Mère MECTILDE 1614-1698

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Un TOTUM de et sur MECTILDE


Présentation


Ce gros dossier ne peut être lu rapidement ni en entier. Il ne saurait être réduit ni même simplement « retaillé » sans perdre une grande partie de son intérêt. Des regards très variés et complémentaires convergent sur la mystique figure de Mectilde.

Ce Totum – il demeure incomplet - constitue l’« ouverture » vers d’innombrables manuscrits accumulés en plusieurs siècles par les copistes bénédictines des écrits de leur fondatrice. Nous sont proposées quelques études incontournables comprenant des textes intérieurs soigneusement choisis par des religieuses intérieures. Ces transmettrices demeurent méconnues. Le labeur de plusieurs siècles mérite reconnaissance et redécouverte.

Destinés à usage interne, les supports papier édités au sein d’un Ordre à l’avenir incertain deviennent rares. Il m’a semblé urgent d’en photographier un Essentiel – j’ai eu la chance d’être guidé par des archivistes de l’Ordre aujourd’hui disparues.

Transcrits à l’aide d’un bon outil en reconnaissance de caractères et corrigés a minima pour en assurer la lecture aisée, cela permet de proposer ces ouvrages convertis en présentations informatisées (fichiers doc, odt, pdf, epub) pour une découverte par de futurs inconnu(e)s 1. Quelques-uns en recherche d’intériorité seront comfortés et prêts à suivre l’exemple offert par des « aîné(e)s », s’ils y ont accès sans déplacement ni limitation géographique ou culturel.

C’est le devoir de transmettre les traces de toute Tradition authentique.

Je propose deux forts volumes (en format A4 proche des antiques in-folio, en corps Garamond petit mais lisible), après avoir réédité les principaux écrits mystiques de « l’autre » mystique de même mouvance : Madame Guyon, « Sœur dans le monde », et pour qui Mectilde était « une sainte ».

L’ancienne fut religieuse, la plus jeune demeura laïque ; changement d’époque. Ce sont les deux grandes mystiques qui ont atteint la fin du Grand Siècle.

Le fonds manuscrit protégé dans l’Ordre fondé par la Mère Mectilde est partiellement couvert dans ce Totum. Celle que ses proches appelaient également « notre Mère » - en compagnie de Fénelon « notre Père » - a été sauvé par des disciples dont le fidèle pasteur-imprimeur Poiret. Des milliers de textes de Mectilde recueillis, copiés et recopiés sur trois siècles par ses « filles » sont présentés en un « Fichier Central »2. Le Totum Mectilde repose sur une Base Mectilde.

C’est fort surprenant et unique - peut-on y voir un effet de grâce ?- que de disposer de deux immenses ensembles de textes intérieurs3.

Un travail comparatif devrait être entrepris : les deux femmes ont bien des points communs même si elles ont vécus fort distinctement, ce qui élargit encore le spectre des conditions et milieux rencontrés, des monastères aux Cours, des puissants aux prisons.

On relève l’approche intérieure commune qui leur a attiré des « ennuis » au sens ancien fort de prisons pour Guyon, de vieillesses sans repos pour les deux qui partagèrent le même souci de service à rendre, lavement des pieds de jeunes bénédictines ou de disciples et visiteurs étrangers. Même intensité exigeante – elle provient de leur origine intérieurement commune puisqu’elles sont rattachées à une filiation née du franciscain Chrysostome de Saint-Lô, passant par Monsieur de Bernières (son chapelain Bertot dirige la jeune Guyon).

Même dons d’écriture et de parole qui porte intérieurement. Contacts successifs avec deux épouses royales, donc expérience des Puissants. Les différences seraient les espaces où elles rayonnent : celui « interne » clôturé du monastère, celui « externe » - à peine plus libre - de la ville et de la Cour.


Revue par ouvrage


Ce dossier rassemble les imprimés dans l’Ordre d’Ame offerte …. à Rouen suivi de contributions en collection Mectildiana.


Mes préférences :


Partout : lettres de Mectilde à sortir de ce Totum.

Dans Ame offerte, ‘Comme un encens devant la face du Seigneur’ de dom Joël Letellier, une clé bibliographique.

Dans Ecrits Châteauvieux, l’Introduction de Louis Cognet & son choix dans le Bréviaire : certaines pièces sont admirables, d’autres sont faibles et suspectes [confirmation faite par l’archiviste Molette].

Dans Amitié, Introductions : de Molette très utile pour l’histoire des mss et sa confirmation de réécritures ; de Dupuis et Milcent [dont on peut omettre première lecture, aussi ne sont-elles pas corrigées soigneusement] – Lettres nombreuses mais moins intéressantes que le choix d’ Ecrits Chateauvieux opéré par Louis Cognet. [réécritures  suggérées par Molette]  - A la lecture il me semble que l’ouverture du Bréviaire aux ‘filles’ par Mectilde a du s’accompagner d’une refonte. Hypothèse à étendre sur d’autres mss. provenant de l’Ordre (?) d’où s’impose UN CHOIX mystique plutôt qu’une édition intégrale aveugle ...Sauf si le ms. Paris ou tel autre révèle une source pure ignorée ...Sauf si le recours direct aux mss. révèle une saisie avant manipulations 4. Etude de Mectilde à faire en partant du Fichier central, ce qui demanderait un temps considérable.

[...]

Itinéraire spirituel, Origines…, Entretiens familiers... ont été revus car ces oeuvres de sœurs « intérieures » remarquables ont été auparavant formatées livre pour réédition éventuelle.

Dans Pologne l’histoire douloureuse polonaise culmine par le récit des années de guerre.

Dimensionnements


1500 pages A4

6 853 000 car sans espaces

soit ~4500 car / page A4

page nbp date L


Avertissement 16

Ame offerte 16 84 98 L-

Ecrits Châteauvieux 98 50 65 L-

Amitié Châteauvieux 148 182 89 L

Documents historiques 330 151 79

Ecoute 481 88 88

Inédites 569 169 76 L

Itinéraire spirituel 738 68 97-

Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral] 806 7

Entretiens familiers [Sœur Castel] 813 32 84

Pologne 845 180 84 L

Rouen 1025 180 77 L-

Collection MECTILDIANA 1205 1

Les Amitiés Mystiques de Mère Mectilde 1205 155 17

Correspondance Bernières 1360 135 16 L

Fin 1495


Avertissement

Il s’agit de « sauver » l’universel mystique au moment où les Traditions qui l’accueillent au sein de chaque culture ancienne (chrétiennes, en terres d’Islam, bouddhistes… ) ne résistent pas aux bouleversements qui caractérisent notre siècle. Au moment où l’écriture laisse place au direct visuel, il faut transmettre l’intériorité vécu et suggérée par paroles recueillies de figures exemplaires.

Dans le cas particulier du dix-septième siècle et pour Mère Mectilde / Catherine de Bar, il y a urgence car l’Ordre qu’elle fonda ne recrute plus guère de nos jours des jeunes désirant devenir bénédictines. Les archives centrées sur elle5 sont très soigneusement stockées et classées à Rouen – aujourd’hui sous la houlette de sœur Marie-Hélène Rozec du couvent proche de Craon, avec laquelle j’ai exploré le fonds ; ayant eu la chance de rencontrer quinze ans auparavant lors de brefs séjours à Rouen ses prédécesseurs archivistes, je pouvais lui être utile et même guide. Mais ces dossiers connaîtront peut-être le sort des fonds de la bibliothèque jésuite de Chantilly : ces derniers sont préservés physiquement à Lyon, mais perdus quant à l’orientation spirituelle qu’ils transmettaient. Seuls des bibliothécaires d’antan pouvaient la suggérer aux visiteurs (dans mon cas, la transmission eut lieu par André Derville qui assura la bonne fin de l’édition du Dictionnaire de Spiritualité jusqu’à la dernière lettre Z)6.

J’ai constitué entre 2002 et 2017 une base photographique unique par sa taille (37 000 photographies de 74 000 pages choisies – quelques centièmes des archives – 39 Gigaoctets) et son organisation structurée (racine unique ouvrant sur 454 dossiers et sous-dossiers). Dom Joël Letellier, animateur de la collection « Mectildiana », ami sur une vingtaine d’années, m’a accueilli dans sa collection7.

Il s’agit aujourd’hui de mettre à la disposition des chercheurs spirituels le « double » informatisé de manuscrits choisis outre le présent fichier rassemblant les principaux ouvrages sur Mectilde publiés par ses soeurs. En recommandant sa première étude qui suit immédiatement cet Avertissement. Rédigée par dom Joë, elle est le guide qui ouvre sur des travaux et sur leur esprit (rares aux deux sens du terme : difficiles d’accès, peut-être bientôt perdus ? Qui révèlent l’exceptionnelle profondeur de vie de leurs auteures).

Il s’agirait maintenant de l’exploiter : je n’ai qu’effleuré les contenus de ces manuscrits.

Tome troisième

Rouen

= Catherine de Bar Fondatrice des Bénédictines du Saint Sacrement 1614-1698 Fondation de Rouen, Bénédictines du SS, Rouen, 1977.

HISTOIRE & LETTRES [voir liste en Table des matières]

FONDATION DE ROUEN 25

ÉTABLISSEMENT DE CE QUI CONCERNE LA MAISON DE ROUEN DES FILLES DU SAINT SACREMENT

Je commence cette histoire (3) par un songe que fit notre digne Mère de feu Madame la comtesse de Châteauvieux (4), la première fondatrice de notre Institut, au commencement du mois de janvier de l'année 1676, et qu'elle nous conta à la récréation le même jour en cette manière : « J'ai vu, nous dit-elle, cette nuit, ma Comtesse en dormant ; elle m'a paru d'un visage assez tranquille, mais pourtant qui paraissait n'être pas pleinement satisfait et content, ce qui m'a fait douter si elle était jouissante de Dieu et m'a obligée de lui demander : « Ma Comtesse, souffrez-vous ? Etes-vous dans le repos ? ». Mais elle m'a répondu d'une manière assez froide : « Je n'ai pas ordre de vous déclarer les secrets des jugements de Dieu, mais je viens vous dire que vous vous hâtiez de faire ce que vous deviez avoir fait, il y a 13 ans ; hâtez-vous, mais hâtez-vous », m'a-t-elle dit et deux ou trois fois, et en même temps a disparu ».

Il faut savoir qu'il y avait deux ans que cette dame était morte : (année 1674). Comme depuis ce temps notre digne Mère n'avait eu aucune connaissance de l'état où était son âme, ce qui ne lui était pas une petite peine, vu la grande affection qu'elle avait pour elle, qui lui donnait une forte envie de savoir si elle était en purgatoire ou aù ciel. Elle s'étonnait souvent de ce que Notre Seigneur ne lui en faisait rien connaître, nous disant de fois à autre bonnement, dans la simplicité de l'esprit de Dieu : « Encore des autres qui meurent, j'en sais quelque chose, mais d'elle point, je n'en ai aucune lumière ; Notre Seigneur ne me veut pas donner cette consolation, qu'il en soit béni à jamais, il est le Maître ».

Il n'y avait que trois jours qu'elle nous avait répété ces mêmes paroles, quand elle fit le songe que je viens de dire, qui donna curiosité à celles qui étaient présentes, qui l'entendirent, de lui demander ce que c'était que cette dame lui avait fort recommandé de faire. Mais elle ne voulut pas le déclarer hautement et en fit seulement la confidence à quelques-unes en particulier, leur disant que c'était une maison de l'Institut que Notre Seigneur voulait qu'elle fit dans la ville de Rouen, que durant la vie de Madame la Comtesse on avait été pressé de faire, mais que cette dame, pour des raisons qui, selon les apparences,

(3) Mère Monique des Anges de Beauvais, l'auteur de ce récit, a communiqué son manuscrit à Mère Mectilde lorsqu'elle arrêta sa narration, en 1686. Le texte fut approuvé, ainsi que le montre la lettre qui termine ces annales.

(4) Marie de la Guesle, dame de la Chaux, mariée à René de Vienne, comte de Châteauvieux.

Leur générosité et leur dévouement leur ont mérité à juste titre d'être considérés comme les fondateurs de notre Institut. Après son veuvage, la comtesse s'etait retirée au monastère de la rue Cassette pour y vivre comme religieuse. Ils ont été inhumés tous les deux dans l'église du monastère. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, et Lettres Inédites, 1976.

26 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 27

n'avaient pas été reçues ni approuvées du ciel, en avait empêché l'exécution, ce qui a donné lieu de croire qu'elle en avait souffert en purgatoire et que cela avait longtemps retardé sa béatitude. Ce qui nous a donné plus lieu d'en juger est une chose fort particulière, qui est qu'au bout de trois ans, le propre jour de la mort de cette bonne Comtesse, notre digne Mère partit de Paris pour la première fois pour aller à Rouen voir la maison qu'elle avait achetée pour cet établissement (5). Ce qui arriva l'année en suivant qu'elle l'avait vue en songe, comme nous avons dit ci-devant. Et, en nous quittant, elle en fit elle-même la remarque, car, étant à la porte du pré (6) auprès du tour, où je l'avais suivie, je la vis, la tête un peu baissée et appuyée sur sa main, dont elle tenait son petit bâton pour se soutenir, qui me parut fort pensive et comme si quelque chose l'occupait beaucoup. Elle fut quelque moment ainsi et, en relevant sa tête, elle me regarda et me dit : « Ah, c'est aujourd'hui la mort de ma Comtesse, et Dieu permet que je m'en vais ce jour à Rouen pour voir à commencer-cette maison. Il y a ici quelque chose de particulier de la Providence' et de caché, que nous n'entendons point et ne connaissons point ». De la manière dont elle me dit ces paroles, elle me fit juger qu'elle la croyait encore privée de la vision de Dieu et qu'elle n'attendait qu'après l'exécution du dessein de cet établissement pour aller jouir de lui dans la gloire éternelle. Dans le même temps qu'elle eut le songe de cette dame, des messieurs de Rouen lui écrivirent pour lui proposer d'acheter la maison de Madame Colbert (7), abbesse de Saint-Louis, pour s'y

(5) Voir plus loin le récit de l'achat de cette maison et du premier voyage de Mère Mectilde :

8 mars 1677.

(6) Selon le plan Turgot, dressé au XVIlle siècle, notre monastère était situé le long de la rue Cassette ;

des jardins s'étendaient en arrière jusqu'aux propriétés des bénédictines dites du Cherche-Midy, dont le couvent s'ouvrait sur la rue du même nom. Cf. C. de Bar. Documents. 1973. p. 240.

(7) D'abord religieuse à l'abbaye de Saint-Saëns (Seine-Maritime, arr. de Dieppe), de l'ordre de

Cîteaux. Elle fut demandée comme prieure par les bénédictines du monastère de Saint-Louis à Rouen et fit son entrée dans cette maison le 28 décembre 1675. Très aidée par le crédit du ministre Colbert et celui du premier président au Parlement de Rouen, Monsieur Pellot, son beau-frère, elle obtint l'autorisation de transférer le couvent dans un lieu mieux situé. Elle acheta le jeu de paume et les maisons de la Rougemare à Monsieur Le Guerchois, premier avocat général du Parlement de Normandie, et à Madame de la Garenne le 30 janvier 1677. L'église, qui existe encore à cet emplacement vient d'être rénovée. La première pierre en fut posée par Jacques Nicolas Colbert, coadjuteur de l'archevêque de Rouen. Mgr de Médavy. dont il sera le successeur, et par Monsieur Pellot. Elle fut bénite en 1683 par Monsieur de Fieux, grand vicaire. et dédiée à la Très Sainte Trinité. Madame Colbert gouverna sa maison durant seize ans.

Jacques-Nicolas Colbert était fils du ministre de Louis X1 V, coadjuteur, puis archevêque de Rouen, docteur de Sorbonne, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

La maison de Saint-Louis se trouvait sur la paroisse Saint-Vigor. Ce fut d'abord un monastère de Béguines, installées en 1260 par Eudes Rigault, archevêque de Rouen, et la faveur de saint Louis. Elles vécurent jusqu'en 1419 à l'emplacement du château du « Vieil-Palais ». Le roi d'Angleterre Henri V ayant choisi ce lieu pour y construire sa résidence rouennaise, donna aux religieuses une autre place dans la rue Cauchoise, sur la paroisse Saint-Vigor. Elles suivirent diverses Constitutions jusqu'en 1631, date à laquelle Louis XIII donna la maison à la Soeur Marie Goblin, religieuse de l'abbaye de Saint-Amand, qui y introduisit, avec la règle de saint-Benoit, la régularité puis la ferveur, recevant en peu de temps plus de trente moniales. C'est a cette première prieure devenue âgée que devait succéder Madame Colbert, à la demande même des religieuses.

Le Vieux-Marché très proche et de nombreuses constructions assez récentes avaient rendu le monastère fort exigu et très insalubre. C'est pourquoi Madame Colbert cherchait un emplacement meilleur, mais elle devait auparavant trouver un acquereur pour cette maison. Cf. M.F. Farin, Histoire de la ville de Rouen, Bonaventure Le Brun à Rouen, 1738, t. Il, p. (70) et (74). Arch. Mun. Rouen : Les bénédictines de Saint-Louis.

venir établir. Je ne sais quelle réponse elle leur fit, car elle dit à une religieuse qui lui en parla : « Je n'ai point d'argent ; si Dieu le veut, il faut qu'il m'en donne ».

ACHAT DES MAISONS RUE SAINT-V1GOR : 1er AOÛT 1676

Cette même année 1676, le jour de la fête de notre glorieux Père saint Benoît, 21 mars, étant le soir avec nous à la récréation, elle nous dit agréablement : « Notre glorieux Père m'a fait bonne mine aujourd'hui, il a pris un soin tout particulier de l'Institut, et l'année ne se passera pas qu'il ne se fasse quelque chose à la gloire du très Saint Sacrement. C'est une imagination que j'ai eue ; je ne sais si je dirai vrai ». Aussi, la même année, la maison de Rouen fut arrêtée et ces Messieurs qui lui avaient déjà écrit pour lui faire acheter la maison de Madame de Saint-Louis redoublèrent leurs lettres pour l'en solliciter, tant pour augmenter la gloire du très Saint Sacrement, désirant depuis longtemps d'avoir l'Institut dans leur ville, que pour obliger ladite dame abbesse qui, .n'ayant qu'un trou de maison, avait fort envie de se mieux placer en quelque autre endroit de la ville, ce qu'elle ne pouvait faire que notre digne Mère ne prît sa maison et lui en donnât bon argent, comme elle fit. Or, comme cette çlame était la belle-sœur de Monsieur le premier Président (8) de cette ville, ces messieurs firent entendre à notre digne Mère que, faisant affaire avec elle, elle aurait une entrée favorable dans la ville et y serait très bien reçue, que ce monsieur la protégerait et qu'elle en obtiendrait les grâces qu'elle voudrait, qu'elle ne devait point perdre cette occasion de faire cette maison pour la gloire de Dieu, puisque même depuis plusieurs années, je crois 1663 [,juillet ], elle avait obtenu les lettres patentes de Sa Majesté. Notre digne Mère, qui n'avait point d'argent, ne pouvait donner sa parole pour une telle affaire, et d'autant plus que la dame lui demandait au dernier mot pour sa maison 30 mille livres. C'était une somme bien forte. Nonobstant, de faire l'affaire, voyant bien que Dieu la voulait, puisqu'il lui àvait donné de l'argent. Madame de Saint-Louis, ayant su qu'elle agréait notre digne Mère, qui s'est toujours abandonnée à la divine Providence pour toutes choses, s'y abandonna encore en cette occasion, s'assurant que, si c'était la volonté de Dieu qu'elle fit cette maison, cette même Providence pourvoirait à lui fournir ladite somme nécessaire à cet effet. Véritablement sa confiance ne fut pas vaine, car elle lui fournit d'une manière assez extraordinaire. Les ayant entre ses mains, elle consentit

(8) Claude Pellot appartenait à une famille de banquiers, d'origine milanaise, venue à Lyon au

XV Ie siècle. Il épousa, en 1639, Claude Le Camus, fille de Nicolas, contrôleur général des finances, et de Marie Colbert, et, en seconde noces, le 6 décembre 1674, Madeleine Colbert, veuve d'Etienne Le Camus, surintendant des bâtiments du roi, fille de Nicolas Colbert, secrétaire du roi, et de Marie Le Mercier.

Claude Pellot fut d'abord intendant en Guyenne, maître des requêtes, puis premier président du Parlement de Normandie en 1668. Il n'occupa la charge qu'en 1670. Les parlementaires lui réservèrent un accueil plutôt froid, car ils sentaient à travers lui la mainmise de Colbert sur les libertés normandes. On ne peut lui dénier une grande compétence, qui avait fait penser à lui comme successeur de Colbert. Rouen lui doit l'aménagement du Cours-la-Reine. la réorganisation du bureau des pauvres valides, etc... Cf. Amiot, Histoire de la ville de Rouen, 1710, t. I, p. 88 ; René Herval, Histoire de Rouen, 1949, t. I I ; Frondeville, Les Présidents du Parlement de Normandie, Rouen, Lestringant, 1953.

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de faire l'affaire, voyant bien que Dieu la voulait, puisqu'il lui avait donné de l'argent. Madame de Saint Louis ayant su qu'elle agréait sa proposition, pria les messieurs (9) qui étaient venus exprès à Paris pour solliciter notre digne Mère sur cette affaire de la conclure. Si bien qu'ils en firent faire le contrat à notre parloir un samedi, premier jour-du mois d'août de la même année 1676. L'après-midi en présence de notre très digne Mère et de la communauté, on nous en fit la lecture, sur les 6 heures et demie du soir, mais toutes habiles que sont nos Mères dans les affaires et tous les messieurs qui étaient aussi présents, [ ils ] ne prirent point garde qu'il était porté dans ledit contrat que ladite dame de Saint-Louis nous voulait bien louer, durant l'espace de 9 ans, des maisons lui appartenant. attenantes à celle qu'elle nous vendait, qui nous pouvaient être utiles pour nous accommoder, à la charge que nous lui en donnerions, par an, onze cents quatre vingt dix livres ; et comme notre digne Mère n'avait pas encore vu ce qu'elle achetait et qu'elle ne savait pas si elle avait besoin de ces maisons, elle ne devait y consentir qu'en cas qu'elles nous fussent utiles et, partant, il était nécessaire d'y mettre ce mot : « en cas de besoin », afin de n'en être pas chargées, si elle eût vu qu'elles ne nous étaient point nécessaires. Mais la Providence permit que personne n'y pensa, si bien que nous avons été obligées de les garder durant ces 9 ans et d'en payer la somme de 400 écus moins une pistole par chaque année. Voyez quelle charge après lui avoir donné 30 mille livres de sa maison qui n'en valait pas 10 ! Il est vrai qu'elles étaient louées, mais nous n'en tirions pas l'argent que nous lui donnions, et presque à chaque année l'on rabaissait du prix pour que nous n'en demeurassions pas chargées sans en rien avoir du tout.

Ce contrat donc fait et lu, il fallut le signer, ce que notre digne Mère voulut faire devant le très Saint Sacrement, si bien qu'elle quitta tous ces messieurs qui étaient au parloir, prit le contrat, disant à quelques-unes de nos Mères de la suivre, et toutes celles qu'elle rencontrait dans la maison, elle les appelait, leur disant : « Venez avec moi, mes Sœurs, prier la très sainte Mère de Dieu que nous ne fassions rien que pour la gloire de son Fils ». Elles descendirent donc au chœur avec elle ; où étant, notre digne Mère prit l'image de la très sainte Vierge qui était en relief sur l'autel. Elle la mit sur le petit banc proche la grille où l'on se met à genoux pour communier, fit mettre deux chandeliers et cierges allumés à ses deux côtés et se baissa la tête contre terre, profondément, à ses pieds, disant plusieurs prières avec nos Mères.

Elle demeura encore après plus d'un quart d'heure en oraison en cette posture, où elle était si abîmée en Dieu qu'elle ne pensait point qu'il

était fort tard et qu'on l'attendait, si bien que la Révérende Mère Sous-Prieure [ Anne du Saint Sacrement ] (10) fut obligée de l'envoyer avertir

que les messieurs s'ennuyaient de ce qu'elle ne venait point et qu'elle eût la bonté de venir promptement, ce qu'elle fit aussitôt dans son esprit de soumission, signant dans le moment, au pied du Saint Sacrement et de la sainte Vierge, Mère de Dieu, le contrat qu'elle retourna porter au parloir avec celles qui l'accompagnaient, pour que toute la communauté le signât, ce que nous fîmes toutes à genoux. Ensuite elle donna aux messieurs les 30 mille livres, argent comptant, pour l'achat de ladite maison de Madame de Saint-Louis, pour lui faire tenir en sûreté, si bien que ces messieurs s'en chargèrent.

L'affaire donc faite, notre digne Mère travailla aussitôt pour nous faire homologuer au Parlement de cette ville, ce qu'elle obtint sans peine. Monsieur le Premier Président [ Petiot , étant assez aise de ce que Madame sa belle-soeur nous avait vendu sa maison, étant son profit, pour se mieux placer, n'avait garde de nous refuser. Nous eûmes toutes faveurs par son moyen et la chose se fit facilement, peu après le contrat fait.

Nous pouvons assurer que notre digne Mère agit en cette affaire bien au-dessus d'elle-même, car, comme Notre Seigneur lui avait fait connaître la manière crucifiante dont il voulait conduire cette oeuvre, quand elle nous en parlait, elle nous disait qu'elle serait la maison de son abjection, qu'elle avait une si grande répugnance à la faire qu'elle en établirait plutôt dix autres que celle-là , qu'il n'y avait que la seule vue de la volonté de Dieu qui la lui faisait entreprendre. Aussi la lui manifesta-t-il clairement, car, comme l'on était sur le point d'arrêter l'affaire, elle pria ses amis d'offrir mille pistoles de sa part, qu'elle aurait données de tout son coeur, à ce qu'elle m'a dit elle-même, pour la faire rompre. Ce qui lui donnait plus envie de cela, c'est qu'elle voyait devant Dieu la sainteté qu'il voulait de cette maison, et comme son humilité profonde l'occupait toujours de son indignité à travailler à l'y faire honorer et glorifier, croyant qu'il fallait une âme plus sainte qu'elle pour lui procurer cette gloire, elle tâchait de faire son possible pour empêcher cet établissement ; mais la chose réussit bien autrement qu'elle ne prétendait, car le jour que l'on croyait que tout allait être rompu, Notre Seigneur fit tout conclure : comme elle vit cela, elle dit : « Il faut se soumettre, Dieu le veut, il faut marcher ».

(9) L'extraordinaire manuscrit, connu sous le nom de Livre des fontaines et offert par Jacques

Le Lieur en 1525 à la ville de Rouen, signale, sur la bande de parchemin qui décrit le cours de la fontaine d'Yonville, la « maison Caradas..., nom d'une des familles les plus distinguées de Rouen ». Nous trouvons un Caradas-Desquesnes, bailli de Rouen en 1409. (Cf. Nicétas Périaux, Histoire de lu ville de Rouen, réédition Luneray, Bertout, 1970). L'émissaire principal de Madame de Saint-Louis se nommait Bonneval de Caradas. Nous connaissons, par ailleurs, un François de Caradas, sieur du Héron, conseiller au Parlement, décédé le 19 septembre 1693. Cf. E. de la Querière, Notice sur un ancien manuscrit relatif au cours des fontaines de la ville de Rouen, Rouen, Nicétas Périaux, 1834, p. 30, et Archives de notre monastère.

(10) Anne Loyseau, issue d'une célèbre famille de magistrats. Née en 1625, elle fit profession au monastère de la rue Cassette en janvier 1662. Sous-prieure de ce monastère, elle y succéda à Mère Mectilde dans la charge de prieure, d'avril 1698 à avril 1699. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 354.

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PREMIER VOYAGE A ROUEN : 8 MARS 1677

Elle partit donc de Paris, la première fois, pour aller en cette ville voir la maison de Saint-Louis, qu'elle avait, comme je vous l'ai déjà dit, achetée pour commencer cet établissement, l'année en suivant, 1677, le huitième jour du mois de mars, premier lundi de carême, à huit heures et demie du matin, accompagnée des Révérendes Mères Sous-Prieure [ Anne Loyseau J (11), Hostie et Thérèse de Jésus (12). Elles avaient écrit à une dame de leurs amies pour l'avertir de leur venue, afin qu'elle eût la bonté de leur faire donner des clefs et accommoder quelques chambres dans cette maison pour s'y pouvoir loger. Les religieuses l'avaient quittée depuis quelques mois, si bien que le très Saint Sacrement n'y était plus ; personne ne l'occupait. Cette dame reçut cette nouvelle avec bien de la joie et disposa toutes choses de son mieux pour les bien recevoir. Il est vrai que, quand elles arrivèrent, elles furent reçues à peu près comme Notre Seigneur dans la ville de Jérusalem, avec la joie et l'applaudissement de tout le monde. Une partie du peuple criait : « Voici les bénites du Seigneur ; qu'elles soient les bienvenues ! ». Mais il fallait voir notre digne Mère dans cette rencontre ; elle qui est si libérale et si pleine de compassion pour les pauvres, plusieurs se trouvèrent présents qui lui demandèrent l'aumône. Elle leur jetait à poignée les doubles et les sols, car sa coutume quand elle va en voyage, c'est d'avoir toujours une bourse pleine de pareille monnaie pour leur distribuer. C'est la première chose à laquelle elle pense, et elle ne partirait point qu'elle ne l'eût entre ses mains ou qu'elle ne sût que celle qui l'accompagne l'ait. Il lui semble que les voyages ne seraient point bénis de Dieu, si elle ne faisait la charité à tous les pauvres qui se rencontrent par les chemins ; mais suivons son arrivée. Ces misérables, qui voyaient sa grande libéralité, redoublaient leurs cris d'allégresse et recommençaient toujours : « Les bénites du Seigneur, qu'elles soient les bienvenues ! ». Ensuite on leur donna les aubades des tambours et des violons, que l'on fit jouer toute la nuit au bas de leurs fenêtres, pour marque de la réjouissance de leur arrivée. Le lendemain et les quinze jours qu'elles restèrent ici, tous les messieurs de la ville, présidents, conseillers, etc..., vinrent faire leur compliment à notre digne Mère. C'était à qui lui ferait honneur, car il y avait plusieurs années qu'elle était dans une grande réputation dans cette ville (13), si bien que l'on ne parlait d'elle que comme d'une sainte qu'elle est, car sa vertu est au-delà de tout ce qui se peut imaginer ;. c'est donc ce qui lui attira la vénération de tout le monde et la joie publique de son heureuse venue, d'autant plus qu'il y avait longtemps qu'ils aspiraient et demandaient l'Institut dans leur ville. Vous pouvez juger de cette première réception, ce que nous pouvions espérer dans la suite et si nous n'avions pas lieu de croire que notre Maison allait être établie en peu de temps. Mais il n'en a pas été de même que nous pensions, car il n'eût pas été raisonnable que les servantes eussent été mieux traitées que leur divin Maître, et il fallait que les épouses eussent rapport à leur aimable et adorable Epoux mais vous savez comme, après son entrée triomphante en Jérusalem, les mêmes qui l'avaient reçu le maltraitèrent et crucifièrent et enfin le firent mourir honteusement. Après cet exemple-là, ne nous plaignons point s'il a permis que ces messieurs, nous ayant reçues à l'abord avec tant d'applaudissements et de témoignages de bonté, nous ont traversées et crucifiées dans la suite par les oppositions qu'ils nous ont faites pour l'achat de notre maison. Il en faut bénir Dieu, puisqu'il est croyable qu'il s'est glorifié dans nos peines.

La première chose qui affligea notre digne Mère fut de voir la maison de Saint-Louis, dont, comme je vous l'ai dit, on lui en avait fait payer 30 mille livres, qui n'était pas habitable, n'étant propre que pour la

demeure des rats et des souris, dont selon les apparences il y avait grand nombre. Cette digne Mère, dans son égalité qui fait qu'elle ne s'ébranle

jamais de rien, en bénit Dieu et adora sa Providence qui avait permis la conclusion d'une pareille affaire où elle se voyait trompée. Elle se mit aussitôt en devoir d'en chercher une autre pour nous loger, en même temps elle écrivit à la Révérende Mère Prieure de l'Hospice (14), qui était à notre première maison de Paris, pour la supplier de faire faire des prières pour ce sujet, parce que son ordinaire est de ne jamais rien entreprendre ni conclure, que devant [ auparavant ] elle n'implore le secours de Notre Seigneur, afin qu'il lui donne les lumières nécessaires pour connaître ses saintes volontés et bénisse ce qu'elle veut faire pour sa gloire. Cette bonne Mère, ayant reçu sa chère lettre, ne manqua pas aussitôt de faire faire des prières pour cela, en commun, extraordinaires,

(11) Soeur Marie Hostie du Saint-Sacrement reçut l'habit le 25 mars 1659 des mains de Mgr de Maupas du Tour, et fit profession le 2 avril 1660. En 1687, elle était dépositaire, c'est-à-dire économe, du monastère de la rue Cassette. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 109, etLettres Inédites, 1976, p. 201.

(12) Marie de Brumen ou Brumel (M"e de Saint Vincent), fille de Louis de Brument ou Brumel, lieutenant général de Neufchâtel et d'Anne Berthou. Née en 1635, elle prit l'habit le 11 janvier 1661 et fut reçue à la profession le 8 février 1662 par Mgr André du Saussay, évêque et comte de-Toul. Cf. Arch. Nat. LL 1709.

(13) Connue et appréciée de Mgr Harlay de Champvallon, Mère Mectilde l'était aussi de son successeur, François Rouxel de Médavy de Grancey. Plusieurs religieuses du monastère de la rue Cassette étaient originaires de la région de Rouen ou apparentées à des familles rouennaises. Nous savons aussi que saint Jean Eudes estimait grandement Mère Mectilde et son Institut. Or, il venait de fonder un séminaire à Rouen et avait été appelé à y précher une mission du 31 janvier au 7 mars 1667. Cf. Arch. dép. Seine-Maritime. G. 2196. Charles Berthelot du Chesnay, Saint Jean Eudes, Namur, 1958, p. 168 175 C. de Bar, Documents, 1973, p. 247.

(14) • Bernardine Gromaire, professe en 1629, puis prieure en 1637 du monastère de Rambervillers (Vosges). En 1652, elle rejoignit Mère Mectilde à Paris. Elle fut toujours le plus ferme appui de Mère Mectilde. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 220 - 227, et Lettres Inédites, 1976, pass.

32 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 33

deux fois le jour, le matin et après vêpres. Chacune priait de son mieux pour obtenir du ciel qu'il manifestât à notre digne Mère le lieu qu'il avait destiné pour commencer cette œuvre. Nonobsthnt tant de prières de toutes nos communautés de Paris et de Lorraine (15), elle fut, durant les quinze jours qu'elle demeura ici, toujours à chercher et aller de maison en maison sans trouver ce qu'elle désirait. Enfin, comme Notre Seigneur ne lui donne jamais les choses qu'à la dernière extrémité quand il n'y a plus de remise, prenant plaisir de toujours faire épreuve de sa grande foi et de son amoureuse confiance en lui, qui ne désiste jamais, quelque chose contraire qu'elle voie arriver qui traverse ses desseins, le dernier jour au soir qu'elle avait retenu le carrosse pour s'en retourner le lendemain matin à Paris, on lui vint dire qu'il y avait encore une maison à lui faire voir que l'on croyait qui pourrait être propre pour nous mettre dans le moment. Elle s'y en alla et la trouva justement à son gré, ne pouvant pas avoir autre chose de plus dans le présent. Sans perdre de temps, elle l'arrêta et la loua pour la somme de sept cents livres, si bien qu'elle a été celle que nous avons toujours occupée jusqu'à ce que nous ayons été au Château.

Mais devant que de la ramener à Paris, je ne peux que je ne dise un mot de la disposition intérieure d'abjection où Dieu la mit dans ce voyage, si bien que, nonobstant tous les honneurs qu'on lui rendait, elle était si abîmée dans la profondeur de son néant que, quand elle entra dans la ville, elle crut qu'elle allait abîmer [ être détruite ] à cause d'elle. Comme elle fut obligée d'aller voir plusieurs maisons et de rendre visite à beaucoup de personnes considérables, elle ne se produisait qu'avec peine, ce qui lui faisait dire souvent à celles qui l'accompagnaient : « Mes Soeurs, c'est sous votre hospice que je vais, car sans vous autres, Dieu m'abîmerait ». Ce qui la pressait fort d'en sortir, croyant qu'elle y attirerait la malédiction de Dieu.

Elle s'en retourna donc à Paris le lundi de la quatrième semaine de Carême, 29 de mars de la même année 1677. Comme elle était si fort plongée dans la vue de son indignité, elle s'étonnait beaucoup comment nous pouvions avoir de la joie de son retour. Il aurait été assurément bien plus surprenant si nous n'en avions pas eu, car elle a le don en elle, seulement à la voir, de produire en l'âme ce fruit du Saint Esprit.

Mais la Providence a paru miraculeuse sur cette oeuvre pour la faire commencer, car, comme notre digne Mère n'avait point d'argent

et qu'elle ne pouvait se résoudre de rien entreprendre qu'elle n'en eût, quoique tous les serviteurs et servantes de Dieu qu'elle voyait la pressaient d'aller vitement établir, l'assurant que Notre Seigneur le voulait, nonobstant elle ne pouvait y consentir, ne voyant rien venir. Mais un jour qu'elle était en oraison, elle dit à Notre Seigneur tout simplement : « Je n'irai point à Rouen, car je n'ai point d'argent et je ne saurais

(15) Toul, Rambervillers, Nancy. Pour l'histoire de ces fondations, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 214 - 285, et Lettres Inédites, 1976.

y aller que je n'en aie. Puisque vous ne m'en donnez pas, c'est une marque que ce n'est pas votre volonté que j'y aille et que je fasse cette oeuvre pour votre gloire ». Dans le moment, il lui fit un reproche sensible du peu de confiance qu'elle avait en sa bonté, lui disant : « Petit avorton, peux-tu me dire que tu en as manqué dans ton besoin ? Ne t'en ai-je pas toujours donné ? Ma Providence n'a-t-elle pas été admirable à t'assister ? ». Ces paroles la terrassèrent et la renfoncèrent si fort dans l'abîme de son néant qu'elle se trouva si petite, si honteuse et confuse en sa divine présence, qu'elle n'osa lui répliquer et, quelques jours après, il lui en donna par une voie à laquelle elle ne s'attendait pas ; et elle dit agréablement qu'en cette occasion Notre Seigneur lui avait fait comme un maître qui dit à son valet : « Tiens, voilà de l'argent, va-t-en faire ce que je te commande » ; qu'il l'avait envoyée ainsi faire son oeuvre et qu'elle n'avait pu y résister davantage. Mais comment n'admirerons-nous pas cette adorable Providence qui s'est servie, après huit ans, de cet argent qu'elle lui avait donné pour faire cette Maison et qu'elle n'aurait pu faire si elle ne l'avait eu, pour lui attirer les plus grandes humiliations et l'affliger de la plus sensible croix qu'elle pouvait jamais avoir en sa vie, par les injustices et les noires calomnies que l'on a faites à son innocence et à la probité de sa sage conduite (16). Mais je n'en dirai rien ici davantage. Cette histoire étant écrite autre part, il n'en faut pas parler, sinon que c'est bien à ce sujet qu'il faut dire ces paroles : « O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei » etc... [ Rm. 11,33 ]. O abîme profond des richesses de la sapience et de la science de Dieu, que vos voies nous sont cachées et vos conduites impénétrables à l'esprit humain ! Il faut se perdre dans vos providences en les adorant, puisqu'il nous est impossible de les concevoir et pénétrer, mais il faut bien croire que la croix, l'humiliation, l'abjection et les souffrances sont quelque chose de bien grand et de bien précieux, puisque Dieu, pour récompenser une âme des fidèles services qu'elle lui a rendus en lui procurant tant de gloire, comme a fait notre digne Mère, n'a rien trouvé de plus précieux dans les richesses et les trésors éternels de ses grâces, pour lui en donner la récompense dès ce monde, que de la crucifier aussi douloureusement qu'il a fait et qu'il continue de faire tous les jours. N'avons-nous pas lieu de nous persuader que sans doute les souffrances sont ce bienheureux centuple que Notre Seigneur promet dès cette vie à ceux qui quittent tout pour le suivre ? Heureux donc et très heureux ceux et celles qui ont le bonheur d'avoir part à l'amertume de son calice et d'expirer en son amour sous le pressoir de la croix ! Mais encore beaucoup plus heureux ceux qui les savent recevoir et soutenir comme a fait notre digne Mère, qui les a portées comme un ange et sans perdre un moment de sa paix et de sa tranquillité, demeurant toujours dans son égalité, sans qu'il ait paru en elle le moindre changement durant les trois ou quatre années qu'elle a été si douloureusement crucifiée.

(16) Cf. lettre du 24 décembre 1678 et n. 21.

Iiit ON DAT ION DE ROUEN 35

/04 in vi1 pt N,111 it ( it PI Hl I tnsii)Alliti I ; I: \ (n'a 1677

ctic aiinabic Nicfc..1ant dont: leo ce secours. sI rcil il tendu, connu/ c_ lait crt1CIII la volotlic de Dieu et qu'il nt voulait plu, de retardement

crttc Nials.oit, frit in ic\oliition (Ic Ir le plus tôt qu'elle pourrait

pou! venir rclahlu Cil 4.:(11C ille, 1 a Rc\ Cil& Sous-Prieure

I Anne I 0\ seau à révèlence pour ;iller toujours devant

elle it1esitfr les choses en état afin que, quand elle irait, elle pût trouver la maison dans quclquc ordtc ct lisposce pour commc..m.ser l'établis-

sement. 1 .Ili c-onsentit volontiei, et lui teinoigna lui titre obligée

du ?tale qu'ellc avait de vouloir contribuer la gloire de Notre Seigneur en avançant (,r1 œuvre, Nt Mien qu'il tut IC5Olu qu'elle partirait l'onzième joui du mois d'aoilt de cette mèrne armee 1677, avec les Mères de l'Enfant iésuN (17) d de ti:fHJlcMecthilde t 18)(1 t.10 deux chcrei Stuurs converses : Sainte Aritlr t 1')) et Saint Jo›eph (20). L'on arréta le carrosse pour ce joui -la. mals. comme notre digne M&re avait promis à Monsieur et ît Madame I ô^ seau, frere et scuur (le la Nière Sous-Prieure (21) qu'elle irait en passant les voir chez eu\ a une maison qu'ils ont à deux lieues de Paris, elle voulut leur tenir sa parole, si bien qu'elle

I N.“.(”' fin, di- Jean 1 serrait Zoecily et d'Aimée d'Ancoun. Née à Paris, sur la paroisse Saint-

( etc, 1',,- ro 161Y, elk prit ntabli en janvier 1637 au monastère de la rue Cassette et fit profes-

k ft\>‘t I ( dr )rat. tt'Ir« Médites. 1976, p. 180.

I P Mat, NI,F,,,,ttr. !inc ck nobk homme philippe abeuret, • con,eiller et secrétaire des finances tic feu son Alt,,t- Kosallr Nion.ragneut k Duc Dortions. oncle du Roy, audiencer et garde des Roolles

tic . cl dr Jeanne t. houct, ses père et mère, native de Paris Elle prit l'habit en octo-

hic- ltee. et r ri itt pioIcssion un an après, Ses parents la dotèrent d'un capital de 4.000 livres.

dont 4(10 sri,. rt ka tuyaux de plomb destinés à ...mener au monastère l'eau du Luxembourg,

mise à la disposition dr, - clwirustia par 1a duche,,e

Ica dru). mriit a rnottent aussi au monastère de la rue Cassette. mais Mère Mectilde les envoya

l'une u la 'fondation dr !oui où elks firent profession. • Marie Anthoinette ., dite Marie Antoi-

.((lic du Smnt Seat n'Item enut ses veut le 19 f11.11 1671 et Jeanne. dite Mére Gertrude de Sainte Oppor-

MM`, niai lte4 t lies ic.ituent toutes les deux à Paris pour la fondation du second monastère,

c.c-i (rude tut longtemps dcb tbov)CeS, puis prieure dr 1709 à 1719. Mère Antoinette

sera ro, o, ornme prieuic a Itu^ ru.. lorsque cette maison demandera son agrégation à notre Institut.

en 170, I lit testa quatorze 1)C tetOtir à Paris, elle succéda a %a soeur comme prieure du monas-

tère dt-• 'saint 1 (MIN jusqu'en 1728.

Nircthildr fit panic du dsoupe des fondutiwes du monastère de Varsovie (Pologne) en 1687. I sir t rut, a rn I i /1114:C. le 17 aval 1t,91 Cf. archives de notre monastère de Varsovie.

(19) Nicole Monet (sœur Marie de Sainte Anne) prit l'habit au monastère de la rue Cassette le jan, tri ltee^. a 21 ans, rt tic profession en qualité dr convri sr le 18 octoh, 1669.

.‘^ turc konJet (strtii Api« de Saint Joseph) prit l'habit en 1673 au monasteie de lu rue e U1sette

et fit piotession k- septembre 1674. File moufle à Rouen, le 9 octobre 1718, de 82 ans et demi,

dom 44 ans de plotession A Elle fut une de ,:elles que noue Révélende Mère Institutrice tira dc notre picinière maison de Pan,, quelle envoya à Rouen en l'année 1677 pour y establir cette maison, k Révé, end Père Nicephote. irluoru). penitentt confesseur de la ditte Communauté, fit la séremonie de ses obsèques aveC une pallie de ses reMg,tiu,a k 10 o,:iobre. à 6 heures du soir .. Cf. Arclii, e, de notre inotiaNtè yr de Rouen

(2.1) t u Mère .Anne' du Saint Sacrement l.o>seau,, sous-prieure du monastère de la lue c .i\scitc avait quatre fières ei une sœur. Nous trouons dans les archives de ce monastère une autorisation délurer en clôture pour sa belle sœur et sa nièce, sein d'y faire quelques jours de retraite six fuis pat an. l a famille 1 o% seau fit partie des amis dévoues et des bienfaiteurs de notre institut dès ses commencements. ce C. dr Rat. l (tires inedites, 1976, p. 148, n. 1.

lui permit d'y aller coucher, ce qui les obligea de s'en aller le jour de saint Laurent 10 août J, sur les trois heures après-midi. Notre digne Mere, ce même jour devant que de les envoyer, à une heure, assembla la communauté et nous fit un entretien à peu près semblable à celui que notre glorieux Père saint Benoit fit à ses religieux quand il envoya saint Maur en France (22) ce qui nous attendrit toutes, l'étant déjà de la séparation de ces cheres Meres, lesquelles étaient elles-mêmes dans la douleur que vous pouvez bien juger de quitter leur Maison de profession et surtout notre digne Mère. qui leur donna tous les témoignages d'amitié qu'elles pouvaient attendre de sa bonté. En leur disant le dernier adieu. qui ne se fit point de leur part sans beaucoup de larmes, elle leur mit en mains un crucifix, leur disant qu'elles le portassent avec elles, qu'il serait leur force et leur apprendrait, par son exemple, à se tenir comme lui attachées à la croix. telle qu'il la leur présenterait, par le sacrifice qu'il exigeait d'elles en cette occasion ; ensuite elle leur donna sa bénédiction et les embrassa toutes avec une tendresse de Mère.

Aussitôt qu'elles furent parties, elle se ressouvint qu'elles n'avaient point de saintes reliques. Elle envoya promptement une demoiselle de ses amies après elles. pour leur en porter une boite de sa part. qu'elles reçurent avec grand respect. mais qui les attendrit de nouveau pour notre digne Mère, se ressouvenant qu'en cette rencontre elle imitait notre glorieux Père saint Benoît qui envoya le même présent à saint Maur par deux de ses religieux. sur le chemin. quand il l'envoya porter sa sainte Règle en France.

Ensuite, tout d'un coup il s'éleva un grand orage de pluie. de vent, d'éclairs et de tonnerre. qui mit notre digne Mère en grande peine qu'il ne leur arrivât quelque accident. Elle disait toute en douleur : « Hélas, si je l'avais su. je ne les aurais pas fait partir, d'autant que le temps ne le marquait point du tout, étant beau quand elles se sont en allées ». Je crois, sans doute. que ce furent ses saintes prières qui firent arrêter l'orage et les conduisirent heureusement à la maison de Monsieur et Madame Loyseau. qui les reçurent avec grande joie et les firent traiter magnifiquement. Le lendemain au matin, le carrosse de Rouen qu'elles avaient arrêté pour elles seules les vint prendre, étant encore accompagnées d'une demoiselle de leurs amies et d'une des Soeurs tourières de Paris, que notre digne Mère leur avait donnée, afin d'avoir soin que rien ne leur manquât et qu'elle leur achetât les choses qui leur seraient nécessaires, se doutant bien qu'à l'abord elle n'en trouveraient point si facilement qui leur fussent propres.

(22) Sur la légende de l'envoi de saint Maur en France, par saint Benoit. cf. Dom Philibert Schmitz, Histoire Jr l'Ordre de saint Benoît, Ntaredsous, 19-1S, t. 1, p. 37 et sq.

36 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 37

Le lendemain elles eurent une rencontre qui les effraya bien. Etant sur le chemin de Fleury (23). passant par un bois où l'on disait qu'il y avait quantité de voleurs, il se présenta à leur portière un homme qui avait bien méchante mine, qui leur demanda l'aumône, faisant fort le pauvre et le misérable. Aussitôt la Mère Sous-Prieure lui fit la charité, mais lui, ne se contentant point de ce qu'on lui avait donné dans le moment, retourna à l'autre portière redemander encore l'aumône ; ce qu'entendant, la Mère Sous-Prieure lui dit : « Mon ami, nous venons de vous donner, Dieu vous bénisse. il n'y a rien davantage ». Cet homme, faisant toujours le pauvre. se mit à siffler, ce qui donna beaucoup de frayeur à nos Mères aussi bien qu'au cocher qui ne savait que faire, car il était seul d'homme pour les défendre ; il fut même obligé de descendre de dessus ses chevaux pour le faire retirer, car il ne voulait pas s'en aller. Elles crurent que c'était un voleur qui donnait le mot du guet à ses camarades qui étaient dispersés de côté et d'autre dans ce bois, pour venir avec lui se saisir de leur carrosse. Ne sachant donc que faire et ne voyant point de moyens d'avoir aucun secours, elles le demandèrent au ciel et se mirent en prières. La Mère Sous-Prieure, pour leur plus grande sûreté et défense, prit le crucifix que notre digne Mère avait donné, qu'elle mit à une portière, et à l'autre l'image de la très sainte Vierge, suppliant Notre Seigneur et sa très sainte Mère de les garder ét préserver d'accidents. Leur foi et leur confiance aussi ne furent pas vaines, car, quoique cet homme les poursuivît près d'une lieue, il ne leur fit pourtant rien, ce dont elles rendirent grâces à Dieu, voyant bien que sa bonté les avait protégées et les avait

fait heureusement arriver au soir en cette ville, le 12 du mois. Ellesfurent logées à la maison de Saint Louis, où elles ne purent demeurer que huit

jours, ce lieu n'étant pas habitable, durant lesquels elles ne laissèrent pas d'aller à celle que notre digne Mère avait louée pour commencer l'établissement, afin de voir ce que l'on pouvait faire pour l'accommoder, en sorte qu'on y pût faire les fonctions religieuses dans toute la régularité possible dans un commencement de maison. Elle prirent pour cet effet le conseil de personnes entendues dans les bâtiments et des messieurs de leurs amis. Après avoir bien consulté ce qui se pouvait faire de mieux, la Mère Sous-Prieure fit venir des ouvriers pour y travailler en diligence. Mais, voyant qu'ils n'avançaient pas aussi vite qu'on le désirait, et que, d'un autre côté, elles ne pouvaient rester davantage à Saint-Louis, elles prirent résolution d'y aller demeurer, quoiqu'il n'y eût encore rien d'accommodé, espérant qu'étant présentes, elles feraient mieux faire les choses et hâter les ouvriers qui ne se pressaient pas. Elle y firent donc porter des lits et les petits meubles qu'elles avaient et y vinrent coucher quelques jours.

La Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly I, qui s'était trouvée mal dès le second jour de leur arrivée et qui, depuis, avait été toujours languissante, tomba tout d'un coup malade à l'extrémité. Jugez de la peine de nos chères Mères et Sœurs, tant par la douleur qu'elles avaient de voir cette chère Mère si souffrante que par l'embarras où elles se trouvèrent parmi le grand nombre d'ouvriers qui travaillaient dans la maison, où tout était sens dessus dessous, rempli d'ordures et de platras, sans encore aucun accommodement, n'ayant ni linge ni autres choses nécessaires pour le soulagement d'une malade, et par la fatigue extrême qu'elles avaient tant à la soigner qu'à la veiller. Car elles furent plusieurs nuits sans presque prendre de repos que quelques heures en passant, encore bien dans l'inquiétude, et les unes après les autres. Si bien que tous les jours, comme on était en été et que les ouvriers venaient de grand matin pour travailler, elles étaient surprises par eux, n'ayant aucun lieu pour se retirer sans être vues, excepté quelques rideaux qu'elles avaient mis devant leurs paillasses, qui étaient jetées à terre sur le plancher dans les chambres en haut ; si bien que souvent ils les trouvaient [ en arrivant travailler 1, ce qui leur était une grande mortification qu'il leur fallait bien souffrir malgré elles, avec toutes les autres qui se rencontrent dans un commencement d'établissement. Elles n'entendaient la sainte Messe que les dimanches, les fêtes et les jeudis, car elles ne sortirent point du tout, gardant une exacte clôture pour elles, car, pour les séculiers, ils entraient dans la maison n'y ayant encore rien de clos. Un religieux Pénitent (24) la venait dire dans le lieu qu'on avait destiné pour faire l'église. Or, comme on y travaillait actuellement, la nuit du jour qu'on la devait dire, elles la passaient à tout ôter : les plâtras, les copeaux et les restes des ordures des ouvriers qui étaient en grande quantité, ce qui leur donnait une peine incroyable, et d'autant plus qu'il leur fallait dresser un autel, et porter et rapporter ce qu'il fallait pour l'accommoder avec les ornements nécessaires pour dire la sainte Messe. Comme tout était encore dans les ballots, que l'on ne voulait point défaire durant que les ouvriers travaillaient, pour éviter qu'ils ne fussent gâtés dans la poussière, la chère Mère de Sainte Mccthildc citait obligée de les défaire et raccommoder chaque fois que l'on disait la sainte Messe et que la Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly I désirait de communier ; or, comme il fut un temps qu'elle le demandait presque tous les jours, et que la Mère Sous-I'rieure Anne 1 oyseau I, qui tâchait de la contenter en toutes choses, ne voulait la priver de cette consolation, elles étaient tuées par la grande fatigue qu'elles avaient, car, avec l'église qu'il fallait, comme je vous ai déjà dit, toujours de nouveau accommoder et nettoyer, ne la

(23) Actuellement Fleury-sur-Andelle, ch.-I. de cant., arr. des Andelys, Eure, à 99 km de Paris. Au XV Ile siècle Fleury faisait partie du diocèse de Rouen. Près de là, à Radepont, se trouvent les ruines de l'abbaye de Fontaine-Guérard, fondée en 1135 et affiliée à Cîteaux en 1219.

(24) Les religieux de l'ordre de saint François s'établirent à Rouen en 1522, non sans difficultés. Ils n'y furent autorisés par l'archevêque de Rouen qu'en 1609 et s'installèrent au faubourg Bouvreuil, gràce aux libéralités de Damoiselle de Rassent, veuve de Monsieur de (iouville, puis, en 1612, dans un endroit plus spacieux, en la rue Saint-Hilaire. Le président de Motteville fut un de leurs insignes bienfaiteurs. Cf. J. Amiot.op. ci!. t. 111. p. 429 et sq.

rti Altil IWO tH «Mt FONDATION DE ROUEN 39

Oint\ ;oit 4 (orirtiuniCi qiir I on nc dit la sainte Messe. l'on écot encore

d( di( autel s bit chambre pour po ,ber le tr6

riwnt t lir, k fai\airnf toutes avec un grand courage. animées de ferveur ri ‘ic oust ac, qui tic leur permettait las d'envi%ager leur peine. mais rmbriii%sment généreusement pour l'amour Je Notre Seigneur, lui offrant d( tout leut ‘it tif cette ‘ttere rimiatics qui .tilait touiouis en

(-militant t n sou. lift crut qu'elle pavter. cc qui ohligea de

ic( omit I r‘tième.onetion,, avant défia communie en viatique, on

en diligence prier M. le ( tiré de la paroisse Sainte.Crop,-Saint( )tiers (-."). sut qui r011 était, IrlipptHiCr k% saintc\ huiles, ce qu'il fit aussitôt Mais, quand il ,.int pour lui appliquer, il demanda de la cendre, etant lai e oittunic ici den mettre sur le citut. l .1 \Ici(' Sois-Prieure oui ut pi iptement à ma Sieur saint Joseph t R andel Ï lut en demander. lle la trou‘ a fort oct. upee a faire fondre du bruire. t~ e que voyant, dans

un ternr% Ait avait bien auire 'ho a taire. la malade se mourant,

clic lui demanda qu'elle L. int sc,outti llities et lui dit un peu

ti^ (-ment * mua Enfant, a quoi t'amuses-tu a lheure qu'il est ?

ends moi ion tetirrt c l le Jette par la fenêtre, que je ne le c oie plus

( cm- 1-^onne S(rtu est assez plaisante de son humeur. lui répondit

dans \.1 inaniët c otdtimiic :• \Le c. que je jette ce beurre ? I )ieu m'en

raide e hon Prie confesseur, qui était pre sent a ce discours. dit au

heir qui ttmpai de lui ;ode!, inai elle, (ian a franchise lui

repartit . n Qu'il mon Per e. il ne le petit pas j'aurais peur

qu'il ne le fit hrtder. il faut que j'y soigne moi-même Et se doutant

hirti que, tant que la !Ocre Sous-Prieure la verrait auprès, elle ne lui

dotinelmt th: !CÇOS et lui dirait toujours de le jeter par la fenêtre,

f 11 it dans le mottent sa chaudière tout fumante qui commençait à bouillir et alla fia pomr-r dans la Chasuble où l'on avait serre lotis les beaux ornena,-nts et toutes les cho%e% conccinant regike, parce qu'on en voulait Lin(' la s.“..11.110 f `ct.tli pour tout perdre, L'ai» c'est une horrible senteur

(tue le heurte tondu. t ne dit dans Saints anges, saintes

atIleN 11114;itcUre, je \ OUS rabanti011ne, ayer en sain s. C'est sa bonne

,.outuine de les in\ °quel et de leur demandei secouis dans son travail, pal ticulieiement quand elle est bien pressee, afin qu'ils l';Issistent. CC eveinnente sou‘ent. 1-asuitc elle s'en alla avec les autres assister la malade, :a qui on donna re\ti eine onctiOn, qu'elle reçut avec une si

t,nande dei otion et application 'Mc:meure editia beaucoup NI. le

taie et tous les assistants plusieurs pci-sonnes seculieres étaient

présentes, la clOture n'y étant paso etkole.

iemn aettate Dutu cuir, nomme le '.!0 décembre 1674 Las poiroie n'et.ur d'aboi d qu'une delk.n

drowe de l'ebba>c Je Sruot-Ouen I- ire tut longtemps une cause de litige entre Ir a,pitie de lu ‘:,ulte draie et l'abbst>r, PO« ta cols taon du henctu:c 1 cs ,epuitureb relevec, ddip, ecttc cosse monterai qu'elle cul de riehra bienfaiteurs, dom nous icnou^onb plusieurs, des,:rird.urts doua notre prupic

Natoire le, familles Puchot. Maignard de ticiniétes, de Koncherolles, Mdmioury. Cf, J. Amiut,

11 I I 1. p, 410 - .4?3

Quelque temps après. la malade fut soulagée, si bien que le matin elle se trouva mieux et depuis ce jour fut hors de péril, ce qui réjouit beaucoup nos \léres, qui étaient très affligées de sa perte, singulièrement notre digne \fere. qui faisait toutes sortes de voeux au ciel pour obtenir sa guérison, que nous pouvons bien attribuer à ses saintes prières (26). Ce qui l'affligeait le plus sur la perte de cette bonne Mère, c'était parce qu'elle savait bien qu'elle avait fait un grand sacrifice et une terrible violence sur elle-même de quitter sa Maison de profession pour aller à cet établissement, que ce n'avait été que la force de l'obéissance qui l'y avait obligée et que peut-être la peine qu'elle en avait eue l'avait réduite à cette extrémité. Notre digne Mère,, qui est toute bonté et qui a une tendresse pour ses Filles qui ne se peut comprendre, avait le coeur navré de douleur et si touché qu'on ne la pouvait consoler. Elle ne parlait d'elle que de grosses larmes aux yeux et croyant ne la plus revoir en ce monde et que Dieu en voulait disposer. Elle lui écrivit ses voeux, qu'elle lui envoya avec des lettres si belles, si tendres et si pleines d'affection que toutes les personnes qui les virent en furent admirées (sic) autant que pénétrées de la bonté de son cœur et de son amitié pour ses Filles.

Mais, pour revenir à ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet j. laquelle le matin, voyant la malade beaucoup soulagée et qu'il n'était pas nécessaire que toutes demeurassent auprès d'elle, s'en alla promptement voir comme était son beurre, pour tâcher d'achever de le faire cuire. Elle fut bien surprise de le trouver fait et autant beau et bon qu'il s'en pouvait voir, et j' I assure que. depuis qu'on est à Rouen, l'on n'en a jamais mangé de si bon et de si bien fait que celui-là, ce qu'humainement ne pouvait être, n'axant presque pas bouilli. On l'attribuera à ce qu'on voudra. mais. pour elle, elle croit qu'il y a eu du miracle, aussi bien pour les ornements conserves qui n'en furent point endommagés, pas plus que si ce beurre ni eût pas été mis. La Mère Sous-Prieure, le voyant ainsi. fut fort aise et de ce que Sœur de Saint Joseph ne lui avait pas obei simplement, car elle nous a dit agréablement que, si elle l'eût trouve le lendemain _jeté par la fenêtre, qu'elle en eût été bien en dépit, lui contant bien de l'argent.

\lais puisque .ie 'eus viens de parler de miracle, il faut que je vous rapporte encore une chose que l'on peut nommer ainsi et qui paraît miraculeuse. C'est comme on était ensuite à faire le clocher. L'échafaud où etaient montes les ouvriers tomba du premier étage, qui est assez

haut. bruit. quelques personnes qui étaient dans la maison avec

nos Mères \ coururent, criant misericorde au Seigneur, qu'il les préservât d'accident. Dans le moment. il fut arrêté sur le bord des ardoises avec tous les hommes qui etaient dessus, sans qu'aucun fût blessé, ni tombât, ce qui fit admirer la protection de Dieu et, comme il les avait secourus

(26) Cf. 2 partie, les lettres de Mère Me,:tilde des mois d'août et septembre 1677.

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dans ce péril, ce dont nos Mères lui rendirent des actions de grâces. Mais nous ne pouvons assez louer la Mère Sous-Prieure de son soin pour avancer la maison qui, nonobstant tout l'embarras et toute la peine de la maladie de la Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly ], ne laissa pas de toujours faire travailler les ouvriers, qui ne désistèrent pas un moment quelque mal qu'elle fût, si bien qu'en six semaines de temps elle mit la maison en état que notre digne Mère y pouvait faire l'établissement. Voyant la maladie de la Mère de l'Enfant Jésus, de longue durée et, qu'elles ne pouvaient pas, quatre qu'elles étaient, la secourir seules et résister davantage à la grande fatigue et à l'embarras qu'elles avaient joint, qu'étant toujours auprès d'elle, on laissait la maison à l'abandon des ouvriers et de tous ceux qui y venaient et, pour la nourriture, aux soins de quelques femmes qu'elles avaient prises pour les servir, qui faisaient une si grande dépense qu'elles en étaient toutes surprises sur les mémoires que la tourière lui en donnait, ma Soeur de Saint Joseph lui dit que c'était impossible que quatre ou cinq qu'elles étaient dépensassent tant, que cela ne pouvait pas être, et qu'il fallait qu'on en dérobât une partie, que, si elle voulait prendre quelque personne pour soigner la malade, elle ferait la cuisine et aurait soin de toutes choses. La Mère Sous-Prieure agréa cela, si bien que toutes ces raisons l'obligèrent à prier la Révérende Mère Prieure de la Madelaine (27) de lui envoyer deux de ses religieuses pour garder la malade ; ce qu'elle lui accorda volontiers avec mille honnêtetés. Elles vinrent aussitôt l'assister et soulager, et lui rendirent tous les services de charité que l'on pouvait attendre de leur hospitalité, et cela avec_ une affection et bonté qui ne se peuvent dire. Quand elle aurait été leur propre soeur, elles n'en auraient pas mieux usé et, quoique nos Mères ne laissèrent pas leurs services sans reconnaissance par d'honnêtes présents, il faut toujours dire que cette Maison est obligée à la leur par la manière honnête dont elles en usèrent en cette occasion, et par les amitiés qu'elles nous témoignèrent.

Il faut ici, devant que je vous rapporte le voyage de notre digne Mère, que je vous dise quelque chose d'assez plaisant de ma Soeur de Saint Joseph, qui, je crois, sans doute vous divertira. Vous savez que je vous ai dit au commencement que, comme elles ne sortaient point, elles n'entendaient la sainte Messe que lorsqu'on la leur disait, les dimanches, fêtes et jeudis, dans le lieu destiné pour l'église ; et ces mêmes jours elles communiaient et se confessaient à genoux aux pieds

(27) L'hôpital de la Madeleine ou Hôtel-Dieu a une origine très ancienne : on en fait mention sous le nom d'hôpital Notre-Dame dans une charte de 1197. La Communauté, qui suivait la règle de saint Augustin, était mixte, un peu comme Fontevrault. L'ancienne église se trouvait rue de la Madeleine et, d'un autre côté, rue Grand-Pont. La construction de l'actuel Hôtel-Dieu ne commença qu'au milieu du XVII' siècle, et le transfert du prieuré de la Madeleine, devenu tout à fait vêtuste, ne se fit que près de cent ans plus tard. La prieure était alors Anne Bardin, qui gouverna la communauté de 1671 à sa mort, le 17 août 1681. Cf. Amiot, op. cit., t. III, p. 101, et Th. Eude, Le Prieuré Sainte-Madeleine de l'Hôtel-Dieu de Rouen, Rouen, 1970.

du bon Père Pénitent. Un jour, Soeur de Saint Joseph s'en alla trouver la Mère Sous-Prieure et lui dit qu'elle ne pouvait plus se confesser de cette façon auprès de ce bon Père, que son capuchon et sa barbe lui donnaient dans la bouche, qu'elle en était si distraite qu'elle oubliait tous ses péchés, qu'elle était résolue de ne plus se confesser qu'elle n'eût fait mettre une grille au lieu que l'on avait destiné pour faire le choeur, avec un rideau devant. La Mère Sous-Prieure lui répondit avec une grande bonté qu'elle lui en ferait mettre une et serait satisfaite ; cela dit, elle n'y pensa plus. Le jour venu qu'il fallait aller à confesse, cette bonne Soeur ne trouvant point la grille qu'on lui avait promis de faire placer, s'en retourna à la Mère Sous-Prieure, lui disant : « Eh bien ! ma Mère, vous avez oublié de faire mettre cette grille ; je ne me confesserai ni ne communierai pas aujourd'hui ». La Mère Sous-Prieure, l'entendant ainsi parler, lui répondit agréablement : « Eh bien ! mon Enfant, j'irai pour toi, car je sais bien ce que tu as fait ; tes péchés ne sont guère cachés, je les connais bien ; en même temps, elle lui nomma quelques petites imperfections qu'elle croyait à peu près qu'elle avait pu commettre, lui disant toujours qu'elle s'en allait s'en confesser pour elle ; ce qu'elle crut tout bonnement, si bien qu'elle se mit à courir après la Mère Sous-Prieure, lui criant : « Au moins, ma Mère, n'allez rien dire à ce Père, je m'en vais à confesse ». Elle lui répartit en riant qu'elle y allât donc, et que sans manquer elle aurait une grille la semaine prochaine. Mais malheureusement elle était toujours oubliée, soit que ce fût volontairement, le choeur n'étant pas encore en état d'y en avoir, ou bien qu'on n'y pensât pas. Ma Soeur de Saint Joseph, toutes les fois qu'il fallait aller à confesse, était à tourmenter la Mère Sous-Prieure pour qu'elle lui fît mettre une grille. Enfin, un jour, voyant qu'elle ne lui donnait pas de repos, elle alla appeler ma Soeur de Sainte Anne [ Monier ], lui disant : « Soeur de Saint Joseph me persécute pour avoir une grille ; faisons-lui quelque invention pour la satisfaire, afin qu'elle ne voie plus ce bon Père ». Là-des'sus, elles s'avisèrent de prendre un vieux rideau rouge, qu'elles posèrent avec deux grands bâtons ou perches à l'endroit qu'on avait destiné pour mettre la grille du choeur. Cela fait, la Mère Sous-Prieure s'en retourna à Soeur de Saint Joseph lui dire qu'elle n'avait plus qu'à aller se confesser, que le Père ne la verrait plus, qu'elle l'avait contentée. Celle-ci s'encourut promptement pour aller à confesse, croyant que le Père l'attendait, bien réjouie d'avoir une grille qu'il y avait si longtemps qu'elle demandait. Elle se mit à genoux devant ce rideau où elle croyait que le Père était, disant : « Loué soit le très Saint Sacrement ! Mon Père, mon Père, êtes-vous là ? ». Ce Père, qui n'y était pas, ne pouvait lui répondre. La Mère Sous-Prieure et la Soeur de Sainte Anne, qui s'étaient coulées adroitement de l'autre côté, où l'on allait pour se rendre à l'église, afin de voir ce que cette bonne Soeur ferait et dirait en voyant la machine qu'elles lui avaient faites, l'entendant toujours

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appeler : « Mon Père ! », se mirent à éclater de rire. La Mère Sous-Prieure en même temps s'approcha de ce rideau, et lui dit : « Hé ! que ne te confesses-tu, mon Enfant ? ». Mais, voyant bien qu'on se moquait d'elle, le dépit la prit, qui la fit aviser de regarder ce rideau si bien accommodé avec ses perches contre la muraille, sans grille. Comme de son naturel elle n'est pas bien passive, elle se mit à dire dans son activité fort plaisamment : « Qu'est-ce donc que ceci ? Voilà une belle grille ! oh ! ma Mère, est-ce ainsi qu'on m'attrape et qu'on se moque de moi ? Oh bien ! je ne communierai pas, ni n'irai à confesse ». Et, en même temps, avec ses mains poussa le rideau et jeta tout en bas. Je vous donne à juger si la Mère Sous-Prieure et ma Soeur de Sainte Anne n'eurent pas sujet de rire de nouveau. Enfin, il fallut pourtant pour la contenter clouer ce rideau à la muraille pour lui donner facilité de se confesser, disant toujours que le capuchon et la barbe de ce bon Père lui touchaient la bouche, ce qui lui donnait tant de peine et de distractions qu'elle en oubliait tous ses péchés.

La Mère Sous-Prieure ayant donc fait accommoder la maison autant qu'il avait été possible, et fait savoir à notre digne Mère l'état où était toute chose, la pria de se rendre sans retardement à Rouen ; ce qu'elle résolut de faire au plus tôt. Quelques jours devant que de partir, étant à la récréation, elle témoigna à nos Mères et Soeurs la peine qu'elle avait de les quitter et leur dit : « Ce matin, à la sainte Communion, je vous ai toutes mises dans le Sacré Coeur de la très sainte Mère de Dieu et sous sa protection ; je l'ai priée qu'elle prît soin de vous toutes. Elle m'a répondu que je ne me misse en peine de rien, qu'elle était plus votre Mère que moi, indigne que je suis de l'être, qu'elle aurait soin de vous toutes et de vos besoins ».

SECOND VOYAGE A ROUEN DE MÈRE MECTILDE : Ir AU 3 OCTOBRE 1677

Elle sortit donc de Paris pour aller à cette fondation, un vendredi à deux heures après-midi, premier jour du mois d'octobre de la même année 1677, accompagnée de la Mère Hostie et des Soeurs de Sainte Agnès (29), de la Nativité de Jésus (30), des Anges (31) et d'une demoiselle de cette ville, qui était venue à Paris avec elle à son premier voyage pour être religieuse dans notre première Maison ; mais, n'ayant pu réussir dans son bon dessein, notre digne Mère fut bien aise de la ramener elle-même pour la remettre entre les mains de monsieur son père et de madame sa mère, qui la lui avaient confiée ; ce qu'elle fit en arrivant dans cette ville. Elle nous témoigna avoir de la joie de partir ce jour de la fête des saints Anges (32), qu'elle s'en allait sous leur protection, qu'ils nous assisteraient et nous secourraient dans notre voyage, qu'il les fallait prier et invoquer. Ensuite elle commença à dire l'antienne du très saint Sacrement : O sacrum ;[ puis les prières ] :

(29) Marie Camuset prit l'habit en décembre 1666 et fit profession le 16 décembre 1667. Lors de sa profession, sa mère offrit en plus du capital nécessaire pour sa dot, la somme de 5.500 livres qui servirent à acquitter une partie de la quittance de l'entrepreneur, M. Gabriel, pour la construction de l'église du monastère de la rue Cassette. Elle était première chantre du monastère de Rouen. Mère Mectilde lui confia la préparation des moniales de Notre-Dame de Bon Secours à Caen lors de leur agrégation à notre Institut. Cf. supra, lettres de 1684 et 1685.

(30) Anne Bertout prit l'habit en 1672, au monastère de la rue Cassette et fit profession en juin 1673. Elle n'a pas dû rester longtemps à Rouen. On fait de nouveau mention d'elle rue Cassette, en 1684.

(31) Mère Monique des Anges (1653-1723), l'auteur de notre récit, était fille de M. de Beauvais, conseiller d'État, et d'Henriette de Bellières, attachée au service de la maison d'Autriche. Envoyée à l'âge de quatre ans à l'Abbaye au Bois, elle fut confiée six ans plus tard à la Mère prieure, qui s'attacha l'enfant comme secrétaire. Son culte pour le Saint Sacrement et un désir de vie plus austère la portèrent à demander son admission au monastère de la rue Cassette. Ayant obtenu, non sans peine, l'autorisation de ses parents, elle y entra le 14 août 1667, à 14 ans et demi. Elle fit profession en août 1669 avec sa soeur, d'un an son aînée, qui l'avait rejointe au monastère. Elle fut nommée peu après maîtresse des novices. Fondatrice de la maison de Rouen, elle a laissé le récit des premières années de ce couvent. Mère Mectilde la rappela à Paris et l'envoya au monastère des bénédictines dites de Notre-Dame de Liesse, que l'archevêque voulait contre le désir de la majorité des religieuses, agréger à notre Institut. L'année passée en cette maison fut certainement plus pénible que les dix années rouennaises, pourtant difficiles. En 1713, elle fut élue prieure du monastère de la rue Cassette, où elle sut ramener la paix, un moment compromise par des ingérences extérieures tout à fait injustifiées. Elle mourut le 18 septembre 1723. Elle avait le don de discernement des esprits, une âme claire, un peu inquiète et toujours à la recherche du mieux, mais aussi une grande simplicité, qu'appréciait Mère Mectilde.

(32) Anciennement, les anges gardiens étaient honorés avec saint Michel, le 29 septembre en Occident, le 8 mai en Orient. Peu à peu une fête spéciale s'établit en leur honneur. En 1513, elle fut introduite au Portugal. Le bienheureux François d'Estaing, évêque de Rodez (1460-1529), adopta la date du ler mars. Le calendrier de Toul, en 1533, mentionne la fête au ler mars. A la demande de Ferdinand II d'Autriche, le Pape Paul V institua, le 27 septembre 1608, une fête solennelle avec office propre et la fixa au premier jour libre après la fête de saint Michel. En 1667, Clément IX fixa la tète au premier dimanche de septembre et lui adjoignit une octave. Clément X, le 13 septembre 1670, l'éleva au rite de fête double, l'étendit à toute l'Eglise et la fixa au 2 octobre. Mère Mectilde a donc quitté son monastère pour les premières vêpres de la fête des saints Anges gardiens. Cf. Dictionnaire de Spiritualité, fasc. II, col. 614-615.

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Ave Maria filia Dei Patris ; Ave cor sanctissimum, et trois Monstra te esse Matrem à la très sainte Mère de Dieu (33), une antienne aux saints Anges avec les litanies de l'Ange gardien, une autre antienne à tous les saints et un De Profundis aux saintes âmes du purgatoire pour leur demander leur secours et qu'elles nous préservassent d'accidents. Les deux jours de notre voyage, elle nous fit réciter ces mêmes prières le matin en entrant dans le carrosse où elle avait attaché une image de la très sainte Vierge, qu'elle avait prise entre ses mains en sortant de notre Maison, disant qu'elle nous conduirait et aurait soin de nous ; de temps en temps elle la regardait amoureusement et lui baisait les pieds.

Nous arrivâmes sur les cinq ou six heures à Colombes, où nous couchâmes chez Mademoiselle de Bouillon (34), qui y avait une maison. Elle avait témoigné à notre digne Mère le grand désir qu'elle avait qu'elle la vînt voir en passant, ce qu'elle ne put refuser à cette bonne princesse et qui l'obligea de partir de Paris ce jour, quoique la Providence ne permît pas qu'elle l'y rencontrât et eût la satisfaction de l'entretenir comme elle se l'était promis, ayant été arrêtée pour bien des affaires, malgré elle, à Evreux, cela la mortifia, autant que notre digne Mère. Cependant elle en était bien aise, non pas qu'elle n'eût pour cette vertueuse demoiselle tout le respect et l'estime qu'elle devait à son mérite et à sa grande piété, puisqu'elle l'honorait beaucoup et que l'affection et la confiance qu'elle avait en elle l'y obligeait même, mais c'est que, nous dit-elle agréablement : « Il m'aurait bien fallu causer et l'entretenir, et j'aime bien mieux demeurer en silence dans l'éloignement des créatures ». Sa demoiselle ne laissa pas de nous recevoir aussi bien que si elle y eût été et nous fit tout l'accueil que nous pouvions attendre de son honnêteté.

Le lendemain, dès le grand matin, nous montâmes en carrosse pour aller à Argenteuil (35) faire nos dévotions à l'église où est la sacrée robe de Notre Seigneur. Notre digne Mère était toute en jubilation d'aller rendre ses respects et vénérations à ce précieux vêtement.

(33) 0 Sacrum - antienne de Magnificat des vêpres de la fête du Saint Sacrement.

Ave Maria, filia Dei Patris et Ave Cor sanctissimum sont deux prières composées par saint Jean Eudes : la première en l'honneur de la Sainte Vierge, la seconde s'adresse aux Saints Coeurs de Jésus et de Marie. (Cf. R.P. François Lebesconte, Le Coeur de Marie d'après Saint Jean Eudes, Paris, Lethielleux, 1945, p. 77 et 229).

Monstra te esse Matrem, strophe de l'hymne Ave Maris stella, des vêpres de l'office de la sainte Vierge.

(34) Mère Mectilde avait beaucoup soutenu la duchesse de Bouillon en 1652, quand décéda son mari Frédéric-Maurice de la Tour d'Auvergne ; et ses enfants lui en avaient gardé une grande reconnaissance. Le cardinal de Bouillon facilitera l'achat de son hôtel, rue Neuve-Saint-Louis, pour y fonder le second monastère de notre Institut à Paris. Les Bouillon possèdaient de grands biens à Evreux. Il est ici question de la soeur et de la nièce du Cardinal.

(35) Argenteuil (Yvelines, arr. de Versailles). Primitivement monastère de femmes sous la dépendance de l'abbaye de Saint-Denis (665). Ravagé par les Normands et restauré par Robert le Pieux, le monastère fut occupé par des moines à partir de 1129. Depuis le 11 novembre 1646, il appartenait à la réforme mauriste. Cf. Dom Martène, Histoire de la congrégation de Saint Maur, Ligugé, 1929, t. III, p. 36 (Archives de la France monastique, vol. 33).

« Quoi, nous disait-elle, nous allons voir la robe d'un Dieu, cela se peut-il comprendre de dire qu'un Dieu se soit revêtu, lui qui de toute éternité est revêtu de gloire et de majesté et dont toutes ses perfections divines l'ornent de bonté et de splendeur, de dire donc qu'il ait eu besoin

de se couvrir du poil des bêtes ! C'est là qu'elle s'abîma, ravie en

admiration de voir la bonté d'un Dieu envers ses créatures de s'être ainsi réduit pour converser avec elles.

Nous arrivâmes sur les six heures et demie à ce saint lieu, si bien que nous eûmes le loisir d'entendre plusieurs messes et de communier. Le carrosse de Rouen que l'on avait arrêté pour ce jour ne nous vint prendre que sur les huit heures. Nos Pères de saint Benoît, qui ont le bonheur de posséder cette sainte relique, ayant su que c'était notre digne Mère et ses religieuses qui étaient dans leur église, après nos prières faites, le Révérend Père Prieur, accompagné de plusieurs de ses religieux lui vint faire mille honnêtetés, lui témoignant l'estime qu'ils avaient pour sa révérence et la joie de l'avoir chez eux. Elle reçut tous leurs compliments dans sa modestie et humilité ordinaires ne marquant pas de sa part de leur faire beaucoup de civilités. Mais, comme elle était toute pénétrée de joie et de sentiment de respect de la vue qu'elle venait d'avoir de la sacrée robe de Notre Seigneur, elle ne put s'empêcher de le leur faire paraître, leur répétant les mêmes paroles qu'elle nous avait dites, que je vous ai rapportées ci-dessus. En même temps elle leur témoigna la peine qu'elle avait de ce que cette précieuse relique n'était pas enchâssée aussi richement qu'elle le devrait être, qu'elle souhaitait d'avoir le moyen de lui faire faire une châsse d'or et d'argent (36). Après quelque petit entretien qu'elle eut avec ces bons Pères à l'entrée de leur cloître où ils nous avaient menées pour nous faire voir leur maison, elle les remercia bien de leur bon accueil et prit congé d'eux, ayant été avertie que le carrosse de Rouen était arrivé, où nous montâmes aussitôt pour poursuivre notre voyage qui fut très heureux. Nous étions avec une trop sainte âme pour craindre qu'il nous arrivât quelque accident ; nous avions lieu d'espérer l'assistance du ciel, y voyant toujours son esprit et son coeur élevés, car elle était dans une oraison continuelle et toujours à prier Dieu ou à le bénir, ou bien elle nous entretenait, nous disant que nous devions aller à cette fondation dans un esprit de dégagement et de séparation, que nous ne devions avoir en vue que trois choses : la première, la plus grande gloire de Dieu ;

(36) Comme l'avait souhaité Mère Mectilde, la princesse Marie de Lorraine, duchesse de Guise, fit faire une très belle châsse pour cette relique, et la translation eut lieu le 22 octobre 1680. La princesse était accompagnée de sa sœur, Madame Renée de Lorraine, abbesse de Montmartre, et de sa cousine, Anne-Marie de Lorraine, moniale de la même abbaye. La cérémonie se déroula en présence de Dom Claude Boistard, prieur de Saint Germain-des-Prés et grand vicaire de l'archevêque de Paris. Cette relique avait été donnée par Charlemagne à l'abbaye d'Argenteuil, dont sa fille Théodrade était abbesse. Cf. Dom Martène, op. cit., t. V. p. 380 ; Dom G erberon, Histoire de la robe sans couture de Notre Seigneur Jésus Christ qui est vénérée dans l'église des bénédictins d'Argenteuil, avec un abrégé de l'histoire de ce monastère, Paris 1677.

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la deuxième, sa volonté et son bon plaisir puisque l'obéissance nous y envoyait, et la troisième, son pur amour. Elle nous conjurait fort de les bien retenir et de les imprimer dans notre esprit afin que tous autres motifs en fussent bannis.

Nous arrivâmes à Magny (37) sur les neuf heures du soir. La première chose que fit notre digne Mère en descendant de carrosse fut de s'informer où nous pourrions le lendemain, qui était dimanche [ 3 octobre ], entendre la sainte Messe. Elle envoya en plusieurs endroits pour ce sujet, mais ayant appris que l'on n'en pouvait avoir si matin et qu'il fallait partir sans l'entendre, on fut dans une grande inquiétude, si bien que, dans la crainte que nous la perdions ce jour et que nous n'en trouvions point quand nous arriverions à l'hôtellerie, elle fit partir dès le moment un homme à cheval, pour aller en diligence en arrêter une à Ecouis [ Eure ] (38). Dès deux heures du matin, nous montâmes en carrosse pour nous y rendre de meilleure heure. Tout d'abord, ayant fait les prières accoutumées, elle nous parla de Dieu l'espace d'une grande demi-heure et nous dit des choses admirables, étant embrasée comme un séraphin. Après, elle demeura dans un profond silence, les yeux fermés, belle comme un ange. Nous prenions plaisir à la regarder et observer. Elle demeura donc toujours ainsi en oraison et seulement de fois à autre elle nous disait : « Mes Soeurs, demandez bien à Notre Seigneur qu'il nous fasse la grâce d'entendre la sainte Messe et de communier ; il nous y faut bien préparer ». Et élevant amoureusement les yeux au ciel, comme toute ravie en admiration de la bonté et de l'amour de Jésus Christ à se donner à nous, elle nous disait : « Quoi ! Recevoir mon Dieu, cela se peut-il comprendre ? Il faut bien le prier qu'il nous prépare lui-même ».

Nous arrivâmes à Ecouis qu'il n'était que dix heures, ce qui nous réjouit beaucoup à cause de la sainte Messe que nous fûmes entendre à l'église des chanoines où l'on nous en avait arrêté une. Mais Dieu nous fit la grâce d'en entendre deux. Notre digne Mère était dans une si grande dévotion et si abstraite en oraison qu'elle ne savait sortir de l'église, si bien que nous toutes, qui étions mal et dans une si grande faiblesse que nous ne savions plus nous soutenir, fûmes obligées de la prier de se rendre à l'hôtellerie pour dîner et se reposer, étant midi, à quoi elle condescendit aussitôt et s'y rendit avec nous, nous témoignant qu'elle se portait fort bien, qu'elle n'était fatiguée ni du chemin, ni en nécessité de manger. Il paraîssait bien, à la voir si abîmée en Dieu comme elle était, qu'elle venait de se nourrir de cette chair vivifiante qui nourrit l'âme et le corps, car elle en était toute fortifiée et si remplie et pénétrée

(37) A 59 km de Paris sur la N. 14, dans l'arrondissement de Pontoise. La route actuelle est à peu près la même que celle qui fut suivie par Mère Mectilde.

(38) A 91 km de Paris. Collégiale fondée par Enguerrand de Marigny et consacrée le 9 septembre 1313 par l'archevêque de Rouen, Asselin. Saint Vincent de Paul y fut nommé trésorier et chanoine par Philippe-Emmanuel de Gondi en 1613. Mais il n'y vint qu'une seule fois le 16 septembre 1615 pour faire le serment de fidélité et recevoir l'osculum pacis. Cf. J. Daoust, M. Vincent et le diocèse de Rouen, Etudes Normandes, n° 126, Rouen, 1960, p. 80-81.

qu'elle fut une partie du jour à nous répéter : « Mes Soeurs, n'admirerez-vous point la bonté de Notre Seigneur et ne le remercierez-vous point de la grâce qu'il nous a faite d'entendre la sainte messe, non seulement une, mais deux ? Quelle miséricorde ! Nous ne saurions assez lui en rendre action de grâce ». Mais elle nous disait ces paroles d'une manière si touchante que l'on voyait bien qu'elles sortaient du fond de son coeur, qui exprimait ses sentiments de gratitude envers Dieu pour cette grâce reçue de lui. Ceci nous fait connaître sa grande foi et son respect pour les saints mystères qu'elle nous représente, car le reste de la journée elle en demeura comme hors d'elle.

Sur les deux ou trois heures après-midi, il nous arriva une chose bien surprenante et qui nous effraya beaucoup. Comme nous étions sur la côte de Fleury, il passa un pauvre vieil homme qui ne pouvait presque se traîner, qui nous demanda l'aumône. Malheureusement, la bourse des pauvres ne se put trouver ; elle était tombée dans le carrosse, on ne savait où elle était ; il la fallait chercher. Nous lui dîmes d'aller toujours devant nous et que, quand nous aurions passé cette côte, que nous lui donnerions ce qu'il nous demandait, d'autant que s'il ne se retirait promptement qu'il allait être écrasé. Mais ce bon homme était si empressé d'avoir son argent qu'il ne voulait point entendre raison à tout ce que nous lui pûmes dire, si bien qu'il se trouvait si à l'étroit auprès du carrosse qu'il ne put plus marcher et tomba dessous. Quand nous vîmes cela, nous nous mîmes toutes à crier : « Miséricorde ! » et disions au cocher qu'il arrêtât. Mais il n'en faisait rien, croyant que c'était que nous avions peur de tomber parce que la descente de cette côte est fort rude. La chère Mère Hostie [ Hardy ], nonobstant la frayeur où elle était de cet accident, heureusement pour ce pauvre homme, eut l'e.sprit assez présent pour lui prendre la main qu'il tendait pour recevoir la charité, dans le moment qu'elle le vit tomber. Il faut croire qu'elle fut assistée de son saint ange et que ce fut une chose miraculeuse, car elle lui tint toujours la main durant qu'il fut sous le carrosse, ce qui dura bien environ [ le temps ] d'un De profundis, quoique [ le carrosse ] roulât toujours sans s'arrêter, sa main s'étant rendue ployable comme un morceau de linge dont l'on fait ce que l'on veut. Cette bonne Mère le traînait ainsi, et l'on ne voyait que son bras passer. Enfin, à force de crier au cocher que c'était un homme qui allait être écrasé, il prit la bride de ses chevaux et les fit arrêter, car sans cela il ne l'aurait pu faire à cause de cette descente. Et ce pauvre homme se retira dessous ce carrosse sans être blessé, ce qui ne s'est pu faire sans miracle, car humainement il devait être écrasé. Je crois, sans doute, que ce furent les prières de notre digne Mère et de nos autres chères Mères qui lui conservèrent la vie, car nous conjurions le ciel de toutes nos forcés de nous secourir dans cet accident, et nous aurions été inconsolables s'il eût arrivé malheur à cet homme. Notre digne Mère, le voyant donc si heureusement préservé, dit toute en joie : « Dieu soit béni ! Il faut le remercier ; c'est la très sainte Vierge qui l'a conservé », car il était tombé du côté où était son image. Elle nous fit dire le Te Deum en action de grâce. Le reste du jour se passa heureusement.

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Mais devant que de vous conter notre arrivée, souffrez que je vous rapporte le sujet de divertissement que je donnai à nos bonnes Mères. Comme j'étais en religion depuis l'âge d'un an, c'était le premier voyage que je faisais de ma vie et n'ayant jamais rien vu que, comme l'on dit, par le trou d'une bouteille, j'étais étonnée de tout ce que j'apercevais sur le chemin. Mais bien plus le fus-je quand je me vis dans la campagne et passant par les vignes, ce qui me fit leur dire tout naïvement : « Jésus, il faut bien des jardiniers pour arroser tout cela, ils ont bien à faire ». Notre digne Mère rit de tout son coeur de ma simplicité, et nos autres Mères. Mais je leur en donnai encore plus de sujet quand elle nous fit descendre de carrosse pour nous faire promener dans un pré, afin de nous délasser un peu. Là, il se rencontra un berger qui faisait paître une chèvre qui était rousse, s'approchant d'une couleur isabelle. Une de nos Soeurs se douta bien que je n'en avais jamais vu et, comme j'étais un peu éloignée d'elle, de loin tout en riant me dit : « Ma Soeur des Anges, connaissez-vous bien quelle bête c'est là ? ». Je lui répondis, croyant dire merveille : « Voyez comme si je ne sais pas bien que c'est une petite vache ». Ce qui les fit éclater de rire, même jusqu'au berger qui m'entendit. Je vous demande aussi si cela n'était pas bien risible, ne doutant pas que vous n'en fassiez de même dans le rapport que je vous en fais.

Nous entrâmes donc dans la ville de Rouen sur les huit heures et demie du soir. Notre digne Mère alors nous fit réitérer les mêmes prières qu'elle nous avait fait dire ces trois jours de notre voyage en montant en carrosse, priant Notre Seigneur par l'entremise de sa très sainte Mère, de tous les anges et de tous les saints qu'il bénisse notre entrée et nous donne la grâce d'agir en son esprit, pour tâcher de le faire honorer. C'est à quoi [ notre Mère ] nous exhorta beaucoup, et à nous donner à lui pour ce sujet, afin de notre mieux le servir et glorifier dans son oeuvre. L'on ne pouvait entendre cette digne Mère nous parler de Dieu de la manière qu'elle faisait, sans être excité à une nouvelle ferveur, car ses paroles étaient comme des charbons ardents qui allumaient le feu divin dans nos coeurs et qui nous donnaient de nouveaux désirs de nous sacrifier et consommer pour l'honneur de celui que nous adorons.

ARRIVÉE A ROUEN DU SECOND GROUPE DES FONDATRICES : 3 OCTOBRE 1677

Nous arrivâmes vers les neuf heures à notre maison, le dimanche troisième jour d'octobre, fête de Notre-Dame de la Victoire (39). Vous pouvez bien juger quelle bonne réception nos Mères nous firent et la joie qu'elles eurent de voir notre digne Mère dont, depuis près de deux mois, elles s'étaient séparées et dont elles n'avaient pu encore se consoler, ne pouvant s'accoutumer à une si rude privation de sa Révérence.

(39) En action de grâce pour la victoire de Lépante, remportée en 1571 sur les Turcs, saint Pie V institua la fête de Notre-Dame du Rosaire dite aussi de la Victoire.

Elles avaient donc accommodé leur petite maison le plus proprement qu'elles avaient pu pour la bien recevoir et dressé un autel dans le choeur. où elles avaient mis dessus une sainte Vierge en relief avec quantité de cierges allumés, sachant bien qu'elles ne pouvaient mieux la contenter et réjouir qu'en rendant ce petit honneur à la très sainte Mère de Dieu. Elle leur témoigna aussi en être bien satisfaite, et la première chose qu'elle fit en entrant fut d'aller avec nous toutes lui rendre ses respects et hommages avec toute l'affection de son coeur, lui remettant entièrement la maison entre ses bénites mains afin qu'elle en prît soin et la gouvernât comme étant notre sainte abbesse (40). Ensuite, elle alla voir sa chère malade, la Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly ], qui n'était pas encore trop bien, à qui elle fit mille amitiés, l'embrassant avec une tendresse de mère, lui témoignant la joie qu'elle avait de la revoir et de ce que Notre Seigneur l'avait conservée. Elle ne donna pas moins de marques de son affection à la Mère Sous-Prieure [ Anne Loyseau ], la chère Mère de Sainte Mecthilde Cheuret ] et à nos deux chères Soeurs converses [ Anne Monier et Saint Joseph Rondet les embrassant toutes avec autant de bonté et d'amitié.

La Mère Sous-Prieure aussitôt nous fit souper et nous régala de son mieux ; après quoi, notre digne Mère étant un peu reposée, elle lui demanda si elle voulait, pour se divertir, venir voir la maison et comme elle avait approprié toutes choses et si elle en serait contente. A quoi elle s'accorda si bien qu'elle l'amena avec nous toutes faire la visite par toute la maison. Elle la trouva fort bien accommodée, ce dont elle parut être très satisfaite et obligée à la Mère Sous-Prieure de tous ses soins. Mais, comme de toutes choses elle en tire un sujet d'humiliation et d'anéantissement, le lendemain, en nous parlant familièrement, elle nous dit : « Hélas ! depuis hier au soir, je suis bien humiliée et abjecte en moi-même et bien petite devant Notre Seigneur, car il me fait bien voir qu'il n'a pas besoin de moi pour travailler et avancer, son oeuvre, qu'il y en a d'autres qui s'en acquittent mieux que moi et que je ne suis capable de rien. La Mère Sous-Prieure, ayant si bien fait toutes choses et tout mis en si bon ordre, je n'ai plus rien à faire ». Elle nous répéta ces paroles en deux ou trois rencontres, d'une manière si humble et si abaissée qu'elle nous toucha toutes ; nous ne pouvions assez admirer son humilité. C'est ainsi que Notre Seigneur prend plaisir de la tenir quand il veut qu'elle fasse quelque oeuvre nouvelle pour sa gloire. C'est ce qu'ont remarqué celles de nos Mères qui ont eu l'honneur de l'accompagner dans toutes les autres maisons qu'elle a faites. Notre Seigneur la tient dans un abaissement si profond et une si grande vue de son indignité que cela ne se peut concevoir, même en revenant de celle de Nancy, où elle avait reçu tous les honneurs qui se peuvent imaginer de son Altesse le Duc de Lorraine et de toute sa cour (41).

(40) Dès la fondation de son Institut, Mère Mectilde eut la pensée de faire reconnaître dans ses monastères la Sainte Vierge comme supérieure perpétuelle. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et n. 16.

(41) Charles IV, duc de Lorraine. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 267.

FONDATION DE ROUEN 51

Ce bon Prince l'entretint des heures entières debout, tête à tête, le chapeau bas, dans un respect et confiance qui ne se peuvent dire, par la vénération qu'il avait pour sa grande vertu. Nonobstant, cette digne Mère, après avoir reçu tant d'honneurs, bien éloignée d'en avoir la moindre complaisance, sortit de la ville dans une disposition si humiliée et anéantie que nos Mères en étaient toutes surprises et ne pouvaient assez admirer l'abaissement où Dieu la tenait. Ce même jour, qui était, comme je vous ai dit, le lendemain de son arrivée, ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet ], que vous connaissez agréable et plaisante de son humeur, l'alla trouver à sa chambre et lui dit fort plaisamment : « Je vous assure, ma Mère, que je crains bien que nous ne mourions ici de faim ; je ne sais d'où vient que vous nous y avez fait venir ». Entendant ces paroles, elle la regarda avec sa douceur ordinaire en lui faisant un petit sourire et lui répondit bonnement : « Non. non ma Soeur, vous ne mourrez pas de faim. Il est vrai que cette oeuvre sera bien traversée. L'on sera près de quitter, mais l'on ne quittera pas. Vous vous verrez à la veille de manquer de tout et vous ne manquerez de rien ». « Ma Mère, poursuivit cette bonne Soeur, il faut donc bien mieux nous en aller que d'avoir tant de peine ». « Non, ma Fille, lui dit elle, il faut soutenir et ne pas quitter prise pour cela. Il faut, dis-je, soutenir l'oeuvre de Dieu et être comme de bons soldats, toujours les armes en main contre nos ennemis qui nous feront tout ce qu'il dépendra d'eux pour s'opposer à notre établissement ; mais nous en sortirons victorieuses et ils seront confondus ». Ce qui arriva comme elle l'avait prédit, comme nous allons le faire voir dans la suite de cette histoire.

Le premier jeudi de notre arrivée [ 7 octobre ], comme nos chères Mères virent bien qu'elles ne pouvaient rendre leurs hommages et leurs respects au très Saint Sacrement, comme à l'ordinaire, étant privées de sa présence, l'église n'étant pas encore en état de le pouvoir avoir, elles ne purent, jalouses de l'honorer, passer ce saint jour sans lui rendre quelques devoirs et sans lui donner des preuves de leur bon coeur : elles s'en furent à l'orgue chanter vêpres. Comme il était élevé par un jubé ou tribune et donnait du côté de la rue, ceux qui demeuraient dans les maisons circonvoisines et tous les passants les entendirent ainsi chanter. Tout le monde s'assembla auprès des fenêtres qui sont au bas de notre petite église et entendirent vêpres à genoux. La dévotion de tous en général et celle d'un chacun en particulier fit augmenter celle de notre Mère qui les aperçut par la fenêtre de l'orgue, ce qui lui donna une joie qu'on ne peut exprimer, en voyant ainsi tout le monde qui venait rendre au très Saint Sacrement leurs hommages avant même qu'il y fût.

La Mère Hostie [ Hardy ], fort zelée et industrieuse pour orner les saints autels, prit soin de parer le nôtre et d'y mettre tous les ajustements et les enjolivements qu'elle put et que la petitesse du lieu demandait. Notre digne Mère de son côté s'était chargée de mettre la dernière main à tous les appartements de la maison pour nous loger

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avec commodité. La bonté dont elle usa et le soin qu'elle prit nous firent assez connaître quel intérêt elle prenait à notre conservation et quelle amitié elle avait pour nous. La Mère Sous-Prieure [ Anne Loyseau avait fait bâtir trois chambres de nattes, mais notre digne Mère ne les trouva pas assez chaudes ni assez commodes à cause du vent qui y entrait par des ouvertures. Elle fit faire les autres de bois, ainsi qu'elle les fit faire elle-même, allant avec les ouvriers prendre la mesure. Mais sa charité et son soin allaient jusqu'à nous faire coller des bandes de papier aux endroits où elle apercevait quelques fentes et ouvertures. « Mes pauvres Enfants, disait-elle dans sa douceur et bonté, auront des vents coulis qui leur donneront des fluxions. Je ne veux pas qu'elles souffrent, ni qu'elles soient incommodées du froid ; faisons notre possible pour les bien accommoder ». Elle passa ainsi le mois d'octobre à faire tous ces petits ajustements qu'elle voulait dans la maison. La Mère Sous-Prieure ayant fait le principal, chacune de nous aidions aussi de notre mieux à faire ce que nous pouvions. Nous fûmes donc ce mois sans faire les fonctions régulières de la religion. la maison n'étant pas en état pour cela, ni même de dire l'office divin. Notre digne Mère seulement de fois à autres nous faisait dire quelques offices, en passant, pour nous apprendre à bien psalmodier, elle-même nous faisant faire les pauses et les accents, nous témoignant avoir un grand désir que l'office divin fût bien dit, comme l'action la plus sainte de la religion et qui devait nous apporter le plus de grâces et en attirer aux séculiers, les excitant à la dévotion. Elle nous instruisit durant ce temps de tout ce que nous avions à faire pour bien commencer cette Maison et y établir-le bien, la vertu et la régularité ; c'était ce dont elle nous faisait l'honneur de nous entretenir quand elle n'était point occupée à autres choses pour la maison. La Mère Hostie [ Hardy ], un jour, dans un semblable entretien, lui parlant de la manière dont Dieu avait conduit toutes les affaires de cette Maison, lui demanda, s'il l'anéantissait et la renversait, si elle n'en serait pas beaucoup touchée. « Non, lui dit-elle, c'est Dieu qui la veut et qui l'a voulue. S'il ne la voulait plus, j'en serais contente. Il l'a faite, il la défera quand il lui plaira ; il en est le Maître et je ne crois pas, avec la miséricorde de Notre Seigneur, qu'il m'en vînt une idée ou deux et, quand j'en sortirai, il ne m'en viendra pas une pensée ». Cette bonne Mère lui répondit : « Mais, ma Mère, vous paraissez avoir tant d'ardeur pour faire toutes choses comme il faut qu'il semble à vous voir agir, que vous n'avez d'affection que pour cette Maison ». Elle lui repartit : « Oui, ma Saur, il est vrai que je m'y donne pour y travailler autant que Dieu le demande de moi, mais, quand je n'y serai plus, je n'y penserai plus et, que je m'en aille à une autre, vous me verrez agir de la même manière. Je vous puis dire en sincérité, et je vous l'ai déjà dit, que mon esprit y est venu, mais que, pour ma nature, elle y a été traînée ; il n'y a eu que la seule volonté de Dieu qui m'y a fait venir ». En une autre rencontre, nous parlant encore sur le même sujet,

elle nous dit : « Il est vrai que j'entreprends cette oeuvre dans un grand dégagement, ayant toujours la pensée de la mort ; je peux dire que je la ferai dans cet esprit de mort ; je n'ai en vue que mon humiliation et mon anéantissement ».

Le 14 octobre elle nous fit la lecture dans la préface des Constitutions (42). Elle s'arrêta sur ces paroles qui y sont contenues : qu'il n'y a que la sainteté et la pureté du Fils de Dieu qui doivent être au-dessus de celle à laquelle notre profession nous engage, et nous dit ce qui suit :

« Mes Soeurs, faites une sérieuse réflexion sur ce que je viens de vous lire, puisque ce sont vos obligations. Ce ne sont pas des choses que j'ai inventées de ma tête, non, niais c'est ce que Dieu demande de vous et ce qu'il prétend de l'Institut : que toutes les âmes lui soient des sujets de complaisance. Je prie Dieu que les Constitutions soient brûlées et consumées s'il y a quelque chose de moi ; oui, je l'en prie de tout mon coeur. Je vous conjure donc de les pratiquer fidèlement et de vous appliquer aux petites choses qu'elles ordonnent. Je sais bien qu'il faut un peu d'assujettissement, niais Dieu mérite bien cela. Si vous l'aimez, vous vous assujettirez de bon coeur en la vue de son pur amour. Je vous recommande particulièrement le silence ; que l'on n'entende point parler dans la maison et, pour les choses nécessaires, tâchez de les dire tout bas. Si le silence est ici bien gardé, tout le reste ira bien. Quand une fois vous aurez pris cette bonne habitude, vous aurez de la peine à entendre parler haut et ce silence extérieur vous portera à l'intérieur, qui vous mettra dans un calme et une paix très grande, en la vue de Dieu qui vous sera toujours présent. Enfin, mes Soeurs, il faut ici renouveler l'esprit de l'Institut dans la première vigueur qu'il avait au commencement et commencer à être de véritables victimes. L'on dit souvent ces mots de victime et d'hostie, mais je vous prie de ne les pas dire en l'air. Tâchez qu'ils fassent effet dans vos coeurs et que vous considériez à quoi ils vous obligent. Notre Seigneur vous a envoyées ici pour vous renouveler, et moi aussi, qui n'ai pas encore commencé à prendre l'esprit de l'Institut. Aussi je prétends que cette Maison se fasse pour réparer toutes les fautes que j'y ai commises et les mauvais exemples que j'ai donnés, mettant obstacle à vos saintetés. Si nous sommes fidèles, Dieu comblera de grâces cette Maison, car, dans les nouveaux établissements, il y en a toujours de très grandes, et il n'y en aura pas une de nous autres, mes Soeurs, si elle le veut, qui n'en fasse l'expérience et qui ne reçoive quelque chose de particulier. J'espère que Notre Seigneur me mettra dans l'esprit les premières pensées qu'il m'a données au commencement de l'Institut, afin que nous remplissions ses desseins et que cette Maison lui soit un sujet de complaisance, que les âmes y

(42) Une première rédaction fut approuvée en 1664 par le cardinal Chigi, légat a latere en France. Le cardinal de Vendôme, lui aussi légat a latere, donna son approbation en 1668. Enfin, le 10 décembre 1676, le pape Innocent XI apposait le sceau du Saint-Siège sur ces textes et sur le projet d'union en congrégation des monastères existants ou à venir, selon notre observance, fondant par là l'Institut des bénédictines de l'Adoration perpétuelle. Le texte cité ici se trouve au premier paragraphe de la préface des Constitutions, ainsi que dans C. de Bar, Documents, 1973, p. 124.

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vivent dans la pureté et le dégagement qu'il demande d'elles. Je l'en supplie bien. Il m'en a fait ressouvenir de quelques-unes [ de ces pensées ] à la sainte communion ; je vous les dirai de temps en temps quand je m'en ressouviendrai ». Et poursuivant, elle nous dit agréablement : « J'ai toujours été distraite, toute cette matinée, même à la sainte communion, au sujet de l'Institut. Je n'ai pu avoir d'autres pensées ; j'ai bien demandé à Notre Seigneur qu'il vous en donne le véritable esprit. Enfin je n'ai plus d'autres occupations que l'Institut et toujours l'Institut. J'entends, je ne sais si je me trompe, que la très sainte Mère de Dieu fera quelques grâces à cette Maison. Je crois qu'elle en a pris un soin particulier et qu'elle sera sous sa protection spéciale. Je ne sais pas encore ce que c'est, mais pourtant j'espère quelque chose de sa bonté ».

Le jour de saint Luc [ 18 octobre ], étant à la récréation, elle nous dit encore dans son agrément : « Depuis quelque temps, j'aime bien les saints ». Je crois que jamais elle ne les avait haïs, car l'on dit ordinairement que l'on aime ses semblables. Elle continua : « Aussi me suis-je persuadée qu'ils nous feraient quelques grâces pour cette Maison. Je n'ai pas été trompée, car nous aurons le très Saint Sacrement le jour de leur fête ; ils nous l'apporteront et l'adoreront avec nous. Vous savez que cette fête est particulièrement la fête de la sainteté de Dieu, et Notre Seigneur, en venant demeurer chez nous par le très Saint Sacrement, lui qui est la sainteté par essence, nous en fera participantes en nous la communiquant par son infinie bonté. Il faut prier les saints qu'ils nous obtiennent les grâces dont nous avons besoin pour nous disposer à recevoir Notre Seigneur, dans le respect et dans l'amour que nous lui devons ».

