elle lui répondit : « Si vous ne pouvez pas la recommencer vous pouvez toujours la renouveler. Pour moi je dirais volontiers : je ne savais, mon Dieu, ce que je faisais lorsque je me suis engagée à de si grandes choses, et depuis que j’ai eu quelque petite connaissance, je ne les ai pas remplies et je me trouve présentement entièrement incapable de les pouvoir jamais remplir si vous ne m’en faites la grâce. Après la profession, il ne faut plus que l’humain tienne en nous la place de Dieu, vous ne le pouvez faire sans une grande infidélité ».
n° 2127 B532 p.33
« D’où » avait le sens de pourquoi ? pour quelle raison ? Il est renforcé par « vient » employé ici comme semi-auxiliaire.
Saint Augustin dit que les œuvres sans la foi sont des œuvres mortes, comme la foi sans les œuvres est une foi inanimée parce qu’elle n’a pas devant les yeux son unique objet qui est Dieu seul. Ah ! si nous avions toujours Dieu devant les yeux, nous serions plus sages que nous ne sonnes. C’est pourtant une vérité que nous sommes obligées de croire sous peine de damnation éternelle que Dieu est partout et qu’il voit tout. Oh ! mais vous me direz, je ne le vois pas. Il est vrai, mais Dieu n’est pas sensible, c’est un pur esprit qui ne peut tomber sous nos sens. Il est pourtant vrai qu’il est partout. Il est en vous, en nous ; en vous et en nous, nous dit-elle parlant à trois ou quatre qui étions présentes.
Il faut que je vous donne un exemple qui vous le fera connaître. À présent que le temps est sombre, vous ne voyez pas le soleil. Il n’est pas visible à vos yeux. Cependant, il luit, et s’il n’était point, l’on ne verrait goutte. Aussi disons que Dieu est en nous, et que nos corps lui servent de nuées et d’ombres pour se cacher. Comme le soleil de la nature ne se voit pas à cause des nuées qui le cachent, de même le soleil de la grâce qui est Dieu ne se voit pas, car nos sens et nos corps sont les nuées sous lesquelles il se cache à eux. Mais la foi nous le découvre et est comme un soleil qui se fait voir à plein sur le midi.
Une religieuse lui ayant dit : « Mais, ma Mère, il semblerait à parler selon que l’on voit les grands du monde prospérer qu’il n’y a point de Dieu, ou qu’il ne voit pas tout le mal qui se fait : par exemple, un Prince d’Orange qui fait tant de ravages ». Elle lui répondit : « Dieu se fait des saints partout et de toutes les manières. Nous n’avons qu’à adorer ses conduites adorables et nous y soumettre à l’aveugle. Il est un bon Père qui a soin de ses enfants et il ne permettra pas qu’une seule périsse. Il nous faut seulement abandonner en toutes choses à son aimable volonté, sans nous mettre en peine d’aucune chose : c’est là le seul secret de vivre toujours content, quoi qu’il arrive. Car qui peut empêcher une maladie de venir et une personne de mourir ? Aucune créature sur la terre n’est assez puissante pour cela. Ainsi de tout le reste ».
Et parlant à une malade, elle lui dit : « Abandonnez-vous entièrement entre les mains de Dieu pour qu’il fasse de vous ce qu’il lui plaira, soit pour la vie ou pour la mort, il n’importe. Abandonnez-vous toute à lui, c’est là le seul moyen d’avoir toujours la paix, car sans cet abandon général nous ne faisons rien qui vaille, et avec cette disposition toutes nos actions auront les qualités qu’il demande de nous.
Car une âme qui lui est ainsi toute abandonnée lui est plus agréable que cent autres qui ne sont point dans cette disposition, et lorsqu’il la trouve dans une âme, il y vient répandre des profusions de grâces. Oui, des profusions, tant il aime cet abandon et que partout où il trouve cette vertu il la comble de bénédictions.
À quoi bon se tant inquiéter pour l’avenir : il n’arrivera rien que par la permission de son adorable Providence. À quoi donc servent toutes ces inquiétudes ? Qu’à nous troubler et à nous faire perdre le moment présent qui ne reviendra plus. Ne pensons qu’à ce moment présent qui nous est donné pour gagner l’éternité. Tout ce qui vous occupe l’esprit pour l’avenir n’arrivera peut-être pas. Et d’où vient vous en embarrasser inutilement. Il sera assez temps quand les choses seront arrivées. Oh ! mais le temps est misérable, et nous mourrons peut-être de faim ! Et qu’importe de quelle manière nous mourrons, il nous faut toujours mourir. Vous ne voyez pas que le démon fait tout ce qu’il peut pour nous empêcher de profiter de ce moment présent, duquel bien ménagé dépend notre éternité. Et ce moment qui s’écoule si vite conduit insensiblement à la mort, et alors il ne sera plus temps de regretter le passé. Travaillez, mes Sœurs, pendant que vous êtes encore jeunes, et ne perdez pas des moments si précieux que les saintes âmes du Purgatoire voudraient bien avoir. Ah ! qu’elles les emploieraient bien mieux que nous ne faisons. Demandons pardon à Dieu de tant de moments mal employés et tâchons de mieux faire à l’avenir ».
n° 2654 N261/3 p.42
Une religieuse ayant dit quelques paroles à son avantage en sa présence, elle lui répondit : « L’humain n’honore point Dieu, Dieu l’a en horreur, fuyez-le comme une peste et comptez que tout ce que vous dites et que vous faites par l’humain, non seulement c’est du temps perdu, mais bien plus c’est que vous en rendrez compte. Il ne faut jamais rien dire ni rien faire que par l’esprit de Dieu. Ce n’est pas lui qui vous vient de faire parler. Et que savez-vous si je n’en prendrai point de vanité ». Elle s’anima (...) et nous parla sur cette matière avec tant de chaleur qu’elle nous fit comprendre la douleur qu’elle avait de voir régner l’humain presque partout, et que la plus grande partie de la vie se passait dans l’humain qui ferait un jour notre douleur à la mort.
Je ne demanderais pas, nous dit-elle, que l’on fît de si grandes choses, mais en tout et partout beaucoup de pureté d’intention. Je sais que vous la dirigez dès le matin, mais autant que faire se peut, il faut réitérer cette pureté en toutes vos actions, portant une certaine attention et esprit intérieur qui dit en vous-même : je m’en vais ici ou là, non pour ce que l’on m’y appelle ni autres raisons, mais parce que Dieu le veut. Allez toujours vous simplifiant en toutes occasions.
En religion, l’on est plus coupable pour ne pas faire le bien que pour faire le mal, parce que l’on est hors des occasions : c’est à quoi peu de personnes pensent. Et sous prétexte que la conscience ne reproche pas de grandes fautes, l’on se croit en assurance, mais l’on peut se perdre d’une façon comme de l’autre. Il faut y prendre bien garde.
n° 2881 N261/3 p.45
La veille de la Nativité de la très sainte Vierge, elle nous dit de lui demander trois grâces qu’elle avait reçues dès ses premiers moments : la première, qu’elle avait connu Dieu ; la seconde, qu’elle l’avait adoré ; la troisième, qu’elle s’y était abîmée.
n° 1934 P123 p.148
Cette page nous éclaire sur la vie spirituelle de la Communauté de la rue Cassette, et elle nous fait communier à ses aspirations par delà les siècles. Ainsi voyons-nous que les Pères avaient leur place dans les lectures de la Communauté, les fautes contre la charité fraternelle faisaient l’objet de coulpes spontanées, et le rapport communion-charité » était mis en lumière et expérimenté.
« La lecture du matin » dont il est parlé ici est ce rassemblement de la Communauté qui s’est fait dans tous nos monastères jusqu’à la remise en question des Coutumes. Les moniales y travaillaient tout en écoutant une lecture faite par la Prieure qui pouvait aussi donner avertissements et avis. Certains jours il arrivait à quelques Sœurs moins pressées dans leur emploi de continuer plus longtemps l’échange avec la Prieure. C’est ce souvenir que cette page évoque.
« Par de certaine occasion ».
Signifie occasion précise, attendue. Dans ce sens au XVIIème siècle, l’adjectif « certain » pouvait se placer avant le nom alors que, aujourd’hui, il aurait un sens indéfini. Dans notre texte : « certaine occasion » s’oppose à « choses que l’on ne prévoit point ».
Étant à la lecture du matin, que l’on nous fît sur la sainte Communion, des sentiments des Pères qui conseillent d’en approcher souvent, elle nous dit ensuite : « Voilà une fort belle lecture et combien consolante. Communiez donc, mes Sœurs, avec amour et avec profit. Aimez votre prochain puisque Dieu veut que vous l’aimiez comme vous-même, et qu’il vous le commande. Regardez-le en lui et ne vous arrêtez point à ses défauts, ni aux peines qu’il vous a pu faire pour en avoir du ressentiment. Car il arrive bien souvent que le prochain nous fait de la peine ou nous cause quelque déplaisir sans le vouloir et sans dessein de le faire. Et cela par de certaine occasion qui se présente, ou des choses qui arrivent que l’on ne prévoit point. C’est pourquoi il faut l’excuser et regarder que Dieu le permet sans lui en vouloir de mal. J’aime bien que l’on communie souvent, mais il faut cette charité pour le prochain, Dieu même nous l’ordonne.
Il est vrai que l’on dit de belles choses du Saint Sacrement. J’avoue qu’il y a des livres qui en disent d’admirables et merveilleuses. Et si pourtant je vous disais qu’avec toutes les beautés que l’on en dit, je ne trouve point encore que l’on en parle selon ce que je voudrais. Je cherche partout quelqu’un qui voulût dire ce que je souhaite d’entendre, mais je ne trouve personne. Vous me pourrez dire : dites vous-même ce que vous voudriez que d’autres disent. Je vous répondrais que je le voudrais bien si je le pouvais, car je crois même que cela serait utile et nécessaire à la gloire de Dieu, que Notre Seigneur en serait glorifié, plus aimé et admiré dans ce mystère. Mais je ne le peux, je n’en suis pas digne, n’étant qu’une misérable.
Savez-vous bien qu’il y a plusieurs étages en nous. Il y a l’étage des sens qu’il faut surpasser, et les autres auxquels il ne faut pas que nous nous arrêtions, mais nous élever à Dieu par une foi vive qui nous le fait connaître au plus intime de nous-mêmes où il habite en vérité. Et nous le devons croire pour lui rendre nos hommages et nos respects. Faisons donc, mes Sœurs, un saint usage de la sainte Communion, en nous tenant bien unies à Jésus Christ, et toutes rentrées en lui par la grâce de ce sacrement adorable qui doit opérer en nos âmes cet effet divin. C’est le dessein de Jésus Christ Notre Seigneur. Oh mon Dieu ! ayant la possession d’un si grand bien, nous devrions être saintes et tout à Dieu ».
Ensuite après qu’elle nous eût parlé, plusieurs dirent leurs coulpes. Et m’étant accusée que j’avais dit des paroles sèches à quelqu’une, elle prit la parole et me dit : « Eh ! vous communiez souvent et vous manquez de douceur. L’effet et le profit de la sainte Communion n’est pas à avoir de belles pensées, de grandes lumières, mais à pratiquer les vertus de Jésus Christ qu’il ne manque pas de nous y communiquer. C’est là le fruit que nous en devons tirer. Pratiquez-les donc dorénavant en toutes occasions, et soyez toute douceur et charité envers tout le monde. Ce sera par là, dit Notre Seigneur, que l’on connaîtra que vous êtes mes disciples ».
Lui ayant demandé l’après-dîner, par occasion sur ce qu’elle nous avait dit le matin, comment une âme qui est agitée de toutes sortes de peines, qui ne lui donnent aucune capacité de s’élever à Dieu, qu’à peine même peut-elle croire qu’il y eût un Dieu, pouvait voir qu’elle demeurait en Dieu, elle me répondit : « C’est par la volonté que l’on le connaît. Il faut laisser là vos sens et tout ce qui s’y passe, dont vous n’êtes pas la maîtresse. Votre volonté suffit pour demeurer en Dieu. Il y a bien des choses où il ne faut point faire d’attention, qu’il faut laisser passer comme si elles étaient hors de vous sans vous troubler, vous tenant en paix ».
n° 415 N261/3 p.112
Date présumée : 1694
Ce texte 1557a a été emprunté au manuscrit N 254.
Le 2 décembre 1694 à la récréation du soir elle se mit insensiblement à parler de Dieu, et commença par quelques petites réflexions sur l’éternité et le jugement, nous disant : « Je m’en occupe quelquefois la nuit. À la vérité, c’est une chose terrible que cette décision d’éternité, et la seule pensée est capable de mettre la terreur dans l’esprit des plus hardis ». Une jeune religieuse lui dit qu’elle y pensait souvent, et qu’elle en avait beaucoup de crainte. Elle lui répondit : « Vous qui êtes jeune vous ne devez pas tant vous occuper de ce qui donne de la crainte, comme de ce qui peut vous exciter à l’amour de Notre Seigneur. Il faut que les jeunes gens s’animent par des motifs qui les portent à faire tout par amour et dans la seule vue de contenter Dieu et lui plaire uniquement. Souvenez-vous que l’amour fait faire de plus grandes choses pour Dieu que non pas la crainte ».
« O ma Mère, lui repartit la religieuse, si on avait l’expérience et les connaissances que vous avez on ferait bien des choses ».
Elle lui répondit : « Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Il n’est pas nécessaire d’en tant savoir, une seule chose suffit : Croire Dieu. Le croyant vous le connaîtrez, le connaissant vous l’aimerez. Voilà tout ce que vous avez à faire, et ce que je voudrais pour moi-même. Donc : croire Dieu et l’aimer, ensuite agissez, faites tout purement pour son amour, quittez tout l’humain, ne regardez point la créature, confiez-vous en Dieu et vous y abandonnez, perdez-vous en lui et demeurez là ».
Une religieuse lui ayant dit qu’elle trouvait bienheureuses les âmes du Purgatoire, quelques peines qu’elles souffrissent, la même qui lui venait de témoigner sa frayeur sur la pensée de l’éternité et du jugement lui dit qu’elle craignait fort le Purgatoire et qu’elle voudrait bien s’en passer. Notre digne Mère lui répondit : « Faites si bien que vous n’y alliez point, accomplissez la leçon que je vous ai donnée, faites toutes vos actions avec pureté d’intention, ne voyez que Dieu en toutes choses, vivez du pur amour et vous l’éviterez, car le pur amour a son Purgatoire en cette vie ».
n° 1960 N254/2 p.117
Un sens ancien du verbe feindre, qui veut dire craindre. « C’est un homme franc qui ne feint pas de dire la vérité ». Dans ce sens, il est de style familier.
Le jour de l’Immaculée-Conception elle dit à une Novice : « Qu’est-ce que vous avez demandé à la très sainte Mère de Dieu aujourd’hui ? Ne feignez pas de lui demander beaucoup, cela ne lui fera point de peine. Au contraire ce serait l’offenser que de ne lui rien demander, car plus elle donne plus elle a à donner. Ses trésors sont inépuisables. Demandez-lui que toutes vos pensées et les conceptions de votre esprit soient saintes, qu’elle les sanctifie ».
Elle dit qu’en ce jour elle disait plusieurs rosaires de « Tota pulchra es Maria et macula non est in te », qu’elle ajoutait sur les
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Pater « Tu gloria Jerusalem tu laetitia Israël, tu honorificentia populi nostri, tu advocata peccatorum », expliquant chaque parole d’une manière si tendre et si respectueuse qu’elle donnait de la dévotion.
