Corrrespondance de Fénelon tomes I à IX



Avertissement



Dominique Tronc, révisions 2020 & 2021 .



Voici l’outil enfin numérisé

Indispensable pour étudier Fénelon vivant avec ses proches. Il livre les textes des lettres, permet les recherches par mot clé des noms et assure une consultation aisée des notices remarquables et incontournables établies par Orcibal.

Le projet officiel d’établir au moins un index des noms n’ayant pas vu le jour et après avoir tenté d’établir un index manuellement, j’ai ressenti la nécessité d’informatiser les dix-huit volumes établis par I. Noye, J. Orcibal, J. Le Brun. Je peux ainsi rendre compte de l’amitié qui régna entre Guyon et Fénelon  ainsi qu’avec les disciples de « notre mère » et de « notre père ».

Les états du présent fichier (tomes I à IX) et du suivant (tomes X à XVIII) sont satisfaisant même s’ils n’ont pas fait l’objet d’une correction fine pas à pas de l’OCR.

Les photographies des volumes sont disponibles dans ma base de données sur demande.

Les deux tomes se partagent ~5000 pages A4 (~16 megasignes) ...environ 20000 pages au format d’un livre ordinaire demi-A4.

Lettres tomes pairs, Commentaires tomes impairs.



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Je reprend finement le seul début de l’immense entreprise pour couvrir l’époque concernant Madame Guyon avant son embastillement.

En titrant les intitulés de lettres au niveau 4 : la table devient longue ! et est reportée en fin du volume. On note au passage des erreurs qui attendent rectification1. On se reportera aux photos double pages (à l’origine de l’ocr).

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Tome unique pour Fénelon puis tomes des Correspondances par groupes de deux

I sans commentaires

II & IV commentés en III & V

VI & VII commentés en VIII & IX



Table de premier niveau

Table des matières

Corrrespondance de Fénelon tomes I à IX 3

TOME I L'abbé de Fénelon, sa famille, ses débuts 7

Tome II Lettres antérieures à l'épiscopat 1670-1695 181

Tome IV De l'épiscopat à l'exil (4 Février 1695 - 3 Août 1697) 413

Tome III Commentaire du t.II Lettres antérieures à l'épiscopat 563

Tome V Commentaire du t.IV De l'épiscopat à l'exil 891

Tome VI Le procès romain des Maximes des saints (3 Août 1697 - 31 Mai 1698) 1096

Tome VIII La Condamnation des Maximes des saints (3 juin 1698 - 29 Mai 1699) 1402

Tome VII Commentaire du t.VI Le procès romain des Maximes des saints (3 Août 1697 - 31 Mai 1698) 1837

Tome IX Commentaire du t.VIII La Condamnation des Maximes des saints (3 juin 1698 - 29 Mai 1699) 2048

fin 2329



Table des deux premiers niveaux

Niveaux deux utilisé dans le tome I Fénelon soigneusement revu

puis

Niveaux deux pour annoncer des Tables chronologiques de Lettres et

Niveaux trois drapeaux par centaines de lettres ou pour annoncer des Chronologies concernant Fénelon en fin de tome !



Table des matières

Corrrespondance de Fénelon tomes I à IX 3

Avertissement 3

Tome unique Fénelon puis Correspondances par groupes de deux 4

Table de premier niveau 4

Table des deux premiers niveaux 4

TOME I L'abbé de Fénelon, sa famille, ses débuts 7

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE LA FAMILLE DE FÉNELON 15

I LA FAMILLE PATERNELLE DE FENELON 15

II LA MÈRE DE FÉNELON 35 21

APPENDICE LA MAISON DE LA CROPTE 23

III FRANÇOIS II DE SALIGNAC, EVEQUE DE SARLAT 28

IV LE MARQUIS DE FENELON-MAGNAC (1621-1683) 34

V LA MARQUISE DE LAVAL 52

VI LE COMTE FRANÇOIS II DE FENELON (1630-1715) 57

APPENDICE I FRANÇOIS II DE FENELON A L'ABBE DE CHANTERAC (1) 66

APPENDICE II RELATION DE LA CROISADE DE Mr LE COMTE DE FENELON ECRITE PAR CE PIEUX ET BRAVE SEIGNEUR 71

VII FRANCOIS DE FENELON, SULPICIEN (1) 83

DEUXIÈME PARTIE L'ABBÉ DE FÉNELON 89

I PREMIERES ETUDES 89

II FENELON ET SAINT-SULPICE 92

III LES BENEFICES DE FENELON 98

IV A) FENELON SUPERIEUR DES NOUVELLES CATHOLIQUES 101

B) FENELON SUPERIEUR DE LA MADELEINE DU TRESNEL 105

V LE « JANSENISME » DE L'ABBE DE FENELON 106

VI FENELON ET LES PROTESTANTS 110

VII LA NOMINATION DE FENELON AU PRECEPTORAT 123

VIII LES PREMIERES LETTRES DE DIRECTION DE FENELON 128

IX FENELON, MADAME DE MAINTENON ET SAINT-CYR 144

X FENELON VU PAR MADAME GUYON 151

XI LA NOMINATION DE FENELON A CAMBRAI 169

INDEX DES PRINCIPAUX NOMS 172

Début de la correspondance 182

Tome II Lettres antérieures à l'épiscopat 1670-1695 182

1. Au MARQUIS ANTOINE DE FÉNELON (1). 182

100. A Mme DE MAINTENON. 279

200. A BOSSUET. 340

295. A LA COMTESSE DE GRAMONT. 392

TABLE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES 405

Tome IV De l'épiscopat à l'exil (4 Février 1695 - 3 Août 1697) 413

301. A LA MARQUISE DE LAVAL (1). 413

400. A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC. 515

432. A M. TRONSON. 548

TABLE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES 557

Tome III Commentaire du t.II Lettres antérieures à l'épiscopat 563

1. Au MARQUIS DE FÉNELON. 563

100. A Mme DE MAINTENON. 700

200. A BOSSUET. 783

300. A LA COMTESSE DE GRAMONT. 876

Fénelon CHRONOLOGIE 877

877

Tome V Commentaire du t.IV De l'épiscopat à l'exil 891

400. A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC. 1017

432. A M. TRONSON. 1049

Fénelon CHRONOLOGIE 1049

1095

1095

Tome VI Le procès romain des Maximes des saints (3 Août 1697 - 31 Mai 1698) 1096

433. A UN AMI 1096

500. A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC 1294

INDEX DES NOMS 1385

TABLE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES 1396

422 coRRESPONDANCE DE FÉNELON 1397

TABLE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES 423 1397

TABLE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES 425 1399

1402

Tome VIII La Condamnation des Maximes des saints (3 juin 1698 - 29 Mai 1699) 1402

524 B. LE GRAND-DUC DE TOSCANE COSME III A FÉNELON ' 1402

600. Au PAPE INNOCENT XII 1774

INDEX DES NOMS 1809

TABLE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES 1825

Tome VII Commentaire du t.VI Le procès romain des Maximes des saints (3 Août 1697 - 31 Mai 1698) 1837

433. A UN AMI 1839

500. A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC 1972

Tome IX Commentaire du t.VIII La Condamnation des Maximes des saints (3 juin 1698 - 29 Mai 1699) 2048

524 B. COSME III A FÉNELON 2050

600. Au PAPE INNOCENT XII 2237

2329

fin 2329



TOME I L'abbé de Fénelon, sa famille, ses débuts



TOME I

L'abbé de Fénelon, sa famille, ses débuts

Commentaires de Jean ORCIBAL

PARIS

ÉDITIONS KLINCKSIECK

1972

INTRODUCTION

Il y a longtemps qu'on a marqué l'importance de la correspondance de Fénelon. Aux yeux de Brunetière, c'est « l'une des plus curieuses qu'on puisse lire, à bien des égards une des plus instructives, et en tout cas la vraie source où doivent remonter ceux qui ne veulent pas se borner à dire de Fénelon ce que déjà vingt autres ont dit avant eux » (1). G. Lanson a encore renchéri : « Il se pourrait que le chef-d'oeuvre de Fénelon fût sa vaste correspondance. Toutes les variétés de sentiments, toutes les sortes d'esprit y sont : et quelle connaissance de l'homme et du monde, des ressorts par lesquels se manient les coeurs ! Quel exquis ménagement des intérêts légitimes, et quelle délicieuse souplesse pour se couler dans une âme, pour s'établir dans son centre, et pour en régler tous les mouvements ! Quelle irrésistible séduction qui fait l'idéal chrétien aimable et ne l'abaisse pas ! Ces lettres sont l'oeuvre où il faut chercher Fénelon tout entier, comme on cherche Voltaire dans les siennes » (2).

Pour la première fois replacées dans leur ordre chronologique ou même inédites, les quelques centaines de lettres antérieures à la désignation de l'archevêque de Cambrai (4 février 1695) ne contrediront pas, croyons-nous, l'impression globale des grands critiques. Bien qu'elles ne forment qu'une faible partie de son oeuvre épistolaire, elles couvrent en effet la majeure partie de sa vie et la découpent en périodes très variées. Après la longue jeunesse de l'ecclésiastique obscur qu'elles ne nous font guère connaître qu'en relation avec le terroir natal, viennent les deux missions dans l'Ouest (décembre 1685 - été 1687) où Fénelon, observateur pénétrant de l'âme protestante et politique avisé, a peine à dissiper par une affectation d'intransigeance les soupçons que son irénisme avait fait naître. Cet échec — car c'en est un — contribue à l'éloigner de la controverse 2dont se détourne d'ailleurs l'intérêt public. Aux Nouvelles Catholiques même, dont il restera encore deux ans supérieur, sa présence devient de plus en plus exceptionnelle. La mort de son oncle M. de Sarlat (14T mai 1688) met d'autre part fin aux séjours annuels en Périgord et même aux rapports suivis avec le Midi.

(1) Art. Fénelon, Grande Encyclopédie, t. XVII, p. 174.

(2) Histoire illustrée de la littérature française, t. II, p. 18. Voir sur l'intérêt des lettres de direction, REUTER. Revue luxembourgeoise, t. IV, 3, 1909, p. 90.



En revanche, il commence à jouer pour l'ensemble des questions religieuses le rôle de conseiller de Seignelay qu'il n'avait jusqu'alors eu que sur le plan local. Parallèlement, son activité de directeur augmente jusqu'à éclipser toutes les autres : d'abord limitée aux Beauvillier, elle s'étend aux Chevreuse, puis à tout le groupe des Colbert. La guerre qui a éclaté en septembre 1688 a d'autre part bouleversé l'existence de leurs jeunes parents qui, à l'armée, ont particulièrement besoin de lettres édifiantes : celles que Fénelon a adressées au chevalier Colbert ont heureusement été conservées. C'est alors qu'il donne les instructions reprises dans De la véritable et solide piété, manuel dont, fait curieux, la postérité a presque aussitôt oublié l'existence. La cause en est peut-être dans la rencontre qu'il fit au même moment de Mme Guyon : l'expérience de la mystique enrichit singulièrement sa spiritualité qui était restée un peu livresque.3 L'effet désastreux de cet événement sur son avenir n'apparaîtra pas immédiatement, bien au contraire. Mais c'est un Fénelon transformé qui monte sur la scène de Versailles.

Le 15 août 1689 le clan Colbert, secondé par Madame de Maintenon, fait appeler à la Cour le plus brillant des ecclésiastiques dévots, sachant bien que c'est le désigner pour les plus hautes fonctions, et pas seulement dans I'Eglise. Ces perspectives n'amènent le précepteur des princes à rompre aucun lien et il continue même à se poser en disciple de Bossuet. Nous possédons pour cette période de nombreuses lettres de lui à sa famille (en particulier à sa cousine et à son frère), à de simples compatriotes, aux gens de lettres et ecclésiastiques avec lesquels le met en rapport sa charge de précepteur : Gaignières, Santeul, Mabillon, Lamy. Il rend ou demande des services à ceux qu'il rencontre à la Cour : entre autres la princesse Christine de Salm et l'abbé Dubois. Si les vues politiques sont nombreuses dans le célèbre avertissement à Louis XIV et même dans la correspondance avec le duc de Noailles, c'est à leurs consciences que s'adresse Fénelon. Il faut donc joindre ces pièces aux lettres de direction qui, comme pour les années 1688 et 1689, l'emportent par le nombre et par l'intérêt. Aux Beauvillier (auxquels il n'a guère l'occasion d'écrire), aux Chevreuse, vient, dès 1690 se joindre Seignelay qu'il assiste dans sa dernière maladie. Ses avis à Mme de Gramont se multiplient. Il a peine à se dérober à l'inquiète Mme de La Maisonfort, attirée vers lui par l'enthousiasme que ses conférences au « petit couvent de la Cour » avaient d'abord provoqué chez l'épouse du Roi elle-même. Pendant près de quatre ans, les lettres adressées à Mme de Maintenon renseignent d'ailleurs mieux que toute autre sur la spiritualité de Fénelon. C'est le changement de la marquise qui crée un contraste entre le ton des premières lettres, où la discrétion ne fait que voiler la confiance que donne une faveur cachée, et celui des dernières, écrites par un théologien qu'elle juge suspect. La coupure peut être placée en septembre 1693, moment où Bossuet est chargé de suivre l'affaire. Mais la crise était ouverte dès le 6 février 1692, date à laquelle Mme de Maintenon s'effraie du résultat qu'ont à Saint-Cyr des imprudences dont elle est plus que personne responsable et ce n'est qu'au début de mai 1694 qu'une lettre sévère et imprudente de Fénelon entraînera la rupture. Désormais le précepteur va se livrer à un travail immense pour défendre auprès des examinateurs d'Issy, non seulement l'orthodoxie de Mme Guyon, mais la sienne propre.

La lecture de la correspondance de Fénelon opposera sans doute une fois de plus amis et adversaires, mais ils pourront s'accorder sur l'extraordinaire complexité de sa figure. Nulle part elle ne nous paraît mieux marquée que dans un manuscrit du chancelier Daguesseau : « Jamais homme n'a mieux su réunir en lui des qualités contraires et incompatibles dans tout autre. Simple et délié, ouvert et profond, modeste et ambitieux, sensible et indifférent, capable de tout désirer, capable de tout mépriser, toujours agité, toujours tranquille; ne se mêlant de rien, entrant dans tout; sulpicien, missionnaire même et courtisan; propre à jouer les rôles les plus éclatants, propre à vivre dans l'obscurité; suffisant à tous et se suffisant encore plus à lui-même; génie versatile, qui savait prendre tous les caractères sans perdre jamais le sien, dont le fond était une imagination féconde, gracieuse, et dominante sans faire sentir sa domination » (3). Notre commentaire ne prétend pas dissiper les mystères d'une âme énigmatique : il s'efforce pourtant de permettre d'en mieux poser les problèmes en apportant les documents qui les éclairent. On ira jusqu'à l'homme en partant de l'oeuvre épistolaire, mais la richesse et la variété de celle-ci exigent, selon les époques, des moyens d'approche différents.

L'embarras de l'éditeur n'est jamais plus grand que pour les pièces antérieures à 1686 : Fénelon n'a encore rien publié, il n'est pourvu que d'une charge peu importante, de sorte qu'il échappe à presque tous les yeux. Rien d'étonnant donc que Brunetière ait avoué qu'« on ne connaîtrait enfin presque rien de ses débuts dans le monde si ce n'était par quatre ou cinq lettres dont encore les dates sont incertaines » (4) — ajoutons que pour ses vingt-trois premières années nous n'avons que quelques lignes de lui. On ne suppléera pas à ce silence par les traditions douteuses ou grossièrement erronées qui le mènent de l’«humaniste» Meneschié (en réalité un fermier de Lamothe-Massaut) aux jésuites de Cahors et de là à Saint-Sulpice où éclorait une vocation de missionnaire en Grèce ou même au Canada. Nous n'avons pourtant pas cru pouvoir passer sous silence des années qui comme c'est géné-

(3) Œuvres du chancelier Daguesseau, Paris, 1789, t. VIII, p. 167 n. Nous complétons le texte imprimé par une note au crayon de l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale. Réflexions analogues, mais plus sévères, dans BRUNETIÈRE, Etudes critiques sur l'histoire littéraire, Paris, 1889. t. II, pp. 54-56 et dans LANSON, op. cit.. t. II, pp. 18 sq.

(4) Grande Encyclopédie. art. cit., p. 174.



ralement le cas, donnent la clé de toute une existence. Si les documents directs sur la jeunesse de Fénelon restent rares - les meilleures pistes ne mènent qu'a des portes que nous n'avons pu nous faire ouvrir (5) — il appartenait a une grande famille dont les membres ont, dans des domaines divers, laissé plus de traces que l'on n'avait cru. Ce premier volume commence donc par des monographies sur ses parents, ses oncles, l'évêque et le marquis, ses frères consanguins, le comte François H et le sulpicien. Nous ne nous arrêterons pas aux faits curieux, même pas à la date de la mort prématurée de sa mire, qui bouleverse une perspective psychologique couramment admise, mais nous indiquerons d'un mot ce que ces notices apportent à l'intelligence de son caractère et des traits essentiels de sa vie et de sa pensée.

L'auteur de la lettre anonyme à Louis XIV est d'abord le représentant d'un milieu : « Il avait beaucoup de noblesse et peu de bien », formule officielle que nos enquêtes viennent préciser : divers ducs reconnaissaient les Solignac comme leurs parents, mais les dettes du père de l'archevêque ne furent jamais payées. A la mort de l'ambassadeur Bertrand (1599), la famille était pourtant dans l'opulence et, sauf peut-être François Ier, grand-père de Fénelon, elle ne paraît pas avoir compté de prodigues. Mais elle subit le sort de sa classe, ruinée par le trop grand nombre d'enfants à établir à chaque génération dans des conditions économiques défavorables4. L'avenir n'était pas pour autant fermé au jeune orphelin que soutenaient ses oncles et tuteurs. Il était désigné pour l'épiscopat par le loyalisme monarchique des siens (même pendant la Fronde) et par la mémoire des nombreux prélats de son nom. Le dernier en date, son oncle l'évêque de Sarlat, lui offrait un modèle qui n'était pas méprisable. Lettré, bon prédicateur, il avait relevé bien des ruines et partageait l'idéal austère des grands évêques de la Contre-Réforme française : il avait vécu dans l'intimité de Solminihac et cette rencontre l'avait marqué pour toujours. C'est néanmoins par son autre oncle, le marquis Antoine, que le jeune abbé de Fénelon eut une idée plus directe des Olier et des Vincent de Paul. Officier courageux et susceptible, celui-ci n'avait rien perdu de son caractère entier quand, après sa conversion par le curé de Saint-Sulpice, il se fit l'adversaire acharné des duels. Ses multiples activités dans la Compagnie secrète du Saint-Sacrement avaient inquiété Mazarin et contribué à la dissolution de celle-ci. Ce guerrier, promoteur de la première expédition française à Candie, était aussi très cultivé, et Fénelon connut dans son salon de Saint-Germain-des-Prés des écrivains, des gens d'Eglise et de robe, plus ou moins liés à la Compagnie, en particulier Bossuet. Mais c'est d'une façon plus profonde et aussi plus périlleuse que l'esprit de la Compagnie, en sommeil mais non tuée, reparut dans les démarches du précepteur du

(5) Cf. infra, n. 11.

duc de Bourgogne. Il n'hésitait pas à s'inspirer dans ses lettres à Madame de Maintenon de l'inquiétante formule : « empêcher tout mal, procurer tout bien » (6). Bien plus, la confrérie des Michelins pouvait bien être sortie de l'imagination mystique de Mme Guyon, elle n'en constituait pas moins en pleine Cour de Louis XIV le prolongement des multiples sociétés qui, à partir de la Ligue, s'efforcèrent dans l'ombre de faire triompher la politique du parti dévot. S'il n'avait pas l'envergure du marquis Antoine, le frère aîné de Fénelon, François II, partageait ses tendances et ne craignait pas davantage de se compromettre. Il alla deux fois se battre contre les Turcs et ses souvenirs de Morée (1685) peuvent seuls expliquer la lettre, si mal datée et mal comprise, que Fénelon a écrite le jour de la Saint-Denis. D'autre part, lors de l'affaire de la Régale, il osa défier Louis XIV lui-même en prêchant aussi une « croisade » à l'intérieur « pour les libertés ecclésiastiques ». Sans rapport connu avec Port-Royal, il était étroitement lié avec ceux qu'on considère comme les jansénistes du Midi, en particulier avec l'évêque de Saint-Pons et c'est surtout en raison de cette parenté que les Nouvelles ecclésiastiques des Foucquet exultèrent lors de la nomination du précepteur des princes et de celle de l'archevêque de Cambrai. Mais un épisode du séjour au Canada de son autre frère le sulpicien explique sans doute encore mieux la façon surprenante dont l'ancien confident de Mme de Maintenon se précipita lui-même dans la disgrâce. Administrateur remarquable autant que missionnaire héroïque, cet autre François de Fénelon avait été le conseiller et le collaborateur intime de son parent le gouverneur Frontenac : à la suite d'une indélicatesse de celui-ci, le sulpicien, piqué d'honneur, n'en introduisit pas moins dans un sermon un portrait du bon magistrat, où l'on n'eut pas de peine à reconnaître ce que Frontenac n'était pas (pensons à la figure du « roi selon le coeur de Dieu » dans le Télémaque), geste entièrement gratuit qui lui valut de mourir en exil. Ce don-quichottisme ne semble pas caractéristique de la jeunesse du futur archevêque, sans doute toujours très indépendant à l'égard du « scandaleux » Mgr de Harlay, mais auquel Bossuet put reprocher d'avoir pris, au moment où il était suspect, un jésuite pour confesseur. La correspondance de Mme Guyon ne permet pas de douter que c'est d'elle que cet ecclésiastique trop « précautionneux » a appris à chanter « Heureux les fous » et à s'exposer contre toute raison.5 C'est ce qu'il fit en faveur d'Ellies du Pin et surtout par la lettre anonyme écrite à Louis XIV dans l'exaspération causée par les terribles spectacles qu'il avait sous les yeux. Mais la mystique elle-même fut la grande bénéficiaire de ce sens du point d'honneur qu'elle avait réveillé dans l'atavisme chevaleresque de l'abbé. Alors que celui-ci

(6) Cf. infra, re p., ch. IV, n. 30 et lettre de janvier 1690 à Mir' de Maintenon, dans LANGLOIS, Pages nouvelles, p. 69.

n'était attiré ni par sa personne ni par ses écrits, qu'il souriait volontiers de ses prophéties et qu'on voit à diverses reprises des brouilles prêtes à éclater entre eux, il se perdit par la lettre à Mme de Maintenon de septembre 1696 où il affirmait que la reconnaissance pour celle qui lui avait découvert de nouveaux aspects de la vie spirituelle ne lui permettait pas d'abandonner une « amie » malheureuse (si elle n'avait pas été persécutée, elle aurait sans doute disparu de sa vie)6. Il trouva, pour le même motif, un défenseur à Rome dans le grand féodal qu'était le cardinal de Bouillon. En revanche, il fut abandonné par l'intime de sa famille et de sa jeunesse, l'archevêque de Paris Noailles qu'effrayèrent des risques bien moindres. Aussi Fénelon ne pardonna-t-il jamais au cardinal d'avoir trahi l'idéal de leur caste encore plus que manqué aux devoirs de l'amitié. Et les événements ne lui fournirent que trop l'occasion de dénoncer le « coeur faible et mou » qui permettait à l'approbateur du P. Quesnel d'échapper aux vicissitudes de la politique religieuse du pouvoir, alors que lui-même mourait en exil comme son frère le sulpicien.

On trouvera aussi dans ce premier volume divers chapitres correspondant aux activités variées qui ont occupé la jeunesse de Fénelon. Ce n'est pas notre faute si le silence des documents ne nous a permis d'en offrir qu'un exposé discontinu et incomplet. Les premiers billets de l'abbé à sa cousine Mme de Laval et à Bossuet (on peut y joindre le récit de voyage écrit pour distraire M. de Sarlat de ses maux) ont eux-mêmes un caractère trop littéraire pour ne pas risquer d'induire le biographe en erreur. A côté d'un art indéniable, ces pièces manifestent, même sur des sujets graves, un souci de se montrer plaisant à tout prix, dont le lecteur moderne est étonné, sinon choqué. Il y a une première explication, valable surtout pour les lettres à Bossuet : le désir de cacher son embarras devant un supérieur qui l'intimidait. Fénelon emploie ici le procédé dont il fera plus tard la théorie à son jeune neveu Gabriel-Jacques : « Il y a un petit badinage, léger et mesuré, qui est respectueux et même flatteur, avec un air de liberté; c'est ce qu'il faut tâcher d'attraper » et il répète un peu plus tard : « Avec M. le Duc, il faut un peu d'enjouement respectueux ». Mais la nature de ce « badinage » ou de cet « enjouement » est elle-même précisée par l'histoire du genre épistolaire. Il est trop évident que Fénelon ne doit rien aux belles périodes et à la rhétorique d'un Balzac. Mais sa plume alerte n'a pas davantage la simplicité réaliste de Mme de Sévigné. Dans sa jeunesse Fénelon a profondément subi l'influence du précieux Voiture7. Pour lui non plus la sincérité n'exclut pas le souci d'un public devant qui il pose sans craindre un léger artifice. Il cherche à lui être agréable et ne croit pas pouvoir mieux y réussir qu'en usant d'un tour spirituel qui relève, s'il en est besoin, la petitesse ou la banalité de l'objet. Celle-ci disparaît quand l'imagination, peu soucieuse de mesure, est allée jusqu'à l'hyperbole et que la fantaisie poétique a transfiguré la réalité, quitte à lui céder finalement la place en se moquant de soi-même.

Dans l'intervalle, il a satisfait la curiosité de l'initié qui en sait d'autant plus gré à l'auteur qu'il n'est pas donné à tous de saisir les allusions à une actualité fugitive. Tel est le secret de la séduction de Voiture que les contemporains les plus réputés pour leur bon goût jugeaient le plus grand épistolier de tous les temps. Tel est celui de son rapide oubli quand on n'a plus été capable de saisir les intentions qu'il cache derrière chaque mot ni même de soupçonner l'existence de ces intentions (7). Il en est allé de même pour les premières lettres de Fénelon, surtout pour celle où il se représente marchant sur les traces de saint Paul et de saint Jean. De même que Tallemant des Réaux avait jugé nécessaire d'écrire un ample commentaire de Voiture, il faudrait, pour apprécier justement chacune des lettres de Fénelon une documentation très poussée sur son état d'esprit et celui de son correspondant, sur les événements et le milieu à la date où il écrivait.

On dira que l'influence de Voiture sur Fénelon s'estompe vite, et, à partir des missions de l'Ouest, son style dépouillé ne révèle que la volonté de donner au correspondant le plus possible d'informations et d'agir sur ses décisions. Mais, si la forme perd de son importance, & est désormais le fond qui interdit une lecture rapide. Michelet y a vu un trait d'époque : « C'est le siècle des réticences. Même dans les lettres intimes, on trouve un étonnant excès de prudence ». Aussi exigent-elles « l'attention la plus forte, la plus fine interprétation. Chaque mot doit être pesé d'après la date de la lettre et les faits qui se passaient alors ». Nul écrivain du temps ne justifie mieux ce jugement que Fénelon dont les phrases concises, lourdes d'intentions, trahissent l'horreur du vague, mais aussi un caractère compliqué, calculateur et secret. C'est ainsi que la correspondance de Saintonge et d'Aunis forcera à examiner la situation locale, l'évolution internationale, les hésitations et les vicissitudes de la politique royale et surtout le heurt de deux conceptions de la Contre-Réforme après la Révocation. On devine qu'il n'y a pas moins de sous-entendus dans les pièces sorties à Versailles de la plume du confident de Mme de Maintenon qui est peut-être déjà l'auteur du Télémaque. Les lettres de direction posent un problème un peu particulier, mais, si elles échappent à la banalité pieuse, c'est par ce qu'elles apprennent sur la psychologie du destinataire et sur celle de Fénelon lui-même à un moment précis.

Enfin, en raison de l'absence totale des millésimes, l'établissement de la date, clé du texte, ne peut souvent lui-même que couronner l'enquête érudite. Nous ne prétendons pourtant pas que toutes nos annotations, et

(7) Vallant en donne quelques exemples, en particulier les allusions à la science de M. de Pisani qui était en réalité « ignorantissime » et la lettre « hyperbolique » adressée à Balzac en parodiant son style, ce dont Balzac ne s'aperçut que dix ans plus tard (cf. E. MAGNE, Voiture et l'hôtel de Rambouillet, Paris, 1930, pp. 289 sq.).

surtout nos notices biographiques, se bornent à répondre directement aux questions posées par les lettres que nous publions. La science est oeuvre collective et l'étendue même de notre dette à l'égard des admirables éditions des Grands Ecrivains, celles de Boislisle et d'Urbain-Levesque en particulier, nous laisse espérer qu'on nous pardonnera d'avoir à notre tour pensé aux chercheurs qui viendront après nous. Tel détail qui n'a qu'un rapport éloigné avec la correspondance de Fénelon semblera peut-être capital aux spécialistes d'autres sujets qui n'avaient presque aucune chance d'en avoir directement connaissance (8).

On s'étonnera peut-être inversement de ne pas trouver ici une édition paléographique. Nous avons en effet cru devoir moderniser l'orthographe dans la crainte que la juxtaposition d'originaux et de copies de toutes dates ne donne, selon le mot de M. Roger Pierrot, l'impression d'un « habit d'Arlequin » (9). D'ailleurs, la solution contraire eût infligé à la plupart des lecteurs une gêne certaine pour un bénéfice douteux : l'originalité de Fénelon en la matière semble en effet nulle. Qui s'étonnerait de trouver sous sa plume des i et des u au lieu de j et de y, des pluriels en -ris et non en -nts, des imparfaits en -ois ou oit, des allongements de voyelles par un s devant consonne, des y et des z en place de i et s, des redoublements de consonnes, en particulier celui du t? Nous avons en revanche respecté la graphie des noms propres, les abréviations significatives (par ex. Mad. la P. de), la division en paragraphes et, autant que possible, la ponctuation. Nous avons marqué par des crochets droits les rares corrections qui nous ont paru absolument nécessaires (10).

Il nous est agréable de remercier ici une partie de ceux dont la générosité a rendu possibles nos recherches (11). Les gardiens de collections privées, tout d'abord, et en premier lieu les archivistes de la Compagnie de Saint-Sulpice, où, depuis leur achat par M. Emery (18 brumaire an IX), se trouvent la plupart des pièces confiées par la famille aux premiers éditeurs (12). Bien que leur confrère Gosselin

(8) Voir sur l'utilité d'un commentaire étendu (il est évidemment impossible quand il s'agit de la Correspondance de Voltaire) les pénétrantes remarques de M. Lloyd J. Austin dans Les éditions de correspondances. Colloque (avril 1968), Paris, 1969,

pp. 55 sq.

(9) Ibid., p. 37, cf. pp. 14, 70 sq., 75.

(10) Ibid., p. 55. Nous avons d'autre part jugé inutile de mettre en question l'authenticité des autographes : le catalogue d'H. Bordier (fait à l'occasion de l'affaire Vrain-Lucas) ne signale en effet que deux lettres à Santeul et trois à l'abbé Dubois, toutes fabriquées à partir de textes déjà connus. Il en va peut-être de même d'un reçu de Fénelon pour ses frais de mission dans l'Ouest. Cf. H. BORDIER et E. MABILLE, Une fabrique de faux autographes, Paris, 1870.

(11 ) La liste qui suit est loin d'être exhaustive, mais, nous l'avons dit en 1968 (Colloque, pp. 72 sq. ), certaines portes nous sont restées fermées.

(12) Voir surtout l'édition du Télémaque par A. Cahen, Paris, 1920, t. I, p. LXXVIII.

en ait déjà tiré sous la Restauration la meilleure des éditions de Fénelon, le regretté M. Jean Carreyre et M. Irénée Noye ont, depuis vingt ans, mis à notre disposition, avec une complaisance inaltérable, tous les documents utiles à notre travail. Nous sommes aussi reconnaissant à M. le chanoine Bastit, vicaire général honoraire de Cahors, qui nous a ouvert les archives de l'Evêché où est conservé le précieux fonds Alain de Soiminihac.

Au pays de Fénelon, M. Agelasto, compatriote de Télémaque et restaurateur du château de Sainte-Mondane, nous a communiqué avec la plus extrême obligeance les autographes qu'il a su en peu de temps y réunir. Particulièrement important pour l'étude de la famille de l'écrivain, l'ancien chartrier des Fénelon, actuellement conservé au château d'Aiguevive (à Cénac et Saint-Julien), nous a été libéralement ouvert par Mme la comtesse de Maleville. M. Viers, de Lamothe-Fénelon, nous a généreusement signalé un document capital trouvé par lui dans les archives de la famille Du Pouget. Le docteur P. G. Linon a donné connaissance de documents en sa possession sur les Fénelon, seigneurs de Boisse (commune de Castelnau-Montratier, Lot). Pour une période postérieure, M. le duc de Mouchy nous a très obligeamment communiqué des autographes de sa collection adressés au duc de Noailles. Un érudit cambrésien, M. René Faille, des historiens périgourdins, MM. Jean Valette, Jean Secret et le chanoine G. Briquet, nous ont également aidé de façons diverses. Enfin, M. Jacques Le Brun nous a permis de transcrire une copie ancienne de lettres spirituelles de Fénelon.

Notre premier tome doit beaucoup aux archives notariales. C'est donc avec empressement que nous remercions les archivistes du Minutier Central parisien et les notaires qui nous ont permis d'y consulter de nombreuses pièces. En province, notre gratitude va particulièrement à Me Chausserie-Laprée, notaire honoraire à Magnac-Laval et à son successeur Me Giboin, à W Valmary, notaire à Castelnau-Montratier, et à Mme Laurent qui a bien voulu faire des recherches dans les minutes anciennes de son mari, notaire à Saint-Julien-de-Lampon.

Les dépôts publics nous ont aussi été largement ouverts. Nous tenons particulièrement à nommer la direction du département des autographes de la Pierpont Morgan Library, MM. Marcel Thomas, Roger Pierrot et Jean Bruno, conservateurs à la Bibliothèque Nationale, M. Monicat et M. Mahieu aux Archives Nationales, MM. N. Becquart, Decanter, Pietresson de Saint-Aubin, Prat et M. Delafosse, respectivement directeurs des Archives Départementales de la Dordogne, de la Haute-Vienne, du Nord, du Lot et de la Charente-Maritime.

Il nous aurait été impossible d'entreprendre ce travail si, sur l'initiative de notre regretté maître Mario Roques et de M. Jean Pommier, grâce à l'appui de M. René Lebègue et de divers rapporteurs, le Centre National de la Recherche scientifique ne nous avait accordé un concours qui a permis à MM. Pierre Flament, Irénée Noye et Paul Poupard de nous apporter successivement une collaboration indispensable. Bien qu'il ait dû prendre pour cela sur le temps de ses vacances, M. René Toujas, directeur du Service de Documentation de la Préfecture de la Haute-Garonne, a bien voulu se charger de toutes les recherches à faire dans les départements du Lot, de la Haute-Vienne, du Tarn-et-Garonne et de la Haute-Garonne, ainsi que de la plus grande partie de celles qu'appelaient les divers fonds périgourdins. Nous sommes ainsi redevable à son concours désintéressé de la plupart des documents mis en oeuvre dans la première partie de notre tome I.

Nous devons enfin dire toute notre gratitude à M. G. Corlieu, secrétaire général de la Caisse Nationale des Lettres, qui a bien voulu se charger de trouver un éditeur et lui donner généreusement les moyens de s'engager dans une entreprise de longue haleine et d'une audace quelque peu anachronique. Nous lui associons les membres de la commission de la Caisse Nationale des Lettres.

SIGLES

Archives départementales de la Dordogne. (Et de même pour tout autre département.)

Archives nationales.

Archives de Saint-Sulpice, fonds Fénelon (sauf si un autre fonds est spécifié : fonds Tronson, etc.).

Correspondance de M. Louis Tronson. Lettres choisies, annotées et publiées par L. Bertrand, Paris, 1904, 3 vol.

Bibliothèque municipale. Bibliothèque nationale.

Mémoires de Saint-Simon, par A. de Boislisle, Paris, 1879-1930, 43 vol.

Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze (Brive).

Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et historiques du Lot.

Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord.

Bulletin de la Société des Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis.

Société de l'Histoire du Protestantisme français. Bulletin historique et littéraire.

Journal du marquis de Dangeau, ...avec les additions inédites du duc de Saint-Simon, Paris, 1854-1860, 19 vol.

A. Delplanque, Fénelon et la doctrine de l'amour pur d'après sa correspondance avec ses principaux amis, Lille, 1907, 2 vol.

A. D. Dordogne

A. N.

A. S. S.

B. M.

B. N

BOISLISLE

Bull. Corrèze Bull. Lot

Bull. Périgord Bull. Saintonge Bull. S. H. Prot. DANGEAU

Doc. Histoire Documents d'histoire, recueil trimestriel, Paris, 1910-1912, 3 vol.

DUTOIT Lettres chrétiennes et spirituelles (de Mme Guyon),

nouvelle édition enrichie de la correspondance secrète de M. de Fénelon avec l'auteur (publiée par J.-Ph. Dutoit-Mambrini), Londres-Lyon), 1767-1768, 5 vol.

FURETIÈRE A. Furetière, Dictionnaire universel, 2e édition, La Haye-Rotterdam, 1702, 2 vol.

HILLENAAR H. Hillenaar, Fénelon et les jésuites, La Haye, 1967.

LACHAT Œuvres complètes de Bossuet publiées par F. Lachat, Paris, 1862-1866, 31 vol.

LALANNE Correspondance de Bussy-Rabutin, Paris, 1859, 6 vol.

LANGLOIS Mme de Maintenon, Lettres publiées par Marcel Langlois, t. II-V seuls parus, Paris, 1935-1939.

LANGLOIS, Fénelon, Pages nouvelles pour servir à l'étude Pages nouvelles. des origines du quiétisme avant 1694, publiées par Marcel Langlois, Paris, 1934.

LEDIEU Les dernières années de Bossuet. Journal de

Ledieu. Nouvelle édition par Ch. Urbain et E. Levesque, Bruges, 1928, 2 vol.

MASSON Maurice Masson, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907.

M. C. Archives nationales, Minutier central.

MONMERQUÉ Lettres de Mme de Sévigné, de sa famille et de ses amis, éd. par Monmerqué, Paris, 1862-1866, 14 vol.

O. F. CEuvres complètes de Fénelon, Paris-Lille, 1848-

1852, 10 vol. (par les soins de MM. Gosselin et Caron).

PÉROUAS L. Pérouas, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724, sociologie et pastorale, Paris, 1964.

PHÉLIPEAUX Relation de l'origine, du progrès et de la condamnation du Quiétisme répandu en France, S. 1., 1732 [par Phélipeaux]. Nous citons l'édition

Rev. Hist. litt. Fr. in-8'; l'édition in-12, de la même date, a le même texte en pagination différente.

SONNOIS Revue d'Histoire littéraire de la France.

SOURCHES Fénelon, Réponse inédite à Bossuet, éd. par Mgr Sonnois, Paris, 1901.

URBAIN-LEVESQUE Mémoires du marquis de Sourches sur le règne de Louis XIV, publiées par le comte de Cosnac et Edouard Pontai, Paris, 1882-1893, 13 vol.

Correspondance de Bossuet. Nouvelle édition par Ch. Urbain et E. Levesque, Paris, 1909-1925, 15 vol.

Quand elles ne sont pas indiquées comme inédites ou comme publiées postérieurement, les lettres de cette édition se trouvaient déjà dans l'édition Gosselin (O. F.). Nous ne signalons les différences entre son texte et le manuscrit que lorsqu'elles correspondent à une difficulté réelle.



PREMIÈRE PARTIE LA FAMILLE DE FÉNELON

avec la collaboration de René TOUJAS

CHAPITRE PREMIER 

I LA FAMILLE PATERNELLE DE FENELON

Il n'est pas question d'évoquer ici l'antiquité de la maison des Solignac (en 1710 l'archevêque de Cambrai la jugeait attestée dès le commencement du XIIIe siècle, sinon au Xe (1), ni de passer en revue les trente-trois portraits d' « illustres » (2) (archevêques, évêques, ambassadeurs, gouverneurs de province, chambellans et sénéchaux) que l'enfant avait en 1663 sous les yeux) La Mothe-Fénelon (3). Pour l'intelligence de sa correspondance (4), il suffira de remonter à son grand-père François II . Né en l580, celui-ci perdit en 1588 son père Jean III, tué à trente ans devant Domine, et épousa le 12 mars 1599 une autre orpheline, Marie de Bonneval, fille unique d'Horace, tut en 1587, et de Marguerite Ile Neuville, dame de µµ MtlgIllke., morte en 1580. Ils eurent au moins douze enfants, dont sept filles, et passèrent d'une situation de fortune qui paraissait brillante lors de leur mariage à des dettes écrasantes elles sidevaient VII 1641 à 41 730 livres pour le mari et n 9 5,15 pour la femme (5) (lui avait le 21 juin 1.640 obtenu la séparation des biens (6). Ayant ri‘glé sa succession d'une façon curieuse (7), François Ier mourut il Orléans il la fin de I ( ).

(1 ) Cf. sa lettre à Clairambault du 15 juillet 1710,

(2 ) Cf. l'inventaire cité infra, n. 52.

(3 ) Fénelon lui-inêtne écrivait h, 6 juillet 1.694 it son frère : 4( NO11,4

eu dans notre famille plusieurs gouverneurs de province, des chambella de

rois, des alliances avec les premières (liaisons de nos provinces, un chevalier di, l'ordre du Saint-Esprit, des ambassades dans les principales cours et presque tous les emplois de guerre que les gens de condition avaient autrefois n.

(4 ) D'ailleurs une généalogie détaillée des Solignac-ih'(414,1.n a été dressée per P.-Louis LAÎNÉ, Archives généalogiques et historiques de la noblesse de Frimes. Recucil de preuves, mémoires et notices généalogiques, t, IX, Paris, 1844, et le docteur Charles LAPON l'a résumée et enrichie dans il il article facilement accessible

du. Bulletin de la société historique et archéologique du IY•rigord, t. XVIII., 1951,

pp. 159-196. On trouvera en outre dans le présent volume et dans l'annotation de la correspondance des notices sur les principaux inembres de la famille de Fénelon.

(5) Ch. LAPON, art. cit., pp. 160-164.

(6) Cf. infra, jr, p., eh. VI, App. I, n. 12.

(7) Cf. infra, n. 39.

(S) C'est du moins le 13 décembre 1644 que son fils François If en mentionne la nouvelle dans un acte qu'il fit signifier ii M. de Lauransy-Monbrun (archives d'Aiguevive).



24 LA FAMILLE DE FÉNELON LA FAMILLE PATERNELLE 25

Retirée à Magnac, Marie de Bonneval le suivit dans la tombe le 21 juin 1658 (9).

Deux de leurs fils, l'évêque de Sarlat et le marquis Antoine, tuteurs du futur archevêque, seront étudiés à part. On aura à cette occasion à mentionner les deux aînés morts jeunes dont ils reçurent respectivement les héritages : François obtint le prieuré de Carennac qu'avait Louis, mort en 1630, et Antoine la compagnie de Claude, tué en 1638 (10).

Bien qu'il fût l'aîné, Pons, né en 1601, reste beaucoup moins bien connu que ses frères plus brillants (11). Il avait pourtant épousé le 21 février 1629 la fille du maréchal d'Aubeterre, Isabelle d'Esparbès Lussan (12). Il en eut :

François II, né le 19 janvier 1630, baptisé le 2 mars 1630 (13);

Henri qui fut le 22 mars 1631 tenu sur les fonts à Aubeterre par Henri, comte de Bourdeille, et par une soeur de sa mère, Marie de Sainte-Maure, comtesse de Jonzac. Il aurait commencé des études à Toulouse, mais se noya vers 1646 dans la Dordogne au port de Saint-Julien (14);

Léon, né le 20 juin 1632, présenté au baptême le 19 octobre 1632 par Léon de Sainte-Maure, comte de Jonzac, sr de Monat (qui sera désigné le 15 août 1668 dans le contrat de mariage de la fille de François II comme marquis d'Anzillac, lieutenant-général de la province d'Angoumois et de Saintonge) et par Marguerite de La Châtre, dame de Bourdeille. Page de la chambre du Roi, sous M. de Mortemart, Léon mourut en 1649 à Saint-Germain-en-Laye où se trouvait la Cour (15);

(9) Registres paroissiaux de Magnac. Elle avait, dans des actes passés au château les 4 juillet 1656 et 26 juin 1657, représenté son fils Antoine qui s'acquitta à son tour le 24 janvier 1660 à Carennac de divers legs stipulés dans son testament.

(10) Cf. infra, I" p., ch. III, n. 3 et ch. IV, n. 1.

(11) Il porta successivement les titres de chevalier, de baron et de comte (AD. Gironde, 9 J. 114, pp. 317 sq.).

(12) Le mariage fut célébré à l'église des cordeliers d'Aubeterre sur un contrat du 20 (Registres paroissiaux). Leur arrière-petit-fils soulignera en 1737 que, si la famille comptait quinze chevaliers de Malte, Aubeterre était la seconde terre d'Angoumois et valait e autant de milliers de livres de revenu que le boisseau de blé valait de sols » (A.N., M. 538, n" 6, p. 3). La mariée reçut en dot le domaine de La Serre (Bulletin Périgord, t. 81, p. 41). Si Pons et sa femme semblent avoir continué à résider à Aubeterre, même lorsque la peste (1629-1634) eut cessé à Sarlat (ibid.. t. 27, 1900, pp. 285 sq., 369 ), c'est sans doute en raison du confort beaucoup plus grand qu'ils trouvaient sur les bords de la Dronne (cf. Armand YoN, François de Salignac-Fénelon, sulpicien dans les Cahiers des dix, no 33. 1968, pp. 129-131).

(13) A. D. Gironde, 9 J. 114, p. 318.

(14) Reg. par. — Ms. fr. 22252, f. 142 — il aurait eu à sa mort environ quinze ans (YoN, p. 138).

(15) Mêmes sources. Il serait resté trois ans à Saint-Germain (YoN, p. 138).

Naquirent ensuite :

vers 1634 Marie qui épousa par contrat du 23 février 1653 Henri de Beaumont, sr de Gibaud (16) et reçut en dot la terre de Mont-

malenan1617);

1641 Françoise-Paule qui fut supérieure des soeurs de Notre-Dame de Sarlat. Elle mourut le 12 mai 1723.

Etaient nés avant 1638 (ils étaient majeurs à la mort de leur père) :

François, le futur sulpicien, qualifié en 1663 de puîné (18), et Angèle-Hippolyte qui épousa le 17 février 1665 Jean de Beaulieu, sr de La Filolie. Veuve en 1690 ou en 1692, elle vécut jusqu'en 1733 (19).

Enfin Henri-Joseph. Mentionné pour 6 000 livres dans le testament de son père le 22 août 1660, il semble encore avoir été mineur à cette date. Il porta le titre de sieur de Meyrac (20).

Isabelle d'Esparbès fit son testament le 20 novembre 1646 et fut enterrée à l'église des récollets de Sarlat (21). Le veuf ne tarda pas à se remarier et il eut encore quatre ou cinq enfants (22).

Pons de Fénelon semble avoir fait une carrière militaire assez honorable. Il suivit, au sortir de l'Académie, Louis XIII dans le Midi et participa en qualité de volontaire aux sièges de Montauban et

(16) D'après YON (p. 137 n.), elle était née en 1635. Voir sur la famille de Beaumont-Gibaud les Archives historiques de Saintonge et d'Aunis, t. XIII, 1876, pp. 435 sq. et les propos du chevalier de Méré (Revue d'histoire littéraire de la France, 1922, p. 223, n.).

(17) Après la mort d'Isabelle d'Esparbès, son frère le marquis d'Aubeterre céda le 12 mai 1647 pour 72 000 livres à Pons la terre de Montmalan (acte dressé par le notaire Tacher) qui servit le 23 février 1653 de dot à rainée des filles de l'acquéreur, ce qui fait qu'une note « de jurisconsultes établie en 1654 à la demande du fils aîné » de celui-ci juge fâcheuse l'acquisition de cette seigneurie hypothéquée par les créanciers et que, d'ailleurs, Pons a dû compter en 1653 deux mille écus de moins qu'il ne l'avait payée (la consultation se trouve dans les archives d'Aiguevive).

(18) Cf. infra, I" p., ch. VII.

(19) SAINT-SAUD, Rôle des bans et arrière-bans, Bordeaux, 1930, p. 289, et Nouveaux essais de généalogie périgourdine, Paris, 1942, pp. 166 sq. — Bull. Périgord, 1951, p. 176 — A. D. Dordogne, 2 E. 1004 (1-21) et infra, lettre du 19 mars 1689, n. 1.

(20) Bulletin trimestriel des anciens élèves de Saint-Sulpice, 1905 — A. D. Gironde, 9 J. 114, p. 317 — Bull. Périgord, 1905, p. 174. Cf. sur lui infra, lettre 2, n. 4.

D'après YON (p. 138 ), Pons eut encore de son premier mariage un enfant mort en bas âge, Louis.

(21) On trouve aux archives d'Aiguevive une mention de ce testament et le contrat concernant sa sépulture fut reçu par le notaire Lagrange le 16 février 1647 (A. D. Gironde, 9 J. 114, p. 318). Laîné se trompe donc en la faisant mourir dès 1645.

(22) Cf. infra, I' p., ch. II.



26 LA FAMILLE DE FÉNELON

de La Rochelle (23). S'il quitta le service une fois marié, la Fronde des Princes lui donna l'occasion d'affirmer un loyalisme que peut expliquer le grade élevé de son beau-frère Saint-Abre dans les troupes de la Cour (24). Celle-ci jugea qu'il pouvait lui être utile, lorsque, le 1 r janvier 1653, Sarlat fut tombée aux mains des rebelles (25). On expédia donc le 28 du même mois à Pons des lettres de satisfaction signées de Louis XIV (26) qu'accompagnaient le 29 une exemption de contribution pour ses terres et l'envoi d'une garnison « pour demeurer sous les ordres du comte de Lamothe-Fénelon » (27). Précaution inutile, car la garnison frondeuse exaspéra vite les Sarladais et un de ses officiers, Faujan, major du régiment de Marchin, fit parvenir à Candale les conditions qu'il mettait à sa trahison (28). La péripétie finale eut lieu dans la nuit du 23 au 24 mars 1653. Le châtelain de SainteMondane n'attendit pas la fin de l'action pour écrire à Saint-Abre, alors à Paris (29)

« Monsieur mon très cher frère, M. de Sarlat et moi avons négocié si heureusement avec les officiers du régiment de Marchin que ce matin à la pointe du jour ils ont ouvert une porte de la ville de Sarlat aux gens du Roi qui, sur l'avis de cette intelligence, étaient venus à Domme. Les gens du Roi y étant entrés se sont mis à crier : « Vive le Roi et Candale ! » et ensuite : « Vive le bourgeois ! ». Ceux de Marchin ont d'abord tous pris parti (30). Le régiment Danguin (31), qui n'était pas si fort, a voulu faire quelque résistance, il n'y en a eu pourtant que douze ou quinze de tués, et tous les autres ont été faits

(23) Ms. fr. 22252, f. 139.

(24) Cf. infra, lettre du 13 juillet 1674, n. 3.

(25) Assiégée dès le 25 décembre, la ville fut prise le 1" janvier 1653 par Marchin et occupée par Chavagnac (Bull. Périgord, 1910, p. 58 et 1951, pp. 169 sq.).

(26) u S. M. ayant été informée des services qu'il [Pons] lui a rendus dans ces derniers mouvements et de l'attention qu'il a eue de maintenir son voisinage dans la fidélité et l'obéissance qui lui est due, Elle lui a écrit cette lettre pour lui en témoigner sa satisfaction » (B. N., f. Périgord, t. 164, f. 31 — A. N., MM. 7391, pp. 15 sq. et M. 538, n° 98).

(27) « Considérant l'importance de son château de Fénelon, par son assiette et la proximité de la ville de Sarlat, surprise depuis peu de jours par les factieux, elle mande à son cousin le duc de Candale d'envoyer dans le château tel nombre de gens de guerre qu'il jugera à propos pour sa garde et préservation, et de pourvoir à la subsistance de cette garnison » (ibid. ). Le château reçut effectivement une garnison de quarante hommes (A. N., M. 7391, p. 16).

(28) Candale accepta ces conditions et Faujan changea de camp pour la troisième fois (Mémoires de Balthazar, éd. Ch. BARRY, Paris, 1876, pp. 97 sq., cf. Bull. Périgord, 1910, p. 218).

(29) L'adresse porte : M. de Saint-Abre, maréchal de camp aux armées du Roi, aux Vieux-Augustins à Paris (ibid., p. 228).

(30) Prendre parti, « s'enrôler, se mettre au service d'un général » (Furetière); se dit particulièrement des prisonniers de guerre qui changent de camp.

(31) D'Enghien.



LA FAMILLE PATERNELLE 27

prisonniers. M. et Mm" de Chavaniac sont cachés; on ne les a pas trouvés encore; on est après à les chercher et je ne crois pas qu'ils puissent échapper. J'ai envoyé vers ceux qui commandent les années du Roi maintenant à Sarlat pour leur conseiller d'attaquer le bourg de Castelnau où étaient encore les canons hier au soir, et qui ne peut être incommodé du château, guère qu'à coups de pierre, outre que le dit château n'est rempli que de beaucoup de crocandalie (32) que le sieur de Meyriniac, intendant de M. de Castelnau, y a fait entrer, et est très mal pourvu de toutes choses, de sorte que, si je suis cru, le château et les trois canons qui battaient Sarlat seront bientôt au Roi et je m'en vais offrir pour cela à ceux qui commandent les armées du Roi à Sarlat cinq cents hommes; j'offre bien davantage, car si ces troupes qui ont pris Sarlat et M. de Giscars qui commande à Souliac me veulent faire l'honneur de m'obéir, je réponds sur ma tête de la prise du château de Castelnau et des canons, c'est ce que je leur ai envoyé proposer. S'ils me prennent au mot, je donnerai au moins cinq cents hommes. Je testimonie que je ne suis serviteur impuissant ni inutile, et j'ai cru que vous ne seriez pas marri que je vous rendisse compte de toutes ces choses; je suis aussi assuré que vous ferez valoir comme il faut ce que je fais, et vous en supplie, et de m'honorer tous les jours de votre amitié, Monsieur mon très cher frère. Votre très obéissant serviteur, La Mothe-Fénelon, à Fénelon, ce 24 mars 1653. L'on vient me dire que Chavaniac et sa femme sont pris » (33).

Ce récit ne paraît pas exempt de gasconnade, étant donné que celui de la Gazette de France attribuera aux bourgeois, et en particulier au consul Saint-Clar, tout le mérite de la libération de la ville, réduction qui sonna le glas de la Fronde en Périgord : mais Candale lui-même ne reconnut leur rôle que le e avril (34). On a l'impression que Pons de Fénelon se soucie moins d'être complet ou même exact que

(32) Crocandalie, croquants.

(33) Lettre publiée pour la première fois par G. de Gérard dans le Bull. Périgord, 1910, pp. 227 sq.

(34) G. de Gérard (pp. 219 sq.) s'étonne que Pons de Fénelon ignore que les canons de Castelnau avaient été repris le 19 mars par les habitants de Montagnac. En réalité, c'est lui qui a été induit en erreur par la Gazette. Cette artillerie était de nouveau passée au parti des princes, comme en fait foi une lettre du Roi au duc de La Force du 3 avril 1653. Castelnau résista encore plusieurs semaines, et ce n'est que le 6 juin 1653 que Louis XIV put donner l'ordre de remettre les trois canons à Candale (G. J. de COSNAC, Souvenirs du règne de Louis XIV, Paris, 1878, t. VI, pp. 338-340; cf. aussi les Mémoires de Balthazar, pp. 96, 99 ). Il est en revanche curieux que Pons n'ait pas su que « celui qui commandait les armées du Roi maintenant à Sarlat » était Michel du Bourget, sieur de Marin, et qu'il ne disposait que de trois cents hommes (G. de GÉRARD, pp. 226, 229 sq.). Voir sur la Fronde au château de Beauséjour le Bull. Périgord, 1876, p. 80 et 1884, p. 252.



28 LA FAMILLE DE FÉNELON LA FAMILLE PATERNELLE 29

de permettre à son beau-frère de « faire valoir » ses services avant que d'autres renseignements ne fussent parvenus à Paris : sur ce point il réussit, puisque Candale n'envoya de nouvelles à Mazarin que le 27 mars. De fait, une récompense fut accordée, mais ce fut à l'intermédiaire : Saint-Abre reçut le 12 avril 1653 l'important gouvernement de Salces (35). Quant à Pons de Fénelon, dont le château avait désormais perdu son intérêt stratégique, il dut se contenter d'une nouvelle lettre du Roi à Candale l'exemptant le 10 juillet 1653 du logement des troupes (36). Néanmoins ce n'est pas sans quelque fondement que ses descendants purent croire qu' « il avait arrêté les progrès des rebelles dans le Périgord qui en avaient occupé la plus grande partie, y employant sa personne et sa maison avec assez de succès pour mériter que le Roi » ait « semblé le regarder comme le premier de ses serviteurs dans cette province » (37).

Personne ne pouvait d'ailleurs reprocher à Pons de n'avoir pas aggravé par des campagnes coûteuses une situation financière désastreuse (38), d'autant que les partages de 1641 l'avaient certainement lésé en ne lui attribuant que les biens paternels grevés de près de soixante mille livres de dettes (39). Que l'on se fût ou non « servi de faux rapports pour lui nuire auprès de ses parents » (40), ceux-ci le sacrifièrent, en dépit du droit aux substitutions qui lui revenait en tant qu'aîné (41), au jeune Antoine jugé beaucoup plus capable

(35) Ibid., p. 229.

(36) Ibid., cf. A. N., A E II 1771, pp. 15-16.

(37) Ms. français 22 252, f. 139.

(38) C'est peut-être aussi pour cette raison que « le seigneur de la Mothe-Fénelon » avait « défailli » aux Etats du Périgord de 1651 (A. D. Dordogne, ms. 66).

(39) Cf. infra, I" p., ch. VI, App. I, notes 11 sq.

(40) L'intéressé « le disait fort », mais son fils précisait : mon oncle » (ibid.).

(41) Ce n'est pas sans artifice qu'Antoine essayait le 27 février 1662 de démontrer que Pons avait « eu pour récompense des deux tiers de Magnac qu'il prétendait par son contrat de mariage et la coutume :

1° 72 000 lb. touchés par Bertrand et François ter sur les biens maternels soit 12 000 lb. comme dot, 30 000 de la vente du quart de Bonneval et de Blanchefort (1599), 30 000 de la vente de Salignac (1608);

2° 25 000 lb. de la vente d'une partie de la terre de Neufville par François Jr; 3° 17 000 lb. de la vente par Pons de ce qui restait de cette terre;

4° les 15 478 lb. qu'il a retirées de la maison d'Urfé pour le remplacement d'autres aliénations du bien maternel de Mal' de Fénelon que l'aïeule de M. l'évêque de Limoges d'à présent, sa tante, avait fait;

5° Les dites 15 000 livres sur la terre de Magnac;

6° La jouissance entière de la terre de La Mothe, d'un aussi grand revenu que Magnac : Mme de Fénelon aurait pu en jouir quatorze ans à titre de douaire;

7° Enfin les intérêts des quatre premières sommes dont Pons a commencé à jouir dès les premiers jours du contrat de 1641 » (Archives d'Aiguevive, supplique du 27 février 1682).

d'illustrer la famille. Ce n'est pas que toutes les opérations réalisées par l'héritier de Sainte-Mondane aient été malheureuses. Il régla le 17 novembre 1644 avec François de Bourzoles de Caumont de Carlux les problèmes créés par une modification du cours de la Dordogne et un échange de 1650 avec Jean de Vassal de la Tourette lui permit de récupérer les fiefs que Vassal possédait dans la seigneurie de Fénelon. Un expert juge même qu'il fit, en 1650 également, « une bien bonne affaire » en obtenant par échange de Pierre Roques de Gourdon le fief de Rouffilliac sis dans la seigneurie de Fénelon,

« considérable par son étendue et sa rente » (42). Dans les procès qui lui étaient communs avec son frère, pour les terres de Salignac et de Blanchefort par exemple, il laissa agir le marquis Antoine, mais celui-ci reprocha à Pons d'avoir contribué à la perte de la seconde

« par la délivrance qu'il fit de gaîté de coeur d'un acte particulier secret » qui « déchargeait » le 12 juillet 1641 l'un des co-partageants

« de la garantie qui pourrait être due pour raison de la transaction passée entre leur père et Henri de Bonneval » (43). Antoine se flattait au contraire d'avoir « par arrêt du 21 juin 1653 de la 3e chambre des enquêtes de Paris... fait recevoir ledit M. Pons à rendre son affirmation en province devant le juge de Gourdon en présence de ses créanciers » : car, ajoute sévèrement le marquis, Pons « aurait plutôt tout laissé perdre que d'aller à Paris, ni fournir pas un sol pour faire les poursuites » (44). Il n'est donc pas étonnant que l'aîné de la famille ait procédé, surtout de 1654 à 1656, à « beaucoup d'aliénations, tant de bien-fonds que de rentes, des deux seigneuries de la Mothe et de Fénelon ou Sainte-Mondane » (ces mutations entraînèrent même en 1658 un renouvellement du terrier de La

En réalité les sommes visées dans les deux premiers articles avaient été dépensées par le père de Pons

et il n'avait non plus jamais touché celles des- 4* et 5` articles; le marquis s'était contenté de lui faire signer les 13 juin, 4 juillet 1660 et 26 juillet 1663 les décomptes de ses avances (en particulier dans les procès contre les Bonneval).

(42) A. N., M. 538, n° 9 (p. 33), 47 bis et 48. Il n'est pas sans intérêt de connaître les limites de la seigneurie de Fénelon qui s'étend sur « deux lieues de long de la Dordogne depuis l'église de Mareuil jusqu'à l'extrémité du fief de Manobre ». Large de trois quarts de lieue, elle confine aux paroisses de Mareuil, Mesclat (en Quercy), Fayolle et Veyrignac. Sauf sur les bords de la Dordogne (au Nord), il s'agit d'un mauvais terrain (M. 538, n° 9, pp. 63 sq., 66). Nous connaissons aussi la « transaction de 1652 entre Louis de Lavaur, héritier de Jean son frère, et M° Barth. Dupuy, juge de Brivezac et de Lostanges, au sujet d'un procès entre François de Salignac, baron de La Mothe Fénelon, dame Marie de Bonnexfal, ledit Jean de Lavaur et Marie de Salignac sa femme » (A. D. Corrèze, E. 569, Montet ).

(43) Arrêt du 12 mars 1671, s. f. (A. D. Haute-Vienne, 3 G 295).

(44) Archives d'Aiguevive, supplique à M. des Coutures, infra, I" p., ch. VI, App. I. n. 36).

« ceci ne tombe pas sur



30 LA FAMILLE DE FÉNELON

LA FAMILLE PATERNELLE 31

Mothe) (45), ni qu'il ait vendu 8 500 livres une partie de la terre de Loubert à François Barbarin, sieur de Chambes et de La Plana (4o).

De telles ventes lésaient son fils aîné François H en tant qu'héritier appelé à la substitution par le testament de l'ambassadeur Bertrand de Salignac. Pons avait beau lui représenter qu'il restait possible de revenir sur des cessions indûment consenties par François rr, en particulier sur celle de Salvagnac-en-Rouergue (47), et que lui-même avait pris la précaution d'assigner l'acquéreur, M. de Lauransy-Monbrun, président de la Cour des Aides de Cahors dès le 13 décembre 1644 (48) : en l'absence de toute liquidité, ce n'étaient en effet là que chimères, et François II se trouvait en outre mécontent de la façon dont Pons avait disposé de l'héritage d'I. de Lussan. De Manot où il se trouvait, il fit donc assigner son père en 1653. Après consultation de gens de loi, tous deux s'accordèrent pourtant le 2 décembre 1654 pour conclure une transaction. Mais Pons ne se tint pas aux termes de celle-ci, se pourvut en 1660 au Parlement de Guyenne et il fit à son tour assigner François II en son château de Péricard qui lui venait de sa femme (49). Nous ignorons quelle valeur le vieux gen-

(45) A. N., M. 538, n° 9, p. 76. La même pièce indique qu'en 1680 François II en racheta une partie.

(46) Bull. Périgord, 1951, p. 168.

(47) e Les moyens que je crois avoir pour rentrer dans Salvagnac : 1° feu mon père qui a vendu Salvagnac m'avait donné par son contrat de mariage la moitié de tous ses biens avec la moitié des charges. La vente n'a été faite que longtemps après son mariage, et, peu d'années après sa mort, je fis assigner M. de Monbrun à Toulouse, où l'affaire est. 11 y a assez longtemps, après la mort de mon père, je fis faire inventaire de ses biens par autorité de justice. La substitution de la maison a été ouverte en ma faveur. Vous êtes appelé à la substitution qui est assez grande et, mon père s'en étant chargé et en étant responsable, on peut prendre sur son bien vendu ce qui se trouve à dire de ladite substitution. De plus, mon père, avant la vente de Salvagnac, avait reçu comptant de 1 000 livres du bien de feue ma mère, lequel elle m'a cédé moyennant Magnat que j'ai quitté à mes frères et, ne trouvant point dans le bien de mon père de quoi payer les sommes de ma mère reçues par mon père qui est le vendeur, ce qu'il reste et se trouve à dire de la substitution et la moitié des biens que feu mon père avait, qui en a vendu la majeure part. Je peux m'en prendre sur Salvagnac qu'il a vendu avec plusieurs autres terres, et cela d'autant plus qu'il y a dans la vente de ladite terre lésion de la moitié du juste prix. Voilà les raisons dont je puis me souvenir présentement. et peut-être qu'avec le temps en y songeant on en pourra trouver d'autres.

Ma femme vous baise les mains. Le petit Pona se porte très bien, Dieu merci. Mon fils. Votre très bon père. Lamothe-Fénelon.

A Fénelon, ce 29 janvier 1660 » (Archives d'Aiguevive).

(48) L'acte portait que, « ne voulant point accepter l'hérédité du défunt, il désirait faire faire inventaire » (cf. supra, n. 8 ). Une lettre de Fénelon à l'abbé de Langeron du 20 juillet 1700 rappelle que Pons avait aussi « commencé un procès » dans des conditions analogues au sujet de la terre de Salignac qu'il prétendait n'être passée par les femmes aux Gontaut-Biron, puis à M. d'Arros, qu'en violation d'un « pacte mutuel s de 1460.

(49) Archives d'Aiguevive.

tilhomme attribuait au testament qu'il passa le 22 août 1660 deus la maison de M. de Gérard, sieur de Latour (50). Quoi qu'il en soit, Pons mourut le 7 mars 1663 et fut enterré le 13 aux Récollets de Sarlat selon son rang, son frère ayant officié pontificalement et l'oraison funèbre ayant été prononcée par un jésuite, le P. Roatin (51). Mais aussitôt son fils aîné fit vendre son cheval et dresser un inventaire qui, à côté de quelques traces de la magnificence passée (une tapisserie d'Aubusson), souligne la détresse de la famille (52). On ne s'étonnera donc pas que François II n'ait pas voulu se charger des dettes de son père, en faisant valoir que celui-ci avait été lésé dans le partage de la succession de ses parents, et qu'en outre il lui « était encore dû les intérêts de la légitime de sa seconde femme, de quoi il n'a jamais rien touché » : il croyait trouver dans ces deux chefs « assez de moyens pour satisfaire les créanciers de son père » (53). Aussi le titre d'héritier revint-il au futur archevêque : mais ses tuteurs refusèrent la succession (54). En revanche les dettes faites pendant le second mariage de Pons ne furent jamais payées et c'est à peine si, cinquante ans plus tard, François II pensera, dans son propre testament, à ceux qui lui avaient alors vendu du blé (55). La ruine rapide des Fénelon, surchargés d'enfants, de dettes et de procès, au cours des soixante premières années du XVIIe siècle, illustre celle de la moyenne noblesse provinciale : l'auteur de la lettre anonyme à Louis XIV et des Tables de Chaulnes s'en souviendra toute sa vie.

(50) Il y léguait 6 000 livres à chacun de ses cinq derniers fils : Henri-Joseph (cf. supra, n. 20 ), François-Martial, François-Armand, Louis et celui dont sa femme était alors enceinte de second Henri-Joseph). Conservée aux archives de Gérard, cette pièce nous est connue par l'analyse de SAINT-SAUD, Généalogies périgourdines. 1903 (A. D. Gironde, 9 J. 114, pp. 317 et 319).

(51) Registres paroissiaux de Notre-Dame de Sarlat. Du point de vue religieux, nous savons seulement que Pons fut admis le 14 février 1659 aux Pénitents bleus de Sarlat et que ceux-ci lui firent chanter le 26 avril 1663 un nouveau service funèbre (Registre 1624-1722).

(52) Cf. sur son inventaire après décès, E. de MALEVILLE, dans Annales de la Société d'agriculture de la Dordogne, t. XXX, 1869, pp. 449 sq., t. XXXII, 1871, pp. 115 sq. ainsi que Ed. CHARTON, Le Magasin pittoresque, t. XXXVIII, 1870, pp. 68-70 et L.-A. BERGOUNIOUX, Bull. de la Société des Et. du Lot, 1941, p. 109.

(53) Cf. infra, I" p., ch. VI, n. 24.

(54) L'archevêque écrira le 20 juillet 1700 à Langeron : u Mon père m'a fait son héritier par son testament, je n'ai jamais pris de lettres de bénéfice ». L'exploit des chanoines de Limoges de 1665 parle pourtant du « fils aîné desdits mineurs qui est l'héritier » de feu Pons (cf. infra, P° p., ch. II, n. 15 ), ce qui semblerait désigner François-Martial. Quoi qu'il en soit, le précepteur des princes assurait le 26 octobre 1690 à sa cousine Mme de Laval intéressée à la liquidation : e Cette succession m'est insupportable. Je la ruine en la gardant et je fais tort à tous ceux à qui elle doit s. Sur ses divers actes de partage avec son frère François II, cf. infra, P° p., ch. VI, n. 9.

(55) Cf. infra, ibid., n. 38.



34 LA FAMILLE DE FÉNELON

II LA MÈRE DE FÉNELON 35

[oubli de la première page]



bleus de Sarlat en 1659 (mais le registre lui attribue un obit de 1710!); François-Armand, le futur archevêque, désigné en 1660 comme le « chevalier de Fénelon »;

Louis, qui vivait encore le 22 août 1660;

et Henri-Joseph dont sa mère était enceinte à la même date (9). De fait, cc n'est qu'en 1686 qu'il put prendre possession de la terre de Beauséjour en qualité d'héritier légitimaire de Louise de La Cropte (10). Laîné se trompe donc en plaçant sa naissance vers 1653.

A ces quatre garçons, la généalogie imprimée joint une fille, Louise, dont on ne sait rien.

Selon une tradition liée à un document figuré, le futur archevêque, encore en bas-âge, échappa à une maladie assez grave pour que sa mère offrît, à la suite d'un voeu, un petit tableau peint à l'huile à la Vierge de Rocamadour : cette oeuvre « naïve et maladroite » d' « un artiste local » représente « le bébé raide comme une poupée dans son berceau cerclé de bois... entre sa mère agenouillée qui ressemble à Anne d'Autriche et son père qui fait songer à un Mazarin moins pointu et plus jovial » (11). Admis aux Pénitents bleus le 14 février 1659, le jeune François se vit, comme ses quatre frères mineurs, attribuer un legs de six mille livres par le testament que son père passa le 22 août 1660 dans la maison de M. de Gérard, sieur de Latour (12). Mais l'importance des dettes était telle que Pons désigna ensuite paradoxalement l'enfant comme héritier; lorsqu'il fut mort le 13 mars 1663, on eut soin de ne pas prendre de lettres de bénéfice (13). Selon la coutume, la veuve se retira au second des châteaux de son mari, Lamothe-Massaut, à deux

(9) Testament de Pons de Fénelon du 22 août 1660 (A.D. Gironde, 9 J. 114, pp. 317 sqq.).

(10) A.D. Dordogne, B. 395 et 2 E. 982 (6). De plus, dans l'acte du 9 novembre 1684 par lequel il renonce à la succession paternelle, le futur archevêque doit encore

« se faire fort de m" Henri-Joseph de Salagnac, chevalier de Fénelon », et promettre de lui faire ratifier l'acte « incontinent après qu'il aura atteint l'âge de majorité à peine n (notaires Clersin et Royer, A.N., M.C., Etude VI, liasse 581).

(11) L'ex-voto est conservé dans la chapelle de Rocamadour. On en trouvera la reproduction dans le Bulletin de la société des études du Lot, 1951, fasc. 4, Supplément, pp. 6-9. Cf. Jean SECRET, Au pays de Fénelon, Périgueux, 1939, p. 14, ainsi que Bull. Périgord, t. XI, 1884, p. 255 — BARRA, Bull. du Lot, t. XXXIV, 1899,

p. 216 — Ernest RUPIN, Rocamadour. Etudes artistiques et archéologiques, Paris, 1904,

p. 201. Nous croyons que cette tradition n'a pas de fondement plus solide que l'affirmation sans preuve d'A.B. Caillou : e On y voit encore quelques mauvais tableaux... en particulier un dessin représentant Mule de Fénelon offrant à Dieu son jeune enfant, d'abord dans l'âge le plus tendre et dans son berceau, et puis plus tard quand » il était « déjà docteur... L'on croit avoir encore son tableau dans le petit vestibule qui communique de la chapelle Notre-Dame à celle de Saint-Sauveur où les chanoines célèbrent leurs offices s (Histoire critique et religieuse de N.-D. de Rocamadour, Paris, 1834, p. 27).

(12) Conservé dans les archives de Gérard, l'original nous est resté inaccessible : mais cf. A.D. Gironde, 9 J.114, p. 319.

(13) Cf. supra, ch. I, notes 54 sqq.

heures de marche de Sainte-Mondane. C'est là que le chapitre de Limoges, en procès avec le défunt au sujet de la terre de Salignac en Limousin, la fit assigner les 9 juillet 1665 et 24 février 1666 avec ses fils « et nommément le fils aîné desdits mineurs qui est l'héritier » de son père (14). On a cru jusqu'ici que la veuve de Pons de Fénelon avait laissé le 4 juillet 1691 par testament trois mille livres au chapitre de Rocamadour. En réalité la fondation fut faite par Julie de Salagnac, marquise de Meilhars, soeur de la femme de son frère Jean de la Cropte (15). L'arrêt du Conseil privé du 12 mai 1671 qui renvoie au Parlement de Toulouse François II de Fénelon, le marquis de Magnac et « le vicomte de Fénelon, fils du second lit de Pons et son héritier substitué » ne fait déjà aucune mention de la mère (16) : on ne s'étonnera donc plus du silence de la lettre du 13 juillet 1674 où la mort de son oncle maternel donne au jeune clerc l'occasion de parler de sa famille. En tout cas, celui-ci passa le 10 février 1677 à Sarlat une procuration pour une créance à recouvrer « en conséquence de la donation faite à la défunte dame Louise de la Cropte et aux siens par feue d"' Yzabeau de Bideran, tant de son chef que comme héritière de feue d"e Anne de Bideran sa soeur » (17). M. de Cambrai abandonna à son frère cadet Henri-Joseph le reste de la succession de sa mère (18), dont nous devons donc placer la mort entre 1666 et 1671.

(14) Les deux exploits signifiés à La Mothe ne mentionnent qu'un fils du second lit, mais le mémoire des chanoines précise « qu'on a fait appeler ses enfants mineurs au procès et qui sont du second lit, et nommément le fils aîné desdits mineurs qui est son héritier. Il faut savoir s'ils ont comparu séparément ou conjointement..., si leur mère prend qualité de tutrice » (A. D. Haute-Vienne, 3 G. 295 ). Le 15 avril 1663, son beau-fils François II l'avait fait assigner « en son nom propre et comme tutrice naturelle de ses enfants » (cf. infra, Ir° p., ch. VI, notes 7-9).

(15) Ca' de BAUSSET — A. B. CAILLAU, Annales de la société d'agriculture de la Dordogne, t. XLI, 1880, p. 698 — RUPIN, p. 202 — J. SECRET, p. 19 — J. Th. LAVRAL, Notre-Dame de Rocamadour, 4° éd., Paris, s.d., p. 226. Cf. infra, App., n. 16.

(16) A. N., Va 578 — A. D. Haute-Vienne, 3 G. 295.

(17) M. Viers, de la Mothe-Fénelon, a retrouvé en 1963 dans les archives du baron du Pouget (château de la Fonnaute à Cazoulès, Lot) une quittance du 11 mars 1677 signée par Charles Menissier (cf. sur lui, infra, II° p., chap. I, n. 14 ), muni de la procuration en question : elle donne reçu à Joseph de Bideran, seigneur de Mareuil, de la somme de 650 lb. « pour tous les droits, soit au principal ou intérêts, qui pouvaient être dus audit abbé et à son frère » Henri-Joseph. Un acte du même notaire Pebeyre ateste que, le 3 juin 1679, J. de Bideran fit un versement complémentaire de 500 livres. Nous tenons à remercier M. Viers d'avoir bien voulu, par l'intermédiaire de M.R. Toujas, nous communiquer ces précieuses pièces. Sur les rapports très anciens entre les Fénelon et les Bideran de Mareuil, cf. Bull. Périgord, t. LXXXI, 1954, pp. 119 sq. et surtout A. N., M. 538, n° 9, p. 40 : il en ressort qu'un du Pouget de Bideran renouvela en 1658 l'hommage à Pons de Fénelon pour Mareuil, partie de Bideran renouvela en 1658 l'hommage à Pons de Fénelon pour Mareuil, partie de la seigneurie de Lamothe (cf. aussi B. N., I. Périgord, ms. 16, 11". 303 sq.).

(18) Par un acte du 4 mai 1695, l'archevêque nommé de Cambrai lui cédait tous ses droits sur la succession de sa mère et sur celles d'Antoinette de Jousserand et de



36 LA FAMILLE DE FÉNELON

François de Saint-Abre (notaires François Lange et de Troyes, M. C., Et. XCII, liasse 290 ). Mais Henri-Joseph n'avait pas attendu cette cession pour, a incontinent la mort » en janvier 1686 de François de La Cropte, sr de Beauséjour, se mettre a en possession du château dudit Beauséjour et de ce qui en était les dépendances comme héritier légitimairc de Louise de La Cropte sa mère », tout en a renonçant à la succession dudit seigneur de Beauséjour son oncle ». Peu avant le 22 août 1709, il consulta un avocat de Bordeaux sur la possibilité de « rentrer dans tous les biens aliénés tant par Antoinette de Jousserand que par » son oncle (A. D. Dordogne,

2 E 982 (6)). C'est sans doute en 1686 qu'il emprunta 18 000 livres à sa tante Hippolyte-Angèle de La Filolie (ibid., B. 395, notaire Mailliat de Périgueux contrôlé le 24 novembre 1700 ). Henri-Joseph afferma Beauséjour à Lalande, puis au gendre de celui-ci Labonne de Lagrave. Il entreprit en 1708 d'importantes réparations au château (Bull. Périgord, t. XI, 1884, p. 257 ). Le domaine était évalué le 17 septembre 1739 à 60.000 livres.



APPENDICE LA MAISON DE LA CROPTE

La généalogie nous en est connue grâce aux preuves présentées en 1783 par le marquis de Bourzac (1) et à diverses notices imprimées, en particulier celle de l'Armorial général d'Hozier (2), et surtout celle de Lespine dans le Nobiliaire universel de France de Viton de Saint-Allais (3) qui a été suivie par Borel d'Hauterive dans l'Annuaire de la noblesse de France (4). La famille a son berceau au bourg de La Cropte en Périgord. On la fait remonter jusqu'à 1144. En tout cas, la filiation en paraît établie depuis 1271 et Bertrand III de La Cropte fut évêque de Sarlat de 1416 à 1446. Du mariage d'Hugues de La Cropte avec Marie Vigier, dame de Chanterac (1457) sortirent les branches de Bourzac, de Saint-Abre et de Chantérac-Beauvais.

Outre leur commune ascendance lointaine, les Bourzac et les Chantérac avaient une alliance récente. Jean-Pierre de La Cropte, Sr du Mas de Montet, de Chassaignes etc. (qui vivait encore le 15 mai 1660) était en effet devenu seigneur de Bourzac le 14 mai 1639 par son mariage avec Isabeau Jaubert de Saint-Gelais, fille de François, sr de Seurin et d'Allemans, et de Suzanne Raymond, fille de Jean Raymond, sr de Vandoires et de Bourzac (5). Leur petit-fils François-Isaac, comte de Bourzac, né vers 1651, mourut à Vandoires en 1738 après avoir servi d'intermédiaire entre Malebranche et son cousin Armand Jaubert du Lau, marquis d'Allemans, né le 8 mars 1651, fils d'Isaac et de Gabrielle Jaubert de Saint-Gelais (6). Dans la branche de Chantérac, Louis-Joseph de La Cropte avait de son côté épousé le 4 octobre 1627 Marthe Raymond (7), soeur de Suzanne. C'est ce qui explique que Jean-Pierre de La Cropte, sr de Bourzac, ait signé le 15 août 1668 en qualité de

(1) B. N., Nouveau d'Hozier, s. v. et f. Périgord, t. 130.

(2) Ed. Didot, Registre I, lr« partie, p. 167.

(3) Paris, 1817, t. XI, pp. 74-82.

(4) T. XIII, 1856, pp. 195 sqq.

(5) A.D. Dordogne, B. 2217, f. 85. — B. N., f. Périgord, t. 16, f. 10 v° et t. 74, p. 148.

(6) D'HozIER, Armorial, reg. I, i' p., p. 167. — URBAIN-LEVESQUE, t. III, pp. 365, 367.

(7) Cf. infra, n. 31, et t. III, lettre du 8 (?) novembre 1687, n. 2.



38 LA FAMILLE DE FÉNELON

cousin germain au mariage de David-François de La Cropte de Chantérac et de la nièce du futur archevêque de Cambrai. Cette indication suffit pour les Bourzac, mais il est nécessaire de suivre depuis le début du XVIIe siècle la généalogie de la branche des Saint-Abre à laquelle appartient la mère de l'archevêque, et celle des Chantérac dont est sorti son ami et d'ailleurs proche allié.

Branche de Saint-Abre (8)

François III de La Meynardie épousa par contrat du 3 février 1614 Antoinette de Jousserand, dont la famille avait acquis Saint-Abre le 1.r juin 1601, et que sa tante Marguerite Jousserand, veuve de Claude de Candale, dame de Beauséjour, institua par testament du 24 mars 1617 son héritière universelle avec clause de substitution au cas d'interruption de la lignée. Marguerite mourut en 1621. Conformément aux stipulations de son contrat de mariage, Antoinette de Jousserand, qui, déjà veuve le 10 décembre 1643, ne devait mourir que le 23 octobre 1656, donna le 6 mars 1638 la moitié de ses biens à l'aîné de ses sept enfants (9).

1. Celui-ci, François de La Cropte, sieur de Beauséjour, se maria le 10 décembre 1643 avec Bertrande de Noalis, fille de Jean, sieur de La Vallade. Il fit en 1667 ses preuves de noblesse devant le subdélégué de l'intendant Pellot et mourut sans enfants en 1686 (10). Bertrande de Noalis avait été le 30 juillet 1674 marraine d'un fils de son frère (11).

2. Jean II de la Cropte qui suit. Il semble avoir été le puîné, bien que Lespine le croie plus jeune que :

3. François, sieur de La Meynardie, chevalier de Malte en 1631. Il fut commandeur du Cap François (1634), puis du prieuré de Saint-Gilles, mais ne prononça pas ses voeux et serait devenu sénéchal de Périgueux (12). Il épousa en premières noces Marie de Taillefer de Mauriac et, en secondes, le 2 août 1652, Lydie de Caillières, veuve de Jean Jusson du Châtelard. Il n'en eut qu'une fille, Isabeau, qui apporta

(8) Outre les généalogies imprimées, voir la consultation sur la dévolution de Beauséjour, 1702, A. D. Dordogne, 2 E 982 (6 ), le Bull. Périgord, t. VIII, 1881,

p. 290 et t. XI, 1884, p. 256, et, sur le sceau de François III, Ph. de BOSREDON, Sigillographie du Périgord, Périgueux, 1880-1882, p. 74.

(9) SAINT-ALLAIS, t. XI, p. 76 — A. D. Dordogne, Etat-civil de Tocane — Bull. Périgord, t. XI, 1884, pp. 253 sq.

(10 ) Armorial, Reg. I, lrP p., p. 167. On trouve plusieurs actes de

lui dans la collection Dujarric-Descombes (Société historique de Périgueux ). Cf. Ph. de BOSREDON, p. 74, n° 570, et Bull. Périgord, t. XI, 1884, p. 256 — A. D. Dordogne, B 2219 et 3138.

(11 ) A. D. Dordogne, Etat-civil de Tocane.

(12 ) B. N., f. Périgord, t. 16, f. 10 y° et t. 74, p. 148.

LA MAISON DE LA CROPTE 39

La Meynardie à Léon de Saint-Astier du Lieu-Dieu par son contrat de mariage du 16 février 1678 (13).

4. Louise, mariée le 1" octobre 1647 après la mort de son père à Pons de Salignac, en eut l'archevêque de Cambrai et Henri-Joseph qui sera, après la mort de l'aîné de ses oncles, seigneur de Beauséjour (14).

Et trois enfants morts sans alliances :

5. Louis,

6. René de La Cropte, sr du Sauzet, vivait en 1643 et en 1646. et 7. Jeanne (15).

Jean II, sr de Saint-Abre, lieutenant général (cf. sur sa belle carrière et sa mort la lettre du 13 juillet 1674) avait épousé par contrat du 22 décembre 1650 (16) Catherine de Salignac, dame d'Aixe, de Rochefort et de Rochemeaux, fille d'Achille (mort le 19 mai 1649, dont la succession fut réglée en 1666) et de Catherine de Meilhars, mariés en 1621 (17). Achille était fils d'Isaac (marié le 13 janvier 1601 et mort en 1634) (18), lui-même fils de François (marié le 29 juin 1567, il fit son testament le 19 novembre 1585) dont la femme Louise de Sainte-Maure-Montausier fit son testament le 4 septembre 1619. Issue de Raymond et de sa femme Jeanne de Caumont, cette branche des Salignac, la seule qui fût passée à la Réforme, se convertit sous Louis XIII.

Après avoir apporté aux Saint-Abre les terres de la branche de Rochefort, Catherine de Salignac mourut à Aixe le 21 février 1671 (19). Elle avait eu de Jean II de Saint-Abre :

1° N..., comte de Rochefort, reçu page de la grande écurie, tué à la bataille de Sinzheim le 16 juin 1674 (20).

2° Jean-Isaac-François qui suit.

3° Léonard, chevalier, sr de Sérilhac, né le 18 novembre 1666,

lieutenant de vaisseau par brevet du janvier 1703, mort le 11 jan-

vier 1719. Il épousa 1° Jeanne du Reclus, dame de Cibiou, née le 12 février 1665 (qui était sa cousine germaine, s'il s'agit bien d'une fille de François du Reclus du Cibiou qui avait épousé le 23 novem-

(13) Cette date souligne l'erreur de la consultation (A. D. Dordogne, 2 E 982 (6)) qui le fait remarier à Marie de Taillefer : elle fut en réalité dame de La Meynardie.

(14) Bull. Périgord, t. XI, 1884, p. 257.

(15) SAINT-ALLAIS, /OC. Cit.

(16 ) A. D. Dordogne, B. 2223. Jean de la Cropte et sa femme Catherine eurent en 1670-1671 avec leur belle-soeur et soeur Julie de Salagnac (cf. sur elle, supra, ch. II, n. 15) un procès qui alla successivement devant le Parlement de Bordeaux et devant le Conseil privé (cf. les arrêts de celui-ci des 6 mars, 8 mai et 5 juin 1671, A. N., Ve 576, 578, 580).

(17) Ibid., 2 E 1853 (530).

(18) J. NADAUD, Nobiliaire du diocèse et de la généralité de Limoges, Limoges, 1878, t. IV, p. 140.

(19) B. N., f. Périgord, t. 164, pp. 25, 40 — Bull. Périgord, 1951, p. 192.

(20) Cf. infra, lettre du 13 juillet 1674, n. 3.

40 LA FAMILLE DE FÉNELON

bre 1657 Jacqueline-Catherine de Salignac, fille d'Achille de Rochefort et Rochemeaux et de Catherine de Meillars (21) et 2° Renée Dexmier, fille du sr du Roc et du Montet. Il fit souche de la branche de Cibiou, plus tard de Saint-Abre.