Ayant donc résolu que le saint jour de la Toussaint nous aurions le bonheur de posséder le très Saint Sacrement, dont nous étions privées depuis que nous étions ici, ce qui nous était une rude mortification, car il me semble que les Filles du Saint Sacrement ne peuvent guère vivre sans cet aimable et adorable objet qui fait tout l'amour de leur coeur et que c'est bien véritablement leur arracher le coeur que de les en priver, et de les faire désister de l'adoration qu'elles lui doivent rendre jour et nuit, qui fait toute leur joie et contentement, notre digne Mère, voyant donc que toutes choses étaient en état de pouvoir commencer l'adoration perpétuelle, écrivit à Paris pour faire venir encore les Mères de Sainte Gertrude (43), Sainte Magdelaine (44), Sainte Thérèse (45) et Soeur Benoîte de la Passion (46), novice que l'on avait reçue pour cette nouvelle Maison. Elles partirent donc aussitôt qu'elles en eurent reçu l'ordre de notre digne Mère, accompagnées d'une dame de nos bienfaitrices de Paris, qui avait encore sa demoiselle avec elle et Mademoiselle Nivers, que notre digne Mère avait mandée aussi pour qu'elle chantât à l'orgue, afin de rendre la cérémonie de l'exposition du Saint Sacrement plus solennelle. La cérémonie se devait faire le

(43) Madeleine Petau de Molette ou de Molé (Soeur Marie de Sainte Gertrude), « native de Molé, paroisse de Houdan au diocèse de Chartres, fille de Gédéon Petaut, seigneur de Molé, et de Catherine de Brosse, en 1634... ». « ... Elle a dit que, depuis sa conversion à la religion catholique, apostolique et romaine, et l'abjuration de l'hérésie calvinienne en laquelle elle est née, qu'elle fit il y a environ 4 ans en la rue de Sainte Avoye, en la maison dite de la propagation de la foy, elle s'est déterminée d'être religieuse, non pour autre fin que pour bien servir Dieu le reste de sa vie » (Examen pour la prise d'habit, 27 janvier 1657, par le P. Boulongue, délégué par le R.P. Prieur de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Dom Audebert; reçue à la profession le 20 août 1659 par Pierre Meliand, prêtre. Arch. Nat. L 763 - 43).

Elle resta peu de temps à la fondation de Rouen, deux années au plus et retourna en son monastère de la rue Cassette. En 1687, elle fit partie du premier groupe des moniales appelées à fonder un monastère de notre Institut à Varsovie.

(44) Marguerite-Marie des Champs, fille de François des Champs, receveur des tailles à Pont-l'Evêque, et de ... Bicherre, naquit vers 1640 à Pont-l'Evêque, alors au diocèse de Rouen. Elle prit l'habit en janvier 1661 et fit profession en novembre 1662. D'après le «livre des Comptes » du monastère de la rue Cassette, sa dot fut payée en partie par ses parents et en partie par Madame de Lesseville (Examen pour la profession, par le P. Paul Le Terrier, chanoine régulier de la réforme de l'ordre de Prémontré, abbé nommé par le Roy de l'abbaye de la Grâce-Dieu, 8 janvier 1663). Arch. Nat. LL 1709, Livre des examens pour les vêtures et professions.

(45) Françoise du Tiercent de Ruellan naquit en Bretagne en 1647. Elle avait pour père un maître des requêtes au Parlement de Paris. Sa famille était alliée aux Saint-Simon, Richelieu et Aiguillon. Orpheline de mère à sa naissance, elle fut élevée par son père et sa grand-mère, qui la mirent en pension chez les Ursulines à Paris, à l'âge de onze ans. Elle chercha d'abord à s'engager chez les Filles de la Croix, au service des pauvres. Mais, sommée de rejoindre la maison paternelle, elle vécut dans une profonde, mais charitable solitude. Mise en rapport avec Mère Mectilde, elle lui demanda de la recevoir comme Soeur converse. Reconnaissant la valeur de cette âme, Mère Mectilde la prit elle-même sous sa direction, obtint le consentement paternel, et Françoise du Tiercent fit profession en septembre 1673. Elle offrit à cette occasion 20.000 livres pour la fondation d'un monastère. Celui de Rouen en bénéficia, mais 1.000 livres furent allouées au monastère de la rue Cassette pour construire une chapelle dans l'église de ce couvent. Elle fut nommée à la direction du pensionnat. Elle désirait beaucoup quitter Paris où elle avait trop d'amis. Partie avec le second groupe des fondatrices de Rouen, elle sera maîtresse des novices durant quatre ans, puis prieure. Elle mourut le 10 janvier 1716. L'inhumation fut faite par le P. Pomier, prieur de Saint-Ouen. Elle avait accompli 35 ans de priorat, dont les premières années avaient été particulièrement difficiles. Elle avait reçu-la profession de trente-neuf moniales.

(46) Madeleine G randery. Elle prit l'habit le 7 juin 1675, à 24 ans, au monastère de la rue Cassette et fit profession le 9 juin 1676. La préparation à la profession perpétuelle se faisant, selon la législation canonique en vigueur, pendant une année seulement, la jeune professe demeurait au noviciat au moins un an ou deux après sa profession.

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jeudi en suivant la fête de la Toussaint. M. son mari (47) se rendit aussi ici quelques jours avant pour le même sujet, pour toucher l'orgue. Ne connaissant pas encore les organistes de cette ville, notre digne Mère voulut bien se servir de lui préférablement aux autres, comme étant celui de notre Maison de Paris, et lui en faire la civilité, car elle lui en donna bonne récompense aussi bien qu'à mademoiselle sa femme, à qui elle fit un honnête présent, quoique le temps qu'ils furent ici, elle les logeât et nourrît très bien ; et encore après, elle leur fit des remerciements et des civilités, comme si elle leur eût été bien obligée. Mais vous savez quel est son bon et grand coeur, et il n'en faut pas être surprise, joint au respect qu'elle a pour le très Saint Sacrement, pourvu qu'elle le fasse honorer, elle ne se soucie point ce qu'il lui en coûte.

ARRIVÉE DU TROISIÈME GROUPE DES FONDATRICES : LUNDI 25 OCTOBRE 1677

Nos chères Mères arrivèrent donc ici huit jours avant la Toussaint, si bien qu'elles eurent le temps de se reposer devant que de prendre les observances de la religion, que l'on commença à suivre exactement le jour de cette fête et à dire l'office divin, qui n'ont point cessé ni l'un ni l'autre, non plus que l'adoration perpétuelle, depuis ce jour. Notre très digne Mère les reçut avec sa bonté ordinaire et cordialité, et leur fit mille amitiés. Elle voulut elle-même leur faire voir la maison, les conduisant dans tous les endroits et leur demandant bonnement leur sentiment, si elles étaient contentes comme toutes les choses étaient

(47) Guillaume Nivers (1632-1714) naquit probablement à Paris. Il fit ses études à l'Université de Paris, où un registre mentionne son nom (Bibi. Nat. ms. lat. 9155, fol. 25 Vo). Il entra à l'église Saint-Sulpice comme organiste en 1651 et y resta jusqu'à sa mort. Le 22 septembre 1668, il épousa Anne Esnault ; assistaient au contrat : Messire Anthoine Ragnier de Poussé, docteur en Sorbonne et curé de Saint-Sulpice ; très Haut et très puissant seigneur Messire Louis Charles d'Albert, duc de Luynes, et Nicolas Le Bégue, « ce qui montre une grande intimité avec cet organiste ». En 1678, Nivers est nommé organiste du roi et, en 1681, remplace Du Mont comme maître de musique de la reine. En 1686, il est attaché à la maison royale de Saint-Cyr. Depuis 1710, il était assisté par Nicolas Clérambault. Madame Nivers est décédée dans les premiers mois de 1688. Elle laissait un fils unique, Gabriel-Joseph, mort très jeune.

En 1690, il achèta au Conseil de fabrique de Saint-Sulpice une maison rue Férou, où il habita jusqu'à sa mort, le 30 novembre 1714. Dans son testament déposé chez Maître Valet, notaire à Paris (Arch. Nat., min. cent., XI, liasse 427), il demande à être enterré dans l'église des religieuses du Saint-Sacrement, dans la chapelle de Saint Benoit, où son épouse avait déjà été inhumée. Il supplie lesdites

religieuses de « m'assister de leurs prières, chants et dévotions, ne doutant pas qu'elles auront la

même charité pour moy estant mort, qu'elles ont toujours eu de mon vivant... ». Il abandonna aux « dites religieuses 1.500 livres qu'elles lui devaient » et demanda qu'il soit dit mille messes pour le repos de son âme dans les jours qui suivront son décès. (Cf. Arch. Nat. Y. 13200).

Son genre musical était particulier et résultait de son contact d'une part avec l'Ecole française d'orgue et de clavecin et, d'autre part de sa pratique courante et de son amour enthousiaste pour le plain-chant, ce qui n'était pas commun à l'époque.

Guillaume Nivers, qui a ajouté à son prénom celui de Gabriel en souvenir de son fils, a écrit beaucoup d'ouvrages, de manuels de chant grégorien et de musique.

Nos archives font mention d'une « soeur donnée » dont la pension est régulièrement payée par le Sieur Nivers, puis par ses héritiers. Cette religieuse se nomme Madeleine Aubert. Elle vit dans le monastère, est tenue a une certaine soumission vis-à-vis de la prieure et doit chanter au choeur selon l'ordre établi, mais sous la « direction de son maître Nivers ».

accommodées et si elles les trouvaient bien. Je vous donne à penser si nos chères Mères n'étaient pas bien satisfaites aussi bien que confuses de sa grande bonté. « Non est inventa » ; jamais il n'y aura sa pareille au monde. Heureuses et très heureuses celles qui ont l'honneur de la voir et posséder ! Hélas ! qu'il y en aura un jour qui désireront d'avoir eu ce bonheur que nous avons à présent, et qui en seront privées ! Tâchons d'en profiter, afin d'obliger Dieu à nous la conserver.

Quelques jours avant la Toussaint, elle entra dans le choeur où elle croyait qu'il n'y avait personne et se mit dans un petit coin derrière une tapisserie. Ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet qui y était, l'entendit faire ses gémissements à la très sainte Mère de Dieu. Elle lui parlait tout haut, la conjurant par les entrailles de sa miséricorde qu'elle prît soin de la Maison, qu'elle donnât aux religieuses le véritable esprit de l'Institut afin que toutes fussent des sujets de complaisance à son Fils et qu'il fût glorifié en elles par leur anéantissement et leur profonde petitesse. Cette bonne Soeur nous dit fort plaisamment « Elle lui en conta bien et de toutes façons : il ne tiendra pas à elle que nous ne soyons bonnes, car elle le lui demanda avec de grandes instances ».

La veille de Tous les Saints, qui était cette année le dimanche, nos chères Mères commencèrent à solenniser leur fête en chantant les premières vêpres avec toute la joie et la ferveur possible. Notre digne Mère voulut elle-même parer et accommoder l'autel de l'église où devait reposer le très Saint Sacrement. Elle y fut jusqu'à onze heures du soir, encore nous eûmes bien de la peine à l'en faire sortir. Elle était enflammée comme un chérubin, et dans une si grande joie qu'elle ne pouvait s'empêcher de la faire paraître. Elle était toute transportée. Il semblait qu'elle ne tenait point sur terre, dans la pensée qui l'occupait que l'objet de son amour, je veux [ dire ] Jésus Christ Notre Seigneur devait faire son entrée dans sa Maison. Le lendemain, jour de la fête de Tous les Saints, elle disait, comme toute en admiration : « Quelle bonté inconcevable de Notre Seigneur, de vouloir bien venir demeurer avec nous ! O le grand jour que demain, la grande fête pour nous ! Qu'on apporte tout ce qu'il y a de plus beau et de plus magnifique, afin que j'en pare l'autel. Je m'étonne bien comme on n'apporte pas de toutes parts tout ce qu'il y a de plus riche et de plus rare pour mettre à l'autel. Quoi ! Quand les rois font leur entrée dans leurs villes et royaumes, l'on fait toutes sortes de magnificences pour les recevoir ! Hé quoi ! mon Dieu viendra se loger parmi de pauvres petites misérables, et chétives créatures, et l'on n'y pensera pas ! Cela est surprenant. Je ne peux souffrir et ne saurais assez m'étonner comme ces messieurs les jansénistes ne veulent point que l'on pare et que l'on orne les autels, vu que Dieu même a témoigné le désirer, puisque nous voyons, dans le temple que Dieu fit bâtir par Salomon, qu'il s'appliqua à lui dire tout ce qu'il y devait mettre, jusqu'à une urne, enfin à la moindre chose ». Elle disait ces paroles d'une manière si touchante et amoureuse qu'elle

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exprimait bien les sentiments de son bon coeur. Monsieur notre ecclésiastique (48) lui dit qu'il fallait qu'elle mît le premier corporal dans le tabernacle, pour mettre le saint ciboire. Elle lui fit réponse qu'elle en était indigne et que ce n'était pas à elle à avoir cet honneur, mais à lui 'qui était prêtre. Ce monsieur ne laissa pas pourtant de persister à l'en prier. A force donc de raisons qu'il lui dit, elle accorda à sa demande, il lui alla quérir et lui donna ; quand elle vint pour ouvrir le tabernacle, elle eut une si grande vue de son indignité qu'elle ne put s'y résoudre, disant toujours à ce monsieur qu'elle en était indigne, que cela ne lui appartenait pas, si bien qu'elle se retira et jamais il ne put le lui faire mettre.

Le lendemain matin après que nous eûmes fait l'oraison et dit prime et tierce selon notre ordre ordinaire, M. Mallet, grand vicaire de Monsieur l'Archevêque et notre supérieur (49), commença la messe de la communauté et consacra les saintes hosties dans le saint ciboire que l'on avait préparé. Il le renferma dans le tabernacle après nous avoir toutes communiées, et nous mit en possession de notre adorable trésor, Jésus Christ Notre Seigneur, qui sans doute opéra dans nos âmes la joie que vous pouvez bien penser, mais que je ne peux vous exprimer, de sa présence réelle dans ce divin mystère qui fait notre application continuelle. Je me persuade que dans ce moment il combla nos bonnes Mères et Soeurs de grâces et de faveurs singulières et que, dans le même temps qu'il fut mis dans le tabernacle, il se renferma doublement dans leurs coeurs où il venait d'entrer par la sacrée communion, pour en prendre une nouvelle possession et en faire le lieu de son repos et de sa demeure. Comme quelques personnes de qualité et de nos amies que nos Mères avaient averties que ce jour nous aurions le très Saint Sacrement, se

(48) Nos archives n'indiquent nulle part le nom de ce prêtre. Cependant, un abbé, nommé Le Marié, signe les actes de vêture et profession dès le mois d'avril 1679. Il fut un bienfaiteur de notre monastère. Le dernier don relevé dans nos annales porte la date de 1699 et mentionne : une contretable de la chapelle de saint Joseph et la balustrade de l'autel de la sainte Vierge. On note en plusieurs endroits des dons faits à la sacristie. soit par lui-même, soit par sa mère.

Un autre prêtre de Rouen s'est intéressé à notre fondation c'est M. Henri Cavelier, Docteur de la faculté de Paris, curé de Sainte-Croix-des-Pelletiers, rue Sainte-Croix-des-Pelletiers à 100 mètres au nord du Vieux-Marché, aumônier de S.A.R. Madame. Il est dit curé en 1668. Il sera remplacé en 1689 par Claude Dufour. Il a contribué à l'embellissement de son église (renseignement aimablement communiqué par M. L'abbé Fouré) et 2eme partie, lettre du 1er mars 1678.

(49) Monsieur Charles Mallet, docteur en théologie de la maison de Sorbonne, compagnon d'études de François II de Harlay de Champvalon, qui en fit son grand vicaire lorsqu'il fut nommé archevêque de Rouen. Son successeur, Rouxel de Médavy, le continua dans sa charge jusqu'à sa mort, le 20 août 1680. Il fut supérieur de plusieurs maisons de religieuses et a laissé le souvenir d'un canoniste rigide et très craint, ennemi acharné du jansénisme. Il eut à ce sujet de graves querelles avec le chapitre de la cathédrale de Rouen, ayant accusé les chanoines près de l'archevêque et du premier président du Parlement. Monsieur de Fieux semble avoir joué un rôle de conciliateur. Charles Mallet fut l'auteur des livres suivants : Examen de quelques passages de la traduction française du Nouveau Testament imprimé à Mons, Rouen, Lallemant, 1676 (et Viret, 1682), in 12° ; A la lecture de l'Ecriture Sainte en langue vante : A la lecture de l'Ecriture Sainte, contre les paradoxes extravagants et impies de M. Mallet dans son livre intitulé : De l'Ecriture Sainte en langue vulgaire, par Antoine Arnauld, Anvers, 1680, in 8°. Cf. Fallue, Histoire du diocèse de Rouen, p. 197 - 212 ; Edouard Frère, Manuel du Bibliographe normand, 1860, t. II, p. 271 ; Arch. Dép. Seine-Maritt-Me, série G, n° III, introduction ; Dom Toustain et Dom Tassin, Histoire de l'abbaïe de St Vandrille, Abbaye de Saint-Wandrille, 1936, p. 178.

trouvèrent à la sainte Messe pour l'adorer avec nous, et étant entourées de voisins, l'on ne fut pas longtemps à le savoir dans la ville ; si bien que, dès la matinée, notre église fut remplie de monde, aussi bien que le reste du jour, qui assistèrent au divin service qui fut fait, bien solennellement. Nos bonnes Mères chantèrent comme des anges.

Ce même jour, l'après-midi, nous reçûmes une Fille (50), pour la première qui postulait depuis l'arrivée de notre très digne Mère et qui, ayant de bonnes qualités, nous donna lieu de croire qu'elle serait une bonne religieuse, comme elle est à présent.

Ce même après-dîner, étant avec notre très digne Mère et l'ayant vue le jour de devant dans une si grande joie dans l'attente de la possession

du très Saint Sacrement, qui fait en ce monde toute sa consolation et

l'objet unique de son amour, nous crûmes, puisqu'elle le possédait, qu'il n'était pas venu sans la combler de nouvelles miséricordes. Nous lui

demandâmes simplement ce qu'elle avait eu, que nous croyions que

Notre Seigneur lui en avait bien dit. Elle nous répondit : « Hélas comme à vous autres. Je n'ai rien du tout trouvé. J'ai voulu seulement

offrir l'oeuvre à Notre Seigneur, mais j'ai trouvé tout fait par les mains

de la très sainte Vierge, si bien que je n'ai eu rien autre chose à faire qu'à adorer et à adhérer à tout ce que la très sainte Mère de Dieu

faisait ». Le soir qu'on lui en parla encore, elle dit à quelques-unes de

nos Mères à peu près les mêmes choses, mais en d'autres termes : « J'ai voulu, leur dit-elle, seulement recommander cette oeuvre et cette

Maison à Notre Seigneur, le priant de la bénir, afin qu'il en puisse tirer

de la gloire, mais la très sainte Vierge m'a dit que tout cela était fait, que je n'avais que faire de m'en mettre en peine. Je voulais aussi cher-

cher quelques saints pour protecteurs de la Maison, leur demander leur

protection et leur secours, mais la très sainte Vierge m'a encore dit que je ne m'en misse point en peine, que tout cela était fait ; les saints sont venus devant qui ont tout pris. Comme j'ai vu cela, je suis demeurée

dans mon néant et me suis anéantie en la présence de Notre Seigneur,

voyant que je n'étais pas digne de travailler à son oeuvre, que sa bonté ferait toutes choses ». Là-dessus, une de nos Mères et moi lui dîmes :

« Ma Mère, nous croyons que vous êtes bien abaissée et petite devant Notre Seigneur ». « Oui, nous répondit-elle, vous dites vrai. Je suis si petite et si petite que vous ne sauriez imaginer comme je la suis » [ sic ].

Le mercredi en suivant, troisième [ jour ] de novembre, veille que l'on devait exposer le très Saint Sacrement pour la première fois, elle fut

trouver l'après-midi notre chère Mère sacristine et lui dit avec ardeur : « Ma Soeur, l'église est toute pleine d'anges ». « Quoi, ma Mère, lui répondit-elle, des anges ? Et où les faut-il mettre ? ». Elle croyait qu'elle en avait fait faire de sculpture pour mettre à l'autel. « Comment, ma

(50) Anne Morin. Elle prit l'hàbit le 23 janvier 1678, fit profession le 23 avril 1681 et mourut le 4 fevrier 1712.

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Sœur, reprit-elle, je vous dis les anges du paradis. Ils y sont plus épais que les atomes. Ce matin, entrant au choeur, comme j'adorais Dieu, il m'a été dit (je ne sais comme cela m'est tombé dans l'esprit) : « Tu cherches le paradis ? Il est ici, puisque j'y suis avec tous mes anges et tous mes saints qui m'y adorent ». Ces paroles m'ont pénétrée si fort que je ne savais plus dans quelle posture me mettre. J'y suis demeurée toute abîmée dans le respect ».

Tout le reste du jour, elle demeura comme hors d'elle. L'on voyait bien qu'elle ne se possédait pas. Elle voulut encore parer et orner l'autel ; elle y fut jusqu'à près de minuit. De temps en temps elle se mettait à genoux sur le petit banc proche le balustre, pour adorer le très Saint Sacrement. Notre chère Mère sacristine la voyant dans un si grand respect et application intérieure, s'approcha d'elle et lui dit : « Ma Mère, y sont-ils encore ? ». « Oui, ma Soeur », lui répondit-elle pour la seconde fois. « Ils y sont plus épais que les atomes. Ah ! si nous avions de la foi, nous serions ici abîmées de respect devant la grandeur et majesté de Dieu ». Elle lui dit ces paroles d'une manière si touchante qui lui donna à connaître qu'elle avait reçu une impression particulière de la divine présence de Jésus Christ dans le très Saint Sacrement, dont elle était toute pénétrée. Elle aurait bien voulu que tout le monde fût comme elle, si bien que, quoique l'on fût fort occupé même pour accommoder l'église, y ayant des ouvriers qui y travaillaient, que la nécessité obligeait de parler, elle ne le savait souffrir et en avait une grande peine.

FONDATION DU MONASTÈRE : 4 NOVEMBRE 1677

Le lendemain donc, qui était jeudi quatrième de novembre, l'on exposa le très Saint Sacrement pour la première fois avec toute la solennité possible. L'on peut juger que notre digne Mère n'omit rien pour rendre ce jour auguste, aussi bien que les suivants, car elle fit faire les prières des quarante heures, si bien que nous eûmes encore l'exposition du Saint Sacrement le vendredi et le samedi.

Ce fut M. Mallet, notre supérieur qui officia le premier jour, et deux autres personnes de qualité les autres jours en suivant. Chaque jour il y eut sermon par de très habiles prédicateurs. M. et Melle Nivers firent des merveilles, l'un par son orgue, l'autre par sa belle voix, aussi bien que nos bonnes Mères qui chantèrent tous les trois jours angéliquement, si bien qu'elles enlevaient le coeur des assistants, qui étaient aussi excités à dévotion que ravis de les entendre. Bien des personnes du monde ont avoué plusieurs fois qu'elles trouvaient quelque chose dans notre église de si particulier qui les élevait à Dieu qu'elles ne ressentaient point dans les autres églises, qu'aussitôt qu'elles y entraient elles y trouvaient tant d'onction que cela les mettait en dévotion. Il est a croire par là que Notre Seigneur les voulait attirer à le venir adorer. C'est ce qu'ils faisaient avec empressement, car c'était à qui serait le premier à notre église pour y avoir place, à cause de sa petitesse. Mais ce qui nous toucha toutes, c'est que comme nous avions fait avertir dans la ville par des billets qu'on avait fait afficher par toutes les rues, et même l'ayant fait publier dans les églises, le dimanche au prône, que nous commencerions ce jour la première exposition du très Saint Sacrement et que l'on ferait les prières des quarante heures, des personnes zélées pour le très Saint Sacrement, pour témoigner la joie qu'elles avaient de notre établissement, firent venir les tambours et les violons de la ville sans nous en avertir, si bien que, dans le moment que la sainte hostie fut mise dans le soleil [ l'ostensoir I et que le prêtre eut entonné le Tantuin ergo, ils se mirent tous à jouer durant que nous le chantions. Il est vrai que cela nous surprit, autant que cela nous réjouit, de voir la piété de ces personnes qui nous secondaient pour faire honorer le très Saint Sacrement. Notre digne Mère en fut si contente qu'elle leur envoya dire de revenir au salut, ce qu'ils firent, et jouèrent pendant tout le salut. Elle les récompensa bien, leur faisant donner une bonne pièce d'argent.

Mais il ne faut pas que j'omette à vous dire une particularité qui me paraît fort agréable et qui sans doute vous divertira. Notre digne Mère, -qui avait fait parer l'autel et l'église aussi bien qu'elle pouvait être, voulut aussi que tout le reste allât de même par le nombre des ministres à l'autel, à la sainte Messe et au salut, si bien qu'elle avait fait prier quatre clercs de s'y rendre, pour tenir chacun un flambeau aux pieds du Saint Sacrement. Comme je crois que cela ne s'était pas encore vu pratiquer en aucune église de cette ville, dans le moment qu'ils entrèrent dans le sanctuaire avec ces flambeaux allumés, il s'éleva plusieurs voix (apparemment c'étaient de pauvres gens qui en furent surpris) qui se mirent à crier : « O les bonnes serviteuses de Dieu ! Voilà qui est bien cela. C'est ainsi qu'il faut servir Dieu ». Ce qui fit bien rire toutes les personnes qui les entendirent si bien parler.

Notre Seigneur fit la grâce à là Mère de l'Enfant Jésus [ Zocoly qui avait été si mal jusqu'alors, de pouvoir être en état d'assister à l'exposition du très Saint Sacrement et même il lui donna le courage et la force d'entendre tout le service divin, dont elle eut bien de la joie, l'ayant toujours désiré.

Il ne faut pas demander si notre digne Mère était en jubilation ces saints jours et si elle n'avait pas bien du contentement de voir les nouveaux hommages et respects que l'on rendait au très Saint Sacrement dans notre église, où tout le monde s'empressait de venir pour l'adorer, autant par la curiosité et la nouveauté qui les y portaient (à ce que nous avons cru) que par dévotion, si bien que, durant l'espace de quinze jours ou trois semaines, notre église, tant les jours ouvriers que les fêtes, ne désemplissait pas. Quand les uns en sortaient, les autres y rentraient à foule.

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Mais disons à présent un petit mot des intentions particulières qu'eut notre digne Mère durant ces prières des quarante heures. Vous savez quelle est sa piété, qui lui donne des pensées toujours nouvelles pour honorer Dieu. Le vendredi après-midi [ 5 novembre ], m'étant trouvée par rencontre à sa chambre avec une de nos Mères qui lui parlait, elle nous dit qu'elle avait destiné ces trois jours pour des intentions particulières : « Premièrement, nous dit-elle, la journée d'hier fut employée pour adorer la très Sainte Trinité et rendre nos hommages à Jésus Christ par Elle, lui offrant cette oeuvre pour sa gloire. Aujourd'hui, c'est pour la très sainte Mère de Dieu. Je me suis appliquée particulièrement à l'honorer, ayant prié l'adorable Trinité de suppléer à tous les devoirs que nous lui devons, et j'ai mis cette oeuvre entre ses bénites mains. Demain, ce sera pour tous les saints, pour leur demander leur protection, afin que Dieu tire sa gloire de cette Maison et qu'il en soit honoré ; nous les remercierons aussi de toutes les assistances qu'ils nous ont rendues ».

Je lui dis : « Ma Mère, Notre Seigneur vous a bien donné dans ces jours ; il s'est bien communiqué à vous et fait des faveurs ; vous avez eu de belles lumières à ce que je crois ». Elle me répondit bonnement, dans une candeur et simplicité de coeur : « Je ne mérite pas ces grâces ; je ne suis qu'une misérable, mais, quoique je sois très pauvre, je n'ai pas sujet de me plaindre ; je me contente de ma pauvreté et il me suffit que mon Dieu soit tout. Ma joie est de n'être rien et de ne pouvoir rien. Hier tout le jour, je fus occupée de ces paroles de saint François [ d'Assise ] : Mon Dieu, mon tout. Je voyais la misère de la créature et son incapacité à honorer Dieu. En même temps, j'envisageais Jésus Christ au très Saint Sacrement, qui est son supplément, qui rend à son divin Père et à lui-même tout ce qu'il mérite d'adorations, d'hommages, de respects, de louanges et le reste. C'est pourquoi il n'y a qu'à s'unir à lui et demeurer anéantie à ses pieds, nous voyant comme des riens en la présence de celui qui est tout. Oh ! il est vrai, poursuivit-elle agréablement, que, pour le jour de la Toussaint, je fus bien prise, car je voulus faire quelque chose auprès de Notre Seigneur, mais je ne trouvai plus rien du tout. Les saints avaient tout pris, qui avaient tout porté à la très sainte Mère de Dieu, et cette aimable Mère avait tout donné à son divin Fils ». Huit ou dix jours après cette solennité, elle jugea qu'il était nécessaire que la Mère Sous-Prieure [ Anne Loyseau ] s'en retournât à Paris avec la chère Mère Hostie [ Hardy ], Mile Nivers et la Soeur tourière de Paris, qu'elle avait amenées, et, nous autres, nous restâmes avec notre très digne Mère. Nous avions une grande joie de pouvoir jouir encore quelque temps de son aimable présence qui, en vérité, nous fut bien aimable par la cordialité et bonté avec laquelle elle agit avec nous durant les quatre mois que nous eûmes le bonheur de la posséder. Mais, comme je prétends de vous en parler en un autre endroit, je n'en dirai rien de plus ici et je commencerai à vous rapporter quelque chose de ce qu'elle nous dit dans le premier chapitre, qu'elle nous fit, le douzième de novembre, où elle nous parla de cette façon, autant que je m'en peux souvenir :

PREMIER CHAPITRE TENU A ROUEN : 12 NOVEMBRE 1677

« Je vous exhorte, mes Soeurs, à vous renouveler dans la fidélité à la grâce de votre vocation, puisqu'étant dans un commencement d'établissement, il y a de nouvelles grâces pour vous. Mais ne vous attendez pas à avoir quelque chose d'extraordinaire et sensible. Non, la grâce des victimes n'est pas là, elle est dans la mort, dans l'anéantissement et la destruction d'elles-mêmes. C'est pourquoi, quand la Providence vous fournira des occasions de mort et de sacrifice, souvenez-vous que ce sont là les grâces qui vous sont présentées pour vous faire travailler à la sainteté que Dieu demande de vous, et ce sont celles-là que Dieu veut vous donner. Nous ne sommes pas venues ici pour paraître et pour éclater, mais pour être tout anéanties et être comme des riens dans l'esprit de tout le monde. Nous devrions nous estimer heureuses, si l'on nous jetait de la boue au nez. Oui, ce serait un grand bonheur pour nous si cela nous arrivait ; mais nous ne sommes pas dignes de cette faveur. Il ne faut rien de nous ici, il faut que nous vivions dans une séparation entière de nous-même et de nos intérêts. Jésus Christ veut prendre la place de ce nous-même, en sorte qu'il veut que ce soit. lui-même en nous qui travaille à son oeuvre. Croiriez-vous qu'il ne veut seulement pas de moi, oui, comme de moi ! Je veux dire qu'il veut que ce soit lui-même qui fasse tout et que je me dépouille tellement de moi-même qu'il n'y ait que lui seul qui agisse. L'on ne m'a donné à connaître autre chose dans ces jours de cérémonies, sinon que Notre Seigneur demande des âmes de cette Maison un abandon et délaissement de tout elles-mêmes entre ses mains pour qu'il fasse d'elles selon son bon plaisir et qu'il les anéantisse en toutes les manières qu'il voudra pour sa gloire et leur sanctification ».

Le jour des saints de l'Ordre, treizième de novembre, elle nous dit, au sortir de son action de grâce de la sainte communion, qu'elle avait eu toute la matinée, devant Notre Seigneur, une distraction sur le sujet de la « bonne âme », qui était qu'elle l'avait regardée comme la Sunamite [ I Rg. 1,1-4 ], qui réchauffait en quelque manière Notre Seigneur des froideurs que les pécheurs lui donnaient sujet d'avoir contre eux, en s'étant offerte pour satisfaire pour eux et ayant porté les peines que leurs péchés méritaient. Cette bonne âme est une grande servante de Dieu de la ville de Coutances (51), dont la plupart du monde ignore

(51) Marie des Vallées, née à Saint-Sauveur-Lend'elin (diocèse de Coutances), le 15 février 1590, mourut à Coutances le 25 février 1656. Cf. Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Paris, 1936, et C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 346.

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la sainteté, la tenant pour une magicienne, parce que Dieu la conduit par une voie fort extraordinaire que les personnes les plus spirituelles ont censurée et n'approuvent pas. Mais comme notre digne Mère connaît sa vertu et son mérite, tant par la communication qu'elle a eue avec elle par lettres, plus que par le rapport que les serviteurs de Dieu qui la fréquentaient lui en ont fait et plus aussi par les lumières que Notre Seigneur lui en a données et par les assistances qu'elle en a reçues depuis sa mort, si bien qu'elle a recours à elle et la prie souvent dans ses besoins et reçoit par son moyen des grâces très grandes, témoin celles qu'elle lui a faites ici, mais qu'elle n'a pas voulu déclarer. Elle eut donc le mouvement en commençant cette Maison de la mettre sous sa protection et de la prier qu'elle en prît soin, ce qu'elle lui promit. Nous avons cru que ç'avait été elle qui nous avait procpré toutes les traverses que nous avons eues, car l'on dit que toutes les âmes qui l'invoquent, elle ne leur obtient de Dieu que des croix et des humiliations, en connaissant le prix et l'excellence, et que ce sont les plus grandes faveurs qu'il puisse faire aux âmes en ce monde, elle-même en ayant été bien comblée, ayant souffert ce qui ne se peut concevoir. Notre digne Mère nous dit qu'elle obtiendrait aux religieuses de cette Maison la grâce du néant, de connaître Dieu en foi et d'être très pauvre intérieurement. Elle ajouta : « Cela n'est guère agréable pour l'amour-propre, qui veut toujours voir et sentir et ne peut souffrir sa destruction ». La veille de la Présentation de la très sainte Mère de Dieu [ 20 novembre 1, qu'elle fit la lecture, elle nous dit que Dieu avait fait toutes choses nouvelles, puisque la Maison l'était ; les sujets mêmes l'étaient, qu'il y avait aussi des grâces toutes nouvelles. Elle nous exhortait à ne les point négliger et laisser perdre, que pour cela nous devions vivre une vie toute nouvelle en quittant quantité de mauvaises habitudes que nous avions pu avoir ailleurs, qui ne devaient point être dans cette Maison, que nous devions vivre ensemble comme des petits enfants, dans une déférence et une entière condescendance, que tout ce que l'une désirera, l'auitre le voulût aussi, que nous ne tendissions partout qu'à contenter et plaire à Dieu. « Tâchez donc, mes Soeurs, nous disait-elle, et je vous en conjure de tout mon coeur, de ménager les grâces qui vous sont présentées. J'ose vous dire que si vous ne le faites, vous serez furieusement responsables devant Dieu. Je vous prie de ne pas manquer demain d'offrir tout l'Institut à la très sainte Mère de Dieu ; que toutes vos communions soient pour la prier que, puisqu'elle en est la maîtresse, la gouvernante et la souveraine, qu'elle le renouvelle, qu'elle le protège et l'assiste en tout et nous donne des sujets selon le coeur de son Fils et qu'elle empêche d'entrer ceux qui y seraient contraires ».

Le lendemain, jour de cette fête de la Présentation [ 21 novembre ], comme nous étions avec elle à la récréation, une de nos Soeurs lui témoigna qu'elle désirerait bien savoir ce que la très sainte Mère de Dieu lui avait dit ce jour-là. Elle lui répondit : qu'elle lui avait fait connaître que son offrande n'était pas la sienne, mais qu'elle avait eu quantité de distractions sur plusieurs choses de l'Institut, et entre autres que Dieu lui avait fait connaître qu'il demandait des Filles du Saint Sacrement une vie si cachée et inconnue aux créatures qu'elles puissent imiter Notre Seigneur, caché sous le voile des espèces sacramentelles où, quand on le reçoit, on ne le voit, ni le sent, si ce n'est pas par quelques petits rayons de foi. « Mais, me direz-vous, poursuivit-elle, s'adressant à nous toutes, que nous n'avons qu'à nous mettre derrière un rideau, que l'on ne nous verra point. Cela ne s'entend point ainsi, mais bien de toutes les productions de l'esprit humain, qui ne cherche qu'à faire paraître tout ce qui le peut faire éclater aux yeux des créatures. Dieu ne nous a amenées ici que pour être cachées. Encore une fois, en, effet, ne le sommes-nous pas ? On n'entend rien ici. Moi-même, je ne sais où je suis ; il me semble que nous pourrions fort bien vivre comme au désert, dans cette Maison.

« Mes Soeurs, quand vous allez au parloir, ne dites que le moins que vous pourrez, sous prétexte de parler à l'avantage de l'Institut. Tenez-vous petites, cachées et tout anéanties. Je me souviens, que ce bon Père Tellier, chartreux (52), quand je vins ici la première fois, me recommanda sur toutes choses d'emmener pour faire cette Maison tout ce que j'avais de meilleur. Nous ne sommes pourtant que de petites gens, pauvres et faibles, mais quand Notre Seigneur choisit des apôtres, il ne prit aussi que de petites gens, pauvres et grossiers, pour commencer l'édifice de son Eglise. C'est pourquoi, ne cherchons qu'à être petites. Pour l'autel, je le voudrais le plus somptueux et magnifique qui se pût, tant en richesse que pour le nombre et le bon ordre des ministres. Je souhaiterais aussi un petit rayon de foi à tous ceux qui viendront adorer ici : c'est le mystère de vérité.

« Dès le commencement de l'Institut, j'ai toujours souhaité de pouvoir faire en sorte qu'on eût un revenu suffisant pour pouvoir n'avoir aucune inquiétude sur ce sujet, en sorte qu'on n'eût point besoin de s'en occuper mais, comme des aigles qui n'eussent qu'à augmenter leur vol, toujours de plus en plus vers Dieu. J'ai dit à Notre Seigneur dès le commencement que je faisais mon marché à ce qu'il me donnât sa parole ou l'effet pour cela. Quelquefois je me plains à lui, et je lui fais mes doléances qu'il ne me donne pas les choses que je souhaiterais, que je lui demande et qui me semblent nécessaires. 11 me ramène bien à mon devoir, me disant : « Si tu n'as ni or ni argent entre les mains, en as-tu manqué dans le besoin ? Ne t'en ai-je pas donné quand il en a fallu ? N'ai-je pas soin de tout ? As-tu manqué encore de quelque chose ? ». Oh ! il est vrai,

(52) A l'époque qui nous intéresse, il y avait un Père Thomas Le Tellier, profès de la chartreuse de Val Dieu (Orne) et Dom Joseph Le Tellier, profès et prieur de la chartreuse de Rouen, puis de celle de Basseville, au diosèse de Nevers.

La chartreuse de Notre Dame de la Rose, fondée en 1384, par Guillaume de Lestranges, archevêque de Rouen, était située au faubourg Saint-Hilaire. Elle fut unie au prieuré de Saint-Julien-les Bruyères, à Quevilly, en 1600. Celui-ci appartenait aux bénédictins du Mont Sainte-Catherine. Les chartreux s'établirent sur l'emplacement de Saint Julien en 1672. On peut penser que c'est Dom Joseph Le Tellier qui a conseillé Mère Mectilde. Cf. Farin. op. cit., t. Il p. 124 - 128. Les Abbayes de France au Moyen Age et en 1947, Paris, Durassié, 1947, p. 194.

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et je le disais ces jours passés à une de nos Soeurs qui a vu la Maison de Paris dans son commencement, qu'elle eût à me dire si jamais elle avait manqué de quelque chose et si la Providence n'avait pas pourvu à tout ? Vous n'avez pas, je vous l'avoue, un revenu de soixante ou quatre-vingt mille livres de rentes. Mais, enfin, vous avez assez pour vivre honnêtement, et vous autres, mes Soeurs qui êtes ici, pouvez-vous me dire que quelque chose vous ait manqué ? La Mère Sous-Prieure Loyseau, qui n'est pas trop crédule, à moins qu'elle ne voie elle ne croit pas, a été surprise sur ce sujet et toute en admiration ayant vu ce qui se passait. Là-dessus j'aurais bien des choses à dire, mais il n'est pas encore temps à présent de les déclarer. ce sera pour un de ces jours (53).

« Je vous prie, mes Soeurs, commençons aujourd'hui une neuvaine à la très sainte Mère de Dieu pour la prier de nous faire connaître le lieu où son divin Fils veut être adoré et poser son trône ». Voilà tout l'entretien de notre heure de récréation ; n'est-il pas bien agréable ? 11 serait à souhaiter que l'on n'en fît jamais que de pareil.

Un jour que nous lui disions que nous pourrions bien être solitaires en cette Maison, elle nous répondit qu'elle tâcherait que cela fût et que, si elle n'y pouvait mettre autres choses, qu'au moins elle ferait son possible pour y établir cet esprit de solitude intérieur et extérieur, par un exact silence et éloignement des créatures. C'est à nous autres à nous y rendre fidèles, afin de ne la point frustrer de son attente et que l'esprit de retraite soit conservé ici.

Le lundi de la première semaine de l'Avent, 29 de novembre, elle fit le chapitre pour la seconde fois, où elle nous dit des merveilles, étant embrasée comme un séraphin ; je m'en vais vous en dire ce que j'en ai pu retenir. le moins mal que je pourrai. Je voudrais de bon coeur que ma plume fût assez heureuse pour vous donner l'onction qu'ont ses paroles quand elle les profère, mais n'ayant pas sa grâce, il m'est impossible. Je prie Notre Seigneur qu'il vous la donne pour que vous profitiez de ce que vous allez lire ou entendre.

SECOND CHAPITRE TENU A ROUEN : 29 NOVEMBRE 1677

« Ma Soeur, commença-t-elle à une postulante qui venait de dire sa coulpe, vous voulez être à Dieu, vous voulez lui plaire ; c'est pour cela que vous venez en religion, parce que c'est le lieu où on le cherche mieux, où on le trouve plus facilement, où l'on a plus de moyens de travailler à sa perfection et où l'on se rend plus agréable à lui. Pourquoi plus agréable ? Parce qu'on y fait toujours la volonté de Dieu et que la nôtre est anéantie, ce qui est un des plus grands bonheurs qu'on puisse avoir :

(53) Mère Mectilde a soutenu financièrement autant qu'elle l'a pu les premières années de notre monastère. On relève dans nos annales les dons suivants : 1677, 11.000 £ ; 1678, 6.600 £, 1680, 2.000 £ en plusieurs fois ; 1681, 1.084 £ ; 1687, 340 £ « pour les frais de maladie de la Mère Marie des Anges du Vay qui était alors maîtresse des novices et que l'on avait fait venir de Lorraine à cet effet ». La Mère Loyseau a apporté 110£ en 1680.

faire toujours cette volonté divine et jamais la nôtre. Mais vous me direz : Est-ce que dans le monde on ne peut pas se rendre agréable à Dieu, où l'on a tant de moyens de faire des bonnes oeuvres et des actions de vertu ? Oui, il est vrai, mais c'est que souvent l'amour-propre et la propre volonté s'y retrouvent là où, en religion, elles trouvent leur mort et leur tombeau, parce que tout ce qui s'y fait est fait par obéissance. Envisagez toujours la volonté de Dieu, qui vous est marquée par vos Règles, vos Constitutions et vos Supérieures. Purifiez vos intentions. Ne regardez rien que Dieu, dans le dessein que vous avez d'être religieuse. Anéantissez tous les autres motifs humains que vous pourriez avoir. Il faut que ce soit Dieu qui soit votre motif dans la vue de sa sainte volonté, qui nous y appelle. 11 y a une parole terrible dans l'Evangile et il y a bien quarante ans qu'elle m'a fait frayeur : « Toute plante, dit Jésus Christ, que mon Père n'a point plantée, sera arrachée » [ Mt. 15,13 ]. Cela est effroyable et se doit entendre et expliquer de l'intention pure que l'âme doit avoir en toutes ses actions, de plaire uniquement à Dieu ; et toutes celles qui ne sont point faites dans cette vue par le mouvement du Saint Esprit et par un principe de grâce ne sont pas reçues de lui. Ce sont des oeuvres mortes, qui nous seront arrachées et qui ne nous serviront que de sujet de condamnation. Dieu vous a plantée dans le parterre de la sainte religion, afin que vous fructifiiez en vertu et sainteté, que vous travailliez généreusement à votre perfection en mourant continuellement à vous-même, à vos humeurs et inclinations, et enfin en mortifiant incessamment en vous tout ce qui s'oppose à son esprit et à sa grâce.

« C'est lui qui vous a choisie et non pas vous qui l'avez choisi ; c'est ce qu'il disait un jour à ses apôtres : Non vos me elegistis, sed ego elegi vos [ Jn. 15,16 ]. Vous n'avez pas mérité cette grâce, elle est donc de la pure bonté et libéralité de Notre Seigneur, qui fait ses dons à qui il lui plaît. Rendez-vous digne par votre fidélité qu'il vous la conserve. Faites un bon fondement. Ce fondement doit être une profonde humilité, qui doit soutenir votre édifice spirituel. Faites comme il est dit dans l'Evangile : « Il a bâti sa maison sur le roc et rien n'a pu l'abattre ». Ce roc est la foi vive qui fait que nous nous appuyons entièrement sur Dieu ; ses fondements, c'est l'humilité. Il faut creuser dans notre néant et misère, nous abîmer dans le fond de notre corruption, voir que nous ne sommes capable d'aucun bien, attendre tout de la bonté de Notre Seigneur ».

Elle parla ensuite aux Soeurs converses : « Nous aurions besoin de faire ce que faisait un grand saint. Pour s'accoutumer à garder le silence, il mettait un caillou dans sa bouche pour se ressouvenir de ne point dire de paroles inutiles. Il nous faudrait faire la même chose pour nous abstenir de dire des paroles qui offensent Dieu et qui blessent la charité. Je ne saurais assez m'étonner que la langue, qui est si souvent honorée de l'attouchement de Jésus Christ, qui a la première l'honneur de le recevoir,. de le toucher et qui, en

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quelque manière, en peut faire ce qu'elle veut, puisqu'il lui serait libre de la garder et d'y laisser consommer la sainte hostie ; quoique les saints Pères ne soient point de ce sentiment, disant que pour communier il faut la manducation et elle ne se fait que quand elle passe de la bouche à l'estomac et qu'elle est reçue dans le coeur ; quoi, dis-je, cette langue, qui a le bonheur de recevoir son Dieu si grand, si adorable, si incompréhensible avec toutes ses perfections divines, tous ses dons et grâces, qui reçoit Jésus Christ avec toute sa sainteté, ses vertus et ses mérites, qui lui applique son sang précieux et tout ce qu'il a fait et souffert pour son salut, qui lui apporte son humilité, sa patience, sa douceur et toutes ses autres vertus, que voulez-vous de plus grand que cela ? Ce n'est pas les vertus des saints qu'il vous donne, mais ce sont ses vertus à lui-même, qu'il a pratiquées pour vous en donner l'exemple ; c'est sa sainteté, qu'il vous apporte pour vous sanctifier. Hé ! toutes ces 2riices infinies n'ont point le pouvoir de nous empêcher de dire des paroles qui offensent ce Dieu de bonté et de nous obliger à nous mortifier. Je n'ai jamais rien su de plus fort pour anéantir les passions que la sainte communion, et quand les fréquentes communions n'ont pas le pouvoir de nous les faire mortifier, en vérité je vous assure que je ne crois pas qu'il y ait rien autre chose qui nous y puisse porter. Quoi ! Dieu en lui-même, en sa force divine, n'aura pas ce pouvoir sur nous, qui s'anéantit jusqu'à la corruption de notre être et qui se réduit à la dernière des humiliations ! Oh ! mes Soeurs, cela est effroyable ! Je sais des âmes qui, ayant reçu beaucoup d'outrages et injures, et allant communier là-dessus, aux approches de Notre Seigneur, tous les ressentiments et les peines qu'elles avaient s'évanouirent, tant la sainte communion a de force sur les âmes saintes. Je vous prie de faire réflexion là-dessus ».

Elle parla ensuite à la communauté. « Mes Soeurs, vous n'êtes ici qu'une petite poignée, une petite troupe pauvre et faible mais vous serez fortes, si vous attendez votre force de Jésus Christ. Vous serez fortes par sa grâce et par sa vertu. C'est lui qui donne la force aux âmes les plus faibles. qui se confient en lui. Puisque Dieu vous a choisies pour cette oeuvre, je vous prie, mes Soeurs, de remplir ses desseins et de vous renouveler. Cette Maison étant nouvelle, toutes choses y sont nouvelles, les grâces nouvelles. Dieu demande de vous que vous vous renouveliez dans la fidélité que vous lui devez. Ce sera sur vos exemples que celles qui viendront se mouleront, et le bien que vous ferez durera jusqu'à la fin des siècles. Dieu vous a confié cette oeuvre plus qu'à moi, parce que je ne suis pas pour demeurer ici toujours. Mais vous autres, mes Soeurs, c'est à vous à la soutenir et à donner à Notre Seigneur la gloire qu'il prétend en tirer. Ne soyez pas indifférentes à la grâce qu'il vous a faite de vous avoir choisies, et n'écoutez point les pensées qui vous pourraient venir et qui vous donneraient de la peine, de vouloir plutôt être à une Maison qu'à une autre. Croyez, mes Soeurs, que, puisque Dieu vous a appelées ici, que c'est qu'il a dessein de vous faire quelques grâces et miséricordes particulières pour vos sanctifications, qu'il ne vous ferait pas peut-être si vous étiez restées dans cette Maison où vous vous imaginiez que vous seriez mieux. Voyez : Dieu fait tout pour notre plus grand bien. Soyons-en persuadées et tâchons de faire ce qu'il veut de nous. Vous avez les premières grâces, faites-en usage, ne les négligez pas. Ce sera sur vous autres que la sainteté de cette Maison roulera, ce sera vos exemples que l'on suivra. Hélas ! D'où vient que tant de Maisons n'ont pas subsisté dans la grâce et ferveur qu'elles avaient au commencement et sont tombées en décadence ? Cela ne vient que des sujets qui ne l'ont pas soutenue et qui l'ont laissée ralentir. Vivez, mes Soeurs, avec tant de pureté et de sainteté que ce malheur n'arrive point ici. Vous êtes les modèles des Filles qui sont entrées et vous le serez encore de toutes celles qui viendront, et vous autres, moulez-vous sur Jésus Christ ; qu'il soit votre prototype et votre exemplaire.

« Comme je ne suis pas pour demeurer ici toujours et qu'il faut de nécessité que je m'en aille, il faut que quelqu'une de vous autres soutienne l'oeuvre de Dieu. C'est pourquoi, mes Soeurs, priez Notre Seigneur qu'il fasse tomber le sort et manifeste celle qu'il a destinée pour cela, comme saint Mathias à l'apostolat, lorsque le sort tomba sur lui. Quand ce serait la dernière de vous autres et qui ne saurait que bégayer, il faut croire que Notre Seigneur lui donnera les grâces pour s'en bien acquitter. Commencez, nous dit-elle, une neuvaine à cette intention. Vous direz un Veni Creator et un Salve Regina à la très sainte Mère de Dieu. Je vous conseille de vous adresser à elle particulièrement, la suppliant instamment qu'elle fasse connaître celle que Dieu a choisie pour tenir sa place et être sa lieutenante. Vous savez que l'Institut lui appartient singulièrement, puisque c'est elle qui l'a fait ; je n'y ai point de part et vous connaîtrez un jour que je dis la vérité. Toutes les Maisons sont à elle, elles lui appartiennent, elle en prend soin. Je vous dirai que, la première, elle me l'a prise et s'en est emparée et ainsi de toutes les autres, qui lui sont dédiées, l'une à son très saint Coeur, l'autre à sa maternité divine et celle-ci à son Immaculée Conception. J'ai eu la pensée, comme cette Maison est toute nouvelle et qu'on ne lui a pas encore rendu tous les hommages qu'on lui doit, comme voici sa fête [ 8 décembre qui approche, j'ai cru qu'il serait à propos ce jour-là de lui faire un acte à peu près comme on le fait le dimanche dans l'octave de son Assomption, à Paris et aux autres Maisons, pour la prier qu'elle prenne un soin particulier de l'Institut et de cette nouvelle Maison. Nous le dresserons le mieux que nous pourrons, si elle m'en veut donner la grâce pour son honneur et gloire. Je me suis étonnée comment elle ne m'en avait pas donné la pensée le jour de sa Présentation, mais c'est peut-être, comme cette Maisdn est dédiée à cette fête, qu'elle veut qu'on lui rende cet hommage ce jour-là, qui est le commencement de son bonhetir. Il me semble que je n'ai jamais rien fait dans un si grand esprit de mort, un éloignement

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et dégagement et où il y a si moins de moi, que cette Maison. Je ne sais ce qui en sera ; cela se dit dans le secret entre nous autres » . Elle finit le chapitre par ces dernières paroles.

Elle dressa donc l'acte de la très sainte Mère de Dieu qui est admirable. Il est gardé dans les archives de cette Maison.

Acte dressé et prononcé par

Notre Très Révérende Mère Prieure

en l'année 1677 le jour de la Conception

Immaculée de la très sainte Vierge

dans notre Monastère de Rouen

Souveraine Princesse du ciel et de la terre, auguste Mère de Dieu, moi, Soeur Mectilde du Saint Sacrement, humblement prosternée au pied du trône de vos grandeurs, je viens, au nom de toute la communauté présente et à venir, offrir à votre majesté ce nouvel établissement comme une production d'un Institut qui vous appartient et que j'ose dire l'ouvrage de votre maternelle bonté, et, en cette qualité, nous vous supplions, très précieuse Vierge, de le vouloir agréer et recevoir sous votre singulière protection, acceptant et confirmant la déclaration que nous faisons par cet acte par lequel nous vous choisissons et reconnaissons pour la très éminente Abbesse et Supérieure perpétuelle de ce nouveau monastère, que nous vous consacrons aujourd'hui et dédions à l'honneur de votre très pure et Immaculée Conception. Recevez-le donc, précieuse Mère de grâces, et en faites l'objet de la complaisance de mon adorable Sauveur, puisque vous l'avez établi pour réparer sa gloire si souvent outragée en son divin sacrement. Prenez, s'il vous plaît, très auguste princesse, un pouvoir absolu sur ce monastère et sur tout ce qui lui appartient comme sur votre ouvrage, pouvant dire qu'il est entièrement à vous, et que si la Providence l'a mis entre mes mains, cela n'a été que pour le remettre entre les vôtres très pures et très saintes. C'est ce que je prétends faire par cet acte, en la manière la plus parfaite qui se puisse jamais imaginer, et, j'ose dire, avec toute la sainteté que la grâce peut esperer. Je vous supplie très humblement que, sans avoir égard à la main très impure qui vous le présente, il vous plaise le recevoir agréablement, vous le remettant entre les vôtres virginales pour le resserrer dans votre très saint Coeur, où Notre Seigneur Jésus Christ le regardera favorablement et, par vos saintes intercessions, le comblera des grâces qu'il a besoin pour le conserver en sa vigueur. Préservez-le de toutes les oppressions et attaques malignes des hommes et des démons. C'est ce que nous vous demandons toutes humblement, divine Mère de mon Sauveur. et que vous ne permettiez jamais qu'il soit reçu dans cette Maison aucun sujet qui ne soit attiré par une vocation purement divine, et qui ne puisse remplir les desseins de Dieu, en portant dignement et efficacement les qualités de victime de votre Fils. Accordez-nous, auguste Mère de Dieu, la grâce que l'intérêt humain ne souille point cet ouvrage ; soutenez-le par votre secours et par votre actuelle protection ; ne l'abandonnez jamais ; faites qu'il relève toujours de vos bontés et qu'il vous plaise le conserver dans la pureté et le dégagement qu'il a été établi. Prenez-en, s'il vous plaît, l'entière possession pour en être la maîtresse absolue. Pour cet effet, étant toutes prosternées à vos pieds, du plus profond de nos coeurs, nous vous faisons toutes de nouveau voeu solennel d'obéissance, et vous choisissons et déclarons pour le temps et l'éternité notre très glorieuse Mère Abbesse et Supérieure perpétuelle, sans que jamais cette élection se puisse révoquer, sous peine d'encourir votre indignation ; et, comme c'est par vous que notre Institut a pris naissance dans le sein de l'Eglise, c'est de vous qu'il doit dépendre et qu'il doit être régi, gouverné et conduit. Usez donc, très digne Mère de Dieu, du pouvoir absolu que vous avez sur nos personnes, sur nos vies et sur tout ce que nous sommes. Dirigez, commandez à celles qui osent prendre la liberté de se dire vos enfants, puisque par une bonté toute spéciale vous voulez bien être notre Mère. Animez-nous de l'esprit de Jésus, dont vous avez la plénitude, et nous rendez dignes de porter saintement la qualité d'hostie et d'être faites, avec lui, une même victime à la gloire de son divin Père. Agréez, très précieuse Vierge, nos humbles soumissions, acceptez nos sacrifices, régnez sur nous comme sur ce qui est entièrement à vous. Ne souffrez jamais de relâche aux hommages et adorations perpétuelles que nous devons au très Saint Sacrement, ni dans les observances régulières.

Comblez l'Institut de vos miséricordes, protégez-le, s'il vous plaît, et bénissez celles qui le professent, recevez-les en mourant et les présentez à votre Fils comme des holocaustes consommés à sa gloire. C'est la grâce singulière que nous espérons de votre maternelle bonté, à laquelle nous promettons fidélité inviolable.

En foi, de quoi, nous avons toutes humblement signé la présente pour servir de mémoire à l'avenir et d'obligation à toutes les religieuses de l'Institut.

Fait à notre monastère de Rouen le huitième décembre de l'année mil six cent soixante et dix sept.

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Elle le prononça à ses pieds le jour de la fête de son Immaculée Conception, et nous fit faire la même cérémonie que nous faisons le dimanche dans l'octave de sa glorieuse Assomption (54). Nous pouvons juger que, ce même jour, cette incomparable Vierge lui fit bien des faveurs et lui donna des lumières particulières sur cette Maison, car elle nous dit qu'elle croyait que Dieu y mettrait bien de la grâce. Le dernier jour de l'année, elle nous dit qu'elle connaissait tous les jours, plus que jamais, devant Dieu, qu'il y aurait peu d'âmes qui recevraient la grâce de victime ; et comme une de nos Soeurs lui dit : « Mais, ma Mère, l'Institut ne s'étendra donc guère, puisque vous dites qu'il y en aura si peu qui recevront cette grâce ? ». « Oui, ma Soeur, lui répondit-elle, je le répète encore, il y en aura peu qui la recevront, tant cette grâce est grande, et il n'y a pas de religieuses dans l'Eglise qui soient appelées à une si haute sainteté. Oui, dans le moment que je vous parle, je vois cela devant Dieu plus clair que le jour. Il vaut mieux qu'il y en ait peu et qu'elles vivent dans la pureté et sainteté de leur vocation. Voyez Notre Seigneur : il n'a pris que douze apôtres pour établir son Eglise et convertir toute la terre. Une petite poignée d'âmes feront plus que ne feront quantité d'autres, qui ne vivraient pas dans la sainteté où elles seraient obligées ; et aussi, dans les grandes communautés, il n'y a pas tant d'union ». Un autre jour, nous parlant encore de la sainteté de notre vocation, elle nous dit : « Mes Soeurs, ne vous attendez pas que toutes les Filles de Rouen viennent ici ; non, non, et la suite vous le fera voir ». Ce que nous avons vu être véritable et que nous voyons encore tous les jours, n'y ayant presque point de Filles qui se présentent pour être religieuses.

Le 18 de janvier, de l'année en suivant, 1678, étant à la récréation, où elle nous entretenait familièrement de Dieu comme à son ordinaire, à propos de ce qu'on parlait, elle s'approcha d'une dame de Paris, de nos bienfaitrices, qui était venue exprès pour avoir l'honneur et le bonheur de son entretien et la voir plus souvent qu'elle ne faisait à Paris. Comme elle demeurait actuellement dans notre Maison, elle avait cette consolation tant qu'elle voulait, étant toujours avec nous dans les récréations ; elle avait la satisfaction d'entendre toutes les choses saintes que cette digne Mère nous disait, ce dont elle était charmée. Elle nous disait que jamais elle n'avait entendu personne parler de Dieu comme elle. Elle avait une si grande plénitude de Dieu qu'il semblait qu'elle en regorgeait. Notre digne Mère lui dit donc tout bas à l'oreille : « Ah, ma soeur ! (c'est ainsi qu'elle l'appelait),

(54) Dès la fondation du premier monastère de son Institut, Mère Mectilde le confia à la Sainte Vierge, se jugeant indigne d'être supérieure. La première « élection de Notre-Darne, Abbesse » se fit le dimanche dans l'octave de l'Assomption 1654, et, depuis lors, se renouvelle chaque année dans tous les monastères de nos fédérations. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et 296, et Lettres inédites, 1976, p. 162 et 297, et Arch. Nat., L 763, 98 et 99.

quand Dieu veut, comme il terrasse et abat en un instant et qu'il sait bien anéantir ! La veille des Rois, il me terrassa tout d'un coup et je demeurai là écrasée, où je fus trois ou quatre heures. Tout ce que je pus faire fut de m'enfoncer et abîmer dans mon néant. Mais, après ces coups. la nature se trouve toute accablée ; l'on a de la peine à en revenir ». Il faut croire que ce qu'elle dit, qu'elle fut frappée la veille des Rois, se doit entendre de la nuit de cette fête, car, la veille, elle parut dans une gaieté extraordinaire, comme si elle eût été hors d'elle. Le matin, elle nous fit une conférence admirable sur le mystère de l'Epiphanie. Tout le reste du jour, il semblait, à la voir, qu'elle ne se possédait pas. Toutes celles qui lui venaient au rencontre, elle leur disait : « Nous avons vu l'étoile et nous sommes venues l'adorer ». Elle s'expliqua à quelques-unes de nous, nous disant qu'elle avait eu l'inspiration de venir adorer Notre Seigneur au Saint Sacrement et de le faire adorer dans cette ville de Rouen. L'on ne s'aperçut donc qu'elle était mal qu'à matines, où elle ne pouvait presque parler. L'on voyait bien qu'elle se forçait et qu'elle n'en pouvait plus. Mais son grand courage, joint à sa mortification, qui lui donne une dureté effroyable sur elle-même, car l'on peut dire que jamais elle ne se plaint qu'à l'extrêmité, quand elle ne peut plus cacher ce qu'elle souffre et que le mal l'accable entièrement, elle n'en dit donc rien à personne. Dès six heures et un quart du matin, elle se trouva au choeur, fit son oraison, dit prime et tierce avec la communauté ; ensuite, elle entendit la sainte Messe, où elle fit la réparation (55). Elle nous a avoué qu'elle eut bien de la peine à s'y tenir à genoux, et cependant elle ne laissa pas de demeurer encore une heure à son action de grâces de la sainte communion, comme à son ordinaire. Mais voyant que le mal l'accablait si fort qu'elle ne savait plus se soutenir, elle sortit du choeur et s'en alla à sa chambre où, par providence, une Soeur converse la suivit pour lui dire un mot. Ce fut dans ce moment que, ne pouvant plus celer ce qu'elle souffrait, parce qu'il lui prit un grand mal de coeur avec une faiblesse qui l'obligea à se jeter entre les bras de notre bonne Soeur (jugez de son effroi la voyant avec le visage d'une morte), tout ce qu'elle put faire fut de l'aider à se mettre sur son lit, où elle demeura tout le jour sans pouvoir se remuer, et l'on eut bien de la peine le soir à la mettre dedans. Nous étions toutes dans une douleur qui se peut bien concevoir mais qui ne se peut exprimer, dans la crainte que nous avions que Dieu ne la retirât de ce monde. Mais comme elle nous voyait si affligées, dans sa bonté elle nous consolait, disant toujours que nous ne nous missions point en peine, que le quatrième jour elle se porterait mieux, qu'elle devrait avoir été beaucoup plus mal qu'elle

(55) L'un des aspects du charisme propre de Mère Mectilde est, avec l'adoration du Christ présent dans l'Eucharistie, l'esprit de réparation. C'est pourquoi, « chaque jour, au nom de la communauté, une Soeur se tiendra dans la prière et le silence en union plus profonde avec le Christ Sauveur, pour réparer par Lui la gloire de son Père offensé par le péché ». Cf. Déclarations sur la Règle de Saint Benoil pour les moniales Bénédictines du Saint Sacrement de la Fédération Française, 1975, chap. 20.

Mère Mectilde avait si bien compris que seul le Christ est prêtre et victime de l'Alliance nouvelle, qu'elle enjoignait à celle qui faisait « la réparation » de communier ce jour-là à la messe conventuelle.

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n'était, vu la manière dont elle avait été frappée, qu'il ne lui fallait qu'un peu de repos, qu'elle dirait les remèdes qu'il lui faudrait. Elle se fit aussi saigner deux fois, et le samedi, qui était le troisième jour de sa maladie, elle fut entendre la sainte Messe et communier. A six heures du matin, elle se portait bien mieux, après la Messe conventuelle et l'action de grâces de la sainte communion. Nous la fûmes voir, et sur ce que nous lui dîmes qu'elle avait encore le visage bien malade et touchait beaucoup : « Tout beau, nous répondit-elle dans sa manière agréable, tout beau, ne dites rien seulement, car Notre Seigneur me traite bien doucement ; ce n'est pas pour l'amour de moi, mais pour l'amour de vous autres ». Il est vrai que le quatrième jour elle se trouva bien et fit comme si elle n'avait point été malade, si bien qu'elle vérifia ce qu'elle avait dit que ce jour-là elle serait guérie.

Feu Mme de Grainville (56), que tout le monde connaît pour une grande servante de Dieu, qui a été favorisée de sa. Majesté de grâces très singulières, avait fait une grande liaison avec notre digne Mère quand elle vint ici. Mais, chose bien particulière, c'est qu'il y avait trente ou quarante ans qu'elles se connaissaient l'une l'autre par une voie extraordinaire et une lumière de Dieu, sans s'être jamais vues, ni parlé. Cette bonne dame, qui me faisait un peu l'honneur de m'aimer, me dit un jour que, la première fois qu'elle eut le bonheur de l'entretenir, elle fut ravie de la pureté, simplicité, humilité et droiture de son âme, parmi tant de talents que Dieu lui a donnés et qu'elle ne croit pas avoir, car sa profonde humilité la cache tellement à elle-même qu'elle ne se voit remplie que de défauts et la plus incapable du monde. C'est ce qui est admirable et qui la fait conserver tous les dons de Dieu sans les souiller par la moindre petite complaisance. Ce qu'elle a encore de particulier et qui ne se trouve en presque point d'âmes, c'est que toutes les choses qui naturellement la devraient élever, la portent à s'abaisser. Plus lui fait-on d'honneur, plus lui donne-t-on de louange, plus elle s'humilie et s'anéantit. Il semble que son centre, c'est la profondeur du néant, où elle s'enfonce toujours de plus en plus pour y trouver plus intimement son Dieu, qui opère tout en l'âme qui n'est plus rien. Cette bonne dame me dit donc qu'elle lui avait été trois jours si présente à l'esprit qu'elle ne pouvait penser qu'à elle et que, dans le temps même qu'elle était devant son crucifix et en oraison, il lui était toujours représenté la beauté de son âme ; et poursuivant, elle me dit : « Depuis soixante ans que je suis au monde, j'ai bien vu des serviteurs et servantes de Dieu, mais je vous assure que je n'en ai jamais vu une comme la Mère du Saint Sacrement ». Ce sont ses propres termes.

(56) Madame de G rainville décéda en décembre 1679. Les lettres de Mère Mectilde de novembre et décembre mentionnent ce décès et parlent de sa fille carmélite. Le registre des entrées du Carmel de Rouen note « n" 110 Sr Marie Thérèse de Jésus, fille de M. de Gonnelieu, seigneur de Grainville, entra à ce monastère le 21 juillet 1663, âgée de 18 ans. Elle a pris l'habit de notre saint ordre le 14 octobre même année ». Renseignement aimablement communiqué par le Carmel de Boisguillaume (Seine-Maritime). La famille de Gonnelieu était bienfaitrice de ce couvent, et Marie de Gonnelieu, veuve de messire Léonor du Bosc, châtelain de Radepont, Fleury et autres lieux, avait été inhumée dans l'église. Cinq religieuses portant le même nom entrerent au Carmel au cours du XVIle siècle.

Quelque temps donc après sa maladie dont je viens de parler, elle la vint voir et lui dit qu'elle n'était pas venue plus tôt lui rendre visite, parce qu'elle avait connu qu'elle était malade ; que dans le moment qu'elle avait été mal, elle l'avait vue frappée à la mort, mais que, la voyant ainsi, elle avait recouru à la très sainte Mère de Dieu, lui disant : « Hé ! Sainte Vierge, souffrirez-vous, dans la conjoncture des affaires présentes et dans un commencement d'établissement où elle a encore tant de choses à faire, que Dieu la retire ? ». Dans le moment, elle avait vu la très sainte Mère de Dieu s'approcher de son divin Fils, lui demandant qu'elle achevât les oeuvres qu'elle avait commencées pour sa gloire, ce qu'il lui accorda, et que dans l'instant le mal avait cessé. Une autre sainte âme, parlant d'elle à la Mère Sous-Prieure de Paris [ Anne Loyseau 1, durant que notre digne Mère était à cette fondation, lui dit qu'elle la voyait devant Dieu, quoiqu'elle fût bien éloignée de sa personne, claire comme un miroir ; ce qui nous fait connaître combien grande était la pureté de son âme et la droiture de son coeur,tout embrasé de l'amour de son Dieu. Aussi, c'était admirable de la voir agir en toutes choses. Son esprit était toujours élevé et uni à Dieu. Elle réclamait continuellement le secours de la très sainte Mère de Dieu. La première fois qu'elle reçut de l'argent, qui était la dot d'une fille, étant allée à sa chambre lui faire une commission, elle me dit : « Ma Soeur, voilà le premier argent qui entre dans la maison ; priez bien la très sainte Mère de Dieu qu'elle le bénisse ». Je ne doute point que cette Mère de bonté n'ait exaucé sa prière et qu'elle ne l'ait béni de toutes manières pal' les secours miraculeux que nous avons reçus de la divine Providence, qui l'a multiplié plusieurs fois, dans le besoin, comme nous l'avons vu et, partant, nous en pouvons assurer. Une fois entre autres la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ], n'en ayant plus et ne sachant où en prendre, fouillait par rencontre dans quelques tiroirs ou cachettes. Je ne sais pas bien dans quoi c'était, ,elle trouva plusieurs louis d'or, qu'elle m'a dit n'avoir eu aucun souvenir de les y avoir mis ; qu'elle croyait qu'il y avait du miracle en cela et un secours particulier de Dieu. Il faut donner cette louange à cette bonne Mère qui le mérite, c'est que l'on peut dire qu'elle a une grande confiance en Dieu à ce qui m'a toujours paru. C'est pourquoi elle a plusieurs fois ressenti les effets de sa confiance et la vérité des paroles de l'évangile qui dit qu'il nous est fait selon notre foi. Mais une chose assez surprenante et qui va vous faire rire, touchant la bénédiction que notre argent avait, c'est que toutes les vendeuses au marché couraient après notre Soeur tourière, afin qu'elle leur achetât quelque chose pour avoir de l'argent de la Maison, disant que, quand elles en avaient, c'était assez pour qu'elles vendissent toutes leurs marchandises. Si bien que c'était à qui lui vendrait. Ces pauvres gens aimaient mieux y perdre en donnant les choses à meilleure composition, pour avoir de cet argent qui leur portait tant de bonheur.

Quelque temps devant que nôtre très digne Mère s'en retournât à

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Paris, elle nous donna les instructions suivantes, nous parlant familièrement à la récréation : « J'ai, nous dit-elle, une chose surtout à vous

recommander, c'est l'union et la paix entre vous autres. Si cela est, tout

ira bien, car le démon fait tout ce qu'il peut pour la troubler, excitant dans l'une une froideur contre une autre, dans l'autre une jalousie, dans

l'autre un murmure, dans cette autre une pique de ce qu'une autre aura

fait innocemment qui ne lui a pas plu, ou bien il causera à une autre une amertume, et tout cela cause la désunion qui est où le démon tend

toujours. II n'y a aussi que cette union qui soutienne les communautés. Quand elle est dans les Maisons, elles subsistent ; mais aussi, sans cela, je n'en fais pas grand cas. C'est pourquoi je ne saurais assez recommander cette sainte union, qui fait régner l'esprit de Jésus Christ dans les communautés.

« Prenez bien garde de bien élever vos Filles pour la sainte religion. Quand vous verrez des esprits qui n'iront pas droit, allant je ne sais comment chercher midi à quatorze heures, comme l'on dit, ou que cela change ou défaites-vous-en: il faut qu'elles aillent à Dieu tout simplement et dans la droiture de coeur. Ecoutez : allez-vous-en à la très sainte Mère de Dieu confidemment ; quand vous aurez quelque peine ou autre chose, elle vous secourra infailliblement. J'ai expérimenté cela dans une Maison d'où je sortis il y a bien des années, où j'avais été Supérieure. Les religieuses ne pouvaient se consoler, et particulièrement une qui était dans la dernière douleur, si bien qu'elle en pensa mourir. Je pris une image de la très sainte Mère de Dieu que je mis à notre place, leur disant qu'elles la prissent pour leur Supérieure et que, si elles voulaient permettre qu'il n'y en eût point d'autre qui occupât cette place, qu'elles seraient heureuses et auraient tout ce qu'elles souhaiteraient ; et moi je leur assurai de sa part que si elles s'adressaient à elle, elle leur donnerait tout et elles subsisteraient ; ce qui n'a pas manqué ». Cette communauté s'étant bien accrue depuis ce temps-là, reconnut les bénédictions que cette Mère de miséricorde a versées, tant sur le spirituel que sur le temporel de leur Maison. Cette Maison était les religieuses Bénédictines de Notre-Dame de Bon Secours de Caen, où elle avait été mettre la réforme devant que d'établir notre Institut (57). Vous voyez à présent que la très sainte Mère de Dieu en a voulu prendre une entière possession, l'ayant unie à notre Institut, qu'elles ont embrassé avec ardeur. Cette divine reine en étant abbesse et notre unique et perpétuelle supérieure pour jamais, on peut dire que toutes les religieuses qui y sont incorporées lui appartiennent singulièrement, ce qui leur doit être, et à nous, une grande consolation et assurance de sa protection. Je ne doute point que ce n'ait été notre digne Mère qui ne leur ait attiré cette grâce, dans le temps qu'elle a été leur supérieure.

(57) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 67 et sq, et Lettres Inédites, 1976, p. 127. Pour l'agrégation de ce monastère à notre Institut, voir, dans la deuxième partie de ce volume, les lettres de mai 1684 à octobre 1685 et n. 70.

[ Mère Mectilde poursuit ] : « Vous n'avez que faire de m'aller f chercher à Paris pour me trouver Vous me trouverez au très Saint

Sacrement ; c'est là que l'on trouve tous ses amis. Vous êtes bien assurées d'une chose que, quand je m'en irai, mon corps sera à Paris, mais que mon coeur sera ici. Je m'immole pour m'en aller. Je ne sais ce qu'il y a dans cette Maison pour moi, mais j'y trouve des grâces toutes particulières. Cela est admirable de la conduite de Dieu qui vous y a fait venir, vous autres qui êtes toutes jeunes et faibles, car il y en a plusieurs chez

nous qui auraient été plus fortes assurément. Et ne m'allez point dire : « Mais c'est qu'elles ne l'auraient pas voulu ! ». Je vous dis encore une fois que rien ne se fait sans dessein particulier du côté de Dieu ». Il est vrai aussi que, comme elle ne savait pas celles qu'elle y devait amener, elle fit dessein de les tirer au sort, mais, le jour de la Pentecôte qu'elle avait destiné pour ce sujet, comme elle nous le dit, il est croyable qu'à la sainte communion Notre Seigneur lui fit connaître celles qu'il voulait qui y allassent, car le soir, à la récréation, comme nos Soeurs lui demandèrent si elle avait tiré les billets, elle leur répondit en riant : « Non, non, je ne les ai pas tirés ». Là-dessus nos Soeurs lui dirent : « D'où vient donc. ma Mère, car vous nous aviez dit de prier Dieu pour ce... ». Elle leur repartit encore en riant, pour ce et n'acheva pas. Et quelques jours après, étant en particulier avec une de nos Mères à qui elle parlait de cette Maison, elle lui nomma toutes celles qui y devaient venir, qui ont été les mêmes qu'elle y a envoyées. Mais je continue la suite de ce qu'elle nous dit ici sur ce sujet. « Notre Seigneur, poursuivit-elle, choisit ainsi de pauvres petites gens pour ses apôtres ; il faut aussi que vous soyez petites et les plus petites religieuses de Rouen. Quand l'on vous viendra dire des choses, comme il s'en disait l'autre jour au tour, qu'une telle dame abbesse disait que nous n'avions que ses restes, à la bonne heure, dites : « Eh bien il est juste, puisque nous venons les dernières, que nous soyons les dernières partagées ! Et ainsi du reste. Si l'on vous méprise ou se moque de vous, estimez-vous bien heureuses ».

Nous pouvons dire qu'elle nous a dit des merveilles dans cette fondation, car Notre Seigneur lui donnait une si grande abondance de belles pensées et de bons sentiments qu'elle ne pouvait les retenir ; il fallait qu'elle les épanchât au dehors et nous en fît part. De même que vous voyez ces fontaines qui, ayant une trop grande abondance d'eau qu'elles ne peuvent contenir, se déchargent dans quantité de petits canaux qui reçoivent ce qu'elles ont de trop, ainsi notre digne Mère nous communiquait une partie de ses lumières et des faveurs que Notre Seigneur lui faisait, car elle voyait bien qu'elle en avait trop pour elle seule et qu'elle les recevait autant pour nous que pour elle. Il aurait été à souhaiter que nos chères Soeurs qui jouissaient continuellement de son aimable entretien eussent voulu écrire tout ce qu'elles lui entendaient dire qui les ravissait, pouvant assurer que ceci n'est que de petits fragments de ses instructions et du peu que j'en ai pu remarquer en passant, quand je lui allais faire les commissions du tour. La Providence,

78 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 79

m'ayant mise dans cet office, m'a empêchée de jouir du bonheur de nos chères Soeurs de l'entendre si bien parler de Dieu, comme elle faisait dans toutes les conversations qu'elle avait avec elles.

L'on ne peut s'imaginer avec quelle bonté, amour, charité et cordialité elle agissait avec nous. Elle s'était rendue comme un enfant par sa

complaisance et condescendance. Il semblait qu'elle prenait plaisir à faire

tout ce que nous souhaitions, pour nous donner des marques de son affection. C'était en vérité une aimable Mère avec ses bonnes filles.

Jamais nous n'avions eu la consolation de la posséder de la sorte, car,

quoique nous fussions toutes du premier monastère de Paris, les grandes occupations qu'elle y a continuellement l'empêchent de nous donner

cette satisfaction aussi souvent que nous désirons. Cette digne Mère ayant donc fait de sa chambre celle de la Communauté, le froid nous obligeant d'y travailler, nos chères Mères et Soeurs étaient toujours avec elle, jouissant de sa chère présence, qui leur donnait une grande joie.

Enfin, après cinq mois de la possession de notre digne Mère, que nous honorions et affectionnions plus que jamais, il fallut nous résoudre à sa

cruelle séparation. Il semble que Notre Seigneur avait permis qu'elle nous témoignât tant d'amitié pour nous rendre sa perte plus sensible et notre sacrifice plus grand. Mais, pour le bon ordre de cette Maison elle crut devoir en établir une à sa place pour la conduire en son absence, en attendant qu'elle fût en état de faire l'élection d'une Prieure et, depuis quelques mois, elle nous avait fort recommandé de prier Notre Seigneur qu'il manifestât celle qu'il avait destinée pour occuper cette place. Elle-même l'avait beaucoup demandé à Dieu, si bien que, pour cet effet, elle composa une petite oraison pour en prier Notre Seigneur : « Très sainte et très auguste Mère de Dieu, comme vous êtes notre précieuse Mère et que tout notre appui et notre confiance sont en votre bonté, nous vous demandons humblement votre secours, vous suppliant nous faire connaître le choix que Dieu veut faire du lieu de sa demeure et où il lui plaît de poser son trône eucharistique, et qu'il vous plaise aussi, très glorieuse Mère, nous manifester par ces billets celle que vous choisissez pour présider, sous votre autorité, dans cette petite communauté qui vous reconnaît pour sa souveraine et qui veut à jamais dépendre de vous. Bénissez-la, s'il vous plaît, et la préservez de péché ». Elle la fit mettre dans le tabernacle avec les noms des deux religieuses qu'elle en croyait le plus capables, par billet séparé, afin qu'après on les tirât au sort, ce qu'elle fit faire par la chère Mère maîtresse [ Thérèse du Tiercent ], devant le très Saint Sacrement, sans lui dire ce que c'était, étant une de celles sur qui elle avait jeté les yeux pour ce sujet. Mais elle tira la Mère de Sainte Magdelaine [ des Champs ], si bien que notre digne Mère, le mercredi des Cendres, cinq jours avant son départ, fit le chapitre, comme c'est la coutume de la sainte religion, où elle l'établit Sous-Prieure et lui donna le soin de cette Maison.

Elle nous exhorta et encouragea beaucoup à servir Notre Seigneur de notre mieux dans son oeuvre ; qu'il était vrai que nous avions bien à mourir et à sacrifier, mais qu'il saurait bien nous en récompenser, si nous lui étions fidèles. « Mais comme je sais, nous dit-elle, que vous avez besoin de forces, il est juste de vous en donner. C'est pourquoi je permets à celles qui le voudront de communier tous les jours, afin d'en

prendre en Notre Seigneur ». Elle nous consola de son mieux, tant par les belles choses qu'elle nous dit que par les bontés qu'elle nous témoigna, nous sachant toutes si touchées de son départ. Un jour ou deux devant, parlant aux novices, elle leur recommanda de bien pratiquer les points suivants, comme étant très nécessaires pour leur perfection.

1. « Mes Soeurs, leur dit-elle, tâchez de vous établir dans un silence inviolable, qui vous porte à une sainte présence de Dieu et à un profond recueillement.

2. « Une exactitude achevée dans toutes les observances de la Règle, jusqu'aux plus petites et moindres actions qui doivent être faites pour Dieu.

3. « Exercez-vous dans une parfaite obéissance, puisque c'est le chemin assuré pour avancer dans la véritable perfection.

4. « Travaillez à qui sera la plus petite et la plus humble et qui tiendra le moins de place dans l'esprit des créatures, faisant tout votre possible pour vous anéantir dans tout le créé. Demeurez bien persuadées que vous n'êtes que poussière et que des néants qui ne peuvent être trop méprisés et rebutés, et partant, quoiqu'il vous arrive, tant de la part des créatures que de vous-mêmes, croyez que c'est toujours trop peu pour des néants qui ne sont dignes que de mépris. Travaillez à vous défaire de je ne sais quoi de naturel, qui vous fait rechercher toujours d'être aimées et flattées et reçues avec un abord doux et affable.

5. « Une ouverture de coeur très sincère envers votre chère Mère maîtresse, regardant toujours Dieu en elle et vous souvenant que, si vous êtes véritablement humbles et bien disposées, vous trouverez une grande onction de grâce dans ses moindres paroles, quand elle ne vous en dirait qu'une ; je vous réitère donc encore une fois que vous regardiez toujours Dieu en elle et en toutes vos Supérieures ».

Elle ne se contenta pas seulement de nous avoir si bien parlé, elle nous mit en écrit les choses qu'elle crut les plus nécessaires, tant pour l'édification de l'oeuvre de Dieu que pour notre perfection. Elle m'en donna le papier trois jours devant son départ, m'ordonnant de le lire à nos chères Mères et Soeurs quand elle n'y serait plus. Comme c'est une manière de lettre, nous la mettrons avec les autres qu'elle a écrites à cette communauté (58).

Ce qui nous consola un peu dans la grande douleur où nous étions de la perdre, fut les dernières paroles qu'elle nous dit la veille de son départ, nous voyant toutes si affligées, elle-même l'étant beaucoup de nous quitter. Elle nous dit donc : « Il faut que je vous dise pour nos consolations que, comme j'avais grande peine à faire mon sacrifice

(58) Voir dans la deuxième partie, lettre du 28 février 1678.

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pour m'en aller et que je ne savais m'y résoudre, aujourd'hui, dans le moment que j'ai eu communié, j'ai vu que Notre Seigneur vous renfermait toutes dans son Coeur avec son oeuvre. Je vous avoue que cela m'a attendrie et je vois bien des grâces pour vous autres, si vous êtes fidèles ».

DÉPART DE MÈRE MECTILDE : 28 FÉVRIER 1678

Le lendemain, comme elle venait de communier et qu'elle était à la porte pour s'en aller, la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] lui demanda si elle nous avait encore vues dans le coeur de Notre Seigneur. « Oui, lui répondit-elle, je vous ai retrouvées où je vous avais vues hier et dans le coeur de la très sainte Mère de Dieu ; et si je n'avais pas eu crainte de vous attendrir, et moi aussi qui suis beaucoup plus faible que vous autres, je vous aurais encore dit des choses plus consolantes. »

Après nous avoir dit ces dernières paroles, elle se sépara de nous le premier lundi de carême, le 28 février de l'année mille six cent septante huit, et nous laissa dans la douleur que l'on peut juger de son absence. Dieu seul a connu et a été le témoin de notre peine sur ce sujet, qui nous a été plus rude à supporter que toutes les autres que nous avons souffertes dans la suite de cette oeuvre, d'autant plus qu'elle a été accompagnée de certaines circonstances que la prudence m'oblige de tenir sous silence, qui nous l'a rendue plus difficile à soutenir. Mais n'en disons pas davantage sur cette matière, sinon qu'elle a été le commencement de notre crucifixion qui, étant plus intérieure, nous a été aussi plus sensible.

Commençons à faire le récit des traverses que l'on nous a faites et des oppositions que nous avons eues pour tout ce que nous avons voulu entreprendre, qui serait presque incroyable si tout le monde n'en avait été témoin. Après donc une année entière de privation de notre très digne Mère, voyant donc nos ardeurs et nos gémissements pour son retour et le besoin que nous avions de sa présence, remplie du désir de nous contenter et consoler, [ elle ] se résolut à faire un second voyage pour ne nous pas priver plus longtemps de sa présence. Même sa bonté fut si grande qu'elle abandonna des affaires de conséquence qu'elle avait, lesquelles elle espérait être terminées en peu de temps, pour nous donner cette satisfaction, quoiqu'elle fût certaine qu'elle ne ferait aucune chose pour l'avancement de cette oeuvre dans ce voyage-là, ainsi qu'elle le dit à une de nos Mères de Paris en ces termes mêmes : « Ma fille, l'on me presse d'aller à Rouen ; il faut y aller puisqu'on le veut, quoique je sache bien que je n'y ferai encore rien ». Ce qui n'a été que trop véritable, puisqu'elle s'en retourna à Paris comme elle en était venue, sans avoir terminé la moindre chose.

TROISIÈME VOYAGE A ROUEN DE MÈRE MECTILDE : 16 MAI 1679

Sa déférence aux sentiments des autres et sa bonté pour nous, nonobstant la croyance et la certitude qu'elle avait par la lumière qui lui en avait été donnée de Dieu que son voyage serait inutile, la fit partir de Paris le mardi de l'octave de l'Ascension de l'année 1679, le 16 du mois de mai, et arriva à Rouen le jeudi au soir 18 avec Madame la Duchesse d'Aiguillon (59), qui l'avait voulue amener elle-même dans son carrosse. Jugez de notre joie dans une si heureuse possession. Elle nous donna les marques de sa tendresse ordinaire, et nous de notre part de respect et d'affection de vraies Filles envers une si bonne Mère. Elle pensa sur l'heure au moyen de nous donner toutes sortes de contentements. Comme la première chose qu'il fallait faire était les professions des novices, qui avaient plus de leur année accomplie, elle prit résolution de les faire au plus tôt. Pour cet effet, elle en parla à M. Malet, grand vicaire de Mgr l'Archevêque et notre supérieur, qui lui fit une réponse à laquelle l'on ne s'attendait pas, qui était qu'il ne croyait pas que Mgr l'Archevêque (60) le permît que l'on n'eût une maison en propre, qu'il en fallait avoir une pour cela et qu'il saurait de lui sa volonté, à quoi il ne manqua pas. Le dit prélat répondit qu'il ne voulait point que l'on fît les professions que l'on

(59) Marie Thérèse de Vignerod, duchesse d'Aiguillon (1636-1704), cousine de Richelieu. Elle désirait entrer dans notre Institut, mais elle paraît avoir eu un caractère assez fantasque et elle Ine put donner suite à ses projets. Elle fut très généreuse pour notre maison. Elle donna 400 livres à ce voyage ; puis 2.000, en avril 1680, pour faciliter l'achat d'une maison ; enfin 700 livres en plusieurs fois et quelques dons faits à l'occasion de deux séjours au monastère. Cf. Arch. de notre monastère.

(60) François Rouxel de Médavy de Grancey. D'abord évêque de Sées, il succéda à François II de Harlay sur le siège de Rouen en 1670. Il mourut à Mâcon le 2 janvier 1691. Le 29 février 1680, il signait à notre profit l'acte ci-dessous :

François Rouxel de Médavy, par la permission divine et ordination du St Siège Apostolique Archevesque de Rouen, Primat de Normandie, conseiller d'Estai ordinaire, sur ce qui nous a esté remontré par les filles du Sainct Sacrement estant présentement en hospice en la ville de Rouen que par contract

passé pardevant le ler aoust 1676, elles auroient acquis une maison scituée dans la

rue St Vigor paroisse de pour y estre leur establissement fait suivant le consen-

tement de lhostel de l'ad. ville du vingte aoust 1676 qu'elles auroient obtenu en execution des Lettres

patentes de sa Majesté du certifiées ensuite par la cour du Parlement par arrest du

vingt un aoust mil six cent soixante et seize requerant qu'il nous pleust interposer notre authorité pour fonder leur monastère, veu par nous les Lettres patentes et l'arrest donné en conséquence. Nous avons ordonné qu'elles se retireront dans lad. maison qu'elles ont acquis aussitost que lad. maison sera en estat de les recevoir pour leur tenir lieu de monastère en faisant voir la fondation d'un revenu suffisant pour leur nourriture et entretien, pour l'examen duquel revenu nous avons commis le Sr Mallet nostre vicaire général pour en estre le procès verbal et pièces justificatives diceluy mises par copie deuement collationnée en nostre secrétariat, communiqueront aussi les règles et statuts sur lesquels elles auront à vivre pour estre par nous autorisés et observés suivant les Sts Canons, et pouront admettre tant au noviciat qu'à la profession les filles qu'elles jugeront bien appellées pour vivre suivant leurs règles et statuts et garder closture ; seront néantmoins interrogées au préalable par nous ou un de nos vicaires généraux au préalable de leur profession ou par celuy qui par nous sera commis hors de leur maison sur la volonté où elles seront de faire profession pour en estre le procès verbal (illisible) aud. secrétariat avec l'attestation de la présence dud. Sr commis à la profession desd. voeux Laquelle la professe signera avec quatre tesmoins de ceux qui assisteront à lad. profession. L'acte de lad. profession remis en nostre secretariat pour y avoir recours quand il sera besoin et estre enregistré pareillement au registre du monastère et au surplus lesd. Filles du St Sacrement gouvernées par nous et nos successeurs suivant les règles de l'Eglise fait à Paris ce vingt neuf,' febvrier mil six cents quatre vingts.

FRANÇOIS arch. de Rouen

Arch. Mun. G. 1286 Par Monseigneur

82 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 83

n'eût acheté une maison. Notre digne Mère, sachant sa réponse, dit qu'il fallait promptement en avoir une. Jusqu'à ce temps l'on n'y avait point du tout pensé, car l'on croyait la chose si facile que l'on s'attendait à l'avoir du jour au lendemain. Mais il est bien vrai ce que l'on dit, que les pensées des hommes sont bien différentes de celles de Dieu, que souvent eux ils proposent, mais que pour lui il dispose de tout selon ses adorables volontés. C'est ce qui s'est vérifié en cette oeuvre que Dieu a voulu conduire dans la crucifixion, car nous toutes qui avions des ardeurs et impétuosités que tout fût promptement fait, il a bien su les arrêter en mettant obstacle à tous les projets que l'on faisait pour avancer et terminer les affaires. C'est pourquoi il ne faut point regarder cette oeuvre conduite par la main de l'homme mais par celle de Dieu, qui en a disposé selon son plaisir. Notre digne Mère, s'étant donc informée des maisons que l'on pouvait avoir dans la ville, sortit avec quelques-unes de nos Mères pour en aller faire le choix. Elles en virent plusieurs, mais les unes n'étaient pas commodes, ou celles qui l'étaient étaient trop chères ou trop éloignées dans la ville pour attirer des adorateurs au très Saint Sacrement. Quelques mois se passèrent ainsi à toujours aller et venir sans pouvoir rien conclure. Notre digne Mère, voyant donc tant de difficultés, que personne ne voulait se rendre raisonnable pour nous accommoder et que, d'un autre côté, Mgr l'Archevêque persistait toujours à ne vouloir point que l'on fît les professions, touchée de cette conduite, dit qu'il fallait s'en aller et que nous serions mieux reçues en d'autres lieux où l'on nous demandait avec instance, nous disant : « Demain, après que nous aurons prié Dieu, nous tirerons des billets et, selon que le sort échouera, nous verrons si nous nous en irons ou demeurerons ». Elle laissa passer deux ou trois jours sans rien dire, ni faire ce qu'elle avait résolu. Nos Soeurs, qui avaient fort envie de s'en retourner, étant toutes rebutées et dégoutées de rester dans cette ville davantage, prirent la liberté de l'en faire ressouvenir. Mais cette digne Mère, qui sans doute avait connu la volonté du Seigneur, laquelle était qu'il fallait qu'elle soutînt la croix et achevât son oeuvre dans la souffrance, leur répondit dans sa douceur, qu'elles tirassent les billets si elles voulaient, mais que, pour elle, elle n'en ferait rien. Nos Soeurs là-dessus dirent : « D'où vient donc, ma Mère, car c'était votre premier dessein, vous nous l'aviez dit ? ». Mais faisant un petit sourire, elle leur répartit : « Il faut faire ce que le Seigneur veut », sans leur rien dire de plus, et demeura dans le silence, continuant d'aller toujours voir des places et maisons. Nos amis mêmes, qui s'intéressaient pour nous, nous en cherchaient aussi ; chacun faisait du mieux qu'il pouvait sans rien avancer. Un jour pourtant que notre digne Mère était sortie pour ce même sujet et

que le soir elle allait rentrer, M. du Menicosté (61), qui était un de nos plus grands amis et qui nous a rendu tous les services qu'il a pu, dont je crois que Dieu l'a bien récompensé dans la gloire où il est à présent, arriva dans le moment, qui lui dit : « Ma Mère, je crois que j'ai trouvé la maison qu'il vous faut. Si vous voulez la voir le jour qu'il vous plaira, on vous la montrera ». Notre digne Mère lui fit mille remerciements et civilités, lui disant qu'elle ne manquerait pas d'y aller le lendemain, parce qu'il était trop tard pour le présent. Or cette maison était celle de M. Salet (62), qui nous sera à toutes d'heureuse mémoire pour la peine qu'elle nous a donnée. Elle la fut donc voir et la trouva assurément à son gré, aussi bien que nos autres Mères, non tant pour le bâtiment qui est vieux que pour la place qui est belle. On leur fit connaître que la chose était facile à faire, quoique la maison eût appartenu autrefois à des religieux, mais que les créanciers de ce monsieur seraient bien aises qu'on l'achetât et qu'ils y donneraient les mains tant qu'ils pourraient. Comme donc on était en consultation pour prendre ses sûretés pour l'avoir et qu'il semblait que tout s'allait conclure en fort peu de temps, voilà madame la duchesse d'Aiguillon qui s'en était retournée à Paris, qui envoya à notre digne Mère un de ses écuyers, en poste, l'avertir que Mgr l'évêque d'Auch (63), était arrivé à Paris et qu'ayant tout pouvoir sur l'esprit du roi, par son moyen, elle aurait facilement les lettres patentes de Sa Majesté pour établir- « l'hospice » et qu'elle eût à s'en retourner en diligence si elle les voulait avoir, parce que ledit prélat ne devait être que fort peu de temps à son voyage. L'écuyer arriva à Rouen sur les quatre heures du soir, le 22 d'août de la même année 1679, apporter cette nouvelle à notre digne Mère, qui la toucha extrêmement car, quoiqu'elle souhaitait beaucoup l'établissement de « l'hospice », l'état où elle voyait notre Maison, qui demandait sa présence,' ne la pouvait faire résoudre de nous quitter sans avoir terminé l'affaire de M. Salet, que l'on croyait presque faite. Mais comme c'était un conseil d'En-Haut, il fallut bien

(61) Robert Costé du Mesnil, né en avril 1640, fut conseiller au Parlement de Normandie en 1674. En 1675, il épousa Marie Godard de Belbeuf, fille de Jean Baptiste Godard, seigneur d'Omonville, conseiller du Parlement en 1650, et de N. Puchot du Plessis. Leur fils ainé Pierre, conseiller au Parlement en 1695, mourut en 1741. Il avait épousé Catherine Puchot du Plessis, veuve de François Le Cornu de Bimorel. Les Costé du Mesnil étaient originaires de Sainte-Marguerite-sur-Duclair. Leur demeure à Rouen était située rue Beauvoisine, auprès des Pères de l'Oratoire. Les familles Costé et Puchot furent d'insignes bienfaiteurs de notre monastère. Marguerite Fauvel, veuve de M. Puchot, conseiller du roi et maître des comptes, « ayant demeuré 18 ans dans un appartement au dehors de notre maison avec faculté d'y entrer souvent comme bienfaitrice, ... a fait des dons considérables à notre monastère ». Elle fut inhumée dans le caveau des religieuses, le 10 septembre 1712. Cf. Frondeville, op. cit., Les Conseillers, t. IV, p. 409 et 528, et nécrologe de notre monastère.

(62) Alexandre Salet vicaire général de 1675 à sa mort (avril ou août 1681), était conseiller au Parlement de Normandie. Il était propriétaire d'une maison rue Saint-Lô, à peu près en face de la rue Boudin. Cette maison avait appartenu dès 1580 à des religieuses augustines, venues d'Angleterre. Cette communauté, qui avait embrassé le parti de la Ligue, fut supprimée sous le règne d'Henri 1V. 11 est possible que ce soit la maison proposée à Mère Mectilde. Le prieuré de Saint-Lô, appartenant aux religieux augustins, était contigu. Il avait été établi dans les limites de l'hôtel de Beaubec, appartenant aux bénédictines de cette abbaye. Cf. N. Periaux, Dictionnaire des rues et places de Rouen, Rouen, 1870, p. 573 ; Amyot, op. cit., t. I11, p. 229 et sq.

(63) Henri de la Motte Houdancourt, archevêque d'Auch de 1662 à 1684. Il avait été auparavant aumônier de la reine Anne d'Autriche.

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qu'elle s'y soumît, d'autant plus qu'elle voyait qu'il était nécessaire qu'elle se rendît au plus tôt à Paris. Le soir, après complies de ce même jour, elle nous fit toutes appeler à l'infirmerie où elle était, et nous déclara l'ordre de Dieu sur elle d'une manière qui nous 'donna bien à connaître qu'elle était pénétrée de douleur de nous laisser ainsi sans avoir rien fait ; ni même l'élection d'une Prieure que nous lui avions demandée avec instance, la croyant absolument nécessaire pour le bien et bon ordre de cette Maison. Il est vrai que ses paroles nous furent comme un coup de foudre qui nous abattit toutes, car nous demeurâmes sans pouvoir lui répondre et dans une si grande consternation que nous faisions pitié à voir. Elle tâcha de nous consoler de son mieux en nous promettant que son absence ne serait pas longue, qu'elle reviendrait le plus tôt qu'elle pourrait. Mais comme nos coeurs étaient blessés et navrés de douleur, toutes ses tendresses et amitiés ne furent point capables d'adoucir notre douleur ; au contraire, elles ne servaient qu'à l'augmenter, voyant toujours de plus en plus la perte que nous faisions, si bien que quelques-unes de nous furent en même temps ébranlées pour s'en retourner avec elle, ayant une raison assez forte qui nous y obligeait. Jugez ici quelle fut la peine de notre digne Mère, nous voyant dans ce dessein. Comme elle ne voulait point nous contraindre, elle nous disait dans sa douceur : « Mes Soeurs, je ne vous contrains point à demeurer ; si vous voulez retourner, vous pouvez venir ; je ne retiens personne à force ». Mais, quoiqu'elle nous disait cela, il était bien aisé à voir qu'elle appréhendait beaucoup que nous ne quittassions toutes, d'autant plus qu'il n'y avait pas encore une seule professe de la Maison et il aurait fallu en laisser en partie le soin aux novices. Aussi elle ne put s'empêcher, en parlant à une personne en particulier, de lui dire : « Voilà toutes nos -Soeurs qui veulent s'en aller ; jugez ce que nous allons faire et ce que l'on va dire dans le monde, que nous avons commencé la Maison et que nous la quittons. Mais Dieu en fera à sa volonté, je lui abandonne tout ». Je ne doute point aussi que ce ne fut ses saintes prières qui nous donnèrent la force et le courage de surmonter la répugnance et la peine que nous avions à demeurer et qui nous y firent résoudre, car, humainement, elle était trop grande pour passer par-dessus, si Dieu ne nous en avait fait la grâce. Elle tâcha donc de nous encourager de son mieux les unes les autres à soutenir le poids de l'oeuvre du Seigneur, nous promettant son secours et des grâces singulières de sa bonté, et qu'il saurait bien récompenser le sacrifice que nous faisions pour son amour. La veille au soir de son départ, elle nous exhorta encore de nouveau en général à nous donner à Notre Seigneur pour le servir dans cette Maison, chacune selon notre capacité, en nous disant des choses admirables de Dieu. Et nous ayant recommandé singulièrement l'union et donné sa bénédiction, elle nous embrassa toutes, l'une après l'autre, les larmes aux yeux, ce qui nous témoignait bien la peine qu'elle avait de nous quitter. Elle se sépara ainsi de nous le lendemain 26 d'août de la même année 1679, nous

laissant comme elle nous avait trouvées, sans avoir fait la moindre chose qui aurait put adoucir son absence. Je vous donne à penser quelle était notre douleur et l'amertume dont nos coeurs étaient remplis ; c'est ce que je ne puis vous exprimer. Dieu l'a connu, il suffit, et sa seule présence l'a su adoucir, car, selon l'humain, il n'y avait plus de consolation pour nous, étant privées de la présence de cette digne Mère.

La Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] qui était restée à Rouen, tenant toujours la place de notre digne Mère en son absence, poursuivit l'affaire de M. Salet avec tout le soin possible, sans pouvoir rien avancer. D'un autre côté, plusieurs de nos amis nous venaient avertir que nous entreprenions une chose sans fin à laquelle on nous ferait toujours de nouvelles difficultés et même qu'en cas que nous eussions cette maison, que les religieux à qui elle appartenait y pourraient toujours rentrer ; partant, que nous ne nous y pourrions jamais établir solidement. Nous ne manquions point de donner avis à notre digne Mère de tout ce que nous apprenions, afin qu'elle prît ses mesures, car un jour l'on nous venait dire d'une façon et puis un autre jour d'une autre. L'on ne savait à quoi s'arrêter ni qui croire, voyant les sentiments si divers, car les uns nous disaient de l'acheter et les autres ne nous le conseillaient pas. On fut plus d'un an ainsi à poursuivre cette affaire, mais notre digne Mère, voyant qu'elle ne se terminait point, fit parler à Mme de Bernières (64) sur la fin de l'année 1680 pour acheter sa maison. Mais, comme elle en voulait avoir quarante et une mille livres et nous charger encore d'une rente que sa maison doit à l'abbaye de Saint-Ouen, l'on ne put se résoudre à l'acheter. Si bien que notre digne Mère, voyant que l'on ne pouvait s'accommoder avec cette dame, fit demander aux Révérends Pères Minimes (65) s'ils voulaient entrer en composition avec nous pour nous donner la leur, qui était attenante de celle où nous étions logées. Mais ils nous proposèrent de leur donner mille livres de rente foncière, sans vouloir non plus rien diminuer. Nos amis ne nous conseillèrent point de faire une acquisition pareille et de nous charger d'une telle rente.

(64) Peut-être la femme de Philippe Maignart de Bernières, sieur de la Vaupalière. Leur fille, Marie Madeleine, épousa en 1692 Jean Henry d'Ambray, frère de Mère Scholastique d'Ambray, à laquelle Mère Mectilde adressa plusieurs lettres. Cf. Frondeville, op. cit., Les Présidents, t. I, p. 287.

L'hôtel de Bernières était situé en face de l'église Saint-Ouen, près de la rue de la Crosse, actuellement, rue de l'Hôpital.

(65) Fondés par saint François de Paule (1416-1508), ils ne parvinrent à s'établir à Rouen qu'en 1600. Ils bâtirent une chapelle et un monastère près des murailles de l'abbaye de Saint Ouen. Leur principal fondateur, Vincent de Civille, leur donna plusieurs maisons voisines pour agrandir leur monastère. L'église fut dédiée le 4 juillet 1658. Ces religieux possédaient peut-être quelques maisons dans les rues avoisinantes : rue du Maulévrier et rue de la Perle, qui étaient parallèles ou perpendiculaires à la rue des Arsins au XVII(' siècle. C'est ce monastère que notre communauté occupe depuis le 4 mai 1802. Le supérieur ou correcteur était en 1680 : François Guignon, remplacé en 1681 par Alexis Masse, venant du couvent de Dieppe. Arch. Dép. Seine-Mme 38 H.

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Enfin l'on nous vint parler pour le château (66). Plusieurs nous témoignèrent désirer que nous l'eussions. Même madame la marquise de Pierrecour nous fit l'honneur de nous venir voir plusieurs fois pour ce sujet durant le carême de l'année 1681. Mais comme ce n'était pas une affaire d'une personne mais de plusieurs qu'il fallait gagner, la chose ne se pouvait pas faire si promptement que l'on l'eût souhaité. C'est pourquoi, pendant que nous laisserons nos amis s'intéresser dans cette affaire et parler aux uns et aux autres pour voir le moyen d'y réussir, souffrez que je vous prie de jeter vos regards sur la douleur qui affligeait nos coeurs de ce que l'on n'avançait en rien depuis quatre ans que cette oeuvre était commencée et que nous nous voyions comme le premier jour. Nos chères Soeurs étaient dans une consternation que je ne peux vous décrire, et elles avaient besoin de toute la force de la grâce pour soutenir une si longue attente que Dieu, tout bon, ne leur a pas refusée, qui leur donnait moyen d'exercer de très héroïques vertus et une persévérance continuelle dans la prière, car leur coeur était incessamment élevé vers le ciel pour lui demander secours et les lumières nécessaires pour connaître les volontés du Seigneur, afin de les exécuter. Nos chères Soeurs novices (67) faisaient de même et nous édifièrent dans leur

(66) Bâti par Philippe Auguste, en 1205, après la réunion de la Normandie à la France, il s'étendait dans l'espace compris actuellement entre le boulevard de l'Yser, les rues Bouvreuil, du Bailliage et du Moulinet. L'Echiquier y tint ses séances de 1207 à 1507, sauf quelques interruptions. Deux tours ont servi soit de prison à Jeanne d'Arc, soit de lieu pour plusieurs interrogatoires. Par ordre de Henri IV, il devait être détruit après la réduction de la ville en 1594.11 avait alors servi quelques temps aux capucins, puis aux arquebusiers pour y faire leurs exercices. En 1610, Faucon de Ris, premier président au Parlement de Normandie et Morand d'Eterville, trésorier général au Bureau des finances, en achetèrent une partie. Ce terrain étant trop vaste pour ses besoins, le président Faucon en revendit, en 1613, une partie a Joachim de Mathan, conseiller au Parlement, à charge à lui de faire bâtir. Celui-ci fit construire un élégant hôtel Louis XIII en pierres et briques, flanqué de deux tourelles d'angle et décoré de nombreux mascarons sculptés. L'hôtel était entouré d'un beau jardin. A l'époque de notre récit, il était divisé en plusieurs appartements, loués à des personnes de situation assez considérable dans la ville, et qui n'avaient nulle envie de quitter cette belle demeure pour faciliter notre établissement. D'où les obstacles sans nombre qui se rencontrèrent pour l'achat de cette maison. L'une des locataires, Madame de Pierre-court, cependant, se montra plus favorable. Celle-ci, veuve de Paul de Mathan en 1639, s'était remariée avec Louis Jacques le Conte de Nouait, marquis de Pierrecourt. Ses liens avec la famille de Mathan expliquent peut-être son attitude plus conciliante. Cf. Frondeville, « Les Conseillers », op. cit., t. IV, p. 613 et le dossier aimablement communiqué par le chanoine Bernardin de Mathan, ainsi que les photos de l'hôtel, dont il ne reste plus de trace.

(67) Il y avait, à cette date, 9 jeunes filles au noviciat, dont :

Marie Madeleine d'Ambray (Soeur Marie Scholastique de Jésus), fille de Messire Henry Dambray, seigneur de Saint-Crespin, Saint-Honoré de Cent-Acres, du Grand et Petit Théroude et autres lieux, conseiller du Roy en sa cour de Parlement de Normandie, et de Madame Magdeleine de la Place de Fumechon ; née à Rouen, paroisse de Saint-Maclou, en 1660, elle prit l'habit le 7 avril 1680, fit profession le 26 avril 1681 et décéda le 19 février 1713. Son père, qui l'aimait tendrement, n'assista pas à sa prise d'habit et se fit représenter par sa belle-soeur, la présidente Pceier d'Amfreville, et son beau-frère, Claude de la Place Fumechon, seigneur de G rainville, prêtre, conseiller au Parlement. On retrouve les mêmes signatures à l'acte de profession. Bien qu'elle eût apporté des biens considérables au monastère, elle refusa toujours le titre de bienfaitrice et les avantages qui y étaient attachés, recherchant au contraire la pauvreté et l'anéantissement, par amour et imitation de Jésus Christ ; elle importunait ses supérieures pour obtenir les plus bas emplois. Elle fut quinze ans sous-prieure et neuf ans alternativement dépositaire ou céllerière.