Le lendemain la même Novice lui dit : « Ma Mère je m’unis à vos dispositions, car je n’en ai aucune ». Elle lui répondit : « Fi ! Fi ! Unissez-vous à celles de la très sainte Mère de Dieu dans ce saint temps. Priez-la qu’elle vienne aimer son Fils en vous, pour vous, et qu’elle vous apprenne à l’aimer. Aimez votre pauvreté, lisez quelques bons livres dont vous puissiez tirer quelque instruction. Ne perdez point de moment à vous rendre à Dieu aussi parfaitement que vous vous y devez en qualité de chrétienne, et comme une personne qui lui est consacrée s’y doit rendre entièrement. Ne perdez point de temps, ne perdez point de temps encore une fois, quoique vous n’ayez pas prononcé les vœux de la sainte religion vous n’y êtes pas moins obligée. Commencez par être attentive à Dieu au fond de votre âme où il réside, écoutez-le, il vous fera connaître tout ce que vous devez faire et vous manifestera ses saintes volontés ».
n° 1989 N254/2 p.128
Ce texte 1557a a été emprunté au manuscrit N 254. Comme il se trouve fragmenté en d’autres manuscrits, nous avons inscrit en tête de certains paragraphes le numéro matricule de ceux-ci.
Au n° 2651, nous retrouvons le terme « abjections ». Il a simplement sa place dans l’énumération. On peut revoir le n° 2885 (année 1692).
Je trouve que la souffrance a de grands avantages et qu’elle apporte dans une âme une grande paix et un grand repos. Mais, me dira quelqu’une, je ne l’expérimente point, au contraire ! Je sens du trouble aussitôt que j’y suis. C’est que vous n’avez pas d’estime pour la croix, c’est que vous raisonnez humainement et que vous regardez les causes secondes au lieu d’y regarder le bon plaisir de Dieu, sa volonté, et la recevoir de sa divine main, comme effectivement elle en vient. Ne dit-il pas dans la Sainte Écriture : C’est moi qui fais tout le mal de la Cité hors le péché. Il a permis que les choses soient arrivées de la sorte. (En parlant de quelque affaire qui affligeait).
Après l’amour de Dieu et de sa très sainte Mère, il n’y a rien de plus aimable que la croix. Elle est si aimable que vous ne voyez pas un seul saint qui ne l’ait aimée et qui n’ait souffert, qui plus qui moins. Ils ne sont entrés dans la gloire que par la croix, c’en est là le seul et unique chemin. La croix et l’humiliation, car sans l’humilité l’on ne va pas au ciel ! 0 humilié, que tu es rare, mais croyez-moi, il n’y a de bonheur que dans l’humiliation et dans la croix, mais il n’est pas connu. Toute la fortune d’une âme est dans la souffrance, et pour apprendre à être bien intérieure et ce que c’est de la vie spirituelle, il faut être bien crucifiée. On ne l’apprend véritablement que là-dedans.
(n° 2651) Rien n’est meilleur que les confusions, humiliations, abjections, rebuts, mépris, etc. Les saints en faisaient leurs mets les plus exquis et ils en étaient toujours affamés, on ne pouvait les rassasier d’opprobres. Ce n’étaient pas les sentiments de la nature qui leur faisaient estimer ces choses, ils les regardaient dans la lumière de Dieu. Il n’y a rien au monde qui nous profite tant, ni qui nous soit plus avantageux. Comptez pour perdus tous les jours de votre vie où vous n’aurez souffert de ce
(n° 2673) Si aujourd’hui Dieu vous donne une bonne croix, prenez-la et ne pensez point à celle du lendemain, de peur qu’en vous en occupant vous ne veniez à être infidèle à celle d’aujourd’hui. À chaque jour suffit sa peine, allons de moment en moment. La vertu ne subsiste et ne s’accroît dans une âme que par la souffrance.
(n° 2564) Quand j’étais jeune je demandais à Dieu d’être humiliée. J’aurais voulu que l’on me suppliciât et qu’on traînât mon corps sur une claie comme un chien pourri. Présentement je suis très sensible à la moindre humiliation et ma nature appréhende beaucoup les croix. Vous, mes Sœurs, qui êtes jeunes, aimez-les de tout votre cœur, travaillez avec courage à vous vaincre vous-mêmes, à vous mortifier, à crucifier votre amour-propre, la nature et l’orgueil, car lorsque l’on est vieille on ne peut plus rien faire.
n° 1557a N254/2 p.118
Il est vrai qu’il est facile de faire des confessions de routine et d’habitude, quand elles sont aussi fréquentes qu’elles le sont ici. Car se confesser tous les jours de quantités d’imperfections sans une véritable douleur et résolution de s’en corriger, c’est abuser du sacrement, et le rendre nul et sans profit ainsi que l’on vient de vous le lire. Je conseillerais de faire, et ce serait mon sentiment, connue font les bons Pères de la Mission, par la méthode que leur en a donné Monsieur Vincent, ce grand serviteur de Dieu comme vous savez, qui disait de se confesser seulement de trois choses et plus principales, où l’on est plus facile à tomber, afin de prendre à tâche de s’en corriger, et que l’on en soit davantage excité à la douleur et au regret d’avoir offensé Dieu. Faites ainsi, mes Sœurs, et par ce moyen, vos confessions vous seront plus profitables. Et quand vous vous serez amendées de ces trois défauts-là, vous en prendrez après cela trois autres, et insensiblement par là vous les détruirez l’un après l’autre. Car toujours d’aller confesser les mêmes choses, qui ne sont souvent que des faiblesses dont on n’a pas la douleur qu’il faudrait avoir pour rendre la grâce du sacrement efficace, il serait mieux de ne s’en point confesser. Même cela ne fait qu’amuser un confesseur. Ne dites donc que trois articles et, si vous voulez, des péchés de votre vie passée. Afin de vous rendre ce sacrement plus utile, une fois par semaine suffirait bien pour en approcher.
Je voudrais qu’à confesse l’on ne s’amuse pas à tant dire de choses sur les dispositions où l’on se trouve souvent, qui nous mettent dans des sentiments qui ne sont pas toujours péché, ainsi que plusieurs se l’imaginent, puisque la volonté n’y étant point, il n’y peut avoir de péché. Mais, ce que je conseillerais, c’est qu’en se confessant, l’on s’étudie toujours à dire ses fautes d’une manière qui puisse donner plus de confusion. C’est-à-dire faire bien connaître au confesseur le fond et le penchant que l’on a, par exemple, à l’orgueil, à la superbe, etc., en disant les motifs par lesquels nous avons fait ou dit les choses, cherchant les termes qui peuvent plus nous coûter d’humiliation, et donner plus de connaissance au confesseur sur notre fond. J’entends néanmoins que cela se fasse avec prudence et sagesse, succinctement, car il n’est pas nécessaire de faire pour cela de longues histoires au confesseur.
n° 498 N254/2 p.120
Ne soyez point curieuses de savoir les choses que vous n’avez que faire ; et, même pour les affaires de la maison, ne vous informez point si l’on a ou si l’on n’a point. Ne vous inquiétez de rien, laissez tout à la Providence qui en aura soin, et si elle veut que nous souffrions il faut le vouloir, ce n’est pas si grande chose, pourvu que Notre Seigneur soit content et que nous fassions son plaisir cela nous doit suffire. Ne pensons qu’à lui plaire et il pensera pour nous ainsi qu’il le disait un jour à sainte Catherine de Sienne : « Ma fille pense pour moi et je penserai pour toi ». Patience, patience, je vous dis : encore un peu de patience, vous verrez les bontés de Dieu et qu’il ne nous abandonnera pas, mais confiez-vous en lui comme des enfants aux soins de leur Père. Et priez la très sainte Mère de Dieu qu’elle protège l’Institut, qu’elle le prenne en sa protection, qu’elle ait soin de toutes les maisons, et de pourvoir à leurs nécessités temporelles, mais surtout au spirituel pour sa perfection, c’est le principal.
n° 2242 N254/2 p.125
Désigne ce qui est méprisable, sans élévation, abandonné comme inutile. Employé rarement seul, cet adjectif s’accompagne ordinairement d’une autre épithète qui lui sert de commentaire et d’explication. Ici « petites et abjectes » ; dans les anciennes Constitutions au chapitre 7,5 : « Les travaux vils et abjects ».
Contentez-vous d’être petites et abjectes. Y a-t-il du mal, me direz-vous, de souhaiter d’être plus sage que l’on est ? Saint Paul ne le veut point. C’est à Dieu à nous donner ses grâces comme il lui plaît, et s’il ne nous donne qu’une petite grâce, pourvu que nous soyons fidèles à cette petite grâce et que nous ne voulions jamais l’offenser, cela suffit, il ne nous en demande pas davantage. On est toujours occupé de soi-même, oubliez-vous, contentez-vous non de ce que vous êtes, non de ce que vous sentez, mais de ce que Dieu est et qu’il sera toujours. Réjouissez-vous de toutes ses divines perfections, le reste ne vaut pas la peine que l’on y pense. À mon âge je dois avoir un peu d’expérience, croyez-moi, ne vous souciez que de Dieu, ne désirez que Dieu, tout le reste n’est rien.
n° 290 N254/2 p.126
L’attrait des plaies du Seigneur était familier à Mare Mechtilde. cf. textes n° 2303 et n° 1974 du mois d’avril 1694, pp. 44-45.
Vous autres qui êtes de bonnes âmes qui servez et aimez Dieu de tout votre cœur, vous ne devez point craindre la mort, mais la désirer. Elle vous doit causer de la joie dans l’attente de posséder Dieu.
J’entends que vous dites : qu’est-ce qui peut croire cela ! Je l’avoue, mais aussi je vous réponds que si vous n’avez point d’assurance sur vos bonnes œuvres vous en devez avoir en la bonté de Notre Seigneur. Nous confiant en lui, en ses mérites infinis, puisqu’il a tant fait pour notre salut, nous avons lieu de tout espérer, et de recourir à lui pour recevoir les effets de ses miséricordes. N’étant pas venu pour
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les justes, mais pour les pécheurs — c’est lui-même qui l’a dit — nous pouvons hardiment lui représenter et nous en prévaloir, pour augmenter notre confiance.
Ah ! qu’est-ce qui n’en aurait pas en ce divin Sauveur qui a tant souffert pour nous racheter, qui nous a donné son sang et sa vie par une mort si cruelle et si douloureuse. Mettons-nous dans ses plaies sacrées, cachons-nous-y, oui, dessous ses pieds adorables, fourrons-nous dans les trous de ses plaies. Quand nous serons là, le Père éternel ne nous ira pas chercher pour nous condamner, nous y serons en sûreté et hors de crainte de ressentir les effets de sa colère et de sa justice.
n° 3003 N254/2 p.127
Dieu ne demande pas mieux que de nous remplir de lui-même et de ses grâces, mais il nous voit si pleines d’orgueil et d’estime de nous-mêmes, que c’est ce qui l’empêche de se communiquer. Car si une âme n’est fondée dans la véritable humilité et mépris d’elle-même, elle est incapable de recevoir les dons de Dieu. Son amour-propre les dévorerait, et Dieu est obligé de la laisser dans des pauvretés, dans des ténèbres et stérilités pour la tenir dans son néant, tant c’est une disposition nécessaire que cette humilité. Si Dieu fait des grâces à ces âmes pleines d’elles-mêmes elles se les approprient au lieu de les référer toutes à Dieu, se réfléchissent par une vaine complaisance et par des retours remplis d’amour-propre, et souillent ainsi les dons de Dieu.
Travaillez à acquérir la véritable humilité et un parfait mépris de vous-mêmes, étant ce qui vous rendra agréables à Dieu.
n° 348a N254/2 p.129
Cette page pourrait se rattacher au texte n° 1951 du 24 février 1694, cf. pp. 29-30, dont elle ferait un bon développement.
« Sans regarder la créature ». C’est-d-dire ce qui vient du créé. On dirait plutôt : les causes secondes. C’est ce sens.
Le Mercredi des Cendres 1695, elle dit à une religieuse : « Eh ! bien ! qu’avez-vous fait pour recevoir les Cendres ? » Elle lui répondit : « Je me suis unie à la sainte Église pour entrer dans les dispositions convenables pour que cette action fasse en moi l’impression qu’elle doit faire ». Elle lui répondit : « C’est bien, mais l’impression que les Cendres doivent faire est une impression de mort, d’anéantissement, de pénitence et de séparation. Nous devons être comme le grain de froment qui pourrit avant de renaître. De même nous devons mourir à nous-mêmes avant que de ressusciter et de vivre de cette vie divine. Or, pour arriver à cet heureux état il faut se quitter et s’oublier entièrement, ne pensant non plus à soi que si nous n’étions plus au monde, pour nous perdre en Dieu, ne plus nous occuper de nos intérêts, et ne plus chercher si nous avançons, et ce que nous deviendrons. Il faut nous laisser tout à Dieu et nous oublier. Que Dieu fasse de nous tout ce qu’il voudra : toute notre affaire est de le regarder et de n’avoir d’autre soin que de toujours nous unir à lui, et d’adhérer à lui. Voilà l’unique occupation de l’âme, sans aucun retour ni réflexion, demeurant tout en silence pour contempler Dieu, tout voir en lui. Si nous avons soin de nous tenir toujours près de Dieu en cette sorte, le regardant actuellement, il aura soin de nous, car il prend ses complaisances et il opère dans l’âme qui s’oublie en toutes choses, qui ne veut rien que lui, qui s’abîme toute en lui qui est son tout, étant indifférente à quoi que ce puisse être, ne cherchant qu’à jouir de lui et à se remettre toute en lui. L’âme de cette manière meurt à elle-même, elle est contente et tranquille en quelque état qu’elle soit et quoi qu’il lui arrive, parce qu’elle ne veut uniquement que Dieu. Et elle prend tout ce qui lui vient comme venant de Dieu, sans regarder la créature.
n° 2007 P123 p.157
Le 10 d’avril 1695, elle nous dit : « C’est aujourd’hui Pâques closes. Voilà qui est fait pour cette année, nous ne reverrons plus les saints Jours. La Pâque signifie passage. Où êtes-vous passées ? En Jésus-Christ. Vous avez toutes communié, et par la sainte Communion vous êtes passées en Jésus-Christ. Mais ce n’est pas le tout, il y faut demeurer et n’en plus revenir ».
n° 1967 N254/2 p.91
Le 28 avril 1695, notre digne Mère étant à la récréation le Jeudi au soir, elle commença tout d’un coup à nous dire, interrompant le discours indifférent dont on s’entretenait : « Jeudi, aujourd’hui Jeudi, ce précieux Jeudi qui doit être toujours pour nous un jour de Pâques et de réjouissance, et qui est si vénérable et si plein de grâces ! On peut dire, mes Sœurs, que c’est le jour que Notre Seigneur s’épuise pour ses créatures par l’institution de ce divin Sacrement. Nous devrions être, nous autres, en de continuelles admirations, reconnaissances et Actions de grâces envers ce mystère adorable. Oui, les Filles du très saint Sacrement devraient être tout hors d’elles-mêmes à la vue des prodiges et des merveilles que Notre Seigneur opère pour elles dans ce divin Sacrement. Car pour qui est-ce qu’il s’y met ? si ce n’est particulièrement pour vous, mes Sœurs. C’est là où je peux dire qu’il vous a produites lui-même, pour lui-même, en ce mystère ineffable. Oh ! si je pouvais et s’il m’était permis de dire tout ce que j’en sais : comment il a fait cet Institut, de quelle manière il s’est servi d’une misérable comme moi, et pourquoi il vous a appelées à cette sainte vocation, cela vous surprendrait. Mais ce sont des secrets que Notre Seigneur découvrira en son temps !