4° N..., chevalier de Saint-Abre, lieutenant de vaisseau, chevalier de Saint-Louis le 6 février 1694. Il doit s'agir de François, baptisé « à six ou sept ans » le 30 juillet 1674, filleul de son frère François et de sa tante Bertrande de Noalis, dame de Beauséjour (22).

5° N... de La Cropte, religieuse à Puyberland en Poitou (23).

Jean-Isaac-François de Saint-Abre, Rochefort, Aixe et Rochemeaux, gouverneur de Salces jusqu'en 1719, mort en mars 1727. Saint-Simon a tracé un vivant portrait de ce « vieux libertin... d'esprit et de corps, qui s'était battu plus d'une fois, de bonne compagnie, familier de feu

M. le Duc et des Conti avec qui il alla en Hongrie, intime de M. de La Rochefoucauld le favori et de ses enfants » (24). Il avait épousé en mars 1677 Marie-Anne de La Rochefoucauld-Bayers, fille de Louis-Antoine et d'Anne Garnier, dame de La Bergerie en Saintonge, qui vivait le 10 juin 1686 séparée de son mari. Il en eut :

François IV, comte de Saint-Abre, capitaine de cavalerie au régiment de Duras, cornette des chevau-légers de Bourgogne (17 septembre 1704), puis sous-lieutenant de la compagnie des gendarmes flamands (7 août 1712), blessé à Malplaquet le 11 septembre 1709, mort sans alliance en 1716 (25).

Louise-Marie-Françoise, d" de Rochemeaux, qui épousa le 26 juin 1720 Charles d'Orsay, intendant de Limoges. Il mourut le 14 août 1730, sa femme en 1754. A en croire Dangeau et Saint-Simon (26) son père l'avait avantagée au détriment de ses soeurs plus âgées qui le « faisaient enrager », Françoise et Marie-Louise-Françoise, mortes sans alliance après 1728, la seconde à cinquante-cinq ans le 19 août 1735.

Branche de Chantérac

Charles de La Cropte, chevalier, sieur de Chanteirac et du Puis-Imbert épousa le 29 avril 1600 Isabelle d'Auzanneau dont il eut dix enfants (27):

1. Louis-Joseph qui suit;

2. Charles, écuyer, sieur de La Mauzie;

(21) A. D. Dordogne, Insinuations de Périgueux, B 3211.

(22 ) Gazette de France, février 1694 — A. D. Dordogne, Etat-civil de Saint-Aine.

(23) SAINT-ALLAIS, /OC. Cit.

(24) BoisLisLE, t. XXXVII, pp. 29, 382 sq.

(25) SOURCIIES, t. IX, p. 76, t. X, p. 10, t. XII, p. 65, t. XIII, p. 472.

(26) DANGEAU, t. XVIII, pp. 181 et 209 — BOISLISLE, loc. cit.

(27) D'HozIER, reg. I, l're p., p. 168.

LA MAISON DE LA CROPTE 41

3. Jean, archiprêtre de Chantérac, fondateur de la congrégation des Prêtres de la Mission de Périgueux (28);

4. François-Paul, sieur de Beauvais, épousa Charlotte de Martel, comtesse de Martel, dont il n'eut qu'une fille, Uranie, comtesse de Soissonsl(29

(29);

5. Alain-Jean, sieur de Carles et de Camarzac, qui assista le 15 août 1668 au mariage de son neveu et eut un fils;

6 à 10. Et cinq filles mortes sans alliance : Catherine, Madeleine, Marie, Jeanne et Gallienne, qui testa le 23 septembre 1640 (30).

Louis-Joseph, sieur de Pouquet, épousa le 4 octobre 1627 Marthe de Raymond, fille de Jean de Raymond, sieur de Vandoires et de Bourzac (31). Il fit son testament le 18 mai 1666 (il avait alors trois filles novices chez les clarisses), fut maintenu noble le 29 août 1667 et mourut avant le 15 août 1668 (32). Ils eurent pour enfants :

1.. Charles de La Cropte, sieur de Pouquet, tué à Candie en 1669, mort sans alliance (33);

2. David-François, sieur de Beauvais, Pouquet, Puis-Imbert, maître de camp de cavalerie, maintenu dans sa noblesse le 29 août 1703. Il vivait encore le 22 octobre 1714. Il avait épousé le 15 août 1668 Marie-Anne de Salignac, fille de François II (34), qui mourut avant le 20 novembre 1710. Il reçut à son mariage la moitié des biens de ses père et mère et en particulier la résidence de Pouquet.

Leurs enfants se partagèrent le 26 mars 1714 la succession de leur mère et se mirent le 26 août 1715 d'accord sur celles de leurs père et mère (35);

3. Gabriel, ami et vicaire-général de Fénelon (36);

(28) Cf. infra, i' p., chap. VI, App. I, n. 23.

(29) Cf. infra, lettre du 20 juillet 1694, n. 5.

(30) A. DELPLANQUE, Fénelon et ses amis, Paris, 1910, p. 268. (31 ) Acte passé chez le notaire Gomeau et insinué le 17 décembre 1627 à

Périgueux, A. D. Dordogne, B 2215.

(32) A. D. Dordogne, B 3250.

(33 ) Gazette de France, Extraordinaire, 27 août 1669 — BOREL d'HAUTERIVE, Annuaire de la noblesse de France, t. XIII, 1856, p. 200.

(34) Infra, 1" p., ch. VI, n. 25. La liste des témoins du mariage est donnée par SAINT-ALLAIS, t. XI, pp. 97 sq. Cf. aussi BOREL d'HAUTERIVE, ibid., p. 201.

(35) Cf. SAINT-ALLAIS, t. XI, pp. 97 sq. et Bull. Périgord, t. LXV, 1938, p. 411 et surtout t. LXXVIII, 1951, p. 183.

(36) Né vers 1640, clerc du diocèse de Périgueux, prieur de Pontu, séminariste à Saint-Sulpice du 14 juillet 1662 à 1668 (cf. la Correspondance ms. de M. Tronson, 18 juin 1695, A.S.S., t. VII, pièce 738). Il assista le 15 août 1668 au mariage de son frère David-François avec la nièce de Fénelon. Il était certainement prêtre le 15 octobre 1670 (A. D. Dordogne, 2 E 982, liasse n° 4, sentence du 15 janvier 1687). Bien qu'il n'ait pas acquis de grades à Paris, des pièces d'archives lui donnent le titre de docteur en théologie. B passa les années suivantes (cf. A. D. Dordogne, B 3250) à la Mission de Périgueux, fondée par son oncle Jean (cf. infra, ch. VI, App. I, p. 104). C'est sans



42

LA FAMILLE DE FÉNELON

43

LA MAISON DE LA CROPTE

4. Aime, en faveur de laquelle Gabriel testa le 24 juin 1703;

5. Elisabeth, dame de L'Hôpital. Les 23 et 24 juin 1703. Celle-ci

doute alors qu'il reçut le prieuré de Parcoul. Sa première charge semble avoir été celle de supérieur et recteur du couvent Saint-Joseph des Carmélites déchaussées de Bordeaux. Cette nomination fut approuvée le 8 juin 1675 par le nonce Fabr. Spada. En 1681 il était réélu pour la troisième fois et l'acte était confirmé le 8 avril par les vicaires capitulaires. Il était encore supérieur en 1695 (Correspondance de M. Tronson, éd.

L. BERTRAND, Paris, 1904, t. III, pp. 146 sq., 188, 357 ). Mais, dès 1676, M. de Sarlat souhaitait avoir pour vicaire général le beau-frère de sa petite-nièce. Hésitant l'abbé de Chantérac s'adressait à M. Tronson qui l'encouragea le 19 décembre 1676 à accepter, sans abandonner pour autant les carmélites (ibid., t. III, pp. 186--190 ). Chantérac représenta son évêque aux assemblées provinciales de 1681 et de 1685 (cf. J. VALETTE, p. 325) et fit si bien que Fénelon put écrire le 2 août 1697 au Pape que l'abbé « avait été le principal soutien de son oncle l'évêque » (0.F., t. IX,

p. 184 ). Pendant cette période, il restait en rapports étroits avec M. Tronson. C'est à celui-ci que la prieure de Bordeaux, Marie-Madeleine du Saint-Sacrement, adressait les lettres destinées à Chantérac : le 8 décembre 1680 le sulpicien lui répondait que l'abbé était toujours en bonne santé et qu'il se disposait à retourner bientôt à Bordeaux (Correspondance ms., t. I, lettre 390 ). Le 6 août 1683, Tronson s'adressait à lui pour lui demander de faire entériner dans le diocèse de Périgueux les bulles d'un vicaire de la paroisse (t. I, lettre 702 ). Le 29 octobre suivant, il avait été douloureusement surpris d'apprendre par la M. Marie-Madeleine que Chantérac, « une personne qui nous est bien chère », avait été u à l'extrémité » (t. I, lettre 729 ). Beaucoup plus curieuse, la réponse adressée le 15 décembre 1684 par Tronson à Chantérac, qui venait seulement de mettre fin à un « grand silence », nous révèle les démêlés de celui-ci avec Poncet Cluniac, héritier universel de Jean de La Cropte (cf. infra, p. 104) dont il avait été dès 1646 un des premiers collaborateurs à la Mission de Périgueux. P. Cluniac avait dirigé le séminaire de celle-ci de 1651 à 1665 et succéda à l'oncle de notre abbé comme supérieur de la congrégation de 1665 à 1686 (il fit son testament le 26 octobre 1686 ); il était aussi prédicateur et vicaire de la chapellenie Saint-Antoine à Saint-Front de Périgueux (F. CONTASSOT, La congrégation de la Mission de Périgueux (1646-1791), dactylographié, pp. 9, 13, 18, 36, 60, 95; sur Pierre Cluniac, né à Périgueux en 1606, cf. M. de CERTEAU, Revue d'Asc. et de Myst., 1965, pp. 356, 364, 369). Il avait accusé G. de Chantérac d'être trop « attaché à la philosophie de Descartes » et même incriminé « les ajustements de sa chambre et de son alcôve », allant jusqu'à « porter des plaintes contre lui à Paris et jusqu'au prélat » et à lui faire ôter ses fonctions de visiteur. Chantérac signalait par rétorsion que la « conduite » de son adversaire « à l'égard de sa communauté était fort extraordinaire ». Le supérieur de Saint-Sulpice avait « peine à le croire » et il s'efforçait visiblement d'empêcher Chantérac « qui n'avait agi que par l'avis de deux prélats » de pousser l'affaire (ibid., t. II, n° 112, pp. 44 sq.). A la charge de vicaire général se joignit la dignité de prévôt du chapitre de Sarlat dont nous le voyons pourvu en 1686, le 19 décembre 1689 et en 1694 (la lettre que Fénelon écrivit le 15 janvier 1694 à Mme de Laval établit qu'il résidait en Périgord) et il n'y eut de successeur qu'en 1695 (Gallia christiana, t. II, c. 1552 — A. D. Dordogne, B 1257 et II C 2384). Néanmoins Godet-Desmarais, qui tenait à s'entourer de « bons ouvriers », le nomma avant le 11 novembre 1690 chanoine de Chartres (M. Tronson l'en félicitait à cette date, cf. Correspondance, éd. BERTRAND, t. III, p. 117 et O. F., t. IX, pp. 172 sq., 193 sqq.). A la fin de 1694, Fénelon lui cédait le prieuré de Carennac et bientôt il l'appelait auprès de lui à Cambrai comme vicaire général. Il y devint archidiacre de Brabant de GLAY, Recherches sur l'église métropolitaine de Cambrai, Paris, 1825, p. 113) et mourut à Périgueux le 20 août 1715. Voir surtout le chapitre que lui a consacré A. DELPLANQUE, Fénelon et l'Amour Pur, Paris, 1907.

et Gabriel se désignèrent mutuellement comme légataires universels (37);

6. Françoise épousa François du Gauchet, écuyer, sieur de Belleville. Elle était veuve le 7 septembre 1696 (38);

7. Gallienne, épouse de Montazès;

8. Jeanne, religieuse au couvent de Fontaines.

Marthe de Raymond eut des procès avec ses fils Gabriel (3 septembre 1683, 15 janvier 1687) et David-François (3 septembre 1683),

jusqu'à ce que sa part de succession eût été réglée par arrêt du 30 juillet 1689. David-François eut aussi à plaider contre sa soeur Françoise de Belleville (6 juin 1696, 7 septembre 1696, 15 avril 1697) pour la succession de leurs père et mère (39).

(37 ) DELPLANQUE, p. 266.

(38 ) Le 15 octobre 1674 elle avait reçu une donation de sa mère (A. D. Dordogne, B 2225).

(39) Ibid., 2 E 982, n0 4.

III FRANÇOIS II DE SALIGNAC, EVEQUE DE SARLAT

Fénelon eut un second tuteur qui favorisa ses débuts dans la carrière ecclésiastique et lui procura, en lui résignant un bénéfice, des ressources qui lui permirent d'attendre jusqu'en 1694 les premières manifestations de la générosité royale : son parrain l'évêque de Sarlat.

Fils de François Ier de Salignac et de Marie de Bonneval, il naquit le 20 mars 1607 (et non en 1605 comme le dit la généalogie de Lainé) à Manot (1). Il pouvait compter sur les faveurs romaines, puisque son frère aîné, Louis, recevait l'abbaye de Carennac dès l'âge de onze ans, Paul V ayant fait valoir dans ses provisions du 24 octobre 1615 la noblesse d'une famille qui comptait divers évêques, son attachement au catholicisme et en particulier le fait que Jean de Gontaut-Biron, fils d'une Salignac (mort en 1610), avait, pendant son ambassade auprès de la Porte, obtenu que la messe fût célébrée publiquement à Constantinople (2). Tonsuré le 10 juin 1619 par son cousin l'évêque de Sarlat, François II devint à son tour doyen de Carennac en 1629 par la démission de Louis qui était aussi archiprêtre de Peyrac et devait d'ailleurs mourir le 29 novembre 1630 (3).

(1) Nous utilisons ici la thèse inédite de l'Ecole des Chartes de M. Jean Valette sur les Evêques de Sarlat (A. D. de la Dordogne) qui tire lui-même profit de la précieuse dissertation de R. de Gaignières sur Les évêques de la maison de Salagnac, B. N., ms. fr. 22 252, ff. 189-198, et surtout 197 v°-198 y° (cf. Bull. Périgord, t. X, 1883, pp. 489-492 ). La date de naissance donnée par Gaignières est confirmée par une déclaration recueillie le 29 juin 1654 par Jean Bose (Aral. d'Aiguevive).

(2) Bull. Périgord, 1951, p. 168 n. Cf. sur l'ambassadeur à Constantinople, BONAVENTURE de S. Amable (Histoire de S. Martial de Limoges, 1684, t. III, p. 54 — H. ROBILLARD d'AVRIGNY, Mémoires chronologiques et dogmatiques, s.l., 1739, t. I, pp. 236 sq. — Théod. de GONTAUT-BIRON, Préface à GONTAUT-BIRON, Ambassade de Turquie, Paris, 1888, pp. LII sq., LXXVI — Paul VILLATTE, Le canton de Salignac de la fin du Moyen Age à la Révolution, Paris, 1935, t. II, pp. 13, 60, 70, 86 sq., 95, 104 sq. — P. DELATTRE, Etablissements des jésuites en France, Paris, 1953, t. II, col. 1377 sq., 1383-1387 — Bibl. de l'Arsenal, Index du catalogue des manuscrits. Sur l'évêque de Sarlat Louis II de Salignac-Gaulejac, cf. A. D. Gironde, 9. J. 225, cf. 31 — Bull. Périgord, 1951, p. 216, et surtout la monographie de J. Valette.

(3) B. N., ms. fr., 22 252, f. 131, et f. Périgord, ms. 164, f. 30. On trouvera aux A. N., M. 537, n. 35, le testament fait le 2 octobre 1630 à Paris par lequel Louis institua François II son légataire universel. Cf. aussi Bull. Périgord, t. LVII, 1940,



Après avoir commencé ses études au collège des jésuites de Rouen où il fut le condisciple d'Hardouin de Péréfixe, il les continua à Paris (évidemment pas à Saint-Sulpice qui n'existait pas encore), reçut le 15 mars 1631 le sous-diaconat des mains de J. F. de Gondi, et devint le 5 septembre 1636 bachelier en droit canon (4). D'après Gaignières, il suivit d'abord la Cour, fut estimé de Richelieu, de Balzac et d'autres beaux esprits. Bon écrivain, il composait des sermons qui valaient des abbayes à ceux qui les débitaient à la Cour (lui-même ne pouvait prêcher à la suite d'un accident). Nommé aumônier du Roi le 26 novembre 1646, il se retira à Carennac, « mais à peine y fut-il arrivé qu'il se fit une petite cour dans son abbaye continuellement visitée de la plus belle noblesse et des gens du monde de toute la province » (Gaignières).

Il appartint de bonne heure à la Compagnie du Saint-Sacrement on trouve sur les boiseries d'une chambre de Carennac un « soleil » ou « monstrance » avec la devise de la Compagnie (5). Il est naturel

p. 140. Carennac (dont dépendait Saint-Céré, A. D. Lot., B. 1164 ) semble être resté le seul bénéfice de François II.

On ne s'étonnera pas qu'il ait eu des démêlés financiers avec les moines qui composaient son chapitre. Nous sommes renseignés d'une façon détaillée sur un de ces procès par un arrêt du Grand Conseil du 28 juillet 1671 (A. N., V5 578).

(4 ) Arch. Vat., Process. Consist., vol. 57, f. 348 y° — A. D. Dordogne, 2 E 120 et 1593, n° 3 — J. MAUBOURGUET, Bull. Périgord, t. LVII, 1940, p. 101. Gaignières a confondu (f. 197) ce baccalauréat avec le doctorat en droit canon que François obtint aussi (Process. Consist., vol. 57, ff. 340 et 349 ), mais à une date inconnue. On notera qu'il était prêtre du diocèse de Limoges (L. BERTRAND, Correspondance de M. Tronson, Paris, 1904, t. III, p. 45, n.). En 1634, l'abbé de Fénelon assistait au château de Magnac l'archevêque de Bourges lors de l'abjuration de G. Foucauld de Saint-Germain Beaupré (J. AULAGNE, La réforme catholique du xvite siècle dans le diocèse de Limoges, Limoges, 1906, p. 621, cf. infra, ch. III, n. 6). C'est lui qui plaça vers 1635 Etienne de Bascle, originaire de Martel (cf. R. FACE, Les Etats de la vicomté de Turenne, Paris, 1894, t. II, pp. 193, 200, 211, 220, 236, 239, 249, 266) auprès d'un « jeune abbé de Platz qui avait l'abbaye de Viaron», dont il était u l'ami intime » et le proche parent (cf. infra, ch. V, n. 38 ) : il s'agit de Louis de PLas, abbé de Vierzon, qui succéda le 17 janvier 1636 à son oncle Jean-Jacques (il mourut en 1675 après avoir, en 1665, établi la réforme mauriste, cf. Gallia Christian, t. II, c. 141, et TOULGOET-TREANNA, Histoire de Vierzon et de l'abbaye S. Pierre, Paris, 1884, pp. 247, 512-515 — Bull. de la Soc. des Lettres de la Corrèze, t. XIX, 1897, pp. 492 sq.). Après avoir accompagné son jeune abbé à Bordeaux et au château d'un a marquis de Fénelon », Bascle revint en octobre 1637 auprès de Saint-Cyran (A. LEMAÎTRE, Vie de Bascle dans Recueil de plusieurs pièces, Utrecht, 1740, pp. 181-183 ). Malgré ses imprécisions, ce récit est d'autant plus vraisemblable que Bernard Bascle, originaire de Martel, signa comme curé de

Carennac du 23 janvier 1642 (Bull. Lot, 1941, p. 153) au octobre 1670 et que

le 10 octobre 1655 François II affermait ses droits sur le prieuré d'Argentat à Bascle, juge de Cazillac (J.-E. BOMBAL, Histoire de la ville d'Argentat, Tulle, 1879,

p. 129 ).

(5) A. N., M. 5372, n. 37 — L. BERTRAND, t. III, p. 45 n. — AULAGNE,

p. 552. Cf. sur la cheminée de Carennac, la Revue de l'Agenais, 1881, pp. 381 sqq.

qu'il ait bien connu Vincent de Paul (6) et qu'il ait été étroitement lié avec Alain de Solminihac (Carennac se trouvait dans le diocèse de Cahors) qui le convoqua en octobre 1649 avec les évêques d'Alet, Pamiers, Sarlat et Périgueux, et leurs vicaires généraux à la célèbre conférence de Mercuès (12-19 octobre 1649) qui posa les principes de la réforme tridentine dans le Sud-Ouest (7). L'estime du prélat éclate dans la lettre qu'il écrivit le 25 mai 1650 pour lui faire obtenir l'évêché de Tulle : « Quand vous verrez M. l'abbé Olier, je vous prie de lui demander quelle qualité a M. le doyen de Carennac... et s'il le juge propre d'être évêque, car je n'en ai point en Guyenne qui puisse remplir cet évêché mieux que lui; je vous en ai parlé autrefois. C'est un personnage d'une grande piété et un exemple de vertu dans son diocèse » (8). A en croire Gaignières, Solminihac lui aurait même offert d'être son succeseur à Cahors, mais « il ne put venir à bout de son humilité. Il trouva » pourtant le moyen, en prenant pour coadjuteur Nicolas de Sevin, évêque de Sarlat, de faire accepter l'évêché de Sarlat à François II : cinq membres de sa famille s'étaient d'ailleurs déjà succédé sur ce siège (9). Evêque nommé, Mgr de Fénelon entra à Saint-Sulpice le 1" janvier 1659. C'était évidemment une retraite épiscopale (10) qui

(6 ) Voir la lettre de Fénelon à Clément XI du 20 avril 1706.

(7) Voir E. SoL, Le vénérable Alain de Solminihac, Cahors, 1928, et P. BROUTIN, La réforme pastorale en France au xvie siècle, Paris, 1956, t. I, pp. 54-71, 145. Lire sur les conférences de Mercuès, L. CHASTENET, Vie de Mgr Alain de Solminihac, Saint-Brieuc, 1817, p. 298 — E. SoL, p. 145 — P. BROUTIN, t. I, pp. 69-71 J. VALETTE, La conférence de Mercuès dans Annales du Midi, 1957, pp. 71-79. M. R. Toujas prépare l'édition d'un manuscrit nouveau.

(8 ) E. SoL, Lettres et documents, Alain de Solminihac, Cahors, 1930, p. 411. Sa lettre du 16 avril 1651 à Vincent de Paul montre que le doyen de Carennac servait d'ailleurs d'intermédiaire entre M. Olier et lui (ibid., p. 456). Mais, l'abbé l'ayant prié de voter pour l'abbé de Beaujeu, l'évêque répondait le 21 octobre 1654 qu'il « ne s'engageait jamais en semblables occurrences qu'au temps de la députation » (ibid., p. 574 ).

(9) Ms. latin 17 028, ff. 135, 276. Cf. Bull. Périgord, t. X, 1883, pp. 489-492. M. René Toujas vient de montrer que les longs efforts de Solminihac pour obtenir un coadjuteur (1651-1656 ) eurent en réalité des mobiles beaucoup plus compliqués et, d'ailleurs, en partie restés mystérieux (Actes du XXI` Congrès de la Fédération des sociétés académiques et savantes de Languedoc, Toulouse, 1966).

(10) Bulletin trimestriel des anciens élèves de Saint-Sulpice, 1905, p. 36, n° 520'. C'est peut-être cette absence qui amenait Solminihac à écrire le 5 janvier 1659 à Mgr de Sevin : « Je ne crois pas que M. l'abbé de Carennac soit en l'état que vous a dit Mgr de Condom, l'ayant vu diverses fois cet été et dans un temps bien rude en une parfaite santé et n'ayant point su que depuis ce temps il ait été malade... » dettres et documents, p. 617). M. J. Valette fournit à ce sujet des précisions tirées des Archives Vaticanes. Le Pape ayant refusé à Mgr de Sevin de cumuler la charge de coadjuteur de Cahors et l'évêché de Sarlat, celui-ci résigna le 23 juin 1658 ce siège à M. de Carennac moyennant pension et le Roi élevait le 31 octobre 1658 François de Salignac à l'épiscopat, « vu sa capacité, doctrine, intégrité de vie et moeurs, piété et vertu n (Process. Consist., vol. 57, f. 338). En

48 LA FAMILLE DE FÉNELON

dut se terminer le 25 mai, date de son sacre dans l'église des Feuillants de la rue Saint-Honoré par Mgr de Sevin et les évêques de Saintes (Louis de Bassompierre) et de Rodez (Hardouin de Péréfixe). La même année, il se faisait recevoir avec plusieurs membres de sa famille dans la confrérie des Pénitents bleus de Sarlat (11).

Le nouvel évêque n'oubliait pas ce qu'il devait au grand évêque de Cahors. Le 18 septembre 1661, il signait une attestation latine de ses vertus. Bien plus, il donna le 4 septembre 1662 une approbation à la biographie du P. L. Chastenet : « Sa vie était sans doute un miracle continu et nous avons eu souvent l'honneur d'en être un très respectueux témoin ». Ce livre ayant été attaqué dans les milieux théologiques de la capitale, l'auteur envoya son apologie à l'évêque : celui-ci l'assura qu'il était persuadé de la « vérité de sa doctrine » et qu'il était prêt à faire son devoir dans leur «commune cause » (12). H n'avait pas manqué d'écrire à son frère le marquis de Magnac qui joua en la circonstance un rôle décisif. Le 22 février 1670 une lettre du P. Garat, abbé de Chancelade, au P. Chastenet, montre que la congrégation comptait sur son intervention en sa faveur à l'assemblée provinciale qui allait se tenir à Bordeaux. Mais déjà on attribuait à Solminihac des miracles nombreux. Informé, M. de Sarlat écrivait le 27 juillet 1673 au P. Chastenet : « Je suis fort touché de toutes ces marques de la sainteté d'un prélat que j'ai honoré si particulièrement pendant sa vie » (13). Il n'est donc pas étonnant qu'on l'ait chargé de demander à l'Assemblée du clergé de 1675, à laquelle il était député, son appui en vue de

conséquence, le nonce en France C. Piccolomini ouvrait le 13 janvier 1659 le procès consistorial où témoignèrent Hardouin de Péréfixe, évêque de Rodez, Anne de l'Hospital, comte de Saint-Mesme, lieutenant général, premier écuyer du duc d'Orléans, Abraham Boullegui, chevalier, et Alexandre Le Ragois de Bretonvilliers, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice. C'est au consistoire du 31 mars 1659 que François de Salignac fut nommé évêque de Sarlat (ibid., Acta Camer., vol. 20, f° 74 ). Des clauses annexes confirmaient la pension de 4 000 lb. due à Nicolas de Sevin et autorisaient le nouveau promu à conserver le prieuré-doyenné de Carennac (cf. J. MAUBOURGUET, Bull. Périgord, t. LVII, 1940, p. 101 ). Les bulles furent expédiées le 12 avril 1659 (elles ont été éditées par A. JARRY, ibirl., t. XLI, 1914, p. 290 ). Le 28 mai, le nouvel évêque passait donc procuration en faveur de Gabriel de La Brousse, grand vicaire et official de Sarlat, pour prendre en son nom possession de l'évêché (MAUBOURGUET, p. 101 et Bull. Périgord, 1910, p. 496 ). Voir sur son sacre ms. latin 17 028, f. 135 et A. JARRY, Nos évêques, Périgueux, 1917, pp. 70 sq.

(11) Registres du docteur Chassang consultés par M. Jean Secret. Le 10 septembre 1659, il consacrait aussi le maître-autel de l'église Saint-Maximin de Magnac et il

inaugurait les ostensions au Dorat pour saint Israël et saint Théobald (AULAGNE, p. 621).

(12 ) Archives de l'évêché de Cahors, cartons 22, n° 5 et 20, n° 3, liasse 73. Le vicaire général de La Brousse écrivait le 24 mars 1665 de Sarlat au P. Chastenet : e Il y a un mois, M. de Sarlat s'était proposé de partir pour Paris... Ce fut hier seulement qu'il se détermina à ne partir qu'après la fête » (ibid. ).

(13 ) Evêché de Cahors, carton 21, n° 4 et 20, n° 5, liasse 4.

l'ouverture du procès de canonisation. Il remit à M. de Paris « l'abrégé des événements extraordinaires » composé par le P. Chastenet, mais une indisposition qui le retint une dizaine de jours à Paris l'empêcha d'obtenir complète satisfaction (14). En 1676, se trouvant avec plusieurs membres de sa famille (dont un mystérieux « abbé de Maignac ») au château d'Issigeac, il les édifiait en leur parlant longuement de la vie du « bienheureux père » (15).

Non seulement Monseigneur de Fénelon tint à se consacrer uniquement aux besoins de son diocèse (ils étaient grands et ses moyens réduits) (16), mais il prit, jusque dans le détail, le réformateur de Cahors pour modèle. Il établit vingt-quatre conférences ecclésiastiques et un corps de dix missionnaires diocésains (17). Dès qu'il eut un séminaire, il

(14 ) Paris, 22 septembre 1675, à M. de Cahors (ibid., carton 22, n° 5, liasse 13) Procès-Verbal de l'assemblée générale du clergé de France tenue à Saint-Germain-en-Laye... en 1675, Paris, 1678, pp. 285 sq. M. de Couserans avait déjà eu mission de demander la béatification d'Alain à l'Assemblée de 1670, mais la motion, admise au procès-verbal, ne fut pas discutée (E. SOL, Solminihac, 1928, p. 410 ).

(15 ) Lettre de Marthine au P. Chastenet du 16 juin 1676, Evêché de Cahors, carton 22, n° 5, liasse 13. L'abbé de Maignac mentionné avant « Madame de Fénelon » abbesse, ne devrait-il pas ce nom à la nécessité de distinguer à cette date le sulpicien et le futur achevêque? On s'expliquerait ainsi qu'il n'en soit pas question ailleurs.

(16 ) Créé en 1317, le diocèse n'occupait que douze lieues sur huit : il était séparé du diocèse de Périgueux par le cours de la Vezère de Larche à Limeuil, puis par celui de la Dordogne. Il s'agissait bien d'un des évêchés e les plus crottés de France puisque les sources officielles en évaluent les revenus de douze (J. LE PELETIER, Recueil général de tous les bénéfices de France, Paris, 1690, p. 98) à quinze mille livres (Pouillé royal concernant les bénéfices à la nomination du Roi, Paris, 1648 ). Cf. J. VALETTE, Bull. Périgord, t. 94-95, 1967-1968. Solminihac écrivait le 3 mai 1643 à saint Vincent de Paul de l'évêque J. de Lingendes : « Cependant son diocèse, qui est un des plus perdus de la chrétienté, demeure abandonné ». Bien qu'il fût lui-même disciple de Solminihac, Nicolas de Sevin (16481659 ) ne réussit même pas à fonder un séminaire (Félix CONTASSOT, Annales de la congrégation de la Mission, t. 119-120, 1955, pp. 398, 633 ). François de Salignac eut d'abord à réparer les ruines causées par la Fronde, par une inondation et par un tremblement de terre (A. JEAN, Les évêques et archevêques de France, 16821801, Paris, 1891, pp. 156 sq.). Dans un autre domaine, le Parlement de Bordeaux soutint longtemps les prêtres séculiers auxquels l'évêque refusait le visa (J. VALETTE, thèse inédite, pp. 355-359 ).

(17) Gaignières, ms. fr. 22 252, f. 198. Il envoya aussi chercher en 1662 le célèbre P. Lejeune à Limoges pour lui faire prêcher la station de Sarlat (AULAGNE, p. 199 ). Sur la mission du P. Honoré (18 février 1682 ), cf. J. VALETTE, La continuation de Tarde, Bergerac, 1957, p. 27.

Il est naturel d'attribuer au vicaire général Armand de Gérard-Latour, spécialiste de l'histoire ecclésiastique locale (cf. sur lui infra, lettre du 6 février 1692, n. 1), la rédaction du Propre du diocèse de Sarlat (Paris, 1677 et 1699). Il faut pourtant noter que le « septième cahier » des Nouvelles ecclésiastiques (il semble dater du début de l'été 1677) annonce que « Mgr de Sarlat a fait dresser l'office propre des saints de son église par le savant M. de Sainte-Beuve qui a retranché toutes les fables populaires pour y rétablir la véritable tradition ecclésiastique, car vous



[ oubli des pages 50-51]

On ne s'étonnera pas qu'un membre de la Compagnie du Saint-Sacrement ait cru nécessaire de compléter cette restauration catholique par la lutte contre le protestantisme qui possédait en 1660 dans son diocèse une trentaine de lieux de culte : son zèle obtint la destruction des temples de Montpazier et d'Eymet en 1671, de celui d'Issigeac en 1672 et, cette même année, il fut couronné par « le fameux jugement souverain rendu à Libourne contre les huguenots rebelles par M. Daguesseau, lors intendant de cette province ». En 1685 tous les temples du diocèse étaient démolis et l'évêque organisa des missions pour l'instruction des douze mille « nouveaux convertis » (28).

Il est surtout connu comme un grand bâtisseur et la postérité trouve dans les édifices construits ou embellis par ses soins une image grandiose

de l'Eglise du Grand Siècle. Il s'occupa d'abord du palais épiscopal qui « tombait en ruine » : il en fit de 1661 à 1674 « un des plus commodes

et un des plus beaux de la Guyenne, en traça et fit irriguer le jardin »,

le Plantier, sans toutefois s'adresser, comme le veut la légende, à Le Nôtre (29). Château, terrasses, canaux, c'est aussi le paysage qui, grâce à

ses soins, sortit à partir de 1674 des ruines d'Issigeac, à deux lieues de Bergerac (30). Il remit également en état son château de Temniac, à une lieue de Sarlat (31).

flatteurs la Conduite spirituelle pour les personnes qui veulent entrer en retraite (Paris, Et. Michallet, 1677, petit in-8°, p. âij; exemplaire signalé par M. I. Noye à la Bibliothèque de Saint-Sulpice).

(28 ) Gaignières, ms. fr. 22 252, f. 198 — VALETTE, Continuation de Tarde, pp. 22, 25 sq. : l'annaliste attribue à l'évêque lui-même le mérite de la démolition de treize temples (ibid., p. 33 ). Cf. J. VALETTE, thèse inédite, pp. 383 sqq.

(29) Gaignières, ms. fr. 22 252, f. 198 y°, et surtout la Continuation de Tarde : « L'an 1661, il fit faire la porte de l'évêché du côté de la maîtrise... pour qu'il pût commodément aller de l'évêché dans le chapitre » (p. 23 ). Le 26 mai 1668, « le Plantier venait d'être fait n'étant auparavant qu'une grande pièce de terre sans être fermée » (p. 24 n.). Mais c'est en 1674 que fut « bâti le corps de logis de l'évêché qui est sur la grande rue depuis la salle épiscopale jusques à la maison du doyen, et tel qu'on le voit à présent. Il embellit toutes les chambres par une grande quantité de dorures et de peintures des plus fines » (p. 26 ). Cf. aussi J. VALETTE, thèse inédite, pp. 437-442.

(30) D'après Gaignières (ms. fr. 22 252, f. 198), l'ancien château était en ruines depuis les guerres de religion. Marthine précise dans sa lettre du 16 juin 1676 qu' « Issigeac est un très beau château que S. G. a bâti depuis deux ans, plus beau que Mercuès. Nous y logeons et travaillons sans cesse. C'est le plus beau pays du monde. Nous allons y faire de grands canaux, grandes terrasses et beaux jardins » (cf. supra, n. 15). Cf. aussi Continuation de Tarde, p. 24. Le château existe encore (J. SECRET, Au pays de Fénelon, 1939, p. 53 ).

(31) Le château avait été détruit en 1652 par Marsin, lieutenant de Condé. François II l'a reconstruit en 1662 avec de grandes salles, des cheminées monumentales et des sous-sols voûtés. Il abrita les soeurs de Notre-Dame, puis, à partir de 1683, le séminaire qui y resta vingt ans (CONTASSOT, Annales de la congrégation de la Mission, décembre 1955, p. 646). Cf. ms. fr. 22 252, f. 118 v°.

Ayant plus tard à faire l'éloge de son oncle, l'archevêque de Cambrai préfèrera insister sur son souci des églises : rappelant la modicité de ses revenus, il n'hésite pas à lui attribuer à cet égard de la munificence (32). Il est du moins certain qu'à la fin de sa vie il consacra ses ressources à sa cathédrale, restée inachevée depuis près de deux siècles : la voûte n'en dépassait pas le choeur. C'est donc là que les travaux reprirent le 10 mai 1682. L'année suivante, François de Salignac « fit jeter les fondements de la nef » et des « six chapelles », si bien que, jusqu'au clocher, tout fut terminé en 1685 : le choeur fut lui-même sculpté en 1686. R. de Gaignières est donc en droit de le noter, l'évêque « a fini ses jours en finissant ce travail » (33).

C'est cependant cette question — ou du moins celle de l'exemption du chapitre qui y était liée — qui provoqua sans doute un conflit qui inquiéta fort ses amis. M. Tronson écrivait en effet le 25 septembre 1678 : « M. le marquis de Fénelon a reçu ici d'étranges nouvelles par MM. ses neveux qui sont dans le pays de la conduite de l'évêque qui les touche de près. Comme les bruits que l'on en fait courir... peuvent avoir de grandes suites, il a cru devoir aller dans la province », mais, « dans la différence des esprits et des vues que peuvent avoir ceux qui prennent intérêt à cette affaire, il est difficile qu'il puisse s'assurer des personnes » (nous croyons qu'il s'agit des chanoines) « et traiter avec eux avec toute la confiance qui serait nécessaire pour y réussir ». Aussi espérait-il que son correspondant voudrait bien s'entremettre (34). De fait, une pièce de procédure nous confirme qu'évêque et chapitre « étaient en grand procès, et prêts encore d'entrer en un plus grand touchant le réglement et la juridiction sur le chapitre de l'église cathédrale que le seigneur évêque prétend être en droit d'exercer en seul, et ledit chapitre... au contraire ». Cependant les médiations avaient été efficaces car, le 4 août 1680, les deux parties se mettaient d'accord pour désigner deux arbitres. Le prévôt François du Masnegré, le grand archidiacre Gabriel de Bars, le chantre Guillaume de Ladieudye, les chanoines Armand de Gérard, Raymond de Vayssière et Pierre Gaurenne, désignaient devant le notaire Denaur, Gratien Desnau comme procureur. Celui-ci comparaissait le 13 septembre 1680 avec l'évêque au château abbatial de Saint-Germain-des-Prés devant le notaire Claude Levasseur

(32) Lettre à Clément XI, 20 avril 1706. Il y insiste aussi sur sa générosité envers les pauvres.

(33) J. VALETTE, Les campagnes de construction de la cathédrale gothique de Sarlat, Bull. Périgord, t. XCIII, 1966, pp. 24-28. Cf. aussi J. VALETTE, Continuation de Tarde, pp. 23, 27-29, 31 — JARRY, Nos évêques, Périgueux, 1917, pp. 70 sq. J. MAUBOURGUET, Sarlat et ses châteaux, Paris, 1939, p. 28.

(34 ) Lettre de M. Tronson à M. C. pour lequel « l'évêque avait assez d'ouverture » (A. S. S., f. Tronson, t. I, pièce 181, pp. 88-89) : il doit s'agir de Poncet Cluniac (cf. supra, ch. II, App., n. 36).

54 LA FAMILLE DE FÉNELON L'ÉVÊQUE DE SARLAT 55

ils faisaient choix de deux arbitres qui devaient rendre leur sentence à la Noël et pouvaient nommer un surarbitre : la question des élections aux dignités canoniales serait réglée par un compromis; en outre, u pour les réparations qui sont à faire en commun, et même s'il faut rebâtir l'église cathédrale, les deux parties conviennent que l'évêque fournira, de cinq parties les trois, et le chapitre les deux autres » (35). Bien que l'évêque ait encore eu, en 1681-1682, à faire de la procédure contre le chapitre de Sarlat (36), rien ne dit que ce soit à ce sujet, ni qu'on s'en soit étonné de la part d'un prélat que son neveu définira « pastor gregis amans et gregi casus, benignus quidem, sed in laude hominis sobrius » (37).

Après une maladie sur laquelle l'abbé de Fénelon (38) avait été renseigné par une lettre du docteur. La Closure, François II mourut le 1" mai 1688 (39) et semble avoir été également regretté en Périgord et à Paris (40). Pour nous, sa figure reste plus effacée que celle de son

(35) M. C., Etude XCVIII, 273 Rés. Le 21 décembre 1679, l'évêque était a Paris (Evôché de Cahors, carton 20, nu 2, liasse 64 ). Nous ne pensons pas qu'il y ait de lien entre cette affaire et l'exploit de l'évêque contre Jean Larue (1679. 1680, A. D. Dordogne, B 366).

(36) 11 décembre 1683, A. D. Lot, III E 279, n° 17.

Le Conseil privé avait déjà rendu le 12 octobre 1669 un arrêt renvoyant su Parlement de Bordeaux l'évêque et son chapitre en procès au sujet des lods et ventes de la ltoquc-Gajac (A. N., V" 558).

(37) Lettre à Clément XI, 20 avril 1706.

(38) Par son testament du 18 août 1686, l'évêque institua Fénelon son s héritier général et Il /1 i Venu,' ». M. Mailbourguet en signale l'original à Aiguevive. Copie

partielle aux Archives de In Charente-Maritime, D. 5. Dans une lettre du 7 sep-

tembre [1688], Fénelon affirme avoir donné une u procuration générale » à M. de Salagnac, sans doute son frère consanguin Henri-Joseph (chartrier d'Aiguevive dans

J. MAUBOTJHCVET, Choses et gens du Périgord, Paris, 1941, p. 65). G. Bades, procureur de l'abbé de Fénelon, a héritier binéficier » de l'évêque, signait le 15 septembre 1691 à 'migrer. un reçu de 12 lb 3 sols pour les arrérages de la rente d'une terre de la paroisse de Montaud (A. D. Dordogne, 2 E 34).

(39) Cette lettre e été publiée par Villepelet dans le Bull. Périgord, 1900. p. 460. On en trouvera (lais le t. il un extrait à sa place chronologique. La Continuation de Tardi' indique qu'il avait ordonné le 27 avril que « toutes les communautés feraient des prières publiques, chacune è son tour » (éd. J. VALETTE, p. 32).

(40) La Continuation de Tarde affirme qu'il a a donné pendant tout son épiscopat des marques sensibles de sainteté, par sa piété, par son zèle pour la gloire de

Dieu et le Relut du prochain, par le soin de son troupeau, par ses aumônes

continuelles et extraordinaires, par ses austérités sans relâche et le bon exemple, par son ardeur pour la conversion des hérétiques » (pp. 31 sq.). De leur côté, les

Mémoires de Sourthea (t. II, p. 164) annoncent le 16 mai 1688 « la mort de

l'évêque de Serial qui était un très saint évêque et frère du marquis n. La Gazette de France (1688, n. 22, p. 176) fait aussi son éloge, mais les Nouvelles ecclésias-

tiques (noue. aeq. fr. 1732, f. 3 v°) soulignent davantage cette « fort grande perte pour l'église. il passait quatre-vingts ans ». Quant à François Hébert, qui fut curé de Venantes avant de devenir évêque d'Agen, il le considère comme un « très vertueux prélat et dont la mémoire est eu bénédiction dans son diocèse et dans tout le pays » (Mémoires, éd. G. GIIIARD. Paris, 1927, p. 225). Cf. enfin DANGEAU. t. II. p. 138 et Gnignières, ms. latin 17 028, f. 135.

frère le marquis c'est peut-être que le loyalisme dont les SalignacGaulejac avaient déjà fait preuve sur le même siège (ce qui lui valut d'ailleurs son évêché) l'empêchait de s'associer aux audaces du parti dévot. Il ne s'en montra pas moins un des bons artisans de la réforme catholique en travaillant à réparer les ruines accumulées aux siècles précédents dans l'ordre matériel (son goût des constructions est caractéristique des prélats français de son temps), mais aussi dans l'ordre pastoral : s'il favorisa les ordres mendiants que Louis II de Salignac avait déjà appelés à Sarlat, il s'inséra encore plus nettement, grâce à la rencontre de Solminihac, dans la lignée des évêques réformateurs disciples de saint Charles Borromée (

(41) Cf. VALICTTII, thèse inédite, pp. 454 et 457.

Une lettre conservée da M. de Surlut permettra de se faire une idée de son irtyle et de k comparer à celui ele son neveu. H s'agit de remerciements adressée à l'avocat du Roi de la ville, de Monet de la Chapoulie (cf. sur iion père Raymond, Bull. Périgord, 1910, p. 69) au sujet de la harangue que celui-ei avait prononcée è l'occasion de l'anniversaire de la victoire que Jean de Salagnac avait remportée eu novembre 1587 en forçant le prince de Turenne à lever le siège de Sarlat et te l'orateur n'avait évidemment pas oublié de faire l'éloge do la maison du héros. copie lettres (d. infra, la lettre de Fénelon du 8 novembre 1687) semble fournir la date de 1686:

s Isslgrae, ce 9' janvier. Je n'oserais vous dire, Monsieur, combien je vous suis ,obligé de la part que vous m'avez voulu donner à la lecture et au corps même de cette belle production de votre esprit, que vous m'avez envoyée. On ne peut n'en sentir et n'en aimer pas les beautés répandues en tant d'endroits, niais je puis bien aimer trop celui, où votre bonté pour moi me déguiserait à moi-même, si je ne savais pas que c'est la charité qui vous fait parler et qu'elle vous fait faire un original qui n'est pas le mien, mais seulement un modèle que je dois tacher d'imiter. Cet endroit, die-je, quelque bien touché qu'il soit, a des grâces que je dois craindre, me souvenant de l'avis salutaire qu'on donne, d'éviter les choses périlleuses. J'avoue de bonne foi que j'en ai mal profité en cette occasion, l'ayant relu, et tout le reste, bien plus d'une fois. Il faut donc vous redire que je n'oserais vous marquer, Monsieur, combien ce discours m'a plu, et je crains bien néanmoins que je n'en serais pas si sobre sans mon neveu l'abbé de Fénelon qui m'aura l'obligation de ne tarder pas à le recevoir. Je suis comme je le dois, par toutes celles que je vous ai, et par le motif de votre mérite, tout à votre service. François, E. de Sarlat » (A. D. Gironde, 9 J. 385, ef. 188, et, sur les événements de 1587, le Chansonnier, ms. fr., 12 616, pp. 249-254).

IV LE MARQUIS DE FENELON-MAGNAC (1621-1683)

Nul n'a joué de rôle plus important dans la vie du futur archevêque que son oncle et tuteur Antoine, dont Gosselin a pu parler comme de son « second père ». Cinquième fils de François Ier et de Marie de Bonneval, il se distingua vite à la guerre, de sorte que ses parents lui donnèrent la compagnie de son frère Claude, baron de Neuville, capitaine au régiment de Picardie, tué le 25 août 1638 au siège du Câtelet (1). Le jugeant beaucoup plus capable que son aîné Pons d'illustrer la famille, ils le favorisèrent par la transaction du 12 juillet 1641 qu'ils réussirent à faire accepter par Pons. Antoine recevait la baronnie de Magnat dans la Basse-Marche que l'acte n'évaluait qu'à trois mille trois cents livres de revenu, bien qu'elle en rapportât en réalité plusieurs fois autant. Ce passe-droit était destiné à lui permettre un mariage avantageux (2). Il épousa le 4 juillet 1647 Catherine de Montberon, en eut l'année suivante un fils et au début de l'été 1650 une fille à la naissance de laquelle sa femme ne survécut que quelques jours (3).

(1) « Ce fut ce même Marquis de Fénelon qui, ayant remarqué des talents extraordinaires dans le jeune abbé de Fénelon son neveu, fils de Pons, le fit venir à Paris, prit soin do fia jeunesse, contribua beaucoup à le faire connaître de bonne heure » (mémoire du marquis de Fénelon, A. N., M. 538, n. 1). On trouvera son portrait gravé à la B. N., ms. Clairambault 118E, f. 1. Voir sur sa biographie P. ANSELME, Histoire généalogique de la maison de France, éd. Potier de Courcy, Paris, 1890, t. IX, 1, p. 486. — Bulletin de la Société historique et archéologique... du Périgord, 1951, pp. 163-167. Cf. aussi O. F., t. VII, p. 612, et A. de LA Gente, lin oncle de Fénelon (La Croix, 10-11 juin 1951). Après avoir eu pour précepteur un « saint prêtre » et fait quelques études à l'Académie de Paris, il se trouvait mousquetaire de Louis XIII quand lui parvint la nouvelle de la mort de son frère. A la remarque du Roi qu'il était « bien jeune » pour lui succéder, il aurait répondu : u Il est vrai, Sire, mais j'aurai plus de temps pour servir Votre Majesté » ([PASSAVANT], Vie de la R. M.

Cautron, Paris, 1690, pp. 505 n. Bibi. Net., Périgord, t. 164, f. 30 v°). La

compagnie de Claude avait coûté 12 000 livres (Bull. Périgord, 1951, p. 167). En 1639, il semble avoir porté le titre de « sr tlu Clusel » (Arch. Dép. Lot, Il. 416).

(2) Cf. infra, chap. VI, App. I, n. 18. D'après un acte du 29 juin 1680, les revenus de Magnas auraient alors été de 32 000 livres (J. AULAGNE, La réforme catholique du XVII' siècle dans le diocèse de Limoges, Limoges, 1906, p. 600) et un factum de 1734 les évaluait à 60 000 livres (A. LEFORT, La province d'Anjou, 1935, pp. 264 et 321).

(3) Issue de « l'illustre maison de Montberon », Catherine était née le 6 décembre 1622 (A. N., M. 538, n° 12 — P. ANSELME, t. VII, p. 25). Son père Jean, comte

58 LA FAMILLE DE FÉNELON LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 59

« Le premier baron de la Marche » ne déçut pas les espoirs qu'il avait suscités. Le prince de Condé avait pour lui une haute estime et le disait « propre pour la conversation, la guerre et le cabinet tout ensemble » (4). Il fut longtemps domestique du duc d'Orléans et si en faveur auprès de la Régente que sa baronnie de Magnac fut érigée en marquisat

de Fontaine-Chalendray et d'Ausance, etc., premier écuyer de la duchesse d'Orléans, mourut le 31 mars 1645. Sa mère Louise de L'Aubespine (fille de Claude, sr de Verderonne et de Louise Pot de Rhodes ) fut aussi dame d'atours de Madame, charge qu'elle dut abandonner à Anne de Saujon moyennant une indemnité de douze mille livres (Mémoires de N. Goulas, éd. Ch. CONSTANT, Paris, 1882, t. I, pp. 226, 440, t. II, p. 141, t. III, pp. 179 sqq.). Leur piété est attestée par la fondation en 1622 du prieuré de Saint-Léger de Cognac où vécut leur soeur Catherine de Montberon (1589-1671) : Louise ( + 1660 ) et Marie (+1669 ) do Montberon furent prieures, et leur soeur Elisabeth ( + 1665) religieuse du même couvent (A. N., M. 537, n° 48 — Archives historiques de Saintonge et d'Aunis, t. XXIII, 1894, pp. 257-263 — Les Cloches de Fontaine, n° 55-56 ). Quant à la future Mme de Fénelon, la Grande Mademoiselle la considérait comme « une fort honnête personne, pleine d'esprit et de vertu » à qui elle confia Anne de Saujon, de peu sa cadette, lorsque celle-ci fut exposée aux dangers de la Cour. Mile de Fontaine conseilla d'ailleurs à sa protégée la prudence à l'égard de Gaston d'Orléans, de sorte que celle-ci cessa de la voir et « évita son entretien » (Mémoires de Mile de Montpensier, éd. A. CHÉRUEL, Paris, 1859, t. I, p. 136 — Revue de Saintonge et d'Aunis, t. XLIV, 1932, pp. 109 sq., 115 ). On ne s'étonnera donc pas que Passavant (p. 511) ait célébré la piété et la vertu de Mme de Fénelon qui aidait son mari dans ses bonnes oeuvres. Il précise qu'elle mourut à vingt-sept ans lors d'un voyage qu'ils avaient fait à Paris. On attachera beaucoup plus d'importance au témoignage de son directeur M. Olier : c'est peut-être à elle qu'il a adressé la lettre spirituelle n° 395 (« à une dame de santé fort ébranlée et très avancée dans les voies spirituelles »). En tout cas, le sulpicien écrivait au lendemain de sa mort à M. de Queylus : « Nous recommandons à vos saints sacrifices la chère Mme de Fénelon, qui est allée à Dieu avec des sentiments et dispositions aussi chrétiennes que sa vertu l'avait fait espérer pendant sa vie ». Le 1er septembre 1650, il assurait à Mme de Portes avoir demandé à la Vierge sa guérison et ajoutait : « Et, chose étrange, que jamais je ne fus porté ni ne pus me résoudre de faire autant pour notre chère fille, Mme de Fénelon, qui est honorée comme une sainte à présent, par un concours merveilleux de peuples qui visitent son corps; telle est forte l'impression que Dieu a mise dans les coeurs de sa vraie piété et sainteté » dettres, éd. E. LEVESQUE, Paris, 1935, t. I, pp. 494 sq., 498, t. II, pp. 352 sq. avec référence au ms. 569 de la Bibliothèque de l'Institut ). On remarquera que le zèle de Fénelon contre les duels et pour la fondation du séminaire de Magnac n'est pas attesté avant 1650. Cf. infra, n. 16.

(4) A. M. RAMSAY, Vie de Fénelon, La Haye, 1723, p. 8. Il servit en effet sous les ducs d'Orléans et d'Enghien, se trouva aux sièges d'Arras (1640 ), de Bapaume (1641 ), d'Aire (1641 ), de Gravelines (1644), de Mardick (1646 ), fut fait maréchal de bataille en 1646 (f. Périgord, t. 164, f. 30 v° ). Il ne faut pas le confondre avec le Fénelon, major au régiment de Villandry, qui se distingua à la prise de Tortose (Gazette de France, Extraordinaire du 28 décembre 1642 ), ni avec le baron de Fénelon qui se signala au siège de Bergue en Catalogne (ibid., Extraordinaire du 12 novembre 1655 ). Sur sa valeur chevaleresque, cf. PASSAVANT, pp. 505516.

en mai 1650 (5), et lui-même fait en 1650 maréchal-de-camp, puis, le 29 décembre 1652, lieutenant-général au gouvernement de la Haute et Basse-Marche avec un brevet de retenue de 18 000 livres (6). Le 18 mars

(5) « Il était » en 1646 « à Mgr le duc d'Orléans, comme il y est encore » écrivait le 19 mai 1656 Vincent de Paul à Edme Jolly (Correspondance, éd. P. COSTE, Paris, 1922, t. V, p. 618). On s'en étonne moins quand on s'aperçoit que l'oncle du Roi avait parmi ses officiers de nombreux membres de la Compagnie du Saint-Sacrement dont plusieurs y avaient été mis par M. Olier lui-même. On jugeait donc que Gaston « avait l'esprit de la Compagnie » à qui il laissait faire officieusement la police dans son apanage, au point que les magistrats de Blois s'inquiétèrent en 1659 de ses « coups de force et grandes oeuvres qui surprennent » (A. RÉBELLIAU, Revue des Deux Mondes, ler juillet 1903, pp. 54, 59 - 15 octobre 1909, p. 893 - ler novembre 1909, pp. 205, 210). Cf. infra, n. 30. Cette évolution inattendue de Monsieur était attribuée à l'influence d'Anne de Saujon (Revue de Saintonge et d'Aunis, t. XLIV, 1932, p. 116).

Les lettres qui lui conféraient le marquisat (mai 1650) furent enregistrées au Parlement le 8 avril 1653 et à la Chambre des Comptes le 30 juin 1653 (Joseph NADAUD, Nobiliaire du diocèse et de la généralité de Limoges, Limoges, 1880, t. I. p. 141, t. IV, p. 292).

(6) Son petit-neveu François III écrivait en 1737 : « Il fut maréchal de bataille, qui était dans ce temps-là un grade militaire; il quitta le service par des occasions qui l'attachèrent à la Cour » (A. N., M. 538, n. 6). Sur sa lieutenance du Roi, cf. le contrat de mariage de sa fille, ibid., M. 537, n° 48.

Le gouvernement de la Marche ne rapportait guère que 10 à 20 000 lb. Entré (avec le gouvernement d'Argenton) dans la famille Foucauld de Saint-Germain Beaupré comme récompense de sa fidélité à Henri IV, il appartint successivement à quatre de ses membres. Gabriel, mort en 1642, avait cédé quelques années auparavant sa charge à son fils Henri. Celui-ci devint en avril 1644 conseiller d'Etat, le 8 avril 1645 marquis de Saint-Germain, en 1649 maréchal de camp. Il mourut le 11 septembre 1678 âgé de soixante-et-onze ans. Il avait résigné en 1674 son gouvernement à son fils Louis, d'abord exempt et enseigne des gardes du corps, qui fut fait en septembre 1688 brigadier de cavalerie et mourut le 27 janvier 1719 à soixante-quatre ans. Gouverneur de la Marche depuis le 5 mars 1711, le fils de Louis mourut en mars 1752. Ce que nous savons de Gabriel, surnommé par Mme de Rambouillet « le Vieux de la Montagne », ou de son fils Henri, cruellement traité par Tallemant des Réaux (éd. MONMERQUÉ, Paris, 1861, t. VII, pp. 155. 158) et que Saint-Simon dit « vrai tyran en Marche comme son père » (éd. BoisLISLE, t. IX, p. 13, n. 1; cf. t. XX, p. 313, t. XXIII, p. 172), ne permet guère d'expliquer leurs rapports avec les Fénelon (sur ceux-ci, cf. infra, la fin de la n. 13 ). Les relations de parenté et de voisinage y réussissent mieux : « une fille de Salignac s'était mariée dans la maison de S. Germain Beaupré » (A. N., M. 538, n. 12) et. en 1618. « toute la noblesse des environs se groupa autour de Gabriel Foucault, de Pompadour et de Bonneval ». Aussi, quand le huguenot au passé chargé eut compris que les circonstances l'obligeaient à abjurer, il alla le faire nu château de Magnac (Paul RATIER, Le château de S. Germain Beaupré, les Foucauld. Limoges, 1862. pp. 50, 89-108, 138-143) et le futur évêque de Sarlat, frère d'Antoine de Fénelon, assista à cette occasion l'archevêque de Bourges (cf. supra. chap. III, n. 4).

Passavant affirme que Fénelon « refusa plusieurs charges importantes dont la Reine-Mère qui l'aimait beaucoup voulait le gratifier », mais, comme M. Olier trouvant « le métier de la guerre trop dangereux pour le salut d'un homme aussi prompt que lui, lui conseillait de se retirer du service », il obtint la lieutenance

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1652, il leva le régiment de Fénelon, mais les circonstances permirent de le licencier dès l'année suivante (7). Quatorze ans plus tard, voyant son jeune fils Jean-Baptiste-Martial « enclin à la débauche et extrêmement emporté », il s'engagea avec lui comme volontaire pour la campagne de 1667; l'un et l'autre furent cités par la Gazette de France du 31 août 1667 pour leur bravoure au siège de Lille, et Jean-Baptiste fut nommé aide-de-camp du Roi (8). Mais le rétablissement de la paix redoubla les inquiétudes du marquis. C'est donc, comme il l'avoua lui-même à Louis XIV, pour arracher Jean-Baptiste à l'oisiveté de la Cour, qu'il l'emmena contre son gré à Candie : on lui attribue même la première idée d'une expédition française pour secourir la ville assiégée par les Turcs (9). Quoi qu'il en soit, le marquis partit le 26 août 1668

du Roi de la Marche « pour pouvoir mener une vie retirée » (pp. 510 sq. ). Peu après, M. Olier « rompit le dessein » qu'il eut, à la mort de sa femme, « d'entrer dans l'état ecclésiastique » (ibid., p. 512).

(7) Il maintint ainsi sa province dans l'obéissance alors que celles qui l'entouraient étaient ravagées par la guerre et il put même secourir le comte de Palluau qui assiégeait Montrond (PASSAVANT, p. 511 — Louis SUSANNE, Histoire de l'ancienne infanterie française, Paris, 1853, t. VIII, p. 187) : la chute de la ville après un siège de trois mois (1" septembre 1652) fut un coup terrible pour la puissance de Condé. Attaché à Clérambaut, le chevalier de Méré, qui semble avoir fort bien connu le marquis (cf. infra, n. 93 ), put le rencontrer à cette occasion; la famille du chevalier possédait d'ailleurs en Poitou des terres voisines de FontaineChalendray.

(8) Extraordinaire de la Gazette — PASSAVANT, p. 511 — Mémoire de François III de Fénelon (1737), A. N., M. 538, n. 6, p. 3.

(9) Passavant croit pouvoir préciser (pp. 512 sqq.) qu' « allant un jour voir feu le premier président avec les ducs de Navailles et de La Feuillade, il leur proposa séparément le voyage et que chacun le goûta ». Il n'en reste pas moins que le marquis entretenait des relations beaucoup plus étroites avec La Feuillade : son père avait, dès le 12 juillet 1641, constitué des rentes au profit d'un Aubusson de La Feuillade (Bull. Périgord, 1951, p. 167 ). Mais il y avait plus, comme un autographe de son neveu François III de Fénelon le reconnaît sans pouvoir l'expliquer : « Je crois que feu le maréchal de La Feuillade regardait feu M. le Marquis de Fénelon comme son parent et il pouvait y avoir quelque vieille alliance par les maisons de Pierre-Buffière et de la Roche-Aimon ou par quelque autre endroit » (A. N., M. 538, n. 12 ). En réalité, François-Antoine de Salignac-Gaulejac épousa en mai 1661 Jeanne d'Aubusson, de Villac et Miremont; la branche s'était sans doute détachée des La Feuillade au xve siècle, mais le maréchal, qui n'avait pas de plus proches parents, désignait le 29 juin 1687, pour la substitution de La Feuillade, Jean d'Aubusson de Miremont immédiatement après son propre fila (A. D. Dordogne, B. 1720 — A. D. Gironde, 9 J. 114, p. 331 et 9 J. 225). D'autre part, la grand-mère de la femme du marquis, Louise Pot de Rhodes, était presque certainement la nièce de son homonyme, trisaïeule du maréchal de La Feuillade. Quant à Navailles, il s'attribue à lui-même « la pensée de faire un régiment de deux mille hommes pour le mener au secours de Candie... assiégée depuis vingt-trois ans ». Le Roi lui en refusa « la permission... parce que M. de La Feuillade, qui avait eu dessein avant » lui « d'aller à Candie, se disposait à partir ». Mais, la ville étant assiégée par 40 000 Turcs commandés par le grand-vizir, Louis XIV promit au

avec quatre cents gentilshommes dont plusieurs étaient ses proches parents (10). Le jeune Jean-Baptiste fut d'abord blessé avant d'atteindre l'île. Ce fut le début de sa conversion et de sa réconciliation avec son père (11). Les semaines suivantes, celui-ci allait, comme chef d'état-major de La Feuillade, manifester un courage et une science militaire que reconnaissent toutes les relations, favorables ou hostiles au duc (12). Le

Pape un corps de 6 000 hommes et en offrit le commandement à Navailles qui s'embarqua le 5 juin sur les vaisseaux de Beaufort et mouilla le 19 à Candie. A la fin d'août, il retournait en France (Mémoires du duc de Navailles, éd. C. MOREAU, Paris, 1861, pp. 140-143, 161 sq., 170). Cf. Ch. TERLINDEN, Le pape Clément IX et la guerre de Candie (1667-1669 ), Louvain, 1904, pp. 96, 99. Navailles ne nie pas que l'expédition de Fénelon n'ait été antérieure et nous verrons que celui-ci eut aussi un rôle dans la préparation de l'envoi de troupes en juin, cf. infra, n. 13 s.f.

(10) Cf. le testament de J.-B. de Fénelon, comte de Fontaine-Chalendray, dans L. de MALEVILLE, Annales de la société d'agriculture, sciences et arts de la Dordogne, t. XXIII, 1871, p. 116. Le marquis était aussi accompagné de son neveu François II et du fils de celui-ci, Pons-Jean-Baptiste.

(11) Ces événements nous sont connus par quatre sources, d'inspirations opposées, qui se complètent et permettent de se faire une idée assez précise des opérations :

1° Le bref rapport que La Feuillade se hâta de faire répandre : Relation véritable de tout ce qui s'est passé dans la ville de Candie depuis L'entrée de M. le duc de Roannez [La Fueillade], février 1669.

2° Au contraire, le Journal de l'expédition de M. de La Fueillade en Candie par un volontaire, Lyon, 4 juillet 1669, adresse au duc des critiques malignes.

3° Le Journal véritable de ce qui s'est passé en Candie avec M. de La Fueillade, Paris, Ch. de Sery, 1670, constitue une réponse au « volontaire ».

4° Mais nous suivrons de préférence les Mémoires ou Relation militaire par un capitaine français commandant dam la place pour les Vénitiens, Paris, Barbin, 1670, beaucoup plus détaillés.

5° Quant aux Mémoires du voyage de M. le marquis de Ville au Levant, tant sous le commandement de ce général que de... S. André Montbron, tirés des Mémoires de J. B. Rostagne par Fr. Sav. d'Alquié, Amsterdam, 1670, t. II, pp. 214-241, ils dépendent du « volontaire » et prennent le parti des Vénitiens contre La Feuillade.

Le 3 novembre 1668 le duc de La Feuillade et le marquis de Fénelon entrèrent dans la place. Des barques qui, les jours suivants, firent la navette entre les vaisseaux et le port, une seule fut coulée à coups de canon; ce fut, dans la nuit du 6 au 7, celle « qui portait quantité de meubles au marquis de Fénelon et, entre autres choses, tout son argent ». Il y eut plusieurs morts, dont le secrétaire du marquis; blessé d'un éclat au pied, le comte de Fontaine dut rester trois heures accroché au mât de sa barque. Le lendemain, le coffre du marquis fut repêché par un esclave turc qui, au dire du « volontaire », « est présentement au service de M. de Fénelon, qui l'a ramené avec lui en France » (Relation véritable, p. 2 — Journal... du volontaire, pp. 20 sq. — Journal véritable, p. 56 — Mémoires ou relation, pp. 89 sq.). La blessure du comte de Fontaine est signalée par l'Extraordinaire de la Gazette de France du ler février 1669. D'après PASSAVANT (p. 514), il composa pendant sa convalescence un a écrit en latin et en allemand où il reconnaît son impuissance à vivre chrétiennement dans le monde et promet de se mettre dans quelque profession régulière ».

(12) Les 10 et 11 novembre, « M. de la Mothe-Fénelon, pour se délasser un peu de ses premières fatigues militaires, s'occupa avec nos bons pères capucins... à chercher dans la ville une maison propre à faire un hôpital ». Son choix finit par

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16 décembre 1668, jour de la sortie des volontaires, il vit son fils recevoir à ses côtés une nouvelle blessure — cette fois le jeune homme devait en mourir, — mais il n'en continua pas moins à rallier une aile qui menaçait de se débander (13).

s'arrêter sur le réfectoire des Récollets. Le 12, il se rendit avec La Feuillade et d'autres officiers près du bastion Saint-André (Journal véritable, pp. 98 sq. ). « Là-dessus, Fénelon représenta aux généraux vénitiens qu'ils ne conserveraient jamais ainsi une sortie au front de tant de travaux ennemis déjà postés » si l'on ne « rétablissait pas deux caponnières ruinées... avec une petite place d'armes découverte que l'on laisserait au milieu ». Il « offrit de la part du duc de faire exécuter cette entreprise par les brigades françaises » (Mémoires ou relation, pp. 94 sq. ). Il se chargea même le 13 de « tracer lui-même un flanc », bien qu'il se trouvât « vu du canon » (Relation véritable, pp. 4-5 ). L'exécution en fut confiée le 22 à Montbrison et à Villemor sous la direction du marquis qui allait sans cesse de l'un à l'autre et resta vingt-quatre heures sans prendre de repos (Mémoires ou Relation, pp. 96- 101 ). Le 26 et le 27, Fénelon dirigea encore l'exécution d'une opération délicate et, se trouvant le plus loin de l'issue de la caponnière, faillit être suffoqué par la fumée dont l'avait remplie la maladresse d'un Français. Sitôt remis, il n'en fut pas moins chargé de « commencer une autre antestatpre du côté de la gauche » (Relation véritable, p. 5 — Mémoires ou relation, pp. 103-105 ).

(13 ) Les Français, dont les effectifs diminuaient sans cesse, brûlaient de se signaler en chassant les Turcs de leurs tranchées situées entre le bastion de la Sabioneria et la mer. Le 14 décembre, le marquis de Fénelon remit au général Morosini un écrit de sa main où il lui demandait quatre formes de soutien que la conviction de la vanité de l'entreprise empêcha les Vénitiens d'accorder. Néanmoins, la sortie générale des volontaires français eut lieu le 16 décembre et La Feuillade confia au marquis le commandement « du côté de la marine » (Journal véritable, pp. 121 sqq. — Mémoires ou relation, pp. 195-201 ). Le « volontaire » assure que « le zèle de M. Fénelon ne contribuait pas peu à entretenir la chaleur de ceux qui aspirent au martyre, paraissant toujours avec le comte de Fontaine son fils au plus grand feu et agissant partout de la main et de l'esprit, d'une manière qu'il inspirait de l'ardeur et du courage à tout le monde. M. son fils y fut blessé d'un éclat de grenade à la cheville du pied vers le même endroit où il avait déjà été frappé en arrivant » (Journal, pp. 74, 88, 87; le Journal véritable, pp. 128-130,

célèbre l'héroïsme des Fénelon qui auraient « fait incliner la victoire de notre côté » en des termes trop dithyrambiques pour ne pas être suspects). Précisément, le

comte de Villemor venait d'être tué et La Feuillade avait fait inviter Fénelon à

rallier les troupes qui risquaient de plier de ce côté. Ce serait alors le comte de Fontaine qui aurait « fait voir à son père qu'il n'avait besoin que d'aller reposer

la blessure de sa jambe qui ne l'empêchait pas de marcher tout seul... L'honneur

l'emporta ainsi sur la nature » et le marquis rendit « aussitôt par sa présence l'assurance aux troupes ébranlées..., allant et venant de tout côté, mais toujours

au plus grand feu et au plus chaud de l'attaque où il donna autant de marques

de sa valeur que de son zèle ». La retraite se fit ainsi en bon ordre, mais le comte de Fénelon (de la brigade du comte de Saint-Pol) et le comte de Salignac (qui

appartenait comme le comte de Fontaine à la brigade du duc de Château-Thierry )

étaient également blessés (Mémoires ou Relation, pp. 204 sq., 213, 215, cf. B. N., ms. italien 385, f. 59 et Cabinet historique, t. XXVII, p. 230 ). Le comte de

Fontaine mourut le 10 janvier 1669 à Candie de sa blessure « en rendant publique-

ment grâces à Dieu de ce qu'il le tirait de la corruption du monde » (PASSAVANT, Dédicace non paginée) a entre les bras de son père » qui tint à le faire embaumer

avant de s'embarquer avec son corps sur les vaisseaux français qui l'avaient attendu. n prit part au conseil de guerre qui ne jugea pas à propos de différer le retour pour permettre aux Vénitiens d'obtenir des Turcs des conditions meilleures. mais il

Si le marquis de Fénelon se conduisit alors de telle sorte que son fils put d'abord croire qu'il « le sacrifiait à la dévotion » (14), c'est qu'il se souvenait des dangers qu'avait courus sa propre jeunesse. Il avait en effet été un « fameux duelliste » (15). Mais sa « conversion », dont

M. Olier fut l'artisan (16), fut si complète que M. Vincent pouvait

donna aux assiégés (qui ne le suivirent que trop tard) le conseil de protéger la brèche Saint-André en faisant exploser à l'extérieur un chapelet de « fourneaux » (Mémoires ou Relation, pp. 226 sq., 250-252 ).

Dès le 12 janvier 1669, le capitaine général Morosini avait informé le doge que « le marquis n'a pas hésité à sacrifier son fils, grièvement blessé le jour de la sortie des volontaires français ». L'Extraordinaire de la Gazette l'annonçait le 22 mars 1669 et, le 15 mai, l'ambassadeur à Paris Morosini joignait à ses condoléances des félicitations pour la conduite de l'un et de l'autre. Dix jours plus tard, Colbert parlait aussi de cette « mort glorieuse » au marquis de Saint-Germain. Il avait lu au Roi le mémoire du marquis sur la façon d'attaquer le camp des Turcs devant Candie : « S. M. en approuvait toutes les pensées et avait donné l'ordre de l'envoyer au duc de Navailles » dont l'expédition devait bientôt arriver dans l'île (ms. Clairambault 1181, f. 193 — ms. français 22 252, f. 291). Le 27 mai 1669, le corps de Jean-Baptiste était inhumé à Magnac en présence de « François de Salagnac de la Mothe-Fénelon qui a assisté à la mort dudit comte » (registres paroissiaux de Magnac-Laval) : il s'agit évidemment de François II. Il y a une erreur de date dans COURONNEL, pp. 25 sq. et dans la Province d'Anjou, 1934, p. 271.

La liaison du marquis avec le duc de La Feuillade fut durable, puisqu'il était présent lorsque la duchesse, soeur du duc de Roannez, reçut les derniers sacrements et qu'il revint ensuite prier avec l'agonisante dettre de M"° Petit à M. Feydeau, 18 février 1683, Bibl. de Port-Royal, ms. P. R. 83, pp. 143, 145; malgré J. MESNARD, Pascal et les Roannez, Paris, 1965, p. 939, nous ne trouvons pas dans ce récit trace de malveillance ).

(14) Mémoire cité par PASSAVANT, p. 515.

(15 ) S. VINCENT de PAUL, lettre du 19 mai 1656, éd. COSTE, t. V, p. 618. Le marquis de Sourches le définira de même « un des plus braves hommes du monde et qui, ayant fait le plus de combats, fut des premiers après sa conversion à travailler à cet admirable ouvrage de l'édit qui défend les duels que le Roi fit ensuite » (16 mai 1688, éd. COSNAC-PONTAL, Paris, 1883, t. II, p. 165 ). Cf. aussi PASSAVANT, pp. 506 sq. On ne sait comment interpréter les Contre-vérités (1659 ) : « La MotheFénelon jette beaucoup d'ceillades » (ms. fr. 12 638, p. 271).

(16 ) « M. de Salignac Fénelon, grand duelliste, fut un jour trouver M. Olier pour le prier de se charger de la conduite de son âme. Hé, comment, lui dit M. Olier, pouvez-vous accommoder votre conscience avec l'habitude où vous êtes de vous battre en duel? — Hé, quel mal y trouvez-vous, dit M. de Fénelon, un homme de qualité peut-il souffrir une injure sans en tirer raison? — Puisque vous n'en connaissez pas le mal, dit M. Olier, demandez donc à Dieu qu'il vous le fasse connaître, et promettez-lui qu'après que vous l'aurez connu, vous combattrez le duel de toutes vos forces et vous travaillerez à la conversion des duellistes. — Je le veux bien, dit M. de Fénelon. Lui et M. Olier se mirent en prières. Il fut exaucé » (note au Mémoire sur la vie de M. Olier par M. Baudrand, ms. fr. 11 760, f. 48 v0; cf. Les saints prêtres français du XVII° siècle, Angers-Paris, 1897, t. II, p. 444, et E. FAILLON, Vie de M. Olier, Paris, 1874, t. II, pp. 259 sq., 262, 276). Sans doute mieux renseigné par la fille du marquis, Passavant précise (p. 507 ) qu' « il ne fut pas persuadé d'abord » par les instructions de M. Olier, mais qu' « il y pensa toujours depuis, de sorte qu'après la fin d'une campagne, il se sentit tout autre, et prit la résolution de renoncer publiquement au duel ».

64 LA FAMILLE DE FÉNELON

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 65

affirmer le 19 mai 1656 que « le marquis de Fénelon était celui de qui Dieu s'était servi pour susciter les moyens de détourner l'usage des duels », et René de Voyer d'Argenson reconnaîtra plus tard qu'il avait déployé « des talents extraordinaires pour pousser à bout l'entreprise » (17). Fénelon et le maréchal Fabert obtinrent en effet de divers gentilshommes en vue la promesse de ne plus se battre. Réunis à la Pentecôte 1651 dans l'église Saint-Sulpice, ils jurèrent solennellement de n'accepter aucun défi et de lutter contre cette coutume. Cette démarche fut approuvée par cinquante docteurs de Sorbonne (18 août) et par l'Assemblée du clergé (28 août 1651) (18). Les maréchaux de France !avaient, dès le 1* juillet 1651, chargé le marquis et ses associés de préparer un Règlement auquel ils donnèrent force de loi le 22 août 1653. Bien plus, le 7 septembre 1651, en mai 1653 et lors de son sacre (7 juin 1654), Louis XIV promit de ne jamais accorder de lettres de rémission aux contrevenants et il voulut que Fénelon reçût lui-même les signatures des gentilshommes de sa maison (19). En province, Solminihac faisait signer dans le diocèse de Cahors (20) et le prince de Conti en

(17) Ed. COSTE, t. V, p. 618, cf. P. COSTE, Le grand saint du grand siècle,

M. Vincent, Paris, 1935, t. III, pp. 118-122. — Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement, éd. BEAUCHET-FILLEAU, Marseille, 1900, p. 171. La dédicace de la Vie de la R. M. Gautron de Passavant affirme que « la Providence l'avait destiné pour cette espèce de miracle qu'on a vu de nos jours dans l'abolition des duels ». De fait, le grand Condé lui avait d'abord dit : « Il faut être aussi sûr que je le suis de votre fait sur la valeur, pour n'être pas effrayé de vous voir le premier rompre une telle glace » (cf. R. ALLIER, La cabale des dévots, 1627-1666, Paris, 1902, p. 326 ).

(18 ) R. ALLIER, p. 327. On trouvera le texte du serment du 28 mai 1651 dans les O. F., t. X2, p. 331.

(19 ) Ce Règlement de MM. les maréchaux de France touchant les réparations des offenses entre les gentilshommes pour l'exécution de l'édit contre les duels (septembre 1651 ) est cité par le Comte de CHATEAUVILLARD, Essai sur le duel, Paris, 1836, p. 15. Sur le rôle de Fénelon, cf. PASSAVANT, p. 509 : dès le 14 août 1651, il avait parlé de ce règlement à la Compagnie du S. Sacrement de Paris (R. ALLIER, pp. 328 sqq. ). Le chevalier de Méré lui-même avouait en 1674 à son confident : « M. de La MotheFénelon. Les règlements qu'il a fait sont beaux » (dans BOUDHORS, Revue d'Hist. lits. de la France, 1922, p. 224).

L'archevêque de Cambrai était bien informé en écrivant au Pape le 20 avril 1706 a piissima Regina suadente Vincentio.. ». Passavant avait d'ailleurs rapporté que

« M. Vincent en parla à la Reine avec tant de force qu'elle voulut donner plusieurs audiences » à Fénelon et que l'édit de 1651 en sortit (p. 508). Cf. FAILLON, t. II, pp. 261 sqq. — R. ALLIER, p. 327 — Correspondance de S. Vincent de Paul, t. V,

p. 619. — P. COSTE, Le grand saint du grand siècle, t. III, p. 120. Il ne faut pas négliger non plus le rôle de M. Olier qui écrivait à l'été de 1651 au P. Ch. Paulin, jésuite, confesseur du Roi : « M. de Fénelon et moi avons pensé qu'il était de la dernière importance de prier V. R. de remettre à dimanche qui vient de parler à la Reine de l'affaire des duels » dettres, éd. LEVESQUE, t. I, pp. 566 sq.).

(20 ) L. CHASTENET, Vie de Solminihac, Saint-Brieuc, 1817, p. 242. — E. SoL, Le vénérable Alain de Solminihac, Cahors, 1928, pp. 196 sq.

Languedoc (21) : l'un et l'autre étaient membres de la Compagnie du Saint-Sacrement.

On comprendrait mal que le pouvoir en soit venu à s'inquiéter des succès d'un mouvement qu'il avait lui-même encouragé, si on ne savait qu'ils avaient été obtenus par des filiales de la « cabale des dévots » (22) de marquis y joua un rôle très actif, surtout pour le Limousin) (23), les Compagnies de la Passion, sociétés de gentilshommes « tout à fait cachées » (24) : Mazarin pourra accuser Fénelon d'en établir « sans ordre du Roi par toutes les grandes villes du Royaume » (25). De fait, nous savons qu'il y en avait au moins deux dans le diocèse de Solminihac et que celle qui se trouvait aux confins du Périgord et du Quercy était présidée par le comte de La Mothe, François II de Fénelon, aîné des neveux du marquis (26). Bien que ces sociétés, composées seulement d'une quinzaine de membres, se soient assigné pour premier but « la sanctification des sujets qui les composaient » et que l'on retrouve dans leur règlement les grands thèmes de la spiritualité de M. Olier : dévotion à la Passion, renonciation aux maximes du monde, elles avaient aussi pour

(21 ) A. S. S., ms. XV, 2. On trouvera la correspondance (16 décembre 1654 3 février 1655 ) échangée à ce sujet entre Louis XIV et le prince de Conti dans la Gazette de France, 26 février 1655, dans GRANGES de SURGÈRES, Le duel et la noblesse du Languedoc, Paris, 1902, pp. 5-11, et dans Hubert PIERQUIN, La juridiction du point d'honneur sous l'ancien régime, Paris, 1904, p. 118. Cf. aussi les Mémoires de Mgr le prince de Conty touchant les obligations d'un gouverneur de province et la conduite de sa maison, Paris, 1667, pp. 22-69. Sur l'adhésion des Etats de Bretagne, cf. R. ALLIER, p. 333 et J. GESLIN de BOURGOGNE, Anciens évêchés de Bretagne. Diocèse de Saint-Brieuc, Paris, 1855, t. I, p. 59.

(22 ) Passavant (p. 511, cf. 505, 518) précise que « Renti et plusieurs autres firent

entrer le marquis dans plusieurs assemblées charitables » R. de VOYER d'ARGENSON,

Annales de la Compagnie du S. Sacrement, éd. BEAUCHET-FILLEAU, Marseille, 1900,

pp. 119, 139, 155, 171. R. ALLIER, pp. 331 sq.

(23) R. ALLIER, p. 358 — J. AULAGNE, pp. 556, 561, 563. En 1660, les confrères de Limoges le chargèrent de travailler à la destruction du temple d'Aubusson (cf. Alf. LEROUX, Archives historiques de la Marche et du Limousin, Limoges, 1887, t. I, p. 248).

(24 ) On en trouvera les règlements dans Ed. ALBE, Revue d'histoire de l'Église de France, t. III, 1912, pp. 646 sqq.

(25) BEAUCHET-FILLEAU, p. 258.

(26) Arch. de l'évêché de Cahors, carton 22-5, liasse 12. Cf. R. ALLIER, pp. 331, 333. On identifierait plutôt au marquis Antoine le « comte de Fénelon » qui, selon Marthine, écrivait le 23 août 1651 à saint Jean Eudes pour lui annoncer « les progrès que... quelques grands personnages... avaient déjà fait en plusieurs provinces du royaume... pour l'extinction des duels; il le priait d'envoyer les listes de gentilshommes qui, dans ses différentes missions, avaient... signé qu'ils ne se battraient jamais en duel, afin d'engager plusieurs autres à entrer dans la même association ». En revanche, c'est bien François II que désigne Costil lorsqu'il écrit : « M. le comte de Fénelon qui était occupé à travailler au même dessein dans le Périgord » (Ch. BERTHELOT du CHESNAY, Les missions de saint Jean Eudes, Paris, 1967, p. 167).

66 LA FAMILLE DE FÉNELON

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC

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objet l’action sur tout le corps de la noblesse (27). Il n'est pas douteux qu'après avoir obtenu les mesures de 1651 et de 1653, elles n'en aient poursuivi l'exécution rigoureuse dans chaque province. Elles y parvenaient grâce à l'appui des magistrats affiliés à la Compagnie du Saint-Sacrement (28) et on jugeait en particulier que « M. de Magnac était tout puissant sur le premier président de Lamoignon » (29). Or, des

(27) Evéché de Cahors, cartons 20-5, 21-1-VII, n" 21 et 51, 21-3 — Revue d'histoire de l'Eglise de France, 1912, pp. 644 sqq. — E. SOL, pp. 204-208. Cf. aussi FAILLON, Vie de M. Olier, Paris, 1873, t. II, pp. 245 sqq. — Marg. PECQUET, X Vlie Siècle, 1965, n° 69, p. 19. — !mn1. St. CitiLL, The Company of the Holy Sacrament, Columbia University, 1960, pp. 184-200.

(28) Nous sommes renseignés sur les efforts déployés par le groupe de Poitiers (A. RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes, 1" juillet 1903, p. 66 — cf. B. N., noue. acq. fr., ms. 21 091, f. 53), de blarseille (cf. A. REBELLIAU, La Compagnie de Marseille, documents, Paris, 1909, p. 96 ), de Tulle (Ali. LEROUX, Bulletin de la société des lettres de Tulle, t. XXXIII, 1885, p. 74) et de la Compagnie dans son ensemble, en particulier en 1657 (cf. A. RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes,

I" août 1908, p. 852 ). Le P. RAPIN (Mémoires sur la société..., éd. L. AUBINEAU, Paris, 1865, t. I, p. 294, t. II, p. 329) voit dans « la destruction des duels... une des plus importantes et des plus heureuses entreprises » de la Compagnie. On trouve en revanche un écho de l'hostilité générale de la noblesse dans un passage des Mémoires de Mlle de Montpensier qui rapporte, il est vrai. des poursuites contre un gentilhomme de son père : « blême on proposa de faire signer qu'on ne se battrait plus. D'abord cette proposition fut tournée en ridicule. parce qu'elle avait été faite par certains dévots qui étaient assez ridicules eux-mêmes, et qu'il n'y avait eu que des estropiés qui avaient signé... Néanmoins la proposition était bonne en soi, elle trouva des partisans, elle fut autorisée, et elle a très bien réussi, on se bat fort peu. Le pauvre comte d'Aubijoux, le seul qui restait de la maison d'Amboise », gouverneur de Montpellier, fut condamné à la suite d'un duel. « blbl. de Fénelon et d'Albon allèrent solliciter les juges contre lui de porte en porte, et ils disaient : « Nous sollicitons un exemple pour la gloire de Dieu »; ils en furent extrêmement blâmés et on s'étonna que des gentilshonunes de qualité insultassent ainsi à un malheureux ». Gaston d'Orléans ne sut pas le protéger et Aubijoux, dont le cas faisait précédent. dut passer en Angleterre, victime « de la persécution des dévots, ou du moins de ceux qui font semblant de l'être; les véritables ont un peu plus de charité » (Mémoires. éd. A. CHÉRUEL, Paris, 1859. t. III, pp. 36 sq. — R. ALLIER, pp. 329 sq.

E. PILON, Dames et gentilshommes, Paris, 1941, pp. 58-65 ). Passavant rapporte même qu'un « gentilhomme contre qui le marquis plaidait tira l'épée pour le tuer » (p. 510).