Le nécrologe note, aussitôt après le décès de la Mère Scholastique de Jésus, celui, le 3 mars 1714, de Marie Charles Dambray, fille de Henry Dambray, président au Parlement de Normandie, et de dame de Bernières, âgée de 17 ans et demi dont « elle en a passé seize parmy nous en calité de pensionnaire ». Cette jeune fille, morte dans des sentiments de noblesse et de piété admirables, était une nièce de Mère Scholastique de Jésus Dambray. Elle avait été élevée près de sa tante, comme il était assez courant à l'époque. Cf. Archives de notre monastère de Rouen.

persévérance, car nous avions sujet de craindre que tant de contradictions et le retardement de leur profession ne leur donnât lieu de retourner en arrière et de se dégoûter de la sainte religion. Mais, comme elles avaient commencé solidement à se donner à Dieu, sa bonté les stabilia dans la fidélité qu'elles lui devaient, en continuant à faire tout le bien qu'elles pouvaient sans se rebuter du retardement de leur bonheur. Le soutien que leur donnait leur bonne Mère maîtresse [ Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent ] dans leurs peines, par ses paroles et encore plus par ses saints exemples, aidait bien à les fortifier. Mais je laisse à ceux qui feront cette fondation à exalter la maîtresse et les novices, car, pour la Mère maîtresse, qui est à présent Prieure dans cette Maison, tout le monde connaît sa vertu, il ne m'appartient pas de faire son éloge. Sans donc en dire davantage des unes et des autres, je dirai seulement en passant que cette petite Maison était de bonne odeur dans la ville par la régularité et l'exactitude avec laquelle nous vivions, qui édifiait tout le monde. Mais on le fut bien plus quand l'on sut que notre digne Mère, étant tombée malade et ayant quelques affaires d'importance qui demandaient que l'on y agît pour elle, jugea à propos de rappeler à Paris la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] pour lui en confier le soin, si bien qu'elle s'y rendit au plus tôt et partit sur la fin de la première semaine de l'Avent et nous laissa la chère Mère de Sainte Agnès [ Camuset 1 pour présider à sa place.

Quand donc on eut appris dans la ville le départ de la Mère Sous-Prieure et que notre digne Mère nous laissait ainsi, toutes jeunes que nous étions, sur notre bonne foi, sans autre personne pour conduire la Maison qu'une religieuse qui n'était guère plus ancienne que nous, tant de profession que d'âge, et que d'ailleurs l'on savait que nous nous maintenions dans toutes les observances de nos Règles et Constitutions avec la même exactitude que si nous eussions eu nos supérieures avec nous, cela édifia grandement tout le monde, qui ne pouvait assez l'admirer, autant que l'on en fut surpris, singulièrement Madame l'Abbesse de Saint-Amand (68), qui ne savait s'en taire et disait que, quoiqu'elle estimât beaucoup notre Maison avant, que depuis qu'elle avait appris cela, elle l'estimait encore bien davantage. Mais, mon Dieu, il me semble que, quand l'on a une bonne vocation. que le respect que l'on a pour Lui porte assez à la fidélité que l'on lui doit en tout temps, pour remplir ses obligations religieuses, sans qu'il soit besoin d'avoir des supérieures auprès de soi pour y exciter. C'est pourquoi il n'y a pas à s'étonner que nos chères Soeurs, qui l'ont si véritable, se soient toujours si bien maintenues dans leurs devoirs.

(68) Madeleine de Souvré, 1621-1691, d'abord prieure de sa soeur Eleonor de Souvré, (3Œ abbesse) en 1653, puis coadjutrice en 1657, enfin abbesse en 1672. Elle a donné un haut exemple de piété, de douceur et de patience dans son gouvernement ; elle a laissé un grand renom de sainteté. Elle est morte le 8 septembre 1691, à 70 ans, ayant gouverné son abbaye 19 ans et 10 jours.

L'abbaye avait été fondée vers 1030 par Gosselin, vicomte d'Arques, et Emmeline, sa femme. Les abbesses de Saint-Amand avaient le privilège d'accueillir l'archevêque de Rouen lors de sa première entrée solennelle dans sa ville et de lui remettre son anneau pastoral. Cf. Dom Pommeraye, Histoire de l'Abbaye de Saint-Amand de Rouen, Rouen, 1662, p. 69.

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QUATRIÈME VOYAGE DE MÈRE MECTILDE, A ROUEN : 6 AVRIL 1681

Nous fûmes donc ainsi quatre mois seules, pendant lesquels Notre Seigneur nous fit la grâce de rétablir notre digne Mère en santé. Nous sachant dans l'état douloureux où nous étions, pour les affaires où l'on ne voyait point de fin, elle, qui avait un cœur maternel, qui souffrait aussi bien que nous de cette conduite si crucifiante de la Providence, résolut de faire un troisième voyage pour venir elle-même nous consoler par sa présence et tenter toutes les voies possibles pour terminer les affaires. Elle partit donc de Paris le lundi des fêtes de Pâques, le six d'avril de l'année 1681, avec Madame la duchesse d'Aiguillon, qui la voulut encore amener dans son carrosse et qui la fit arrêter à Pontoise. Or, comme dans ce temps elle en était la dame, elle lui fit rendre des honneurs au-delà de tout ce qui se peut dire. Toute la ville vint au devant elle, l'on fit sonner toutes les cloches, jouer les tambours, les trompettes, les violons et tous les autres instruments de musique. Elle fut ainsi conduite à l'église avec Madame la duchesse et menées l'une et l'autre par la main par les principaux messieurs de la ville. Comme je ne sais pas toutes les particularités de cette honorable réception, je n'en dirai pas davantage, laissant à la Mère Anne Loyseau et à la Mère de Sainte Madelaine [ des Champs ], qui eurent le bonheur et la satisfaction d'accompagner notre digne Mère, d'en faire le rapport. Elle prit donc congé de ces messieurs, après leur avoir rendu toutes sortes d'honnêtetés, de civilités, de remerciements, comme vous pouvez bien vous imaginer de son bon coeur, quoiqu'elle se défendît bien de tous ces honneurs, disant que c'était à la Dame à qui ils s'adressaient et non à elle, qui ne les méritait pas. Vous savez ce que son humilité lui fait dire en de pareilles occasions. Comme elle avait eu la bonté de nous avertir du jour de son arrivée, nous en donnâmes avis à nos amis, qui se préparèrent pour aller au-devant d'elle. M. d'Omonville (69), entre les autres, prit promptement la poste pour être le premier. Puisque l'occasion se présente, je ne puis m'empêcher de dire un mot en passant de l'amitié qu'il avait pour notre Maison et singulièrement de son zèle pour parer l'autel du Seigneur, car il n'y épargnait ni ses soins, ni ses peines, ni son argent à nous acheter des fleurs. Il y mettait jusqu'à des six pistoles quand elles étaient chères, ne se souciant point ce qu'elles valaient, pourvu qu'il en eût pour orner [ l'autel ]. La veille des fêtes, il venait lui-même l'accommoder et y passait toute la nuit, comme s'il eût été à nos gages. Cette Maison, assurément, lui doit de la reconnaissance pour le service qu'il lui a rendu avec tant d'affection et est obligée de prier Notre Seigneur qu'il le sanctifie dans l'état où la Providence a permis qu'il se soit engagé. Ce

(69) Jean Baptiste, sieur d'Omonville, écuyer, fils de Jacques d'Omonville, sieur de Belbeuf, maître des comptes en 1617, et de Marguerite de Bois Lévèque, épousa, en 1651, N. Puchot, qui décéda en 1658. Leur fille Marguerite épousa Robert Costé du Mesnil en 1675. Cf. Frondeville, « Les Conseillers » t. IV, p. 234.

bon Monsieur arriva donc à Fleury et rencontra heureusement notre digne Mère. De part et d'autre ce furent de grands compliments. Ce Monsieur, qui a beaucoup de respect pour elle, fut dans une joie qui ne se peut exprimer de l'avoir trouvée ; il ne pouvait assez la lui témoigner. Leurs civilités faites, elles poursuivirent leur chemin, lui, les suivant toujours à cheval, qui donna le mot au cocher pour les faire aller à Belbeuf (70), la terre de Monsieur son frère et le conduisit lui-même. Nos bonnes Mères, qui voyaient qu'on les menait par un chemin qui n'était pas ordinaire, croyaient que le cocher s'était mépris, furent bien étonnées quand elles arrivèrent au lieu et que ce Monsieur les pria de descendre de carrosse pour un peu se délasser en faisant un tour ou deux de jardin, ce qu'il fit avec tant d'honnêteté que notre digne Mère ne put lui refuser. Après, il les fit entrer dans une salle, où il avait fait préparer une collation magnifique ; elles ne purent se dispenser de manger un morceau pour le contenter. Notre digne Mère lui ayant témoigné sa reconnaissance et fait bien des remerciements, elles remontèrent en carrosse et ce monsieur à cheval, qui les accompagna toujours. Mais les voyant proches de notre Maison, il avança en diligence pour nous apprendre leur heureuse venue, dont nous étions bien impatientes, car il était fort tard. Ne sachant point que ce cher Monsieur les avait menées à Belbeuf, nous craignions qu'il ne leur fût arrivé quelque chose de fâcheux sur le chemin ; mais, Dieu merci, notre crainte fut vaine. Le Seigneur qui les avait conduites les gardait aussi et les avait préservées d'accidents, si bien qu'elles arrivèrent toutes en bonne santé. Nous avions préparé notre petite Maison le mieux qu'il nous avait été possible pour bien recevoir cette digne Mère et prié des Messieurs ecclésiastiques de chanter le « Te Deum » à son arrivée, ce qu'ils firent aussitôt qu'ils entendirent les carroses venir. Etant tous avec des surplis, ils allèrent au-devant d'elle lui faire leurs civilités et lui témoigner la joie qu'ils avaient de son heureuse venue, ce que fit le principal de ces messieurs par un petit mot de harangue. Nos Mères étaient accompagnées des dames de nos amis qui avaient été aussi prévenir [ l'arrivée de notre digne Mère ], pour lui faire honneur, dès la côte de Sainte-Catherine (71), où elles l'avaient attendue pour lui offrir leurs carrosses, afin de la ramener plus promptement, sachant bien que leurs chevaux, étant las, ne pouvaient plus aller si vite, ce qu'elles firent avec tant d'honnêteté et d'affection que notre digne Mère ne put se défendre de leur donner nos deux Mères qui les accompagnèrent, ne pouvant, elle, quitter Madame la duchesse d'Aiguillon. Elle entra donc ainsi dans notre pauvre Maison, avec les acclamations et la joie que l'on peut s'imaginer et qu'elle apporte partout où elle va. Après l'avoir tant

(70) Le château actuel fut construit sous la direction de Soufflot entre 1764 et 1785. Au temps de Mère Mectilde, ce n'était qu'une grande maison de campagne appartenant aux Godard de Belbeuf, une famille de parlementaires. Il passa par alliance dans la famille de Mathan. Cf. G. Dubosc, A travers Rouen, Rouen, 1920, p. 210 - 211.

(71) Colline dominant, à l'est, Rouen et la Seine. Un célèbre monastère, fondé en 1030 par Gosselin, vicomte de Rouen, et dédié à la Sainte Trinité, couronna ce mont jusqu'en 1597, où les bâtiments furent rasés par ordre de Henri IV. Cf. Amiot, op. cit., t. Il I, p. 126 - 141.

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désirée et demandée, l'on peut juger du contentement que nous avions de la posséder. Les messieurs ecclésiastiques montèrent à l'église en poursuivant le Te Deum durant que nous la conduisîmes à notre choeur, où elle alla rendre ses hommages au très Saint Sacrement. A la fin du Te Deum, celui qui présidait offrit l'encens à l'autel et ensuite vint à la grille encenser notre digne Mère. Les prières faites, elle alla leur faire ses très humbles remerciements, et ensuite nous la menâmes à sa chambre, où elle nous fit toutes les amitiés que nous pouvions attendre de sa bonté.

Elle songea d'abord aux moyens d'avancer les affaires, mais, voyant qu'on ne pouvait avoir le château si promptement, que même l'on était obligé d'en traiter fort secrètement de peur que les intéressés ne s'y opposassent, comme ils firent dans la suite, elle prit donc résolution, suivant le conseil de personnes considérables qui avaient beaucoup de zèle pour notre établissement, d'acheter une maison, en attendant qu'on pût acquérir [ le château, et ] que dans la suite on la revendrait bien. Mgr l'archevêque, persistant toujours que l'on ne fît point les professions que l'on n'en eût une en propre pour nous stabilier, il fallait, pour en obtenir la permission, l'avoir en diligence. Un monsieur de nos amis nous offrit la sienne ; notre digne Mère l'accepta et, sans retardement, on fit affaire avec lui. Je ne nomme ni le monsieur ni la maison, et n'en dis rien de plus, m'ayant fait supprimer toutes les particularités que j'en avais écrites. Le monsieur à qui elle appartenait ayant souhaité que la chose fût secrète, de crainte que dans la suite sa famille n'en fût inquiétée, sachant que nous ne la voulions pas garder, n'étant pas propre pour un monastère, nous ne l'occupâmes point et nous restâmes toujours à celle où nous étions jusqu'à ce que nous fussions au château (72). C'était seulement pour contenter le prélat que nous fîmes l'achat de cette maison, et obtenir de lui ce que nous souhaitions. La Providence nous y aida par la mort de M. Malet. un de ses grands-vicaires et notre supérieur, qui était le plus opposé aux professions des novices. Aussitôt que notre digne Mère eut appris que Dieu en avait disposé, elle pensa à avoir un autre supérieur. On lui conseilla de•faire choix de M. l'abbé de Fieux (73), que Mgr l'archevêque aimait et consi-

(72) Cette maison appartenait à M. d'Ambray, père de Mère Scholastique de Jésus. Elle fut achetée au nom du Président d'Amfreville, beau-frère de M. d'Ambray, pour la somme de 23.000 livres et revendue en 1686 pour payer l'achat du château. Cf. Annales de notre monastère.

(73) Etienne de Fieux, licencié en décrets, prieur de Saint-Avertin, de Saint-Germain-en-Ay, au diocèse de Coutances, et de Beaulieu (arr. Rouen, cant. Darnétal), abbé commendataire de Bellozanne (arr. Neufchâtel, cant. Gournay) sur résignation de son frère, Jacques, évêque de Toul en 1677. Curé de Saint-Eloi de Rouen (1654-1666), de Saint-Laurent de Rouen (1666), chanoine de Rouen, archidiacre du Petit-Caux (1660), du Vexin français (1665), vicaire général du chapitre « sede vacante » après le transfert de François II de Harlay au siège de Paris (1671), vicaire général de Rouxel de Médavy le 9 juin 1675, puis de Colbert le 16 février 1691, official de 1676 à 1690, il décéda le 21 novembre 1694 en sa maison, rue Noble (actuellement rue Orbe), et fut inhumé en la chapelle Saint-Pierre-et-Saint-Paul de la cathédrale. Il avait été prince du Puy de la Conception en 1673. (Renseignements aimablement fournis par M. l'abbé A. Fourré et Arch. Dép. Seine-Maritime, G. (no III), introduction).

La narratrice fait ici une erreur. Etienne de Fieux ne fut pas évêque de Toul, mais ce fut son frère, Jacques de Fieux.

dérait beaucoup, étant un homme de mérite, de qualité et un de ses grands-vicaires, qui dans la suite a été évêque de Toul. Elle le fit donc demander au prélat, qui nous l'accorda volontiers, et notre digne Mère, sachant qu'il avait tout pouvoir sur l'esprit de Mgr l'archevêque, le supplia qu'étant ses filles, il eût la bonté de s'intéresser à notre établissement et faire son possible pour nous obtenir de Sa grandeur la permission de faire les professions, ayant une maison en propre, quoiqu'on ne pût pas y aller pour le présent. M. de G rainvill e, conseiller ecclésiastique, était un de nos plus intimes amis. Il nous a toujours témoigné mille bontés et nous le regardions comme le père de cette Maison, nous ayant même procuré Mile sa nièce pour être religieuse [ soeur Scholastique de Jésus d'Ambray, laquelle ] nous donna 30 mille livres pour sa dot, ce qui nous aida à avoir notre Maison. Notre digne Mère ne pouvait assez admirer la Providence, qui nous donnait le secours dont nous avions tant besoin. Ce bon monsieur donc, grand serviteur de Dieu, avec Madame la duchesse d'Aiguillon, se joignirent avec M. l'abbé de Fieux pour solliciter Mgr l'archevêque à nous être favorable, en nous accordant ce que nous lui demandions. Ils s'y prirent d'une si bonne manière et lui firent entendre les choses si bien qu'il se laissa gagner et nous donna sa permission, qu'il y avait si longtemps que nous souhaitions et attendions. M. l'abbé de Fieux eut tant de bonté que, dans le moment qu'il l'eut obtenue, quoiqu'il fût huit heures du soir, il vint lui-même nous en apporter la nouvelle. C'était un miracle, car le dit seigneur était si ferme dans sa pensée que, depuis le temps qu'on l'en avait sollicité, il n'y avait voulu entendre en aucune façon. Ce que l'on attribua à toutes les prières que l'on avait faites à cette intention et au secours particulier de Saint François de Paule (74), à qui l'on avait fait plusieurs neuvaines, cette permission nous ayant été donnée le jour qu'on célébrait sa fête, qui avait été remise après l'octave de Pâques.

(74) Saint François de Paule (1416-1507) naquit à Paola, au diocèse de Cosenza, en Calabre. Dès l'âge de 14 ans, il se retira dans une caverne creusée dans le roc, pour y mener la vie érémitique. Ses vertus et ses miracles lui attirèrent des disciples. En 1464, il avait déjà fondé quatre couvents. Son oeuvre fut reconnue par le Pape Paul II, puis par son successeur Sixte IV, le 23 mai 1479. Appelé en France par Louis XI, il aida le roi à bien mourir, et fonda 28 nouveaux couvents dans toute l'Europe. La dernière rédaction et approbation de sa Règle date de 1506. Les ermites prirent alors le nom de Minimes et firent un quatrième voeu, celui de pratiquer un carême perpétuel. François mourut au Plessis-lès-Tours, le 2 avril 1507, âgé de 91 ans. Les très nombreuses grâces obtenues par son intercession le firent canoniser dès le 12 mai 1519 par Léon X. Ce fut longtemps un saint très populaire. Cf. W. Schamoni, Le vrai visage des saints, Paris 1955, p. 109.

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PREMIÈRES PROFESSIONS : AVRIL. MAI 1681

ÉLECTION DE LA PREMIÈRE PRIEURE : 29 MAI 1681

Notre digne Mère, sans retardement, disposa les novices pour recevoir la grâce qu'elles attendaient depuis si longtemps. La première profession fut le dimanche en suivant, 20 avril. Les autres (75) suivirent l'une après l'autre, selon leurs prises d'habit. Les professions faites, notre digne Mère pensa à procéder à l'élection d'une Prieure, qu'il y avait quatre ans que nous désirions, ce qu'elle exécuta le jeudi dans l'octave de la Pentecôte, 29 mai 1681. Le sort tomba heureusement sur la Révérende Mère de Sainte Thérèse [ de Ruellan du Tiercent ], maîtresse des novices, bien digne d'occuper une telle place, car il ne fallait pas moins que sa vertu, sa profonde humilité jointe à sa douceur, sa patience et sa grande égalité, pour porter une croix aussi rude que celle que Dieu lui préparait, par la manière crucifiante dont il voulait conduire cette Maison. Elle l'a cependant soutenue avec une édification entière de tout le monde et singulièrement de ses Filles, qui ne la pouvaient assez admirer, sans que jamais elle ait formé la moindre petite parole de plainte pour témoigner sa peine et la fatigue qu'elle avait dans les affaires, qu'elle a faites longtemps presque toute seule. Un jour seulement qu'elle y était fort embarrassée, ne sachant presque, comme l'on dit, où donner de la tête, tant elle était occupée au parloir et à écrire, une Soeur converse, qui avait bien du travail et en était toute accablée, la vint trouver à sa chambre et

(75) Professions : 20 avril 1681, Marie de Saint Benoist Le Normant, voir note 25, 2eme partie ; 23 avril, Marie Anne du Saint Sacrement Morin, voir note 25, 2eme partie ; 26 avril, Marie Magdeleine Scholastique de Jésus Dambray, voir note 67, lere partie ; 30 avril, Marie Anne Scholastique du Flamel, voir note 31, 2eme partie ; 3 mai, Marie de Sainte Geneviève Denest, voir note 25, 2eme partie ; 24 mai, Marie Magdeleine Thérèse de Jésus Le Gros ; et 2 septembre, Marie Elisabeth Benoite de la Passion Maunoury.

Madeleine (Soeur Marie Magdeleine Thérèse de Jésus), « fille de M. Le Gros, conseiller du roy au bailliage de Rouen, et de Mademoiselle Catherine Lysoré ». Elle naquit à Rouen, paroisse Saint-Vigor, en 1656, prit l'habit le 10 décembre 1679, fit profession le 24 mai 1681 et décéda le 29 septembre 1731. Elle fut longtemps sacristine « l'autel ne fut jamais si orné que de son temps », dit le nécrologe de notre monastère.

le 29 septembre 1731. Elle fut longtemps sacristine « l'autel ne fut jamais si orné que de son temps », dit le nécrologe de notre monastère.

Elisabeth (Soeur Marie Elisabeth Benoite de la Passion), «fille de Jean-Baptiste Manory et de Marie Facier, née à Paris, paroisse Saint-Barthélemy ». Elle fit profession le 2 septembre 1681 et partit avec le premier groupe des religieuses envoyées à Varsovie par Mère Mectilde (voir note 80, 2ème partie). On relève le nom d'un Jacques Manoury (ou Mannoury), vicomte de Folleville en 1660, et conseiller avocat du grenier à sel de Bernay (Eure) en 1676, dans G. d'Arundel de Condé, Dictionnaire des annoblis normands, Rouen, 1975, p. 766.Vêtures : 7 juin 1681, Marie Gertrude du Saint Sacrement Herbaut ; 29 août, Marie Angélique Aymée Mecthilde du Saint Sacrement de la Tour.

Claude (Soeur Marie Gertrude du Saint Sacrement), fille du sieur Jean Herbaut et de Dame Marguerite de la Croix, naquit à Paris, paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle prit l'habit le 7 juin 1681, fit profession le 24 août 1682 et décéda le 4 février 1732. Elle fut première chantre pendant plus de 20 ans, « ayant eu jusqu'à 2 jours avant que de mourir, la plus belle voix qu'on pût entendre ». Presque paralysée les trois dernières années de sa vie, elle se faisait porter au choeur, où elle passait presque toutes ses journées. Elle mourut brusquement le 4 février, à 12 heures, alors qu'elle se préparait à recevoir l'extrême-onction dans l'après-midi. Cf. Nécrologe du monastère de Rouen.

Angélique-Aymée (Soeur Marie Angélique Aymée Mecthilde du Saint Sacrement), fille de Guillaume de la Tour et de Marie de Caux, née à Rouen, paroisse Saint-Maclou, prit l'habit le 29 août 1681 et fit profession le 13 novembre 1682. Elle alla au monastère de Dreux en 1719, à la demande de l'évêque de Chartres, avec la Mère de Saint Placide Cuiller. Cf. Archives du monastère de Rouen.

lui dit : « Mon Dieu, ma Mère, faudra-t-il être toujours ainsi dans l'embarras et le tracas ? Que je suis dégoûtée de la vie ». Elle lui Eépondit dans une grande douceur : « Ma Soeur, il ne faut point vous lasser. Eh bien, vous êtes les servantes et épouses de Jésus Christ, et moi je suis la servante des affaires de la Maison ; chacune dans nos conditions nous avons de la peine, mais il la faut soutenir jusqu'au bout dans l'ordre de Dieu ». Nous pouvons bien dire que visiblement Notre Seigneur lui-même la soutenait et fortifiait, car, avec sa complexion délicate, humainement elle n'y pouvait résister. Il est vrai que, dans la suite du temps, elle changea tellement que nous croyions qu'elle tomberait malade; mais Notre Seigneur l'en préserva par sa bonté.

Mais permettez-moi que je vous fasse le récit d'une action qu'elle fit en une rencontre, qui fut admirée de toutes nos Soeurs. Elles m'ont prié de l'écrire ; c'est pourquoi je vais la mettre ici. Vous saurez donc qu'une de nos jeunes Soeurs, professe du noviciat, était allée à sa chambre reporter un livre et un cornet [ encrier ]. Chemin faisant on l'appela pour aller en un autre lieu, où on l'attendait ; elle, qui est fort vive et active de son naturel, voulut poser sur une boîte, qu'elle trouva en rencontre, son livre et son cornet ; mais ce fut avec un si grand empressement, qu'au lieu de mettre le cornet dessus, elle le jeta en bas et renversa, tant l'encre qui était dedans que le coton. Comme on l'appelait assez vite pour lui parler, elle n'eut pas le loisir de le ramasser. Dans le même moment, elle entendit une personne venir. Comme elle était baissée, elle ne vit point qui c'était, et croyant parler à une des ses compagnes du noviciat, elle lui dit tout en courant : « Ma Soeur, je vous prie de ramasser notre cornet et notre encre, que j'ai laissé tomber », et s'en alla là-dessus. Comme ce n'était qu'un mot qu'on avait à lui dire, elle revint aussitôt sur ses pas. Mais elle fut bien surprise, car, croyant trouver sa Soeur qui lui rendait le service qu'elle lui avait demandé, elle aperçut notre Révérende Mère [ Prieure, Françoise de Sainte Thérèse ], qui était à bas, toute courbée en terre, qui lui ramassait son coton et encre comme elle pouvait et l'accommodait dans son cornet. Cette pauvre fille se jeta à ses pieds toute honteuse, lui demandant pardon de la peine qu'elle lui avait donnée, et qu'elle ne croyait pas parler à elle. Elle lui répondit dans sa douceur, avec sa petite mine riante, la faisant relever : « Vous n'avez pas fait de mal, ma Soeur ; il n'y a pai de quoi me demander pardon. Je suis bien aise de vous avoir rendu ce service ». Voilà comme dans toutes les rencontres son humilité la fait agir. Elle est toujours la première à toutes les actions les plus basses et abjectes, à balayer, à coudre le linge sale, à plier le blanc, à servir les malades, à porter le bois l'hiver pour nous faire chauffer, aussi bien que l'été pour le ranger. Mais comme je ne dis ces choses que par rencontre, seulement en passant, et que je ne prétends pas faire le rapport de ses vertus, laissons-la les pratiquer en les admirant et imitant si nous pouvons.

Son élection étant faite, il n'y avait plus donc que l'achat de la maison à

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faire. C'est à quoi l'on travaillait incessamment : l'on était toujours à poursuivre le château. Nos Soeurs, qui avaient un grand désir de l'avoir, s'adressèrent à la très sainte Mère de Dieu. Pour cet effet, elles commencèrent la dévotion de la réparation à l'Immaculée Conception, tous les huitièmes jours de chaque mois pendant la sainte Messe, avec la sainte communion en son honneur (76), ce que l'on a depuis toujours continué dans cette Maison, que je ne doute pas qui n'ait forcé le ciel à exaucer leur demande en faisant réussir la chose miraculeusement et dans un temps où l'on n'y pensait plus, comme la suite l'a fait voir. Mais nous n'en sommes pas encore là, poursuivons ce que nous avons commencé.

Enfin, après avoir pris toutes ses mesures, M. de Mathan (77) étant à Rouen, pour faire la chose plus secrètement, Mme la duchesse d'Aiguillon avec M. de Grainville, le Père de Roncherolle et lui, s'assemblèrent l'après-midi chez les Pères de l'Oratoire (78). Mme d'Aiguillon, avec M. de Grainville, ne faisaient qu'aller et venir de leur maison à la nôtre pour porter les paroles de part et d'autre, tant au dit M. de Mathan qu'à nos Mères, qui demeurèrent une partie de la journée au parloir pour ce sujet. Après avoir de nouveau encore bien considéré toutes choses et ce qui se pouvait faire de mieux, [ nos Mères ] donnèrent leur parole à monsieur [ de Mathan ], par les personnes ci-devant nommées, pour avoir sa maison. Celles-ci en firent la dernière conclusion et la résolution prise en même temps d'en dresser le contrat sans retardement, ce que l'on projeta de faire dès le lendemain matin. Aussitôt l'affaire arrêtée, ils vinrent en diligence en apporter la nouvelle sur les trois heures et demie à nos Mères, qui en eurent une grande joie. Le soir, après complies,

(76) Le Saint jour de l'Assomption de l'auguste Mère de Dieu, 15 août 1681, [ Mère Mectilde ] présentant à la sacrée Mère de Dieu toute la Communauté, chacune en particulier, pour demander ce qu'elles avaient besoin pour leur perfection l'on nous a fait entendre qu'elles n'avaient besoin que d'être fidèles à la grâce de victime, qui était répandue dans tout l'Institut, pour toutes celles qui l'ont professé et c'est de cette grâce qu'elles rendront compte et seront jugées au dernier moment qu'elles sortiront de cette vie. Nous pouvons assurer que ce n'est pas une imagination, ni une exagération, mais une vérité très solide, que toutes les Religieuses de l'Institut connaîtront à l'heure de leur mort. La Sacrée Mère de Dieu a fait entendre qu'elle même avait été toute sa sainte vie une Victime, par conformité à Son divin Fils. Prions-là humblement et ardemment qu'elle nous donne la grâce de fidélité à cet état, qui renferme toute la sainteté que nous devons désirer.

ne 1988 - Archives du monastère de Rouen (autographe).

(77) Pierre, seigneur de Mathan et de Longvillers (1590-1651), marié à Caen le 6 juin 1640 à Marie du Haut Laudel, qui mourut en 1672 à 55 ans. Il en eut une fille et un fils, Joachim, dont il est parlé ici. Cf. Frondeville, Les Conseillers, op. cit., t. I V, p. 608.

(78) Etablis à Rouen en 1616, d'abord rue des Faulx, sur la paroisse Sainte-Croix-Saint-Ouen, dans une maison appartenant à Jean Maignart de Bernières, puis, sur celle de Saint-Laurent, dans une chapelle dépendant de l'hôpital du Roi (rue de l'Hôpital et rue des Arsins) et donnant rue Beauvoisine. Ils commencèrent à construire en 1659, lorsque tous les anciens bâtiments de l'hôpital leur furent donnés. Dès 1636, l'archevêque François ler de Harlay, invitait le Père Lejeune, l'Aveugle, à prêcher à la cathédrale, et c'est le Père Le Boux, futur évêque de Périgueux, qui, le 4 avril 1653, prononçait l'oraison funèbre de l'archevêque défunt. La duchesse de Longueville, dont le mari était alors gouverneur de Normandie, protégeait les Oratoriens. Parmi les donateurs, nous relevons : Louis Dufour, curé de Saint-Maclou ; Philippe Maignart, sieur de Bernières, abbé ; Charles Puchot, conseiller au Parlement. Lors de l'essai de l'agrégation du monastère de Notre-Dame de Liesse, de Paris, à notre Institut (1686-1687), il est question d'un Père de Roncherolles, de l'Oratoire. Il est possible que ce soit le même religieux, qui semble avoir été fort attaché aux intérêts de nos monastères. Cf. E. Montier, l'Oratoire à Rouen, in l'Oratoire de France, n° 30,1938, p. 175 - 180.

nous autres qui ne le savions pas encore, notre digne Mère qui en était dans un grand contentement, nous envoya toutes appeler et nous fit assembler à sa chambre où étant, elle nous dit avec sa mine riante et agréable : « Mes Soeurs, vous allez être bien surprises de ce que je vais vous apprendre : c'est qu'enfin nous avons le château. Nos amis s'y sont employés avec tant d'affection et de vigueur pour nous le faire avoir, qu'on l'a arrêté cette après-midi, et demain, sur les neuf heures du matin, on nous apportera le contrat à signer ». Nous en devons bien rendre grâce à Dieu et à sa très sainte Mère ; c'est un effet de son secours, ayant fait réussir l'affaire dans l'octave de sa triomphante Assomption. Mais entre-cy et demain, offrez à Notre Seigneur toutes vos prières et la sainte communion pour le prier que tout soit pour sa plus grande gloire ». Il ne faut pas demander si nos Soeurs eurent de la joie ; chacune bénissait Dieu du mieux qu'elle pouvait. Mais, hélas, leur joie ne fut pas de longue durée ; la Providence la fit bien arrêter par sa divine conduite. Le lendemain on fut toute la matinée à attendre les messieurs qui avaient promis qu'ils ne manqueraient pas de venir apporter le contrat à signer. La matinée passa ainsi, sans que personne vint ; l'après-dîner de même. Notre digne Mère dit : « Assurément, il faut que l'affaire soit sue et que l'on y mette empêchement ». Elle ne disait que trop vrai, car, sur les six heures du soir, un sergent vint nous apporter un exploit, par lequel M. le premier Président [ Claude Petiot ] et les Messieurs de Ville nous faisaient défense de nous établir en ce lieu, qu'il y avait d'autres maisons dans la ville où nous mettre, sans prendre celle-là. Tous ces messieurs étaient en rumeur contre nous, particulièrement les intéressés qui l'occupaient. Un renversement si peu attendu surprit beaucoup notre digne Mère, quoique soumise à l'ordre de Dieu et adorant sa Providence, qui le permettait ainsi. Elle ne laissa pas d'en être touchée sensiblement, d'autant plus qu'elle voyait nos Soeurs qui en étaient toutes affligées. Elle dit pourtant en cette occasion, à ce que quelques-unes de nos Soeurs remarquèrent : « Quand Notre Seigneur la voudra avoir, il saura bien lever les oppositions. Il en enverra quelqu'un en purgatoire, et les autres s'adouciront et se rendront plus raisonnables » ; ce qui est arrivé de même qu'elle l'avait prédit. Elle fit dire à quelques messieurs de nos amis que, puisque l'on nous faisait tant d'obstacles, qu'elle allait s'en retourner avec ses religieuses et quitterait la ville. Ce que ces messieurs entendant, répondirent qu'elle se gardât bien de faire cela, d'autant qu'ils ne le souffriraient pas et les arrêteraient en chemin. Mais, sans perdre plus de temps, il fallait vitement voir à une autre maison. Après avoir encore été voir bien des places et consulté de quel côté on se mettrait, on conseilla à notre digne Mère de s'arrêter à M. Salet, parce que, ayant sa maison, nous ne ferions peine à personne, que l'on ne s'y opposerait point, au contraire, que l'on souhaitait que nous l'achetassions. Notre digne Mère suivit ce conseil et l'on travailla plus que jamais à faire réussir la chose. L'on écrivit aux religieux, l'on fit

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parler aux créanciers. Enfin, après avoir pris toutes les sûretés que l'on croyait nécessaires et que l'on eut donné parole de part et d'autre, l'on fit le contrat pour conclure l'affaire. Le contrat fait, il s'élèva de nouvelles difficultés ; il fallut encore rompre. Notre digne Mère ne savait plus que faire et où aller, car les uns lui disaient d'une façon et les autres d'une autre, si bien qu'elle ne savait qui contenter et, d'un autre côté, nos Mères de Paris la redemandaient à force. Elle se voyait bien nécessaire ici et bien autant à Paris. Son coeur ainsi partagé souffrait ce qui ne se peut concevoir. Une fois, en parlant à une de nous, qui la trouva dans le réfectoire, se promenant outrée de douleur, elle lui dit les larmes aux yeux : « Hé ! mon Dieu, que faut-il faire ? Resterai-je ? M'en irai-je ? Oh ! que je souffre ! ». Après, elle se reprit et dit : « Oh non ! je ne souffre rien, ce sont nos Soeurs qui souffrent, ce n'est pas moi. Mais mon Dieu sait que je fais tout ce que je peux pour satisfaire les unes et les autres, et je ne le puis ; il faut croire que c'est qu'il prend plaisir à les voir souffrir ».

Madame la duchesse d'Aiguillon, qui faisait aussi de son côté tout ce qu'elle pouvait pour nous avoir une maison, allant parler aux uns et aux autres, s'avisa, sans rien dire à personne, d'aller trouver les Révérends Pères Minimes pour avoir la leur. Elle leur parla si fortement qu'elle les fit résoudre de nous la vendre, en cas que leur Général ne s'y opposerait point, mais à condition d'avoir mille livres de rente et encore quelque argent comptant. La chose était assurément surchargeante, et personne n'aurait conseillé une pareille affaire ; mais la dame zélée, comme tout le monde la connaît, s'engagea à payer tous les ans la somme ci-dessus et tira un papier de consentement de tous les religieux, qu'elle leur fit signer. Ensuite elle nous l'apporta pour nous en faire faire autant, ce qui nous surprit toutes, car nous n'en avions point entendu parler. Il fallait encore tenir la chose secrète, pour éviter l'opposition de ceux qui y demeuraient, ce que nous ne laissâmes pas d'avoir quand elle fut déclarée. Notre digne Mère, ayant fait tout ce qu'elle avait pu faire pour avancer les affaires et ne pouvant rien faire davantage, s'en retourna à Paris, où l'on la redemandait toujours de plus en plus. Je ne vous dis rien de notre douleur, qui était extrême ; j'en ai déjà parlé dans ses autres voyages. C'est pourquoi il ne faut point faire de répétitions. Disons seulement en passant, que ce sofit des sacrifices qui coûtent autant que la vie. La mort serait plus agréable que de telles séparations, qui sont cruelles à la nature et dures au coeur qui aime, puisqu'elles lui ravissent ce qu'il affectionne le plus. Elle partit donc le vendredi cinquième de septembre, à trois heures après-midi de l'année 1681, espérant qu'étant à Paris, elle ferait parler au Général des Pères Minimes, qui y était pour lors, pour avoir leur maison ; à quoi elle ne manqua pas. Mais il fit tant de difficultés et demanda tant d'assurances pour la rente qu'ils voulaient, que, voyant que l'on ne pouvait s'accommoder avec eux, on rompit l'affaire. Celle-ci rompue, on retourna à Mme de Bernières, qui abso-

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lument n'en voulut rien rabattre des quarante-et-une mille livres, qu'elle avait déjà demandées pour sa maison. On eut beau marchander, elle demeura toujours ferme, sans vouloir rien diminuer. Ce que voyant, nos Mères, pour mettre fin à tant de retardement, donnèrent leur parole à la dite dame pour l'acheter, laquelle aussitôt en fit faire le contrat, qu'elle apporta voir à notre Révérende Mère [ Françoise de Sainte Thérèse ], laquelle la pria de souffrir qu'on en fît une copie pour le faire examiner par des gens d'affaires. Pour cet effet, elle l'envoya à Paris à notre digne Mère, qui le donna à voir à des personnes considérables et bien entendues dans ces sortes de choses, qui trouvèrent que plusieurs articles n'étaient point comme il fallait, ni les clauses en bonne forme ; que la dame nous liait bien, mais que, pour elle, elle ne se liait pas ; que l'on ne pouvait nous conseiller de faire une acquisition si chère. Ce que nos Mères entendant, dirent qu'il fallait donc chercher autre part.

Notre digne Mère fit parler à M. Thomas pour avoir la sienne. Mais l'on ne put encore, la surfaisant trop et l'ayant louée pour neuf ans. Nos Mères, ne sachant donc plus de quel côté tourner, les créanciers de M. Salet vinrent prier avec instance qu'on reprît sa maison, qu'ils feraient toutes diligences pour avancer les affaires. Ils dirent si bien, qu'à les entendre, l'on croyait que, pour cette fois, on l'allait avoir tout de bon et dans peu. Mais, Dieu ! ils nous trompèrent bien, car ils nous tinrent depuis la fin de l'année 1681 jusqu'au mois de juillet de l'année 1683, sans rien avancer ; si bien que l'on fut obligé de les quitter pour la troisième fois. Jugez quel exercice de patience ils nous ont donné. Un jour, tout était presque fait ; le lendemain, tout était renversé ; il fallait recommencer de nouveau. Aujourd'hui, c'était d'une façon ; demain, c'était d'une autre, nous promettant toujours que tout s'allait faire, et cependant rien ne se faisait, ni ne s'est fait, comme vous avez vu, nonobstant une si longue attente. De vous dire l'état pitoyable où étaient nos chères Soeurs pendant tout ce temps, je n'ai point de terme assez fort pour vous l'exprimer. Je crois qu'elles auraient touché les coeurs les plus durs et les tigres même. L'on peut dire que le Seigneur les faisait mourir à petit feu, tant par la peine de l'esprit que par la langueur du corps. L'air nous manquait, étant dans une maison étouffée, où il n'y avait, il faut dire, point de jardin, car celui qui y était était si petit que l'on ne pouvait pas s'y promener et, étant entouré de maisons, il n'y avait presque point d'air, si bien que, lorsque nous en voulions un peu respirer, nous montions au grenier et nous mettions aux fenêtres. Ce lieu était notre promenade, quoique guère agréable, car, dans les grandes chaleurs, il était comme une étuve : on n'y pouvait durer. Ce manque d'air nous rendit toutes malades. Il n'y en avait presque pas une en santé. Toutes pourtant, par leur ferveur, traînaient leur pauvre corps comme elles pouvaient aux observances, qui n'ont jamais désisté un moment, ni l'adoration perpétuelle, tant de nuit que de jour, quelque incommodé qu'on ait été, car le Seigneur nous fortifiait dans notre faiblesse et nous

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donnait du courage dans notre abattement. Sa bonté nous a pourtant toutes préservées de grandes maladies, car personne n'a alité, que quelques jours en passant. C'est ce qui faisait l'admiration de tout le monde, de voir comme nous pouvions subsister en ce lieu sans malades, là où nous devions humainement toutes mourir, pour l'incommodité que nous y avions. M. notre Supérieur [ M. de Fieux ], voyant que nos affaires n'avançaient pas, fut obligé de nous ordonner d'aller de fois à autre prendre l'air dans quelque jardin de nos amies, car nos chères Soeurs étaient si mal, qu'elles ne savaient plus y résister. Ce que nous fîmes et qui nous donna quelque soulagement. M. de Grainville, le plus intime de nos amis, à qui toute cette Maison a une obligation très grande pour les soins et les peines qu'il a pris pour son établissement, et qu'il y prend encore tous les jours, n'épargnant rien pour lui témoigner son affection dans toutes les occasions où nous avons besoin de son service, comme c'est un digne serviteur de Dieu, sa mémoire doit être éternelle dans cette Maison, ce bon Monsieur, qui avait envie de nous donner un fond pour une victime perpétuelle pour lui, eut donc la bonté de nous acheter pour ce sujet une petite maison fort jolie (79), où il y avait un assez beau jardin pour que nous eussions la liberté d'y aller quand nous voudrions. Si bien que notre Révérende Mère nous y envoyait les unes après les autres y prendre l'air et nous y divertir innocemment. Comme il nous l'avait donnée en partie pour nous faciliter le moyen de nous y établir si nous ne trouvions pas mieux, quand il a vu que nous avions le château, il l'a retirée pour lui, et a mieux aimé nous donner de l'argent comptant pour aider à payer le château ; ce qui nous a fait plus de plaisir assurément. Mais il n'est pas encore temps d'en parler ; suivons le reste en vous disant qu'avec toutes les incommodités que nous avions dans notre petite maison, nous en eûmes encore une, qui ne nous fut pas moins pénible que les autres : c'est que notre bonne Soeur de Saint Joseph, qui de son naturel aimait fort les bêtes, nous avait fait venir une quantité de poules qui nous ont servi durant cinq ou six années d'exercice de patience. Comme nous n'avions pas de lieux où les mettre éloignées de nous, elles étaient dans la cour qui entourait notre maison, si bien que, de quelque côté que nous allions, il nous fallait les entendre crier. Il est vrai que nous avons cru que les démons les y excitaient, aussi bien qu'à chanter durant la sainte Messe, l'office divin, les sermons, les saluts du très Saint Sacrement et l'oraison. Elles faisaient une vie si terrible, que l'on ne s'entendait point, tant dans notre choeur que dans l'église, que tout le monde en était distrait. L'on ne pouvait prier Dieu, et cela non seulement quelquefois en passant, mais,

(79) Mère Mectilde écrit vers cette date à une religieuse de Rouen : « J'apprends avec joie que vous avez acquis une petite maison que l'on dit être bien jolie, où il y a un assez beau jardin pour vous aller toutes un peu divertir et respirer l'air. Hélas ! si vous l'aviez eue cet été, vous en auriez reçu quelque satisfaction... ». Outre le don de 9.000 livres fait en 1696 en faveur de notre monastère de Dreux (Cf. 2."e partie n° 1229), on relève, dans nos annales, presque chaque année, des dons faits par Philippe ou. Claude de la Place de Fumechon, sieur de Grainville.

sans exagération, c'était presque toujours, et nous remarquions que, si elles étaient en repos auparavant et paisibles, aussitôt que nous commencions quelques exercices pareils, elles se mettaient à crier, comme si on eût voulu les étrangler. Leurs cris étaient si pénibles à nos Soeurs, qu'elles disaient qu'il leur semblait qu'on leur arrachait la poitrine. Enfin, à la suite du temps, on fut obligé de les aller garder l'une après l'autre durant ces temps-là pour les faire taire. Il est vrai que si on eût vu nos chères Soeurs au milieu de notre cour avec une grande perche en main, qu'elles tenaient pour les battre quand elles criaient, l'on aurait ri de les voir ainsi faire leur oraison. Nonobstant tout ce que nous fîmes pour les faire taire, nous n'en pûmes jamais venir à bout. Voyant que tous les prêtres et prédicateurs se plaignaient de leur importunité, et qu'ils ne pouvaient plus dire la Messe ni prêcher, nous fûmes contraintes de prier une dame de nos amies de nous les faire porter à sa maison de campagne. Elle nous l'accorda volontiers, si bien qu'heureusement nous en fûmes délivrées, ce qui contenta bien nos chères Soeurs, qui en étaient beaucoup incommodées, tant par la puanteur qu'elles nous donnaient, étant dans un lieu étouffé et que nous étions toujours parmi leurs saletés, que parce que souvent elles nous emplissaient de vermine.

Cependant comme les affaires demeuraient toujours en même état sans avancer, nos chères Soeurs étaient incessamment les mains et le coeur élevés vers le ciel pour lui demander son secours et qu'il manifestât sa volonté. Elles joignaient à leurs prières les pénitences et mortifications, pour obtenir de la divine bonté cette grâce. Chacune faisait à qui mieux mieux pour contraindre Dieu à nous être favorable. Durant ce temps-là, la ville fut affligée d'une grêle et d'une tempête si terrible que, de mémoire d'homme, il ne s'en était jamais vu une semblable. Elle effraya tout le monde et nous fit croire être au dernier moment de notre vie. Ce fut le vendredi après l'octave du très Saint Sacrement, vingt cinquième jour du mois de juin de l'année 1683, sur les quatre heures du soir. Le temps se couvrit de nuées fort noires et épaisses jusqu'à six heures et demie, que le ciel fut tellement agité des éclairs, qu'il paraissait être tout en feu, lesquels durèrent jusqu'à sept heures que commença la tempête, le tonnerre, les vents et l'orage, qui durèrent une heure. Mais l'effort [ le paroxysme ], qui effraya tout le monde, ne dura pas plus d'un demi-quart d'heure. Pendant ce temps-là, il tomba de la grêle d'une extrême et prodigieuse grosseur et en très grand nombre, accompagnée de la foudre et des vents tellement impétueux, qu'il semblait que ce devait être la fin du monde, car c'était une chose épouvantable que d'entendre et de voir cela. Nous crûmes être à deux doigts de la mort, et que la conclusion de notre Maison était d'être ensevelies sous ces ruines. Ce qui nous surprit le plus, ce fut cette prodigieuse grosseur de grêle qui tomba dans ce demi-quart d'heure, qui fit un désordre très grand, fracassant les vitres des fenêtres, dont les morceaux de verre nous sautaient aux yeux, quoique nous nous en fussions très éloignées, brisant

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les tuiles et ardoises des maisons, jusqu'aux voûtes et clochers de plusieurs églises qui en tombèrent, et aucune ne fut exempte de leur couverture brisée, aussi bien que toutes les maisons de la ville et toutes les vitres de même; Le haut portail de Notre-Dame s'étant renversé sur la voûte, quoiqu'elle fût couverte de plomb, ne laissa pas d'en être extrêmement brisée, étant percée par différents endroits, et les débris, étant tombés sur les orgues, en ruinèrent une partie. Des arbres d'une extrême grosseur furent déracinés et renversés par terre, les branches brisées et rompues en morceaux, tous les jardins ruinés comme si le feu y eût passé. Mais outre la consternation, qui était par toute la ville, c'était tout autre chose du côté de la rivière, car il était pitoyable de voir périr et noyer plusieurs personnes sans les pouvoir secourir. Plusieurs barques et bateaux ayant été brisés, renversés et coulés à fond, une partie des personnes qui étaient dedans furent noyées ; les autres eurent assez de bonheur de se pouvoir sauver dans une si rude tempête. Cet orage s'étendit presque une lieue et demie en longueur et environ trois quarts de lieue en largeur. qui fit le même ravage partout (80). Quelques personnes crurent qu'il y avait eu aussi, dans le même temps, un tremblement de terre, se sentant toutes ébranlées. Nous fûmes de celles qui en firent l'expérience, si bien que nous regardions ce qui nous allait tuer le premier, ou le plancher d'en-haut de notre choeur, qui semblait aller tomber sur nos têtes, ou celui sur lequel nous étions, qui nous semblait aussi enfoncer, étant si ébranlé que l'on ne s'y savait tenir sans frayeur. Il nous fallait voir pendant ce temps, que nous croyions, comme j'ai déjà dit, être véritablement le dernier moment de notre vie. Les unes faisaient leur confession tout haut, les autres conjuraient le ciel d'avoir pitié de nous et d'arrêter ce fléau, qu'elles disaient être causé par leurs péchés, dont elles répandaient abondance de larmes. Une partie des autres, qui étaient souffrantes, étant au réfectoire avec notre Révérende Mère, n'ayant su en sortir, dans l'épouvante où elles étaient, se jetaient sous les tables, criant : « Seigneur, ayez pitié de nous » disant à notre Mère Prieure : « Il pleut des cailloux, nous allons périr ». Et elle, dans sa douceur, disait : « Seigneur, vous êtes en colère contre nous, mais apaisez-vous, faites-nous miséricorde ». Quelques-unes, qui étaient par la maison et retournées à leurs chambres pour se coucher, car nous étions après complies, voyant la grèle, accoururent au choeur en ouvrant la porte. Celles qui y étaient et qui s'étaient cachées derrière l'autel de la très sainte Mère de Dieu, pour avoir la protection et le

(80) Amiot, dans son Histoire de Rouen, raconte les faits à peu près de la même manière que notre narratrice. Il cite parmi les dégâts causés par cet orage : le clocher de l'église Saint-André, qui s'écroula sur la nef et les orgues de l'église, les ruinant entièrement ; celui de Saint-Michel, qui tomba sur une maison voisine et l'écrasa ; l'orgue de Saint-Lô et la tour de Saint-Laurent, gravement endommagés ; la rosace de Saint-Ouen, fracassée ; les trois tourelles du portail de la cathédrale, qui tombèrent sur la couverture du bas de la nef, en crevèrent l'arcade et écrasèrent l'orgue. Cette tornade venait de Falaise, passa par Lisieux, Quevilly, la vallée d'Yonville et vint fondre sur Rouen. Cf. Amiot, op. cit., t. 1, p. 393. N. Periaux en parle aussi, dans son Histoire sommaire et chronologique de la ville de Rouen, réédition 1970, comme d'un fait qui a beaucoup frappé les contemporains et causé de très graves dégâts.

secours de cette Mère de miséricorde, et que la frayeur préoccupait, croyant que cette tempête n'était que dessus notre Maison et que c'était un effet de la malice des démons pour nous anéantir sous ses ruines, crurent que c'étaient ces misérables [ démons ] qui se venaient saisir d'elles, se jetèrent sur la porte et la leur fermèrent au nez avec le verrou par-dessus. Ce que ces pauvres filles voyant, criaient tant qu'elles pouvaient : « Ouvrez-nous, nous voulons mourir aussi bien que vous devant le très Saint Sacrement ! ». Enfin, à force qu'elles crièrent, on reconnut leurs voix et on leur ouvrit. Comme la Mère sacristine en était une, elle voulait à toute force jeter notre grille à bas pour avoir le très Saint Sacrement, avec deux ou trois autres, disant douloureusement : « Hélas ! faut-il que nous mourions sans le recevoir. Elles s'avisèrent d'appeler monsieur notre écclésiastique, que nous aperçûmes, qui avait la tête et la moitié du corps dans l'armoire de dessous l'autel, car il était aussi effrayé que nous toutes. Nous en aurions ri assurément, si nous n'avions pas eu la peur que nous avions et si nous n'eussions été dans un lieu si saint. Nous le priâmes donc d'atteindre le saint ciboire du tabernacle, pour nous donner la bénédiction de celui qui sait commander aux vents et aux tempêtes de s'arrêter. Ce qu'il fit par sa bonté aussitôt, car, dans le moment que le prêtre l'eut entre ses mains, et l'éleva en haut pour nous bénir, la grêle et l'orage s'apaisèrent entièrement. Des gens curieux voulurent remarquer la grosseur de cette grêle.. Ils dirent qu'il y en avait de quatre sortes : la première, de la grosseur d'une noisette ; la seconde, de la grandeur d'un demi patagon en corniche ; la troisième d'un patagon de même sorte que la seconde et de l'épaisseur d'un pouce ; la quatrième, d'une prodigieuse grosseur, était environ comme un oeuf de poule, mais entouré de pointes aiguës, et l'on a remarqué qu'il y avait un noeud en forme d'oeil enfermé au milieu, lequel paraissait visiblement. C'est ce qui fut vu par ces mêmes personnes, qui en brisèrent et en voulurent peser, et en trouvèrent d'un quart, d'une demi-livre, de trois quarts et même jusqu'à une livre. Elle était tellement dure à fondre, qu'il s'en trouva encore le dimanche dans les caves et dans les fossés des rues, dans lesquelles elle s'était conservée.

Quand cette tempête fut cessée, nous rendîmes grâce au Seigneur de ce que sa bonté nous avait préservées d'accidents, et reprîmes nos esprits. Ensuite, nous allâmes voir par toute notre maison le grand désordre qui y était. Nous fûmes traitées des plus doucement, nous n'en pouvions assez bénir Dieu et d'avoir conservé la ville, car l'on a assuré que, si cette grêle eût encore duré un quart d'heure, elle aurait été entièrement abîmée, sans que personne eût pu se sauver. Dieu se montra si bon en se rendant maître de cette grêle et tempête que, nonobstant un si grand débris qui devait blesser et estropier et tuer la plupart du monde, il n'y eut que deux ou trois personnes de blessées ; c'est ce dont on eut bien à lui rendre grâces. Il semble que ce coup de sa justice que nous devons adorer, n'était que pour nous avertir que nous devons la prévenir

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par nos pénitences et ne l'irriter pas davantage, comme nous faisons tous les jours par la continuation de nos péchés, qui l'obligerait à nous frapper plus rudement.

Mais poursuivons, s'il vous plaît, notre fondation. Comme l'on vit donc que les créanciers de M. Salet nous amusaient toujours par de

belles promesses sans rien avancer, l'on fut obligé de chercher une maison autre part où se mettre. Une dame l'ayant su, nous fit offrir la sienne et nous manda de la venir voir, quand nous voudrions. Comme le jour de cette grêle, à laquelle l'on ne s'attendait pas, notre Révérende Mère [ Françoise de Sainte Thérèse 1, avait donné sa parole à cette dame, pour l'aller voir le lendemain matin à huit heures, qui était le samedi, elle ne voulut pas différer, nonobstant le grand désordre qui était partout, de nous faire sortir pour ce sujet. Mais nous ne trouvâmes pas lieu de nous en accommoder, ni d'autres non plus que nous fûmes voir encore. Notre digne Mère [ Mère Mectilde 1, qui était dans la douleur de ce que l'on ne pouvait rien terminer, dit qu'il fallait enfin se résoudre d'arrêter la maison où nous étions logées, avec une autre petite qui la joignait, jusqu'à ce que l'on pût s'agrandir, puisque l'on ne pouvait mieux faire, après un si grand retardement. Elle pria M. d'Omonville, qui était à Paris et qui venait faire un voyage à Rouen, de vouloir bien se charger de faire l'affaire en secret ; à quoi il s'accorda volontiers, étant bien aise de nous rendre ce service. Aussitôt son arrivée en cette ville, sans perdre de temps, il fit parler au propriétaire, pour l'acheter comme pour lui. Mais celui-ci se douta que c'était pour nous et que le monsieur faisait accroire que c'était lui qui la voulait avoir. Il ne la surfit seulement que de sept ou huit mille livres, plus qu'elle ne vaut, étant une fort méchante maison. Comme nous étions après à la marchander et que notre digne Mère avait fort envie que l'on fit la conclusion, M. le Premier Président de cette ville, qui était allé à Paris, y mourut dans ce même temps (81). Nos Soeurs en ayant appris la nouvelle, dirent à notre Révérende Mère que, puisque ce monsieur était mort, qui s'opposait à notre établissement dans le château, s'il n'y aurait pas moyen de l'avoir, que, pour le présent, il ne fallait point perdre de temps et en écrire promptement à Paris, afin de voir si l'on n'y pourrait pas encore faire quelques tentatives. Ce qu'elle prit la peine de faire aussitôt, en le mandant à notre digne Mère. Celle-ci, ayant su leur dessein et qu'elles souhaitaient beaucoup d'avoir ce château, répondit qu'elle ne demandait pas mieux que de les contenter, qu'elles pouvaient faire leurs diligences pour cela et que, de sa part, elle y ferait aussi tout son possible, ne voulant que leur satisfaction et, partant, qu'il ne fallait plus penser à l'autre affaire. Nos bonnes Soeurs, ayant reçu cette réponse si favorable à leur inclination, se mirent à la poursuivre avec force, par le moyen de nos amis et singulièrement de nos Mères de Paris, que nous suppliâmes d'y travailler pour nous. Et pour

(8?) Claude Pellot, décédé à Paris, rue de l'Université, le 3 août 1683, et inhumé dans l'église des Carmes de la place Royale.

les y obliger davantage, nous fîmes faire aussitôt une procuration par un notaire, pour leur donner la liberté de nous acheter une maison, telle qu'elles voudraient, sans leur signifier que c'était le château que nous désirions, afin de mieux réussir à l'avoir et que l'on n'en eût aucun soupçon dans cette ville, craignant qu'on y mît encore empêchement, si l'on venait à s'en douter ; si bien que l'affaire se fit ainsi secrètement et adroitement. Nous signâmes toutes cette procuration devant le notaire, pour que tout fût fait en bonne forme et dans l'ordre ordinaire des affaires ; aussitôt notre Révérende Mère l'envoya par la poste. Nos Mères, l'ayant reçue, firent leur possible pour nous en mettre en possession, priant Mme l'abbesse de Beaumont (82), qui était pour lors à notre Maison de Paris, de s'intéresser en cette affaire et de nous aider par son crédit. Elle le fit avec une bonté qui ne se peut dire, n'ayant épargné ni ses peines, ni ses soins, pour nous servir en cette rencontre. Et comme le temps, dans l'ordre de Dieu, était venu pour couronner la patience de nos chères Soeurs dans la longueur de leur attente, Dieu se servit de cette vertueuse abbesse pour bénir cette entreprise, et la fit réussir heureusement, malgré toutes les oppositions qui s'élevèrent contre. De vous dire comme l'affaire fut conclue, je n'en sais rien ; mais l'on m'a dit que cette bonne dame en a fait faire un recueil par la Mère de Blémur (83), si bien que l'on le pourra savoir facilement ; je vous y renvoie donc, si vous avez envie de l'apprendre, ne sachant autre chose, sinon qu'elle promit à saint Joseph, s'il voulait nous faire avoir ce château, qu'on lui bâtirait une chapelle dans notre église à son honneur, ce que ce grand saint a agréé, puisqu'il nous l'a fait avoir.

ACHAT DU CHÂTEAU DE M. DE MATHAN : AOÛT 1683

L'affaire donc faite avec M. de Mathan, à qui il appartenait, et le prix arrêté, l'on signa le contrat un samedi au mois d'août, je ne sais quel quantième. C'est ainsi que l'affaire se termina à Paris. Ce fut notre digne Mère et quelques-unes de nos autres Mères, avec la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs j de cette Maison, qui y était pour lors, qui le signèrent. Comme elles avaient notre procuration, elles agirent pour nous et firent tout en notre nom. On fit proclamer en cette ville la maison par un huissier à la porte de l'église de Saint-Godard (84),

(82) Anne Berthe de Béthune (1637-1689), abbesse de l'abbaye royale de Beaumont-lès-Tours. Cf. 2eme partie, n. 77.

(83) Jacqueline Bouette de Blémur (Mère de Saint Benoît) vécut de 1618 à 1696. Ce récit ne se trouve plus dans nos archives. Cf. 2eme partie, n. 7.

(84) Une des plus anciennes églises de Rouen, et que certains croient antérieure à la cathédrale. Elle a dû être bâtie avant 525, puisque saint-Godard, mort cette année-là, y fut inhumé, ainsi que saint Romain en 646. Elle fut plusieurs fois rebâtie depuis. Le territoire de la paroisse était fort étendu, et le Vieux-château en faisait partie. C'est pourquoi nous verrons un peu plus loin les difficultés créées par le curé de Saint-Godard, peu empressé à voir un nouvel établissement de religieuses s'installer sur sa paroisse, qui en comptait déjà plusieurs, et dont il craignait « la concurrence », tant pour l'assistance aux offices que pour les aumônes.

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paroisse du dit château, le premier ou second dimanche du mois d'octobre. Cela apprit à tout le monde ce qu'ils ignoraient, car, comme je vous ai déjà dit, l'affaire avait été faite secrètement à Paris. Ce qui mit presque tous les messieurs de Rouen en rumeur contre nous et singulièrement les intéressés et les locataires qui l'occupaient ; ils en disaient de toutes manières. Mme de Fuguerolle, qui tenait une des maisons, fut la première qui nous la céda pour Pâques et qui, en même temps, loua celle où nous étions. Elle nous en envoya les clefs le jour du vendredi saint. Notre Révérende Mère l'alla mettre aux pieds de la très sainte Mère de Dieu, en attendant qu'elle nous y fit aller, dans le temps marqué par la Providence. Nos chères Soeurs, qui étaient dans une joie qui ne se peut dire d'avoir les clefs de cette maison, n'avaient point de repos qu'elles ne fussent dedans. Elles étaient toujours à tourmenter notre Révérende Mère pour qu'elle les y envoyât, disant qu'il fallait aller nettoyer et préparer toutes choses, si bien qu'elle condescendit à leur désir. Elle les y envoya pour les contenter. Mais véritablement elles trouvèrent cette maison bien en désordre. Les laquais avaient ramassé toutes les ordures des quatre maisons, dont ils avaient rempli la cour et les six ou huit premières marches de l'escalier pour nous empêcher d'y monter. Mais leur méchanceté s'étendit encore plus loin, et l'on n'oserait dire toutes les horreurs dont ils s'avisèrent, pour se réjouir à nos dépens et nous donner de la peine. Nos Soeurs y allèrent donc quatre ou cinq demeurer, pour mettre tout en ordre. Et pour que Dieu y donnât toutes les bénédictions que nous pouvions désirer, elles y portèrent plusieurs images de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère. Elles en posèrent une sur la première porte de la rue, mais au-dedans de la maison, afin qu'elle en prît possession, lui appartenant en qualité de notre très digne Supérieure et Abbesse. Elles mirent les autres dans les chambres et de côtés et d'autres, avec ces paroles : « Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel », et : « Marie, Mère de Dieu, a été conçue sans péché originel », tout de l'écriture de notre très digne Mère. Elles firent encore 50 ou 60 croix de cire bénite du cierge pascal, qu'elles appliquèrent à toutes les fenêtres, cheminées et portes de la maison, afin de nous préserver de la malice des hommes et des démons, qui avaient fait dessein de nous nuire, à ce qu'on nous avait fait avertir. Notre Révérende Mère envoya M. notre ecclésiastique la bénir, par l'aspersion de l'eau bénite et les prières de l'Eglise, non seulement en un endroit, mais par tous les lieux de la maison. L'on en fit de même aux trois autres, devant que de nous y loger. Après tant de bénédictions reçues et de précautions prises, il n'y avait plus rien à craindre, si bien qu'elles y demeurèrent en assurance. La chapelle qui y est les charma, tant parce qu'elle est bien dévote et joliment accommodée, étant entourée de fort beaux tableaux, lesquels représentent les mystères de Notre Seigneur, et que l'on ne peut envisager sans être excité à la dévotion, que par les onctions et les

sensibilités qu'elles y ressentaient (85). C'étaient des suavités qui ne se peuvent dire. Vous eussiez dit, à voir leurs visages si contents et joyeux, qu'il sortait de leur bouche, une liqueur semblable à celle qui découlait de la barbe d'Aaron [ Ps. 133 ] ; enfin elles n'en savaient sortir. Elles auraient dit volontiers au Seigneur, pourvu qu'il les eût traitées de même : « Seigneur, faisons ici nos tabernacles et n'en sortons point, car il y fait bon, il y a bien du plaisir à goûter vos divines douceurs ». [ Mt. 17,4 ]. Mais hélas, elles n'en jouirent pas longtemps, car, comme vous savez que le centre de la victime est la croix, il est bien juste que celles qui portent cette glorieuse qualité y soient toujours unies et, si elles en sont séparées quelques moments, ce n'est que pour s'y rejoindre après plus fortement et l'embrasser plus vigoureusement. C'est ce que firent nos chères Soeurs, car, comme elles avaient un peu goûté les douceurs de Dieu dans cette aimable chapelle, elles en reçurent des forces pour soutenir, dans l'esprit de résignation à la volonté divine qui le permettait, les oppositions que nous firent encore les messieurs de Rouen, pour empêcher que nous ne prissions possession de ce château. Ils s'en allèrent à Paris et remuèrent ciel et terre, comme l'on dit, pour ce sujet. Ils gagnèrent M. de Montausier (86), gouverneur de cette ville, et les principaux, si bien que selon les apparences et à moins d'un miracle, nous ne pouvions pas espérer de l'avoir. Madame la princesse de Mekelbourg, ayant su ce que ces messieurs avaient fait, en apporta la triste nouvelle à notre très digne Mère, l'assurant que c'était une chose

(85) Le Vieux-Château, ou château de Bouvreuil, renfermait plusieurs chapelles dont la plus importante, celle de Saint-Romain, était de fondation royale. On l'appelait la grande chapelle ou chapelle du château. C'est là qu'eut lieu le premier interrogatoire de Jeanne d'Arc, le mercredi 21 février 1431. Au procès de réhabilitation, Massieu, l'un des huissiers du procès, dira « Plusieurs fois, amenait icelle Jehanne du lieu de la prison (Tour de la Pucelle, aujourd'hui disparue) au lieu de la juridiction, et passait devant la chapelle du chasteau, et icellui déposant souffrist, à la requête de ladite Jehanne, qu'en passant elle feist son oraison... et demandant expréssement ladicte Jehanne « Cy est le corps de JhésusCrist ? ». Or la chapelle Saint-Gilles se trouvait normalement sur le trajet de Jeanne, mais le Saint-Sacrement n'était conservé qu'à la chapelle Saint-Romain. On sait que, lors des démolitions de la fin du XV le siècle, tout ne fut pas détruit. Ne peut-on penser que les Rouennais, ayant conservé le souvenir du passage de Jeanne, n'avaient pas fait disparaître cette chapelle ? Par ailleurs, la description donnée par notre narratrice dans cette page du récit et un peu plus loin montre bien que la chapelle n'était ni de construction, ni de décoration récentes. Les peintures « à l'italienne » pourraient bien être l'oeuvre de l'école d'André Solaris, peintre italien protégé par le cardinal Georges d'Amboise au siècle précédent. Enfin, l'emplacement de l'ancienne chapelle royale et celui de la chapelle que nous décrit Mère Monique des Anges est assez sensiblement le même. Lorsque les Ursulines rachetèrent le « château » après la Révolution, elles retrouvèrent des vestiges de cet « oratoire de Saint-Romain ». Il semblerait étonnant qu'on l'ait conservé avec tant de soin, si aucun souvenir ne s'y rattachait. Cf. Pierre Isset, Procès de condamnation de Jeanne d'Arc, Paris, 1971, t. 111, p. 233, et plans dressés par le Commandant Quenedey et M". E. Chirol. Des vitraux actuellement au musée de Cluny (depuis octobre 1956) proviennent, pensent des auteurs particulièrement qualifiés, de la chapelle Saint-Romain du château de Bouvreuil, celle qui a été reconstruite par les bénédictines du Saint Sacrement en 1689. Cela confirmerait l'identification possible de notre chapelle avec celle où s'arrêta Jeanne d'Arc (Dossier constitué par M. le chanoine B. de Mathan).

(86) Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier, pair de France, 1610-1690, d'une ancienne famille de Touraine, obtint à 28 ans le grade de maréchal de camp. Il fut gouverneur et lieutenant général en Xaintonge et Angoumois, haute et basse Alsace, fut nommé commandant pour sa Majesté en 1663 pour la Normandie. Louis XIV le nomma en 1668, gouverneur du dauphin. Ne dans la religion protestante, il avait été converti par Bossuet. Cf. M. Bouillet, Dictionnaire d'Histoire et de Géographie, Paris, 1850 ; Amiot, op. cit., t. I, p. 95.

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rompue, que tout le monde était contre nous, qu'il n'y avait pas d'apparence que cela pût réussir jamais. Notre digne Mère ne perdit point de temps et, dans le moment, mit la main à la plume pour en informer promptement notre Révérende Mère, lui mandant en ces termes : « Ma Mère, ayez à faire revenir celles qui sont au château le plus tôt que vous pourrez, afin qu'elles ne soient pas obligées d'en sortir d'une manière qui les humilierait beaucoup ». Notre Révérende Mère, ayant reçu le len e-main, à neuf heures du matin, cette lettre, ne manqua pas aussi ôt d'écrire un mot à nos chères Soeurs pour leur mander qu'elles eusse t promptement à revenir, sans leur rien dire de plus. Vous pouvez bien juger de leur peine à la lecture qu'elles firent de ce billet et ce qu'elles eri pouvaient penser, se doutant bien qu'il y avait quelques méchantes nouvelles, et d'autant plus que le porteur le leur donna bien à connaître, leur disant que l'on venait de recevoir des lettres, et qu'assurément les affaires n'allaient pas comme l'on désirait. Ces paroles les affligèrent doublement, mais pourtant sans sortir de la soumission qu'elles devaient à l'ordre de Dieu qui permet tout ce qui nous arrive de plus contraire dans la vie, et dont nous devons le bénir. C'est ce qu'elles firent en fermant la maison, et descendirent à la cour attendre le carrosse qu'on leur avait dit qui les allait venir prendre, ayant envoyé en même temps demander celui de M. de Brénetot (87), qui avait accoutumé de nous prêter le sien, de nous faire encore cette même grâce. Mais malheureusement on ne le trouva pas pour lors chez lui, et ses gens, à qui on avait chargé de le dire à son arrivée, l'oublièrent entièrement, aussi bien que celui que nous y avions envoyé, de nous avertir qu'il ne l'avait pas trouvé, si bien qu'elles attendirent dans cette cour trois ou quatre heures d'horloge, le carrosse qui ne venait pas. Vous pouvez croire dans quelle inquiétude elles étaient, et nous encore plus de ce qu'elles ne venaient pas, n'en sachant pas la raison. Notre Révérende Mère craignait qu'il ne leur fût arrivé quelque chose de fâcheux ou que, peut-être, on ne les eût arrêtées en chemin. La lettre qu'elle venait de recevoir de Paris lui donnait lieu de l'appréhender, mais quand nous eûmes appris le sujet qui les avait empêchées de venir, nous demeurâmes en repos, et cette bonne Mère qui était déjà affligée de l'affaire du château, qu'elle croyait renversée, fit un petit soupir en disant : « Il faut bénir le Seigneur de ce que tout nous est contraire et va tout de travers ». En même temps, nous envoyâmes prier M. de Mesnicosté, qui demeurait fort proche de chez nous, de nous prêter son carrosse pour les aller quérir, ce qu'il nous accorda volontiers. Elles arrivèrent sur les une heure et demie après-midi, qui n'avaient ni mangé, ni entendu la sainte Messe, quoiqu'on en avait gardé une pour elles. Mais comme l'on vit qu'elles ne venaient pas, après midi passé, on fut obligé de la faire dire,

(87) Ou Bennetot, est mentionné dans nos annales au sujet d'un remboursement d'une somme prêtée par « Feu M. de Bennetot » en mai 1692.

le prêtre ne pouvant pas les attendre davantage, ce qui leur fut une augmentation de peine, avec celle qu'elles avaient déjà. Il est vrai qu'elles nous firent pitié de les voir si tristes et abattues. Mais comme il était l'heure du grand silence, pas une de nous n'osa leur dire un mot. Notre Révérende Mère, qui était au parloir, ne nous avait pas permis de l'interrompre pour les recevoir, si bien que nous les menâmes dîner sans leur parler. Quelque temps après, notre Mère sortit du parloir et les alla voir en passant en silence, comme nous, sans leur vouloir rien dire, car son exactitude est admirable sur ce sujet, aussi bien que pour toutes les autres observances des Règles et Constitutions. Nonobstant, en cette rencontre, la charité et la condescendance l'emporta sur la régularité et, voyant que nos Soeurs la questionnaient et la pressaient beaucoup de leur dire les nouvelles qu'elle avait reçues, elle leur communiqua sa lettre, ce qui acheva de les affliger. Mais elle les affligea bien plus, quand elles apprirent que les messieurs de Rouen faisaient tous leurs efforts pour avoir un arrêt du Grand Conseil, pour nous empêcher d'aller à ce château. Mais comme, d'un autre côté, nos Mères de Paris, par le moyen de leurs amis et de Mme l'abbesse de Beaumont, faisaient tout leur possible pour nous en avoir un autre, pour nous y faire entrer, c'était à qui l'emporterait et le gagnerait. Mais, comme le Seignetir était pour nous, qui a les coeurs des hommes entre ses mains, il sut si bien tourner ceux dont nous avions besoin, qu'ils nous furent favorables en nous donnant cet arrêt tant désiré, et contre lequel ceux qui nous étaient contraires s'étaient si fort opposés. Quand nous en eûmes appris la nouvelle, nous n'en pûmes assez louer Dieu et lui en rendre grâce, voyant bien que c'était un coup de son bras tout-puissant ; ce qui nous donna une nouvelle confiance qu'il achèverait ce qu'il avait si bien commencé, en faisant donner aux messieurs de Rouen leur agrément pour pouvoir aller au château, car, à moins de cela, nous ne le pouvions pas, si bien qu'il fallait que M. le Premier Président, M. le Procureur général [ Pierre le Guerchois ], Messieurs de la ville et d'autres encore s'assemblassent pour ce sujet, pendant que nos amis étaient à les en solliciter. Il fallait voir l'ardeur de nos chères Soeurs à intercéder le ciel à nous être propice. Elles ne faisaient que prier et redoubler leurs pénitences, si bien qu'il ne put se défendre de nous être encore favorable et nous fit donner le consentement de tous ces Messieurs. Jugez de la joie de nos Soeurs quand elles le surent. Elle fut grande à la vérité, mais elle fut encore rabattue par ce que je vais vous dire.

Comme l'on craignait toujours qu'il ne s'élevât de nouvelles oppositions pour nous empêcher d'aller [ au château ], l'on conseilla à notre Révérende Mère que, sans retardement, elle eût à y aller s'établir et nous y mener toutes pour en prendre possession. Mais, comme elle ne le pouvait sans l'agrément de M. de Fieux, nôtre Supérieur, il fallait la lui demander et, n'étant pas pour lors en cette ville, mais à son abbaye,

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notre Révérende Mère fut obligée de lui écrire pour l'obtenir et envoya exprès notre sacristain lui porter sa lettre, que le dit Monsieur ne reçut pas trop bien, non plus que lui, lui témoignant être fort mal content de ce qu'on ne lui avait pas tenu la parole qu'on lui avait donnée, et [ demandant ] si on se moquait ainsi des gens. C'est qu'il faut savoir que, la première fois que l'on fit l'affaire de ce château, qui fut rompue, comme je vous ai dit, par les oppositions qu'on nous fit, il avait fait promettre à notre digne Mère [ Mectilde de Bar ] que jamais on n'y penserait, et même elle lui en avait donné la promesse par écrit. Mais la Providence permit qu'elle n'en eût aucun souvenir. Quand on renoua l'affaire cette seconde fois, elle laissa conduire l'affaire par Mme l'abbesse de Beau. mont, la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ], de cette Maison, qui était pour lors à Paris, et par quelques-unes de nos Mères, se contentant de la présenter à Notre Seigneur pour la bénir, si c'était sa gloire, et lui en abandonnant le succès. Or comme elle réussit, heureusement pour nous, ceux qui nous étaient contraires en furent fort malcontents, particulièrement les personnes qui occupaient les maisons, dont M. le Président Delahaye-Dupuis (88) en était un et l'ami très intime de M. de Fieux. Si bien qu'étant fort dans ses intérêts, il était très fâché que nous le fassions déloger et, selon ce que nous avons vu par sa conduite à notre égard en cette rencontre, il avait sans doute promis au Président qu'il ne nous donnerait pas la permission de nous y aller établir, qu'il ne sût qu'il en était consentant et que volontiers il nous cédât sa maison. Si bien qu'il fit réponse de bouche [ verbalement ] à la lettre de notre Révérende Mère qu'il ne nous pouvait pas donner cette permission, qu'il ne l'eût fait savoir à Mgr l'Archevêque, qui lui avait défendu de nous la donner. Cette réponse, si peu attendue, mit nos chères Soeurs dans une grande douleur quand elles l'apprirent par le retour du sacristain. Elles ne se rebutèrent pourtant point de ce refus et prièrent notre Révérende Mère d'y renvoyer une seconde fois et d'écrire de nouveau ; ce qu'elle fit et pria un ecclésiastique de nos amis de vouloir bien porter sa lettre et de joindre ses prières aux siennes, croyant que par son moyen on en aurait plus facilement la permission que l'on désirait ; ce qu'il accepta volontiers et partit dans le moment. Mais M. notre Supérieur ne lui fit pas meilleur accueil qu'à notre sacristain et le reçut un peu plus mal, témoignant qu'il était fort fâché qu'on l'importunât tant, et rendit la même réponse que la première fois, persistant toujours à dire qu'il ne l'accorderait pas, et renvoya ainsi le Monsieur qui vint rapporter la même nouvelle, qui nous désola toutes, sans pourtant sortir de la soumission que nous devions à l'ordre de Dieu que nous adorions. Pour notre Révérende Mère, elle était toujours dans sa tranquillité et sa douceur, ne

(88) Louis du Fay, marquis de la Haye-du-Puits, seigneur de Bonnebos, du Fournet, né à Périers (Manche), le 15 septembre 1622 ; président au Parlement de Normandie de 1667 à 1674. Cf. Amiot, op. cit., t. I, p. 92, et Frondeville, Les Conseillers, t. IV, p. 145.

se baissant et haussant de rien, bénissant Dieu de cette conduite crucifiante qu'il tenait sur cette oeuvre, qui en toutes choses était contredite. Enfin, il fallut consulter avec nos amis ce que nous ferions dans cette conjoncture, où nous ne pouvions gagner notre Supérieur, et, pour cet effet, de lui aller encore demander une troisième fois. Notre Révérende Mère fit donc faire par nos mêmes amis cette proposition à M. de Mathan, qui l'agréa et partit aussitôt avec le monsieur ecclésiastique qui lui avait porté la seconde lettre. Or, comme M. de Mathan avait reçu depuis quelques jours une lettre de M. le Président de la Haye du Puits, par laquelle il lui mandait qu'il lui cédait sa maison et que dans quelques jours il en allait faire ôter ses meubles, l'on jugea à propos de la faire voir à Monsieur notre Supérieur, afin de le gagner, ce qui réussit heureusement. Monsieur de Mathan lui en ayant fait la lecture et témoigné être fort surpris de ce qu'il ne voulait point nous donner la permission de nous établir dans sa maison, il la lui accorda dans le moment, lui disant que nous n'avions qu'à y aller quand nous voudrions. Ces messieurs, ayant eu cette agréable réponse, s'en retournèrent promptement, bien joyeux, pour nous apprendre ce qui nous réjouit bien. Notre Révérende Mère jugea qu'il fallait sans retardement en aller prendre possession, si bien qu'elle fit accommoder la petite chapelle, y mettre un tabernacle pour y renfermer le très Saint Sacrement. Elle y envoya des meubles et des lits que l'on tendit promptement.

INSTALLATION AU CHÂTEAU : 26 JUIN 1684

Toutes choses donc étant en état, le lundi matin 26 de juin, elle nous fit dire prime et tierce comme à l'ordinaire, ensuite la Messe conventuelle, où le prêtre consomma les saintes hosties et n'en laissa que deux dans le saint ciboire, pour continuer l'adoration jusqu'à ce que le très Saint Sacrement fût renfermé dans le tabernacle de la chapelle du château. La sainte Messe dite, notre Révérende Mère sortit avec nos chères Soeurs et [ elles ] montèrent en carrosse pour s'y aller rendre promptement. Les messieurs et les dames les y attendaient, avec un ecclésiastique pour dire la sainte Messe, qu'il commença aussitôt qu'elles y furent arrivées. Une de nos Soeurs fit la réparation comme à l'ordinaire. L'on chanta premièrement le Veni Creator et, pendant l'élévation, la chantre dit un fort beau motet du très Saint Sacrement et, comme l'on venait de consacrer les saintes hosties dans le saint ciboire, on le renferma dans le tabernacle. Après la sainte Messe l'on chanta le Te Deum, en action de grâces de ce bien infini que l'on possédait en ce lieu tant désiré. Ensuite, notre Révérende Mère nous envoya dire de faire communier la religieuse qui attendait pour consommer les dernières hosties dans la Maison où nous étions restées quatre pour déménager, ce que nous fîmes

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aussitôt. Nous eûmes donc soin d'envoyer tous les meubles à nos chères Soeurs qui étaient bien embarrassées à les recevoir, à cause du grand nombre de séculiers, tant des parents des religieuses que des amis qui, ayant la liberté d'entrer, venaient en foule, si bien que c'était un si grand bruit que l'on ne s'entendait point, l'on ne savait à qui parler. Nonobstant, l'adoration ne cessa pas d'un moment, non plus que l'office divin, que nos chères Soeurs disaient dans la petite chapelle, parmi les séculiers qui y assistaient et venaient unir leurs prières aux leurs. Ils témoignaient être très édifiés de leur modestie et respect devant le très Saint Sacrement, et touchés de voir la réparatrice au poteau (89). L'on aurait dit que le Seigneur avait fait faire tout exprès cette chapelle pour se loger, en attendant qu'on eût pu accommoder un lieu plus grand et plus propre à le mettre, car nous la trouvâmes justement propre pour cela, et elle nous a servi d'église pendant deux mois entiers. Notre bonne Soeur de Sainte Anne [ Monier ], qui était venue exprès de Paris pour nous aider à déménager, nous aida bien par son adresse à nous accommoder et à nous mettre promptement en clôture ; ce qu'elle fit en trois jours avec une diligence qui ne se peut dire, travaillant plus que trois hommes. La Maison lui doit de la reconnaissance pour sa bonne amitié et pour le coeur avec lequel elle l'a servie. Elle mit donc à l'endroit de la porte de la chambre, auprès de la chapelle, qui est du côté du grand escalier, une grille de nos parloirs, qu'elle accommoda fort proprement, où il y avait une ouverture pour nous communier. De l'autre côté, elle avait laissé trois chambres ; deux faisaient l'église avec la chapelle, pour donner la liberté aux séculiers de venir adorer le très Saint Sacrement, et la troisième faisait la sacristie et la chambre de M. notre chapelain, que l'on avait séparée par une tapisserie pour faire l'un et l'autre tout selon la sainte pauvreté, quoique bien propre. La chambre vis-à-vis la chapelle où l'on avait mis la chaire du prédicateur était tapissée de cuir doré, et toute remplie de tableaux. Le monde montait à cette petite église par un petit escalier, ayant fait une clôture de planches dans la cour pour nous séparer, comme nous sommes encore aujourd'hui, et c'est par ce petit escalier que le monde va à nos parloirs. Pour notre choeur, on ne le put faire qu'au grenier, au-dessus de la chambre auprès de la chapelle, et, comme il y a une ouverture assez grande qui donne dedans cette petite chapelle, nous avions la consolation d'y voir le très Saint Sacrement. C'était en ce lieu que nous disions l'office divin et faisions l'adoration perpétuelle, tant de jour que de nuit. Vous pouvez juger que nous y étions bien commodément pour nous mortifier, tant par la grande fatigue que nous avions à y aller, ayant soixante-trois degrés à monter, trente-trois qui sont si roides que, quand nous les

(89) Un poteau de pierre d'environ un mètre de haut, surmonté d'un cierge, était habituellement placé dans le chœur, près du tabernacle. La religieuse qui « faisait la réparation » aurait dû tenir un cierge allumé en main pendant la messe. Le « poteau », près duquel elle se tenait à partir de l'offertoire, lui servait en quelque sorte de porte-cierge. On a aussi donné un sens mystique à ce poteau, qui figurait celui de la flagellation du Seigneur et son sacrifice pour le salut des hommes.

avions montés, nous étions hors d'haleine, que pour la grande chaleur qu'il y faisait, étant dans le coeur de l'été. Vous eussiez dit que nous étions dans une étuve. Je ne sais comment nos chères Soeurs y pouvaient chanter ; ce qu'elles faisaient cependant avec une grande ferveur, sans écouter la peine qu'elles avaient à y demeurer. L'on aurait dit, à les entendre, qu'elles y étaient bien à leur aise. Mais, pour la nuit, le vent y était si grand que l'on n'y savait durer, ni conserver de lumière, ce qui faisait que souvent nous demeurions dans les ténèbres et sans savoir où nous étions ; tant la lampe de l'église, que celle de notre choeur, s'éteignaient continuellement, et nous ne savions plus où aller pour les rallumer, car de descendre à la cuisine, le chemin était trop long et nous nous serions mises en hasard de nous casser le col [ le cou ]. Il fallait bien s'en garder ; nous y fûmes pourtant bien obligées, une fois que la chandelle se souffla, pendant que l'on disait matines ; l'on demeura sans pouvoir achever, ne voyant pas clair. Depuis ce jour, nous prîmes une lanterne, que nous mettions sur un guéridon et nous nous mettions toutes autour. C'était aussi en ce lieu que nous entendions la sainte Messe et, après qu'elle était dite, nous descendions le premier escalier des trente-trois degrés, où au bas l'on avait posé une grille pour aller communier, et après nous remontions dire l'oraison du très Saint Sacrement et faire notre action de grâces à ce grenier. Cette grille nous servait aussi pour entendre les sermons. Comme il y a une allée assez raisonnable, jusqu'à la chambre de l'autre côté, nous nous y arrangions toutes, vis-à-vis la grille, afin d'être vues du prédicateur et de mieux entendre.

Nous ne pouvions pas avoir si promptement un clocher, et même il n'en était pas à propos pour le présent. L'on attacha donc la cloche des exercices auprès d'une fenêtre qui donnait dans la rue, de ce même grenier qui faisait notre choeur, pour sonner l'office divin et les Messes. Cette pauvre cloche donc, avec ce qu'elle n'a pas le son agréable,

avait encore un grand malheur c'est qu'elle faisait jurer tous nos

voisins qu'elle incommodait beaucoup. leur semblant. à ce qu'ils disaient, qu'ils l'avaient dans l'oreille. Cela les faisait bien gronder contre nous quand nous la sonnions, particulièrement la nuit, qu'elle les réveillait. Si bien que, sachant qu'ils étaient déjà fâchés contre nous de ce que nous avions cette maison, ne voulant pas les aigrir davantage, on ne la sonnait que le moins que l'on pouvait, afin de ne leur pas faire de peine. Cependant il y en avait qui avaient de la malice. Il faut croire que c'étaient quelques petits garçons ou des laquais, car des messieurs n'auraient pas voulu faire cela, pendant que nos chères Soeurs sonnaient, de leur jeter-des pierres à la tête pour les faire arrêter, si bien qu'elles étaient obligées de se baisser tout bas pour éviter d'en être blessées. Une, la sonnant un jour,par hasard, leva les yeux sans y penser et aperçut un homme tout vis-à-vis d'elle, qui était à une fenêtre, qui la regardait en lui faisant des grimaces et, en même temps, sonnait tant qu'il pouvait avec une petite

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clochette qu'il avait en main, pour la contrefaire. Cette bonne Soeur baissa promptement la vue, sans faire semblant qu'elle le voyait, et lui laissa faire toutes ses grimaces, tant qu'il voulut. Mais Notre Seigneur nous assista bien, une fois que, en sonnant cette cloche, le battant, qui ne s'était pas bien arrêté, tomba sur celle qui la sonnait, et heureusement sans la blesser, [ alors qu'il ] pouvait aussi facilement tomber dans la rue et tuer les passants. Jugez ce que nous aurions fait, si cet accident nous eût arrivé. Ç'aurait bien été pour achever de faire crier après nous, mais Notre Seigneur, par sa bonté, nous en préserva, dont nous lui rendîmes action de grâce.

PREMIÈRE EXPOSITION DU SAINT SACREMENT

DANS LA CHAPELLE PROVISOIRE DU CHÂTEAU DE MATHAN : 29 JUIN 1684

Notre bonne Soeur de Sainte Anne [ Monier ], ayant donc mis toutes choses en état de pouvoir être en clôture, durant ces trois jours, savoir : le lundi, jour que l'on prit possession de la maison, mardi et mercredi, le jeudi en suivant, nous eûmes le bonheur de continuer notre Exposition du très Saint Sacrement, et l'on fit le service comme à l'ordinaire avec le sermon. Comme c'était un habile prédicateur qui prêchait, le Révérend Père de Rhodran (90), jésuite, qui était en ce temps recteur à leur couvent de Rouen, et avec la fête, qu'on célébrait dans l'église, de saint Pierre et de saint Paul, l'un et l'autre nous attira autant de monde qu'il en pouvait tenir dans la chapelle et les trois chambres, ce qui nous donna de la joie de voir que, dans ce commencement, l'on venait adorer le très Saint Sacrement, de même qu'à notre autre Maison. Vous voyez que les choses ne pouvaient pas être faites plus promptement pour nous donner le repos de notre chère solitude et de l'éloignement du monde, qui durant les trois jours ne cessèrent de nous honorer de leurs visites. Pour nous quatre, qui étions restées à notre première Maison, heureusement nous n'en fûmes guère distraites, car nous n'en vîmes pas beaucoup, et pendant qu'elles étaient à recevoir leurs compliments, nous déménagions à force. Mais il faut que je vous fasse rire de la frayeur que nous eûmes. Comme nous avions gardé, pour le dernier à leur envoyer, les ornements de l'église et toutes les autres choses

(90) Plus exactement, le Père Julien Baudran (1637-1719), prédicateur apprécié en divers lieux et même à Paris. Né à Saint-Malo le 12 mars 1637, il entra au noviciat des pères Jésuites à Paris le 2 octobre 1655, fut ordonné prêtre en 1669 et fit profession le 2 février 1673. Dès 1670-1671, il fut prédicateur en l'église du collège Louis-Le-Grand. Il fit son « 3eme an » à Rouen en 1671-1672, puis fut prédicateur à Nantes et à Rennes. Il revint à Rouen en 1682-1686 comme recteur du collège. Il occupa les mêmes fonctions à Rennes de 1686 à 1691, puis à Paris de 1698 à 1700. Il fut retiré du collège Louis-Le-Grand pour être placé à la tête de la Province de Paris : (1701-1704), et demeura dans la Maison comme consulteur du Provincial et du Préposé de la Maison (la plus importante de France, illustrée par les Bourdaloue, la Chaize, etc...) jusqu'à sa mort, le 7 janvier 1719. C'est durant son triennat à Rennes qu'on imprima son oraison funèbre de Madame de la Fayette, abbesse de l'abbaye royale de Saint-Georges de Rennes, le 28 juillet 1689 (Renseignements aimablement communiqués par le R.P. Beylard, SJ., archiviste de la province de France, à Lille).

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concernant la sacristie, pour éviter qu'elles ne fussent gâtées dans un si grand remue-ménage, après que l'on eut porté les hardes de la Maison, nous accommodâmes bien proprement dans des caisses et ballots toute notre sacristie au réfectoire, et nous les y laissâmes pour les faire porter le lendemain, devant que de nous en retourner. Comme la porte qui était dans ce lieu ne fermait qu'avec un petit laiton qu'on aurait ôté facilement avec le doigt, et qu'au reste les murailles de ce petit jardin étaient d'un côté un jeu de paume, où en haut il y avait une grande ouverture tout du long, si bien qu'on y aurait descendu facilement avec des échelles et, de l'autre côté, encore une maison ; mais comme c'étaient de nos amis qui y demeuraient et des personnes de qualité, nous n'avions pas lieu de craindre. Mais, pour le jeu de paume. il est vrai donc que nous eûmes une grande appréhension que la nuit l'on ne nous vînt enlever tous nos ornements. Notre chère Soeur sacristine était fort inquiète, qui voulait que nous couchions dans ce réfectoire pour les garder. Enfin, il nous fallut tenir conseil pour savoir ce que nous ferions. Après donc avoir bien consulté ensemble, nous fûmes d'avis de nous abandonner à la garde du Seigneur, espérant que sa bonté aurait soin de tout et que nous n'avions qu'à nous en reposer sur lui. Après donc avoir tout fermé de côté et d'autre avec toutes les assurances que nous pouvions prendre, nous nous allâmes jeter sur nos paillasses qui étaient toutes à bas sur le plancher, quoique chacune dans nos chambres, mais toutes les unes contre les autres. Il était plus de dix heures et demie et, étant fort lasses et fatiguées, nous ne fûmes pas longtemps sans nous endormir. Au milieu de notre profond sommeil, sur les une ou deux heures, ma Soeur de Saint Joseph [ Rondet ] entendit du bruit en bas, qui se mit à crier : « Hé ! mon Dieu, mon Dieu, les voleurs ! On nous enlève tout ». Nous voilà toutes dans un grand effroi et dans le moment sur pied, qui nous assemblons pour aller voir où étaient ces voleurs. Pour nous achever, nous n'avions point de lumière ; nous étions bien empêchées à descendre pour aller allumer notre bougie à la cuisine, ce que nous fîmes pourtant tout en tremblant. Après, nous allâmes voir partout et nous trouvâmes les portes bien fermées, ainsi que nous les avions accommodées, et justement rien qu'un chat, qui avait fait tomber une planche qui était sur des fagots dans la cour, si bien que nous nous rassurâmes et montâmes tout en riant nous coucher.

Nous eûmes de quoi nous divertir dans notre déménagement, surtout en mangeant, car nous étions servies à merveille dans des plats admirables ; je crois que jamais il ne s'en était vu de pareils. Comme nous avions envoyé toute la vaisselle à notre Maison, sans penser que nous restions et qu'il nous en fallait garder, ma Soeur de Saint Joseph, n'en ayant point à nous donner, nous servait ce qu'elle nous apprêtait dans un vieux couvert de bois tout rompu, où elle faisait manger ses poules ; ce qui nous récréa bien, et de lui voir faire nos sauces au soleil, n'ayant point le loisir de faire du feu. Elle y faisait fondre le beurre et chauffer nos

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portions, qu'à peine prenions-nous le temps de manger, tant nous étions occupées dans notre déménagement. Mais je vous assure qu'elles étaient si méchantes qu'il nous fallait bien nous mortifier pour les manger. Dieu merci, nos repas se faisaient sans sensualité, mais toujours en nous divertissant bien innocemment de ce que nous réussissions si bien à faire notre cuisine, dont personne ne pouvait goûter tant elle était bonne !

Enfin, après que nous eûmes vidé la maison et fait porter tous les meubles au château, nous y allâmes nous rejoindre avec nos chères Mères et Soeurs, le mercredi au soir de la semaine en suivant, cinquième de juillet, où nous trouvâmes tout sens dessus dessous, les meubles jetés l'un sur l'autre, de côté et d'autre. C'était un terrible train ; on ne savait où donner de la tête ! Véritablement, nous avions besoin de dire le chapelet de grosse patience pour supporter toute notre fatigue, qui était assurément bien grande, et nous pouvions dire que nous achevions l'oeuvre du Seigneur dans le chaud du jour et dans la souffrance. Mais ce qui nous l'augmenta, ce fut l'accident fâcheux, dont il plut à Notre Seigneur de nous affliger, quoique sa bonté nous conserva miraculeusement. Il fut tel que je vais vous dire.

Le mercredi à cinq heures et demie du soir, douzième de juillet, comme nous sortions du réfectoire, où très peu de nos Soeurs s'étaient trouvées à cause du grand tracas que nous avions, qui nous occupait toutes beaucoup et nous empêchait de nous rendre aussi exactes que nous aurions bien voulu à tous nos exercices réguliers, - c'était tout ce qu'on pouvait faire, que quelques-unes s'y trouvassent pour les maintenir sans désister, comme il a plu à Notre Seigneur nous faire cette grâce, celles donc qui ne s'étaient point trouvées au premier réfectoire, se rendirent au second, dont notre Révérende Mère Prieure était une. Celles de nous qui avions été au premier, nous nous en allâmes, de côté et d'autre, à nos emplois faire nos ouvrages, car chacune en avait « tout chargé son col » [ sic ]. Nous étions ainsi toutes dispersées dans les maisons. Il y en avait deux dans la chambre auprès du réfectoire, qui servaient les portions, parce que c'était dans cette chambre qu'on les

dressait et qu'on y apportait tout de la cuisine, par un petit escalier dérobé, n'ayant point d'autres lieux plus commodes. Elles allaient donc

et venaient ainsi du réfectoire à cette chambre et à la cuisine, pour

donner à chacune ce qui lui fallait et y rapporter la vaisselle. Au bout de cette chambre, il y avait un cabinet où la Mère infirmière était avec

deux de nos Soeurs qui étaient mal, qu'elle allait faire souper. Comme

elles s'entretenaient ensemble, par Providence elles levèrent toutes les yeux, sans songer à rien, et aperçurent au haut du plancher comme un plâtras qui voulait tomber. La Mère dépensière [ économe ] aussi,

pendant le réfectoire, prit garde que la muraille de ce côté-là avançait un peu et semblait se courber, dont elle était toute proche, alors qu'elle dressait les portions. Elle la poussa de toute sa force avec ses mains et

dit en elle-même : « N'y aurait-il pas quelque chose qui manquerait ici ? Il faut que je fasse voir cela tantôt à notre Mère ». Comme elle avait à faire, elle n'y pensa plus. Une donc de nos Soeurs, qui était dans ce cabinet, voyant ce plâtras, prit le manche d'un balai et frappa assez fort au plancher pour le jeter à bas, disant à celles qui étaient avec elle : « Otons-le, de peur qu'il ne tombe sur nos têtes et qu'il nous blesse ». Quelque temps après, il en tomba encore quelques-uns sans que l'on y touchât, avec de la poussière qui s'éleva. En même temps, elle se retira un peu plus loin, sans pourtant s'effrayer, n'étant point surprise de voir un plâtras tomber, cela se voit tous les jours. Mais elles ne furent pas plus tôt retirées, qu'elles entendirent un grand bruit : c'était la maîtresse poutre de ce plancher qui tombait, qui en même temps entraîna sept soliveaux en bas, avec trois cheminées et vingt deux pierres qui étaient grosses comme la moitié d'un muid de vin, des barres de fer d'une prodigieuse grosseur, et une si grande quantité de plâtras que l'on en a tiré quatre-vingt-dix bénnelées, autrement nommées à Paris des tombereaux, ce qui est véritable, les ayant payées. En même temps, les lits qui étaient à la chambre de dessus tombèrent et furent écrasés, aussi bien que ceux qui étaient dans cette même chambre, avec quantité de hardes, tant à l'usage des religieuses que de la sacristie, que celles qui en avaient soin avaient pris la peine toute la journée de se fatiguer à les apporter à cette chambre, à cause qu'elle était proche de la chapelle ! On avait mis tous les ornements et tout ce qui concernait la sacristie dans la troisième maison, afin que rien ne fût gâté ; quand il fallait passer quelque chose au dehors, les sacristines étaient tuées à les aller quérir si loin, et même l'on faisait bien attendre les prêtres.

Notre bonne Soeur, qui ne s'attendait pas à ce malheur, non plus que nous, y avait porté tout ce qu'elle croyait qui pourrait servir dans cette chapelle : les niches où l'on expose le très Saint Sacrement et le reste que l'on met sur l'autel pour le parer, qui furent gâtés et rompus entièrement. Il n'y eut qu'un clavecin qui tomba de toute la hauteur de cette chambre sans être brisé, comme humainement il le devait être ; mais, ce qui est de plus surprenant, c'est qu'il n'y eut pas seulement une corde de rompue ; c'est que le Seigneur le conserva pour nous aider à chanter ses louanges. La Mère qui jouait de l'orgue s'en servait pour donner le ton à nos Soeurs à la sainte messe et à vêpres, les jeudis et autres jours de solennité et aux saluts du très Saint Sacrement. Elle en jouait quand elle faisait chanter des motets [ au salut du Saint Sacrement ] à la chantre seule, pour l'accompagner. Il y eut aussi un lit, qui était dans un petit cabinet, en haut, dans cette même chambre, qui tomba tout en entier aux pieds de nos Soeurs, dans celui du bas où elles étaient, et attrapa à une son soulier, qu'elle ne savait trouver. Dans le moment que tout cela tomba, il s'éleva une si effroyable poudre que nos Soeurs ne se voyaient plus et ne savaient où elles étaient, ni ce qui était arrivé. Même ce lit qui était tombé à leurs pieds, elles ne purent discerner ce que c'était. Comme

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on nous avait averties que, ce même jour, il devait y avoir une éclipse de soleil et que la plupart du monde en devait mourir, elles crurent, voyant cela, que c'était l'effet de cette éclipse et que, véritablement, elles étaient au dernier moment de leur vie, qu'il fallait aller paraître devant celui qui juge si exactement toutes choses. Cette pensée les fit réfléchir sur elles-mêmes et, s'animant de regret et de douleur, elles demandaient pardon à ce grand Dieu de tout leur coeur, en lui criant qu'il leur fît miséricorde, en leur faisant ressentir, non les effets de sa juste justice, mais de son infinie bonté. La bonne Mère infirmière, qui les entendait ainsi faire leurs exclamations au ciel, accompagnées de tant de soupirs et de gémissements, leur disait « Patience, patience, mes Soeurs ; vous ne périrez pas encore ; ayez confiance en Notre Seigneur, qu'il vous conservera ». Pendant ce temps, ces bonnes Soeurs, qui semblaient n'attendre que la mort, ne laissaient pas pourtant de chercher le moyen de l'éviter en se retirant du danger où elles étaient, s'avisèrent, secourues de leurs saints anges, comme il est croyable, de recourir à la seconde fenêtre de ce cabinet, ne voyant pas la première, qui était ouverte devant elles, par la grande poussière qui les offusquait. Elles s'approchèrent de cette fenêtre que, depuis trois semaines que l'on était dans cette maison, on n'avait su ouvrir quelques efforts qu'on y avait faits pour le pouvoir. Aussitôt qu'une y mit le doigt, elle s'ouvrit aisément et sans peine, et comme d'elle-même pour ainsi dire, si bien que, comme elle n'est pas trop haute, elles sautèrent aisément par-dessus, l'une après l'autre, dans une petite cour qui va au réfectoire, sans mal ni douleur, que la frayeur qui les saisissait. Ce que l'on peut dire miraculex, car l'on nous a assuré que, si elles eussent demeuré dans ce lieu, quoiqu'elles n'y eussent point été blessées par ce qui tomba, que la seule poussière les eût étouffées, et elles n'en pouvaient sortir que par cette fenêtre. Admirez la protection de Dieu, qui leur donna le moyen de se sauver par là. Il est vrai que la poudre fut si furieuse qu'elle gagna partout. Au réfectoire, vous eussiez dit que l'on eût versé le plâtre exprès à poignées dessus les tables et dans toutes les portions, que l'on ne pouvait distinguer ce qu'il y avait dedans, si bien que, comme la plupart de nos Soeurs n'avaient pas été au premier réfectoire, elles ne purent manger, tout étant gâté par cette poussière. L'on n'en put même rien donner aux pauvres, il fallut tout jeter aux poules.

Comme donc notre Révérende Mère arrivait au réfectoire et commençait à souper avec d'autres de nos Soeurs, dans le moment qu'elles entendirent ce grand bruit et virent s'élever cette poudre, aussi bien que quelques-unes de nous, qui étions dans la grande cour et la cuisine, accourûmes toutes dans une grande appréhension que quelqu'une ne fût écrasée. Notre Révérende Mère était saisie et pâle, comme sa guimpe, et demandait douloureusement : « Hélas ! Où sont toutes nos Soeurs ? ». D'autant que nous ne nous trouvâmes que quatre ou cinq présentes, les autres étant de côté et d'autre par la maison, qui pourtant, entendant le bruit et quelques cris que la frayeur avait fait jeter, vinrent promptement voir ce que c'était, si bien que nous nous assemblâmes toutes. Il n'y avait que ces trois pauvres filles, qui avaient resté dans ce cabinet, dont nous étions bien en peine, ne les voyant point. Comme nous les allions chercher, je les aperçus en sortant du réfectoire, qui étaient dans un état pitoyable. Il semblait que l'on les venait de déterrer ; elles avaient leurs habits comme si on les eût roulés dans le plâtre. Nous fûmes bien réjouies quand nous les vîmes, et encore sans être blessées, dont nous ne pouvions assez rendre grâce à Dieu et de la manière dont il nous avait toutes conservées miraculeusement. Une de nos Soeurs, qui allait et venait dans cette chambre, comme je vous ai déjà dit, pour servir les portions au réfectoire, apercevant, comme elle y était, que ce plancher courbait, par un secours du ciel elle eut l'esprit assez présent pour prendre sa compagne par la tête et la roula avec elle sur ce petit degré qui allait à la cuisine, criant : « Miserere mei ! Seigneur, ayez pitié de nous, nous allons nous abîmer ici ! » Hélas ! il n'avait garde de le permettre, puisque jusqu'alors, il nous avait si bien préservées par son infinie bonté, puisque nous devions toutes être tuées cent fois, ayant toujours occupé ces chambres depuis que l'on était à cette maison. La plupart y couchaient et l'on y demeurait actuellement, ayant fait de celle qui est auprès du réfectoire, le noviciat, aussi bien que la dépense, l'autel des novices, y était dressé. Notre Révérende Mère y faisait toutes les conférences et lectures et, aux heures de récréation, la communauté y allait très souvent, à cause que, n'y ayant point de Mère maîtresse, notre Révérende Mère y était toujours avec les novices, et nous l'y allions voir, si bien que chacune y travaillait. Pour la chambre de dessus, l'on en avait fait l'infirmerie et, comme la plupart, en ce temps, étaient indisposées, nous pouvons assurer qu'il ne s'est pas passé un moment, que quelques-unes de nous n'y ait été, tant de jour que de nuit. Mais ce qui est de bien particulier, c'est que la même nuit du jour que cela arriva, une de nos Soeurs, qui était couchée à la chambre de dessus, se sentit ébranlée, comme si on l'eût bercée dans son lit. Elle entendit le plancher craquer et eut peur et appela la Mère qui était couchée auprès d'elle pour le lui dire, laquelle, l'entendant, lui répondit : « Mon Dieu, que vous êtes effrayante ! Voyez le plancher qui branle ; quelle imagination ! Holà ! dormez en repos et ne nous faites point de peur davantage ». Hélas ! elle ne disait que trop vrai, puisque, vers les six heures du soir, il était à bas. Admirez cette protection de Dieu, mais il faut que je vous la fasse encore remarquer en deux de nos Soeurs. La première, étant allée, au sortir du réfectoire, travailler à cette chambre auprès, où elles avaient accoutumé d'aller, étant une du noviciat, comme je m'en allais, par Providence, dire un mot à quelqu'une dans cette chambre, je l'aperçus de loin toute seule, qui était assise auprès des lits, justement sous la grosse poutre, qui travaillait en silence. Comme c'était le temps de la récréation, j'eus le mouvement de lui aller dire qu'elle allât se

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divertir avec deux de nos Soeurs, qui étaient allées garder un homme qui travaillait dans la maison. Comme de son naturel, elle était assez solitaire, elle n'avait trop envie d'y aller et me répondit quelques paroles pour s'en excuser. Mais, derechef, je fus poussée à l'en prier de nouveau, contre ma coutume, car jamais je ne m'étais mêlée de rien dire aux novices, quoique je fusse l'ancienne de religion [ une ancienne dans le monastère 1, même en absence de notre Révérende Mère. Mais, en cette rencontre, j'y fus portée malgré moi, car je craignais de lui faire de la peine, mais je ne pus m'empêcher de lui dire : « Ma Soeur, je crois que c'est l'intention de notre Mère, je vous prie, allez-vous y en ». Dans le même moment, elle acquiesça à ma sollicitation et s'y en alla, bienheureusement pour elle, car c'était tout ce qu'elle avait pu faire, d'être montée, quand ce plancher enfonça. Voyez si elle eût resté à travailler là, assurément elle y eût été écrasée comme une punaise. Une autre encore, qui couchait dans cette même chambre et qui y avait ses hardes, comme elle avait besoin de quelque chose qui était dans le tiroir de sa table, prétendait d'y aller pour l'atteindre, et Dieu permit qu'en revenant, au lieu de passer tout droit par le réfectoire, elle monta en haut et ne s'en aperçut que quand elle voulut ouvrir la porte de la chambre au-dessus, parce que, dans le moment, elle vit tomber le plancher, de ses yeux, ce qui la surprit beaucoup, comme vous pouvez croire. Mais elle le fut autant de se voir en haut, croyant qu'elle était en bas. Sans doute que son bon ange l'y avait conduite pour la préserver de cet accident, car sa table était auprès de son lit ; vous jugez bien que si dans ce moment elle y eût été à atteindre ce qu'elle avait besoin, qu'elle y aurait été écrasée, aussi bien que l'autre que je vous ai rapportée devant. Hé bien ! Après cela ne direz-vous point que Notre Seigneur a soin et garde ceux qui l'aiment et qui le servent, et qu'il fait bon s'abandonner à lui ? Tâchons donc de le faire par un saint oubli de nous-mêmes, et demeurons entre ses divines mains, toutes délaissées à son divin plaisir.