Revenons au saint Jeudi. Il est vrai que le Dimanche est très considérable à tous les chrétiens, parce qu’il est tout dédié et consacré à l’honneur de la très auguste Trinité. Et un auteur tient que ce jour est si abondant en grâces et en bénédictions, que toutes les créatures s’en ressentent par quelque impression extraordinaire, chacune en sa manière et selon sa capacité. (...) Mais si ce jour est si précieux et si fécond en bénédictions, le Jeudi l’est-il moins, mes Sœurs, puisque le même Dieu que nous adorons le Dimanche en lui-même se donne et se communique tout à nous le Jeudi. Et on peut nommer ce jour, avec justice, celui des profusions de l’amour d’un Dieu.
Jour dont tous les moments nous doivent être chers et précieux, particulièrement à nous autres qui avons l’honneur d’être consacrées à ce très auguste Mystère. Ah ! mes Sœurs, n’en soyons point ingrates, reconnaissons le don de Dieu qui n’est pas moins que Dieu même. Invention prodigieuse de son amour, non seulement pour nous communiquer ses grâces, mais pour se donner tout lui-même, car enfin il se donne tout sans se rien réserver. Quoi ! voir un Dieu perdu pour nous, si je l’ose dire, en ce divin Sacrement ! Qui est-ce qui pénètre cela ? Qui est-ce qui connaît ce que c’est que ce mystère adorable ? Qui est-ce qui en pourrait parler dignement ?
Quand j’entends tout ce que ces grands prédicateurs nous en disent, j’aurais envie de leur aller dire : qu’est-ce que vous nous dites de ce sacrement ? Tout ce que vous dites est véritable, je l’avoue, mais ce n’est rien en comparaison de ce qui en est : Ah ! que je désirerais que Notre Seigneur inspirât et découvrît à quelque âme le secret de ce Mystère, et lui donnât la capacité d’en parler, car en vérité nous ne le connaissons point. Nous avons la foi de ce Mystère, mais c’est une foi languissante et grossière. Nous nous contentons de le croire au très saint Sacrement, mais notre foi n’est point animée. Ah ! si nous connaissions une fois les merveilles de ce divin Mystère, et vous et moi, mes Sœurs, nous mourrions d’amour ».
n° 2123 N254/2 p.144
Le texte précédent daté du jeudi 28 avril, et celui-ci daté du 30 expriment la pensée de Notre Mère Mechtilde sur l’Institut et notre vocation. Entre les deux, le vendredi 29, elle fit à ses filles au chapitre des coulpes une exhortation sur le môme sujet, dont le texte est conservé par ailleurs. On peut donc dire que le jeudi elle prépara avec ses filles son exhortation du lendemain, qu’elle eut besoin de commenter encore davantage en répondant aux questions posées dans l’entretien familier qui suivit la lecture du samedi matin.
« Relâche ».
Mot employé ici pour « relâchement », alors que son sens normal est celui de détente. Mais trop de détente il est vrai aboutit au relâchement. Et, à l’extrême, à la cessation, ce que veut dire aussi « relâche ».
1695, c’est l’année de la fondation de Dreux, qui fut l’occasion d’humiliations et de mépris pénibles. On peut voir des allusions de Mère Mechtilde à ses épreuves et à ses souffrances dans les Lettres qu’elle écrivit à cette époque (1693-1694) aux maisons de Lorraine et de Rouen.
Le 30 avril 1695, étant toute pénétrée sur la sainteté de l’Institut, après la lecture du matin, étant demeurée avec cinq ou six religieuses elle leur en dit des choses ravissantes, paraissant comme une personne qui est hors d’elle-même. Mais c’était en des termes si divins et particuliers que jamais, à ce qu’ont assuré celles qui étaient présentes, elle n’avait parlé de l’Institut de cette façon, que l’on ne pouvait rien entendre de plus beau ni de plus admirable, et qui excitait davantage à en donner de l’amour et de l’estime, ses paroles étant aussi fortes que pleines de grâce et d’onction, mais on n’a pas eu assez de bonheur pour les retenir. Et comme son entretien était familier, il était interrompu par plusieurs choses que l’on lui disait ou questions que l’on lui faisait, ce n’était point un discours suivi.
En voici seulement quelques mots qu’une religieuse en a écrit : « Mes Sœurs, l’Institut est fait pour nous. Prenez bien garde de le laisser tomber, soyez sur vos gardes, ne vous relâchez pas dans toutes les saintes pratiques qu’il contient, mais surtout prenez garde que le zèle que vous devez avoir pour l’adoration ne se ralentisse pas en vous. Demandez à la très sainte Mère de Dieu la grâce de bien remplir vos obligations et qu’elle vous obtienne l’esprit de notre Institut, car c’est elle qui l’a inventé, qui l’a présenté à son divin Fils. Oui, mes Sœurs, l’Institut est une invention de cette Mère de bonté. Je sais comme cela s’est passé, j’en vois l’heure, le moment, et l’action qu’elle a fait pour cela. Ce sont des secrets qui ne me sont pas permis de dire. Encore une fois, mes Sœurs, soutenez avec rigueur un si saint Institut que Notre Seigneur a fait pour vous, ne le laissez pas tomber. Je sais qu’il sera combattu et persécuté, même par de bonnes gens qui le feront passer pour une chose imaginée, etc. Mais il triomphera n’étant pas l’ouvrage de l’esprit humain, mais de celui de Dieu. C’est son doigt divin qui l’a fait, c’est lui qui l’a produit dans l’Église. Nous sommes présentement dans l’humiliation, comme vous savez, mais courage, mes Sœurs, regardons-nous comme le grain de froment qui pourrit, ainsi que Notre Seigneur le dit dans l’Évangile, demeurons cachées et anéanties autant qu’il plaira à Dieu. L’Institut éclatera un jour et persévérera jusqu’à la fin des siècles, c’est ce qu’un serviteur de Dieu m’a assuré. Vous savez ce qu’en a dit le bon Père Narcisse pendant qu’il vivait ».
Une religieuse lui dit : « Mais ma Mère, si nous avions une supérieure qui voulût mettre le relâche, que ferions-nous ? » Elle lui répondit : « La très sainte Mère de Dieu ne permettra pas que vous ayez des supérieures autres que comme il faut. Mais il y aura toujours des suppôts du démon qui travailleront à détruire l’œuvre du Seigneur, ou à diminuer sa sainteté. C’est une de mes peines, et que j’ai eue dès les commencements. J’ai tant demandé cette grâce qu’il ne se trouve point de ces sortes de gens dans le troupeau des victimes, mais dans les plus saintes compagnies il s’en trouve toujours quelqu’une. Voyez dans les histoires des saints, une sainte Fare n’a-t-elle pas eu la douleur de voir deux misérables réprouvées parmi ses saintes filles ? Et tant d’autres ! Et dans le collège de Jésus, n’y a-t-il pas eu un Judas ?
Je ne vous saurais assez dire, mes Sœurs, de veiller sur vous pour vous garantir du relâche ; l’on pourrait peut-être à la suite trouver trop d’austérités, que l’abstinence, le jeûne, etc. ne sont pas supportables dans ces temps-ci, et que le corps étant mieux sustenté serait plus en état de soutenir l’adoration perpétuelle. C’est la proposition que l’on m’a tant fait de fois en nous établissant, me donnant des prétextes que si nous n’étions pas si austères et que l’on fit la règle mitigée, que l’on recevrait beaucoup plus de sujets, et qu’ainsi l’Institut s’amplifierait et se multiplierait de beaucoup plus. J’ai toujours répondu à toutes les personnes qui me portaient à la mitigation que je n’y pouvais pas consentir, et qu’il valait mieux nous en tenir et demeurer à ce que nous avions déjà professé, que les sujets qui se présenteraient dans l’Institut, étant bien appelés de Dieu, recevraient grâce pour en soutenir l’austérité ».
Là-dessus, on lui demanda ce qu’il faudrait faire pour se préserver des malheurs qui pourraient arriver touchant le relâche, soit de l’adoration ou des austérités que l’on pratique dans l’Institut. Elle répondit : « Le meilleur moyen est de bien prier, avoir beaucoup de recours à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère, leur demander grâce et lumière pour ne rien faire de contraire à vos obligations, vous tenant bien unies les unes avec les autres par le lien d’une charité sainte. C’est ce dont je vous conjure et vous exhorte de toutes mes forces de conserver cette union et charité, car, mes Sœurs, si vous êtes dans la charité et que vous vous aimiez les unes les autres, Notre Seigneur ne vous délaissera pas. Il versera sur vous ses abondantes bénédictions, et vous donnera un grand secours que vous n’espérez pas. Mais si vous êtes désunies, n’attendez que des malheurs et des misères, la maison ne subsistera pas, Dieu vous abandonnera.
Quand je vous dis que vous vous aimiez les unes les autres, je n’entends pas une amitié naturelle qui porte souvent plus à l’imperfection que de produire des effets d’une vraie charité chrétienne et religieuse.
Je vous recommande aussi fort l’obéissance, comme le fondement principal de la religion, et une humilité profonde pour ne point suivre son esprit, ni ses propres lumières, qui souvent nous égarent beaucoup.
Tendez toutes, mes Sœurs, à être des petites crucifiées avec Notre Seigneur Jésus Christ afin de ne faire qu’un même sacrifice avec lui ».
Quelques-unes lui dirent : « Mère, si vous vouliez bien écrire tout ce que vous nous venez de dire pour le bien de l’Institut, car toutes les autres religieuses qui sont dans les maisons ne vous entendent point, et si ces choses étaient écrites elles en profiteraient. Elle répondit : « Je ne le peux pas, elles ne me sont données que dans le moment à vous dire, je ne les prémédite point, c’est pour vous seules, c’est à vous à en profiter. Même après que je vous ai parlé, je ne sais plus ce que je vous ai dit, c’est pourquoi il m’est impossible de l’écrire ni de le redire. Et vous toutes, je vous défie de l’écrire et de le redire en la manière qu’il m’est donné, car c’est un je ne sais quoi que l’on met en moi pour me faire parler que l’on ne peut concevoir... »
Elle n’acheva pas ce qui semblait qu’elle voulait dire là-dessus, que quelques mots entre ses dents que l’on ne put entendre.
Une religieuse : « Ma Mère, obtenez-nous la grâce de faire usage de ce que vous nous dites ».
Notre vénérée Mère : « Ah ! faites usage de Jésus Christ qui est en vous par la sainte communion, car par une communion vous avez bien plus que tout ce que je vous dis. Vous avez le Verbe adorable, la Parole éternelle et substantielle. Ah ! un Dieu se donne à nous, demeure avec nous. Et si vous saviez comme moi de quelle manière Dieu demeure avec nous, vous seriez avec moi toutes transportées et hors de vous-mêmes. Notre Seigneur mène à la mort et ramène à la vie quand il lui plaît. J’ai eu quelque temps une petite fièvre qui semblait me miner et je disais : il n’est pas possible de revenir avec cela. Ces jours passés, j’ai été bien mal, je croyais que c’était fini, mais j’ai senti qu’on me soufflait pour me faire revivre, qu’on me redonnait la vie, et tout à coup j’ai senti ma vigueur se rétablir et, comme vous voyez, me voilà bien maintenant. Il m’en arrive autant presque toutes les fois que je suis malade. Dans la dernière maladie, il me semblait qu’on me refaisait une nouvelle poitrine, et je me suis trouvée rétablie tout d’un coup. Selon l’humain, il semble que je n’ai plus guère de temps à vivre, mais dans l’ordre de Dieu, je puis être encore longtemps sans mourir ».
n° 2000 N254/2 p.162
« Le même jour étant seule avec notre digne Mère » :
Des expressions de ce genre nous font penser qu’il s’agit bien ici de paroles rapportées par sa secrétaire personnelle, Mère Marie Bénédicte du Saint Sacrement. cf. texte du 15 février 1694 p. 24 et du 16 octobre 1697 p. 120, où la copiste semble être au courant de ses démarches. De même, sans doute, les autres textes de 1697, tirés du même manuscrit.
Un samedi (20 mai 1695 — veille de la Pentecôte), notre vénérable Mère étant malade depuis huit jours d’une grosse fièvre qui, la veille au soir en particulier, s’était considérablement augmentée et lui avait causé une très mauvaise nuit, contre toute apparence et au grand étonnement de la Communauté, elle se leva dès trois heures du matin, disant qu’il fallait qu’elle allât à confesse, qu’elle assistât ensuite à la Messe, et qu’elle y communiât. La Mère Sous-Prieure lui fit toutes sortes de représentations pour l’en empêcher, mais malgré tout ce qu’elle put lui dire notre digne Mère tint ferme en lui répondant seulement que Dieu demandait cela d’elle, et que la Sainte Vierge la pressait de le faire et lui avait dit dès le matin : « Va-t’en ». Elle ajouta : « Je n’y pensais point du tout, mais, ma pauvre Mère, quand on me chasse il faut bien que je m’en aille. Que voulez-vous que je fasse ? Je me doutais bien que vous vous y opposeriez, aussi ai-je dit à la Sainte Vierge : “Très sainte Mère de Dieu, elles ne me laisseront pas aller ; si vous voulez que je fasse ce que vous demandez de moi, faites donc qu’elles ne m’en empêchent point”.
“Mais, continua notre vénérable Mère, ne vous en mettez point en peine, j’espère avec la grâce de Dieu n’en être pas plus mal”.
Sur cette parole la Mère Sous-Prieure la laissa descendre. Elle marchait avec tant de vitesse et de légèreté que nous en étions tout étonnées. Elle ne voulut ni bras, ni bâton ; sans doute que la Sainte Vierge lui donnait des forces, car autrement cela lui eût été impossible. Et en effet, elle a avoué depuis qu’il lui avait semblé qu’on la soulevât pour la faire aller plus vite.
Avant de descendre elle nous dit de nous unir à elle pour prier la Sainte Vierge de lui laver ses péchés dans le sang de son divin Fils. Et lorsqu’elle fut remontée elle nous rapporta de la manière suivante ce qui lui était arrivé : “J’ai d’abord représenté à la Sainte Vierge qu’il fallait que je me confessasse. Eh bien, me dit-elle, confessez-vous.
— Mais comment ferai-je ? Sera-ce au Père N. ? Celui que j’attends ne reviendra pas sitôt.
— Dites ce que vous savez et ne vous inquiétez pas. (C’est que notre digne Mère voulait faire une confession extraordinaire).
Il m’a donc semblé qu’elle s’en chargeait et je me suis mise en devoir de me confesser sans savoir ce que je voulais dire. Mais je n’eus pas plutôt commencé qu’une si grande multitude de choses me sont venues à l’esprit que je ne tarissais point. Je me suis accusée de résistances à l’Fsprit-Saint ; des obstacles que j’ai mis à ses desseins et à ses grâces, et de toutes mes infidélités contre lui, des mauvais effets que j’ai pu causer dans les âmes et qui ont pu retarder leur perfection ; enfin j’ai dit tout ce que j’avais à dire”.
Le même jour étant seule avec notre digne Mère, elle me dit qu’elle avait été à même de s’en aller dans cette maladie, qu’on l’y avait même invitée avec beaucoup d’honnêteté, qu’on avait peu coutume de lui en tant faire, que la très sainte Mère de Dieu lui avait dit : “Vous pouvez venir si vous voulez”, lui laissant espérer une réception favorable sous sa protection. “Mes affaires, continua Notre Mère, me revenant à l’esprit, comme la chose qui y mettait plus d’obstacle, il me sembla que la Sainte Vierge s’en chargeait et me disait que je ne m’en misse point en peine. Mais je n’ai choisi ni la vie ni la mort, je me suis contentée de dire : Il en sera tout ce que Dieu voudra, car je ne savais pas si ce n’était point une tentation. Si ce n’en était point une, j’ai perdu un bon coup, je n’y reviendrai jamais”.
n° 2918 D55 p.222
Le lendemain, jour de la Pentecôte, elle assista à la Messe de Communauté et resta au Chœur jusqu’après la grand’Messe. Nous ne pouvions la voir sans admiration, car après l’état où elle avait été le vendredi, il était évident que Dieu avait fait un coup de sa puissance.