(29) Lettre adressée de Paris le 19 novembre 1661 au P. Chastenet au sujet d© l'érection de Chancelade en congrégation (Archives de l'évêché de Cahors, carton 21. no 4 ). De fait, une fiche rédigée peu avant 1662 à l'intention de Colbert accusait Lamoignon de « cacher une grande ambition, conservant pour cet effet une grande liaison avec tous les dévots, de quelque parti et cabale que ce soit » et d'avoir « pour amis MM. de Fénelon, d'Albon et Pelletier ». Colbert pensait aussi qu' « à titre de dévot. il était engagé très avant dans la cabale qu'on appelle de ce nom ». Il avait caché le coffre secret de la Compagnie. Tous gestes qu'on interprétait par le désir d'entrer au ministère (R. AI.LIER, p. 358 — A. RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes. 14' novembre 1909, pp. 211-214 ). On ne s'étonnera donc pas qu'O. Lefèvre d'Ormesson ait écrit le 4 juin 1665 : « Le soir je fus chez M. le Premier Président » (cf. supra.

n. 9) « qui me montra une lettre de M. de Montaigu, fort obligeante, et je vis

groupes de gentilshommes que leurs statuts invitaient à « empêcher tout mal, procurer tout bien » pouvaient être aisément portés à intervenir dans des matières que Mazarin se réservait (30). I1 n'est donc pas étonnant qu'à la fin d'août 1660 le cardinal se soit plaint à Montaigu des menées de Fénelon : à cause de lui, « la noblesse s'assemblait en secret et c'étaient sans doute des gens mal contents et chagrins qui cabalaient quelque chose contre le service du Roi et qu'il était nécessaire d'y mettre ordre, que tous ces dévots étaient intéressés et ambitieux v (31). Le 12 septembre, l'appréhension des membres de la Compagnie redoubla quand ils apprirent que le prince de Conti avait su de Le Tellier que « le cardinal était en grande colère contre des confrères et des compagnies de dévots, et surtout contre une assemblée de duels qui se tenait à l'Hôtel-Dieu » (de fait, le surintendant Fouquet lui versait six mille livres par an); « que ces gens-là écrivaient de tous les côtés, que c'était contre le service de 1'Etat ». Anne d'Autriche ne tarda pas à faire savoir qu'on se préparait à surprendre les confrères assemblés, de sorte que, le 20 septembre, le groupe parisien mit fin à ses réunions en confiant ses affaires aux officiers et à quelques anciens. Le même mois, Mazarin s'en félicitait devant sa nièce la princesse de Conti, mais il « s'emportait e encore « fort » contre Fénelon, ambitieux qui « voulait dominer et se faire des amis pour se rendre puissant »; même des duellistes poursuivis, il tirait « une gloire qui fait parler de soi et qui rend estimable » : c'est en vain que la princesse soutint que « Fénelon était de ses amis et véritable serviteur de Dieu ». Le 13 décembre 1660, un arrêt du Parlement vint interdire toutes les assemblées non autorisées : la « grande décadence de la Compagnie s'ensuivit (32). Fénelon ne fut pas reçu

M. de Lainothe-Fénelon qui lui avait porté cette parole. Il me dit que lorsque la première fois la Reine-blère avait parlé au Roi sur mon sujet, et pressé sur le mauvais effet du manque de sa parole, il dit : « Je sais qu'on ne m'aime pas; mais je ne m'en soucie pas, car je veux régner par la crainte » (Journal d'O. Lefèvre d'Ormesson, éd. A. CHÉRUEL, Paris, 1861, t. II, p. 366).

(30) Revue des Deux-Mondes, juillet 1903, p. 61 — SOL, p. 20t). Solminibao

chargea aussi plusieurs fois le marquis de représenter les intérêts du clergé français au Nonce ou à la Reine (cf. Sot,. pp. 622-627). Mgr J. Calvet considère le marquis comme « le véritable chef du groupe politique qui en 1660 réveil d'installer en France une royauté vraiment chrétienne avec un roi dévot » (dans J. KRAUS, Fendons Pers6nlichkeit und Werke. Baden-Baden, 1953, pp. 30 sq.).

(31) BEAUCHET-FILLEAU, pp. 258, 263 — R. ALLIER, pp. 358-361. Mazarin ayant « parlé contre les dévots » en présence du marquis lui-même, celui-ci « lui répondit d'un air ferme : V. E. a un bon moyen de les attrapper; ils le méritent bien. C'est de ne leur donner jamais rien » (PASSAVANT, p. 513).

(32) R. ALLIER, pp. 359-364 — A. RÉBEI LIAU, Revue des Deux-Mondes, 15 octa› bre 1909, p. 902, et rr novembre 1909, pp. 211 sqq. Il y eut néanmoins des séances des officiers jusqu'au début de 1666 (BEAUCHET-FILLEAU, pp. 209 sq., 238 — AULAGNE, pp. 555 sq.). C'est par référence à celles-ei qu'il faut, semble-t-il, interpréter un curieux passage du Registre des Assemblées du Supérieur du Séminaire de Saint-

68 LA FAMILLE DE FÉNELON

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 69

en décembre 1661 dans l'Ordre du Saint-Esprit pour lequel la Reine-Mère lui avait accordé un brevet de nomination (33) et les attaques contre lui allèrent si loin qu'il fut mis en cause à propos de Tartuffe (34). Cela ne l'empêcha pas de participer en 1666 aux réunions d'un « conseil charitable » de Saint-Sulpice, qui essaya de continuer, sous le couvert d'une institution paroissiale, beaucoup des activités de la Compagnie (35),

Sulpice et de ses quatre consulteurs (A. S. S., t. I, pp. 56-57) : « Du 4 février 1665... M. de Bretonvilliers ayant assemblé ses consulteurs... leur proposa que M. le marquis de Fénelon demandait comme une grâce singulière qu'on lui permît d'avoir une porte dans sa maison qui était proche du jardin du séminaire de Saint-Sulpice, pour y pouvoir entrer quelquefois. Et leur ayant demandé leur avis, tous conclurent que s'il n'y avait que sa seule considération, quoiqu'on l'estimât beaucoup, on ne lui devrait point accorder cette grâce. Mais que, comme il y avait une oeuvre très importante pour la gloire de Dieu qui ne pourrait réussir sans cela, on lui accorderait, sans toutefois que cela pût être tiré à conséquence pour d'autres... Signé : Tronson, secrétaire ».

(33) Mgr de Beaumont, évêque de Saintes, écrivait à son cousin Gabriel-Jacques, ambassadeur à La Haye : « Il avait eu un brevet (ou lettre) pour être fait chevalier du Saint-Esprit, mais des brouilleries de Cour en empêchèrent l'effet » (A. N., M. 538, n. 75, p. 11), indication reprise par son correspondant (ibid., M. 538, n. 1 et Examen de conscience pour un Roi, 1747, p. 205 ). Bien que la promotion de 1661 (il n'y en eut pas d'autre entre 1642 et 1688) ait compris soixante-trois chevaliers, le cas ne fut pas unique. Par exemple : « Le 1" janvier 1658, le Roi fit chevalier de ses ordres Armand-Jean de Peyre, comte de Troisvilles, né en 1596, mort en 1672 sans avoir été reçu », cf. le Dictionnaire de JAL, p. 1201. Voir sur le marquis de Rouillac qui obtint le brevet le 11 décembre 1643, le P. ANSELblE, t. II, 1726, p. 183 B et TALLEMANT des RÉAUX, éd. A. Adam, t. II, p. 1402.

(34) On l'accusa de « surprendre la piété de la Reine, de faire sa cour aux dépens des autres... Quand Tartuffe parut, on dit à l'auteur qu'il aurait mieux fait de donner une épée qu'une soutane à son faux dévot » : c'est Fénelon qu'on visait (PASSAVANT, pp. 509 sq., 513 ). Ch. PERRAULT (Hommes illustres, Paris, 1696, t. I, p. 80) notera qu'on « faisait application du Tartuffe à des personnes de grande qualité » et le P. RAPIN (t. I, p. 294) pense même que c'est le Roi qui, « pour décrier » les membres de la Compagnie, « les fit jouer quelques années après sur le théâtre ». Si Molière ne semble pas avoir eu personnellement à se plaindre du marquis, il avait été en revanche lésé, même financièrement, par M. Olier, le prince de Conti et Pavillon (cf. R. ALLIER, pp. 393-395).

(35) On lit en effet dans l' u Etablissement d'un Conseil charitable; extrait du premier registre dudit Conseil, commençant le premier août 1666 et finissant le 16 avril 1673. M. d'Hemery étant secrétaire » : u du Jeudi xixe jour d'août 1666, à la séance dans la salle presbytérale, où étaient, M. d'Acolle, prêtre, M. Angot, M. le marquis de Crenay, M. le comte de la Mothe-Fénelon, M. le président de Garibal, M. Duplessis, conseiller du Roi en ses Conseils, M. Loyseau, conseiller du Roi en sa Cour des Aides, M. de Brion, M. Poirier, M. Gallois, avocat, M. Le Moyne, avocat, M. Callos, frère Jean Blondeau... L'Assemblée continuée au Jeudi IX septembre 1666 deux heures de relevée chez M. le Curé...

Du jeudi XIV octobre 1666 : A la séance tenue en la salle de M. le Curé où étaient MM. ci-après nommés : M. le marquis de Carnau, M. le marquis de Fénelon, M. le Président de Garibal, M. Duplessis-Montbar, M. Callos, M. de S. Germain, M. Poirier, M. Le Moyne. M. Le Mercier, prêtre, y présidait pour l'absence de M. le Curé... L'Assemblée remise à jeudi XXVIII octobre 1666 » (textes publiés dans

Bien que le marquis de Fénelon ait manifesté en 1653 un véritable acharnement anti-janséniste (36), d'autres motifs avaient pu accroître l'inquiétude du pouvoir : dans le Midi surtout, la Compagnie avait une spiritualité, une morale et une politique ecclésiastique que le prince de Conti soutenait sans réserves. La première était celle du P. Surin qui

le volume très rare de SIMON de DONCOURT, Remarques historiques sur Saint-Sulpice, [Paris, 1774? ], t. III, pp. 317-322). Créé par M. Olier ce « Conseil charitable D avait été rétabli par M. Ragnier de Poussé (J. M. PICOT, Essai historique... XVII' siècle, Paris, 1824, t. II, p. 93 ). Comme le signale A. RÉBELLIAU (Revue des Deux-Mondes, 1" novembre 1909, pp. 218, 221), il ne s'occupait pas seulement du u soulagement des pauvres honteux engagés dans quelque procès D. Dès 1668 il avait repris contre les blasphémateurs, les débauchés, les protestants, toute la besogne dénonciatrice et répressive de la Compagnie. C'est sans doute par prudence que le nom du marquis n'y reparaît pas à partir de 1666. Mais il est en 1673 remplacé par celui du futur archevêque (cf. infra, II° p., ch. 2, n. 27 ). Il semble bien que c'est cette métamorphose locale de la Compagnie du S. Sacrement qui chercha vite à s'étendre en province. Le 17 novembre 1670, M. de Meaux (D. de Ligny) dit en effet à l'Assemblée du clergé « qu'une compagnie pleine de charité de Paris lui a mis entre les mains un petit livre intitulé L'arbitre charitable [d'Alexandre de la Roche, Paris, 1668] pour faciliter l'accord des procès et des querelles suivant l'Edit du Roi Henri IV du 10 mars 1610 et les édits de S. M. contre les duels. Que ce livre avait déjà produit de très bons effets, et qu'on en espérait plus de fruit s'il plaisait à l'assemblée de l'appuyer de son autorité; il a ajouté que la même compagnie procurerait des remèdes pour les pauvres, qui avaient été éprouvés en plusieurs lieux avec succès, suivant l'attestation de Messeigneurs les prélats qui en avaient pris pour leurs diocèses. L'assemblée a loué le zèle et la charité de ladite compagnie et l'a exhortée d'envoyer dans les provinces de ces livres de l'Arbitre charitable et de ces remèdes, et a invité Messeigneurs les évêques de l'Assemblée d'en emporter dans leurs diocèses et d'établir dans leurs paroisses des confréries de charité de S. Charles Borromée » (Remède universel pour les pauvres gens et leurs bestiaux, pri,,ilègn (lu 16 octobre 1669, 9° éd., Paris, 1681, p. 5, dans le recueil factice de In Bibi. de la Sorbonne, Hôpitaux pauvres, remèdes, S. M. m. 51, 4° ). Suit une liste de s grands seigneurs et officiers du Roi qui ont fait... ces établissements dans leurs terres ou gouvernements » (ibid., p. 8), composée vers 1671. Si le nom du lieutenant-général de la Marche y frappe par son absence, on y trouve ceux de ses parents, le lieutenant-général de S. Abre, le marquis et le chevalier d'Aubeterre et même celui de son jeune neveu le comte de Fénelon, colonel au régiment de Conti. La Compagnie du S. Sacrement n'est pas moins bien représentée avec la princesse de Conti, le due de Liancourt, le comte d'Albon, les abbés de Prières et de Noailles. On trouve dans le même recueil (n° 26) un Avis du secrétaire de l'assemblée charitable de Paris et (n° 32 et 3:1) la mention en 1679 d'un « avocat général des pauvres à Paris chez le curé de S. Sulpice ». Enfin l'indication du titre de Remède universel : « le Roi en envoie » à ceux « qui le demandent par les mains de M. Pellisson » fait croire que le palais abbatial de S. Germain-des-Prés, où résidait aussi le marquis de Fénelon, était devenu le quartier général de la Compagnie en voie de reconstitution, et pas seulement du point de vue de ia lutte contre les protestants. Cf. aussi La direction et le secours des pauvres de la campagne, Lyon, 1687 (in-12, B. N., R. 27 208), pp. 45-48. Le 5 avril 1678 le marquis était marguillier (ms. fr. 5989, f. 96).

(36) Il écrivait le 7 mai 1653 à M. Olier : « Je fis hier un tour quasi semblable à celui de chez Mm° de Fleury. dans une autre maison du faubourg, sur le sujet de cette Remontrance si charitable et si chrétienne récrit que le P. Desmares fit paraître le 18 février 1653 contre un sermon de M. Olier sur la pénitence].

70 LA FAMILLE DE FI NELON LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 71

réservait au marquis un des premiers exemplaires de ses livres (37) et lui adressait des lettres d'exhortation. Mais le directeur du marquis était plutôt Solminihac qui le recevait le 23 octobre 1655 à Mercuès avec son frère l'abbé de Carennac, le comte de Fénelon son neveu et quelques autres gentilshommes désireux de « suivre des conférences des moyens de se tenir bien unis pour procurer la gloire de Dieu » (38). L'accord était d'ailleurs si complet entre l'évêque et le gentilhomme que, lorsque M. de Cahors, déjà malade, entreprit de faire condamner les casuistes, il invita Vincent de Paul à tenir avec M. de Magnac et le curé de Saint-Nicolas du Chardonnet, Féret, un « conseil qui devait être fort secret » et dont le marquis dresserait une relation pour mettre le prince de Conti au courant. Le mois suivant, Solminihac était satisfait des résultats de la réunion et chargeait Fénelon d' « informer bien la Reine de l'importance de cette affaire et de la supplier de vouloir servir l'Eglise en cette rencontre, ce qu'elle peut faire en recommandant au nonce » d'appuyer les démarches entreprises à Rome pour la condamnation de ce « livre très pernicieux » (39). Il n'est donc pas étonnant que le marquis ait

Si vous n'avez pas vu un écrit qu'on publie dans la rue contre les gens sinistres, nous vous l'enverrons pour vous divertir. Remerciez Dieu, s'il vous plaît, de la guérison du petit Martial [son fils] et demandez-lui celle de mon âme, que je mets de tout mon coeur entre vos mains pour la lui offrir sans réserve. Ce petit garçon nous rapportera de vos nouvelles en revenant de Fontainebleau où il n'arrêtera point. Je suis tout à vous, mon très bon père, et plus, Dieu merci, que je ne saurais vous le dire. J'eus hier une conversation de demie heure avec M. le maréchal de Gramont sur votre sujet, sur l'esprit de votre communauté, sur celui de M. de Liancourt et des jansénistes où je vous réponds que je n'épargnais rien. La proposition que M. de Morangis s'est attaché de faire de M. de Fontenay [Mareuil, qui fut ambassadeur à Rome; sans doute s'agit-il de son admission dans la Compagnie du Saint-Sacrement dont il fut reçu membre en 1653] a fait un étrange vacarme, où j'ai joué un personnage qui m'aura bien perdu à l'hôtel de Liancourt et me procurera, si Dieu plaît, quelque remontrance charitable à mon tour » (E. LEVESQUE. Lettres de M. Olier, Paris, 1935, t. II, pp. 117-119).

(37) Le P. Surin fait allusion à cet échange de lettres dans celle où il met Mme de Pontac en garde contre les dangers de la Cour (1664, cf. M. de CERTEAU, Correspondance de J. J. Surin, Paris, 1966, pp. 1644, 1652 ). Mais « le marquis de Fénelon », auquel le P. Champion croit une lettre adressée, est plutôt François II. Cf. infra, ire p., ch. VI, n. 16.

(38) Solminihac à du Ferrier dans E. SoL, A. de Solminihac. Notes et documents, Cahors, 1930, p. 587.

(39) Lettres du 3 mai et de juin 1659 dans la Correspondance de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. VII, pp. 528-533 et 614 sq. Il s'agit de l'Apologie des casuistes du P. Pirot dont le P. Jean Ferrier avait pris la défense dans Les sentiments des plus considérables casuistes... Toulouse, 1659. Sur Conti, cf. la lettre de Solminihac du 17 mai 1659, Archives de l'évêché de Cahors, carton 20, n° 5. Dans sa Vie, le P. Chastenet devait bientôt souligner que le prélat défunt « s'attachait à la source des canons et des Pères et non pas à ces petits jets d'eau des casuistes » (éd. de Saint-Brieuc, 1817, p. 338; cf. p. 324 où il met cette « nouveauté » sur le même plan que le jansénisme que M. de Cahors n'avait pas moins combattu; mais l'Avertissement au Lecteur ne parle que du jansénisme, non du laxisme). Cf. E. SoL, Notes et documents, pp. 433 sq. 620, 622, 627 — H. HILLENAAR, pp. 5, 16.

correspondu avec Pavillon et admiré les Pensées de Pascal (40). Il n'en était pas moins considéré en 1663 comme ultramontain (41). Et non sans raison, puisqu'il ne craignait pas alors de prendre la défense de la Vie de Mgr de Solminihac où il était rappelé qu'aucun évêque ne s'était montré plus ardent contre le livre de Dupuy, Des libertés de l'Eglise gallicane (42), alors que, le marquis lui-même le reconnaissait, les sentiments de la Sorbonne étaient présentement si délicats sur de semblables matières que l'ombre même de l'erreur était capable de les blesser » (43).

Ses multiples activités militaires, administratives et religieuses n'empêchaient pas le marquis Antoine d'user de son intelligence et de sa bourse pour accroître le patrimoine de la famille dont il était incontesta-

(40) Nous le savons par l'archevêque H. de Péréfixe qui avait été le condisciple et le consécrateur du frère du marquis (cf. supra, eh. III, n. 4 ). Il racontait le 24 décembre 1669 au libraire Desprcz : « M. Desprcz, il y a un fort habile homme qui m'est venu voir; ce n'est pourtant pas, me dit-il, un homme de notre métier, je veux dire qu'il n'est pas théologien, mais c'est un fort habile homme et fort éclairé; il m'a dit qu'il avait lu le livre de M. Pascal, et qu'il fallait demeurer d'accord que c'était un livre admirable; mais qu'il y avait un endroit dans ce livre où il y avait quelque chose qui semblait favoriser la doctrine des jansénistes, et qu'il valait mieux faire un carton que d'y laisser quelque chose qui en pût troubler le débit; qu'il en serait fâché à cause de l'estime qu'il avait pour la mémoire de feu M. Pascal »... Ensuite le prélat parla à son aumônier [M. Messat] de l'estime qu'avait faite du livre de M. Pascal celui qui l'avait lu et qui lui en avait parlé. « C'est, lui dit-il, M. de Lamothe-Fénelon ». Cet aumônier lui (lit qu'il le savait bien n (B. PASCAL, CEuvres, éd. Brunschvicg, Paris, 1925, t. XII, pp. CLXVI, CLXIX). C'est sans doute par les Roannez que le marquis connaissait le premier tirage des Pensées (cf. supra, n. 13 s.f. ). L'auteur de la Vie ms. de Pavillon — sans doute Paris — écrit d'autre part : a Je trouve encore beaucoup de lettres de M. le marquis de la Mothe-Fénelon, du maréchal d'Humières..., de Morangis..., d'Andilly..., toutes pleines de respect, de vénération, d'estime et de soumission pour M. d'Alet p(t. II, ch. 25, Bibl. de Port-Royal, ms. P. R. 120, p. 101). Il faut y joindre le nom de Brancas (ibid., 1. I, ch. 18, p. 82). Tous ces noms se situent aux confins de la Compagnie du Saint-Sacrement et de Port-Royal. Sur le P. de Monchy, cf. infra, n. 91.

(41) Après l'acte du 14 avril 1663 par lequel la Faculté mit fin à l'affaire Drouet de Villeneuve, Colbert reçut un rapport où se trouvaient dénoncées quatre communautés des Bagotistes, Saint-Sulpice, S. Nicolas et les Trente-Trois) et « des particuliers dévots qui contribuent à l'avancement de l'ouvrage que les bons Français et les véritables sujets du Roi essaient d'empêcher. Les principaux sont MM. d'Albon, de la Mothe-Fénelon... ». Cf. Ch. GÉRIN, Recherches sur l'assemblée du clergé de France de 1682, Paris, 1T° éd., 1869, pp. 31, 383 — 2° éd., 1870, pp. 29, 521, 524 — Raoul ALLIER, p. 374 — A. RÉBEI,LIAU, Revue des Deux-Mondes, 1" novembre 1909, p. 216).

(42) Ed. de Saint-Brieuc, pp. 415-418; cf. pp. 516 sq. et la lettre de M. de Cahors du 19 mars 1656 dans SoL, Notes et documents, p. 590.

(43) Expressions d'un billet que lui-même fit circuler sur certaines propositions et sur leur censure par le docteur de Breda (Evêché de Cahors, carton 20, n° 4, liasse 76 ). n n'est pas daté, mais la dernière approbation de la Vie est du 8 novembre 1662.

72 LA FAMILLE DE FÉNELON

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 73

blement le chef (44), et spécialement les biens provenant de sa mère dont il se trouvait, de fait, l'unique héritier. Or, Henri ler de Bonneval, oncle et tuteur de Mn" de Fénelon, s'était attribué le château de Blanchefort et la terre de Salignac (45), alors que sa pupille était encore mineure. Il avait bien obtenu le 12 mars 1599 lors du mariage de celle-ci que François jr et Bertrand de Fénelon « s'obligent à faire cesser l'action » qu'elle pourrait entreprendre pour faire valoir ses droits sur la succession de son grand-père Gabriel (46), mais le marquis de Magnac soutiendra le 12 mars 1671 que « ces actes étaient nuls et prohibés, étant des aliénations de biens dotaux faites par son mari, ou plutôt exigées de lui par Henri, saisi de tous les titres et biens de ladite dame, dont il avait toujours joui sans en avoir jamais rendu de compte » (47). Malheureusement pour les Fénelon, François I" avait de nouveau accepté les 11, 17 et 19 janvier 1608 une sentence arbitrale du Parlement de Bordeaux (48) et sa femme, alors majeure, avait, le 14 août 1611, par une transaction passée à Brive, ratifié avec lui ce qui avait été fait (49). Ce n'est qu'une fois veuve que la mère du marquis de Magnac parvint à rouvrir l'action judiciaire en alléguant qu'elle ne s'était laissé arracher cette signature que pour ne pas entrer en procès avec son mari : ses requêtes à cet effet lui permirent de justesse d'échapper à la forclusion (50).

La terre de Salignac avait été vendue le 13 janvier 1620 par Henri de Bonneval à un Rochefort de Saint-Angel, mais le chapitre de la cathédrale Saint-Etienne de Limoges en avait, en sa qualité de suzerain, obtenu la rétrocession. Marie de Bonneval interrompit sa possession par

(44 ) La supplique adressée le 27 février 1682 à M. des Coutures mentionne que le marquis « a dépensé 4 500 livres pour la cause commune contre la dame de Saint-Marc » (Archives d'Aiguevive) dans un litige dont nous ignorons l'objet.

(45 ) Petit fief dans la paroisse de Grand-Bourg (Creuse ) qui relevait de Magnac, sans rapport aucun avec la terre patronymique des Fénelon (Bull. Périgord, 1951,

p. 161 n.). En juillet 1583 Horace de Bonneval, père de Marie, recevait par son contrat de mariage le quart et le douzième des terres de Bonneval et de Blanchefort et un acte du 25 du même mois lui assurait les terres de Salignac et de Montaigu (arrêt du 12 mars 1671, A. D. Haute-Vienne, 3 G 295 ).

(46) Par cette transaction, Bonneval s'engageait à payer 30 000 lb. aux dits sieurs de Salignac et à ladite demoiselle de Bonneval (ibid. ). La supplique du 27 février 1682 considère que cette somme représente le prix de « vente du quart de Bonneval et de Blanchefort » et la distingue des 12 000 lb. de la dot constituée par Jeanne d'Anglure son aïeule (Archives d'Aiguevive).

(47) Arrêt du 12 mars 1671.

(48) Il toucha à cette occasion 30 000 lb. que la supplique du 27 février 1682 met en rapport avec le délaissement de Salignac.

(49) C'était la suite de lettres de restitution qu'elle avait de ses biens de 1599 (transaction du 8 février 1671).

(50 ) Il faut croire que le marquis de Magnac n'avait pas vu plus tôt l'intérêt ou les chances de succès de la procédure, mais le chapitre de Limoges aura des raisons de se demander si François r était bien mort après le 4 novembre 1644.

une requête du 4 novembre 1654 au sénéchal de Limoges. Le 15 décembre 1660 Jean-François de Bonneval, petit-fils d'Henri Pr, intervenait devant le Parlement de Bordeaux contre Antoine et son frère Pons, mais le Conseil du Roi renvoyait le 12 mai 1662 le procès au Parlement de Paris (51). On peut croire que c'est pour cette affaire que le marquis de Magnac et son neveu François II se trouvaient en 1666 « à la suite du Conseil » (52). La transaction conclue le 8 février 1671 entre ceux-ci et Bonneval reconnut les droits exclusifs des premiers (53). Il leur restait à les faire valoir contre le chapitre de Limoges qui avait intenté en 1665 et en 1666 un procès aux divers héritiers de Marie de Bonneval. Par arrêt du 12 mars 1671, le Conseil du Roi renvoya les parties au Parlement de Toulouse et le chapitre fut assigné le rr mai 1671 à y comparoir dans les deux mois. L'état actuel de ce fond très riche ne permet malheureusement pas de connaître la fin du procès (54).

C'est surtout le litige relatif au château de Blanchefort qui permit à Antoine de Magnac de montrer à la fois son habileté et sa modératiou. Agissant au nom de sa mère, il obtint le 6 septembre 1655 un arrêt définitif et contradictoire qui lui donna toute satisfaction (55). Il était peut-être plus difficile de déloger les « seigneurs-brigands ». Antoine obtint à cet effet une « route » de l'intendant de Guyenne Hotman et son neveu François — futur sulpicien — se chargea de l'exécution à la tête de soixante cavaliers du régiment de Saint-Abre (56). Mais Jean-François de Bonneval produisit peu après un testament encore inconnu du 13 mars 1547 — il fit aussitôt l'objet d'une inscription en faux (57), — et surtout une pièce du 12 juillet 1641, imprudemment communiquée par Pons, qui montrait qu'à cette date les Fénelon n'étaient nullement persuadés de leur bon droit (58). Antoine entra dès lors dans la voie des négociations; il signa le 10 avril 1668 un compromis avec son cousin de Bonneval devant les notaires Grégoire et da Troyes et, malgré les réserves des héritiers de Pons (59), il se prêta le 8 février 1671 à une

(51) A. D. Haute-Vienne, 3 G. 295.

(52 ) Supplique du 27 février 1682.

(53 ) Cf. infra, notes 59 sq. Ayant obtenu par surprise le 20 mai 1667 un arrêt de la Grand Chambre de Paris, Bonneval fit pourtant installer à Blanchefort un juge de son choix. Mais le marquis Antoine provoqua le 12 décembre 1670 un arrêt contraire du Conseil privé (A. N., V6 573, n° 44 ).

(54) Cf. supra, ch. II, n. 16.

(55) Arrêt du 12 mars 1671.

(56 ) Cf. infra, 1" p., ch. VII, n. 5. La même supplique du 27 février 1682 signale que François II demandait qu'il lui fût tenu compte « des frais pour envoyer de Manot à Magnae les papiers de Biron et une récompense pour son voyage à Fontainebleau et pour la poursuite au Conseil privé, le tout contre Bonneval s.

(57) Arrêt du 12 mars 1671.

(58) Cf. supra, ch. I, n. 43.

(59 ) Après le sous-seing privé du 10 avril 1668, Bonneval demanda des lettres au grand sceau le 29 septembre 1669, « le vicomte François », du second lit,

74 LA FAMILLE DE FÉNELON

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 75

transaction en se faisant fort pour ceux-ci. Les Fénelon garderaient les revenus perçus, ruais ils rendraient 13lanchefort moyennant une indemnité de 34 000 livres. Signé du marquis François et du chevalier Léon d'Auheterre, du lieutenant général Jean de La Cropte, du maréchal César-Phoebus d'Albret, mais aussi du chancelier de la Reine Fieubet et du naît re des requêtes Barillon, cet acte paraît un exemple de l'action pacificatrice de la Compagnie du Saint-Sacrement (60).

La générosité du marquis de Magnac pour ses neveux de Fénelon ne faisait pas oublier à l'aîné de ceux-ci qu'ils avaient été gravement lésés par le partage de 1641. Aussi François II tint-il en 1679 à empêcher la prescription par un exploit. Après de pénibles discussions, les deux parties acceptèrent en février 1682 l'arbitrage de M. des Coustures, sr du Bort, conseiller et avocat du Roi au présidial de Limoges, mais Antoine mourut avant que l'affaire ne fût complètement réglée (61). Ces divers litiges obligèrent le lieutenant du Roi de la Marche à faire divers séjours en Périgord (62), où il conservait d'ailleurs des liens étroits avec la communauté de Chancelade (63).

Antoine de Fénelon s'occupait naturellement davantage de sa terre de Magnac, exerçant avec beaucoup de zèle ses droits de justice dans les treize grosses paroisses qui en dépendaient (64). Il travailla aussi à enri-

pmtesta contre la sentence arbitrale du 12 octobre 1669 et le marquis de Magnac fut reçu partie intervenante le 25 octobre 1669; lui et le vicomte de Fénelon ont produit en instance le 30 janvier 1670 et les contredits de Bonneval sont du 28 juin 1670 (A. D. Haute-Vienne, 3 G. 295).

(60) ibid.

(61) Cf. infra, 1" p., eh. VI, App. I, n. 36 s. f.

(62) Se trouvant le 13 juin et le 4 juillet 1660 à Sainte-Mondane, il y signa des accords avec Pons. C'est à Gourdon que les comptes de la prise de Blanchefort « furent arrêtés le 26 juillet 1663 en présence des principales personnes de la famille par le comte de Clermont, leur ami commun ». Le 23 octobre 1663, il approuvait une nouvelle transaction : « les comptes de 1663 nécessitèrent un assez long séjour en Quercy du marquis de Magnac. Il employa même des avocats » (cf. supra, ch. I, n. 41). Le 15 août 1668, il signa au contrat de mariage de sa petite-nièce, fille de François II (cf. supra, ch. II, App., n. 34). Au début de 1682 il se trouvait enfin auprès de M. de Sarlat et ne devait pas être revenu le 9 mars au lieu de l'arbitrage (supplique du 27 février 1682, cf. infra, 1" p., ch. VI, App. 1, n. 36).

(63) Sur son voyage de septembre 1678, cf. supra, chap. III, n. 34. A la Fête-Dieu 1680, il écrivait aux Pères de Chancelade qu'il aurait passé l'après-midi aver eux, si ses neveux n'étaient pas a partin en ce temps-là pour aller d'ici à La Réole » (Evèché de Cahors, carton 2G, n° 2, liasse 64). Sur ses rapports avec

M. de S. Pierre (de Chantérne), cf. infra, Ir" p., ch. VI, App. I, n. 23. Le 22 février 1676 le sénéchal de Sarlat rendait une sentence d'appointement dans le prorès qui l'opposait à Louise de Vivant et à Joseph de Vivant (A. D. Dordogne. B. 12g1).

(64) D'après Passavant (p. 516 sq.), il ne voulut jamais vendre d'office de justice. 11 veillait sur son sénéchal, les notaires et les sergents, faisait punir les criminels et les prêtres scandaleux. Il était redouté, mais surtout par les riches contre qui il prenait le parti des pauvres, et il réglait beaucoup de procès par arbitrage. Il faisait distribuer de nombreuses aumônes et surtout du blé.

chir l'église de la ville (65). Plus convaincu encore de la nécessité de la création de séminaires, le marquis de Fénelon travailla longtemps à en établir un à Magnac. L'entreprise était malaisée, et il dut d'abord se contenter d'obtenir en 1649 de M. Olier ungroupe de sulpiciens qui s'appliquèrent, sous la direction de Pierre Couderc, à évangéliser les campagnes du marquisat (66). Après le rappel de ceux-ci (1651), il fit de leur maison « un collège ecclésiastique où l'on recevrait des jeunes gens de tout le diocèse de Limoges ». Il ne perdait pourtant pas de vue son projet et demandait à Solminihac, réticent, de compter comme année de séminaire le temps passé à Magnac par un clerc de Cahors (67).

Il avait d'ailleurs pressé dès 1652 Mgr de La Fayette d'établir les sulpiciens à Limoges. D'abord peu enthousiaste, celui-ci changea d'avis, sans doute en raison des efforts de la Compagnie du Saint-Sacrement : le 5 janvier 1657 il obtenait des lettres patentes pour un séminaire d'ordinands (68). Sous l'impulsion de Martial de Maledent de Savignac, le « saint Vincent de Paul limousin », celui-ci fut créé en 1661 et installé en 1666 dans des bâtiments neufs à l'aide d'un prêt de 6 500 livres consenti par Fénelon à Maledent (69). Et comme, à Magnac même, les élèves affluaient, le marquis commença en 1665 à faire construire dans le style de son propre château un établissement clérical auquel il avait affecté le 17 octobre 1664 le produit de la moitié des octrois de Magnac qui lui avait été attribué par arrêt du 2 août 1656. Bien que les lettres patentes du 22 mars 1665 lui donnent le titre légal de séminaire (70), le contrat du 16 janvier 1666 précise qu'il servirait aussi de collège et qu'un ecclésiastique y serait attaché pour la direction des petites écoles (71). En fait, Magnac ne reçut jamais d'ordinand, et le

(65) Cf. infra, lettre du 6 octobre 1689, n. 7.

(66) M. Olier à Pierre Couderc, décembre 1650, éd. E. LEVESQUE, Paris, 1935, t. I, p. 519 — E. FAILLON, Vie de M. Olier, t. II, p. 310 et Vie de M. de Lantages, Paris, 1830, p. 431 — J. AULAGNE, p. 598 — A. PACAUD, Histoire du grand séminaire de Limoges, Limoges, 1950, pp. 57 sq.

(67) AULAGNE, pp. 255, 563, 616 — COSTE, Correspondance, t. IV, p. 118 SOL, Lettres et documents, p. 434.

(68) J. GRANDET, Les saints prêtres français du xvitc siècle, t. I, pp. 219-238 AULAGNE, p. 255 — PACAUD, pp. 56, 58 sq., 335.

(69) A. LEROUX, Documents concernant la Marche et le Limousin, Limoges, 1883-1885, t. II, p. 137 — J. AULAGNE, p. 271 — PACAUD, pp. 47-52, 56, 68 sq., 339, 345, 349.

(70) J. H. NORMAND, Histoire du collège de Magnac-Laval depuis sa fondation en 1664 jusqu'à la Révolution, Limoges, 1871, pp. 31-34, 42, 81, 261 — A. LEROUX, Nouveau choix de documents historiques sur le Limousin, Limoges, 1895, t. VI, pp. 166-197 — AULAGNE, pp. 598 sqq. Le directeur Etienne Vayssière afferma le 21 novembre 1687 ces « deniers d'octroi » 1 164 livres (notaire Nicault, A. D., Haute-Vienne, 4 E 45, liasse 230).

(71) Le 29 juillet 1665, le conseil épiscopal de Limoges avait, en présence de l'évêque de Sarlat et du supérieur de Magnac, Fraysse, donné un réglement à la

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGIVAC

76 LA FAMILLE DE FÉNELON 77

Tronson, n° 272, 274, 280 sq. - 211,

supérieur, Pierre Goneldieu, n'obtint que le 12 novembre 1675 de M. de Limoges l'approbation du règlement (72). Le marquis dut encore attendre le 29 juin 1680 pour qu'après de difficiles négociations conduites par M. Tronson, Mgr de Lascaris d'Urfé ratifiât par contrat l'union de Magnac à son séminaire. Le fondateur affecta le 29 septembre 1682 des ressources supplémentaires à l'entretien du régent chargé des petites écoles et fit en 1683 confirmer par de nouvelles lettres patentes le statut du collège qui put ainsi subsister jusqu'à la Révolution (73). Des volumes qui lui avaient été donnés par le marquis, on a conservé la Vie du V én. serviteur de Dieu Vincent de Paul par Abelly et les quatre volumes des Méditations sur la vie de Jésus-Christ du jésuite Hayneufve (74).

De sa conversion par M. Olier jusqu'à son inhumation dans la crypte de l'église, le marquis de Fénelon a constamment conservé les liens les plus étroits avec Saint-Sulpice et ses supérieurs. En juin 1661 nous le voyons assister à un conseil de fabrique (75). Le 26 mai 1666 c'est dans sa maison que « des articles » furent « accordés entre le curé de la paroisse et MM. du Séminaire des Missions Etrangères » : la présence de la signature de Bossuet à côté de celles de Vincent de Meur et de Gazil suffirait à nous rappeler l'intérêt que la Compagnie du Saint-Sacrement portait à la nouvelle fondation (76). Nous savons qu'il était présent à la fin de la même année quand son neveu déclara à M. Tronson sa résolution d'aller au Canada (77). Dix ans plus tard, le journal de M. G. Bourbon nous permet de suivre les nombreuses visites du marquis (souvent accompagné par sa fille, MI' de Fontaine) au supérieur: les 22, 24 et 29 avril (il venait lui parler « d'un arrêt rendu au préjudice du séminaire de Magnac »), les 26 juin, 8 et 10 août 1677 (78).

fondation nouvelle (AULAGNE, pp. 598 sq.). L'acte du 16 janvier 1666 stipulait que le séminaire était établi « tant pour la décharge de celui de Limoges (qui ne peut

suffire à recevoir les ordinands qui s'y présentent) que pour servir de bourse cléricale en faveur des plus pauvres clercs qui méritent d'être promus aux ordres sacrés ». Au cas où l'union avec Limoges serait rompue, le séminaire passerait sous la juridiction de Saint-Nicolas du. Chardonnet (NORMAND, pp. 58, 81 sq. — LEROUX, t. VI, pp. 171-189 — AULAGNE, pp. 270, 598 sq., 601, 603, 617).

(72) L'évêque omettait d'ailleurs la mention de Saint-Nicolas du Chardonnet (A. LERoux, Documents historiques concernant la Marche et le Limousin, Limoges, 1883-1885, t. II, pp. 279-285).

(73) NORMAND, pp. 39, 50-52 J. L. GUIBERT, Manuscrits du séminaire de

Limoges, Limoges, 1892, p. 116 — AULAGNE, pp. 599, 603, 616.

(74) NORMAND, p. 280. Cf. H. HILLENAAR, pp. 52 sq.

(75) Ms. fr. 5 989, f. 51 y°. Le 5 avril 1678 le marquis y promettait de donner u par aumône cent-dix livres pendant trois ans » (ibid., ff. 96 r° - 97 r°).

(76) Adrien LAUNAY, Documents relatifs à la Société des Missions Etrangères, Paris, 1904, p. 425 et n. 3.

(77) Cf. infra, 1" p., ch. VII, n. 8.

(78) A. S. S., Journal des actions de M. 257 et 259.

Une lettre de M. Tronson à M. Bourdon le jeune révèle qu'il cherchait à obtenir l'appui des sulpiciens pour empêcher le retranchement d'une partie des octrois qu'il avait donnés à son séminaire de Magnac. Prudemment, le supérieur se refusait à « prévenir les ordres » de M. de Limoges (79). Le 21 septembre, le marquis venait chercher M. Tronson en carrosse. A la fin d'octobre des visites simultanées du gentilhomme et de Mm' d'Urfé indiquent qu'il s'agissait de la même affaire. Le marquis revenait le 22 novembre (80) et M. Tronson y faisait allusion dans une lettre à l'évêque de Limoges du 27 novembre 1677 (81). L'année suivante, nouvelles visites les 5 et 7 avril, 29 mai, 4 juin 1678. Le 25 septembre, M. Tronson invitait le missionnaire Cluniac à aider le marquis dans la tâche de pacification des esprits qu'il était allé entreprendre à Sarlat (82). En avril 1679, c'était la question du sentinaire de Magnac qui se posait : son fondateur venait les 27 tuai, I 4, 20, 23 juin voir M. Tronson (deux fois avec sa fille, le 23 avec l'abbé) (83) et lui remettait pendant l'été plusieurs mémoires, qui étaient envoves à Limoges par les soins du sulpicien. Des ditlieultés se presentaient (rapport à la mission et au séminaire, exclusion des habitants du lieu de la direction du séminaire), mais le supérieur s'entremettait et multipliait les lettres à ses confrères Bourdon, Guye, !lardon, Masson (84). Il écrivait aussi à Louis de Lascaris (l'Urfé, évêque de Limoges, 1(.4 22 juillet et 11 novembre, et pouvait, le 19 décembre 1679, le féliciter de l'heureuse conclusion de l'affaire : eût-elle jamais abouti si le prélat, nommé en 1677, n'avait été à la fois ancien élève de Saint-Sulpice et fils du cousin issu de germain du marquis (85)? lin peu plus lard, nous voyons M. Tronson et le marquis s'ocetiper d'accomntoder les

différends entre l'évêque de Limoges et ElisnIs de 1,a Feitilhule, abbesse

de Notre-Dame de la Règle (86).

Il n'est pats sans intérêt, même pour la biographie du futur archevêque, de noter que le marquis paraît avoir presque toujours résidé à Paris sur la paroisse Saint-Sulpice, mais avec des adresses différentes. Il est

(79) A. S. S., f. Tronson, t. IV, f. 41.

(80) A. S. S., Journal de M. Bourbon, n° 302, 312, 332, 337, 364.

(81) Correspondance, éd. L. BERTRAND, t. II, p. 407.

(82) Journal de M. Bourbon, pp. 506, 509, 511, 563 et 569 et supra, ch. II. 34.

(83) Lettre à Bourdon du 15 avril 1679, ms., t. IV, p. 100 — Journal de M. Bourbon, n° 674, 678, 681, 694, 697.

(84) Lettres des 3 juin, 8, 10 et 22 juillet, 28 octobre, 11 novembre, I() décembre 1679, ms., t. IV, pp. 102, 104, 106, 108, 114, 124, 125, 127, 129 sq., 133 sq.

(85) Ms., t. IV, n. 114, 129, 133. Cf. infra, ch. V, n. 41.

(86) Lettres de Tronson du 3 février 1680 (éd. BERTRAND, 1904, t. II, p. 441 ) et du 22 août 1682 (ibid., t. II, p. 451). Cf. J. AUI.AGNE, p. 429. La lettre du même à M. Gaye du 12 iuin 1683 concerne le désir du marquis de voir M. Ilurdun passer au séminaire de Magnac.

78 LA FAMILLE DE FÉNELON

LE MARQUIS DE FÉNELON-MAGNAC 79

d'abord domicilié rue Taranne (par exemple dans les actes des 17 octobre 1664 et 19 mai 1665) (87). Il déménagea peut-être lorsqu'en 1675 Pellisson devint économe de Saint-Germain-des-Prés, car on lit dans une lettre du P. Chastenet au P. Carcavy en date du 21 décembre 1679 :

« M. Noizeux continue à nous tourmenter pour le compte que vous avez fait avec lui. Prenez la peine de voir M. du Ferrier, neveu de M. Pellisson et logé avec lui dans l'abbaye Saint-Germain... S'il ne veut pas vous accorder ce que je vous mande, vous devez prier M. le marquis de Manhac de lui en dire un mot, c'est son bon ami et demeure comme vous savez dans l'abbaye de Saint-Germain » (88).

De fait, « rue du Petit-Bourbon » (l'actuelle rue Bourbon-le-Château) est, jusqu'à 1689, l'adresse du marquis, de sa fille, de son gendre, de l'abbé de Fénelon et de l'abbé de Langeron (89). Nous n'avons trouvé

(87) NORMAND, pp. 31-34 et COURONNEL, p. 25. D'après JAILLOT (Recherches critiques, historiques et topographiques sur la ville de Paris, Paris, 1782, XX, p. 80)

la rue de Taranne commence au carrefour Saint-Benoît et finit rue des Saints-Pères. Cf. aussi BERTY, Topographie historique du vieux Paris, Paris, 1882, pp. 269, 272. Cependant le marquis logeait les 8 février et 1" mai 1671 « au Palais-Royal, paroisse Saint-Eustache » (A. D., Haute-Vienne, 3 G 295).

(88) Archives de l'évêché de Cahors, carton 20, n° 2, liasse 64.

(89) Cf. par ex. le contrat de mariage de sa fille (infra, l'e p., ch. V, n. 10) où le marquis est indiqué le 22 janvier 1681 comme u demeurant à Paris dans

le palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés » et NORMAND, pp. 39, 50 sqq. L'abbé de Fénelon donne en particulier cette adresse dans sa quittance du 14 avril 1687. D'après JAILLOT (t. V, p. 33) la rue Bourbon-le-château ou du Petit-Bourbon va de la rue de Buci à la cour abbatiale de Saint-Germain-des-Prés. Elle doit son nom au cardinal de Bourbon qui fit bâtir en 1586 le palais abbatial.

De fait, le Mémoire de son neveu pour servir à la vie de M. de Cambrai-Fénelon précise : « A sa sortie de Saint-Sulpice, il fut quelque temps logé chez M. le

marquis de Fénelon son oncle à qui le Roi avait donné un logement à l'abbaye

de Saint-Germain que l'on laissa longtemps vacante, la destinant à M. le comte de Vexin » (A. S. S., ms. XV, 2 ). Il était évidemment redevable de cette faveur à

l'administrateur des économats, Pellisson (cf. supra, n. 88 ). Elle explique que le

précepteur des princes ait été au nombre des ecclésiastiques qui obsédèrent le converti pendant sa dernière maladie pour l'amener à communier : leur échec obligea à

faire circuler aussitôt une lettre selon laquelle « le 6 février 1693, veille de la

mort de M. Pellisson, le Roi ayant su qu'il était plus mal qu'il ne le croyait lui-même, lui envoya M. l'évêque de Meaux, M. l'abbé de Fénelon et le P. de

La Chaise..., il convint de se confesser le lendemain sur les onze heures du matin...,

mais il fut surpris par la mort sur les sept heures du matin » (C. de RENNEVILLE, L'Inquisition française ou l'histoire de la Bastille, Amsterdam, 1724, t. IV,

pp. 396 sq., cf. p. 391 — MORERI, s. y.). C'est évidemment la raison pour laquelle l'abbé fut choisi le 7 mars pour lui succéder à l'Académie française. Dès le 31 mars 1693, son Discours de réception rassurait l'opinion par un témoignage oculaire sur la ferveur catholique du moribond qui avait en particulier promis « d'achever son grand ouvrage sur l'Eucharistie » (cf. le Discours, Paris, 1693 et DANGEAU, t. IV, p. 255).

Mais le salon — et sans doute la table (cf. infra, n. 93 s. f.) — du marquis de Fénelon attirait d'autres illustres. On peut douter, malgré l'autorité de son petit-neveu (cf. la Vie jointe à l'Examen de conscience, Londres, 1747, pp. 86, 90 ), que

qu'une exception : la constitution de rente du 26 juin 1682 à l'abbaye de Sézanne en Brie. Le marquis et sa fille y sont dits « demeurer à Paris, rue Saint-Dominique, quartier Saint-Germain-des-Prés » (90).

Lors de sa dernière maladie, le marquis témoigna à sa fille le remords d'avoir trop dépensé pour embellir Magnac. Il se plaisait alors à se faire lire l'Ecriture, en particulier le Livre des Macchabées et les Actes des Apôtres. Assisté par le P. de Monchy, oratorien (91), il mourut à

l'archevêque Harlay eût avec lui beaucoup plus que des relations mondaines. Il en allait tout autrement de l'archevêque d'Auch La Mothe-Houdancourt que le futur archevêque de Cambrai « eut souvent l'occasion d'entendre » (cf. sa lettre à Clément XI du 20 avril 1706) — évidemment chez son oncle.

Ancien dignitaire de la Compagnie du Saint-Sacrement et très lié avec Pellisson, Bossuet ne pouvait pas ne pas fréquenter celui qu'il appellera, dans sa lettre à e". de Laval du 19 août 1689, « un ami d'un si grand mérite et si cordial ». Notons en passant que c'est un « M. de La Mothe » qui mit le 2 décembre 1678 Bossuet en relation avec le duc Jean-Frédéric de Hanovre et par lui avec Leibniz. 11 annonçait que M. de Condom « serait (à ce qu'on croit) revêtu de la pourpre et qu'il n'en aurait obligation qu'à son mérite extraordinaire »; il ajoutait que « sa réplique à la réponse qu'on a faite à son premier livre serait une pièce toute divine u (Landesbibliothek Hannover, L.H. I, XIX, f. 149 y° — FOUCHER de CAREIL, (Euvres d Leibniz, Paris, 1859, t. I, pp. 25 sq., ou 2° éd., pp. 59 sq.). Malgré les éditeurs de Bossuet, nous attribuerions plutôt cette pièce 'à un gentilhomme lié aux Coudé, proches parents de Jean-Frédéric, qu'à un grand-vicaire de Paris que ne désignent ni ses relations ni le ton de sa lettre. L'auteur de celle-ci appartenait sans aucun doute à la « cabale des accommodeurs » dont le centre était à Saint-Germain-dis-Prés et pourrait donc être le marquis de Fénelon. En tout cas, l'affirmation que celui-ci fit connaître son neveu à Bossuet, se trouve non seulement sous la plume du marquis Gabriel-Jacques (A. S. S., ms. XV, 2 ), mais sous celle de Ledieu (éd. C UETT Paris, 1856, t. I, p. l 83) : « Le marquis de Fénelon qui était à la Cour en réputation d'homme d'esprit et de piété, se lia bientôt avec l'évêque de Condom et ensuite » (vers 1672 d'après le contexte) « il lui amena son neveu ». C'est aussi par lui que le jeune clerc dut connaître Claude Fleury, né en 1640, bien que celui-ci ne le nomme dans son Journal que le 27 juin 1683 (Fr. GAQUÈRE, La vie et les oeuvres de Cl. Fleury, Béthune, 1925, pp. 234 sq. et surtout 255 sq.). E. JOVY (Pascal inédit, Vitry-le-François, 1910, t. II, p. 443 n.) affirme que le duc de Beauvillier faisait aussi partie du cercle de Saint-Germain-des-Prés : c'est d'autant plus vraisemblable que, le 11 avril 1674, il recommandait au maréchal de Bellefonds un neveu du marquis (cf. infra, lettre I, n. 9). Enfin le conseiller Henri Daguesseau écrira le 5 septembre 1692 à Fénelon qu'il « avait été fort serviteur » de son oncle « qui avait beaucoup de bonté pour » lui.

(90) Minutier Central, Etude Le Vasseur, XCVIII, liasse 281.

(91) Le choix de ce directeur qui s'abstenait souvent de dire la messe de peur de le faire par routine est un signe assez net des tendances du marquis. Issu vers 1610 d'une bonne maison de Picardie et entré en 1633 à l'Oratoire, Pierre de Monehy passa la plus grande partie de sa vie à Saint-Magloire où il mourut le 8 novembre 1686. Parent de la femme de Le Tellier et ayant « de grands accès n auprès du Chancelier, il avait refusé des évêchés. Nommé assistant du général de l'Oratoire en 1662, il se fit remplacer dès 1663. Il avait assisté Gaston d'Orléans à ses derniers moments et provoqué la conversion de Rancé, puis celle de Le Camus. ll accompagna celui-ci dans le diocèse de Grenoble où il se fit traiter de « rigoriste et de janséniste ». Mais il continua à le diriger de Saint-Magloire. Henri de Barillon

80

LA FAMILLE DE FÉNELON

Paris, le 8 octobre 1683 (92). Sa mort fut annoncée par la Gazette de France et le Mercure galant lui consacra une notice où il était dit que « tous les gens de bien avec qui il avait beaucoup de liaison le regrettent fort » (93).

souhaitait également l'attirer dans son diocèse de Luçon. Ce fut aussi lui qui se trouvait au lit de mort du comte de Brancas : Saint-Simon était donc bien renseigné sur les milieux fréquentés par Fénelon (cf. infra, II° p., ch. V, n. 2 ) qui écrira le 7 mars 1696 à MW' de Maintenon : « Je me souviens que le P. de Monchy, bien éloigné de l'esprit de schisme, ne m'écrivait jamais sans saluer notre petite église; il voulait parler de ma famille ». La même allusion paulinienne (Col. IV, 5 ) venait aussi sous la plume de J.-J. Boileau (cf. A. DURENGUES, M. Boileau de l'archevêché, Agen, 1907, p. 69). Voir les notices consacrées au P. de Monchy par L. BATTEREL (Mémoires domestiques pour servir à l'histoire de l'Oratoire, Paris, 1904, t. III, pp. 190-208 et surtout 192, 194-198, 202-207 ) et J. GRANDET des saints prêtres français du xvixe siècle, éd. G. LETOURNEAU, Paris, 1897, t. II, pp. 138-141). On ne s'étonnera pas que le P. de Monchy ait séjourné à la Trappe (1679 ) et qu'il ait reçu de nombreuses lettres de Rancé (H. TOURNOUER, Bibliographie et iconographie de Notre-Dame de la Trappe, Mortagne, 1905, t. II, pp. 267, 271, 289 sq., 302, 344 sq.). 11 était d'autre part lié au P. Thomassin et il se montra à l'assemblée de l'Oratoire de 1678 « très facile à intimider » par l'imputation de jansénisme (Bibi. de Port-Royal, ms. P. R. 6, p. 783, cf. Br. NEVEU, Oratoriana, mai 1965, pp. 92, 97, 99, 104 ). Si bien qu'il mérita à la fois les éloges des Nouvelles ecclésiastiques (27 septembre et 9 novembre 1686, ms. fr. 23 498, ff. 125 y°, 139 r° ) et ceux du P. de La Chaise, qui voulait oublier que le défunt n'avait pas « été pendant sa vie sans traverse de sa Société » (mars 1691, ms. fr. 23 501, f. 27 r° ).

(92 ) Il fut inhumé dans la chapelle souterraine du séminaire Saint-Sulpice

(L. BERTRAND, t. III, p. 46 n.).

(93) PASSAVANT, p. 517 — Gazette de France, 16 octobre 1683 — Mercure galant, octobre 1683, p. 284 — SOURCHES, 8 juillet 1687 et 16 mai 1688, t. II, pp. 64 et 164 n., cf. supra, n. 15. Le chevalier de Méré (cf. supra, n. 7 ) avait porté vers 1674 sur le grand dévot un jugement assez favorable dans la bouche d'un libertin : « 11 a de l'esprit, mais il n'a pas de jugement; pour avoir du jugement, il faut avoir la tête ferme et rassise, regarder le rapport qu'une chose a avec une autre. Il n'a que la première vue; il faut qu'il y ait quelque faux ressort dans sa tête. Nous parlions de M. de la M.-Fénelon » (dans Ch. BOUDHORS, Divers propos du chevalier de Méré, Revue d'Histoire litt. de la France, t. XXIX, 1922, p. 84). Un autre jour le chevalier précisait : « Ce qu'a de mauvais ce M. de la (M ) F., c'est cette affectation de dévotion. Il faut n'avoir rien d'affecté... M. de la Mothe-Fénelon : un gargottier, un maçon. Il n'y a rien qui siée plus mal que d'être l'un ou l'autre » (ibid., p. 84). L'épithète de « gargottier », familière sous la plume de Méré, vise probablement la qualité gastronomique de la table des intéressés. Dans un autre domaine, il juge favorablement les « règlements » composés par le marquis (cf. supra,

n. 19).

CHAPITRE V

V LA MARQUISE DE LAVAL

A partir du moment où il fut confié à son oncle le marquis, le futur archevêque ne vécut peut-être avec aucun de ses frères aussi familièrement qu'avec sa cousine germaine Marie-Thérèse-Françoise, née en 1650 (1), et bientôt après orpheline par la mort de sa mère Catherine de Montberon. La mort de son frère (2) fit passer à Marie-Françoise la succession de leur oncle Charles de Montberon, sieur de FontaineChalendray (canton d'Aulnay près de Saint-Jean d'Angély), décédé le 5 juillet 1666 (3). Dès le 15 mai 1670 elle fournit le dénombrement de sa seigneurie à Macé Bertrand, sr de Vouvant (4). Elle rejoignit d'abord sa grand-mère (née de L'Aubespine) à Fontaine où elle tint des nouveaux-nés sur les fonts baptismaux avec des compères de la meilleure noblesse du pays (5). Elle semble avoir même présidé à des chasses à

(1) Cf. supra, ch. IV, n. 3 et Aimé LEFORT, La Province d'Anjou, t. IX, 1934, p. 269 (cf. aussi p. 329 et t. X, pp. 245, 320). Moreri donne à tort 1652. Sur ses prénoms, cf. Bibl. Nat., f. Périgord, t. 164, f. 30 y°.

(2 ) Dans son testament daté du 25 août 1668, veille de son départ pour Candie, le jeune homme y parle de leur grand-mère, la comtesse de Fontaine, et de leur oncle, M. de Sarlat. Il ajoutait : « Au reste je te supplie, ma très chère soeur, d'assister de ton bien tes pauvres cousins de Fénelon qui n'ont rien, en cas que tu ne te maries point, sur quoi je ne te donnerai point de conseil que celui de suivre celui de ta grand-mère et de ton oncle qui ne s'accorderont peut-être pas en cette rencontre » (Annales de la société d'agriculture, sciences et arts de la Dordogne, t. XXXII, 1871, p. 116 ). Le 23 août 1668, le frère et la soeur avaient tenu un enfant sur les fonts à Magnac. Les 17 septembre 1668 et 27 février 1669, Marie-Françoise y fut encore marraine (Registres paroissiaux ).

(3 ) Abbé MULOT, Les cloches de Fontaine, n° 58. Cf. le P. ANSELME, t. VI, p. 562 et surtout t. VII, p. 25.

(4 ) On trouvera cet « adveu et dénombrement » aux Arch. Nat., M. 537, n° 45.

Il est utilisé dans Les cloches de Fontaine, n° 7, janvier-février 1926. En 1744 relevaient de cette succession les terres de Fontaine, des Gours, de la Pironnière et de

la Plaine qui rapportaient respectivement 16 000, 9 000, 5 200 et 12 000 lb. de rente (cf. LEFORT, La Province d'Anjou, 1935, p. 321). Voir sur la forêt de Fontaine, L. FAVRE, Histoire de la ville de Niort, Niort, 1880, p. 335.

(5 ) Les cloches de Fontaine (n° 60, août 1930) citent les noms : Claude de Bourdeilles, comte de Matha, chevalier Gabriel des Escandes, prieur de S. Fraigne, Louis de Livennec, sr de Barbezières et de Nogaret, Jean de Mesmes. sr des Coûts, François de La Rochefoucauld, abbé de Cressé.

82 LA FAMILLE DE FÉNELON

83

LA MARQUISE DE LAVAL

courre (6) et le futur archevêque séjournait peut-être à Fontaine le

8 mai 1673 (7). Mais, sa grand-mère s'étant retirée à Cognac, Françoise s'établit auprès de son père aux charités duquel elle fut étroitement associée : &est ainsi qu'elle l'accompagna plusieurs fois lors des visites qu'il fit à M. Tronson au sujet de l'union du séminaire de Magnac à celui de Limoges (8). Elle ne cessait pas de voir le jeune abbé de Fénelon puisqu'ils présentaient tous deux un enfant au baptême le 18 juin 1679 (9). Le Roi, la Reine, des ducs et des duchesses signèrent le 22 janvier 1681 son contrat de mariage avec Pierre de Laval-Lezay. baron de Treves, sieur de Neuville, de la Bigeottière et du Bourg d'Iré, chef du nom et des armes de Laval, branche détachée des Montmorency dès 1230 : elle entrait ainsi dans une famille où la richesse n'accompagnait pas l'illustration (10). L'arrière-grand-père de son mari (Pierre I", mort en mai 1589) avait pourtant épousé le 5 juillet 1550 Jacqueline Clérambaut, héritière du sieur de La Plesse, qui lui apporta plus de 50 000 livres de rentes, et son grand-père Pierre II (mort le 25 mai 1623) avait, le 11 mars 1592, reçu les 120 000 livres de la dot d'Isabeau de Rochechouart de Mortemart. Mais Pierre III était fils d'un cadet, Guy-Urbain de La Plesse, époux de Françoise de Sesmaisons, mort le 21 octobre 1661, et avait eu à partager l'héritage de son oncle le marquis Hilaire de Lezay (1600 - 11 février 1670) avec sa tante J. A. d'Acigné. Il avait en outre un frère, Hilaire, et deux soeurs, Marie-Louise et Françoise (11). Les terres que Pierre III apporta en mariage (12) étaient

(6 ) On nomme parmi les veneurs le baron de Chantérac, le marquis de La Force et Bernard d'Allegret de Contré. Les chasses cessèrent en 1670 (ibid.).

(7) Date de la lettre signée, 1 p. in-f°, signalée par le Catalogue des autographes composant la collection d'un amateur hollandais (Gabriel Chavaray, 17-18 novembre 1876, p. 10, P. 107 ) : mais ne s'agit-il pas d'un autre Fénelon? Notons pour mémoire qu' e avant 1793 on montrait au vieux château de Monteil, près d'Arnac-la-Poste, la chambre où Fénelon serait né » : la baronnie d'Arnac dépendait de Magnac (COURONNEL, Notice sur Magnac, Bellac, 1884, p. 35).

(8) Cf. supra, ch. IV, n. 83.

(9 ) Leur filleule était fille de Pierre Simon, maître charpentier (JAL, Dictionnaire de biographie et d'histoire, p. 572).

(10 ) Les Laval avaient obtenu les 19 novembre 1467 et 16 février 1644 le titre plus ou moins justifié de « cousins du Roi », ce qui permit au fils de la cousine de Fénelon de « draper » à la mort de Louis XIV : cf. BOISLISLE, t. XXXI, pp. 230

et 242. Voir l'annonce du mariage dans la Correspondance de Bussy-Rabutin, éd.

LALANNE, Paris, 1859, t. V, p. 222.

(11) Cf. le P. ANSELME, t. III, Paris, 1738, p. 642 C — [PASSAVANT], Vie de R. M. Gautron, Paris, 1690, pp. 495-501 — La Province d'Anjou, 1934, p. 274. Cf. sur l'aînée de ses soeurs, infra, lettre du 16 juin 1681, n. 9. La cadette mourut en 1726 abbesse de Sainte-Croix de Poitiers, âgée d'environ soixante-cinq ans.

(12) C'est des Lezay que son fils Guy-André tenait le fief de La Bigeottière, la châtellenie de Neuville et une rente sur le marquisat de La Plesse dont les revenus étaient, en. 1744, respectivement évalués à 3 000, 9 000, 6 200 livres (La Province d'Anjou, 1935, p. 321). Mais Guy-André avait dû hériter, en partie au moins, de son

donc grevées de dettes énormes (13). Lui-même avait servi quelque temps comme capitaine au régiment royal de cavalerie et, la paix faite, il était

venu à la Cour (14). Son beau-père, qui avait dû être lié avec Hilaire de Lezay, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement et marguillier

d'honneur de Saint-Sulpice (15), lui céda le jour du contrat sa charge de lieutenant-général de la Marche en se réservant les deux tiers des appointements (16).

Le 26 juin 1682, le marquis et sa fille constituaient cent cinquante livres de rente aux Dames abbesse et religieuses de l'abbaye royale de Notre-Dame de la ville de Sézanne en Brie (17). Une lettre de M. Tronson du 22 août 1682 nous informe que « l'affliction » du marquis était « extrême pour l'accident arrivé à sa fille qui accoucha mercredi d'un enfant mort » (18). Marie-Françoise, née le 22 décembre 1683 et dont le futur archevêque fut, le 24, parrain par procuration de M. de Sarlat, mourut le 30 mars 1685 (19). Ce n'est que le 21 octobre 1686 que naquit Guy-André, le comte de Laval (20). Après la mort de son père, M!"° de Laval se reconnut le 10 mars 1684 redevable de douze cents livres de rente constituées par le marquis de Fénelon au profit de l'Hôpital général de Paris (21). Le 24 octobre 1684, Bossuet, alors en tournée de confirmation, recevait d'elle l'hospitalité à Crécy (22). Pierre de Laval mourut à Paris le 7 juillet 1687 âgé d'environ trente ans (23) d'une

oncle Hilaire, dit l'abbé de Laval puis le marquis de La Plesse Saint-Clément, mort sans alliance le 23 mars 1716 à 56 ans. Cf. sur celui-ci Bull. trim. des anciens élèves de Saint-Sulpice, 1907 et peut-être la Correspondance de M. Tronson, t. I, 29 octobre 1677.

(13 ) La reddition des comptes de tutelle (1687 — 6 mars 1713) fit apparaître que Guy-André était débiteur de sa mère pour 328 428 livres (La Province d'Anjou. 1935, p. 251).

(14 ) PASSAVANT, pp. 503-505 — La Province d'Anjou, 1934, p. 272 — JAL, Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, p. 572.

(15 ) Bull. hist. et litt. de la Société de l'hist. du Prot. français, t. LI, 1902, p. 171 — PASSAVANT, p. 497 — Louis DELAUNAY, Un Port-Royal saumurois : les religieuses bénédictines de la Fidélité, Angers, 1917, p. 13. Sur la piété d'Hilaire et de Gui de Laval, cf. PICOT, t. II, pp. 533 sq.

(16 ) Le P. ANSELME (t. III, p. 642 C ) dit que la lieutcnance générale lui fut conférée par des lettres royales du 16 mars 1683, enregistrées au Parlement le l'ex décembre. JAL (p. 572) donne au contraire la date du 16 mars 1681. Mais cf. A. N., M. 537, n° 48 et SOURCHES (t. II, p. 64).

(17 ) Etude Le Vasseur, Minutier Central, XCVIII, liasse 281.

(18) A. S. S., Correspondance ms. de M. Tronson, t. IV, pièce 358, p. 230.

(19) JAL, Dictionnaire, p. 572.

(20) ANSELME, t. III, p. 642 C — La Province d'Anjou, 1934, p. 275.

(21 ) Etude Châlon, Minutier Central, XVIII, liasse 363.

(22 ) Journal du curé Raveneau dans La Province d'Anjou, 1934, p. 277.

(23) Le P. ANSELME (t. III, p. 642 C) lui attribue cet âge et A. LEFORT (La Province d'Anjou, 1934, p. 275 ) l'a suivi. Moreri parle de trente ans et quatre mois (chiffre le plus probable), SOURCHES (t. II, p. 64) de trente et un, mais PASSAVANT (p. 517) de trente-deux. N'y aurait-il pas là une nouvelle tentative pour rapprocher son âge de celui de sa femme (cf. supra, n. 1)?

84 LA FAMILLE DE FÉNELON LA MARQUISE DE LAVAL 85

fièvre intermittente, « sans que les plus habiles médecins de la capitale et le premier médecin du Roi aient, ni connu son mal, ni la façon de la traiter » (24). Le 26 juin 1689 sa veuve réglait sa succession par un compromis où intervinrent son beau-frère l'abbé Hilaire de Laval, ses belles-soeurs Marie-Louise de Roquelaure, Françoise de Laval, et l'abbé Pierre d'Acigné, fondé de procuration du comte Jean-Léonard (25).

Les époux n'avaient sans doute guère résidé à Magnat (26) et, s'ils rachetèrent en 1682 les droits de suzeraineté de Fontaine-Chalendray, ils en laissèrent l'administration à François Rocher, bourgeois de Carennac, auquel le marquis Antoine l'avait confiée. Mais, devenue veuve, sa fille se hâta de faire analyser le chartrier, ce qui lui permit le 12 décembre 1688 de mettre fin à des abus relatifs à la forêt. Elle obtenait dès le printemps suivant des lettres patentes, aussitôt enregistrées, pour la comté de Fontaine (27). Elle faisait en même temps venir de Magnac des maçons qui travaillèrent du 8 mars à la fin de novembre 1689 à rendre le château habitable (28). Cela venait d'autant plus à propos que la nomination de son cousin l'abbé au préceptorat la forçait à abandonner les appartements de la rue du Petit-Bourbon qu'ils avaient conservés en commun (29). Mais, comme c'est aussi le moment où elle apparaît dans la correspondance de Fénelon, nous renvoyons pour la suite de sa vie au commentaire des diverses lettres qui lui sont adressées (30).

Nous pensons qu'il ne sera pas inutile, pour connaître le milieu où vécut Fénelon, d'indiquer les signatures illustres apposées le 22 janvier 1681 sur le contrat de mariage où la mère de Pierre de Laval (31)

(24) La Province d'Anjou, 1934, p. 275.

(25) Etude Carnot, Minutier Central, XCI, liasse 475.

(26) Les travaux d'embellissement n'y reprirent qu'en 1734 après le retour de leur fils Guy-André (Cte de COURONNEL, Notice sur le château de Magnac-Laval, Limoges, 1894, p. 26).

(27) Les Cloches de Fontaine, n°' 7 et 8 (janvier-mars 1926 ), 17 (octobre 1930,

p. 62). Pendant ce temps les représentants du marquis de Laval à Fontaine semblent avoir été Dupeux (1681-1685 ), qui fit les deux années suivantes la recette du marquisat de Magnac, et le receveur Monalier. Jean Neau remplissait alors les mêmes fonctions à Magnac (acte du 4 juillet 1698 passé à Magnac devant le notaire Nicault, A. D. Haute-Vienne, 4 E 45).

(28) Cf. l'acte passé le ler mars 1689 par son procureur Claude Poyron, chirurgien de Magnac (ibidem, 4 E 45, liasse 230).

(29) C'est l'adresse donnée par l'acte cité supra, n. 25. Dans ses lettres à Mme Guyon de 1689 Fénelon fait plusieurs fois mention du voisinage du jeune Guy-André. Plus tard la marquise logera rue du Pot-de-Fer.

(30) D'après les Cloches de Fontaine (1930, n° 3, p. 61), Mme de Laval confia son fils à sa propre nourrice Denyse Riolaud qui l'éleva en paysan à Fontaine jusqu'à dix ans. Nous rencontrerons dans la correspondance Jacques Reyeau, « revêche Manceau » qui portait les titres pompeux de « premier valet de chambre et gouverneur ». Quant au précepteur, il n'était autre que Jean Darauville, régent des petites écoles de Fontaine.

(31) W Carnot, M. C., XCI, 426, cf. aussi A. N., M. 537, n. 48. On lit à la fin de l'acte notarié : « La pièce était accompagnée d'une procuration de la mar-

est représentée par Claude de Chaillou, ancien conseiller au Parlement et commissaire aux requêtes du Palais, son cousin (32). De son côté, Antoine de Fénelon décline ses titres et déclare demeurer dans le palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés.

Après les signatures de la famille royale : Louis; Marie-Thérèse; Louis de Dauphin); M. Anne Chrestienne (la Dauphine); Louis de Bourbon de Grand Condé); H.J. de Bourbon (son fils); Orléans (Monsieur); Elisabeth-Charlotte (Madame); Anne d'Orléans; on lit les noms des témoins, « parents et alliés », dont la proximité est, quand il s'agit de grands seigneurs, complaisamment exagérée. Ce sont, « du côté du futur époux », Marie-Louise de Laval, sa soeur, première fille d'honneur de la Dauphine (33); Henri de Laval, évêque de La Rochelle, son oncle (34); [Louis-Victor], duc de Mortemart, son cousin germain, et les trois soeurs de Rochechouart, la marquise de Montespan, Mme de Thianges et l'abbesse de Fontevrauld (35); Marie-Anne, comtesse d'Acigné, sa cousine germaine, et Anne-Marguerite d'Acigné, «fille», qui sera la deuxième femme du duc de Richelieu.

Sont ensuite désignés comme « cousins issus de germain » : le duc de Saint-Simon et Charlotte de Laubespine, son épouse (36); Armand de Camboust, duc de Coislin; Charles [-César] de Camboust, chevalier de Coislin; Marie de Laval, maréchale de Rochefort; Louis de Lorraine [comte d'Armagnac], grand-écuyer de France; [Charles de Sainte-Maure] duc de Montausier; l'abbé [Henri-Guillaume] Le Jay, nommé à l'évêché de Cahors; M. Chaillou, docteur de Sorbonne (37); Jean-Baptiste de

quise de La Plesse (7 janvier 1681), par devant Bonnier, notaire royal de la baronnie du Plessis s. Les Mémoires de Sourches (t. I, p. 213) annoncent au début de mai 1685 que la marquise de La Plesse était morte « de la rougeole malgré tous les remèdes des médecins et de quelques autres ».

(32) L'Armorial de la généralité de Paris de peu postérieur distingue Amelot du Chaillou, conseiller d'Etat et doyen des maîtres des requêtes, de Claude Chaillou, intendant des maisons et affaires du duc de Luxembourg, parent d'un « marchand bourgeois » (éd. MEURGEY de TUPIGNY, Paris, 1965, t. I, pp. 7-10 ). C'est du premier qu'il semble s'agir. Cf. infra, n. 37.

(33) Cf. supra, n. 25. On remarquera l'absence de la signature du frère cadet du marié, Hilaire, abbé de Laval (cf. sur lui, supra, n. 12).

(34) En réalité l'évêque était un Laval de Boisdauphin, branche qui s'était détachée de celle de Loué à la fin du xy° siècle, tandis que les Laval de Lezai n'en sortaient que quelques années plus tard. La parenté remontait donc à deux siècles.

(35) Cf. sur leur parenté avec les Laval, supra, n. 11.

(36) On s'attendrait à les voir parmi les parents de la mariée qui était la petite. fille de Louise de L'Aubespine. Cf. aussi A. N., M. 538, n° 12.

(37) Cf. supra, n. 32. Nous hésitons entre 1° Amelot du Chaillou, né vers 1610, doyen de Beauvais, exilé à Tulle le 4 juillet 1682 comme ultramontain (ms. fr. 23 510, f. 45 r° ); 2° Jean Chaillou, docteur de Sorbonne mort en 1695, qui avait institué A. F. d'Ormesson du Chéray exécuteur testamentaire (M. ANTOINE et F. LAMIERS, Archives d'Ormesson, 144 AP 76 et 78); 3° Etienne Carme du Chaillou, admis à Saint-Sulpice le 4 juillet 1669, dont il est souvent question dans

86 LA FAMILLE DE FÉNELON

Becdelièvre, premier président de la Chambre des Comptes de Bretagne; Guy-onne de Lesrat, veuve de M. Le Gay; M. de Lemilli, parents et alliés dudit seigneur futur époux.

Et, « de la part de la demoiselle future épouse » : l'abbé de Fénelon, son cousin germain; Marie de Scorailles, duchesse de Fontanges, sa cousine germaine; le duc [François VII] de La Rochefoucauld, son cousin issu de germain (38); [Nicolas de Neufville], maréchal de Villeroy; [François de Neuf ville], duc de Villeroy (39); [François d'Aubusson], duc de La Feuillade (40); Anne [Poussart] de Fors [du. Vigean], duchesse de Richelieu; Marie d'Hautefort, duchesse de Schomberg; Marquis [Jacques-François] d'Hautefort et Marthe d'Estourmel, son épouse; Catherine de Scorailles de Roussille, marquise de Molac; Emmanuel de Lascaris, marquis d'Urfé, et dame Marguerite d'Alègre, son épouse (41); Charles-François Duret, écuyer, sr de Chevry, conseiller du Roi, président en sa Chambre des Comptes (42); Antoine Girard, chevalier, comte de Villetaneuse, son procureur général en ladite Chambre des Comptes; M. Lambert et M. de Sève, parents et alliés de ladite demoiselle future épouse.

la correspondance de M. Tronson : curé de Saint-Philibert à Dijon, il sera fâcheusement impliqué dans les querelles quiétistes.

(38) François VII de La Rochefoucauld (1634-1714) et la duchesse de Fontanges n'étaient pas pour la mariée des cousins si proches. En réalité, Charles de La Chataigneraye, sénéchal de Saintonge (mort en 1616 ), époux de Renée de Vivonne d'Oulmes, était le bisaïeul de François VII (fils de l'auteur des Maximes et d'Andrée de Vivonne) et le trisaïeul de Marie-Françoise de Fénelon dont l'arrière-grand-père Louis IV de Montberon avait épousé Héliette de Vivonne. D'autre part, elle avait, comme Marie-Angélique de Roussille de Scorailles, un Pellegrue de Casseneuil pour trisaïeul. II avait en effet marié ses deux filles en 1579, Anne à Jean de Salignac, et Antoinette à Claude de Plas. Celui-ci avait été le grand-père d'Aimée-Eléonore, mariée le 27 janvier 1640 à Jean-Rigaud de Roussille, et de Jeanne-Anne de Plas (14 octobre 1617 - 11 octobre 1677), abbesse de Faremoutier dont Fénelon prononça l'oraison funèbre. Cf. les Dictionnaires de Moreri et de Chaix-d'Est-Ange, et le mémoire de François III, A. N., M. 538, n° 12.

Il se peut que cette alliance lointaine ait aidé à l'établissement de liens assez étroits entre le duc et le précepteur des princes (Mémoire de Ledieu, Revue Bossuet, 25 juillet 1909, pp. 26 et 42 ). Il est piquant en tout cas de voir la signature de celui-ci figurer à côté de celle de la favorite du moment.

(39) Le trisaïeul de François de Villeroy et celui de la mariée étaient également fils de Claude 1" de L'Aubespine.

(40) Cf. supra, ch. IV, n. 9.

(41) Charles-Emmanuel d'Urfé, fils de Marguerite de Neuville, était cousin issu de germain du marquis Antoine, père de la mariée. François III de Fénelon notera cinquante ans plus tard que « MM. d'Urfé ont tous été fort amis de MM. de Fénelon, outre leur parenté n (A. N., M. 538, n. 12).

(42) Cf. sur lui infra la lettre du 26 octobre 1690, n. 2. On se demande si cette parenté réelle n'est pas la seule cause de la présence, aux côtés du président, de ses collaborateurs, Antoine Girard (cf. sur lui ms. fr. 23 510, f. 302 y° et H. Cous-TANT de YANVILLE, La chambre des comptes de Paris. Essai historique et chronologique, Paris, 1866-1885, p. 939) et Rouillé de Mêlai.

CHAPITRE

VI LE COMTE FRANÇOIS II DE FENELON (1630-1715)

Aîné des frères consanguins du futur archevêque, François II, né le 19 janvier 1630, de Pons et d'Isabeau d'Esparbès de Lussan, baptisé à Aubeterre le 2 mars 1630, était le filleul de son grand-père François I" (1). Capitaine de chevau-légers dans le régiment d'Aubeterre à dix-neuf ans (2), il épousa par contrat du 26 mars 1646 Anne du Lac de La Parède, fille de feu Mathieu-Paul et de Suzanne du Maine (3) qui lui apporta les seigneuries de Boisse et de Péricard (Lot) (4). Es s'établirent au château de Manot (généralité de Limoges, canton de Confolens) sur les bords de la Vienne (5) : c'est là qu'Anne du Lac mourut

(1) Registres paroissiaux de S.-Jean-d'Aubeterre, A. D. Charente.

(2) D'après un mémoire de son fils François III (1737 ), « François II, dit le comte de Fénelon, servit en sa jeunesse... comme capitaine de cavalerie... avec une grande réputation de ses talents » (A. N., M. 538, n. 8, p. 7 ). Cf. aussi B. N., ms. fr. 22 252, f. 147 et A. N., AE II 1771 (= MM. 7391), pp. 13 sq.

(3) François III rappelle qu'en tant qu'arrière-petit-fils d'Anne de Bezolles, il se trouvait allié aux maisons de Roquelaure, d'Albret, de Pardaillan-Montespan et de Firmacon (ibid., M. 538, n. 8, p. 6 et n. 93).

(4) Dans cet acte passé à Péricard, « le sr de Lamothe père » accorde de son côté à son fils « le comte de Fénelon » le bénéfice de la substitution établie par l'ambassadeur Bertrand (elle portait sur la moitié de ses biens). Outre une rente de 2 000 livres, il lui attribuait la jouissance de Loubert et de Manot (A. N., M. 537, n. 36).

(5) Il porte même le 2 décembre 1654 le titre de « baron de Manot v (Arch. d'Aiguevive). C'est ce qui explique que François II ait annoncé le 14 février 1663

de Montauban qu'il « partirait après-demain pour Périgord » et ajoutait : « je dois

m'éloigner bientôt du pays et aller Angoumois » (Arch. de l'évêché de Cahors, carton 21, n. 4). Cela ne l'empêcha pas de séjourner souvent en Quercy (cf. infra,

note 14) et il fut parrain en 1655 à La Mothe-Massaut (Reg. par.) : un « vicomte de Fénelon » avait déjà le 11 avril 1645 tenu sur les fonts Jean de Calvirnont à Sarlat (Reg. par.). Mais François II résida aussi à Boisse où sa fille Anne-Marie-Louise naquit le 11 mars 1653 et fut baptisée le 17 (Etat-civil de CastelnauMontratier ).

D'ailleurs François H compta très tôt parmi les « domestiques » du prince de Conti, gouverneur du Languedoc. L'abbé de Ciron écrivait en effet le 25 août 1658

à Mme de Mondonville au retour d'une visite « secrète » que « le prince et sa cour » venaient de rendre au vice-légat à Avignon : en cours de route il avait failli être écrasé par un carrosse, « mais Dieu l'en avait garanti, ayant été secouru par MM. de La Mothe-Fénelon et de Beauregard D. La façon dont l'abbé parle de ces gentilshommes

88 LA FAMILLE DE FÉNELON

FRANÇOIS II DE FÉNELON 89

le 2 août 1660 (6). Devenu le 13 mars 1663 chef de la famille par le décès de son père Pons à Fénelon, François II revint en Sarladais (7), où des transactions avec ses frères des deux lits (23 octobre 1663 (8) et 4 février 1676 (9), lui assurèrent, outre la possession du château

prouve qu'ils étaient déjà bien connus de la fondatrice des Filles de l'Enfance (Archives du Périer, Haute-Garonne, Abrégé des lettres de M. de Ciron, ff. 77 v°81 r° — A. AUGUSTE, Notes biographiques sur G. de Ciron, épreuves, Arch. S. J. de Toulouse, I, 1, p. 109 : notes aimablement communiquées par la R.M.M.M. Shibano). Cf. aussi infra, n. 26.

(6) Le curé de Loubert certifie que, bien qu'elle n'eût pas « vingt-cinq ans accomplis », elle avait donné « un rare exemple de piété », se montrant « fort assidue à tous les divins offices » (A. N., M. 537, n. 89; cf. la copie de son épitaphe, M. 538, n. 96).

(7) Le 5 décembre 1675 il était représenté à Boisse par le marchand Guillaume Vieillevigne (registre 1658-1676, f. 703, archives de 111' Valinary à Castelnau-Montratier ).

(8 ) Bull. Périgord, 1951, pp. 170 sq. Voici la copie de l'essentiel de l' « acte de vente et de délaissement » qu'il signa le 23 octobre 1663 avec son frère puîné François, le futur missionnaire, qui s'engageait aussi au nom de leur cadet Henri-Joseph (A. D. Dordogne, 2 E 1593, n° 1, ex 2 E 120) : « Messire François de Salagnac, sgr comte de Lamothe-Fénelon, Loubert et autres places d'une part, et Messire François de Salagnac, frère dudit sgr comte de LamotheFénelon d'autre, demeurant tous deux au château de Fénelon, paroisse de SainteMondane en Périgord, lequel seigneur de Salagnac frère dudit sgr comte, comme ayant charge de Messire Henri-Joseph de Salagnac, aussi son frère, auquel il a promis faire agréer et ratifier ces présentes, vend... audit sgr comte son frère aîné acceptant, tous les... droits... qui appartiennent et peuvent appartenir audit Messire Henri-Joseph de Salagnac aux successions déjà échues, tant mobilières qu'immobilières, et de toutes sortes de dettes à lui appartenant à cause d'icelles par le décès de feus Pons de Salagnac, comte de Lamothe-Fénelon et de Loubert, et d'Isabeau des Parbayes de Lussan d'Aubeterre, son épouse, ses père et mère, de feu Léon de Salagnac leur frère et de la profession de dame Paule de Salagnac, leur soeur, religieuse dans le couvent de Notre-Dame de Sarlat, de laquelle ledit sgr acquéreur est donataire par acte du [un blanc], et sans y comprendre les droits qui peuvent appartenir audit Messire Henri-Joseph en la maison et seigneurie de Bonneval, Blanchefort et en la terre de Salagnac, pour raison desquels il y a procès; lesquels ledit sgr vendeur audit nom s'est par exprès réservés pour le prix et somme de 14 000 livres tournois, que ledit sgr comte a promis bailler et payer audit vendeur son puîné dans dix ans prochains... Est passé au bourg de Manot après-midi, le 23' jour d'octobre 1663 ès présences de Messire Antoine de Salagnac, marquis de Lamothe-Fénelon, lieutenant du roi en la haute et basse Marche, de 1140 Joseph Tiffaud, prêtre et curé de Manot, témoins connus, requis et appelés. Ainsi signés l'original : François de SALAGNAC; F. de SALAGNAC; Anthoine de SALAGNAC; de SALAGNAC; TIFFAUD, prêtre et curé de Manot, présent J. BRUNOT, notaire pour Loubert. Le présent extrait a été tiré de sur son original par moi notaire royal soussigné, à moi remis par ledit sgr comte de Lamothe-Fénelon et par ledit Messire Henri-Joseph de Salagnac, frères. par acte du rr du mois d'avril 1680. Signé : J. LACOMBE, notaire royal » (Archives d'Aiguevive).

Les droits éventuels des Salignac sur le château de Blanchefort venaient du mariage de leur grand-père François Pr avec Marie de Bonneval, fille unique du seigneur du lieu (12 mars 1599). Cf. B. N.. f. Périgord, t. 164. ff. 30, 54.

(9) Quand il en eut l'âge, le futur archevêque passa le 4 février 1676 à Sarlat un accord sous seing privé avec son aîné : il était convenu que celui-ci lui « don-

ancestral, des droits sur Blanchefort et Salignac. Malgré son ardeur processive (10), le succès de ses efforts semble avoir été médiocre et sa situation financière ne fut jamais brillante : même ses grands amis de Chancelade eurent de la peine à se faire rembourser par lui (11).

nerait annuellement la moitié de tous les revenus de La Mothe et de ses dépendances, à condition de payer chacun la moitié des charges et frais annuels nécessaires pour entretenir ces biens; que s'il arrive que lui, premier aîné, retire à l'avenir, en vertu de ses droits particuliers, les rentes et biens aliénés, il en jouira seul, sans que cela soit sujet à partage; le cadet s'oblige à céder à son dit aîné la jouissance de cette moitié de La Mothe, toutes les fois que lui et les siens le requerront, pourvu que le remplacement lui en soit fait par 1 000 lb. de revenu sur une autre terre de la maison, et promet de ne lui demander nulle autre jouissance, pour quelques droits que ce puisse être, et se charger entièrement de l'entretien de Henri-Joseph de Salagnac, son frère germain, et répond en son nom que le dit Henri-Joseph ne demandera rien davantage au même François leur aîné, et est dit que cet accord sera exécuté par provision entre les parties, jusqu'à la majorité d'Henri-Joseph leur frère, sans préjudice à chacun de tous leurs droits ». L'acte porte les signatures de Fr. de Salagnac de La Mothe-Fénelon et de François de Salagnac (Arch. Nat., AE II 1711 — B. N., f. Périgord, t. 164, f. 130 r°-v° ).

Cette transaction ne fut même pas exécutée et, afin « d'éviter à tous procès et différends et entretenir la paix et amitié dans sa famille », le futur archevêque « renonçait » le 9 novembre 1684, en son nom et en celui de son frère le chevalier Henri-Joseph, encore mineur, à la succession de leur père, « de laquelle ils n'avaient jamais profité ni demandé aucunes choses » (notaires Clersin et Royer, M. C., Et. VI, liasse 581).

Un acte passé peu après à Paris entre les mêmes contractants attribua pourtant aux enfants du second lit 8 000 livres de principal que la vente de Boisse permit à Henri-Joseph de toucher le P' août 1699 (acte passé devant le notaire Pélerin du Châtelet, archives privées, presbytère de Castelnau-Montratier (Lot)).

(10 ) Nous sommes surtout frappés par ses procès avec son père (cf. supra, ch. I, n. 49) et avec son oncle (cf. infra, notes 20 et 24 et Appendice I, n. 32) : mais ils n'étonnaient pas à l'époque et avaient d'ailleurs de solides fondements. Plus imprudente et désinvolte fut sa tentative pour reprendre Salagnac (cf. infra, n. 38 ). Sur le procès du comte de Fénelon contre Anne Saux (1673-1674 ), cf. A. D. Lot, B. 384. Le 16 décembre 1674 Jean de Bourzoles, comte de Carlux, lui adressait une sommation relative au choix de plusieurs arpenteurs, chargés de déterminer, conformément à la transaction du 17 novembre 1644, les compensations dues en raison « du changement de cours et de canal de la Dordogne » (acte passé le 16 décembre 1674 devant le notaire Duteilh de Carlux, étude de Me Laurent).