Après donc avoir admiré la protection de ce grand Dieu, notre Révérende Mère et nous toutes montâmes à la chapelle, pour lui rendre nos humbles actions de grâce. Pour cet effet, nous dîmes le Te Deum et quelques prières à la très sainte Mère de Dieu ; ensuite nous envoyâmes prier messieurs nos amis et le propriétaire de la maison, de prendre la peine de venir jusqu'ici, que l'on avait un mot bien pressé à leur dire. Ils accoururent tous promptement. On les fit entrer, pour leur faire voir le désordre arrivé, dont ils furent tout étonnés, et encore plus de nôus voir toutes saines et sauves. Ils ne pouvaient se lasser de répéter : « Oh ! quel miracle ! Vous deviez être toutes ensevelies sous ce débris. Oh ! il faut bien dire que Dieu vous aime, de vous avoir si bien conservées ! ». « Assurément, disait M. de Mathan, nos bonnes gens de village fêtent des miracles qui ne sont pas si grands que celui-ci ». De l'avis de ces messieurs, on envoya quérir un huissier pour faire le procès-verbal de

l'accident arrivé, afin qu'en cas de clameur [ de haro on y eût recours (91) ; ce qu'il fit dès le soir, si bien que nous fûmes jusqu'à près de neuf heures, embarrassées pour cette affaire. L'on fit venir les architectes, charpentiers et autres ouvriers, pour leur faire voir, s'il n'y avait point à craindre que le reste ne tombât. Ils nous rassurèrent, disant qu'ils croyaient que non et que tout ce que l'on pouvait faire était de venir dès le grand matin mettre des étais partout, à quoi ils ne manquèrent pas. Après qu'ils furent mis, voyant le reste plus en sûreté, ils examinèrent de plus près ces chambres et assurèrent que, sans un chassis de verre qui était soutenu, à ce que l'on peut croire, miraculeusement, par une petite corniche de bois, dans le cabinet où s'étaient trouvées nos trois Soeurs, tout le corps de ce logis-là jusqu'aux ardoises aurait tombé entièrement. Si vous voulez bien prendre la peine de réfléchir sur tout ce que je vous ai rapporté sur ce sujet, vous y marquerez plus d'un miracle.

Mais ce que je considérerai dans cette rencontre, fut l'égalité de notre Révérende Mère qui fut admirée de toutes, car, quoiqu'elle lui soit ordinaire, en cette occasion elle me parut singulière. Elle demeura donc dans tout cet embarras, qui aurait fait perdre la paix aux personnes les plus tranquilles, dans sa douceur, sans dire une parole plus haute qu'à son ordinaire, avec un esprit présent, pensant à la moindre petite chose, comme si rien n'eût arrivé, disant un mot à une, rassurant les autres, qu'elle voyait effrayées, avec une bonté de mère. Car vous saurez que nos pauvres Soeurs ne vivaient plus en assurance ici. Elles croyaient, aussitôt qu'elles entendaient le moindre petit bruit, que cette maison allait tomber sur leurs têtes. Il fallut la faire visiter partout pour les rassurer. La plupart couchèrent dans les autres maisons sur le plancher, car l'on se trouva manquer de huit lits le soir. Tout ce que l'on put avoir, ce fut quelques paillasses sur lesquelles elles se mirent, si bien qu'étant fort mal couchées, et joint à la peur qu'elles avaient, elles ne se pouvaient rassurer, craignant toujours qu'il en arrivât autant partout où elles étaient : elles n'en reposèrent point de toute la nuit. Nonobstant pourtant la frayeur qui nous avait saisies, personne n'en fut mal, il n'y eut seulement que la chère Mère infirmière, qui, ayant beaucoup avalé de poudre dans ce cabinet où elle se trouva dans le moment que le plancher tomba,

(91) Haro (vient de hare, cri pour exciter les chiens).

Droit ancien : « clameur de haro », formule juridique prononcée dans le cas d'urgence, pour arrêter une atteinte contre une personne ou les biens. Celui qui voyait commettre un crime devait, d'après la coutume de Normandie, crier le « haro », et tous ceux qui l'entendaient devaient prêter main-forte pour arrêter le coupable. L'accusé était aussitôt traduit devant la justice. La clameur investissait d'une fonction publique celui qui avait poussé le haro ; il pouvait arrêter lui-même le coupable. Mais quiconque avait crié à tort encourait une forte amende. La clameur de haro d'origine barbare, était usitée aussi en Angleterre, Allemagne et pays scandinaves.

Le « haro » pouvait aussi être employé en matière civile pour « empêcher qu'il ne soit passé outre à l'exécution de quelque entreprise... ou pour troubler des personnes en la possession de ce qu'elles prétendent leur appartenir... mais on ne devait pas s'en servir pour acquérir de nouveau ou reprendre une possession ». Il semble que ce dernier cas concerne bien l'affaire relatée dans le récit. Cf. Grand Larousse encyclopédique ; La Coutume de Normandie, expliquée par M. Pesnelle, avocat au parlement de Rouen, Rouen, 1727, p. 55 - 56, art. LV.

120 CATHERINF DI: BAR F ONDATION DE ROUEN 121

en demeura quelques jours [ la voix I éteinte. Le lendemain se passa à tirer toutes les hardes, les lits, les tables, etc.,. qui étaient sous ce débris, tout étant rompu et gâté. Vous ne sauriez croire combien cet accident augmenta notre peine. 11 fallut tout rapporter de côté et d'autre, tout ce corps de logis n'étant plus habitable. Nous fûmes même obligées, pendant quelques jours que le réfectoire n'était plein que de plâtre et de saletés, de manger à la cuisine en attendant qu'on l'eût nettoyé. Nos pauvres Soeurs converses étaient tuées à aller et venir, à porter et à rapporter tous les meubles. Quand nous eûmes tout mis dans les greniers, nous nous aperçùmes que les ardoises étaient presque toutes rompues de la grêle dont je vous ai parlé, que l'on n'avait point raccommodées depuis, et qu'il pleuvait partout, si bien que nous trouvâmes toutes les hardes trempées. L'on fut obligé de les ôter et rapporter à un autre lieu. Il nous fallut presque toutes aller demeurer à l'autre maison, de l'autre côté, où nous avions un long chemin à faire, car, quand nous avions monté les soixante trois degrés et passé par un grand grenier, il nous fallait encore descendre autant de degrés pour nous y rendre. Jugez quelle peine c'était ! Pour vous achever, nous ne faisions rien que changer de chambre, d'autant que les unes ne savaient dormir où elles étaient les autres n'étaient pas commodément pour leurs offices ou emplois, si bien que nous ne faisions rien que défaire et refaire nos lits et aller tantôt à un endroit et puis à l'autre. Je croyais que c'était l'ouvrage de Pénélope et que nous ne finirions point à nous accommoder. Il nous fallait recommencer plus que jamais le chapelet de grosse patience, car sans cela elle eût été à bout. Enfin, pour toute la récompense de notre fatigue dans notre déménagement, c'est qu'ensuite nous fûmes mangées de vermine. C'en fut le fruit et ce que nous gagnâmes par les ouvriers et les pauvres femmes, que nous avions fait entrer pour nous aider ; nous fûmes près de trois mois à nous en défaire. Environ six semaines après que nous fûmes dans la maison, on nous donna une petite alarme pour la clameur. Le beau-père du frère de M. de Mathan (92), sur les sept heures et demie du soir, nous la vint signifier. Mais notre Révérende Mère ne s'en émut point, et dans sa même tranquillité descendit en bas, à un petit parloir qui était auprès du tour, n'y ayant que ce seul-là, que notre bonne Soeur de Sainte Anne avait accommodé de son mieux, n'ayant pas encore de place pour en faire d'autres. C'était proprement le tour, n'y ayant fait seulement qu'uné petite séparation et posé une petite grille pour recevoir les messages. Elle salua donc ces messieurs avec beaucoup d'honnêteté et de civilité et, après avoir écouté leur harangue et le sujet qui les amenait, qui était pour nous signifier la clameur de la maison, leur répondit avec une grande douceur que ce n'était pas à elle à qui ils

(92) Un frère de Joachim de Mathan, Adrien, épousa en 1680, Anne Charlotte Agnez de Préfontaine, fille de Léonor Agnez de Préfontaine, avocat général au Parlement de Rouen en 1662. Il s'agit peut-être ici de ce personnage. Cf. Amiot, op. cit., t. 1, p. 199, et Frondeville, Les Conseillers, t. IV, p. 608.

devaient s'adresser, mais à M. de Mathan, qui en était propriétaire, qu'elle n'avait point d'intérêt à cela, que c'était à lui à leur répondre et non à elle puisque ce n'était point son affaire. Si bien qu'ils s'en allèrent avec leur courte honte et leur argent, qu'ils avaient fait apporter par un crocheteur, que nos Soeurs touriéres crurent être des cailloux dont ils avaient rempli leur sac. Mais il est vrai qu'elles leur firent une plaisante réception à leur arrivée. Quand ils leur déclarèrent ce qui les amenait, une prit la parole qui leur dit : - Vraiment, Messieurs, votre maison, nos Mères s'en soucient bien ! Elles voudraient déjà que vous l'eussiez, tout y fond ; elles n'y vivent point en sûreté, vous leur ferez fort grand plaisir de la reprendre ». Je crois assurément qu'ils ne s'attendaient pas à être si agréablement reçus de ces bonnes Soeurs qui leur firent ce beau compliment. Aussitôt donc qu'ils furent sortis, notre Révérende Mère en fit avertir nos amis pour savoir ce qu'il fallait faire et avoir leurs avis. Ils ne manquèrent pas de se rendre aussitôt ici et dirent qu'il ne fallait point se mettre en peine, que difficilement ils nous feraient sortir de cette maison, vu pour cela qu'il fallait qu'ils nous rendissent la somme, argent comptant, que nous l'avions achetée. Et comme ils savaient qu'ils n'en avaient point, que nous n'avions qu'à nous tenir en repos et en avertir seulement M. de Mathan, afin qu'il eût à leur répondre et à s'accommoder ensemble. Ce que l'on ne manqua pas de faire. Et le dit M. de Mathan nous rassura lui-même, nous promettant toutes assurances pour nous faire demeurer dans sa maison. Voyant l'incommodité que nous avions dans la chapelle et que, tant nous que les séculiers, l'on n'y pouvait plus demeurer davantage. il s'obligea à donner cent écus pour accommoder la grande salle de sa maison pour nous servir d'église, en attendant qu'on en pût bâtir une. Notre Révérende Mère, voyant sa bonne volonté, le prit au mot et accepta son offre de bon coeur, quoique depuis il ne nous ait pas tenu sa parole, nous ayant refusé de nous donner les cent écus quand tout a été fait, disant pour excuse qu'il ne les avait promis qu'en cas qu'on sortît de sa maison, si bien qu'il en a fallu passer par là, car notre Révérende Mère. sur sa parole (ayant affaire à un homme d'honneur à ce que l'on pouvait croire), ne prit point d'autres sûretés et aussitôt envoya quérir des messieurs entendus dans les bâtiments, pour avoir leur avis et prendre les mesures qu'il fallait pour ajuster toutes choses bien et le plus commodément qu'il se pourrait, selon la place. Ayant donc su les sentiments de ces messieurs, sans perdre de temps, elle fit venir promptement les ouvriers pour travailler et, par le moyen de notre bonne Soeur de Sainte Anne, [ Monier qui les faisait diligenter [ hâter ] et elle-même travaillant beaucoup, en fort peu de temps tout fut achevé et en état d'y mettre le très Saint Sacrement, qu'on y posa le 24 d'août, jour de Saint Barthélemy, qui échouait cette année là. le jeudi.

122 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 123

BÉNÉDICTION DE L'ÉGLISE PRIMITIVE : 24 AOÛT 1684

Comme il fallait auparavant bénir cette nouvelle église, M. notre Supérieur [ M. de Fieux nous promit la veille qu'il viendrait dès le

grand matin pour ce sujet. Nos Soeurs donc, qui étaient à parer l'autel et qui n'avaient pu achever si vite qu'elles eussent bien voulu, furent cause que la Messe de la communauté fut retardée. Comme M. notre Supérieur

n'était point encore venu, qui avait pourtant fort recommandé que l'on

eût à ne le point faire attendre, parce qu'il fallait qu'il se rendît promptement à Notre-Dame [ la cathédrale 1, nos Soeurs crurent qu'il ne vien-

drait pas si tôt, et dirent à notre Révérende Mère qu'il fallait faire dire

la sainte Messe à notre ancienne chapelle. Elle, qui craignait ce qui nous arriva, avait de la peine que l'on la commençât ; pourtant, par condes-

cendance elle y consentit. Nous voilà donc toutes qui entendions la

sainte Messe comme Monsieur notre Supérieur arriva. Il était dans un très grand empressement de s'en aller, et, croyant trouver tout prêt et

qu'on l'attendait, se fâcha quand il ne vit personne et qu'on le faisait

attendre. L'on n'en était qu'au Sanctus de la messe, et c'était notre écclésiastique qui la disait et qui fallait qu'il l'accompagnât et répondît

aux prières pour bénir cette église, n'ayant que lui, si bien que nous ne

savions que faire, car il ne pouvait pas quitter sa messe. Plus ce Monsieur attendait, plus il se fâchait et voulait à toute force s'en aller sans bénir

notre église. Nous en avions une grande appréhension, car il était furieu-

sement fâché. Notre Révérende Mère était bien empêchée, qui ne savait que lui dire, dans sa douceur, sinon : « Monsieur, le voilà qui va venir ».

Nous toutes accourions l'une après l'autre, qui lui venions dire la même

chose, mais cela ne le contentait pas, il voulait toujours s'en aller. Nous réclamions tous les saints du paradis pour le faire arrêter. Enfin, à force

de dire que M. notre écclésiastique allait venir, il arriva heureusement, et

aussitôt M. notre Supérieur avec lui vint faire l'aspersion de l'eau bénite dans l'église en disant le Miserere, ensuite l'oraison marquée pour ce

sujet. Ce fut là toute la cérémonie, qui ne fut pas longue puisqu'elle ne

dura pas plus que le Miserere. Nous y assistâmes toutes, à genoux au bout de l'église ; ensuite M. notre Supérieur s'en retourna à la sacristie

pour ôter son surplis. Notre Révérende Mère, qui était dans l'église

avec nous, qui s'attendait qu'il allait revenir et qui lui voulait faire excuse de ce qu'on l'avait fait attendre et le remercier, fut bien surprise

quand elle entendit rouler son carrosse et qu'il avait sorti par la porte de la sacristie sans dire mot à personne. Il s'en alla ainsi tout mal content, ce qui mortifia bien notre Révérende Mère et nous toutes. Mais vous savez que la divine Providence en use ainsi en toutes choses, pour nous faire mourir et nous ôter la satisfaction que nous pourrions avoir, si elles réussissaient comme nous désirons. Nous sommes victimes, c'est tout dire ; il faut toujours être sacrifiées au plaisir de celui pour qui et à qui nous sommes immolées.

Notre église étant donc en état d'y mettre le très Saint Sacrement, l'on ferma la porte de la clôture qui est auprès de la sacristie, et notre Révérende Mère fit dire la sainte Messe, à laquelle on consacra la grande hostie, pour l'exposer, et celles qui étaient dans le grand ciboire, pour les renfermer dans le tabernacle, ce que l'on fit aussitôt que l'on eut communié celles de nous qui n'avions point entendu la première Messe, dont notre Révérende Mère était une. La sainte Messe dite, M. notre écclésiastique remonta à la petite chapelle pour communier une de nos Soeurs que l'on avait fait attendre pour consommer la dernière hostie, qu'on avait réservée, pour ne point cesser un moment l'adoration, si bien qu'entre temps nous adorions en deux endroits le Seigneur. Une partie de nous était en bas à la nouvelle église, et les autres en haut, au grenier, qui attendaient qu'on leur enlevât leur trésor pour celle qui devait communier, qui, aussitôt qu'elle l'eut reçu en elle, toutes descendirent en bas où elles le retrouvèrent heureusement.

Jugez de la joie que nous eûmes quand nous vîmes cette salle devenue le trône du Seigneur où il avait reçu tant d'outrages et de mauvais traitements, ayant toujours été un lieu de rendez-vous et d'assemblées, de bals et de divertissements. Vous savez ordinairement les péchés qu'on y commet. Cette salle va donc être le sanctuaire du grand Dieu vivant et du roi du ciel et de la terre, sa demeure pour y recevoir les honneurs et les adorations de ses sujets et de ceux mêmes qui l'y avaient tant de fois offensé. Oh ! que nos coeurs leur disaient avec ardeur : « Venez, accourez, pour rendre vos hommages à votre Dieu, et lui faire amende honorable de tous les outrages que vous lui avez faits ! Venez connaître sa grandeur et sa souveraineté que jusqu'alors vous avez méconnues, et venez lui rendre grâce de ce que sa bonté a souffert votre malice sans la punir, aussi bien que votre ingratitude, qui vous a fait oublier ce que vous lui deviez ». Et après, nous retournant vers ce Dieu d'amour, nous lui disions, les larmes aux yeux, que ces sentiments en avaient fait sortir : « Hé ! Que ne pouvons-nous, nous autres, vous donner autant de gloire, de louanges, d'adorations, de remerciements, vous rendre autant d'honneur, d'hommages et de respects que tous les hommes et toutes les créatures vous en pourraient donner tous ensemble, s'ils vous rendaient fidèlement leurs devoirs, dans ce mystère d'amour où vous êtes tout anéanti ! Faites-nous donc la grâce que nous suppléions pour eux à ce qu'ils vous refusent et que, nous rendant fidèles à remplir notre vocation d'adoratrices, de réparatrices et de victimes, nous vous adorions en esprit et en vérité pour eux tous ! »

Durant que nous épanchions ainsi nos coeurs au pied de l'autel, l'on sonna la grande Messe. Cette cloche fut comme l'écho de nos coeurs qui appelaient le monde pour adorer Jésus Christ, si bien qu'elle eut le bonheur d'y en attirer beaucoup, et dès la grande Messe. Comme c'était un jour de fête, notre église, et par-delà la porte, en fut toute remplie, aussi bien que tout le reste du jour. Mais il faut que je vous

124 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 125

dise que cette cloche n'était pas celle qui faisait jurer nos voisins. Nous n'avions garde de les faire jurer davantage, mais c'en était une de notre clocher, notre Révérende Mère en ayant fait faire un petit, au grenier, au-dessus de l'église. Il est vrai pourtant que cette cloche les a fait quelquefois un peu murmurer, particulièrement la nuit, qu'elle les réveillait, mais, dans la suite, ils s'y sont accoutumés, si bien qu'ils n'en disent plus rien. Au contraire, elle leur fait plaisir, quand nous avons des messes tard, car elle avertit les paresseux et les paresseuses de se lever pour la venir entendre.

Je reviens à notre nouvelle église, où l'on exposa le très Saint Sacrement et le service divin fut fait comme à l'ordinaire en ce jour. Depuis, l'on a toujours continué. Mais il faut vous dire que, pour nous mettre en clôture, nous n'avions plus de passage pour aller à la chambre qui devait faire notre choeur, si bien que l'on fut obligé de faire une ouverture en haut, au-dessus de la salle, et l'on fit un escalier de bois pour y pouvoir descendre. Il faut avouer qu'il est fait d'une manière à se casser le col. Je ne sais pas comment nous ne nous y sommes pas tuées. A voir ce trou, vous diriez d'une trappe ; cela donne frayeur quand l'on en approche. Mais il est bien vrai ce que l'on dit, que Dieu garde ceux qu'il aime, car voici une chose miraculeuse. Une de nos Soeurs allait à trois heures de la nuit, pour faire son heure d'adoration. Comme elle n'avait point de lumière et qu'elle s'en allait à tâtons, croyant mettre son pied sur le degré, [ elle ] le mit auprès dans le trou et se jeta du haut en bas de l'escalier. Si elle ne devait pas être tuée, au moins devait elle être bien blessée. Nonobstant, elle se trouva sur ses deux pieds, tout debout, sans mal ni douleur, seulement un peu étourdie d'avoir ainsi tombé ; ce qui humainement ne se pouvait pas faire sans un secours particulier de Dieu, d'autant plus que cet escalier va tout en tournant. Nous eûmes sujet d'en bénir Dieu et d'admirer sa bonté ; je ne doute pas que vous n'en fassiez de même en lisant ou entendant ceci.

Il est vrai que notre fatigue était encore plus grande à aller à ce choeur nouveau qu'à ce grenier où nous étions devant, car, avec ce qu'il y fallait toujours monter de même, après que nous l'avions passé, il nous fallait redescendre autant de degrés que nous en avions montés pour nous y rendre. Nous avons eu cette peine près de quinze mois, quoique, de fois à autres, elle était adoucie par l'invention que Soeur de Sainte Anne [ Monier ] trouva. La charité dont elle est remplie pour ses Soeurs la fit aviser de nous raccourcir le chemin, et, par son adresse, elle en vint à bout, nous faisant un passage de plein pied par les parloirs, qu'elle

accommoda des chambres qui sont auprès du petit escalier, que l'on a laissé au dehors pour y monter, comme on faisait par le même à la

chapelle les deux mois qu'elle nous servit d'église. Il est vrai que cela nous fut d'un grand soulagement pour aller la nuit aux heures d'adoration, car, pour le jour nous n'y pouvions pas passer ordinairement, à cause du monde qui était aux parloirs. Celles qui souffraient le plus de cette

longueur de chemin étaient nos pauvres Soeurs converses, car, n'ayant pas de passage par en bas, et le jardin étant auprès du choeur et la cour où étaient les poules, à l'autre bout vers l'église, jugez quelle peine elles avaient, quand elles avaient besoin d'herbes ou d'autres choses semblables, ou de quelques oeufs de leurs poules, d'aller courir si loin, monter à un grenier et redescendre après en bas au jardin par ce petit escalier dont je vous ai parlé, qui va au choeur, n'ayant point d'autre passage et, après, pour retourner à leur cuisine, être obligées à faire la même longueur de chemin, si bien qu'il fallait parler d'un quart d'heure, seulement pour aller et venir. Quelquefois, elles étaient chargées de bois ou d'autres choses pareilles à porter, qui les fatiguaient encore davantage, particulièrement à monter ce petit escalier de bois ou à le descendre, ce qui est difficile. Une, ainsi chargée d'un pot et d'un seau, où elle avait mis à manger pour ses poules, en descendant, eut la peine de rouler tout du long et de renverser tout ce qu'elle tenait. Je ne sais comment elle ne se tua point, car elle n'est pas trop menue ! Mais Notre Seigneur la préserva si bien, que même, elle ne fut pas blessée.

Pour nous achever, pendant les deux mois que le Saint Sacrement fut à la petite chapelle, comme c'était le temps de faire les provisions, l'on fit venir du bois, et, comme tout était encore sens dessus dessous dans la maison et qu'on ne savait où le mettre, l'on en déchargea beaucoup de charretées de ce côté-là, pour le serrer dans les écuries qui étaient dans la cour du jardin, ne sachant pas encore comment on accommoderait l'église et que l'on aurait de la peine à l'aller quérir ; si bien qu'après, il fallut le rapporter tout, l'un après l'autre, par notre choeur et par ce petit escalier de bois, de côté et d'autre de la maison, à la cuisine, à la cave et autres lieux. Notre Révérende Mère, pour nous encourager dans notre fatigue, était toujours la première à en porter partout, comme c'est sa coutume tous les hivers, si bien que son exemple nous animait à redoubler notre ferveur pour soutenir la peine que nous avions.

Nous eûmes cette incommodité depuis le 26eme jour du mois de juin de l'année 1684 jusqu'au mois d'octobre de l'année en suivant 1685, que notre digne Mère [ Mectilde ], inspirée assurément du saint Esprit, conseilla à notre Révérende Mère, de louer la moitié de la maison de Mme la marquise de Pierrecour, qui tient le milieu de la nôtre, [ et cela ] pour toute sa vie, ce qui n'est pas une petite incommodité ; mais il faut bien la souffrir tant que Dieu voudra. Cette partie de maison donc qu'elle n'occupait pas, l'ayant louée à d'autres personnes qui, par Providence la quittèrent pour ce temps et qu'elle voulait donner à d'autres, notre Révérende Mère, suivant le conseil de notre Mère

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Mectilde la loua pour la Saint-Michel (93), considérant autant la régularité que la commodité. Ces appartements donnant entièrement sur notre jardin, nous aurions toujours été vues des personnes qui les auraient occupés, ce qui n'aurait pas été bien pour des religieuses qui doivent être, autant qu'elles peuvent, séparées du monde, et éviter d'en être vues, afin de mieux conserver leur chère solitude. Nous pouvons dire qu'elle nous a fait bien plaisir, nous ayant donné un passage par en bas pour aller à notre choeur et au jardin, et la commodité de pouvoir faire tout le tour de notre maison de plein pied, sans être obligées de monter, comme nous faisions auparavant. Il est vrai que cela nous a semblé bien doux après la peine que nous avions eue, singulièrement aux tourières, j'en parle comme savante (94). Nos chères Soeurs, comme je vous ai déjà dit, qui, depuis l'accident de ce plancher tombé, ne vivaient point ici en sûreté, allaient toujours regardant si rien ne les menaçait d'un pareil accident. Il est vrai que leur peur nous fut avantageuse, car, à force de regarder de tous côtés, elles aperçurent heureusement que les fondements, par l'abondance des eaux (95), étaient tout ruinés, et que les pierres, dans les caves, s'en allaient toutes en poussière. Notre Révérende Mère, voyant cela, fit venir des architectes pour leur montrer, lesquels dirent qu'il ne fallait point perdre de temps et promptement raccommoder ces fondements, parcequ'à moins de cela, avant qu'il fût peu, ils ne répondaient point que tout ce côté-là de la maison ne tombât entièrement, depuis le haut jusqu'en bas, si bien que tout aussitôt l'on y fit travailler. Quand tout fut achevé et que nous croyions demeurer un peu en repos hors d'ouvriers, l'on s'aperçut encore que les pierres du haut de la chapelle étaient toutes déjointes et ne tenaient presque plus, qui nous menaçaient de nous tomber sur la tête. Il fallut promptement les faire raccommoder. Nous ne vivions pas, je vous assure, en sûreté, dans cette maison. Un jour, nos bonnes Soeurs converses faisaient leur cuisine et, ayant mis leurs marmites, pots, etc. auprès du feu, il y en avait une auprès, qui venait de les accommoder. J'y étais dans ce moment. Nous étions l'une et l'autre en silence, qui ne pensions à rien. Tout d'un coup, nous entendîmes tomber quantité de pierres de la cheminée, mais d'assez grosses pour bien blesser, et ce fut un miracle comment, elle qui était auprès, n'en eut point quelqu'une sur la tête. Ce qui était

(93) Dans l'ancienne coutume de Normandie, les loyers étaient payés soit par semestre, soit par trimestre : le 25 mars, à la Saint-Jean (24 juin), à la Saint-Michel (29 septembre), à Noël. Mais les prises de possession se faisaient ordinairement à la Saint-Michel. 11 faut voir l'origine de cette coutume dans le fait que, s'adressant d'abord à des fermiers, elle tenait compte des cultures. Fin septembre, les moissons sont terminées, et le nouveau propriétaire peut ensemencer ses terres en octobre. 11 y a encore cinquante ans, dans le Pays de Caux, il était admis que le nouveau locataire d'une ferme avait droit, dès la fin de la moisson, à une chambre dans la ferme et à un bâtiment dans les granges, pour lui permettre de préparer lui-même les terres qu'il ensemencerait en octobre.

(94) La narratrice, Mère Monique des Anges de Beauvais, était responsable du tour.

(95) Le Vieux-Château, dont la construction de M. de Mathan ne recouvrait qu'une partie, était traversé par la source de Gaalor, l'une des trois sources qui alimentaient la ville. Si l'on compare les plans du château de Philippe Auguste et ceux de la propriété de Mathan, il semble bien que ce soit sous cette partie du Vieux-Château que passait la Gaalor.

devant le feu, qui n'était pas couvert, en fut tout rempli. Nos bonnes Soeurs ne voulaient plus achever le dîner en ce lieu. D'un autre côté, on ne voyait pas d'endroit commode pour faire la cuisine. L'on ne savait que faire. Nous pensâmes dîner par coeur ce jour-là. Mais, comme il n'y avait rien à craindre davantage, étant le haut de la cheminée qui avait manqué, et voyant le reste bon, on les rassura, si bien qu'elles achevèrent leur cuisine. Ce n'a pas été seulement cette fois qu'elles ont eu peur, mais plusieurs fois elles ont eu de pareilles aubades de pierres, qui tombaient de cette cheminée, ce qui leur donnait crainte d'y périr.

Voilà un petit recueil de toutes les peines que nous avons eues dans cette fondation, qui ont été suivies d'une bien plus rude croix, qui nous a crucifiées et affligées douleureusement. C'est comme nous commencions d'être un peu plus en repos dans cette maison, que l'on avait accommodée le mieux qu'il avait été possible, jouissant de notre chère solitude, le saint temps de carême et la semaine sainte [ 1685 où nous étions, nous la faisant aimer davantage, lorsqu'il plut à Notre Seigneur permettre que la première de la Maison (96) commençât à perdre l'esprit. Nous en étant aperçues dès ce temps, nous en eûmes de l'inquiétude, craignant qu'elle ne le perdît entièrement, ce qui arriva, dans la suite. Depuis le samedi saint, cela alla toujours en augmentant jusqu'à la veille de l'Ascension, qu'elle n'eut plus du tout de raison. Elle fut prise d'abord comme par une manière de maladie. Elle eut une insomnie qu'elle ne pouvait, les nuits, du tout dormir. Elle souffrait des picotements si terribles par tout le corps qu'il lui semblait, à ce qu'elle nous a dit, qu'on lui enfonçait des alênes dedans. Elle avait une faim si grande que, quoiqu'elle mangeât de la viande plus que trois personnes (ce qui la devait soutenir), elle n'en était pas plus rassasiée que du maigre, disant qu'il y avait quelque chose dans son estomac qui dévorait tout ce qu'elle prenait que, dans le moment, elle n'en sentait plus rien et était après comme si elle n'eût point mangé. On lui fit des remèdes pour la soulager mais qui furent inutiles, puisqu'ils ne lui empêchèrent pas de perdre l'esprit. Ce fut la veille de l'Ascension, comme j'ai déjà dit, que cette affliction nous arriva, qui nous désola d'autant plus. qu'il ne fut pas possible de la cacher au dehors. Les cris qu'elle faisait le donnèrent à connaître à tous les voisins. Nous ne laissâmes pas d'étouffer la chose du mieux que nous pûmes, faisant entendre que c'était une fièvre chaude qu'elle avait. Mais, à la longue, on s'en douta bien, ne pouvant pas le faire croire si longtemps. L'on peut penser quelle peine et douleur nous avions de voir cette chère Soeur en ce pitoyable état ! L'on employa tous les remèdes de la médecine pour la guérir, mais sans effets, joint aux

(96) La première postulante qui ait pris l'habit est Anne du Saint-Sacrement Morin, mais elle fit profession en second. La deuxième prise d'habit fut celle de Marie de Saint Benoit Le Normant, qui, elle, fut la première professe du monastère. Nous ne savons à laquelle de ces deux religieuses le Seigneur imposa cette lourde épreuve. Sur ces deux moniales, voir note 25, 2ème partie.

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prières, car il n'y en avait point qu'on ne fît au ciel pour obtenir de Dieu cette grâce. Mais, bien éloignées d'en être écoutées, nous remarquions que plus nous en faisions, plus elle était mal et furieuse, singulièrement les grandes fêtes, qu'à peine osait-on en approcher. Nous pouvons dire que jamais on n'a vu une folie pareille à la sienne. Il semblait qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire à la voir comme elle était. L'on croyait qu'on nous avait jeté quelques maléfices dans cette maison, d'autant plus qu'on nous en avait menacées devant que d'y aller, et que Notre Seigneur avait permis qu'ils fussent tombés sur elle, corme la mieux disposée à souffrir, étant une très bonne religieuse, bien fidèle et exacte à toutes les Règles de la sainte religion, favorisée de Dieu de la grâce d'oraison, dont elle est si affamée qu'elle ne s'en rassasie jamais, quelque longueur de temps qu'elle y employât. Elle voudrait passer les jours et les nuits devant le très saint Sacrement ; c'est son lieu de délices, où elle prend ses plaisirs et où son âme, par la foi, est nourrie de la vue de Dieu et des miséricordes dont il la comble et dont elle fait un saint usage. Sa vie vertueuse nous le donne à connaître. Mais ce qui est à remarquer, c'est que, lorsqu'elle commença à s'apercevoir que son esprit s'en allait, elle ne faisait que nous dire que nous priassions Notre Seigneur qu'il fît en elle ses saintes volontés, et elle voulait qu'on envoyât chez toutes les personnes de sa connaissance les prier de sa part de lui faire dire des messes, recommandant toujours qu'ils demandassent bien à Dieu qu'il fît en elle ses saintes volontés. Or, le jour qu'elle tomba dans cet accident, nous la fîmes monter au grenier, pour n'être point entendues au dehors. Nous étions quelques-unes avec elle pour la garder et tâcher de la divertir. En se promenant, elle mettait souvent la tête à une lucarne et. de loin, elle voyait la tour où sont les fous (97), en même temps elle criait : « Quoi, faut-il que je sois là toute ma vie ? Oh ! je n'y puis consentir ». Mais aussitôt elle se jetait à genoux et reprenait : « Pourtant, Seigneur, si vous le voulez, je le veux bien, faites en moi votre sainte volonté ». Elle avait tellement cette divine volonté imprimée au coeur que, lorsque notre Révérende Mère lui disait : « Ma Soeur, demandez à Dieu qu'il vous guérisse », jamais on ne lui pouvait faire dire que ces paroles : « Seigneur, si c'est votre volonté de me guérir, guérissez-moi », quoique notre Révérende Mère lui répétait toujours : « Mais, ma Soeur, je vous dis de demander à Dieu qu'il vous guérisse, et non pas de dire : « Seigneur., si c'est votre volonté, guérissez-moi ». Mais, comme s'il ne lui eût pas été possible de demander à Dieu sa guérison, sans y ajouter : si c'était sa volonté, elle recommençait dans le moment sa prière. Or il faut savoir que c'était dans les temps que son esprit lui revenait. Notre Révérende Mère nous fit remarquer que, tous les samedis, entre 4, 5, ou 6 heures du soir, Dieu lui faisait cette grâce, ce qu'on attribuait aux prières que l'on faisait pour elle à la très

(97) Une tour carrée faisant partie des remparts de la ville et située derrière l'église Saint-Patrice, servait d'hospice aux malades incurables et aux aliénés. Cf. Nicétas Periaux,op. cit., p. 397.

sainte Vierge, qui, par sa maternelle bonté, l'a retirée du pitoyable état où elle était, comme je le dirai dans la suite, voulant encore vous rapporter quelque chose d'elle, d'assez particulier. J'ai déjà dit que sa folie paraissait tout à fait extraordinaire, et, si nous n'en avions été témoins, nous aurions eu peine à le croire. Elle-même nous a dit, depuis qu'elle est revenue en son bon sens, qu'elle souffrait comme un martyre, particulièrement les nuits, qu'il lui semblait voir toujours des spectres et des figures horribles, qu'elle croyait être des démons. Elle était réduite pis qu'une bête, pour les choses horribles qu'elle faisait, que l'on n'ose dire, et, souvent, dans de si grandes furies qu'elle nous jetait à la tête tout ce qu'on lui donnait, même son manger et tout ce qu'elle pouvait attraper. Je ne sais comment elle ne nous a pas blessées quelques-unes et qu'elle ne s'est pas estropiée elle-même. mais Dieu l'a préservée, aussi bien que nous. Un jour donc, qu'elle était dans une fureur épouvantable et dans l'ordure comme un pourceau, une de nos chères Soeurs converses s'en alla la nettoyer, qui à peine en osait approcher, et, dans l'affliction de la voir de cette façon, la regarda pitoyablement et élevant sa voix au ciel, les larmes aux yeux, dit : « Hélas. Seigneur, si vous n'ayez pas pitié de nous cet hiver, que ferons nous ? Comment la pouvoir nettoyer ? ». Dans le moment qu'elle lui entendit proférer ces paroles, elle revint comme en son bon sens et lui répondit avec une grande douceur : « Allez, ma Soeur, ayez patience, ne vous en inquiétez point, Dieu y pourvoira dans ce temps ». Ce qui surprit bien, comme on peut penser, cette bonne Soeur, et de ce qu'aussitôt sa réponse faite, elle retomba dans son même état. Ses paroles furent bien véritables, car, après quatre ou cinq mois qu'elle fut de cette sorte [ elle recouvra entièrement son esprit ]. Durant ce temps, on ne cessa de solliciter le ciel par de continuelles prières pour obtenir sa guérison. L'on faisait neuvaine sur neuvaine ; une finie, on en recommençait une autre. Chaque saint avait la sienne. Toutes les Maisons de notre Institut se joignirent à nous, pour demander à Notre Seigneur cette grâce, car, par la sainte union que nous avons ensemble, elles partageaient nos croix et étaient dans la douleur de notre affliction ; d'autant plus qu'elle était la première de l'Institut à qui cet accident était arrivé. La crainte que l'on ne dît que notre adoration perpétuelle nous renversait l'esprit, si cela venait à éclater, nous affligeait doublement. Mais Notre Seigneur nous a fait la miséricorde qu'il y a eu peu de personnes dans la ville qui l'ont su ; et, en ayant été guérie, l'on fit entendre, que c'était une maladie qu'elle avait eue. Dieu se servit de la chère Mère de Jésus [ Chopinel ], maîtresse des novices de notre première Maison de Paris [ rue Cassette ], pour nous accorder cette grâce. Il lui donna la pensée que, si nous faisions un voeu à la très sainte Mère de Dieu, pour obtenir sa guérison, qu'elle nous l'accorderait. Elle le manda à notre Révérende Mère, laquelle nous l'ayant proposé, nous y consentîmes toutes de grand coeur. Aussitôt, elle promit,

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au nom de toute la communauté, à cette Mère de miséricorde que, tous les premiers dimanches du mois, l'on ferait une procession en son honneur et que, ce même jour, on donnerait du potage aux pauvres ; de plus, que tous les samedis, l'on ferait un salut au très Saint-Sacrement, seulement en atteignant le saint ciboire pour en recevoir la bénédiction, si cela se pouvait faire sans une permission particulière de Mgr l'archevêque. Je crois que la très sainte Mère de Dieu, eut agréable notre voeu, par l'effet que nous en reçûmes, puisque l'esprit de cette pauvre fille lui revint tout doucement. Elle eut le bonheur de communier, pour la première fois, le jour de saint Nicolas de Tolentino, 8eme de septembre, quoique l'après-midi elle ne laissât pas de retomber dans son.même état et d'autres fois encore. Mais pourtant, depuis ce temps, cela alla toujours en diminuant et, par la continuation des prières et du voeu qu'on commença à s'acquitter, l'esprit lui revint enfin entièrement au mois d'octobre, dont nous ne pouvions rendre assez de grâces à Notre Seigneur. L'on ne peut concevoir quelles afflictions et peines elle- nous a causées et, au lieu de donner quelques divertissements, comme font ordinairement les folles qui disent des choses plaisantes, elle ne nous donnait que de la douleur, tant par les furies où nous la voyions qiie par les sottises qu'elle disait, qu'on ne savait où elle les avait apprises, étant une âme très pure et innocente. Nous croyions que le démon la faisait parler ainsi pour nous remplir de confusion. Elle était terrible et nous en souffrions ce que l'on ne peut dire. La Providence permit que cet accident arrivât à cette bonne Soeur, justement comme l'on commençait à raccommoder le plancher, qui était tombé, et qui nous donnait bien de l'embarras, tant par les ouvriers qu'il fallait garder de côté et d'autre, que parcequ'il fallut vider les chambres, qui étaient pleines de tout le débris. Les ouvriers ne pouvant passer que par la salle d'auprès, dont on a fait le réfectoire, l'on fut obligé de la leur laisser libre, d'en ôter les tables et tout ce qui était dedans, pour les porter à une petite cave où nous fûmes contraintes de manger douze ou quinze jours, n'ayant point d'autre lieu plus commode à nous mettre et plus proche de la cuisine. Il est vrai que cela donna bien de la fatigue à nos Soeurs, avec celle qu'elles avaient auprès de cette chère Soeur, qu'il nous fallut garder et veiller la nuit dix ou douze jours de suite, dans l'espérance qu'on avait que son mal n'aurait pas de suite et qu'elle guérirait. Mais comme il continua, il fallut de nécessité lui accommoder un lieu exprès, séparé, pour la mettre et pour empêcher qu'elle ne fût entendue du dehors. On l'appropria autant bien qu'il se pouvait, mais il ne fut pas longtemps propre ; elle rompit et brisa tout, tant les vitres que la natte que l'on avait mise à toutes les murailles et qu'elle mit en miettes. Elle arracha tous les rideaux de son lit et, ce qui ne se peut presque comprendre, avec ses mains seules, elle démolissait la muraille et en tirait de grosses pierres. Mais ce que nous remarquions toujours, c'est que, dans les temps où nos Soeurs avaient plus à faire, c'était dans

ceux-là où elle était plus furieuse et renversait tout, et l'on était obligé, quelque embarrassé qu'on fût, de tout quitter pour aller à elle. Il semblait que le démon l'excitait à cela pour nous mettre en impatience, mais la vertu de nos Soeurs ne lui en donnait pas le plaisir. Elles bénissaient Dieu qui le permettait ainsi pour leur faire exercer la patience et la charité, qu'elles lui rendaient de bon coeur. Notre Révérende Mère s'assujettissait quatre fois par jour à lui porter à manger et la faisait manger elle-même, quoiqu'elle ne la traitât pas mieux que nous. Elle nous prévenait toujours pour lui rendre service, ne voulant point que d'autres le fissent. Quelques instances que nous lui fîmes pour l'en empêcher, jamais elle ne voulut nous écouter et continua jusqu'à la fin, sans se lasser de tous les rebuts qu'elle lui faisait, qu'elle souffrait avec une douceur et patience angéliques.

Mais pour revenir à cette bonne Soeur, nous croyons véritablement que ça a été pour sa sanctification que Notre Seigneur a permis qu'elle eût cette humiliation, qu'elle a ressentie très sensiblement et qu'elle ressent encore. Mais sa vertu fait qu'elle va au-dessus de sa peine. Ce qui lui a été le plus pénible, est le ressouvenir qu'elle a eu de tout ce qu'elle avait dit et fait dans ce temps, ce qui lui a donné une terrible confusion, ayant été longtemps sans pouvoir s'empêcher d'y réfléchir. Peut-être que Notre Seigneur le permettait pour la faire souffrir et lui donner, par là, lieu d'agréer et accepter l'humiliation qu'elle en recevait en elle-même. Elle lui était pourtant bien adoucie par la charité et cordialité de la communauté, qui lui témoignait plus d'amitié et de bonté que jamais, tâchant de la divertir de ses pensées , l'entretenant de tout autre chose lorsqu'elle en voulait parler et , lorsque nous ne pouvions l'empêcher de nous en témoigner sa peine, nous la consolions de notre mieux, lui disant que toutes pouvaient être malades comme elle, qu'elle ne devait pas s'affliger de l'avoir été, tâchant de lui faire croire que ce n'était qu'une maladie qu'elle avait eue. Mais elle nous répondait : « Oui, toutes peuvent être malades, mais non pas folles comme moi ». Nous assurerons qu'elle n'en a pas moins été en estime entre nous. Sa vertu, au contraire, nous oblige à l'augmenter, et aussi notre affection, car on ne peut qu'on ne l'aime et qu'on n'ait de la vénération pour elle. L'on peut dire que c'est un ange en innocence et pureté, aussi bien qu'un exemple de régularité, de zèle et d'amour pour le très Saint Sacrement, où elle est à ses pieds le plus qu'elle peut. Il ne faut pas s'étonner si elle y apprend si bien la pratique des plus excellentes vertus, surtout l'humilité, qu'elle voit si nécessaire aux âmes pour se rendre agréables à Dieu. C'est ce qui l'oblige de nous dire, à présent qu'elle a été pénétrée par la lumière de Dieu de cette grande vérité, que, si c'était la volonté de Dieu, qu'elle est toute prête de rètomber dans l'état où elle a été, parceque, nous dit-elle, il n'y a rien à désirer en ce monde que d'être humiliée, abjecte et méprisée des créatures ; qu'il est vrai que la nature et les sens en souffrent, et en ont du rebut, mais c'est ce qui est

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bon pour l'âme et plus utile pour son salut. Voilà les sentiments que la grâce lui donne et qu'elle nous exprime quelquefois, dans les occasions qui se présentent, d'une manière si touchante que l'on voit que cela, vient du fond de son coeur, où Dieu opère si saintement. L'on ne peut que l'admirer, le priant de lui continuer ses miséricordes. Cette chère Saur a toujours agréé à notre digne Mère Institutrice, dans tous les voyages qu'elle a faits ici. Souvent elle nous disait que, lorsqu'elle la voyait, elle la réjouissait, qu'il y avait bien du plaisir à voir des âmes qui aiment Dieu, et d'autres fois agréablement elle disait : « Cette petite âme sent si bon, je l'aime bien ». Après ces paroles de notre digne Mère, qui avait la vraie lumière de Dieu, on la peut bien aimer et estimer. Sans doute que l'on pourra s'étonner que j'aie mis au jour cette histoire, qui devrait être ensevelie dans un éternel silence , Mais, ayant cru qu'elle pourrait édifier, je l'ai écrite simplement, comme j'ai fait de cette fondation, le récit en étant très fidèle et autant exact que ma mémoire m'en a donné le souvenir. Je n'y ai rien exagéré ni composé, tout y étant très véritable, s'étant passé de même que je vous l'ai rapporté, ayant omis les choses dont je n'étais pas certaine. Celles qui les savent mieux que moi les pourront ajouter ici, ou se servir de ce brouillon pour faire un récit plus agréable de cette fondation. Notre Révérende Mère Institutrice, ayant su que j'avais fait [ ce récit ], me manda, par un billet, que j'eusse à n'en rien ôter (98). Mais, en finissant, il faut que je vous rapporte les soins miraculeux que la Providence a eu de pourvoir aux besoins de cette Maison, afin que ceux qui les liront soient excités à se confier de plus en en plus en Dieu, qui ne délaisse jamais ceux qui l'aiment et le servent.

Vous saurez que M. de Mathan nous obligea, au commencement de notre arrivée au château, de lui payer la somme de vingt-sept mille livres. Il se trouvait qu'après avoir épuisé toute notre Maison, l'on ne put amasser que dix-huit mille livres. Il nous en fallait encore neuf. Nous ne savions où les prendre. Nous recourûmes à notre digne Mère, qui nous manda qu'elle n'avait point d'argent et ne savait où en prendre, que nous vissions ici à nos amis, s'ils ne pourraient pas nous en prêter. Notre Révérende Mère leur proposa. Tous, n'en avàient point. Nous voilà bien empêchées, car, de nécessité, il fallait trouver ces neuf mille livres. Ce que nous fîmes dans cette occasion fut d'implorer l'assistance du ciel, en nous adressant à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère, à tous les saints et aux saintes âmes du purgatoire, qui sont de fidèles amies. Notre Révérende Mère leur promit de leur faire dire quelques

(98) Je veux bien, chère petit Ange, que l'on vous renvoie l'histoire que vous avez recueillie ; je suis fâchée des discours que l'on vous en a faits ; pour moi, je ne l'ai pas désapprouvée, sachant bien que sainte Thérèse a mis plusieurs petites choses dans ses fondations, qui sont fort récréatives et cela fait fort bien. Ces sortes d'histoires ne doivent pas être fort sérieuses ; je ne l'ai pas encore vue, n'ayant pas un moment de libre. Je serai bien aise de jeter les yeux dessus, et en tout cas qu'on vous la renvoie, n'y ôtez rien. Croyez-moi : il y a plus de bénédictions dans la simplicité, je l'aime mille fois plus que toutes les plus belles phrases. Demeurez dans cette simplicité, au nom de Dieu. La grâce est dans la simplicité et non dans la complicité. Je n'ai que ce moment ; à Dieu en Dieu. Priez-le qu'il sanctifie nos croix.

Ce 30 septembre 1686.

messes, s'ils nous secouraient dans ce besoin. Nous faisions donc des prières générales et particulières,-trois fois par jour, pour ce sujet. Notre Seigneur, qui est infiniment bon, les écouta et inspira à M. de Grainville (99) et à M. son frère de nous prêter ces neuf mille livres, qu'ils nous avaient refusées. Si bien qu'un matin, que nous ne pensions point que le ciel avait fait notre affaire, ils vinrent nous apporter cette heureuse nouvelle, qu'ils avaient l'argent tout prèt à nous donner, mais qu'on leur en fît un papier où toutes s'obligeassent à leur en faire la rente. Ce que nous fîmes aussitôt et payâmes les vingt-sept mille livres à M. de Mathan. Vous voyez qu'elle fut la Providence divine dans cette rencontre ! Mais suivons à vous dire les autres. C'est qu'après la dite somme donnée, nous restâmes sans argent et sans savoir où en prendre pour vivre, car, selon les apparences, nous ne voyions point lieu d'en toucher que de très longtemps. C'est dire notre extrêmité, que Dieu permit pour rendre la prophétie de notre digne Mère, véritable, qui avait dit, comme je vous l'ai déjà rapporté au commencement de la fondation, que nous nous verrions à la veille de manquer de tout, et que pourtant nous ne manquerions de rien. C'est que notre Révérende Mère se trouva avec neuf sous. Voilà tout l'argent qui était dans la Maison. Nonobstant, la Providence a été si admirable que nous avons toujours subsisté sans avoir rien retranché de la nourriture ordinaire. Rien ne nous a manqué pour les autres choses dont nous pouvions avoir besoin. L'on donnait avec la même charité aux unes et aux autres qui le demandaient, et même, souvent, on les prévenait. La Providence fit trouver le moyen à une de nos Soeurs d'emprunter cent écus, adroitement, sans dire que c'était pour nous, qui nous aidèrent bien, tant à vivre qu'à payer ce que nous devions au boulanger et aux ouvriers. Trois mois après, l'on nous obligea encore à payer quinze ou seize cents francs, que nous devions de la maison [ rue des Arsins ], où nous avions demeuré ; n'en ayant point, notre Mère Institutrice nous le donna. Voyez comme Notre Seigneur a toujours permis que l'on nous ait secourues, sans qu'à aucune rencontre il nous ait délaissées. Mais une chose miraculeuse, c'est que, devant donner, ce carême dernier 1686, encore une somme considérable à M. de Mathan, notre Révérende' Mère, qui croyait assurément ne devoir avoir, tout au plus, dans son armoire que huit mille livres, en trouva douze, qu'humainement n'y pouvaient pas être. Mais voyez la Providence jusqu'au bout. Pour payer ce monsieur cette somme n'était pas suffisante avec vingt-et-une mille livres, que l'on nous venait de rembourser de la maison que nous

(99) Nos annales font mention d'un prêt de 9.000£ par M. de Grainville et M. de Bennetot, son frère.

Le nécrologe de notre monastère mentionne, au 8 décembre 1746, le décès et l'inhumation dans le caveau, de « haute et puissante dame Marie Scot de Fumechon, dame et patronne de Cricquetôt-surOuville, Renfugère, Bennetôt et autres lieux, veuve de Messire Jacques du Hamel, chevalier, seigneur d'Oissel, conseiller du roi en ses conseils, président en la Cour des aides et finances de Normandie... Notre monastère à une particulière obligation à sa famille dans le commencement de son établissement ». Nous voyons par là que les deux branches de la famille de Fumechon ont été bienfaitrices de notre Maison.

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avions achetée, pour faire les professions, et nous ne savions où trouver le reste, ni à qui emprunter. Il y avait pourtant quelque temps qu'il était venu une dame demander notre Révérende Mère et, qui ne voulut jamais dire son nom. Elle lui dit qu'elle venait savoir d'elle, si elle n'avait pas besoin d'argent, qu'elle en avait et qu'elle était bien aise de le mettre-en rente, mais qu'elle ne voulait point que cela fût su, et qu'elle était bien aise de faire l'affaire secrètement. Notre Révérende Mère la remercia, lui dit qu'elle le demanderait à la communauté et lui en rendrait réponse, une autre fois. Comme elle n'en avait pas de besoin dans le présent, elle ne s'en empressa point, et même ne songea pas à lui demander où elle demeurait. La dame s'en alla là-dessus et fut fort longtemps sans revenir. Notre Révérende Mère, bien empêchée pour trouver le reste de l'argent qu'il nous fallait, nous disait : « Mes Soeurs, priez son bon ange qu'il la fasse revenir ». Justement, un quart d'heure devant que les messieurs vinssent pour recevoir [ cet argent], elle arriva. Voyez cette assistance divine ! Il survint quelques difficultés qui empêchèrent qu'on ne donna, ce jour, l'argent à ces messieurs, mais toujours nous fûmes assurées de l'avoir, et notre Révérende Mère, dans la grande presse où elle s'était vue, avait encore eu le bonheur, par le moyen d'un ami, d'en trouver ; mais elle le renvoya, ayant eu la parole de cette dame, qui, me semble, lui en apporta une partie dès le même jour.

Je peux assurer que nous avons vu et voyons encore tous les jours des secours pareils que la Providence nous donne, et qui sont miraculeux. Mais il y en a tant que je ne les peux rapporter. C'est ce qui augmente bien la confiance de nos chères Mères et Soeurs, et l'assurance que rien ne leur manquera jamais, pourvu qu'elles tâchent de plaire uniquement à Dieu et de ne chercher que sa gloire. C'est à quoi j'exhorte toutes celles qui nous suivront dans cette Maison, afin qu'elles y reçoivent, aussi bien que nous, les bénédictions du Seigneur et les effets de ses bontés. Je le leur souhaite de tout mon coeur, en le priant de les en combler.

Année 1686

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AU RÉVÉREND PÈRE DE SÉCHAMPS

Très digne prédicateur, au Couvent des RR.PP. Dominicains, à Rouen

12 de janvier 1677

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !

Je crois, mon Révérend Père (1), votre Révérence de retour de sa station de l'Avent, et ne doute pas que ce ne soit avec grand succès, dont je loue Notre Seigneur, le priant vous continuer ses grâces et récompenser toutes les bontés que vous m'avez témoignées pour notre affaire, qui n'est pas encore dans son effet, quoique les différends soient terminés. Nous attendons que Madame de Saint-Louis [ Madame Colbert ] ait trouvé un logement pour s'y transférer. Cependant, nous laissons écouler la rigueur du froid, qui paraît partout fort extrême. Jugez des misères de notre pauvre pays qui, avec le froid horrible, périt de faim. La calamité des peuples ne finit point, et l'on ne voit aucun jour à la paix, quoiqu'on en paile et que l'on soit assemblé pour en traiter. Il faut l'attendre plus de Dieu que des hommes.

Je ne puis donc, mon très Révérend Père, vous dire encore le temps certain que je serai à Rouen. Nous croyons que ce sera devant le Carême. Je le désire pour avoir l'honneur de vous y rencontrer et de prendre un peu vos bons avis au sujet de la place de Saint-Louis qui nous demèure. Je ne sais si d'abord nous devons prendre une autre place. Je crois que ce serait le mieux pour ne pas faire double dépense. Mais en quel lieu pourrions-nous trouver un logement commode, et avantageux pour l'adoration ? Je vous supplie d'y penser et de voir un peu ce bon M. Maistre, menuisier, s'il en pourrait découvrir quelqu'un

(1) Né au plus tard en 1625, le Père François-Dominique de Séchamps, après un début de noviciat — interrompu pour raison de santé — au couvent de Nancy (en 1648), fut de nouveau admis à prendre l'habit au couvent de l'Annonciation à Paris, en août 1649. Il vécut pendant plusieurs années, « magna cum utilitate et honore Ordinis » (lettre du Maître de l'Ordre A. de Monroy, 16 déc. 1685), au couvent dit du « Novitiat général », au Faubourg Saint-Germain (actuellement : église Saint-Thomas d'Aquin). De déc. 1682 à déc. 1685, il fut prieur du couvent de Mesnilgarnier, au diocèse de Coutances, — couvent fondé en 1620 et demeuré très en liaison avec le couvent de l'Annonciation de Paris. Le Père de Séchamps est encore en vie en 1688-1689, — le Maître de l'Ordre fait alors appel à lui dans la difficile situation où se trouvent couvents et monastères d'Alsace qui passent alors sous le régime direct de l'administration française (traité de Nimègue, 1678), soit pour qu'il accepte la direction spirituelle des moniales de Schonesteinbach, soit pour la récupération du couvent de Strasbourg.

Sur le couvent de l'Annonciation de Paris, et ce qu'il a pu représenter comme milieu de vie spirituelle au XVIIe s., voir l'introduction du Père François Florand à la réédition de La Croix de Jésus du Père Louis Chardon, et le livre de Michel Gasnier, Les Dominicains de Saint-Honoré, 1947. (Renseignements aimablement communiqués par le R.P. André Duval, o.p., couvent de Saint-Jacques, Paris).

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où, dans la suite, l'on puisse avoir de l'étendue et du jardin, que vous savez être absolument nécessaires aux Filles qui ne sortent jamais de leur monastère. Et en même temps que l'on cherchera, il faut chercher des marchands pour acheter la maison de Saint-Louis. Je vous supplie me mander vos pensées et continuer de présenter le tout à Notre Seigneur et sa très Sainte Mère. J'ai un furieux besoin de vos saintes prières : je vous les demande pour l'amour de Notre Seigneur, pour la sanctification de cet ouvrage, et qu'il lui plaise me donner les grâces que je n'ai pas et dont j'ai un extrême et sensible besoin. J'espère tout de votre charité et me repose sur votre bonté avec toute confiance et suis avec respect votre très humble et très obéissante servante en Jésus.

n° 958 PI n°2 (autographe)

A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [ LOYSEAU ]

Août 1677

Il n'en faudrait guère davantage pour tout renverser, mais tout est à Dieu et en Dieu ; c'est de lui seul que vous devez tout espérer. Prenez courage. Où toutes les créatures manquent, Dieu suffit. 11 y a peu de vrais amis en ce monde ; Notre Seigneur le permet parce qu'il veut être l'unique. Dieu soit béni de ce que vous avez pris possession de votre petite maison [ rue des Arsins le jour et peut-être l'heure que je la présentais à la sainte Mère de Dieu pour la faire agréer à son divin Fils. Croyez qu'elle en fera son ouvrage ; vous serez bien récompensée des peines que vous y prenez. Faites, au nom de Dieu, tout ce qui sera pour le mieux sur les accommodements de l'église, sans avoir égard à la dépense. Nous ne devons avoir rien de plus à coeur que le temple et l'autel du Seigneur, et les ornements de son trône eucharistique ; c'est la principale affaire. Pourvu que ce qui regarde le Saint Sacrement soit bien, le reste ira comme il pourra. Faites en sorte qu'il y ait une petite tribune où l'on puisse l'adorer et avoir la consolation de l'envisager, qui est le plus doux plaisir qu'on puisse posséder en terre. Je prie Notre Seigneur de sanctifier et soutenir, par la force de sa grâce, l'oeuvre pour laquelle vous vous êtes si généreusement sacrifiée. Il ne faut pas s'attendre qu'elle ait d'abord un grand succès ; Notre Seigneur pourra bien nous laisser un peu goûter l'amertume de son calice.

A LA MÈRE [ MECTH1LDE DU SAINT SACREMENT CHEURET]

18 août 1677

Je ne doute pas, ma très chère fille, que vous ne souffriez beaucoup dans le lieu où vous êtes, tant par le grand sacrifice que vous avez fait en y entrant que pour tout le reste qui s'y rencontre. Je crois bien que la grâce ne manquera pas de vous y soutenir intérieurement, mais je suis en peine de votre santé, qui n'est pas meilleure à Rouen qu'à Paris. Il y faut prendre les soulagements que vous avez besoin et dont la chère Mère Sous-Prieure [ Anne du Saint Sacrement Loyseau ] aura grand soin, car sa charité n'est pas moins grande qu'elle ne l'était ici. Vous pouvez vous y confier. Je ne sais si les eaux de Forges (2) vous seraient bonnes ; vous en pouvez faire consulter les médecins. Prenez courage ; j'espère que bientôt j'aurai la joie d'être avec vous.

Je ne vous recommande pas d'obéir à la chère Mère Sous-Prieure, je crois que vous le faites de votre mieux. Tâchez de la soulager en ce que vous pourrez et me mandez comme elle se porte, car elle ne m'en dit jamais rien.

Je salue nos très chères Soeurs. A Dieu, ma très chère. Prenez courage et priez Dieu pour moi, car je suis de coeur en Jésus toute à vous.

no 1071 C405

[A LA MÈRE MARIE DE L'ENFANT JÉSUS ZOCOLY ]

26 août 1677

Je suis touchée, ma très chère, de vous voir d'abord attachée sur la croix par la maladie. J'aurais pensé [ ne pas ] m'en consoler si je n'espérais que ce ne sera pas pour longtemps et que Notre Seigneur se contentera de votre sacrifice, qui est assez grand selon l'humain. Il a voulu que vous sortiez de votre propre terre [ Gn. 12, 1 pour aller où l'obéissance vous a conduite de sa part ; ne doutez pas de ses grâces ni de ses bénédictions. Je le prie d'être votre force et qu'il se contente de votre soumission. Je sais que la chère Mère [ Anne du Saint Sacrement ] a soin que rien ne vous manque. Je la prie de n'y rien épargner, afin de vous remettre bientôt en état de travailler à l'oeuvre du Seigneur, selon votre capacité. J'espère la consolation de vous bientôt embrasser et ma chère Soeur [ de Saint Joseph Rondet ], que je salue très cordialement. A Dieu, je suis toute à vous.

n° 1507 Cr C

(2) Forges-les-Eaux (Seine-Maritime, arr. de Dieppe). Station thermale aux eaux ferrugineuses

n°586 P101 et bicarbonatées.

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A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [ LOYSEAU

Septembre 1677

Je n'appréhende point le mauvais air de Rouen. Si Dieu m'y envoie, je ne crois pas que ce soit pour y être malade, mais pour travailler à me renouveler dans son Esprit ; c'est la principale chose que je désire, après la gloire de Notre Seigneur Jésus Christ. Pour ce qui est de votre malade, je pencherais du côté de l'espérance, mais je me veux tenir dans le sacrifice, afin que si Notre Seigneur fait son coup, il me trouve sous ses pieds pour le recevoir et l'adorer avec une humble soumission.

no 1052 P101

A LA MÊME

Septembre 1677

Non, ma très chère Mère, ce n'est pas mon intention que vous reveniez à Paris avant que Notre Seigneur ait pris possession du temple que vous lui avez dressé. Mon dessein est que vous ayez la joie et la consolation de voir votre ouvrage couronné par la présence du très Saint Sacrement et qu'il vous comble de ses bénédictions. Je lui rends grâce de la paix et du repos intérieur qu'il vous donne : c'est le centuple de ce monde. Sa bonté ne veut pas que les soins et les travaux que vous avez eus en procurant sa gloire soient sans récompense, même dès cette vie.

n02263 P101

A LA MÈRE MARIE DE L'ENFANT JÉSUS [ ZOCOLY

12 septembre 1677

Ce mot, ma très chère fille, vous va trouver sur la croix ou sur le bûcher, où, comme une victime, vous êtes véritablement immolée avec Notre Seigneur Jésus Christ, faisant une même hostie avec lui. Je crois que votre coeur y demeure uni et que vous ne voulez que sa très sainte volonté en l'état où il vous a mise, la vie et la mort vous étant une même chose. Et comme je ne sais ce qu'il plaira à Dieu faire de vous en cette fâcheuse maladie, je vous prie, mon enfant, de vous tenir en sa sainte main, de ne vous occuper d'autre chose que d'un simple et amoureux abandon à son bon plaisir.

Je suis dans un extrême regret de ne pouvoir être auprès de vous dans le temps que je vous écris. Mais je crois que si vous priez le saint Enfant Jésus de ne vous point retirer de ce monde, ou s'il lui plaisait vous rendre la vie et la santé, je lui ferais, en action de grâces, ériger un petit autel, en attendant que sa sainte Providence me mette en état de lui faire bâtir une chapelle en son honneur. Je vous prie de lui demander votre santé pour sa gloire ; nous vous l'ordonnons de sa part, sans sortir de l'humble soumission que nous devons à ses adorables volontés. Toute la communauté prie pour vous ; l'Hospice (3) de même. Pour moi, je suis en une douleur très sensible. Mais pour vous, vous allez à Dieu, vous retournez d'où vous êtes sortie ; la terre est un pays étranger, mais le ciel est notre patrie, c'est où nous espérons de nous retrouver toutes en Dieu. Demandez-lui de tout votre coeur, ma très chère Fille, qu'aucune ne soit exclue de ce souverain bonheur. Et si vous êtes assez heureuse d'y arriver la première, n'oubliez pas celles qui ont un désir passionné de vous y suivre.

Vous savez bien que le chemin en est étroit, et que l'on n'y peut parvenir que par un total dépouillement de nous-même. Tâchez de dégager votre esprit de toutes choses, ne vous attachez qu'à Dieu seul. Prenez plaisir au plaisir que Notre Seigneur prend de vous détruire et anéantir par la mort et par la maladie. Soyez comme sa victime attachée au poteau qui se laisse égorger, et mourez dans ces sentiments et la vue de votre néant pécheur. La vraie humilité ne vous doit jamais abandonner que vous ne soyez parvenue devant le trône de l'Agneau où vous serez divinement anéantie ; mais tant que vous aurez un moment de vie, demeurez dans votre rien, sous Dieu et au-dessous de toutes les créatures, comme indigne de ses divines miséricordes, sans toutefois vous en jamais défier ; souffrez qu'il vous purifie à sa mode. Mais quoi qu'il puisse arriver par la violence du mal ou par les tentations, soyez toujours humblement abaissée, avec un amoureux abandon au vouloir de Dieu. J'espère que le saint Enfant Jésus vous soutiendra dans les extrémités où il vous voudra faire passer pour achever son oeuvre en vous ; et vous serez bienheureuse s'il la veut consommer, en vous faisant la première victime de cette nouvelle maison qui lui est consacrée. Je suis en esprit auprès de vous, en attendant que j'y puisse être comme je désire. Souvenez-vous de demander au saint Enfant Jésus par sa très sainte Mère de ne point mourir que je ne sois avec vous, quoique vous soyez entre les charitables mains de la chère Mère [ Mecthilde ], qui ne manque ni de soins ni d'affection ; je lui suis infiniment obligée de tous les services qu'elle vous rend.

(3) Dans l'espoir d'aider les bénédictines du Saint Esprit, d'Anet (Eure-et-Loir), à reconstruire leur monastère de Dreux, Mère Mectilde avait fait venir cinq religieuses de Toul. Le projet n'ayant pu alors se réaliser, les moniales restèrent à Paris, en « hospice », c'est-à-dire dans une maison dont elles n'étaient que locataires. Elles furent bientôt rejointes par cinq autres Touloises. Cet « hospice » deviendra le second monastère de Paris, rue Saint-Marc, à la porte Montmartre, puis dans l'hôtel de Turenne, rue Saint-Louis, au Marais. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 326 n. 2 et 368.

142 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 143

A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [ LOYSEAU

Septembre 1677

Je n'appréhende point le mauvais air de Rouen. Si Dieu m'y envoie, je ne crois pas que ce soit pour y être malade, mais pour travailler à me renouveler dans son Esprit ; c'est la principale chose que je désire, après la gloire de Notre Seigneur Jésus Christ. Pour ce qui est de votre malade, je pencherais du côté de l'espérance, mais je me veux tenir dans le sacrifice, afin que si Notre Seigneur fait son coup, il me trouve sous ses pieds pour le recevoir et l'adorer avec une humble soumission.

n°1052 P101

A LA MÊME

Septembre 1677

Non, ma très chère Mère, ce n'est pas mon intention que vous reveniez à Paris avant que Notre Seigneur ait pris possession du temple que vous lui avez dressé. Mon dessein est que vous ayez la joie et la consolation de voir votre ouvrage couronné par la présence du très Saint Sacrement et qu'il vous comble de ses bénédictions. Je lui rends grâce de la paix et du repos intérieur qu'il vous donne : c'est le centuple de ce monde. Sa bonté ne veut pas que les soins et les travaux que vous avez eus en procurant sa gloire soient sans récompense, même dès cette vie.

n02263 P101

A LA MÈRE MARIE DE L'ENFANT JÉSUS [ ZOCOLY

12 septembre 1677

Ce mot, ma très chère fille, vous va trouver sur la croix ou sur le bûcher, où, comme une victime, vous êtes véritablement immolée avec Notre Seigneur Jésus Christ, faisant une même hostie avec lui. Je crois que votre coeur y demeure uni et que vous ne voulez que sa très sainte volonté en l'état où il vous a mise, la vie et la mort vous étant une même chose. Et comme je ne sais ce qu'il plaira à Dieu faire de vous en cette fâcheuse maladie, je vous prie, mon enfant, de vous tenir en sa sainte main, de ne vous occuper d'autre chose que d'un simple et amoureux abandon à son bon plaisir.

Je suis dans un extrême regret de ne pouvoir être auprès de vous dans le temps que je vous écris. Mais je crois que si vous priez le saint Enfant Jésus de ne vous point retirer de ce monde, ou s'il lui plaisait vous rendre la vie et la santé, je lui ferais, en action de grâces, ériger un petit autel, en attendant que sa sainte Providence me mette en état de lui faire bâtir une chapelle en son honneur. Je vous prie de lui demander votre santé pour sa gloire ; nous vous l'ordonnons de sa part, sans sortir de l'humble soumission que nous devons à ses adorables volontés. Toute la communauté prie pour vous ; l'Hospice (3) de même. Pour moi, je suis en une douleur très sensible. Mais pour vous, vous allez à Dieu, vous retournez d'où vous êtes sortie ; la terre est un pays étranger, mais le ciel est notre patrie, c'est où nous espérons de nous retrouver toutes en Dieu. Demandez-lui de tout votre coeur, ma très chère Fille, qu'aucune ne soit exclue de ce souverain bonheur. Et si vous êtes assez heureuse d'y arriver la première, n'oubliez pas celles qui ont un désir passionné de vous y suivre.

Vous savez bien que le chemin en est étroit, et que l'on n'y peut parvenir que par un total dépouillement de nous-même. Tâchez de dégager votre esprit de toutes choses, ne vous attachez qu'à Dieu seul. Prenez plaisir au plaisir que Notre Seigneur prend de vous détruire et anéantir par la mort et par la maladie. Soyez comme sa victime attachée au poteau qui se laisse égorger, et mourez dans ces sentiments et la vue de votre néant pécheur. La vraie humilité ne vous doit jamais abandonner que vous ne soyez parvenue devant le trône de l'Agneau où vous serez divinement anéantie ; mais tant que vous aurez un moment de vie, demeurez dans votre rien, sous Dieu et au-dessous de toutes les créatures, comme indigne de ses divines miséricordes, sans toutefois vous en jamais défier ; souffrez qu'il vous purifie à sa mode. Mais quoi qu'il puisse arriver par la violence du mal ou par les tentations, soyez toujours humblement abaissée, avec un amoureux abandon au vouloir de Dieu. J'espère que le saint Enfant Jésus vous soutiendra dans les extrémités où il vous voudra faire passer pour achever son oeuvre en vous ; et vous serez bienheureuse s'il la veut consommer, en vous faisant la première victime de cette nouvelle maison qui lui est consacrée. Je suis en esprit auprès de vous, en attendant que j'y puisse être comme je désire. Souvenez-vous de demander au saint Enfant Jésus par sa très sainte Mère de ne point mourir que je ne sois avec vous, quoique vous soyez entre les charitables mains de la chère Mère [ Mecthilde ], qui ne manque ni de soins ni d'affection ; je lui suis infiniment obligée de tous les services qu'elle vous rend.

(3) Dans l'espoir d'aider les bénédictines du Saint Esprit, d'Anet (Eure-et-Loir), à reconstruire leur monastère de Dreux, Mère Mectilde avait fait venir cinq religieuses de Toul. Le projet n'ayant pu alors se réaliser, les moniales restèrent à Paris, en « hospice », c'est-à-dire dans une maison dont elles n'étaient que locataires. Elles furent bientôt rejointes par cinq autres Touloises. Cet « hospice » deviendra le second monastère de Paris, rue Saint-Marc, à la porte Montmartre, puis dans l'hôtel de Turenne, rue Saint-Louis, au Marais. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 326 n. 2 et 368.

144 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 145

Demandez à Notre Seigneur qu'il la conserve de longues années pour sa gloire. Tâchez de lui obéir simplement et recevez les saluts de toutes nos chères Soeurs, qui viennent de communier pour vous.

Je vous quitte, mon Enfant, sans vous abandonner. Je vous remets à Dieu duquel je vous reçus ; pardonnez-moi tous les mauvais exemples que je vous ai donnés et les peines que je vous ai pu causer. Sacrifiez tout à Dieu, et le priez pour l'Institut, qu'il le sanctifie. Soyez persuadée que je suis en Jésus toute à vous, pour le temps et l'éternité. Je prie sa très sainte Mère, notre précieuse abbesse, de vous donner sa très sainte bénédiction, avec laquelle vous ferez heureusement le voyage éternel, si c'est la volonté de Dieu de l'ordonner pour le présent.

n°119 Cr C

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET

13 septembre 1677

Je ne doute pas, ma très chère Fille, que vous ne soyez touchée de la fâcheuse et périlleuse maladie de la chère Mère de l'Enfant Jésus. J'en suis pénétrée de douleur ; cette maison commence par la croix. Je crois la vôtre autant grande que vous la pouvez porter, mais, courage, c'est pour Notre Seigneur que vous vous y êtes exposée ; il vous soutiendra de ses grâces, je l'en prie incessamment. Prenez cependant toutes les précautions que vous pourrez pour ne point succomber intérieurement. La foi et l'amour doivent être votre force et, pour votre corps, la bonne nourriture et le repos. Je crois que la chère Mère Sous-Prieure y fait son possible. Je vous prie de l'aider de votre mieux, car j'ai une peur étrange qu'elle n'y demeure. Je vous prie de me donner de vos nouvelles si vous le pouvez, et me croyez toute à vous. Je salue nos très chères Soeurs [ Marie de Sainte Anne, Nicole Monier et Aimée de Saint Joseph, Aimée Rondet ].

no 1072 R18

Je vous assure que je vous y offre de toutes mes forces et de toute la capacité que Dieu me donne, me tenant en esprit près de vous ; et j'ose vous assurer de l'infinie bonté de Notre Seigneur Jésus Christ, par sa très sainte Mère, qu'il vous recevra en sa miséricorde et que bientôt vous serez unie à lui pour l'éternité.

Allez courageusement à la mort. Vous ne perdez rien en quittant cette vie misérable environnée de ténèbres et de péchés. Entrez dans

les desseins de Jésus Christ et vous présentez au martyre des souffrances

que vous avez autrefois tant désirées. Vous êtes dans l'état qu'il faut être pour en mériter la couronne et je vous conjure, chère Enfant,

d'avoir charité pour moi quand vous serez avec Notre Seigneur. J'espère que vous n'oublierez point une misérable qui a un besoin infini de sa miséricorde.

J'ai fait beaucoup de voeux pour obtenir la prolongation de vos jours, mais je n'ai pas été digne de les obtenir. Le divin Enfant Jésus

ne veut plus vous laisser sur la terre ; il vous appelle au ciel pour l'aimer d'un parfait amour, et il me semble que je suis cruelle de vouloir retarder

votre souverain bonheur. Mais ma tendresse et les désirs que j'ai de

vous voir avant que de mourir me font présenter à Dieu toutes sortes de voeux et de prières. Et comme je prévois qu'il ne m'accordera pas

cette grâce, je vous envoie votre profession en parchemin que l'on mettra sur votre coeur, en cas que Dieu achève de vous tirer à Lui. Si je pouvais vous y suivre réellement comme je le fais d'affection, nous ne serions pas longtemps séparées l'une de l'autre ; mais, comme pécheresse, il faut faire pénitence dans mon bannissement.

Je rends grâces à Dieu de tant de grâces et de miséricordes dont je vous vois comblée. Achevez, en paix et en son Esprit, votre consom-

mation. Je vous donne, mon Enfant, toutes les bénédictions que je suis en puissance de vous donner pour vous conduire heureusement dans votre éternité. Jésus, Jésus, Jésus, soyez moi Jésus à jamais ! Sacrée Mère de Jésus, recevez-moi comme votre enfant et comme sa victime !

n° 2838 Cr C

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET J

A LA MÈRE MARIE DE L'ENFANT JÉSUS [ ZOCOLY ]

18 septembre 1677

14 septembre 1677

Très chère victime que le plaisir de Dieu achève de consommer par le feu des douleurs, je suis dans une peine que je ne puis exprimer de la douleur qui transperce mon âme, de ne me pouvoir rendre assez tôt auprès de vous, pour vous rendre à celui duquel je vous ai reçue.

Pauvre Enfant, que vous m'avez fait de plaisir par votre chère lettre ! Je vous en remercie, mais ne me flattez point, car si vous ne me dites vrai, je ne pourrais plus vous croire une autre fois. Je crois que si votre chère malade se pouvait purger et vomir sa bile, vous la tireriez plus facilement. J'attends tout de Dieu, mais il veut que l'on s'aide. Je le

146 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 147

remercie de tout mon coeur des grâces qu'il vous fait. Soyez toujours bien abandonnée à Notre Seigneur et très fidèle à mourir à vous-même, faisant usage de tous les petits événements de sa Providence, ne perdant pas un moment de temps de vous rendre uniquement à celui qui vous veut sans réserve. Vous n'aurez que ce petit mot de moi.

nu 2456 C405

A UNE RELIGIEUSE [ ler MONASTÈRE DE PARIS RUE CASSETTE ]

Octobre 1677

La Providence nous a fourni une multitude de traverses que l'on nommerait croix. Je les ai reçues fort mal, bien que par un instinct intérieur nous nous y étions préparées dès l'entrée dans la ville, faisant en l'approchant plusieurs prières, et entre autres nous dîmes plusieurs fois : O Crux ave, spes unica, etc... pour adorer toutes les contradictions que la divine Providence nous ferait rencontrer en la poursuite de notre affaire. Nous n'avons pas manqué d'en trouver abondamment ; tout le jour d'hier en fut rempli et aujourd'hui elles continuent, mais sans que je les sente comme je faisais hier. Il me semble que toutes les oppositions que l'enfer s'efforce de produire se fondront imperceptiblement. Avec une once de patience, on en fera un excellent sirop pour le mal d'estomac.

Les établissements du Saint Sacrement sont difficiles à faire. Il en coûte de bons sacrifices. Pourvu que Notre Seigneur en soit content, cela suffit. Si nous pouvions mourir en procurant sa gloire, nous en serions trop récompensées. Demandez-lui la grâce que mes péchés ne s'y opposent point.

Nous avons une extrême peine à nous loger. Je crois qu'il faudrait un porche comme Bethléem pour y loger le très Saint Sacrement, car, dans cette ville, il ne se trouve pas de maison pour le loger. Oh, que le monde est corrompu ! J'espère pourtant que, dans la suite des temps, il y sera bien honoré et que nous en aurons autant et plus de consolation que nous n'en avons reçu de tribulations et d'afflictions.

C'est une chose surprenante que la conduite de la divine Providence : quand nous avançons d'un côté, elle permet qu'il arrive des obstacles de l'autre. Dieu en soit béni éternellement ! Contradictions et humiliations sont les deux mains qui travaillent à cette fondation, et quoique les difficultés me devraient rebuter, je ne laisse pas de me sacrifier pour toutes celles que Notre Seigneur voudra ; et bien que mes insuffisances me persuadent justement que je n'en ferai plus d'autres, j'espère que Dieu tout bon amplifiera l'Institut par le travail des enfants de la maison du Saint Sacrement de Paris, pendant que je me reposerai dans le tombeau. Oui, je me dois disposer d'entrer comme indigne de vivre dans la maison du Seigneur et de profaner plus longtemps son ouvrage. Voilà où je suis réduite.

Priez la sainte Vierge qu'elle m'anéantisse entièrement et qu'elle prenne soin des intérêts de son Fils dans notre Institut. Je le vois bien flotté et bien environné de tempêtes. Si nous ne sommes toutes bien petites et abjectes, nous périrons : la seule humilité nous peut garantir du naufrage. Demandons-la instamment à Jésus Christ.

Vous pouvez voir que je vous écris en hâte, avec mille empressements d'affaires, sans pourtant m'embarrasser, car Notre Seigneur me garde toujours dans la paix et la tranquillité. Le démon a bien du pouvoir quand Dieu le laisse agir, mais je ne sens pas trop notre agonie. Ma stupidité bride mes sentiments. Je suis au milieu des tempêtes comme une bête qui se voit liée et garrottée de toutes parts, sans savoir où elle doit aller, ni où elle peut trouver quelque moyen de sortir de cette prison. C'est Jésus Christ qui nous en délivrera.

no 1914 N271

AUX NOVICES DU lei MONASTÈRE DE PARIS [ RUE CASSETTE]

28 octobre 1677

Je salue tous nos chers Enfants, le cher noviciat, en attendant que je leur puisse écrire. J'ai reçu leur chère lettre avec joie. Assurez-les que je les aime du plus tendre de mon coeur. Priez tous les saints pour nous. Ce sera le jeudi dans l'octave de leur fête que nous ferons la première exposition et le propre jour de mon entrée en religion (5). Nous ne pouvons être prêtes plus tôt.

no 1414 a) Sor.

A UNE RELIGIEUSE [ RUE CASSETTE ]

ler novembre 1677

Je n'ai point d'autre leçon intérieure que de m'abandonner toute à Dieu et d'attendre tout de sa bonté, et que nous demeurions unie à lui, mais intimement ; aussi suis-je à Rouen comme si je n'y étais pas. Je ne regarde, ce me semble, que Dieu, et n'ai personne à courtiser car j'attends tout de lui, ne faisant aucun fonds sur les créatures mais à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère uniquement. Aucune créature n'entre dans mon esprit, car j'ai une si grande retraite de tout le monde

(5) Catherine de Bar était entrée au monastère des Annonciades de Bruyères (Vosges) en novembre 1631, à l'âge de 17 ans. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 37.

148 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 149

que je ne pense à faire aucune liaison. Je ne sais comme je deviens ; les choses ne me touchent point. Si les choses se font, elles se feront ; je ne le prends pas plus chaudement. Je vis à l'abandon, et je me trouve bien, demeurant dans l'indifférence, et je suis, à mon avis, dans une si grande indépendance de toutes choses : arrivent les choses comme elles pourront. Jamais je n'ai fait de maison comme celle-ci.

Notre Seigneur entre aujourd'hui dans le petit tabernacle ; je vous prie de l'adorer pour nous. Hélas, hélas, qu'il se glorifie lui-même et attire des adorateurs ! Il n'y a que lui seul qui soit digne de lui-même ; je l'adore et me rends à sa divine bonté qui vient demeurer avec ses petites créatures.

Il n'y a point de plus grand bonheur. Un Dieu peut seul me contenter ; toutes les créatures me sont amertume et affliction d'esprit. Oh ! quel martyre de ne vivre pas uniquement pour Jésus Christ ! O précieux abandon ! Tu seras désormais les aimables délices de mon coeur ; c'est en toi que je me reposerai et que je dormirai en paix [ Ps. 4.9] in aeternum. Lisez dans le livre de vie : Jésus Christ, et vous y apprendrez les vérités éternelles.

n° 1034 N258

A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [ LOYSEAU

Rouen, fin novembre 1677

Que ne pouvez-vous, ma chère Mère, étendre votre charité sur mon âme, dont les besoins sont beaucoup plus pressants que ceux du corps ; mais je suis de cette sorte de gens dont on ne peut jamais croire la misère. Au reste nous vivons ici dans une douce et aimable solitude ; je crois que nous la conserverons au milieu de cette grande ville. Les premières pensées sur l'Institut me sont souvent renouvelées (6) : si on les observe, les bénédictions du Ciel seront grandes sur cette maison, les créatures y auront peu de part. Il faut espérer que la bonté de Dieu pourvoira à tout ; je n'attends rien que de lui. Si celles qui sont ici vivent comme Dieu le demande, j'ai une entière certitude que rien ne leur manquera et qu'elles seront des objets de complaisance et d'amour aux yeux de sa Majesté. Pour moi, il faut que je vive plus que jamais d'abandon et d'humble confiance, me tenant toujours dans la main de Dieu ; je lui abandonne de bon coeur cette maison qui n'a de soutien qu'en lui seul. S'il m'était permis d'avoir un désir, ce serait de vivre assez longtemps pour la voir dans son établissement solide.

ro 2603 P101

A LA MÊME

Rouen 1677 [ décembre ]

Nous n'avons encore rien fait : la Providence nous ballotte ici à son plaisir ; il y faut trouver le nôtre et toujours l'adorer et aimer également ses conduites. Si je parlais selon l'humain, je dirais que je perds ici mon temps ; mais il n'est pas perdu, puisque Dieu le veut ainsi ; le démon remue tant qu'il peut, mais il y a une puissance souveraine qui l'empêche de réussir. Je ne puis encore penser à mon retour : laisserons-nous l'ouvrage de Dieu en proie à ce mauvais génie, qui cherche en tout à le détruire ? Non, il n'y a pas d'apparence ; il y faut souffrir tant qu'il plaira à celui pour lequel nous y sommes venues. Je crois que c'est votre sentiment, aussi bien que celui du Révérend Père N. Allons jusqu'où il plaira au Seigneur de nous mener, et puis nous demeurerons en paix avec sa grâce et la sainte abjection qui sera toujours ma fidèle compagne.

n° 2351 P136

(6) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 128 - 144.

150 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 151

A LA MÊME

Rouen 1678 [ janvier ]

Au nom de Dieu, conservez-vous ! Toute votre occupation est de penser à ma santé et de négliger la vôtre, et ne savez-vous pas que je ne puis vivre sans vous ? Si vous aimez tant ma vie, aimez un peu plus la vôtre pour l'amour de Notre Seigneur, car ce n'est que pour lui que vous et moi voulons vivre. Hors de là, je voudrais mourir, parce que je ne puis vivre sans péché et que le péché me tue ; c'est ma grande et terrible croix en ce monde, toutes les autres ne sont que des ombres comparées à celle-là.

n°43 P101

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN [ VEILLE DU DÉPART DE MÈRE MECTILDE ]

27 février 1678

Je comprends votre peine de corps et d'esprit et la terrible peine de faire votre sacrifice, mais, mon Enfant, il le faut faire par soumission à la très sainte volonté de Dieu. C'est dans ce rencontre que vous donnerez des marques de votre fidélité et que vous préférerez son bon plaisir à toutes choses et les intérêts de sa gloire aux vôtres. Animez-vous d'une sainte générosité pour vous abandonner à lui sans réserve, mais non seulement par grandeur de courage, mais par amour et respect à Dieu. Prenez bien garde que votre sacrifice soit purement à Dieu et pour Dieu. C'est ici où il faut que votre foi agisse, qu'elle respecte l'ordre de Dieu et s'y tienne assujettie sans permettre à votre esprit un retour ni une tendresse volontaire, nous remettant en Dieu toutes les fois que le souvenir de nous voudrait, par tendresse, occuper votre pensée. Ce point vous sera difficile, mais il sera soutenu et accompagné de grâce.

Commencez d'être victime puisque vous l'êtes par l'Institut ; soyez-le non de paroles mais d'état ; ne dites point : il faut mourir, mais dites : je meurs actuellement et je donne à Dieu à tous moments tout ce que je lui peux donner. Oh ! si vous saviez les grâces qui sont renfermées dans le sacrifice que vous allez faire, vous le feriez de grand coeur et de la belle façon. Commencez le jour du départ en vous rendant à Notre Seigneur par la sainte Communion, si vous le pouvez, ou par la sainte Messe par laquelle vous entrerez en union avec lui pour faire une même chose avec lui à la gloire de son Père ; collez-vous à ses pieds et ne vous en détournez pas pour nous laisser aller. De cette manière vous me trouverez en Dieu avec vous. Quant au besoin de votre âme, il y pourvoira par des grâces secrètes, qui vous surprendront.

Vous serez étonnée de voir un soutien dont vous ne pourrez découvrir le mystère. Soyez sûre que Notre Seigneur est avec vous et qu'il demeure en vous. Tenez ferme à vous abandonner à tout ce que Dieu voudra et vous jetez à. corps perdu entre ses saintes mains. Voilà le grand secret et dans lequel j'ai trouvé des biens inestimables. Quelques rebuts que Dieu vous fasse, tenez-vous à ses pieds, ayez peu de raisonnement en sa présence, mais ayez un silence humilié, vous tenant au-dessous des démons et de l'enfer ; et si Dieu et les créatures vous abaissent, abaissez-vous encore davantage. Quand Dieu aura triomphé de votre orgueil et de votre vanité, vous verrez une possession de Dieu admirable. Hâtez-vous d'aller purement à Dieu. Si vous n'y prenez garde, le temps vous marquera, mais marchez diligemment et ne vous arrêtez pas à gémir sur les créatures ; laissez les morts ensevelir les morts, et pour vous, tendez incessamment à la terre des vivants ; laissez tout, quittez tout et `fous trouverez tout, avec un parfait repos dans votre âme. Souvenez-vous que la jeunesse est ordinairement impétueuse et croit ne voir jamais la fin, mais modérez vos ardeurs pour toutes choses, excepté pour vous rendre uniquement à Dieu.

Je vous laisse la sacrée Mère de Dieu pour votre consolation ; allez à elle confidemment ; je vous assure qu'elle est votre Mère et qu'elle vous aime comme son enfant ; vous recevrez un grand secours de sa maternelle bonté, si vous voulez avoir recours à elle, comme un enfant qui se jette entre les bras de sa bonne mère. S'il vous arrive quelque faiblesse dans la violence, ne vous troublez pas, mais, en vous humiliant doucement, confessez-vous simplement de ce que vous croyez être péché, et ne pensez pas que Dieu soit inexorable ni qu'il foudroie les pécheurs ; il est venu pour les consoler, les convertir et les sauver. Oh ! vous dites bien vrai dans votre écrit qu'il faut espérer contre toute espérance ; et moi je vous dis : abandonnez-vous à Dieu contre tous les sentiments que vous avez du contraire, et quelque tentation que vous ayez contre sa bonté, ne vous retirez pas de ses pieds ; dites-lui de bouche, si [ vous ] ne le pouvez pas de coeur, que vous voulez être à lui malgré les sentiments infernaux qui sont en vous contre lui. Il s'agit ici d'une patiente longanimité, et d'une patience divine, qui ne s'appuient qu'en Dieu seul, hors de vous-même et de toutes vos Oppositions. Je sais que cela fait crever la nature, qui veut raisonner, qui veut se plaindre et qui veut être compatie dans ses plaintes et dans ses maux, mais la grâce la pousse à se raidir contre elle-même, et à ne jamais céder lâchement à ses impressions.

J'emporte votre écrit pour voir si Notre Seigneur me donnera encore quelque chose à vous dire. Je suis à vous et j'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de vous le persuader. A Dieu, courage !

n°918 C405 et P104 bis

152 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 153

LETTRE QUE NOTRE MÈRE ÉCRIVIT A SES FILLES EN LES QUITTANT,

POUR LIRE LE LENDEMAIN DE SON DÉPART

Rouen [ 28 février 1678

Comme il y a plusieurs petites choses que je puis oublier, mes très chères Enfants, et qui sont nécessaires d'observer pour le bon règlement, je me suis résolue de vous les marquer pour vous en souvenir dans le besoin.

Premièrement, la Mère Sous-Prieure [ Marguerite Marie des Champs ] n'oubliera point de tenir le chapitre des coulpes tous les vendredis, autant que sa santé le pourra permettre. Nous lui ordonnons de se mettre à notre place au choeur et au réfectoire, et de mettre une petite table à la place de Madame de Blémur (7) pour mettre le couvert de la Mère de Dieu, qui sera servi le mieux qui se pourra : savoir une livre de pain, un potage et 3 portions et dessert qui seront honnêtes ; et lorsqu'on la servira, il ne faut pas envisager que c'est pour les pauvres, parce que vous la serviriez trop mesquinement. Mais il la faut servir comme une abbesse très illustre, la première et toujours le meilleur, comme si vous la voyiez devant vos yeux : c'est le moyen de lui rendre votre charité agréable. Je vous recommande ce point, et au souper deux portions, du dessert et une salade (8).

Je vous prie et vous conjure, mes très chères Enfants, d'aimer de tout votre coeur cette très sainte Princesse. Goûtez ses maternelles bontés et sa puissante protection ; vous expérimenterez des effets miraculeux de son coeur. Ne craignez ni les démons ni les hommes sous une si aimable conduite, et je vous prie, mes chères Enfants, de la bien prier pour moi de me protéger dans mes affaires et surtout dans la charge où je suis. Qu'il lui plaise m'obtenir miséricorde et de réparer les fautes que je fais dans l'Institut !

Vous aurez donc, chères Enfants, un soin singulier de bien faire vos devoirs en toutes vos observances avec une sainte joie d'esprit, envisageant Dieu uniquement en toutes choses. Tâchez d'établir le bien et la vertu, le silence, l'obéissance, l'humilité, la douceur, la condescendance, et surtout ne jamais contester entre vous, cédez-vous

(7) Jacqueline Bouette de Blémur en religion mère Saint Benoit, née le 8 janvier 1618, entra à cinq ans à l'abbaye bénédictine de la Trinité à Caen. Désirant depuis longtemps rejoindre Mère Mectilde et son Institut, elle obtint enfin de la retrouver à Rouen en 1678. Elle mourut rue Cassette le 24 mars 1696. Sa soeur, mère de l'Assomption, moins connue mais attachée comme elle à la spiritualité de Mère Mectilde vint à Paris, où toutes deux commencèrent, à 60 ans, un nouveau noviciat. De vieille noblesse normande, elles étaient parentes de l'évêque d'Avranches : Daniel Huet, qui fut le premier à encourager la publication des travaux littéraires de la Mère Saint Benoit. Dom Mabillon lui a consacré une lettre circulaire. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 55 n. 9.

(8) Nos monastères ont généralement conservé cette tradition. La « portion » de la Sainte Vierge est destinée aux pauvres. C'est ainsi que saint Louis Grignon de Montfort a demandé à la recevoir lors de son passage aux monastères de la rue Cassette et de Rouen.

l'une l'autre et, si quelqu'une s'oublie de dire une parole haute, celle à qui elle s'adresse ne lui doit point répondre de même mais se taire ou parler bas avec douceur. Courez à l'envi à qui sera plus fidèle à la perfection. Comme vous êtes toutes destinées à la perfection et sainteté, n'en négligez pas l'occasion. Rendez-vous aux desseins de Dieu sur vous. Portez respect à votre chère Mère Sous-Prieure ; ne la contristez point ; regardez Dieu en sa personne et ne vous occupez jamais des qualités naturelles qui se pourraient trouver en elle ou entre vous autres, quelque opposition que vous y puissiez avoir. Mais voyez tout en Dieu toujours et partout et que l'humain ne vous remplisse point. Vous n'aurez qu'à vous défendre de vous-même et des créatures et vous trouverez votre paix en Dieu. Accoutumez-vous à vous remettre en toutes choses en lui.

Vous rendrez obéissance à la Mère Sous-Prieure, afin que vous ne perdiez point la sainte habitude d'exercer cette précieuse vertu, qui nous est si considérable que l'on ne peut, sans elle, vivre dans le véritable esprit de victime qui fait l'essentiel de notre Institut. Recevez vos petits emplois de la main de Dieu ; soyez exactes à les bien observer avec une sincère humilité et simplicité, sans examiner leur grandeur ou leur éclat, mais vous persuadant que les plus humbles et les plus petits sont les plus avantageux pour vos perfections. Employez tous vos soins à bien adorer Notre Seigneur dans le sacré mystère de l'autel. Consommez-vous pour sa gloire, oubliez tous vos intérêts pour vous souvenir des siens et soyez très assurées qu'il aura un soin singulier des vôtres. Soyez persuadées de son élection sur vous et de son amour : puisqu'il vous confie son oeuvre, il l'a mise entre vos mains. Vous pouvez la sanctifier ou la profaner. Tout son progrès et sa perfection est entre vos mains ; oubliez-vous de vous-mêmes pour vous y appliquer le mieux que vous pourrez, et souvenez-vous toujours que Notre Seigneur attend de vous cette fidélité qui fera votre couronne dans la gloire. J'ose encore vous promettre de sa part que, faisant son ouvrage, il fera le vôtre. Vous le glorifierez et il vous récompensera dans l'éternité glorieuse.

Animez-vous d'une sainte ferveur et que toute votre attention soit de lui complaire. Il me reste encore bien des choses à vous dire, mes chères Enfants, mais j'y satisferai à Paris. Je ne vous dis point adieu, mes très chères Enfants, parce que je vous quitte sans vous quitter : je demeure en esprit avec vous. Une mère ne peut aimer ses enfants plus tendrement que je vous aime en Jésus Christ.

C'est en lui, par lui et pour lui que je suis sincèrement toute à vous. Vivez toutes dans une sainte paix, et que je puisse avoir la consolation de vous retrouver où je vous laisse, dans les très saints et très adorables coeurs de Jésus et de sa très sainte Mère, sans partage et sans division,

154 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 155

afin que l'on puisse dire de vous toutes : Cor timon et anima una

I. Act. 4,321, ce n'est qu'un coeur et une âme en divers corps. C'est l'effet de vos communions, si vous les faites saintement.

nu 252 C405

PREMIÈRE LETTRE APRÈS LE DÉPART DE ROUEN

DE NOTRE RÉVÉRENDE MÈRE S'EN RETOURNANT A PARIS

A Magny à 8 h. du soir, lundi 28 février 1678 Loué et adoré soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel !

Nous arrivons, mes chères Enfants, à Magny (9), grâce à Dieu très heureusement sans aucun accident. J'en rends grâce à Notre Seigneur, à sa très sainte Mère et à vos saintes prières. Je ne puis cependant vous exprimer le tendre de mon coeur : plus j'approche de Paris, plus je sens de douleur de m'éloigner de vous, et, bien que mon esprit soit resté uni au vôtre en Notre Seigneur, je ne puis cependant en retirer mes pensées. Je ressens vos agonies, mais je suis certaine que Notre Seigneur et sa sainte Mère vous soutiendront : vous êtes toutes dans le coeur du Fils et de la Mère. Je ne laisse pas de vous demander de vos chères nouvelles ; hâtez-vous de m'en donner, et soyez bien persuadées que je suis à vous du plus sincère de mon coeur.

Mes compagnes vous saluent cordialement. Adieu, les chères et plus chères Enfants de mon coeur.

C'est votre indigne Mère et fidèle servante.

no 2309 C405

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

Ce mardy à 11 h. du matin à Pontoise ter mars [ 1678 ]

Je vous écrivis hier au soir à Magny, mes très chères Enfants. Je ne sais si vous recevrez ma lettre. Celle-ci vous dira que nous sommes par la grâce de Dieu arrivées à Pontoise en bonne santé et sans aucun accident, sinon la douleur d'apprendre notre très bonne Mère [ Bernardine Gromaire ] (10) bien plus mal qu'à l'ordinaire ; c'est un coup de glaive qui me transperce le coeur. Il faut sacrifier et, si je n'étais pas partie, il le faudrait. Monsieur N. qui partira jeudi, vous portera de ses nouvelles. Tout ce que je vous puis dire c'est que je ressens jusqu'au vif votre douleur, mais, courage, Notre Seigneur vous fortifiera.

(9) Magny-en-Vexin, Val d'Oise, arr. de Pontoise, ch.-I. de cant.

(10) Née le 7 ou 8 juillet 1607, elle prend l'habit au monastère de Rambervillers en avril 1629. Elle en est la première professe. Cette maison avait été fondée le 29 mars 1629 par deux moniales de l'abbaye bénédictine de Saint-Nicolas-de-Port. Elle est prieure de 1637 à 1650, accompagne Mère Mectilde dans ses différents exodes par suite des guerres, la rejoint définitivement à Paris en 1652. Elle assurera la direction de plusieurs fondations pendant les premières années : Toul 1664, Nancy 1669, Paris second monastère 1674. On ne trouve plus mention de son nom à partir de 1692. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 50 - 67 ; 220 - 227 ; 310 - 312 et Lettres Inédites, 1976, nombreuses lettres.

Allez à ses pieds lui demander force et courage, je m'attends qu'il vous comblera de grâces.

Il me tarde de pouvoir écrire à chacune en particulier mais je ne sais quand je le pourrai, parce qu'à l'abord, chez nous, je serai un peu accablée et fort étourdie de l'état où je trouverai ma pauvre chère Mère, que la douleur étouffera, si Notre Seigneur ne la diminue. Je vous conjure de redoubler vos saintes prières pour elle, demandant un peu d'adoucissement si c'est sa gloire.

Je vous prie que Monsieur de Rabaumont aille par tous les couvents faire mes excuses et demander leurs prières. Il ne faut point oublier Mademoiselle Gougeon, lui faisant dire que je suis bien mortifiée de n'avoir point eu l'honneur de la voir avant mon départ. Il ne faut pas oublier Monsieur le Curé de Sainte-Croix-des-Pelletiers. Il faut aussi aller faire mes respects à, etc... N'oubliez pas notre chère..., etc...

A Dieu, mes très chères Enfants, mon coeur entend les gémissements des vôtres, et mon esprit est au milieu de vous.

En entrant au Bras d'Or, j'ai reçu les vôtres, ma très chère Mère, qui m'ont obligée. Je vous en remercie ; pourquoi me faites-vous excuses ? Vous avez bien fait, etc... J'embrasse toutes les chères Victimes, si douloureusement immolées.

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A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

2 mars 1678

Me voici, ma très chère Mère, auprès de notre très chère et bonne Mère que j'ai trouvée assez mal pour me donner bien de la douleur, car ce mal est opiniâtre, sans vouloir quitter sa situation, qui est d'autant plus grand que le danger y paraît pour la poitrine, le mal étant sous l'épaule, où les médecins disent qu'il y a quelque rapport. Il faut la remettre en Dieu et n'attendre que sa très sainte Volonté. J'espère que cela n'ira pas si vite. Continuez vos saintes prières, je vous en supplie ; je la vois dans une grande soumission à tout ce que Notre Seigneur en voudra ordonner. La Mère Marie de Jésus [ Chopine! ] (11) est la plus mal après elle. La Mère de Saint Benoist [ Ancelin ] (12) un

(11) Marguerite, fille de Monsieur Chopinel et d'Elisabeth de Brem, née le 25 octobre 1628, élevée au monastère de Rambervillers, dont sa mère, était devenue religieuse, après son veuvage. Elle prit l'habit en 1646, fit profession le 27 août 1647. En mars 1651, elle revint à Paris avec Mère Mectilde qu'elle ne quitta plus. Elle fut maîtresse des novices jusqu'à sa mort en 1687. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 123 n. 4.

(12) Marie, fille de Robert Ancelin, marchand, et de Sébastienne Quarré, née au faubourg Saint-Germain, paroisse de Saint-Sulpice, en 1635. Elle fut examinée en vue de la profession par Dom Benoist Coquelin, le 21 octobre 1658. Son acte de profession est signé : « Antoine Raguier de Poussé, D" en théologie de la fac. de Paris, curé de St Sulpice », le 3 novembre 1658. Raguier de Poussé était un des premiers compagnons de Monsieur Olier. (Cf. Faillon, Vie de M. Olier, t. 1, p. 399). Examen de profession : Arch. Nat. L 763.

156 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 157

peu mieux. Le reste assez traînantes et languissantes. Je vous puis protester que mon coeur ne se peut réjouir, étant trop pénétrée de votre douleur et de celle de nos chères Enfants. Je les ai toujours devant mes yeux, j'entends leurs gémissements, je les compatis et leur parle même en esprit, leur disant : « Courage, c'est Dieu qui vous crucifie, mais votre sacrifice sera couronné ; ayez patience, je ne vous laisserai pas longtemps orphelines, et cependant la sacrée Mère de Dieu vous fortifiera ». J'attends un mot de toutes pour apprendre de vos santés et de vos fidélités.

Je suis en santé parfaite, mais, mes très chères Enfants, vous n'y êtes pas et j'en suis fort en peine. Je vous conjure, mes chères Enfants, de faire votre possible pour vous conserver pour Notre Seigneur au divin Sacrement. Je vous écrirai plus amplement ; je vous embrasse toutes du plus tendre de mon coeur et suis...

ri° 2174 P104 bis

A UNE RELIGIEUSE [ DE ROUEN

4 mars 1678

Ne vous peinez point pour me marquer votre douleur, ma très chère Fille. Je la vois et la pénètre assez, mais avec ce déplaisir que je ne la puis soulager par un prompt retour. J'espère néanmoins que nous nous reverrons avant le mois d'octobre ou tôt après, car l'on convient déjà qu'il faut que je retourne et que je n'abandonne point l'oeuvre de Dieu ni vos chères personnes, ce qui me presse de vous prier toutes de relever votre courage. Nous tâcherons de vous consoler par quelque changement, mais, en attendant, au nom et pour l'amour de Notre Seigneur Jésus Christ au sacré mystère de son amour, prenez courage et tâchez d'édifier l'oeuvre de Dieu. J'ose vous assurer de sa part que, vous tenant à ses pieds, vous ne périrez pas. Vous vous souviendrez que la très Sainte Vierge est votre Mère ; portez son image sur votre coeur, afin qu'elle le soutienne et le rassure dans ces horribles terreurs que le démon vous donne pour vous abîmer dans une fâcheuse extrémité. Vous savez que ce malheureux ennemi ne tâche qu'à nous faire tomber dans quelque excès. Or la tristesse est son nid, où il joue son jeu pour nous faire périr, car la tristesse nous rend incapables de la vraie lumière, parce qu'elle nous plonge dans d'horribles ténèbres ; elle fait oublier Dieu et ses saints, et rend l'âme incapable d'aucun bien ; il faut donc la combattre et vous confesser quand vous y aurez excédé, de même quand vous vous occupez et accablez trop de mon absence. Soyez donc un peu plus généreuse pour Dieu. Vous l'êtes tant naturellement pour les créatures : ce vous serait une honte éternelle que vous ne le fussiez pas pour le moins autant pour Dieu.

Courage donc, ma chère Enfant, je salue et embrasse les chères N.N., en attendant que je leur puisse écrire. Je les prie n'être pas si faibles que vous, et la chère N., qui ne m'a point offensée par sa lettre. Je suis capable par la grâce de Dieu de ces saillies ; cela sort du fond de douleur qu'il faut tout abîmer en Dieu ; je lui écris, mais je ne sais si ma lettre sera achevée avant onze heures à cause du tracas, notre bonne Mère étant plus mal aujourd'hui et cent autres choses qui m'occupent. Je l'embrasse avec vous. A Dieu, très chère.

rr 2257 P104 bis

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET

14 mars 1678

Loué soit à jamais le très Saint Sacrement de l'autel !

Il faut au moins, très chère Fille, que je vous dise que j'ai reçu vos chères lettres qui m'ont fort consolée, quoique je ressente toujours la douleur que je vous ai faite par mon retour et que celle que la séparation m'a causée ne diminue point. Je puis vous assurer que la chère petite maison de Rouen est dans mon coeur. Je l'offre à Notre Seigneur bien tendrement, pour qu'il lui plaise la bénir et chacune en particulier. Je désire ardemment qu'il vous comble de grâces et qu'il adoucisse l'angoisse de vos chers coeurs. J'espère qu'il le fera par sa grande miséricorde. La Providence m'a donné ici l'amertume de la maladie de la chère Mère Prieure de l'Hospice [ Bernardine de la Conception Gromaire ]. Nous ne pouvons la tirer, non plus que la chère Mère Marie de Jésus [ Chopinel ] qui ne croit pas aller bien loin. Je n'ai pas manqué d'autres petits tracas et de bons sujets de sacrifice ; mais partout, chère Enfant, il faut souffrir : le ciel ne se donne qu'aux enfants de la croix. La qualité de victime est vaine si elle n'est accompagnée de souffrances. Il n'y a point de conformité à Jésus Christ si l'on n'est souffrante, pauvre et abjecte. Faisons nos félicités d'y avoir quelque petit rapport ; nos croix ne sont que des pailles, parce que nous sommes faibles, mais les croix des grandes âmes sont d'un autre poids. Dans les petites occasions, tâchons d'être fidèles. Mettez tout votre bonheur à faire ce que Dieu veut : les plus petites voies de la grâce nous seront infiniment avantageuses si nous y apportons une fidèle correspondance. Donnez-vous toute à Jésus pour votre sanctification dans son oeuvre. Etablissez entre vous toutes une parfaite paix et union. Vous êtes par votre nom un agneau ; c'est une figure de Jésus Christ qui demande de vous l'immolation et la douceur, c'est-à-dire que vous devez porter, en toutes vos actions et en tous les états de votre vie, une douceur de coeur qui n'ait jamais d'aigreur en paroles ni en aucune façon qui puisse contrister autrui. Avec cette douceur divine, vous entrerez

158 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 159

dans l'humilité de Jésus et ensuite vous deviendrez sa victime par état. Cela veut dire que vous vivrez dans une grâce d'immolation perpétuelle, ne réservant pas un mouvement de propre vie en vous. Marchez de cette sorte, ma très chère, et vous embaumerez vos chères compagnes et leur donnerez l'exemple qu'elles attendent de vous comme leur ancienne, après la chère Mère Sous-Prieure. Entrecouragezvous l'une l'autre, et priez pour votre pauvre et indigne Mère.