La nuit suivante ne fut point bonne, mais on peut en attribuer la cause à un rêve qu’eut notre vénérable Mère et qu’elle nous raconta le lendemain en sortant de l’action de grâces après la Communion. C’était une véritable apparition, car celles qui veillaient Notre Mère ont assuré qu’elle n’avait point fermé l’œil ni pris un moment de repos toute cette nuit. Voici comme elle nous redit ce qui lui était arrivé :
“J’ai vu cette nuit une multitude de petites âmes du Purgatoire qui criaient après moi, me tendant les bras et les mains, et me disaient en me faisant les dernières instances : ‘Secourez-nous, tirez-nous d’ici avant que vous ne sortiez de ce monde’. Elles en parlaient comme si je n’avais plus guère de temps à vivre. Je leur répondis : ‘Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Je n’ai rien, et je n’ai plus la possibilité de faire comme par le passé’. Ces âmes étaient celles de plusieurs personnes que j’ai connues, qui même m’ont rendu quelques services et pour qui j’aurais dû faire dire des messes, mais je n’en ai pas eu le moyen, et je ne le puis encore présentement.
Dans ce moment entra la Mère Sous-Prieure, lui disant : ‘Ma Mère, je ne sais ce que vous avez fait cette nuit, car vous n’avez point dormi un instant’. Notre digne Mère lui répéta ce qu’elle venait de nous dire, et ajouta : ‘Oui, ma Mère, chaque fois que vous sortiez de notre chambre elles revenaient, et je les voyais les bras et les mains étendues vers moi, me pressant fortement de ne point m’en aller de ce monde que je ne les eusse soulagées’.
Nous croyons que, ne sachant que faire pour délivrer ces pauvres âmes, elle se donna à Notre Seigneur pour souffrir pour elles ; car ce même jour la fièvre la reprit, elle fut fort abattue et toujours occupée de ces petites âmes dont elle nous parlait continuellement, nous excitant à en avoir compassion et à leur faire aumône de nos prières et bonnes œuvres afin de contribuer à leur délivrance. Elle demeura toute pénétrée de ces pensées durant plusieurs jours ; et le jeudi suivant allant voir une de nos sœurs converses malade, elle lui recommanda ces petites âmes du Purgatoire. Chaque fois, pour ainsi dire, qu’elle la visitait, elle ne manquait pas de l’engager à offrir ses souffrances pour leur soulagement. Mais ce jour-là elle insista encore plus fortement que de coutume, lui disant qu’il y avait un grand nombre de ces âmes à qui il ne fallait que très peu de choses pour les délivrer de leurs peines, comme un acte de silence ou de patience, une parole de charité ou de consolation ou quelque bon office rendu au prochain. Ces pauvres petites âmes, disait-elle, ont une ardeur incroyable d’aller à Dieu ; c’est une grande charité que d’avancer leur bonheur, quand ce ne serait que de quelques moments...”
n° 1997 D55 p.224
Le mardi de la Pentecôte, 23 mai 1695, étant auprès d’une de nos sœurs converses malade, elle lui dit : Eh bien, ma chère sœur, vous avez reçu aujourd’hui Notre Seigneur. Comme vous êtes toute à lui, il s’est donné tout à vous. Oui, si votre cœur est tout à lui, le sien ne vous manquera point, comptez là-dessus. Il est venu à vous pour être votre supplément et vous tirer en lui. J’ai bien besoin qu’il soit le mien et qu’il fasse tout en moi ; car je suis aussi languissante intérieurement qu’extérieurement. Je ne saurais plus rien faire, je n’ai plus de vigueur. Mais je porte ma langueur en esprit de pénitence en attendant que j’en puisse faire une meilleure. Il faut demeurer dans la disposition où Dieu nous met, le bénir toujours, et toujours acquiescer à droite, à gauche, de tous côtés ; voilà ce que nous avons à faire. Ma pauvre sœur, le Bon Dieu nous renvoie encore pour faire pénitence ; mais il la faut faire à sa mode, et non à la nôtre. On voudrait agir, on voudrait faire quelque chose, et Dieu veut que nous fassions pénitence dans l’abjection, dans la dépendance, dans l’impuissance, que nous la fassions par notre propre anéantissement. Et après tout, qu’importe en quelle manière ce soit, pourvu que nous fassions ce que Dieu veut ?
Le grand secret pour être toujours contente, c’est de s’accommoder à la mode de Dieu, à sa façon, et en tout ce qui arrive (bon ou mauvais, sans en faire la distinction) de voir toujours la volonté de Dieu en Dieu même, et Dieu même en sa volonté. Ne voyez jamais rien hors de Dieu, pas même une petite piqûre, ou quelque léger chagrin que dès le matin vous prévoyez devoir vous arriver dans la journée. Voyez tout dans Dieu, et ne vous arrêtez ni à l’humain, ni aux causes secondes ; mais attachez-vous au plaisir de Dieu et à sa volonté pour vous y conformer. Ne nous amusons plus, la fin approche.
La seule chose qui me ferait désirer de mourir serait pour connaître Dieu plus parfaitement que nous ne faisons en cette vie, et l’aimer davantage. Car la connaissance produit l’amour. Mais Dieu en sait le moment, ce sera quand il voudra. Il ne faut pas en vouloir retarder ni avancer le temps ».
n° 2002 N254/2 p.174
En effet, jusqu’à la réforme liturgique de Vatican II, la fête de la Pentecôte avait une octave pendant laquelle l’hymne de Tierce était remplacé par le Veni Creator.
Le lendemain mercredi (de la Pentecôte 1695), quoiqu’elle fut encore malade, elle ne laissa pas de se rendre au Chœur pour assister au Veni Creator. Une religieuse qui n’y avait pas été lui dit que cela lui avait donné beaucoup de confusion, et pourquoi elle descendait, si elle n’était pas aussi bien dans sa chambre. Elle lui répondit : « Il est dit que le Saint Esprit descendit sur l’Assemblée et non pas ailleurs. Ce n’est pas que je vous condamne, chacun a ses vues. C’était la mienne d’aller avec le gros de la Communauté ; il y a toujours plus de bénédiction qu’autre part. Je ne dis pas pour cela qu’on ne puisse pas le recevoir en d’autre lieu ».
Étant allée ensuite voir cette bonne sœur converse malade, après lui avoir dit plusieurs bonnes choses, elle fut quelques moments sans parler. Et puis, levant les yeux au ciel, d’un ton languissant et pénétré, elle prit la parole comme si elle eut voulu répondre à sa pensée, ne disant que des mots entrecoupés. « Qu’il se passe de choses où le Saint Esprit n’a point de part. Il y a bien à mourir. La plupart du temps, c’est l’humain ou les créatures qui nous font agir. Nous ne devrions jamais prononcer une parole ni faire la moindre action que nous n’ayons consulté intérieurement l’Esprit de Dieu. Nous ne devrions pas dire d’autre prière pendant toute l’octave que le Veni Creator, pour demander au Saint-Esprit qu’il nous remplisse de ses grâces. Les besoins que nous en avons sont grands ».
n° 1998 N254/2 p.176
Le lendemain jeudi (de la Pentecôte 1695), elle dit à propos sur ce qu’on parlait : « Priez Notre Seigneur, qui est dans le très Saint Sacrement un lien de charité, qu’il lie les cœurs, afin qu’il y ait plus d’union que jamais dans la Communauté. Lorsque la charité y régnera parfaitement, tout ira en bénédiction. Cette maison est la maison de Dieu et de ses complaisances ».
Ce même jour, étant auprès de la sœur malade, l’exhortant à souffrir elle lui dit : « Puisque Dieu vous renvoie, c’est une marque que vous n’êtes pas encore prête, et qu’il y a encore quelque chose à détruire en vous. La pauvre Mère N. qui est toujours mal et languissante, se vient de plaindre à moi de ce qu’elle n’est qu’à charge à la maison ; et plusieurs choses pareilles. Je lui ai répondu : Eh bien, ma chère Mère, quand cela serait il en faut porter l’humiliation et toutes ses suites, l’abjection, le mépris, la douleur, etc. Il faut tout avaler, ce sont de bons mets dont il faut nous nourrir quand Dieu nous met en cet état. Ce sont les miens les plus ordinaires, j’ai mille embarras et affaires qui me les attirent. Hélas, dit-elle en soupirant encore, s’il n’y avait que moi qui en goûte (comme si elle eut voulu dire que cela lui serait moins sensible). Mais Dieu veut que plusieurs y participent, et que des personnes qui ont plus de vertu que moi les dévorent. Demeurons bien abandonnées à Dieu, et comme il dit lui-même : vos pensées ne sont pas mes pensées, ni vos voies ne sont pas mes voies.
En toutes rencontres mettez-vous au-dessous de tous. Ne faites aucun fond sur les créatures, n’y mettez pas votre appui, n’en attendez rien. Ne faites fond que sur Dieu seul ».
n° 1996 N254/2 p.177
La maison de Saint Louis, c’est le deuxième monastère de Paris. Quelques jeunes moniales venues de Toul en 1674 s’installent d’abord dans un petit « hospice » de la Porte Montmartre, rue Saint Marc, puis en 1684 dans l’hôtel de Turenne, rue Neuve Saint Louis au Marais.
La Prieure en était depuis 1685 Mère Marie de Saint François de Paule (Françoise Charbonnier), professe de Toul, où elle fut maîtresse des novices. De faible santé, elle fut une disciple fervente et fidèle de notre Mère Mechtilde qui lui écrivit de nombreuses lettres. Elle mourut à Paris en 1710.
Une vêture « de conséquence ».
De grande importance, à considérer et ne pas négliger (pour la qualité de la famille sans doute).
« Carrière ».
Signifie : course, chemin. Il faut entendre : Plus j’approche du terme de ma carrière ».
Le jour de la Sainte Trinité, ayant appris un accident arrivé à une religieuse de notre maison de Saint Louis, et que la Mère Prieure était retombée malade, ce qui troublait la joie d’une vêture de conséquence qu’elles avaient, elle dit à ce propos : « La Providence dispose les choses d’une manière qu’elle ne permet pas que nous ayons de joie qu’elle ne soit mêlée d’amertume. Il faut adorer ses conduites. On peut dire que l’Institut est tout rempli et environné de croix. Les Filles du Saint Sacrement doivent être des victimes de la croix, des victimes crucifiées, des victimes attachées inviolablement à la croix. C’est leur partage et à quoi elles doivent s’attendre. Il n’en faut pas douter, nous le voyons par les effets ».
Le lendemain étant à la récréation, la conversation commença sur la difficulté qu’elle avait de parler. Elle dit : « Ma consolation est que j’éviterai par là bien des fautes ». Une demoiselle qui était présente prit la parole lui disant : « Ma Mère, à votre égard vous ne vous en souciez pas, car si vous ne parlez plus aux créatures vous en parlerez davantage à Dieu ». Elle lui répondit : « Ah ! Plût à Dieu que je lui puisse bien parler, je ne souhaiterais que cela, mais je voudrais bien lui parler comme il faut. Il entend bien ce qu’on lui dit sans qu’il soit nécessaire de se donner la peine de prononcer des paroles. Ce n’est pas de même avec les créatures. Le Père éternel parle toujours, et s’il n’a jamais prononcé qu’une parole, encore la prononce-t-il si bas qu’elle n’est entendue que de lui seul. Cette parole est son Verbe qu’il engendre toujours ; et se contemplant et s’aimant dans son Verbe, ils produisent un terme de leur amour qui est le Saint Esprit. Et cette procession des trois divines Personnes, et les complaisances qu’elles prennent entre elles, fait et fera pendant toute l’éternité toute leur occupation, sans qu’elles s’en lassent jamais, y prenant un plaisir infini. C’est de la théologie. Ce qui fait aussi tout le bonheur et la félicité des bienheureux, félicité si grande que pour la posséder, si nous en connaissions l’excellence, il n’y a pas de souffrance sur la terre que nous ne fussions prêtes à endurer.
Saint Augustin, animé de la foi de ce mystère, disait à Dieu : « Coupez, taillez, vous êtes le maître, faites tout ce que vous voudrez ». Il lui donnait carte blanche. Et Saint François qui après avoir travaillé (de) longues années, essuyait beaucoup de peines et de souffrances avec tant d’humilité que l’on ne l’appelait que l’humble François, ayant eu par une faveur particulière de Dieu le bonheur de voir pendant quelque moment l’essence divine, disait à Dieu : « Je suis payé de tout ce que j’ai fait par le passé. Il faut que je recommence à vivre tout de nouveau pour gagner l’éternité ». Plus ce bonheur est grand, plus nous devons craindre de le perdre.
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……….manque § µ
Une religieuse lui dit : « Je n’ose dire à Dieu de me faire souffrir, quoiqu’il faille bien mieux souffrir en celui-ci qu’en l’autre. Je connais ma faiblesse, je crains de n’être pas fidèle à Dieu, et il me semble que ce serait à moi une témérité ». Elle lui répondit : « Il y a bien de la différence entre demander à Dieu de souffrir en cette vie pour obtenir miséricorde en l’autre, et demander à Dieu des souffrances par une confiance présomptueuse en soi-même et en ses propres forces. Celle-ci est téméraire parce qu’on s’appuie sur soi-même, mais l’autre ne l’est pas. Dieu qui connaît votre intention aussi bien que votre faiblesse, s’il vous l’accorde il vous donnera une grâce et une force proportionnée à la souffrance qu’il vous enverra.
Je compte pour rien les petites souffrances journalières, quelques abjections, quelques humiliations. Mais quand on en a de grandes, il faut une grâce particulière pour les porter, mais Dieu la donne.
C’est une grande miséricorde que Dieu fait à une âme lorsqu’il la sauve. Plus j’approche de ma carrière, plus je crains la mort par l’appréhension que j’ai d’être privée de la possession de mon Dieu, étant aussi indigne que je suis de ses miséricordes. Oh ! épouvantable et cruelle privation, elle est bien plus sensible en l’autre monde qu’en celui-ci, parce que la connaissance que nous avons de Dieu étant plus parfaite nous en fait ressentir plus vivement la séparation. En cette vie, il y a de certains temps où l’on est comme stupide, je l’expérimente par moi-même, l’on n’est pas si sensible ; mais en l’autre monde il n’en est pas de même. Là tout est vie, et l’on est toute vive pour souffrir, et l’on le sera pendant toute l’éternité. Nous courons d’une vitesse surprenante à ce dernier moment, moment terrible où l’on doit faire la décision de notre éternité ».
n° 1987 N254/2 p.178
Je ne comprenais pas autrefois ces paroles : « Par la patience vous posséderez vos âmes », mais un peu d’expérience m’a rendue savante sur cette matière. Je ne la croyais pas une vertu si nécessaire, mais j’ai bien compris depuis que par elle on vient à bout de tout, et que sans elle on ne fait rien. « Par la patience vous posséderez vos âmes » : il faut bien de la patience pour se souffrir soi-même, sans compter tous les rencontres de providence qu’il faut soutenir. Vous dit-on une grosse injure, vous fait-on un bon affront, c’est pour lors qu’il faut que vous disiez à vous-même : « Patience ! ». La pratique de la patience est en tout temps nécessaire. Il ne suffit pas de croire Jésus Christ au très Saint Sacrement de l’autel, il faut encore porter foi et croyance à ses divines paroles. C’est lui qui dit que par la patience nous posséderons nos âmes. Il y avait un jour un ermite ou un religieux à qui son Supérieur avait dit de dire sur son chapelet : patience, patience, et sur les gros grains : grosse patience, ce qu’il fit pendant quarante ans, au bout desquels il n’eut plus affaire de le dire, car il fut comblé de grâces. Il ne faut jamais se rebuter, Dieu a ses moments, si ce n’est dans un temps c’est dans un autre, persévérez et ayez patience dans quelque état que vous soyez. Faute de patience nous gâtons tout et retardons beaucoup nos affaires. Je voudrais être après toutes ces personnes peinées qui se désolent et se tourmentent pour leur crier : Patience ! Patience ! Il ne faut que cela, eussiez-vous les plus méchantes inclinations du monde, le plus mauvais naturel, toute la malice dont une créature est capable, pourvu que vous n’y adhériez point, ne vous mettez pas en peine.