(11) Le 10 janvier 1668 le P. Garat qui en était abbé écrivait au P. Chastenet, prieur de Cahors : « Je serais bien aise que vous eussiez retiré les cent livres quo nous doit M. le comte de Fénelon. Il est vers Cahors à ce qu'on m'a dit; pressez-le à vous donner mandement sur son fermier s'il n'a d'argent » (Evêché de Cahors, carton 21, n° 4 ). Le P. Chastenet remit aussi le 20 octobre 1668 au notaire Geniès de Cahors (A. D. Lot, III E 257, n° 21) la reconnaissance que François II avait souscrite le 3 avril 1665 à Sainte-Mondane devant le notaire Galtié d'une dette de trois cents livres à la demoiselle Boyer « pour ses gages pendant qu'elle a demeuré avec les enfants dudit seigneur ». Il promettait de s'acquitter dans les deux mois. Si, le 22 décembre 1674, François II remboursait à Michel de Bideran 612 livres 10 sols qu'il avait empruntées à son père Jean le 12 octobre 1653 (A. D. Lot, III E 262, n° 39 ), il vendait le 17 mars 1679 le greffe de la justice ordinaire de Lamothe-Massaut (minute de Gisbert, notaire de Cahors, A. D. Lot, III E 217,

90 LA FAMILLE DE FÉNELON

Mais l'activité de François Il était plus heureuse sur d'autres plans (12). 11 avait été mis à l'Académie où les « bontés » de son oncle le marquis lui inspiri.rent à son égard un attachement si grand qu'il donna de l'ombrage à son père (13). On ne s'étonne donc pas qu'il soit devenu président de la Compagnie de la Passion établie par Solminihac aux confins du Sarladais et du Quercy et qu'il ait pris part à Mereuès à des retraites dirigées par l'évêque de Cahors (14) ou par celui d'Alet. C'est Pavillon qu'il tint à consulter lorsque, après son veuvage, « plusieurs personnes de piété et même M. de Sarlat son oncle le portaient à entrer dans l'état ecclésiastique », à quoi il avait « assez d'inclination ». Comme il devait participer à la retraite que le prince de Conti avait déridé de faire en 1662 à Alet avec toute sa « famille » à partir de la semaine de la Passion, il s'y rendit trois jours plus tôt afin d'entretenir Pavillon plus à loisir. Y ayant appris que l'évêque prêchait une mission à Quillan, il l'y rejoignit le soir même, mais, au lieu des longues instructions qu'il attendait sur la manière de se préparer aux ordres, il ne reçut qu'une réponse laconique : dès le lendemain, Pavillon retournait d'ailleurs dans sa ville épiscopale où il ne devançait le gouverneur du Languedoc que d'un jour. « Son Altesse qui savait quelque chose du Pujet de la consultation de M. de Fénelon lui en demanda le succès... Celui-ci lui répondit que... M. d'Alet ayant su qu'il avait cinq enfants encore jeunes, il lui avait dit que la loi de Dieu l'obligeait de prendre soin de l'éducation chrétienne de ses enfants, de les élever et les pourvoir selon leur condition et la vocation de Dieu sur eux... Il aurait fallu des miracles pour l'en dispenser » (15). Bien que le P. Surin lui ait

n° 17). Le 8 mai 1682, il remboursait 962 livres en paiement d'obligations souscrites le 28 octobre 1680 et même le 31 janvier 1661 (minutes du notaire de Cahors Saurazac, A. D. Lot, III E 262, n° 52 ) : la transaction sur Magnac lui en avait

peut-être fourni les moyens. La pauvreté de François II éclate dans le contrat

de mariage de sa fille Marie-Anne-Louise avec David-François de Beauvais-Chantérac (15 août 1668, A. D. Dordogne, B 3 250 ) : il lui constitue bien une dot de

30 000 lb., mais en y faisant entrer 18 000 lb. que la mariée doit retirer des successions de sa mère et de sa soeur Marie-Françoise. Bien plus, pendant cinq ans, les époux ne pourront exiger que les intérêts et ils sont même invités à se contenter des revenus de la terre de Péricard en Agenais.

(12) La pièce 4 025 de Saint-Sulpice donne sur lui des renseignements précis que son auteur attribue aux Mémoires pour servir à l'histoire des évêques de

Cahors de l'abbé d'Hauteserre (1742 ). Il mentionne « ses études à l'Académie de

Paris », sa carrière militaire, sa « grande piété » et ajoute : « Il a laissé des mémoires. Il y raconte la guerre de Candie où il voulut servir... Il est à souhaiter

que sa famille voulût communiquer ses mémoires » (nous n'avons malheureusement pu retrouver que le récit de sa Croisade de 1685, cf. infra, App. II ). La note ajoute qu'il atteignit « une grande vieillesse sans aucune infirmité ».

(13) Cf. infra, App. I.

(14) Cf. supra, ch. IV, n. 26.

(15) [PARIS], Vie de M. Pavillon, livre II, ch. XXII, Bibl. de Port-Royal, ms.

R. 120, pp. 45, 87-88.

FRA14ÇOIS II DE FÉNELON 91

sans doute adressé la lettre du 17 mai 1662 où il souligne les dangers de la vie de cour, il est donc probable que François II resta auprès du prince en qualité d'officier ou de gentilhomme (16).

Après la mort du gouverneur du Languedoc (1666), le comte de Fénelon suivit le marquis de Magnac à Candie (17) avec un fils que l'on dit âgé de quinze ans (ce serait Henri-Joseph, le chevalier de Fénelon, mort en 1683; mais s'il s'agit de son aîné, Pons-Jean-Baptiste, mort en 1674, il aurait eu vingt et un ans) (18). Le testament qu'il signa le 2 septembre 1668 confiait ses enfants à son parent et ami Percin de Montgaillard, évêque de Saint-Pons, pour qui il conserva toute sa vie la même vénération (19). En revanche, ses sentiments pour le marquis se refroidirent pendant l'expédition : cc Quoique je commençasse de n'être pas content de lui en Candie, je le supplie de se souvenir comme, quoi j'en eusse, il me dit que j'étais tombé malade en le servant et à son fils, mais ce ne fut pas la plus grande marque d'attachement que je lui donnai en ce pays-là » (20). En tout cas, on le retrouve à son retour de croisade auprès de la princesse de Conti, envers laquelle il montrait une complaisance sans bornes, au risque, souligne le futur archevêque dans sa lettre de 1670 ou 1671, de nuire à son fils Pons-

(16) Dans cette lettre, le P. Surin parle à un correspondant de l'entourage du prince de « l'emploi que le Roi vient de lui donner dans le Languedoc et qui risque de ralentir sa ferveur ». Le P. Champion dit la lettre adressée au marquis de

Fénelon. Il nous paraît difficile d'y reconnaître Antoine. Mais cette identification

étant postérieure à la mort de celui-ci, Champion lui-même a dû penser à François II qui aurait hésité entre l'emploi en question et la cléricature jusqu'au moment où

Pavillon ne lui aurait laissé que la ressource d'accepter le premier. Cf. M. de CERTEAU, Correspondance de J. J. Surin, Paris, 1966, pp. 1345-1349. D'après son fils, François II « ne laissa pas de servir de volontaire dans l'armée de Catalogne pendant la guerre de Dévolution avec la même réputation de talents que quand il était capitaine de cavalerie » (A. N., M. 538, n. 6 ). Cf. supra, notes 2 et 12.

(17) Cf. supra, ch. IV, n. 10.

(18) C'est très probablement à Pons que pense François III en écrivant : « Avec son fils aîné qui n'avait que quinze ans » (A. N., M. 538, n. 6, cf. Bull. Périgord, 1951, pp. 182 sq). Si l'on peut en croire le t. 164 du f. Périgord, f. 32 r°, Pons-Jean-Baptiste commandait un régiment en Candie à dix-sept ans : mais, outre l'erreur sur l'âge, l'affirmation est peu vraisemblable. Toutefois, le maréchal de Navailles raconte dans ses Mémoires (éd. C. MOREAU, Paris, 1861, p. 150 ) : « Je composais le corps de réserve des régiments d'Harcourt-Conty s. L'erreur sur l'âge se retrouve dans la Gazette de France du 29 septembre 1674 (cf. infra, lettre I, n. 9).

(19 ) L'acte fut dressé à Saint-Pons par Mc Delort (J. SAHUC, Un ami de Port-Royal. Messire P. J. F. de Percin de Montgaillard, Paris, 1909, p. 277 ). Dans sa

Réponse à la première lettre de M. de S. Pons sur le silence respectueux du 10 décembre 1705, l'archevêque parlera des « liens de parenté et d'amitié qui ont donné

à son frère tant d'attachement à la personne » du vieil évêque (O. F., t. IV, pp. 392411, cf. aussi la lettre du 20 mars 1710 ). Le ms. fr. 23 500, f. 149 y° donne l'adresse : « le comte de La Serre à S. Chignan chez M. de S. Pons ».

(20) Cf. infra, lettre du 26 septembre 1680. Cela n'empêcha pas François II d'assister le 29 mai 1669 à Magnac à l'inhumation de son cousin (Registres paroissiaux de Magnae).

92 LA FAMILLE DE FÉNELON FRANÇOIS II DE FÉNELON 93

Jean-Baptiste, colonel du régiment de Conti (21). Le penchant au jansénisme qu'il s'exposait à se voir reprocher s'accordait bien avec ce qu'on attendait d'un ami de M. de Saint-Pons. Il n'étonnait guère non plus de la part d'un gentilhomme qui conservait avec la congrégation de Chancelade les liens étroits qui avaient uni tous les siens à Solminihac. Le 24 septembre 1670, il écrivait au P. Chastenet une lettre qui le montre tout acquis aux tendances intransigeantes : « J'eus bien du déplaisir, mon T.R.P., de ne m'être pas trouvé ici, lorsque vous y passâtes. Je me serais réjoui avec vous de ce qu'on vous a réduit à cinq maisons parce que je craignais qu'un plus grand nombre nuirait à votre réforme. Je voudrais encore qu'elle fût purgée de tous ceux qui y peuvent causer de l'altération, que j'aimerais mieux à Sainte-Geneviève que parmi vous. Je crains le prétexte spécieux de faire du bruit dans le monde, ce qui est souvent une tentation pour les religieux. Puisque je crains pour leur état, craignez et priez pour le mien ». Et il lui envoyait la copie d'une lettre du cardinal de Bouillon en lui demandant de la « lui renvoyer après en avoir édifié ses amis » (22). On n'est donc pas surpris que le comte de Fénelon se soit signalé par sa piété lors de la mission organisée à la fin de février 1680 à Cahors par les chanoines de Chancelade : il contribua beaucoup à son succès en « donnant un grand exemple », car « il allait tous les jours aux Pénitents faire sa méditation tout haut, où il y avait trois ou quatre cents hommes dont quelques-uns ne pouvaient contenir les larmes » (23). A la fin de

(21) François III écrit dans son mémoire de 1737 : « Au retour de Candie, il mit son fils aîné à l'Académie, puis cadet garde du corps; il demeura chez lui pendant ce temps occupé à l'éducation du reste de sa famille » (A. N., M. 538, n. 6 ), mais on trouvera plus de précisions infra, lettre I, notes 9 et 11. Aussitôt après la convocation du ban (8 avril 1674 ), il alla avec son équipage en Saintonge rejoindre le maréchal d'Albret (déclaration de Ch. Ménissier du 28 mai 1674 dans Ardt. hist. dép. Gironde, t. 18, 1878, pp. 266, 276).

(22) Evêché de Cahors, carton 20, n° 1. D'après le P. de La ROCHE de portrait fidèle des abbés... dans la vie de Jean Garat, Paris, 1691, p. 385 ), le successeur de Solminihac avait « souvent en bouche cette belle maxime : tout pour le maître, tout pour le maître. M. de La Mothe-Fénelon, parlant un jour de sa manière de porter les gens à la pratique du bien, dit avec quelque sorte d'étonnement à M. de Saint-Pierre de Chanteyrac, premier supérieur de la Mission de Périgueux, que M. l'abbé de Chancelade n'avait jamais que la gloire de Dieu en bouche pour obliger les personnes à faire leur devoir : comme si tout le monde était capable de se conduire par cette unique vue ! Ce Monsieur... lui répondit en même temps : Que voudriez-vous faire là, Monsieur? Le R. Père Abbé de Chancelade trouve ce motif si puissant sur son esprit, qu'il ne croit pas qu'il y ait personne qui puisse résister à ses impressions ». On notera que les lettres du P. Chastenet des 15 décembre 1664 et 23 juillet 1668 sont datées de Fénelon (Arch. de l'Evêché de Cahors, carton 22-4) et que Henri-Joseph, baron de Salagnac, demandait en 1673 au religieux « un billet écrit du sang de feu Mgr de Cahors » (ibid., n° 21-1-7'). Cf. aussi ibid., n° 24-IV-7°.

(23) Lettres des 22 et 29 février 1680, Evêché de Cahors, carton 20, n° 2, liasse 64. Un éloge de François II — sans doute composé par le curé de La MotheMassaut au lendemain de sa mort — fournit des précisions sur sa piété, sur ses

la même année, ses sentiments furent pourtant mis à l'épreuve par son conflit au sujet de Magnac avec le marquis dont il écrivait un peu irrévérencieusement le 26 septembre 1680 : « Je désire autant que sa réputation produise de bons effets pour le spirituel et le temporel qu'il le peut désirer lui-même ». Et il ajoutait que c'est seulement une fois qu'il serait « sorti d'affaires avec son oncle » qu'il se sentirait prêt à « se donner à Dieu tout de bon et solidement » (24). Il y fut bientôt aidé par la guérison miraculeuse de son gendre David-François de Chantérac, comte de Beauvais, à la suite d'un voeu fait à Alain de Solminihac (fin de 1680) (25). La question de Magnac faisait d'ailleurs en 1682 l'objet d'un arbitrage.

relations avec Mgr de Noailles (1679-1682) et sur son activité littéraire : « Sa charité s'étendait sur tous les états : sur l'état ecclésiastique, procurant de tout son pouvoir de bons sujets à l'Eglise, sur celui de la noblesse, de la justice et du peuple. Un président a dit qu'il avait tant d'obligation au comte de Fénelon, que s'il voyait son père et celui-là, il courrait plutôt à celui-ci, c'est-à-dire au feu comte, parce

que sans lui il n'aurait pas la charge de président. II était tout prêt de rendre du service à toutes sortes de personnes autant que sa conscience et l'honneur le lui permettaient.

Il avait un grand zèle pour l'accroissement du royaume de Jésus-Christ. Il me fit l'honneur de me dire que, si Mgr de Cahors l'approuvait, il prendrait une soutane et viendrait avec moi faire le catéchisme dans les villages, et il avait envie de prendre le parti de l'Eglise si Mgr l'évêque ne l'en avait dissuadé, lui disant qu'il faisait plus de bien dans le monde.

Il composa des entretiens de méditation pour la noblesse que Mgr de Noailles approuva. Il faisait des entretiens de piété dans des maisons particulières avec tant de ferveur qu'un très habile prédicateur des jésuites l'ayant entendu, dit : « Si ce Monsieur était à Paris, il y ferait des biens infinis ».

Il a procuré ici qu'on lave les pieds à douze pauvres le Jeudi-Saint. Il fit devant moi pendant deux ans qu'il se trouva à La Mothe deux fois le renouvellement des promesses faites au baptême, s'étant mis à genoux dans l'église les jours fixés en présence de tout le peuple assemblé. Il eut la dévotion d'imiter celle des rois mages à leur adoration du Sauveur, car il offrit un demi-louis d'or, de l'encens et de la myrrhe à l'offrande de la Messe. Il a procuré de mon temps plusieurs missions et retraites de MM. de Saint-Lazare, des jésuites et de M. l'archiprêtre de Moncabrié à La Mothe, à Sainte-Mondane et à S. Julien.

Il épargnait pour les pauvres qui auraient beaucoup souffert sans lui dans ses terres les années de la disette.

Il était d'une si grande délicatesse pour sa conscience qu'il ne faisait rien sans me consulter, et dans les affaires les plus difficiles il avait recours aux docteurs de l'un et l'autre droit. M. l'archiprêtre de Moncabrié en peut rendre un très illustre témoignage. Il était particulièrement attentif à faire extirper les jurements de ses terres, ce qu'il recommanda plusieurs fois à MM. les juges. Enfin, il était tout plein du désir de faire tout le bien qu'il pourrait pour la gloire de Dieu et n'avait rien plus en tète.

Mgr de Noailles étant évêque de Cahors faisait une grande estime de cet illustra défunt, tellement qu'on l'appelait son grand vicaire » (A. N., M. 538, n. 38).

(24) Cf. infra, App. I, n. 36.

(25) Voir, sur ce gendre, supra, chap. II, App., n. 34. Son beau-frère François III soulignera en 1737 « la convenance de piété entre le beau-père et le gendre »

94 LA FAMILLE DE FIINELON

François 11 avait des relations plus compromettantes avec un autre disciple de Solminihac, Jean du Ferrier, à qui il attribuait l'honneur de sa conversion (26) et avec lequel il projeta sous Innocent XI une croisade pour la défense des libertés opprimées dans le Midi par les Régalistes. Le 3 août 1678 il lui écrivait : « Je vous envoie, Monsieur, un mémoire ou modèle que je n'eusse jamais osé vous envoyer, si M. l'abbé de Cambiac [frère de du Ferrier] ne m'eût dit que la chose n'était pas sans exemple. Je vous l'envoie par mon cadet [sans doute llenri-Joseph, de Chiiteaubouchet] qui ne sait pas de quoi il est question, et il n'est pas nécessaire qu'on le sache. Si vous approuvez mon dessein, ayez la bonté, Monsieur, de corriger cette lettre et, si vous la faites copier, ne me nommez pas, s'il vous plaît, et je le veux si peu être en cela que je ne signerai pas même cette lettre, de peur que, mon nom étant vu, on ne connaisse qui a écrit ce que je vous adresse. Si vous approuvez mon dessein, faites mettre la chose au net, en suivant un style cavalier, et envoyez-la à Rome à quelque personne qui l'appuie etc... Je crois, Monsieur, qu'il faut envoyer les écritures à Rome sous ce pontificat, si vous approuvez qu'on les envoie etc... ».

Les deux lettres suivantes s'adressent à la fois à du Ferrier et à son frère. La fin de celle du 3 septembre 1678 porte : « Je crois, Messieurs, que vous êtes à présent ensemble, et que vous aurez été indulgent sur mes écritures etc... Je ne me soucie pas de savoir d'autre réponse de Rome, si ce n'est celle qui regarde la guerre sainte pour les matières ecclésiastiques » (27).

Il faut croire qu'on ne le découragea pas, car il écrivait encore de Cahors à du Ferrier le 14 septembre 1679 : « Je vous envoie un mémoire de ma façon dans l'espérance que vous pourrez, par M. le cardinal

(A. N., M. 538, n. 6 ). François II raconte le miracle dans la lettre qu'il écrivit le 4 janvier 1681 de Boisse au P. Chastenet. On le voit occupé à faire exécuter le tableau commémoratif ex-voto dans ses lettres des 22 avril et 16 mai 1684 (il se trouvait alors malade au château de Fénelon) et dans sa lettre de Gourdon du 31 octobre 1687 (Evêché de Cahors, carton 21, n° 1, VII et carton 20, n° 2, liasse 66 ). Cf. René TOUJAS, Un miracle attribué à Alain de Solminihac dans la famille de Fénelon (Actes du XXIII° congrès d'études régionales de la Fédération des sociétés académiques et savantes Languedoc-Pyrénées-Gascogne, Figeac, 2-4 juin 1967 ).

(26 ) Après avoir été le premier supérieur de la communauté de Saint-Sulpice, Jean du Ferrier avait participé aux conférences de Mercuès alors qu'il était ou allait devenir vicaire général d'Albi. Il se chargea de faire connaître les déclarations de Solminihac mourant aux évêques d'Alet, de Pamiers et de Comminges. Malgré son ultramontanisme très actif, ce n'est donc pas sans raison qu'il était considéré comme janséniste par M. Tronson (G. DOUBLET, Jean du Ferrier, Toulouse, 1906, pp. 164, 172-175 ). Sur son rôle dans l'évolution religieuse du comte de Fénelon, cf. infra, n. 28, la lettre de celui-ci du 14 septembre 1679.

(27) On lisait également au milieu de sa lettre du 27 septembre 1678 : « Je vous supplie tri humblement, Messieurs, de faire l'usage qu'il vous plaira de mes écrits sans les renvoyer » (extraits dans le ms. fr. 13 844, p. 168).



FRANÇOIS II DE FÉNELON 95

Grimaldi, ou par quelque autre, le faire agréer au Pape. Si cela réussit, il trouverait en France des gens de qualité dévoués pour la défense de la religion, et qui vivraient chrétiennement en soutenant la cause de Dieu. Quel bien n'en viendrait-il pas? Je soumets mes vues à vos lumières : c'est de vous, Monsieur, dont Dieu s'est servi le premier pour me toucher. J'espère encore que vous contribuerez à mon sacrifice » (28).

On comprend que ces lettres audacieuses, découvertes le 30 juin 1683 dans les papiers de Jean du Ferrier en même temps que d'autres du cardinal Grimaldi, des évêques de Saint-Pons, d'Agde, etc... aient valu à leur destinataire, considéré comme un chef de réseau, de mourir à la Bastille (29). Les expéditeurs ne semblent pas en revanche avoir été inquiétés. Après avoir assisté le 13 novembre 1684 au mariage de son fils François III et lui avoir cédé ses biens (30), l'ancien volontaire de Candie repartit le 27 décembre 1684 de Fénelon pour aller combattre l'Infidèle : cette croisade, à laquelle s'intéressèrent tous les anti-régalistes, de l'évêque d'Agde Louis Foucquet à Antoine Arnauld, en passant par L. du Vaucel, mena d'abord le gentilhomme âgé de cinquante-six ans qu'accompagnait un petit-fils de quinze ans (sans doute François-David de Chantérac) aux pieds d'Innocent XI, sous la bannière duquel il désirait combattre, puis à Venise. On trouvera plus loin le récit de son voyage et de sa blessure à la prise de Coron (31) : cette victoire, qui paraissait le prélude d'une reconquête de la Grèce, a inspiré à Fénelon son brillant jeu d'esprit du 9 octobre [1686?] qu'on ne peut comprendre hors de ce contexte (32). La lettre que François II fit au passage écrire le 10 juillet 1685 par l'archevêque de Spalato à l'évêque de Châlons (33), comme celle qu'il adressa lui-même après son retour à la duchesse douairière, montrent d'autre part son intimité avec les Noailles (34).

(28) Textes dans le ms. français 13 844, p. 159.

(29) Cf. G. DOUBLET, p. 164 — Xavier AZÉMA, Un prélat janséniste, Louis Foucquet, évêque et comte d'Agde, Paris, 1963, p. 155 — Ms. fr. 13 803, f. 342 r°.

(30) Cf. infra, n. 38.

(31) Cf. infra, App. II.

(32) Voir cette lettre à sa date dans notre t. II.

(33) Cf. infra, App. II, n. 33.

(34) Voici la lettre qu'il lui adressait : « A Bergerac, ce 14 février 1687.

Je dois être, Madame, dans de continuels remerciements de vos bontés. J'écris à mon gendre celles que vous avez pour lui, afin qu'il supplie M. de Guedevillo

d'exécuter les ordres obligeants que vous voulez bien lui donner. Je n'ai point reçu de nouvelles de Paris de Mme de Chatilon. J'en ai reçu de Rome du bon cardinal archevêque de Corfou qui me logea chez lui. Mr le cardinal Coloredo

m'écrit que la vie retirée dans une s[ain]te solicitude (sic) est bien différente de celle qu'on mène dans le tumulte du monde, exposé à l'attrait de tant de vanité. Il

désire qu'on prie pour lui, et je m'adresse à vous, Madame, pour cela. Vous savez qu'il vivait fort retiré aux pères de l'Oratoire de St Philippe Nery, et qu'il n'a

96 LA FAMILLE DE FÉNELON

FRANÇOIS II DE FÉNELON 97

Dans ses dernières années, la piété du comte de Fénelon frappa de plus en plus ses contemporains (35). Le Mercure galant lui-même le nomme parmi les « gentilshommes qui ont assisté à la retraite faite chez M. l'évêque de Périgueux » à partir du 29 juin 1700 : s'y trouvaient aussi le marquis et le chevalier de Salagnac, MM. de Barrière, de la Filolie, etc. (36). Le 22 septembre 1712, dom Jacques Boyer qui le rencontra à Sarlat, notait : « M. le comte de Fénelon, frère de M. de Cambrai, âgé de plus de quatre-vingts ans, vit comme un saint » (37). Le « vénérable patriarche » (c'est ainsi que l'archevêque l'appelait à la même date) fit le 23 janvier 1713 un testament où il ne renie aucune de ses amitiés, puisqu'il y déclare : « Je charge mon fils d'avertir de ma mort M. de Cambrai, M. le cardinal de Noailles et M. de Saint-Pons afin qu'ils fassent prier pour moi dans leurs diocèses ». Les autres stipulations montrent en particulier son attachement aux Pénitents bleus de Sarlat dans la chapelle desquels il demandait à être enterré (38).

accepté le chapeau que par l'obéissance qu'il a cru devoir rendre au Pape. II peut servir les gens de piété, qui voudrait (sic) aller à l'armée de Venise. Le bon cardinal archevêque de Corfou les peut bien recommander à ses amis particuliers, mais il n'est pas bien avec la république. Je vous remercie très humblement, Madame, de ce que vous prenez part à ce qui regarde ma santé. J'espère que vous demanderez et ferez demander à Dieu que je fasse un bon usage de l'état où il voudra que je sois.

Je suie incommodé de temps en temps, et toujours fort respectueusement, Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur, L. M. Fénelon.

Je n'ose pas prendre la liberté de faire ici mon compliment à Mgr de Chaalons » (nu. fr. 6919, f. 49 — Revue Fénelon, 1911, pp. 168 sq.). Le 30 décembre 1695 la duchesse de Noailles parlait encore à son fils le maréchal du a chevalier de Chantérac que son grand-père le comte de Fénelon a voulu qui vous portât une de ses lettres » (ms. fr. 6 921, f. 68).

(35) Les Nouvelles ecclésiastiques de mai 1688 annonçaient : « Il est malade à Paris de la pierre et doit être taillé demain par Colo » (nouv. acq. fr. 1732, f. 3 v°). Après avoir mentionné cette opération, son fils François III ajoute : « Il fit tout le bien qu'il pouvait faire dans ses terres. et même dans le voisinage » (A. N., M. 538,

n. 29).

(36) Septembre 1700, pp. 28-52.

(37) Le bénédictin se trouvant à Sarlat, François II « lui donna quelques lumières touchant ses oncles évêques de Sarlat » et lui fit, pendant sa maladie, des visites pour ainsi dire quotidiennes (Jacques BOYER, Journal de voyage 1710-1714, éd. Ant. Vernière, Clermont-Ferrand, 1886, pp. 272, 277).

(38) Voici, d'après une copie du xvitt° siècle, ses dernières volontés, datées du 23 janvier 1713, avec un codicille du 5 février 1713, fait à Sarlat : e Si je meurs à Sarlat, je veux que » mon corps « soit enterré à Sarlat aux Récollets avec mes père et mère. Je charge mon fils d'avertir de ma mort M. de Cambrai, M. le cardinal de Noailles et M. de Saint-Pons mon parent, afin qu'ils fassent prier pour moi dans leurs diocèses, et les carmélites de Bordeaux... Je ne charge pas » mon fils a d'autres légats pies parce que je me réduisis à ne disposer que de 3 000 livres pour lui éviter un procès avec sa soeur et fut à Caors en présence de M. Merlin, avocat; il me promit alors qu'il payerait pour moi jusqu'à 4 000 livres. Il y est plus obligé à présent puisque, après lui avoir donné 1 000 livres pour payer les

Il vivait encore en août 1714 (39).

On risque parfois d'attribuer à François II certains actes qui concernent François III (1648? — 12 janvier 1742) (40). Mais celui-ci s'établit à Manot quand son père fut revenu en Sarladais (41). Il épousa le 13 no-

orphelins. de Caors et (un blanc dans le texte) aux invalides ce que sa mère devait, 400 livres, comme il paraît par son testament qu'on trouvera avec celui-ci, j'ai

payé lesdites dettes et j'ai une obligation de lui où il se chargea de payer 600 livres auxdites orphelines de Cahors après que je lui eus donné une pareille somme que je destinais à les payer; je suis persuadé de son amitié, je le conjure d'en donner des marques en satisfaisant à ma volonté... Je le supplie d'assister de ses conseils et de ses bons offices les maisons de Duffau de Ste Mondane et de Galtié et Lacombe de la paroisse de S. Julien à qui je veux donner si je vis à cause de ce que leurs prédécesseurs ont prêté ou se sont obligés pour notre maison... Je crois mon fils aussi reconnaissant que moi de ce que Monsieur de Cambrai a fait pour notre famille, ce qui est cause que j'aime mieux payer les héritiers d'Etienne Goussac qui demeuraient aux Vignes, terre de Salagnac, que de Manaut (?), sur ce qu'ils ont prêté du blé à mon père pendant son mariage avec la mère de Monsieur de Cambrai; cela paraît dans les promesses et est si privilégié que je charge mon fils de le payer aux héritiers de Goussac. Je crois qu'ils demeurent à présent à Bourrèze, terre de Salagnac. Ils ont une promesse de mon père de six vingt deux livres et

une autre de 60 livres. Je mettrai dans un mémoire à part la dette de Thournon en Vivares de mon frère l'abbé et l'affaire de M. Arnaud, marchand d'Angoulême,

et d'autres choses afin que je puisse y mettre ce que j'aurai payé... On trouvera avec ce testament, celui de ma femme et ce mémoire, un état de mes droits, afin que ceux à qui je devais avant donner mon bien à mon fils sachent que j'avais de quoi les payer, et que mon fils n'a pu se prévaloir de ma donation qu'à la charge de les payer. La plus considérable de mes dettes de ce temps-là était celle de La Buxière. Il est mort. II faisait les affaires de mon oncle de Fénelon. Il a reçu sur ladite dette de moi 800 livres. J'ai donné de l'argent à mon fils pour payer les dépens et l'amende auquel M. de Cambrai fut condamné pour le procès de Salagnac. Il n'est pas juste qu'il lui eût coûté rien. Il ne me reste d'enfants de ma femme que mon fils François de Salagnac. Je lui donne expressément et nommément le gain des noces qui m'est acquis par la mort de sa mère, ma très chère épouse, avant moi. Je l'institue mon héritier universel... Don aux religieuses de la Visitation de Périgueux de la chaire de St François de Sales que le supérieur du séminaire de Necy m'a envoyé.

Ecrit de ma main à Sarlat le 23 janvier 1713. Signé : Lamothe-Fénelon, testateur.

J'ajoute que mon fils et moi avons convenu de payer la dette du sr La Boixière par moitié, quoique par les termes de son contrat de mariage il dut la payer toute, parce qu'il est dit que je lui donne tous mes biens et que les réserves que j'y fais sont franches et quittes de charges. Je veux bien pourtant que ladite moitié soit payée sur ma réserve... Il faudra aussi qu'on me tienne en compte 800 livres que j'ai payées audit sieur La Boixière... A Sarlat, ce 5' février 1713. Signé LamotheFénelon n (A. D. Dordogne, 2 E 1593, n° 1).

(39) D'après le mémoire de son fils François III (1737) il mourut à quatre-vingt-cinq ans (A. N., M. 538, n. 6). La date de 1715 est fournie par les registres des Pénitents bleus de Sarlat (J. SECRET. Au pays de Fénelon, Périgueux, 1939, p. 67; cf. le Nouveau Mercure Galant, janvier 1715, pp. 181 sqq.).

(40) Bull. Périgord, 1951, pp. 184 sq.

(41) Dans le contrat du 11 novembre 1684 reçu par le notaire Des Martins au château de Roniac en Périgord, François H nommait son fils pour recevoir effet de la substitution créée par Bertrand de Salignac (cf. supra, n. 4) et lui faisait

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FRANÇOI8 II DE FÉNELON 99

vembre 1684, Elisabeth de licaupoil de Saint-Aulaire, demoiselle de Pontville (42). l.,e 28 mai .1689 il reçut la commission de lieutenant-colonel du régiment d'Angoumois (43) : il partait pour la guerre le 9 janvier 1690 (44). Mais il reconnaît lui-même « n'avoir pas servi longtemps par le soin qu'il fut obligé de prendre de ses affaires domestiques, de sa grande famille » (il avait quatorze enfants!) et avoir mené une vie assez obscure » (45). Sa terre de Fénelon fut néanmoins érigée en marquisat (46). ll réussit, grâce à la vente de certains biens plus ou moins éloignés (47), îi arrondir son domaine de Manot (48). L'aide de

son oncle Henri-Joseph et de sa tante A. H. de La Filolie lui permit d'autre part à la fin de 1708 d'acheter un régiment à son fils Gabriel-Jacques (49) : mais la correspondance de l'archevêque nous fera souvent rencontrer celui-ci (50) et ses frères.

en outre don de tous ses biens (A. N., AE 1771, p. 11 — B. N., /. Périgord,

t. 164, f. 33 r° ). François II étant aussitôt parti pour l'Italie et la Grèce, son fils dut le remplacer à Sainte-Mondane. C'est ce qui explique qu'il ait versé le 20 juillet 1685 un marchand de Cahors, Fr. Maysonneufve, 1 200 livres en paiement de marchandises dues par son père et d'un miroir rehaussé d'or et d'argent qui devait être livré au château de Fénelon (Minutes du notaire Valenty de Cahors, A. D. Lot, III E 263, n° 37 ). C'est sans doute aussi lui que le présidial de Sarlat condamnait

le 14 février 1690 à payer près de 400 livres sur une somme due à Jacques Gerbet, marchand de Bergerac, depuis le 2 août 1685 (A. D. Dordogne, B 1396). Mais, dès le 10 novembre 1689, on le voit résider à Manot (A.N., M. 537, n. 108 à 119; cf. aussi infra, n. 50).

(42) Elle était fille de Bernard à qui le contrat de la fille de François II donnait

le 15 août 1668 le titre de cousin germain du mari de celle-ci, Chantérac. Bernard de Pontville fit son testament le 17 décembre 1707 (A. N., M. 538, n. 93, 98, 100).

(43) A. N., M. 538, n. 96 — B. N., f. Périgord, t. 164, f. 33 r°. C'est sans doute à la suite de la convocation des gentilshommes de l'arrière-ban en mai 1689 (cf. Correspondance de Bussy-Rabutin, éd. LALANNE, t. VI, p. 242) que le régiment d'infanterie d'Angoulême fut mis sur pied en octobre 1689 avec M. de Brassac pour colonel (Etat de la France, 1694, p. 334; cf. aussi Louis SUSANNE, Histoire de l'ancienne infanterie française, Paris, 1853, t. VII, p. 101). François III paraît bien le a pauvre neveu s que le précepteur des princes avait, à la fin de 1689, hésité à recommander à un ministre : Mme Guyon le lui conseillait le 26 décembre 1689 (P.M. MASSON, pp. 52, n. 1, 330, 335).

(44) Notaire Revel à Ambarnac (cf. A. D. Gironde, 9 J. 114, p. 320).

(45) 11 se flattait dans son mémoire de 1737 de a n'avoir perdu qu'un seul enfant étant en nourrice. Tous les autres ont dépassé quinze ou seize ans » (A. N., M. 538,

n. 8).

(46) A. N., M. 538, n. 98. Dès le 24 juillet 1685, le registre des baptêmes de Lamothe-Massaut lui accordait ce titre, sans doute par courtoisie (Arch. communales). Il faut sans doute lui attribuer l'acte a de mainmise sur le tènement de Saint-Julien s du 22 juin 1695 (notaire Pecheyran, Reg. de contrôle des notaires, A. D. Dordogne, C 2 384, n° 1 289).

(47) Le 31 décembre 1693, François II aliénait un domaine dépendant de la seigneurie de Boissy Ta. A. D. Lot, III E 220, n. 38 ). Le 5 mai 1699, c'est cette seigneurie elle-même qu'il échangeait contre la terre de Jugeulx (Jugeais, canton de Drive?) devant Boissy, notaire de Loupiac en Quercy : il en retirait un© soulte de 23 000 livres (archives privées, presbytère de Castelnau-Montratier ). Le 30 octobre 1700, il vendait devant le notaire Revel une seigneurie de la vicomté de Turenne (cf. A. D. Gironde, 9 J 114, p. 320).

(48) On trouvera aux A. N., M. 537, n. 108 à 119, de nombreuses quittances relatives à l'acquisition du domaine de l'Estournellerie (30 novembre 1689) et de la métairie de La Forest (19 juillet 1708 ). Le 10 décembre 1695 l'archevêque

espérait qu'il « ne se laisserait pas éblouir à de petits profits dans les accommo- dements qu'il a faits à Manot ».

(49) Cf. les contrats des 10 août et 30 décembre 1708 (B. N., f. Périgord, t. 164, f. 33 r°).

(50) Baptisé le 26 juillet 1688 à Saint-Martial de Manot t. 164, f. 132 v0),

mousquetaire en 1704 (Botsusus, t. XXVI, p. 70), capitaine du régiment royal de cuirassiers sous Bonneval (1706 ), colonel du régiment de Bigorre infanterie en 1709. Cf. sur lui A. CAmm, Télémaque, t. I, p. LXXVIII.

APPENDICE I FRANÇOIS II DE FENELON A L'ABBE DE CHANTERAC (1)

A Fénelon, ce 26 septembre 1680

Je ne crus pas devoir vous parler à Roquemadou de mes affaires avec mon oncle de Fénelon (2), mais ayant depuis fait réflexion à votre attachement pour lui (3) et à votre franchise vers vos amis, j'ai cru que vous pouviez vous servir utilement de ce que vous sauriez par moi et même le faire voir à mon oncle, après lui (4) avoir disposé. Je le crois délicat et sensible (5); ainsi il faut le préparer pour lui faire bien recevoir les vérités.

On m'a dit que La Buxière (6) avait bien fait des contes au séminaire de Limoges, mais voici la vraie histoire de notre maison. Après que mes aïeul (7) et aïeule (8) eurent nommé mon père (9) aux avantages qu'ils avaient fait à un de leurs enfants par leur contrat de mariage,

(1) L. a. s., A. S. S., n° 524. Cf. sur le destinataire, supra, chap. II, App., n. 36.

(2) Bien que le frère de l'abbé de Chantérac, gendre de François II, fût dans une certaine mesure intéressé au succès de la démarche de celui-ci, on comprend que le comte de Fénelon ait hésité à en parler à l'abbé dans un lieu de pélerinage.

(3) C'est surtout pendant son séjour à Saint-Sulpice que l'abbé avait dû connaître le marquis de Magnac (cf. sur lui, supra, ch. IV).

(4) Lui pour L'y. François II est homme d'épée et son français est parfois incorrect.

(5) e On dit d'un homme qui se fâche aisément, qu'il est pointilleux, qu'il est fort délicat sur les formalités, sur les égards qu'il prétend lui être dus, qu'il est chatouilleux » (Furetière). « Sensible, aisé à toucher. Cet homme est fort délicat et fort sensible sur le point d'honneur s (ibid.).

(6) Cf. sur lui la lettre du 6 octobre 1689, n. 7. Le collège de Magnac ayant été uni au séminaire de Limoges par contrat du 29 juin 1680 (cf. supra, ch. IV, n. 73), La Buxière avait à cette date bien des occasions d'y parler des affaires financières des Fénelon.

(7) François Pr, né en 1580, mort avant le 13 décembre 1644 (cf. supra, ch. r, n. 5 à 8).

(8) François Pr épousa, par contrat du 12 mars 1599 passé au château de Blanchefort en Limousin et signé Sagauli, notaire, Marie de Bonneval, fille unique de feu Horace de Bonneval et de Marguerite de Neuville, dame de Magnac (Louis LAINÉ, Généalogie de la maison de Salignac-Fénelon, Archives généal. et hist. de la noblesse de France, t. IX, 1844, p. 4 ). Elle apportait à son mari Magnac, première baronnie de la Marche, les seigneuries de Bonneval, de Blanchefort, de Neuville, d'Argentat, d'Arnac. Cf. supra, ch. I, n. 9.

(9) Pons, né en 1601, épousa le 21 février 1629 Isabeau d'Esparbès de Lussan. Il mourut le 13 mars 1663.

LA FAMILLE DE FÉNELON

102 FRANÇOIS II A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC 103

et expressément aux avantages de la coutume de Poitou dans laquelle Magnac est situé, ils cherchèrent des voies extraordinaires afin que mon père n'en retirât pas l'utilité (10) qu'il en devait attendre. Mon père disait fort qu'on s'était servi de faux rapports [en interligne : ceci ne tombe pas sur man oncle] (11) pour lui nuire auprès de ses parents, mais voici ce qui paraît : mon aïeule poursuivit et obtint une séparation de biens contre mon aïeul (12), de quoi il fut piqué et se pourvut pour la faire casser, mais il fut bientôt apaisé et engagé à faire tout ce qu'on désira de lui, puisque mon aïeule, ayant déclaré par un acte public, qu'elle n'avait pas poursuivi cette séparation pour se séparer du respect qu'elle lui devait, mais que c'était pour pouvoir donner ses revenus à mon oncle son fils, et que si mon aïeul voulait l'autoriser pour l'avantager, elle se départirait (13) de cette séparation; mon aïeul l'ayant autorisée par ce même acte; elle donna tous ses biens à mon oncle, et mon aïeul donna les revenus de Magnac à la mère et au fils pour trois mille trois cents livres, ce qui fait bien voir qu'il ne connaissait pas la valeur de cette terre (14).

(10) Utilité, profit, avantage (Furetière).

(11) Dans une lettre conservée à Aiguevive à la suite de 7 novembre 1680, Pons se plaint à Antoine d' « avoir été si mal traité de sa famille qu'il vaut mieux l'oublier que le regretter ».

(12) Le 21 Pin 1640 le sénéchal du Dorat prononçait : « Vu la sentence rendue entre lesdites parties le dernier jour d'avril dernier 1640 par laquelle ledit sgr de La Mothe défendeur est déclaré vrai défaillant et contumax, avons tenu et réputé ladite dame Marie de Bonneval, dame de Maignac, séparée ès biens, et la séparons d'avec ledit sgr de La Mothe son mari et, ce faisant, l'avons mise et mettons en ses droits et biens, en lui donnant puissance et autorité de contracter, ester en jugement, intenter et poursuivre toutes actions, instances et procès contre toutes personnes, jouir desdits biens et les administrer, pour disposer de ses meubles et fruits des immeubles sans l'autorité et consentement dudit sgr son mari, ordonné qu'inventaire sera fait des biens de la communauté et commission pour cela donnée à un notaire de Limoges » (copie de 1667 aux A. D. Haute-Vienne, 3 G 295 ). Mais cela ne suffit pas à expliquer les actes passés au préjudice de Pons puisque nous connaissons un projet d' « accord » entre Pons et Antoine qui porte la date du 2 novembre 1639 : il y était stipulé que « Pons baillerait à Antoine 70 000 livres, plus la propriété des deux tiers de Magnac et d'Arnac qui lui reviennent comme fils aîné ». De son côté, « Antoine faisait cession de tous ses droits sur les biens de son père et de sa mère, et du sixième du total qui lui est acquis par la coutume de Poitou » (archives d'Aiguevive). Les termes de l'échange étaient évidemment disproportionnés.

(13) Se départir, « abandonner une prétention, une demande » (Furetière).

(14) Cette lettre renseigne sur la date (juillet 1640) d'un acte perdu, mais dont le contenu était aussi connu par la procédure ultérieure : François I" cédait à Pons tous ses biens et dettes passives (41 730 lb.) sous réserve de la constitution d'une rente viagère de 12 000 lb. Marie de Bonneval demandait la même rente au cadet, Antoine, mais ses biens étaient peut-être plus considérables et, en tout cas, ses dettes ne s'élevaient qu'à 9 545 lb. On comprend que Pons qui avait cinq enfants vivants et dont la femme n'était pas riche, ait refusé(cf. L. A. BERGOUNIOUX, Quelques documents inédits, 1641-1642, Bulletin de la Société des Etudes du Lot, t. LXII, 1941, pp. 5 sqq., 80-88, 149-153.

Le lendemain, mon aïeul donna tous ses biens à son second fils, à présent M. de Sarlat, lors absent. Cela se passa au mois de juillet, en 1640 (15). Le mois de septembre suivant, on fit quatre actes en trois jours, on refit les deux donations faites au mois de juillet, et M. de Sarlat accepta celle qui le regardait, comme aussi le don que mon aïeule lui fit par un autre acte de tous ses revenus et de la sixième partie de la terre de Magnac. M. de Sarlat accepta aussi pour et au nom de M. le marquis de Fénelon son frère les avantages que mon aïeul fit à mon dit oncle de Fénelon, en présence, et du consentement de mon aïeule, qui le fit encore par un acte séparé (16). Toutes ces choses firent tant de peur à mon père qu'elles l'obligèrent de transiger avec ses père, mère et frères.

Cette transaction se passa contre l'avis des avocats qui furent consultés là-dessus et qui répondirent, par la consultation que j'ai entre les mains, que ces actes étaient nuls et ne servaient qu'à brouiller les familles et à mettre tout en confusion. Mon père signa cet acte (17) sans être instruit des affaires de sa maison ni de la valeur de Magnac. Il paraît par le même acte que mon père n'avait point les papiers de sa maison qui pouvaient l'instruire de ses droits et que mon aïeul les avait remis à M. de Sarlat, lorsqu'il lui fit cette donation de ses biens. Il paraît aussi au commencement de cette transaction que, lorsque mon aïeul fit la dite donation, il stipula de M. de Sarlat qu'il en remettrait l'effet à mon père, au cas qu'il consentît au règlement que ses père et mère voulaient faire entre leurs enfants, et il paraît par la suite de cet acte qu'il fallait, pour satisfaire mes aïeul et aïeule, que mon père renonçât à ses droits sur Magnac. Et il paraît aussi que ni mon aïeul ni lui n'en connaissaient pas la valeur, puisque mon aïeul en donna la jouissance pour 3 300 lb., et il est facile à justifier qu'il valait beaucoup plus dès ce temps-là (18).

(15) Sur François, alors doyen de Carennac, cf. supra, ch. III.

(16) Par acte du 21 septembre 1640 passé à Limoges, M. de La Mothe donnait tous ses biens à l'abbé « avec rémission d'effet de sa donation en faveur de Pons..., en cas qu'amiablement et par voie de la douceur il consentirait au règlement » que lui et sa femme désiraient établir entre leurs trois fils « pour ôter tout sujet de différends à l'avenir ». De son côté, l'abbé cédait ensuite ses droits à Pons « aux charges et conditions de ladite donation, et ce du vouloir et consentement de son père ». Le chantage pouvait impressionner un gentilhomme peu savant et qui, d'ailleurs, ne disposait pas du contrat de mariage de ses parents (A. D. Haute-Vienne, notaire Tardieu de Limoges, 4 E 2 n° 599, année 1640).

(17) A Cahors, le 12 juillet 1641, cf. Bull. Lot, 1941, pp. 14 sq., 80-86. Voici le résumé que François II lui-même en a fait dans une note conservée à Aiguevive : « Pons a cédé ses droits sur Magnac à Antoine et sa mère lui a cédé les droits qu'elle avait sur les biens de son mari qui consistaient en 20 000 écus reçus de la maison de Bonneval et des sommes provenant des biens d'Argentat vendus par mon grand-père ». Et il indique que les biens de François I.1> (non inclus dans la substitution ) étaient Salvagnac, Montaigu, Montdomer et La Mothe.

(18) Sur le revenu réel à une époque postérieure, cf. supra, eh. IV, n. 2.

la transaction du

104 LA FAMILLE DE FÉNELON

Il est vrai qu'on ne comptait pas sur la force de cet acte, puisque mon aïeule écrivant à mon oncle de sa main, lui manda que mon aïeul ayant dit que cet acte était une chanson, que mon père le croyait. Je lui ai bien dit, ajoute-t-elle, que quand cela serait, il ne le devrait pas dire. J'ai cet écrit entre les mains, comme aussi une lettre de mon oncle écrivant à mon aïeul, par laquelle il se sert de ces termes : après avoir fait tant de violence à mon frère aîné pour l'obliger à vous le quitter (19) (il avait parlé auparavant de Magnac); c'est une preuve et de la violence de mon aïeul exercée sur mon père, et de la part que mon oncle y a eue. J'ai aussi entre mes mains des lettres de mon aïeule et de M. de Sarlat, qui font voir qu'on avait fait grand peur à mon père de cette multitude d'actes dont j'ai parlé. Il ne les avait pas vus. Il envoya pour les retirer; mais l'ordre de mon aïeule et de M. de Sarlat portait seulement qu'on envoyât les seings; de quoi mon père ne s'étant pas contenté, on fit délivrer ces actes et c'est par là que je les ai en mon pouvoir. Mon oncle (20) m'a avoué qu'on n'avait jamais douté que mon père ne pût revenir contre cette transaction. Mon oncle sait bien qu'il s'en est fort plaint et à tant de personnes qu'il est bien facile de le justifier, et même par des voisins de Magnac qui savent que mon père se plaignait aussi de mon grand attachement pour mes oncles, ses frères. Il a dit en ma présence que, quand il retirerait ses droits de mon oncle, je les lui (21) rendrais, et mon oncle sait bien que je n'eusse su lui (22) faire un plus grand plaisir que d'entrer en liaison avec lui pour rompre les traités passés; et il me semble que mon oncle me devrait sentir gré de ce que, non seulement je n'ai pas déféré aux sentiments de mon père, mais même lui ou M. de Sarlat m'ont dit là-dessus que j'étais leur martyr, et il est vrai que mon père m'a fort pressé sur ce sujet, et mon oncle le sait bien. Depuis la mort de mon père, mon oncle sachant les impressions que mon père m'avait données, voulut me les ôter, en présence de feu M. de Saint-Pierre (23), mais

(19) Quitter, renoncer à, abandonner volontairement (Furetière).

(20) Dans cette lettre, « mon oncle » désigne toujours le marquis Antoine et non M. de Sarlat.

(21) Au marquis Antoine. Sur les rapports de François II avec lui, cf. supra, ch. VI, notes 13, 20, 24-25.

(22) A Pons. François II étant né en 1629, il ne pouvait entamer de procédure avant 1655. Ces faits doivent donc se passer entre cette date et 1663.

(23) Il ne s'agit pas d'un membre de la famille Thomasson de Saint-Pierre, dont la résidence se trouvait à Saint-Germain-des-Prés, canton d'Excideuil (A. D. Dordogne,

2 E 1849, 2 et 4 ), mais de l'oncle de Gabriel de Chantérac, Jean de La Cropte, né vers 1605, prieur commendataire de Saint-Sernin-de-Pavancelles (diocèse de Périgueux), puis archiprêtre de l'église Saint-Pierre-ès-liens de Chantérac (canton de Neuvic-sur-l'Isle; une dizaine de paroisses en dépendaient, dont celle de TocaneSaint-Apre). Il était habituellement désigné sous le nom de M. de S. Pierre. Il fut fondateur et premier supérieur de la Mission de Périgueux (indépendante,

FRANÇOIS II A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC 105

ce n'était pas assez de présenter des papiers et de les retirer. J'avoue qu'il a eu de la bonté pour moi; mais je lui avais bien obligé par ma conduite pendant la vie de mon père (24), et il faut que je le fasse souvenir que depuis, dans une occasion très importante, je me suis accusé pour l'excuser (25), et quoique je commençasse de n'être pas content de lui en Candie, je le supplie de se souvenir comme, quoi j'en eusse, il me dit que j'étais tombé malade en le servant [en interligne : et à son fils] (26), mais ce ne fut pas la plus grande marque d'attachement que je lui donnai en ce pays-là; il ne l'a peut-être pas remarqué, et il n'est pas nécessaire de la faire connaître à présent; ce que j'ai dit suffit pour le convaincre qu'après toutes ces choses, il devait avoir plus d'indulgence pour moi et se mettre en ma place. Faites-lui considérer, Monsieur, que j'ai bien eu des sujets de soupçon par tous ces écrits que j'ai trouvés, qu'il ne fallait pas tant se récrier après cela de ce que j'ai donné un exploit pour empêcher la prescription (27); il me semble que c'est à mon égard qu'il devrait appliquer cet avis porté dans une lettre de sa chère épouse, qu'il faut donner plus qu'on ne doit pour conserver la sainte paix (28). J'en ai plus de besoin que lui (29); les apparences le condamnent, et même deux contrats de mariage, dont celui qui assure Magnac à mon père est insinué au Dorat (30). N'est-il

malgré son nom, de la congrégation de saint Vincent de Paul ). Il mourut le 2 novembre 1665 (cf. Robert BÉZAC, Jean de la Cropte et la Mission de Périgueux, 1605-1665, XVII' Siècle, 1961, n° 53, pp. 27-30, 41). Bien que sa famille ne se soit alliée que le 15 août 1668 à celle de François II, leurs relations sont connues par d'autres sources (cf. supra, ch. VI, n. 22 ). Dans le Mémoire de procédure du 27 février 1682 (Archives d'Aiguevive) le marquis ajoute que son neveu « avait fait examen de toutes les pièces s du dossier durant plusieurs jours en 1677 « devant M. Roulier, lieutenant général d'Angoulême que les parties avaient choisi comme leur ami commun pour leur arbitre ».

(24) Donc ce n'est pas seulement pendant que François II se trouvait à l'Académie à Paris, mais aussi après 1663.

(25) Allusion possible à la Compagnie du Saint-Sacrement (François II était à la tête de la filiale des gentilshommes sarladais) ou aux activités ultramontaines communes à l'oncle et au neveu (cf. supra, ch. VI, notes 14, 20, 22, 26 sqq.).

(26) Sur l'expédition de Candie où le fils du marquis, le comte de FontaineChalendray, trouva la mort, cf. supra, ch. IV, notes 9 sqq.

(27) Nous ignorons la date de cet exploit, sans doute récent, car il est à l'origine des actes de procédure des 7 novembre 1680 et 8 janvier 1682 (cf. Bull. Périgord, 1951, p. 218). Cf. infra, n. 36.

(28) Sur Catherine de Montberon que son directeur M. Olier ne pouvait assez louer après sa mort prématurée, cf. supra, ch. IV, n. 3.

(29) François II avait en effet cinq enfants et sa fille Mu" de Chantérac en eut sept. Au contraire le marquis n'avait plus qu'une fille qui avait aussi hérité de la fortune maternelle (cf. supra, ch. V, n. 2).

(30) Le droit d'aînesse avait été violé d'une façon d'autant plus anormale que le contrat de mariage du 12 mars 1599 (cf. supra, n. 8) prévoyait qu'il jouerait largement. Pons devait bénéficier de la substitution établie par Bertrand. En outre son propre contrat de mariage lui attribuait, conformément à la coutume de Limousin, les deux tiers de Magnac.

106 LA FAMILLE DE FÉNELON

pas fort heureux, Monsieur, de ce qu'après cela, et étant persuadé par des gens éclairés que je serais rétabli dans mes droits sur Magnac, je veux pourtant exécuter à son égard une transaction insoutenable et qui nous ôte la plus belle terre de la famille? Ne devrait-il pas être content de cela ? Devrait-il encore m'imposer des lois très rudes ? Il ne se contente pas que j'excuse cette transaction, qui a procuré son mariage et lui a donné le moyen d'avoir sa charge (31). Il veut, sans attendre que toutes choses soient réglées, que, par préalable, je déclare par un acte que je veux m'en tenir à cette transaction et il veut cela avant m'instruire du profit que je puis tirer de cette transaction. J'ai dit oui sans en connaître les conséquences, mais c'est à condition qu'il me donnera des sûretés de finir toutes nos affaires. Je ne demande cela qu'afin de n'être pas obligé de plaider contre lui en conséquence et exécution de la transaction (32). Cela pourrait faire croire qu'il m'aurait fait faire ce pas à contre-temps, et je vous assure qu'il me semble que je désire autant que sa réputation produise de bons effets, pour le spirituel et le temporel, qu'il le peut désirer lui-même (33).

Il s'agit donc, Monsieur, à présent, de ne laisser point de queue dans nos affaires (34), et qu'il me fasse connaître ce qu'il peut me devoir en exécution de la transaction : il le sait bien. Je m'assure que si lui, M. de Salagnac (35), vous et moi étions ensemble, que nous sortirions de cette affaire; qu'il mène La Buxière; j'ai choisi un homme de bien, qui aime et me conseille la paix, et qui est le seul homme de son métier qui m'a conseillé d'exécuter la transaction dont il est question. Je m'en remettrai entièrement à lui pour cette exécution et, si vous me procurez le moyen de sortir d'affaires avec mon oncle, je vous promets, Monsieur, que je ferai tout ce que vous trouverez à propos pour me donner à Dieu tout de bon et solidement (36). C'est un grand moyen pour vous faire

(31) En réalité Antoine ne se maria que le 4 juillet 1647 et il n'acquit la lieutenance du Roi de la Marche qu'en 1652. Cf. supra, ch. IV, notes 2, 3, 6. Il fit valoir dans son mémoire du 27 février 1682 (Archives d'Aiguevive) que son frère Pons avait u parlé » à son contrat de mariage. Cf. aussi A. D. Haute-Vienne, 3 G 295.

(32) François II est donc prêt à abandonner ses droits sur Magnac en échange d'une compensation pécuniaire. Mais son oncle voulait en plus l'assurance qu'il ne plaiderait en aucun cas.

(33) La position juridique du marquis Antoine était plus forte que sa position morale et sa « réputation » de grand dévot pouvait en souffrir. D'où l'ironie de François II.

(34) Queue, suite... se dit figurément cies affaires. Faisons si bien notre transaction que nous ne laissions point de queue à notre procès (Furetière).

(35) Henri-Joseph, sr de Meyrac, qui résidait à Châteaubouchet (cf. infra, lettre du 13 juillet 1674, notes 5-7 ). Il n'est pas question des enfants du second lit, car le futur archevêque avait signé en 1676 une transaction qui cédait à François II tous les droits litigieux sur la succession paternelle (cf. supra, ch. VI, n. 9).

(36) Solidement, fermement (Furetière ). Mélange curieux de piété et d'intérêt, bien caractéristique de la personnalité de François II. Cf. supra, ch. VI, n. 10.

FRANÇOIS II A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC 107

travailler à nous donner la paix; vous ferez en cela un très grand bien et votre très humble et très obéissant serviteur en sera très reconnaissant.

La Mothe Fénelon.

Venez avec mon oncle, je vous en conjure, Monsieur, pour l'amour de ce Dieu de paix qui nous donnera par sa grâce celle que le monde ne peut donner.

Conservé aux archives d'Aiguevive, le précieux Mémoire de procédure du 27 février 1682 nous renseigne sur la suite de l'affaire. Dès le 7 novembre 1680, François II se désista du procès qu'il avait entamé contre le marquis pour la terre de Magnac par une transaction conclue à Saint-Yrieix qui fut suivie d'un autre compromis le 8 janvier 1682. Ils y choisissaient pour arbitre commun Simon des Coustures, seigneur de Bort, conseiller avocat du Roi au présidial de Limoges (27 juillet 1609 - 23 octobre 1707) qui fut trente-cinq ans subdélégué. Il était d'autant plus qualifié qu'en 1666 il avait été chargé par Henri d'Aguesseau de la vérification des titres de la noblesse de la généralité de Limoges et que l'intendant Bernage déclarait en 1698 que ce u premier avocat du Roi est celui de tous les officiers du siège sur quoi on peut compter le plus solidement » (cf. l'édition de son Nobiliaire de la généralité de Limoges, par A. LECLERC, Paris, 1900, pp. 1 sqq.). Sans perdre de temps, des Coustures « régla le 25 février 1682 la plupart des articles du compte » des Fénelon et il devait « se prononcer sur les autres à son retour d'Angoulême en l'absence des parties » de marquis resterait jusqu'au 9 mars chez M. de Sarlat). D'après le mémoire du 27, Antoine de Fénelon passait sous silence l'estimation de Magnac et rejetait par des arguties de procédure (en particulier en invoquant la séparation de biens de sa mère) tout le poids des dettes sur son frère aîné. En revanche, il faisait valoir que pendant longtemps il n'avait rien retiré de Magnac : u Il était chargé par le contrat du 12 juillet 1641 d'une pension viagère de 1200 livres vers sa mère et d'une légitime vers M. l'évêque de Sarlat qui emportaient ensemble plus des deux tiers de ce revenu pendant le vivant de lad. dame sa mère » et, après la mort de celle-ci, « il était chargé par ledit contrat de 1641 de payer 1 500 audit W Pons et 1 200 livres pour les legs de ladite dame qui faisaient 2 700 livres, lesquelles jointes à la légitime dud. sieur évêque de Sarlat, il n'a point resté de quitte pour led. sieur marquis ». A l'en croire, son frère Pons aurait été beaucoup plus avantagé et aurait largement retrouvé l'équivalent des deux tiers de la valeur de Magnac que lui assuraient la coutume et son contrat de mariage. Le marquis admettait qu'une donation de M. de Sarlat lui avait procuré lors de son mariage les trois quarts des droits de sa mère, mais l'arbitre aurait reconnu qu'ils lui ont été très onéreux — et ce, ajoute le marquis, par suite de la maladresse de son frère Pons. Ces arguments prouvent seulement que le marquis de Magnac avait exécuté une transaction qui lui était, du moins depuis 1658, très avantageuse, puisqu'il échappait au fardeau des dettes (cf. supra, n. 14). L'arbitre, dont nous ignorons la sentence finale, en tint sans doute compte et François II put quelques mois après marier son fils et partir pour la croisade en Morée. Mais l'affaire n'était pas totalement réglée et le précepteur du duc de Bourgogne aura encore le 26 octobre 1690 à inviter son neveu François III et sa cousine Mm`' de Laval à un règlement amiable.

APPENDICE II RELATION DE LA CROISADE DE Mr LE COMTE DE FENELON ECRITE PAR CE PIEUX ET BRAVE SEIGNEUR

Je partis de Fénelon le 27 de décembre 1684 pour aller servir dans les armées chrétiennes contre le Turc (1), et j'entrepris ce voyage par l'avis de divers évêques (2). Il y en eut un qui me donna deux cents pistoles d'or pour les Grecs réunis si j'allais au service des Vénitiens, ou pour les soldats blessés ou malades si j'allais en Hongrie ou en Pologne (3). Je passai à Avignon et j'y pris des lettres pour Rome de

M. le Vice-légat (4); Mr le cardinal Grimaldi m'en donna pour le pape duquel il était fort considéré, il me fit dîner avec lui à Aix dans son réfectoire, il y faisait bien lire à sa table, et y faisait manger ses domestiques (5) : il est mort depuis peu après avoir donné un grand

(1) Copie inachevée, Rijksarchief Utrecht, f. Amersfoort, ms. P. R. 3071.

Louis de Vaucel caractérise exactement son dessein dans une lettre qu'il adressait le 17 février 1685 de Rome à Antoine Arnauld : « Un M. le comte de Fénelon est ici depuis quinze jours. Il est venu par mer, avec un sien petit-fils, qui est un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans et trois ou quatre personnes pour demander emploi contre le Turc. C'est une personne de piété, et qui est entré dans ce dessein à peu près comme tant de grands seigneurs qui se croisaient autrefois contre les infidèles » (f. Amersfoort, ms. P. R. 281, et Oeuvres d'A. Arnauld, Lausanne, 1775, t. II, p. 505).

(2) Il doit s'agir de M. de S. Pons, J. P. Fr. Percin de Montgaillard (cf. supra, ch. VI, n. 19 ), de M. de Châlons, Louis de Noailles (cf. supra, ch. VI, n. 38 et infra, n. 33) et surtout de M. d'Agde, Louis Foucquet.

(3) L. du Vaucel simplifiait donc un peu en écrivant le 17 février 1685 « M. l'évêque d'Agde lui a fait remettre deux mille francs pour secourir les pauvres soldats, surtout les malades ».

(4) Francesco Niccolini fut vice-légat d'Avignon de mars 1677 au 1" septembre 1685 (dom P. DENIS, Notes sur la cour de Rome aux xviic et xvilia siècles, Paris, 1913, p. CXLV). Il devint ensuite archevêque de Rhodes et nonce au Portugal, puis à Paris.

(5) Jérôme de Grimaldi fut nommé archevêque d'Aix par Mazarin le 20 septembre 1645, mais il ne reçut ses bulles qu'en 1655. Il devint par la suite un saint évêque, s'opposa aux Quatre articles de 1682 et prit la défense de ses Provençaux, si bien qu'il mérita d'être appelé « le saint Charles de la France » par les Nouvelles ecclésiastiques de novembre 1691 (ms. fr. 23 501, f. 154 v° ). Il dut d'autant mieux accueillir le croisé périgourdin que l'un et l'autre avaient de multiples liens avec les anti-régalistes (cf. supra, ch. VI, n. 28).

LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON

110 LA FAMILLE DE FÉNELON 111

exemple au diocèse d'Aix duquel il était archevêque (6), et à toute 1'Eglise; c'était un fort grand aumônier.

Je trouvai à Marseille des personnes d'une rare piété, le commandant de la citadelle est de ce nombre (7), ses blessures rendent témoignage des services qu'il a rendus au Roi, et le soin qu'il a du salut des soldats de sa garnison fait connaître sa grande piété; j'y admirai celle de M. le chevalier de Maireul (8), il était capitaine d'une galère du Roi. Il est très bien fait, il a beaucoup d'esprit, et il emploie tous ses talents à servir et à honorer Dieu qui les lui a donnés. Il eut grand déplaisir de me voir embarquer pour une guerre sainte sans pouvoir être de la partie.

Notre navigation fut fort heureuse le premier jour; nous crûmes périr ensuite, et nous nous y disposâmes par des actes de religion, nous nous confessâmes à un prêtre qui allait à Rome. Il s'affligeait de ce qu'il donnait la bénédiction aux autres, sans pouvoir la recevoir. Il s'accusa de quelques fautes, mais je lui représentai que celles des prêtres causaient du scandale. et qu'il ne fallait pas les publier. Je dis au fils de Me de Chamteyrac (9), ma fille, que je menais avec moi, qu'il essayât de se sauver avec le capitaine; il me répondit qu'il voulait mourir entre mes bras, et il crut qu'il souffrirait moins s'il se noyait pendant son sommeil, dans cette pensée il s'endormit fort paisiblement.

Après que Dieu nous eut délivrés de ce péril, nous arrivâmes et débarquâmes à Civita Vechia où sont les galères du Pape, d'où l'on peut aller à Rome dans un jour, mais nous fûmes deux jours à faire ce chemin; nous marchâmes une lieue à pied en arrivant dans cette ville avec dessein de reconnaître la grâce que Dieu nous avait faite de nous préserver du naufrage. Nous allâmes d'abord à saint Pierre. Ceux qui

(6) Grimaldi mourut à quatre-vingt-dix ans le 4 novembre 1685. Cette circulaire ne peut être bien postérieure, puisqu'elle était destinée à préparer la campagne de

1686 pour laquelle « le Pape veut que les galères partent de bonne heure » (cf. infra, n. 76).

(7) Jacques-Louis de Beringhen, né le 20 octobre 1651, destiné à Malte. Pourvu en 1667 de l'abbaye Saint-Etienne de Fontenay, il n'en devint pas moins cornette et enseigne au régiment de Bourgogne. En 1674 la mort de son aîné lui valut la commission de colonel d'infanterie et la charge de grand écuyer en survivance. Gouverneur de la citadelle de Marseille en 1679, il prit en 1685 les fonctions de grand écuyer lors de la retraite de son père. Chevalier des ordres en 1688, il mourut le l'r septembre 1723.

(8) S'agit-il du chevalier de Mareuil auquel Rancé adressa le 7 mars 1689 une

lettre sur les devoirs des chevaliers de Malte? Du Charmel écrivit aussi en 1694 au commandeur de Mareuil « sur la conduite édifiante du comte de Santena à la Trappe s (H. TOURNOUER, Bibliographie et iconographie de la Maison-Dieu Notre-Dame de la Trappe, Mortagne. 1896, t. II, pp. 161, 369). — Vie de Mme Guyon, 1720, t. II, p. 246. — Lettres de G. Vuillart, p. 179.

(9) François-David. Du Vaucel lui attribue dix-sept ou dix-huit ans (supra, n. 1),

mais il na devait guère en avoir plus de quinze. puisque ses parents s'étaient mariés en août 1668. Il était major du régiment du Perche quand il fut en 1702 tué à la bataille de Luzzara sans avoir été marié.

connaissent les belles choses assurent que cette église surpasse tout ce que la sainte Ecriture rapporte du temple de Salomon. Il y a un grand nombre d'églises admirables dans Rome, mais aucune n'est comparable à celle de saint Pierre; les peintures, les statues, les antiquités et les architectures de Rome surpassent tout ce qu'on en peut trouver dans les villes de l'Europe, et je pense dans tout le monde. Il y a des fontaines admirables dans les places et les palais, et dans la plupart des maisons particulières; ce qu'on appelle les Vignes (10) est d'une grande beauté. Le Pape ne s'est jamais promené depuis son pontificat dans ses très beaux jardins, et on peut dire, je pense, que même peu de saints papes ont été aussi retirés et éloignés de la grandeur que celui-ci, ce qui le fait fort honorer des étrangers, et même des hérétiques. Les Romains qui ont toujours aimé ce qu'il y a de l'éclat (sic) voudraient qu'il eût beaucoup de cardinaux; le Pape craint d'en faire qui n'aient pas les qualités que demande cette dignité. Les Romains voudraient qu'il y eût beaucoup d'ambassadeurs à sa Cour, le Pape est moins touché de l'éclat qu'ils y peuvent donner, que de l'intérêt de ses sujets, et c'est pour conserver le bon ordre qu'il désirerait retrancher les abus que causent dans Rome les franchises des ambassadeurs où les plus scélérats se retirent après avoir commis les plus grands crimes (11). Ainsi le Pape mérite de grandes louanges de préférer le bien public à la magnificence avec laquelle les ambassadeurs paraissent à Rome; celuy du Roi d'Espagne (12) qui est à présent Vice-Roi de Naples y a fait des dépenses extraordinaires; elles ont fort plu au peuple qui en retire du profit à la vérité, mais il est sans cesse exposé à tout ce que les méchants entreprennent, dans l'espérance de trouver des asiles dans ces franchises des ambassadeurs; il n'y en a plus qui en soit en possession que celui de France (13) qui a une conduite fort modérée

(10) Vigne, « jardin d'une grande étendue » (Furetière).

(11) Benoît Odescalchi, pape de 1675 à 1689. La notation concernant sa popularité en pays protestant est fort exacte. Il en va de même de ses scrupules sur les promotions cardinalices et de ses efforts pour supprimer la franchise des quartiers.

(12) Don Gaspard de Haro et Guzman, marquis del Carpio et de Heliche, né en 1629, était le petit-neveu d'Olivares et le fils du négociateur de la paix des Pyrénées. Ambassadeur à Rome en 1674, il entra bientôt en conflit avec Innocent XI en raison de son refus d'abandonner les privilèges du quartier. Son gouvernement finit par céder et l'envoya à Naples comme vice-roi en août 1682. Il y mourut le 15 novembre 1687 (Œsterreichisches Staatsarchiv, Rom-Korrespondenz, t. 83, f. 40 r° — F. de BOJANI, Innocent XI, sa correspondance avec ses nonces, Rome, 1910, t. I, pp. 299, 358. — BOISLISLE, t. XXI, p. 332. — L. von PASTOR, Storia dei Papi, Rome, 1943, t. XIV 2, p. 253 ). Il eut pour successeur à Rome Louis-François de la Cerda Aragon Enriquez de Cabrera, marquis de Collogudo, qui devint en 1691 le IX` duc de Medina-Celi. Le 3 mars 1685 il prit congé du Pape (Rom-Korrespondenz, ff. 68 r°, 69 v0), mais conserva son ambassade jusqu'en 1696. Il mourut le 26 janvier 1711 (BotsusLE, t. VII, p. 253).

(13) Né en 1623, François-Annibal II duc d'Estrées fut nommé ambassadeur extraordinaire à Rome en août 1670 et y resta jusqu'à sa mort le 30 janvier 1687.

112 LA FAMILLE DE FÉNELON

LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON

113

et respectueuse pour le Pape. Les Romains aiment fort les réjouissances du Carnaval, et le Pape abrège ces jours mauvais; ce fut pour cela qu'il fit juger (14) le Jubilé, et qu'il le prolongea dans ce temps là.

Pendant que j'étais à Rome (15), quoiqu'il y ait des gens armés pour empêcher le désordre, et qu'on soit obligé de se démasquer avant la nuit, ces réjouissances ne durent qu'environ huit jours; elles cessent entièrement les dimanches, les fêtes et les vendredis; dans les autres jours on fait courir des chevaux dans la rue du Cours (16), qui sont excités par certaines choses qu'on met sur eux sans les monter : le plus vif fait gagner le prix à son maître. Je fus très bien traité de MM. le cardinal (17) et duc d'Etrées (18); ils sont très honnêtes et obligeants; je vis par leur moyen eue de Martinozy, nièce de feu Mgr le Cardinal Mazarin (19), illustre par sa piété et pour avoir été mère de feue Mn" la Princesse de Conty (20). Elle ne put souffrir nos louanges de mon petit-fils ni de moi, mais elle prit plaisir qu'on parlât des vertus de cette princesse. C'est celle-là, dit-elle, qui était bonne; MM. d'Etrées me firent aussi voir NP° la duchesse de Modène, fille de Mme de Martinozy (21), et mère de la Reine d'Angleterre; le même jour j'accompagnai M. l'ambassadeur de France à l'audience qu'il eut du

(14) Erreur du copiste. Lire : « publier » ?

(15) Il y était arrivé vers le 2 février 1685 (cf. supra, n. 1).

(16) Le célèbre Corso.

(17) César d'Estrées (février 1628 - 18 décembre 1714 ), évêque-duc de Laon (1653-1681), avait négocié la paix de l'Eglise et reçu en 1671 le chapeau de cardinal. Il fut chargé de diverses missions diplomatiques et seconda en particulier son frère à Rome pendant de longues années.

(18) Du Vaucel avait précisé le 17 février : « M. l'ambassadeur l'a fort bien reçu et s'est offert de le présenter au Pape ».

(19) En réalité Laure-Marguerite Mazzarini était la soeur cadette des cardinaux Mazarin. Mariée le 6 juillet 1634 à Jérôme Martinozzi, qui prenait le titre de comte,

elle mourut à Rome le 9 juin 1685. En l'annonçant le 2 juillet 1685, les Mémoires de Sourches (t. L p. 262) la déclarent « d'une vertu extraordinaire aussi bien que les deux princesses ses filles ». Cf. B. N., ms. Clairambault 1144 s. f. — ROCA, pp. 7-41, 115 sqq. et les dépêches du cardinal Pio des 9 et 16 juin 1685 (11. 170 y°, 171 r°, 173 r°, 177 y° ).

(20) Anne-Marie Martinozzi épousa le 24 février 1654 Armand, prince de Conti, et mourut le 4 février 1672 à trente-cinq ans. François II de Fénelon fut longtemps attaché à leur maison et nous verrons (cf. infra, t. II, lettre I) le futur archevêque blâmer sa déférence aveugle aux volontés de la princesse.

(21 ) Née à Rome en 1640, Laure Martinozzi vint en France en 1653. Elle épousa en 1656 Alphonse d'Este, IV* duc de Modène et Reggio, qui la laissa veuve dès

1662. Tutrice de son fils, elle demeura fidèle à l'alliance française. En 1673 elle accompagna jusqu'à Paris sa fille Béatrice d'Este, fiancée au duc d'York qui montera sur le trône d'Angleterre en 1685. De retour à Modène, elle laissa le pouvoir à son fils âgé de quatorze ans (1674) et se retira à Rome où elle mourra le 19 juillet 1687. Les dépêches du cardinal Pio nous renseignent sur son arrivée à Rome au milieu de novembre 1684, sur son installation provisoire au monastère Sainte-Catherine de Sienne (f. l 52 r° ), sur son état fébrile (6 janvier 1685, f. 3 r° ), sur l'audience qu'elle obtint du Pape trois mois après son arrivée (17 et 24 février 1685, ff. 35 r°

Pape; on me dit que je (ne) pourrais pas le voir parce qu'il était au lit. Je le vis pourtant par le moyen de M. l'ambassadeur. S. S. me parla des avantages qu'il y avait de mourir pour la foi (22), et il me donna un beau chapelet avec une médaille d'or, un autre à mon petit-fils, et un 3' à M. de Rocanadel (23), gentilhomme mon voisin.

Nous prîmes la route de Lorete en partant de Rome; les villes où nous passâmes, et desquelles j'ay retenu le nom, sont Narnis, Tarvis, Spolete, Foligny et Masserata (24); nous apprîmes à Lorette que les Turcs avaient pris quelques barques et fait esclaves ceux qui étaient dessus, ce qui n'arriverait pas si on prenait Castelnove (25) et Dulcigno qui sont sur la même mer, et où les corsaires turcs se retirent. Nous

trouvâmes un gentilhomme français à Lorette, lequel y emploie ses revenus à recevoir les pèlerins. Tout le monde sait que les fidèles

accourent en foule à ce saint lieu, et qu'il y a de grandes richesses; après en être partis, nous passâmes proche de Mone (26) et d'Enrimini (27); ce sont deux assez bonnes villes; nous passâmes aussi à Faenza, à Imol, et en d'autres lieux que j'ai oubliés. Boulogne (28),

et 57 r° ), sur ses projets d'emménagement : au palais Gabrielli elle préféra celui du marquis Maccarani sur le Monte Cavallo (17 mars et 7 avril 1685, f. 101 r° ). Le cardinal signale encore ses villégiatures à la villa Borghese (16 juin 1685, f. 182 y° ) et à Naples (1" février 1687, t. 83, f. 40 r° ).

(22 ) L'audience paraît bien postérieure au 17 février 1685, date à laquelle du Vaucel écrit : « On ne croit pas qu'avec tout cela il obtienne ce qu'il désirait, qui serait d'avoir quelque régiment à commander, comme officier du Pape; car Sa Sainteté n'a point de troupes en son nom. On lui donnera apparemment un beau bref de recommandation pour les Vénitiens. Car, pour la Hongrie, il ne se serait pas de lui-même proposé d'aller de ce côté-là, où il y aurait des difficultés particulières à lui donner de l'emploi ». Le croisé dut adresser aussitôt à l'évêque d'Agde un récit de son audience, car on lit dans les Nouvelles ecclésiastiques du 28 avril 1685 : « Je vous dirai en cet endroit que le comte de Fénelon vit le Pape au lit qui avait un visage fort riant. Sa Sainteté lui parla de l'avantage qu'il y avait à mourir pour Jésus-Christ et lui donna, et à sa petite croisade qui était avec lui, de beaux chapelets. Ce vertueux et brave comte pria M. d'Estrées, ambassadeur, de dire à Sa Sainteté que Mme de Martinozzi, si digne mère de la feue princesse de Conti et de Mme de Modène, qui vit fort retirée à Rome dans un couvent, parlait à toutes occasions du mérite d'offrir sa vie pour la cause de Dieu. Elle aura bien de la joie de la résolution de ses petits-fils, princes du sang » (ms. fr. 23 498, f. 22, cf. f. 55 v°).

(23) Une des « trois ou quatre personnes » que du Vaucel signale à la suite de François II. La vallée de la Dordogne était effectivement commandée sur la rive

gauche par Fénelon, Rocanadel (commune de Veyrignac ) et La Tourette, comme par Carlux sur la rive droite. En 1674 deux « écuyers » de ce nom, Louis et Jacques de Dureffort, furent convoqués avec l'arrière-ban (Arch. Hist. Dép. Gironde, t. 18, 1878, p. 264).

(24 ) Lire Narni, Terni, Spoleto, Foligno, Macerata.

(25) Castelnuovo, capitale de l'Herzégovine sur le canal de Cattaro, et Dulcigno, à l'extrémité sud du Montenegro à la hauteur de l'Albanie. Cf. infra, n. 38.

(26) Erreur du copiste : Monte Marciano ou Osimo.

(27) Rimini.

(28) Faenza, Imola et, naturellement, Bologne.

114 LA FAMILLE DE FÉNELON LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON

115

où nous passâmes les fêtes de Pâques, est une belle et grande ville. Il y a de belles églises, et des arcades des deux côtés des rues, et, au-dehors de la ville, il y en a qui ont environ deux mille pas de longueur, sous lesquelles on peut aller et se promener sans craindre le soleil ni la pluie. Il y a un canal sur lequel nous nous embarquâmes pour aller à Ferrare; c'est encore une ville considérable qui appartient au Pape; nous fîmes onze journées de chemin dans ses Etats, et nous en sortîmes pour entrer dans ceux de Venise. De Ferrare, un canal nous conduisit dans le Po, et d'autres canaux nous conduisirent dans la mer Adriatique où Venise est située; les canaux de cette ville conduisent dans toutes les maisons, les églises, les palais et les places. L'église de saint Marc mérite d'être vue par les plus curieux. Je ne sais s'il y a dans Rome une plus grande place que celle de saint Marc; j'y comprends les galeries sous lesquelles s'assemblent les nobles vénitiens; ils s'y promènent et entretiennent ensemble, et ceux qui ont affaire à eux les y vont trouver. Ils reçoivent peu de visites, et c'est un crime parmi eux de visiter les ambassadeurs. Il n'y a que ceux qui sont députés par la République qui osent les voir. Le Doge (29) paraît assez souvent couvert de robe et manteau de drap d'or, mais il a très peu d'autorité. Le jour de l'Ascension, il entre dans le Beufcentaure avec des habits magnifiques, accompagné des sénateurs; le Beufcentaure est un vaisseau fait en forme de galère, fort doré au dedans; on ne le met jamais à la mer que pour la fête de l'Ascension; le Doge y entre ce jour-là, et va à quelques milles de la ville faire une cérémonie en présence du Patriarche, qu'on appelle épouser la mer. Le grand vaisseau est suivi de toutes les gondoles de Venise desquelles on se sert pour aller dans les canaux aux lieux de la ville où l'on a affaire; dans cette cérémonie, on jette une balle dans la mer Adriatique, de laquelle les Vénitiens veulent tellement être les maîtres absolus qu'ils ne souffrent pas que le Pape, l'Empereur, ni le Roi d'Espagne envoyent des galères, ni des vaisseaux de guerre dans les places qui leur appartiennent sur cette mer. Cette cérémonie étant achevée, le Doge et les sénateurs se rendent au Lido: c'est une île où les Vénitiens tiennent leurs troupes jusqu'à leur embarquement. Il y a une église où l'on dit une messe solennelle le jour de l'Ascension, après laquelle le Doge entre dans le Beufcentaure et s'en retourne à Venise. Je m'embarquai avec M. de Gourdon, français et colonel de Dragons (30); il avait avec lui des volontaires de

(29) Marc-Antoine Justiniani qui succéda en 1683 à Louis Contarini, élu en 1676.

(30) Le copiste donnera plus bas le nom exact. Il s'agit du marquis de Courbon dont la vie romanesque, écrite par Aimar, juge de Pierrelatte en Dauphiné ou par un jésuite de même nom, sera publiée à Lyon en 1692. Né à Châteauneuf du Rhône, celui auquel son biographe attribue une jeunesse pleine d'aventures invraisemblables, était officier au service de l'Empereur lors du siège de Vienne où il se distingua. Il épousa ensuite la veuve du comte de Rimbourg, ministre d'Etat

Dannemark, de Flandres, de Piémont et du royaume de Naples; nous débarquâmes et vîmes quelques petites places de FIstrie qui sont aux Vénitiens : Trieste et quelques autres lieux de la même province sont à l'Empereur. Les vents nous approchèrent ensuite de la Dalmacie; notre bâtiment pensa se briser et le gouvernail toucha à terre; les bâtiments qui venaient avec nous s'en séparèrent, le nôtre seul mouilla l'ancre à la vue de Trau (31), petite ville de Dalmatie, assez bien fortifiée et située; de là nous nous rendîmes à Spalatro (32) dans des barques; ce fut le lieu où Dioclétien se retira après avoir quitté l'Empire; le temple de ses faux dieux y sert aujourd'hui d'église cathédrale, contre l'intention de ce grand persécuteur des chrétiens. L'archevêque de cette ville est fort estimé à cause de sa grande piété et de sa science. Je lui donnai trente pistoles d'or pour être distribuées à ceux de ce pays qui seraient réunis à l'Eglise, et je lui expliquai l'intention de l'évêque qui m'avait mis cet or entre les mains (33). Nous vîmes arriver en ce lieu, au bruit du canon et des boëtes (34), le Général de Dalmatie; les enfants portaient de petits étendards au devant de lui et criaient : vivat, vivat. Il reçut avec beaucoup de modestie les honneurs qu'on lui fit, il reconnut que c'était par une grâce particulière de Dieu qu'il avait secouru une petite place assiégée par deux mille soldats turcs, cinq cent Morlaques, soldats du pays, les désirant; leur cavalerie qui était dispersée croyant que les Vénitiens n'étaient pas en état de secourir cette place, se retira en voyant fuir l'infanterie; on fit un butin considérable sur les Turcs; on prit leur artillerie, et on fit plusieurs esclaves. Le Général alla deux fois le jour à l'église avec sa petite Cour, pendant que je fus à Spalatro d'où l'on voit la forteresse

et grand-maître des monnaies de l'Empire. L'ambassadeur Contarini le choisit pour commander un régiment de dragons : il se signala aux sièges de Coron (1685 ), Navarin, Napoli de Romanie (1686) et il était un des commandants en chef sous le généralissime quand il fut tué en 1688 au siège de Négrepont : il n'aurait eu alors que trente-huit ans.

(31 ) Par seize degrés de longitude et quarante-trois de latitude.

(32 ) Spalato, un peu plus à l'Est sous la même latitude.

(33 ) Etienne Cupilli, archevêque de Spalato de 1679 à 1708. Peu après le « bref séjour » du croisé périgourdin, il écrivit à Louis de Noailles, évêque de Châlons, une lettre datée du 10 juillet 1685 dont le texte est conservé (Sainte-Geneviève, ms. 2 571, f. 20 ). Il y exprime la reconnaissance à laquelle il est désormais tenu à l'égard de l'évêque d'Agde à qui il adresse une lettre et une relation qu'il prie M. de Chiions de bien vouloir transmettre tout en en conservant copie. On comprend les motifs de cette démarche lorsqu'on lit dans les Nouvelles ecclésiastiques : « L'archevêque de Spalato a écrit à l'évêque de Châlons sur Marne, je crois sur la misère des peuples de Dalmatie » (ms. fr. 23 498, f. 157 v° ).

(34) Boeste, petit mortier de fer, haut de sept à huit pouces qu'on charge de poudre jusqu'au haut et qu'on bouche avec un fort tampon de bois pour le tirer dans des feux et réjouissances publiques afin que le bruit s'en fasse ouïr de plus

loin (Furetière).