Je prie nos chères Enfants de ne se point offenser du retardement des réponses que je leur dois ; j'y satisferai s'il plait à Notre Seigneur. Je les salue toutes bien tendrement. Je voudrais bien un peu me dilater avec vous toutes, mais la divine Providence ne m'en donne pas le loisir.

n° 506 N 258

A UNE RELIGIEUSE [ DE ROUEN ]

15 mars 1678

En attendant, ma chère Enfant, que je puisse répondre amplement à vos deux chères lettres, adressez-vous pour vos besoins intérieurs à la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] puisque la Mère N. ne vous peut seconder dans votre perfection. Allez tout bonnement à votre chère Sous-Prieure, et avec une confiance toute filiale ; vous en recevrez du secours. Dieu bénira votre soumission. Dites-lui tout simplement ce qui vous peut faire de la peine sur tous les sujets que vous savez, soit autrement. Cela n'empêchera pas que je ne vous écrive et je ne vous dise le sentiment que Notre Seigneur me donnera pour votre sanctification. Relevez votre coeur et ne vivez point dans votre propre esprit, vous y feriez naufrage.

Soyez sûre que je me souviendrai de vous et que je suis à vous en Jésus de tout le coeur.

no 380 Sor.

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET

20 mars 1678

Comment, très chère Enfant, excuserez-vous le retardement de la présente qui ne procède point, je vous assure, d'aucun oubli de ma très chère Fille ni de moins d'affection qu'elle doit espérer de sa méchante mère ? Je la prie donc de me pardonner et de me croire toute à elle du plus tendre de mon coeur. Je sais que vous sacrifiez, chère Enfant, au-delà de tout ce qui se peut dire, mais j'ose bien vous assurer que ce sacrifice vous sera apprécié devant Dieu d'un très haut prix, et peut-être en votre vie n'avez-vous rien donné à Dieu qui vous soit plus avantageux pour votre bienheureuse éternité. De ma part, je me tiens obligée à votre zèle pour la gloire de Notre Seigneur et à tout ce que vous faites pour lui dans son oeuvre, qui deviendra un jour florissante devant Dieu et les hommes. Mais ce ne sera jamais avec abondance divine que par vos profonds anéantissements devant cette Majesté suprême. Je vous conjure de vous revêtir de ses intérêts et de lui abandonner les vôtres ; vous verrez le soin amoureux qu'il en prendra. Je suis plus que jamais toute à vous en son amour.

Vous aurez appris hier par celle que j'écrivis à la Mère Sous-Prieure comme je me suis trouvée mal, mais, grâces à Dieu, je suis bien mieux aujourd'hui. Voilà qui est passé ; je crois que j'en aurai souvent de pareilles avant que le grand coup n'arrive. C'est pourquoi, quand vous apprendrez que je suis un peu mal, ne vous alarmez point. Je ne crois pas que Notre Seigneur me retire que mes affaires ne soient achevées ou, pour mieux dire, les affaires que sa divine Providence m'a confiées. Priez-le bien pour moi, très chère Enfant, que je puisse être toute à lui avant que je meure. J'ai vu à l'Hospice vos deux chères soeurs [ Antoinette du Saint Sacrement et Gertrude de Sainte Opportune ] ; j'ai tâché de les consoler de mon mieux, quoique j'en sois indigne ; je voudrais les tenir près de moi quelque temps et, si l'Hospice se défait, comme il y a bien de l'apparence, je tâcherai de les servir. Sans doute vous savez comme Madame N. est morte fort subitement d'une mauvaise couche ; c'est tout ce que l'on a pu faire de la confesser ; l'enfant n'a point été baptisé : il était bleu comme du drap ; le sang l'a suffoqué, un vaisseau s'étant rompu dans le corps de la mère. Voilà bien de l'affliction. Il n'y a pas de lieu de prendre de l'appui ni de la joie en cette vie : tout y périt. Cherchons-la en Dieu, et nos consolations ; elle n'est solide qu'en lui seul. Adieu ; je vais dire bonjour au cher ange [ Mère Monique des Anges de Beauvais 1, si je puis, et, si je manque aujourd'hui, je vous prie de lui dire que je n'y manquerai point cette semaine. Embrassez pour moi vos chères compagnes ; je vous regarde comme les chères Enfants de mon coeur. Je n'ai plus de joie que par vos lettres et les nouvelles de toutes et surtout de votre sainte union, qui me réjouit d'autant plus qu'elle me certifie que Notre Seigneur et sa très sainte Mère sont les maîtres de vos coeurs et qu'il est actuellement avec vous toutes. Dites à la chère Aimée de Saint Joseph [ Rondet ] que je ne l'oublie pas. Notre bonne Mère n'est pas bien ; il faut tout sacrifier. J'embrasse la chère Mère N.

n°271 C405 \\\' 111/e/,

160 CATHERINU 1)1' BAR FONDATION DE ROUEN 161

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [DE BEAUVAIS J

Samedi Saint, 9 avril 1678

Je prie Notre Seigneur Jésus Christ vous ressusciter en son amour et vous faire vivre de sa vie nouvelle en parfaite charité. Que lui seul vous soit toutes choses et que vous ne voyiez rien hors de lui ! Je ne puis vous exprimer le sensible déplaisir de n'avoir pu jusqu'à présent vous donner des marques de mon souvenir et de la place que vous tenez dans mon coeur. Je m'en serais même affligée si je n'avais été, devant Notre Seigneur, assurée que vous étiez en repos et que vous tâchiez de sacrifier pour remplir le dessein de Dieu en vous sanctifiant pour la sainteté qu'il a mise dans son oeuvre. Je vous conjure, chère Enfant, d'être toujours bien courageuse et de ne point manquer à la fidélité que vous devez à Notre Seigneur. N'épargnez rien pour devenir humble ; portez ses exemples et ses paroles dans votre coeur, et ne souffrez en vous que les purs désirs de contenter Dieu et de vous entre-aimer en son esprit les unes les autres ; et par cette divine charité l'on connaîtra que vous êtes les Filles et les véritables victimes de Jésus tout amour.

Ne vous rebutez point de mon silence et du retardement des réponses que je vous dois ; ne laissez pas de me consoler de vos chères lettres. Hélas ! c'est ma seule joie, car vous savez que vous m'êtes toutes parfaitement chères et que je ne puis vous oublier, quelque tracas que la Providence m'ait donné depuis mon retour. J'attendais quelque chose de ce que j'ai trouvé, mais il faut avouer que Notre Seigneur a tellement soutenu toutes choses, quoiqu'un peu amer. tout se consommera en son amour (sic). Priez-le qu'il me fasse la miséricorde de ne le point offenser. Si je suivais mon intime et mon inclination, je serais dans deux fois vingt-quatre heures auprès de vous, mais, mes chères Enfants, j'y ai trop de repos. 11 ne faut pas que je passe le reste de ma vie si à mon aise. Il faut commencer ma pénitence comme il plaira à Dieu, mais en quelque état qu'il lui plaise de me mettre, je serai toujours très sincèrement toute à vous et à toutes vos chères compagnes, que j'embrasse tendrement en attendant... Hélas ! j'aimerais mieux être auprès de vous toutes si Notre Seigneur le voulait que de vous écrire.

no 1321 N256 AU SACRISTAIN DE ROUEN

Du 5 mai 1678

J'ai reçu, Monsieur, celle que vous avez pris la peine de m'écrire, dont je vous suis obligée, et vous assure que je vous servirai de tout mon mieux. Si vous voulez m'envoyer les attestations que Monsieur N. vous offre, cela ne vous nuira pas. Si Monsieur l'évêque du Mans [ Louis de la Vergne de Monténard de Tressan, 1671-17121 était à Paris, je n'aurais besoin de personne, parce qu'il a bien de la bonté pour moi ; mais envoyez-moi votre nom, et ce que vous devez représenter à mon dit seigneur, et j'agirai pour vous comme pour moi-même et vous donnerai dans la suite des marques de l'affection que Notre Seigneur m'a donnée pour votre établissement. Etant ravie de voir les désirs très sincères qu'il vous donne de vous consacrer tout à lui, j'aurai bien de la joie que vous soyez un de ses saints ministres, et que vous preniez le temps que vous avez besoin pour vous y disposer. L'on ne peut jamais assez se préparer pour recevoir un caractère si divin. Je prie donc Jésus Christ de vous rendre digne d'être un saint ministre de son autel et une parfaite victime de son amour, puisque le prêtre et le Fils de Dieu ne doivent être qu'une même chose. Continuez votre zèle et votre amour pour l'autel : vous me ferez un singulier plaisir. Souvenez-vous de moi en vos saintes prières, et me croyez en Jésus et sa très sainte Mère, votre...

no 747a) Z4

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS

6 mai 1678

Je suis bien aise, ma chère Enfant, que vous ayez dit votre coulpe des choses que vous me marquez dans la vôtre du 29 du mois passé : car, comme vous êtes dans une Maison naissante, si l'on n'y prend garde de bien près, l'on y glisserait des imperfections qui, dans la suite, seraient des fautes considérables. Les Constitutions règlent quasi tout : et l'on doit s'adresser directement à la Supérieure pour toutes les Soeurs que l'on demande ou à qui l'on fait quelque message, à moins que la Supérieure ne dise d'aller directement à la Mère Maîtresse. A Paris, où la Communauté est plus grande et moi plus chargée d'affaires, je suis obligée de dire à la tourière qu'elle s'adresse à la Mère Maîtresse ; mais, à moins que la Supérieure n'en donne

162 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 163

l'ordre, il faut aller à elle directement pour toutes choses. Ainsi, mon Enfant, allez pour toutes à votre Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ], afin que l'esprit de dépendance et de soumission s'établisse parfaitement chez vous, je veux dire dans le monastère.

Vous avez bien fait de prier la Mère Sous-Prieure de vous avertir des fautes qu'elle connaîtra en vous ; de fois à autre je vous conseille de lui demander cette grâce : c'est autant d'humilité et de fidélité pour vous ; quoiqu'elle ne fasse pas ce que vous lui avez demandé, vous en aurez patience ; il faut que vous ayez encore l'abjection de voir que peut-être elle ne croit pas que ses avertissements vous soient agréables. Courage ! nonobstant tout cela, tenez ferme, de crainte que le démon ne vous fasse entrer en tentation ; car il faut bien vous attendre à rencontrer des traverses et des épines dans votre chemin ; mais ne les considérez que pour les offrir à Notre Seigneur, et les surmonter généreusement. Tenez-vous bien unie au bon plaisir de Dieu, et offrez-lui les privations que vous souffrez au-dedans et au-dehors de vous-même : vous êtes dans les exercices d'une vraie victime, qui n'a pas où satisfaire son amour-propre. Il est vrai que vous souffrez, et je vous plains, mais vous aurez le centuple et l'avantage de travailler uniquement pour la pure gloire de Notre Seigneur.

Encouragez-vous les unes les autres, pour soutenir les intérêts de Dieu et établir la sainteté dans la Maison. Vous êtes les élues de son coeur pour la perfection de son oeuvre ; il faut être fidèles, pour lui rendre ce qu'il veut et mourir à la peine. Je conçois ce que vous m'écrivez, mais, patience ! Faites de votre mieux ; il y a de quoi souffrir partout. Je suis ravie que la cordialité se maintienne entre vous.

Je tâcherai d'écrire à ma Soeur N., mais je la prie de remettre son âme dans la fidélité ; elle ne fera jamais bien en elle-même, si elle n'est toute à Jésus Christ ; vous lui dites la vérité : elle est trop resserrée. Pourquoi feindre, puisque je lui serai comme à vous parfaitement fidèle ? Ne m'oubliez pas. Vous avez appris la mort de notre chère Soeur de la Mère de Dieu [ Bony ] (13) qui nous a un peu embarrassées.

Adieu, ma chère Enfant ; embrassez toute la Communauté pour moi, sans oublier la pauvre Aimée de Saint Joseph [ Rondet ]. Mille adieux !

no 1444 P132

(13) Marie-Madeleine, née à Paris, baptisée en la paroisse Saint-Sulpice, était fille de Nicolas Bony et d'Anne Boutain. Elle reçut l'habit au monastère de la rue Cassette, le 5 avril 1666, à l'âge de 32 ans, compta au nombre des fondatrices du monastère de Toul, où elle fit profession, le 7 mai 1667. Soeur Marie-Madeleine de la Mère de Dieu revint à Paris en novembre 1674 avec les religieuses de Toul qui fondèrent le second monastère de Paris. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, p. 330 n. 2.

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET

12 mai 1678

Je prends les moments que je puis pour faire une petite réponse à celle que vous avez pris la peine de m'écrire, sur laquelle je vous disais que vous pouviez, pour vous préparer aux grandes solennités que nous approchons, faire etc... Je vous donne peu parce que vous vous fatiguez beaucoup pour le chant, étant seule à soutenir, et que d'ailleurs la sainte Règle est austère ; mais ce que vous ferez de surcroît et qui est d'obligation indispensable, c'est de mourir à vous-même, à vos petites humeurs et à votre activité naturelle, qui peut quelquefois diminuer la paix de votre intérieur et vous rendre inégale. Il faut toujours que l'intérieur marche, car, quand l'extérieur est empêché par infirmité ou par obéissance, l'intérieur suit toujours sa route et ne se relâche point. Tenez ferme sur ce sujet, afin que vous acquériez la douceur de votre sainte patronne et en même temps la force de vaincre vos sentiments, vos passions et tout le reste qui s'élève en vous contre la sainteté de votre état de victime ; soyez généreuse sur ce sujet. Je vous ai mise dans le coeur de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère en partant, et Notre Seigneur et sa sainte Mère vous y ont reçue. Gardez-vous bien de sortir, vous le feriez si vous étiez infidèle. Conservez votre intérieur qu'il ne s'emplisse que de Jésus Christ et que votre esprit ne soit curieux d'aucune chose, pour petite qu'elle soit, quand l'ordre de Dieu ne vous y oblige pas par obéissance ; séparez-vous toujours de toutes les choses qui peuvent servir de distraction à votre esprit et qui ne sont point de commandement. Soyez cependant toujours contente et joyeuse, parce que votre souverain bonheur étant la possession de Dieu, nul ne vous la peut empêcher que vous-même.

no 1299 N258

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

14 mai 1678

Je comprends l'extrême peine où la tentation vous jette, ma très chère Fille, mais, quelques dégoûts, quelques chagrins ou sécheresses que vous puissiez avoir, ne vous relâchez en rien de vos obligations ; soulagez votre corps dans les infirmités, c'est l'ordre de Dieu et de l'obéissance, mais ne permettez point à votre esprit de se reposer dans l'imperfection. Quelquefois l'état ténébreux et malin que vous

164 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 165

ressentez vient d'une épreuve de Dieu, d'autres fois il vient pour humilier l'âme qui s'oublie de la connaissance d'elle-même. et quelquefois Notre Seigneur l'envoie par une espèce de châtiment de quelques infidélités à la grâce. C'est pourquoi, ma très chère, de quelque côté qu'il puisse venir, il en faut faire un saint usage par une sincère humilité, avouant notre indignité et misère. Si c'est par conduite particulière, il faut en s'humiliant profondément s'abandonner aux desseins de la sagesse divine. La connaissance de nous-même nous est si avantageuse que j'ose dire qu'on ne se peut sauver sans elle ; et si vous avez commis quelques infidélités, sans la trop rechercher, souffrez la pénitence qu'il plaît â Dieu vous en faire porter, vous résignant, vous abaissant et vous pacifiant par une nouvelle pratique de fidélité. Prenez bien garde de faire aucune adhérence à mille impertinentes pensées qui viennent dans l'esprit, qui vous tirent imperceptiblement dans le désespoir, dans la défiance, dans une froideur pour Dieu, dans une espèce d'impuissance de recourir à sa bonté, ou d'autres malignités pareilles qui retirent l'âme de l'amour qu'elle doit avoir pour Jésus Christ. Or, mon Enfant, n'en faites pas de même ; soyez la plus misérable du monde, mais soyez la plus sacrifiée et la plus abandonnée à Dieu, sans désister un moment d'être à lui. En quelque état que vous puissiez être, la patience, l'humilité et la soumission au plaisir de Dieu vous tireront de votre langueur. Courage ! ne vous relâchez pas, quoi qu'il puisse arriver. Mille adieux.

n°916 N256

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [CHEURET]

20 mai 1678

J'ai reçu votre lettre de je ne sais quand, car vous oubliez les dates et cela me fait peine ; mais ne craignez point, tout est bien reçu et dans un coeur très fidèle ; c'est ce dont je vous puis assurer, en attendant que Notre Seigneur me donne les moyens de faire ce que je désire pour votre consolation. Continuez de m'écrire, et soyez très persuadée que vous ne m'êtes nullement à charge par vos lettres ; au contraire, elles me réjouissent. Je vous prie de dire à ma chère Soeur N. que j'ai reçu les siennes, et qu'elle peut m'écrire quand elle voudra, sans rien craindre. Je vous exhorte toutes de bien faire ce que vous devez pour ne vous point relâcher de la sainte pratique des vertus, surtout de l'humilité et obéissance. Je ne vous oblige pas de dire votre intérieur, mais tâchez de ne rien faire d'extérieur sans permission ou du moins sans en avertir ; ainsi pour la communion, je ne vous oblige pas de dire ce qui vous empêche de communier, mais vous pouvez dire : « Ma Mère, ayez la bonté de m'excuser de la communion aujourd'hui, je ne la puis faire » ; cela suffit, je ne vous oblige pas d'en dire davantage. Pour ce qui est de la chère Soeur N., je voudrais bien qu'elle fût persuadée que l'on ne m'a rien mandé d'elle, mais que je regarde devant Notre Seigneur les besoins de toutes, et notamment de vous, mes chères Enfants, qui êtes présentement les colonnes et le soutien de l'oeuvre de Dieu. Prenez bon courage, et faites tout de votre mieux.

A l NE RELIGIEUSE

24 mai 1678

Je puis vous assurer, ma chère Fille, que vous ne m'êtes nullement indifférente et que je pense à vous fort souvent, mais mon déplaisir est de ne vous le pouvoir marquer par mes lettres aussi souvent que je le désirerais. Ne vous mettez point en peine de parler à N. : tout ce que vous lui direz n'y fera pas grand changement. Il est bon que la chère Mère Maîtresse [ Thérèse du Tiercent ] en écrive à votre Mère Maîtresse d'ici [ Marie de Jésus Chopinel ]. Pour vous, très chère, tendez de tout votre coeur à la perfection et que rien ne vous retarde d'être toute à Dieu ; c'est tout votre ouvrage. Tâchez de conserver une sainte soumission et humble dépendance de l'obéissance : j'appréhenderais qu'imperceptiblement vous ne repreniez votre liberté. Vous l'avez sacrifiée à Notre Seigneur ; soyez-lui bien fidèle c'est ce qui fera la joie et la consolation de votre âme. Nous espérons de vous trouver à notre retour à Rouen toute remise en Dieu. Travaillez-y, chère Enfant. Pour les pénitences que vous nous demandez, nous vous les permettons, savoir etc... mais, pour les communions de l'octave du très Saint Sacrement, vous les ferez le plus souvent que vous pourrez ; mais tâchez toujours de les rendre fructueuses et jamais vides de fidélités et de mort à vous-même, travaillant à vous tenir recueillie pendant le jour, afin que votre oraison en soit plus remplie de saintes pensées et occupation de Dieu. Ne négligez point les lectures spirituelles. Nourrissez votre esprit de choses saintes et ne m'oubliez-pas en vos saintes prières. Ecrivez à Monsieur votre père, qui se plaint fort avec raison de votre silence. A Dieu, chère Enfant, croyez-moi en son amour toute à vous.

no 1330 C405

n°822 P104 bis 4ar

166 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 167

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT (CHEURET]

10 juin 1678

Chère Enfant, je ne puis vous exprimer la tendresse de mon coeur, et la peine où je suis de votre bras. Si c'est le droit, vous ne pourrez m'écrire ; et cependant j'ai besoin que vous me mandiez de vos chères nouvelles, pour ma consolation et pour savoir vos sentiments sur M. R. Je vous conjure, si vous le pouvez, mandez-moi en particulier ce que j'en dois faire, car s'il incommode, je le ferai venir pour Châtillon (14), qui se doit bientôt commencer. Je crois que vous me direz toutes choses comme à un autre vous-même, n'ayant nulle défiance de ma fidélité. Mandez-moi aussi un peu des nouvelles de votre âme, comme elle se trouve avec Dieu, et du reste ; vous obligerez votre pauvre Mère, qui vous commande d'avoir soin de votre santé et de vous persuader que je suis toute à vous.

Je salue vos chères Compagnes ; je suis en esprit avec vous ; je crains bien que vous ne succombiez ce saint octave dans le grand travail où je vous vois. Dieu soit votre force et vous conserve toutes pour le bien aimer et vous consommer pour lui ! Je vous écrirai plus amplement au premier moment de loisir. A Dieu, priez-le bien pour l'Institut en ce saint temps.

no 1139 P104 bis

A SA CHÈRE PETITE COMMUNAUTÉ DE ROUEN

18 juin 1678

Je vous envoie toujours par avance la lettre que j'ai écrite à M. de Fieux. J'espérais bien écrire à d'autres, mais il faut m'accoutumer au renversement de mes projets. Seulement je vous dirai, mes chères Enfants, que j'ai bien pris part à vos fatigues de toute la sainte octave. Je les aurais bien voulu attirer dans mon coeur pour un peu vous en soulager. Tâchez maintenant de reprendre un peu de repos et que la chère Soeur N. mange de la viande, et toutes celles que la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] jugera en avoir besoin. J'espérais que vous auriez le secours d'une bonne fille qui devait aller chez vous, mais cela est retardé jusqu'à huit ou dix jours ; vous verrez ce que ce sera et si sa voix est raisonnable comme l'on dit. Pour celle de Madame de Saint-Louis, dont la chère Mère Sous-Prieure a pris la peine de m'écrire, je veux bien qu'on la reçoive, mais avec prudence, prenant bien garde de vous faire des affaires avec Madame de Saint-Louis. Il faudrait que M. Bernard (15) vous en priât ou qu'il assurât que Madame de Saint-Louis le trouve bon. Prenez bien garde aux esprits sur toutes choses ; ceux qui sont mal faits servent de grandes croix à la religion, nous le savons trop par expérience. Tâchez d'éviter tels accidents si vous le pouvez ; recommandez bien le tout à Notre Seigneur, premier que de conclure quoi que ce soit ; et surtout, mes Enfants, aimez la petitesse ; souvenez-vous des anéantissements de notre adorable hostie ; voyez votre modèle en tous les saints états de Jésus Christ dans ce divin mystère ; conservez un esprit d'éloignement du monde et de ses maximes et, vous tenant toutes unies au Dieu fait victime. vous trouverez en lui toutes les grâces et les forces que vous aurez besoin ; et si Notre Seigneur retarde d'avancer son oeuvre, vous vous souviendrez qu'étant son ouvrage il le fait et le parfait comme il lui plaît.

Peu d'âmes sont destinées pour notre Institut, parce qu'il est trop anéantissant ; on ne le peut connaître pour en avoir l'excellence. Abandonnons tout à sa Providence divine et nous reposons en lui ; il en usera en maître et selon son bon plaisir, et vous récompensera du sacrifice que vous faites en vous appliquant à sa gloire dans ce petit commencement. Réjouissez-vous en Notre Seigneur toutes ensemble. S'il lui plaisait me mettre avec vous, certes, mes chères Enfants, j'en aurais bien de la joie, car Dieu sait comme je vous aime toutes sans aucune exception. Je crois que vous n'en doutez pas.

(15) Il y avait un M. Bernard, prédicateur et confesseur, vicaire de Saint-Vigor : 4 août 1677-1682 puis curé de Saint-Vivien. Cf. Ch. de Beaurepaire. Dernier recueil des notes historiques et archéologiques Rouen, 1892, p. 164.

168 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 169

Ayez soin de votre chère Mère Sous-Prieure ; entre-soulagez-vous toutes. La chère Mère Maîtresse [ Françoise de Sainte Thérèse Ruellan du Tiercent n'est-elle pas indisposée ? Je lui demande en l'embrassant un peu de ses nouvelles.

Adieu toutes, mes chères Enfants ; je suis en son amour votre pauvre indigne. Je vous recommande bien instamment notre bonne chère Mère Prieure de l'Hospice [ Bernardine Gromaire ], qui est bien plus mal que son ordinaire ; elle change à vue d'oeil ; elle ne croit pas passer son année 71 qui finit le 7 ou 8 du mois prochain ; j'en ai le coeur fort pénétré de douleur. Je vous écrirai plus amplement. Je . vous embrasse toutes du plus tendre de mon coeur et suis sincèrement toute à vous.

n° 1731 C405

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET]

et si vous êtes faible, ne vous rebutez point ; vous serez un jour foute à lui, j'en veux être caution. Croyez-moi seulement toute à vous, ma très chère.

J'embrasse toutes vos chères Compagnes. Avec la dernière douleur de l'indisposition de notre chère Nativité (16), je vous prie de me mander sa maladie et l'assurer que j'en suis fort touchée.

Je vous prie de me mander aussi ce que vous espérez de la Soeur de M. pour sa voix et son orgue ; si vous voulez, je vous chercherai quelque voix pour vous soulager ; je suis bien en peine de vous voir sans secours ; mandez-moi ce que je puis faire pour votre soulagement et pour l'établissement du choeur, qui est le principal culte extérieur que nous devons au très Saint Sacrement.

no 1421 N258

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

11 août 1678

Je sens, très chère Enfant, que votre pauvre petit coeur est un peu mal content de votre pauvre Mère. Il est vrai vous en avez sujet par le retardement des réponses que je vous dois ; mais je puis bien vous assurer que je ne l'ai fait que pour avoir un peu plus de loisir pour m'appliquer plus intimement au besoin de votre intérieur, parce que vous m'en aviez si instamment priée. Cependant, Notre Seigneur a permis que mes embarras se soient si fort augmentés que je n'ai plus trouvé le repos que j'espérais ; mais je ne vous ai pas oubliée pour cela. Je souffrais dans mon coeur de la peine que je vous faisais, car je la ressentais en moi-même jusqu'au point que je vous en crois dans quelque abattement qui me fait douleur. Relevez-vous, chère Enfant, et portez vos pensées dans l'amour que Notre Seigneur a pour vous, afin que vous trouviez de la vie et de la vigueur en lui. Défendez-vous de cette petite tristesse qui serait de mauvais effet dans votre âme, et vous réjouissez d'être toute à Jésus Christ. Je vous renverrai au premier jour votre supplique à la très Sainte Vierge, et je vous prie, chère Enfant, de croire que vous n'aurez les grâces que vous lui demandez qu'en travaillant à les acquérir. La mort de nous-même, le saint anéantissement ne s'opèrent qu'à grands coups de marteau, je veux dire que dans les actes héroïques de la vertu et de l'abnégation de nous-même. Ne vous désolez point, vous êtes dans le chemin, et Notre Seigneur vous fait beaucoup de grâces ; recevez-les bien. Vous voyez ce qu'il faut faire, mais vous n'avez pas assez de force quelquefois pour le faire, et c'est dans ce temps que vous devez avoir recours à la force de Jésus Christ pour vous en revêtir. Je vous prie, chère Enfant, de vous défendre du découragement : rien au monde n'est plus contraire à la perfection. Souvenez-vous toujours que vous êtes victime et que l'état de Notre Seigneur Jésus Christ au divin Sacrement est votre exemplaire ; 12 août 1678

Je ne doute pas, ma très chère Fille, que la violence de votre peine ne vous ait réduite en l'état où j'apprends que vous êtes. J'en suis si touchée que je voudrais pouvoir me rendre auprès de vous aussi promptement que la présente. Il ne faut pas tant vous saigner que de vous donner, si vous n'avez point de fièvre, de la bonne nourriture, votre mal étant un grand épuisement ; car, ayant toujours poussé la nature, elle y demeure, mais il la faut soulager pour l'amour de Notre Seigneur ; voyez ce qui vous peut fortifier, et surtout prenez du repos. J'appréhende bien que vous succombiez tout à fait et qu'avec vos douleurs la tristesse ne vous blesse encore davantage. Je vous conjure de prendre courage, en vous souvenant que vous êtes victime non seulement de nom, mais que vous l'êtes d'effet, par la conduite de l'adorable Providence. Abandonnez-vous bien simplement à Notre Seigneur et vous gardez bien d'adhérer à la moindre défiance de ses divines miséricordes. Vous les ressentirez quand vous aurez consommé la pénitence qu'il vous fait faire selon ses desseins. Je dis que vous la ressentirez sensiblement et que vous direz de bon coeur avec sainte Thérèse : Misericordias Domini in aeternum cantabo. Oui, vous les chanterez pendant toute l'éternité. Prenez encore un peu de patience et, si la croix est le trésor des saints sur la terre, il faut qu'elle soit le vôtre, et que vous adhériez de la porter tant qu'il plaira à celui qui vous la donne. Que votre dessein soit seulement de vous tenir en esprit d'immolation et sans perdre l'espérance, quoiqu'elle ne soit appuyée sur aucun bien en vous, mais elle le doit être sur Jésus Christ,

(16) Anne Bertout (Soeur Anne de la Nativité de Jésus) prit l'habit en avril 1672, au monastère de la rue Cassette, à l'âge de 17 ans, et fit profession en février 1673.

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qui est le divin supplément de tout ce qui vous manque. Faites-moi donner de vos nouvelles, très chère, et me croyez en esprit près de vous et toute à vous.

Je salue toute la petite compagnie ; j'admire les ouvrages que vous faites ; cela est surprenant que quatre ou cinq puissent faire tant de besogne avec l'adoration. Je vous embrasse toutes, mes chères Enfants, et vous conjure de prendre courage. Mademoiselle N. est partie pour retourner chez elle, se sentant mal ; je doute si elle pourra revenir en mars, comme elle fait espérer. Je vous fournirai de bon coeur toutes les choses dont vous aurez besoin pour achever, soit or et argent. On s'étonne céans comme vous pouvez faire, mais c'est que vous avez toutes bien du zèle pour le très Saint Sacrement, et du coeur pour bien orner son autel. Il vous en récompensera abondamment ; prenez garde cependant de vous trop fatiguer.

n°1068 P104 bis

A LA MÈRE FRANÇOISE DE SAINTE THÉRÈSE [ DU TIERCENT ]

Maîtresse des novices

20 [ ou 28 août 1678

J'avais prié la Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] de vous assurer que j'avais reçu toutes vos chères lettres. Soyez en repos ; vous pouvez continuer, quoique je ne puisse répondre exactement. Je le ferai pourtant la semaine prochaine, s'il plaît à Dieu. Croyez-moi inviolablement toute à vous et prenez courage pour l'amour de celui que l'amour rend tous les jours victime sur nos autels. Soyez toujours dans la sainte et cordiale union avec votre chère Mère Sous-Prieure, afin que l'esprit de Jésus règne en tout et partout. Adieu, je ne puis [ vous faire ] que ce mot. Embrassez cordialement nos chères Enfants pour moi. J'ai bien du désir d'être vitement avec vous, car céans il n'y a pas de jour qui n'ait son surcroît et l'on n'y peut subvenir. Ne m'oubliez pas, j'ai besoin de vos prières.

no 893 C405

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET ]

15 septembre 1678

Vous m'avez bien obligée, ma très chère Fille, de me faire savoir les indispositions de toutes les chères victimes. Ne. vous retirez pas du nombre par votre grand courage. Je vous crois souffrante, pour le moins autant que les autres et plus, mais il faut voir comme l'on

pourra vous soulager. Quant au jeûne (16 bis), je ne crois pas, devant Dieu, que vous en soyez capable. C'est beaucoup pour vous de faire l'abstinence. Si vous étiez ici, vous ne la feriez pas. Soulagez-vous donc de tout votre possible. J'en écris mes petits sentiments à la Mère Sous-Prieure [Madeleine des Champs ] sans lui faire connaître que vous m'ayez rien écrit. Ne doutez jamais de ma fidélité. Je me trahirais plutôt mille fois moi-même que de trahir ceux qui se confient en moi.

Je puis vous dire que je sens mon éloignement plus que vous ne pouvez vous imaginer. Je conçois bien ce que vous me dites de l'oeuvre de Dieu et je souffre doublement de ne la pouvoir avancer. J'espère néanmoins qu'elle ne sera pas retardée si longtemps que vous pensez, car sitôt que j'aurai quelqu'assurance certaine de toucher ce que j'ai besoin, je n'attendrai pas que je l'aie entre les mains pour partir. Prenez courage, nous nous réunirons en paix et en la joie du Seigneur. Souvenez-vous que vous êtes les premières victimes dans son oeuvre et que tout le faix tombe sur vous et sur vos chères compagnes. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fortifie toutes et vous environne de ses grâces, en vous pénétrant de son pur amour. Continuez vos saintes prières et ne vous accablez pas de me voir un peu souffrir. Mes peines me seraient bien agréables si vous et d'autres n'en ressentiez le poids. Je souffre par justice ; ce sont mes infidélités qui en sont la cause et qui retardent la gloire de Dieu et la perfection de son oeuvre. Ce n'est pas pour moi un petit sacrifice que de la voir si peu avancer, mais il se faut abandonner et mourir dans les rigueurs de tels sacrifices que Dieu voudra exiger de nous. Son oeuvre n'est point la nôtre ; c'est pourquoi il nous y faut toutes anéantir, car, de votre part, vous sacrifiez et en portez aussi bien que moi la peine. Cependant, nous y devons mourir et nous y anéantir. C'est peut-être le seul ouvrage qu'il veut de nous. Ne négligeons pas néanmoins tout le reste qui s'y doit faire, laissant à Dieu tout le succès.

Je savais devant que de le faire ce que vous voyez à présent, et ce n'a pas été un petit sacrifice de donner les mains à un ouvrage qui serait conduit de la sorte. Vous savez que la créature aime de soi tout ce qui est bien fait et qui est approuvé d'autrui, et cette oeuvre ne s'est faite que pour la destruction de notre amour-propre, car bien que, un jour, elle soit dans son lustre et son éclat, peut-être ne le verrai-je pas. Les secrets de Dieu sont adorables et ses conduites pleines de mystères. Ce serait bien si nous étions toutes bien anéanties ; tout se ferait dans l'oeuvre d'une manière toute divine. Les anges la rempliraient et amèneraient des sujets qui leur seraient semblables. Je ne

(16 bis) Le carême monastique commence le 14 septembre selon la Règle de Saint Benoit. Il est moins rigoureux que le jeûne du carême liturgique. L'Institut avait adopté la réforme bénédictine qui, pour obéir à la Règle, avait repris l'abstinence perpétuelle primitive, laissant au jugement paternel de l'Abbé les dérogations personnelles ou communautaires nécessaires.

172 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 173

désire point l'éclat ni l'applaudissement des hommes, mais je désire la sanctification de cet ouvrage qui, seul, devrait donner plus de gloire à Dieu que tous les autres ensemble.

A Dieu, chère Enfant, je dilate mon coeur avec vous. Aimez et adorez pour moi et me croyez toute à vous. La Mère de Sainte Gertrude [ Petau de Molette ] m'a fait peur, mais, Dieu merci, elle est mieux. Le pauvre Père Simplicien a payé pour elle et pour d'autres. Mademoiselle notre voisine est morte et bien d'autres, car la mort est en campagne, qui fait une grande moisson. Demandez à Notre Seigneur miséricorde pour moi et embrassez vos chères Soeurs pour moi. Ma chère Soeur N. vous dira comme l'on doit mettre la première pierre à l'église. Dieu sait qui mettra la dernière. La petite N. est malade ; nous craignons la petite vérole. Jugez, si elle allait mourir, où nous en serions. Mais qui a Dieu n'est pas dans l'inquiétude du reste.

n.3076 P104 bis

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET

16 septembre 1678

Vous pouvez croire, ma très chère Fille, que ce m'est une sensible mortification d'être si longtemps sans vous donner des marques de mon souvenir et vous assurer que je reçois vos chères lettres avec bien de la joie. Vous ne pouvez m'obliger davantage ; mais vous ne me parlez pas de votre santé, qui n'est pas comme je la voudrais, sachant que vous êtes assez épuisée pour rompre votre abstinence, si la ferveur et le courage que vous avez ne vous donnaient un saint zèle de soutenir les observances. Je ne prétends pas néanmoins que vous en soyez accablée. Je sais que, naturellement, vous n'êtes pas bien forte ; c'est pourquoi, ma très chère, prenez quelque chose tous les matins et, s'il est possible, du repos, n'allant pas si souvent à Matines. Il faut nécessairement soutenir le choeur ; je sais qu'il est entre vos mains et que ce n'est pas une petite fatigue. C'est pourquoi Notre Seigneur veut que vous preniez tout le petit soulagement que l'on peut vous donner, et que vous n'ayez aucun scrupule de faire ce que la chère Mère Sous-Prieure vous dira sur ce sujet. Quant à l'intérieur, personne ne le doit retenir : il faut que Notre Seigneur y règne, que tout se fasse en lui, que vous ne lui refusiez rien de ce qu'il vous demande de mort et d'anéantissement, afin que la précieuse qualité de victime que vous portez soit remplie. Je vous prie de me mander comme va l'office et service divin ; si vous êtes tous les jours dans le besoin de voix, car j'en ai une en main qui paraît jolie et qui pourrait chanter des leçons de Ténèbres. Ayez bien soin que le chant ne soit ni trop lent ni trop précipité, que les pauses s'observent et que l'on ne reprenne pas de l'autre côté que le verset ne soit entièrement fini. Je suis avec vous en esprit ; j'assiste même à votre office. Faites en la vue de Dieu, ce que vous faites, tout purement, et ne tendez toutes qu'à lui plaire, lui abandonnant tout. Mandez-moi si vous voulez que je vous envoie cette fille qui chante, et priez Dieu pour moi, qui suis toute à vous.

Ne faites point d'austérités extraordinaires, conservez vos forces pour les consommer en hommages et adorations. Il me reste bien des choses à vous dire, mais on ne m'en donne pas le temps. Demain, s'il plaît à Dieu, j'écrirai à la chère Mère Maîtresse [ Thérèse du Tiercent I, à ma Soeur du Saint Esprit [ Gallois ], et à notre bonne Soeur du Saint Sacrement [ Cheuret ], j'ai déjà commencé plus de trois fois de lui écrire. Je vous prie de me donner des nouvelles de la chère Mère Sous-Prieure. Je sais qu'elle est mal et qu'elle se néglige entièrement. Prenez-en soin, je vous prie ; j'attendrai vos chères lettres impatiemment. Mille embrassements à toutes nos chères Filles.

n. 3133 C405, complété par T7

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

19 septembre 1678

Le peu que vous me dites par votre petit billet me fait assez concevoir l'excès de votre peine. Je la comprends, mais, courage, elle ne vous fera pas périr. Ne vous surprenez de rien et, malgré l'enfer, soyez abandonnée aux volontés de Dieu sans perdre la foi de ses bontés. Quoique l'épreuve soit terrible et violente, c'est son dernier coup et son extrême, car il me semble que le peu dè relâche que vous eûtes il y a quelque temps n'était qu'une préparation à une plus grande tempête et une guerre plus sanglante. Je vous crois au comble du mal, mais vous n'êtes pas au comble de l'abandon. Courage ! Le Seigneur vous regarde et vous pouvez bien cependant lui dire avec saint Pierre : Domine salva nos perimus [ Mt 13,25 ; mais, en le disant, croyez qu'il ne vous laissera pas périr. Vous êtes la proie immolée pour la gloire de Jésus Christ à la rage des démons, mais ce n'est que pour votre confusion, parce que ce divin Sauveur vous y conservera malgré leur violence. Ayez toujours recours à la très sainte Mère de Dieu ; portez son image jour et nuit sur vous et ne vous troublez point. Vous pouvez m'écrire comme je vous l'ai enseigné, et je vous répondrai après intelligiblement. Courage et à Dieu !

J'espère que je ne serai pas longtemps sans vous revoir. L'on me fait espérer ce que j'ai besoin ; si tôt que j'en serai assurée, je n'attendrai

174 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 175

pas de toucher pour partir, tant j'ai de désir de me revoir avec vous. Embrassez vos chères Soeurs et Compagnes pour moi ; n'oubliez pas la pauvre Aimée [ de Saint Joseph ] qui, je crois, me voudrait bien revoir. Je puis vous dire, mes très chères Enfants, que vous m'êtes toujours si intimement chères que vous ne sortez point de mon coeur, et ma douleur est que vous soyez dans les croix et que je ne sois point présente pour les ressentir et soutenir avec vous. L'oeuvre de Dieu ne se fera que dans la souffrance. Vous aurez contre vous l'enfer, les impies et les démons, mais, contre Dieu, nul ne peut : Si Deus pro nobis, quis contra nos ? [ Rm. 8,31 ]. Nous mettons la semaine prochaine la première pierre à notre prétendue nouvelle église, mais je ne sais qui verra mettre la dernière. La sacrée Mère de Dieu mettra la première ; nous porterons son image sur le lieu et les Pères de Saint-Germain en viendront faire la cérémonie. Je vous ferai savoir le jour, afin que vous priiez la sacrée Mère de Dieu que, comme institutrice et fondatrice de notre Institut, elle voulût bien sanctifier cette église par son Fils Jésus Christ et qu'il y soit parfaitement aimé, honoré et servi jusqu'à la fin dès siècles. Offrez toutes vos prières dès à présent et me croyez toute à vous.

n°2018 P104 bis

A UN ÉCCLESIASTIQUE A ROUEN [ M. DE RABAU MONT ]

30 septembre 1678

Je vous prie, Monsieur, aussitôt la présente venue, ayez la bonté de venir remplir la place de Monsieur N. qui s'en est allé avec Madame la princesse N. à son voyage d'Allemagne, de sorte que notre Révérende et très chère Mère Prieure [ Bernardine Gromaire ] de l'Hospice me prie de vous faire venir en toute diligence, et c'est la très humble prière que je vous fais, Monsieur, croyant que votre bonté ne me refusera cette grâce que je vous demande, fondée sur l'amour et l'affection que Notre Seigneur vous a donnés pour notre Institut. Et comme vous avez zèle pour l'étendre, vous aurez occasion de cela dans l'Hospice que nous espérons établir avec l'aide de Notre Seigneur.

Venez nous aider, Monsieur, je vous en supplie, mais que ce soit en toute diligence, parce que je serais bien aise de remplir la place avant que celui qui la voudrait soit de retour.

Vous recevrez de la Révérende Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] de quoi faire votre voyage, et nous paierons ici votre place au carrosse. Venez donc, Monsieur ; je vous en supplie, vous m'obligerez. Votre très humble et très obéissante servante en Notre Seigneur.

no 1770 P104 bis A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

30 septembre 1678

Mes chères Enfants,

Je vous prie de ne vous point étonner que je prie Monsieur [ de Rabaumont ] de venir prendre la place de Monsieur N. dans l'Hospice, lequel s'en est allé sans nous dire un mot. On dit qu'il est avec Madame la princesse N. qui lui veut donner un petit canonicat. Mais comme il est parti de la sorte, il faut que je remplisse sa place bien promptement pour des raisons que vous pouvez bien pénétrer. Si dans trois ou quatre mois, vous en avez besoin, je vous le renverrai. Notre bonne Mère Prieure le demande pour éconduire de certaines gens qui veulent être à cette place et qu'on ne peut bien refuser qu'en y pourvoyant sans rien dire. Je lui écris pour le prier de venir ; je vous prie de l'en prier et solliciter, et qu'il ne refuse point cette consolation à notre bonne et très chère Mère. Je sais bien qu'il y aurait aussi à changer celui qui reste, mais nous y travaillerons dans le temps. Ayez cette bonté de faire venir Monsieur [ de Rabaumont ]. Cependant je vous conjure toutes de me donner vos petites prières pour qu'il plaise à Dieu de bénir la première pierre qui se met aujourd'hui à la nouvelle église prétendue [ rue Cassette ]. Plût-il à Dieu que la pauvre petite maison de Rouen soit en état que nous en puissions faire de même, sitôt que je serai arrivée ; si l'on me tient parole, ce sera bientôt. Je suis trop pressée aujourd'hui pour vous en dire davantage.

Je vous embrasse du plus tendre de mon coeur en Jésus.

n" 1773 P104 bis

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMEN r [ CHEURET

Ce 21 octobre 1678

Comment, chère Enfant, pourrais-je vous marquer la sensible douleur de mon coeur sur l'affliction du vôtre, que je ressens plus que je ne vous puis dire, et d'autant plus que je ne suis point près de vous, ma très chère Fille, pour recueillir vos larmes dans mon coeur qui, en Jésus, est tout à vous. Je crois que vous n'en doutez pas, mais ce que je puis faire dans cet éloignement, c'est de prier Notre Seigneur qu'il soit lui-même votre force et votre consolation, et que sa très sainte Mère prenne en vous la place de celle qu'il a retirée en lui. C'est un rigoureux sacrifice, ma chère Enfant, je le conçois bien, et qu'il vous en coûtera bien de la douleur et des gémissements ; mais vous êtes raisonnable, vous tâcherez de n'aller point à l'excès ; votre santé est si faiblette qu'il faut peu pour la ruiner absolument. Je vous prie, très chère, de prendre courage et de vous assurer que Notre Seigneur recevra

176 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 177

votre soumission à sa divine volonté, puisque c'est un coup de sa sainte main et que, comme le souverain de ses ouvrages, il en dispose comme il lui plaît. Je vous prie, chère Enfant, de vous abandonner toute à lui et de vous soutenir en la force de sa grâce. C'est la prière que je lui fais de toute l'ardeur de mon âme. Ecrivez-moi le plus tôt que vous pourrez ; soulagez votre coeur en le versant dans celui de votre indigne Mère et qui est plus à vous qu'à elle-même. Reposez-vous sur moi pour les prières pour celle qui vous était plus chère que votre propre vie et pour Madame votre chère soeur. Si Dieu en dispose, je vous promets plus de cent messes pour le repos de la première sans la nommer, car ce cher nom vous est si tendre que je ne le puis nommer sans blesser votre bon c(uur. Tâchez doucement de la remettre en Dieu où elle est retournée, et vous y abîmer vous-même, chère Enfant. C'est où vous la trouverez en paix, et mille fois plus heureuse que si elle était encore en cette misérable vie, que nous désirons toutes si ardemment de quitter pour nous réabîmer dans notre divin centre. Je vous quitte malgré moi, chère Enfant, mais j'y suis contrainte, sans toutefois vous quittèr de coeur ni d'esprit.

nu 272 0405

En cas que quelques-unes veuillent être religieuses, et même si Madame votre soeur venait à mourir. je vous en enverrai une ou deux pour les élever dans les dispositions chrétiennes. Je ne puis bien vous exprimer les maux de Madame votre bonne soeur ; on dit qu'ils sont extrêmes. Celà vient d'une couche où je crois qu'on ne l'a pas bien traitée. Ses douleurs sont violentes et quasi continuelles. On dit qu'elle ne peut pas vivre longtemps avec ces souffrances. Il faut bien prier Notre Seigneur et sa très sainte Mère qu'il lui donne patience. Offrez à Dieu pour le repos de Madame votre bonne mère cent Messes que je fais dire pour elle. On dit que sa maladie a été une fièvre continue et que, le quatorzième [ jour ], Notre Seigneur l'a enlevée de ce monde pour la mettre dans la région des saints. Voyez-là, chère Enfant, parmi cette troupe bienheureuse et toute réabîmée en Dieu. Adieu, ma chère et plus que chère Enfant ; je suis doublement votre pauvre Mère et de tout coeur je suis à vous.

n" 1675 R18

A LA MÊME

A LA MÊME

29 octobre 1678

Ma chère Enfant,

Je vous assure que je suis dans l'amertume de votre affliction. Je n'ai pu apprendre au vrai la maladie de Madame votre mère, mais je sais seulement qu'elle est morte comme une sainte, et ce n'est point à Paris, mais chez une de Mesdames vos soeurs ou vos tantes. M. N. vous mandera tout le détail, car il s'informera exactement de tout. Je tâcherai d'aller demain à l'Hospice [2e monastère de Paris ] pour consoler de mon mieux nos chères Enfants, vos chères soeurs, qui sont très raisonnables dans leur douleur. Je les plains, et vous aussi, très chère Enfant. Je vous puis dire que je vous ai toujours présente dans mon esprit, et mon coeur souffre avec le vôtre. Et je prie Notre Seigneur qu'il soit votre force et votre soutien, car il n'y a que lui seul qui peut vous consoler. Mais, mon Enfant, prenez courage ; vous sacrifiez beaucoup et Dieu vous rendra beaucoup ; il remplira le vide de votre pauvre coeur et vous sera tout ce que vous avez perdu. Et, après tout, vous ne perdez rien, car je la vois, en Dieu, comme une bienheureuse ; c'est là où vous la devez trouver en foi, sans néanmoins oublier de faire prier Dieu pour elle. Mon Enfant, je vous puis dire que je suis si fort à vous que je ferai tout mon possible pour vous le marquer dans les occasions, et singulièrement pour vos chères petites nièces. 8 novembre 1678

Il faut encore vous dire, chère Enfant, que j'ai fait mon possible pour apprendre le détail de la maladie de Madame votre très chère mère, mais que l'on n'en peut rien savoir de bien distinct, sinon qu'elle est allée à Dieu avec les dispositions de sainteté telles que l'on les peut désirer pour mourir de la mort des justes. Nous vous disons tout bonnement qu'elle a besoin de prières pour aller bientôt jouir du repos éternel. C'est pourquoi prenez vous-même le soin de faire dire cent messes par votre chapelain dans votre église à son intention. Vous aurez la 'consolation de les lui faire appliquer fidèlement et d'y joindre vos prières et communions. Cependant, tâchez, ma chère Enfant, de vous consoler. Vos chères soeurs que je vis ces jours passés le sont plus que vous. Courage, remettez-vous toute en Dieu. Ce qui vous doit soutenir, c'est qu'elle est en sûreté, et que vous ne devez songer qu'à lui procurer la gloire le plus tôt que vous pourrez par vos prières et par vos fidélités. Soyez donc plus à Dieu que jamais, plus exacte à la pratique de toutes les vertus que vous devez acquérir, et vous souvenez qu'il n'y a point de vrai bien en ce monde ni en l'autre que d'être uniquement à Dieu.

Croyez-moi plus que jamais toute à vous.

n0521 N256

178 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 179

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

8 novembre 1678

Je suis si mortifiée, nies très chères Enfants, de ne vous pas écrire à chacune en particulier que je me donne au moins la consolation de vous faire ce petit mot en général, pour vous assurer que mon coeur ne change point pour vous et avec vous, présentant à Notre Seigneur vos sacrifices et toutes les peines que vous voulez bien souffrir pour la gloire de celui que vous adorez sur l'autel et qui sacrifie tous les jours pour vous sa propre vie. J'ose bien vous assurer, mes chères Enfants, qu'il prend plaisir à vos fidélités et que vous en aurez dès cette vie une grande récompense, attendant les éternelles dans le ciel. Je me réjouis de vous revoir pour travailler avec vous à la perfection de l'oeuvre que Notre Seigneur vous a confiée. Il me semble que je vois un peu de jour en mes affaires et que je pourrai bien partir plus tôt que je ne pensais. Continuez vos saintes prières, mes chères Enfants, qu'il plaise à Dieu conserver une personne qui a entrepris avec son aide de me donner le secours dont j'ai besoin. Cependant, offrez aussi à Notre Seigneur la stabilité de l'Hospice, car nous sommes à la veille d'en traiter. Je crois que,sur la fin de cette semaine ou le commencement de l'autre, nous conclurons, si Notre Seigneur le veut pour sa pure gloire. J'adore ses Providences ; je vous en manderai des nouvelles, mais appliquez vos saintes prières pour le succès, et surtout qu'il plaise à Dieu me donner son esprit et me faire agir en sa grâce. Prenez donc courage, mes chères Enfants, ne vous rebutez point de soutenir le poids qu'il nous impose pour sa gloire ; faites-le régner en vous parfaitement comme dans son oeuvre, et soyez bien aises comme victimes d'avoir occasion de vous immoler pour lui. Je vous prie de continuer votre sainte union et d'édifier le prochain, tâchant de bien remplir la précieuse qualité de victime que vous portez et de Filles du Saint Sacrement. Je prie Jésus Christ en ce divin mystère de vous combler de toutes les grâces et bénédictions que je vous souhaite et que vous soyez persuadées que je suis en son amour toute à vous.

no 1500 Cr C

A UNE RELIGIEUSE

Le 14 novembre 1678

Je vois par votre chère et dernière lettre, ma chère Enfant, que mes dernières vous ont cruellement affligée. Hélas ! que j'ai de douleur d'avoir accablé doublement votre pauvre coeur au lieu de le soulager !

Non, non, ne m'appelez plus votre Mère : je ne suis pas digne de ce nom, puisque je vous tue au lieu de vous guérir, mais souffrez que je vous justifie ma conduite un peu sévère dans votre peine. Je ne vous aurais pas fait un si rigoureux commandement, si je n'avais vu le démon qui prétendait se prévaloir de votre facilité pour vous tirer dans ses filets. Dans, l'état où vous êtes, vous n'apercevez rien, mais votre Mère gémit devant Dieu pour lui demander la force et la vertu dont vous avez besoin, et il lui fait connaître les pièges que votre ennemi vous dresse. Non, non, je ne veux point vous serrer de si près ni gêner votre conscience, mais je désire ardemment que vous ne vous rendiez pas indigne des infinies miséricordes que Notre Seigneur vous destine pour la sanctification de votre âme, que j'aime plus que ma vie. Or, je suis certaine que, si vous étiez à ma place et que je fusse à la vôtre, vous agiriez comme je fais, et vous connaîtriez de quel coeur je vous aime et de quelle manière très sincère je suis à vous. Non, encore une fois, je ne suis pas dure sur votre peine ; je la connais si bien que je voudrais souffrir tout ce qu'il plairait à Notre Seigneur me rendre digne pour vous la diminuer. L'heure n'est pas venue, mais il faut l'attendre de l'infinie bonté de Dieu. Ne vous découragez point, et ne vous rebutez point par ma sévérité. Ecrivez-moi tout ce que vous voudrez ; versez votre coeur dans celui de votre Mère, qui a plus d'affection pour vous que celle qui vous a donné l'être. J'espère vous le persuader quand je serai de retour avec vous, et que la sacrée Mère de mon Dieu est vraiment la vôtre. C'est en elle et par elle dont je vous tiens sa place, que je vous conjure de ne vous point laisser tomber dans la défiance. Je vous suis et vous serai fidèle jusqu'à la mort. Ne dites point que personne n'écoute vos soupirs. Hélas ! je les reçois dans mon coeur à mesure que le vôtre les produit ; je connais votre mal ; je sais son étendue et son extrémité, mais, courage, c'est le temps de souffrance. Notre Seigneur veut des âmes immolées à sa gloire dans tels états. Si vos sens se voient abandonnés de Dieu, le fond de votre âme est secrètement soutenu. Courage, très chère.

Je suis bien touchée de l'affection de la chère Soeur_ ; je lui écrirai au plus tôt. Voilà ce que je puis présentement. Vous n'avez qu'à demander ce que vous avez besoin pour votre parement (17). J'admire votre bon coeur de travailler si constamment. Allez, courage, Dieu vous bénisse, et de sa part je vous bénis de mille bénédictions, que je puise dans son Coeur adorable et dans celui de sa très sainte Mère. Souvenez-vous de moi, chère Enfant. J'embrasse toutes, en attendant que je puisse écrire à nos chères Enfants.

no 1634 P104 bis

(17) Parement : ornement d'un vêtement. Cette lettre s'adresserait-elle à la religieuse chargée des vêtements liturgiques ?

180 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 181

A LA MÈRE ANNE DE LA NATIVITÉ DE JÉSUS [ BERTOUT

Paris, 19 décembre 1678

Je croyais, ma chère Fille, vous faire un grand plaisir d'écrire à N. (18) au sujet que vous savez. Me voyant si accablée que je ne puis répondre exactement à vos lettres et que d'ailleurs votre chère Mère Sous-Prieure a tant d'occupation, il me semblait que je contentais fort les désirs que vous m'avez témoignés de vouloir être parfaitement à Dieu et, comme je sais que l'on n'y peut être que par une vraie vie de mort et d'abnégation de nous-même, j'ai cru que vous auriez une grande consolation de ne pas vivre de votre esprit, mais que l'actuelle dépendance vous ferait faire des pas de géant dans la vie spirituelle ; bref, j'ai fait en ce rencontre ce que je voudrais qu'on me fît à moi-même. Mais si cela vous gêne à l'égard de la Mère N., ne le faites pas, mais n'y manquez pas au regard de la Mère Sous-Prieure, car, si vous vivez sur votre bonne foi, jeune et point encore de fond de vertu en vous, votre intérieur, au lieu de se perfectionner, se ruinera entièrement. Or j'aime mieux votre sainteté que tout ce que hors de là vous pouvez faire ; c'est pourquoi je vous conjure d'y travailler de toutes vos forces et vous animer incessamment d'un saint désir d'être fidèle aux promesses que vous avez faites à Notre Seigneur Jésus Christ, car soyez bien assurée que, si vous n'êtes sincèrement toute à lui, vous serez le reste de vos jours misérable ; mais, comme vous êtes encore jeune, vous pouvez faire des merveilles, surtout dans les pratiques d'une profonde humilité, qui fait la base et le fondement de la vie sainte que vous professez, une obéissance sincère sans retour et sans écouter les oppositions de la nature, une ingénuité à décharger votre intérieur, une présence de Dieu continuelle et la séparation de toutes les créatures qui souvent remplissent votre coeur et votre esprit. Ayez pour modèle le saint et divin mystère de Jésus Enfant. Pour vous y conformer, vous le trouverez de cette sorte au très Saint Sacrement ; priez-le pour moi, je vous donne à lui de tout mon coeur et sa très sainte Mère, et croyez que je vous aime chèrement en l'amour du Fils et de la Mère et que je suis toute à vous de tout le coeur.

n° 962 N256

(18) Le contexte laisse à penser qu'il pourrait être question ici de la mère maîtresse du noviciat, Mère Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent. La Mère de la Nativité ne faisait pas partie du noviciat de Rouen, mais, parce qu'elle n'avait que 23 ans d'âge et 5 ans de profession, il est vraisemblable que Mère Mectilde désirait qu'elle poursuivît sa formation spirituelle.

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET

23 décembre 1678

Ma chute ne sera rien ; grâce à Dieu, j'en serai bientôt quitte, mais je suis, chère Enfant, pénétrée de votre douleur et des peines dont votre pauvre coeur est si cruellement navré. Je comprends votre souffrance, j'en souffre avec vous, et j'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de vous soulager plus tôt que vous ne pensez ; c'est pourquoi je vous conjure de prendre encore un peu de patience et de vous encourager pour Dieu l'une l'autre. Je ne vous puis envoyer N. qu'après les fêtes, parce que M. Baptiste (19) est tombé dans un accident qui tiendrait de l'apoplexie, n'était que cela vient des fumées de charbon qui l'ont jeté dans un tel état qu'on n'en peut tirer ni signe ni mouvement ; il est comme mort et, dans toute l'apparence, il en aura pour longtemps, s'il en revient.

Toutes choses nous sont contraires, il en faut bénir Dieu ; ses conduites sont adorables quoiqu'elles soient pleines d'amertumes ; il veut des sacrifices qui coûtent autant que la vie ; il faut les soutenir avec patience et abandon, et puis sa bonté y pourvoira. Prenez courage ; vous serez bien récompensée des maux que vous souffrez pour Dieu présentement. Mandez-moi ce que vous voulez que je fasse pour votre consolation ; dites-m'en votre sentiment, vous le pouvez en toute simplicité ; je veux vous soulager de tout mon coeur, et vos chères Compagnes aussi. J'attendrai de vos nouvelles, mais croyez-moi toute à vous et vous le connaîtrez un jour.

ni. 2159 N256

(19) M. Baptiste était le sacri,tain du monastère de la rue Cassette.

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A LA MÈRE MARIE DE SAINTE MADELEINE [ DES CHAMPS]

Sous-Prieure

24 décembre 1678

Nous sommes toutes si surprises, ma très chère Mère, de la mort de M. Baptiste que nous n'en pouvons revenir ; il n'appartient qu'à Dieu de faire des coups de souverain. Il est bien juste qu'il use de ses créatures comme il lui plaît ; mais il faut demeurer d'accord que voilà une mort quasi aussi surprenante, peu s'en faut, que celle de madame notre bonne Comtesse. O bienheureuses les âmes qui vivent dans la mort ! Enfin, durant Vêpres (20), qu'il faut chanter solennel-

lement, M. Baptiste sera enterré dans la chapelle de Saint-Benoît, dans l'église des Filles du Saint Sacrement. Hélas ! qui lui aurait dit cela hier matin qu'il servit deux messes, et qu'il allait avec ardeur parer l'autel ? En parlant à ma Soeur de la Résurrection [ Talon ] (21) il tombe dans un égarement des yeux et on l'emporte à sa chambre, et, depuis ce moment, il n'a dit aucune parole, pas seulement fait le moindre signe, sinon qu'il y a paru des convulsions ; mais cependant meurt avant deux heures après midi après avoir reçu l'extrême-onction. La mort n'y a pas fait plus de cérémonie. Ô mon Dieu ! qui s'assurera de vivre un moment ? Je vous prie de faire part de cette lettre à toutes nos chères Filles afin qu'elles prient Dieu pour lui. Il s'était offert d'aller chez vous pour quelque peu de temps, mais la Providence divine lui a fait prendre un autre gîte, où nous ne le retrouverons que dans l'éternité. La Mère de Sainte Gertrude [ Petau de Molette ] ne s'en saurait consoler. Pour moi, je vous avoue que j'en suis touchée. Mon Dieu que la créature est peu de chose, puisque d'un moment à l'autre elle n'est plus, un souffle la détruit !

Je ne vous dis rien du sacré mystère, vous l'avez dans vous-mêmes reçu, en la grâce, toutes abondamment ; et priez Dieu pour la plus indigne de toutes les créatures qui est indigne d'y avoir part. A Dieu.

Depuis la présente écrite, je viens, par la Providence divine, d'arrêter un sacristain pour vous, qui est sage et qui sait les rubriques. J'espère que Notre Seigneur aura pitié de nous ; courage !

nu 2377 C405

(20) Les Vêpres solennelles de la vigile de Noël.

(21) Françoise Talion (Soeur Françoise de la Résurrection) prit l'habit en janvier 1672 à 28 ans et fit profession en janvier 1673. Elle apporta 6.000 livres en présent, ainsi que des « joyaux » pour l'ostensoir, du linge et des étoffes. Sa mère était protestante et son père avait fait plusieurs dons au monastère en demandant des messes et des prières pour la conversion de sa femme. Il obtint cette grâce, mais, quelques années plus tard, devenue veuve, Mme Talon retournera au protestantisme et réclamera au monastère les dons faits par son mari, et, en outre, les intérêts des sommes données. Une partie de cet argent avait été employée pour la fondation de Rouen. On conseilla à Mère Mectilde d'intenter un procès afin de prouver son bon droit. Elle aurait préféré tout rembourser si elle avait eu la somme nécessaire, mais finalement, malgré ses répugnances, elle entama une procédure et l'on reconnut ses droits. Déboutée, la plaignante attaqua de nouveau. Tout cela entraîna de pénibles conséquences dans la vie du monastère, la Soeur de la Résurrection ayant fait cause commune avec sa famille. C'est alors que brilla l'immense charité de Mère Mectilde qui accepta, pendant plusieurs années, les rebuts, les injures, voire les méchancetés de cette Soeur pour sauver son âme aveuglée. C'est une page douloureuse de la vie du monastère de la rue Cassette, mais illuminée par la charité de la Mère et de ses Filles.

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

27 décembre 1678

Je suis bien en peine de vous toutes, mes chères Enfants, et comme vous aurez pu passer les saintes fêtes ; je ne doute pas que vous n'en soyez toutes bien fatiguées le peu que vous êtes ; j'en suis bien en peine ; je vous prie m'en donner des nouvelles. Nous avons été dans la joie du Sacré Mystère, et dans la douleur de la mort du pauvre Baptiste. Que Dieu fasse miséricorde ! Je vous le recommande ; sa mort est fort touchante, quoi qu'il soit bon garçon. Il avait communié le jour de l'Immaculée Conception. Mon Dieu, que la mort est effroyable ! Qu'il y a bien sujet de l'appréhender par ses surprises ! Heureuse l'âme qui est toujours en état ! Vous voyez bien que ce petit mot n'est qu'un bonjour. S'il plaît à Dieu, demain j'écrirai plus amplement, et surtout à la chère Soeur N., qui a eu la patience d'attendre si longtemps mes réponses. Je puis vous protester, mes très chères Enfants, que ma plus grande peine est de ne pouvoir vous donner au moins par écrit des marques que vous êtes dans mon coeur, ou plutôt dans celui de la très Sainte Vierge, où je vous vois toujours. Je vous prie de prendre courage ; nous nous reverrons bientôt, s'il plaît à Dieu. Je vous quitte pour la Sainte Messe. Cependant, je vous remercie de tout mon coeur de tous vos bons souhaits. A Dieu mille fois.

ri. 1451 N258

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

3 janvier 1679

Mes très chères Enfants, le plus sensible de mes déplaisirs est de ne pouvoir répondre à vos chères lettres exactement ; je puis vous dire que j'en souffre dans mon âme, d'autant plus que je sais que vous êtes toutes sacrifiées pour Dieu. Et, pour moi, je souffre de ne pas soulager vos peines et les besoins intérieurs que vous pouvez ressentir. C'est un des plus pressants sujets qui me fait désirer de vous aller bientôt revoir. Si j'avais un certain don de Dieu, que je n'aurai jamais, en étant indigne, vous entendriez, par le ministère de mon saint ange, bien des choses que je dis à Notre Seigneur pour vous et que je voudrais bien vous pouvoir dire à vous-mêmes.

J'ai fini et commencé l'année en tracas, comme à mon ordinaire, n'ayant pas pu trouver une demi-heure pour vous demander pardon et vous souhaiter une bonne et sainte année, remplie de toutes les grâces et bénédictions que je vous désire, pour être aussi parfaites victimes que la vocation à ce saint état demande de vous et que vous êtes obligées de remplir. O mes très chères, que cette grâce est grande et qu'elle contient de sainteté ! C'est d'elle que nous devons être toujours

184 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 185

remplies et n'avoir point de plus intimes ardeurs que d'être conformes au divin Enfant Jésus victime. C'est dans son état d'enfance, de mort sur la croix et d'immolation sur l'autel que nous apprenons à être de véritables victimes par rapport et conformité d'état à cette adorable victime. Je la supplie avec tout le zèle et l'ardeur dont je suis capable qu'il [ Jésus ] nous fasse toutes entrer dans son esprit d'hostie et que nous soyons inséparables d'avec lui, afin que nos sacrifices et les morts qu'il faut soutenir en cette vie soient animées de son amour et sanctifiées par son divin esprit. Prenons courage, mes chères Enfants ; la vie est rude à cause qu'elle est remplie d'amertume et croix, mais la mort en sera plus facile et l'éternité plus glorieuse. Travaillons pour Dieu et il suppléera pour nous. Vous avez une divine avocate qui ne vous manquera jamais dans vos besoins. Je la supplie de vous combler de ses plus tendres bénédictions et que vos coeurs demeurent unis au sien, pour ne faire entre vous qu'un même coeur avec elle. Conservez toujours cette précieuse union, qui est de la dernière conséquence.

J'ai vu M. N., qui m'a témoigné être bien édifié de vous toutes ; il craint bien que vous n'y pourrez résister, étant trop peu et trop surchargées. Je voudrais bien, mes très chères, vous pouvoir soulager ; voyez s'il se trouve quelques bons sujets capables de vous servir et seconder dans le chant et dans vos observances. Je n'ose en prendre par deçà, car on se trompe si fort qu'on en a bien du déplaisir. Voyez si vous en pouvez trouver par delà. Quand le bien n'y serait pas un peu raisonnable. on fera de son mieux. Dieu sait que ce sont mes péchés qui empêchent le progrès de notre petite maison et que j'en ai bien de la douleur. Celle-ci a été assez de temps sans avancer ; il n'y a que celle de Toul qui a plus fructifié que les autres en sujets. Il faut que je m'en confonde et que vous ayez patience. Notre Seigneur y pourvoira. Donnez-moi de vos saintes nouvelles et le pardon des peines que je vous ai faites et les mauvaises édifications que je vous ai données, et soyez bien persuadées que je suis toujours et de plus en plus toute à vous, mes très chères, en Jésus et sa très sainte Mère.

Vous pouvez faire la ballotte de vos novices pour la profession sans attendre nos ballottes (22) ; je les donne à la pluralité. Je crois qu'ils [ nos avis ] ne sont guère divisés, étant peu de notre départ et les sujets n'étant point scabreux. Faites-le au plus tôt et mettez du nombre de pluralité nos deux ballottes comme si je les avais envoyées ; c'est mon sentiment et n'en veux point d'autre que les vôtres, puisque nous ne sommes toutes qu'une en Jésus et sa très sainte Mère. Adieu, mes très chères Enfants.

no 2020 CrC

(22) Avant la réception d'une novice à la profession, les religieuses faisant partie du Chapitre de la Communauté doivent voter - en vote secret - pour ou contre l'acceptation de la novice à la profession. Celle-ci doit obtenir deux tiers des voix pour être reçue par la Communauté. Mère Mectilde, qui était alors Prieure en titre du monastère de Rouen, devait ou participer au vote ou l'envoyer. Elle avait droit comme Prieure à deux voix.

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

12 janvier 1679

Tous les jours, le Bon Dieu nous envoie de nouveaux sujets de sacrifice. Celui que je ressens présentement est la chute fâcheuse

de notre très chère Mère Prieure [ Bernardine Gromaire ] de l'Hospice, qui, sans miracle, devait être tuée toute roide et avoir la tête fendue en trois morceaux. Le chirurgien en est effrayé, bien qu'il croie, s'il ne survient quelque accident. qu'elle en reviendra. Je vous la recommande bien, mes très chères Enfants, à vos saintes prières. La chute est de sa hauteur, fort raidement, la tête contre le quart d'une muraille qui lui fit une horrible bosse au front, qui lui a poché l'oeil gauche, meurtri tout le côté et le bras, dont elle ne peut se soutenir ; tout son corps est douloureux ; ce fut avant-hier que cet accident arriva ; on courut promptement au chirurgien pour la saigner. L'on a fait ce que l'on a pu. J'y devais aller hier au matin, mais le froid est si grand qu'on n'a pas voulu, et elle-même m'a priée de ne pas aller ; néanmoins il me serait bien difficile de m'en abstenir et de tâcher de la ramener ici pour la mieux soulager.

Vous voyez les conduites de Dieu, mes très chères, et les accidents qui arrivent. Il faut toujours l'adorer, et se tenir prête à tout moment, car le Seigneur vient comme un larron, ce sont ses propres paroles. Heureuses les âmes dégagées d'elles-mêmes et de tout le reste, et qui sont toujours en état de partir. Il me semble que je n'ai rien dans ma volonté qui me retienne que vous, mes chères Enfants, qui vous êtes immolées pour la gloire de Jésus Christ. J'ai peine à vous quitter que vous ne soyez mieux que vous n'êtes, et que vous ne soyez toutes remises en lui. Je croise que vous y, travaillez de tout le coeur, et que vous n'aspirez qu'à vous rendre parfaitement toutes à lui. Prenez courage, il voit vos travaux et vos fidélités, il les couronnera un jour, et j'ose vous assurer que le sacrifice que vous soutenez actuellement de demeurer où vous êtes vous sera glorieusement récompensé. Animez-vous dans cette assurance, et tâchez d'achever ce que vous avez commencé pour la gloire de notre adorable mystère.

Il faut vous dire que l'on parle d'établir l'Hospice au faubourg Saint-Antoine. Je crois vous l'avoir mandé. Il n'en faut point encore faire de bruit. C'est Madame N. et Madame N. qui travaillent à cette affaire. Je désirerais bien qu'il plût à Notre Seigneur vous donner vitement de bons sujets pour les faire soutenir cette Maison, afin que vous reveniez toutes avec nous ; mais les sujets sont rares partout. Je recommande à vos prières la petite Soeur N., que nous ballotterons cette semaine ou au commencement de l'autre. Priez Notre Seigneur qu'il manifeste ses volontés, etc..., il faut que sa main et sa grâce s'en mêlent.

186 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 187

Voici une lettre pour Monsieur N. Vous verrez si elle est comme elle doit être. Si elle est bien, fermez-là et lui faites donner ; si elle n'est pas comme il faut, rompez-là et me mandez ce qu'il faut lui écrire, et j'en écrirai une autre. Je ne le traite pas mal, ce me semble honnêtement.

Adieu, mes chères Enfants, je vous quitte pour la sainte Messe ; ne m'oubliez pas, je souffre de n'être pas avec vous, sachant les désirs de vos coeurs ; j'espère y être plus tôt que vous ne pensez, si l'on me tient parole pour la Chandeleur. J'embrasse tout le cher petit troupeau des victimes de mon divin Maître.

no 2809 0405

[A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT CHEURET]

Du 18 janvier 1679

Je suis bien aise que vous ayez reçu la consolation que vous espériez du bon Père Chenois ; il y a longtemps que j'ai bien de l'estime pour lui. Vous pourriez vous en servir dans vos besoins, mais fort prudemment. Vous ne pourriez croire combien j'ai de consolation, si vous pouviez trouver quelque soutien pour votre âme en notre absence. Vos chères Compagnes en sont bien consolées, dont je rends mille grâces à Notre Seigneur. Je ne sais si ma Soeur N. n'y a été ; je vous prie que je le sache et, si elle n'y a point été, portez-la doucement à y aller et y prendre confiance. Elle a besoin de ce secours. Je vous prie, chère Enfant, usez de votre prudente charité en ce rencontre ; ne faites pas connaître que je vous mande cela, mais comme elle a du penchant et de l'inclination pour vous, elle suivra bien volontiers vos conseils. Je suis ravie de vous voir si réanimée à aimer Notre Seigneur et à le servir mieux que jamais. Mais ce bon Père est un peu fort dans ses pénitences. Sait-il bien que vous n'avez guère de force, et encore moins de santé ? Faites lui connaître simplement comme vous êtes. Nous jugeons fort à propos que vous le voyiez une fois tous les mois pour le moins. Nous en parlerons ensemble quand je serai avec vous, mais Notre Seigneur vous ayant donné ce secours, nous vous ordonnons de vous en servir prudemment. Étant lui-même sage et prudent. il ne fera point de peine. Voyez donc que c'est Dieu qui vous le donne pour le temps de notre absence ; gardez-vous bien de refuser ce secours dont votre âme a besoin. Je vous promets que je ne vous abandonnerai pas pour cela ; au contraire, je vous serai obligée, car vous n'avez personne qui vous pousse à la vertu solidement. Nous vous permettons les pénitences qu'il vous a imposées. Otez, quand vous êtes mal ; il faut lui demander autre chose pour suppléer lorsque vous ne les pouvez faire. afin de vous ôter le scrupule. Recommandez-moi à ses saintes prières. A Dieu, ma chère Fille.

no 1444a) Z4 [A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS)

Ce 25 janvier 1679

Oui, ma chère Enfant, voyez ce bon Père que j'honore très fort. Je l'ai mandé à ma chère Soeur N. ; j'ai confiance en vous et en elle que cette conduite ne vous nuira point, parce que vous ne vous y attacherez qu'autant que l'obéissance vous le permettra, afin que vous demeuriez toujours dans la soumission que vous devez à votre Mère, qui ne veut que votre sanctification et votre fidélité aux Règles de la sainte Religion et de l'obéissance. Allez donc à Dieu de la bonne sorte ; vous me réjouissez de vous voir déterminée d'aller comme il faut à la sainte perfection, mais, ma chère Fille, je ne veux vous donner nulle pénitence. Vous avez assez de travail et d'exercices, et de plus vos forces sont petites ; ménagez-vous autant que vous le pourrez avec vos observances, car il faut tâcher de soutenir l'oeuvre de Dieu, et avec cela redoublez vos élévations à Notre Seigneur, pour qu'il lui plaise ne point humilier son oeuvre par mes péchés, et qu'il me confonde mille fois plutôt moi seule.

Je me remets à sa Providence pour toutes mes affaires, n'attendant plus rien de personne. Dieu fera ses très aimables volontés. Pourvu que je puisse payer avant que de mourir, je serais contente ; le reste, il le faudra abandonner ; je crois que, sans miracle, tout demeurera, Nancy comme le reste.

Je ne vois aucun jour pour le soutenir, mais ne vous affligez point de toutes ces pertes de choses ; remettons tout en Dieu et espérons en lui contre toute espérance. Ayons un peu de foi et de confiance. Si la mienne était comme il faut, nous ne serions pas si longtemps dans l'attente. Le moment de Dieu viendra quelque jour. Ayons patience ; croyez-moi toute à vous, comme en effet j'y suis, de coeur, en Jésus.

no 2445a) Z4

A UNE RELIGIEUSE

4 février 1679

J'ai lu votre grande lettre, ma chère Fille, avec la copie des avis de ce bon Père que je trouve fort selon l'esprit de Dieu. Je vous les renvoie signés de ma main, pour vous fortifier dans l'usage que vous en ferez. Je ne doute pas que Notre Seigneur ne vous bénisse abondamment si vous les pratiquez. Quant à ce qu'il vous a dit, Dieu sait le fond, mais, mon Enfant, je vous conseille d'abandonner le tout à la lumière de Dieu et d'entrer dans une profonde humilité. Peut-être que la Providence a permis cela pour vous tirer dans le fond de votre abaissement, prenant pour votre partage une sainte abjection.

188 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 189

Consolez-vous dans l'infinie bonté de Notre Seigneur : vous voyez le soin de son adorable Providence. J'ai une singulière joie que vous ayez trouvé un si saint homme : vous en aviez besoin. Je suis bien aise que vos chères Compagnes s'en servent aussi et que vous alliez à Dieu de la bonne sorte sans plus de retardement.

Oh ! que vous serez heureuse si vous le voulez ! Augmentez votre confiance en son infinie miséricorde ; voilà des marques de prédestination ; vivez en paix à présent et vous encouragez l'une l'autre. J'espère qu'après que vous serez toutes bien unies en Notre Seigneur, il comblera vos personnes et son oeuvre de bénédictions. Je ne puis vous dire combien je suis consolée que vous ayez trouvé une personne pour aider votre âme à se soutenir dans les voies de la grâce. Je ne réponds pas dans tout le détail de votre lettre du 13 du mois passé ; il suffit que j'entende ce que vous voulez dire. J'espère en la miséricorde de Notre Seigneur pour vous, mais ne laissez pas de vous humilier par respect à sa sainteté et sans sortir d'une amoureuse confiance. Je craignais le démon en mon absence qu'il ne vous trompât, parce qu'il est souvent le premier qui émeut la sédition, mais Notre. Seigneur soutient dans le secret de l'âme. Ayez un grand courage ; demeurez toute abîmée dans une confiance pacifique ; commencez à mieux faire que jamais. Ne m'oubliez pas ; à Dieu.

Je pensais que je ne pourrais vous dire le reste. J'embrasse vos chères Compagnes d'un coeur sincère. Je répondrai sur les pénitences ; en attendant, vous les pouvez faire ; soyez sincère avec ce bon Père, et me recommandez à ses saintes prières ; mais surtout ne vous découragez point et ne souffrez aucune défiance de la bonté infinie de Notre Seigneur. Je crois qu'elle a pourvu à bien des choses en vous pour votre salut ; commencez seulement à être bien fidèle, et laissez le passé à la miséricorde de Jésus Christ. A Dieu ; je vous laisse avec bien de la joie que vous ayez trouvé une personne qui peut soutenir et consoler votre âme en notre absence. Suivez ses conseils : ils sont bons. A Dieu encore une fois ; croyez-moi toute à vous.

n°724 P104 bis

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

11 février 1679

Ma chère Enfant, ne vous fâchez point de n'avoir pas de mes lettres : vous n'en êtes pas moins dans l'intime de mon coeur. J'ai reçu les très chères vôtres, n'en soyez pas en peine. Pour ce qui vous regarde, ma chère Enfant, je ne vous donne nulle pénitence pour ce carême : le bon Père [ Chenois ] vous en a assez donné à votre confession. Vous avez d'ailleurs assez de travail et d'exercice, et de plus vos forces sont petites. Ménagez-vous autant que vous le pourrez avec vos observances,

car il faut tâcher de soutenir l'oeuvre de Dieu. Et avec cela redoublez vos élévations à Notre Seigneur, pour qu'il lui plaise ne point humilier son oeuvre par mes péchés et qu'il me confonde mille fois plutôt moi seule. Je ne vous dis rien aujourd'hui, parce que c'est la vêture de Mlle N. Priez Dieu qu'elle soit une bonne religieuse. Vous êtes heureuse si vous êtes toutes bien unies ensemble. Quand je vous verrai, je vous dirai bien des choses et vous verrez le malheur de la division dans les monastères. Allez à Dieu de tout votre coeur et tâchez qu'il règne partout, ne cherchant que sa gloire et l'union des coeurs. Si cette union est bien établie dans le commencement, elle fera des miracles. J'écris à ma chère Soeur de Sainte N. [ Anne Monier ]. Donnez-lui sa lettre, je la joins à la vôtre.

A Dieu ; croyez-moi toute à vous comme en effet j'y suis de coeur en Jésus.

no 2253 a) Sor.

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET ]

11 février 1679

Ma chère Enfant, vous n'êtes nullement sage de vous affliger comme vous faites. Je ne sais où l'on a trouvé tant de choses à vous dire ; je ne suis pas dans ce désespoir, il n'y a que certains moments présents : les apparences sont plus grandes que jamais, et si Notre Seigneur ne m'est point contraire à cause de mes péchés, toutes choses se pourront faire. Mais j'ai bien sujet de craindre que sa justice ne me foudroie. Je le mérite, en vérité, car je puis vous dire que tout est dans sa sainte main et que, s'il lui plaît bénir ce que l'on me propose, je pourrai toucher avant la Saint-Jean plus de 1.000 livres. Et que ceci soit dans le secret ; et si Dieu ne m'est point contraire, je les toucherai, car les gens sont les mieux intentionnés du monde et veulent que tout soit employé à la pure gloire de Dieu. Vous voyez que les apparences n'ont jamais été si belles. Gardez-moi le secret, je vous en conjure. Si Notre Seigneur veut agréer les bonnes volontés de ces gens-là, qui ne cherchent que sa gloire, et que mes péchés n'y fassent point d'obstacles, nous sortirons cette année de nos tracas temporels. Mais je vous avoue que je crains toujours que Notre Seigneur ne me confonde et qu'il n'afflige l'institut par mes péchés. Priez-le de tout votre coeur qu'il le conserve et qu'il m'abîme moi seule.

Pour ce qui est de mon voyage près de vous, si l'Hospice ne s'établit pas ce carême, certes je le laisserai pour vous aller trouver ; c'est à présent ce qui me retient. Prenez donc courage et ne vous affligez pas pour moi ni pour vous-même ; vous verrez la gloire de Dieu, si mes

190 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 191

péchés, comme je vous ai dit, ne s'y opposent et «obligent la justice de Dieu de tout confondre. Pour votre carême, je trouve que le bon Père [ Chenois ] vous en a assez donné ; je n'y puis ni n'y veux rien ajouter, et vous ne lui demanderez rien non plus. Vous avez une indisposition qui m'inquiète fort : il y faut penser sérieusement. J'espère que nous y trouverons un remède, s'il plaît à Dieu, dans peu de temps. Je ne sais si vous devez faire carême ; il faudra consulter le médecin et vous soumettre à ses ordonnances. Prenez courage ; nous nous réunirons, et cependant remettez-vous dans la joie du Seigneur ; priez-le pour Mlle N. qui prend le saint habit aujourd'hui. Je crois que vous la connaissez. Je suis terriblement mortifiée de ne pouvoir écrire aussi souvent que je le voudrais à toutes les chères victimes. Adieu, ma chère Enfant, rassurez votre coeur pour Dieu, et me croyez toujours toute à vous dans une sincérité entière.

n03125 R18

[ A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS]

15 février 1679

Je vous prie, chère Enfant, de croire que ce n'est point à dessein de vous mortifier que je ne vous écris pas comme je voudrais ; ce sont mes misérables accablements, mais soyez sûre que je suis toujours la même et conserve le même coeur pour vous et pour toutes nos chères Soeurs de Rouen. Vous leur direz, je vous prie, qu'en attendant elles peuvent avec vous continuer à prendre le secours spirituel que la Providence leur donne par le Révérend Père [ Chenois ]. Je vous recommande toutes trois (23) d'en faire un saint usage et même d'y mener adroitement les autres qui auraient quelque besoin, sans toutefois les contraindre. Je serais bien aise que la pauvre Soeur N. y allât ; elle en serait consolée. Portez-la doucement et suavement à y prendre confiance. Pour la Soeur N., elle n'en a pas besoin ; il ne lui en faut pas parler si elle ne le demande.

Au reste, je veux vous consoler en vous disant que l'affaire de l'Hospice est pendue au croc pour bien du temps, et que je pourrai, avec la grâce du ciel, vous aller trouver bientôt après, parce que je voudrais vous mener notre très bonne Mère Prieure de l'Hospice. Mais n'en dites rien : il faut faire toutes nos petites affaires doucement et sans bruit. Priez Notre Seigneur qu'il donne bonne issue d'une

(23) Le contexte de cette lettre fait penser que les trois religieuses pourraient être les Soeurs Agnès Camuset, Anne de la Nativité Bertout et Monique des Anges de Beauvais, toutes trois venues du monastère de la rue Cassette et fort jeunes d'âge et de profession religieuse. La Soeur Mectilde Cheuret, du même monastère que ses compagnes, semble d'un caractère un peu différent. C'est peut-être la pauvre Soeur N. citée plus bas.

affaire qui se jugera sur la fin de ce mois, ou ès premiers jours de l'autre. Si elle est jugée en faveur d'une personne. je partirai sans affaire qui se jugera sur la fin de ce mois, où les premiers jours de l'autre. Si elle est jugée en faveur d'une personne, je partirai sans faute pour le plus tard quinze jours après Pâques, parce que je serai assurée de quelque secours important. Il faut continuer les prières, et vous bien encourager à vivre toutes saintement et à bien soutenir la gloire du Seigneur. Voilà ce que le moment me permet de vous dire. J'embrasse toutes vos chères Compagnes. J'écrirai à ma Soeur N. et que l'on fasse quelques aumônes ; je l'ai mandé, ce me semble.

Je ne crois pas vous remener ma Soeur N. ayant appris qu'elle y avait une grande opposition. Je ne veux contraindre personne Dieu pourvoira au besoin et s'il lui plaît de me secourir je tacherai de faire autrement, mais ayant toujours recours au Seigneur.

Je vous remercie de tous les bons souhaits que vous me faites de la part du roy votre bon ami, je ne sais ce que Dieu fera par lui, mais il commence à connaître les Filles du Saint Sacrement et a témoigné être édifié de ce que je refusais son brevet pour être abbesse de Sainte Glossinde de Metz ; peut-être que Dieu s'en servira quelques jours quoiqu'il en soit il faut bien redoubler les prières pour les besoins de son âme, et espère sa conversion le temps en approche.

J'embrasse vos chères Compagnes. A Dieu, croyez moi toute à vous.

n" 1772 P.104bis

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET ]

4 mars 1679

Si j'avais autant de facilité à vous accorder, ma très chère Fille, que vous avez de zèle à me demander, je ruinerais tout le peu de force qui vous reste de vos observances ; mais il faut que je les ménage contre votre ardeur et que je les conserve, pour les user petit à petit en chantant et faisant le reste que vous devez faire pour la gloire du très Saint Sacrement. Souvenez-vous donc que vous êtes toute consacrée à cet auguste mystère, et que vous ne vivez que pour lui rendre vos hommages et vous consommer à son honneur. Vivez et mourez en l'adorant et en chantant ses louanges. Je ne vous donne point d'autre pénitence de surcroît et, comme vous avez tout le poids du choeur, nous vous ordonnons de prendre du repos la nuit et de vous bien nourrir pour y suffire. La fin du Carême est plus forte à soutenir que le commencement ; c'est pourquoi nous vous disons encore une fois : ménagez vos forces avec une profonde humilité, qui vaut mieux que toutes les macérations du monde. Quand vous voyez que je ne vous réponds pas sur de pareilles demandes, vous devez inférer de là que Notre Seigneur ne me donne pas le mouvement de vous les accorder.

192 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 193

Vivez toutes dans une sainte union ensemble que l'esprit de charité soit établi entre vous que l'on ne voie qu'un coeur et qu'une âme en Jésus et en sa très sainte Mère. Je vous prie aussi de dire à la chère Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ], à qui je n'écris point ne le pouvant aujourd'hui, qu'elle fasse faire des aumônes durant ce Carême et que l'on fasse, si l'on peut, du potage ou que l'on donne pour cent sols de pain par semaine pour le moins, priant la sacrée Mère de Dieu de conserver une personne qui a de grands desseins pour notre Institut. Adieu, je vous quitte malgré moi, mais je n'ai plus de loisir que pour vous assurer que je suis toute à vous en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.

no 2680 C405

[A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT CHEURET]

16 mars 1679

Je vous renvoie la petite méthode que le bon Père [ Chenois ] vous a donnée. Je la trouve très bonne. Faites un bon usage d'une si sainte conduite ; vous ne l'aurez pas toujours ; ce sont des providences toutes miraculeuses de l'avoir rencontré où vous êtes. Tâchez d'en profiter, ma très chère Fille, et de vous avancer à la perfection dans ce saint temps qui nous ouvre les sacrés trésors du Calvaire. Tâchons de nous enrichir des douleurs et mépris de Notre Seigneur ; prenons la part qu'il nous y a méritée par son Sang et nous rendons dignes d'être ses fidèles victimes. La Providence vous met dans l'occasion ; soyez fidèle, et vous donnez encore un peu de patience. Je continue dans l'espérance de vous voir bientôt après les fêtes. J'ai appris que la personne, pour qui je vous ai tant recommandé de prier pour sa conservation, est mieux pour la santé ; il pousse ses affaires avec tout le zèle qu'il est capable. Continuez vos prières ; je n'ai jamais été si près d'un si grand secours ; je le regarde dans la main de Dieu pour me le donner ou le retenir ; il faut abandonner tout sans réserve à son aimable Providence. Vous ferez part de la présente à ma Soeur N. Ne pouvant lui écrire en particulier, celle-ci sera, s'il vous plaît, pour elle et pour vous ensemble. Réjouissez-vous en Notre Seigneur Jésus Christ et sa très sainte Mère, en laquelle je suis très sincèrement toute à vous.

no 1785 N256

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

26 mars 1679

Je n'aime point à donner des nouvelles affligeantes, ma très chère Fille, mais cependant Notre Seigneur veut que je vous en porte une par ces mots, qui viendront assez tôt pour vous en faire faire un sacrifice en union de celui de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère au pied de la croix. C'est, ma chère Fille, en la personne de Monsieur votre bon frère, que Dieu a retiré de ce monde aussi chrétiennement que vous le pouvez désirer. Je ne puis vous consoler de la perte que vous avez faite, mais je puis me réjouir avec vous de sa sainte mort, pouvant vous assurer que vous avez un frère bienheureux. Vous tâcherez d'écrire au plus tôt à Monsieur votre père et Mademoiselle votre mère. Je suis bien mortifiée de vous écrire si peu, mais, comme j'espère la consolation de vous voir bientôt, je me réserve pour vous assurer que je suis toute à vous en Jésus Christ.

no 1024 N256

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [CHEURET]

3 avril 1679

Ce n'est pas sans une très grande peine, chère Enfant, que je n'ai pu ces saints jours consoler d'un petit mot votre pauvre coeur, que je vois par ces deux lettres dans une mer d'amertume. Je la ressens jusqu'au fond de mon coeur, et je puis vous assurer que je suis dans l'impatience d'être avec vous pour soulager vos douleurs et peines de votre esprit. Prenez courage ; j'espère avec l'aide de Notre Seigneur que j'y serai bientôt. Je vais m'y préparer vitement, quoique je ne sois point encore en possession de ce que l'on me fait espérer. Si je puis avoir seulement... je partirai sans attendre le reste, parce que vos croix navrent mon coeur, mais il faut que vous tâchiez d'avoir patience encore un peu de temps, qui sera le plus court qu'il me sera possible. Je ne vois point de remèdes à ce que vous me mandez que par notre présence. Courage en attendant ; donnez bien à Notre Seigneur ; c'est le temps de moisson ; si vous êtes assez généreuse, vous couronnerez Notre Seigneur en vous. Hélas, chère Enfant, il vous donnait part à l'amertume de son calice, mais votre pauvre coeur était trop malade, ' il ne l'a pas pu supporter en [ selon ] son esprit. Je ne vous gronde pas, mais je plains la perte que vous avez faite de tant de petites occasions qui vous auraient bien élevée dans la grâce. Je vous conseille de vous en humilier devant Notre Seigneur, et cependant de vous calmer. La divine Providence vous tirera de vos peines. Je suis à vous, vous le savez. Mon esprit n'est point tyrannique ; je ferai de mon mieux pour vous marquer mon affection. Je crois que vous n'en doutez

Grand Pélerinage Rouenn

194 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 195

pas, mais donc il faut relever votre pauvre coeur pour achever de passer saintement le reste de ces saints jours de Pâques, puisque je vous assure que vous aurez du secours.

Vous avez cependant fort bien fait, chère Enfant, de m'écrire tous vos sentiments ; ne vous retenez pas ; continuez de le faire aussi souvent que vous le voudrez (24), sans considérer les ports de lettre. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de rendre un jour à la maison plus que je ne lui coûte. Ecrivez-moi donc, chère Enfant, versez vos amertumes et vos angoisses dans mon coeur ; je ne suis votre Mère que pour cela, et puis vous assurer qu'on ne peut avoir plus d'affection pour vous que j'en ressens. Continuez vos saintes prières pour le succès de nos affaires et pour la sanctification de l'oeuvre de Dieu. Pardon de ne pas m'étendre davantage ; nous dirons tout à l'entrevue. Souffrez jusque-là doucement et ne vous fâchez pas. J'aurai soin pour une converse, je sais que vous en avez besoin. Mille bonjours, chère Enfant.

no 137 N256 et P104 bis

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS]

3 avril 1679

Ne croyez pas, ma très chère Fille, que vos lettres me soient à charge ; je les reçois toujours avec joie et elles me font le dernier plaisir. J'écris à la chère Mère [ Mecthilde Cheuret ], qui a le coeur demi-mort de tristesse ; aidez-la à soutenir son poids, car j'espère être bientôt avec vous pour calmer toutes choses autant que Notre Seigneur m'en donnera la grâce. Je souffre de n'y être pas ; tâchez de tout porter à Dieu jusqu'à mon arrivée et de vous entre-consoler. Je comprends bien tout ce que vous me dites, mais il faut que je sois présente pour y remédier ; j'en suis dans une espèce d'impatience, car vos souffrances me pénètrent le coeur ; cependant ne refusez pas l'occasion de vous sanctifier ; recourez à Notre Seigneur par sa très sainte Mère pour recevoir les grâces que vous avez besoin. Je crains bien que vous n'y succombiez toutes ; ce m'est une terrible douleur et un sensible déplaisir. Vous connaissez mon coeur, mais, encore une fois, courage ! J'espère que Dieu accommodera tout quand je serai avec vous ; donnez à Dieu tout le plus que vous pourrez ; ne lui refusez rien de ce qu'il vous demande ; c'est peut-être le temps marqué dans l'ordre de Dieu pour votre sanctification ; ne la refusez pas par infidélité. Priez la très auguste Mère de Dieu de vous soutenir dans les occasions, et, au lieu de

(24) Le membre de phrase suivant jusqu'à : « Ecrivez-moi donc, chère Enfant », et la dernière ligne : « J'aurai soin » jusqu'à : « vous en avez besoin » ne se trouve pas dans le ms. N 256, mais ont été repris du ms. P 104 bis.

répondre, il vaut mieux vous retirer quand vous voyez que votre patience est prête d'échapper. Consolez-vous les unes les autres, et tâchez d'entrer toutes dans la vie nouvelle de Jésus. Vous savez que nous n'avons de grâces ni de sainteté qu'en lui. Tâchez d'y demeurer toujours unie et de ne rien faire qu'en son esprit. Adieu, soyez toute à lui comme je suis à vous toutes par lui.

no 2221 N256

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET]

12 avril 1679

Je conçois bien, ma très chère Fille, ce que vous me dites et je le vois même en esprit, car je suis souvent avec vous de cette sorte, et je puis vous assurer que je souffre de n'y être pas. Notre Seigneur voit mon coeur et la douleur de mon retardement, mais je suis entre deux fers [ sic ] ; concevez si vous pouvez ce que cela veut dire. Je ne réponds pas en détail à votre chère lettre ; je réserve pour l'entrevue, où nous parlerons de tout. Il faut au milieu de tout cela que je m'abîme dans le néant et que je me confonde devant Notre Seigneur, car ce sont mes péchés qui empêchent le progrès de son oeuvre en toute manière. Je tâche de trouver un bon sujet qui puisse vous aider au choeur ; j'en trouve assez qui chantent, mais quasi point, et je dois dire point, qui soient appelées de Dieu en Religion ; la pauvreté leur donne des vocations de nécessité et, au fond, il n'y a ni grâce, ni bénédiction. Priez Notre Seigneur de m'en faire trouver qui puissent remplir ses desseins, car, pour de l'argent, je ne leur en demande point. Je suis bien de votre sentiment que l'on éprouve bien N. avant que de la recevoir, et les autres de même (25) : on en voit après les conséquences, mais sans remèdes. Réjouissez nos Soeurs, très chère, et vous aussi et priez Dieu pour moi.

( 4os

(25) Deux novices avaient déjà pris l'habit, tandis qu'une postulante attendait pour être admise à la vêture, et le temps de les recevoir à la profession approchait. C'est la raison du voyage à Rouen de Mère Mectilde. Le récit de la fondation nous apprend pourquoi ce voyage fut infructueux. Les trois candidates sont : Anne Morin, Marie Le Normant, Marie Denest.

Anne (Soeur Marie Anne du Saint Sacrement), fille d'Antoine Morin et d'Anne Prenant, née à Rouen, paroisse Saint-Lô, en 1655, qui prit l'habit le 29 janvier 1678, fit profession le 23 avril 1681 et mourut le 4 février 1712. Elle fût maîtresse des novices pendant de nombreuses années. Lorsque sa santé ne lui permit plus de remplir cette charge, on lui confia l'infirmerie. Cf. Archives de notre monastère de Rouen.

Marie (Soeur Marie de Saint Benoit), fille du sieur Jean Le Normant et de Marie le Gendre, née à Rouen sur la paroisse Saint-Maclou en 1655. Elle reçut l'habit des mains de Mère Mectilde, le 16 février 1678. Monsieur Mallet fit la cérémonie. Elle émit ses voeux le 20 avril 1681 et mourut le 24 février 1731. Première professe du monastère, elle fut toujours le plus ferme appui de ses supérieures. Toujours la première au choeur, elle y passait de longues heures en adoration, dans la mesure où le lui permettaient ses fonctions de sacristine. Elle communiait tous les jours, ce qui était fort rare à l'époque. Cf. Archives de notre monastère de Rouen.

Marie (Soeur Marie de Sainte Geneviève), fille de Jean Denest et de Claude Gillan, qui naquit sur la paroisse Saint-Sulpice de Faremoutiers au diocèse de Meaux en 1655, prit l'habit le 9 avril 1679, fit profession le 3 mai 1681 et mourut le 27 juillet 1721. Elle fut la première professe converse du monastère de Rouen.

196 CATHERINE DE BAR

[A LA MÈRE MARIE DE SAINTE MADELEINE DES CHAMPS]

13 avril 1679

Est-il possible, chère Enfant, que je sois restée trois mois sans vous écrire ? Je ne puis me le persuader, mais il le faut croire puisque vous me le dites. Si cela est, je me condamne à l'amende, car c'est une faute trop considérable. Je sais bien cependant qu'elle ne vient pas d'oubliance et que j'ai donc cru vous écrire quand j'étais plus occupée de vos dispositions.

Je ne sais si elles continuent, mais je sais bien que vous souffrez encore beaucoup et que je me désire plus auprès de vous pour vous servir, si Dieu m'en donne la grâce, que pour le reste qui paraît si nécessaire. Consolez-vous donc, très chère, car je vais partir, j'espère, la semaine d'après la prochaine. Je dispose tout, mais croyez que ce n'est pas sans peine. Je sacrifie tout, les intérêts de l'Hospice et bien d'autres, mais, encore une fois, il faut aller.

Je serais bien mortifiée que vous fissiez parler à Messieurs les Grands Vicaires pour presser mon retour. Je vous prie, ne le faites pas. J'aurai mon obédience au premier jour et, s'il ne m'arrive accident, je partirai avec la grâce de Dieu. Il ne faut point faire de bruit ni donner lieu de croire ce qui n'est point. Dieu sait que ce n'est point pour ma satisfaction que je retarde. Je n'ai que trop d'ardeur d'être avec vous, mais c'est d'autres choses qui me manquent et qui déplairont à M. [ Manet ? ] qui les voudra voir absolument. Tâchez donc de ne rien dire et de croire que je ferai tout mon possible de ma part pour l'oeuvre du Seigneur et pour votre consolation. Je ne réponds point dans le détail de votre chère lettre, je remets le tout à l'entrevue. Nous réparerons nos fautes en vous assurant, dans la sincérité du coeur, que je suis en Jésus toute à vous. Je salue la chère N.

n()411P104bis FONDATION DE ROUEN 197

Providence pour partir le plus vitement que je pourrai. J'abandonne même l'affaire de l'Hospice et l'occasion d'avoir des lettres patentes, parce que je ne serai pas ici pour employer la personne du monde qui a plus de pouvoir sur l'esprit du roi, qui n'arrivera en cette ville que vers la Pentecôte. Je sacrifie tout ; il en sera comme il plaira à Dieu. Puisqu'il faut aller, je m'en vais le plus promptement que je pourrai. Je croyais que la prudence voulait que je fusse en état de pouvoir acheter une place, et c'était le seul sujet qui me retardait, car d'y aller et ne rien faire, c'est bien pis que de n'y être pas, c'est faire croire une grande impuissance qui rebutera les esprits. Mais, encore une fois, j'abandonne tout ; je serai avec vous pour souffrir ce qu'il plaira à Dieu permettre arriver sur ce sujet. Vous direz peut-être que d'autres y penseront en mon absence ; or, ne vous trompez pas là-dessus ; il n'y a rien à espérer moi partie, car ce sont des gens qui auront, en mon absence, d'autres sentiments ; mais laissons tout cela à la divine Providence en nous abandonnant. Je vais donc tout de bon faire mon paquet et demander vitement mon obédience. Recommandez le tout à Notre Seigneur et vous réjouissez si vous croyez que ma présence vous puisse donner de la joie. J'irai bientôt vous dire : Pax vobis, tristitia vestra vertetur in gaudium (Jn. 16,20).

Mais, mon Dieu, je ne suis point capable d'en donner ; il n'y a que Dieu seul qui la puisse donner vraie et éternelle. Priez Notre Seigneur qu'il nous conduise en sa grâce et en son esprit. Adieu, jusques à l'entrevue qui sera bientôt par la grâce de Jésus Christ Notre Seigneur.

Je voudrais bien que le monde ne le sût point. Je serais bien aise d'être avec vous cinq ou six jours avant que de voir personne. Tâchez qu'on n'en dise mot. J'embrasse toute la communauté, surtout la chère Mère maîtresse [ Thérèse du Tiercent ] et ses chères Enfants et nos deux chères Soeurs converses [ Soeur de Sainte Anne Monier et Soeur Aymée de Saint Joseph Rondet ].

n° 2770 R18, le dernier paragraphe est ajouté au P104 bis.

[A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT CHEURET]

15 avril 1679

Sur la chère vôtre du 13 du courant, je ne vous dirai qu'un mot, qui est que vous jugez trop vite. L'on ne m'a rien mandé contre vous, chère Enfant, ni contre vos chères Compagnes. Mais l'on me presse comme vous faites d'aller promptement consoler le troupeau du Seigneur. Il y a déjà du temps que la résolution est de partir ; mon retardement n'est point la cause que vous m'alléguez ; non, je puis vous en assurer. Mais, pour vous le dire ingénuement, c'est pour arrêter quelque chose dont j'ai besoin absolument, mais comme il me faut encore un mois pour m'en assurer, j'abandonne tout à l'adorable

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

24 avril 1679

Je sais que la lettre de la chère Mère N. écrite à ma chère Soeur N. vous a toutes un peu inquiété l'esprit. Je vous prie, mes chères Enfants, d'en être en repos ; cela ne m'empêche pas de partir et de vous aller donner des marques de ma tendresse. Prenez courage et vous réjouissez ; je sais que vous n'agissez que par affection. Je vous connais ; soyez en repos ; nous nous consolerons ensemble bientôt, s'il plaît à Dieu.

198 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 199

Je vais à l'Hospice et puis de là à Montmartre (26). N'était un gros rhume, j'aurais déjà tout fait pour entrer au carrosse de voiture, mais l'on ne veut pas me laisser partir que je ne sois saignée ; c'est pour demain matin. Continuez vos saintes prières ; je vous embrasse toutes en Jésus.

Mandez-moi toutes vitement ce que vous aurez besoin de Paris afin que je vous le porte. Je ne sais celle qui m'accompagnera. Plusieurs s'empressent : je ne sais qui le gagnera ; je les voudrais toutes si vous aviez de la place. Adieu, mes très chères Enfants, jusqu'à la chère entrevue. Je crois que je n'écrirai plus que pour vous mander le jour de mon arrivée. Priez Notre Seigneur, qu'il nous préserve d'accidents pour sa gloire.

no 1407 C405

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

De Pontoise, ce 17 mai 1679

Mes chères Enfants,

S'il plaît à Dieu nous conduire heureusement, nous serons demain au soir auprès de vous où, s'il plaît à sa bonté, je vous embrasserai de tout le coeur, mais la Providence vous embarrasse sans que j'aie pu faire autrement. Vous aurez soin de faire dresser un lit pour Madame la Duchesse [ d'Aiguillon ] à la grande chambre qui est tapissée ou qui le sera, s'il vous plaît, et ferez emprunter de bons matelas bien doux avec des chevets et ferez faire un autre lit pour sa demoiselle. Il faudra mettre les lits de nos Soeurs au grenier pour quatre ou cinq jours au plus. Vous ferez préparer le souper par un traiteur et tâcherez de trouver de la vaisselle honnête. Voilà, je crois, ce qui presse le plus à vous dire ; le reste à l'entrevue. Je suis toute à vous, mes chères Enfants ; c'est pour toutes que je fais ce mot.

re 2701 C405 A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT [LOYSEAU]

De Rouen, mai 1679

Pour moi, très chère Mère, ma joie et mon plaisir sont dans le plaisir de Dieu ; ainsi qu'il lui plaira nous tourner, nous irons sans choix et sans élection : l'Institut est son ouvrage ; il peut le soutenir ou l'anéantir ; je vis en repos en cette disposition, sans m'empresser de rien. Laissons tout en ses divines mains et attendons en patience ses moments. Je conviens avec vous que la longueur de nos affaires nous nuit beaucoup, et comptez que les maisons du Saint Sacrement ne se font pas sans peine ; si c'est dans un temps, c'est dans un autre : il y a toujours à souffrir ; mais, à l'égard du présent, je n'en fais pas d'état, parce que c'est au dehors et que le dedans est en paix. Plût à Dieu qu'elle régnât de même dans celle de Paris ! Je crains avec raison que le démon de la division ne s'y glisse ; il y a longtemps qu'il menace de la troubler ; prions la sacrée Mère de Dieu qu'elle le confonde. Hélas ! que je serais affligée si, quand je sors, j'emportais la joie et la paix ! J'aimerais bien mieux que vous possédassiez l'une et l'autre en mon absence qu'en ma présence, parce qu'il en viendra une [ absence ] sans retour, et j'aurais dès à présent la consolation de voir que tout se soutiendra en bénédiction . Apprenez, chère Mère, à vivre de Dieu, afin que vous deveniez immuable dans les événements fâcheux. Ayez plus de confiance en Dieu qu'en tous les moyens humains, quoique la Providence s'en serve pour ses desseins. Si vous ne me voyez pas abondante, je le serai dans le temps que Dieu a ordonné ; non ma personne, car je ne puis jamais rien avoir. Ma fortune n'est pas de ce monde, étant plus propre à appauvrir qu'à enrichir ; mais Notre Seigneur réparera un jour toutes les ruines que je fais dans l'Institut. C'est son oeuvre ; il la soutiendra par sa toute puissance, et bien mieux, ce me semble, quand il m'aura tout à fait anéantie.

n. 2492 P101

A UNE RELIGIEUSE [ DE LA RUE CASSETTE]

12 de juin 1679

Je réveille ma chère N. (27) du profond sommeil d'oubliance où je crois être dans son esprit, l'assurant qu'il n'en est pas de même de ma part et qu'elle m'est très présente devant Notre Seigneur et avec nos chères Soeurs, parlant souvent de vous, vous désirant avec nous. Vous savez qu'il n'a pas tenu à moi que vous ne soyiez de la

(27) Le contexte de la lettre laisse supposer qu'elle pourrait être adressée à la Mère Marie de Sainte Gertrude Pétau de Molette, professe du monastère de la rue Cassette, celle-ci serait retournée en son monastère après avoir aidé à la fondation de Rouen, parce qu'elle y était nécessaire pour soutenir le choeur.