— Mais c’est que j’ai un esprit que je ne peux arrêter !
— Eh bien, patience, laissez-le courir. Ne voit-on pas tous les jours des personnes qui ont des qualités naturelles qu’elles ne peuvent vaincre du tout, par là elles font très souvent des fautes qui leur attirent de bonnes humiliations. Ces personnes n’en sont pas moins agréables à Dieu qui permet qu’à notre naissance les planètes nous dominent par leurs influences qui font de très mauvais effets en nous. Est-ce pour nous perdre ? Non, mais pour nous être un sujet d’exercice, pour nous obliger à recourir à Dieu, pour faire en nous un fond d’abjection qui nous empêche de nous élever, ce que nous ne ferions si nous avions des meilleures qualités.
n° 1055 N254/2 p.182
Il faut se contenter chacun dans son état, et ne point envier le bien que l’on voit dans son prochain, le seul ordre de Dieu nous doit suffire. Ma grâce est petite, je l’avoue, mais j’en suis aussi contente que si j’en avais une qui m’élevât au rang des séraphins. Et quoique j’aie connu des personnes bien plus favorisées que moi, jamais je ne les ai enviées, au contraire, je bénissais Dieu des miséricordes qu’il leur faisait, y prenant autant de part que si c’eût été à moi-même, et par là je me rendais leur bien commun.
Il y en a quelquefois qui disent : « Dieu fait bien plus de grâces à celui-ci, à celle-là, qu’à moi ». Jamais il ne faut regarder les grâces que Dieu fait aux autres pour les envier, ni vous contrister de ce que vous en avez moins, au contraire vous devez vous réjouir que Dieu soit glorifié dans ces âmes. Il y a plusieurs demeures en la maison de Dieu. Pourvu que vous remplissiez votre petite mesure de grâce, vous serez aussi contente dans le ciel que ceux qui seront dans un rang plus élevé. Faites profit de ce que vous avez et ne vous amusez pas à examiner si les autres en ont plus. Nous ne devrions jamais nous regarder nous-mêmes, mais toujours Dieu.
n° 547 N254/2 p.184
Rien n’est plus variable dans les âmes que la grâce, car elle se fait ressentir de moment en moment, tantôt par la souffrance puis par quelque petite consolation, et en mille manières. Dieu le permet pour nous dégager et nous désapproprier même de l’attache à la grâce, car il y en a que, quand ils la ressentent la voudraient tenir à deux mains de peur qu’elle ne leur échappe. Pourquoi ? Pour quelques petites consolations qu’elles y ressentent. Il faut se désapproprier de l’attache à Dieu même quand il n’est que par rapport à nous, pour ne le désirer ni rechercher que par rapport à lui-même.
— Mais, dit une religieuse, ce qui embarasse, c’est qu’on ne sait si on est digne d’amour ou de haine.
— Étant pécheresse vous savez bien que vous êtes digne de haine, mais vous ne vous en contentez pas, vous voulez autre chose avec. On veut toujours être quelque chose, si ce n’est dans les créatures c’est dans Dieu, et rien au monde n’est plus rare que de trouver une personne qui se contente de n’être rien en tout pour que Dieu soit tout en elle. Mais, dira quelqu’une, je ne connais point ma voie, on dit qu’il la faut connaître, tant que je ne la connaîtrai point je ne sais pas ce qu’il faut que je fasse ? — Dieu dit à tous les chrétiens : « Soyez saints parce que je suis Saint », votre voie est de tendre à la perfection que Dieu demande de vous dans l’état où il vous a mis, et le chemin pour y arriver est de suivre les mouvements intérieurs que vous avez : de vous mortifier d’un côté, de sacrifier d’un autre ; faites-y attention, si vous êtes fidèle vous n’en manquerez pas, voilà votre voie, ne dites plus que vous ne la connaissez pas.
— Mais, reprit une religieuse, celle-là est bien trop générale, dites-moi la mienne particulière ? Elle lui répondit : « Votre voie est la petitesse et l’abjection ». La religieuse lui repartit : « Ah fi ! ma Mère, je n’en veux point, je suis payée ! ». Elle reprit agréablement : « Allez, allez, vous êtes une bonne pièce ». Comme voulant lui dire : vous pensez autrement que vous ne dites, je sais quels sont vos sentiments.
n° 2652 N254/2 p.185
Une autre religieuse se plaignant à elle de ce que, depuis plusieurs années elle n’avait pas été un moment sans souffrance, elle lui dit : « Ah ! ma chère Mère, que vous êtes heureuse de ce que Dieu vous ait trouvée digne de souffrir ! Oh ! quel bonheur de pouvoir dire : depuis tant d’années je n’ai pas été un moment sans souffrance, quelle consolation pour vous ! Que je m’estimerais heureuse si j’en pouvais dire autant, mais j’en suis bien éloignée, je n’ai jamais rien souffert, je n’en suis pas digne, ce sont des faveurs qui ne sont réservées que pour les âmes que Dieu chérit. Réjouissez-vous donc, ma chère Mère, puisque vous en êtes du nombre, vous en avez bien du sujet, rien n’est plus excellent, plus digne de Dieu et qui nous unit tant à lui que la souffrance, je ne sache rien de meilleur ». — « Mais je n’en ai point fait d’usage », lui dit cette religieuse. Elle lui répondit : — « Notre Seigneur en a fait usage pour vous, ne vous en inquiétez pas ».
n° 2868 N254/2 p.186
« Bras séculier ».
Proprement puissance temporelle et laïque par opposition à l’autorité ecclésiastique. Mais Notre Mère Mechtilde s’explique elle-même sur ce qu’elle entend par la et ce qu’elle redoute. C’est une allusion aux grandes difficultés financières qu’elle connut, surtout à la fin de sa vie.
« Griefs ».
Est ici adjectif ayant même sens à peu près que « grand » qu’il renforce. On peut dire grave. cf. Coulpes grièves aux anciennes Constitutions chapitre 25.
La veille du très Saint Sacrement 1695, étant trois ou quatre dans sa chambre, elle s’adressa à une de nous et lui dit : « Que pensez-vous de cette fête, et quel nom lui donnez-vous ? » La religieuse lui répondit : « Je crois que c’est la fête de ses anéantissements.
— Cela est vrai, repartit-elle, mais encore, comment ? Quel autre nom ?
— La fête de son Amour, lui dit la religieuse, envers nous.
— Cela est bien, reprit-elle, mais ce n’est pas encore cela. Et moi, je crois qu’il la faut appeler la fête des magnificences de Notre Seigneur. N’est-ce pas en ce grand jour que l’on peut dire que le Cœur de mon Sauveur est ouvert et qu’il en découle continuellement des abondances de grâces. Oui, c’est là où il les donne à pleines mains, il ne faut que les aller recevoir. Oui, mes Sœurs, allez vous exposer à ses pieds, tenez-vous-y avec respect, amour et confiance, et vous recevrez les dons qu’il veut vous faire. Vous pouvez lui demander tout ce que vous voudrez durant cette sainte Octave, il ne vous refusera rien, et une des choses que je vous prie, mes Sœurs, de lui bien demander, c’est qu’il ne permette pas que nous tombions dans le bras séculier ».
Comme on lui demandait ce qu’elle entendait par là, quelqu’une de nous croyant que c’étaient les Commissaires dont nous étions menacées, qu’elle voulait que Notre Seigneur nous préservât, elle dit : « Non, ce n’est point cela que je veux dire. J’entends que nous ne soyons pas assujetties par la nécessité de notre pauvreté de mendier aux séculières, et par cette raison être obligées de ménager leurs bonnes grâces et amitiés par des complaisances et des manières qui nous seraient nuisibles pour notre perfection et nous détourneraient de l’entière séparation de l’humain où nous devons tendre. Je n’avais demandé que deux choses à Notre Seigneur, la première que nous ne soyons jamais obligées de dépendre des créatures pour le temporel, afin d’éviter bien des choses que je prévoyais ; la seconde d’être en pouvoir de recevoir les filles sans exiger rien pour leur dot. Voilà ce que j’aurais voulu que Notre Seigneur m’eût accordé. Et c’est ces deux choses qui sont la cause et la source de mes griefs et grands péchés. Au lieu d’avoir mérité d’être exaucée Notre Seigneur m’a renvoyée bien loin et m’a réduit au point d’humiliation où je suis présentement. Il était bien juste que mon orgueil fût puni de la sorte ».
n° 1936 N254 p.1
Le Dimanche d’après l’octave du très Saint Sacrement, 12 juin 1695, notre digne Mère à la récréation du soir nous dit des choses ravissantes tant sur la présence de Dieu que sur les Supérieures, ce qui obligea quelqu’une à lui faire plusieurs petites questions sur ce sujet. Voilà ce que l’on en a pu recueillir, que nous mettrons par article, tant les demandes que l’on lui a faites que ses réponses.
« Mes Sœurs, il ne faut regarder que Dieu dans ses Supérieures, quand même elles seraient les plus ignorantes et les plus imparfaites du monde. Jamais il ne les faut mépriser ou condamner parce que Dieu dit en leur personne : “Qui vous offense m’offense et qui vous méprise me méprise”. Vous savez ce qui est rapporté de Sainte Gertrude dans sa vie, où elle dit d’elle-même qu’étant encore jeune religieuse et ayant vu par la maison trois ou quatre religieuses ensemble qui parlaient contre la Supérieure, s’étant approchées d’elles et y avoir seulement prêté l’oreille, elle fut privée pendant neuf jours des faveurs que Notre Seigneur avait accoutumé de lui faire.
Demande : Quand on est dans la compagnie de personnes qui disent leur sentiment, comment faire ? Cela est assez difficile.
Réponse : Retenez les vôtres et les anéantissez.
Demande : Mais si, par exemple, j’avais une Supérieure qui soit méchante ?
Réponse : Pourquoi portez-vous jugement sur votre Supérieure pour la croire méchante ? Cela ne vous est pas permis.
Demande : Mais si j’en avais une pour qui j’eus de l’antipathie, le moyen que je puisse avoir de l’ouverture pour elle et de la confiance, pour moi je ne lui dirais rien !
Réponse : Oh ! ma Sœur N..., une religieuse qui suit son antipathie, et qui n’a point de confiance en sa Supérieure ne fera jamais bien du chemin hors d’elle-même. Si elle fait cinq ou six pas elle s’arrêtera tout court pour réfléchir, pour raisonner : ma Supérieure est-elle éclairée ? Est-ce par l’Esprit de Dieu qu’elle me fait faire telle chose ? Et quand même elle avancerait encore un peu plus avant dans la sortie d’elle-même, croyez-moi elle y reviendra bientôt, parce que Dieu ne bénit jamais une religieuse qui ne fait point son devoir envers sa Supérieure, et étant hors de la conduite de Dieu elle ne peut se perfectionner.
Demande : Si une Supérieure n’avait pas l’expérience pourrait-on s’adresser à une autre qui en aurait davantage ?
Réponse : Vous pourrez bien vous confier à une bonne amie qui sera, si vous voulez, plus éclairée, cela est tout naturel, mais elle n’aura pas grâce pour vous.
Demande : Mais si j’étais moi-même plus savante et plus éclairée ?
Réponse : Il faut avoir bien de la présomption pour le croire. Mais posez le cas que cela fût, vous ne devez pas vous en rapporter à vos lumières, car vous n’avez pas grâce pour vous conduire, on n’est jamais bon guide de soi-même, notre amour-propre est trop subtil, il s’en faut défier. Il y a toujours grâce et bénédiction de se remettre entièrement de sa conduite à sa Supérieure, vous ne risquez rien à le faire, puisqu’elle est obligée au secret comme un confesseur.
Demande : Mais si, après avoir été à ma Supérieure, je n’en suis ni plus en repos, ni plus contente ?
Réponse : Il ne faut pas regarder si vous êtes contente ou non, ni chercher à vous contenter ; quand elle ne vous dirait qu’un mot il faut en demeurer là, le seul respect de l’obéissance vous doit suffire.
Demande : Si en s’ouvrant à sa Supérieure on ne s’en trouve ni plus échauffée, ni plus éclairée, à quoi cela sert-il de le faire ?
Réponse : Quand cela ne vous donnerait que l’occasion de faire un sacrifice à Dieu, vous le devriez faire ; de plus, vous faites votre devoir, et vous avez toujours la bénédiction de l’obéissance.
Demande : Si on n’a pas de confiance à une Supérieure y a-t-il obligation de s’ouvrir à elle pour tous ses mouvements intérieurs ?
Réponse : C’est le plus parfait, et cela se devrait, parce que votre Supérieure est chargée de vous, et doit vous porter au jugement de Dieu. Mais elle ne l’est qu’autant que vous avez d’ouverture pour elle, et elle n’y portera point ce que vous ne lui aurez pas dit.
Celles qui agissent envers leurs Supérieures avec réserve et dissimulation sont chargées d’elles-mêmes et de leur propre conduite, elles porteront leur fardeau au jugement de Dieu, et une Supérieure n’en sera pas responsable.
Demande : Mais si j’avais pour ma Supérieure toute la soumission et la confiance que l’on peut avoir, etc... et que nonobstant, lorsque j’irais pour lui parler je me trouve dans l’impuissance de pouvoir rien dire, ne porterait-elle pas au jugement de Dieu ce que je ne lui aurais pas dit, puisque c’est malgré moi, et qu’il n’y a pas de ma faute ?
Réponse : Si vous ne pouvez rien dire, ne dites rien. Elle ne portera pas ce que vous ne lui avez pas dit.
Demande : Une Supérieure porte-t-elle au jugement de Dieu les religieuses qui meurent avant elle ?
Réponse : Oui, tout comme les autres.
Je ne comprends pas comme on peut trouver des Supérieures, tant leur poids est grand et qu’elles sont chargées ! Il y en a peu de sauvées ou toujours ce n’est qu’avec beaucoup de peine.
Étudiez-vous, comme je vous ai déjà dit à ne regarder jamais que Dieu en vos Supérieures, agissez avec elles en simplicité et soumission, n’y allez point pour en être estimées, approuvées, etc. Que rien d’humain ne vous fasse agir dans ce rencontre, ce ne sera pas si vous voulez directement pour s’en faire aimer, mais ce sera pour en venir à ses fins, pour la faire condescendre à ce que nous voulons, et la faire entrer dans nos sentiments.