I Di LA FAMILLE DE rirrirmoN LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON 117

De Clissa (35) que les Vénitiens prirent sur les Tures pendant la guerre

d, Candis. Cf' ineme Général, le Commissaire général, et M. Grimaldy1 la t1 thil plus habiles rt anciens officiera qu'aient les Vénitiens, nous tirent grande cbcre; now4 ét j011t4 eu peint, chez lequel nous irions manger, craignant de déplaire, it celui chez lequel nous n'irions pas. 14e Général envoya une galiote (36) pour chercher les bittiments qui s'étaient séparés de nous, mais ce fut inutilement; il nous donnai une autre galiote pour

lioindre i) notre bâtiment que ln vent avait empéché d'approcher de , pilaire); nous tic le découvrîmes point en mer, mais tillant débarquer rt éteint montés sur une montagne, nous l'aperçutnes près de la côte. Nous veines en reintinuant notre navigation l'île et la petite ville de Limi lift ( 37 ), et ensuite Raguse; c'est une petite république pli paye tribut aux Turcs. rt quelque chose aux Vénitiens, ce qui passe aussi pour une i-pf,... dr tribut; nous vîntes en continuant notre roule Castelnovo qui i.r t au Tura ($8), et it l'entrée it ee drtroit du golfe par oit il fnut passer pour se rendre à Cattaro, place considérable des Vénitiens; cille de Camtelnovo empechn qu'ils n'y pttifisent envoyer de petits bâtiments Muttra escorte; notoi laimmîintem ce petit golfe sur la gauche. Nous prétendions aller faire de l'eau it Ituduat (39), petite plare des Vénitiens, niais Ir vent tic fut pam fnvoruble it notre dessein; dans ce temps, une galiote neutre vint vers nous; notre bittiment riait plus propre it porter de la tuanitandise qu'il combattre, mais comme il était rempli (I( très braves gens, M. de Gourdon espéra que, si la galiote s'en approchait, on pourrait l'accrocher et ln prendre; tout le monde me railla pour faciliter ertir luise., un seul capitoline parut et parla nux gens de la galiote potsr lem attirer; ils se dirent Vénitiens sans se vouloir fort approcher de nous, ett fini nous donna du tsoupçon; il s'augmenta lorsque nous vîntes plusieurs voiles en mer; nous munies enfin tille c'était par l'ordre (lu Gouverneur de Ilitilittit gu i. yes biitintents avaient mis it la voile pour prendre le tartre, mil vitt été terre; nous manquions (l'eau pour nous et pour les (111,V Mi x dem i)1'liciers des dragtms; si ces voiles eussent été ennemies, nous eussions étt'. fibrt COI 1 bit rrilSMét4, pll i5( I n'il Ver ril idl. ales nuisis, noirs en etlIlleS tIN re grand peine. t ln religieti X IlliSSit)iltillire 1111 P11111, dans ces cantons nous lit trouver du fourrage polir les chevaux, et des rafraîchissements pour nous. Nous apprîmes it Corfou, tri..s bonne place uppartemint nux

(33) I Ai« 1 d4 galerie dr :mufle M. Ir ii iiun ru 1669. 1.r Huc1•Htria faisait partie reiiinMItion des volontaires Er, itriçaim rrr 1668,

(36 ) Gaiiata, prtitts galcrex t.irt kgert, proprr, n aller en course (Furelii.re).

(87) lexins se trouve sous In Imiginsite 1113 SpillittO un peu MI, &SMIC. 1111 (.111411111, te, trObali.,1110 444W.

(38) Surts:mitplailovo, et, ou pro, U. 25. Cattaro est égtiktur tif illt 111)111ellrgrO.

(39 ) On tnatiVr 11t4 plan tir liudma dnns lei livre du ConieNia.1,1,

pâtiarephirpio rt i1/ orée reconquise par /es V.:ni/ions junt,'ers /687,

Paris, 14f17, App., p. 114.

Vénitiens, le siège de Corron; M. Vernel, excellent ingénieur français, n'en avait pas bonne opinion (40), et il y avait sujet de craindre que les Tures secourraient une place en terre ferme et fort avancée dans leur pays. Mr l'archevêque de Corfou, qui a beaucoup de piété (41), nous logea chez lui, M. de Courhon et moi, et nous fit manger dans son réfectoire; il bénit avec les cérémonies de l'Eglise l'étendard et les armes des dragons; nous sortîmes de cette ville et de l'île de Corfou pour nous rendre au plus tôt au siège; il fallut pourtant coucher au Zantz (42), qui est une autre île des Vénitiens; nous y apprîmes que le secours des Turcs s'était approché de notre camp et que nos gens voulaient attaquer la ville en présence de ce secours; les Turcs avaient en ce même temps emporté la redoute qui commandait sur le camp des chrétiens, d'où ils pouvaient les désoler (déloger?) et chasser à coups de canon et de mousquet, et les égorger lorsqu'ils seraient moins en état de se défendre (43). Le Commandeur de la Tour Meaubourg, un des plus grands sujets qu'ait jamais eu l'ordre de Malthe, ayant été informé de ce mauvais succès, dit : ce n'est rien, nous reprendrons bien cette redoute. Le soir précédent, il avait fait voir à ses amis des lettres de Paris qui le disposaient à la mort; il avait communié le matin, et dit que c'était un viatique; il fit un mille dans un très grand chaud pour se rendre à cette redoute; il baisa le drapeau de sa religion où il y a une Croix, en disant : Nous vaincrons par ce signe; en effet les chevaliers vainquirent après qu'il fut entré le premier dans la redoute et qu'il y eut été tué (44). M. le chevalier de Gesvres, fils du duc de

(40 ) Coron fut en effet pris « contre l'attente commune » (infra, n. 53, s. f.).

(41) Marc-Antoine Barbadigo ou Barbarigo, vénitien, né le 6 mai 1640, docteur en droit de Padoue, nommé le 6 juillet 1678 archevêque de Corfou. Fait cardinal le 2 septembre 1686, il était en fort mauvais termes avec la République (cf. supra, oh. VI, n. 34) quand il fut transféré le 7 juillet 1687 à Monteiiascone. Il mourut le 17 mai 1706. Cf. sur lui L. von PASTOR, Storia dei Papi, Rome, 1943, t. XIV', p. 307.

(42) Les îles de Prevesa et de Sainte-Maure, conquises l'année précédente par les Vénitiens, sont à la hauteur de l'Achaïe, mais Zante est à la hauteur de la Morée.

(43) Le comte de Fénelon raconte d'abord la partie du siège de Coron (à la pointe sud de la Messénie, en avant du cap Gallo, vers le pays des Mainotes) à laquelle il n'a pas assisté. La Relation plus détaillée qu'on trouve dans le Mercure galant d'octobre 1685 (pp. 189-239) permet de compléter ses indications. Les troupes des Vénitiens et de leurs alliés avaient débarqué le 25 juin; elles ouvrirent la tranchée le 26. Le Bacha de Morée parut le 3 juillet avec un camp volant de trois ou quatre mille hommes auxquels deux mille autres vinrent se joindre. Le 24 juillet. les chrétiens voulurent donner l'assaut, mais la mine n'eut pas la force de faire sauter le rocher. Pendant ce temps « le bacha de Morée vint attaquer la redoute et la batterie élevée sur l'éminence qui couvrait nos lignes et en chassa les Vénitiens et les Esclavons qui en avaient la garde ».

(44) Voir sur Hector de Fay de la Tour Maubourg, VERTOT, Abrégé de l'histoire des chevaliers de Malte, Tours, 1842, t. V, p. 222, cf. p. 209. On trouvera sur lui de précieux renseignements à la tin de la Relation du comte de Fénelon qui

118 LA FAMILLE DE FÉNELON LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON 119

ce nom, y fut tué aussi (45), et M. le Prince Philippe de Savoie y entra des premiers (46); M. de la Barre (47) et tous les chevaliers y tuèrent tous les Turcs qu'ils y trouvèrent. Ces infidèles essayèrent encore de reprendre cette même redoute, mais ce fut inutilement. J'arrivai au camp après ces choses avec M. de Courbon, ses volontaires et ses dragons; on y avait perdu l'espérance de prendre la place; nos soldats y périssaient de maladie et de misère, les canons et les coups de mousquet de la ville et du camp ennemi en tuaient un grand nombre (48), ce qui obligea M. de la Barre, commandant les troupes du Pape et de Malthe depuis la mort de M. de la Tour, de soutenir qu'il fallait nécessairement attaquer les Turcs dans leurs retranchements; son avis fut suivi(49), et il s'y disposa avec ses amis le 7' août par la confession et et la communion qu'ils reçurent à la messe qui se dit avant le jour. Les Malthois et les dragons entrèrent avec tant de vigueur dans les retranchements des Turcs qui s'étaient tous couverts de terre, qu'ils

indique qu'il avait déjà commandé les troupes de Malte en Crète (cf. infra, n. 80 ). Le Mercure galant d'octobre précise que ses chevaliers de Malte occupaient le poste le plus proche de la redoute enlevée par les Turcs. Plus complets, les détails qu'il donne sur sa mort s'accordent avec ceux qu'on lit ici.

(45 ) Cinquième fils de Léon Potier, duc de Tresmes, dit de Gesvres, gouverneur de Paris (1624-1704), François Potier, né en 1664, faisait alors ses « caravanes »

de chevalier de Malte (SOURCHES, t. I, p. 313 — DANGEAU, t. I, p. 229 -P. ANSELME, t. IV, p. 732 ). On trouve dans le Mercure galant d'octobre des détails sur les circonstances de sa mort.

(46) Philippe de Soissons-Carignan, chevalier de Malte, abbé de Saint-Pierre de Corbie, Saint-Médard de Soissons et Notre-Dame du Gard, devait mourir le 4 octo-

bre 1693 à trente-quatre ans. Il était alors capitaine de vaisseau au service des

Vénitiens. Frère puîné du comte de Soissons qui avait épousé une La Cropte (cf. infra, lettre du 20 juillet 1694, n. 5), c'était d'après les Mémoires de Madame

« un grand fou qui est mort de la petite vérole à Paris... qui eut presque en tout un sort semblable à son frère aîné » (cf. BOISLISLE, t. X, pp. 257, 261, n. 4, 551, 557 sq., 561, 572 ).

(47) Le comte de Fénelon parlera longuement à la fin de sa Relation du chevalier de La Barre, son correspondant. Il s'était déjà signalé en 1670 dans une action avec le frère du chevalier de Théméricourt (VERTOT, t. V, p. 210 ).

(48 ) L'année suivante du Vignau prouvera « l'invalidité et l'extrême faiblesse des troupes turques » par les circonstances de la prise de Coron « où le général

Morosini, n'ayant que huit mille hommes lorsqu'il assiégea cette place, se trouve

investi et entouré par le Seraskier à la tête de dix mille Turcs, qui le tiennent lui-même assiégé et en danger évident de le perdre avec toute son armée; mais,

nonobstant le péril qu'il y avait et les fatigues de plus de trente jours d'un rude siège, nonobstant l'opiniâtreté de la garnison de la place et la perte de près de deux mille soldats, Morosini ne défend pas seulement sa contrevallation, mais encore il taille d'un côté tous les Turcs en pièces, et de l'autre il emporte la ville d'assaut » (L'état présent de la puissance ottomane, Paris, 1687, pp. 309 sq.).

(49) Le croisé français souligne tout ce qui est favorable à l'ordre de Malte et par conséquent à ses compatriotes, car « les Turcs se plaignaient que Malte n'étant composée crue de Français pour la plupart, on peut dire que ceux-ci leur font une guerre perpétuelle » (Du VIGNAU, pp. 290 sqq.). Cf. infra, notes 57 sq. et 78-85.

prirent la fuite et firent si peu de résistance qu"un cheialier de Malthe dit sur ce sujet : nous aurions eu plus de peine à chasser des moutons; on prit les canons des Turcs, leurs étendards, et des queues de chevaux, ce qui est une grande marque de victoire sur eux; on fit un grand butin dans leur camp, notre infanterie prit les chevaux de leur cavalerie, et nos dragons se montèrent par ce moyen; l'après-dînée de ce même jour ils firent des courses avec ces chevaux, à cinq ou six milles du camp sans trouver aucun Turc, et on n'a point su qu'ils se soient ralliés, quoiqu'il::: n'eussent été chassés de leurs retranchements que par des gens de pied (50). Leur fuite ne fit point perdre coeur aux assiégés, ils firent plus grand feu qu'auparavant. Celui qui se prit à la ville et aux palissades de la brèche nous donna de l'espérance d'emporter la place d'assaut; M. de la Barre et ses amis se rendirent dans la tranchée le 11 août avant le jour, après s'être confessé et communié comme ils avaient fait le 7e du même mois; d'abord que la mine eut fait son effet, le chevalier de Faussillon, fils de M. de Faussillon, lieutenant du Roi de Leytoure et neveu de M. l'évêque de St-Pons(51), se rendit à la palissade de la brèche à la tête des grenadiers. M. de la Barre s'y rendit aussi, pendant que les chevaliers, tous à découvert, voulaient avec une ardeur incroyable signaler leur zèle pour la religion par la prise de Corron; mais leurs désirs n'eurent point d'effet ce matin; trente-cinq de ces héros furent tués ou blessés dans cette occasion, et ils y perdirent beaucoup de soldats. Je ne dois pas oublier une chose qui regarde mon petit-fils âgé de seize ans; lorsqu'il fallut grimper plutôt que monter pour donner l'assaut, il me dit : vous ne sauriez monter, et il monta sans m'attendre; je le suivis avec l'aide d'un valet (52); les troupes de Bronsvic (53) perdirent beaucoup de gens dans cette

(50 ) Cette victoire est mieux expliquée par la lettre de Morosini du 10 août : il avait fait passer secrètement pendant la nuit du 6 au 7 un corps de quinze cents hommes aux flancs de l'ennemi; le matin tous les chefs firent feu à un signal donné, mouvement si bien concerté, si imprévu et si bruyant que les Turcs, surpris dans leur sommeil et tout en désordre, prirent aussitôt la fuite en abandonnant un butin abondant (Mercure galant de septembre 1685, pp. 309 sqq.). Le Mercure du mois suivant ajoute qu'on apprit par une barque venue de Patras que « le hacha de Morée y avait été tué et que son armée s'était entièrement dissipée ».

(51) Cf. supra, n. 2.

(52) Cf. infra, n. 84.

(53 ) Georges-Guillaume, duc de Brunswick-Lunebourg-Zelle (1624-1705 ), frère de celui qui avait déjà envoyé des troupes à Candie (VERToT, t. V, p. 209 ), avait contribué à la présente expédition par un corps de 2 400 hommes commandé par un de ses fils qui, au dire du Mercure galant d'octobre (p. 230, cf. pp. 189 sqq.), « s'y est tout à fait distingué avec ses troupes ». Le 10/20 septembre 1685, le landgrave écrivait aussi à Leibniz : « Les troupes de votre maître auront beaucoup contribué à la prise de Coron contre l'attente commune, ou peut-être contre l'espoir de quelques-uns, car assurément la Cour de France ne l'avoue pas volontiers » (Briefwechsel, Hist. Pol. Klasse, Berlin, 1950, t. IV, p. 376).

120 LA FAMILLE DE FÉNELON LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON 121

occasion (54); un de leurs colonels, français et catholique, y fut tué; ces troupes et celles de Malthe se retirèrent. Enfin M. de Courbon entra dans la ville du côté de la ville où la mine avait fait un grand effet; mais plusieurs de ses dragons ayant été tués, deux de ses capitaines et deux lieutenants, et lui-même mis hors de combat, il fut obligé de se retirer; l'après-dînée on voulut donner un second assaut; les Turcs firent bannière blanche et donnèrent des otages; mais le feu s'étant mis à la bandoulière (55) d'un de nos soldats, ils crurent qu'on avait tiré sur eux, et ils tirèrent sur les nôtres lesquels entrèrent dans la ville sans y trouver grande résistance; on y tua bien des gens, on y fit bien des esclaves, et on y trouva un grand butin.

Environ douze jours après cette conquête (56), les galères du Pape et de Malthe partirent; on y disait le Rosaire tous les jours, ce que les soldats pratiquèrent toujours, les soldats de Malthe, même lorsqu'ils étaient appliqués dans le camp à défendre les lignes contre les entreprises des Turcs. Le Pape fut fort touché lorsque je lui dis que j'avais trouvé plusieurs fois des soldats qui disaient leur chapelet la nuit pendant qu'ils étaient en sentinelle; je donnai dans le camp des sequins aux Esclavons réunis à l'Eglise, qui avaient bien fait leur devoir dans le combat, par l'avis de M. de la Barre, et c'était de l'argent qui avait été mis entre mes mains pour le distribuer aux Grecs réunis à l'Eglise. Nous repassâmes au Zantz, ensuite les galères espalmèrent (57) près l'île de Sainte-Maure. C'est une grande conquête pour

les Vénitiens à laquelle les chevaliers de Malthe contribuèrent beaucoup la campagne qui a précédé cette dernière (58). J'ai ouï dire que cette

île avait quarante milles de tour. Il y avait des corsaires dans la ville de

ce nom qui incommodaient extrêmement les îles de Corfou, de Céphalonie et de Zante qui sont aux Vénitiens; on trouva dans cette même

ville un canon qui avait été pris sur les chevaliers lorsqu'ils perdirent Rhodes, on le mit sur une des galères de Malthe pendant que nous étions à la vue de Sainte-Maure. Je vis encore à Corfou le bon archevêque et je lui laissai tout le reste de l'argent que l'on m'avait mis entre les mains pour les Grecs réunis à l'Eglise. Nous nous rendîmes ensuite à

(54) Le comte de Fénelon insiste sur le rôle des troupes de Courbon tandis que la relation envoyée de Malte attribue tout aux chevaliers, en mentionnant seulement qu'ils furent soutenus le matin par « les troupes du Pape et de Brunswick ».

(55) Bandoulière, espèce de baudrier... qui sert... soit pour porter des carabines, soit pour porter des charges pour le mousquet (Furetière).

(56) La prise de Coron le 11 août est rapportée de la même façon par la relation publiée par le Mercure galant. Le départ du comte de Fénelon se place donc vers le 23.

(57 ) Espalmer, enduire le dessous d'un vaisseau avec du suif... pour le faire voguer avec plus de facilité (Furetière).

(58) L'île de Sainte-Maure (s,ncienne Leucade) fut prise le 6 août 1684 (P. DARU, Histoire de Venise, éd. Viennet, Paris, 1853, t. V, p. 107).

Gallipolis (59), jolie ville du royaume de Naples; nos galères y furent en quelque péril et le bâtiment qu'elles remorquaient qui était chargé d'esclaves échoua sans que personne se perdît. Les galères du Pape et de Malthe se saluèrent au cap Spartivent (60); il y en eut deux de Malthe qui vinrent jusqu'à Rege, très ancienne ville du royaume de Naples; nous allâmes voir l'archevêque (61) qui nous proposa de manger de ses fruits, nous disant en espagnol que la différence qu'il y avait de sa maison à Corron était que ceux de Corron ne voulaient pas être pillés et qu'il voulait l'être; il ajoute : vous êtes soldats et vous êtes somptueux (62). Il nous obligea de prendre du chocolat et de ses beaux raisins; nous fîmes quelque séjour à Rege, parce qu'on ne voulait pas nous recevoir dans Messine que nous n'eussions fait quarantaine; nous vîmes seulement le beau port de cette ville, et t e fut là que je quittai les galères de Malthe pour me mettre dans celle du Pape, et j'y fus jusques auprès de Naples. Le vice-roi (63) envoya des présents au capitaine de la Patronne du Pape. Naples est une très belle ville et fort peuplée; les églises y sont magnifiques et ont de grandes richesses; les maisons y tremblaient à cause du bruit que faisait le Mont Vésuve qui en est voisin; lorsqu'il jetait des pierres en l'air il sortait de cette montagne des feux et des flammes qui doivent épouvanter tout le voisinage et faire craindre les mêmes effets que produit le mont Gibel (64) en Sicile. Nous passâmes à Capoue en retournant à Rome qu'une ville assez interne se conserve mieux ce me semble (65) (?). J'eus encore l'honneur de voir le Pape; mon petit-fils fut mon interprète (66) et le félicita de ma part de ce que dans six mois l'hérésie avait été détruite en France (67), les Turcs battus en Hongrie et dans la Morée, leurs

(62) Somptueux s'appliquait alors aux personnes (avec le sens de « magnifique, qui fait une grande dépense ») aussi bien qu'aux choses (Furetière).

(63) Cf. supra, n. 12.

(59) L'Etna.

(65) Texte irrémédiablement corrompu.

(66) Fait de civilisation intéressant : François H savait l'espagnol, son petit-fils l'italien ou le latin.

(67) Il doit s'agir des conversions massives obtenues par les troupes de Louvois, et non de la Révocation de l'Edit de Nantes (20 octobre 1685) : celle-ci est postérieure de plus de six mois à l'avènement de Jacques II et, surtout, le bénédictin Jean Durand écrivait le 15 octobre 1685 de Rome à son confrère Charles Bulteau : e M. le Febvre, l'agent en cette cour » des vicaires apostoliques des Indes, « partit hier pour retourner en France, en la compagnie de M. le comte de La MotheFénelon, gentilhomme du Limousin, qui revient de l'armée des Vénitiens dont il n'estime pas fort la bravoure » (M. VALÉRY, Correspondance inédite de Mabillon et de Montfaucon avec l'Italie, Paris, 1847, t. I, p. 146 ). C'est pendant ses séjours Rome que le noble périgourdin se lia avec le zelante Colloredo, de l'Oratoire de

(59) Gallipoli sur le golfe de Tarente.

(60) Pointe sud-ouest de l'Italie.

(61) Reggio di Calabria. Martin de Villanueva en était devenu archevêque le 27 mai 1675

LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON

1 2 LA FAMILLE DE FeNE LON 123

Places prises (68), etde ce que le Roi d'Angleterre s'était déclaré catholique (69) qu'un Electeur catholique avait succédé à un hérétique (70), 1,,u( (pin (huis six mois, ce que le Pope ne voulut pas qu'on attribuât hrm prieres. 11 1111' (hi Crie St'S gal res partiraient la campagne prochaine

plus 14',1 que les ri on m'a écrit de Malthe qu'il avait écrit

pont scia au Grand nuire (71L et sur ce que je lui dis qu'on pouvait conquerir In Morée (72), il s'excusa de ne pouvoir pas faire ce qu'il

mur ilfv qu'il était obligé de donner tc l'Empereur et au Roi lie Pologne (73), el sur l'état auquel il a trouvé la Chambre (74). Il a un grand zele pour la destruction des Turcs, et il fera assurément ses efforts pour y contribuer. Nous sommes revenus en France par Sienne cl l'ira, villes eonsidérables qui sont au Grand Duc de Toscane (75), par Cesnes qu'on appelle avec raison la Superbe, par Turin, belle ville oluoique fort inférieure h Gênes, et par la Savoie.

(hi remarquera que le Pape veut que les galères partent de bonne heure, et ainsi, ai quelques gens veulent les aller joindre, il faut que ce soit au plus ed. C't't pour la même raison qu'il faudrait sans délai envoyer du vieux linge pour les blessés (76). Autrefois on baisait les plaies dc ceux qui avaient souffert pour J.-C. Il n'aura pas moins agréable qu'on ait à présent soin des blessures et des plaies qu'on reçoit pour mn querelle (77).

Philippe (I( Héri a qu'on appelle le Port-Royal de Rome » : malgré ses répugnance,. Innocent X1 obligea l'année suivante Colloredo à accepter le chapeau de cardinal (Nouvelles ecclésiastiques, 27 septembre et 12 octobre 1686; ms. fr. 23 498, If. 124 r0, 127 v0; cf. les Mémoires de Coulanges, éd. MONMERQUI, pp. 227 sq., 287 ). Le 14 février 1687, François II cite son nom dans sa letre à la duchesse de Noailles (cf. supra, ch. VI, n. 34 ). Dix ans plus tard, il lui écrira en faveur des Maximes des Saints. Le cardinal parlera à son tour de François II u avec beaucoup d'estime » et demandera des nouvelles e de ce jeune enfant qu'il avait avec lui » dettres de Chantérac à Fénelon des 20 novembre, 7 et 14 décembre 1697, 13 février 1698, O. F., t. IX, pp. 128, 263, 274, 312, 411).

(68 ) Après leur victoire de Gran (16 août), les troupes de Léopold Ier s'étaient emparées de Neuhausel (19 août ), d'Epéries, de Cassovie, etc.

(69 ) Jacques II avait succédé le 6 février 1685 à son frère Charles II.

(70 ) Philippe-Louis de Neubourg était devenu le 26 mai 1689 électeur par la mort de Charles.

(71 ) Le grand-maître fut de 1680 à 1690 le napolitain Gregorio Caraffa

(C. E. ENGEL, L'ordre de Malte en Méditerranée, Monaco, 1957, p. 323 ).

(72) François II fit quelques mois plus tard partager sa conviction à son frère l'abbé : d'où la fameuse lettre de celui-ci à Bossuet (cf. infra, 9 octobre 1686?).

(73 ) Jean III Sobieski qui, en 1685, assiégeait Kaminieck.

(74) La chambre apostolique qui administrait les finances pontificales.

(75) Cosme III de Médicis (1642-1723).

(76) On notera le parallélisme de cette requête avec la e petite annonce » des

Nouvelles ecclésiastiques du 16 mars 1686 : « Le chevalier de La Barre qui doit eommander le débarquement demande un missionnaire, un chirurgien et du vieux linge • (ms. fr. 23 498, f. 90 r").

(77 ) Querelle, cause.

M. le chevalier de la Barre s'est fait chevalier ayant pour le moins quarante ans, et M. le chevalier d'Ormesson (78) qui n'en a que trente l'a fait résoudre, il y a déjà quelques années, de renoncer à toute espérance de fortune pour se dévouer entièrement aux exercices de la charité dans l'infirmerie de Malthe, ou à la guerre contre les Turcs; le même M. d'Ormesson persuada aussi par ses lettres M. le Commandeur de la Tour-Meaubourg de quitter Paris et la Cour ou il avait de très bonnes habitudes pour se rendre à Malthe. Ces trois illustres chevaliers et un frère de M. de la Tour en ont attiré quelques autres du nombre desquels est un Espagnol fort humble, ce qui fait remarquer que la piété corrige les défauts des nations (79). Ils résolurent tous ensemble de faire réparer une Maison nommée la Camarade pour y faire leurs exercices de piété. L'année passée, M. de la Barre se trouva au siège de Sainte-Maure, et celle-ci M. de la Tour fut général des troupes du Pape et de Malthe, quoique (ce) ne fût plus son tour de l'être. Le généralissime vénitien (80) qui l'a vu en Candie commander les troupes de Malthe, désirait passionnément qu'il les commandât encore dans cette présente guerre; M. de la Barre fut déclaré Lieutenant général, leurs amis de piété voulaient les suivre, mais le Grand Maître jugea fort prudemment qu'il ne fallait pas contenter le désir qu'avaient ces saints héros de s'exposer tous à la mort pour la religion. M. d'Ormes-son fut de ceux qui demeurèrent à Malthe. M. l'abbé de Fleury qui a été son précepteur (81) avant de l'être de 1‘11‘1. les Princes de Conty et de M. de Vermandois, a cru et dit en le voyant si sage dès sa jeunesse et dans le dessein d'être chevalier de Malthe, qu'il ferait de grands biens dans son ordre. M. de la Tour était un des grands sujets qu'ait jamais eus le même ordre. Il avait acquis une grande autorité à Malthe et dans l'armée.

M. de la Barre eut soin du corps de M. de Meaubourg son cher ami, et on en doit porter les os à Malthe, on le pleura et je pense qu'on... (un blanc) ce grand homme, et on a cru que ses prières avaient contribué aux avantages qu'ont remportés les chrétiens dans la

(78) Olivier Lefèvre d'Ormesson eut six fils. L'un devint colonel des dragons du régiment du Roi.

(79) Cf. supra, n. 49.

(80) Francesco Morosini, qui avait commandé à Candie et exercé les fonctions de doge, venait d'être rappelé au commandement lors de la formation de la Sainte Ligue. La libération de la Morée en trois ans lui vaudra de la part du Sénat des honneurs exceptionnels et le surnom de Peloponésiaque.

(81) Claude Fleury (1640-1723 ), avocat, puis, à partir du 14 janvier 1667, précepteur des six fils d'Ormesson. Le 21 février 1672 il devint précepteur des princes de Conti (F. GAQUÈRE, La vie et les oeuvres de Claude Fleury (1640-1723 ), Paris, 1925, pp. 38, 40, 47, 54, 177 ). Au moment où François II écrivait cette relation, Cl. Fleury accompagnait en Saintonge l'abbé de Fénelon.

palatin

124 LA FAMILLE DE FÉNELON

LA CROISADE DU COMTE DE FÉNELON 125

Morée (82). Le Sénat de Venise ou le Doge au nom de la République a écrit une lettre fort touchante au Grand Maître sur cette grande perte; le Pape en a témoigné sa douleur à l'ambassadeur de Malthe qui est à Rome; S. S. en fut consolée lorsque cet ambassadeur lui dit que M. de la Barre n'avait pas moins de mérite. En effet cette mort ne changea rien, M. de la Barre fut semblable au défunt, il parut toujours aussi brave et pieux et aussi ardent pour entreprendre sur les Turcs, il parla avec tant de force de la nécessité qu'il y avait de les attaquer dans leurs retranchements auprès de Corron qu'on s'y résolut. On connaîtra mieux le caractère de M. de la Barre par ce qu'il m'a écrit de Malthe que par toute autre chose.

Avant que de mettre par écrit ce qui me souvient de la lettre que M. de la Barre m'a écrite de Malthe, il est bon d'ajouter à ce que je viens d'écrire que le jour de l'assaut de Corron, il ne se contenta pas d'être à la tête du bataillon de Malthe; il fut le plus exposé aux coups de canon et de mousquet, et à tout ce que les assiégés mettaient en usage pour conserver leur vie et leur liberté. Il y eut trente-cinq chevaliers de tués ou de blessés dans cette occasion (83); il témoignait envier particulièrement le bonheur de ceux qui étaient tués; il fit enfin retirer le bataillon sans s'en retirer lui-même, sans doute pour observer s'il n'y avait point quelque moyen de retourner à l'assaut et d'entrer dans la ville comme il arriva l'après-dînée du même jour. Voici à peu près ce qu'il m'a écrit de Malthe. Il commença par m'expliquer d'où est venue la nouvelle de ma mort (84), ce n'est pas une méprise de nom, mais c'est qu'on m'a voulu faire honneur de me mettre au nombre des blessés, à cause d'un petit coup de pierre, et à cause de cela on me mit à Malthe au nombre des morts. M. de la Barre m'écrit qu'il jouit d'une si bonne santé qu'il penserait à la campagne prochaine, mais qu'il fallait faire effort pour ne rien désirer que l'accomplissement de la divine volonté; il parle avec une grande estime des exercices de charité de son ordre, et le bonheur, dit-il, de sortir d'une sainte guerre et de rentrer dans l'exercice de la pure charité, et prie ensuite, afin qu'il en fasse bon usage, et il s'accuse des défauts qu'il n'a point et qu'on ne peut remarquer en lui; il ajoute : pourquoi entamer une matière inépuisable; il me suffit, dit-il, de vous prier d'oublier ce que vous en avez pu remarquer et qui vous a pu offenser; il résout de

(82 ) De fait la Relation envoyée de Malte au Mercure galant (octobre 1685) porte que la grande victoire du 7 août qui ne coûta que deux ou trois soldats chrétiens et pas un seul du régiment de Malte fut a attribuée à ses prières ».

(83 ) On en trouvera la liste à la fin de h Relation imprimée dans le Mercure galant.

(84 ) Cette Relation porte que, le 11 au matin, a il y eut quatre chevaliers tués

sur la place. avec k comte de Fénelon qui servait en qualité de volontaire avec eux » (p. 224).

s'en corriger, et de changer de vie afin de paraître, et peut-être dans peu de temps, devant un Juge formidable qui n'écoutera plus lors nos prières; il conclut en disant qu'il veut travailler à des intérêts si importants. Je n'avais pas tort de consulter cet excellent homme comme un directeur; il faut demander à Notre Seigneur qu'il se serve de son courage pour détruire ses ennemis, de sa charité pour exciter les religieux et religieuses de son ordre d'en avoir beaucoup pour le prochain, surtout pour les malades, de sa prudence, de ses.. (85) [le reste manque].

(85) Ici s'interrompt le seul exemplaire connu de cette circulaire, évidemment destinée à obtenir des concours pour la prochaine campagne. Elle constitue une sorte de supplément des Nouvelles ecclésiastiques de Louis Foucquet (cf. supra, notes 2-3, 22, 33, 76) qu'on peut sans doute dater de janvier 1686. La lettre du 12 de ce mois porte en effet : a Je vous dirai une autre fois ce que j'ai pu apprendre de la glorieuse expédition de quelques gentilshommes qualifiés contre les Infidèles par le pur zèle de la foi s (ms. fr. 23 498, f. 55 v° ) : mais les correspondances manquent entre le 12 et le 26 janvier 1686. D'ailleurs, le fonds d'Amersfoort contient aussi une collection du périodique manuscrit. Celui-ci parlera encore en mai 1688 de François II comme de « ce héros chrétien qui s'est si fort signalé en Candie où il mena son fils, en Morée où il conduisit un de ses petits-fils fort jeune s (noue. acq. fr., 1732, f. 3 v°).

VII FRANCOIS DE FENELON, SULPICIEN (1)

On a souvent confondu avec l'archevêque le François de Fénelon, sulpicien et missionnaire au Canada, et cela rend encore plus fâcheuses les lacunes qu'offre la biographie de celui-ci. Les historiens modernes ont tous placé sa naissance en 1641, ce qui ferait de lui le septième des enfants du premier lit de Pons de Salignac (2) : il était pourtant majeur le 15 avril 1663, date à laquelle il reçut une assignation personnelle relative à la succession de son père; un acte du 23 octobre 1663 le qualifie en outre de puîné, agissant en son nom et en celui de son frère Henri-Joseph (3). Il est donc certain que Gaignières avait raison de l'identifier au baron de Fénelon qui, d'après l'Extraordinaire de la Gazette du 12 novembre 1655, se distingua au siège de Bergue en Catalogne et eut un cheval tué sous lui dans la retraite du régiment de Saint-Abre où il était volontaire (4). Lorsque le Parlement eut adjugé à sa famille le château de Blanchefort, il se chargea de faire exécuter l'arrêt avec des cavaliers de son régiment qui en chassèrent « les gens de M. de Bonneval », leur cousin (5). Il aurait été admis le 14 février

(1) Voir sur lui Bull. Périgord, 1934, p. 167, 1948, p. 56, 1951, p. 175 et 1967, p. 44. Ce chapitre était écrit quand nous avons eu connaissance d'Armand Y0N, François de Salignac-Fénelon, sulpicien, Première partie, Cahier des Dix, n° 33, 1968. pp. 127-156, que nous désignerons comme YON, 1968.

(2) Cette date a été tirée par YON (ibid., p. 130) du Registre des Insinuations de Québec, qui le désigne d'ailleurs comme « clericus Petracoriensis », ce qui semble impliquer qu'il n'était pas né à Sainte-Mondane, mais au château maternel d'Aube-terre. Les archives de Saint-Sulpice de Paris indiquent la même incardination, mais ne donnent pas de date de naissance : 1638 est la plus probable (cf. infra, n. 33).

(3) Archives d'Aiguevive. Cf. supra, ch. VI, n. 8.

(4) B. N., ms. français 22 252, f° 147, XVII3.

(5) Dans les mémoires contradictoires adressés le 27 février 1682 à l'arbitre des Coutures, François II porte en compte e un emploi de soixante chevaux que défunt M. le baron de Fénelon son frère avait fait pour la prise de Blanchefort, qu'il commença à payer leur dépense à Gourdon au cabaret ». A quoi son oncle le marquis répondait que e le baron ne conduisit d'autres cavaliers à Blanchefort que ceux qu'il commandait du régiment de Saint-Abre, pour lesquels ledit sieur marquis de Magnac lui avait obtenu une route de M. Hotman, intendant de Guyenne... laquelle il lui envoya à sa garnison par un gentilhomme. Il logea effectivement à Gourdon et encore à Saint-Rabier et séjourna deux jours en ce dernier lieu... dont tout le blâme fut jeté sur ledit marquis de Magnat à l'égard des plaintes qu'en faisait le seigneur dudit Saint-Ratier » (archives d'Aiguevive). Cf. supra, eh. IV, n. 56.

CHAPITRE VII

FRANÇOIS DE FENELON, SULPICIEN (1)

128 LA FAMILLE DE FÉNELON FRANÇOIS DE FÉNELON, SULPICIEN 129

1659 aux Pénitents bleus de Sarlat et — conséquence assez fréquente de la paix des Pyrénées — portait déjà à la mort de son père le titre d'abbé de Fénelon (6). En attendant le règlement de la succession, il obtint le 25 novembre 1665 en guise de pension alimentaire la moitié des rentes dues à sa famille par les habitants des paroisses de Pillac et de Boisse (7).

Ayant, semble-t-il, reçu les ordres mineurs le 11 juin 1663, il venait d'être admis le 27 octobre 1665 au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne devait y rester que quelques mois, s'étant senti appelé par une impérieuse vocation aux missions d'Amérique : dès le 30 janvier 1667, il partait pour Sarlat afin d'en prévenir son oncle. En réponse aux plaintes de l'évêque, mécontent d'être mis devant le fait accompli et de devoir renoncer au concours de ce neveu, M. Tronson invoquait le 19 février 1667 les témoignages du marquis de Fénelon et du frère aîné du missionnaire, qui « savaient le peu de part » que Saint-Sulpice « avait à ce dessein ». Mais personne ne pouvait s'opposer à l' « inclination forte et permanente » du jeune clerc, à « la fermeté de sa résolution, la pureté de ses intentions et de ses vues » (8).

(6) Cf. les exploits cités n. 3. C'est à cette période obscure de sa vie que doivent se rapporter les indications du mémoire du 27 février 1682 : « Le dernier compte que La Buxière a fait avec lui était pour quarante écus qu'il lui avait prêtés à Paris de l'argent dudit sieur marquis et pour du vin que ledit sieur baron, pour lors abbé de Fénelon, avait envoyé de Quercy à Magnac ». Cf. aussi A. D. Gironde, 9 J. 114, p. 318.

(7) Il avait les 30 septembre et 19 octobre 1665 assigné à ce sujet son beau-frère Beaumont de Gibaud. Le lieutenant général du présidial d'Angoumois lui accorda satisfaction par un arrêt du 25 novembre 1665 (A. N., M. 537, n. 43). Pillac est une commune du canton d'Aubeterre. Boisse (commune de Montboyer) se trouve dans le canton de Chalais et l'arrondissement de Barbezieux.

(8) Registres d'entrée de Saint-Sulpice, n° 881. Correspondance littéraire, 25 octobre 1863, p. 11. Voici le texte de la lettre écrite le 19 février 1667 par M. Tronson à l'évêque de Sarlat :

« Monseigneur, je ne doute point que le dessein de M. votre neveu ne vous ait fort surpris. Le droit que vous avez sur lui par toutes sortes de titres, et les vues raisonnables et très saintes que vous donnent les besoins de votre diocèse, ne peuvent que vous fournir en cette rencontre un fondement de peine bien légitime de la privation de ce secours. Je vous puis assurer, monseigneur, que j'aurais souhaité de tout mon coeur, qu'il eût été en état de pouvoir répondre à vos intentions, et que ce serait avec bien de la consolation que je le verrais s'appliquer it se rendre digne de travailler sous les ordres d'un prélat pour le service duquel je me sacrifierais moi-même avec joie, si je pouvais être en état de le faire : mais sa résolution est d'une nature que je ne voie pas ce que j'y puis faire à présent, après ce que je lui ai dit avant son départ de cette ville. Je crois que M. le marquis votre frère et M. le comte savent assez le peu de part que nous avons à ce dessein. J'ai taelté, dans les rencontres, d'éloigner autant que j'ai pu cette résolution. Je lui ai parlé plusieurs fois pour le porter à ne se pas précipiter; je lui ai dit nettement que, s'il pouvait modérer son désir et demeurer en paix, il pourrait, en continuant ses études et ses exercices de piété, se rendre plus capable de travailler un jour dans l'Eglise. Enfin, monseigneur, j'ai tâché de mettre sa fermeté à l'épreuve, en lui

Fondée en 1657, la mission de Montréal avait alors un recrutement fort aristocratique, tant à cause des droits seigneuriaux qu'elle exerçait que des dépenses qu'elle entraînait : deux fois plus élevées que ses revenus, celles-ci ne pouvaient être couvertes que par les contributions personnelles des Messieurs. Passé au Canada avec Claude Trouvé, Fr. de Fénelon arriva à Québec le 27 juin 1667. Il y recevait dans la cathédrale le sous-diaconat le 7 août 1667, le diaconat et la prêtrise les 10 et 11 juin 1668. A cette date, les chefs des farouches Iroquois — quelques mois plus tôt ils avaient encore martyrisé Vignal et Le Maistre — se décidaient à demander des « robes noires ». Le supérieur M. de Queylus désigna Trouvé comme supérieur de la mission de

représentant ce que j'ai cru le plus capable de l'ébranler : mais après ces épreuves son inclination se trouvant toujours également forte, et ses intentions paraissant désintéressées, je me suis vu hors d'état de passer outre, ayant employé inutilement tout ce que je pouvais, et ne croyant pas, dans ces dispositions, avoir droit de faire d'autre violence à son désir. Voilà, monseigneur, ce que j'ai cru vous devoir mander sur une affaire sur laquelle vous pouvez prononcer plus absolument, mais où j'ai remarqué des résolutions trop bien affermies, pour pouvoir espérer quelque changement. Je ne dis ceci que pour vous rendre compte de sa conduite et de la mienne, pour satisfaire au désir que vous m'avez témoigné par la lettre que vous m'avez fait l'honneur do m'écrire, et pour vous protester que je suis et serai toujours, mais avec tout le respect que je dois, monseigneur, etc.

L. TRONSON, Pr.

J'ai cru, monseigneur, devoir ajouter ici un mot sur le silence que nous avons gardé en cette affaire, que j'ai appris, depuis ma lettre écrite, vous avoir fait quelque

peine : et premièrement, je vous dirai que nous n'avons pas accoutumé de parler

des personnes que nous dirigeons et confessons. Nous leur donnons simplement avis sur ce qu'ils nous demandent, et ce n'est pas manque de respect pour ceux à qui

ils appartiennent, si nous tenons secrètes des choses que nous n'avons pas droit de publier. Nous supposons toujours qu'ils ne manqueront pas de s'acquitter de leurs obligations en ces rencontres.

Secondement, je vous dirai, monseigneur, que je n'aurais pas même cru devoir vous écrire sur cette affaire, dont je m'étais expliqué nettement à M. votre neveu

en présence de M. le marquis votre frère. Comme il avait été témoin de tous mes sentiments, je ne pus douter qu'il ne vous en informât bien amplement, et je crus qu'il n'y avait point de meilleure voie pour vous les faire connaître, puisqu'il n'y en avait point de moins suspecte et de plus sûre.

Voilà, monseigneur, deux principaux fondements de mon silence sur le voyage de M. votre neveu, et ce qui m'avait jusqu'à présent retenu et empêché de vous en

écrire. A présent qu'il s'en est expliqué lui-même, vous jugerez de sa vocation bien

mieux que je ne pourrais faire. Son inclination forte et permanente, la fermeté de sa résolution, la pureté de ses intentions et de ses vues, est ce qui m'a paru bien

considérable pour y faire attention. Et c'est ce que j'ai cru devoir vous exposer ici, pour vous rendre compte, avec toute l'exactitude qui m'est possible, de notre conduite en cette affaire, qui nous donnerait un sujet de mortification considérable, si elle vous laissait le moindre soupçon que nous eussions voulu manquer au respect que nous vous devons. »

(A. S. S., Correspondance ms. de M. Tronson, t. I tête-bêche, pp. 20 sq. Ed. L. BERTRAND, t. HI, pp. 45-48).

LA FAMILLE DE FÉNELON

Kenté et lui adjoignit Fénelon (9). Il ne paraît pas inutile de citer la lettre que l'évêque de Québec leur écrivit le 15 septembre 1668, car elle marque le lien entre cette tentative d'évangélisation et celles des jésuites dont les Relations avaient sans doute fait naître la vocation des jeunes sulpiciens. Mgr de Laval félicite ceux-ci de se rendre sans délai « dans un lieu situé vers l'entrée plus proche de nous du lac nommé Ontario, côte du Nord, pour y travailler à la conversion d'une nation qui s'y est établie il y a environ trois ans », après avoir reçu des jésuites les premières semences de l'Evangile. Et il invite les nouveaux missionnaires à traiter par lettres avec ces premiers apôtres des Iroquois et à « se conformer à leur pratique... pour la conduite de ces nouveaux chrétiens, tant en ce qui concerne l'usage des sacrements qu'en tout le reste du spirituel ». Après s'être embarqué le 2 octobre, Fénelon parvint le 28 après un voyage en canot plutôt pénible à Kenté (Consecon sur la baie Weller) (10). Reçu avec hospitalité par les Goyogouins, le jeune missionnaire demanda pour « plus grande grâce » à son évêque « de ne point faire parler de nous » (11) et ne se rendit au printemps 1669

(9) Aug. GOSSELIN, Vie de Mgr de Laval, Québec, 1890, t. I, p. 543, t. II, pp. 689 sq. — L. GROULX, Revue de l'histoire de l'Amérique française, septembre 1957, pp. 203, 213. — H. A. VERREAU, Les deux abbés de Fénelon, 1898. -

M. GIRAUD, Histoire du Canada, Paris, 1946, p. 22 et surtout YON, 1968, pp. 145 et 147.

(10) Correspondance littéraire, octobre 1863 — GOSSELIN, t. I, pp. 543-549 VERREAU, pp. 19-22 — Mgr de Laval écrivait aussi le 8 novembre 1668 à un correspondant parisien : « J'ai donné mission depuis un mois à deux très vertueux et et bons ouvriers pour aller dans une nation iroquoise qui s'est établie depuis quelques années assez proche de nous du côté du Nord du grand lac nommé Ontario... L'un est M. de Fénelon duquel le nom est assez connu dans Paris, et l'autre M. Trouvé... Nous en avons tout sujet d'en espérer un grand fruit » (dans R. G. THWAITES, Jesuit Relations and allied Documents, Cleveland, 1899, t. LIII, p. 47 ). De son côté la Relation des jésuites de 1667-1668 souligne que « ce détachement des Oiogouens, ou plutôt cette nouvelle peuplade, avait besoin de pasteurs pour confirmer l'esprit de la foi dans cette nouvelle église que nous avons cultivée pendant deux années; et c'est ce qui a été fait dignement par M. de Fénelon et M. Trouvé », mais « ils n'ont pas encore pu envoyer aucune nouvelle » (ibid., t. LI, p. 256 ) — YON, 1968, pp. 148 sq. On notera que Claude Trouvé n'était né qu'en 1643, ce qui explique un curieux passage de la célèbre ursuline Marie de l'Incarnation sur les missionnaires sulpiciens : « Plusieurs d'entre eux sont de qualité et de naissance, gens bien faits, qui portent la piété dépeinte sur le visage. M. l'abbé de Fénelon n'a point eu honte de se faire compagnon d'un ecclésiastique plus jeune que lui dans une mission iroquoise n dettres, éd. RICHAUDEAU, Paris, 1876, t. II, p. 395 ). Cf. YON, 1968, pp. 147, 155.

(11 ) Abrégé de la mission de Kenté par Trouvé dans DOLLIER de CASSON, Histoire de Montréal, Montréal, 1868, pp. 195, 260. La même source indique pourtant que le chef de village Rohiario leur permit d'instruire les enfants et d'en baptiser cinquante (ibid., pp. 214 sq.). Cf. aussi B. N., nouv. acquis. franç. 9 271, f. 166 — Correspondance littéraire, octobre 1863 — GOSSELIN, t. I, pp. 543-549 — VERREAU, pp. 19-22, 25 — YON, 1968, pp. 149 sq.

FRANÇOIS DE FÉNELON, SULPICIEN 131

à Montréal (12) par le Saint-Laurent que pour en ramener un compagnon, son parent François Lascaris d'Urfé, qui, formé par lui, devait lui succéder à un an de distance dans toutes ses missions (13). Une fois celui-ci installé à Kenté, Fénelon alla lui-même hiverner seul à Gandatseteigon (Port Hope) (14).

La destinée du missionnaire fut modifiée par une mission que lui confia l'intendant Talon après son retour à Québec. Séduit par l'étendue des vues de l'ancien officier qu'il n'eut pas de peine à rallier à son plan de francisation des indigènes, Talon écrivait en effet à Colbert le 29 août 1670 : « Comme M. l'abbé de Fénelon... a fait une mission chez les Iroquois et qu'en tout ce qu'il a pu, il a travaillé à me donner les connaissances que je ne pouvais avoir que par lui, pour les découvertes que je désirais faire, il mériterait, Mgr, que vous lui témoignassiez quelque satisfaction pour son zèle au service ». Suivait une demande d'audience : « Si vous voulez donner un demi-quart d'heure de votre temps à M. l'abbé de Fénelon Salignac, vous serez pleinement instruit de ce qui s'est fait ici en mon absence » (15). Bientôt après le sulpicien traversait l'Atlantique — en trente et un jours seulement. Débarqué à La Rochelle, il se rendit aussitôt à la Cour (16) où il remettait au grand ministre un long mémoire qui reste une source essentielle pour l'histoire

(12 ) Trouvé nous apprend que dans son voyage à Montréal, Fénelon « traîna lui-même son canot, tant en montant qu'en descendant, au milieu des plus furieux rapides » dont les « eaux, très souvent plus impétueuses que la descente d'un moulin... lui venaient parfois jusque sous les aisselles », tandis qu'il marchait a nu pied sur des pierres fort coupantes » (dans DOLLIER de CASSON, p. 215 ) — YON, 1968, p. 150. — GOSSELIN (t. I, p. 553) place pendant l'été 1669 sa visite à la bienheureuse Marie de l'Incarnation qui écrit à son sujet dans sa LXXXII° Lettre historique : « J'ai demandé... à M. l'abbé de Fénelon comment il avait pu subsister, n'ayant eu que de la sagamité pour tout vivre et de l'eau pure à boire. Il a réparti qu'il y était si accoutumé... qu'il ne faisait point de distinction de cet aliment à aucun autre, et qu'il allait partir pour y retourner et y passer encore l'hiver avec M. Trouvé, ne l'ayant laissé que pour aller quérir de quoi payer les sauvages qui les nourrissent. Le zèle de ces grands serviteurs de Dieu est admirable » dettres, éd. RICHAUDEAU, Paris-Tournai, 1876, t. II, p. 415 ).

(13 ) Clerc du diocèse du Puy, il entra dès le 1 avril 1660 à Saint-Sulpice, mais ne partit pour le Canada qu'en 1668. Il mourut en France au château de Bâgé (Ain) le 30 juin 1701 (Bull. trim. des anciens élèves de Saint-Sulpice, 1905 ). Voir sur lui J. AULAGNE, La réforme catholique du XVII' siècle dans le diocèse de Limoges, Paris, 1902, p. 567 et surtout Armand YON, Une victime de Frontenac, l'abbé François Lascaris d'Urfé, sulpicien (1641-1701) (Bulletin d'histoire et d'archéologie du diocèse de Belley, t. XII, n° 35, octobre 1961, pp. 9-13 ). Son père était le cousin issu de germain de Pons de Fénelon (cf. supra, ch. V, n. 41).

(14) DOLLIER de CASSON, p. 215 : ce village était « peuplé de Sonontouans détachés venus du Nord ». « Au printemps suivant, les grandes navigations reprendront... dans la rivière Richelieu... jusqu'au lac Champlain actuel, puis dans le Saint-Laurent jusqu'à Québec » (YoN, 1968, p. 150 ).

(15) A. N., Colonies, C-11-A, ff. 70 sq. cité ibid., pp. 151 sq. — P. MARGRY, Mémoires et documents, Paris, 1879, p. 80.

(16) VERREAU, p. 27. Pendant ce voyage, il rendit des services à la soeur Marguerite Bourgeoys qui revenait avec lui (FAILLoN, Vie de la soeur Marguerite

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132 LA FAMILLE DE FÉNELON FRANÇOIS DE FÉNELON, SULPICIEN 133

du Canada français. Tout en s'inspirant des idées de son supérieur Dollier de Casson et surtout de celles de Talon, Fénelon y mettait à profit son expérience de pionnier. Il constatait d'abord la lenteur des progrès de l'évangélisation : quarante ans de labeurs n'avaient guère obtenu que la conversion d'une centaine de personnes « petites ou grandes », surtout chez les Hurons et les Algonquins. Ce n'est pourtant pas que les Français n'eussent, à la faveur du Saint-Laurent, pénétré beaucoup plus avant à l'intérieur des terres que les Anglais, les Hollandais ou les Espagnols : ils venaient d'atteindre le lac Ontario, de fonder « en Chine » à trois lieues en amont de Montréal, à plus de deux cents lieues du littoral. Mais ils n'avaient établi dans cet espace immense que quatre villes et « quelques lieux ramassés ». La situation restait donc précaire et Fénelon recommandait d'unir par une route Québec à un port de l'Acadie qu'on aurait soin de fortifier. Il souhaitait même l'achat de la Nouvelle-Hollande qui ravitaillait en armes et munitions les Iroquois en guerre avec les Français. Le sulpicien montrait d'ailleurs son ouverture d'esprit en abordant les problèmes économiques : « la ressource du castor », essentielle à cette date, « serait peu de chose à l'avenir » et il fallait davantage compter sur l'élevage dont Talon donnait l'exemple aux Islets, voire sur les mines de fer (17). Le crédit que valut à son auteur cette première Description du Canada put n'être pas étranger au choix du comte Buade de Frontenac, gentilhomme ruiné, mais compatriote et parent éloigné des Fénelon, comme gouverneur de la Nouvelle-France (18).

En tout cas, Frontenac manifesta dès son arrivée en 1672 la plus grande confiance dans le jeune sulpicien. D'ailleurs le gouverneur voulait faire des sauvages des « sujets de Dieu et du Roi tout ensemble », en les rendant sédentaires et en les amenant à parler français; tandis que les jésuites, dont les positions trop fortes inquiétaient d'ailleurs les représentants du Roi, refusaient de seconder ce plan ambitieux (19). François de Fénelon annonçait son intention d'ouvrir des écoles et

Bourgeoys, Villemarie, 1853, t. I, pp. 212 sq. et surtout [MONTGOLFIER], Vie de la vénérable soeur Marguerite Bourgeoys, Villemarie, 1818, pp. 104 sq.). Cf. aussi A. JAMET, Marg. Bourgeoys, Montréal, 1942, t. I, pp. 356-362.

(17 ) Archives des Colonies, Correspondance générale, Canada, t. III, ff. 192-211. Citations dans H. LORIN, Le comte de Frontenac, Paris, 1895, pp. 12, 17, 19, 23 — Emile SALONE, La colonisation de la Nouvelle-France, Paris, [1905], pp. 189, 192 sqq., 200, 205, 215, 218n. L'auteur du mémoire n'a été identifié que par l'abbé Yon qui a aussi retrouvé au séminaire de Montréal une quinzaine de volumes portant son ex-libris (cf. sa lettre du 14 février 1934 au comte de Saint-Saud, A. D. Gironde,

9 J. 31 et son opuscule de 1968, p. 154). Ceux-ci ont depuis disparu (Cahiers des Dix, n° 34, 1969, p. 136 n.).

(18) Bull. Périgord, 1951, p. 175, n. 1 et 1967, p. 44. Comme le marquis de Fénelon, Frontenac s'était signalé à Candie (cf. C. de ROCHEMONTEIX, Les jésuites et la Nouvelle-France, Paris, 1896, t. III, p. 96).

(19) Lettres de Colbert, 5 avril 1668, éd. CLÉMENT, Paris, 1861-1882, t. III, 2,

p. 405 — VERREAU, pp. 30, 42, 47 E. FAILLON, Histoire de la colonie française

fondait à cet effet une nouvelle mission à Gentilly (aujourd'hui Dorval) sur le lac Saint-Louis (20). Fontenac l'en récompensait le 9 janvier 1673 en lui concédant la seigneurie de trois îles adjacentes, Courcelles, Ouelle et Dorval : le missionnaire essayait d'y attirer les jeunes Iroquois (21). Lorsqu'en juin 1673 le gouverneur partit de Montréal pour le lac Ontario, il prit Fénelon pour guide : grâce à la diplomatie de celui-ci et de son confrère d'Urfé, les chefs iroquois vinrent le 12 juillet 1673 à la rencontre du gouverneur à Katarakoui (22). Fénelon paraissait alors « le meilleur ami » de son compatriote, mais ce bel accord n'allait pas durer longtemps. Se croyant tout pouvoir, « quitte à en répondre sur sa tête », Frontenac incriminait en particulier la conduite du gouverneur de Montréal François-Marie Perrot, duquel, dira-t-il, Fénelon « s'était plaint à lui plus que personne de ce pays ». Perrot avait pourtant confiance dans le sulpicien et ce n'est qu'en écrivant à celui-ci une lettre pour le moins ambiguë que le gouverneur de la Nouvelle-France parvint à les attirer tous les deux à Québec (29 janvier 1674). Dès le lendemain, Perrot était mis au secret, et Fénelon, qui n'avait reçu aucune explication, ne réussissait même pas à communiquer avec le prisonnier (23). Blessé dans son honneur, il revint outré à Montréal où il jugea prudent de rétrocéder son fief au Séminaire (24 février 1674). Non seulement il réunit soixante-quinze signatures en faveur de Perrot, dont celle du syndic des habitants de Montréal (24), mais il profita du

en Canada, Villemarie, 1866, t. III, pp. 492, 524 — H. LORIN, pp. 20. 70 sq. C. de ROCHEMONTEIX, t. III, pp. 115 sq..

(20) M. Tronson devait pourtant bientôt déclarer que « l'entreprise de Gentilly à la côte de la Chine n'était point si pressée, au moins pour y faire une aussi grande dépense : il est impossible qu'elle ne périsse » (A. S. S., Correspondance ms., t. XIII, pp. 37-40). Cf. A. D. Gironde, 9 J. 225 — THWAITES, Jesuit Relations, t. L, p. 326 et t. LI, p. 290 — Revue d'histoire de l'Amérique française, t. XVII. 1963-1964, pp. 57 sq.

(21) FAILLON, t. III, p. 479 — GOSSELIN, t. I, pp. 558, 581 — VERREAU. p. 85 — YON, pp. 12-13.

(22) Relation du voyage au lac Ontario, Arsenal, ms. 4258, ff. 8-20 — E. FAILLON, t. III, p. 462 — VERREAU, p. 30 — H. LORIN, p. 84 — W. J. ECCLES, Frontenac, Montréal, pp. 18 sq. — Buli. Périgord, 1934, p. 167. — D'après la Revue d'histoire de l'Amérique française (1963-1964, pp. 57, 160, 167), c'est probablement Fénelon qui donna au gouverneur l'idée de la fondation du fort Frontenac (Kingston) dans un rapport anonyme où il décrit les chasses des Iroquois dans la province d'Ontario et où il indique les endroits où l'on pourrait intercepter les fourrures. Il est d'ailleurs significatif que, lorsque Frontenac passa à Montréal, Fénelon fit le 24 juin 1673 son éloge à l'église paroissiale (ibid., t. XII, décembre 1958, p. 363). Voir aussi P. MARGRY, Mém. et doc... Amérique sept. (1618-1698), Paris, 1879, t. I,

pp. 233 sqq.

(23) E. FAILLON, t. III, pp. 478 sqq. — LORIN, p. 106 — ROC.11EPtiONTEIX, t. HI, pp. 104, 106 — VERREAU, pp. 40-47 — ECCLES, pp. 20-25 — Revue d'histoire de

l'Amérique française, 1958, p. 364.

(24) FAILLON, t. III, pp. 481, 484 sq., 502 — LORIN, pp. 107, 113 — VERREAU,

pp. 38 sq.

sermon qu'il devait prêcher pour Pâques (25 mars) devant toutes les notabilités de la ville pour faire aux abus d'autorité une allusion que le jeune Cavelier de la Salle, protégé de Frontenac, souligna par une habile mimique. D'autres auditeurs dénoncèrent aussi son audace au représentant du Roi et MM. du Séminaire s'excusèrent « en corps auprès de lui ». Fénelon était allé vivre seul à La Chine, au nord de l'île de Montréal : il refusa le 12 mai de fournir le texte de son sermon au gouverneur dont une ordonnance le réduisit au point « qu'à peine un habitant voulait lui donner le couvert ». Les lettres qu'il écrivit au gouverneur (l'une fut portée par l'abbé d'Urfé) ayant été jugées injurieuses par le destinataire (25), l'abbé se décida, après avoir tenu sur les fonts baptismaux une fille de Perrot, à passer à Québec où il fut traité en prisonnier sur parole. Traduit le 21 août devant le Conseil souverain, il demanda des juges ecclésiastiques, ce qui entraîna une vive altercation entre lui et Frontenac; indigné à l'idée qu' « il n'y avait qu'à porter ici une robe noire pour se croire indépendant », celui-ci soutenait qu'il s'agissait d'un cas privilégié. Fénelon le récusa par écrit le 23 et il agit de même le 5 septembre pour d'autres conseillers. Des prêtres de Montréal ayant refusé de déposer, la procédure qui fut faite du 11 septembre au 22 octobre resta sans conclusion, et le Conseil renvoya Perrot et Fénelon en France pour y être jugés. Frontenac joignait une lettre à Colbert du 14 novembre au dossier qu'il avait confié à son témoin à charge, Cavelier de la Salle. Le même bateau emportait sans doute le conseiller Villeray (que Frontenac traitera de jésuite de robe courte) et le supérieur des sulpiciens Dollier de Casson. Au grand déplaisir de Frontenac, l'abbé d'Urfé tint à s'embarquer avec eux (26). Il composa avec ses amis un mémoire destiné à Colbert, devenu récemment son allié proche : les abus de pouvoir du gouverneur n'y restaient pas dans l'ombre (27). Il en résulta que, si Perrot passa quelques jours à la Bastille et si la dépêche du 22 avril 1675 annonce que le Roi « a blâmé la conduite de l'abbé de Fénelon et lui a ordonné de ne plus retourner au Canada », elle tranche la question de l'immunité

(25) Nouv. acq. fr., 9 271, f. 151, cf. fr. 167-226 - FAILLON, t. III, pp. 489, 495-510 - LORIN, p. 113 - ROCREMONTEIX, t. III, pp. 108 sq. - VERREAU, pp. 50-53 - Bulletin des recherches historiques de Québec, t. XXII, 1916, p. 112 Archives de la province de Québec. Rapport de l'archiviste, 1921-1922, p. 149

- ECCLES, p. 24 - Revue d'histoire de l'Amérique française, 1958, pp. 363 sqq.

- Yori, 1969, pp. 127-132.

(26) Nouv. acq. fr., 9 271, ff. 159-161 - FAILLON, t. III, pp. 512-526 - LORIN, pp. 111-113, 117 - ROCHEMONTEIX, t. III, p. 111 sq. - VERREAU, pp. 47, 57-60 Rapport de l'archiviste, 1921-1922, p. 169 - Bulletin des recherches, t. XXX, 1924,

p. 267 - Revue d'histoire de l'Amérique française, décembre 1958, pp. 361, 368.

- YON, 1969, pp. 132-136.

(27) Ce mémoire existe encore dans les registres de Saint-Sulpice, cf. L. BERTRAND, Bibliothèque sulpicienne, Paris, 1900, t. I, pp. 156 sq. - Revue d'histoire de l'Amérique française, décembre 1958, pp. 361, 368.

FRANÇOIS DE FÉNELON, SULPICIEN 135

en faveur des ecclésiastiques et donne au gouverneur des avis qui montrent qu'il était tenu grand compte des plaintes d'Urfé. Les pouvoirs du Conseil souverain furent étendus à son détriment et un intendant lui fut adjoint. Cette affaire contribua sans doute même beaucoup au rappel de Frontenac en mars 1682 (28).

Ce n'était pour l'abbé de Fénelon qu'une revanche posthume. Le 7 mai 1675, M. Tronson avait invité ses confrères de Montréal à tirer la leçon de cet « exemple » : « Pour s'être trop intrigué dans le monde et s'être mêlé de ce qui ne le regardait pas, il a gâté ses affaires et a fait tort à celles de ses amis en voulant les servir. La neutralité sera toujours approuvée dans ces sortes de matières qui ne regardent que des démêlés particuliers » (29). Que devint-il par la suite? Cette lettre semble exclure qu'il soit resté à Saint-Sulpice et c'est par erreur qu'on l'a confondu avec un vicaire forain du diocèse de Cahors qui est simplement un homonyme (30). Après un exil de quelques mois à Tournon (31), il revint chez son cousin germain à Aubeterre et y mourut le 31 août 1679 (32).

(28) Lettres de Colbert, éd. CLÉMENT, t. III, 2, p. 590 - Correspondance littéraire, 25 juillet, 25 octobre, 25 décembre 1863, t. VII, p. 274, t. VIII, pp. 6 et 51 - Annuaire-bulletin de la Société de l'histoire de France, t. I, 1863, pp. 134 et 197 - FAILLON, t. III, p. 527 - LORIN, p. 114 - YON, art. de 1961 cité supra, n. 13. - ECCLES, pp. 27, 47 - Revue d'histoire de l'Amérique française, 1958, pp. 369-371. - M. GIRAUD, p. 24.

(29) Signée de M. de Bretonvilliers, cette lettre à « Messieurs du Séminaire à Montréal » figure dans la correspondance manuscrite de M. Tronson (A. S. S., t. XIII, pièce 4, pp. 38-39 ), car celui-ci a fait copier en tête du tome de ses lettres envoyées au Canada les directives antérieures qui concernaient la colonie.

(30) Léon BouLvÉ, De l'hellénisme de Fénelon, Paris, 1897, p. 381 - Bull. Périgord, 1934, p. 167. Vers 1652, Solminihac avait créé trente vicaires forains pour faire observer les statuts synodaux (E. SoL, Lettres et documents, p. 471). L'un d'eux était le Fénelon, prieur de Sailhac, qui écrivait le 21 mai 1673 au P. Chastenet et lui rappelait le 6 décembre 1675 qu'il « avait l'honneur d'avoir pris tous les ordres et le visa même de la sainte main » de Solminihac (Archives de l'évêché de Cahors, carton n° 21-1-VII ). Le 27 mars 1675, il avait béni le nouveau cimetière de Saint-Amans de Promilhargues (Archives communales de Caylus, T. et G., registre GG. 30, paroisse de Saint-Amans de Promilhargues, relevé de M. R. Toujas, cf. DEVALS, Notes pour servir à l'histoire de Caylus, Montauban, 1873, p. 150).

L'hypothèse qu'il se retira chez son oncle l'évêque (VERREAU, p. 67 et P. BARRIÈRE, La vie intellectuelle en Périgord, 1500-1800, Paris, 1936, p. 360) ne repose non plus sur aucun fondement.

(31) En effet le testament de François II de Fénelon (cf. supra, ch. VI, n. 38) mentionne « la dette de Thournon en Vivarès de mon frère l'abbé s. M. l'archiviste de la ville et M. l'archiviste départemental ont bien voulu nous informer qu'il n'existait plus de registres paroissiaux pour ces années.

(32) Le procès-verbal d'inhumation chez les Minimes (A. D. Charente, J. 960) lui attribue alors « quarante-et-un ans environ s (dans A. YON, Cahier des Dix, Montréal, n° 34, 1969, p. 138 ).

134 LA FAMILLE DE FÉNELON

DEUXIÈME PARTIE L'ABBÉ DE FÉNELON

I PREMIERES ETUDES

Une plaque placée dans la salle d'honneur du lycée Gambetta de Cahors affirme que Fénelon fut, à partir de 1663, élève du collège des jésuites de la ville (1). Sur quoi repose cette tradition, vigoureusement combattue par le docteur Ch. Lafon (2)? Devant le silence des documents, il suffit d'interroger à ce sujet les biographes qui ont eu accès à des sources originales.

Le plus récent de ceux-ci est le cardinal de Bausset qui invoque dans sa Vie des « manuscrits du marquis de Fénelon » que nous n'avons pas tous retrouvés : l'enfant serait resté dans la maison paternelle jusqu'à douze ans, il aurait pris des degrés suffisants à Cahors, puis il serait venu au collège du Plessis et aurait « prononcé à quinze ans un sermon avec un succès extraordinaire » (3).

Quant au P. de Querbeuf, il affirme qu'à douze ans, Fénelon savait très bien le grec, qu'il écrivait en français et en latin avec élégance. C'est à cet âge qu'il serait entré à l'Université et il n'aurait rejoint son oncle le marquis à Paris qu'à dix-huit ans (4).

Le Grand Dictionnaire historique de Moreri se contente de dire qu' « il fit ses premières études dans la province et à l'Université de Cahors. Il vint ensuite à Paris où il les finit sous le nom d'abbé de Fénelon ». Ces mots se retrouvent textuellement dans la Vie publiée par le marquis G. de Fénelon (5). Quant au curé de Versailles François Hébert, il raconte que le jeune François fut « élevé sous les yeux et par les soins de feu... l'évêque de Sarlat. Comme il avait un esprit très vif, il apprit en peu de temps les belles-lettres » (6).

Nous sommes ainsi renvoyés à la source la plus ancienne qui est le Mémoire pour servir à la vie de M. de Cambray Fénelon : « Il avait été élevé dans la maison paternelle et eut pendant quelques années un

(1) Bulletin de la Société des Etudes du Lot, 1951, fasc. 4, Tricentenaire de la naissance de Fénelon, 21 octobre 1951, pp. 7 sq.

(2) Bull. de la Soc. hist. et archéol. du Périgord, t. LXXIX, 1952, p. 12.

(3) Ed. de 1817, t. I, p. 4.

(4) Oeuvres de Fénelon, Paris, 1787, t. I, pp. 21, 23, 30.

(5) A la suite de l'Examen de conscience pour un Roi, Londres, 1747, pp. 85 sq.

(6) Mémoires, éd. G. GIRARD, Paris, 1927, p. 225.



précepteur qui avait du goût et de la connaissance des belles-lettres. Il avait continué ses études d'humanités et de philosophie à l'Université de Cahors où il avait étudié ensuite en théologie et avait pris des degrés... De Cahors, il vint à Paris à l'âge d'environ seize ans, quoique déjà docteur ou au moins licencié à Cahors » (7).

Ce texte montre que le neveu de l'archevêque n'était pas trop bien renseigné, puisque nous savons maintenant que ce n'est pas à seize (!) ans, mais à plus de vingt-cinq, que Fénelon devint docteur en théologie de Cahors (8). Selon l'usage, attesté à tout le moins entre 1645 et 1655, il y avait sans doute pris le même jour le baccalauréat et la licence en théologie (9). On croirait que c'est aussi là qu'il reçut le titre de maître ès-arts et la date de 1669 proposée par Querbeuf paraîtrait vraisemblable : pourtant, son nom ne figure pas dans le registre correspondant de Cahors — non plus, d'ailleurs, que dans celui de la Faculté des Arts de Paris.

Les partisans de la tradition en sont en tout cas réduits à soutenir que « l'Université de Cahors » n'aurait fait que délivrer des grades (son monopole avait été réaffirmé en août 1623) auxquels, bien avant son incorporation en 1681, le collège des jésuites aurait préparé par le moyen de ses cinq régents de lettres humaines et de son régent de philosophie (en raison du grand nombre des élèves, un second régent fut même adjoint à celui-ci le 8 août 1664) (10). Il serait pourtant étonnant que les contemporains, si attentifs aux conflits des deux corps, aient attribué à l'Université un honneur qui aurait appartenu à la Compagnie. D'ailleurs, malgré sa décadence indiscutable, la Faculté des Arts de Cahors avait conservé un professeur de grammaire et un professeur de philosophie (11).

Nous n'avons donc aucune certitude au sujet des études que Fénelon a pu faire à Cahors. D'où l'importance accrue des textes qui parlent de ses précepteurs (12). Le 11 juin 1663, « le gouverneur des enfants du second lit » de Pons de Fénelon, récemment décédé, s'appelait

(7) Arch. de S.-Sulpice, ms. XV, 2. L'accord du marquis avec RAMSAY (Life, Londres, 1723, p. 10 ) ne prouve que la dépendance de l'un par rapport à l'autre.

(8) Bull. Lot, 1951 (4 ), p. 9 — Dr BERGOUNIOUX, Fénelon, docteur en théologie de l'Université de Cahors (Revue des Questions historiques, 1924, pp. 480, 484).

(9) Ibid., p. 483.

(10 ) Léon Boui.vÉ, De l'hellénisme de Fénelon, Paris, 1897, pp. 10-14 P. DELATTRE, Etablissements des jésuites en France, Wetteren-Enghien, t. I, c. 1 020.

(11) C'était en 1677 Jean Filhol et Pierre Foureau (BERGouNioux, p. 484). Cf. F. STROWSKI, Revue de Fribourg, juillet-août 1903, p. 348 et, sur la manifestation gallicane d'un docteur, les Nouvelles ecclésiastiques de 1677, Bibl. de Carpentras, ms. 455, 8- cahier, f. 362 v°.

(12) La lettre écrite le 18 mai 1662 par le P. Garat, abbé de Chancelade, au P. Chastenet, semble plutôt concerner les enfants de François II que ceux de Pons (Arch. de l'évêché de Cahors, carton 21, n° 4).

141

« Meneschié » (13). Il s'agit de Charles Menissier (c. 1636 - 23 décembre 1681) que, malgré son titre pompeux, on n'avait pas eu à chercher bien loin, puisqu'il était fermier de Lamothe-Massaut (14). Sa science devait être courte, mais la présence à ses côtés de Jean Pignol (1603 18 mars 1667), curé de Sainte-Mondane et chapelain de la famille, pouvait en combler les lacunes (15). Il serait d'ailleurs naturel que l'orphelin soit ensuite allé demeurer auprès de son oncle, M. de Sarlat (16), qui dut trouver sans peine des précepteurs plus ou moins

(13) L. de MALEVILLE, Annales de la société d'agriculture, sciences et arts de it Dordogne. t. XXX, 1869, p. 470.

(14 ) Le 26 janvier 1673 Charles Menessier « habitant présentement au château de Fénelon, paroisse de Sainte-Mondane » signait à Belvès, devant le notaire Lapeyre,

son contrat de mariage avec Gabrielle Lacroix (A. D. Dordogne, Insinuations,

B. 3398 ). Le 11 mars 1677, il porte les titres de « bourgeois et fermier de LamotheMassaut y habitant » et agit comme « procureur spécialement fondé de procuration

de l'abbé de Fénelon » (cf. supra, I" p., ch. H, n. 17). Le curé de Lamothe-

Massaut, Goutoulas, signale enfin le 23 décembre 1681 le décès clans le château de La Mothe-Haute de « Charles Mennissier, bourgeois... âgé de quarante-cinq ans

ou environ » (Arch. communales de Lamothe-Fénelon. Etat-civil). De plus haute naissance, le jeune Guy de Laval aura aussi un paysan pour gouverneur (cf. supra, I" p., ch. V. n. 30).

(15 ) Originaires sans doute de Martel (cf. A. D. Dordogne, B. 1 330 ), les Pignol furent longtemps liés aux Fénelon. L'un d'eux informait avant 1659 le prieur de

Carennac que l'évêque de Sarlat faisait des objections juridiques à la nomination

à la cure de Calviac et de son annexe Sainte-Mondane dont l'avait pourvu M. de La Mothe, et dont « le titre lui avait été mis en main par M. de Carennac et

les provisions par les vicaires généraux de Mgr de Cahors » (A. D. Dordogne, 2 E

1 593 (4 ); cf. Bull. Périgord, t. XXXVIII, 1911, pp. 130 sq.). C'est sans doute le même « maître Jean Pignol, prêtre et docteur en théologie » que nous voyons jouer

en qualité de chapelain un rôle actif dans l'inventaire après décès (11 juin 1663 ) de

Pons de Salignac (cf. supra, n. 13 ) et qui mourut le 18 mars 1667, à l'âge de soixante-quatre ans, étant toujours curé de Sainte-Mondane (Registre des morts de

la paroisse Notre-Dame de Sarlat ). Madame de La Filolie, soeur du futur arche-

vêque, était le 13 mai 1670, à Sarlat, marraine d'un fils de Jean de Pignol, avocat, conjuge à la cour des consuls et lui-même consul en 1659-1660, qui avait épousé

sa cousine Marguerite, fille de l'avocat du Roi et d'Antoinette de La Brousse (Bull. Périgord, 1910, p. 501 — Acte du 30 août 1672 à la Mairie de Sarlat cité dans A. D. Gironde, 9 J. 375, pp. 465 sq.).

On rencontre peu après un autre Pignol, secrétaire de l'évêque de Sarlat (A. D. Lot, III E 217, n° 17, Gisbert, notaire de Cahors 3 mars 1679 ). Il faut peut-être

l'identifier au chanoine Jean-Paul de Pignol, docteur en théologie, archiprêtre de

Darglan vers 1695, syndic du chapitre cathédral le 13 octobre 1714, qui vivait encore en 1720 (A. D. Dordogne, B. 1 381 et 1 706 — Bull. Périgord, t. LXVI,

1939, p. 626). La famille fut, pendant un siècle, « la Providence du séminaire de Sarlat » (CONTASSOT, Archives de la congrégation de la Mission, t. CXIX-CXX, décembre 1955, p. 647 et t. CXXI, 1956, p. 212).

(16 ) Fénelon écrivait le 20 avril 1706 à Clément XI avoir été « a patruis educatum ». François Hébert, curé de Versailles où il fut son directeur, assure de

son côté qu'il fut « élevé sous les yeux et par les soins de feu Mgr de Fénelon » (Mémoires, éd. G. GIRARD, Paris, 1927, p. 225 ), termes que reprend l'abbé Ledieu (Mémoires, éd. GUETTÉE, Paris, 1856, t. I, p. 138). Petit-neveu de l'évêque, Panta-

142

bénévoles : l'un d'eux fut peut-être le jésuite sarladais Gabriel d'Aymeriques (17) que l'abbé d'Hauteserre, historien de Cahors, dira avoir été le « modérateur de celui qu'il devait retrouver plus tard archevêque » (18). De fait, rien n'empêche qu'il n'ait joué dans l'éducation du futur prélat un rôle au moins intermittent. Mais, comme il ne fut pas affecté au collège de Cahors avant 1680, cela ne suffit pas à faire du grand homme un élève de la Compagnie. Le silence du P. de Vitry (19) à ce sujet s'accorde parfaitement avec celui qu'ont gardé le marquis de Fénelon, Ramsay et surtout M. de Cambrai lui-même.

léon de Beaumont-Gibaud semble aussi avoir étudié la philosophie à Sarlat (cf. infra, lettre du 24 août 1684, n. 18).

(17) Les registres paroissiaux de Sarlat (A. D. Dordogne, 2 J. 881 ) font connaître : 1° Eymeric d'Aymeriques, sieur de La Bénéchie, né en 1600, conseiller au sénéchal (1637-1641 ), puis conseiller du Roi et lieutenant criminel au présidial de Sarlat. Il eut le 15 avril 1649 un fils de Suzanne de Lasserre de Langlade et mourut le 17 ou 18 juillet 1652.

2° Son fils Bertrand d'Aymeriques de la Bénéchie. Encore mineur (il était né en 1634 ), il se rendit à Paris pour solliciter les provisions de la charge paternelle qu'il avait obtenue à la date du 13 janvier 1653 : sa correspondance avec Eymeric de Grézel (août-septembre 1655) prouve qu'il y était aussi chargé des intérêts des royalistes de la ville. Il épousa le 27 janvier 1660 Françoise de Gérard, morte le 4 septembre 1664, puis se remaria le 28 novembre 1673 à Catherine de Bernard. Il était mort en mai 1706.

3° Un autre Eymeric d'Aymeriques était en 1671 assesseur de Pierre de Grézel, lieutenant civil et criminel (G. de GÉRARD dans Bull. Périgord, 1910, pp. 286 n., 462 sqq. — SAINT-SAUD, Magistrats des sénéchaussées, présidiaux et élections du Périgord, Bergerac, 1931, pp. 91 et 101).

D'autre part, Antoine d'Aymeriques était nommé le 1" août 1669 chanoine théologal de Sarlat. Il eut le 5 mai 1679 pour successeur Louis d'Aymeriques, docteur en théologie, qui occupait encore ces fonctions en 1701 (cf. aussi la Continuation de Tarde, éd. J. VALETTE, p. 34 — A. DUJARRIC-DESCOMBES, Bull. Périgord, 1876, pp. 209-212 ).

Quant à Jean-Aymeric d'Aymeriques, sieur de Mondassaigne, avocat, puis maire de Gourdon, époux de Jeanne de Garric, il eut pour enfants Jacques, Pierre et Gabriel qui semblent s'être établis dans le Lot (A. D. Dordogne, 2 E. 61, 20 mars 1681, 12 juillet 1690, 27 juin 1698, 4 mars 1714 — A. D. Lot, Registres de contrôle, notaire Jean Lataste, 10 et 13 décembre 1696 ) : un Gabriel, ouvrier du chapitre du Vigan, était député le 7 juillet 1671 à l'assemblée du clergé par le diocèse de Cahors (A. D. Lot, III E. 257, n° 23).

(18) A. S. S., pièce 4 025. On nommait « modérateur n le répétiteur d'un étudiant en théologie (A. DURENGUES, M. Boileau de l'archevêché, Agen, 1907, p. 86).

(19 ) On trouvera dans Henk. HILLENAAR, Fénelon et les jésuites, La Haye, 1967, pp. 6-8, une biographie du jésuite et un examen approfondi de ses rapports avec Fénelon. Nous suivons aussi les conclusions négatives de l'auteur sur le passage de celui-ci au collège de Cahors.

II FENELON ET SAINT-SULPICE

Le jugement des Longeruana sur Fénelon : « Ce pauvre M. de Cambrai ne savait rien en théologie... Ces gens de Saint-Sulpice ne savent ce que c'est qu'étudier, ni langues, ni Ecriture, ni Pères », frappe par sa malveillance, mais son auteur semble sur un terrain plus solide en ajoutant : « Son grand et unique maître avait été M. Tronson et le séminaire de Saint-Sulpice sa seule école » (1). Au XVIIIe siècle également, le P. de Querbeuf, biographe de Fénelon, dira que c'est là qu' « il se prépara par cinq années de recueillement à la prêtrise qu'il reçut à vingt-quatre ans » (2). On croit le fait suffisamment établi par les phrases où l'archevêque a parlé de « la confiance qu'il a eue dès sa première jeunesse en Saint-Sulpice » et en particulier en M. Tronson, qui lui a « tenu lieu de père » (3). Il est pourtant curieux que, alors que,

(1) Berlin, 1754, p. 78.

(2 ) P. 35. Querbeuf avait des sources, mais il en majore beaucoup la portée. La plus ancienne se trouve dans l'éloge du Mercure galant d'août 1689 : « Le séjour qu'il a fait dans le séminaire de Saint-Sulpice est une preuve de sa piété n (cf. infra, ch. VII, n. 24 ). Hébert rapporte ensuite que son séjour à Paris fut d'abord consacré à « se perfectionner dans les études, où il avança autant qu'homme du monde », mais qu'ensuite, soucieux de « solide piété..., il se retira pour mieux y réussir dans le séminaire de Saint-Sulpice. Il demeura pendant quelques années dans la petite communauté de Saint-Sulpice où il vivait tranquillement et dans la pratique des bonnes oeuvres avec plusieurs abbés de vertu, entre lesquels étaient l'abbé des Marais..., l'abbé Bertier... et d'autres d'un mérite très reconnu » (Mémoires du curé de Versailles Fr. Hébert, éd. G. GIRARD, Paris, 1927, p. 225, cf. aussi A. S. S., XV, 3 ). Le P. de Vitry se contente d'écrire : u Il vint ensuite à Paris et demeura quelque temps à Saint-Sulpice n (Correspondance du président Dugas et de M. de Saint-Fonds, éd. W. POIDEBARD, Lyon, 1900, t. I, p. 90), ce qui peut ne viser que sa retraite d'ordination (cf. infra, n. 16 ). Mais dans sa Vie imprimée (cf. l'édition de l'Examen de conscience pour un Roi, Londres, 1747, pp. 85 sq.), le neveu de l'archevêque ne prononce même pas le nom de Saint-Sulpice. Noter que David de Bertier, né en 1652, ne fit la connaissance de Fénelon qu'en 1677 (cf. infra, lettre du 28 janvier 1686, n. 1).

(3 ) Voici ses déclarations, par ordre chronologique. Le 6 novembre 1694, il écrit à M. Tronson lui-même à props de Mme Guyon : « Il n'est question que de moi et du fond de la doctrine sur la vie intérieure. Souvenez-vous que vous m'avez tenu lieu de père dès ma première jeunesse ». Viennent ensuite deux lettres à M. Lesehassier : « Vous savez combien j'aime et révère la mémoire de M. Tronson qui m'avait

L'ABBÉ DE FÉNELON 144 FÉNELON ET SAINT-SULPICE 145

pour le XVIIe siècle, les listes du Séminaire portent les noms de nombreux évêques — dont certains, comme Jacques-Nicolas Colbert, coadjuteur de Rouen, n'y ont pas passé six mois — et qu'elles signalent le passage de quatre Fénelon : Henri-Joseph (7 janvier 1653 - 16 avril 1654), François, évêque de Sarlat (entré le 1" janvier 1659), François (entré le 23 octobre 1665, sorti le 30 janvier 1667) (4) et François-Martial (19 octobre 1668 - 6 mai 1669) (5), elles ne fassent aucune mention du futur archevêque de Cambrai.

Dès 1850, M. Gosselin, P. S. S., constatait cette omission et s'en étonnait. Un de ses successeurs a cru pouvoir l'expliquer : « Ce catalogue a été, pour le xviie siècle, formé à l'aide des registres de l'économat qui ne recevait que les noms de ceux qui habitaient la maison » (6); mais il y avait des établissements voisins qui en dépendaient, en particulier « la petite communauté pour ceux qui ont leur

servi de père pour la vie ecclésiastique » (22 mai 1706) et « Je ne vous donne cet embarras qu'à cause de la confiance en Saint-Sulpice que j'ai eue dès ma première jeunesse P (10 août 1706 ). Dans l'intervalle, l'archevêque avait affirmé à Clément XI en lui demandant la canonisation de M. Vincent : e Tronson... audivi; nimirum ab ipso enutritus verbis fidei, et in clericali vita institutus, sub umbra alarum crevisse glorior. Is certe disciplinae studio ac peritia, prudentia ac pietate, sagacitate denique in explorandis hominum ingeniis, nulli, ni fallor, imper fuit s (20 avril 1706). A la fin de la même année, il écrivait à l'abbé de Beaumont à propos de Saint-Sulpice : » C'est une maison où j'ai été nourri, que ma famille a toujours chérie et révérée, longtemps avant que je fusse au monde » der décembre 1706). Enfin. dans 1'Appendix de 1710 adressé au Pape : • Fateri juvat me institutum fuisse Parisiis, non in Sancti Maglorii apud Oratorienses seminario..., sed in seminario Sancti Sulpicii, ubi Sedis Apostolicae amor et reverentia quam maxime commendatur » (E. JOVY, Fénelon inédit d'après les documents de Pistoie, Vitry-le-François, 1917.

p. 371). De son côté, M. Tronson écrivait le 29 août 1679 qu' » il y avait longtemps qu'il conduisait » Fénelon (cf. infra, n. 31), mais le 23 septembre 1702 M. Leschassier note simplement que • M. Le Fèvre, prêtre de la communauté.... peut avoir vu autrefois

M. de Cambrai lorsqu'il demeurait dans notre paroisse » (à Godet Desmarais, A. S. S.. III, 792). Bossuet parle enfin dans ses Remarques sur la Réponse à la Relation sur le quiétisme de « M. Tronson qui avait élevé M. l'abbé de Fénelon et que cet abbé avait toujours regardé comme son père » (art. III. § 2, n. 7, éd. LÂCHÂT, t. XX. p. 206).

(41 ('f les listes publiées par E. Levesque dans le Bulletin trimestriel des rm,-;o^. a;..,,es de Saint-Sulpice, 1905, pp. 2. 15, 72 sq., 1906, p. 64, 1907, p. 97. T Tryweron n'y passa aussi que trois mois (cf. infra. lettre di, 24 annt ifiPt , 1 (à) Les Registres de S.-Sulpice (p. 64, n. 1009) précisent qu'il appartenait au diocèse de Cahors. Il mourut le 2 novembre 1670 à Paris sur la paroisse S. lienoit. C'est vraisemblablement de Français-Martial que M. Gaye parle le 26 février 1609 au P. Chastenet : « M. de Cahors lui a donné la tonsure lui-même à Paris à Saint-Sulpice avec la permission et l'agrément de M. l'archevêque de Paris » (Archives de l'évéehé de Cahors, carton 21. re 1, VII, liasse 24). Nous ignorons ce qui permettait à L. Bertrand de dire que le futur archevêque entra en 1672 au Séminaire (cf. F. Sisowsszt. Revue de Fribourg. 1903, p. 349).

(6) Edition de l'Histoire de Fénelon du cardinal de Bausset, dans O. F.. t. X2,

p. 17, n. 3 — LEVESQUE, art_ rit.


pension, mais qui manquent de santé » (7); elle aurait existé de 1672 à 1690 (elle fut dissoute à cette date pour des raisons financières et remplacée par les « philosophes » de M. Brenier) : il en est fait clairement mention dans une délibération du 27 janvier 1680 (8). Elle se trouvait rue du Pot-de-Fer (actuellement rue Bonaparte) (9). Le cas de Fénelon serait analogue à celui de Godet des Marais qui serait passé des Bons-Enfants à la Petite Communauté. où il descendait encore en 1690.

Mais, précisément, l'évêque de Chartres figure, à l'encontre de Fénelon. dans la liste des anciens élèves à la date de 1670 (10)

Il est en tout cas certain que le 9 juin 1674 Fénelon n'habitait pas rue du Pot-de-Fer, mais rue Guisarde (11), et qu'il avait à cette date pour précepteur le supérieur du collège du Plessis, Charles Gobinet (12).