200 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 201

partie, mais la gloire que vous devez rendre au divin Sacrement en chantant ses louanges dans le choeur de Paris, m'a obligée d'en priver celui de Rouen, qui a fait le moins mal qu'il a pu. Nos chères Soeurs étant un petit nombre n'ont su faire tant de bruit, mais autant bien qu'on le pouvait espérer. La chaleur les avait autant affaiblies que le chant même ; mais voici les pluies qui nous rafraîchissent. Dieu nous soulage dans ce petit trou de maison où l'on est bien pressé. Il faut prendre patience ; en attendant je tenterai de voir des places quand la Mère N. [ Anne Loyseau ? sera ici, pour arrêter une demeure. C'est à présent notre plus grand besoin. Aidez-nous par vos saintes prières et me faites dire un petit mot de votre santé elle n'était pas trop bonne quand je partis. Je prie Notre Seigneur qu'il vous la donne entière et parfaite pour le louer et l'adorer plus que jamais au sacré mystère de son amour. Vivez pour cela, ma très chère, et faites ce que vous pourrez pour vous mieux porter et conserver que vous ne faites. Le lait d'ânesse vous rafraîchirait et remettrait un peu votre poitrine, si vous vouliez en user ; ne le refusez pas, je vous en prie, vous en avez besoin.

Au reste, j'apprends que l'on fait des merveilles par le bâtiment. J'en ai bien de la joie, car il était bien nécessaire, mais l'on commence un peu tard ; il faudrait compenser le temps par la diligence de beaucoup d'ouvriers que Monsieur Chamois pourrait employer. Je prie Notre Seigneur le bénir et l'avancer en le remplissant de tant de grâces que toutes les âmes qui l'habiteront en soient comblées. J'espére y avoir un peu de part à mon retour. Je ne serai pas si longtemps ici, cette fois, que l'année passée, mais je serai obligée de revenir encore une fois pour achever ce que je ne ferai que commencer avant mon retour. J'ai un grand désir de trouver toute la chère Communauté en bonne disposition, sans qu'il en manque une seule. Je vous prie, ma chère Mère, de les saluer toutes de ma part et d'être persuadée que je suis de coeur en Jésus toute à vous.

n. 1400 C405

Mes très chères Enfants,

un ton si juste qu'il ne soit ni trop bas ni trop élevé, pour que chacune y puisse psalmodier dévotement à la gloire de Notre Seigneur. Il faut aussi tâcher de marcher bien modestement et sans bruit dans le choeur, pour ne distraire personne et pour le respect du lieu saint où l'on est en la présence du très Saint Sacrement. Il faut aussi se donner de garde de [ éviter de ] parler à l'issue du choeur, qui est le passage, parce que celles qui sont au choeur en prière en sont distraites et que le bourdonnement des voix se peut entendre par le prêtre qui célèbre et par les gens qui sont dans l'église ; de même aussi dans la cour, car on l'entend dans l'église.

Nous recommandons singulièrement la paix, la douceur, l'union et la cordialité entre toute la communauté, avec une sainte relation à la Mère Prieure, la regardant comme le chef en qui l'esprit de Dieu réside. Il faut que toutes s'accordent avec elle saintement, respectueusement et cordialement et suivent ses ordonnances ponctuellement.

Nous recommandons la pratique des Constitutions autant que faire se pourra, selon le lieu et le nombre de religieuses, et chacune doit avoir un saint zèle pour cela sans considérer ses inclinations particulières ni son propre sentiment.

Et bien que j'aie été si malheureuse que de ne vous avoir donné aucune édification le temps que la Providence m'a fait séjourner ici, je vous conjure toutes de ne point suivre de si mauvais exemples, mais de faire ce que je vous conseille en l'Esprit Saint de Jésus Christ.

n.2364 R20

A LA PETITE COMMUNAUTÉ DE, ROUEN

PREMIÈRE LETTRE APRÈS LE TROISIÈME VOYAGE

Du 27 août 1679

ÉCRIT DE MÈRE MECTILDE AVANT SON DÉPART DE ROUEN,

DE SON TROISIÈME VOYAGE

Fin août 1679

Nous prions la Révérende Mère Prieure de tenir la main que le service divin soit bien fait ; que les voix soient bien d'accord dans la psalmodie ; que toutes se lient d'un même ton pour l'honneur du divin Office et l'édification du prochain. Comme vous avez des voix qui soutiennent, il ne faut pas prendre le ton des Matines si bas que nous faisons quelquefois. Les chantres qui lèvent les psaumes doivent prendre

Je ne puis passer Pontoise sans vous marquer mon souvenir et les assurances de ma tendresse. J'ai fait ce que j'ai pu pour ne vous la témoigner comme je la ressens, pour empêcher la vôtre, qui vous aurait crevées de douleur. Je puis vous dire que, si je n'envisageais l'ordre de Dieu et les secrets de son adorable Providence. j'aurais le dernier regret de m'être séparée de vous, mais il faut que j'espère qu'il sera à la gloire du divin Maître. Je suis dans l'impatience de vos santés. La mienne n'est que trop bonne ; celle de notre compagnie me semble l'être aussi. La chère Mère Cellérière (28) n'a point vomi jusqu'ici ;

(28) Peut être Mère Anne du Saint Sacrement Loyseau qui avait pris une si grande part à l'installation de la petite maison de la rue des Arsins.

202 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 203

nous sommes trop près du gîte pour commencer. Madame la Duchesse [ d'Aiguillon ] est à Saint-Denis, où elle nous attend. Nous n'avons pu avoir de relais, à cause du mariage de la reine d'Espagne (29) et parce que tout le monde s'en va à Fontainebleau.

Mes chères Enfants, que vous me tenez au coeur ! Hélas ! si je ne savais que vous êtes dans le sacré Coeur de la souveraine du ciel et de la terre, je ne me consolerais point ; mais je vous y ai vues en sortant d'avec vous, après la sainte Communion. C'est sa bonté plus que maternelle qui vous soutient et qui vous comblera de grâces. Je suis plus que jamais en son amour toute à vous.

Envoyez, je vous prie, saluer notre chère Madame de G rainville de ma part et l'assurer que je fais de mon mieux ce qu'elle m'a ordonné ; mais que je la supplie ardemment de prier Dieu pour moi, et que je me puisse conduire selon l'Esprit de Dieu dans toutes les affaires qui m'attendent. Je l'embrasse en esprit tendrement et avec respect.

Et vous, mes chères Enfants, je me plonge avec vous aux pieds adorables de notre divin Sauveur sur l'autel, afin que je sois immolée avec vous et qu'en lui et par lui nous ne soyons qu'une même victime. Je vous assure que je ferai toutes mes diligences pour me rendre au plus tôt avec vous. Je n'ai osé vous dire à Dieu, me sentant trop faible, mais prenons part à la force de Jésus Christ qui nous réunira par sa grâce. A Dieu, en Dieu, sans en jamais sortir, puisque c'est notre bienheureux centre. La pauvre Aimée de Saint Joseph [ Rondet m'est bien présente aussi. Je prie Jésus et sa très sainte Mère vous combler de toutes les bénédictions que je vous désire. Je suis en lui votre indigne Mère et fidèle servante.

n° 1124 C405

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

29 août 1679

Je ne puis, mes très chères Enfants, laisser retourner M. N. sans vous dire que Dieu par vos saintes prières nous a conduites très heureusement et en bonne santé. Je vous prie de l'en remercier et de prier la sacrée Mère de Dieu de nous secourir de ses grâces. Je vois un grand jour pour m'en retourner auprès de vous sur la fin du mois prochain ou au commencement de l'autre. Nos Soeurs d'ici s'y attendent et peut-être que tout le reste y sera mieux disposé. Je vous prie toutes de prendre courage et de vous tenir bien unies à Notre Seigneur Jésus Christ entre vous toutes par son divin Esprit. Remplissez vos coeurs de l'amour de ses intérêts en vous dégageant de tout le reste.

(29) Marie-Louise, née en 1662 ; fille de Philippe ler, duc d'Orléans, frère de Louis XIV et de Henriette d'Angleterre, soeur du rôi Charles II. En 1679, elle épousa Charles II d'Espagne et mourut sans enfants à Madrid en 1689.

Vous savez qu'il vous a choisies pour être les zélatrices de sa pure gloire. Hélas ! mes chères Enfants, quand serons-nous animées de ce divin Esprit, qui nous fera vivre uniquement pour Dieu, sans plus penser à nous-mêmes que pour nous tenir fermes dans la mort et le sacrifice ? Mettez bien dans vos coeurs cette vérité que vous êtes appelées à cet état et qu'il faut que tout l'humain soit consumé en nous, parce que Jésus nous veut faire vivre de sa vie divine ; demandez lui cette grâce pour moi, et me croyez en son amour plus à vous qu'à moi-même. Ce mardy 29 août 1679, le tracas commence de bonne sorte.

no 1111 Cr C

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Paris, 31 août 1679

Puisque vous n'êtes plus personne, chère Enfant, je ne vous dois plus voir qu'en Jésus " Christ. Oh ! Soyez-y toute abîmée parmi les excessives agonies de votre âme. Je conçois bien vos tristesses et les morts que vous souffrez, mais, après toutes ces morts, vous aurez une grâce de vie, et de vie divine, si vous êtes fidèle. Je puis vous dire que je vous porte dans mon coeur pour vous donner incessamment à celui pour lequel vous sacrifiez si généreusement. Prenez donc courage, je vous en conjure ; le R.P. Prieur [ Dom Claude Boistard ] m'a déjà donné son consentement pour mon retour ; j'espère que ce sera bientôt. Quant à votre sacristain, je ne me surprends point de sa saleté : les hommes sont tous faits comme cela. Le nôtre l'était effroyablement, mais ce qui me touche, ce sont les pains pour la sainte Communion. Il ne les faut jamais laisser dehors, non seulement pour la malpropreté et la saleté, mais pour des causes bien plus fâcheuses. Il est bon de fois à autres de visiter la sacristie ; nous le faisons ici deux à trois fois l'année. Cependant, il est très difficile de trouver un sacristain un peu adroit ; pour en trouver de maussade, j'en trouverai cent ; mais s'il ne sait parer, qu'en ferez-vous ? Tâchez d'avoir patience jusqu'à mon retour. Je ne vous dis rien de plus, ne le pouvant aujourd'hui qui est jeudi. Il faut aller à la sainte messe et communier, pour immoler tout à Jésus Christ. A Dieu.

n° 2552 P104 bis

Sr Mectilde du Saint Sacrement

Il faut que vous les teniez devers la sacristie, bien propres, bien

respectueusement et en lieu qui ne soit point trop humide, et ne les garder pas plus vieux faits de quinze jours ou trois semaines ; et quand on les achète, il faut tâcher d'en prendre toujours les derniers faits.

204 CATHERINE DE BAR

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

14 septembre 1679

Mes très chères Filles en Jésus,

Je ne vous fais que ce petit mot, pour vous assurer que, grâce à Notre Seigneur, je suis bien mieux que je n'ai été. J'avais peur de vous affliger, me sentant dans une si grande langueur. Je suis à présent en santé et toute prête de retourner si on me le permettait. Nous allons voir ce que deviendra l'Hospice. Madame la Duchesse prétend traiter ce mois prochain de ses affaires avec M. son neveu ; après je serai libre de partir, si la Providence ne m'arrête par quelque chose que je ne puis prévoir. Je vous prie toutes de prendre bon courage et de vous immoler à Dieu pour son oeuvre : il ne la faut point abandonner. J'attends une fille que l'on dit qui a de la voix, car je ressens la peine et la fatigue que le chant vous cause et, comme nous allons entrer dans les jeûnes, je n'en vois point d'entre vous toutes assez fortes pour jeûner. La chère Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] a moins de santé qu'elle ne dit, mais la ferveur l'emporte. La chère Sainte Agnès [ Camuset ] ne le peut, étant trop faible ; elle mangera de la viande jusqu'à l'Avent. La chère Soeur des Anges [ de Beauvais ] ne jeûnera point ; la. Mère Sous-Prieure verra si elle n'a pas besoin de manger gras quelques semaines. La chère Mère maîtresse [ de Sainte Thérèse du Tiercent ] continuera le gras tout le mois prochain ; je crois qu'elle est au lait d'ânesse. La chère Soeur du Saint Esprit étant mal ne peut ni jeûner ni faire maigre si elle n'est mieux de son mal.

Ma Soeur Aimée de Saint Joseph [ Rondet ], point de jeûne pour elle. Ma Soeur de Sainte Geneviève [ Denest ], trois fois la semaine ; la séculière, point si elle ne veut. J'oubliais ma chère Soeur de la Nativité

Bertout 1, comme si elle était la plus robuste. Elle a beaucoup de coeur, mais elle a peu de corps ; c'est pourquoi il n'y aura point de jeûne pour elle que selon que sa santé sera. Je ne m'en doit point fier à son rapport, mais aux autres qui la voient actuellement.

Quant aux novices, la chère Mère maîtresse en disposera selon sa prudence et selon leurs forces et leur santé. Quand elle jugera à propos de faire souper, elle en avertira à la cuisine ; ou la chère Mère Sous-Prieure donnera ordre que ma Soeur Aimée donne le besoin, soit pour le souper quand il le faudra, soit pour les collations journalières. Qu'elles soient raisonnables et, comme l'on ne mange quasi point de salade, vous pouvez donner du fruit et du fromage ou quelques légumes cuits. Quand vous n'avez point de fruits ou de fromage, vous avez le riz, la bouillie, le lait bouilli ou autre, avec un peu de sucre pour éviter les coliques.

FONDATION DE ROUEN 205

Ce mot est bien brouillé ; il le faut excuser. Je serai quelques jours fort occupée pour de petits règlements qu'il faut relever ici. C'est une chose étrange qu'il faut si souvent relever la vigueur et la fidélité des âmes religieuses ; le poids de la nature est si grand qu'il nous entraîne toujours si nous ne sommes toujours veillants. Je prie Notre Seigneur qu'il vous tienne dans une sainte ferveur et que son amour vous fasse consommer vos sacrifices dans ses divines flammes. Ne m'oubliez pas, je vous supplie ; vous savez comme je suis toute à vous et plus que je ne vous puis dire. Je me recommande à vos saintes prières ; j'en ai un très grand besoin.

n° 1251 C405

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

18 septembre 1679

Croyez, chère Enfant, que le coeur ne manque pas, mais que l'accablement de mille petites et grandes choses remplit si fort mon temps que je ne puis faire le quart de ce que je dois, et c'est ce qui me peine le plus dans l'état où je suis, chargée d'âmes ; et du reste il faut bénir le Seigneur qui le permet de la sorte, et cependant ne point perdre la précieuse paix de l'âme, qui est un trésor plus grand qu'on ne croit.

Je viens vous dire un mot sur votre dernière du 16 du courant, qui me console dans la douleur que je ressens à votre sujet, vous ayant laissée quasi sans Mère et sans consolation ; mais j'adore l'infinie bonté. de Dieu, qui vous soutient et qui veut vous tenir lieu de tout. Il est vrai, vous souffrez, mais vous avez l'honneur et l'avantage d'expérimenter plus efficacement le pouvoir de la grâce et ce que Dieu fait dans une âme qui veut bien n'avoir que lui. Je comprends les furies de la nature, le tendre de l'amour des créatures, mais j'admire ce que le divin Sacrement opère en vous. Je vous conjure d'y être fidèle, et vous en recevrez des bénédictions inexplicables. Goûtez et voyez les tendresses de son divin coeur pour les âmes, singulièrement pour celles qui sont liées à cet auguste mystère. Plus vous vous y appliquerez par la foi, plus vous en serez pénétrée. Cependant, je lui rendrai grâce de toutes celles qu'il vous communique par son infinie miséricorde. Croyez, chère Enfant, que la nature se désespère de se voir privée des objets de ses sens ; mais, plus elle est dénuée, plus la grâce se fortifie et soutient le fond intérieur, qu'elle dispose par cette soustraction à être rempli de Dieu. Je voudrais bien m'étendre sur ce sujet : vous m'en donnez un beau champ, mais la Providence ne m'en donne pas le temps.

A Dieu, je vous quitte malgré moi, mais il faut sacrifier. Croyez-moi toute à vous, et que je suis avec vous en esprit pour partager avec vous les sacrifices actuels que vous êtes obligée de faire. Je salue la chère N. en attendant que je puisse lui répondre sur plusieurs de ses lettres.

n° 298 C405

206 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 207

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS ]

28 septembre 1679

Tout beau, tout beau, ne vous fâchez point et ne murmurez que contre moi qui ne suis point si exacte à vous écrire, mais je crois que, si vous me voyiez, vous ne me gronderiez point. Je reçois vos chères lettres, mais bien plus tard qu'il ne faudrait pour y répondre au temps que vous le marquez. Vendredi et samedi, je fus à l'Hospice. Nous avons eu des tracas, pensant avancer l'établissement, ce qui m'a fait faire bien des petites courses, mais la chose est différée ; cependant, je pense à mon retour à Rouen et, avant que de partir, je voudrais pouvoir arrêter les choses nécessaires pour l'Hospice. Tout mon mal, c'est que j'ai trop d'affaires et la capacité trop petite pour y subvenir ; mais, avec le temps, Dieu pourvoira à tout.

Sur ce que vous me demandez ; en de pareilles occasions, vous ne devez point attendre mes réponses, parce que je ne puis quelquefois prendre le temps ; mais, à l'avenir, je me servirai de ma Soeur N. ou de ma Soeur N. ; l'une a été mal et l'autre en retraite : c'est pourquoi il faut avoir bien de la patience de tous côtés. Cela n'empêche pas que je ne songe à vous plus de dix fois par jour. Je ne suis pas insensible à vos peines, ni à celles de vos chères Compagnes. J'espère que Dieu me fera la, grâce de vous le faire connaître. Prenez courage dans la fidélité de votre état de victime. Plus vous serez à Dieu, plus Dieu bénira son oeuvre.

Je vous prie de faire part de la présente à nos chères Soeurs N. N., en attendant que je leur puisse écrire. Je puis bien les assurer qu'elles sont avec vous dans mon coeur. A Dieu. Je salue notre chère Soeur N. Qu'elle continue ses prières pour la délivrance de ce bon M. et que Dieu lui rende la liberté si c'est sa gloire !

no 2815 C405. La dernière phrase est prise au Ms : Sor p. 255 bis.

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

5 octobre 1679

Vos lettres m'ont réjouie, voyant, très chère Fille, que votre esprit s'ouvre davantage pour Dieu et votre volonté s'anime. Je rends grâces infinies au Seigneur et à sa très sainte Mère de toutes les miséricordes que vous en recevez. Ne désistez plus de la fidélité que vous devez aux impressions de la grâce ; marchez vigoureusement et, à mesure que vous sortirez de vous-même, vous entrerez en Dieu. Etablissez-vous dans la vertu solide, et surtout dans une profonde humilité. Vous ne serez heureuse que quand vous ne serez plus rien en vous ni dans les créatures. J'espère vous revoir bientôt et vous assurer que, quoique la Providence ne me donne pas le temps de vous écrire comme mon affection le voudrait, je n'en suis pas moins en Jésus toute à vous. Tâchez toutes de bien édifier les Filles qui entrent chez vous, et surtout par la ponctualité à l'obéissance, aux observances et à la douceur et charité les unes envers les autres. Dites ceci à vos chères Soeurs de ma part, afin que le monde soit édifié pour la gloire de Jésus Christ.

n° 2961 C405

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET]

24 octobre 1679

Je puis vous protester, très chère Fille, que ce n'est pas sans une très sensible peine que je suis si longtemps sans vous écrire. Je n'en sais point d'autre raison sinon que la divine Providence le permet pour votre exercice et le mien, car je vous proteste que j'en fais tous les jours le dessein ; et, quelque diligence que je fasse, je commence et ne puis achever. J'en souffre une peine indicible, ce qui me fait désirer bien ardemment d'être avec vous pour un peu vous consoler, car je crois que vous êtes toutes dans de très pénibles sacrifices, et je vous compatis et voudrais vous pouvoir soulager. Il faut, très chère, prendre encore un peu de courage et de patience. J'espère que Notre Seigneur bénira tout et nous fera la grâce de voir son oeuvre établie, et vous en aurez la récompense. Ce n'est pas un petit ouvrage de commencer un si saint monastère. Je l'appelle saint, parce qu'il ne doit contenir que pureté, sainteté, et c'est les apanages des victimes de Jésus Christ. Je voudrais bien que vous vous entreteniez ensemble des belles qualités des vraies victimes ; c'est le saint zèle que nous devons toutes avoir, et plût à Dieu que nous n'eussions point d'autre ambition, ni de plus pressants désirs que d'être immolées parfaitement à Jésus Christ ! Je voudrais bien que la chère demoiselle qui est chez vous en voulût bien prendre l'esprit. Ah ! qu'elle en serait amoureuse si elle le connaissait ! Je puis dire qu'il n'y a rien de plus saint dans l'Eglise, mais portons ce sacré nom plutôt par état que par parole ; chérissez bien la grâce d'une telle vocation ; surtout aimez tendrement l'union et la concorde ; que vous ne soyez toutes qu'un coeur et une âme en Jésus Christ : c'est le vrai moyen de bien attirer du ciel des bénédictions. Si Mlle d'Ambray demeure, ce sera un bon commencement, mais il faut prier Notre Seigneur qu'il lui donne une vocation de grâce, et qu'elle puisse bien prendre l'esprit de l'Institut comme le principal. Je prie Notre Seigneur qu'il vous bénisse toutes.

n° 1334 N258

208 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 209

A UNE DEMOISELLE QUI DÉSIRAIT ÊTRE RELIGIEUSE

A LA MAISON DE ROUEN [ Mlle MADELEINE D'AMBRAY]

30 octobre 1679

Mademoiselle,

Celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire m'apprend avec une joie singulière que Notre Seigneur vous a fait manger avec plaisir le pain dont il nourrit ses victimes, et qu'il vous l'a fait trouver de si bon goût que vous désirez en être rassasiée. Votre piété ne me surprend pas ; je vois bien que vous avez été pénétrée de la divine saveur du pain eucharistique et que votre appétit s'en veut nourrir. Goûtez, très chère demoiselle, cette manne adorable et vous serez remplie du mystère qu'elle contient ; votre coeur sera dilaté par son amour ; rien ne lui paraîtra difficile ; cet amour lui donnera des ailes de colombe pour voler incessamment autour du tabernacle où repose le Dieu saint. Je ne sais, ma très chère demoiselle, ce qu'il a opéré en vous, mais je me sens pressée de solliciter votre fidélité de ne point négliger la grâce qu'il vous présente. Si j'avais un peu de crédit devant sa très auguste Majesté, je lui demanderais une force toute divine pour vous faire accomplir ce qu'il veut de vous ; je m'estimerais heureuse d'y pouvoir contribuer de quelque chose, mais je me sens indigne de tout. Permettez-moi seulement de vous assurer que je vous offre à Notre Seigneur, en le priant vous remplir de toutes les dispositions que vous avez besoin pour occuper la place qu'il vous destine. De ma part, je vous y reçois en qualité d'une de ses plus chères victimes, et vous y souhaite un comble de bonheur et de bénédictions. Souffrez que je vous demande quelquefois des nouvelles de la conclusion de ce précieux dessein, et que je vous proteste qu'on ne peut être avec plus de tendresse, plus de sincérité et de respect que je suis, en Jésus et sa très sainte Mère, Mademoiselle, votre très humble et très obéissante servante.

ri° 83 Cr C

qui m'ont captivée étrangement et, par surcroît, un rhume qui recommence quand on le croit fini. J'en fus hier et cette nuit fort incommodée ; je - crois qu'il se passera sans autre accident. Toutes nos Soeurs s'en ressentent et en sont très mal ; jugez comment l'on pourra chanter ces deux jours. Il faut s'abandonner à tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur.

Je vous suis sensiblement obligée des lettres que vous m'avez écrites, et des bontés de Me N. Je ne manquerai pas de l'en remercier. Comment se porte ma Soeur N. de ses jambes ? Sont-elles mieux ? Je ne suis pas à Rouen et cependant les miennes sont bien malades ; cela n'empêchera pas mon retour. Je me tiens toujours prête pour la Saint-Martin (30). Si nous avions une maison arrêtée, je partirais vitement pour en conclure le prix ; c'est à présent ce qui est le plus nécessaire. J'ai bien considéré la disposition que vous me mandez de la bonne personne que vous connaissez. Je la compatis et voudrais bien la servir, mais il en faut prendre les mesures avec vous, très chère. Je ne le puis aujourd'hui : le rhume que j'ai me rend un peu malade. Je vous prie d'en faire mes excuses à mes très chères Enfants. Je vous puis dire en vérité que je souffre de ne leur pas écrire. Je reprends celle-ci à plusieurs fois. A vendredi le reste, s'il plaît au Seigneur. J'embrasse toute la chère communauté.

n. 628 P104 bis

(30) Mère Mectilde ne reviendra à Rouen que le 7 avril 1681 pour recevoir à la profession les dix premières novices. Cf. le récit de l'établissement.

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN Hôtel de Senneville, façade ouest, rue amiette, résidence de M. (plan G omboust).

31 octobre 1679

II y a longtemps, très chère Fille, que j'ai peine en moi-même du retardement de mes lettres, sachant bien que vous en souffrez une rude privation qui vous est très sensible, et d'autant plus que, véritablement, j'ai un coeur de mère, quoique je sois assez malheureuse pour n'en avoir pas les effets. Je vous conjure, mon Enfant, d'en juger en faveur de la vérité. Je me suis toujours trouvée dans des embarras

210 CATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 211

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

9 novembre 1679

Je suis assurément très mortifiée que la première lettre depuis mon indisposition vous porte une nouvelle qui ne vous peut être que très douloureuse, puisque c'est l'extrêmité où les maladies qui courent ont mis Mlle votre mère. Elle a reçu cette nuit le saint viatique ; il y en a beaucoup qui en meurent et ne sont malades que trois ou quatre jours. J'ai cru vous devoir donner cette affligeante nouvelle pour lui appliquer vos prières et celles de toutes les victimes. Toute notre communauté vient de communier pour elle. Dieu peut la retirer de ce péril si c'est sa gloire, mais il y a bien plus à craindre qu'à espérer. Procurez-lui des prières et la présentez à Notre Seigneur comme ce qui vous est le plus cher sur terre. Votre sacrifice et votre soumission à la très sainte volonté de Dieu lui seront utiles. Si Dieu en dispose, ce sera aujourd'hui ou demain, selon le mal. Je vous en écrirai demain matin, s'il arrive quelque changement. Cependant, ma très chère Fille, tenez-vous bien unie à Notre Seigneur et vous tenez bien dégagée des créatures : c'est le seul moyen d'être en paix. Je ne suis pas encore en état de pouvoir écrire à nos très chères Filles. Dans peu de jours j'espère le pouvoir et les assurer qu'elles me sont en Jésus, très chères. Je les salue de tout mon coeur.

n" 1442 C405

A LA MÊME

10 novembre 1679

Je sais que je vous ai affligée, mais, comme vous êtes victime, vous deviez vous immoler et entrer dans la joie et le bonheur éternel, que Dieu de toute éternité a préparé à Mademoiselle votre bonne mère et qu'il lui donne dans le moment présent. Elle a pris cette nuit son vol dans le ciel, mais d'une façon si sainte qu'elle a laissé l'odeur de sa mort comme une prédestinée. Ne la cherchez donc plus sur la terre, ma très chère ; elle n'y fait plus sa demeure ; elle est reconcentrée en son Dieu pour n'en être jamais séparée. Je ne puis m'empêcher de la congratuler. Assurez-vous d'avoir une bonne avocate auprès de Dieu. Je ne laisse pas de le prier qu'il soit votre consolation, parce que cette perte vous sera très sensible, tant par votre propre tendresse que pour celle de Monsieur votre père et Mademoiselle votre soeur. Je crois qu'il vous écrira lui-même. Je me suis traînée ce matin au parloir pour le voir et prendre part à sa douleur. Je ne suis pas encore hors de mon rhume mais j'en suis mieux.

Je ne serai pas assez heureuse pour suivre Mlle votre mère. Oh ! que je l'estime heureuse ! J'embrasse en esprit le cher petit troupeau des victimes et prie Notre Seigneur les combler de bénédictions. Priez la chère Mère Sous-Prieure de faire appliquer des messes du chapelain

ordinaire pour le repos de Mlle votre mère en cas qu'elle en ait besoin.

C'est notre intention. Adieu.

no 1405 C405

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS l CAMUSET1

22 novembre 1679

Ce mot est sur la chère vôtre que je reçus hier avec bien de la consolation. Non, non, ne vous affligez point : vos prières sont meilleures que vous ne pensez ; il y a trois jours que je reviens comme le poisson dans l'eau, et j'espère que cela continuera. Prenez courage et vous conservez vous-même ; c'est un vrai miracle que vous puissiez soutenir comme vous faites. Je n'en puis assez remercier Notre Seigneur. Je trouve des voix qui ne sont point belles et qui ne savent rien. La Providence de Dieu nous mortifie bien sur ce sujet, mais espérons toujours, sans nous défier de sa bonté. Vous aviez espérance de quelques filles qui ont de la voix ; ne viendront-elles pas ? Je crois que vous serez obligée d'en prendre de vos quartiers, car, quoique les filles que je trouve n'ont rien et que leurs voix soient bien médiocres, elles n'aiment point d'aller à Rouen. Il faut appliquer vos prières, chère Enfant, pour en demander à Notre Seigneur.

Je m'en vais écrire à notre Mère Sous-Prieure pour l'obliger de donner l'habit à Mlle [ Anne du Hamel (31) le jour de Sainte-Catherine en l'honneur de ma bonne patronne. Je ne lui parlerai aucunement de vous, très chère ; fiez-vous à ma fidélité, qui sera inviolable avec la grâce de Dieu. Je suis bien aise que Mlle d'A mbray persévère ; je ne doute point que cela ne fasse bien des murmures ailleurs, mais continuez de la demander à Dieu ; il ne faut point refuser la bonne

SdvA-5-liTue., no/d/nec

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(31) Soeur Marie Anne Scholastique, fille du sieur Toussaint du Hamel et de Marie Louys, naquit à Rouen, sur la paroisse Saint-Laurent, en 1645. Elle prit l'habit le 25 novembre 1679, fit profession le 30 avril 1681 et décéda le 3 juin 1706. Cf. Archives de notre monastère de Rouen.

212 CATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 213

Soeur [ Marguerite André ] (32), quoique vieille ; elle pourrait être converse, exempte de gros ouvrages, car je ne sais si elle est capable d'être du choeur. Je vous prie de bien vous réjouir en Notre Seigneur et vous tenir bien unie en lui, car il fera son oeuvre. Je suis bien en peine de Madame de Grainville ; je vais tâcher de lui écrire ; c'est pourquoi, très chère, vous n'aurez que ce petit mot aujourd'hui, qui vous remercie de toutes vos saintes prières, et que je suis plus que jamais toute à vous en Jésus et sa très sainte Mère.

no 112 P104 bis

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

24 novembre 1679

Je ne doute point, mes très chères Enfants, que vous ne soyez aussi bien que moi remplies de douleur par la perte que nous avons faite de notre bonne Madame de Grainville (33). J'en parle de la sorte, puisque j'appris hier au soir qu'elle avait reçu le vingt-deux courant, qui fut mercredi matin, l'extrême-onction. Je sais bien que c'est un fruit mûr pour le ciel et que Dieu vient couronner ses mérites. J'envie son bonheur. Oh ! qu'il est grand et qu'elle est heureuse ! Mais, mes Enfants, nous y perdons la meilleure amie du monde. Pour moi, je la ressens très sensiblement, et crois que vous le sentez aussi douloureusement que moi, puisque notre privation étant actuelle, notre besoin de sa chère présence, de ses bons conseils nous sera toujours très ressentie. Vous voyez comme il plaît au Seigneur nous dépouiller de toutes choses pour n'avoir d'appui ni de consolation qu'en lui seul. Je puis vous dire qu'il y a très longtemps que je n'ai été si touchée, ni pénétrée de douleur que je suis de cette perte, que nous espérons cependant retrouver en Dieu. Je ne vous fais que ce mot bien mal, et encore bien précipité ; c'est en attendant que je puisse vous écrire à chacune en particulier ce que Notre Seigneur me donne pour chacune. J'écrivis avant hier à la chère Mère Sous-Prieure et la Mère maîtresse. J'écris aujourd'hui au R.P. Timothée, confesseur de notre bonne Madame de Grainville. Vous aurez soin, s'il vous plaît, de lui envoyer promptement si elle n'était pas encore morte. Si elle l'est, vous enverrez [ ma lettre ] à votre premier loisir mais ne l'égarez pas.

Adieu, très chères Enfants, priez cette sainte âme pour moi ; je la crois au ciel. Ah ! qu'elle m'a touchée ! Voilà un très grand sacrifice pour moi ; mandez-moi ce que vous aurez appris de sa mort, et priez Madame du Buc de m'envoyer quelques petites choses d'elle ; une petite image de papier me suffit, car je la crois une véritable sainte. Ayez recours à elle par vos saintes prières.

ri() 1078 a C405

St ali.1.1.getelte,

(32) Soeur Marie Marguerite Victime de Jésus, fille de messire Thomas André et de dame Marguerite Lucan, née à Rouen paroisse Saint-Michel, reçut l'habit le 7 juin 1681. L'acte est signé : « C. de la Place de Fumechon ». (Ce prêtre, conseiller au Parlement de Normandie fut l'un des fondateurs du bureau des Pauvres Valides).

On ne trouve pas de trace d'acte de profession, mais en sa notice nécrologique il est dit : « Le dixième jour du mois d'août de l'année mil sept cents, est décédée en ce monastère nostre très chère soeur victime de Jésus, nommée au monde Marguerite André. Elle estait âgée de soixante et six ans, dont elle en a passé vingt ans et demy dans la Ste Religion, sans aucun engagement que des voeux simples. L'on avait accordé à sa vertu l'abit de Religieuse et le voille noir quelleet porté plus de 18 ans. Elle avait une grande charité pour le prochain et un ardent amour de Dieu, qui lui faisait passer de longues heures en adoration... Après plusieurs années d'une maladie très rigoureuse soufferte avec une patience admirable, elle ne pouvait plus ni marcher, ni rester couchée... Elle a passé près de quatre mois dans nostre avant choeur sans se pouvoir remuer que par la charité des infirmières, qui la roulais, tous les jours, à la table de l'Espoux... Elle est morte au baiser du Seigneur a onze heure et demie du matin... ». Cf. Archives de notre monastère de Rouen.

(33) Mme de Grainville désirait dès 1663 l'établissement de notre Institut à Rouen. C'est elle aussi qui donna une maison aux Soeurs de la Providence du Père Barré, minime. Cf. René Herval, Histoire de Rouen, Maugard, Rouen, 1949, tome II et abbé Renault, Le monastère des Bénédictines du Saint Sacrement, 1923, p. 2.

Hôtel de Caradas, rue de la Tuile, cuivre de E. Nicolle, 1877

214 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 215 •

AU T.R.P. TIMOTHÉE SUR LA MORT DE MADAME DE GRAINVILI.E

Mon Très Révérend Père, 24 novembre 1679

Je reçus hier au soir l'heureuse nouvelle du bonheur de la plus intime amie qui me restait en ce monde ; je dis heureuse pour elle, puisque le ciel lui ouvre ses portes et qu'elle est remise dans son divin centre pour l'éternité. Je la congratule en la sacrifiant, car je donne à Dieu en sa personne ce qui m'était plus cher et intime en ce monde et qui me semblait être encore nécessaire à plusieurs et même à notre Institut. Je ne puis vous exprimer ce que je ressens intérieurement pour elle, mais, dans ma douleur, je conçois ce que l'infinie bonté de Dieu opère en elle. J'étais en volonté de lui écrire en réponse d'une qu'elle m'avait fait la grâce de m'écrire, par laquelle elle me disait être dans un dénuement et dépouillement terrible, se trouvant tellement séparée de tout qu'elle était, comme suspendue entre le ciel et la terre. Je compris bien que Notre Seigneur la préparait à quelque nouvelle grâce par ce total dénuement ; et ce qui m'a donné plus de croyance que Dieu la retirerait, c'est la cessation de ses peines et la paix divine qu'elle possédait ; cette paix est l'avant-goût du paradis.

Je n'ose espérer un retour de cette grande et périlleuse maladie ; cependant, selon ce que l'on connaît, elle serait encore bien utile à la gloire de Notre Seigneur, mais, si vous ne l'obtenez, nous ne l'aurons pas, car c'est un fruit mûr pour la vie éternelle. Je vous conjure, si Dieu vous le permet, ne la laissez point partir ; moi, de ma part, je ne puis que demeurer abîmée sous cette conduite adorable. Je ne puis vous exprimer les mouvements de mon coeur sur cette bénite âme victime du divin amour. Si elle est encore sur la terre, dites-lui pour moi ce que l'Esprit Saint vous fera dire et me donnez vitement de ses nouvelles. Votre lettre a bien tardé de venir ; elle est datée du 19 courant et je ne la reçus qu'hier 23 avec un petit mot d'une de nos Soeurs, qui me donnait avis que cette sainte amie avait reçu l'extrême-onction, qui me fit croire qu'elle n'était plus de ce monde et qu'elle pouvait bien avoir pris son vol dans le ciel. Si elle nous a quittées, priez-la qu'elle soit notre avocate et qu'elle nous obtienne miséricorde. Et pour vous, mon très Révérend Père, continuez votre course ; je doute qu'elle soit bien longue ; la mienne n'est qu'infidélité. J'attends les moments de Dieu pour tout anéantir ; c'est l'ouvrage de sa toute puissance aussi bien que de sa très grande miséricorde. Demeurons en lui, unis à son Esprit pour le temps et l'éternité. Je vous prie de témoigner à Mlle [ du Buc ? ] la part que je prends à sa douleur dans le sacrifice d'une parfaite amie ; je tâcherai de lui écrire quand vous m'aurez donné des nouvelles de la consommation de cette précieuse victime d'amour. Ce seront ces flammes sacrées qui la consumeront. O heureuse mort ! Adieu, mon bon Père, c'est votre indigne...

n" 1365 C405 A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS]

26 novembre 1679

Il est vrai, chère Enfant, que vous avez sujet de vous plaindre de mon silence, mais j'ai cru que vous connaissiez mon coeur et que vous vous persuaderiez facilement que ce n'est pas un défaut d'amitié, mais de puissance pour l'ordinaire et par mille embarras ; car notez que si je ne prends après matines, je ne puis quasi trouver de moment.

Celle-ci est seulement pour vous remercier des soins que vous avez pris de me donner des nouvelles de notre bonne Madame de Grainville. Je puis dire qu'il y a plus de quinze ans que je n'ai été si touchée. Dieu l'a voulu ; il le faut adorer ; vous et moi en aurons grand besoin, mais il se faut passer de nos meilleurs amis quand Dieu le veut. II a fait un coup que je n'attendais point si tôt ; il en soit adoré et béni ! Elle sera notre avocate au ciel, puisque nous ne la possédons plus en terre. Remettons-nous tout en Dieu, qui nous ôte tout afin de rester lui seul et que nous trouvions en lui tout ce que nous perdons aux créatures. N'en soyons pas moins anéanties ni fidèles à Jésus Christ.

Je suis bien en peine de notre chère Nativité [ de Jésus Bertout Je vous prie de nie donner tous les jours de ses nouvelles et du cher petit troupeau des victimes, que je vois si faible selon le corps mais, par la grâce, plein de courage et de zèle pour sa gloire et son amour. J'ai bien offert à Dieu cette chère petite troupe toute cette nuit ; je l'ai quasi toute passée en esprit avec vous toutes, priant Notre Seigneur de vous soutenir et de vous conserver. Il ne serait pas nécessaire qu'aucune fût malade : le nombre est trop petit et vous êtes toutes trop occupées à vos emplois. Si mes prières y pouvaient quelque chose, vous pouvez croire que je ne les épargnerais pas. Il faut tout abandonner et se confier au souverain Maître de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie. Je vous prie de m'écrire un petit mot chaque jour pour me tirer de peine, ou, si vous ne le pouvez, une autre en prendra la commission. Vous dites, s'il vous plaît, à la chère Mère [ Sous-Prieure ] de Rouen que, par la grâce de Dieu, j'ai rompu l'affaire de Metz (34) et que je travaille pour l'Hospice, en attendant qu'elle me donne quelque jour certain pour acquérir la maison de Monsieur Salet.

Nous allons louer une autre maison, parce que celle de nos Mères est vendue, mais apparemment elles ne sortiront point du quartier (35).

(34) Les Supérieurs des Bénédictins de la Congrégation des Saints-Vanne-et-Hydulphe, en Lorraine, avaient préssenti Mère Mectilde pour établir la réforme à l'abbaye de Sainte-Glossinde à Meta, en l'agrégeant à notre Institut. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 203. Arch. Dép. Moselle, H 1066 DD 15.

(35) A Paris, dans le quartier de la porte Richelieu.

216 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 217

Faites part de nos nouvelles à toutes, sans oublier la pauvre Aimée de Saint Joseph [ Rondet ]. Vous m'êtes toutes si présentes que je vous compte toutes et, après, je cherche pour en trouver davantage, car je ne trouve que sept professes en tout. Embrassez-les pour moi. Je tâcherai d'écrire demain à notre chère Nativité. A Dieu. Voilà ce que je puis écrire en dérobant ce moment. Croyez-moi toute à vous et aux chères et aimables victimes.

n° 496 C405

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Ce 28 novembre 1679

Je viens de recevoir les chères vôtres par lesquelles j'apprends la sortie de cette bonne fille qui a une si belle voix. Il faut bénir Dieu, mais j'en suis mortifiée, car j'y faisais fond pour soulager nos Soeurs pour le choeur. Je regrette bien sa voix, mais, après tout, il s'en faut remettre à la Providence divine, espérant qu'elle y pourvoira dans le temps.

Ne vous fâchez point et ne murmurez que contre moi qui ne suis pas si exacte à vous écrire, mais je crôis que, si vous me voyiez, vous ne me gronderiez point. Tout le mal est que j'ai trop d'affaires et la capacité trop petite pour y subvenir mais, avec le temps, Dieu aura soin de tout ; cela n'empêche pas que je ne songe à vous plus de dix fois par jour. Je ne suis pas insensible à vos peines, ni à celles de vos chères Compagnes. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de vous le faire connaître, car, ma chère Enfant, je ne saurais assez vous dire à quel point est ma tendresse pour vous toutes.

Si Dieu me fait la miséricorde de vous revoir, comme j'espère de son infinie bonté, je vous le témoignerai plus que jamais. Prenez donc courage pour l'amour de celui que l'amour rend tous les jours victime sur nos autels.

Vous me consolez de dire que les anges ont chanté avec nos très chères Soeurs à cette vêture [ Anne du Flamel ; Dieu en soit béni ! Il faut bien nous abandonner toute à lui. Cependant, continuez de lui donner toute la fidélité qui vous sera possible en patience et en humilité : vous en aurez plus de grâces et de paix dans le coeur.

Je vous envoie ce que j'ai de bougie pour le poteau ; offrez à Notre Seigneur les réparations qui s'y feront pour mes péchés.

A Dieu, ne m'oubliez pas en vos saintes prières.

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

30 novembre 1679

Je viens de recevoir les chères vôtres du 28 courant, par lesquelles j'apprends la sortie de cette bonne fille qui a une si belle voix. Il faut bénir Dieu, mais j'en suis fort mortifiée, car j'y faisais fond pour soulager la pauvre Soeur de Sainte Agnès [ Camuset ] et les autres pour le choeur. Si cette fille voulait dire ingénuement son mal, on la pourrait faire guérir ; n'y a-t-il point moyen de le savoir ? Elle se fait tort de le cacher, et, comme il semble qu'elle a une grande envie d'être religieuse, peut-être le dirait-elle si elle en croyait guérir ; c'est à elle de le vouloir, car de ce mal il ne peut-être que du mal caduc ou de quelque maléfice. Je regrette bien sa voix, mais, après tout, il s'en faut remettre à la Providence divine, espérant qu'elle y pourvoira dans le temps.

Nous finissons l'année, chère Enfant ; tâchons que ce soit dans une sainte contrition de toutes les fautes que nous y avons commises. Plût-il à Dieu que nous puissions commencer une vie nouvelle en l'Esprit Saint de Jésus Christ aussi bien qu'une nouvelle année ! Hélas ! tout s'enfuit dans le néant, le temps chasse le temps, et dans peu nous nous verrons à la mort. Demandez bien pour moi la grâce de bien mourir en me séparant de toutes choses. Je me remets à la Providence pour toutes mes affaires, n'attendant plus rien de personne. Dieu fera ses très aimables volontés ; mais ne vous affligez point de toutes ces sortes de choses ; marchez toujours dans les voies de la sainteté où Dieu vous appelle ; ne retardez pas un moment de vous rendre à ce que Dieu veut ; nous n'avons que cela à faire ; c'est votre ouvrage. Ne vous arrêtez pas en chemin, laissez les créatures pour vous abîmer dans le Créateur ; désoccupez-vous de tout ce qui peut détourner votre pensée du saint recueillement où vous aspirez ; ne remplissez pas votre esprit de ce qui le peut inquiéter, mais possédez votre âme en paix, sans précipitation, sans activité qui brouille au dedans et qui attire des ténèbres dans l'esprit ; accoutumez-vous à tenir toujours votre coeur dans une sainte liberté, ne le laissant captiver que de Dieu seul ; surtout, gardez-vous de l'empressement, ni de prendre facilement impression d'aucune chose qui puisse altérer la charité, que je vous recommande autant qu'il m'est possible.

Mille bonjours et à Dieu. Je prie la sacrée Mère de Dieu vous combler de toutes les bénédictions que vous avez besoin pour finir saintement cette année et commencer la nouvelle pour la consommer en son amour.

no 1579 C405

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218 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 219

A UNE DEMOISELLE SUR LA MORT DE MADAME DE GRAINVILLE [ MADAME DU BUC

2 décembre 1679

Je ne vous fais qu'un petit mot, ma très chère demoiselle, pour vous rendre un million de grâces du précieux présent de notre bienheureuse que vous m'avez envoyé. Je l'ai reçu comme venant du ciel avec profonds respects, je vous en ai une obligation infinie. Je ne sais si vous aurez eu la pensée de faire tirer un portrait ; si cela est, je vous en demande une copie ; j'y satisferai. Il faut vous dire que je n'ai jamais ressenti tant de tendresse et de respect pour aucune sainte âme que j'ai connue en ma vie que je fais pour cette sainte dame. Vous m'auriez fait une singulière grâce de me recommander à ses saintes prières, mais je n'ai pas été digne de son souvenir ni du vôtre. En cette occasion, je me fais justice, mais cela n'empêche pas que je n'aie versé bien des larmes. En lisant votre chère lettre, si imprégnée de la sainteté de cette belle âme que je ne puis avoir d'autres sentiments que de son bonheur et de la gloire qu'elle possède, je n'ai point de scrupule de l'invoquer en secret. Je ressens un amour pour elle qu'il ne m'a jamais été donné pour toutes les saintes âmes que j'ai connues et qui assurément sont en paradis. Je vous prie que l'on ait grand soin de ses écrits et que rien n'en soit perdu. Ayez la bonté de voir Madame sa fille, aux Carmélites (36), et de lui témoigner la part que je prends à sa juste douleur. Obtenez-moi un peu de part à ses saintes prières et de toute cette précieuse communauté.

Ne m'oubliez pas, très honorée et chère dame ; recommandez-moi au R.P. Timothée, et je vous prie d'avoir toujours un peu d'affection pour nos chères Soeurs. Et me croyez toute à vous, en Jésus et sa très sainte Mère ; voyez en quoi je puis vous être utile ; vous connaîtrez que je suis très sincèrement votre affectionnée servante.

no 1255 Crc

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET

2 décembre 1679

Il est vrai, j'ai été et suis très touchée de la mort de notre bonne madame de Grainville. Hélas ! que je serais heureuse de la suivre et que mon sort fût aussi fortuné que le sien, car je la crois au ciel !

(36) Introduites à Rouen par Jean de Quintanadoine, sieur de Brétigny, le 10 juin 1609. Elles demeurèrent rue des Camahiers, puis rue du Grand Maulévrier, pendant qu'on leur bâtissait un monastère achevé en 1623. L'église terminée en 1651 fut consacrée sous le vocable de l'Assomption de Notre-Dame. Jean de Quintanadoine, né à Rouen en 1555, y décéda le 8 juillet 1634. Il fut le premier à traduire en français les lettres de sainte Térèse. Cf. Amiot, Op. cit., t. 3, p. 424 et sq.

Ne vous occupez point, chère Enfant, de ma mort, mais demandez pour moi miséricorde. Ce que vous dites sera peut-être bien vrai, mais il ne se faut pas occuper de l'avenir : ce serait une grande imperfection. Espérons et nous abandonnons à Dieu. L'Institut perdra une grande pécheresse et Notre Seigneur remplira sa place d'une âme sainte. Au reste, l'histoire des Carmélites est très affligeante et m'oblige de bien faire ; priez Dieu pour elles. Voilà un terrible accident, Dieu nous en veuille bien préserver !

Une âme qui ne veut en tout et partout que la divine volonté ne s'attriste d'aucune chose. Nous vous exhortons à une profonde humilité et à une sainte joie au Saint Esprit ; établissez-vous le plus que vous pourrez dans l'esprit de sacrifice, d'hostie et d'anéantissement, comme étant le solide et véritable fondement de la vie intérieure, estimez les souffrances comme l'état divin où Jésus Christ a été toute sa vie. Heureuse l'âme qui ne cherche qu'à contenter son adorable Sauveur, en se laissant à lui comme la proie de sa justice et la victime de son amour ! Priez Dieu pour moi.

J'embrasse la chère Mère Sous-Prieure ; je lui recommande toujours le petit troupeau du Seigneur ; que rien ne lui manque afin que Dieu soit bien servi, en paix d'esprit et tranquille de coeur ; je m'en repose à son charitable soin. Je prie Notre Seigneur qu'il vous bénisse. J'embrasse tout le petit troupeau. Adieu.

n° 488 C405

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT I CHEURET)

6 décembre 1679

Pour votre intérieur, je vous conseille de vous appliquer fidèlement. Vous savez ce que vous avez promis à Notre Seigneur. Vous avez adresse pour tout ce que vous voudrez ; ne négligez point le principal qui est votre sanctification : c'est une chose effroyable d'en refuser les occasions. Souvenez-vous de l'Evangile, qui nous dit que si vous n'êtes petite comme un enfant, vous n'entrerez point au royaume des Cieux [ Mc. 10, 14-17 ]. Priez Dieu pour moi et ne prenez point d'excuse que j'ai des embarras ; j'aurai toujours assez de temps quand vous le voudrez, mais voyez si ce n'est point un esprit de libertinage qui vous fait dire que je suis trop occupée.

n° 2507 P104 bis

220 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 221

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

7 décembre 1679

Ma très chère Enfant,

Je suis dans une peine extrême d'apprendre que vous ne revenez point de votre rhume. Avez-vous envie d'y demeurer ? Je m'y oppose, très chère Enfant ; relevez votre courage. Il y a quelque chose en vous qui vous flétrit le coeur, et je crains que ce ne soit une vengeance du démon, pour vous être comportée fidèlement vers l'auguste mystère de l'autel. Au nom de Dieu, reprenez vigueur, et renouvelez votre foi. Je suis en esprit quasi toujours près de vous, mais vous n'avez que des pensées brunes. Je sais que vous souffrez, mais je sais aussi que mon Dieu vous aime et vous purifie par cette petite croix. Tâchez qu'elle vous serve de préparation pour ce saint temps. Je vous réveille de la part de votre divin Epoux au très Saint Sacrement, et de sa très sainte Mère, en attendant que je vous dise quelque chose de plus. Croyez-moi toute à vous, chère Enfant.

no 1469 P104 bis

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [DE BEAUVAIS]

Paris, 7 décembre 1679

Chère Enfant,

Je ne vous ai point fait de réponse, parce que je ne vous crois pas capable d'augmenter vos travaux : ils sont assez fatigants, portez toutes vos peines en esprit de pénitence, et cela vous sera plus avantageux que celles que vous désirez ; vous en pouvez faire quelques-unes au réfectoire ; mais, pour votre corps, soutenez-le comme vous pourrez, et du reste mettez-vous en repos et vivez en paix le plus qu'il vous sera possible, sans vous inquiéter d'aucune chose. Souvenez-vous seulement tous les jours que vous êtes victime, par l'état de votre profession et par rapport à Jésus Christ ; mourez tous les jours avec lui sur l'autel, par son immolation, et il vous fera vivre dans l'éternité de sa vie de gloire. Pour ce qui regarde votre intérieur, abandonnez-le tout à Jésus Christ, anéanti dans le sein virginal de sa très sainte Mère, c'est là que vous devez ce mois-ci l'adorer, sans sortir du sacré tabernacle, où ses divins mystères sont tous renfermés ; portez vos ténèbres, vos impuissances et tout le reste pour l'adorer dans son état de captivité et d'anéantissement ; souffrez tout ce que la Providence vous enverra et vous tenez toujours dans une humble soumission à ses pieds.

Je puis vous assurer que je reçois toutes vos lettres, mais quelquefois trois jours après leur date. Cela n'empêche pas que je ne les lise fort exactement, sachant bien que vous me mandez toutes choses et que vous me faites bien plaisir : continuez sans vous incommoder.

Celle-ci, que j'ai commencée le cinq, je la finis le sept, n'ayant pu trouver le temps de vous dire plusieurs choses que je crois utiles à votre perfection ; mais il faut que je prie l'auguste Mère de Dieu d'être votre divine Maîtresse et de vous apprendre à vous séparer de vous-même : c'est la grâce que je lui demanderai pour vous et pour moi à la grande fête de son Immaculée Conception. Hélas ! je voudrais bien la passer avec vous, mais Dieu ne le veut pas j'espère néanmoins n'être pas si longtemps sans vous voir ; continuez vos prières pour moi voilà ce que je vous puis dire. Mille bonjours et à vos chères Compagnes. Vous donnerez la ci-jointe à ma chère N. en mains propres.

A Dieu, chère Enfant, croyez-moi toujours toute à vous. Adieu.

no 1226 P132

A UNE SOEUR CONVERSE

[ SOEUR AYMÉE DE SAINT JOSEPH RONDET]

12 décembre 1679

Chère Aymée, mon Enfant, j'ai appris votre indisposition, dont je suis fort touchée ; je crois bien que c'est un défaut de faire les remèdes dont vous avez besoin, car vous avez un grand fond de bile, et qui vous fera souvent malade si vous ne prenez les précautions nécessaires. Il vous y faut assujettir par soumission à Dieu et à l'obéissance ; prenez donc courage et tâchez de vous guérir. Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne les grâces dont vous avez besoin pour achever dignement votre sacrifice (37). Nous ne pouvons retourner à Dieu que par la croix ; c'est elle qui nous conduit dans les voies de la grâce et qui nous ouvre les portes du paradis. Si vous pouviez lire vous-même mes lettres, je vous en dirais bien davantage, mais je ne le puis. 11 suffit donc que je vous assure que vous m'êtes très chère et que je ne vous oublie pas. Souvenez-vous aussi de moi devant Notre Seigneur. Votre petite nièce est toujours à l'Hospice ; n'en soyez pas en peine. Ne pensez qu'à aimer celui qui vous aime si tendrement que de naître dans une étable pour votre amour, et qui s'immole pour vous tirer dans son sacrifice. Vivez de cet esprit, très chère, et vous rendez fidèle à ses conduites toutes pleines de grâce pour votre sanctification. A Dieu, chère Aymée, je suis en son amour toute à vous.

(37) Elle décéda le 9 octobre 1718 !

222 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 223

Chère Ange [ Monique des Anges de Beauvais ], vous lirez ce mot à ma chère Aymée de Saint Joseph entre elle et vous. Je vous remercie du soin que vous avez de m'écrire toutes choses. Croyez-moi toute à vous. C'est en hâte ; je sors pour les affaires de l'Hospice qui retardent plus qu'il ne faudrait, mais il faut tout abandonner à Dieu.

ri° 666 P104 bis

A MADEMOISELLE D'AMBRAY

13 décembre 1679

J'apprends avec bien de la joie votre persévérance dans le dessein que la grâce a imprimé dans votre coeur. Si vous aviez pu abréger le temps de votre entrée, vous auriez évité beaucoup de combats (38). Mais, puisque vous êtes obligée d'attendre, il faut prier la sacrée Mère de Dieu de soutenir votre volonté et fortifier votre sainte résolution. L'enfer ne le peut souffrir, et c'est pourquoi le monde la combat, mais, ce qui me console, c'est que Jésus Christ au divin Sacrement de l'autel en triomphera, puisque c'est son amour qui vous presse si tendrement de vous immoler et de vous faire une des plus zelées victimes de sa gloire. Il faut donc pousser votre courage jusqu'à la glorieuse conclusion. De notre part, nous ferons faire des prières pour vous obtenir du ciel toutes les grâces que vous avez besoin pour être consommée un jour du pur amour de celui qui est sur l'autel, le feu divin qui doit embraser nos coeurs. Je suis en lui, très cordialement avec respect, Mademoiselle, votre très humble, très obéissante et fidèle servante.

n° 855 C405

agréable. Vous l'aurez peut-être appris de la chère Mère cellérière [ Anne du Saint Sacrement Loyseau ], que nous avons quatre petites filles céans attaquées de rougeole mêlée de petite vérole, qu'il y en a une que nous avons pensé enterrer hier, le saint jour de Noël, mais, aujourd'hui, elle paraît un peu moins mal, cependant toujours en péril d'une fluxion sur la poitrine, etc... Mais ce qui touche davantage c'est que selon l'apparence ce mal va se communiquer dans la communauté. Ma Soeur Catherine de Jésus (39) en est prise ; l'on craint que ma Soeur de Saint Maur (40) ne le soit aussi. Si cela avance, voilà un furieux tracas, car on n'a pas de lieu pour nous séparer. N'était l'obligation que j'ai de ne les point abandonner, je m'en irais avec vous, mes chères Enfants ; mais je n'ai garde de les quitter dans leur affliction, outre que j'espère que Notre Seigneur aura pitié de nous par vos saintes prières. Ne vous affligez pas de notre croix, mais priez le Seigneur qu'il s'en glorifie. Je crois que notre bonne Mère [ Bernardine Gromaire ] vous aura mandé la mort de la chère Mère Scholastique [ Gérard ], Sous-Prieure (41) de notre Maison de Rambervillers. Cette mort m'a fort touchée. Je la recommande bien à vos prières. Vous aurez vu Madame du Vaupan qui vous aura assurées de notre santé. Je suis bien, mais je crains bien que la chère Mère cellérière n'y demeure, car elle a tout le tracas et se tue pour me soulager. Priez bien Notre Seigneur qu'il me la conserve ; hélas ! que ferais-je sans elle, car elle fait tout. Je tâcherai de vous écrire ou le ferai faire ; tous les jours un petit mot pour vous tirer de peine. Croyez-moi toute à vous.

n° 2301 C405

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

1679

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN Vous avez bien raison de vous persuader que l'unique joie de votre âme est d'être fidèle à Dieu, mais où le serez-vous que [ sinon ] dans le combat de vos passions et inclinations naturelles qui s'opposent à votre sanctification ? Le démon, par la permission de Dieu, se met de la partie ; il vous jette dans une noire mélancolie, pour vous rendre incapable d'accomplir vos obligations. Le dégoût que vous en ressentez

26 décembre 1679 (39) Anne Rasle prit l'habit au monastère de la rue Cassette le 3 avril 1675 et fit profession le 4 mai 1676. En 1684 elle devint maîtresse du « séminaire » ou pensionnat de jeunes filles.

Notre silence de quelques jours vous peut bien faire de la peine, mes très chères Enfants, mais il faut vous dire que la Providence nous a fourni de petits embarras qui nous ont et donnent encore de la peine, quoique tout ce qui part de la main du Seigneur nous doit être très (40) Marie Magnan prit l'habit le 13 janvier 1674 et fit profession le 5 juillet 1675. Elle fut la neuvième professe converse du monastère de la rue Cassette.

(38) Elle n'entra au monastère que le lei janvier 1680. (41) Mère Scholastique de l'Assomption Gérard. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51 - 54 et 229 ; Lettres Inédites, 1976, p. 244 - 325.

224 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 225

est bien un effet de sa malice ; mais si l'enfer vous attaque, Dieu, sa très sainte Mère et tous les saints sont pour vous. Recueillez votre foi et, quand il vous semblerait que l'enfer serait ouvert, ne désistez pas un moment de vous soutenir en foi. Vous ne combattrez pas seule :

Il est avec vous, pour triompher de ses ennemis ; allez, tête baissée, les affronter hardiment. Mais comment les terrasserez-vous ? Par une

profonde humilité, un saint mépris de vous-même et un appui sur l'infinie bonté de Dieu ; ne laissez pas de vous tenir près de lui. Quoique votre intérieur soit plus aride que cette montagne de Gelboé [ 2 S. 1,21 ], Dieu l'inondera de sa grâce au moment que vous n'y penserez pas ; et si vous n'avez pas plus de rosée, soyez, comme elle, immuable sous les influences de la grâce ; il faut que la vertu soit dans l'épreuve. Souvenez-vous de la conférence du Père Guilloré (42) ; elle vous est fort utile dans cette disposition pour faire un saint usage de votre pauvreté. Courage, mourons à la peine ; vous savez que le ciel souffre violence, et qu'il n'y a que les violents qui le ravissent. Je prie Notre Seigneur qu'il soit votre force.

n" 3008 P104 bis

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

1679

Gardez-vous bien, mon Enfant, de prendre l'extrême. J'ai bien cru que vous auriez des combats et de rudes atteintes, mais Notre Seigneur sera le maître, et, avec sa grâce, je vous aiderai et ne vous abandonnerai point si vous voulez être fidèle. Ne craignez pas de me dire tout ce que vous voudrez ; je vous jure et promets l'inviolable secret, je ne vous tromperai pas. Venez simplement et confidemment. Vos blessures sont mes blessures, vos péchés sont les miens ; je gémirai pour vous comme pour moi. Vous savez que je suis votre Mère et que vous êtes ma chère Fille ; croyez que je vous aime tendrement et que je suis votre sincère amie. Je vous cacherai dans mon coeur, je ferai prier Dieu pour vous ; vos intérêts éternels seront les miens, et je dirai à Notre Seigneur de tout mon coeur que je ne veux point aller en paradis sans vous. Soyez certaine qu'avec sa grâce je ne vous abandonnerai pas. Espérez en sa miséricorde et aux mérites de sa mort et de son sang. Il est de foi que, sitôt que le pécheur se repent de tout son coeur d'àvoir offensé son Dieu, il le reçoit à miséricorde et lui pardonne tous ses

(42) François Guilloré (25 décembre 1615-1684) jésuite français, né au Croisic, diocèse de Nantes. 11 a gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe et a publié plusieurs ouvrages très appréciés. Il mourut à Paris le 29 juin 1684. D.T.C., fasc. X LV III, col. 1989.

péchés. Prenez donc courage, souffrez votre trouble et vos peines en pénitence, mais ouvrez votre coeur et ayez une entière confiance en nous, puisqu'en Jésus je suis toute à vous. Je tâcherai de vous voir aujourd'hui. Ne vous embarrassez pas, il suffit que vous connaissiez que vous êtes pécheresse, et que vous voudriez de bon coeur souffrir toutes les peines de l'enfer et n'avoir jamais offensé un si bon Dieu, qui est tout prêt à vous pardonner et oublier pour jamais vos péchés. Il veut les consommer dans son sang ; en un mot il veut vous sauver. Il faut retourner à Dieu comme à votre bon Père, il vous attend pour vous consommer en son amour.

n°432 P104 bis

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [ CHEURET

1679

Ce mot n'est que pour vous dire que votre colère est une colère de lion, et je prends la douceur d'un agneau pour vous [ dire ] que je ne suis pas tout-à-fait dure pour vous. J'ai compris votre peine sur la sainte Communion, mais vous n'y pouvez mettre aucun remède que par l'humiliation et la patience. Nous avons bien mérité d'être privées des douceurs de ce divin banquet. Il se faut faire justice : les délices de ce précieux festin ne sont goûtés que des coeurs purs. Il ne faut pas prendre la liberté de nous mettre au premier rang, mais les derniers et au-dessous de tous les conviés, afin que notre profonde humilité répare ce qui nous manque d'innocence et de sainteté. Connaissons-nous et nous tenons à notre place, qui est le néant ; faites toutes vos diligences pour bien communier et, après avoir reçu ce divin Sauveur, abîmez-vous profondément et vous y tenez tant qu'il lui plaira vous en faire sortir par quelqu'autre disposition. Il ne faut point tant de cérémonies ; il ne faut que la pureté du coeur pour bien communier, et l'humilité ; ayant cela, ne vous inquiétez pas du reste je vous en garantis : tout votre mal est que vous voulez être ce que Dieu ne veut pas ; si vous aviez été fidèle, il y a longtemps que vous seriez plus séparée de vous et plus anéantie en Jésus Christ. Je vous verrai pour vous persuader que je vous dis vrai et que vous devez marcher au néant, ou vous serez toujours malheureuse. Pensez-y sérieusement.

Vue de Rouen au début du XVII'. siècle gravée par Dancker Danckerts

,

44;V›.1:7'44.

no 115 P 104bis

226 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 227

A LA MÊME

1679

Je n'ai pas moins espéré de la bonté de Dieu sur vous, ma très chère Fille, que vous m'en faites paraître dans votre billet. J'ai toujours connu qu'il y avait un dessein de miséricorde formé dans le sein de Dieu sur vous, mais je gémissais toujours, ne voyant aucun jour pour que cette grâce fût reçue en vous et y produise l'effet qu'elle y doit faire. Il a donc été nécessaire que la main de Dieu me frappe pour toucher votre coeur et le rappeler de ses égarements. Oh ! que j'estimerais heureux le moment qui m'a renversée sous le poids de la justice divine ! S'il pouvait aider à votre retour vers Dieu ! Que très volontiers j'en recevrais mille fois davantage, si votre conversion en devenait plus solide ! Je m'offre pour cet effet à Notre Seigneur Jésus Christ, voulant souffrir avec vous et pour vous en son Esprit, pour obtenir une abondante miséricorde sur vous et que je puisse avoir la consolation de vous voir être toute à lui. Sincèrement, les promesses que vous en avez faites à Dieu me donnent de la joie, ne croyant pas que vous lui voulussiez manquer de fidélité. Les châtiments de sa justice en tomberaient sur vous et sur moi : ne vous y exposez pas, ma chère Enfant, car il ne faut pas jouer avec Dieu, mais, puisqu'il vous donne une résolution forte, soutenez-la par la fidélité, vous assurant que la suite vous en deviendra facile et agréable. Il n'y a que les premiers coups qui sont fâcheux, mais, quand vous avez rompu avec la nature et réduit la créature au-dessous pour faire triompher Notre Seigneur, il comble de grâces et les va toujours augmentant.

Je vous assure que je ne prierai point Dieu pour moi que je ne le prie pour vous, mais, mon Enfant, ne me trompez pas, car vous me feriez mourir de douleur ; mon coeur s'en crèverait. Après avoir ressenti une très grande et sensible joie de votre meilleure disposition, il ne pourrait soutenir ce revers, et, comme je crois que vous voulez être ferme et fidèle dans vos résolutions, je vous demande, pour ma satisfaction, une petite relation sincère de toutes vos pratiques, toutes les semaines, et de vos rechutes si vous en faites quelques-unes, mais sans dissimulation, parce que Dieu sait la passion que j'ai de votre perfection et que je donnerais mille vies pour l'établir solidement. Je me réjouirai de vous voir fidèle, et prierai Notre Seigneur qu'il vous augmente le secours de sa grâce pour vous vaincre et les créatures qui vous ont toujours engagée à mille misères, par complaisances, vanités et respect humain.

En persévérant à servir Dieu et en observant vos Constitutions, soyez persuadée que vous n'aurez jamais une meilleure amie que moi et que je serai, en Jésus et sa très Sainte Mère, toute à vous sans réserve dans le temps et dans l'éternité.

no 1032 N256 A LA MÊME

1679

Un coeur peu habitué de s'occuper de Dieu a sans doute bien de la peine à s'y appliquer, mais il ne faut pas que la difficulté vous rebute, car il faut surmonter la répugnance et aller à Dieu, malgré toutes les oppositions que la nature, l'amour-propre et le démon vous peuvent faire ; et comme votre esprit a de l'activité naturelle beaucoup, vous ferez bien de le retenir le plus que vous pourrez en la présence de Notre Seigneur, dans un respectueux silence qui doit tenir le fond de votre âme en adoration et dans une humilité profonde. Puisque vous êtes en la présence d'un Dieu infiniment saint, vous pouvez vous y tenir avec les anges et les bienheureux, quelquefois avec la sainte Vierge, vous unissant simplement à ses dispositions.

Or, si vous voulez réussir en cette oraison et y trouver la grâce qu'elle renferme, il faut tenir votre coeur dans un sincère dégagement et bannir les misérables respects humains. Soyez sans considération des créatures, quand il s'agit de conserver votre coeur dans la pureté et de contenter un Dieu que vous avez tant négligé. Si une ancienne vous dit quelque chose qui blesse la charité, changez adroitement le discours ; vous avez assez d'esprit pour faire cela si vous voulez. Je suis persuadée que tout ce que vous voudrez faire, vous avez la capacité d'y réussir. Ayez plus d'amour et de respect pour Dieu que pour la créature ; ne craignez pas de faire ce qui vous paraît à son égard de mauvaise grâce ; rompez et brisez sur toutes ces petites raisons humaines ; autrement, vous ne deviendrez jamais spirituelle. Souvenez-vous des promesses que vous avez faites à Notre Seigneur. Ne vous en démentez pas : il peut renvoyer ce qui vous a obligé à les faire. Il faut être inexorable à votre amour-propre et à ce penchant misérable que vous avez pour les créatures. Si vous ne faites un effort pour rompre, vous vous y trouverez toute votre vie engagée et, même à la mort, vous y serez embarrassée, si vous ne vous en défaites de bonne heure. Souvenez-vous que les créatures ont été une source de malheur pour votre âme et qu'elles vous ont fait un tort infini. Au nom de Dieu, prenez-y garde.

Depuis ce billet écrit, j'ai vu le vôtre dernier. Vous pouvez continuer de la sorte au moins tous les 14 jours, pour tenir votre esprit en suggestion. Il me semble que, pour peu que vous tâchiez de bien faire, que Notre Seigneur vous aidera puissamment de sa grâce. Il vous a tant donné selon la nature. Ce n'est point pour en tirer de la vanité, mais c'est pour le mieux servir et vous élever à lui au-dessus de toutes choses, faisant usage pour lui de tous les talents naturels qu'il vous a donnés, servant pour son amour la sainte religion. Vous savez que vous n'êtes plus à vous-même et que vous ne pouvez plus disposer ni de votre

228 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 229

corps ni de votre volonté. Commencez d'être vraie religieuse, en vous désappropriant de tout vous-même pour devenir une enfant entre les bras de l'obéissance ; mais, pour y réussir, sacrifiez le raisonnement de votre esprit, qui vous y fera un grand obstacle, et croyez que, quand vous serez fidèle à Dieu et que vous serez comme il vous désire, que j'en serai comblée de joie. Faites donc votre oraison simplement et nous en rendez un compte très exact. Je suis bien aise de voir si vous vous y prenez comme il faut afin de redresser ce qui manquerait ; servez-vous d'oraisons jaculatoires ou petites aspirations, pour faciliter l'entrée et vous y remettre quand votre esprit tombe dans l'égarement. Vous savez que je suis à vous en Jésus.

n" 2857 C405

A UNE RELIGIEUSE POUR L'EXHORTER A VIVRE DANS L'ESPRIT DE FOI

1679

Il est certain, et vous le devez croire, que, de toute éternité, Dieu vous a destinée pour être sainte, si vous n'y voulez point mettre d'obstacles ; qu'il vous a retirée du monde pour cet effet, et que toutes ses conduites sur vous ne sont que des preuves de ses miséricordes. Il est donc de foi qu'il vous a mise dans l'état où vous êtes par son pur amour et par le dessein qu'il a de vous sauver.

Il est de foi qu'il vous a engagée sous les lois de la sainte religion, et que sa grâce est répandue pour vous dans toutes vos obligations. Il est de foi qu'il veut que vous agissiez en tout dans la vue et en l'amour et respect de sa divine volonté.

Il est de foi qu'il veut que vous soyez soumise à toutes ses conduites. Il est de foi qu'il veut que vous le serviez par la même foi au-dessus de vos sens.

Il est de foi que sa grâce vous accompagne partout, si vous voulez la recevoir. Il est de foi que toutes vos misères ne vous empêcheront point de faire en toutes choses la divine volonté, si vous voulez être fidèle à la regarder et la suivre.

Enfin, pourquoi Dieu vous a-t-il voulu dans la sainte religion par son pur amour, vous ayant choisie de toute éternité sans qu'il ait besoin de vous ? Pour être toujours avec lui, pour vous combler de ses miséricordes, pour vous garrotter par une sainte contrainte à vous sanctifier. Il est donc de foi qu'il vous a aimée, qu'il vous a voulue, qu'il vous a choisie, qu'il vous a appelée et qu'il vous a prédestinée, si vous n'êtes assez misérable pour vous arracher de son divin Coeur. Car il est de foi qu'il vous porte dans ce divin sanctuaire et dans l'adorable fournaise de son saint amour, et qu'il veut que vous en soyez consommée.

Il faut, mon Enfant, que vous croyiez si fortement que Dieu vous a voulu de toute éternité dans le saint esclavage où vous êtes, que vous n'en souffriez jamais le moindre doute et, si vous êtes ferme en ce point, vous trouverez des grâces pour soutenir les peines et les tentations qui vous seront suscitées par le monde, la chair et le démon.

n° 474 Cr C

A UNE DEMOISELLE [ MARIE MADELEINE D'AMBRAY]

ENTRÉE LE 1er DE L'AN POUR ÊTRE RELIGIEUSE

Ce 2eme de l'an 1680

Je reçus hier, Mademoiselle, les chères vôtres, qui m'assurent de votre entrée dans la petite solitude du très Saint Sacrement. Je prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère la vouloir combler de toutes les bénédictions que je vous désire, et surtout d'une sainte persévérance. C'est la grâce qu'il faut toujours demander, comme un don du ciel que nous ne pouvons mériter. Et, comme votre dessein est très considérable pour la gloire de Dieu et votre sanctification, vous ne devez pas douter qu'il ne soit combattu du monde et de l'enfer. Mais vous ne devez rien craindre ; si votre intention ne regarde que Jésus Christ immolé sur l'autel, il saura bien vous soutenir. Attachez-vous au poteau avec lui et vous faites sa victime, comme il s'est fait la vôtre. Ne vivez plus que pour lui, puisqu'il est dans l'hostie pour vous faire vivre de sa vie. Oh ! que vous serez heureuse, si une fois vous pouvez vous dégager de tout pour être uniquement à lui ! Je tâcherai d'avancer mon retour à Rouen, pour avoir l'honneur et la consolation de vous embrasser et vous rendre mes petits services. Si Notre Seigneur m'en rendait digne, j'aurais une singulière joie s'il voulait me faire la grâce de vous présenter au sacrifice et de vous revêtir de l'habit des victimes (43). Je vous demanderais volontiers, ma très chère Demoiselle, si vous croyez être longtemps sans le recevoir, afin que, si vous voulez m'honorer de cette grâce, je puisse prendre mes mesures pour me rendre, dans le temps que vous me marquerez, présente à votre immolation. Cependant, je ne cesserai d'élever les mains au ciel pour vous attirer toutes les grâces que vous avez besoin pour être, un jour, une parfaite victime consommée par les flammes du pur amour de Jésus Christ. Je suis, en lui et en sa très sainte Mère, votre très acquise et très fidèle servante.

no 1370 C405

(43) Elle reçut l'habit le 7 avril 1680.

FONDATION DE ROUEN

A LA NIÈRF MARIE DF SAINI \\II t t 1

,tri' ler 1(81)

11 est vrai, très chère Fille, que, si les hontes de Dieu n*etaient infinies, nous aurions sujet de douter si la divine patience ne Ne rebuterait point de nos continuelles faiblesses dans la course de notre pèlerinage ; mais il ne faut pas seulement que nous admettions le moindre doute. Il est notre Père et nous sommes ses enfants ; allons à lui avec une humble confiance ; il ne nous confondra point. Notre experience nous fait avouer notre indigence et notre pauvreté, mais Justes s'est fait pauvre et indigent pour nous soulager et relever notre courtge ; ne le perdons pas par la vue de tant de misères et e recheiches si fréquentes dans nos imperfections. Plus nous sentons de taihk•sses, plus nous devons aller à ce dis in Sauveur et nous collei à ses pied\ adorables, pour recevoir la force dont nous ;wons besoin, Je ne crois pas que nous puissions mieux faire que de nous tenir près de lut, quand nient(..•

il nous semblerait qu'il nous chasse de sa pi esence, comme a^

horreur de nos infidélites. Il faut lui dire humblement conune saint Pierre • Et où irions-nous, Seigneur, vint.% tit'e: les paroles de hi vie éternelle • Jn. 6. 68 1. Vous nous natterez comme il vous plaira,

mais nous ne sortirons jamais de notre abandon a vos ables

conduites ; nous sommes à vous, et votre œuvre y est de 'Heine , Volis la soutiendrez ou vous l'anéantirez, comme il sera de votre gloire. Si nous ne vivons que pour vous, nous y mou, r ons de [lierne.

Pour moi. je crois que le retardement de son (cuva. est plus pour nous anéantir que pour autre chose. I 'rune meurt datts nulle petites occasions ; imperceptiblement, sans s'en apercevoir , elle prend vie. Il n'appartient qu'à Dieu de pénétrer le fond et d'appliquei dem remèdes pour le purifier et, sans qu'il semble qu'il y touche, Il pousse le glaive jusque dans le centre. Oh ! si nous savions toujout s mourir, en demeurant immobile sous sa divine main, il nous ferait de véritables victimes, nous façonnant à sa mode et nous rendant dignes de ses plaisir s ! Mon Dieu, pourquoi -voulons-nous autre chose, et quand sera-ce que nous aurons le courage de tout sacrifier pour le posséder lui seul ? Nous ne saurons jamais ce que c'est de la vraie vie intél seule que nous ne soyons dépouillées de tout l'humain, parce que Dieu ne peut confier les richesses de sa grâce qu'à un cœur parfaitement dégagé de tout. Oh ! que vous êtes heureuse, si vous le concevez ou si vous le voulez être, car il y a des âmes qui peuvent devenir toutes divines par la sacrée union à Jésus Christ, mais qui s'amusent comme les petits enfants à bâtir des châteaux de cartes, que le plus petit souille de vent renverse par terre.! Marchons dans le solide ; point d'amusement pour contenter nos sens ni notre raison humaine. Allons toujours sans nous arrêter un moment. Il faut suivre ce divin Sauveur : il nous

232 " CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 233

y invite, ne regardons ni à droite ni à gauche, mais suivons tout droit notre sentier et nous aurons toujours la vue de notre adorable objet, qui animera notre courage et enflammera notre coeur d'une ardeur toute sainte.

Voilà vos étrennes : il s'est donné à vous avec un amour infini. Recevons-le de sorte que nous ne perdions plus sa présence, n'ayant jamais plus d'autres motifs, en quelque état que nous soyons, ne faisant cas que de lui seul, demeurant sans nous troubler dans notre cher abandon.

Je n'espérais point vous tant écrire, car je ne puis qu'avec peine attraper quelque moment. Je serais touchée de la sortie, ou plutôt de l'accident de cette bonne demoiselle, sortie, si je n'envisageais les volontés de Dieu. Il faut conserver en tous les événements un esprit de soumission et d'une sainte indifférence, pour n'altérer jamais la paix intérieure, qui doit être inébranlable en nous. Je ne laisse pas de vous plaindre et de cherCher toujours quelque voix pour vous soulager. Je prie Notre Seigneur qu'il vous soutienne et toute la chère petite troupe, que je salue d'une cordialité très grande et à laquelle je souhaite une année toute pleine de bénédictions.

Je ne pourrai écrire aujourd'hui à vos chères Compagnes comme je le prétendais ; elles n'en seront pas contentes, mais je vous assure que je désire les contenter et leur marquer avec quel coeur je suis toute à elles et à vous, en Jésus et sa très sainte Mère.

Ayez bien soin de la chère Mère Sous-Prieure et de la faire reposer. Je la plains d'avoir mal aux dents : c'est un mal bien crucifiant. Je prie Notre Seigneur qu'il la soulage et qu'il bénisse l'entrée de Mademoiselle [ d'Ambray ], lui donnant la grâce d'y persévérer. Je crains toujours les suites, mais il faut se tenir dans notre saint abandon.

n° 495 ces

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

15 février 1680

Les chères vôtres du 10 courant m'ont consolée, voyant la lumière que la grâce répand dans votre esprit, et me fait espérer qu'elle sera toujours victorieuse de tout vous-même pour être uniquement toute remise en Jésus Christ. Courage ! Allez toujours à la mort par le sacrifice continuel : c'est le chemin abrégé pour parvenir bientôt à votre fin bienheureuse. Ce petit mot, chère Enfant, c'est pour me réjouir avec vous de toutes les grâces dont Notre Seigneur vous a comblée dans la revue que vous avez faites au Révérend Père [ Chenois 1. Il faut avouer que c'est un saint homme et qui a bien de la grâce et de l'onction ; vous auriez peine d'en trouver ici un pareil ; tâchez de vous en servir pendant que la Providence le laisse en vos quartiers. Je suis bien aise que ma Soeur N. en ait fait une aussi et qu'elle en soit, comme vous, bien consolée. Vous voilà toute renouvelée dans une sainte ferveur, et d'être plus fidèle que jamais à rendre tout ce que vous devez à Jésus Christ et à devenir une vraie et sincère victime, je veux dire par effet et non seulement de nom. Chère Enfant, c'est votre principale obligation, et lorsque nous accomplirons saintement nos promesses, Dieu nous comblera de toutes sortes de bénédictions ; il achèvera son oeuvre à sa très grande gloire. Il me semble qu'il demande des âmes séraphiques ; priez le Saint Esprit d'en remplir les maisons de l'Institut. 0 mon Dieu ! Quel plaisir de voir une sainte troupe de victimes qui sont présentées à Jésus Christ, qui l'adorent en esprit et en vérité, qui ne vivent plus que de sa sainte vie, qu'elles reçoivent par l'adorable manducation du divin Sacrement ! Plût-il à Dieu que toutes les Filles de ce divin mystère fussent animées de son esprit ! Il faut, chère Enfant, lui demander incessamment cette grâce, afin qu'il en soit lui-même glorifié et que notre Institut lui donne l'honneur et la complaisance qu'il en doit tirer. Je voudrais être remplie de son divin esprit, et aller par toutes les Maisons allumer ce zèle. Hélas ! Je suis trop pécheresse ; Notre Seigneur réserve cette grâce à une autre qui en usera plus dignement que moi.

L'on m'a dit que je n'avais plus que deux choses à faire, et qu'après la main toute puissante de Dieu me retirerait de ce monde. Je ne sais ce que c'est ; je me laisse à ses adorables volontés. Demandez-lui pour moi miséricorde ; voilà mon très grand besoin, et je le prierai de tout mon coeur qu'il vous donne une grâce de force pour vous tirer de vous-même et vous faire vivre de Jésus Christ par esprit de sacrifice perpétuel : c'est la vie de la victime toujours offerte, toujours immolée, toujours égorgée et toujours attendant sa consommation en Dieu par son feu divin. A Dieu, chère Enfant ; croyez-moi en Jésus toute à vous.

n° 2046 N256

A MONSIEUR HENRY D 'AMBRAY

ler mars 1680

Puisqu'il a plu à Dieu donner à Mademoiselle votre fille une vocation singulière pour se consacrer à Jésus Christ dans notre Institut, je puis vous assurer que je la reçois de tout mon coeur et que je ferai tout mon possible pour me donner l'honneur et la consolation d'aller la présenter à Notre Seigneur au jour qu'elle a choisi pour son immolation,

234 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 235

espérant que la grâce la disposera pour porter dignement la qualité d'épouse et de victime du Fils de Dieu, où elle veut s'engager pour son amour si généreusement. J'en fais le sujet de ma joie, sans toutefois être insensible à la juste douleur que ce sacrifice vous fait ressentir, comme un bon père qui aime tendrement sa chère enfant (44). Mais j'espère que l'infinie bonté de Dieu adoucira l'amertume de votre coeur et qu'il vous comblera de tant de grâces et de bénédictions qu'elles vous tiendront lieu de récompense du présent que vous lui faites en cette illustre portion de vous-même,que vous lui sacrifiez si tendrement. Vous ne pouvez, Monsieur, lui rien donner de plus agréable ni plus digne de l'amour que vous lui devez.

Je ne doute point qu'il ne sanctifie cette aimable victime et qu'il ne vous donne une force toute divine pour achever cette immolation. Ce sont les désirs de celle qui est, avec profond respect en Notre Seigneur, Monsieur, votre très humble et très obéissante servante en Jésus et sa très sainte Mère.

n° 2555 C405

A MADEMOISELLE D'AMBRAY

2 mars 1680

C'est donc à présent, très chérie du ciel, qui vous a choisie pour être l'épouse et la victime de Jésus Christ, que je dois me réjouir de la grâce que son infinie bonté vous présente et à laquelle vous voulez de tout votre coeur correspondre généreusement. C'est aussi, dès ce moment, que je prends la liberté de vous appeler notre très chère et très aimable Enfant, puisque vous commencez d'être victime par l'immolation que vous lui voulez faire de tout vous-même au jour que vous en prendrez le saint habit. Je sais bien que vous êtes toute délibérée et que les cËoses les plus opposées à la nature ne vous rebutent point. Vous avez même fait quelqu'expérience des austérités de la Règle, mais voulez-vous bien que je vous supplie de prendre bien à coeur celles de l'esprit, qui sont la simplicité, l'obéissance et une vraie humilité, pour remplir dignement les desseins de Dieu sur votre vocation. Il y a beaucoup d'autres pratiques intérieures, mais vous les trouverez quasi toutes renfermées en celles-ci et, comme vous êtes appelée à la sainteté, l'esprit de Dieu vous en découvrira les sentiers, si vous lui êtes fidèle.

(44) Henry d'Ambray, Seigneur de Saint-Honoré, des Cent- Acres, du grand et petit Théroude, etc..., conseiller au Parlement de Normandie de 1658 à 1674. De son mariage en juin 1659 avec Marie de la Place de Fumechon (décédée en 1678), il eut un fils, Jean-Marie, et une fille, Marie-Madeleine (Soeur Marie-Madeleine Scholastique de Jésus).

La soeur d'Henry d'Ambray, Cécile, épousa en secondes noces Adrien Poërier, sieur d'Amfreville, à Sainte-Croix-Saint-Ouen, le 22 janvier 1657. Elle décéda le 7 avril 1701. Adrien Poèrier d'Amfreville fut Président au Parlement de Rouen en 1658, il mourut en 1706.

Jean-Marie, fils de Henry d'Ambray, Président au Parlement de Rouen en 1698, épousa en 1692 Marie-Madeleine Maignart de Bernières. Cf. de Frondeville, op. cit., les Présidents au Parlement de Normandie, t. I, p. 287, et les Conseillers, t. IV, p. 322.

Animez-vous d'un saint zèle de votre perfection, ou plutôt d'un intime désir de contenter Dieu en toutes choses, prenant à tâche de ne jamais suivre les inclinations de la nature. Rien ne vous sera difficile, si vous êtes bien persuadée que vous vous devez toute à Dieu et que vous vous faîtes la victime de son amour par justice, puisqu'il a été la vôtre par sa charité divine, donnant sa vie pour sanctifier la vôtre. N'ayez point de plus grande ambition que de vous consommer pour lui, comme il s'est lui-même consommé pour vous sur le calvaire et qu'il s'immole encore tous les jours pour vous sur l'autel. Je le prie vous embraser de son feu divin et qu'il vous donne la grâce de persévérer. Je ferai mon possible pour avoir l'honneur de vous revêtir de l'habit d'une victime qui ne doit plus vivre que dans la mort. J'espère qu'en même temps Notre Seigneur Jésus Christ vous revêtira de tout lui-même et que vous demeurerez toute abîmée en lui. C'est le souhait de celle qui est, avec tendresse et respect, votre très fidèle et très acquise servante.

n° 183 C405

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [CHEURET]

11 mars 1680

Je ne sais, ma très chère Fille, qui a fait des plaintes de vous à Monsieur votre père. Je vous assure que je suis à lui ouvrir la bouche de quoi que ce soit [ sic ], et n'ai entendu personne du lieu où vous êtes qui en ait formé une seule. Je suis fâchée que Monsieur votre père reçoive ce déplaisir, mais je puis vous assurer qu'il ne vient pas de moi. Je n'aime pas d'affliger personne, outre que j'ai toujours cru que vous vouliez être sincèrement toute à Dieu de la bonne manière. Je vous le conseille plus que jamais pour votre repos intérieur et votre propre satisfaction et consolation, qui ne peut être solide qu'en Dieu et dans la fidélité qu'on lui doit. Travaillez-y, très chère, de la bonne sorte. Je suis bien aise de voir que vous recevez bien ces petites rencontres d'humiliation, mais je suis touchée que Monsieur votre père en soit affligé. Nous tâcherons de le voir avant notre départ. Je ne sais si je pourrai lui promettre de vous ramener, n'y ayant point encore de professes de la maison de Rouen, outre que le choeur a besoin de vous. Il faut qu'il se donne un peu de patience.

Votre petite soeur est encore céans ; je ne sais ce que la divine Providence en fera ; il faut prier Dieu pour elle. Tâchez de remettre tout en lui et y soyez toute abandonnée. Vous faites bien de vous étudier à n'avoir point de volonté, c'est le moyen de vous rendre partout heureuse. J'espère vous voir bientôt si Notre Seigneur ne ménage quelque opposition que je ne prévois pas. Priez-le, très chère, qu'il me fasse faire sa très sainte Volonté. Je suis en son amour toute à vous.

no 1175 N256

236 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 237

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS]

11 mars 1680

Ne doutez pas, ma très chère Fille, que vous ne me fassiez un sensible plaisir de m'écrire comme vous faites. Je vous prie de continuer autant que vous le pourrez sans vous incommoder, quoique je ne puisse pas avoir la consolation de vous répondre exactement comme je voudrais. Vous êtes toujours assurée que je reçois vos chères lettres et que je m'en tiens bien obligée à votre fidélité pour Dieu, pour la Religion et pour moi. C'est pourquoi ne vous repentez pas de m'avoir écrit, car vous auriez fait un grand péché de ne m'avoir pas fait savoir exactement toutes choses, et Notre Seigneur vous en aurait punie, car vous lui devez cette fidélité, puisque je tiens sa place, quoique très indigne. Vous pouvez vous fier à moi ; je ne vous ai jamais manqué de secret ni de fidélité, et je puis vous assurer que tout ce qu'on me confie est, par la grâce de Dieu, sans conséquences. C'est pourquoi vous et vos chères Soeurs y peuvent prendre confiance.

Je sais bien votre ardeur pour mon retour ; ne doutez pas que je n'y fasse mon possible, car il faut achever l'oeuvre. J'attends que la divine Providence m'ait mise en état. L'on me fait espérer que bientôt je pourrai toucher quelque chose de ce que j'ai besoin pour partir. Recommandez le tout à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. Le retardement m'est dur, mais il faut, malgré mon zèle, que j'attende les moments de Dieu. La Providence me fait languir ; il faut l'adorer ; elle vous crucifie toutes aussi. Ne vous fâchez pas de n'avoir pas de mes lettres autant que je voudrais. Dieu sait mon tracas, mais il sait aussi que mon coeur est toujours avec vous. Tâchez, quand vous avez quelque chose à dire à N. ; que ce soit quand elle sera seule ou du moins éloignée des novices, car il est fâcheux qu'elles voient la moindre émotion dans la conduite. Or les novices voient plus clair que les professes, parce que le démon leur ouvre les yeux et les oreilles pour les exciter à la tentation, et, pour vous, chère Enfant, faites votre possible pour augmenter en fidélité.

Je ne vous donne point de pénitences corporelles, mais, au nom de Dieu, soyez petite, humble et patiente ; prenez bien garde que le tracas ne vous détourne de la fidélité. Il la faut avoir partout et en tout. C'est toujours le même Dieu et vous êtes également sa victime et obligée indispensablement à vous sanctifier. Ménagez bien ses grâces dans les occasions ; la vertu n'est vertu que dans la peine et le travail de la mortification ; apprenons à bien mourir dans ce saint temps de mort. Pour moi, il me semble que je n'ai plus que des moments, mais, mon Dieu ! je n'en suis pas plus fidèle et c'est ma douleur. Adieu, croyez-moi toute à vous.

no 2223 N256 A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

2 avril 1680

Je réponds, très chère, à deux de vos lettres du 29 et du 30 du mois passé, sur lesquelles je vous dirai que l'espérance de partir de jour en jour me faisait penser que j'aurais la chère consolation de vous entretenir et répondre sur toutes choses. Non, non, je ne vous ai point abandonnée, et mon Dieu sait que je suis en esprit avec vous, quoique cela ne vous puisse servir de rien, mais je satisfais mon devoir et mon inclination, parce que je vous aime tendrement, et que ce m'est une sensible douleur de n'être pas près de vous, pour vous donner des marques de la sincère affection que Notre Seigneur m'a donnée pour vous, et par reconnaissance du zèle et de la peine que vous prenez pour la gloire de notre adorable sacrement, qui récompensera bien dans le ciel toutes fatigues que vous souffrez pour son amour sur la terre. Continuez et prenez courage : vous ne faites pas un pas qui ne soit compté.

Vous faites bien, chère Enfant, de prendre toutes choses dans l'ordre de la divine Providence, et, quoique selon l'humain vous ayez sujet de murmurer contre moi, ne faites pas cette imperfection. Dieu sait et voit mon coeur et les obstacles qu'il met à mon chemin. Vous immolez, je l'avoue, et je sacrifie aussi, mais plût-il à mon Dieu que je puisse tirer votre peine dans mon coeur, et que vous n'en ressentiez aucune, car je souffre beaucoup plus de vos souffrances que des miennes, qui me sont dues par une juste justice, et que j'accepte par soumission à ses adorables conduites. Ne jetez feu et flamme que sur mes indignités, qui sont cause de tout ce qui vous crucifie ; j'espère que Notre Seigneur y pourvoira. Ne tombez point dans le découragement, mais, puisque vous êtes victime, mourez généreusement à tout ce qui n'est pas Dieu.

Vous dites bien vrai que le grand moyen est l'abandon et le délaissement de tout vous-même à Dieu. Vous avez trouvé la clef du secret ouvert ; entrez-y, très chère, et nourrissez votre âme de ces belles et précieuses vérités. Quoiqu'elles soient un peu bien amères et difficiles à digérer, le feu de l'amour divin est seul capable d'en faire la digestion. Demeurez bien dans ce cher abandon, et vous gagnerez infiniment quand vous aurez tout perdu. Continuez votre paix sans crainte d'illusion : il n'y en peut avoir en s'immolant de la sorte pour faire régner Dieu en vous. Marchez donc tandis que vous avez la lumière et que les occasions de sacrifice sont continuelles ; ayez confiance en la bonté de celui qui vous a mise dans cette conduite, et le courage ne vous manquera pas ; vous le recevrez de sa pure grâce avec un peu de fidélité ; tâchez toujours de vous simplifier et de n'admettre en vous aucun raisonnement, parce que, si vous l'écoutez, il vous mènera dans un abîme dont vous aurez peine à revenir.

238 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 239

Le retardement de l'exposition d'une sainte hostie consacrée ne fait pas un grand mal ; ce n'était pas un jeudi. Il n'est pas possible de se ressouvenir si exactement de toutes choses ayant tant de diversités de tracas ; ne vous en affligez pas, puisque Notre Seigneur n'y a pas été offensé. Enfin, chère Enfant, voilà la Mère N. partie ; je prie Dieu la conduire heureusement. Je suis demeurée par raison, pour vous aller trouver sitôt que M"e N. aura pris l'habit et que nos chères Mères de l'Hospice seront dans leur maison (45) ; je serai après cela en état d'être quelques mois avec vous. Hélas ! je sais bien que votre bon coeur ne diminue rien de ses tendresses pour une méchante Mère. Je les reconnais avec un réciproque de coeur qui souffre de ne vous les aller pas témoigner ; mais, courage, ce n'est qu'un peu de retardement, qui rendra la possession de plus longue durée. Sacrifiez encore un peu. Je ressens bien votre peine et ce que vous donnez à Dieu, mais votre éternité en sera couronnée. Le souvenir que vous êtes victime vous donnera' de la force pour soutenir tout ce qui peut perfectionner votre sacrifice ; et votre plaisir au milieu de votre mort, c'est que vous donnerez vie à Dieu en vous : c'est sa gloire et le triomphe de son amour.

Au reste, ne vous persuadez pas que je veuille me décharger de vous et vous abandonner à qui que ce soit qu'à Dieu seul, de qui j'attends pour vous toutes grâces et bénédiction. A Dieu, chère Enfant ; malgré la tentation, croyez-moi toute à vous, en Jésus et sa très sainte Mère. J'embrasse la chère N. ; dites-lui que je l'aime tendrement.

n" 1383 P104 bis

A LA SOEUR MARIE MADELEINE SCHOLASTIQUE DE JÉSUS [ D'AMBRAY

10 avril 1680

Bien que je n'aie pas été digne, chère Enfant, de vous revêtir du saint habit des victimes du Saint Sacrement [ le 7 avril ], je n'ai pas laissé d'y être présente en esprit et de vous présenter à Notre Seigneur, ayant fait communier pour vous toute notre Communauté pour obtenir les grâces qui vous sont nécessaires, et surtout la sainte persévérance, et que votre sacrifice soit couronné dans la gloire. C'est ce que vous devez espérer, si vous y êtes fidèle.

Jusques à présent, votre générosité pour Dieu a été grande ; elle vous a fait triompher du monde pour vous rendre la victime de Jésus Christ. 0 heureuse qualité ! Si vous l'avez bien connue, je ne m'étonne pas du choix que vous en avez fait, et de l'avoir préférée à tout ce que le monde vous pourrait présenter de plus grand, si toutefois il peut donner de véritable grandeur. La lumière de la foi vous fera bientôt voir que

(45) Les religieuses ont quitté « l'Hospice » pour entrer dans une autre maison de louage, rue Saint-Marc, près de la porte Richelieu. En la même année 1680, elles obtenaient des lettres patentes du roi leur permettant de s'établir définitivement à Paris. Ce n'est qu'en 1684 qu'elles achetèrent l'hôtel de Bouillon. rue Neuve Saint-Louis, au Marais.

ce qu'il promet n'est qu'en peinture, et ce qu'il donne n'est que vanité, amertume et affliction d'esprit, dit la Sagesse, et par conséquent pure illusion. Je ne puis assez admirer la puissance de la grâce qui vous en a tirée, mais c'est un pur effet de l'infinie bonté de Dieu, qui choisit des victimes pour être immolées à son divin Fils, comme il s'est immolé soi-même à la gloire de son Père. C'est pour cela qu'il vous a conduite dans la solitude. Votre année de noviciat doit être une continuelle préparation pour consommer saintement le sacrifice de votre profession. Je vous conseille, très chère Enfant, de commencer vigoureusement à vous surmonter vous-même ; séparez-vous de bonne heure des tendresses de la nature, qui vous trahit trop souvent par un trop grand sensible sur vous-même. Commencez de vous traiter comme une victime qui a reçu la sentence de mort et qui en porte son arrêt partout. Votre devise ordinaire doit être : « Je n'ai plus de droit sur moi, ma vie est une mort continuelle et ma mort est une vie divine en Jésus Christ ».

Voilà, chère Enfant, ce que le temps me permet de vous dire, et de vous assurer qu'on ne peut être avec plus de tendresse et de sincérité toute à vous que votre très humble et très acquise servante.

n° 69 C405

[ A LA MÈRE ANNE DU SAINT SACREMENT LOYSEAU 1

29 avril 1680

Ce ne sera qu'un mot sur les chères vôtres d'hier au soir en date du 23. Il est vrai, très chère Mère, que nous ne sommes [ pas ] plus avancées qu'au premier jour de votre arrivée [ août 1677 ], mais apparemment Dieu le veut ainsi, et je ne sais quels sont ses desseins. Il faut toujours envisager dans les événements les ordres de la divine Providence, puisque la foi nous apprend que rien n'arrive que par sa dispensation. Si l'oeuvre était humaine, il faudrait s'en affliger, mais, étant de Dieu, il faut agréer les conduites qu'il lui plaît tenir sur elle et nous anéantir en même temps. La nature ne prendrait pas trop de plaisir à ces sortes de conduites si on la consultait, mais, comme c'est une bête qui n'a que des sentiments d'amour-propre, il la faut traiter comme elle le mérite, sans lui faire l'honneur d'écouter un moment ses plaintes ou ses raisonnements. Un coeur moins rempli de foi et de soumission aux volontés divines se rebuterait facilement de tout, mais le vôtre, très chère Mère, est si bien façonné à ses adorables conduites que vous les regardez sans vous effrayer, attendant en paix les moments de sa Providence, qui sera toutes choses dans le temps, après qu'elle aura détruit mon orgueil et la propre vie que je pourrais bien prendre dans son oeuvre, si elle avançait selon ces mouvements de l'esprit humain.

240 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 241

Ne laissez pas, très chère Mère, d'entendre le prix du [ château de Mathan ] ; et si l'on n'y peut, l'on s'arrêtera à N., qui sera toujours notre petit réduit, car, en matière de cette affaire, nous ne faisons rien moins que ce que nous voudrions. Il nous faut marcher comme l'on veut et non comme nous le souhaiterions. Allons donc à petit pas, puisque le Seigneur le veut ; j'espère qu'il nous conduira imperceptiblement dans ses volontés ; telles qu'elles soient je les accepte. A Dieu, très chère Mère, je m'en vais tâcher de faire la sainte Communion. Je suis toute à vous en celui qui se donne par un amour infini à toutes ses créatures dans le divin Sacrement.

no 128 C405

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

4 mai 1680

Je suis, mes très chères Enfants, dans une extrême douleur de vous priver de notre chère Mère cellérière [ Anne du Saint Sacrement Loyseau ], qui fait une partie de votre consolation, mais quelque chose survenu, qui fait préjudice à cette Maison et où je ne puis apporter de remède, me presse de prier la chère Mère cellérière de revenir, lui promettant la ramener avec moi incontinent après la vêture de Mlle N. Cette chère Mère vous dira l'état des choses et, si je ne la pressais de venir, le R.P. Prieur (46) ne manquerait pas de lui ordonner. C'est pourquoi je préviens, afin qu'on ne dise pas que je gâte les affaires de cette Maison pour conserver celle de Rouen. Mon Dieu, très chères, que de sacrifice la Providence divine nous fait faire ! Il faut adorer Dieu ; je n'ai jamais vu tant de morts qu'il faut soutenir, mais c'est que de sacrifices la Providence divine nous fait faire ! Il faut adorer Dieu ; je n'ai jamais vu tant de morts qu'il faut soutenir, mais c'est une nécessité. Les voies du Seigneur sont des abîmes ; cependant, nous ne laisserons pas de penser à l'affaire de votre maison et d'envoyer de l'argent pour le retrait, et j'espère, avec la grâce de Dieu, que je serai bientôt avec vous : je le désire de tout mon coeur. Continuez-moi vos saintes prières et qu'il plaise à Dieu donner sa très sainte bénédiction à toutes nos affaires. Adieu, mes très chères Enfants ; je suis toute à vous ; tâchez d'avoir encore un peu de patience et vous encouragez à être toutes à Dieu sans réserve.

n° 1465 C405

(46) Dom Claude Boistard (1620-1709), profès à Saint-Augustin de Limoges le 19 décembre 1640, prieur de Saint-Germain-des-Prés (1678-1684), supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur (1687-1705).

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

7 mai 1680

Je ressens, ma très chère, la douleur de votre bon coeur sur la perte que nous avons faite en ce monde de la bonne mère que Dieu vous y avait donnée. Il vous l'a envoyée pour avoir le bien de l'avoir encore une fois, mais avec l'amertume du sacrifice qu'il a voulu exiger de votre fidélité. Ce qui vous peut consoler, c'est la bonne disposition de son âme qui la fait trouver grâce devant le Seigneur. Je le prie qu'il soit votre force et le soutien de votre pauvre coeur ; qu'il modère par une parfaite soumission toutes les angoisses que vous pouvez ressentir sur un sujet rempli de douleurs. Vous aviez sacrifié cette bonne mère en vous faisant religieuse, mais Dieu a voulu un nouveau sacrifice qui ne soit pas moins douloureux, bien qu'il soit accompagné de plus grandes grâces. Votre soumission aux volontés de Dieu en cette occasion lui sera avantageuse, si vous lui en appliquez le mérite, et vous attirera du ciel de nouvelles bénédictions. Cette vie est si remplie de misères que nous devons plutôt nous réjouir quand nos amis en sortent que d'en pleurer la perte. Consolez-vous de voir votre chère mère retournée dans son centre et dans la possession éternelle de son Dieu. Elle est où nous espérons aller et je la congratule. Aidons-la des prières qui nous seront possibles. Je lui ferai dire des messes, et vous présenterez à Dieu pour elle vos langueurs et vos souffrances, afin que le bienheureux moment de la béatitude lui soit avancé : c'est l'unique bien que nous lui pouvons faire et qu'elle peut avoir besoin. Je m'offre à Notre Seigneur pour occuper sa place à votre égard, vous assurant que je vous serai toujours une mère très fidèle et très affectionnée. Croyez-moi telle, quoique je ne sois qu'un néant, toute à vous en Jésus et sa très sainte Mère.

n° 1396 Cr C

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

8 juillet 1680

Je sais bien que vous êtes fort surprise, ma chère Fille, de n'avoir pas les réponses que je dois à vos lettres, mais, je vous prie, n'en murmurez pas, puisque ce n'est pas un défaut d'affection, mais par l'impuissance et l'accablement où la Providence me met. Je ne puis vous exprimer la peine que cela me fait à moi-même. Non, non, vous n'êtes point abandonnée ; je pense souvent à vous, et je vous offre à Notre Seigneur, afin que sa grâce ne soit point vaine en vous. Ayez, je vous prie, un grand désir de bien remplir les desseins de la grâce sur vous.

242 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 243

Je serais bien aise que vous remissiez votre retraite pour quand je serai avec vous : la chaleur est trop grande à présent pour faire la retraite ; vous y pourriez bien demeurer malade. Tâchez cependant de suivre vos exercices régulièrement autant qu'il vous sera possible, en recueillant votre foi et votre ferveur. II faut toujours tenir la nature en sujétion, car autrement elle échappe, et l'on a bien de la peine à la ramener. Tâchez aussi de vous détourner d'une certaine tendresse trop grande que vous avez pour vous, qui vous empêche de marcher généreusement dans les voies du sacrifice perpétuel. Rendez vos devoirs de respect et de soumission à la Mère Sous-Prieure, et bien de la charité cordiale et sainte à vos Soeurs ; ne vous mêlez que de ce que l'obéissance et l'obligation de vos Règles et Constitutions vous [ obligent ] ; le reste, laissez-le à la divine Providence, sans vous embarrasser de rien. Conservez un doux recueillement, qui ne vous rende point rebutante aux autres ; tâchez qu'il soit accompagné de douceur et d'humilité, mais défendez-vous des complaisances qui vous font tomber dans quelque défaut. Soyez retenue à dire vos sentiments, et ne parlez jamais que vous n'ayez attention intérieure à ce que vous allez dire, afin qu'il ne soit point contraire à l'esprit de Dieu. Enfin, très chère, vous devez porter incessamment dans votre coeur cette vérité, que votre fortune éternelle est dans vos mains. C'est à vous de la ménager à toute heure et à tout moment, de crainte que les infidélités journalières volontaires ne vous mettent en état et au hasard de la perdre. O Dieu ! Que c'est une effroyable conséquence, trop peu crue et trop malheureusement négligée ! Je voudrais être bien pénétrée de cette grande vérité que notre fortune éternelle est tout ce qui nous doit toucher tout le temps que nous vivrons.