On veut tant de qualités à une Supérieure, on la veut si parfaite que, quand on lui voit quelque défaut, on dit qu’elle n’en est pas capable ; comme si elle n’était pas créature comme les autres, et encore, quelquefois plus misérable ! Les Supérieures ne sont pas des Anges, Dieu ne donne pas aux communautés religieuses un Saint Michel, un Saint Raphaël pour les conduire. Il ne faut pas s’y attendre. Vous en choisissez une parmi vous, sujette aux mêmes faiblesses que vous. Toute la différence qu’il y a c’est qu’elle est par son élection revêtue de l’autorité de Dieu, pourvu que son élection soit canonique et qu’elle ne soit pas dans le dérèglement. Quoique d’ailleurs elle ait beaucoup d’imperfections et de défauts, il ne faut pas laisser de vous y soumettre et lui obéir, car remarquez bien ce que je vous va dire, elle pourra bien n’avoir pas grâce pour elle (il y en a qui ne laissent pas d’être très imparfaites et même qui s’y perdent), mais elle l’aura toujours pour vous. Dieu ne manque jamais de lui donner pour les âmes qui sont sous sa conduite, pourvu que de votre côté vous n’y mettiez point d’obstacles, agissant avec elle en simplicité et avec confiance, regardant Dieu en sa personne. Car si vous faites autrement, Dieu permettra pour vous punir qu’elle n’aura pas grâce pour vous, et ce sera par votre faute, n’ayant pas fait votre devoir envers elle, et cela il n’y a point d’exemption pour aucune. Quand elle serait la dernière et la plus incapable, il suffit qu’elle ait l’autorité de Dieu pour que vous soyez obligée de vous y comporter de la sorte. J’ai des exemples et des expériences à l’infini des grâces et des bénédictions que Dieu répand sur les personnes religieuses qui ne regardent que Notre Seigneur en leur Supérieure, mais je ne peux pas les dire.
Je vous assure que l’on fait bien des fautes sur ce que l’on doit à une Supérieure ».
Comme on la pria instamment de les faire connaître, elle répondit : « Si je les disais on croirait que je me veux faire adorer sur mes vieux jours. Tant que je serai à la place où je suis, je ne le dirai point, mais si je n’y étais plus, je vous le montrerais par mon exemple qui vous en communiquerait mieux que mes paroles ; et j’en gémis devant Dieu et ne suis pas toujours trop à mon aise. On croit que ce sont mes affaires temporelles, mais ce n’est rien moins : les spirituelles me tiennent bien plus à cœur. Je suis chargée de toutes vos infidélités, et toutes les fautes que vous faites j’en porte le poids devant Dieu, et il faut que je paye pour vous. Il y a longtemps que je gémis, et je le prie d’y mettre ordre ».
Quoiqu’on pût faire pour l’obliger à nous éclaircir davantage sur nos manquements envers une Supérieure, nous n’en pûmes rien tirer, sinon qu’elle les laisserait par écrit après sa mort.
n° 1963 N254/2 p.187
Parlant sur le mépris que nous devions faire de toutes les choses de la terre, elle dit : « Négatif tout le créé ; vous donne-t-on des louanges, vous dit-on des injures : négatif. Soyez indifférentes à tout, car tout ce qui n’est pas Dieu est négatif, et l’affirmatif c’est Dieu seul. Ne vous attachez qu’à Dieu, ne cherchez que Dieu, et ne vous souciez que de Dieu ».
n° 2453 N254/2 p.199
Le point principal et essentiel de l’Institut c’est l’adoration perpétuelle, car tout le reste ne dépend pas toujours de nous : nous avons besoin de secours étranger pour l’exposition du très Saint Sacrement ; nous avons besoin du ministère des Prêtres pour l’administration des Sacrements et ainsi du reste ; mais pour l’adoration, nous n’avons besoin de personne : soyez donc toujours en adoration, rien ne vous en empêche, cela est toujours en votre pouvoir.
n° 2021 P123 p.119
Anéantissez-vous profondément, et souffrez pour celui qui vous aime avec tant d’excès, ou si la Croix vous fait trop peur et que vous préfériez l’amour, aimez ; mais l’amour est encore plus rigoureux que la Croix, il vous fera plus souffrir. Si vous aimez purement, et sans retour sur vous-mêmes, vous goûterez une bonne souffrance. L’amour a deux regards, l’un vers Dieu en l’aimant purement et vous sacrifiant pour l’amour de lui, l’autre vers le prochain, priant et réparant pour lui, lui rendant service purement pour l’amour de Dieu. Aimez véritablement, et vous éprouverez ce que c’est que la souffrance de l’amour.
n° 2401 B532 p.46
Notre digne Mère étant à la récréation nous dit : « Il faut que je vous fasse part d’une petite joie que j’ai eue ce matin qui n’a pas duré longtemps, puisque ce n’a été que depuis la sainte Communion jusqu’au retour à notre place, où heureusement une de nos sœurs m’aidait, car je crois que sans cela j’aurais eu de la peine à y retourner. Ce n’est qu’une idée ou une imagination comme vous voudrez que j’ai eue sur la fête d’aujourd’hui, quoique cela n’ait guère duré ».
Une religieuse lui dit : « Ma Mère, vous n’avez pas laissé de voir bien des choses ? » Elle lui répondit : « Oui. Il n’en faut guère pour cela, ce que nous disons est en matière de récréation. Il faut autant nous divertir à cela qu’à autre chose. La joie n’est pas une chose qui me soit ordinaire, mais quoique je n’en aie point, je n’ai pas laissé d’en avoir une très sensible au sujet du mystère de la Présentation de la très sainte Mère de Dieu au Temple, où il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire, quoique ce terme ne soit pas propre, dans l’admiration, et toute transportée hors d’elle-même à la vue de cette petite Colombe si belle et si parfaite, parce que jusques alors il ne s’était rien vu sur la terre qui en approcha. Et le Père éternel n’avait encore rien vu hors de lui-même de si beau, ni de si parfait que cette petite créature, l’Humanité sainte du Verbe n’étant pas encore formée. Il en fut charmé à notre façon de comprendre. Car je sais que le transport et l’admiration marquent une surprise dont Dieu ne peut être capable, mais je me sers de ces termes pour m’expliquer.
Il me semblait donc voir la très Sainte Trinité tout appliquée à la considérer, y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer ce qui est dit dans la Genèse, et à plus juste titre, qui est dans la création du monde, Dieu ayant considéré ses œuvres, il vit qu’elles étaient bonnes, parce qu’ici c’est le chef-d’œuvre de ses mains. C’est pourquoi il ne la trouve pas seulement bonne, mais très parfaite, très excellente, et très digne de lui. Il se complaît dans son œuvre, s’applaudissant lui-même d’avoir si bien réussi dans ce chef-d’œuvre de grâce et de nature, car jusques alors il n’avait vu ni reconnu en aucune créature ses perfections divines. Mais il les trouve toutes admirablement bien représentées dans l’âme de la très sainte Vierge, que toute la très Sainte Trinité avait enrichie de tous les dons et les grâces qu’une pure créature peut être capable, excepté de lui donner sa divinité. Et on peut dire en une manière qu’il ne pouvait rien faire de plus grand, mais non pas généralement parlant, car la puissance de Dieu étant une puissance infinie, il ne la faut jamais borner.
Jusques alors il n’y avait point eu de sacrifices ni de victimes agréables à Dieu. Tout avait été corrompu par le péché, et si Adam avait été créé en grâce, il n’y avait guère persévéré. Le péché avait tellement défiguré l’image de Dieu qu’elle ne se retrouvait plus dans aucune créature. C’est pourquoi le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s’y est vu comme dans un miroir, et voilà ce qui l’a charmé, et rempli d’admiration, et la joie qu’il en a eue a été si grande, que quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd’hui avec autant de complaisance que s’il ne l’avait jamais vue. Toute la très Sainte Trinité s’est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâces qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes.
Le Père la regardant et l’aimant comme sa fille, le Fils qui ne s’est point encore incarné, étant aussi grand et aussi puissant que lui, ne lui devant rien, voyant le plaisir que Dieu son Père prenait dans cette petite créature, dit en lui-même : si une pure créature est capable de lui donner tant de plaisir, que sera-ce donc de celui qu’il recevra par mon humanité ? Je me ferai homme afin de lui donner un plaisir et une joie infiniment plus grande que celle qu’il reçoit aujourd’hui. Et il la regarda dès ce moment comme celle qui devait être sa mère, le Saint Esprit comme son épouse, et en ces trois qualités elle fut comblée par les trois divines Personnes.
La joie de Dieu a fait ma joie dans cette rencontre. Mais voyons maintenant les dispositions qu’elle y a portées. La première, un profond anéantissement, elle s’est abîmée dans sa profonde petitesse, par hommage à la grandeur de Dieu, ce qui lui a été si agréable qu’il n’y a pas pris moins de complaisance qu’il en a eue de retrouver son image en elle. La seconde : elle a adoré Dieu, mais d’une adoration parfaite, c’est-à-dire en esprit et en vérité. La troisième, c’est qu’elle a tout référé à Dieu, ne se réservant rien, elle s’est remise en Dieu par un abandon total à toutes ses divines volontés, auxquelles elle a toujours été parfaitement soumise ».
Ceci n’est qu’une faible expression de ses paroles qui étaient si sublimes et élevées que l’on ne les a pu bien retenir, cela surpassant nos pensées et notre compréhension. De fois à autre elle répétait comme toute pénétrée : « Il est vrai que j’ai vu de belles choses en un moment qui m’ont transportée de joie. J’en ai pensé tomber, étant presque hors de moi ».
n° 2120 D12 p.9
Le 12 octobre 1697, elle nous dit en nous parlant de Dieu comme à son ordinaire : « Jamais je n’ai eu moins de lumières et jamais je n’ai été si éclairée que je le suis à présent. Comment, nous dit-elle agréablement, comprendre et entendre cela ? C’est pourtant véritable, c’est une antithèse. Je vous dirais qu’il ne faut pas tant de multiplicités pour la vie intérieure, mais je conseille d’aller tout simplement à Notre Seigneur ».
Une religieuse lui ayant demandé si l’abaissement de l’âme devant Dieu faisait son anéantissement, elle lui répondit : « L’abaissement de l’âme devant Dieu, quoique ce soit une très sainte disposition, ne fait pas son anéantissement. Il faut bien que Dieu fasse en elle d’autres opérations pour la disposer à cet anéantissement. Et quand il l’en a rendue capable, il la détruit et anéantit comme il lui plaît, par des dispositions pénibles et crucifiantes, et si intimes et secrètes qu’elle ne les connaît pas elle-même. Il y aurait bien des choses à dire là-dessus, si Notre Seigneur m’en donnait la grâce. Mais il faut qu’il me la donne, je ne l’ai pas à présent. Il m’est très pénible de parler et d’agir, mais pour souffrir j’y prends mon plaisir ».
Ce même jour au soir qui était le samedi, nous parlant sur la sainte Communion elle nous dit : « A quoi me sert-il de manger Dieu s’il ne me mange ? Nous le mangeons par la sainte Communion, mais cela ne suffit pas pour demeurer en lui, il faut qu’il me mange, et qu’il me digère ; c’est ce que je lui demanderai demain à la sainte Communion ». Une des religieuses qui étaient présentes quand elle dit ces paroles ne manqua pas le lendemain de l’interroger pour savoir si Notre Seigneur lui avait accordé ce qu’elle lui avait demandé. Elle lui répondit avec une certaine allégresse : « Oui, il m’a mangée, et je dirais même là-dessus les plus jolies choses du monde, mais dans le temps où nous sommes cela serait fort mal tourné. Notre Seigneur est un trop gros morceau pour moi, je ne peux pas le digérer, mais moi il me digère dans un moment. Et comment ? Ce n’est pas à la façon que nous digérons les viandes. La réponse donc que Notre Seigneur a faite à ma demande, puisque vous la voulez savoir, a été : “Oui, je le veux, passe en moi”. Je me suis coulée comme un petit moucheron en Dieu ; c’est proprement le tout qui absorbe le néant. Voilà ce que j’appelle être mangée et digérée de Dieu. Une âme mangée et digérée de la sorte est passée en Dieu, il la cache dans sa face, elle est absorbée en lui, et pour ainsi dire elle fait partie de lui-même ».
La religieuse lui dit : « Ma Mère, il faudrait pour cela être anéantie ». Elle lui répondit : « Ce serait le mieux. Une âme anéantie est un objet de complaisance à Dieu, il y prend un plaisir infini. Et comment ? Parce qu’il est tout dans cette âme, et qu’il ne trouve plus rien qui lui résiste. Une âme anéantie fait sa demeure en Dieu, il la cache dans sa face. Mais quoique vous ne le soyez pas encore, ne vous rebutez pas. Cela n’empêche pas qu’il vous mange. Il suffit que vous y tendiez. Les âmes anéanties sont fort rares ». « Je ne sais, lui dit la religieuse, s’il me mange, mais je n’en sens rien ». Elle lui répondit : « Cela se fait sans que l’on s’en aperçoive. Il n’est pas besoin que vous le sachiez ».
Plus cette digne Mère nous parlait sur ce sujet, plus son désir augmentait d’être toujours mangée de nouveau de Notre Seigneur. « J’ai vu, dit-elle en passant, son Cœur adorable couine un grand brasier ardent capable de consommer toute la terre. Je ne suis pas cependant restée dans ce divin Cœur, parce que je suis trop impure. J’ai demandé à Notre Seigneur de me mettre à ses pieds. Il y a plus de trente ans que je l’ai prié de me tenir à ses pieds. J’ai été effrayée de voir l’amour infini de ce Cœur adorable envers les créatures, qui ne s’irrite point contre elles pour tous les outrages qu’il en reçoit à tous moments. Au lieu de nous foudroyer comme nous le méritons, il n’en a pas même de ressentiment, il n’est pas vindicatif. Toujours prêt à nous recevoir, il n’attend pas même que nous allions à lui, il nous prévient par sa grande miséricorde. Il nous presse intérieurement de retourner à lui, et nous n’avons pas plus tôt conçu du regret de nos fautes, et lui en demandons pardon, qu’il nous a déjà pardonné, oubliant tout le passé, sans nous en faire aucun reproche. Et un auteur dit qu’un flocon d’étoupe jeté dans un brasier n’est pas plus tôt consommé que nos péchés le sont en Jésus Christ quand nous avons du regret de les avoir commis ».
n° 1974 D12 p.2
C’est une sujétion tyrannique, dit Furetière. Nous voulons être libre, ne pas nous contraindre, laisser tout l’effort à Dieu.
D’un autre jour dans le même mois, nous ayant parlé avec beaucoup d’éloquence sur tous les degrés d’anéantissement, elle nous dit ensuite : « On m’a appris depuis peu, que lorsque l’on se trouve occupée d’inutilités, il faut s’en séparer aussi promptement que l’on se déferait d’un charbon de feu qui serait tombé sur la main, parce qu’il n’y doit point avoir de vide dans notre vie, et que tout appartient à Dieu. C’est une manière de petit reproche que l’on m’a fait, me disant intérieurement : tu ne l’ignorais pas, mais tu n’en faisais pas mieux. C’était une de ces nuits passées. J’apprends encore tous les jours bien des choses ».
« Mais, lui dit une religieuse, lorsque l’on s’aperçoit que l’on est dans l’inutilité, souvent c’est après y avoir perdu des heures ». Elle lui répondit : « Qu’importe, sortez-en au plus tôt, sans songer au passé. Pour peu qu’une âme fasse de son côté, Dieu est si bon, et a un amour et un penchant vers sa créature si grand qu’il ne se saurait tenir en repos. Il faut qu’il lui fasse des grâces, et toute misérable que vous me voyez, si j’avais seulement gros comme une tête d’épingle de fidélité, je serais comblée. Nous savons beaucoup, mais nous ne voulons pas faire, nous ne voulons point de captivité. Il faudrait que Dieu fît tout, sans que nous en ayons la peine, et si Dieu nous laisse un peu dans notre pauvreté nous nous fâchons, comme si Dieu nous devait quelque chose ».
Une religieuse lui demanda comment elle l’entendait de se tenir près de Dieu. Elle lui répondit : « Que fait le soleil quand vous êtes en sa présence, ne vous éclaire et échauffe-t-il pas ? De même quand vous êtes auprès de Notre Seigneur, il vous éclaire de ses lumières, et vous donne les grâces qui vous sont nécessaires pour vous préserver de l’offenser ».
n° 1974 D12 p.4
« Je ne suis pas à le lui dire ». Tournure ancienne pour : je ne tarde pas à le lui dire, je lui ai déjà dit, ce n’est pas la première fois.