(7) Définition donnée par M. Tronson dans une lettre à M. de Belmont. 15 avril 1685, A. S. S., ms. XIII, p. 415. Cf. sa Correspondance publiée par

L. BERTRAND, I. II, p. 278.

(8) E. FAILLON, Vie de M. Olier, e édition, Paris, 1873, t. III, p. 100 — Assemblées du supérieur de Saint-Sulpice et de ses quatre consulteurs, 27 avril, 19 juin. 8 août, 19 septembre 1690 (textes aimablement communiqués comme le précédent par

M. I. Noye, P.S.S.). Cf. BOISARD, La compagnie de Saint-Sulpice, Trois siècles d'histoire, multigraphié, s.l.n.d., t. I, pp. 56, 72.

(9) Les Robertins qui s'établirent impasse Férou communiquaient par les jardins avec le Petit Séminaire. les Philosophes et le Grand Séminaire (Boismin, t. I, p. 67). Cf. aussi E. FAILLON, Vie de M. Olier, 4` éd., Paris, 1873, t. III, pp. 99 sq. — Bulletin trimestriel des anciens élèves, 1905, p. 2 et Félix de RocuEGUDE, Promenades dans toutes les rues de Paris par arrondissements, VI' arrondissement. Paris, 1910. PP- 93 sq.

(10) LEVESQUE, Bulletin trimestriel..., 1905. p. 73 n.

(11) C'est l'adresse que lui attribue l'obligation, contre-signée par son frère « François, sieur de La Mothe-Fénelon, de verser à Charles Gobinet, docteur de Sorbonne. 970 livres 10 sols » (9 juin 1674) (A. N., Minutier central, Et. XLIV, 1. 51). Il est toutefois curieux que la communauté des prètres de la paroisse Saint-Sulpice fùt située rue Guisarde (AULAGNE, La réforme catholique du XVII` siècle dans le diocèse de Limoges, Paris, 1906, p. 350 ). La Wallace Collection possède un portrait de Philippe de Champagne (mort en 1674) sur lequel on a longtemps mis le nom de Fénelon, bien que le personnage ait e des cheveux longs avec moustache

et mouche » (il est vrai qu' e il tient un livre, coiffé d'une calotte et porte un

simple rabat ») (J. DURIEUX. Bull. Périgord, t. LXXI, 1944, pp. 70 sq.; on en trouvera le fac-similé dans J. NIAUBOURGUET, Choses et gens du Périgord, Paris, 1942 ). Mais M. Bernard Dorival, spécialiste du peintre, veut bien nous écrire qu'il s'agit e du portrait d'un échevin de Paris, fragment d'un tableau dépecé sous la Révolution ou l'Empire s.

(12) Docteur de Sorbonne. Charles Gobinet, né à Saint-Quentin en 1614 et mort à Paris en 1690, gouverna près d'un demi-siècle le collège du Plessis a avec autant de sagesse que d'économie ». Il composa des ouvrages sur le Saint-Sacrement, la pénitence, la communion et surtout pour e l'instruction de la jeun zesse s dont la pédagogie fénelonienne peut être tributaire (cf. Ch. JOURDAIN, Histoire de l'Université de Paris, Paris, 1862, t. I, p. 164). Un autre de ses élèves, Rollin, a fait son éloge dans son Traité des études (Paris. 1740, t. I. pp. 683 sq.). Cf. Léon BOULVÉ, De l'hellénisme de Fénelon, Paris, 1897, pp. 7-8, et surtout Ernest BERLEmorrr, Ch. Gobi-net. Société académique de Saint-Quentin, e série, t. X, 1890. pp. 293-331.

Il n'est pas difficile de deviner pourquoi le marquis de Fénelon avait confié son

146 L'ABBÉ DE FÉNELON FÉNELON ET SAINT-SULPICE 147

La quittance qui nous l'apprend confère ainsi une grande autorité aux plus anciens Mémoires manuscrits pour servir à la vie de M. de Cambrai (13) « Il recommença à Paris ses études de philosophie et de théologie au Collège du Plessis sous M. Gobinet principal, homme recommandable et qui avait une amitié tendre pour l'abbé de Fénelon (14).

M. le cardinal de Noailles avait été dans le même temps à ce collège et la liaison avait été grande entre les deux jeunes abbés contemporains » (15). La même source fournit d'ailleurs l'explication de l'erreur

neveu au docteur Gobinet : celui-ci était fort lié aux ultramontains. Des rapports envoyés à Colbert signalent, parmi les docteurs opposés à l'enregistrement de l'arrêt du Parlement du 22 janvier 1663 (à propos de la thèse de Drouet de Villeneuve) « Gobinet, Chamillard et tous les professeurs de Sorbonne, les sulpiciens ». D'autres notent : e M. Gobinet, principal du collège du Plessis, réussit assez heureusement dans cet emploi, et l'on publie qu'il se laisse gouverner entièrement par M. Grandin...

M. Gobinet, intime de M. Grandin, suivant en tout ses sentiments, et le gouvernant même quelquefois, mais il a l'esprit rude, entend difficilement raison et ainsi ne pouvant être gouverné, sachant bien les affaires ». Il fut un des docteurs députés pour la rédaction des six articles de Sorbonne (8 mai 1663 ), mais le docteur Bouthillier disait tenir de lui qu'ils les avaient « composés en termes les plus équivoques qu'ils aient pu » (Ch. GÉRIN, Recherches historiques sur l'assemblée du clergé de France de 1682, 2' éd., Paris, 1870, pp. 520-527 et 31). Cf. ms. fr. 23 499,

f. 308 v° et supra, Ir° p., ch. IV, n. 41.

(13) A. S. S., ms. XV, 3.

(14 ) « En remplacement du collège de Calvi que Richelieu avait fait démolir, sa famille fit réparer le collège du Plessis. De son côté, la Sorbonne s'engagea à y faire refleurir les bonnes lettres, tant en philosophie morale qu'en philosophie, rhétorique, humanités et grammaire. Le collège devint bientôt un des plus disciplinés et florissants de l'Université » (Ch. JOURDAIN, t. I, pp. 164 sq. ). Si Fénelon y a été élève, ce qui n'est pas certain, il aurait entendu les cours de philosophie et de logique de Paul Cohade (cf. les B. M. de Saint-Quentin, ms. 139, de Noyon, ms. 5, et de Reims, ms. 899 ). Tandis que Noailles étudiait à la Sorbonne dont il devint docteur le 14 mars 1676, Fénelon peut s'être contenté des leçons particulières de Gobinet. Au dire de Languet de Gergy (qui, à vrai dire, n'est entré à Saint-Sulpice qu'en 1692) « il avait négligé les études scolastiques de Sorbonne; même il en avait conçu du mépris et il s'en expliquait assez librement » et n'essaya que trop tard « de réparer en lui ce défaut » (Mémoires sur Mme de Maintenon, éd. Théoph. LAVALLÉE, Paris, 1863, p. 350 ). En réalité sa première lettre (cf. la note 17) donne une impression tout autre : il semble que le jeune abbé aurait désiré suivre le cours normal des honneurs, mais son oncle Antoine en décida autrement, sans doute surtout par prudence : les positions bien connues du marquis de Magnac et de François II rendaient le jeune homme suspect aux gallicans et il n'aurait pu les fléchir qu'en défendant les six articles de 1663 comme le fit Antoine de Noailles dans ses thèses soutenues en 1675 sous la présidence de Bossuet (URBAIN-LEVESQUE, t. H, pp. 422-427). Les siens auraient vu là une trahison.

(15) Le nom de Louis-Antoine de Noailles, né à Saint-Flour le 27 mai 1651, ne figure pas comme celui de son cadet Gaston sur les listes de Saint-Sulpice. Phélipeaux atteste aussi qu'il devint très tôt e l'intime ami de l'abbé de Fénelon » (Relation su le quiétisme, s.l., 1732, in-8°, t. I, p. 116 ). Le fait s'explique aisément par des raisons de famille : si les deux maisons ne se prétendaient pas parentes (François III de Fénelon lui-même ne signale qu'avec circonspection des liens possibles par les PierreBuffière et les Co_nborn, A. N., M. 538, n° 12 ), elles étaient depuis longtemps en rapports en raison des nombreuses terres que les Noailles possédaient en Sarladais

courante : non seulement Fénelon eut Tronson pour directeur, mais « il fut après au séminaire et à la petite communauté de Saint-Sulpice pour prendre les ordres » : ce séjour (sans doute pendant l'hiver 16761677) (16) ayant été inférieur à six mois, il ne l'aurait pas fait considérer comme « ancien élève ».

Mais l'ordination ne rompit pas les liens du neveu du marquis de Fénelon avec la maison de M. Tronson. S'il alla aussitôt recevoir le doctorat en théologie à Cahors (17) (il aurait, selon l'abbé d'Hauteserre, demandé à cette occasion un canonicat vacant à l'évêque N. de Sevin qui « lui répondit qu'il était né pour de plus grandes choses » (18)), nous le voyons prêcher le 14 septembre 1677 au mont Valérien aux pèlerins de Saint-Sulpice (19). Bien plus, d'après le même ancien biographe, le prédicateur du Séminaire étant tombé malade le deuxième jour d'une retraite d'ordination, Fénelon « prêtre depuis fort peu de temps » aurait « sans préparation » traité à sa place « quatre ou cinq heures par jour pendant huit jours des engagements et des devoirs ecclésiastiques »... avec un tel succès qu'une « crainte de religion » amena la moitié des quatre-vingts ordinands à refuser le sacerdoce (20) !

Il est probable que, surtout pendant la période — bien plus courte qu'on ne l'a cru — qui précéda sa nomination au poste de supérieur des Nouvelles Catholiques (21), Fénelon s'exerça au ministère sous la direction de Tronson : ce fut le cas d'autres jeunes ecclésiastiques que

(cf. la lettre de l'archevêque de Cambrai à Mm° de Noailles du 30 août 1703 ) et de celles des Salignac en Limousin : dès le xvie siècle leurs divers membres entre. tenaient une active correspondance (B. N., ms. fr. 6 914 et Cabinet historique, t. XIX, 1873, pp. 132, 164, 177 ). Plus récemment, le comte Fr. de Noailles, ambassadeur à Rome, et Charles de Noailles, évêque de Saint-Flour, avaient travaillé activement à la fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement à laquelle prirent part également François de Fénelon, futur évêque de Sarlat, et son frère le baron de Magnac (AULAGNE, p. 552 — A. RÉBELLIAU, La compagnie secrète du Saint-Sacrement, Paris, 1908, p. 65).

(16) Le ms. de Saint-Sulpice, XV, 3, a été suivi par la Vie du P. de Querbeuf (p. 33 ). La date est fixée par la déposition de l'évêque d'Ypres M. de Ratabon en mars 1695 : il y assure que l'évêque nommé de Cambrai était « prêtre depuis dix-huit ans » (Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, t. IX, 1929, p. 287 ). Le sacerdoce était d'ailleurs requis pour le doctorat en théologie.

(17) Le 26 mars 1677, cf. supra, ch. I, n. 8. Ce choix se justifie assez par les rapports de M. de Sarlat avec l'Université sans qu'on ait besoin de faire appel à « l'invraisemblable indulgence des jurys » qui expliquait, d'après G. Patin, que la faiblesse de l'enseignement n'en fît pas partir tous les étudiants en médecine (Bull. Périgord, 1932, p. 46).

(18) Abbé d'Hauteserre, Mémoires de Cahors, A. S. S., n° 4 025.

(19) A. S. S., Journal de M. Bourbon, s.d. Cf. de PONTBRIAND, Manuel à l'usage des paroissiens de Saint-Sulpice pour le pélerinage du Mont-Valérien, Paris, 1790.

(20) Hauteserre, loc. cit. Il faut se souvenir qu'il existait des recueils manuscrits qui donnaient le texte des conférences de retraite en huit ou dix jours.

(21) Elle n'excéda guère deux ans (cf. infra, Chronologie du tome III).

de 1742 pour servir à l'histoire des évêques

148 L'ABBÉ DE FÉNELON FÉNELON ET SAINT-SULPLICE 149

leur naissance et leur valeur désignaient pour l'épiscopat (22). En revanche, rien ne permet de dire qu'il ait compté alors parmi les membres de la communauté des prêtres de la paroisse Saint-Sulpice qui, aux exercices collectifs, joignaient l'apprentissage des « fonctions les plus pénibles » : les affirmations de Simon de Doncourt (1773) (23) sont contredites par le journal de M. Bourbon qui note ses visites comme celles d'un étranger à la maison. Quant à la « tradition constante » que Fénelon aurait été catéchiste à la paroisse et qu'il aurait composé à cette occasion deux cantiques « Mon bien-aimé ne paraît pas encore » et « Au sang qu'un Dieu va répandre », elle n'est pas non plus attestée avant 1768 (24). D'ailleurs, la voix publique, toujours généreuse pour les grands hommes, lui attribuait aussi les Litanies du St. Enfant-Jésus que, jusqu'en 1743, on chantait à Saint-Sulpice après les Vêpres le 25 de chaque mois (25) : or, la paternité de celles-ci appartient au cardinal de Bérulle (26). Si l'influence de M. Tronson sur la formation cléricale du futur évêque de Cambrai fut primordiale, il n'est donc guère possible d'indiquer avec certitude les formes qu'elle a prises (27).

(22) On cite également, niais sans plus de précisions, Louis d'Urfé, futur évêque de Limoges, Pierre Clément, François de Lescure, Godet-Desmarais (AULAGNE, pp. 350 sq., 367 ) — Voir sur cette « sorte d'école normale supérieure », P. BROU-TIN, La réforme pastorale en France au XVII° siècle, Paris, 1956, t. II, pp. 259, 267.

(23 ) Remarques historiques sur l'église et la paroisse Saint-Sulpice, Paris, 1773, p. 207 n.

(24) E. FAILLON, Histoire des catéchismes de Saint-Sulpice, Paris, 1831, pp. 8, 46 sq., 55. Il cite les Cantiques de Saint-Sulpice, éd. de 1768 et autres, ainsi que la Préface des Opuscules sacrés et lyriques à l'usage de la jeunesse de la paroisse Saint-Sulpice, 1772. Le premier cantique aurait été composé pour les communions du mois. Cf. aussi Rull. de la commission historique du département du Nord, t. XIII, 1877, pp. 365 sq.

(25 ) Calendrier spirituel et historique à l'usage de la paroisse Saint-Sulpice pour 1777, Paris, p. 94. Cf. E. FAILLON, Histoire des catéchismes, p. 47, et Vie de M. Olier, 1873, t. II, p. 578.

(26 ) Cf. I. NOYE, art. Enfance, dans le Dictionnaire de spiritualité, t. IV, col. 667.

(27 ) C'est paradoxalement en 1674 que les documents subsistant permettraient de placer le séjour du jeune clerc parmi les prêtres de la communauté de Saint. Sulpice (cf. supra, n. 11). Pour aventureuse qu'elle soit, cette hypothèse pourrait s'appuyer sur la présence inattendue dès le 4 avril 1673 d'un abbé de Fénelon, non encore prêtre, parmi les notabilités de la paroisse : « Du mardi 4` jour d'avril 1673 de relevée dans la salle presbytérale où étaient M. le duc de Luynes, M. de Bérulle, conseiller d'Etat, M. l'abbé de Fénelon, M. Petitpied, prêtre, docteur en Sorbonne, conseiller au Châtelet, M. Callois, M. Dauvergne, M. Dernancourt, M. le marquis de L'Aigle, M. de Berthier, conseiller d'Etat, M. l'abbé Chandellier, M. Amy, Conseiller et substitut de M. le Procureur Général, M. Loyseau, conseiller, M. Chassebras, M. Husson, avocat, M. Dollet, avocat, M. Martin, écuyer, M, Langellée: M. Dacolle, prêtre, présidait... MM. Loyseau et Petit se transporteront à l'Hôtel de M. le duc de Luynes pour rectifier les règlements de la Compagnie avec M. Dollet, à l'effet de quoi le projet des règlements a été mis ès mains de mon dit sieur Loyseau » (extrait du premier registre du Conseil charitable de SaintSulpiee, 1" août '1666 - 16 avril 1673 dans SIMON de DONCOURT, Remarques historiques sur Saint-Sulpice, Paris, 1774 (?), t. III, p. 337 ).

Entre son ordination et sa nomination de précepteur, Fénelon conserva avec M. Tronson des rapports étroits qui nous sont connus par le Journal des actions de M. Tronson du sulpicien G. Bourbon (conservé pour la période du 22 avril 1677 au 25 juillet 1679), puis par la correspondance du supérieur. Voici d'abord ce que le secrétaire nous fait connaître des visites du jeune ecclésiastique à Issy :

« Le 17 juin 1677 : Procession du S. Sacrement... M. Tronson n'y a pas été. M. le comte de Brancas l'est venu voir le matin et M. l'abbé de Fénelon. »

« Le dimanche 4e juillet 1677 : L'abbé de Fénelon est venu parler à M. Tronson pendant qu'il achevait de dîner. Il est aussi venu pendant son souper où il a écrit quelque chose; il a parlé avant le dîner à un jeune homme de Cahors qui a dessein d'entrer dans l'état ecclésiastique. Ils ont résolu qu'il ferait une retraite pour consulter sa vocation. »

« Le mardi 3e (août 1677), M. Tronson est parti à pied pour aller à Paris à 5 h. et 3 quarts, nous y sommes arrivés un peu après 7 heures. Il a dit la sainte Messe après 9 heures, M. l'abbé de Fénelon ayant été assez longtemps avec lui. »

« Le mardi 14 septembre 1677, M. le curé est allé avec cinq ou six de nos Messieurs en carrosse au Mont Valérien où il a dit la Grand Messe, M. l'abbé de Fénelon y a prêché... »

« Le vendredi 1" d'octobre 1677... M. l'abbé de Fénelon a été l'après-dîner assez longtemps avec M. Tronson dans sa chambre. »

« Le vendredi 25 février 1678... M. l'abbé de Fénelon est venu le matin pour parler à M. Tronson, mais il s'est trouvé empêché » (28). Corrélativement aux nombreuses visites du marquis de Fénelon au sujet de l'affaire du séminaire de Magnac,

« Le vendredi 16 juin 1679... M. l'abbé de Fénelon est venu voir M. Tronson après-dîner » et « le vendredi 23 juin 1679, M. le marquis et l'abbé de Fénelon ont été toute l'après-dîner avec M. Tronson » (29).

Le 16 août 1678, M. Tronson écrivait à son cousin l'évêque d'Arras G. de Sève de Rochechouart au sujet d'un canonicat dont celui-ci disposait : « ... Si M. l'abbé de Fénelon ne se trouvait point engagé dans des affaires qui l'occuperont apparemment quelques années, je suis persuadé que vous en auriez été très satisfait, et qu'il vous aurait rendu de bons services. Mais il a tant de raisons pour ne les pas quitter que je ne vois nulle apparence de le presser sur cet article » (30).

Le 29 août 1679, il écrivait au même évêque : « Deux personnes me sont venues en pensée pour votre Archidiaconé. L'un est le neveu

(28 ) A. S. S., Journal de M. Bourbon, 25 v°, 30 r°, 35 r°, 36 r°, 51 r°.

(29) Ibid., n° 690, 697, ff. 82 y°, 83 (30 ) A. S. S., Correspondance de M.

n° 201, 219, 250, 296, 312, 465, fr. 23 r°, r°. Cf. supra, r° p., ch. IV, n. 73. Tronson, t. I, lettre 172, pp. 84 sq.

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de M. le marquis de Fénelon qui n'a pas grand emploi, et qui ne manque ni de zèle ni de capacité. Il est d'un caractère d'esprit fort honnête, agréable et délié, qui a talent pour la conversation et la prédication et qui, à sa santé près, qui n'est pas des meilleures, serait en état de se bien acquitter de tous les emplois qu'on pourrait lui donner... Il y a longtemps que je conduis ces deux personnes, et je puis répondre de leur piété; mais je ne sais quelles seraient leurs dispositions pour ces sortes d'emplois. Le premier se trouve dans quelques engagements qu'il ne pourrait pas peut-être quitter si aisément... Je n'ai pas cru devoir sonder ni l'un ni l'autre, que je ne susse auparavant ce que vous désirerez. Peut-être auront-ils quelque peine à quitter Paris où ils ne manquent pas d'emploi, surtout le premier qui a été choisi depuis peu pour être supérieur des nouvelles converties à la place de Mgr do Cahors » (31).

Les pièces suivantes montrent M. Tronson servant d'intermédiaire entre des carmélites et Fénelon. Nous savons que celui-ci prêcha au Premier Couvent (du faubourg St-Jacques) le Carême 1681 et le Vendredi-Saint de 1685 (d'autres disent le jour de Pâques), qu'il écrivit en septembre 1691 une lettre de condoléances pour la mort de la Mère Agnès. Mais les couvents de province le sollicitaient aussi, comme le prouve le mot du supérieur de Saint-Sulpice à Marie-Magdeleine du Saint-Sacrement, prieure du couvent Saint-Joseph des Carmélites de Bordeaux, en date du 7 octobre 1681 :

« J'ai donné votre lettre à M. l'abbé de Fénelon. Je puis vous assurer que ces sortes de commissions qui nie viendront de votre part ne me seront jamais à charge » (32).

Une autre religieuse, Marie-Thérèse de l'Incarnation, avait dû chercher à attacher de quelque façon Fénelon à son couvent. M. Tronson lui répondait en effet le 3 juillet 1682 :

« Ma R. M., J'ai parlé selon les désirs de mon coeur quand j'ai parlé à M. Loysenu et j'ai fait ce que je lui avais promis. Si Dieu ne change M. l'abbé de Fénelon, il ne faut pas s'attendre que les hommes le fassent. Il m'a paru en lui trop d'opposition à ce que je lui ai proposé, et il m'a dit trop de raisons pour pouvoir espérer de le convaincre.

Pour la pensée que vous avez eue de vous adresser à M. l'archevêque... » (33).

(31) Ibid.. t. I, lettre 266, p. 134 — Ed. lbutTnAND. t. III, pp. 75.76.

(32) A. S. S., t. I, lettre 486, p. 243. Ce n'est pas d'elle que dom Martianay a publié la Vie en 1711.

(33) A. S. S., t. I, lettre 568, p. 280.

CHAPITRE

III LES BENEFICES DE FENELON

A) Avant son ordination

Le 8 mars 1671, l'évêque de Sarlat conférait un canonicat de sa cathédrale à son neveu François de Salagnac qui prenait possession et qui obtenait le 12 juin du Conseil du Roi un arrêt défendant de le troubler dans sa jouissance (1). Son homonyme se trouvant à cette date au Canada, il s'agit, semble-t-il, du futur archevêque. Dans ce cas, il se serait hâté d'échanger sa prébende contre un bénéfice simple n'exigeant pas la résidence (2). Son premier bénéfice certain est en tout cas le prieuré du Rauzel qui permit le 5 mars 1675 aux députés du diocèse de Sarlat de l'envoyer comme « procureur général et spécial » à l'assemblée provinciale qui se tint à Bordeaux le 27 mars 1675 (3). Nous ne pouvons préciser la date de son entrée en possession, car, s'il avait appartenu au chanoine Gabriel de Labrousse, official et vicaire général de M. de Sarlat, mort à 68 ans et enterré le 22 juin 1662 (4), le prieuré de Notre-Dame du Rauzel, do l'ordre de Saint-Augustin, dans la commune de Marcillac, canton de Sarlat (5), n'avait pas pu être conféré immédiatement à Fénelon, qui n'était pas encore tonsuré.

Il reçut en revanche peu après le prieuré de Saint-Pierre de Douzens ou de Douzains, dans le canton de Castillonnès, arrondissement de Villeneuve-sur-Lot (L.-et-G.) : il le tenait sans doute du chanoine Gaurenne, auquel M. de Sarlat avait conféré ce prieuré et cette cure à la mort du sieur Dales (1661). En effet, le registre des insinuations fait en 1676 mention d'un visa accordé par le même évêque à « noble François de Salagnae le jeune, diacre, prieur de Douzains et du Rauzel ».

(I) La stalle était devenue libre la veille par la mort d'Antoine de Momie dont la résignation en cour de Rome n'avait pas Cté enregistrée. Ce fut donc en vain que celui h qui elle aurait conféré des droits, Joseph de Brons, essaya de supplanter le neveu du prélat (A. N., E. 1763, p. 180; J. VALETTE, p. 358).

(2) Un clerc tonsuré pouvait posséder sept ans un bénéfice simple sans itutro obligation que celle de lire son bréviaire.

(3) A. D. Gironde, C.585.

(4) Mairie de Sarlat, registre des morts de la paroisse Notre-Dame.

(5) BEAUNIER-BESSE, Abbayes et prieurés de l'ancienne France, Paris, 1910, t. 111. p. 319.

152 L'ABBÉ DE FÉNELON LES BÉNÉFICES DE FÉNELON 153

lorsque celui-ci fut pourvu du prieuré de Sadiliac (Sadillac, arrond. de Bergerac, canton d'Eymet) (6). C'est la seule fois que ce nom est associé à celui de Fénelon. Peut-être a-t-il échangé Sadiliac pour le prieuré de Saint-Front (paroisse de Saint-Quentin, juridiction de Castillonnès). En tout cas, il résigna le 30 juin 1693 Le Rauzel, Douzains et Saint-Front (7), le premier à l'abbé de Chantérac qui en fit prendre possession le 25 novembre 1694 par son procureur M. de La Templerie (8) et était également pourvu le 30 juin 1695 de Douzains et de Saint-Front (9). Chantérac céda à son tour les prieurés du Rauzel, de Saint-Front et de Douzains les 16, 18 et 19 mai 1709, à François-Barthélémy de Fénelon, petit-neveu de l'archevêque, né en 1691, tonsuré en 1707 : les revenus en étaient certainement modiques (10).

B) Fénelon doyen de Carennac (11)

Carennac est un bourg du Lot (arrondissement de Gourdon), où une abbaye de l'ordre de Cluny avait été fondée au XIe siècle. Mise en commende, la charge de prieur-doyen fut du XVIe au XVIIe siècle comme un bien patrimonial des Salignac (12). Ce bénéfice de trois à quatre mille livres de rentes appartenait à François II de Fénelon, évêque de Sarlat : nous voyons le futur archevêque, sans doute charmé par les agréments du site, y séjourner dès 1674. Bien qu'il eût convenu à la conférence

(6) A. D. Dordogne, 2 E. 1593, n° 3, cf. II C. 2384, n° 3082, 4 décembre 1695 (notaire Mortemousque ).

(7) Résignant Le Rauzel à Chantérac, Fénelon remettait Douzains et Saint-Front à la disposition de l'évêque de Sarlat (Notaire Bruneau, registré le 3 juillet 1693 au contrôle, f. 46, A. D. Seine-et-Oise, Versailles, notaire Gigot ). Mais celui-ci ne pouvait que conférer à Chantérac ces deux derniers bénéfices.

(8) A. D. Dordogne, II C. 2384, n° 63 et 64 (acte reçu par le notaire apostolique de Sarlat, Borie). Cf. aussi II C. 2384, n° 13 (17 novembre 1694, notaire Vaussanges de Sarlat).

(9) A. D. Dordogne, 2 E. 1593, n° 3.

(10) Lettres spirituelles, CXXVII, O. F., t. VIII, p. 542.

(11) On se reportera avant tout à la monographie d'ALBE et de A. Vinù, Le prieuré doyenné de Carennac (Bulletin de la Société scientifique de la Corrèze, t. XXX1V, 1912, pp. 469, 518, 537 et t. XXXV, 1913, pp. 93, 301; en tiré à part Brive, Roche, 1913 ). Cf. aussi LEYGE, Le récit de l'entrée de Fénelon à Carennac. Une lettre de son successeur, l'abbé de Chantérac (Bulletin de la Société des Etudes... du Lot, t. XXVII, 1902, p. 242); G. VEDRENNE, Une page de l'histoire de Carennac (s.l.n.d., 4 pp.); H. RAMET, Carennac en Quercy, Toulouse, 1928; Hubert MORAND, Fénelon à Carennac, Journal des Débats, 7 octobre 1931; Le Tricentenaire de Fénelon à Carennac, Vie Quercynoise, n° 349 et 353, 28 juillet et 25 août 1951.

(12) Cf. Bull. du Lot, t. XXIV, 1899, p. 216. Le prieuré appartint successivement à Louis de Massaut de Clercs, allié des Salignac (1598-1606), à Louis de Salignac, évêque de Sarlat (24 octobre 1615) (Bull. de la Corrèze, 1913, pp. 103-106) et ri son neveu Louis qui résigna en 1629 à François Ï.I. Les Procès-verbaux tic Passent• idée du clergé de 1675, Paris, 1678, B. N., Les 279, p. 285, montrent qu'en dépit des u contrats passés avec le Roi », la chambre ecclésiastique avait condamné le doyen de Carennac à payer la somme à laquelle ses religieux avaient été taxés; bien qu'un arrêt dg Conseil d'En Haut y eût déjà remédié, il demandait à l'Assemblée d'y « pourvoir par quelque règlement général ».

de Mercuès (1649) que c'était un abus de rendre les bénéfices héréditaires dans les familles, M. de Sarlat le résigna en 1681 à son neveu le supérieur des Nouvelles-Catholiques qui n'avait guère d'autre ressource pour s'entretenir à Paris : il s'était d'ailleurs réservé une pension qui servit en partie aux réparations de la cathédrale de Sarlat. Cette charge disparut à sa mort (1688). En raison sans doute de quelque grêle sur les récoltes, Fénelon déclarait, il est vrai, le 31 janvier 1691, « Carennac ruiné sans ressource », mais, dès le 15 janvier 1694, le doyenné fournissait de nouveau un revenu (13). Nommé archevêque, son titulaire le résignait le 10 mars 1696 à l'abbé de Chantérac (14). Voyant l'abbé de Beaumont entraîné dans la disgrâce de l'auteur des Maximes des Saints et sans bénéfice, Chantérac proposait de rétrocéder le doyenné. Bien que Fénelon ait refusé le 11 juillet 1698 cette offre généreuse (15), elle fut suivie d'effet après 1699 puisque c'est de Beaumont que FrançoisBarthélémy de Fénelon, né en 1691, reçut Carennac le 4 mai 1715 (16).

Du doyenné de Carennac dépendaient le prieuré et la place d'Argentat dans le diocèse de Tulle (17). Le 19 avril 1662, l'évêque de Cahors suggérait à son confrère de Sarlat de les échanger contre le prieuré de Rocamadour que possédait l'évêque de Tulle (18). Mais rien n'indique que ce projet ait eu une suite (19).

Le prieur de Carennac était également prieur de Sainte-Spérie de Saint-Céré. En cette qualité Fénelon donnait, dès le 15 août 1681, une procuration à Maître Pierre Sahuc. Il était en revanche tenu à l'entretien

(13) ALBE, art. cit., 1913, pp. 103-114. Un acte du 24 septembre 1684 fait mention d'une u conférence de charité pour les secours et les soins aux malades » qui tirait en partie ses ressources des aumônes du doyen (ibid., p. 114).

(14) A. N., M. C., Etude XXXII, 47.

(15) Voir dans la Correspondance les lettres portant ces dates.

(16) A. D. Lot, B. 1175. Cf. ALBE, art. cit., p. 114 et Bull. Périgord, t. LXXVIII, juillet-septembre 1951, pp. 187 sq.

(17) Sur Saint-Pierre d'Argentat, prieuré conventuel des clunistes de Carennac (1705), cf. J. E. BOMBAL, Histoire de la ville d'Argentat et de son hospice, Tulle, 1879, pp. 117 sq., 129, 139, 142 sq.; J.-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique des paroisses du diocèse de Tulle, Tulle, 1894, t. I, pp. 35-45. Des chiffres donnés par J.-E. Bombai. (pp. 129-134) il résulte que, dès 1655, l'oncle de Fénelon affermait ses droits sur Argentat pour environ 2 000 lb. Mais il y eut de longs démêlés entre les doyens de Carennac et les curés d'Argentat qui firent même saisir les revenus du prieuré. Le juge de Brive en attribua à ceux-ci le quart par provision. Finalement, Fénelon, déjà précepteur des enfants de France, nomma curé Jean-Joseph Ceyrac ou Ceyrat (1689-1717 ), qui fit assigner au siège de Brive les religieux de Carennac alors possesseurs du bénéfice. Les religieux en appelèrent au Grand Conseil. Après deux ans de procès, un accord fut conclu en 1693 grâce à l'entremise de Fénelon, de son frère, et de l'évêque de Tulle, Ancelin; le curé prenait un quart et gardait un autre quart, sa vie durant, pour l'entretien de deux vicaires et pour les réparations.

(18) Lettre du P. Dumas, secrétaire de l'évêque de Cahors au P. Chastenet, alors à Sarlat (Evéehé de Cahors, carton 21, n° 4).

(19) Les actes des 15 juin 1712 et 7 juin 1714 montrent au contraire que des liens étroits subsistaient à cette date entre Argentat et Carennac (A. D. Lot. Registre de contrôle. Notaires Faure (de Loubressae) et Chevalier (d'Argentat)).

154

de prédicateurs dans la ville pour les temps d'Avent et de (:an-que. I,a lettre écrite un 25 mai de Versailles par le précepteur des princes semble faire allusion à un accord conclu entre l’évêque de Cahors et lui à ce sujet (20).

C) Fénelon, prieur de Saint-Avit-Sénieur

Quand il eut, le 23 janvier 1688, donner un successeur à son prieur Me Etienne Delpech, décédé, le chapitre collégial des chanoines de saint Augustin de Saint-Avit-Sénieur (prieuré d'église séculière) se composait du neveu de Fénelon, Léon de Beaumont, chantre, de J. de Vassal, sacriste, de Boysson-Saint-Clar, chanoine et syndic, et de H. Martin, Delpech, P. Dubreil, chanoines. Si son choix se porta sur Fénelon, c'est peut-être qu'il sentait particulièrement le besoin de la bienveillance de son oncle l'évêque de Sarlat. Quoi qu'il en soit, l'élu, résidant alors rue du Petit-Bourbon, accepta le 7 février 1688 cette charge par acte notarié. Le 17, M. de Sarlat confirmait l'élection. Le nouveau prieur ne se dérangeait pas pour autant, mais désignait comme procureur Pierre Gaurenne, chanoine de la cathédrale, vicaire général et official de Sarlat, depuis longtemps tout dévoué à sa famille. Le 5 mars 1688, celui-ci vint donc prendre possession au nom du futur archevêque (21). Le nouveau prieur faisait poursuivre le 22 janvier 1689 des débiteurs défaillants à la sénéchaussée de Sarlat (22). Mais déjà Armand de GérardLatour, vicaire général et en 1690 syndic du chapitre de Sarlat, travaillait à y réunir celui de Saint-Avit-Sénieur : le nouvel évêque, Mgr de Beauveau. y réussit en 1695 (23). On a expliqué cette mesure par le fait que les chanoines de la collégiale « menant une vie licencieuse, avaient presque abandonné le service divin » (24).

(20) PARAMELLE, Chronique de Saint-Céré, Cahors, 1867, pp. 70, 82; ALBE, art. pp. 112 et 166; Henri BRESSAC, La châtellenie de Saint-Céré et la vicomté de Turenne, Aurillac, 8.d., pp. 116-120, 147 sq.; A. D. Lot, B. 1164; Arch. Nat., T. 193, no 48-49.

(21) A.D. Dordogne, 2 E 1593, n. 3 (texte publié dans la Revue Fénelon, n° 4, mars 1911, pp. 250 sq.); A. DUJARRIC-DESCOMBES, Bull. Périgord, t. XXXVIII, 1911, pp. 132 sq., 250 et, pour l'acte du 5 mars 1688 qui se trouve dans les archives d'Aiguevive, cf. J. MAUBOUFIGUET, ibid., t. LV, 1928, pp. 218-221, et Choses et gens du Périgord, Paris, 1941, pp. 63-64.

(22) A.D. Dordogne, 8.1725.

(23) DUJARRIC-DESCOMBES, Bull. Périgord, t. III, 1876, p. 205 et t. IX, 1882,

p. 475. On trouve dans la Continuation de Tarde (éd. J. VALETTE, Bergerac, 1957,

p. 37) le concordat du 6 septembre 1690 entre les deux chapitres : en particulier Léon de Beaumont devait sa vie durant tenir séance à Sarlat en qualité de sous-chantre. Ce qui n'empêcha pas Guillaume de Saint-Clar de faire le 10 septembre 1695 un e acte de sommation contre les sieurs de Beaumont, de La Fage (Jean de Vassal) et autres s (A. D. Dordogne, II C 2384, n° 1721, notaire Durestes de Sarlat ). Cf. aussi ms. fr. 26 460.

(24) J.-J. ESCANDE, Histoire du Périgord, t. III, p. 236.

CHAPITRE

IV A) FENELON SUPERIEUR DES NOUVELLES CATHOLIQUES

Fénelon remplaça vers juin 1679 A. de Noailles à la tête des Nouvelles Catholiques (1), établissement fondé en 1634 par la Compagnie de la Propagation de la Foi, muni en 1637 de lettres patentes et situé depuis 1672 rue Sainte-Anne (2). Cela a paru suffisant pour le rendre responsable de tout ce qui se passa dans la maison jusqu'en 1689 : si le P. de Querbeuf y voit un de ses titres de gloire (3), O. Douen lui impute les cruautés qu'on y exerça, et, comme son nom n'est jamais associé à aucune dans les documents, il lui attribue de surcroît une habileté machiavélique (4). Panégyriste et détracteur ignorent le rôle véritable des supérieurs dans les communautés séculières de ce genre : « ils ne sont pas souvent dans les maisons qu'ils gouvernent », dira Mme de Maintenon (5), et c'était particulièrement vrai, M. Tronson le reconnut le 29 août 1679, dans le cas de Fénelon (6). Les soeurs chargées des Nouvelles Catholiques disposaient en effet, pour les sacrements et pour les offices, d'un confesseur et d'un chapelain (7). En outre, leur maison étant une fondation royale, tous les ordres d'incarcération et d'élargissement sont signés par le procureur général Harlay et surtout par le lieutenant de police La Reynie (8). Fénelon ne voyait les pensionnaires que lorsque, « suffisamment instruites et disposées pour faire leur abjuration », elles lui « étaient présentées par la soeur supérieure afin qu'il les examinât. s'il le jugeait à propos avant de leur donner

(1) Noailles avait été nommé le 3 mars 1679 à l'évêché de Cahors et M. Tronson écrivait le 29 août 1679 à l'évêque d'Arras que Fénelon le remplaçait « depuis peu » (cf. supra, 2' p., ch. II, n. 31).

(2) Constitutions pour la maison des Nouvelles Catholiques de Paris, Paris, Muguet, 1675, p. 7 — JAILLOT, Recherches critiques et topographiques sur la ville de Paris, 6e quartier, Montmartre, Paris, 1772, pp. 4, 7.

(3) Cité par O. DOUEN dans L'Intolérance de Fénelon, 2e éd., Paris, 1875. pp. 54 sq.

(4) Ibid., pp. XXII sq., 61 sq., 66-79.

(5) Lettre du 10 octobre 1688 à l'abbé Gosselin, supérieur de Saint-Cyr (LANGLOIS, t. III, p. 355; cf. aussi p. 370).

(6) Cf. supra, 2° p., ch. II, n. 31.

(7) Constitutions, pp. 188-190.

(8) O. DOUEN, La Révocation à Paris, Paris, 1894, t. II, p. 249.

156 L'ABBÉ DE FÉNELON LE SUPÉRIEUR DES NOUVELLES CATHOLIQUES 157

l'absolution de l'hérésie » (9). On avait même souvent recours à d'autres prédicateurs (10). Fénelon avait essentiellement des attributions canoniques : il présidait les conseils (11) et approuvait les décisions relatives au personnel et au temporel : examen, réception, expulsion et parfois mutation des soeurs (12), élection de la supérieure (13), nomination des prédicateurs (14), confesseurs, chapelains (15), acceptation des fondations et donations, revue annuelle des comptes (16). Sans doute il avait aussi « la conduite du spirituel de la maison en général...; il devait procurer que chacune des soeurs du séminaire en son particulier ait les secours qui seraient nécessaires pour son avancement à la vertu » (17) : mais, en pratique, ce rôle devait être réduit par la discrétion requise à l'égard de la supérieure (18) et par la nécessité d'en référer périodiquement à l'archevêque de Paris, « supérieur naturel », qui pouvait intervenir directement rue Sainte-Anne (19).

Il n'est pas étonnant que les attributions fixées par les Constitutions, et elles seules, aient laissé des traces dans les documents :

Entre le 12 janvier 1680 et le 20 avril 1688, le nom de Fénelon apparaît quinze fois à côté de ceux des supérieures et de leurs officières dans les actes dressés par le notaire Charles I" Sainfray. Il s'agissait de fondations et de donations qu'il approuvait et signait. En voici les dates :

Fondation M. F. Testu, 12 janvier liasse 355, et L. 1 048, n° 24.

Fondation L. M. Lasserre, 9 et L. 1 048, n° 23.

Fondation Agnès Dupuy, 16 et L. 1 048, n° 25.

(9) Constitutions, p. 183 et infra, n. 23. Si Bossuet et Fénelon s'employèrent personnellement à convertir M"e de Péray (cf. infra, lettre du 21 août 1688), c'est qu'elle était la nièce des Dangeau. La correspondance de Fénelon contient aussi les noms de deux autres converties, Mme de Théobon dettre de la fin décembre 1687? ) et de Mme du Noyer dettre de février 1695 ). Cf. sur elles, DOUEN, Révocation, t. II, p. 257.

(10) Constitutions, p. 26. Cependant Fénelon donna lui-même le Carême 1685,

l'Avent de 1686, le Carême et l'Avent de 1688 (cf. infra, t. III, Chronologie).

(11) Constitutions, pp. 183, 204.

(12) Ibid., pp. 74 sqq., 80-91, 195. Cf. infra, n. 21.

(13) Ibid., p. 141.

(14 ) C'était pourtant l'archevêque qui désignait

faisait, chaque vendredi, une conférence à la grille (ibid., p. 25 ).

(15) Ibid., pp. 95 sq., 188-190.

(16) Ibid., pp. 93 sqq., 216. Cf. infra, note 22.

(17) Ibid., p. 181, cf. pp. 112-117 et 150.

(18) Cf. infra, notes 24 à 28. Il est curieux que rien n'indique si les visites triennales prescrites par les Constitutions (pp. 184-188) ont effectivement eu

(19) Ibid., pp. 113 sq., cf. p. 85.

Constitution de rentes Lemaze et rachat de rentes Vve G. Le Mayet, 16 avril 1680, M. C., Et. XX, liasse 355, et H5, 4 206.

Fondation Fr. Darbon de Bellon, 21 octobre 1680, M. C., Et. XX, liasse 356.

Constitution de rentes Ch. Chamois, 21 octobre 1680, M. C., Et. XX, liasse 356, et H5 4 206.

Rachat de rentes Th. du Rieux, 21 octobre 1680, 115 4 206 (cf. aussi l'acte du 4 août 1681, M. C., Et. XX, liasse 358, passé sans le concours de Fénelon).

Marché du couvreur P. Lucas, 31 janvier 1682, M. C., Et. XX, liasse 359.

Constitution de rentes Jacques Le Conte, prêtre, demeurant ordinairement à Montargis, 10 février 1683, M. C., Et. XX, liasse 362. L'acte précise que la somme reçue sera employée au rachat de 300 lb. de rentes que les Nouvelles Catholiques ont constituées à dame Jeanne Bouvier, veuve de Jacques Guyon, par contrat passé par Malingre et Sainfray le 6 juillet 1681; cet acte, dans lequel le nom de Fénelon ne figure pas, est conservé dans l'étude XX, liasse 358 : il y est indiqué que 6 000 lb. avaient été remboursées le 10 février 1682 à Denis Huguet, devenu le 3 février 1682 tuteur des enfants de Mme Guyon et procureur de la belle-mère de celle-ci, Anne Detroies.

Création de pension M. Chanut, 19 février 1683, M. C., Et. XX, liasse 362.

Convention M. Chanut, 26 juillet 1683, M. C., Et. XX, liasse 363. Les officières « promettent faire agréer ces présentes » par Fénelon « et en fournir acte audit s' abbé d'Issoire aussitôt le retour dudit sieur de Fénelon à Paris ».

Contrat de fondation de plusieurs saluts par Dame Philippa Theresa, femme de chambre de la feu Reine, femme séparée de Jacques de Visé, 19 août 1684, A. N., L. 1 048, n° 26. Fénelon assiste les « principales soeurs ».

Bail Anne 011ier, 9 juin 1685, M. C., Et. XX, liasse 366. Les officières « promettent de faire agréer l'acte présent par » Fénelon.

Donation Marie M. Garnier, 28 mai 1686, M. C., Et. XX, liasse 368. Il n'est pas fait mention de Fénelon, mais on lit sur la même pièce que « la communauté assemblée le 4 avril 1688, de l'ordre et en la présence de M. l'abbé de Fénelon » a décidé d'appliquer cette donation à la fondation de deux places de soeurs.

Fondation de Créqui, 26 mars 1688, M. C., Et. XX, liasse 372. Les soeurs déclarent en avoir donné communication à Fénelon. Celui-ci comparaît le 20 avril 1688, ratifie et signe l'acte.

Fondation S. Blanchet, 4 avril 1688, M. C., Et. XX, liasse 372 et A. N., L. 1 048, n° 28. L'acte spécifie que « la proposition a été examinée en présence de M. de Fénelon le 9 février dernier » et porte sa signature.

158 L'ABBÉ DE FÉNELON LE SUPÉRIEUR DES NOUVELLES CATHOLIQUES 159

Fondation d'une messe quotidienne pour feu Madame Colbert, 6 avril 1688, A. N., L. 1 048, n° 29. L'acte fait état de l'approbation de Fénelon.

On remarquera la disparition du nom de Fénelon (trop occupé par ses missions et d'ailleurs en mauvais termes avec l'archevêque) entre juin 1685 et février 1688. Le 28 août 1689, il céda la supériorité à Louis Milon, son collaborateur en Saintonge, futur évêque de Condom (A. N., L. 1 048, n° 31).

Ces actes nous renseignent sur les religieuses avec lesquelles Fénelon a été en rapport à leur occasion des charges étaient triennales en vertu de l'article XVII des Constitutions) : Marie-Madeleine Garnier, ancienne fille de la Providence. Elle signe presque tous les actes comme supérieure (20). Cependant, les 16 avril, 21 octobre 1680 et 19 février 1683, c'est Marie Foucault qui porte ce titre. Marie de Tonnant signe en 1680 comme assistante, puis son nom disparaît. Charlotte-Madeleine de Bézu d'Hardencourt fut d'abord (1679-1683) dépositaire, puis sans doute assistante (1685). Marie-Angélique Tardif la remplaça comme dépositaire et signa jusqu'en mai 1686. Les autres officières mentionnées dans les actes en même temps que leur supérieur sont Marie-Thérèse Montallier (jusqu'à février 1683), Louise de Croy, Marie Ancelin ou Anselin, Claude Lemaire (mars-avril 1680), Marie Chéron. Un second groupe ne commence à y figurer qu'à partir de juillet 1683 : Anne-Marie des Fontaines, Anne Chappelot ou Chapelet, SuzanneElisabeth Renard de Saint-André, Marie Chevalier (Marie Bargedé est présente le 26 juillet 1683, Marie-Elisabeth du Bourg le 9 juin 1685, Suzanne de Salbert les 9 juin 1685 et 28 mai 1686). Au printemps de 1688, nous rencontrons enfin les noms de Marie-Anne Chanut de Marcon ou Macon et de Marie-Françoise Héat.

En mars 1680 Fénelon permit à la soeur Tardif, associée de ladite maison, de travailler pendant trois ans au service des pauvres malades de l'Hôtel-Dieu à Chars (S. et O.) à l'instruction des enfants du lieu (21). De fait, nous avons vu qu'elle revint aux Nouvelles Catholiques.

Le personnel, composé d'un confesseur, d'un chapelain, de quinze soeurs et de six domestiques, devint insuffisant par suite de l'afflux des protestantes : il fallut le compléter par des Filles de la Charité, que Fénelon se chargea d'obtenir du supérieur de la Mission, M. Jolly, et de Seignelay. Au début de 1687, il exposait aussi au ministre la détresse de la maison : celui-ci promit de l'argent, mais ajouta que le Roi « entendait que les protestantes payassent leur pension » (22).

(20) P. COSTE, Correspondance... de saint Vincent de Paul, Paris, 1920, t. I,

p. 351 — O. DOUEN, Révocation, t. II, pp. 244 sqq. et Intolérance de Fénelon, 2° éd., Paris, 1875, p. 75 n. D'après Douen (Révocation, t. II, p. 238 ), Marie Foucault fut élue supérieure en 1680, M.M. Garnier en 1675 et en 1685 et M. Ancelin en 1698.

(21) A. N., II. 4206, cf. O. DOUEN, Révocation, t. II, p. 249 et Intolérance, pp. 75 sqq. A. M. des Fontaines écrira le 20 juillet 1700 à Fénelon une lettre touchante (A.S.S., n° 720). Il est question d'elle dans les Lettres historiques et galantes de llfrn° Du Noyer (Londres, 1757, t. VIII, 1" p., p. 317 ). Elle affirme aussi que Louise de Croji (cf. sur elle, infra, n. 27) était en 1688 maîtresse des novices : nous la voyons pourtant signer les 18 janvier 1687 et 15 mars 1689 des actes comme dépositaire (A. N., G8 252).

Nous sommes mal renseignés sur les résultats obtenus par le prosélytisme de Fénelon. Toutefois, en annonçant la conversion de Mme de Langerie, le Mercure Galant de mars 1686 (23) signale que le chef de sa maison, M. de Boismoreau, avait « reconnu son erreur depuis quelques mois, ainsi que sa femme et ses filles qui, ayant été mises par ordre du Roi aux Nouvelles Catholiques, y ont fait abjuration entre les mains de M. l'abbé de La Motte-Fénelon, en présence de M. le Premier Président ».

Un des épisodes les plus notables des années 1679-1689 est le passage de Mme Guyon rue Sainte-Anne. Que le fait soit ou non lié aux relations de la Mère Garnier avec le P. Crasset (24), c'est là qu'elle vint se cacher pour échapper à ses proches. Elle était prête à signer le « contrat d'engagement » que le notaire avait déjà dressé, quand la Mère Garnier elle-même déclara « qu'il n'en fallait pas » : la fugitive aurait cependant donné à la maison les 9 000 livres qu'elle avait emportées; son affirmation qu' « on fit un contrat de 6 000 livres pour un remboursement dont » les soeurs « avaient besoin » est, en tout cas, rigoureusement exacte, comme le montre l'acte du 6 juillet 1681. A son départ, elle fut accompagnée par la Mère Garnier jusqu'à Melun, où elle prit « la diligence... avec les autres soeurs qu'elle ne connaissait pas » et avec qui elle entra à la communauté de Gex. Mme Guyon attribue « toutes les persécutions qu'elle eut à y subir » au fait que le P. La Combe et elle avaient mis une religieuse en garde contre l'ecclésiastique qui « avait autorité dans la maison et y confessait ». Celui-ci se vengea en effet en indisposant contre elle « la soeur économe, d'esprit faible », la supérieure et jusqu'à M. de Genève (d'Arenthon d'Alex) : n'avait-il pas déjà reçu le surnom de « petit évêque »? Mme Guyon reconnaît d'ailleurs que leur malveillance n'alla guère d'abord qu'à l'obliger « à s'engager » en « donnant tout son bien » ou « à se retirer », ce qui

(22) En 1686 les effectifs semblent avoir été de quarante-cinq à quatre-vingts personnes et le Roi fournissait 18 000 livres sur un budget de 25 357. Cf. DOUEN, Révocation, t. H, pp. 249-252. — Intolérance, pp. 78, 89. Cf. infra, la lettre du 31 octobre 1686.

(23) Pp. 222 sq. On connaît aussi la conversion de Mme de Sainte-Hermine (DOUEN, Intolérance, pp. 81, 223, 232 ). Il est plus important que d'autres pensionnaires des Villarnoul, les Catillon etc.) soient devenues de bonnes religieuses et que l'une d'elles ait même été supérieure de la maison au milieu du xviiiesiècle (Intolérance, pp. 81 sq.). Cf. aussi infra, n. 28. On trouvera dans le ms. fr. 7053, ff. 166-169, une liste de détenues. Sur les soeurs Amonet, cf. J. de SAINT-GERMAIN, La Reynie et la police au grand siècle, p. 329.

(24) Cf. Cl. FLEURY, Œuvres, Paris, 1837, p. 616. Notons sans insister que les Constitutions (approuvées le 3 janvier 1675) recommandent le Chrétien intérieur de Bernières en même temps que l'Imitation, le Combat spirituel, Rodriguez, Grenade, S. François de Sales, d'Avila etc. comme étant « des livres où l'on trouvera les vérités chrétiennes expliquées avec une pureté et une simplicité évangélique » (ms. fr. 11 766, f. 40 r°-v°; cf. infra, la lettre de Fénelon du 3 mars 1692).

160 L'ABBÉ DE FÉNELON 161

n'étonne guère, puisque prélat et religieuses avaient dès l'origine compté sur sa fortune pour établir la maison. La Mère Garnier elle-même fait l'objet de jugements contradictoires dans l'autobiographie de son ancienne bienfaitrice : celle-ci affirme d'abord ne pas savoir si l'attitude hostile prise par la supérieure lors de la rupture du P. de La Motte avec elle « fut une feinte ou un changement véritable », mais elle finit par stigmatiser la supérieure parisienne « qui » lui fut « si contraire lorsqu'on voulut » « engager de force ». Même après qu'elle se fut retirée aux Ursulines de Thonon, les Nouvelles Catholiques la « blâmaient et condamnaient pour se disculper de leur violence » (25).

Ces indications sont plutôt précisées que contredites par les adversaires de Mme Guyon. En 1698, Bossuet invitera Fénelon à se souvenir des efforts de M. de Genève « pour faire rappeler les filles des Nouvelles Catholiques dont il était alors supérieur » et de « ce qui se passa à ce sujet environ en l'an 1688 » (26). Phélipeaux fournit beaucoup plus de détails : « Mme Guyon et le P. Lacombe... firent toutes les tentatives possibles pour engager dans leur parti les soeurs qui étaient venues de Paris. Ils en gagnèrent d'abord deux; mais le sieur Garin, doyen et curé de Gex, supérieur de la maison des Nouvelles Catholiques... en qui « M. de Genève avait toute confiance, empêcha le progrès de l'erreur, et remit ces deux soeurs dans la voie de la vérité, à quoi la soeur de Croy ne contribua pas peu par son zèle et son attachement à la saine doctrine » (27). C'est à ces accusations que Fénelon fera allusion lorsqu'il avouera avoir été d'abord « prévenu contre Mme Guyon sur ce qu'il avait ouï dire de ses voyages » (28), et nul ne l'a contredit. Il était donc déjà depuis près de dix ans supérieur de la communauté quand il fit la connaissance de la mystique.

(25) Vie par elle-même, IIe p., ch. 1 à 7, Cologne, 1720, t. II, pp. 1-7, 22, 45 sq., 52 sq., 56, 58, 60, 64, cf. infra, la lettre du 22 juillet 1689, n. 4.

(26) Remarques sur la réponse à la relation sur le quiétisme, art. II, § 8, n. 32, éd. LACHAT, t. XX, p. 202.

(27) Relation, t. I, p. 6.

(28) Réponse à la relation sur le quiétisme, O. F., t. III, p. 7 d.

Il y eut postérieurement des infiltrations jansénistes aux Nouvelles Catholiques si, comme c'est probable, on peut en croire les propos tenus par le P. de Vitry au président Dugas. Celui-ci écrit le 10 janvier 1719 à M. de Saint-Fonds : « Le Père m'a raconté que, revenant de Cambrai, il était allé voir une religieuse aux Nouvelles Converties de Paris, qui avait été de la connaissance de M. de Cambrai, et qui avait beaucoup d'estime pour lui; mais elle avait pris depuis ce temps-là quelque teinture de jansénisme. On parla fort de M. de Cambrai et de ses ouvrages. Le P. demanda à la religieuse si elle avait vu l'Instruction pastorale en forme de dialogue ? Non, dit-elle, mais elle ne vaut rien, on dit que cet ouvrage n'est pas de lui, mais d'un jésuite qu'il avait avec lui à Cambrai. C'était justement du P. de Vitry qu'elle voulait parler sans le savoir, et à qui elle faisait l'honneur de donner cet ouvrage. Il ne fit point connaître que ce discours le regardât, mais il en releva l'impertinence » (Archives S. J. de Lyon-Fourvière; le début de cette lettre a été publié par POIDEBArD, t. I, p. 91).

B) FENELON SUPERIEUR DE LA MADELEINE DU TRESNEL

La communauté des Bénédictines du prieuré de Sainte-Marie Madeleine du Tresnel (fondée au XIIe siècle au Trainel en Champagne, elle se transporta en 1654 rue de Charonne au faubourg Saint-Antoine) (1) n'était pas sans analogie avec celle des Nouvelles Catholiques puisqu'on y enfermait aussi des protestantes (2). Cependant le rôle du supérieur y restait beaucoup plus limité, puisqu'il n'intervenait pas dans le domaine du temporel et que, pour les professions, il ne donnait d'attestations que concurremment avec des évêques et d'autres prêtres distingués. Fénelon, qui n'en devint supérieur qu'après le 18 février 1678, date à laquelle G. du Plessis de La Brunetière faisait une seconde visite en cette qualité (3), n'a signé que trois fois dans le registre des professions (pour Angélique Gilbert, Marguerite de Veny d'Arbouze et G. de Vigan, les 7 avril, 2 juin 1682 et 5 février 1687 (4) : or, pendant cette seule période, on s'adressa à d'autres ecclésiastiques pour neuf autres professions. Fénelon ne procéda à aucune visite, tandis que son successeur Emery Dreux, chanoine et sous-chantre de Notre-Dame, attachait son nom à celle du 17 juillet 1693 (5).

Les actes sont signés pendant cette période par Charlotte de Veny d'Arbouze de la Sainte-Mère de Dieu, prieure, puis, à partir de 1692, par Anne de Lattaignant du Saint-Sacrement, sous-prieure et secrétaire du chapitre. Divers actes nous font connaître la composition de celui-ci à diverses dates (6).

(1) BOISI ISLE, t. XXXII, p. 114, n. 2.

(2) 0. DOUEN, La Révocation de l'Edit de Nantes à Paris, Paris, 1894, t. II, pp. 247, 270.

(3) Bibl. Mazarine, ms. 3327, p. 28.

(4) N° 89, 91 et 117, ibid., pp. 39 et 54.

(5) N° 153, ibid., p. 74.

(6) Une constitution du 5 mars 1682 (M. C., Et. Lange, LXXXIX, liasse 55) indique les noms de toutes les religieuses professes : Charlotte de Veny d'Arbouze de la Sainte Mère de Dieu, prieure, Anne de Lattaignant du Saint Sacrement, sous-prieure, Madeleine de Brons de Saint Benoît, Louise Mulot de la Sainte Trinité, Marie Lambert de la Présentation, Marie Nioche de Saint Joseph, Madeleine du Pont des Anges, dépositaire, M. Anne de Vignoulle de l'Assomption, Marie-Chrétienne Cellié de Saint Augustin, Claude de Mante de Saint Bernard, Charlotte de Mante de Saint Maur, Charlotte Le Roux de Sainte Madeleine, Marie du Bois de Sainte Agnès, Gilberte de Veny d'Arbouze de l'Enfant-Jésus, Françoise Gilbert de Saint Placide, Madeleine Fausset de Sainte Gertrude, Marie-Anne du Bois de la Sainte Mère de Dieu, Marie Lalemant du Saint Esprit.

Le compromis du 25 juin 1682 (liasse 58) est en outre signé par : Elisabeth Robert de Saint Nicolas, Angélique Gilbert de Sainte Scolastique, Marguerite de Veny d'Arbouze de Sainte Madeleine, Catherine Lallemant de l'Annonciation, et la donation du 25 juin 1683 (liasse 64) par : Anne Marin de Sainte Marie de Jésus.

162 L'ABBÉ DE FÉNELON

On relève ensuite dans le registre des professions les voeux de : Elisabeth Lecoq de Goupillière de la Sainte Vierge le 9 juillet 1684, Marie-Anne Pecquot de Sainte Thérèse le 7 juillet 1685, Elisabeth Le Bossu de La Houssaye des Séraphins le 4 juin 1686, Marguerite Gilberte de Sainte Flavie le 14 juin 1686, Gilberte Françoise de Veny d'Arbouze de Villemont de Sainte Cécile de Saint Benoît le 18 juillet 1686, Jeanne Gondouin de Sainte Marthe le 30 janvier 1687.

CHAPITRE

V LE « JANSENISME » DE L'ABBE DE FENELON

L'acharnement que M. de Cambrai manifesta contre le jansénisme à partir de 1699 ne favorise guère la conjecture qu'il ait dans sa jeunesse manifesté à cet égard des sentiments tout différents. On ne peut d'ailleurs faire grand fonds sur la chronologie fantaisiste de Saint-Simon : « Il avait frappé longtemps à toutes les portes sans se les pouvoir faire ouvrir. Piqué contre les jésuites, où il s'était adressé d'abord..., il se tourna aux jansénistes » (1). L'affirmation repose sur un seul fait indiqué avec plus de précision dans les Additions à Dangeau : la participation du jeune abbé à « un dîner réglé au moins une fois toutes les semaines chez la duchesse de Brancas dans le bout de la rue Cassette avec plusieurs de ces Messieurs (jansénistes) en grand particulier ». Le renseignement est sans doute de première main (2) et il est au moins certain que le jeune abbé avait les mêmes directeurs que le duc de Brancas, beau-père de la duchesse : mais c'étaient M. Tronson et l'oratorien de Monchy (3) ! On se demande donc si le jansénisme en question se distingue de la sévérité qui caractérisait vers 1680 de larges cercles dévots (4) et à laquelle M. de Cambrai resta fidèle jusqu'à

(1) Ed. BOISLISLE, t. II, pp. 338 sq., cf. t. XXX, pp. 205 sqq.

(2) Addition 126, 28 août 1690 dans DANGEAU, t. III, p. 205. On notera la précision apportée par les Ecrits inédits (t. IV, p. 449) : « chez la duchesse de Brancas qui me l'a souvent raconté ». Cf. aussi les Mémoires, éd. BOISLISLE, t. VI, p. 74, t. XXVIII, p. 194.

(3) Cf. A. S. S., Journal de M. Bourbon, passim et supra, re p., ch. IV, n. 91.

(4) Cf. H. HILLENAAR, Fénelon et les jésuites, La Haye, 1967, p. 26. Nous avons cité dans Louis XIV contre Innocent XI, Paris, 1949, p. 38 n., le mot pénétrant de Richard Simon : « Tout le monde condamne maintenant la méchante morale des jésuites », y compris MM. de Saint-Sulpice (1692 ). Godet-Desmarais lui-même sera qualifié par Saint-Simon de « grand ennemi des jansénistes, presque autant des jésuites et de la morale relâchée » (Addition à Dangeau, 6 février 1690, t. III, p. 64 ). Le cas le plus net est encore celui de Guy de Sève de Rochechouart, évêque d'Arras et cousin germain de M. Tronson. Il fut exilé de la Cour comme janséniste, mais le curé de Versailles Hébert affirme qu' « élevé par M. Tronson et le P. Amelote, tous deux ennemis déclarés du jansénisme, il a à cet égard les mêmes principes que ces véritables prêtres... et j'en ai mille preuves par devers moi » (Mémoires, éd. G. GIRARD, Paris, 1927, p. 157 ). Il est à noter que M. Tronson lui offrit Fénelon pour vicaire général (cf. supra, ch. II, n. 31) et qu'après 1699 M. d'Arras resta fidèle à son métropolitain condamné. Cf. sur le rigorisme dont fit preuve le jeune Fénelon à l'égard des ordinands, supra, ch. II, n. 20.

164 L'ABBÉ DE FÉNELON

sa mort (5). Plus significatifs seraient les liens, attestés par la correspondance, avec Mme de Vibraye, Mme d'Alègre (6) et même avec le duc de Chevreuse à qui l'archevêque rappellera le 24 mars 1701 : « Votre goût, votre habitude et votre confiance ont tourné longtemps de ce côté-là » (7).

Beaucoup plus précieux est l'aveu tardif de Fénelon lui-même : « Il est vrai que j'ai vu des personnes très opposées au jansénisme qu'on avait soupçonnées trop légèrement. Pendant ma jeunesse, j'étais tenté de croire, sur ces exemples, qu'il y avait peu de jansénistes. Je n'étais pas alors moins opposé que je le suis à ces nouveautés; mais je ne les croyais pas aussi répandues que je les vois maintenant » (8). La paix de l'Eglise ayant interrompu pendant un quart de siècle les controverses sur la grâce, il est d'ailleurs peu probable qu'il ait alors beaucoup

(5) Cf. infra, n. 18 s. f. La lettre du 8 août 1692 à l'archevêque de Rouen ne montre guère de sympathie pour les casuistes. Télémaque leur donnera une leçon en refusant, malgré les instances de Narbal, de mentir pour sauver sa vie menacée par le Tyrien Pygmalion. Devenu archevêque, Fénelon méritera par sa sévérité à l'examen des ordinands les éloges du P. Quesnel lui-même (cf. notre article des Mélanges d'archéologie et d'histoire, 1940, p. 249 ). Et quand ses suffragants lui dénonceront des propositions de morale relâchée défendues par les jésuites (en particulier, lors des affaires du P. Taverne en 1703 et du professeur de Tournai en 1710) Fénelon invitera seulement la Compagnie à en prévenir la condamnation par une censure volontaire (cf. sa lettre du 17 mai 1703 à Beaumont, O. F., t. VII, p. 424 et H. HILLENAAR, pp. 50, 305 sq.).

Dans une longue lettre de 1710 au P. Tellier, il souhaite e que cet ordre demeure... dans la fermeté contre le relâchement des moeurs... qu'il ne se laisse tomber dans aucune indiscrétion... et ne souffre aucune mollesse dans les maximes de direction » (Catalogue d'autographes V. Degrange n° 52, 1950, n° 555 ). Cf. infra, n. 31.

(6) Cf. infra, lettres du 16 juin 1681, n. 22, et du 24 août 1684, n. 9.

(7 ) T. VII, p. 227. Le propos n'est nullement contredit par Saint-Simon selon lequel « Chevreuse se déprit pourtant assez tard de la doctrine de Port-Royal jusqu'à un certain point; car il savait ajuster des mixtions étranges, sans en quitter l'estime, le goût, l'éloignement secret mais ferme des jésuites, surtout les moeurs, la droiture, l'amour du vrai, les vertus, la piété » (Boislisle, t. XXIII, p. 191, cf. aussi t. XXI, p. 165 ). La rupture n'eut lieu qu'en 1693 lorsque l'abbé Boileau se déclara contre Mme Guyon. Celle-ci écrivait au duc le 30 septembre 1693 : « Ceux du parti de Port-Royal se remuent fort contre vous, en parlent même en mauvais termes, disent que vous avez quitté le parti, que vous ne ressemblez pas à M. votre père qui était un esprit ferme » (A. S. S., pièce 7 204). Un peu plus tard, G. Vuillart écrivait de Chevreuse lors de l'affaire des Maximes des Saints : e Son 'éducation avait été si solide qu'on en aurait attendu tout autre chose et des fruits d'un bien meilleur goût. Que cette bizarrerie aurait affligé M. Lancelot s'il avait vécu jusqu'ici... car il avait toujours des entrailles bien tendres pour son élève » dettres, éd. R. CLARK, Genève-Lille, 1951, p. 116). On ne doit d'ailleurs pas oublier que Fénelon connut le duc de Luynes avant son fils (cf. supra, II` p., ch. II, n. 27).

(8) A. S. S., n° 567. Devenu évêque d'Agen, Hébert soutient l'avis opposé dans 88 Lettre à Pontchartrain, pp. 67 sqq. Cf. DITRENGUES, Revue de l'Agenais, t. L (1923), p. 395 et 409.

165

réfléchi à leur sujet. On ne peut y rapporter qu'une phrase de la lettre à l'abbé de Langeron du 24 août 1684 où le supérieur des Nouvelles Catholiques soutient fortement que, même dans ses derniers ouvrages, saint Augustin, héritier de la pensée de saint Cyprien, n'avait rien d'un novateur (9). Sa doctrine sur ce point était certainement celle de Bossuet qu'il révérait comme un maître (10).

On ne pouvait s'étonner qu'entre Bossuet, ancien secrétaire de la Compagnie du Saint-Sacrement, et l'archevêque de Harlay qui en avait été le persécuteur, le neveu du marquis de Fénelon ait choisi le premier, mais il n'accorda même pas au membre du Conseil de conscience les égards que dictait la prudence : « Monsieur, vous voulez être oublié et vous le serez », aurait été la réaction de M. de Paris (11). Même s'il n'a pas prononcé le mot, celui-ci y conforma sa conduite puisque, selon le petit-neveu de l'intéressé et A. M. Ramsay, « cet abbé ayant été destiné à l'évêché de Poitiers, M. de Paris eut le crédit de le faire rayer de dessus la feuille où il était déjà en le représentant au Roi comme prévenu en faveur du jansénisme » (12). Il se trouve que ce siège fut attribué deux fois en quelques mois : le 10 novembre 1685 à l'abbé de Quinçay qui s'en démit le 30 mars suivant, de sorte qu'il ne fut conféré définitivement à Fr. J. de Baglion de Saillant que le 21 avril 1686. Si, comme nous le croyons, l'échec de Fénelon se place à cette dernière date (13), nous connaissons l'argument dont Harlay se servit contre lui : son jansénisme s'était manifesté dans le domaine alors

(9) Cf. infra, t. 1H.

(10) Cf. l'article de Ch. URBAIN, Du jansénisme de Bossuet (Revue du clergé français, r' août 1899) et la bibliographie que nous avons donnée dans Louis XIV contre Innocent XI, pp. 38 sq., n.

(11) Mémoire pour servir à la vie de M. de Cambray Fénelon, A. S. S., XV, 3, ff. 1 y° sq. — Repris par le marquis dans la Vie publiée avec l'Examen de conscience pour un Roi, Londres, 1747, pp. 90 sq. Phélipeaux précise : e Je me souviens qu'il blâmait alors tout publiquement la conduite de l'archevêque de Paris, exagérant sa vie mondaine et dissipée, ses caresses trompeuses, sa passion de dominer et le peu de soin qu'il avait pour la discipline de son diocèse : il rapportait souvent par raillerie le mot de M. Gaudin, chanoine de Notre-Dame : Que fait Monseigneur? II dispense » (Relation..., t. I, p. 35). La lettre anonyme à Louis XIV (cf. infra, décembre 1693, n. 72) est encore plus dure.

(12) Mémoire pour servir..., f. 2 r° — A. M. RAMSAY, Vie de... Fénelon, La Haye, 1723, p. 11 — Mémoires du curé de Versailles Hébert, pp. 226 aqq.

(13) Outre EUBEL, cf. DANGEAU, t. I, p. 249 et les Nouvelles ecclésiastiques du 30 mars 1686 : e L'abbé de Quincé... a rendu son évêché au Roi, s'en disant indigne par un exemple fort rare » (ms. fr. 23 498, f. 92 r° ). Nous n'attribuons pas une valeur décisive au fait que le Mémoire pour servir... présente les missions de l'Ouest comme une revanche du refus de l'épiscopat : « Cependant des amis de M. le marquis de Fénelon ayant contribué à dissiper la prévention qu'on avait donnée au Roi, il fut choisi pour aller à la tête d'une mission dans les diocèses de Saintes et de La Rochelle s (f. 2 r° v°) : il paraît en effet ignorer la dénonciation de janvier 1686. Cf. infra, lettre de novembre 1687, n. 21.

166 L'ABBÉ DE FÉNELON LE « JANSÉNISME » DE FÉNELON 167

capital de la controverse; le missionnaire de Saintonge s'étant inspiré dans sa prédication des principes de l'Exposition de Bossuet, il avait été accusé par quatre jésuites, les a têtes de fer » de Marennes, de faire le jeu de l'hérésie sur le culte des saints et des images. Si le P. de La Chaise se contenta de bons conseils (14) -- Fénelon l'avait sans doute rassuré en prenant en novembre 1685 pour confesseur son confrère le P. Le Valois (15) —, il n'en alla pas de même de l'archevêque auquel cette dénonciation permit d'empêcher la promotion du suspect. L'abbé était cependant trop en faveur auprès de Seignelay et du duc de Beauvillier pour que sa disgrâce fût complète et, retourné à La Rochelle, il y plut tellement à l'évêque Henri de Laval-Boisdauphin que celui-ci vint à Paris et le demanda pour coadjuteur (16). Le 7 décembre 1687 les Nouvelles ecclésiastiques annonçaient un nouvel échec (17). Le moment ne pouvait en effet être plus mal choisi. Rendant compte en

(14) Cf. infra, les lettres du début de 1686.

(15) Les paroles dont Bossuet se servit pour dissuader Fénelon de s'adresser aux jésuites, « chose indigne d'un homme de son mérite; que c'était aux jésuites à se mettre à see pieds et non à lui; que c'était à eux à le consulter et à prendre conseil de lui, qu'on ne manquerait pas d'attribuer sa conduite à l'envie d'assurer sa fortune, au lieu qu'il n'avait aucun besoin d'eux pour cela », (Mémoire de Ledieu de 1699 dans la Revue Bossuet, 25 juillet 1909, p. 28, cf. aussi 25 juillet 1903, p. 162; cp. PHÉLIPEAUZ, Préface, p. biij : a Quoiqu'avant d'être précepteur il n'estimât guère les jésuites, il se lia par intérêt avec eux et se mit même sous la direction du P. Valois ») marquent seulement qu'il considérait comme acquise la promotion de son ami. Le P. Le Valois dit avoir été trois ou quatre ans confesseur de l'abbé, ce qui ne précise rien non plus. Il succéda sans doute auprès de lui au P. de Monchy, oratorien rigoriste qui mourut le 8 novembre 1686 (cf. sur lui supra, I" p., ch. IV, n. 91), mais rien ne dit que sa santé lui ait permis de se charger jusqu'au bout de la direction de l'abbé.

(16) A vrai dire, ce n'était pas par hasard que Seignelay avait envoyé Fénelon dans cette ville, car 1° les Nouvelles ecclésiastiques annonçaient dès le 15 mai 1683 :

« M. de La Rochelle sollicite un coadjuteur. Il demande M. l'abbé de Saint-Luc ou M. l'abbé des Marets de Saint-Sulpice moyennant cession d'une abbaye qu'il a » (ma. fr., 23 510, f. 71 y° ). 2° La cousine germaine de Fénelon avait épousé un Laval. Quoique lointaine, l'alliance était, dans les idées du temps, d'un grand poids. A Cambrai, Fénelon lui-même souhaitera pour coadjuteur un Laval d'une troisième branche, « parce que », dit Saint-Simon, « il était un peu son parent » (BotsusLE, t. XXIII, p. 357). 3° On pouvait prévoir que le prélat et le missionnaire s'entendraient. C'est précisément ce qu'essaie de cacher le Mémoire pour servir... écrit au plus fort d« controverses antiqueanellistes : « M. l'évêque de La Rochelle, Laval et distingué par sa naissance et sa piété, prit pendant cette mission une si grande estime et tant d'affection pour M. l'abbé de Fénelon, qu'étant venu quelque temps après à Paris et à la Cour, ce prélat de son propre mouvement et à l'insu do

M. l'abbé de Fénelon le demanda pour son coadjuteur » (f. 2 v° ). Ramsay ignore le fait mais les Mémoires du curé Hébert (pp. 226 sq.) expliquent l'échec de Fénelon à un siège non désigné par « sa liaison avec les évêques de La Rochelle et de Luçon » (Barillon).

(17) Ma. fr. 23 498, f. 252 r°. L'évêque semble avoir été absent de son diocèse d'août 1687 à avril 1688 et était certainement encore à Paris le 8 février 1688

(L. PiROUAS, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1734, Paris, 1964, p. 338, n. 2).

octobre 1687 du Traité de l'Education des Filles, les Nouvelles de la République des Lettres y avaient en effet malignement relevé, non seulement l'aveu que le calvinisme survivait à l'Edit de Nantes, mais le silence de l'auteur sur la transsubstantiation et son opposition aux casuistes (18). Mais c'est dans la personne de Mgr de Laval lui-même que se trouvait le plus grand obstacle (19). Fils de Madame de Sablé, co-éditeur du catéchisme des trois Henri avec les évêques d'Angers et de Luçon (20), mal vu depuis longtemps à Rome (21), il avait pour grand-vicaire Phélippes de La Brosse qui était encore plus compromis que lui (22) : au même moment un conflit dans le Saumurois donnait au P. de La Chaise et au secrétaire d'Etat Châteauneuf l'occasion de les traiter de jansénistes (23). Or, Bossuet avait déjà été écarté de Beauvais parce qu'on ne le jugeait pas capable de s'y opposer avec assez de force aux tendances que l'évêque précédent y avait encouragées (24). Comme le note très exactement l'ancien biographe, la démarche de Mgr de Laval « n'eut d'autre effet que de ?enouveler le soupçon que M. l'abbé de Fénelon penchait du côté du jansénisme, attendu que M. de La Rochelle était suspect de ce côté-là » (25).

(18) Cf. infra, ch. VI, n. 84.

(19) Cf. sur lui infra, lettre du 13 juillet 1674, n. 17.

(20) Voir L. DELAUNAY, Quelques notes sur le catéchisme des Trois Henri (Mémoires de la société d'agriculture, sciences et arts d'Angers, 5` série, t. XXIII, 1920 ), pp. 48 sq., 52 sq., 60, 65, 67, 69. On attaquait en particulier le chapitre « Des abus qu'il faut éviter dans l'invocation des saints et dans la dévotion à la sainte Vierge » (Grand Catéchisme, VI` p., leçon VIII du 2` art.). L'abbé de Pont-château se chargea en septembre 1677 de défendre le livre à Rome (P. HOFFER, La dévotion à Marie, Juvisy, 1938, p. 132 — L. von PASTOR, Storia dei Papi, Rome, 1943, t. XIV2, p. 314).

(21) Il devait protester dans une lettre au Pape du 31 mars 1678 contre l'accusation d'être mal affectionné au Saint-Siège (Arch. Vat., Vescovi, t. 64, ff. 96 sqq.).

(22) Le Mémoire pour servir... (f. 2 y° ) insiste sur le jansénisme de l'entourage du prélat. Il sera question de La Brosse dans la lettre du 11 mai 1686, n. 2.

(23) La Brosse disposait d'un prieuré bénédictin qu'il avait confié à Augereau, curé de la Fougereuse à quatre lieues de Saumur. Augereau fut exilé à Gergeau. Les Nouvelles ecclésiastiques du 14 novembre 1687 signalent que l'évêque a reproché au P. de La Chaise d'être intervenu contre lui et elles rapportent le 7 décembre les propos de Châteauneuf (ms. fr., 23 498, ff. 243 v° à 244 y°, 256 v°).

(24) Voir deux lettres de Sainte-Marthe à Pontchâteau, Paris, Bibl. de Port-Royal, ms. P. R. 47, ff. 603 et 631 et les Mémoires pour servir à l'histoire de ce temps, 1679, f. Amersfoort, P. R., 3 071.

(25) A. S. S., XV, 3, f. 2 y°, Bien que le P. de Vitry fùt soucieux de justifier son ordre, on ne peut rejeter a priori le propos rapporté par le président Dugas où il met en cause les rivaux de celui avec qui il vécut à Cambrai : « II passa dans les commencements pour janséniste dans l'esprit du P. de La Chaise sur le rapport de quelques abbés. Car, me disait le P. de Vitry, c'est une étrange nation que celle des abbés qui cherchent à attraper des bénéfices. Ils cherchent tant qu'ils peuvent à se détruire les uns les autres s (PounsAttn, p. 90). Pensait-il à l'abbé de Cordemoy, collaborateur de Fénelon en Saintonge dont le futur archevêque appré-

168 L'ABBÉ DE FÉNELON

Cependant les mois suivants voyaient se multiplier les succès de l'écrivain, du prédicateur, du directeur, même ceux de l'expert consulté par Seignelay en matière de haute politique religieuse. Il était de nouveau question de Fénelon pour un évêché (26), et les jésuites l'invitaient à prêcher le 1er janvier 1689 à la maison professe (27). Aussi ne s'opposèrent-ils pas à la désignation du précepteur du duc de Bourgogne —, mais le P. Le Valois fut consulté sur l'accusation de jansénisme (28). Ce qui n'empêchait pas les Nouvelles ecclésiastiques des Foucquet — qui, à vrai dire, connaissaient moins les opinions de l'abbé que celles de son frère François II, anti-régaliste du Midi et intime de l'évêque de Saint-Pons --- de voir là une défaite de la Compagnie (29). La nomination de Fénelon à Cambrai les faisait encore exulter : il ne serait pas monté si haut si on ne l'avait pas écarté du petit siège qui l'eût tenu loin de la Cour (30). En tout cas le nonce soulignait au même moment que le nouvel élu « n'avait pas la réputation d'adhérer au parti des pères jésuites » (31). Il fallut pour provoquer leur alliance l'affaire

169

des Maximes, mais Noailles, élève du P. Amelote, était en droit de s'écrier au plus fort de la querelle : « Qui l'aurait cru il y a dix ans, disait un homme d'esprit, que l'abbé Desmarais passerait pour janséniste et que l'abbé de Fénelon deviendrait moliniste ! » (32).

ciait peu les méthodes de controverse? Il est à noter qu'une certaine Mine L. de Chezelles recommanda le 25 février Cordemoy pour l'évêché de Poitiers (ms. fr. 20 967, ff. 73 sq.).

(26) Cf. infra, ch. VII, n. 25, lettre du 28 mars 1689, n. 9.

(27) Ms. fr. 23 499, f. 19 v°.

(28 ) Mémoires du curé Hébert, p. 228. Dans sa lettre à Pontchartrain (p. 69 ), le même accuse le P. Le Valois, venu quelques années après à la Cour, d'avoir dressé une liste des soi-disant jansénistes qu'Hébert juge calomnieuse. Cf. aussi Revue de l'Agenais, t. L, 1923, p. 409 et le mot du P. de Vitry dans HILLENAAR, p. 36.

(29) Mu. fr. 23 499, f. 291 r°, 23 505, ff. 11 y°, 16 y° et infra, ch. VII, n. 14, Une note curieuse d'un contemporain montre combien l'erreur était répandue : « Les jésuites voulant perdre l'abbé de Fénelon au commencement qu'il fut précepteur de Mgr le duc de Bourgogne, portèrent une consultation en Sorbonne, savoir si un prince ou grand seigneur peut mettre en conscience auprès de son fils pour son éducation un homme accusé de quiétisme ou d'hérésie. M. de Meaux étant allé en Sorbonne vit le mémoire, conseilla aux docteurs de n'en rien faire, que c'était un mauvais office que les jésuites voulaient rendre à l'abbé de Fénelon. Et ils ne répondirent pas » (rns. Clairambault 1180, f. 257 v° ). Phélipeaux qui rapporte (t. I, p. 57 ) l'anecdote en s'attribuant un rôle décisif la place en 1693 et impute avec beaucoup plus de vraisemblance à l'archevêque Harlay la responsabilité de la manoeuvre.

(30 ) Lettre de Paris (écrite par le P. Fzmcquet?) du 7 février 1695 (ms. fr. 23 505, ff. 11 y°, 12 r° ) — Quesnel à L. du Vaucel, 4 mars 1695, 11 octobre et 22 novembre 1698, f. Amersfoort ms. P. R. 2595. Les uns et les autres auraient été ravis par la lettre anonyme à Louis XIV et surtout par les attaques contre la Régale, contre l'archevêque Harlay et contre le P. de La Chaise qui la terminent (cf. infra, lettre de décembre 1693, notes 72-80).

(31 ) Arch. Vatic., Francia, t. 188, ff. 160 sq. Témoignage analogue sous la plume du chancelier Daguesseau : « Jusque là l'archevêque de Cambrai avait paru n'être que médiocrement des amis des jésuites, non qu'il penchât du côté du jansénisme par rapport au dogme, mais la morale relâchée des jésuites et la religion toujours tournée par eux en politique paraissait lui faire horreur; c'était ainsi qu'il s'en expliquait quelquefois avec ses plus infimes amis » (CEuvres, Paris, 1789, t. XIII, p. 178).

(32) Réponse de M. de Paris aux quatre lettres de M. de Cambrai, II, 528. Cf. notre article de la Revue d'Histoire de l'Eglise de France, t. 43, 1957, en particulier p. 206 et H. HILLENAAR, pp. 8 sq., 24, 47-51, 101 n., 118, 134.

« L'homme d'esprit » en question était l'abbé de Beaufort auquel J. J. Boileau écrivait le 31 mai 1698 : « On a bien ri de votre malice sur l'abbé Desmarais et l'abbé de Fénelon » (n. a. fr. 23 208, f. 97 ).

On relève deux mentions du nom de Fénelon dans les Lettres de J.-J. Boileau (Paris, 1737 ), ce qui n'a rien d'étonnant puisque les relations des deux directeurs du duc de Chevreuse paraissent avoir été excellentes jusqu'en 1693. Dans la première, il s'agit d'obtenir le paiement des dettes laissées par l'abbé de J. récemment décédé. Il y est question de Bontemps, de son beau-frère le procureur général à la Cour des Aides, de l'abbé de Lubière et de Mme de G. Boileau y conseille d'abord à son correspondant « d'écrire à l'abbé de Fénelon que le défunt s'est jeté aux pieds de M. son père quelques jours avant son départ pour le conjurer de payer ses dettes »; mais, à la fin, il se ravise : « Il me vient dans l'esprit que l'abbé de Fénelon étant intéressé dans les dettes du défunt ne voudra pas toucher cet article, je connais sa générosité » dettre LXI, t. I, pp. 450-453 ). Dans la seconde, Boileau annonce :

« M. D. portera demain une des mes lettres à l'abbé de Fénelon et cet abbé pourra dire beaucoup de bien à Mme la duchesse de N., sans pouvoir dire que ce témoignage lui ait été suggéré »; il affirme ensuite : « Je n'ai point été chez M. D. depuis que j'ai appris qu'il avait l'intendance des manufactures et des arts » dettre LXXVI, t. I, p. 501).

Bien que l'abbé de Rancé ait, à la fin de sa vie, pris à l'égard du jansénisme une position bien différente de celle de J.-J. Boileau, il n'est pas inutile d'indiquer ici ce que nous savons des premiers rapports de Fénelon avec le réformateur de la Trappe. Ils furent sans doute assez étroits puisque l'archevêque écrivait encore à l'abbé de Dileur après que Rancé se fut prononcé contre les Maximes des Saints :

« Je suis bien fâché d'être si fort condamné par un homme que j'estime tant; s'il m'avait fait la grâce de m'adresser ces lettres à moi-même, j'aurais peut-être pris les sentiments d'un si grand homme pour une décision contre moi » (dans MAUPEOU, La vie de Rancé, Paris, 1702, t. II, p. 261 ). De fait, un parent de Fénelon, Arnaud de La Filolie, était mort le 21 1/181"3 1692 à la Trappe sous le nom de frère Joseph (M. DUBOIS, Histoire de l'abbé de Rancé, t. II, p. 303). Sur la visite à la Trappe de l'abbé Colbert, cf. infra, lettre du 30 septembre 1690.

CHAPITRE

VI FENELON ET LES PROTESTANTS

Il est indéniable que, pendant les dix années qui suivirent son ordination, Fénelon eut pour principale « charge » celle de travailler à « l'instruction des hérétiques... tant à Paris et à La Rochelle qu'ailleurs » (1). Faut-il en chercher l'explication dans une tradition familiale? De fait peu de nobles du Midi étaient restés aussi fidèles au catholicisme que les Salignac (2) et, en raison de leur commune appartenance à la Compagnie du Saint-Sacrement, les oncles et tuteurs du jeune clerc, M. de Sarlat (3) et le marquis Antoine (4), avaient travaillé à extirper le protestantisme du Périgord ou de la Marche. Néanmoins ce n'avait été pour l'un et pour l'autre qu'une activité entre d'autres et la vocation première du jeune François semble avoir été beaucoup plus déterminée par la date à laquelle il aborda l'étude de la théologie. D'après les Mémoires de Ledieu, « depuis que le cardinal de Richelieu eut frappé le parti » protestant « d'un coup fatal et qu'il eut lui-même donné l'exemple de travailler à leur instruction, tous les gens habiles tournaient leurs études de ce côté-là » (5) : si c'est remonter trop haut (6), l'observation n'en reste pas moins très juste à partir du renouveau de la controverse avec la grande Perpétuité (1669) port-

(1 ) Voir sa lettre à MM. des Missions étrangères du 2 octobre 1702, O. F.. t. VII, p. 560.