A Dieu, priez bien Dieu pour moi qui suis tout à vous en son amour.

no 1410 N258

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Ce 6 août 1680

Gardez-vous bien, chère Enfant, de vous laisser aller au chagrin du retardement de mon retour. Je n'en sais quasi plus à quoi en attribuer la cause, sinon que Notre Seigneur me veut priver de cette consolation encore un peu de temps. Je vous assure que j'en ai de la peine, bien que vous ne le croyiez pas. Je ne suis pas tout à fait si dure que l'on pense. Je sens fort bien que je suis Mère et que vous êtes mes chères Enfants et que je vous aime toutes bien tendrement, et, comme la longueur du temps nous peut augmenter les peines sur les besoins que vous avez pour votre perfection, nous vous laissons la liberté de voir quelques bons serviteurs de Dieu, mais je vous conjure de bien prendre à qui vous confierez votre âme. Demandez bien ardemment lumière au Saint Esprit, car ce choix est d'une dernière conséquence. Je vous prie me mander le nom de celui que vous choisirez, et souffrez que je vous en donne mes petits avis pour votre bien. Je rends grâce à mon Dieu de vous avoir si bien dégagée de toutes choses. Je le prie vous augmenter ses miséricordes jusqu'à la parfaite consommation de tout vous-même en lui.

Nous faisons ici complimenter Monsieur N. pour le château que je voudrais bien acheter pour y loger Notre Seigneur ; nous y faisons tout notre possible ; il faut prendre courage ; j'espère que les choses s'achèveront. Croyez-nous, chère Enfant, qu'en faisant ce petit mot, j'ai été interrompue plus de quinze fois ; et encore me presse-t-on de finir pour aller au parloir. Je remets le reste à un autre jour, en vous assurant que je ferai prier Dieu pour ce bon ecclésiastique qui vous touche et dont le salut vous est si cher ; j'en ai un ici qui me fait la même peine ; il n'y a que sept ou huit jours qu'il a dit sa première messe, et le voilà tout déréglé. O Dieu ! quelle misère ! l'on n'en peut être assez affligées pour le respect de Dieu.

Je vous quitte, chère Enfant, malgré moi ; mille adieux.

no 432a) Z4

A CLAUDE DE FUMECHON

SIEUR DE GRAINVILLE

5 septembre 1680

Je ne croyais pas avoir un enfant [ sic ] si raisonnant, mais, comme c'est l'intérêt des victimes de Notre Seigneur qui l'oblige à faire tous ces retours, je ne le désapprouve point ; mais je lui dis seulement qu'il est comme impossible d'éviter ce qu'il craint. Les places n'étant pas à notre liberté, il faut aller où sa sainte Providence nous conduit. M. de Mathan, étant à Paris, a été fort sollicité d'une grande princesse de nous faire vendre le château ; il s'en est excusé, disant qu'il ne voyait pas qu'il fût possible de faire cette acquisition pour les Filles du Saint Sacrement, qu'il n'y voyait aucune apparence. M. de Mathan ne le désirant point, on ne peut l'y contraindre. Quant à M. Salet, c'est une affaire à tirer de loin et [ à ] laisser nos chères Soeurs encore longtemps dans l'incertitude.

Nous parlons souvent de ce cher petit troupeau des victimes du Seigneur, la chère Mère [ Anne Loyseau ? ] et moi. Leur parfait établissement me tient fort au coeur, et je puis dire que, si elles étaient ailleurs, elles seraient dix fois plus avancées. Il y a je ne sais quoi de difficile à Rouen que je n'ai pas trouvé ailleurs. Les maisons et places commodes sont rares. Pour de l'argent on a de la peine d'en trouver. et c'est ce qui fait le retardement de la perfection de ce petit ouvrage, que Dieu semble confier à vos soins et au zèle que vous avez de sa gloire.

244 CATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 245

Ne vous rebutez pas de sa longueur, mais priez avec nous qu'il plaise au Seigneur de nous manifester ses volontés, en faisant connaître le lieu où il lui plaît se faire glorifier. Je m'arrêterais facilement à la maison de M. d'Ambray, ne voyant rien de plus prompt à posséder. Je sais bien qu'elle seule ne suffit pas pour former un monastère, et qu'il faut bien faire encore d'autres nouvelles acquisitions ; le quartier ne plaît pas à tout le monde, mais, s'il plaît à Jésus Christ, il ne faut pas chercher ailleurs, et croire que nous ferons si bien les choses qu'à l'avenir l'on en soit content ; il est impossible d'en répondre, et je croirais même que Dieu n'exige pas cela de nous, qui faisons tout de notre mieux. Je sais que, de votre part, rien n'y manque, non plus que de celle de nos chères Mères. Ayez, je vous supplie, la bonté de présenter durant ce saint octave de la très Immaculée Mère de Dieu cette petite affaire qui est grande pour nous, puisqu'elle regarde la stabilité de l'oeuvre de Dieu. Cette Mère admirable, y ayant toujours pris intérêt, vous accordera et à nous, la grâce de pouvoir faire un choix qui ne lui sera pas désagréable, et c'est ce que nous devons désirer plus que toutes choses.

Voilà les sentiments de la plus indigne de toutes celles qui ont l'honneur d'être immolées à Jésus Christ comme victimes. J'ai une honte horrible de me mêler d'une chose si sainte. Je vous appelle à mon secours, digne ministre de mon divin Sauveur. Réparez sa gloire pour moi, que j'outrage tous les jours, et ne refusez point vos soins à son oeuvre ; il saura bien vous en récompenser par des bénédictions infinies en ce monde et une béatitude éternelle en l'autre. Celle que je vous désire en ce monde, mon bon Monsieur, est la grâce d'un total anéantissement de vous-même, pour être tout revêtu de Jésus Christ. Je suis en lui. avec tous les respects très profonds que je vous dois, votre très indigne servante.

Quant à mon voyage (48), je laisse à la chère Mère N. de vous en dire ce qu'elle en sait. Je serai, s'il plaît à Dieu, bientôt en état. Je voudrais bien qu'il ne fût pas inutile comme les autres que j'ai faits, et, pour avancer les affaires, j'espère que cette chère Mère voudra bien encore se donner la peine de retourner à Rouen et de partir au premier jour ; mais peut-être ne sera-t-elle pas assez heureuse pour vous y trouver à cause des vacances, où il est juste que vous preniez quelque repos à la campagne.

no 1059 P104 bis

fit •

(48) Mère Mectilde n'a pu se rendre à Rouen que le 7 avril 1681, mais elle y demeura jusqu'au 5 septembre suivant. Mère Anne du Saint-Sacrement Loyseau était venue à Rouen au début d'avril 1680 pour donner l'habit à Marie-Madeleine d'Ambray le 7 ; elle y resta six semaines. Elle accompagna de nouveau Mère Mectilde en avril 1681.

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

7 septembre 1680

Je ne vous condamne point, ma très chère Fille, de gronder de ma longue absence. Je suis de votre sentiment, et admire le courage que Notre Seigneur vous a donné pour soutenir son oeuvre, mais c'est sa grâce qui vous environne et qui vous a donné la force de résister à tant de tentations. Je puis vous assurer que, de ma part, ma très chère, je suis toujours dans la volonté de vous aller donner des témoignages de ma sincérité, et je pourrais dire, ma chère Enfant, que Dieu connaît mon coeur pour vous et pour son oeuvre.

Je ne sais pourquoi la Providence a retardé mon voyage, tous les jours je crois partir, je le dis à tout le monde, et moi-même j'ai la confusion de le dire sans l'effectuer, j'ai résolu de partir sans plus rien dire. Je vous puis dire, chère Enfant, que, selon moi, j'aurais furieusement besoin de me reposer avec vous, et je m'attends bien de le faire autant que je pourrai ; mais priez Dieu qu'il me débarrasse un peu, car je suis toujours dans mille accablements. Quand je pense sortir d'un côté, je me vois replongée dans un autre. Hélas ! volontiers je dirais que je suis misérable, mais il ne me faut pas plaindre : je suis trop pécheresse ; je mérite l'enfer et par conséquent mille misères. Souffrons, chère Enfant : la vie présente n'est que pour cela ; nous sommes baptisées par la croix, et de plus nous sommes victimes ; il faut l'être jusqu'à la fin, et nous consommer dans cet état ; il nous y faut bien renouveler tous les jours, et je sais d'expérience que, partout où nous serons, nous souffrirons, qu'il est impossible de vivre sans croix, sans peine et sans contradiction. Nous savons aussi que nous ne pouvons être victimes sans tout cela. Ne vous effrayez point, très chère Enfant, Dieu sera votre force pour soutenir les chocs qui nous surviennent si souvent. Je ne refuserai jamais de vous tendre les mains pour vous y secourir selon mon possible.

Quand j'aurai la consolation d'être avec vous, nous réglerons toutes choses selon la lumière que le Saint Esprit nous donnera ; cependant, abandonnez-vous à la conduite de Dieu ; quelqu'obscure qu'elle soit ; ne regardez ni à droite ni à gauche, mais tenez-vous toujours dans une profonde petitesse et dans le néant. Il n'y a de vérité plus assurée pour vous que celle-là, qui fera le centre de votre bonheur et d'une paix qui ne se troublera jamais. Oh ! que vous êtes bien, chère Enfant, dans cette pauvreté de créature, de lumière, d'incertitude et de privation de tout, ne trouvant que le néant pour toutes choses. C'est là où sont cachés les trésors de la grâce. Ne vous affligez point, tenez ferme dans l'abandon et la confiance : Notre Seigneur aura soin de tout.

Je sais bien que vous êtes dans un état extérieur qui fournit bien

246 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 247

de la matière à votre sacrifice, et qui vous donne bien des occasions de le renouveler plusieurs fois le jour, mais, courage, il y aura quelque petit remède dans le temps. Ne donnez pas votre vie pour un denier ; elle coûte bien plus cher à Jésus Christ ; il vous a rachetée d'un grand prix ; c'est à lui d'en disposer selon son bon plaisir, et non pas à vous ; vous n'en avez plus le pouvoir ; vivez comme n'étant plus à vous mais à Jésus Christ sans aucune réserve ; ne vous laissez point aller dans cet accablement qui vous ferait tomber malade par l'abattement de votre corps ; soutenez-le pour obéir à Dieu et pour le servir pour l'amour de lui-même. Patience, patience, chère Enfant ; soyez sûre que Jésus Christ fera son oeuvre en vous, qui est votre mort et votre séparation ; c'est là où il veut que vous entriez. Allons, ne refusons pas l'honneur qu'il nous fait d'être toute anéantie, et que rien ne paraisse plus en nous que lui, et, pour cet effet, aimez votre petitesse, votre abjection et vos misères, non pour y adhérer, mais pour les sentir et souffrir. Voilà le secret.

Mille adieux jusqu'à ce que je vous embrasse. J'espère, avec sa grâce, que ce sera bientôt. Priez bien Notre Seigneur pour moi et pour mon bon père Ragnau (49) qui est mort. Je suis toute à vous.

no 1231 P 104 bis

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Ce 7 octobre 1680

J'ai bien songé que ma chère Enfant était outrée contre moi. Je ne sais ce que je fais qui lui déplait si fort. Je puis l'assurer que j'ai toujours pour elle un coeur sincère et plein de tendresse, et j'ai le dernier déplaisir de lui en donner toujours. La puis-je assurer qu'il n'y a rien de ma volonté et que je suis en douleur de la savoir dans la peine et toute la petite troupe ? Dieu sait si je puis faire autrement que je ne fais, et à quoi il lui plait de me réduire ; et mon angoisse et ce qui me donne d'étranges crève-coeur est de ne pouvoir attirer en moi toutes les amertumes du vôtre et de toutes vos chères compagnes, car s'il n'y avait que moi seule dans la peine, je m'en consolerais sur ce que je le mérite. Cependant, Notre Seigneur ne me veut pas donner cette satisfaction, quoique je l'en prie jour et nuit et que j'en passe assez souvent sans dormir, comme j'ai encore fait celle-ci. Mais il faut que je croie que Notre Seigneur prend plus de plaisir dans vos déplaisirs et dans vos sacrifices que dans tout ce que je lui peux offrir. Je ne vous dirai plus que je me dispose à partir :

(49) Probablement Antoine Ragnier de Poussé (1617 - 8 juillet 1680). Né à Troyes (Aube), il fit partie de la communauté de Saint-Sulpice en septembre 1642. Il dirigea le séminaire de Saint-Sulpice, puis celui de Clermont en Auvergne (1656) et fut curé de Saint-Sulpice du 7 février 1658 à octobre 1678. Il mourut , au presbytère de cette paroisse où il s'était retiré. Cf. Ch. Berthelot du Chesnay, Les Missions de saint Jean Eudes, Paris, 1957, p. 362-363, et renseignements aimablement communiqués par M. Irénée Noye, archiviste de la Compagnie de Saint-Sulpice.

cela vous fait trop de peine, mais j'espère que vous me verrez quand vous ne m'attendrez plus. Je prie Notre Seigneur qu'il soit votre soutien et votre consommation en la fidélité que vous devez en son amour. Je fais tout mon possible pour avoir de l'argent pour votre Maison, Notre Seigneur sait qu'il en faut pour achever son oeuvre ; elle est à lui et nous y sommes toutes pour être tout ce qu'il lui plaira. Nous dépendons de sa sainte Providence entièrement.

A Dieu ; nous dirons le reste à l'entrevue, s'il plait à sa bonté bénir nos desseins ; je suis en son amour toute à vous.

n" 675a) Z4

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET]

Du 23 octobre 1680

Si vous recevez quelque douceur en nous écrivant, ma très chère Fille, vous le pouvez autant souvent que vous voudrez.

Je ne manque pas de lire vos chères lettres. Il est vrai que vous me pouvez tout dire et que je puis tout savoir, sans nulle conséquence. Ainsi ouvrez-moi franchement votre coeur, et assurez nos chères Soeurs que je les aime toutes bien tendrement. Vous pouvez donc m'écrire tout ce que vous jugerez à propos, sans montrer vos lettres à personne, parce que je suis encore votre Supérieure et qu'il n'y a point d'élection faite où vous êtes. Toutes nos Soeurs peuvent user ainsi, sans aucun scrupule, et personne n'a droit de vous en empêcher.

Quant à ce que vous me mandez, s'il est meilleur de ne rien voir ni rien remarquer, c'est une perfection très grande d'être sourde, aveugle, et muette, mais pourvu que vous ne disiez rien qu'à moi, je vous promets que j'en ferai un bon usage et que, s'il y a quelques défauts à régler, il faut que celles qui les voient m'en avertissent simplement, pour la gloire de Dieu et la sainteté de son oeuvre.

Cependant, ne vous gênez point pour cela, ni ne vous distrayez pas de la présence de Dieu. Quand vous m'avez fait savoir une chose, abandonnez-là à Dieu après, et priez beaucoup pour celles qui sont plus faibles ou plus aveugles dans leurs défauts.

Je ne sais pourquoi l'on vous a dit que je n'irai point sitôt à Rouen. Si l'on avançait pour une maison, je partirais dès demain ; cependant, je tâche de régler quelques affaires pour toucher ce que je prétends, afin de n'être pas pressée de revenir sitôt.

Je n'ai de très longtemps écrit à personne de chez vous, qu'à la chère Mère Sous Prieure [ Madeleine des Champs ] pour les affaires, et je suis

248 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 249

bien mortifiée de ne pouvoir donner un peu souvent, à vous et à nos chères Soeurs, la consolation que je leur dois par mes lettres qui, sans doute, en ont de la peine, mais je ne le puis sincèrement. Je tâcherai d'y satisfaire le plus tôt que je pourrai, mais non en cachette, car je sais que les lettres seront données fidèlement à celles à qui je puis écrire. Il en faut être en repos. Il ne faut point de cachoterie ; il faut nous entr'aimer l'une l'autre et nous animer toutes à bien établir la sainteté dans l'oeuvre de Dieu. Je suis pressée de finir, mandez-moi toujours un peu de vos nouvelles : vous obligez votre parfaite amie et servante. Priez Dieu pour moi.

n° 2725a) Z4

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Loué-et adoré soit le très Saint Sacrement de l'autel à jamais !

Vive Jésus éternellement dans nos cœurs

8 novembre 1680

O ma chère Fille, comment avez-vous pris mes lettres ? Bonnement je vous mandais ce que l'on m'a écrit, et, si vous y prenez garde, je ne vous condamne pas, ni même je ne vous soupçonne de quoi que ce puisse être. Hélas ! Comment ai-je agi avec vous et avec la chère N. ? Cela a toujours été de la plus grande candeur du monde, et même je puis vous jurer que je n'ai jamais usé avec vous avec adresse. Je ne me suis point servie de cette manière, mais comme une mère avec ses enfants. Je vous avoue, chère Enfant, que de la manière que vous prenez celle que je vous ai écrite me touche. Hélas ! Vous dites que je ne connais pas votre sincérité, et moi je vous assure que vous ne connaissez point la mienne, et crois pouvoir bien vous dire que jamais vous n'aurez une Mère plus sincère et qui vous aime plus tendrement que moi. Non, non, très chère, je n'ai jamais eu la moindre défiance de vous. Hé ! mon Dieu, comment pouvez-vous avoir de telles pensées ? Au nom de Dieu, revenez de vos sentiments, ou je serai inconsolable et me donnerez une étrange douleur. Et le moyen d'aller vous trouver en cet état ? Ne m'affligez donc pas, chère Enfant. J'en dis de même à ma chère N., qui a le coeur outré aussi de mes lettres. Quand je vous ai écrit, ce n'a été que pour vous dire confidemment ce que l'on me mandait, mais non pour vous accuser d'àucune chose ; et, bien loin de vous payer d'ingratitude, je reconnais fort bien les sacrifices que vous faites pour la gloire de Notre Seigneur. C'est la fidélité que vous pratiquez qui vous doit réjouir. Je sais bien que c'est son pur amour qui vous a immolée dans son oeuvre. N'en ayez point de regret, vous en aurez la récompense ; reprenez donc cette sainte intention, et ne vous repentez

pas d'avoir bien fait, mais continuez, au nom de Notre Seigneur Jésus Christ, et me donnez la consolation que je vous retrouve toutes dans le même coeur que Dieu vous avait donné pour moi. Je vous dis en sa sainte présence que je n'ai jamais eu la moindre chose à vos égards. Ainsi, revenez comme des enfants entre les bras de leur mère, et, au nom de Dieu, n'interprétez pas mes lettres si cruellement. Ou je me suis bien oubliée, ou vous ne les concevez pas. Tout au moins, concevez mon coeur, qui est en Jésus et sa très sainte Mère tout à vous.

n. 2395 R18

""« Il/ Mlle mei

250 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 251

A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT [CHEURET]

10 novembre 1680

Je ne sais qui fait des histoires à Monsieur votre père : je n'ai point l'honneur de lui parler. Quoi qu'il en soit, ne vous affligez pas de tout ce que les créatures peuvent dire, mais attachez vous à Dieu solidement. Il permet tout cela pour vous rendre plus parfaitement à lui, et pour vous bien persuader qu'il n'y a que lui qui peut et doit être notre appui. Oh ! Si nous étions bien sages, nous ferions une si profonde (stabilité) (50) en Dieu que tout ce qui nous (arrive) de la part des créatures (ne nous) troublerait pas. Demeurez en paix en faisant de votre mieux ; c'est à Dieu que vous rendrez vos devoirs, car, mon Enfant, vous vous devez toute à lui sans réserve, et vous le devez servir à sa mode et non selon les inclinations de votre propre esprit. Tâchez de vous sanctifier et laissez tout le reste au néant. Rendez à Dieu, en la personne de votre Supérieure, ce que vous êtes obligée par vos voeux et les Règles de la sainte Religion ; hors de là, vous ne seriez pas en repos de conscience. Je ne vous ai pas encore trompée, par la grâce de Notre Seigneur, sinon en vous disant que je pars, et cependant je suis encore ici ; je vous puis dire : bien malgré moi, et que, depuis plusieurs mois, il n'y a point de semaine que je ne prétende partir, et (néanmoins) vous voyez que, contre ma (volonté), je ne vous dis pas vrai quant à (l'époque), mais, pour le coeur, hélas ! il est (parmi) vous et mon esprit vous fait souvent visite, où je vois les chères N.N. qui souffrent plus que le reste. Je me presse de partir pour être avec vous avant la fête de la Présentation de la Sainte Vierge. Dites à nos chères Enfants de prendre courage et de recommander à Notre Seigneur un arrêt qui nous est de très grande importance. Si Dieu me l'accorde, il nie donnera les moyens de sortir de toutes nies affaires ; je dis : toutes, sans réserve d'aucune.

Sa très sainte Volonté soit faite ! Son oeuvre est en sa divine main ; ne craignez pas, il ne la laissera pas périr, quand même il m'abandonnerait comme je le mérite. Ayez courage et relevez votre coeur pour aimer Notre Seigneur Jésus Christ et mourir de son amour. Soyez bien humble et très petite à vos yeux, et prenez toujours le parti de Dieu et de la vertu contre vous-même.

Recommandez l'affaire de votre chère soeur à Notre Seigneur, afin qu'il manifeste ses volontés sur elle. Au premier jour nous la proposerons à la communauté. Je vous en ferai savoir le succès. Priez Notre Seigneur qu'il la mette où il la veut sanctifier, et, si c'est ici, il a la puissance en mains, malgré tous les sentiments des créatures. Je suis en lui toute à vous.

r) 1176 N256

(50) Les mots placés entre parenthèses, dans cette lettre, ont dû être reconstitués, le manuscrit étant très détérioré.

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS )

17 décembre 1680

Je sais que vous souffrez sans que j'y puisse de loin remédier. Vous pouvez être assurée de mon coeur et de ma fidélité, qui sera inviolable, n'en doutez jamais, ma très chère. Prenez courage : Notre Seigneur vous assistera et vous soutiendra. Je voudrais de tout mon coeur tirer en moi toutes les peines que vous souffrez ; elles me sont mille fois plus sensibles en vous qu'en moi-même, mais, comme vous ne voulez que la pure gloire de Dieu dans son oeuvre, vous tâcherez de prendre courage, car je vous assure qu'elle ne s'établira que par la croix et le sacrifice : c'est ce qui la sanctifiera ; mais, comme les contradictions arrivent souvent, tâchez, pour l'amour de Notre Seigneur, de ne faire aucune répartie, afin que l'on n'ait pas sujet de continuer à vous pousser. Il faut éviter les occasions, en attendant que la Providence ait fait ce que nous espérons pour votre consolation. Encore une fois, prenez donc courage dans la fidélité de votre état de victime. Plus vous serez à Dieu, plus Dieu bénira son oeuvre. Ce monde est plein de pièges ; on ne peut les éviter, quelque diligence que l'on fasse, et je remarque qu'en voulant les éviter d'un côté, on les retrouve plus piquants de l'autre. Je vous conseille de vous retirer dans le néant, si vous voulez en être moins blessée. Je n'ai point trouvé dans cette vie- d'aide plus assurée, car, du moment que vous vous plongez dans ce bienheureux néant, vous vous trouvez en Dieu, et là vous vous abîmez en lui, sans quelquefois vous en apercevoir. J'ai toujours trouvé la paix et le repos dans le néant, et que rien n'incommode l'âme qui y fait sa demeure. Je voudrais que toutes les victimes habitâssent dans ce rien : elles y seraient bien plus tranquilles. C'est une place que personne ne veut et où tout le monde, et souvent les plus spirituels, ne veulent point entrer, car personne ne veut perdre son soi-même. Je prie Notre Seigneur qu'il vous donne le courage, non seulement d'y entrer mais d'y demeurer jusqu'à la mort.

Tâchez donc, chère Ange, de vivre comme votre nom le requiert ; menez la vie d'un ange en séparation de l'être d'Adam ; soyez sur la terre comme si vous n'y étiez pas ; demeurez appliquée à Dieu par le profond anéantissement de vous-même. Oh ! Que de grâces renfermées dans le néant ! Oh ! Que l'on peut bien dire qu'il cause un trésor inestimable et qui n'est point connu ni cru ! Quasi tout le monde l'ignore, mais les anges ne l'ignorent pas, puisque ce bel anéantissement : « Quis ut Deus » a fait la jouissance du souverain bien qu'ils possèdent. Mettons toute notre fortune à n'être rien et nous expérimenterons une vérité admirable, qui a donné sujet à un grand saint de l'exprimer par ces paroles : « Depuis que je me' suis mis à rien, j'ai trouvé que rien ne nie manque ».

252 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 253

Adieu ; je vous laisse toutes dans la préparation de ce grand et adorable mystère de Jésus naissant ; nous nous trouverons toutes à l'étable. Priez le divin Enfant et sa très sainte Mère pour moi, qui suis en lui toute à vous.

n° 141 1 N256

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

Du 29 décembre 1680

plaise de changer de conduite ; il me semble que nous n'avons qu'à nous abandonner tout à lui : il sait le fond et le tréfonds de toutes choses. ce qui se peut et ce qui ne se peut pas. Puisqu'il lui plaît de nous tenir de la sorte, adorons ses volontés : c'est un état qui fait mourir au dehors ; le monde blâme ce qu'il ne connaît pas. Mais ne laissons pas de mourir aussi au dedans de nous-mêmes et de tendre à toute heure au pur et parfait anéantissement. Ne manquez pas de m'écrire, puisque je suis, cette année comme les autres, toute à vous, très chère Enfant.

no 1574 P132

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Mes très chères Enfants,

Comme la chère Mère Sous-Prieure [ Madeleine des Champs ] n'est pas avec vous pour conclure l'année selon les saintes coutumes de la religion, nous croyons que la chère Mère Maitresse [ Thérèse du Tiercent ] doit faire le chapitre et la conclusion de l'année avec ses novices ; et vous, mes Enfants, vous devez vous assembler. Ma Soeur de Sainte Agnès [ Camuset ] dira les suffrages que l'on a accoutumé de dire, et puis vous demanderez pardon l'une l'autre en esprit d'humilité et de charité ; voilà ce que vous pouvez faire en l'état où vous êtes. S'il plait à Dieu, vous ne ferez pas de même l'année prochaine. Je prie Notre Seigneur qu'il vous pardonne toutes les fautes que vous pouvez avoir faites cette année, et qu'il vous en donne une nouvelle [ grâce ] pour commencer, continuer et consommer celle où nous allons entrer ; qu'elle soit pleine de bénédictions pour le général et le particulier. Prenez courage, mes très chères Filles, la sacrée Mère de Dieu vous donnera l'absolution et vous donnera la force pour soutenir le poids que son oeuvre vous fait porter. Je vous assure que vous en serez bien récompensées. Je prie la chère Mère Maitresse de prendre courage et de s'immoler à la très sainte volonté de Dieu pour le glorifier en son oeuvre comme il lui plaira. Nous sommes mieux, Dieu merci, et nous tâcherons d'écrire petit à petit. Je n'en oublie aucune devant Notre Seigneur, et suis, mes chères Enfants, toute à vous en son amour.

no 261a) Z4

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS

2 janvier 1681

Je viens d'écrire à votre chère petite dame, mais je ne sais si je fais bien de parler si sincèrement de Monsieur N. Pour vous, très chère, soyez toujours plus intimement à Dieu, et, quoique la divine Providence nous tienne dans l'humiliation, il faut le souffrir jusqu'à ce qu'il lui

3 janvier 1681

Cette maladie, très chère, m'a bien plus. étourdie que celle que j'eus il y a cinq ans. Je vous confie, dans le secret du coeur, que Notre Seigneur, en frappant le corps, a assommé l'esprit. J'ai été cinq jours sans quasi savoir où j'étais ni ce qu'il voulait faire ; le mal était assez grand pour mourir, mais je n'avais certitude de vie ni de mort ; je fus ainsi suspendue dans un abandon qui n'était connu que de Dieu seul ; cependant, il a plu au Seigneur me renvoyer ; j'ai la créance que ce n'est que pour souffrir, mais d'une manière que je ne pourrai l'exprimer, ni trouver de consolation sur la terre ; je n'y en dois plus chercher ; je ne sais pas même s'il lui plaira me rendre digne d'achever son ouvrage. Je puis vous assurer que je n'y agirai qu'avec un entier anéantissement, car je suis encore à ne savoir où je suis, mais, n'importe, il faut n'être rien et cependant agir comme si l'on était capable de quelque chose.

Ne vous affligez pas, chère Enfant, de votre disposition d'anéantissement : c'est ainsi que Notre Seigneur veut que l'on travaille ; ne cherchez que cela, le reste viendra comme il lui plaira. Je sais que vous souffrez beaucoup et que l'oeuvre de Dieu vous crucifie, mais je vous conjure en son nom de prendre courage ; ce sont autant de sacrifices qui honorent le Fils de Dieu dans son divin Sacrement. Un jour viendra que vous en serez ravie et bénirez Dieu de vous avoir choisie pour travailler et souffrir pour sa gloire. Courage, courage, très chère ; je vous puis dire en passant qu'il me semble être avec vous ; la nuit je m'y trouve et, le jour, je m'y souhaite autant que Notre Seigneur me le permet ; mais il me faut porter ma croix comme il lui plaira. Portez aussi la vôtre et ne vous ennuyez point de souffrir : c'est proprement l'état de la victime. Il faut qu'elle soit captive, liée et égorgée et consumée : voilà sa destinée ; mais c'est pour un Dieu auquel elle s'est immolée et c'est ce qui fait sa consolation dans ses douleurs et dans sa mort. La mienne est de vous assurer que je suis à vous en Jésus et sa très sainte Mère...

n° 236 P101

254 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 255

A UN MONSIEUR TOUCHANT L'ETABLISSEMENT DE LA MAISON DE ROUEN

Monsieur, Du 4 janvier 1681

J'apprends si souvent de nos très chères Soeurs les bontés que vous avez pour les intérêts de la gloire de Notre Seigneur dans le sacré mystère de son amour, que j'ai cru être obligée de vous en marquer mes humbles reconnaissances. J'espérais bien avoir l'honneur de vous les rendre moi-même, mais, comme j'étais sur le point de partir, la main de Dieu m'a retenue par une forte maladie. Je commence, par sa grâce, d'en revenir, mais avec peine, la saison étant un peu contraire. Je ne laisserai pas de faire mes efforts pour aller rendre mes petits services à nos chères Soeurs le plus tôt qu'il me sera possible, mais, avant que de former une résolution pour arrêter leur demeure, je voudrais bien savoir si les Révérends Pères Minimes ont agréé l'offre que vous avez eu la bonté de leur faire, de cinq ou six cents livres de rentes foncières, de notre part. S'ils en étaient demeurés d'accord, je prendrais des mesures qui accommoderaient nos chères Mères, sans les obliger de sortir du quartier qui est, comme l'on dit, le meilleur air de la ville. Vous avez tant de bontés pour elles, mon bon Monsieur, que je prends encore la liberté de vous supplier de leur donner votre secours en négociant pour elles. J'ose vous assurer que vous en serez glorieusement récompensé, et que toutes les Filles du très Saint Sacrement vous en seront infiniment obligées, mais singulièrement celle qui est en

Notre Seigneur et sa très sainte Mère, Monsieur, votre

n" 868a) Z4

Du 8 janvier 1681

Je ne doute pas, très chère Fille, que votre tracas ne soit grand, étant présentement la première de Rouen. Je ne sais comme vous y pouvez suffire ; prenez garde de ne vous trop accabler. J'espère que vous reverrez bientôt la Mère Sous Prieure, si ce n'est que me sentant par la grâce de Dieu bien plus forte, je la retienne encore pour m'en aller de compagnie ; tout se dispose pour cela, à moins que Notre Seigneur ne fasse encore un renversement. Je vous adjure que je n'attendais point ce qu'il a fait. Il faut l'adorer toujours et nous soumettre à ses adorables volontés. Nous sommes après, pour arrêter une maison. Je ne sais ce que Notre Seigneur veut faire, mais plus je presse, moins j'avance. On a offert 34 mille livres de la maison de M. de Bernières, mais il en veut 40. Si les bons Pères Minimes étaient un peu raisonnables, ils nous accommoderaient de la leur. Il faut prier leur saint Père [ François de Paule ] de nous être favorable. Je n'attends qu'après une maison, car bon gré mal gré, il en faut une en propre pour pouvoir faire des professes. Voyez à quel point la Providence nous réduit ! A vous dire vrai, je suis mortifiée, et (si) je n'y vois point d'autres remèdes, ou bien il ne faut point faire de professes et, si vous n'en faites point, la maison se détruit. Faites encore ensemble quelques prières. La Mère Sous Prieure a grand attrait pour Monsieur Salet, mais l'on dit que les sûretés ne s'y trouveront pas ; aussi nous aurons toujours quelque embarras en quelque part que l'on pense se mettre. Il ne faut pas pour cela perdre courage ; après avoir bien attendu, Notre Seigneur fera son oeuvre : il en sait les temps. Je dis qu'il y a quelques mystères cachés dans ce retardement.

Je vous crois toutes renouvelées en l'Esprit Saint de Jésus Christ. Soyez fidèles et soyez toutes dans une charité parfaite, soutenue d'une sincère humilité ; c'est la base de cette excellente vertu.

A Dieu, croyez-moi toute à vous. Je salue la chère troupe des victimes.

n" 1071a) Z4

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

8 janvier 1681

Soyez persuadée, ma très chère Fille, que je n'ai point d'indifférence pour vous. J'aime bien chèrement ce que Notre Seigneur m'a donné, mais tâchez de remplir la place que vous possédez, afin qu'il soit glorifié en vous par une sincère fidélité dans vos devoirs et surtout dans la précieuse qualité de victime, qu'il veut que vous partagiez avec lui. Je vous conseille, au commencement de cette nouvelle année, de vous appliquer sérieusement à observer les mouvements de votre coeur pour les tourner vers Dieu par une pureté d'intention actuelle, ne vous laissant prévenir d'aucun autre motif que de son pur amour, de sa divine volonté et de sa gloire. Souvenez-vous de l'évangile qui dit : « Si votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux » [ Mt. 6,23 1. L'unique moyen d'éviter les ténèbres, c'est de marcher pendant que la lumière

[A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET]

256 CATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 257

nous éclaire ; suivons l'étoile qui nous conduit comme les saints Mages en Bethléem pour y adorer un Dieu Enfant, un tout sous l'apparence du néant, la toute-puissance de cette souveraine majesté réduite dans une captivité si étonnante que le ciel en demeure surpris, enfin le souverain qui n'a qu'une crèche pour son trône et la pauvreté pour son train.

Ce ne sont pas seulement nos adorations qu'il demande, mais que nous le suivions, que nous nous abandonnions si entièrement entre ses divines mains que nous suivions les impressions de sa grâce, qui nous fait entrer dans ses adorables dispositions de dénuement, d'abandon, de séparation, et, en un mot, d'un saint esclavage sous les ordres de sa très sainte volonté et sous les événements de sa divine Providence. Soyez fidèle à ces pratiques et vous deviendrez la plus heureuse du monde, car vous possèderez une paix qui fait en l'âme les avant-goûts du paradis.

no 2748 N256

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS]

23 janvier 1681

Ma très chère Fille,

Madame de Bernières m'a écrit touchant sa maison. Elle la croit donner quasi pour rien de n'en vouloir rien rabattre de trente huit mille livres, sans rien diminuer de la rente foncière que sa maison doit à l'abbaye de Saint-Ouen. Voilà une cherté extrême. Cela veut dire qu'elle reviendra à la somme de quarante et une mille livres, sans parler des accommodements, qui monteront à plus de neuf à dix mille livres. Je suis en suspens et n'ose donner parole ; la somme est forte et je ne vois rien venir, car le roi, votre bon ami ne dit mot, et je crois que je serais téméraire d'en attendre quelque chose. Je ne sais aussi si Notre Seigneur touchera le coeur de ce bon monsieur comme vous l'espérez. Je laisse tout à la divine Providence, qui semble se fermer de toutes parts ; elle paraît moins que jamais nous vouloir secourir, du moins n'y vois-je nulle apparence, mais le Seigneur en usera comme il lui plaira ; il faut bien s'y tenir toute abandonnée. Cependant, redoublez vos prières, priant Notre Seigneur nous faire la grâce de connaître ce qu'il veut. Si j'avais assurance de vivre, je crois que je hasarderais encore ce coup, mais, si je meurs, votre Maison sera endettée. Personne ne sera de conseil de faire une acquisition si chère, et cependant il semble que la divine Providence nous y réduit : je marche dans sa

conduite. Il semble que Dieu m'y presse, sans savoir où et comment trouver pour cela ; il le fera comme il lui plaira et soutiendra son oeuvre, s'il lui plaît. Prions l'auguste Mère de miséricorde de nous conduire où elle sait que nous devons loger son divin Fils. Vous faites bien de mettre son image dans votre bourse, afin qu'elle la remplisse. J'attends tout de ses bontés. Si elle agréait de nous donner une maison, j'en aurais bien de la joie. Il ne faut que cela pour mettre cette oeuvre en état de s'avancer. L'on presse pour la maison de M. Salet, mais il faut toujours craindre les retours ; et après toutes les précautions, les sûretés ne seront pas faciles à trouver, à cause que c'est à des religieux, qui y pourront toujours rentrer ; c'est pourquoi j'aimerais mieux celle de Madame de Bernières. Prions Notre Seigneur de manifester dans laquelle des deux il se veut loger. Il est vrai que quarante et une mille livres est une grande somme, mais, si Notre Seigneur le veut, il la peut faire trouver. L'affaire mérite bien d'être recommandée à Dieu et à sa très sainte Mère. Je vous supplie de dire à nos chères Soeurs d'offrir leurs saintes communions pour le succès de cette affaire, si Notre Seigneur veut élever son trône eucharistique dans ce lieu-là. Je les embrasse et les prie de prendre courage, les assurant que, si elles ont travaillé à la vigne du Seigneur pendant le chaud du jour, que ce même Seigneur leur en donnera de glorieuses récompenses.

Nous méditons le voyage parce que je suis mieux ; si Notre Seigneur ne me renvoie autre chose, il en fera comme il lui plaira. J'ai un grand désir de vous embrasser toutes. En attendant, croyez-moi toujours votre Mère et votre fidèle amie.

n°2162 R18

[A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT CHEURET]

25 janvier 1681

J'ai tant de vénération et d'estime pour le Révérend Père [ Chenois ] que je n'ai point de peine que vous fassiez ce qu'il vous dira. C'est un saint homme : suivez ses conseils et tâchez d'être fidèle. Il faut que vous commenciez une nouvelle vie, vous rendant plus exacte à vos obligations. Je suis fort consolée des sentiments que vous exprimez dans les vôtres du 24. Si vous tenez ferme pour les accomplir, vous commencerez d'être une vraie fille du très Saint Sacrement ; vous ne serez plus accablée de tristesse ; votre esprit se réjouira au Seigneur ; son joug vous deviendra léger, et cent choses qui choquent votre sens se dissiperont sans vous faire de la peine ; vous serez forte en Jésus Christ et la paix divine commencera à régner en votre coeur. Ne vous relâchez plus de vos saintes résolutions ; mourez à la peine : votre récompense sera glorieuse.

258 CATHERINEDE BAR FONDATION DE ROUEN 259

Je me réjouis de toutes les grâces qu'il renouvelle en vous, mais je vous exhorte encore d'être ferme. Il faut vous résoudre à soutenir un peu de violence, mais la suite sera plus facile et l'onction divine coulera dans votre coeur, qui fortifiera votre courage ; le ciel bénira vos fidélités, et l'Institut en sera plus sanctifié et peut-être y attirerez-vous plus de grâces en toutes manières. Nous ne savons à quoi il tient que Notre Seigneur n'achève pas son oeuvre. Je crois bien que, si nous étions toutes aussi anéanties que nous le deNons être, les choses se feraient bien d'une autre façon. Mais, sans y regarder autre chose que le plaisir de Dieu et sa gloire, allons sans relâche à la perfection de notre état et laissons à la divine Providence le reste, qui ne manquera pas. A Dieu. Je suis en lui toute à vous.

no 833 N256

[A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET]

Du premier février 1681

Très chère,

Je ne pus hier vous écrire pour vous dire de ne plus jeûner, d'ici au mercredi des Cendres, que les vendredis. Encore ferez-vous faire de bonnes grosses collations, et tâcherez de vous bien et innocemment divertir. Je suis en esprit avec vous en attendant que j'y sois de corps. Nous allons tâcher d'avoir permission de Monseigneur l'archevéque [ Rouxel de Médavy ] de faire vos novices, professes, pour ne rien précipiter à votre changement. J'attends encore des nouvelles de Madame de Bernières. Je vous assure qu'il me tarde bien d'être avec vous et que je languis, vous voyant dans la peine. Mais prenez courage ; j'espère que tout s'achèvera bientôt, et que la divine Providence m'assistera. Si je puis toucher 5 ou 6 mille livres, je partirai dans le moment, car il en-faut pour déménager. Priez Notre Seigneur que je puisse avoir promptement cet argent. Mandez-moi ce que je puis faire pour votre soulagement et pour l'établissement du choeur, qui est le principal culte extérieur que nous devons au très Saint Sacrement.

Je vous supplie de suppléer pour moi à nos très chères Soeurs, qui ont signé dans votre lettre, et de continuer leurs saintes prières. Tout se fera par la grâce de Notre Seigneur et le secours de sa très sainte Mère. je les prie de ne se point offenser du retardement des réponses que je leur dois. J'y satisferai, s'il plaii à Notre Seigneur. Je les salue toutes bien tendrement. Je voudrais bien un peu me dilater avec toutes, mais la divine Providence ne m'en donne pas le loisir.

• Croyez-moi, en Jésus, toute à vous.

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Ce 3 février 1681

Je vous assure, mon Enfant, que je ne suis pas dure a votre douleur.

Je la ressens jusqu'au fond du coeur, et avec un déplaisir d'autant plus sensible que je n'y puis mettre le remède que je voudrais jusqu'à mon

retour auprès de vous. Il n'est pas besoin que je vous réponde dans le détail de ce que vous me mandez ; vous entendez assez ce que je veux dire. J'ai une peine incroyable de n'être pas avec vous, mais prenez courage, j'espère que Notre Seigneur me fera la grâce d'y être bientôt.

Hélas ! vous ne vivez que de sacrifices, mais c'est en cela que vous êtes en vérité victime de Jésus au divin Sacrement, car c'est unique-

ment pour sa gloire que vous demeurez dans son oeuvre. Tâchez d'y faire ce que la grâce demande de votre fidélité ; ce sera un jour votre joie et votre couronne ; encouragez-vous les unes les autres, et que votre recours et confiance soit à la sacrée Mère de Dieu. Je vous promets que vous trouverez le secours que vous aurez besoin.

Nous n'avons encore pris aucune résolution sur les maisons. J'ai fait mes diligences par une autre main que la mienne pour la maison de

Monsieur de Bernières ; il ne la veut pas donner à moins de 40 mille

livres et si l'on ne la peut posséder que dans deux ans, je trouve la somme bien forte. Je n'ai pas d'argent comptant ; il faut avoir patience et voir

ce que la divine Providence opérera. Mandez-moi toutes vos lumières,

afin que je voie ce que je puis faire pour le mieux. Croyez que je suis bien crucifiée d'être comme je suis présentement, mais Notre Seigneur

y pourvoira dans le temps. Ayez cette confiance et relevez votre courage. Agissons ensemble cordialement ; je ne veux que Dieu et le bien de votre Maison ; voyons comme nous le pourrons trouver.

J'écrirai à la Mère Maîtresse [ Françoise de Sainte Thérèse ] au sujet de N., car il n'est pas juste que vous demeuriez dans le blâme. Je ferai

connaître que c'est moi qui vous l'ai ordonné ; patience et courage ; adorez la bonté de Notre Seigneur de vous soutenir si fortement et que son oeuvre vous soit tant à coeur.

Vous ne pouvez mieux faire que de vous consommer pour cela. Je vous plains bien, et sans cesse je vous offre à Notre Seigneur.

Hélas ! quand lui plaira-t-il que son oeuvre s'avance ? Je l'adore et attends ses volontés, vous assurant que je suis toujours très cordia-

lement toute à vous en Jésus du plus sincère de mon coeur, quelque sentiment que vous puissiez avoir contraire. Mille adieux, chère Enfant, continuez à bien parer l'autel.

260 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 261

[ A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS]

11 février 1681

Chère Petit Ange.

Vous m'avez fait un singulier plaisir de m'avoir mandé sincèrement toutes choses. Cela n'empêchera pas que je ne fasse tout mon possible pour partir la première semaine de Carême. Depuis ma maladie j'ai toujours quelques langueurs, mais je ne fais nul cas de cela. Il suffit que Notre Seigneur voie qu'il ne dépend pas de moi de partir. Je suis prête en ce qui me regarde, et ne considère quoi que ce soit. Ma santé n'est pas ce qui me retient. Il me semble ne tenir à quoi que ce soit, ne me souciant de rien pour moi, niais je ne puis faire tout ce que je voudrais. Je me désire près de vous et me hâte d'avancer mes tracas pour partir ; mais, jusqu'à ce que le moment soit venu, la Providence nous retiendra par des voies secrètes qui ne sont connues de personne. C'est une chose étonnante de ne pouvoir trouver aucune place. Il en faut bénir Dieu qui le permet ainsi, et de ce qu'il nous serre de si près. Il nous mettra où il lui plaira, et partout nous serons également toutes à lui sans réserve.

J'attends encore réponse de Madame de Bernières pour voir si nous prendrons sa maison, et tâche de chercher ce qu'il faut pour l'acheter. Il semble que j'aperçois quelques petits jours. mais de loin. pour m'en donner les moyens. Il les faut attendre comme il plaira à Dieu nous les donner. Hélas ! Priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle loge son divin Fils, et qu'elle bénisse son esclave, qui est en son amour toute à vous.

Prenez courage. Le temps n'est pas encore venu pour le roi, votre bon ami ; peut-être cela sera-t-il avant que je meure. mais pas encore si tôt. Adieu, ma chère Enfant, j'embrasse le cher petit troupeau et le prie de prendre courage.

re 3079 R18

Armes de François Rouxel Médavy

gravées par Antoine Masson, 1677 A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT CHEURET]

18 février 1681

Je vous accorde, chère Enfant, ce que vous me demandez, et suis bien aise que vous tendiez à Dieu, et que, pendant que vous avez des forces et du courage, vous preniez une sainte habitude de fidélité. Car si l'on ne se pousse un peu, l'on demeure dans la lâcheté et dans la nature, qui est notre plus fâcheuse et opiniâtre ennemie, qui ne veut pas même céder à Dieu de qui dépend son être et sa vie. Animez-vous donc, chère Enfant, à servir Dieu avec vigueur et ne vous écoutez point sur la mort de vos passions ; crucifiez-les de tout votre possible. Quant aux austérités que nous vous permettons, quand vous êtes malade vous en devez user avec discernement. Continuez vos saintes prières pour celle qui est toute à vous en Jésus et sa très sainte Mère.

n° 1652 N256

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS]

23 février 1681

Assurez-vous, ma très chère Fille, que Dieu vous bénira pour la fidélité que vous gardez à votre pauvre Mère, qui est elle-même plus affligée de toutes vos peines qu'elle ne l'est des siennes propres ; et j'espère toujours que Notre Seigneur bénira toutes choses et que la Maison de Rouen s'achèvera imperceptiblement : noirs y voulons bien travailler de tout le coeur. Nous pensons bien sérieusement à tout ce qui la concerne et croyons que tout ira en bénédiction, et vous le verrez ; continuez vos saintes prières ; je vous puis protester que je ne considère ma vie ni ma santé non plus qu'une chiffe et, si nos Soeurs veulent m'en croire, nous partirons le premier jour du mois prochain. Hélas ! si les souhaits avaient lieu, je serais au milieu de vous il y a longtemps. Pour ce qui vous regarde, très chère Fille, vous ne trouverez jamais de solide repos intérieur que dans le pur abandon à Dieu, dans le très profond abîme du néant. Je reviens de la mort, où j'ai bien reconnu cette grande vérité. Ne cherchez rien autre chose : tous les besoins de l'âme se trouvent là, et la main de Dieu y opère comme il lui plaît ; prenez courage, chère Ange, soutenez pour Dieu et vous immolez pour sa gloire et son amour ; ce sera votre joie à la mort d'avoir donné ce sacrifice à Notre Seigneur. Heureuse une âme qui peut souffrir quelque chose pour sa gloire !

Je vous dis en secret, ma chère Fille, que je crois vous . voir au commencement de mars, mais de crainte que la divine Providence ne renverse encore le projet, n'en parlez pas. Cependant nous nous y disposons doucement ; la Communauté en fulmine parce que l'on

262 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 263

ne me croît pas en état de voyager, vu que le médecin m'a ordonné

de manger de la viande et des oeufs et, par conséquent, de ne pas jeûner. L'on est bien fâché de ce que je ne lui obéis pas. Je me sens assez bien,

quoi qu'il en dise ; il faut s'abandonner à la volonté divine. Nous deviendrons ce qu'il lui plaira. Vous faites bien, chère Enfant, de vous y bien abandonner et de la prier qu'elle vous soit propice. J'aurais bien voulu trouver ce que j'ai besoin, mais la divine Providence ne le veut pas ainsi. Je m'en irai dans mon cher abandon, aussi contente que si je portais cent mille livres, espérant que mon Dieu y pourvoira selon le besoin. Ce qu'il faut faire, c'est de redoubler les prières pour le choix de la maison et pour élire une Prieure.

Adieu. J'embrasse vos chères Compagnes ; je vous suis bien obligée à toutes de vos fidélités ; Dieu vous bénira en récompense. Conservez toujours la charité et priez bien Dieu, très chère, qu'il me fasse faire, par la force divine, ce pourquoi il m'a fait revenir de la mort, et me croyez très sincèrement toute à vous.

n038 N256

[A LA MÊME]

2 avril 1681

C'est sans remise, s'il plaît à Dieu, que nous partirons lundi prochain pour arriver le jeudi en suivant au plus tard. Réjouissez-vous donc au Seigneur, et le priez qu'il nous conduise par sa grâce et en son esprit. Ne parlez point que nous voulons avoir le château, car partout nous aurons de la peine. Nous ne sommes pas à bout ; il se faut résoudre à tout ce que Notre Seigneur voudra pour sa gloire et notre humiliation. Les gens de votre ville sont bien difficiles, mais Dieu le permet pour notre exercice ; nous verrons dans huit jours de quelle mort ils nous feront 'mourir ; cependant, continuez les prières. Il fait fort froid, les chemins sont effroyables, mais cela ne nous arrêtera pas, s'il plaît à Dieu. Priez les saints Anges et les saintes âmes du purgatoire qu'ils nous conduisent et nous préservent d'accident. Je vous laisse au Calvaire où vous allez mourir avec notre adorable Sauveur pour ressusciter avec lui. Priez-le qu'il nous tire toutes en lui et que nous y soyions si bien cachées que nous ne nous retrouvions plus.

A Dieu donc, chère Enfant ; j'embrasse toute la chère troupe des victimes, en esprit, en attendant que ce soit de présence. Je me porte bien à présent ; ne pensez plus à moi que pour prier Notre Seigneur me faire la miséricorde d'agir en son esprit. Je suis en lui toute à vous.

n°2021218

A LA MÈRE SACRISTINE DE ROUEN

Ce 4 avril 1681

Vous pouvez voir celle que j'écrivis à ma chère Soeur des Anges, [ Monique de Beauvais ] pour n'être point obligée de vous faire, chère Enfant, une répétition dans le peu de temps que je dérobe à mes yeux pour vous écrire et vous assurer que je serai bientôt avec vous, s'il plait au Seigneur ne point renverser le projet qui est fait pour sa gloire. Nous irons vous tirer de peine, chère Enfant, et bénir le Seigneur avec vous pour toutes les grâces qu'il nous à faites dans son oeuvre où vous avez tant et tant sacrifié. Prenez courage ; tout cela vous sera avantageusement compté. L'on m'a mandé des choses un peu bien mortifiantes, mais ôtez l'offense, s'il y en a, et l'honneur de l'Institut, le reste, qui me touche, ne m'afflige point. Il faut s'attendre à toutes choses en ce monde et ne tenir que comme une victime, toute à Jésus Christ.

11 faut que vous les teniez devers la sacristie, bien propres, bien

respectueusement et en lieu qui ne soit point trop humide, et ne les garder pas plus vieux faits de quinze jours ou trois semaines ; et quand on les achète, il faut tâcher d'en prendre toujours les derniers faits.

A Dieu, nous dirons le reste, s'il lui plait, à l'entrevue. Prenez donc courage, Notre Seigneur bénira son oeuvre, et vous ne serez pas logées six mois que vous en verrez des effets. Demandez-lui tous les jours des sujets selon son coeur. Je suis, en lui, toute à vous.

no 3137a) Z4

A UNE RELIGIEUSE MALADE

[DE LA RUE CASSETTE]

Rouen, le 29 mai 1681

J'apprends avec douleur, ma très chère Enfant, que vous êtes bien plus mal que vous n'étiez lorsque je suis partie. J'en suis touchée fort sensiblement et d'autant plus que, n'étant point auprès de vous, je ne puis vous donner des marques de la tendresse de mon coeur par mes pauvres petits services. J'espère, avec la grâce du Seigneur, vous revoir bientôt, mais en attendant soyez, chère petite victime, bien soumise pour recevoir les secours que vous avez besoin. Je crois que vous n'avez point refusé de manger gras ; votre mal le demande, et vous devez obéir comme un enfant, sans retour, sachant bien que l'obéissance est le glaive qui immole la victime, égorgeant ainsi sa propre volonté, qui fait notre propre vie tant opposée à la [ vie ] divine de Jésus Christ. C'est la plus grande victoire que sa grâce peut remporter sur vous, très chère Enfant, et vous serez bien heureuse et libre du purgatoire, si, avant que de mourir, votre volonté est trépassée en Dieu, comme dit saint François de Sales. Vivez donc dans cette séparation, afin que vous soyez comme Dieu vous désire et, comme il

264 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 265

prétend vous trouver, quand il viendra à vous pour vous conduire dans le royaume de sa gloire. Je vous prie me faire donner de vos chères nouvelles et, cependant, priez Dieu du coeur pour votre chère Compagne [ Mère Françoise de Sainte Thérèse de Ruellan du Tiercent ], que nous avons immolée aujourd'hui à la Providence divine, ou, pour mieux dire, à son élection éternelle qu'il a manifestée ce matin. H en a fait la première Prieure de cette Maison, où j'espère qu'il la comblera de ses grâces et de ses divines bénédictions. Son pauvre coeur en souffre. Je vous la recommande et que vous me croyiez, en Jésus, parfaitement à vous.

n° 859 Cr C

[A LA MÈRE MECTHILDE DU SAINT SACREMENT CHEURETI

QUAND ELLE FUT DE RETOUR A PARIS

Du 13 juin 1681

C'est avec une très grande peine que mon retour est ainsi retardé, sachant bien que ma méchante Fille est infidèle à son Dieu, et j'ai besoin d'être là, pour un peu la gronder de ce qu'elle n'obéit pas à sa pauvre Mère qui gémit devant Dieu pour elle, mais qui ne la peut tirer de peine si elle n'y apporte ce qui est nécessaire de sa part. La première que je lui demande, c'est d'un peu se remettre sur mon retour ; il ne sera pas si long que l'on dit, à moins d'un ordre de Dieu, que je ne prévois pas. Toutes choses se disposent pour avancer. J'admire l'adorable Providence. J'en suis si confuse devant Dieu que je ne sais où j'en suis, car je n'attendais pas cette facilité, mes péchés méritant le contraire, mais c'est la patience et la vertu de nos chères Soeurs d'ici et les prières de votre Communauté qui nous attirent ses grâces.

Nous avons fait une Prieure, jeudi dernier dans l'octave du Saint Esprit. A huit heures du matin, la pauvre Mère de Sainte Thérèse [ du Tiercent est tombée sous ce sort, qui l'a tuée à n'en pas revenir sans un grand secours du ciel. Il ne me reste que la maison, que l'on dit se terminer sur la fin de ce saint octave ; huit jours après, je crois être en état de partir. Je laisserai le reste à la Providence. Ne vous désolez donc point : vous reverrez bientôt votre pauvre Mère, mais à condition que vous lui soyez plus soumise que jamais et qu'après Notre Seigneur, sa très sainte Mère et les Saints, vous n'aimerez plus personne qu'elle. Le bon Père Chenois m'a ordonné de vous engager à cela ; faites ce qu'il vous dit, et vous serez une bonne Fille et, quoi que vous soyez toujours misérable, vous ne périrez pas. Ayez un peu de courage et de patience, et vous confiez à ce qu'on vous dit de la part de [ la sainte Vierge ] ma Souveraine. Mais si vous pouviez un peu vous abaisser à ses sacrés pieds, vous en recevriez du secours. Ne vous rebutez point de tout ce qui se passe et que vous souffrez. Mais n'effectuez rien de contraire aux ordres que nous vous avons donnés. Soyez ferme comme un rocher, et mourez à la peine, afin que vous soyez une petite martyre de fidélité.

Allons à Dieu simplement et nous séparons du reste. Mettez tout aux pieds de celui qui vous a fait l'honneur de vous recevoir pour sa victime. Souvenez-vous que la victime ne doit vivre que dans la mort. Commencez de lui être fidèle ; c'est ce que j'espère et que j'attends de vous.

A Dieu, en Dieu, très chère Enfant ; soyez sûre que je ne vous oublie pas et que je vous aime toujours tendrement. Je vous prie de dire chaque jour pour moi à la très sainte Vierge AVE MARIA FILIA DEI PATRIS... etc...

n" I78a) Z4

[ A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION GROMAIRE]

Prieure du second monastère de Paris

De Rouen, le 27 juillet 1681

Je puis vous dire, mon unique et plus chère Mère, que les chères vôtres du 25 m'ont donné une grande consolation d'apprendre de vos chères nouvelles, en étant dans une extrême peine parce que j'ai sujet de douter que vous ne soyez malade, car je vous rêve souvent dans cet état souffrant. Et quand je suis dans cette appréhension, je suis dans de fort grandes inquiétudes.

Je suis touchée de votre affaire, qui est si balancée. Vous faites bien, mon unique Mère, de l'abandonner à la divine Providence, mais il ne faut pas laisser d'agir. Je ne puis encore rien dire de positif pour nos affaires. Dieu, la Providence divine, nous ballotte et il le faut souffrir. Toutes ses conduites me font entrer dans un si grand abandon et dénuement intérieurs qu'il me semble que je suis toute prête à voir tout renverser. Car, en vérité, je ne sais ce que Notre Seigneur veut faire de son oeuvre, mais je sais bien qu'il la mène dans les sentiers d'un grand anéantissement ; du moins je le ressens en moi de la sorte, et je m'y façonne si bien que je n'en souffre plus la peine, car, ayant bien connu que Dieu est le maître de son oeuvre, il a droit de la détruire ou de la soutenir comme il lui plaira. J'ai pourtant une ferme croyance qu'il bénira tout entre les mains de la Prieure d'ici, qui est une sainte, et, dans cette foi, je voudrais pouvoir partir tout présentement s'il m'était possible. J'espère que ce sera bientôt, avec l'aide de Dieu, car nous ferons quelque chose dans cette semaine ou nous quitterons tout pour nous en retourner (53). J'ai assez de repos ici, et une grande santé. Plût à Dieu que vous en eussiez autant !

Adieu, mon unique Mère, je salue toutes mes chères Filles.

n" 1333 Cr C

(53) Mère Mectilde quittera Rouen le 5 septembre sans avoir trouvé de logement convenable pour ses Filles. Le château ne pourra être acheté qu'en 1683.

FONDATION DE ROUEN 267

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

LOUÉ SOIT A JAMAIS LE TRÈS SAINCT SACREMENT DE L'AUTEL

7 aoust 1681

Nous, Soeur Mectilde du St Sacrement humble prieure des Religieuses Bénédictines consacrées à l'adoration perpétuelle du très Sainct Sacrement de l'Autel du Monastère de Paris, Supérieure de tous les Monastères de la congrégation du même titre du très St Sacrement. En vertu du pouvoir a nous donné par le Sainct Siège d'associer tous les fidèles de l'un et l'autre sexe à l'adoration perpétuelle de cet Auguste Mystère. Nous supplions le Révérend Père Adrien Michel très digne Religieux de l'estroite Observance de St François de la Ville de Roüen de nous seconder dans ce pieux dessein qui tend uniquement à la gloire de Notre Seigneur Jésus Christ prophané par les impis dans son Sacrement d'amour. Et pour cet effect d'employer son zèle et sa piété pour Lui attirer des adorateurs Lui donnant tout nostre pouvoir pour associer ceux et celles qu'il trouvera capables et disposés pour cette Saincte dévotion de prendre leur nom, le jour, et les heures qu'ils choisiront pour assister devant le Très Sainct Sacrement en esprit d'adoration et de réparation, et de nous les envoyer s'il lui plaist, pour estre enregistrés à entrer dés cette heure en Société avec nostre Congrégation et participer à toutes les bonnes oeuvres, prières, oraisons, réparations & qui se pratiquent par la grâce de Dieu dans tous les Monastères de nostre Institut.

Fa ict à Nostre dit Monastère de Paris le sept aoust mil six cent quatre vinq un.

Sr Mectilde du St Sacrement Prieure

n" 2373 Autographe à Rouen

3 septembre 1681

Je vous ai promis, ma très chère Fille, de vous laisser par écrit ce que Notre Seigneur me fera connaître qu'il veut de vous pour votre sanctification. Je me donne à son Esprit Saint pour vous en parler. Je sais bien eune Fille du Saint Sacrement porte sa règle vivante et animée dans son coeur, puisqu'elle la reçoit en Jésus Christ par la manducation de son corps adorable, et qu'il ne devrait plus y avoir de loi pour une âme qui communie en grâce, parce qu'étant revêtue de la vie divine que Jésus Christ lui communique, elle doit demeurer en lui et vivre selon les mouvements de son esprit. Mais, quoique nous ayons toutes l'obligation indispensable de vivre de cette sorte, nous ne laissons pas, bien souvent, de nous en détourner pour vivre d'une vie d'amour-propre, et, au lieu de suivre les maximes de notre divin Maître, nous suivons nos sens et notre raison humaine, qui nous retirent insensiblement de Dieu pour demeurer misérablement en nous-même, et, par cette infidélité, nous priver d'un bien infini. C'est un malheur qu'on ne peut assez déplorer et dont, pour l'ordinaire, l'on n'a pas de sincère regret d'y tomber. L'amour de nous-même nous aveugle et nous voulons bien demeurer dans ses malheureuses ténèbres pour n'être pas obligées de nous en séparer par les rayons de la grâce, qui nous fait voir la vérité et qui nous reproche notre ingratitude et la dureté d'un coeur qui ne se laisse point gagner au pur amour, ni aux sollicitations que le Saint Esprit ne cesse de nous faire pour nous dégager de tout ce qui n'est pas Dieu.

11 faut avouer que la misère humaine est épouvantable et que le tendre que nous avons pour nous, nous retient en nous-même et nous ôte le courage de nous surmonter. Voyez, très chère Fille, si ce défaut ne se trouverait point en vous. Je vous dirai en simplicité ce qu'il me semble que Notre Seigneur veut de vous, bien que vous ne soyez pas ignorante. Tous les billets que vous m'ayez confiés de votre intérieur marquent clairement les voies de la grâce en vous ; puisqu'il n'est pas possible que vous en puissiez douter, il veut absolument votre coeur et voilà ce qui fera le coup le plus terrible de votre mort : ce coeur qui aime et qui ne peut pas vivre sans aimer n'a pas encore trouvé le secret de rassasier son amour en aimant l'Unique aimable ; il n'a encore goûté que l'amour des créatures, mais qui, n'étant que corruption en elles-mêmes, souillent le coeur qui s'attache à elles ; mais celui qui seul peut contenter ce coeur aimant y est caché comme dans son centre. Il n'est pas besoin d'un long voyage pour le trouver, puisqu'il est plus en vous que vous-même. Tournez-vous vers cet objet divin et, encore que d'abord vous ne puissiez goûter son amour à cause de son infinie pureté, le vôtre petit à petit deviendra pur, à mesure que vous le ferez couler en lui. Ne vous découragez pas pour vous en voir à

268 ( HFRINF DL BAR FONDATION DE ROUEN 269

présent si éloignée ; vous ne serez pas toujours de même, si vous voulez un peu demeurer ferme dans le sacré abandon de tout vous-même en lui.

La deuxième immolation qu'il demande de vous, c'est celle de votre esprit et de votre raison, qu'il faut sacrifier comme ce que vous avez de plus cher et que vous avez plus de peine à anéantir. Cependant, la grâce de Jésus Christ en vous le demande, et les états qu'il a portés en sa divine Enfance et qu'il conserve au divin Sacrement vous pressent et vous instruisent comme vous les devez immoler à son amour. Hélas ! nous craignons de perdre notre raison et notre esprit humain, c'est le préférer au divin, car Notre Seigneur nous veut donner son Esprit. Serions-nous assez téméraires de croire le nôtre meilleur ? Ne lui faisons point cet affront ; séparons-nous du nôtre, puisqu'il n'est que ténèbre et illusion, pour nous revêtir de celui de Jésus, qui est lumière et vérité divines. Et quand il arriverait que notre esprit serait éclairé selon l'humain !... Hélas, hélas, vous demeurerez donc toujours humaine, et, par conséquent, toujours dans l'estime secrète de vos sens ! Et voilà le nid de l'amour-propre et de la propre estime de vous-même fondé, et par conséquent bien loin du néant où la grâce vous oblige d'entrer. Défaites-vous donc de tout cela pour éviter une vanité ou une complaisance en vous-même et mépris des autres, que vous ne croyez pas avoir tant de sens et de raison que vous : voilà la superbe bien soutenue ! Et que deviendra Jésus Christ pauvre, petit et abject en vous ? Cette Sagesse éternelle qui s'est anéantie n'aura-t-elle pas la force d'anéantir cette vanité et cette « entièreté » en vous-même ? Souvenez-vous que votre bonheur dépend de ce sacrifice. Après que vous l'aurez fait, vous entrerez dans un saint dégagement et posséderez une paix toute divine. Vous me direz sans doute, très chère, que je vous taille bien de la besogne. Ce n'est pas moi, consultez votre intérieur et vous m'avouerez que le Saint Esprit vous a fait, il y a longtemps, cette leçon ; je vous conjure d'y être fidèle.

Après donc avoir rendu ce cœur et cet esprit à qui ils appartiennent de droit, il faut lui rendre votre corps affligé de douleurs, et en faire la victime de sa croix. Tandis que le cœur sera la victime de son pur amour, les douleurs que vous ressentez vous serviront à vous dégager des choses de la vie et des plaisirs des sens. Devenant une même chose avec Jésus Christ souffrant, vous savez bien que les souffrances ont l'avantage de nous purifier et de nous rendre dignes de ses approches intimes et de ses grâces les plus singulières. Nous ne voyons point d'âmes bien attachées à la croix qu'elles ne reçoivent quelque communication de celui qui prend ses complaisances de les voir souffrir. Réjouissez-vous, très chère, vos douleurs sont les marques et les gages de son amour ; souvenez-vous en tout d'un Dieu qui vous est plus présent que vous-même à vous-même, et si actuellement, que vous ne pouvez respirer sans lui ni hors de lui. Accoutumez-vous à ne voir que lui dans toutes les créatures, et à recevoir tous les événements de la vie de sa très sainte main, comme la foi nous y oblige. Appuyée sur les paroles de l'Ecriture sacrée, au nom de Dieu, chère Enfant, dégagez-vous de tout l'humain. Si vous n'en sortez, vous serez toute votre vie misérable, remplie d'inquiétude et toujours agitée selon les divers événements de la vie, dont vous ne serez jamais la maîtresse, car la main de Dieu vous pressera partout de toutes les manières pour vous obliger de vous rendre toute à lui en vous séparant de tout ce qui n'est pas lui.

Une chose aussi que vous devez bien prendre garde, c'est de ne vous jamais abattre ni décourager pour quelque misère que vous puissiez ressentir. Tenez votre volonté dégagée, et puis souffrez les atteintes des tentations : Notre Seigneur sera votre force, je n'en puis nullement douter, si vous voulez être à lui solidement. Quant à votre conduite extérieure, vous devez faire ce que vous pourrez pour votre santé, sachant bien que la Religion le permet par vos supérieurs, qui ne demandent pas mieux que de vous soulager. Prenez donc en simplicité les secours que vous avez besoin, qui seront toujours bénis par l'obéissance, et, quand vous sentez vos grandes douleurs, ne vous forcez ; vous les augmenteriez à l'extrême. Ménagez le peu de forces que vous avez. J'espère que le mal que vous souffrez à présent se pourra diminuer dans la suite, si vous usez un peu de précaution.

Vivez en paix et union dans la communauté ; tâchez d'y établir le plus de perfection qu'il vous sera possible (54), sans rien ajouter aux Règles et Constitutions, parce qu'elles constituent ce que Notre Seigneur veut des Filles du très Saint Sacrement. Il les faut observer selon le possible et les commodités présentes.

Je ressens votre peine en toutes manières et mon coeur en est pénétré, mais je vous assure que je vous porterai à Dieu incessamment comme moi-même ; j'espère qu'il vous bénira. Courage ! Vous savez que nous sommes toujours votre Mère et celle dont Dieu s'est servi pour vous faire naître Fille du Saint Sacrement. Je dois vous assurer que vous le serez toujours et qu'en tout ce que je pourrai vous le marquer, ce sera de tout mon coeur. Croyez-moi votre fidèle amie.

n° 1669 N256

(54) Cette lettre ne serait-elle pas adressée à Mère Marie des Anges, envoyée par Mère Mectilde comme maîtresse des novices, le 8 juin 1681 ? Catherine du Vay (Mère Marie des Anges), fille de Guillaume du Vay, procureur au Parlement de Rouen et de Marie Adelin, née à Rouen sur la paroisse Saint-Patrice, prit l'habit en janvier 1661 et fit profession le ler octobre 1662 au monastère de la rue Cassette. La cérémonie fut présidée par le P. Nicolas de Saint Augustin, prieur du monastère de Saint-Bernard à Paris. Sa dot avait été payée par une personne anonyme qui désirait qu'une religieuse priât pour elle sa vie durant, ce que l'on nommait à l'époque « une fondation pour une victime ». Cette dot était généralement constituée en rentes viagères. Mère Marie des Anges fit partie du groupe des fondatrices du couvent de Toul. Mère Mectilde l'avait envoyée à Rouen le 8 juin 1681, pour y remplacer la Mère Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent, maîtresse des novices qui avait été élue prieure le 29 mai précédent. Mère Marie des Anges est la première moniale décédée à Rouen depuis la fondation. Elle mourut le 17 septembre 1687. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 114 - 177 et 273 n. 2 et nécrologe de notre monastère.

270 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 271

A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE

ET A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

Villepreux, 9 septembre 1681

Nous voici arrivées grâce à Dieu en très bonne santé à six lieues de Paris (55) ; dans toute notre route, je n'ai pu vous écrire, ma très chère Mère et mes très chères Enfants, mais je vous assure que je n'ai pas fait tout ce chemin sans bien penser à vos douleurs et aux tendresses de vos bons coeurs pour votre pauvre Mère, qui vous porte bien intimement dans le sien.

Je me dispose pour entrer chez nous ou, pour mieux dire, je prie Notre Seigneur de me faire la grâce que je n'y rentre qu'en lui et cachée en son Esprit, afin qu'il soit lui seul comme souverain qui doit régner et dominer sur tout et partout. Oh ! si j'étais un peu devenue rien, mon Dieu me serait tout et ferait tout en moi. Je vous conjure, ma chère Mère, de le bien prier pour moi. Je demande cette charité à nos chères Enfants en les embrassant de tout le coeur, les conjurant de prendre courage et de ne point demeurer occupées de la créature, mais de passer tout en Dieu et de vous reposer en lui par une humble et amoureuse confiance. J'espère trouver de vos chères lettres à Paris. Je vous fais celle-ci par avance, parce que demain je ne le pourrai peut-être pas. Mandez-moi des nouvelles de votre santé et de toutes vos Filles, et surtout des pauvres malades. J'embrasse encore en esprit toute la communauté et le cher noviciat, et les exhorte à se réjouir toutes au Seigneur, qui les comblera de bénédictions en bénissant son oeuvre. Adieu encore une fois. Je ne vous exprime point la douleur que j'ai eue en vous quittant, mais Notre Seigneur m'a soutenue en vous soutenant vous-mêmes. J'ose encore vous assurer qu'il vous soutiendra et bénira.

Ayez soin de votre santé ; disposez-vous à prendre du lait et faites accommoder les fenêtres et châssis de ma chambre avant que de vous y loger. Adieu, mille et millions de fois, toutes, adieu, en Dieu, où je désire que nous soyons toutes perdues et anéanties. C'est le souhait de votre fidèle amie et obéissante servante.

n° 2382 C405

(55) Villepreux, Yvelines, arr. Versailles, cant. Marly-le-Roi.

A LA MÈRE FRANÇOISE DE SAINTE THÉRÈSE [ DU TIERCENT]

Prieure de Rouen

11 septembre 1681

C'est un petit mot, ma très chère Mère, pour vous assurer que je reçus hier au soir les chères vôtres du 9 courant. Je ne sais si vous me flattez par ce que vous avez la bonté de me dire, mais je puis vous assurer que, si Notre Seigneur avait écouté les gémissements de mon coeur, vous n'auriez trouvé en votre personne, ni en celle de toutes vos chères Filles et les nôtres, que de la force divine et un courage élevé au-dessus des sens. J'ai ressenti vos peines et je les ressens encore, quoique je sais bien que vous êtes toutes environnées de grâces. C'est que je ne suis pas si morte que l'on pense ; ma santé est assez bonne, Dieu merci. L'on dit que Madame de [ Bernières est présentement à Rouen ; si elle y est, il faut terminer l'affaire de sa maison. Il semble que le démon fasse son possible pour empêcher que vous n'ayez une maison, mais il n'en sera pas le maître : Notre Seigneur le confondra et achèvera son oeuvre. Mais souvenez-vous de ses divines paroles : « Quaerite primum regnum Dei » [ Mt. 6,33 ]. Courage ! Avec cette fidélité, vous triompherez de toutes choses.

Tout le monde ici est à l'ordinaire : la Mère Maîtresse [ Marie de Jésus Chopine! ] toujours assez mal, mais la pauvre petite victime, notre bonne amie [ Soeur Benoite de la Passion G randery ] se meurt. Je ne crois pas qu'elle passe l'automne ; c'est une toux sèche et fâcheuse, avec le crachement de sang accompagné de la fièvre. Je l'ai trouvée si changée que mon coeur en a été pénétré de douleur. Elle vous aime bien tendrement. C'est une âme bien innocente et bien pure aux yeux du Seigneur ; c'est une petite victime qui se consomme sur la croix des douleurs et langueurs. Si je pouvais obtenir sa vie, je vous assure que, de bon coeur, je prierais Notre Seigneur qu'il la voulût conserver. Je ne puis écrire aujourd'hui à nos chères Enfants ; ce sera au premier jour. Je les embrasse de tout le coeur en Jésus. Croyez-moi en lui toute à vous.

n°223 Cr C

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [DE BEAUVAIS]

2 octobre 1681

Ne vous fâchez pas, très chère Fille, du retardement de mes lettres. C'est un extrême déplaisir que je ne puis faire ce que je voudrais pour votre satisfaction et celle des autres, mais il faut que je souffre la première, et Dieu sait comme sa sainte Providence conduit les choses.

272 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 273

Si je ne les recevais de sa très sainte main, il me serait impossible d'y conserver la paix du coeur, que j'aime plus que tout ce qui se peut imaginer. Je ne puis assez estimer votre bonheur et la douce tranquillité que vous pouvez posséder dans votre chère petite solitude. Je donnerais tout le monde pour en posséder une pareille si Notre Seigneur le voulait, mais je vois bien que je n'en suis pas digne et qu'il faut me résoudre à être plongée dans les tracas ; à peine puis-je entendre la sainte Messe. Priez Notre Seigneur que je ne fasse rien dans tous ces embarras qui lui puisse déplaire ; allons toujours à lui avec courage et fidélité par la voie du néant, qui est la plus courte et la plus sanctifiante, étant aussi la plus dégageante. Ne sortons point de notre rien pour quelque considération que ce puisse être, nous tenant ferme sur la grande et éternelle vérité : Dieu est Dieu, et uniquement Dieu, tout le reste rien et bien moins que rien. Si vous pouvez demeurer dans cette vérité par pratique vous serez heureuse dès cette vie comme une bienheureuse, qui croit Dieu, qui se perd et s'abîme en lui et qui ne voit ni ne s'amuse aux créatures ni rien de tout ce qui se rencontre ici-bas.

Je ne puis assez remercier Notre Seigneur de vous avoir donné une Prieure selon son coeur et qui vous édifie en toute manière. Tâchez de la bien consoler par vos fidélités et de l'aider à porter son poids, qui n'est pas si effroyable que le mien. Vivez toujours dans une parfaite union. Je vous prie de lui dire en attendant que je lui puisse écrire etc...

Je viens d'apprendre que notre bon M. de Grainville (56) est à l'extrêmité. J'en ai le coeur pénétré de douleur. C'est une perte pour nous irréparable, mais il faut adorer les conduites de Dieu et aimer les privations. En voilà une extrême pour la pauvre maison de Rouen. Tout ce qui peut consoler c'est que Dieu demeure toujours le même et qu'il est toujours avec nous. Je suis en lui toute à vous. Je salue toutes les chères victimes.

n°2253 C405

A LA MÊME

6 octobre 1681

J'ai reçu votre chère lettre, très chère petit Ange, dont je vous suis obligée. Je sais bien que votre bon coeur a sacrifié par notre absence, mais j'ose bien vous assurer que j'en ai fait de même de la vôtre et de toute la

(56) Daniel de la Place de Fumechon, sieur de Grainville, président de la Cour des Comptes de Rouen en 1612, eût de son mariage avec Marie de Hallé : Jean IV ; Pierre, chanoine de la cathédrale ; Barthélémy, jésuite ; Claude, prêtre, bienfaiteur du bureau des pauvres valides (actuellement C.H.U. Charles Nicolle) ; Bernard, trésorier de France à Rouen ; Charles, conseiller à la Cour des Aides ; Philippe, trésorier de France, non marié ; Marie-Madeleine, qui épousa Henry d'Ambray ; enfin, trois filles religieuses à l'abbaye Saint-Sauveur d'Evreux.

Claude et Philippe de Grainville furent de grands bienfaiteurs de notre monastère. Nous trouvons encore leurs signatures sur nos registres après 1692.

petite maison de Rouen. Je ne sais ce que Notre Seigneur y veut faire, mais elle me devient bien intime, et je ne songe qu'à la voir bien établie pour la pure gloire de celui qui y veut prendre ses divines complaisances. Je veux bien lui sacrifier mes langueurs et tout ce qu'il lui plaira m'envoyer, pourvu qu'il soit content. J'ai toujours été mal depuis mon retour, et ne suis pas encore trop bien ; il faut s'abandonner pour tout ce que Notre Seigneur voudra. Je vous dis entre nous que, selon l'apparence, l'affaire des Minimes rompra (57). Cela me fait une très grande peine. Cependant, nous ne pouvons aller plus vite. J'avoue que j'en suis très mortifiée, mais il faut que Notre Seigneur fasse sa très sainte volonté.

L'on dit que tous vos amis vous abandonnent. M. de Touvens est terriblement choqué, et plusieurs autres, de ce que nous voulons avoir la maison des Pères Minimes. Enfin, voilà un surcroît de grande affliction. Vous savez les choses mieux que moi : vous y êtes présente. Selon l'humain, l'on recule au lieu d'avancer, mais, de quelque manière que la main de Dieu nous presse, il ne faut point sortir de notre profond anéantissement. L'on dit que je fasse faire les choses ici, mais, à vous dire vrai, je n'y fais pas ce que je voudrais étant accablée d'affaires. J'aurais bien sujet de regretter ma chère solitude de Rouen, mais il faut marcher tête baissée aux ordres du Très Haut. J'ose vous dire que, si Notre Seigneur m'assiste, comme il paraît que sa divine Providence dispose quelque petite chose pour m'aider, que je ne m'en rapporterai à personne pour acheter [ la maison de ] M. Thomas, car il ne se faut attendre à pas un mais à Dieu seul, qui est l'unique et parfait ami.

Si Notre Seigneur rend notre bon M. de Grainville aux prières, ce sera un grand miracle. Je vous assure que je ne l'ose encore espérer, tant je le désirerais. Si Dieu nous fait cette grâce, il faudra bien en remercier son infinie bonté. Je vous prie que j'en sache des nouvelles plus certaines, car je crains toujours qu'il ne retombe. C'est pourquoi je ne sortirai point du sacrifice que je n'en reçoive encore. Priez Dieu pour moi, et me croyez toute à vous.

no 810 R18

A LA MÊME

Comme notre chère petite victime, ma Soeur de la Passion [ Grandery ], est bien près de nous quitter pour s'en aller au ciel, je vous fais ce mot, chère petit Ange, pour la recommander aux prières de la Révérende Mère Prieure

(57) Voir le récit de la tentative d'achat d'une maison appartenant aux Pères Minimes dans le « récit de notre établissement ».

274 CATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 275

et de toute la Communauté. Les médecins ne croient pas qu'elle aille loin, la trouvant terriblement mal, ayant un crachement de sang continuel et en abondance. Nous l'avons fait communier ce matin pour lui ménager le saint Viatique. Vous ne croiriez pas comme elle touche toute la Communauté, qui l'aime tendrement. Elle est dans une douceur angélique ; toutes les vertus paraissent en elle et édifient tout le monde ; je vous puis dire que j'en suis touchée très sensiblement. Nous aurons une fidèle victime dans le Ciel, car, depuis qu'elle est céans, l'on n'a pas encore pu voir en elle une imperfection.

Enfin, vos affaires n'avancent point ; il en faut bénir Dieu qui le permet ; il veut que nous demeurions dans le sacrifice ; n'en sortons donc point, mais ne laissons pas d'espérer en lui contre toute espérance. Adieu, je suis en son amour toute à vous.

no 266 R18

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

18 octobre 1681

Je ne sais, Chère Enfant, si vous êtes bien persuadée de mon accablement, mais je puis vous assurer qu'il est assez grand pour une faible créature en toutes manières. Néanmoins, je brise avec plusieurs choses présentes pour venir prendre un quart d'heure d'entretien avec vous, chère victime. Je vous nomme par votre nom, car les Filles du Saint Sacrement n'en devraient point porter d'autre, puisqu'elles le doivent être par état. Ce fut hier le sujet de notre chapitre, et plût-il à Dieu que nous soyons toutes fidèles à cet état que Notre Seigneur Jésus Christ exige de nous et sur lequel notre éternité sera décidée ! Je vous conjure, Chère Enfant, tâchez de l'être, la grâce vous y presse ; je le remarque par toutes les dispositions de peines que vous portez et, jusqu'à ce que Notre Seigneur se soit rendu le maître absolu en vous, il ne vous donnera ni trève ni repos. Je sais qu'il vous en coûte furieusement, mais c'est un mal qui produit un bien infini. Prenez courage ; vous y serez soutenue par celui même qui vous impose cette loi, et, lorsqu'il aura gagné votre volonté et votre coeur, tout vous sera facile après. Présentez-vous à lui dans l'esprit de sacrifice, que vous portez si rigoureusement par les privations que votre pauvre coeur souffre. Allez lui présenter vos agonies et expirer en sa présence, mais que votre mort ne soit point par raisonnement, mais par un simple et amoureux acquiescement à ses adorables conduites. Tenez-vous toute ramassée en Dieu, et vous expérimenterez une grâce secrète cachée en vous par Jésus Christ, qui vous fortifiera divinement sans quasi que vous puissiez vous apercevoir d'où elle procède. Ne perdez pas le moment de ce temps précieux, plein de miséricordes qui vous sont inconnues. Allez toujours sans crainte d'enfoncer : vous marchez sur une terre ferme ; c'est la foi qui ne peut jamais être

trompée quand nous y demeurons en humilité. Prenez donc courage, et vous donnez la patience et la consolation d'expérimenter Dieu en vous, comme en vérité il y est. Adieu, ma Chère Fille ; soyez persuadée que je demeure en Jésus toute à vous.

J'ai mandé mes petits sentiments sur les maisons à la chère Mère Prieure. Je ne sais qui vous peut persuader que j'abandonne vos affaires : vous verrez bien quelque jour que non ; mais il faut que je vous assure que je n'ai pas la pensée de refuser à signer votre traité avec Madame de Bernières ; je suis prête.\à le signer quand tout sera conclu ; et même celui de Monsieur N., si Monsieur N. en traite, comme il me l'a promis. Non, non, je n'abandonne pas l'oeuvre de Dieu, comme vous le pensez. Il est vrai qu'il y a des moments que je ne puis y vaquer, mais après, je m'y applique sérieusement, et j'espère que Notre Seigneur la bénira. Mais, croyez-moi, n'ayons d'attente et de confiance qu'en lui seul. Je ne veux pas dire par là qu'on néglige les occasions, mais qu'il faut toujours relever l'espérance vers sa bonté et croire qu'il bénira tout. Je voudrais être près de vous trois fois vingt-quatre heures : je conclurais tout avec la dernière satisfaction, mais il faut que je demeure sous le pressoir et que je continue d'être comme je suis, en Jésus, toute à vous, mais d'un coeur très sincère. Je salue toute la petite Communauté.

nu 1197 RI4. Le dernier paragraphe est pris au P132

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET

10 novembre 1681

Il faut vous dire dans la simplicité, chère Fille, que votre lettre du second du courant m'a donné tant de consolation que je ne puis assez rendre grâces à mon Dieu de celles qu'il vous fait en toutes manières, mais surtout d'avoir trouvé le secret du néant, par où tout bien et toutes bénédictions viennent fondre dans l'âme, et surtout la paix divine qui s'y établit solidement. Oh ! bienheureuses celles qui l'expérimentent ! Je ne vous dis que ce mot. Vous êtes comblée, très chère Fille, mais vous le serez bien plus quand vous avancerez dans ce bienheureux néant. Hélas ! je suis plus de coeur avec vous qu'ici et, s'il m'était permis de réfléchir, j'aurais de la peine d'être revenue. Mais Dieu l'a voulu ; aimons ses adorables volontés plus mille fois que notre propre vie ; attachons-nous uniquement à lui et ne désirons rien que de lui plaire, et nous trouverons partout un doux repos en lui et un divin contentement. J'espère pourtant n'être pas si longtemps sans vous revoir, si Notre Seigneur n'y fait quelque empêchement. Il lui faut être si entièrement abandonnée qu'il n'est pas

276 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 277

permis de former des desseins, parce que, le plus souvent, il lui plaît de les renverser. Soyons donc toute à lui pour être des victimes de son bon plaisir aussi bien que de son mystère d'amour. Ne vous inquiétez plus de ma santé ; il me semble que je me remets jusqu'au moment qu'il plaira au Seigneur me renverser. Je ne possède plus de temps en assurance, mais nous sommes toutes dans l'adorable main de Dieu. Sa très sainte volonté soit faite ! Je suis en lui toute à vous.

n° 557 N256

[ A LA MÈRE MARIE DES ANGES DU VAY

Entre le 10 et le 22 novembre 1681

Non, non, je ne suis point indifférente pour vous, très chère Enfant. Je vous serai inviolablement fidèle, quoique mon affection vous serve de peu ; mais soyez une fois persuadée que, quand Notre Seigneur me lie une fois à une âme, c'est pour le temps et, j'espère, encore pour l'éternité.

Ne prenez pas toujours garde à mes termes : j'écris avec trop de précipitation, car, si vous me voyiez, je cours toujours et n'avance guère.

J'ai renvoyé le contrat [ avec Mme de Bernières ] aujourd'hui à la Révérende Mère Prieure, pour le rendre parfait avec un peu de conseil de vos amis, pour ne rien faire que de bien à propos. La dame vous lie, mais vous ne la liez pas. Tâchez de bien voir ce que vous faites. Quant à l'argent de Monsieur votre beau-frère, plut-il à Dieu le tenir ici, je l'emploierais à payer une partie de la maison de Monsieur Thomas ; mais comment faire cela ? Je remets tout en Dieu afin que sa divine Providence y pourvoie. Il faut aller jusqu'où il voudra conduire la croix qu'il me présente : son très Saint Nom soit à jamais béni ! Dites à mon Ange qu'elle continue ses prières et, pourvu que Notre Seigneur se glorifie dans son oeuvre, nous serons trop contente ; j'attends tout de sa très sainte Mère.

Je ne puis vous écrire comme je voudrais : il y a deux nuits que nous veillons notre pauvre petite Soeur de la Passion [ Grandery ], qui pensa hier matin m'échapper, la tenant seule entre mes bras ,sans viatique ni extrême-onction, mais la très sainte Mère de Dieu m'assista. Sur les sept heures et demie elle a reçu le saint viatique et à huit heures du soir l'extrême-onction, de sorte que la voilà munie de force et de grâce divine pour aller au combat et forcer les barrières que les ennemis de son salut lui pourraient faire pour passer à la bienheureuse éternité. C'est un ange, et cependant ce monstre infernal n'a pas laissé de l'inquiéter un peu violemment depuis lundi au soir, n'ayant pas beaucoup de relâche, mais, grâce à Dieu, présentement c'est une paix divine répandue même sur son visage. Je vous recommande votre pauvre Mère Prieure, qui est un peu accablée de son poids ; son humilité lui fait ressentir un peu trop douloureusement sa croix, mais Notre Seigneur la soutiendra, et vos charités et bontés pour elle l'adouciront et la consoleront. Vous êtes toutes de bonnes Filles, qui voulez être à Dieu de la bonne sorte, et c'est ce qui attirera sur elle et sur vous la bénédiction du ciel. Voilà ce que je vous puis dire, très chère ; vous en ferez part à cette chère Mère, et demain, s'il plait à Notre Seigneur, je lui écrirai, supposé que notre chère petite Victime ne nous quitte point.

J'embrasse toute la chère Communauté.

n° 2266a) Z4

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS]

22 novembre 1681

Vous avez sujet de vous plaindre de mon silence, si vous ne jugez en charité de mon accablement et si vous n'avez pas reçu celle que je vous écrivis, chère petit Ange, il y a huit ou dix jours, dans laquelle j'avais ajouté un petit mot pour notre très chère et fidèle amie Madame de Belbeuf qui sans doute se plaint de mon incivilité, n'ayant pas encore répondu à son obligeante lettre ; mais quelques pensées qu'elle puisse avoir contre moi et vous aussi, très chère, j'en appelle à la vérité éternelle, qui connaît la sincérité de mon coeur et ce qu'il m'a donné pour vous et pour elle. Je puis vous assurer que je souffre du retardement des devoirs que je lui dois et des impressions que mon silence vous donne. J'espère que vous les anéantirez quand vous aurez vu en la lumière de Dieu que je n'ai pas différé de vous écrire par les motifs que vous m'alléguez. Non, non, toute méchante que je suis, je n'agis point par tels principes. Mais Dieu sait mon poids, pour ne pas dire mon accablement, et jusqu'à présent j'ai moi-même été étonnée comme je pouvais y résister, mais, depuis la mort de notre très chère Soeur de la Passion, je suis devenue jaune comme un coing, comme si j'allais tomber dans une grande maladie. J'espère que vos prières m'en préserveront. Après un jour ou deux de repos, si toutefois je les puis prendre, nous serons mieux et nous nous acquitterons de nos dettes : je commencerai par notre très chère Madame de Belbeuf, ensuite à M. d'Omonville, pour le remercier de la continuation de ses bontés. Je vois bien que Dieu l'attache au sacré mystère de son amour, et que c'est par son adorable sacrement qu'il le comblera d'une infinité de grâces, et j'espère qu'il le fera un saint zélateur de sa gloire. Je ne puis assez rendre grâces à mon Dieu de nous l'avoir donné pour un fidèle et généreux ami et un digne protecteur

278 CATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 279

de notre Institut. C'est dans cette qualité que je le considère, et que je demande à Notre Seigneur par sa très sainte Mère qu'il le consomme en son amour et qu'il soit l'appui et le soutien des adorations perpétuelles que nous désirons faire rendre à Jésus Christ sur l'autel. Encouragez-le, très chère, à la persévérance, et il verra les grâces qu'il recevra.

Pour notre chère petite Madame N., c'est un ange ; ses peines s'évanouiront dans les temps par les secours que la très auguste Mère de Dieu lui donnera ; elle veut qu'on la prie pour cela, et vous lui pouvez faire des neuvaines ; je ne l'oublierai pas. Présentez-lui mes respects ainsi qu'à M. de Grainville. J'ai bien de la reconnaissance de ses bontés pour nous.

Priez Notre Seigneur qu'il nous assiste et qu'il délivre du Purgatoire notre chère défunte, si elle y est ; j'ai un très grand désir qu'elle soit jouissante de la gloire.

J'espère que, si Notre Seigneur rend encore un peu de santé à notre bonne Mère [ Bernardine Gromaire 1, que je pourrai vous aller voir encore une fois. Mais si l'affaire de la maison de M. Salet ne s'achève pas, apparemment vous n'en aurez de très longtemps. Je ne prétends pas borner la divine Providence, qui a ses ressorts lorsque la créature y pense le moins. Je lui abandonne toutes choses. Adieu, chère Ange, croyez-moi toujours toute à vous, malgré les sentiments que vous pourriez avoir du contraire, car, dans la sincérité du coeur, j'y suis très cordialement comme votre fidèle amie et servante.

n°3018 R18

A UNE DAME DE ROUEN

28 novembre 1681

Sur les chères vôtres, Madame, ma très chère Fille, mon coeur a été touché de la douleur du vôtre ; je le vois comme sous le pressoir, sur le point d'agoniser, si la puissante main du Seigneur ne le fortifie ; mais c'est ce qu'il fera par une grâce puissante, qui vous enlèvera au-dessus des sens et vous séparera de cette grande tendresse qui vous rend si sensible aux événements qui y sont contraires. Je m'aperçois que la conduite divine se mêle de cela, voulant vous apprendre à vous dégager de ce qui peut empêcher toutes les grâces qu'il veut verser dans votre intérieur. Vous jugez bien, Madame, ma très chère Fille, que ce n'est pas sans mystère et que Dieu veut vous posséder entièrement : je m'en suis bien persuadée, quand vous m'avez fait la grâce de me confier quelque chose de vos dispositions. Il me semble que je puis vous assurer qu'il veut de votre bon coeur un généreux sacrifice, ne vous permettant plus de vous chercher vous-même dans les événements, de vous attrister lorsqu'ils sont opposés aux sentiments que vous pouvez avoir ; allons, ma très chère Fille, allons rendre à Dieu ce qu'il nous a donné, remettons toutes choses dans le sein de l'adorable Providence, et nous retirons à Dieu, en Dieu.

Je ne dis pas que vous soyez religieuse, je n'en remarque pas encore la vocation, mais, comme chrétienne, vous vous devez toute à Jésus Christ, pour ne plus rien désirer que d'être revêtue de sa grâce et de son esprit ; servez votre chère famille avec un saint dégagement, remettez-les tous en Dieu, lui demandant sans cesse leur salut ; pour le reste, n'en prenez nulle inquiétude ; conservez votre paix au-dessus de tout, sans souffrir que votre coeur se réfléchisse trop sur le tendre qu'il sent ou sur ce qui se pourrait faire contre vos inclinations. Si toutes les choses succédaient selon vos désirs, vous vous trouveriez toujours dans quelques égarements, n'ayant pas assez de force pour les surmonter de vous-même ; mais quand les créatures nous causent de la peine, nous avons plus de courage pour nous en séparer. Dieu se sert assez souvent de telles conduites de Providence pour nous attirer plus fortement à lui, ne trouvant que de l'ingratitude dans les créatures. Oh ! heureuse l'âme qui est ainsi pressée par les infinies bontés du Seigneur, qui fait sans nous ce que nous ne pouvons faire de nous-même ! J'ose vous promettre qu'il sera votre force et qu'il vous comblera de mille et mille bénédictions. Je suis, en son amour, toute à vous, sans réserve.

Au premier jour que je pourrai, je vous donnerai des nouvelles de Madame notre bonne duchesse [ d'Aiguillon ], qui est toujours crucifiée : elle est dans le fort de ses affaires ; si le Roi la soutient, elle sera bientôt en état de consommer son sacrifice ; vous en serez avertie par celle qui est avec respect toute à vous en Jésus et sa très sainte Mère.

n° 2793 P133

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [DE BEAUVAIS]

18 décembre 1681

Je ne vous ai point écrit, très chère, ni à notre intime amie, ayant été un peu mal d'un rhumatisme qui me tenait quasi tout le corps garrotté, mais Notre Seigneur ne m'y a pas laissée longtemps : j'en suis bien mieux aujourd'hui, Dieu merci. Il faut vous dire, chère Ange, que je suis fort touchée de la douleur de notre amie et de la conduite de Monsieur N. Hélas ! je ne pensais pas qu'il voulût reporter son coeur au monde : il semblait que la grâce et l'amour du très Saint Sacrement l'en séparait ; il faut avouer qu'il a reçu de grandes miséricordes de sa présence, et qu'il lui a fait des grâces propres à en faire un grand saint ; je prie Notre Seigneur de les lui conserver dans l'état qu'il veut embrasser, où le salut est bien plus difficile à ménager. Il faut beaucoup prier Dieu pour lui : son besoin est grand ; je vous avoue que j'en suis pénétrée, et notre

280 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 281

intime amie a grand sujet d'en ressentir de la douleur ; néanmoins, il faut qu'elle prenne courage et qu'elle l'abandonne à la volonté divine, priant la très sainte Mère de Dieu de l'environner de ses bénédictions. Je voudrais savoir si ce cher Monsieur a formé sa résolution au pied de l'autel et s'il a bien consulté Notre Seigneur pour ne rien faire qu'en son esprit.

Quant à la chère Fille, elle fait bien de tenir sa résolution et de ne s'en point relâcher facilement ; il faut qu'elle écoute Dieu en elle et qu'elle se rende aux attraits de la grâce pour sa sanctification ; qu'elle se souvienne des bontés de Dieu et comme il l'a toujours soutenue et protégée dans les afflictions de la vie : il continuera ses miséricordes, si elle veut un peu dégager son coeur de l'humain ; je vous prie de la consoler pour moi, tandis que je tâcherai de mon mieux de prier Dieu pour elle ; je l'embrasse avec tendresse et respect.

Adieu. Je vous quitte pour aller faire la Réparation (58) ; souvenez-vous de moi dans ces grandes et précieuses fêtes, et me croyez en Jésus toute à vous.

no 1224 P132

A LA MÈRE FRANÇOISE DE SAINTE THÉRÈSE [ DU TIERCENT ] Prieure de Rouen

23 décembre 1681

Je vous ai laissée longtemps sans recevoir de mes lettres, ma très chère Mère, mais je puis vous assurer que ce n'a pas été sans une grande mortification de ma part : un peu de mal m'a tenue dans cette dure privation. Quoique mes lettres vous soient inutiles, je n'aime point d'être si longtemps sans vous donner de nos nouvelles et vous remercier de la continuation des vôtres, qui me font un singulier plaisir ; et je vous supplie que votre bonté ne me les retranche pas, quoique de ma part je ne réciproque pas autant que je devrais ; votre charité est assez grande pour m'excuser, puisque ce n'est point par un défaut de coeur et d'affection, mais souvent par impuissance : le temps se remplit par mille tracas que l'on ne peut éviter.

Nous verrons encore pour le château [ de Mathan ] ce qui s'en pourra faire. La Mère Sous-Prieure [ Anne du Saint Sacrement Loyseau ] ne peut partir qu'après les fêtes. Ma soeur N. est allée à la porte de Richelieu [ second monastère de Paris ] pour les aider à chanter, étant sans voix et bien indisposées. Notre Seigneur tient tout comme il lui

(58) Chaque jour une religieuse s'associe plus étroitement, dans le silence et la retraite, au Christ s'offrant à son Père en victime pour le salut des hommes. C'est pourquoi Mère Mectilde tenait à ce que la religieuse chargée de cet office communiât toujours à la messe conventuelle, alors que la communion quotidienne n'était pas admise comme actuellement.

plait : il faut l'adorer et nous y abandonner. Puisque nous sommes ses :victimes, il est bien juste qu'il fasse de nous ce qu'il voudra et qu'il nous anéantisse à sa mode : la nature ne laisse pas de le ressentir par les retours de l'esprit humain qui n'aime point d'être ainsi ballotté. Mais qui dit victime, dit mort et sacrifice perpétuel, et en toutes choses. Notre Institut est la religion de Jésus Christ : c'est par adoration et rapport à son état de victime qu'il est établi. Jetons les yeux sur la conduite que le Père éternel a tenue sur lui, et nous verrons que nous sommes encore bien éloignées du premier degré de mort, que nous devons avoir pour entrer dans ses états d'hostie et de victime. Il faut que nous allions comme lui, par lui et avec lui dans le pur abandon de tout nous-même ; et qu'il puisse user de nous comme son divin Père a usé de lui-même, prenant ses complaisances à le voir naître dans une étable sur un peu de paille, abandonné des créatures et dans la disette de toutes choses. Voyons comme il le traite, voyons comme il le laisse souffrir, mourir et tout anéantir. Cette réflexion nous abîmera dans une sainte confusion et nous donnera du zèle pour nous anéantir.

Adieu, très chère Mère, c'est en Dieu que je vous laisse, car l'on m'oblige de quitter. Mille saluts à toute la chère petite troupe. Je suis, en Jésus, toute à vous.

no 1666 P132

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

touchant les devoirs envers une Supérieure

[ fin décembre 1681]

Loué et adoré soit le très Saint Sacrement de l'autel !

Il y a longtemps que je suis sollicitée intérieurement de vous laisser par écrit de certains règlements qui vous sont absolument nécessaires et que j'ai manqué de vous bien exprimer et de vous les faire exercer fidèlement, il ne faut point que je porte en l'autre monde les manquements dont je serais moi-même coupable de ne vous en avoir instruit ; j'en ferai ici plusieurs remarques et sur différents sujets, pour vous donner lieu de les pratiquer, sans lesquels vous ne remplirez pas la perfection que Dieu veut de vous. L'Institut demeurera imparfait en plusieurs de ses parties, et la Religion en serait affaiblie et dans les temps trouverait sa ruine au lieu de son augmentation.

Le premier c'est sur ce que l'on doit de respect et de croyance à une Supérieure et qui, selon l'esprit de la Règle, tient la place de Jésus Christ. Notre grand Patriarche veut qu'on l'aime avec tendresse, accompagnée de révérence. Il était fort à propos qu'il recommandât de les aimer car sans affection il est rare de jeter dans un coeur sa confiance. Si les religieuses aiment saintement leur Supérieure, elles auront le coeur ouvert et des ailes aux pieds pour accomplir ses commandements. Jamais vous ne verrez de malheurs arriver dans une Maison religieuse quand la Mère aimera ses Filles et que, réciproquement,

282 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 283

les Enfants aimeront leur Mère. L'amour bien ordonné ôte la défiance et le soupçon. Quand une Supérieure voit l'ouverture du coeur de ses Filles, elle ne s'en défie jamais. L'amour retient de telle sorte, qu'il ne peut souffrir que l'on fasse le moindre déplaisir à la personne aimée. Aimant ainsi la Supérieure, jamais on ne fera de projets, ni de dessein à son insu, on aimera mieux mourir que de la contrister, parce qu'elle expose son propre salut pour celui de ses Filles et qu'elle travaille incessamment devant Dieu pour leur salut.

1. Aimez donc, mes chères Enfants, vos Supérieures du plus tendre et du plus pur de vos coeurs ; aimez-les, dit la sainte Règle, comme Dieu, puisqu'elles vous tiennent sa place et que vous le devez toujours envisager en leurs personnes.

2. Ayez une entière confiance en leur conduite et en leur zèle pour votre sanctification. Gardez-vous bien d'en concevoir aucune défiance, vous souvenant qu'il n'y a point de tentation plus maligne en Religion que celle qui attaque les Supérieures ; le démon sachant bien qu'ayant brisé le chef, le reste du corps tombera bientôt en terre et se détruira totalement.

3. Portez-leur le respect qui leur est dû. Ne soutenez jamais vos sentiments contre les leurs. Si vous les rencontrez au passage en quelque endroit, retirez-vous humblement pour les laisser passer. Ne les approchez jamais qu'en leur faisant une profonde révérence. Ne résistez jamais pour quelque raison que ce soit à leurs commandements.

4. Souvenez-vous toujours que les devoirs que vous leur rendez ne sont pas en considération de leur personne, mais de Jésus Christ qui est en eux ; il vous l'assure quand il dit parlant des Supérieures : « qui vous obéit, m'obéit » (Luc. 10,16).

5. Ne parlez jamais d'elle en mépris, couvrez ses faiblesses, ne murmurez jamais de sa conduite, ni de la condamner en quoi que ce soit.

ne 640 Autographe

François III de Harlay de "- - -

ARMES : Parti de trois traits coupé quartiers ; au 1er de la Mark, d'or à d'argent et de gueules de trois traie d'azur à l'écusson d'argent, enclos d'or ; à l'orle de huit croisettes d Croy, fascé d'argent et de gueule au e de Bourbon, qui est de Fran. bande, à la bordure de gueules ; au d'azur semé de croix recroisetées au lion d'argent couronné d'or s d' Amboise, palé d'or et de gueule 7e du Palatinat de Bavière, écarte!. en bande d'argent et d'azur, aux 2 couronné d'or, lampassé et armé d Poitiers, qui est d'azur à six besan au chef d'or, et sur le tout, d'art sable qui est de Harlay (').

(*) D'après une gravure placée en 1 dans le diocèse de Rouen .

A UNE DAME DE ROUEN

2 janvier 1682

Votre demande, Madame, ma très chère Fille, me donne sujet de vous répondre comme fit autrefois Notre Seigneur à la mère des enfants de Zébédée : « Vous ne savez ce que vous demandez » [ Mt. 20,22 ; mais d'une manière bien différente. Hélas ! très chère, vous désirez prendre la conduite d'une personne que vous ne connaissez pas, qui n'a ni lumières, ni capacité pour se bien conduire elle-même ; ne craignez-vous pas que je vous mène comme un aveugle ? Vous avez tant de grands spirituels dans votre ville, qui vous donneraient mille fois plus de consolation que moi. Je ne veux pas contrister votre âme par un refus de mes pauvres petites connaissances, mais je dois vous inviter à prendre conseil de gens plus éclairés que moi.

Donnez-vous bien à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère, pour connaître ce que vous devez faire pour correspondre aux desseins de Dieu sur vous. Je sais bien qu'il vous veut toute à lui, et qu'il permet même que ce qui vous pouvait plus attacher à la créature se sépare de vous. La Providence fait bien souvent ce que nous n'avons pas la force de faire ; la main de Dieu est admirablement adroite pour nous dépouiller ; il la faut laisser faire et nous abandonner à sa divine conduite. Cela n'empêche pas que l'on ne fasse des prières pour Monsieur N. dont l'égarement me touche fort au coeur : c'est une fâcheuse tentation qui s'est emparée du sien et dont il ne s'est point donné de garde ; il me touche d'autant plus qu'il en sera à mourir de regret quand la chose sera faite. Faites dire pour lui des messes à la très sainte Vierge afin qu'elle le ramène : son âme vaut bien que l'on s'en mette en peine, puisqu'elle est si précieuse à Jésus Christ ; mais il ne faut pas qu'il sache qu'on s'en occupe, car, dans l'état où il est, il n'est pas capable de se réfléchir. Je voudrais bien savoir comment il s'est jeté dans ce labyrinthe ; il aurait pu mieux faire. Mais si l'on ne peut le détourner, il faut au moins tâcher de lui obtenir quelques grâces pour qu'il n'y hasarde point son salut, ce qui est à craindre, parce que ce n'est pas l'esprit de Dieu qui le fait agir ainsi. Pardon ! Si j'en dis trop sur ce sujet, vous pouvez juger que j'en suis devant Dieu fort touchée. Oh ! qu'il est important de bien ménager les grâces que Dieu nous présente pour notre éternité ! Estimez, très chère Fille, celles qu'il vous donne, et vous y rendez fidèle.

Ne faites point de voeu de nous obéir : cela pourrait, dans la suite, vous causer quelque inquiétude ; gardez votre paix ; si Notre Seigneur me fait la miséricorde de vous dire quelque chose d'utile à votre âme, vous pouvez en faire usage. S'il lui plaisait me rendre digne de la servir, ce serait du plus intime de mon coeur, qui a pour vous, ma très chère Fille, une tendresse très respectueuse et qui me fait être, en Jésus et sa très sainte Mère, toute à vous cette nouvelle année, que je vous souhaite heureuse et remplie de toutes sortes de bénédictions. C'est votre fidèle servante.

ne 2975 P133

284 ÇATHERINE DE BAR

FONDATION DE ROUEN 285

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

13 février 1682

Les chères vôtres me donnent une triste nouvelle, ma chère Enfant : je vous vois toujours-dans de grandes souffrances, sans que les remèdes vous puissent soulager ; j'aspire à ce que l'on me promet dans quelques mois, que l'on m'assure être infaillible. Mon coeur souffre de ne pouvoir soulager le vôtre. Je vois bien que Notre Seigneur prend plaisir de vous faire une victime par effet, et non seulement par une bonne volonté. Prenez courage : la vie finira bientôt et vous jouirez d'une santé divine dans l'éternité. Notre Seigneur veut que je vous en assure, si vous persévérez dans le pur et simple abandon qu'il veut de vous. Cette mélancolie que vous ressentez vient de votre mal, et c'est un coup du ciel que vous n'êtes pas pis, car ces sertes de maux en attirent d'autres. Aidez-vous de votre possible, et, de ma part je ferai tout de mon mieux. Hélas ! si je pouvais vous soulager, que j'en aurais de joie ! Pauvre Enfant, prenez courage. J'espère que je vous reverrai bientôt et que j'irai vous aider à faire votre nouvelle église.