Une religieuse étant seule avec cette digne Mère, le 16 octobre 1697, comme elle allait parler à une personne, elle lui dit : « Ma Mère, détournez-la donc de l’amusement où elle est avec tous ces directeurs ». « Je ne suis pas à le lui dire, lui répondit-elle, mais c’est qu’elle veut atteindre à de grands états, et la contemplation la plus sublime et élevée n’est pas assez haute pour elle. Elle veut une grâce qu’elle n’aura jamais et dont même elle n’est pas capable ». Elle lui répartit là-dessus : « Mais, ma Mère, est-ce que vous ne lui faites pas connaître son erreur, et que vous ne lui dites pas ? » Elle lui répondit : « Je ne suis pas à le lui dire, car je ne trompe point les âmes, mais elle ne me veut pas croire, et quand les âmes sont ainsi, il faut les laisser. C’est comme un torrent impétueux qui n’a point de digue, et que l’on ne peut arrêter. Mais Notre Seigneur permettra que dans la suite elle s’égarera elle-même, et sera obligée de revenir, et se rendre à ce qu’on lui a dit.
J’ai vu autrefois des choses qui me servent dans les occasions de comparaisons. Je me souviens qu’il y avait en un lieu des bêtes qui en voulaient sortir, et je leur ouvrais la porte pour leur en donner la liberté, et ces bêtes, au lieu d’y aller, s’allaient toujours heurter contre la muraille, et n’en prenaient point le chemin que je leur montrais. Voilà comme font ces âmes. Elles veulent aller à Dieu, mais elles n’en veulent pas prendre le chemin ni la bonne voie que l’on leur montre. Elles se heurtent à ceci, à cela, et au lieu d’en approcher, elles s’en détournent, car qui peut s’élever à Dieu par l’élévation ? Ne faut-il pas s’abaisser et rentrer dans son néant, c’est là uniquement où l’on trouve Dieu, quand on sait s’anéantir et ne vouloir rien être. Mais c’est que le penchant de la créature est l’orgueil et l’élévation. Nous avons hérité cela d’Adam notre premier père, et si vous le marquez vous verrez que toujours, tout ce que nous voulons et désirons, même pour les choses de Dieu, ne sont que par rapport à nous-mêmes. Tantôt nous cherchons un appui d’un côté, ou autre chose d’un autre, si bien que Dieu n’est jamais purement en nous le motif de nos intentions. 0 heureuses les âmes qui n’ont que le pur regard de Notre Seigneur, et qui font ce qu’elles peuvent pour lui plaire, et lui être fidèles dans ce qu’il demande d’elles ».
n° 2059 D12 p.12
Le 6 novembre 1697, comme on lui parlait d’une fille, elle nous dit : « Croyez-moi, j’ai de l’expérience, et depuis bien quarante ans, et je dirais bien soixante, j’ai remarqué une chose, retenez-la bien. C’est qu’il faut bien prendre garde aux qualités naturelles de l’esprit qui ne changent jamais, et celles aussi de certaines petites âmes de grâces, qui ont l’esprit borné. Il faut beaucoup s’appliquer à connaître leur grâce, pour les conduire directement selon ce qu’elle demande d’elles, sans les retirer de leur simplicité, sous quel beau et bon prétexte que ce soit, ou de les produire, de vouloir qu’elles parlent bien, pour les faire valoir et estimer des autres. Prenant même garde de ne leur pas faire connaître leur élévation auprès de Dieu, parce que si une fois la bonne opinion d’elles-mêmes s’empare de leurs cœurs, les voilà perdues pour toujours, parce qu’ayant les esprits bornés elles se heurtent aux sentiments d’estime et de complaisances qu’elles ont d’elles-mêmes, et ne veulent pas croire ceux qui les en veulent dissuader. Si bien qu’à la fin elles perdent leur grâce, et le mal en est sur ce que l’on les en fait sortir, en la leur faisant connaître, et les élevant trop ».
n° 2066 D12 p.13
Cette nuit j’ai un peu prié Dieu, j’ai pensé que ce n’était pas assez d’avoir l’intention droite vers Dieu pour faire toutes ses actions en sa vue et en son amour, mais qu’il fallait encore avoir l’attention actuellement à lui, et à la grâce pour écouter à chaque moment ce qu’elle demande de nous afin de nous y rendre fidèle, car tout dépend de cette fidélité, « Hodie, si vocem... etc. », et si vous entendez sa voix prenez garde d’endurcir vos cœurs ; il faut quand elle frappe à nos cœurs l’écouter, et suivre ce qu’elle nous dit. Oh ! si l’on savait le malheur d’une âme endurcie qui a méprisé cette voix adorable, Jérémie en fait le portrait dans ses Lamentations.
Tenez-vous proche de Dieu, ne voyez rien hors de Dieu, ne le perdez pas de vue, ayez un bas sentiment de vous-même (...), aimez Dieu uniquement et constamment pour l’aimer éternellement.
n° 238 C404 p.615
« Ne vous souciez point de l’estime et de l’opinion des créatures ; conservez votre paix ». Là-dessus, cette religieuse lui dit qu’il s’agissait quelquefois des intérêts de la Religion ou des Supérieures qu’on est obligée de soutenir, et de se tirer à cause de cela de sa tranquillité. Elle lui répondit : « Dans ces occasions on a une loi qui nous dicte ce qu’il faut dire et faire ». La religieuse lui objecta qu’il fallait pour avoir la paix avoir quelquefois des complaisances avec certaines personnes peur de les choquer et de troubler la paix. Elle lui répartit : « Il ne faut point craindre cela, et dire ce qu’on croit être obligée et arrive ce qui pourra, Dieu fera le reste en temps et lieu ».
n° 317 N254 p.6
Heureuse l’âme anéantie. Vous voyez la terre pendant l’hiver : ce n’est que stérilité et désolation. Elle ne fait rien paraître des richesses qu’elle renferme ; tout paraît mort, sec et aride. Les âmes anéanties sont de même à l’extérieur : tout y est commun, pauvre, souvent imparfait, et, sous ces apparences, elles conservent de grandes richesses. Et, quand le printemps reviendra, vous les verrez briller à la faveur de leur divin soleil Jésus Christ Notre Seigneur. Nous ne sommes pas excusables des choses que nous ne pratiquons pas, pour les avoir sues et puis oubliées par inapplication et légèreté d’esprit.
n° 455 P123 p.149
Remarquons pour finir l’attention de Notre Mère Mechtilde à l’habitation et à la vie de la Sainte Trinité en nous. Nous avons rencontré plusieurs fois cette pensée au cours de ces pages.
« L’anéantissement de Dieu ».
Sans doute est-il inutile d’expliquer ce que Notre Mère Mechtilde veut dire. Cela se comprend aisément dans la mentalité de l’époque.
Par le pur usage de la foi, la Sainte Trinité habite en nous et y fait ce qu’elle fait dans le ciel, c’est-à-dire que le Père y engendre son Fils, et que le Père et le Fils produisent le Saint Esprit.
Dans les commencements que j’ai eu ces lumières, cette pensée de Dieu présent en moi y faisait une si forte impression et de tels effets que, toute transportée hors de moi-même je croyais aller jusqu’aux nues et faire des merveilles ; mais misérable que je suis, me voilà comme vous voyez, revenue toute nature et toute humaine. Tâchez cependant de vous accoutumer tout doucement à envisager Dieu présent en vous. Ne le faites pas par effort, ni en vous formant une idée (Dieu est incompréhensible), mais croyez qu’il est présent en vous par un acte de simple foi, et occupez-vous de cette vérité en allant et venant par la maison et en toutes rencontres.
Une âme qui est fidèle à cette pratique ne se laisse emporter ni à ses passions, ni à ses humeurs naturelles, ni au tourbillon des affaires même les plus embarrassantes. Au milieu de tous ces tracas, elle sent quelque chose qui l’élève au-dessus d’elle-même et de tout le créé, et c’est cette tendance vers Dieu présent en elle qui l’attire, lui disant intérieurement qu’elle n’est point faite pour cela, et que ce qu’elle possède en elle vaut mieux que toutes choses. Elle n’a plus besoin de direction d’intention, elle a toujours le cœur tourné vers le divin Objet.
Oh ! quelle merveille de voir l’anéantissement de Dieu à se tenir toujours en nous sans nous abandonner un seul instant, ni jour, ni nuit. Et nous ne voudrions pas nous contraindre un peu pour nous tenir en sa sainte présence. Ah ! travaillons-y tout de bon et ne vivons plus de nos sens.
Hélas, je sens ces vérités, je vous y exhorte et mes paroles n’ont point effet de grâces. Malheureuse que je suis ! On ne sait pas ce que je souffre, ni les pensées et sentiments que j’ai de moi à ce sujet. Quand vous ne savez que faire, pensez que Dieu est en vous et occupez-vous à le remercier de toutes les grâces qu’il vous fait actuellement ; vous en recevez une infinité auxquelles vous ne pensez point et que vous ne connaissez même point.
n° 2455 B532 p.65
C’est à dessein que nous ne faisons pas de table analytique pour ce petit volume. Nous laissons chaque moniale le soin de l’établir elle-même selon ses goûts et ses inclinations.
La table des matières se limite donc pratiquement à une simple nomenclature des dates ou des sujets des Entretiens [non reproduite : chronologique, couvrant les années 1685 sq., mais surtout 1694 à 1697]
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[Par Marie-Catherine Castel, osb. ap.] 1
LISTE DES MANUSCRITS UTILISES 9
BÉNÉDICTINE À RAMBERVILLERS 22
VERS LA MORT MYSTIQUE ET LA RÉSURRECTION. 27
ABRÉGÉ D’UNE RETRAITE DE L’ANNÉE 1640 27
LA NORMANDIE. LE PÈRE CHRYSOSTOME. 31
RELATIONS SPIRITUELLES AVEC BERNIÈRES 52
LES DOUZE ANS ET LE DOUZIÈME DEGRE D’HUMILITÉ 118
TÉMOIGNAGE DU FRERE LUC DE BRAY 132
ADORATION DE LA JUSTICE DE DIEU 140
TROISIÈME GRANDE ÉTAPE L’ENFER DU PUR AMOUR 145
1698 — LA PÂQUE DE MERE MECTILDE 177
ORIGINE DES RECUEILS DE CONFERENCES DE MERE MECTILDE SUR L'ANNEE LITURGIQUE. 200
DIFFERENCES ENTRE LES CONFERENCES. 202
II L'EXPERIENCE DE MERE MECTILDE. 205
III L’ ENSEIGNEMENT DES CONFERENCES 209
C'EST PAR LA FOI QU'ON ENTRE DANS LE MYSTERE 211
ON NE PEUT MIEUX ENTRER DANS LES MYSTERES QUE PAR CONFORMITE (191) 211
TOUS LES MYSTERES DANS LE MYSTERE. L'EUCHARISTIE. 213
LE CORPS MYSTIQUE. L'EGLISE. 214
Le jour des Saints Anges 1687 222
1689 Je vous exhorte à fuir l’humain ». 223
1692 « Notre bonne Mère ». 224
24 février 1694 « Dégagement ». 233
Mars 1694. Après sa maladie « ... Comme en celle (évangile) d’aujourd’hui ». 238
10 avril 1694, Samedi Saint 246
12 avril 1694. Lundi de Pâques 247
18 avril 1694. Octave de Pâques 248
3 mai 1694 « Une expression de ses états ». 249
Août 1694 « Et d’où vient ». 253
8 décembre 1694 « Ne feignez pas ». 259
Date présumée : 1694 « Abject ». 264
24 mai 1695 « Pour assister au Veni Creator ». 277
Du jour de la Présentation de la très sainte Vierge 1696. 292
1 Sœur Véronique Andral, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint Sacrement, Itinéraire Spirituel, édition privée chez les Bénédictines, 14 rue Bourg-l’Abbé, Rouen, 1990.
2 Dictionnaire de Spiritualité, 10, 885-888. Beauchesne, Paris, 1980.
3 J. Daoust. Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint Sacrement. Téqui. Paris. 1979, pp. 49-86.
4 H. Brémond. Histoire littéraire du sentiment religieux en France. Bloud et Gay. Paris, 1916-1936. Surtout t. 9 (1932). pp. 207-219.
5 p. 107.
6 p. 131.
7 Règle de saint Benoit. 7, 64.67.69.
8 Nous donnons entre crochets les numéros des notes parfois longues et érudites — pour cette raison reportées en fin de volume. [NDE].
9 (239) : numéro correspondant au fichier général alphabétique. Il en est de même pour tous les numéros cités.
10 Nous n’entreprendrons pas ici de juger des faits extraordinaires qui jalonnent la vie de Mère Mectilde. Nous les rapportons dans la mesure où ils nous aident à connaître son monde intérieur et son cheminement spirituel. Nous pouvons seulement remarquer leur relative rareté. Selon l’Évangile, reconnaissons 1'arbre à ses fruits.
11 On peut voir dans sa « Vie », tous les dangers qu’elle avait dû affronter sur ce point.
12 On peut éclairer ce passage par ce texte de Bérulle : « II y a quelques âmes... qui pensent être privées de l’amour de Dieu ; et c’est lorsque souventefois elles en sont plus remplies... Mais elles ne le voient point, elles voient et sentent seulement la privation de l’amour, ce qui est un témoignage qu’elles n’en sont point privées, puisqu’elles ressentent la privation : car la privation de l’amour, j’entends par le péché, ne se ressent point. Si elles n’aimaient pas Dieu, elles ne ressentiraient pas cette privation parce que pour sentir la privation de l’amour, il faut avoir l’amour. Donc l’amour même opère souffrance en elles par la peine qu’elles portent de la privation de l’amour, et plus l’amour est grand en elles, plus elles connaissent l’importance de la privation d’icelui ». (Marseille. 22.66 D Feuilles 71-72) cité par Michel Dupuy « Bérulle, une spiritualité de l’adoration » Desclée 1964.
Mère Mectilde fait ses premiers pas sur cette route... jusqu’à l’enfer du Pur Amour, comme nous le verrons.
13 Voir encore Bérulle : « En la présence de cet Esprit suprême, éminent et dominant, tout esprit créé doit fondre comme un néant, et s’abîmant en la profondité de l’Être divin, doit s’abandonner et se perdre heureusement en Dieu (C.B. 3. 684. II).
14 Ce mot est de saint Augustin : « Quid avarius illo cui Deo sufficere non potuit ? » (Commentaire de la première Lettre de saint Jean. Traité n° 8, paragraphe 6, SC 75 p. 350) est cité par Martre Eckhart dans son « Livre de la consolation divine ». Il sera une source de grâces pour Madame Acarie qui le tenait de sainte Thérèse de Jésus (Bremond Hist. lit. du sentiment religieux T. II pp. 203, 204, 209) et Mère Mectilde le reprendra dans le « Véritable Esprit » en le complétant selon son charisme : « Trop est avare à qui Jésus ne suffit dans la divine Eucharistie » (V. E. p. 36, Ch. II).
15 « Cabinet » : petite pièce retirée où l’on met tous ses trésors (Glossaire des Œuvres complètes de saint François de Sales. Pléiade).