(2 ) Au dix-septième siècle au moins, la seule branche de la famille encore protestante était celle d'Aixe de Rochefort et de Rochemeaux dans laquelle une tante maternelle de Fénelon, Catherine de Saint-Abre, était entrée par son mariage avec un Rochemeaux. Cf. supra, I" p., ch. II, App., n. 17 sqq. Quant à Mule de Salignac, convertie et controversiste que l'on rencontre dans la biographie du futur cardinal de Bérulle, elle appartenait aux Gontaut-Biron auxquels le fief de Salignac était passé par les femmes. Le fait que le bisaïeul de Fénelon avait été tué par les huguenots à Domme après avoir sauvé Sarlat avait scellé l'option des siens.

(3) On lui fit honneur de la destruction de treize temples et il organisa en 1685 des missions pour 12 000 nouveaux catholiques. Cf. supra, I" p., ch. III, n. 28.

(4 ) Sur ses démarches pour faire interdire le temple d'Aubusson, cf. supra, I" p., ch. IV, n. 23.

(5) Ed. GUETTÉE, Paris, 1856, t. I, p. 60.

(6) A. Rébellian a noté que, de 1640 à 1660, la besogne de « convertisseur » était tombée dans le discrédit des honnêtes gens (cf. Bossuet historien du protestantisme, Paris, 1909, pp. 15, 18).

172 L'ABBÉ DE FÉNELON FÉNELON ET LES PROTESTANTS 173

royaliste qui fut bientôt suivie de l'Exposition de la foi catholique (1671) de Bossuet (7). Les liens de celui-ci avec le marquis de Fénelon expliquent sans peine que le jeune abbé se soit préparé à travailler dans le même esprit irénique à l'unité religieuse de la France dont la restauration rapide était désormais le problème capital, non seulement pour les assemblées du clergé, mais aux yeux de Louis XIV lui-même (8). De son côté, le condisciple de Fénelon auquel tout promettait l'avenir le plus brillant, Antoine de Noailles, fut d'abord pourvu de la charge de supérieur des Nouvelles Catholiques de la rue Sainte-Anne. Nul ne s'étonna qu'il l'ait bientôt quittée pour un évêché et c'était un heureux augure pour le jeune abbé de Fénelon que d'être, vers juin 1679, appelé à sa succession (9). Pour réduites qu'aient été ses attributions (10), elles fournissaient à Fénelon l'occasion d'acquérir avec l'aide de Bossuet, dans le sillage duquel il s'était placé (11), la meilleure des préparations à un rôle beaucoup plus considérable que la politique royale devait lui offrir dans un avenir qui ne pouvait pas être fort lointain. De fait, Dangeau annonce le 16 octobre 1685 : « On sut que le Roi avait résolu d'envoyer des missionnaires dans toutes les villes nouvellement converties »; et, pour montrer l'importance qu'il attachait à cet apostolat, Louis XIV en chargeait d'abord les prédicateurs les plus réputés : le P. Bourdaloue et Esprit Fléchier (12). Il était d'ailleurs prévu que les évêchés où les Nouveaux Catholiques étaient nombreux seraient dorénavant attribués aux missionnaires qui auraient réussi (13).

(7) Ibid., pp. 21-23.

(8) Cf. notre Louis XIV et les protestants, Paris, 1951.

(9) Le nouvel évêque de Cahors avait dû désigner son ami pour le remplacer. D'ailleurs les deux familles appartenaient à la Compagnie du Saint-Sacrement qui avait aidé de ses subsides la maison des Nouvelles Catholiques à ses débuts.

(10) Cf. supra, II° p., ch. IV, notes 5 sqq.

(11) A en croire A. M. Ramsay (Vie de Fénelon, La Haye, 1723, p. 12) qu'a suivi Querbeuf (p. 34 ), leurs relations ne dateraient que 1679, ce qui paraît bien invraisemblable (cf. supra, n. 8). Il n'en est pas moins vrai que l'évêque dut s'occuper beaucoup plus du supérieur de la rue Sainte-Anne qu'il ne l'avait fait d'un séminariste. C'est peut-être à cette époque que Fénelon se procura la Bible française de Simon Desmaretz avec des notes tirées de diverses éditions (Amsterdam, Elzévier, 1669, 2 vol. in-f° ) actuellement conservée à la Bibliothèque municipale de Saintes (renseignement dû à l'obligeance de M. Jean Mesnard). En 1684 et 1685, M. de Meaux avait en outre appris à Fénelon le « métier d'évêque » en l'emmenant dans ses missions (cf. infra, t. III, Chronologie, 1684 et juin 1685).

(12) DANGEAU, t. I, p. 233. Sur l'envoi de Bourdaloue en Languedoc, cf. ibid. — MONMERQUÉ, t. VII, p. 469. — L. CROUSLÉ, Fénelon et Bossuet, Paris, 1894, t. I, p. 78. Sur celui de Fléchier en Bretagne, cf. SOURCHES, t. I, p. 321. Il fut nommé le mois suivant évêque de Lavaur.

(13) Dès le 25 août 1687, les Nouvelles ecclésiastiques précisaient que l'abbé de Saut venait d'être fait évêque d'Alais « à cause de la capacité qu'il avait montrée en Poitou dans les conversions » (ms. fr. 23 498, f. 213 r° ). Parmi les collaborateurs de Fénelon D. N. de Bertier était désigné en 1690 pour l'évêché de Blois, qui ne fut créé que beaucoup plus tard, et Milon obtint le i novembre 1693 celui de Condom.

A un moment où la Cour devait constater le manque d'ouvriers de talent et compétents, il était hors de question qu'elle laissât le supérieur des Nouvelles Catholiques se morfondre à Paris. Les interprétations opposées auxquelles donnait lieu l'Edit de Fontainebleau rendaient cependant incertaine la manière dont il serait fait appel à lui. Elle fut aussi flatteuse que possible : le 5 novembre 1685 Seignelay « s'adressait à » Fénelon « pour avoir de bons prédicateurs que le Roi veut envoyer sur les côtes de Xainctonge et de Poitou » (dès le 17, il rectifiait : « les côtes de Xainctonge et d'Aunis »). Au bout de quelques jours, Fénelon avait sous ses ordres une brillante équipe comprenant deux futurs évêques, Bertier et Milon, le célèbre Claude Fleury (14) et l'abbé de Cordemoy, controversiste réputé (15). Le choix de la région pouvait lui être d'autant plus agréable que l'évêché de Poitiers allait vaquer et que Mgr de Laval, évêque de La Rochelle auquel il se trouvait allié, était depuis plusieurs années en quête d'un coadjuteur (16). Il ne faut pourtant pas croire que le secrétaire d'Etat à la Marine n'avait agi que par complaisance pour les Beauvillier dont Fénelon était depuis plusieurs années le directeur. Si Seignelay avait écrit à Bonrepaus dès le 15 mai 1685 : « Il serait très avantageux pour le service de S. M. qu'il y eût à La Rochelle deux hommes du caractère de M. l'abbé de Lamotte-Fénelon, mais il est difficile de les trouver » (17), c'est que le supérieur des Nouvelles Catholiques incarnait à ses yeux la voie de douceur que les Colbert avaient toujours préférée aux violences du ministre de la guerre (18). Aussi peut-on en croire Ramsay lorsqu'il affirme que Fénelon n'accepta qu'à la condition qu'il ne serait pas accompagné par des troupes (19). Il est plus significatif encore que les Nouvelles ecclésiastiques aient pu annoncer le ler décembre 1685 que « M. de Meaux a donné leur instruction » aux missionnaires en instance de départ (20).

(14 ) Ancien précepteur des princes de Conti et de Vermandois, auteur d'ouvrages à succès, Claude Fleury était pourtant beaucoup plus connu que Fénelon, son cadet de dix ans. Le 27 février 1684 le Journal du curé Raveneau marquait fortement la différence entre « M. l'abbé Fleury » et « un abbé nommé M. de La Mothe-Fénelon » L'érudit ne participa qu'à la mission de 1687.

(15) Cf. infra, lettre du 5 novembre 1685, n. 2 s. f.

(16) Cf. supra, II* p., ch. V, n. 16. (17 ) Cf. infra, lettre du 5 novembre 1685, n. 2.

(18) Voir notre Louis XIV et les protestants, pp. 121, n. 59, 127, n. 5. Dans une lettre à Noailles du 5 novembre 1685, Louvois parle avec mépris de « l'édit que M. de Châteauneuf nous a dressé » (E. BENOIST, Histoire de l'Edit de Nantes, Delft, 1695, t. V, p. 868).

(19) Vie, La Haye, 1723, pp. 10 sq.

(20) Ms. fr. 23 498, f. 44 r°. D'après sa correspondance, Bossuet est à Meaux le 13 novembre, mais à Paris le 24 et le 28. Sur le chemin du retour, il prêche à Claye le 8 décembre.

174 L'ABBÉ DE FÉNELON

Mais si le secrétaire d'Etat cherchait de telles qualités chez ceux qu'il envoyait en Saintonge ou en Aunis, c'est moins pour des raisons de tempérament ou de système que parce qu'il savait qu'ils se heurteraient à de terribles obstacles « sur ces côtes où les N. C. sont en grand nombre et où ils ont moins de dispositions qu'ailleurs de recevoir les instructions et à vivre en bons catholiques » (21). Tant en raison de leurs professions que de leur situation géographique, les protestants y avaient les plus grandes facilités d'évasion et, à partir de 1681, ils ne cessèrent pas d'en profiter. Or, ceux pour lesquels la fuite était le plus aisée étaient aussi ceux que le fils de Colbert jugeait les plus utiles au Royaume : les marins (22). Rien ne réussirait mieux à les retenir qu'une bonne conversion et Seignelay comptait pour cela sur Fénelon, il en avertissait l'intendant Arnoul dès le 11 décembre 1685: « Il faut que vous fassiez connaître à M. l'abbé de Fénelon et aux autres ecclésiastiques qui l'accompagnent de quelle importance il est d'instruire les matelots nouveaux catholiques et je suis persuadé qu'ils

(21) Seignelay à l'évêque d'Orléans Coislin, 12 décembre 1685, cité infra, lettre 9 d,

n. 2. Le ministre était renseigné par l'intendant Arnoul qui venait de lui écrire le 20 novembre : « Je vois de plus en plus que les peuples de ces quartiers, au lieu de s'adoucir, s'endurcissent, depuis quelque temps. Il n'y en a presque point qui aillent à la messe... Ils ne veulent point être instruits des points qui sont en controverse et ils ne retournent plus à ceux qui leur en parlent ». Des oratoriens signalaient au début de septembre 1685 la rareté des conversions à La Rochelle

(L. PÉROUAS, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724. Sociologie et pastorale, Paris, 1964, p. 319, cf. p. 349). Le 16 janvier 1686, Fénelon dira avoir trouvé à Marennes « un attachement incroyable à l'hérésie » et conclura : « On gâtera tout ce pays si on y croit l'ouvrage bien avancé » (n. 3 ).

(22 ) Dès 1680 on s'était employé à convertir les officiers et l'édit du 10 décembre 1680 portait la peine de mort contre les Français qui serviraient sous pavillon étranger (W. C. SCOVILLE, The Persecution of the Huguenots and the French Economical Development, 1680-1720, Berkeley, 1960, p. 54). Dès novembre 1681 on avait pourtant déjà constaté à La Rochelle et à Rochefort de nombreux départs pour l'Angleterre et la Hollande (ibid., p. 283 ). Malgré les mesures exceptionnelles prises contre les capitaines huguenots, les premières dragonnades hâtèrent le mouvement d'émigration : le mécontentement royal faillit entraîner la révocation de l'intendant Demuin (ibid., p. 54 — O. DOUEN, L'intolérance de Fénelon, 2' éd. Paris, 1875, pp. 125 sqq.). En 1684 et 1685, Seignelay ne constata pas sans inquiétude l'hégémonie maritime des huguenots de la région, auxquels appartenaient la moitié des équipages et plus de la moitié des capitaines (ScovILI.E, pp. 51-54, 135 sq.). Les dragonnades d'Aunis et de Saintonge (juillet-octobre 1685) multiplièrent les départs, si bien qu'Arnoul proposa d'arrêter le trafic, ce que Seignelay refusa le 15 juin 1686 : « le commerce n'était déjà que trop interrompu » (E. GUITARD, Colbert et Seignelay contre la religion réformée, Paris, 1912, 2' éd., pp. 119 sq.). En revanche, Forant et Bonrepaus furent envoyés en Angleterre et en Hollande pour essayer de ramener les émigrés qui servaient sur les flottes de ces pays : Bonrepaus n'en évaluait le nombre qu'à huit cents (DouEN, L'intolérance de Fénelon, pp. 156, 160 n. — ScoVILLE, pp. 283 sq., cf. pp. 97 sq. — GUITARD, p. 132), chiffre peut-être optimiste, mais plus vraisemblable que celui de « huit à neuf mille matelots et des meilleurs » donné par Vauban (A. RÉBELLIAU, Vauban, Paris, 1962, p. 116).

FÉNELON ET LES PROTESTANTS 175

y travailleront avec succès » (23). Seul l'auteur de l'Éducation des Filles pourrait aussi par sa largeur de vues et par sa séduction aristocratique venir à bout de l'obstination des parents de Mme de Maintenon (la noblesse du Poitou fut la plus rétive de toutes) qui se savaient à l'abri des moyens brutaux (24).

Les premiers résultats obtenus par Fénelon semblèrent répondre à l'attente de Seignelay : il reçut l'abjuration de M. de Villette (25) et crut pouvoir écrire de Marennes le 28 décembre 1685 : « Les peuples commencent ici à nous aimer, ils courent en foule à nos instructions, ils nous arrêtent dans les rues pour nous parler; ils sont bonnes gens, disent-ils parlant de nous, ils nous prêchent bien l'Ecriture. Vous auriez du plaisir de nous voir embrasser ces marchands et ces matelots ». Seignelay devait d'autant moins douter de l'exactitude de ce rapport que l'intendant de Rochefort lui confirmait le 31 décembre : « M. de Fénelon et M. de Langeron gagnent tous ceux à qui ils parlent.., ils ont une manière d'instruire et de prêcher que les nouveaux convertis goûtent fort » (26) et il devait répéter un peu plus tard que la « douceur » et la « piété » des missionnaires obtenaient les plus heureux effets (27).

Le succès de Fénelon aurait pourtant été avant tout celui de Bossuet qui l'avait, à son départ, chargé d'appliquer le programme de l'Exposition de la foi catholique, manifeste de l'esprit irénique et, en tant que tel, combattu par l'archevêque Harlay et par des jésuites, mais approuvé, à la grande surprise des protestants, par Innocent XI dans deux brefs des 4 janvier et 12 juillet 1679 (28). Fénelon s'y montrait fidèle en « ne négligeant rien de tout ce que la religion permet » (29) : d'un côté, il retranchait « le latin qui est inutile » (30), il évitait de s'engager dans des controverses sans fin (31), il gardait le silence au sujet des

(23 ) Cité infra, lettre du 4 décembre 1685, s. 1. Fénelon rappellera cette invitation quand il lui faudra justifier sa conduite dettre du 28 janvier 1686, n. 10).

(24) Cf. E. BENOIST, t. V, p. 899.

(25) Cf. sur lui la lettre du 12 décembre 1685, n. 3.

(26 ) Cf. la lettre du 28 décembre 1685, n. 8.

(27 ) Le 11 février 1686 il assure à Seignelay qu'à Marennes « ils ont gagné les coeurs de tous ces peuples par leur douceur et par leur piété » (cité dans la lettre du 7 février 1686, n. 7 ). Le 6 juin 1687, Seignelay répétera que « le Roi loue l'application et la douceur » de Fénelon. Cf. infra, n. 79.

(28 ) Cf. à ce sujet les lettres de Pontchâteau à Neercassel (9 août, l" octobre, 22 novembre 1678, 8 mars 1679) et à Casoni (décembre 1679 et 26 février 1681) (B. NEVEU, Pontchâteau, Paris, [1969], pp. 448-581) — URBAIN-LEVESQUE, t. II, pp. 98 sqq., t. VII, pp. 101 sq. — Revue Bossuet, t. III, 1902, pp. 124, 248. — PICAVET dans Revue d'histoire lift. de la France, t. XVI, 1909, pp. 347 sqq. — notre Louis XIV et les protestants, pp. 34, 60 sq.

(29) Cf. sa lettre à Seignelay du 28 janvier 1686, n. 10.

(30) Lettre du 16 janvier 1686, n. 12.

(31) Au contraire, il souligne que « le chant des psaumes... joint à des instructions solides et insinuantes achèverait de leur faire oublier toutes les controverses » dettre du 16 janvier 1686, n. 17 ).

176 L'ABBÉ DE FÉNELON

indulgences et des confréries où ses auditeurs ne voyaient qu'idolâtrie (32); de l'autre, il nourrissait leur piété en multipliant les prédications sur l'Ecriture (33) et en leur permettant l'Evangile (34) et les Psaumes dans des traductions autorisées (35). Cela ne veut pas dire que Fénelon ait recherché les conversions à n'importe quel prix — il devait d'ailleurs se savoir exposé à l'accusation de jansénisme, presque synonyme à l'époque de celle de crypto-calvinisme (36) -- : alors que la plupart des missionnaires s'étaient, à la suite de l'archevêque Harlay, « contentés presque toujours que ceux qui abjuraient promissent en gros de croire ce que croit l'Eglise » et substituaient à la profession de foi de Pie IV des formules vagues (37), il assurait exiger « une croyance entière et distincte de tout ce que le concile de Trente enseigne » (38).

En admettant que l'orthodoxie de Fénelon ait toujours été aussi stricte qu'il le prétendit lorsqu'il eut à la défendre, elle n'aurait pas pour autant paru suffisante au clergé local., séculier et surtout régulier, qui, vieilli dans des disputes interminables contre les réformés et récemment associé aux dragonnades (39), prétendait imposer des croyances et des pratiques que l'Exposition de la foi catholique avait déclarées facultatives. C'était en particulier le cas à Marennes où l'Eglise n'avait jusqu'alors été représentée que par des récollets « méprisés et haïs et surtout par des jésuites qui ne l'étaient guère moins puisqu'il s'agissait de « quatre têtes de fer qui ne parlent aux nouveaux convertis pour ce monde que d'amende et de prison, et pour l'autre que du diable et de l'enfer » : le succès des missionnaires parisiens les exaspérait d'autant plus qu'il rendait leur échec plus éclatant. Fénelon eut beau leur prodiguer les marques de déférence, il « eut des peines infinies à empêcher ces bons pères d'éclater contre leur douceur ». Mais, si un scandale public avait été évité, il sentait bien qu'il avait ii redouter le ressentiment de ces « têtes dures et d'amies » (40) et, dès le 16 janvier

(82) Lettre du 16 janvier 1686, n. 3. tin peu plus loin (n. 13 ), il parle très habilement u de ne proposer certaines pratiques de dévotion que quand les esprits y seraient disposés ». Cf. infra, n. 45.

(33) Ce thème revient presque dans eluteune de ses lettres. Cf. en particulier celle du 16 janvier 1(i86, n. 3.

(34) 11 insiste en particulier le 7 avril 1686 Sur la neeessité de distribuer avec profusion des Nouveaux '.1'estaments à La Rochelle. On ne peut contester que la caisse des économats de Pellisson n'ait fait sur cc point un très gros effort (cf. notre Louis X111 et les protestants, p. 177 ). Le 18 octobre 1685 Louis XIV écrivait Harlay : a j'ai dit au sieur rellismon d'envoyer le plus qu'il pourrit de Nouveaux Testaments en langue française à l'évêque de BIWAS » (ms. Clairambault 489, f. 63).

(35) Cf. infra, n. 52.

(36 ) Cf. aillera, 11* p., rit. V.

(37) Voir infra, lettre du 28 janvier 1686, n. 3.

(38) Ibid.

(39) PeROUAS, p. 322.

(40) Lettre du 16 janvier 1686, n. 3-4.

FÉNELON ET LES PROTESTANTS 177

il mit au courant Seignelay, l'archevêque Harlay et le P. de La Chaise : bien qu'il fît encore preuve d'audace en réclamant le chant des Psaumes en français, il soulignait sa propre orthodoxie en prévenant discrètement que « M. de Villette ne croyait point ce que l'Eglise croit » (41). Ces précautions n'étaient pas superflues puisque Seignelay lui-même avertissait le 22 janvier l'ami de sa famille qu'il était accusé d'avoir « dit que le culte des images était inutile et qu'on pouvait croire la même chose de l'invocation des saints ». Cela était d'autant plus grave « qu'on en avait parlé à S. M. » : « on » désignait sans doute Harlay (42) qui cherchait, à travers Fénelon, à atteindre Bossuet et ses disciples (43). Dans l'apologie « ostensible » qu'il adressa le 28 janvier au secrétaire d'Etat, le chef de la mission de Marennes s'en tenait strictement aux termes de l'accusation et se contentait de reconnaître que lui et ses collaborateurs « avaient cru devoir différer de quelques jours l'Ave Maria dans leurs sermons, et les autres invocations des saints dans les prières publiques qu'ils faisaient en chaire » (44). Invoquant le témoignage de l'intendant Arnoul, Fénelon répondait qu'il avait en d'autres occasions montré sur ces points une intransigeance si sourcilleuse... qu'elle avait découragé ceux qu'il eût le plus importé de gagner : M. de Sainte-Hermine, cousin de 111` " de Maintenon, et le marin inventeur de Gennes. Ceux-ci n'avaient pas manqué de lui rappeler que, d'après l'Exposition, « l'Eglise n'exigeait point ces pratiques comme absolument nécessaires au salut »; Fénelon ne l'avait pas nié, mais il avait ajouté cc qu'elle exigeait comme une chose essentielle et à la foi et au salut qu'on crût ces pratiques très saintes et très utiles » et que « quand on les croit sincèrement saintes et utiles, bien loin d'avoir de la peine à les observer, on craint d'en perdre le mérite et le fruit ».

(41) Le 28 janvier 1686 (n. 12 ), Fénelon parle à Seignelay de plusieurs lettres adressées à Harlay et nu P. de La Chaise. 11 précise le 7 février qu'il avait « écrit dès le commencement » au Père confesseur au sujet de l'Ave Maria et il citait sa réponse, ce qui n'aurait pas été possible s'il avait attendu l'avertissement de Seignelay pour le prévenir.

(42) La lettre du 7 février exclut qu'il puisse s'agir du P. de 1,a Chaise. La dénonciation remonte sans doute au conseil de conscience du vendredi 18 janvier.

(43) Fénelon avait en effet de nombreux émules à travers la France, en particulier des oratoriens. C'est ainsi qu'une bourgeoise de Paris, M"'" Cannon, écrivait à son gendre, pasteur sorti de France : « Je trouve tout le contraire de ce que j'avais ouï dire hien des fois, que je n'entendrais parler que de saints et de saintes à qui on adresse des prières; je vous assure que je suis encore à en entendre parler un seul mot, et que je vais tous les jours à Saint-flarthélémy entendre un père de l'Oratoire, nommé le P. de la Tour, qui note prêche l'Evangile admirablement; nous signifiant parfaitement bien qu'il ne faut lien donner aux créatures, tout étant dû au Créateur; que nous n'obtenons rien que par le seul mérite de Jésus-Christ et que nous ne méritons rien que par le précieux sang de notre Sauveur n (cf. notre Louis XIV et les protestants, pp. 277 sqq.).

(44) La formule figure à la fin de la lettre du 7 février 1686, mais l'équivalent s'en trouve en termes plus diffus dans celle du 28 janvier 1686.

178 L'ABBÉ DE FÉNELON

La Cour dut être d'autant moins convaincue que, huit jours plus tôt, l'intendant dont Fénelon sollicitait le témoignage avait, alors qu'il ne soupçonnait pas encore le danger, laissé échapper un aveu fort compromettant : « Les missionnaires croient et je crois de même qu'un peu de condescendance pour ces sortes de gens et pour ce qui se pratiquait parmi eux dans les choses qui ne sont pas contraires aux dogmes de l'Eglise romaine ferait plus sur eux que toute autre chose » (45).

Il serait en effet étonnant que Fénelon n’eut pas fait au début des concessions plus grandes que celles qu'il avoue, en particulier au sujet de la communion sous les deux espèces, que beaucoup de protestants considéraient comme le seul obstacle à une réunion pacifique (46). Bossuet et Le Camus avaient bien permis d'espérer que la France ferait à Rome une démarche à ce sujet (47) ! Il est en tout cas certain que, dans sa lettre du 16 janvier, Fénelon insistait avec force sur l'extrême intérêt qu'il y avait à permettre aux nouveaux convertis le chant des Psaumes dans la paraphrase de Godeau : son audace paraissait d'autant moins grande qu'il prenait toutes les précautions pour que cela ne fit aucun tort à la liturgie en latin et que le pouvoir avait longtemps fait distribuer l'ouvrage pour remplacer celui de Marot (48). Cependant il

(45) Lettre du 20 janvier 1686 (E. GRISELLE, Documents d'histoire, t. I, p. 593).

(46) Cf. notre Louis XIV et les protestants, pp. 15, 16 et la lettre du 10 août 1687, n. 7. Dans son Traité de l'usage du calice ou de la communion sous les deux espèces (Caen, 1686, p. 12, cf. aussi la Dédicace) le jésuite Louis Doucin reconnaît que « la communion sous les deux espèces a été regardée jusqu'ici comme celui de tous les différends qui fait le plus d'impression sur les esprits pour les retenir dans le schisme ».

(47) Cf. supra, n. 37 et, sur Orange, Louis XIV et les protestants, p. 86.

(48) L'article de D. LAUNAY, La paraphrase des psaumes de Godeau et ses musiciens (dans Revue de Musicologie, juillet 1964, pp. 32, 39, 42, 46, 48, 54, 56, 60, 65-70) a jeté sur la proposition que Fénelon introduit dans sa lettre du 16 janvier 1686 (n. 18) et sur son échec une vive lumière. Il est curieux qu'il semble n'avoir pas su que, par suite de l'ambiguïté de la Préface de la Paraphrase des Psaumes de Godeau (1648 ), l'ouvrage avait été mis en musique, sous forme tantôt d'airs de cour à quatre parties (Jacques de Gouy en 1650 et surtout Etienne Moulinié en 1658), tantôt d'airs notés pour voix seule comme le psautier huguenot et les cantiques catholiques (ce que désirait Fénelon avait déjà été exécuté en 1654 par Artus Auxcousteaux et en 1655 par Antoine Lardenois, protestant qui devait se convertir quelques années plus tard), tantôt enfin en essayant de satisfaire tout le monde (Thomas Gobert en 1659 et Henri du Mont en 1663 ). C'est la Paraphrase de Gobert que nous voyons rééditée avec les dates de 1676 et de 1686 (Paris,

D. Thierry) : la Caisse de Pellisson n'avait pas dû y être étrangère. D'ailleurs, le 28 octobre 1685, Louvois autorisait l'intendant Foucault à faire imprimer « les Psaumes de M. Godeau en français » à l'usage des Nouveaux convertis « à condition de faire rompre ensuite les planches ». Tel est le contexte dans lequel se placent « les quelques lignes d'une densité remarquable » de Fénelon. « Elles laissent voir quelles concessions pouvaient être envisagées, mais aussi quelles en étaient les limites... Un

FÉNELON ET LES PROTESTANTS 179

ignorait que, deux jours plus tôt, le Conseil du Roi avait ordonné d'en supprimer tous les exemplaires (49). La mesure était certainement imputable à ceux qui traitaient de jansénistes toutes les traductions françaises des textes sacrés (50), mais ils n'avaient fini par l'emporter que grâce à une provocation des nouvellistes de Hollande : non seulement ceux-ci dénonçaient la mauvaise foi des convertisseurs qui n'exigeaient des prosélytes que des promesses vagues de catholicisme va ainsi, prédisait Pierre Bayle, se changer en un « vrai samaritanisme et un ambigu de religion » (51)), mais ils prétendaient qu'à la cathédrale de La Rochelle même des femmes venaient d'arracher au clergé la permission de chanter des Psaumes de Marot (52) ! L'intransigeance huguenote assurait ainsi le

tel chant, admis avant et après la Messe ou les Vêpres, en était exclu pendant le cours des offices liturgiques ». Ce n'est pas un hasard si Arnoul adressait le 20 janvier la même requête à Seignelay (GRISELLE, 1910, p. 596).

(49) L'arrêt du 14 janvier 1686 ordonne que, le chant des Psaumes de Godeau « détournant les N. C. des cérémonies et des prières usitées dans l'Eglise, tous les exemplaires en seraient supprimés ». Le 22 janvier, Châteauneuf précisait que Pellisson avait reçu défense d'en envoyer aux Nouveaux convertis. Le 31, Louvois le répétait à Bossuet : S. M. craignait « de les entretenir dans la coutume de chanter en commun et en langue vulgaire qui les détournerait des cérémonies de l'Eglise ». Châteauneuf réitérait le même ordre le 11 février, ce qui entraînait le 15 février un arrêt du Parlement : le 20, les exemplaires saisis à Paris étaient mis sous scellés. Cf. KROUAS. p. 335, et infra la lettre de Seignelay du 4 février, n. 4, et celle de Fénelon du 7 février, n. 7.

(50) Des missionnaires du diocèse d'Agde avaient été peu après le 21 octobre 1685 dénoncés au P. de La Chaise comme « ouvriers jansénistes » pour avoir permis de tels chants (Xavier AzÉmA, Un prélat janséniste, Louis Foucquet, Paris, 1963, p. 175).

(51) Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1685, p. 1230. Le protestant Mathurin soulignait aussi : « On ne voit presque partout que des Condomites » (cf. notre Louis XIV et les protestants, p. 125).

(52) Les Nouvelles extraordinaires de divers endroits (plus connues sous le nom de Gazette d'Amsterdam) donnèrent en effet le 8 novembre 1685 une dépêche datée de « Paris, 2 novembre. On a nouvelles assurées de La Rochelle que le dimanche 28 octobre un grand nombre de nouveaux convertis étant allés au sermon qui se faisait ce jour-là dans l'église cathédrale... quelques femmes, après avoir invité les assistants à chanter un psaume à la gloire de Dieu avec elles, elles entonnèrent le psaume XXXIV qui commence : Jamais ne cesserez de glorifier le Seigneur, que sur cela le doyen du chapitre ou celui des chanoines qui tenait sa place, avait pris un Nouveau Testament et y avait lu ce que saint Paul écrit que les femmes doivent se taire dans l'église, ayant ajouté qu'elles pourraient bien apporter leurs Psaumes et leur Testament, pour y lire et faire leurs prières à voix basse, en attendant le prédicateur, mais ces remontrances n'avaient pas empêché ces femmes, suivies d'une bonne partie des assistants, de continuer le chant des psaumes jusqu'au bout, et le finir par ces paroles l'Eternel sauvera tout bon coeur qui le va servant. Quiconque espère au Dieu vivant jamais ne périra. Après quoi le doyen leur avait dit qu'il était bon de chanter ainsi, mais qu'il en fallait avoir ordre de M. l'évêque, à qui on le lui demanderait ». Ces concessions et d'autres semblables n'auraient eu pour but que de « les accoutumer petit à petit dans les églises » catholiques, « après quoi on pourrait leur ôter cette liberté avec plus de facilité qu'on ne les a dépouillés des autres ». L'article était d'autant moins passé inaperçu que P. Bayle y avait fait allusion dans les Nouvelles de la République des Lettres de novembre 1685 en

180 L'ABBÉ DE FÉNELON FÉNELON ET LES PROTESTANTS 181

triomphe du catholicisme le plus étroit. Pendant les premiers mois de 1686 on annonça même la disgrâce de Bossuet qui aurait « fait des démarches pour les prétendus convertis qui n'auraient pas agréé aux Révérends Pères » et encore moins à l'archevêque de Paris (53).

L'habile protection de Seignelay, l'appui de l'évêque de Saintes (54) et de l'intendant Arnoul (55), la neutralité assez bienveillante du P. de La Chaise (56) épargnèrent à Fénelon un rappel ignominieux, mais il ne fut plus en mesure de s'acquitter dans l'Ouest de la tâche irénique qu'on lui avait réservée (57) : il ne parla plus du chant des Psaumes et montra en toute circonstance un souci pointilleux d'orthodoxie qu'il dissimule d'autant moins à la fin de sa lettre du 29 juin 1687 que le « tempérament » réclamé par les nouveaux convertis était simplement l'usage de la coupe (58). Les bornes étroites qui lui sont désormais fixées ne l'empêchent pourtant pas d'essayer d'user encore de la voie de la persuasion. Le 26 mai 1687 il a averti Seignelay : « Nous insinuons tout ce qu'il faut pour faire de vrais catholiques en ne paraissant travailler qu'à faire en général de bons chrétiens ». Et il ajoute à l'adresse de son collègue Cordemoy qui essayait sur « les matelots et les laboureurs » de La Tremblade les arguments des livres érudits qu'il composait : « Les esprits y sont rebutés de l'instruction par la lassitude des fréquentes conférences... Nous éprouvons chaque jour de plus en plus qu'il ne faut guère espérer gagner les peuples par le raisonnement ». Il restait certes fidèle à la méthode de Bossuet

ajoutant que « sur cela plusieurs se récrient que c'est encore un effet de cette mauvaise foi dont ils se plaignent » (p. 1230).

(53) « M. de Meaux est brouillé avec la Cour. Il a eu ordre de demeurer Meaux. Il doit pourtant faire l'oraison funèbre de M. le Chancelier. On parle fort diversement du sujet pour les uns, du prétexte pour les autres. M. de Paris, dit-on, y entre pour beaucoup... » (Nouvelles ecclésiastiques, ms. fr. 23 498, f. 54 v° ). Avec un retard qui s'explique, Leibniz écrira le 28 novembre (8 décembre n. st.) 1686 au Landgrave : « On dit que l'archevêque de Reims et même l'évêque de Meaux sont tombés dans la disgrâce du Roi. Il est vrai qu'ils ne sont pas trop grands amis de l'archevêque de Paris et du P. de La Chaise qui sont tout puissants dans les matières ecclésiastiques » (Allgemeiner Politischer und Historischer Briefwechsel, Erste Reihe, Berlin, 1950, t. IV, p. 411). Sur l'emploi du mot « Condomite », cf. supra, n. 51.

(54) Sur sa lettre à Seignelay du 31 janvier 1686, cf. la lettre du 14 février, n. 1.

(55) Cf. la lettre du 28 janvier 1686, n. 3 et celle d'Arnoul du 11 février citée dans le commentaire de celle de Fénelon du 7 février 1686, n. 7.

(56) Fénelon rapporte le 7 février qu'il venait de « recevoir une lettre du P. de La Chaise, qui me donne des avis fort honnêtes et fort obligeants sur ce qu'il faut, dès les premiers jours. accoutumer les nouveaux convertis aux pratiques de l'Eglise, pour l'invocation des saints et pour le culte des images ».

(57) Cf. supra. n. 27. Fénelon sait le rappeler à la fin de sa lettre du 28 janvier 1686 (n. 10).

(58) Mémoire du 10 (?) août 1687, n. 7. On notera que celui-ci se termine par les mots : e Il serait à souhaiter qu'en les obligeant d'aller à l'église, on leur y fit trouver quelque consolation qui ne changeât rien de la conduite de l'Eglise, sur laquelle il ne faut jamais rien relâcher ».

en préférant à « l'air contentieux des controverses » la « voie de simple explication », mais il la dépassait peut-être « en y joignant des mouvements affectueux pour faire goûter l'esprit doux et humble de l'Evangile » aux nouveaux convertis qu'il espérait « attirer insensiblement » par « l'édification » (59). En affirmant le primat de celle-ci, il rejoignait les plus audacieux — et les plus discutés — des accommodeurs catholiques, l'évêque de Grenoble ou l'oratorien de La Tour (60). Il semblait même proche de certains réformés qui, précurseurs du piétisme, exaltaient, avec Pierre Poiret, la charité, lien de la religion chrétienne, au détriment des dogmes particuliers de chaque confession (61). Pierre Jurieu s'en indignait dans sa XVI* lettre pastorale : « Les malheureux convertisseurs de France ne travaillent pas à détourner nos protestants de la dévotion, mais de la vérité. C'est pourquoi il est bien moins nécessaire de combattre l'indévotion que l'erreur » (62).

Il est d'autant plus paradoxal que Fénelon se soit retrouvé d'accord avec Jurieu pour dénoncer la « fausse conscience » qui fait « croire qu'on peut se sauver dans toute sorte de religion sans changer ses sentiments » (63). Il ne parlait pourtant pas ainsi pour mettre son orthodoxie à l'abri. Mais il ne se contredisait pas non plus car, à l'encontre de Poiret et de Jurieu, il ne visait pas par là des opinions spéculatives, mais l'attitude de beaucoup de nouveaux convertis qui (Arnoul le précisait au même moment) ne voyaient dans les communions que des « gestes extérieurs » qui ne les rendaient pas « coupables devant Dieu » quand ils étaient exigés par le prince (64). Fénelon partage au contraire avec les « accommodeurs » suspects de jansénisme l'horreur des sacrilèges (65) et il ne trouve pas de termes assez durs pour flétrir

(59) Lettre du 26 mai 1687, n. 1 à 7.

(60) Voir les textes cités dans notre Louis XIV et les protestants, pp. 122, 124.

(61) Le 14 novembre 1686 il avait publié un Avis charitable pour soulager la conscience de ceux qui sont obligés de se conformer au culte de l'Eglise romaine, et il en développait en 1687 les idées dans sa Paix des bonnes âmes dans tous les partis du christianisme. Cf. E. HAASE, Einfiihrung in die Literatur des Refuge, Berlin, 1959, pp. 169 sq. et G. GRUA, Textes inédits de Leibniz, Paris, 1948, t. II, p. 203. La Lettre d'un avocat nouvellement réuni à l'Eglise catholique tirait (p. 10) des aveux d'auteurs réformés sur la communauté de croyances la conclusion que « les nouveaux convertis ne peuvent être déserteurs de la foi chrétienne ». Cf. HAASE, p. 143.

(62) 2e année, XVI, 124. Quand Claude Brousson en revint à placer l'accent sur la spiritualité, il se fit traiter de viiionnaire anabaptiste par le pasteur Merlat de Lausanne. Cf. HAASE, pp. 117, 142.

(63) Lettre du 29 mars 1686, n. 14. De même Jurieu combattra dans sa Seconde apologie « ce dogme pernicieux qu'on peut se sauver dans toutes les religions » (G. H. DODGE, The Political Theory of the Huguenots of the Dispersion, New-York, 1947, p. 191). Cf. notre Louis XIV et les protestants, pp. 125, 164.

(64) Dépêche du 8 juin 1687 à Seignelay, nouv. acq. fr. 21 334, f. 141.

(65) Le mot se trouve dans ses lettres du 26 février 1686, n. 4 et du 29 mars 1686, n. 14. On remarquera que c'est toujours lui qui entraîne l'expression « indifférence de religion ».

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à ce propos « une indifférence de religion qui est le comble de l'impiété, et une semence de scélérats qui se multiplie dans tout un royaume » (66). L'indignation du missionnaire de Saintonge est justifiée par le témoignage d'un nouveau converti d'Uzès, Jacques-Jacob d'Aigalicrs, selon lequel les évêques de Languedoc auraient déclaré : « Croyez ce que vous voudrez, mais faites les fonctions des catholiques », « conduite » qui « a produit en France une très grande quantité de déistes » (67). D'outres observateurs impartiaux le confirmaient (68). Fénelon nllait plus loin en déclarant que cette « indifférence de religion pour tous lem exercices extérieurs... doit faire trembler... C'est un redoutable levnin dans une nation » (69). De fait, d'Aigaliers constatait au même moment que « la contagion » s'étendait aux anciens catholiques (70).

Fénelon s'était donc vu interdire la tactique habile de concessions qui n'étaient peut-être qu'apparentes et il se refusait à l'emploi de la violenee qui lui paraissait conduire à une situation bien pire que celle à laquelle avait voulu remédier la Révocation. Que lui restait-il done à faire ? S'insurger contre celle-ci? Audace inconcevable à cette date chez un prêtre français. Puisqu'aucune solution de nature religieuse n'émit satisfaisante, il ne lui restait que la voie indirecte des mesures politiques et administratives : il en vint même à préconiser des coups d'autorité ou des tours de ruse, qui lui ont été d'autant plus reprochés

(66) Lettre du 26 février 1686, n. 5.

(67) Baronne de CUARNISAY, Un gent ilho m hu guenot au temps des Camisards,

Musée du Désert, 1935, pp. 60 sqq. 11 dira môme plus tard à Louis XIV : « Ils nous

ont empêché de devenir catholiques, mettant toute leur application à nous pousser dans le désespoir » (pp. 164 sq.). Le mot s'explique par ln doctrine protestante du péché contre le Saint-Esprit. Fénelon l'emploie dans le même sens : « Les voyant communier, on croira avoir fini l'ouvrage; mais on ne fera que les pousser par les remords de leur conseience jusqu'au désespoir » dettre du 26 février 1686, n. 5). Cf. aussi lettre du 29 mars 1686, s. I. Aigaliers, qui avait quatorze ans à la Révoeation, raconte que, les jeunes protestants disaient alors : « Nos pères, nos mères, nos parents et même plusieurs de non ministre/1 nous prêchent une vie éternelle et eependiutt ils préfèrent lem biens de celle-ci. Ils nous font apparemment des contes pour nous foire peur, puisqu'ils témoignent par leur conduite qu'ils ne croient pas eu,n)énlem ro qu'ils veulent persuader aux *Harem» (op. rit., p. 61). Cf. IIAssE, p. 61.

(68) A. Rennusti, Vauban. Paris, 1962, pi, 115 sq. et lem textes cités dans notre Louis X/V et leo protestants, pp. 144 sq., 162, 166.

(69) Lettre, à Bossuet du R mars 1686, n. 4.

(70) Op. rit.. pp. 61 sq. 11 avait expliqué que, de ln conduite qu'il n attribuée sua évï.ques, les jeunes eatholiques cultivés « formaient un argument rontre le christianisme », et que « quand ils PO. retrouvaient » avee les jeunes huguenots, « ilse unissaient leurs raisons pour se fortifier dans leur pensée de prendre les plaisirs de cette vie et de ne penser point à telle qui est à venir n (ibid. ). D'après Vauban, n même eller. irse eatholiques..., les conversions n'ont édifié personne pas même ceux qui ont Mé eommia l'exéeution, à qui elles ont souvent Èlonrut del la pitié ou de l'horreur, ou rnAme des pensées qui ne valent rien dams un pays où l'on est défit trop libre de raisonner sur In religion » (dans lienEt.t.tstt, p. 115). Cf. aumsi IfAmsE. pp. 145 sq. et notre Louis XIV et les protestants. p. 166.

qu'on n'a pas vu qu'il ne suggérait aux bureaux de Versailles que les mesures que ceux-ci appliquaient déjà (71). Il y a un contraste évident « entre les dispositions douces et bienveillantes que Fénelon porta en Saintonge » et la rigueur de certains de ses conseils d'août 1687 : mais ce n'est pas parce qu'il avait été « fatigué et irrité de l'insuccès de sa prédication » (72). C'est au contraire parce qu'on l'avait contraint à l'intransigeance que ses missions dans l'Ouest réalisèrent si peu des espoirs que les modérés des deux partis avaient placés sur elles (73).

Elles ne furent pourtant pas complètement inutiles. Tout d'abord, si l'intendant Arnoul « faisait bien l'évêque » (74), Fénelon montre dans ses dépêches à Seignelay des capacités remarquables sur les questions les plus profanes, fussent-elles stratégiques ou économiques. Les mesures qu'il proposa avec succès en matière d'assistance (75) ou d'enseignement (76) touchaient davantage au but religieux qu'il poursuivait. Mais la valeur des conseils qu'il donnait dans ces domaines renforçait le poids de ses prises de position les plus audacieuses sur l'horrible traitement infligé aux cadavres des relaps (77) ou surtout sur les communions forcées : conjugués avec ceux de Bossuet, de Le Camus et de Percin de Montgaillard, ses efforts sur ce dernier point — critère de la sincérité des convertisseurs — avaient triomphé à Versailles dès 168 6 (78). Et c'est précisément après avoir confirmé « la défense très

(71) V. g. l'exil d'opiniâtres au « cœur du Royaume n (cf. la lettre du 21 avril 1686, n. 2 et le mémoire du 10? août 1687, n. 5), voire au Canada (ibid., n. 7); les pensions secrètes et les aumônes (ibid., notes 23 sq.); les libelles apocryphes contre Jurieu (ibid., n. 21); le recours aux officiers royaux pour des mesures de rigueur auxquelles le missionnaire veut paraître absolument étranger dettres des 7 février et 21 avril 1686; l'évêque de Saint-Pons semble avoir raisonne; de même, cf. Jurieu, Lettres pastorales, p. 308, dans DOUEN, Intolérance, p. 153). Fénelon est présenté comme un persécuteur hypocrite par Douen et même par Crtousc.i., t. I, pp. 76, 106, 111, 133. Appréciation beaucoup plus nuancée sous la plume de L. naconits, pp. 335 sq.

(72) DOUEN, pp. XI sq.

(73) Fénelon sait que Versailles jugera sévèrement des missions qui ont obtenu si peu de résultats spectaculaires dettre du 14 juillet 1687, n. 5 ). Il avait pourtant eu soin d'avertir peu après son arrivée : « On gâtera tout si l'on croit l'ouvrage fort avancé n dettre du 16 janvier 1686) et il avait ajouté, non sans malignité, le 26 février : « Dans les lieux où les missionnaires et les troupes sont ensemble, les nouveaux convertis vont en foule à la communion n (n. 15). Mais, dans los autres provinces, les résultats réels n'étaient guère meilleurs. Basville avouait par exemple le 19 avril 1686 : « Quoique Bourdaloue ait beaucoup travaillé, il reste encore bien des choses à faire pour achever ce grand ouvrage ici et dans tout le Languedoc » (Botst.tsLE, Correspondance des contriileurs généraux, t. I, p. 67, n. 264).

(74) Lettre du 28 décembre 1685.

(75) Lettre du 20 février 1686, n. 5.

(76) Lettre du 8 mars 1686, n. 10.

(77) Lettre du 21 avril 1686, n. 4.

(78) Lettre du 15 mars, notes 10 sqq. Sur la lettre de M. de Saint-Pons, cf. DOUEN, Intolérance, pp. 176 sqq. Sur les polémiques au sujet de l'attitude de

184 FÉNELON ET LES PROTESTANTS 185

expresse de faire aucune menace aux nouveaux convertis ni de les obliger à communier » que Seignelay affirmait le 11 mars 1687 au marquis de Villette : « Sa Majesté est persuadée qu'un homme du caractère de M. l'abbé de Fénelon peut servir utilement à réparer le mal que le zèle indiscret de ces ecclésiastiques peut avoir causé » (79).

Les séjours de Fénelon dans l'Ouest furent, du point de vue de sa carrière un échec puisqu'il ne reçut pas immédiatement après l'épiscopat qui aurait dû en être la récompense normale : c'est que, malgré les efforts de Seignelay, il restait suspect de « jansénisme », accusation alors portée contre ceux qui se réclamaient de l'Exposition de Bossuet (80). Non seulement la dénonciation des jésuites de Marennes n'était pas oubliée, mais les adversaires de Fénelon, et peut-être ses rivaux (81), devaient tirer parti des éloges que des réfugiés de Hollande accordèrent au Traité de l'éducation des filles. Publié à Paris au début de 1687 entre les deux missions de Fénelon, l'ouvrage fut bientôt réimprimé à Amsterdam (82). Sans doute l'éditeur huguenot ne tombe pas dans le ridicule d'en faire l'ceuvre d'un coreligionnaire et il en critique même avec aigreur les passages les plus papistes :

Le Camus, la lettre de Leibniz du 1" août 1687 dans Hist. und Pol. Briefwechsel, 1950, t. IV, p. 440. Le secrétaire d'Etat Châteauneuf écrira le 2 octobre 1686 : Le Roi ayant été averti que les communions forcées entraînaient souvent des désertions veut être averti de la conduite des évêques à cet égard » (nouv. acq. fr. 21 333. f. 571 r° — HAASE, p. 145 — notre Louis XIV et les protestants, pp. 131134, 160).

En juin 1686 le secrétaire d'Etat avait prescrit à l'intendant Arnoul : a Vous devez observer de ne les contraindre par aucune sorte de rigueur à faire leur devoir de catholiques; je suis surpris qu'il faille encore vous le répéter » (dans V ER Ut ',lut. Fénelon missionnaire. p. 21).

(79) Cf. lettre du 11 mars 1687 et supra. n. 59.

Nos_re cadre biographique nous empêche de donner une idée complète du contenu des lettres écrites par Fénelon pendant ses missions.

Les arguments que Fénelon développa dans l'Ouest se retrouvent dans le Traité du Ministère des pasteurs qu'il publia à Paris en 1688 : ils dépendent étroitement de ceux dont Boemet s'était servi en mars 1678 contre le ministre Claude pour convertir Nr° de Duras (cf. sa Conférence avec M. Claude, Paris, 1682, in-12 ). Le Traité de Fénelon semble avoir passé également inaperçu en France et à l'étranger : preuve, entre beaucoup, du discrédit qui atteignit les ouvrages de controverse après la Révocation. Seules, les Nouvelles ecclésiastiques de 1688 l'annonçaient sous son nom comme • un petit in-12 de controverse très estimé. il est de bonne main » (Amersfoort. f. Port-Royal et Unigenitus. 3 070): mais le rédacteur était un ami de sa famille.

(80) Ce. supra, II' p., eh. V. notes 14 et 18. Il est vrai que certains y prêtaient k Banc par leurs plaisanteries sur « la grâce efficace » et « l'attrition des dragons » : d'après les Nouvelles ecclésiastiques de juillet 1689. celle-ci « fait le même change-

ment dans le coeur des N. C. que celle des bons Pères dans celui de leurs fi&les (ras. fr. 23 499. f.

(81) Cf. supre. eh. V. n. 25.

(82) L'édition protestante de 1687 porte seulement A la Sphère, selon la copie

« Ceux qui jetteront les yeux sur le chapitre VIII de cet ouvrage et sur la fin du VII, s'étonneront peut-étre qu'on réimprime dans un pays protestant un livre qui semble n'être à l'usage que des catholiques romains et fait exprès pour instruire les enfants des opinions de cette Eglise. Mais on a deux choses à dire là-dessus. La première est que tant s'en faut que dans notre communion on doive fuir la lecture des livres de morale, où des personnes d'esprit catholiques romaines tâchent d'insinuer les sentiments de leur Eglise, qu'au contraire il est utile qu'on les lise pour se confirmer dans sa religion. En effet il n'est rien de plus propre à persuader un protestant de l'obscurité des opinions qu'il rejette, que de voir d'un côté les preuves évidentes qu'un de ses adversaires apporte en faveur des doctrines fondamentales, dans lesquelles ils conviennent, et de marquer de l'autre la faiblesse des raisons qu'il allègue, pour soutenir les dogmes où ils diffèrent. Ainsi, au lieu que notre auteur est admirable, lorsqu'il montre avec combien de facilité on peut faire retenir l'Histoire sainte aux enfants même les plus stupides, et leur en donner une grande idée; au lieu qu'il apporte des preuves solides et concevables aux personnes les plus simples, de la distinction de l'âme et du corps, de l'existence de Dieu, de sa spiritualité et de ses autres perfections; de la création du monde, de l'immortalité de l'âme, du péché, de la nécessité de la grâce, des peines et des récompenses futures, etc.; il semble que sa clarté et sa solidité ordinaire l'abandonnent lorsqu'il s'agit de quelque dogme particulier de l'Eglise romaine. C'est un préjugé qui vaut une démonstration, qu'un homme aussi éclairé que M. Fénelon ne puisse soutenir les dogmes particuliers de son Eglise, que par l'autorité même de cette Eglise, qu'on est obligé de croire sur sa parole, ou du moins d'en faire semblant de peur de ressentir le redoutable effet de ses menaces, si l'on manquait d'ajouter foi à ses promesses. « Il faudrait, dit notre auteur (p. 85), poser comme le principal fondement l'autorité de l'Eglise du Fils de Dieu et Mère de tous les fidèles : c'est elle, direz-vous, qu'il faut écouter, parce que le S. Esprit l'éclaire pour nous expliquer les Ecritures. » Oui, sans doute, et c'est le S. Esprit qui a dicté à l'Eglise gallicane ou à un prélat et à un moine qui la représentent, et qui en possèdent toute l'autorité; c'est lui, dis-je, dont les célestes rayons leur ont fait comprendre que ce passage, contrains-les d'entrer, signifie, envoyez les dragons aux huguenots, qu'on les mange, qu'on les dévore, qu'on les réduise à la dernière mendicité, qu'on invente tous les jours de nouveaux tourments pour les mettre à la raison. Si les dragons. tout dragons qu'ils sont, n'en

imprimée à Paris chez Pierre Aubain- mais elle a été publiée de nouveau (avec le même nombre de pages) en 1697 à Amsterdam, chez Antoine Schelte (A. de Rot MÉJ OUI, Bibliographie générale du Périgord, Périgueux, 1897, t. I, pp. 298 n. ).

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peuvent venir à bout, qu'on les envoie à Larapine, ce fameux bourreau, dont les Busiris et les Phalaris feraient gloire d'être écoliers... »

« ... Après avoir renversé si facilement le grand principe de ces Messieurs, l'autorité de l'Eglise, phrase qui est seule capable d'inspirer de l'horreur, lorsqu'il s'agit de persuasion et de sentiments : On n'aura pas de peine à se tirer de leurs autres sophismes, dont toute la force consiste dans un tour figuré. Telle est la raison que l'auteur allègue pour prouver que le mariage est un sacrement. « Admirez, dit-il (p. 103), les richesses de la grâce de Jésus Christ qui n'a pas dédaigné d'appliquer le remède à la source du mal en sanctifiant la source de notre naissance qui est le mariage. Qu'il était convenable de faire sacrement de cette union de l'homme et de la femme, etc. » Quelle pauvreté ! Est-ce ainsi que l'on prouve les fondements et les mystères de la religion? Il fallait alléguer des passages formels pour l'institution de ce nouveau sacrement, comme on en a pour ceux du baptême et de l'eucharistie. Après cela, il ne faut pas s'étonner s'il y a tant d'athées en Italie, en Espagne, et même à ce qu'on dit, en France; puisque les catholiques les plus zélés travaillent avec tant d'ardeur à obscurcir les vérités de la religion chrétienne, en y mêlant les opinions particulières de leur Eglise : rien n'étant plus capable de faire révoquer en doute les solides raisons qu'ils allèguent quelquefois en faveur du christianisme pie les faiblesses des preuves qu'ils apportent pour donner quelque couleur à ces opinions. Ajoutez à cela que pour s'attacher à l'étude de ces controverses, ils négligent celui de l'Ecriture et de l'antiquité, de la religion et de la morale. »

L'Avertissement montre bien pourtant en terminant que ses coups sont dirigés contre le catholicisme et non contre l'auteur du livre : « Mais M. Fénelon n'est pas du nombre de ces derniers, et c'est la seconde chose que nous avons à remarquer pour justifier l'édition de ce livre. Il ne faut pas avoir beaucoup de pénétration, pour sentir par la lecture de cet ouvrage, que cet abbé n'est pas extrêmement superstitieux, et qu'il n'y a mêlé qu'à regret quelques traits de papisme. Il passe fort légèrement sur certains dogmes épineux de son Eglise, et les explique dans les termes les plus doux et les plus généraux qu'il peut trouver. Il établit des maximes, qui étant bien comprises peuvent être d'un grand secours pour faire revenir de leurs erreurs grossières plusieurs membres de son Eglise. Enfin on n'y trouve pas même les mots de transsubstantiation, d'adoration du sacrement, ni celui du purgatoire. On n'y apprend point aux enfants à se prosterner devant les images, ni à invoquer les saints, ni à prier pour les morts, ni à gagner les indulgences» (83).

(83) Cf. Bull. de la Société de l'histoire du protestantisme fr., t. XIV, 1865, PP. 5-8.

D'ailleurs cet Avertissement avait certainement été moins connu en France que la recension très longue et très élogieuse, que les Nouvelles de la république des Lettres avaient donnée en octobre 1687 de l'Education des Filles. Voici comment P. Bayle y parlait des points qui touchent la controverse :

L'auteur « veut qu'on dispose de bonne heure » les filles « à lire la Parole de Dieu; qu'on leur mette devant les yeux l'Evangile, et les grands exemples de cette perfection céleste qui régnait parmi les premiers chrétiens. Et bien loin de jeter les filles dans la superstition, comme il sait qu'elle est à craindre pour ce sexe, et que rien ne la déracine 6u ne la prévient mieux qu'une instruction solide, il veut qu'on les prémunisse discrètement contre certains abus, qui sont si communs qu'on est tenté de les regarder comme des points de la discipline présente de l'Eglise. Ainsi il veut qu'on accoutume les filles naturellement trop crédules à n'admettre pas légèrement certaines histoires sans autorité et à ne s'attacher pas à de certaines dévotions, qu'un zèle indiscret introduit (ch. 7, p. 144). Il est vrai que, comme dans la communion où il est, il ne faut dire les vérités qu'avec de grands ménagements, il ajoute peu après qu'on peut prévenir les enfants contre les discours que font là-dessus les calvinistes; sur le sujet desquels on peut remarquer en passant qu'il fait un aveu qui ne sert pas trop à montrer la sincérité des nouvelles conversions. Car, malgré tout ce qu'on publie qu'il y a déjà longtemps qu'il n'y a plus de calvinistes en France, l'auteur déclare que les catholiques y sont mêlés tous les jours avec des personnes préoccupées de leurs sentiments, qui en parlent dans les conversations les plus familières. Il veut donc qu'on apprenne aux enfants ce que l'Eglise enseigne sur le baptême, sur la confession etc. et qu'on leur die : Voilà tout ce qu'il faut croire. Ce que les calvinistes nous accusent d'y ajouter, ce qu'ils nous imputent sur les images, sur l'invocation des saints, sur les prières pour les Morts etc. n'est point la doctrine catholique. C'est mettre un obstacle à leur réunion que de les vouloir assujettir à des opinions qui les choquent et que l'Eglise désavoue. Je ne sais pourtant si, malgré toutes ces précautions, les calvinistes ne trouveraient point en tout cela de quoi se dédommager un peu de ce qu'il dit contre eux dans la suite.

« Le ch. 8 est une Instruction sur le Décalogue, sur les Sacrements et sur la Prière. Pour le premier, M. de Fénelon ne veut pas qu'on manque de l'expliquer à fond aux enfants. Il veut qu'on leur fasse comprendre que c'est un abrégé de la Loi de Dieu et qu'on trouve dans l'Evangile ce qui n'est contenu dans le Décalogue que par des conséquences éloignées. Il veut qu'on répète souvent que la lettre tue, et que c'est l'Esprit qui vivifie : parce que Dieu veut être honoré de coeur, et non pas des lèvres : que les cérémonies servent à exprimer notre religion et à exciter, mais qu'elles ne sont pas la religion même; que celle-ci est toute au dedans, puisque Dieu cherche des adorateurs en esprit et en vérité. Sur

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les sacrements, il veut qu'on rappelle souvent les promesses et les engagements du baptême; qu'on représente fortement le bonheur que nous avons d'être incorporés à Jésus-Christ par l'Eucharistie; que dans le baptême il nous fait ses frères, dans l'Eucharistie ses membres, et qu'il nous y donne sa chair aussi réellement qu'il l'a prise. C'est à quoi revient l'instruction qu'il donne là-dessus, et il ne parle ici, ni de transsubstantiation ni d'adoration du sacrement. Sur le sujet de la pénitence, il enseigne qu'une confession sans changement intérieur, bien loin de décharger une conscience du fardeau de ses péchés, ne fait qu'augmenter le nombre de ses crimes. Maximes qui ne s'accordent pas trop avec celles des casuistes, ni avec les pratiques de tant de dévots. Enfin. sur ce qui regarde la prière il veut qu'on en montre en général la nécessité et en particulier l'excellence de celle que Jésus-Christ nous a donnée (84). »

Quelques mois plus tard, un autre réfugié, Jean Cornand de Lacroze, fit aussi l'éloge du Traité dans son Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme et tes quiétistes ou Molinos, ses sentiments et ses disciples (85). Lors du procès des Maximes des Saints on attribua les textes en question au futur évêque anglican G. Burnet parce que le Recueil traduisait la première de ses Trois lettres touchant l'état présent de l'Italie (15 février 1687); mais il n'avait pu y parler à cette date du Traité de Fénelon. En fait les passages où il est nommé sont des additions du Recueil de 1688 et la première des deux ne permet pas de douter qu'elles n'aient été inspirées par la lecture des Nouvelles de Bayle. En voici en effet le texte : « Les quiétistes avaient en horreur les superstitions romaines et ils voulaient les ensevelir dans l'oubli, en ne les enseignant et ne les pratiquant point, aussi bien que fait l'abbé de Fénelon (Educ. Filles, p. 144) » (86). Le second suppose encore moins une lecture directe : « Je sais bien qu'on les a éblouis de belles espérances, qu'on a même fait des livres qui semblaient tendre à la réformation de quelques abus (Traité de l'Exposition du Saint-Sacrement de D. Thiers — Exposition et Catéchisme de l'évêque de Meaux — Catéchisme et Lettre de l'évêque de Grenoble — Education des Filles de l'abbé Fénelon -- le premier volume de la Bibliothèque des Pères de du Pin, ses Dissertations) » (87).

(84) Octobre 1687, art. V, pp. 1102-1105 (cf. pp. badin, l'article de Basnage de Beaux al dans l'Histoire (septembre 1687, pp. 79-87) n'a guère d'importance que 1081-1109). Aimable mais

(85) Amsterdam, Wolfgang, 1688, pp. 293 sq., 301. des ouvrages des savants

(86) Pp. 293 sq. du point de vue littéraire.

(87) P. 301. Ce livre parvint à Germigny où il fut vu par Fénelon, comme celui-ci le reconnaîtra le 30 octobre 1698 : « J'étais alors chez M. de Meaux. Je lus l'endroit qui me regardait et, par occasion, je lus quelques chapitres de la Guide de Molinos » (cf. aussi la Réponse aux Remarques de l'Ev. de Meaux, parag. 5, 0. F., t. III, p. 64 ). Rien n'indique en revanche que les adversaires de l'abbé aient essayé d'en faire usage en 1688. Cette manoeuvre devait paradoxalement être le fait de Bossuet qui, à la suite d'une dénonciation du curé de Châteaufort Luc de Bray (cf. M. LANGLOIS, Correspondance de Mme de Maintenon, 29 août 1696, t. V, p. 90 ), n'hésitait pas à affirmer dans une note envoyée à Rome en 1697 : « Nam a decem fere annis... ipsum Fenelonem inter Guyoniae amicos et sectae fautores varus rumusculis recensebant, et Molinoso studentes Angli protestantes... Fenelonem ipsum ejus occultum defensorem praedicabant » (dans E. GRISELLE, Documents d'histoire, no 2, 1910, p. 291, cf. aussi H. BREMOND, Apologie pour Fénelon, Paris, 1910, pp. 286 sqq. Et, sous une forme plus prudente, M. de Meaux reprenait l'accusation dans ses Remarques sur la Réponse à la Relation sur te Quiétisme, VII, § 3, éd. LÂCHÂT, t. XX, p. 233, cf. URBAIN-LEVESQUE, t. IX, pp. 66 et 246.



CHAPITRE

VII LA NOMINATION DE FENELON AU PRECEPTORAT

Né le 6 août 1682, le duc de Bourgogne devait être « ôté des mains des femmes » lorsqu'il aurait atteint sa huitième année (1). Bien avant cette date, le choix de ceux auxquels il serait ensuite confié avait suscité pronostics et intrigues. Le poste de gouverneur semblait communément destiné au marquis de Vardes (2) « fort distingué à la guerre par sa valeur et dans la paix par son bon esprit et par sa politesse ». Sans doute il n'était revenu qu'en juin 1683 d'un exil de dix-huit ans, bien mérité, mais ses amis soutenaient qu' « il avait su en profiter en cultivant son esprit par toutes sortes de sciences et en réglant ses moeurs par une solide piété » (3). « D'ailleurs, il avait contracté en Languedoc une étroite liaison » avec l'évêque de Mirepoix Pierre de La Broue, « ami et créature de M. de Meaux qui était en état de penser au préceptorat » (4). Ces calculs furent déjoués par la mort prématurée de Vardes (3 septembre 1688).

Il restait la possibilité de s'adresser de nouveau aux éducateurs du grand Dauphin. Montausier semble bien l'avoir espéré (5) et La Bruyère

(1) Dès le début de juin 1689, il faisait l'exercice dans les mousquetaires (Correspondance de Bussy-Rabutin, éd. LALANNE, Paris, 1859, t. VI, p. 248).

(2) Dangeau (t. II, p. 164) se contente d'écrire que e c'était un de ceux que l'on nommait pour être gouverneur du duc de Bourgogne », mais les Mémoires de Sourches affirment qu' « il mourut regretté de tous ceux qui le connaissaient, qui demeuraient d'accord qu'il était l'homme de la Cour le plus capable » (l'addition renchérit « et peut-être le seul qui en fut véritablement digne ») e de remplir la charge do gouverneur de Monseigneur, duc de Bourgogne n (t. II, p. 221). Cf. H. DRUON, Histoire de l'éducation des princes, Paris, 1897, t. H, p. 7.

(3) SOURCHES, 3 septembre 1688, t. II, p. 221. Mme de Sévigné confirme que Corbinelli tenait ce cartésien en haute estime (éd. MONMERQUÉ, t. IX, p. 83 ). Cf. sur lui la notice biographique de BOISLISLE, t. I, pp. 215-218.

(4) Voir la Relation... du quiétisme (éd. in-8°, s. 1., 1732) de J. Phélipeaux qui ajoute que cela donnait « tant d'ombrage » à Fénelon et à Langeron qu'ils e obsédaient tellement M. de Meaux que M. de Mirepoix avait peine de trouver aucun temps de lui parler en particulier » (t. I, p. 35 ). En guise de compensation, l'abbé de Catellan, neveu de La Broue, fut nommé le 23 août 1693 lecteur du duc de Berry (ibid., t. I, p. 36, cf. URBAIN-LEVESQUE, t. VI, p. 86 n. 11).

(5) C'est du moins ce qu'affirme l'ambassadeur vénitien Erizzo 2' série,

Francia, t. III, Venise, 1863, p. 513).

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aurait eu la « malice » d'augurer un second préceptorat à Bossuet en présence des abbés de Fénelon et Langeron (6), mais M. de Meaux déclarera plus tard sans fondement le récit que Phélipeaux en introduisit dans sa Relation (7). En faisant accompagner le Dauphin en Allemagne par Beauvillier et non par Montausier, Louis XIV indiqua d'ailleurs dès septembre 1688 où allaient ses préférences (8). Quant à la candidature au préceptorat de l'abbé de Dangeau, lecteur du Roi qui avait mis l'histoire de France sous forme d' « essuie-mains, de rouleau et de... jeu de l'oie », elle ne semble guère avoir été prise au sérieux (9).

Il suffisait donc de savoir que le Traité de l'Education des Filles était écrit à la demande du duc de Beauvillier pour juger très grandes

(6) Là encore Fénelon et Langeron auraient « cherché toutes les voies possibles de dégoûter » le prélat « de ce dessein » (Relation, t. I, p. 34 ).

(7) Phélipeaux « prétend qu'il a appris ces choses de M. l'abbé de Fénelon même dans ses entretiens à Germigny, peu avant qu'on (ne) le nommât précepteur », mais Ledieu lui inflige un démenti : « M. de Meaux... nous disait » le 29 octobre 1701 « que, pour lui, il n'avait jamais rien oui dire de semblable à M. l'abbé de Fénelon, ni à M. l'abbé de Langeron; et moi, jamais aussi je ne leur ai rien ouï souffler en manière quelconque... joint que... ces choses-là... donnent sujet de croire que M. de Meaux avait la pensée de devenir précepteur du jeune prince, et qu'il prenait des mesures pour cela, ce qui, nous assure-t-il, ne fut jamais son intention, et ne lui convenait plus, ni à son âge, ni à ses occupations » des dernières années de Bossuet, éd. URBAIN-LEVESQUE, Paris, 1928, t. I, p. 250, cf. p. 236 ). La maladresse de Phélipeaux était d'ailleurs d'autant plus grande que nombre de contemporains expliquaient alors l'acharnement de Bossuet contre son ancien ami par la déception qu'il aurait éprouvée en août 1689. C'est ainsi que André Morell écrivait à Nicaise : « Pour moi, je crois que si M. de Cambrai n'avait pas été précepteur de M. le duc de Bourgogne (au lieu de) M. de Meaux qui croyait l'être comme auprès du père, le livre de M. de Cambrai aurait été orthodoxe » (dans V. COUSIN, Fragments philosopLques, Paris, 1866, t. IV, pp. 173 sq.). L'hypothèse se retrouve sous la plume de Leibniz (éd. G. GRUA, Textes inédits, Paris, 1948, t. I, p. 106 ). Echo de l'abbé Fleury, le président Dugas ira plus loin dans une lettre du 8 janvier 1719 : « M. de Meaux voulait que M. de Cambrai suivît, pour l'instruction des princes, la méthode dont il s'était servi, qu'il donnât les mêmes thèmes. D'ailleurs, il vit avec chagrin qu'on avait pour M. de Cambrai, qui était homme de qualité, des distinctions qu'on n'avait pas eues pour lui. Par exemple, M. de Cambrai mangeait avec les princes, il allait dans le même carrosse, ce que n'avait pas fait M. de Meaux avec Monseigneur. Cela montre que les plus grandes âmes ont toujours quelques faiblesses » (Correspondance littéraire et anecdotique entre M. de S. Fonds et le président Dugas, p. p. W. POIDEBARD, Lyon, 1900, t. I, p. 90). Cf. aussi Mme Du NOYER, Lettres historiques, Londres, 1757, t. I, p. 49, cf. p. 32 — D'ARGENSON, Loisirs d'un ministre, Liège, 1787, t. II, p. 170 — URBAIN-LEVESQUE, t. IX, p. 431 — H. HILLENAAR, Fénelon et les jésuites, La Haye, 1967, p. 56, n. 1.

(8) Cf. infra, lettre du 14 octobre 1688, n. 12.

(9) Cf. la chanson : Brûlez, brûlez vos livres : a En essuie-mains et en rouleau, / Le savant abbé de Dangeau / A mis la science en morceau, / De tous les rois de France / Il nous fait des oisons, / Ce maître d'importance / Vaut bien les Fénelons » (ms. fr. 12 621, pp. 341 sq., cf. ms. fr. 12 669, pp. 37 sq.; 12 670, pp. 103 sq.; 12 689, ff. 559-561; BOISLISLE, t. XXXVIII, pp. 37 sq. et infra, n. 18).

les chances de Fénelon et l' « anagramme » ou prophétie que lui communiqua en avril 1689 Mme Guyon n'avait certainement rien de bien hasardé (10). Il n'y eut donc pas de surprise lorsque le Roi annonça le 16 août 1689 les nominations de Beauvillier et de Fénelon (11) : l'une ne pouvait aller sans l'autre (12). Sans doute il avait fallu dissiper le soupçon de jansénisme, mais l'abbé avait été justifié par les témoignages de M. Tronson, du jésuite Le Valois et du curé Hébert (13). Ce n'était pas néanmoins sans quelque apparence de raison que les Nouvelles ecclésiastiques présentaient la venue de Fénelon à la Cour comme une défaite des jésuites : mais elles n'indiquent pas qu'ils aient en aucune façon tenté de s'y opposer (14).

L'opinion semble avoir été unanime à applaudir à ces deux choix (15). Rivalisant d'emphase avec sa fille, Mme de Sévigné les déclare « divins ». Elle considère en particulier le précepteur comme « un sujet du plus

(10) Cf. infra, lettre du 30 avril 1689, n. 1. A-t-on en outre présenté le directeur des Beauvillier comme le candidat de Bossuet, lui-même spécialiste de l'emploi? Celui-ci dira le 6 octobre 1701 devant Ledieu « qu'il ne fallait tant appuyer qu'il croyait » que Phélipeaux « avait fait » dans sa Relation a sur l'envie qu'avaient M. l'abbé de Fénelon et l'abbé de Langeron de se servir du crédit de M. de Meaux pour faire leur fortune, ni donner à entendre que M. de Meaux les eût en effet servis dans leur établissemnt à la Cour, quoiqu'il soit vrai qu'il ne leur a pas nui, mais, au contraire, qu'il leur a été utile par son témoignage et par la considération de l'amitié et familiarité qu'il entretenait avec eux » des dernières années..., t. I, p. 236).

(11 ) Leurs provisions (Arch. Nat., O' 33, ff. 219 sq.) portent la même date. Cf. DANGEAU, t. II, p. 448 — SOURCHES, t. III, p. 137 — Abbé de La Brosse à Bussy, 20 août 1689 dans l'édition LALANNE, t. VI, p. 272. On verra Fénelon écrire le 4 juillet 1689 à M"'" Guyon : « L'affaire est dans sa crise ».

(12) Les Nouvelles ecclésiastiques d'août 1689 précisent même que « quelques jours auparavant que le duc de Beauvillier ne fût choisi pour le gouvernement du duc de Bourgogne, l'abbé de Fénelon qui est son intime et très digne ami lui augurant cette place, le duc lui dit qu'il ne l'accepterait qu'à condition qu'on le choisirait pour en être précepteur » (ms. fr. 23 499, f. 304 v0; répété en février 1695, ms. fr. 23 505, f. 12 r° ). Les Mémoires de Sourches (t. III, p. 138) se contentent de noter que le Roi laissa à Beauvillier « le choix de tous les officiers » dont la nomination fut annoncée ce jour-là.

(13) Cf. supra, eh. V, n. 28, et, sur Mme de Maintenon, infra, ch. IX, n. 18.

(14) « Le Roi a fait un choix fort approuvé des personnes qu'il met auprès du duc de Bourgogne : le duc de Beauvillier gouverneur, l'abbé de Fénelon précepteur, malgré l'envie des bons Pères et nonobstant son mérite singulier, et l'on croit que M. l'abbé Fleury sera sous-précepteur. Vous jugez bien à cela que les jésuites de cour n'y ont eu aucune part : aussi n'en ont-ils plus guère à faire des biens considérables, mais ils sont toujours, sinon accrédités, du moins industrieux à nuire » (ms. fr. 23 499, f. 291 r°).

(15) Le 17 août 1689 l'ambassadeur Pietro Venier faisait l'éloge de Beauvillier « soggetto di distinte e ammirabili parti » et notait que par sa nomination la maison Colbert recevait « un nuovo e grandissimo appogio e se va se non bilanciando, almeno contraponendo molto alla fortuna eccedente di Louvois » (Bibl. Nat., f. italien, ms. 1903, p. 64). Le 17 août 1689, M. Tronson félicitait le gouverneur de sa nomination « accompagnée de tous les agréments que vous pouviez souhaiter » (A. S. S., Corr. ms., t. II, pièce 548, p. 225).

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rare mérite pour l'esprit, pour le savoir et pour la piété » (16), termes auxquels font écho les additions à Sourches (17) et les chansons qui raillent l'abbé de Dangeau (18). Nous sommes plus étonnés que la jeune Académie d'Angers (19) ait mis dès le 25 août au concours « la prudence que le Roi vient de faire paraître dans le choix des personnes illustres auxquelles il confie l'éducation de Mgr le duc de Bourgogne » : ces termes constituaient une habile flatterie de Nicolas-Guillaume de Bautru, abbé de Vaubrun (1662-1746), futur lecteur du Roi, qui ne pouvait assigner d'emploi plus utile pour sa carrière à un prix fondé par sa famille (20). Le 17 mai 1690, Charles-Maurice Le Peletier, abbé de Saint-Aubin d'Angers et ami de Fénelon (21), donnait lecture du meilleur mémoire (22) : comme on pouvait s'y attendre, celui-ci célébrait les victoires du précepteur sur les hérétiques, en province et à Paris, « ses doctes ouvrages, ses éloquentes publications » et, plus grand « sujet d'admiration », la modestie qui couronnait le tout (23). Cette pièce resta inédite, d'autant que chacun avait pu lire dans le Mercure galant d'août 1689 les mêmes banalités avec quelques indications plus précises

(16) Lettres des 21 août et 11 septembre 1689 à Mme de Grignan, éd. MONMERQUE, t. III, pp. 513, 531.

(17) Elles traitent tous les collaborateurs de Beauvillier de « gens d'une piété et d'une sagesse exemplaire ». Une addition souligne en outre que « le marquis de Fénelon... était un homme d'un mérite et d'une capacité extraordinaires » (t. III.

p. 137 n. et p. 138). Sur les sentiments de Bossuet et de M. Tronson, cf. infra, leurs lettres d'août 1689.

(18) « Il ne peut encor digérer / Qu'au grand mépris de sa férule / On ait osé lui préférer / Un saint selon lui trop crédule. / Une telle indigestion / Ne se guérit point à Bourbon / ... Faut pour sauver un Courcillon / Décanoniser Fénelon ? » (ms. fr. 12 642, f. 330).

(19 ) Les lettres patentes en datent du 10 juin 1685 et furent enregistrées au Parlement le 9 septembre. Elle comptait l'abbé Grandet parmi ses trente membres (DE BEAUREGARD, Notice historique sur l'ancienne Académie &Angers, dans Mémoires de la société d'agriculture, des sciences et des arts d'Angers, 2` série, t. 3, 1852, pp. 6-11).

(20) « On a prié le comte de Serrant de prescrire les sujets des deux prix qu'il a agréable de donner pour l'année prochaine. Mais ayant témoigné qu'il désirait que ce choix fût fait par toute l'Académie, la chose mise en délibération, on a cru ne pouvoir choisir un plus beau sujet pour la prose que celui proposé par M. l'abbé de Vaubrun » (Procès-verbaux, Bibl. municipale d'Angers, ms. 1261, p. 49). Sur celui-ci, fils de Nicolas Bautru et de Marguerite Bautru de Serrant, qui sera exilé de 1700 à 1709 à Serrant à cause de son attachement au cardinal de Bouillon, cf. BOISLISLE, t. V, p. 342 et URBAIN-LEVESQUE, t. IX, p. 196.

(21) Cf. la lettre de M. Tronson à Cl. Le Peletier du 29 octobre 1688 que nous publions à sa place chronologique.

(22) Bibl. d'Angers, ms. 1261, p. 50.

(23 ) De brefs extraits en avaient été donnés par le cardinal de Bausset (Vie de Fénelon, 1. I, n. 24 et 31, 0. F., t. X2, pp. 22, 28 ). Gosselin n'a pas pu en retrouver le texte complet (Histoire littéraire, ibid., t. I, p. 173), mais il en a publié (ibid., t. X2, p. 158 g.) les passages essentiels sur Beauvillier et sur Fénelon. L'auteur était d'ailleurs bien mieux documenté sur le premier que sur le second.

LA NOMINATION AU PRÉCEPTORAT 195

sur « l'ancienneté de sa noblesse, son séjour dans le séminaire de Saint-Sulpice » et surtout sur « ses talents admirables pour ramener les âmes à Dieu : les malades qu'il veut bien assister éprouvent par la manière dont il les conduit... des effets sensibles de la grâce » (24). Mais un éloge d'un tout autre poids parut en 1690 dans la cinquième édition des Caractères. Après avoir demandé dans sa quatrième édition (août 1689) : « Quel plus beau talent que celui de prêcher apostoliquement? et quel autre mérite mieux un évêché? », La Bruyère ajouta en effet dans la suivante : « Fénelon en était-il indigne? Aurait-il pu échapper au choix du Prince que par un autre choix? » (25).

Le nouveau précepteur prêta serment au Roi le 29 août 1689 (26). Remis le 3 septembre entre les mains de Beauvillier, le jeune prince « commença dès ce soir-là à recevoir d'assez bonne grâce les instructions » de Fénelon (27). Par scrupule religieux, son gouverneur s'efforça de le tenir en dehors des fêtes de la Cour et il consulta dès le mois de septembre M. Tronson sur les moyens d'y parvenir (28). Mais le plus grand obstacle résidait dans le caractère du petit duc lui-même et un billet de sa main en date du 27 novembre 1689 marque sans doute l'échec d'une tentative de révolte (29). L'histoire de son éducation a été souvent faite à l'aide surtout de deux lettres de Fénelon (1695 et 1696) et d'un mémoire de Louville (1696) (30). Tous les contemporains ont

(24) Pp. 241-243. Cf. l'édition de Télémaque par Albert CAHEN, t. L p. XVI.

(25) XV. 30, éd. SERVOIS, t. II, pp. 236, 451, 463 sq. En 1693, La Bruyère fit aussi l'éloge de Fénelon dans son Discours de réception à l'Académie. Le satirique abbé Faydit était lui-même obligé de s'incliner devant la vie austère de l'archevêque et le caractère apostolique de sa prédication (Télémacornanie, Paris, 1700, p. 14).

(26) A. N., 01* 33, f. 221 — DANGEAU, t. II, p. 460 — B. N., f. Clairambault, ms. 560, f. 392.

(27) Nous le savons par les mémorialistes qui notent aussi qu'il avait la fièvre les 2 et 3 octobre (DANGEAU, t. III, pp. 1 sq. — SOURCHES, t. III, pp. 151, 161, 164).

(28) Le supérieur de Saint-Sulpice répondait à Beauvillier entre le 15 et le 26 septembre 1689 : « Si l'on pouvait avoir un ordre du Roi, ce serait le plus court. Mais, puisqu'il le donne [sic] et que l'on voit d'ailleurs quelque inconvénient à lui en parler, le meilleur parti à mon avis serait d'exposer à le" la Dauphine les suites de ces divertissements, surtout par rapport à l'étude. Car, pour les autres raisons essentielles, on pourrait faire plus de mal que de bien en les lui représentant si elle n'est pas en état de les goûter. Quand elle n'accorderait qu'une partie de ce qu'on désire, on aura sujet de se tenir en paix, puisqu'on ne sera pas responsable du reste, tant que la Providence ne donnera point d'autre ouverture. Je vous conseille pour une sûreté entière de voir si M. l'abbé de Fénelon n'aura point de meilleur avis à vous donner » (A. S. S., Correspondance ms., t. II, pièce 562, p. 230).

(29) « Je promets foi de prince à M. l'abbé de Fénelon de faire sur le champ ce qu'il m'ordonnera... » (dans BAUSSET, I, 38, 0. F., t. X2, p. 36).

(30) Cf. la bibliographie d'A. CIOFtANESCU, t. II, pp. 863 sq., 868 et surtout A. CHARMA dans Mémoires lus à la Sorbonne dans les séances extraordinaires du comité impérial. Sciences historiques, Paris, 1866, pp. 66-73 — A. de BOISLISLE, Annuaire-bulletin de la Société de l'histoire de France, t. XI, 1874, pp. 54 sq. H. DRUON, Histoire de l'éducation des princes, Paris, 1897, t. II, pp. 3-150. — M. DANIÉLOU, Fénelon et le duc de Bourgogne, Etude d'une éducation, Paris, 1955.

196 L'ABBÉ DE FÉNELON

été frappés de l'étendue du succès du précepteur (31) et ses détracteurs n'ont eu que la ressource de l'attribuer à son adjoint Claude Fleury, nommé par le Roi lui-même le 14 septembre 1689 (32) : le rôle de 1' « antiquaire » ne semble cependant avoir été grand que sur le terrain proprement scolaire (33) et c'est lui qui a rendu le plus bel hommage au talent pédagogique de Fénelon (34). En 1693 Clairambault eut en outre à instruire les princes sur les généalogies des courtisans (35). Le collectionneur Gaignières contribua à former leur goût (36), tandis que François Le Blanc était, à partir de 1696 au moins, chargé de former aux affaires d'Etat et en particulier aux questions économiques celui qui ne semblait plus pouvoir tarder beaucoup à gouverner la France (37).

(31) Voir en particulier la lettre adressée à Gaignières le 16 janvier 1693 : « Le souhait trop joli pour moi convient hier à M. le duc de Bourgogne qui l'a fait, et au Roi pour qui il l'a fait. S. M. P. eu raison d'être bien contente de ce compliment, car il est au-dessus de l'âge de ce petit prince. Le gouverneur et le précepteur en ont eu apparemment bien de la joie » (ms. fr. 24 987, f. 71). La satisfaction du Roi est attestée au début de J 695 par une dépêche plus probante de l'ambassadeur de Venise (cf. infra, ch. XI, n. 21).

(32) DANGEAU, t. II, p. 470, t. III, p. 205 — SOURCHES, t. III, p. 164.

(33) D'après le Mémoire de l'abbé Ledieu de 1699, Fénelon et ses amis se cachaient de Fleury qu'ils « nommaient entre eux le bonhomme » et « qu'ils estimaient un simplart... Quand ils en avaient besoin pour entendre un endroit d'Horace, pour avoir l'intelligence de quelque difficulté qui les arrêtait dans Cicéron, pour savoir quelque point d'histoire, quelque maxime de l'ancien droit romain, quelque chose des moeurs de ces anciennes républiques, M. de Fénelon allait à l'école du bonhomme. On l'y a trouvé plus d'une fois son Horace à la main, un instant avant la leçon, s'instruisant de ce qu'il allait montrer au prince. Pour Langeron, il a pris des leçons avec assiduité pendant un long temps et il disait de lui par manière de plaisanterie : c'est un antiquaire » (Revue Bossuet, 25 juillet 1909, pp. 26 sq.).

(34) « M. Fleury me redit ce beau mot de M. de Cambrai : La méthode d'enseigner doit être variée selon la diversité des genres; il faut prendre la mesure des esprits comme on prendra celle des corps » (Correspondance du président Dugas..., ms. des Facultés missionnaires de Fourvière, t. I, p. 407 ). De son côté « M. de Fénelon disait à M. l'abbé Fleury en lui parlant de son histoire, et en général de sa manière d'écrire : Vous nous donnez des confitures qui sentent le fruit » (ibid., t. I, p. 271).

(35) L'intéressé rapportera lui-même : « En 1693 le feu Roi ne trouvant pas Mgrs les ducs assez instruits pour discerner les personnes de la Cour... je fus proposé par le chancelier Pontchartrain, Beauvillier et Fénelon pour lui en donner une idée... J'allais trois fois par semaine à Versailles et cela dura trois ans » (BoisusLE, t. XXII, p. 507, cf. t. XV, p. 247).

(36) Cf. Ch. de GRANDMAISON, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1890, pp. 613617, 1891, pp. 182-185.

(37) L. ROTRKRUG, Opposition to Louis XIV, Princeton, 1965, pp. 281-284, 429. Bien qu'il soit difficile de préciser la date de sa nomination, c'est avant la promotion de Fénelon à Cambrai que François II Couperin fut chargé par Louis XIV d'enseigner le clavecin au duc de Bourgogne et à ses frères (N. DUFOURCQ, XVII' Siècle, 1969, n° 82, pp. 10, 16 et surtout 19 ). On notera cependant que Louville écrit dans son mémoire de 1696 que les princes « n'apprendront à jouer d'aucun instrument, parce qu'on craint que cela ne leur fît perdre trop de temps et que cela ne les rendît trop particuliers » (O. F., t. VII, p. 523).

CHAPITRE

VIII LES PREMIERES LETTRES DE DIRECTION DE FENELON

Il n'y a guère de sujet sur lequel la correspondance de Fénelon nous renseigne aussi mal que sur l'évolution de sa spiritualité jusqu'à sa rencontre avec Mme Guyon : nous en sommes en effet réduits à un très petit nombre de lettres, mal datées et obscures, à la comtesse de Gratuont et à de nouvelles converties (1). C'est peut-être le désir inconscient de pallier cette lacune qui a poussé Gosselin à introduire dans son édition le texte de trois pièces originales dont l'écriture n'était certainement pas celle de son auteur.

Il s'agit de la lettre de spiritualité XXXIX(2) adressée à une dame d'honneur du vivant de la Reine (elle est même antérieure au 30 juillet 1683, si, comme il est probable, la destinataire est une fille de Colbert (3)), et des lettres IV et V au duc de Chevreuse : la première est datée du 28 tuai 1687 (4); la seconde est ecrile le jour clé Pentecôte et son contenu force à lui donner le même millésime (18 mai 1687) (5), ce qui rend injustifiable l'ordre de Gosselin.