Vous n'avez pas besoin de demander des pénitences de Carême .; Notre Seigneur vous en a donné de bien douloureuses. Il faut cependant faire ce que le médecin vous dira pour votre soulagement, et, pour l'intérieur, demeurez toujours dans l'esprit d'une victime que Dieu immole pour son amour ; regardez-vous donc dans sa main adorable qui vous façonne à sa mode, pour son plaisir, et votre sanctification. Adieu, chère Enfant ; je suis pressée de finir. Voici que l'on me vient dire que M. N. se meurt de la petite vérole. Voilà la grandeur et la beauté réduites au néant. Je vous prie la recommander à toute la communauté. Demandez son salut et vous hâtez, car ce mal va bien vite. Je vous supplie de le dire à la chère Mère Prieure [ de Sainte Thérèse du Tiercent ]. Je l'embrasse bien tendrement et toute la chère petite Communauté.

no 2050 N256

A LA MÈRE FRANÇOISE DE SAINTE THÉRÈSE [ DU TIERCENT]

[ Prieure de Rouen ]

18 février 1682

Hélas ! ma très chère Mère, vous m'avez annoncé une triste nouvelle, mais il faut adorer la volonté divine qui en a fait le coup. Je vous avoue que cette mort (du P. Timothée) m'a touchée, mais, le croyant dans la gloire, je dois m'en réjouir. Voilà une belle âme que Dieu nous a enlevée : je puis dire qu'elle était toute passée en lui et qu'elle ne pouvait plus vivre sur la terre. Oh ! qu'elle est heureuse ! Vous y perdez, très chère Mère ; c'était pour vous une consolation de l'entretenir ; il vous secourra de son pouvoir devant Notre Seigneur ; je vous conjure de le prier pour moi.

Je suis bien aise que vous accommodiez vos affaires avec Messieurs les créanciers touchant les religieux de Beaubec (59), mais il y a des mesures à prendre pour vos sûretés. J'ai beaucoup de confiance à Monsieur de Grainville. Priez-le de prendre l'affaire à coeur et de la pousser un peu vivement ; car, si vous pouviez avoir quelques sûretés pour Pâques et que vous y pussiez loger, ô Dieu, que j'en serais aise ! Vous y ferez votre possible.

Nous sommes ici bien occupées : Madame N . a la petite vérole, et elle est en péril depuis deux jours (60). Je vous prie de demander son salut et son éternité : j'en suis touchée. Voilà la beauté au néant et le reste de même. Je vous quitte malgré moi. Adieu mille fois, très chère, ménagez votre faible santé.

rr 452 a P132

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET I

25 février 1682

Je ne croyais pas, ma chère Fille, qu'après un retardement de mes lettres assez considérable, je serais obligée d'employer ma plume non à vous en faire des excuses mais à préparer votre coeur à un sacrifice, qui sans doute vous sera un des plus sensibles que vous ayez à soutenir par l'état, que nous pouvons dire extrême, où est réduit Monsieur votre cher oncle, qui, selon l'humain, n'y peut résister, étant fort enflé avec un crachement de sang. L'on n'attend que l'heure qu'il prendra son vol dans le ciel. Oh ! qu'il sera heureux et que je goûte en esprit son bonheur, quoique je ne laisse pas de le regretter ! C'est un saint et, je puis dire, très saint. Vous perdez un bon oncle qui vous tenait lieu de père en terre : ne doutez pas qu'il vous soit utile dans la gloire qu'il va posséder et qu'il ne vous fasse ressentir les effets de son pouvoir.

Très chère Enfant, portez cette privation en esprit de sacrifice et d'une humble soumission à la très adorable volonté de Dieu. Il veut le récompenser de ses travaux et éprouver votre fidélité. Il faut tâcher d'être constante et, pour ménager notre paix, ne tenons plus à rien sur la terre ;

(59) Abbaye Saint-Laurent (Seine-Maritime, arr. Neufchâtel, cant. Forges). Fondée par l'abbaye de Savigny et Hugues 11 de Gournay en 1118. Les Cisterciens l'occupèrent en 1147. C'était une filiale de Clairvaux. Il ne subsiste actuellement que la chapelle Sainte Ursule que consacra Eudes Rigaud en 1266 et qui fut restaurée en 1780. Cf Les Abbayes de France au Moyen-Age et en 1947, Paris, 1947.

(60) Nos annales et celles de la plupart de nos monastères font mention de dames pensionnaires vivant en très petit nombre dans les dépendances du couvent et participant, souvent de très près, à la vie liturgique.

286 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 287

l'on n'y est point heureuse si l'on ne se dépouille de tout. Voyez comme la conduite de Dieu nous y oblige en retirant de ce monde ce que nous y aimons plus tendrement ; c'est qu'il nous veut avoir toute entière à lui seul. Il est bien juste. puisque nous sommes les ouvrages de sa divine main, il en doit disposer comme ce qui est absolument tout à lui. Demeurez, très chère Fille, toute cachée et abîmée en lui ; tenez-vous si bien dans le néant que vous savez qu'aucune créature ne vous en puisse retirer et, si vous y savez bien demeurer, je vous puis bien promettre que Notre Seigneur lui-même ira vous y trouver. car rien ne le charme tant - s'il m'est permis d'user de ce terme avec respect - que de voir une âme toute anéantie : elle devient l'objet de sa divine complaisance. Hélas ! que cette vérité est peu connue ! Mais, très chère, ne l'ignorez pas et vous serez comblée, si vous savez persévérer, attendant les moments de Dieu. Je finis sans pouvoir achever. Mille bonjours à toute la Communauté. Croyez-moi, en Jésus, toute à vous.

no 1060 C405

A LA MÊME

2 mars 1682

Il y a huit jours, ma très chère Fille. que je vous préparais à la croix que Notre Seigneur vous envoie aujourd'hui. Je vous donnais la nouvelle de l'extrémité où était Monsieur votre cher oncle et. aujourd'hui. je vous mande qu'il a pris son vol vers le ciel pour aller recevoir la récompense de sa sainte vie. Je ne doute, ma très chère Fille. que votre bon coeur n'en soit attendri. mais, courage, il va être réabîmé en Dieu. Et vous, y demeurant fidèle. vous le trouverez en lui plus près de vous qu'il n'était. vivant sur la terre. Cependant, voyons comme la main de Dieu nous dépouille de ce que nous avons de plus cher en ce monde. mais voyons en même temps qu'en nous dépouillant des créatures. il nous revêt de lui-même et, s'il nous en sépare, il nous unit en lui plus intimement qu'on ne peut dire. Demeurons ferme en lui, très chère. afin que sa vertu nous soutienne. Je suis en son amour toute à vous. Mandez-moi si vous avez reçu ma première lettre. Mon rhume ne m'en permet pas davantage. J'embrasse toute la chère Communauté, et singulièrement votre chère Mère Prieure.

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES [ DE BEAUVAIS]

10 mars 1682

Je sais bien que les anges du ciel ne se fâchent point, mais mon petit ange en terre me le paraît bien contre sa pauvre Mère, que je puis dire être la plus misérable qu'il soit au monde, mais je lui défends de le dire à qui que ce soit ; il suffit que Notre Seigneur le sache et, quand il lui plaira, il la soulagera. Mais, petit ange, ne l'affligez pas par des reproches de son silence. Votre lettre dernière est actuellement devant moi pour y répondre au moment que je le pourrai. Outre mon tracas, je deviens vieille et paresseuse ; je ne peux plus veiller comme je faisais autrefois. Ne vous fâchez point. J'ai lu et relu votre lettre, mais je vois que, par la miséricorde de Notre Seigneur, il vous tient l'intérieur dans l'abjection, dont je l'en remercie, parce que c'est votre sûreté. et qui vous préservera de la vanité, qui vous est naturelle en Adam. Je prie Notre Seigneur qu'il la consomme en vous et en toutes les âmes qui font profession de l'aimer uniquement. Ne vous mettez en peine de rien ; marchez en simplicité de coeur et vous laissez toute à Jésus Christ.

Je me porte assez bien depuis trois jours. Si cela continue, j'aurai plus de santé que je n'ai eu depuis mon retour de Rouen. Il faut prendre les maux comme les biens ; tout part de la main adorable, et tout est avantageux à l'âme qui lui est toute abandonnée ; ses voies nous sont inconnues, et souvent, selon le sens humain, nous feraient murmurer ; mais n'allons pas si vite à nous plaindre de ce que nous ignorons : la suite nous fera connaître ses mystères dans ses conduites. Prenez toutes bon courage. Vous souffrez à présent, mais vous serez un jour jouissantes. Le Roi, « votre bon ami » (61), sert Dieu et est toujours bien intentionné pour l'Eglise. Priez Notre Seigneur qu'il le soutienne et lui ouvre les yeux pour les intérêts de notre sainte Mère, qui est sur le point d'une très grande affliction. Les bonnes âmes en ont le coeur outré et voudraient pleurer des larmes de sang. D'autre côté, le Turc est entré dans la Hongrie (62), les chrétiens sont persécutés et souffrent le

(61) Madame de Beauvais avait vécu dans l'intimité de la reine, et l'on sait par une lettre de Mère Mectilde, adressée le 31 octobre 1687 à la Mère de la Présentation (Radegonde de Beauvais, soeur de Mère Monique des Anges), que celle-ci nommait Louis XIV « son bon ami Mère Mectilde ferait-elle allusion aux graves questions du gallicanisme et du droit de Régale ? - Cf. J. Orcibal, Louis XIV et Innocent XI, Paris, 1949.

(62) Les Turcs avaient envahi la Hongrie. Ils montaient à l'assaut de l'Europe et mirent le siège devant Vienne en septembre 1683. C'est Jean Sobieski, futur roi de Pologne, qui sauva l'Europe chrétienne. Sa femme, Marie-Casimir, avait fait le voeu d'établir notre Institut en Pologne si son mari était vainqueur et vivant. C'est pour s'acquitter de ce voeu qu'elle appela un premier groupe de fondatrices et les installa à Varsovie en 1687. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 375.

n. 646 C405

288 CATHERINE DE BAR

martyre, mais aussi plusieurs n'ont pas la force de résister aux tourments de ces impies... J'aurais mille choses à vous dire, mais je ne veux point vous distraire pendant ce saint temps. Vous aurez bientôt le Jubilé (63) en votre ville ; nous l'avons ici de demain en huit jours. Priez la sacrée Mère de Dieù de me le faire gagner comme le dernier de ma vie, et qu'elle me fasse la grâce de me délivrer de mon poids avant que je meure.

Il faut que je vous dise en passant que le désir du grand voyage s'augmente tous les jours ; c'est pourquoi j'aspire à sortir promptement de mes affaires. O Dieu ! il n'y a plus moyen de vivre ici-bas ! Demandez pour moi miséricorde à Notre Seigneur et qu'il ne me sépare pas de lui dans l'éternité. Adieu, demeurez toute à lui et me croyez dans son amour toute à vous.

no 1402 N256

A LA MÊME

26 mars 1682

Je fais un mot à notre chère dame : vous aurez soin de la consoler dans ses douleurs. Notre Seigneur sera sa force, l'assurant aussi qu'il veut être son tout : qu'elle lui abandonne toute chose. Il la veut assurément toute à lui et elle sera bienheureuse si elle sait bien suivre ses conduites ; la Providence les lui fera connaître. Dites-lui, très chère, que je ne l'oublie pas en sa sainte présence et que je (le) prie [ le Seigneur ] la combler de ses plus précieuses grâces, dont j'estime les principales : la profonde humilité, la foi qui en fait le soutien, la charité qui les perfectionne et qui les élève jusqu'au ciel.

Continuez vos saintes prières pour mes besoins. Ceux de l'âme sont plus grands infiniment que les autres et, pour vous, allez toujours fidèlement et généreusement où Dieu vous attire, qui est au néant, pour passer en Jésus Christ. Toutes les choses de la vie ne devraient servir [ que ] de moyens. Allons au sacrifice et mourons, pour donner vie à Dieu en nous. Ces temps nous y convient et les événements de la Providence nous aident à y parvenir. Abandonnons-nous bien à elle ; j'espère qu'elle nous assistera ; cherchons seulement uniquement la gloire du saint Nom de Dieu et son exaltation, l'empire de Jésus Christ, et qu'il règne souverainement sur tous les coeurs ; que sa très adorable volonté soit faite en la terre comme elle l'est au ciel, c'est à dire qu'elle soit reçue avec une amoureuse et respectueuse soumission de tout notre être, et que rien ne s'oppose en nous à toutes les divines volontés de Dieu. Après cela nous ne devons rien craindre ; le ciel et

(63) Innocent XI, pape de 1676 à 1689, accorda un jubilé le 11 août 1683 pour obtenir la victoire contre les Turcs. Nous avons laissé cette lettre à la date indiquée sur le manuscrit, mais la copiste a pu faire une erreur. Cf. Catholicisme, t. Il, col. 1116 - 1123.

FONDATION DE ROUEN 289

la terre seront à notre disposition. Je vous laisse aujourd'hui dans le sacré Cénacle et, demain, sur le Calvaire, pour y voir la mort de la double victime, qui s'est anéantie et comme détruite pour nous donner la vie, mais nous ne l'aurons jamais si nous n'entrons dans la mort. C'est pourquoi tâchons d'expirer avec lui et que les paroles de saint Paul soient efficaces en nous : « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu »[ Col. 3,3 ]. Ainsi soit-il

no 977 N256

A UNE MALADE DE ROUEN

20 avril 1682

J'ai témoigné ma douleur et ma peine à votre Mère Prieure [ Thérèse du Tiercent ] sur votre état souffrant et sur les voies de la divine Providence, qui vous crucifie toujours en différentes manières ; mon coeur est navré de voir que rien n'avance. Oh ! Que les amis de ce temps sont froids ! Ils ressemblent à la saison, qui ne nous donne que des apparences de beau temps, et cependant rien n'avance pour les fruits de la terre. Votre sacrifice et votre patience vous rendront plus heureuse en vous acquérant l'abondance de ceux du Ciel, car l'on ne peut soutenir ce que vous faites sans mérite. C'est ce qui vous peut consoler dans vos chagrins. Quant à votre pauvre Mère, elle a pensé s'en aller trois ou quatre fois ; ce dernier coup semblait être plus dangereux que les autres. Après deux saignées vendredi, j'en suis demeurée quitte par la grâce de Dieu, et bien mieux que je n'étais auparavant. A la vérité, j'ai été très languissante et, si l'on m'avait demandé mon sentiment, j'aurais dit bien hardiment que je prenais congé de la compagnie. Enfin, me voilà remise encore pour un peu de temps et prête de vous aller trouver, si vous pouviez conclure pour une maison.

Quant au coeur de votre indigne Mère si vous prenez la peine de le visiter, vous le trouverez toujours le même ; il ne change point pour ses chères Enfants, et singulièrement pour une pauvre victime qui est si douloureusement attachée sur la croix. Je prie Notre Seigneur et sa très sainte Mère de vous y fortifier, car, assurément, vos maux sont grands et sans guère de remèdes, parce qu'ils ne sont pas connus des gens qui les pourraient soulager. J'espère néanmoins que la main de Dieu ne sera pas raccourcie et qu'il vous y donnera un jour du soulagement. Je vous conjure, très chère Enfant, de prendre courage ; Notre Seigneur nous rapprochera par sa grâce et sa miséricorde. Mais faites tout votre possible pour soulager votre mal, et me mandez ce que je peux faire de ma part, car c'est, sans exagération, que je vous

290 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 291

aime tendrement. Non, non, je ne suis point indifférente pour vous, très chère Enfant. Je vous serai inviolablement fidèle, quoique mon affection vous serve de peu, mais soyez une fois persuadée que, quand Notre Seigneur me lie une fois à une âme, c'est pour le temps et, j'espère, encore pour l'éternité. Soyez-en persuadée. J'embrasse toute la chère Communauté.

no 834 R14

A UNE DAME DE ROUEN

20 avril 1682

Si ma Dame, ma très honorée et chère Fille (64), n'avait toute la charité que Notre Seigneur lui a donnée, pourrait-elle excuser le silence, trop longtemps observé, de son indigne Mère sur des sujets qui exigeaient des réponses en diligence, pour lui marquer la reconnaissance de mon coeur sur les offres très obligeantes du sien, qui me rend si confuse de ses bontés que je n'ai pas assez de paroles pour en exprimer mes sentiments ? Je prie le petit Ange [ Mère Monique des Anges de Beauvais ] d'y suppléer pour moi : le peu de santé quee j'ai eu depuis mon retour de Rouen ne m'a pas donné tout le temps dont j'avais besoin pour m'acquitter de mes devoirs. Je sors depuis deux jours d'une indisposition, qui devait m'emporter : c'était une fluxion sur la poitrine avec la fièvre ; mais tant de prières que l'on a faites pour m'en retirer ont attiré du Ciel une petite prolongation de vie, pour avancer ma conversion et me donner lieu de vous offrir mes humbles services et mes profonds remerciements de la continuation de votre très cordiale charité pour nos très chères Enfants.

Je vous avoue que je souffre, ce que Dieu connaît, de les voir sans logement, après avoir cru que la maison de Monsieur Salet ne leur pourrait manquer, puisque Monsieur N. avait la bonté de s'y employer si efficacement : j'avais prié que l'on ne différât point d'en passer le contrat ; mais la Providence, qui règle tout selon les volontés du Très-Haut, n'a pas permis que l'affaire se soit conclue. Si j'avais cru tarder si longtemps, j'aurais accepté la vôtre, ma très chère Fille, dans l'assurance que Notre Seigneur y aurait versé plus de grâces et de bénédictions que dans celle d'Obédédom [ I Sm. 7,1 ] qui eut le bonheur de recevoir l'Arche, qui cependant n'était que la figure de la réalité que vous auriez reçue chez vous. J'ose vous assurer que Notre Seigneur a agréé l'offre que vous lui en avez faite et qu'il vous récompensera de quelques nouvelles grâces et bénédictions, outre le glorieux

(64) S'agirait-il de Madame Maignard de Bernières qui avait été sur le point de vendre sa maison « trop cher » aux bénédictines ? (Cf. Le récit de notre établissement). La famille de Bernières possèdait le château de la Rivière-Bourdet à Quevillon, surnommé le « Versailles normand » en raison de sa somptuosité.

logement qui vous est réservé dans la gloire. Je crains que le retard de cette réponse ne vous ait fait manquer quelque bonne occasion, mais la bonté de Dieu la réparera. Je voulais attendre la fin de celle de Monsieur Salet, la Révérende Mère Prieure [ Sainte Thérèse du Tiercent ] m'ayant mandé plusieurs fois qu'il n'y avait plus de difficultés ; mais le temps fait bien connaître qu'il n'y a que Dieu qui fasse ses oeuvres et que, s'il n'y met sa divine main, rien ne s'achèvera ; nous le supplions toutes très humblement d'y donner le succès qu'il en prétend pour sa pure gloire, et qu'il accorde toute la patience dont nos chères Enfants ont besoin, pour soutenir sans découragement toutes les conduites de son adorable Providence.

Je serais en état de partir à présent, si les choses étaient assurées ; par mon inclination je n'attendrais pas cela, je volerais pour vous aller embrasser et pour consoler nos chères Enfants, qui ne reçoivent de douceur que de votre bonté ; je vous en dois une reconnaissance éternelle, mais celui que vous regardez en elles vous récompensera abondamment. Je sais bien que son amour vous anime à faire ce que vous faites et que son Esprit Saint vous fait agir au dehors et au dedans de vous-même : donnez-vous si parfaitement toute à lui que rien de ce monde ne vous en puisse plus séparer, je veux dire que votre coeur ne respire que son amour, sa gloire et son plaisir, par un divin abandon de tout vous-même à ses adorables desseins ; tenez-vous toujours en état de pouvoir dire à tout moment : « Deus meus, volui ». Cependant conservez la paix et la tranquillité du coeur, dans l'attente de ses volontés, qu'il vous fera bientôt connaître.

Madame notre bonne Duchesse (65) est toute occupée à terminer ses affaires : elle y rencontre bien des croix, mais c'est le partage des élus ; l'on ne se peut dispenser de souffrir, nous ne sommes chrétiens que par la croix, c'est par elle que nous vivons à Dieu et que nous devons nous consommer en lui et pour lui. Heureuse l'âme qui en connaît l'excellence et les grands biens qu'elle renferme ! Celui qui vit sans croix n'est pas chrétien : l'on peut dire qu'il n'a pas de vraie liaison avec Jésus Christ, et que même il ne le connaît pas. Faites, très chère Fille, un grand cas de celles qu'il vous donne ; quoique la nature les rebute, ne laissez pas d'en remercier ce divin Seigneur et de vous tenir toujours bien près de lui, car sans sa grâce nous ne sommes capables que de l'offenser ; mais son infinie bonté soutient tout en nous, quand nous tâchons de demeurer en lui. Hâtons-nous, très chère Fille, de nous y bien établir : nous n'avons pas trop de temps pour avancer dans la séparation des créatures et de nous-même, la fin s'approche

(65) Marie-Thérèse de Vignerod, duchesse d'Aiguillon, nièce de Marie-Madeleine de Vignerod (1636-1704), première duchesse d'Aiguillon et la plus connue. Bon coeur, mais assez brouillon, la duchesse faisait beaucoup de charités et aussi bien des dettes. Mère Mectilde fait allusion ici à son projet d'entrer au monastère de la rue Cassette en qualité de moniale, projet qui ne put se réaliser. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976, p. 353 n. 3.

292 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 293

tous les jours ; pour moi, je dois envisager ce passage comme le touchant du bout du doigt ; je m'en crois fort proche, du moins en désir, mais l'effet est dans la volonté de mon Dieu, le moment est dans les secrets de son divin coeur ; néanmoins il se faut tenir prête : demandez pour moi, très chère, la grande miséricorde de Jésus Christ et de sa, très sainte Mère.

Adieu, très honorée et très chère Fille, je suis toute à vous en son amour. C'est votre indigne servante, mais très fidèle amie.

n° 2704 P133

bien être avec lui. Hélas ! j'en suis indigne, mais cependant il faut espérer miséricorde par le sang adorable de Jésus Christ. Priez-le bien pour moi, chère Fille, et me croyez bien cordialement toute à vous.

L'on dit que vous avez fait des remarques sur les Constitutions ; hâtez-vous de me l'envoyer. Je vais, avec la grâce de Dieu, tâcher de terminer tout avant que de faire mon grand voyage d'éternité. Obtenez-moi miséricorde par la très sacrée Mère de Dieu. Je suis en son amour toute à vous.

J'aurais bien souhaité d'écrire à ma très chère Soeur Saint Joseph [ Rondet 1, si j'avais pu trouver un moment de temps. Je la salue de tout le coeur, et la chère Soeur de Sainte Geneviève (67).

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET]

20 avril 1682

Il n'est jamais trop tard pour désirer la paix de Jésus Christ dans vos coeurs, encore que je sois bien persuadée que ce divin Sauveur vous l'aura bien donnée lui-même au jour de sa glorieuse Résurrection. C'était bien mon désir de m'en réjouir avec vous en vous saluant d'un « alleluia », mais je me trouvais si languissante dans tous ces glorieux temps que je ne pus faire autre chose que de demeurer toute abandonnée à la volonté de Dieu, pour tomber tout à fait si le moment était ainsi ordonné. Je n'ai pas manqué d'être assez mal et de bien faire verser des larmes à cette Communauté, mais Notre Seigneur, qui mène à la mort et qui en retire quand il lui plaît, n'a donné pour moi que la peur. Je suis, après les saignées que l'on m'a faites, dont la dernière fut vendredi, bien mieux que je n'étais auparavant. Il me semble que je monterais avec grande joie en carrosse pour vous aller trouver, souffrant avec bien de l'angoisse le retardement de vos affaires. Si vous aviez une maison, il me semble que je serais bien soulagée. Il faut continuer de la demander à Dieu, et cependant vous perdre dans sa divine volonté, qui est le centre de l'âme qui tend à l'anéantissement. Je crois, très chère Fille, que vous y aspirez toujours et que vous n'y perdez point de temps. Si tout le monde pouvait concevoir la paix et le repos qu'il renferme, il n'y aurait personne qui n'abandonnât tout pour le posséder intimement. Vous m'en direz vos pensées quand je serai auprès de vous, très chère. Je prie Notre Seigneur que ce soit bientôt pour sa gloire et que je le voie logé magnifiquement. J'attends voir ce que ces messieurs termineront. Je crois que vous ne vous empressez pas de tout cela et que vous travaillez à le loger dans tout votre être par une cessation de tout ce que vous êtes en Adam. Nous avons eu ici, quatre ou six jours, notre bonne Soeur Antoinette (66), qui a été bien pénétrée de la mort de son bon père, Monsieur votre bon oncle, que nous croyons en gloire et où je voudrais

[ A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS]

6 juillet 1682

Il n'y a pas moyen de laisser retourner M. N. sans le charger de ce mot pour vous, ma très chère Fille, qui vous assurera que j'ai reçu votre chère lettre du mois passé. Je n'avais pas dessein d'être si longtemps sans y répondre, mais il faut, bon gré mal gré, que je suive les conduites de la divine Providence, et que, tous les jours et plus que jamais, je sois sans choix, sans désirs et sans volonté. Mon expérience me fait connaître que la paix intérieure veut cela. Vous ferez bien d'en faire de même, pour soutenir la mort partout et, par conséquent, conserver une paix toute divine. C'est ce qui est de plus important dans la vie intérieure, il me semble ; parce que vous me dites dans votre lettre que vous y travaillez, j'en ai beaucoup de joie ; car nous n'avons en ce monde rien de plus important que de nous rendre comme Dieu nous veut. Il faut nous y appliquer fidélement. Soyez donc toujours plus intimement à lui, ma très chère Fille, et quoique la divine Providence vous tienne dans l'humiliation, il faut le souffrir tant qu'il lui plaira changer de conduite. Il me semble que nous n'avons qu'à nous abandonner toute à lui. Il sait le fond et tréfonds de toutes choses, ce qui se peut et ne se peut pas. Puisqu'il lui plaît de nous tenir de la sorte, adorons ses volontés c'est un état qui fait mourir au dehors. Le monde blâme ce qu'il ne connaît pas, mais ne laissons aussi de mourir au dedans de nous-même et de tendre à toute heure au pur et parfait anéantissement. Je ne veux dire rien de ce qui vous regarde : Dieu fait en vous ce que vous n'y pouvez pas faire vous-même ; laissez-vous toute à la divine conduite, mais ne vous accablez pas ; laissez-vous anéantir et demeurez en paix ;

(66) Notre Soeur Antoinette Cheuret ? De plus Soeur Marie-Agnès Camuset et les deux Soeurs Cheuret • seraient-elles cousines germaines ?

(67) Marguerite Benoist prit l'habit au monastère de la rue Cassette le 5 novembre 1670, à 23 ans, et fit profession le 19 janvier 1672. Elle était la septième Soeur converse.

294 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 295

votre chemin est frayé, vous n'avez qu'à le suivre : c'est Notre Seigneur qui vous l'a tracé ; de la sorte, ne vous ennuyez pas d'être reportée dans le rien. Je ne puis achever, très chère ; voilà que l'on me presse de finir. Adieu ; je ne suis point à moi, mais je suis à vous, en Jésus et sa très sainte Mère, très chère Enfant, cette année comme les autres.

n° 597 N256

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

25 juillet 1682

J'apprends avec une singulière joie, ma très chère Fille en Jésus, qu'il vous augmente tous les jours ses divines grâces. Je l'en remercie de tout mon coeur, le priant vous faire encore celle d'y correspondre bien fidèlement et que, par ce moyen, vous remplissiez dignement les desseins de Dieu sur votre vocation. Je vous crois présentement un peu dans la douleur sur l'indisposition de votre très digne Mère Prieure. J'en suis aussi touchée fort sensiblement, mais j'espère que Notre Seigneur n'abandonnera pas son oeuvre en la retirant, quoiqu'elle soit bien disposée pour l'éternité. Nous le prions humblement de nous la conserver de très longues années pour votre consolation et édification.

Voilà la chère Mère Sous-Prieure [ Anne du Saint Sacrement Loyseau ] qui va tâcher d'un peu soulager son poids pour les choses temporelles. Je ne doute pas, chère Enfant, que vous n'ayez bien de la joie de la revoir, mais, comme les choses de ce monde ne sont pas d'une durée éternelle, il faut toujours être en état de les sacrifier. J'estime une âme très heureuse qui les sait posséder sans engagement et qui en use, comme dit saint Paul, comme si elle n'en usait point ; c'est l'unique moyen de conserver une paix continuelle. Je sais qu'il faut bien des coups de morts à la nature pour en être là, mais le bonheur que l'on expérimente mérite bien que l'on souffre un peu de peine pour le posséder. Souvenez-vous toujours, très chère Enfant, que vous êtes venue dans le sacré désert de la sainte Religion uniquement pour Dieu ; n'y cherchez que lui seul et, pour le trouver solidement, il faut passer outre les créatures. Ne vous arrêtez à aucune, afin que vous ne soyez pas retardée de vos saintes prétentions, qui sont de retourner à Dieu, puisque vous en êtes sortie.

Je prie notre souveraine Princesse, l'auguste Mère de Dieu, de vous conduire dans les sentiers de la sainteté où vous êtes appelée. Ne vous oubliez pas en chemin. Priez cette très immaculée Vierge d'avoir pitié de celle qui est en son amour toute à vous.

n° 861 Cr C

A LA COMMUNAUTÉ DE ROUEN

17 août 1682

Je ne sais, très chères, pourquoi vous doutez du coeur de votre pauvre Mère. Voulez-vous qu'elle vous en fasse une promesse par devant notaire ? Je suis toute prête de la signer devant l'autel du Seigneur, et cela pour un témoignage irrévocable de ma sincère fidélité. Non, non, ce n'est pas le coeur qui manque, mais le temps, que je ne puis attraper. Je vous assure que ce grand et continuel accablement de choses me jetterait volontiers dans la tentation de quitter cette Maison pour me retirer dans une autre ; car, si j'y demeure, vous verrez que je mourrai dans le tracas. Priez-le bien qu'il m'en préserve par sa grande miséricorde.

Je ne sais ce que la divine Providence fera de cette Maison, qui demeure dans une grande affliction ; il faut la lui abandonner, mais, puisqu'on ne peut être les maîtres en cet achat, de celle de M. Salet, voyez, je vous prie, si l'on n'en peut trouver quelque autre. Pour moi, je donne les mains aux choix que la Mère Prieure en fera ; les voies de Dieu sur ses ouvrages sont bien anéantissantes, mais il les faut adorer. Je tâche de m'y tenir sacrifiée, attendant l'accomplissement de sa divine volonté. Quand je ne serai plus, tout ira à merveille.

Prenez courage, chères Enfants, et soyez bien persuadées qu'il faut mourir incessamment en quelque lieu et en quelque état que nous puissions nous rencontrer. Je suis pressée de vous quitter, en vous assurant qu'en Dieu il n'y a point de séparation. Je suis en lui toute à vous. A Dieu, chères Enfants, jusqu'au moment que j'aurai la joie de vous embrasser.

no1168 R14

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS

28 août 1682

Je vous fais ce mot, après avoir commencé plusieurs fois sans pouvoir finir, pour vous remercier des soins que vous avez de me donner des nouvelles de votre digne Mère Prieure. Je prie Notre Seigneur qu'il vous la conserve. Je ne puis me mettre en repos que je ne la sache bien guérie. N'épargnez rien pour la soulager.

Je crois que Notre Seigneur veut emmener notre bonne Mère [ Bernardine de la Conception Gromaire ] : elle ne revient pas de son accident, elle en a quasi tous les jours des atteintes. Le médecin nous dit encore hier que, selon l'humain, elle ne pouvait guérir. Je vous conjure de la présenter à Notre Seigneur et de lui demander les grâces qu'elle a besoin, et que nous ne soyons pas surprises, comme l'on craint, afin qu'elle puisse recevoir tous les sacrements ; et à moi la grâce de l'immoler au moment qu'il lui plaira. C'est un grand sacrifice pour moi : vous savez

296 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 297

combien elle m'est chère. La douleur où elle serait si je mourais avant elle fait que je ne suis pas fâchée, et que je me résous plus facilement de la voir partir devant ; l'on croit cependant que je pourrai encore bien vivre trois ou quatre ans ; c'est trop pour une vie criminelle. Priez Notre Seigneur qu'il l'abrège, en me purifiant dans son sang adorable. Demandez pour moi miséricorde, miséricorde, miséricorde. Je n'ai besoin que de miséricorde, car je ne mérite que l'enfer ; et si Notre Seigneur n'exerce sa très grande miséricorde, je ne l'échapperai pas. 0 Dieu ! quelle vérité ! il faut s'abandonner à sa justice comme à sa miséricorde, afin que sa très sainte volonté soit faite en nous.

Je ne crois pas que l'affaire de M. Salet se termine, mais je crois qu'elle pourra bien nous faire perdre encore bien du temps. Cependant, je souffre d'un tel retardement à l'oeuvre du Seigneur ; il faut pourtant que je m'y abandonne et que je me résolve à mourir avant que d'avoir cette satisfaction. Mais, quand je mourrai, l'oeuvre ne mourra pas ; Dieu merci, c'est mon repos.

Je vous recommande une affaire qui me touche ; c'est une perte très considérable ; je ne vous en puis dire davantage aujourd'hui. Hélas ! par cette perte je dois croire que Notre Seigneur ne me veut point donner de soulagement dans mes affaires. Une personne de qualité avait destiné une somme de plus de cent mille livres. Je dis « plus », et Dieu a permis que, la veille qu'elle me devait mettre tout cela en mains, on l'a volée, et emporté trois fois davantage. Jugez de la conduite de la Providence. Je vous défends d'en parler qu'à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère. Mais, mon Enfant, adorez ces revers, car ils sont surprenants.

Vous m'avez envoyé une lettre de Madame votre chère amie, que j'ai reçue avec bien de la joie, ayant pour elle une tendresse et une affection toute singulière. C'est une âme qui veut être toute à Dieu, mais qui est encore bien crucifiée par les affaires de sa chère famille. J'en suis parfaitement contente. Elle est une prédestinée, j'ose vous en assurer. Il faut qu'elle ménage bien les grâces que Notre Seigneur lui fait : elles sont grandes. Ayez toujours une grande bonté et cordialité pour elle, comme elle en a beaucoup pour vous. Consolez-la, très chère, en attendant que je le puisse faire moi-même. Notre Seigneur la bénira. Mandez-moi le jour qu'elle partira. Je l'attends avec bien de la joie, nonobstant nos sujets de douleur, qui ne sont pas petits ; mais adorons, mourons et nous perdons dans les divins plaisirs de Dieu.

Quant à votre intérieur, qu'il demeure en paix en mourant. La véritable vie de grâce consiste à mourir fidèlement. Remettez tout en Dieu et vous y abîmez vous-même le plus que vous pourrez. Adieu, chère Enfant, tâchez de vous tenir joyeuse en son amour, et ayez soin de votre santé. Pour la mienne, elle est meilleure depuis quelques mois, mais je ne sais combien cela durera. Je la laisse à celui qui me la donne et qui me l'ôte quand il lui plaît. Tout est bon dans sa main divine. C'est votre fidèle amie et servante.

no 1739 R18

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET

Du 6 septembre 1682

Je vous ferai part de nos croix, ma très chère Fille, dont une très sensible est l'état de notre bonne Mère [ Bernardine Gromaire ] qui se consomme petit à petit et, selon l'humain, elle n'en relévera pas. Je vous conjure de prier Dieu pour elle. Jugez de ma douleur, qui pourtant est soumise à Dieu. Une autre douleur est la mort, que nous croyons, de la Révérende Mère Prieure de Rambervillers (67bis), qui était une excellente religieuse. C'est une perte et une affliction incroyables pour cette Maison.

La lettre que nous en avons reçue ne dit pas qu'elle soit morte, mais on la croit telle parce qu'elle était tombée dans l'apoplexie et léthargie [ si bien ] que l'on n'attendait que la mort, les remèdes ne la soulageant aucunement. Nous avons encore la Révérende Mère Prieure de Nancy (67ter) très mal, et l'on ne croit pas qu'elle puisse aller loin. Vous voyez comme il plait à Notre Seigneur visiter l'Institut ; nous l'adorons. Je vous prie de l'en remercier, et de le prier pour toutes et pour moi, qui en ai plus de besoin que personne. Du reste, je n'en parle point, tout demeure en Dieu. J'apprends avec joie que vous avez acquis une petite maison que l'on dit être bien jolie, où il y a un assez beau jardin pour vous aller toutes un peu divertir et respirer l'air. Hélas, si vous l'aviez eue cet été, vous en auriez reçu quelque satisfaction, mais Notre Seigneur a ses moments sans qu'on les puisse avancer. Je suis bien aise que vous ayez cette maison achetée, quoique petite ; c'est toujours un petit fond, et un bienfait de M. de Grainville Notre Seigneur fera le reste dans peu de temps.

Je vous recommande bien votre chère Mère Prieure [ Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent ]. Elle n'est pas robuste, toute la Communauté et le Noviciat la doit conserver. Je vous conjure d'y faire votre possible et de la bien ménager et de ne la point trop faire parler. Je la crois obligée de se conserver sous peine de pécher ; elle n'est plus à elle, mais à Dieu et à la Religion ; si elle ne se ménage un peu avec ses Filles, elles la mettront sur les dents ; prenez-y garde doucement, sans faire de peine. Conservez cette chère Mère comme la prunelle de vos yeux : vous ne savez ce que vous possédez. L'on dit que vous avez fait des remarques sur les Constitutions. hâtez-vous de me les envoyer. Je vais, avec la grâce de Dieu, tâcher de terminer tout avant que de faire mon grand voyage de l'éternité. Adieu.

rv. 1754a) 74

(67bis) Thérèse Catherine Bagnerelle, née vers 1630, fit profession au monastère de Rambervillers le ler janvier 1653. Sous Prieure en 1666, elle fut élue Prieure en 1670. Cf. C. de Bar, Lettres Inédites, 1976.

(67ter) Il s'agit soit de Mère Catherine de Sainte Agnès Rolin, qui fut supérieure du monastère Notre-Dame de Consolation avant son agrégation à notre Institut, soit de la Mère Anne de Saint Joseph LavalMontigny, qui fut Prieure de ce monastère après l'union à notre Institut. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 248 et sv. ; Lettres Inédites, 1976, p. 116 n. 5.

298 CATHERINE DE BAR

A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS

Septembre ou octobre 1682

Il n'y a pas moyen, très chère Fille, de laisser retourner votre chère amie sans lui confier ce petit mot, pour vous assurer que vous n'êtes pas dans l'oubli que vous croyez. Je serais une très méchante Mère si j'oubliais, comme vous vous le persuadez, mon Enfant, ce que je ne puis, parce que c'est Notre Seigneur Jésus Christ qui m'a donné la loi de vous aimer et de vous présenter à lui comme son hostie, qu'il va tous les jours purifiant par sa conduite divine pour se la rendre digne de lui-même. Tout ce qu'il veut de vous, c'est le néant, qui vous tiendra sous le sacré pressoir de ses adorables volontés, par lesquelles il vous crucifiera pour faire mourir tout ce qui est d'humain en vous et vous apprendra qu'il ne faut plus ni choix, ni désir en cette vie, mais demeurer dans un saint abandon pour recevoir, ou plutôt pour porter, toutes les différentes dispositions qu'il plaira à sa bonté vous envoyer.

Les ténèbres, les impuissances, les pauvretés et le reste que vous ressentez ne vous empêcheront pas d'être toute à lui, car vous savez qu'il y faut être à sa mode et non à la vôtre. Je ne vous donne point d'autre règle, très chère. Quand vous saurez bien vous tenir dans le rien, vous deviendrez savante de tout, par une divine expérience qui vous fera connaître que cet aimable néant renferme ce qui ne se peut exprimer ; mais il ne faut pas se plaindre. Si Dieu tarde trop de remplir en nous le vide de nous-même, c'est qu'il n'est pas encore tel en effet que nous le croyons souvent ; nous sommes vides en idées et pas véritablement. L'amour de nous-même est si profond qu'il n'y a que Dieu qui en connaît la source ; elle est intarissable et la malice en est si subtile que rarement on l'aperçoit ; c'est pourquoi Dieu a sur ses élus des conduites secrètes détruisantes et anéantissantes, sans que l'âme puisse pénétrer comment il lui plaît de lui cacher ses opérations. Et souvent, quand elle crie miséricorde, croyant que tout est perdu, c'est lorsqu'il fait son ouvrage plus intimement. Demeurez en paix dans la guerre ; ne réfléchissez point trop sur vos pauvretés, qui deviendront un jour des richesses éternelles, si vous savez vous en contenter.

Soyez seulement fidèle dans les pratiques de vos obligations, douce avec vos Soeurs, respectueuse et soumise à vos Supérieures, vivant comme un enfant avec sa mère, ne regardant en elle rien d'humain, afin que votre obéissance soit sanctifiée ; jamais de contestes avec qui que ce soit, mais se tenir toujours au-dessous de tout le monde, c'est le moyen d'acquérir cette paix divine que le monde ne donne point. Adieu ; c'est votre fidèle amie et servante.

n" 598 N256

FONDATION DE ROUEN 299

[ A LA MÈRE MARIE DES ANGES DU VAY

Ce 9 décembre 1682

Vos lettres, mon Enfant, sont venues à bon port, mais mon rhumatisme m'a tenue si serrée que je n'étais capable que d'être paresseuse et de me reposer, pour contenter nos chères Soeurs qui ont toujours cru que j'allais tomber dans une grande maladie. Je l'ai aussi bien souvent pensé, mais j'espère que Notre Seigneur se contentera. J'avais quasi tout le corps engagé. A présent, il ne me reste que les jambes, surtout la gauche, qui semble quelquefois vouloir tout à fait demeurer ; mais elle est à Dieu comme le reste, il fera de tout selon sa très sainte volonté.

Je vous avoue que j'ai été aussi bien que vous touchée de Monsieur N. : je n'attendais pas cela de son zèle pour le très Saint Sacrement Il faut beaucoup prier la sacrée Mère de Dieu de le ramener. Voilà ce que nous sommes tous ; incontances, aveuglements, et pleins de misères ! Heureux ceux qui sont engagés à Dieu inviolablement. Vous faites bien de le remercier de l'état où sa grâce vous a liée ; chérissez ce bonheur qui sera pour vous éternel, croyez-le, j'ose vous en assurer.

Je recommande à vos saintes prières la bonne Madame de Montmartre 1- Françoise Renée de Lorraine ] ; je vous assure que sa mort m'a été très sensible. Toutes ses Filles sont inconsolables ; leur douleur est à l'excès ; il ne se peut voir une plus terrible désolation, parce que la mort l'a emportée tout d'un coup, au moment qu'on la croyait rétablie en santé. Voilà comme Notre Seigneur fait ses coups. Il fait bien voir qu'il est le maître de ses créatures, et qu'il a droit d'en disposer comme il lui plait. Priez, ma chère Enfant, qu'il me regarde en sa miséricorde, car il viendra quand peut-être je n'y penserai pas.

Vous pouvez m'écrire tout ce que vous voudrez, très chère ; ne vous rebutez pas de ma langueur. Je vous assure que le coeur ne manque pas et ne vous manquera jamais par la grâce de Notre Seigneur.

J'ai bien de l'impatience que vous ayez une maison. J'attends voir ce que la divine Providence fera. Je puis vous dire en confiance ce que j'en souffre devant Dieu bien sensiblement. J'espère que cette année tout s'achèvera. Hélas ! peut-être que notre vie se consommera aussi, Dieu le sait, tout est incertain à la créature. Espèrons en sa bonté. Ne m'oubliez pas en sa présence et me croyez en lui toute à vous, mille fois plus que je ne vous puis dire.

no 2961a) Z4

300 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 301

[A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET]

Du 31 janvier 1683

Je ne vous ferai qu'un mot, très chère, en réponse des chères vôtres, pour vous protester que mon silence n'est pas un effet de mon indifférence. Mon coeur ne l'est point, puisque je ressens dans la douleur, que Dieu seul connaît, le retardement de votre affaire. Je ne puis m'empêcher de croire que ces messieurs se moquent de nous, mais il faut regarder cette conduite de plus haut. Le saint Nom de Dieu soit béni !

Je suis toujours jusqu'au dessus de la tête dans l'embarras. La maladie périlleuse de notre pauvre Mère Victime [ Hardy ] nous y tient encore terriblement ; selon l'humain, il n'y a point de médecin qui la puisse tirer de l'état où elle est. Nous les attendons pour lui donner l'extrême-onction ; nous l'observons à tout moment de crainte d'être surprises. Tout le monde qui la voit la croit morte, et pour moi je n'attends que le moment, car, à moins d'un miracle, elle n'en peut revenir. Je vous assure que j'en suis touchée très sensiblement ; mais il faut mourir en tout et par tout, c'est la loi de Dieu sur moi. Vous ferez part de cette lettre à la chère Mère Prieure, et la prierez de ma part de faire bien prier Dieu pour cette chère Victime qui achève son sacrifice dans une patience divine, qui souffre ce qui ne se peut dire, sans qu'on lui entende pousser le moindre soupir. Il y a quatre jours qu'elle ne parle plus, le cerveau étant attaqué. Elle entend néanmoins quasi tout ce que l'on dit, mais elle ne saurait dire que MON DIEU, MON DIEU, et MA MÈRE. L'on voit bien que la perte de la parole lui est un grand tourment, mais tout commence à mourir en elle ; les bras lui demeurent, les jambes le sont déjà par de terribles enflures qui ont crevé et sont à présent rouges et débiles toujours ; l'on craint, par surcroit, la gangrène, mais je pense qu'elle s'en ira devant, à moins que Notre Seigneur prolonge sa vie pour la faire plus longtemps souffrir. Cette pauvre souffrante a toujours demeuré dans une chaise jour et nuit depuis six semaines qu'elle est arrêtée jusqu'à hier qu'on la coucha sur une paillasse. Son esprit paraît toujours élevé à Dieu et ne veut point qu'on demande sa vie, faisant signe qu'elle veut mourir, disant quelquefois, ALLONS, ALLONS, mais cela n'a point de suite. Tout le monde est touché de la voir ; nous y sommes quasi toujours. Je vous quitte pour aller auprès d'elle. Vous ferez aussi part de cette lettre à la chère Communauté, que j'embrasse du plus tendre de mon coeur.

Adieu, croyez-moi toute à vous à la vie et à la mort, sans changement, en Notre Seigneur.

[A LA MÈRE MARIE DES ANGES DU VAY]

Ce 22 février 1683

Dieu sait, ma très chère Fille, combien j'ai de peine de vous laisser si longtemps sans répondre à celles que vous m'écrivez. La Providence ne me laisse pas faire ce que je voudrais. Ma douleur, c'est que vous en souffrez et que vous en tirez des conséquences qui blessent votre bon coeur et votre confiance en moi ; mais j'espère que, comme je ne suis pas moins à vous et dans toute la cordialité que vous pouvez désirer d'une Mère qui vous aime tendrement, que vous ferez des jugements plus favorables de sa conduite, puisqu'elle ne peut faire ce qu'elle voudrait, mais que le coeur ne manque pas, je vous conjure d'en être bien persuadée. La crainte que j'ai de faire préjudice à messieurs vos frères, ma très chère Fille, me fait vous dire que j'ai bien de la peine de ce que la dame que j'attends ne vient point : elle me mande cependant qu'elle a toujours la volonté de me rendre service en contribuant de ses propres biens.

Elle a fait, il y a eu samedi huit jours, une perte de plus de cent mille livres ; c'est ce qui m'a bien touchée, mais ce sont des coups de la main du Très Haut ; c'est assez d'avoir quelques bonnes volontés pour moi pour avoir mille renversements. En vérité, chère Enfant, il faut un sacrifice de mort continuel. Si Dieu ne me soutenait, il en faudrait effectivement mourir, mais il veut que l'on vive au milieu de la mort ; il n'y a que lui seul qui connaît ce que l'on souffre. Il n'est pas à propos de s'en plaindre. Je m'abandonne toute à lui pour jamais. Immolez-moi avec vous, très chère. Je ne laisse pas d'avoir un grand désir que votre contrat soit signé, je souffre encore du retardement de cette affaire. Certes, mon Dieu me veut bien anéantir dans son oeuvre, mais j'y consens, cela est trop juste.

Samedi, j'aurai des nouvelles de cette dame ; je vous en donnerai incessamment. J'avoue que je voudrais cette somme pour votre maison ; j'y ferai de mon mieux et Notre Seigneur fera le reste s'il lui plait.

Je suis en lui toute à vous, prenez courage.

n° 351a) Z4

A UNE DEMOISELLE QUI DÉSIRAIT ÊTRE RELIGIEUSE

22 avril 1683

no 1257 Z4 J'avoue, ma très chère demoiselle, que c'est un peu tard que je réponds

à celle dont vous eûtes la bonté de m'honorer quelques jours avant que d'entrer dans notre Maison. Mais l'indisposition où j'étais pour

302 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 303

lors me priva de la chère consolation de vous rendre mes devoirs, et en même temps de vous témoigner la joie de mon coeur, sur le généreux

dessein que la grâce de Dieu vous a fait concevoir de vous offrir à

Notre Seigneur pour être sa victime dans le sacré mystère que nous adorons. J'aimerais bien mieux vous exprimer mes sentiments sur

cette précieuse qualité que de vous les écrire, n'ayant pas tout le temps que je désirerais pour vous entretenir par ma plume sur les divines dispositions que vous devez porter. Je crois bien que Monsieur votre bon Directeur vous les aura fait connaître, avant que de vous conseiller d'entrer.

Mais vous me permettrez, s'il vous plaît, ma très chère demoiselle, d'ajouter ce petit mot qui vous assurera que la grâce de cet état est d'autant plus admirable qu'elle vous unit à Jésus Christ, victime de la justice et sainteté divine, et que, vous faisant l'honneur d'être faite une même hostie avec lui pour réparer sa gloire outragée par tant d'impies dans ce mystère, il vous confie ses intérêts et il veut que vous lui rendiez des hommages et des adorations perpétuelles, en reconnaissance de la charité infinie qui le tient, depuis tant de siècles, dans l'auguste Sacrement de l'autel, comme un prisonnier qui s'y captive pour votre amour. En vérité, si l'on concevait ce que c'est qu'un Dieu devenu, en quelque façon, l'esclave de sa créature par un amour qui lui fait oublier ses grandeurs infinies, afin de lui donner la facilité de le posséder et pour la combler d'une éternité de bonheur, ne voudrait-elle pas, cette créature, par un réciproque d'amour, se renfermer avec lui dans le sacré ciboire, pour ne vivre que pour lui, puisqu'elle doit être persuadée qu'il n'y vit que pour elle ?

Je vous regarde, très chère, comme cette élue de Jésus Christ pour vous immoler toute à son amour. Mais si, par sa grâce, vous en avez conçu le désir, vous devez bien vous attendre à en porter les effets, et à être dans l'épreuve d'un état si saint, par des tentations qui vous seront d'abord difficiles à supporter et qui seront bien capables - si Notre Seigneur ne vous soutient secrètement par sa grâce - de vous faire succomber ; je vous en avertis, très chère demoiselle, pour ne pas vous en surprendre quand cela vous arrivera, car assurément ces choses ne manqueront pas, pour vous purifier, soit en un temps, soit en un autre : c'est un petit purgatoire, où les victimes doivent passer pour porter saintement cette glorieuse qualité, par rapport et union à Jésus Christ.

Je voudrais que la divine Providence me conduisît à Rouen, quand il lui plaira vous exercer de la sorte, pour vous aider à porter cette croix et vous faire voir les conduites de la grâce sur les hosties choisies pour être immolées à sa gloire. Si j'osais, je vous prierais de m'en donner des nouvelles, en attendant que j'aie l'honneur de vous embrasser et de vous assurer que je suis, en Jésus et sa très sainte Mère, toute à vous.

A LA MÈRE FRANÇOISE DE SAINTE THÉRÈSE [DU TIERCENT] Prieure de Rouen

3 mai 1683

Il faut, ma très chère Mère, que je vous fasse ce petit mot en réponse de celle que vous avez eu la bonté de nous écrire. Vous attendez donc toujours nos messieurs pour signer votre contrat. Mais, s'il est vrai, comme on le dit, qu'il y a des obstacles secrets par des gens qui ne se nomment pas, il faut un miracle pour réussir, et ma crainte est que vous soyez encore des années comme vous êtes (68), ce qui est assurément bien affligeant ; si l'on ne regardait la volonté divine dans une Providence qui conduit tout, l'on ne pourrait soutenir une conduite si anéantissante. Il faut cependant l'adorer et bénir Dieu de tout. Il faut croire que c'est la destinée des Filles du Saint Sacrement d'être sacrifiées partout. Et je crois que Notre Seigneur perfectionne de la sorte ses victimes ; je le prie de nous être propice en toutes manières. Le besoin est grand, mais sa bonté est infinie.

Je prétendais vous dire un petit mot de la Croix, parce que c'est la fête de l'Invention [ de la Sainte Croix ] que nous faisons aujourd'hui. Il ne se faut pas mettre en peine de trouver la Croix : nous la rencontrons quasi toujours, soit au dedans de nous-même, soit au dehors. Il est plus difficile de l'exalter que de la trouver, mais tout notre bonheur est enfermé dans la Croix. C'est la Croix qui nous fait chrétiens et c'est la Croix qui fait notre salut. Ne nous séparons jamais de la Croix, puisqu'elle nous est si avantageuse et qu'elle nous fait mourir à nous, pour nous faire vivre à Jésus Christ.

Tous les jours se passent pour moi dans un continuel tracas. Il faut adorer la conduite du divin Maître. Je n'ai plus de temps pour rien faire, et je crois que je serai obligée d'aller en quelque lieu pour faire ce que je dois avant de mourir. Vous savez, très chère, que je n'ai plus que deux mois jusqu'à l'élection de prieure. Priez Notre Seigneur qu'il ait pitié de moi. Je suis en lui toute à vous et à toutes nos très chères Filles, que je sens intérieurement qui murmurent contre moi. Dieu sait tout et voit tout. Il faut que je souffre et que je meure.

A Dieu, c'est votre fidèle amie et servante.

n° 536 Cr C

Vierge du XV Ieme siècle, pèlerinage de Benoite-Vaux (Meuse)

(68) Le 1" août 1683, le contrat d'achat du château de Mathan fut signé au monastère de la rue Cassette à Paris, grâce à l'intervention puissante de M.' de Béthune, abbesse de Beaumont-lès-Tours. Voir le déroulement de ces tractations et les « obstacles secrets » dans le récit de la fondation de Rouen.

n° 897 P132

304 CATHERINE DE BAR

A UN RELIGIEUSE DE ROUEN

3 mai 1683

J'approuve votre murmure et les plaintes que vous faites de mon silence, ma chère Enfant, mais je condamne votre soupçon comme un mensonge. Je n'ai parlé de vous ni de votre état souffrant à qui que ce soit : ce sont des choses dont une supérieure ne fait aucune confidence. Vous m'en ferez, quand je serai auprès de vous, une grande réparation. Cependant, soyez persuadée qu'en fait de conduite et des choses de conscience, je n'ai en ce monde aucune confidente à les communiquer. Je veux néanmoins vous pardonner les ombrages que vous formez contre la vérité.

Hélas ! si j'osais, je vous dirais les paroles que Notre Seigneur disait hier à saint Philippe : « Tanto tempore vobiscum sum et non cognovistis

» [Jn. 14,9 ]. Non, non, vous ne me connaissez plus lorsque vous ne me voyez plus, mais je ne me fâche pas de vos plaintes : elles partent d'un coeur affligé qui ne sait à qui s'en prendre ; mais ne voyez-vous pas que c'est la main de Dieu et qu'il faut nécessairement mourir et pourrir comme le grain de froment qui tombe en terre, sans quoi il ne peut porter aucun fruit ? Il est vrai que l'on parle aisément des peines quand on ne les souffre pas, mais, si Dieu, pour nous épurer, nous met dans le creuset pour nous tenir au feu des tribulations, oh ! que la nature forme de plaintes et de gémissements ! La foi devient comme percluse ; elle n'a plus de vigueur. A peine peut-on croire qu'il y a un Dieu et que c'est lui qui nous crucifie, mais, cependant, c'est lui-même, pour opérer en nous notre mort, purifiant notre fond. 11 faut se résoudre à la souffrir et à la soutenir comme il plaira au souverain Maître, car nous ne pouvons pas de nous-même nous en garantir. Il n'y a qu'un secret dans ces sortes de conduites crucifiantes, c'est de s'en remettre à Dieu, c'est de s'y abandonner sans savoir en quoi ni comment, c'est de le laisser faire en nous ce qu'il lui plaira pour sa pure gloire et notre destruction ; il n'y a que cela à faire ; tout le reste consiste à souffrir toutes les privations, abjections, confusions, impuissances et le reste, qui va quelquefois jusqu'au sentiment de réprobation. Tout cela est bon pour une victime qui ne vit plus pour elle et qui ne fait que mourir à tout. Il y a tant de degrés de mort qu'on ne peut les exprimer, mais celui qui mortifie vivifie aussi quand il lui plaît. S'il prend plaisir à vous tenir dans les ténèbres d'un cachot ou dans un pays perdu dont vous ne connaissez ni les entrées ni les sorties, laissez-vous [ à Dieu ], le simple abandon doit vous suffire, par lequel vous lui laissez la liberté de vous anéantir. Puisque vous ne devez plus vivre pour vous, c'est à lui d'opérer votre mort selon son plaisir. Prenez courage : vous n'êtes pas au bout, mais la grâce de Jésus Christ vous soutiendra. Je suis en lui toute à vous.

no 872 N256

FONDATION DE ROUEN 305

[ A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS]

Ce 26 juin 1683

Vous me faites, très chère petit Ange, un grand plaisir de m'écrire. Toutes les fois que vous en prenez la peine, vous me réjouissez. Vous avez raison de vous plaindre de ma paresse, mais je suis vieille et votre charité me doit souffrir, car je ne suis plus capable d'agir comme je faisais du passé. Je vous assure cependant que je n'ai pas moins de coeur et d'affection, et que je souffre beaucoup de ne vous voir point logées ; cela ne se peut concevoir après six ans d'attente. Je vous ai toujours dit que ce sont mes péchés qui causent tous ces retardements ; j'en voudrais être anéantie entièrement, tant mon coeur en est affligé. Je vois que vous dépérissez toutes et qu'il n'y a plus moyen d'y résister ; nonobstant, j'adore la Providence divine qui se joue de vous toutes comme il lui plait. Il ne faut point se rebuter, niais s'abandonner pour aller où Dieu voudra.

Je souhaiterais que la chère Mère Prieure avec vous autres, mes très chères Filles, preniez quelque résolution ; pour moi je vous confesse que je ne vois point ce qui serait de meilleur. Vous êtes sur les lieux. 11 me semble que Notre Seigneur nous réduit à acheter la maison où vous êtes, celle des Pères Minimes, et Monsieur de Saint Pierre ; et si Notre Seigneur nous fait vivre, nous pourrions espérer encore le reste. Je ne vois rien de mieux pour le présent. Je vous prie d'en conférer avec la Révérende Mère Prieure et de bien raisonner sur tout cela, et de prendre, s'il est possible, une résolution ensemble, car comme vous n'êtes plus en état de choisir, il faut se résoudre de prendre ce que l'on pourra.

J'aurais bien de la joie de vous voir arrêtées à quelque chose ; pour moi, je crois que l'on ne peut pas mieux faire.

Pour vos dispositions, très chère, abandonnez-les à Dieu ; il faut que vous souffriez qu'il fasse son oeuvre en vous.

Priez Dieu pour moi ; je salue tendrement toute la chère Communauté.

no 3096a) Z4

A UNE RELIGIEUSE DE ROUEN

Juillet 1683

Hélas ! Chère Enfant, il faut souffrir toutes les contradictions des créatures et bien d'autres choses plus touchantes, si Notre Seigneur me laissait dans mon sens ; mais il me rend comme insensible à tout cela. Je suis si persuadée que je mérite toute sorte de blâme que je n'en puis avoir assez, et c'est une grande vérité, très chère, que l'on

306 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 307

a raison de dire ce que l'on dit : Notre Seigneur se mêle de tout cela par une Providence admirable, mais il fait tout si bien que je ne fais que le bénir et remercier de toutes ses conduites. Hélas ! que je serais heureuse de pouvoir souffrir quelque chose, obtenir miséricorde ! Je vois bien que j'avance et que mon terme s'approche. Cependant, je suis infiniment éloignée de l'état où je devrais être. Redoublez vos saintes prières pour moi. J'en ai plus de besoin que jamais, étant accablée au point que Dieu connaît. Adorez pour moi les conduites de la divine Providence. Assurément, il y en a quelques-unes bien humiliantes, mais je les accepte amoureusement.

L'on prend le château. Je ne sais si l'on pourra y parvenir ; je suis à tout ce que l'on voudra, et plût à Dieu que tout soit déjà fait. Je souffre de vous savoir sans maison. Nos Mères de la Porte de Richelieu en poursuivent une fort belle (69) ; je ne sais si elles y réussiront. Il faut faire le possible et puis remettre tout en Dieu.

Je suis en peine de votre santé et de vos dispositions intérieures. Si vous êtes toujours dans la souffrance, Notre Seigneur vous y a tenue longtemps, mais c'est de la sorte qu'il perfectionne son oeuvre dans ses élus. Il faut avoir un peu de courage pour se bien abandonner à la conduite divine sans autre appui que la pure foi. Je crois que c'est l'usage que vous tâchez de faire. Je suis bien marrie que le bon Père [ Chenois ] s'en va, mais, croyez-moi, si vous savez demeurer au rien, vous trouverez la paix en Dieu au-dessus de toutes choses. Tâchez de vous y tenir : c'est là où Dieu fait son ouvrage ; et me croyez toujours, vivante et mourante, toute à vous.

n° 441 N256

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET]

Ce 13 août 1683

Je ne vous fais point d'excuse, ma toute chère, de ne vous écrire pas aussi souvent que mon coeur le désirerait : la Providence me met dans l'impuissance par l'infirmité et le tracas.

J'ai été longtemps malade, ce qui m'a dérobé du temps, mais quelque indisposition que je ressente, avec le reste que Notre Seigneur me donne, je ne vous oublie pas, ni toute la chère Maison de Rouen. Je sais bien que vous êtes toutes les chères victimes de Notre Seigneur et que vous souffrez au sujet de son oeuvre, mais prenez courage : il saura bien vous en récompenser. Ne perdez pas le mérite de tant de sacrifices que vous avez faits et que vous continuez de faire tous les jours, qui avancent votre sanctification. Le moyen le plus efficace, c'est d'être fidèle dans le saint anéantissement.. Je vous conjure de n'en pas négliger la

(69) Les moniales du second monastère de Paris achetèrent, grâce à la libéralité de la duchesse d'Aiguillon, l'hôtel du duc de Bouillon, rue Neuve-Saint-Louis dans le Marais, en 1684.

pratique ; si vous en sortez, vous perdrez votre paix ; elle est trop précieuse pour en hasarder la possession. Prenez donc courage, ma très chère, et vous souvenez de moi en vos saintes prières. J'en ai grand besoin, étant plus faible et plus accablée de tracas que jamais, mais il faut tirer jusqu'à la fin, qui peut être n'est pas bien loin.

J'espérais écrire à la chère Mère Prieure ; c'était mon désir ; le temps m'a manqué ce matin. J'ai depuis deux ou trois jours commencé la présente, je l'achève promptement. Je vous prie de lui dire que samedi, à cinq heures après-midi, nous avons signé le contrat du château ; ce fut de ma part avec grande joie. Je prie Notre Seigneur qu'il y donne bénédiction et que la suite en soit aussi heureuse que je le souhaitte ; il faut tenir la chose dans un grand secret, jusqu'au temps ordonné par la divine Providence. J'espère vous aller aider au déménagement, s'il plait à Notre Seigneur me faire vivre.

A Dieu, croyez moi constamment toute à vous.

n° 1248a) Z4

[ A LA MÈRE MARIE DES ANGES DU VAY Ce 12 mai 1684

Sur les chères vôtres du 9 de mai, je vous assurerai, très chère Fille, que je ne dors pas toujours et que je ne suis pas insensible à vos croix. Elles sont dans mon coeur avec beaucoup d'autres auxquelles je ne puis remédier. Notre Seigneur ne m'en donnant pas la capacité, il faut que je me confonde en sa sainte Présence, et c'est là où je suis perpétuellement. De toute part la main de Dieu se fait ressentir, mais elle est toujours adorable et infiniment aimable. Il faut demeurer sous ses pieds et y être abîmée comme il lui plaira.

Je crois que la chère Mère Sous Prieure [ Madeleine des Champs ] vous aura mandé comme l'on ne perd pas un moment de temps sur votre affaire, mais l'on ne veut pas choquer « un général » pour des particulières. Il est vrai que cette entreprise cause bien du déplaisir, sans assurances d'y pouvoir réussir, quoique plusieurs personnes de grand crédit s'y emploient, et malgré moi il faut que je vous dise que je doute du succès. Nous en saurons demain des nouvelles, car le conseil se tiendra, dans lequel votre affaire sera conclue d'une façon ou d'autre. Il aurait été plus avantageux de ne l'avoir point entreprise si elle venait à manquer, mais de quelque côté qu'elle puisse tourner, il faut que nous adorions Dieu et ses volontés, et que tout soit anéanti comme il lui plaira : il est impossible d'aller au delà de ses ordres. Soyez cependant très certaine que l'on n'y a pas perdu de temps ; ce qui est plus sensible en cette affaire, c'est que vous êtes obligées de sortir de votre maison et que vous ne savez où vous loger ; cela me touche fort, car vous voilà obligées de vous mettre je ne sais où. En vérité cela est affligeant, mais encore une fois il le faut souffrir comme tout le reste.

308 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 309

Je prie Notre Seigneur conduire cette affaire et donner à la Révérende et chère Mère Prieure toutes les grâces qu'elle a besoin pour soutenir tant de crucifixions. Il faut que vous l'aidiez toutes à porter sa croix comme de bons Enfants, qui compatissent à la peine de leur bonne Mère. En vérité, en vérité, je la compatis et suis dans une grande angoisse de ne la pouvoir soulager ; il faut prendre courage dans les grandes tribulations. Notre Seigneur est avec ceux qui souffrent ; c'est leur unique consolation.

Je voudrais bien vous parler de la chère novice, mais le temps me manque dans le présent. Que les peines que vous avez souffertes à son sujet ne vous rebutent pas pour une autre ; Dieu veut que ses victimes nous coûtent quelque chose. La gloire qu'il en tirera vous doit tenir en repos là dessus. C'est pourquoi, ne vous refusez pas à celle que Monsieur N. connaît. Allons à la croix comme Dieu nous l'ordonne, ou prenons celle que sa bonté nous présente à tout moment.

Je me souhaite avec vous pour partager les vôtres et celles de la chère Mère Prieure, qui me touche sensiblement.

J'embrasse la chère Communauté. Que la chère N. sache que je sais ses pensées sur tout ce qui se passe. Dieu fera sa volonté malgré l'enfer, mais j'avoue que ce détroit est bien violent.

Adieu, ne m'oubliez pas et me croyez toujours du même coeur que je suis en Jésus et sa très Sainte Mère toute à vous.

n" 2784a) Z4

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET

23 mai 1684

C'était bien mon dessein, ma très chère Fille, de vous écrire sur le choix que j'avais fait de votre personne pour accompagner la chère Mère Sous-Prieure à Caen, supposé que vous n'y répugniez pas et que la chère Mère Prieure l'eût pour agréable ; la demeure à Caen ne sera pas bien longue : environ six semaines ou deux mois, car ce n'est pas pour leur apprendre des règles et à être vraies religieuses de saint Benoît, car elles le sont jusque dans la moelle des os, mais c'est pour leur apprendre à être vraies victimes du très Saint Sacrement (70). Il faudra inspirer à ces chères Mères un grand amour pour le très Saint Sacrement ; leur expliquer ce que c'est d'en être les victimes,

(70) Le monastère de Notre Dame de Bon Secours avait été fondé par l'abbaye de Montivilliers, d'abord à Pont-l'Evêque, en 1639, avant d'être transféré à Caen, rue de Geôle, en 1644. Mère Mectilde en fut prieure de 1647 à 1650. Dès 1675, une partie des religieuses désirait le rattachement de leur monastère à l'Institut. Des oppositions violentes de la part de certains clercs et leur influence sur plusieurs moniales firent surseoir au projet. L'abbesse de Beaumont, Anne Berthe de Béthune, fit intervenir son frère, évêque du Puy ; la recommandation de l'archevêque de Paris et le désir de la quasi totalité des moniales firent revenir l'évêque de Bayeux sur sa décision. Après une année de préparation, elles émirent les voeux de l'Institut, le 30 septembre 1685. La Mère Madeleine des Champs, de la rue Cassette, et la Mère Marie de Sainte Agnès Camuset avaient été choisies par Mère Mectilde pour cette préparation. Cf. Priez sans cesse, Paris, 1953, p. 67 et sv. - Abbé Gilbert Décultot, Histoire de Montivilliers à travers les siècles(chez l'auteur). 1973. C. de Bar, Documents, 1973, p. 67-68.

et enfin leur faire connaître les obligations de l'Institut. Ayez une grande liaison avec la Mère Sous-Prieure ; ne rien faire, ne rien dire que de concert ensemble ; je prie Notre Seigneur qu'il vous revête de son esprit et qu'il vous donne une langue de feu pour allumer tous les coeurs à l'amour du très Saint Sacrement. Vous voyez comme Notre Seigneur veut que vous contribuiez à le faire connaître, aimer et adorer dans ce divin mystère ; vous prendrez la peine de nous écrire quand vous serez là ; et, comme c'est pour peu de temps, vous tâcherez de bien édifier la communauté. Si toutefois vous ne pouviez y demeurer, demandez votre obédience pour retourner à Rouen, car je ne puis contraindre personne je désire la paix et le repos partout. Croyez-moi bien sincèrement toute à vous en Jésus.

n° 227 P135

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

Ce 31 mai 1684

Je suis, ma très chère Mère, dans une grande inquiétude de votre santé et du succès de votre voyage, où je crois que vous avez bien souffert. Je vous ai compatie et mon coeur vous a suivi, priant Notre Seigneur de vous soutenir. Je ne puis penser à votre éloignement qu'avec douleur, craignant que vous ne souffriez beaucoup de peines et de fatigues. Si mes prières étaient bonnes, vous en recevriez de bons effets, car je vous aime en vérité très sincèrement. Mandez-moi promptement de vos chères nouvelles ; si vous ne pouvez écrire, la chère Mère de la Conception suppléera ; sa charité me fera bien ce plaisir. Ne vous hâtez point de sortir de chez nos Mères de Rouen. Reposez-vous et prenez des forces de toutes manières pour continuer votre voyage. Je prie Notre Seigneur et sa très Sainte Mère le combler de toutes sortes de bénédictions. N'oubliez pas partout où vous serez que je suis entièrement toute à vous.

n° 1468 Z4

[ A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET]

Début juin 1684

Ce n'est qu'un mot, très chère Mère, de crainte que vous ne soyez en peine de moi qui ne suis pas des mieux, mais pas mal à me plaindre : ce n'est qu'une langueur qui vient que je ne suis pas jeune. J'ai donc

310 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 311

reçu vos chères lettres et celle de la Révérende Mère Prieure [ Saint Benoit Planchon ] qui me fait des remerciements que je ne mérite pas. J'espère que Notre Seigneur me fera la grâce de n'en demeurer pas là.

J'ai une grande joie d'apprendre la sainte ferveur de toute la Communauté. Je les regarde comme mes réparatrices devant Notre Seigneur.

Hélas ! je les ai tant mal édifiées quand j'ai occupé très indignement la place de la très Sainte Vierge. Réparez aussi vous-même, très chère Mère, et les embrassez toutes de ma part. Je les présente à Notre Seigneur avec une grande tendresse : elles me sont plus chères que jamais. Elles sont venues tard dans l'Institut, mais je vois bien qu'elles seront les premières par leur fidélité. Je serais bien aise de les voir et de les entretenir selon les sentiments de mon coeur qui les désire toutes parfaites victimes de Jésus Christ. Je sais que c'est leur unique désir ; il faut pour porter efficacement cette précieuse qualité beaucoup mourir. La vie de la victime est dans la mort. Encouragez-les à bien mourir à elles-mêmes. Tout leur bonheur dépend de cette fidélité ; c'est pour les y animer que je voudrais pouvoir les entretenir, mais Notre Seigneur vous donne ce soin ; il vous a choisie pour cela, et je ne doute pas qu'il ne vous donne la grâce de vous en bien acquitter.

Je vous prie de me donner des nouvelles de ma chère Mère de Sainte Catherine. Qu'est-elle devenue, où est-elle à présent ? Elle me tient bien au coeur et je vous prie de lui faire savoir et si vous pouvez lui faire tenir des lettres à l'abbaye de Moutons (71). Je vous prie de lui envoyer du sucre et autres choses que vous savez qu'elle peut avoir besoin. Il faut vous dire en passant que Monsieur votre neveu fait des merveilles ; son Prince l'aime éperdument ; il est sage et contente tout le monde ; l'on admire sa conduite [ et ] l'on croit qu'il fera de belles et grandes choses à l'avenir. Assurément, chère Mère, vous en aurez bien de la satisfaction. Le Père de Lillebonne (72) n'en peut assez dire pour le louer ; enfin ils en sont tous ravis et ne cessent de me remercier de leur avoir donné un gentilhomme qui a tant de bonnes qualités et tant d'esprit.

Adieu ; vous voyez comme j'écris mal aujourd'hui, j'ai bien de la peine à conduire ma plume ; je ferai mieux une autre fois. A Dieu, croyez-moi toute à vous en son saint amour.

La Demoiselle n'a point encore fait ce qu'elle m'a promis ; je crois qu'il faut attendre la Saint-Jean. Ne m'oubliez pas en vos saintes prières.

no 143 Autographe à Rouen

(71) Prieuré fondé vers 1120 à Mortain (Manche). Entre 1646 et 1660, la prieure Marie de Bouillé tenta d'introduire une réforme nécessaire et d'augmenter le patrimoine, très réduit. Des désordres, dus aux méfaits de la commende, mettent le prieuré au bord de la ruine morale et matérielle. Une nouvelle prieure : Madame de Beauxoncles (1678-1693) ramèna la paix et la concorde, mais prépare l'union et le transfert de sa Maison à l'abbaye Notre-Dame d'Avranches (1693), l'état des bâtiments ne permettant plus d'y poursuivre la vie conventuelle. L'abbaye d'Avranches avait eu des relations assez étroites avec Montmartre, ce qui explique peut-être la présence à Moutons (à 30 kms de là) d'une moniale de Montmartre. Cf. Rubillon du Lattay, le Prieuré royal des Bénédictines de Moutons, Mortain, 1951.

(72) Lillebonne est une très ancienne ville de Seine-Maritime. Nommée jadis Juliobona, c'était la capitale des Calètes, sur la rive droite de la Seine. Cf. J. Daoust, Le Val de Seine, Rouen, p. 53.

A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

Du 13 juin 1684

Ma plus chère Mère, où êtes-vous ? Que faites-vous ? En quel endroit ce mot vous pourra-t-il trouver ? Je suis bien en peine de votre santé et de votre chère compagne. J'ai prié la chère Mère de Sainte Magdelaine de m'en donner incessamment des nouvelles. J'aspire après votre retour. Hélas, que n'est-il dès aujourd'hui ? Je ne sais ce que vous ferez où vous allez. Notre Seigneur y soit votre force et votre lumière ! Mon appréhension est que vous y succombiez. N'attendez pas l'extrémité de vous en retirer ; revenez entre les bras de celle qui est plus à vous qu'à elle-même, et surtout que rien ne vous manque. Adressez-vous à la chère Mère de Sainte Magdelaine de Rouen, qui est présentement à Caen au monastère des saintes Filles de Notre-Dame de Bon-Secours, que nous dirons bientôt, s'il plait à Dieu, les Filles du Saint-Sacrement.

La Sainte Vierge prend plaisir de les donner à son divin Fils, comme les victimes de sa gloire. Je vous conjure, très chère Mère, d'en être une vous-même, et de venir pour cela consommer votre sacrifice avec nous. Je vous y attends avec le même coeur avec lequel Notre Seigneur veut que je vous aime, et que je sois très sincèrement toute à vous.

n° 2433 Z4

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS [ CAMUSET] A CAEN

5 juillet 1684

Pauvre petite Mère, j'apprends que vous faites merveille ! Courage, continuez pour la gloire du très Saint Sacrement ; mais ne changez point le Cérémonial des Révérendes Mères, il les faut laisser à leurs usages jusqu'à ce que je puisse faire le voyage. Je les ai toujours vues fort bien réglées dans leurs exercices, mais je vous prie de bien insinuer l'esprit de l'Institut, dont les pratiques se trouvent dans les Constitutions. Il est important de les bien faire comprendre, tant pour le culte du très Saint Sacrement que pour la charité entre elles, conservant une sainte cordialité, jamais de contentions, ni rien qui puisse dégénérer de la fidélité d'une victime qui doit se sacrifier à tous moments. Il faut avoir un grand soin des malades pour leur donner leurs besoins corporels et les consoler dans les souffrances. Quand l'union est sincère dans les coeurs par la charité de Jésus Christ tout va en bénédiction ; sans cette sainte union l'on ne doit rien espérer.

Ayez soin de votre santé et de prendre du repos. Vous vous consommez pour celui qui se consomme tous les jours sur l'autel pour vous. Toute notre communauté vous salue très cordialement et est dans l'impatience de votre retour. Toutes vous aiment bien

312 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 313

tendrement. Hâtez-vous d'avancer l'oeuvre de Dieu où vous êtes, afin de vous venir reposer un peu de temps ou aller glorifier encore ailleurs Notre Seigneur, où l'on vous attend. Ménagez vos forces, il vous en reste peu, mais votre consolation est de les avoir consommées en chantant les louanges à Notre Seigneur Jésus Christ. Je suis en lui toute à vous.

n° 2457 N254

pour vous ramener avec elle à Caen, où elle est à présent, et de là à Rouen chez nos Mères. Après, j'aurai soin du reste. Tâchez de prendre courage et de vous soutenir, car, avec votre méchante nourriture, je crains bien fort que vous ne succombiez. Il me tarde de vous tenir et vous assurer que je suis plus à vous qu'à moi-même. Tout par Jésus Christ et sa très Sainte Mère.

n° 1147a) Z4

A LA MÈRE DE SAINTE CATHERINE

Religieuse de Montmartre

Très chère et toute intime Mère, Du 12 juillet 1684

Je ne pus lire votre chère lettre sans larmes ; mon coeur souffre de vous savoir dans un si pauvre équipage, et si mal en toutes façons que je ne puis m'en consoler. Je voudrais pouvoir voler pour vous tirer à ce misérable séjour. Je ne puis modérer la frayeur que j'ai que vous n'y demeuriez, ne croyant pas que vous y puissiez rester un mois sans mourir. Il faut promptement écrire à Madame votre Abbesse, pour lui donner avis de l'état des choses, afin qu'elle ne s'oppose point à votre retour. Ne tardez pas de vous procurer la liberté de sortir, et si elle tarde, je crois que vous pouvez prendre une obédience de Monsieur le Supérieur de cette Maison. N'attendez pas, très chère Mère, que vous soyez tombée malade. Revenez, revenez, très chère Mère, c'est ici le lieu de votre consommation. Je vous conjure de n'en jamais chercher d'autres. Venez vous consommer avec nous au pied de l'autel du Seigneur. Venez vous revêtir de la précieuse qualité de sa victime ; notre Institut est pour vous comme pour moi. Notre Seigneur vous y donne la même part qu'il m'y donne par son infinie miséricorde. Il faut que nous achevions ensemble notre sacrifice, puisqu'il nous a liées en son amour. Je ne crois pas, très chère Mère, que vous puissiez attendre l'automne pour sortir du lieu où vous êtes : vos forces sont trop usées pour aller jusque là. Je crains que vous ne tombiez en inanition et dans l'impossible de vous en retirer. Je ne conçois pas la manière incertaine par laquelle l'on vous a envoyée dans ce lieu sans connaître bien à fond les choses. Il y a du mystère à votre sortie, mais il le faut consommer au Saint Sacrement. C'est une vocation divine pour vous, parce qu'elle doit opérer votre consommation en Dieu. Voilà ce qu'il me donne à vous dire. Je voudrais bien que vous fussiez déjà à Caen. $i tôt que vous aurez des nouvelles de Madame votre Abbesse, mandez-le par une personne exprès, afin que la Mère de Sainte Magdelaine vous envoie un carrosse de Caen. Je lui mande aussitôt que vous l'avertirez,

[ A LA MÈRE MARIE DES ANGES DU VAY

Ce 11 octobre 1684

Ôtez de votre esprit, très chère Enfant, que j'aie la moindre chose contre vous. Je serais déraisonnable, car vous ne m'en donnez aucun sujet. Ma douleur est la captivité où je suis ; d'autres vous le pourront dire. Mais sans m'en expliquer davantage, croyez devant Dieu que je suis toute à vous, mais d'un coeur tout sincère et entier. Je tâcherai de vous écrire une de ces nuits, n'ayant pas un respir de jour.

Quant à votre venue à Paris, vous savez, chère Enfant, que personne ne peut vous empêcher de venir dans votre Maison de profession. Je n'ai jamais eu dessein de vous en empêcher. Vous y serez toujours la très bien venue mais je désirerais que vous en conveniez avec la chère Mère Prieure [ Françoise de Sainte Thérèse du Tiercent ], afin que tout se fasse en bénédiction pour votre chère novice. Je voudrais de tout mon coeur la pouvoir bénir ; ici, je la salue d'une tendre affection. Si j'avais pu aller à Rouen, je crois que Notre Seigneur nous aurait fait la grâce de la consoler. Vous savez que j'ai beaucoup d'instinct pour les âmes peinées. Il faut qu'elle prenne courage et qu'elle espère qu'avec la grâce de Notre Seigneur et le secours de sa très Sainte Mère, elle triomphera de tout ce que s'oppose à son bonheur. Si elle n'a pas les passions fortes, le reste ne me rebute point ; ce sont des dispositions qui passeront dans les temps avec un peu de courage. Que fera-t-elle si vous l'abandonnez ? Je la plains si elle n'a pas d'ouverture avec la Révérende Mère Prieure. J'en écrirai à cette chère Mère. Il faut un peu souffrir si le sujet est bon, et ne point pousser à l'extrême. Elle se séparera elle-même, par la grâce, avec le temps. Il faut beaucoup prier Notre Seigneur pour elle ; faites-le pour moi, très chère, qui suis dans l'accablement que Dieu connaît.

Voilà ce que je vous puis dire. Ne vous rebutez pas de mon silence, mon coeur vous répond et vous verrez devant Dieu comme je vous aime en son amour.

no 2427a) Z4

314 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 315

A LA MÈRE MARIE DE SAINTE AGNÈS CAMUSET A CAEN

16 octobre 1684

Je viens, très chère Fille, vous marquer combien je suis édifiée et consolée de votre courage pour la gloire de notre divin Maître d'avoir bien voulu rester seule tandis que la chère Mère Sous-Prieure est allée à Rouen pour les affaires de notre Maison. Je vous promets de vous la renvoyer le plus tôt qu'il sera possible, si toutefois notre chère Révérende Mère Prieure [ Saint Benoit (73) et sa communauté le désirent, afin d'achever l'année d'épreuve qu'elles doivent faire et qui sera finie au mois de mai de l'année prochaine. Nous tâcherons de l'accompagner - « si nos chères Mères persévèrent » - pour leur faire faire les voeux de l'Institut. Vous y aurez, très chère Fille, la meilleure part devant Notre Seigneur puisque vous vous sacrifiez de la bonne manière, mais il saura bien vous récompenser. Je vous assure que je vous en suis très obligée.

Prenez donc courage et ne vous laissez point trop fatiguer. Reposez-vous souvent ; vous savez que vous n'êtes pas bien forte. Je crois que la Révérende Mère et toute sa communauté auront bien soin de vous conserver et vous tenir chaudement, que vous ne tombiez pas malade. Je vous prie d'assurer la très Révérende Mère Prieure de toute la cordialité de mon coeur et que je suis toujours toute disposée à ce qu'elle peut désirer de moi pour sa consolation et [ celle de sa chère communauté, que j'aime bien tendrement. Je prie Notre Seigneur les combler de toutes sortes de bénédictions et surtout des grâces nécessaires aux victimes. Quand je serai près d'elles, je les entretiendrai de l'esprit du sacrifice et de la manière de bien remplir les obligations car, voulant être les réparatrices de sa gloire, il faut bien qu'elles se préparent toutes à bien s'acquitter de telles obligations qui demandent un dégagement total et une mort à soi-même sans relâche. Vous le savez, très chère Fille, et combien il faut être anéantie pour être conforme à Notre Seigneur Jésus Christ au divin mystère où nous l'adorons.

Je vous prie de nous donner souvent de vos chères nouvelles et de me croire sincèrement en Jésus et sa très sainte Mère toute à vous.

no 1616 C405

1'

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CAEN - Vue descarrières de Vaucelles

(73) Mère Saint-Benoit Planchon, prieure à l'époque de l'aggrégation de son monastère. Elle fut ensuite choisie comme prieure du couvent de Bayeux dont elle prépara l'union à notre Institut 1701. Elle revint ensuite à Caen dont elle fut encore prieure de 1706 à 1712 et de 1718 à 1719. Cf. Priez sans cesse, Desclée, 1953, p. 67-68.

A LA MÊME

10 janvier 1685

Croyez, très chère Fille, que si vous n'avez pas si souvent de mes lettres, c'est avec un très sensible déplaisir et que je l'ai très grand de ne pouvoir un peu épancher mon coeur avec la Révérende et chère Mère Prieure et toute la chère Communauté [ de Caen ] ; les honorant et aimant comme je fais, je souffre une grande peine de ne leur pouvoir témoigner par mes lettres. J'ai bien prié la chère Mère Sous-Prieure de Rouen [ Madeleine des Champs ] d'y suppléer, car étant ici, elle voit l'accablement où je suis. Elle m'a trouvée assez mal pour douter si j'en pourrais revenir. Je n'étais pas encore remise qu'il a fallu soigner notre bonne novice, Madame la Marquise de Raffetot (74), qui est tombée malade. Je ne puis quasi la quitter, pour la confiance qu'elle a en nous. J'y suis donc fort assidue, joint à une multitude d'autres affaires qui ne me donnent pas un petit moment, étant obligée de prendre quelques heures de la nuit pour faire mes prières.

Cependant, très chère Mère, soyez bien persuadée de mon coeur et de ma tendresse pour vous ; j'ai bien de l'impatience de vous aller trouver. Sachant la persévérance de nos très chères Mères, je ferai tout mon possible pour aller marquer ce que Notre Seigneur m'a donné pour elles. Je les lui immolerai de bon coeur, car j'espère qu'elles rempliront bien leurs devoirs envers notre adorable mystère et qu'elles seront toutes les victimes de Celui qui s'y sacrifie tous les jours pour elles. Je prétends bien qu'elles seront aussi mes réparatrices et qu'elles suppléeront à tous les devoirs que je manque de rendre à notre divin Sauveur dans cet auguste Sacrement. Recommandez-moi bien à leurs saintes prières et les embrassez toutes pour moi, qui leur suis et à vous très singulièrement, en Jésus et sa très sainte Mère, toute à vous.

n" 300 P135

A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DE CAEN

16 février 1685

Je suis, ma très chère Mère, dans une extrême douleur de vous savoir en l'état où j'apprends que vous êtes. Est-il possible, très Révérende et très chère Mère, que vous voulussiez abandonner le dessein que vous avez si saintement conçu ? Je sais bien que c'est un bonheur

(74) Entrée au monastère de la rue Cassette après son veuvage. Elle fut envoyée par Mère Mectilde pour tenter de préparer l'union du monastère de Notre Dame de Liesse à l'Institut : affaire difficile qui ne put aboutir. Cf. Arch. Nat. L 771 n° 190 et Archives de nos monastères.

316 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 317

infini de retourner dans votre bienheureux centre, mais j'espère de l'infinie bonté de Dieu que ce souverain bonheur ne vous manquera pas. C'est pourquoi souffrez que l'on s'oppose à votre grand voyage et que vous soyez encore arrêtée ici-bas, pour nous aider à établir sa gloire dans votre chère maison. Nous avançons l'année, dans peu de temps vous serez engagée dans l'Institut, voudriez-vous mourir sans être victime par état du très Saint Sacrement ? Je vous crois obligée de faire tout votre possible pour vous remettre en santé, et si j'étais en pouvoir, je vous commanderais de ne rien négliger ; je crois même que vous y êtes obligée sous peine de péché ! Je conjure toute la chère Communauté d'y prendre tous les soins possibles pour vous retirer du péril où vous êtes, et si toutefois Notre Seigneur en voulait disposer, après avoir répandu nos larmes à ses pieds, nous reconnaissant indignes d'être exaucées, je vous prie que la Communauté fasse incessamment élection ; et pour prévenir le temps, il faut, s'il vous plaît, donner avis de l'état périlleux où vous êtes, afin que l'on puisse faire les choses dans le temps opportun. Croyez bien, très chère Mère, que j'ai bien de la douleur et que je ne puis être en repos que je ne sache de meilleures nouvelles. Je prie la Révérende Mère Sous-Prieure de me tirer d'inquiétude. Soyez persuadée, ma très Révérende et très chère Mère, que je suis sincèrement toute à vous ; que rien ne vous soit épargné pour votre rétablissement ; nous satisferons à tout avec un coeur qui ne se peut vous exprimer, car sincèrement je vous aime tendrement, et toute la chère Communauté.

C'est le véritable sentiment de votre très humble et très obéissante et très fidèle servante en Notre Seigneur et sa très sainte Mère.

no 1466 N254

ACTE DE NOTRE DIGNE MÈRE APRÈS SA MALADIE DE L'ANNÉE 1685

Le 14 mars

Au nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Ainsi soit-il.

Il est bien juste, mon adorable Sauveur, que je vous laisse« en proie l'être que vous m'avez rendu, et que je ne le tienne plus comme rendu à moi-même, mais que vous [ le ] reteniez dans le vôtre divin, comme l'ouvrage de votre toute-puissance, pour vous être présenté à toute heure ; pour le faire porter ce que vous jugerez être de votre gloire, n'ayant plus rien à savoir, à considérer et avoir que votre unique plaisir. ç'est uniquement pour lui donc, ô mon Dieu, que je suis sur la terre, 'et que je ne puis avoir aucun autre motif, quelque bon qu'il puisse être. Et comme je dois être toujours sous votre bras adorable, je ne dois plus rien attendre, ni espérer, que l'accablement de cet être que vous avez reproduit (75). 11 n'est plus à moi, il n'y a plus rien pour moi. Je suis et ne suis plus, c'est Dieu seul qui est.

(75) L'être que vous avez produit à nouveau.

Oserais-je continuer sans me plaindre ? « Tetigit me Dominus » ? mais avec tant de justice que si l'on avait la capacité de tous les êtres, ce serait pour les fondre en votre divine présence ; votre justice m'a touchée.

no 465 N 261

A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DE CAEN

28 mai 1685

Je puis vous assurer, ma Révérende et ma plus chère Mère, que si l'on voulait me permettre de vous allez donner des marques de mon affection et du désir que Notre Seigneur me donne d'assister à votre immolation, je serais, ce me semble, prête à partir dans le moment. Il est vrai que je ne suis pas bien forte ; mais je sens que je le suis assez pour présenter des victimes à mon divin Sauveur. C'est peut-être pour cela qu'il m'a redonné la vie, car humainement je devais mourir dans cette dernière maladie. Je veux de tout mon coeur employer le peu de temps qui me reste à vous rendre mes petits services et à tâcher de vous aider à stabilier cette divine pratique de l'adoration perpétuelle, qui attire dans les âmes tant de grâces et de bénédictions, lorsqu'elle se fait en esprit d'amende honorable et de réparation des outrages que Jésus, notre adorable victime, reçoit incessamment dans ce divin mystère où l'amour infini qu'il nous porte l'a lié et rendu captif dans cet auguste Sacrement jusqu'à la fin des siècles.

J'aurais bien des choses à vous dire sur cet ineffable sujet, mais je crois que votre coeur en est tout rempli et celui de vos saintes Filles. Je n'ai qu'à prier Notre Seigneur de les confirmer de plus en plus dans leur sainte ardeur, et qu'elles puissent être un jour toutes consumées de ce feu divin qu'il a apporté sur la terre. J'adore les bontés de Dieu qui nous réunit en lui par cette adoration perpétuelle, pour nous faire toutes des victimes de son amour et de sa gloire. Votre chère Communauté en sera un jour consolée et la sainte ardeur de la chère Mère Catherine de Jésus rassasiée. Oh ! que sa faim a été juste et qu'elle sera bien récompensée ! J'en dis autant à toutes les autres qui le désirent.

Pressez, si vous pouvez, mon voyage ; je crains qu'il ne soit bien retardé par des professions que je serai obligée de faire ; il faut vous adresser à la chère Mère cellérière [ Anne du Saint Sacrement Loyseau pour me faire marcher ; elle vous aime et vous honore tendrement. Nous avons ici la chère Mère Saint Alexis, votre bonne Fille, dont la vertu et le mérite édifient toute notre communauté. Plût à Dieu que je pusse vous tenir vous même, ma très Révérende et très chère Mère ! Vous y feriez vos voeux de l'Institut et puis vous recevriez ceux de vos chères Filles.

318 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 319

Si j'avais assez de pouvoir sur l'esprit de Monseigneur de Bayeux (76), je l'en supplierais : voyez si cela vous serait agréable. Je tâcherai de faire ce que vous désirez, autant qu'il me sera possible, et de vous persuader que je suis toute de coeur, en Jésus et sa très sainte Mère, votre très fidèle et très obéissante servante.

no 1680 P135

[ A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAUVAIS ]

Ce 3 juin 1685

Je ne sais si la Révérende Mère aura reçu celle que je lui écrivis hier, chère Ange. Celle-ci est pour le même sujet.

Je vous prie de lui dire que je suis si touchée de son accablement que je serais partie du meilleur de mon coeur, si on m'avait laissé faire, pour aller partager sa croix, mais il ne faut pas qu'elle s'en afflige de la sorte. Il faut prendre courage dans les événements de la divine Providence, et se façonner aux croix, car il n'est pas possible de vivre sans croix en cette vie ; il faut s'y accoutumer et ne se point troubler : Notre Seigneur, qui envoie les afflictions, ne manque pas de donner les grâces pour les soutenir.

Je suis dans un grand désir de vous aller voir, mais mon Dieu sait que je ne suis point maîtresse de moi ; il faut me laisser à sa divine Providence et la prier qu'elle nous assiste.

A Dieu ; malgré moi je vous quitte ; je suis si environnée de menus fatras qu'ils m'ôtent le temps de faire ce que je désirerais pour la consolation des particulières.

n° 1188a) Z4

A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DE CAEN

11 juillet 1685

J'ai appris avec un déplaisir très sensible, ma très Révérende et chère Mère, le refus qui a été fait de recevoir la procession du très Saint Sacrement dans votre église. Permettez-moi de vous dire que je ne puis comprendre quel a été le motif de ce refus. Nous avons fait, depuis que nous sommes établies, l'impossible pour engager Monsieur le Curé de Saint-Sulpice à nous faire tin honneur pareil, mais l'éloignement des lieux nous en a privées, à notre grand regret. Tout récem-

(76) François de Nesmond, évêque de Bayeux, nommé en 1659, sacré en 1662, mourut en 1715. Il avait appartenu à l'un des groupes de prêtres formés par saint Vincent de Paul dans ses fameuses conférences de Saint-Lazare. Le Père Berthelot du Chesnay dans son livre : Saint Jean Eudes (op. cit.), p. 149 le qualifie : « un des meilleurs évêques de France sous le règne de Louis XIV ».

ment, Monsieur le Curé de Saint-Gervais mena la procession, le jour du très Saint Sacrement, à la maison de nos Mères de Saint-Louis (76 bis) qui la reçurent avec respect et magnificence dont tout le public a été édifié. Nos Mères de Rouen reçoivent tous les ans la même faveur, qu'elles se sont attirées avec beaucoup de peines et de soins. Il faut, ma très chère Mère, que quelqu'un vous ait donné ce conseil, mais il ne peut être approuvé ; l'on en accuse Monsieur votre Chapelain. Je vous assure que Monseigneur de Bayeux a été touché de cette conduite qui a été tenue là-dessus. Madame l'Abbesse de Beaumont (77), qui est encore ici, a bien voulu lui en aller demander pardon de votre part.

Ce digne prélat lui a marqué ses sentiments sur bien des choses, que je vous ferai savoir si Dieu me fait la grâce d'aller recevoir vos voeux. Il vous pardonne cependant, ma chère Mère, la faute que vous avez faite, qu'il attribue à la simplicité que vous avez eue de suivre les avis que l'on vous a donnés. Je vous prie d'avoir égard à ceci : vous êtes en vérité trop heureuse d'avoir un si saint prélat. Madame de Beaumont en est charmée ; pour moi je demeure dans l'admiration des qualités que Dieu a mises en lui. Suivez aveuglément ses avis et ses lumières, si vous voulez non seulement soutenir la grâce de votre vocation, mais encore le saint Institut que vous voulez professer. Je prie Notre Seigneur, ma très chère Mère, qu'il dispose vos coeurs pour en recevoir les fruits et vous conjure de me croire votre...

no 662 N254

(76 bis) A la mort de Turenne, 27 juillet 1675, son hôtel de la rue Neuve Saint-Louis, au Marais, échut en héritage à son neveu Emmanuel-Théodore de la Tour d'Auvergne, cardinal de Bouillon. Propriétaire d'autres demeures, il le cèda à la duchesse d'Aiguillon, seconde du nom, le 30 avril 1684, en échange de la terre et châtellenie de Pontoise. La duchesse l'offrit aux religieuses du second monastère de Paris, qui en prirent possession le 16 septembre 1684. Mais Marie-Thérèse d'Aiguillon se trouvait si souvent endettée qu'il semble, par certaines lettres de Mère Mectilde, que ce « don » a parfois pese très lourdement sur le budget des moniales. Cf. G. Hartmann, Turenne, dans son hôtel, rue Saint-Louis, au Marais, Bibi. d'Histoire de la ville de Paris, 139417 (et renseignements aimablement communiqués par Mme A. Denizart).

(77) Anne-Berthe de Béthune (1637-1689). Petite nièce de Sully, ministre d'Henri IV, petite-fille de Philippe, comte de Selles, gouverneur de Gaston d'Orléans, fille d'Hippolyte de Béthune, qui légua à Louis XIV les 2.500 manuscrits qui forment le fonds Béthune, à la Bibliothèque Nationale. Sa mère était Anne-Marie de Beauvillier, soeur du marquis de Beauvillier, gouverneur des enfants de France, ami et collaborateur de Fénelon. Anne-Berthe avait sept frères et trois soeurs. Citons en particulier : François-Gaston, le 3eme ambassadeur en Pologne après l'élection de Sobieski, qui avait épousé en 1669 Louise-Marie de la Grange d'Arquien, soeur de la femme de Sobieski, la reine de Pologne Marie-Casimir, fondatrice et protectrice de notre Institut en Pologne ; Armand, évêque de Saint-Flour en 1661, et du Puy en 1664. La seconde fille, Marie, fut abbesse de Montreuil, près de Laon. Anne-Berthe fut confiée, à l'âge de trois ans, à sa cousine Anne Babou de la Bourdaisière, abbesse de Beaumont-lès-Tours. Vers 1649 ses parents désirèrent la reprendre et l'établir, mais elle s'y refusa et demanda son admission à l'abbaye de Montmartre, encore dirigée par sa tante Marie de Beauvillier. En 1659, à 22 ans, elle fut nommée par le roi, abbesse de Saint-Corentin, au diocèse de Chartres. Enfin, en 1669, à la mort de Madame de Vaucelas, elle fut choisie pour lui succéder à la tête de l'abbaye de Beaumont-lès-Tours, où elle fit son entrée le 15 octobre 1669. Une extraordinaire amitié spirituelle la liait à Mère Mectilde. Nous conservons dans les archives de nos monastères la copie de plus de 300 lettres allant de janvier 1688 au 26 juillet 1689. Le Père Lebreton, S.J., estimait cette correspondance « un document d'une haute valeur spirituelle et d'une grande portée historique ».

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A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE

ET A LA COMMUNAUTÉ DE NOTRE DAME DE BON-SECOURS A CAEN

6 octobre 1685

Mes Révérenedes Mères et mes très chères Soeurs,

Je ressens tant de joie du bonheur que vous possédez présentement d'être faites, par une grâce singulière, les victimes de Notre Seigneur Jésus Christ dans le très Saint-Sacrement, et de l'intime union que nous aurons désormais avec vous, que je ne puis différer plus longtemps de vous le témoigner.

J'ai lu avec plaisir, en bénissant Dieu de tout mon coeur, la solennité avec laquelle vous avez fait les voeux de notre Institut : je ne doute pas que ce Dieu saint, renfermé dans notre auguste mystère, ne vous comble de toutes sortes de bénédictions. Toute notre Communauté vous en marque sa joie. Je vous assure que la mienne la surpasse et j'ai bien des sujets entre Dieu et moi de m'en réjouir, parce que le Seigneur s'est rendu ce que les ennemis de notre Institut lui ont voulu ravir ; il saura bien en tirer sa gloire. J'espère, mes très chères Mères, que ce sera par votre sanctification et par la bonne odeur de Jésus Christ que vous répandrez dans le public : il faut désormais, mes très chères Enfants, vous regarder comme des victimes qui sont obligées de vivre uniquement pour Jésus Christ, n'ayant plus d'autres désirs que de vous consumer pour sa gloire. N'ayez point de regret de vous être immolées d'une manière si particulière à cet adorable Sacrement : vous verrez, si vous êtes fidèles, la consolation que vous en recevrez. J'ose bien vous en assurer et que, par la sainte profession que vous avez ainsi renouvelée, vous êtes toutes devenues plus intimement les Filles de l'auguste Mère de Dieu. J'ose encore vous assurer que c'est d'elle que vous devez croire tenir cette grâce, qu'elle vous l'a obtenue de son divin Fils.

Je ne sais si vous avez l'acte qui vous la fera désormais regarder comme votre unique Supérieure perpétuelle : ce titre lui appartient absolument. Il est bien juste de la considérer de la sorte et d'y avoir recours, en cette qualité, dans tous vos besoins. Renouvelez-lui votre amour, votre confiance et votre respect, et, si vous avez quelques peines ou tentations sur vos nouveaux engagements, ayez recours à sa maternelle bonté ; vous verrez comme elle vous soulagera. J'ai été fort mortifiée de n'avoir pu assister à votre sainte cérémonie ; elle n'en a pas été moins auguste. Vous avez des obligations infinies à Monseigneur de Bayeux, pour toutes les bontés dont il vous a honorées dans cette rencontre, et je crois qu'il vous les continuera. Je vous prie de lui faire tenir la ci-jointe, que je prends la liberté de lui écrire pour lui rendre mes actions de grâces, en attendant que notre bonne Madame de Beaumont soit de retour de sainte Reine (78) : elle ne manquera pas de lui témoigner sa reconnaissance, car elle entre dans votre joie et la nôtre.

Il ne me reste plus qu'à vous désirer une sainte persévérance et à vous demander un peu de part à vos saintes prières, comme celle qui est toute à vous, dans une très sincère et cordiale affection pour le temps et l'éternité, mes très chères, très honorées Mères et chères Enfants, votre fidèle servante en Jésus et sa très sainte Mère.

no 1397 P135

[A LA MÈRE MONIQUE DES ANGES DE BEAU VAIS ]

Ce 4 décembre 1685

Je vous suis bien obligée, très chère Ange, des bonnes prédictions que vous me faites pour le temps de dix-huit mois !

Hélas ! qui sera au monde en ce temps ? Selon l'humain, ce ne sera pas moi, car j'entre dans la soixante-et-douzième année ; ainsi il faut

songer à partir. Je n'ai qu'une seule ambition sur la terre, c'est de payer, avant de mourir, tout ce que je dois et que j'ai promis à nos Maisons. Pour le,reste, je ne dois pas si grande chose. Si Notre Seigneur me conserve encore l'année prochaine, j'espère que sa miséricorde m'en fera sortir.

Quant aux humiliations, etc... Hélas, très chère, elles ne seront jamais si grandes que je les mérite. Je trouve bon que Notre Seigneur én use de la sorte. Son Saint Nom en soit à jamais béni !

Je crois bien que le roi, votre bon ami, sera à Dieu dans quelque temps de la bonne manière. Je prie pour sa conservation et sa sanctification. Si Notre Seigneur lui donne le mouvement de nous faire du bien, je vous assure que je le recevrai de très bon coeur, mais il faudrait un miracle pour cela, outre que j'en suis très indigne et que d'ailleurs je vois et connais moins de monde que jamais. Il faut encore vous dire un petit mot sur celle que vous m'avez écrite, touchant la peine que vous avez à mon égard. Je vous proteste devant mon Dieu que je vous aime tendrement et du même coeur que je vous ai toujours aimée, et si j'étais auprès de vous, vous n'auriez pas peine à vous le persuader. Je puis encore vous assurer que je n'ai nul froid ni rebut, mais que l'accablement est quelquefois si grand que je n'y puis subvenir. Soyez assurée, chère Enfant, que vous me trouverez toujours de même, et que je suis à vous tendrement et très sincèrement. Voilà ce. que je vous puis protester.

(78) Alise-Sainte-Reine (Côte-d'Or), l'antique Alésia, garde le souvenir de l'héroïque résistance de Vercingétorix et du martyre d'une jeune vierge, exécutée vers 250 lors la persécution de Dèce : sainte Reine. Une chapelle et une fontaine aux eaux miraculeuses attirèrent très vite les pélerins. En 1660-1663, saint Vincent de Paul aida à l'organisation d'un hospice destiné à recevoir les pélerins malades qui se rendaient par milliers chaque année au tombeau de la sainte. Fête le 7 septembre.Cf. Dom Baudot, Dict. d'hagiographie, Paris, 1925, p. 554 ; Maurice Colinon, Guide de la France religieuse et mystique, Centurion, 1969, p. 117.

322 CATHERINE DE BAR FONDATION DE ROUEN 323

Je prends la nuit pour vous faire ce mot, ne le pouvant dans la journée, et n'était la peine où je sais que vous êtes, je crois que j'aurais encore différé, mais, par obéissance, ôtez cette croyance de votre esprit. Je n'ai jamais en ma vie agi à votre égard dans cette pensée pour avoir moins

pour vous. Et puisque Notre Seigneur m'a donnée toute à vous, soyez

en lui toute à nous.

Adieu, je vais un peu reposer avant matines ; ne m'oubliez pas en vos saintes prières.

no 1797a) Z4

A LA RÉVÉRENDE MÈRE PRIEURE DE ROUEN

Ce 16 décembre 1685

Ne vous faites point de peine, Ma Révérende et très chère Mère, pour la vente de votre maison. Je veux tout ce que vous voudrez, et [ ce ] que voudront messieurs vos amis, que j'honore parfaitement. C'est assez que leurs conseils, il les faut suivre.

Ce que je vous ai mandé, très chère Mère, était dans la crainte que vous ne le puissiez pas sans vous faire tort à vous même. Je suis très contente de tout, pourvu que vous y trouviez vos intérêts.

Je recommande à vos saintes prières et [ à celles ] des chères Mères des Anges [ de Beauvais et du Vay ], le grand procès que notre chère Soeur [ Françoise de la Résurrection Talon ] m'a causé. Il est à moi seule ; l'on croit qu'il se jugera cette semaine. Je vous en manderai des nouvelles ; il est de conséquence en toute manière. J'attends l'ordre de Dieu, il en fera comme il lui plaira. Il ne faut chercher ni désirer que sa gloire et mon anéantissement. Grâce au Seigneur, voilà une bonne croix qui me vient sur mes derniers jours. Il me semble que je ne la rejette point. Le Seigneur en usera comme il lui plaira ; c'est le temps ordonné de son adorable Providence.

Je vous prie toutes trois de le remercier pour moi.

Je crois que la chère Mère de Sainte Magdelaine vous aura mandé qu'on lui fait" espérer du secours pour votre Maison après Pâques.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous comble de ses grâces et bénédictions. Je suis, en lui, toute à vous, ma très chère Mère.

no 2253b) Z4

Monastère de Bayeux (Calvados). Fondé en 1646, il s'est aggrégé à notre Institut le 10 septembre 1701 sous le priorat de Mère Saint-Benoît Planchon, auparavant prieure à Notre-Dame de Bon-Secours de Caen. Cf. G. A. Simon, Souvenirs d'Antan, Caen, 1931, p. 20-21.

A MADAME L'ABBESSE DE BEAUMONT-LÈS-TOURS [ ANNE BFRTHE DE BÉTHUNE I

DE LA NUIT APRÈS MATINES DU JOUR QUE SON PROCÈS FUT JUGÉ

Décembre 1685

Votre charité, Madame, me met hors de moi-même. Je la regarde comme une effusion du coeur très saint de notre auguste Souveraine, dont je me sens si indigne que même j'ai honte de paraître devant vous, voyant ce que vous faites pour me délivrer d'un opprobre que mes péchés ont bien mérité et mille fois davantage. Je puis dans ce sentiment foncièrement, et il est bien juste. J'attends ce qu'il plaira à Notre Seigneur nous donner dans le jugement de notre affaire [ procès Talon ]. La peine que votre bon et charitable coeur y prend me confond, et j'admire les sentiments qu'il vous donne pour une si misérable créature, que vous devriez laisser périr, n'étant pas digne de la moindre démarche que vous faites pour la sauver, et, pour en parler comme je le connais en la lumière de Dieu, c'est un miracle, qui ne sera jamais connu aussi grand qu'il est dans sa conduite. Non seulement, Madame