16 Voir dans « L’Homme Intérieur » pp. 427-428 parlant de Bernières, disciple du P. Chrysostôme : « L’esprit d’oraison, l’amour de la vie retirée, pauvre et abjecte, était le caractère de sa principale grâce. L’amour de l’abjection a toujours été le sujet de ses grandes inclinations. Il avait reçu cet esprit abondamment de Notre Seigneur crucifié, par les communications de son saint directeur qui avait établi, comme on l’a remarqué, une société spirituelle que l’on appelait la confrérie ou société de la sainte abjection. L’on peut croire que cette société n’eut pas grand nombre de confrères : il s’en trouva néanmoins qui s’y rangèrent avec une générosité vraiment chrétienne, dans l’union de Jésus abject et méprisé... Or, M. de Bernières fut l’un des premiers et plus ardents confrères de cette société, et comme la pauvreté renferme l’abjection, cette vertu fut aussitôt sa chère vertu ».
Pour cette Société, voir ibid. pp. 258 à 260. Dans ce travail p. 83.
17 Subida del Monte Carmelo, édit. Silverio, livre II, chap. 7 ; t. II pp. 94-95. Traduction : Lucien-Marie de S. Joseph, p 149.
18 cf. Bérulle « Une spiritualité de l’adoration » op. cit. p. 79 : « Les Rhéno-Flamands considèrent en général la volonté comme une des puissances qui procèdent du “fond”. Et la même conception est reprise par la “Perle” où le “fond” est devenu “l’essence” ou encore “l’esprit”. C’est en deçà des trois puissances dans le “fond” ou “l’essence” que Dieu réside et que l’homme peut être uni à Dieu. Pour rentrer dans le fond, il faut anéantir les trois puissances : la mémoire par l’abolition des images, l’intelligence par la nescience, et la volonté par la suppression de tous désirs. Cette manière d’honorer Dieu dans le fond de l’être ne peut être opérée que de Dieu, non de l’homme qui agit par son être, mais non dans son être. Et Dieu seul est celui qui se prépare cette demeure et habitation, pour y reposer comme dans son trône, pour y opérer comme en son fonds et son héritage, pour y imprimer ses qualités, comme en son miroir et son image, l’homme ne peut sinon s’offrir, se livrer et s’abandonner au vouloir et à la puissance de son Dieu et son créateur » (O.P. CXLVIII 2 col. 1191)
Pour qui veut approfondir, voir le livre du Père Y. Raguin s.j. : « La profondeur de Dieu » D.D.B. Christus Essais n° 33, 1973.
19 « Accoiser » = apaiser.
20 Ses dernières paroles seront : « J’adore et me soumets ».
21 [encadré page 83 de l’édition primitive :]
« La Sainte Abjection »
Voir « L’homme intérieur » de Boudon, pp. 256 à 260 « Oh que l’abjection est aimable, écrivait (le P. Chrysostôme) à un grand serviteur de Dieu, je vois qu’elle est comme l’unique voie de la perfection ».
« Il institua donc une société parmi plusieurs personnes fort spirituelles et très « dégagées de la matière, qu’il appela la Société de la Sainte Abjection... Le saint homme enseignait qu’entre les dispositions de l’Esprit de Jésus Christ, l’une des principales était le pur amour de l’abjection et de l’anéantissement, c’est pourquoi il s’écriait : « Si vous aimez bien le tout aimable Jésus, vous devez vous proposer fortement de l’imiter dans ses voies humiliantes, et pour lors vous verrez des merveilles dans la conduite de sa grâce ». C’était cet Esprit de l’adorable Sauveur du monde, dont il était rempli, qui lui communiquait ses dispositions, lui avait donné la pensée d’établir une société qui fut toute dédiée à honorer ses états humiliants. C’est pourquoi il la consacra à Jésus méprisé et abject, la dédiant aux fidèles amants et imitateurs de sa sainte abjection, et désirant que la très humble Vierge fut reconnue de tous les associés pour la grande Directrice. Voici une partie de la protestation qu’il souhaitait que les associés fissent ensuite de la communion vivifiante du précieux Corps de notre bon Sauveur et notre Dieu :
« Je me consacre et me donne sans réserve à l’Esprit et aux dispositions de Jésus mon Seigneur et mon Sauveur, pour entrer dans la communion de tous les différents états et pratiques de mépris et d’abjection de sa vie voyagère, et pour aimer “purement et souffrir patiemment toute abjection, tout mépris, rebut, délaissement, toute persécution, injure et calomnie de qui que ce soit sans exception, promettant, ô mon Dieu, d’en remercier votre divine Providence comme d’une faveur très particulière » (pp. 258-259).
« Il composa un excellent livre à ce sujet divisé en quatre parties. Dans la première, il traite de la société spirituelle de la sainte abjection. Dans la deuxième, des états différents et diverses pratiques de cette vertu. Dans la troisième, il donne des méditations sur les états humiliants de Jésus notre bon sauveur. Dans la quatrième, il en donne d’autres en la vue de la divinité » (p. 260).
22 Voir Bérulle (C.B. 2. 423. par.III. 24 mai 1623) : « Il nous faut abandonner à celui à qui nous sommes et sans lequel nous ne pouvons être un moment. Comme il vous semble qu’il vous ruine, il vous semble aussi qu’il vous rejette ; mais il nous tient à soi en nous rejetant, il nous unit à soi en nous séparant, il nous soutient en nous confondant, il nous vivifie en nous anéantissant, et il se donne à nous en nous privant de nous-même et en nous privant, ce nous semble, de soi-même ».
23 Voici une phrase bien abrupte que Bérulle et M. Dupuy peuvent nous aider à comprendre :
[encadré page 88 de l’édition primitive :]
Une spiritualité de l’adoration »
p. 71 : Anéantissement : réintégration en Dieu. Nous sommes sortis de Dieu par la création, nous y retournons par anéantissement, « rentrée en Dieu, divinisation par libération de cette limitation qui consiste à être en soi »... néant comme capacité de Dieu.
p. 74 : Ce néant auquel l’âm e tend à se réduire n’est pas Dieu, mais seulement disponibilité à l’égard de Dieu, l’anéantissement même passif, n’est pas l’union à Dieu, mais la « capacité de Dieu ».
p. 92 : La séparation de soi-même se confond manifestement avec l’anéantissement « grâce qui me sépare de moi-même, m’unit et m’incorpore à vous... Grâce d’anéantissement et d’établissement » (Élévation à Jésus, n° 15). « Ici vous travaillez à vous séparer de l’Etre présent et sensible, pour vous rendre à la vérité et sainteté de l’Etre de Dieu (C.B. 3. 803. IV).
p. 95 : (Bérulle) ne sépare pas l’anéantissement de l’établissement dans le Christ, le néant de la créature de la dignité que lui confère sa vocation nouvelle, la contingence du moi de son appel personnel par Dieu.
p. 96 : Si être est désormais être relatif (à Dieu, au Christ) la relation de connaissance qui se substitue au repli sur soi anéantit un être illusoire au profit de l’être réel ».
24 « Hostiam et oblationem pro peccato non tibi placuerunt et dixi : ecce venio... » (Cf. Heb. 10, 5-7 et Ps. 40, 7-9).
25 Saint Paul voulait être « anathème » pour ses frères (Rm. 9, 3).
26 Ne rien préférer à l’amour du Christ. (R.B., 4, 21).
27 cf. p. 130 et suivantes, quelques beaux textes sur ce sujet.
28 « Esse sine Iesu gravis est infernus » Imit, de J.C., L. II, chap. 8, v. 2.
29 Un petit passage de la conférence 19, n° 1591, où elle parle de ces souffrances intérieures à propos de Noël. Carnet rouge p. 131.
30 cf. Paul Renaudin, J.J. Olier, pp. 38 et suivantes, Albin Michel, Paris 1943 et Michel Dupuy, « Se laisser à l’Esprit », Itinéraire spirituel de J.J. Olier, Cerf 1982 :
[encarts pages 129 & 130 de l’édition primitive :]
« Jean-Jacques OLIER »
« Avec tout son siècle, Olier a eu un sentiment très vif du péché originel, de la misère de notre nature déchue et corrompue. La grâce seule peut réparer cette blessure, si nous savons — nous unir au sacrifice réparateur du Christ. L’esprit chrétien “porte à se rendre victime du grand Dieu : il tend à l’anéantissement total de notre être, qui est opéré par mille devoirs de religion qui se terminent tous au sacrifice...” Et encore : “Il ne faut point de roses sur le Calvaire ; il faut être privé de tout, il faut être collé à la croix toute nue, et couché sur les épines.”
Ce profond anéantissement en Jésus-Christ, ce mystère de mort qui devient un mystère de vie, c’est le cœur de la spiritualité de J.-J. Olier. Doctrine austère, à coup sûr ; mais en peut-il être d’autre dans le Christianisme ? La houlette fleurie de François de Sales ne mène-t-elle pas ses brebis choisies vers l’immolation et le sacrifice ? Et le pur amour du doux Fénelon n’est-il pas fondé sur une cruelle mort à soi-même ? Cette austérité, cette grandeur, c’est la tradition de toute notre École française, à la fois ascétique et mystique. Elle dresse la croix devant les âmes, comme Jésus l’a dressée sur le monde. “Il faut être un Jésus-Christ en terre”, dit M. Olier. Le prêtre particulièrement, qui n’a pas seulement à imiter les vertus du Christ, mais à reproduire ici-bas sa fonction essentielle, de prêtre et de victime éternels. N’avoir plus d’autre vie en soi que celle du Christ, par sa grâce, vivre en lui pour qu’il vive en nous, voilà, foncièrement, le mysticisme de M. Olier. Et c’est le Paulinisme le plus pur. » Iam non ego vivo, sed Christus vivit in me ».
« Se laisser à l’Esprit »
p 212 : « Le passage par la mort et la résurrection doit réaliser cette... consommation radicale dont le désir habite depuis longtemps Olier : il lui faut mourir à l’amour propre et vivre enfin dans la charité du Christ, comme il convient à des enfants de Dieu ».
p. 216 : « Cette consommation qu’il désire, tous y sont appelés, puisqu’ils sont baptisés dans la mort du Christ. « C’est en quoi consiste proprement l’état le plus parfait du chrétien quand il (se) voit comme une hostie consommée et anéantie devant la Sacrée Majesté » (M. IV, 38).
p. 218 : « Le chrétien est appelé oint comme Notre Seigneur qui est consacré, dévoué à Dieu ; et tous les chrétiens ensemble sont appelés Le Christ (note : ou « le Corps du Christ » et Augustin enarratio II in Ps. 26, 2 ; P.L. 36.200) <ce> qui est à dire : l’oint, un Corps oint à Dieu, consacré et dédié à Dieu.
« Et les clercs en font la promesse publique et profession de vouloir imiter Jésus Christ en qualité d’hostie vouée et consacrée à Dieu, destinée à la mort » (D.E. 1, 188-189).
[...I C’est la condition de l’âme parfaitement ressuscitée en Jésus Christ, de l’âme parfaitement unie au Fils de Dieu que <de> se laisser toute à l’Esprit Saint de Jésus Christ, de s’abandonner toute à lui qui le veut consommer en lui et qui le veut entièrement conduire en tous ses mouvements intérieurs, le possédant absolument et le réglant comme l’âme règle et conduit le corps. C’est une grâce admirable que celle d’une âme qui est en cet état ».
31 Ps. 54, 28 et 1 Pi. 5, 7.
32 Cf. Saint Jean de la Croix : Cantique spirituel A, str. 36 (Cant. B, str. 37) ; Cantique des Cantiques, 2, 14 ; Ant. de sainte Gertrude « Casta columba nidif icans in caverna maceriae sacri lateris Iesu Christi... »
33 * Pour ce terme, voir « Benort de Canfeld », Paul Renaudin, Spes, 1955, chap. III, pp. 105-123 : « vie unitive », activité de l’âme sur un mode divin, participation commencée à la vie divine.
« Conformité transformation > déiformité (état très rare) sous la motion du Saint Esprit ». « Tauler appelle état “déiforme” un état stable d’union à Dieu où l’âme est réellement transformée en Dieu » : Cognet, Introduction aux mystiques Rhéno-Flamands p. 145.
34 " Quam videris animam, relictis omnibus, Verbo omnibus votis adhaerere, Verbo vivere, Verbo se regere, de Verbo concipere quod pariat Verbo, quam possit dicere : rnihi vivere est et morí lucrum : puta coniugem, Verboque maritatam ». (Saint Bernard In Cant. Sermo LXXXV. 12).
35 Ce chemin rappelle le. »Songe mystérieux".
36 Ceci paraît être un bon résumé de tout ce que nous venons de voir.
37 Union « substantielle ». Voir « Se laisser à l’Esprit », l’itinéraire spirituel de J.J. Olier, Michel Dupuy, Cerf, Paris, 1982.
p. 292 : « Les dons de Dieu ou Dieu Lui-même (...) (Olier) préfère “être dépouillé de lumières” pour s’attacher à Dieu lui-même. Alors Dieu le nourrit de sa “substance”. »
p. 293 : « Canfeld avait parlé de la volonté divine “essentielle”... Olier préfère ordinairement (le concept) de substance... L’union à Dieu joint la “substance” divine (si on peut ainsi s’exprimer) et la “substance” de l’âme. S’attacher à Dieu, c’est Lui laisser prendre, non seulement les facultés, la volonté et l’intelligence, mais aussi le “fond” de l’être, la substance (...). »
« Par les lumières sensibles, Dieu se proportionne à l’âme, s’offre à l’âme selon la capacité de l’âme. Par cette union essentielle, il proportionne l’âme à lui-même, il l’élève à lui, il l’appelle à l’immensité de son amour : Dieu ne veut point que ses adorateurs se nourrissent d’autre substance que de la sienne en sa pureté, et séparé de tout goût et consolation qui n’est pas lui. Il nous faut entrer dedans Dieu et nous voir élevés par l’Esprit au-dessus de notre chair et des sens, et ne point attirer Dieu à venir dedans nous. Il vaut mieux passer en Dieu et entrer dedans lui (plutôt) qu’il descende dans nous. C’est effet d’amour-propre et non pas d’abandon et de perte dans lui, telles que le sont les âmes qui ont leur âme perdue par la foi dedans Dieu » (L 117, 11 août 1645).
38 On peut rapprocher de ce texte ce passage du Véritable Esprit ch. IV.4 : « Les plus élevées entrent en unité et sont par état avec Jésus Hostie... Elles doivent demeurer simplement en Jésus qu’elles voient en elles. Tout ce qu’elles ont à faire c’est de vivre dans la mort continuelle et se laisser animer de sa vie, non plus par des écoulements de grâce, comme dans les autres états, mais de Lui-même, c’est-à-dire de la même vie dont il vit en Lui-même, l’âme y étant introduite par une miséricorde singulière, elle ne voit plus que Lui et ne fait rien hors de Lui, mais d’une manière toute divine... » (Voir aussi la fin du ch. I [lère éd.] et le ch. XII).
39 Antienne de Benedictus du 22ème dimanche du Temps ordinaire.
40 Place de Paris, à l’actuel emplacement de l’Hôtel de Ville, où avaient lieu les exécutions.
41 Nous donnons ici la version, plus archaïque, du Z 4, p. 308 (ms conservé à Rumbeke), tout en reconnaissant que l’abbé Berrant l’a à peine retouchée, ce qui est très méritoire pour un biographe faisant une citation.
42 Répons « Animam meam » du Vendredi-Saint.
43 Ici finit la citation du texte de Mère Mectilde par l’abbé Berrant.
44 Cf. Saint Jean de la Croix. Livre de la nuit obscure, ch. 6 et 7).
45 « Tetigit me Domine » : est-ce une allusion à Job ? "Manus Domini tetigit me" (Jb 19, 21).
46 Il s’agit du Règlement des Offices.
47 Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus relèvera aussi cette phrase qu’elle a lue dans le petit « Bréviaire du Sacré-Cœur » composé à partir des écrits de Sainte Marguerite-Marie.
48 Rosay en Brie (arrondissement de Meaux).