Tous les critiques ont été frappés des différences de fond et de forme entre ces lettres et celles de la maturité de Fénelon. Cependant ils ont cru pouvoir se contenter d'y voir l'effet du bouleversement produit dans son esprit par l'influence de Mme Guyon (6). Il est d'ailleurs indiscutable

(1) Voir dans notre édition les lettres à M"'" de Graniont (IO décembre 1686 ), à une officière des Nouvelles Catholiques (1686 ou 1687 ), à une nouvelle convertie (janvier 1687), à Ma" de Gramont (29 décembre 1687, 11 juin et 17 novembre 1688), à Charlotte de Saint-Cyprien (21 août 1688) : mais presque toutes ces dates sont conjecturales.

(2) A. S. S., Correspondance ms., t. IX, ff. 66-71; 0. F., t. VIII, pp. 479-483.

(3) Cf. ibid., p. 481 g.

(4) A. S. S., t. I, ff. 12-13; O. F., t. VII, pp. 201 sq.

(5) A. S. S., t. I, ff. 9-11; O. F., t. VII, pp. 200 sq.

(6) Il vaut la peine d'indiquer les jugements portés sur ces pièces par les meilleure connaisseurs. D'après P.-M. Masson, la première lettre, « programme détaillé de vie spirituelle, ...nous laisse voir la méthode primitive n de Fénelon « avant qu'elle ait été régénérée par Ma" Guyon. C'est une réglementation très minutieuse de la journée chrétienne, la minutie y est même poussée jusqu'au scrupule; le nom et la pensée de Jésus-Christ y sont partout présents; les prières vocales, la lecture méditée, l'utilisation des images matérielles pour soutenir l'esprit dans l'effort de la méditation, — toutes choses dont plus tard il fera si bon marché, — y sont mises au premier plan

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qu'on y reconnaît des thèmes qui resteront chers à M. de Cambrai : celui de la fréquente communion (7) et surtout celui de la vanité du monde (qui entraîne même à la fin de la lettre de la Pentecôte l'image très fénelonienne du « songe de la vie ») (8). Le recours à des chiffres pour marquer les articulations de la première pièce sera souvent le fait

de la vie intérieure; l'humiliation sous toutes ses formes, même l'humiliation physique des prosternements contre terre, y est célébrée comme un moyen de salutaire purification; l'amour et la crainte de Dieu s'y mêlent dans un sentiment de pieuse obéissance. Point de pur amour, d'indifférence au salut, de sainte liberté des enfants de Dieu. L'appel à la largeur, à la souplesse, à l'anéantissement délicieux dans l'inconnu de Dieu, toutes ces maximes d'abandon, qui reviennent comme un refrain apaisant dans les Lettres spirituelles, sont ici absentes. Mme Guyon ne lui a pas encore montré la vérité et la voie » (Fénelon et Mme Guyon, pp. LXX sq.). De même pour A. Chérel, Fénelon « ne songe alors nullement à rompre avec la dévotion méthodique et austère, si fort en honneur dans la génération qui précède la sienne... En fait d'oraison... il recommande... une méditation, précise, active, réglée, appliquée, toute remplie d'efforts de pensée et de volonté, et envisageant moins la perfection de Dieu que les fautes de l'homme, la malice du démon, la laideur du péché. Et son style, toujours docile aux impressions de son âme, se ressent de cette tension intellectuelle et volontaire; il se fait presque roide, et consciencieux, et raisonneur » (Fénelon et la religion du pur amour, Paris, 1934, pp. 22 sq.). Le P. F. Varillon juge au contraire qu' « on ne saurait utiliser ce texte pour affirmer que jusqu'en 1688 la prière de Fénelon fût plus méditative que contemplative, plus anthropocentrique que théocentrique, plus soucieuse de précision et d'application intellectuelle que d' « abandon à l'esprit de grâce ». Car enfin il s'adresse à une débutante et l'on sait qu'il est prudent. Il n'est pas sûr, du moins à cette époque, que sa direction soit révélatrice de sa propre manière de prier... Une lecture attentive de cette lettre nous découvre un Fénelon réaliste, aussi peu chimérique que possible, fidèle aux méthodes d'oraison classiques, mais déjà convaincu que l'exercice de prière, s'il est condition de prière, n'est pas la prière même. A travers l'examen de conscience qu'il prescrit, le psychologue apparaît plus que le mystique, le connaisseur d'âmes plus que le familier de Dieu. Cependant le sentiment domine, dans l'analyse psychologique elle-même, de l'impureté essentielle de l'homme devant Dieu, et cela se situe déjà au plan mystique » (Fénelon. Œuvres spirituelles, Paris, 1954, pp. 28 sq.). La lettre du 28 mai 1687 a été commentée par L. Navatel dans Fénelon. La confrérie secrète du Pur Amour, Paris, 1914, pp. 84 sq. Le P. Varillon note avec raison qu'il y est question de « douceurs... mot que l'on cherchera en vain dans les oeuvres spirituelles postérieures à 1688, sinon pour en dénoncer l'illusion... Un peu plus loin... le mot sentir... n'est que la cime d'une phrase tout entière expressive d'une sourde inquiétude. Fénelon a écrit : sentir; il n'a pas osé écrire éclater qu'appelait le parallélisme des termes. Dieu est moins éclatant à son âme que les créatures ne le sont à son être charnel... II se sent dès lors en danger... Il vit dans un état habituel de sourd désespoir où le désir et le dépit s'engendrent l'un l'autre douloureusement » (pp. 26 sqq.). Quant à l'abbé L. Cognet, il juge très probable que jusqu'à 1688 « la piété » de Fénelon « soit demeurée extrêmement intellectualiste, qu'il n'ait connu comme oraison qu'une méditation à forme méthodique, et qu'il ait abouti à cette sorte de nausée intérieure, de totale sécheresse qui saisit parfois certaines âmes après quelque; années de cet exercice... » Dans sa « lettre... du 28 mai 1687... on croit discerner en lui un appel inconscient vers l'expérience mystique » (Crépuscule des mystiques. Paris, 1958, p. 120).

(7) Cp. infra, notes 34-35 et 68 à O. F., t. V, pp. 716-720, 726 sqq.

(8) Lettre du 18 mai 1687, infra, p. 213, n. 71.

de l'auteur des Maximes des Saints et les exhortations de 1687 sont d'une qualité littéraire peu commune. Gosselin a dit attacher plus de poids encore à une autre considération, externe celle-là : les éditeurs du XVIIIe siècle tenaient ces documents des héritiers des Chevreuse (9), ce qui fournissait une quasi certitude sur leurs destinataires et une forte probabilité sur leur auteur, puisque Fénelon avait fort bien pu être consulté dès cette époque par les tilles et les gendres de Colbert. Il resterait pourtant à établir qu'il ait été le seul dans ce cas, et, ni l'éditeur des Œuvres de piété ni le P. de Querbeuf n'ont eu assez de confiance dans le critère d'origine pour publier sous le nom de Fénelon ces trois lettres qui posent d'ailleurs deux problèmes différents. Voyons d'abord la lettre de spiritualité XXXIX (10).

« Je vous envoie, Madame, ce que vous avez ordonné. Quelque bonté que vous ayez pour le recevoir, je suis très persuadé que vous n'en sauriez être satisfaite, ce qui fait que je ne le suis (11) nullement d'être comme obligé de vous l'envoyer, parce que vous le souhaitez. C'est donc uniquement pour vous obéir, Madame, que je vous dis que, pour faire votre oraison avec fruit, et avec l'application que vous désirez, il serait bon, dès le commencement, de vous représenter un pauvre, nu, misérable, accablé, et qui se meurt de faim; qui n'a qu'un homme à qui il puisse demander l'aumône, et de qui il la puisse espérer; ou bien un malade tout couvert de plaies, qui se voit mourir, si un médecin ne veut entreprendre de le traiter de ses plaies et de le guérir. Voilà, Madame, une image de ce que nous sommes devant Dieu. Votre âme est plus dénuée des biens du ciel, que ce pauvre ne l'est des biens de la terre (12). Elle en est dans un plus grand besoin, et il n'y a que Dieu seul à qui vous les puissiez demander, et de qui vous les deviez attendre. Votre âme est sans comparaison plus malade que cet homme tout couvert de plaies, et il n'y a que Dieu seul qui vous puisse guérir. Tout consiste à fléchir Dieu par vos prières. Il peut, Madame, l'un et l'autre; mais souvenez-vous qu'il ne le veut faire qu'après en être ardemment prié et presque importuné.

(9) Les pièces insérées dans Œuvres de piété furent communiquées par le duc de Chaulnes (l'ancien vidame d'Amiens ), mais la copie Dupuy des lettres de Mil" Guyon conservée aux Archives de Saint-Sulpice est dite venir de Km* de Giac. I1 s'agit d'Anne Bonier de Lamosson, fille du trésorier des Etats de Languedoc et d'Anne de Melon, veuve en premières noces de Michel-Ferdinand d'Albert d'Ailly, duc de Chaulnes, remariée à Martial Giac, fils d'un avocat, né à Bordeaux en 1737, qui devint surintendant honoraire de la maison de la Reine. Elle mourut le 6 décembre 1782 (cf. les Archives de Lainé), assez tard pour avoir eu connaissance de l'édition de l'abbé de Fénelon et du P. de Querbeuf. Cf. E. PILON, Revue hebdomadaire, 14 octobre 1916.

(10) A. S.S., t. IX, ff. 66-71.

(11) Le suis, suis satisfait. Style embarrassé.

(12) Adaptation originale du thème traditionnel de la « prière du pauvre • (cf. nos Origines du jansénisme, Paria, 1962, t. V, p. 68).

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« Si vous êtes bien pénétrée de cette vérité, comme vous devez l'être, pour vous bien disposer à la prière toutes les fois que vous voudrez vous appliquer, lisez ensuite ce que vous aurez à lire de l'Ecriture sainte, ou du livre dont vous tirerez le sujet de votre oraison. Arrêtez-vous après un verset ou deux, pour y faire les réflexions que Dieu vous mettra dans l'esprit. Et afin que vous voyiez celles que quelques personnes font, et auxquelles vous pourriez vous conformer dans les commencements, afin de retirer votre esprit de son inapplication (13) ordinaire, et l'accoutumer à s'arrêter sur ce que vous vous proposez de méditer; il me semble qu'il ne serait pas mauvais d'adorer d'abord ces paroles sacrées, comme les oracles de Dieu, par lesquels il nous fait connaître ses ordres et ses volontés; le remercier de ce qu'il nous en a bien voulu instruire lui-même; s'humilier, et lui demander pardon de s'en être si peu instruit jusqu'à présent, de les avoir si peu écoutées; voir en quoi vous ne les avez pas suivies par le passé, et si vous ne les méprisez point encore; considérer et rechercher dans votre vie ce que vous avez fait et ce que vous faites contre.

« On peut aussi considérer la manière dont Jésus-Christ a pratiqué la vérité et la maxime qu'il vous a enseignée; la manière dont les gens de bien de votre connaissance la pratiquent, combien certaines gens du monde s'en éloignent dans leur conduite; combien vous vous en êtes éloignée, et vous vous en éloignez vous-même. Il est bon que vous en portiez la confusion devant Dieu, et que vous vous prosterniez même de corps dans le secret de votre cabinet, afin que cette posture humiliante fasse que votre esprit s'humilie comme il doit dans la vue de ses fautes.

« Considérez ensuite les occasions qui vous font tomber dans ces fautes; les moyens les plus propres pour les éviter, ou pour y remédier; ce que Jésus-Christ demande avec justice de vous, pour vous préserver de ces chutes, et pour réparer le passé; combien vous êtes obligée de vous y rendre (14), quelque difficulté que vous y trouviez; combien il vous est avantageux de le faire; quelle honte c'est 'à vous, et quel danger vous courez, si vous ne le faites : et comme nous ne sommes que faiblesse, et que nous ne l'avons que trop éprouvé, offrez-vous à Jésus-Christ; détestez votre lâcheté et vos infidélités; priez-le qu'il mette dans votre coeur ce qu'il veut que vous y ayez (15); qu'il fortifie cette volonté qu'il vous donne de faire mieux; ayez confiance en sa bonté, et dans les promesses solennelles qu'il a faites, qu'il ne nous abandonnerait pas dans les occasions; appuyez-vous sur ses paroles, et espérez qu'il achèvera ce qu'il a déjà commencé dans vous.

« Et afin, Madame, de vous rendre les choses plus palpables, prenons un exemple et appliquons-y ce que nous venons de dire. Si vous aviez

(13) inapplication, mot négatif, catégorie fréquente chez les Rhéno-Flamands.

(14) Se rendre à, « arriver à » plutôt que « se livrer à » (Furetière).

(15) Paraphrase du « Da quod jubes » augustinien.

pour sujet d'oraison ces paroles qui sont au commencement du xvi te chapitre de saint Jean, sur lesquelles je me suis trouvé en tous écrivant : c'est Jésus-Christ qui s'adresse à son Père et qui lui dit : Je vous ai glorifié sur la terre; j'ai achevé rceuvre que vous m'aviez donnée à faire. Il est temps à présent, mon Père, que vous me glorifiiez en vous-même etc. Vous pourriez, Madame :

(16)

« 1° Remercier Jésus-Christ de l'instruction qu'il vous donne, et de ce qu'il a bien voulu vous apprendre lui-même que vous ne pouvez prétendre à la gloire que Dieu vous a préparée, qu'après l'avoir glorifié sur la terre. C'est une loi inviolable, et que Jésus-Christ marque expressément à tous les fidèles, par l'ordre qu'il garde dans ces paroles. La gloire que vous aurez rendue à Dieu sur la terre, est ce qui vous mettra en droit de demander la gloire qu'il vous a promise dans le ciel : sans cela, il n'y faut pas prétendre.

« 2° Considérer en quoi consiste, et ce que c'est que glorifier Dieu sur la terre. Jésus-Christ l'explique nettement par ces paroles : J'ai achevé l'oeuvre que vous m'aviez donnée à faire. Il faut done, pour glorifier Dieu, connaître et exécuter ce qu'il nous a chargé de faire. Chacun a son ouvrage, et tout le monde y travaille; mais ce n'est pas toujours à celui que Dieu nous a donné. Nous n'avons que celui de Jésus-Christ, qui est d'opérer notre salut, auquel il a travaillé toute sa vie. Tout ce que la vanité, le désir de m'établir (17) puissamment dans le monde; tout ce que mon humeur, mon caprice, rua colère, mon amour-propre, et la seule considération des hommes me fait entreprendre, n'est pas l'ouvrage dont Dieu m'a chargé, et par conséquent rien de tout cela ne peut honorer Dieu : c'est là l'ouvrage de nia passion (18), l'ouvrage du péché et du démon.

« 3° L'oeuvre que Dieu m'a mise entre les mains, c'est de réformer ce qu'il y peut avoir de mauvais dans mon naturel; c'est là ce qu'il veut que je fasse : c'est de corriger mes défauts, de sanctifier mes pensées et mes désirs, de devenir plus patiente, plus douce et plus humble de coeur. C'est là, Madame, votre ouvrage : c'est de faire servir Jésus-Christ dans votre famille (19), c'est de l'élever uniquement pour lui; c'est d'y

(16) jo. XVII, 4-5. La suppression de la fin de la citation u claritate, quant habui prius quam mundus met apud te s rend le texte beaucoup plus facilement applicable à la vie spirituelle. Noter que dans une lettre du 13 mai 1679 au frère de Mm de Beauvillier, Seignelay, M. Tronson avait déjà paraphrasé le « Opus conaummavi quod dedisti mihi » (Correspondance, éd. BERTRAND, t. III, pp. 388 sq.). « Domestique s des Chevreuse, J. J. Boileau le fera aussi dettres, n° LXII, Paris, 1737, t. I, p. 455).

(17) u Ce ministre a puissamment établi tous les siens s (Furetière).

(18) Passion, tout désir violent, penchant, inclination, affection qu'on a pour quelque chose (Furetière).

(19) Famille (à distinguer de maison ), désigne mari, enfants et domestiques (et, ici en raison de l'emploi du mot « élever », surtout les enfants).

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établir le mépris du monde, la douceur, la modestie, la patience, et l'amour véritable de Dieu. Voyez si vous le faites, et comment vous le faites.

« 4° Et afin de ne pas se flatter, voyez comme Jésus-Christ a travaillé toute sa vie à l'oeuvre dont son Père l'avait chargé, sans relâche, sans y perdre un moment; et jugez sur ce modèle de ce que vous êtes obligée de faire. Si un Dieu emploie incessamment toute sa vie pour vous, qu'est-ce que vous ne devez pas faire pour lui? Quelle confusion d'avoir encore si peu fait, ou plutôt de n'avoir presque encore rien fait! humiliez-vous-en profondément.

« 5° Voyez comme les saints s'y sont comportés, et ce qu'ils font encore tous les jours devant vous. L'oeuvre dont Dieu les avait chargés était souvent beaucoup plus difficile que celle que vous avez à faire; ils avaient moins de moyens et de secours pour l'avancer et pour l'achever, que vous n'en avez; ils étaient aussi faibles, et sujets à des humeurs (20) plus difficiles à surmonter : et cependant ils en sont venus à bout. Reconnaissez en cela votre lâcheté; condamnez votre négligence. Remerciez Dieu des secours qu'il vous a donnés. Demandez-lui pardon d'en avoir si peu et si mal usé jusqu'à présent, et donnez-vous à Jésus-Christ pour en faire, par sa grâce, un meilleur usage.

« 6° Regardons, Madame, tout ce que nous avons fait pendant notre vie, et nous verrons qu'elle aura peut-être été toute employée à ruiner, et dans nous et dans les autres, l'ouvrage de Dieu, et à y avancer (21) celui du démon et du péché. Quand est-ce que nous avons fait ce que Dieu voulait de nous, et comment l'avons-nous fait? Quand est-ce que nous avons refusé de faire ce que notre humeur ou notre amour-propre désirait, et que n'avons-nous pas fait pour le contenter? Quel regret, quelle peine, de se voir assez malheureuse, pour n'avoir presque rien fait de ce qui pouvait glorifier Dieu, et n'avoir travaillé qu'à ce qui le déshonorait sur la terre! Quel crève-coeur d'avoir travaillé presque toute sa vie, et même avec plaisir, à déshonorer Dieu, et honorer le démon par notre conduite! Se peut-on voir dans cet état? peut-on penser à une vie si malheureusement employée, sans être percé de douleur, sans gémir devant Dieu, sans s'indigner contre soi-même?

« 7° Quoi, mon Dieu, ç'a donc été là mon occupation, que de détruire votre ouvrage! C'est à cela que j'ai employé mes biens, ma santé, mon autorité, mon esprit, mon adresse, mes amis, mes connaissances! à vous déshonorer, à renverser ce que vous aviez cimenté de votre propre sang! et j'ai pu prendre mon plaisir à défaire ce qui vous a coûté la vie! contre toutes vos menaces, je me suis vendue à votre ennemi pour établir

(20) Humeurs, en général les passions qui s'émeuvent en nous, suivant la disposition ou l'agitation des quatre humeurs (Furetière).

(21) Avancer, faire réussir.

sa gloire sur les ruines de la vôtre, sans récompense, sans espérance d'en avoir, sans m'attendre qu'à (22) toutes sortes de tourments! Le moyen, Madame, de porter cette vue (23), sans avoir le coeur fendu de douleur! On n'a besoin ni de lire, ni de raisonner, lorsqu'on peut sentir cet état comme on doit. Il faut laisser agir cette vue sur votre coeur, et l'abandonner à une douleur si juste. Et, pour descendre encore plus dans le particulier (24),

« 8° C'est donc pour le démon que je parle et que j'agis, si je dis ou si je fais quelque chose qu'une mauvaise humeur me suggère : c'est son ouvrage que je fais, et je renverse en moi celui que Jésus-Christ y veut faire, et qu'il y a déjà commencé par la volonté et le désir qu'il m'a donné d'en user tout autrement. Comment est-ce, mon Dieu, que vous me pouvez souffrir, et comment me puis-je souffrir moi-même? Faut-il que pour suivre mon humeur, et pour contenter ma passion, que je connais si déraisonnable et si mauvaise, je détruise en moi un ouvrage qui vous a tant coûté ? C'est votre ouvrage, mon Dieu, que la douceur, et c'est celui dont vous m'avez chargée. Je ne puis vous glorifier qu'en y travaillant, et qu'en l'achevant en moi. Je le veux, mon Dieu; faites par votre miséricorde que j'y sois fidèle. Que tout se renverse plutôt dans ma maison et dans ma famille (25), que d'y voir votre ouvrage renversé, et renversé par ma seule faiblesse!

« 9° Je ne m'occuperai donc, mon Dieu, que de cette unique pensée, puisque vous le voulez. Faut-il souffrir qu'on me serve mal? je le souffrirai avec joie, pourvu que je vous serve en cela. Ce n'est pas mon ouvrage que d'être bien servie; mais de vous bien servir, mais d'être douce et patiente en toutes rencontres. C'est la manière dont je vous puis glorifier sur la terre, et qui seule me peut donner quelque espérance de l'être un jour de vous dans le ciel.

« Il y a mille autres choses, dans la vie ordinaire, que vous voyez vous-même et que je ne peux remarquer ici, dans le détail desquelles vous devez descendre, afin de prendre à (26) l'oraison, et de demander à Dieu les moyens d'y remédier si elles sont mauvaises, et de les fortifier si elles étaient bonnes.

« Quand ces choses se font sentir vivement, il faut pour lors, Madame, laisser agir l'esprit de Dieu, sans s'en détourner ni par la lecture, ni par la prière vocale (27). Mais si ces pensées s'évanouissent, et que d'autres viennent dans l'esprit, humiliez-vous devant Dieu, et priez-le de vous

(22) Qu'à, à autre chose qu'à.

(23) Vue, pensée, réflexion.

(24) Particulier, détail des choses, des circonstances.

(25) Maison semble avoir le sens féodal (la « gens » des Colbert) et est ainsi beaucoup plus large que famille.

(26) Prendre à, s'accoutumer à (sens n° 57 de Littré attesté par Mme de Sévigné).

(27) Noter la place, d'ailleurs limitée, faite à la passivité.

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les graver dans le coeur; tâchez de vous appliquer encore. Que si, après ce petit effort, la distraction revient, prenez votre livre, et passez à une autre vérité, sur laquelle vous pourrez à peu près faire les mêmes actes et les mêmes réflexions.

« Sur la fin de votre oraison, avant que d'en sortir, demandez toujours pardon à Dieu des manquements que vous y avez faits : quand même vous y auriez été dans une distraction presque continuelle, vous n'y aurez pas perdu votre temps, si vous en sortez plus humble. Voyez ce qui vous aura le plus touchée, et repensez-y souvent pendant la journée : c'est là le véritable moyen de continuer toujours dans l'oraison. Si vous pouvez encore sur le soir vous y appliquer quelque temps, cela vous imprimerait ces vérités beaucoup davantage, et aurait plus d'effet.

« Il est bon que vous commenciez par là votre journée. Vous retrancherez du temps que vous y donniez avant de vous habiller, afin que vous ne soyez pas si pressée ensuite; mais vous aurez soin de le reprendre après, si vous en avez. Cela fera deux biens : 1° vous n'aurez pas d'occasion d'impatience, ayant plus de temps qu'il ne vous en faut pour vous habiller; 2° vous pourrez, en vous habillant, continuer à jeter la vue sur ce que vous aurez déjà médité, et vous disposer à faire encore mieux, s'il vous reste quelque temps pour vous remettre à la prière.

« Pour ce qui est, Madame, de ces occupations si distrayantes dans lesquelles vous êtes obligée d'être, je vous avoue qu'il serait à souhaiter d'en être bien loin; mais puisque cela ne se peut, je vous dirai que, quand nous avons quelque peine ou quelque dessein en tête, nous le portons partout avec nous, et rien n'est capable de nous en divertir. Ainsi, si vous avez une véritable peine de vos fautes, et un dessein ferme de vous sauver et de plaire à Dieu, rien ne sera capable de vous en détourner. C'est à cela que vous devez rapporter vos oraisons.

« Ce qui vous distrait le plus, ce sont vos devoirs envers la Reine, envers un mari, envers un père, envers des parents, etc. (28). Et cependant, Madame, tout cela peut servir merveilleusement à sortir de cette distraction dont vous vous plaignez. Vous n'avez pas recherché cet emploi auprès de Sa Majesté; c'est la providence de Dieu qui vous y a engagée : c'est donc une oeuvre dont Dieu vous a chargée; il faut s'y rendre (29) pour lui obéir. Ce qui est à craindre, c'est qu'on perd cette vue de Dieu, et qu'on y substitue celle de sa vanité, de ses intérêts, de son plaisir, de considérations purement humaines, et qu'on fait de l'ouvrage de Dieu un ouvrage de péché et d'amour-propre. Il n'y a donc, Madame, qu'à rejeter ces vues, si elles nous viennent importuner, et à nous tenir fermes dans celle de faire ce dont Dieu nous a chargés, et le faire comme il veut.

(28) Passage essentiel pour dater cette lettre.

(29) Cf. supra, n. 14.

« Qui vous empêche, Madame, dans le tracas de la maison, de vous élever incessamment à Dieu, voyant comment tous vos gens exécutent vos ordres, comme ils tâchent à vous plaire en tout ce qu'ils peuvent; comme ils souffrent sans oser rien dire, s'ils reçoivent quelque mauvais traitement; quelle joie ils ont quand vous êtes contente de leur service? Ils ne pensent, ils ne travaillent que pour vous, et vous ne les souffririez pas dans votre maison longtemps, s'ils oubliaient le service qu'ils vous doivent, pour ne penser qu'à eux-mêmes. Ce que tout ce monde fait chez vous et pour vous, vous le devez faire pour Dieu, dans la maison duquel vous êtes. Apprenez de vos gens à être prompte à exécuter ses ordres, à retrancher dans vous ce qui lui peut déplaire, et à corriger ce qui peut vous faire encourir sa disgrâce, à porter (30) sans vous plaindre les peines qu'il vous envoie, à recevoir avec humilité et reconnaissance de vos fautes ses châtiments, à penser incessamment et à travailler à l'ouvrage dont il vous a chargée; et par ce moyen tout ce qui vous distrait ordinairement, vous servira à vous recueillir et à vous élever à Dieu. Et souvenez-vous, Madame, que, comme vous ne pourriez pas souffrir chez vous un domestique qui ne penserait jamais à son ouvrage, ou qui ne le ferait qu'avec une grande négligence, aussi Dieu ne peut souffrir dans sa famille aucune servante qui ne fasse point du tout, ou qui ne fasse qu'avec négligence et tiédeur l'ouvrage dont il l'a chargée.

« Tout ce que nous voyons dans le monde peut nous servir à nous entretenir dans la présence de Dieu. Il y a, à la vérité, peu de bien; mais on y en voit pourtant, et cela nous porte de soi-même à en remercier Dieu qui en est l'auteur, et à le prier d'y conserver les personnes qui y sont, et nous faire la grâce de nous y mettre nous-mêmes. Le mal y est grand, et nous le trouvons souvent en chemin. Si peu que vous ayez d'amour du bien, vous en avez horreur sitôt que vous le voyez, et il n'y a guère de danger qu'il vous surprenne. On n'oserait l'approuver ni le louer. Ce qui est de plus dangereux, c'est qu'il y a de certains maux dont on a moins d'horreur, et dont le monde est accoutumé de rire : il y en a même dont on fait son divertissement; et c'est, Madame, ce qui doit vous affliger davantage dans le fond de votre coeur. Bien loin de prendre part à cette joie pernicieuse du monde, vous devez pour lors gémir dans votre âme, de voir que des enfants de Dieu puissent prendre plaisir à des choses qui ont causé à Jésus-Christ une tristesse mortelle (31). Vous devez remercier Dieu de vous avoir retirée de cet état, et trembler de crainte qu'il ne vous abandonne à un sens aussi réprouvé (32), que vous le voyez dans les autres. Ce sont ces

(30) Porter, endurer.

(31) Matth. XXVI, 38 — Marc, XIV, 34.

(32) Réprouvé opposé à prédestiné. Lien étroit avec la citation de Jac. I, 27 qui termine le paragraphe.

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sentiments qui vous empêcheront de tremper dans la malignité du monde, et de vous en laisser infecter. C'est là /a religion véritable, que de se conserver sans tache au milieu de la malice du siècle (33).

« Pour les prières vocales, comme vous n'en avez pas qui soient d'obligation, faites-les fort lentement, tâchant d'entrer dans les sentiments que les paroles que vous récitez vous inspirent. Pour cela, occupez-vous du sens qu'elles ont, et prenez tout le temps qu'il vous faut pour cela; ne vous pressez jamais pour finir bientôt; il vaut mieux dire comme il faut la moitié d'un seul Psaume, qu'en dire mal et avec précipitation plusieurs. Si vous êtes obligée de l'interrompre par quelque nécessité, finissez où vous êtes, sans vous troubler, et reprenez ensuite dans le même endroit, si vous avez le loisir.

« N'allez jamais à la sainte messe, sans penser, en y allant, au sacrifice de Jésus-Christ auquel vous allez assister. Tâchez d'entrer dans un vrai regret de vos fautes, qui ont obligé un Dieu de verser son sang pour les laver. Que votre modestie extérieure, et votre application à une chose si sainte, fassent connaître la disposition avec laquelle vous y êtes. Je ne vous dis rien du soin que vous devez avoir de retenir votre vue, et d'éloigner tout ce qui peut dissiper votre esprit : c'est la première chose qu'il faut faire, et que je suis persuadé que vous faites.

« Les jours que vous devez vous confesser, prenez le temps de l'oraison du matin, pour en employer une partie à vous examiner, et l'autre, qui doit toujours être la plus grande, à demander la douleur nécessaire de vos fautes, et la grâce de vous en corriger. Cette préparation est bonne; mais il y en a encore une meilleure, qui serait de veiller plus sur vous-même deux ou trois jours devant, et faire quelque pénitence et quelques bonnes oeuvres de vous-même, pour obtenir de Dieu la douleur que vous lui demandez. Et quand vous n'aurez que des péchés de fragilité (34) sur la semaine, je ne sais s'il serait si nécessaire de vous en confesser, et s'il ne vaudrait pas mieux faire ce que nous venons de dire. de crainte de se faire une coutume de se confesser, et de le faire quelquefois sans toute la préparation qui serait à souhaiter. Cela dépend du profit que vous retirerez de la confession plus ou moins fréquente; car c'est ce qui doit régler la fréquentation des sacrements.

« Le jour que vous communierez, vous ferez plus de prières que les autres. Souvenez-vous, Madame, que vous ne recevez Jésus immolé dans le sacrifice, que pour vous immoler et sacrifier avec lui, que pour vivre ensuite de sa vie. Il est plein de vie dans le sacrement, et il nous y donne la vie, mais une vie d'hostie (35). Il y sent les injures

(33) Jar. I, 27.

(34) Fragilité, faiblesse.

(35) Hostie, victime qu'on immole en sacrifice à la divinité. Noter la spiritualité condrénienne qui était d'ailleurs celle de la Compagnie du Saint-Sacrement à ses origines.

qu'on lui fait, et il les souffre sans y faire paraître ni sa peine ni sa puissance. Voilà l'esprit de patience et d'hostie que vous y devez recevoir, si vous communiez comme il faut. C'est à cet état où vous devez tendre et vous avancer par les communions que vous faites. Que cela demande de choses de vous !

« Ne vous fiez pas, Madame, aux bons désirs que vous pouvez avoir, s'ils sont stériles et sans effet. Travaillez avec courage à devenir douce et humble de coeur (36). Si vous tombez dans quelque faute et que vous puissiez d'abord vous retirer dans votre cabinet, allez vous prosterner devant Dieu contre terre, et demandez-en pardon. L'humiliation et la douleur de votre coeur vous attirera la grâce d'être plus fidèle dans une autre occasion. Adorez souvent le silence de Jésus-Christ (37), lorsqu'il était si maltraité par ses juges et par son peuple. Si on fait quelque chose de mal qui regarde seulement votre personne et le service qu'on vous doit en particulier, souffrez-le sans rien dire. S'il vous échappe quelque parole fâcheuse (38), après vous en être humiliée en vous-même, réparez cela en parlant avec douceur, et faisant même quelque bien aux personnes que vous aurez traitées rudement, si l'occasion s'en présente. N'oubliez jamais la manière dont Dieu en a usé et en use continuellement avec vous; elle est si patiente et si douce ! Voilà votre modèle. Apprenez de lui ce que vous devez être aux autres. Ne vous découragez pas pour vos rechutes; comme elles vous font connaître et toucher du doigt votre faiblesse, elles vous doivent tenir plus humble et plus appliquée à veiller sur vous et à recourir à tous moments à Dieu, de crainte de vous perdre.

« Quand vous faites vos lectures, souvenez-vous que c'est Jésus-Christ qui va vous parler, et qui va vous parler de l'affaire la plus importante que vous ayez. Ecoutez-le dans cette disposition. Lisez peu et méditez beaucoup les vérités que vous trouvez dans le livre. Voyez si vous les pratiquez et comment vous les pratiquez. Demandez à Jésus-Christ qu'il vous parle au fond du coeur et qu'il vous y enseigne ce que le livre vous représente au dehors. Si vous y trouvez quelqu'un de vos défauts sévèrement repris, remerciez Dieu de cette grâce qu'il vous fait, de vous reprendre sans vous flatter, et priez-le de vous en faire une autre, qui est celle de vous en corriger. Lisez l'Ecriture Sainte autant que vous pourrez et les livres qui vous toucheront le plus. Il sera bon même que vous marquiez (39) les paroles qui vous auront le plus frappée, afin de les répéter quelquefois pendant le jour, et à réveiller les senti-

(36) Matth. XI, 29.

(37) Matth. XXVI, 63.

(38) Fâcheux, qui cause de la peine.

(39) Marquer, « mettre quelque signe sur quelque chose pour la reconnaître, pour s'en souvenir. Marquer un texte, un passage en lisant » (Furetière).

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ments qu'elles vous auront donnés. Votre lecture faite, finissez toujours par une petite prière, et demandez à Dieu qu'il vous fasse accomplir, dans l'occasion, ce que vous avez appris par la lecture ».

L'écriture de cette pièce ne se retrouve qu'une fois dans le même fonds : c'est celle de la Réponse du R. P. M. à une lettre sur l'oraison mentale (40). Il s'agit d'un long parallèle méthodique (en sept feuillets) entre la méditation et l'oraison mentale; on y remarque en manchette une trentaine d'annotations de la main de Chevreuse, qui avait évidemment interrogé son correspondant à ce sujet. De multiples rapprochements textuels invitent à identifier l'auteur de la lettre XXXIX à celui de la Réponse. Il reste à identifier le P. M. Par bonheur un autre « domestique » de l'hôtel de Luynes, Jean-Jacques Boileau, nous apprend que la seconde femme du duc, née Rohan-Montbazon, fut assistée lors de sa dernière maladie (novembre 1684) par son confesseur habituel, le P. M. (41). Les années suivantes, les filles de la défunte, religieuses à Jouarre, eurent des liens non moins étroits avec l'oratorien Pierre Moret et il servit aussi d'intermédiaire entre leur tante l'abbesse et Bossuet. M. de Meaux lui fera d'ailleurs l'hommage de son instruction sur les états d'oraison (42), faveur exceptionnelle justifiée par la position du destinataire dans sa congrégation (entré à l'oratoire de Lyon en 1651, prêtre en 1660, il fut chargé de la leçon de scolastique à Saint-Magloire en 1678 et était depuis six ans assistant du général

lorsqu'il mourut le 1er juin 1702 (43)) et surtout par sa réputation de directeur : celle-ci est bien attestée par Mme de Sévigné qui ne voit pas en la matière d'autorité supérieure à celle du confesseur de son oncle Charles de Coulanges de Saint-Aubin et de Mlle de Grignan (44). L'abbé de Rancé lui-même le confirmait en lui adressant du Channel

(40) A. S. S., pièce 1047. L'ancienne chemise 1046) porte n Extrait d'une lettre

au R. P. M. sur l'oraison mentale, avee sa réponse » et Bausset a donne au dossier qui contenait les pièces 1037 à 1047 (7' carton. if 8) le titre de lielitsiges Si spiritualité sur différents sujets trouvés dans les papiers du duc de Chevreuse. Copies-.

(41) Lettres de M. l'abbé 8*", Paris, 1737, t. I, p. 7, cf. les pp. 207 et 4tio et lr t. II, pp. 46 sq. Sur la date de la mort de la duchesse, cf. DANGEAU, 28-29 novent> bre 1684.

(42) URBAIN-LEVESQUE, t. 1V, pp. 146, 158, t. V, pp. 295, 297, t. VI, pp. 160, 221, 248, 253, 287, 308, 349. 359, 387, 389, 488. t. VII, p. 99.

(43) On trous era sur lui une notice et une bibliographie ibid.. t. IV. p. 146 n.

et t. p. 202. Le.s relations des LuNnes avec l'Oratoire sont aussi attestée.s par

le fait que c'est Chevreuse qui demanda à Malebranche d'écrire les Conversations chrétiennes et qui lui donna l'occasion de rentontrer Bossuet chez lui (1.c.ot.n, 1-ie du P. Malebranche par h' P. André, Paris, 1886, pp. 30, 33, 93, 95 — URBAINLeVESQUIE, t. III, pp. 393 sq., t. VIII, p. 356) : il n'allait cependant pas jusqu'à le

Prendre pour directeur (cf. INGOLD. Le prétendu jansénisme du P. de Sainte-Marthe. ari,. 1882, p. 35).

(44) Noter qu'il est appelé tantôt Moret, tantôt More!. dans l'édition Monmerqué, et toujours Mord dans celle de Gérard-Gailly en Noir les tables.

qui venait seulement de se conyertir (45). il n'est done pas étonnant que Chevreuse rait consulté sur des problèmes qui eommençaient à opposer les spirituels, ni que sa femme lui ait demande de guider ses premiers pas dans la piété. La réponse du P. Moret est un bon exentple du jansénisme discret qui régnait dans le cercle de Saint-Magloire : elle commence par emprunter à Saint-Cyran l'image de la prière du pauvre et se termine par une mise en garde coutre l'aceoututuance dans « lit fréquentation des sacrements » que doit seul régler le « profit qu'on en retire ». Plus caracteristiques encore sont « l'adoration » fréquente du « silence de Jesus-Christ » et la « vie d'hostie » de « Jesus immolé dans le sacrifice », qu'on ne « reçoit » que pour « s’immoler et sacrifier avec lui » rappel au thème essentiel du condrenisme n'a rien de surprenant sous la plume d'un oratorien; il serait en revanche sans exemple sous celle de Fénelon(40).

Si la lettre XXXIX a été exactement publiée, il est loin d'en aller de même pour celles de 1687 Gosselin ayant opéré de longues coupures au début et à la fin de la lettre de la Pentecôte (d'ailleurs dejà mutilée dans le manuscrit) et même au début du celle du 28 mai, il est d’abord nécessaire d'en reproduire les véritables textes (47)

« Je suis un peu trop franc, vous le savez, et je ne sais pas assez les ruses de la Cour ni des Casuistes pour me tirer d'embarras par équivoque ou par un compliment (48). Si vous concluez avec M. le Duc (49) de ne point pousser votre projet (50), il n'y aura qu’à écrire

(43) M. puma, Histoire de l'abbé di Rongé eu de sa ri/orme, I abg), t . I I ,

P. 106. (46) Cl. supra, a. 35.

(47 ) A. S. S., t. 1, 9-13. Le destinataire tien avide: amant le due de Chevreuse

ci. mer lai, la lettre de Fénelon du 2 décembre 1688, n. 15.

(44) Ce eut pas sans eame que J. j. lioilmu éprouve dam une titi *es lettres le bombe de rte défendre « contre ceux qui l'amumnt d'une rigidité excessive (Paria. 1737, t. I, pp. 323427).

(49) 1. I. Boileau était prieepteur de* enfants du second lit du père de son correependant, Lottia.Charlos d'Albert. Fils du connétable de Luynes, celui-ei était tir en décembre 1620; grand Lattemusier et chevalier des ordres, il mourut à Paris le 20 octobre 1690. Sa troisième fatum était Marguerite d'Aligre, veuve du marquis de Mannerille, ipomée* par lui en juillet 16$5 et qui mourra le 26 septembre 1722 à quatre-ringt-un ans (cf. SOLI litCHSS, t. I, p. 273 ). Le due de Luynes habitait Resala 1662 l'hôtel que sa mire avait fait sionstruire en 1650 au rein de la rue Saint Dominique et de la rue des Vaches (Ch. Slell,Llith, Anciens hôtels de Paris, Paris,

1910, pp. 247-250 — B0181 tais, t. XXIII, pp. 156, 201 E. MAGNE, La titi

troublée de Tallemant des RN. île, Paria, 1922, p. 221).

(50) Nous poumons q; le « projet • dom il s'agit ici est relui qu'avait fait CheNreuse d'aller y habites. S'il n'y donna pas immédiatement cuite (et infra, n. 55 ), il l'avait cependant réalisé le 31 décembre 1688, date à laquelle le curé de Saint-Sulpice. Claude Elottu de La Barmondière, témoirsa en faveur du nouveau duc de Luynes en le déclarant « son paroissien s (A. N., K. 616, e 13). Le 25 novembr.-

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ou à faire écrire au jeune Seigneur (51) qu'on lui avait dit vrai en lui témoignant de votre part que la proposition vous faisait de la peine à sa considération, et qu'ayant appris de l'ecclésiastique député (52) l'embarras où l'on (53) se trouvait, vous avez marqué sur le champ que vous sacrifieriez de bien plus grands avantages à la paix et à l'amitié. On est déjà persuadé de vos sentiments sur cet article. Car, à tout événement, j'ai cru, mon chez Seigneur, qu'il fallait vous mettre hors d'intrigues. Cependant vous pouvez vous assurer que je n'ai exposé personne pour vous sauver (54). Mais il ne m'était pas malaisé de faire entrevoir une vérité favorable sans montrer les vérités odieuses. Si vous concluez avec Monsieur le Duc suivant le projet que vous aviez formé, je crois, sauf votre meilleur avis, qu'il ne faut ni parler ni écrire à la personne intéressée. Les choses vont d'elles-mêmes pourvu qu'on les laisse aller. Iller on (55) dit un mot qui pourrait accrocher de nouveau. Sur l'incertitude où l'on me laissait si vous quitteriez Monsieur de Seignelay ou non (56) on jugea à propos d'arrêter pour quelques jours la conclusion des marchés (57) que le jeune seigneur pourrait faire à son préjudice. Je proposai un expédient qui fut agréé et qui ne découvrirait point le dessein qu'on avait. C'était de faire dire à la personne intéressée par une voie souterraine de ne se pas tant presser de conclure (58), puisqu'on n'était pas en état de remplir maintenant sa place (59). Vous pouvez deviner pourquoi je ne voulais pas que l'on fît soi-même cette proposition (60). Cependant on fut si touché d'un marché qu'on disait être prêt à finir (61) qu'on dit soi-même ce que nous avions résolu de faire dire par des voies qui ne tiraient point à conséquence. Voilà, Monseigneur, l'état où est cette affaire. Quelque parti que vous preniez, il n'est plus nécessaire que je m'en mêle, car c'est peut-être moi dans le fond qui ai causé tout l'embarras (62). En tout cas, mon petit ministère y est absolument inutile, et il serait nuisible. Si vous vous allez imaginer que c'est par indifférence pour vos intérêts, je déplorerai dans vous comme dans les autres le malheur des plus grands esprits, qui se laissent tous les jours si étrangement prévenir, et je tâcherai de mon côté de pratiquer h votre égard, mon cher Seigneur, tous les devoirs d'un bon coeur dont rien ne peut altérer la reconnaissance. Je vous

1695, l'archevêque de Cambrai indiquera à MI"' de Laval que a le petit hôtel de Luynes n'est pas à louer ».

(51) Ce « jeune seigneur » qui occupait un appartement chez le duc quand celui-ci habitait avec Seignelay (cf. infra, n. 55) semble avoir été un des six fils de Colbert. 11 est désigné dans la lettre du 28 mai comme « M. de B. ». L'initiale ne nous paraît pas désigner Jules-Armand, marquis de Blainville et d'Ormoy (1663-1704) : marié le 27 juillet 1682 à Gabrielle de Rochechouart de Tonnay-Charente, il en avait deux filles, nées respectivement en 1684 et 1686, et il possédait la charge de maître des cérémonies, ce qui s'accommoderait mal avec une installation aussi précaire que celle dont il s'agit ici. On pourrait en revanche penser au jeune Louis Colbert, abbé de Bonport, mais désireux de reprendre l'épée : cf. sur lui, infra, la lettre du 31 juillet 1688.

(52) L'auteur de la lettre lui-même?

(53) On, Louis Colbert. Le déménagement des Chevreuse entraînait le sien car, sans charges de famille, il ne pouvait occuper seul leur logement. Son embarras devait venir du caractère aléatoire de ce départ : s'il n'avait pas eu lieu, ce n'aurait pas été la peine de faire les frais d'une nouvelle location. Au début de la phrase suivante, on peut désigner de nouveau le « jeune seigneur » ou un autre Colbert (Mme" de Beauvillier?).

(54) En rejetant sur le duc de Luynes déménagement de son fils ?

(55) Cet on et les deux suivants semblent désigner trois personnes différentes. Le premier serait, comme « la personne intéressée », le beau-frère de Chevreuse. En revanche, le second ne peut guère cacher que le duc de Luynes. Quant au troisième, il représenterait une personne soucieuse des intérêts du jeune homme, sa soeur M..• de Beauvillier par exemple.

(56) Cette page ne se comprendrait pas si l'on ne savait que les enfants de Colbert poussaient l'esprit de famille jusqu'à vouloir vivre dans le voisinage inimédint les tins des autres. A Versailles, Beauvillier et Chevreuse avaient au Palais des upparte. ments rapprochés: bien plus, ils possédaient deux hôtels contigus entre l'Orangerie et la rue de la Surintendance (G. LIZERAND, Le duc de Beauvillier, Paris, 1933, p. 320), tandis que Seignelay avait son hôtel rue de l'Orangerie (n" 10 et 12). Cela leur était plus facile encore à Paris où Colbert avait agrandi la maison que Mazarin lui avait léguée (rue Neuve des Petits Champs, à l'angle oriental de la rue V ivienne) par de nombreux achats (1665, 1669, 1672, 1678 etc.) dont le principal avait été celui de l'hôtel Bautru (L. DussiEux, Etude biographique sur Colbert, Paris, 1886. p. 291 sqq.). Aussi voyons-nous dès le 17 avril 1684 les ducs de Mortemart et de Beauvillier donner comme adresse au notaire Beauvais « rue Neuve des Petits-Champs, paroisse Saint-Eustache » (M. C., Etude XCV, liasse 37 ). Le due de Chevreuse fuit de même le 17 avril 1684, 22 septembre et tr octobre 1687 (Etude XCV, liasses 37 et 42 ). Or, cette adresse était celle de l'hôtel Colbert (25 août 1682, Etude XXXIII, liasse 353) qui devint ensuite l'hôtel Seignelay. Mais la mort, le 6 avril 1687, de Marie Charron, veuve de Colbert qui y résidait aussi (Bibliophile français, t. VII, 1883, p. 238) avait pu modifier les intentions de ses enfants. On notera que le 22 septembre 1687 le duc de Chevreuse « demeurant en son hôtel rue Neuve des Petits-Champs donnait à bail à Etienne Pollot, sr de la Tour, et à sa femme Marie-Amie de Mailly, une grande maison sise rue Vivien » (Et. XCV, liasse 42) :

Bautru, agrandi par Colbert, se trouvait à l'angle de la rue des Petits-Champs et de la rue Vivienne (cf. JAILLOT, Recherches critiques et topographiques sur la Pille de Paris, VI` quartier (Montmartre), Paris, 1772, p. 16).

(57) Marché, la conclusion d'un bail, l'achat de meubles.

(58) Un mot barré : absolument?

(59) Sans doute parce que le duc de Chevreuse ne savait encore à qui louer son hôtel. Jusqu'à ce qu'il le fût, il lui était avantageux que son beau-frère en occupât une partie. C'est la raison pour laquelle son correspondant manifestera bientôt la crainte que, s'il cesse de se mêler de cette affaire, le duc ne croie que c'est par « indifférence pour ses intérêts ».

(60) Pour que Chevreuse gardât la possibilité d'aller habiter l'hôtel de Luynes dès qu'il le désirerait.

(61) L'intéressé avait-il été « touché » des inconvénients d'un nouveau bail qu'il avait donné comme presque conclu? Cf. infra, n. 73.

(62) L'auteur de la lettre pourrait avoir « causé tout l'embarras s en apprenant au jeune seigneur, soit le projet de Chevreuse de déménager, soit ses hésitations à le réaliser de début du fragment porte à choisir la seconde explication).

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rends mille grâces de la lettre de recommandation. Si elle n'opère rien, ce ne sera pas assurément votre faute.

« Je ne manque point de demander à Dieu les puissants secours dont madame la Duchesse a besoin dans l'état où elle se trouve (63). Je lui souhaite cette plénitude de l'Esprit Saint, qui nous vide entièrement de l'esprit du monde. Elle n'est pas tout à fait dans l'état où se trouvaient Marie et les disciples pour recevoir cet Esprit sacré que le monde ne connaît ni ne reçoit; mais j'ai lieu de croire qu'au milieu de la cour, où elle est retenue, son coeur recueilli, mortifié, appliqué à Dieu, consacré par la grâce et par l'adorable Eucharistie, forme un temple, et qu'il est lui-même ce temple où l'Esprit Saint descend et réside. Dieu veuille que ce vent sacré (64) chasse bien loin toutes les ordures et la poussière qu'on ramasse dans le grand monde. Dieu veuille que ce feu consumant dévore toute l'écume et la paille qui nage sur la surface de notre coeur. Il est difficile, dans un temps (65) et dans un pays (66) où tout dissipe, où tout séduit ou du moins affaiblit la piété, de ne pas sentir quelque altération : mais il n'est pas impossible de demeurer ferme, quand c'est l'Esprit Saint qui affermit. Il y a une parole d'un grand poids dans l'histoire ecclésiastique, au sujet d'une sainte dame, qui fut exposée à de terribles épreuves dans le monde : T auto pondere f ixit eam Spiritus sanctus, ut immobilis permaneret (67). On n'acquiert guère ce degré de fermeté, que par des prières vives, fréquentes, humbles et pures. Il y faut joindre la réception fréquente de ce corps sacré formé par l'Esprit Saint, qui est lui-même une source inépuisable de l'esprit de sainteté. Je suppose toujours qu'on mène une vie chrétienne.

(63) Ses fonctions militaires l'attachant étroitement à la personne du Roi, le duc de Chevreuse devait le suivre dans tous ses déplacements, et c'est ainsi qu'il était parti le 10 mai 1687 de Versailles pour accompagner à Luxembourg Louis XIV qui avait pris la duchesse dans son carrosse. Le 18, jour de la Pentecôte, ils s'arrêtèrent à Châlons où le monarque distribua des bénéfices. Après être restés à Luxembourg du 21 au 26 et s'être trouvés à Verdun le 28, ils repassèrent à Châlons le 11" juin et étaient de retour le 6 à Versailles (ms. fr. 24 987, ff. 237 sq.; DANGEAU, t.

p. 42 — LALANNE, Paris, 1859, t. VI, pp. 61, 69, 73). Les 13 octobre 1688 et 4 août 1693, la duchesse est encore une des quatre dames « de la plus intime confidence s et elle accompagne le Roi en calèche (mss. Clairambault 491, f. 69 r° et 1165, f. 189). Cf. aussi BOISLISLE. t. XXVIII, p. 267. Le 22 janvier 1677, Rancé avait rendu hommage aux vertus du duc (Toimmoukrt). Plus tard des railleurs mettaient son attitude pacifiste eu relation avec un caractère peu belliqueux (Chansonnier, ms. fr. 12 691, p. 237).

(64) Allusion aux signes de l'effusion du Saint-Esprit : le grand vent de la Pentecôte, le feu consumant et. plus bas, le vin nouveau.

(65) Dans sa lettre LXX1I (t. I, pp. 490 sq. de l'édition de 1737 ), J.-J. Boileau déconseille un voyage à une dame.

(66) La Cour.

(67) Passion de sainte Lucie de Syracuse, cf. les Vies des saints par les Pères bénédictins de Paris. Paris, 1956, t. XII, p. 405.

Il ne faut point d'autre préparation pour l'Eucharistie, quand on examine les choses dans le fond. Quiconque est sain, ou légèrement infirme, doit manger s'il ne veut insensiblement s'affaiblir et mourir (68). Les voyages n'empêchaient pas les premiers Chrétiens de rompre le pain et de le manger. Ils le portaient avec eux ce pain du ciel, de peur d'en être privés par des accidents imprévus. Si l'on vit de l'esprit de Jésus-Christ, on a droit de se nourrir de son corps. Plaise à cet Esprit Saint de descendre sur nous avec les mêmes dons qu'il descendit sur les premiers disciples! Enivrons-nous (69) de cet Esprit Saint, mon cher Seigneur; ne nous souvenons plus ni de nos premières faiblesses pour nous abattre, ni des charmes (70) du monde pour nous laisser attirer. Oublions tout, comme les Apôtres, hors les vérités saintes et les biens éternels que cette divine ivresse (69) de l'esprit fait connaitre et goûter. Que tout le reste nous paraisse une illusion, telle qu'elle est dans le fond, une ombre et un songe. C'est ainsi que l'Ecriture parle de ces misérables plaisirs, de ces biens périssables qui passent avec plus de rapidité que les songes et les ombres. Un homme qui, pendant le sommeil, s'est trouvé dans les délices et dans l'opulence, dit le lendemain, en se retrouvant malheureux : Que mon bonheur est bientid passé ! ee n'était qu'un songe (71). Hélas ! que diront à la mort ces homri-rie's de richesses et de plaisirs dont parle David (72), lorsque se réveillant de leur léthargie, ils ne trouveront rien dans leurs mains ni dans leur coeur? On appelle un songe l'agréable illusion d'une nuit, qui dans ln vérité a une solidité et une durée très réelle par rapport à la brièveté de notre vie. Coitoue-it appellera-t-on cette illusion d'un moment, quand ce moment durerait toute la vie, dès qu'on entrera dans l'éternité?

Je ne sais pourquoi je tue suis si fort étendu. Je suis si persuadé de votre religion et de votre bonté, que je ne garde ni préenution ni mesure en parlant avec vous de notre commune espérance.

On vient de me dire que le jeune Seigneur doit passer demain le bail d'une maison (73). Si je le savais, je demanderais permission à Monsieur le Duc (74) de lui (75) rendre votre lettre après le bail

(68) Cf. supra, n. 7 et 64.

(69) Actes II, 1-14, cf. supra, n. 64.

(70) Charmes a le sens fort alors fréquent et taseinatio nugacitatis.

(71) Thème cher à Fénelon, mais qui ne l'était pas moins à J.-J. Boileau roumi° le montrent les Lettres imprimées de celui-ci, t. I, pp. 232, 314, t. II, pp. 27, 363, 380, 388 sq., 454, 513.

(72) Ps. LXXV, 6, cf. XLVIII, 7 et LI, 9.

(73) Ce qui suit (f. 13 e) manque dans l'édition Gosselin : c'est une espeee de post-scriptum, le correspondant de Chevreuse rouvrant sa lettre pour lui communiquer des informations qu'il vient seulement de recevoir.

(74) Le duc de Luynes.

(75) Lui, le jeune seigneur.

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fait. Cependant il n'y a nulle nécessité; il ne peut douter maintenant de votre désintéressement dans cette affaire. S'il prend son parti, je suis persuadé que les domestiques, qui ne veulent plus être gênés céans, ont fait réflexion que leur intérêt était de changer. En ce cas là, je ne m'étonne pas qu'ils aient déterminé l'esprit du maître, car il est doux et docile : il faudrait qu'il fût aveugle pour ne pas voir qu'il ne tiendrait qu'à lui de demeurer, pour peu qu'il voulût s'aider : on lui a donné beau jeu. Si vous jugez à propos de lui écrire, il me paraît qu'il faut le » [la suite manque dans le manuscrit].

Le 28 mai [1687] (76).

« Dès que j'eus reçu votre lettre pour Monsieur de B. (77), je vis bien que, si je la rendais, j'allais causer quelque nouveau mouvement; mais comme ce mouvement ne pouvait nuire à personne et qu'il pouvait servir à vos intentions, je crus, Monseigneur (78), devoir rendre la lettre sans délibérer et sans consulter. Je ne me repens point de ma résolution. On a vu par là ce que je voulais qu'on vît, que vous ne vouliez faire peine à personne. Voilà ma mission expirée. Il y a eu certaines gens embarrassées par leur bonté, mais leur embarras sera léger, et il leur est aisé de s'en tirer en laissant aller les choses leur train. Vous allez recevoir des lettres de divers côtés, vous saurez bien vous défendre ou vous rendre, selon que le parti vous paraîtra plus raisonnable et plus chrétien.

« Je suis très aise, mon cher Seigneur, d'apprendre que l'agitation du voyage ait laissé madame la Duchesse dans la même situation. Il y a toujours à craindre que ces grands mouvements ne nous dérangent un peu (79). Mais, dans le fond, quand on se tient attaché à Jésus-Christ par la prière et par la fréquentation de ses mystères, l'agitation ne sert souvent qu'à nous affermir. Cet arbre dont parle David, qui est planté le long des eaux (80), et qui est profondément enraciné, selon les termes de l'Apôtre. dans l'humilité et dans la charité (81), n'est pas ébranlé par

(76 ) A. S. S., Correspondance de Fénelon, t. I, fr. 9-11. Le premier paragraphe a été supprimé par Gosselin. La date de 28 mai 1687) est barrée.

(77 ) Sans doute Louis Colbert, cf. la lettre du 18 mai 1687, n. 51.

(78) Au début de sa lettre du 9 mai 1688, Boileau appellera également Chevreuse « Monseigneur » (A. S. S., Correspondance de Fénelon, pièce 481).

(79) Cf. la lettre du 18 mai 1687, n. 65.

(80) Ps. I, 3.

(81) Ephes. III, 17.

les vents qui arrachent les plantes sans racine. Cet arbre est même plus affermi à mesure qu'il paraît plus agité. Les occasions de vanité, de dissipation, d'ambition, de jalousie, sont pour ces âmes des occasions d'un nouveau mérite. Mais je conviens avec vous, mon cher Seigneur, qu'on a besoin, dans ces rencontres, de s'observer avec grand soin, et de se tenir fortement attaché à Dieu. Pour peu que Dieu se détourne de nous pour punir notre négligence ou nos infidélités, nous nous trouvons bientôt dans l'état où était David au milieu de sa cour. Hélas je me croyais affermi dans le bien, disait ce prince selon le coeur de Dieu; je ne serai jamais ébranlé dans mes résolutions, disais-je en moi-même; me voilà fixé pour l'éternité : Dixi in abundantia mea : Non movebor in ceternum; mais vous n'avez fait que détourner vos yeux un moment, ô mon Dieu, et je suis tombé dans le trouble; avertisii f aciem tuam, et f actus sum conturbatus (82).

« Nous avons par nous-mêmes un si terrible penchant vers les biens sensibles, et nous y sommes poussés avec tant de violence par tout ce qui nous environne, que, pour peu que le Fort d'Israël cesse de nous soutenir, la chute est infaillible. Notre chemin est glissant, dit le Psaume (83), et l'ange exterminateur nous pousse de toute sa force. Qui nous peut soutenir sur le penchant d'un précipice où nous roulons déjà de nous-même? C'est votre seule grâce, ô mon Dieu; c'est vous seul, ô Jésus, qui avez vaincu le monde, et en nous, et hors de nous, en répandant des douceurs infiniment plus grandes que celles qui nous séduisent (84). Mais cette grâce, mon cher Seigneur, ne se communique, dans la voie ordinaire, que par la prière fréquente et par les sacrements. Un pauvre dont les besoins sont continuels, et qui n'a ni force ni adresse pour y remédier de lui-même, n'a d'autre ressource que de prier continuellement, et de s'adresser à ceux qui peuvent remplir ses besoins (85). Faut-il donc s'étonner que Jésus-Christ et les Apôtres nous ordonnent de prier continuellement et sans relâche (86)? Quand il n'y aurait pas un précepte de le faire, notre faiblesse nous devrait suggérer cette pratique. Mais, par malheur, on ne sent pas même ces besoins, quoiqu'ils soient si pressants et si importants. Pour peu que nos forces corporelles s'affaiblissent, nous le sentons promptement et bien vivement; la moindre altération dans la tête ou dans le coeur nous avertit que nous avons besoin du médecin et du remède : mais souvent nos forces spirituelles sont presque entièrement épuisées avant que nous connaissions notre mal. On attribue à un premier mouvement, à une légère négligence,

(82) Ps. XXIX, 7 et 8.

(83 ) Ps. XXXIV, 6.

(84 ) « Jansénisme » et « panhédonisme » discrets.

(85) Cf. supra, n. 12.

(86 ) Luc, XVIII, 1 - I Thess. V, 17. Cf. les Lettres imprimées de l'abbé Boileau, t. I, p. 37 et t. II, p. 475.

à une petite faiblesse, ce qui est souvent l'effet et la niarque passion dominante et d'un coeur corrompu. On aime le monde el ce qui est dans le monde par une vraie affection, et l'on s'imagine qu'on n'a que des vues passagères qui ne laissent titille impression dans h, coeur. Qui est-ce qui peut discerner, mon cher Seigneur, l'impression passaere que fait le monde sur une aime exposée à son commerce dangereux d'avec l'affection permanente qu'il imprime (87)? Qui est ('e qui peut discerner si c'est par nécessité et avec répugnance qu'il sert à la vanité, ainsi que parle l'Écriture (88), ou si c'est de bon gré et avec plaisir? Que faire done dans cette incertitude terrible? S'humilier, reinir, prier. soupirer incessamment vers Jésus-Christ. Averte oeulos M'ON, ne videant vanitatem : tri via tua vivilica me (89). C'est une exeellente prière pour une âme engagée dans la cour, comme David, c'est-à-dire plongée dtuis le milieu des attraits du inonde. O mon Dieu, vérité souveraine et souverainement aimable, détournez mes yeux de la vanité qui les environne de toutes parts; et parce que leur mobilité naturelle les fait tourner incessamment vers les objets qui se présentent et qui éclatent, fixez-les, ô mon Dieu, en vous présentant vous-même et vous faisant sentir avec cette force qui fait que les grands objets attirent, uniquement notre attention et notre vue (90). Mais ne vous contentez pas, Seigneur, de détourner une fois mes yeux de la vanité : hélas ! je rechercherais bientôt avec empressement ces misérables, mais agrédibles objets dont vous m'avez ôté la vue; faites-moi entrer uniquement dans cette voie de justice et de sainteté, où la vanité ne se présente plus à ceux qui vous aiment; in via tua vivifiea me : mettez-moi dans cette voie où l'on ne voit, où l'on n'entend, de quelque côté qu'on se tourne. que vérité et charité. Remplissez incessamment mon esprit et ini"inie mon imagination de pensées et d'images qui me portent à vous; pénétrez mon coeur de cette ineffable suavité qui attire les âmes à l'odeur de vos parfums (91); consacrez même mon corps par l'infusion de votre Esprit et par l'attouchement de votre chair sainte, en sorte que ma chair, aussi bien que mon coeur, tressaille vers le Dieu vivant. Faites. ô Jésus, que, devenu par votre grâce, par mon Baptême, par la Confirmation et par l'Eucharistie, votre temple, votre enfant, l'un de vos membres, la chair de votre chair, l'os de vos os, je n'aie plus d'autres mouvements que les vôtres. Que s'il n'est pas de votre providence. ni de mon utilité que je sois exempt de toute tentation, empêchez au moins, ô mon Dieu, tout-puissant, empêchez que je n'y

(87) Passage très augustinien et, si l'on veut. jansénisant.

(88) Rom. VIII, 20.

(89) Ps. CXVIII, 37. (40) Elévation augustinienne. (91) Cuti. 1, 3.



succombe (92). Il est de votre gloire que vous vainquiez le démon en moi, comme vous l'avez vaincu en vous-même, non en l'empêchant de tenter, mais en repoussant sa tentation. Mais faites donc, Seigneur, Glue, lorsque cet esprit séducteur me tentera, ou par la sensualité, ou par la curiosité, ou par l'ambition (93), je ne sois non plus ébranlé que vous le fûtes dans le désert; s'il me montre la gloire du monde, en me flattant qu'il m'en fera part pourvu que je l'adore, détournez alors mes yeux de la vanité, faites-moi sentir l'illusion de ces vaines promesses, et gravez vivement et profondément au fond de mon coeur ces vérités par où vous dissipâtes la vanité de Satan, qu'il ne faut adorer que Dieu, qu'il ne faut servir que lui seul (94).

« Vous me pardonnerez bien, mon cher Seigneur, cette petite digression. Je suis si touché du danger où je me trouve quelquefois, que je dis à Dieu tout ce qui me vient alors en pensée; et comme je ne distingue pas trop l'amour que j'ai pour mon salut, de celui que j'ai pour le vôtre, vous ne devez pas être surpris que je parle pour vous comme je parle pour moi (95). Il faut pourtant finir, de peur que le zèle ne devienne indiscret. Aussi bien ne vous pourrais-je jamais marquer jusqu'à quel point je suis à vous.

« Je ne sais si le respect et la reconnaissance que j'ai pour les personnes que j'honore, et à qui je suis obligé, m'impose un peu; mais je ne puis dissimuler que j'espère de voir Madame la duchesse de C [hevreusel une grande sainte (96). Il y a tant de traces de la miséricorde de Jésus-Christ dans cette âme, qu'il achèvera infailliblement ce qu'il a commencé : oui, il l'achèvera, malgré le démon et le monde, et personne ne lui arrachera cette brebis qu'il a achetée de tout son sang (97). Vous ne sauriez croire combien j'ai de joie dans l'espérance que je sens de voir entièrement à Dieu ceux que j'estime. Vous pourriez devenir favori, premier et unique ministre, que je n'en sentirais pas, ce me semble, une grande émotion; mais je ne puis penser, sans une joie sensible, que vous voulez être à Jésus-Christ sans réserve et sans retour.

« Le comte de Montfort (98) me donne aussi, depuis quelques jours, de grandes espérances. Vous verrez du fruit, si je ne me trompe, quand

(92) Raffinement sur le Pater.

(93) A la suite de saint Augustin, les jan,eni›te› avaient souvent développé lo célèbre verset de la Id Joanni$ dans leur thi;orie des trois concupiscences.

(94) Matth. IV, 10.

(95) Habile excuse de ce que la différence de rang pouvait faire considérer comme la manifestation d'un e zèle indiscret ».

(96) Le nom de Chevreuse a été complété postérieuretnent.

(97) Allusion discrète à la doctrine des marques de prédestination.

(98) Le fils aîné des Chevreuse étant mort à cinq ans, le titre de comte de Montfort était alors porté par Honoré-Charles, né le 6 décembre 1669. Il fut blessé le 1er avril 1691 au siège de Mons et épousa le 18 février 1694 la fille unique du marquis de Dangeau. Brigadier de cavalerie en 1696, il fut fait le 10 janvier 1700



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évoque sans indulgence a les ordures et poussières qu'on rencontre dans le grand monde » (103) et l'élévation : « O mon Dieu, vérité souveraine et souverainement aimable » est d'un ton très augustinien, comme d'ailleurs l'analyse de la « passion dominante » et de l' « affection permanente » (104). Mais on a peine à croire qu'un ami du l'. Quesnel ait jamais pu exhorter à « la réception fréquente » de l'Eucharistie à laquelle il ne faut point « d'autre préparation » qu' « une vie chrétienne ». « Quiconque est sain, ou légèrement infirme, doit manger, s'il ne veut insensiblement s'affaiblir et mourir » (105). Il suffit cependant de se référer à ses Lettres imprimées pour y trouver de nombreuses invitations à communier et même la formule : « L'Eucharistie est le pain des forts, mais elle l'est aussi des faibles qui désirent sincèrement devenir forts » (106).

En même temps qu'elle nous invite à réviser la carte spirituelle de la lin du XVIIe siècle — des théologiens d'écoles opposées pouvaient fort bien donner les mêmes conseils à ceux qui se plaçaient sous leurs directions respectives — cette critique des sources doit rendre l'éditeur de Fénelon prudent à l'égard des pièces dont il n'a pas l'atutographe, même si elles appartiennent au fonds constitué au XVIIIe siècle par les disciples de l'archevêque : comme c'est souvent le cas, sa gloire avait déjà rejeté dans l'oubli ceux auxquels les contemporains avaient mis longtemps à le préférer. Il est en tout cas probable que Fénelon ne devint que tardivement une autorité en la matière : l'assistance qu'il prêta au duc de Mortemart durant la maladie dont il mourut le 3 avril 1688 fut peut-être la première manifestation de la nouvelle vocation du supérieur des Nouvelles Catholiques (107).

La correspondance de Fénelon ne renseigne donc que fort peu sur sa première spiritualité et ses autres oeuvres authentiques de la même période de Traité de l'Education des Filles, voire ses sermons sur la profession (l'une nouvelle convertie ou sur la vocation des gentils) ne fournissent à cet égard que des indications assez lointaines. Il serait de meilleure méthode de chercher si certains des opuscules réunis dans les Oeuvres de piété ne seraient pas antérieurs à 1689. C'est la question qu'A. Chérel s'est posée au sujet de « L'entretien sur les caractères de la vraie et solide piété que les éditeurs ont joint aux Lettres spirituelles » : en effet « il préconise un examen de conscience minutieux

(.103) Voir supra. notes 85 et 65. Sur le « jansénisme » du duc de Chevreuse, cf. supra, 111 p., eh. V, n. 7.

(104) (:f. supra, Ilotes 90 et 87.

(105) Cf. supra, note 68.

(106) T. II, p. 467 le t. I (pp. 391-394) ne se montre pas moins catégorique. Cf. nus ' t. 1, pp. 446-449, 460, t. XI, pp. 90, 97, 122, 198 sqq., 267 sqq., 373, 395, 473.

(107) Cf. infra, lettre, du 7 avril 1691, n. 2.

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Mme de Maintenon en prit aussitôt connaissance (111). Le caractère décousu de l'opuscule confirme que l'auteur se contenta de ne pas interdire le travail d'un disciple dévoué. Les pièces mises en oeuvre sont forcément antérieures à septembre 1689, et elles remontent en toute hypothèse à une époque où il ne subissait pas vraiment l'influence de Mme Guyon.

L'opuscule de 1690 est pour l'essentiel reproduit sous le titre Entretien sur les caractères d« la véritable et solide piété dans les Oeuvres de 1852, t. V, pp. 673 d - 685 g (112). Mais cette édition omet le précieux avertissement initial :

« Avertissement. Bien des gens font aujourd'hui profession d'être dévots; et l'on ne saurait prendre un meilleur parti, qui devrait être celui de tous les chrétiens : mais parce que plusieurs l'embrassent sans règle et sans lumière, il n'arrive que trop ordinairement qu'ils se trompent; et que la cupidité se rendant le guide de leur conduite, ils font de fausses démarches et s'éloignent souvent de leur fin.

« Ce petit Ouvrage a été fait pour remédier à ce désordre; et on peut dire qu'il renferme tout ce qui est nécessaire à une âme qui a résolu de s'appliquer sincèrement à son salut.

« On objectera peut-être que ce qu'il contient regarde particulièrement les personnes qui vivent dans la retraite. Il les regarde effectivement; mais ce n'est pas si particulièrement qu'il ne convienne encore à tous les chrétiens qui ne doivent jamais se dispenser de tendre à la perfection que Jésus-Christ notre Sauveur a si formellement recommandée. En effet il est vrai que les personnes retirées n'ont point un autre évangile que celles qui ne le sont point; que nous sommes tous également obligés d'user de ce monde comme n'en usant point; et qu'on peut dire que c'est là l'unique nécessaire. »

Et l'on doit y signaler un assez grand nombre de variantes mineures :

(108) iléfirion et /a religion du pur amour, p. 89. Cf. M. IlAtt.LANT, Fénelon et la prédication, Paria, 1969, pp. 18 .q.

(109) Le 5 juin 1702 Bossuet avait en effet assuré e A. de Noailles : « Il court à Paris fort secrètement deux petits écrits de M. l'archevêque de Cambrai, dont l'ion qui e pour titre De l'excellence de Dieu... » (URBAIN-LEVRSQU1t, t. XIII, pli. 342 sq. ). Fénelon ne pensait plus qu'il l'avait lui-même envoyé à Ma' de Montheron le 6 janvier 1702.

(110) Ms. fr. 23 505, f. 221 y°. L'opuscule (B.N., D. 54 208) est deux fois plus long que le précédent. Il porte un privilége et dee approbations des docteurs de >icelles et Gerbais respectivement datées des 30 décembre 1695 et 8 octobre 1696. Un Avertissement nouveau souligne l'orthodoxie de l'entretien De le Prière.

(111) Cf. infra, ch. IX, n. 31 s. f.

(112) Gosselin a suivi les Sermons choisis de 1718 où Ramsay avait inséré le texte de la e nouvelle édition » de 1700 (B.N., D. 33 713 ). Elle omettait le début de l'Avertissement de 1696, mais ajoutait une troisième pièce, un peu plus brève que la précédente, l'Entretien de l'humilité qui se présente comme un sermon. Quant à l'édition de 1704 (B. Mazarine 56 544 ), elle parait une simple contrefaçon de celle de 1690.

[suit un tableau comparatif non reconnu]

IX FENELON, MADAME DE MAINTENON ET SAINT-CYR

Les historiens ont tendance à placer très tôt le début de la faveur de Fénelon auprès de M"'" de Maintenon. Quoique nul n'ose plus se réclamer ouvertement de textes apocryphes, on doit faire remonter cette tradition h La Reaumelle, selon lequel la marquise aurait écrit dès le 20 décembre 1683 à Mme de Saint-Géras :

« Votre abbé de Fénelon est fort bien venu ici : tout le monde ne lui reml pourtant pas justice et il voudrait être aimé avec ce qu'il faut pour l'être » (1).

Si l'anachronisme est par trop audacieux, il ne, serait pourtant pas invraisemblable (lue Fénelon eût été, peu avant son départ pour la Saintonge, présenté à l'épouse (lu Roi dont le cousin germain M. de Villette « témoignait » dès le 28 novembre 1685 « avoir de l'impatience de voir arriver M. de Fénelon n (2) et faisait au cours de décembre Mursay son abjuration entre les mains de l'abbé (3). Malgré la perte de ses illusions sur le désintéressement de la conversion du nouveau chef d'escadre (4) et un complet échec avec un autre cousin de la nitr-

(1) Lettres de Mme de Maintenon, t. II, p. 299. Le cardinal de Bausset a repris la citation dans son Histoire de Fénelon (livre II, § 2). Mais un article de A. Geffroy publié en janvier 1869 dans la Revue des Deux Mondes (pp. 377 set. ) a prouvé qu'il fallait considérer comme « une pure invention de La Beaumelle Ies quelque, soixante lettres qu'il a publiées en 1752 et en 1755 comme adressées à Mme de Saint-Géran et à Mme de Frontenac ». Depuis, Marcel FIN (Mm' rie Maintenon et les protestants, lfzi.s, 1943, p. 137) n souligné que le style en trahissait la fausseté : c'est particulièrement net dans la lettre que l'épouse (lu Roi aurait écrite le 13 avril 1691 à Mn" d© Saint-Géran : « Adieu, mn tri.« chère; j'ai vu encore aujourd'hui l'abbé de Fénelon. Il a bien de l'esprit; il n encore plus da piété. C'est justement ce qu'il me fauta (ibid., t. II, p. 318 ). Cf. aussi LAVA LLÉK, Correspondance générale, t. I, p. 227 et M. LANGLOIS, M"" de Maintenon. Ses oeuvres complètes, légende et histoire (Revue historique, t. CLXVIII, 1931, p. 260) et, sur Mme de Saint-Géran, le ma. fr. 23 498, f. 62 v° et BotstImit, t. I, p. 143 n.

(2) Arnoul à Seignelay, cité infra, lettre du 12 décembre 1685, n. 3.

(3) Cf. infra, Seignelay à Fénelon, 12 décembre 1685 et n. 4.

(4) Le 16 janvier 1686 Fénelon indiquait à Mes' de Beauvillier : • J'ai découvert par les écrits de M. de Villette qu'il m'a confiés qu'il est tri-ci mal converti; il ne croit point ce que l'Eglise croit... Qu'on l'empêche doucement de communier et qu'il s'instruise ».

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quise, M. de Sainte-Hermine (5), Fénelon conserva des liens avec les Villette : sa nièce Madeleine-Françoise-Geneviève de Beaumont épousa en effet le fils cadet de son prosélyte, le chevalier Henri-Benjamin de Mursay, qui fut quelques mois après tué à Steinkerque (août 1692) (6). Cette union, que des raisons géographiques peuvent suffire à expliquer, est à rapprocher du bruit, rapporté en février 1695 par le nonce Cavallerini, que le nouvel archevêque de Cambrai « avait quelque degré de parenté » avec Mme de Maintenon (7). Cependant la marquise ne figure dans les lettres de l'abbé de 1685-1687 que comme une puissance lointaine, voire redoutable (8); rien ne permet de croire qu'elle ait été directement renseignée sur ses activités de missionnaire.

A en croire Marcel Langlois, Fénelon aurait écrit à Mme de Maintenon les 4 octobre, 30 octobre, 25 novembre 1688 et en janvier 1689. Mais, deux de ces lettres portent une autre date dans les manuscrits (4 octobre 1689 et 1690) (9) et les deux autres sont données par les sources comme écrites par Bourdaloue (10). On ne reconnaît d'ailleurs en aucune façon dans ces dernières le style « rapide » que Langlois lui-même juge caractéristique de Fénelon (11) : et, sur le fond, le P. Daeschler « penche pour Bourdaloue » en raison de « certains rapprochements de textes » (12). Si des expressions (« la dévotion solide, l'importun ») se retrouvent dans les lettres des deux spirituels, c'est que l'un et l'autre répondaient aux mêmes questions (13). Quant à la lettre

(5) Cf. infra, Fénelon à Seignelay, 28 janvier 1686, n. 6.

(61 Cf. infra, lettres du 12 décembre 1685 et du 20 juillet 1694, n. 6.

(7) Dépêche citée dans HILLENAAR, p. 49.

(8) Cela semble en particulier ressortir des précautions de la fin de la lettre du 16 janvier 1686 à M'et' de Beauvillier au sujet de l'hétérodoxie de M. de Villette : « Il faut vous dire encore en grand secret... Ne me nommez pas ».

(9) Cf. infra, le texte de ces lettres auxquelles nous avons cru devoir conserver leurs dates traditionnelles. Celle que Langlois place en janvier 1689 figurera au début de l'année 1690.

(10) M. LANGLOIS, Pages nouvelles, pp. 40-55. Les Mémoires de Languet de Gergy (éd. LAVALLÉE, Paris, 1863) précisent pourtant (p. 284) que la marquise s'adressa à Bourdaloue en 1688. Cf. aussi LAVALLÉE, Correspondance générale, t. III, p. 156 et le ms. fr. 23 498, f. 222 ve.

(11) Pages nouvelles, cp. la p. 284 à la p. 41.

(12) Dictionnaire de Spiritualité, s. y. Bourdaloue, col. 1903, cf. aussi col. 1902. Par exemple, « quitter Dieu pour Dieu s (Pages nouvelles, p. 43) semble bien emprunté à la Vie de saint Ignace, par Ribadeneira (V, 10, Ingolstadt, 1590, p. 477). Avant Fénelon, Bourdaloue avait d'ailleurs préconisé la vraie, la « solide dévotion » la dévotion du devoir qui se règle sur la volonté divine d'abord dans nos obligations, spécialement nos devoirs d'état » (R. DAESCHLER, Bourdaloue. Doctrine spirituelle, Paris, 1932, pp. 161-200). Même accord sur les diverses formes de prières (ibid., pp. 227-245 ). Contrairement à ce qu'on pourrait croire, c'est l'oraison affective que le prédicateur jésuite préconise le plus souvent (ibid., p. 237, cf. Pages nouvelles, p. 48).

(13) On notera d'ailleurs que l'a idée de la dévotion solide » (ibid., p. 42 ) désigne l'écrit de Mine de Maintenon elle-marne. Cp. cependant ibid., pp. 46, 50 sq. aux O. F., t. V, pp. 673-685 et à la lettre du 23 février 1690 sur l'importun.



« sur ses défauts », elle est trop guyonienne pour avoir été écrite au début de 1689 (14).

En admettant que l'intimité que révèle cette dernière pièce (15) fût aussi ancienne, on serait d'ailleurs en peine d'expliquer que la destinataire ait, exactement au même moment, oublié d'inviter l'abbé périgourdin aux représentations d'Esther (16) de 22 février 1691 le précepteur des princes sera au contraire un des rares privilégiés conviés à voir Athalie 17). Dans la même hypothèse on comprendrait encore plus mal qu'en août 1689 Beauvillier ait jugé nécessaire de « prévenir » Mme de Maintenon au sujet de l'abbé et que le curé de Versailles Hébert ait « eu l'occasion de parler aussi à cette dame dans les mêmes termes » (18). Tout s'éclaire en revanche si l'on en croit A. M. Ramsay : entre l'automne 1687 et août 1689 Fénelon ne se rendit jamais à la Cour (19).

Aurait-il néanmoins fréquenté Saint-Cyr? Plus que par la difficulté qu'il aurait alors eue à éviter Versailles, nous sommes arrêtés par le silence des documents. M. Langlois a fait valoir qu'ils ont été épurés après la disgrâce de l'auteur des Maximes des Saints, mais ce n'est certainement pas le cas pour les Mémoires de Manseau, économe de la maison, ou pour la Relation de Phélipeaux. Or, le premier, qui tient un journal, donne une liste détaillée des ecclésiastiques qui prêtèrent leur ministère aux dames de Saint-Louis (20) : le nom de Fénelon n'apparaît sous sa plume qu'en janvier 1690 (21). De son côté,

(14) Cf. infra, notes 8-9, etc.

(15) Fénelon y rappelle les principes qu'il a g souvent » (n. 44 ), « si souvent » (n. 6) exposés à la femme du Roi.

(16) La liste des spectateurs de janvier et février 1689 qu'on trouvera dans LANGLOIS, t. III, pp. 395-400 peut être complétée à l'aide des textes énumérés dans notre Genèse d'Esther et d'Athalie, Paris, 1950, p. 22, n. 64.

(17) Il se signala en outre par ses inutiles instances pour porter Godet des Marais à y assister (Mémoires de Manseau, éd. Ach. TAPHANEL, Versailles, 1902, p. 162).

(18) Mémoires du curé de Versailles F. Hébert, éd. G. GIRARD, Paris, [19271, p. 228. Ce passage et trois mots de l'intéressée (cf. infra, lettre du 8 novembre 1690, n. 2) autorisent Languet de Gergy à dire (op. cit., pp. 128-130) que « Mme de Maintenon avait fortement contribué à faire nommer » Fénelon « précepteur ». Mais quand elle-même assurait à Mme de Glapion : e J'avais aussi de très bonnes intentions quand je fis nommer Noailles et Fénelon » (dans A. GEFFROY, Ars. de Maintenon, Paris, 1887, t. H, p. 190), c'est à la nomination à Cambrai qu'elle pensait.

(19) Histoire de Fénelon, 1723, p. 11.

(20) Outre le supérieur (Gobelin) et les confesseurs ordinaires de docteur Converset, Du Boullay, Ricard ), Godet des Marais, Brisacier et Tiberge furent appelés en mai 1688 et y revinrent à la fin du Carême de 1689 (Mémoires de Manseau, pp. 61, 63, 115, cf. l'édition LANGLOIS, t. III, p. 144).

(211 En particulier il assista en janvier 1690 avec Godet, Brisacier, Tiberge « et autres » à la délibération qui résolut d'appeler les lazaristes à Saint-Cyr (Mémoires de Manseau, p. 123). Le 24 octobre 1691 il y était convoqué avec les trois mêmes ecclésiastiques pour y discuter sur « la réformation des constitutions et la forme des

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Phélipeaux disposait des souvenirs et des archives de Mme de La Maisonfort, disciple favorite de Fénelon. Or c'est après août 1689 qu'il place les premières tentatives de l'abbé pour « se gagner les bonnes grâces de Mme de Maintenon ». Quant à Mme de La Maisonfort, poussée par sa cousine Mme Guyon, mais déjà sous la direction de Godet des Marais, elle aurait attendu encore davantage pour « avoir à Versailles dans l'appartement de la duchesse de Charost une entrevue secrète » avec celui qui ne devait se laisser charger de sa conduite qu'au début de 1691 (22).

Si la rencontre de Fénelon et de Mme de Maintenon fut tardive, toutes les conditions se trouvaient réunies pour que, dès son arrivée à la Cour, il acquît aussitôt un ascendant manifeste sur l'épouse du Roi : on ne s'en étonnera pas, puisqu'il était depuis longtemps le directeur des « duchesses de Chevreuse et de Beauvillier qui avaient tout accès auprès d'elle » (23) et que Madame Guyon formait entre eux un lien supplémentaire (24). C'est sans doute dès l'automne 1689 que « tous les dimanches » le nouveau précepteur « dînait en particulier avec Mme de Maintenon chez la duchesse de Chevreuse » (ou chez sa soeur Mme de Beauvillier, ajoute l'abbé Ledieu) « et, sur les deux heures après-midi, il faisait une conférence spirituelle où se rendaient toutes les dévotes de la Cour » (25). Dès la fin de l'année il donnait des avis à

voeux » (ibid.. p. 177 ). En janvier et en avril 1692 il participait à de nouvelles assemblées à ce sujet (ibid., pp. 182, 195) et en décembre il était appelé à déposer dans l'enquête de commodo et incommodo (ibid., p. 227, cf. aussi pp. 162 et 186). Les Mémoires s'arrêtent au ler janvier 1693.

(22) Relation, pp. 36 et 43.

(23) Ibid., p. 36. La marquise ne l'a jamais nié, cf. par exemple son entretien de 1709 avec Mme de Glapion : u J'ai voulu que le duc de Beauvillier et le duc de Chevreuse fussent amis du Roi » (dans GEFFROY, t. II, p. 190). Voir aussi LANeLOIS, t. III, p. 354.

(24) Libérée en août 1688 grâce à Mme de Maintenon qui la considérait comme une victime de son adversaire Harlay, Mme Guyon obtint aussitôt d'elle l'autorisation de se faire des adeptes à Saint-Cyr où elle avait sa cousine germaine Mme de La Maisonfort. Bien plus, la marquise « l'avait tellement goûtée qu'un jour se trouvant dans une profonde tristesse à Saint-Cyr, elle l'envoya quérir à Paris, n'espérant trouver de la joie et de la consolation que dans la douceur de son entretien » (PHÉLIPEAUX,

t. I, pp. 31, 43 — Vie de M"'" Guyon par elle-même, p., ch. 9, n. 9, et

ch. 11, n. 5, Cologne, 1720, pp. 123 sq. — Mémoires de M"" du Pérou (Grand Séminaire de Versailles), 1. I, ch. 19, p. 134 — P. M. MASSON, p. LXXVII). Même lorsqu'elle se fut aperçue de son imprudence, l'épouse du Roi écrivait encore à la fin de 1691 : e Elle m'a paru d'une discrétion admirable, tout ce que j'ai vu d'elle m'a édifiée et je la verrai toujours avec plaisir » (cf. infra, lettre du 7 juin 1692, notes 8-9 ). C'est sans doute à son illustre protectrice que pensait Mme Guyon lorsqu'elle écrivait à Fénelon entre le 24 et le 28 août 1689 : u J'ai une certitude que N. vous était donnée » (dans MASSON, p. 269, cf. lettre du 21 août 1689, n. 5). Dans la lettre de l'abbé du 11 juillet 1689, M. de M. nous paraît, malgré MASSON (p. 204), désigner plutôt Men* de Mortemart.

(25) PHÉLIPEAUX, t. I, p. 43. n affirme aussi, peut-être avec moins de fondement,



Mme de Maintenon, à qui son directeur en titre, Godet des Marais, « répondait de lui comme de lui-même » (26).

Il eût été surprenant que la fondatrice de Saint-Cyr eût négligé d'employer au service de la maison l'auteur du Traité de l'Education des Filles auquel la direction des Nouvelles Catholiques avait en outre donné une longue expérience de la psychologie féminine. Il existait un lien plus direct encore, puisque une au moins des « dames de Saint-Louis », Geneviève de Montfort, n'était convertie que depuis quelques années (27) et avait eu Fénelon pour « Ananias » (28). Mais nous ignorons absolument ce qui autorise M. Langlois à affirmer que c'est pour ses voeux simples à Saint-Cyr (11 janvier 1687) que l'abbé aurait prononcé son célèbre sermon « pour la profession religieuse d'une nouvelle convertie » (29). Il est seulement certain que Fénelon est, tout comme Godet ou Brisacier, nommé dans trois lettres de la marquise à Mme de